Ce volume devait sortir en 1994. Malheureusement, vers cette

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Ce volume devait sortir en 1994. Malheureusement, vers cette
AVIS
Ce volume devait sortir en 1994. Malheureusement, vers cette
époque, après des années de service, M. Daniel Nizet a décidé de
fermer boutique place de la Sorbonne. Pour cette raison et pour
des raisons personnelles, le projet de publier la correspondance
de Beaumarchais fut mis de côté.
Nous le reprenons en février 2010 avec l’intention de mettre en
ligne toutes les lettres que nous avons collectées et transcrites
depuis plus d’un quart de siècle. Beaumarchais mérite mieux
qu’il n’a reçu jusqu’ici et peut-être que cet échantillon électronique
remplira un tout petit peu une lacune qui existe dans la
publication de ses oeuvres complètes.
M. Nizet a eu l’amabilité de nous donner la permission de mettre
en ligne les quatre premiers volumes publiés chez lui entre 1969
et 1978. Voici le cinquième tome de cette série.
N.B. Si Beaumarchais vous intéresse et si vous voulez participer
à la publicatiion de sa correspondance, veuillez m’écrire à
[email protected]
BEAUMARCHAIS
CORRESPONDANCE
DONALD C. SPINELLI
BEAUMARCHAIS
CORRESPONDANCE
TOME V
(1779)
INTRODUCTION
Le professeur Brian N. Morton, qui commença à publier la
correspondance de Beaumarchais en 1969, a décidé récemment
de prendre sa retraite et de se consacrer à d’autres travaux.
Comme je l’avais aidé à préparer le volume IV, il m’a demandé
s’il m’intéresserait de continuer la publication de la
correspondance. Bien que ce projet m’ait tout d’abord paru
nécessiter un travail et une responsabilité énormes pour une
seule personne, je l’acceptai dans l’espoir de trouver par la suite
un co-éditeur.
Après avoir rassemblé, trié et classé les documents que
m’avait remis le professeur Morton et les avoir combinés avec
d’autres matériaux que j’avais réunis de mon côté, j’ai pu obtenir
une base de données informatisée d’environ 2200 lettres. Ce
chiffre est donc nettement plus élevé que les “quinze à seize cent
lettres” mentionnées au tome I (p. xxxiii), bien que sans doute
loin de ce qu’une véritable correspondance complète contiendrait
s’il était possible d’en produire une.
Le volume présenté ici comprend une année bien remplie de
la vie de Beaumarchais. Il y a 72 lettres de plus dans ce volume
que dans celui consacré à l’année 1778. Comme il faut s’y
attendre, certaines lettres écrites par Beaumarchais et ses
correspondants en 1779 reprennent des discussions ou des topos
précédemment traités, juxtaposés à des préoccupations et sujets
introduits pour la première fois.
viii
CARON DE BEAUMARCHAIS
Il est à propos que l’argent soit le sujet par lequel
commencent les lettres de cette année-là, car c’est un thème
récurrent dans toute la correspondance de Beaumarchais. Dans
la première lettre il est question de sommes prêtées par Francy,
avec l’accord de Beaumarchais, au marquis de Lafayette, mais
d’autres aussi auront recours à sa bourse: par exemple, Mme de
Godeville, sa maîtresse et la comtesse Fanny de Beauharnais qui
lui demandera de venir en aide à son ami Dorat. Beaumarchais
secourra aussi financièrement le prince de Nassau-Siegen, le
chevalier Preudhomme de Borre, et il ne sera jamais remboursé
par von Steuben malgré les promesses répétées de ce dernier de
lui régler ce qu’il lui doit.
Naturellement Beaumarchais est très préoccupé par sa
propre situation financière: les Américains, en dépit d’une lettre
de John Jay, le nouveau président du Congrès, qui semble
reconnaître leur dette, ne font pas grand’chose pour rembourser
leur bienfaiteur; le différend entre Beaumarchais et son associé
Chevallié se soldera par une assez lourde perte pour
Beaumarchais; ses comptes avec la Comédie-Française sur sa
part des revenus apportés par les représentations du Barbier de
Séville ne seront pas réglés dans l’année. Enfin la destruction
d’une grande partie de la flotte et de la cargaison qu’il envoie en
Amérique en mai est une catastrophe financière qui l’occupera
pendant plusieurs années à venir. Des commissions d’enquête
seront formées, de nombreux mémoires et lettres seront rédigés
avant que Beaumarchais ne touche la moindre indemnité pour
ces pertes.
Malgré tous ces déboires Beaumarchais trouvera cependant le
temps de s’élever contre la pratique scandaleuse de la Ferme
générale qui consiste à acheter des tabacs enlevés par les Anglais
et à les introduire en France à un tarif ruineux pour les
importateurs français. Il luttera en vain pour faire supprimer les
barrières économiques en France. Il soutiendra les négociants
protestants contre la Chambre de Commerce de Bordeaux dont
ils sont exclus uniquement à cause de leur religion, et il se fera le
champion d’un Juif dont la conduite actuelle mérite qu’on lui
pardonne certaines fautes de jeunesse.
CORRESPONDANCE
ix
Une cause déjà ancienne qui continue à l’occuper est celle de
la Société des Auteurs Dramatiques. Les querelles entre auteurs
et acteurs ne seront toujours pas résolues à la Révolution, mais
Beaumarchais ne transigera jamais sur ses revendications
concernant les droits d’auteur.
Deux entreprises nouvelles seront la publication des oeuvres
complètes de Voltaire et la défense dans laquelle se lance
Beaumarchais contre le Mémoire justificatif pour servir de réponse
à l’Exposé de la Cour de France d’Edward Gibbon; celui-ci attaque
la France et Beaumarchais lui-même. La première commence en
février par une suggestion faite à Beaumarchais d’acheter les
presses de Baskerville. Ce projet est bientôt suivi d’un contrat
passé avec Panckoucke qui vend à Beaumarchais un certain
nombre de manuscrits de Voltaire. La seconde aboutira aux
Observations sur le Mémoire justificatif de la Cour de Londres
rédigées par Beaumarchais vers la fin de l’année.
Il va sans dire qu’il existe d’autres sujets d’intérêt dans ce
volume et l’on invite le lecteur à les découvrir au fur et à mesure
de la lecture de ce recueil de lettres pour l’année 1779.
Note sur l’Edition
On a fait de très légers changements dans les pratiques
éditoriales en vigueur pour les volumes précédents. Toutes les
lettres authentifiées sont incluses, qu’elles soient rédigées par un
secrétaire de Beaumarchais au nom de son employeur, ou dictées
par celui-ci; même les simples lettres d’introduction typiques
adressées à, ou venant de personnages connus. Par souci
d’uniformité on a parfois changé la présentation de la datation.
Quand une lettre est datée à la fin, la date est également
indiquée entre crochets à son début. Les mots et phrases
illisibles ou à l’orthographe douteuse pour quelque raison que ce
soit sont mises entre crochets et suivis d’un point d’interrogation
à l’intérieur des crochets. Nous avons essayé d’éviter l’emploi de
sic autant que possible et au lieu de souligner on a choisi les
italiques. Nous avons renvoyé le lecteur à certaines autres lettres
du même volume aussi bien qu’à des lettres se situant dans des
volumes précédents de cette édition. Il sera fourni au début de ce
x
CARON DE BEAUMARCHAIS
volume et des suivants une liste d’abbréviations, de sources
manuscrites et de titres .
Remerciements
Une tâche de cette envergure serait très difficile à accomplir
sans l’appui de nombreuses personnes de bonne volonté. Je suis
reconnaissant à toutes de la courtoisie et l’aide qu’elles m’ont
accordées au cours de la préparation de ce volume.
En particulier les suivantes méritent ma sincère gratitude:
Simone Drouin, de la Bibliothèque de l’Arsenal; feue Nicole
Felkay, des Archives Nationales; feue Nicole Coisel, de la
Bibliothèque nationale; feue Noëlle Guibert, et Jacqueline
Razgannikoff, de la Bibliothèque de la Comédie-Française; feue
Fernande Bassan; Charles Wirz de l’Institut et musée Voltaire;
et Stanley J. Idzerda, éditeur de Lafayette in the Age of the
American Revolution.
De nombreux autres bibliothécaires et archivistes comme
Marc Durand et Alexandre Cojannot ont pris le temps de
répondre à mes lettres et demandes. Mes élèves et collègues
m’ont écouté parler sans fin de Beaumarchais. Je les remercie
tous de leur patience.
Mes recherches à Paris ont toujours été facilitées par des
amis comme Gilles Dussert, Rodolphe Trouilleux et Daniel
Catan. Je les remercie de leur accueil chalheureux.
Je remercie la National Endowment for the Humanities de la
généreuse subvention qu’elle m’a octroyée, ainsi que la Fondation
Florence Gould et Wayne State University pour leur assistance
financière. Sans les fonds offerts par ces organismes, cette
entreprise n’aurait pu être continuée.
L’aide que m’a apportée mon assistante Norma J. Ott est
inestimable. Errol J. Ott a passé maintes heures à résoudre les
problèmes d’informatique associés à ce projet ainsi que Michael
J. Edelman, Eric Iverson, Trevor Richards, David Lindemann et
Rebecca C. Raupp; Josette Wilburn a bien voulu revoir le texte;
Marie-Claire Charton a aidé nos recherches à Marseille; Gregory
S. Brown était toujours prêt à répondre à mes questions . Je les
remercie vivement tous.
CORRESPONDANCE
xi
Sans le travail de base de Brian N. Morton, ses
photographies des manuscrits et le don généreux qu’il nous a fait
en nous cédant toute la documentation qu’il avait amassée au fil
des ans, ce travail aurait été impossible.
Enfin, le présent ouvrage est dédié à Emily et à Lisa, à qui
j’ai dérobé beaucoup de temps.
xii
CARON DE BEAUMARCHAIS
Abbréviations, sources manuscrites et titres cités dans les
notes
AF
Archives privées de la famille de
Beaumarchais. Paris.
ALP
Arthur Lee Papers, 1777-1793,
Relating to the Claim of
Beaumarchais against the United
States. National Archives and
Records, Record Group 76.
AN
Archives nationales. Paris.
APS
American Philosophical Society.
Arnould
E. J. Arnould. La Genèse du
Barbier de Séville. Dublin: Dublin
University Press; Paris: Minard,
1965.
Avis Arbitral
Ouvrage imprimé qui se trouve
dans les Archives Départementales
de la Charente Maritime; cote B
5775.
BC
Brian N. Morton et Donald C.
Spinelli. Beaumarchais
Correspondance. 4 vols. Paris:
Nizet, 1969-.
BHVP
Bibliothèque historique de la ville
de Paris.
CORRESPONDANCE
xiii
Boatner
Marc Mayo Boatner, III.
Encyclopedia of the American
Revolution. N.Y.: David McKay,
1966.
Bonnefon
Paul Bonnefon. “Un billet de
Beaumarchais.” Revue
d’Histoire Littéraire de la France,
XVI (1899), pp. 442-3.
Bontemps
Léon Bontemps. “La Construction
du Grand-Théâtre. Une lettre
inédite de Beaumarchais à Louis.”
Bulletin et Mémoires de la Société
Archéologique de Bordeaux,” LII
(1935), pp. 29-32.
BPUN
Bibliothèque publique et
universitaire de Neuchâtel.
Castries
[René de la Croix,] duc de
Castries. Figaro ou la vie de
Beaumarchais. Paris: Hachette,
1972.
CE
Courier de l’Europe, gazette anglofrançoise. 32 vols. Londres [et
Boulogne-sur-Mer]. 1776-1792.
Chinard
Gilbert Chinard. Lettres inédites de
Beaumarchais, de Mme de
Beaumarchais et de leur fille
Eugénie. Publiées d’après les
originaux de la “Clements
Library”… Paris: Librairie
Historique A. Margraff; Baltimore,
xiv
CARON DE BEAUMARCHAIS
Maryland: The Johns Hopkins
Press, 1929.
_________. “Beaumarchais et
l’Amérique. Une lettre inédite de
Beaumarchais.” France Amérique,
n.s., année 20 (février 1929), pp.
38-41.
Compte rendu
Beaumarchais. Compte rendu de
l’affaire des auteurs dramatiques et
des comédiens français … [1780] se
trouve dans presque toutes les
oeuvres complètes de
Beaumarchais; voir ci-dessous, par
exemple, celles de Saint-Marc
Girardin, pp. 608-650.
Correspondance littéraire
Voir Grimm.
Correspondance secrète
Correspondance secrète, politique et
littéraire … 18 vols. Londres:
Adamson, 1787-1790; rpt., 3 vols.
Genève: Slatkine, 1967.
Court mémoire
Beaumarchais. Court mémoire en
attendant l’autre par M. Caron de
Beaumarchais sur la plainte en
diffamation qu’il vient de rendre
d’un nouveau libelle qui paraît
contre lui [1788] se trouve dans
presque toutes les oeuvres
complètes de Beaumarchais; voir
ci-dessous, par exemple, celles de
Saint-Marc Girardin, pp. 458-68.
CP
Correspondance politique.
CORRESPONDANCE
xv
DAB
Dictionary of American Biography,
edited by Allen Johnson and
Dumas Malone. 10 vols. N.Y.:
Charles Scribner’s Sons, 1964.
Davis
Curtis Carroll Davis. The King’s
Chevalier. N.Y.: Bobbs-Merrill,
1961.
Detcheverry
Arnaud Detcheverry. Histoire des
théâtres de Bordeaux … ainsi que
la biographie artistique du célèbre
architecte Louis. Bordeaux:
Delmas, 1860.
DNB
Dictionary of National Biography
edited by Sir Leslie Stephen and
Sir Sidney Lee. 22 vols. London:
Oxford University Press, 1949-50.
doc.
Document.
Doniol
Henri Doniol. Histoire de la
participation de la France à
l’établissement des Etats-Unis
d’Amérique. 5 vols. Paris:
Imprimerie Nationale, 1886-92.
Donvez
Jacques Donvez. La Politique de
Beaumarchais. Documents de
Beaumarchais et notes. Texte de
synthèse. Paris: Chez l’auteur,
1980; manuscrit et microfiches se
trouvent à la Bibliothèque
Nationale à Paris.
xvi
CARON DE BEAUMARCHAIS
DP
The Deane Papers, 1774-90. 5
vols. N.Y.: New York Historical
Society Collections, XIX-XXIII,
1887-1891.
Dull
Jonathan R. Dull. The French
Navy and American Independence:
A Study of Arms and Diplomacy,
1774-1787. Princeton, NJ:
Princeton University Press, 1975.
Durry
Marie-Jeanne Durry. Autographes
de Mariemont. Vol. I. Paris: Nizet,
1955, pp. 663-666.
Etienne et Martainville
Charles-Guillaume Etienne et B.
[Alphonse] Martainville, Histoire
du Théâtre français, depuis le
commencement de la Révolution
jusqu’à la réunion générale. 4 vols.
Paris: Barba, 1802.
Exposé
Charles Gravier, comte de
Vergennes. Exposé des motifs de la
conduite du Roi, relativement à
l’Angleterre. [A Paris, De
l’Imprimerie Royale,
M.DCC LXXIX.]
f.
Folio.
Figaro
Voir Castries.
Fournier
Edouard Fournier. Oeuvres
complètes de Beaumarchais.
Nouvelle édition … Paris: Laplace,
Sanchez, 1876.
CORRESPONDANCE
xvii
Gibbon
Edward Gibbon. Mémoire
justificatif pour servir de réponse à
l’Exposé de la Cour de France.
[Londres]. M.DCC.LXXIX.
Grimm
Correspondance littéraire,
philosophique et critique, par
Grimm, Diderot, Raynal,
Meister… Opuscules, Appendices,
Table Générale par Maurice
Tourneux. 16 vols. Paris: Garnier,
1877-1882.
Gudin
[Paul-Philippe Gudin de La
Brenellerie.] Oeuvres complètes de
Pierre-Augustin Caron de
Beaumarchais. 7 vols. Paris:
Chez Léopold Collin, 1809.
Idzerda
Stanley J. Idzerda et al., eds.
Lafayette in the Age of the
American Revolution: Selected
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Ithaca, NY: Cornell University
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IMV
Institut et musée Voltaire.
Genève.
Inventaire
L’Inventaire après décès de
Beaumarchais. Etablissement du
texte, préface et annotations de
Donald C. Spinelli. Paris: Honoré
Champion, 1997.
JA
Diary and Autobiography of John
Adams. L. H. Butterfield, ed. 4
vols. parus. NY: Atheneum, 1964.
xviii
CARON DE BEAUMARCHAIS
JCC
Worthington C. Ford et al.,
Journals of the Continental
Congress, 1744-1789. 34 vols.
Washington, DC: U.S.
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Jullien
Adolphe Jullien. Les Théâtres de
société royale pendant le siècle
dernier … Paris: Didot, s.d.
Karpeles Museum
Santa Barbara, California
Kite
Elizabeth S. Kite. Beaumarchais
and the War of American
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Lafon
Roger Lafon. Beaumarchais le
brillant armateur. Paris: Société
d’Editions Géographiques,
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Beaumarchais. Oeuvres. Edition
établie par Pierre Larthomas avec
la collaboration de Jacqueline
Larthomas. Paris: Gallimard,
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Lasseray
André Lasseray. Les Français sous
les treize étoiles, 1775-1783. 2 vols.
Mâcon: Imprimerie Protat Frères,
1935.
Lee
Henry Lee. Memoirs of the War in
the Southern Department of the
CORRESPONDANCE
xix
United States. 2 vols. N.Y.: Burt
Franklin, 1970.
Lettres à Mme de Godeville
Beaumarchais. Lettres à madame
de Godeville. [“Avertissement” de
Maxime de Formont.] Paris:
Alphonse Lemerre, 1928.
Lintilhac
Eugène Lintilhac. Beaumarchais et
ses oeuvres. Précis de sa vie et
histoire de son esprit … Paris:
Hachette, 1887; rpt., Genève:
Slatkine, 1970.
Loménie
Louis de Loménie. Beaumarchais
et son temps. Etudes sur la société
française au XVIIIe siècle. 2 vols.
Paris: Michel Lévy, 1856.
Lüthi
Herbert Lüthi. La Banque
protestante en France … 2 vols.
Paris: S.E.V.P.E.N., 1959-1961.
MAE
Archives du Ministère des Affaires
étrangères. Paris.
Manne, Talma
E. D. De Manne. Galerie historique
des comédiens de la troupe de
Talma. Lyon: N. Scheuring, 1866.
Manne, Voltaire
E. D. De Manne. Galerie historique
des portraits des comédiens de la
troupe de Voltaire … Lyon: N.
Scheuring, 1861.
Marionneau
Charles Marionneau. Victor Louis.
Bordeaux: Gounouilhou, 1881.
xx
CARON DE BEAUMARCHAIS
Mathiez
Albert Mathiez. La Conspiration
de l’étranger. Paris: Colin, 1918.
Mémoires secrets
[Louis Petit de Bachaumont].
Mémoires secrets pour servir à
l’histoire de la République des
lettres en France, depuis
MDCCLXII jusqu’à nos jours; ou
Journal d’un observateur … 36
vols. Bruxelles: Mertens et fils;
Paris: Librairie des Auteurs,
1866.
MiU-C
University of Michigan. Clements
Library. Ann Arbor, Michigan
Moland
Louis Moland. Oeuvres complètes
de Beaumarchais. Nouvelle
édition … Paris: Garnier, 1874.
Morellet
Lettres d’André Morellet, publiées
et annotées par Dorothy Medlin,
Jean-Claude David et Paul
Leclerc. Tome I. Oxford: The
Voltaire Foundation, 1991.
Morison
Samuel Eliot Morison. John Paul
Jones. Boston: Little, Brown,
1959.
Morton, “Prospectus”
Brian N. Morton. “Beaumarchais
et le prospectus de l’édition de
Kehl.” Studies on Voltaire and the
Eighteenth Century, LXXXI (1971),
pp. 133-47.
Morton et Spinelli,
Brian N. Morton et Donald C.
CORRESPONDANCE
xxi
Bibliography
Spinelli. Beaumarchais: A
Bibliography. Ann Arbor, MI:
Olivia and Hill, 1988.
Morton et Spinelli
BAR
Brian N. Morton et Donald C.
Spinelli. Beaumarchais and the
American Revolution. Lanham,
MD: Lexington Books, 2003.
MS
Manuscrit.
n.
Note.
NBM
Bibliothèque municipale de
Nantes.
no.
Numéro.
Noailles
Vicomte de Noailles. Marins et
soldats français en Amérique …
Paris: Perrin, 1903.
OBL
Bodleian Library. Oxford.
Observateur anglois
[Mairobert, Mathieu-François
Pidansat de]. L’Observateur
Anglois, ou Correspondance Secrete
entre Milord All’Eye et Milord
All’Ear … 4 vols. Londres: John
Adamson, 1777-1778.
Observations sur le Mémoire
justificatif
Beaumarchais. Observations sur le
Mémoire justificatif de la Cour de
Londres … [1779] se trouvent
dans presque toutes les oeuvres
complètes de Beamarchais; voir ci-
xxii
CARON DE BEAUMARCHAIS
dessous, par exemple, celles de
Saint-Marc Girardin, pp. 495-507.
p(p).
Page(s).
PAr
Bibliothèque de l’Arsenal. Paris.
Patterson
A. Temple Patterson. The Other
Armada. Manchester: Manchester
University Press, 1960.
PBF
The Papers of Benjamin Franklin.
39 vols. parus. New Haven and
London: Yale University Press,
1959-2008.
PBN
Bibliothèque nationale. Paris.
PBN, Beaumarchais
Paris. Bibliothèque nationale.
Beaumarchais. Paris: Bibliothèque
nationale, 1966.
PCC
Papers of the Continental Congress,
1774-1789. 204 rouleaux de
microfilm.
PML
Pierpont Morgan Library. New
York City.
Proschwitz
Gunnar et Mavis von Proschwitz.
Beaumarchais et le Courier de
l’Europe … 2 vols. Oxford: The
Voltaire Foundation, 1990.
Proschwitz, Introduction
Gunnar von Proschwitz.
Introduction à l’étude du
vocabulaire de Beaumarchais.
CORRESPONDANCE
xxiii
Paris: Nizet, 1956; rpt., Genève:
Slatkine, 1981.
Regnier
Regnier. “Correspondance de
Beaumarchais avec la Comédie
Française.” Revue Rétrospective ou
Bibliothèque Historique, VII
(1836), pp. 433-74; VIII (1836),
pp. 5-21.
Requête
Beaumarchais. Requête A
Messieurs les Représentans de la
Commune de Paris par PierreAugustin Caron de Beaumarchais,
membre de ladite représentation
[1789] se trouve dans presque
toutes les oeuvres complètes de
Beaumarchais; voir ci-dessous, par
exemple, celles de Saint-Marc
Girardin, pp. 507-19.
Revue Rétrospective
“Beaumarchais.” Revue
Rétrospective, 15 mars 1870, pp.
166-68.
RRFSC
Records Relating to French
Spoliation Claims, 1791-1829.
Record Group 76.
Saint-Marc Girardin
Oeuvres complètes de
Beaumarchais. Précédées d’une
notice [par Saint-Marc Girardin].
Paris: Firmin-Didot, 1865.
Shewmake
Antoinette Shewmake. “Un
pamphlet clandestin (1779) de
Beaumarchais sur la politique
contemporaine. Edition critique.”
xxiv
CARON DE BEAUMARCHAIS
Diss. University of Wisconsin,
1971.
Spinelli/Garbooshian
Donald C. Spinelli and Adrina
Garbooshian. “Beaumarchais and
Dupaty: Some Unpublished
Correspondence.” SVEC, 06(2002),
117-140.
SUL, ML
Stanford University, Music Library
Tourneux
Paul-Philipe Gudin de La
Brenellerie. Histoire de
Beaumarchais. Mémoires inédits
publiés sur les manuscrits
originaux par Maurice Tourneux.
Paris: Plon, 1888.
Tucoo-Chala
Suzanne Tucoo-Chala. CharlesJoseph Panckoucke & la librairie
française, 1736-1798. Pau:
Editions Marrimpouey Jeune;
Paris: Librairie Jean Touzot,
[1977].
Villiers
Patrick Villiers. Le Commerce
colonial atlantique et la guerre
d’indépendance des Etats Unis
d’Amérique. 1778-1783. N.Y.:
Arno Press, 1977.
vol.
Volume.
von Proschwitz
Voir Proschwitz.
CORRESPONDANCE
Watts
xxv
George Watts. “Catherine II,
Charles-Joseph Panckoucke and
the Kehl edition of Voltaire’s
Oeuvres.” Modern Language
Quarterly, 18 (1957), 59-62.
734. A M. Gérard1
Paris, ce 3[?] Janvier 1779 2
Sur votre lettre, Monsieur, je me suis hâté de vous renvoyer
les extraits que vous m’aviez remis relativement aux assurances
de vaisseau dues à M. le marquis de La Fayette en Amérique.
Si Mesdames son épouse et belle-mère ne m’avaient pas
montré devant vous-même d’inquiétudes sur mes assurances et
sur l’usure odieuse que M. de La Fayette paraît avoir supportée
dans ses besoins d’argent au Continent, je me serais bien gardé
de faire aucune offre indiscrète à sa famille, ayant beaucoup trop
de mes affaires personnelles pour me surcharger d’aucun soin
étranger.
Quant à l’argent que je n’ai point prêté à M. le marquis de
La Fayette, comme vous le dites dans votre lettre, mais qui lui a
été avancé de mes deniers, à mon insu, en Amérique, je vous
prie, Monsieur, en réglant avec sa famille et la forme et le terme
qu’il lui convient de prendre pour ce paiement, de vouloir bien lui
faire lire attentivement l’extrait de la lettre de M. de Francy,3
mon agent au Continent, que j’ai l’honneur de vous envoyer et
ceux des diverses lettres de M. de La Fayette à mon jeune ami;
vous y verrez qu’un excès d’honnêteté a pu seul engager M. de
Francy à échanger des titres sur la république contre une créance
sur un mineur et que, n’ayant point d’ordre de moi, il a hésité
quelque temps, ce qui prouve qu’on l’a pressé et qu’il a craint de
me déplaire. En effet, le doux intérêt que M. de La Fayette
inspire à tous les Français et le désintéressement avec lequel
mon agent a rendu ce service sont les seuls motifs qui aient pu
me faire approuver cette liberté sur mes fonds.
2
CARON DE BEAUMARCHAIS
Voilà ce dont il est très bon encore que sa famille soit
instruite. Et si j’excuse M. de Francy, c’est qu’à mon sens un
homme aussi raisonnable que lui n’a pu être poussé à rendre un
pareil service à un mineur que par la
sensibilité qu’on ne peut refuser à tout jeune homme d’honneur
embarrassé qui se trouve aux prises avec des usuriers. A cette
occasion, il me paraît assez étrange, Monsieur, que les
personnes, que vous dites chargées par la famille de M. de La
Fayette de suivre ses affaires et de lui fournir ses besoins, l’aient
abandonné au point de le laisser tomber dans les engagements
usuraires auxquels M. de Francy a eu l’honnêteté de le soustraire
un moment. Mais à Dieu ne plaise que M. de Francy s’en mêle
davantage; mes ordres précis vont arrêter court l’obligeante
chaleur d’un jeune homme vertueux pour un autre jeune homme
vertueux, parce qu’en effet il ne peut en résulter qu’un abus.
Je joins à ces extraits, Monsieur, la copie de l’engagement fait
entre M. de Francy et M. le marquis de La Fayette, celle de ses
deux billets, où le change est tiré; ce qui nous épargne en Europe
toute espèce de soin à cet égard. Le seul qui vous reste est de me
faire savoir promptement à quelle époque vous fixez ce
remboursement, afin que j’en destine l’emploi, ce que je ne puis
faire d’une obligation à terme incertain.
J’ai l’honneur d’être, avec la plus haute considération,
Monsieur, votre . . .
1Pour
ce qui concerne Gérard, le curateur de Lafayette, et l’argent
prêté à Lafayette par Beaumarchais, voir tome IV, lettres 696, 697
et 719.
2Beaumarchais, no. 339 a comme date le 2 janvier 1779.
3Voir
tomes III et IV.
3
CORRESPONDANCE
735. De John Jay1
To Monsieur Caron de Beaumarchais
Philadelphia 15th JanY 1779
Sir,
The Congress of the United States of America sensible of your
exertions in their favor present you with their thanks & assure
you of their regard.2
They lament the inconveniences you have suffered, by the
great advances made in support of these States. Circumstances
have prevented a compliance with their wishes, but they will
take the most effectual measures in their power to discharge the
debt due to you.
The liberal sentiments and extensive views which alone could
dictate a conduct like yours, are conspicuous in your actions and
adorn your character. While with great talents you served your
Prince, you have gained the esteem of this infant Republic, and
will receive the merited applause of a new world.
By order of Congress
John Jay
President
1Voir
tome IV, lettre 724 n. 2 et n. 5.
lettre est la première qu’a reçue Beaumarchais du
gouvernement américain après plus de trois ans de sacrifices de sa
part au service des insurgents. Malheureusement le geste ne s’est
jamais accordé à la parole et nous savons que Beaumarchais est
mort sans avoir jamais reçu ce qui lui était dû.
2Cette
4
CARON DE BEAUMARCHAIS
736. A M. Paulze1
Paris, le 17 janvier 1779.
Une foule de lettres, monsieur, que j’ai reçues de différents
ports de l’Océan, m’engagent à faire encore une démarche auprès
de vous: à répondre à votre dernière, qui n’exigeait point d’autre
importunité de ma part. Mais les armateurs français, qui me font
la justice et l’honneur de me regarder comme un de leurs plus
zélés défenseurs auprès des ministres, s’adressent tous à moi
pour savoir s’ils doivent abandonner absolument le commerce de
l’Amérique, ou si l’on peut espérer que la ferme générale, seul
acheteur des tabacs pour le royaume, cessera d’opposer à ce que
vous nommez dans votre lettre la ruse mercantile ce qu’ils
appellent, eux, la ruse fiscale, et qui ne devrait exister de part ni
d’autre en ce moment.
De toutes ces ruses, la plus étrange et la plus funeste sans
doute est celle par laquelle les fermiers généraux achèteraient
sourdement les tabacs que les Anglais nous enlèvent sur mer.
J’eus l’honeur de vous mander qu’on me l’avait écrit de Londres.
Vous m’avez répondu que c’était un faux avis, que ce marché
n’existait pas; qu’il était même impossible, puisque les Anglais
n’avaient pas chez eux de quoi suffire à leur consommation. A la
rigueur cela se peut; mais au témoignage d’un Anglais, rejeté par
M. Paulze, je pouvais en ajouter un que M. Paulze n’eût pas
récusé: c’est une lettre de la main de M. Paulze lui-même, écrite à
l’un des préposés de la ferme pour les achats du tabac; et cette
lettre, je l’ai vue à Bordeaux, et j’y ai lu en substance: Ne payez
pas les tabacs plus de quatre-vingts livres, parce que j’en attends
quatre mille boucauts d’Angleterre, venant de New-York avec le
premier convoi, et que les Anglais m’en font offrir (ou espérer) dix
mille boucauts d’ici à un an, à meilleur prix que les Français ne les
peuvent donner. D’un pareil fait à la possibilité du contrat, vous
savez, monsieur, si la conséquence est bonne ou vicieuse.
Quoi qu’il en soit, et que ce contrat de la ferme avec l’ennemi
de l’Etat existe ou n’existe pas, qu’on le nie d’un côté en
l’annonçant de l’autre, la conséquence est la même pour le
commerce; et l’incertitude en pareil cas n’est qu’un malheur de
CORRESPONDANCE
5
plus. Si le contrat existe, et que les Français ne puissent pas
soutenir la concurrence anglaise, ils doivent rester chez eux, ne
plus aller chercher à grands frais en Amérique du tabac qu’on ne
peut vendre en France au seul acheteur, qui s’en pourvoit
ailleurs: alors le système politique, absolument fondé sur
l’agrandissement et la prospérité du commerce, est détruit. Si le
marché n’existe pas, l’espoir et le but de son annonce étant
d’alarmer le commerçant pour le forcer, dans sa détresse, à
baisser ses prix, à perdre gros sur une denrée qui lui coûte aussi
cher, il en résultera le même découragement, le même abandon
du commerce, et la destruction aussi certaine du système
politique.
Or est-il raisonnable qu’une compagnie puissante, et qui de
temps immémorial a le bonheur de décimer en paix au sein de
l’Etat, sur tous les trésors qu’on y amène, écrase et sacrifie à
l’intérêt d’un moment les utiles citoyens qui vont chercher au loin
ces trésors avec des périls sans nombre? Est-il juste que ce
fermier, qui, sans aucun danger, remet au roi d’une main portion
de ce qu’il exige de l’autre, avec des bénéfices immenses, accroisse
encore ses gains aux dépens du négociant, qui seul est chargé de
rendre à ses périls la vigueur à ce corps d’où le fisc a toujours
pompé la substance de ses richesses? Laissons donc de côté,
monsieur, les ruses mercantile ou fiscale, pour traiter simplement
la plus importante question qu’on puisse agiter devant les
ministres.
Vous avez bien voulu, dans votre lettre, entrer en discussion,
et me dire que si les fermiers du roi ont le patriotisme de faire
des sacrifices à l’Etat sur le tabac, le commerce à son tour peut
bien se contenter d’un bénéfice de vingt-cinq pour cent sur ses
spéculations d’Amérique.
Que parlez-vous, monsieur, de bénéfice et de vingt-cinq pour
cent? Eh! que vous êtes loin de la question! L’objet de la justice
que je demande à la ferme au nom du commerce n’est pas
d’obtenir plus de gain sur les tabacs qu’il importe, mais de ne
pas supporter des pertes énormes sur les capitaux qu’il exporte.
Avant que d’agiter la question des sacrifices mutuels, j’ai
voulu m’instruire à fond de tout ce qui pouvait me mettre en état
de la traiter avec fruit. Ce qui regardait le commerce ne
6
CARON DE BEAUMARCHAIS
m’embarrassait déjà plus. J’ai eu depuis quatre ans de trop
grands motifs de l’étudier, pour me tromper aujourd’hui sur son
état en plaidant sa cause. Mais n’ayant pas eu le même intérêt à
défricher les sentiers épineux de la ferme générale, il m’a fallu
beaucoup travailler, monsieur, depuis votre lettre, pour parvenir
à connaître à fond les vraies dépenses des fermiers du roi pour le
tabac, les frais d’achat, de transport, de fabrication, de régie, de
manutention, de surveillance, etc., que cette denrée exige.
J’ai dû savoir quelle était, avant la guerre, la différence du
prix d’achat entre les tabacs étrangers et ceux du cru du royaume
hors la ferme; ce qui résultait pour les uns et les autres d’un
impôt de trente sous par livre assis (aux termes de l’édit de
1749) sur les tabacs étrangers seulement, puis étendu bientôt
par convenance tacite sur la totalité de la vente au public, sous
prétexte qu’il n’y avait plus de tabacs intérieurs, quoiqu’on eût eu
grand soin d’en augmenter la culture.
J’ai dû m’instruire à quoi s’élevaient la consommation totale
de cette denrée en France, le prix du bail au roi, celui de la vente
au public; le produit net des tabacs du Brésil; celui des taxes sur
les tabacs et sons d’Espagne, et de la différence de leur poids;
celui du double emploi sur les ficelages (aux termes de l’arrêt du
conseil de 1730); celui du fort-denier abandonné aux débitants; ce
qu’il sortait de tout cela en pertes ou bénéfices pour la ferme
avant l’augmentation du prix du tabac continental, causée par la
guerre; enfin la comparaison des anciens bénéfices avec le gain
actuel, en faisant entrer dans celui-ci la diminution des
contrebandes, occasionnée par la rareté de la denrée; les
bénéfices des nouveaux marchés des côtes de feuille qu’on brûlait,
et qu’on ne brûle plus; la livraison du tabac aux distributeurs
faite en poudre, au lieu de la faire en carottes; les différences
données par l’analyse chimique de ces tabacs altérés, avec les
excellents tabacs du Maryland et de Virginie, que nous vous
proposons; les plaintes qui s’en élèvent de toutes parts dans le
royaume, etc., etc., etc.
En vain dirait-on que, la ferme ayant un marché fait avec le
roi, nul ne peut y porter atteinte aussi longtemps qu’il subsiste.
Ce n’est point à ce marché que je réponds; c’est à votre lettre,
monsieur, où vous voulez bien me dire que tout le poids du
CORRESPONDANCE
7
sacrifice de l’encouragement ne doit pas tomber sur le fermier
acheteur, et que si le patriotisme veut qu’il paye plus cher, il
n’exige pas que le négociant vendeur fasse des bénéfices trop
considérables.
D’après votre lettre et mes travaux, monsieur, tenant comme
vous pour principe certain que celui des deux qui gagne le plus
entre le négociant et le fermier doit en effet offrir un sacrifice
honorable à son pays, je me crois en état d’éclaircir la question
au gré des connaisseurs.
Nous n’épuiserons point les lieux communs de ces reproches
éternels qui, toujours trop généralisés, ne portent sur aucun objet
fixe, et sont facilement éludés par les défenseurs de chaque ordre.
Réduisant la question à des faits très-exacts, nous prendrons, si
vous voulez, pour exemple des gains excessifs du commerce
l’expédition du Fier-Rodrigue,2 dont la cargaison a été vendue à
quatre cents pour cent de bénéfice en Virginie; ou celle de la
Pallas,3 qui a été vendue en North-Caroline de huit à neuf pour
un, mais dont les tabacs en retour ont été achetés à un prix
beaucoup plus fort que ceux du Fier-Rodrigue: et pour le plus haut
terme des pertes du fermier nous choisirons le bail courant de
David, et le temps actuel de la guerre: c’est traiter la ferme assez
favorablement. Mais, au tableau que vous m’avez fait des
prétendus gains du commerce, j’aperçois d’avance que vous êtes
moins instruit de nos affaires que nous ne voyons clair dans les
vôtres, et que vous connaissez bien moins nos pertes que nous ne
pouvons prouver vos bénéfices.
Je n’approuve pas plus que vous les petites ruses par
lesquelles certains vendeurs américains vous ont frustré des
tabacs que vous leur avez payés d’avance.
Mais comme aucun Français, que je sache, n’a obtenu de
vous cette faveur, aucun aussi ne doit partager le reproche de ces
tours de gibecière, ni d’avoir abusé de vos avances: or c’est des
Français seulement que je parle, et pour les Français que je
plaiderai.
Je vous demande encore pardon, monsieur, si je ne pense pas
comme vous que ce soit le haut prix des denrées d’Europe qui ait
fait monter excessivement celles d’Amérique. Selon moi,
l’abondance ou la rareté met seule en tout pays de la différence
8
CARON DE BEAUMARCHAIS
dans le prix des denrées: or l’excessive rareté des envois d’Europe
en Virginie n’y a pas rendu le tabac moins commun, au contraire.
Ce n’est donc point le prix des marchandises européennes qui a
fait monter le tabac à plus de cent livres le quintal: avouons,
monsieur, que c’est le discrédit où est tombé le papier-monnaie,
seul représentatif des denrées au continent, et l’intermédiaire de
tous les marchés de ce pays-là.
Si ce papier-monnaie éprouve un tel discrédit d’opinion, s’il
est tellement déprécié par sa vicieuse abondance, que l’on
redoute d’en acquérir ou d’en conserver, alors il en faut beaucoup
pour représenter peu de denrées; elles paraissent vendues plus
cher, non qu’elles soient montées de prix, mais parce que le signe
de la vente ou la matière du payement a baissé de valeur.
Voilà, monsieur, ce qui est arrivé dans le continent, où l’on
doit regarder aujourd’hui le papier comme un signe idéal,
variable et trompeur; et s’en tenir uniquement, pour compter avec
soi-même, à ce que produisent en Europe les denrées d’Amérique
apportées en retour d’une cargaison d’Europe, en y comprenant
les frais d’armement, mises hors, assurances, voyages, relâches,
désarmements, frais de vente, etc. C’est le seul moyen de
connaître le résultat net d’une telle opération: tout autre compte
est chimérique, un rêve de gens abusés, à qui le réveil est
toujours funeste.
Or, à cette manière exacte et sévère de régler les comptes de
retour, il s’en faut beaucoup, monsieur, que les négociants
français aient du bénéfice, aux prix même où ils vous
abandonnent leurs tabacs en France; et cela est si certain, que
les propriétaires du tabac arrivé par la Pallas, quoiqu’ils aient
vendu en Amérique à près de dix pour un, vous ont offert de vous
remettre toute leur cargaison de retour pour rien, si vous vouliez
les rembourser des frais de celle qu’ils ont portée d’Europe. Il n’y
a peut-être pas un négociant français qui n’en fît autant. Si vous
ne l’avez pas accepté, c’est que vous savez aussi bien qu’eux
qu’ils sont loin de bénéficier sur les retours. On peut espérer des
temps moins orageux, mais c’est de celui-ci qu’il s’agit. Dans ces
premiers moments d’une alliance aussi disputée, où la guerre et
le commerce doivent réunir leurs plus grands efforts, et semer
laborieusement pour recueillir en des temps plus heureux, il faut
CORRESPONDANCE
9
le dire hautement, et mon devoir est de le répéter: tous les
capitaux sont tellement compromis dans les spéculations du
continent, et le dégoût devient si général en tous nos ports, que
personne ne doit plus, ne peut plus, n’ira plus chercher à sa perte
du tabac en Amérique, s’il faut encore le tenir en France à la
disposition arbitraire et ruineuse du fermier, seul acheteur, seul
vendeur, et seul maître, en cette partie.
Alors, par une contradiction exclusivement propre à ce
royaume, on pourra voir la sage administration soutenir au loin
une guerre dispendieuse, encourager ses armateurs à chercher les
ports d’Amérique, employer tous les moyens possibles pour
augmenter l’émulation et la prospérité de son commerce; et dans
le même temps, le monopole et la gêne s’établir, arrêter, garrotter
les négociants français au retour, et s’armer intérieurement
contre la faveur et la liberté que le gouvernement leur avait
promises.
C’est ainsi que du tabac arrivé d’Amérique à Bordeaux,
n’osant en sortir par mer pour aller à Gênes et Livourne, à cause
de l’extrême danger des corsaires, ne peut obtenir aujourd’hui de
la ferme une permission de traverser le royaume par le canal de
Languedoc pour se rendre à Marseille et passer en Italie, sous
prétexte du très-petit danger des versements intérieurs, qu’il lui
est si aisé d’empêcher; mais en effet pour forcer le propriétaire
d’abandonner son tabac à perte aux fermiers du roi, par
l’impossibilité reconnue de l’exportation.
C’est ainsi que dans tous les ports de France on a soin de
prescrire aux possesseurs de tabac qu’ils aient à prévenir la
ferme des offres que les étrangers leur en feront, sous prétexte
qu’elle a le droit de préférence à ces mêmes prix; mais en effet
pour dégoûter l’étranger de faire aucune offre à nos négociants,
certain qu’ils établiraient un prix pour la ferme, et nullement
pour eux.
C’est ainsi qu’en tous ces mêmes ports les permissions de
sortie se font tellement attendre et sont chargées de tant
d’obstacles, que toujours les instants favorables se perdent; et
qu’il faut en venir à céder le tabac au fermier au prix qu’il en veut
donner, faute d’avoir pu l’exporter à temps avec avantage.
10
CARON DE BEAUMARCHAIS
C’est ainsi qu’au Havre les fermiers ont ordonné le dépôt
dans leurs magasins de tabacs arrivant d’Amérique, et que,
voyant enfin qu’on ne voulait pas les céder à leur offre, ils ont
signifié à l’armateur de les sortir sous quinze jours, sous prétexte
qu’ils avaient besoin de leurs magasins; mais en effet pour forcer
le possesseur à les livrer à leur prix, par les difficultés, la gêne et
le coût d’un pareil déplacement.
Surtout on ne peut lire tranquillement les objections de la
ferme contre le transport du tabac demandé par MM. Baignoux et
compagnie, de Bordeaux pour Marseille, par le canal; et j’en suis
d’autant plus affecté, que ces objections ont arraché contre le
commerce un refus net à M. le directeur général des finances,4 qui
avait consulté les fermiers du roi.
Je les ai sous les yeux, monsieur, vos objections. Comment
une ordonnance faite il y a cent ans, et couverte cent fois;
comment un dispositif établi sur un commerce tranquille en
temps de paix, en 1681, peuvent-ils être cités en 1779, et servir
de réponse à des facilités demandées quand la mer est couverte
de corsaires en pleine guerre, et lorsque les vaisseaux neutres
n’offrent eux-mêmes aucune sûreté pour les transports; quand
enfin les tabacs encombrés dans les magasins de Nantes et de
Bordeaux n’en peuvent sortir par aucune voie extérieure? N’est-il
pas clair que le fermier n’obstrue ainsi tous les débouchés
internes que pour forcer le négociant de lui livrer le tabac à bas
prix, par l’impossibilité de le porter ailleurs?
Et la ferme générale ose avancer, dans son mémoire à M.
Necker, que le transport de Bordeaux à Marseille par le canal de
Languedoc n’est d’aucun avantage au commerce, quand toutes les
autres voies sont fermées! Est-il rien de plus insidieux, de plus
dérisoire, que d’invoquer le prétendu système de la balance
générale de l’avantage de chacun des ports de la France, à
l’instant où la guerre et ses effets accumulent vicieusement les
tabacs dans les ports de l’Océan, sans qu’ils en puissent sortir,
et où ceux de la Méditerranée, qui, par leur position, en sont
absolument privés, n’en peuvent envoyer aucun en Italie? N’est-ce
pas ajouter l’ironie à la ruine, que d’accabler d’empêchements
réels le port surchargé de tabacs, sous le prétexte vain de
favoriser celui qui n’en a point, et ne peut s’en procurer en ce
CORRESPONDANCE
11
moment? Et n’est-ce pas surtout se jouer de la confiance que le
directeur général des finances montre à la ferme en la consultant,
que d’abuser d’une déclaration du roi du siècle passé, faite sur un
commerce paisible et en vigueur; de la rapporter à ces temps
difficiles, aux commencements d’un commerce ruineux, d’une
guerre écrasante; et d’étouffer ainsi dans sa naissance
l’émulation des négociants français, que le gouvernement a tant
d’intérêt et de désir d’augmenter?
Qui ne connaîtrait pas les précautions multipliées du codefermier contre la fraude, et l’armée de commis que la ferme
soudoie, pourrait croire en effet qu’il est difficile à cette compagnie
d’empêcher des versements dans les passages intérieurs d’un
port à l’autre. Mais, je l’avoue avec douleur, à la lecture du
mémoire envoyé à M. Necker par la ferme générale, sur la
demande des sieurs Baignoux de Bordeaux, pour le transport des
tabacs par le canal; à ces insinuations d’un contrat avec l’ennemi,
semées sourdement dans un lieu, désavouées dans un autre; à ce
plan constamment suivi de détruire le tabac en France et d’en
aller acheter en Amérique, quand notre sol en pourrait fournir
abondamment, puis de préférer le tabac d’Europe à l’instant où
l’intérêt de l’Etat commence à exiger faveur pour celui
d’Amérique; à toutes les ruses que je vois employer dans nos
ports pour décourager le commerce et nuire à la vente, au
transport de ces tabacs, seul retour qu’on puisse apporter du
continent; à l’examen de cette foule d’avantages secrets si
savamment combinés par la ferme, et qu’elle a su tirer des édits
ou déclarations de 1681, de 1721, de 1730, de 1749, etc., dans
la seule partie du tabac; en les rapprochant surtout de ses
procédés actuels avec les négociants, il est démontré pour moi
qu’un bail de six ans est le plus dévorant ennemi d’un règne de
cent ans dans ce royaume, et qu’à moins d’un nouvel ordre ou
dans la ferme, ou dans les spéculations d’outre-mer, la France,
après avoir fait une guerre ruineuse, ne recueillera nul fruit de
son système actuel, perdra l’Amérique, que son commerce pouvait
seul conquérir, et verra l’Angleterre, son éternelle ennemie, se
relever bientôt de ses pertes, et reprendre sur nous tous ses
avantages, par cela seul que l’intérêt de la ferme générale en
France est toujours contraire à celui de l’Etat.
12
CARON DE BEAUMARCHAIS
Il est temps de me résumer.
J’ai donc l’honneur, monsieur ou messieurs (car je désire que
ma lettre soit lue au comité de la ferme générale), j’ai donc
l’honneur de vous réitérer ma demande au nom de tous les
armateurs, ou de nous traiter honorablement sur le prix des
tabacs, et fraternellement sur les facilités du transport, que
l’intérêt de l’Etat et le nôtre exigent, ou de soumettre au
jugement des sages qui gouvernent l’Etat nos différentes
assertions appuyées de preuves; moi sur les gains et procédés de
la ferme, et vous sur les gains et prétentions du commerce.
Ceci n’étant point une querelle de particuliers seulement
individuelle, mais une question devenue nationale, et d’une
importance extrême, à cause des suites, j’ai cru devoir travailler
sans relâche à composer un mémoire instructif en forme de
requête, que je me propose de présenter au roi sur cette matière
intéressante, au nom du commerce, et dont cette lettre sera
l’introduction.
Et j’ai l’honneur de vous en prévenir, afin que, si nulle voie de
conciliation ne peut ramener la ferme générale à tendre une main
équitable au commerce de France, écrasé par cette guerre, et prêt
à succomber entre les Anglais et les fermiers, vous soyez instruit
qu’un négociant français, qu’un citoyen s’est chargé du triste
emploi de montrer au gouvernement, à la nation, à sa patrie
enfin, d’où vient et à qui l’on doit imputer tout le mal qui va
résulter de cet étrange ordre de choses. Et puisse encore, après
mes preuves données, ma prédiction n’avoir aucun effet! C’est le
voeu le plus ardent de celui qui a l’honneur d’être, avec une
grande considération,
Monsieur, votre, etc.
P.S. Depuis ma lettre écrite, j’apprends qu’un navire à moi, le
Ferragus,5 a été pris et conduit à Glascow; qu’une frégate aussi à
moi, de vingt-deux canons, le Duc du Châtelet, a sauté
malheureusement à sa sortie de Nantes; enfin j’apprends que le
Lyon, venant de Virginie, et sur lequel je crois avoir à fret trois
cents boucauts de tabacs, a été pris et conduit à New-York. Je
laisse à part les réflexions comparatives des gains du fermier et
CORRESPONDANCE
13
du commerçant que tout ceci suggère. Mais tant de pertes
connues, et dont chaque armateur citerait à peu près les
pareilles, pouvant donner à ma lettre un ton d’humeur
personnelle qui lui ôterait de sa force, je me crois obligé de vous
assurer, monsieur, qu’en aucune affaire qui me fût propre je
n’aurais mis la fermeté dont cette lettre est remplie. Mais je
parle au nom du commerce, qui souffre, et à qui ses pertes
accumulées rendent le système et les procédés de la ferme encore
plus insupportables. C’est pour lui, non pour moi, que j’écris, que
je veille, que je voyage, que j’étudie, que je travaille enfin depuis
quatre ans, bien assuré que la France ayant en elle tous les
autres genres de supériorité, celle du commerce maritime, que la
fortune lui offrait aujourd’hui de si bonne grâce, allait achever de
lui donner sur tous les intérêts du monde une prépondérance
universelle, si nul obstacle intérieur n’avait enchaîné l’essor de
ses armateurs.
Le prix des tabacs en Hollande est coté, du 1er janvier, de
cent vingt à cent trente livres. Il y a bien loin de là à quatrevingts livres, et quinze livres pour cent de tare. C’est le prix
mitoyen que le commerce demande, cent livres
1Jacques-Alexis
Paulze (1723-1794) a été l’un des plus importants
fermiers généraux de l’Ancien Régime de 1768 à 1791. Il était le
beau-père de Lavoisier et réunissait dans son salon Turgot,
Malesherbes, Condorcet et Dupont de Nemours parmi d’autres
pour discuter de réformes fiscales, financières et politiques. Il fut
condamné et exécuté avec d’autres fermiers généraux le 10 floréal
de l’an II (8 mai 1793).
Dans cette lettre Beaumarchais s’élève contre la pratique
immorale de la ferme générale consistant à acheter des tabacs
enlevés par les Anglais et à les faire venir en France à un prix qui
ruine les importateurs français. Beaumarchais reviendra sur la
ferme et son monopole dans les lettres 753, 761, 770-72, 774, 775,
779, 780, etc., mais sans aucun résultat.
2Voir tome IV.
3La Pallas participa au premier combat naval de la guerre de
l’Indépendance américaine le 17 juin 1778 et fut capturée par
l’amiral Keppel. Elle faisait partie de l’escadre de John Paul Jones
en 1779; voir PBF, XXIX, p. 709 n. 8.
4Necker.
5Voir tome IV, lettre 719 n. 1.
14
CARON DE BEAUMARCHAIS
737. De William Henry Drayton1
January 17, 1779
Sir,
Men of virtue and liberality of sentiment generally create to
themselves, a certain degree of trouble—that of receiving the
acknowledgement of their admirers. Hence, Sir, you have the
trouble of reading these lines from an American and a stranger.
The happy connection formed between france & these united
States, brings the citizens of the latter states, to a knowledge
and admiration of the citizens of the former and in particular, of
the celebrated MonsR de Beaumarchais, the representative of the
generous Hortalez, from whose zeal, America has derived, in the
most critical moments of her distress, the most substantial
benefits.
Your conduct in support of the interests of this New World,
has acquired the thanks of Congress. And I not content with
having contributed my voice for that purpose, as a Senator,
cannot be satisfied, until I have rendered to you, my grateful
thanks as a citizen. I now, sir, pay this tribute and I have the
pleasure to do it in the most honorary manner to myself, as it
enables me to announce & to introduce to Monsieur de
Beaumarchais one, who is with the warmest esteem
Sir
your most obedient and
most humble servant
Signed William Henry Drayton
philadelphia JanY 17t.h 1779
MonsR Caron de Beaumarchais
En haut, sur la lettre transcrite ici est écrit: “Duplicata original
envoyé dans le paquet remis à Mr Gérard.” Donc, nous pouvons
supposer que la lettre a été donnée à Francy qui l’a remise à Gérard
en vue de son départ en France. Gérard est bien entendu le ministre
plénipotentiaire envoyé par la France à Philadelphie; voir tome IV,
lettre 693 n. 13.
1Pour Drayton, voir tome IV, lettre 694 n. 30.
CORRESPONDANCE
15
738. De Chevallié
M. Caron de Beaumarchais
1779
à Paris
Rochefort le 21 Janvier
Monsieur
J’ai reçu hier la lettre que vous m’avés fait l’honneur de
m’ecrire le 12 de ce mois. Je me refére à la mienne du 16 et vous
reÿtere ma disposition à nous séparer d’interêt dont vous me
rendés l’union insupportable mais sous la condition préalable
que je vous ai dite de compter et régler tout ce qui me revient, et
de me le payer comptant en quoi j’ai entendu et entends
comprendre (reglées aussi qu’elles seront) toutes les indemnités
qui me sont duës à quelque titre et pour quelque cause que ce
soit.1
Je crois me devoir à moi même de repondre aujourd’hui à
chacun des articles de vôtre lettre du 6 de ce mois; ce que mes
occupations ne me permirent pas de faire dans ma precedente, où
je vous ai marqué qu’elle me fut envoyée par M. Hébre de Saint
Clément, qui l’avoit reçuë à cachet ouvert, comme vous devez le
savoir, et en a pris une copie, comme vous devez le luy avoir
prescrit ou permis; en quoi vous avez renduës publiques les
inculpations que vous m’y faites XA ne pouvant nullement
supporter de pareilles inculpations qui attaquent mon crédit et
mon honneur, encor moins leur publicité puisqu’elles sont aussi
fausses que calomnieuses. J’ai à y opposer et repondre
1O qu’il est faux et supposé que j’ai des engagements et des
dettes a Nantes et à Marseille a la vérité j’ai des comptes à
régler mais sur lesquels il me sera dû au lieu de devoir, et c’est
les grands embarras de vos affaires depuis mon retour qui en ont
empêché le reglement; qu’il est même faux et supposé que j’ai des
engagements à Paris pour d’autres que pour vous comme il m’est
16
CARON DE BEAUMARCHAIS
aisé de le prouver: aussi à raison des effets qui me sont retournés
avec protêts et que j’ai tout remboursé vous m’avés mis dans la
necessité d’user des voÿes de droit qui me sont ouvertes pour y
suppléer et y remédier et c’est ce que je ferai
2O qu’il est aussi faux que calomnieux que dans la conduite
que j’ay tenuë en Virginie comme en france j’ai en rien manqué à
ma probité ni blessé ma conscience sur laquelle il soit besoin d’i
mettre la main, dires vous.
3O quant à notre traité, ce n’est pas l’explication ou le
commentaire qu’il vous plaît d’en faire qui doivent et peuvent
décider entre vous et moi, mais seulement les conventions et les
clauses formelles qui y sont clairement employées, malgré les
changements que vous y avés alors faits, à dessein, et que j’ai eû
la trop docile confiance d’y souffrir; sans soupçonner l’usage que
vous voudriés en faire aujourd’huy, et que cette raison même, ne
peut que faire rejetter.
quant aux tabacs qui sont dans mes magasins sous la clef du
fermier et quant au nouvel armement du fier Roderigue auquel
j’ai travaillé et continuë de travailler en bonne régle, je ne peux
subir le dépoüillement de l’un ni de l’autre objet dans le cas de la
maniere que la demande m’en est faite fut-elle formée en justice
où je ne crains point d’etre privé de mes droits pas même de la
commission sur les retours &a que mon traité me promet et
m’assure à titre d’equité, le plus sacré de tous les titres; sur tout
en pareil cas.
C’est dans ces sentiments que j’ay l’honneur d’etre très
parfaitement
Monsieur
Votre trés humble et trés
obéissant serviteur
Chevallié
1Nous
n’avons ni la lettre de Beaumarchais du 12 ni celle de
Chevallié du 16 mais nous connaissons le mécontentement de
Beaumarchais sur ce qui s’était passé en Amérique (voir tome IV,
lettre 693). En bref, Chevallié avait commis l’erreur de vendre trop
vite et à un prix très bas toute la cargaison du Fier Rodrigue à
l’état de la Virginie, cargaison que Francy destinait au Congrès.
En plus, dans son contrat avec l’état pour du tabac, Chevallié
n’avait pas stipulé qu’il devait être de haute qualité—un détail
CORRESPONDANCE
17
très important que Francy a réussi à changer en faisant appel au
gouverneur Patrick Henry. Selon Beaumarchais, Chevallié lui
devait des remboursements. Ils durent soumettre leur différend à
une commission afin de le résoudre (voir lettre 806).
739. A Mme de Godeville1
Samedi matin 23. je.r 1779
ce vingt deux jer
J’ai recu, Madame, hier matin la belle lettre de chiens dont
vous m’avés honoré. Si je n’y ai pas répondu sur le champ; c’est
que j’avais alors, comme on dit, bien d’autres chiens a etriller. J’y
ai lu avec reconaissance la dissertation raisonée que vous faites
sur les differens sexes des enfans de votre chienne, et sur leurs
divers procédés dans l’action diurétique. Il est certain Madame
que les dessendans de Lisette qui sont du beau sexe respecteront
bien plus dans cet acte et les rideaux et les meubles, en
sacroupissant modestement, que leurs petits gaillards freres,
toujours aspergeant ou aspersant les parties latérales de tous les
lieux quils habitent.
Cependant il y a quelque chose de plus libre, de plus joli, je
ne sais quoi de galantin, de leste en ce paillard lévement subit et
fortuit de la petite cuisse pelue, et de la patte crochue.
On ne sait sils ont appris des hommes, ou s’ils leur ont
montré l’art de pisser contre les bornes, et de chasser loin d’eux,
avec grace et propreté, d’un jet rapide et net, ce qui peut les
empécher de mieux jouer de l’instrument au double usage. Car,
comme vous savés Madame, tout ce qui vient de cette flute
n’etant pas fait pour retourner au tambour que vous savés aussi;
il faut bien dégager la voie de ce qu’on y destine. Ah! si dans la
répartition du double jeu de cette flute a bec la nature avait
daigné traiter les femmes seulement comme les bornes, avec cette
tendresse et profusion maternelle qu’elle a pour les dernieres,
18
CARON DE BEAUMARCHAIS
c’est bien alors que les poëtes auraient brillé dans les chansons
de table, et qu’il eut été vrai de dire que pour bien aimer, il ne
sagit que de bien boire! Au lieu d’une avare et courte émission
qu’elle garde au plaisir, de quels flots abondans et délicieux elle
eut aπaisé les feux de l’amour! Quelle angoisse prolongée eut
tenu les amans en extaze! Eh! que c’eut eté bien le cas encore de
dire d’une femme très amoureuse; qu’elle l’aurait fait le cul dans
l’eau!
Mais puisque, malheureusement, dans les chiens, comme
dans les hommes, l’effet le plus généreux du canal a deux fins
n’est pas destiné pour les belles, et que dans les premiers de ces
animaux, cet effet se dirige contre les rideaux, les jupons et les
commodes, ce qui ne laisse pas d’avoir son incomodité; je m’en
tiens, pour mon choix, au sexe modeste qui ne fait que mouiller
sa chemise, ou gater le parquet en pissant.
Quant a la couleur; je préfére celle qui ressemble a celle qui
m’a fait desirer l’autre: une vraie Lisette enfin. Je suis comme
frontin moi; j’ai toujours aimé les Lisettes. 2 On y va plus gai.
Dans leurs amours moins empézées que leurs maitresses et
disant toujours oui, la demande, l’accord, les fiancailles,
l’epousaille, l’himen et le veuvage sont l’affaire d’un moment.
Vraies, franches, libres, en un mot bonnes petites chiennes, sont
elles saisies dans une garde robe, ou dans un couloir; en un tour
de main, elles vous ont baisé, ouvert leurs cuisses, tourné les
yeux, dardé la langue, agité la ceinture, avalé tortillé la chose,
arraché le plaisir, et, secouant leur jupe, elles courent a la
sonette qui les appelle, il n’y parait plus. Que d’honêtes gens
elles ont consolés des rigueurs minaudieres d’une Aminthe a
l’empoix. C’en est fait, je suis décidé, cest une Lisette qu’il me
faut.
Quant a ma lettre que mon ami vous a montrée, elle vous
etait destinée. Blessé jusqu’au coeur du noir projet que la folie
avait enfanté contre l’amitié, je l’avais écrite a tout jamais. N’en
parlons plus, et puissai-je en oublier le motif!
23 jer
CORRESPONDANCE
19
Nayant pas trouvé d’occasion hier de vous faire parvenir cette
lettre je la mets ce matin a la petite poste en vous remerciant de
nouveau de votre jolie petite Lisette.
En général, la date du jour est indiquée par Beaumarchais; c’est
Madame de Godeville qui note l’année et le jour et parfois même
l’heure de réception de la lettre.
1Voir tome III, lettre 453 n. 1.
2 Voir Les Serments indiscrets de Marivaux où Frontin, le valet, est
amoureux de Lisette, la suivante.
740. A Mme de Godeville
dimanche matin 24. je.r 1779.
Comme je ne me rends point le parain banal de tous les
chiens qui naissent, trouvés bon Madame que je ne baptise que
la Lisette qui m’est destinée et que j’aimerai beaucoup. Je vous
envoye une lettre de Mr De La Touche1 que je viens de recevoir, et
que vous voudrés bien remettre a mon ami ce soir dans la visite
quil compte vous faire. Vous y verrés que le défaut des gens vifs
est de s’impatienter trop tot.
Je suis si préssé que je n’ai que le tems de vous assurer
qu’en conservant la plus douce de toutes les compassions
possibles pour les ecarts que l’infortune ou la colere vous font
faire j’aime mieux les ecarts de l’amour dans les femmes tant au
moral qu’au phisique. Bonjour a Lisette puisqu’elle le voit; cest le
jour que je veux dire.
1L’oncle
de Mme de Godeville; voir lettres 742 et 755.
20
CARON DE BEAUMARCHAIS
741. De Mademoiselle Ninon1
Aix, ce 25 janvier 1779.
Quelle tâche pénible, Monsieur, j’ai à remplir! Ils s’agit de
justifier une démarche que vous avez trouvée dénuée de prudence
et de bon sens; il s’agit de vous convaincre de la solidité d’un
projet que vous désapprouvez. Fille présomptueuse, quelle est ta
témérité, et que vais-je entreprendre! Vouloir justifier ce que vous
avez condamné, vous, Monsieur! Ah! n’importe. Je vais écrire.
Vous me le permettez? Vous me pardonnerez? Allons, me voilà
rassurée.
Premièrement, ce n’aurait pas été pour moi seule que j’eusse
entrepris ce que j’osais vous communiquer. Trois objets
m’attiraient au pied du trône: la gloire de mon roi, celle de mon
sexe et la mienne. Il y a trop longtemps que nous sommes
victimes malheureuses de la perfidie des hommes. Leur
despotisme s’étend tous les jours davantage, et, ce qui est plus
cruel, c’est qu’ils parviennent, par leurs séductions, à nous faire
sacrificateurs et victimes. A qui nous sacrifions-nous? Est-ce à des
hommes? Non, à des barbares qui abusent et se rient sans cesse
de la faiblesse et de la crédulité d’un sexe dont ils sont adorés,
malgré le cruel acharnement avec lequel ils le persécutent. Ils ne
rougissent plus de rien, ils ne rougiront pas d’employer tous les
moyens pour séduire une fille vertueuse qu’ils devraient
respecter. Ils l’arrachent à la vertu, qu’avant de les connaître elle
chérissait et révérait. Et quel est le prix d’un si douloureux
sacrifice? Le dédain dont ils nous accablent, voilà tout ce que
nous devons espérer; n’attendons rien de plus. L’honneur, qu’estce que cela pour eux? une vaine chimère. L’honneur, le beau mot!
il sonne bien à l’oreille; mais qu’il remplit peu les coeurs! Il n’est
plus d’honneur, il n’en est plus. Qu’est devenu ce temps heureux
où une fille pouvait même de son amant se faire un rempart, où il
daignait être le soutien de sa vertu?2 Nous étions respectées,
nous ne le sommes plus. Nous n’avons plus d’amants, il ne nous
reste que d’indignes suborneurs.
CORRESPONDANCE
21
Ah! c’est le libertinage qui nous a fermé tous les coeurs! Ils
ont commencé par être libertins; qu’il y a à craindre qu’ils
finissent par être scélérats! Ce fut ainsi que la décadance de
Rome commença, et qui la causa? Le luxe; oui, voilà la source de
tous les vices, voilà d’où naissent tant de désordres, voilà tout ce
qui corrompt tant de coeurs faits pour être honnêtes, voilà enfin,
Monsieur, les raisons qui avaient pu m’induire à entreprendre
une démarche que je n’eusse point exécutée sans le secours
d’autrui. A présent, condamnez-moi, je n’en serai pas moins
soumise à tout ce que vous déciderez.
1Voir
tome IV, lettre 717 n. 1; dans les pages consacrées à Mlle
Ninon, Loménie décrit l’extrême influence exercée par Rousseau
sur elle. Séduite à 12 ans, elle se sent cependant toujours
vertueuse. Bien que ses parents n’aient rien su de son aventure,
ils la surveillent constamment. Elle écrit à Beaumarchais pour lui
demander son aide parce qu’elle avait l’intention de se plaindre de
son destin auprès du roi. En réponse à cette lettre, Beaumarchais
lui conseille (tome IV, lettre 725) d’oublier son projet et son
amant.
2Note de Loménie:
“Ici encore Mlle Ninon pille la Nouvelle Héloïse. Julie aussi,
après avoir fait à Saint-Preux, avec la plus merveilleuse
facilité, l’aveu de son délire, prétend que c’est lui qui doit se
charger d’avoir de la vertu pour elle: ‘Tu deviendras, lui ditelle, ma sauve-garde, tu protégeras ma personne contre
mon propre coeur.’ Pitoyable sophisme qui tendrait à
enlever à la femme précisément l’unique avantage qu’elle a
sur l’homme tant qu’elle n’a pas été corrompue par lui,
c’est-à-dire la faculté de résister mieux que lui aux
impulsions des sens.—Que serait la femme dépouillée de
cette prérogative de délicatesse et de pudeur? un être sous
tous les autres rapports plus faible que l’homme et comme
tel condamné à lui servir de jouet.”
22
CARON DE BEAUMARCHAIS
742. A Mme de Godeville
mardi matin 26. jer 79.
ce 25 je.r 1779.
Si je voulais croire Madame aux notions que vous m’avés
données de Mr De La Touche,1 je n’aurais rien a vous remettre en
ce moment; car vous m’avés bien assuré qu’il ne me paierait
jamais. Vous voyés donc quil est quelquefois utile de ne pas en
etre crue.
Plus confiant que vous dans son honèsteté, je vais vous payer
en avance et sur sa parole, la pension qu’il arrange pour vous.
Mais fidèle au principe qui me l’a fait solliciter, je ne suis plus
qu’un exact intendant, et je n’ai d’autre choix a vous proposer que
celui d’etre payée, ou tous les huit jours, ou tous les 15, ou tous
les mois; mais pas un sou au dela. Ceci est l’aliment de votre vie
journaliere, et non le pouvoir de dépenser d’avance ce denier
arraché a votre famille. Si vous voulés etre payée 8 jours
seulement en avance, j’y consentirai volontiers; et pour vous
prouver que c’est mon coeur qui fait le dur arrangement de ne
jamais vous donner aujourdui ce qui doit vous substanter dans
trois mois je consens encore, a cause de votre détresse actuelle a
vous payer et le mois de janvier echu et le mois de fevrier a
echeoir. Mais de ce moment n’esperés plus rien que la plus stricte
et sevére exactitude a mon plan. Ceci bien entendu. Jurés,
pestés, après moi; quand vous me trouverés dur; je ne puis vous
donner selon moi une preuve plus touchante de mon attachement
pour vous.
Signés, en rechignant, cette quittance et me la renvoyés. Et
surtout que la petite Lisette ne souffre pas je vous prie de mes
mauvais procédés.
1Voir
lettres 740 et 755.
23
CORRESPONDANCE
743. De Mme de Godeville
[26 janvier 1779]
Copie. Ceci était de la main d’un commis
L. 300
J’ai recu de Monsieur Caron de Beaumarchais d’ordre et pour
compte de MonsR de la Touche trois cent livres tournois lesquelles
sont pour ma pension du mois de janvier courant et du mois de
fevrier prochain, dont quittance à Paris le 26. janvier 1779.
J’ai mis au bas: approuvé lécriture cy dessus—et signé.
744. Du comte de Vergennes1
Lettre de Mr le Cte de Vergennes
[28 janvier 1779]
Je joins ici,
communiquée, elle
surpris qu’on hésite
Ne doutes pas,
pour vous.
Monsieur, la lettre que vous m’avés
est interressante a lire et je ne suis pas
a y repondre.2
Monsieur, de la sincerité de mes sentimens
28. janvier 1779
M. de Beaumarchais
1Voir
2Nous
tomes II, III et IV.
n’avons pu trouver cette lettre.
24
CARON DE BEAUMARCHAIS
745. Au duc de Richelieu1
[28 janvier 1779]
Lettre à M. le duc de Richelieu, du 28 janvier 1779, pour qu’il
s’intéresse à M. Pereyra, contre lequel il y avait eu une lettre de
cachet pour avoir donné l’existence à une faible créature.
A Monseigneur le maréchal duc de Richelieu, gouverneur de la
Guyane.
Monseigneur,
J. de Jacob Pereira,2 de la religion juive, né à Bayonne, ayant
toute sa famille à Bordeaux, amoureux en 1768 de la D lle P***3,
nièce du sieur P***, banquier, en eut un enfant. Dans la
première chaleur du ressentiment des familles, on menaça le
jeune Pereira d’une lettre de cachet. Il sortit de France, et dès
qu’il fut en Angleterre, il écrivit au sieur Jacob P***, père de la
demoiselle, que, toujours épris de sa fille, il allait tâcher de la
mériter par des travaux suivis; qu’il serait cinq ans sans prendre
de femme. Il a tenu parole. Et, ce temps écoulé, il a récrit au père
pour lui demander encore une fois sa fille, en lui envoyant l’état
de sa fortune et lui faisant part de l’occasion prochaine qu’il
trouvait de se marier avantageusement à Londres. Il a
vainement attendu six mois une réponse qui n’est point venue. Il
s’est enfin marié. Maintenant qu’il désire aller à Bordeaux
embrasser sa mère et revoir sa famille, il vous supplie
humblement, Monseigneur, de vouloir bien l’assurer qu’il n’existe
point contre lui de lettre de cachet, laquelle n’aurait pu être
obtenue que par vous, ou lui accorder votre puissante protection
pour la faire lever, si elle existe, la faute excusable de l’amour,
commise en sa jeunesse, n’ayant été que trop punie par onze ans
d’exil et par la privation absolue de celle qu’il aimait.4
CORRESPONDANCE
1Louis-François-Armand
25
de Vignerod Du Plessis, duc de Richelieu
(1696-1788); voir tome III, lettre 522 n. 1 et tome IV, lettre 684 n.
1.
2Jacob Pereyra (Pereira ou Pereire) nacquit en 1743. Gracié de
l’incident mentionné ici, il retourna à sa famille à Bordeaux où il
fit part des événements de la Révolution en 1789. Il alla à Paris en
1790 et “se vante . . . de n’avoir jamais manqué une séance des
Jacobins.” (Mathiez, p. 7) Il fut attaqué comme Proly et Dubuisson
comme “agents de l’étranger” et en mars 1794 fut condamné et
exécuté.
3Lintilhac supprime le nom.
4Lintilhac écrit:
“Beaumarchais était le sauveur attitré de la famille. Voyez,
en effet, dans la requête à la Commune (Gudin, V, 98),
comment un autre malheureux israélite, Joseph Pereira,
fut tiré des griffes de l’Inquisition et sauvé de l’autodafé par
Beaumarchais ‘pleurant à genoux’ devant M. le comte de
Vergennes. On sait d’ailleurs avec quelle ardeur il défendit,
en tous temps et en tous lieux, la cause des protestants
(voy. Gudin, IV, 477, et [Tourneux,] Histoire de
Beaumarchais p. 233). Mais ici son zèle est moins méritoire;
il se souvenait que sa famille paternelle était d’origine
calviniste. Il est vrai qu’en cas pareil d’autres se hâtèrent
d’oublier” (p. 438).
On reviendra à ce que Beaumarchais a fait pour les Protestants
dans les lettres 760, 761, et 767.
Voici la citation de la Requête à Messieurs les Représentants de la
Commune de Paris dont parle Lintilhac:
“Parlez, vous, Joseph Péreyra, négociant de Bordeaux, qui
m’écrivîtes, en frémissant, du fond des cachots de
l’inquisition, près Cadix, où votre état connu de juif vous
avait fait jeter, vous exposait à être brûlé vif! Vous vous
souvîntes de mon nom, et trouvâtes moyen de me faire
tenir une lettre. Mes cheveux, en la recevant, se
hérissèrent sur ma tête. Je courus à Versailles, où,
pleurant à genoux devant M. le comte de Vergennes, je le
tourmentai tant, que j’obtins qu’on vous redemandât,
comme appartenant à la France; et je vous arrachai au feu,
en vous fesant passer tout l’argent pour votre voyage. Vous
êtes un des hommes que j’ai trouvés les plus
reconnaissants; toute votre nombreuse famille m’a écrit
pour me rendre grâce. Cette aventure mérite bien que je la
cite en mon honneur” (Gudin, V, pp. 98-99).
26
CARON DE BEAUMARCHAIS
746. De Francy1
Philadelphie le 5 fevrier 1779
Je vous envoye cy joint des duptTa de lettres que j’ay eu
l’honneur de vous ecrire depuis que je suis a philadelphie comme
j’aurais œques changemens a y faire je les mets yci par
suplément afin que vous n’ayés que ce supplément à lire en cas
que vous ayes reçu les prEs ou secondes. MR le Marquis de
Lafayette qui est party le 8 du mois diEr vous porte une lettre fort
detaillée a laquelle je me refere dans celle du 10 9bRe2 cy jointe. Je
ne vous envoye pas une copie de cette pr.e lettre parce que je
compte beaucoup sur l’arrivée de MR de Lafayette.
Dans ma lettre du 10 9bRe je vous parle (page 2) d’une liaison
d’interet entre Mr.s Moris,3 Deane, 4 Duer5 & Holker,6 je dois me
rectifier la dessus, MR Holker7 n’y est pour rien et cette histoire
des retours qu’il faisait, disait on, a Mr.s Chaumont & autres
interessés est fausse; j’ay eu occasion de le voir souvent depuis
son retour de Boston et je suis bien assurré qu’il est incapable de
rien faire qui soit prejudiciable aux interets qui lui sont confiés.
Ce bµent de transport americain dont je vous parle (page 4)
n’étoit pas pret a partir avec la Bergere qui est partie seule le
mois dernier, il a besoin d’un radoub mais je ferai en sorte qu’il
soit pret pour s’en aller avec le fier Rodrigue que j’esperois voir
arriver avant ce moment cy.
Ce que je vous dis (page 6 et 7) relativement au Baron de
Stuben8 etoit un faux rapport qui m’avoit été fait, il ne songe pas
a s’en aller actuelement, il a eu quelques desagremens a son
arrivée, mais il est tres aimé aujourdhuy; le GAl Washington9 a
beaucoup de confiance en luy, il n’est pas intriguant ni tres
ambitieux (et c’est la ce qui a nui a presque tous les etrangers
qui ont passé yci) ainsy je ne doute pas qu’il ne fasse la
compagne prochaine avec beaucoup plus d’agrement qu’il n’en a
eu la derniere. Il est tres occupé depuis 3 mois a faire un code
CORRESPONDANCE
27
militaire,10 s’il parvient a le faire adopter cela l’attachera
vraisemblablement pour toujours a ce service cy.
Je crois que le contract dont je vous parle (page 7) a été
proposé de nouveau par MR Penet11 qui est yci depuis environ 2
mois. Il est interessé luy meme a la manufacture de Charlesville
et il s’est joint a ce MR Savary.12 Il a ammené des ouvriers de
Nantes avec les quels il se propose d’etablir yci une manufacture
d’armes, je doutte tres fort qu’il y reussisse.
Je vous dis (page 9) que l’emission du papier monnoye se
monte a 90 millions de dollars, elle est a peu pres à 108 DS dans
ce moment cy, le congres s’occupe des moyens de reduire cette
circulation, mais jusques a present tous les moyens qu’il a
employés n’ont pas été heureux, la depreciation augmente
journelement, le change est aujourdhuy a 950 £. Pensi.e money
pour 100 £ sterl. ou a peu près 12666£13~4% pour 2250‹
toutes les marchandises et surtout les provisions sont hors de
prix & elles augmentent encore, de maniere que si l’on n’etablit
pas un crédit en europe au moyen du quel le congrés puisse luy
meme jouir du change qui a cours et [ ? ] tout le papier qu’il en
retireroit, il nous sera impossible de faire aucun commerce avec
l’Amerique pendant la guerre. Il n’y a pour ainsy dire qu’une
seule denrée a charger en retour que le tabac, il est deja a un prix
tel qu’il n’est plus possible d’en exporter sans perte et si les
demandes etoient considerables, le prix augmenterait au lieu que
celui de nos marchandises diminueroit en proportion, Je vous en
ay dit ailleurs la raison. C’est que 4 a 5 bµens suffisent presque
pour satisfaire a tous les besoins les plus pressans des
americains pendT une année et s’il en arrive d’avantage le prix des
marchandises exportées diminue immancablement. Je vous
avoue que je ne conçois plus rien au discredit du papier, la trop
grande circulation meme ne peut pas etre assignée comme une
raison suffisante et tous les jours j’aplaudis a l’arrangement que
j’ay fait par lequel le congres s’engage a vous payer en france.
(Pages 10 et 11) 13 Je vous parle de Galvan14 comme cherchant
a m’eviter, c’etoit aussi une fausse nouvelle car 2 jours apres le
départ de ma lettre il arriva icy et il y est encore me promettant
toutte espece de satisfaction, ce dont je me permets encore de
doutter parceque dans tous les cas il a le plus grand tort de
28
CARON DE BEAUMARCHAIS
n’avoir pas employé pour v/ct.e l’argent qu’il avoit reçu et
aujourdhuy la meme somme en papier monnoye n’a pas le tiers
de la valeur qu’elle avoit lorsqu’elle lui fut remise pour vous faire
passer des retours cette somme evaluée en argent de france au
pair est a 231562£ l0s—.. Si MR Galvan l’eut employé dans le
tems en ris ou tabac, vous auriés encore gagné sur les achats,
mais aujourdhuy il y a une perte assurée d’au moins 200 p% et
cette somme est restée entre les mains du frere du sieur Galvan
qui s’en est servi pour speculer (ce qu’il a fait tres heureusement
a ce qu’on assurre. Je vous donne le detail (pages 12, 13, 14 et
15) de ce qu’il m’a dit et des mesures que j’ay prises pour lui faire
rendre le compte le plus exact possible: Il a envoyé un exprés en
Virginie pour chercher tous les papiers relatifs a cette affairre a
fin de faire signer la facture par MR Deane, cet expres est party
1
depuis 2 mois 2 on n’en a pas encore des nouvelles et cela
commence a m’inquieter. J’avois le projet d’aller cet hyver a
Charlestown pour terminer moy meme cette affairre avec le
conseil de cet etat, mais vos autres affairres me retiennent a
philadelphie beaucoup plus longtems que je ne l’avois imaginé et
d’ailleurs les anglais se sont portés du coté du sud, ce qui me
force a remetre a un autre moment mon voyage dans cette partie
du continent.
(au milieu de la page 15) Je vous annonce que le Baron aura
vraisemblablement une affairre avec le GAl Lee,15 mais leur
differend s’est arrangé a l’amiable, le GAl Lee a ecrit une lettre
d’excuze au Baron qui n’en a pas exigé d’avantage. Vous aures
sans doutte appris avant la reception de cette lettre cy que le
Conseil de Guerre a trouvé le GAl Lee coupable et qu’il a été
suspendu pendant un an de tout commandement. Ce jugement a
été confirmé par le congrés.
(page 16) Je vous annonce le départ de votre neveu pour
france. effectivement il devoit etre porteur de ces lettres cy mais
apres de nouvelles reflexions, il s’est determiné a faire encore une
campagne et il est rentré avec le Baron: quelque soit le party qu’il
prenne apres cette campagne, son sejour yci pendant un an de
plus ne sera pas un tems perdu sil en profitte pour se
perfectioner dans la lanque qu’il commence a fort bien entendre
et a parler courament.
CORRESPONDANCE
29
Vous aves (page 17)16 le duptTa d’une lettre que je vous ecrivis
le 19 XbRe par le dernier va.u qui partit de ce port ci pour france,
depuis ce moment la la navigation a été entiereµt interrompue
par les glaces, ce qui m’a empeché de vous ecrire depuis six
semaines.
(Page 19) Je vous parle du change a 775 £ argent de
pensilvanie pour 100 £ st le change actuel vous donnera une idée
de la rapidité avec laquelle ce papier se discredite on vient de me
dire a l’instant qu’on a negotié hier a £1000 pour 100 £ st.
Le premier plan dont je vous fais part (page 19) a été proposé
et agrée par le congrés qui a donné des ordres le 15 JiEr dernier
pour faire achetter 3000 boucauds de tabac qui seront livrés a
ma requisition des que j’aurai des bµens pR les charger, on
m’authorisera avant mon depart de philadi.e a tretter pour le
compte du congrés les batimens que je pourrai rencontrer en
Virginie où je retournerai des que j’apprendrai l’arrivée de
quelques uns de vos vaisseaux. il est tres interessant pour vos
affairres que je ne quitte Philadelphie que le plus tard possible
car malgré leur bonne disposition Mr.s du Congrès ont grand besoin
d’etre pressés pour agir.
On n’a encore rien determiné sur le second plan qui est de
faire un emprunt en europe, les differens membres du congrés ne
sont pas d’accord sur les moyens et quoiqu’il ne soit pas possible
de retablir autrement le credit du papier monnoye, selon leur
louable coutume, ils ne prendront un party que lorsque le mal
sera presque irreparable. plusieurs senateurs auroient envie
d’aller solliciter eux memes cet emprunt pres d’une puissance
etrangere, et cela suffit pour empecher qu’aucun party soit pris a
tems. Les uns ont envie de s’adresser a la hollande d’autres a MR
Gerard, et œques uns (mais des meilleures tetes) approuvent un
plan que je leur ay proposé qui est de vous authoriser par une
resolution du congrés a faire un emprunt en leur nom,
s’engageant de payer un interet a 6% & le capital au bout de 6 ou
10 ans selon les conditions que vous feries, cet argent a quelque
somme qu’il se montat resterait entre vos mains et seroit
employé par vous a la fourniture des etats unis qui en outre
tireroient sur vous toutes les fois qu’ils auroient besoin de
negotier œques traittes sur france. par ce moyen vous n’auries
30
CARON DE BEAUMARCHAIS
rien a demeler avec Mr.s de Passy dont la conduite a votre egard
coµence a etre hautement blamée par ceux qui n’etant d’aucun
party desirent le bien et sont convaincus que vous avez ete
extremeµt maltraitté.... malheureusement le nombre de ces
derniers est le plus petit, mais au moins ce sont ceux qui sont
generalement recconus pour etre les plus honnettes et qui ont le
plus d’influence dans les affaires publiques, ainsy j’espere qu’a la
fin vos services seront recconus.... Je travaille dans ce moment cy
a un memoire dans lequel je rapporterai tout ce que vous avez
fait depuis 1775. Je donnerai l’extrait de toutte votre
correspondance avec le committé des affaires etrangeres & avec
moy, j’y insererai ce memoire ecrit par vous a MR de Sartines17 au
mois de XbRe 1777 relativement a votre va.u le fier Rodrigue, ce qui
sera d’un tres grand poids pour prouver la legitimite de vos
demandes et le zele infatigable avec le quel vous avez servi
l’Amerique. Il ne me sera pas difficille de prouver que c’est vous
seul qui avez formé le grand projet de secourir les americains et
d’etablir une alliance entr’eux & nous, MR Deane sentant qu’il ne
pourrait pas se soutenir sans vous a cherché a etablir sa propre
importance sur la votre. Il vous a enfin rendu justice en congrés
mais trop tard pour ses interets. la lettre dont je vous ay envoyé
un extrait par le fier Rodrigue et ce qu’il dit aujourdhuy sont si
contradictoires que cela ne peut servir quà vos interets et je
saurai bien en tirer party. d’un autre coté MR Gerard s’est
expliqué dans les termes les plus flatteurs sur v/ct.e (je vous dirai
dans un moment quelles ont été ses raisons) mais n’importe je
tacherai de faire bon uzage de sa declaration, il s’agit
maintenant de prouver que Mr.s les Agens ont tous les uns apres
les autres voulu se faire un merite des services que vous seul
avez rendu a la Republique. Je vous ai deja dit quà mon arrivée
dans le continent votre vrai nom ny etoit connu que par les
libelles du GAl Du C[oudray]18 & quelques lettres anonimes
envoyées par le DeUr Lée,19 Il me fut impossible alors de refuter
par des preuves touts les propos qui avoient été tenus, je me
contentai d’exposer simplement la verité et d’expliquer autant
que je le pus tout ce que cette affairre de commerce offroit
d’obscur & de misterieux, mais aujourdhuy instruit comme je le
suis, de tout ce qui a été dit & intenté contre vous, muni de
CORRESPONDANCE
31
beaucoup de papiers qui prouveront sans replique tout ce que
vous avez fait en europe pour accelerer la declaration de la france
qui assurre l’independance de l’Amerique et appuyé de
temoignanges qu’on ne peut revoquer je mettrai en oposition les
services que vous avez rendu a la cause et la conduite des agens
americains a votre egard.....& je ne doutte pas que cela ne fasse
le meilleur effet pres de ceux qui ne sont pas prevenus. Il y a
dans le congres 2 partis dont l’un soutient Mr.s Lee & Izard,20
l’autre soutient le DR Frank[lin]21.... et par contre coup MR Deane
l’un et l’autre de ces deux partis est egalement interessé a vous
enlever le merite de ce que vous avez fait, mais comme ils ne sont
pas d’accord entr’eux sur le fond de la question, j’espere
demontrer à l’aide de ce que chaque party dira pour suporter ses
protegés que vous seul avés reellement et essentielement servi
l’amerique lorsque ses deputés intriguaient et cabalaient les uns
contre les autres ainsi que contre vous. Je vous ay deja dit que le
DR Lée pretend que tous les envoys faits sont un present obtenu
par luy des l’année 1775, MR Deane appuyé par le temoignage
honorable que vous lui aves remis au moµt de son départ, laisse
ses amis dire et insinue luy meme que sans lui l’Amerique eut
manqué de tout, MR Franklin n’a jamais parlé de vous, ainsy a
les laisser dire et faire vous joueries dans tout ceci un role fort
ridicule, il devient de la plus grande importance que vous soyez
bien connu; le congres ne peut plus se dispenser (apres ce qu'a écrit
MR Deane contre les Lee) de les rappeler, une fois arriver yci, ils ne
manqueront pas de vous attaquer personelement, leur party est
tres puissant, ils se muniront a coup sur avant de sortir d’Europe
des certifficats XcA XcA Je n’ai que trop prouvé avec quelle facilité
ces gens cy se laissent prevenir contre vous, ainsy je vous prie de
me fournir tous les moyens possibles pour repondre aux nouvelles
noirceurs et aux calomnies que je m’attends a entendre debitter
sur votre compte, je souhaiterois que vous puissiez me faire passer
copie ou seulement un extrait de votre correspondance avec le
Ministere de france sur les affairres de l’Amerique, elle prouveroit
incontestablement toutte l’influence que vous aves eu et le zele que
vous aves mis dans ce qui a été fait. Je serois bien aise que vous
ecrivies une lettre detaillée a ce sujet au congres, j’ay la preuve que
plusieurs membres de ce
32
CARON DE BEAUMARCHAIS
corps font tout ce qui en leur pouvoir pour vous nuire, Rien ne
peut les dissuader que tous vos envoys eussent été un present, si
MR Deane n’avoit pas été en france, mais que cet agent de
commerce ayant droit a une commission surtout ce qu’il
acheterait en europe, vous avoit persuadé de vendre les objets
que vous aviez ordre (a ce qu’ils disent) d’expedier sans reclamer
aucun payement. ils n’ont d’autre titre pour fonder cette assertion
que le certifficat du comte de Lauragais 22 que je vous envoye cy
joint (sous la marque A) copié de l’original avec la lettre
impertinente que le SR A. Lee a ecrit en conséquence de ce
certifficat. il y a pres de 4/m. que je suis a philadelphie, j’ai eu
des frequentes occasions d’eprouver ceux avec qui j’ai affairre, mais
je les ai toujours trouvé tels que je vous les depeins dans
ma lettre emportée par le fier rodrigue..... a la première occasion
sure que j’aurai j’entrerai dans des details qui vous en
convaincront: Je n’ai pu me procurer le chiffre du Baron de
Stub.... il l’a perdu.....dans la réponse qui a été faitte a MR Deane
le sieur Payne auteur du pamphlet common sense 23 dit positivT
que tous vos envoys sont un present de la cour de france, qu’il en
a la preuve dans des papiers et il signe cette assertion comme
secretaire des affaires etrangeres, MR Gerard s’est plaint de cette
assertion au congrés qui a desavoué le sieur Payne et recconu
qu’ils avoient du les secours qui leur etoient arrivés, avant que le
traitté ne fut signé, a des particuliers; pouves vous concevoir
qu’apres une declaration aussi formele, on entretient encore les
memes doutes, et hier on commençait a se plaindre de ne pas
voir arriver les 1eRs vaisseaux qui doivent apporter la fourniture de
la campagne ou nous allons entrer. de leur coté ils n’ont rempli
aucun des articles qui les regarde dans le contract que j’ay fait
avec eux et ils veulent paraitre ettonés de ce que vous ne tenés
pas vos engagemens, une pareille conduite seroit si absurde et si
ridicule que j’espere toujours que ce sont des propos vagues de
quelques vieilles tetes a perruque. les membres du committé de
commerce m’ont chargé de vous dire qu’ils sont tres disposé a
vous rendre toutte la justice qui vous est due; mais que je les
quitte deux ou 3 mois, j’ay a traitter avec de nouveaux membres
qui sont imbus de prejuges defavorables et il faut recommencer
ab ovo. le party de MM Lee est tres attentif a prevenir tous les
CORRESPONDANCE
33
nouveaux venus, c’est pourquoy il me faut des preuves pour
opposer a leur bavardage et je vous demande la grace de vous
occuper serieusement a m’en faire passer. Votre affaire a le
rapport le plus immediat a d’autres d’une bien plus grande
importance..... Vous deves mentendre..... Ceux qui sont vos
ennemis n’aiment pas les français et s’ils sont les plus forts.....
Juges vous meme des conséquences..... Je suis bien inquiet pour
les suites de tout ceci..... la confiance du peuple n’est pas
merveilleusement bien établie, le discredit inconcevable du papier
en est une preuve bien evidente..... Je n’ose pas vous dire tout ce
que je crains... vous le devineres sans peine.
MR Deane m’a prié de vous dire qu’il serait desesperé si cette
lettre signée de luy dont je vous ay fait passer l’extrait alterait
vos sentimens a son egard, il m’a dit qu’il n’avait pu se refuser
pour des raisons de politique et pour conserver une bonne
intelligence entre luy et ses collegues a la signer mais que son
intention alors etait de regler effectivement vos comptes en france
afin que vous ne soyés pas exposé a toutes les difficultés qu’on
vous eleve aujourdhuy. nous sommes fort lies yci en apparence, il
me fait part de tout ce qui lui arrive et de tout ce qu’il croit
pouvoir servir vos interets. Il parait avoir renoncé aux employs
publics, il m’a dit ce matin qu’il ne desirerait plus qu’un bon
vaisseau pour repasser en france ou il a le projet de se fixer
jusques a ce que la guerre soit finie et peut etre sy etablira til?
Cette société de commerce dont je vous ai parlé plusieurs fois est
formée. Je vous en enverai les details par la pr.e occasion ferme,
J’ai pris un onzième dans cette société pour 2000 pounds
monnoye de virginie, si elle est bien conduite je crois que j’aurai
tres bien placé mon argent... mais en verité ma confiance dans
ces gens cy est bien diminuée.....
Je vous dis (page 5 de ce suplement ci) que MR G...a eu ses
raisons pour parler de vous d’une maniere tres avantageuse les
voici: je crois en piEr lieu qu’il a recu des ordres de MR de M.....de
presser la liquidation de vos comptes et de vous faire tirer tout
l’avantage possible des envoys que vous aves fait: il l’a laissé
entendre a votre ami Carmik24...qui me l’a dit. En second lieu, il
a senti combien il etoit important pour MR Deane que vous fussies
representé comme ayant eu la plus grande confiance en luy et que
34
CARON DE BEAUMARCHAIS
c’etoit a cette confiance que les Americains etaient redevables de
tous les secours que vous leur avies fait passer et a ce sujet la il
a dit les choses les plus honnettes. (Comme je vous le marque,
page 20, de mes lettres cy jointes.) au sujet de l’assertion du
sieur Payne que toutes les munitions etoient un present de la
cour de france, MR Gerard a qui j’en portai le premier mes plaintes
ecrivit au congres la declaration que je vous envoye (sous la
marque B) ce qui acheva de convaincre ceux des membres du
congrés qui etoient disposés a croire la verité et en consequence
un resolvet unanime declara l’assertion du sieur Payne fausse et
calomnieuse..... mais ceux dont cette assertion servait les vues
secrettes ont cherché a lui donner une explication moins sujette a
des consequences defavorables en apparence et ils insinuent la
meme chose sous une autre forme, en disant que sans l’arrivée de
MR D... en france, ces envoys eussent été un present et vous
sentes qu’on cherche a en tirer la meme consequence c’est a dire
que vous n’aves jamais eté qu’un agent secondaire.... peu importe
a ces gens la s’ils exposent par de pareilles insinuations et par
les lettres qu’ils ecrivent en Europe sous la meme forme, le Roi de
france a des reproches qui seroient bien fondés si ce qu’ils
insinuent etoit vrai, peut etre n’en sentent ils pas toutte
l’importance, mais je suis assurré qu’il n’y a rien qu’ils ne fassent
pour servir leur vues particulières: si ceux qui ont cru jouer le
premier role comme republicains se voient trompés dans leurs
esperances, je ne doutte pas qu’ils ne sacrifient l’interet public au
leur. Il existe une lettre du committé de commerce ecritte il n’y a
pas 6/m au DR F.... dans la quelle on lui reccomande de s’informer
exactement des objets qui avoient été envoyés par vous et de
distinguer soigneusement ceux dont la cour avoit fait present
quoique expediés par vous en apparence, d’avec les draps &
autres objets qui vous regardaient personelement; si une pareille
lettre est interceptée (et on croit qu’elle l’est) cela ne suffira til
pas a la cour de Londres pour prouver aux puissances du nord
pres desquelles elle sollicitte de secours que le Roy de france a le
premier enfreint la neutralité Xc. Xc. quoique MR mauleon25
porteur de cette lettre m’a promis de ne la remetre qu’a vous, je
n’ose cependant pas vous dire a ce sujet tout ce que je crains,
mais j’espere que vous le devineres sans peine..... Dieu veuille
CORRESPONDANCE
35
seulement que nos flottes ne soient pas battues..... Je dois
cependant vous repeter yci que les gens sensés et les meilleures
tetes dans le congrés sont tres disposés a suporter l’alliance,
mais rien que les plus brillans succes n’enleveront au peuple ce
prejugé de naissance que nous ne sommes pas en etat de tenir
tete aux anglais..... d’un autre coté ils se trouveront trompés
dans leur esperance, ils s’etoient persuadés que la france apres
avoir recconu l’independance ferait la guerre a elle seule et comme
les anglais paraissent determinés a pousser rigoureusement la
campagne prochaine puisqu’ils ont deja attaques & pris la
Georgie et qu’ils marchent vers Charlestown, je crains bien que le
decouragement n’augmente..... C’est ce que j’ay vivement
representé a 2 ou 3 membres du congrés dont je connais les
bonnes dispositions et ils pensent comme moi que rien ne peut
apporter un remede efficace et prompt aux evenemens facheux
dont nous sommes menacés qu’en etablissT un credit en Europe
au moyen du quel le congrés retablirait en un instant celui du
papier monnoye. Je crois que MR G.... ne voit pas le mal d’aussi
près, la confiance particuliere que me temoignent quelques
senateurs me met a meme d’etre quelque fois mieux instruit qu’il
ne le peut luy meme, avant de quitter Philadi.e je crois devoir le
prevenir de ce qui me paraitra interesser essentielement la
france. il me parait depuis quelque tems un peu plus froid a mon
egard qu’il ne l’etait au mois de 9bre et XbRe diEr et je crois en savoir
la raison. Je vous dis (page 20) qu’il a fait une proposition au
congrés relativT au payement par compensiOn de ce qui est du par
la cour de france aux etats unis; lorsque nous nous sommes
entretenus de la maniere dont cette compensation s’executerait, il
m’a dit que je lui ferai plaisir de luy remetre une notte de tout ce
qui vous avoit été fourni par le département de l’artillerie et des
prix auxquels ces objets se montaient parce que pour le moment
il ne vouloit se charger que de ce que vous devies vous meme a
l’artillerie..... je lui representai qu’en mentionant cette
compensation sous cette forme, cela donnerait immancablement
lieu a de nouveaux propos de la part de ceux qui paraissaient si
disposés a comprometre le ministere et que d’un autre coté etant
chargé de la liquidation de vos affairres en Amerique, il ne me
conviendrait pas de me meler de vos Affairres d’Europe, que je
36
CARON DE BEAUMARCHAIS
savais que vous avies eu des Affairres d’interet avec le
Departement de l’artillerie, mais que j’ignorois absolument ce
que vous avies fait a ce sujet depuis mon depart de france,
considerant en outre qu’il seroit imprudent que je confiasse sans
votre Aveu, vos factures & les prix aux quels vous aves porté les
objets y denomés; j’ay ecrit a MR Gerard le lendemain matin (vous
aves (sous la marque C) copie de cette lettre: lorsque je le vis
dans l’apres midy, il me parut tres changé a mon egard, il me
parla du ton le plus froid & le plus ministeriel, je lui representai
de nouveau ma situation et l’impossibilité ou j’etais de me
pretter a ses arrangemens; il me dit alors que son but etoit
d’empecher qu’il n’y eut un agiotage des lettres de change, qu’il
etait assurré que vous devies encore les objets d’Artillerie, qu’il
avoit a ce sujet un pouvoir a discretion et qu’il etoit necessairre
que l’arrangement se fit sans que la cour put etre exposée a
payer la somme qu’il prendrait a son compte: je luy ay repondu
que je ne me pretterois a un pareil arrangement que lorsqu’il
m’auroit ecrit qu’ayant des pouvoirs a discretion pour cet objet; il
exigeait que cela se fit de telle maniere Xca..... Je serais tres
faché que cela l’indisposat, mais je crois que vous ne me
blameres point de la réponse que je lui ai faite et les precautions
que je prends pour eviter tout reproche mérité de votre part;
honoré par vous de la confiance la plus entiere, tout ce qui
m’importe est de vous prouver que j’en suis digne et certainement
aucune consideration ni aucun interet personel ne me fera dévier.
J’ay cru et je suis encore persuadé que l’arrangement tel qu’il est
proposé par MR G..... vous est desavantageux sous tous les points,
ainsy je ne m’y pretterai que lorsque prudement il ne me sera
pas possible de faire autrement. nous en sommes la; depuis un
mois MR Gerard a continuelement été indisposé. ce qui l’a
empeché de s’occuper de cette affairre, je desirerais bien
sincerement qu’il y renonçat car si cette compensation se fait, le
congres en me passant les traittes que tirera MR Gera.... croira
vous avoir fait des retours considerables et consequement il ne
sera pas pressé de vous en faire d’autres..... Je sens bien que ma
resistance deplaira a MR G.....peut etre meme en ecrira t’il? mais
je le repete je nai intention de plaire qu’a vous; pourvu que je
vous serve bien et que vous soyez content, je me soucierai fort peu
CORRESPONDANCE
37
si je plais a d’autres. a propos de cela je dois vous prevenir que
vous alles recevoir vraisemblablemt des plaintes tres graves sur
mon compte, voici ce qui les occasionne et sur quoy elles
portent.... Mr.s les officiers français instruits que je faisois vos
affaires dans ce pays cy et que je pouvais commander des fonds
considerables se sont persuades que je serois leur thresorier et en
consequence presque des mon arrivée sur le continent plusieurs
s’adresserent à moy pour avoir de l’argent.....comme j’avois
quelques fonds et que ces prEs demandes n’etoient pas
considerables, je me laissai aller.....quelques tems aprés Mr.s
DeLafayette & De La Rouerie26 s’adresserent aussi a moy. mes
fonds n’eussent pas suffi, mais je me servis des votres (comme
vous l’aves vu par mon ct.e cn.t personel que je vous ay fait passer
par le fier Rodrigue) Je crus n’avoir aucun risque a courir et
quoique vous ne m’y eussies pas authorizé j’en pris l’evenement
sur moy; j’espere que vous aures eté exactement payé des effets
que je vous ay remis pour le montant des sommes que je leur ai
avancées a l’arrivée de votre gros vaisseau. Je partis pour la
virginie ou je ne vis aucun officier pendT le sejour que j’y fis, mais
a Philadi.e j’en ai trouvé 50 au moins qui presque tous courts en
especes, et tres disposés a la depense se sont imaginés que je
fournirois a tous leurs besoins reels ou imaginaires..... Je n’avois
apporté de Virginie que ce dont je croyais avoir besoin pour le
tems que je destinois a rester en Philadi.e mais j’aurois eu le
produit et la cargaison du fier Rodrigue que je crois qu’il n’auroit
pas suffi aux demandes qui m’ont été faites; vous sentes bien
que je ne me suis pretté a aucunes et des ce moment la j’ay eu
autant d’ennemis que de demandeurs c’est a dire presque autant
que de françois a philadi.e J’ay cherché a les ramener en leur
donnant de tems en tems a diner et en les traittant avec la plus
grande honneteté partout ou je les ay rencontré, Ils ont appellé
cela duplicité et prendre un ton qui ne me convenait pas. J’avois
recu des politesses de tous les membres du congrés et de
plusieurs cytoyens distingués de cette ville ci, J’ay voulu y
repondre par un diner public auquel MR Gerard, le GAl
Washington, le gouverneur de l’etat,27 tout le congres &ca sont
venus, Mr.s les francais et ceux memes qui y etaient ont traitté cela
d’une insolence soutenable dans un homme comme moy ce repas
38
CARON DE BEAUMARCHAIS
m’a coutté fort cher, il est vrai, mais outre que je le devais a
toutes les honnetetés que j’avois reçues de ceux que j’y avois
invitées, vous ne sauriés croire le bon effet qu’il a produit, ce fut
le surlendemain que vous fut ecritte la lettre que je vous envoye
incluse et que fut prise la resolution de livrer a ma requisition
3000 boucauds de tabac, mais ces depenses extravagantes,
(comme il plait a Mr.s les francais de les appeller) ne sont pas les
seuls crimes dont on m’accuse, j’ay trouvé a acheter a tres bon
compte une voiture et comme je suis dans la necessité de garder
partout ou je vais au moins 3 chevaux, j’ay calculé qu’il ne m’en
coutteroit pas un sol de plus si je m’en servois pendant le sejour
que je peux faire dans les differens endroits ou je me trouve, en
consequence je me suis defait d’une petitte voiture de voyage que
j’avois et je’n ai achetté une dans la quelle je me donne les airs
de rouler quand il fait de la neige ou qu’il pleut; ce train qui
maffiche a ce que pretendent mes chers compatriotes n’augmente
ma depense pour toute l’année que de la difference du prix de
voiture et je prendrai avec grand plaisir cet exedent sur m/cte ainsi
que toutes celles de mes autres depenses que vous imagineres
avoir été superflues; je tiens le compte le plus exact de toutes et
dans la reddition de mes comptes j’en passerai partout ce que
vous voudrés; je vous assurerai seulement yci que je ne fais pas
un sol de depenses qui ne me paraisse utile, je sens tous les
jours le bon effet qu’ont produit celles que j’ay cru necessaires, un
peu de luxe en impose infiniment ici dans un etranger surtout si
j’avois joué comme ces messieurs dont j’ay refusé d’etre le
thresorier qui tous les soirs font des parties a perdre deux mille
piastres (quoiqu’ils n’ayent pas le sol) j’aurois été un homme de
societé aimable &c. &c. mais j’ai fui leur compagnie, je me suis
entierement livré a mes affairres, ainsi je suis indigne de votre
confiance, je vous ruinerai par mes depenses extravagantes
&c.&c. MR de la Rouerie surtout qui a toujours voulu prendre avec
moy des airs de marquis et au quel j’ay refusé 4000 piastres
pour jouer, (doutant tres fort que MR de la Belinaye paye toutes
les traittes qu’il a tirées sur luy) ce monsieur là, dis je, a qui
j’avois été toujours tres attaché, au quel meme j’avois rendu de
petits services est un de ceux qui se permet le plus de propos sur
m/ct.e il m’en eut coutté ou plutot a vous beaucoup trop cher pour
CORRESPONDANCE
39
empecher ces propos, ainsy j’ay pris le party de les mepriser; les
gens honnettes de qui seul l’estime me touche rendront quand
vous l’exigeres un temoignage de ma conduite bien different de
celuy des français, mais surtout ce qui parlera toujours en ma
faveur sera le compte que je vous rendrai de vos affairres; mes
livres seront toujours tellement en regle qu’en 2 heures de tems je
serai a meme de vous satisfaire sur tous les details que vous
pourres me demander. MR le Baron de Stub.... a qui ces propos
sont revenus a voulu vous ecrire un mot a ce sujet que vous
trouveres cy joint. MR Deane qui s’est particulierement informé
des details de ma conduite pres de ceux de ses amis qui m’ont vu
depuis mon arrivée dans le continent & qui a été temoin de tout
ce que j’ay fait a Philadelphie ayant entendu parler de ces propos
m’a dit qu’il vouloit vous ecrire a ce sujet: je ne m’adresserai a
personne pour me justifier, parce que j’imagine qu’apres la
confiance sans bornes que vous me temoignés, vous ne vous
laisseres pas prevenir contre moy sans avoir des preuves. vous
aves eté trop exposé a vous meme a tous les traits de la calomnie
pour ajouter legerement foi a des propos[.] J’ay néamoins été bien
aise de vous prevenir moy meme parce que des rapports
defavorables quand ils sont faits de mille lieues font toujours une
certaine impression, et vous etes si interessé a etre instruit de
touttes mes demarches quelconques que n’eussé je pas eu a
redouter tous les propos que l’on tient sur mon compte, je vous
aurai toujours fait ces details ci...... et a ce sujet la permetes moi
de vous renouveller la prière que je vous ay souvent faitte qui est
de ne jamais me juger sans m’avoir entendu: le refus que j’ay fait
de pretter de l’argent et la consideration personnelle que je me
suis acquise, voila mes deux grands torts..... je me flatte qu’ils
trouveront grace aupres de vous...... si j’ai qques succés, comme je
l’espere, dans la mission dont vous m’aves chargé, ce sera un tort
de plus, mais je m’armerai en patience pour supporter tous les
reproches que j’aurai merité. dans tout cela il n’y a qu’une chose
qui m’affecte un peu c’est de voir que votre neveu s’est laissé
entrainer par le torrent et quoique j’aye fait tout ce qui a
dependu de moy pour lui prouver mon amitié & l’interet que je
prends a luy, on lui a persuadé qu’il etait honteux pR luy que
l’agent de son oncle eut un train a etre remarqué, tandisque luy
40
CARON DE BEAUMARCHAIS
ne pouvoit pas faire toutes les depenses d’agrement qui seroient
excuzables dans le neveu du plus riche negT de France. D’abord
Desepiniers28 a ri de ces propos avec moy, il etait le premier a me
dire que rien ne luy paraissait plus essentiel pour le succés de
vos affairres que les depenses que je faisois, mais m’etant permis
de lui dire franchement mon avis sur quelques points ou nous
n’avons pas été d’accord, sa confiance en moy m’a paru diminuer
et je sais qu’il s’est plaint que je luy refusois le necessairre; voici
le fait: a son arrivée a Philadelphie, il y a environ 3/m, je lui
demandai ce quil pretendait faire desormais, puisqu’il etait
disposé a quitter le service; (je vous ai dit ailleurs qu’il etait
rempli de bonnes qualités, mais qu’il est tres inconstant et un
peu jeune) il me repondit qu’il nen savoit rien, et qu’il etait tres
disposé a suivre mes conseils: je lui dis alors que puisque le
militaire ne lui convenait plus, il ne pouvait mieux faire que de
retourner pres de vous, qu’il vous serait utile pr l’anglais et qu’en
peu de tems avec de l’assiduité & du travail, il se mettrait a
portée de vous servir reellement. Ce plan lui plut d’abord
beaucoup et il demanda un congé pour aller vous consulter et
rester pres de vous s’il lui etait possible d’etre utilement employé.
J’aurois été charmé qu’il fut porteur de la lettre du congres et de
tout ce que j’avois a vous dire de vos affairres, en consequence je
l’engageai a attendre œques jours, pendant ce tems il forma un
nouveau projet a chaque 24 heures, lui etant tres sincerement
attaché, je lui ay souvent fait des reproches de cette legereté et de
son peu d’application a l’etude soit de son metier, soit du pays et
des habitans ou de la langue, je lui ay souvent dit qu’il avoit eu
tort de quitter le Baron de St.... et enfin voyant qu’il ne pouvait
pas se resoudre a prendre un party decidé, je lui ai donné a
entendre que n’ayant pas d’ordre de vous pour lui avancer de
l’argent, je ne pouvois pas prendre sur moy de le faire sans vous
en prevenir avec d’autant plus de raison que vous n’imaginies
pas qu’il eut de grandes depenses a faire, etant attaché a un
general et ses appointemens pouvant suffire à son entretien; mon
intention etait de le degouter de cette vie oisive a la quelle il se
livrait et de le decider a faire quelque chose; neamoins je lui
avançais tout l’argent dont il avait besoin, mais sans jamais lui
rien offrir, a la fin il m’a prié de parler au Baron de St....et de le
CORRESPONDANCE
41
faire rentrer pres de luy, j’y ai tres aizement reussi & depuis 3
jours il est derechef aide de camp de ce digne ami qui lui est tres
sincerement attaché; cette reconciliation operée, je croyois avoir
essentielement servi Des Epiniers et alors je lui annoncai qu’il
pouvait derechef compter sur moy pour tous ses besoins, me
chargeant de vous representer que la depreciation du papier etait
telle que ses appointemeñs ne pouvaient lui suffire, mais j’ay eté
bien ettonné d’apprendre que mes avis & ma maniere d’agir avec
luy lui avoient infiniment deplu et qu’il vous avait ecrit, il y a
œques jours en se plaignant tres amerement de sa situation, je
le defie de dire que je lui aye jamais fait un refus mais je n’ai
cessé de luy representer que vous regretteries plus 100 piastres
mal employées que 1000 dont il pourroit demontrer l’utilite; j’ai
cru vous devoir cette explication detaillée afin que vous sachies
sur quoy sont fondées ses plaintes au cas qu’elles vous soient
parvenues, du reste je ne lui suis pas moins attaché, je ne
cesseray de dire qu’il a des qualités infiniment aimables, qu’il est
tres brave, et que s’il le veut, il peut se distinguer & vous donner
beaucoup de satisfaction s’il s’applique, une campagne de plus
lui fera beaucoup de bien, car il ne possede pas encore
parfaitement cette langue cy et il a beaucoup de connaissances
locales a acquerir Notre cher Baron se promet de le tenir un peu
plus de court cette campagne cy que la derniere et il ne faut que
cela pour en faire un tres bon sujet. malgré ses plaintes soyes
bien persuadé qu’il ne manquera de rien et dans toutes mes
lettres je me permetrai de vous dire ce que je pense de luy. le Bo.n
De St....m’ayant promis de me faire part exactement de tout ce
qui pourra vous interesser a son sujet. J’espere que vous lui
aurez envoyé la pacotille que je vous demande pour luy; je ne lui
en veux pas de tout ce qu’il a pu dire parce que je suis assuré
qu’il n’a eté que l’echo de MR de la Rouerie et autres &c. &c. MR
Latil29 a qui vous aviez donné une lettre a Marseille dans le mois
de juin diEr pr Lestargette30 a ete pris pres de Charlestown et
conduit a New York d’ou il est venu a Philadelphie, je l’ai vu et
j’espere pouvoir luy rendre les services que vous demandiez pR luy
a lestargette; la circonstance ou il se trouve d’avoir été pris et
depouillé de tout joint a l’interet qu’il inspire & a votre
42
CARON DE BEAUMARCHAIS
reccomandation me fera certainement faire pour luy tout ce qui
sera en mon pouvoir.
MR Girous31 est en Virginie, il y est arrivé trop tard pour
l’affairre de vos tabacs, mais je ne doutte pas que je n’obtiene
justice du conseil meme, ou j’attendrai la pr.e assemblée qui se
tiendra dans le commencement de may. S’il arrive œques unes de
vos vaUx dans la Baye de Chesapeak, MR Girous m’enverra sur le
champ un exprés et je me rendrai de suite au port ou ils seront
arrivés.
Assures je vous prie mes De.s vos soeurs de mon respect ainsy
que Madame V32..... J’ecris a notre ami MR Gudin33 si MR Mauleon
ne part pas ce matin j’ecrirai un mot a MR de Monthieu34....faittes
s.v.p. mes complimens a M.M. Durand Comtini [Cantini]
Leveigneur &c.&c. et croyes moy bien sincerement & bien
respectueusement 8 fevrier 1779.
Vos canons 35 ne sont pas encore vendus mais cela ne
m’inquiete pas, on en a besoin et j’espere en tirer un bon party./.
MR Mauleon vous donnera les nouvelles du jour, il n’y en a
aucune de bien interessante.
MR Tessier36 m’a annoncé le gain de votre procés,37 vous deves
savoir tout l’interet que j’ai pris a cette agréable nouvelle, recevez
en mon compliment.
1Dans
la marge: “L’origAl remis a MR Mauleon party sur le brik le
jeune achille cap Picon 2tta a MR Vitry Sr.e de MR Gerard.”
2Voir tome IV, lettre 711.
3Robert Morris; voir tomes III, lettres 422 n. 3, 581 n. 1 et tome
IV.
4Voir tomes II, III et IV.
5Voir tome IV, lettre 694 n. 29.
6Voir tome IV, lettre 710 n. 2.
7Voir tomes II, III et IV.
8Steuben; voir pages suivantes et tomes III et IV; voir aussi lettre
802.
9Voir tomes II, III et IV.
10Voir lettre 802 n. 151 et 152.
11Voir tome II, lettre 348 n. 1.
12Voir tome IV, lettre 711, p. 263.
13Voir tome IV, lettres 711, 712 et 723.
CORRESPONDANCE
14William
43
Galvan est allé acheter en France des provisions
militaires pour la Caroline du sud. Pour ses affaires avec
Beaumarchais voir le tome IV.
15Voir tome IV, lettre 715 n. 1.
16Voir tome IV, lettre 724.
17Voir tomes II, III et IV.
18Voir tome II, lettre 382 n. 3; tome III, lettre 421 n. 2 et 455 n. 1;
tome IV, lettre 694 n. 2.
19Arthur Lee; voir tomes III et IV.
20Ralph Izard (1742-1804) fut élu commissaire à la cour de Toscane
par le Congrès mais la Toscane ne voulant pas recevoir un
représentant d’un gouvernement qu’elle ne reconnaissait pas.
Izard se joignit à Arthur Lee à Paris pour ennuyer Deane et
Franklin. William Lee et Izard furent rappelés en juin et Arthur
Lee en septembre.
21Voir tomes III et IV.
22Voir tome IV.
23Voir tome IV, lettre 724 n. 4.
24Carmichael; voir tomes III et IV.
25Epelé Maullon dans le tome IV.
26En ce qui concerne l’argent prêté au marquis de Lafayette voir
lettre 734; pour le marquis de La Rouerie voir tome III, lettre 436
n. 4.
27Joseph Reed, gouverneur de la Pennsylvanie du 22 décembre
1778 jusqu’au 15 novembre 1781.
28Voir tome III n. 1.
29Monbos et Latil étaient les agents de Beaumarchais à Baltimore.
30Un agent de Beaumarchais en Amérique; voir les tomes III et IV.
31Voir tome IV, lettre 690 n. 4.
32Villers ou Willers, la compagne de Beaumarchais; voir tome IV,
lettre 636 n. 8.
33Voir tome III, lettre 548 n. 4.
34Montieu, un associé de Beaumarchais (voir tomes III et IV); pour
Cantini et Durand voir tome IV, lettre 636 n. 9 et 10. A partir de
1783 Leveigneur remplacera Francy comme agent de Beaumarchais
en Amérique, Francy étant retenu en France pour cause de
maladie.
35Laissés en Virginie l’année précédente par le Fier Rodrigue; voir
tome IV, lettre 711.
36Teissier de La Tour, armateur de Nantes.
37Le 21 juillet 1778 l’arrêt du Parlement de Provence a donné gain
de cause à Beaumarchais dans son procès avec le comte de La
Blache. Cet arrêt termine une affaire qui date de la fin de 1770;
voir tomes I et II.
44
CARON DE BEAUMARCHAIS
747. De Silas Deane
Philadelphia Feby 6th 1779
Dear Sir
This will be delivered to you by Count Montford1 a gentleman
who has served with reputation in the armies of America, untill
his private affairs obliged him to return to France; I take the
liberty of introducing him to your acquaintance as a person who
is able to give you good information on many subjects which you
wish to be acquainted with; He informs me that his views are to
get into the service of France, and I know of no person that can so
effectually serve him as yourself, nor of any one that is a better
judge of merit, or more ready to do justice to the deserving.
hoping this will find you & yours perfectly happy I have the honor
to be with the most perfect attachment & respect dear sir
Your most obed t
and very humble servt
S Deane
Monsr Beaumarchais
1Le
21 mars 1777 le Congrès a envoyé un certain comte de
Montfort au général Washington pour lui servir de lieutenant;
voir Lasseray, p. 75.
748. De Francy
Philadi.e 8 feve.r 1779.
45
CORRESPONDANCE
Je vous envoye ci jointes plusieurs lettres qui m’ont eté
remises pour vous faire passer; MR De Mauleon qui veut bien s’en
charger vient d’etre echangé et il s’en retourne en france. S’il est
pris il recouvrera sur le champ sa liberté ainsy je le prie de garder
ces lettres pour vous les remetre lui meme des qu’il sera rendu a
paris ou il va en droiture. Il vous porte outre ce paquet ci la copie
de mes lettres depuis le 10 9bRe1 jusques au 19 XbRe et une tres
longue lettre relativT a vos affairres du 5 de ce mois cy. Comme ce
2 d paquet contient beaucoup de details qui ne sont que pR vous je
le prie de ne les remetre qu’a vous seul. je vous enverai copie de
cette dre lettre par la pr.e occasion sure que j’aurai parce que MR
Mauleon la brulera en cas de mal encontre.
1Voir
tome IV, lettres 711, 712, 715 et 724.
749. Au comte de Vergennes
Copie de ma lettre à Mr Le Comte de Vergennes en lui envoyant
celle que j’écris aux Députés américains
Paris ce 10 février 1779
Monsieur Le Comte
J’ai l’honneur de vous envoyer ma lettre a Mrs Les Députés de
l’amérique. 1 Lisés la je vous prie, avec cet esprit de reflexion qui
rend vos decisions si sures. J’ai l’air en cette lettre, d’ecarter
entierement tout ce qui touche à la politique; mais il ne vous sera
pas difficile de voir que j’y reviens insensiblement, et que ma
lettre, dont je vais envoyer une copie au congrès, est très propre à
consommer le pénible ouvrage entrepris par Mr Deane, de faire
chasser ce misérable Lee, le plus dangereux ennemi de la france.
Je reçois à l’instant des nouvelles de Philadelphie qui me
confirment dans le projet de porter mes plaintes même au
46
CARON DE BEAUMARCHAIS
congrès assemblé. Une attaque ainsi combinée d’amérique et
D’europe doit avoir enfin le succès desiré. L’on y regarde la guerre
a peu près comme finie; mais ce n’en est que plus le tems de
l’intrigue et des caballes. Mr de Francy me parait inquiet des
suites de la querelle de ce Lée avec Mr Deane; nous ne devons
donc, je crois, negliger aucun moyen de renforcer la cause de ce
dernier qui est la nôtre; et c’est ce que je me suis proposé en ce
moment où le congrès compte beaucoup sur la continuation de
mes envois et de mes services.
Si j’en crois la lettre de Francy, le congrès est bien convaincu
aujourdhui qu’il n’a pas eu d’ami plus chaud en Europe que moi.2
Cette opinion doit lui faire prendre en grande considération le
sentiment apuyé que j’ai du caractere et des menées de ce Lee.
Voila mon thême. celui de votre bonté, Monsieur Le Comte,
est de me relever, si je me trompe, et surtout de ne douter jamais
de la vénération que j’ai pour votre sagesse.
Je me suis fait une loi de ne plus douter des choses dont vous
vous mêlez sérieusement.
Je n’enverrai cette lettre que lorsque vous l’aurés aprouvée./.
1Voir
lettre 752.
tome IV, lettre 724, p. 297: “On commence enfin à croire que
vous êtes le meilleur ami qu’ai [sic] jamais eu l’Amérique en
France . . .”
2Voir
750. A M. de Sartine
A MR de Sartines
Au Ministre de la Marine
ce 12 février 1779
Monsieur de Sartines est supplié de vouloir bien donner des
ordres pour que l’on cherche parmi les prisonniers anglais un
nommé Néhémiah Hollond qui a eté pris sur le St Peter ou St
Pierre; et d’accorder sa liberté à Beaumarchais qui desire de tout
son coeur acquitter l’engagement pris par Mr Mullins1 officier de la
47
CORRESPONDANCE
brigade irlandaise, envers un capitaine corsaire anglais qui non
seulement l’a remis en liberté sur un navire neutre, après l’avoir
pris dans son passage du continent en Europe, mais lui a
généreusement offert sa bourse en lui demandant pour toute
reconnaissance de tacher d’obtenir l’élargissement de son ami
Néhémiah Hollond prisonnier en france.
Dans l’horrible métier de la guerre, il semble quon ne peut
trop encourager tout ce qui tient à la générosité, et s’ecarte un
peu de la férocité anglaise.
Le trait du capitaine anglais et la récompense qu’y attachera
le ministre francais, seront tous deux consignés dans le Courrier
de l’Europe.2
1Voir
2Voir
tome IV, lettre 711 n. 3 et ci-dessous lettre 776.
lettre 776.
751. A Benjamin Franklin
Paris ce 13 fevrier 1779
Je demande bien pardon a Monsieur Franklin si les procédés
de Mr Lée m’obligent à me retrancher dans la rigueur de mon
droit.1 Je n’en ai pas moins pour Monsieur Franklin tout le
respect que son age, son état et ses grandes qualités inspirent; et
je m’honorerai d’etre toute ma vie, de l’homme respectable, du
ministre d’une république a laquelle je me suis voué, et du
savant le plus estimable et le plus eclairé de l’Europe.
Le très humble et très obéissant
serviteur ://:Caron de Beaumarchais
48
CARON DE BEAUMARCHAIS
Si Monsieur Franklin a des paquèts qu’il désire envoyer en
Amérique; Le Fier Roderigue escortant dix navires, va partir sous
huit jours pour la Virginie.2
MR Franklin.
1Voir
2Voir
la lettre suivante.
lettre 805.
752. Aux députés des Etats-Unis de l’Amérique
Copie
MM les deputés des
1779
Etats-Unis de l’Amérique
Paris ce 13 février
Messieurs
M. Pelletier Dudoyer1 mon correspondant de Nantes m’a fait
signifier une assignation à lui donnée en votre nom aux fins de
délivrer à votre procureur la faible cargaison de ris et indigo
venue pour moi de Charlestown, sur le navire La Théreze,2 que
M. Pelletier a vendue par mon ordre et dont il m’a fait passer les
fonds. 3
Surpris de cette attaque j’ai chargé mon procureur à Nantes
de répondre à l’assignation simplement: que c’est à moi, non à M.
Pelletier, qu’on doit s’adresser pour avoir justice de la cargaison
de La Théreze; parce que c’est de mon ordre exprès et pour
remplir mes besoins pressans que cette cargaison, qui
m’appartient, a été retenue; que je fais mon affaire personnelle
de l’assignation des nobles députés qui me regarde seul; de
même que j’entends faire raison au Congrès national de
l’Amérique d’une aussi faible remise envoyée à compte des
sommes immenses qui me sont dues par la République, dont j’ai
CORRESPONDANCE
49
la parole, la promesse et l’écrit de s’aquitter envers moi par
toutes les voyes ouvertes et le plustot possible.4
Or comme il faut enfin que cet acquittement se fasse avec
tous les dédomagemens que son retard entraine, malgré les
efforts que des esprits inquiets [turbulans] ont fait constament
pour l’éluder ou l’éloigner; et que je veux éviter, si je puis
d’entamer dans un tribunal d’amirauté à deux cens lieues de
Paris une question qui paraitrait peu décente en Europe, entre
les nobles députés de l’Amérique et l’homme reconnu par le
serviteur le plus zélé de la nation qu’ils représentent, j’ai
l’honneur de vous adresser, Messieurs, le compte exact de vente
de la cargaison de La Théreze, avec ma reconnaissance au bas, que
les fonds m’en ayant été remis je les porte à compte sur mes fortes
créances (sauf mon recours sur l’affreteur pour les frais de
dèsarmemens Xa) ce qui suffit pour la décharge tant de M.
Pelletier Dudoyer envers vous, que de nous, MM, envers vos
commettans. J’ay l’honneur d’y joindre aussi les mêmes
renseignements sur les cargaisons de retour de l’Amphitrite et du
Mercure, celle de l’Amelie,5 n’étant pas encore vendue, et les
autres vaissaux n’ayant rien rapporté du continent: au moyen de
quoi vous vous serez rigoureusement en règle avec le Congrès sur
ces objets.
Permettez moi, MM, de vous remercier de votre médiation sur
les règlemens de mes comptes et dédomagemens, je ne l’accepte
point pour des raisons que je dirai plus bas. des amis zélés6 qui
stipulent mes interets en Amérique, se font un devoir d’y soutenir
l’honneur de mon caractere, de mes services rendus au Congrès
général, & surtout d’y deffendre mes droits, sourdement
[bassement] attaqués par certains correspondans [d’affreux
intrigans] en Europe.
Que si d’après ce que j’ai l’honneur de vous écrire et de vous
envoyer MM. vous ne retires pas vos ordres donnés à Nantes de
poursuivre mon correspondant, pour la remise d’une cargaison
qui m’appartient et que je conviens avoir recu; J’en concluerais
que votre objet est de me contraindre à repousser juridiquement
moi même une attaque aussi déplacée. Eh! quel chagrin alors
pour un ami zélé de l’Amérique si forcé de deffendre mes droits et
de justifier ma conduite, qui sera la même en toute occasion, je
50
CARON DE BEAUMARCHAIS
me voyais contraint de mettre au jour, dans un tribunal, pour ma
défense légitime les faits suivans si bien connus de vous:
Qu’en 1776 je fus vivement sollicité, par M. Silas Deane,
comme un des plus ardens partisans, que les treize états eussent
en Europe, que je fus pressé dis-je par ce député de la
République en France de former une compagnie qui consentit à
faire de grands envois d’artillerie, de marchandises, et munitions
de guerre, aux Américains, absolument denués d’armes et de
vêtemens, et sur la parole d’honneur et la promesse expresse de
ce député, que des navires chargés de denrées d’Amérique, ne
cesseraient pas de croiser mes envois, que toujours adréssés à
moi, ces retours me mettraient par une circulation non
interrompue, par un aquittement prompt et successif en état de
faire de nouvelles avances à l’honorable Congrès, lequel y serait
trés sensible.
Je prouverais alors que sur ces promesses et sous la raison et
signature de Roderigue Hortalez j’ai formé ma Compagnie, et fait
des levées considerables en Europe de Marchandises, d’artillerie
d’armes et de Munitions de toute espèce.
Je prouverais par un traité bien existant, qu’au moment de
faire partir ces envois, le même M. Deane embarassé m’avoua
que personne ne voulait lui fournir des navires à fret sans de
fortes avances, et sans un cautionnement en France pour toutes
les sommes qui resteraient en arrière, que désirant suivre le
noble et génèreux plan que j’avais enfanté; je fis sur le champ
toutes les avances d’argent exigées par l’affreteur, que je me
rendis caution envers lui de tout ce qui resterait à payer par les
Etats Unis de l’Amérique et que je ne pris aucun repos que tous
ces navires enchainés dans nos ports par des motifs supérieurs
ne fussent partis pour l’Amérique.
Je prouverais qu’un autre agent7 [obscur] à Londres, et ce
même M. Silas Deane en France, m’ayant pressé l’un de faire
passer des officiers au Continent l’autre de pretter l’argent
nécessaire à leurs Traitemens et Passages sans hésiter j’avancai
de mes deniers tous les fonds que cette opération exigea; que de
cette Epoque, mon zèle ne connaissant plus de bornes, pas même
celle de mes facultés, j’ai engagé toute ma fortune, celle de mes
amis, mon crédit et le leur pour servir constament l’Amérique, et
CORRESPONDANCE
51
que beaucoup de navires richement chargés en Marchandises,
Artillerie, habillemens et Munitions de guerre ont été par moi
seul expediés au Continent avec des peines incroyables, et les
plus violents travaux de corps et d’esprit, pour applanir, ou
vaincre les obstacles perpetuels que la politique Européénne
opposait à mon activité.
Il n’en couterait pas même à ma délicatesse de prouver que
j’ai porté plusieurs fois l’attachement, jusqu’à fournir à ce même
député M. Deane les fonds nécessaires à sa subsistance, et à ses
acquittemens, parcequ’il sait bien que je l’honore et l’aime de
tout mon coeur, ni de montrer que traitant enfin tous les
Américains comme mes amis et mes freres, il en est peu que je
n’aye obligé de mes deniers, ou à qui je n’aye offert ma bourse et
mon crédit.
Mais que bien loin qu’aucun navire Américain ait jamais
croisé mes envois et m’ait apporté ces retours convenus et tant de
fois promis du Continent, pendant qu’une nouvelle Députation8 a
constament epuisé depuis trois ans toutes les façons d’éluder un
payement sacré; tantot en alleguant la détresse de l’Etat, tantot
les difficultés de passer la mer XA XA Il n’y pas eu un seul des
hommes que je venais de servir, d’obliger ou d’employer (MM.
Deane et Carmikael exceptés) qui ne se soit efforcé de me dérober
l’honneur de mes travaux en Europe et qui n’ait tenté de
s’approprier, s’il eut pû, tous les fruits de mes envoys en
Amérique.
Alors, MM. le ressentiment me devenant permis en une injure
aussi grave je montrerais peut être que des obscurs spéculateurs
[tous les obscurs intrigants] dont une affaire aussi dificile était
necessairement entourée se sont réunis pour donner le change au
Congrès Général sur la nature et les conditions de mes envoys en
me faisant faussement passer à ses yeux pour un dispensateur
de fonds publics en France envers lequel la République ne devait
jamais s’acquitter, comme étant chargé de l’état de donner aux
Américains, en pur don, ce que j’avais tant de peine à rassembler
et à leur envoyer au titre sacré d’avances d’échange et de
Commerce.
Peut être même irais-je plus loin, car ne devant alors aucun
ménagement à ces ennemis cachés [noirs intrigans], je pourrais
52
CARON DE BEAUMARCHAIS
bien les nommer, et prouver qu’ils n’ont cessé par leurs lettres
insidieuses, dont j’ai les extraits, d’empêcher le Congrès des
Etats unis, de s’acquitter envers le serviteur et l’ami généreux qui
s’était devoué pour leur pays, et qui a manqué dix fois de périr,
faute de recevoir en retour, de quoi faire face à ses engagemens.
Et si le sentiment trop vif de tant d’injustice m’arrachait à la
discretion que je me suis toujours imposée, je surprendrais bien
les honnêtes gens de mons Pays, en ajoutant que les Nobles
députés [meme] reconnus de la République (M. Deane excepté)
entrainés par ces illusions [intrigans], ont crû pouvoir se
dispenser des moindres égards envers moi, jusqu’a ne me faire
jamais parvenir aucune réponse du Congrès, a plus de vingt
lettres importantes écrites par moi en Amérique, et passées sur
les Navires mêmes qui portaient à la République des secours
aussi précieux de ma part.
Eh! quel serait, MM, l’étonnement de l’Europe entière si
j’allais jusqu’à divulguer que les nobles députes ont porté
l’injustice et l’outrage à mon égard, au point de vouloir retenir et
me disputer les plus faibles et tardives cargaisons, arrivées
d’Amérique en retour des miennes, sous ma propre marque et sur
les mêmes navires que j’avais chargés pour eux à mes depens,
dont j’avais pour eux payé plus de onze mille louis, qui ne me
sont pas rentrés pour les deux tiers [trois quarts] du fret convenu;
et cautionné les autres payements ultérieurs, ainsi que tous les
accidens possibles.
Que dirait-on enfin, MM, si j’ajoutais que sans la résolution
vigoureuse que j’ai prise d’envoyer un agent en Amérique, porter
mes plaintes amères au Congrès national; et sans l’arrivée au
Continent de cet agent; sans celle de MM Deane & Carmikael, de
MR Gerard, qui tous ont ouvert les yeux à l’honorable Congrès et
m’ont instruit de la surprise ou l’on y était en reconnaissant
l’injustice qui m’avait été faite, sur de faux avis d’Europe et sur
d’insidieux rapports; et de la résolution prise à l’instant de
réparer cette injure au plustot, que dirait-on, MM, quand on
saurait que sans toutes ces precautions d’un honnête homme
outré de colère, j’ignorerais encore quels ennemis du bien public
[affreux intrigans] s’y sont fait un jeu de porter l’erreur, le trouble,
CORRESPONDANCE
53
et la ruine sur une affaire devenue aussi funeste pour moi, qu’elle
a été utile à la nouvelle République?
Telles sont, MM, les Justifications que je serais forcé de
donner publiquement, si vous persistiez dans l’injure que vous
me faites, et si vous ne retiriez pas la scandaleuse assignation
donnée à M. Pelletier Dudoyer par votre ordre. Alors distinguant
toujours l’honorable Congrès qu’on a trompé, de ses représentans
qui m’outragent, je le dis avec regret; mais vos Procèdés m’y
contraignant, je ferais saisir arrêter, dans tous les Ports, chez
tous les Banquiers ou dépositaires les Marchandises et les fonds
que vous pourriez avoir en Europe, et c’est à mon tour devant les
tribunaux de mon Pays, que je vous forcerais d’être justes envers
moi; puisque tant de devoûment pour votre Patrie, n’a pû vous
porter à la moindre gratitude.
Et cette lettre, MM, que votre dur Procèdé m’arrache, si je
l’adresse aux trois députés collectivement, c’est que je ne puis les
diviser dans une affaire commune et pour un ordre signé de tous
trois, car j’atteste icy que mes plaintes et mon ressentiment
personel, ne portent que sur M. Arthur Lée, seul auteur des torts
qu’on m’a faits et de tout le mal que j’ai souffert. Je déclare aussi
qu’autant qu’il dépendra de moi, je n’aurai jamais de
communication avec cet agent ambitieux, qui, pour nuire en
Amérique à son collegue, M. Deane, y a semé le Doute et le
Soupçon sur tout ce que cet homme honorable avait fait en
Europe avec moi, pour la République; et c’est la raison qui
m’oblige de refuser de vous, MM, toute médiation tout règlement
de comptes et d’interèts, dans les quels ce S. Lée pourrait ou
devrait entrer. J’ai pris la liberté de l’écrire expressement au
Congrès général, en lui envoyant le Commerce chiffré de Londres
entre cet agent [ambitieux] et moi. Il prouve évidemment et
l’odieux de sa conduite à mon égard, et la fausseté de toutes ses
insinuations ultérieures sur la nature et les conditions de mes
envois en Amérique.
Que si le Congrès trompé, séduit, emporté par des Motifs à
moi inconnus, croit devoir continuer de confier ses interets à ce
Politique: Je le connais trop bien moi, pour consentir jamais, si je
puis l’empêcher, qu’il soit de quelque chose en mes affaires.
54
CARON DE BEAUMARCHAIS
Mais ce point de discorde éloigné, gardons nous, MM, de
donner aux Anglais le spectacle et le plaisir d’une contestation
publique.
Il n’est pas bon qu’elle existe entre vous, et le Négociant
Français, qui, le premier à tant animé par ses travaux, son
exemple, et ses conseils, les vaisseaux de nos ports, à oser
prendre le chemin périlleux des votres.
Refléchissez je vous prie que l’opinion d’un si mauvais succès
détournerait plus nos Armateurs des Spéculations d’Amérique que
la Politique, et tous les traités du monde, ne peuvent les y porter.
Députes d’une Nation commerçante, et nouvelle, écartez de
tous les esprits, l’idée d’une pareille injustice. Vous ne feriez
croire à personne, que celui qui a tant echauffé les coeurs pour
votre cause, ait le moindre tort avec vous, et le Gouvernement
français témoin continuel, et souvent réprimateur avant le traité,
de mes efforts, ne verrait qu’avec déplaisance un Procès tendant
à relâcher une union fondée sur l’espoir d’un grand commerce
entre les deux Peuples, union cimentée par un traité d’alliance
honorable à l’Amérique et genereusement soutenue aujourdhuy
par la plus grande effusion de l’or et du sang des Français.
Tels sont, MM, les nobles [grands] motifs qui m’ont faits
souffrir aussi longtems sans me plaindre et c’est dans cet esprit,
que, demandant Justice à la députation de l’Amérique, sur une
assignation imprudemment donnée à mon Correspondant de
Nantes, J’ay toujours l’honneur d’être avec attachement et
respect de M. Franklin et de M. Adams 9
Messieurs
Le très humble et très obeissant Serviteur./.
Signé Caron de Beaumarchais
connu en Amérique sous la raison et
signature de Roderigue Hortalez & CompE
P.S. Laissant àpart, MM, la Justice que j’ai droit d’attendre du
Congrès et que j’en espère enfin surtout ce que j’ai envoyé à la
République; j’ay l’honneur de joindre aux pièces que je vous
adresse, le compte du fret des premiers vaisseaux que j’ai
expediés pour le Continent, dont vous avez le Marché signé de M.
CORRESPONDANCE
55
Deane pour le Congrès et de moi comme caution du Congrès. Ce
Marché a été par vous arrêté depuis avec l’affreteur à 381400. dont
j’ai payé en 1776 la somme de 269400 d’avance à cet affreteur, en
cautionnant tout le reste, laquelle somme de 269400 devait me
rentrer au plustot.
Comme il ne faut MM, aucun règlement sur les Marchandises
envoyées en Amérique, pour acquitter une pareille avance; faite
en France en écus de France et fondée en titre paré; je vous
demande aujourdhuy, pour la vingtième fois de me payer ces
269400 avec les intérêts, frais Xa qui me sont dus depuis 8bRe
1776 dont j’ai le plus grand besoin: et voilà pourquoi j’ai appellé
en vous écrivant, ces navires affretés par un autre, mes propres
navires. Ils seront les Navires de qui vous voudrez, MM, quand
cette somme de 269400 me sera payée par vous. depuis près de
3 ans je ne vous ai pas envoyé d’huissier pour vous faire cette
demande, ainsi que beaucoup d’autres. est ce donc trop exiger,
que de vous prier, MM, de faire cesser le scandale d’une
assignation, donnée par vous à mon Correspondant, en
reconnaissance de la douceur et l’honnêteté de mes procèdes à
votre égard? Et de ma longue patience à languir dans l’attente de
vos acquittements? ./.
Le lecteur lira entre crochets les mots barrés d’un exemplaire de la
lettre. Le copiste écrit: “I do certify that the foregoing letter &
postscript were copied verbatim from the original, observing to
draw lines across particular words & writing others above them
exactly as marked and done in the original.” Ces changements
n’existent pas dans tous les exemplaires.
1Voir
tomes III et IV.
tome IV.
3Ici commence une dispute qui ressemble à celle du vaisseau
l’Amphitrite en décembre 1777 quand les Américains se sont
emparés de sa cargaison; voir tome III, lettre 621. Les Américains
ont voulu faire de même en septembre 1778 avec la cargaison de La
Thérèse mais Dudoyer l’avait déjà vendue; les Américains ont
pensé intenter un procès contre Dudoyer.
4Voir lettre 735; le Congrès et Francy ont signé un accord en mai
1778 pour rembourser Beaumarchais.
5Voir
tome IV pour ces trois vaisseaux appartenant à
Beaumarchais.
2Voir
56
CARON DE BEAUMARCHAIS
6Il
s’agit probablement de Carmichael, Deane et Gérard.
Lee.
8En décembre 1776 Franklin et Lee sont venus se joindre à Deane
comme députés en France; voir tome III, lettres 416 et 417.
9John Adams; voir tome III, lettre 663 n. 1.
7Arthur
753. Au comte de Maurepas
Paris ce 13 fevrier 1779.
Copie de ma lettre
a Mr Le Cte de Maurepas
Monsieur le Comte,
Après une aussi longue discussion que celle d’hier au soir; Il
me semble qu’un bon résumé peut seul reposer votre esprit; bien
asseoir et classer tous les objets que vous avez eu la
complaisance de m’entendre soumettre à votre décision.
Il est clair que, dans l’etat chancelant où sont tous les esprits
en Amérique, l’affaire de la france y est totalement perdue si
nous cessons tout à coup de commercer avec ce pays, quelque
dificile que cela devienne aujourdhui.
Questions à se faire
Est-il utile à la france que ses negotians continuent de porter
à l’Amérique tous les objets dont elle ne peut se passer?
Tout homme éclairé doit répondre: cela est indispensable.
Mais les Négotians français ne pouvant y faire qu’un commerce
d’échange de denrées; l’administration de Versailles ne doit elle
pas favoriser de tout son pouvoir l’ecoulement de la seule qu’on
apporte d’Amérique?
CORRESPONDANCE
57
Les gens sensés conviendront que c’est un des objets qui doit
le plus occuper nos ministres
Mais, n’y ayant qu’un seul acheteur et vendeur de tabac en
France, qui est le fermier du Roy, et l’écoulement du tabac
devenant aussi necessaire aux armateurs que le pain quotidien
l’est au peuple; le gouvernement doit-il souffrir qu’il subsiste
dans le royaume un monopole sur le tabac qui en arrête
l’écoulement?1
Tout est perdu si le gouvernement ne rend pas la plus grande
liberté au commerce de cette denrée; ou s’il ne traite pas le
fermier comme il traite le boulanger. Tu vends à tel prix, tu
achèteras à tel autre.
Mais le fermier dit: Je dois jouir des conditions d’un bail que
j’ai fait lorsque j’achettais le tabac 4≥ Si l’on veut aujourdhuy
que je le paie 20≥ je ne puis le cèder a 3£ 2≥ comme au temps
où je l’avais presque pour rien; surtout s’il faut que j’en rende 24
millions au Roy.
A cela le ministère équitable ne peut refuser au fermier de
compter de clerc à maître; car le fermier doit être dédommagé si,
par un fait étranger à la gestion, il vient à perdre sur le contract.
Mais c’est ce qui lui reste à prouver. De ma part je n’en crois rien
& je suis bien fondé pour penser ainsi.
Mais, dans le cas d’une perte prouvée, le Roy, dont tous les
revenus sont engagés d’avance, doit-il se mettre à la gêne en
baissant le prix de la ferme du tabac?
Ce n’est pas mon avis. Mais qui empêcherait le ministère, à
l’instant où il croit la denrée encherie au point de mettre le
vendeur banal en perte, de permettre une augmentation sur le
prix de la vente au consommateur? Quand les boeufs deviennent
rares, la viande à Paris monte à 10 et 11≥ quand le bled ny
arrive point, le prix du pain y croit en proportion. Dans ces cas, la
nouvelle taxe est affaire de police, comme elle est icy affaire de
grande administration; et si vous tolérés ces variantes sur les
objets de premiere nécessité; où serait l’inconvenient de les
permettre sur ceux de pure fantaisie?
Une augmentation sur le tabac contrariera-t-elle plus les
consommateurs que nous ne le sommes de voir porter la course du
fiacre à 30~ dans Paris par un nouveau contract? et si le bien
58
CARON DE BEAUMARCHAIS
d’une compagnie particuliere a pû vous y determiner; à fortiori,
lorsqu’une grande raison d’etat vous oblige à soutenir un plan
magnifique, et lorsque, pour y reussir, il ne s’agit que d’assouvir
l’avidité du fermier; laquelle avidité lui fait mettre aujourdhuy le
pied sur la gorge du negociant; lequel négociant, dégouté de tant
de pertes et d’entraves, ne veut plus aller chercher du tabac en
Amerique en y portant des marchandises de france; d’où il suit
que vos manufactures, qui commençaient à doubler et tripler de
travaux, vont tomber à l’instant: d’où il suit surtout, que votre
nouvel allié trop sollicité par vos ennemis, et chancelant dans son
amitié pour vous s’il ne voit plus de pavillion français d’arriver
dans ses ports, ne manquera pas de prendre l’abandon de votre
commerce pour pretexte de son accomodement avec l’ennemi
commun. Alors tout est perdu.
On ne commande pas le négociant comme le soldat; on ne
peut que l’encourager. Accueillés donc les prières de vos
armateurs, aujourdhuy que leur concours est nécessaire au succès
de notre systeme politique; et croyez que le fisc regagnera bientôt,
pour le haussement des douanes le leger sacrifice qu’il aura fait
sur l’achat momentané d’une denrée indispensable. ou rendes lui
la liberté d’en commercer librement moyennant une redevance qui
équivale au prix de votre ferme; ou permettes une augmentation
momentanée du prix de cette poussière ammoniacale et corrosive,
un leger impot sur le nez de tous les francais qui permette au
fermier d’en donner un prix sortable à l’armateur. C’est un très
petit mal pour un très grand bien.
Mais sur tous ces objets, Monsieur le comte, le premier point
désirable est d’engager M. Neker à faire promptement un travail
sérieux avec moi ou tel autre aussi instruit; le moment presse, la
saison des armemens se passe, personne ne spécule sur
l’amérique, et les anglais font les derniers efforts pour la détacher
de nous. Gardons nous d’y fournir un prétexte.
Tel est le résumé de tout ce que j’ai eu l’honneur de vous
representer hier au soir, et tel sera dans tous les temps le zèle
infatigable de celui qui vous a voué une reconnaissance éternelle.
Je suis avec le plus profond respect monsieur le comte votre
très humble et très obéissant serviteur./.
59
CORRESPONDANCE
Signé Caron de Beaumarchais
1Voir
lettre 736.
754. Au comte de Vergennes
Paris ce 13 fever 1779
Monsieur Le comte
Vous envoyer a lire la copie de ma lettre de ce jour a Mr Le Cte
de Maurepas; 1 c’est vous instruire du fond de la conférence quil a
bien voulu m’accorder hier au soir.
Je reviens plusieurs fois a mes assertions, parce que tout en
démontre l’importance. Appuyés je vous prie un travail aussi
essentiel.
Avant que j’envoie mes paquets a Rochefort pour le continent;
en avés vous quelques uns pour Mr Gérard?
Francy m’ecrit que ce ministre a entouré un plan de
compensation de notre artillerie avec des redevances pour les
objets fournis a Mr Le Cte d’Estaing.2 Cela est charmant et
toujours autant de pris sur une mauvaise paye. Il est necessaire
que vous vouliés bien conférer avec moi sur cet objet avant que je
ferme mes paquèts; parce qu’en nétoyant le fonds nous ne devons
pas altérer la forme adoptée et plus les esprits s’echaufent en
amerique;
moins nous
devons fournir aux malignes
interprétations.
J’aurai l’honneur de vous montrer ma lettre a Mr Gérard et
celle a mon agent quand vous me permettrés de vous aller
renouveller l’assurance de mon tres respectueux dévoûment.
Le Cte de Vergennes.
60
1Voir
2Voir
CARON DE BEAUMARCHAIS
tomes II, III et IV.
tome IV et ci-dessous lettre 827.
755. A Mme de Godeville
Samedi matin 13. fe.r 1779
Je n’ai pu Madame, lire votre lettre a MR l’abé Pommier. Elle
remplira mon premier moment de loisir. Je ne vous ai jamais dit,
Madame que j’eusse preté de l’argent a quelquun a condition quil
vous fit une pension. Dans le desir d’ouvrir le coeur de Mr votre
oncle de La Touche le plus honeste des hommes, sur votre sort, et
de le persuader, j’ai eté au devant de ce qui pouvait lui etre
agréable. Et si ce moyen m’a fait écouter lorsque j’ai parlé de
vous, cette espece de reconnaissance de Mr votre oncle ne l’en a
que plus honnoré a mes yeux. Sa lettre du XbRe ne me dit pas
autre chose que: si je veux bien vous avancer la pension alimentaire
qui n’est pas encore assise, il m’en repond lui mesme en attendant
quil voye vos autres parens.
J’y ai consenti avec plaisir. Je le ferai. Mais ne comptés
jamais sur cette ressource pour rien payer de ce que vous devés.
Fidele a mon principe, j’entens que cette pension soit le pain
quotidien: oubliés la pour tout le reste; car si vous me
tourmentiés sans cesse la dessus, je rendrais a Mrs vos parens
l’intendance de vos affaires, et vous auriés cette ressource de
moins.
Pestés maintenant et dites mal de moi. Mais regardés mon
petit objet comme nul pour toute autre objet que du pain. Toutes
vos jupes seraient vendues et vous seriés nue comme ma main,
que je ne vous en trouverais que mieux. Sans robe, Mde vous
resterés au lit; il ny a pas de mal a cela, vous avés besoin
d’engraisser un peu parce que vous etes grande et fluétte.
Moi je ne suis que votre boulanger; un autre peut etre votre
tailleur d’habits; tel autre votre payeur d’huissiers. Chacun
CORRESPONDANCE
61
autour de vous doit avoir son emploi. Heureux celui a qui vous
destinerés la jolie fonction de vous faire faire la chose! car je ne
connais pas de femme qui fasse une aussi jolie mine par en haut,
pendant que son ame sechape par en bas.
J’ai lhonneur d’etre avec beaucoup plus d’attachement que
vous ne croyés
Madame
votre petit pourvoyeur amen
756. A Mme de Godeville
2E du samedi 13. fe.r 1779.
A la bonne heure a cause du gain du procès,1 a cause du bal,
a cause d’un tems de désordre ou l’on veut tout jeter par les
fenetres. Mais quand, après avoir dansé, vous viendrés me
demander pour vivre le carême, je vous répondray: Chantés
maintenant. 2
Voila cent cinquante livres faites moi passer votre quittance.
1Voir
lettre 746 n. 37.
à la conclusion de “La Cigale et la fourmi” de La
Fontaine: “Eh bien! dansez maintenant.”
2Allusion
757. De Soluvent prêtre
[13 février 1779]
Monsieur
Le zele que j’ai et que j’aurai toute ma vie pour la nation
française causé pour plusieurs raisons moblige a en prendre le
62
CARON DE BEAUMARCHAIS
parti dans les pays les plus etrangers et éloignés où je me puisse
trouver, et etant toujours faché du mal qu’il peut lui arriver, au
contraire ne passant pas un jour sans que je ne prie le seigneur
qu’il repande sa Ht.e bénédiction sur les armes de la France. c’est
pourquoi je voudrais etre digne de faire eviter tous les dangers
quelle peut etre menacée, surtout par le misérable quelle a
nourrit dans son sein pendant lespace de 5 ans. tel est celui de
qui je vais vous avertir par ce qui suit.
Un nommé Cornelly de la taille d’environ 5 p ds 4 pouces le
visage brun, boiteux, Italien, charlatan, (operateur) agé d’environ
35 ans etant parti de Nante le mois de 7bRe passé pour aller a la
guadeloupe en Amerique a été prit par un armateur anglois, et
conduit a Bristol en Angleterre. Peu de jours aprés il fut mit en
liberté par supplication et promesse quil fit a des messrs de
l’amirauté sur plusieurs choses qu’il pouroit faire & qu’il se
rendroit necessaire a la nation angloise si on vouloit se fier a sa
confiance, comme son metier le fait admettre dans toutes les
villes sans exception, quil pouroit avoir de plus belles occasions
qu’aucun autre pour prendre connoissance de ce qui se peut
passer en france surtout des villes maritimes: de même que des
prisonniers anglois ayant promit a deux messrs dici quils leur
renvoiroient leurs frères qui sont prisonniers vers Dinan. et pour
avoir rester ici aux environs de 4 mois, sans rien faire & pendant
ce tems ayant été examiné sur son savoir faire, on lui donna 40
guinets avec la promesse que si il tient sa parole & qu’il fasse
comme il dit etre capable que le gouvernement lui fera 5 chelins
par jour qu’ils lui seront payé à Paris. apres que j’ai eu par
hazard plusieurs conversations avec cet homme, je me suis
apperçus qu’il etoit capable de faire plus de mal que de bien
suivan son plan, et etant fort instruis des forces &C de france,
c’est pourquoi que j’ai l’hR de vous adresser la presente pour que
vous la communiquiez a MR de Sartine, ou a Mr le LT de Police afin
que l’on se mefie de cet home. de plus sa façon d’agir paroit si
niaize, si simple que personne ne peut le douter d’aucun crime. Il
doit passer sous peu de jours de Douvre a Calais si il n’est pas
encore passé, avec sa femme & un domestique noir.
Jai l’hR detre avec respect
63
CORRESPONDANCE
Monsr
Votre tres humble
obeisst Serviteur
Bristol ce 13E de
Fevrier 1779
Soluvent prêtre
758. Au comte de Vergennes
Paris ce 16 feve.r 1779
Monsieur le comte
J’ai l’honneur de vous envoyer mes derniers Buletins anglais
que j’avais oublié de vous remettre hier. Mr Moreau1 voudra bien
me les renvoyer quand vous en aurés pris lecture.
S’il vous est possible de ne pas retarder vos paquèts pour
l’amérique plus loin que samedi, ils partiront Dimanche sans
faute. tous les vaisseaux sont rassemblés a lIle d’aix.
Vous connaissés Monsieur le comte le tres respectueux
attachement que je vous ai voué il est inaltérable.
Mr Le Cte de Vergennes
1Charles-Hubert
Moreau, secrétaire de Vergennes.
64
CARON DE BEAUMARCHAIS
758 bis. A Necker
Paris 17. fR 1779.
Copie de la lettre a M Neker
en lui envoyant celle de mon
observation adressée aux ministres
du Roi1
Je certifie idem que pR la lettre
a MR de Sartines ce [blanc]
Juin 1788.
://: Caron de Beaumarchais
Monsieur
Jay lhR de vous envoyer le court travail que je viens de faire
parvenir a M de Sartines et dont jay fait remettre copie a MM. les
CtEs de Maurepas et de Vergennes. Je ne vous prie pas de
l’appuyer, il me suffit que vous l approuvez[.]
Votre desinteressement ayant plus de force pR le faire
adopter que votre concours meme, et vous devinés bien pourquoy.
Mais jay demandé, avec cette grace pour les protestans le
transit ou le transeat pour tous les negotians; et voila MR ce quil
serait fort genereux à vous dordonner. Il est certain qu’avec ces
deux armes, dans le voyage que je vais faire, je puis espérer de
vaincre tous les découragemens de nos ports.
Les objections de la ferme à cet egard sont plus
malhonnestes encore que maladroites; et cest ce que j’ai taché
d’etablir dans ma lettre a M. Paulze que je vous ai laissé.
Vous avez du voir aujourdhuy quelques uns de leurs
defenseurs interessés; mais jay assez compté sur votre fermeté
patriotique pour esperer que vous repousseriez par un ordre
exprès d accorder le transit, tous les efforts quon fait pour
aneantir le commerce d’Amérique.
Mais ce tems des armemens s’écoule; la saison se passe; et
si quelque chose peut rendre utile et complete la grace que vous
accorderez au commerce au nom du roy; cest la promptitude avec
laquelle vous voudrez bien decider cette importante question. En
mon particulier jen serai si touché que je joindrai la plus vive
reconnaissance a tout le respect avec lequel jay lhR
ConlLé a Paris le 1e.r juillet 1788
65
CORRESPONDANCE
Recu quinze sols
[signature illisible]
Certifié véritable
iVoir
lettres 736, 760. 761, et 767. Nous avons trouvé dans un
catalogue de vente ces indications: lettre de Necker, mercredi
(février 1779) “Relative à des pourparlers concernant le transit du
tabac.” Il n’est pas possible de déterminer si cette lettre est une
réponse à la lettre que nous donnons ici.
759 A Duval de La Potinière1
Paris ce 18 fevriEr 1779
Copie de ma lettre à Mr Duval
J’apprends sans chagrin, Monsieur, que vous vous livriez
entierement au service du Roi: celui qui marche à la gloire avec
une vocation aussi décidée est à peu près sur de faire une belle
moisson de laurier; ce qui est bien plus honorable que tous ces
vilains comptes d’intérêts; tous ces gains maussades qui ne
paraissent jamais assez considérables pour le tems précieux
qu’on leur sacrifie. Je vous souhaite bien du succès. Lorsque je
vous ai avancé la moitié passée d’un benefice qui ne vous
appartiendra que lorsque les retours entiers de la cargaison du
fier Roderigue seront en france; je comptais vous attacher à moi;
mais n’étant pas assez presomptueux pour rivaliser avec la
gloire; je vais, pendant que vous allez en acquérir, m’occuper
laborieusement à regler vos comptes. Les deux boucauts de tabac
que vous avez apportés sur mon vaisseau entreront dans une
équitable compensation. Mr de Montieu2 qui vous remet cette
lettre est prié par moi de revoir votre compte réglé par Mr
Chevallié lors de mon séjour à Rochefort. il vous revient après les
66
CARON DE BEAUMARCHAIS
retours entiers de la cargaison 6676£-19~-3D de gratification.
Quant à present il ne vous est dû qu’au prorata de ce qui de ce
qui (sic) est arrivé. ce compte a été aussi mis en ordre par Mr
Chevallié. Si je vous ai donné plus d’argent d’avances non dues.
c’était pour vous attacher pour un second voyage à mon service. je
desire que tout soit remis dans l’état rigoureux puisque vous me
quittez. Vos deux boucauts payeront le fret et sur ce qui vous
revient du reste de ce tabac, on fera une balance avec ceque vous
avez reçu en avance de moi sur votre gratification non due, et Mr
de Montieu vous payera cequ’il croira ainsi que vous, être dû pour
votre retour de Nantes à bord d’un navire dont vous étiez second
et que vous quittez. J’invite Mr de Montieu à ne point mettre de
rigueur dans ces comptes, mais de la justice; c’est ce que je vous
dois Monsieur, à vous qui me devenez étranger. mais je serai
toujours malgré cette instabilité de votre caractere; Monsieur,
votre XA
1Duval
de La Potinière, second capitaine du Fier Rodrigue; voir
tome IV, lettre 695.
2Voir tomes III et IV.
760. A M. de Sartine
Paris, ce 19 février 1779.
A M. de Sartines, en lui envoyant l’Observation d’un Citoyen1
adressée aux ministres du Roi.
Monsieur,
En vous faisant mes remerciments du brevet de capitaine que
vous m’avez envoyé pour M. de Francy, j’ai l’honneur de vous
adresser ma petite motion en faveur des négociants protestants.
Vous trouverez les esprits bien disposés. M. le comte de
Vergennes, à qui j’en envoie une copie, m’a promis de vous
67
CORRESPONDANCE
soutenir fortement lorsqu’il en sera question là-haut. Aucun acte
de bonté ne peut vous gagner plus de gens honnêtes, et les
protestants le sont beaucoup.
Il est grand de les protéger.
Puisse mon zèle ardent vous plaire,
Et mon travail encourager
Le bien que vous voulez leur faire!
Mais le temps presse, parce qu’il s’agit de les engager
d’armer; et c’est ce que je me propose de faire dans mon trèsprochain voyage à Bordeaux.
Vous connaissez, monsieur, mon tendre et très-respectueux
dévouement.
Signé
Caron
de
Beaumarchais.
1Voir
lettre 767.
761. Au comte de Maurepas
A M. le comte de Maurepas; en lui envoyant l’Observation d’un
Citoyen1 adressée aux ministres du Roi.
Paris, le 19 fevrier 1779.
Monsieur le comte,
Dans le besoin extrême où le commerce est d’encouragements,
je creuse mon cerveau, et je me rappelle que, dans mon dernier
voyage à Bordeaux, les négociants protestants m’ont parlé avec
une grande amertume de leur odieuse exclusion de la chambre de
commerce. Je ne pouvais revenir de mon étonnement sur ce reste
68
CARON DE BEAUMARCHAIS
d’intolérante barbarie: je vis qu’au prix d’une grâce légère on
pourrait bien les engager à mettre des navires à la mer.
J’en ai parlé à M. de Sartines, à M. de Vergennes; ils sont
absolument de mon avis: car les catholiques, voyant les
protestants s’évertuer, ne voudront pas rester en arrière, et tout
peut marcher à la fois.2
Qui connait mieux que vous l’art de conduire les hommes?
Vous savez bien que c’est avec de tels moyens qu’on les mène au
feu, à la mort. Je n’ai pas besoin de vous dire que M. Necker
approuve ma petite motion. Elle l’a même un peu ramené à moi,
après une conversation assez austère sur la conduite des fermiers
généraux, auxquels il m’a promis de parler.
Qu’il fasse accorder le transit ou transeat à travers le
royaume, que M. de Sartines écrive la courte lettre insérée dans
mon Observation ci-jointe, et que vous me mettiez ces deux armes
à la main dans mon très-prochain voyage à Bordeaux, je vous
promets d’en user assez bien pour inspirer un nouveau zèle à
tous ces commerçants découragés. En allant demain chercher à
Versailles les paquets de MM. de Vergennes et de Sartines pour
l’Amérique, j’aurai l’honneur de vous communiquer une idée aussi
simple que lumineuse pour effectuer sans éclat le grand objet
dont M. le comte de Vergennes et moi vous avons entretenu lundi.
Le zèle de la maison du Seigneur m’enflamme, et vos bontés
pour moi renouvellent mes forces, que le travail épuise.
Je suis, avec le plus profond respect, etc.
Signé
Caron
de
Beaumarchais.
1Voir
la lettre 767.
du Siècle des Lumières, Beaumarchais croyait que la
concurrence entre religions ne pouvait que favoriser le progrès
dans tout pays.
2Fils
69
CORRESPONDANCE
762. De Chevallié
M. Caron de Beaumarchais
1779.
à Paris ./.
Rochefort
le
20.
février
Monsieur
l’arrivée de M. Montieu à produit à mon egard tout l’effet que
vous deviez en attendre la remise qu’il ma fait d’une copie de vos
pouvoirs m’ayant fait connoitre votre disposition à traiter de
notre différente à l’amiable. Il vous mandera que c’etoit tellement
mon intention, que j’avois dépuis 15. jours choisi et nommé M.
Suidre Négociant de la Rochelle1 pour etre mon arbitre. si vous
aviés eté dans le dessein d’être jugé dans cette ville mais sur ce
que lui même à paru y répugner. Je lay laissé le maître de choisir
la ville et c’est Bordeaux qu’il a désigné: ainsi nous voila d’accord
sur ce point; celuy de l’arrêté de mes comptes au premier voÿage
devant fixer plus particuliérement mon attention: d’autant qu’ils
sont tout prêts et faits comme vous l’avés déja veriffié vous
même, sur les piéces autentiques; j’ay dit à M. de Montieu de
vous demander des pouvoirs suffisants pour faire à vôtre place ce
que vous feriés si vous eties ici.
Ces comptes ne dépendent nullement de ceux de la cargaison,
ny de sa vente en Virginie qui forment aujourd’huy l’objet de
nôtre différent et qui est soumis à l’arbitrage donc en question,
Je m’attend que vous n’eviterez pas à envoyer vos pouvoirs au
moÿen desquels tout se terminera bien et à la satisfaction de
tout le monde dans ces premiers moments. c’est même avec
plaisir que je me vois vis à vis de M. de Montieu, car il est à
croire qu’un autre que luy n’auroit pas amené les choses dans si
peu de tems au point où elles sont aujourd’huy.
occupés vous des moÿens à faire décider promptement les
arbitres à Bordeaux & pour cela travaillé au mémoire que vous
deviez leur donner et pour que j’en fasse autant de mon côté
envoÿes moi tout ce que j’ai demandé à M. de Montieu dans la
note qu’il vous fait passer par ce courrier.
J’ay l’honneur d’etre
70
CARON DE BEAUMARCHAIS
Monsieur
trés
Votre trés humble &
obeissant serviteur
Chevallié
1Il
était aussi armateur.
763. A Mme de Godeville
dimanche matin 21. fevrier 1779.
Le detail des besoins, facons et gentillesses de Lisette me
fait grand plaisir. Je sens que je l’aimerai beaucoup. Elle aura
sur tout une pantoufle pour jouer, un sabot fouré pour coucher, un
grillage pour se chauffer. Je ne la donnerai a personne et quand
elle sera grande et bien tendre je demanderai à sa nourice de la
marier avec un de ses freres; quoi qu’en dise le frère Gudin1 sur le
croisement des races.
Je salue la bonne de Lisette dont je crois que je verrai le cher
oncle2 demain. Nous reglerons s’il se peut la pension.
Envoyés moi Lisette tout de suite.
1Gudin
de la Brenellerie connaissait bien Mme de Godeville ayant
passé quelque temps avec elle en 1778 dans son appartement au
Temple; elle s’y trouvait
pour dettes et lui pour des vers
critiquant le parlement Maupeou (voir Tourneux, pp. 226-33).
2Voir lettre 755.
71
CORRESPONDANCE
764. A M. Le Noir1
Copie M Le Noir
1779
Paris
ce
24
fer
J’ai l’honneur, Monsieur, de vous faire passer un avis
important que j’ai reçu d’angleterre.2 Je l’ai communiqué aux
Ministres du Roi, qui, en donnant des ordres à Calais, ont senti
comme moi qu’il etait important de veiller à l’arrivée de l’homme
à Paris; s’il était entré dans le Royaume avant que l’ordre de
Monsieur de Sartines arrivât à la côte.
Je joins ici le double de ce que j’ai remis à Mr de Sartines, et
je saisis cette occasion de vous renouveller les assurances du très
respectueux attachement avec lequel XA
Avis recu d’angleterre. le 22 feve.r 1779
Un nommé Cornelly de la taille d’environ 5 pieds 4 pouces; le
visage brun, boiteux, italien, charlatan opérateur. agé d’environ
trente cinq ans, parti de Nantes au mois de 7bre 1778 pour passer
a la guadeloupe et pris par les anglais, conduit a Bristol, repasse
en france en ce moment par Calais avec sa femme et un négre. Il
est chargé par le gouvernement anglais d’espionner, de faire
sauver des prisonniers qui sont a Dinan et ailleurs. Il est chargé
mesme de faire pis. Il a recu 40 guinées, avec promesse de 5
Shelings par jour payables a Paris, il doit courir les ports, venir a
Paris. Homme, dit on, capable de tout, il faut s’en assurer. Il a,
dit on encore, l’air si niais qu’on ne le croirait capable d’aucun
crime, et peut les commettre tous. Cet avis est de mesme source
que l’avis du 1er. Janvier sur les précautions de surveillance a
prendre dans les ports du Roi; il se pourait que cet homme fut un
des brandons d’incendie dont nous sommes menacés.
1Voir
2Voir
tome III, lettre 441 n. 1.
lettre 757.
72
CARON DE BEAUMARCHAIS
765. D’Oatridge et Marindin
Birmingham le 24me Fev. 1779
Monsieur Caron de Beaumarchais
a Paris
Monsieur
La raison sociale de Harvey Marindin & Freeth n’éxistant
plus depuis Noël passé, le sR Harvey s’etant retiré du commerce,
l’écrivain Marindin (qui a l’honneur de vous assurer de son entier
devouement) s’est associé avec le sR Oatridge de Londres
beaufrére du susdT sR Harvey & continuent les affaires sous la
raison de Oatridge & Marindin dont aurés la bonté de prendre
notte. Repondant à l’honneur de vôtre lettre qui vient de nous
parvenir nous aurons celui de vous dire que Madm.e Baskerville Vv.e
du feu Jean Baskerville Imprimeur1 est en possession des
poinçons matrices &A de l’imprimerie de feu son mary dont elle
demande la somme de Quatre Mille Guinés comptant, l’écrivain
qui connoit bien ladt.e dame a vu le tout en très bon état &
compose l’imprimerie la plus complette qu’il y aye en Europe
consistant en 6100 poinçons & plus, matrices à proportion & les
moules qui en dependT Le sR Baskerville peu de tems avant sa
mort en refusa £6000.-.-L’on en a fait demander le prix
derniérement de Londres quelle fixa à la personne qui vint exprès
à £4500. Si vous êtes dans le dessein d’en faire spéculation il n’y
a pas du tems à perdre.
Nous nous estimerons fort heureux si dans cette occasion
comme dans toute autre nous pouvons vous être utils & mériter
la continuation de vôtre chére bienveillance. ayant l’honneur
d’être avec une parfaite consideration.
Monsieur
Vos très hbl.es & très Obts servS
://: Oatridge & Marindin
Cy inclus un echantillon
de la dt.e imprimerie
CORRESPONDANCE
73
Nous ecrivons à Mr Loup au sujet des Ms.e retirées [à?] la belle
alliance il y a 2 mois qu’il dit à l’ecrivain (qui se trouvoit à
Londres) qu’il n’avoit pas pu venir a bout de régler avec le
courtier [pour?] l’avarie.
Verso: “Birmingham 24 fe.r 1779 Oatrigde [sic] & Marindin Rep le 26
avril.”
1Les ouvrages imprimés par John Baskerville (1705-1775) à l’aide
des caractères typographiques de sa propre fabrication étaient
considérés parmi les chefs-d’oeuvre de l’imprimerie. La Société
Philosophique, Littéraire et Typographique a acheté tout le
matériel à Mme Baskerville le 11 décembre 1779 au prix de £3700.
Cette société, fondée par Beaumarchais, qui s’était donné le titre
de “correspondant général,” se composait de lui seul. D’une façon
ou d’une autre, l’entreprise et l’édition de Kehl des oeuvres de
Voltaire allaient empoisonner la vie de Beaumarchais jusqu’à sa
mort.
Le 25 février Beaumarchais signe un contrat avec Panckoucke
pour acheter tout ce que ce dernier a réuni pour l’édition de
Voltaire qu’il projetait de publier. Il est intéressant de noter que
Beaumarchais pensait déjà à l’achat des caractères de Baskerville
avant même de posséder le matériel nécessaire pour la publication
des oeuvres de Voltaire.
766. De M. Le Noir
Ce 26 fr 1779.
J’ai recu, Monsieur, l’avis joint à votre lettre du 24 de ce
mois, 1 et j’ai aussitot donné des ordres qu’il m’a paru exiger.
Recevés en mes remerciements et les assurances du très parfait
attachement dans lequel j’ai l’honneur d’etre, Monsieur, votre
très humble et très obéissant serviteur.
Lenoir
M. Beaumarchais
1Voir
lettre 764.
74
CARON DE BEAUMARCHAIS
767. Aux ministres du Roi
[26 février 1779]
Observation d’un Citoyen adressée aux ministres du Roi1
(Remise, le 26 février 1779, à chaque ministre du roi.)
L’administration la plus active et la plus éclairée ne pouvant
tout voir, moins encore deviner ce qu’on a souvent intérêt de lui
cacher, ne saura pas mauvais gré au citoyen voyageur qui
aperçoit quelques abus, de les lui mettre sous les yeux, lorsqu’ils
sont aussi faciles à réprimer que pernicieux au bien national.
De tous ces abus celui qui m’a le plus indigné dans mes
voyages, par son injustice et le mal qu’il apporte aux affaires, est
l’usage absurde par lequel un négociant protestant, quelles que
soient sa fortune et sa considération, n’est jamais appelé ni
admis dans bien des chambres de commerce.
Lorsque les Anglais, plus acharnés contre les papistes que
nous ne le sommes contre les anglicans, adoucissent aujourd’hui
le sort des malheureux catholiques dans les trois royaumes, et
nous donnent un si bel exemple sur la tolérance civile; et surtout
lorsque le roi de France a daigné confier l’administration de ses
finances à un homme de génie qui n’est ni Français, ni de la
religion du prince,2 n’est-ce pas le moment de présenter à son
conseil la réclamation que je fais d’office pour tous les négociants
protestants du royaume, du droit de concourir avec les
catholiques au bien qui résulte de l’institution et des assemblées
d’une chambre de Commerce en chaque ville opulente?
La religion ni l’état civil du citoyen n’entrant pour rien dans le
but de ces assemblées, et leurs délibérations ne portant jamais
que sur des objets de haut négoce, ou sur les ordres du ministre à
transmettre au commerce, ou sur les observations respectueuses
des négociants à soumettre au ministre un grand concours de
CORRESPONDANCE
75
forces et de lumières, n’est-il pas la seule chose que
l’administation puisse et doive désirer en tous ceux qui
composent les chambres du commerce?
Or, quand il ne serait pas d’expérience reconnue que dans
nos ports, les maisons protestantes sont les plus riches et les
mieux fondées; de toutes: quand il ne serait pas prouvé que
personne n’y contribue plus gaiement, plus abondamment et de
meilleur grâce, au soulagement des malheureux, à toutes les
charges imposées à cet effet, et quand il ne serait pas certain
qu’en toute occasion ces maisons donnent aux autres sujets du
roi l’exemple du dévouement et du patriotisme, un simple
raisonnement convaincrait que ces utiles familles, éloignées par
la différence du culte de tout ce qui s’offre à l’ambition des
catholiques, et forcées par cette exclusion de chercher la
considération dans une continuité de travaux du même genre,
doivent devenir, en peu de temps, les colonnes du commerce, et
les plus fermes soutiens de cet état honorable.
Dans nos grandes villes, mais notamment à Bordeaux, si l’on
rassemblait les biens de tous les négociants protestants, on
trouverait que la masse et l’étendue de leurs affaires forment un
capital
immense,
et
que
leur
industrie
augmente
considérablement les revenus de l’Etat. Les enfants y succédant
aux pères, et consolidant de plus en plus le crédit, les ressources
et les richesses de ces maisons, ils perfectionnent la branche que
leurs parents ont embrassée; et tels que les Télussons, les
Audibert, les Vanrobais, les Cottin, les Sémandi, les Jauges,3 et
mille autres, ils contribuent beaucoup plus au progrès du
commerce et des arts que les maisons catholiques, lesquelles ont
à peine acquis un peu de fortune, qu’elles songent à tirer leurs
enfants du négoce qui les enrichit, pour les attacher aux emplois,
les élever aux charges, et leur assigner sottement un milieu
presque nul entre la classe honorable des utiles négociants et la
classe honorée des nobles inutiles.
Ce n’est donc pas la bienfaisance connue de Sa Majesté que
j’implore ici pour des hommes honnêtes qui ne m’en ont pas
chargé; c’est la politique éclairée de son conseil que j’invoque,
pour attacher de plus en plus à leur état, au commerce, à la
patrie, les chefs des maisons protestantes, par leur admission
76
CARON DE BEAUMARCHAIS
dans les chambres de commerce: j’offre ici le moyen facile
d’augmenter ou de récompenser leur émulation par la plus juste
et la plus simple des grâces, la seule qu’on puisse accorder peutêtre aux négociants protestants, jusqu’à ce qu’un temps plus
heureux permette enfin de rendre à leurs enfants la légitimité
civile, qu’aucun prince de la terre n’a droit d’ôter à ses sujets.4
J’offre donc un moyen facile d’attacher à l’Etat une foule de
familles dont le gouvernement a de tout temps éprouvé le zèle, et
qui brûlent de concourir de leurs travaux, de leurs lumières et de
leur fortune, au bien général du commerce, dont il est reconnu
qu’elles sont le plus solide appui.
De même qu’on ne s’informe pas, en les sacrant, si nos
prélats sont calculateurs, ne peut-on pas ignorer, en les nommant
aux chambres, si nos armateurs sont orthodoxes, et garder pour
les synodes théologiques ces distinctions de catholiques et de
protestants qui divisent tout dans les affaires? Eh! le premier
moyen de réunir enfin les sujets de l’Etat à la même doctrine est
de les rapprocher dans tous les cas permis, de limer tant qu’on
peut ces petites aspérités qui rendent les hommes si raboteux, et
si injustes les uns envers les autres.
Il n’est pas besoin d’arrêt du conseil pour faire le bien que je
sollicite; une lettre du ministre au nom du roi suffit; laquelle,
sans s’expliquer sur des points de division étrangers au
commerce, dirait simplement que “Sa Majesté désirant
augmenter la concorde et l’union parmi les négociants de ses
villes et ports de mer, et sachant que, dans les gens du même
état, la jalousie qui naît des préférences éternise les haines et
nuit toujours au bien public, elle veut que tous les hommes
reconnus pour honorables dans le haut négoce puissent jouir
désormais de l’admission dans les chambres de commerce, sans
autre distinction que celle qui naît de la considération que chacun
s’acquiert dans la partie qu’il a embrassée.”
Et moi qui l’ai bien étudié, j’ose répondre aux sages ministres
qui me lisent, que cette légère faveur va devenir un puissant
aiguillon dans nos ports, et qu’elle suffit, quant à présent, pour
porter les maisons protestantes à seconder avec joie les vues du
gouvernement, par des équipements pour l’Amérique, ou des
armements de corsaires contre nos ennemis; ce qui est fort à
CORRESPONDANCE
77
considérer, et ce qu’il importait de dire en cet instant marqué de
découragement général.
Signé Caron de Beaumarchais. 5
1Cette
lettre fait partie du Court mémoire rédigé en juillet 1788
par Beaumarchais pour se défendre contre plusieurs attaques dans
l’affaire Kornman. Voici comment Beaumarchais présente cette
lettre:
“En 1779 la guerre venait de s’allumer. Le commerce
découragé n’envoyait plus en Amérique; aucun corsaire
n’armait plus. Nos parages étaient infestés.
Les ministres du roi me demandèrent si je savais quelque
moyen de ranimer cette vigueur éteinte. Je leur offris
l’observation suivante; et j’ai le bonheur aujourd’hui de voir
le roi et la nation d’accord sur le touchant objet que je
traitais avec chaleur en 1779” (Saint-Marc Girardin, p. 462).
Gudin cite cette lettre presque en entier et ses extraits
ressemblent au texte donné ici sauf pour le paragraphe suivant
qu’il ajoute au début:
“Un fanatisme barbare interdit aux négociants protestants
l’entrée de cette chambre [de commerce de Bordeaux],
tandis que, dans d’autres villes plus sages, telles que
Marseille et la Rochelle, on fait si peu d’attention à la
diversité des cultes sur un objet qui n’y a nul rapport, qu’en
ce moment le député même du commerce de la Rochelle est
protestant” (Tourneux, p. 234).
2Necker; voir tome IV, lettre 647 n. 2.
3Ici Gudin a écrit: “les Thélusson, les Audibert, les Van Robais, les
Cottin, les Gradis” et Tourneux ajoute la note suivante:
“Thélusson a été l’un des associés de la maison de banque
de Necker; Audibert, de l’Académie de Marseille,
correspondait avec Voltaire; la famille Van Robais a tenu
pendant plus d’un siècle le premier rang parmi les
fabricants de soieries d’Abbeville; elle y a encore des
représentants, de même que Gradis à Bordeaux; il est
question de ce dernier (Israélite et non protestant), dans
les Mémoires de Bernis et dans ceux de Marmontel; Cottin
était originaire de Tonneins” (Tourneux, p. 236).
Les Thellusson étaient une famille célèbre de banquiers au dixhuitième siècle. La famille Audibert venait de Gex, près de
Genève; Dominique Audibert fut le premier à signaler l’affaire
Calas à Voltaire. Les Van Robais étaient une famille de Courtrai
78
CARON DE BEAUMARCHAIS
comptant des manufacturiers, et des banquiers à Paris. Certains
membres de la famille Cottin étaient banquiers et négociants à
Saint-Quentin et à Paris; Beaumarchais eut affaire avec Josias
Cottin, banquier à Londres au sujet du Kehl-Voltaire. Les
Seimandi étaient une famille de négociants à Marseille. Simon et
Benjamin-Simon Jauge étaient négociants à Bordeaux; Théodore,
banquier à Paris, épousa une des filles Cottin; voir Lüthi.
4Note de Beaumarchais: “Ce temps heureux vient d’arriver, grâce
au coeur généreux du roi.” Cette phrase du texte est citée par
Beaumarchais en septembre 1789 dans sa Requête pour se justifier
contre un libelle diffamatoire: Beaumarchais a été nommé
commissaire au district de Sainte-Marguerite mais les autres élus
refusent de siéger avec lui. Pour se défendre Beaumarchais
montre, en citant cette phrase de son passé parmi d’autres, qu’il
s’est toujours opposé au despotisme; voir Saint-Marc Girardin, p.
514.
5Beaumarchais note: “Les copies déposées au greffe de ces lettres,
de celles écrites à ce sujet à M. le comte de Vergennes, à M.
Necker, et la copie de ce mémoire, sont de la main de deux de mes
anciens commis établis depuis cinq années au continent de
l’Amérique.”
768. De Chevallié
Mr Caron de Beaumarchais a Paris
Rochefort ce 27 fevrier 1779
Monsieur
Par mes letres de samedi & de mardi dernier, j’ai eu
l’honneur de vous faire part de ma position envers M. De
Montieux; lui & moi attendons les différents points sur lesquels
vous pretendez trouver des motifs de blâme sur ma conduite, et
qui forment aujourd’huy le sujet de notre division; je désire & il
convient que vous ayés la bonté de les arrêter pour pouvoir
drésser notre compromis, car vous n’ignoré pas sans doute que
79
CORRESPONDANCE
tous les points sur lesquels nous ne sommes pas d’accord,
doivent être nommément expliqués dans ce compromis & soumis
aux arbitres pour en décider. puisqu’ils n’ont (de droit) que
l’étenduë de juridiction et de décision que le compromis leur
attribuë formellement & non au dela, tout comme il est a propos
de leur présenter tous les points sur lesquels nous serons daccord
pour qu’ils n’ayent point a y prononcer. Je vous prie Monsieur
d’envoyer a Mr de Montieux. ces différents points aussitot ma
létre recuë pour que je puisse avec lui dresser notre compromis, si
vous même ne l’avés pas fait. Je travaillerai tout de suite a mon
mémoire, & si vous en faites autant de votre côté nous serons
promptement & avant long tems réglés & jugés.
Les comptes d’armement & désarmement du fier Roderigue.
au premier voyage sont tous finis & prêts a être arrêtés & signés,
ainsi que tous ceux antérieurs au nouvel armement, avec mon
compte courant et celui d’interêt qui en dépend. MR De Monthieux
n’attend que vos pouvoirs ad’hoc pour le faire & il m’a assuré
vous les avoir demandé samedi dernier; il est essentiel a vos
interêts que vous ne mettiez pas aucun retard a l’envoy de ces
mêmes pouvoirs. aussi j’ose esperer que vous vous rendrés a mes
raisons, & a mes instances a cet egard. ce qu’attendant,
J’ai l’honneur d’être bien parfaitement,
Monsieur
Votre trés humble &
trés obéissant serviteur
Chevallié
769. De Chevallié
M Caron de Beaumarchais
1779
à Paris
Monsieur
Rochefort le 27 février
80
CARON DE BEAUMARCHAIS
Cette lettre particulière est pour vous accompagner copie de
la derniere lettre de Mr Gradis 1 sur l’affaire d’arbitrage avec le S.
Montaut2 et l’objet des deux lettres de change qu’ils ont de moi
sur vous. Je me propose de leur réppondre demain qu’elles seront
paÿées chés M Teissier de la Tour3 si vous persistés dans vôtre
refus à l’echéance de ne pas vouloir les paÿer. ce que je vous prie
de me mander en réponse pour que je puisse, où les emploÿer au
crédit du nouvel armement, où les annuller à raison du parti que
vous prendrés.
J’ay l’honneur d’être
Monsieur
Votre trés humble & trés
obéissant serviteur
Chevallié
Coppie de la lettre ecritte a M. Chevallié par Mr David Gradis et
fils de Bordeaux en datte du 24 fev 1779
vos arbitres perséverant irrevocablement dans leur refus de
se porter pour juges dans votre affaire avec M. Montaud, nous ont
en consequence renvoyé tous vos papiers. Nous allons charger une
personne de confiance qui est sur son départ pour chez vous de
vous les apporter, afin de vous eviter le sort qui pourroit vous en
couter.
M. de Beaumarchais nous a informé, Monsieur, lui meme du
refus quil a fait d’accepter vos traittes et il nous donne pour motif
de ce refus de ne vous avoir point autorisé à nous demander pour
lui l’avance de leur montant. ainsi il vous restera à nous en faire
le payment sauf le recours que vous donnera contre lui l’employ
que vous en avez fait.
Nous avons Xa
1Grand
armateur bordelais.
tome IV, lettre 695, p. 192 et lettre 707; Montaut, le
capitaine du Fier Rodrigue, était aussi furieux que Beaumarchais
après Chevallié; la vente trop précipitée de la cargaison effectuée
par ce dernier (voir lettre 738 n. 1) ayant occasionné une lourde
perte au capitaine comme à l’armateur.
3Voir lettre 746 n. 36 et 841.
2Voir
CORRESPONDANCE
81
770. A M. Necker
Copie de ma lettre a Mr Neker
Samedi 27 fever 1779
Monsieur
J’ai l’honneur de vous informer que le résultat de ma
conversation avec Mr Paulze 1 a été de sa part les deux offres
suivantes.
1O Que la ferme générale consent à m’accorder le Transit à
travers le Royaume; mais pour moi seul et comme une préférence.
Vous savez, Monsieur, ainsi que tous les Ministres du Roi, si la
demande que je fais est individuelle; je rougirais d’employer
autant de force et de solliciter des personnes aussi considérables
pour mon seul intérêt. Puissé-je être toujours dans la peine, et le
commerce de france autant utile au système actuel que nous
savons qu’il l’est, toujours marcher en plein succès! Que dirait-on
de moi si, plaidant pour la cause générale, je me trouvais
satisfait d’en voir tourner les fruits à mon profit particulier?
Mr Paulze ne trouve pas plus d’inconvénient que vous et moi
dans l’accord du Transit pour tous les négocians; mais il dit qu’il
s’en faut bien que ses confreres pensent comme lui. Tous opinent
pour se retrancher dans la rigueur du texte qui interdit en leur
faveur ce transit au commerce. Votre fermeté nous est bien
necessaire, Monsieur, pour emporter ce point capital. En
attendant cet honorable effet de vos bontés pour le commerce, j’ai
refusé le transit de faveur qui m’était personnellement offert;
vous en auriez fait autant.
2O Mr Paulze se charge de faire consentir sa compagnie à
porter le prix du tabac dont il offre 80£, au prix de 90£ qui est le
moindre auquel il soit possible aux négocians de le céder à la
ferme. Il s’en charge, dis-je, si de mon coté je puis obtenir que
82
CARON DE BEAUMARCHAIS
l’administration, venant au secours du commerce, consente à
supporter le sacrifice de 5£, ou de moitié, sur cette pistolle
d’augmentation, et en tienne compte à la ferme: Ici toute ma
chaleur patriotique a moins d’influence que l’importance même de
l’objet bien senti par Mr Le Comte de Maurepas et par vous. Je
me renferme dans un desir silencieux de voir cet encouragement
donné aux armateurs pour l’Amérique, dans un instant où il
paraît à craindre que le commerce maritime ne reçoive avant peu
les nouvelles les plus désolantes sur le sort des vaisseaux partis
en décembre et janvier de nos Iles sur et sous le vent.2 Mais je
pense que la ferme est plus en état qu’il ne faut de faire le
sacrifice entier de la pistolle sans y perdre.
Le Transit, premier objet de mes prieres, dépend de vous
seul, Monsieur; le partage du léger sacrifice entre la ferme et le
Roi, ou le sacrifice entier par la Ferme, est un point à traiter
entre Mr le Comte de Maurepas et vous. Je me propose d’avoir
l’honneur de le voir Lundi; et vous, si vous l’approuvez mardi
matin.
Je suis XA
(signé) Caron de Beaumarchais
Mr Neker./.
lettre 736 et 758bis.
petites Antilles, la partie française de Saint-Domingue et
quelques îlots.
1Voir
2Les
771. Au comte de Vergennes
Paris ce 28 fever 1779
Monsieur le comte
Je me plais a marcher sous vos yeux inaccessible a la sote
vanité de bien faire, je n’en suis pas moins jaloux et fier de votre
83
CORRESPONDANCE
aprobation. J’ai l’honneur de vous envoyer ma derniere lettre a Mr
Neker:1 Vous y verrés qu’on ruse autour de moi. Mais, a travers
les dégouts, les embûches et les obstacles, il faut pourtant
marcher sans relache, si l’on veut arriver a un but raisonable.
Le mien est de concourir a la conservation, au maintien d’une
alliance tres utile pour l’avenir; Mais qui exige en ce moment des
éfforts et des sacrifices. Ceux qui peuvent encourager le commerce
sont si peu de chose auprès de ceux que la guerre nécessite, qu’on
ne peut s’empécher de gémir de les voir eluder de tant de
manieres!
Mon respectueux dévoument est inaltérable.
Le Cte de Vergennes.
1Voir
la lettre précédente.
772. A M. Necker
Mémorial instructif pour M. le Contrôleur général1
[fin février 1779]
Lorsqu’une compagnie d’armateurs français eut le courage de
porter à tous risques, aux Américains, les premiers secours qu’ils
aient reçus d’Europe, elle ne demanda au gouvernement aucune
autre faveur que celle de traiter ses vaisseaux, pour les frais
maritimes, comme transports du roi—facilité nécessaire alors et
qui leur fut accordée.
En conséquence, M. le comte de Vergennes ordonna plusieurs
fois, en présence d’un des chefs de cette compagnie, aux fermiers
généraux, de regarder toutes les opérations de cette compagnie,
d’un commerce alors forcément mystérieux, comme hors de leur
inspection et absolument étranger au bénéfice de leur bail.
84
CARON DE BEAUMARCHAIS
La Ferme générale eut l’air de concourir patriotiquement au
zèle qui animait ces armateurs. Elle laissa tout passer en
silence. Les armateurs eurent soin de se munir d’expéditions
pour nos îles, seule forme qui pût être alors ouvertement
accueillie. Mais en quelque lieu du monde qu’ils portassent les
marchandises et munitions de guerre qui formaient les
cargaisons, ils ne devaient pas s’attendre que la Ferme générale
exigerait, à leur retour, la preuve de leur déchargement à nos îles,
sous peine de payer le quadruple droit.
En effet les fermiers, en vertu des ordres reçus du ministre,
ont gardé pendant quatre ans le silence. Mais depuis peu de
temps, ils ont imaginé qu’ils réussiraient à forcer cette compagnie
d’armateurs à leur payer un droit énorme de sortie, ou que, se
faisant un titre de leur refus, ils obtiendraient de Sa Majesté des
indemnités sur un objet absolument étranger à l’intérêt de leur
bail.
En conséquence, la Ferme générale a fait actionner les
correspondants de la compagnie, dans tous les ports de France, à
ce qu’ils eussent à remettre à la Ferme la preuve de leur
débarquement à nos îles ou à lui payer les droits quadruples tels
qu’on les supporte en fraude manifeste. Cela était d’une iniquité
révoltante et l’un des chefs de la compagnie prit le parti
d’observer au comité de la Ferme qu’elle exigeait l’impossible
pour faire une vexation, puisqu’elle avait su très bien, dans le
temps, qu’aucune de ces cargaisons n’était destinée pour nos îles.
L’ardente Ferme générale se retournant alors a demandé
qu’on lui payât au moins les droits sur ces cargaisons, comme
exportation étrangère. On s’est permis de lui représenter que la
compagnie n’ayant pu employer, dans aucune de ses factures, de
frais maritimes qu’elle n’avait point payés, elle ne pourrait
aujourd’hui les réclamer contre personne. C’est sur cette réponse
que les fermiers généraux poursuivent tortionnairement les
correspondants maritimes de la compagnie. Le sieur, Belon, de
Marseille, qui a fait partir de ce port, entre autres navires, le
Flamand et le Hardi et le Comte de Sabran,2 l’un pour Boston, les
deux autres pour Charleston avec des expéditions pour nos îles,
vient d’être obligé de s’enfuir au moment d’être mis en prison par
85
CORRESPONDANCE
l’ordre des fermiers généraux. Tous les autres correspondants de
la compagnie en sont également menacés.
Monsieur le Contrôleur général est instamment prié de
vouloir bien ordonner aux infatigables fermiers généraux de
cesser d’élever, pour des droits qui ne leur sont point dus, une
question étrangère aux fruits de leur bail et que la politque et
l’équité leur défend également d’agiter, et de donner les ordres les
plus prompts, à leurs commis, dans nos ports, de cesser les
vexations qu’ils y font essuyer aux correspondants d’une
compagnie de commerce qui a eu le courage d’entamer celui du
continent (dont ils) retirent les premiers fruits et, notamment
d’ordonner au sieur Campion, leur directeur des Fermes à
Marseille, de rendre la liberté de vaquer à ses affaires au sieur
Belon, l’un des correspondants de la compagnie en cette ville,
qu’il fait chercher pour le mettre en prison, uniquement pour
l’objet de ces droits abusifs.
1Etant
protestant et étranger, Jacques Necker n’a jamais eu ce
titre. De 1777 à 1781 il était directeur général des finances; voir
tome IV, lettre 647 n. 2.
2Ils appartenaient tous trois à Beaumarchais; voir tome IV.
773. Au Président du Congrès de Philadelphie1
Paris, le 1er mars 1779
Monsieur le Président,
Après vous avoir marqué respectueusement ma surprise de
n’avoir encore reçu, depuis trois ans que j’ai sacrifié ma fortune et
celle de mes amis pour le service du Congrès, aucune espèce de
réponse à toutes mes lettres qui me fît connaître au moins si ma
conduite était agréable à la nouvelle République, j’aurai
l’honneur de vous représenter que le contrat, que la nécessité a
forcé mon agent, M. de Francy, de signer en mon nom, dans un
86
CARON DE BEAUMARCHAIS
temps où l’on portait en Amérique l’injustice à mon égard jusqu’à
douter même si l’on me reconnaîtrait pour créancier des
marchandises que j’avais envoyées au Congrès général, que ce
contrat, dis-je, est rempli de clauses qui exigent des modifications
en ma faveur sans lesquelles il me serait impossible de le
ratifier.
Nulle maison de commerce, Monsieur, ne peut s’engager à des
fournitures aussi considérables si le temps des remboursements
n’est pas exactement fixé, surtout si l’on n’y est pas fidèle.
Une commission de deux et demi % ne peut être offerte en
retour des peines innombrables que je me suis données pour
parvenir à faire au Congrès général mes premiers envois, dans un
temps où la politique me forçait, par des obstacles infinis, de
recommencer souvent quatre fois la même opération et de couvrir
de louis d’or toutes les brèches que cette politique faisait sans
cesse à mon plan.
Quand j’ai eu l’honneur, Monsieur, d’offrir au Congrès général
le choix de me payer sur prix de factures avec les retards d’argent
à six %, tous les frais et faux-frais et une commission raisonnable
dont je laissais la fixation à sa justice, je ne m’attendais pas
qu’il me serait offert à deux et demi % à moi qui, pour ces mêmes
envois, ai payé en France cinq % de commission sur les premiers
achats et envois dans nos ports, qui ai payé deux % dans ces
mêmes ports à mes correspondants pour leurs soins, cinq % sur
l’allée des marchandises d’Europe, autant sur la venue des
retours d’Amérique à mes correspondants de Saint-Domingue et
autres îles pour tout ce qui passerait par cette voie; à moi qui ai
assigné trois % à mon agent à l’Amérique pour les peines et soins
qu’il prendrait à me faire parvenir mes rentrées; à moi qui n’ai
pu faire mes différents embarquements qu’en cachette et souvent
la nuit à grand frais, qui les ai recommencés jusqu’à quatre fois,
comme je l’ai dit, sur certains navires que l’autorité politique
faisait décharger ouvertement; à moi qui ai donné des
gratifications très fortes aux capitaines pour les engager à
exécuter honorablement leur commission épineuse; enfin à moi
qui ai répandu l’or comme de l’eau pour parvenir à vous faire ces
envois dans des temps aussi difficiles.
CORRESPONDANCE
87
Permettez-moi, Monsieur, de refuser cette commission; elle
est injuste pour moi et me ferait rougir pour la main qui me
l’offrirait. Si le Congrès n’entend pas me traiter honorablement à
cet égard, je ne veux rien du tout; alors on me payera tous mes
envois suivant la valeur courante de ces marchandises au
continent au jour de leur arrivée; on laissera pour mon compte
toutes celles que la mer a submergées ou que les Anglais ont
prises, et l’on y ajoutera les assurances sur le pied où elles
étaient lors du départ de ces marchandises en Europe.
Je ne crois pas, Monsieur, qu’on puisse exiger, pour me faire
cette justice, que je rapporte les polices d’assurance. La loi du
commerce en Europe soumet au payement de ces assurances les
marchandises envoyées, soit que les armateurs les aient fait
assurer, soit que se rendant eux-mêmes assureurs, ils aient
couru les risques de la prise et de la mer. Alors ce sont les
factures des cargaisons reçues qui fixent la valeur sur laquelle on
assied l’assurance et le prix courant des chambres d’assurance
est celui qui doit se payer.
Ce n’est qu’après avoir bien consulté cette question dans
toutes nos villes maritimes que je prends la liberté de l’établir en
fait, par cette lettre.
Lorsque je vis qu’aucun vaisseau d’Amérique ne croisait mes
envois, ainsi que M. Deane me l’avait promis, ainsi que je l’avais
exigé de M. Arthur Lee dont vous avez vu, Monsieur, la
correspondance chiffrée avec moi dans les mains de M. Deane, à
qui je l’ai remise à son départ de France, lorsque je vis qu’il ne
m’arrivait aucuns retours du Congrès au temps où je les
attendais, c’est-à-dire dans les mois de janvier et février 1777, je
consultai mes amis et associés qui, tous, furent d’avis d’assurer.
Plusieurs étant assureurs dans différents ports proposèrent de se
charger de l’assurance; enfin, par un dernier avis, la compagnie
que je représente se rendit assureur elle-même. Et nous
convînmes que les frais et pertes à cet égard seraient portés au
compte général des fournitures et supportés en commun entre
nous.
D’où il résulte, Monsieur, que si le Congrès général ne
m’alloue pas une commission qui me dédommage d’un retard
aussi long de mes fonds avancés (six % n’étant une proportion
88
CARON DE BEAUMARCHAIS
juste à cet égard que pour les affaires courantes et qui se soldent
dans l’année), s’il ne m’alloue pas cette commission assez
avantageuse pour me tenir lieu d’un autre emploi de ces mêmes
fonds en affaire de commerce et de tous les risques courus, je
vous supplie, Monsieur, d’agréer la préférence que je donne au
parti d’être payé de tout ce que le Congrès a reçu par ses divers
agents à Boston, à Charleston, etc, au prix courant de ces
livraisons au temps où elles ont été faites en Amérique, avec les
assurances sur le pied où elles étaient en Europe et dont je joins
l’état à cette lettre.
Les retards de payements, Monsieur, et tous les doutes
injurieux du Congrès sur la légitimité de mes créances n’ont point
refroidi mon zèle ardent pour les intérêts de la République;
toutes ces irrésolutions, je le sais, étaient inspirées par quelques
intrigants qui tentaient de s’établir auprès de vous à mes
dépens, la réputation et l’honneur d’avoir obtenu en pur don de la
cour de France toutes les cargaisons que je vous envoyais à si
grands frais. Mais je suis épuisé, Monsieur, je ne crains pas de
vous dire que, quel que soit le parti auquel vous vous arrêterez
pour mes remboursements, vous ne réparerez jamais le tort que
leur retard m’a fait. Nulle commission ne saurait compenser les
opérations ruineuses qu’il m’a fallu accumuler pour me soutenir
et ne pas manquer vingt fois à mes payements.
L’effort que je fis d’envoyer l’an passé le fier Roderigue avec
une superbe cargaison était le dernier auquel je pus atteindre.
J’avais ordonné au sieur Chevallié, mon supercargue, de ne rien
faire que de concert avec M. de Francy auquel j’écrivais de vous
offrir la préférence de cette cargaison, mais au prix courant des
marchandises au Continent et avec des retours au comptant,
parce que mes facultés ne me permettaient pas de manquer plus
longtemps des retours d’Amérique. Le malheureux supercargue,
au mépris de mes ordres et sans consulter M. de Francy, a vendu
toute ma cargaison en Virginie. A son retour je l’ai chassé de mes
affaires.
Ainsi tout a concouru à augmenter les embarras où mon zèle
pour l’Amérique m’a plongé. Mais je suis toujours le même
homme. Vous jugerez, Monsieur, à la lecture de ma dernière
lettre écrite à votre députation établie à Passy,2 laquelle je joins
CORRESPONDANCE
89
ici, que ce n’est pas faute de bien sentir toutes les injures qui
m’ont été faites que je les écarte de ma mémoire pour continuer à
vous faire mes offres de service. Jamais un citoyen généreux qui
s’est dévoué à la cause de la liberté qu’il aime et que vous
soutenez dignement, n’a été payé de tant de mépris et
d’ingratitude. Je suis loin de le reprocher au Congrès parce que je
sais qu’on l’a trompé sans cesse; mais je n’en ai pas moins
souffert dans ma personne que dans mes biens.
M. de Francy, Monsieur, est chargé de vous présenter mes
observations sur le contrat que la nécessité l’a forcé de signer et
d’après les détails que vous venez de lire vous ne serez pas
surpris que je ne l’aie ratifié que pour les parties qui assurent au
moins ma créance sur le Congrès. Toutes les modifications et
changements que j’y désire et sans lesquels il me serait
impossible de m’y soumettre sont ceux que l’équité demande de
vous et que l’honneur exige de moi.
Si le Congrès, mieux instruit ou plus attentif aux choses que
j’ai eu l’honneur de lui écrire, n’eût pas laissé mes envois sans
retours et vingt lettres sans réponses et s’il eût daigné juger
l’homme honnête qui servait la république aussi chaudement en
Europe, sur le bien qu’il faisait à l’Amérique et non sur les
sottises qu’on y débitait de lui, mes premiers efforts doivent vous
faire juger, Monsieur, que profitant de l’enthousiasme auquel
j’avais beaucoup contribué dans mon pays, j’aurais pu faire
passer toutes les richesses de l’Europe en Amérique. La nation
française noble et généreuse était prête à regarder les Américains
comme ses frères. Et la réception que l’on a faite à Paris à tous
ceux que vos affaires y ont attiré vous prouve que je ne vais pas
trop loin dans mes supputations. Mais la conduite étrange du
Congrès à mon égard a commencé par tout refroidir et a fini par
me valoir le souris moqueur des indifférents et les reproches
amers de mes amis et associés. Vous jugerez aussi de l’opinion
qu’on en a prise en Angleterre par le papier anglais que j’ai
l’honneur de joindre à cette lettre et qui est le millième du même
genre. Enfin, Monsieur, en continuant d’assurer le Congrès
général de mon attachement respectueux, je me contente de lui
demander une justice rigoureuse puisque ma conduite n’a pu lui
inspirer le plus léger sentiment de bienveillance pour celui qui
90
CARON DE BEAUMARCHAIS
s’était dévoué au service de la république et qui s’honore d’être
avec un très profond respect de vous et du noble Congrès,
Monsieur le Président, le très humble et très obéissant serviteur,
Caron de Beaumarchais, connu
en Amérique sous la raison de
Roderigue Hortalez et Compagnie.
1John
2Voir
Jay; voir lettre 735.
lettre 752.
774. A M. Necker
Paris, le 2 mars 1779
Monsieur,
Vous ne doutez pas du désir que j’ai d’obtenir une courte
audience de vous, après ce que j’ai eu l’honneur de vous mander
samedi.1 De nouvelles notions que j’ai reçues de Nantes rendent
ma prière encore plus pressante.
Et surtout mes nouvelles de l’Amérique exigent que l’objet
capital de son commerce soit extrêmement favorisé; sans quoi . . .
car c’est moins la poudre et les canons qui nous le livreront
entièrement que les efforts du commerce et les marchandises de
France envoyées dans leurs ports. Donc, donc, etc, etc.
Accordez-moi encore un moment d’entretien et faites-moi la
grâce de me croire un ami du bien public avec tout le respect
possible.
1Voir
lettre 770.
CORRESPONDANCE
91
775. Au comte de Vergennes
Paris ce 4 mars 1779 Jeudi
Monsieur Le Comte
Je ne pus hier trouver un moment pour vous présenter mes
respects. Je venais la teste et la poche pleine, engager Mr Le Cte
de Maurepas de faire marcher la ferme, par l’entremise de Mr
Neker. Je lui apportais la preuve écrite d’une nouvelle ruse, qui
est la menace de faire payer 40. m. L. de droits, pour du tabac
déposé chez eux, par une maison de Nantes, si le propriétaire ne
le laisse pas a 80‹ Il m’a ecouté avec bonté, et cette matiére en
ayant amené une autre nous avons repris la conversation ou nous
l’avions laissée, le jour que vous eutes la bonté d’y venir avec moi.
Elle fut assés importante pour que je n’aye pas besoin de vous en
raπeller le sujet.
Après un assés long plaidoyer, dont je vous rendrai la teneur,
j’ai enfin obtenu le point important et très important de l’examen
secret des preuves, dont quelques unes vous ont déja passé sous
les yeux. Bref, sous la condition réciproque du silence, pour tout
autre que vous; convenu que la marche d’un examen impartial et
prompt reste pour adoptée, convenu que vous etes le
commissaire, moi le Raporteur, et que, pour comencer, je vous
remettrai sous les yeux cette semaine la partie déja prouvée, avec
les pièces probantes; que votre conviction opérera la sienne, dans
un court travail avec vous, que ce premier point bien reconnu, il
donnera les ordres secrèts que je lui ai indiqués, pour parvenir
promptement a la preuve de quelques autres. Car mon grand
argument est, qu’en affaire aussi grave, la découverte mesme
d’une erreur dans les données, est un pas important vers la vérité.
En supposant mesme qu’un homme studieux eut été trompé
dans quelques instructions si difficiles a obtenir sur ces matières,
ses travaux peuvent etre si beaux, si pleins, si méthodiques, qu’il
92
CARON DE BEAUMARCHAIS
soit, mesme en se trompant, jugé digne et capable de tout
réparer.
La conaissance profonde des lois et des revenus d’un royaume
sont deux points très rarement réunis dans le mesme sujet.
Faites moi donc la grace de me mander, (sans autre
explication, pour plus de sureté), quel jour le plus prochain vous
pourés m’accorder moins d’une heure d’entretien. Il n’en faut pas
davantage sur des objets deja débatus. Mais le tems presse; car
j’ai promis qu’on serait au fait de tout le reste, sous trois mois,
et, jusque la, on m’a promis de tout laisser in statu quo. Il m’a
paru que les différentes fautes qui le chagrinent sur les autres,
augmentaient sa confiance en vous qui n’en faites point. O Vous!
l’ami éclairé du bien public, ne lui manqués pas en cette grave
occasion! Je vous epargnerai tout le dégout des longs travaux en
les faisant a Paris, et vous n’aurés que de bons résultats a
vérifier et les piéces justificatives a inspecter.
Forcé de m’en aller a Rochefort faire des matelots, 1 que je n’ai
point, je vais, a grands coups de louis d’or, tacher de rassembler
de quoi faire partir dix vaisseaux chargés depuis trois mois, qui
me ruinent par leur retard,2 et qui auraient empéché les
commandans de nos Iles de chasser les navires marchands sans
convois, comme bouches inutiles, si les farines que j’ai
embarquées des le mois d’8bRe etaient parties dans le tems et
arrivées en janvier, comme elles le pouvaient aisément.
En vous ecrivant ceci, de gros soupirs sortent de ma poitrine,
etc.
Je ne sais si je commèts une indiscretion en vous demandant
votre franche recomandation auprès du grand Maitre de Malte3
pour le fils d’un de mes bons amis qui a besoin d’une petite
dispense de preuves maternelles. Car tout le reste de la famille est
bon.
Je joins ici son Mémoire double, afin qu’il parvienne a Malte
par Duplicata ainsi que votre lettre, si vous nous l’accordés. Ce
que je puis ajouter en faveur de l’enfant; c’est que jamais
personne ne fut plus digne d’une faveur que ses bons et honêstes
parens, pour que je tache de vous intéresser.
93
CORRESPONDANCE
Vous connaissés
inaltérable.
mon
respectueux
attachement,
il
est
Le Cte de Vergennes.
1Chevallié
avait informé Beaumarchais (tome IV, lettre 718) que
les trois nouveaux vaisseaux en chantier: le Pluton, le Scipion, et
l’Hercule avaient la priorité en approvisionnement, en ouvriers et
en équipages.
2Le convoi partira le 24 mars, mais il y aura encore des délais à
Brest et à La Rochelle; enfin, on met les voiles de l’Ile d’Aix pour
la Martinique entre le 10 et le 12 mai [Beaumarchais dit le 12
(lettre 806), Montaut dit le 10 (lettre 826), Lafon (pp. 131 et 133)
en lisant Gudin (Tourneux, p. 251) dit le onze].
3Emmanuel de Rohan-Polduc a été le Grand Maître de Malte de
1775 jusqu’à 1797.
775bis. A Francy
Mr de Francy
Paris, ce 5 mars 1779 1
A Théveneau de Francy, à Philadelphie, envoyée par le fier
Roderigue et par la frégate française partie de Brest pour Boston,
par duplicata. 2
J’ai remis au dernier moment, mon cher Francy, à vous écrire
afin que toutes mes idées fussent plus rassemblées et mieux
consolidées.
J’ai reçu votre paquet envoyé sur le fier Roderigue arrivé à
l’Ile d’Aix, le ler 8bre 1778. en bon état.
Ce n’est pas sans indignation que j’y ai vu le détail de la
conduite de M. Chevallié, lequel après m’avoir écrit pendant la
route de retour, des miracles de vous; n’a pas manqué, avec son
inconséquence ordinaire, de jetter feu et flame contre votre
iniquité, sitôt que je lui ai lû devant l’Etat Major du vaisseau, les
graves reproches que vous lui faites, et dont tout l’Etat Major est
94
CARON DE BEAUMARCHAIS
convenu, comme vous les ayant entendu faire à ce supercargue
infidèle à votre arrivée au vaisseau. Sa contestation avec M. de
Montaut3 pour l’affaire Zantzinger4 est devant quatre négotians
de Bordeaux. Je fais ce que je puis pour y porter aussi mes
difficultés avec lui, sur la contravention formelle qu’il s’est
permise a mon ordre exprès, de ne rien faire sans vous en Amérique;
de laquelle contravention est résulté tant de pertes pour moi. Il
craint cette décision arbitrale il aimerait bien mieux un procès,
dont il espèrerait tirer plus de fruit, en me lassant par les
longueurs et les détours de la chicane, dans laquelle j’ai depuis
appris qu’il était fort habile. Mais ses propres lettres et mes
ordres l’ameneront toujours à la condamnation qu’il mérite.
J’ai lû en riant le chaud plaidoyer que M. Giroud,5 dans son
ressentiment a fait sur cette affaire; il est le complément des
instructions que j’ai recues de vous. J’ai fait ajouter à ces deux
pièces par le Capitaine et l’Etat Major, leur déclaration qu’aucun
danger n’avait forcé le supercargue de hâter la vente de sa
magnifique cargaison, puisqu’on l’a toujours assuré que le navire
était plus en sureté au port ou il etait abordé que partout
ailleurs.
Il se fonde comme je vous l’ai dit dans ma précédente lettre,
pour éluder une condamnation sur ce que vous ne vendrez, dit-il,
pas mieux que lui les réserves que vous en avez recues en
partant. Il voudrait bien que je fisse de nouvelles pertes, pour
excuser celles qu’il m’a causées. Tel est cet homme.
J’ai reçu hier au soir votre lettre du 19.6 XbRe 1778 7 et j’y vois
que vous avez envoyé M Giroud en Virginie pour réparer s’il se
peut la negligence du contract Chevallie sur la quantité des
tabacs, mais vous ne me dittes pas s’il a eu du succès.
Peut-être me l’aviez vous mandé dans les lettres que M.
Mullens était chargé de me remettre: mais il a été pris par un
corsaire anglais, a tout jetté à la mer, et est revenu en France sur
un vaisseau neutre, grace à la très rare honesteté du capitaine
capteur.8 Ainsi, me voilà sans détails.
Ceux de votre dernière du 19. 9 XbRe me confirment dans le
projet de répondre aux outrages de la députation (toujours armée
par M. Arthur Lée) par un procèdé ferme, mais franc honeste et
libre. Ils ont fait assigner M. Pelletier, mon correspondant de
CORRESPONDANCE
95
Nantes à leur remettre la cargaison de la Thereze que j’ai fait
retenir à son arrivée. Outré de cette hostilité je leur ai écrit la
lettre dont je vous envoie copie, et que je vous prie de
communiquer au Congrès général en remettant au nouveau
Président10 celle que j’ai l’honneur d’adresser au Congrès. Il est
bien étrange que l’Amérique s’obstine à tenir à la Cour de France
un député qui nous est aussi suspect, et suspect est un mot très
faible pour exprimer ce que l’on pense et sait de lui dans ce pays.
Depuis ma lettre écrite il a quitté la députation.11
Je joins à cette lettre une copie du contract, que l’injustice, la
force ou la nécessité vous ont apparemment obligé de signer.
Mais aujourdhuy que le Congrès est mieux instruit, je crois devoir
lui présenter en marge du contract mes répugnances et mes
observations sur cet acte,12 que je ne puis ratifier qu’avec les
modifications qui me remettent à ma vraie place dont l’intrigue et
la mauvaise foi m’ont voulu chasser. Si je ne les obtiens pas de
l’equité de la République, je secoue la poussière de mes pieds, et
ne veut [sic] plus avoir d’autres communications avec ses
représentans, que celle indispensable pour en arracher ce qui
m’est dû.
Jusqu’à ce que ce contract soit ratifié,13 je ne puis m’engager
dans de nouvelles avances, et vous avez très bien fait d’assurer le
Congrès que je ne le ferais pas. Mes amis et moi sommes outrés
de nous voir traités comme les plus suspects fournisseurs,
surtout mes amis qui m’ayant permis de me livrer là dessus à la
générosité de mon caractere, se voyent payés ainsi que moi, par
la plus injuste méfiance, par les plus insultantes précautions, et
enfin par un traitement si mesquin, si économique qu’il ny a pas
un seul des préposés de la République à qui l’on ne rougit d’en
proposer un pareil.
La flotte14 que je vous adresse, mon ami, est le fruit d’une
combinaison sage et bien réflèchie entre M. de Montieux et moi.
L’état de langueur et de non recette où m’a réduit le Congrès ne
m’a pas permis de faire cette entreprise seul. Mais loin de
regretter de m’être plus particulièrement lié d’affaires avec M. de
Montieu, le connaissant bien aujourdhuy et l’aimant de tout mon
coeur, je m’en félicite, comme du seul moyen capable de faire aller
et venir en ces temps orageux une flote avec un peu de sécurité.
96
CARON DE BEAUMARCHAIS
Nous n’adressons rien au Congrès, parce qu’il s’agit de me
tirer de presse et que des acquîttemens promis sans 15 termes
fixes ne laissent que de l’incertitude et du danger de faillir aux
engagemens que de tels armemens exigent.
Le Congrès pourra juger par l’état de notre flotte si aucun
négotiant de l’Europe est plus en état que nous de faire avec luy
de grandes affaires sa réponse et le traitement qu’il me fera
décidera du oui ou du non pour l’avenir.
De quelque côté que je me tourne, je n’ai essuyé que de
l’ingratitude et des horreurs de l’Amérique. Je vous envoye toutes
les pièces qui se rapportent à l’envoy que j’ay fait au Président
du Congrès de la Caroline16 par le Hardy. Je vous prie et vous
recommande comme une chose qui me blesse au fond du coeur de
poursuivre le S. Galvan sous toutes les formes après avoir lû ce
que je vous envoye à ce sujet. Il a remis pour tout fruit de mes
avances 30. m. L. à M. Varage17 qui les a mangés au dela dans
son séjour de la Martinique, en frais de relâche et désarmemens,
sans compter ce que j’ai eté obligé de compter à ce même M.
Varage pour ses honoraires. Je ne sais si c’est M. de Rutlége qui
m’a fait injure ou ce Galvan mais sur la lettre de M. Lestargette
du [un blanc] dont je vous envoye copie il paraît que Galvan s’est
joué de tous les principes d’honneur et qu’il est punissable
comme frippon dans tous les tribunaux du monde.
J’avais reçu une lettre de luy par laquelle il me mandait de
m’adresser à son frère M. Galvan de [un blanc]18 à Domcieux en
Virginie. Je vous envoie copie de cette lettre sous le No [un blanc]
et de celle que j’écrivais à ce frere par mon navire le Ferragus qui
a eté pris par les Anglais et conduit en Ecosse. Quand j’ecrivis
cette lettre à M. Galvan de [un blanc] j’ignorais encore les détails
que j’ai appris depuis.
Mon ami, votre conduite honête vous assure à jamais une
place dans mon coeur. Les témoignages que chacun me rend à
son retour d’Amérique de votre personne, et de vos opérations
confirment l’idée que je me suis formée de vous. Ne variez jamais
dans ce principe et soyez sur de moi. Laissez agir les hommes et
la fortune au gré du hazard ou de l’intéret. Je n’existe avec la
franche gaieté que vous me connaissez, que parce que je me suis
toujours tenu aussi indépendant des évènemens étrangers, que
CORRESPONDANCE
97
fidèle au principe de m’asservir sans cesse au jugement rigoureux
de mon maitre intérieur. En as tu moins été vexé, tourmenté,
appauvri; me direz vous? Non, mais comme le bonheur n’est pas
dans la poche et qu’il est dans la tête; le seul moyen mon cher
Francy de la tenir toujours seraine est, qu’elle ne soit jamais en
tracasserie avec le coeur et l’honnêteté. Je viens d’obtenir pour
vous, après bien des sollicitations, une commission de capitaine
d’infanterie.19 Je vous l’envoye. Le plaisir que cette nouvelle vous
donnera me cause à moi même une joye pure qui s’est répandue
sur cet article de ma lettre. Bonjour mon officier. Revenons aux
affaires.
Je vous envoye cy joint une nouvelle expédition des factures
dont vous avez reçu la première; les faux frais n’i sont point
ajoutés parce que cela doit faire un article absolument séparé.
Quant aux assurances que je demande dans le cas ou l’on ne
me passerait pas une commission convenable sur la totalité de
mes avances. Et où l’on reviendrait à se contenter de me payer
les objets qu’on a reçus uniquement. Je ne dois pas être tenu de
présenter des polices, puisque selon toutes les loix du commerce
d’Europe soit que j’assure aux chambres établies à cet effet, soit
que ma compagnie se rende assureur elle même il est bien décidé
que l’assurance est due quand le risque a eté couru.
Sans avoir donc égard au contract que la nécessité vous a
forcé de faire avec le Congrès général et ne le rectifiant20 que dans
la partie qui assure la légitimité de mes créances, et l’obligation
contractée de me payer: sans vouloir traiter en Europe un point
qui peut se discuter en présence du Congrès, puisque vous Mr.s
Deane et Carmikael, êtes à Philadelphie [un blanc] je demande
ou le payement des marchandises envoyées et reçues en
Amérique par les agents du Congrès dans les ports au prix
courant des tems où elles sont arrivées avec l’assurance, telle
qu’on la payait en Europe à ces mêmes époques. Alors je
suppporte les pertes que j’ai faites sur tout ce qui a eté submergé
ou pris par l’ennemi ou le remboursement net à prix de fabrique
des marchandises parties d’Europe avec tous les frais, faux fraix
de voyages, de commissions partielles, dans les ports de France à
la Martinique, à St Domingue, au continent d’Amérique. L’intéret
ou retard de l’argent à 6 pr %21 tant sur les marchandises
98
CARON DE BEAUMARCHAIS
fournies, que sur les batimens pris ou perdus et une commission
1
non telle qu’on me l’offre de 2 2 pr % qui n’a nulle espèce de
proportion avec tous les travaux et les opérations dispendieuses et
pénibles que j’ai faites pour mettre en mer tout ce que j’ai envoyé au
Congrès (laquelle commission est presque dérisoire lorsque sur les
objets mêmes que le Congrès a reçu de moi il a payé22 à ses
agents d’Amérique 5. pr % et de même sur les retours à ses
agents dans les ports de France). Mais une commission
équivalente à la nature du service que j’ai rendu des travaux
innombrables que j’ai fait pour y parvenir et qui sont égallement
connus de vous, de M. Deane, et de M. Carmikael.
Si je ne fixe point cette commission c’est qu’il ne m’appartient
pas de juger cette question. Je puis la sentir et solliciter: mais
c’est au Congrès général à prononcer là dessus.
Ces 1er.es affaires23 ne pouvant être assimilées à tout ce qui se
fera par la suite entre cette puissance et moi, soit en tems de
paix, soit à leurs risques et périls. Les conditions de l’avenir ne
ressembleront point à celles du passé. Nous marcherons
ensemble sur le taux ordinaire de leur commerce; à une
commission modérée me suffira quand les termes de payemens
seront fixés et qu’on y sera fidèle. Mais y a t-il une seule maison
de commerce, qui consente au retard de ses fonds pendant 3. ou
4 ans avec toutes les sollicitudes que ce retard entraine pour en
recevoir après ce long terme l’interet à 6 pr %24 avec une
commission telle qu’on me l’offre.
Je n’en veux point. Mon zèle pour l’Amérique s’est soutenu
malgré tous les dégouts que j’en ai reçu. Mais la coupable
négligence de ne pas même répondre à une seule de mes lettres,
l’odieuse l’étrange absurdité de me contester le payement de ce
que je leur ai envoyé avec tant de générosité, m’a valu le sourire
moqueur des indiférens, et les reproches amers des amis que ma
chaleur avait enchainé à mes spéculations d’Amérique.
Il me faut donc un engagement convenable pour la solidité et
la fixation des termes. Alors je réchaufferai les ames que
l’incroyable conduite du Congrès à mon égard a glacé pour ses
interets. Et je parviendrai peut être à ouvrir un bon crédit en
France à la république.
CORRESPONDANCE
99
J’ai reçu de votre ami Emmery fils,25 la somme de 600£-6s au lieu de luy payer celle que vous croyez lui devoir, votre
petite spéculation a prospéré, vous en prendrez les fonds sur la
cargaison à prix de facture. Vous prendrez aussi sur cette
cargaison les apointemens de M. Girou sur le pié où il les avait
chez moi à Paris lesquels sont de dix-huit cent Livres argent de
France.27
Vous remettrez à M. Roubeau28 qui passe par le fier
Roderigue une pacotille de deux mille écus que j’ai consenti de luy
avancer. Et si sa pacotille se vend bien et qu’il soit possible de
retirer ce capital en lui laissant le bénéfice de la vente, vous me
ferez plaisir de façon que mes deux mille écus me reviennent en
Europe. C’est un honnête homme qui n’est pas heureux. Il a
désiré faire cet essay. Je souhaite fort qu’il luy tourne à compte,
et vous m’obligerez d’avoir des égards pour luy, et de luy rendre
tous les bons offices qui pourront lui rendre son séjour et sa
spéculation moins à charge.
Je ne vous envoye pas les comptes des quatre batimens
bermudiens que M. Carabasse 29 avait achetés pour faire le
cabotage du Cap Français au Continent, qui ont porté à
Charlestown une grande partie des marchandises que j’avais à St
Domingue, et qui ont eté pris en revenant de Charles-town; parce
que tous les vaisseaux qui m’apportaient ces papiers, ont aussi
eté pris par les Anglais.
Mais qu’importe plus ou moins d’articles à mon compte, ce
n’est pas cela qui doit fixer mon état vis-à-vis du Congrès.
Il est clair qu’il me sera redevable de tout ce que les
évènemens me forcent à laisser en arrière, et que devant leur
faire de nouveaux envois, si leurs conditions me conviennent, les
objets en retard seront payés avec ces nouveaux débets. Arrêtés
seulement les conditions, et qu’on entre en payemen, voilà le
principal.
Les objets que vous ferez entrer en compensation des débets
de M. d’Estaing,30 de concert avec M. Gérard, ne pourront y entrer
que mon sort avec le Congrès ne soit fixé. Parce que c’est aux
conditions que vous arrêterez pour la masse de ma créance, et
non autrement que cette partie doit être compensée. Le prix
courant du tems de leur arrivée au Continent et l’assurance sur le
10 d, 26
100
CARON DE BEAUMARCHAIS
pié du tems de leur départ d’Europe avec les retards à 6 pR% ou31
le prix de facture. Les fraix faux fraix retard, &A et une
commission honnorable et qui me dédomage de mes peines
incroyables. Ne vous écartez pas de ces bazes.
Vous avez crû trop légerement que j’avais de la méfiance de
vous, quand j’ai envoyé Chevallié. Mon ami j’ignorais ou vous
etiez. Je lui avais ordonné d’aller à Boston. Et enfin dans le cas
où il n’eut pû vous rejoindre, il me paraissait plus prudent de lui
confier ma cargaison, que de la remettre à un capitaine
presqu’inconnu de moi alors. Mais mes ordres les plus réitérés lui
avaient enjoint de ne rien faire sans vous. Et c’est sur quoi je me
fonde pour lui refuser la comission de 3 pR %32 que je lui avais
promise. La cause est en arbitrage et mon intention est de verser
sur vous tout ce que j’arracherai par le jugement à ce méchant
supercargue. Ma lettre particuliere vous en dira d’avantage.
J’ai vu M. de La Fayette et M. De Gimat. 33 Ils se louent
beaucoup de vous. Je ne suis pas encore remboursé du marquis
mais je ne crois pas que ce soit sa faute.
M. De Conway34 vient d’arriver aussi à Amsterdam mais il ne
m’a pas encore envoyé le paquet qu’il a de vous, pour moi. Je n’ai
reçu que ceux que vous avez remis à M. De Gimat, de sorte que je
n’ai point cette lettre que vous m’annoncez de la Martinique, et
qui doit me servir à confondre Chevallié sur ses procèdés à votre
égard.
Je vous salue, mon cher Francy, et je souhaite que le
découragement ne vous prenne pas à la gorge. Il est impossible
que vous souffriez autant que moi de tous ces retards et
malentendus, et la vie que je mène icy est la plus dure possible./.
Caron de Beaumarchais 35
Vous connaissez l’attachement sincère avec lequel je suis,
P.S. L’erreur des couvertures est relevée sur les grandes
factures; vous avez dans No 480-481-482 le nombre de 149
couvertures d’officier et 123 de soldat, mais partiellement, dans
les numéros, nous ignorons comment la division en a été faite
dans chacun, parce qu’ils ont été livrés par accolade et tous trois
sont sur le fier Roderigue; ainsi ce qui manque dans l’une se
trouve dans l’autre.
101
CORRESPONDANCE
Voici comment est figurée la facture de livraison
480 couvertures pour soldats
481 
482 couvertures pour officiers
100

 23
100

 49
De même les numéros 381-382 aussi de couvertures
parties sur le fier Roderigue sont accolées en cette forme
381 couvertures pour soldats  50

 44
382 couvertures pour officiers
44
Retrouvez-vous maintenant.
Ce post-scriptum n’est pas dans ma lettre sur le fier
Roderigue; je l’ajoute après coup sur le duplicata.
Il y a de légères différences entre le manuscrit et d’autres
exemplaires de cette lettre; nous en noterons les plus importantes.
1La lettre que Donvez a trouvée dans AF est datée du 5 mars 1779.
2Cette phrase est dans un autre exemplaire.
3Voir tome IV, lettre 652 n. 1.
4Un exemlaire a Zantzingue. Le nom est épelé d’une façon
différente presque chaque fois qu’on le voit (voir tome IV, lettre
698 où on lit Zauzinger, Zanzinger). C’est peut-être Paul
Zantzinger, capitaine dans la garde nationale de la Pennsylvanie
en 1776, qui en 1777 a demandé au Congrès de l’argent pour
acheter des habillements pour ses troupes et en 1780 a été Chief
Burgess de la ville de Lancaster; voir PCC.
5Voir lettre 746.
6Ce chiffre n’est pas dans l’autre exemplaire.
7Voir tome IV, lettre 724.
8Voir la lettre suivante,
9Ce chiffre n’est pas dans Donvez.
10John Jay.
11Cette phrase est écrite dans la marge et n’est pas dans Donvez.
12Ce contrat et les observations se trouvent après cette lettre.
13Un autre exemplaire a rectifié.
14Voir lettre 775.
15L’autre exemplaire a sous.
16John Rutledge; voir tome IV, lettre 621 n. 4.
17Voir tome IV, lettre 693 n. 23; en 1779 Joseph Varage était
enseigne de vaisseau dans la marine française mais capitaine
102
CARON DE BEAUMARCHAIS
temporaire dans la marine américaine; son navire s’appelait Le Cerf
et faisait partie de l’escadre de John Paul Jones; voir Morison, pp.
191, 194 et 198.
18L’exemplaire ajoute Vernoux.
19Dès son arrivée en Amérique, Francy demande à recevoir une
commission (tome IV, lettre 636) et von Steuben le soutient (tome
IV, lettre 637); voir aussi les lettres 792 et 793 où Mme Villers fait
des épaulettes pour Francy.
20L’autre exemplaire a ratifiant.
21L’autre exemplaire a 6,5 %.
22L’autre exemplaire a a été payé.
23L’autre exemplaire a sous-affaires.
24L’autre exemplaire a 6% à 6,5%.
25Emmery père et fils sont amis et correspondants de Beaumarchais
à Dunkerque. Francy a commencé “une petite société” avec le fils
(tome IV, p. 153).
26L’autre exemplaire n’a pas ces chiffres.
27L’autre exemplaire n’a pas ce chiffre.
28Voir lettre 797.
29Voir tome IV, lettre 693 n. 20.
30Charles-Hector, comte d’Estaing (1729-1794) servit en Inde
pendant la guerre de sept ans et fut gouverneur aux Antilles entre
1763 et 1766. Il commanda la première flotte française envoyée
pour soutenir les Américains en 1778. A cause de son amitié avec
la famille royale et parce qu’il rendit témoignage en faveur de
Marie-Antoinette en 1793, il fut guillotiné; voir lettres 825, 826,
827, 856, 858, 861, 862, 907, 909 et le tome IV.
31L’autre exemplaire a sur.
32L’autre exemplairen’a pas ce chiffre.
33Premier aide de camp de Lafayette; voir tome IV.
34Voir tome III, et surtout lettre 699 n. 3 du tome IV.
35Ici termine un exemplaire; ce qui suit est pris à l’autre.
776. A Serres de La Tour1
Au redacteur du courrier de l’europe
Paris ce 7 mars 1779 2
CORRESPONDANCE
103
C’est avec regret, Monsieur, que je vous prie d’insérer dans
votre feuille le procès verbal ou la réclamation d’un capitaine
français echapé des prisons de New York et faite au nom de
quatre cens malheureux qu’il y a laissés attendant la mort.
Si le fait que je raporte n’était pas appuyé d’une déclaration
juridique, on aurait peine à croire qu’une nation passionnée pour
la liberté éprise de l’amour de la gloire et du désir des succès, se
portat a commettre des actes d’oppression qui la dégradent; et
qui ne peuvent que faire echouer tous ses projets.
Dans les guerres précédentes on s’est plaint de la manière
dure dont les anglais traitaient leurs prisonniers. On verra par
l’acte que je publie qu’ils ont encore aggravé le sort de ces
infortunés. Il n’y a point d’exemple d’une telle barbarie dans
lhistoire de france. Aucun officier ne prendrait sur lui d’en exercer
une semblable. Il se perdroit & si le ministére était assez irrité
pour ordonner que par represailles, on traitat ainsi des captifs,
peut être ne se trouverait-il pas un français, qui, en exécutant de
tels ordres, n’en adoucit infiniment la rigueur.
Se venger sur des matelots sur des soldats, sur des
passagers, du tort que fait à l’angleterre l’alliance du congrès
avec la france et renoncer aux moeurs des peuples policés pour
adopter les coutumes des sauvages n’est ce pas faire sans utilité,
un mal qui ne produit que du mal, qui n’apporte que de la honte,
et qui ne peut que révolter en amérique les coeurs que les anglais
auraient tant d’intérèt de se concilier.
Malgré la vigilance des gardes, le désespoir rompt quelque
fois les chaines qui le retiennent. alors tous ceux qui s’échappent,
sont autant de témoins qui vont déposer contre les anglais et qui
affermissent les Américains dans le noble dessein de mourir,
plutot que de renouer avec des ennemis privés de toute
humanité.
Puisse une telle barbarie retomber sur ses véritables
auteurs!
Que si la nation anglaise avouait de pareilles horreurs, il en
faudrait conclure qu’elle attend pour ses prisonniers, les durs
traitements qu’elle prodigue aux notres. Mais la barriere sacrée
que la civilisation a mise entre la guerre et la férocité une fois
rompue, qui peut prévoir où s’arrêterait la représaille? Le monde
104
CARON DE BEAUMARCHAIS
entier deviendrait le théâtre et l’assemblage de tous les crimes!
heureusement pour l’honneur du siècle, et le bien de l’humanité,
l’administration française est si loin d’adopter cette politique
atroce, que, même après avoir lu cet affreux procès verbal, elle n’a
cessé de renouveller ses ordres d’adoucir, autant qu’il est
possible, l’état des prisonniers anglais, que la guerre a mis dans
nos mains.
Avis au rédacteur
3
Ici Mr de Lesser est prié de mettre le procès verbal du
capitaine francais, et immédiatement après le procès verbal il est
prié d’insérer l’article suivant.4
“L’an mil sept cent soixante dix-huit, le sixieme jour de
Décembre, par devant Nous Martin Oster,5 Vice-Consul de
France, résident à Philadelphie, dans l’Amérique des Etats-Unis,
soussigné, est comparu le Sieur Alexis Remouit, Capitaine du
snow6 l’Annette Marguerite, de Marseille, disant que s’étant
heureusement sauvé des prisons de New-York, il se seroit chargé
de venir réclamer la protection du Ministre Plénipotentiaire de
France auprès desdits Etats-Unis, en faveur de ses malheureux
compatriotes restés gémissant sous le poids du plus horrible &
révoltant esclavage des Anglois, & qu’en consequence il nous
requeroit de vouloir recevoir ses dires, déclarations & dépositions
relatifs à leur cruelle détention pour lui être adressés. Ce à quoi
déférant, ledit Sieur comparant nous auroit dit, déclaré & déposé,
que le 11 Octobre dernier, faisant voile pour France, venant du
Cap François, il avoit été arrêté, saisi par un vaisseau employé
au service de la Grande-Bretagne, & conduit prisonnier avec son
équipage à New-York, où le 20 dudit mois d’Octobre à son arrivée
on l’avoit aussi-tôt précipité dans la prison du navire Good Hope,
de la continence d’environ 250 à 60 hommes, & où néanmoins il
en auroit vu, tant François qu’Américains jusqu’au nombre de
400 entassés sans distinctiion de grade, ni de traitements, &
sans séparation des malades, mourants, blessés & bien
portants, ce qui occasionnoit des maladies épidémiques &
pestilentielles, dont les suites avoient eu jusqu’à ce moment les
plus funestes conséquences.
CORRESPONDANCE
105
Qu’aucun traitement médicinal, ni aucun soin particulier
n’étant administrés aux malades, il en périssoit de misere, &
suivant les rigueurs du temps 1, 2, 3, 4, 5 journellement.
Que l’inhumanité à cet égard étoit poussée si loin, qu’on
empêchoit mêmes les prisonniers de se secourir entre eux; que le
cas se seroit rencontré dans la personne du nomm[é] Martin,
tonnelier du navire que commandoit le déposant, lequel ayant été
attaqué d’une hémorragie, & baignant dans son sang pendant la
nuit, il eût été impossible à un Chirurgien François aussi
prisonnier, couchant à son côté, d’obtenir la permission de lui
donner les secours qui dépendoient de son ministere.
Qu’à cette privation de traitement, étoit ajoutée la plus
mauvaise & la plus modique nourriture dont la composition en
ration par jour pour 6 hommes seroit:
Le Lundi.
D’un morceau de boeuf salé de trois livres à trois livres &
demie.
De trente à trente-deux onces de biscuit, en majeure partie
pourri.
Et des trois quarts d’une bouteille de trois chopines de rum.
Le Mardi.
Mêmes quantités de porc salé, de biscuit & de rum.
Le Mercredi.
Toujours pour la subsistance de 6 hommes:
Une livre un quart environ de farine souvent gâtée, destinée à
faire du potin, tenant lieu de viande avec la ration de biscuit &
de rum ci-dessus, & ainsi continuant de deux jours en deux jours.
Que le navire servant de prison n’ayant qu’une cheminée, il
étoit de toute impossibilité que tout le monde y puisse faire cuire
sa denrée; que l’usage du feu ne s’y obtiendroit que par des
batteries toujours fâcheuses, & que beaucoup de prisonniers
106
CARON DE BEAUMARCHAIS
seroient réduits à la dure nécessité de s’en passer, & manger cru
le peu d’aliments qu’on leur donne.
Qu’à compter du 30 Octobre dernier la ration de biscuit seroit
retranchée à tous les prisonniers qui recevroient en place trois
quarts de riz, trois livres à trois livres & demi de viande salée, &
les trois quarts d’une bouteille de trois chopines de rum par plat
de 6 hommes.
Et qu’enfin toutes les représentations étant expressément
interdites aux prisonniers François, de la part des Chefs de la
Nation Angloise, & ne pouvant résister (quelques sentiments
vertueux qu’ils aient en faveur de leur patrie) aux traitements
barbares & inhumains qu’on exercoit envers eux, un grand
nombre de matelots dépouillés, presque nuds, désespérés, se
verroient forcés pour se soustraire à l’affreuse misere où ils se
trouveroient plongés, de prendre le fatal parti de s’enrôler au
service du Roi d’Angleterre, pour lequel des Recruteurs Anglois
viendroient chaque jour solliciter des engagements.
De toutes lesquelles déclarations & dépositions duement
affirmées véritables dudit Sieur Remouit, comparant, Nous, ViceConsul de France susdit, avons dressé le présent procès-verbal,
pour servir à telles fins que de raison, & notamment à être
communiqué dans le jour à Son Excellence, Monsieur GERARD,
Ministre Plénipotentiaire de S.M.T.C. auprès des Etats-Unis de
l’Amérique, dont acte.
Fait à Philadelphie en notre hôtel ledit jour, six Décembre mil
sept cents soixante & dix-huit, & a ledit Sieur Déposant, après
lecture faite, signé avec Nous en la Minute des présentes restées
en la possession dudit Vice-Consul de France soussigné.
(Signé)
Oster.
Et scellé de son Sceau.
Certifié conforme à l’original resté dans mes mains, à Paris le
7 mars 1779.
Caron de Beaumarchais.”
CORRESPONDANCE
107
Je me hâte, Monsieur, d’offrir en opposition à tant de
cruautés, un autre article que je vous prie d’insérer aussi dans
votre feuille. En parlant de l’affreux métier de la guerre, on ne
saurait trop louer ce qui est généreux et s’écarte un peu de la
férocité dont je viens de citer des traits si invraisemblables.
Tous les hommes généreux en angleterre (et il y en a
beaucoup) apprendront sans doute avec plaisir que le S. Percy
capitaine du corsaire anglais Le Bess ayant pris le 5 janvier
dernier dans le snow le Jarotess de Philadelphie, M Mullens
officier irlandais au service de france,7 il a eu la générosité de le
déposer sur un vaisseau neutre, et de lui offrir sa bourse, en le
priant, pour toute reconnaissance de tâcher d’obtenir la liberté de
son ami Néhémiad Hollond, fait prisonnier par les français sur le
navire le St Peter.8
Ils apprendront avec plaisir qu’à son arrivée en france M
Mullens ayant à coeur de dégager sa parole a confié à mes soins
la douce sollicitation dont il était chargé que je n’ai rien eu de
plus pressé que de le mettre sous les yeux de M de Sartine, si
renommé par sa douceur et l’oubli généreux qu’il a toujours fait
des injures personnelles; et qu’enfin ce ministre, touché d’un trait
qui décèle une ame noble et sensible dans le capitaine anglais, a
sur le champs donné des ordres pour qu’on cherchat dans tous les
dépots de prisonniers le nommé Néhémiad Hollond et qu’on le
met en liberté, en joignant à ce bienfait toutes sortes de facilités
pour son retour en angleterre.
Ainsi chez nous, l’administration offre sans cesse aux
particuliers, l’exemple de la modération et de la douceur, pendant
que chez nos ennemis, où la haîne a tout corrompu, c’est dans le
coeur d’un corsaire que se réfugie la générosité9 bannie des
bureaux du Ministére.
Mais combien, O anglais! faut il de traits pareils à celui du
capitaine Percy pour laver votre nation ou vos ministres du
traitement inhumain des prisons de New York et de St Augustin?
Signé Caron de Beaumarchais
Paris ce 7 mars 1779
1Le
rédacteur du Courier de l’Europe est Antoine-Joseph Serres de
La Tour. Il a quitté la France pour l’Angleterre en 1772 et était
108
CARON DE BEAUMARCHAIS
collaborateur du Courier de 1776 jusqu’en 1784; voir von
Proschwitz, CE, I, p. 28 n. 1.
2Dans le CE la date indiquée est le 7 mars 1774 [sic].
3Serres de la Tour.
4Ce qui suit entre guillemets vient du CE et ne se trouve pas dans
cet exemplaire.
5Nommé par Gérard en 1778.
6Senau.
7Voir tome IV, lettre 711 n. 3.
8Voir lettre 750.
9Les mots suivants qui terminent ce paragraphe ne se trouvent pas
dans le CE.
776bis. Extrait d’une lettre de Paris1
[après le 8 mars 1779]
Le 8 de mars dernier, c’est-à-dire le jour mesme que l’on s’est
permis d’insérer à Londres dans les papiers anglais des bruits
tendans à détruire le credit des correspondans du congrès en
Europe et notament celui de Mr De Beaumarchais qu’on y nomme
ironiquement, le grand agent américain, le premier moteur du
traité d’Amérique, (the great American Agent, and the prime mover
of the American treaty.) ce dernier détachait d’une flote qu’il a
dans les ports de France un vaisseau de 60 canons et un de 22,
bien armés en guerre, et les envoyait croiser contre les ecumeurs
anti américains. 2
Les bons plaisans de notre paÿs ne sont pas etonnés de voir
les rusés Anglais rire aux eclats dans les tavernes de Londres de
l’excélent tour qu’ils ont joué à la pauvre France et au congrès
général d’echanger tout le continent de l’Amerique contre le rocher
de Ste Lucie gardé par 35 hommes effectifs, parce qu’en effet ce
tour est délicieux.3
Mais qui aurait osé soupçonner aux Anglais un assés grand
fond de gaité, pour se consoler de la perte entiere de leur crédit,4
CORRESPONDANCE
109
par la joviale supposition que l’Amérique a fait subito
banqueroute à l’ouverture du budget anglais, qu’à l’ouverture du
dit budget tous les amis du congrès en Europe ont fait
banqueroute aussi subito, et qu’enfin tout juste à cette mesme
ouverture du budget la France au desespoir est subito forcée à la
banqueroute generale par la seule raison qu’elle a fait un traité
de commerce avec l’Amérique un peu contraire aux interets du dit
budget.
Telles sont pourtant les puérilités dont les feuillistes
ministériels endorment les bons Anglais chaque fois qu’on a
besoin de fouiller dans leurs poches. 5 Pendant que les charlatans
huchés sur leurs presses extasient le peuple avec des
enluminures en criant ouzé! les détrousseurs font doucement leur
main et ce n’est qu’après la farce jouée, que chacun, frapé du
camouflet, s’en va jurant god-dem de sentir sa teste aussi pleine
de fumée que sa bourse epuisée d’argent.
Par un Francais qui entend les affaires.
1Von
Proschwitz, I, p. 88; les notes suivantes font partie des
commentaires des von Proschwitz, p. 89.
1 “Ce qui a mis la plume à la main de Beaumarchais, ce sont des
articles hostiles publiés en mars 1779 dans la presse anglaise. Les
journalistes anglais ont maille à partir tant avec lui qu’avec les
correspondants en Europe du Congrès.”
2“Il s’agit du Fier Roderigue et du Zéphyr, comme il ressort entre
autres d’une lettre en date du 14 mars 1779 . . . ” Voir la lettre 779
ci-dessous.
3“Beaumarchais cherche à minimiser la victoire remportée en
Amérique, le 18 décembre 1778, par les amiraux Barrington et
Byron sur le comte d’Estaing et le marquis de Bouillé. Elle eut
pour résultat la capitulation de l’île française de Sainte Lucie, le
30 décembre 1778. Le Courier de l’Europe rapporte la relation
officielle anglaise dans son numéro du 26 mars 1779 . . . ”
4“[C]e début de phrase est du Beaumarchais tout pur. Les
difficultés financières des Anglais exigent de grands sacrifices de la
part de cette nation. Les journalistes anglais situent cependant ces
problèmes en Amérique et en France. Beaumarchais ne se laisse
pas duper.” Voir le paragraphe suivant.
5“Par cette phrase ironique, Beaumarchais montre qu’il suit de très
près le débat parlementaire anglais. Il voit clairement les sacrifices
110
CARON DE BEAUMARCHAIS
que la guerre demande aux Anglais. Les trois Budgets du 24
février, du Ier mars et du 31 mai 1779 sont éloquents. Il n’y est
parlé que de subsides importants à voter par le Parlement pour
mettre le roi en état de fournir aux dépenses extraordinaires déjà
faites ou à faire.”
777. De Pelletier Dudoyer1
MR Beaumarchais
Paris
Nantes Le 11 Mars 1779
repe le 15.
Monsieur
Il y a un acharnement singullier contre vous et moi dans
l’affaire de la thérese, le procureur adversse que je connois
beaucoup, m’a dit qu’on le pressait de poursuivre,2 J’en ai
prévenu MR Lamotte, votre procureur qui doit vous en écrire par ce
courrier. Je présume que c’est Lee qui était ici cette semaine qui
a renouvellez cette affaire que je croyais bien finie; Si MR Franklin,
qui est seul maintenant, ne veut pas faire cesser, envoyez-moi
vos pouvoirs, J’arrête et saisis partout. Il n’y a pas de tems a
perdre. Il y a deux Nres prets a partir qui les regardent, et des
indigo.
Vous savez sans doutte les opérations de rochefort ainsi Je
ne vous en dirai rien, les Nres manquent un bon vent.3
J’ai l’honneur d’étre bien sincerement
Monsieur
votre très humble servt
Peltier Du Doyer
1Voir
tome IV, lettre 719 n. 3.
lettre 752.
3C’est-à-dire le convoi du Fier Roderigue.
2Voir
111
CORRESPONDANCE
778. A Benjamin Franklin
Copie
Mr franklin
Paris ce 14 mars 1779
Monsieur
Je reçois une lettre de mon correspondant de Nantes qui
m’apprend que le Procureur de Mrs les Députés des treize etats
unis a reçu un nouvel ordre de me poursuivre sur la vente de la
cargaison de la Therese. 1
Comme Mr Arthur Lee a paru à Nantes à l’instant où le
Procureur a declaré qu’il avait un nouvel ordre de me poursuivre,
on présume que l’ordre est émané de lui. Mais moi qui sais que
vous etes, Monsieur, le seul Ministre en droit de donner
aujourdhui un pareil ordre; avant de présser mon correspondant
de me defendre juridiquement, mon respect pour vous m’engage à
vous donner avis de ce qui se passe à Nantes, et de vous prier de
vouloir bien me dire si votre intention est que j’aye le chagrin de
soutenir un procès public contre la Députation en France d’une
Nation à qui j’ai montré tant de devoûment.
Comme je ne puis me laisser poursuivre et condamner par
défaut, il est essentiel, Monsieur que vous daigniez me répondre
par le porteur même de cette lettre.2
Je me plais à vous donner cette nouvelle marque de ma
déférence parceque je suppose qu’il y a ici quelque malentendu
causé par l’animosité de Mr Lee.
Je suis avec le plus profond respect
Monsieur
Votre XA
1Voir
la lettre précédente.
ne répond que le lendemain; voir lettre 781.
2Franklin
112
CARON DE BEAUMARCHAIS
779. Au comte de Vergennes
Paris le 14 mars 1779
Monsieur Le comte
J’ai lhonneur de vous adresser l’exposé fidèle de notre
derniere conférence. L’obligation de me copier moi mesme sur ma
minute, a cause du secret imposé, a retardé mon envoi jusqu’a ce
moment.
J’ai donné un ton elémentaire a ce compte rendu, afin que si
Mr De Maurepas veut le montrer au Roi son inéxpérience en
affaire aussi compliquée ne l’empéche pas d’en saisir toute la
verité. Cette maniere a rendu necessairement mon 1e.r extrait plus
long mais les autres n’en seront que plus courts.
Notre premier travail sera sur les fermes de Lorraine il est
tout prèt; aussi net pour les preuves et d’une disproportion encore
plus chatouilleuse que le sel, entre la recette des fermiers et ce
qu’ils payent au Roi. Les entrées de Paris viendront ensuite. Et
je vous assure que notre inquisiteur m’a fort bien expliqué
comment avant trois mois il aurait remis au Roi 40 millions sans
impot, emprunt, ni saçade et comment il desirait que le plan de
reforme commençat par faire venir le Roi tenir un lit de justice
pour oter un demi vingtieme et promettre de plus grandes
remises. Grand moyen d’attirer la confiance pour une
administration nouvelle.
Je me propose de saluer demain Mr Le Cte de Maurepas et de
le prier de faire différer un certain arret du conseil concernant la
caisse d’escompte, 1 qui doit nous mettre absolument dans la
dépendance des Banquiers administrateurs. Je n’entens plus
rien du tout aux idées de Mr Néker; peut etre est ce ma faute.
CORRESPONDANCE
113
Vous conaisses Monsieur Le comte et mon respect et mon tres
inviolable attachement.
______________________________________
Le fier Roderigue de 60 canons et le Zéphir2 de 20 canons
mettaient a la voile, a linstant ou les deux vaisseaux de 74
rentraient, n’ayant pu tenir la mer.3
Cette facheuse lacune ne rendant que plus utile la croisière
de mes deux vaisseaux; je me console, par l’amour du bien public,
du tort affreux que me fait le retard forcé du départ de ma flotte.
Je ne puis me figurer autre chose sur la rentrée des deux
vaisseaux du Roi, sinon qu’on s’est trop pressé pour les jetter en
plein océan, et quils ont été mal arrimés, ce qui n’est qu’un
retard. Mais c’est le pauvre commerce qui en patira.
______________________________________
Pardon de ma mauvaise ecriture j’ecris dans mon bain ou je
tremble de toutes mes forces.
______________________________________
Je joins ici la liste qui m’est venue de Londres de leurs
dernieres prises sur nous du 5 mars.
Mr le Cte de Vergennes.
1Voir
tome II, lettre 378 note 2.
tome IV, lettre 714 n. 2.
3Trois nouveaux vaisseaux (voir lettre 775 n. 1) étaient trop lourds
du haut et ont failli chavirer. On a raccourci les mâts du Scipion et
de l’Hercule et on a ajouté du lest au Pluton; voir Dull, p. 146.
2Voir
114
CARON DE BEAUMARCHAIS
780. Au comte de Vergennes
A Mr le Cte de Vergennes
Versailles ce Lundi 14 mars 1779 1
La ferme refuse le transit au commerce, et me l’accorde a moi
seul si je veux en user. Je le demandais pour le commerce et l’ai
réfusé pour moi seul. D’autre part la ferme consent d’accorder une
prime de 5£ sur le prix de 80£, pour tout le tabac existant
aujourdui dans les ports de france, si le Roi accorde au commerce
la mesme prime de 5‹
Si le Roi pouvait faire ce sacrifice qui est d’environ 200 m.L.,
il n’y aurait plus de question, le commerce recevant 90£, aurait
vendu a un prix mitoyen. Il s’evertuerait et j’en tirerais bon parti,
aujourdui qu’il devient un instrument si nécessaire au systeme
politique.
Mais il est certain que si le Roi ne donne pas les 5£; la ferme
n’augmentera de rien ses achats, parcequ’elle craint de payer le
tabac plus cher en hollande, si l’on y sait qu’elle en a haussé le
prix en france. Elle entend donner de la main a la main les
mesmes 5£ que le Roi donnera comme prime d’encouragement,
et laisser le prix public du marché à 80£.
Mais comme voila 6 mois de perdus a batailler sans que rien
se termine, et que le tems presse, je propose ici le seul moyen que
j’aye trouvé de faire avancer la ferme a peu près malgré elle.
Que le Roi m’accorde par une lettre ministérielle et ostensible
la prime de 5£ a moi seul et comme recompense de mes travaux
passés, ou comme encouragement pour l’avenir. Je dis a moi seul
parce que mon intention n’étant point d’exiger cette prime
accordée, cela ne tire pas a consequence: au lieu quil faudrait que
le Roi la payat sérieusement s’il l’accordait au commerce. Voila la
ferme bien forcée de me donner 85£ de tout le tabac qu’elle
recevra de moi. Alors tel négotiant qui perd trop a 80£ mais que
la douleur et la nécessité va forcer de vendre recevra de moi
l’abandon de cette demie pistole de la ferme. Il me cèdera son
CORRESPONDANCE
115
tabac que je lui payerai 85£, et que je rendrai pour le mesme
prix a la ferme. Ainsi faisant jouir le comerce d’un avantage qui
me semblait reservé; j’aurai le double bonheur d’avoir tiré
d’embarras les armateurs, et de les encourager a suivre mon
exemple en armant de nouveau.
La ferme criera que je suis un homme adroit qui lui
arrachant une demie pistole dont je favorise le commerce n’en
met pas moins la demie pistole du Roi dans ma poche.
Eh bien! qu’elle crie! Les sages ministres du Roi qui
connaissent mon désintéressement, sauront que je fais par
patriotisme ce que les fermiers croiront que je fais avec intérêt et
cela me suffit. Qu’importe encore un coup pourvu que l’obstruction
generale se leve et que le commerce recommence de nouveau à
armer et nos manufactures a battre.
[Si Mr le Cte de Maurepas approuve mon idée, il suffit d’une
lettre ministérielle qui m’apprenne que l’on m’accorde une demie
pistole de prime pour tout le tabac que je vendrai a la ferme XA]2
Si quelquun ne suivait pas avec une ferme volonté de reussir
une affaire aussi epineuse elle serait dix ans arettée. Je me
dévoue, si mon idée plait, il ny a pas un moment a perdre
parceque le commerce est au dernier terme de ses embarras et de
son desespoir.
Mr Le Cte de Vergennes est suplié de me faire passer au plutot
la réponse.
1Beaumarchais
se trompe ou de date ou de jour; le 14 était un
dimanche.
2Ce paragraphe entre crochets est barré dans la minute.
116
CARON DE BEAUMARCHAIS
781. De Benjamin Franklin
M. Beaumarchais
Passy, March 15 1779
Sir
I know of no new Order being given relating to the Action
against MR Peltier. I never heard of any being commenced against
you.1 I am at present confined by the Gout; but should be glad to
see you when convenient to you, that I may better understand
the Affairs between us. I have the honor to be with much esteem,
Sir,
Your most obedient
& most humble Servant
B. Franklin
M. de Beaumarchais
1Voir
lettre 777.
782. Du comte de Vergennes
[17 mars 1779]
Si vous voulez bien, Monsieur, vous rendre ici demain jeudi à
six heures du soir avec votre assistant, 1 je pourrai vous donner
une bonne séance pour continuer le travail entamé la semaine
dernière. Je vous préviens que j’aurai un adjoint qui a toute la
confiance du mentor;2 je l’ai désiré, parce que dans une matière
117
CORRESPONDANCE
d’une aussi grande importance on ne peut trop multiplier les
observations.
C’est toujours avec plaisir, Monsieur, que je vous renouvelle
tous mes sentiments.
Mercredi, 17 mars 1779.
1Note
de Loménie: “C’était sans doute quelqu’autre financier
associé à Beaumarchais dans ce plan de réorganisation de la ferme,
qui n’eut pas de suite.”
2Note de Loménie: “Le mentor est M. de Maurepas. C’est une
qualification que M. de Vergennes lui donne souvent dans ses
lettres.”
783. De la comtesse de Beauharnais1
[avant le 20 mars 1779]
Quoique je n’aie pas l’avantage d’être connue de vous,
Monsieur, une âme telle que la vôtre a trop de droits à l’estime,
pour que ma confiance puisse vous étonner. L’énergie qui vous
caractérise honore votre siècle, autant qu’elle justifie la démarche
que je fais; et, croyez-moi, dans ce siècle d’égoïsme et de
pusillanimité, vous seul, Monsieur, pouviez me rendre l’espoir.
Un ami souffrant, malheureux, digne d’un sort contraire; un ami
que le chagrin accable (puisse l’amitié le sauver!), est l’objet de
ma lettre. Et ne pensez pas surtout qu’il ait des torts, sa position
n’en aurait que plus d’amertume, mon zèle n’en serait pas moins
actif: je lui connais assez de vertus pour racheter bien des fautes:
mais il est, ce zèle, il est de ma part un devoir, et non un procédé.
M. Dorat,2 je ne crains point de vous nommer un de vos
admirateurs les plus sincères et un des hommes du monde que
méritent le plus d’intérêt, sans avoir à se reprocher rien, victime
respectable d’un revers cruel, d’un de ces événements qu’on ne
118
CARON DE BEAUMARCHAIS
peut prévoir, d’une banqueroute de libraire, dont sa délicatesse a
voulu porter seul les embarras, après avoir satisfait à tout, se
trouve aujourd’hui dans une gêne si affreuse et dans de telles
inquiétudes, que sa santé s’altère, que la douleur le consume, et
qu’une amie tremblante, même pour ses jours, ose, Monsieur,
sans vous connaître, confier à votre honnêteté ses vives alarmes.
Non, non, vous ne trouverez jamais plus de reconnaissance, ni
une plus belle occasion d’exercer la noblesse et la générosité de
vos sentiments; mais, hélas! Monsieur, il n’y a qu’une somme de
vingt mille francs qui puisse le tirer de cette crise. Il les payerait
en six ans, trois mille et quelques cents livres chaque année. Sa
probité vous répond de son exactitude. L’honneur, et tout ce qui
est sacré a un coeur sensible, n’ont pas besoin d’autres garants.
Mais je le ferais, s’il le fallait... Mon Dieu, il n’y a rien que je ne
signasse pour constater l’acte du service le plus important que
vous puissiez jamais avoir rendu. Et, s’il vous était impossible de
prêter cette somme, en cas que vous voulussiez bien en être la
caution, je me chargerais, Monsieur, de la lui faire avoir. Ah!
comment vous dire quelle joie je ressentirais en apprenant à M.
Dorat que ses peines sont finies! Le calme, la sécurité, le
sentiment si doux de la reconnaissance succéderaient, dans son
âme, aux plus douloureuses agitations. Je vous conjure du moins,
si une fatalité inouïe s’opposait à ce que je ne peux attendre que
du coeur le plus rare, d’y renfermer le secret et les malheurs d’un
ami bien précieux. Je vous avoue, Monsieur, qu’un refus, dans
des circonstances aussi pressantes, me ferait tant d’impression,
que pour l’adoucir, s’il est possible, il vaudrait mieux que vous
rendissiez la réponse à ma lettre à un de vos amis et des miens,
qui doit vous en parler. Cet ami est bien aimable, et il vous
apprécie. J’ai l’honneur d’être, Monsieur, votre très-humble et
très-obéissante servante,
La Csse de Beauharnais.
1Marie-Anne-Françoise
Mouchard, dite Fanny de Beauharnais
(1737-1813). Elle avait épousé le comte Claude de Beauharnais qui
avait 20 ans de plus qu’elle. Elle se sépare à l’amiable de son époux
vers 1762 et s’installle chez son père, rue Montmartre à Paris. Elle
119
CORRESPONDANCE
y ouvre un salon littéraire fréquenté par Bitaubé, Dussaulx, Mably
et surtout Dorat. Elle correspond avec Voltaire et le roi de Prusse.
2Voir tome II, lettre 534 n. 2. En 1779 Beaumarchais lui versa
9000 livres qui n’ont jamais été remboursées (Inventaire, p. 158, n.
275). Malgré ces secours de Beaumarchais, Dorat laisse 60,000
livres de dettes à sa mort en 1780; voir la lettre suivante.
784. A la comtesse de Beauharnais
Paris, ce 20 mars 1779.
Votre lettre, Madame la comtesse, m’a vivement pénétré.
Jamais la douce amitié n’a peint sa sollicitude avec des traits
plus touchants. Je vous connais, vous honore et vous aime sur
cette lettre: mais que vous m’affligez en me demandant pour
votre ami des secours au-dessus de mes forces! J’estime sa
personne et fais le plus grand cas de ses ouvrages; par-dessus
tout cela, je crois qu’il faut faire autant de bien qu’on le peut,
pour être aussi heureux que notre état le comporte; tel est mon
sentiment naturel et le fruit des réflexions de toute ma vie. Je
m’y tiens sans faste et sans égard pour ce que les hommes disent
ou pensent de moi. Revenons à vous, Madame.
Votre confiance excite la mienne, et je dois vous parler sans
détour. On se trompe sur la nature de mon aisance comme sur
tout le reste de mon être. Je ne suis pas un fort capitaliste, mais
un grand administrateur. La fortune de mes amis, confiée à ma
prudence, me force dêtre circonspect et scrupuleux sur l’emploi de
leurs fonds, d’où il suit que je puis bien venir au secours d’un ami
souffrant pour 25, 50 ou 100 louis, en les prenant sur l’argent qui
m’appartient dans mes affaires, mais que je ne puis aller plus
loin sans déposer à ma caisse, en papier, l’équivalent de l’argent
que j’en tire, et je sais trop que les malheureux n’ont point à
donner d’équivalents solides aux fonds qu’ils empruntent; ils ne
sont gênés que parce qu’ils en manquent. C’est donc avec bien de
la douleur que je me vois dans l’impossibilité physique de prêter
à votre ami la forte somme dont il a besoin.
120
CARON DE BEAUMARCHAIS
Quant aux prêts personnels que ma sensibilité m’arrache
sans cesse depuis quatre ans, ma maudite réputation d’homme
riche a tellement accumulé ces demandes autour de moi, qu’il
semble que tous les infortunés du royaume se soient donné le
mot pour peser à la fois sur mon coeur et l’etouffer de déplaisirs.
Je n’ouvre pas mes paquets sans oppression, toujours sûr d’y
puiser le nouveau chagrin de connaître un infortuné de plus, sans
pouvoir souvent le soulager.
Telle est ma vie: de grands travaux, peu de succès; un état
dispendieux, peu de fortune, et le cercle éternel de la plus
douloureuse correspondance avec une foule de malheureux dont
les maux sont devenus les miens. Si vous avez un ami qui me
connaisse à fond, il vous dira que ce tableau de ma personne et
de mon état est le plus vrai que je puisse offrir.
Quoi qu’il en soit, Madame, engagez cet ami commun à me
voir; puisqu’il a mérité votre confiance, il aura la mienne. Nous
causerons de l’affaire de M. Dorat; il m’expliquera la nature de
son malaise, ce qu’il craint, ce qu’il espère, et quand je serai
mieux instruit, si je puis venir à son secours, soyez sûre,
Madame, qu’en enterrant, avec la religion de l’honnêteté, tout ce
qu’il veut tenir secret, je ferai l’impossible pour que votre
confiance en moi ne lui soit pas tout à fait infructueuse.
J’ai l’honneur d’être avec le plus profond respect, etc.
Caron de Beaumarchais.
[P.S.] Mon ami Datilly1 vient me parler au moment où je ferme
ma lettre; son récit me perce le coeur. Il est bien certain que je ne
puis disposer des 20,000 livres que vous me demandez; mais,
encore une fois, si M. Dorat, qui me connaît peu, ne s’offense pas
que vous m’ayez confié son douloureux secret, faites en sorte qu’il
vienne en causer franchement avec moi, ou daignez m’en faire
passer les détails, et toutes mes ressources sont à son service.
CORRESPONDANCE
121
1Voir
tome II, lettre 274 où ce vieil ami de Beaumarchais a déjà
été mentionné; Gudin dit de lui qu’il était “guerrier brave et
instruit, fidèle à ses devoirs, à ses rois, et mort, les armes à la
main, dans les jours horribles de notre Révolution” (Tourneux, p.
13). Loménie cite une lettre d’Atilly où celui-ci montre son
attachement pour Beaumarchais (II, p. 548). Loménie pense que
cet ami est mort le 10 août en défendant la monarchie (p. 548).
785. A Montieu
Copie
M. de Montieu
Paris le 20 mars 1779
Si je n’avais pas été retenu ici, Monsieur et ami, par des
travaux majeurs et d’un genre ou ma presence ne peut être
suppléee, vous m’auriez déja vu a Rochefort. Tous ces
changements subits de partir, de rester, d’aller croiser, puis de
n’y plus aller, puis de convoyer a Brest au lieu d’être convoyés
nous-mêmes, ont mis dans ma teste un tel desordre que je suis
désolé. Comment des affaires ou il va de toute l’existence peuvent
elles être soumises à de telles variantes? Et vous me laissez
ignorer, mon ami, les details que vous envoyez là dessus à MR de
Sartines! de sorte que quand je le vois je ne puis seulement lui
dire un mot sur mes affaires, dont il est par vous bien plus
instruit que moi! Cette facon de marcher, qui me rend
presqu’étranger aux choses qui m’interessent le plus, n’est point
du tout a mon usage; et même hier au soir MR de Sartines en me
lisant un long article de votre derniere lettre finit par me dire
qu’il vous écrirait sur ce que vous lui demandiez en
dedommagement, mais il ne m’expliqua rien; de façon que tout
cela s’entend et s’agite de vous a lui et de lui a vous; sans que ni
lui ni vous m’en disiez un seul mot. Vous avez beau me dire
Soyez tranquille, je fais tout pour le mieux. Je ne suis ni tranquile
ni content que tout ce qui interesse mon état d’Europe et
d’Amérique et toutes les sollicitations ou reclamations
ministérielles ne me passent pas par les mains. Quand vous
122
CARON DE BEAUMARCHAIS
avez pris, mon ami, le département des ports; j’ai compté retenir
celui de Paris et de Versailles et mon existence est telle ici,
relativement aux rapports politiques que mes affaires et les
votres ont avec celles de l’etat, que vous avez le plus grand tort
de traiter autrement que par moi. Je vous ai deja dit que vous
marchiez en aveugle sur un terrain que vous ne connaissez pas
du tout. Mais enfin, mon ami, après l’avoir si souvent répété, je
n’insisterais pas, si nos affaires n’étaient pas aussi importantes
pour moi. Je l’exige donc.
Vous n’avez pas non plus un seul mot de moi pour
l’Amérique. Cette échaufourée de croisiere m’a fait croire que nous
avions encore un mois a perdre, et voila que tout-à-coup ce n’est
plus cela, nous partons pour Brest, et tous les paquets du
ministre des affaires étrangeres et les miens pour francy sont a
Paris. Est-ce que les vaisseaux peuvent partir sans tous ces
paquets?
La tête tournerait a Francy de ne pas recevoir un mot de moi.
mon affaire actuelle n’est-elle pas liée avec le passé et l’avenir?
Sans me rien expliquer MR de Sartines me dit hier que je
vinsse a Versailles demain prendre une lettre pour vous, et que je
fisse partir un courrier pour Brest ou pour Rochefort si je ne
pouvais y aller moi-même.
Cette maniere obscure de marcher dans mes affaires est une
chose a laquelle je ne puis ni ne veux me soumettre. Je ne l’ai
pas dit au ministre parce que je n’ai rien a lui prescrire et qu’il
fait comme il lui plait. Mais vous, à qui l’amitié, la connaissance,
et l’interêt me lient si serré; j’ai plus de droits de vous faire mes
observations et je vais le faire avec la même franchise que je vous
assure que je vous honore et vous aime de tout mon coeur.
Marchons d’un pas égal si vous voulez que nous allions loin.
Tous les details de commerce vous sont d’une familiarité qui me
charme: ayez la bonté de votre part que je fais beaucoup mieux
que vous ne le pouvez de 200 lieues de Versailles Jugez ce qui
nous est convenable dans ce chaos d’évenement et d’opinions qui
se choquent et se croisent dix fois par semaine.
Si je ne suis point convoyé pour nos Iles, je ne suis point
d’avis d’y aller sur nos forces, le théatre de la guerre est là. C’est
ce que je dirai demain au ministre; et si je puis je partirai mardi
123
CORRESPONDANCE
matin pour vous porter tous les paquets, et prendre ensemble
nos dernieres décisions. Je vous embrasse.
.
.
786. Au comte de Vergennes
Paris ce 21 mars 1779
Monsieur Le comte
Recevés avec indulgence le 2e exposé1 de nos conférences et
continués moi je vous prie une legére part dans vos bontés.
Demain de nouveaux matériaux me mettront a mesme de
vous offrir mercredi un nouvel extrait.
Mon respectueux attachement est inaltérable.
Mr Le comte de Vergennes.
.
1Voir
lettre 779.
787. A M. de Sartine
Paris, ce dimanche 21 mars 1779
J’ai l’honneur de vous présenter un officier qui m’est
recommandé par les plus honnêtes gens de la terre. M.
Duchemin, colonel commandant de la Légion de Lauzun,1 ami
depuis vingt ans de M. Cellier, me prie de joindre mes instances
aux siennes pour obtenir ce sujet dans ce corps, si vous l’agréez.
Si vous avez quelque chose à envoyer à Rochefort, mon
courrier partira le jour de demain et s’en chargera. Je n’ai pas de
nouvelle lettre de M. de Monthieu.
Vous connaissez mon respectueux attachement.
124
CARON DE BEAUMARCHAIS
1Armand-Louis
Gontaut, duc de Lauzun (1747-1793) colonel de
l’armée française; il forma une légion en 1778 et en janvier 1779
reprit le Sénégal aux Anglais.
788. De la Société Typographique de Neuchâtel
Paris
Beaumarchais
du 23E Mars 1779.
Vous recevrez sans doute avec quelque surprise la lettre
qu’ose vous ecrire une Societe qui ne peut point se fatter [flatter?]
d’avoir l’honneur d’etre connue de vous. Les raisons autant
d’amitié que d’interrest que nous soutenons depuis plusieurs
années avec M. Panckoucke1 pourront legitimer cette demarche de
notre part. Il ne nous avoit pas laissé ignorer l’acquisition qu’il
venoit de faire des manuscrits en porte feuille de M. de Voltaire,
et nous avions lieu d’esperer qu’il nous interreseroit dans
l’entreprise qu’il avoit d’abord formée de les publier. Une lettre
qu’il nous ecrit par ce courrier, nous apprend qu’il a remis tous
ces manuscripts a une société qui vous a choisi, a juste titre, pour
la diriger dans ces operations relativement a la publication de ces
morceaux interresants. Et comme M. Panckouke nous avoit
assuré en particuller que si ce [s’il se?] déterminoit a faire
imprimer toute la collection pour son compte il donneroit a nos
presses la preference sur toutes celles qu’il pourroit employer.
Nous avons cru ne pouvoir nous dispenser, M. de vous les ofrir
des aujourd’hui pour l’execution de la meme entreprise de vous
presenter en peu de mots les raisons qui semblent concourir pour
nous faire obtenir cette faveur. Nous nous fonderons d’abord sur
la confiance que nous avons eu le bonheur de devenir les objets
de la part de M. Panckouke et nous ne doutons point que cet ami
ne vous confirme ce que nous [ ? ] et egard. A quoi il est essentiel
d’ajouter que nous ne sommes pas des Libraires mais une societe
de gens de lettre qui nous sommes chargé de diriger en cette
CORRESPONDANCE
125
qualité une imprimerie [ne] consistant que pour ceux qui font les
commerces de livres. D’ou il suit que vous pouvez compter M sur
d’autres principes que ceux que l’on attribue aux commerce des
des [sic] bibiopoles [bibliophiles?]. Nous ne craignons pas de dire
que nous sommes connus sur ce pied la dans le monde et que
nous avons fait nos preuves depuis l’origine de notre
etablissement il ne seroit peut etre pas inutile pour le bien d’une
aussi grande entreprise que son exécution Tipographique fut
surveillée par gens plus instruits que ne le sont les imprimeurs
pour l’ordinaire. Enfin nous alleguerons en notre faveur la
singuliere liberté dont nous jouissons dans ce pays dont toutes
les entraves sont bannies pour ce genre de travail comme pour
tout autre, et la protection marquée dont le roy de Prusse notre
souverain favorise la Tipographie neuchatelloise. Tels sont nos
moyens M. C’est a vos lumieres superieures que nous osons les
presenter mais il en est un encore vos bontés seules pouvant y
mettre quelque prix. De tous ceux que vous pourriez employer
pour executer l’entreprise en question il n’en est point qui sentit
comme nous le ferions la gloire de la preference et lavantage
d’etre les imprimeurs d’un ecrivain aussi celebre que vous l’etes
connu dans l’europe entiere par des productions qui font l’eloge
autant de votre coeur que de votre esprit. N. a. l’h. d’e. tr. r.
Lettre difficile à déchiffrer à cause de l’écriture et du français.
1Charles-Joseph Panckoucke (1736-1798), le célèbre imprimeurlibraire, possédait la plus grande maison d’édition au dix-huitième
siècle; dès 1777 il projetait une édition des oeuvres complètes de
Voltaire avec la collaboration de l’auteur. Les premiers contacts de
Panckoucke avec la Société Typographique de Neuchâtel datent de
1770. En 1776 les risques de censure qu’il redoute à cause de la
situation politique en France d’une part, et l’importance technique
de la librairie de Neuchâtel de l’autre, l’incitent à penser à cette
société pour l’édition d’une nouvelle encyclopédie. Il est donc
naturel que Neuchâtel lui vienne à l’esprit pour le Voltaire et qu’il
propose la Société Typographique à Beaumarchais; voir TucooChala, pp. 353-4.
Dans une lettre du 25 avril 1779, Panckoucke écrit à la
Société Typographique de Neuchâtel: “J’ai parlé de vos presses à MR
De Beaumarchais, qui doit vous avoir repondu. Il vient denvoyer à
126
CARON DE BEAUMARCHAIS
Londres pour acheter les caracteres de Baskerville et je ne le crois
pas encore bien décidé sur le lieu de limpression.”
789. De Meriwether Smith1
Philadelphia, April 1st 1779
Sir,
The person who writes you this letter is unknown to you, but
very sensible of the services you rendered to America, wishes to
acknowledge the obligation he is under to you for your exertions
in support of the Independence of these United States.
It is with great concern, Sir, that I reflect on the injurious
treatment you have received, in having those just remittances
withheld from you, which would have enabled you to serve these
States more effectually and secured to you the sensible enjoyment
you wished for from essentially contributing to the sucess of so
great and hazardous an undertaking, as that which America had
begun.
I flatter myself that your services are now so well understood
by Congress that every possible measure will be adopted to make
you a suitable return. I have taken great pains to investigate
your
transactions
and
to
develop
those
mysterious
representations which had been given of them by all our
commissioners at Paris, and which had misled the judgment of
Congress. Assisted by M. de Francy who, I assure you, has
served you very faithfully and has met with difficulties not easy
for you to comprehend, I have at last accomplished it. Permit me
now to assure you of my esteem and friendship and to hope for
the continuance of your good offices towards this yet distressed
country; at the same time to express my wishes for the prosperity
of your country and my unalterable attachment to the alliance.
I have the honor to be, Sir, with real esteem, your most
obedient and most humble servant,
127
CORRESPONDANCE
Meriwether Smith
1Meriwether
Smith (1730-1794) a été élu trois fois (en 1778, 1779,
et 1780) délégué de la Virginie au Congrès; il soutenait Deane
contre Lee dans leur fameuse querelle et restait toujours partisan
convaincu de l’alliance avec la France.
790. D’Honoré Ganteaume1
[3 avril 1779]
Monsieur,
Trop jaloux d’être à votre service et résolu d’être entièrement
soumis à vos volontés, je n’ai pas osé me refuser aux ordres que
m’a donnés M. de Montieu, les regardant comme venir de votre
part, d’embarquer sur le Fier Rodrigue, malgré que mon
pressentiment m’y annonçât tous les désagréments possibles. Je
ne vous cacherai pas cependant que j’ai laissé entrevoir une
grande répugnance à cela à M. de Montieu, mais il était trop
prévenu déjà contre moi sans doute par M. Montaut pour daigner
écouter et se prêter à mes raisons. C’est pourquoi je n’oserais
hésiter un seul instant à venir vous prévenir là-dessus et à vous
exposer l’infortune que j’éprouve. Je l’appelle infortune, attendu
que je me vois ravir, par la politique de M. Montaut, les occasions
de vous prouver mon zèle et ma reconnaissance. Il vient de me
donner le poste le plus inactif qu’il y ait dans un navire, il m’a
fait chef de prise, et non content encore de me mettre par ce
moyen dans l’impossibilité de me faire valoir, il me prive encore
de toutes les prérogatives attachées au grade qu’il m’a donné. Je
suis ici entièrement surnuméraire, ou pour mieux dire, à charge.
J’ai eu ce poste parce qu’il m’en fallait un, mais sans autre égard
et même moins de relief que si j’eusse été patron de canot,
comme j’étais du principe, et cela sans doute parce que vous avez
128
CARON DE BEAUMARCHAIS
paru vouloir m’honorer de votre protection. D’ailleurs M. Montaut
se rappelle toujours que j’ai été matelot sous lui, et malgré que je
l’aie satisfait dans le voyage en cet état, comme j’ai écrit contre
sa sévérité au retour, cela m’attire son ressentiment.
......................................................................................................
........
Cependant, malgré toutes les préventions que peut avoir M.
Montaut contre moi, j’ose espérer forcer son équite à me rendre
justice au retour de ce voyage. Guidé par le désir de vous prouver
mon zèle et mon dévouement, je me propose de vaincre toutes
difficultés. J’espère que vous voudrez bien au retour me faire
l’honneur de demander des informations de ma conduite à M.
Montaut, et l’idée qu’il vous en fera d’avantageuses me soutient
et me tient aujourd’hui lieu de bonheur.
J’ai l’honneur d’être avec un très-profond respect et une
reconnaissance des plus vives,
Monsieur, votre, etc.
H. Ganteaume.
En rade de Brest, le 3 avril 1779.
1Honoré
Ganteaume (1755-1818) avait été nommé lieutenant de
frégate auxiliaire en 1781. Entre 1781 et 1785 il participa à divers
combats aux Indes orientales. Il se distingua sous Napoléon, fut
nommé membre du conseil d’Etat et président de la section du
Maine en 1800. En 1804 il devint vice-amiral et finalement amiral
chargé du commandement de l’armée navale de l’Océan. Decoré du
cordon de commandeur de Saint-Louis en 1815, il termina sa
carrière comme inspecteur général des classes.
791. A Francy
Paris, 3 avril 1779
Cette lettre vous arrivera par la frégate française qui va en
droiture à Boston.
CORRESPONDANCE
129
Mon Francy, je joins ce mot particulier à la lettre que je vous
envoie par M. Holker.1
Le défaut de matelots a retardé le départ du fier Roderigue
depuis le mois de novembre jusqu’à ce jour. Il part enfin, avec
neuf vaisseaux qu’il convoie.2 Il passe par Saint-Domingue où il
porte des troupes et des farines pour le Roi; de là il se rendra en
Virginie avec sa petite flotte et puisse-t-elle vous arriver en bonne
santé et sans échec!3
Je joins ici copie figurée de votre brevet de capitaine
d’infanterie dont l’original part sur le fier Roderigue avec tous mes
paquets et je joins cette copie, afin que vous jouissiez plus tôt de
cet objet de vos désirs que j’ai plutôt arraché qu’obtenu.
Mme de Willers4 veut que vous receviez d’elle votre épaulette;
mais je doute qu’on l’ait apportée avant le départ du courrier.
Vous connaissez tous mes sentiments.
Remetez promptement l’incluse à M. Gérard. Dans le paquet
par le fier Roderigue, il y a une lettre très particulière pour vous;
ayez soin de la bien chercher.
Les tabacs ne peuvent se vendre plus de 80 lt en France et
encore avec peine.
lettres 775bis., 793 et 794; pour Holker voir lettre 746.
lettre 805.
3Ce qui ne sera pas le cas (lettre 827). A cause des événements de
la Grenade, la réquisition du Fier Roderigue (voir lettre 806 n. 5)
forcera Beaumarchais à réclamer pendant des années les dommages
qui lui sont dûs pour la perte de son vaisseau.
4La compagne de Beaumarchais; voir tome IV, lettre 636 n. 8.
1Voir
2Voir
792. A Francy
Paris, ce 3 avril 1779
Le courrier était parti, mon cher, mais Mme de W n’entend
point de raillerie. Elle veut, si cela est possible, que vous portiez
la première épaulette de sa main.1
130
CARON DE BEAUMARCHAIS
Je vous en envoie donc de sa part une en or, une en argent,
selon que vous choisirez votre uniforme.
Je renvoie promptement à la poste, car on a beau être maître
chez soi, il faut obéir quand on a de tels compagnons.
Le négligent Cantini qui ne vous a pas écrit ne vous en aime
pas moins. Il me charge de vous en assurer. Dans cette maison il
faut que j’aie la peine de tout.
Sur ce que vous m’avez écrit de Des Epiniers, nous comptons
le voir arriver de jour en jour et personne ne lui écrit.
1Voir
la lettre précédente et lettre 775bis.
794. A Holker
Paris, ce 3 avril 1779
M. de Beaumarchais qui a l’honneur de saluer Monsieur
Holker, le prie de vouloir bien faire parvenir, par la voie la plus
prompte, l’incluse à M. de Francy, laquelle renferme un paquet
du ministre pour M. Gérard.
Il prie Monsieur Holker d’agréer l’assurance de tous les
sentiments respectueux qui lui sont dus.
794. A la comtesse de Beauharnais
Paris, 5 avril 1779.
Je n’ai point vu votre ami, Madame la comtesse; est-il encore
à la campagne, ou désapprouve-t-il la douloureuse confidence que
vous m’avez faite?
1
CORRESPONDANCE
131
Il serait bon pourtant que nous eussions une conférence
avant mon départ pour Bordeaux, qui sera sous peu de jours. Il
ignore peut-être quelle force et quel courage on puise auprès d’un
homme sensible et éprouvé par la mauvaise fortune. Je suis cet
homme-là, et, très-différent des gens dont le sort a changé en
bien, je me plais à consoler les infortunés qui ont du mérite, et à
leur rendre ce ressort si nécessaire à l’âme, que le malheur
détend toujours. Peut-être à force d’y rêver, ai-je trouvé le moyen
de l’aider à sortir de la détresse qui le tue. Enfin je ne sais, mais
quelque chose me dit que je ne lui serai pas tout à fait inutile. Je
frémis quand je pense qu’un moment de désespoir a coûté la vie
à ce pauvre Mairobert,2 qui avait mille voies pour se relever avec
éclat du mal que lui causait un jugement un peu léger peut-être.
Il avait demandé à me voir; il avait, disait-il, besoin de mes
conseils. Sans savoir quelle était sa peine, je lui avais écrit qu’il
serait toujours le bien-venu, car je le connaissais depuis vingt ans
pour mauvaise tête et galant homme. L’arrêt du parlement est
sorti soudainement; il s’est tué. S’il ne méritait pas son
jugement, il a mal fait de quitter la vie: on revient de tout avec
du courage et de la patience; s’il était coupable, je lui pardonne:
on ne survit pas à la honte méritée.
Ici le cas est très-différent; mais ce Mairobert m’a jeté du noir
dans l’âme, je n’aime pas qu’un infortuné souffre sans
communiquer ses peines: on ne sait jusqu’où la tête en cet état
peut s’exalter. Encore un coup, Madame, envoyez-moi votre ami,
que je le voie, qu’il m’entende! Et, s’il est possible, nous
parviendrons à le sauver par la réunion de ses efforts et des
miens.
J’ai l’honneur d’être avec respect, etc.,
Caron de Beaumarchais.
1Dorat;
voir lettres 784 et 785.
Pidanzat de Mairobert (1727-1779) a coopéré au
journal manuscrit qu’on rédigeait chez Mme Doublet de Person. Il
était grand amateur des nouveautés littéraires et assistait à toutes
les premières représentations. Il était censeur royal et tenait aussi
le poste de secrétaire des commandements du duc de Chartres. Il
avait la confiance de MM. de Malesherbes, Sartine, Albert et Le
2Mathieu-François
132
CARON DE BEAUMARCHAIS
Noir. Compromis dans l’affaire du marquis de Brunoy, il s’ouvrit les
veines dans un bain chaud, puis s’acheva d’un coup de pistolet. Il a
parlé de Beaumarchais dans son Observateur anglois; voir
Correspondance secrète, tome VII, p. 99.
795. Au comte de Maurepas
Paris ce 9 avril 1779
On renvoye pour plus de sureté à Monsieur de
Beaumarchais son billet Il peut venir cette
apres midi.1
Monsieur Le comte
A l’instant de partir, je recois un avis particulier d’angleterre
d’un si doux intéret qu’il est indispensable que je vous en fasse
part2 et que je vous prévienne de tout ce qui doit arriver autour
de vous pendant mon voyage.
J’envoie un postillon exprès pour recevoir de vous l’indication
de l’heure a laquelle vous serés libre.
Vous savés que je n’insiste pas sur les objets ordinaires;
mais celui ci est fort extraordinaire et mérite l’honneur de votre
attention. J’attens vos ordres.
Je vous suplie de jetter au feu ce billet
Mr Le Cte de Maurepas
1Ces mots sont sans doute écrits par le destinataire.
2Dans une lettre du comte de Vergennes à Montmorin datée du 12
avril 1779, on lit:
133
CORRESPONDANCE
“Nous avons ici, M., un émissaire anglois. . . . Il ne s’est
encore adressé ni à M. le C te de Maurepas ni à moi, mais
il a vû une personne qui nous est affidée et lui a fait
entendre qu’on nous donneroit tout si nous voulions
nous séparer des Américains . . . ” (Doniol, III, pp. 801803).
Plus bas Vergennes nous apprend que l’émissaire est le
propriétaire du CE donc il s’agit de Samuel Swinton (voir tome IV,
lettre 678 n. 1 et lettre 798) et la “personne” à laquelle il s’est
adressé est Beaumarchais; voir lettres 798 et 799 et von
Proschwitz, CE, I, pp. 75-80.
796. A Roubeau1
à bord du fier Roderigue
Paris, le 10 avril 1779
Je vois avec peine, Monsieur, que vous n’êtes pas content du
fret que M. Monthieu vous a compté pour les farines qu’il vous a
cédées. Je n’ai pas M. de Monthieu sous ma main pour savoir
quelles sont ses raisons, mais voici ce que je présume. J’ai prié
cet ami de vous donner à prendre sur M. de Francy une somme
de 6.000 lt en marchandises d’Europe tirées de ma cargaison. Il
pouvait le faire uniquement et ni moi, ni vous, n’avions à nous
plaindre de lui.
Il me paraît que vous avez désiré de profiter du bénéfice à
espérer sur la vente des farines à la Martinique ou SaintDomingue. Mais ces farines, dont le retard de six mois a rendu la
spéculation très malheureuse exigeaient de notre part les plus
grands soins pour réparer nos pertes. Le premier de tous était
sans doute d’en porter le plus possible, au moment où elles sont
si chères dans nos îles; vous en prenez une pacotille et cette
pacotille tient la place de trente-trois autres barils, donc le
bénéfice extrait dans le dédommagement de nos pertes. M. de
134
CARON DE BEAUMARCHAIS
Monthieu a dû calculer toutes ces choses et régler le fret en
conséquence. Voilà ce que je présume.
Si ce parti vous paraît onéreux, je vous offre avec plaisir
encore le choix. Laissez les farines et M. de Francy vous remettra
net en Virginie les deux mille écus en marchandises d’Europe
sans aucun fret: alors le bon office que je me suis fait un plaisir
de vous rendre est dans toute son intégrité.
Déclarez donc au capitaine, au reçu de cette lettre, que vous
vous en tenez à recevoir six mille francs en marchandises
d’Europe à la Virginie, et, à votre arrivée, montrez cette lettre à
M. de Francy. Sur sa lecture jointe à l’attestation de votre choix
par le capitaine fait à la rade de Brest, la somme entière vous
sera délivrée. Par cet acte de justice, je relève toute espèce de
plainte à faire sur M. de Monthieu; car ayant le choix, il y a
apparence que vous préférerez le plus avantageux.
Je vous souhaite le plus heureux voyage. Vous rencontrerez
dans M. de Francy la même honnêteté que vous avez dû attendre
de moi.
Et j’ai l’honneur d’être, en attendant de vos nouvelles, avec
tous les sentiments que vous me connaissez, Monsieur,
.
1Voir
lettre 783.
797. Au comte de Maurepas
Paris ce 11 avril 1779
Mr Le Cte de Maurepas
pour vous seul
Monsieur Le comte
Mon négotiateur1 qui est réelement un homme fort honèste
n’a pas pu s’empecher de voir la négotiatrice que je vous ai
CORRESPONDANCE
135
nommée, et il ne l’a pas pu, car elle avait été prévenue de son
arrivée par une lettre de Londres et elle avait payé le portier de
l’hotel où il devait descendre, pour l’avertir sitot que l’homme
serait déboté. Il l’a donc vue. La 1è re chose qu’elle lui a
demandée, c’est s’il n’avait parlé a personne de cette affaire. —
Non Madame — Me donnés vous votre parole que vous n’en avés
rien dit a Mr De B... car vous avés été chez lui en arrivant? Mon
négotiateur un peu etonné de se voir si bien dépisté a repondu
quil me connaissait beaucoup, et m’avait quelques obligations
mais quil me croyait trop partisan de la guerre pour oser
m’entretenir de Paix. Et elle le regardant toujours entre deux
yeux comme un Juge qui interroge a reprise Prenés y bien garde
ce n’est pas que Mr De B... ne soit un homme de sens ou
d’esprit... (Je ne sais de quel autre eloge elle a orné mon portrait)
Mais, a telle ajouté, c’est qu’il commenceroit par aller tout dire ou
a Mr De Maurepas, ou a Mr De Vergennes et alors je ne m’en
mèlerais plus du tout. L’homme l’a beaucoup rassurée; mais pour
ne pas s’avancer avec elle, il a prétexté que les conditions sur les
quelles il avait ordre de sa cour, de sonder les dispositions de la
notre lui avait paru a lui mesme si impossibles a obtenir, qu’il
avait cru a son arrivée en france devoir l’ecrire a Lord North pour
l’engager a modifier ces conditions, Et qu’il attendrait la réponse
avant de rien entamer. Il s’est ainsi dégagé.
Il ne se fera donc de ce coté ni besogne ni bruit. Je lui ai fait
un résumé de mon opinion particulière qu’il s’occupe à mettre en
anglais pour l’envoyer au noble lord au ruban bleu2 Je lui ai
laissé la liberté de me nommer parce que je ne tire pas a
conséquence. Il doit me le rendre a midi comme je compte partir
ce soir et que cette affaire seule m’a retenu, J’aurai l’honneur de
vous envoyer par votre courrier de demain la copie littérale de ce
que je lui ai remis que je vous prierai de montrer a Mr le cte de
Vergennes et J’espère que vous ne serés mécontent ni l’un ni
l’autre de la façon dont J’ai rompu la sale intrigue d’argent et
dont J’ai entamé de plus honnêtes accesoires .
Ce premier effort qui ne commet personne pose au moins les
seules bases sur les quelles les tres empétrés ministres anglais
puissent se flatter de traiter avec la france.
136
CARON DE BEAUMARCHAIS
Permettés moi de vous répéter que Mr Neker n’a pas encore
ecrit a Mr Paulze 3 J’ai vu ce dernier hier matin. Il me l’a fort
assuré. C’est ainsi que lorsqu’on croit tout fini; le Diable trouve
au moins le moyen de retarder le bien qu’il n’a plus l’espoir
d’arretter entièrement.
Mon devoûement respectueux et inaltérable.
Je vous suplie de bruler ma lettre
1Swinton;
voir lettre 796 n. 2 et la lettre suivante.
qui était chevalier de l’Ordre de la jarretière.
3Voir lettres 736, 753, 761, 770 et 772 .
2North,
798. A Swinton
Ce 11 avril 1779.
Puisque vous me faites l’honneur, mon cher Sw..., 1 de me
consulter sur le grand objet qui vous attire en France, je dois à
l’estime que je fais de vous de penser tout haut avec vous sur
cette affaire: écoutez-moi donc.
Laissez là, mon ami, toute espèce d’intrigues et de dépenses
qui ne vous mèneraient à rien et pourraient vous nuire, et retenez
bien ce que je vous communique.
L’Angleterre, accablée sous le poids de la faute qu’elle a faite
en s’aliénant l’Amérique, doit extrêmement redouter d’aggraver
son mal, en continuant une guerre avec la France, qui ne lui
rendra point l’Amérique, et qui, par la réunion prochaine des
forces de la maison de Bourbon, et la tournure que prennent les
choses en Hollande, peut la jeter dans des embarras dont rien ne
pourrait plus la tirer.
CORRESPONDANCE
137
La France, absolument sans ambition sur l’accroissement de
sa puissance, n’a aucun intérêt à faire la guerre. Le seul qu’elle
eût d’abord à la querelle entre l’Angleterre et l’Amérique était de
voir son ennemie tellement occupée par le soulèvement de ses
colonies, qu’elle n’eût rien à redouter de cette rivale, toujours
injuste envers nous, comme on sait, quand elle peut l’être
impunément.
L’Angleterre n’a pas même le droit de nous reprocher notre
traité avec l’Amérique, quoiqu’il soit l’unique prétexte de ses
hostilités:
1° Parce que ce traité n’a été conclu qu’à l’instant même où
l’Angleterre en allait proposer un semblable à l’Amérique, et nous
exposer au ressentiment de cette république, qui depuis trois ans
ne cessait de solliciter notre alliance: forcés de traiter avec les
Anglais, dont les Américains avaient tant à se plaindre, notre
refus obstiné les aurait enfin réunis avec l’Angleterre pour tomber
sur nous, et nous punir, s’ils avaient pu, d’avoir refusé leur
alliance;
2° Parce que ce traité, le plus modéré de tous, n’est pas
exclusif, et n’empêche pas même que l’Angleterre n’en fasse un
pareil avec les Américains en faveur de son commerce, le jour
qu’elle reconnaîtra les treize Etats-Unis pour une puissance
indépendante.
Voilà, si je ne me trompe, le véritable état des choses.
Maintenant vous désirez savoir à quel prix vous pouvez espérer
la paix: voici ce que j’en pense; et, sans être dans le secret de
l’administration, j’en connais assez le bon esprit pour croire ne
pas me tromper dans mes conjectures:
Si l’Angleterre exige, pour base de la paix, que la France
abandonne les intérêts de l’Amérique, je ne connais aucun
avantage qui pût balancer dans tous les esprits, en commençant
par notre jeune roi, l’horreur d’une pareille lâcheté. Mais si
l’Angleterre, désirant sincèrement la paix, met à part cette
condition à jamais inacceptable, je ne crois pas qu’elle rencontre
beaucoup d’obstacles sur les autres conditions: car ce n’est ni par
ambition, ni par amour de la guerre ou des conquêtes, que nous
guerroyons, mais par le juste ressentiment des procédés affreux
des Anglais à notre égard.
138
CARON DE BEAUMARCHAIS
En deux mots, le traité avec l’Amérique, qui ne portait
d’abord que sur un intérêt de convenance, est devenu pour nous
une affaire d’honneur au premier chef: respectez ce traité, vous
nous trouverez beaucoup plus accommodants que vous n’osez
l’espérer.
Que si vous croyez que vos offres puissent recevoir des
modifications, n’oubliez pas que l’Espagne s’est rendue en
quelque façon médiatrice entre nous; qu’en cette qualité elle a
droit aux égards que sa bonne volonté mérite, et que c’est peutêtre la seule voie décente aujourd’hui par laquelle on doive nous
faire des ouvertures de paix.
Votre mission, mon cher ami, me paraît donc ou tout à fait
impossible, ou d’une extrême facilité: impossible, si les droits des
Américains ne sont pas à couvert; très-facile, si le ministère peut
trouver un milieu pour sauver l’honneur de la couronne
d’Angleterre, en laissant à l’Amérique la liberté qu’elle a si bien
gagnée;
Et surtout si elle nous fait passer des propositions
honorables par la cour de Madrid, dont les procédés nous
engagent à ne rien écouter ni recevoir que par son canal. Je crois
franchement, mon bon ami, que tout le succès, que toute la
politique de votre affaire est renfermée dans cette courte
instruction, que je vous consacre de bon coeur,
1° Parce que je la crois juste,
2° Parce que l’opinion d’un particulier comme moi ne tire pas
à conséquence. Partez avec cela, pour qu’on ne vous accuse pas
de faire ici des choses que je sais aussi éloignées de vos principes
que contraires au bien même que vous voulez procurer aux deux
puissances.
1Swinton
(voir lettre 796 n. 2) est peut-être venu préparer le
terrain pour un représentant anglais plus important que lui-même
parce que la Correspondance secrète dit le 23 juin que:
“c’est un fait notoire que le chevalier d’Angleterre est
venu ce mois-ci incognito, qu’il a passé trois jours à
Versailles, pour traiter d’une paix ou d’une treve, mais il
s’en est retourné assez peu satisfait, dit-on, des réponses
139
CORRESPONDANCE
du ministère de France, & des conditions qui lui ont été
prescrites” (VIII. p. 105).
799. De Dorat
Ce 12 avril 1779.
Monsieur et cher ami (après vos procédés avec moi, permettez
que je vous donne ce titre), quel plaisir j’éprouve à vous assurer
que je suis sorti de chez vous avec un poids énorme de moins,
pénétré de la plus douce reconnaissance, et consolé pour la
première fois depuis trois ans que je lutte avec un courage
intérieur bien pénible contre toutes les crises de ma situation! Il
n’y avait sans doute que vous au monde qui pouviez m’en tirer;
quand on m’a prononcé votre nom, il m’a tranquillisé. La même
force d’âme qui vous a fait terrasser tous vos ennemis s’est
tournée en sensibilité pour les malheureux, et je m’applaudis, à
travers vos talents si brillants et si aimables à la fois, d’avoir
démêlé vos vertus. Je vous dis tout ce que mon âme, que vous
avez soulagée et qui s’épanche librement avec vous, m’inspire de
sentiments vrais sur votre compte; c’est une jouissance pour moi
d’avoir des raisons d’aimer ce que j’ai toujours estimé. Vous
m’avez demandé l’état actuel de mes affaires, le voici: je dois à
peu près soixante mille francs; pour la moitié, j’obtiendrai du
temps; mais mon honneur, mon repos, ma santé, disons tout, ma
vie, demandent que je paie le reste dans le cours d’un an ou de
quinze mois, à différentes époques: tous les engagements que je
prendrai avec vous seront sacrés; je les signerais de mon sang.
Mme de B...,1 dont la fortune sera considérable, s’engagera au
besoin, et deux êtres intéressants vous offriront avec les larmes
de la reconnaissance deux âmes qui n’en font qu’une. Pardonnez
au désordre de ma lettre et de mes idées j’éprouve en vous
écrivant un attendrissement involontaire. Je crois qu’à force de
bienfaisance vous m’avez rendu meilleur encore que je ne suis, et
140
CARON DE BEAUMARCHAIS
à coup sûr je n’étais pas méchant; revenons et déposons dans
votre sein le poids qui m’oppresse et me tue...
1Beauharnais;
voir lettres 784, 785 et 795.
800. De M. De Néelle1
le 14 avril 1779
Monsieur,
Si je n’avais été très incomodé pendant plus de ces deux mois
je vous aurois envoyé plustot les pièces justificatives qui
constatent le payement de 912£ que j’ay fait pour vous sur les
19 premieres représentations de votre piece du Barbier de Séville.
Je me flate, Monsieur, que vous voudrés bien, et comme vous me
l’avés promis, me faire parvenir par la voye de la petite poste,
votre mandat sur M. Bellot, caissier de la Comedie Françoise, a
compte de la somme, que Les Comediens vous redoivent. Cela ne
peut faire aucun inconvient [sic] a vos droits. Je vous avoüeray
franchement que je n’ay pas le premier sol pour le payement de
1000£ que je leur dois ces jours cy et je me trouverois dans le
plus grand embarras si vous differiez a me l’envoyer
promptement, toutes mes resources etant entièrement épuisées.
J’ay l’honneur d’estre avec un tres sincère attachement
Monsieur,
Votre humble et obeissant serviteur,
De Néelle
rue du fauboug ST Victor
1 Il tenait les registres et contrôlait les droits d’auteur de la Comédie
Française.
141
CORRESPONDANCE
801. Du baron von Steuben1
Rep le 8 avril 1780
A Philadelphie
Le
21
Avril 1779
Mon cher & respectable ami
Autant qu’il m’est doux de vous ecrire et de vous dire combien
je vous aime, autant je suis désespéré quand mes lettres
tombent entre les mains des Matelots Anglais, ou qu’elles sont
noyés dans l’Atlantique. Il est aussi desagréable d’écrire pour des
Pirates, que pour les Poissons. C’est cependant le sort de bien
des lettres que je vous ai addressées, et probablement de celles
que j’esperois recevoir de vous. Une seule m’est parvenue que
notre ami Francy m’a remise — Ce digne Garçon travaille sans
relâche pour vos interêts — Qui auroit cru qu’il seroit obligé de
prouver par un Mémoire volumineux que R. Hortalez & C ie avoit
rendu quelques petits services a l’Amerique? Cependant c’est ici
le cas. — Il se trouve des Basiles 2 partout, & il paroit que cette
chienne de famille a transplanté de ses neveux même dans la
vertueuse Amérique. — Oui, mon ami, cette race se déchaine
singluièrement contre vous. Elle vous rend aussi celebre en
Amerique qu’en Europe. — Les Baziles vous pendent, et les
honnêtes gens vous érigent des statues. Mais j’espère que le
Mémoire de Francy enverra coucher les Baziles.
Vous voyez donc mon cher ami, que c’est ici tout comme chez
nous. Avec tout cela, si jamais vous avez été heureux dans votre
choix, vous l’etiez dans celui de confier vos interêts à un homme
aussi intègre, aussi habile & aussi actif que Francy. C’est un
homme digne de votre amitié, digne de celle de tous ceux qui le
connoissent et qui savent avec quelle ardeur il conduit vos
affaires. Aussi n’ai je aucun doute que vous ne soyez entierement.
Mais mon ami, chaque homme a ses Baziles & Francy n’est pas
142
CARON DE BEAUMARCHAIS
sans les siens — Je lui en ai connu plusieurs pendant les cinq mois
que nous avons été ensemble dans cette ville[.] Ses propres
compatriotes n’ont pas manqué de le déchirer de la belle
manière. — Comme il n’a pas jugé a propos de tenir la bourse de
Roderigue Hortalez ouverte à tous les Chevaliers Errants qui se
sont presentés, personne n’a été plus déchiré que lui. — “Le
commis de Mr Beaumarchais roule carosse tandis que nous
autres Gens de qualité, Marquis, Barons &c trottons dans la
crotte jusq’aux genoux”. On lui a reproché qu’il donnoit à diner au
President, aux Membres du Congrès & au Ministre de France3 —
enfin mille choses de cette nature, qu’on m’a fait l’honneur de me
communiquer malgré qu’on connoisse la liaison dans laquelle je
suis avec lui; Je ne doute presque pas, mon cher ami, que des
Gens serviables, ou peut être quelques personnes de qualité qui
sont retournez en France, parcequ’ils etoient de trop ici ne vous
ayent fait des rapports dans ce genre de la conduite de notre ami.
Ne les croyez pas, je vous en conjure, je vous donne ma parole
d’honneur que Francy est le jeune homme le plus rangé & le plus
honnête que je conoisse. Ce sont ces mêmes repas qu’il a donnés,
ainsi que la décence qu’il met dans toute sa conduite qui lui ont
attiré cette consideration qui est absolument necessaire pour
traiter des affaires aussi importantes que celles dont vous l’avez
chargé. Il ne falloit pas moins pour le distinguer de la foule de
petits speculateurs qui fourmille autour du Congrès & qui
s’empressent de faire valoir leurs petites pacotilles au dessus de
toutes les riches Cargaisons que vous avez envoyé dans ce pays
ci. Confondu avec ces marchands d’allumettes le representant de
R.H. & Ci.e auroit eu de la peine a se faire entendre, & je vous
assure que vos affaires n’en auroient pas mieux marché, et
seroient au contraire fort en arriere. Encore une fois, mon cher
ami, soyez bien persuadé que vos affaires sont entre les mains
d’un homme aussi honnête qu’intelligent. Renvoyez tous ces gens
officieux qui voudront vous persuader du contraire. Ce sont des
Baziles —Envoyez les coucher.
A present un mot de moi!
CORRESPONDANCE
143
Mes Baziles sont peut être aussi déja arrivés à Paris.
Laissez les dire, & pardonnez leurs s’ils ne savent ce qu’ils
disent. Mes affaires iront bien, elles ne le sont pas encore,4 sans
quoi votre trésor seroit déjà un peu augmenté, mais encore un
peu de patience et je vous enverroi beaucoup de lauriers et un
peu d’argent.5 L’Amerique indépendante, & tout ira bien. —
L’Amerique f — & je le seroi avant elle; alors adieu mes lauriers,
tout est au Diable. Cet hyver je me suis occupé à écrire la
nouvelle ordonnance qui servira de Code Militaire à notre Armée.6
Le premier tome est sous la presse — Me voilà donc Auteur, tout
aussi bien que vous mon cher Collegue, à l’exception que mon
ouvrage est en anglais, 7 je vous en enverroi un exemplaire. Si
vous voulez le mettre en vers, libre à vous. Mais ce n’est pas la ou
ma celébrite se borne. Bientot vous pourrez acheter sur le Pont
Neuf une figure à deux sols representant l’Inspecteur General des
Armées Américaines. Cette figure ressemblera à votre Ami & sera
vendue avec la collection qu’on fait de ces honorables Gens que le
Roi George 3 a condamné à Etre pendus. Vous souvenez vous de
la boutique de la foire St. Ovide ou nous avons vu les bustes de
Pugatschew, 8 de la reine Mathilde 9 & de des Ruës.10 C’est dans
une collection pareille que vous verrez votre ami. Si vous n’êtes
pas trop avare, vous pourrez en faire une belle decoration dans
votre billard.
Quand arrivera le fier Roderigue, Je desire son arrivée pour
plus d’une raison.
Demain je pars pour l’armée du Nord, votre neveu11 va avec
moi comme Premier Aide de Camp, je ferai tout mon possible
pour en faire un soldat avant qu’il devienne Lieut’ ColN Jusqu’ici
il n’en a que le courage et l’intrepidité. Cependant, faites mes
excuses à sa Maman de ce que son cher Augustin ne couchera pas
toutes les nuits sur le duvet. Il depense bravement de l’argent,
mais aussi vous enverra til autant de Boucauds de lauriers qu’il
tire de Lettres de Change sur Roderigue. Pourvu qu’il s’applique
au métier, je serai content, ce n’est pas à moi à le gronder pour
quelques milles francs de depense, plus ou moins.
Je vous embrasse mon digne ami et je suis avec la plus
parfaite estime.
144
CARON DE BEAUMARCHAIS
Votre tres humble et obéissant Serviteur
S.
1Voir
tome IV, lettre 637 n. 1.
est, bien entendu, le nom donné au personnage du Barbier
de Séville qui incarne la bassesse, la méchanceté, la corruption et
qui soutient la calomnie comme moyen légitime d’arriver à ses fins.
3Voir lettre 746 où Francy parle de ce dîner.
4A l’exception de l’argent prêté par Beaumarchais, von Steuben
était plus ou moins sans ressource. Bien que Washington l’aimât
bien, il hésitat à lui donner un rang trop élevé, craignant de
s’aliéner les généraux américains. Mais von Steuben força l’estime
des autres officiers et deux semaines après cette lettre, le 5 mai, il
fut choisi comme Inspecteur Général et promu Général de division.
5En fait, nous savons d’après l’Inventaire que von Steuben n’a
jamais remboursé l’argent emprunté à Beaumarchais en 1777.
6Voir tome IV, lettre 637 n. 1. Connu comme le “blue book” parce
que la première édition était reliée en bleu. Il contenait des
règlements de manoeuvres pour l’infanterie et le rôle à tenir dans
l’armée par chacun de ses membres, du simple soldat aux officiers.
On a continué à se servir de ce livre jusqu’à la Guerre de 1812.
7Un officier français, Teissèdre de Fleury, a aidé à préparer le texte
français et Duponceau (tome IV, lettre 636 n. 6) et Benjamin
Walker, un aide de von Steuben, l’ont traduit en anglais.
8Yemelka Pougatchef (ou Pougatchew) (1726-1775) était un cosaque
illettré qui, à un certain moment se disait Pierre III; celui-ci
venait d’être mis à mort par sa femme, l’impératrice Catherine.
Pougatchef avait mené une rebellion contre Catherine, mais fut
pris et décapité à Moscou en 1775. Pouchkine a écrit une étude
historique sur son action politique, L’Histoire de la rebellion
Pugachev (1834), et s’en est servi pour son chef d’oeuvre en prose,
La Fille du capitaine (1836). Il est curieux de noter que dans
l’épisode de Vienne (tome II, lettre 284), Beaumarchais fut pris
pour Pougatchef; voir Arnould, p. 63).
9Caroline-Mathilde (1751-1775), reine de Danemark qui, après la
dissolution de son mariage avec Chrétien VII, roi de Danemark, a
été exilée en Hanovre où elle est morte de la petite vérole à l’âge
de 24 ans. Sa triste vie a inspiré plusieurs ouvrages qui
compatissaient à ses souffrances.
10Antoine-François Desrues. Un criminel condamné à être brûlé en
1777 pour avoir empoisonné deux personnes, et dont l’histoire a
donné naissance à un mythe. En 1828 une pièce sur sa vie,
Desrues, a connu un certain succès à Paris.
2Bazile
CORRESPONDANCE
145
11Des
Epiniers; voir lettre 746 où Francy parle de ce neveu de
Beaumarchais.
802. De Francy
Le 27 avril 1779
philadelphie
J’eus l’honneur de vous adresser le 15 1 feve.r diEr des duptTa des
lettres sous les dattes des 10 novbRe 24 DO & 19 XbRe La pr.e
emportée par MR Mullens aide de camp de Mr De Conway la
seconde par MR De Conway luy meme et la 3m.e par un batiµt
Americain allant a Nantes. Je joignis a ces DuptTa plusieurs
lettres qui m’avoient eté remises pour vous, une du congrés dont
vous trouveres cy joint le double, une du Baron de Stub... une de
Mr Drayton Membre du congres que veut entretenir une
correspondance avec vous, une de MR Deane, une de MR Carmikael
et un paquet de votre neveu, mon paquet contenait en outre tous
les details de la querelle de M.M. Deane & Lée, et une tres
longue lettre relative a vos affaires et a la position ou je me
trouvais alors; depuis qœues jours j’ai vu sur la liste des √aUx
français conduits à New York le nom de celui sur lequel s’etait
embarqué l’officier qui s’etait chargé de mon paquet (c’est le jeune
achille2 de Bordeaux) ainsy a moins qu’il n’y ait deux bµens de ce
nom la, mon paquet est a l’eau. Je ne crains pas qu’il soit tombé
entre les mains des Anglais, mais je suis bien faché qu’il ne vous
soit pas parvenu a tems, comme il contient beaucoup de choses
qui ne sont que pour vous, je n’ai pu rencontrer depuis ce tems
une occasion sure pour vous en adresser le duptTa le batiment qui
portera cette lettre cy est americain, et comme je ne connais
personne du bord, je n’hazarderai pas a entrer dans des details
qui me comprometraient en cas d’accident. dans qœues jours
j’espere avoir une occasion tres sure par la quelle je vous ferai
146
CARON DE BEAUMARCHAIS
passer l’historique de tout ce que j’ay fait depuis que je suis a
philadelphie, d’après la lettre que vous a ecrit le congrés et que
vous avez ci jointe vous croiries sans doute que je n’ai plus trouvé
d’obstacles a surmonter et peut etre soupconeres vous que c’est
en partie ma faute, si vous ne receves pas des retours, mais il me
sera tres aizé de vous prouver que je n’ay rien epargné pour vous
faire rendre la justice qui vous est si bien dûe, et que depuis que
je suis dans ce pays ci je n’ai jamais eprouvé autant de difficultés
qu’actuelement. apres le resolvet du 14 jiEr diEr dont je vous envoye
cy joint copie et la lettre qui vous a eté ecritte, j’esperais qu’on ne
s’occuperait desormais que des moyens de vous faire passer de
prompts retours afin de vous mettre a meme de faire de
nouveaux envoyes, au lieu de cela le party opposé a vos
pretentions a insinué a Payne 3 le marin [malin?] de ce pays cy
que ces fournitures n’étaient pas un present du Ministere, mais
que des particuliers francais avoient fait une souscription pour
faire passer ces sécours aux Americains comme un present et que
vous n’avies jamais eté que l’agent de ces genereux particuliers,
mais que MR Deane ayant un interet personel a acheter en france
et non pas a y recevoir, parce quil devait toucher une commission
sur tout ce qu’il acheteroit, vint a bout de persuader a ces etres
imaginaires de ne pas paraitre dans cette affairre la et de vous
laisser reclamer le prix des fournitures envoyéés. De pareils
rapports tout absurdes qu’il ne sont, ne laissent pas que de
produire un tres mauvais effet pour vos interets ils servent a
entretenir les soupcons des gens faibles (et le nombre en est tres
grand) et à empêcher l’exécution de toutes les promesses qu’on
m’a si souvent reiterées, il est impossible de vous donner une
idée juste de la maniere avec la quelle une affairre d’une aussi
grande importance pour le crédit et l’honneur des etats unis est
traittée, j’ay pris patience aussi long tems que j’ay pu, j’ay mis en
usage tous les moyens doux et honnettes pour démontrer
l’injustice des procedés que l’on a pour vous, j’ay sollicité sans
relache des retours, j’ay proposé plusieurs plans, en un mot j’ay
epuisé toutes les ressources imaginables; et apres avoir toujours
recu des reponses asses honnettes, apres avoir obtenu des
Resolvets sur les quels je croyois pouvoir compter, je n’en suis pas
plus avancé, cela vous paraitra incroyable, mais je suis a meme
CORRESPONDANCE
147
de vous en donner toutes les preuves que vous pourres exiger.
enfin ennuyé d’etre sans cesse a importuner le congrés et de ne
jamais recevoir aucune reponse satisfaisante, j’ay pris le party de
reunir tous les details de ce que vous avez fait et de porter mes
plaintes au congres des lenteurs inouies que j’eprouve. J’ay
d’abord fait l’historique abregé des services que vous avez rendu
a la Republique et du desinteressement avec le quel vous l’avez
servie en appuyant les faits que j’ay rapporté de vos lettres et
des autres preuves que j’ay recueillies depuis que je suis yci, j’ay
ensuite repondu a toutes les absurdités debitées par M.M. les
commissionnaires et il ne m’a pas été difficille de demontrer la
fausseté de leurs assertions par les contradictions continueles
dans les quelles ils tombent avec eux memes, enfin je conclus ce
memoire qui est long parce que c’est la derniere chose que je
veuille ecrire jusques a ce que je sache de vous le party que vous
aves pris par signifier au congres qu’ils doivent s’en prendre à
leur lenteur et a leur mauvaise volonté s’ils ne recoivent pas les
fournitures que je m’étais engagé que vous leur feriez passer, que
de leur coté ils n’ont rempli aucune des conditions qu’ils avoient
faite et qu’ils ne doivent pas esperer que vous ayies pu remplir
les votres puisque vous devies recevoir des rétours avant de faire
de nouveaux envoyes, j’ay mis sous un meme point de vue toutes
vos operations depuis 1775 et la maniere dont vos services ont
ete reconus, souvent l’indignation a fait soulever ma plume (pour
me servir de votre expression) j’ay manqué 100 fois sortir des
bornes que je m’etois prescrit, mais j’ay etouffé mon
ressentiment; j’ay neamoins dit la verité, j’ay rapporté les
traitemens que vous avies essayés de M.M. franklin, Lee et
meme Deane lorsque vous eties le plus zelé partizan de la cause,
je n’ay ménagé personne parce que personne ne veut rendre
justice et quil est affreux que ces commissionnaires vous ayent
representé comme ils l’ont fait. M. Deane que vous avez accablé
de bienfaits et qui connait les services que vous aves rendu a son
pays est beaucoup plus coupable envers vous que ses collegues et
il vous a fait infiniment plus de tort queux en signant ces deux
lettres sous les dates du 7 oct. 1777 et 16 fevrier 1779 ou il est
clairement specifié que vous n’avez aucun droit aux reclamations
que vous faites... y a t’il rien de plus vil que la conduite de ces
148
CARON DE BEAUMARCHAIS
gens la a votre egard, j’ay tout lieu d’esperer que mon memoire
fera le meilleur effet, je l’ai communiqué a plusieurs senateurs
qui m’ont donné leur parole qu’avant peu vos services seroient
recconus d’une maniere digne de vous et que vos ennemis
auroient le temps de se repentir d’avoir trompé le congres sur
votre compte. Je n’ay pas beaucoup de confiance dans leur
promesses mais du moins j’aurai fait tout ce qui aura été en mon
pouvoir pour m’aquitter de la mission dont vous m’aves honoré et
repondre a votre attente lorsque vous lirez le memoire dont je
viens de vous donner l’extrait vous seres a meme de juger de
quelle maniere J’ay traitté vos affaires, comme il est
extremement long je ne vous l’enverrai pas actuelement, mais il
me servira un jour pour justifier ma conduite a vos yeux au cas
que les delays incroyables que vous avez eprouvé dans cette
affaire puissent vous faire soupconer que je n’aye pas menagé vos
interets comme je l’aurois pu et comme je le dois vous pouvez
aisément juger d’apres le portrait que je vous ay envoyé des gens
avec qui j’ai a traitter et d’apres les prejugés qui subsistent
contre vous lors de mon arrivée qu’il ne m’a pas été facile de leur
faire entendre raison et cela n’est pas fort extraordinaire; A Lee a
des le commencement conduit en erreur le congrés en vous
annonçant comme un agent du Ministere et vos marchandises
comme un present; pour soutenir cette absurde assertion il a fait
uzage de tous les moyens dont il s’est avisé il avait icy un party
tres considerable, deux de ses freres étant membres du congrés et
presque toujours en la plus grande influence. Les amis du Dr
franklin n’etaient pas les votres puisque ses lettres annonçoient
a peu pres la meme chose que celles de MR Lee & les amis de MR
D... ne savaient qu’en penser, il avait bien dans les pr.s instans de
son sejour en france ecrit de tres belles choses a votre sujet, mais
aussitot qu’il eut ses collegues, il se joignit a eux pour deposer
contre vos pretentions de maniere que vous n’aviez pas un seul
ami dans ce pays pour lequel vous aviez sacrifié votre fortune
votre crédit & votre repos: je vous ai dit dans mes precedtEs lettres
combien j’avais eprouvé de difficultés avant d’obtenir seulement
la recconoissance de votre dette, mais depuis que le party Lee a
vu que vos pretentions etaient appuyées par le Ministre de
France et que les assertions de leur protegé etaient reconues
CORRESPONDANCE
149
fausses, ils ont redoublé leurs efforts pour vous nuire aussi long
tems qu’il leur sera possible en empechant du moins qu’on ne
vous fasse aucun rétour; c’est a ces viles intrigues la qu’il faut
que vous attribuiez tous les delays que vous eprouvez... MR D...
est bien revenu sur ses pas, il n’y a pas de choses flatteuses qu’il
n’ait dittes sur votre compte, mais cela n’a servi qu’a lui nuire en
prouvant son inconséquence il s’est entierement ruiné par cette
duplicité là. Carmik... a dit de son coté beaucoup de choses fort
avantageuses, mais il a peu de crédit et il est un peu sujet a
altérer son opinion (maladie du pays) il y a œques jours qu’il a
voté en faveur d’une motion qui était directement opposé à vos
interets, il a voulu me prouver qu’il avait eu raison, j’ai ri de sa
conduite parce que au fait il ne peut ni vous nuire ni vous etre
d’un grand service, et je continue a le voir comme auparavant....
cette conduite honnette de tous ces messieurs là est une des
raisons qui m’a determiné a ecrire mon memoire, j’ai voulu que
vos services parlassent seuls pour vous, dedaignant de briguer
les suffrages de gens sur qui il y a si peu a compter. Je ne puis
douter que cela ne fasse un tres bon effet, les contradictions
evidentes que l’on appercoit dans les differentes assertions des
agens contrastées avec l’uniformité de votre conduite, avec votre
desinteressement et votre constance, rameneront a coup sur
plusieurs personnes qui sont irrittées de voir qu’on les a trompé
sur votre compte. On a pris beaucoup d’information pres de MR
Gerard qui vous a rendu toute la justice qui vous est due, de
maniere que vous avez aujourdhuy un party qui, s’il nest pas
encore le plus fort le sera certainement avant peu, on voit
clairement que si le congrès avait mis toutte sa confiance en vous
depuis 18 mois, on ne manquerait de rien dans ce moment ci au
lieu que les marchsEs sont sans prix et le discredit du papier
monnoye augmente tous les jours. Pour vous nuire il n’y a rien
que vos ennemis n’ayent été capables d’entreprendre aut cezar
aut nihil semble etre la maxime d’un des freres d’A Lee, avec de
pareils principes et un talent peu ordinaire dans ce pays ci on
peut faire beaucoup de mal; on est à présent occupé de rappeller
tous les agens si cette resolution passe, alors je ne trouverai plus
d’obstacles et je vous répons du succés de vos affairres, si au
contraire les amis de la bonne cause n’ont pas encore la majorité,
150
CARON DE BEAUMARCHAIS
ce sera œques instans de plus à attendre, mais il faudra toujours
en venir là; cette division parmi les membres du congrés fait le
plus grand tort aux affairres politiques; le discrédit du papier est
aujourdhuy à un point incroyable, on a 15 dollars en papier pour
1 en argent; cela vient de ce que le corps representant de la
nation n’adopte aucuns moyens pour empecher cette dépréciation,
il faudrait d’abord arretter la presse qui fait des millions par
semaine et faire en sorte de se procurer des fonds pour les
besoins de l’armée, ce qui eut été tres aizé il y a six mois tant en
sollicitant un emprunt en europe qu’on aurait a coup sur obtenu
que par une forte imposition de taxes, mais toutes les seances se
sont pour ainsy dire passées pendant tout ce tems la en dêbat
pour soutenir M.M. Lee ministres plenipotentiaires en europe,
cependant leur conduite a été formelement blamée il y a œques
jours, je vous envoye cy joint copie de la resolution du 20 avril et
d’apres cela on hézite encore si on rappellera ces gens aux quels
le congres lui meme vient d’apprendre a l’europe de ne pas avoir
confiance. Le vieux DR a été le premier que les amis de Lee aient
mis en avant, afin qu’il soit ou rappellé aussi ou que leur protegé
soit continué en europe par la meme raison qui fait qu’on y
continue le Docteur. La majorité a été en faveur de ce dernier,
mais il est tres probable que tous les autres seront rappellés,
Les deux freres de Lee quittent le congrés sous quelques jours:
D’yci a un mois je vous dirai certaineµt sur quoy vous pouves
compter avec ces gens ci. vous avez été excessivement mal traitté
mais aussi considere la maniere dont vous avaient representés
les seules personnes aux quelles le congrés pouvait avoir
confiance. Il y en aura toujours parmi eux quelques uns qui
seront intimement persuadés que vos fournitures etaient
originairement destinées un présent, mais peu importe, pourvu
que la majorité recconaisse le contraire et agisse en consequence.
Je suis bien embarrassé sur ce que je dois proposer ou accepter
pour l’avenir vous m’aviez authorizé a faire un contract pour la
continuation des fournitures,4 voila un an passé que ce contract
est fait, je sais que vous en avez recu plusieurs copies & depuis le
17 mai je n’ai pas un seul mot de vous, de maniere que je ne sais
à quoy me determiner si l’on me propose œques plans de
commerce pour l’avenir, si les Lee sont rappellés, vous pouvez
CORRESPONDANCE
151
etre assurré que la preference vous sera accordée dans toutes les
affairres que vous proposerez, mais alors je ne saurai a quoy me
determiner, je ne conçois rien a votre silence non plus qu’au
retard de vos vaisseaux, il y a 4 mois que j’attens le fier rodrigue
en compagnie de 2 ou 3 autres, comment se fait il que vous
gardiez six mois dans le port un vaisseau qui aurait pu faire la
course la plus brillante et après vous avoir enrichi m’amener des
vaisseaux vuides pour les charger de tabac, ce retard me donne
par fois l’espoir de vous voir arriver ici avec luy alors je serais
parfaitement heureux, vous trouveriez vos affairres prettes a etre
terminées et vous obtiendriez a coup sur tout ce que vous
pourriez demander: tous ceux qui vous connaissent vous desirent
yci a la tete de nos affairres, MR G... part sous peu de jours, on ne
sait pas encore qui le remplacera mais je fais des voeux bien
sinceres pour que ce soit vous, certainement tout irait beaucoup
mieux si vous etiez yci; on attend tous les jours des commissaires
anglais avec des pouvoirs illimités pour des propositions de paix,
il n’y pas d’apparence que les anglais veuillent rendre la
campagne bien active cette année, ils ont à peine de quoy se tenir
sur la defensive, il n’y a pas plus de 15 mille hommes sur tout le
continent et ils sont divisés en 3 corps l’un d’environ 7000
hommes a New York le sD d’environ 3000 hommes a Rhode
Island & le 3m.e en Georgie ou il ne fait pas merveille, Charlestown
etait menacée d’une invasion, mais les Anglais n’ont pu penetrer
au dela de savanah et par mer ils ne s’y hazarderont pas, ainsy
il est tres probable que la campagne se passera en
deliberations...
Je vous envoye cy joint une lettre de MR D.... le double d’une
qu’il vous ecrivit il y a 3/m depuis ce tems je l’ay peu vu parce que
ayant été obligé de parler de luy dans mon memoire relativement
a sa duplicité a votre egard je me suis insensiblement eloginé de
luy; je l’ai menagé autant que j’ai pu parce que MR G.... le
soutient fortement et parce que je crois qu’il a été plus faible que
mechant, mais cette faiblesse est bien coupable et vous a fait le
plus grand tort, il la paye bien aujourdhuy, il n’a plus d’amis au
congrés et a peine obtiendra til un resolvet qui approuve ce qu’il a
fait en france; depuis longtems il aurait voulu repartir pour
s’etablir en france, mais il ne peut décement quitter l’amerique
152
CARON DE BEAUMARCHAIS
sans que le congrés ait prononcé sur les operations, et il est
probable que ce ne sera pas de sitot. Il n’a encor rendu aucun
compte d’argent et il est formellement accusé par A Lee d’avoir
employé pour son compte les fonds publics de concert avec le
vieux DR ces deux agens accusent de leur coté Lee de n’etre pas
attachéz a l’alliance et d’entretenir des correspondances en
angleterre &ca &ca &ca Les gens sensés veulent les rappeller
tous afin que le congres puisse entendre leur raisons de part et
d’autre et les juger ici, c’est ce qui sera terminé a ce que j’espere
sous quelques jours. MR G... n’attend plus que cela pour partir,
tous ses effets sont dejà en partie vendus et en partie
embarqués. des que cette question sera terminée, je proposerai
plusieurs moyens pour vous faire passer des rétours et si comme
je l’espere je reçois de vos nouvelles je serai à meme d’obtenir
sans de nouvelles difficultés tout ce que je pourrai demander,
mais il est bien essentiel que je recoive des nouvelles, depuis
plusieurs mois j’aurais donné mon memoire si j’en avois eû.
Je n’ai pas encore terminé votre affairre avec le sieur Galvan,5
il proteste toujours qu’il est infiniment honnette, mais les
apparences sont bien contre luy. depuis 3 mois MR Giroud6 est a
la suite de son frere pour toucher vos fonds qui sont entre les
mains de ce frere et il n’a pu encore en recevoir qu’une partie; en
recevant le tout, vous faites une perte d’au moins 60 a 70 pour %
sur la difference seule de la valeur du papier, tandis qu’il
dependait de Galvan l’ainé de vous remetre vos fonds, lorsqu’il
les recut, a au mons 50 % de benefice apres avoir recueilli toutes
les pièces concernant cette affairre la et avoir fait attester la
facture du hardy par MR Deane, j’ai fait un petit memoire pour le
conseil de charlestown au quel j’ai adressé toutes les pieces en
regle, je leur ay proposé de reprendre les fonds qui ont été
comptés au dit sieur Galvan puisque les retours ne vous ont pas
encore été faits & que dans ce moment ci vous feriez une perte
immense et de les garder jusques a ce que l’argent ait repris une
valeur reelle puisque vous aviez contracté pour etre payé a 100
pour % de benefice en or et non pas dans une monnoye qui n’a
1
pas aujourdhuy le 15 de la valeur qu’elle represente. Un de vos
grands partizans MR Drayton delegué de la caroline a ecrit en
meme tems au president Rutledge qui est son ami pour l’engager
CORRESPONDANCE
153
a accepter ma proposition, je ne crois pas qu’un etat puisse se
refuser et par ce moyen la vous n’aurez du moins pas fait une
aussi mauvaise affairre, vous n’y gagnerez a coup sur pas
beaucoup, mais vous perdriez plus de moitié de votre mise dehors
apres avoir couru tous les risques de l’expedition, si l’etat de la
caroline refusait de reprendre l’argent compté à Galvan. ce qui a
donné beaucoup d’humeur est la qualité des fusils, MR Rutledge a
consenti de les payer ce que vous les avez portés sur la facture,
mais MR De Monthieu vous doit un dedomagement considerable
et vous perdrez asses pour que ce dedomagement vous regarde
seul. sur toutte la partie que vous aviez expedié il ne s’en est
trouvé que 333 neufs, tous les autres etaient des fusils reparés, il
en a crevé plus de 600 a l’epreuve: varage a dit a galvan que
Bellon7 avait souvent offert ces memes fusils pour 17£ en general
on se plaint du prix que vous portez dans vos factures pour cet
objet, tous ceux qui en ont importés les passent de 15 a 21£ &
des interessés dans la manufacture de Charlesvile m’ont dit que
le prix des fusils des soldats ne passe pas 21£ en france, je ne
vous donne pas cela comme un fait mais informez vous en.
J’espere neamoins que la caroline acceptera ma proposition et je
vais continuer a presser le sieur Galvan jusques a ce qu’il m’ait
tout remis ce qu’il a reçu et des que j’aurai une reponse de MR
Rutledge je ferai passer cet argent a Charlestown.
Je vous envoye copie de la lettre que vous a ecritte MR
Drayton8 avec la traduction a coté Je crois la lettre perdue avec
mon paquet du 15 fevrier.
Comme je me suis particulierement attaché a demontrer la
justice de vos demandes aux delegués de la virginie qui etaient le
plus prevenus contre vous par les Lee j’ay reussi a les rendre vos
plus zelés partizans, ce qui me servira beaucoup pR aplanir cette
difficulté elevée au sujet de vos tabacs, et comme cet etat est le
plus riche par ses productions, c’est celui de tous avec lequel il
vous est le plus avantageux de former des connexions
immédiates. Un de ces delegués9 homme d’un jugement sain, bon
patriote et honnette homme m’a promis de vous expliquer luy
meme les raisons qui ont si long tems empeché le congrés de
recconaitre vos services, je lui ai la plus grande obligation depuis
qu’il est au congrés, il a appuyé toutes mes demandes et comme
154
CARON DE BEAUMARCHAIS
il a beaucoup d’influence, il m’a on ne peut mieux servi. on parle
de l’envoyer en france, si cela se verifie et que vous ayez œques
affairres a traitter ensemble a coup sur vous serez tres content de
luy; il m’envoye a l’instant un mot dont vous trouveres la copie
incluse a la quelle est jointe la traduction, je vous ferai passer
l’original par une occasion sure, il me marque que dans 8 a 10
jours il entrera dans tous les détails qui peuvent vous satisfaire:
je pourais reunir 20 temoignages outre le sien des difficultés que
j’ay eu a surmonter et des efforts que j’ay fait pour y reussir mais
j’espere que vous aviez bien connu mon zele et mon attachement
pour vous lorsque vous m’avez confié vos interests et je vous
repons que vous n’aures jamais raison de vous repentir de
m’avoir accordé une confiance si entiere; tout mon tems & tout ce
que je puis vous est pR toujours devoué. Je ne doute pas que de
mes compatriotes aux quels j’ai refusé de pretter de l’argent ne
fassent quelques efforts pour vous inspirer de la defiance, on vous
dira peut etre que je fais une dépense extravagante que je me
donne des airs qui ne me convienent pas &c. &c mais soyez bien
tranquille, la possibilité de faire de la depense et de disposer de
beaucoup d’argent ne me tournera jamais la tete, je serai
toujours a meme de vous rendre un compte satisfaisant de tout
ce que j’aurai fait: et d’ailleurs c’est pres des honnettes gens que
je vous prie de prendre des informations si jamais vous aviez de
l’inquiétude; MR G.... sera bientot pres de vous et je m’en rapporte
a tout ce qu’il vous dira quoique nous n’ayions pas toujours été
d’accord sur vos affairres, il a voulu s’en meler ministerielement
dans un tems, je luy ai representé que je ne pouvais pas me
pretter aux arrangemens qu’il proposait, cela lui donna de
l’humeur et pendant pres d’un mois il me parlait a peine, je
parvins cependant a lui prouver que mes raisons etaient bonnes
et depuis ce tems je n’ai eu qu’a me louer de ses procédés a mon
egard. Je vous ecrirai tres au long par luy.
On m’a ecrit de Virginie que vous aviez un interet sur le
vaisseau la comtesse de Brionne expediée de Dunkerque; la
cargaison de ce batiment fut chargée a la Martinique a bord d’un
vaisseau americain qui a peri sur les cotes de la virginie, une
partie de la cargaison a été sauvée mais des miserables en ont
pillé une partie & vendu le reste a vil prix, je n’ay reçu aucune
CORRESPONDANCE
155
lettre de vous, je ne sais pas meme si les effets que vous aviez à
bord de la comtesse de Brionne (si toutefois il est vrai que vous y
en eussies) ont été rechargés sur ce batiment americain; prenes
des informations a ce sujet & si de mon coté je puis decouvrir
quelque chose je ferai toutes les poursuites necessaires pour
sauver ce que je pourrai.
Le baron de Stuben est retourné au camp depuis qques jours,
nous avons passé 5 mois icy ensemble dans la plus etroite
liaison, c’est un bien respectable homme qui est aujourdhuy
generalement estimé et aimé de tous ceux qui le connaissent, il
n’a pas encore fait fortune, mais il a acquis la confiance du
general en chef et de tout le congrés, ce qui le mettra a meme
d’acquitter bientost luy meme ce qu’il vous doit. il m’a laissé 2
lettres pour vous dont je vous envoye ci joint la premiere,
Desepiniers est retourné avec luy au camp; apres bien des
irresolutions il s’est determiné a faire encore cette campagne cy.
C’est un bon & honnette garçon extremement brave mais un peu
inconstant, il ne fait encore ce qu’il veut faire il vous a ecrit
plusieurs fois pendant son sejour a philadelphie ou il a passé
cinq mois, il y a un peu mangé d’argent que je lui ai avancé parce
que reellement ses appointemens ne lui suffisent pas, mais si
cette petite pacotille que je vous ai demandée arrive cela lui
suffira pour me rembourser et pour l’exedent de ses depenses.
Le tabac se vend aujourdhuy 40 a 45 piastres en virginie &
en Maryland, ici 60 a 70 le qL Jugez de la perte que vous feriez si
je vous fesais actueleµt les retours de la belle vente faitte par MR
Chevallié et dont on m’a ecrit qu’il a l’impudence de se vanter en
france, il faut la paix ou un emprunt en europe pour rendre au
papier sa valeur et diminuer le prix de toutes les marchandises,
l’emprunt serait un moyen immanquable, Dans ma premiere je
vous ferai des details a ce sujet, je voudrais bien recevoir de vos
nouvelles avant que cela ne soit décidé parce qu’il ne me serait
peut etre pas tres difficille d’obtenir qu’une partie de l’argent qui
sera emprunté fut versé dans votre caisse tant pour vous payer
que pour vous fournir les moyens de remplir les conditions de
votre contract.
Je vous avais annoncé dans la lettre que vous a porté Mr de
La Fayette que vous recevriez 150 bau.ds de tabac sur le vaisseau
156
CARON DE BEAUMARCHAIS
la bergere, je les avais effectivement obtenu et j’avois donné moy
meme les ordres en consequence, mais par une finesse fort
extraordinaire de M.M. du Committé du Commerce, les ordres
envoyez a leur agent qui a chargé ce batiment, parlaient de faire
les connaissemens au nom des commissionaires, ce qui a été
executé sans que le congrés l’ait su et sans que j’aye pu le
soupconer, cela n’est pas fort ettonant pour ceux qui sont temoins
du desordre qui regne dans les affairres publiques, mais vous n’y
concevres rien; que je desirerais quà l’arrivée de ce batiment vous
ayez fait saisir les 150 bau.ds de tabac a bord, c’est moi qui avais
ammené ici le Capne de Baltimore qui avais demandé du tabac
pour le charger, j’avais la parole du committé qu’il vous serait
consigné, j’avais ecrit en consequence et l’on m’a indignement
trompé; au moment ou j’ai decouvert cette supercherie, j’ai porté
mes plaintes au congrés, en demandant de me permetre de
traitter a l’avenir directement avec eux, afin de n’etre pas exposé
a voir altérer une resolution de la majorité du congrés par 2 ou 3
membres qui peuvent y etre opposés..... J’ai insinué dans ma
lettre qu’une pareille conduite de leur part ne pourrait jamais
etre conçue par vous et qu’il y avait a craindre que vous ne
fussiez a la fin forcé de vous servir d’un moyen que vos amis vous
avoient conseillé depuis longtems qui etait de faire saisir tous les
batimens americains qui arriveraient dans les différens ports
d’europe jusqu’a concurrence du parfait payT Je crois bien qu’on
ne me trompera plus aussi malhonetement à l’avenir; on doutait
encore de vos droits lorsque cet ordre fut donné; mais que la
conduite qui a été tenue dans cette occasion vous apprenne a
connaitre les gens avec qui j’ai a faire; on me promet tout lorsque
je demande, après quoi l’on ecrit furtivement pour detruire l’effet
des promesses qui m’ont été faites, et à travers tout cela l’on me
fait jouer le role le plus ridicule, car qu’avez vous du penser
lorsqu’a l’arrivée de ce batiment, on vous a signifié que le tabac
qui etait a bord n’etait pas pour vous, l’on m’a ecrit de Nantes
que le vieux Docteur avait enfin recconu ses torts et etait fort lié
avec vous, si cela est vrai, il doit vous avoir delivré ce tabac, car
l’ordre porte que le produit doit en etre employé par luy a
aquitter une partie de la dette continentale, je vous promets
qu’on ne m’en imposera plus. La resolution du 15 Janvier que je
CORRESPONDANCE
157
vous envoye ci jointe m’en garantit et en [tâche] j’ai tout a esperer
qu’avant tres peu de tems le nombre de vos amis au congres
l’emportera sur celui de vos ennemis; qu’il doit vous paraitre dur
d’entendre dire que vous avez des ennemis dans un pays pour
lequel vous avez tant fait.
Je vous envoye une petite traitte de 787 [tâches] tirée sur MR
De Monthieu par un de ses parens, Le ct.e de pulawsky10 vous doit
360£ pour 15 paires de pistolets que je lui ay vendu du bord du
fier Rodrigue a 24£ la paire, vous les preleverez sur le montant
de la lettre de change & vous tiendrez le surplus a la disposition
du comte. Il est bien impatient de savoir ce que vous avez fait de
l’argent qu’il vous avait remis et si vous en avez touché depuis
son depart. il est actuelement au sud avec sa legion.
P.S. Je vous prie de me rappeller au souvenir de toutte votre
societé, de presenter mes repects a mes dames vos soeurs et a
Madame W.... j’ecris a notre ami MR Gudin et de Monthieu,
voudres vous bien charger de leur remetre mes lettres.11
Je vous prie aussi d’envoyer une lettre que vous trouverez
dans votre paquet pour un MR Bobée agent d’affairres par un de
vos domestiques, elle est d’un tres honnette officier qui a été
prisonier 9 a 10 mois et qui charge ce MR Bobée de vous remetre
quelque argent qu’il doit avoir touché pour luy, vous voudrez bien
le recevoir et m’en faire passer le montant en marchandises sur
un de vos batimens bien armés; cet officier etait Capn.e a la suite
du marquis de Bretigni,12 mais il est devenu aujourdhuy un tres
honnette marchand et il fait tout ce qu’il peut pour reparer les
pertes qu’il a faites en etant pris, je vous prie de vous occuper un
instant de lui faire faire le petit recouvrement sur lequel il compte.
Et suis [. . . ]
Etat des pieces renfermées dans le paquet de MR de
Beaumarchais remis au cap. green.13
N° 1.
2.
3.
4.
5.
6.
Lettre du congrés a MR de Beaumarchais
Lettre de Mr Deane a MR de Beaumarchais
Lettre du Baron de Stuben a MR de Beaumarchais
Copie de la lettre de Wm Hy Drayton a MR de B.
Copie de la lettre de Merriwether Smith a MR de B.
Resolvets du congres du 15 Jier et 20 avril 1779
158
CARON DE BEAUMARCHAIS
7. Ma lettre a MR de Beaumarchais
une lettre pour MR Gudin
une lettre pour MR de Monthieu
une lettre pour MR Bobée
une lettre de change de MR de Ponthiere
passée ordre de MR de Beaum.
Dans la marge: “Par Capne Green (voir ci-dessous n. 13) 2tTa a MR
Vitry secretr.e de MR Gérard.”
1C’est probablement le 5 février que Francy voulait dire (voir cidessus sous cette date, lettre 746); les autres lettres mentionnées
sont dans le tome IV.
2Voir tome IV, lettre 711.
3Thomas Payne; voir lettre 746 n. 23.
4Voir lettre 773.
5Voir lettre 746.
6Voir lettre 746 n. 31.
7Voir tome IV, lettre 697 n. 1.
8Voir lettre 737.
9Meriwether Smith; voir lettre 790.
10Voir tome IV, lettre 696 n. 3.
11Ici, à droite en petits caractères est écrit: ce qui suit ne doit pas
être copié.
12Charles-François Sevelinges de Brétigny, naguère officier dans la
garde du corps du comte d’Artois. Il passe en Amérique en 1778,
est nommé officier en 1779. On lui a confié le commandement de la
compagnie organisée par les Français de la Caroline du Sud pour
lutter contre les Anglais qui envahissaient l’état.
13John Green, capitaine du Nesbitt, a été capturé par les Anglais
vers la mi-juin et a jeté à la mer toutes ses lettres. Il a quitté
Philadelphie le 2 mai; voir BFP, XXIX, pp. 737-38 et lettres 817 et
867.
CORRESPONDANCE
159
803. A M. Louis1
Bordeaux, ce 3 mai 1779.
Vous me demandés encore une fois mon avis, Mon cher Louis.
Je ne puis que vous répéter ce que je vous ai déjà dit, et vous
l’écrire pour le mieux graver dans votre mémoire.
Vous Etes doublement heureux de ce qu’un emprunt vous met
a portée de finir dans huit mois ce qui, sans cela, vous eut peutêtre encore dérobé huit années; Et de ce que l’arret du conseil, en
exigeant un devis, vous ait fourni l’occasion de montrer aux
Jurats de cette ville et votre intelligence et votre
désintéressement.
L’architecte de la ville2 a fait un devis estimatif de vos
travaux, que vous croyés pouvoir éxécuter a cent mille francs de
moins que l’estimation de cet architecte. A cela je vous ai dit:
courés présenter aux Jurats l’offre de cette énorme diminution.
Elle est la plus belle réponse que vous puissiés faire a toutes les
accusations de gaspillage et de prodigalité dont on n’a cessé de
vous charger auprés des jurats a Bordeaux; et des Ministres a
Versailles.
Si quelque chose peut faire hésiter les Jurats sur
l’acceptation d’une telle offre; c’est sans doute, l’inquiétude que
votre zéle n’aille plus loin que vos pouvoirs. Mais personne aussi
ne sachant aussi bien que vous l’art d’Economiser sur la batisse;
si vous Etes certain que cette Enorme diminution de cent mille
livres est possible; moins on y croit, et plus vous devés insister
sur la préférence que méritent vos offres.
Vous avés beau me dire que les jurats veulent que vous
signiés le dispendieux devis de leur architecte; vous ne ferés croire
a personne que les magistrats d’une ville, qui doivent compte du
loyal emploi d’un emprunt, comme vous devés celui de vos
travaux et de votre Economie préférent le plus cher devis au
moins couteux: Vous avés mal entendu mon ami.
Mon avis est donc que vous divisiés les objets qui regardent
la comédie proprement dite, d’avec ceux qui ne sont que des
accessoires Etrangers a cette salle, des objets d’une location utile:
160
CARON DE BEAUMARCHAIS
parce qu’il vous importe infiniment, pour votre reputation avenir
[sic], qu’on ne puisse jamais confondre ce qui tient a la salle de
spectacle avec ce que vous n’avés fait entrer dans vos plans que
comme des compensations plus que proportionnées aux avances de
la ville.
Cette division bien faite mettés sur chaque partie la
diminution que votre art Economique vous permet d’offrir à la
ville, et signés les deux objets sans crainte de reproche: En ceci
vous faite l’office d’un homme d’honneur; car, en signant le devis
de l’autre architecte, sans observations; il est clair que vous
pouviez mettre dans votre poche les 100.m.L que vous rendés
généreusement a la ville. Ne craignés pas que vos amis laissent
ignorer ou il convient ce trait qui vous honore et qui doit charmer
les jurats de Bordeaux.
Vous dites qu’on vous demande une caution. Ordinairement
on en exige des gens qui veulent trop dépenser; mais jamais de
celui qui propose un rabais.
Quoi qu’il en soit; j’offre de vous en servir, tant je suis touché
de votre honorable désintéressement.
Remettés moi le devis sur lequel vous offrés une diminution
de cent mille livres, et si, malgré ma garantie, Messieurs les
jurats par des raisons à moi inconnues, persistaient à préférer
votre signature sur le devis de leur architecte; alors, pour votre
honneur demandés leur attestation par écrit de vos offres et de
leurs refus et signés ce devis avec les rectrictions [sic]
convenables. Mai [sic] si tout cela entrainait quelque retard, ne
détruisés pas vos ateliers; ce qui couterait beaucoup. Empruntés
plutot, pour attendre l’argent des jurats, et portés en l’intérêt
dans vos comptes: car il est Egal a ces magistrats de payer un
intérêt a votre prêteur ou au leur. Conduisés vous avec le plus
grand respect a leur égard. Montrés beaucoup d’honèsteté à
l’architecte sur qui vous économisés, Car votre habileté ne nuit
pas à la sienne: Il part d’après les prix d’usage et vous d’après
des procédés nouveaux.
Et comptés sur l’estime et l’attachement de V.T.H.S.
Caron de Beaumarchais.
161
CORRESPONDANCE
1Voir
tome IV, lettre 720 n. 1; Louis-Nicolas Louis (1731-1800) est
connu à partir de 1765 sous le nom de Victor Louis. Le célèbre
architecte était un ami intime de Beaumarchais. Il s’agit dans
cette lettre des difficultés qu’avait Louis à terminer la construction
du Grand Théâtre de Bordeaux. Il lui fallait des crédits
supplémentaires que les jurats ne voulaient pas lui donner; voir
lettres 720 et 727 du tome IV. On lui a enfin prêté de l’argent et le
travail de Louis est arrivé à son terme à la fin de 1779 sept ans
après son commencement. Le 7 avril 1780, on a inauguré la
nouvelle salle en y donnant l’Athalie de Racine; voir Detcheverry.
2Bonfin était l’architecte de la ville et a été nommé contrôleur des
travaux de la salle de spectacle.
804. A Francy
Bordeaux, le 8 mai 1779
Puissiez-vous, mon cher Francy, recevoir cette lettre en bonne
santé! Je la fais partir de Bordeaux par la Bueskin,1 frégate de
trente canons expédiée pour Baltimore par M. de Lap., et qui,
dit-on, doit partir dans dix ou douze jours. Comme je suis à
Bordeaux pour les minutes des lettres que je vous ai écrites par le
fier Roderigue et par la frégate l’Alliance,2 je ne puis vous en
remettre de duplicata. Je joins seulement ici l’état exact des
assurances en France, dans les années 1776 et 1777, pour
joindre à ma lettre au Congrès que vous recevrez par le fier
Roderigue. Il est encore à Brest le pauvre Roderigue, tout est prêt
à partir avec M. de la Motte-Picquet.3 Le fier Roderigue vous
conduit et vous convoie huit vaisseaux4 que nous avons expédiés
pour vous, en commun, M. de Monthieu et moi. Il y avait une
frégate de plus nommée le Duc du Châtelet, de vingt-deux canons.
Elle a sauté dans la rade de Nantes par accident. Il y a cent
treize hommes de noyés et le navire et sa riche cargaison pour le
continent perdus. Que de pertes! Que d’attentes inutiles! Malgré
toutes vos annonces, mon cher, la Bergère5 est arrivée à Lorient
avec ses tabacs. Comme ils n’étaient pas en ma consignation, l’on
162
CARON DE BEAUMARCHAIS
ne m’en a rien remis et l’on m’a dit qu’ils n’étaient point pour moi
et n’avaient aucun rapport avec mes affaires.
C’est une mauvaise foi si exécrable que toute la France en est
indignée. Et pour moi, je jure que si, au reçu de cette lettre, dont
je vous prie d’extraire ce qui regarde ces tabacs, le Congrès ne fait
pas prompte justice, j’éclate à l’instant! Je fais arrêter tout ce qui
viendra pour son compte dans nos ports et je publie dans toute
l’Europe l’horreur d’une conduite aussi exécrable.
Si cette lettre vous parvient avant l’arrivée du fier Roderigue
et des huit vaisseaux qu’il convoie, vous apprendrez que vous
êtes capitaine d’infanterie au service de France avant d’en
recevoir le brevet qui est sur le fier Roderigue. Madame de Willers
vous a envoyé deux épaulettes, une d’or et une d’argent, selon
l’uniforme que vous choisirez: car vous êtes capitaine à employer
dans les colonies.6
Nos dix vaisseaux sont chargés d’aller à nos îles porter des
hommes, de la farine, des salaisons, etc, d’où ils se rendront en
Virginie, tant avec les marchandises d’Europe qu’ils vous portent,
qu’avec les tafias, sucres, cafés qu’ils prendront à nos îles. Tout
cela est sous voiles à Brest et n’attend que le vent depuis un
mois. 7 Ils iront sans risque jusqu’à nos îles, M. de la MottePicquet, qui convoie le tout, ayant cinq vaisseaux de guerre et des
frégates. De là, mes neuf vaisseaux se rendront à Williamsburg
en droiture. A l’arrivée de cette flotte, le Congrès connaîtra s’il y a
en Europe quelque maison qui puisse faire de plus magnifiques
expéditions marchandes, sous convoi d’un aussi beau vaisseau de
guerre que le fier Roderigue; car il bat avec soixante canons et six
cents hommes. Tous les autres navires, armés en proportion et
propres à se défendre.
Je suis ici pour faire juger mon procès avec Chevallié. J’ai
trois arbitres et ils sont en pleine conférence à ce sujet. Il me
demande 307 mille livres pour son beau voyage. J’espère qu’il
aura du pied au cul!8
Nous venons de faire lancer à la mer une belle frégate de
vingt-six canons de huit laquelle, avec deux autres de même force
et cinq ou six navires porteurs, fera une seconde petite escadre
pour vous et qui partira, soit tout ensemble, soit en plusieurs
divisions, dans un mois ou deux. Si tout cela vous arrive, vous
CORRESPONDANCE
163
aurez bien des navires à charger, mais j’ai eu grande envie, dans
ma colère, de faire débaptiser celle que nous venons de lancer
avant-hier et qui se nomme le Benjamin portant des lunettes au
nez;9 je le ferai hautement si je n’ai pas justice des horreurs qu’on
me fait. J’ai prévenu M. le comte de Vergennes et M. le comte de
Maurepas de ma résolution; quoiqu’ils la trouvent bien vive, ils
ne peuvent s’empêcher de la trouver encore plus juste. Jamais
personne n’a éprouvé une si détestable ingratitude.
Je viens d’obtenir pour le commerce un très grand avantage
contre la Ferme Générale: c’est la liberté de passer, à travers le
Royaume pour aller les vendre à l’étranger, tous les tabacs qui
nous arrivent d’Amérique.10 Les fermiers du Roi sont furieux
contre moi, mais le Roi, touché de mes représentations
véhémentes, a dit: Je veux, et la Ferme a cédé. Sans cela les
tabacs restaient dans nos ports de l’Océan, en chartre privée, par
la modicité du prix offert par la Ferme et l’impossibilité de les
exporter par mer sur des vaisseaux neutres, ce qui m’a empêché
jusqu’à ce jour de vendre les tabacs arrivés sur le fier Roderigue,
sans compter que l’honnête Chevallié les a saisis entre ses
mains, jusqu’au jugement qui va sortir cette semaine et que vous
pourrez savoir par cette même lettre.
J’ai reçu l’argent que vous avez prêté à M. de La Fayette11 à
qui le Roi vient de donner le régiment du Roi cavalerie. J’ai vu M.
de Gienote plusieurs fois ainsi que le pauvre Mullens12 qui a été
fait prisonnier et remis généreusement par le capteur sur un
vaisseau neutre. Je lui ai payé une traite de M. le comte
Palevsky.13 Je n’ai reçu aucun fonds pour ce comte. J’ai fait
demander chez M. de Lange s’il en avait; il a répondu que non.
Ainsi tant ce que je lui ai remis à lui-même que ce que j’ai payé
pour lui sur ses différentes traites, je suis à peu près au pair des
fonds qu’il m’avait laissés. Peut-être à quarante louis près; c’est
ce que mon éloignement de Paris ne me permet pas de vous dire
au juste. Je lui ai écrit plusieurs fois ainsi qu’au baron,14 mais je
vois que rien n’a été reçu. Dites au baron que, quand je l’ai
obligé, j’ai compté sur son honneur et que je suis encore dans
l’intime confiance de son honnêteté, mais je n’ai reçu pour lui, ni
remboursement, ni pension, ni nouvelles de rien de semblable.
164
1C’est
CARON DE BEAUMARCHAIS
probablement The Buckskin, parti le 21 juin pour le
Maryland; voir PBF, XXIX, p. 714.
2John Adams devait partir sur cette frégate à cette époque mais on
a décidé de placer la frégate dans l’escadre de John Paul Jones.
L’Alliance est enfin partie pour l’Amérique vers la fin juin 1780;
Adams est parti le 17 juin et est arrivé en Amérique sur La
Sensible le 2 août avec le nouveau représentant de la France, le
chevalier de La Luzerne; voir JA, II, pp. 373 n. 3, 380-81, 400 n. 1
et PBF, XXIX, pp. 346 n. 3.
3Toussaint-Guillaume, comte Picquet de La Motte, dit La MottePicquet (1729-1791) servit brillamment aux Antilles et reçut la
Grande Croix de Saint-Louis pour ses exploits; il participa à la
bataille de Grenade avec d’Estaing (lettre 826). Plus tard il devint
lieutenant-général de la marine; il fut sans conteste un héros de la
marine française; voir lettres 806 et 807. Pour le départ du convoi
voir lettre 775, n. 2.
4Donc, neuf vaisseaux en tout; plus bas Beaumarchais écrit “nos
dix vaisseaux” et dans le même paragraphe il en revient à neuf. Le
onze septembre (voir lettre 860) il écrira au Roi: “Le fier Roderigue
et dix autres navires qu’il convoyoit . . . ” Dans ses réclamations au
Roi, Beaumarchais demandait à être remboursé pour douze
navires. Le 21 février 1785, la commisssion établie pour examiner
l’affaire décide que sept navires sont partis ensemble: Le Fier
Rodrigue, Le Pérou, L’Aimable Suzanne, Le Bonhome Richard, La
Thérèse, Le Zéphyr, Les Deux Hélènes. La Belette a été condamnée
et vendue, Le Hardi est parti seul et a été pris par l’ennemi, La
Victoire est partie de Marseille et “l’enlevement du fier Rodrigue
n’a point influé sur son sort”; Le Duc du Châtelet a sauté près de
Nantes quatre mois avant le départ de la flotille (voir ci-dessus et
lettre 736), et le Comte de Sabran, qui est parti “plusieurs mois
avant l’acte de société pour l’expédition générale … a péri en
cherchant de se sauver du port de Charles Town”; voir AN, G/1/56.
Le Fier Roderigue, Le Pérou, Le Bonhomme Richard, et Les Deux
Hélènes sont arrivés dans le Chesapeake; L’Aimable Suzanne a été
pris à la bataille de Savannah; La Thérèse a été pris et emmené à
New York; Le Zéphyr est arrivé à Charleston.
5Ce vaisseau est arrivé en février; la cargaison était au nom des
Américains.
6Voir les lettres 783 n. 19, 792 et 793.
7Selon le rapport des commissaires, le convoi est parti de Brest le
1 er mai, a pris rendez-vous avec les autres navires à La Rochelle et
a atteint la Martinique le 27 juin; voir AN, G/1/56.
8Voir la lettre suivante pour la décision du tribunal.
165
CORRESPONDANCE
9Il
est évident que Beaumarchais estimait Franklin, qui portait des
lunettes, mais qu’il s’exaspérait du traitement qu’il recevait des
Américains.
10Voir lettres 736, 770, et 798.
11Voir lettre 734.
12Voir lettres 750 et 776.
13Voir tome IV, lettre 696 n. 3.
14Steuben; voir lettre 802.
805. A Dupaty1
Bordeaux ce 9 mai 1779
J’ai revu Mr Le Premier Président, Monsieur, et en bon et
fidèle interprète de vos intentions, je l’ai relevé de votre part du
poids de ce fameux secret imposé par vous. Son animosité
personelle s’est démontrée bien davantage hier. Bref on peut, dit
il, vous donner ce qu’on voudra; mais jamais on ne lui arrachera
un seul mot en votre faveur. C’est son ultimatum et je crois
fermement que vous devés y compter.
Je n’ai pu tirer aucune raison tant soit peu valable de cette
obstination; mais elle est extrême. Il ne répondra pas a votre
lettre qui, dit il n’a fait qu’acroitre son eloignement pour vous. Il
a répondu a Mr Le garde des Sceaux,2 a Mr Le Ma.l de Mouchi.3 J’en
ecris a Mr Le Cte de Maurepas pour le paquet cy joint que je vous
prie d’envoyer le jour de son arrivée, a la grande poste, par un de
vos gens, qui vous reccomanderés de demander le courrier de Mr
Le Cte de Maurepas mais il faut que votre homme soit avant dix
heures du matin a la grande poste; parceque les courriers des
ministres partent avant onze heures. Et quil ne faut pas que ma
lettre passe par la voie ordinaire de la poste.
Nétoyés bien l’histoire de vos visites au Mal de Richelieu4
parceque je suis certain qu’il l’a ecrite lui mesme ici, pour l’avoir
vu de mes yeux, commençant par ces mots comment trouvés vous
le petit Dupaty....&c &c
Le maréchal n’y met surement aucune importance mais on en
met beaucoup ici.
166
CARON DE BEAUMARCHAIS
Bon courage, Monsieur, et vous tenés votre succès. Mde
DuPaty5 se conduit comme un ange au milieu de tous ces tracas.
Attention, circonspection, et vigilance, est en peu de mots l’eloge
qui lui est du.
Le P.P. [Premier Président] a eté jusqu’a me dire si Mr
DuPaty veut absolument une affaire personelle avec moi: quil le
dise et je partirai sur le champ pour Paris./. Je n’ai jamais vu
d’homme si faché. Il tremblait de fureur. Il prend votre derniere
lettre pour une ironie insultante et tous mes efforts nont pu le
ramener. Il faut donc vous résoudre a vous passer de lui.
Je vous salue vous honore et vous aime
Beaumarchais
Faites moi le plaisir de vouloir bien envoyer le paquet cy joint
a ma maison de Paris et receves en mes remercimens.
Si vous voulés porter a Mr De Maurepas vous mesme la lettre
que je lui écris, comme ayant ete prié par moi de la faire remettre
par une voie sure vous ajouterés que vous n’avés pas voulu
manquer cette legere occasion de lui faire votre cour: mais
noubliéz pas si vous recevés le paquet jeudi au soir, de n’etre
chez Mr de Maurepas que le vendredi entre 4 et 5. heures de
l’après midi c’est la lheure de sa digestion et de sa liberte.
Mr .Dupaty
Copie de ce j’ecris pR vous a Mr de Maurepas a la suite
d’autres objets
Permettés moi de vous dire encore un mot de Mr DuPaty.
Porté dans ce pays comme a Paris par l’opinion publique, on
chercherait en vain la cause de l’opposition du 1er President si sa
fureur ne le trahissait a tout moment. Je lai vu plusieurs fois,
hier au soir encore sans pouvoir en arracher la plus legre raison
de sa conduite. Maintenant il lui fait un crime de la bienveillance
publique et surtout de vos bontés
Le Roi dit il est bien maitre de vous donner ses provisions
mais jamais il n’ecrira un seul mot en sa faveur.
Il semble que plus les hommes sont deraisonables et plus ils
sobstinent dans leurs sentimens. Qu’a ton besoin Mr lui ai je dit
CORRESPONDANCE
167
des temoignages récens de lopinion que vous avés de Mr DuPaty
puisque vous les lui avés prodigués dans vos dernieres lettres de
lan passé puisque Mr DuPaty s’en honore et les montre. Eh bien
quil sen serve sil veut dit il et quon lui donne ce quon voudra;
mais pour moi je ne m’en mellerai plus et je n’ecrirai plus un mot
pour lui. Je crois bien aujourdhui Mr Le Cte quil faudra s’en
passer pour faire justice a Mr DuPaty6 &c &c
Voir Spinelli/Garbooshian sur les rapports Beaumarcahis-Dupaty.
1Charles-Marguerite-Jean-Baptiste-Mercier Dupaty (1746-1788) a
voulu quitter sa charge de procureur-général en 1777 pour devenir
président à mortier au parlement de Bordeaux. Le Berthon, le
premier président du parlement, a d’abord soutenu Dupaty pour le
poste, mais une dispute entre lui et Dupaty a éclaté et Le Berthon
s’est ensuite opposé à la candidature de Dupaty. Puisque
Beaumarchais était à Bordeaux à cette époque, Dupaty, son ami,
lui a demandé d’intercéder auprès du premier président. Comme
on voit dans cette lettre Beaumarchais trouva Le Berthon
intransigeant. Voir Doyle, pp. 37-58.
2Armand-Thomas Hue de Miromesnil (1723-96) fut garde des
Sceaux de 1774 à 1786.
3Philippe de Noailles, duc de Mouchy (1715-1794).
4Voir p. 25 n. 1.
5Dupaty se maria avec Marie-Louise Fréteau le 7 septembre 1769.
6Dupaty reçut ses provisions le 10 novembre 1779 mais le
parlement vota de les rejeter le 16 février 1780. Le 21 septembre
Le Berthon fut obligé d’accepter Dupaty comme président à
mortier. Cependant il fallait attendre jusqu’au printemps 1782
pour mettre fin à la lutte de Dupaty pour être admis comme
président au parlement de Bordeaux.
168
CARON DE BEAUMARCHAIS
806. A Francy
Bordeaux, ce samedi 22 mai 1779
L’arbitrage entre Chevallié et moi est sorti avant-hier.1 Les
trois négociants qui nous jugeaient ont décidé que la commission
de 3 % et les six tonneaux de fret gratis, en revenant,
appartenaient à Chevallié suivant le principe que bêtise n’est
pas friponnerie, mais ils ont cassé le fil de tout l’amalgame pour
l’avenir et m’ont délivré de ce malhonnête compagnon; la perte de
33.000 livres sur l’affaire Zantzinger2 à la charge de la cargaison
entre Chevallié et moi, sauf recours contre le capitaine. Mais, si
ce dernier se conduit bien, je ne le tourmenterai pas pour cela.
Vous aurez grand soin de me mander ce que vous aurez pensé de
sa conduite là-bas. Et si vous avez quelque chose de particulier à
m’écrire, vous en chargerez, en secret, le Sr Ganteaume3 qui vous
remettra une lettre de moi et qui est sur le fier Roderigue
L’escadre de M. de la Motte-Picquet et une flotille qui
l’accompagne sont revenus à l’Ile d’Aix et de là sont parties pour
la Martinique le 12 de ce mois. 4 Vous direz à M. de Montaut que,
sur les plaintes qu’il a écrites à M. de Monthieu à Bordeaux
contre M. de la Motte-Picquet, 5 je suis parti sur-le-champ de cette
ville pour me rendre à bord et faire faire justice à mon capitaine,
mais qu’à mon arrivée à la Rochelle, j’ai trouvé que la flotte avait
levé l’ancre la surveille.
Les deux navires la Belette et le Hardi, qui étaient de ma
flotte, sont rentrés à la Rochelle. Comme M. de Monthieu est à
Paris je ne prends aucun parti à leur égard, pour ne pas déranger
le cours des détails maritimes dont il s’est chargé dans cette
commune opération. Ils pourront partir avec notre première
flotille.
CORRESPONDANCE
169
Tous les papiers concernant Galvan et M. Rutledge6 sont sur
le fier Roderigue. Je vous prie de suivre cette affaire chaudement.
Chevallié m’a dit hier vous avoir renvoyé tout son compte de
vente rectifié sans me dire par quelle voie, je suppose que c’est
par le fier Roderigue.
Je baye et souffre après des retours, car je suis dans le plus
grand besoin de fonds, relativement à cette nouvelle mise-hors de
notre flotte. Je ne vous dis rien de plus à cet égard, sachant bien
que vous souffrez de mes embarras. Ils sont cruels.
Je joins à cette lettre un compte simulé des prix d’assurances
qui m’a été remis par un courtier de Bordeaux. En passant tout
l’un dans l’autre à 35 %, c’est agir en nombre ronds, et je m’y
tiens.
Adieu, mon cher Francy, je pars dans l’instant pour Paris, et
comme je suis sans secrétaire ici, je n’ai pas le loisir de copier
cette lettre dont vous m’enverrez la copie faite par un commis afin
que je me reconnaisse dans toutes mes écritures.
Faites bien mes amitiés à Giroud. Le fier Roderigue lui porte
l’arrangement que vous m’avez demandé pour lui. On dit ici que
M. de La Fayette retourne avec un corps de mille cinq cents
hommes. 7 Je vais savoir au juste à Paris ce qu’il en est, mais je
présume que cela est, par les détails qu’on m’en fait. Si je le
trouve dans cette disposition prochaine, je vous écrirai par lui.
Il faut, mon cher, que vous n’ayez pu finir l’article des lettres
de change dont vous m’aviez parlé dans votre lettre remise par
M. de Gienot et que des Epiniers devait, disiez-vous, m’apporter,
puisque je n’ai vent ni voix ni rien, ou il faut qu’il se passe des
choses étranges sur mes affaires entre le Congrès et ses agents,
puisque je suis si cruellement joué par ces ingrats débiteurs.
On me mande de Paris que toute ma famille se porte bien.
Gudin, qui est avec moi, me charge de vous réitérer l’assurance
de son véritable attachement. Adieu derechef et comptez sur celui
de votre ami,
Caron de Beaumarchais
170
CARON DE BEAUMARCHAIS
Il faut encore que je vous dise que vous auriez vu notre flotille
depuis dix mois si la marine royale ne nous avait pas pris six fois
tous nos équipages, car nous étions prêts en décembre. Des
retours, mon cher, des retours, car je périrai comme Tantale au
milieu des créances américaines où leur ingratitude m’empêche
de toucher. Je compte sur vos efforts et vous salue.
Si vous m’aviez envoyé la lettre que Chevallié vous a écrite
par un exprès lorsqu’il est arrivé en Virginie, les arbitres ne lui
auraient pas fait grâce sur toutes les inepties, parce qu’on aurait
vu de sa main qu’il vous attendait et ne devait rien faire sans
vous. Il a prétendu qu’il ne vous avait pas écrit cela et que, vous
trouvant à plus de cent lieues de lui, il avait cru devoir tout
prendre sur lui-même.
Enfin, je ne veux plus y penser car ce fuyard me pique comme
un chien; Dieu merci, le drôle ne me sera plus de rien. Cette
prétendue société qu’il avait avec moi était un tour de passepasse semblable à ce qu’il vous avait présenté à signer, en
partant à bord.
Je n’ai pas voulu que cela fût arbitré et j’allais le poursuivre
au criminel s’il n’eût pas renoncé au fruit de cette friponnerie. Il
s’en est désisté.
Je vous salue pour la dernière fois.
1Le
30 avril 1779 Beaumarchais et Chevallié ont soumis à
l’arbitrage leur différend. La décision est rendue le 20 mai.
Chevallié avait soumis six réclamations et Beaumarchais sept
plaintes avec des demandes de réparations. Beaumarchais
demandait un million de livres d’indemnité résultant de la
négligence de Chevallié dans ses transactions avec les
représentants de la Virgine; cette demande fut rejetée.
Beaumarchais accusait Chevallié de ne pas avoir attendu l’arrivée
de Francy avant de vendre la cargaison. La commission décida que
d’après le contrat entre Beaumarchais et Chevallié, ce dernier
avait le droit de la vendre à un prix qu’il croyait raisonnable, ce
qu’il a fait; voir l’Avis arbitral.
2Voir lettre 783.
3Voir lettre 791.
4Voir lettre 775 n. 2.
5Dans une lettre du 6 mai on peut lire:
CORRESPONDANCE
171
“Il est ordonné à M. Montaut, commandant le Fier
Roderigue, de ne plus faire aucun signal sous quelque
prétexte que ce soit, excepté les signaux qu’il est autorisé
de faire comme vaisseau particulier, faisant partie du convoi
sous les ordres de M. de La Motte-Picquet.
Il est absolument déchargé de la conduite du convoi qu’il
avait avant d’arriver à Brest” [Lafon, p. 130 et Tourneux, p.
251 (il faut indiquer que dans Tourneux la date de cette
lettre est le 11 mai)].
6Voir lettres 746, 783, 803 et 817.
7Lafayette partira pour l’Amérique le 20 mars 1780 et arrivera le 27
avril à Boston; voir Idzerda, II, pp. xxxix.
807. A M. de Sartine
Mémoire présenté au ministre
le 28 mai 1779
L’expédition maritime que le sieur Monthieu a faite le 29
mars dernier a été tellement dénaturée par une suite de son
dévouement aux ordres du ministre (aux vues), qu’il aurait
travaillé à sa propre ruine si Mgr de Sartine lui en laissait porter
le fardeau.
Effectivement, cinq de ses navires ont séjourné à grands frais
plus de quatre mois au bas de la rivière de Nantes, en attendant
que l’escorte promise à Rochefort fût prête. Quatre autres, dans
la même attente et pour les mêmes motifs, sont demeurés près
de trois mois au bas de la rivière de Bordeaux. Au premier signal
qu’il a donné, tous les navires se sont réunis au fier Roderigue
dans la rade de l’Ile d’Aix pour y prendre l’escorte des vaisseaux
de Sa Majesté qui devaient les convoyer. Une circonstance
malheureuse et imprévue n’a pas permis aux trois vaisseaux de
guerre de Rochefort de remplir les intentions du gouvernement et
les navires du sieur de Monthieu, après avoir séjourné près de
trois mois dans la rade de l’Ile d’Aix, se sont enfin rendus à
172
CARON DE BEAUMARCHAIS
Brest, sous leur propre escorte, pour y prendre des troupes et s’y
mettre sous le convoi de M. de la Motte-Picquet qui, en relâchant
dans la rade des Basques, a encore occasionné au sieur de
Monthieu une dépense considérable. Toutes ces relâches et tous
ces séjours ont occasionné des désertions considérables et
nécessité des remplacements de matelots qu’il a fallu payer à
prix exorbitants, eu égard aux circonstances actuelles.1
Le sieur de Monthieu observe d’ailleurs que, pour se
conformer aux vues du ministre, il a été obligé de faire faire des
versements et reversements considérables et fort coûteux: 1)
lorsqu’il a été question d’envoyer en course le fier Roderigue avec
la corvette le Zéphir; 2) lorsqu’il a été question de prendre des
troupes à bord de tous ces navires ainsi que les vivres
nécessaires pour les dites troupes; 3) enfin, lorsqu’il a été décidé
que le fier Roderigue se rendrait à Brest, en prenant sous son
escorte toute la flotte marchande qui se trouvait à l’Ile d’Aix.
Il est d’ailleurs certain, par les manières dont on a usé des
navires du sieur de Monthieu dans la rade de Brest, qu’ils ont été
considérés comme étant absolument à la disposition de Sa
Majesté. On s’en est expliqué clairement à cet égard et l’ordre par
écrit de M. de la Motte-Picquet, qui décharge absolument le sieur
de Monthieu, commandant le fier Roderigue, de la conduite
d’aucun des navires de son convoi particulier, en est la preuve la
plus manifeste.2
Toutes ces considérations ont, dès lors, engagé le sieur de
Monthieu de donner des ordres les plus précis à tous ses
capitaines de suivre, avec la plus grande exactitude, tous ceux
qui leur seraient donnés par M. de la Motte-Picquet de se rendre
dans telle de nos colonies où il lui plairait de les conduire et, là,
d’y délivrer à l’administration tous les objets de leur cargaison.
Dans cette position, le sieur de Monthieu se borne à réclamer
pour tous ces vaisseaux le fret ordinaire sur le prix actuel ainsi
que le prix des farines, vins, etc, qui forment la cargaison de ses
navires. Il se croit aussi fondé, d’après la défense formulée par
écrit de M. de la Motte-Picquet au sieur de Montaut, de convoyer
aucun de ses navires, à réclamer l’assurance de la valeur des dits
navires jusqu’à leur arrivée dans celle de nos colonies où ils
seront conduits . . . 3
173
CORRESPONDANCE
Le sieur de Monthieu supplie Mgr de Sartine de vouloir bien
porter sa décision sur les différents chefs de ses demandes
exposées dans ce mémoire.
808. A Don Francisquez Dalanza
Pr Don Francisquez Dalanza
4
Paris ce 8 juin 1779
A mon retour d’un voyage que j’ai fait dans les manufactures
du Sud pour les tafetas et gazes. J’ai trouvé chez mon hôte votre
lettre monsieur. Un de mes amis m’a mesme appris que vous
etiés fort incomodé. J’en suis très affligé. Loin d’avoir renoncé a
tirer des Marchandises de vos manufactures en Etoffes légères,
J’aurois desiré den recevoir encore surtout dans les gazes
chaquefois quil y auroit quelque nouveau dessein. Mais vous
savés comme nos dames aiment ce qui porte a ce caractere, et
combien elles se dégoutent facilement de ce qu’elles ont déja vu.
C’est donc la seule attention que j’ose exiger de votre amitié.
Vous me feres plaisir a ce titre d’expedier quand l’occasion s’en
présentera. Je vous prie de vouloir bien faire savoir a la mere du
petit george que Mr son beau-frere a enfin recu son brevet de
capitaine d’infanterie.6
Je vous salue de tout mon coeur.
1Pendant
la guerre le recrutement de marins était aussi vital pour
les commerçants que pour la marine:
“A partir de 1779, va se poser un grave problème: la pénurie
de marins pour le commerce. En 1778, sur les 2.225 hommes
partis de Nantes pour les Isles, 1.057 ont été capturés.
Certes, les années suivants les pertes seront beaucoup
moins lourdes mais les armateurs sont concurrencés dans le
recrutement des hommes d’équipage par les besoins du Roi .
..
Le Roi réquisitionne en principe tous les marins classés.
Une fois ses besoins satisfaits, il autorise les armateurs à se
174
CARON DE BEAUMARCHAIS
pourvoir en donnant priorité aux équipages nécessaires aux
bâtiments frêtés au Roi. Les armateurs protestent
vigoureusement” (Villiers, pp. 257-58).
Voir les lettres 805 et 806 pour le convoi.
2Voir la lettre précédente n. 5.
3Beaumarchais avait raison de se plaindre; nous savons que la
bataille de Grenade, au cours de laquelle Le Fier Rodrigue subit
d’importants dégâts, allait lui causer une grosse perte d’argent.
Mais pourquoi se plaint-il au nom de Monthieu? Donvez suppose
que c’est à cause de la lettre anonyme du 6 juin (lettre 820):
Beaumarchais voulait se faire oublier à cette époque.
AF; Donvez A 428.
4Au verso est écrit: “Lettre de commerce a M r Don Francisquez
Dalaza [sic] du 8 Juin 1779.”
verso est écrit: “Lettre de commerce a Mr Don Francisquez
Dalaza [sic] du 8 Juin 1779.”
6Voir lettre 783 n. 19; nous savons que c’est Francy qui vient de
recevoir son brevet de capitaine donc le “petit George” est son
neveu, le fils de Charles-Théveneau de Morande et d’Elisabeth
Morande, née Saint-Clair; voir von Proschwitz, CE, doc. 324 n. 2.
5Au
809. Au comte de Vergennes
Copie
MR Le Ct.e de Vergennes.
Paris ce 8 juin 1779
Monsieur Le Comte
Personne ne sait mieux que vous combien la méchanceté est
ingénieuse pour nuire. Je ne vous écris pas pour vous demander
justice d’une horreur qu’on me fait, parceque cela est impossible;
mais pour me garantir du mal que cette horreur là me ferait, si
elle allait jusqu’au Roy, sans que Sa Majesté fût prévenue, ainsi
que Mr Le Cte de Maurepas et vous même.
CORRESPONDANCE
175
A mon arrivèe de Bordeaux j’ai trouvé deux lettres chez moi.
elles sont sans signature; mais le motif qui les a fait écrire
m’ayant paru louable, sans autre examen j’ai répondu sur le
champ, selon que mon esprit et mon coeur étaient affectés,
comme je le fais toujours. Un article sur les prisonniers français
que j’ai mis au courrier de L’europe avant mon départ de Paris,
étaient le premier texte sur lequel l’anonime avait exercé sa
plume;1 il paraissait indigné contre les Anglais, il énumérait
ensuite nos desavantages et semblait attendre mon avis pour
fixer le sien.
Tout plein que j’étais des cris odieux que j’ai entendu faire
partout, et contre notre marine, et contre les ministres; je broche
une réponse rapide et je l’envoye à l’adresse indiquée. Pardonnez,
Monsieur Le Comte et que le Roi me pardonne s’il desapprouve
ma chaleur et ma vraie lettre dont je vous adresse une copie
littérale,2 en vous envoyant l’original de la lettre qui y a donné
lieu.3 Aujourdhui il court une lettre de moi défigurée, dénaturée et
pleine de libertés ciniques. 4
Je vois bien qu’on m’a tendu un piége; je vois qu’on veut
encore une fois me nuire, en faisant parvenir jusqu’au Roi cette
prétendue lettre, comme on l’a déjà fait une fois sur de prétendus
propos tenus, disait-on, à ma table.
Le profond mépris que j’ai pour les méchans, ne doit pas
m’empêcher de me prémunir contre eux.
J’ose donc vous supplier de mettre sous les yeux de Mr Le Cte
de Maurepas et du Roi ma véritable lettre dont heureusement j’ai
gardé minute. Je la certifie véritable, et je défie les mechans
d’oser en montrer une différente, armée de ma signature.
Je n’ajoute pas un mot; je connais votre équité, votre bonté.
Les clameurs indiscrettes m’indignent et je deviens doublement
français quand je trouve des gens qui affectent de ne pas l’être.
Voila ce qui me fait parler quelquefois fortement, et ce qui m’a
fait répondre à un anonime qui me semblait honnête.
S’il vous est possible, Monsieur Le Comte, de m’accorder une
demie heure cette semaine; je désire vous mettre sous les yeux
des objets importans et relatifs aux Américains. Je recevrai votre
ordre à cet égard avec la reconnaissance respectueuse et la foule
de sentimens qui m’attachent à vous.
176
1Voir
lettre
lettre
3Voir lettre
4Voir lettre
2Voir
CARON DE BEAUMARCHAIS
776.
811.
810.
820.
810. D’un anonyme
Lettre que j’ai trouvée
chéz moi a mon retour
de Bordeaux.
[29 avril 1779]
repe le 1er Juin 1779. 1
Jay lu, Monsieur avec l’indignation que tout le monde a du
ressentir, dans une lettre sous votre nom adressée au redacteur
du courier de l’europe,2 le recit des traitemens barbares que les
anglois exercent envers les françois prisonniers en Amerique c’est
faire de votre plume éloquente un usage digne d’elle que de
l’employer a venger ces infortunés compatriotes, en attendant que
la france tire de leurs oppresseurs une vengeance plus éclatante.
l’horreur qu’ont exité dans tout l’univers les cruautés aux quelles
ces insulaires se sont deja livrés dans la derniére guerre, à
l’égard des prisonniers françois, n’a donc pu engager le
gouvernement britannique à prevenir de pareils excés! il paroit
meme que l’inhumanité est portée encor plus loin dans la guerre
entr’eux, quel peuple que celui qui peut reduire des malheureux
captifs a l’alternative de mourir dans les tourmens de la faim ou
d’etre meurtriers de leurs concitoyens! qui defend à ces
infortunés, expirans dans les cachots impestés où il les entasse,
de se donner aucun secours, les uns aux autres dans leurs
derniers momens et ces barbaries exécrables resteraient
impunies? et la nation françoise n’armeroit pas tous les bras pour
laver cet outrage dans le sang de ses ennemis et si l’honneur
pouvoit avoir cessé de parler à nos ames, la ferveur ne suffiroitelle pas pour les enflamer!
CORRESPONDANCE
177
pardonnés ce transport, monsieur, je ne l’aurois sans que
mon sang n’allume ma vertu le tableau que vous avés mis sous
les yeux du public, et dont la verité n’eut que trop attestée eh!
quel coeur françois, quel coeur humain pourroit ne pas se soulever
à l’idée de ces horreurs! si les anglois egorgeoint leurs prisonniers
à l’instant meme que ceux-ci leur vendent les armes ils seroient,
sans doute, moins cruels a leur egard, et moins coupables envers
l’humanité qu’en employant contre eux des atrocités si refléchies.
qu’on ne dise point qu’elles sont le crime particulier de
quelques anglois. il est impossible que le gouvernement n’en soit
pas complice, puisque c’est de lui qu’emanent ou a qui sont
communiqués les reglemens relatifs à la nourriture et a la police
des prisonniers de guerre et qui ne fait que bien loin de s’opposer
aux effets de la haine populaire contre les françois
l’administration angloise s’attache à la fomenter c’est le secret de
la politique pour rendre la nation serville à ses demandes c’est
pour tirer l’argent de ses sujets que le roi de la grande bretagne
foule aux pieds par rapport aux françois, tous les droits des
nations et de l’humanité. c’est dans les memes vuës que ce
monarque et ses ministres se repandent tous les jours dans leurs
discours publics en declamations injurieuses contre notre nation
et contre notre souverain; et que tandis qu’ils se permetent dans
leur conduite à l’egard de la france tout ce que le machiavelisme a
de plus hodieux, ils attestent s’ériger en forfaits toutes les
demarches de notre administration.
n’esperons donc pas, monsieur, de voir adoucir l’affreuse
situation de ceux de nos compatriotes que le sort des armes a fait
tomber dans les camps anglois; mais esperons qu’ils seront
vengés. il est vrai que les premiers événemens de la guerre n’ont
pas repondu, osons l’avouer, a ce qu’on attendoit des dispositions
favorables de la nation de la sagesse de notre gouvernement, et
de la position si critique ou paroissoit la trouver la grande
bretagne mais c’est, peut-etre, cette confiance trop grande de
notre part qui a donné à nos ennemis la facilité de se procurer
sur nous des avantages. tandis que nous les avons vus
uniquement attentifs a se garder de nos attaques, ils nous ont
porté eux-memes des coups inatendus. leur administration a mis
dans les mesures autant de secret que d’activité; et nous avons
178
CARON DE BEAUMARCHAIS
apris dans le meme jour le siége et la prise de pondicheri (a), avec
la perte de toutes nos possessions de l’asie. 3
on ne peut pas se dissimuler non plus que nous n’ayons
éprouvé des malheurs réels en amerique par là, je n’entens point
la prise de ste lucie4 isle empestée, qui a consumé plus d’hommes
à la france qu’elle ne lui a rapporté de livres de sucre. je parle de
la destruction d’un milier d’hommes, massacrés par l’imprudence
d’un chef dont on attendoit des grandes choses (b).
mais ces deux revers peuvent sans doute, etre reparés.
preservons du decouragement où notre caractère extrême nous
fait quelques fois tomber, et qui de tous les malheurs qui
peuvent le produire est lui-meme le plus grand de tous. aucun
coup decisif n’a été porté encore; et si l’ardeur de la nation est
secondée par la conduite du gouvernement si la faveur n’a aucune
influence dans ses choix, s’il a une main pour punir (c) comme il
en a une pour recompenser, si l’harmonie regne entre les
ministres des differens departemens, s’ils ont l’ame assez grande
pour s’éléver au dessus des petites jalousies, des petites rivalités
qui seroient aussi funestes à leur gloire qu’à la patrie, pour
magnifier les frivoles distractions, les vains plaisirs que leur offre
une cour galante et polie, et consacrer tout leur genie et tous leurs
momens à leurs fonctions sublimes; si notre jeune monarque de
son coté soutient la haute idée qu’il a deja su donner de lui à son
peuple et à l’europe, si la passion de la gloire, sans laquelle la
vertu ne va pas loin dans la cariére, enflame son coeur s’il songe
que de succés de cette guerre depend la prosperité de tout son
regne, attendu que si elle etoit malheureuse, tout le bien que son
coeur se propose de faire, quand le calme renaitra deviendroit
impossible pour une nation découragée et mécontente, si enfin, à
l’exemple de louis XIV, dans le moment le plus desastreux et le
plus bas de sa vie (d), il aime mieux s’ensevelir sous les ruines de
son trone que de consentir jamais à une paix honteuse; n’en
doutons point, la victoire se declarera pour nous l’oprobre de la
dernière guerre sera effacé, la france reprendra sa place dans
l’europe alors l’instant sera venu de la rendre heureuse alors
écloront, aux rayons d’une glorieuse paix tous ces germes de
felicité publique que notre jeune souverain veille dans son ame
vertueuse puisse cet augure n’etre point vain! Deussai-je en payer
CORRESPONDANCE
179
l’accomplissement de tout le sang qui coule dans mes veines, et
que j’ay deja confairé à la patrie.
j’ay l’honneur d’etre, monsieur, avec le respect qu’on doit aux
talens superieurs
a Mets le 29 avril 1779.
votre trés humble
et trés obeissant serviteur
n.....
p.s. permetés-moi, monsieur, d’ajouter ici en forme de notes, trois
ou quatre reflexions relatives à quelques passages de ma lettre.
(a) j’avouë que je ne sais ce que c’est que la belle defence de
m. de Bellecombe 5 qui, avec une garnison de trois mille hommes
contre onze mille, n’a pu tenir qu’un mois de tranchée ouverte. je
m’en rapporte là-dessus à tout militaire éclairé. pondichéri n’etoit
pas, à beaucoup prés, en aussi bon etat qu’aujourd’hui lorsque
dupleix, qui n’etoit pas militaire, deffendit cette place avec tant
d’opiniatreté contre les anglois qu’il les força de lever le siége. une
circonstance remarquable du siége dernier, c’est que les
assiégeois n’ayent perdu guere plus de monde que les assiégés.
une circonstance plus remarquable encore c’est que malgré la
superiorité reconnue de notre artillerie sur l’artillerie angloise
près de soissante piéces de canon, du coté des françois ont été
mises hors de service, tandis que les anglois n’en ont eu que sept
ou huit. lorsque le général qui a pris pondicheri loue m. de
belecombe sur sa belle defence, on voit qu’il cherche à relever un
triomphe facille mais qui ne vivoit, si le sujet etoit moins
affligent, de l’ineptie des gazetiers qui repetent ces louanges de la
melieure foi du monde?
(b) on ne peut s’empecher d’admirer la fermeté inébranlable
avec la quelle nos soldats, quoique tant de raisons deussent les
décourager, ont soutenu pendant plusieurs heures, le canon
ennemi, chargé à mitraille. je vois, avec plaisir, que le courage
françois subsiste encore, malgré tout ce qu’on a fait pour le
détruire. il est vrai qu’aux isles on ne donne pas de coups de plat
de sabre.
les troupes angloises, par qui les notres ont été batuës à st.e
lucie, doivent peu s’enorgueillir de leur victoire. c’est l’artillerie
180
CARON DE BEAUMARCHAIS
toute seule qui l’a remportée elles étoient bien tapies dans leur
retranchemens, d’ou elles ne sont pas meme sorties pour pour
[sic] suivre les notres dans leur retraite.
(c) à l’affaire d’ouessant6 un capitaine de vaisseau n’obeit
point aux signaux, et resta dans l’inaction pendant tout le
combat. cet officier devoit au moins etre destitué comme
incapable, s’il n’etoit pas puni comme criminel; il a conservé son
commandement. Si cet abus d’impunité qui a causé deja tant de
malheurs a la nation y subsiste toujours; si la meme faveur qui
porte aux plaies derobe les coupables au chatiment, si, tandis qu’en
angleterre l’administration a toujours l’oeil ouvert et le bras levé
sur les hommes qu’elle employe, en meme tems qu’elle est
continuellement observée elle meme par les regards severes de la
nation, en france l’administration continuë à pardonner tout
comme on lui pardonne tout, ah! qu’il est à craindre.... mais loin
de mon esprit tout sinistre presage.
(d) comment j.j. rousseau qui a censuré ce trait n’a t il pas vu
que ce fut cette héroique resolution qui rammena la fortune et
arracha la france aux nations confederées?
1C’est
la date indiquée sur la lettre mais celle la lettre 811 indique
le 4 juin; voir lettre 811 n. 1.
2Voir lettre 776.
3Pondichéry, comptoir de l’Inde française, a été pris trois fois par
les Anglais (1761, 1778, 1793) et rendu en 1816 à la France.
Joseph-François Dupleix (1697-1763) mentionné ci-dessus dans la
note (a) a été gouverneur de Pondichéry de 1741 à 1754.
4La campagne a duré du 13 au 30 décembre 1778.
5Guillaume-Léonard
de Bellecombe (1728-1792) fut nommé
commandant général des établissements français de l’Inde
orientale en 1776. Pondichéry fut assiégé par les Anglais de juillet
1778 jusqu’au 18 octobre.
6La première grande bataille entre les Français et les Anglais après
la signature du traité d’alliance franco-américain. L’affrontement
entre les forces de l’amiral Keppel et de l’amiral d’Orvilliers eut
lieu le 27 juillet 1778 et se termina sans victoire de part ni d’autre.
Voici une description de cette bataille:
“D’Orvilliers profitant de l’avantage du vent prend
d’enfilade la flotte anglaise sous son vent et la maltgraite
fort. Il donne l’ordre de virer de bord par ordre successif.
181
CORRESPONDANCE
La manoeuvre fut mal interprétée par le Duc de Chartres
commandant l’escadre bleue qui d’arrière garde devenait
l’avant garde. Les vaisseaux français sous le vent ne
purent empêcher les vaisseaux anglais de s’enfuir. Ils
laissent échapper une belle occasion de gagner une bataille
navale qui eut probablement raccourçie [sic] la durée de la
guerre” (Villiers, p. 229).
Les Français ont perdu “165 hommes dont 9 pour
l’escadre bleue du Duc de Chartres et . . . 419 hommes
chez les Anglais” (Villiers, , p. 232 citant Histoire de la
guerre . . . ).
811. A un anonyme
Copie de ma véritable lettre
Paris, ce 4 juin 1779. 1
J’ai trouvé monsieur à mon arrivée de Bordeaux et Rochefort,
les deux lettres dont vous m’avez honoré, l’une de Metz2 et l’autre
de Paris. 3 Votre patriotisme mérite beaucoup d’eloges, mais il
vous fait peindre avec trop de frayeur la situation de nos armes.
Les Anglais, MR n’ont aucun avantage militaire sur nous; ils
ont pillé notre commerce à peu près comme les voleurs attaquent
les coches sur les grands chemins, en attendant la maréchaussée,
peut-être aurait-il falu qu’elle arrivat plutôt. Mais la plus grande
partie de nos navires étaient assurés à Londres, et nous avons
sur eux 4 mille prisonniers de plus qu’il n’en ont à nous.
Notre escadre d’Estaing est dans le plus belle [sic] état, et ne
manque de rien, pendant que Biron4 ayant fait la faute d’établir
ses troupes de terre sur le cimitière de l’Amérique, y périt
visiblement tous les jours, sans oser rien tenter avec des forces
bien superieures aux notres.
La prise de Pondicheri n’est pas non plus un avantage dont
les Anglais puissent se glorifier. Depuis un an une frégatte
182
CARON DE BEAUMARCHAIS
française était partie avec ordre de donner à Mons. de Bellecombe
celui d’évacuer la place au premier mouvement des Anglais et de
se retirer à l’Ile de france, ou le gouvernement avait depuis
longtems résolu de rassembler toutes ses forces un peu trop
dispersées dans l’Inde. La frégatte n’est arrivée qu’après la belle
déffense de MR de Bellecombe qui ne l’eût pas faite inutilement
n’étant pas assez fort pour tenir, s’il eut reçu plutôt ses ordres de
retraite. Ce qui n’ôte rien au mérite de M. de Bellecombe.
Quant aux mauvais traitemens que les Anglais prodiguent à
nos prisonniers, rien ne pouvant les excuser de cette exécrable
cruauté, j’ai cru devoir la publier,5 en punition de leur crime; c’est
tout ce qu’un particulier pouvait faire, en attendant que le
gouvernement s’en ressentit lui-même, et c’est ce qu’on doit
attendre de sa sagesse.
Quoiqu’il en soit croyez, MR que la france n’a jamais été dans
une position plus avantageuse. N’a-t-elle pas donné la paix à
l’Allemagne, a la Prusse, a la Russie, et a la Turquie? n’a-t-elle
pas isolé l’Angleterre de toute espèce d’alliés en Europe, et ne
tient-elle pas cette puissance en échec dans son pays même, par
les mouvements que nous faisons sur nos côtes? Notre alliance
avec les Américains n’a-t-elle pas consolidé cette indépendance
qui enleve tout le continent du Nord a la couronne anglaise, et
notre cabinet politique le plus habile et le premier de l’Europe,
n’a-t-il pas acquis une influence universelle sur les actions de
toutes les puissances militantes? L’Espagne armée est prette à
tonner, la Hollande résolue de déffendre et maintenir son
commerce et sa liberté maritimes, la Suède, le Danemarck et la
Russie entrent dans ce plan honorable; que reste-t-il à
l’Angleterre? une isolation funeste, un epuisement total
d’hommes et d’argent, des déchirements intestins, la perte de
l’Amérique, et la frayeur de perdre l’Irlande. Il est vrai qu’en
revanche de la Dominique, ils nous ont pris le rocher infect de ST
Lucie; mais, en feignant de menacer nos possessions du Golphe,
ne voyez vous qu’ils tâchent de masquer la frayeur qu’ils ont pour
les leurs.
Voilà l’état respectif de leurs avantages et des nôtres. Celui
qui ne sent pas l’extrême supériorité de notre position, lit mal
dans le grand livre des evenements du siecle.
CORRESPONDANCE
183
Laissons de coté les prétendues fautes de MR d’Estaing et les
cris de ses envieux, et ne jugeons pas légerement un homme
assez grand pour dédaigner l’outrage en faisant imprimer tout ce
qu’on lui adresse d’injures anonimes. Voyons uniquement le bon
etat de sa flotte après une si laborieuse campagne, sa vigilance
infatigable, et le concert de louanges de tous les soldats et
matelots. Voyons surtout l’acharnement de ses ennemis à le
dénigrer, on ne s’enroue pas à dire autant de mal d’un homme
dont il n’y aurait aucun bien à penser; une pitié méprisante est
ce qu’on accorde aux gens médiocres. Et la colère des rivaux d’un
brave homme est un hommage peut-être plus flatteur et plus sûr
que l’eloge de ses amis.
Je m’arrette court sur ce sujet inépuisable, parce que mon
opinion ne fait rien à la chose et que j’ai beaucoup d’affaires qui
demandent mon tems.
Si je me suis fait un plaisir de rassurer un honnête homme
qui me paraît très bon français, c’est qu’emporté par ce torrent de
critiques amers qui passent leur vie à diminuer nos avantages,
pendant que nos ennemis ne perdent pas une occasion de
boursoufler les leurs. Il craint pour nous et m’a demandé mon
sentiment, je me suis haté de le lui dire en deux mots en
l’assurant de tous les sentiments que la lettre inspire à
Son très-humble et obs.
Signé Caron de Beaumarchais.
1Un
exemplaire ce cette lettre indique le premier juin. Il y est
indiqué en haut: “Copie de ma réponse à une lettre sans signature”
et à la fin: “Je certifie que cette copie est litteralement faite sur
l’original de ma lettre. ce 8 juin 1779. Caron de Beaumarchais.” La
lettre transcrite ici est bien datée du 4 juin.
2Voir lettre 810.
3On n’a pu trouver cette lettre.
4Voir lettre 826 n. 2.
5Voir lettre 776.
184
CARON DE BEAUMARCHAIS
812. De Chevallié
Rochefort le 15. Juin 1779
Monsieur
La lettre que m’a faite l’honneur de m’écrire M. Saunier le 11.
de ce mois et que je n’ay cependant reçu que hier au soir, avec le
résumé de nôtre operation commune relative a la livraison des
tabacs, et qu’il à dressé sur celui que je luy ai remis pareil
egalement à celuy que j’ay eu l’honneur de vous envoÿer il y à
aujourd’huy 8. jours; cette lettre et son résumé dont je vous
addrésse ci joint copie, vous mettra à même de juger que ma
conduite méritoit de vôtre part des sentiments bien différents de
ceux que vous m’avés temoigné dans vôtre lettre du 5. de ce mois;
puisqu’elle donne la preuve que j’ai fait tout ce que vous aviés
lieu d’attendre de moi et au dela; désque la livraison est entiére
sans aucune reserve quoique vous m’en aviés donné l’autorité, et
ce que j’ai fait à l’egard des tarres justiffie encor, combien vos
interêts ont été par moi menagé et pris avec toute la chaleur
possible.
Enfin c’est vous qui tenés présentement la conclusion de cette
affaire avec M. Paulze; 1 dirés vous que je vous ai laissé des
doutes qui vous en empêche c’est ce que je n’ai pas à craindre. Si
donc vous avés dans ce que je vous ai envoÿé, tout ce qu’il vous
faut pour terminer, vos reproches n’étoient pas fondées; dés
qu’encore vous avés été assuré par moi même que je n’attendois
que le réglement de la tarre pour régler, arrêter mon compte de
vente de tous les tabacs; soÿés assuré d’avance que vous le
recevrez courrier par courrier, aprés que vous m’aurés êu envoÿé
vôtre resultat avec M. Paulze.
Dans tout ce que j’ai vû de Mr.s hébre de ST Clément et Compe
vos bons amis, je ne leur ai pas plus reconnu d’empréssement à
vouloir s’engager a etre vôtre caution, dans cette circonstance que
CORRESPONDANCE
185
vous même en avés mis à me faire justice car ces Mrs n’ont pas
manqué de me dire que si je voulais leur donner la clef d’un des
magasins, qu’alors il me feroient leur soumission, telle que vous
là leur avés prescrite; ma réponse à M. Garnier qui est le seul de
la societé auquel j’ai parlé à été de lui dire que j’avois été plus
généreux puisque M. Saunier les avoit toutes.
Par l’extrait de la lettre de M. Paul Nairac2 du 12. de ce mois
et que j’ai reçu dimanche vous verrés que la question du fret sur
ma commission D’amerique en devant etre decidée Il ny a plus
que celle de savoir si je là préléverai comme la commission de
vente de 8 pr % ou sur le produit net. Je l’ai demandé le même
jour: aussi je m’attends de recevoir cette derniere explication
jeudy ou dimanche; par toutes ces dispositions il vous sera aisé
de voir combien j’ai à coeur de ne rien exiger dans mes comptes,
au dela de ce qui m’a été alloüé par la sentence, et de les
terminer promptement pour me sortir de même, de dessus vos
affaires c’est dans ces sentiments que j’attends avec la plus vive
impatience M. de Montieu et l’ordre du ministre qui puisse faire
operer la décharge de mes soumissions au magasin général à
raison des fournitures faites par le Roy aux deux armements du
fier Roderigue.
Vous m’aviés promis de m’envoÿer les lettres que vous à fait
passer M. de Francy et ce que luy même m’a ecrit, il est bien
assés qu’il ait ouvert & gardé celles qu’il a reçu de toutes parts
aprés mon départ et qu’il s’en soit servi autant qu’il a pû pour
faire ressortir nôtre heureuse séparation à tous les deux. Je n’en
suis point étonné, d’aprés ce qu’il m’a repliqué quand je lui ay
paru surpris de voir dans ses mains toutes les copies des
mémoires et lettres de tous les personnages qui avoient voulu
vous nuire dans l’esprit du congrés et sur ce que ces piéces
devoient selon moi, etre déposées aux archives et dans le plus
grand secret, je garderai cette replique en moi mais pour ne
l’oublier de ma vie, cela est venu sur le propos de ma demande
des lettres que vous avés à moi et que je vous prie de m’envoyer:
J’ay l’honneur d’etre trés parfaitement
Monsieur
Votre trés humble &
trés obéissant serviteur
186
CARON DE BEAUMARCHAIS
Chevallié
M. Caron de Beaumarchais à Paris./.
1Voir
lettre 736.
Nairac, armateur de Bordeaux, était l’un des arbitres qui
a signé l’Avis Arbitral mettant fin au différend BeaumarchaisChevallié; voir lettre 806 n. 1.
2Philippe
813. A M. de Sartine
Mr De Sartines
Paris ce 16 Juin 1779
Les obstacles multipliés qui ont empéché de faire sortir de
Hollande le vaisseau de guerre que le Roi y a fait construire
subsistant toujours et les efforts inutiles de toutes les personnes
qui sen sont mélées, forçant le gouvernement d’abandonner un
vaisseau dont je pourais tirer aujourdui le plus grand parti:
J’ai l’honneur de vous proposer de m’en faire au nom du Roi
la cession a titre de vente ou de pret enfin sous les conditions qui
vous sembleront raisonables dont la 1eRe sera que je m’engagerai
de tirer le vaisseau du texel et de l’employer utilement pour le
service de l’Etat.
Mais comme j’envoie un exprès en Hollande a la suite d’une
autre affaire importante je ne trouverai jamais une autre
occasion aussi favorable pour essayer de sortir ce vaisseau. J’ai
lhonneur en attendant une réponse qui suspend le départ de mon
agent de vous assurer de mon tres respectueux attachement avec
le quel je suis Monsieur
Votre tres humble et tres obéissant serviteur
Caron de Beaumarchais
CORRESPONDANCE
187
Un autre exemplaire de cette lettre a le 26 juin 1779 comme date.
814. D’Arthur Lee
A M.M. Caron de Beaumarchais, à Paris ce 17 juin 1779
J’ai été avertis Monsieur que vous avez fait mettre devant les
yeux du congrés des Etats Unis de l’Amerique, des copies des
lettres signées Mary Johnstone, 1 lesquelles lettres vous
prétendiez d’avoir recu [tâche] de moi. Je vous demande donc
Monsieur jour et l’heure quand il vous sera convenable de me
montrer, a moi et a quelqu’uns de mes amis, les originaux de ces
lettres. afin que nous pouvons juger si elles sont de mon écriture,
et si il ny a pas des erreurs qui se sont glissé [déchirure] dans
leur dechiffrement et leur traduction.
J’ai l’honneur d’etre, avec consideration,
Monsieur, votre tres humble &a
Memorandum / On the 17t.h June I (Ludwell Lee 2) picked up the
above letter, & carried it to MR Beaumarchais’s on the 18t.h He not
being at home, I was [asked?] to return the next day. I
accordingly did return, but coud not get a sight of him. I therefore,
on the 19th wrote him a note advising him to appoint a day & an
hour when he might conveniently see me.
.
1Pseudonyme
de Lee; voir tome IV, lettre 693 n. 18. Une de ses
lettres chiffrées se trouve dans le tome II, lettre 366; voir aussi
lettre 364.
2Neveu d’Arthur Lee; voir la lettre suivante.
188
CARON DE BEAUMARCHAIS
815. De Ludwell Lee
à Paris ce 19 Juin 1779
Monsieur,
J’ai été deux fois à votre porte, pour avoir l’honneur de vous
remettre une lettre,1 mais n’ayant pas pû vous voir, je vous prie,
Monsieur, de me fixer le jour & l’heure qu’il vous sera covénable,
et je me rendrai chez vous
J’ai l’honneur d’être, Monsieur
votre tres humble & trés obeisst serviteur
Ludwell Lee
Je demeure à l’Hotel d’Espagne, rue Guenégaud,
Faubourg ST Germain.
M. Caron de Beaumarchais
1Voir
le mémorandum ajouté à la lettre précédente; la rencontre
demandée aura lieu le 22 juin.
815bis. De Dorat
[22 juin 1779]
A Monsieur de Beaumarchais
Le premier acte de reconnaissance dont je me crois tenir
envers vous, mon cher bienfaiteur, est de vous rendre compte de
ma conduite et de l’usage de vos bienfaits.1
CORRESPONDANCE
189
Avec les 1200£ que vous m’avez déjà avancés, j’ai acquitté
pour 4000£ dettes [?] que j’ai renouvellés[.] [L]es autres sommes
sont destinées au meme emploi; je profite de la permission que
vous m’avez donneé d’envoyer à la fin des mois, pour heriter de
deux premier mille écus, ne m’envoyez que 1200£ si cela vous
convient d’avantage, et marquez moi de grace le jour de vendredi,
samedi, ou dimanche prochain ou je pourrai causer avec vous, j’ai
besoin de vous voir de vous renouveller les tendres temoignages
de ma gratitude. Vous seul aurez changé mon sort, et cette [ ? ]
le calme dont j’aurais tout besoin.
Votre serviteur, et un ami de vous, Dorat
Cette lettre a été trouvée et transcrite pour nous par un ami;
nous n’avons pu la vérifier mais voulions la publier quand même. Il
y a écrit en haut de la page: Recu et repondu, le 22 juin 1779.
Envoye cinquante louis.
i Voir les lettres 784, 785, 795, 800, et 816.
816. A Dorat
Paris ce 22 Juin 1779
Je vous envoye cinquante autres louis sur les deux mille ecus.
ce fera cent que vous aurés touchés. le reste egalement a vos
ordres.2 Je détaille ceci pR la bonne regle.
Le jour que vous voudrés jazer avec moi de vendredi, ou
samedi me sera tres agréable et ma porte une fois pour toutes
vous sera toujours ouverte. car malheureusement j’ai tant
d’ouvrages que je suis obligé de me tenir clos pour travailler.
Je suis comblé de joie qu’un simple bon office ait pu vous
rendre la tranquilité. Ne mettés a cela d’autre valeur que celle de
l’estime et du sentiment pour vous, qui m’a fait agir.
Je vous salue
://: Caron de Beaumarchais
190
CARON DE BEAUMARCHAIS
Mr Dorat
1Voir
lettres 784, 785, 795 et 800.
817. De Francy
Philadi.e le 23 Juin 1779 1
La derniere lettre que j’ai eu l’honneur de vous ecrire est du
27 avril,2 elle a été emportée par un capE Americain nommé
green3 allant a l’orient ou a Nantes. Le paquet dont il etait
chargé pour vous contenait sous le NO 1 une lettre du congres a
votre adresse, (je joins ici une copie de cette lettre)4 sous le NO 2
une lettre de MR Deane sous le NO 3 une lettre du Bo.n de Stuben
(dont vous avez ici le double)5 sous le NO 4 une lettre de MR
Drayton membre du congres (ci joint le double)6 sous le NO 5 une
lettre de MR Smith autre senateur (ci joint est l’original)7 sous le NO
6 des resolvets du congrés du 15 JiEr & 20 avril (jinsere ici les
copies) enfin sous le NO 7 ma lettre du 27 avril:8 comme je n’ai
aucune nouvelle de vous depuis 14 mois et que je soupcone que
vous n’etes pas a paris, je ne vous envoye pas copie de cette lettre
par MR Gerard a qui je dois laisser celle ci, il n’a pas encore fixé le
moment de son depart pour france9 & je puis trouver des
occasions plus prochaines et plus directes pour vous faire passer
copie de toute ma correspondance depuis que je suis a
philadelphie; il y a plusieurs lettres que vous ne devez pas avoir
reçues, car je sais la prize de 2 batimens sur les quels j’en avois
mis, mais si vous n’etiez pas en france lors de l’arrivée de MR
G..... ce que je soupçone vu votre silence, on pourait ouvrir mes
paquets par ordre superieur et il y a des details sur vos affairres
particulieres qui ne doivent etre que pour vous. Je me bornerai
donc ici a vous dire generalement ce que j’ai fait depuis que je
CORRESPONDANCE
191
suis icy et ou j’en suis. Les lettres qui vous ont été remises par
l’aide de camp 10 de MR De lafayette vous ont instruit des
demarches que j’avois fait jusques alors, depuis ce tems je n’ai
cessé de solliciter et d’importuner le congrés, je croyais etre a
peine retenu six semaines icy et voila plus de 8 mois que j’y suis.
la pr.e reponse que j’eus du congrés apres 5 a 6 Le.r fut ce resolvet
du 14 JiEr et la lettre dont je vous envoye ci joint la 3m.e copie, je
crus alors que toutes les difficultés etaient levées & qu’on allait
s’occuper de bonne foy des moyens de vous faire des rétours;
sachant cependant par experience que j’eprouverais des retards,
je me determinai a rester encore quelques semaines a philadi.e
pour presser l’achat de ces tabacs, esperant de recevoir d’un jour
a l’autre votre compte general que j’aurais ete tres aize d’arretter
pendant que MR Deane etait sur les lieux; mes craintes sur les
rétards qu’on pouvait me faire eprouver pour l’achat de ces 3000
Bau.ds de tabac n’etaient que trop bien fondées, quoique l’ordre
d’achetter fut donné par le congrés, le committé de commerce en
differa l’execution sous differens pretextes enfin ennuyé de tous
les delays qu’on me faisait eprouver et des mauvaises raisons
qu’on me donnait, je pris le party de faire un memoire dans le
quel je presentai sous un meme point de vue toute votre conduite
et je me plaignis amerement de la maniere dont vos services
avoient été recconus, j’entrai dans beaucoup de details qui
n’etaient pas a la connaissance de la majeure partie des
membres du congrés et je reussis a les determiner tous a vous
rendre au moins justice, je n’ai epargné personne dans ce
memoire parce que tous ceux que vous aves servi vous ont
singulierement maltraité, mais ma franchise n’a pas deplu et le
congrés a nommé un committé pour conferer avec moi sur les
moyens de vous faire de prompts rétours. la négligence du
committé de commerce en n’achetant pas de tabac avait rendu ce
moyen de vous faire passer des acomptes impraticable; il est
aujourdhuy si cher que le congres ne veut pas en acheter de peur
d’augmenter encore la depreciation du papier qui est a un point
incroyable (on donne dans ce moment ci 20 & 25 DaRs en papier
pour une en argent & les vivres sont sans prix) le tabac est la
seule production qui puisse dans ce moment ci faire des remises
considerables, ainsy ce moyen manquant je ne savois que
192
CARON DE BEAUMARCHAIS
proposer. enfin voici le party que j’ai pris. J’ai proposé au congrés
de recevoir des traittes tirées par le president sur MR franklin11 ou
tel autre representant des etats unis pourvu qu’on me donnat un
resolvet par le quel les etats unis seraient engagés a faire les
fonds de la somme qui me serait fournie en traittes, on a consenti
a cette proposition apres beaucoup de nouvelles difficultés, l’on
m’a demandé en termes de 3 ans que j’ai accordé, ne pouvant
faire mieux, mais demandant que l’interet fut payé annuelement,
on voulait que les billets eux memes portassent interet, mais j’ai
preferé que l’interet me fut payé par des traittes separées
esperant que vous pourres placer une partie de ces effets sous un
excompte moindre que celui de 6 p% par an, d’ailleurs en vous
remettant les traittes pour l’interet, cela fait 432000£ de plus
dont vous pourres jouir tout de suite en les excomptant au lieu
que si les traittes du capital eussent porté interet vous n’auriez
pu jouir que de 2,400,000£ vous pourres certainement placer
comme argent compT les deux traittes paybl.es au 15 Juin 1780 pR
144000£ a moins qu’il n’arrive quelque revolution totale, je suis
bien assurre que ces traittes seront tres bien payées, dans tous
les cas cela vaut beaucoup mieux qu’une simple promesse du
congrés de payer quand ils pourront. MR Gerard qui veut bien se
charger de vous remetre a vous meme mon paquet a été témoin
de toute la peine que j’ai eu pour obtenir ces traittes, il connait
tous les details de ma conduite depuis que je suis dans le
continent ainsy vous pourres savoir par luy si j’ai fait ce qui etait
en mon pouvoir pour vous prouver que votre confiance n’etait pas
mal placée, si je n’ai pas eu un plus grand succés & si les retours
sur les quels vous comptiés n’ont pas été plus prompts, il n’y a
certainement rien de ma faute. Outre les 2,400,000£ de trai [sic]
j’ai obténu comme vous le verres par la copie du resolvet du 5 juin
que j’insere dans ce paquet que le vaU le chaa 12 qui a 500 bd.s de
tabac a bord soit livré a ma disposition afin d’etre expedié a votre
adresse sous convoye du fier Rodrigue, en outre l’on me delivrera
encore 6 a 700 boucauds que le congrés a tant en Maryland qu’en
Virginie & dans la caroline du nord, des que j’aurai des batimens
pour le charger, cela ne suffira pas a beaucoup pres pour charger
les differens batimens que j’attens, mais sans doute ils ne
viendront pas vuides & alors au lieu de vendre pour du papier
CORRESPONDANCE
193
monnoye ce qui est sujet a des revolutions ruineuses je vendrai
pour du tabac; les anglais viennent de faire une incursion dans la
Baye
de
Chesapeak
qui
a
encore
fait
augmenter
considerablement cette denrée, ils ont brulé plusieurs magazins
et plusieurs vaisseaux charges entr’autres La Virginie qui vous
etait consigné avec 353 Bd.s a bord mais cette perte ne vous
regarde pas; l’etat de la virginie a perdu considerablement, je
sais qu’une partie du tabac qui vous etait destiné faisant partie
des 2000 achettés par Chevallié ont été brulés et je crains bien
que cela n’eleve une nouvelle difficulté; lorsque je partis pour
philadelphie, le gouverneur de virginie13 me dit que votre tabac
resterait a vos risques dans les magazins, j’evitai de repondre, et
je partis sans prendre aucun engagement a ce sujet: j’espere que
j’obtiendrai la quantité entiere qui vous est due, vous verrez par
la datte des traittes que je n’ai pu quitter philadelphie un
moment plutot, j’aurai bien desiré me rendre en Virginie depuis
longtems pour faire decider cette querelle sur la qualité des
tabacs14 mais cela n’a pas dependu de moy, je pars au moment
ou je suis libre quoique tres faible encore d’une violente fievre qui
m’a oté toutes mes forces en 4 accés, heureusement je suis en
etat de voyager & je quitterai demain la ville. Je crains un peu la
rechute car la virginie est l’endroit le plus fievreux de tout le
continent, mais cela ne m’arrettera pas; je desire seulement
pouvoir arriver avant que l’assemblée generale n’ajourne si
j’arrivais trop tard il faudrait alors que j’attendisse jusqu’au piEr
8bRe pour cette decision sur la qualité des tabacs, ce qui serait
impossible si comme je dois m’y attendre Le fier Rod.... arrive
avec sa suite dans le courant de ce mois ci, je ne concois plus rien
a son rétard MR Peltier m’a ecrit en datte du 26 9bRe que sous 3
mois au plus 4 je le verrais, en voila 7 d’ecoulés & rien n’arrive;
c’est ce qui me fait esperer de vous voir.
Je ne vous parlerai pas des operations politiques de ce
nouveau monde ni des gens qui sont a la tete des affairres, MR
G.... a qui j’ai souvent donné des renseignemens et a qui j’ai fait
part de beaucoup de notions que l’habitude de vivre
familierement avec ces gens ci m’a donné, vous fera la dessus
tous les details qui pourront vous interesser pour ce qui regarde
la partie du commerce je l’ai particulièrement etudiée et je vous
194
CARON DE BEAUMARCHAIS
ferai moi même à ce sujet là les détails que je croirai pouvoir vous
être agréables, lorsque je saurai precisement ou vous adresser
mes lettres et lorsque je saurai ce qui me reste a faire dans le
continent; le but pour le quel je suis venu yci est en tres grande
partie rempli, si je reçois votre compte general vu & arretté par
MR franklin, ce sera l’affairre d’un instant pour solder tous vos
comptes avec le congrés avec le quel je suppose, vous n’avez pas
commencé de nouvelles affairres d’apres le contract que j’ai fait,
outre que les conditions ne vous sont pas avantageuses, le
congrés n’a pas tenu ses engagemens ainsy vous ne devez pas
tenir les votres j’ai annoncé dans mon memoire qu’on ne devait
absolument pas compter sur vous pour aucunes fournitures et
meme que s’il en arrivait, je ne les delivrerois pas aux conditions
portées dans le contract, mais que l’on pouvait compter sur la
preference en payant les prix courans, si ce nouvel envoy n’est pas
tres considerable et que je puisse en disboser [disposer] avant
que les batimens ne soient rechargés, je suis bien tenté d’aller
vous voir, il serait de la plus grande importance pour vos interets
que je vous entretienne. Je connais tres bien le pays et je sais
tout le party qu’on en peut tirer apres vous avoir entretenu, je
consentirais volontiers a revenir pour former plusieurs
etablissemens dans les endroits les plus avantageux du
continent; les lettres que j’attens de vous & la nature des
nouvelles affairres qui vont m’arriver me determineront. si je ne
puis faire le voyage aussi promptement que je le desirerais, je
vous ferai part de mes idées par vos vaisseaux, ce pays cy est
devenu le sejour le plus ennuyeux et le plus desagreable qu’on
puisse imaginer, la loy du plus fort est presque la seule qui y soit
connue, tout est dans un desordre incroyable, mais tous les
habitans veulent l’independc.e la majeure partie est pour l’alliance
avec la france ainsy un an ou deux de paix retabliront tout ce
desordre, j’ay ete tres allarmé pendant quelque tems, il y avait
un party puissant dans le congrés qui etait entierement opposé a
tout ce qui pouvait entretenir l’alliance mais heureusement ce
party est dissipé. les freres15 du politique de berlin16 qui auraient
tout renversé pour le continuer dans sa place viennent de quitter
le congres l’un & l’autre, depuis leur depart on a deja rappellé le
ministre pres des cours de berlin et de vienne ainsy que MR Izard
CORRESPONDANCE
195
et sous peu le politique de berlin lui meme sera a coup sur
rappellé pour qu’il ait a prouver ses accusations contre MR Deane
qui de son coté attaque vivement ce politique, cette malheureuse
dispute et les partis opposés dans le congrés ont été cause que
beaucoup d’affairres tres importantes ont été negligées mais il y
a bien a esperer que desormais tout ira bien, MR G..... vous dira
ce qu’il en pense et vous fera part de ce qui sera determiné d’yci
au moment de son depart. il m’a paru avoir envie de vous
connaitre particulierement.
J’ai fini avec le sieur Galvan17 c.a.d. il m’a remis a 2000
piastres pres la meme somme nominale que celle qu’il avait
touchée de l’etat de la caroline, mais vu la depreciation actuelle le
montant total est a peine le 10m.e de ce qu’il a reçu; de peur de ne
rien avoir, j’ai preferé recevoir cet argent sauf & disputer après.
J’ai ecrit au gouverneur de Charlestown pour lui proposer de
reprendre en nature les fonds qui furent remis au sieur Galvan
puisque cet agent ne vous les a pas fait passer et qu’aujourdhuy
la perte que vous feriez seroit tres considerable si vous etiez tenu
a recevoir ce meme argent en payement; je n’ai pas encore recu
reponse, mais comme mes representations ont été fortement
appuyées par MR Drayton delegué de la caroline, j’espere qu’on y
aura egard et que le conseil de l’etat consentira a reprendre cet
argent.
J’ay le plaisir de vous aprendre que MR le Bo.n de Stuben est
singulierement content de votre neveu cette année. il s’etait elevé
quelques petits nuages entre eux en campagne dr.e & desepiniers
avait quitté le Baron mais je les ai remis ensemble et ils m’en
ont fait l’un et l’autre des remercimens.
J’ay l’honneur de vous prevenir que MR Giroud est infiniment
mecontent de sa situation dans ce pays ci je ne sais pas quelles
etaient ses pretentions lorsqu’il vint, mais il se plaint beaucoup
d’avoir été trompé; tant que nous avons eté ensemble en virginie
je n’ai eu qu’a me louer de luy, je m’appercus bientot que tout
l’affectait, mais desirant en faire mon ami j’eus pour lui toute
sorte d’egards & il me parut tranquille pendant qques instans.
Nous vimmes ensemble a philadi.e au mois d’Octobre comme
jusques a ce moment ci mes affairres n’ont pas été tres
multipliées et que j’en fais plus de la moitié en anglais que MR
196
CARON DE BEAUMARCHAIS
Giroud n’entend pas ni n’ecrit, il en a resulté qu’il n’avait guère à
faire qu’a copier mes lettres, cela l’a ennuyé et il a commencé a
temoigner de l’humeur. J’ai eu avec lui 2 ou 3 conversations ou je
lui ai representé son injustice, il en est convenu avec moy, mais il
a insinué a mes connaissances qu’il avait été envoyé par vous
pour m’etre adjoint et que je ne suivais pas vos intentions, dans
le mois de Decembre j’ecrivis a l’assemblée de virginie siegeant
alors relativement a votre tabac, MR Giroud tres ennuyé du sejour
de philadelphie me parut desirer de retourner a Williamsburg, je
lui remis mes lettres & il partit. Je vous ai dit ailleurs qu’il
arriva trop tard et je ne sais s’il a presenté pendant cette seance
cy mon memoire: mais dans l’intervalle qui s’est ecoulé depuis
que nous nous sommes quittés, son humeur a beaucoup
augmenté a ce que tout le monde me rapporte, il dit hautement
qu’il ne serait jamais venu icy si on ne lui avait pas fait entendre
qu’il y seroit mon associé &c. &c. Il a fait ces plaintes à 20
personnes qu’il ne connaissait pas, il les a fait a tous ceux qu’il
voit: je lui ai donné de l’argent a toucher pour des marchandises
que j’avois fait vendre en virginie et lorsqu’il a eû cet argent entre
mains on m’a dit qu’il se disposoit à ne me rendre aucun compte
qu’au prealable il ne sçut sur quel pié il etoit avec moy je doute
encore de ce rapport. Il etait porteur d’une lettre ouverte pour
moy dans le quel vous lui fixies vous meme son sort, ainsy je ne
sais ce qu’il pretend, mais je prevois que nous ne nous
accomoderons pas long tems ensemble, on m’a dit qu’il n’attend
que mon retour en virginie pour me quitter; comme il m’avait été
envoyé par vous que je le regardais comme attaché a vos interets
et non pas comme le commis de mes affairres personelles, je vous
previens de ses projets et j’ajouterai meme que si tout ce qu’on
m’a dit est vrai il n’emportera pas mes regrets, apres tous les
egards que j’ai eu pour luy, sa conduite vis à vis moi annoncerait
un homme si peu sensible à des procedes honnettes que
certainement je ne l’empecherai pas de prendre le party qui lui
conviendra le mieux, d’ailleurs il ne m’est pas d’une grande
utilité, tout ce qu’il a fait à mes livres n’est pas l’ouvrage de 30
jours, et comme je ne fais pas des affairres de commerce suivies,
il s’ensuit qu’il ne pourrait m’aider que dans la correspondance,
mais il n’aime point a copier et generalemt mes lettres sont de
CORRESPONDANCE
197
nature à n’etre ecrittes que par moy. ainsy je ne me plaindrai pas
de sa perte s’il execute ses menaces. J’ai avec moy MR Latil18 ce
jeune homme a qui vous remittes une lettre de reccomandation
pour Lestarjete, voila pres de six mois que nous sommes ensemble
et je suis on ne peut plus content de son travail, il est tres instruit
de tous les details du commerce, je ne pouvais faire une meilleure
rencontre dans ce pays ci, il vient avec moy en Virginie et si sa
santé qui se sent encore de New Jork le lui permet, il ne me
quittera pas tant que je resterai sur le continent.
Pressé de partir je n’aurai pas un moment pour ecrire à nos
amis M.M. Gudin & de Monthieu quoiqu’ils me negligent
beaucoup l’un et l’autre, je leur ecrirai si cela dependait de moy,
mais il me reste a peine le tems de regler tous mes ctEs et de faire
quelques adieux Je vous ai fait dans ma dernière un detail sur
les fusils emportés par Galvan qui vous mettra a meme de
reclamer un dedomagement considerable de MR de Monthieu; les
fusils que MR Bellon19 remit a Galvan etaient tous a l’exeption de
333 reparés & plus de 600 creverent a l’epreuve. Varage dit a
Galvan que MrBellon avait souvent offert ces memes fusils pour
17£ c’est ce qu’il vous sera tres aizé de verifier.
Je vous remis incluse une petite traitte de 787£ 10~ tirée sur
MR de Monthieu par un de ses parens. le ct.e de pulawsky20 vous
doit 360£ prix de 15 paires de pistolets que je lui ai vendus du
bord du fier Rodrigue a 24£ la paire, vous les preleverez s.v.p.
sur le montant de la lettre de change et vous tiendres le surplus
a la disposition du comte, il est bien impatient de savoir ce que
vous avez fait de l’argent qu’il vous remit a son depart de france
et si vous en avez touché depuis qu’il est party, il sert
actuelement a la caroline du sud avec sa legion je vous prie de me
croire avec le plus entier devoûment & le plus sincere
attachement. &c.
Rappelles moi je vous prie au souvenir de toutte votre societé,
voules vous bien presenter mes respects a Mesdames vos soeurs
& a Madm.e W..... mille complimens a Mr.s Cantigny Leveigneur
Durand &ca
P.S. J’ay l’honneur de vous envoyer ci joint les secondes de 56
traittes dont 50 pour la somme de 2,400,000 accordée par le
congrés comme vous le verres par leur resolution du 5 juin dont je
198
CARON DE BEAUMARCHAIS
vous envoye la copie signée par le secretaire du congrés et six
pour l’interet annuel de 144,000£ chaque année. J’y joins la
lettre d’avis ecritte en consequence a Mr franklin que vous
voudres bien remetre vous meme. Je vous enverrai les prEs par le
fier Rodrigue si je ne puis en etre le porteur moi meme & je
choisirai les meilleures occasions pour vous faire passer les 3mEs
4mEs 5mEs je garderai les sixièmes. par le resolvet du 18 juin dont je
joins ici copie, vous verres que les etats unis sont engagés de faire
les fonds de ces traittes ainsy je ne doute pas que vous ne les
excompties aisement dans tous les cas il m’etait impossible de
faire mieux vu le peu de moyen qu’a le congres actuelement pour
payer vous verres sur le bordereau la raison pour la quelle il y a
des traittes numerotées 1. et 2. MR Carmikael m’a remis pour
payement des 200 £ St. que vous lui pretattes le 10 sepr.e 1777
une traitte de la meme somme sur Mr Bancroft,21 il ecrit en meme
tems a ce dernier de regler avec vous l’interet et un petit compte
de debours fait par lui pour un pilote arretté par votre ordre, il
me dit que ces debours se montent a 750£ ..__.. __.. l’interet sur les
200£ st__..__.. d’yci au moment ou vous seres payé balancera a peu
pres cette somme et si c’etait par votre ordre qu’il avait engagé ce
pilote, il n’est pas juste qu’il paye les fraix que cet homme a fait.
Je vous envoye une lettre de luy renfermant sa seconde de change
pR 200 £. Ste.rl & une lettre d’avis pour le Dr Bancroft. Je suis si
pressé de fermer mon paquet que je ne puis traduire les differens
resolvets que je vous envoye
Etat des pieces qui accompagnent la lettre ci dessus
N° 1 Les 56 secondes de change a l’o. de MR de BS
2 Le bordereau des 56 secondes cy dessus
3 Resolvets du 15 JiEr et 20 avril 1779.
4 Lettre d’avis au DR franklin des 56 trait du congrés22
5 resolvets des 5 & 18 juin relatifs aux 56 trai
6 une lettre de Carmikael renfermant la lett. d’avis et
sa seconde sur le DR Bancroft
7 une lettre du congres23
8 une lettre du Baron de Stub. 24
9 1 lett. de MR Smith25
10. 1 lett. de MR Drayton26
une lettre de MR Deponthiere pour MR De Monthieu
CORRESPONDANCE
199
1Dans
la marge: “Original remis a MR Gérard.”
803.
3Voir lettres 803 n. 13 et 867.
2Lettre
4C’est probablement la lettre 735.
5C’est probablement la lettre 802.
6C’est probablement la lettre 737.
7C’est probablement la lettre 790.
8C’est probablement la lettre 803.
9Il
ne partira que le 18 octobre 1779.
Penot Lombart, chevalier de La Neuville (1744-?) a
quitté le continent avec Lafayette le 11 janvier 1779; voir Idzerda,
II, pp. 117 n. 1 et p. xxxviii.
11Il y a dans AF une lettre de John Jay à Franklin datée du 18 juin
1779 (c’est probablement la lettre citée sous le numéro 4 cidessous). En voici un extrait:
“I enclose you acts of Congress of the 5 th & 18 th instant,
10Louis-Pierre
respecting bills of exchange for two million four hundred
thousand livres tournois principal and four hundred and
thirty two thousand livres interest drawn on you in favour
of Monsieur de Beaumarchais, and payable in the several
sums, and at the respective times specified in the enclosed
schedule. Sensible of Mr de Beaumarchais’ efforts to serve
these United States & the seasonable supplies he has from
time to time furnished, congress are earnestly disposed to
make him this payment. They would gladly have done it in
produce; but the state of our finances, and the hazardous
navigation render it impracticable . . . ” (Lettre publiée
dans PBF, XXIX, 707-8).
On peut lire les détails des discussions dans JCC, 1779, pp. 74647.
12 C’est le Chase. Voir Morton et Spinelli, BAR, pp. 225 et 243
notes 11-14.
13Patrick Henry fut gouverneur jusqu’à la fin mai; Thomas
Jefferson lui succéda.
14Voir lettre 806.
15Francis Lightfoot Lee et Richard Henry Lee; voir tome IV, lettre
666 n. 1 et 2.
16William Lee; voir tome IV, lettre 666 n. 3.
17Voir lettres 746, 783, 803 et 806.
18Voir lettres 746 n. 29 et 867 n. 14.
200
CARON DE BEAUMARCHAIS
19Voir
lettre 803, n. 13.
tome IV, lettre 696, n. 3 et pp. 205-6, 286.
21Voir tome IV, lettre 630 n. 4.
22Voir note 3 ci-dessus.
23C’est probablement la lettre 735.
24C’est probablement la lettre 802.
25C’est probablement la lettre 790.
26C’est probablement la lettre 737.
20Voir
818. De Francy
philadelphie 24 juin 1779 1
J’ay l’heUr de vous envoyer ci joint copie de ma correspondance
depuis le 10 9bRe 1778 jusques au 27 avril 1779. J’avois resolu de
ne pas vous la faire passer par cette occasion ci pour les raisons
que je vous donne dans ma lettre d’hier dont MR Gerard est
porteur et qui vous parviendra le meme jour que celle ci, vous
trouveres ci inclus la notte des pieces que ce pe.r paquet renferme.
Je remis celui ci à MR Vitry secretaire de MR Gerard dans le quel
j’ai la plus grande confiance et qui m’a donné sa parole de ne le
remetre qu’a vous ou de le bruler au cas que vous fussiez party
pour quelque voyage de long cours lorsqu’il arrivera a paris.
Je n’ai rien a ajouter a ce que je vous dis dans ma lettre du
23 courant si non que MR Gerard m’a fait proposer hier par MR
Holker le consulat de la virginie en me faisant dire qu’il serait
charmé de donner par la une sanction publique a toutes mes
operations dans ce pays ci, J’ay été infiniment sensible a ce
temoignage honorable de sa confiance, le consulat de virginie
etant le plus interessant de tous, cependant je ne l’ai pas
accepté, il m’eut interdit la possibilité de suivre vos affairres
directement et comme la recconaissance et l’attachement que je
vous ai voué me lient a vous pour la vie, j’ay representé que
d’apres les engagemens anterieurs que j’ay pris avec vous, il ne
dependait pas de moy d’accepter une place qui m’empechat de
CORRESPONDANCE
201
faire moy meme vos affairres, cette place est tres honorable &
lucrative, mais jamais je ne consulterai mes interets au prejudice
des votres, Je ne pretens pas me faire un merite de cette facon de
penser, je ne serais pas digne de votre confiance si je pouvais en
avoir une autre, cependant le besoin d’avoir quelqu’un en virginie
qui previenne les desordres qui s’y commettent journelement &
qui soutiene les droits de la nation, determinera a ce que je crois
MR Gerard a me donner un titre qui ne m’interdisant pas les
affaires de commerce, me mettra a meme d’exercer les fonctions
de consul sans en avoir le nom, c’est a cette condition là seule que
je veux accepter un employ public et je ne reste meme pas yci
pour attendre la determination de MR Gerard, je pars cet apres
midy pour Williamsburg ou je le prie de me faire savoir ses
intentions, s’il est possible de rendre compatibles mes affairres
de commerce avec ce qu’il demande de moy. Et suis
1Ecrit
dans la marge: “Remis a MR Vitry secretr.e de MR Gerard.”
819. Au comte de Vergennes
Paris. ce mercredi 24 Juin 1779
Monsieur Le Comte,
J’ai l’honneur de vous envoyer la lettre que MR Le Ct.e de
Maurepas m’a demandée et qui court le monde sous mon nom. 1
Je ne me serais pas permis l’indécence d’un pareil envoi, s’il ne
m’etait pas ordonné. Jai prévenu Mr LeNoir qui a bien voulu faire
faire quelque recherche a ce sujet.
Je ne vous envoie pas le manifeste que j’ai recu de Londres
Lundi parceque je crois bien que vous l’aviés avant que MR
Almodovar2 le recut lui mesme d’Espagne. Il me semble qu’après
les plaintes graves qu’il contient, la déclaration espagnole est un
peu tortillée.
202
CARON DE BEAUMARCHAIS
Le 15 on n’avait pas encore a Bayonne de nouvelles de la
sortie de la flotte de cadix; quoi quil y eut des lettres de cette
ville. C’est cequ’on me mande aujourdhui de Bayonne.3
Si le livre est aussi fort que la préface a eté longue nous
devons voir de Belles choses de cette nation la; Mais je ne sais
pourquoi j’ai toujours un petit glaçon dans le coin de ma cervelle
etiqueté Espagne J’ai beau faire je ne parviens pas a echaufer
cette idée la. Dieu veuille que je me trompe!4
Mon respect et mon attachement sont inaltérables comme ma
reconnaissance.
Mr le Cte de Vergennes
1Voir
lettre 820.
marquis d’Almodovar était l’ambassadeur d’Espagne à Londres.
3La flotte de Brest est partie le 3 juin pour rejoindre une flotte
espagnole; elles allaient attaquer l’isle de Wight et ensuite,
Portsmouth. Il a fallu attendre près d’un mois après la date de
cette lettre pour que le départ de toute la flotte s’effectue; voir
Dull, pp. 147-54 et 362-63.
4Almodovar a quitté Londres le 18 juin; son départ représentait
une déclaration de guerre des Espagnols aux Anglais.
2Le
820. Lettre apocryphe de Beaumarchais
Lettre qui court le monde sous le nom de MR de B....
Paris ce 6 Juin [1779].
J’ai reçu Monsieur, la lettre dont vous m’avez honoré.1 Votre
Patriotisme et vos frayeurs sur notre situation sont justes. Les
Anglais ont pillé nos vaisseaux comme des voleurs de grands
chemins; mais si notre marine, au lieu de rester oisive dans les
Ports à attendre la décision d’un Ministere2 qui ne se décide
jamais, avait seulement fait le métier de la Maréchaussée, nous
CORRESPONDANCE
203
n’aurions pas inutilement perdu notre commerce dont une partie
néanmoins était assurée à Londres; ce qui ne fait rien a la faute
énorme que nos Ministres ont commise, d’avoir commencé la
guerre sans précautions préalables. Il est vrai que nous avons
plus de prisonniers à eux qu’ils n’en ont à nous; Mais notre faute
est toujours la même.
MR Le Cte d’Estaing est dans le meilleur etat pendant que
l’amiral Biron périt sur le Cimetierre de St.e Lucie, sans oser rien
faire. Malgré cela n’a-t-on pas manqué de le rappeller? Et s’il est
resté en place, n’est-ce pas plutot par l’indécision du Ministere
que par sa volonté expresse?
Vous dites qu’on nous a pris Pondicheri; c’est un autre effet
de notre mollesse que d’avoir envoyé l’ordre un an d’avance pour
que MR de Bellecombe se retirat à l’île de france. Pendant ce tems
les anglais s’emparent de tout dans les Indes, et font dans ce
pays à notre honte tout ce qu’ils veulent; Eux qui ne peuvent pas
seulement entamer leurs propres Colonies nous enlevent les
nôtres! Ce qui n’ote rien au mérite de MR de Bellecombe.
J’ai publié les cruautés des Anglais contre nos prisonniers3
que vouliez-vous qu’un particluier fit de plus? Ne serait-ce pas au
gouvernement a se ressentir de cela, s’il sentait quelque chose?
Mais toute sa sagesse consiste à croupir dans une indolence
qu’on décore du beau nom de Prudence. En general dans toutes
nos affaires, il n’y a peut-être pas trois hommes à leur vraie
place.
Quoiqu’il en soit nous avons donné la Paix à l’Allemagne et à
la Turquie. Notre alliance avec l’amérique, si nous nous ne la
laissons encore s’échapper, ôte un beau fleuron à la Couronne
anglaise; et notre Politique est la seule Patrie qui ait
quelqu’influence en Europe. Encore que d’objets restés en arriere!
Voila pourtant l’Espagne armée; la Hollande et tout le nord
veulent conserver le Droit du Commerce libre sur mer; et
l’Angleterre épuisée d’hommes et d’argent a perdu l’Amérique, et
va bientôt perdre l’Irlande, si la faiblesse française ou plutôt
ministérielle ne laissent pas encore se fanner cette autre fleur qui
veut encore se détacher de l’Angleterre. Le Roy de france est si
jeune!4 et tout le reste est si mollement composé que nos
avantages viennent des fautes de nos ennemis beaucoup plus
204
CARON DE BEAUMARCHAIS
que de notre propre science; et le jour que la fortune cessera de
nous favoriser vous verrez ce que tout cela deviendra.
Tel est l’état des evenemens actuelles.
MR le Ct.e d’Estaing est dénigré parce que le ministre l’a choisi;
et le Ministre a laissé les gazettes etrangeres se remplir des
injures des ennemis de ce brave homme, Comme si l’on ne devait
pas déffendre lhomme absent qu’on a mis en place. Mais chacun
songe à la sienne et rien de plus.
Je m’arrette sur ce sujet inépuisable, parce que n’étant pour
rien dans tout cela, je n’ai besoin ni de m’en chagriner, ni d’en
parler. C’est bien assez de voir comme cela est et d’en lever les
epaules en silence. Pensons à nos propres affaires.
Je crois écrire à un galant homme et je lui réponds comme il
m’a parlé en l’assurant avec franchise de l’estime avec la quelle
J’ai lhonneur d’etre
Monsieur
Votre Xa
1Voir
lettre 810 et la vraie réponse de Beaumarchais (lettre 811).
2Sartine.
3Voir
lettre 776.
XVI avait 25 ans en 1779 et il accéda au trône en 1774.
4Louis
821. D’Arthur Lee
A Paris ce 25 Juin 1779
En examinant, Monsieur, les Copies des Lettres que vous
m’avez confié je n’y trouve que celles des miennes. Les votres n’y
sont pas.
Cependant je pense que c’était bien votre intention de me les
confier aussi; et elles sont nécessaires a l’explication des
miennes. Je vous seres donc obligé, Monsieur, de vouloir bien me
les remettre.
205
CORRESPONDANCE
Je vous renvoye un Duplicata qui se trouve entre mes mains,
et qui pourra vous être utile.
J’ai l’honneur d’etre avec la plus
haute
consideration,
Monsieur,
Votre tres humble &
tres
obeissant serviteur.
A. Lee
M.M. de Beaumarchais
822. Au Lord Shelburne1
Mylord
Paris ce 27 Juin 1779
Mrs William Caslon2 et James Woodmason,3 l’un fabriquant
de papiers, et l’autre de caracteres d’imprimerie se sont
présentés chez moi sous vos auspices, relativement a la superbe
edition que tous les disciples ou amis de Mr De Voltaire desirent
faire de ses oeuvres complettes, et dont la direction m’a eté
unanimement dévolue, tant a cause de l’amitié dont ce grand
homme m’honnorait, que parceque j’ai pris le plus grand soin de
recoeuillir tous ses portefeuilles.
J’avais envoyé en angleterre faire des recherches a ce sujet;
parcequ’en effet nos fonderies de caractères français ne
fournissent rien d’assés beau pour remplir nos vues, non plus que
nos papeteries. Nous ne pouvons plus que balancer entre les
tipes de Mr Caslon; ceux de glaskow, et ceux de feu Baskerville4
dont les editions ont une si grande valeur dans toute l’europe.
L’avis d’un homme aussi eclairé que vous, Mylord, est du plus
grand poids pour nous. Les sentimens ici se portent vers
Baskerville; quoi qu’on put desirer qu’à la perfection de la coupe
206
CARON DE BEAUMARCHAIS
de ses poinçons, il eut joint un peu de nouriture dans le corps de
ses lettres.
J’ai dit a Mrs Caslon et Woodmason qu’aussitôt que la
compagnie aurait pris un parti, je leur ecrirais et leur adresserais
a Londres la personne chargée de suivre ces operations en
angleterre.
Mais mes amis me chargent, Mylord, de vous prier de de [sic]
permettre qu’à notre tour nous mettions sous votre protection en
angleterre ce grand et magnifique monument de litterature
fançaise, et que nous ayons l’honneur de vous adresser le
prospectus que nous comptons en faire imprimer sous peu de
tems en angleterre.5 Car vous connaissés ainsi que nous, Mylord,
les ridicules obstacles que notre clergé et toute sa dévote suite
mettent en ce pays à l’impression et publication de tout ouvrage
philosophique.
Nous sommes obligés de former l’établissement de notre
superbe edition hors du Royaume, et nous ne savons pas encore
si nos fabricateurs n’iront pas chercher un azile, pour la liberté de
ce grand ouvrage, en angleterre.
Quoi qu’il en soit, Mylord, nous croyons qu’une aussi belle
chose est digne de votre concours, et nous prenons la liberte de
vous le demander. Mrs D’alembert,6 Marquis de Condorcet,7
Suart,8 De Marmontel,9 abbé Morelet,10 enfin les chefs de la
littérature française, s’honorent tous de contribuer a la redaction
de ces grands portefeuilles qui nous donneront 60 vol. in 8O ou 40
vol. in 4O au choix des souscripteurs, dont 20 seront remplis
d’ouvrages de Mr de Voltaire absolument nouveaux.11
Quoi que je n’aye pas l’honneur d’etre personnellement connu
de vous Mylord; je ne vous en ecris pas avec moins de confiance.
Vous savés que pendant que la politique et la guerre divisent les
etats; les sciences et les beaux arts rapprochent les particuliers;
et que le monde littéraire et philosophique est une grande famille
réunie pour le bonheur et l’instruction des hommes.12 Vous etes,
Mylord, un de ces chefs de cette grande famille dont je ne suis
qu’un enfant: Mais un enfant zélé qui brûle de contribuer à
l’hoµage que toute l’europe veut rendre à Mr De Voltaire.
Le Roi de prusse, l’impératrice de Russie, le Roi de Suéde, et
tous les hommes eclairés du nord attendent avec impatience cette
CORRESPONDANCE
207
grande collection des oeuvres d’un grand qu’ils ont tous respecté ou
chéri. Daignés Mylord, entrer dans cette noble association et
recevés lhommage sincere et respectueux de celui qui shonore
d’etre
Mylord
Votre très humble et tres obéissant
serviteur ://: Caron De Beaumarchais
vieille rue du Temple a Paris.
13
Mr Le Marquis de Voyer votre ami et le mien qui entre chéz
moi a l’instant ou je finis cette lettre me charge de le rapeller a
votre souvenir et a votre amitié.
Mylord Shelburn
1William Petty Fitzmaurice Earl of Shelburne (1737-1805) était
ministre des colonies entre 1766 et 1768 et tenta en vain d’éviter
la guerre entre l’Angleterre et ses colonies américaines. Il devint
premier ministre en 1782 mais un groupe mené par Fox et Lord
North le força à démissionner. Quand le jeune Pitt prit le pouvoir
en 1784 il lui accorda le titre de premier marquis de Lansdowne.
Shelburne était un mécène cultivé.
2William Caslon père (1692-1766) était le fondeur typographique
qui, entre 1720 et 1726, avait créé les caractères d’imprimerie qui
portent son nom. Sa fonderie typographique était la première
d’Angleterre. Il devint très célèbre et reçut des commandes de
plusieurs imprimeurs étrangers. On s’est servi de ses caractères
pour imprimer la Déclaration d’Indépendance. Son fils (1720-1788),
qui s’appelait William aussi, devint son associé et avec l’aide de sa
femme continua le travail de son père. C’est lui dont parle
Beaumarchais ici.
3Woodmason a fourni du papier à Beaumarchais pour son édition
de Kehl.
4Voir lettre 765.
5En fait le prospectus ne paraîtra pas avant le 30 janvier 1781;
voir Morton, “Prospectus,” p. 140.
6Il s’agit bien entendu de Jean Le Rond, dit d’Alembert (1717-1783)
le célèbre mathématicien et philosophe.
7Marie-Jean-Antoine-Nicolas Caritat, marquis de Condorcet (17431794) travaillait déjà avec Panckoucke à l’édition des oeuvres de
Voltaire et est devenu co-éditeur avec Beaumarchais de l’édition
de Kehl. Dans les manuscrits de l’édition on peut trouver des
annotations de la main de Condorcet. C’est lui qui rédigea la Vie
208
CARON DE BEAUMARCHAIS
de Voltaire qui fait partie de l’édition; de nombreuses notes sont
également de lui.
8Jean-Baptiste-Antoine Suard (1734-1817) journaliste et rédacteur
de la Gazette de France se maria avec la soeur de Panckoucke; il
devint membre de l’Académie française en 1774. On le nomma
censeur en 1774 et en cette qualité il refusa d’approuver Le
Mariage de Figaro en 1782; son opposition continua même après la
représentation. C’est en répondant à une attaque de Suard dans le
Journal de Paris que Beaumarchais irrita le Roi et finit par être
emprisonné à Saint-Lazare.
9Jean-François Marmontel (1723-1799) poète, auteur dramatique,
philosophe, mémorialiste qui participait déjà avec Beaumarchais à
la création de la Société des Auteurs Dramatiques.
10L’abbé André Morellet (1727-1819) était membre de l’Académie
française et professeur d’économie politique et de législation aux
Ecoles centrales. Il vivait avec sa soeur dont la fille avait épousé
Marmontel. L’abbé avait fait la connaissance de Shelburne à Paris
en 1771 et correspondait avec lui depuis. Il visita l’Angleterre en
1772 et y fréquenta le monde savant et politique; voir Morellet.
11L’édition prévue de 60 vols. en aura 70 et on supprimera l’édition
in-4O
12Une belle phrase qui résume les idéaux des philosophes et de
l’Encyclopédie.
13Marc-René,
marquis de Voyer (1722-1782) se distingua à
Fontenoy, devint lieutenant-général en 1756 et commandant
militaire plus tard en Aunis, Poitou et Saintonge.
823. Au prince de Nassau1
[Paris ce 28 juin 1779]
Mon Prince
Je recois par Mr De Rullecourt2 la lettre dont vous m’avés
honnoré en datte du 27 Juin.3 Je ne dois pas vous laisser dans
une erreur a laquelle je n’ai pas donné lieu.
Vous ne pouvés employer vos officiers et volontaires a aucune
expédition ou j’aye quelque part, sans que les fonds qui m’ont eté
CORRESPONDANCE
209
proposés soient remis a ma caisse. J’ai mesme ajouté dans mes
instructions que sils ne l’etaient pas avant douze jours, on ne
devait plus compter sur mes navires; parce que la saison
s’avancait et qu’il ne resterait pas assés de tems.
Sur cette donnée, vous avés bien voulu m’engager votre parole
que les premiers 120. m. L. qui me seraient remis par la marine
sur le remboursement de vos soldats pris par le Roi, passeraient
a l’armement en guerre de mes navires; soit que ces 120. m. L.
fussent des actions appartenantes a vos officiers et volontaires,
soit que ces fonds vous restassent en propre et qu’ils fissent la
mise de votre intéret sur l’armement.
Votre lettre d’aujourd’hui applique au contraire a cet
armement 120. m.L. pris sur une gratitification incertaine ou très
rétardée, et vous réservés les fonds que je dois recevoir de la
marine sur le remboursement de vos soldats a payer, dites vous,
des dettes contractées dans votre expédition.
Il est très bien, mon Prince, si vous avés contracté pour 120.
m.L. de dettes que vous commenciés par les acquiter: mais il
serait fort mal qu’un armement de frégates qui doit servir a
employér les officiers que vous n’entendés plus rembourser; fut
uniquement et précairement apuyé sur des rentrées aussi
incertaines qu’une gratification qui n’est pas mesme encore
promise par le Roi.
Ceci bien entendu, j’ai l’honneur, mon Prince, de vous rendre
toutes vos paroles [.] Il ne peut se faire aucun armement a moins
que les premiers 120. m.L. que je dois toucher de Mr De Sartines
n’y soient absolument consacrés par vous.
Quant a l’etape et à la route jusqu’au lieu de
l’embarquement; elles ne peuvent etre sollicitées que dans le cas
ou les 1ers fonds qui me viendront pour vous seraient employés a
un armement qui ne peut avoir lieu a aucun autre titre[.]
J’ai cru vous devoir cette explication nette afin que vous
fussiés bien instruit des choses que la multitude de vos
occupations a pu faire sortir de votre mémoire
Vous connaisés
le respectueux dévoûment avec lequel je suis
Mon Prince
Votre tres humble et tres obeissant
serviteur://: Caron de Beaumarchais
210
CARON DE BEAUMARCHAIS
Mr Le Prince de Nassau.
L’article austére de l’emploi des fonds que je dois toucher de
la marine pour vous, une fois bien expliqué; soit que vous
accédiés ou non aux conditions sous lesquelles l’armement doit se
faire, je n’en mettrai pas moins de zéle pour la sollicitation de la
grace que vous demandés au Roi. Je voudrais avoir autant de
crédit que j’ai de desir de vous etre agréable votre gratification
serait aussi certaine que malheureusement elle l’est peu.
Puissai-je n’avoir que de bonnes nouvelles a vous anoncer a
ce sujet!
iCharles-Henri-Nicolas
Othon, prince de Nassau-Siegen (1745-1808)
était un prince allemand de sang français. Aventurier et guerrier
toujours à cours d’argent, il a servi dans l’armée française et fait le
tour du monde avec Bougainville. Lorsqu’en 1779 la France
projette une invasion de l’Angleterre, le prince forme à ses frais
une légion et la mène en expédition dans l’île de Jersey. Le
premier mai les Anglais repoussent l’armée de Nassau; voir
Correspondance secrète, tome VII, pp. 424-25. Quand finalement la
France renonce à envahir l’Angleterre, le prince demande que ses
volontaires soient incorporés dans les troupes françaises régulières
et que ses officiers et lui-même soient indemnisés des frais de
l’expédition; voir lettre 830. Sartine, qui est chargé du
remboursement, demande à Beaumarchais de prendre en mains les
intérêts du prince, craignant que l’argent ne disparaisse avant
d’arriver aux créanciers. Une amitié naît entre les deux hommes et
Beaumarchais prêtera de l’argent au prince qui n’en a jamais assez;
quand Beaumarchais est mort, on a évalué la dette de Nassau à
79,858 francs. C’est Nassau qui entraînera Beaumarchais dans
l’affaire Kornman; voir Loménie, II, pp. 274-91 et Patterson, p.
104.
2Philippe-Charles-Félix Macquart, baron de Rullecourt; voir tome II,
lettre 396. Il est entré au service de l’Espagne en 1761, a été
capitaine au régiment de Nassau-Luxembourg en 1767, capitaine au
Royal-Nassau en 1769. En 1774 il a reçu le brevet de major de
cavalerie, est passé au service de la Pologne, et est devenu
lieutenant-colonel des volontaires du Luxembourg au service de la
France en 1780. Il a été tué à Saint-Hélier (Jersey) en 1781. Les
Mémoires secrets disent de lui: “C’est un roué dans toute la force du
terme, abymé de dettes, & payant ses créanciers à coups de sabre”
(XVII, 13 janvier 1781, p. 21).
211
CORRESPONDANCE
3Durry
suppose que Nassau voulait équiper une flotte en employant
les vaisseaux de Roderigue Hortalez. Pour y parvenir il avait promis
les cent vingt premières mille livres que Beaumarchais recevrait du
gouvernement sur le remboursement des soldats repris par le Roi.
Cette lettre du 27, suggère Durry, présente une autre idée. “Les
cent vingt mille livres, Nassau les emploiera à régler des dettes, et
quand il aura reçu du Roi une gratification, il songera à payer
Beaumarchais. Seulement l’écrivain n’entend pas lâcher les cent
vingt mille livres de M. de Sartine pour une gratification qui n’est
pas encore promise.” C’est ce que Beaumarchais dit dans sa lettre:
“Pas d’argent dans les douze jours, pas de frégates.”
824. D’Arthur Lee
A Paris ce 28e Juin 1779
Je vous verrai, Monsieur, avec plaisir, chez moi, vendredi
prochain, le 2e Juliet, a dix heures de matin, si cela vous
conviendra.
Monsieur Izard s’y trouvera aussi. Je ferai, trés volontiers, ce
que je puis faire pour repondre a vos desirs.
J’ai l’honneur d’etre
avec la plus haute consideration,
Monsieur,
Votre tres humble & tres obeisst
servR
A. Lee
825. De Lépine4
a bord du fier Rodrigue ce 9 juillet 1779
Monsieur
212
CARON DE BEAUMARCHAIS
Je suis chargé par Mr De Montaut5 notre nouveau capitaine
de vous mander que votre vaisseau etant criblé de boulets, la
mâture très endommagée, tous les cordages et gréemens rompus,
les voiles toutes a jour, la grande pompe en pièce et l’equipage
très maltraité; vous ne devés pas vous flatter que vos navires que
nous avons laissés à la martinique presque sans équipage parce
qu’on les a pris, puissent sous le convoi du fier Rodrigue partir de
plusieurs mois pour leur destination. Nous repartons avec Mr Le
comte Destaing sans savoir si nous allons nous reposer ou
continuer ses conquêtes: la réparation du vaisseau seule coutera
ici ou tout est hors de prix plus de 80 m.L. que nous allons faire
tirer sur vous a vue a mesure. Si vous le pouvés donnés nous vos
ordres, pour la suite; cette campagne est bien glorieuse; mais je
crains bien quelle ne soit ruineuse pour vous.
j’ai lhonneur d’etre avec respect Monsieur
Votre tres humble et trés obéissant
serviteur. L’Epine
Mr De Beaumarchais
826. Du chevalier Montaut
[9 juillet 1779]
Copie
En rade de la Grenade le 9 juillet 1779, à bord
du vaisseau Le fier Roderigue
Monsieur
Vous allez certainement être surpris de recevoir par moi les
nouvelles qui regardent votre vaisseau. L’événement qui m’en
charge est d’autant plus affligeant qu’il me coûte la perte d’un
frere qui m’était aussi cher que moi même; perte irréparable et
dont ainsi que moi, toute ma famille sera inconsolable; le desir
CORRESPONDANCE
213
d’être utile à la Patrie, l’honneur de la nation et son devoir l’ont
conduit à la mort; Mr Le comte d’Estaing ainsi que tous les
officiers de l’escadre lui rendent la justice qui lui est due, et j’ose
me flatter, que chez le Ministre de la Marine, on y trouvera la
noble maniere dont il s’est conduit, mais je laisse ce sujet, pour
vous detailler notre voyage depuis france, et attendez vous à des
calamités entassées les unes sur les autres et dont la fin n’est
pas je crois encore bien prochaine.
Nous sommes partis de la rade des Basques, 6 le 10 may,
nous avions à cette époque 50 malades; en les mettant à terre il
n’y avait pas moyen de les remplacer et notre equipage très
mauvais, aurait été bien affaibli, ces raisons nous ont engagés à
les garder dans l’espoir que la mer les remettrait, mais trompés
dans notre attente, la quantité n’a fait qu’augmenter, et à notre
arrivée, nous en avions 350, et le reste convalescens seulement,
de sorte que c’était avec la plus grande peine que nous
manuvrions; il en est mort 37 et 7 soldats; nous avons mis le
reste à l’hopital du Roi, par ordre de Mr Le Comte d’Estaing.
Tous vos navires sont également arrivés à bon port, après 48
jours de traversée pendant laquelle nous avons eu des soucis
innombrables, heureusement que pour le moment ils ont cessé
par notre avenue au Fort Royal. Le lendemain Mr le Comte
d’Estaing a signifié à mon frere qu’il allait partir pour une
expédition majeure, et qu’il espérait qu’il voudrait le suivre. Mon
frere qui savait qu’il fallait obeir, a accepté de bonne grace, après
lui avoir fait ses representations sur le triste état de son
equipage. Mr Le Comte d’Estaing y a remedié en nous donnant à
prendre du monde sur les navires marchands, particulierement
sur les vôtres, et sans avoir le tems de nous reconnaître que
légèrement, nous sommes partis deux jours après, qui etait le 30
juin, ayant 380 hommes à bord, tout compris, même 58 recrues.
L’escadre était composée de 25 vaisseaux de guerre et 12
frégates, corvettes ou mouches; il y avait 5000 hommes de
debarquement. Nous avons fait route pour cette ile, où nous
1
avons jetté l’ancre; le 2 juillet à 4 heures 2 après midi, à une
lieue de la ville, et du fort Royal. Dans le même instant il a été
mis 1800 hommes de troupes à terre, Mr Le Comte D’Estaing
était à leur tête, il a commencé à s’emparer d’une éminence; Le
214
CARON DE BEAUMARCHAIS
Lendemain s’est passé en observation de part et d’autre et à
débarquer des canons de campagne, bombes, mortiers et tout ce
qui était necessaire à un siege; pendant ce tems là nous voyions
les Anglais réunis se mettre en état de défense. Ils ont deux forts
dont un nommé le fort Royal à l’entrée du Port, qui est très beau
et bien bâti, susceptible d’avoir 50 canons, et qui n’en avait que
14 de montés; l’autre est une redoute qui peut en avoir la même
quantité et du plus fort calibre et qui n’en avait que 16 de 36, de
montés; il y avait aussi sur les deux, six mortiers, le reste de
l’artillerie était bien dans les forts, mais pas encore en état.
Cette redoute est située sur une hauteur qui domine la ville, le
Port, la rade et toutes les autres forteresses, sa position est la
plus heureuse du monde; les retranchemens très bien entendus.
Le 3 juillet à l’entrée de la nuit, Mr Le Cte D’Estaing s’est mis en
marche avec 1400 hommes par des chemins impraticables, et a
envoyé 400 hommes par deux chemins différens, faire de fausses
1
attaques. L’affaire s’est engagée de 4 à 2 heures 4 du matin,
avec une vivacité singuliere de part et d’autre. La mousqueterie
ne cessait pas, les coups de canon étaient redoublés, et on lancait
souvent des bombes; tout ce feu se faisait par et contre les
fausses attaques seulement, tandis que M Le Comte d’Estaing,
avec le grand corps, marchait directement vers le Fort, par des
chemins abominables, sans tirer un seul coup de fusil, ni faire le
moindre bruit, car s’il eut été apperçu, son coup était manqué. A
1
3 heures 2 il a monté à l’assaut le Premier, sa troupe l’a suivi, et
les Anglais surpris et consternés ont partie mis bas les armes et
les autres par des chemins de communication se sont refugiés
dans le Fort Royal, le feu a cessé dans cet instant, et au jour
nous avons vu le pavillon français arboré sur la redoute, et le
Pavillon anglais en Parlementaire sur le fort Royal. On a entré
dans ce moment en capitulation et le pourparler a duré jusques
au soir. Mr Le Comte d’Estaing voyant que le gouverneur éludait,
lui fit dire qu’il ne lui donnait que jusques à 9 heures du soir; que
si alors il n’était pas décidé, il allait le bombarder et mettre au
Pillage. Le gouverneur effrayé de la menace se rendit à l’heure
indiquée et on ne vit plus le lendemain dans l’ile que des
pavillons blancs: c’est le Lord Makartenay7 qui commandait. Mr
Le Ct.e d’Estaing eut l’honnêteté de lui faire dire qu’il ne doutait
CORRESPONDANCE
215
pas que ses forces ne fussent bien plus considérables, que celles
des Anglais et qu’en conséquence, il espérait qu’il se rendrait,
sans faire de resistance, pour éviter une effusion de sang qui
répugnait toujours à l’humanité. Le Lord Makartenay lui
répondit qu’il avait de quoi se défendre; qu’il n’avait qu’à faire
son devoir et qu’il ferait le sien; il avait 900 hommes dans le fort;
certainement s’ils se fussent bien défendus, l’ile nous aurait coûté
bien du monde, tandis que nous avons été quittes pour 30 de
tués et autant de blessés, il y a eu de ce nombre 5 officiers
majors; Mr Le comte D’Estaing a exigé dans la capitulation, que
tous les biens qui avaient antécédamment appartenu aux
français, leur seraient rendus aux mêmes conditions qu’on les
leur avait pris. De plus il a voulu et a fait amener le Pavillon par
les Anglais mêmes, et jetter dans une fosse où il est encore; et il
les a forcés à arborer le français à un nouveau mât, qu’ils ont
planté; disant que l’autre n’était pas digne de porter le pavillon
blanc. Ces affaires faites, le lendemain 5 du courant, le comte
D’Estaing a eu avis par ses mouches, que l’amiral Biron8 était à
ST Vincent, et venait avec son escadre; il s’est incontinent rendu à
bord et a fait signal d’appareiller, et de nous préparer au combat,
nous avons presque tous mis sous voiles; mais l’anglais ne
paraissant pas, nous avons mouillé le soir. Le 6 du present à 3
heures du matin nous avons eu une nouvelle alerte; nous nous
sommes préparés et au jour nous étions presque tous sous voiles
lorsque l’amiral Biron a paru à deux lieues avec son escadre
composée de 23 vaisseaux, et une flotte marchande immense,
qu’il avait laissée à la tête de l’île. Il s’est presenté dans le
meilleur ordre; tandis qu’il s’en fallait de beaucoup que nous
fussions dans le même état; nous n’avions pas eu à la vérité le
tems de nous y mettre. Le combat s’est engagé, et pendant deux
1
heures et 2 il a été des plus violens. Nous avons été avec
L’Annibal9 les plus exposés, et nous sommes je crois celui de
l’escadre qui a le plus souffert du coté du vaisseau. Il ne pouvait
pas en être de même du monde, puisque nous n’avions en tout
que 380 hommes, et que les batteries garnies il ne nous en
restait que 60 à la monoeuvre. Après une heure et dix minutes de
combat, mon frère a eu le malheur de succomber, un matelot à
été aussi tué et 23 hommes de blessés, nous avons continué
216
CARON DE BEAUMARCHAIS
aussi longtems qu’il nous a été possible, mais restants seuls avec
L’Amphion10 derriere; nous avions cinq gros vaisseaux anglais
après nous qui ont fini de nous écraser; de sorte que nous avons
été obligés d’arriver pour nous réparer après avoir souffert deux
1
heures 2 ; il semblait pourtant qu’ils en voulaient encore; nous
étions nous memes en état de recommencer et nous avons fait
voile pour rejoindre notre ligne; mais les Anglais dont cinq étaient
demâtés de leurs mâts de hune, ont évité le combat en fuyant et
un de leur plus gros vaisseaux a été obligé d’arriver vent arriere,
tant il était délabré; nous ignorons ce qu’il sera devenu ainsi que
le reste de l’escadre anglaise; pour nous, nous avons louvoyé
toute la nuit à la vue de la terre, espérant que M Biron voudrait
revenir aux mains; mais au jour il ne paraissait pas un vestige
des Anglais, à l’exception d’un bateau qui a été pris ainsi qu’un
grand navire de transport chargé de troupes et de munitions de
guerre pour la Grenade, et qui par conséquent n’a pas changé de
destination. Nous avons alors prolongé la terre et sommes tous
venus mouiller devant la ville, à l’exception de L’Amphion qui ne
paraissait pas, mais qui est arrivé hier. Notre escadre a joliment
souffert, et on compte 200 morts et 400 cent blessés, parmi
lesquels 10 officiers de marine et 5 de terre. Maintenant l’escadre
se répare et je crois que sous peu de jours nous partirons
vraisemblablement pour le fort Royal, vû la saison de l’hyvernage
qui va commencer; il se pourrait aussi qu’avant de retourner, Mr
Le Comte d’Estaing voudra finir la conquête des iles anglaises,
c’est ce que le tems nous apprendra; et dont j’aurai soin de vous
informer. Nous avons eu 38 boulets en plein bois, dont plusieurs
à la flottaison et deux qui ont percé; 5 à la mature; un qui a
cassé une pompe, environ 40 dans les voiles et notre gréement
haché. Jugez combien ces réparations vont vous coûter dans nos
iles, un nouvel équipage qu’il faudra faire, et les frais d’hopital
qu’il faudra payer pour les malades qui ont été mis à terre; nous
en avons encore 40 et je commence à être embarassé. pendant
que nos escadres se battaient une partie des habitans anglais de
la Grenade avaient pris les armes et voulaient se revolter, mais
on y a bientôt mis ordre et tous ont été dans la plus grande
consternation, lorsqu’ils ont vu revenir l’escadre française
triomphante; je crois même qu’il y en a de destinés à la corde.
CORRESPONDANCE
217
L’ile de la Grenade est très belle et fertile; elle produit
beaucoup de sucre, caffé et rhum avec un peu de cacao et indigo
dans les iles voisines, qui dépendent du même gouvernement,
comme Cariacou XA On y trouve beaucoup d’indigo. Le Port du
fort Royal est grand et commode; l’escadre la plus considérable
peut y hiverner à l’abri de toutes les injures du tems, il y avait
quand nous avons pris l’ile, environ 40 navires, tous petits à
l’exception de 7 à 8 d’une moyenne grandeur. La ville est petite et
mal batie, j’en ai demandé les raisons et j’ai trouvé que c’est la
coquinerie des habitans qui en est cause; ils avaient commencé à
la bâtir superbement et avaient fait assurer les maisons à
Londres deux et trois fois leur valeur; quand ils ont été certains
du remboursement en cas d’événement, ils y ont fait mettre le
feu, et la ville a brulé. Encouragés par cette maniere de gagner de
l’argent, ils ont fait batir de nouveau de superbes maisons, la
ville était charmante; ils ont fait assurer comme la premiere fois,
et cela fait, on a incendié la ville; de sorte qu’à quelques maisons
près, dispersées, elle est deserte; mais il y a apparence que
maintenant on va la rétablir puisque les français y sont en
sureté.
Après que nous eumes mouillé, j’eus l’honneur d’aller rendre
mes devoirs à Mr Le comte D’Estaing, et lui exposer l’état où nous
étions; il me reçut le plus affablement possible, donna à mon
frere tous les éloges qui lui étaient dus, m’en donna aussi, et me
recommanda de faire réparer le plutôt possible le dommage arrivé
au vaisseau, je le lui promis et votre besogne est bien avancée. Il y
a une heure que sans m’attendre à rien, Mr Le Comte D’Estaing est
venu à bord, et m’a surpris. Il m’a dit avec toute la bonté possible,
les choses les plus honnêtes et les plus agréables, et ma demandé
ensuite ce que je demandais pour récompense. Je lui ai répondu
que je n’exigeais rien, que j’étais trop heureux d’avoir servi ma
Patrie, et d’avoir prouvé que j’étais bon français, que l’estime de la
nation sur le témoignage d’un aussi grand général que lui, était
tout ce que je désirais: il me répondit que j’étais fort modeste; et
qu’il voulait d’abord me faire avoir la croix et un grade dans la
marine Royale. Je lui dis que si la guerre devait durer, j’entrerais
volontiers dans le service; mais que si nous devions avoir la Paix,
je ne m’en souciais pas: après
218
CARON DE BEAUMARCHAIS
plusieurs honnêtetés qu’il me fit encore, il m’a demandé ce
qu’exigeaient mes officiers, et qu’il me priait d’en faire un
mémoire, pour lui remettre l’après midi, afin qu’il l’envoye en
cour; je m’en occupe et je n’y demande que ce qu’il m’a dit qu’il
voulait me faire avoir, la croix et un grade quelconque dans la
marine; j’y ai pourtant ajouté la place de capitaine de Port à
Bordeaux en survivance. Tous nos messieurs ont été fort
modestes dans leurs demandes; et nous vous prions tous de les
appuyer auprès du Ministre; quoique certainement Mr Le Comte
d’Estaing ait tout le crédit possible, un mot de plus ne fait pas de
mal. J’envoye également tout ce détail a Mr de Montieu, avec les
mêmes prieres. Mr Le Comte d’Estaing m’a demandé son adresse
et la vôtre; il veut je crois vous écrire;11 je lui ai demandé si nous
retournerions au fort Royal, il m’a dit que non, que nous irions à
St Domingue, que cependant, nous passerions devant pour
prendre le convoi à qui il devait donner ordre de se tenir prêt; je
lui ai representé que vos navires pourraient ne pas l’être, surtout
nous ayant donné une partie de leurs équipages, que ce serait un
pretexte pour eux, un obstacle pour moi, et peut être des
reproches à l’avenir: soyez tranquile m’a t’il répondu, j’ai donné
ordre qu’à mesure qu’il sortirait des malades de l’hopital, ils
fussent distribués sur les navires marchands, qui en ont fourni
aux vaisseaux du Roi, et de commencer par les vôtres; malgré
tout cela, je ne suis guere tranquille, et je crains toujours quelque
difficulté, particulierement de la part de M de Casse12 de qui j’ai
50 hommes; vous jugez bien dans quels nouveaux embarras cela
me jetterait. Mr Le comte d’Estaing m’a dit de plus qu’après avoir
été à St Domingue nous suivrions notre destination sous bonne
escorte; tout cela m’a fait bien du plaisir mais ne me tranquillise
pas encore. Je dois vous prévenir qu’arrivé au fort Royal, et
devant venir faire la guerre, nous n’avons pas jugé à propos de
garder à bord les marchandises séches que nous y avions à vous
et à ceux a qui vous aviez permis d’en charger, parceque nous
aurions imprudemment exposé leurs intérêts, nous les avons
donc déchargées et envoyées à Mr de Casse, qui en a reçu une
partie et fait mettre le reste sur les autres navires. Le tout
pressait si extraordinairement et nous étions si embarassés, que
je n’ai de reçu que d’une très petite quantité; ainsi s’il arrivait
CORRESPONDANCE
219
malheureusement que Mr de Casse ne voulût pas venir, qu’il ne
voulût pas se charger de ces marchandises, et que je ne pûs pas
les recevoir, je pourrais me trouver dans un très grand embarras
par rapport aux propriétaires. Ces perplexités sont cruelles et me
jettent dans de grands soucis. Je vais pourtant lui écrire les
intentions de M Le Comte d’Estaing, afin qu’il soit prêt et alors je
n’aurai rien à me reprocher. J’ai l’honneur de vous prévenir
detous ces objets afin de n’avoir aucun tort auprès de vous. J’ai
l’honneur d’etre avec la plus parfaite considération
Monsieur
Votre XA
Signé Cher Montaut.
Mr Caron de Beaumarchais
4Lieutenant
du Fier Rodrigue (voir tome IV, lettre 695, p. 191); la
lettre suivante de Montaut donnera tous les détails de la bataille de
Grenade.
5Son frère était le capitaine qui venait de perdre la vie pendant la
bataille de Grenade.
AF; Courier de l’Europe, 24 septembre 1779; Donvez A 439.
6Le pertuis d’Antioche, entre l’île de Ré et l’île d’Oléron.
7Lord George Macartney, baron Macartney de Lissanoure (17371806) était gouverneur de Grenade.
8John Byron (1723-1786) a remplacé l’amiral Howe lorsque celui-ci
est retourné en Angleterre. Le 13 avril 1778, d’Estaing était parti
de Toulon. Byron devait l’intercepter mais des délais administratifs
dûs à l’incompétence du commandement l’ont empêché de partir
avant le 9 juin. Ils se sont enfin affrontés le 6 juillet 1779 près de
Grenade. Byron a ordonné à son escadre de 21 vaisseaux d’attaquer
l’escadre de d’Estaing qui, pensait-il, n’en avait que 16 et Byron a
refusé d’annuler ses ordres même après avoir compté 25 voiles
ennemies. Ses premiers vaisseaux ont beaucoup souffert et les
deux escadres étaient en train de se former pour se livrer une
grande bataille quand les Français ont décidé de se retirer. Seule
220
CARON DE BEAUMARCHAIS
l’ineptitude de l’amiral d’Estaing a épargné à Byron une défaite
complète (Boatner, p. 154 et Noailles, pp. 71-91).
9Vaisseau français de la ligne de 74 canons.
10Vaisseau français de 50 canons.
11Voir lettre 828.
12Le capitaine de Casse s’est occupé de la vente de certains produits
de la cargaison aux îles françaises et des frais de relache des sept
navires. Ses comptes font partie du rapport des commissaires du 21
février 1785 (AN, G/1/56); voir lettre 867.
827. Du comte d’Estaing
[12 juillet 1779]1
Je n’ai Monsieur que le temps de vous ecrire que le fier
Roderigue2 a bien tenu son poste en ligne et a contribué au succès
des armes du Roy. Vous me pardonnerés dautant plus de l’avoir
employé aussi bien que vos interets n’en souffriront pas soyez en
certain. Le brave Mr de Montaut3 a malheureusement été tué
j’adresserai tres incéssament létat des graces au Ministre.
j’espere que vous m’aiderés à obtenir celles que votre marine a
très justement merittées. 4
J’ai lhonneur d’etre avec tous les sentimens que vous scavés
si bien inspirer
Monsieur votre tres humble et tres obeissant serviteur.
Estaing
a bord du Languedoc5 en rade de St Georges isle de la Grenade ce
12 juillet 1779
Il ya plusieurs versions de cette lettre mais il n’y a que de légères
différences parmi elles.
1La date de la lettre de MAE est le 22 juillet; mais celle transcrite
ici et celle à Montieu sont datées du 12 comme l’est celle publiée
dans le CE.
CORRESPONDANCE
221
2La
lettre à Montieu et celle de MAE donnent ici “de 60 canons et
500 hommes.”
3La lettre à Montieu et celle de MAE donne ici “capitaine du fier
Roderigue, excellent homme de mer.”
4Voir lettre 826 pour une description de la bataille; voir aussi
lettres 856, 861, 907 et 909.
5Vaisseau amiral du comte d’Estaing.
828. D’Arthur Lee
[14 juillet 1779]
July 14t.h 1779 M. Lee a l’honneur d’envoyer a M. de
Beaumarchais la copie de la note qu’il a fait de leurs
conversations qu’ils ont tenues devant M. Izard.1 Si M.
Beaumarchais y trouveroit des erreurs considérables il aura la
bonté de les marquer a M. Lee.
1Voir
la lettre suivante.
829. D’Arthur Lee
[14 juillet 1779]
Le 22e du mois de Juin 1779, Monsieur Caron de
Beaumarchais s’etant rendu chez Monsieur Lee en consequence
d’une Notte de son Nephew Ludwell Lee pour l’avertir qu’il
s’était présenté deux fois à sa porte pour lui remettre une Lettre
en mains propres sans y avoir pu entrer.1
D’abord M de Beaumarchais était informé par M. Lee, que
l’objet de cette Lettre etait de demander de voir les originaux de
222
CARON DE BEAUMARCHAIS
quelques Lettres, sous la signature de Mary Johnston; les copies
desquelles avoient été mises devant le Congrés des Etats Unies,
par le dit M. de Beaumarchais, comme lui ayant été ecrites par
M. Lee.
M. de Beaumarchais l’a promis sans difficulté, et M. Izard,
Député du Congrés, qui se trouvoit par hazard chez M. Lee,
consentit d’être presente a cet examen le jeudi prochain, à dix
heures du matin.
Alors M de Beaumarchais entroit dans le detail suivant, pour
se justifier, et se plaindre du Congrés et de M. Lee. Qu’il avoit
mis ces lettres devant le Congrés, parceque il etoit averti par M.
Silas Deane, qu’on avoit taché ici et la bas d’empecher le Congrés
de le payer, et que M. Deane avoit été inculpé sur cette affaire, et
pour avoir envoyé les officiers avec les effets d’artillerie &cA Qu’il
avoit reçu de Londres le certificate de M. le Comte Laraguais, 2
expédié au Congrés par M. Lee pour temoignage que les effets en
question avoient été envoyé par la Cour: et qu’on lui a mandé de
Philadelphie, que ce certificate etoit mis devant le Congrés. Messrs
Gerard, Deane, et Carmichael avoient donnés leurs témoignage
au Congrés que ces effets etoient envoyés par lui et sur son
compte, et que l’Amerique en etoit redevable à ses soins et a son
zéle; et qu’en consequence le Congrés etoit convenu avec son
agent Francy que tous les denrées qui seroient envoyés en
France, seroient pour lui. Cependant que le Congrés ne lui avoit
pas ecrit une seule Lettre de remercimens, et qu’ils avoient
renvoyé son compte a être reglé et payé par leurs Deputés ici.
Que M. Deane s’etoit engagé avec lui par parole, qui doit être
aussi sacré que les ecrits, que toutes les marchandises envoyés
par le Congrés seroient a lui, et il avoit engagé ses amis, sur cela,
de lui preter des sommes considerables pour envoyer des
munitions en Amerique. Que lorsqu’il etoit sur le point de mettre
devant les Deputés, selon la promesse qu’il avoit faite à Passy,
un etat de tout ce qu’il avoit faite M. Deane l’a venu prier
secrettement de ne le pas faire, en lui disant que comme M Lee
etoit son ennemi, cela pouvoit lui fournir des moyens pour leur
faire de tort, et cette raison l’empecha de faire ce qu’il avoit
promis. 3 Que M. Carmichael lui a dit que M Lee etoit le rival et
l’ennemi de M. Deane, et lui a conseillé de s’addresser au
CORRESPONDANCE
223
Congrés pour le payement de ses effets, et que quand il avoit
envoyé M. Francy en Amerique M Deane ecrivoit par lui pour
recommender le payement de ses demandes.
Que quand il avoit entendu que les Deputés avoient faits
avec les fermiers generaux un traité par lequel il etoit convenu
que tout le Tabac qu’arrivera en France leur seroit remis, il leur
ecrivit en se plaignant que cette demarche seroit une violation
des engagemens faits entre M. Deane & lui, et qu’il reçut en
reponse qu’un tel traité n’existoit pas.
M. Lee lui a repondu qu’il n’avoit point de raison de se
plaindre du Congrés, puisqu’ils agirent suivant l’information de
leurs Deputés. Que tous les trois ecrivirent au Congrés qu’il en
avoit dans cette affaire un mélange des choses publics et privés,
et qu’il seroit mieux de leur en remettre la connoissance. Que cela
étoit ecrit sur la proposition & l’information de M. Deane lui
même, la seule information qu’il avoit jamais donné, qui disoit
que les articles qui etoient sur le compte des particuliers furent
les fusils, le toile &cA Que la connoissance etoit en effet remis au
Députés ici. Mais que suivant ce que lui (M. de Beaumarchais)
venoit de dire lui meme aussitot que le Congrés a été eclairci la
dessus, il a donné ordre pour le payement.
Que quant a M. Lee il avoit ecrit au Congrés toute de suite
apres l’entretien qu’il avoit eu avec M. de Beaumarchais, et
suivant ses desirs réitérés que les effets fournis par la Cour
devoient être expediés au Cap françois sous le nom de Roderigue
Hortalez & CE Il l’avoit compris comme ça, ainsi que M. le Ct.e
Laragais qui avoit certifié ce qu’il avoit entendu dans la
conference tenue dans les Chambres de M. Lee à Londres. Tout
ce qu’etoit dit des retours fut seulement proposé pour couvrir les
veritables desseins, et il l’avoit ainsi compris dans tout sa
correspondance. Non obstant tout ce qu’il [sic] que pouvoit faire
les Deputés pour gagner un connaissance exacte sur ce pointe, ils
ne peurent jamais apprendre qu’il en fut autrement, & qu’ils
avoient ecrit tous les trois que le payement ne seroit jamais
demandé. Il etoit donc trés claire par ces faites, que ni le Congrés
ni M. Lee avoient commis dans cette affaire, aucun tort exprés
envers M. de Beaumarchais.
224
CARON DE BEAUMARCHAIS
Jeudi le 24e Juin [1779] M. Lee & M. Izard se rendirent chez
M. Beaumarchais, qui leurs a montré les lettres qui se sont
passés entre M. Lee et lui. Les originaux de ceux de M. Lee etant
principallement en chiffre, M. Izard et M. de Beaumarchais les
examinèrent avec la clef des chiffres, et trouverent que le
dechiffrement etoit conforme. Aprés cela M. Beaumarchais les
transcrivit, et les delivra a M. Lee, en promettant de les certifier
quand elles seroient bien copiés.
M. Beaumarchais commençoit encore un recapitulation des
services qu’il avoit rendu à l’Amerique, l’ingratitude avec laquelle
il a été traité, et le tort que cela lui a fait.
Il disoit qu’il avoit avancé a M. Deane vingt mille livres pour
ses depenses, et trente mille pour quelque affaire particuliére de
M. Deane dans laquelle ses billets furent protestés; la derniére
de ces deux sommes lui fut rendue, et quant a ces avances il nous
montroit les reçus de M. Deane. Qu’il avoit preté des sommes
considerables à d’autres americaines et aux officiers qui y furent
envoyés de lesquelles il n’avoit rien reçu. Que M. Deane a son
arrivée en France l’etoit venu voir et lui avoit dit qu’il avoit appris
que lui M. Beaumarchais etoit le meillure & le seul ami de
l’Amerique en France, et qu’il etoit pret d’envoyer des secours en
Amerique desquels on avoit besoin, et que lui, M. Deane, etoit
autorisé de les procurer. M. Beaumarchais lui demanda ou et
quels etoient ses fonds. M. Deane l’a repondu qu’il attendoit
journellement des vaisseaux portant des Marchandises de
l’Amerique, lesquelles lui seront rendues en payement. M. de
Beaumarchais l’a repondu que dans ce cas la il appreterat les
secours immediatement. Quand ils furent prets, il envoyoit à M.
Deane pour savoir s’il avoit des vaisseaux prets pour les porter.
M. Deane l’a repondu que les vaisseaux n’etoient pas encore
arrivés et qu’il ne pouvoit compter sur leur arrivé, mais M. Deane
lui amenoit le sieur Montieu qui se proposoit de fournir les
vaisseaux, si M. Beaumarchais vouloit payer la moitié du fréte
toute de suite, et d’être la sureté de M. Deane pour le payement
de l’autre moitié.
La convention etoit faite et signée par M. Beaumarchais, M.
Deane, & M. Montieu, et ils nous a montré la signature de
chacun. Que lui M. Beaumarchais avoit payé 269,000£4, que ne
CORRESPONDANCE
225
lui ont jamais été rendu, quoique l’autre moitié du frete avoit eté
payé à M. Montieu par les Deputés. M. de Beaumarchais repeta
que la raison pourquoi il n’avoit pas mis devant les yeux des
Deputés en DecR 1777 tous ses comptes et ses operations comme
il avoit promis, etoit parceque M. Deane l’a venu prier
secrettement de ne le pas faire, comme il pouvoit fournir à M. Lee
qui etoit son ennemi les moyens de lui nuire. Il ajouta aussi que
M. Deane lui a dit qu’il etoit trés probable que M. Lee iroit
bientot en Espagne, et qu’alors on pouvoit prendre connoissance
de ses comptes de la maniére qu’on souhaitoit
M. de Beaumarchais disoit qu’il avoit mis devant M. Franklin
à son arrivé en France, un etat de ses operations, de l’argent qu’il
avoit avancé, et des effets qu’il avoit envoyé, et que M. Franklin
lui a pris la main, et le remercioit avec bon coeur. Il disoit qu’il
avoit information que M. A Lee etoit la cause de ce qu’il n’avoit
pas eu la justice dans le Congrés. Pour le prouver, il lisoit une
partie d’une Lettre qu’il avoit reçu de M. Deane en datte le 26
Sepr 1778 dans laquelle il dit que M. Lee avoit ecrit beaucoup de
mal de M. Beaumarchais a ses amis, et qu’il avoit ecrit au
Congrés qu’il ne devoit pas payer pour les effets, et que M.
Deane etoit d’intelligence avec M. de Beaumarchais dans la
demande qu’il faisoit. Tout ceci etoit accompagné des injures forts
grossiers contre M. Lee dans la Lettre de M. Deane. M. de
Beaumarchais continuoit de dire que sur le temoignage de M.
Gerard, M. Deane, et M. Carmichael le Congrés a été detrompé,
et a resolu qu’il doit être payé, et que M. Carmichael lui avoit
ecrit qu’au dinné que le Congrés a donné à M. Gerard, lui (M.
Carmichael) quand ils burent des santés, se levant, prioit tout le
monde de remplir leurs verres a la santé d’un des meillures amis
qu’avoit l’Amerique, et il donnoit M. de Beaumarchais, en
demandant du Ministre du Roi, s’il n’avoit pas rendu plus de
services aux Etats Unies qu’aucun autre personne en France, a
quoi M. Gerard agréoit. Sur cela un Membre proposoit d’elever un
statue a M. de Beaumarchais. Qu’ils avoient resolus en effet de
lui ecrire un Lettre de remercimens laquelle il n’avoit pas encore
reçu, mais la resolution lui a été envoyé, avec l’excuse que le
Committee de Correspondence avoit beaucoup d’affaires.
226
CARON DE BEAUMARCHAIS
M. de Beaumarchais alors donnoit plus au long les raisons
pour lesquelles il avoient donné des copies de lettres de M. Lee.
M. Deane l’etoit venu voir, et lui avoit exposé ses craints de
retourner en Amerique comme sa conduite etoit beaucoup blamée
et principallement à cause de ses operations avec lui, et
parcequ’il avoit envoyé des officiers en Amérique. Que lui M. de
Beaumarchais l’avoit encouragé, et lui a promis de le donner des
copies des Lettres de M. Lee pour le justifier de l’envoye des
officiers, et de lui procurer de la cour des Lettres de
recommendation. Qu’il avoit été au Ministre et que c’etoit sur ces
representations que ce Ministre avoit accordé à M. Deane les
Lettres qu’il portoit avec lui, et qui etoient un temoignage
honorable de ses merites. Ils se plaignoit beaucoup des trois
Deputés (Dr Franklin, M. Adams, et M. Lee) parcequ’ils avoient
refusés de lui donner la cargaison du Therése et qu’il leurs
avoient ecrit aussi bien qu’au Congrés, qu’il ne voudroit avoir
aucune affaire avec les Deputés pendant que M. Lee etoit en
Commission,5 et quand M. Lee disoit qu’il n’avoit pas vue cette
Lettre, il la lui a montré, et lui a donné une copie, ajoutant qu’il
l’avoit envoyé à M. le Cte de Vergennes pour son approbation,
duquel il a recue une reponse qu’il nous a montré dans l’ecriture
de M. le Ct.e mais qui n’etoit pas signé. Il approuvoit la Lettre a
l’exception de quelques mots qu’il disoit n’être pas convenables a
des personnes dans un caractére public. Il nous a montré les
reçus de M. Montieu et de la Thulerie pour le payement qu’il les
avoit fait, pour les fusils qui furent envoyés en Amerique.
M. Beaumarchais ayant examiné par le desire de M. Lee la
lettre qu’il avoit reçue de Passy, qui nioit qu’il existoit un traité
avec les fermiers generaux, il trouvoit qu’elle etoit signée par M.
Deane seulement.
M. de Beaumarchais se plaignoit aussi de l’etat de Virginie
disant, que quoique il leurs avoit vendu des marchandises
excellents et a bon marché cet etat voulut le payer avec du
mauvais Tabac, disant qu’il n’etoit pas convenu de lui en donner
du bon, ainsi il etoit obligé de se plaindre de cet etat au Congrés.
Il disoit qu’il connoissoit beaucoup des malversations des agens
du Congrés en Amerique, qui s’occupoient de leurs affaires
partiucliéres et negligoient ceux du public. La lettre surmentionée
CORRESPONDANCE
227
de M. Deane il la recut de Passy, et elle avoit été ouverte. Il
communiquoit ceci au Dr Bancroft dans peu de jours aprés disant
que si M. Lee l’avoit ouverte il n’auroit pas trouvé son eloge.
Enfin il a convenu que cette Lettre lui avoit eté envoyée par M.
Franklin.
Le 3E Juillet 1779—M. de Beaumarchais s’etant rendu chez
M. Lee, les copies de les lettres de M. Lee a lui sous la signature
de Mary Johnstone, et de lui à M. Lee sous celle de Hortalez
furent certifiés l’une par lui pour M. Lee, et l’autre pour lui par
Messrs Izard & Lee.
Alors commençoit une grande discussion entre eux. M. Lee
pour faire voir a M. Beaumarchais, qu’il n’avoit pas raison de se
plaindre ni du Congrés ni de lui particulierement, lui montroit la
copie d’une Lettre signée B. Franklin, Silas Deane & A. Lee dans
laquelle il etoit dit qu’ils avoient été informés qu’on ne leur
demanderoit point le payement pour l’artillerie et munitions de
guerre qui etoient envoyés en Amerique. M. de Beaumarchais en
fut fort blessé disant que les Deputés lui avoient faite bien de
tort, et que ceux qui pourroient les avoir assurés que le Ministre
auroit dit qu’ils ne doivent pas payer pour ces munitions de
guerre &ca etoient des menteurs infames. M. Lee lui a montré
aussi une estimation des engagemens que les Deputés avoient
pris, des sommes qu’ils devoient payer, ecrite par M. Deane lui
même, dans laquelle il n’avoit pas mis un seul mot d’argent dû a
M. Beaumarchais. Il lui a montré aussi les comptes du Banquier
dans lesquels il a paru que des millions avoient été payés &
principallement par M. Deane. Il a donc été la faute de M. Deane
si ayant fait cettte engagement, il ne la jamais mentionné, en
sachant que M. de Beaumarchais etoit le premier et le principale
creancier il n’a jamais appliqué un seul livre de ces sommes
immense de l’argent du public qui ont passés entre ses mains, en
payement de sa demande. Que M. Deane ayant ainsi retenu le
Congrés et ses Collégues dans une ignorance profonde de cette
engagement en disant qu’on ne demandera pas le payement; et
tachant d’empecher M. de Beaumarchais de mettre devant les
Deputés l’etat de ses operations: c’etoit un preuve, que s’ils
etoient trompés, M. Deane tachoit de les faire continuer dans leur
ignorance. Car lui (M. Deane) etoit bien sur que si cet etat leurs
228
CARON DE BEAUMARCHAIS
avoit envoyé, il devoit être, suivant l’avis de M. Gerard, envoyé à
M. le Ct.e de Vergennes, et alors l’affaire auroit été eclairci.
M. Beaumarchais disoit qu’il pouvoit a peine croire que M.
Deane, a qui il avoit preté si volontiers de l’argent, et qui lui
avoit tant d’obligations, et qui lui a rendu tant des protestations
de reconnoissance et de l’amitié, pouvoit être capabale d’une
action si indigne. Mais que c’etoit certain que non seulement M.
Deane l’avoit empeché de communiquer ce qu’il avoit promis,
mais que quand M. Lee est venu pour la premiére fois en France,
M. Deane disoit à lui (M. de Beaumarchais) que M. Lee romperoit
tous les operations si on les lui faisoit connoitre, et qu’il etoit
venu exprés pour cela. M. Lee prioit M. de Beaumarchais de
comparer cette conduite de M. Deane avec la sienne, qui ne lui a
jamais parlé contre M. Deane, ni a taché dans aucune maniére
de se meler dans ses operations. Et M. Lee en appelloit à M.
Beaumarchais lui même, pour la verité de ce qu’il avançoit. Il
demanda de M. de Beaumarchais si dans la Lettre de M. Deane
du 26 Sepr 1778 que lui (M. de Beaumarchais) avoit lue a M.
Izard & M. Lee, il ne lui avoit pas faite entendre qu’il ne valoit
pas la peine de venir a une explication avec M. Lee, et si ce
n’etoit pas la un manoeuvre pour s’empecher d’être decouvert. M.
de Beaumarchais en convenoit. Il disoit qu’entre d’autres
Americains auxquels il avoit preté de l’argent, qu’il avoit preté à
M. Carmichael 200 Louis d’ores qui ne lui ont pas été rendu.
Qu’il avoit fait tout ce qu’il pouvoit pour servir l’Amerique et que
ces procedés ont faits autant de mal à l’Amerique qu’a lui même
parceque en l’empechant d’être payé il n’avoit pas de quoi
procurer les munitions qu’il souhaitoit. M. Lee lui a dit qu’il avoit
pris une notte de leurs conversations, et qu’il lui envoyeroit une
copie pour voir s’il ne lui avoit pas mal entendu.
P.S. M. Izard en examinant le dessus, a rappellé au mémoire
de M. Lee, que Monsieur Beaumarchais, leurs a montré plusieurs
reçus des officiers qui etoient envoyés en Amerique, pour l’argent
qui leurs etoient avancés par le dit Monsieur Beaumarchais,
lesquelles reçus etoient aussi signés par Monsieur Silas Deane.6
1Voir
lettre 815.
229
CORRESPONDANCE
2Voir
tome II, lettre 359 n. 1.
écrit à son neveu, Jonathan Williams, le 19 mars 1779:
“We ourselves never had any Dealings with Mr
Beaumarchais, and he has never produced any Account to
us, but says the States owe him a great deal of money . . . I
imagine our Country has been really much obliged to Mr
Beaumarchais; and it is probable that Mr Deane concerted
with him several large Operations, for which he is not yet
paid. They were before my Arrival and therefore I was not
privy to them” (PBF, XXIX, p. 167).
4220,000 livres dans la lettre de ALP.
5Beaumarchais a exprimé les mêmes sentiments à Francy; voir
tome IV, lettre 719.
6Il y a une phrase de plus et la signature de Lee sur la lettre de
ALP: “Examinée et corrigée avec la copie envoyée a M. de
Beaumarchais. 14 july 1779 A Lee”; voir la lettre 831 pour la
réponse de Beaumarchais.
3Franklin
830. Au comte de Maurepas
Copie
MR Le Cte de Maurepas
Paris le 15 juillet 1779
Monsieur le Comte
Une petite affaire repose quelquefois des grandes; et je sais
que vous ne regardez point la Littérature française comme un
objet au dessous de vos soins paternels.
Depuis longtemps je suis à peu près d’accord avec Mr.s Les prs
gentilhommes de la chambre sur les articles d’un nouveau
règlement à faire à la Comédie française, et surtout dans la
partie qui touche les auteurs dramatiques.
Ce Règlement dressé de concert avec Mr.s les 1rs gentils
hommes de la chambre, il s’agit de lui donner son exécution. Mr
Le Maréchal de Duras, après m’avoir envoyé de sa main ses
230
CARON DE BEAUMARCHAIS
objections que j’ai levées, a désiré que j’eusse l’honneur de vous
en parler, pour avoir votre attache sur un changement si utile aux
auteurs. Je ne sais autre chose que de vous adresser le reglement
lui-même que l’on décharnera de ses motifs, lorsqu’ils auront
servi à le faire adopter.
Mr Le Maréchal de Richelieu nous a donné aussi ses
observations de sa main. Ainsi vous voyez, Monsieur Le Comte,
que nous ne sommes point des séditieux qui conspirent dans les
ténébres: nous sommes une compagnie d’auteurs, dont les uns
font rire, les autres pleurer; nous demandons justice aux
comédiens et protection aux Ministres. Mais pour arracher la
premiere, il nous faut obtenir la seconde, et c’est au nom de tous
les gens de lettres que je m’adresse à vous.
Le moment est favorable, parce qu’on peut, pendant qu’on s’y
met, chasser les auteurs italiens, et choyer les auteurs français.
L’ouvrage que j’ai l’honneur de vous adresser n’est point pour
votre cabinet; mais il peut être excellent, pocheté pour vos
promenades de l’hermitage, après cela dites seulement: Je le veux
bien; et tout ira le mieux du monde.
Je voudrais bien aussi pour vous délasser, vous proposer la
lecture de mes anecdotes voltairiennes, contre les grands du
siecle; où vous avez comme disait Montaigne, votre lopin tout
comme un autre. Il ne faut encore qu’un mot pour cela.
Et la gratification1 du Prince de Nassau qui m’a confié et fait
recommander ses intérêts pour des Princes; avez vous la bonté
d’y songer auprès du Roi? Il est clair qu’on lui doit au moins ce
que vous auriez voulu donner pour faire manquer la compagne
d’Arbuthnot. 2 C’est comme cela qu’on doit envisager la demande
du Pauvre étourdi de Prince Ruiné, que la gratification ne
relevera pas; mais qu’elle peut seule empêcher d’être deshonoré,
pour la nature des dettes qu’il a sur la tête aujourd’hui./.
Je ne vous parle point de l’effet fâcheux qu’un retard forcé de
six mois peut produire sur mes navires dans le cas où ils
aborderaient en Virginie aujourd hui parceque cette lettre est
absolument consacrée aux objets légers dont je comptais avoir
l’honneur de vous entretenir hier.
A voir le ton d’importance qui règne dans le préambule des
articles vous rirez peut-être de cet air plénipotentiaire; mais vous
231
CORRESPONDANCE
changerés peut être d’avis; lorsque vous réfléchirez que rien n’est
si chatouilleux que l’amour propre de tous ceux dont je parle, et
qu’acteurs et auteurs nous sommes des balons gonflés de vanité;
enfin, s’il faut lacher le mot qu’une Comédie est beaucoup plus
difficile à régler qu’un Etat à conduire soit dit sans offenser
personne.
Vous connaissez mon très respectueux attachement; il est
fondé sur la Reconnaissance.
1Voir
lettre 823.
lettre 823 n. 1. Quand Nassau et ses troupes sont arrivés à
l’île de Jersey, une tempête les a empêchés de débarquer. L’amiral
Marriot Arbuthnot (1711?-1794) qui convoyait des vaisseaux en
Amérique, a appris de l’attaque et est allé au secours de l’île mais
les Français étaient déjà partis; voir Idzerda, II, p. 276 n. 4 et
Patterson, p. 104.
2Voir
831. A Arthur Lee
Copie de la lettre de Mr de Beaumarchais à Mr Arthur Lee
Paris le 18 juillet 1779
Puisque vous avez quelque intérêt, Monsieur, à ce que
l’extrait de nos conversations devant Mr Isard et relative à vos
débats avec Mr Deane soit fidele; j’ai l’honneur de vous prévenir
qu’après avoir lu celui que vous m’envoyez,1 j’y trouve plusieurs
objets de mes plaintes trop obscurément exprimés pour que votre
récit puisse passer pour exact. D’autres objets, tels que le
rapport fait par vous de conversations entre nous deux à
Londres, exigent que mes réponses ayant constamment formé le
232
CARON DE BEAUMARCHAIS
désaveu le plus net des intentions que vous m’y prêtez soient
écrites à la suite de votre assertion.
En général cet écrit est fait avec le desordre qui tient à
l’incertitude des souvenirs, ce qui en détruit la suite et la clarté.
Si j’eusse cru que nos conversations fussent une espèce
d’interrogatoire que vous me faisiez subir, je m’y serais peut etre
moins livré au ressentiment que tant d’injustices me donnent
sans cesse. J’aurais parlé avec moins de passion des choses qui
m’affectent le plus dans toute cette obscure intrigue dont je ne
tiens pas encore le noeud.
Dans un débat familier on se livre aisément à l’impulsion de
la nature: mais dans des discussions destinées à être mises sous
les yeux d’un respectable corps assemblé, l’on se réprime, on se
contente des objets graves qui y ont rapport et l’on supprime tout
le fatras.
Je n’entens jamais que me plaindre des torts qu’on m’a faits,
et non blesser personne. C’est sous ce point de vue que je vais
examiner de nouveau l’écrit que vous m’envoyez. J’y rétablirai en
marge les objets qui manquent d’exactitude, je lui donnerai la
marche méthodique d’où naît la clarté si nécessaire en affaires
contentieuses; et je vous soumettrai ensuite ce travail si vous
persistez à croire que tout cela soit bien necessaire. Car, malgré
ce que vous m’avez dit, il répugne à mon coeur de penser que Mr
Deane qui a tant à se louer de moi, ait jamais pu avoir
l’intention de nuire aux intérêts d’un homme qui a bien servi et
lui et son pays, et qu’il l’ait fait par des menées infames ou des
rapports insidieux. Certes! J’aurais bien de la peine encore à me
le persuader si jamais on me le prouve invinciblement; et j’avoue
que l’extrême différence que vous persistez à mettre dans nos
conversations de Londres entre votre entente et mes discours
m’apprend à me tenir en garde contre tout ce qui se passe entre
nous.
Mais il faudra rayer de votre écrit tout ce qui tient à ces
conversations d’Angleterre, si vous n’ajoutez point que je nie
formellement vous avoir dit d’aussi grossieres absurdités que
celles que vous m’y prêtez. Si votre peu d’usage de ma langue ou
quelqu’autre motif vous a fait prêter un sens étranger à mes
discours, je ne puis que plaindre et desavouer votre erreur et
233
CORRESPONDANCE
comme mes lettres à vous sont le complément de mes phrases
verbales, elles doivent servir de preuve à tout le monde que vous
m’aviez mal entendu. Car mes lettres étant en chiffres et remises
surement à Londres; je ne leur ai point donné de sens obscur. Ce
qu’elles contiennent est précisément ce que j’ai voulu dire, il n’y a
ni équivoque ni sens couvert là dessous.
Telles sont en général les reflexions que votre écrit m’inspire.
Faisant marcher la justice avant tout, je vous ai donné
verbalement tous les eclaircissemens que vous avez parû desirer:
mais les choses écrites exigent une exactitude austere que des
simples souvenirs rendent difficilement. Je rétablirai cette
exactitude et j’aurai l’honneur de vous faire part de mes
observations à cet égard: car je ne vous ai pas dit un mot qui ne
soit appuyé de piéces probantes.
J’ai l’honneur d’être avec la plus haute considération
Monsieur
Votre Xa
Signé Caron de Beaumarchais ./.
Il y a deux exemplairess de cette lettre; il y a très peu de
différence entre les deux.
1Voir lettre 829.
832. D’Arthur Lee
[après le 18 juillet 1779]
It was not my intention, Sir, or desire to enter into any
conversation with you concerning MR Deane or your affairs. My
sole object as I had the honor of telling you was to examine the
originals of those Letters which had been laid before congress &
the Public.
The Discussions you thought proper to enter into were as
spontaneous on your part as they were unexpected & unsollicited
by me. But as you stated a number of facts very material as I
234
CARON DE BEAUMARCHAIS
conceived to the public; I thought it proper to make a note of
them immediately. It was consistent with the candour & desire of
truth which have ever directed my conduct, to inform you I had
done so, & send you a copy of that note. How you coud deem this
an Interrogatory I cannot comprehend.
It is not now a question whether there is any trash,1 as you
seem to think, but whether there are any errors in the note I sent
you. I am satisfied it is true, except in the sums of money in
which there may perhaps be material errors which your Papers
will enable you to correct. It is certain that truth ought to direct
private as much as public discourses.
The sole object of my shewing you the Papers which related
to MR Deane, was, as I told you, to satisfy you that your
complaints were misplaced. This I did by evidence irresistable &
indubitable. It was & is totally immaterial to me, whether you
drew any conclusions from thence which might diminish Mr Deane
& his associates in your esteem. Insomuch that I beg Sir you will
be assurd that you may love, honor, & praise them to the utmost
of your power, without giving me the smallest imaginable
uneasiness. The obvious conclusion from the documents I shewd
you was that the justice of your demand had not been quite so
clear to DR Franklin & myself as you imagind, since he with
whom you allege you made your engagements, who knew all your
transactions, & who wrote privately to enforce your demand & is
now bearing witness for you—when he had money in his hands,
did not apply a sol of it to the payment of your accT; when he
stated to us what engagements the public was under did not
mention a syllable of that with you; & tho he knew we were
informd that no payment woud be demanded from congress or
from us2 was so far from attempting to undeceive us, that he
concurrd in transmitting that information to congress. This too
was all the answer which I thought it became me to make to the
multitude of unjust imputations you have brought upon me, in
terms which can only reflect dishonor on those who use them.
Your demand appears to me to be the material denial of
what I have stated to have passd in our conference at London
and what I wrote to congress immediately upon those
conferences. will be the record by which I must abide. As my
235
CORRESPONDANCE
situation was such as prevented me from keeping a copy either of
that or of my Letters to you, what I have said since was from
memory, but I am satisfyd does not materially differ from what I
then wrote. I never had the least reason to think I misunderstood
you & certainly it woud have been much more my personal
interest to have written what you say was the fact. That an
individual shoud have engagd to advance some millions in money
& supplies to my country, in so doubtful a moment, barely upon
my promise that returns shoud be made to him; woud have been
an instance of confidence in me that coud not have faild to
procure me the most extraordinary honor & credit. Ambition and
intrigue woud therefore have prompted me to state it as a
mercantile not a political business in order to assume a merit to
myself of so uncommon a magnitude.
I shall be obliged to you for the observations you mention &
have the honor to be Xa
1Beaumarchais
a employé le mot “fatras”; voir lettre 831.
tome III, lettre 364 où Beaumarchais indiquait très
clairement qu’il y aurait des remboursements pour ce qu’il
envoyait en Amérique.
2Voir
833. De Charles-Joseph Panckoucke
[23 juillet 1779]
Mr de Beaumarchais
Monsieur.
Je viens d’ecrire a MR Lallemand, 1 j’ay supprimé tout ce qui
pouvait donner l’idée de la grande édition parceque ce dévot
pouvait en profiter contre nous, il ne faut pas qu’on puisse
prouver que vous vous occupés de la grande édition si vous voulés
236
CARON DE BEAUMARCHAIS
obtenir le privilége des oeuvres choisies, l’un pourrait nuire a
l’autre, et peut être nous mettre dans le cas de ne pas l’obtenir.
Une reflexion que je n’avais pas faite, vous oblige a donner
aux libraires les vingt sols par volume, ils sont les maitres de
toutes les chambres sindicales. C’est parmi eux qu’on choisit les
sindics, adjoints, on ne peut pas obtenir un ordre de laisser
passer, a cause de la nature de l’ouvrage, si donc vous ne leur
donnés qu’un bénéfice qui les révoltat, ils pouraient se liguer
contre nous et je vous [sic] qu’ils sont les maitres, de n’en pas
laisser passer un exemplaire, il faut donc supprimer la lotterie
qui n’est pas nécessaire à vos succès,2 et donner aux libraires les
60s par exemplaire, et même le 13e gratis, sans leur secours point
de succès, le public en province n’achete des livres que par les
facilités que les libraires leur donnent. il y en a qui ont placé 350.
exemplaires de l’encyclopédie en 4O une grande remise et peu de
crédit. il ne faut pas sortir de ce cercle. il faut aussi donner
l’edition à 3£ 10≥ et 4£ 10≥ ax particuliers, elle est trop chere a
5£ Je ne le mets a ce prix, que parce que vous imprimiés avec un
beau papier, et les caractères de Baskervelle. Si votre édition
était faite a genêve avec caractères et papier de France, il ne
faudrait pas l’etablir a plus de 2£ 10. et 3‹ 10. le vol.
Autre chose, c’est l’année prochaine l’assemblée du clergé,
c’est un moment critique, où il ne faut pas penser faire le moindre
bruit,3 vous n’avés plus que 5. mois pour repandre vos
prospectus, &. je vous fais part de mes idées, Monsieur, aussitôt
qu’elles me viennent. vous murerés tout cela.
J’ay l’honneur d’être, &.
Ce 23 Juillet 1779
1Le
Garde des Sceaux avait accordé le privilège de publier les
oeuvres choisies de Voltaire à Lallemand mais le droit a été
révoqué vers le 29 août (voir IMV, AB, III, 29 et BHVP, MS 1312,
I, f. 50).
2La loterie n’a pas été supprimée et nous savons même que la
|| ;
duchesse de Biron y a gagné le gros lot qui lui rapporte 24000 —
voir BHVP, MS 1319, VIII.
237
CORRESPONDANCE
3Panckoucke
donne à Beaumarchais une leçon sur le commerce des
livres apprise au cours de nombreuses années d’expérience. Mme
Tucoo-Chala écrit: “au moment des réunions de l’Assemblée du
clergé il vaut mieux se faire oublier, pendant les vacances
parlementaires il faut diffuser au maximum les éditions nouvelles”
(p. 391).
834. A James Woodmason
Londres
[1779]
M. James Woodmason
27
juillet
Je n’attends, Monsieur, que l’arrivée de M. Letellier1 pour
prendre un parti relativement à vos papiers, et aux caractheres
de M. Caslon, je vous assure qu’en mon particulier j’ai la
meilleure opinion des uns et des autres, et la protection que vous
avés de Milord Shelburn,2 suffit sans doute pour m’en garantir la
perfection, il n’y a que le prix qui pourra nous decider, nous en
ferons la supputation avec M. Letellier, aprés cela vous serés
instruit de nos intentions.
Je ne doute pas du zele et de l’activité que vous apporteriés
dans notre entreprise, au cas où nous accepterions vos offres: le
prix de vos papiers me parait bien fort, nous en avons en france
de trés bonne et belle qualité dont les prix sont au moins d’un
tiers moindres que ceux que vous nous offrés, la difference des
qualités cause sans doute celle des prix; mais y a-t-il une juste
proportion? C’est ceque nous examinerons sans partialité et le
plus scrupuleusement possible; je suis charmé de l’envoi des
echantillons que vous m’annoncés, il nous mettra à portée de
faire la comparaison des uns aux autres.
Quant aux caractheres de M. Caslon, je ne doute pas non
plus de leur excellence, et je crois qu’ils auront plus belle
apparence sur le papier glacé dont Mr de Baskerville s’etait
toujours servi; vous avés très bien fait de lui procurer des
echantillons de ce papier, sur lesquels il se propose d’imprimer
238
CARON DE BEAUMARCHAIS
quelques modèles qu’il doit m’envoyer, je les recevrai avec plaisir,
il me tarde meme de les avoir en main pour les comparer à ceux
de Baskerville; je vous prie de presser cet envoi.
Vos services peuvent nous etre utiles autant qu’ils vous
seront avantageux, sans nuire au correspondant qui sera chargé
de recevoir les souscriptions, le prospectus que vous recevrés dans
le tems, vous fera connaitre les avantages du role actif dont vous
offrés de vous charger. En cequi concerne l’exécution secrete du
prospectus que vous offrés de faire faire, nous nous consulterons
avec M. Letellier pour prendre un parti tant sur cet objet, que sur
les autres dont vous me parlés.
j ai Xa
Bxxx
1Selon
Gunnar et Mavis von Proschwitz (CE, I, p. 125)
Beaumarchais a prêté de l’argent à Jean-François Le Tellier (qui
était architecte de profession) et Beaumarchais s’est lié avec lui
quand celui-là a acheté l’imprimerie des Deux-Ponts. Le Tellier a
convaincu Beaumarchais de publier les oeuvres de Voltaire et est
devenu le gérant de l’édition à Kehl: “C’est Le Tellier surtout qui,
par son incompétence, sa fourberie et son mauvais caractère, fit de
l’entreprise Voltaire le calvaire de Beaumarchais.”
Dans l’ “Extrait de l’Inventaire après décès de Beaumarchais”
(BHVP, MS 1319, VIII) on peut lire:
“que le Tellier chargé de l’impression du Voltaire avait fait
en son nom tout les traités relatifs à cette affaire: de sorte
qu’il prétendit un moment que le cn Beaumarchais n’était
que le banquier de cette entreprise. Cette prétention du cn
Le Tellier causa des discussions très considérables, et au
moment ou le véritable propriétaire allait l’attaquer et le
poursuivre, Le Tellier fit devant Mouret No re le 20 Xbre
1784 une déclaration qui rendit au cn Beaumarchais ses
droits de propriété, et prouve qu’il tient le citoyen
Beaumarchais quitte de toute répétitions.”
2Voir lettre 822.
CORRESPONDANCE
239
835. De Chevallié
MR Caron de Beaumarchais
à Paris
Rochefort le 27. Juillet 1779
Monsieur
J’ay reçu la lettre que vous m’avés fait l’honneur de m’ecrire
le 21 de ce mois. J’ai à vous dire qu’il ne suffit pas que vous
m’assuriés que vous etes d’accord avec M. Paulze sur la tarre aux
tabacs à 15 p % sur la totalité. Il convient encor que vous le
fassiés ecrire à M. Saunier par M. Paulze lui même désque le
premier m’a assuré constament le contraire quoiqu’il en soit et
comme vous le dites trés bien où M. Cantini pour vous, c’est un
objet qui s’arrangera sans difficulté et qui ne retardera rien,
puisqu’on à commancé hier matin à faire l’enlevement des tabacs
au nombre de 120 boucauds qui ont également été chargés à
bord de barque. cette operation se continue et ira bon train
jusqu’a la fin. Je tiens le commis qui a suivi les poids à la
livraison afin de veriffier s’il est quelques boucauds qui ont été
oubliées à la balance.
M. de Montieu s’en est aussi promptement retourné à Nantes
qu’il a été longtems a se faire attendre ici, il m’a laissé M.
Garnaule1 pour la vériffication de mes comptes, il seroit venu luy
même les arrêter si je l’avois exigé mais m’ayant dit que ce seroit
lui faire plaisir que d’aler moi même à Nantes puisque d’ailleurs
j’étois dans l’intention de faire ce voyage trés incessament. J’ai
bien voulu luy eviter cette peine en conséquence j’avois formé le
dessein de partir vendredi prochain avec le S. Garnaulle; mais
d’aprés l’avis que me donne vôtre lettre du 21 de ce mois que
vous addressés vos observations sur mes comptes à M. de
Montieu et que j’ai jugé que vous aviés gardé des comptes
jusqu’aprés la reception de mes reponses, nous sommes convenu
M. Garnaule et moi, d’attendre de M. de Montieu ces
observations qui, si elles ne luy ont point été envoÿés de chés
vous, Monsieur, par Duplicata à Nantes, lui sont addressées d’ici
sans doute par Mr Hébre de saint Clément aujourd’huy et par
conséquant ne me seront renvoyées de Nantes que samedi prochN
240
CARON DE BEAUMARCHAIS
et n’arriveront ici que lundy, ce qui comme vous voyés cause encor
un retard inattendu et que vous auriés évité en m’addréssant
directement ces observations où tout au moins un double.
Si vous voulés que je ne souffre en rien de ce nouveau retard,
ne me refusés pas le service et faire compter de vôtre caisse
quinze mille livres à M. Teissier de la Tour Banquier ruë des
Marmouzets que je lui dois pour ses avances à l’acquis de mes
engagements de ce mois et pour acquitter ceux du mois d’août, ou
consentés qu’il reçoive de M. Colin de Saint Marc cette même
somme en acompte de ce qui devra m’etre payé à la Rochelle par
M. Saunier aprés le Réglement et arrêté de mes comptes avec
vous et M. de Montieu. J’ecris à M. Teissier de la Tour de vous
aler trouver afin de savoir vos intentions et de recevoir s’il vous
plait de ne pas me faire attendre.
Je souhaite que vous ayés arrangé la compensation avec M.
de Sartine sur les piéces que je vous ay envoyé et je l’apprendray
avec plaisir. C’est dans ces sentiments que j’ay l’honneur d’etre
trés parfaitement
Monsieur
Votre trés humble et
obéissant
serviteur
Chevallié
1Garnault
était un négociant rochelais. Il sera chargé du
désarmement du Fier Roderigue dès le retour de ce vaisseau en
France. Voir aussi lettre 843.
836. Du chevalier de Preudhomme de Borre1
A l’hôtel de la République de Gênes
Rue Sainte Anne
A Paris, le 28 juillet 1779
CORRESPONDANCE
241
J’aÿ été hier chez vous Monsieur pour avoir lhonneur de vous
voir. Votre porte étoit consignée et vous partiez dans le moment
pour Versailles. J’aurois été fort aise de vous renouveller tout
mon attachement et de causer avec vous de l’amerique que j’aÿ
quitté le 20 janvier dernier pour aller à lIsle St Domingue d’où je
suis parti le 15 maÿ, j’aÿ cherché a mon arrivee M. de la
Chategneraye,2 il est en campagne.
Avant mon depart Monsieur vous voulutes bien me promettre
de solliciter le paiement d’une somme de deux mil livres qui me
restoient dus par la guerre des avances que j’avois fait dans le
paÿs de Liege pour le compte du Roÿ. Je vous en laissai une note
et j’aÿ eu lhonneur de vous ecrire a ce sujet de lamérique le 26
juillet 1777. Je vous prie de vouloir bien me mander ce qui en
est. Je cherche a arranger mes affaires et faire face a beaucoup
de depenses que j’aÿ fait en parcourant toute lamérique pour
pouvoir en rendre un compte juste, j’aÿ remis une copie de mon
journal a M. de Sartine et a M. le Cte de Vergennes.
J’aÿ lhonneur d’etre avec un sincer attachement
Monsieur
Votre tres humble et tres
obeissant serviteur
Le chev de Preudhomme de Borre
a lhôtel de la république
de Gênes rue Ste Anne
a Paris le 28 juillet 1779
1Voir
2Voir
tome III, lettre 436 n. 3.
tome II, lettres 247 n. 1, 260 et 284.
242
CARON DE BEAUMARCHAIS
837. A M. de Saint Paul1
[fin juillet 1779]
Monsieur,
A l’instant ou vous allés envoyer a Mr Le Chevalier
Prud’homme de Bore2 un relief pour etre payé de ses apointemens
échus; je dois avoir lhonneur de vous prévenir que M Le Cte de St
Germain3 m’ayant prié en 1776 d’avancer 1500£ a Mr de Bore
sur les memes apointemens qui vont lui etre payés en ce
moment, je le fis avec plaisir. Je ne puis retarder plus long tems
la réclamation de ces 1500£. Mes titres sont la lettre du
Ministre et le recu du che.r de Bore dont j’ai lhonneur de vous
envoyer copie figurée. M de Bore me dit aujourd’ui que M. Le Cte
de St Germain l’avait assuré que cette avance lui serait passée
comme gratification. Je me souviens que ce Ministre en effet lui
montrait beaucoup de bienveillance lors de son départ pour
l’Amérique. Mais comme Mr Le Cte de St Germain n’est plus c’est
de Mr Le Prince de Montbarrey4 que Mr de Bore doit recevoir la
confirmation de cette grace verbale. Quant à moi Monsieur qui ne
puis exciper d’un autre titre que de la lettre de Mr Le Cte de St
Germain qui ne parle que d’avances à faire sur des
appointemens futurs, j’ai lhonneur de vous prier de vouloir bien
me faire part de la décision du ministre actuel a ce sujet pour que
je laisse toucher ces 1500£ à Mr Le Che.r de Bore sur ses
appointemens si le Prince consent a les passer en gratification ou
que je les arrète entre les mains du Trésorier payeur, si le Prince
ordonne qu’on s’en tienne rigoureusement a la lettre de Mr Le Cte
de St Germain.
Le cher de Bore a fait un voyage tres pénible en amérique. Il en
a rapporté des mémoires assez instructifs5 qui peuvent lui mériter
les bontés de nos ministres et vous savés Monsieur quil a toujours
tres bien servi.
J’ai lhonneur d’etre avec la plus haute considération
Monsieur
Votre.
CORRESPONDANCE
243
Mr de St Paul.
1Mentionné
dans le tome II, lettre 348.
la lettre précédente.
3Ministre de la Guerre; voir tome II.
4Voir tome III, lettre 441 n. 2.
5Lasseray cite plusieurs études de Preudhomme de Borre, parmi
lesquelles Le Journal des campagnes de 1777 et 1778 au service des
Etats-Unis d’Amérique . . . (p. 369 n.1).
2Voir
838. Au prince de Nassau
[1er août 1779]
Mon prince, j’ai l’honneur de vous remettre ci-joint une
rescription de 6,000 livres. Il ne faut point me savoir mauvais gré
si je fais comme les bons parents, qui économisent sur les menus
plaisirs de leurs enfants pour remplir leurs dettes sérieuses. Bien
des gens trouvent déjà mauvais que j’aie pris sur moi de distraire
pour vos besoins 500 louis, qui, versés, disent-ils, chez le
trésorier de la marine, auraient été, d’après leurs oppositions,
réservés pour leur payement, de préférence à vos mandats
personnels. 1 Il est certain qu’ils sont dans leur droit à cet égard.
Me permettrez-vous aussi de vous demander, mon prince,
pourquoi un courrier de 18 à 20 louis pour un objet également
bien rempli par un port de lettre de 30 sous? Ou vous portez une
attention bien légère à vos dépenses, ou vos besoins ne sont pas
si pressants que vous le dites, et je ne suis que le triste écho de
cette réflexion, qui peut aussi bien vous frapper qu’elle m’a paru
juste lorsqu’on l’a faite devant moi.
Si vous me trouvez un peu plus austère, mon prince, que ma
réputation d’homme gai ne semble le comporter, ne l’attribuez
qu’au sérieux et véritable intérêt que je prends à vos peines; elles
exigent tous les soins et l’attention la plus continue de la part de
ceux qui travaillent à vous en tirer.
244
CARON DE BEAUMARCHAIS
Je me mets au nombre de ces travailleurs zélés en vous
assurant du profond respect avec lequel je suis, mon prince, etc.
Caron de Beaumarchais.
1Voir
lettre 823.
839. A M. Des Entelles1
Intendant des Menus,
En lui envoyant un exemplaire du Barbier de Séville et des Deux
Amis.
Paris, ce 2 août 1779.
Monsieur,
J’ai reçu la lettre dont vous m’avez honoré, en date du 29
juillet, par laquelle vous m’invitez, comme auteur dramatique, à
concourir de mes faibles ouvrages à la formation de la
bibliothèque des Menus-Plaisirs. J’ai l’honneur de vous envoyer
un exemplaire des Deux Amis et un du Barbier de Séville, en
attendant que la nouvelle édition qu’on fait d’Eugénie,2 mon
troisième ouvrage, me permette de le joindre aux deux autres. Je
ne doute pas que chaque auteur ne soit dans les mêmes
dispositions, et c’est ce dont je m’assurerai plus positivement à la
prochaine assemblée que je vais convoquer. Alors, monsieur,
j’aurai l’honneur de vous communiquer le voeu général, en ma
qualité de commissaire de la littérature. Il eût été bien à désirer
que MM. les gentilshommes de la chambre,3 accueillant plus
sérieusement les travaux que l’ordre des auteurs avait faits
d’accord avec eux pour le nouveau réglement si nécessaire au
théâtre, eussent daigné s’occuper, comme ils l’avaient promis, du
CORRESPONDANCE
245
plus noble objet de leur département. Vous savez, monsieur, si je
les en ai invités, comment je les ai pressés, et comment avec cet
art de la cour qui fait tout éluder en promettant sans cesse, on a
rendu depuis deux ans nos justes réclamations l’objet des
moqueries de la comédie. Outré d’une pareille conduite, je viens
de prier M. le maréchal de Duras de vouloir bien me rendre la
parole que je lui donnai, il y a deux ans et demi, de me réunir à
ses vues, qu’il appelait conciliatrices. Comme elles n’ont eu aucun
succès, et que je suis sans espoir à cet égard, je vais reprendre la
voie juridique, que j’avais abandonnée à sa prière.
Tant que la Comédie, monsieur, sera gouvernée sur les
principes actuels, il est bien sûr qu’il n’y aura ni acteurs, ni
auteurs; et je me flatte de prouver avant peu, dans un ouvrage
sérieux, que l’art du théâtre est prêt à retomber dans la barbarie
en France, et qu’il est impossible que cela n’arrive point. MM. les
gentilshommes de la chambre, ou sont trop grands seigneurs
pour donner à ce premier des arts une attention dont ils ne le
croient pas digne, ou s’ils s’en occupent, c’est pour l’envisager
sous un point de vue absolument opposé à ses progrès, sous un
point de vue destructeur de toute émulation; c’est pour contribuer
eux-mêmes à sa dégradation par leur négligence: d’où il résulte
qu’au lieu d’être les nobles chefs de la littérature dramatique de
l’Europe entière, comme ils le pourraient, ils sont à peine
aujourd’hui regardés ou comme les sultans d’un grand sérail ou
comme les magistrats d’un foyer indocile, et le tribunal indolent
des misérables tracasseries d’acteurs qu’ils ne peuvent pas
même arranger. En vérité, cela fait gémir tous ceux qui aiment
véritablement le théâtre. Un cri général est prêt à s’élever; et
moi, qui vois la fermentation de plus près que personne, je me
retire, en me contentant de mettre l’avocat des pauvres à la suite
rigoureuse de mes droits d’auteur, que je leur donne. Vous
m’obligerez infiniment, monsieur, d’engager M. le maréchal de
Duras à m’honorer d’un mot de réponse. Je me suis présenté
plusieurs fois à sa porte; mais, depuis longtemps, il n’est plus
chez lui pour les commissaires des auteurs dramatiques.
J’ai l’honneur d’être, avec tous les sentiments que votre lettre
m’inspire,
Monsieur,
246
CARON DE BEAUMARCHAIS
Votre très-humble, etc.
1Voir
tome IV.
n’a pu trouver cette édition; il y en a une publiée à
Amsterdam en 1780; voir Morton et Spinelli, Bibliography, p. 7.
3Dans une note au Compte rendu Beaumarchais écrit:
“Les quatre premiers gentilshommes de la chambre du roi
chargés de l’administration des théâtres, étaient alors:
M. le maréchal duc de Richelieu,
l’un et l’lautre de
M. le maréchal duc de Duras,
l’Académie française.
Le duc d’Aumont
Le duc de Fleury.
Il y avait aussi des intendants des menus-plaisirs et affaires
de la chambre du roi, tels que MM. de La Ferté et Des
Entelles, qui, sous ces quatre premiers gentilshommes,
dirigeaient les détails des spectacles de la cour . . . ” (SaintMarc Girardin, p. 608).
2On
840. Au maréchal de Duras
[2 août 1779]
Monsieur le Maréchal,
Vous avez eu la bonté de me promettre d’assembler MM. les
premiers gentilshommes de la chambre, vos confrères, et de
m’admettre à plaider devant eux l’exécution du nouveau
règlement pour le Théâtre-Français. Depuis deux ans et demi
cette affaire est remise de mois en mois, quoique avec toute la
politesse et les égards qui soutiennent la patience.
Mais comme à la fin la volonté se montre, même à travers les
procédés qui la dissimulent, je suis obligé de revenir à l’opinion
générale, et de croire que vous n’avez jamais eu le dessein sérieux
de nous faire faire cette justice que vous nous aviez tant promise.
Remettant donc l’affaire au point où elle était le jour où vous
m’avez fait l’honneur de m’en parler pour la première fois, je vous
prie de vouloir bien me rendre la parole que je vous donnai, de ne
247
CORRESPONDANCE
point inquiéter les comédiens sur le compte qu’ils ont à me
remettre.
Mon intention est de donner aux pauvres tout ce qui m’est dû
au théâtre, et de faire poser judiciairement des bornes au déni de
justice que les comédiens font aux auteurs. Mes droits
sévèrement liquidés dans les tribunaux, en faveur des pauvres,
serviront de modèle au compte que chaque homme de lettres a
droit de demander aux comédiens.
Vous voudrez bien, monsieur le maréchal, me rendre le
témoignage que j’ai fait tout ce que j’ai pu pour prévenir cet éclat;
et toutes les pièces justificatives de la conduite des auteurs
depuis deux ans montreront au public que ce n’est qu’après avoir
vainement épuisé toutes les voies conciliatoires que je me suis
déterminé avec chagrin à prendre celle d’une discussion juridque.
Je suis avec le plus profond respect, etc.
841. A Teissier de la Tour1
Paris ce 2 aoust 1779.
On regle Monsieur en ce moment les comptes de Mr Chevallié
avec lui mesme a Rochefort. Les précautions de rigueur qu’il a
prises pour s’assurer la rentrée des reliquats ne doivent lui
laisser aucune inquiétude a cet egard, et je verrai toujours avec
plaisir les gens que j’employe dans mes affaires ajouter a
l’opinion qu’ils ont de mon exactitude les saisies par lesquelles MR
Chevallié a mis ses droits en sureté.
Aussitot la fin du règlement et l’arreté de ses comptes, aucun
obstacle de ma part n’arretera la délivrance des deniers qui
peuvent lui revenir pour la superbe gestion qu’il a faite de mes
affaires en amérique.
248
CARON DE BEAUMARCHAIS
Jai l’honneur d’etre avec une haute
considération Monsieur
votre Xa
Mr Teissier de la Tour
1Voir
lettre 746 n. 36.
842. Du maréchal de Duras
Copie D’une Lettre de Mr Le Maréchal
de Duras à M Caron de Beaumarchais
Versailles le mardi 3 août 1779.
J’ai reçu Monsieur, la lettre que vous avez pris la peine de
m’écrire et je vous avoue que j’ai été un peu étonné du reproche
qu’elle contient; Puisque vous me paraissez douter de la bonne
foi avec laquelle je me suis conduit, et du desir que j’avais de
terminer tous les différens qui s’étaient élevés entre vous et la
Comédie, et même de faire un arrangement général qui pût éviter
toute discussion par la suite avec Mrs les Auteurs. Je vous ai
instruit de ce qui s’était passé entre mes camarades et moi,
quand je leur ai fait part du projet que vous aviez bien voulu me
confier. Ils ont trouvé des difficultés à son exécution, et je vous ai
prié d’en conférer avec Mr Le MAl de Richelieu. Des affaires
personnelles et plus importantes vous ont éloigné de Paris, et
mon service auprès du Roi m’a retenu ici depuis le 1er de janvier,
sans avoir été à Paris, Je n’ai reçu de vous, ni de personne,
depuis cette époque, aucune lettre ni aucune proposition. Je n’ai
pas douté ou que vous n’eussiez remis cette affaire ou que vous
ne vous en fussiez entretenu avec Mr de Richelieu qui est plus au
fait que moi des difficultés qui se sont présentées. Il me semble
même avoir ouï dire que parmi Mrs Les Auteurs, plusieurs
s’étaient récriés contre l’arrangement. Au surplus, Monsieur, vous
êtes à portée de vous en éclaircir auprès de Mr de Richelieu; mon
CORRESPONDANCE
249
service ne me permettant pas d’aller à Paris, je ne serai pas en
position de les suivre. Quant à vos demandes particulieres avec
la Comédie, j’en ignore le détail; il me semble qu’il y aurait des
moyens de vous concilier. Etablissez vos droits, les comediens
vous répondront, après les avoir examinés. Si vous êtes content
de leurs réponses, il n’y aura pas matiere à Procès; si vous n’êtes
pas satisfait, vous aurez toujours la ressource que vous proposez
aujourd’hui. Pourquoi venir d’abord à un éclat qui ne peut aller
qu’au détriment de ce spectacle qui n’est déja que trop en
désordre? Vous êtes trop honnête pour saisir même un moment
où la fermentation est plus forte que jamais parmi eux. Voilà,
Monsieur, ce que je pense; je finis en vous priant de rendre
désormais plus de justice à ma façon de penser et de me croire
incapable de cette basse dissimulation qui dans tous les points
est indigne de moi. Je suis très parfaitement, Monsieur, votre XA
Signé le Mal Duc de Duras.
843. A Chevallié
Copie de la lettre de M. de Beaumarchais a M. Chevallié
a Rochefort
de Paris 3 août 1779
Je suis surpris que MR Sartines ne soit pas encore instruit de
mes arrangements avec les fermiers généraux pour la tare à 15
pr.% sur toute la partie des tabacs venus par le fier Roderigue
apparemment M. Paulze n’a pas eu occasion de l’en instruire
mais il sera toujours tems au réglement définitif. Il est au mieux
que vous teniez votre commis à examiner des boucauds sortant
des magazins pour controller cette opération avec la pésée faite et
reconnaitre l’erreur s’il y en a eu pour m’instruire. Je suis faché
250
CARON DE BEAUMARCHAIS
du retard qu’à pu éprouver la vérification de votre compte général
mais je ne pouvais prévoir le départ de M. de Montau pour
Nantes. Il n’aura pas manqué de vous renvoyer le tout ou à MR
Garnault; ainsi je ne puis plus rien à la célérité de votre
opération. Je vous envoye copie de ma réponse à M. Teissier de la
Tour sur sa demande d’argent de votre part Je m’y réfere
entierement. J’ai l’hR
P.S. de MR de Beaumarchais
Si vous étiez plus conséquent envers vous même vous
comprendriez qu’ayant saisi 530 m.L. quoique j’offrisse le dépôt
de la plus forte somme de vos demandes vous ne devez pas
aujourd’huy me demander pR une partie de vos reprises une
facilité que vous avez entendu m’enlever sur la totalité de mes
fonds celle de recevoir des à-comptes quoiqu’il en soit ce n’est pas
ce qui me retient de remettre à MR de la Tour un ordre sur M
Colin de S. Marc. C’est que je me suis interdit moimême la plus
petite liberté à cet égard sur le Dépôt que j’ai laissé jusqu’à
l’apurement de vos comptes et que cet argent n’en peut-être
enlevé par moi ni par vous jusqu’à cette époque qu’il n’est pas en
mon pouvoir aujourd’huy d’avancer d’un jour, et que je désire
beaucoup qui ne soit retardé d’une heure. L’objet des
compensations avec le ministre est une chose qui doit vous
laisser sans inquietude pour moi. Je ne m’occupe qu’à vous
dégager personnellement de ces fournitures, et c’est ce que M. de
Sartines m’a promis d’écrire à Rochefort. Je ne désire point que
vous ayez aucun embarras pour ce qui me touche.1
1Ces
deux reconnaissances de dettes se trouvent dans AF:
“Je promets payer incessament à MonsR Teissier de la Tour
banquier à Paris pour le comte de MonR Chevallié negT de
Rochefort les sommes de trente deux mille deux cent deux
livres six sols trois deniers pour le solde de tous comptes
avec lui relatifs aux opérations du second armement du fier
Rodrigue et des depenses à la relache a l’isle daix et mes
divers navires sans la deduction des interets de cette
somme à raison de demi pour cent par mois a compter du
jour du payement jusqu’au trente un Decembre prochain.
Bon comme de pur a
251
CORRESPONDANCE
Nantes le 8 e 7bre 1779
Montieu”
et
“Comme fondé des pouvoirs de M. De Beaumarchais je promets et
m’oblige envers le sieur Chevallié neg t de Rochefort de faire payer
incessament par mon dit Sr de Beaumarchais a monsieur Teissier
de La Tour banquier a Paris la somme de quatre mille cent
soixante quatre livres trois sols cinq deniers pour le solde de tous
comptes relatifs aux operations d’armement et de desarmement du
fier Rodrigue à son pr voyage conformément au compte courant
arretté ce jour ./.
Bon commme de pur a
Nantes le 8 e 7bre 1779
Montieu”
844. De Chevallié
M. De beaumarchais
à Paris
Rochefort le 7 août 1779
Monsieur
La lettre que vous m’avés ecrite le 25. Juillet aprés avoir fait
la même course du compte courant et d’interet ainsi que des
observations arrétées par M. Cantini, m’est parvenuë hier sous
l’etampe du Bureau de la Poste de Nantes. Elle m’accuse
reception du Paquet que je vous ai envoyé sous le couvert de MR
de Vergennes contenant l’etat de l’artillerie restée aprés le départ
du fier Roderigue au premier voyage et celuy des compensations.
ce qui est suffisant à ma tranquilité laissant de côté le surplus
de vôtre lettre puisqu’il ny a lieu qu’a votre replique dans la suite
qui vous a fait dicter à M. le Vaigneur son contenu.
Je reçois ce matin celle que vous & M. Cantini m’avés fait
l’honneur de m’ecrire et quoique vos nobles procedés pour moi
sont soutenus avec constance je trouve que vous etiés moins
252
CARON DE BEAUMARCHAIS
agités, et qu’au contraire vous vous etes livré à l’egard de M.
Teissier de la Tour au ton, qui vous est si agréable, de la
plaisanterie, quoi qu’il en soit; si je n’avais pas été instruit par
M. de Montieu lui même que vous aviés touché tout ce qui vous
revenoit des tabacs à l’exception des 50 M£ que vous avés laissé
pour faire face à ce qui peut m’etre dû. Je n’aurais certainement
pas eté comme vous le dites trés bien aussi inconséquent que je
l’ay eté, en me persuadant que vous auriés Pour cette fois La
complaisance de vous rendre à l’honnêteté de ma demande; aussi
d’aprés ce dernier procédé qui met le sceau à tous ceux que vous
avés eû depuis dix mois que je suis arrivé. Je ne dois plus penser
qu’a finir. J’en suis bien occupé, et M. Garnaule & moy
travaillons sans relache à la vérification et examen de tous les
articles employés dans mes comptes, pour nous rendre
immediatement aprés qu’elle sera finie, auprés de M. de Montieu
à Nantes en terminer l’arrêté; les tabacs sont tous sortis des
Magasins à l’exception de 26 futailles qui y restent dans ce
moment mais qui en seront dehors ce soir et mis à bord de
barque, Toutes les futailles se sont trouvées conformes à l’etat
général et détaillé de la livraison operée à M. Saunier, Il ny à pas
eû une seule futaille de plus ainsi, Monsieur, le bordereau qui
vous en donnoit une plus grande quantité & que je vous ay remis
moi même, n’etoit pas exact, cela vient de ce qu’il avoit eté formé
par les employés & la personne à qui j’avois confié le soin de
déboucauder les tabacs mal pressés dans les boucauds qui
avoient eté faits à bord du va.u à la décharge et de faire
remboucauder ces mêmes boucauds ainsi que tous les tabacs mis
dans un magasin en vraques, tels qu’on les à débarqué du
vaisseau. Voila la seule explication que je puisse vous donner
avec l’impossibilité phisique d’en avoir eté volé ny détourné des
Magasins. La différence des poids de cette cargaison, d’avec ceux
de la Virginie et suivant la régle des déchets ordinaires là
justiffient.
Je prouve donc bien par le fait avoir executé aujourd’huy
l’obligãon qui m’avoit eté imposée de vous livrer ces tabacs sans
resistance et quoique vous n’ayés pas de vôtre côté remply ce qui
vous etoit prescrit pour avoir la délivrance de ces tabacs pas
même avoir voulu vous relacher d’une délégation de 15000‹ sur
CORRESPONDANCE
253
ce qui me revient dans vos tems où je confesse de bonne foi que
c’est le besoin qui me force a vous faire cette demande; mais vous
voulés seul joüir et me faire souffrir des retards qui n’ont pas
d’exemple. N’importe Il faut encore bien prendre son party, et
c’est vraiment ce que je fais, en faisant des remises à M. Teissier
de la Tour par même courrier
J’ay l’honneur d’etre trés parfaitement
Monsieur
Votre trés humble
et trés obéissant serviteur
Chevallié
845. Au maréchal de Duras
[7 août 1779]
Copie de la lettre
écrite à M. Le MAl
de Duras
le 7 aout 1779
M. Le MAl
La lettre dont vous m’avez honnoré est la preuve la plus
complette que l’affaire des Auteurs Dramatiques est
malheureusement sortie de votre memoire, et je dis de votre
Mémoire, parce que le Reproche que vous me faites de partager
l’inquiétude de mes confreres sur vos dispositions à les obliger ne
me permet plus d’en douter. Lisez donc je vous prie M. Le MAl
avec attention le raprochement de tout ce qui s’est passé sur
cette affaire et vous vous convaincrez avec étonnement que
revenus au point d’où nous sommes partis, il y a deux ans, nous
n’avons fait autre chose que tourner dans un cercle oiseux, et
perdre nos travaux, notre tems et notre espérance. Par exemple
vous me mandez, qu’il y aurait moyen de me concilier avec la
254
CARON DE BEAUMARCHAIS
Comédie que je dois établir aujourdhuy mes droits devant elle et
que les Comédiens me repondront après les avoir examinés; Mais
vous oubliez, M. Le MAl que c’est après avoir vainement posé ces
droits, pendant un an, les avoir établis dans 30 lettres, qui ne
m’ont valu de leur part que des réponses vaines, vagues ou sans
effet que je fus traduit par eux devant vous, à l’instant où
perdant patience, j’allais forcer le timbre à la main leur
comptable de me remettre un etat en règle de mes droits
contestés.
Vous oubliez, M. Le MAl que le vif desir que vous me
montrates alors de changer cette discussion personnelle, en un
arrangement général entre les Comédiens, et les Auteurs, me
détermina sur le champ à changer mon plan, à préférer vos
promesses à la voye juridique, et à rassembler chez moi les
auteurs mes confreres pour leur faire part de vos bonnes
intentions.
Vous oubliez M. Le MAl qu’alors vous ne vouliez qu’être bien
éclairé sur les demandes des auteurs, pour trancher la question
seul, et sans MM. vos confreres qui vous avaient abandonné,
disiez vous, cette partie.
Vous oubliez encore que sur un leger doute de ma part, que
vos occupations vous permissent de donner à cette affaire toute la
suite et l’attention qu’exigeait son succès, votre premier mot fut,
que vous casseriez la Comédie si elle opposait le moindre obstacle à
des vues si judicieuses.
Qui n’aurait pas crû comme moi, d’après cela, M. Le MAl,
qu’un travail projetté de concert avec vous, fait par tous les gens
de lettres, corrigé sur vos observations; et terminé sous vos
auspices, allait rendre aux Auteurs Dramatiques les droits
injustement usurpés, qu’ils reclament sur leurs propres
Ouvrages. Cependant après trois ans de patience, je suis renvoyé
par vous à établir de nouveau mes droits d’auteur, devant les
Comédiens; c’est-à dire à recommencer pendant une autre année
tout ce qui a eté dit, et fait entre eux et moi, pour entamer
ensuite un nouveau traité conciliatoire avec M. Le MAl de Duras,
que les comediens ne manqueront pas d’invoquer encore à
l’instant où l’impatience me fera de nouveau recourir aux voyes
juridiques. C’est-à dire, M. Le MAl que sans vous en douter vous
CORRESPONDANCE
255
m’invitez à parcourir encore une fois le cercle fatigant de trois ans
de travaux perdus, et de soins inutiles; autant valait-il alors me
laisser aller au parlement comme je me disposais à le faire
Vous me renvoyez dans votre lettre à M. Le MAl de Richelieu
sur les objections faites contre le règlement parce que dites-vous votre
service de Versailles vous empêche de vous en occuper; mais vous
oubliez, M. Le MAl qu’à la fin de l’an passé, vous vous félicitiez
d’entrer d’année à Versailles parce que vous esperiez qu’êtant à
demeure dans le lieu qu’habite M. Le Ct.e de Maurepas, vous
trouveriez facilement le moyen de règler avec luy l’affaire de la
Comédie dans des momens, où celles de l’état lui laisseraient un
peu de repos.
Sur cet espoir j’ay remis à M. Le Ct.e de Maurepas le nouveau
règlement du théâtre avec vos corrections. Ce Ministre à qui j’ai
pris depuis la liberté d’en demander son jugement, m’a répondu
qu’il en était content mais que jamais vous ne luy aviez dit un
mot des Auteurs Dramatiques, et qu’il vous croyait trop
embarrassé du tracas des acteurs pour qu’on put vous proposer
de penser aux auteurs dans ce moment.
A quelle époque donc les Auteurs dramatiques peuvent-ils
esperer qu’on s’occupera de leur affaire, y a t-il M. Le MAl une
patience à l’epreuve d’une pareille inaction et si tous ces faits
étaient connus du public n’aurions nous pas autant de partisans
de nos plaintes qu’il y a de gens sensés dans le Royaume?
Vous me mandez encore, M. Le MAl que vous avez oui dire que
parmi les auteurs plusieurs se sont recriés contre l’arrangement.
Mais vous oubliez ce que vous avez su par moi dans le tems, que
le point de division entre quelques membres, et le corps entier
des auteurs, ne portait que sur le voeu général de l’assemblée
pour l’élévation d’un second théâtre; plusieurs voulaient que la
demande en fut remise au tems où l’on aurait épuisé tous les
moyens d’avoir justice, et les autres, que l’on commençat par
cette demande au conseil du Roy, certains disaient-ils que jamais
nous n’obtiendrions rien de l’administration de la Comédie; il est
bien facheux M. Le MAl que l’evenement semble justifier
aujourdhuy leurs inquiétudes. à la vérité quelques objets de
discipline intérieure entre les auteurs ont pu les émouvoir dans
leurs assemblées; mais avez vous jamais douté que tous les
256
CARON DE BEAUMARCHAIS
voeux ne se réunissent pour un règlement qui mettait leurs
interets à couvert, et tendait à consolider leurs succès. Il faudrait
donc supposer que mes confreres et moi ne sommes ni hommes ni
auteurs Dramatiques.
Vous voullez bien me dire, M. Le MAl que vous me croyez trop
honnête, pour saisir un moment où la fermentation est plus forte
que jamais parmi les Comédiens.1 Mais je ne m’adresse point aux
Comédiens c’est à leurs supérieurs que je demande justice,et
qu’importe alors que les Comédiens manquent de sagesse ou
d’équité, si leurs supérieurs en sont suffisamment pourvus? Que
font au Règlement des auteurs les tracasseries des actrices, si
l’on veut bien ne pas confondre un objet grave avec des Minuties?
donner à l’affaire des gens de lettres quelques uns des moments,
trop prodigués peut être, à regler la preseance entre ces dames?
L’usage que je fais de mes honoraires d’auteur en faveur des
pauvres montre assez que cecy n’est pas une combinaison d’écus,
mais un moyen forcé, à defaut de tout autre de constater enfin les
droits des auteurs dont les reproches m’affligent et me fatiguent
autant que leur confiance m’avait d’abord honnoré.
D’ailleurs quand je ne mettrais aucune importance
personnelle à cette décision, est-il possible Monsieur Le MAl que
vous ny en mettiez pas vous-même et n’ais-je pas dû penser
qu’en me présentant à M Le MAl de Duras tres grand seigneur,
gentilhomme de la chambre, academicien français, de plus
institué superieur du spectacle national, pour en maintenir la
splendeur, et redresser les griefs qui tendent à le dégrader; n’aisje pas dû penser dis-je, que je luy faisais ma cour de la manière
la plus flateuse, en le priant de vouloir bien être l’arbitre d’une
querelle aussi intérèssante aux gens de lettres, qu’utile à la
Comédie, qu’il est bon quelquefois de séparer des Comédiens.
Quel tems donc M. Le MAl croyez vous plus propre à regler les
droits des auteurs, que celuy où les dissentions intérieures du
spectacle, obligent l’autorité de s’occuper du spectacle? esperez
vous qu’il y ait jamais un intervale sans quérelle à la Comédie,
tel que les trois ans qu’on a consumés à nous faire esperer une
justice que nous n’avons pas obtenue? Car il est bien clair que
soit avec intention, ou malheureusement ou par hasard; nous
sommes arrêtés depuis trois ans, sur un objet de règlement qui
CORRESPONDANCE
257
franchement accueilli par vous M. Le MAl n’aurait pas dû vous
occuper trois semaines.
Il est bien clair encore que M. Le MAl de Richelieu va nous
renvoyer vers vous qui nous renvoyez vers luy; lorsqu’il aura fait
ses observations; Pour peu qu’il faille après revenir encore à
consulter les Comédiens dont on sait déja que l’avis est, de tout
garder puisqu’ils ont tout usurpé. Pour peu qu’on flotte encore
une autre couple d’années entre nos demandes, et leurs
objections; pour peu surtout que le système de démissions,
devenu si fort en vogue, et dont les Comédiens menacent en toute
occasion de faire usage, soit mis par eux en avant contre nos
demandes, à défaut de bonne réponse; Pouvez vous nous dire M.
Le MAl ce que nous devons faire alors et a qui nous devons nous
adresser?
Puis donc que l’autorité des supérieurs de la Comedie est
sans pouvoir sur les Comediens, ne vaudrait-il pas mieux M. Le
MAl laisser décider la question des droits des auteurs aux
Tribunaux chargés de veiller sur les propriétés des citoyens; Car
ne pas faire justice et trouver mauvais qu’on la demande ailleurs,
est une idée qui souleverait tous les bons esprits. Je vous suplie,
M. Le MAl au nom de tous les auteurs Dramatiques au nom du
public mécontent de l’appauvrissement général du Théâtre; de
vouloir bien pezer la force de mes représentations. Certainement
on ne peut disconvenir que le Théâtre français ne soit aujourdhuy
tombé dans le pire état possible et que le plus médiocre théâtre
de province, toute proportion gardée, avec un chétif directeur et
point d’autre loi que son interet, ne marche mieux, et ne contente
plus le public que la Comédie française, le spectacle par
excellence, ayant à sa tête, et pour directeurs quatres hommes de
qualité puissans, constitués dans les plus hautes dignités, et
dont deux sont de l’academie française; ce qui suppose au moins
un grand amour du théâtre et des Belles lettres.
Il y a donc un vice, ou dans la constitution, ou dans
l’administration de ce spectacle, et quand nous vous proposons
des moyens surs de ranimer l’émulation des auteurs, et des
acteurs; nous voyons avec chagrin que les plus faibles
considérations, qu’une crainte frivole, une panique terreur que les
gens de lettres ne tendent sourdement à diminuer l’autorité des
258
CARON DE BEAUMARCHAIS
gentils-hommes de la Chambre sur le spectacle, est le vrai motif
qui les empêche de prêter la main à nos demandes légitimes.
Mais puisque c’est à vous que nous nous adressons, M. Le MAl
nous sommes donc bien éloignés de contester votre suprématie au
spectacle. Nous! vouloir dominer sur la Comédie! que dieu
preserve tout homme sage, d’avoir une idée aussi contraire à son
repos. Et si tout le pouvoir et les lumières réunies de quatre des
plus grands seigneurs du Royaume, absolument maîtres en cette
partie, ne peuvent réprimer la déplorable anarchie qui désole et
détruit le théâtre français; comment les gens de lettres, qui n’ont
pas seulement le crédit d’obtenir justice pour eux même, peuvent
ils être soupçonnés d’attenter à une autorité qu’ils n’ont cessé
d’invoquer jusqu’à ce jour.
D’après ces observations j’auray l’hR de voir M. Le MAl de
Richelieu comme vous m’y invités mais si cette tentative ne me
réussissait pas plus que les précédentes, pouriez vous trouver
mauvais que je fisse assigner les comédiens à me rendre en
justice un compte exact et rigoureux; qui mettrait dans le plus
grand jour, les produits de la caisse, et les abus qui se
commettent aux dépens des auteurs? à la Comédie française?
Je suis avec le plus profond respect
Monsieur le Maréchal
Votre X.
Signé Caron de Beaumarchais./.
1Voir
lettre 883 n. 3.
846. A Le Tellier
10 aout 1779
Sur votre derniere lettre j’ai fait un examen du papier à un
louis pris à paris que M. Subito 1 a payé comptant. panckouke
étant avec moi, mais ni lui, ni moi ne l’avons trouvé Beau, c’est à
CORRESPONDANCE
259
dire Blanc. il a un air bas et gréneux qui ne doit pas donner un
bel oil à l’impression. à la verité vous me mandés que les votres
seront bien plus blancs. pankouke insistait Beaucoup à dire que
si notre papier n’etait qu’ainsi nous ne ferions que du mediocre.
quant à la largeur de plus sur laquelle vous demandés nos
nouvelles observations, j’ai sous les yeux une epreuve du
prospectus imprimé par M. pierre,2 il me semble en effet qu’il
serait à desirer qu’il y eut quelque chose de plus en largeur, et M.
daubry3 m’assure que M. pierre a pris du papier de la grandeur
juste de celui dont vous devés vous servir; la marge exterieur
n’est pas mal, celle interieure me paroit etroite, et vous savés que
le caracthere de Baskerville chasse un peu pour les vers.
je n’ai qu’une seule epreuve de ce prospectus sur laquelle M.
pankouk desire beaucoup de retranchemens. je fais demander
une autre epreuve, et j’y joindrai copie des demandes de M.
pankouke que vous apprecierés.
toute la Beauté de notre édition tenant absolument à celle du
papier, je desire moi que vous soyés de la securité la plus
parfaite sur la plus grande beauté possible du papier, cela
renferme tout.
vous avés cy joint la notte copiée sur l’imprimé de M. Ruston4
j’ignore ce que c’est que contre-poinçons. mais apparamant vous
le savés vous. Si à la fin de votre course il y avait possibilité que
vous passassiés à Londres par Ostende, certainement le dernier
sacrifice de 1000 louis ne me couterait plus rien dès que vous le
jugeriés indispensable, et vous finiriés tout de suite. malgré la
bonne volonté de M. farquhasson, je ne crois pas qu’il puisse
terminer cela tout seul, je lui fais ecrire aujourdhui pour qu’il
fasse la guerre a l’oil jusqu’à 3 M. L sterl. sur le specimen que
vous recevés voyés si tout cela suffit, pour aller rondement.
C’est sur votre reponse définitive que je ferai écrire aussi
définitivemt à M. farquhasson5 de finir d’attendre. quant aux
lettres accentuées dont les poinçons dites-vous ne sont point
faits, comme on ne peut les commander qu’en finissant avec M.
Ruston, cette circonstance doit ou presser le sacrifice, ou faire tout
abbandonner, si cet allongement de poinçons peut trop vous
nuire. C’est encore à vous à faire là dessus vos calculs
approximés.
260
CARON DE BEAUMARCHAIS
pour que je ne l’oublie pas, je coupe tout pour vous dire que
Gudin vous prie instament de lui renvoyer son manuscrit des
Manes, 6 à l’adresse de M. LeNoir.
vous etes bien averti sur le B de T. 7 votre voyageur. Si vous
lui confiés des fonds après cela, vous pouvés les regarder comme
perdus. Dieu veuille qu’il s’acquitte royalement du reste!
M. d’Aubry vous a ecrit sur les drilles, je crains en effet de
trop étendre les operations accessoires, surtout ne pouvant pas
obtenir de credit sur les papiers vous voudriés qu’on portat cette
branche à 40,000£ mais quel en sera l’avantage relativement au
prix des papiers, puisque vos marchés sont faits? et les
fabriquants vous trouvant en leur chemin pour les achats des
drilles n’en exigeront-ils pas pour enfraindre impunément leurs
traités? le reste demain.
Il y a écrit à la fin de la partie qui précède ce que nous
transcrivons ici: “M. de Beaumarchais continue ma lettre” donc
nous ne donnons que la partie faite par Beaumarchais. Dans la
première partie Ruault parle, parmi d’autres choses. des caractères
de Baskerville et du papier.
1Subito l’aîné, papetier rouennais, a fait une tournée du 4 juin au
4 septembre 1779 en Champagne, Lorraine et Alsace pour aider
Beaumarchais à trouver des usines de papeterie pour fabriquer le
papier nécessaire à l’édition de Voltaire. Voir lettre 859.
2Philippe-Denys Pierres, imprimeur à Paris, a imprimé quelques
ouvrages de Beaumarchais sur l’Affaire Goezman; voir, par
exemple, les numéros 966, 967, 968 de Morton et Spinelli,
Bibliography.
3Employé qui travaille à la préparation de l’édition de Kehl.
4Josiah Ruston, gendre de Mme Baskerville.
5Andrew
Farquharson, correspondant de Beaumarchais en
Angleterre; c’est lui qui avait négocié l’achat des caractères de
Baskerville pour la Société Typographique.
6Aux mânes de Louis XV et des grands hommes qui ont vécu sous
son règne, ou Essai sur les progrès des arts et de l’esprit humain,
sous le règne de Louis XV. Deux Ponts, 2 parties en 1 vol.
Imprimerie ducale, 1776.
7Baron de Trieste, collègue de Le Tellier, qui était en pourparlers
avec les fabriquants et créanciers traitant avec Le Tellier.
CORRESPONDANCE
261
847. Du maréchal de Duras
[11 août 1779]
copie de la lettre de Mr Le Mal
de Duras du 11 aoust 1779
recue le 12 aout 1779
à Versailles ce onze
Je nentreprendrai pas Monsieur, de répondre à tous les
articles contenus dans votre lettre du 7. 1 mon devoir ne me
laissant pas le tems qui serait nécèssaire. Je me bornerai à
quelques réflèxions qui doivent détruire les soupçons très mal
fondés que vous persistez à avoir sur ma façon de penser, et sur
ma conduite vis-à-vis de vous.
Je croyais vous avoir dit d’une façon très claire que j’avais
trouvé de la part de mes camarades une opposition marquée à
l’exécution du projet que nous avions arreté; Je l’ai discuté très
longtems vis-à-vis deux, et je n’ai pû les vaincre. Je n’ay qu’une voix
parmi eux, elle n’est pas prépondérante, je vous en ai prevenu,
pour que vous pussiez vaincre les obstacles; et je vous prie d’en
conférer avec M. de Richelieu ma façon de penser n’a point changé
mais elle ne décide pas. Je vous ai parlé du procès que vous voulez
faire aux Comediens, parce que j’ai crû qu’il ne pouvait que
produire un mauvais effet pour eux, car au surplus que
m’importe à moi une affaire de cette espèce, je suis trop ennemi
de tous ces détails, pour que l’on puisse me soupçonner d’y
mettre une grande chaleur. J’ai désiré que ce spectacle put se
soutenir. Je me suis occupé de ce qui pouvait y contribuer. Les
cabales les intrigues y ont apporté les plus grands obstacles, j’en
suis bien faché; mais je ne peux pas m’en affecter à un certain
point. Pour votre projet même je peux vous assurer qu’il y a
beaucoup d’auteurs qui se sont donné beaucoup de mouvement
pour en empêcher l’effet. Vous me reprochez de n’avoir pas parlé
à M. de Maurepas, ce Ministre a apparament trop d’affaires pour
262
CARON DE BEAUMARCHAIS
se souvenir de tout ce que l’on luy dit, mais quand vous voudrez,
nous luy en parlerons ensemble. Je vous avoue que je suis un peu
étonné que le désir de plaire à MM. les auteurs ne m’attire que
des reproches et des soupçons, au dessus desquels je me crois en
droit de me mettre. Si je ne l’avais pas pensé, je ne l’aurais pas dit;
si je ne l’ai pas executé, c’est que cela ne dépend pas uniquement de
moi; voila ma profession de foy.
Je suis très parfaitement votre très humble et très obéissant
serviteur Signé Le MAl de Duras.
Quand vous aurez vu M. de Richelieu si vous venez à
Versailles & que vous desiriez me voir je serai à vos ordres.
1Voir
lettre 845.
848. Au comte de Vergennes
Paris le 16 aoust 1779
Monsieur Le Comte
Jai l’honneur de vous adresser tout l’article de Londres du
courrier de l’europe qui n’arrivera que demain. Je le recois de la
main de Mr Swinton qui arrive en ce moment a Paris. J’aurai
lhonneur après demain si vous le permettés de vous faire part de
la conversation que je viens d’avoir avec lui sur les inquiétudes
que peut donner son séjour a Boulogne et J’ose esperer que vous
serés content de ses réponses et de ses offres qui me confirment
dans la persuasion ou J’ai toujours été de son honêsteté. Son
rédacteur un peu froissé par les circonstances est obligé de
supprimer bien des traits a Londres qui lui feraient courir le
danger d’une retraite a la Tour, dans ce moment de guerre. Mais
Mr Swinton m’assure qu’on prend toutes les tournures possibles
pour ne rien dissimuler a la ferme de ce qui lui importe a savoir.
CORRESPONDANCE
263
recevés avec bonté l’hommage de mon tres respectueux
attachement.
Mr Le Ct.e de Vergennes.
849. A M. Louis
Paris ce 18 aoust 1779
Je profite mon cher de l’occasion de Mr Dalon1 pour vous
mander en confidence que votre adhésion au devis de Mr.... 2 votre
architecte dont le nom m’echape avoit fait le plus mauvais effet
contre vous.3 J’ai tout expliqué au marechal de R... 4 mesme les
précautions secrettes que je vous ai indiquées après coup ce qui
l’a ramené entiérement et vous le trouverés en toute occasion a
votre soutien. Je vous loue de votre fermeté sur l’article des
décorations et vous prie pour votre honneur de ne point sortir du
refus net que vous avés fait d’entrer pour quelque chose dans ce
tripotage malhoneste.
Je crois que le mal fera un armement pR votre 1ere
représentation et vous ne doutés pas que je n’en sois si cela est
possible.
rendés moi le bon office de savoir si une centaine de bouteilles
de vin de Jurançon que j’ai recues ici sans aucun avis sont un
envoi de l’aimable Brokeins. Je n’ose lui en ecrire dans la crainte
que si ce n’est pas lui il ne prenne mes remercimens pour une
espece de reproche. Dès que vous aurés su adroitement ce qui en
est, commencés par etre le colporteur fidele de mes remercimens
et mandés le moi bien vite pour que je les lui fasse moi mesme
comme je le dois. Alors vous lui rapellerés quil a bien voulu me
promettre de m’en procurer une piéce et vous obtiendrés de lui de
vous remettre l’etat de ce que je lui dois pour ce 1e.r bon office ce
serait me mortifier étrangement que de ne pas en recevoir le
264
CARON DE BEAUMARCHAIS
paiement. Je me recomande a votre amitié pour amener cette
affaire a bien. Je salue Made Louis de tout mon coeur cest a dire
comme je l’aime et le tout sans vous offenser.
recevés les assurances de mon tendre attachement et je le
signe du meilleur de mon ame 5
Caron de Beaumarchais ://:
Mr Louis.
1Romain
Dalon, membre du Parlement de Bordeaux.
voir lettre 804.
3Voir lettre 804.
4Richelieu.
5Au dos de la lettre est écrit: “A Monsieur / Monsieur Louis
celebre / architecte / a Bordeaux.”
2Bonfin;
850. Au comte de Vergennes
Ce Dimanche 22 août 1779
M Le Comte de Vergennes
à la Cour
Monsieur Le Comte,
Malgré ce que vous avez bien voulu me dire de M
lambassadeur de l’Empire,1 M Swinton qui a l’honneur de vous
remettre cette lettre en a une dans sa poche adressée à M. le
prince de Croy2 par le directeur de la poste d’Ostende qui vous
prouvera que le Courrier de l’Europe ne peut y entrer ni en sortir
qu’en contrebande, quoique ce ne soit que pour passer. Votre
puissante médiation doit lever facilement une prohibition qui
n’est pas décente; puisqu’il ne s’agit au passage d’Ostende que
d’un papier destiné pour la france, et non pour être distribué
dans les etats de l’Impératrice.
CORRESPONDANCE
265
Vous avez paru désirer de comparer quelques Couriers
imprimés à Londres avec les pareils éxemplaires tirés à
Boulogne; M Swinton qui envoye toujours les originaux de
Londres, avec la copie de Boulogne à M De Lorme3 des gazettes
étrangères, s’en trouve heureusement un dans la poche, qu’il
aura l’honneur de vous présenter.
Vous avez bien voulu me dire aussi que vos papiers anglois
vous arrivoient assez exactement. Je me fais un plaisir de vous
apprendre ce que j’ignorois hier; c’est à dire que cette éxactitude
est due au zele de mon ami M Swinton qui depuis long tems vous
les fait parvenir, sans que vous le sachiez, par la voie de M le
Baron d’Ogny.4 Ce nouveau trait qui justifie M Swinton de tous
les nuages qui avoient pu s’elever sur son compte, lui servira, si
vous voulez bien, d’un nouveau passeport auprés de vous.
Je suis avec le plus profond respect
M Le Comte
1Le
comte François de Mercy-Argentau (1724-1794) ambassadeur de
l’empereur d’Autriche près la cour de Versailles; homme de conseil
et principal conseil de Marie-Antoinette.
2Emmanuel, prince de Meurs et de Solre, duc de Croÿ (1718-1784)
était maréchal de France. Militaire distingué, il s’intéressait
beaucoup aux sciences; il a souvent parlé du CE dans ses
Mémoires; voir von Proschwitz, CE, I, pp. 59-62 et 67-74.
3Secrétaire général de la Ferme des Postes de France et directeur
du Bureau des gazettes étrangères à Paris.
4Claude-Jean Rigoley, baron d’Ogny (1725-1793) fut intendant des
Postes à plusieurs reprises entre 1772 et 1790; voir tome II, lettre
396 n.1 et tome III, lettre 616 n. 2.
266
CARON DE BEAUMARCHAIS
851. Au comte de Vergennes
Mr le Cte de Vergennes
pour vous seul
Paris ce
22
aoust 1779
Monsieur le Comte
J’ai eu lhonneur de rappeler hier au soir a Mr le Cte de
Maurepas l’autorisation qu’il avait donnée a mes efforts pour
procurer en hollande un emprunt aux américains sous le
cautionement du roi de france. J’ai eu l’honneur de lui dire aussi
que vous m’aviés permis de vous entretenir a fond de nouveau
sur cet objet interessant. Je lui parlais de l’emprunt de genes
lorsque Mr Levèque d’Autun1 a demandé a entrer. J’ai coupé court
en priant Mr le Cte de Maurepas de décider pour genes avec vous
ce qu’il a déja décidé avec vous pour la hollande. Il me l’a
promis.
Les hollandais je le vois ne parleront clair la dessus qu’au
mois d’8bRe Les génois, qu’aucune considération politique ne
retient peuvent terminer avec moi la négotiation d’argent avant
que les froids bataves aient entamé sérieusement la leur. Mais
qu’importe d’ou le bien nous viendra, pourvu quil nous arrive.
Le moment du succès des armes américaines est favorable et
Joserais dire mesme quil est de la plus grande importance a la
reussite de ne point reculer, parce que la france commence a
s’emplir de papier monnoie apporté d’amérique, lequel n’a nul
espece de cours en Europe ce qui lui fait grand tort a l’autre
continent.
Quant a moi, Je puis disposer rigoureusement de trois
semaines. Mais rigoureusement Je ne le pourais plus si la chose
tardait. J’offre de partir sur champ pour génes. Si Je ne reussis
point ce n’est qu’un voyage de perdu, et si je réussis, c’est un
continent sauvé encore une fois avec un assés faible bon office.
CORRESPONDANCE
267
Si l’on est surpris que, malgré les mécontentemens excessifs
que J’ai des américains mon zéle pour eux soit toujours aussi
chaud; le mot de l’enigme est que Je vois toujours la france dans
l’amérique et que dans l’etat actuel des choses langleterre forcant
le moyen de corruption Il ne faut qu’un air de faveur et de
protection de notre ministére dans cet emprunt pour que tout le
parti anglais soit réduit au silence dans le congrés. Si l’opinion
conduit tout chez les peuples c’est surtout chez les peuples
nouveaux que cette vérité est dans toute sa force.
Vous voudrés donc bien, Monsieur le comte, après avoir
conféré sur cette lettre avec Mr le Cte de Maurepas ne point différer
de me donner vos ordres; car tous mes momens sont calculés, et
Je voudrais n’en perdre aucun.
Dans le cas d’affirmative Je partirai comme un trait sans
rien dire a personne et reviendrai de mesme.
Je suis avec le plus profond respect et le plus inviolable
dévoûment
Monsieur le Comte
Votre tres humble et tres obéissant
serviteur.
://:Caron de Beaumarchais
1Yves-Alexandre
de Marbeuf (1734-1799) est devenu comte de Lyon
et est passé à l’évêché d’Autun en 1767. Forcé d’émigrer pendant la
Révolution, il s’installa à Hambourg comme Beaumarchais.
851bis. Lettre circulaire des frères Pitot
M. de Beaumarchais
Au Port-Louis, Isle de France, le 23 aoust 1779
Paris
Monsieur
268
CARON DE BEAUMARCHAIS
Nous avons l’honneur de vous prévenir qu’en vertu des
arrangemens pris avec MR Launay l’aîné, ainsi que vous le verrés
par sa lettre particulière ci-jointe,1 notre maison ci-devant sous la
raison de Pitot freres,2 reste chargée sous celle de Pitot freres &
Compagnie de la liquidation & de la suite des affaires confiées à
Mr.s Launay freres. Vous voudrés bien, Monsieur, prendre note de
ce changement, ainsi que de nos signatures Sociales au bas de la
présente auxquelles seules nous vous prions d’ajouter foi. Mr.s
Murville & Kerverho sont désignés sous le nom de Compagnie, &
le premier seulement aura la signature.
Nous vous offrons, Monsieur, nos services & nous desirons
qu’ils vous soient agréables, nous serons très-flattés si, guidés
par la confiance que MR Launay nous marque en cette
circonstance, vous vouliez bien nous accorder la votre; notre zele
& notre exactitude à remplir vos ordres vous prouveront que nous
la méritons.
Nous avons l’honneur d’être bien sincerement.
Monsieur
Vos très-humbles &
trèsobéissans Serviteurs.
Signature de V.th.s. Pitot laîné.
Signature de V.t.h.s. Pitot cadet.
Signature de V.t.h.s. Murville
1Nous
n’avons pu trouver cette lettre.
L’Inventaire après décès de Beaumarchais, le notaire écrit
sous la cotte 39: “Pièces et compte d’une affaire de commerce en
société avec les cens Laumur Pernon et La Chataigneraye intéressés
dans un envoi de marchandises fait à l’Isle de France, desqu’elles il
résulte qu’en 1785. le ce.n Pitot correspondant de cette affaire
redevait au cN Beaumarchais et Ci.e une somme de 24001£-17-7. Le
cN Pitot ayant manqué il a été fait le cN Frin banquier a payé pour
lui . . . ” (p. 163 n. 318). avec lui un arrangement,
2Dans
269
CORRESPONDANCE
852. De M. de La Ferté
[27 août 1779]
M. Dela ferté1 a l’honneur de faire bien des complimens à
Monsieur de Beaumarchais, et de lui renvoyer les papiers qu’il a
bien voulu lui confier; M. le Marechal de Richelieu s’est chargé de
conferer a cet Egard avec Monsieur de Beaumarchais./.
ce 27 aoust 1779
1Denis-Pierre-Jean
Papillon de La Ferté (1727-1794) intendant des
menus plaisirs et commissaire du Roi. C’est lui qui, pendant une
réunion du 4 septembre, pour apaiser l’animosité entre
Beaumarchais et les comédiens, propose de lui remettre un état
des recettes et dépenses de la Comédie-Française faites au cours de
plusieurs années. De cette façon Beaumarchais pourra vérifier ses
comptes concernant Le Barbier de Séville.
853. Au maréchal de Duras
Mr Le Mal de Duras.
Paris ce 28 Aoust 1779
Beaumarchais a lhonneur de presenter son plus humble
respect a Monsieur Le Maréchal de Duras.
Sur l’extrait de la lettre de Monsieur le Maréchal qui vient
d’etre communiqué a Beaumarchais, il supplie Monsieur le
Marechal de vouloir bien obtenir de Mr le Cte de Maurepas dix
minutes seulement de conversation pour lundi après son diner.
Beaumarchais se rendra tout exprès a Versailles Il est très
important pour la Comédie qu’il ait l’honneur de prévenir Mr Le
Cte de Maurepas devant Mr Le MAl de ce qui va arriver aussitot
qu’il aura fait part aux auteurs dramatiques du peu de succès
qu’obtient la Justice quils demandent.
270
CARON DE BEAUMARCHAIS
Cette courte conference achevée sur un objet qui touche
autant la littérature et les représentations de Beaumarchais
admises ou rejetées Mr Le Mal peut etre sur que de la vie il n’en
entendra parler davantage et que chacun se pourvoira selon son
gout ou son interet, sans plus troublér les superieurs de la
Comédie pour aucune demande ultérieure.
Beaumarchais a lhonneur de renouveller a Mr Le MAl les
assurances de son tres respectueux dévoûment.
854. Au comte de Vergennes
Paris le 31 aoûst 1779
Monsieur le Comte
Vous etiés hier au commité; Je ne pus vous faire ma cour. Je
vous aurais remis la note que J’ai l’honneur de vous envoyer cy
Joint.
Le 19 aoust, a la 1eRe nouvelle de l’entrée dans la Manche, les
fonds publics ont baissé sur le champ
Indes de 144 a — 141
5
Banque de 111 8 a — 109
5
3 pr % de 62 8 a — 61
on ne doute pas que le 20 et le 21 il ny ait eu une dégringolade
bien plus forte. ce mesme jour 19 on agitait tout haut dans les
caffés de Londres, qui, comme vous savés, sont plus importans
que ceux de Paris, ou l’on devoit se retirer en cas de descente: les
avis se sont réunis pour l’Ecosse; parce qu’on craint une invasion
CORRESPONDANCE
271
a Londres, et dans ce cas chacun songeait a réaliser ses effets en
or.
un homme tres profond qui me mande ces choses me dit: Il y
a cent contre dix a parier que, trois jours après la desçente, La
Banque fera capot, faute de numéraire pour rembourser tous les
demandeurs.1
——————————————
cy joint un moyen d’avoir des nouvelles d’angleterre en 72
heures. ce moyen est celui dont les joueurs hollandais se servent
pour avoir des nouvelles promptes.
achetes trois petites barques lesquelles font continuellement
le trajet de catwyk2 pres skevenin3 en holland, a Soals près
dharwisht4 en angleterre. Il ny a point de port a Soals; mais une
simple rade ce qui ne retarde point.
de Londres a Soals dix heures.
de Soals a catwyk douze heures traversée
de catwyk a lahaye deux heures
De La haie a Paris quarante heures
—————————
72-heures
faute d’autre voie ou avec d’autres voies en des tems difficiles,
celle cy est nette; Et si vous approuvés ce moyen J’aurai lhonneur
de vous dire a qui Mr de Lavauguyon5 doit sadresser pour etre
bien vite au fait de cette marche.
Vous ne m’avés rien fait dire sur mon voyage de génes. la
multitude de vos affaires a fait sortir celle la de votre mémoire.
recevés avec bonté l’assurance de mon tres respectueux
dévoûment.
Le Cte de Vergennes.
1Les
aspects économiques des questions politiques intéressent
beaucoup le comte de Vergennes depuis qu’il est devenu
ambassadeur à Constantinople, où il a tant fait pour développer le
commerce français au Levant. En tant que ministre, il exigeait que
ses agents le tiennent au courant de tous les changements de
bourse. Beaumarchais surtout, parmi d’autres ayant des intérêts
financiers, l’informait des fluctuations; voir Patterson, p. 38.
272
CARON DE BEAUMARCHAIS
2Katwijk.
3Scheveningen.
4Harwich.
5Paul-François
de Quélen de Stuer de Caussade, duc de La
Vauguyon (1746-1828) fut nommé ministre du roi auprès des Etats
généraux des Provinces-Unies de Hollande en 1776 et parvint à
diminuer la prépondérance de l’Angleterre dans ce pays. Comme
Beaumarchais, il a passé quelque temps à Hambourg pendant la
Révolution.
855. Du maréchal de Richelieu
[3 septembre 1779]
M. le Maréchal de Richelieu sera prêt a la conférence dont
Monsieur de Beaumarchais l’instruit que M. le Mal de Duras
désire, et pour qu’il ne l’oublie pas Il va lui écrire; mais comme Il
y a tribunal lundi, Il présupose que ce sera Lundi matin;
cependant M le Mal de Richelieu ne seroit point étonné que cette
affaire fut encore fort lonque, car depuis bien des années Il n’en a vû
finir aucune de ce genre sur tout.
paris ce 3, 7bre 1779
AF; Saint-Marc Girardin, p. 628.
856. A M. de Sartine
Copie
Mr de Sartines
Paris ce 7. 7bRe 1779.
Monsieur.
CORRESPONDANCE
273
Je vous rends grace de m’avoir fait passer la Lettre de MR Le
Ct.e d’Estaing.1 Il est bien noble à lui dans le moment de son
triomphe, d’avoir pensé qu’un mot de sa main me serait très
agréable. Je prens la liberté de vous envoyer copie de sa courte
lettre dont je m’honore comme bon français que je suis, et m’en
réjouis comme l’amant passionné des succès de ma patrie; contre
cette orgueilleuse Angleterre.
Le Brave Montaut a cru ne pouvoir moins mieux faire pour
nous prouver qu’il n’était pas indigne du poste dont on L’honorait
que de se faire tuer, quoi qu’il puisse en resulter pour mes
affaires; mon pauvre ami Montaut est mort au Lit D’honneur; et
mon coeur ressent une joie d’enfant d’etre certain que ces Anglais,
qui m’ont tant déchiré dans leurs papiers depuis 4 ans, y Liront
qu’un de mes vaisseaux a contribué à leur enlever la plus fertile
de leurs possessions.
Et les ennemis de Mr D’Estaing, et surtout les vôtres!
Monsieur, je les vois ronger leurs ongles et mon coeur saute de
plaisir.
Je n’ai point de details2 et vous prie de m’en faire passer un
exact par Mr Parmentier.
Quant aux officiers de Nassau, 3 soyez certain que nous
sommes hargneux comme les chevaux dont Le ratelier est vide.
Envoyez-nous des fonds et je vous réponds de leur tête Légère,
aussitôt que leur bourse deviendra pesante.
Vous connaissez mon tendre et respectueux dévoument.
1Voir
2Le
lettre 827.
nouveau capitaine du Fier Roderigue les fournira; voir lettre
826.
3Voir lettre 823.
857. De M. de Sartine
7 7bre 1779
274
CARON DE BEAUMARCHAIS
M. De Sartine remercie M. De Beaumarchais de la lettre qu’il
lui a écrite, et de celle qui y était jointe.1
Son vaisseau a rendu de bons services et ils ont eté agréables au
Roy.
Au reste les détails ont eté imprimés, M. De Beaumarchais
aura pu satisfaire sa curiosité, comme son zêle patriotique,
auquel M. de Sartine rend bien justice. Il lui renouvelle
l’assurance de tous ses sentimens./. ce 7 7bre 1779.
Cette lettre est jointe au “Mémoire au Roy” qui antidate le 17
janvier 1783.
1Voir la lettre précédente.
858. Au comte de Vergennes
S. E. Mr Le Comte de Vergennes
Copie
Paris ce 7. 7bRe 1779
Monsieur Le Comte
Je réunis ma joie a Lallégresse publique pour la prise de la
grenade et la Dispersion de la flotte de Biron.1
Je joins ici la copie de La Lettre que je reçois de Mr Le Cte
d’Estaing.2 Quoique J’aye perdu dans ce combat le plus brave, le
plus sage capitaine, et le plus excellent homme de mer; quoique
j’ignore ce qui resultera de tout cela pour mes affaires; je ressens
le plaisir vif d’un bon français de voir Le Commencement de
l’humiliation de l’orgueilleuse angleterre, et je sens une joie
d’enfant de ce qu’un vaisseau a moi qui ai tant été déchiré dans
les papiers anglais, ait pu contribuer pour sa part à leur enlever
la plus fertile de leurs iles du Golphe. Cela me guérit de toutes
mes pertes passées, et me console d’avance de toutes celles de
L’avenir.
CORRESPONDANCE
275
Vous connaissés L’inviolable et respectueux devoûment avec
lequel je suis
Monsieur Le Ct.e
de V: E: Le tres XA
Signé Caron de Beaumarchais
Voudrez vous bien communiquer cette Lettre à Mr Le Ct.e de
Maurepas? non pour son importance, mais parcequ’il veut bien
prendre intérêt à tout cequi m’arrive d’heureux. Je passe ma vie
à dire comme ce citoyen de Lacédémone.
O ma Patrie! Je te porte en mon coeur. /.
.
1Voir
2Voir
lettre 826.
lettre 827.
859. A M. Subito l’aîné
M. Subito l’ainé
8 7bre 1779
Je répons M. à votre lettre du 6 CT— je regrette le tems que
la maladresse de votre ageânt à paris vous a fait perdre. Mais je
n’ai pas encore des lettres de M. Letellier qui puisse fixer votre
juste irresolution. M. Letellier l’un des ler associés de l’entreprise
est chargé — lui seul par la Compagnie de l’execution totale, est
un homme dont la decision aura toujours le plus grand poids sur
la notre.
J’ignore donc sur quoi porte votre observation, quand vous me
dites que vous avés prévu cequi arriverait si l’on confiait l’achat
des papiers à des gens inhabiles en papeterie, et surtout en
divisant la confiance. Nous n’avons point divisé cette confiance. M.
Letellier l’un de nous, vous a ammené, vous a consulté
exclusivement, et il eut été bien mal adroit à lui de diviser notre
confiance, en consultant quelqu’autre, aprés vous avoir
accompagé, defrayé, avancé des fonds pour suppléér à votre
absence de chés vous, et causé cette depense de votre
276
CARON DE BEAUMARCHAIS
deplacement dont il supporte sa part, s’il eut du diviser notre
confiance commune et la partager entre un autre et vous, Mon
intention, cequi veut dire la notre n’est pas de forcer un second
deplacement s’il vous est à charge. Car sur la nature de vos
demandes, elles ont continué de Me paraitre exorbitantes, rien ne
m’etant parvenu depuis votre depart qui ait pu me faire changer
d’avis. Ne consultés donc, M. que vous-meme pour aller à Arches1
ou pour rester à Rouen. Si vous venés à paris, il est inutile que je
me donne d’avance des soins pour faire tenir prets les fonds
necessaires à votre voyage[.] C’est l’affaire d’une minute. Vous
voudrés bien me dire allors ceque vous entendés par procuration
relative à la reception des ustensils d’Arches &a et à la livraison
des 4 Moulins.
D’ailleurs je pense que M. Letellier qui est près de
Strasbourg ne vous laissera pas tout seul prendre une peine qu’il
est dejà prié par mes lettres, de vouloir bien partager avec vous.
J’envoye toujours en avance votre lettre à M. André.2 Mais dans
aucun cas mon avis n’etant d’abuser du tems, ni du loisir de
personne, si vos affaires devai[e]nt trop soufrir d’un second
deplacement, je ne me trouverai point offensé que vous changiés
d’avis à cet egard et n’en serai pas avec moins de considération &
C. Bxx
1Pendant
son voyage dans les Vosges, Subito (voir lettre 846) a
visité les principales usines de papeterie de la région et a proposé à
Beaumarchais d’en acheter une à Arches, deux à Archettes, et une
à Plombières; ce qu’il a fait.
2Jean-Nicolas André, commis de Le Tellier.
860. Au Roi
[11 septembre 1779]
Au Roy
remis à M. de Sartines
le 11 7bre 1779
CORRESPONDANCE
277
Sire
Je ne viens pas vous demander le prix de mes travaux. Vos
sages ministres savent que mon souverain bonheur seroit qu’ils
pussent être tous utiles a votre majesté.
Je ne demande point le prix de la campagne du fier Roderigue,
trop honoré qu’un vaisseau à moi ait merité l’eloge de l’amiral en
combattant en ligne dans une escadre conquerante.1
Mais Sire la guerre est un jeu de Rois qui écrase les
particuliers et les balaye comme la poussiere. Le fier Roderigue et
dix autres navires qu’il convoyoit étoient destinés à des
opérations de commerce également utiles à l’Etat sous une autre
forme.
La mort de mon premier capitaine, 35 hommes hors de
service; le délabrement de mon vaisseau l’un des plus maltraités
de l’escadre (ayant eu 38 boulets dans le flanc 4 à la flottaison,
dont 2 ont percé à jour, 5 dans les matures qui les ont trés
offensées, un dans la grande pompe qui l’a mise en pièces, 40
dans les voiles qui les ont criblées, et le reste dans les gréemens
qui les ont hachés), l’epuisement total de matelots ou l’on a mis
mes autres navires à leur arrivée au fort Royal pour compléter les
equipages de l’escadre. L’ordre donné au fier Roderigue de se
reparer, et de suivre les conquêtes. L’obligation ou je suis
d’envoyer de nouvelles instructions au nouveau chef de ma flotte,
et l’impossibilité que de plus de trois mois cette flotte
marchande, qui en a déjà perdu onze parte sous convoi du fier
Roderigue pour sa vraie destination. Tout cela Sire ruinant ma
campagne, dont les avances ont été énormes et jettant loin les
rentrées de fonds qui devraient être faites a présent, me force
d’implorer les bontés de votre majesté.
Que je ne périsse point, Sire, et je suis content. Le service que
je demande est de peu d’importance.
On me mande de la Grenade qu’on tire a vue sur moi 90 m
Livres pour des réparations urgentes du fier Roderigue.2 Sur plus
de 2 millions que j’ai avancé cette année à ma flotte il ne me
reste a payer que 100 m Ecus moitié le 25 de ce mois et moitié
au 10 8bRe Je supplie votre majesté de vouloir bien ordonner que
278
CARON DE BEAUMARCHAIS
cette modique somme de 400 mille Livres me soit prêtée pour
quelques mois seulement de son trésor Royal.3 M Le Comte de
Maurepas sait par l’expérience de ses bontés pour moi que je suis
fidèle à mes engagemens. A l’arrivée des fonds considérables que
j’attends de la Martinique, ou mes denrées ont été vendues, je
rembourserai au Trésor le capital et les intérêts.
Ce n’est qu’aprés qu’un calcul, inapreciable aujourdhuy, aura
mis sous les yeux des ministres mes pertes réeles, que
j’invoquerai la justice de votre majesté pour leur remboursement
mais c’est à titre de grace que je demande le prêt momentané de
400 mille Livres que le désordre de cette Campagne rend
indispensable pour empecher de périr un des plus fidels sujets de
votre majesté dont la perte entraineroit un découragement
général.
Signe Caron de Beaumarchais
1Voir
lettre 827.
chiffre donné par Lépine (lettre 826) était de 80,000 livres.
3Voir lettre 863.
2Le
861. A Serres de La Tour
[12 septembre 1779]
Au redacteur du courrier de lEurope
Voila plusieurs fois Monsieur qu’on me demande en votre
nom la relation de la prise de la Grenade et du combat de notre
escadre que j’ai recue du capitaine en second de mon vaisseau Le
fier Roderigue.
N’ayant point de raison de la dissimuler, quoiqu’il y en ait
une imprimée plus etendue, je la remèts a votre ami. Retranchés
en ce que vous jugerés a propos, surtout les choses qui se
rapportent a moi. Mais rien qui puisse amoindrir la haute
CORRESPONDANCE
279
opinion qu’elle donne de toute la conduite du général amiral
d’Estaing qu’on doit considérer sous trois aspects en cette
occasion signalée. Si j’y ai joint l’extrait d’une lettre de Mr Le Cte
de Brugnon chef d’escadre et commandant le Tonnant, c’est que
dans la lettre d’un homme recommandable et qui s’est fait porter
dans un fauteuil sur son pont pendant le combat étant malade il
y a des traits qui fixent absolument l’opinion qu’on doit avoir de
la victoire complette de notre escadre.
Si j’y ai joint aussi la lettre dont Mr Le Cte d’Estaing m’a
honoré c’est que rapprochée du grand détail des faits elle met le
sceau aux trois aspects sous lesquels on doit considérer ce
general amiral.
1° Comme le plus brave homme de son armée lorsqu’après
avoir bien combiné son plan d’attaque il donne l’assaut a cette
redoute qu’on croyait imprénable et saute le premier dans les
travaux en veste blanche et son cordon bleu dessus pour animer
ses soldats par un si fier exemple.
2° Comme le plus vigilant des hommes de mer lorsque
quittant sa conquête a l’instant qu’il vient de l’achever il saute a
son bord fait appareiller sa flote bat son nouvel adversaire et met
en fuite vingt un vaisseaux anglais avec quinze vaisseaux
français, les seuls qui eussent pu se former en ligne sous le vent
et à la vue de l’ennemi.
3° C’est comme le plus humain et le plus généreux des chefs
qu’il faut l’envisager; lorsqu’après la victoire, on le voit passer de
vaisseau en vaisseau s’assurer de l’état de chacun féliciter les
hommes sains, consoler les blessés et souffler dans tous les
coeurs la flame et le désir de retourner au combat sous un tel
général. Si je joins a ce détail la lettre dont Mr Le Cte d’Estaing
m’a honoré c’est qu’il n’est rien qui donne autant l’idée d’une ame
maitresse d’elle mesme et noblement délicate que de voir Mr Le
Cte d’Estaing au moment enivrant de ses triomphes reflechir
qu’une lettre de sa main me serait infiniment agreable a moi
particulier dont il avait pris le plus fort vaisseau et m’écrire que
ce vaisseau ayant eu lhonneur de combattre et le bonheur de se
distinguer en ligne avec l’escadre victorieuse de sa Majesté, il
s’occupe de mettre sous les yeux du ministre l’etat des graces
dont il croit que mes officiers sont susceptibles.
280
CARON DE BEAUMARCHAIS
Et les gens légers de mon paÿs sont étonnés qu’un pareil
homme ait des ennemis! Ils sont surpris qu’un amiral qu’un
general honoré du choix du Roi et de la confiance des ministres
qu’un amiral qui pendant une campagne de deux années les plus
laborieuses n’a pas découché de son bord a maintenu par les
soins vigilans par la grande discipline et l’extreme propreté toute
son escadre en bon état qui a contenu et comme enchainé
l’ennemi tant qu’il était le plus faible, et l’a battu sans perdre sa
conquête a l’instant qu’il a pu voler a ce double triomphe on est
surpris dis-je qu’un pareil homme ait des ennemis je le serais
bien plus qu’il n’en eut point on est étonné qu’il boive le calice de
sa célébrité. Je ne croirais presque pas qu’il mérite la sienne moi
qui connais les hommes, si je l’y voyais arriver sans cette
amertume on ne s’acharne pas contre les gens médiocres, on les
laisse en paix végéter et cette indifférence dédaigneuse de la
méchancété m’a toujours paru le plus sûr thermomètre de
l’infériorité d’un homme en place.
Au reste, Mr Le Cte d’Estaing doit peu s’embarrasser des cris
de la basse envie puisqu’il trouve mesme chez les ennemis du Roi
et de l’etat, lhonorable justice que ses ennemis personnels
s’obstinent a lui refuser.1
J’ai lhonneur d’etre avec la plus haute considération
Monsieur votre très humble et très obéissant serviteur,
Caron de Beaumarchais 2
Il y a deux versions de cette lettre; nous en donnons ici la
première; dans la note 2, celle qui a été publiée pour montrer
comment Beaumarchais a adouci sa pensée.
1Peu après cette lettre, une ronde apparaît louant d’Estaing et se
moquant de Byron sur l’air “Quand Biron voulut danser.” Elle fut
chantée et dansée à la cour et valut à Beaumarchais un signe de
tête du roi; voir Correspondance secrète, tome VIII, pp. 353-54, 361.
2Voici la lettre telle qu’elle a été publiée par le CE:
“Au Rédacteur du Courier de l’Europe.
Paris, ce 12 Septembre 1779.
Voilà plusieurs fois, Monsieur, qu’on me demande en
votre nom la relation de la prise de la Grenade & du combat
de notre Escadre, que j’ai reçue du capitaine en second de
mon vaisseau le Fier Roderigue. N’ayant point de raison de
CORRESPONDANCE
281
la dissimuler, quoiqu’il y en ait une imprimée plus etendue,
je la remets à votre ami. Retranchez-en ce que vous
voudrez, sur-tout les choses qui me concernent, mais rien
qui puisse amoindrir la haute opinion qu’elle donne de
toute la conduite du Général Amiral d’Estaing, qu’on doit
considérer sous trois aspects en cette occasion signalée.
1° Comme le plus brave homme de son armée,
lorsqu’après avoir bien combiné le plan de sa conquête, il
donne l’assaut à cette redoute qu’on croyait imprenable, &
saute le premier dans les travaux en veste blanche & son
cordon bleu dessus, pour animer ses soldats par un si fier
exemple.
2° Comme le plus vigilant des hommes de mer, lorsque
quittant la Grenade à l’instant qu’il vient de la conquérir, il
saute à son bord, fait appareiller sa flotte, bat son nouvel
adversaire, met en fuite vingt-un vaisseaux Anglois, après
en avoir désemparé sept avec 15 vaisseaux, les seuls de son
Escadre qui eussent pu se former en ligne sous le vent & à
la vue de l’ennemi.
3° C’est comme le plus humain & le plus généreux des
Chefs qu’il faut l’envisager, lorsqu’après la victoire, on le
voit passer de vaisseau en vaisseau, s’assurer de l’état de
chacun, féliciter les hommes sains, consoler les blessés, &
souffler dans tous les coeurs la flamme & le desir de
retourner au combat sous un tel Général.
Si je joins a ce détail la lettre dont M. le comte d’Estaing
m’a honoré, c’est que rien qui donne autant l’idée d’une
ame maîtresse d’elle-même & noblement délicate, que de
voir ce Général, au moment ennivrant de ses victoires,
réfléchir qu’une lettre de sa main me seroit infiniment
agréable, & m’écrire que mon plus fort vaisseau ayant eu
l’honneur de combattre & le bonheur de se signaler en
ligne avec l’Escadre victorieuse de Sa Majesté, il regrette
mon brave Capitaine tué dans ce combat, & s’occupe de
mettre sous les yeux du Ministre l’état des graces, dont il
croit que les Officiers restans sont susceptibles.
Enfin si l’on se rappelle que M le comte d’Estaing,
pendant une campagne de deux années les plus laborieuses,
n’a pas découché de son bord, a maintenu par des soins
continuels, par la plus grande discipline & l’extrême
propreté, toute son Escadre en bon état; ce qui suppose un
mérite, une vertu de tous les instants de la vie; si l’on se
rappelle qu’il a contenu & comme enchaîné l’ennemi tant
qu’il s’est trouvé le plus foible, & l’a battu sans perdre sa
282
CARON DE BEAUMARCHAIS
conquête à l’instant qu’il a pu voler à ce double triomphe;
sur-tout si l’on calcule qu’il est parti le 30 Juin de la
Martinique; que le 2 Juillet il étoit à la Grenade, que le 4
l’Ile appartenoit à la France, et que le 6 la flotte Anglaise
étoit en fuite et battue, on sera en état d’apprécier
dignement ce Général Français, à qui les ennemis mêmes
du Roi & de l’Etat sont forcés de rendre aujourd’hui
l’honorable justice qui lui est due à tant de titres.
J’ai l’honneur d’être, &c.
Monsieur,
Votre très-humble & trèsobéissant serviteur.
Signé, Caron de Beaumarchais.
P.S. Je vous envoie aussi l’extrait d’une lettre de M. le
Comte de Brugnon, Chef d’Escadre, & qui très malade, s’est
fait porter dans un fauteuil sur le pont de son vaisseau le
Tonnant, pendant le combat. Elle est attendrissante, & fixe
bien l’opinion qu’on doit avoir de la victoire de notre
Escadre.”
Ici on peut lire la lettre de l’amiral d’Estaing (voir lettre
827), des extraits de la lettre du capitaine Montaut (voir lettre
826) et de celle du comte de Brugnon que nous ne reproduisons
pas.
862. Au comte de Vergennes
Paris ce 14 7bre 1779
Monsieur le comte
J’ai l’honneur de vous envoyer une lettre que j’ecris au
redacteur du courrier de l’europe1 en cédant aux instances
réitérées qu’il m’a fait faire de lui envoyer ma relation recue de la
grenade et qui est plus rapidement historique que celle qui est
imprimée. En vérité Monsieur Le comte; il y a dans la moitié de
Paris, un acharnement si bète contre l’expédition et la personne
CORRESPONDANCE
283
de Mr D’Estaing que je n’ai pu m’empécher de faire a la fin de ma
lettre un raprochement de l’homme de mérite avec la basse envie
qui le poursuit dans tous les etats de la vie.
Mr Labbé aubert2 avec un pédantisme classique me fait dire
quil serait obligé d’arreter le courrier de l’europe si cet article y
etait ainsi inséré. Quelle sera donc la récompense des services et
des grandes actions si on ne peut pas mesme venger leurs
auteurs sur les méchants qui les déchirent? Nous n’avons que
trop besoin d’encouragement. lhomme mou qui ne fait rien, et
lhomme actif qui brule de bien faire, seront ils rangés dans la
mesme classe? ce papier est etranger on sait que j’aime la
personne de Mr Le Cte d’Estaing; Il vient de me faire une politesse
honorable, je saisis le moment de son triomphe pour le défendre
et je le fais avec force sans qu’aucun homme honèste ait droit ce
me semble de s’en offenser.
Je vous prie de retrancher vous mesme ceque vous trouvés
répréhensible dans larticle ou de me permettre de l’envoyer tel
quil est, si vous le trouvés bien.
Je suis avec le plus profond respect
Monsieur Le comte
Votre tres humble et tres obéissant
serviteur
Caron de
Beaumarchais
La louange aux belles actions et la punition aux mauvaises, est
toute la force d’un bon gouvernement
Mr Le Ct.e de Vergennes.
1Voir
la lettre précédente.
Aubert (1731-1814) était censeur royal et l’homme de
paille de Vergennes. Il était rédacteur aux Affiches de Paris, aux
Mémoires de Trévoux, et devint directeur de la Gazette de France. Il
avait comme ennemis acharnés Grimm, La Harpe et Marmontel.
2Jean-Louis
284
CARON DE BEAUMARCHAIS
863. De Micault d’Harvelay1
Lettre de M. d’Harvelay à Beaumarchais
15 7bRe 1779.
J’ai reçu ce matin, Monsieur, une Lettre de M. Le Cte De
Maurepas, par laqu’elle ce Ministre me prie de vous prêtter une
somme de quatre cent mil francs, pour vous aider, dit-il, à
subvenir aux premieres dépenses imprévuës que vous occasionne
Le combat de La Grenade, où votre Fier Rodrigue a très bien
servi.2
Quant à la rentrée de mes fonds, ce Ministre ajoute que le
retour de vos navires, vous mettra bientot en etat de connaitre
les pertes que la détention de votre vaisseau convoyeur, pour Le
service du Roi, cause à votre commerce maritime, et de présenter
au conseil le mémoire des indemnités qui vous sont dües par Sa
Majesté, ce qui donne toute L’assurance possible, à mon
remboursement.
Indépendament de mon respect pour ce qui peut être
agréable à M. Le Cte De Maurepas, je ne demande pas mieux, Mr,
que d’aider un citoyen, qui, comme vous, se montre dans tout ce
qui intérèsse La Patrie; mais je dois aussi vous observer qu’il me
serait impossible de détacher quatre cent mille liv. de mes
propres fonds sans autre terme de rentrée que celui du tems où
les indemnités qui vous sont si justement dües, pourront être
acquittées par le Roi. Vos vaisseaux peuvent tarder à rentrer,
L’examen de vos pertes et L’assignation de leur remboursement
peuvent entrainer des longueurs pendant lesquelles mes fonds
resteraient en souffrance, et il ne serait pas juste que payant
d’un coté L’intéret de cet argent, j’en fusse privé de l’autre. C’est
pourquoi je demande, M, que vous me donniez en plusieurs
billets de vous, le capital et l’intérèt de lad. somme pour un
terme fixe, comme pour un an par exemple sauf à renouveller, si
l’affaire de vos indemnités n’était pas terminée avec le
285
CORRESPONDANCE
gouvernement, et si alors les miennes me permettaient de vous
accorder un nouveau délay.
Dans le cas où cette offre vous conviendrait, M, vous pouvez
venir en toucher L’argent chez moi, Le jour qu’il vous plaira et
recevoir avec mon compliment sur le succès de votre marine
guerriere, L’assurance très sincere de la parfaite considération
avec Laquelle j’ay L’honneur d’etre
Mr votre Xa
Signé: Micault d’Harvelay./.
Cette lettre est jointe au “Mémoire au Roy” qui antidate le 18
janvier 1783.
1Joseph Micault d’Harvelay (?-1786), beau-frère de Jean-Joseph de
Laborde, banquier du roi, a été garde du Trésor Royal entre 1775
et 1785 après son oncle Pâris de Montmartel.
2Micault d’Harvelay a avancé les 400,000 livres mais comme prêt
personnel pour un an et renouvelé ensuite. Beaumarchais a payé
20,000 livres d’intérêt par an.
863bis. De M. de la Ferté
[21 septembre 1779]
M. De la ferté a l’honneur de faire mil complimens a Monseiur
de Beaumarchais et de lui envoyer l’etat exact de la Recette des
Comediens françois tant de la porte, que des petites loges
pendant les trois dernières anées./
ce 21. 7b.re 1779
Etat Général des Recettes de la Comédie française, tant faite à
la porte qu’a cause de labonement des petites loges pendant les
années 1776 à 1777, 1777 à 1778 et 1778 à 1779.
Scavoir.
286
CARON DE BEAUMARCHAIS
Année
Nombre des
Representations
par année
Recette
Journalière
par chaque
année
1776
à
1777
314
438380‹15˜.
Recette
des
petites
loges par
année
245100‹
Totaux
1777
à
1778
1778à
1779
342
515819
248400
764219
317
448706.15
255900
704606.15
973 Repo.n
1402906.10
749400£
2152306.10
683480‹15 ~
NA que l’année 1777 à 1778 est l’année de Comédie la plus
longue qu’il y ait eu dépuis longtems, et que dans cette année
L’Empereur et M. de Voltaire étoient a paris et on avoit la paix
P.S. --année 1779 à 80 1
1C’est-à-dire
255 900
2 500
258.400£
pour les cinq mois déjà passés de cette saison.
CORRESPONDANCE
287
864. De Silas Deane
Philadelphie 23 septembre 1779
Mon cher Monsieur
Je vous ai écrit plusieurs lettres, depuis mon arrivée en
Amérique, mais je n’ai eu l’honneur d’en recevoir aucune de vous,
ce que j’impute à votre incertitude sur le temps de mon départ de
ce pays. J’ai été retenu ici, en effet, beaucoup plus longtemps que
je ne le croyais, et j’ai été traité d’une manière à laquelle ni vous,
ni mes amis, ni aucun même de mes ennemis ne s’attendaient
nullement;1 mais je vous expliquerai cela plus en détail quand je
vous verrai. Je ne doute pas que l’Amérique ne finisse par
devenir plus équitable envers vous, ainsi qu’envers moi.
Mr de Francy est maintenant en Virginie à attendre l’arrivée
du fier Roderigue.2 C’est sur ce vaisseau que je projette
m’embarquer; et, en conséquence, je quitterai cette ville dans peu
de jours. Votre neveu3 part dans un jour ou deux pour Boston; je
vous écrirai sur lui, et c’est aussi à lui que je me réfère pour les
particularités de notre situation ici. J’ai rendu à Mr de Francy les
services qui étaient en mon pouvoir et j’aurais souhaité être en
état de lui en rendre de plus essentiels; mais si j’ai le bonheur
d’arriver sain et sauf, tout pourra encore être remis dans l’ordre
et justice sera faite; car je suis fâché de dire qu’elle ne l’a point
été commme la circonstance l’exigeait. Je vous souhaite mille
prospérités et vous assure que je suis toujours avec la
reconnaissance et l’attachement le plus respectueux, mon cher
Monsieur, votre etc.
Silas Deane
1Voir
2Le
tome IV, lettre 725 n. 4 et 5.
vaisseau arrivera dans la baie de Chesapeake le 19 novembre.
3Voir lettre 865.
288
CARON DE BEAUMARCHAIS
864bis. De Francy
York, 26 septembre 1779.
Monsieur
J’apprends à l’instant qu’un second bâtiment assez bien
armé part en compagnie de celui à bord duquel j’ai mis mes
lettres. Je m’empresse d’en profiter pour vous envoyer copie de
mon supplément à ma lettre du 24; n’ayant pas ici mon (sic)
copie de lettres je ne puis vous envoyer le double de tout ce que
contient le paquet qui vous sera remis à ce que j’espère par MR
Littlepage parent de MR Jay ministre plénipotentiaire à la cour
d’Espagne et qui passe sur la Mary Ferron bâtiment de 18
canons, marchant assez bien. Je mets cette lettre-ci à bord du
Livingston allant avec l’autre à Bordeaux. J’espère que vous le
recevez ensemble; le premier contient les 4mEs des 56 de change,
la lettre d’avis du congrès au DR Frankli, les resolvets qui ont
rapport à ces traites et le duplicata d’une très longue lettre de
moi du 6 octobre. Le très prompt départ de ce second bâtiment
ne me permet pas d’entrer ici dans aucun détail nouveau, je fais
travailler sans perdre un moment à réparer votre fier Rodrigue
pour le renvoyer de suite. J’espère qu’il partira vers le 1e.r de mars
sur (sic) ne survient aucun nouvel accident. La lettre que je viens
d’écrire à MR de Montieu et que je le prie de vous communiquer
vous instruira du mauvais état ou se trouvent toutes les
marchandises qui m’ont été adressées; outre les avaries qui sont
très considérables il y a des déficits considérables dans plusieurs
balles. Il n’y en a pour ainsi dire pas une dont les marques et
numéros soient conformes à la facture et en général les
marchandises sont de mauvaises qualité et mal choisies pour le
pays; je ferai un procès verbal le plus exact possible de toutes les
erreurs et avaries pour le faire passer à MR de Montieu et je vous
en enverrai copie. Plus j’y refléchis et plus je désire de vous
CORRESPONDANCE
289
entretenir, si je pouvais laisser ici quelqu’un qui pût diriger vos
affaires pendant 4 à 5 mois je m’exposerai volontiers au danger
et au désagrément d’une pénible traversée pour causer avec vous
et vous éclairer sur toutes vos affaires; je pourrais tirer d’un
pareil voyage le plus grand avantage pour moi, mais si je ne puis
le faire sans que les affaires dont je suis chargé en souffrent, je
serai obligé d’y renoncer; si j’étais près de vous je me chargerais
d’une expédition qui avec le moindre bonheur pourrait rendre un
bénéfice immense, j’en donne le plan à MR de Montieu, vous
verrez que l’execution est aussi aisé que le plan est sûr; la
nouvelle flotte que vous m’annoncez par votre lettre du 22 mai de
Bordeaux, et les détails qu’exige la vente des marchandises que
je viens de recevoir me retiendront probablement; je suis si
ennuyé de la vie que je mène ici, et j’ai tant d’impatience de vous
entretenir que j’aurai bien de la peine à me décider à ne pas
partir; quelque soit le parti que je prenne je vous prie d’être
persuadé que le bien de vos affaires sera dans tous les temps le
seul motif qui me dirigera.
Je vous prie d’assurer Mesdames vos soeurs de mon
respect ainsi que Mm.e W. j’ai eu l’honneur de la remercier de son
joli cadeau par MR Sarran, il ne m’est pas possible de lui écrire
aujourd’hui, je le ferai par le retour du fier..... faites je vous prie
mes compliments à notre ami MR Gudin, la lettre qu’il m’a écrite
m’a fait le plus grand plaisir, je lui répondrai par la première
occasion.
J’ai l’honneur d’être bien respectueusement
Monsieur,
Votre très humble
et très obéissant serviteur
Signé: de Francy.
290
CARON DE BEAUMARCHAIS
864ter. De Francy
York, 26 septembre 1779.
Duplicata par Le Livingston
la première par la Mary Ferron
Monseiur
Le vaisseau sur lequel se trouve ma lettre du 24 étant
arrêté par vent contraire au bas de la rivière, j’en profite pour
vous dire encore un mot et vous annoncer le retour en France de
MR Deane, il est ici pour passer sur le vaisseau Le Roi le Fendant
qui partira dans 15 jours ou trois semaines pour la Martinique
ou si quelques affaires qu’il à [a] terminer en Virginie ne le
laissent pas libre avant le départ de ce vaisseau, il partira sur le
fier Rodrigue, il a enfin quitté Philadelphie sans avoir rien fini
avec le congrès et il repasse en France pour y régler ses comptes;
avant son départ j’aurai soin de lui faire donner une attestation
qui me servira bien dans l’arrêté définitif de vos comptes avec le
congrès. Il doit régler en France avec tous ceux avec qui il a fait
des affaires de commerce, en conséquence il a le droit de régler
avec vous tant pour le prix des marchandises envoyées que pour
l’assurance et pour la commission, une fois la somme déterminée
ce sera mon affaire de presser pour être payé et je crois que
j’obtiendrai tout ce qui sera possible d’envoyer, si comme je
l’espère il vous est aisé de négocier les lettres de change que je
vous ai fait passer cela vous donnera les moyens d’attendre un
peu pour la balance si tous vos bâtiments fussent arrivés. Je
vous aurais remis en outre douze a quinze cents boucauts de
tabac que j’ai obtenu du congrès comme je vous l’ai annoncé
ailleurs, mais les quatre bâtiments qui sont ici porteront à peine
cette quantité, et il est juste que la majeure partie soit pour le
compte de l’armement comme j’ai beaucoup pressé pour obtenir le
tabac que j’ai enfin obtenu et que j’ai assuré que les vaisseaux
que j’attendais étaient expédiés exprès pour le charger, il est de
CORRESPONDANCE
291
toute nécessité que j’en charge partie, cela pourra peut-être
déplaire à MR de Montieu, il voudrait sans doute que toutes les
cargaisons en retour fussent de compte à demi, mais vous lui
ferez aisément entendre raison à ce que j’espère, voir la partie
qui sera à frêt et qui sera la moindre, il aura seulement la moitié
du frêt que l’on me paiera, je ne sais encore si ce sera le tiers ou
la moitié; j’ai écrit plusieurs fois à ce sujet au comité de commerce
depuis plus de dix mois je n’ai pas reçu de réponse, vous pouvez
être bien assuré que je ferai les conditions les plus avantageuses
possible.
J’ai reçu pour le fier Rodrigue vos observations sur mon
contrat ainsi que votre lettre au président et la copie de celle que
vous avez écrite à MR de Passy, je ferai usage de tous ces papiers
dans un moment favorable. Aujourd’hui les affaires sont, vû les
gens à qui j’ai affaire, au mieux possible, il n’est plus question
que de fixer le montant total de la lettre et de faire ratifier par le
congrès l’arrêté de compte que vous ferez avec MR Deane, jusque
là il n’y a aucune nouvelle proposition à faire, si vous voulez
continuer à bien servir l’Amérique, vous le pouvez très aisément
en faisant des expéditions sans les adresser au congrès, elles
vous tourneront beaucoup plus à compte et vous serez moins
exposé à toutes les difficultés et à toute l’ingratitude que vous
avez éprouvées. Il y a dans votre lettre au président une
proposition qui me fait craindre que vous n’ayez pas bien refléchi
sur l’état de la question pour ce qui regarde les assurances, vous
demandez que vos marchandises vous soient payées ou à prix de
facture avec les frais, faux frais &A. et une commission honnête, ou
qu’on vous paye au prix courant des marchandises lors de leur
arrivée sur le continent et les assurances; faites attention je vous
prie que c’est dans le premier cas que les assurances dovient
vous être payées, et non dans le second parce que si l’on vous
donnait pour vos marchandises le prix qu’elles valaient au
moment de leur arrivée sur le continent, il est clair qu’on vous
aurait tout payé, c’est à vous à vendre en raison des assurances
faciles; au contraire dans le premier cas lorsqu’on vous paye son
prix de facture on vous doit autre tous les frais et faux frais les
assurances et la commission, c’est cette méthode que le congrès
a adapté pour payer et je l’ai adapté moi même parce que si le
bénéfice est moindre du moins il est sûr et d’ailleurs tous les
retours se font aux risques du congrès au lieu qu’en vous payant
292
CARON DE BEAUMARCHAIS
au prix courant vous seriez obligé de recevoir ce payement ici et
alors les retours se feraient à vos risques; je ne sais si je
m’explique clairement, c’est pour bien raisonner à fonds sur
toutes ces affaires que j’aurais désiré aller vous voir cet hiver, je
n’en vois pas la possibilité, mais je vous écrirai à ce sujet fort au
long par MR Deane, j’espère que vous approuverez le parti que je
prends de ne rien proposer au congrès jusqu’à ce que j’aie reçu
réponse à cette lettre-ci et copie de votre arrêté de compte avec MR
Deane.
Comme MR de Montieu parait seul dans cette expédition-ci
c’est à lui à qui j’adresse tous les détails qui y ont rapport, le
priant de vous les communiquer; je remettrai à MR Roubeau qui
est arrivé en bonne santé des marchandises pour 40000‹ Sa lettre
de crédit sur moi signée par MR de Montieu ne porte que cette
somme; je remettrai à MR Giroux des marchandises sur prix de
facture pour le montant de ses appointements, je vous prie d’en
prévenir MR de Montieu.
Si vous voyez MR Gérard je vous prie de l’assurer de mon
respect et de lui dire que j’aurai l’honneur de lui écrire par le fier
Rodrigue, je lui dois quelques petits objets qu’il m’a cédé en
partant et que je n’ai pu lui rembourser parce qu’il n’en avait pas
le compte, je vous serai bien obligé de m’acquitter s’il vous en
parle, je lui renverrai par MR de Vitry qui compte partir sur le
Rodrigue son habit, l’on m’a écrit de plusieurs endroits que son
successeur ne paraissait pas bien disposé pour vous,
heureusement vos affaires sont dans un train à ne plus de douter
de nouvelles difficultés, il parait que ce nouveau ministre a procuré
du crédit en France au congrès, j’ai appris hier qu’il allait tirer sur
Paris pour deux cent mille louis cela donnera de la valeur à vos
lettres de change.
Vous me dites que vos cargaisons ont été formées sur l’état
que je vous ai fait passer tous les principaux articles sont oubliés
et ceux pour lesquels ont (sic) s’est décidé sont en trop grande
quantité, néanmoins j’espère en tirer un bon parti si je ne suis
pas traversé par les Anglais de la visite desquels nous sommes
tous les jours menacés.
Je vous prie de me croire avec le plus entier dévouement,
Monsieur,
Votre très humble et très obéissant serviteur.
Signé: de Francy.
CORRESPONDANCE
293
865. De Silas Deane
Philadelphia Septr 28th 1779
My Dear Sir,
I wrote you by Mons Gerard 1 and now have the pleasure of
directing this to you, by Mr Jay,2 our minister plenipotentiary for
the Court of Madrid, who by his appointment, superseeds the
former commissr to that court, by which Mr Lee becomes wholly
out of place, an event not more agreeable either to you or to me,
than to the people at large in America. You will embrace the new
minister Mr Jay with pleasure, & be assured, he is a gentleman
of great abilities, probity, & firmness, and of enlarged and
generous views, in a word, one who I am confident will be every
way agreeable to you, as I know you will be to him. He has long
been my intimate friend, but no one that knows him, at all, will
accuse me of partiality, and he needs not the advantage, which
the striking contrast between him & his predecessor gives him, to
recommend him to you and to our good friends abroad. The
arrival of the Count d’Estaing at Georgia3 gives me hopes that
the fier Roderigue is before this in Virginia, if so I shall try to
obtain a passage on her.4 Never was I so impatient for any thing,
as for my return to France and to have the pleasure of embracing
you in Paris. I have the honor to be with the most sincere
friendship & attachment my dr sir
your most obedient & very humle servt
Silas Deane
M. de Beaumarchais
294
CARON DE BEAUMARCHAIS
1Gérard
et John Jay ont quitté l’Amérique sur le vaisseau The
Confederacy le 18 octobre. Le bâtiment s’étant arrêté à Saint
Pierre de la Martinique pour des réparations, Gérard et Jay sont
repartis sur L’Aurore et sont arrivés à Cadix vers le 22 janvier
1780.
2Le 27 septembre, on a donné à Jay la mission de négotier un
traité avec l’Espagne; au cours de ses deux années dans ce pays il
n’a réussi qu’à avoir un prêt de $170,000 et la continuation de
l’envoi secret des fournitures de guerre.
3Voir lettre 902 n. 3.
4Le Fier Rodrigue partira de Yorktown le 14 juin 1780 avec Francy,
Deane et Des Epiniers à bord; il arrivera à Royan à l’embouchure
de la Gironde le 25 juillet 1780; DP, IV, p. 175.
866. De Sedaine1
[5 octobre 1779]
Je suis, mon cher Collegue, depuis un mois en Sollogne,
jhabite un chateau ou on n’apprend les nouvelles que par le
Courier de l’europe, et les pieces qu’on donnera que par le journal
de Paris, et 8 jours apres toute la France; je n’ai lû qu’hier ce qui
vous regarde dans le premier de ces journaux votre article2 m’a
touché aux larmes, et je vous en fais mon tres sincere
compliment. Qu’auroit dit votre respectable Mr du Vernei?3 S’il
avoit lû cet article, combien il se seroit applaudi de vous avoir
choisy pour amy. Si j’étois Le Comte De la Blache4 je saisirois cet
instant pour vous feliciter et vous demander pardon de tous mes
torts, mais il est, je crois, aussi loin de le faire que votre amy de
ressusciter.
Cette affaire qui ne peut augmenter mon estime pour vous ne
peut qu’accroitre votre considération, faites la servir je vous prie a
l’accomplissement de notre entreprise,5 mais je vous l’ai toujours
dit ils nous echapperont, ils gouvernent le vent, nous les
battrons, ou pour mieux dire, vous les batterés, —vous les
desemparerés et ils se retireront chez eux pour recommencer, il
CORRESPONDANCE
295
vous sera plus aisé de battre les ennemis de l’etat que ceux de la
litterature.
Adieu, mon cher Collegue, portez vous bien, buvez frais et
soyez bien persuadé que quelque chose qui vous arrive mes
tendres et respectueux sentimens ne peuvent augmenter pour
vous./.
Bien mes respects a votre compagne6 et mes complimens a
votre ami, mon cher confrere7
Ce 5e Octobre, 1779
.
1Michel-Jean
Sedaine
(1719-1797)
auteur
dramatique
et
collaborateur de Beaumarchais à la fondation de la Société des
Auteurs Dramatiques; voir les tomes II, III et IV.
2Voir lettre 861 n. 1.
3Pâris-Duverney; voir tome I, lettre 22 n. 1.
4Voir tome I, lettres 189 n. 2, 194 n. 1, 202 n. 1, etc.
5La fondation de la Société des Auteurs Dramatiques.
6Thérèse de Willermawlaz; voir tome IV, lettre 636 n. 8.
7Gudin de la Brenellerie; voir tome II, lettre 224 note 1.
867. De Francy
Paris Caron de Beaumarchais
Wmbg le 6 8bre 1779
Apres avoir été privé pendant quinze mois de vos nouvelles
j’ay enfin reçu dans le courant d’aoust dernier le duplicata de
votre lettre du 5 mars 1 qui m’a ette envoyé de Philadelphie par
MR Holker; je m’etois tellement accoutumé à l’idée flateuse de
vous voir arriver dans ce pays ci pour remplacer MR Gerard, votre
silence m’avoit tellement confirmé dans cette opinion que j’ai etté
desespéré en me voyant frustré dans mon attente: votre presence
eut été bien nésesaire ici pour vos interets & sur tout pour ceux
de la france, mais notre monde ne resemble pas à celui de
Candide, on n’y fait pas tout pour le mieux privé donc pour un
296
CARON DE BEAUMARCHAIS
terme plus long du plaisir inexprimable de vous entretenir de vive
voix, il faut que j’y suplée par ecrit, mais que cela est different!
mille choses échappent dans une lettre, il est impossible dans
des affaires aussi importantes que celles que je fais pour vous
dont les moindres details doivent vous intéresser, que je puisse
vous satisfaire sur tout, d’autant moins que je n’ose pas toujours
dire tout ce que je voudrois; jamais je n’ai autant déssiré que je
le fais aujourdhui de pouvoir causer avec vous pendant quelques
heures; en atendant cette douce jouissance, je vais répondre en
detail à trois de vos lettres que j’ay reçues succesivement depuis
un mois la 1re du 5 mars la 2de du 3 avril2 & la 3me des 8 & 22
may3 dattée de Bordeaux; depuis le 17 may 1778 je n’ai pas un
mot de vous4 jusqu’au 5 mars 1779 vous vous référez dans votre
lettre sous cette derniere date à vos précédantes, si elles ne sont
pas à bord du fier Rodrigue et quelles contiennent quelques
instructions intéressantes je vous prie de m’en faire passer copie
ne les ayant jamais reçues.
vous allés sans doute etre bien etonné d’aprendre que vos
batiments ne sont pas encore arrivés, vous avez été bien mal
conseillé lorsque vous aves pris le parti de les atacher au convoy,
c’est une expedition qui ne peut manquer de mal tourner pour
tous les interresés; ou du moins ils seront privés par ce retard de
tout l’avantage qu’ils pouvaient s’en prometre. vous aurez apris
depuis long tems qu’a son arrive a la martinique, le CapE
Montaut reçut ordre de MR Le Ct.e Destaing de le suivre, je ne puis
mempecher de croire que si ce CapE eut eû réellement à cour les
interets de ses armateurs il aurait pû éviter une pareille corvée,5
MR Le Cte D’Estaing est trop juste et il est trop votre ami pour
avoir voulu vous ruiner mais lambition de votre CapE le fit tres
aisement ceder aux ordres quil reçut;6 il en a été la 1eRe victime,
vous savez sans doute qu’il a glorieusement sucombé dans le
combat et votre batiment a considérablement souffert; ce neut été
qu’un petit mal si ce vaisseau revenant à la martinique y eut
chargé les marchandises qu’il avoit debarquées en allant à la
Grenade eut completté sa cargaison du produit des isles & fut
venu à sa destination avec les autres batiments sous son convoy;
mais après langagement MR le Cte D’Estaing se rendit à bord il
promit des croix de St Louis, des brevets d’officier du Roy, des
CORRESPONDANCE
297
gratifications &a & je crois que le nouveau CapE n’a jamais eu la
force de faire la moindre représentation depuis de peur de
déplaire ce n’est qu’un soupçon de ma part; vous aprofondirez
aisément quelque jour s’il est bien fondé; dans tous les cas vos
interêts se trouvent sacrifiés ou à un abus d’autorité
insoutenable, ou à une ambition bien répréhensible. après la
prise de la grenade & le combat naval, le Ct.e revint à la
martinique, mais il y resta si peu de tems que vos vaisseaux
furent obligés d’en partir dans le plus grand désordre sans
prendre leur cargaison & sans avoir dispossé des provisions qu’ils
avoient aportées de france pour vendre, ils firent voillé avec toute
la flotte pour le Cap, où il y avoit tout à espérer que la corvée
finirait, & en conséquence MR De Casse chargé de la vente de
quelques objets prit un magazin pour disposser des marchs qu’il
avoit ordre de vendre aux isles, mais l’ordre vint d’être prèt à
faire voille sous 4 jours, & les batimens repartirent avec le Cte;
tout restant au Cap dans le plus grand desordre aussi à ce que
l’on ma assuré; il partirent de ce dernier port le 16 aoust, ils
débouquerent le 22 & jusquà ce jour je n’en ai pas entendu
parler; seulement le plus petit de tous le bonhomme Richard
d’environ 60 à 70 tonneaux, ayant perdu le convoy pendant la
nuit du 22 au 23 d’aout est arrivé à York le 15 7bre sur son lest &
20 boucauds de rum; le CapE m’a dit n’avoir pas eû le tems de
prendre son chargement & que vos autres batiments sont dans le
meme cas; le Conte D’Estaing, ajoute t’il, s’est chargé de tous les
evennemens mais certainement il est impossible de vous
indemniser de la perte que vous faites, malgre le chagrin que j’ay
de vous anoncer d’aussi mauvaises nouvelles, j’ay profité de la
premiere occasion pour vous faire part de la manière dont vous
ettes traitté, afin que vous solicitiez de bonne heure l’indemnité
qui vous est due7 elle est presque inapréciable car outre les
retards des expéditions & ce qu’a soufert le vaisseau dans le
combat ausi bien que dans un voyage qui durera probablement
un an, vous avez perdu l’occasion de faire la plus belle croisiere
possible, mon projet etoit au cas que ces batimens fussent
arrivés sur la fin de juillet de les faire décharger le plus
promptement possible & d’envoyer le fier Rodrigue & 2 autres
batiments en station devant new York il n’y avoit pas alors sur
298
CARON DE BEAUMARCHAIS
toute la côte un batiment ennemy de la meme force et il auroit
pris tout ce qu’il auroit vû; deux frégates ameriquaines ont fait
plus de 20 prisses tres riches dans le même tems, comme il n’y
aurait pas eu le moindre risque à courrir j’aurais pris cela sur
moi, bien persuadé quil n’en auroit pu résulter qu’un tres grand
avantage qu’il m’eut été agreable alors de vous ramener mois
meme une flotte entierre chargée de riches productions, j’etais
presqu’assuré du succès le plus brillant & je ne soufrirai jamais
autant que je fais depuis 2 mois & demy de voir manquer une
aussi belle occasion de réparer toutes vos pertes & tous les
retards qu’on vous a fait éprouver, deux millions, non deux
millions ne seraient pas une indemnité suffisante; j’ay confié tous
mes regrèts & toutes mes plaintes à MR Gerard à ce sujet il sera
sans doute arrivé avant que cette lettre ne vous parvienne, voyés
le il m’a comblé d’honêtettés dans les derniers moments de son
sejour dans ce pays ci; & il m’a honoré de beaucoup de confiance
je le crois tres ataché à vos interets certainement il vous donnera
de bons conseils, il est porteur d’une lettre pour vous écrite de
Philadelphie au moment de mon départ.8 je vous envoye ci joint
la notte des pieces renfermées dans le pacquet dont il a bien
voulu se charger; je remis aussi le même jour un pacquet à MR
Vitry son sécrétaire9 contenant des copies de mes lettres depuis le
10 novbRe 1778 jusqu’au 27 avril 1779. je ne vous envoye pas des
duplicatas des lettres que je vous ay ecrit alors parceque je
compte beaucoup sur l’arrivée de MR Gerard & sur la promesse
que lui & son sécrétaire m’ont faite de ne remetre les paquets
qu’ils ont qu’à vous même, j’espere que celui ci vous parviendra
ausi tres surement
je le remet à MR Smith agent de la Virginie qui va en france &
en Holande pour y etablir des correspondances & essayer d’y faire
un emprunt, il m’a paru très empressé de faire votre
connoissance & je prens la liberté de vous le recommander. c’est
un très aimable homme de qui j’ay reçu beaucoup de politesses
dans ce pays ci, je vous serai infiniment obligé de vouloir bien
m’aquiter; il pourra même vous donner des notions tres utilles
rélativement au commerce de cet etat & a ses ressources. il est
bon négotiant lui même surtout pour la partie des tabacs; je vous
invite à causer avec lui; il est parent du sénateur de ce nom10
CORRESPONDANCE
299
dont je vous ai fait passer la lettre sous le NO 9 dans le pacquet
que vous porte Mr Gerard. ce sénateur est sans exception l’ami le
plus zélé pour vos interet & le plus constant que vous ayez eû
dans ce pays ci
vous trouverez cy joint les troisiemes des 56 de change dont MR
Gerard vous a remis les secondes pour la somme de 2.832.000£...
savoir 2.400.000 à compte de ce qui vous est dû payable dans 3 ans
& 432,000£ payable anuellement, vous serez convaincu quil
m’étoit imposible de faire mieux lorsque vous saurez de quel
nature étoient les difficultés que j’ay eû à surmonter, je vous
remetrai en outre par les batimens que j’attens envirron 1500
boucauds de tabac à compte de ce qui vous est dû par les etat unis,
savoir 500 ou 550 à bord du batiment qu’on me donne le choix &
1000 envirron sur vos propres batiments sous la déduction du fait
qu’on ne veut me payer qu’au
1
3 pour les deux autres tiers; c’est une nouvelle injustice contre
laquelle il n’y a peut être pas de remède car on ne demanderoit
probablement pas mieux que je fisse des difficultées sur les
conditions de frèt à fin de ne me rien donner mais je prendrai
toujours, après quoy il est probable que j’aurai à traiter avec des
gens qui ne seront pas si injustes; vous avez bien raison de dire
que de tous cottés vous n’avez essuyé que de l’ingratitude & des
horreurs de la part de l’amérique, je commence cepandant à
esperer qu’a lavenir vous aurez lieu d’etre plus contant de ce pays
ci. je vais maintenant répondre à vos trois lettres.
Je dois commencer par vous témoigner toute ma
recconnoisance des démarches que vous avez pris la peine de
faire pour m’obtenir un brevet de CapE d’infanterie,11 le plaisir
que m’a fait cette nouvelle a eû pour principale cause la manière
infiniment obligte avec laquelle vous avez solicité cette comission
pour moi, au moment auquel je m’y attendois le moins; je vous
étais deja si entierement ataché avant ce moment là que ce
service ne peut augmenter en moi ce sentiment; toutes mes
facultés vous etoient absolument devouée, je ne puis y ajouter
militairement que l’offre de mon bras, disposés en dans tous les
tems, je vous assure qu’il n’y a rien que je ne me sente tres
dispossé à faire pour vous donner toutes les preuves possibles de
300
CARON DE BEAUMARCHAIS
latachement inviolable que j’aurai toute ma vie pour vous,
j’espère vous en bien convaincre quelque jour.
J’ai lu avec bien de l’emotion tout ce que vous me dites au
sujet du Sr Chevallie, cet homme vous a fait un tort irréparable &
je suis bien afligé pour vous qu’il ait eû le dessus dans l’arbitrage
mais oubliez le à jamais, peut êttre serai je assez heureux pour
réparrer une partie de la perte qu’il vous a fait essuyer; vous avez
vû par le contract du dit SR avec l’état de la Virginie que vos
marchS etoient payables par 2.000 boucauds de tabac & la
balance en papier monnoye portant interet & 6 p% par an;
l’impossibilité de faire des retours, le haut prix auquel le tabac
montat tout de suite apres l’arrivée du fier Rodrigue (prix que je
n’aurais pas pû payer sans courrir les risques d’une perte
certaine sur les retours de cette cargaison). les risques
considérables qu’il y a à courir soit des incursions des ennemis,
ou de mille autres accidents en ayant une quantitté considérable
de cette production en magazin, toutes ces raisons
m’empêcherent de vous achetter du tabac avec la balance qui
vous étoit due & par levênement j’ay on ne peut mieux fait. au
mois de mai dernier les anglois firent une incursion dans laquelle
ils detruisirent plusieurs magazins à tabac & c’était précisément
à l’endroit ou se seroit trouvé les votres si j’en avois eu d’achettés,
vous n’avez heureusement rien perdu dans tout le pillage qu’ils ont
fait, parcequ’ayant toujours evité comme je vous l’ai dit dans mes
précédantes de repondre aux injunctions réiterées qu’on me fit peu
de tems après le départ du vaisseau de prendre livraison de vos
tabacs, je vous ay sauvé une perte considérable. environ 6 à 700
boucauds de ceux qu’on me destinoit alors ont étté pris ou détruit
dans la derniere invasion. à mon retour ici de philadelphie on s’est
beaucoup plaint de ce que j’avais laissé ces tabac [sic] aux risques
de letat, veu que le contrat stipuloit qu’on prendroit livraison du
tout sous 60 jours; mais j’ai crié le plus haut, j’ay fait les plaintes
les plus amères sur l’injustice qu’on avoit eu de vouloir me payer
avec des tabacs pourris & j’ay donné cela pour raisson de mon
refus de prendre livraison lorsque l’injunction m’en fut faite: ainsi
leur injustice a tourné contre eux dans cette occasion ci j’ay ensuite
demandé que des ordres fussent donnés pour que tout ce qui me
restoit dû fut réinspecté
CORRESPONDANCE
301
& pezé & qu’on reprit le tabac pourri qu’on m’avoit livré l’année
passée & j’ay encore obtenu ce point infiniment important; mais
je ne les tiens pas encore quite, je prépare dans ce moment ci un
mémoire pour l’assemblée générale à fin de pouvoir revenir sur le
marché fait par Chevallie: ou obtenir du moins une indemnité
pour le discrédit du papier, je rappelle toutes les difficultés & les
injustices qui me furent faites alors, je prouve qu’on profitât de
linexperiance & de la betisse du SR Chevallié pour obtenir les
marchS à moitié de leur valeur, je fais voir qu’au moment de la
vente vous ne pouviez que perdre & courrir les risques d’être en
débour[s] de vos avances plusieurs année[s]. j’observe que l’etat a
joui du bon prix de vos marchs & du benefice quelle vous auroit
données puis qu’une très grande partie de cette cargaison fut
revendue par l’agent au double du prix qu’on avoit payé qu’en un
mot tous les avantages ont été de leur cotté, que tous les risques
sont du votre, & que vous perdries immensement s’il[s] vous
payaient aujourd’hui la meme somme nominale que celle que je
laissai au trésor l’année derniere; je fais voir que puisqu’ils ont
eû la jouissance de cet argent il est juste qu’ils en suportent le
4
discrédit qui est de 5 de la valeur de l’année derniere. vous
perdriez au moins 70 p% sur cet objet là si je nobtenais pas
l’indemnité que je solicite, ce que cependant la loi autorise l’etat
à me refusser; on vous doit 532,678 piastres ou dollars on vous
doit en outre linteret pour 15 mois qui est de 40.400 environ;
mais avec une somme ausi considérable en apparence je ne vous
remetrai presque rien si je l’employais en achat de tabac vous en
pourrez juger vous meme en calculant le tabac a 67 piastres le
quintal prix courant avec aparence d’augmentation, si je
n’obtenais pas l’indemnité que je solicite, il n’y auroit d’autres
moyens pour vous de vous sauver d’une perte immense dans cette
affaire qu’en laissent ce qui vous est dû avec les intérêts dans le
trésor de la virginie le papier apréciera à coup sur. du moins il ne
peut pas être plus discrédité & désormais vous ne pourrez que
gagner à attendre, ce que je demande dans mon mémoire est
1
qu’on me livre du tabac à 13 dollars 3 prix courrant lors du
contrat & qu’on m’en livre à mesure que j’en aurai besoin: je n’ose
me flatter de réusir parceque j’ay affaire à des gens qui non[t]
aucune notion de générosité, heureusement je n’ay pas besoin de
302
CARON DE BEAUMARCHAIS
toucher à ces fonds pour expédier vos batiments, j’ay de quoy
charger la 1r.e divission & si la seconde que vous m’annonciés
dans votre lettre du 22 may arrive après la 1re du produit des
marchands de cette 1re j’acheterai du tabac pour charger la
seconde; si toutefois ces batiments m’aportent des cargaisons ce
dont je doute d’aprés l’arrivée du bon homme richard avec vingt
boucaud de rum n’y aurait t’il pas moyen de négotier en france du
papier de la Virginie, c’est l’etat le plus riche de l’union & à la
paix son papier sera très bon je ne vous parle de cela qu’au cas
que vous fussiez pressé pour des fonds & que vous trouviez
quelqu’un qui voulut accepter des traittes sur le trésorier de l’etat
de la Virginie, pour nantissement ou pour payement; vous avez le
droit de tirer pour la somme ci desus car cest en votre nom que
jay fait faire le reçu au gourverneur lors de larreté des comptes. si
vous avies quelque projet de devenir un puisant terrier dans ce
pays ci, on dispose actuellement des terres sur l’ohio il y a
environs 50.000.000 dacres à vendre elles coutent dans ce
moment ci 167 dollars les 100 acres. cela n’est certainement pas
cher veû la dépréciation actuelle du papier. mais ce ne serait pas
les acquereurs qui pouraient en jouir il n’est pas impossible qu’on
pense à defricher ces terres avant que la population ait au moins
triplé; tout le monde néanmoins achette parceque cest une
richesse réelle, si vous avies quelque envie d’en avoir il seroit
toujours tems; comme cela ne me paroit pas avantageux pour
ceux qui n’ont aucun projet de migration je ne prendrai pas sur
moi de rien acheter pr v/ct.e
Les marchandisses qu j’avois retirées des mains de lagent de
l’etat le jour de mon arrivé a Wmbg & qui etoient les reserves faites
par Chevallie au moment de sa vente generale, furent envoyés
par moi à Richmond & a Baltimore comme je vous le marquais
avant mon depart de Wmburg pr Philade au mois 8bre 1778. je ne
suis pas etonné que le SR Chevallié ait pretendu quelle ne
seraient pas mieux vendues que celles dont il avoit dispossé
puisque si je fusse arrivé un jour plus tard, l’etat avait ces
réserves au même prix que le reste de la cargaison, elles étaient
déjà livrées mais il n’y avoit point d’écrit passé & je men
emparai. après le départ du batiment, je les expediai pour deux
differens endroits parceque tout se vendait mal à Wmbg depuis le
CORRESPONDANCE
303
marché du SR Chevallié & je quittai la Virginie pour aller suivre
vos affaires auprès du congrès; comme j’atendais le fier Rodrigue
au plus tard en janvier, je pressai beaucoup ceux que je chargeai
de la vente de ces marchandisses de s’en déffaire le plus tot
possible ce qui a étté cause qu’elles n’ont pas à beaucoup près
rendu ce qu’elles auraient fait si j’avais pû soupçonner que lhyver
se fut passé sans que j’en euse reçu d’autres, je me serais bien
gardé de presser la vente de ces objets, qui à la fin de lhyver
aurait produit le prix qu’on avoit voulu: tout etant devenu
exesivement rare néanmoins quoy qu’elles fussent vendues peu
de tems apres le depart du batiment dans un tems ou plusieurs
autres cargaisons furent donnés à tres bas prix en conséquence
du marché fait par Chevallier elles ont produit environ le double
de celui auquel chevalié me les avoit passé. malgré que ces
réserves fussent les articles de plus mauvaise défaite dans toute
la cargaisson comme je vous l’ai observé alieurs; je vous enverrai
le compte de vente par le retour de vos batiments; jugez d’après
cela si au moment de larrivée de votre vaisseau dans un tems où
tout manquait, il n’eut pas été très aisé de doubler au moins le
produit de la vente faite. rien ne peut excuser le SR Chevallie & je
suis etonné que les arbitres lui ayent aloué sa commission; il
gagnera le plus à coup sur dans cette opération. j’espère au
moins que vous n’aurez pas été condamné à la payer de suite &
quil ne la touchera que sur les retour à mesure quils arriveront; les
revolutions que se sont faites ici dans le commerce tant dans les
prix des marchandisses que des produtions ont étté si subites & si
peu attendues lhyver dernier, qu’il ne ma pas étté possible
demployer à achetter du tabac. le produit des réseves à mesure
qu’elles se vendoient de 80. sheling cette production étoit tout à
coup montée à 140/ sans aucune espece de raison & sans que les
marchands importées ayent augmenté en proportion; tout le
monde était d’avis pour lors que cela ne pouvoit durrer & en
conséquence je me determinai à attendre que le prix fut diminué
avant d’achetter; mais en janvier le Congrès voulant rétablir le
crédit de leur papier, employa un moyen qui produisit leffet
contraire & depuis ce moment tout a été boulverssé, il fut resolu
que le tiers à peu pres du papier alors en circulation nauroit pas
cours pendant six mois au bout dequel terme il serait remboursé;
304
CARON DE BEAUMARCHAIS
cette résolution allarma tout le peuple, cela lui fit apercevoir le
peu de solidité de ce papier, puisquil dependait de quelques
individus d’en arrêter le cour & de ce moment, la confiance fut
perdue, ce qui restoit en circulation tomba dans le plus grand
discredit. il a fallu en conséquence en fabriquer de nouveau & en
bien plus grande quantité qu’on avoit coutume pour subvenir aux
besoins de l’armée & aux dépences publiques & en un instant
toutes les marchandisses & toutes les production ont doublé &
trîple avec la plus etonnante rapidité; je vous ai fait part dans
toutes mes lettres des revolutions succesives qui sont arrivées
dans la valeur de ce papier, jespere enfin que ce discrédit est
arrêté, il etoit bien tems, on commencait a donner 25 Dollars en
papier pr un en argent & il y avoit des gens qui demandoit 30 pr
un. enfin le peuple s’est aperçu que c’etoit lui meme quil trompait
en décréditant ce papier, que le jour qu’il n’auroit aucune valeur il
se trouveroit ruiné & on a commencé à prendre des mesures pour
arrêter ce mal qui est presque sans remede; malheureusement
vos marchands étoient à peu près toutes vendues lorsque cette
révolution a commencé & largent ne se trouvait pas employé pour
les raisons ci dessus et parceque j’etais fort eloigné des
personnnes qui avaient vendu. ainsi le produit me reste dans ce
moment ci entre mains; comme le desordre actuelle ne peut pas
durer long tems, jatendrai pour en faire des retours. d’aillieurs il
me faudra beaucoup dargent pour payer ces dépenses de relache
que feront les batiments que j’attens, et j’emploirai celui là; il est
toujours très heureux que j’aye retiré ces marchands des mains de
l’agent de la virginie j’aurais eté sans cela obligé de prendre des
fonds au tressor, qu’on maurait compté au meme taux où largent
était lorsqu’il y fut mis au lieu qu’actuellemt je puis vous expedier
tous vos batiments & subvenir à toutes les depences que cela
pourra m’occasioner sans demander un sol à l’etat.
dans ma lettre que vous a porté le fier Rodrigue je vous
prévenais que je prendrais pour mon compte au plus haut prix
auquel les objets dont j’avais à disposser se vendoient alors à
Wmburg quelques articles des reserves. les fonds que j’avais alors
en caisse à moi me permetoient de faire cet achat & je suis
persuadé que vous ne trouverez pas mauvais que je fasse ici
telles affaires qui pourront me laisser du benefice sans nuire en
CORRESPONDANCE
305
rien à vos interets que je ne négligerai certainement jamais pour
les miens; dans les deux envois succesifs que je fis l’année passée
à Richmond & à Baltimore j’avais pris à mes risques le tiers de
ces réserves, mais comme vous ne me repondez pas à l’article de
ma lettre où je vous en prévenais, je ne déterminerais rien que je
n’aye reçu mes pacquets qui sont à bord du fier Rodrigue: si je ne
trouve pas la réponse directe à ma demande je vous remetrai
alors le compte de vente telle qu’elle a été faite par les gens
auxquels je l’avois remise & vous maccorderes ce que vous jugeres
a propos desus; certainement l’intérêt ne me guidera jamais en
rien lorsquil s’agira de vous servir. si javais été bien ambitieux il
n’a dependu que de moi de gagner beaucoup d’argent depuis que
je suis dans le continant & je pouvais le faire d’une mannière tres
surres mais ce commerce auroit pris la majeure partie de mon
tems, & je vous lavois tout dévoué; jay cepandant pris plusieurs
petits intérêts dans des corsaire & dans quelques spéculations
qui mauroit assés bien rendu si le discrédit du papier netait pas
si considerable & sans la derniere invassion des anglais; j’avais
un intèrêt dans deux petits batiments qu’ils brulerent & dans
une partie de sucre quil détruissirent, cette perte a presque
englouti tous les bénéfices que javais faits sur dautres affaires.
j’ay en outre essuiyé depuis peu une autre perte tres
considerable; une malle contenant tout mon linge quelqu’onque
m’a étté vollée dans ma chambre à coucher pendant la nuit &
sans quelques chemises que j’avois données au blanchissage je
serais obligé de tout emprunter, car il est imposible m’en pourvoir
ici. tous mes bas, muchoirs, cols, cravates, caisse à bonnet, draps
de lit, & une partie de mes serviettes étoient dans cette malle je
n’aurais pas aujourdhuy pour 15 mille dollars ce qu’elle
contenait; j’etais bien assuré lorsque je vous fis passer copie de ce
contrat que vous ne le rectifieriez pas, & depuis très longtems je
l’ai positivemt déclaré au Congrès. j’ai même dit dans mon
mémoire que s’il arrivoit des batiments expédiés en conséquence
de ce contract je m’en emparerais & vendrais les cargaisons pour
votre compte, au prix courant parceque le congrès n’ayant pas
rempli ses engagements, vous ne deviez pas être plus long tems
dupe de votre zêle & de votre bonne fois. j’avais vivement senti
les conditions injurieuse qui furent insérées dans ce contract & je
306
CARON DE BEAUMARCHAIS
m’y étais longtems opposé comme je vous le marquai dans le
tems, mais desirant avoir au moins un titre pour servir de baze à
mes réclamations, je signai sachant bien que cela ne vous
engagerait à rien si l’agence de passy ne vous accordait pas la
commission & le bénéfice que vous aviez le droit d’exiger; dès que
j’aurai reçu les pacquets qui sont pour le congrès, jentamerai une
nouvelle négociation sur le plan que vous me tracez; je desirerais
bien que cette raison et la queue que laisseront certainement
apres eux les batiments que jatens, ne m’empechassent pas
d’aller vous rendre une petite visite cet hyver après bien de
circonstances rapprochées & bien de réfléxxion je crois qu’il serait
infiniment important pour vos affaires que je vous entretinsse
quelques instants: il y a beaucoup de chosses que le plus grand
détaill ne vous rendroit pas ausi clair qu’un moment de
conversation; que ce projet de ma part ne vous alarme pas, je ne
lexecuterais qu’au cas que je le puisse sans que vos interets en
souffrent!
Je vous ay ecrit depuis long tems la manière dont jay fini
avec le Sr Galvan. il m’a remis la même somme de papier qu’il
avoit reçue il y a deux ans. jay été oblige de la prendre de peur de
tout perdre; ces Galvan freres n’ayant rien qu’une tres grande
disposition à manger beaucoup d’argent; il vous reste votre
recours contre l’etat de caroline. depuis plus de six mois j’ay ecrit
au gouverneur Rutledge à ce sujet, linvasion des anglais l’a
tellement ocupé qu’il n’a pû jusqu’a ce moment faire ceque je lui
demande je lui ai ecrit deux fois depuis mon mémoire envoyé à
l’assemblée j’en ay parlé au moins 20 fois à Lestargette & je nay
encore aucune reponce satisfaisante; Lestargette me marque qu’il
presse beaucoup une desition mais on ne va pas si vite en
affaires dans ce pays ci, tous les Délégués de la caroline à qui jay
parlé à ce sujet m’ont tous dit quils espéraient que le conseille ou
l’assemblée vous rendrait justice: mais dans tous les cas ce
seront de fonds acrochés jusqu’a que le crédit de l’argent soit
rétabli
Jay reçu une lettre de MR Bellon12 du mois d’avril dernier dans
laquelle il m’anonce que vous ne lui avez pas répondu sur la
demande qu’il vous a faitte plusieurs fois de la somme de 4601£
pour le montant de laquelle il menvoya des marchs sur le Cte de
CORRESPONDANCE
307
Sabran; comme ce digne homme là m’a fait cette avance sans que
je la lui aye demandée j’ay été bien affligé d’aprendre qu’il n’etoit
pas rembourcé. je sens parfaitement bien que vû tous les retards
que vous eprouvez vous avez besoin de tous vos fonds pour faire
face a vos engagemens, mais partie du produit de mes 12 milliers
de tabac emportés sur le fier Rodrigue, auroit pu servir à payer
cette dete. si elle nest pas encore acquittée au moment ou vous
recevrez cette lettre ci ne laissez pas je vous en suplie attendre
plus longtems cet honnête homme qui s’est prêté avec tant de
bonne grace à mobliger. je lui ecrit par cette occassion qu’il sera
payé incessament avec les interets
Jay apris avec le plus grand plaisir la victoire que vous avez
remportée sur les fermiers generaux.13 cela va rendre les retours
que je vous ferai dune bien plus grande importance, le tabac se
vendra non seullement beaucoup mieux mais ausitot que l’on
voudra.
dans les lettres que vous porte Mr Gerard, je vous préviens
que Mr Giroud ne resteroit probablement pas auprès de moi mais
jay trouvé à mon arrivée en Virginie que tous les raports qu’on
mavait fait à son sujet etoient ou faux ou beaucoup enflés. il m’a
parût être bien disposé à me seconder en tout ce qui dépendoit de
lui & quil desiroit rester près de moi. comme il est tres ataché à
vos interet & quil m’a été envoyé par vous, j’ay été bien charmé
de ne me pas trouver dans la nécessité de me séparer de lui, il
est plein de bonnes qualités & je dessire sinsairement me
l’atacher; sa situation quil croyoit précaire l’avoit un peu allarmé
il ne savoit sur quoy compter & l’idée de s’être déplacé sans un
avantage réel ne lui ofrait que des réfléxxion désagréables je crois
aujourdhui qu’il est convaincu que je ferai pour lui tout ce qui
sera en mon pouvoir & cela joint à lenvoye que vous lui faittes de
ses apointemts en marchands lui rendra probablement sa
tranquilité. par contre ce jeune homme de Marseille Mr Latil14
dont je vous ai dit tant de bien dans toutes mes lettres n’est plus
chez moi, il s’y est comporté de manière à me forcer à m’en
separer; j’en ai été infiniment content pendant quelques mois,
mais à peine il a cru avoir obtenu toute ma confiance quil a pris
un ton insoutenable, jay patianté 3 mois & à la fin je l’ai prie de
me quitter apres lavoir fait, il m’a prouvé par sa conduite que
308
CARON DE BEAUMARCHAIS
j’etois fort heureux de m’être débarrasé dun pareille sujet, il a en
un mot payé de la plus parfaitte ingratitude tous les services les
plus essentiels, mais je me sers dans ce moment de vos leçons
pour me consoler d’avoir fait un ingrat.
vous verres par ma lettre du 27 avril15 emportée par le capE
Green16 & dont MR Vitry vous remetra copie que depuis longtems
jay fait au Congres la menace que vous vous proposies d’executer
au mois de may dernier cest a dire de saisir tous les vaisseaux
amériquains qui ariveroient non seullemt dans nos ports mais
dans les differents ports d’Europe; j’en parlai à Mr Gerard avant
de donner ma lettre au Congrès & il m’aprouva, vous aurez vû
par cette lettre du 27 avril que si vous n’avez pas reçu les tabacs
a bord de la bergere ça a été par une supercherie du commitée de
comerce dans laquelle le congrès navoit aucune part, j’en portai
mes plaintes les plus amères au moment que jen fus instruit
outre les 56 troisiemes de change incluses vous trouverez
dans ce paquet la lettre davis pr le Dr frank. & les deux resolvets
du Congrés à ce sujet il faut que le Dr ait ces resolvets ainsi
remetez lui les copies ci jointes si vous avez reçu celles renfermées
dans mon pacquet du 23 Juin; je vous en enverrai dautres copies
à mesure que je vous ferai passer les traittes. vous trouveres
aussi ci joint copie de la lettre qui vous fut écrite par le Congrès
en janvier dernier, enfin une lettre de MR Carmikaël contenant la
3me dune traitte de 200 L S sur MR Bancroft. il ecrit à ce DR de
régler avec vous pr linteret & pour quelques petittes avances quil
a faite en outre pour vous pr un pilote; cela ce balancera a peu
pres & vos 200 LS vous rentreront net
Mr Deane est encore à Philadelphie il m’ecrivit il y a quelques
jours quil se determinoit à repasser en france & il me demanda
un passage sur le fier Rodrigue, il me marqua en meme tems quil
vous comuniqueroit, lorsqu’il seroit près de vous un moyen
infaillible de vous faire payer, il n’a pu mêtre d’aucune utilité
dans tout ce que j’ay fait avec le congrès; ceux des membres qui
sont attachés à vos interets pour la plus part ne l’aiment pas & il
mont toujours conseillé d’apuier vos pretantions sur vos services
seullemt que si le Congres ni ajoutait pas foi. on pourait interoger
MR Deane, mais que je servirais mal vos interets de les
amalgamer aux siens. cepandant avant quil ne parte du
CORRESPONDANCE
309
continant je lui ferai donner une déclaration dans laquelle je le
prierai de donner son avis sur la commission qui vous est due et
sur l’objet des assurances, je ferai beaucoup mieux valoir cette
piece à près quil sera parti que je n’aurois pu faire pandant qu’il
etoit ici, on l’a tellement calomnié pandant son séjour à
Philadelphie, il a été si souvant question de lui au congrès
pendant 15 mois, le parti qui lui étoit oposé était si fort qu’un
certificat de lui ou tel autre titre n’aurait pû que nuire à vos
prétentions mais dans quelques mois j’aurai affaire à des
nouveaux membres & alors un titre de sa main me sera très
utille
Mes precedantes lettres vous ont apris que Desepinier avoit
rejoint le Baron pr faire une 3m.e campagne; la voila finie & il vient
de mecrire qu’il veut vous aller voir, je lai invité à se rendre en
Virginie pour y prendre son passage sur vos batiments & si je ne
puis pas laccompagner je le chargerai de mes pacquets pour vous.
Jecris un mot a Mme W. pour la remercier du cadeau charmant
quelle m’a envoyé17 ce pays ci ne produit rien que je puise lui
envoyer en retour d’une pareille galanterie
Jecris a MR De Monthieu de qui je nai reçu encore qu’une seule
fois de nouvelles depuis que je suis dans le continant j’ay sans
doute des lettres de lui abord de vos Batiments puisquil paroit
que cest sous son nom que tout est expedié. voulez vous bien lui
remetre lincluse
notre amy MR Gudin etait avec vous à Bordeaux & il ne m’a
pas ec[r]it un mot il me devoit cepandant deux ou 3 reponces.
jaugmenterais aujourdhui sa dette si je netais pas trop pressé
pour fermer mon pacquet assurez le bien je vous prie de mon
amitié
Mes respect[s] a Mdes vos soeurs & mille complimt a Mrs
Cantiny le Veigneur, Durand & tous ceux de votre societé que je
connais
je vous remer[c]ie de lenvoye que vous me faittes de quelques
marchs pour m/cte j’espere que vous m’aures repondu à la
demande que j’ay eu lhonneur de vous faire relativement a un
port permis pr faire passer succesivement en france les fonds que
je puis avoir dans ce pays ci. plus j’y demeure et plus je desire de
n’y avoir rien qui m’y atache
310
CARON DE BEAUMARCHAIS
vos canons ne sont pas encore vendus, on n’a pas voulu
jusqu’en ce moment les aprecier à leur valeur. je traite cet article
dans mon mémoire à l’assemble que je présenterai sous peu de
jours, si lon ne veut pas m’en donner le prix qu’ils valent je
m’adreserais à d’autres etats de l’union pr les vendre. j’ay
quelqu’esperance que je n’aurai pas cette peine là car la majeure
parti des gens avec qui j’ai à traiter me paraissent on ne peut
pas mieux disposés à ecouter mes demandes favorablement; les
autres articles qui avaient été debarqués du fier Rodrigue comme
[ ? ] Barriques à l’eau sont en tres grande partie vendues je vous
remetrais ausi ce compte par vos batiments
Je tacherai de relever l’erreur des couvertures, mais je
n’espere pas d’y réusir, les balots dans lesquels il s’en trouvaient
de plus ont étté delivrés à l’agent de l’etat qui les à envoyés à ce
qu’il dit sans les ouvrir au camp, & comme tous les fournisseurs
ne tienent à coup sur pas de compte exact de ce qu’il[s] reçoivent
sur tout lorsqu’un balot contient plus quil n’anonce il sera
peutêtre imposible de revenir ladesus, il est bien malheureux que
le balot où était le déficit soit précisément celui qu’avoit reservé
Chevalié je ferai ce qui dépendra de moi pour faire payer ce deficit
à l’etat
Je vous ay prévenu depuis long tems que Mr Moris votre
fournisseur de Drap avoit probablement mieux fait ses affaires
que les votres, si c’etoit lui qui avoit fait faire les ballots de Drap
chargé sur le fier Rodrigue. jay eu la preuve que cette opération
na pas ete faite régulièrement; les balots de réserve ne
contenoient presque que des coupons ce qui anonce des restes de
magazin & dans le meme balot sous une seule denomination
pour la qualité, il s’en est trouvé de trois différentes: il y a ausi
quelques diférances sur les aunages, mais peu de chosse, vous
voye[z] qu’en general ceux qui ont prétendu vous servir se sont
beaucoup occupés deux mêmes
Je vous ai souvant parlé de mr Decarabasse vous ne me
répondez pas un mot à son sujet; on ma dit des chosses tres
défavorables sur son compte mais je n’ajouterai jamais foi à des
propos lor[s]qu’il[s] ne seront pas àpuies par des preuves. je lui ai
ecrit plusieurs fois il ne ma pas encore répondu; un de ses amis
qui a passé dans ce pays ci m’a dit quil étoit tres embarassé
CORRESPONDANCE
311
d’une partie de marchands qu’il n’a pas encore pû expedier pour le
continant, & qui consiste principalement en toilles à voilles
grémens ancres &a je n’ay aucun objet de cette nature porté sur
les factures que vous m’avez remis & cepandant ces articles
étaient sur la térèze; étaient til[s] embarqués pour votre compte?
je suis un peu etonné que Mr Carabasse se plaigne de ne pas
avoir eu des occassions d’expédier ces marchandises, lorsqu’il a
envoye la thérèse à Charlestown sur un lest de sel pr s/ct.e jespère
que vous aurez donné des ordres à vos vaisseaux qui ont touché
au Cap de recevoir de lui ce qui peut lui rester entre mains
Mr de Lépine devenu CapE en second de votre fier Rodrigue est
arrivé ici depuis 8 a 10 jours croyant y rejoindre le batiment. vous
trouverez ci inclus une lettre de lui18
Mr Holker retira lui meme a Philadelphie de mon pacquet
celui de Mr Gerard que vous maviez adresse sous envelloppe. je
nay pas seut si ce paquet avoit trait à vos affaires
Suitte a la lettre ci desus
Je ne consois rien a la conduite du vieux DR on m’avoit assuré
quil avoit reconu tous ses torts vis a vis vous & que tout alloit de
concert entre vous & Mr de Chaum19 & de Mont.20 je ment [sic]
etais rejoui avec MR Holker ami de ce 1er qui desiroit beaucoup
ainsi que moi que vous unissiez vos intérêts pour ce commerce ci.
Je vous envoye ma lettre de Mr Monthieu sous cachet volan
afin que vous i lisiez ce que je lui dis au sujet des fusil quil vous
a vendu pour lexpedition de Galvan. il vous doit en bonne
consciance un dedomagement considérable sur cet objet
j’avois promis à Mr le Mis de Lafayette de lui ecrire & de lui
envoyer le papier de nouvelles ce que vous me dites sur ses
projets de repasser en Amérique 21 m’empêchent de le faire par
cette occasion ci; s’il n’est pas parti je vous prie de lassurer de
mon respect & de lui dire que Messrs Crip22 & moy ont remis à la
personne que j’ay chargé de regler son compte avec eux environs
8000 Ds pour toute ballance je lui ferai passer cette somme dès
que jen aurai une occasion favorable & que je saurai qu’il ne doit
pas venir ici; je vous envoye inclus une lettre a Mr Jay sur les
finansses qui vous interessera, vous y verres à quoy se monte la
dette nationale & combien il serait aisé à ces gens ci de rendre le
credit à leur papiers sils en avoient la volonté
312
CARON DE BEAUMARCHAIS
D’York 16 8bRe
Mr Jay vient d’etre nommé ministre plenipotentiaire pour la
cour d’Espagne et Mr Lee est enfin congedié, on a pris la peine de
le rapeler Mr Gerard part enfin satisfait, l’arrivée du Ct.e D’Estaing
sur ses cotés la retenu plus long tems qu’il ne l’avoit projetté et
peutetre cete lettre ci vous parviendra t’elle avant celle dont Mr
Gerard est porteur; elle nest point emporté par MR Smith comme
je lesperais il ne sest pas arrange avec letat, et il a renonce a
l’agence MR Sarran francais fort honnété qui a vecû dans ce pays ci
plusieurs annés et qui part a linstant veu[t] bien san charger &
vous la remetra lui même s’il va à Paris, je vous serai bien obligé
de le bien recevoir il vous dira des nouvelles du jour; je dois à MR
Gerard quelques bagatelles que javois retire pour lui du bord
d’un batiment arrivé dépuis peu il m’a ecri de les prendre pour
mon compte et de lui en faire toucher le montant en france je vous
prie de vous en entendre avec ce sont 30 toquét à l’alliance et six
paires bas de soye noirs
Etat des piéces renfermées dans le present Pacquet
NO 1. ma letre du 6 & 16 8bre
2. ma lettre particuliere pour vous seul
3. 56 lettres de change montant ensemble £2832
milles livres
4. resolvet du congres du 5 juin [le 5 manque]
6. lettre davis au Docteur franklin relativement aux
lettres de changes ci dessus
7. lettre du Congres a Monsieur De Beaumarchais
8. 1 lettre de Mr Carmikael contena[n]t une d’avis
pour le docteur Bancroft et sa troisieme de
change
sur le docteur pour la somme de £200
LSt 9
9. 1 lettre de Galvan
10. lettre circulaire du congres a leur constituent
11. etat des pieces renfermes dans le pacquet emporte
par Mr Gerard
CORRESPONDANCE
313
12. lettre de Mr De Lépine a vous Mr
13. lettre pour Madame De Villers
14. lettre a monsieur de Montieu
Cette lettre est bourrée de fautes mais nous ne les avons pas
corrigées.
1Lettre 783.
2Lettre 792.
3Lettres 805 et 806.
4Nous en avons au moins une du 6 décembre 1778; tome IV, lettre
719.
5Ce n’est pas tout à fait vrai; voir lettre 826 de Montaut où il écrit
“qu’il fallait obéir.”
6C’était peut-être l’ambition de l’amiral d’Estaing et non celle de
l’infortuné Montaut; Henry Lee, dans ses Memoirs of the War in
the Southern Department . . . , écrit: “No man was more obedient
to the calls of duty connected with the prospect of increasing his
personal fame than . . . the French admiral” (p. 36). Une lettre
citée par la Correspondance secrète (tome VII, pp. 313-18) semble
vérifier ce trait. On y lit: “Par vanité M. d’Estaing veut être à
tout, & n’est capable de rien” (p. 316).
7Beaumarchais se débattra jusqu’en 1786 pour se faire rembourser.
8Voir lettre 817.
9Voir lettre 818.
10Meriwether Smith; voir lettre 790.
11Voir lettre 783 n. 19.
12Voir tome IV, lettre 697 n. 1.
13Voir lettres 770 et 780.
14Voir lettres 817 n. 12 et 746 n. 29.
15Voir lettre 803.
16Voir lettres 803 et 817.
17Voir lettres 792 et 793.
18Voir lettre 825.
19Leray de Chaumont; voir tome II, lettre 396 n. 3.
20Montieu.
21Voir lettre 806 n. 6.
22John Cripps (1754-1811) commerçant de Charleston était l’agent
chargé de la vente des marchandises que le marquis a fait venir en
Amérique sur La Victoire; voir tome IV, lettre 697 n. 2, p. 214 et
Idzerda, II, p. 45 n. 4.
314
CARON DE BEAUMARCHAIS
868. A Dorat
Paris, le 9 8re 1779
J’aprens de vos nouvelles avec plaisir, mon ami. Quelqu’un
ma dit hier que vous etiés au lit et j’attendais aujourdui Gudin
pour le prier d’aller de ma part, et pour lui, savoir ce qui en etait;
etant fort incommodé moi meme.
J’ai vu la 1ere représentation de Roséide 1 et n’ai pu la voir
depuis. J’y ai trouvé, comme tout le monde, les détails les plus
heureux; beaucoup de vers a faire epoque. J’ai trouvé le caractére
de l’intrigant bien fait et bien pézé: mais c’est ce que tout le
monde n’a pas vu. Pas assés de mouvement; votre homme
disserte plus qu’il n’agit; voila le vrai mal. car s’il faisait ce qu’il
dit au lieu de dire ce qu’il fait; la pièce aurait un mérite extrême.
L’avare, mon ami, ne dit point je suis un avare; mais il est
forcé par la conduite de la piece et par son caractère a des actions
qui le décélent; Il m’a semblé aussi que vous défaisiés un peu
brusquement de votre héros. Du reste je ne suis pas comme les
auteurs qui, tout en vous complimentant, sont désolés de vos
succès. Je dis que personne ne peut aussi bien que vous
dialoguer une comédie, et que le jour que vous aurés le bonheur
de saisir un plan vigoureux pour la marche vous serés sans
conteste a la teste du catalogue des bons écrivains du siècle. Je
ne puis vous remettre aujourd’hui que vingt cinq louis. Je vous
donnerai les tres le jour que vous viendrés recevoir et mes
complimens sincères de votre beau talent et les assurances
inviolables de mon estime et de mon amitié. ://:Beaumarchais.
Cy joint les vingt-cinq louis; et gardés ce papier pour la bonne
regle de l’argent recu.
315
CORRESPONDANCE
En relisant votre lettre je vois que vous me dites que vous
enverrés votre laquais a midi. apparemment que ce porteur n’est
pas sur, j’attendrai votre laquais.
Mr Dorat.
1Roséide
ou l’Intrigant avait d’abord comme titre Le Tartuffe
littéraire. On lit dans la Correspondance secrète: “La pièce a eu peu
de succès. On croiroit que M. Dorat a gagé de faire des comédies
sans comique, sans intrigue & sans situation . . . ” (tome VIII, p.
366). Ceci à une époque où son auteur souffrait déjà assez; voir
lettres 784, 785, 795, 800 et 816.
869. A Andrew Farquharson
[9 octobre 1779]
Suite de la lettre à M. Farquhasson1 ecrite par M. de
Beaumarchais2
J’ai reçu votre détail sur la Grenade; et je vous en remercie.
Lorsque mes vaisseaux que j’attends seront rentrés je verrai si je
puis faire usage de cette ouverture.
Je vois avec plaisir la fin du marché Ruston.3 J’ecris à M.
Letellier de vous faire passer promptement les details des
conditions de notre acquisition pour etre inserés dans le contrat
de vente. Non celles qui tiennent aux payemens mais celles dont
il a raisonné avec vous à Londres ou à Birmingham tant sur
l’obtention et la jouissance des Boutiques que l’acquisition du
graveur que des choses qui tiennent aux presses à lisser. Comme
nous traitons de Bonne foi, et qu’on dit les vendeurs tres
honnetes gens il ne sera pas difficile de s’entendre sur tous ces
objets que M. Letellier ne fera que vous remettre sous les yeux.
316
CARON DE BEAUMARCHAIS
Conclués toujours définitivement, et pressés la fonte en train,
nous l’attendons pour donner le prospectus. Je vous salue et n’ai
jamais douté de votre honneteté. Ce mot renferme tout.
1Voir
lettre 846 n. 5.
la première partie de la lettre qui est omise ici on parle de
l’achat de la fonderie de Baskerville.
3Selon trois reçus qui se trouvent à IMV (AB, III, 15a-c) le contrat
a été signé le 11 décembre 1779; Beaumarchais a payé £3700
(sterling) pour tout ce qu’il a acheté à Mme Baskerville (BHVP,
MS 1312, f. 70); pour Ruston voir lettre 846 n. 4.
2Dans
870. A Le Tellier
[9 octobre 1779]
Suite de la lettre à M. Letellier par M. de Beaumarchais. 1
L’affaire du lotto me repugne a toute sorte de titres. 2 Par
principe je suis l’ennemi connu de ce genre de vexations qui n’est
selon moi qu’un vilain impot mal assis sur les miserables et la
pepiniere des prisons et des hopitaux.
Dailleurs quand je n’aurais pas cette repugnance, par les
details que j’ai vûs le produit de celui-ci n’equivaut pas à la perte
du tems et aux frais de son etablissement, mais pouvés faire
dire, ou dire vous meme a M. Le Prince de Nasseau3 que je suis
chef de l’entreprise de librairie, vous serés sûr de trouver des
facilités à l’obtention de votre local. Je suis meme en relation de
politesse avec la princesse qui m’a ecrit qu’elle desirait fort me
connaitre personnellement.
L’affaire des poinçoins comme vous voyés est enfin finie, au
reçu de cette lettre vous ne fairés pas mal ecrire vous meme a M.
de Farquhasson une instruction bien faite des choses de detail
que vous desirés que renferme le contrat d’achat, tant pour les
fonderies actuelles, que pour l’acquisition du graveur, que la
CORRESPONDANCE
317
jouissance des Boutiques, suivant ceque vous avés esperé vous
meme lorsque vous avés eté à Birmingham.
J’ai bien examiné les qualités de vos papiers, comme beaux
papiers, je ne les trouve pas tels que l’habitude de les voir vous
les fait paraitre ceque vous m’avés imprimé, n’est pas beau, pas
blanc, peut-étre le lissage des papiers Baskerville y ajoutet-il
cette perfection à l’oeil, où nous prétendons. Mais je tremble que
nous n’en soyons bien loin encore, et je vais toujours répétant ma
phrase parasite: je ne me consolerais pas d’offrir du mediocre; je
ne puis le supporter en rien: mais en ceci beaucoup moins qu’en
tout le reste. Je vous salue.
1Dans
la première partie de la lettre qui est omise ici on parle de
l’achat de la fonderie de Baskerville.
2Pour attirer des souscripteurs Beaumarchais, contre son propre
gré, a institué une loterie qu’il explique dans le Prospectus. Voici
la réaction des éditeurs des Mémoires secrets du 31 janvier 1781:
“La souscription entière sera de 5,000 exemplaires pour les
deux éditions: savoir, 4,000 de l’in-8O et 1,000 de l’in-4O ce
qui doit rendre plus de deux millions, dont plus de la moitié
gain. C’est sur ce million de bénéfice que, pour exciter la
cupidité des joueurs autant que la curiosité des gens de
lettres, le sieur de Beaumarchais a imaginé de consacrer
200,000 liv. employées en une loterie au profit des
souscripteurs. De-là un détail très verbeux, intitulé Motifs
& Plan de la répartition des 200,000 liv. Nous
n’entreprendrons point d’expliquer cette loterie, où les plus
habiles calculateurs ne comprennent rien; il faut attendre
que son inventeur le sieur de Beaumarchais, fournisse les
explications qu’on lui demandera” (citée dans Morton,
“Prospectus,” p. 142).
Les explications de Beaumarchais paraîtront dans une lettre au
Journal de Paris, du 14 février 1781.
3Voir lettre 823.
318
CARON DE BEAUMARCHAIS
871. Au commodore Gillon1
Paris ce lundi 11 8re 1779.
Monsieur
Je profite du premier moment ou le retour de ma santé me
permet de m’occuper d’affaires pour répondre a la lettre dont vous
m’avés honnoré en datte du 21 7r.e dernier, Dans laquelle vous me
demandés, au nom de l’etat de la caroline méridionale, le
remboursement de vingt caisses d’indigo que lhonorable Mr Roger
Smith a chargé sur mon vaisseau la thérèze à ma consignation
au nom du dit etat et dans laquelle aussi vous vous plaignés de
la modicité de la vente de ces vingt caisses d’indigo faite par mon
correspondant de Nantes.
Ne voulant rien laisser de louche ou d’equivoque sur un point
ou je suis interpellé aussi gravement; j’ai lhonneur de vous
répondre; a vous, Monsieur, dont j’honnore la personne et le
mérite, que je reçois votre lettre comme une confirmation
authentique de ce que je savais déja que ces vingt caisses
d’indigo appartenaient a l’etat de la caroline méridionale. Je me
serais fait scrupule en tout autre cas de retenir le prix d’une
denrée qui eut appartenu a vous Monsieur ou a tout autre
particulier. Mais l’etat de la caroline méridionale a recu de moi en
1777 par les mains de Mr Le President Rutledge une cargaison
militaire considérable qui fut transportée d’Europe sur mon
navire le hardi, capitaine Varage a la tres pressante priere qui
m’en avait été faite au nom de cet etat par Mr Galvan de Lerié.2
Laquelle cargaison ne m’est pas encore payée en entier et sur
laquelle Mr Galvan de Lérié m’ecrit que malgré tous les soins et
les sollicitations qu’il fait en commun avec Mr De franci mon fondé
de pouvoirs en amérique pour que L’etat de la caroline me fasse
justice, il a bien peur que je ne perde deux cent mille francs sur
ma cargaison recue et employée au service de cet etat.3
CORRESPONDANCE
319
Ce déni de justice et de fin de payement me parait si etrange
de la part d’un etat que j’ai servi avec zèle et désintéressement
aussitôt qu’on m’en a prié de sa part en france, d’un etat qui fait
partie de la république américaine pour laquelle depuis quatre
ans j’ai engagé toute ma fortune et celle de mes amis, ce déni de
justice dis je m’a paru si etrange que j’ai pris le parti de ne pas
croire un mot de tout ce qu’on me mande a ce sujet et que j’ai
donné mes ordres à mon fondé de pouvoirs en amérique d’éclaircir
absolument ce fait et m’en rendre compte au plutot
En attendant, Monsieur sans rien refuser, ni rien retenir
injustement a personne je vous offre une reconnaissance dans la
forme la plus autentique que j’ai touché la valeur de ces vingt
caisses d’indigo appartenantes a l’etat de la caroline méridionale
a compte sur ce que cet etat me doit du restant a payer de la
cargaison du hardi capitaine Varage livrée a Mr Le Président de
Rutledge pour letat de la caroline en 1777 sauf à remettre la dite
valeur aussitôt que je serai instruit que cet etat m’aura fait
justice en amérique.
Quant au bas prix auquel vous supposés que cet indigo a eté
vendu. Mr Pelletier Dudoyer mon correspondant a Nantes et
reconnu pour l’un des plus loyaux négotians du Royaume a pris
lors de cette vente assés de précautions publiques pour que l’on
soit tranquile sur lhonneteté de sa vente et je vais lui ecrire a
l’instant pourqu’il m’en fasse le détail que je vous ferai parvenir
aussitot
Je crois avoir répondu cathégoriquement aux deux articles de
votre lettre. Pour ce qui regarde votre personne Monsieur et les
egards qui vous sont dus, si vous voulés me faire lhonneur
d’accepter a diner demain mardi chéz moi, je tacherai de vous
convaincre et du desir que j’ai de vous connaitre plus
particulièrement et de la tres haute considération avec laquelle
j’ai lhonneur d’etre
Monsieur
Votre
320
CARON DE BEAUMARCHAIS
Nous dinons a 3 heures pour la commodité des paresseux et
des personnes tres occupées le matin
Mr Gillon
1Alexander
Gillon (1741-1794) d’origine
hollandaise était
commerçant en Caroline du sud. Le 16 février 1778 il est nommé
commodore dans la marine de cet état et est autorisé à vendre des
produits et à emprunter de l’argent à l’étranger; on l’a délégué
pour aller en Europe obtenir trois frégates et il y est arrivé en
janvier 1779; voir DAB et PBF, XXVII, p. 47 n. 8.
2Voir tome IV, lettre 693 (pp. 156-57) et lettre 723.
3En 1782 Beaumarchais enverra Levaigneur (qui remplace Francy)
en Amérique avec une longue lettre justifiant ce qu’il a fait pour
l’état et réclamant ce qui lui est dû.
871bis. A Panckoucke
[18 octobre 1779]
L. aut. sig.
Il insiste pour que l’on rende compte, dans le Mercure de France,1
du nouvel ouvrage que vient de publier Marat sur la lumière.2 “Je
ne vous parle pas de l’intérêt que je prens moi-même à M. Marat,
parce que cela n’ajoute rien au mérite de ses découvertes; mais il
me semble que quel que soit l’opinion qui restera de ses
expériences, l’affaire du journaliste est, selon moi, d’offrir à la
curiosité publique tous les objets nouveaux sur les sciences, sauf
à en discuter le plus ou moins d’importance…”
iC’est
sans doute Découvertes de M. Marat . . . sur le feu, l’électricité et
la lumière, constatées par une suite d’expériences nouvelles, qui
viennent d’être vérifiées par MM. les Commissaires de l’Académie
des sciences. A Paris, de l’imprimerie de Clouisier, rue Saint-Jacques,
M.DCC.LXXIX.
CORRESPONDANCE
2A-t-il
321
été publié?
872. A Swinton
[28 octobre 1779]
Extrait d’une lettre de Mr De Beaumarchais à M. Swinton datée
de Paris le 28 Octe 1779
S’il est en son (Mr de Morande) pouvoir de filer le tems avec
ses creanciers de façon que 3 lettres de £100 stg ensemble, de
trois mois en trois mois, la premiere à la fin de l’année la 2de en
fin de mars, l’autre en fin de juin ce qui sera £100 pour chacun
puissT le tirer d’affaire, je ferai pour lui cet effort & à ce titre
seulement je vous prie de lui donner votre propre papier en tirant
sur moi pr les epoques où vous aurez à remplir chacun de ses
trois engagements, vous tirerez de lui reconnoissance de ce pret
comme etant fait par vous meme non que mon intention soit d’en
faire aucun usage pr l’acquit de ces engagements &c.
322
CARON DE BEAUMARCHAIS
873. Au Lord Shelburne
Paris 31. 8bRe 1779.
Mylord
Les choses obligeantes dont votre excellence m’a honoré dans
sa derniere lettre,1 et les offres généreuses qui les
accompagnaient de concourir à la publicité des Oeuvres
complettes de notre grand Voltaire, m’enhardissent à vous prier,
Mylord, de vouloir bien accueillir et entendre M. Letellier porteur
de cette lettre, et chargé par toute notre societé de l’exécution
typographique de cette entreprise litteraire. Il aura l’honneur de
vous expliquer à cet égard ce qu’il serait trop long de coucher par
écrit. Nous prenons la liberté de mettre et sa personne et notre
ouvrage, sous votre protection en Angleterre.
Aussitot qu’une reconciliation sincere entre les deux
couronnes (ce que je desire plus qu’aucun français) m’aura rendu
la route de Londres aussi facile, qu’elle m’a toujours eté agréable,
mon premier devoir, en arrivant chez une nation que j’honore
aime et respecte sera de vous aller assurer de la très
respectueuse reconnaissance avec laquelle
Je suis
De votre Excelence Mylord
Le très humble et très
obeisssant serviteur ./.
://: Caron De Beaumarchais
On dit icy que M. Gibbon est l’auteur du Mémoire justificatif
de la Cour de ST James. 2 J’ai de la peine à le croire. Ce Memoire
m’a semblé tortillé, diffus. Je voudrais qu’en affaire aussi grave,
on marchat plus simplement. Il me semble que l’éloquence des
orateurs nationaux, n’a pas besoin pour intérèsser, de tout ce
CORRESPONDANCE
323
guirlandage de la Réthorique du college, et je ne puis m’empêcher
de sourire à la vue d’un ecrivain qui, prenant l’europe éclairée
pour juge; süe et se tourmente à sophistiquer sur des faits que le
moindre lecteur connait aussi bien que luy. C’est le défaut de
presque tous les faiseurs de manifestes.
Gloria in excelsis deo. Et in terra pax
hominibus
bona voluntatis ./.
S. E. Mylord Shelburn
1On
n’a pu trouver cette lettre. Shelburne a apparemment répondu
favorablement à la demande de Beaumarchais (lettre 822); celui-ci
a dépêché Le Tellier et exprime ici sa satisfaction.
2Le 6 février 1778 la France a reconnu les Etats-Unis d’Amérique
en signant avec les insurgents un traité de commerce. En juin les
hostilités entre la France et l’Angleterre ont commencé. En 1779
on a publié en France l’Exposé des motifs de la conduite du Roi,
relativement à l’Angleterre [par Vergennes (voir Morton et Spinelli,
Bibliography, p. 193)] où l’auteur veut montrer que c’est
l’Angleterre qui est responsable de la guerre actuelle. Le Cabinet
de Saint-James choisit l’historien Edward Gibbon pour y répondre.
Dans son Mémoire justificatif pour servir de réponse à l’Exposé de la
Cour de France (voir Morton et Spinelli, Bibliography, p. 193), il
défend son pays et reproche à la France d’avoir soutenu les
Américains avant même d’avoir signé le traité. Gibbon consacre
plusieurs pages à attaquer Beaumarchais et ce qu’il a fait pour les
Américains en leur envoyant ses vaisseaux et leurs cargaisons.
Selon les Mémoires secrets (XIV, p. 310), Beaumarchais voulait
même attaquer en diffamation le roi d’Angleterre qui, selon lui,
avait inspiré les fausses accusations de Gibbon à son égard.
324
CARON DE BEAUMARCHAIS
874. De Montieu
A Brest le 31e 8bre 1779
Me voicy enfin rendu icy depuis hier au soir et je vous assure,
Monsieur, que ce n’a pas été sans peine car les chemins sont tres
rompus et les chevaux exténués.
Je vais terminer le plus promptement possible les affaires
qui m’ont apellé icy pour me rendre de la a Nantes et ensuite a
Bordeaux. J’emmenerai M. Garnault avec moy dans l’un et
l’autre endroit parceque il m’aidera a Nantes pour la formation et
l’expedition des comptes que je vous dois pour nos divers
armements de Compte a demy dont j’adresserai a M. Cantini les
duplicata et a Bordeaux pour y attendre l’arrivée de nos navires,1
en faire nous meme le desarmement et le réarmement et dresser
en meme tems un procês verbal signé de tous les officiers du fier
Roderigue pour constater les pertes, avaries, et delabrement
occasionnés par le combat, le retard que cela a occasionné dans
notre expédition, les pertes qui s’en sont ensuivies &ca pour vous
envoyer le tout étant bien certain que vous scaurés en faire un
meilleur usage que moy.
Je suis logé chéz Mr.s du Collet et Pimparai Negt.s vis avis
l’intendance et j’aurai le tems d’y recevoir de vos nouvelles. Je les
recevrai avec autant de plaisir que d’empressement.
Point de nouvelles icy éssentielles a vous donner. La flotte
combinée est toujours en rade, les espagnols tant officiers que
matelots vivent dans la meilleure intelligence et l’epidemie dont
l’eloignement avoit grossi l’objet est aujourdhuy presqu’eteinte.
Je vous embrasse, Monsieur, du meilleur de mon coeur./.
Montieu
Mes hommages, je vous prie, a Mme Villers et mille
compliments a M. Cantini.
On dit que M. de la touche2 va venir commander icy et que M.
de treville va commander a Rocheffort.
CORRESPONDANCE
325
1Le
Fier Roderigue et les autres vaisseaux partiront de Yorktown le
14 juin 1780 et n’arriveront que le 25 juillet à l’embouchure de la
Gironde près de Royan; voir DP, IV, p. 175.
2Louis-Charles Levassor, marquis de Latouche (1710-1781) était
intendant à Rochefort depuis juillet 1775 (voir tome IV, lettre 654
n. 2 et PBF, xxviii, p. 144 n. 3); le comte de La Touche de Tréville
devint intendant à Rochefort en 1781 (PBF, xxvii, p. 77 n. 6);
Arnauld de la Porte (1737-1792) était intendant à Brest depuis
1776 (PBF, xxvii, p. 238 n. 8). En août-septembre le comte
d’Orvilliers devait mener un assaut contre l’Angleterre mais,
disait-on, La Porte n’a pas fourni les provisions nécessaires. C’était
peut-être pour cette raison qu’on voulait le remplacer; voir
Patterson, 228.
875. De Joseph-Mathias Gérard de Rayneval1
A Versailles le 3 9bRe1779
Le ministre m’a autorisé, Monsieur, à vous demander des
notions précises sur l’époque et les circonstances de larmement
de vos deux vX l’amphitrite et l’hipopotame ou fier Rodrigue vous
n’ignorez certainement pas ce que les anglais disent de ces deux
vX dans leur prétendu mémoire justificatif.2
Je profite avec bien de lempressement de cette occasion,
Monsieur, pour vous prier d’agréer les assurances du tres parfait
attachement avec lequel j’ai l’honneur d’être, Monsieur, votre tres
humble et tres obéissant serviteur
Gerard de Rayneval
Mr de Beaumarchais
1Joseph-Mathias
Gérard de Rayneval (1736-1812), frère de ConradAlexandre Gérard de Rayneval premier plénipotentiaire de France
en Amérique, a remplacé son frère comme premier commis au
Ministère des Affaires Etrangères.
2Voir lettre 873 n. 2
326
CARON DE BEAUMARCHAIS
876. De Joseph-Mathias Gérard de Rayneval
A Versailles le 8 9bre 1779
J’ai mis sous les yeux de M le Ct.e de Vergennes, Monsieur, la
lettre que vous m’avez fait l’honneur de mécrire.1 Ce ministre
recevra avec plaisir les observations que vous voulez bien rédiger
sur l’expédition de L’Amphitrite et du fier Rodrigue: mais il craint
que votre santé ne vous permette pas de vous occuper de cet objet
aussi promptement qu’il desireroit.
J’ai l’honneur d’être avec un tres parfait attachement,
Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur
Gerard de Rayneval
M. De Beaumarchais
1On
n’a pu trouver cette lettre.
877. Au comte de Vergennes
Mr Le comte De Vergennes
11 9bre 1779.
Monsieur Le Comte
Si vous n’etes pas bien indulgent, vous serés bien mécontent
de mon travail1 non de son exactitude, il ny a rien a désirer sur ce
point: mais de son peu d’energie. Je lui ai donné la forme de la
plainte parce que le rapprochement de tous ces faits avérés
démontre que l’administration a mieux aimé pour le bien de la
paix complaire aux anglais dans leurs criailleries que de protéger
les français dans leurs entreprises. Et c’est cequil faut prouver.
CORRESPONDANCE
327
Les recherches qu’il m’a falu faire ont renouvellé la terrible
amertume de mes souvenirs mais rien n’est plus propre au moins
que ce travail à repousser les malhonnestes attaques du vicomte
de Stormont. Si vous le permettiés, monsieur Le comte, a ma
convalescence je ferais en ma qualité de négotiant cité, un article
pour le courrier de l’europe ou j’opposerais les procedés de
langleterre aux notres dans les tems dont on parle et si cela etait
sans conséquence de la part d’un homme privé cela ne serait peut
etre pas sans force sous la plume d’un homme piqué.
Pour aujourdui j’ai forcé nature et dans letat d’accablement
ou je suis c’est tout ceque j’ai pu faire que de vous donner de mon
lit cette faible preuve du desir ardent que j’ai de vous complaire.
Je prens la liberté de joindre ici un court mémoire sur une
affaire que Mr Amelot2 rapportera pour moi au conseil des
dépêches samedi au soir. Mr de Maurepas a bien voulu la prendre
sous sa protection. comme c’est un acte de justice je ne crains pas
de la mettre aussi sous la votre et par dessus encore la personne
de celui qui sera toujours avec la plus respectueuse
reconnaissance
Monsieur le comte,
Votre tres humble et tres obeissant
serviteur
1Il
s’agit probablement de l’ “Exposé fidèle des complaisances de la
Cour de France, pour celle d’Angleterre contre les intérèts de son
propre commerce” (MAE, CP, Angleterre, tome 524, f. 409-12;
Stevens, XXIII, 2008;
Donvez A 473). Ce travail semble
représenter la base sur laquelle s’est fondé Beaumarchais pour la
deuxième partie des Observations sur le Mémoire justificatif de la
Cour de Londres; voir Shewmake, pp. xiv-xv.
2Antoine-Jean Amelot de Chaillou a été proposé par son oncle,
Maurepas, comme ministre de la maison du Roi pour succéder à
Malesherbes; il a pris ses fonctions en mai 1776 et a démissionné
en 1783.
328
CARON DE BEAUMARCHAIS
878. Au comte de Maurepas
Copie
M Le Comte de Maurepas
Paris, ce 11 9bRe 1779.
Monsieur Le Comte
Si je n’ai pas encore assez de force pour sauter du lit et vous
aller remercier, il n’y a pas non plus de faiblesse qui puisse
m’empêcher de vous parler de ma reconnaissance.
On veut me voler 33 m.L. et joignant l’intérêt d’un silence de
vingt ans, on double la somme: cela fait 66 m.L. On y ajoute pour
12 m.L. de frais, et me voilà forcé de payer 80 m.L. a des gens
qui depuis vingt ans, m’en doivent 46 m. et dont le seul titre est
que je les ai laissés tranquilles, par horreur des procès.1
Vous avez entendu mon ami avec bonté. Je demande à
consigner et à compter. Je n’ai jamais eu que ce mot. On s’y
refuse en m’opposant des arrêts obtenus par défaut dans mes
absences, et la forme, la forme; ce terrible patrimoine de la
justice sert de couverture à L’iniquité d’une demande atroce.2
Consigner et compter: voilà ma requête; payer comptant si je
dois; voila quelle grace je sollicite.
Vous m’avez promis vos bontés; j’y compte. Il n’y a jamais de
détour en vos paroles. Vous faites le bien sans faste et quand
vous le pouvez; c’est ce que j’adore en vous.
Si mon pauvre Prince de Conti3 vivait; comme je le ferais
rougir de ses injustices à votre égard! Craignez, mon ami, sur
toutes choses, me disait-il, de vous attacher à Mr de Maurepas.
Comme la passion aveugle les hommes! Il ne se doutait non plus
de votre âme douce et gaie que s’il ne vous eût jamais vû. Il m’a
empêché pendant deux ans de me présenter devant vous. Et
vous, Monsieur Le Comte, quoique vous sussiez très bien que
j’étais un de ses plus chers affiliés; vous ne m’avez jamais montré
que bonté, Loyauté, douce protection et franche adjuvance. Et
moi plus touché que je ne puis le dire, je regrette bien que cet
obstiné, cet injuste ennemi n’existe plus; la grande confiance qu’il
avait en mon caractère l’eût enfin converti; et le plus
CORRESPONDANCE
329
reconnaissant de tous vos serviteurs vous eût certainement
ramené ce coeur aveuglé sur votre compte.
Pardon, Monsieur Le Comte, j’aime à parler de lui parce qu’il
m’avait voué un attachement paternel, et j’aime à en parler
devant vous; parce que sans l’avoir mérité, je retrouve sans cesse
en vos procédés pour moi tout ce qui lui avait enchainé mes
affections.
Je prens la liberté de joindre à cette lettre un court mémoire
instructif sur la requête qui sera rapportée samedi par Mr Amelot
au conseil des dépêches.
Je viens d’envoyer à M de Vergennes un travail faiblement
composé, 4 parceque je suis souffrant; mais au moins propre par
la vérité de tous les faits qu’il contient, à repousser
victorieusement les insidieux reproches du cabinet de ST James
sur nos prétendues perfidies.
Ma reconnaissance et mon respect pour vous sont deux
sentimens aussi doux à mon coeur qu’ils sont inaltérables./.
1La
famille de la première femme de Beaumarchais lui a intenté
plusieurs procès (voir tome I, lettre 20 n. 1). Après en avoir perdu
un en 1781,
“Par souci de justice, écrit le duc de Castries,
Beaumarchais, outré, parvint à faire rebondir l’affaire pour
la vingt-septième fois: grâce à la protection de Maurepas,
une nouvelle requête fut accueillie, et, par un arrêt
définitif, la Cour se déjugea en faveur de Beaumarchais.
Alors que les Aubertin réclamaient
33 000 livres, doublées des intérêts depuis 1756, plus 12
livres de frais, soit un total de 78 000 livres . . . ils furent
déboutés et condamnés à payer à Beaumarchais 40 000
livres pour ses reprises plus 1 000 écus de dommage et
intérêts” (Figaro, p. 353).
C’est sans doute ce dont parle Beaumarchais dans cette lettre
deux ans avant ce dernier jugement.
Voir Morton et Spinelli, Bibliographie, chapitre 7 sur les
Aubertin et les écrits de Beaumarchais contre eux. Nous avons
aussi trouvé dans une vente aux enchères chez Drouot-Richelieu
les 6 et 7 décembre 1995, “Manuscrit, ‘Précis pour le sR de
Beaumarchais’ [1779]: 3 pages in-fol.”
330
CARON DE BEAUMARCHAIS
2Nous
savons que Beaumarchais a achevé en 1778 la rédaction du
Mariage de Figaro dont il se souvient ici de la scène xiii de l’acte
III où Figaro déclare à Brid’oison “que la forme est le patrimoine
des tribunaux,” et de la scène xiv où Brid’oison répète “La forme,
la-a forme!”
3Voir tome II, lettres 232 n. 1, 275 n. 3, 305 n. 1, 306 et 379.
4Voir la lettre précédente n. 1.
879. De M. de Sartine
[12 novembre 1779]
M. de Sartine a lû avec attention le Précis que Monsieur de
Beaumarchais lui a envoyé. Il doit être bien sûr de toute celle
qu’il donnera au rapport qui sera fait par Mr Amelot.
M. de Sartine désire que la santé de Monsieur de
Beaumarchais soit meilleure et il l’exhorte a se tranquiliser./.
Ce 12 9bRe 1779
880. Du comte de Vergennes
à VerslEs le 16 9bRe 1779
M. Caron de Beaumarchais
J’ai reçu, M, la lettre que vous m’avez fait lhonneur de
m’ecrire ainsi que le memoire qui y étoit joint, et pour lequel je
vous fais mes remerciements. je pense que vous pouvez sans
inconvénient publier une refutation des assertions que le mémoire
justificatif de la Cour de Londres renferme relativement à vos
331
CORRESPONDANCE
expéditions pour l’amérique; mais je serois fort aise de voir votre
travail avant que vous le fassiez passer au courrier de l’europe.1
1Ecrit
dans la marge: “Sur l’inconvenient à refuter les assertions
de l’angr.e contre les expeditions de M. de Beaumarchais pour
l’amerique.” Cette phrase et la lettre elle-même semblent donc
montrer que ce que Beaumarchais a envoyé le 11 novembre à
Vergennes et à Maurepas était l’ “Exposé fidèle . . . ” (voir lettre
877 n. 1) et non ses Observations sur le Mémoire justificatif . . .
parce que celles-ci n’étaient pas encore écrites ou finies; voir la
lettre 882 où Beaumarchais dit qu’il est toujours en train de
préparer son mémoire. En tout cas il ne montre pas l’ouvrage
définitif à Vergennes et c’est de là que commencent ses difficultés.
881. Aux maire et échevins, consuls
assesseurs de la ville de Marseille
Paris ce 20 9bre 1779
Lorsque j’eus l’honneur Messieurs de vous accuser Le 12
aoust la reception de votre lettre du 4 je me proposais de partir
assés promptement pour l’Italie et de repasser a mon retour par
Marseille, ou je me promettais de vous faire tous mes
remerciemens, et de chercher quelque local qui put tenir lieu de
celui de ST Jaumes, 1 pour l’emploi auquel je le destinais. Et que
la guerre n’a fait que retarder: Ma santé qui a toujours eté tres
mauvaise depuis, m’a empeché d’exécuter le plan de tournée que
je m’etais fait.
Je ne puis pas mesme me flatter vu la trainasserie de ma
convalessence, de me mettre en route avant le milieu du mois
prochain. En attendant que je le puisse j’ai engagé Mr Le Cte de
Maurepas de vouloir bien demander à Mr De La Tour2 que ma
stérile jouissance du pensionnat fut prolongée de quelques mois;
certain que cette prolongation ne ferait tort a personne et que son
refus pourait m’en faire un considérable dans un cas qui peut
arriver malgré la guerre. Ce Ministre a eu la bonté de me le
332
CARON DE BEAUMARCHAIS
promettre. Je vais, a l’instant ou je commencerai à sortir,
m’informer du succès de ma demande tant auprès du Ministre
que de Mr de la Tour sil est encore ici ce que j’ignore.3
Et a vous Messieurs par continuation de la Bienveillance dont
vous m’avés honnoré je prens la liberté de vous demander votre
concours obligeant Je n’en abuserai point et je ne garderai les
clefs que jusqu’au tems ou ma santé me permettant de partir je
pourai vous aller assurer de toute la reconnaissance avec laquelle
j’ai lhonneur d’etre Messieurs
Votre tres humble et tres obéissant
et devoué serviteur://:Caron de Beaumarchais.
J’ai donné des ordres pour que la location fut acquitée et cest
Mr Bouillon qui a bien voulu se charger de ce soin.4
Mrs Les maire et echevins consuls assesseurs de Marseille
1Beaumarchais
avait loué à la ville de Marseille des locaux pour
entreposer les marchandises qu’il comptait recevoir d’Amérique.
Son bail ayant expiré et le pensionnat de Saint Jaumes
appartenant maintenant aux Oratoriens, Beaumarchais comptait
trouver un autre entrepôt. Saint Jaume=Saint Jacques en
provençal; Saint James en anglais.
2Président du Parlement d’Aix; voir tome II, lettre 362 et tome IV,
lettre 702.
3Voir lettre 888 où l’on accordera la prolongation.
4Au verso: “1779. / Paris Le 20 9bRe / MR Caron de Beaumarchais/ il
demande une prolongation du bail du pensionat des jesuites il doit
revenir en cette ville/ RepE Le 2 XbRe 1779.”
882. A M. de Sartine
A Mr de Sartines
Copie
Monsieur
Paris le 21 9bre 1779
CORRESPONDANCE
333
J’ai l’honneur de vous renvoyer cy joint la lettre et le compte
de Mr de Bienosky.1 Je savais bien d’avance qu’il mettait à cela
presque la vivacité du ressentiment. Vous jugerez aussi par la
lettre qu’il m’a écrite et que je joins à la vôtre, que je l’ai prêché
là dessus comme il convenait. Il est à vos pieds maintenant et
moi, pour lui permettre d’attendre patiemment le resultat de ses
comptes, je lui ai prèté 7 mille 4. et tout ira comme vous pouvez
le desirer.
S’il vous etait possible, ce dont je doute un peu, de retrouver
dans vos cartons, un mémoire que j’eus l’honneur de vous
remettre en juin 1777, intitulé: Outrages des Anglais;2 contenant
toutes les insultes qu’ils ont faites à nos Navires, avant qu’il fût
question de rien entre les deux nations; ce mémoire me serait
d’une grande utilité, aujourdhui, que je fais un travail sur la
partie du Mémoire Justificatif du Roi D’Angleterre, qui touche à
notre commerce. Moi qui ne perds jamais un lambeau de papier,
je ne sais comment j’ai égaré la minute de mon ouvrage intitulé:
Outrages des Anglais. Vous sentez combien cette comparaison de
leurs procedés et des nôtres peut acquérir de force sous ma plume
pour prouver qu’ils sont agresseurs.
La datte est de juin 1777. J’ai tout renversé chez moi, et le 1er
travail à ce sujet que je viens d’envoyer à Mr de Vergennes aurait
eu bien plus d’énergie, si ce diable de mémoire ne m’avait pas
manqué. La recherche que vous ferez à cet egard est un vrai
service que vous me rendrez et dont je ferai à l’instant un usage
qui ne pourra qu’être agréable aux Ministres du Roi.
Vous connaissez mon très respectueux devoument./.
M de Sartines
1Maurice-Auguste
Beniowsky (1746-1786), aventurier hongrois, a
écrit en français ses “Voyages et mémoires” qui ont été publiés en
anglais en 1790. L’édition française date de 1791 [Voyages et
mémoires de Maurice-Auguste comte de Benyowsky (rédigés par J.H. de Magellan et publiés par F.-J. Noel). 2 vols. Paris: F.
Buisson]. Ces mémoires pleins de fantaisie et d’imagination ont
connu un certain succès. Ils ont inspiré, parmi d’autres, Auguste
334
CARON DE BEAUMARCHAIS
von Kotzebue à ecrire une pièce Graf von Benyowsky vers 1790 et
Alexandre Duval un opéra en 1800, Beniowsky ou les exilés du
Kamtschatka musique de Boïeldieu. En 1769 Beniowsky combattit
en Russie sous les ordres de Pulaski. Il a été fait prisonnier et
envoyé au Kamtschatka. Après s’être échappé il est enfin arrivé en
France. Il y devient colonel et va ensuite à Madagascar pour
fonder une colonie. Il voyagea plusieurs fois en Amérique et avec
l’aide de Franklin et peut-être Beaumarchais il organisa une
expédition pour aller de l’Amérique à Madagascar où il mourut.
Dans sa Requête à MM. les représentans de la Commune de Paris .
. . Beaumarchais mentionne des militaires à qui il a prêté de
l’argent et qui ne l’ont jamais remboursé tels que von Steuben, le
comte Pulaski, Tronçon du Coudray, le chevalier Preudhomme de
Borre, et Beniowsky; voir Saint-Marc Girardin, p. 517 et
Tourneux, p. 289. Beniowsky est mort insolvable devant plus de
8424 livres à Beaumarchais (BHVP, MS 1319, f. 17).
2Nous n’avons pu trouver cet ouvrage.
883. Aux comédiens français
Mrs Les comédiens français a leur assemblée
ce 22 9bre 1779
Messieurs
De trois essais de moi que la comedie a bien voulu adopter,1
le plus fortement composé, (celui des deux amis) est resté depuis
8 ans accroché sans jeu ni reprise.2 On croira bientôt que vous
voulés punir ce Drame de ses succès sur tous les théatres
francais de l’Europe en ne le representant jamais sur le votre. La
Reine qui se plait quelquefois a le voir, n’a pu l’obtenir encore que
ces comédiens de la ville. On me demande pourquoi vous ne le
joués pas; et moi qui n’en sait rien je suis obligé de vous passer
la parole.
Au reste, il ny a pas d’instant plus favorable que celui ci
Messieurs pour tâter le gout de la capitale sur cet ouvrage. La
tragédie etant un peu en désordre, attendu ce que vous savés; 3 en
CORRESPONDANCE
335
attendant que le ciel y mette la main, ne pourait on pas essayer
ce que Paris pensera de la vertu dure et franche du bon aurelly
de la vive et noble sensibilité du philosophe Melac?4
Il est bien vrai que cette piece est du genre batard et
miserable qu’on cherche a proscrire aujourdhui sous le nom de
Drame; mais le vrai public qui ne proscrit que ce qui l’ennuie, n’a
pas encore prononcé l’anathême sur ce genre intéressant. Si l’état
affreux des finances du royaume sous feu l’abbé Terray,5
d’ecrazante mémoire, et surtout si l’epoque de la banqueroute
frauduleuse du janseniste Billard6 empécherent alors les
jansénistes du parterre, les mécontens de la Bourse, et les
perdans de la banqueroute, de gouter autant qu’on le devait, un
intérèt dramatique fondé sur la faillite inopinée dun honeste
homme, c’est qu’on simagina que je traduisais le malheur public
au théatre, et que j’y jouais l’honeste pénitent de Mr Grizel.
Mais une situation opposée ayant amené ces sentimens
contraires et le parterre aujourdui paraissant moins porté vers le
rigorisme de Jansénius, depuis quil est régenté par des
molinistes en soutanelle bleue gallonnée d’argent je crois quon
peut essayer de remettre cette pièce a l etude et de lui faire
gagner a son tour les honneurs du répertoire.
Mr Préville7 pour qui le role d’Aurelly fut fait voudra bien sans
doute y deployer de nouveau le plus superbe talent.
On dit que Mr Brizard8 a quitté les roles nobles des piéces du
siecle pour se resserer absolument dans le haut tragique si cela
est il faut gemir de la paralizie qui attaque un grand acteur dans
la plus belle moitié de ses succès et plaindre le public et les
auteurs de ce quune telle infirmité leur enleve un bon comédien
piéce par piece et vient ainsi couper en deux la brillante carriere
de Mr Brizard. Dans ce cas malheureux il faudrait prier Mr
Vanove9 de remplacer la moitié de Mr Brizard qui ne vit plus dans
le role de Melac pere.
Il est possible aussi que le role de Melac fils semble un peu
jeunet à Mr Molé10 devenu premier tragique. Alors j’engagerais Mr
Monvel11 qui n’a pas dédaigné le plus grand succès dans ce role
en province a sa derniere tournée de vouloir bien sen promettre
un semblable a Paris dans cette reprise.
336
CARON DE BEAUMARCHAIS
J’ignore aussi Messieurs a qui appartient le role de St Alban
que jouait Mr Belecourt.12 Sil n’obtenait pas non plus ladoption de
Mr Molé son successeur naturel Mr Fleuri13 qui joue tres
noblement tout cequil joue serait prié de vouloir bien letudier.
Pour ma petite Doligny,14 c’est toujours ma Pauline, ma
Rosine mon Eugénie, et quoique je sois, dit elle, un vilain
monstre qui n’aime point la comédie francaise et mille autres
lamentables faussetés du même genre
Entre elle et moi, Messieurs, c’est dit.
Nous ne formons qu’une famille.
Je suis son pere, elle est ma fille
et cela va, jusqu’au dédit.
Quant a mon pauvre imbécile d’André; son souvenir me
rapelle bien tristement celui du charmant comedien, de la douce
creature, de l’aimable et honeste garcon de feuilly,15 que j’aimais
de coeur et d’esprit, au théatre et dans la société. Comme il y a
peu d’apparence que Mr Bourette16 aqui feuilli avait plaisament
derobé ce petit role quil aimait disait il parcequil était rondement
bete, comme il ny a pas d’apparence dis je que Mr Bourette
consente à rentrer dans une possession aussi mesquine que
tardive dans le cas de son refus je suis bien certain que mon ami
Dazincourt17 ne me refuserait pas ce petit remplissage.
Voila tout je crois. Hé bon Dieu! Joubliais le role de Dabins
qui fut joué si vous vous le rapelés Messieurs par Mr Pin18 avec
une peruque si intolérablement ridicule que le public aheurté crut
ne voir qu’un commis d’usurier dans le role sensible d’un tres
honèste homme. Je voudrais bien l’offrir a un Monsieur dont le
nom ne mest pas connu mais que j’ai vu jouer dans le tragique
avec autant de sens que de sensibilité. Pourvu toutefois que
l’offre d’un role en prose ne soit pas regardée a la comédie comme
une insulte faite a un acteur en vers; car je ne veux blesser
personne. J’ai vu ce Monsieur jouer Terramène avec grand plaisir
et je ne sais sil ne se nomme pas Dorval ou Dorival.19
Maintenant Messieurs que vous avés entendu ma requète
vous mobligerés infiniment si vous daignés la cueillir et me faire
la grace de me croire avec toute la consideration possible
337
CORRESPONDANCE
Messieurs
1Eugénie,
votre
Les Deux Amis, Le Barbier de Séville.
l’origine, entre le 13 janvier et le 4 mars 1770, la pièce avait été
jouée douze fois; elle a été reprise en février 1783 sans succès et
n’a eu que deux représentations, le 12 et le 14.
3A cause d’une querelle entre deux tragédiennes, Mme Vestris et
Mlle Sainval, il était difficile de jouer une tragédie à la ComédieFrançaise sans attirer le tumulte des partisans de l’une ou de
l’autre (voir Correspondance secrète, VIII, pp. 210-15, 229-31, 24546); Beaumarchais croyait par conséquent que le moment était
favorable pour essayer un drame.
4Dans l’ “Avertissement” Aurelly est décrit comme “riche négociant
de Lyon, homme vif, honnête, franc et naïf” et Mélac comme
“receveur général des fermes à Lyon, philosophe sensible.”
5Joseph-Marie Terray (1715-1778) devient contrôleur général des
finances de France en 1769; ses opérations ont ruiné plusieurs
familles et le scandale de ses moeurs a inspiré du mépris à tout le
monde. En devenant roi, Louis XVI l’a exilé et l’a remplacé par
Turgot.
6François-Pierre Billard du Monceau, caissier-général des Postes de
1756 à 1769, a été condamné au pilori et au bannissement pour
banqueroute frauduleuse. Il était complice de l’abbé Grizel qui,
sous le nom de Billard avec lequel il partageait ensuite, se faisait
faire des legs considérables par ses pénitentes.
7Voir tome I, lettre 120 n. 3; il a créé le rôle du baron Hartley dans
Eugénie, d’Aurelly dans Les Deux Amis, de Figaro dans Le Barbier
de Séville, et de Brid’oison dans Le Mariage de Figaro; voir Manne,
Voltaire, pp. 135-46.
8Jean-Baptiste Britard, dit Brizard (1721-1791) a créé le rôle de
Mélac père. Il a commencé par étudier la peinture mais a montré
un goût pour le théâtre. Après avoir joué en province, il a été
attiré à Paris par mesdemoiselles Clairon et Dumesnil. C’est
Brizard qui a couronné de lauriers le buste de Voltaire en sa
présence même; voir Manne, Voltaire, pp. 165-74 et Etienne et
Martainville, II, pp. 27-33.
9Charles-Joseph Vanhove (1739-1803) a créé
Bazile dans Le
Mariage de Figaro, a joué le rôle du baron Hartley dans Eugénie.
C’était le beau-père de Talma; voir Manne, Talma, pp. 27-36.
10François-René Molé (1734-1802) était commis dans un bureau
mais adorait le théâtre. Dans son bureau il déclamait devant des
chaises vides en guise de spectateurs. Encouragé par son patron, il
a débuté à la Comédie-Française en 1754 mais n’a pas montré assez
2A
338
CARON DE BEAUMARCHAIS
de talent pour être reçu. Il a passé quelque temps en province pour
améliorer son art et en 1761 il a été reçu à la Comédie-Française;
il a créé le rôle de Mélac fils dans Les Deux Amis et d’Almaviva
dans Le Mariage de Figaro et La Mère coupable; il a été élu à
l’Académie Française en 1795; voir Manne, Voltaire, pp. 153-65.
11Voir tome II, lettre 308 n. 2; une de ses filles a pris le nom de
Mars cadettte et a joué sur la scène française pendant une
quarantaine d’années; voir Manne, Voltaire, pp. 241-51.
12Jean-Claude Colleson, dit Bellecour (1725-1778) a créé les rôles
de Saint-Alban dans Les Deux Amis, de Clarendon dans Eugénie et
d’Almaviva dans Le Barbier de Séville. Il jouait à Bordeaux quand
on est venu l’y chercher pour jouer à la Comédie-Française où il a
fait ses débuts en 1750. Il s’est vigoureusement opposé aux auteurs
dramatiques menés par Beaumarchais qui réclamaient des
comédiens un plus large partage des revenus; voir Manne, Voltaire,
pp. 119-25.
13Abraham-Joseph Bénard, dit Fleury (1750-1822) a joué Clarendon
dans Eugénie en 1778 et Almaviva dans Le Mariage de Figaro en
1802. Son père était directeur des spectacles auprès du Roi
Stanislas. Le jeune Fleury a joué à Lyon et à Lille; son premier
essai en 1774 à Paris n’a pas eu un grand succès mais il a réussi en
1778. Il a mis en scène Le Barbier de Séville au Trianon; on lui a
offert le rôle de Grippe-Soleil pour la première du Mariage de
Figaro mais il l’a refusé; voir Fleury, II, pp. 137, 395 et Manne,
Voltaire, pp. 315-26.
14Louise-Adélaïde Berton de Maisonneuve, dite Doligny (1746-1823)
a créé les trois rôles mentionnés, mais ayant pris sa retraite avant
la première du Mariage de Figaro, le rôle de la comtesse Almaviva
a été créé par Mlle Sainval cadette; voir lettre 887 n. 3 Mlle
Doligny a fait son début à la Comédie-Française en 1763 à l’âge de
17 ans; voir Manne, Voltaire, 185-194.
15Voir tome I, lettre 201 n. 3; il a débuté à la Comédie-Française
en 1764; il est mort jeune de la petite vérole. En plus du rôle
d’André il a aussi créé celui de Robert dans Eugénie; voir Manne,
Voltaire, pp. 215-18.
16Antoine-Claude
Bourre, dit Bouret (1732-1783) est resté
plusieurs années aux théâtres de la Foire et y a obtenu de vifs
succès dans les rôles de niais. Il a été reçu à la Comédie-Française
en 1762 et a créé le rôle du notaire dans Le Barbier de Séville; voir
Manne, Voltaire, pp. 181-84.
17Joseph-Jean-Baptiste Albouy, dit Dazincourt (1747-1809) a créé le
Figaro du Mariage de Figaro. Il était négociant dans les affaires de
son père quand sa tante l’a présenté au maréchal de Richelieu
dont il devient le secrétaire. Il jouait dans les théâtres de société
339
CORRESPONDANCE
et est allé apprendre le métier de comédien à Bruxelles; il a été
accepté à la Comédie-Française en 1777. Il donnait des leçons de
déclamation à Marie-Antoinette et s’occupait des spectacles à
Versailles. C’est lui qui a dirigé Le Barbier de Séville le 19 août
1785 au Trianon où la reine a joué Rosine; voir Jullien, p. 304 et
Manne, Talma, pp. 13-26.
18Comédien pensionnaire, il a joué Hircan sans grand succès à la
première des Scythes de Voltaire à Paris le 26 mars 1767. On peut
lire un compte rendu de la pièce dans La Correspondance littéraire
où l’on se moque de lui parce qu’il a oublié son texte. On y ajoute:
“[il] joue la comédie pour son plaisir, à ce qu’on dit, car il est riche,
mais [il] ne joue pas pour notre plaisir”; il a pris sa retraite en 1771
(Grimm, tome VII, p. 269 et IX, p. 397).
19Louis Dorival (1748-1793) fait ses débuts à la Comédie-Française,
le 8 juin 1776 dans le rôle de Polyeucte; voir Grimm, XII, p. 223 n.
4.
884. A Thérèse-Marthe Panckoucke1
Ce 22 novembre 1779.
Maintenant, Madame, que je vous entens bien, votre lettre
est cent fois plus difficile a répondre que lorsque je n’entendais
rien. Car on retrouve une chanson dans un ancien portefeuille, on
la donne a copier, on l’envoie, et l’on est quitte. Mais comment
voulés vous, Madame, que je trouve une piece entiere a trois
personages, avec musique, a 1er, second dessus, alto, basse,
corne, haubois, que je n’ai point vue depuis douze ans, que l’on
m’a volée et qui, si je la retrouvais, exigerait un travail de copiste
pendant douze ou 15 jours? et puis une sçene qui n’a jamais eté
ecrite, et qui me forcerait, pour me la rappeler, a me remettre a
la harpe que j’ai quittée depuis dix ans? J’aimerais autant qu’on
me donnat pour tâche d’aller courir après ma jeunesse et toutes
les folies qui l’accompagnerènt. Ma foi, Madame, j’ai bien peur de
se (sic) rester en chemin dans ma recherche. Un homme que
340
CARON DE BEAUMARCHAIS
j’aime et que j’estime, Mr De Chabanon,2 me fit la mesme
demande l’an passé. Je me donnai beaucoup de soins inutiles, et
je fus obligé de demander quartier; parce que cette partie si
frivole et si agréable de mes anciennes oisivetés a eté mise au
pillage pendant les 7 ou 8 années qui ont empoisonné mon âge
viril.
N’importe, Madame, je recomencerai mes recherches; et si le
loisir d’embrasser une harpe me revient jamais, je tacherai de
retrouver dans les recoins de mon cerveau musical les traits d’une
scene qui ne manquait pas d’effets agréables. Elle etait haute en
couleurs, comme nous l’avons dit; mais les jolies femmes la
soutenaient fort bien, dans le demi jour d’un salon peu eclairé le
soir, apres souper. Elles disaient seulement, que j’etais bien fou.
Bon Dieu! combien je suis devenu grave! Il ne me reste de
tout cela que le regret de ne l’avoir pas plus present a l’esprit,
pour vous satisfaire, et le desir de le retrouver pour vous prouver
avec quel plaisir je vous donnerais cette marque de respectueux
dévouement et de tous les sentimens avec lesquels ai l’honneur
d’etre Madame,
Votre tres humble et tres obéissant serviteur,
://: Caron de Beaumarchais.
Mr Pankouke m’avait fait dire quil me viendrait voir samedi;
je l’ai attendu toute la matinee sans le voir arriver. Serait il
incommodé?
Je relis ma lettre et j’y vois que je ne vous promèts rien. Mais
aussi vous me demandés des choses a peu près impossibles!
Pardon Madame, je ferai l’impossible pour arriver à
limpossibilité que vous désirés.
1Thérèse-Marthe
Panckoucke femme de Charles-Joseph Panckoucke
à qui Beaumarchais a acheté les manuscrits de Voltaire. Elle est la
fille de Martin Couret de Villeneuve, imprimeur du Roi; la famille
est d’origine orléannaise; voir Tucoo-Chala, p. 177.
2Michel-Paul-Guy
de Chabanon (1730-1792) auteur tragique
médiocre et musicien distingué; son talent de violoniste lui a
donné un grand succès dans le monde. Dès 1760 il était membre de
l’Académie des Inscriptions et belles lettres et il a été reçu à
l’Académie française en 1780.
CORRESPONDANCE
341
885. A Monvel 1
Copie
MR Monvel.
Paris. 24 9bre 1779.
Eh! Comment
se
pourrait-il, Monsieur, qu’aimant
passionnement la Comédie, je fusse l’ennemi de ceux qui la
jouent si bien! ces choses la ne marchent pas ensemble dans la
même tête.
Il ne faut pas réfléchir bien profondément pour voir, comme
moi, qu’une grande anarchie et beaucoup de vices particuliers, en
détruisant bientôt l’émulation des acteurs et des auteurs
entraineront bientôt la dégradation et la chute entière du
Théatre français.
Aussi loin d’avoir travaillé contre l’intérêt de la Comédie,
comme on le pense aux Thuilleries, il n’y a qu’un grand amour
pour elle qui ait pu depuis trois ans me faire négliger souvent les
affaires les plus importantes pour me livrer à l’étude de celle-ci.
Je soumettrai avec le plaisir mes travaux et mes vues à 4
hommes sensés de votre Compagnie si je pouvais espérer que
dépouillant ainsi que je l’ai fait tout intérêt personnel ils
arriveraient chez moi pleins du désir de rémédier au mal qui
éxiste et de m’y aider au lieu de nuire à mes travaux.
Lorsque j’ai eu l’honneur de les présenter à M le Comte de
Maurepas ce Ministre m’a demandé en riant si c’était
sérieusement que je m’en occupais.—Si sérieusement, lui ai-je
repondu que je mettrais à la tête de mes plus doux succès
l’heureux éffort qui tendrait à relever le Théatre la plus brillante
partie de notre litterature.
Quand à mes Deux Amis je rends graces, MR à la comédie de
l’obligeant empressement qu’elle met a répondre à mes
demandes. 2 Mais ne croyez pas que ce soit la premr.e fois que j’en
parle, il existe à la Comédie deux lettres de moi et j’ai même à
diverses assemblées levé cette question qui a toujours été éludée.
Il est facheux pour moi que M. Brizard abandonne un rôle
dans lequel il fut si fort applaudi malgré les ennemis de la piece
342
CARON DE BEAUMARCHAIS
et de l’auteur. Je fis cette piece exprès pour opposer sans se
défaire; deux grands acteurs dans les genres où ils sont le mieux
vu du public. M. Brizard avait pensé que le pere d’Eugenie était
de son emploi. Je renouvellai le caractere d’Hartley dans Aurelly,
pour M. Préville et je composai celui de Mélac pere avec tout le
soin dont je fus capable pour montrer à M. Brizard la nuance de
noblesse et d’élévation qui me paraissait convenir à son talent et
à sa belle figure.
Si je croyais, qu’en le priant encore de s’en charger, je puisse
l’obtenir de sa complaisance, cela n’empecherait pas MR Vanovre
de l’étudier pour remplacer M. Brizard quand celui-ci serait
fatigué de le jouer. Voyez, MR je vous prie, si la piece peut obtenir
cet effort de lui; je suis sur que des applaudissemens multipliés
seront la recompense de sa nouvelle étude. Et quoique j’aye
badiné sur le courage d’un acteur qui se coupe en deux, je serais
sensible à l’éffort de MR Brizard pour réünir en ma faveur les deux
parties séparées de ce beau tout. Entre vous et MR Molé
l’arrangement du reste. Je ne prononce point: mais si quelque
chose arrive... je serai satisfait. Vous m’entendez. Je vous salue,
vous honore et vous aime./.
Signé Beaumarchais
P.S. M. Dazincourt qui sort de chez moi, voulant bien mettre au
petit rôle d’André plus d’importance qu’il n’en comporte vient de
m’assurer que l’adoption que M. Bourette en fait l’empêche seule
d’en solliciter la préférence, en m’ajoutant qu’il en accepte la
survivance. On ne peut être a la fois plus modeste et plus
obligeant.
Je réitere tous mes remerciemens a la Comédie française de
la reprise de ma piece et je vous prie spécialement de vous
charger de ma reconnaissance ou de mes regrets auprès de MR
Brizard.
.. /.. /.. /.
1Voir
lettre 883 n. 11. Tous les acteurs mentionnés dans cette
lettre-ci sont identifiés dans la lettre 883.
2Voir lettre 883.
CORRESPONDANCE
343
886. De Monvel
[24 novembre 1779]
Monsieur,
Nous avons reçu votre charmante lettre,1 et l’on me charge de
vous répondre que l’on n’épargnera rien pour remplir vos vues;
c’est une commission que j’accepte avec autant d’empressement
que de joie. La Comédie va remettre à l’étude votre pièce des
Deux Amis. Elle désirerait avec ardeur que vous fussiez le sien, et
fera tout pour mettre le tort de votre côté, si ses efforts sont
infructueux.2
L’espèce d’oubli (oubli local toutefois) où votre ouvrage est
resté peut-être est moins sa faute que celle des circonstances.
Vous-même (à ce qu’on dit) avez négligé de l’en tirer; on dit que
vous n’avez jamais parlé de la reprise de ce drame attendrissant,
joué partout avec un succès qui reproche à la capitale et ses
jugements précipités, et cet esprit de parti armé souvent contre
les productions les plus estimables.
S’il se trouve parmi nous, parmi les amateurs du bon genre
quelques détracteurs de ce genre intéressant que l’on condamne
en pleurant, quelques ennemis de ces pièces si fort dans la
nature, si morales, si touchantes, aux représentations desquelles
le public maladroit se porte ordinairement en foule, j’espère que
la recette apaisera leur bile, désarmera leur colère, et qu’ils
pardonneront à l’auteur du Barbier de Séville et d’Eugénie d’avoir
le double talent, ce talent si rare, de faire rire et d’arracher des
larmes.
Tous mes camarades souscrivent de grand coeur à la
distribution que vous faites de vos rôles. Molé n’a point encore
prononcé sur Mélac fils et sur Saint-Alban. Quoique je sache le
premier, quoiqu’il m’ait fait quelque honneur, s’il en conserve la
possession, l’honnête fermier général satisfera mon ambition; je
m’efforcerai de n’être point au-dessous de la noblesse de son âme.
Puissé-je vous convaincre, Monsieur, par mon zèle et mon
344
CARON DE BEAUMARCHAIS
activité, que personne plus que moi ne rend justice aux talents
variés et charmants dont vous avez donné tant de preuves, à
cette touche originale et piquante qui vous caractérise, et au
mérite réel des ouvrages divers dont vous avez enrichi notre
littérature.
J’ai l’honneur d’être, avec toute la considération possible,
Monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur.
Signé: Boutet de Monvel.
Ce 24 novembre 1779.
1Voir
lettre 885.
phrase montre que les comédiens n’ont pas oublié le
différend entre Beaumarchais et eux-mêmes au sujet de la Société
des Auteurs Dramatiques et des comptes du Barbier de Séville.
2Cette
887. De Mlle Doligny
[24 novembre 1779]
Monsieur,
Je ne saurais trop vous remercier de ce que vous avez dit de
moi dans la lettre que vous avez écrite à la Comédie au sujet des
Deux Amis.1 Tous mes camarades ont été enchantés de la gaieté
et de l’esprit qui brillent dans votre lettre. J’ai été plus enchantée
qu’eux tous, mais c’est de votre amitié et de vos bontés pour moi.
M. de Grammont,2 dont vous connaissez les qualités et les
talents, m’engage à vous demander une grâce, c’est de faire
donner un ordre de début ou un engagement par les actionnaires
de Bordeaux, à Mme Linguet, qui se trouve à présent à Bordeaux;
elle a été deux ans à la Comédie-Italienne, et n’en est sortie que
par rapport à son mari. M. de Grammont, qui vous donnera ma
lettre, vous expliquera l’affaire plus en détail. Faites placer, je
345
CORRESPONDANCE
vous prie, Mme Linguet; c’est votre Eugénie, votre Rosine, votre
Pauline, c’est la comtesse Almaviva3 qui vous sollicitent: j’ose
espérer que vous aurez quelque égard à leur recommandation.
Recevez les témoignages de l’estime, de l’attachement et de la
reconnaissance avec lesquels je suis pour la vie, Monsieur, votre
très-humble et très-obéissante servante.
Signé: Doligny.
1Voir
lettre 883.
de Loménie: “Ce M. de Grammont n’a rien de commun avec
l’illustre famille de ce nom; c’était un acteur de la ComédieFrançaise, qui après avoir montré quelque talent dans les rôles
tragiques, se mit à pratiquer la tragédie sous la Terreur, devint un
Jacobin farouche, et finit sur l’échafaud.”
J.-B. Jacques Nourry de Grammont de Rozelly (1752?-1794) a
probablement fait ses débuts à la Comédie-Française le 5 février
1779. Il a été guillotiné avec Chaumette, Gobel, la veuve d’Hébert
et Lucile Desmoulins; voir Grimm, XII, pp. 224-25.
3Note de Loménie: “Ce nom que prend ici M lle Doligny en 1779
2Note
prouve que déjà à cette époque Beaumarchais avait écrit au moins
le plan du Mariage de Figaro, qui ne fut joué qu’en 1784, et qu’il
réservait à Mlle Doligny le rôle de la comtesse Almaviva”; voir
lettre 883 n. 14.
888. Des maire et échevins, consuls assesseurs de
la ville de Marseille
A MR Caron de Beaumarchais
à Paris
Le 3 Xbre 1779
Nous recevons, Monsieur, la lettre que vous nous avés fait
l’honneur de nous écrire le 20 9bre de.r;1 comme le pensionnat n’est
plus à notre disposition depuis les lettres patentes du mois de
janvier 1779, ainsi que nous avons eu l’honneur de vous le
346
CARON DE BEAUMARCHAIS
marquer par notre lettre du 4 août, nous avons été dans le cas de
faire part de votre demande a Messr.s les Pretres de la
congregation de l’oratoire. Ces messieurs sont très disposé, ainsi
que nous à concourir à vos arrangemens, et vous pourrés garder
les clefs du pensionnat jusques au 1e.r may prochain. Si cependant
ce terme étoit trop court pour vos dispositions, nous nous flattons
que Messr.s De l’Oratoire voudroient bien consentir a prolonger le
Bail jusqu’à la fin de juin prochain. Nous souhaitons que cet
arrangement puisse vous être agréable. Nous serons très
charmés que vos affaires vous attirent en cette ville pour vous
assurer de vive voix de la parfaite consideration avec laquelle
nous avons l’honneur d’etre Monsieur
Xa Xa
1Voir
lettre 881.
889. A Benjamin Franklin
Paris ce 8 XbRe 1779
Ayant entendu dire, Monsieur, que vous preniez un hotel à
Paris et par conséquent un Suisse; Le nommé Abbeg m’a
demandé une Lettre pour se presenter à vous, et vous offrir ses
services, dans le cas où ce bruit serait fondé. Il m’a été
recommandé par Mr Le Noir,1 et est parent de son propre Suisse
dont il est très content; cela serait d’un bon augure pour celui-ci
qu’on dit réellement être un très éxcellent sujet. Je joins donc
mes sollicitations à celles de ce Magistrat, pour vous prier de
donner la préférence à cet homme, et je vous en aurai en mon
particulier une sensible obligation.
J’ai L’honneur d’être avec un respectueux attachement,
347
CORRESPONDANCE
Monsieur
serviteur
Votre très humble et très obeisst
://: Caron de Beaumarchais2
Mr Franklin
1Voir
tome I, lettre 17 n. 3.
Beaumarchais Caron De / 8. Dec. 1779.
2Verso:
890. Aux maire et echevins, consuls assesseurs de
la ville de Marseille
Paris ce 10 Xbre 1779.
Messieurs
Je n’ai que le tems de vous rendre des actions de grace de la
réponse obligeante que vous avés bien voulu faire a ma lettre.1 Je
suis envelopé de 6 mille paquèts de l’un desquels je vous fais
lhommage.2 vous y reconaitrés un bon francais, un ami du
commerce et lhomme qui shonnore d’etre avec une reconnaissance
respectueuse
Messieurs
Votre tres humble et tres obeissant
serviteur Caron de Beaumarchais.3
Mrs Les Maire Echevins assesseurs
1Voir
lettre 888.
Observations sur le Mémoire justificatif; voir lettre 903. Donc
nous pouvons conclure que Beaumarchais a publié le pamphlet
entre le 21 novembre (voir lettre 882 où il disait qu’il le préparait)
et le 10 décembre.
2Ses
348
CARON DE BEAUMARCHAIS
3Au
verso: “1779 / Paris 10 XbRe / MR De Beaumarchais / il nous
remet six exemplaires / de son memoire sur les imputations / de
langleterre./ Repe Le 24 XbRe”
891. Au comte de Vergennes
Vers
18 XbRe 1779 1
samedi au soir
Monsieur Le Comte
Je réfléchis beaucoup a ce que vous m’avés dit. Le moyen que
vous préférés peut produire un terrible effet.2 Du moins ne le
précipités point. rien ne marche aussi vite que le courrier de
L’europe. Je puis, sous le nom seul de l’auteur des observations a
la suite de la feuille qui les contiendra mettre un tel correctif que
tout le monde soit content.
Je me propose de vous l’envoyer; et si vous et Mr De
Maurepas ne le trouvés pas suffisant; vous serés toujours le
maitre de revenir a votre projet. Après une suppression il est
impossible que je fasse insérer ces observations, dans le courrier .
Mais en retranchant la phraze moi mesme dans le corps de
l’ouvrage et disant une chose tres noble et très convenable en
desaveu sur cette mesme phraze a la fin de la feuille, il paraitra
bien plus simple qu’un honêste homme revienne franchement sur
ses pas que de voir une administration blamer un ecrit fait pour
honorer la france et le Roi comme ils doivent l’etre. On croira que
les Ministres se sont offensés de ce qu’on ne les a lavés de
perfidie qu’en montrant leur condescendance pour l’angleterre.
Au lieu que le correctif que je propose ayant toute la force et
la noblesse d’un libre desaveu ne commet personne. Avés vous
bien pensé a l’argument que tirerait l’angleterre d’une
suppression pareille? Vous supprimés tout l’ouvrage pour deux
mots qu’on en peut oter avec un honorable eclat! ces deux mots
sont une erreur de fait. rien de si simple que d’en revenir. Mais
CORRESPONDANCE
349
desavouer un ecrit qui eleve l’ame et le coeur de tous les bons
français! (la cour exceptée ou il y a peu de patriotisme) Desavouer
suprimer tout un ecrit en bon patriote et dont j’ai deja douze cent
tendre remercimens! Vous verrés dire hautement a Londres que
tous les faits que j’ai avancés sont faux; car sans vous expliquer,
vous parlés d’assertions hazardées on en tirera un avantage
public contre la france et rien ne me relévera. Et surtout le
reproche de perfidie reviendra dans toute sa force.
Pezés ces raisons je vous conjure. Voyés mon correctif avant
de supprimer. Mon interet personel me touche beaucoup moins
que celui de mon paÿs et lhonneur des Ministres que je respecte
et a qui j’adresse ces refléxions.
Quant au comité de la lecture comme je n’ai pas mis le nez
hors de chez moi il n’est pas difficile de concevoir que chacun a
pensé sans que je le dise que dans un paÿs ou la presse n’est pas
libre un ecrit honorable ne saurait mesme paraitre sans un tacite
aveu de l’autorité. raison de plus pour ne pas preferer la
supression, au libre desaveu de l’auteur. Pardon Monsieur le
comte c’est de mon auberge que je griffonne.
1Cette
ligne n’étant pas de la main de Beaumarchais, il est
difficile de dire si le mot “Vers” est une abbréviation pour Versailles
(comme l’entend Shewmake, p. xviii) ou si c’est la préposition vers
[comme le proposent les von Proschwitz (CE, doc. 210 n. 1)].
Comme l’indiquent aussi Gunnar et Mavis von Proschwitz, le 18
décembre était justement un samedi.
2On allait supprimer ses Observations sur le Mémoire justificatif. Les
ducs de Praslin, de Choiseul et de Nivernais, qui avaient négocié le
Traité de Paris de 1763, se sont plaints parce que Beaumarchais
répétait un bruit qui courait selon lequel l’Angleterre aurait limité
le nombre de vaisseaux que la France pouvait armer.
Beaumarchais propose ici de publier un correctif et de le faire
mettre dans le Courier de l’Europe.
350
CARON DE BEAUMARCHAIS
892. Du maréchal de Richelieu
[18 décembre 1779]
Monsieur de Beaumarchais devoit se trouver cet aujourd’huy
chès M le Marechal de Richelieu avec M. de Laferté pour y
terminer l’affaire des auteurs; mais il apprend dans le moment
par une lettre de M de la ferté qu’il est obligé d’aller à Versailles
et il le prie par cette lettre de remettre le rendès-vous
d’aujourd’huy a lundi prochain onze heures ou onze heures et
demie, de sorte que M le Marechal de Richelieu est obligé de
proposer à Monsieur de Beaumarchais de venir chès lui Lundi à
la dite heure, et si cette proposition lui convient, il la mandera à
M de la ferté pour qu’il n’y manque pas.
ce samedi 18 XbRe 1779
893. Au comte de Vergennes
Paris, ce 19 XbRe 1779.
Monsieur Le comte.
Je joins a ce court mémoire,1 a ma lettre au rédacteur du
courrier de l’europe, l’exemplaire que Mr le Duc de Choiseul me
renvoie emargé de sa main p. 35, des deux mots que je vous ai
désignés.2 La lettre où le court billet qui l’accompagne est de Mde
L’abesse de St Louis soeur de Mr Le Duc de Choiseul; et loin de
me persifler, voila trois fois qu’on revient chéz moi pour me
demander ma réponse tres sérieuse. On voudrait savoir de moi,
si quelqu’un m’a inspiré de lui causer ce vif chagrin. Ma réponse
verbale a eté que je ne connaissais personne assés lâche pour
tenter de m’inspirer une semblable intention; que la fierté de de
[sic] mon caractère me ferait fuir a jamais celui qui me croirait
351
CORRESPONDANCE
capable de m’y pretter. Mais qu’en connaissances, en amis, en
protecteurs, j’avais eté asses heureux pour ne m’affilier qu’a des
ames nobles et généreuses. Quant a ma réponse sur l’article de
la page 35. J’ai fait lire sur le champ, ma lettre au courrier de
l’europe. On m’en a paru enchanté. On a voulu en prendre copie.
J’ai répondu. Si un grand malheur ne m’arrive pas d’ici a mardi
j’en donnerai telles copies que l’on voudra. S’il m’arrive, je ne dois
plus rien a personne et ma carrière française est achevée, si ce
n’est pas ma carière humaine.
Je vous suplie, Monsieur le comte, après en avoir conféré avec
Mr Le Cte de Maurepas, de vouloir bien me renvoyer l’article du
courrier, l’exemplaire Choiseul, et le billet de Mde sa soeur. J’en
dirai beaucoup d’avantage a Mr Le Cte de Maurepas, si j’ai encore
le bonheur de lui offrir mes respects.
Je vais me remettre au lit; car j’ai la fievre.
Mr Le Ct.e de Vergennes.
1Il
s’agit probablement de la lettre suivante.
lettre 894 n. 3; les deux mots sont “fausse” et “absurde”.
2Voir
894. A tous les ministres du Roi
19 décembre 1779.
Messeigneurs,
Si un guerrier qui se bat pour son pays n’en doit pas recevoir
un soufflet déshonorant parce que l’inégalité du terrain l’aurait
fait broncher un instant, est-il de la justice du roi de ranger dans
la classe des libellistes scandaleux, dont les arrêts suppriment
les ouvrages, un écrivain qui repousse avec force et dignité les
noires imputations des ennemis de la patrie, parce qu’il est
tombé avec cent mille autres dans une erreur involontaire, mais
facile, avantageuse même à relever dignement?
352
CARON DE BEAUMARCHAIS
Lorsque l’homme qui n’a prétendu qu’à l’honneur d’avoir
raison ne rougit pas d’avouer publiquement son erreur et d’en
tirer un grand fruit pour la cause qu’il défend, y a-t-il de
l’inconvénient à le laisser s’en relever lui-même?
Que peut-il en effet résulter de plus fort contre une assertion
hasardée que le désaveu libre et franc de son auteur, lorsqu’il
peut le répandre aussi rapidement que son ouvrage? Et doit-on
garder au zèle, au travail, au patriotisme, le déshonneur des
suppressions destinées à punir les écarts volontaires, les
coupables gangrénés et les pécheurs impénitents?
Avant de me traiter avec cette cruauté, je supplie les
ministres du roi de lire ce que j’envoie au Courrier de l’Europe, à
celui du Nord.1 La même chose en substance sera mise à l’instant
dans tous les papiers publics, avec promesse à tous ceux qui me
remettront l’exemplaire fautif de leur en faire tenir deux rectifiés.
Je les supplie aussi de réfléchir que discréditer un semblable
écrit par la flétrissure d’un arrêt est lui ravir tout ce qu’il
renferme de bon et de louable, et rendre au reproche de perfidie
du manifeste anglais toute sa force par le désaveu des grands
principes de la réponse.
A la douleur que j’en éprouve d’avance, je sens que je n’en
pourrai supporter l’odieux effet. Ma tête échappe à ma raison, et
j’ai passé la plus cruelle des nuits.
On m’apporte à l’instant, de la part d’une parente de M. de
Choiseul,2 un exemplaire émargé de sa main pour m’être remis,
avec ces mots, page 35. Ce fait est faux et absurde. Ce sont
justement les termes de votre projet d’arrêt.3 Il les aura donc
dictés lui-même!4
Faux! l’expression est juste, puisque le fait n’est pas vrai;
mais absurde! Après Dunkerque et son commissaire anglais,
osera-t-on, sans baisser les yeux, qualifier d’absurde un fait
maritime qui nous regarde, quelque dur qu’il puisse être?5
Détruire un port de France à dix lieues de l’ennemi par son
ordre, et le tenir en ruine sous la honteuse inspection d’un
commissaire à lui, voilà ce qui est vraiment absurde et n’en existe
pas moins sous nos yeux indignés depuis cent ans.6
Je parle à des coeurs français, je dois être entendu. Eh!
laissez-moi, Messeigneurs, laissez-moi, je vous en conjure, me
CORRESPONDANCE
353
relever de mon erreur. Je puis le faire honorablement et avec
fruit; mais je sens bien au mal qui me suffoque que j’en mourrai
de douleur, si vous avez la cruauté de livrer ma personne et mon
ouvrage à la dégradation d’une flétrissure.
Il ne resterait plus à mes amis qu’à faire imprimer les douze
ou quinze cents lettres exaltées que j’ai reçues depuis six jours,
où le coeur des bons citoyens se montre à découvert par la
vivacité de leurs remercîments;
Où l’un dit: Je mettrai cet écrit dans une case à part, avec
Tacite, le cardinal de Retz, Price et Sidney,7 car aucun monument
aussi noble, aussi digne de la nation, n’honorera les événements
actuels;
Où l’autre écrit: L’auteur a l’ivresse du patriotisme; sa plume
étincelle. Il est donc vrai que l’homme ne fait de grandes choses que
lorsqu’il est animé de grandes passions!
Où un troisième avoue qu’il n’a jamais bien connu la question,
et qu’avant moi tout le monde donnait le tort à la France, mais
qu’enfin voilà l’opinion fixée;
Où tous me rendent grâce de mon zèle et de mon courage
dans un pays où si peu de gens se soucient d’en montrer pour la
gloire de la France. Ces lettres de mes concitoyens montreraient
qu’une telle bizarrerie est attachée à mon sort, que je ne puis
rien entreprendre de bien qui ne me porte dommage. Il a voulu,
dirait-on, travailler, armer pour son pays, on a arrêté ses
expéditions; il a voulu écrire pour défendre l’honneur de la
France, on a supprimé ses ouvrages. Sa nation l’estimait, et
l’autorité l’écrasait. Il n’avait donc plus d’autre choix que de
mourir ou de s’enfuir.
Par grâce, par humanité, si je ne puis l’obtenir par justice, ne
me donnez pas le crève-coeur d’une suppression pendant que
vous souffrez un Linguet!8 Il vous a tous insultés, je vous ai tous
respectés; il a fait l’aiguillonnade et moi les observations. Quelle
différence et d’oeuvre et de récompense!
Si cet affreux arrêt est lancé, je me regarde comme un
membre coupé, mort, qui ne tient plus à rien, et je ne veux plus
devoir à la France que l’extrême-onction ou un passeport.
Je vous demande pardon, mais je suis au désespoir.
Caron de Beaumarchais.
354
1Voir
CARON DE BEAUMARCHAIS
lettre 899. Le propriétaire de ces deux journaux était Samuel
Swinton (voir lettre 796 n. 2); voir von Proschwitz, CE, I, pp. 100103.
2C’est l’abbesse de Saint-Louis, la soeur du duc de Choiseul; voir
lettre 893.
3Voici la phrase qui se trouve dans l’ “Extrait des registres du
Conseil d’état du Roy” (MAE, CP, Angleterre, tome 532, f. 209):
“cette allégation [que le traité limite le nombre de
vaisseaux] étant entierement contraire à la verité, et
démentie tant par le Traité qui ne renferme aucun article
secrèt, que par les actes qui l’ont précédé et suivi, sa
Majesté auroit estimé ne pouvoir laisser subsister une
assertion aussi fausse et aussi absurde.”
4Dans la lettre de Choiseul à Vergennes du 17 décembre [MAE,
CP, Angleterre, tome 532, f. 196-98 et publiée dans la
Correspondance secrète (IX, pp. 141-45)] on peut lire au sujet de
l’allégation: “C’est cette assertion fausse et absurde que je prends,
Monsieur, la liberté de vous dénoncer.” La lettre de Praslin et la
réponse de Vergennes ont aussi été publiées dans la
Correspondance secrète (IX, pp. 145-48, 168-69).
5Il est intéressant de noter que Beaumarchais a déjà émis l’idée
que le traité de 1763 limitait le nombre de vaisseaux que la France
pouvait avoir. Dans sa lettre au roi du 7 décembre 1775 (tome II,
lettre 328, p. 152) Beaumarchais dit en parlant du peuple anglais:
“N’est-ce pas lui qui vous a réduit à l’humiliation de détruire vous
mesmes le plus beau de vos ports de l’Océan, qui vous a forcé de
désarmer dans tous les autres et a fixé le petit nombre de vaisseaux
qu’il vous suffirait désormais?” Vergennes a sans doute lu cette
lettre mais nous n’avons aucun document qui note sa réaction à
cette phrase.
6Après le traité d’Utrecht en 1713, il a fallu détruire les
fortifications de Vauban à Dunkerque; on a aussi comblé le port;
voir la lettre suivante.
7Les quatre noms mentionnés ici sont ceux d’auteurs qui ont
combattu le pouvoir arbitraire: Tacite était contre le despotisme
des empereurs romains; Retz a lutté contre Richelieu et Mazarin;
Richard Price, un Anglais, était du côté des Américains pendant
leur guerre d’indépendance et a rédigé en 1776 ses Observations on
the Nature of Civil Liberty, the Principles of Government, and the
Justice and Policy of War with America; Algernon Sidney s’opposait
au règne dictatorial d’Oliver Cromwell.
8Simon-Nicolas-Henri Linguet (1736-1794) était mathématicien,
journaliste et avocat. Dans son Journal de politique et de littérature
CORRESPONDANCE
355
il s’en prend aux philosophes, aux académiciens, aux ministres, et
al. C’était un polémiste virulent qui a reçu deux lettres de cachet
et passé vingt mois à la Bastille. Après avoir défendu et justifié le
duc d’Aiguillon contre les attaques du Parlement de Bretagne,
Linguet publie son Aiguilloniana, ou Anecdotes utiles pour l’histoire
de France au dix-huitième siècle, depuis l’année 1770 . . . Londres,
1777, où il critique le duc de ne pas l’avoir assez payé pour son
travail.
895. Du comte de Vergennes
M. de Beaumarchais.
1779
A Versailles le 19 Decembre
Je communiquerai Mr vos observations partout ou vous le
desirés, mais je vous previens qu’il est trop tard pour qu’elles
fassent effet. Les ordres sont donnés et expediés tels que je vous
les ai annoncés. 1 Je suis faché que vous les preniés si au
tragique; en verité il n’y a pas de quoi vous affliger. Vous avez
commis une erreur d’autant plus grave, qu’avec un peu de
reflexion il vous eut été facile de vous eclairer. Permettez moi de
vous observer que la maniere dont vous vous proposés de la
redresser n’est nullement obligeante ni pour ceux qui ont été
dans le cas de vous la reprocher, ni meme pour la nation. où
seroit son energie si elle avoit connu et souffert une humiliation
du genre de celle que vous lui proposés. La similtude que vous
empruntés de la demolition de Dunkerque n’est rien moins que
juste. Cette place avait un acquêt de Louis 14, fait à prix
d’argent et cedé par un prince faible et dissipateur. A la paix
d’Utrecht il ne convenoit pas aux deux puissances
preponderantes qu’elle restât entre les mains de la france; celle-ci
ne pouvoit consentir qu’elle passât dans les mains d’une
puissance voisine et alors rivale qui auroit eu un acces trop facile
dans l’intérieur. On prit pour terme moyen, pour expedient
conciliateur la demolition. Il n’y avoit rien en cela qui affrontât la
356
CARON DE BEAUMARCHAIS
nation. On auroit pu ceder Dunkerque comme toute autre place
que nous avons abandonnée dans le temps. Après cela, il ne doit
pas vous paroître étrange que nous regardions comme fausse et
absurde votre assertion concernant la limitation des vaisseaux,
et c’est a tort que vous suposés que nous copierions le jugement
de M. le Duc de Choiseul. La vérité n’étant qu’une, il en est de
même de la fausseté, tous les esprits droits la saississent
également. Appreciés votre similitude et jugés si la qualification
d’absurdité est impropre.
Sachez souffrir, Monsieur, ce qu’il ne vous est pas possible
d’empecher.2 Je ne sais si votre curé voudra vous donner l’extreme
onction, pour moi je ne vous promets point de passeport.
Ne doutez jamais de ma sincere estime.
P.S. Je joins ici l’exemplaire corrigé. Je ne puis vous renvoyer vos
autres ecrits qu’après la communication./. 3
1Probablement
le jour du 18 décembre; voir lettre 891 où
Beaumarchais mentionne qu’il a parlé à Vergennes. Pour la
suppression voir: “Extrait des Registres du Conseil d’Etat du Roi”
(MAE, CP, Angleterre, tome 532, f. 209) et la version imprimée,
Arrêt du conseil d’état du roi, Qui supprime un Imprimé, ayant pour
titre: Observations sur le Mémoire justificatif de la Cour de Londres,
par Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais. Du 19 Décembre 1779.
Extrait des Registres du Conseil d’etat. [A Paris, De l’Imprimerie
Royale. 1779].
2Voir Le Mariage de Figaro, acte IV, scène viii où le comte dit: “Il
faut souffrir ce qu’on ne peut empêcher.”
3Ecrit dans la marge: “Explications sur l’impossibilité d’adopter les
expédients proposés par M. de Beaumarchais pour empecher la
fletrissure de son ouvrage intitulé Observation sur le mémoire
justificatif de la cour de Londres.”
CORRESPONDANCE
357
896. De M. Le Noir
le 19 décembre 1779
Voici, Monsieur, un manuscrit pour lequel on demande la
permission d’imprimer. Je ne l’ai pas lu; je vous prie de m’en
donner votre avis. 1
1Voir
la lettre suivante.
897. A M. Le Noir
[après le 19 décembre 1779]
Cette lettre est mentionnée dans Loménie, II, pp. 249-50. A
la p. 249, Loménie écrit: “[Beaumarchais] répond au magistrat1
qu’il n’a rien trouvé de blâmable dans l’ouvrage politiquement
badin qu’on lui adresse, et que la censure proprement dite ne doit
pas en arrêter l’impression. Cependant, comme il ne veut pas
rester trop au-dessous de ce rôle austère de censeur, et comme il
reconnaît que le ton de l’ouvrage en question n’est pas en
harmonie avec la gravité du sujet, il ajoute ces lignes, assez
curieuses sous la plume de l’auteur du Mariage de Figaro: ‘Cet
ouvrage manque de cette décence patriotique si peu connue dans ce
pays-ci, où l’on plaisante sur tout; les événements présents sont
les vases sacrés de la politique: il faut ou se taire ou prendre le ton
élevé qui rend les objets respectables. Sur ce, Monsieur vous
prendrez le parti qui vous semblera le plus juste.’ On reconnaît
ici que Beaumarchais n’a pas la vocation pour l’état de censeur,
et qu’il ne sait trop comment conclure.”2
358
CARON DE BEAUMARCHAIS
1Le
Noir; voir la lettre précédente.
pense-t-il ici à sa propre situation, c’est-à-dire au
fait qu’on est en train de censurer ses Observations sur le Mémoire
justificatif?
2Beaumarchais
898. De Durival1
Vll.es le 21. XbRe 1779
M. de Beaumarchais à Paris
Peu d’instans après votre depart d’hier au soir, M, je rendis
compte au Ministre de notre conversation. Il me dit qu’il étoit
convenu que vous feriez des changemens à votre projet de
retraction. Il desire qu’elle soit simple et précise sans ornemens
ni réflexions ainsi qu’il est convenu, et que vous veuilliez bien la
communiquer dans sa derniere forme avant d’en faire usage.2 Je
me hate de vous en prévenir, M, en vous priant de vouloir bien
m’adresser cette pièce telle que vous vous proposez de l’employer.
J’ai l’honneur d’etre avec une parfte consido.n &A
1Voir
tome II, lettre 408 n. 1.
fois Beaumarchais accédera à la demande, ce qu’il n’avait
pas fait quand Vergennes avait demandé à voir les Observations sur
le Mémoire justificatif (voir lettre 880).
2Cette
899. Au comte de Vergennes
Lettre de M. de Beaumarchais à M. de Vergennes du 22 XbRe 1779
Monsieur Le comte.
CORRESPONDANCE
359
M. Durival m’écrit que je dois vous envoyer l’avis correctif et
qu’il soit court. Il me semble à moi qu’il auroit bien plus de force
et de noblesse un peu appuyé. Au lieu de courir comme chat sur
braize en corrigeant un mot important, j’aimerois bien mieux fixer
l’opinion de l’Europe entiere par un desaveu motivé. Cependant je
défère.
Je joins l’exemplaire que je vais adresser au Courier et que je
vous prie de me renvoyer si vous approuvez l’avis correctif que j’y
joins.
Copie du projet de desaveu renvoyé a M de Beaumarchais.
____________________________________
Au Rédacteur du Courier de l’Europe
En vous priant, M, de donner cours à ces observations dans
une feuille de suplement, je vous prie aussi de restituer à la page
35. un mot qui s’est trouvé changé dans la rapidité d’une
impression nocturne et d’une correction tumultueuse. On lit dans
les premiers exemplaires qui ont paru cette phrase. Quand je
pensois que ma patrie seroit vengée de l’abaissement auquel on
l’avoit soumise en fixant par le traité de 1763 le petit nombre de
vaisseaux qu’on daignoit nous souffrir
Cette faute d’impression présente un fait justement regardé
comme faux et absurde puisque le nombre de vaisseaux n’a été
fixé par aucune condition publique ni secrète du traité: Mais
restituez le mot comptoirs qui est dans le manuscrit au mot
vaisseaux, qui n’y est pas, alors la phrase est d’une exactitude
mathématique et ne contient qu’un fait incontestable.
J’ai l’honneur &a
360
CARON DE BEAUMARCHAIS
900. De Durival
M. de Beaumarchais à Paris
Vll.es le 22 XbRe 1779
M. le Ct.e de Vergennes me charge, M, d’avoir l’honneur de vous
renvoyer la piéce ci-jointe qui accompagnoit votre lettre de ce
matin.
Le ministre n’approuve point le changement du mot
vaisseaux en celui de comptoirs dans votre projet de desaveu. Il
pense que personne ne seroit la dupe de cette prétendue
restitution de mot; que la retraction sous cette forme deviendroit
un tort de plus; qu’en donnant vos observations dans une feuille
de suplément au Courier de l’Europe, vous vous prepareriez de
nouveaux desagrémens; et tout bien considéré le Ministre juge,
M, que le meilleur parti pour votre tranquilité, est de ne pas
permettre l’insertion de votre ouvrage dans le Courier.1
J’ai l’honneur d’etre avec une parfE consido.n
1La
suppression met presque fin à l’affaire, mais Beaumarchais fait
réimprimer son ouvrage à Londres en 1780 en y ajoutant en
supplément les lettres des ducs de Praslin et de Choiseul au comte
de Vergennes, et l’arrêt du roi.
A la demande de Vergennes, Gérard de Rayneval publie ses
Observations sur le Mémoire justificatif de la Cour de Londres. A
Paris, De l’Imprimerie Royale, M.DCCLXXX, pp. 84. C’est la
réponse officielle à l’ouvrage de Gibbon; elle est traduite en anglais
par P.S. Du Ponceau en 1781. Un supplément de 26 pp. à l’ouvrage
de Rayneval est publié aussi en 1780 à l’Imprimerie Royale; voir
Morton et Spinelli, Bibliography, pp. 193-94.
361
CORRESPONDANCE
901. De Montieu
A Brest le 22e Xbre 1779
Quoyque je presume que vous avés recu du Captne Montaut1
une lettre a peu près semblable a celle que je viens de recevoir je
crois cependant devoir, mon ami, vous en adresser la copie que je
joins icy.
Vous y verrés comment nos vaisseaux aprês avoir été menés
de la Martinique a la Grenade, a St Christophe et a St Domingue
ont tous été conduit a Savânnha. Vous y verrés dans quel état on
les a laissé, que l’aimable Suzanne ayant perdu ses ancres s’est
égarée sans qu’on sache encore ce qu’elle est devenue.
de quelques manieres que les choses tournent il nous est du
par l’etat d’immenses dédommagements 1° pour le retard
apporté a nos operations, 2° pour la consommation inutile de nos
vivres, 3° pour la perte de nos agrets, voiles &ca qui nous auront
couté des sommes immenses a remplacer, 4° pour le
deperissement de nos navires. vous en tirerés mieux que moy
toutes les consequences.
ce qui m’a tranquilisé c’est que le jeune Montaut s’est mis
parfaitement en regle en se faisant donner des garanties par M
Le Comte d’estaing que luy meme est tres porté a nous donner
tous les titres necessaires pour nous nous faire rendre justice.
enfin nous ne pouvons encore rien dire jusques a l’arrivée de
nos navires pour lesquels nous aurons toujours d’immenses
dédommagements a repeter quand il n’y en auroit aucun de
perdu.
Vous verrés que de Casse a recruté a Charlestown mon comte
de Sabran qui pourra bien prendre sans compter le riz qu’il a
abord au moins 800 boucauds de tabac.
Une chose qui m’étonne c’est que Montaut ne me parle point
des 3 fluttes que M Le Comte déstaing luy a remis pour notre
compte je sais qu’elles ne sont que d’environ 300 tonneaux
chacune, mais il me semble que cela valoit bien la peine de m’en
parler. Je suis du reste tres satisfait de sa conduite, elle est on
ne peut pas plus honneste et prudent.
Je vous embrasse, mon ami, du meilleur de mon coeur
362
CARON DE BEAUMARCHAIS
Montieu
Mon scelerat de domestique m’a volé une montre et 20 Louis
dans mon gousset. il avoit pris les avances pour les chemises, les
bas et les cravattes. Je m’en doutais depuis quelques jours. Je
luy ai tendu un piege et je l’ai pris en flagrant delit. Les
mensonges de ce gens la m’ont si fort mis en colere que cela m’a
derangé au point que j’en ai la fievre dans le moment meme ou je
vous écris.
Le malheureux vaisseau le fier vient enfin d’arriver coulant
bas d’eau. La renommée est aussi entrée dans le port ce soir
venant de la Martinique. elle a fait chemin faisant une prise d’un
corsaire anglois de 18 canons de 12 on ne sçait point outre les
nouvelles.
L’officier qui m’avoit donné la nouvelle de l’arrivée du fier
dans ce port s’est trompé, c’est a la martinique ou il est arrivé
n’ayant plus ni mats ni agrets et coulant bas d’eau.2
1Voir
2Voir
lettre 826.
lettre 874 n. 1.
.
902. De Francy
York le 24 Xbre 1779
Le jeune homme 1 qui vous remetra cette lettre est parent de
l’ancien president du Congrés Mr Jay aujourdhui ministre
plenipontentiaire à la cour dEspagne il passe en france pour se
rendre de la à Madrid auprés de son parent. Sa famille m’a prié
de l’adresser a quelqu’un qui voulut lui fournir les moyens d’aller
rejoindre M Jay au cas qu’il ne fut plus a paris lorsque le jeune
CORRESPONDANCE
363
homme y arrivera; j’ai imaginé malgré les raisons bien fondées
que vous avez d’interrompre tout acte d’amitié et même
d’hospitalité avec les americains que vous ne trouveriez pas
mauvais que je vous recommande le porteur; probablement le
Docteur franklin se chargera de lui faire les avances nécéssaires
pour son voyage d’Espagne dans le cas contraire en le faisant
vous même vous obligerez un homme qui vous a du moins rendû
justice dans ce pays ci. Je ne doute pas que vous n’ayez ete
beaucoup plus content de lui que de l’agence de passy:
Le tres promt départ du batiment sur lequel M Littlepage
porteur de ma lettre sembarque ne me permettra peutetre pas
d’entrer dans aucun detail aujourdhui sur vos affaires. Je vous ai
ecrit il y a environ deux mois une lettre fort longue2 si le vaisseau
est retardé jusqu’a demain Je vous en ferai par une copie et j’y
ajouterai un suplement: si cette lettre ci est la seule qu’il me soit
possible decrire: Je vous annonce que vôtre vaisseau Le fier
Rodrigue est enfin arrivé le 19 du mois dernier dans letat le plus
déplorable: L’escadre de M Le Cte DEstaing dont il a fait parti
depuis le 26 Juin jusqu’au 25 8bre a été tres maltraitée sur la côte
de la Georgie3 pendant deux mois et le pauvre Rodrigue qui
n’etait pas remis du combat de la grenade4 à beaucoup plus
souffert qu’aucun autre en un mot il est arrivé faisant trois pieds
d’eau par heure et ayant perdu son mât d’artimon son grand
hunier et sa vergue de mizaine; il manquait entierement de
toutes sortes de provisions, l’equipage etait reduit a 3 onces de
pain par jour et à la ration d’eau la plus modique; il en coutera
immensement avant que ce vaisseau soit en etat de remettre à la
mer. Je n’y pers pas un instant mais je ne prevois pas qu’il
puisse être prêt a partir avant le premier de mars Je fais faire
par le capitaine un procés verbal bien détaillé de tout ce qu’il a
souffert aussi que les autres batimens sous son convoye J’en
feray egalement faire par tous les autres capitaines afin de vous
servir de titre pour exiger une indemnité; mon avis serait avant le
retour du fier Rodrigue que vous fassiez valoir ses bonnes
qualités au ministre de la marine et que vous le changiez pour la
menagere5 superbe flutte de 40 canons qui marche
superieurement et qui porterait au moins 1200 boucauds de
tabac, vous pourriez en representant que le fier Rod. est en etat
364
CARON DE BEAUMARCHAIS
de se mettre en ligne (ce qui certainement ne lui arrivera jamais)
obtenir quelques autres bons batimens gros porteurs qui vous
remporteront beaucoup de tabac, si vous ne faites pas quelques
marchés de cette espece je crains que le fier Rodrigue ne vous
coute de radoub plus qu’il ne vaut reellement. il est arrivé sans
equipage l’ayant tout perdu à la mer par la maladie et il est
arrivé seul; ses compagnons n’ayant pû tenir sur la rade de
savanah ou ils perdirent leurs ancres & cables et deux de leur
beaupré relacherent a Charlestown le 30 7bRe à l’exception de
l’aimable Suzanne que le coup de vent porta plus dans lest que
les autres parcequ’elle avait perdû son mat de mizaine et son
grand mat de hune: dans cette cruelle situation le Capn.e se
determina a faire voile pour la Baye de Chesapeak, le 15 7bre et il
fut rencontré par un corsaire anglais qui le prit mais dépuis ce
vaisseau a été repris par les americains et j’espere que la moitié
de tout sera rendue: jai fait a cet egard toutes les demarches
necessaires. les autres batimens aprés setre reparés a Charlestown et sont repartis l’un aprés l’autre dans les premiers jours de
novembre pour retourner à savannah, ils n’y trouverent plus la
flotte francaise et deux se sont rentrés à York Les deux helenes le
9 courant et le perou le 12; la therese etait partie avec eux de
Charlestown mais ils soupconnent qu’elle y est rentrée pour venir
avec le Comte de Sabran qui doit venir charger a York; le Zephir
eut ordre dans les premiers jours d’octobre de porter de l’eau à
l’escadre de charlestown a savannah et je ne scais encore ce que
ce batiment est devenû; il est trés probable qu’il est encore avec
le Ct.e de Sabran et la therese; je fremis que le retard de ces
batimens n’eloigne encore l’epoque que je croyois pouvoir fixer
pour le depart de la flotille. ces batimens n’ont presque rien
apporté des isles; les marchandises en seches qui sont abord ne
peuvent se vendre qu’avec avantage au printems ainsi malgré
tout le desir que j’aurais d’aller vous assurer moi même de tout
mon attachement je me vois condamné a rester ce qui me
desespere car il ne m’est pas possible de mener une vie plus
desagréable que la mienne. Je continuerai cette lettre si les vents
retienent le vaisseau qui doit l’emporter; j’ecris un mot à M
Demontieu comme je crains de ne pouvoir lui faire aucun detail
sur ses batimens je vous serai obligé de lui communiquer ce que
CORRESPONDANCE
365
je vous en dis. J’ecris a M Testard & Gachet6 et à M Pelletier
Dudoyer de Nantes d’avancer à M Littlepage les moyens de se
rendre a Paris et de s’en prevaloir sur vous ou M Demontieu. M
Jay vous aura certainement beaucoup d’obligation de ce que vous
voudrés bien faire pour son jeune parent qui est rempli de talens
et de qualités estimables.
25 Xbre 1779.
Jai fait copier ma derniere lettre et je vous en remet cy joint
le duplicata Je vous envoy en même tems les quatriemes des 56
de change. le batiment va mettre a la voille dans une heure ce
qui mempêche dentrer dans de nouveaux details comme je me
l’etais proposé: comme la lettre que j’ecris a M Dem[mery] en
contient quelques uns qui vous interessent demandés lui en
communication J’apprens a l’instant la prise de la therese par la
fregatte persens aprés un tres long combat: cette perte me
desespere et me décourage entierement Je m’etais promis de
vous faire des remises considerables me voila presque sans
moyens. Les 4 batimens arrivés remporteront au plus 15 a 1600
boucauds, je suis bien affligé de vous apprendre de pareilles
nouvelles: je ne l’aurais pas fait si ce n’eut été pour vous dirriger
sur les indemnités que vous aures a reclamer la perte de la
therese est une suite de l’expedition forcée que le Cte d’Estaing a
fait faire à vos batimens; mais c’est trés certainement la faute
des capitaines s’ils fussent tous venus ensemble ils seraient tous
bien arrivés. Jai recû votre lettre particulière par le fier Rod J’y
repondrai par votre neveu qui s’en retourne sur ce batimen avec
un conge de 8 mois, il est venû me joindre il y a trois semaines.
L’assemblée a donné une réponse à mon memoire qui n’est
pas tres favorable, mais elle n’est pas décisive, le conseil avait
été d’avis que vous deviez être payé en tabac à 4 pounds ou 13
1
piastres 3 comme je l’avois demandé et non en argent vu la très
grande dépréciation; l’assemblée générale composée de gens du
peuple qui n’ont aucune notion de justice ni de generosité a
determiné que cela ne se pouvait pas, mais j’espère en revenir à
la 1eRe cession, du moins j’ai pour moi tous les gens honnêtes; je
vous donnerai dans ma 1ere quelques details à ce sujet.
366
CARON DE BEAUMARCHAIS
Etat des pieces renfermées dans le paquet du 25 XbRe
N° 1 duplicata de ma lettre du 6 8bre
2 ma lettre de 24 et 25 XbRe
3 un bordereau renfermant 56 lettres de change.
4 lettre d’avis du président du Congrès au DR Franklin.
5 resolution du Congrès du 6 juin
6 resolution du 18 juin.
1Lewis
Littlepage (1762-1802) a quitté le continent le premier
janvier 1780 à bord de la Mary Ferron et est arrivé à Nantes le 11
février; il avait 17 ans. Littlepage était en fait un inconnu pour
John Jay; ce dernier a accepté la tutelle de Littlepage pour rendre
service à l’oncle du jeune homme. Jay a été récompensé par
l’insolence de Littlepage et par une querelle publique où ce dernier
a essayé de nuire à la réputation de son patron en lançant de
fausses accusations; voir Davis.
2Voir lettre 867.
3Après de grands succès sur la côte de la Georgie au mois de
septembre, d’Estaing s’est dirigé vers Savannah. Le 9 octobre eut
lieu une bataille qu’un historien américain a intitulé le “FrancoAmerican fiasco” (Boatner, p. 982). C’était la troisième fois que
d’Estaing se montrait incapable de porter secours aux Américains (les
deux autres étant à New York, et à Newport) ce qui remplit ces
derniers d’une vive amertume à l’idée du peu de valeur de leur
alliance avec la France.
4Voir lettre 826.
5Le 30 mars 1781, à la demande de Beaumarchais, le marquis de
Castries, ministre de la Marine, lui prête La Ménagère pour un an
pendant que Le Fier Roderigue pourrit à Rochefort. La soumission est
signée le 4 avril 1781; voir PBN, MS n.a.fr. 9421, f. 41-44, 48- 49.
6Négociants de Bordeaux.
367
CORRESPONDANCE
903. Des maire et échevins, consuls assesseurs de
la ville de Marseille
MR Caron de Beaumarchais
à Paris
Le 24 XbRe 1779.
Nous avons lû avec plaisir, Monsieur, la brochure1 dont vous
avés bien voulu nous faire part, nous y avons reconnu le bon
français, l’ami du commerce, mais la maniere dont vous avés
traité un sujet intéressant pour l’honneur de la nation, repond
parfaitement à la justice que vous merités à tant de titres qu’on
vous rende.
Recevés, Monsieur, tous nos remercimens de l’attention que
vous avés eu pour nous, et les assurances du parfaittement avec
lequel nous avons l’honneur d’etre &a
1Observations
sur le Mémoire justificatif.
904. Au comte de Vergennes
Mr Le Cte de Vergennes.
Paris ce 25. XbRe1779.
Monsieur Le Comte
Si Mr Swinton vous parait, comme a moi, avoir bien mérité de
la france par la manière honêste pour nous dont le courrier de
lEurope se redige a Londres, dans un tems ou son redacteur a
tout a redouter du gouvernement anglais; j’ose me joindre a lui
pour vous demander une marque de bienveillance. C’est la
368
CARON DE BEAUMARCHAIS
permission d’entrer en france d’un nouveau papier a lui sous le
nom de Courrier du Nord1 et qui s’imprime en Allemagne et qui
peut supléer souvent a ce que lautre courrier n’ose pas articuler a
Londres. Mr Swinton me parait d’accord avec Mr Le Baron
d’Ogny2 qui doit se réunir a lui et a moi pour vous en suplier.
Je suis avec le plus profond respect
Monsieur Le Comte
Le très humble et tres
obéissant serviteur
De votre excélence
Caron De Beaumarchais
Mr Le Cte de Vergennes
1Voir
2Voir
lettre 894 n. 1.
lettre 850 n. 4.
905. De Francy
M De Beaumarchais
York 26. XbRe 1779.
Le vaisseau sur lequel se trouve ma lettre du 24 1 etant arrêté
par vents contraires au bas de la riviere j’en proffite pour vous
ecrire encore un mot et vous annoncer le retour en france de M
Deane;2 il est ici pour passer sur le vaisseau du Roi le fendant3
qui partira dans quinze jours ou trois semaines pour la
martinique si quelques affaires qu’il a terminé en virginie ne le
laissent pas libre avant le depart du vaisseau il partira sur le
fier Rod. il a enfin quitté philadelphie sans avoir rien fini avec le
Congrés il repasse en france pour y regler ses comptes: avant son
depart j’aurai soin de lui faire donner une attestation qui me
servira bien dans l’arrêté definitif des votres avec le Congrés il
doit regler avec tous ceux avec qui il a fait des affaires de
commerce en Eurrope en consequence il a le droit de regler avec
vous tant pour le prix des marchandises envoyées que pour
CORRESPONDANCE
369
l’assurance et la commission une fois la somme determinée ce
sera mon affaire de presser pour etre payé et je crois que
j’obtiendrai tout ce qui sera possible d’envoyer si comme je
l’espere il vous est aisé de negocier les lettres de change que je
vous ai fait passer: cela vous donnera le moyen d’attendre un peu
pour la ballance si tous vos batimens fussent arrivés Je vous
aurois remis en outre 12 a 1500 boucauds de tabac que j’ai
obtenû du Congrés comme je vous l’ai annocé ailleurs, mais les
quatre batimens qui sont ici porteront a peine cette quantité et il
est juste que la majeure partie soit pour le compte de l’armement
comme j’ai beaucoup pressé pour obtenir ce tabac et que j’ai
assuré que les vaisseaux que j’attendais etaient expédiés exprès
pour le charger, il est de toute necessité que j’en charge partie,
cela poura peutetre deplaire à Mr Demontieu il voudrait sans
doute que toutes les cargaisons fussent de compte admis, mais
vous lui feres aisement entendre raison a ce que j’espere; sur la
partie qui sera a fret et qui sera la moindre: il aura la moitié de
fret que l’on payera je ne sais pas encore si ce sera la moitié ou le
tiers que j’obtiendrai. J’insiste pour la moitié j’ai ecrit plusieurs
fois a ce sujet au Committée du Commerce depuis plus de deux
mois je n’ai pas recu de reponse, vous pouves être assuré que je
ferai les conditions les plus avantageuses possibles j’ai bien recu
par le f Rod. vos observations sur mon contract ainsi que vôtre
lettre au President et la copie de celle que vous avez ecritte a
messieurs à Passy4 je ferai usage de tous ces papiers dans un
moment favorable; aujourdhui les affaires sont au mieux possible
vû les gens a qui j’ai à faire: il n’est plus question que de fixer le
montant total de la dette et de faire ratifier par le Congrés
l’arrêté de compte que vous feres avec M Deane, jusque la il n’y a
aucune nouvelle proposition a faire: si vous voulés continuer à
servir l’amerique vous le pouvés tres aisement en faisant des
expeditions sans les adresser au Congrés elles vous tourneront
beaucoup plus a compte et vous ne seres point exposé a toutes
les difficultés et à toute l’ingratitude que vous avez eprouvé: il y a
dans votre lettre au president une proposition qui me fait
craindre que vous n’aves pas bien reflechi sur l’etat de la
question pour ce qui regarde les assurances: vous demandés que
vos marchandises vous soient payées ou a prix de facture avec les
370
CARON DE BEAUMARCHAIS
frais faux frais &a & une commission honnête ou qu’on vous paye
au prix courant des marchandises lors de leur arrivée sur le
continent et les assurances; faites attention je vous prie que c’est
dans le premier cas que les assurances doivent être payées et
non dans le second, parceque si l’on vous donnait pour vos
marchandises le prix qu’elles valaient au moment de leur arrivée
sur ce continent il est clair qu’on vous aurait tout payé c’est a
vous de vendre en raison des assurances faites au contraire dans
le premier cas lorsqu’on vous paye sur le prix de facture on vous
doit outre tous les frais et faux frais les assurances & la
commission: c’est cette methode que le congres a adopté pour
vous payer et je l’ai preferé moi même parceque si le benefice est
moindre il est sure et dailleurs tous les retours se font aux
risques du Congrés au lieu qu’en vous payant au prix courant
vous seriez obligé de recevoir ce payement icy et alors les retours
se feraient à vos risques je ne sais si je m’explique bien
clairement cest pour bien raisonner a fond sur ces affaires que
j’aurois desiré aller vous voir cet hiver Je n’en voi pas la
possibilité mais je vous ecrirai fort au long a ce sujet là par Mr
Deane; J’espere que vous approuverés le parti que je prend de ne
rien proposer au congrés jusqu’a ce que j’aye recu reponse a cette
lettre ci et copie de votre arrêté de compte avec M Deane:
Comme Mr Demonthieu parait seul dans cette expedition ci
c’est a lui que j’adresse tous les details qui y ont rapport le
priant de vous les communiquer Je remetrai a M Roubeau qui est
arrivé en bonne santé des marchandises pour 4000 sa lettre de
credit sur moi signé par M Demontieu ne porte que cette somme:
je remetrai à M Giroud des marchandises sur prix de facture pour
le montant de ses appointemens Je vous prie d’en prevenir M
Demonthieu.
Si vous voyez M Girard je vous prie de l’assurer de mon
respect et de lui dire que j’aurai l’honneur de lui ecrire par le fier
Rod. Je lui dois quelques petits objets qu’il m’a cedé en partant
et que je n’ai pû lui rembourser parce qu’il n’en avait pas le
compte Je vous serai infiniment obligé de m’acquiter s’il vous en
parle. Je lui renveray par M. Vitry qui se propose de partir sur le
fier Rodrigue son habit: l’on m’a ecrit de plusieurs endroits que
son successeur5 ne parait pas bien disposé pour vous:
CORRESPONDANCE
371
heureusement les affaires sont dans un train à ne plus redouter
des nouvelles difficultés il parait que ce nouveau ministre a
procuré du credit au Congrés en france J’ai appris hier qu’il allait
tirer sur paris pour 2 cent mille louis cela donnera de la valeur à
vos lettres de change.
vous me dites que vos cargaisons ont été fournies sur l’etat
que je vous avois fait passer, tous les principaux articles ont été
oubliés et ceux pour lesquels on s’est décidé sont en trop grande
quantité. neanmoins jespere en tirer un bon parti si je ne suis
pas traversé par les anglais de la visitte desquels nous sommes
tous les jours menacés:
27 XbRe 1779.
j’apprens a l’instant qu’un second batiment ameriquain
assés bien armé part en compagnie de celui abord duquel j’ai mis
mes lettres. Je m’empresse d’en proffiter pour vous envoyer copie
de mon suplement à ma lettre du 24 n’ayant pas ici mon copie de
lettre je ne puis vous envoyer le double de tout ce que contient le
paquet qui vous sera remis a ce que j’espere par M Littlepage
parent de M Jay ministre plenipotentiere à la cour d’Espagne et
qui passe sur la mary farron batiment de 18 canons marchant
bien: je met cette lettre ci abord du Livinstong allant avec l’autre
à Bordeau J’espere que vous les recevrés ensemble le 1e.r contient
les 4em.es de changes, la lettre d’avis du congrés au Docteur franklin
les resolvets qui ont rapport aux traittes et le duplicata d’une
tres longue lettre de moi du 6. 8bRe6 le prompt depart de ce second
batiment ne me permet pas d’entrer ici dans aucun nouveau
detail je vais travailler sans perdre un moment a reparer votre
fier Rodrigue pour la renvoyer de suitte; j’espere qu’il partira vers
le premier de mars s’il ne survient aucun nouvel accident la lettre
que je viens decrire a M Demontieu et que je le prie de vous
communiquer vous instruira du mauvais etat ou se trouvent
toutes les marchandises qui m’ont été adressées; outre les
avaries qui sont trés considérables il y a des deficit considerables
dans plusieurs bales il y en a pour mieux dire pas une dont les
marques et les numeros soient conformes a la facture & en
general les marchandises sont de mauvaise qualité et nullement
372
CARON DE BEAUMARCHAIS
assorties pour le paÿs: je ferai un procés verbal le plus exact de
toutes les erreurs & avaries pour le faire passer à M Demontieu
& je vous en enverrai copie plus j’y reflechis plus je desire de vous
entretenir si je pouvais laisser ici quelqu’un qui put dirriger mes
affaires pendant 4 a 5 mois je m’exposerais volontier au
désagrément et au danger d’une penible traversée pour
m’entretenir avec vous et vous eclairer sur toutes vos affaires: je
pourais tirer d’un pareil voyage le plus grand avantage pour moi
mais je ne puis le faire sans que les affaires dont je suis chargé
en souffrent et je serai obligé d’y renoncer; si j’etois aupres de
vous je me chargerais d’une expedition qui avec le moindre
bonheur pourait tenir un benefice immense J’en donne le plan à
M Demontieu vous verrés que l’exécution en est aussi aise que le
plan est simple. Sur la nouvelle flotte que vous m’annoncés par
votre lettre du 22 may à Bordeau7 et les details quexige la vente
des marchandises que je viens de recevoir me retiendront
probablement; je suis si ennuyé de la vie que je mene ici & j’ai
tant d’impatience de vous entretenir que j’aurais bien de la peine
à me decider a ne pas partir quelque soit le parti que je prenne je
vous prie d’etre persuadé que le bien de vos affaires sera dans
tous les tems le seul motif qui me dirrigera.
Je vous prie d’assurer mesdames vos soeurs de mes respects
ainsi que Md W. Jai eû l’honneur de la remercier de son joly
cadeau8 par Mr Serran il ne m’est pas possible de lui ecrire
aujourdhuy. je le feray par le retour du fR faites S.V.P. mes
complimens a vôtre ami Mr Gudin la lettre qu’il m’a ecritte m’a
fait le plus grand plaisir je lui repondrai par la premiere occasion
1Voir
lettre 902.
lettre 865 n. 4.
3Vaisseau de ligne de 74 canons sous le commandement du marquis
de Vaudreuil et qui a fait partie de son détachement au Sénégal;
voir lettres 788 n. 1 et 906.
4Voir lettre 783.
5Anne-César, chevalier de La Luzerne (1741-1791) a abandonné la
carrière militaire pour se tourner vers la diplomatie. En 1776 on l’a
envoyé à la cour de Maximilien-Joseph, l’electeur de Bavière où il
s’est fait remarquer. La Luzerne est parti de Lorient pour
l’Amérique le 17 juin.
6Voir lettre 867.
2Voir
CORRESPONDANCE
373
7Lettre
8Voir
806.
lettre 792.
906. De Silas Deane
York in Virginaia
Dec. 26th 1779
My Dear Sir
I embrace with pleasure this occasion of assuring you that I
retain for you the same respect & esteem which I had at our
parting in Paris, increased indeed & I may say rendered more
sensible by the unjust, and ungrateful treatment which you have
met with from this country. Having jointly laboured with you for
the saving these states in which we were successful by your
incessant exertions & superior abilities & address, by an
unexpected turn of affairs we have been jointly abused & vilified
by those we not only served, but saved from perdition. I have
patiently born much in silence, for the common good, I still
persevere in the same sentiments & resolution; I shall take my
passage in the Fendant of 74 guns commanded by the marquis
de Vaudreuil, by the way of Martinique & hope soon to be on my
passage for France,1 & refer to the happy moment in which I
shall have the pleasure of meeting with you, a particular detail of
what has passed since my leaving France in which you as well as
your country are interested. Meantime be assured that I am with
the most grateful remembrance of your kind civilities, & the most
sincere respect & attachment
my Dr sir
your most obedT
very humble servt
S Deane
374
1Voir
CARON DE BEAUMARCHAIS
lettre 865 n. 4.
907. Du comte d’Estaing
[26 décembre 1779]
Un vice amiral peut etre decrédité; prenant trop sur lui,
ayant usé, abusé meme des forces navales de Monsieur de
Beaumarchais; 1 ne pas recevoir la visite de son Souverain, c’est ce
qui ne s’est jamais vû; c’est bien malgré moi que cela a eté. Les
bontés excessives dont on avoit honoré la veille par une multitude
de visites inattendues le Jeannot aquatique lui avoit fait fermer
sa porte sans en prévenir une qui lui auroit fait autant de plaisir.
M. d’Estaing prie Monsieur De Beaumarchais d’agréer ses
excuses et ses regrets; ils sont d’autant plus grands qu’il est
obligé d’aller boiter à Versailles pour quelques jours: Les
chirurgiens l’assurent qu’en vertu des escaliers et des reverences
il en reviendra impotant pour au moins trois semaines: s’il ne
l’est pas il demandera un rendez vous à Paris; sinon il tardera
d’obtenir par un billet une visite qui l’interesse autant.2
Passy, ce 26 XbRe 1779./.
AF; Loménie, II, pp. 168-69; Donvez A 470.
1A la bataille de Grenade et de Savannah; voir lettres 827 et 902 n.
3.
2Voir la lettre 909 qui est la réponse de Beaumarchais du même
ton que celle-ci.
375
CORRESPONDANCE
908. A Maurel de Chailleuse
Andernac
M. Maurel de Chailleuse
à Paris ce 28 Xre 1779
J’ai reçu M. la lettre dont vous m’avez honoré en datte du 16.
Xr.e Aucune raison ne pouvant m’engager à mettre du mystere
dans ce qui devrait deja être connu de l’Europe entiere Je vous
dirai le fait avec plaisir. Une société puissante qui honore et
chérit la littérature vient d’acquérir au prix de 4000 guinées les
poinçons matrices et tous les instrumens des arts de la gravure
et imprimerie lissage de papiers du celebre Baskerville en
Angleterre1 Son but est de donner à chaque grand auteur a
chaque homme celebre à commencer par MR De Voltaire dont elle
a aquis les portefeuilles au prix de cent mille ecus les honneurs
d’une edition magnifique;2 vingt papeteries en differens pays se
disputent l’avantage de fournir ce qu’elles ont de plus beau pr
remplir les vues grandes et honorables de cette société.
Plusieurs personnes ont été chargée par elle de voyager et de
vérifier sur les lieux les rapports qui lui ont été faits des positions
qu’on lui a dit être propres chéz différens Princes d’Allemagne à
l’éxécution de cette noble enterprise Je connais peu le BN de
Trieste3 mais je sais que la personne 4 choisie par la Société pr
présider aux etablissemens d’imprimerie et à l’éxécution des
chefs d’oeuvres qu’on en espere a chargé ce Baron, qui est
allemand d’aller en plusieurs endroits éxaminer préliminairemt
les lieux qui peuvent se disputer la préférence d’un tel
etablissement. Il est certain que l’avantage qui doit résulter pour
les etats du Prince Souverain à qui la Société sadressera doit le
porter à la plus honorable bienveillance mais la personne chargée
d’en traitter directemT avec le Souverain dont la Compagnie aura
désiré la ville ou le téritoire est en Angleterre en ce momT C’est un
homme d’un grand mérite et c’est à lui que passent aujourd’huy
toutes les instructions qui nous viennent de M. Le Bo.n de Trieste,
et des autres voyageurs. J’ai accepté volontiers la correspondance
générale de cette affaire parce que je la crois infiniment utile aux
progrès des beaux arts et très propre à honorer notre siecle.
Quant aux bruits sourds que cela occasionne une heure de
conversation du chef de l’imprimerie avec la puissance à qui il
376
CARON DE BEAUMARCHAIS
aura lhr. de s’adresser au nom de la Société balayera toute cette
poussiere.
Rien de ce qui peut être malhonnête vil ou petit ne peut
entrer dans le plan dont il s’agit. Les seuls auteurs celebres qui
auront bien mérité de leur siecle et des hommes de tous les pays
par les progrès qu’ils auront apportés aux connaissances
humaines recevront les hr.s d’une édition magnifique et Mr de
Voltaire est le premier à qui la Société va consacrer ses soins et
sa fortune. Les Prospectus sont sous presse.
Voila, M. ce que je puis et dois répondre à vos demandes
heureux le Prince assez éclairé assez philosophe et assez bon
politique pour attirer dans ses etats l’elite de tous les arts
consacrés à la littérature.
1Dans
une lettre à Le Tellier du 9 octobre se trouve écrit: “Le
marché de la fonderie de feu M Baskerville est enfin conclu et
|| sterl. . . . ” (BHVP, MS 1312, I, f. 70). L’acte de
arreté pour 3700 —
vente signé date du 11 décembre; IMV.
2Watts raconte comment Beaumarchais en vient à acheter les
manuscrits de Voltaire et il termine par une anecdote racontée par
Panckoucke lui même. Panckoucke loue d’abord Beaumarchais pour
le travail qu’il fait et le plaint de l’argent qu’il a perdu. Panckoucke
montre ensuite sa magnanimité envers Beaumarchais:
“Je puis assurer que les plus grands sacrifices ne lui ont
rien coûté. Instruit de sa position à l’égard de cet ouvrage
[le Kehl-Voltaire], j’ai transigé avec lui à 172,000 livres, et
j’ai dit quelquefois en plaisantant que je lui avais donné un
dîner qui m’avait coûté 128,000 livres, parce qu’en effet un
dîner fut la suite de notre transaction.” (Lettre de M.
Panckoucke à Messieurs le président et électeurs de 1791 citée
par Watts, pp. 61-62).
Donc, le prix original des manuscrits, selon Panckoucke et
Beaumarchais, était de 300,000 livres (à l’époque 3 livres valaient
un écu) mais selon Panckoucke, Beaumarchais n’a payé que
172,000 livres.
Fournier semble avoir trouvé la vérité quand il écrit:
“Suivant un bruit que Beaumarchais se garda bien de
démentir, si même il ne le fit courir, le marché ne se serait
conclu qu’au prix de trois cent mille livres. Le vrai chiffre
est cent soixante mille, dont cent mille furent payées
comptant et le reste beaucoup plus tard. Un acte du 27
CORRESPONDANCE
377
novembre 1786, dont nous possédons l’original, en régla le
payement par annuités de quinze mille livres du 30
décembre 1789 au 30 décembre 1792 . . . ” ( p. xliii).
3Voir lettre 846 n. 7.
4Le Tellier.
909. Au comte d’Estaing
Réponse à MR Le Ct.e d’Estaing
31. XbRe 1779
Très digne et respectable amiral qui pouvez bien être
attaqué, mais jamais décrédité. Comme vous n’avez usé de la
marine de moi souverain, que pour le service d’un autre aussi
puissant qu’équitable espérons qu’il fera justice à tous deux en
vous comblant d’honneurs et en réparant mes pertes.1
Vous recevrez quand vous pourrez l’hommage de moi
souverain votre serviteur qui n’avais pas attendu vos grands
exploits pour vous apprécier et qui me suis battu cent fois de la
langue contre l’armée de coquins qui vous fesait injure pendant
que vous frappiez si fierement de l’épée contre les ennemis de
l’etat. Le plus pressant est de rétablir votre santé2 dont nous
avons grand besoin et si par hazard vous formiez le projet de
faire par écrit l’apologie de votre conduite militaire comme on
cherche à l’insinuer je vous supplie de rejetter cette idée avec un
grand signe de croix comme une tentation du démon. Je vous en
conjure de la part de tout ce qui vous honore et nommément de la
part d’un vieillard celebre qui vous aime qui brule de vous voir
assis à côté de lui un baton à la main au grand tribunal de
l’honneur dont vous remplissez si glorieusement les devoirs.3
Je prends la liberté pour vous désopiler la rate de vous
adresser mon dernier opuscule politique 4 lequel n’a pas le
bonheur de plaire à tout le monde. J’y joins aussi l’un de ces
courriers de l’europe5 ou j’élevai fortement la voix sur vos travaux
378
CARON DE BEAUMARCHAIS
guerriers pour couvrir celle de la troupe infame qui hurlait si
insolemment contre vous. Et l’on disait alors comme on dit
aujourd’huy. De quoi se mele cet audacieux de parler du Comte
d’Estaing? De quel droit le deffend-il?—Méchans mes amis! Je le
deffends du droit que vous prenez de l’attaquer et j’allais devant
moi sans m’embarrasser de leur colère. Ainsi ferai-je encore et
toujours. Il faut pourtT convenir qu’ils en ont dans l’aile et que
leur voix commence à s’enrouer. Lorsque vous m’accorderez un
quart d’heure vous serez bien sur de combler de joie celui qui est
avec le plus respectueux devouement à la fin comme au
commencement et dans le cours de toutes les années. Digne et
respectable amiral votre très humble &c serviteur De
Beaumarchais.
1Voir
lettre 827; les pertes de Beaumarchais atteignent plus de
deux millions de livres.
2A la bataille de Grenade, l’amiral a été blessé une première fois et
à Savannah il fut de nouveau blessé à la jambe et au bras.
3Loménie, II, p. 169 n. 1 écrit: “Il s’agit sans doute de M. de
Maurepas [un des vingt maréchaux], qui désirait que l’amiral
d’Estaing gardât le silence sur les critiques dont sa campagne avait
été l’objet.”
4Observations sur le Mémoire justificatif.
5Voir lettre 861.
INDEX
INDEX DES NOMS CITES
(Le meilleur moyen de chercher des noms, des mots, des
phrases, etc. dans ce volume est d’aller à votre barre
d’outils et de cliquer sur Recherche)
Abbeg 338
Adams 54, 55 n..9, 169 n. 2,
227
Affiches de Paris 283 n. 2
Aiguillon, d’ 346 n. 8
Aiguilloniana 346 n. 8
Aimable Suzanne 169 n. 4,
353, 356
Albert 137 n. 2
Alembert, d’ 207, 208 n. 6
Alliance 166, 169 n. 2
Almaviva, comte d’ 329 n. 10,
329 n. 12, 329 n. 13
Almaviva, comtesse d’ 330 n.
14, 336, 337 n. 3
Almodovar 202, 203 n. 2, 203
n. 4
Amélie 49
Amelot 319, 319 n. 2, 320, 321
Aminthe 18
Amphion 216, 217
Amphitrite 49, 55 n. 3, 317,
317
André 276, 276 n. 2
André, personnage des Deux
Amis 330 n. 15, 337 n. 3
Annette Marguérite 93
Annibal 216
Arbuthnot 231, 232 n. 2
Arrêt du conseil d’état du roi…
348 n. 1
Artois, d’ 163, n. 12
Athalie 166 n. 1
Aubert 282, 283 n. 2
Aubertin 321 n. 1
Audibert 74, 76 n. 3
Aumont, d’ 247 n. 3
Aurelly 326, 327, 328 n. 4, 329
n. 7, 333
Aurore 287 n. 1
Autun 267, 268 n. 1
Aux mânes de Louis XV… 260,
261 n. 6
Avis arbitral 172 n. 1, 188
B... voir Beauharnais
Baignoux 10, 11
Bancroft 199, 200, 227, 301,
305
Barbier de Séville, Le 145, 149
n. 1, 245, 269 n. 1, 328 n.
1, 329 n. 7, 329 n. 12, 329
n. 13, 330 n. 16, 330 n. 17,
335, 335 n. 2
Barrington 99 n. 3
Basiles voir Bazile[s]
Baskervelle voir Baskerville
382
CARON DE BEAUMARCHAIS
Baskerville, John 71, 72 n. 1,
206, 237, 238, 260, 261 n.
5, 309 n. 1, 310, 310 n. 1,
367, 368 n. 1
Baskerville, madame 71, 72 n.
1, 261 n. 4, 309 n. 1
Bazile[s] 146, 147, 148, 149 n.
2, 329 n. 9
Beauharnais, comtesse de 123
n. 1, 124, 136, 145 n. 1
Beauharnais, Claude 123 n. 1
Belecombe voir Bellecombe
Belecourt voir Bellecour
Belette 169 n. 4, 170
Belon voir Bellon
Belle Alliance 72
Bellecombe 181, 182 n. 5, 183,
184, 204
Bellecour 327, 329 n. 12
Bellon 83, 84, 158, 198, 299
Bellot 145
Beniowski 324, 325 n. 1
Benjamin portant des lunettes
au nez 168
Bergère 26, 161, 167
Bernis 76 n. 3
Bess 96
Bienousky voir Beniowsky
Billard voir Billard du
Monceau
Billard du Monceau 326, 329
n. 6
Biron voir Byron
Biron, duchesse de 237 n. 2
Bitaubé 123 n. 1
Blue Book 149 n. 6
Bobée 162, 163
Boïeldieu 325 n. 1
Bonfin 166 n. 1, 265 n. 2
Bonhome Richard 169 n. 4,
290
Bore voir Preudhomme de
Borre
Bougainville 211 n. 1
Bouillé 99 n. 3
Bouillon 324
Bouret 328, 330 n. 16, 334
Bourette voir Bouret
Bretigni voir Brétigny
Brétigny 162, 163 n. 12
Breugnon 278, 280 n. 2
Brid’oison 321 n. 2, 329 n. 7
Brizard 327, 329 n. 8, 333,
334
Brokeins 264
Brugnon voir Breugnon
Brunoy 137 n. 2
Buckskin 166, 169 n. 1
Bueskin voir Buckskin
Byron 99 n. 3, 220 n. 2, 274,
280 n. 1
Calas 76 n. 3
Campion 84
Candide 289
Cantigny voir Cantini
Cantini 41, 43 n. 34, 135, 199,
240, 252, 302, 316
Cantiny voir Cantini
Carabasse 113, 303, 304
Carmichael 33, 42 n. 24, 51,
52, 55 n. 6, 111, 112, 150,
154, 199, 200, 223, 226,
229, 301, 305
Carmik voir Carmichael
Carmikael voir Carmichael
Carmikaël voir Carmichael
Caroline-Mathilde 148, 149 n.
9
Caslon 206, 208 n. 2, 238
Caslon, fils 208 n. 2
Caslon, madame 208 n. 2
Casse 219, 219, 220 n. 6, 290,
353
Castries 358 n. 5
Catherine, l’impératrice 149
n. 8, 207, 266
CE voir Courier de l’Europe
CORRESPONDANCE
Cellier 128
Cerf 121 n. 17
Cezar 154
Chaa 194
Chabanon 331, 332 n. 2
Chartres, duc de 137 n. 2, 182
n. 6
Chaum voir Leray de
Chaumont
Chaumette 336 n. 2
Chaumont voir Leray de
Chaumont
Chevalié voir Chevallié
Chevallie voir Chevallié
Chevallier voir Chevallié
Chevallié 15, 16, 16 n. 1, 64,
67, 68, 77, 78, 79, 79 n. 2,
87, 92, 107, 108, 113, 114,
160, 167, 168, 170, 172,
172 n. 1, 186, 188, 188 n.
2, 194, 239, 241, 248, 250,
251 n. 1, 252, 254, 293,
294, 295, 296, 303
Choiseul 341 n. 2, 342, 343,
344, 345 n. 2, 346 n. 4,
347, 352 n. 1
Chrétien VII 149 n. 9
Clarendon 329 n. 12, 329 n.
13
Clairon 329 n. 8
Colin de S. Marc voir Colin de
Saint Marc
Colin de Saint Marc 240, 251
Common Sense 32
Comte de Sabran 83, 169 n. 4,
299, 353, 356
Comtesse de Brionne 159, 160
Comtini voir Cantini
Condorcet 13 n. 1, 207, 208 n.
7
Confederacy 287 n. 1
Conti 320
Conway 114, 150
Cornelly 62, 70
Cottin 74, 76 n. 3
383
Couret de Villeneuve 332 n. 1
Courier voir Courier de
l’Europe
Courier de l’Europe 92, 97 n.
1, 97 n. 9, 99 n. 3, 138 n.
2, 178, 265, 266, 280 n..2,
282, 287, 322, 340, 341,
342, 343, 344, 351, 352,
359, 370
Courrier du Nord 344, 360
Court mémoire… 76 n. 1
Crip voir Cripps
Cripps 304, 306 n. 22
Cromwell 346 n. 7
Croy voir Croÿ
Croÿ 265, 266 n. 1
Ct.e de Sabran voir Comte de
Sabran
D... voir Deane
Dabins 328
Dalanza 175
Dalaza voir Dalanza
Dalon 264, 265 n. 1
Datilly 125, 125 n. 1
d’Atilly voir Datilly
Daubry 260, 261
d’Aubry voir Daubry
David 7
Dazincourt 328, 330 n. 17, 334
De Lorme 266
Deane 26, 28, 30, 31, 32, 33,
38, 42 n. 20, 43, 44, 45,
49, 50, 51, 52, 53, 54, 55
n. 6, 55 n. 8, 86, 111, 112,
116, 120, 132 n. 1, 150,
151, 152, 157, 162, 191,
192, 196, 223, 224, 225,
226, 227, 228, 229, 229 n.
3, 232, 233, 234, 235, 285,
286, 287, 287 n. 4, 301,
360, 361, 362, 365
Déclaration d’Indépendance
208 n. 2
Dem… voir Montieu
384
CARON DE BEAUMARCHAIS
Demontieu voir Montieu
Deponthiere 163, 200
Des Entelles 245, 247 n. 3
Des Epiniers 28, 39, 135, 150
n. 11, 150, 160, 171, 285,
287 n. 4, 302, 357
Desmoulins 336 n. 2
Desrues 148, 150 n. 10
Des Ruës voir Desrues
Deux Amis, Les 245, 326, 328
n. 1, 329 n. 7, 329 n. 10,
329 n. 12, 333, 334, 336
Deux Hélènes 169 n. 4, 356
Doligny 327, 330 n. 14, 336,
337 n. 3
Dorat 122, 123, 123 n. 1, 124
n. 2, 125, 137 n. 1, 144,
190, 191, 200, 307, 308 n.
1
Dorival 328, 330 n. 19
Dorval voir Dorival
Doublet de Person 137 n. 2
Drayton 14, 15 n. 1, 116, 117,
119, 122 n. 39, 150, 158,
162, 191, 196
Du Collet 316
Du C[oudray] voir Tronçon du
Coudray
Du Ponceau 149 n. 7, 352 n. 1
Duc du Châtelet 12, 166, 169
n. 4
Duchemin 128
Dudoyer voir Pelletier
Dudoyer
Duer 26, 116, 117, 119, 122 n.
39
Dumesnil 329 n. 8
Dupleix 182 n. 3
Dupont de Nemours 13 n. 1
Durand 41, 43 n. 34, 199, 302
Duras 230, 245, 246, 247 n. 3,
247, 249, 250, 254, 255,
257, 262, 263, 269, 272
Durival 350, 351, 352
Dussaulx 123 n. 1
Duval de La Potinière 64, 65
n. 1
Ellery 116, 117, 119
Emmery fils 112, 121 n. 25
Encyclopédie 209 n. 12, 237
Estaing d’ 59, 99 n. 3, 113,
121 n. 30, 169 n. 3, 183,
184, 204, 205, 213, 214,
215, 216, 217, 218, 219,
220, 220 n. 2, 221, 221 n.
5, 272, 273, 274, 278, 279,
280, 280 n. 1, 280 n. 2,
282, 286, 289, 305, 306 n.
6, 353, 355, 357, 358 n. 3,
366, 369, 370, 370 n. 3
Eugénie 245, 328 n. 1, 329 n.
7, 329 n. 9, 329 n. 12, 329
n. 13, 330 n. 15, 335
Eugénie 327, 333, 336
Exposé des motifs de la
conduite du Roi… 315 n. 2
Extrait des registres… 348 n.1
Exposé fidèle des
complaisances… 319 n. 1,
322 n. 1
F… voir Franklin
Farquharson 260, 261 n. 5,
308, 309
Farquhasson voir Farquharson
Fendant 360, 365
Ferragus 12, 110
Feuilli voir Feuilly
Feuilly 328
Fier voir Fier Roderigue
Fier Rod voir Fier Roderigue
Fier Roderigue 7, 16, 16 n. 1,
26, 30, 32, 36, 37, 43 n.
35, 47, 64, 65 n. 1, 78, 79
n. 2, 87, 92 n. 2, 100 n. 3,
103, 107, 113, 114, 115,
132, 134, 134 n. 3, 148,
156, 162, 166, 167, 168,
CORRESPONDANCE
169 n. 4, 170, 171, 172 n.
5, 173, 174, 175 n. 3, 187,
194, 198, 199, 212, 212 n.
1, 213, 221, 221 n. 3, 250,
251 n. 1, 252, 273 n. 2,
276, 277, 278, 280 n. 2,
283, 284, 285, 286, 287 n.
4, 289, 291, 293, 296, 297,
298, 300, 301, 303, 304,
316, 316 n. 1, 317, 317,
354, 355, 356, 357, 358 n.
5, 360, 361, 362, 363, 364
Fier Rodrigue voir Fier
Roderigue
Figaro 321 n. 2, 329 n. 7, 330
n. 17
Flamand 83
Fleuri voir Abraham-Joseph
Bénard Fleury
Fleury, duc de 247 n. 3,
Fleury, Abraham-Joseph
Bénard dit, 327, 329 n. 13
Forbes 116, 117, 119
Fox 208 n. 1
Francey voir Francy
Franci voir Francy
Francy 1, 2, 15, 16 n. 1, 25, 43
n. 34, 44, 45, 55 n. 4, 59,
65, 84, 87, 88, 107, 110,
114, 115, 116, 119, 121 n.
19, 127, 131, 134, 135,
138, 139, 146, 147, 149 n.
3, 150 n. 11, 150, 163 n. 1,
166, 170, 171, 176 n. 2,
187, 191, 201, 223, 229 n.
3, 285, 287 n. 4, 288, 301,
311, 313 n. 3, 354, 360
Frank voir Franklin
Franklin 30, 31, 34, 42 n. 20,
47, 54, 55 n. 8, 100, 101,
101 n. 2, 106, 152, 153,
155, 157, 161, 169 n. 9,
193, 195, 199, 200 n. 6,
226, 227, 228, 229 n. 3,
235, 301, 304, 305, 338,
355, 358, 363
385
Freeth 71
FRod voir Fier Roderigue
Frontin 18
G voir Gérard
Gachet 357
Galvan 27, 42 n. 14, 110, 157,
158, 171, 196, 198, 299,
304, 305, 311
Galvan de Lérié voir Galvan
Ganteaume 132, 133, 133 n. 1,
170
Garnaule voir Garnault
Garnaulle voir Garnault
Garnault 240, 241, 251, 253,
316
Garnier 187
Gazette de France 208 n. 8, 283
n. 2
George, fils de Morande 176,
176 n. 2
George III 148
Gera… voir Gérard
Gérard, curateur de Lafayette
1, 2 n. 1
Gérard, Conrad Alexandre 14,
29, 30, 32, 33, 35, 36, 37,
42 n. 1, 52, 55 n. 6, 59, 96,
97 n. 5, 113, 134 135, 154,
156, 157, 159, 163, 192,
193, 195, 196, 200 n. 1,
201, 202, 202 n. 1, 223,
226, 228, 286, 287 n. 1,
288, 291, 292, 300, 301,
304, 305, 362
Gérard de Rayneval 317, 317
n. 1, 317, 318, 352 n. 1
Gibbon 314, 315 n. 2, 352 n. 1
Gienot voir Gienote
Gienote 168
Gillon 311, 313, 313 n. 1
Gimat 114, 122 n. 33
Girard voir Gérard
Giroud 41, 108, 112, 157, 171,
196, 197, 300, 362
386
CARON DE BEAUMARCHAIS
Girous voir Girous
Gobel 336 n. 2
Godeville 17, 19, 22, 23, 60,
61, 69, 69 n. 1
Goezman 261 n. 2
Good Hope 94
Gradis 76 n. 3, 78, 79
Grammont 336, 336 n. 2
Green 162, 163, 163 n. 13,
191, 301
Grimm 283 n. 2
Grippe-Soleil 239 n. 13
Grizel 326, 329 n. 6
Gudin de la Brenellerie 41,
69, 69 n. 1, 76 n. 1, 92 n.
2, 125 n. 1, 162, 163, 171,
198, 260, 288 n. 7, 302,
307, 364
Hardi 83, 110, 169 n. 4, 170,
311
Hartley 329 n. 7, 329 n. 9, 333
Harvey 71
Hébert 336 n. 2
Hébre de Saint Clément 15,
186, 240
Henry, Patrick 16 n. 1, 200 n.
7
Hercule 92 n. 1, 103 n. 3
Hipopotame 317
Hircan 330 n. 18
Holker 26, 134, 134 n. 1, 135,
201, 304
Hollond, Néhémiah 46, 96, 98
Hortalez voir Roderigue
Hortalez
Howe 220 n. 2
Isard voir Izard
Izard 30, 42 n. 20, 196, 212,
222, 224, 228, 229, 232
Jansénistes 326
Jansénius 327
Jarotess 96
Jauge 74, 76 n. 3
Jauges voir Jauges
Jay, John 3, 84, 89 n. 1, 121
n. 10, 200 n. 6, 286, 287 n.
1, 287 n. 2, 304, 354, 357,
358 n. 1, 363
Jeannot 366
Jefferson, Thomas 200 n. 7
Jeune Achille 42 n. 1, 150
Johnston voir Johnstone
Johnstone 189, 228
Jones, John Paul 13 n. 3, 121
n. 17, 169 n. 2
Journal de Paris 208 n. 8, 310
n. 2
Journal de Politique et de
Littérature 346 n. 8
Journal des campagnes de
1777 et 1778… 243 n. 5
Julie 21 n. 2
Keppel 13 n. 3, 182 n. 6
Kornman 76 n. 1, 211 n. 1
Kotzebue 325 n. 1
La Belinaye 38
La Blache 43 n. 37, 287
Laborde 284 n. 1
La Chategneraye, de 241, 242
n. 2
Lafayette 1, 2, 2 n. 1, 26, 36,
42 n. 26, 114, 122 n. 33,
161, 168, 171, 172 n. 7,
192, 200 n. 5, 304
La Ferté 247 n. 3, 268, 269 n.
1, 341, 342
La Fontaine 61 n. 2
La Harpe 283 n. 2
Lallemand 236, 237 n. 1
La Luzerne 169 n. 2, 364 n. 5
Lamotte 100
CORRESPONDANCE
La Motte-Picquet 166, 167,
169 n. 3, 170, 172 n. 5,
173, 174
La Neuville 200 n. 5
Lange 168
Languedoc 221
Lap. 166
La Porte, Arnauld de 316 n. 2
Laragais voir Lauraguais
Laraguais voir Lauraguais
La Rouerie 36, 38, 41, 42 n. 26
Latil 41, 43 n. 29, 198, 300
La Touche 19, 19 n. 1, 22, 23,
60
Latouche, Louis-Charles
Levassor, marquis de 316,
316 n. 2
La Touche de Tréville, comte
de 316, 316 n. 2
La Tour 323
Lauragais voir Lauraguais
Lauraguais 31, 223, 224
Lauzun 128, 129 n. 1
Lavauguyon 271, 271 n. 5
Lavoisier 13 n. 1
Lee, Arthur 30, 31, 32, 42 n.
19, 42 n. 20, 45, 47, 53, 55
n. 7, 55 n. 8, 86, 101, 108,
120, 132 n. 1, 150, 152,
153, 154, 155, 156, 158,
189, 189 n. 1, 205, 206,
212, 222, 223, 224, 225,
226, 227, 228, 229, 230 n.
3, 232, 234, 286, 304
Lee, Francis Lighfoot 196, 200
n. 9
Lee, Ludwell 189, 189 n. 2,
190, 191, 222
Lee, Richard Henry 196, 200
n. 9
Lee, William 155, 156
Le Noir 69, 72, 137 n. 2, 202,
260, 338, 348, 349, 349 n.
1
387
Le Tellier 238, 239 n. 1, 261
n. 7, 275, 276, 276 n. 2,
308, 309, 314, 315 n. 1,
368 n. 1, 369 n. 4,
Lépine 212, 213, 213 n. 1, 278,
304, 306
L’Epine voir Lépine
Leray de Chaumont 26, 306
n. 19
Lesser voir Serres de La Tour
Lestargette 41, 110, 198, 299
Lestarjete voir Lestargette
Levaigneur 41, 43 n. 34, 199,
302, 313 n. 2
Leveigneur voir Levaigneur
Linguet, Simon-Nicolas-Henri
345, 346 n. 8
Linguet, madame 336
Lisette, chien de madame de
Godeville 17, 19, 22, 69
Lisette 18
Littlepage 355, 357, 358 n. 1,
363
Livinstong 363
Louis, Victor 164, 166 n. 1,
264, 265
Louis, madame 265
Louis XIV 180, 347
Louis XVI 205 n. 4, 276, 328
n. 5
Loup 72
Lyon 12
M… 33
Mably 123 n. 1
Macartney 22 n. 1, 215, 216
Mairobert 136, 137 n. 2
Makartenay voir Macartney
Malesherbes 13 n. 1, 137 n. 2,
319 n. 2
Manes voir Aux Manes…
Mariage de Figaro , Le 208 n.
8, 321 n. 2, 329 n. 7, 329
n. 9, 329 n. 10, 329 n. 13,
388
CARON DE BEAUMARCHAIS
330 n. 14, 330 n. 17, 337
n. 3, 348 n. 2
Marie-Antoinette 121 n. 30,
266 n. 1, 326, 330 n. 17
Marindin 71, 72
Marmontel 76 n. 3, 207, 209
n. 9, 209 n. 10, 283 n. 2
Martin 94
Mary Ferron 358 n. 1, 363
Mars 329 n. 11
Mathilde voir CarolineMathilde
Mauleon voir Maullon
Maullon 34, 41, 42, 42 n. 1, 42
n. 25, 44
Maupeou 69 n. 1
Maurel de Chailleuse 367
Maurepas 56, 59, 66, 81, 90,
102, 105, 107, 137, 138,
138 n. 2, 140, 168, 176,
177, 202, 230, 256, 262,
267, 268, 269, 274, 277,
283, 319, 319 n. 2, 319,
320, 321 n. 1, 322 n. 1,
323, 333, 340, 343, 370
Maximilien-Joseph 364 n. 5
Mazarin 346 n. 7
Mélac 326, 327, 328 n. 4, 329
n. 8, 333
Mélac fils 327, 329 n. 10, 335
Mémoire justificatif de la Cour
de Saint James 314, 317,
322, 325
Mémoire Justificatif du Roi
d’Angleterre voir Mémoire
justificatif de la Cour de
Saint James
Mémoire justificatif pour servir
de réponse… 315 n. 2
Mémoires de Bernis 76 n. 3
Mémoires de Trévoux 283 n. 2
Ménagère 358 n. 5
Mercure 49
Mercy-Argentau 266 n. 1
Mère coupable, La 329 n. 10
Micault d’Harvelay 283, 284,
284 n. 1, 284 n. 2
Molé 327, 329 n. 10, 334, 335
Monbos 43 n. 29
Mont… voir Montieu
Montaigne 231
Montau 251
Montaud voir Montaut
Montaut, mort à la Grenade
78, 79, 79 n. 2, 92 n. 2,
107, 132, 133, 170, 172 n.
5, 174, 221, 272, 273,
277, 280 n. 2, 289, 306 n.
6,
Montaut, frère du précédent
212, 213 n. 1, 213, 220,
306 n. 5, 353
Montbarrey 243
Montford voir Montfort
Montfort 43, 44 n. 1
Monthieu voir Montieu
Monthieux voir Montieu
Montieu 43 n. 34, 64, 65, 67,
68, 77, 78, 109, 116, 125,
129, 132, 138, 139, 158,
162, 163, 166, 170, 173,
175, 175 n. 3, 198, 200,
219, 221, 221 n. 1, 221 n.
2, 221 n. 3, 225, 227, 240,
241, 251 n. 1, 252, 253,
302, 304, 306, 306 n. 20,
315, 316, 353, 353, 356,
357, 361, 362, 363, 364
Montieux voir Montieu
Montmorin 138 n. 2
Monvel 327, 332, 334
Morande
Morande, Charles-Théveneau
176 n. 2, 313
Morande, Elizabeth 176 n. 2
Moreau 63, 63 n.1
Morelet voir Morellet
CORRESPONDANCE
Morellet 207, 209 n. 10
Moris 303
Morris 26, 42 n. 3
Motifs & Plan de la réparation
des 200,000 liv. 310 n. 2
Mouret 239 n. 1
Mullens 46, 96, 108, 150, 168
Mullins voir Mullens
N… 181
Nairac, Paul 187
Nairac, Philippe 188 n. 2
Napoléon 133 n. 1
Nassau voir Nassau-Siegen
Nassau-Siegen 209, 211 n. 1,
211 n. 3, 231, 232 n. 2,
243, 273, 309
Nasseau voir Nassau-Siegen
Necker 10, 11, 13 n. 4, 66, 76
n. 2, 76 n. 3, 77 n. 5, 80,
81, 82, 84 n. 1, 89, 90,
102, 141
Néhémiah Hollond voir
Hollond, Néhémiah
Néker voir Necker
Nesbitt 163 n. 13
Ninon 20, 21 n. 1, 21 n. 2
Nivernais 341 n. 2
Nord voir Courrier du Nord
North, Lord 140, 141 n. 2, 208
n. 1
Nouvelle Héloïse, La 21 n. 2
Oatridge 71, 72
Observateur anglois 137 n. 2
Observation… voir Observation
d’un Citoyen adressée aux
ministres du Roi
Observation d’un Citoyen
adressée aux ministres du
Roi 66, 73, 76 n. 1
Observations on the Nature of
Civil Liberty 346 n. 7
Observations sur le Mémoire
justificatif… 319, 322 n. 1,
389
339, 341 n. 2, 345, 348 n.
3, 349 n. 2, 350 n. 2, 359
n. 1, 370 n. 4
Observations sur le Mémoire
Justificatif… [Gérard de
Rayneval] 352 n. 1
Ogny, d’ 266, 266 n. 4, 360
Oratoire 337
Oratoriens 324 n. 1
Orvilliers, d’ 182 n. 6, 316 n. 2
Oster 93, 96
Outrages des Anglais 324, 325
P***, demoiselle 24
P***, Jacob 24
P***, sieur 24
Paine, Thomas 32, 33, 151,
163 n. 3
Palevsky voir Pulaski
Pallas 7, 8, 13 n. 13
Panckoucke, Charles-Joseph
72 n. 1, 129, 130 n. 1, 208
n. 7, 236, 237 n. 3, 259,
260, 332, 332 n. 1, 368 n.
2
Panckoucke, Thérèse-Marthe
331, 332 n. 1
Panckouke, soeur 208 n. 8
Pankouk voir Panckoucke
Pankouke voir Panckoucke
Pâris de Montmartel 284 n. 1
Pâris-Duverney 287, 288 n. 3
Parmentier 273
Pauline 327, 336
Paulze 4, 13 n. 1, 80, 141, 141,
186, 239, 240, 250
Payne voir Paine
Pelletier Dudoyer 48, 49, 52,
55 n. 3, 100, 108, 194, 312,
357
Peltier voir Pelletier
Penet 26
Percy 96, 97
Pereira 24, 25 n. 3
Péreyra voir Pereira
390
CARON DE BEAUMARCHAIS
Pérou 169 n. 4, 356
Persens 357
Picon 42 n. 1
Pierre voir Pierres
Pierre III 149 n. 8
Pierres 260, 261 n. 2
Pin 328
Pitt 208 n. 1
Pluton 92 n. 1, 103 n. 3
Polyeucte 330 n. 19
Pommier 60
Ponthiere voir Deponthière
Pouchkine 149 n. 8
Pougatchef 149 n. 8
Pougatchew voir Pougatchef
Praslin 341 n. 2, 346 n. 4, 352
n. 1
Preudhomme de Borre 241,
242, 243 n. 5, 325 n. 1
Préville 327, 333
Price 345, 346 n. 7
Prospectus 207, 237, 238, 260,
308, 310 n. 2, 368
Prud’homme de Bore voir
Preudhomme de Borre
Pugatschew voir Pougatchef
Pulaski 162, 168, 198, 325 n. 1
Pulawsky voir Pulaski
R… voir Richelieu
Racine 166 n. 1
Reed 43 n. 27
Néelle, de 145
Remouit 93, 96
Renommée 354
Requête à Messieures les
Représentants de la
Commune de Paris 25 n.
3, 77 n. 4, 325 n. 1
Retz 345, 346 n. 7
R.H. voir Roderigue Hortalez
R. Hortalez voir Roderigue
Hortalez
Richelieu 24, 25 n. 1, 230,
247 n. 3, 249, 250, 255,
257, 259, 262, 263, 265 n.
3, 269, 272, 330 n. 17, 341,
342, 346 n. 7
Robert 330 n. 15
Roderigue voir Rodrigue
Hortalez
Rodrigue voir Roderigue
Hortalez
Roderigue Hortalez 50, 115,
116, 117, 118, 146, 148,
149, 211 n. 3, 224, 228
Rohan, Emmanuel de 92 n. 3
Roi de Prusse 123 n. 1, 130,
207
Roi de Suéde 207
Roséide ou l’Intrigant 308 n. 1
Rosine 327, 330 n. 17, 336
Roubeau 113, 138, 362
Rousseau 21 n. 1, 182
Rullecourt 209, 211 n. 2
Ruston 260, 261 n. 4, 308
Rutledge 110, 121 n. 16, 158,
171, 299, 311, 312
Saint Alban 327, 329 n. 12,
335
Saint Clair 176 n. 2
Saint Germain 242, 243
Saint Jaumes 324 n. 1
Saint Louis, l’abbesse de 342
343, 345 n. 2
Saint Paul 243, 247
Saint Peter 46, 96
Saint Pierre 46
Saint-Preux 21 n. 2
Sainval 328 n. 3, 330 n. 14
Sarran 305 voir aussi Serran
Sartine 30, 46, 62, 65, 66, 67,
70, 97, 126, 127, 128, 137
n. 2, 173, 175, 188, 205 n.
2, 210, 211 n. 1, 211 n. 3,
CORRESPONDANCE
241, 250, 251, 272, 273,
276, 321, 322, 324, 325
Sartines voir Sartine
Saunier 186, 187, 240, 241,
253
Savary 256
Scipion 92 n. 1, 103 n. 3
Scythes, Les 330 n. 18
Sedaine 287, 288 n. 1
Seimandi 76 n. 3
Sémandi voir Seimandi
Sensible 169 n. 2
Serran 364 voir aussi Sarran
Serres de La Tour 92, 93, 97
n. 1, 97 n. 3, 278, 342
Shelburn voir Shelburne
Shelburne 206, 208 n. 1, 209
n. 10, 238, 314, 315, 315
n. 1
Sidney 345, 346 n. 7
Smith 291, 305
Smith, Meriwether 131, 132,
132 n. 1, 163, 163 n. 9,
191, 200, 306 n. 10
Société Philosophique,
Littéraire et
Typographique 72 n. 1,
261 n. 5, 367, 368
Société Typographique de
Neuchâtel 129, 130 n. 1
Soluvent 61, 63
St Germain voir Saint
Germain
St Jaumes voir Saint Jaumes
St Louis voir Saint Louis
St Paul voir Saint Paul
St Peter Saint Peter
St Pierre voir Saint Pierre
St… voir Steuben
Stanislas 329 n. 13
Steuben 26, 28, 32, 38, 40,
41, 42 n. 8, 146, 149 n. 4,
149 n. 5, 149 n. 7, 150,
160, 162, 168, 169 n. 14,
391
191, 196, 200, 302, 325 n.
1
Stormont 318
Stub… voir Steuben
Stuben voir Steuben
Suard 208 n. 8
Suart voir Suard
Subito 259, 261 n. 1, 275, 276
n. 1
Suidre 67
Sw… voir Swinton
Swinton 138 n. 2, 141 n. 1,
141, 144 n. 1, 263, 265,
266, 313, 345 n. 1, 359,
360
T. voir Trieste
Tacite 345, 346 n. 7
Talma 329 n. 9
Tantale 172
Tartuffe Littéraire, Le 308 n. 1
Teissèdre de Fleury 149 n. 7
Teissier de la Tour 42, 43 n.
36, 78, 240, 241, 248, 249,
251, 251 n. 1, 252, 254
Télussons voir Thélusson
Terramène 328
Terray 326, 328 n. 5
Tessier voir Teissier de la
Tour
Tessier de La Tour voir
Teissier de la Tour
Testard 357
Thélusson 74, 76 n. 3
Thérese voir Thérèze
Thérèze 48, 49, 55 n. 3, 101,
108, 169 n. 4, 227, 304, 311,
356, 357
Thomson 119
Thulerie 227
Tonnant 278, 280 n. 2
Tréville voir La Touche
Tréville
Trieste 261 n. 7, 367
392
CARON DE BEAUMARCHAIS
Tronçon du Coudray 30, 325
n. 1
Turgot 13 n. 1, 328 n. 5
V voir Villers
Van Robais 74, 76 n. 3
Vanhove 327, 329 n. 9, 333
Vanove voir Vanhove
Vanovre voir Vanhove
Varage 110, 121 n. 17, 198,
311
Vauban 346 n. 6
Vaudreuil 364 n. 3, 365
Veigneur voir Leveigneur
Vergennes 23, 25 n. 3, 45, 59,
63, 63 n. 1, 65, 66, 67, 77
n. 5, 81, 82, 90, 92, 102,
103, 128, 138, 140, 141,
168, 176, 202, 203, 227,
228, 252, 263, 265, 267,
270, 271 n. 1, 274, 282,
283, 283 n. 2, 315 n. 1,
317, 318, 321, 322, 322 n.
1, 325, 340, 342, 343, 346
n. 4, 347, 348, 358 n. 2,
350, 352, 352 n. 1, 359,
360
Vernei voir Pâris Duverney
Vernoux 121 n. 18
Vestris 328 n. 3
Victoire 169 n. 4, 306 n. 22
Vie de Voltaire 207 n. 7
Villers voir Willermawlaz
Virginie 194
Vitry 42 n. 1, 163, 201, 202 n.
1, 291, 301, 362
Voltaire 72 n. 1, 76 n. 3, 123
n. 1, 129, 130 n. 1, 206,
207, 208 n. 7, 239 n. 1,
261 n. 1, 314, 329 n. 8,
330 n. 18, 332 n. 1, 368,
368 n. 2
Voyages et Mémoires 325 n. 1
Voyer, de 208, 209 n. 13
W voir Willermawlaz
Walker 149 n. 7
Washington 26, 37, 44 n. 1,
149 n. 4
Willermawlaz 41, 43 n. 32, 121
n. 19, 134, 134 n. 4, 135,
162, 167, 199, 288 n. 6,
302, 306, 316, 364, 367,
Willers voir Willermawlaz
Williams 223 n. 3
Woodmason 206, 208 n. 3, 238
Zantzinger 107, 121 n. 4, 170
Zantzingue voir Zantzinger
Zanzinger voir Zantzinger
Zauzinger voir Zantzinger
Zephir voir Zéphyr
Zéphyr 99 n. 2, 103, 169 n. 4,
174, 356
TABLE
TABLE DES MATIERES
Introduction ......................................................................................... vii
Abbréviations, sources manuscrites et titres cités dans les
notes .................................................................................................... xii
1779
734.
735.
736.
737.
738.
739.
740.
741.
742.
743.
744.
745.
746.
747.
748.
749.
750.
751.
752.
A M. Gérard, 3[?] janvier 1779 ................................................. 1
De John Jay, 15 janvier 1779 .................................................. 3
A M. Paulze, 17 janvier 1779 ................................................... 4
De William Henry Drayton, 17 janvier 1779 .......................14
De Chevallié, 21 janvier 1779 ................................................15
A Mme de Godeville, 22 janvier 1779 ...................................17
A Mme de Godeville, 24 janvier 1779 ...................................19
De Mademoiselle Ninon, 25 janvier 1779 ............................20
A Mme de Godeville, 25 janvier 1779 ...................................22
De Mme de Godeville, 26 janvier 1779 .................................23
Du comte de Vergennes, 28 janvier 1779 .............................23
Au duc de Richelieu, 28 janvier 1779 ....................................24
De Francy, 5 février 1779 .......................................................26
De Silas Deane, 6 février 1779 ..............................................44
De Francy, 8 février 1779 .......................................................44
Au comte de Vergennes, 10 février 1779 ..............................45
A M. de Sartine, 12 février 1779 ............................................46
A Benjamin Franklin, 13 février 1779 ..................................47
Aux députés des Etats-Unis de l’Amérique, 13 février
1779 ..........................................................................................48
753. Au comte de Maurepas, 13 février 1779 ...............................56
754. Au comte de Vergennes, 13 février 1779 ..............................59
755. A Mme de Godeville, 13 février 1779 ....................................60
756. A Mme de Godeville, 13 février 1779 ....................................61
757. De Soluvent prêtre, 13 février 1779 ......................................61
758. Au comte de Vergennes, 16 février 1779 ..............................63
758bis. A Necker, 17 février 1779 ..............................................64
396
CARON DE BEAUMARCHAIS
759. A Duval de La Potinière, 18 février 1779 ............................65
760. A M. de Sartine, 19 février 1779 ............................................66
761. Au comte de Maurepas, 19 février 1779 ...............................67
762. De Chevallié, 20 février 1779 .................................................69
763. A Mme de Godeville, 21 février 1779 ....................................70
764. A M. Le Noir, 24 février 1779 .................................................71
765. D’Oatridge et Marindin, 24 février 1779 ..............................72
766. De M. Le Noir, 26 février 1779 ..............................................73
767. Aux ministres du Roi, 26 février 1779 ..................................74
768. De Chevallié, 27 février 1779 .................................................78
769. De Chevallié, 27 février 1779 .................................................79
770. A M. Necker, 27 février 1779 ..................................................81
771. Au comte de Vergennes, 28 février 1779 ..............................82
772. A M. Necker, [fin février 1779] ...............................................83
773. Au Président du Congrès de Philadelphie, 1er mars 1779 .85
774. A M. Necker, 2 mars 1779 ......................................................90
775. Au comte de Vergennes, 4 mars 1779 ...................................91
775bis. A Francy, 5 mars 1779 ..................................................93
776. A Serres de La Tour, 7 mars 1779 ......................................102
776bis. Extrait d’une lettre de Paris, [après le 8 mars 1779] ... 108
777. De Pelletier Dudoyer, 11 mars 1779 ..................................110
778. A Benjamin Franklin, 14 mars 1779 ..................................110
779. Au comte de Vergennes, 14 mars 1779 ..............................112
780. Au comte de Vergennes, 14 mars 1779 ..............................114
781. De Benjamin Franklin, 15 mars 1779 ...............................116
782. Du comte de Vergennes, 17 mars 1779 ..............................116
783. De la comtesse de Beauharnais, [avant le 20 mars
1779] ......................................................................................117
784. A la comtesse de Beauharnais, 20 mars 1779 ..................119
785. A Montieu, 20 mars 1779 .....................................................121
786. Au comte de Vergennes, 21 mars 1779 ..............................123
787. A M. de Sartine, 21 mars 1779 ...........................................123
788. De la Société Typographique de Neuchâtel, 23 mars
1779 ........................................................................................124
799. De Meriwether Smith, 1er avril 1779 ...................................126
790. D’Honoré Ganteaume, 3 avril 1779 ....................................127
791. A Francy, 3 avril 1779 ...........................................................128
792. A Francy, 3 avril 1779 ...........................................................129
793. A Holker, 3 avril 1779 ...........................................................130
794. A la comtesse de Beauharnais, 5 avril 1779 .....................130
795. Au comte de Maurepas, 9 avril 1779 ..................................132
796. A Roubeau, 10 avril 1779 .....................................................133
CORRESPONDANCE
397
797. Au comte de Maurepas, 11 avril 1779 ................................134
798. A Swinton, 11 avril 1779 ......................................................136
799. De Dorat, 12 avril 1779 ........................................................139
800. De M. De Néelle, 14 avril 1779 ...........................................140
801. Du baron von Steuben, 21 avril 1779 .................................141
802. De Francy, 27 avril 1779 ......................................................145
803. A M. Louis, 3 mai 1779 ........................................................159
804. A Francy, 8 mai 1779 ............................................................161
805. A Dupaty, 9 mai 1779.....................................................165
806. A Francy, 22 mai 1779 ..........................................................168
807. A M. de Sartine, 28 mai 1779 ..............................................171
808. A Don Francisquez Dalanza, 8 juin 1779 ..........................173
809. Au comte de Vergennes, 8 juin 1779 ...................................174
810. D’un anonyme, 29 avril 1779 ...............................................176
811. A un anonyme, 4 juin 1779 ..................................................181
812. De Chevallié, 15 juin 1779 ...................................................184
813. A M. de Sartine ........................................................................186
814. D’Arthur Lee, 17 juin 1779 ..................................................187
815. De Ludwell Lee, 19 juin .................................................188
815bis. De Dorat, [22 juin 1779] ........................................... 188
816. A Dorat, 22 juin 1779 ...........................................................189
817. De Francy, 23 juin 1779 .......................................................190
818. De Francy, 24 juin 1779 .......................................................200
819. Au comte de Vergennes, 24 juin 1779..................................201
820. Lettre apocryphe de Beaumarchais, 6 juin [1779] ............202
821. D’Arthur Lee, 25 juin 1779 ..................................................204
822. Au Lord Shelburne, 27 juin 1779 ........................................205
823. Au prince de Nassau, 28 juin 1779 .....................................208
824. D’Arthur Lee, 28 juin 1779 ..................................................211
825. De Lépine, 9 juillet 1779 ......................................................211
826. Du chevalier Montaut, 9 juillet 1779 ..................................212
827. Du comte d’Estaing, 12 juillet 1779 ....................................220
828. D’Arthur Lee, 14 juillet 1779 ...............................................221
829. D’Arthur Lee 14 juillet 1779 ................................................221
830. Au comte de Maurepas, 15 juillet 1779 .............................229
831. A Arthur Lee, 18 juillet 1779 ...............................................231
832. D’Arthur Lee, [après le18 juillet 1779] ...............................233
833. De Charles-Joseph Panckoucke, 23 juillet 1779 ...............235
834. A James Woodmason, 27 juillet 1779 ................................237
835. De Chevallié, 27 juillet 1779 ................................................239
836. Du chevalier de Preudhomme de Borre, 28 juillet 1779 ..240
837. A M. de Saint Paul, [fin juillet 1779] ..................................242
838. Au prince de Nassau, 1er août1779 .....................................243
839. A M. Des Entelles, 2 août 1779 ...........................................244
398
CARON DE BEAUMARCHAIS
840. Au maréchal de Duras, 2 août 1779 ...................................246
841. A Teissier de la Tour, 2 août 1779 .....................................247
842. Du maréchal de Duras, 3 aôut 1779 ..................................248
843. A Chevallié, 3 août 1779 ......................................................249
844. De Chevallié, 7 août 1779 ....................................................251
845. Au maréchal de Duras, 7 août 1779 ...................................253
846. A Le Tellier, 10 août 1779 ...................................................258
847. Du maréchal de Duras, 11 août 1779 ................................261
848. Au comte de Vergennes, 16 août 1779 ...............................262
849. A M. Louis, 18 août 1779 .....................................................263
850. Au comte de Vergennes, 22 août 1779 ...............................264
851. Au comte de Vergennes, 22 août 1779 ...............................266
851bis. Lettre circulaire des frères Pitot, 23 août 1779 ...........267
852. De M. de La Ferté, 27 août 1779 ........................................269
853. Au maréchal de Duras, 28 août 1779 .................................269
854. Au comte de Vergennes, 31 août 1779 ...............................270
855. Du maréchal de Richelieu, 3 septembre 1779 ...................272
856. A M. de Sartine, 7 septembre 1779 ....................................272
857. De M. de Sartine, 7 septembre 1779 ..................................273
858. Au comte de Vergennes, 7 septembre 1779 .......................274
859. A M. Subito l’aîné, 8 septembre 1779 .................................275
860. Au Roi, 11 septembre 1779 ..................................................276
861. A Serres de La Tour, 12 septembre 1779 ..........................278
862. Au comte de Vergennes, 14 septembre 1779 .....................282
863. De Micault d’Harvelay, 15 septembre 1779 ......................284
863bis. De M. de la Ferté, [21 septembre 1779] ......................285
864. De Silas Deane, 23 septembre 1779 ..................................287
864bis. De Francy, 26 septembre 1779 ...................................288
864ter. De Francy, 26 septembre 1779 ...................................290
865. De Silas Deane, 28 septembre 1779 ..................................293
866. De Sedaine, 5 octobre 1779 ..................................................294
867. De Francy, 6 octobre 1779 ....................................................295
868. A Dorat, 9 octobre 1779 ........................................................314
869. A Andrew Farquharson, [9 octobre 1779] ..........................315
870. A Le Tellier, [9 octobre 1779 ]...............................................316
871. Au commodore Gillon, 11 octobre 1779 ..............................318
871bis. A Panckoucke, [18 octobre 1779] .................................320
872. A Swinton, 28 octobre 1779 ..................................................321
873. Au Lord Shelburne, 31 octobre 1779 ..................................332
874. De Montieu, 31 octobre 1779 ...............................................324
875. De Joseph-Mathias Gérard de Rayneval, 3 novembre
1779 .........................................................................................325
876. De Joseph-Mathias Gérard de Rayneval, 8 novembre
1779 ........................................................................................326
CORRESPONDANCE
877.
878.
879.
880.
881.
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907.
908.
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Au comte de Vergennes, 11 novembre 1779 ......................326
Au comte de Maurepas, 11 novembre 1779 .......................328
De M. de Sartine, 12 novembre 1779 .................................330
Du comte de Vergennes, 16 novembre 1779 ......................330
Aux maire et échevins, consuls assesseurs de la ville de
Marseille, 20 novembre 1779 ..............................................331
A M. de Sartine, 21 novembre 1779 ................................332
Aux comédiens français, 22 novembre 1779 ......................334
A Thérèse-Marthe Panckoucke, 22 novembre 1779 .........339
A Monvel, 24 novembre 1779 ...............................................341
De Monvel, 24 novembre 1779 .............................................343
De Mlle Doligny, 24 novembre 1779 ...................................344
Des maire et échevins, consuls assesseurs de la ville de
Marseille, 3 décembre 1779 ................................................345
A Benjamin Franklin, 8 décembre 1779 ............................346
Aux maire et echevins, consuls assesseurs de la ville de
Marseille, 10 décembre 1779 ..............................................347
Au comte de Vergennes, 18 décembre 1779 .......................348
Du maréchal de Richelieu, 18 décembre 1779 ..................350
Au comte de Vergennes, 19 décembre 1779 .......................350
A tous les ministres du Roi, 19 décembre 1779 ................351
Du comte de Vergennes, 19 décembre 1779 ......................355
De M. Le Noir, 19 décembre 1779 .......................................357
A M. Le Noir, [après le 19 décembre 1779].........................357
De Durival, 21 décembre 1779 ............................................358
Au comte de Vergennes, 22 décembre 1779 .......................358
Au Rédacteur du Courier de l’Europe
De Durival, 22 décembre 1779 ............................................360
De Montieu, 22 décembre 1779 ............................................361
De Francy, 24 décembre 1779 .............................................362
Des maire et échevins, consuls assesseurs de la ville de
Marseille, 24 décembre 1779 ..............................................367
Au comte de Vergennes, 25 décembre 1779 .......................367
De Francy, 26 décembre 1779 .............................................368
De Silas Deane, 26 décember 1779 ....................................373
Du comte d’Estaing, 26 décembre 1779 .............................374
A Maurel de Chailleuse, 28 décembre 1779 ......................375
Au comte d’Estaing, 31 décembre 1779 .............................377
Index...................................................................................................379
Table des Matières...........................................................................393