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L'Afrique dans la mondialisation Sylvie Brunel Introduction : * Images de l'Afrique Pour le plus grand nombre, l’Afrique est le continent du malheur et de l'échec : guerres civiles, sécheresses, maladies, pauvreté, enfants soldats, corruption, dictature, gouvernements fantoches. Le continent tout entier est gratifié d'un jugement spécial, un mélange de pitié et de répulsion. Cette image de l'Afrique a été tour à tour construite par les représentations qui nous étaient données. Durant la colonisation tout d'abord, l'Afrique apparaissait comme une terre sauvage, tribale, peuplée de pauvres petits noirs païens, non civilisés, non éduqués et sous-développés. Il était du devoir du colon blanc, militaire, professeur ou missionnaire de prendre en main ces enfants par un bon paternalisme supérieur. Puis les ONG ont pris le relai. Dans leurs campagnes pour collecter des fonds, ou "sensibilisation" est confondue avec "propagande", l'Afrique n'est personnalisée que dans l'enfant rachitique aux yeux implorants et la mère désespérée qui attend l'aide du bon Samaritain, ce blanc accourant stéthoscope au coup. Les médias ont souvent travaillé de concert avec les ONG, participant à la caricature du continent : l'Afrique est synonyme de tous les drames, génocides violents, gouvernements incapables et totalitaires... Il suffit de regarder, même dernièrement, les situations pour lesquelles l'Afrique fut présente dans les gros titres de nos journaux européens : Boko Haram au Nigeria, Ebola. Enfin, lorsqu'on feuillette les catalogues des tours opérateurs, l'Afrique devient un immense zoo à ciel ouvert, où des peuples authentiques préservés de la mondialisation, dansent, chantent et pratiques de curieux rites en tenues ethniques. Il faudrait que rien ne change, que le territoire devienne une réserve zoologique et un musée anthropologique, ce serait si dommage de tout perdre. * Regards de géographes Evidemment, ces visions ne sont pas totalement fausses : le développement de l'Afrique est inférieur au reste du monde. Rien qu'à regarder les indices de développement : 1 pauvre sur 3 est africain, sur 48 PMA (Pays les Moins Avancés) 34 sont en Afrique (sur 53 états africains, soit plus de la moitié), son PIB moyen représente 2.6 % du PIB mondial (bien que celui-ci ne soit pas fiable, car la plupart des échanges en Afrique ne sont pas comptabilisés, c'est un échange de proximité, sur des petits marchés, "Sinon nous serions tous morts"), son IDH varie surtout entre 0.5 et 0.3 bien que l'Afrique du Sud, l'Égypte ou l'Algérie soient au-dessus. Ces dernières années, sur 53 pays, 35 ont connu des guerres civiles. 38% des adultes africains sont analphabètes et l'espérance de vie varie entre 35 et 55 ans, une forte contamination du sida étant le principal facteur. Mais l'Afrique est tout d'abord une Afrique plurielle. Par sa grande diversité de climat d’abord où la tropicalité alterne avec des climats tempérés, montagnards, méditerranéens et désertiques puisque le Sahara représente le plus grand désert du monde. 40 % de la superficie du continent se caractérise par le manque ou l'absence d'eau. Mais, au contraire, des régions comme le bassin du Nil abondent et les crues y faisaient même ravage avant la construction de barrages. Le problème de cette eau est qu'elle est inégalement répartie et mal ou pas du tout exploitée. Ensuite, l'Afrique présente d'importants contrastes économiques. Les pauvres sont extrêmement pauvres et les riches sont extrêmement riches. 35 PMA (Pays les moins avancés, caractérisés par une économie peu spécialisée et un faible niveau de revenu par habitant) côtoient des pays en développement intégrés dans la mondialisation comme le Cameroun, le Sénégal, le Nigeria ou le Bénin (Lions africains). Les pays du Maghreb, l'Égypte, l'Ile Maurice, le Botswana et bien sûr l'Afrique de Sud sont des pays émergeants qui présentent bien des aspects de pays développés. Et l'Afrique change. À travers 3 études de cas réparties dans 3 thématiques différentes par Sylvie Brunel, nous tenterons de voir que l'Afrique s'ancre de plus en plus dans la mondialisation. Nous aborderons donc la décennie du chaos avec la crise de l'État pour parler des conflits internes. Ensuite nous exploiterons l'exemple de la capitale kenyane Nairobi, une métropole africaine dans un souci d'aborder les enjeux sociaux du développement. Enfin, concernant la mondialisation de l'Afrique, nous verrons le tourisme africain sous ses différentes formes. La crise de la dette et la décennie du chaos (1991-2001) Cette décennie de conflits, famines et exils est historiquement datée. Elle débute en 1991 avec la fin de la Guerre Froide, et la disparition officielle de l'Union soviétique, et prend fin en 2001 avec les attentats terroristes du World Trade Center. Que s'est-il passé ? Petit retour en arrière. Jusqu'en 1980, tout va bien. Les deux blocs (États-Unis/URSS + alliés) qui dominent ce monde bipolaire, en compétition, investissent massivement dans le monde pour s'assurer des soutiens, suivant des calculs géopolitiques bien pensés. L'Afrique, entre autres, est destinataire. De plus, malgré l'Indépendance, les jeunes États, qui prennent la suite des États coloniaux, maintiennent des liens étroits avec leurs anciennes colonies. En échange de leur allégeance, les jeunes gouvernements reçoivent une aide financière et militaire. La pluviosité est bonne ce qui garantit des recettes d'exportation suffisante au paysan. Le monde connait une période de développement lors des Trente Glorieuses dont bénéficie également l'Afrique. D'ambitieux programmes de développement se lancent : on construit des routes, des écoles, des hôpitaux, des aéroports, usines, palais pour les dirigeants aussi. Les taux d'intérêt réels sont négatifs ce qui garantit un endettement indolore. Les banques internationales, soucieuses de recycler l'argent du pétrole, sont prêtes à financer n'importe quel programme pourvu qu'ils procurent de gros contrats aux entreprises occidentales, confrontées à la montée du chômage. "L'Afrique vit au-dessus de ses moyens avec la bénédiction internationale". Pourtant René Dumont avait déjà tiré la sonnette d'alarme en 1962 en prévenant que l'Afrique était "mal partie". 1980. Retournement de situation après le second choc pétrolier. Le cours des matières premières s'effondre. Un changement de la politique monétaire aux États-Unis renchérit brutalement le coût du crédit. La dette africaine devient insupportable d'autant que les caisses sont vides car l'argent gagné durant les belles années a été largement dilapidé dans des dépenses de consommation, dans des projets pharaoniques ou cachés à l'étranger par les dirigeants. L'État ne peut même plus maintenir sa fonction redistributive. Les fonctionnaires ne sont plus payés, les années "blanches" (sans cours et sans examen) se multiplient dans l'enseignement. Les uns après les autres, les États se placent sous la tutelle des organisations financières internationales. Pour avoir accès au crédit international, ils doivent se plier à des "plans d'ajustement structurel". La faillite des États fait entrer l'Afrique dans la "décennie du chaos". En quelques années ils perdent l'essentiel de leurs moyens financiers dont les trois principales rentes dont ils bénéficiaient. À savoir la rente des matières premières (le rapport entre le prix des produits exportés, matières premières avant tout, et le prix des produits importés, manufacturés et alimentaires essentiellement, atteint 50% par rapport aux années 60) ; la rente des financements privés (plus personne ne veut prêter à l'Afrique discréditée. Désormais les capitaux privés se raréfient en direction des pays en développement, l'Asie de l'Est étant la seule exception à la règle) et la rente stratégique (l'Aide Publique au Développement, APD, autrefois délivrée les yeux fermés selon des calculs géopolitiques par les deux blocs, chute de plus du tiers entre 1991 et 2001 et se redéploie vers les Etats d'Europe centrale et orientale. L'État africain s'effondre car obligé de "dégraisser la fonction publique", fermer ou privatiser les entreprises publiques (ce qui entraîne un chômage de masse) et supprimer bourses et subventions. Le nombre de personnes vivant sous le seuil de pauvreté explose, augmentant de 150 millions d'individus entre 1981 et 2001, alors qu'il régresse partout ailleurs dans le monde. En 1980, 1 pauvre sur 10 était africain. En 2000 c'est 1 pauvre sur 3. Le passage brutal à la démocratie et au multipartisme ne permet pas d'élever de nouveaux gouvernements stables, capables de redresser l'économie, résister aux partis opposants déchaînés, à la presse toute nouvellement libérée qui rattrape le temps perdu, et redonner espoir aux jeunes générations sans perspective. Dans les mégalopoles, le taux de chômage passe selon le BIT, de 10% de la population en 1970 à 18% en 1990, 30% en 2000. La guerre devient pour beaucoup plus intéressante que la paix car permet de se procurer plus rapidement des richesses. Les guerres civiles se multiplient. Pendant la décennie du chaos, 35 pays africains sur 53 connaissent des affrontements internes, 25 millions de personnes sont chassées de leurs foyers et dépendent d'une assistance extérieure pour leur survie. Les famines et la sécheresse se multiplient car l'Afrique entre dans un cycle de mauvaises pluviosités entre 70 et 90. La pauvreté amène comme lors d'un cercle vicieux épidémies, guerres et le terrible génocide de 1994 au Rwanda. Les ONG et grandes opérations d'assistance humanitaire enferment l'Afrique dans un statut de victime. Certains représentants abusent de cette aide et exposent exprès leurs populations à la famine et aux déplacements forcés pour intensifier cette aide. Celle-ci, détournée, devient un formidable rendement pour leurs guérillas. L'Afrique cherche un responsable à son malheur et accuse l'Occident de l'avoir pillée, abandonnée et celui-ci doit se repentir pour tous les maux historiques (traite des Noirs et esclavagisme, colonisation, injustices et inégalités économiques). Par d'habiles campagnes de propagande, les gouvernements s'exonèrent de toutes responsabilités auprès de leurs peuples en alimentant la rancoeur contre l'Occident et ainsi ne pas devoir rendre de comptes. Mais les changements surviennent dès la fin des années 90. Les raisons sont les menaces sur la sécurité mondiale, l'enjeu de l'approvisionnement en pétrole et l'émergence de nouveaux marchés. Ainsi, les États se rendent compte que délaisser l'Afrique au désordre des guerres civiles menace la sécurité mondiale. En raison de l'effondrement des États, des groupes armés prennent le contrôle et prolifèrent sur ces terrare incognitae, propices au trafic d'armes, drogue, diamants comme au Sierra Leone "blood diamonds", et terrain d'entraînement pour les ramifications de groupes islamistes basés en Afghanistan. De plus, à cause de la pauvreté, de nouvelles maladies apparaissent comme le sida, dont l'Afrique est le premier réservoir mondial, Ebola, la maladie de Marburg... "Or la mondialisation signifie que les hommes, les marchandises... et les virus circulent plus vite". Ensuite, l'émergence de la Chine et de l'Inde, gros consommateurs d'énergie car en plein développement, et donc de pétrole, entrent sur la scène internationale faisant pression sur les ressources énergétiques. "Or l'Afrique possède du pétrole, beaucoup de pétrole". Les États-Unis se lancent donc dans une "diplomatie stratégique" dont le but est de sécuriser et exploiter les puits de pétrole. D'autant plus intéressants que ceux-ci donnent sur l'Atlantique, sur des routes déjà expérimentées lors de la traite négrière, sont le plus souvent off-shore et les gouvernements sont plus conciliants que ceux du Moyen-Orient. Sur 53 pays, seuls 8 semblent ne pas en avoir du tout dans leur sol. De plus, le marché africain avec ses 870 millions d'individus, soit presque deux fois et demie la population américaine ne doit pas être négligé. D'autant que les stratégies de réduction de la dette ont fait émerger une classe d'entrepreneurs privés. La croissance démographique importante et l'urbanisation laissent envisager une demande de plus en plus croissante. Aussi les États-Unis lancent un partenariat commercial avec les États africains qui acceptent d'ouvrir leurs marchés aux entreprises américaines et en échange les États-Unis achètent leurs exportations, qui consiste surtout à de la matière première. Ils appliquent ainsi la stratégie "trade, not aid", "le commerce, pas l'aide" slogan de la CNUCED en 1974. Aussi, l'Afrique renoue avec la croissance. L'aide publique (0.2% des PNB des PNB des pays de l'OCDE en 2002, pic minimal historique) retrouve ses niveaux d'avant la crise. Le continent revient au centre des attentions internationales. Le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) avait en effet montré qu'en matière de santé maternelle, infantile, d'éducation et de lutte contre la faim, les "Objectifs du millénaire" affirmés par les Nations Unies en 2000 n'avaient aucune chance d'être atteints à ce rythme avant le vingt-deuxième siècle. De plus, l'Afrique bénéficie de mesures de désendettement exceptionnelles pour relancer la croissance. Suivant l'initiative des PTPE (Pays très pauvres endettés) créée en 1996, le G7 efface en 2005 40 milliards de "créances multilatérales" auprès des institutions financières, Banque mondiale, FMI et Banque africaine de développement. Sur 18 pays bénéficiaires, 14 sont africains. L'amélioration de la situation économique mène le continent sur la voie de la pacification. Des accords de paix, vivement soutenus par la communauté internationale sont signés. Des troupes onusiennes mais aussi des troupes africaines pour le maintien de la paix remplacent les troupes françaises, britanniques et américaines pour assurer la paix sur les zones frontalières. Renait ensuite le panafricanisme, cette volonté de construire une Afrique unie, pour assurer la paix et peser sur la scène internationale, sur le modèle de l'Union européenne. En 2002, l'Union africaine remplace l'OUA, l'Organisation de l'Unité Africaine créée en 1963. Beaucoup se créent, témoignant parfois par leur nombre, de l'inefficacité et de la non nécessité d'un bon nombre d'entre elles. Cependant, 5 institutions paraissent plus avancées que les autres : l'UMA (l'Union du Maghreb arabe), la CEDEO (Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest), la CEEAC (Communauté économique des États d'Afrique centrale), le COMESA (Marché Commun de l'Afrique australe et orientale) et la SADC (Southern African Development Community). Mais un véritable marché commun n'est pas encore parvenu à être créé. Ainsi, la décennie du chaos provoquée par la crise de l'État est bel et bien finie ce qui permet à l'Afrique de revenir au centre des plans d'aide internationale. Grâce à différentes mesures, dont l'annulation d'une grosse partie de sa dette et l'établissement de nouveaux partenariats économiques, l'Afrique a repris le chemin de la croissance. Une pacification et une amélioration de l'hygiène et du niveau de vie ont suivi. Mais il reste encore beaucoup de chemin à parcourir. Nairobi : une métropole africaine La contemplation de la capitale kenyane où se côtoient un centre d'affaires moderne et bidonvilles informels, donne l'exemple d'une "métropole intertropicale typique". La croissance côtoie la misère. Le plan ségrégationniste même de la ville démontre un développement bien inégalitaire et ségrégé. Mais au moins y-a-t-il développement. Nairobi est créée à la fin du XIXe siècle par les Britanniques, ville-étape sur le chemin de fer Mombasa-Kampala. Le site d'altitude, pourvu en rivières, se révèle insalubre et pousse les Européens à s'établir sur les collines. La métropole connait une croissance rapide et devient vite la première ville du pays, passant de 5 000 habitants en 1905 à 2.5 millions d'habitants aujourd'hui. La ville continue de grandir au rythme de 5% par an. L'accroissement naturel de la population jeune est plus déterminant que l'exode rural pourtant croissant. La ségrégation urbaine inspirée du modèle sud-africain qui avait déterminé le plan de la ville à l'origine est toujours observable. Il y a pourtant eu transition d'une ségrégation raciale (Blancs isolés des "indigènes") vers une ségrégation sociale (Riches isolés des pauvres). Ainsi, au centre de la ville, le Central Business District est caractéristique d'un quartier développé avec ses hautes tours de bureau et ses larges avenues bordées d'arbres, héritage britannique. Autour, s'étendent les quartiers populaires, des petites bâtisses basses avec jardin domestique puis à perte de vue, les fabriques informelles et illégales en tôle et matériaux de récupérations qui grignotent peu à peu chaque interstice. Plus de la moitié des habitants de Nairobi s'entassent sur 5% de la périphérie urbaine. L'habitat du centre diminue car les prix deviennent trop élevés alors que l'habitat en périphérie ne cesse d'augmenter et de plus en plus loin. Les derniers arrivés se contentent d'emplacements à la bordure extérieure, occasionnant des migrations pendulaires longues et coûteuses. Ces zones d'habitations spontanées et illégales connaissent les difficultés classiques : absence d'égout, électricité et accès à l'eau potable, voieries défoncées, fortes densités entrainant tensions et mauvaises questions sanitaires. La corruption détourne en plus les crédits destinés à améliorer le quartier. Les migrants ont tendance à se regrouper par communauté, Luos, Kikuyus et Luhyas principalement. Chaque sécheresse en amène des nouveaux, surtout en provenance du nord-est du pays. Ces minorités politiques et ethniques connaissent des situations encore plus difficiles. La population très jeune pose le problème de l'emploi. Comme dans toutes les grandes villes africaines, un décrochage s'est produit à partir de la fin des années 70 entre croissance urbaine et emploi. S'ensuit donc chômage croissant alors que le coût de la vie en ville est important. Moins de 30% de la population dispose d'un emploi salarié.