courrier divers - Atelier du Laurier Rouge
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courrier divers - Atelier du Laurier Rouge
BREF HISTORIQUE DE L'ART-THERAPIE Texte de Catherine MAZARGUIL / ATELIER DU LAURIER ROUGE d’après les ouvrages cités en bibliographie 3, rue de l’Eglise, 10210 Coussegrey, tel : 03 25 70 69 35 / www.laurier-rouge.com Au tout début, les Arts Premiers Nous faisons remonter les origines de l’art-thérapie à la nuit des temps. En effet, il ne peut être question de comprendre les étranges pouvoirs liés à l'image si nous ne tentons pas de pénétrer l'esprit des peuples premiers face à l'art, et ceci dès ses débuts. Aussi faut-il essayer de comprendre ce qui les a amenés à considérer les images comme une force à employer et non comme des choses simplement agréables à regarder. Pour cela, il nous suffira de vouloir être tout à fait honnête avec nous-mêmes et de chercher s'il ne reste pas quelque chose de "primitif" en nous : au lieu de commencer par l'époque glaciaire, commençons par nous-mêmes et par regarder ces émotions étranges qui perdurent. Voici, par exemple, dans le journal d'aujourd'hui, la photographie d'une personne que l'on admire particulièrement ou de notre acteur préféré ; aurions-nous plaisir à lui percer les yeux avec une épingle ? Cela nous serait-il aussi indifférent que de percer notre journal à un autre endroit ? Certainement pas, car si notre pensée consciente et raisonnable sait bien que cet acte ne peut faire de mal à personne, héros ou amis, nous éprouvons cependant une certaine crainte de lui nuire, dans notre représentation mentale née à la vue de la reproduction de son image. Subsiste donc, tout au fond de nous, le sentiment que l’image représente plus que l’apparence de la personne, et qu’une intervention sur l’image peut avoir des conséquences (bénéfiques ou néfastes). Et si cette idée "déraisonnable" et ème étrange persiste bien dans notre esprit contemporain et terriblement scientifique du début du XXI siècle, il n'est peut-être pas si surprenant que de telles idées aient existé presque partout, et de tous temps. Dans toutes les parties du monde, guérisseurs et sorcières ont ainsi voulu faire oeuvre magique. Ils ont fabriqué de petites images de leurs ennemis, ils en ont percé le cœur, ou ils les ont brûlées, espérant que leurs ennemis eux-mêmes en souffriraient. D’un coté plus positif, les nombreux ex-voto retrouvés près des sources, des tumulus ou endroits sacrés témoignent aussi de la croyance dans la force de la représentation du corps dans une petite sculpture, montrant ainsi la partie malade du corps à soigner, mais montrer à qui ? pour en faire quoi ? Dans le même ordre d’idée, de nos jours, lorsque des manifestants brûlent leur adversaire en effigie, ou déstabilisent une statue en pleine place publique, n'y-a-t-il pas là comme une survivance d'une telle croyance, même chez les plus athées ? Et nous brûlons bien le "Bonhomme Hiver" lors du carnaval chaque année pour rassurer les enfants - et nous même - sur le retour du printemps… Ces quelques réflexions peuvent faciliter notre approche des plus anciennes peintures qui nous soient parvenues, celles des grottes rupestres. C'est une curieuse expérience, pour ceux qui ont pu y participer, de descendre dans ces grottes, quelquefois par des corridors bas et étroits, dans les profondeurs obscures à flan de montagne, et de voir subitement la lampe électrique du guide éclairer une peinture de taureau. A coup sûr, personne n'aurait jamais rampé jusqu'aux entrailles mystérieuses de la terre dans le but de simplement décorer un endroit quasiment inaccessible ! Il est beaucoup plus plausible d'y voir là l’un des plus anciens vestiges de cette croyance universelle : le pouvoir magique de la peinture et de la représentation picturale. En d'autres termes, ces chasseurs primitifs pensaientils peut-être que s'ils pouvaient faire une image de leurs proies, ils pourraient plus facilement se les approprier? Ceci n'est bien sûr qu'une hypothèse, mais une hypothèse que confirme singulièrement l'observation des peuples qui ont conservé, jusqu'à maintenant, leurs coutumes traditionnelles. Ainsi, le travail de l'artiste, tel le "medecine-man" Navajo ou le lama Tibétain traçant un mandala de sable coloré, est souvent destiné à jouer un rôle dans ces étranges coutumes. Ce qui compte alors, ce n'est pas de savoir si la peinture est belle, au sens académique du terme, mais si elle "opère", c'est à dire si elle peut accomplir l'oeuvre magique désirée. A d'autres époques, les cathédrales ont été construites à partir de la même recherche. Compagnons bâtisseurs et imagiers n'avaient alors qu'un but : rendre opérante la construction pour qui s'y réfugiait, à travers l'architecture sacrée qui résonnait en nous et la représentation symbolique inscrite dans la sculpture de pierre qui parlait directement à notre coeur. Nous savons peu de choses de toutes ces origines mystérieuses, mais si nous voulons comprendre cette histoire de l’art qui soigne, ou de l’art qui éclaire, qui informe, il est intéressant de se souvenir aussi qu'images et langages sont deux branches de la même racine : dans cet espace thérapeutique, les images deviennent signes et langage confondus. Car traditionnellement, à l’image « magique » était associé un son, une parole, un chant. Or dans de nombreuses recherches en art-thérapie, les auteurs associent les images créées à une parole de conscientisation, afin d’en renforcer l’aspect « thérapeutique ». De nos jours, des pratiques ancestrales concernent encore la puissance de la beauté Chez les indiens Navajos, les deux concepts de beauté et de bonne santé sont synonymes. Etre en bonne santé, c'est être en état d'hozho. Ce terme, tous les spécialistes occidentaux s'accordent à le dire, est délicat à traduire. Notre mot "santé" n'y suffit pas. Si hozho signifie "équilibre", il veut dire aussi "harmonie", "ordre", "bien", "beauté". Les Navajos emploient rarement ce mot seul. Ils disent shil hozho, "avec moi, il y a de la beauté", ou shii hozho , "en moi, il y a de la beauté" ou encore shaa hozho, "de moi, la beauté irradie", énoncés que l'on trouve dans leurs prières rituelles. Cette beauté n'est jamais un concept isolé, existant en dehors d'eux. Elle n'engage pas, comme chez nous, seulement la perception et les sens, voire l’intellect, mais globalement, une façon d'être, de se conduire. Qui circule en voiture à travers les terres navajo, par exemple, aura la surprise de découvrir en bordure des routes, des panneaux de signalisation sur lesquels il est écrit en guise de prévention routière Drive in Beauty, "conduisez en beauté". Cette "santé beauté" qui est en nous, qui émane de nous, apparaît singulièrement dépendante de celui qui la dénomme ainsi, qui la pense ainsi à partir de lui. Et, en effet, tomber malade, c'est rompre, par sa conduite, avec cet état ; c'est y faillir par sa manière de vivre et de penser. La maladie, chez les Navajos, n'est donc pas le résultat d'un dérèglement hormonal par exemple, mais moral, pas d'un virus mais d'une dispute, pas d'un microbe mais d'un excès. Le responsable de la maladie, c'est d'abord le malade lui-même qui a rompu avec cette "santé beauté" de par son attitude. La guérison va consister à rétablir le lien, à réintroduire chez le patient une "beauté", que ce peuple présente comme venant des Etres sacrés, des Ancêtres. Le medecine-man chargé de rétablir cette beauté procède par des rites de bénédiction, de purification et de délivrance, puis par la convocation des dieux et une mise en oeuvre des pouvoirs propres à chaque cérémonie, en fonction des différents "symptômes" de la maladie. C’est au cours de ces deux dernières étapes qu'interviennent les peintures de sable, les iikààh, dont certaines peuvent atteindre quatre mètres de largeur. De la perfection de ces peintures va dépendre la venue tant espérée de l'aide divine. La peinture "chargée" peut alors devenir opérationnelle. On place le patient au centre et le medecine-man transfère les "pouvoirs" des figures peintes au sol sur le corps vivant du patient. Le transfert achevé, le malade atteint l'état hozho. Il lui est recommandé de rester seul pendant quelques jours, d'absorber certains aliments, de ne pas aller dormir avant le coucher du soleil… Même les esprits les plus caustiques reconnaissent l'efficacité de cette médecine et lui concèdent d'impressionnants résultats. Le medecine-man Navajo n'est pas un "chaman", il ne possède pas un "don", mais plutôt une puissance de travail et de mémorisation hors du commun (toute cette science se transmet oralement, et il n'y a aucun écrit), un sens rare de la discipline, de l'ordre, de la hiérarchie. De plus, la compassion l'anime et il voue à son peuple une extrême dévotion. Enfin, à propos de toute cette "science par la beauté" nous aurions tort d'évoquer ce que nous appelons "l'effet placebo" pour comprendre de quoi il retourne. Le malade n'est pas inconscient, ou "aveugle" comme ces patients occidentaux à qui l'on remet sans rien leur dire des médicaments muets pour susciter chez eux des effets thérapeutiques. Ici, la guérison dépend de la précision et de l'exactitude avec lesquelles une cérémonie a été conduite, de la qualité de la peinture de sable, et surtout de la volonté du patient à retrouver sa place dans l'ordre Navajo. Ajoutons que cette médecine "culturelle" peut éventuellement convenir également aux occidentaux, sous réserve, bien sûr, d'adhérer aux valeurs qui la sous-tendent. "Tout est dans la tête" déclare Sam Begay, medecine-man à Indian Wells, Arizona, membre du Conseil consultatif des hataaliis (terme qui désigne la communauté des hommes-médecine en Navajo et qui renvoie tant à leurs qualités de praticien, que de prêtre, d'historien et de philosophe). Recherches contemporaines en art-thérapie, des balbutiements depuis le XIXème siècle Bien loin de cette voie de l'ordre et de la beauté, en général, parler d'art-thérapie en France, entraîne plusieurs types de réactions de la part des interlocuteurs. Tout d'abord, on associe à « art-thérapie » le terme de « peinture des fous ». Les noms de Van Gogh, de Camille Claudel, d'Antonin Artaud ou de Sade sont souvent lancés au début de la conversation. Ici, l'on insistera sur l'équivalence folie = génie. D'autres, au contraire, soutiendront que les oeuvres d'art, comme les rêves, "trahissent" (le mot est d'un psychiatre) les problématiques inconscientes de leur auteur et servent de tests projectifs qu'il s'agit, après apprentissage, de décrypter et de mettre éventuellement en relation avec des éléments de sa biographie. Certains enfin, vanteront l'effet dérivatif procuré par l'atelier "macramé" de tel hôpital psychiatrique ou ne verront dans l'art-thérapie qu'une approche ludique et occupationnelle pour des patients leur permettant ensuite d'accéder à une cure psychanalytique en règle. Quelques irréductibles, dont je fais partie, des artistes indépendants pour la plupart, recherchent quant à eux, au delà ou en deçà de tout concept "psy", ce fameux lien entre la beauté et la santé que notre civilisation occidentale aurait tendance à annuler depuis plusieurs siècles. Toutes ces assertions sont en fait issues de courants assez différents dont la convergence, et non pas la concurrence, peut servir de base à l'art-thérapie. Le concept d’art-thérapie est tout d'abord venu des hôpitaux psychiatriques Il est évident qu'il y a toujours eu parmi les malades mentaux des personnes qui aimaient ou avaient envie de peindre ou de s'exprimer à travers l'art. Considérant ce domaine, on peut faire remonter les ème prémices de l'art-thérapie au début du XIX siècle, lorsque le Marquis de Sade organisait des spectacles de théâtre mensuels à la maison de santé où il était interné. S'y mélangeaient des comédiens professionnels, des infirmiers et des fous. Ces représentations étaient ouvertes au public, et le tout-Paris s'y précipitait, dit-on. Ces représentations vont durer une dizaine d'années et seront ensuite interdites, afin que soit restauré le pouvoir médical. Autre lieu d'alliance de l'art et de la médecine, la maison de santé du Docteur Blanche, à la fin du XIX éme siècle, accueillit de nombreux artistes parmi les patients (Flaubert, Maupassant, Gérard de Nerval, etc.). Les "dîners du Samedi" réunissaient ces internés prestigieux et des artistes extérieurs, à l’image des salons littéraires de l'époque. ème ème Puis vers la fin du XIX et début du XX siècle, des psychiatres-collectionneurs un peu plus éclairés que les autres, s'intéressent aux oeuvres des fous, mais ceci dans un but clinique. Ils exposent des oeuvres, font des collections, écrivent, analysent, décryptent. "La moindre déformation, la moindre atteinte aux lois de la perspective et de l'anatomie est qualifiée par le Docteur Marie de phénomène morbide" s'écrit en 1929 G. Waldemar à propos d'une de ces expositions. C'est là le démarrage d'une certaine branche de l'art-thérapie, la Psychopathologie de l’Expression, dont la tendance actuelle, animée principalement par à partir des travaux du Docteur Claude Wiart de l'hôpital Sainte-Anne à Paris, est de mettre en fiches sémiologie et diagnostics picturaux, renvoyant à la sémiologie et aux diagnostics psychiatriques. Une autre collection, celle dite de Prinzhorn, voit le jour vers 1922. Hans Prinzhorn, docteur en psychiatrie, en philosophie et en histoire de l'art, reconstitue une collection d'oeuvres de malades mentaux, non artistes, et ayant ressenti en eux une nécessité impérieuse de créer à un moment donné de leur vie. Il sollicite pour cela les asiles d'aliénés. Cette collection attirera de nombreux artistes tels que Klee ou Max Ernst notamment. Ce dernier prendra pour modèle le « fou » afin de retrouver un accès direct à "une réserve inépuisable d'images enfouies dans son subconscient, de trouvailles non falsifiées, des images qu'aucun contrôle n'a pu décolorées et dont l'enchaînement peut être qualifié de connaissance irrationnelle". Paul Klee, par exemple, dessinait avec la main gauche parce que l'habilité de sa main droite lui interdisait toute faute. Pour lui, il s'agissait d'aller au plus près de la genèse, du lieu où naît le sentiment, la pensée. C'est le lieu de la créativité où l'homme s'extériorise "involontairement" et retrouve sa liberté propre. Il est vrai qu'à la différence du talent, cette forme de puissance créatrice appartient à tout individu, même si elle est le plus souvent cachée par une cuirasse d'angoisse et de conformisme. C'est cette forme de puissance créatrice que l'art-thérapie essaie de faire surgir. Mais la liberté que les artistes ont trouvée chez les "aliénés" est paradoxale et participe trop d'une idéation de la folie comme pureté primitive. Dans la même lignée, plusieurs psychiatres vont se contenter de présenter de façon littéraire les oeuvres picturales de "leurs" malades mentaux, considérant néanmoins à petits pas que l'activité artistique paraît bienfaisante pour ces patients, faisant naître également le besoin de formation en la matière pour les personnels des hôpitaux psychiatriques. Puis viendra le temps de "l'occupationnel", principe de diversion visant une réadaptation professionnelle ou du moins sociale. Mais là où est attendu une réalisation, un résultat, une production, l'art et l'esprit créatif se manifestent assez peu. Néanmoins ces expériences, qui ont donné les bases à l' ERGOTHERAPIE, ont là aussi peu à peu habitué les établissements à former leur personnel dans les matières artistiques et artisanales. Si l’art ne soigne pas encore, le geste peut aider. En dehors des institutions Parallèlement à l'ergothérapie - fabriquer pour se réinsérer - se développe un mouvement autour de l'expression. Si l'occupationnel propose un dérivatif, l'expression décharge les tensions. L'important, aux yeux de ceux qui se réclament de ce mouvement, c'est l'accueil de ce qui vient, sans que le travail sur la production (qui devient secondaire), soit encouragé. En 1949, la Compagnie de l’Art Brut voit le jour, qui souhaite attirer l'attention du public sur des productions artistiques de personnes "obscures", créées de façon spontanée. L’artiste Jean Dubuffet, patron de cette recherche, essaie d'extraire l'art de la culture et tente de dire que l'art n'appartient pas exclusivement aux artistes. Pour lui, l'Art Brut, c'est l'art pratiqué par des personnes qui, pour une raison ou une autre, ont échappé au conditionnement culturel et au conformisme social : solitaires, inadaptés, patients d'hôpitaux psychiatriques, détenus, marginaux de toute sorte. "L'art ne vient pas coucher dans les lits qu'on a fait pour lui ; il se sauve aussitôt qu'on prononce son nom : ce qu'il aime c'est l'incognito. Ses meilleurs moments sont quand il oublie comment il s'appelle" soutient Dubuffet. La très belle collection de l'Art Brut, commencée avant 1945, rassemblait ainsi des productions issues de toutes techniques : dessins, peintures, broderies, figures modelées... Elle se différencie de l'art naïf, où une certaine maladresse accroît le pouvoir d'expression, et du surréalisme qui utilise les techniques traditionnelles. Pourquoi Dubuffet et son groupe ont-ils été si curieux de ces productions ? Parce qu'elles traduisent, semble-t-il, plus immédiatement les mouvements de l'esprit, l'énergie qui anime les corps, livrant les mécanismes intérieurs de l'individu d'une façon plus crue, plus brute – d’où son nom. Ces créateurs, insoucieux ou ignorants de toute tradition ou de tout mode artistique, produisent pour eux mêmes, sans se soucier du regard d'autrui, de l'acceptation, de la critique, ou de l'exposition, encore moins de la vente des oeuvres. Mais l'on constate que, parmi les "non artistes", ceux qui produisent le plus, spontanément, sont des malades mentaux. Mais ce concept nouveau, cette "soudure organique" comme l'écrivait André Breton, que ce mouvement prétendait opérer entre l'art de certains autodidactes et celui des malades mentaux s'avère inconsistante, illusoire. Peu à peu c'est l'art des fous qui prévaut au détriment d'autres créateurs non internés et la première association est dissoute en 1951. Reconstituée onze ans plus tard, la collection s'installe à Lausanne, en Suisse, où elle est toujours. En quoi l'art-thérapie se différentie-t-elle d'un travail portant sur l'expression ? C'est entre les deux courants précédemment évoqués (expression et art brut), que se dessinent les premières recherches de l'art-thérapie. L'expression isolée et urgente a certes des effets libérateurs, mais les tensions résolues momentanément risquent bientôt de revenir. Alors que l'art-thérapie se veut être une thérapie en soi, ceux qui travaillent dans l'expression sont souvent obligés de la prolonger dans un projet soignant, comme par exemple le décryptage des productions en vue d'une conscientisation. Activité menée alors en différé par un psychiatre, un psychanalyste ou un psychologue. D'autre part, en ce qui concerne l'Art Brut, l'interaction entre la personne qui crée et sa création n'importe pas aux amateurs de cette tendance. Ceux-ci ne s'intéressent qu'au produit (exposable) et non aux interactions bénéfiques de la production artistique sur l’état émotionnel ou psychique de son auteur. L'art-thérapie, par contre, cherchera à inscrire l'expression dans un processus qui fait évoluer la forme créée. Si l'expression soulage, la création - la création suivie - transforme. Et le travail sur l'exposition des oeuvres ou la représentation, s’il y a lieu, sera lui aussi inclus dans un projet thérapeutique. Ainsi le public destinataire entre en ligne de compte dans la réalisation qui ne circule plus seulement en circuit fermé entre la personne en thérapie (ou le groupe) et l’animateur d’atelier thérapeutique. La préoccupation esthétique devient aussi un facteur important dans ce processus. Diverses tendances vont naître au sein de ces recherches. Un précurseur en la matière, Arno Stern va s'attacher à mettre en place les conditions pour une expression créative. L'importance est donnée au cadre, à l'organisation spatiale et à son dispositif très strict. L’animateur d’atelier doit le plus possible se situer en dehors de toute attente mentale, affective ou interprétative. Le travail d’éclaircissement, c’est l’animateur d’atelier qui le fait en amont sur lui. La méfiance justifiée d'Arno Stern envers la récupération "psy" de la créativité aboutit à une expression branchée sur "les pulsations de l'organisme", la "mélodie des fibres à l'intérieur de l'être", permettant à chacun de retrouver cette force vitale en oeuvre au coeur de tout être humain. Dans ce courant est bannie toute valorisation de l’œuvre, notamment par voie d’exposition. L’atelier est un clos-lieu, selon l’expression d’Arno Stern. Margareth Hauschka, issue du mouvement anthroposophique impulsé au début du siècle par Rudolph Steiner, crée le terme de "peinture thérapeutique". Là, les "thérapeutes" utilisent la couleur directement comme agent thérapeutique. Il s'agit de découvrir le message de "La nature des couleurs", titre d'un ouvrage de Steiner regroupant ses conférences sur le sujet de 1914 à 1921. Les couleurs (strictement de l'aquarelle sur papier mouillé) sont étudiées dans leur rapport lumière-ténèbres, en parallèle aux couples joie-douleur, comtemplation-action, inspir-expir, neurasthénie-hystérie... Une autre origine de l'art-thérapie émerge également de la psychiatrie infanto-juvénile Cette spécialité fait appel à des pratiques très diverses et non totalement codifiables. On sait ici que la forme même de la rencontre, patient-psychiatre doit être modulée selon chaque enfant, et l'on ne s'adresse pas de la même façon à un enfant autiste de 4 ans, un énurétique de 7 ans ou un toxicomane de 16 ans. Cette forme de la rencontre est donc à chaque fois à inventer et elle fait alors sens. Le langage verbal introspectif se trouve être souvent secondaire et l'on doit souvent faire appel à la fiction (contes) ou aux langages non verbaux (plastiques, sonores, corporels). Les psychanalystes, dont Ferenczi, Winnicott, Sophie Morgenstein, Françoise Dolto ou Mélanie Klein, utilisent alors différents moyens de communication à la portée de l'enfant : jouets, "bidules", papiers, pâte à modeler, dessin, etc. Certains vont concevoir leur travail avant tout comme l'analyse des jeux et des productions de l'enfant, mais d'autres, comme Sophie Morgenstein, tracent les prémisses d'un parcours de création résolutive : "Dans les moments difficiles de sa vie, l'enfant s'évade dans un monde imaginaire où rien ne l'empêche de réaliser ses désirs. Les manifestations visibles de cette fuite sont les jeux, les contes, les dessins. Dans ces créations imaginaires, l'enfant exprime par des symboles ses griefs, ses échecs affectifs. Il cherche à se venger et à trouver une libération par un acte créateur. Toute cette activité libératrice s'accomplit dans l'inconscient." Elle cite dans ses écrits, par exemple, l'histoire d'un garçon qui se libère d'un désir meurtrier à l'égard de son beau-père en le tuant symboliquement en dessin. Ainsi, les tracés des dessins d'enfants se trouvent tout imprégnés de leurs drames intimes, figurés de façon métaphorique : les personnages y renvoient indirectement aux personnes réelles, les peurs peuvent s'y figurent en monstres effrayants, les protections en forteresses, les violences en combat imaginaires. Pour l’enfant qui dessine, tout est permis et aucune conséquence grave à ce stade n'en résultera directement dans la réalité. Il est nécessaire d’ajouter que même Françoise Dolto, la première psychanalyste à avoir utilisé le dessin comme médiateur entre elle et l’intimité de l’enfant, n’a jamais réduit cette activité à un diagnostic facile, et n’a jamais élaboré de grille de lecture du dessin d’enfant. Toutes les interprétations radicales et de bas étage du genre « le soleil à gauche veut dire ceci… », « La forme de l’arbre signifie cela… », ou « l’avion qui attaque la maison, c’est ça… » ne font pas partie ni de son travail précurseur en la matière, ni des tendances sérieuses de l’art thérapie actuelle. C'est ici que se trouve la frontière, le passage entre la psychothérapie, y compris la psychothérapie à médiation artistique, et l'art thérapie Pour rester dans le domaine de l’enfance, en effet, le « psy » (psychologue, psychothérapeute, psychanalyste, psychiatre, etc.) face à ces dessins peut avoir plusieurs attitudes : soit explorer le rapport de l'enfant aux personnes réelles à travers leur représentation figurées en direct (tel dessin représentant la mère) ou symbolisées (exemple la reine), soit lui dévoiler une certaine vérité sur luimême d'après ces représentations soumises à interprétation prudente. C'est ce qu'ont fait, et font toujours, avec plus ou moins de bonheur, les divers médecins de l’âme ou psychothérapeutes, qui utilisent le dessin comme simple médiation. En revanche, en art thérapie on accueillera, ou favorisera, le développement dans la fiction de ces dessins (personnages inventés ne portant aucun prénom familial, dans un cadre favorisant l'imaginaire). L'enfant devient alors actif par rapport à l'imaginaire inconscient qui envahit sa pensée, délirante, ou dépressive, et qui influence ses actes, d'inhibition ou de violence, par exemple. Mieux, le dessin pourra évoluer, raconter une histoire, en figurer les étapes, anéantir la sorcière, faire exploser puis réparer éventuellement la maison, enfermer le loup, etc. Il s'agit moins pour l'enfant de dire "ceci est moi" que "ceci est de moi". La projection de ce qui le tourmente fait qu'il s'en sépare relativement et qu'il peut en jouer. Par contre, un thérapeute, dirons-nous "classique", ne verra dans des productions artistiques qu'un prétexte à revenir à la situation psychothérapeutique qu’il connaît, et qui se déroule en langage verbal, que cela soit pour l’enfant ou pour l’adulte. La distance introduite par le support artistique s'en trouvera abolie dans une interprétation (au sens psychanalytique du terme) qui ramène trop brutalement la personne sur le devant de la scène, en direct, un peu comme un bruit intempestif de la réalité extérieure ramène brusquement la personne en relaxation profonde à la réalité de son corps, dans l'ici et maintenant, stoppant de fait toute recherche intérieure plus élaborée. Le psychothérapeute risque de traduire ainsi en "pulsions", en "complexes" et en "problématique", des couleurs, des formes, ou des mystères sans leur laisser le temps de faire leur chemin. "L'art-thérapie est un masque qu'il ne faut pas dévoiler trop précocement et inconsidérément" déclare le psychiatre Jean Pierre KLein. Ainsi, en art-thérapie, que ce soit pour enfants, adultes, en individuel ou en groupe, la personne crée des productions complexes qui sont comme des bornes plus ou moins énigmatiques de son cheminement personnel, qu'elle examinera elle-même comme des façons de figurer ses conflits, ses peurs, ses aspirations, ses réalisations aussi. Cela peut occasionner des prises de conscience, qui surgiront ça et là au détour de productions artistiques de plus en plus fortes et satisfaisantes esthétiquement (éventuellement), mais il faut laisser le temps au temps ! Le rôle de l'accompagnant en art-thérapie sera de suivre ce parcours symbolique d'une production à l'autre, de pousser une forme, d'inscrire dans la matière une potentialité qui se tient là derrière, en intervenant avec grande prudence, principalement dans le langage proposé (ici les arts plastiques). Dans cet espace art-thérapeutique, le symptôme n'est jamais attaqué en direct, les défenses sont respectées, les résistances contournées. Cet espace accueille aussi bien les enfants, les adultes qui "se cherchent", que les malades mentaux, les délinquants, les personnes en post-cure, les détenus, les handicapés, et les artistes bien sûr, ceux qui souhaitent évoluer vers un art plus authentique, en phase avec leur être profond. Quelques dates ... 15000 avant J.C. peintures dans les grottes de Lascaux. Depuis, d'innombrables artistes, dans toutes les parties du monde, cherchent la beauté et la vraie expression humaine, offrant leur travail à travers leurs oeuvres, pour le bienfait de l'humanité entière ...mais aussi : 1803 premières représentations théâtrales à la maison de la santé, dirigées par Sade 1872 premier texte sur l'intérêt des "peintures des fous" publié par André Tardieu sous le titre "Etude médico-légale sur la folie" 1915 A. Marie ouvre à Villejuif un musée consacré aux oeuvres de la folie 1922 publication de "Expression de la folie" en Allemagne, de Hans Prinzhorn 1928/1929 Organisation de diverses expositions dans des galeries parisiennes, ouvertes au public, par A. Marie, qui sort ainsi les oeuvres des murs de l'asile 1945 Il semble que soit créé à cette époque le terme "art-thérapie" par Adrian Hill, à Londres, pour décrire son travail. En 1938, A. Hill, peintre, part en sanatorium pour soigner une tuberculose.Trouvant le temps long, il se met à dessiner et se rendit compte alors combien cette activité l'aidait à récupérer physiquement et psychiquement. Après sa guérison, son médecin lui demanda de venir en aide à d'autres patients, et les aider à dessiner ou peindre. Ce fut un tournant dans sa vie et dans celle de l'art-thérapie, qui avait trouvé son nom. 1946 Première embauche d'un artiste dans un hôpital Anglais, Edward Adamson 1948 Winston Churchill, premier ministre anglais pendant la deuxième guerre mondiale publie "Painting as pastime" où il développe combien la peinture est venue à son secours dans les moments les plus critiques de sa vie 1948 Publication de "L'art des fous, la clé des champs" de André Breton 1949 Création de la Compagnie de l'ART BRUT par Dubuffet 1950 Etablissement des premières formations en art-thérapie aux Etats Unis 1950 Premier congrès mondial de psychiatrie à Paris avec la première exposition internationale d'art psychopathologique (2000 oeuvres exposées d'environ 300 patients venant de 17 pays différents – plus de 10000 visiteurs !) 1954 Anne Création du Centre d'Etude de l'Expression à Paris, qui fonctionne toujours à l'hôpital Sainte- 1956 Fondation de l'association des artistes peignant de la bouche ou avec le pied 1959 Création de la "Société Internationale de Psychopathologie de l'Expression" 1964 Constitution de la "Société Française de Psychopathologie de l'Expression" 1964 Fondation de la "British Association of Art Therapists" (800 membres à l'heure actuelle) 1969 Fondation de l'"American Art Therapy Association (AATA) (4000 membres aujourd'hui) 1970 Début des formations en Angleterre 1976 Début des formations d'art-thérapie en France 1978 Démarrage des ateliers de l’Art Cru (ateliers d'expression) 1981 Création de la revue française Art et Thérapie (sous la direction de Jean Pierre Klein) 1982 Fondation de l'association Italienne d'Art-Thérapie 1982 Reconnaissance officielle de la profession par le National Health service en Grande Bretagne (à l'heure actuelle, pas de reconnaissance officielle en France) 1983 Ouverture de la Fabuloserie, musée de l'insolite, à Dicy dans l'Yonne, où sont rassemblées plusieurs centaines d'oeuvres "d'art inventif", bricolages hors héritage culturel, tel que cherchait à le promouvoir Dubuffet. La collection regroupe des oeuvres d'ouvriers d'usine, de maçons, mineurs, agriculteurs... 1984 Création du musée d'Art Brut à Neuilly sur Marne, par l'association l'Aracine 1984 Mise en place des premiers programmes de formation en Italie 1987 Premier festival européen des artistes handicapés mentaux à Figeac 1989 Premier festival de l'association "Arts et Déchirure". L'association organise tous les deux ans à Rouen un festival des Arts Singuliers de niveau international 1992 Publication de "Handicaps et marchés de l'art" par la Fondation de France, dorénavant le problème de l'exposition et de la vente des oeuvres des personnes handicapées se posent en termes législatifs L’Atelier du Laurier Rouge quant à lui, a été crée en 1993, à Quimper dans le Finistère, puis s’est implanté dans l’Aube en 1997. Le bâtiment actuel a ouvert ses portes 1999...en espérant que cet espace et son concept donne l’envie à tous ceux qui veulent bien s’aventurer de créer beaucoup d’autres lieux d’expression en France… Catherine MAZARGUIL / ATELIER DU LAURIER ROUGE 3 rue de l'Eglise, 10210 Coussegrey - FRANCE / Tel : 03 25 70 69 35 Sites Internet : www.laurier-rouge.com / www.catherine-mazarguil.com