Master Sciences, Technologies, Santé Mention Santé Publique

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Master Sciences, Technologies, Santé Mention Santé Publique
Master Sciences, Technologies, Santé
Mention Santé Publique
2012-2013
Séance 1
INTRODUCTION : LA MACROÉCONOMIE DE LA SANTÉ
UE PSP105 : Les grands systèmes en santé
Rédacteur : Elise VERPILLOT
Relecteur : Matthieu SIBE
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INTRODUCTION : LA MACROECONOMIE DE LA SANTE
« Un système de santé est un ensemble plus ou moins cohérent de moyens de
financement, d’information, de prévention et/ou de traitement organisé en vue de maintenir
ou d’améliorer la santé »
Majnoni d’Intignano B, 2001.
Dans cette introduction, nous aborderons les aspects macroéconomiques des systèmes
de santé.
1 LA DOUBLE EQUIVALENCE
1.1. OFFRE = DEMANDE = RESSOURCES
Une double équivalence macroéconomique comptable s’impose dans tout système de
soins. Cette double équivalence décrit les échanges financiers qui s’instaurent entre les
principaux agents d’un système de santé et symbolise les relations macroéconomiques entre
eux. Cette présentation a été introduite par Evans R. (1997) qui s’inspire de l’équation
macroéconomique générale qui égalise la production à la répartition et à la dépense des agents
économiques. Elle a été ensuite reprise par Béatrice Majnoni d’Intignano dans son ouvrage
intitulé Economie de la santé (2001). Nous reprendrons ici la présentation de cette dernière.
Cette présentation permet de montrer le lien entre l’offre de soins des professionnels,
la demande des malades et les moyens de financement c'est-à-dire les ressources nécessaires
pour payer les premiers et faire face à la dépense des seconds.
Encadré 1 : La Double Equivalence
Offre
=
Demande
=
Ressources
Revenus des professionnels = Dépenses de soins = Moyens de financement
(H+S)*N
=
P*Q
=
(I+C)+M+A
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Avec H+S = honoraires et/ou salaires N = nombre de soignants
P = prix unitaire des soins et Q = le volume consommé de soins
I +C = impôts et/ou cotisations M = coût supporté par le malade et A = l’ensemble des
primes d’assurance.
Ainsi, l’offre de soins est présentée de manière très simple : elle est décomposée en un
produit de la rémunération des soignants et des producteurs de biens médicaux par leur
nombre. Soit (H+S)*N.
H représente les honoraires des médecins, des dentistes, des kinésithérapeutes, ou des autres
acteurs paramédicaux et les salaires S des hospitaliers ou des laborantins, mais aussi les
salaires des personnels des assurances maladie. Et N représente leur nombre respectif soit
l’emploi dans le secteur des soins, qui est un paramètre important. En effet, 80% des dépenses
de santé sont directement versées à des soignants et le reste est consacré à acheter des biens et
des services médicaux. Ainsi, (H+S) est un vecteur horizontal qui contient autant d’items
qu‘il existe de types de rémunérations. Et N est un vecteur vertical en comptant autant qu’il
existe de catégories de personnels dans le système de santé.
La demande de soins est le produit du prix des soins (par unité d’honoraires,
d’hospitalisation ou de médicament) par leurs volumes respectifs. On schématise la dépense
correspondante par P*Q : P étant les prix des consultations ou des visites des médecins ou
encore des journées d’hospitalisation, des médicaments, ou des prothèses et les volumes
correspondants Q étant le nombre de consultations, de journées passées à l’hôpital, le nombre
de médicaments consommés… Ainsi, P est un vecteur horizontal qui est composé d’autant
d’items qu’il existe d’actes médicaux et Q est un vecteur vertical en comptant autant qu’il ait
été consommé de biens et de services médicaux.
Enfin, les moyens de financement sont la somme (I+C)+M+A, avec I et C qui
représentent les impôts ou les cotisations considérées comme des prélèvements obligatoires,
appelés « fonds publics » par les économistes, M les tickets modérateurs ou sommes
directement financées par les malades et A les primes d’assurance versées par les assurés à
titre privé. On les appelle « fonds privés ».
Ainsi, tout changement dans l’un des termes de l’équation se répercute inévitablement
sur les deux autres.
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Encadré n° 2 : Illustrations de la Double Equivalence
- Les personnels d’hôpitaux obtiennent une augmentation de salaire  la dépense de soins augmente
mais les impôts et les cotisations aussi puisque les dépenses hospitalières sont généralement bien remboursées.
- Les relations peuvent être encore plus complexes.
En effet, si le gouvernement désire réduire les dépenses de santé remboursées et décide de faire porter
son effort sur un poste de dépenses important : l’hospitalisation. Il réduit le nombre de lits et des malades doivent
être traités en ville. Par conséquent, les dépenses d’honoraires et de médicaments augmentent. Si elles
augmentent moins vite que les dépenses d’hospitalisation ne diminuent, l’objectif est atteint. Sinon ce n’est pas
le cas. Toutefois, comme les dépenses de ville sont généralement moins bien remboursées que les dépenses
d’hospitalisation, le financement public sera allégé mais la participation des malades et/ou celle des assureurs
augmentent. Cet effet induit et mécanique accentue le succès de la politique engagée mais accentue aussi la
privatisation du financement. Tous les termes de l’équation vont donc changer.
Bien évidemment, selon les systèmes de santé, que nous décrirons en détail dans les
chapitres suivants, les termes de l’équation varient dans des proportions importantes. Des
variations sont aussi observables par pays.
En France, où l’impôt finance une part modeste des dépenses et les cotisations presque
75%, les malades paient d’importants tickets modérateurs et les assurances complémentaires
jouent un rôle important. Les prix sont bas (en particulier les prix des médicaments) et les
volumes consommés élevés. En revanche, aux Etats-Unis, où prévaut l’assurance privée, le
secteur public finance 45% de la dépense, les malades 15% et les assureurs 40%. Les revenus
et les prix des soins sont élevés mais leurs volumes peu supérieurs à celui des Européens.
Tableau n°1 : Comparaison France / Etats-Unis
Paramètres
Etats-Unis
France
14%
10,1%
I ou C
I=45%
I+C=78%
Malades
M=15%
M=9%
Assurances
A=40%
A=13%
Très élevé
Faible/moyen
Elevée
Très élevée
Dépenses (% du PIB)
Prix des soins
Quantité de soins
Sources : Eco-Santé, OCDE, 2005 et B. Majnoni d’Intignano 2007, Santé et économie en
Europe.
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1.2. QUI PAYE QUI CONSOMME
En matière de santé, nous pouvons considérer que la population se divise en deux
groupes jouant des rôles différents. D’une part le groupe des actifs, en général bien portants et
ayant une capacité de financement élevée, ils sont forts contribuables ou cotisants aux
prélèvements obligatoires, forts demandeurs d’assurance et faibles consommateurs de soins.
D’autre part, le groupe des retraités et des grands malades ou invalides ne pouvant travailler :
ils sont faibles contribuables ou cotisants et forts consommateurs de soins.
Dans l’ensemble des pays riches, le second groupe dépense environ la moitié des
soins. Schématiquement, une importante redistribution se produit : les actifs bien portants
payent pour les inactifs malades les soins remboursés. Mais ce sont les malades qui supportent
eux-mêmes les charges directes ou les tickets modérateurs. Ainsi, nous pouvons imaginer que
les actifs qui paient pour les inactifs souhaitent voir augmenter la participation directe des
malades. Les inactifs ont au contraire intérêt à ce que les soins soient financés par des
contributions obligatoires des actifs.
A titre d’illustration, la France compte 23,5 millions d’actifs occupés (comprenant 7
millions de travailleurs en CDD ou en intérim ou à temps partiels et 2,5 millions de chômeurs,
faibles contribuables et cotisants par définition) qui financent une population de 60 millions
d’habitants dont 12 millions d’enfants, 11 millions de retraités et 10 millions d’inactifs.
1.3. QUI REGULE ?
Le problème de la redistribution sous-entend, économiquement parlant, celui du choix
d’un mécanisme de régulation. En effet, qui contrôle la répartition totale des dépenses entre
I,C et M ? Pour les biens et services traditionnels, c’est le marché qui régule donc la demande
est déterminée par les consommateurs qui mettent en balance l’utilité attendue de leur achat et
son coût, compte tenu de leur revenu. Pour les services publics c’est le Parlement, qui met en
balance les services d’éducation et de justice par exemple.
Pour la santé, les choses sont plus compliquées car une double régulation par le
parlement et le marché coexiste. Les montants de I et de C sont régulés par le Parlement qui
vote le montant des prélèvements obligatoires et leur affectation entre la santé et les autres
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fonctions de l’Etat. Au contraire le montant de M et de A dépend de la volonté à payer des
malades ou des assurés, c’est donc régulé par le marché.
1.4. DES LORS, QUELS SONT LES INTERETS EN PRESENCE ?
Il existe dans les systèmes de santé, une coalition d’intérêts entre les offreurs et les
demandeurs de soins, c'est-à-dire entre les soignants et les malades conduisant à une
augmentation des dépenses au détriment des contribuables et/ou des cotisants. Les malades
souhaitent des soins de meilleure qualité donc à des prix généralement plus élevés et à des
volumes plus importants. La demande est donc croissante. De même, le groupe des soignants
(médecins, hospitaliers, laboratoires,…) désire toujours comme tout actif recevoir une
rémunération (H+S) plus élevée et être plus nombreux. Des coalitions peuvent ainsi se former
entre malades et soignants pour obtenir plus de moyens de financement. A ce constat il faut
ajouter que la demande de santé peut être influencée par les offreurs, ce qui conduit à une
augmentation des dépenses et donc à la nécessité d’augmenter les ressources nécessaires pour
couvrir ces dépenses.
Encadré n°3 : Rappel sur la demande induite1.
A l’origine de la demande de soins se trouve la notion de « besoin en santé » définit comme la
différence entre l’état de santé constaté et l’état de santé souhaité. Au niveau individuel cette différence résulte le
plus souvent d’une dégradation de l’état de santé plutôt imprévisible (c’est le risque d’être atteint par une
maladie) mais aussi d’une dégradation « normale » liée au vieillissement. Les besoins ressentis sont souvent
illimités et croissants. Ils comprennent la satisfaction de besoins de base (accouchement, maladie infectieuse,…)
à celle de besoins plus techniques (cancer,…) puis à celle de confort (stress, …). Cependant, la demande de
soins, traduction des besoins de santé est quant à elle largement dépendante de l’offre. En effet, le patient seul,
ne dispose pas des connaissances médicales nécessaires pour déterminer ou juger des soins qui lui sont prodigués
en fonction des besoins qu’il exprime. Les soignants possèdent un important pouvoir discrétionnaire, qui leur
permet d’influencer la demande de soins. On parle du concept de demande induite par l’offre « supply induced
demand ». Il a été mis en évidence par le canadien Robert Evans au début des années 70. Selon ce concept, ce
sont les médecins ou l’hôpital qui définissent pour le compte des malades leur besoin d’examens ou de
traitements. Ils pourraient donc être en mesure de stimuler cette demande pour atteindre leurs propres objectifs
de revenu ou d’activité. C’est cette partie de la demande non justifiée par un besoin connu du malade que l’on
appelle demande induite. Cette idée a été confortée par les indicateurs d’offre et de demande au niveau
1
Pour plus d’informations sur ce sujet, vous pouvez vous reporter au cours d’économie de la santé du semestre 1
ECO101.
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macroéconomique. Par exemple il a été démontré en 1999 par l’IRDES (Institut de Recherche et de
Documentation en Economie de la Santé) qu’il existe une corrélation forte entre le nombre de lits par habitant et
le nombre de journées d’hospitalisation par habitant dans les régions françaises (voir graphique n°1). En outre, la
CNAMTS a montré que les indicateurs classiques de demande (âge, mortalité et revenu relatif de la population)
expliquaient seulement 20% de la croissance en volume des honoraires médicaux et 40% de la consommation de
médicaments. La majeure partie de l’évolution s’expliquerait par un accroissement du nombre de médecins
(généralistes et spécialistes). Une autre étude effectuée par Béjean et Gadreau (1992) montre qu’une
augmentation de 10% de la densité médicale provoque un accroissement de 8% de la consommation de soins.
Toutefois, de telles relations sont difficiles à interpréter. En effet, l’accroissement de la consommation doit-il
être imputé à un rationnement de la demande antérieure, à un besoin jusqu’à présent non satisfait ou à une
demande induite ? L’analyse du comportement des chirurgiens conforte cette dernière interprétation. Aux EtatsUnis, le nombre d’opération des amygdales et de la prostate dépend de la densité locale de chirurgiens. Par
ailleurs, pour Chambaretaud et Hartmann (2004), outre l’asymétrie d’information entre le patient et le médecin,
deux éléments peuvent favoriser ce type de comportements : le mode de rémunération du producteur de soins
(l’OCDE a mis en évidence le fait que les populations des pays où les chirurgiens sont payés à l’acte sont deux
fois plus souvent opérées que celles dans des pays où ils sont salariés, à niveau de vie et de dépenses de santé
comparables) et la couverture assurantielle des patients qui les rend insensibles aux prix.
Graphique n°1 : Nombre de lits et de journées d’hospitalisation en 1997 (22 régions françaises)
Les différents payeurs : collectivités, malades et assureurs doivent ainsi réguler l’offre
et la demande. De leurs importances respectives dépendent le rôle de l’Etat et celui du
marché.
En démocratie, le Parlement contrôle l’argent public. Le législateur détermine trois
éléments de sa politique de santé :
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a) Les populations couvertes : une conception minimaliste domine aux Etats-Unis
alors qu’une conception universelle domine en Europe ;
b) le panier de biens et services de santé remboursables ;
c) et une enveloppe financière légale.
Le Parlement anglais vote chaque année le budget du National Health Service et ses
objectifs. La loi d’action concertée de 1977 impose en Allemagne des taux de cotisations
stables par rapport aux salaires.
La part payée par les malades est régulée par leur capacité et leur volonté à payer. Ce
financement peut provoquer des inégalités d’accès et des exclusions puisqu’à maladie et à
coût égal des soins, la dépense privée pèse plus sur les bas revenus.
Le rôle des assurances privées dépend des fonctions que leur laisse le secteur public.
Elles couvrent la population active aux Etats-Unis et jouent un rôle de complément en Europe.
Le dosage entre les sources de financement est l’objet de stratégies d’intérêts, les gros
consommateurs de soins tirant avantage d’un financement public supporté par le contribuable,
les actifs et les personnels de santé ayant au contraire intérêt à le reporter sur les malades et
les assurances privées. Il s’agit principalement d’un choix politique.
1.5. LA QUESTION DU DEFICIT OU TROU FINANCIER
Que l’assurance maladie soit publique et privée, un déficit provient d’une insuffisance
des recettes par rapport aux dépenses. La tendance au déficit financier de toute assurance
maladie est universelle, l’offre et la demande de soins pouvant augmenter indéfiniment.
Toutefois, tout déficit doit être financé en fin de période (au moment de la clôture des
comptes). Il doit se résorber en fin d’année soit par l’augmentation de I+C et/ou de A et de M,
soit par l’emprunt qui repousse l’échéance, et reporte I et C sur les générations futures.
La vraie question posée par le financement n’est donc pas celle du déficit mais de
l’importance de I et de C ? Qui paye et combien ? Cela se mesure : par la proportion des
prélèvements obligatoires dans la production nationale (I+C)/PIB. La part du financement
privé dans la dépense de santé ((M+A)/P*Q) ? La charge imposée aux malades M/P*Q ?
Nous aborderons ces questions lorsque nous traiterons des performances des systèmes de
santé.
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La question que l’on peut ensuite se poser est : faut-il contrôler la dépense globale ?
La réponse est bien sûr, si l’on souhaite maintenir le taux de remboursement et
l’égalité d’accès aux soins. C’est notamment le choix du gouvernement français depuis les
années 90. Sinon, le secteur privé peut répondre sans limite à la demande de soins et
d’assurance. Or, quand le financement privé augmente, l’inégalité d’accès aux soins peut
compromettre la cohésion sociale. La France en a fait l’expérience : le taux de remboursement
a diminué dans les années 1975-1995, une partie de la population (5% sans sécurité sociale et
15% sans assurance complémentaire) a été gênée pour accéder aux soins. La Couverture
Maladie Universelle (CMU) a répondu à cette demande en 2000, mais a augmenté la charge
publique.
Quand le financement est majoritairement privé en revanche, il ne semble pas
nécessaire de contrôler la dépense globale de soins. Les Américains considèrent l’inégalité qui
en résulte comme l’effet légitime de la liberté de souscrire des assurances diversifiées et de
l’initiative individuelle
Américains et Européens ont donc des positions opposées sur les conditions de
réalisation de l’équilibre macroéconomique.
2 SANTE ET CROISSANCE ECONOMIQUE
Des auteurs comme le philosophe Bentham (1789) et l’économiste Karl Marx (1867)
ont attiré l’attention sur le rôle essentiel de la santé dans le bien être et dans la qualité de la
force de travail. Dès lors, nous nous demanderons dans cette partie si la santé et les dépenses
de soins contribuent au développement et à la croissance économique. Ensuite, nous verrons
que santé et croissance entretiennent d’étroites relations réciproques.
2.1. LES EFFETS DE LA CROISSANCE SUR LA SANTE.
Le développement économique et la croissance, en augmentant le niveau de vie, ont un
effet décisif sur le niveau de santé.
9
Béatrice Majnoni d’Intignano (2001) met en évidence différents mécanismes qui jouent en ce
sens.

De bonnes conditions de vie limitent la propagation des maladies contagieuses
traditionnelles, dont les infections et renforcent les défenses naturelles contre les maladies.
Exemples : La mortalité par la rubéole, la tuberculose et la varicelle, a reculé avant même la
découverte de vaccins ou de médicaments efficaces dans les années 50. L’augmentation de
l’espérance de vie est due à l’amélioration du niveau de vie avant la médecine.

La croissance dégage des moyens financiers pour promouvoir l’éducation, les
programmes de prévention, pour organiser des assurances maladies et pour payer les soins.
L’éducation surtout dans le primaire dans les pays pauvres est l’un des principaux
déterminants de l’Etat de santé. En particulier celle des femmes qui forment les enfants et
soignent toute la famille. En outre, ce sont elles qui prennent contact avec le monde médical
et diffusent l’information.

Le développement fait naître une classe moyenne, et réduit les inégalités sociales ou
de niveau de vie à long terme. Une plus grande équité dans la répartition des revenus et une
plus grande homogénéité sociale améliorent le niveau général de la santé d’une population.
En revanche, inégalités sociales et états de santé évoluent en sens inverse. Le Japon et le
Royaume-Uni avaient des espérances de vie comparables dans les années 70, puis celle du
Japon où la répartition du revenu est restée égalitaire a progressé plus vite qu’au RoyaumeUni où les disparités sociales et de revenus se sont accentuées.

Enfin, le développement s’accompagne d’une forte urbanisation favorable à la santé
dans certaine limite. Les urbains ont généralement un revenu plus important, sont mieux
éduqués et disposent d’un réseau de soins plus moderne et plus dense. Si l’urbanisation peut
détériorer la santé en provoquant du stress ou de la pollution, ses effets bénéfiques s’avèrent
largement supérieurs en termes de santé.
Les travaux de la Banque Mondiale vont dans ce sens (1993). Le graphique ci-contre
publié par la Banque centrale Mondiale montre le lien entre l’espérance de vie et le revenu par
10
habitant et par an converti pour tous les pays et toutes les époques en dollars de 1990 entre
1900 et 1990.
Graphique n°2 : Espérance de vie et richesse par habitant
A toutes les époques, l’espérance de vie augmente avec la richesse, mais selon
plusieurs phases. Lorsque le revenu augmente, l’effet sur l’espérance de vie est d’autant plus
important que le revenu de départ est faible. Cet effet est très important pour les pays pauvres
et faible pour les pays riches. Par exemple, une augmentation du niveau de vie de 2000 à 5000
dollars augmente l’espérance de vie d’environ 15 ans. Alors qu’un doublement de 10000 à
20000 l’augmente seulement de quelques années. Cet effet positif se produit donc
successivement avec des rendements croissants plus un pays est pauvre et plus son
développement aura d’effets bénéfiques sur sa santé jusqu’à environ 5000 dollars par habitant
et par an, puis avec des rendements décroissants au-delà de ce niveau de plus en plus de
moyens sont nécessaires pour un même effet sur la santé.
Le rapport du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) sur le
développement humain de 1996 estime qu’une augmentation de + 1% du PIB par habitant
et par an provoque en moyenne une augmentation de 0,13% de l’espérance de vie et une
réduction de -1% du taux de mortalité infantile dans les pays en voie de développement.
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En revanche, un ralentissement brutal de la croissance ou une rupture dans
le processus de développement détériore l’état de santé. La transition des pays d’Europe
centrale et orientale (PECO) et la régression en Afrique en fournissent deux exemples. La
transition des pays de l’est européen d’une économie centralisée, planifiée et industrielle vers
une économie de marché libérale a provoqué une forte inflation, notamment en Russie, ce qui
a conduit à un ralentissement de la croissance, un démantèlement des assurances maladies
publiques et du système de soins. Le phénomène a été suffisamment brutal pour provoquer
une diminution sensible de l’espérance de vie en Russie, en Lettonie et Roumanie. Il faut y
voir l’effet des accidents, suicides et de la pauvreté. Les maladies cardiovasculaires sont très
répandues du fait du manque de prévention. Certaines maladies sont réapparues comme la
diphtérie et la tuberculose. En Russie, la proportion de pauvres a augmenté de 4 à 40% à
cause du démantèlement de la protection sociale et des systèmes de retraite, l’Etat Russe ne
pouvant plus lever d’impôts nécessaires à leur financement du fait de la désorganisation de
l’économie et du ralentissement de la croissance. Depuis 1990, l’espérance de vie a régressé
de 70 à 60 ans pour les hommes. En revanche les pays ayant réussi leur transition ont une
espérance de vie qui suit celle des pays de l’Union Européenne.
Graphique n° 3 : Espérance de vie et transition économique des PECO
12
De façon similaire il a été observé qu’en Afrique, lorsque le niveau de vie baisse,
l’espérance de vie se réduit. L’Afrique abrite 10% de la population alors qu’elle produit à
peine 1% du PIB mondial (c’est moins que la Belgique). Le revenu moyen par habitant baisse
depuis les années 60. L’espérance de vie baisse depuis plus d’une dizaine d’années à cause
notamment de l’épidémie du Sida, de la malaria, des maladies infectieuses mais aussi à cause
de la violence. Les pays d’Afrique Subsaharienne ont des niveaux d’espérance de vie très
bas : 40 ans.
2.2. LA SANTE COMME FACTEUR DE DEVELOPPEMENT
Nous nous demandons ici si la santé est un facteur de développement.
La santé a longtemps été ignorée dans les modèles économiques. L’émergence de
nouvelles théories prenant en compte la santé a eu lieu au milieu des années quatre-vingt à la
suite des travaux de Romer (1983). Le développement des théories de la croissance endogène
est à l’origine de la prise en compte de la santé aussi bien en tant qu’investissement, qu’en
tant que consommation dans la croissance économique. La croissance est alors influencée par
le comportement des agents économiques. Elle a donc un caractère endogène.
Selon ces théories, les secteurs de la santé et de l’éducation intègre les principaux facteurs
explicatifs de la croissance endogène.
2.2.1. Seuil de développement et trappe à pauvreté.
Dans les pays très pauvres, l’espérance de vie restant basse, investir dans l’éducation est
peu rentable. Mauvaise santé, faible niveau d’éducation et d’investissement productif créent
une trappe à pauvreté. Une forte préférence pour le présent fait négliger la santé. D’après
P.Y. Geoffard et T. Verdier (2000), il faut atteindre un niveau minimum d’espérance de
vie pour amorcer un processus de développement.
Une telle analyse permet de mettre en évidence l’effet dévastateur du Sida sur le potentiel
de croissance de certains pays du tiers monde et notamment en Afrique qui compte 28
millions de sidéens sur 40 dans le monde. Cette maladie touche en effet la population active et
en âge de procréer : elle diminue le taux d’activité et l’épargne et fait un grand nombre
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d’orphelins. Les soins coûtent chers. Le budget public devra alors supporter le coût des soins
et prendre en charge les orphelins. La maladie détourne ainsi des ressources considérables au
détriment des investissements productifs. Le sida provoque une diminution de l’espérance de
vie de quinze à vingt ans en Afrique du Sud. Les grands pays d’Afrique comptent 20 à 25 %
de séropositifs parmi les adultes. D’après la Banque Mondiale, l’épidémie a un effet sur la
croissance dès qu’elle touche plus de 5% de la population. A partir de 8% la croissance est
ralentie de -0,4 points du PIB et à partir de 25 % de la population on peut perdre jusqu’à un
point de croissance sachant que la croissance moyenne en Afrique subsaharienne est de 3,4%
par an depuis 10 ans…
Compte tenu de l’explosion démographique, la population d’âge actif de ces pays sera très
faible. Voir par exemple le graphique suivant qui illustre l’effet prévisible du Sida au
Botswana d’ici 2025.
Graphique n°4 : La population du Botswana en 2020 ?
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La pyramide des âges se transforme en cheminée la maladie décimant la population de
plus 30 ans. Comment organiser une société dans laquelle la classe d’âge la plus représentée
comprend des individus entre 15 et 25 ans ? Les grandes sociétés internationales s’attendent à
perdre 40 à 50% de leur main d’œuvre et hésitent à la former.
La malaria, la tuberculose et les infections ont eux aussi des effets dévastateurs. La
malaria par exemple réduit aussi le taux de croissance de certains pays diminuant la surface
des terres cultivables, décourageant les investissements étrangers et les touristes. Toutefois,
l’éradication de la malaria au Sri Lanka entre 1947 et 1977 a accru le niveau de vie du pays de
9% (la lutte contre les moustiques a ainsi permis de reconquérir certaines terres inexploitées à
cause de la malaria et à augmenter la production vivrière, donc le niveau de vie des paysans).
2.2.2. Dépenses de soins, emploi et activité
La santé n’est pas seulement un coût, elle génère également des recette pour
l’économie.
- Une population active en bonne santé constitue un facteur d’accroissement de la
qualité et de l’offre de travail. Améliorer l’Etat de santé permet par exemple de perdre
moins de journées de travail et d’allonger la vie active. L’offre de travail s’en trouve donc
accrue en volume et en qualité. Aux Etats-Unis, un homme de 45 à 59 ans travaille 1300
heures de moins (sur une moyenne annuelle de 5000 heures) quand il est en mauvaise santé
(Parsons, 1977). Ainsi, lorsque la population est en bonne santé, la production peut augmenter
ainsi que les opportunités de formation et donc la productivité.
En Europe où le taux d’emploi est faible (65% de la population d’âge actif travaille contre
72% aux Etats-Unis) l’état de santé agit sur la qualité du travail plus que sur son volume total.
- Dans les pays développés le système de soins exerce un effet d’entraînement sur
toute l’économie et le niveau de santé devient endogène au processus de croissance. Le
secteur de la santé est une vraie branche d’activité. La branche santé, médico-social emploie
2,1 millions de personnes en France soit 9% de la population active (à titre de comparaison :
1,4 millions pour le bâtiment et le génie civil). Les emplois dans la santé augmentent plus vite
que dans les autres secteurs : +30% en 15 ans.
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On peut mesurer cet effet d’entrainement. En effet, édifier un hôpital fait travailler le
bâtiment, acheter des équipements, aménager la voirie, génère des commandes à des sous
traitants, dans la restauration par exemple. Le Tableau Entrées Sorties (TES) de la
comptabilité nationale quantifie cet effet sur le reste de l’économie par un coefficient
d’entrainement. Il est égal à 0,65 pour la pharmacie, ce qui signifie qu’une augmentation de la
demande d’1 milliard d’euros à cette industrie en France provoque une hausse de 650 millions
d’euros de consommations intermédiaires d’autres activités. En outre, la branche santé fournit
6% de la valeur ajoutée nationale française, le double de l’agriculture et 50% de plus que
l’énergie. La valeur ajoutée étant la différence entre la valeur de la production d’une branche
et la valeur de ses consommations intermédiaires. Par exemple, dans l’industrie
pharmaceutique c’est la valeur des produits moins les achats de molécules ou de brevets. La
moitié de celle de la branche santé provient des hôpitaux.
Ainsi, un effet vertueux peut être mis en évidence entre la demande de soins et la
croissance (Piatecki et Ulmann, 2001). Une population qui a une forte préférence pour le futur
et qui investit dans sa santé, bénéficie à la fois d’une meilleure santé et d’une croissance
économique plus forte et plus riche en emplois, comme par exemple, les pays développés
pendant les trente glorieuses.
Toutefois, ceci ne nous permet pas d’avancer l’hypothèse que la non maîtrise des
dépenses de santé pourrait avoir un effet positif sur la santé et la croissance.
En effet, en nous plaçant dans le cadre économique des pays européens où les systèmes de
santé reposent sur le financement public, la progression incontrôlée des dépenses de santé par
rapport à la richesse nationale pourrait être nuisible. Toute hausse des dépenses de santé dans
un tel système conduit à une augmentation des prélèvements obligatoires et donc à une
augmentation des cotisations ou des impôts qui pèsent lourds sur les bas salaires et les revenus
et peuvent donc bloquer l’emploi et ainsi contraindre la croissance. En outre, les prélèvements
obligatoires étant limités, les dépenses publiques de santé concurrencent alors les retraites, la
sécurité, l’éducation. Il est donc nécessaire que des pays avancés cherchent à les maîtriser. En
revanche, aux Etats-Unis et dans les pays où les dépenses de soins sont financées en majorité
par le secteur privé, les conclusions sont différentes.
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La santé a une place importante dans le processus de croissance, il convient d’en
tenir compte tant pour le dynamisme économique, que pour l’état de santé des populations.
Les grandes endémies : sida, malaria, infections, tuberculose bloquent celui de l’Afrique.
En outre, il apparaît crucial de maîtriser la progression des dépenses de santé dans les pays
développés reposant sur un financement public.
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