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9782953375350 Magazine N°19 – ISSN 1633-5821 8€ FR / 8£ La t le se age s im mo de, le n Jap o le, dia & me ve in ati cre du s tr y N°1 9 Le –M Qu s pubs ars, elle Co s tê mm avril, tes cha e des Gmai 2 sser ? – arçon 015 La s – O roc oco ù la m Ann od a D e s’ap ello pre Rus ndso elle ? Sty édito Que publier sur un blog de magazine ? La question a tourmenté nombre d’éditeurs. Répéter ce que le papier publie ? Le moduler ? Les magazines de style semblent avoir trouvé une réponse empruntée à l’art contemporain : la project room. Autrement dit, des séries d’images produites ad hoc, ne méritant pas la pérennité du papier, mais permettant un test run pour de jeunes photographes en devenir. L’atmosphère y est plus fraîche, moins commerciale et, si tout n’est pas entièrement abouti, il y règne une certaine énergie que le papier a un peu perdue. En somme, la photo de mode a aussi son second marché ! À propos de marché, vous avez dû constater les prix prohibitifs récemment pratiqués par les magazines de style : 20, 25, voire 30 euros. Non que la pâte à papier se soit raréfiée, mais à force d’en parler, le magazine de style s’est pris lui aussi pour un objet de luxe. Nous avons aussi succombé à cette mode, faisant passer notre prix à 8 euros – convaincus que le luxe doit rester abordable. © Lorenzo Vitturi, Dalston Anatomy, 2013. Winner of the Grand Prix of the Photography Jury, Hyères, 2014 angelo cirimele Fe s t iva l 2 3 — 2 7 av ri l | E x p o s i ti o n j usq u’a u 2 4 m a i www.villanoailles-hyere s.com sommaire textes p.36, 42, 52, 62, 72 — Collection constellations Par Priscillia Saada p.37 — Chronique mode notes sur la mode japonaise, 1970-2000 Par Alice Morin p.43 — Website italian chocolate Par Céline Mallet intro p.46 — Interview mode robin coussement Par Cédric Saint André Perrin p.10 — Brèves p.14 — Shopping que faire avec 233 781 euros ? Photographie : Natalie Weiss Stylisme : Clémence Cahu p.24 — Magazines 1granary office bite me hole & corner plastik p.51 — Chronique mode la mauvaise éducation Par Émilie Hammen p.54 — Consumer the happy reader Par Angelo Cirimele p.76 — sasha & daisy Portfolio de Linda Brownlee Stylisme : Ruth Higginbotham p.90 — connections Portfolio de Michal Pudelka Stylisme : Arabella Mills p.104 — arthur elgort Proposé par Patrick Remy p.120 — Collection citations Compilées par Wynn Dan p.121 — Abonnement p.56 — Off record agent de photographe Par Angelo Cirimele p.122 — Agenda p.61 — Ping Pong not that kind of girl Par Mathieu Buard & Céline Mallet p.66 — Interview art pierre bismuth par Timothée Chaillou p.71 — Rétrovision f magazine par Pierre Ponant magazine 6 mode M AGA ZINE 19992013 1 000 pa Une brève hi stoire d ges – 33 u 5 mag maga 10 logo azines – 35 in zine de style ter view s – 4 co nt s magaz re – 20 rétrov – 25 of f recor inemag isions ds azine.fr magazine 7 magazine contributeurs Style, media & creative industry N° 19 - Mars, avril, mai 2015 rédacteur en chef Angelo Cirimele directeur artistique Charlie Janiaut fashion director Arabella Mills distribution france IPS 189 rue d’Aubervilliers 75018 Paris photographes Linda Brownlee, Nicolas Descottes, Arthur Elgort, Michal Pudelka, Natalie Weiss diffusion internationale Pineapple stylistes Clémence Cahu, Ruth Higginbotham, Arabella Mills contributeurs Mathieu Buard, Timothée Chaillou, Wynn Dan, Émilie Hammen, Céline Mallet, Alice Morin, Pierre Ponant, Priscillia Saada, Cédric Saint André Perrin couverture Photographie : Michal Pudelka Stylisme : Arabella Mills Coiffure : Philippe Tholimet chez Streeters Maquillage : Jenny Coombs Manucure : Saffron Goddard Mannequins : Mickala Mitchell chez NEVS Zoey Key chez NEVS Rebecca S chez MILK models Robes Lanvin / Top rayé Sacai / Lunettes Chloé Issn no 1633 – 5821 CPAPP : 0418 K 90779 directeur de publication Angelo Cirimele remerciements Jean, Monsieur X traduction Rebecca Appel Éditeur ACP - Angelo Cirimele 32 boulevard de Strasbourg 75010 Paris T 06 16 399 242 secrétaire de rédaction Anaïs Chourin magazinemagazine.fr [email protected] design original Yorgo Tloupas © Magazine et les auteurs, tous droits de reproduction réservés. Magazine n’est pas responsable des textes, photos et illustrations publiés, qui engagent la seule responsabilité de leurs auteurs. publicité ACP 32 boulevard de Strasbourg 75010 Paris T 06 16 399 242 [email protected] retouches Janvier imprimeur Graficas Irudi alice morin Journaliste What are your plans for this summer? Travaux et bateau ! What colours are you wearing today? What is the last magazine you bought? Un Interview des années 1980, pour mes recherches… michal pudelka Photographer What are your plans for this summer? I am planning on visiting my agent’s house in Africa and do some more traveling. What colours are you wearing today? What is the last magazine you bought? System Magazine. linda brownlee natalie weiss Photographer Photographer What are your plans for this summer? I plan to go camping in France early summer, spend 2 weeks in the west of Ireland in August with family and take a week on a Greek Island in the late summer. And in between I will need to work quite hard! What colours are you wearing today? What are your plans for this summer? Travel to Japan once more and visit a friend in Jakarta. What colours are you wearing today? What is the last magazine you bought? Égoïste. What is the last magazine you bought? I bought British Vogue today. magazine 8 magazine 9 brèves Le m e r c a t o d’hiver ne concerne pas que le football, mais aussi la direction artistique de presse : alors que Thibaut Mathieu (Cake Design) a repris la DA de AD (ça s’appelle un palindrome). Serge Ricco a quitté L’Obs pour GQ, qui devrait hériter d’une nouvelle formule. Vogue Paris a enfilé des habits 70s’ grâce au duo Ohlman/ Consorti (ex-Petronio). Au fait, qui reprend la DA de L’Obs ? entité de Saturday, autre agence également éditrice de Industrie magazine. We had written that the collaboration between JeanPaul Goude and the Galeries Lafayette for their campaigns lasted 23 years, but it was only 14. Their new campaign will be handled by the British agency W e d n e s d a y , an entity of Saturday, the other agency involved in editorial for Industrie magazine. Toujours à propos des Galeries, c’est l’agence BETC qui a été chargée de la refonte du logo, succédant entre autres à Peter Knapp. Mais ce n’est pas pour mettre la pression… Speaking of the Galeries, the BETC agency has been charged with remaking their logo, taking over from Peter Knapp, among others. But there’s no p r e s s u r e … Winter s w a p s are not just for footballers but also for art directors. Thibaut Mathieu (Cake design) has become the AD of AD (that’s called a repetition). Serge Ricco has left L’Obs for GQ, which should be taking on a new format. Vogue Paris is putting on its ‘70s clothes, thanks to the Ohlman/Consorti duo (ex-Petronio). But who will be the AD of L’Obs? On ne prête qu’aux riches : nous avions écrit que la collaboration de Jean-Paul Goude et des Galeries Lafayette pour leurs campagnes avait duré 23 ans, ce n’était que 14. Leur nouvelle campagne, attendue pour le 2nd semestre sera orchestrée par l’agence britannique W e d n e s d a y , magazine 10 L’espace précédemment occupé par la g a l e r i e Yvon Lambert, rue Vieilledu-Temple (3e), ne devrait pas se transformer en boutique de vêtements, mais rester une galerie, vraisemblablement investie par Victoire de Pourtalès, qui a récemment quitté la galerie Thaddaeus Ropac. The space once occupied by the Yvon Lambert g a l l e r y , on rue Vieille-duTemple (3e), will not be turned into a clothing boutique, but will remain a gallery, run by Victoire de Pourtalès, who has recently left the Thaddaeus Ropac gallery. L’endormi musée des Arts décoratifs renfermerait pourtant des m e r v e i l l e s , notamment un fonds de photographies d’Irving Penn, qui ne serait même pas encore répertorié. On se réveille ! The Museum of Decorative Arts is packing away some of its p r i z e d possessions, notably an uncatalogued cache of photos by Irving Penn. Centre Pompidou. Prochains lauréats cet automne. The Carte blanche P M U , a prize for young photographers, will move from the Bal to the Centre Pompidou. The next winners will be crowned this fall. On attend la parution de Society, annoncée pour le 6 mars. Le bimensuel édité par So Press (So Foot, So Film…) mêlera société, culture, politique et i n v e s t i g a t i o n . C’est surtout un tout nouveau magazine depuis longtemps, et non une nouvelle formule ou une édition française. The launch of Society magazine is planned for March 6. The bimonthly edited by So Press (So Foot, So Film…) will mix society, culture, politics and i n v e s t i g a t i o n . We’re eager to read it—France hasn’t seen a brand new magazine in a while. Bien qu’ayant installé une image très « Self Service » appréciée, Petronio Associates a perdu le budget du b o n m a r c h é , passé chez BETC Luxe. Petronio associates have lost the B o n M a r c h é account, which is now with BETC Luxe. On attendra septembre pour découvrir le premier défilé homme de Carven imaginé par B a r n a b é H a r d y . Et si la marque a été aussi inspirée qu’avec Guillaume Henry… September will bring us the first men’s runway show from Carven, dreamed up by B a r n a b é H a r d y . Hopefully the label will be as inspired as under Guillaume Henry… La Carte blanche P M U , prix récompensant de jeunes photographes, va migrer du Bal au Dans la continuité du salon AD Intérieurs, le magazine de Condé Nast va lancer le 1er salon AD Collections, consacré au m o b i l i e r d’exception. Trois meubles de 50 créateurs seront ainsi présentés au Quai d’Orsay, au moment du salon Pad, du 26 au 29 mars. Condé Nast magazine AD will launch its first AD Collections salon, devoted to exceptional f u r n i t u r e . Fifty designers will present three pieces at the Quai d’Orsay, during the Pad salon, from March 26-29. Après deux ans, Condé Nast a décidé de stopper la parution de son magazine Style.com, déclinaison du site devenu la référence pour l’archive des silhouettes de défilés. Mais on apprend concomitamment la parution d’un nouveau numéro de Dorade, sous la houlette de Philippe Jarrigeon, donc tout va bien. After two years, Condé Nast has decided to end publication of its magazine Style.com, the print version of numéro : le f l a c o n est l’œuvre de Broken Arm et les b i j o u x de Blanchin. the website that has become the reference for runway looks. But we’ve also learned about the publication of a new issue of D o r a d e , helmed by Philippe Jarrigeon, so all is well. Quelque trente ans après la création du concours de mannequins imaginé par l’agence E l i t e , qui s’ouvre à présent aux hommes, la concurrence s’organise : l’agence Next est devenue partenaire de New Fashion Generation, qui présente sa deuxième édition. Plus sur Newfashiongeneration.com/ Some 30 years after E l i t e launched its famous modeling competition, which is now open to men, there’s a new kid on the block: the Next agency has partnered with New Fashion Generation to present its own competition. More on Newfashiongeneration.com/ Il fallait que ça arrive : Le Lieu du Design déménage, il en a trouvé un autre dans le 19e, 11 rue de C a m b r a i . Première exposition dans les murs tout neufs attendue en avril, avec le studio Sismo. This had to happen. Le Lieu du Design is moving; it has found another space in the 19th, at 11 rue de C a m b r a i . The first showing in the new digs is planned for April, with the Sismo studio. Deux crédits se sont échappés du précédent Two credits were missing from the last edition: the f l a s k is by Broken Arm and the j e w e l s are Blanchin. Les digues semblent avoir complètement sauté : le siège de Condé Nast vient de lancer « 23 Stories », une structure qui permet aux journalistes de concevoir du contenu pour les marques, textes, photos et vidéos… Des états d’âme ? Non, le tout a reçu la bénédiction d’A n n a W ., alors… The barriers have been breached: Condé Nast has launched ‘23 Stories’, a platform enabling journalists to conceive content for brands, with texts, photos and videos. And all with the blessing of Anna W… Sous l’impulsion de Bruno Ledoux, actionnaire de référence de Libération, le magazine Next pourrait changer de nom. Et d’équipe, souhaiteraient des esprits taquins… Under the influence of B r u n o L e d o u x , the majority shareholder of Libération, Next magazine could change it’s name. Trussardi se verrait bien exporter son c a f é milanais au-delà des frontières, en commençant par Dubaï. Dès lors qu’il a aussi imaginé une ligne de mobilier, quoi de mieux pour la promouvoir ? Si tant est qu’on veuille habiter dans un café… Trussardi could soon start exporting it’s Milanese c o f f e e beyond it’s borders, with Dubai up first. What better way to promote it’s furniture line? We know we all want to live in a coffee shop… On retrouvera l’intégrale des séries de n a t u r e s m o r t e s réalisées par Guido Mocafico pour Numéro dans un livre en 3 volumes à paraître en septembre chez Steidl. All of Guido Mocafico’s s t i l l - l i f e s for Numéro will be compiled in a 3-volume book, out in September from Steidl. Salutaire. Le V&A présentera en avril une exposition intitulée « W h a t i s L u x u r y ? », que je pense inutile de traduire. Objets rares fabriqués par l’homme ou les technologies les plus pointues, bribes d’ADN… de quoi réévaluer nos certitudes. Vac.ac.uk/ In April, the V&A will present an exhibit called “W h a t i s L u x u r y ? ” It will feature rare objects that are either manmade, or produced by the most advanced technology. Vac.ac.uk/ Suite à la fermeture d’Agora presse, le quartier du Marais ne sera pas resté longtemps sans magazines, puisque le BHV a eu la bonne idée d’inaugurer P a p e r L a b au rez-de-chaussée de son magasin principal, une librairie consacrée à la presse de style. Agora may be closed, but the Marais won’t be without magazines for long. The BHV has had the great idea to start P a p e r L a b on the first floor of its main store: a space dedicated to the fashion press. Dix ans après Fresh Théorie, Mark Alizart revient au livre avec P o p T h é o l o g i e (éd. Puf), dans lequel il articule en 330 pages croyance et société du spectacle. Signe qu’on peut être directeur du Prix LVMH pour les jeunes créateurs de mode et regarder parfois le monde comme un cirque. Some ten years after Fresh Théorie, Mark Alizart is returning to books with magazine 11 P o p T h é o l o g i e (Ed. Puf), in which he spells out, in 330 pages, the world of belief and société du spectacle. It goes to show that you can be the director of the LVMH prize for young fashion designers and still regard the world as a circus. Les Échos préparent un supplément mensuel, imaginé comme une r e n c o n t r e de M (Le Monde) et Bloomberg Businessweek. De la lecture avant l’été. Les Échos are preparing a monthly supplement, designed as a c r o s s between M (Le Monde) and Bloomberg Businessweek. It should be available before the summer. Hier une boucherie, aujourd’hui un concept store baptisé Jogging, dans le centre de M a r s e i l l e . Vêtements de créateurs, design, photo et librairie, le tout dans une déco guérilla. À qui cette idée ? Au photographe et régional de l’étape Olivier Amsellem. Joggingjogging.com/ Once a butcher’s, now a concept store in the center of M a r s e i l l e . The new boutique, called Jogging, features clothes, design, photos and books. Whose idea was this? The photographer Olivier Amsellem’s. Joggingjogging.com/ On se réjouit de la parution de Desire – New Erotic magazine 12 Photography, dirigé par Patrick Remy, rassemblant 32 regards sur la photo é r o t i q u e à l’heure de sa circulation anarchique sur les réseaux digitaux. David Bellemere, Paul Kooiker, Quentin de Briey, mais aussi de parfaits inconnus ou des couples. Sortie en avril chez Prestel. We’re thrilled by the release of Desire – New Erotic Photography, overseen by Patrick Remy, featuring 32 examples of e r o t i c photography in the era of free digital circulation. The compilation features the work of David Bellemere, Paul Kooiker and Quentin de Briey as well as several unknown artists, and couples. Out in April from Prestel. Quoi de remarquable dans les campagnes printemps-été 2015 ? Des vieux : Nobuyoshi Araki (74 ans et toujours vert) shoote la campagne Bottega Veneta. De plus jeunes : Michal Pudelka (24 ans et découvert dans notre numéro 12) vient de signer la campagne Valentino. Sinon, Bruce Weber fait renoncer Ralph Lauren à la ville pour le désert ; le noir et blanc se porte bien ; et Jason Wu n’a toujours pas quitté son restaurant. What’s new in the SpringSummer 2015 campaigns? The olds! Nobuyoshi Araki (74 years old and still fresh) is shooting the Bottega Veneta campaign. But there are plenty of young people too: Michal Pudelka (24 years old, discovered in our 12th issue) has just finished the Valentino campaign. Bruce Weber has moved Ralph Lauren from the city to the desert, there’s lots of black and white and Jason Wu has still not left his restaurant. Les portails de e-commerce lancent leur propre marque. Après Sarenza et Zalando, c’est au tour de Spartoo d’inaugurer trois marques pour une clientèle dont elle a pu étudier à l o i s i r les goûts. Et si les concurrents des marques de mode étaient demain à chercher de ce côté-là ? More e-commerce websites are launching their own brands. After Sarenza and Zalando, it’s Spartoo’s turn to inaugurate three brands for a clientele whose tastes i t k n o w s w e l l . And if its competitors start doing the same? Le Monde d’Hermès connaît son nouveau directeur artistique : le Français Rémi Paringaux, qui s’est fait connaître à L o n d r e s dans le magazine Dazed et à travers des applications digitales, succède ainsi à Fred Rawyler, qui concevait le magazine depuis 1983. The Monde d’Hermès has found it’s new art director: Rémi Paringaux, who made a name for himself in L o n d o n at Dazed magazine and across digital applications. He is taking over from Fred Rawyler, who has headed the magazine since 1983. On devrait voir des images de Stephen Shore et d’Alice Wielinga aux prochaines Rencontres d’A r l e s , pas encore complètement imprégnées de l’esprit de Sam Stourdzé, nouveau directeur, puisque les commandes avaient été lancées bien en amont. Mais on attend de pied ferme une nouvelle identité visuelle ! Images by Stephen Shore and Alice Wielinga should be on display at the next Rencontres d’A r l e s . The festival has not yet been completely taken over by the spirit of Sam Stourdzé, it’s new director—the orders were placed well in advance. But we’re all awaiting a brand new look at the Rencontres! Tout comme le livre, les librairies doivent se réinventer face à la concurrence numérique. Parmi les pistes, Tailor Books, axé sur la photographie et la mode, propose un site doublé d’ouvertures é p h é m è r e s dans différents lieux, combinant livres, projections et interventions. On les avait découverts au festival de Hyères, qu’ils réinvestiront, ils devraient aussi se manifester à Paris en mars… Plus sur Tailorbooks.com/ Like books themselves, bookstores must reinvent themselves in the face of digital competition. Tailor books, which focuses on photography and design, will open for s h o r t p e r i o d s in different locations, combining books, projections and performances. We discovered them at the Hyères festival, where they will be returning. They should also be in Paris in March. See more at Tailorbooks.com/ Album se présente comme une d é a m b u l a t i o n parisienne en 64 pages et autant d’images, sans âge, en noir et blanc, et à travers l’objectif de Benjamin Nitot. D’autres villes suivront, mais cet album-ci est disponible chez Rivieras, qui inaugure ainsi ses éditions papier. Rivieras-shoes.com/ Publish a retrospective or digitalize the a r c h i v e s ? The American magazine Rolling Stone is putting 47 years of its archives online, via Google Play—a sign that the power of cloud networks continues to grow. Album, with 64 pages of black and white images shot by Benjamin Nitot, is like a w a l k through Paris. Other cities will follow, but this first print album is available at Rivieras. Rivieras-shoes.com/ Le pop-up store devient flagship, ou comment É t u d e s studio poursuit son développement : l’espace qu’ils avaient investi rue Debelleyme (3e) devient en effet leur première boutique parisienne. The pop-up store is becoming a flagship. The space held by the É t u d e s studio on the rue Debelleyme (3rd) will become their first Parisian boutique. Ira, ira pas ? L’industrie du luxe s’interroge sur sa s t r a t é g i e de vente en ligne. Puisque les sites de e-commerce comme Net-aPorter proposent certaines pièces, pourquoi ne pas le faire « in house » ? C’est semble-t-il la stratégie de Fendi, qui lancera son site de e-commerce en mars vers 28 pays européens. The luxury industry is rethinking its online sales s t r a t e g y : why not sell their pieces in-house, rather than rely on sites like Net-aPorter? That appears to be Fendi’s strategy, which will launch its own e-commerce site in March in 28 European countries. À l’heure où la f r o n t i è r e entre travail de commande et travail personnel est de plus en plus questionnée se prépare une exposition « Walker Evans – the magazine work », photographies des années 1930 à 1960, notamment pour Fortune. Bon, c’est au Centre photographique de Rouen… mais désormais dirigé par Raphaëlle Stopin ! Et c’est du 13 mars au 9 mai. The b a r r i e r between paid work and personal work has become increasingly fluid. This will be highlighted in a new exhibit at the Photography Center of Rouen. “Walker Evans – the magazine work” will display the photographer’s works from the ‘30s to the ‘60s, notably for Fortune magazine. Under the aegis of Raphaëlle Stopin. From March 13-May 9. Publier un livre rétrospectif ou numériser ses a r c h i v e s ? Le magazine américain Rolling Stone a tranché : il a mis en ligne 47 ans d’archives, qu’il a confiées à Google Play, signe que les opérateurs de clouds continuent à asseoir leur pouvoir. Si les livres consacrés aux marques de luxe ont largement occupé les tables des libraires, le texte reste le véhicule privilégié du r é c i t . Ainsi, Tommy Hilfiger va publier ses mémoires, à l’occasion du 30e anniversaire de la marque qu’il a fondée. Sortie prévue à l’automne (Éd. Ballantine Books). Where luxury books are concerned, the text remains all-important. Happily, then, Tommy Hilfiger will be publishing his m e m o i r s , on the 30th anniversary of the launch of his eponymous label. Expected in autumn (Ballantine Books Ed.). Marie Claire UK se lance dans le commerce, en partenariat avec Speciality Stores Limited, sur des produits de beauté et soin, pour des boutiques physiques et en ligne, au risque de d é c r é d i b i l i s e r le contenu du magazine. Bazaar a aussi tenté l’aventure du commerce en ligne, rencontrant un succès mesuré. Marie Claire UK is partnering with Speciality Stores Limited on a range of beauty and health projects (for sale in physical boutiques and online)— potentially harming the c r e d i b i l i t y of its magazine. Bazaar has made similar moves, with measured success. magazine 13 que faire avec 233 781 ? Shopping photographie – Natalie Weiss Stylisme – Clémence Cahu Coiffeur – Cyril Laforêt utilise Catwalk by Tigi Maquilleuse – Debora Emy Mannequin – Estelle chez Marilyn Bague en plaqué or et cristal de roche, G o o s s e n s , 250 €. Bague en laiton, C h l o é , 200 €. Body en coton et polyamide, F a l k e , 149 €. Pantalon en laine, C é l i n e , 520 €. Sac en cuir, M o r e a u P a r i s , 2 150 €. Montre en or blanc et diamants, C h a n e l , prix secret. Bracelet en or jaune et diamants, D i o r , 3 100 €. De haut en bas : Bracelet en or rose et diamants, D i o r , 17 000 €. Bracelet en or rose, D i o r , 3 000 €. Bague en or jaune, D i o r , 7 500 €. Bague en or jaune, laques marron et noire, D i o r , 6 000 €. Bracelet en or jaune et diamants, D i o r , 3 100 €. Bouquet printanier, L e P é l i c a n , 17 €. Bottes en daim, S a i n t L a u r e n t , 995 €. Chemise en cuir stretch, J i t r o i s , 1 850 €. Boucle d’oreilles, C é l i n e , 1 800 €. Bracelet de diamants sur or blanc, B o u c h e r o n , 20 900 €. Bague diamants, saphirs ronds, diamants noirs sur or blanc, B o u c h e r o n , 5 250 €. Magazines digital Tout a commencé par un blog, alimenté par les étudiants de Central Saint Martins, l’école londonienne qui fournit le monde du luxe en designers, photographes et autres stylistes : John Galliano, Christopher Kane, Phoebe Philo, Stella McCartney ; Nick Knight, Alister Mackie, Katie Grand, Simon Foxton… Un blog, c’est fait pour prendre le pouls d’une école, ses soubresauts créatifs, pour montrer sa production et ses artisans. Mais l’envie de figer ces moments sur papier a été plus forte, encouragée par un corps enseignant rompu à cette pratique. 1Granary (l’adresse de l’école) est donc réalisé par des digital natives, mais n’en ressemble pas moins à un magazine à part entière : focus sur le travail d’ex-étudiants, entretiens avec des intervenants, séries d’images mettant en scène une collection, portfolio d’artistes… 1Granary réussit à esquisser cette transversalité propre à Saint Martin’s, où beaux-arts, mode, image et scénographie se combinent, s’enrichissent et ne sont jamais cloisonnés. Le magazine réussit aussi à restituer ce bain créatif, fait de conseils, de travail nocturne et de deadlines, qui sont les ingrédients des professions artistiques et mode. Le mix entre étudiants prometteurs et prédécesseurs aujourd’hui reconnus est valorisant et tire probablement vers le haut la nouvelle génération. Enfin, le sentiment de regarder une promesse de futur qui fera peut-être histoire est assez troublant. À la Saint Martin’s, on ne s’embarrasse pas trop de catégories : le site ressemble à un blog, qui ressemble à un magazine. Une série d’interviews, toujours en lien avec l’école, se succèdent, mêlant anciens étudiants, intervenants ou conférenciers qui livrent leur expérience, mais aussi leur vision du métier. On trouve aussi des illustrations, des questionnaires photographiques, bref de quoi rythmer ce long scroll. Des étudiants y participent, mais une rédactrice s’y colle le plus souvent. Le sentiment quand on ferme cette fenêtre : il n’y a pas de raisons de se reposer, ce qui semble une bonne maxime quand on est étudiant. 1granary.com Angleterre, 240 p., n° 2 - AW 2014, semestriel, 240 x 320 mm, 16 € Editor in chief : Olya Kuryshchuk, Editor : Sara McAlpine, Art director & designer : Esa Matinvesi, Queen of everything : Betsy Humfrey, Publisher : 1Granary Ltd. magazine 24 Images : nicolas descottes Papier Image : nicolas descottes 1granary Magazines digital On pense d’abord à un clin d’œil : Office pour un nom de magazine sonne aussi enthousiaste que « comme un lundi ». Ce n’est pas non plus de l’humour, ou alors au premier degré, puisque les trois compères qui ont imaginé ce magazine new-yorkais l’ont pensé comme un reflet fidèle de leurs occupations quotidiennes : stylisme, direction artistique et maquillage. Pudiquement présenté comme une collection de « personnes originales et de vies inhabituelles » (on y rencontrera un rappeur, un DJ, deux charpentiers et quelques inconnus), Office fait pénétrer l’univers créatif et d’inspiration de ces deux-là, assez doués par ailleurs. Conçu comme une fête, il invite des amis à discuter : designers, performeurs ou autres acteurs transversaux entre set design, stylisme et déco. C’est aussi l’occasion d’expérimenter quelques séries mode, avec un miroir déformant ou en imaginant des lunettes magiques dans « I see naked », mettant en scène une jeune femme partiellement dénudée dans le quotidien de New York. Prévu pour exister deux fois l’an, nul doute qu’Office trouvera une manière de donner vie à cette petite communauté créative. De là à ce que ça nous passionne, il y aura toutefois un pas. Côté digital, Office ne s’est pas démené, offrant sous forme de blog quelques pages de son contenu. Soyons positifs, ça fera une petite archive à qui n’aura pas eu le numéro entre les mains. Et il y a les contacts de l’équipe, ce qui de loin est le plus important. officemagazine.net Angleterre, 240 p., n° 1 - FW 2014, semestriel, 245 x 340 mm, 20 € Editors in chief & creative directors : Simon Rasmussen & Jesper D. Lund Editorial & beauty director : Zenia Jaeger, Publisher : Office Magazine Publishing, LLC. magazine 26 Images : nicolas descottes Papier Image : nicolas descottes office Magazines Papier digital D’accord, la couv n’est pas la plus réussie, mais le logo au scotch, c’est pas mal, surtout pour un titre en forme d’injonction maso… Cet ovni nous parvient de Hong Kong, avec un principe simple : choisir une partie du corps pour la thématique du numéro. On navigue à vue, entre mode, cinéma, art, histoire, images 3D… Bite me fonctionne comme une exposition thématique, nourrie de contributions d’artistes et de faiseurs d’images : photographies ou collages de publicités. C’est léger et ils le revendiquent dans leur présentation : « An independently published art magazine that has a not-so-serious perspective on cultural phenomenona », ce qui ne les empêche pas d’inventer une interview fictive avec le réalisateur John Waters, basée sur différentes citations auxquelles il ne restait plus qu’à inventer des questions. On comprend d’ailleurs que les cheveux puissent être une obsession, attribut de la féminité, symbole de la force, mèche fétiche gardée en souvenir, ersatz de vivant… Le magazine s’amuse même à dire que ce ne sont pas tant les souliers que la coupe de cheveux qui termine une silhouette. Mais Bite me a de la ressource et avait choisi les fesses comme thème du premier numéro. À suivre, donc… C’est d’abord le nom du site qui donne le ton : bite-meee.com. Peut-être parce qu’Hong Kong n’est pas le pôle le plus productif de presse de style, Bite Me entreprend de se raconter de manière très pragmatique : qui, quoi, où. Et y ajoute quelques dessins non retenus dans le premier numéro, ainsi que l’ensemble des critiques ou interviews relatives au magazine. Ils restent très discrets sur eux, ne reliant pas le magazine à leurs activités créatives, en design ou développement de marques. bite-meee.com Hong Kong, 128 p., n° 2 - AW 2014, semestriel, 210 x 295 mm, 18 € Editor in chief : Katrina Tran, Art director : Jason Schlabach, Publisher : Bite Me magazine 28 Image : nicolas descottes bite me Magazines Papier digital On pourrait regarder Hole & Corner comme un magazine anti- ou postInternet, en ce sens où il se concentre sur ce que le digital délaisse : l’artisanat, la main, le travail du temps, la mémoire des gestes… Le logo, qui devrait être le premier geste d’un magazine, marque comme un label. Hole & Corner pour « coins et recoins » ou encore « secrets ». Le papier est mat, les photographies sans âge, les personnages invités ne sont pas des célébrités, mais ont choisi de cultiver leur passion sans se préoccuper de l’accélération du temps. Au reste, le magazine se définit ainsi : « Hole & Corner is a magazine about people who spend more time doing than talking, for whom content is more important than style; people whose work is their life—stories of dedication. » Ce 4e numéro est consacré aux collectionneurs, de vinyles, de pierres ou de calligraphies, mais est aussi consacré aux « faiseurs » de vêtements, de bijoux, de jouets ou de textiles. C’est en thématisant ses opus que le magazine a précisé son champ sinon infini : nos inspirations de toujours, celles des six derniers mois… Ce serait inexact de dire que Hole & Corner est anti-Internet, il sait d’ailleurs identifier des collections sur Instagram, les référencer et combiner les supports. La fenêtre digitale est envisagée par Hole & Corner comme une extension, d’événements ponctuels, des anciens numéros ; c’est aussi une boutique de séries limitées, un tumblr et différentes recommandations. L’esthétique est étudiée, le contenu justement profilé… qui se cache derrière Hole & Corner ? Une agence de contenu pour des marques qui ont besoin de sujets authentiques pour leurs clients. Il y a toujours une arrière-pensée commerciale, mais si c’est bien fait… holeandcornermagazine.com Angleterre, 144 p., n° 4 - AW 2014, semestriel, 230 x 290 mm, 21 € Editorial & creative director : Sam Walton, Editor : Mark Hooper magazine 30 Image : nicolas descottes hole & corner Magazines Papier digital On finit par oublier que l’on vit dans une partie du monde largement standardisée, nourrie de fast fashion, de chaînes de boutiques pour le design, la beauté… Il y a pourtant de nombreuses régions du globe qui échappent à cette uniformisation, que ce soit à l’est de l’Europe ou au Moyen-Orient. L’occasion de chroniquer un magazine libanais étant plutôt rare, voici Plastik. Au premier abord, beaucoup de couleurs acidulées, pas mal d’illustrations, des collages et peu de photos de mode, au passage ultra-retouchées. L’esthétique semble venue d’ailleurs, ni glamour ni bling, mais toujours avec une pointe d’humour. Un portrait de Guy Bourdin, des références à l’art et une collection de fétiches de nos stars du luxe (chevelures, lunettes, chapeaux…) dessinent une galaxie de signes qui sont eux sans frontières. De nombreuses publicités ouvrent ce 24e numéro, signe que les goûts et les codes ne sont pas universels. Le site est la duplication du magazine, mais aussi la vitrine de l’agence de communication qui se cache (un peu) derrière, proposant un catalogue infini de prestations : shootings, campagnes, vitrines, événements, défilés… bref, tout ce dont on peut avoir besoin. beyond-production.com/plastik Liban, 168 p., n° 24 - Winter 2015, trimestriel, 240 x 320 mm, 11 € Creative directors : Eli Rezkallah, Ryan Houssari, Publisher : Beyond Production magazine 32 Image : nicolas descottes plastik p.36, 42, 52, 62, 72 : Collection constellations p.37 : Chronique mode notes sur la mode japonaise, 1970-2000 p.43 : Website italian chocolate p.46 : Interview mode robin coussement textes p.51 : Chronique mode la mauvaise éducation p.54 : Consumer the happy reader p.56 : Off record agent de photographe p.61 : Ping Pong not that kind of girl p.66 : Interview art pierre bismuth Collection Print Radial p.71 : Rétrovision f magazine constellations Collection Images : Priscillia Saada notes sur la mode japonaise, 1970 - 2000 Chronique mode Dans le Paris des années 1980, capitale de la mode, émergent un certain nombre de créateurs qui y mèneront carrière, dont certains venus tout droit du Japon. Leurs noms sont nouveaux et leurs vêtements s a n s c o m p r o m i s . Le succès est immédiat et influencera les décennies suivantes. Repères historiques et esthétiques • C’est en 1981 que la vague japonaise déferle sur Paris, avec le premier défilé-événement de Yohji Yamamoto et de Rei Kawakubo pour Comme des Garçons organisé conjointement. Son succès immédiat fait écho à celui d’un maître déjà établi, Issey Miyake, qui défile dans la capitale depuis 1973. Leur proposition de mode est avantgardiste, intellectuelle ; une mode au-delà de la mode. • Ces créateurs japonais se singularisent par le choix des tissus (qu’ils soient plissés chez Miyake, reprenant une tradition japonaise, ou déjà usagés chez Yamamoto), par le patronage à plat hérité du kimono, ou par une 36 certaine sobriété, reflet de la vision nippone d’une mode strictement cloisonnée en termes de classe. • La remise en cause du genre est frontale, avec des vêtements unisexes, peu ajustés. Pour ne citer que l’exemple le plus célèbre, la collection Dress to Body de Rei Kawakubo en 1997, avec ses bosses et ses volumes inattendus, illustre la rébellion contre les normes occidentales de beauté, contre le corps parfait et lisse érigé en diktat. • Le projet A-POC (A Piece Of Cloth) d’Issey Miyake combine plusieurs éléments : innovation technologique (il imagine un tube ne réclamant qu’une seule couture ou aucune dans le cas de la maille, résultant en une pièce à usage multiple), recherche de perfection sobre, qualifiée de visionnaire, et volonté de s’inscrire dans le long terme à travers une préoccupation écologique en porte-à-faux avec l’époque consumériste. • On s’interroge parfois sur un usage trivial du terme « avant-garde », mais cette vague japonaise annonce indéniablement la mode des années 1990, avec sa sombre sobriété et son ironie critique. alice morin 37 Comme des Garçons est toujours une marque très active, mais elle est underground, je parlerais presque d’une mode « d’art et d’essai » […] En 1980, il y avait réellement une presse de mode « intello » […] qui s’y retrouvait dans leur vision romantique, tourmentée de la création. Cédric Saint André Perrin, critique mode Alice Morin : En 1981, Rei Kawakubo et Yohji Yamamoto défilent pour la première fois à Paris. Presque instantanément, la « mode japonaise » est née. Comment analysez-vous ce phénomène ? Cédric Saint André Perrin : Ce qu’il est essentiel de comprendre, c’est que la mode japonaise arrive en plusieurs fois à Paris, qu’elle fonctionne en générations. Au début des années 1960, des créateurs japonais viennent se former à Paris : Kenzo, qui y restera, Hannae Mori, qui est un peu à part et qui était au début costumière de cinéma, et Issey Miyake. Ils y apprennent la mode et la pratiquent, car alors, c’est à Paris qu’on la fait. Il s’agit donc de la métisser avec la tradition japonaise, de retraduire cette mode française à leur façon, dans leur propre culture. Ils donnent un nouveau souffle à la mode parisienne. […] Rei Kawakubo et Yohji Yamamoto qui, eux, 38 travaillaient déjà au Japon, débarquent à Paris au tout début des années 1980, de manière très planifiée. Et là, c’est un immense électrochoc : leur mode est noire, déconstruite, très intellectuelle… En cela, ils s’inspirent du punk nihiliste de Vivienne Westwood dans les années 1970, et d’une particularité de la mode à l’époque qui, pour ses créateurs, est considérée comme une forme d’art. Aujourd’hui, ils sont « les » créateurs japonais. Avec eux, la mode japonaise a atteint son apogée, son moment le plus fort, on n’a pas fait mieux. Ensuite, dans les années 1990, beaucoup de jeunes créateurs japonais essaient de s’engouffrer dans cette porte que Comme des Garçons et Yohji Yamamoto ont ouverte pour eux, mais si leur mode est intéressante, elle n’apporte pas de la nouveauté comme celle des deux précédentes générations. En ajoutant qu’à ce moment-là le Japon est hyper-consommateur de mode – le marché japonais suffit à ces créateurs, qui défilent à Paris, mais n’y construisent pas leur business, alors que dans les années 1980, tous les « branchés » (un mot de l’époque !) dans le monde entier portaient du Comme des Garçons, par exemple. AM : À ce sujet, la presse spécialisée semble avoir joué un grand rôle dans cet engouement… CSAP : Oui, à l’époque, les grands reportages de mode dans les quotidiens étaient très importants et influents. Il y avait réellement une presse de mode « intello » (Le Nouvel Obs, Libération, Le Jardin des Modes), qui a beaucoup soutenu Rei Kawakubo et Yohji Yamamoto. Leur mode parlait à ces journalistes, ils s’y retrouvaient, dans le côté « sans chichi » qu’on n’attend pas forcément de l’industrie du vêtement. C’était aussi le cas pour Vogue, d’ailleurs. Ces gens qui venaient de l’écrit se sont retrouvés dans leur vision romantique, tourmentée de la création… AM : … et qui était aussi très différente de celle d’autres créateurs contemporains, comme Gaultier ou Montana. CSAP : Ce qu’il faut comprendre, c’est qu’à l’époque, chaque créateur était très différent et avait son propre caractère. La mode dans les années 1980 était riche et très diversifiée. Je ne dis pas que ce n’est pas le cas aujourd’hui, mais ça l’est moins, en tout cas j’en ai l’impression. Du coup, il y avait aussi un immense écart entre le travail de Gaultier et celui de Montana. Donc la personnalité du créateur était très importante – d’ailleurs, ils pratiquaient plus l’idée d’être des « auteurs ». Ils avaient leur propre boîte, leur maison, dans laquelle ils s’exprimaient pleinement, alors qu’aujourd’hui, les jeunes créateurs qui travaillent pour de grands groupes s’y investissent différemment. AM : On a effectivement souvent commenté la personnalité de ces créateurs japonais – qui a presque fait corps avec leurs innovations. Leur voyez-vous, dans les décennies suivantes et jusqu’à aujourd’hui, des héritiers ? ou un héritage ? CSAP : Rei Kawakubo et Yohji Yamamoto ont continué à mener des recherches intéressantes dans les années 1990-2000, notamment en faisant beaucoup de catalogues ou de pubs assez décalés, en inventant un nouveau mode de communication assez intéressant à l’époque. Et puis, Comme des Garçons (Rei a sans doute, commercialement parlant, mieux mené sa barque que Yohji Yamamoto), est toujours une marque très active, mais elle est underground, je parlerais presque d’une mode « d’art et d’essai ». Elle est toujours là, mais elle n’a plus la prépondérance incroyable qu’elle avait dans la mode mondiale. Le « problème », mais aussi la force de la mode japonaise c’est qu’elle est un moment, dans les années 1980. Et lors de ce moment, elle est la chose la plus importante au monde, créativement. Les jeunes créateurs japonais de la génération suivante se sont naturellement inscrits dans une filiation, mais ils n’ont pas proposé quelque chose de nouveau. Ils sont héritiers des créateurs des deux générations qui ont connu les « moments magiques » de la mode japonaise, mais ils ne s’imposeront pas de la même manière. […] Les créateurs belges très conceptuels des années 1990, Margiela en tête, dont l’esthétique est assez proche, les reconnaissent comme leurs idoles, ils ont grandi avec eux. Leur travail très intellectuel est directement né du « japonisme », donc on peut aussi les considérer comme des héritiers, mais on peut en dire autant de Prada ou de Rick Owens… Leur influence est énorme, et on la retrouve jusque dans les vêtements coupés à vif, bords francs, pas finis d’Alber Elbaz chez Lanvin ! Leur radicalité a provoqué un système d’influence qu’on ressent encore aujourd’hui, dans des microdétails. Finalement, leur mode a été vraiment assimilée. Propos recueillis par a l i c e m o r i n 39 Interview de Roy Genty, directeur artistique, Issey Miyake Alice Morin : On parle souvent de la « vogue japonaise » des années 1980. Cela correspond-il selon vous à une réalité et à une unité dans la création ? Roy Genty : Il y a de nombreuses différences entre les « créateurs japonais ». Issey Miyake est un Japonais qui aime la France, qui est imprégné de la diversité, de la complexité française. Il est le premier à se penser à la fois international et spécifiquement japonais. On trouve chez lui une véritable fusion de deux cultures (ou plus, car il s’intéresse aussi à l’Inde, à l’Amérique du Sud…), un désir de dialogue qui procède d’une volonté d’ouvrir le Japon au monde qui est très particulière pour l’époque. Ce n’est pas le cas chez Rei Kawakubo et Yohji Yamamoto, qui appartiennent à la génération suivante, qui s’est constituée avec Issey comme modèle, ou plutôt comme contre-modèle. Pour eux, l’idée de 40 « truc nouveau », d’une créativité japonaise excitante est plus vraie. Chez eux, et en cela ils sont beaucoup plus « japonais » (car la culture japonaise n’est pas une culture ouverte), il ne s’agit pas de communiquer, mais d’une forme de radicalité qui est plus souvent du côté des avant-gardes. AM : Cependant, s’il y avait un dénominateur commun à ces trois créateurs, cela serait bien cette volonté affirmée d’innovation propre à l’ouverture et à l’avant-garde ? RG : Effectivement, si Issey Miyake n’est pas intéressé par « l’avant-garde », on retrouve chez lui cet amour de la singularité, de la nouveauté, de l’exception, qui se produit pour lui dans l’échange. Il y a dans son travail une réelle importance accordée à la joie, ici née de la fusion de plusieurs influences. Il veut organiser un « vivre-ensemble ». Pour lui, la modernité dépasse les frontières. Dans la démarche de Rei Kawakubo, par exemple, il y a en revanche une recherche de pureté radicale, ou chez Yohji Yamamoto, une sérénité qui a un côté monacal, religieux. Le point de vue de départ est donc différent. Mais il y a chez tous une discipline, une rigueur voire un perfectionnisme qui est très japonais. Ils ont d’ailleurs souvent travaillé avec les mêmes équipes techniques, excellentes et fiables. AM : Et plus précisément chez Issey Miyake ? RG : Dans le travail d’Issey, on distingue trois phases, la première qu’on pourrait résumer par sa devise des premiers jours : East meets West, puis l’invention du plissé et ses expérimentations textiles sur de nouveaux synthétiques, enfin ses expériences via des collaborations avec des artistes (par exemple le Reality Lab), et notamment des chorégraphes (comme William Forsythe ou Daniel Ezralow). Il y a donc bien une ou plusieurs phases « laboratoires » où il veut être à l’origine de nouvelles recherches, c’est-à-dire d’inventer des choses nouvelles, car chez lui, il s’agit bien de make things. Il met constamment ses équipes au défi. Lorsqu’il travaille avec des artistes, Issey Miyake ne veut pas être leur mécène ou leur offrir un espace d’expression, ce qui est une approche très différente des Prada, Chanel ou Vuitton […] AM : On retrouve donc dans ces démarches intrinsèquement différentes une dimension collective couplée à une position d’artiste, où on veut penser le vêtement comme support, comme vecteur d’un discours ? RG : Alors, oui, Issey ne se définirait sûrement pas comme un artiste, mais peut-être comme un artiste du vêtement. Lorsqu’il travaille avec des artistes, il ne veut pas être leur mécène, ou leur offrir un espace d’expression, ce qui est une approche très différente de celles de Prada, Chanel ou Vuitton, par exemple. Pour lui, le vêtement est au même niveau que l’œuvre d’art, et, une nouvelle fois, c’est dans le dialogue que tout se joue. Il s’intéresse beaucoup à l’art contemporain, au design, et à la symbiose possible avec les artistes qui les créent. […] Après, si Rei Kawakubo refuse l’appellation « artiste » – car elle souligne la dimension commerciale de son travail –, Issey Miyake lui aussi est plutôt à l’aise avec le côté commercial de son travail – en cela il est un digne représentant de sa génération des années 1960 qui a porté le prêtà-porter au cœur de la mode, ce qui est une façon de rendre les vêtements accessibles à tous, une volonté de les voir portés. Mais il affirme ainsi la différence pour tous, et en cela aussi ils divergent, car Yohji et Rei sont plus élitistes, d’une certaine manière. […] Finalement, là où ils se retrouvent tous, c’est dans une position, pas nécessairement théorique ou militante, mais institutionnelle, d’artistes de la mode, et dans une attention extrême portée à la manière dont leur travail est présenté et mis en scène, une attention aux détails qui révèle une position très volontariste dans une période étonnante où, en définitive, tout restait à faire. Propos recueillis par a l i c e m o r i n Images © DR : Yohji Yamamoto, FW 1985-1986. Yohji Yamamoto, SS 2001. Comme des Garçons, SS 2015. Issey Miyake, 132 5, SS 2012. Issey Miyake, APOC, SS 1999. 41 Website italian chocolate Image : priscillia saada C’est bien joli d’avoir plusieurs métiers, dont celui d’être hyper visible n’est pas le moindre. Donc une équipe et un site qui présente la vista, les collaborations avec les marques, les événements et les pièces indispensables – car a n n a d e l l o r u s s o est avant tout styliste. Petit voyage dans le tourbillon rococo de la plus excentrique des pythies de la mode. 42 Paris, Fashion Week 2015. Les garçons défilent vite, vite, vite dans le petit quart d’heure fébrile qui leur est alloué. Le calendrier est chargé à bloc et bientôt l’assistance aura mieux à faire. Au premier rang, l’hyper rédactrice de mode et consultante Anna Dello Russo brandit soudain son smartphone en mode caméra, pour « filmer-monter » en quelques secondes fatidiques les trois silhouettes qui viennent de susciter son intérêt. La définition toute volatile et tremblée des images saccage sans aucun doute la lumière amoureusement agencée par l’équipe scénographique, et l’ambiance sonore ainsi prestement remaniée devient un infernal cut-up au bord du chaos. Peu importe : la courte vidéo est déjà propulsée sur les réseaux. Avec un peu de chances, les fioritures rococo d’un hystérique cadre digital « or » pourraient même adouber les silhouettes élues sur la page d’accueil du site d’Anna Dello Russo : AdR Factory. Il y a donc la fille et le site, soit la fabrique d’Anna à tous les sens du terme. Son patron comme sa propre égérie, Anna Dello Russo a choisi, dans la petite galaxie des gens qui racontent la mode à l’échelle internationale, de s’exporter comme l’incarnation outrée d’une opulence à l’italienne, de l’éclectisme de Prada aux baroquismes de Dolce & Gabbana. Il revient à la plateforme AdR Factory et au team de choc qui la conçoit sous les ordres de son héroïne principale de faire fructifier le tourbillon médiatique et narcissique généré par cette dernière. Anna Dello Russo est en effet omniprésente à tous les endroits de son site, pourtant profus jusqu’au vertige. À commencer par la galerie Instagram, qui montre les nombreuses tenues avec lesquelles la dame fait publicité et parade aux abords des défilés. Les sections vidéo et presse qui déroulent les portraits et les interviews la consacrant dans son statut de collectionneuse et d’excentrique. Il y a la rubrique « j’AdR », qui témoigne des événements festifs et promotionnels où la même est ambassadrice, rubrique qui déploie également une collaboration avec H&M et sa communication délirante menée de main de diva – Dello Russo y évolue sur des accessoires géants à la Jeff Koons en chantant un tube house strident spécialement produit pour l’occasion : You Need A Fashion Shower. 43 Que l’on ne se trompe pas. Les petits cadres toc et rococo qui pullulent crânement sur le site peuvent agacer par leur ringardise et leur fausse naïveté. Mais AdR Factory reste bien une machine de guerre […] La rubrique « Quotes » consolide le mythe, qui énonce sur un mode « camp » les règles et les aphorismes à retenir pour être dans le ton en toutes circonstances. La Factory d’Andy Warhol multipliait les icônes Marilyn et Coca-Cola en les transfigurant, mais tout aussi bien en les atomisant par le biais d’implacables aplats sérigraphiques, acides à force de tons acidulés. AdR Factory démultiplie les images d’Anna Dello Russo sur le même fond cosmétique, où la superstar et travestie à force de surenchère évolue dans une solitude tragique et merveilleuse. Elle a son clone : poupée digitale à habiller nommée Lula. Et l’étrange section « Modecracy » met en scène d’irréelles silhouettes photomontées sur des paysages de cartes postales prélevées aux quatre coins du monde. De l’esthétique pop, Anna Dello Russo a ainsi tout pris sans 44 nuance. Le fétichisme des objets clinquants et l’exploitation des clichés, la manière de se promouvoir comme un produit et la croyance aux seuls pouvoirs de l’image. Une forme de duplicité, ou de cynisme aussi, qui consiste à pousser la consommation et l’ostentation du luxe à un point tel que ces dernières peuvent toujours apparaître comme une parodie, provoquant le rire nécessaire pour susciter l’adhésion populaire et son amour des monstres – loin du snobisme du peu et de la discrétion. Le succès d’une collaboration avec H&M est aussi à ce prix. Que l’on ne se trompe pas. Les petits cadres toc et rococo qui pullulent crânement sur le site comme une signature peuvent agacer par leur ringardise et leur fausse naïveté. Mais AdR Factory reste bien une machine de guerre. Efficace : lorsqu’à la rubrique « People » les interviews ne consentant que trois mots pour réponse aux acteurs, athlètes et autres créateurs transforment toute parole en slogan à la force de frappe aussi hypnotique que les gifs stroboscopiques qui accompagnent chaque portrait. Et esthétique : lorsque la rubrique « On Set », qui offre une généreuse sélection des séries style proposées par Dello Russo pour le Vogue Japon ou un Vogue Brésil depuis les années 1990, développe, comme l’inverse nécessaire de l’élégance invisible et minimaliste, une esthétique de l’exotisme, du divers et de l’association sonores qui reste tout à fait en phase avec le contemporain. Quitte à sourire d’effroi, perdre quelques heures sur AdR Factory peut donc se révéler nécessaire pour qui veut aller voir comment tourne la planète mode ces temps-ci : toujours plus vite quoiqu’il advienne. céline mallet Images : captures d’écran du site annadellorusso.com ©DR 45 robin coussement Interview Toutes les maisons font énormément appel à la sous-traitance, entre 40 % pour les plus autonomes à quasiment 100 % chez certains […] Sur le marché du recrutement, nous voyons que les profils d’ancien façonnier ou gérant de sous-traitant sont très souvent demandés. Robin Coussement est c h a s s e u r d e t ê t e s . Associé chez Sapiance RH, il recrute des managers pour deux grandes maisons de luxe françaises indépendantes, mais également dans l’univers de l’horlogerie ou de la joaillerie. Au regard des profils actuellement recherchés dans le secteur du luxe, il nous permet d’entrevoir les évolutions en cours en ce domaine. En quoi consiste votre métier ? Tout d’abord à accompagner les entreprises à faire de bons recrutements. Dans le domaine du luxe, j’opère sur deux axes : les maisons de mode et les activités liées au marché de l’art. Concernant la partie mode, j’interviens souvent en amont ou au moment de l’acquisition d’une filiale, d’un sous-traitant ou d’un façonnier, pour réfléchir avec mon client à la personne pouvant l’aider à intégrer cette nouvelle structure à ses activités. Les rachats ne sont pas chose simple à gérer. Il faut arriver à absorber ces structures sans abîmer leur équilibre social, sans perte de leur savoir-faire, tout en cherchant à les professionnaliser et ainsi consolider leur capacité de production, voire leur niveau de qualité. Pour la partie culturelle, je suis à la recherche de profils pour accompagner des maisons de ventes et des galeries. Des profils de commerciaux plus que d’experts en art pour être franc – le marché tend à cela. Comment glisse-t-on du marché de l’art vers le recrutement ? Mon métier actuel correspond à ce que je suis très 46 profondément : quelqu’un qui aime les gens et qui est curieux. Je suis plutôt dans l’écoute ; j’aime écouter les candidats et j’aime écouter les entreprises. J’aime aussi le business et avoir le sentiment d’y participer me stimule. Le marché de l’art fut une expérience très formatrice. Mais c’est un milieu avec un rapport à l’argent et à la séduction très particulier ; quand j’observais la vie personnelle des hommes qui me fascinaient dans ce secteur, elle était loin de répondre à l’équilibre de celle à laquelle j’aspirais moi-même. J’avais l’impression de me perdre un peu dans des schémas de mondanité, dans des rapports déréalisés à l’argent et d’être contraint à une lecture très exclusive de l’art. Je viens de la campagne, cela peut faire sourire, mais je suis à l’aise dans des relations en petit nombre, intimes. C’est mon caractère… Aujourd’hui, je n’ai pas l’impression de faire un métier radicalement différent d’avant, je n’opère simplement pas dans le même secteur. Il me semble que lorsqu’on a un métier de base – une certaine expérience – et que l’on est curieux, le plus important n’est pas tant ce que l’on va vendre, ce que l’on cherche à promouvoir, le service que l’on veut mettre en place, mais davantage l’environnement dans lequel on œuvre. Nous cherchons à mettre en œuvre dans nos recrutements une certaine ouverture quant au secteur de provenance du candidat que nous mettons en relation avec nos clients. Et ainsi parfois éviter une certaine consanguinité dans les profils qui défavorise, je le crois, la créativité comme la performance. Comment percevez-vous ce secteur du recrutement ? Je fais ce métier depuis huit ans et il a beaucoup évolué. Ce ne sont aujourd’hui plus uniquement les CV qui permettent de pourvoir des postes. Les choses sont beaucoup plus axées sur de l’évaluation de compétences comportementales, les compétences techniques étant elles plus simples à évaluer. Qu’entendez-vous par « compétences comportementales » ? Il s’agit d’évaluer les réalisations du candidat bien plus sous l’angle de la logique de réflexion l’ayant amené à un résultat que l’analyse du résultat en lui-même. Quel est son comportement face à une situation complexe rencontrée ? Et c’est ce comportement qui nous permettra de le mettre en perspective de la culture de l’entreprise qui cherche à recruter. Nombre de cabinets de recrutement ont souvent tendance à pratiquer les copier-coller, à recruter dans l’entreprise X un profil similaire pour la société Y. C’est une vision un peu simpliste des choses. Et puis, dans nombre de domaines comme l’horlogerie qui se sont beaucoup développés et qui ont énormément cherché à recruter dans les années 2006-2007, il y avait pénurie de candidats. Les sociétés de groupes comme Richemont ou LVMH, dépendant du groupe Swatch qui leur fournissait des pièces, n’avaient pas la possibilité de chasser chez eux. Il a donc fallu trouver des candidats dans d’autres secteurs. Dans des secteurs ayant des pratiques similaires, mais pas identiques. En l’occurrence, ce fut la micro-électronique qui nous a offert un formidable vivier de candidats. Ces talents ont même pu faire monter en puissance le secteur de l’horlogerie. Longtemps le luxe a recruté ses cadres dirigeants du côté de la grande distribution pour soutenir son développement. Les profils grande distribution, on les a toujours eus et on les aura toujours, parce que les entreprises dans l’agro-alimentaire, les cosmétiques ou les chaînes de sport, façon Decathlon, sont plus matures, plus développées que les maisons de mode. Leurs pratiques, notamment en termes de gestion d’un bureau d’études, des sous-traitants et de la production, sont souvent pertinentes. S’ouvrir à d’autres domaines permet de gagner en compétences. Quels sont les métiers aujourd’hui recherchés ? Pendant des années, le retail boostait la production ; des maisons comme Louis Vuitton démultipliaient les ouvertures de boutiques de par le monde, il fallait donc approvisionner en marchandises ces magasins. Les ouvertures de boutiques à tout crin c’est désormais fini – le marché en Asie et depuis quelques mois en Russie étant quelque peu à la peine. Mais il a fallu créer des usines, développer des ateliers en pagaille pour pouvoir fournir ces points de vente. Tout le monde repense actuellement son schéma industriel. Les marques recherchent des gens capables d’optimiser les capacités de production tout en développant la qualité : donc des directeurs de supply chains, des achats, des retailers ou des directeurs généraux de site et de maison d’art. Il existe des secteurs prometteurs ? La sous-traitance me semble importante. Il faut savoir que toutes les maisons font énormément appel à la sous-traitance, entre 40 % pour les plus autonomes à quasiment 100 % chez certaines. La gestion des sous-traitants est aujourd’hui le levier qui va permettre d’augmenter la capacité de production et de chercher de l’innovation à l’extérieur de sa société sans alourdir sa propre masse salariale. Sur le marché du recrutement, nous voyons depuis douze mois que les profils d’ancien façonnier ou gérant de sous-traitant sont très 47 En vérité, dans beaucoup de maisons, le digital reste tabou, car elles ne savent pas comment s’y prendre […] Un directeur marketing-communication d’une maison de luxe n’est jamais à l’origine un directeur digital, alors que dans d’autres secteurs, ce genre de profil existe déjà. souvent demandés. Ce sont des gens aptes à faire coexister une réalité très opérationnelle du quotidien et à développer des stratégies créatives et audacieuses. Les vendeurs sont-ils toujours aussi recherchés ? Le retail, c’est très particulier, parce que toutes les marques manquent de vendeurs et de responsables adjoints de boutique. Cela sera toujours le cas. Mais on va entrer dans une logique de remplacement de profils partant chez un concurrent ou changeant d’activité plutôt que de création de postes… La démultiplication des boutiques relevant pour l’heure du passé, les emplois ne seront donc pas démultipliés non plus. Internet vous semble-t-il un axe de développement important pour le secteur du luxe ? Le digital, c’est un vrai sujet. Peu de marques de luxe disposent aujourd’hui d’un site Internet clair. C’est une catastrophe ! Et très peu effectuent de la vente en ligne. Acheter un vêtement sur Internet sans l’essayer ne leur semble pas envisageable ; l’expérience client en magasin demeure pour eux incontournable. La vente en ligne reste un sujet tabou. Il existe pourtant des sites pertinents comme celui de l’horloger Zenith. Dans ce secteur, tout le monde le regarde 48 aujourd’hui avec admiration : il est très bien pensé et qui plus est extrêmement lucratif. Les griffes sont très en retard en ce domaine. En vérité, dans beaucoup de maisons, le sujet reste tabou, car elles ne savent pas comment s’y prendre. C’est intéressant de regarder l’organisation des marques quant au digital. Un directeur marketing-communication d’une maison de luxe n’est jamais à l’origine un directeur digital, alors que dans d’autres secteurs, ce genre de profil existe déjà. Dans le luxe, le Web demeure toujours traité un peu à part, avec un chef de projet digital ou un community manager chargé de faire gentiment évoluer le site, sans vraie stratégie digitale assumée et soutenue par un investissement significatif. Comment voyez-vous évoluer le secteur du luxe dans sa globalité ? Il me semble que les savoirfaire retrouvent une place prédominante. Certains ateliers, certains sous-traitants souffrent avec la crise, mais ils émergent d’entreprises, souvent familiales, avec des histoires fabuleuses qui deviennent de plus en plus solides et rencontrent des croissances extraordinaires. Ces métiers, que cherchaient jusque-là à sauvegarder certains grands groupes comme Hermès ou Chanel en rachetant des entreprises, pourraient bien devenir des nouveaux acteurs du luxe. Ou en tous les cas s’affirmer comme des marques à part entière. Je pense à Causse, à Millau, qui appartient à Chanel et qui fait des gants. C’était un sous-traitant, il a développé ses propres collections, les diffuse, et a ouvert une boutique parisienne. Pareil pour Maison Michel avec les chapeaux… Ce genre d’entreprise se développe et se professionnalise, c’est une perspective sérieuse dans un scénario de renouvellement des marques. Depuis la fin des années 1990 prédominait une logique de relance de vieilles griffes, dont ne restait bien souvent vivace que le nom. Le système semble quelque peu se gripper aujourd’hui ; des résurrections comme celle de Schiaparelli ou de Vionnet peinent au démarrage… Cela demeure pourtant d’actualité. Je suis entouré d’entreprises de conseil spécialisées en rachat de nom qui fonctionnent très bien. Elles font appel à nous pour des recrutements, c’est donc que la croissance est bonne. Les sociétés qui font l’acquisition de noms prestigieux sont souvent des groupes moyen-orientaux ou asiatiques qui cherchent ainsi à légitimer leur savoir-faire. Une carrière débute aujourd’hui par un stage. Comment construit-on sa carrière ? Le stage demeure essentiel… C’est difficile pour un employeur de recruter un profil, c’est du « déclaratif », cela repose sur un entretien. Un jeune sorti d’école, c’est encore plus du « déclaratif » puisqu’il n’a encore rien accompli. Il s’agit donc d’entrevoir son potentiel. Pour un diplômé, le stage permet de briller sur des réalisations très concrètes, qui lui serviront ensuite en entretien à justifier des compétences. À sortir donc du théorique pour aborder des réalités concrètes. En entretien d’embauche, on demande souvent aux candidats les genèses de leurs carrières, c’est assez instructif… Pour ce qui est de booster par la suite sa vie professionnelle, on perçoit de grandes différences de rémunération et de responsabilités dans les groupes de mode dès lors qu’un profil a passé quelques années à l’international. C’est quelque chose qui existe depuis trente ans et c’est toujours une réalité. Un stage à l’international peut être la solution pour bien commencer… D’autres conseils ? Bouger. Nos parents, nos grands-parents étaient fidèles à leur métier et leur employeur pendant vingt ans ; ça, c’est fini ! Il faut désormais changer régulièrement de projet au sein de la même entreprise si elle vous l’offre, ou aller chercher ailleurs une telle opportunité. Changer de job, c’est se donner l’ambition de réfléchir à nouveau, désapprendre, malmener ses réflexes, sortir des recettes que notre expertise nous impose et ainsi exprimer plus de créativité. Historiquement, le rythme a été imposé par la Société Générale, qui avait un modèle RH où chaque profil devait évoluer tous les trois ans. Toutes les entreprises ont suivi ce modèle… Qu’est-ce qui pour vous fait la différence entre un profil et un autre ? Si l’on veut créer, on doit être disruptif. Les profils qui vont accepter de prendre des risques professionnels avec des convictions pour booster leur carrière m’intéressent. Une aventure entrepreneuriale, monter un projet, c’est être un peu dans le flou. Parfois, cela consiste à aller dans une entreprise pour conquérir des marchés sans trop savoir à qui l’on est rattaché. Dans d’autres cas, intégrer une maison qui a une histoire familiale un peu compliquée. Tout n’est pas toujours parfaitement cadré… Faut-il encore que cela amuse les candidats… C’est pourtant important de s’amuser dans son travail ! Dans la mode, plus que dans d’autres secteurs encore, le marché du recrutement demande de sortir de ses zones de confort. À quoi aspirent aujourd’hui les candidats ? On a de plus en plus d’entrepreneurs. Les gens décrochent avec la culture traditionnelle du salariat, d’un mode de vie parisien, d’une existence toute vouée à l’entreprise… qui bien souvent débouche sur des familles monoparentales, des soirées accrochées au BlackBerry… Bref, un certain mal-être. Ils cherchent de nouveaux schémas de vie un peu plus équilibrés. Cela passe parfois par la province, par une petite structure, loin des intrigues des grandes entreprises, mais avec des responsabilités plus importantes, une hiérarchie plus écrasée et une plus grande réactivité. Les gens ont l’envie de créer aussi. Ils sentent le besoin de donner du sens à leur travail, non plus de voir leurs efforts dilués dans les rouages d’une grosse machine. Propos recueillis par cédric saint andré perrin Photo : © DR 49 la mauvaise éducation Chronique mode Mais où s’apprend vraiment la mode ? Malgré les nombreuses écoles qui fleurissent, l’atelier et l’exemple des « a n c i e n s » semblent la véritable initiation. En voici quelques exemples… Image : priscillia saada Il suffit de regarder le diagramme par lequel Pierre Bourdieu et Yvette Delsaut illustrent le « champ de la haute couture »1 pour s’en convaincre. Un couturier, à défaut de pouvoir prétendre au titre d’artiste, en imite le processus de formation. La logique de l’atelier à l’œuvre depuis les peintres renaissants ne faiblit pas dans la mode, depuis l’apprentissage de Givenchy chez Jacques Fath et Elsa Schiaparelli jusqu’aux nominations récentes des parfaits seconds aux postes de directeurs artistiques chez Sonia Rykiel ou Hermès. La mode n’est-elle jamais mieux servie que par elle-même lorsqu’il s’agit de former ses créateurs ? 50 Art mineur préoccupé par les chiffons et les froufrous, le cancre de l’Académie ne saurait que faire des enseignements officiels. À l’heure où LVMH lance son deuxième prix, où Chanel devient grand mécène du Festival de Hyères et de l’Andam, passage en revue des initiatives historiques et des parcours de bons élèves qui permettent d’éclairer la question de l’éducation appliquée à la mode. Filiation et transmission Un arbre généalogique pour famille recomposée avec ses divorces et secondes noces, ses enfants prodiges et rejetons non avoués : c’est aussi à cela que ressemble le panorama de cent cinquante ans de mode. Depuis la figure de Charles Frederick Worth, pater familias de la haute couture jusqu’aux dernières jeunes recrues, on pourrait tirer les fils et retracer les lignées ininterrompues de cette nébuleuse créative à travers les générations. Parmi les quelques photographies représentant le couturier Robert Piguet, un célèbre cliché de Willy Maywald capture une séance de travail, sans doute prise au cours de l’année 1938. On y retrouve tous Chose innée et spontanée, [la mode] se comprend mais ne s’apprend pas. les éléments attendus de ce genre de situation, si souvent mise en scène par les couturiers pour rendre compte par la photographie de leur acte créatif. Deux jeunes femmes entourent un mannequin portant l’ébauche d’un nouveau modèle qu’elles ajustent et corrigent. À droite, on voit le couturier scrutant la robe et, derrière lui, la silhouette d’un jeune homme tiré à quatre épingles. Le jeune Christian Dior observe derrière l’épaule de son maître cette leçon magistrale, comme un étudiant celle d’un grand professeur de médecine. Quelques années plus tard, lorsque le même Willy Maywald capture le grand et glorieux Dior dans l’intimité de ses salons, lisant le journal, une tasse de café à la main, on découvre aux murs certains tableaux de sa collection personnelle. 51 Cristóbal Balenciaga, fils de marin pêcheur, se forme à la couture en démontant et remontant les modèles de couturiers parisiens, depuis les pièces qu’il admira enfant dans l’atelier de sa mère couturière […] Aux côtés de son portrait par Bernard Buffet, on discerne un dessin de Jean Cocteau saisissant le profil de Robert Piguet. Le maître, récemment disparu, veille sur l’élève, qui à son tour, quelques mois plus tard, laissera sa place au jeune Yves MathieuSaint-Laurent. On pourrait opérer cette démonstration autant de fois que nécessaire, bien que la mise en image généreuse du mythe Christian Dior s’y prête plus facilement. Car que ce soit dans leurs autobiographies ou à travers des interviews, les couturiers reconnaissent généralement avec une fierté certaine l’atelier et le maître qui les ont formés. Mais si quelques-unes des destinées les plus fabuleuses de la couture débutent par ce rapport très académique de maître à élève, d’autres trajectoires sont encore plus libres et affranchies de toute forme d’enseignement. Rappelons par exemple que lorsque Jacques Fath ouvre sa maison juste avant la Seconde Guerre mondiale, il est tout à fait incapable de coudre. C’est en forgeant que l’on devient forgeron : l’adage s’applique avec autant de pertinence à la mode qu’au monde de Vulcain. Celui que Dior appelait « notre maître à tous », l’énigmatique Cristóbal Balenciaga, malgré le titre qu’on lui confère, en fut aussi 52 un brillant exemple. Fils de marin pêcheur, il se forme à la couture en démontant et remontant les modèles de couturiers parisiens, depuis les pièces qu’il admira enfant dans l’atelier de sa mère couturière jusqu’à ceux qu’il acquiert lui-même en temps qu’acheteur au cours des années 1920 et 1930. La mode, ça s’apprend ? La couture oui, avec toute la technicité qu’elle suppose. Mais créer une collection, composer une silhouette ? Charles Blanc, dans un ouvrage qu’il consacre en 1875 à « l’art dans la parure et dans le vêtement », tente bien d’en ériger les règles par des emprunts à l’harmonie des couleurs et des proportions. Cet académicien, ancien directeur de l’École des beaux-arts, livre un essai étonnant, mais qui ne s’imposera pas pour autant comme livre de chevet des plus illustres couturiers. À quoi bon s’encombrer de savoirs livresques quand seul l’œil semble primer ? Là réside bien une résistance fondamentale de la mode à toute nécessité d’intellectualisation. Vitruve s’évertue dès le ier siècle à mettre en garde tout architecte qui ne respecterait pas un équilibre entre faire et penser. Mais si cette figure de l’architecte est justement si souvent convoquée pour appuyer le crédit artistique du couturier, l’argument trouve ici ses limites. Pierre Balmain a beau vouloir exposer les « rapports de l’architecture avec la couture »2, le rapprochement peut sembler superficiel. On ne contestera pas les analogies formelles que supposent le traitement de la matière et les recherches d’harmonie, mais la conscience sociale et la responsabilité intellectuelle qui constituent le socle théorique des textes d’architectes et de designers que l’éducation a pour charge de transmettre sont bien évacuées de tout discours sur la mode. Le vêtement est pourtant bien abordé comme sujet digne d’intérêt par certains grands penseurs de la modernité : Adolf Loos rédige par exemple une série d’articles, récemment parus en français chez Grasset sous le titre Comment doit-on s’habiller ? Les futuristes s’en empareront comme espace d’expression privilégié, donnant lieu à plusieurs manifestes. Mais voilà poindre le problème : tout discours sur le vêtement devient un discours contre la mode. On ne réfléchit pas à la manière de faire la mode, à l’intégrer au projet réformateur des avant-gardes, mais plutôt à contrer ses puissants caprices. Perçue comme irrationnelle, inconstante et tyrannique, elle est gentiment mise à la porte des grands projets éducatifs modernes. La mode ne s’explique donc pas ? Chose innée et spontanée, elle se comprend, mais ne s’apprend pas. En ce sens, ce n’est plus de pédagogie alternative qu’il serait question, mais de l’impossibilité même de lui appliquer une pédagogie, ne seraitce celle, élémentaire, de l’observation et de l’imitation. « J’avais vu les “Herr Professor” de Berlin et de Vienne tarabuster les méninges de leurs élèves pour les faire entrer dans un moule nouveau comme un corset de fer », rapporte Paul Poiret après sa visite des ateliers des Wiener Werkstätte. « Je trouvais ce travail et cette discipline des intelligences absolument criminels. Je voulais prendre le contrepied de cela et voici comment je procédai : je recrutai dans les milieux ouvriers de la périphérie des fillettes d’environ 12 ans, affranchies de leurs études. Je leur consacrai plusieurs pièces de ma maison et je les fis travailler d’après nature, sans aucun professeur », poursuit le couturier. « Dès que les premières semaines furent écoulées, j’obtins des résultats merveilleux. Ces enfants, livrées à elles-mêmes, oubliaient en peu de temps les préceptes faux et empiriques qu’elles avaient reçus à l’école, pour retrouver toute la spontanéité et toute la fraîcheur de leur nature », constate-t-il. « On avait obtenu ce résultat parce qu’il n’y avait aucun professeur pour les contraindre à les analyser. Elles se sentaient libres et heureuses de créer. »3 L’atelier Martine, que Poiret ouvre en 1912, se consacre pendant les quelques années de son existence non pas à la création de modèles de haute couture, mais à celle de textiles, céramiques et à quelques petites pièces de mobilier. Le couturier aura néanmoins mis au cœur de ce projet éducatif certaines idées bien propres à la mode : ne se fixer aucune règle, se nourrir de son environnement visuel, en toute liberté et avec pour seul guide son instinct, et surtout ne pas chercher à analyser ses productions. deux fréquenté les bancs de l’École du Louvre, quand Miuccia Prada, formée au mime et à la philosophie, s’apprête à ouvrir les portes du nouveau complexe architectural milanais commandé à Rem Koolhaas, qu’elle consacre à sa fondation, et surtout à ses collections. Malgré son zéro pointé en dissertation, le créateur de mode est premier de la classe en culture visuelle. Avare en mots, on ne lui reniera pas son érudition, aussi peu scolaire soit-elle, tout entière contenue dans le regard. Faire de la mode, c’est bien apprendre à regarder. émilie hammen Une histoire de l’œil Mais à regarder de plus près l’éducation artistique des couturiers et créateurs, qu’observet-on ? Christian Dior débute sa vie professionnelle comme marchand d’art, Gabrielle Chanel comme sa rivale Elsa Schiaparelli, deux pures autodidactes avides de création, s’entourent d’un tourbillon mondain de peintres, de musiciens et de poètes. Faut-il rappeler aussi la fibre de collectionneur qui s’empare de nombreux couturiers dans leur folie iconophile (ou devrait-on dire iconophage ?), de Jacques Doucet à Marc Jacobs ? Christian Lacroix et Hedi Slimane ont pour leur part tout 1. Y. Delsaut, P. Bourdieu, « Le couturier et sa griffe : contribution à une théorie de la magie », in Actes de la recherche en sciences sociales. Vol. 1, n° 1, janvier 1975, Hiérarchie sociale des objets, pp. 7-36. 2. Conférence donnée par Pierre Balmain à Bruxelles en novembre 1950. 3. P. Poiret, En habillant l’époque, Paris, Grasset, 1930. Images : Diagramme « haute couture », Yvette Delsaut et Pierre Bourdieu. Séance d’essayage chez Robert Piguet, photo Willy Maywald, 1938. © DR 53 the happy reader Consumer Investir toutes les formes, toutes les temporalités, des plus immédiates comme Instagram aux plus pérennes : livre, catalogue ou magazine semestriel s’imposera comme la règle […] Si les marques de luxe se sont vite emparées de ce support supplémentaire que pouvait constituer le magazine, d’autres secteurs comme l’édition y viennent plus p a r c i m o n i e u s e m e n t , mais avec une démarche et une forme réfléchies. Livres et magazines à fort tirage semblent subir le même destin : personne ne se lance plus dans cette aventure sans être épaulé. On voit ainsi fleurir des librairies adossées à des musées, à des concept stores et même à des marques de luxe, comme Kenzo. Idem pour les magazines : à quand remonte un lancement de magazine ex nihilo, qui ne soit pas un supplément de quotidien et qui vise un lectorat large ? Society annoncé pour mars fait ainsi figure d’exception. Une hypothèse est que les magazines seront demain également adossés à des marques, ce qui ne les empêchera pas de produire du contenu, même si le récent exemple de LV The Book pour Louis Vuitton montre l’étendue des possibles, et que l’autocélébration peut faire rêver un rédacteur en chef. On pourrait 54 poursuivre ce raisonnement en émettant l’hypothèse que, comme la mise en ligne d’un site est devenue naturelle pour un événement culturel type festival de cinéma, il en ira de même pour un magazine. Investir toutes les formes, toutes les temporalités, des plus immédiates comme Instagram aux plus pérennes (livre, catalogue ou magazine semestriel), s’imposera comme la règle. Les opérateurs culturels comme les marques vont enfin intégrer que le digital ne remplace pas le papier et que les accros des réseaux sociaux ont aussi envie d’autre chose, même s’ils en ont moins le temps. On objectera que le contrat de lecture est biaisé si une marque prétend faire de l’information, puisque tout ce qu’elle touchera se transformera immédiatement en communication pro domo. Oui et non. Certes, peu de chances qu’un Acne Paper trouve la dernière collection éponyme un peu faible. Mais cultiver un univers de signes, surprendre et apporter du contenu neuf au lecteur ; parler du monde plutôt que de sa marque – ce qui renseigne aussi sur la marque – sera sa seule possibilité s’il ne veut pas être rangé dans la catégorie des catalogues déguisés. Ainsi, The Happy Reader, consumer magazine de Penguin Books et issu d’une collaboration avec l’équipe de Fantastic Man. Ou le mariage d’un style hyper-reconnaissable, puisque plagié par toutes sortes de publications depuis quelques années, avec un contenu singulier et toujours renouvelé : la littérature. Comme le livre, The Happy Reader est d’abord une matérialité et un format : 64 pages souples, en papier recyclé, qui sont un rappel aux formats poche un peu passés, des clins d’œil avec des titres soulignés en rouge, plus proches de l’écriture manuscrite que du logiciel. Quelques images, très peu de couleur et une discrétion riche de promesses. Le format, 17 x 24,5 cm, outre sa maniabilité, est l’équation qui rend l’impression offset peu gourmande en papier comme en impositions, et donc peu onéreuse. À propos de budget, The Happy Reader est gratuit, sinon le coût de son acheminement postal. Côté contenu, on s’adresse à des lecteurs, donc rien d’effrayant si le numéro s’ouvre sur une interview de 24 pages, du comédien Dan Stevens en l’occurrence. Comme dans le cours d’une conversation sans but, on évoque une série de références, qui en appellent d’autres… Le temps pris est donc ici productif de sens et de chemins peu empruntés – du moins que les interviews « promo » d’un film interdisent le plus souvent. La seconde partie est thématique et s’articule autour d’un ouvrage, The Woman in White de Wilkie Collins. Et ce sera l’occasion de multiplier les entrées selon le contenu de ce thriller : historique, stylistique, culinaire, géographique et même mode. Parce que tous ces ingrédients sont présents en puissance dans la littérature et qu’un magazine qui y serait consacré disposerait de ces thèmes naturellement. électronique, comme nous le faisons déjà avec notre téléphone. Ce n’est pas tant une option qu’une injonction : trouver les formes et mouvements qui feront épouser le livre et le futur, dès lors que nulle machine n’éteindra le désir de récit. angelo cirimele Le projet de The Happy Reader est de continuer à traiter de littérature, d’en renouveler le format et les occurrences. Quoi de plus enthousiasmant que de repenser ses fondamentaux à l’aune du digital, qui bouleverse librairies, livres physiques, éditeurs, mais qui affectera aussi la manière de les écrire demain, quand (et si) nous tiendrons tous en main un livre The Happy Reader, bookish quarterly, n° 1, Hiver 2014, 64 p., 17 x 24,5 cm, 7 €. Editor in chief : Seb Emina. Editorial directors : Jop van Bennekom, Gert Jonkers. Publisher : Stefan McGrath. Thehappyreader.com/ Images : Captures d’écran du site thehappyreader.com ©DR 55 agent de photographe Off record Au début des années 2000, un agent pouvait miser pendant deux à trois ans sur un photographe, engageant des sommes jusqu’à 100 000 ou 150 000 euros. Aujourd’hui, les cycles sont plus courts et ça doit marcher assez vite […] Pour un photographe, être représenté par un agent est un a c c é l é r a t e u r de carrière. Maîtrisant les stratégies de visibilité, la culture des marques comme celle des agences de publicité, il est un observateur privilégié de l’évolution du métier de photographe. Entretien à visage couvert. Commençons par le début : comment identifie-t-on un jeune photographe ? Ça a quelque peu changé… À la fin des années 1990, on repérait les jeunes photographes de deux manières : en regardant les magazines et en discutant avec les directeurs artistiques, les agents de mannequins et les gens de la profession qui ont un œil. Avec certains DA, c’était un échange de bons procédés : on pouvait être les premiers à vouloir représenter un photographe et ils pouvaient le publier avant les autres. Aujourd’hui, on regarde beaucoup Internet, mais ce sont majoritairement les stylistes qui découvrent les talents. Comment les stylistes en sontelles venues à tenir ce rôle pivot dans le système de la photo graphie de mode ? Essentiellement pour des enjeux commerciaux : il existe maintenant une réelle connivence entre les marques et les stylistes, ces dernières créent des univers visuels et proposent des photographes capables de les restituer. À l’inverse, des carrières comme celles de Newton ou de Bourdin ne 56 seraient plus possibles aujourd’hui. On demande maintenant à un photographe, tout en ayant une écriture propre, d’être suffisamment versatile dans son travail pour pouvoir « matcher » avec plusieurs styles ou types de clients. Mais les choses restent rarement figées dans la mode et les clients sont de mieux en mieux renseignés. Ils ne regardent plus seulement les magazines ou ce que les agents leur proposent, puisqu’Internet est aussi passé par là. Pourquoi un agent choisit tel photographe ? Ce qu’on recherche avant tout, c’est une identité, c’est-à-dire un photographe dont les images soient reconnaissables et dotées de qualités techniques pour parvenir à un résultat sur un job commercial. La personnalité du photographe compte aussi beaucoup : la facilité à créer un réseau autour de lui, à fidéliser des gens, à créer des équipes… C’est tout ? Non, il y a aussi la vision que l’on a du métier qui est souvent tronquée. On voit régulièrement des photographes qui se présentent en disant qu’ils travaillent pour Vogue Italie, alors qu’ils sont publiés sur le site du magazine, ce qui n’est pas la même chose. On peut parler de maturité : comprendre où devront porter les efforts pour pouvoir mettre son travail en avant. Ce qui revient à comprendre la dimension politique du métier : comment ça marche, qui a le pouvoir et donc comment se comporter. Mais dans la liste de photographes d’un agent, il n’y a pas que des talents bruts ? En publicité, la question du budget entre toujours en ligne de compte. Si on ne peut pas s’offrir le photographe qui fait référence pour un type d’image, on en choisit un autre, qui en fera très bien la copie. Donc, au moment de constituer une équipe, on recherche aussi des « copistes » : des gens qui ont une culture mode solide, doublée d’une facilité à « faire » des images. Il y a aussi du postmoderne dans la photo de mode : quand hier on faisait référence à Avedon ou Lindbergh, aujourd’hui on fait écho à Mert & Marcus, qui eux-mêmes se sont inspirés d’autres photographes. On perd un peu l’essence des choses, et la quête de l’original est un vieux souvenir. Comment les photographes présentent-ils leur travail ? De plus en plus sans book physique, mais en digital, ce qui m’ennuie. Je suis un peu suspicieux avec les books sur iPad… Les pdf, ça met bien en valeur les images, elles sont rétro-éclairées, ce qui leur donne un certain piqué et un côté lumineux qu’on ne retrouvera pas forcément en print. Pour toutes ces raisons, j’aime voir les vrais portfolios. […] Faire des images semble tellement accessible du point de vue de l’équipement – on peut aujourd’hui acquérir un appareil professionnel pour 5 000 euros et obtenir des images de très bonne qualité assez rapidement – que certains se disent photographes avec un compte Instagram. Mais ça ne suffit pas. Concrètement, en quoi consiste le travail de l’agent avec son photographe ? Il faut savoir mettre en lumière ce qu’on a pu déceler lors du premier rendez-vous et qui a décidé à représenter cette personne. Donc créer ou développer un réseau : coiffeur, maquilleur, styliste, casting… parce que, à la différence des autres types de photographies, la photo demode est un travail d’équipe et la réussite d’une photo repose aussi sur le talent des autres. Ensuite, il faut faire connaître le photographe et donc lui faire rencontrer des magazines, potentiellement les meilleurs, pour montrer son travail, donc du plus indépendant au plus commercial, selon. Un agent a une vision plus panoramique de la profession, des magazines, et donc de la dimension politique de certains choix. Déconseillez-vous certaines collaborations ? Oui, il nous arrive de dire à un photographe que faire un édito pour tel magazine n’a pas d’intérêt en soi et peut bloquer des opportunités sur d’autres magazines avec lesquels nous sommes en bons termes. Bon, je suis aujourd’hui plus circonspect sur la question, car je crois que le plus important pour un photographe est de produire, c’est-à-dire pratiquer, s’entraîner, se confronter à des situations nouvelles. Quel est le budget moyen pour un édito ? Il y a de grandes disparités. Disons de zéro à 8 000 euros – qui est une somme confortable pour une journée de shoot à Paris – sans faire de folies, mais comprenant un forfait pour les retouches. Les magazines institutionnels, qui appartiennent à de grands groupes, font leur maximum pour couvrir les frais d’un shooting. Les magazines indépendants, ça va de rien à 1 000, 2 000, parfois 3 000. Une bonne image signifie-t-elle nécessairement une production onéreuse ? Aujourd’hui, si on regarde les dix photographes les plus respectés, leur talent n’y est pas étranger, mais ils s’appuient sur une force logistique énorme. Par exemple, une production de Steven Meisel pour Vogue Italie est conséquente : une équipe importante, avec des mannequins qui viennent de tous les coins du monde, avec les meilleurs coiffeurs et maquilleurs. Les images finales sont le résultat 57 Je visitais récemment le musée Helmut Newton, et j’étais surpris de ne pas faire la différence entre son travail d’artiste et ses publicités, pas plus que ses images pour la presse, comme si le photographe y mettait autant de passion. […] d’un professionnalisme, mais aussi de budgets qui sont proches d’un set de cinéma. Je vois d’ailleurs beaucoup de similitudes entre le cinéma et la photo de mode, en ce sens que c’est un travail d’équipe et que d’importants moyens techniques (lumières, voitures, hélico…) produisent un effet qui fait la différence. Enfin, c’est une question de présence du mannequin ou de la comédienne, que le faiseur d’image saura provoquer et saisir. Pourquoi n’y a-t-il plus de créativité ni de bonnes photographies en pub ? On constate une certaine frilosité et un milieu qui obéit à des impératifs qui relèvent du marketing : il faut montrer des chaussures, un sac, des bijoux et le faire dans une même image. Pourquoi la plupart des marques de luxe ne font-elles pas appel à une agence de publicité et choisissent directement un photographe ? Je crois qu’ils essayent de court-circuiter tous les paliers entre le designer de la maison et le photo graphe, qui est aussi un créatif. Car on est très souvent confronté à une architecture baroque : le client, ses représentants (directeur marketing, 58 responsable de la communication), puis l’agence : directeur de création, directeur artistique, achat d’art, commerciaux, et on se retrouve vite à quinze lors des prises de décision… Et comme chacun se sent obligé d’ajouter son grain de sel pour justifier son job et son salaire, le résultat obtenu est souvent mièvre. De toute façon, dès lors que les agences veulent quasiment voir l’image avant qu’elle soit réalisée, on ne peut rien espérer de surprenant. pas plus que ses images pour la presse, comme si le photographe y mettait autant de passion. […] Dans une pub signée de Newton, ce n’était pas le produit qui était mis en avant, mais une esthétique, donc c’est une démarche d’un client qui vient se coller à un univers. Je pense que ça doit stimuler le photographe. Aujourd’hui, on va davantage choisir un photographe parce qu’il est connu et qu’il a tant de followers ; le nom protège et permet de limiter les critiques. Mais même le luxe, souvent sans agence, n’est pas si créatif… Il y a toujours une certaine pression : on veut faire les choses très vite, on parle de sommes conséquentes qui incitent les photographes à une certaine prudence, qui est parfois l’ennemie de la créativité. Si on ajoute qu’une douzaine de photographes trustent la majorité des campagnes… Et puis les marques de luxe n’attendent que ça : une jolie image, avec une jolie fille, qui montre bien le sac et qui puisse plaire à tous les publics, en Europe et au-delà… Comment les groupes de presse phagocytent-ils les carrières des jeunes photographes ? Bon, ça a toujours été un peu le cas… Pour parler de magazines de groupes tels que Condé Nast ou Hearst, les places sont rares et chères pour les photographes. Donc assez naturellement, quand de jeunes talents apparaissent et dégagent une certaine aura, ils ont envie de les garder pour eux seuls. Il n’y a rien de signé, mais une sorte d’exclusivité implicite s’installe entre le photographe et le magazine. Ça a toujours été comme ça ? Je visitais récemment le musée Helmut Newton, et j’étais surpris de ne pas faire la différence entre son travail d’artiste et ses publicités, Internet va-t-il bousculer l’hégémonie des magazines ? Il faut avouer que l’arrivée de Porter fait sortir de la dualité Vogue/ Bazaar. Et c’est effectivement un acteur du Net [le site de e-commerce Neta-Porter édite le magazine Porter, ndlr] qui bouscule les hiérarchies. D’ailleurs, les futurs concurrents des magazines seront aussi à chercher du côté de Yahoo!, dont le portail mode est assez bien fait, ou d’Amazon, qui en prépare un. Qui sont les bons (nouveaux) photographes : diplômés ou autodidactes ? Pas vraiment de règle là non plus, mais ce qui rassure, c’est quelqu’un qui ait assisté un grand photographe ; ça reste la meilleure école, car on a été témoin de la manière de gérer une équipe, une petite tension avec une marque ou un magazine, ou encore plus simple : la météo change, comment fait-on ? Quel est le pourcentage d’un agent de photographe ? 25 %. Je crois que c’est le même pour tous les agents. Quels conseils donneriez-vous à un jeune photographe ? Je ne sais pas si je l’encouragerais… car on constate de grands embouteillages ! Je crois qu’il ne faut pas douter de soi, ni lâcher ses partis pris esthétiques malgré les pressions. Les gens qui réussissent dans ce Dans l’art, on a peutêtre davantage de temps, mais en mode, on ne peut pas se dire « ça ne marche pas aujourd’hui, ça marchera demain » parce que ça a peut-être déjà des conséquences sur demain […] métier ont des convictions et une détermination à toute épreuve. Parce qu’il y a beaucoup de contraintes, d’enjeux financiers. Il faut aussi savoir être patient. Ce qu’on peut traduire par avoir de l’argent devant soi… Attention, la photographie de mode est dans l’univers du luxe ; c’est un sport de luxe. Comme pour un sportif de haut niveau, le photographe de mode se lève le matin, mal à la tête ou non, gueule de bois ou non, états d’âme affectifs ou non, ça ne rentre pas sur le set. Pas plus qu’un problème avec son assistant. Quoi qu’il arrive, à 18 h ou 19 h, il faut les images sur le disque dur. Donc oui, il faut financer les shootings. Au début, on se débrouille avec des bouts de ficelle, mais plus on avance, plus on attend d’un photographe qu’il soit professionnel et qu’il apporte une qualité de production. Mais les agents sont prêts à payer pour ça, et les grands magazines aussi, parfois. Quelque chose a changé depuis les années 1990 ? L’accélération du temps, qu’Internet fait ressentir plus fortement. Au début des années 2000, un agent pouvait miser pendant deux à trois ans sur un photographe dont il était convaincu du talent, engageant des sommes assez élevées, jusqu’à 100 000 ou 150 000 euros, qui seraient certes remboursées lors des premières campagnes de publicité. Aujourd’hui, les cycles sont plus courts et on ne voit plus ce type d’engagement ; ça doit marcher assez vite. […] Dans l’art, on a peut-être davantage de temps, mais en mode, on ne peut pas se dire « ça ne marche pas aujourd’hui, ça marchera demain » parce que ça a peut-être déjà des conséquences sur demain. Le luxe est un monde très attractif, en croissance, et tout le monde veut sa part du gâteau, mais il n’y a qu’un seul gâteau. Propos recueillis par angelo cirimele 59 Ping Pong not that kind of girl Image : priscillia saada On les remarque comme des ovnis dans le tunnel pub à l’entrée des magazines, sans produits, déroutants, à l’image d’un nom énigmatique. Retour sur les campagnes de c o m m e d e s g a r ç o n s et décryptage argumenté. 60 Le 7 nov. 14 à 22:59, Céline Mallet a écrit : Hello cher, Notre intention de réfléchir aux campagnes de la marque Comme des Garçons t’intimiderait-elle ? Remarque, on sait que la grande Japonaise a la communication difficile. Le site de Comme des Garçons est un bon et premier exemple : un algorithme qui distribue aléatoirement des images comme des collages d’inspiration au sens le plus plasticien du terme. Nulle trace de vêtement, même pas l’esquisse d’un discours de mode, ou justement de manière foncièrement abstraite, et bien sûr aucune forme de catalogue en ligne. Si l’on regarde l’ensemble des campagnes de la marque, et ce grosso modo depuis les années 1980, on peut faire le même constat d’une irréductible singularité comme d’un mode de communication paradoxal puisque négligeant le vêtement lui-même au profit d’une extraordinaire diversité de visuels, diversité qui fait la part belle aux artistes et qui s’écarte sciemment et encore une fois du produit. Inutile de dire que l’on est là aux antipodes des stratégies des grands groupes de luxe actuels, où la fille disparaît pratiquement sous le sac qu’elle brandit au premier plan… Stratégie déroutante encore lorsqu’elle ne cherche pas non plus à construire une identité stable quand bien même à la marge : chaque saison correspond à un événement visuel (un geste, une incitation stylistique) bien singulier. Seul le logo de la marque fait continuité et repère, signant les interventions d’une Cindy Sherman ou une image empruntée à l’auteur de la BD David Boring de Daniel Clowes, dans le cadre du label « Comme des Garçons Shirt ». Le 8 nov. 14 à 14:57, Mathieu Buard a écrit : Hello, Intimidé je sais pas, mais effectivement perplexe un peu, face à l’immensité et la profusion des gestes, collaborations, jeux et variations autour de cette maison. Vieille maison contemporaine d’ailleurs – je note au passage : 1967, 61 Au milieu des années 1990, une campagne monstre, où Sherman n’est ni homme ni femme, ni occidentale ni orientale, pour inventer un exotisme absolument inédit […] fondation, et première boutique à Paris, 1981 –, longévité qui s’appuie évidemment sur cette stratégie dont tu parles, comme si une pieuvre tentaculaire, gracieuse et vénérable déployait ses mille appendices sur l’histoire contemporaine de la mode, la production des images de la mode, des cross-over avec d’autres, des labels, des gammes, des matières et coupes hors convenance, tout cela pris dans un faisceau immense et singulier d’une stratégie totale. Il n’y a pas un statement chez Rei Kawakubo, il y en a une infinité. Chaque geste me semble un événement, et du coup, une façon de construire. Des aphorismes cinglants, propositions sans cesse nouvelles et fermes ; radicale, quoi, la Kawakubo. Alors ce nom : « Comme-desGarçons ». Le statement d’une liberté paradoxalement sur-maîtrisée, d’un désir qui ordonne au présent, maîtresse du temps même. Caractère radical d’une femme qui, choisissant tout, dessine la posture d’une hyper-maîtrise de l’esprit de sa maison (à elle seule) et qui, dans cette stratégie de l’« hyper », trouve les variations et ouvertures dans le « Comme », l’adverbe de la manière, 62 façon de laisser la place à l’invention et aux collaborations : sollicitations sous haute pression de ne pas décevoir le dragon. J’en fais un peu beaucoup là, mais il me semble qu’il y a une grande ouverture tyrannique, injonction à trouver et décaler encore et encore. Pour reprendre ce que tu disais : Not that kind of girl, la Kawa. Alors du coup Lindbergh, la grâce et le décalage, le glamour et le non-sexuel, la beauté simple et crue. Parfait pour CDG. Le 9 nov. 14 à 10:53, Céline Mallet a écrit : Oui, « comme »… des garçons. Soit. La manière et les possibles, le jeu ou l’invention de soi infiniment recommencés, et la labilité du genre aussi, comme construction à déconstruire. Bref, la fantaisie la plus haute et ce que la mode a de plus haut. Not that kind of girl en effet, comme une traduction possible de cette appellation programmatique « Comme des Garçons… » si forte et mystérieuse. Et c’est vrai, en essence, il y a une grande hystérie du non chez Rei Kawakubo, une manière toujours de se porter contre, de réagir à l’encontre des codes en vigueur, des apparats de rigueur et tous les consensus. Ce non épidermique et réactionnaire au sens le moins conservateur du terme, cette attitude foncièrement réactive vertèbre ainsi paradoxalement sa mode. Alors oui, dans les débuts parisiens des années 1980, Kawakubo fait appel à Peter Lindbergh pour saisir la grâce androgyne de ses silhouettes. Mais ce qui m’amuse chez elle, ce qui me fait hystériquement rire, comme les adolescentes tout en dents hideusement baguées et hilares de cela même en 1989, c’est qu’elle peut tout aussi bien proposer les culs de trois éléphants en lieu et place des modèles, et dans le même velouté noir et blanc suave. La diversité des visuels au mépris relatif des produits qui apparaît aujourd’hui si significative de sa communication s’élabore ainsi en parallèle de l’emballement médiatique qui aura gagné l’ensemble du système mode. 63 Comme des Garçons Shirt joue ainsi et désormais systématiquement le rôle de galerie d’art en pays magazine […] Au milieu des années 1990, on pourrait dire que Kawakubo a déjà tout anticipé, compris et déconstruit, en faisant appel à Cindy Sherman – soit à l’une des plus grandes artistes contemporaines utilisant la photographie – pour mettre en déroute quelques pièces et tenues de sa collection d’alors. Une campagne monstre, où Sherman n’est ni homme ni femme, ni occidentale ni orientale, pour inventer un exotisme absolument inédit ; une campagne comme un événement médiatique et artistique qui peut narguer de très haut toutes les autres campagnes et les volontés auteuristes de leurs photographes. Comme des Garçons Shirt joue ainsi et désormais systématiquement le rôle de galerie d’art en pays magazine. Le 9 nov. 14 à 12:51, Mathieu Buard a écrit : À fond. L’introduction de ces exercices de style artistiques, peintures de sujets, évoquant l’art comme la mode, indifféremment, à pile ou face. Faire disparaître tout, et qu’il n’y ait plus qu’un petit garçon habillé oversize devant une colonne de Brancusi, contexte muséal net, silhouette floue aux coupes nettes. Costume de ville postmoderne pour reprendre la formule de Schuhl. 64 Oui, il y a toujours un train d’avance chez Rei Kawakubo, de la déconstruction à la décomplexion, je ne suis pas celle que vous croyez. Cindy Sherman, ces portraits où le vêtement est porté à une limite, du visage au masque, de la peau à la métamorphose, du brut au flou. Le style même devient l’apanage d’une posture d’équivalence – et d’une proximité avec les corps, et de viser une dégaine, une attitude. Celles-ci, les jeunes adolescentes hilares et les bagues aux dents (image géniale, je suis d’accord), celles-là, des femmes mûres aux visages marqués quasi asymétriques, aux cheveux boursouflés d’air, crêpés jusqu’à la mort, dramatiques, encore oui ces éléphants qui se tiennent par la queue, un éléphant ça trompe énormément, c’est bien connu. Ce couple asiatique dans une ville qui semble folle et futuriste, en mode Blade Runner pop, et leurs silhouettes toutes faites de décalages, de glissements, de bascules, et où l’uniforme se déplace au sens propre, le col et les boutonnages mis sur la brèche, déjouant la symétrie du corps, une épaule hors manche. Et ces yeux qui nous regardent, simplement, classiques, désarçonnants – qui semblent dire : « And so? So what? » Le « mais » encore un poil narquois et tout à fait assuré. Dans une indifférence équitable. Car c’est ce qui est fou : éprise de liberté, qui n’est pas celle que l’on croit et qui dirait « mais pour qui me prenez-vous ? » trouve toujours l’équilibre, cette équitable justesse, cette poésie qui frôle l’indésirable, mais qui accapare l’œil. C’est pas beau, and so?, c’est pas si mal, c’est pas clair et ben justement. Alors après, Comme des Parfums, CDG Black… une série de décisions éditoriales qui virent aux ellipses les plus joyeuses, creusant le sillon d’une liberté de ton et d’esprit. L’immédiateté comme force, le sourire carnassier et burlesque de la femme aux colliers pour CDG Black, cette pile de chaises mal rangées, graphiques, et alors ?, pour CDG Furniture en 1990… J’adore cette image, entre le nu descendant l’escalier, la désamorce du langage moderne et la stabilité du nom. Rei Kawakubo serait-elle du genre de l’anticipation ? Genre cut et prolixe ? Sauvage mais propre ? Le 10 nov. 14 à 00:49, Céline Mallet a écrit : Genre sauvage, intellectuel et narquois. Avec l’humour évidemment. J’adore aussi cette image du petit garçon qui toise la colonne de Brancusi comme on se gausse d’une silhouette à l’avant-garde, avant de la provoquer en duel parce qu’au fond elle nous plaît. Rei Kawakubo montre ici toute la distance dont elle dispose quant à l’objet mode et quant à ses propres vêtements, à la séduction si bizarre et dangereuse. Lorsqu’elle fait appel à Sherman, c’est une âme sœur qu’elle contacte et qu’elle a reconnue. Il faut insister sur ce que Sherman a inventé : une manière de ne jamais pouvoir se conformer au cliché à l’intérieur duquel on veut bien vous disposer. Une manière d’indisposer le cliché. Mais une manière de dire encore que par les clichés et les images des autres, on est toujours altéré. Libre, Kawakubo l’est indubitablement. Aussi ses campagnes ne peuvent-elles plus compétitionner en termes d’espace avec les gros bras du luxe international et leurs stratégies de vente aux esclaves. En revanche, et de ce coin qu’elle a fait sien, la dame peut continuer de rêver ces campagnes qui nous parlent de regard plutôt que de commerce. Une campagne de communication pour Kawakubo équivaut à montrer au flâneur des magazines ce qu’elle voit et comment elle le voit. Et de Si ses campagnes ne peuvent plus compétitionner en termes d’espace avec les gros bras du luxe, la dame peut continuer de rêver ces campagnes qui nous parlent de regard plutôt que de commerce […] nous dire que faire la mode, comme oser une dégaine envers et contre les autres, c’est d’abord regarder les chignons overcrêpés des mémés, le pantalon oversize d’un jeune garçon des années 1930, et dans un coin de ville déraisonnablement futuriste et tout à côté d’une sculpture ou d’un dessin moderne ou contemporain. C’est regarder pour se laisser toucher par le monde, et y oser quelques aventures très bien habillé, mais un peu basculé quand même, histoire de signifier une posture toujours en biais. Bref, narquois mais sensible ; sensible mais narquois. Le 10 nov. 14 à 18:36, Mathieu Buard a écrit : La force tranquille ? La virtuose sagace ? Je repense à la production de carrés avec et pour Hermès, cette décontraction à jouer voire à jouir des formats des autres. Je vois d’ailleurs de belles similitudes dans l’esprit de liberté de ces deux maisons/entités. Le détachement et la fantaisie reposant sur des exotismes très différents, l’un soutenant la mode comme dépassement, CDG, et l’autre se pensant hors mode, Hermès, et développant chacune une intensité, une esthétique de la perfection comme un savoir-faire. Le biais. Exactement, cette virtuosité de la coupe, cette science du tissu, de la main et de leurs décalages, le biais du biais, le fin du fin. Entre contradiction et anticipation, Rei Kawakubo c’est la figure d’une liberté émancipée, sans heurt ni limite, l’absence d’une mise en conformité marketing. Le refus du discours lourd et pesant de l’ADN. La folie de l’industrie poussée à sa limite. L’invention intello, et youpi, pourquoi pas ? Que la rudesse ou l’âpreté de son système soit avérée ou pas, le geste comme la campagne est une guerre éditoriale gagnée par avance, un rêve analogue devançant tout sur son passage. Et les jeunes filles baguées se marrent encore ! Not that kind of girls. mathieu buard & céline mallet Images, de haut en bas : Campagnes Comme des Garçons SS 2010, SS 1978, FW 2010, FW 1988, SS 1988. © DR 65 pierre bismuth Interview art « Un réalisateur, Pierre Bismuth, engage un détective privé dans une enquête impossible à résoudre pour trouver un f a u x r o c h e r dans le désert de Mojave. Le réalisateur n’est pas préoccupé par l’idée de trouver le rocher, mais se sert du détective pour créer de l’action. » Tel est le point de départ de cet entretien, où se mêlent cinéma, sculpture et enquête de détective. Depuis 1994, tu utilises le cinéma comme un ready-made, de façon instrumentale. Pour ton exposition « Ce qui n’a jamais été, ce qui pourrait être » au musée régional d’Art contemporain de Sérignan, tu as créé une série de cyclos, ces fonds verts d’instruction d’images en surimpression… … qui sont des objets n’ayant pas de valeur propre. Ce sont des surfaces de projection sur lesquelles autre chose sera rendu visible, devenant ainsi un « espace autre ». En isolant le cyclo et en le montrant comme un objet à part entière, cela revient à montrer une chose qui, normalement, n’est pas visible. C’est un objet en attente d’une projection. Présentés ainsi dans l’espace, ils acquièrent une dimension de bas-reliefs ou de sculptures. Oui, et leur vocabulaire formel est celui de la sculpture minimale. Après avoir collaboré avec Michel Gondry sur Eternal Sunshine of the Spotless Mind et The All-Seeing Eye, tu es en train de finaliser ton premier film, 66 Ed Ruscha a réussi à faire, d’un point de vue cinématographique, un MacGuffin comme en parle Hitchcock : cet objet que les protagonistes d’un film recherchent, les mettant en action, et qui au final a peu d’importance […] Where is Rocky II? Quelle est la genèse de ce projet ? Il y a une dizaine d’années, on m’a confié la cassette VHS d’un documentaire sur Ed Ruscha, produit par la BBC à la fin des années 1970. On le voit travailler sur une pièce formellement inhabituelle par rapport à l’ensemble de son travail : un faux rocher en résine. Plus précisément, on le voit d’abord mettre un rocher sur son pick-up et le ramener à son atelier de Los Angeles. Il explique que ce rocher s’appelle Rocky, qu’il est en pâte à papier et que les animaux du désert l’ont rongé. C’est à partir de ce modèle qu’il crée un second exemplaire en résine qu’il intitule Rocky II, qu’il va ensuite placer dans le désert, à l’endroit même où il avait posé Rocky. En parlant de cette œuvre et de ce documentaire autour de moi, je me suis rendu compte que personne n’en avait entendu parler. Plus les années passaient et plus le mystère s’épaississait. J’étais d’ailleurs content d’avoir la cassette en ma possession, car sinon je me serais demandé si je n’avais pas rêvé et inventé ce documentaire ! Rocky et Rocky II font à la fois référence au land art et au décor de cinéma. Ce sont de véritables trompe-l’œil – de l’ordre de l’illusionnisme –, qui formellement sont, comme tu le dis, assez éloignés de la pratique photographique et picturale d’Ed Ruscha. C’est sa seule sculpture. En revanche, il y a un lien logique avec le reste de sa production, car cette œuvre aborde les thèmes du désert et du cinéma qui sont très présents dans ses peintures ; c’est également une pièce assez humoristique, comme une grande partie de son travail. À quel moment as-tu rencontré Ed Ruscha pour le questionner à propos de cette œuvre ? C’est en 2009, lors de son exposition à la Hayward Gallery de Londres, que je me suis dit qu’il était temps de démarrer mon projet. Seulement, il fallait que j’aie une confirmation officielle de l’existence de cette œuvre. Je suis donc allé à la conférence de presse de son exposition, en me faisant passer pour un journaliste, pour lui poser publiquement la question sur l’existence de cette œuvre. Il a été extrêmement surpris et a expliqué au public ce qu’était Rocky II, tout en précisant qu’il ne dirait pas où l’œuvre se trouvait précisément. Sait-il exactement où l’œuvre se trouve ? Je lui ai demandé s’il pensait que quelqu’un pourrait trouver cette œuvre. Il m’a répondu : « J’en doute, je ne suis même pas certain de pouvoir la retrouver moi-même, mais je vous souhaite bonne chance. » Ce fut le point de départ de mon film. Pourquoi ce choix de faire un film ? Parce qu’avec ce rocher, Ed Ruscha a réussi à faire, d’un point de vue cinématographique, consciemment ou inconsciemment, un MacGuffin comme en parle Hitchcock : cet objet que les protagonistes d’un film recherchent, les mettant en action, et qui au final a peu d’importance. Oui, c’est un prétexte au développement scénaristique qui entraîne les protagonistes dans des péripéties qui deviennent plus importantes que le MacGuffin lui-même, comme les bijoux volés dans La Main au collet. Ici, Rocky II est un pur objet de fantasme. C’est l’action que cette quête déclenche qui est importante. C’est par cette référence au MacGuffin que m’est venue l’idée de faire un film. L’œuvre de Ruscha ayant été créée à Los Angeles dans les années 1970, j’ai souhaité faire référence aux films d’espionnage de cette époque-là. J’ai alors engagé un véritable détective privé, ancien officier de l’armée américaine à la retraite. Il n’a aucun intérêt particulier pour l’art, ni pour le cinéma, même s’il a déjà été consultant pour le CSI et donné quelques renseignements aux studios hollywoodiens concernant les méthodes de la police – ce qui est le quotidien de beaucoup de policiers à L.A. Mis à part cela, il n’a vraiment aucun lien avec le cinéma et il n’a jamais été acteur. Je l’ai officiellement engagé sur l’enquête en novembre 2014, en même temps qu’un duo de scénaristes hollywoodiens : D.V. DeVincentis, qui a notamment écrit Gross Point Blank et High Fidelity ; et Anthony Peckham, qui est particulièrement connu pour le dernier Sherlock Holmes et Invictus de Clint Eastwood. Comment résumerais-tu le scénario de ce film ? Un réalisateur, Pierre Bismuth, engage un détective privé dans une enquête impossible à résoudre pour trouver un faux rocher dans le désert de Mojave. Ce dont 67 le détective n’a pas conscience, c’est que le réalisateur n’est pas préoccupé par l’idée de trouver le rocher, mais se sert de lui pour créer de l’action. Il se sert de la recherche du détective pour écrire une histoire ; il note les éléments de l’enquête et les communique aux deux scénaristes pour qu’ils créent un scénario avec. Comment le film débute-t-il ? Par une présentation de Joshua Tree, l’endroit où est censé se trouver le rocher, en évoquant toute la mythologie de ce désert et les événements qui s’y sont déroulés, essentiellement vers Giant Rock – encore un rocher ! – autour duquel, depuis 1870, ont été recensés plusieurs faits étranges : l’apparition de galions espagnols, des ovnis, un prospecteur d’or qui s’est construit une maison sous un rocher, la mort de Graham Parson, immolé, un type qui a construit une machine pour accéder à la vie éternelle, etc. Toute 68 J’ai alors engagé un véritable détective privé, ancien officier de l’armée américaine à la retraite. Il n’a aucun intérêt particulier pour l’art ni pour le cinéma […] une série d’événements qui ont eu lieu jusqu’aux années 1970, date à laquelle Ed Ruscha va poser son premier faux rocher. Une fois cette présentation terminée, l’enquête du détective privé commence. Quelle est ta présence au sein du film ? Je suis très peu visible, à l’image des clients dans les films de détective privé, de façon très anecdotique. As-tu fait des rencontres étonnantes ? Oui ! On a rencontré la personne qui a servi de référence au personnage du Dude dans The Big Lebowski ! C’était tout à fait inattendu. Le détective a retrouvé la trace de cet ami d’Ed Ruscha, qui se trouve être aussi l’ami du réalisateur et scénariste John Milius, lequel est proche des frères Coen. Jim Ganzer a influencé le style du Dude, la manière dont il parle, certaines de ses expressions et le fait qu’il fume des pétards toute la journée. C’est à Jim Ganzer que Ruscha a demandé de réaliser Rocky II en résine parce qu’il faisait ses planches de surf dans cette matière. Mis à part le détective et les scénaristes, quelle fut ton équipe ? J’ai travaillé avec David Raedeker, qui a été notre directeur de la photographie. Nous avons uniquement travaillé en digital, car notre budget ne nous permettait pas de travailler avec de la pellicule. Comment te positionnes-tu face aux artistes qui intègrent l’industrie du cinéma, ses modes de production et de diffusion, par fascination pour l’audience atteinte ? Je n’ai jamais été fasciné par le cinéma et je m’y suis intéressé un peu par hasard. J’ai commencé à intégrer des éléments de films dans mon travail, car j’ai eu besoin d’un élément sonore sans m’intéresser au film luimême. Dans Post Script et The Party, j’ai demandé à une secrétaire de décrire la bande-son qu’elle entendait dans un casque et de la retranscrire le mieux possible. Je me suis intéressé à la sélection qu’elle a ainsi faite et à la manière dont elle a créé quelque chose qui semblait être de la pure description, mais qui en réalité était une construction, une création. […] C’est en commençant à travailler sur des films, mais sans intérêt particulier pour le cinéma, que je me suis retrouvé à faire plein d’expositions sur le thème du cinéma. C’est aussi comme cela que j’ai rencontré Douglas Gordon. À la différence de Douglas, qui, lui, intégrait le sens du film dans son travail, celui-ci ne m’intéressait pas. J’étais comme un scientifique et mon approche ressemblait beaucoup J’ai dû écrire des textes pour expliquer que le cinéma ne m’intéressait pas en tant que tel. Et finalement j’ai gagné un Oscar avec Michel Gondry. J’ai alors compris que c’était foutu et que je devais creuser davantage cette relation […] à ce que l’on fait en neurologie : pour voir l’activité cérébrale de quelqu’un, on lui met des capteurs sur la tête et on lui projette un film pour que cela déclenche plein de stimuli. […] J’ai dû écrire des textes pour expliquer que le cinéma ne m’intéressait pas en tant que tel. Et finalement, au moment où je parvenais à sortir de cet univers, j’ai gagné un Oscar avec Michel Gondry. J’ai alors compris que c’était foutu et que je devais creuser davantage cette relation. J’ai été pris au piège en quelque sorte. Penses-tu ton film comme un documentaire, avec une certaine volonté d’élargir la visibilité de l’art par le cinéma ? C’est une tentative de traiter l’art sans avoir à éduquer les gens. Ce n’est pas un documentaire sur l’art ou sur un artiste. Je dirais que c’est plutôt un jeu sur l’utilisation du cinéma, pour « faire passer » quelque chose qui est presque incompréhensible. Le cinéma est comme le sucre qui enrobe les médicaments pour leur permettre d’être avalés facilement ! Dans ce film, comme dans une grande partie de ton travail, la question de la mémoire, de ses adhérences et de ses oublis, est omniprésente. Oui, cet élément est récurrent dans mon travail. Je n’ai pas besoin d’y réfléchir, mais je sais qu’il est là. C’est tout. Propos recueillis par timothée chaillou Photos : © DR 69 f magazine Rétrovision Image : priscillia saada Quand on parle de magazine féminin, on fait souvent référence à des titres très visuels, légers et aux inclinaisons commerciales à peine voilées. Si on y aborde des sujets de psychologie ou de société, c’est pour faire bonne mesure. La donne était un quelque peu différente à la fin des années 70, quand dans féminin pouvait résonner f é m i n i s t e et que la société comme la politique étaient des terrains de discussion. 70 En janvier 1978, à quelques semaines des élections législatives qui verront, une fois de plus, les forces de gauche rater de peu l’alternance et sceller la fin du programme commun de gouvernement établi entre le Parti Socialiste, le Parti Communiste et les Radicaux de Gauche, sort en kiosque un nouveau mensuel, F Magazine. En une de couverture du numéro un, Claire Bretécher, la bédéiste rebelle, cofondatrice avec Gotlib et Mandryka du périodique de bandes dessinées L’Écho des savanes, exhibe un tatouage sur l’épaule figurant « Cellulite », l’une de ses héroïnes. Avec pour titre « L’humour change de sexe ». Le ton est donné, F Magazine va célébrer les femmes qui veulent faire bouger la société.L’avocate et militante féministe, Gisèle Halimi fait la une du numéro deux, et le numéro trois propose la benjamine des candidats à la députation, Annette Chepy. Pour ses fondatrices, la journaliste Claude Servan Schreiber et l’écrivaine féministe Benoîte Groult, il s’agit de concevoir une autre forme de presse à destination des femmes et de faire un journal sur les femmes. L’envie de certains journalistes de contrôler l’environnement dans lequel sont publiés leurs articles contribue, en cette fin des années 1970, à l’émergence de nouveaux journaux. Bénéficiant de par le nom qu’elle porte d’un tissu de relations dans le monde de la presse et de ses financeurs, Claude Servan Schreiber se lance dans l’aventure. Avec une certaine idée de la femme et du journalisme. La décennie qui s’achève a vu le développement du mouvement féministe où, à l’instar de la société en général, l’on voit se refléter les fractures idéologiques du moment. Fin 1977, six nouveaux titres de la presse féminine sont inventés. Trois revues périodiques, Questions féministes, Les Cahiers du féminisme et La Revue d’en face, ainsi que trois mensuels, Histoires d’elles, Des femmes en mouvement et F Magazine. Des journaux qui se font les porte-voix des revendications du mouvement féministe militant. 71 Fin 1977, six nouveaux titres de la presse féminine sont inventés, dont Questions féministes, les Cahiers du féminisme et La revue d'en face […] 72 73 F Magazine souhaite parler du changement des femmes dans le regard qu'elles ont d'ellesmêmes, qu'elles ont sur la société et dans leur rapport au travail […] À l’exception de F Magazine, que Claude Servan Schreiber définit comme un journal grand public qui cherche un lectorat au sein de cette mouvance, mais qui s’adresse à un lectorat bien au-delà des seuls cercles militants. F Magazine souhaite parler du changement des femmes dans le regard qu’elles ont d’ellesmêmes, qu’elles ont sur la société et dans leur rapport au travail, à leur employeur et à la famille. F Magazine s’engage aussi dans une critique de la presse féminine traditionnelle qu’il considère comme peu réactive face au bouleversement sociétal, provoqué par les femmes elles-mêmes et qui leur a permis d’autres formes d’émancipation. F Magazine veut traduire ces changements dans son sommaire, et les articles et reportages qu’il propose. Hors de tout catéchisme ou mot d’ordre militant, de tout parti, F Magazine exprime et témoigne comment les femmes vivent aujourd’hui, de ce qu’elles pensent, de ce qu’elles espèrent, de ce qui fait leurs victoires ou leurs échecs. La vie professionnelle des femmes devient un des axes rédactionnels important. Aux cotés de Claude Servan Schreiber et Benoîte Groult, on trouve uniquement des femmes dans le comité de rédaction : la journaliste Nicole Chaillot, l’animatrice et productrice radio Paula Jacques, Françoise Rondon-Salmon, entre autres. 74 F Magazine se compose, sur 100 pages, de sept grandes ouvertures rédactionnelles titrées : Paroles de femmes, Dialogue, Faire face, Magazine – redécoupée en huit sousrubriques, dont vie publique, professionnelle, moderne, personnelle et vie culturelle –, Psychologie, Document, pour finir par celle de Benoîte Groult, qui clôt le magazine par son éditorial. La direction artistique est assurée par Claudine Maugendre, ancienne graphiste puis directrice de la photo à Actuel, où elle œuvrait à la conception expérimentale du mensuel de l’underground français. La maquette de F Magazine opte pour l’élégance et l’impression en noir d’un nombre important de photographies. Ici, point des expériences psychédéliques qui ont caractérisé la presse alternative et militante de la décennie. Pour satisfaire les annonceurs, une partie du magazine, dont la couverture, est imprimée en quadrichromie sur un papier semi-mat. Un cahier, contenant les ouvertures Faire face et Psychologie, est imprimé en bleu sur du papier bouffant. Claudine Maugendre développe le chemin de fer selon une grille de quatre colonnes, appuyant le texte courant vers le bas et laissant en haut un blanc qui permet d’aérer titres et chapôs. La seule concession idéologique à l’humeur militante du moment est l’utilisation de la fonte de caractères, créée par Joel Kaden et Tony Stan pour ITC, l’American Typewriter, dont se servent le quotidien Libération et bon nombre de publications alternatives. Claudine Maugendre l’utilise pour le « F » du titre, l’ensemble des titres des rubriques et articles, ainsi qu’en lettrine et point de fin des textes. Magazine intellectuel et engagé, il reste néanmoins à la marge du mouvement féministe, qui rejette sa vision trop « bourgeoise » des faits. Le concept d’une autre presse féminine, défendu par Claude Servan Schreiber, n’atteint pas son objectif. Les lectrices ne suivent pas et, au début des années 1980, les financeurs exigent une refonte du support avec plus de rédactionnel mode et consommation. Jean Bayle est consulté comme directeur artistique. Le journal ayant perdu une partie de son ADN, F Magazine s’arrête en février 1982. pierre ponant Images : F Magazine, février 1978, octobre 1979, janvier 1981 mode sasha & daisy Photographie : Linda Brownlee, stylisme : Ruth Higginbotham connections Photographie : Michal Pudelka, Stylisme : Arabella Mills arthur elgort Proposé par Patrick Remy sasha & daisy Photographie : Linda Brownlee Assistée de Ellie Smith et Suzie Howell Stylisme : Ruth Higgainbotham Assistée de Rose Charlesworth Coiffure : Hiroshi Matsushita Maquillage : Celine Bopp utilise Murad et Inika Cosmetics Mannequins : Sasha chez Select models Daisy chez Select models Sasha : Top M a x M a r a Daisy : Top M a r n i Sasha : White knit polo B e y o n d R e t r o , Trousers D i o r Daisy : White Polo U n i q l o , Sweater V a l e n t i n o Sasha : Top M a r n i , skirt M a x M a r a Daisy : Chiffon Dress M a r n i Daisy : Dress S i m o n e R o c h a , Polo U n i q l o Sasha : Pant Suit G a l l i a n o Dress M a r n i Vintage polo B e y o n d R e t r o Polo B e y o n d R e t r o , skirt C e l i n e Dais y: Vintage dress B e y o n d R e t r o Skirt and shirt N o m i a , Pants R a q u e l A l l e g r a , Shoes T e r e t B a n t i n e Robes L a n v i n Top rayé S a c a i Lunettes C h l o é connections Photographie : Michal Pudelka chez Katy Barker Assisté de Marek Puc et Jergus Krizak Stylisme : Arabella Mills Assistée de Frederic Chane-Sy Ainsi que de Camilla Ashworth et Caitlin Moriarty Coiffure : Philippe Tholimet chez Streeters pour Rahua Maquillage : Jenny Coombs Manucure : Saffron Goddard Mannequin : Mickala Mitchell chez NEVS Zoey Key chez NEVS Rebecca S chez MILK models Sabina P chez MILK models Robes D i o r Robes C h l o é Chaussettes F a l k e Chaussettes courtes E m i l i o C a v a l l i n i Sandales M a r c b y M a r c J a c o b s Robes C é l i n e Robe P r a d a Vestes, tops, pantalons C h a n e l Escarpins L a n v i n Chaussettes F a l k e Robe M a r c b y M a r c J a c o b s Sandales C h r i s t i a n L o u b o u t i n Chaussettes A m e r i c a n A p p a r e l Vestes et leggings M a r c J a c o b s Robes H o u s e o f H o l l a n d Collants et chaussettes E m i l i o C a v a l l i n i Sandales C h r i s t i a n L o u b o u t i n arthur elgort Pour durer dans la photographie de mode, faut-il ne pas se prendre au sérieux et avoir une bonne dose d’humour ? Arthur Elgort est américain, mais est passé par Paris, Londres, avant de revenir à New York, la ville où il est né en 1940. Elgort est un dinosaure, l’un des derniers, il représente un âge d’or de la photographie de mode, où toute l’équipe (plus de dix personnes en moyenne) pouvait aller shooter sur la rivière Li en Chine, dans la savane africaine, en Inde à dos d’éléphant, Kate Moss au Népal ou tout simplement arpenter l’Irlande, l’Écosse ou la campagne britannique ! De grosses productions, dont il résulte des images cultes, souvent naturelles… On y sent la bonne humeur, l’instantané que les pellicules argentiques permettaient. Et de la lumière naturelle ; qui shoote encore sans flash ? Avec Arthur Elgort, la frontière entre éditorial et photographie personnelle s’est estompée, de nombreuses images ont été prises en marge de shootings, comme celle archi-connue d’une femme qui marche dans une rue de New York passant sous un auvent d’immeuble et regardée par le portier assis sur une voiture, il s’agit d’une maquilleuse, Wendy Whitelaw, qui s’éloigne sur Park Avenue. « L’avantage avec la photographie, c’est que lorsque personne n’est prêt, que le maquilleur prend trop de temps, ou que le coiffeur tergiverse, vous pouvez toujours prendre une photo de quelqu’un ou de quelque chose d’autre. J’ai pris des centaines de mes photos les plus réussies alors qu’à proprement parler je ne travaillais pas : le mannequin en train de se préparer, des gens dans la rue, un instant volé entre deux shoots, c’est pendant ces moments-là que vous pouvez vraiment saisir la vérité des êtres. Ce sont des instants pendant lesquels on ne peut pas tricher. » Ce livre est une plongée en plus de 400 pages dans son monde, sans nostalgie, mais un monde qui s’en va… Alternant snapshots, reportages, portraits, on y croise des mannequins, mais aussi de nombreux artistes. Chaleur et humanité peuvent définir ses images ; ça existe encore ? Disons que c’est devenu plus rare. patrick remy Arthur Elgort, introduction de Grace Coddington, texte de Martin Harrisson, version française. Éd. 7L – Steidl. magazine 114 magazine 115 1. Gail, Yasmin, Christy & Linda, 1987, New York. 2. Azzedine Alaia show, 1986, Paris. 3. Aly Dunne and Marpessa, 1988, Paris. 4. Isabelle Townsend, 1987, Miami Beach. 5. Robin Mackintosh, 1988, Rome. 6. Karen Elson, 2003, New York. 7. Nadja Auermann, 1995, New York. Toutes les images © DR. abonnement citations Collection Abonnement Abonnement an numéros Abonnement an numéros Abonnement1111an an////4444numéros numéros Abonnement 1 anEurope / 4 numéros France 35 euros États-Unis, Asie 40 France 15 euros 3535 euros États-Unis, AsieAsie 40 euros euros France 15 euros -- Europe euros -- États-Unis, 40 France15 25euros eurosEurope Europe 35 euros États-Unis, Asie 45 euros euros France 25 euros Europe 35 euros - États-Unis, Asie 45 euros En En ligne sur magazinemagazine.fr En ligne sur magazinemagazine.fr Enligne lignesur surmagazinemagazine.fr magazinemagazine.fr En ligne sur magazinemagazine.fr a nrevue internationale sur le design graphique Compilées par w y n n dLa et la culture visuelle Ou Ou par chèque, l’ordre d’ACP l’adresse suivante Ou par chèque, l’ordre d’ACP l’adresse suivante Oupar parchèque, chèque,ààààl’ordre l’ordred’ACP d’ACPààààl’adresse l’adressesuivante suivante:::: Ou par Magazine, chèque, à l’ordre d’ACP àdel’adresse suivante : Paris ACP ACP 32 boulevard Strasbourg, 75010 ACP Magazine, 32 boulevard de Strasbourg, 75010 Paris ACP––––Magazine, Magazine,32 32boulevard boulevardde deStrasbourg, Strasbourg,75010 75010Paris Paris ACP – Magazine, 32 boulevard de Strasbourg, 75010 Paris Magazine n° 14 décembre, janvier, février paraîtra le Magazine 17, septembre, octobre, novembre paraîtra le 1er septembre 2014 Magazine n° 19, mars, avril, mai paraîtra le 2 mars 2015 Magazine n° 20, juin, juillet, août paraîtra le 6 juin 6 décembre. Magazine n° 20, juin, juillet, août paraîtra le 6 juin 2015 PROCHAIN NUMÉRO JANVIER / FÉVRIER 2015 É:223 Young people. Be careful. Beautiful things are disappearing every day. Be careful… You don't need to be shopping at fast fashion stores. You should even wear simple jeans and a T-shirt. It's enough. Don't be too much fashionable… The brand advertising is making you crazy. You don't need to be too sexy. You are sexy enough. Yamamoto Yohji Yamamoto « Jeunes gens. Attention. De belles choses disparaissent chaque jour. Faites attention… Vous n’avez pas besoin de consommer dans les boutiques de fast fashion. Vous ne devriez porter qu’un simple jean et un t-shirt. Ça suffit. Ne soyez pas trop à la mode… La publicité des marques vous rend fous. Vous n’avez pas besoin d’être aussi sexy. Vous êtes assez sexy. » Photography will make painting obsolete 16,80 € SORTIE LE 7 JANVIER Gustave Flaubert « La photographie rendra la peinture obsolete » S’ABONNER : WWW.ETAPES.COM NOUS SUIVRE : FACEBOOK - TWITTER - INSTAGRAM - PINTEREST m a g amagazine zmagazine i n e no13 magazine magazine 113 121 121 125 121 Agenda printemps 2015 mars 4 mars au 9 mai Pendant cette fashion week, la Galerie des Galeries présente « A r l e q u i n e », une exposition de l’artiste Karina Bisch combinant peinture, motifs et textile. Galeriedesgaleries.com 5 au 8 mars C’est au tour de l’Armory Show dans la ronde des f o i r e s d’art contemporain. Il vous manquait une excuse pour aller à New York ? Thearmoryshow.com/ 8 mars au 7 juin Pendant que vous êtes à New York, profitez-en pour aller visiter l’exposition consacrée à B j ö r k au MoMA reprenant tous les aspects de sa production. Moma.org/ 8 mars au 23 août Exposition « Jeanne L a n v i n » à Galliera, reprenant 100 modèles de la créatrice de la marque développée aujourd’hui par Alber Elbaz. Palaisgalliera.paris.fr/ 11 mars au 14 juin « Piero F o r n a s e t t i : la folie pratique », expo consacrée au peintre et décorateur dans la nef des Arts Déco. Lesartsdecoratifs.fr/ 12 mars au 12 avril Biennale internationale de design de S a i n t - É t i e n n e consacrée au sens du beau… Biennale-design.com/ 14 mars au 2 août Pour voir l’exposition rétrospective « S a v a g e B e a u t y » consacrée à Alexander McQueen, il faut aller à Londres, au V&A. Vam.ac.uk/ magazine 122 19 mars au 19 juillet « Yves Saint Laurent 1 9 7 1, la collection du scandale ». Exposition imaginée par Olivier Saillard, au titre explicite, à la fondation Pierre Bergé. Fondation-pb-ysl.net/ 25 au 29 mars Semaine des f o i r e s avec Art Paris au Grand Palais et PAD Paris au Jardin des Tuileries, Drawing Now Paris au Carreau du Temple et DDessin à l’Atelier Richelieu. Artparis.fr/ Pad-fairs.com/ Drawingnowparis.com/ Ddessinparis.com/ avril 1er avril au 3 août Exposition rétrospective « J e a n P a u l G a u l t i e r » au Grand Palais, après que le créateur ait décidé de cesser le prêt-à-porter. Grandpalais.fr/ 2 avril au 28 mai Cycle de films sur le thème du b l e u . De Pierrot le Fou à La Chambre bleue d’Amalric, de Blue Velvet à Kieslowski. Forumdesimages.fr/ 3 avril au 16 août Exposition « Oracles du d e s i g n » à la Gaîté Lyrique, à partir de la collection du Cnap organisée autour de dix thèmes par la commissaire Li Edelkoort. Gaite-lyrique.net/ 8 avril au 19 juillet Exposition « a n t o n i o n i » à la Cinémathèque : archives, rencontres et rétrospective intégrale. Cinematheque.fr/ 10 au 12 avril Rendez-vous du S a u t H e r m è s au Grand Palais : 6 épreuves, 4 000 spectateurs et une retransmission sur le parvis de l’Hôtel de Ville. Sauthermes.com/ 14 au 19 avril Salon du Meuble de M i l a n : du in, du off, des rencontres, des questions et des images qui s’impriment dans la mémoire, si tout va bien… Salonemilano.it/ 15 avril Every Thing Will Be Fine de Wim W e n d e r s , 2015, 118’. Retour du cinéaste allemand avec une fiction qui fait penser à ses débuts. James Franco et Charlotte Gainsbourg au générique. En salles. 17 au 26 avril Festival S e r i e s Mania, 6e du nom, devenu un rendez-vous prisé, dès lors que les bons scénaristes y ont fait leurs preuves. Forumdesimages.fr/ 23 au 27 avril 30e anniversaire du festival de H y è r e s , dont la direction artistique est en cette occasion assurée pa Chanel. Mais où est Jean-Pierre ? Villanoailles-hyeres.com/ 29 avril au 3 août Exposition « Mesure de l’homme » à Beaubourg consacrée à L e C o r b u s i e r , en référence à son Modulor. Centrepompidou.fr/ mai 1er au 3 mai Paris Photo Los Angeles, 2e. La f o i r e se tient dans les studios de la Paramount et compte bien faire son trou sur la côte ouest. Parisphoto.com/ 13 au 24 mai C’est l’heure de C a n n e s , 68e édition, avec les frères Coen en MC. Soirées, sponsors et projections. Festival-cannes.com/ 13 mai au 30 août « Images à la charge, la construction de la p r e u v e par l’image », ou des photos sans auteur : vues aériennes, scènes de crime… Le-bal.fr/ 22 au 24 mai Première édition du salon MAD (M u t i p l e A r t D a y ) organisé par le Cneai à la Maison Rouge et rassemblant une série d’éditeurs d’objets manufacturés : livres, vidéos, meubles… Cneai.com/ 28 au 31 mai Les Puces du Design se consacrent au mobilier paysager, comprendre l’o u t d o o r ou les meubles de jardin, piscine, etc. Bon, c’est à Bercy Village, qui est un faux paysage… Pucesdudesign.com/ 28 mai au 7 juin Reprise de la Q u i n z a i n e des réalisateurs cannoise dans son intégralité. Forumdesimages.fr/ Jusqu’au 19 juillet Dries Van Noten, inspiration. Vous avez manqué l’expo aux Arts Déco ? Séance de r a t t r a p a g e au musée de la Mode d’Anvers. Momu.be/ D A N S L’ Œ I L D U F L  N E U R Hermes.com