(fusion des cultures otaku et geek) dans l`art numérique.
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(fusion des cultures otaku et geek) dans l`art numérique.
Université Paris 8 UFR Arts, philosophie, esthétique, département arts plastiques Master 2 : théorie et pratique de l’art contemporain et des nouveaux médias Daste Sophie 229512 Successions d’empreintes de la culture Peter Pan (fusion des cultures otaku et geek) dans l’art numérique. Sous la direction de J. L. BOISSIER Faut-il être versé dans ces nouveaux codes pour comprendre ces œuvres de l’art numérique ? Année 2007-2008 SOMMAIRE 2 Introduction p. 4 I. De la culture de masses populaires dans l’art et dans le numérique en particulier. 1). Plus clair. p. 8 - 37 . 9 -15 a- Des définitions. . 9 b- Associations. . 11 c- Une affaire politique. . 12 2). La culture otaku. a- Quelques clefs… . 15 -28 . 16 b- L’otaku dans les mass media. . 22 c- L’otaku et l’art. . 24 3)- La culture geek. . 29-37 a- Geek/Nerd. . 29 b- Au cœur de l’univers geek. . 31 c- Du geek et des oeuvres. . 34 II. Le jeu (vidéo)- Gaming. 1). Gamer/Player/joueur. p. 38 - 77 . 40-51 a- Quel est le jeu ? . 40 b- Le cosplayer est-il un player ? . 42 c- Le gamer du video game. . 44 2). Suivre le bon sentier. a- Le mythe de la carte au trésor. . 52-63 . 52 b- Map et Mapping. . 56 c- Le GPS, la carte de l’art numérique. . 61 3)- L’omniprésence du jeu. a- La référence au jeu vidéo dans l’art numérique. . 64-77 . 64 b- Le spectateur joueur de pièces numériques. . 71 c- L’artiste numérique gamer. . 75 III. Au-delà du réel 1). La fiction comme fil d’Ariane de l’art numérique. p. 78 - 113 . 79 -92 a- Cartographie des fictions de la culture Peter Pan. . 79 b- Univers fictionnel dans l’art. . 86 c- Le fake, au petit jeu des semblants… . 90 2). A travers le miroir numérique. . 93 -98 a- La boite. . 93 b- Mimétismes. . 95 3)- Quête identitaire. . 98-113 a- We are robots. . 98 b- La télé réalité. . 104 c- L’artiste numérique et la machine. . 107 Conclusion p. 114 ANNEXES p. 118 3 INTRODUCTION 4 Culture populaire, culture de masse, culture de masses populaires… quelle est la meilleure terminologie pour désigner une culture issue du peuple rencontrant un grand succès auprès du peuple, qui ne soit ni un phénomène générationnel, ni nationaliste ? J’étudierai dans la première partie, les définitions des mots ‘culture’, ‘masse’, ‘populaire’ en passant par l’anglicisme ‘pop’. Suite à ces interrogations linguistiques, je me pencherai sur l’étude de la culture otaku, point de départ de la pop culture japonaise. Pour m’intéresser au phénomène plus occidentale de la culture geek. La culture Peter Pan est née du concept de la fusion des cultures nationalistes otaku et geek. Mais qu’est-ce au juste qu’un Otaku ou un Geek. Ces termes aux consonances étrangères ont sonné de temps à autre à nos oreilles mais les avons- nous compris dans leur intégralité ? Je tenterai de brosser un portrait clair de chacun afin de dégager les aspects culturels de leur univers. On verra que chacune des deux cultures laissent des empreintes dans l’univers de l’art numérique, comme les Cosplayers de Cao Fei, arpentant le bitume habillés en super héros ou bien Speech de Mickaël Sellam, qui illustre le discours de la déclaration de guerre en Irak du président américain, par des images de jeux vidéo de simulation de guerre en Irak. Ces jeux en ligne sont étudiés de très près par les militaires afin de recruter des soldats et grossir ainsi les rangs de l’armée. Dans la deuxième partie, je suivrai les traces de la culture Peter Pan jusqu’au terrain de jeu de l’art numérique, où je démêlerai à l’aide de Jeu et Réalité de Winnicott les fils nouant le mot français ‘jeu’ avec les deux mots anglais ‘game’ et ‘play’. Je m’attarderai sur la figure du Cosplayer pour pouvoir mieux comprendre le cosplay. Je porterai ensuite attention au Video Gamer, pour assimiler ses codes représentatifs et sa technicité. Les empreintes laissées nous mènent sur le chemin mythique des cartes où nous partirons d’abord à la recherche d’un trésor laissé à notre encontre par Stevenson sur l’Ile de Paradis(version1.5), la vision virtuelle de l’Ile au trésor du collectif Ultralab. Où nous parcourons les couloirs numérisés du musée du Jeu de Paume recherchant la croix, point d’ancrage de la cachette… et découvrirons la face cachée de l’île paradisiaque. Nous verrons qu’il existe beaucoup de sortes de cartes dans les jeux vidéo, appelées ‘map’. Le ‘mapping’ est une technique qui texture l’environnement numérisé, si on maîtrise cette technique, on est capable de réaliser des modifications (mods) dans un jeu, comme afficher la paix par des mods en temps de guerre pixélisée avec le collectif Velvet Strike. 5 La version hight tech de la carte est le GPS, nous étudierons la volonté de saisir le déplacement dans son ensemble spatio-temporel à travers deux œuvres GPS emblématiques, les Fields@works de l’artiste japonais Masaki Fujihata et les GPSMovies de Daniel Sciboz, Liliane Terrier et Jean-Louis Boissier. Puis les empreintes telles des pas nous entraînent à vouloir faire sienne une femme en remportant un duel électronique contre son frère, dans The Intruder de Nathalie Bookchin, adaptée de la nouvelle L’Intruse de Gorge Luis Borges. Ou à chercher l’issue tout autant improbable qu’introuvable du château renumérisé en SOD par Jodi.org. Ou encore grâce à l’utilisation d’un game play de video gamer, à se promener dans le safari photo particulier de Maurice Benayoun. Nous parlerons ensuite du spect-acteur de Jean-Louis Weissberg pour nous interroger à travers des exemples précis, sur le spect-acteur comme déclencheur de l’action, le spectacteur déambulateur, le spect-acteur entravé, le spect-acteur leurré et le spect-acteur hacker. Je terminerai cette deuxième partie consacrée aux games, en étudiant la figure de l’artiste numérique gamer. Dans la dernière partie les traces de la culture Peter Pan dans l’art numérique vont au-delà du réel, elles pénètrent au cœur de la fiction. Je dresserai une cartographie des fictions de la culture Peter Pan, pour pouvoir étudier son impact dans le monde de l’art numérique. Je présenterai le projet Ann Lee de Pierre Hyughe et de Philippe Parreno, comme un réservoir à fiction. Et je regarderai attentivement tel Big Brother au travers des cameras de télé-surveillance du film fictionnel, FACELESS de l’artiste Manu Luksch. Je m’attarderai sur le fake comme symbole de fiction, au travers du magazine fake du mois de juin, le Chronic’art #46. Je reparlerai de l’histoire « des cartons piégés » du collectif Ultralab et du projet de transformer une place viennoise à l’effigie du géant américain de la chaussure de sport du couple Eva et Franco Mattes. A travers le miroir numérique, j’essaierai de voir le cheminement du passage initiatique au travers de la symbolique boîte, objet récurrent des œuvres de science-fiction. Je présenterai la technologie SAS cube comme boîte à numériser. Je m’intéresserai aux modes d’apprentissage par mimétisme aux travers des femmes virtuelles de Michel Bret et Marie-Hélène Tramus et au concept expérimental d'Edmond Couchot de seconde interactivité. Je regarderai aussi dans la seconde vie virtuelle les Synthetic Performance du couple d’artistes Mattes. 6 Dans le dernier point, j’étudierai le thème de l’identité. Les traces mènent vers Maria, le robot de Metropolis qui a laissé ses empreintes un peu partout… comme dans l’univers fictionnel du manga cyberpunk marquant ainsi une liaison avec les illustrations vectorielles géantes de l’artiste Chiho Aoshima qui représentent une jeune fille connectée au réseau d’une ville hybride mi-monstre mi-technologie. Dans ce dédale le film de Ridley Scoot Blade Runner se fraye par un chemin, qui interroge l’humain sur la nature des cyborgs, thème appuyé par la série télévisée Battlestar Galactica, remake de la série Galactica. Dans la télé réalité cette question se pose aussi, puisque les candidats apparaissent robotisés suivant un scénario précis sous couvert de réalité. Je m’interrogerai sur la recherche identitaire des joueurs de télé réalité à travers une citation d’Anne Cauquelin. Je conclurai cette partie en parlant du lien qui unit l’artiste numérique à la machine. Je commencerai par rappeler le principe de saisie à travers des textes de Jean-Louis Boissier et aborderai la définition de l’interactivité et du numérique. J’évoquerai pour terminer, l’image de l’artiste cyborg à travers les expérimentations de l’artiste australien Stelarc. Pendant toute la recherche je poserai la question suivante : Faut-il être versé dans ces nouveaux codes pour comprendre ces œuvres de l’art numérique ? 7 I. DE LA CULTURE DE MASSES POPULAIRES DANS L’ART ET DANS LE NUMERIQUE EN PARTICULIER. 8 I. De la culture de masses populaires dans l’art et dans le numérique en particulier. Dans cette première partie consacrée à la culture des masses populaires dans l’art numérique, je commencerai par définir les termes ‘culture’, ‘masse’ et ‘populaire’ afin de mieux en comprendre les enjeux. Puis j’expliquerai brièvement le contexte politique qui s’y rattache. Je m’attarderai principalement sur l’essai de Azuma Hiroki, traitant de la culture otaku comme l’enfant du postmodernisme, que j’argumenterai d’exemples de pièces d’art contemporain. Culture, que je mettrai en parallèle dans le troisième et dernier point avec la culture geek. Pour en arriver au concept d’un type de sous-culture englobant la culture otaku et la culture geek que je nommerai la culture Peter Pan. 1). Plus clair1 : Dans ce premier point, la première partie sera consacrée aux définitions. La deuxième partie définira le bien-fondé de l’expression culture de masse populaire. La dernière partie sera divisée en deux points pour analyser la culture de masse populaire à travers le modernisme et la postmodernité. a- Des définitions La première question est : qu’est ce que la culture des masses populaires ? Afin d’essayer d’y répondre de manière objective, j’ai relevé les définitions de ces mots clefs dans le dictionnaire, Le Grand Robert. Tout d’abord la définition du mot culture. Le premier sens étant consacrée à la culture agricole, nous nous attarderons sur le second : CULTURE n. f. _ V.1150,( colture; lat. cultura, de cultum, supin de colere « cultiver ».). 1 Référence à l’émission d’information sur l’actualité des médias + clair de Canal +, dont le sommaire de l’émission du 14 juin 2008, représente les présentatrices phares du petit écran dans un pacman qui se font éliminées par TF1 (Anne-Sophie Lapix qui part dès la rentrée sur canal +). 9 II. Fig. 2° (1810, Mme de Staël ; 1796, dans une trad. de Kant ; de l’all. kultur « civilisation », de même orig. que franç. culture). Ensemble des aspects intellectuels d’une civilisation.2 Reste alors à définir cette civilisation. Est-elle ‘de masse’ ou ‘populaire’ ou les deux? MASSE n. f._ V. 1050 ; lat. massa, du grec Maza « pâte » ; encore utilisé en ce sens au XVIIe, mais la plupart des sens actuels sont très anciens. II. En parlant d’êtres vivants 2° Multitude (de personnes) constituant un vaste corps, un ensemble permanent. […] La masse humaine ( culturel […]). Les masses populaires, laborieuses. [quelques citations :] 21 (…) l’ascension constante des masses populaires vers les hauteurs sociales (…) BALZAC, Le Curé de Village, Pl. , t. VIII, P. 602. 23 (…) il est à souhaiter que des hommes de talent n’oublient pas l’excellence du grandiose et de l’idéal dans tout art qui s’adresse aux masses. Les masses ont l’instinct de l’idéal. HUGO, Littérature et Philosophie mêlées But de cette publication (1834).3 Les exemples de la définition du mot ‘masse’ dans le dictionnaire Le Petit Robert4 sont : Civilisation de masse, culture de masse […] LES MASSES (fin XVIIIe) : les couches populaires. Dans Le Petit Robert, on nous parle de la culture de masse, la masse représentant une multitude de personnes constituant un ensemble permanent. Il effectue aussi le lien avec le mot ‘populaire’. POPULAIRE adj. Et n. _ XIIe, Populeir ; lat. popularis Relatif, propre au peuple*. 2 ROBERT P. REY A. dir. Le Grand Robert De La Langue Française Volume 2, Dictionnaires Le Robert, Paris, 2001, 2230 pages, P. 900. 3 ROBERT P. REY A. dir. Le Grand Robert De La Langue Française Volume 4, Dictionnaires Le Robert, Paris, 2001, 2230 pages, P. 1236. 10 Qui constitue le peuple. Les masses populaires Masse (cit. 21). 2° Propre au peuple ; usité, répandre parmi le peuple. Croyances, foi, traditions, opinions, légendes (cit. 1), mythes… populaires […] A l’usage du peuple (sans émaner nécessairement d’hommes du peuple). Littérature populaire (initiatique, cit) Roman, conte, drame populaire. […] Art, imagerie, […] Art populaire […] Qui s’adresse au peuple et reste à sa portée.5 Les croyances, foi, opinions et autres mythes ainsi que l’art… ne sont-ils pas des aspects qualifiés intellectuels de la civilisation populaire ? Peut-on parler aussi de ‘culture populaire’ ? J’ai aussi cherché la définition de ‘pop’ : POP – adj. Invar. Et n. m ou f. _ V. 1955 ; mot angl. Des Etats-Unis, de popular « populaire » Pop Art.6 Au Japon, l’expression pop culture japonaise, caractérise la culture jeune du Japon, il en est de même pour la Corée du Sud où on parle de pop culture coréenne. b- Associations On parle des masses populaires, donc il en existe plusieurs : masse est ici le nom et populaire est utilisé en temps qu’adjectif. Il s’agit donc dans le cas présent de plusieurs ensembles permanents constitués chacun par une multitude de personnes qualifiés de populaires, donc qui ont un trait au le peuple. On peut en déduire que la culture de masses populaires est l’ensemble des aspects intellectuels qui sont ici qualifiés de populaires d’une civilisation qui est constituée par la masse. La culture de masse et la culture populaire sont très proche de cette définition mais peuvent paraître incomplète, car s’il y a des similitudes, masse et populaire ne sont 4 ROBERT P. REY A. dir. Le Petit Robert De La Langue Française, Dictionnaires Le Robert, Paris, 1995, 1990 pages, P. 868. 5 ROBERT P. REY A. dir. Le Grand Robert De La Langue Française Volume 5, Dictionnaires Le Robert, Paris, 2001, 2230 pages, P. 952. 6 ROBERT P. REY A. dir. Le Grand Robert De La Langue Française Volume 5, Dictionnaires Le Robert, Paris, 2001, 2230 pages, P. 950. 11 pas exactement synonymes, même si le substantif et l’adjectif sont employés dans plusieurs ouvrages sans distinction. La culture populaire est liée au peuple, c’est la culture du peuple, la culture de masse est liée plutôt à notre société. Le suffixe –aire ajouté à la racine popul, indique ‘qui appartient au peuple’. Par extension quelque chose de qualifié de populaire apparaît comme plaisant au peuple, alors que cela veut juste dire appartenant au peuple, personne du peuple, quelqu’un qualifié de populaire est juste une personne du peuple. Donc l’impopularité est le rejet de l’appartenance d’une chose ou d’une personne au peuple. Le terme culture de masse est plus intéressant que celui de culture populaire dans le domaine artistique. Mais l’association des deux, peuple et société constitue une définition de civilisation. Les expressions culture populaire et culture de masse sont souvent employées sans grande distinction, elles représentent une culture étroitement liée au mœurs du peuple. Le terme ‘masse’ est intéressant par rapport à son lien aujourd’hui avec les mass média. Celui de ‘populaire’ est intéressant par rapport à sa contraction en ‘pop’, qui a donné entre autre le Pop Art, la Pop Music, la Pop Culture Japonaise et la JPop Music (la musique contemporaine nippone qui vise le public jeune)... Les deux termes sont ancrés dans une actualité du présent, du contemporain par deux liens différents et complémentaires, une sorte de combinaison d’une culture pop associée à une culture mass média. c- Une affaire politique. Mass Culture Reconsidered Dans l’avant-propos rédigé par Jean-Claude Michéa introduisant l’essai de Christopher Lasch, Culture de Masse ou Culture Populaire ?, il définit l’arrivée de ce type de culture comme une évidence au sein du monde capitaliste, « de fait, l’édification méthodique d’une culture de masse, c’est à dire d’un ensemble d’œuvres, d’objets et d’attitudes, conçus et fabriqués selon les lois de l’industrie, et imposés aux 12 hommes comme n’importe quelle autres marchandises, a sans doute constitué l’un des aspects les plus prévisibles du développement capitaliste »7. Dans cet essai, Christopher Lasch fait le point autour du thème ‘culture de masse’8. « Le présent essai entend sortir la discussion sur la ‘culture de masse’ des ornières où elle s’est embourbée depuis les années quarante et cinquante »9. Christopher Lasch pointe du doigt Dwight Macdonald, Irving Howe, T.W Adorno, Max Horkheimer, Léo Lowenenthal et les autres critiques qui émettaient comme idée que les cultures de masse s’étaient libérées de leur soumission que pour devenir esclaves de la société de consommation générée par les média. « Cette critique de la culture de masse présentait de nombreux points faibles, qui permirent aux écrivains des années soixante et soixante-dix de la rejeter plutôt que de chercher à la perfectionner et la reformuler. Ceux qui attaquaient la culture de masse faisaient en effet souvent preuve d’une compréhension réduite de l’art populaire »10. Christopher Lasch démontre ensuite que l’argumentation de Herbert J. Gans11 n’a aucun sens puisque Herbert J. Gans se fourvoie en réduisant le concept de la culture. Dans son essai, Christopher Lasch reprend toutes les critiques, pensées et autres écrits consacrés à la culture de masse, pour pouvoir les décortiquer. Il met en évidence l’absurdité de ces précédents écrits, et échafaude au fur et à mesure de ses critiques une argumentation, « Maintenant que l’histoire moderne commence ellemême à reculer dans le passé, nous sommes en mesure de constater que le modernisme artistique était beaucoup plus profondément lié à la tradition que ne l’on cru les pionniers du modernisme ; et le même constat vaut pour la culture moderne prise dans son ensemble. »12 La postmodernité « La pensée postmoderniste est née en France dans les années 1960, s’est développée aux Etats-Unis dans les années 1970, et a été importée au Japon dans les années 1980. Fondée sur des apports du structuralisme, du marxisme, de l’analyse de la société de consommation et de la philosophie critique, il s’agissait au départ d’une théorie si complexe et ardue qu’elle n’a d’abord circulé que dans le cadre 7 LASCH C . culture de masse ou culture populaire ?, Climats, Cahors, 2001, 71 pages, p.8. le titre original de l’essai est Mass Culture reconsidered. 9 LASCH C . culture de masse ou culture populaire ?, Climats, Cahors, 2001, 71 pages, p.29-30. 10 LASCH C . culture de masse ou culture populaire ?, Climats ,Cahors, 2001, 71 pages, p. 30. 11 H. J ; Gans est un sociologue américain, né en 1927, il a été professeur à l’université de Columbia. 8 13 strictement universitaire. Cependant, vers le milieux des années 1980, elle s’est répandue au Japon hors du champ académique, devenant une philosophie à la mode chez les jeunes générations » 13 Cette pensée postmoderniste, c’est transformée en sorte de mode médiatisée au Japon, diffusant comme idée principale que le Japon n’était plus vaincu par les EtatsUnis grâce à la postmodernité, car si sa modernisation n’était pas complète, il est le pays désormais à « la pointe de l’histoire »14 car il a « dépassé la modernité »15. Le Japon est un symbole fort du capitalisme moderne. J’entends par culture de masses populaires, une culture liée à la fois à la pop culture japonaise et à la sous-culture occidentale. « Il y a trente, voire quarante ans, dans les sociétés hypercapitalistes telles que le Japon, l’Europe ou les Etats Unis, les conditions de base définissant ‘ ce qu’est la culture ‘ ont changé, entraînant des transformations importantes dans différents domaines. La musique rock, par exemple, a élargi son influence, de même que les films à gros budget avec effets spéciaux ou le pop art. »16 L’analyse d’Alessandro Gomarasca dans l’introduction du collectif Poupées, Robots, la culture pop japonaise permet de comprendre la rupture sociale entre l’ancien Japon et le nouveau, créée par le passage du modernisme au postmodernisme. « La transition qui, durant ces dernières décennies, a vu le Japon passer d’un régime économique et social fondé sur la logique de l’accumulation et de la production (tournée principalement vers l’exportation) à une économie qualitativement inverse, à fort taux de consommation, toujours plus tendue vers la traction du marché intérieur, n’est pas un événement neutre : il a provoqué l’essor de nouvelles mythologies et de nouveaux paradigmes humains. A l’intérieur de la famille, la figure du père – qui est celle du sarariman17, l’employé de l’entreprise-Japon, le héros culturel de la modernisation nippone – est un modèle qui a été graduellement poussé dans l’ombre, et enfin, comme en témoignent de nombreuses représentations de la culture populaire, 12 LASCH C . culture de masse ou culture populaire ?, Climats,Cahors, 2001, 71 pages, p.64. AZUMA H. Génération otaku, les enfants de la postmodernité, Hachette Littératures collection Hautes tension, Paris, 2008, 186 pages, p. 33. 14 AZUMA H. Génération otaku, les enfants de la postmodernité, Hachette Littératures collection Hautes tension, Paris, 2008, 186 pages, p. 32. 15 Référence au slogan de l’école de Kyoto avant la guerre. 16 AZUMA H. Génération otaku, les enfants de la postmodernité, Hachette Littératures collection Hautes tension, Paris, 2008, 186 pages, p. 18. 17 Le sarariman est la transcription japonaise du mot anglophone salaryman, qui signifie en français salarié. 13 14 désacralisé. »18 Ce passage modernité-postmodernité se traduit au Japon par une fracture sociale, le bouleversement des codes hiérarchiques familiaux. C’est sur ce chaos social que se forme la culture otaku. « Si à l’origine de la modernisation nippone le citoyen en uniforme représentait l’emblème d’un dévouement aveugle à la gloire de son pays, la lycéenne en tenue qui arpente à la fin du siècle les rues de Tokyo symbolise l’absence de foi en une quelconque valeur, si ce n’est la force du marché. »19 2). La culture otaku « L’expression utilisée jusqu’ici, culture pop japonaise, est une approximation. En premier lieu parce qu’il ne s’agit pas d’une culture, mais d’une pluralité de cultures, un kaléidoscope de modes, de consommations, d’icônes, de voix, de langages et d’expressions qui ne conduisent pas nécessairement à une matrice commune. En second lieu, parce que cette formule circonscrit un objet aux contours fluides : une matière à la fois culturelle et sociologique. » C’est pourquoi, nous étudierons la culture otaku et non la pop culture japonaise dans ce deuxième point dont l’objectif sera de relever son impact dans le monde de l’art contemporain. Pour se faire, dans un premier temps, je définirai l’otaku pour mieux comprendre sa culture. J’étudierai ensuite l’évolution de la figure de l’otaku à travers les mass media. Je m’arrêterai pour finir sur quelques œuvres de Takashi Murakami, de Mr. son ancien disciple, sur le film de l’artiste chinoise Cao Fei, Cosplayers et sur l’exposition ANIMANGA ! proposée par le Festival International Exit en 2007. 18 GOMARASCA A. dir. Poupée, Robots, la culture pop japonaise, Autrement, collection mutation, Paris, 2002, 159 pages, p. 18. 15 a- Quelques clefs… Qu’est ce qu’un otaku ? A l’origine otaku est un mot japonais, plus précisément le pronom personnel de la deuxième personne sous sa forme polie (le O’ honorifique suivit de taku), qui signifie une appartenance à un cercle comme par exemple celui de la cellule familiale, par ailleurs étymologiquement, il est intéressant de noter que otaku signifie ‘maison’ dans le sens ‘domicile’ qui pourrait se traduire par ‘chez vous’. Dans les années 60’, otaku a pris pour sens premier celui du cercle familiale comprenant un groupe réduit celui des parents et de leurs enfants. Lorsqu’on utilise le mot otaku, c’est pour désigner un membre du groupe, pas une personne en particulier. Le terme otaku a était choisi en 1983 par Akio Nakamori20 pour désigner un sous groupe culturel marginal. A cause de l’affaire Tsutomu Miyazaki, le terme otaku s’est couvert d’opprobre. Tsutomu Miyazaki est responsable entre 1988 et 1989 des viols et des meurtres de quatre fillettes. La police ayant découvert chez lui en plus de ses 6000 cassettes vidéo érotiques, une grande collection de manga ecchi (manga érotique), l’association avec la sous-culture otaku, sembla pour les média, une évidence. Le mot otaku arrive en première page de l’actualité japonaise comme un synonyme de perversité : « Juste après l’évènement, un hebdomadaire présentait les otakus comme ‘des personnes inaptes à une communication humaine normale et ayant tendance à se refermer sur elles-mêmes’ ; cette représentation est sans doute la plus répandue encore maintenant »21 Générations otaku Pourtant c’est aussi dans les années 90, que des gens se reconnaissant dans la définition de Akio Nakamori, se proclamèrent haut et fort appartenant au groupe otaku. Hiroki Azuma décrit les otakus comme des « personnes qui se passionnent pour une forme de sous-culture qui réunit la bande dessinée, les dessins animés, les jeux 19 GOMARASCA A. dir. Poupée, Robots, la culture pop japonaise, Autrement, collection mutation, Paris, 2002, 159 pages, p. 53. 20 Akio Nakamori est l’auteur de « otaku no hon », littéralement le livre des otakus. Article publié dans le numéro spécial de la revue Takarajima, n°104, JICC Shuppan Kyoku, 1989. 21 AZUMA H. Génération otaku, les enfants de la postmodernité, Hachette Littératures collection Hautes tension, Paris, 2008, 186 pages, p. 12. 16 électroniques, l’ordinateur, la science-fiction, les effets spéciaux, les figurines, etc. »22. La figure de l’otaku est de plus en plus présente dans les média de masse et n’est plus représentée de manière aussi négative. La première image qui apparaît sur Google Image pour la recherche ‘otaku’ est une photo de la chambre d’un otaku (ci-contre), et montre son chez soi. Cette photographie reflète sans équivoque les passions de cet otaku (figurines, manga, jeunes filles sexy, animes, jeux vidéos…) Dans notre société dire de quelqu’un qu’il est un otaku, n’est pas nécessairement négatif, cela indique juste une caractéristique importante de sa personnalité, tout comme le mot supporter peut représenter l’appellation de tout un groupe de fan de sport. S’il n’est pas difficile d’admettre qu’il y a plusieurs sous-groupes divisés eux-même en d’autres sous-parties dans la sous-culture des supporters, il en est de même pour les otakus. Ils y a une multitude d’otakus différents. Tous ne sont pas fanatiques de tout ce qui touche à la sous-culture otaku. Certains seront d’ailleurs très spécialisés dans un domaine. La définition que donne Hiroki Azuma du terme otaku est volontairement large, afin de toucher toutes les strates du groupe. Il parle d’ailleurs dans son livre de trois générations d’otakus au Japon. La première génération serait née dans les années 60, le deuxième dans les années 70, la troisième dans les années 80. La première et la troisième ont été influencées par des animes, la deuxième découlerait simplement du succès de la première. La première génération a été influencée par deux animes phares, Uchû senkan Yamato (le cuirassé de Yamato), un dessin animé de 1974, racontant le sauvetage de la Terre dans le futur (en l’an 2199) ravagée par une attaque radioactive et Gundamu (série en France connue sous le nom de Gundam), énorme saga créée en 1979 par Yoshiyuki Tomino et Hajime Yadate. La troisième génération s’est envolée avec la série de Gainax, Neon Genesis Evangelion, dans un futur proche, un jeune homme d’apparence faible, va prendre les commandes d’un robot, nommé Eva et protéger la Terre d’attaques extraterrestres menées par ce qu’ils appellent les Anges. 22 AZUMA H. Génération otaku, les enfants de la postmodernité, Hachette Littératures collection Hautes tension, Paris, 2008, 186 pages, p. 9 et 10. 17 Le Cuirassé Yamada Gundam Neon Genesis Evangelion Ces trois animés ont beaucoup de point commun, ils se passent dans le futur23 , avec des robots souvent pilotés par des adolescents. La Terre a été dévastée, souvent à cause de l’homme (pollution24) et l’adolescent représente l’espoir d’un monde nouveau, il est le seul à pouvoir défaire ce que les adultes ont fait. Pour Hiroki Azuma, la différence entre les générations est due à un changement d’intérêt. Le cuirassé Yamato et Gundam sont de très longues sagas composées de plusieurs séries qui ont pour thème d’appartenir au même univers. Tandis qu’Evangelion est une seule série et deux films, qui ont pour seul lien les personnages centraux évoluant dans un autre univers. Nous avons basculé d’un intérêt pour l’univers vers un intérêt pour les personnages. Pour ma part, j’y vois autre chose, dans Gundam, l’intérêt était de construire un monde futuriste cohérent, tandis que le but d’Evangelion est d’interroger la psychologie de ses personnages, ce qui est au centre d’Evangelion, se sont les questions « qui es-tu ? », « Pourquoi ? », « Qui suis-je ?», c’est une quête identitaire. Dans Gundam, ce qui pousse les pilotes de robot à combattre, c’est un esprit patriotique, tandis que dans Evangelion, Shinji combat parce qu’on l’y oblige (il est faible), Rei parce qu’elle n’a pas d’autre but (elle est programmée) et Asuka pour la gloire, se prouver qu’elle est indispensable (elle manque de confiance en elle). Les relations entre les personnages est ce qui prime, le monde est juste une mise en scène pour dire comment ils réagiraient à tel ou tel stimuli. Dans un des deux films The Death of The End et même dans le dernier épisode de la série, on est transporté dans un monde similaire au notre où les personnages principaux sont les mêmes physiquement mais mentalement différents car ils ont évolué dans une autre sphère. D’ailleurs le projet caché du monde futuriste d’Evangelion, s’appelle Le Plan de Complémentarité de l’Homme. 23 Pour Gundam essentiellement au 22eme siècle. 18 Shojo 1 - Otaku 0 Pour mieux comprendre l’univers de l’otaku, il faut connaître la shojo. La traduction la plus proche est demi-femme, le terme ‘shojo’ désigne les adolescentes. C’est elle, nous explique Alessandro Gomarasca dans l’étude qu’il dirige sur la shojo, Poupées, Robots : la culture pop japonaise, qui détient le pouvoir de toute la société japonaise entre ses mains. Le sociologue Miyadai Shinji et le journaliste Matsuzawa Kureichi, notent dans leur livre sur la culture Pop que les filles grâce aux appareils de technologie sont constamment en train de communiquer, elles sont des « polypes qui irradient leurs tentacules sur des réseaux de relation sociale toujours plus vastes »25 alors que les nouveaux garçons sont des « polypes reclus dans leur tanière »26, ils font allusion aux otakus. Tandis que les filles s’affichent en véritable reine de l’accessoire hi tech, « les plus originales d’entre elles les [cellulaires] exhibent même dans des étuis spéciaux fixés à leurs bottes surélevées, prêtent à recevoir ou à envoyer un message à l’instar d’un pistolero du Far West »27. De plus en plus dans la rue : la shojo arbore ses différentes parures de chô-kawaii (hyper-mignon) et de chô-kakkoi (hyper-cool). La shojo incarne le fantasme de l’otaku, la fille parfaite intouchable. Tout comme l’otaku, il existe plusieurs genres de shojos, L’un des genres consiste à adopter pour séduire la mode kawai, une mode juvénile, mais surtout une manière de se comporter : penser, parler, bouger, écrire. Le mot kawai désigne tout ce qui est petit, rond, mignon, doux, asexué comme par exemple les Pokémons (contraction de Pocket et Monster). Le but est de devenir soi-même un « objet kawai»28 par l’intermédiaire d’accessoires et d’un mode de vie très particulier : minauderies, exclamations, yeux exorbités, traînage de pied, air ingénu. 24 Le thème écologique est très présent dans beaucoup d’animes, on le retrouve souvent dans les films de Hayao Myiazaki (Mononoke Hime, Nausicäa, Laputa et sa série Conan…) 25 GOMARCIA A. dir. Poupées, Robots : La culture pop japonaise, Autrement, collection mutation, Paris, 2002, 159 pages, p.17. 26 GOMARCIA A. dir. Poupées, Robots : La culture pop japonaise, Autrement, collection mutation, Paris, 2002, 159 pages, P.17. 27 GOMARCIA A. dir. Poupées, Robots : La culture pop japonaise, Autrement, collection mutation, Paris, 2002, 159 pages, p. 66. 19 La spécialité de la kogyaru est de bouleverser les codes imposés par l’uniforme, en par exemple, raccourcissant la jupe. Elles oscillent entre la fille sage en uniforme et celle « d’une petite prostituée en uniforme »29 aguichante. Incarnant le symbole du lolikon (Lolita complex : homme attiré par des jeunes filles à l’apparence candide). Les Japonaises jouent de leur image et attrait et redistribuent les rôles. Ko est la contraction de l’idéogramme kosei (élève d’école supérieure) associé au mot gyaru (girl). L’uniforme est une icône de la société japonaise (et fantasme de l’otaku) d’abord militaire puis reconvertie en uniforme scolaire sur la base de l’uniforme marin kogyaru anglais pour les filles. La Ganguro-gyaru traduit littéralement par fille au visage noir désigne les jeunes japonaises qui font des UV et se décolorent les cheveux abandonnant ainsi le cliché de la japonaise au teint pâle et aux cheveux d’ébène. Leur peau bronzée est faite pour contester la société dans sa blancheur avec l’ojôsama (bonne fille) - le modèle normatif, élitiste et conservateur par excellence. La yambanda se met en marge de l’image de la soumise, sage et chaste ojôsama, en accentuant de manière ostentatoire une attitude narcissique et individualiste. ganguro Ces jeunes filles ont souvent la réputation d’être des prostitués et de faire partie de gangs… 28 GOMARCIA A. dir. Poupées, Robots : La culture pop japonaise, Autrement, collection mutation, Paris, 2002, 159 pages, p.31. 29 GOMARCIA A. dir. Poupées, Robots : La culture pop japonaise, Autrement, collection mutation, Paris, 2002, 159 pages, p.53. 20 Trois termes sont utilisés pour nommer ces jeunes filles : ganguro, gonguro (ultra noir) et celui de yamanba, littéralement traduit par vieille sorcière des montagnes . La yamanba est à l’origine « une figure du théâtre Nô et kabuki, d’un personnage grotesque à mi-chemin entre le monstrueux et le comique à la chevelure blanche aux yeux énormes et une bouche grande ouverte. »30 Elles sont aussi yamanba surnommées ‘panda’ car leur maquillage fait penser à la gueule de l’animal en négatif. Ces trois grandes catégories de shojo, sont souvent représentées dans les animes et manga pour incarner tous les fantasmes de l’otaku. Dans les années 80, un nouveau type de shojo manga (mangas destinés aux jeunes filles), écrit cette fois-ci par des garçons pour des garçons, apparaît sous la matrice stylistique du chô-kawaii. La plupart de ces mangas appartiennent au genre lolikon et dresse le portrait de jeunes filles aux yeux immenses et aux traits infantiles mais sensuels, à la tenue trop courte, en transformant un bikini en combinaison spatiale. Il existe dans le porno japonais, deux grands types d’hommes : le « voyeur comique » qui appartient plus à la catégorie du ecchi31 et le « phallus démoniaque » qui fait partie des hentai32. Le premier cas met en scène un individu ridicule, nullement maître de ses pulsions qui se jouent de lui (on peut y voir l’image de l’otaku directement propulsé dans les bras de ses fantasmes). Le second incarne un être non-humain surpuissant, une sorte de dieu pervers du sexe ou d’une cyber-machine copulant robotiquement avec des milliers de vierges afin de puiser sa force, comme dans la série animée des Urotsukidoji. Ces deux types de genre pornographique, s’expliquent par la censure japonaise interdisant la présence de deux corps nus de sexe opposé côte à côte. Le pénis a donc était transformé en tentacule ou autre chose pouvant pénétrer le corps féminin, donnant naissance à la sous catégorie, Tentacl Hentai. Dans la société japonaise, la shojo a tous les pouvoirs, elle est l’incarnation du fantasme de l’homme japonais et le contrôle. Sorte de nouvelle Lolita, elle use de ses charmes (éphémères) afin d’obtenir tout ce qu’elle désire. Le fait que la fille japonaise est presque toujours humiliée voir violée dans les hentai est dû à son statut au sein de la société. On 30 GOMARCIA A. dir. Poupées, Robots : La culture pop japonaise, Autrement,collection mutation, Paris, 2002, 159 pages, p. 64. 31 ecchi désigne tout ce qui est érotique allant jusqu’à la pornographie qualifiée de normale. 32 Hentai désigne tout ce qui est de l’ordre de la pornographie anormale. 21 pourrait le comparer à la vision de notre président (symbole de notre pouvoir) attaché, la larme à l’œil sous les assauts de pénis robotisés. Cette image est peut-être d’un humour douteux mais peut amener à sourire. Beaucoup d’otakus jouent ou mettent au point des jeux de type Ecchi et Hentai. On trouve beaucoup de ses petits programmes crées par des amateurs, tel le programme Kasumi (ci-contre), sur les sites d’image board, les chans (abréviation de Channel) comme futaba33 ou encore 4chan34. Les chans sont des forums de discussion d’image, le sujet traité est l’image et on la commente, les thèmes des images Interface du programme Kasumi sont très liés à la culture japonaise et majoritairement à tout ce qui touche à la pornographie. La particularité des chans, c’est que tout le monde se nomme anonymous. Les anonymous sont une nouvelle entité qui attire les foudres des médias. b- L’otaku dans les mass media. Le personnage de l’otaku dans les animes, s’apparente souvent au pauvre garçon qui n’a pas de chance avec les filles, mais qui se retrouve rapidement catapulté d’une manière ou d’une autre dans un monde remplie de filles plus belles les unes que les autres. Dans un premier temps elles vont le mépriser et se jouer de lui puis dans un second temps elles vont toutes tomber Exemples d’animes où le héros est entouré de jolies filles, Love Hina , à droite, et Urusei Yatsura (Lamu), à gauche. 33 Futaba Channel est le premier image board, il est japonais. 34 4chan est l’image board le plus connu anglophone. 22 amoureuses de lui. La bande de jeunes filles dans laquelle l’otaku va tomber est toujours composée par la même équipe, la fille timide et gentille dévouée au bien être du héros, la petite jeune fille de type garçon manqué qui n’a pas encore réalisée l’étendue de ses charmes, la fille studieuse mais sexy qui se cache derrière ses lunettes et qui attends secrètement l’intervention du héros pour les lui enlever, la garce manipulatrice et provocante qui est toujours touchée à la fin par la sincérité du héros et la prêtresse, jeune fille dévouée au culte ayant une peur frénétique de l’homme. L’otaku a l’embarras du choix… selon les animes il termine avec l’une ou l’autre. Au début, il est gaffeur et s’attire les foudres de toutes les filles à force de rentrer par inadvertance dans la salle de bain… tout nous fait croire qu’il va changer, mais en fait c’est surtout l’attitude des filles pour le héros qui va évoluer, elles seront toutes charmées par l’application et la passion que l’otaku va émettre pour atteindre son but (qui varie, là aussi selon les animes). Dans le manga Densha Otoko (L’homme du train), le scénario est différent, ce manga a remporté un tel succès qu’il a été adapté en drama, sorte de tela nuvella pour teenager japonais. Le drama est un format médiatique qui touche une plus grande partie de la population que le manga. Le drama s’adresse à un public plus large, le téléspectateur. Dans Densha Otoko35, le héros est la caricature de l’otaku, obsédé par les figurines d’une pin-up à moitié lapin (furygirl), il passe sa vie sur internet à tchatter, sa vie sociale est un désastre, il est méprisé dans Fiche technique du héros du film Densha Otoko en espagnol son travail et par sa famille. Or un jour, où il est dans le train, une très belle jeune femme est prise à partie par un homme saoul, tous les passagers feignent de ne pas se rendre compte de la situation mais contre toute attente notre otaku intervient et aide la jeune femme. Le reste de l’histoire raconte comment ce sympathique otaku, grâce à l’aide de ces amis du net arrivera à séduire la belle héroïne. Relations entre les personnages de la série Densha Otoko en japonais 35 Ce drama fait souvent référence aux termes nerd et geek. Ce qui est intéressant dans Densha Otoko, c’est qu’il Le drama Densha Otoko a été diffusée en 2005. 23 apporte une image positive de l’otaku et de son environnement. Cinq ans au paravent, l’otaku était déjà présent dans d’autres drama, comme GTO36 (Great Teacher Onizuka) et IWGP37 (Ikibukuro West Gate Park), mais en arrière plan comme personnage tertiaire, il aide le héros dans sa quête, mais n’est pas mis spécialement en avant. Dans GTO, le rôle de l’otaku est joué par Shun Ogori (agé à l’époque de 15 ans) et dans IWGP, le jeune otaku est interprété par Yamapi (qui avait 14 ans), ces deux acteurs sont des idoles pour la population féminine. Yamapi fait même parti d’un groupe de JPopMusic, appelé News, sous le ‘haut commandement’ de la société Johonnys38. Il est amusant de noter que Shun Ogori fait aussi parti du casting de Densha Otoko et interprète un mystérieux génie charismatique, à la coupe de cheveux très tendance qui conseille notre héros otaku, à travers des Shun Ogori dans Densha Otoko dessins complexes en code ASCII. Il représente dans Densha Otoko, le nerd cool. c – L’otaku et l’art. Takashi Murakami représente pour nous, Occidentaux, l’incarnation d’un art inspiré de la culture otaku. Il est pourtant sujet à controverse par ces derniers. Takashi Murakami se présente comme « un otaku dans l’âme qui n’a pas réussi à devenir un otaku à part entière »39. Ses œuvres sont directement inspirées par la culture otaku, M.DOB ses personnages font référence au style manga, grands yeux petit nez et petite bouche, certains peuvent à première vu paraître Kawaii, mais subissent généralement une mutation. Comme dans l’anime Evangelion, Murakami 36 Le drama GTO est lui aussi l’adaptation d’un manga de Tōru Fujisawa, le drama date de 1999, un anime a été aussi adapté de ce manga. 37 Le drama IWGP a était adapté en manga en Corée. Le drama a été diffusé en 2000 38 Le Groupe Johonnys est à la tête d’une majorité d’idole montante. Les idoles japonaises sont soumise a beaucoup de règle, comme ne pas avoir de vie privée, une idole s’est déjà vu punie (on lui a retirer un premier rôle dans un drama) car il s’était fait prendre entrain de fricoter avec une fille. 24 Deux versions différentes de My Lonesome Cowboy et Hiropon mot garde les mêmes personnages qu’il décline génétiquement. Comme peuvent le montrer les nombreuses illustrations de M. DOB ou du duo Kaikai Kiki. Ou bien aussi ses statuettes plus érotiques, comme Miss ko et Miss ko2, dont la jupette de la serveuse passe du rouge au rose, les cheveux sont plus blonds, pour My Lonesome Cowboy tantôt ses cheveux sont verts tantôt blonds et pour Hiropon si ses cheveux sont bleus son haut de maillot est rose, si c’est cheveux sont roses, c’est son maillot qui est bleu, mais dans les deux cas ses couettes sont retenues par un nœud jaune ! Dans la série S.M.P ko, le personnage est une jeune fille qui se transforme en avion de chasse, dans la deuxième forme, celle intermédiaire entre la jeune fille et l’avion. Hiroki Azuma fait référence à la thèse que soutient le psychiatre japonais Tamaki Saitô, qui « soutient que le désir sexuel des orientés vers absolument qu’est une otakus un est objet imaginaire jeune fille identifiée au pénis et a appelé cette représentation 39 Etapes A et B de la transformation de S.M.P ko en avion de chasse Propos tenu par Takashi Murakami dans Génération otaku, les enfants du postmodernismeà la page 103. 25 de la jeune fille la belle et jeune guerrière. »40 Dans le cas de S.M.P ko, la jeune fille au corps presque nu, seuls ses bras et ses jambes sont recouverts d’une sorte de combinaison blanche rappelant celle du personnage d’Evangelion, Rei Ayanami se transforme en une machine à la forme phallique, illustrant parfaitement la pensée de Saitô. Dans cette œuvre Murakami révèle la structure cachée selon laquelle « la jeune et belle guerrière est en réalité le pénis même des otakus ; dans son œuvre il l’a transforme en un sexe féminin sculpté sur le cou phallique de la machine et l’expose aux yeux des otakus. »41 Les otakus pensent que Takashi Murakami ne fait que se servir des codes de la culture otaku en les déformant, et qu’il ne comprend pas ce qu’ils veulent dire. « Cette manière d’appréhender différemment les simulacres est à l’origine de la divergence d’appréciation du travail de Murakami par la critique artistique, d’une part, et les otakus, d’une autre part. »42 Si Murakami se pense presque otaku, son disciple Mr. l’ai totalement. Un otaku totalement lolikon (lolita complex) il représente majoritairement des jeunes filles mais aussi de jeunes garçons pré-pubères dévoilant leur corps en toute innocence. Certaines de ses toiles le représentent en érection devant une jeune fille au format d’une lilliputienne, prouvant son fantasme d’otaku et son incapacité à le satisfaire. Les statues en résine de Mr. ressemblent à la poupée japonaise à la tête surdimensionnée, leurs yeux sont remplis d’image et ils arborent un sourire béat. Lors de l’exposition au Musée d’Art Contemporain de Lyon (MOCA) de décembre 2006, l’une des statues en résine avait son pantalon baissé, il abordait le même sourire figé que les autres, rien ne troublait sa perte de conscience. Planche de Mr pour la marque de skate Supreme Son personnage clef est Heidi, jolie petite jeune fille aux joues rouges ne portant qu’une veste de kimono, nouée par la ceinture de son sabre et à l’innocente culotte blanche. Heidi est une référence directe à l’anime Heidi dans le tableau faire les choses exposition au MOCA (2006) 40 Azuma H. Génération otaku, les enfants de la postmodernité, Hachette Littératures collection Hautes tension, Paris 2008, 186 pages, p. 102 41 Azuma H. Génération otaku, les enfants de la postmodernité, Hachette Littératures collection Hautes tension, Paris, 2008, 186 pages, p. 104. 42 Azuma H. Génération otaku, les enfants de la postmodernité, Hachette Littératures collection Hautes tension, Paris, 2008, 186 pages, p. 106. 26 Arupusu no shôjo Haiji43 (littéralement la jeune Heidi des Alpes, connue en français sous le titre de Heidi, la petite fille des Alpes). Les références à la culture otaku dans l’art contemporain ne sont pas propres qu’au Japon, « l’influence de cette culture à dépassé les frontières japonaises et s’est maintenant largement répandue à l’étranger. »44 Si on prend l’exemple du film de l’artiste chinoise Cao Fei, Cosplayers, le nom même fait référence à la culture otaku, cosplayer est une contraction des mots costume et playing, ce mot désigne des gens qui jouent à se déguiser de manière la plus ressemblante possible en super héros. Dans beaucoup de festivals de la culture otaku, des défilés de cosplayers sont organisés, certains groupes préparent pour leur passage sur scène une saynète du manga ou de l’anime qu’ils représentent afin de mieux convaincre le jury. Images du film Cosplayers de Cao Fei, exposé au Plateau Dans le film de Cao Fei, on voit différents jeunes cosplayers arriver en ville, traverser la campagne. Ils sont dans cette première partie dans le rôle de leur personnage et donc ainsi posent à la manière de leur personnage. Celle qui joue le rôle de Sasuke Uchiwa, personnage très apprécié de la série Naruto45, prends des poses face à la mer, le regard vague caricatural du personnage tourmenté et solitaire. D’autres se mettent en posture de combat comme les douze 43 Hayao Miyazaki et Isao Takahata (Le Tombeau des Lucioles) ont tous les deux travaillé sur la série Arupusu no shôjo Haiji. 44 Azuma H. Génération otaku, les enfants de la postmodernité, Hachette Littératures collection Hautes tension, Paris, 2008, 186 pages, p. 23. 45 Manga Shonen (destiné à un public masculin) de Masashi Kishimoto, qui a est adapté en anime (plus de 200 épisodes en cours), beaucoup d’Oav et de film, jeux et autres goodies (statuettes, sacs…) et jeux vidéo sur les dernières consoles sorties. Naruto est le manga de référence en depuis 2002. 27 Chevaliers d’Or46 gardiens des douze maisons du zodiaque faisant référence à Saint Seiya (dessin animé connu en France sous le titre Les Chevaliers du Zodiaque). Puis tous les cosplayers combattent et jouent la mort de leur personnage au combat. Il redeviennent ensuite eux, d’anonymes chinois habillés en leur super héros, ils rentrent chez eux et exercent leur activité toujours habillés en super héros mais ils n’ont plus leur maintien, leur posture. Ainsi, on peut voir le plus naturellement du monde, un homme armuré en chevalier d’or, le casque posé sur la table en train de manger sa soupe devant les informations chinoises, tandis que sa femme s’occupe de leur enfant. En 2007, le Festival International Exit qualifiait son exposition ANIMANGA !, comme le « constat de l’influence grandissante de l’univers de la bande dessinée et de l’animation asiatique (manga et animé) sur l’art contemporain. La série de photographies de l’artiste taiwanais Hong Donglu présente des statuettes d’héroïnes issues de l’univers japonais devant des peintures saintes italiennes du XIVème et XVème siècles. Rei Ayanami de Neon Genesis Evangelion en combinaison argentée, Lynn Minmay l’idole de l’anime Macross Robotech (autre série se passant dans l’espace avec des robots combattants), la jolie guerrière chinoise Chun-li du jeu vidéo Street Fighter 2 et Sailor Ayanami 3/8 de Hong Donglu (1999) La peinture sainte est Le couronnement de la Vierge de Michele Giambono Moon la justicière de l’anime du même nom, représentent les nouvelles Vierges à aduler. La statue The Sleeping Peter Pan Bodhisattva de Yang Maolin remplace le culte de bouddha par celui de Peter Pan. La statue en bronze dorée à l’or fin représente un Peter Pan auréolé d’or endormi. Peter Pan est une figure emblématique du travail de Yang Maolin, puisqu’il existe toute une The Sleeping Peter Pan Bodhisattva de Yang Maolin (2006) 46 Ils sont en fait que onze sur le film de Cao Fei et dans le manga de Masami Kurumada, Saint Seiya car une des maisons est vide… (suspens !) 28 série de statues de bronze à l’effigie de Peter Pan domptant scarabée ou autres coléoptères. La collection de vieux jouets issus de l’univers télévisuel récupérés et triés sur des étagères par l’artiste Chu Kristy sont symptomatiques de l’intrusion physique des héros du media télévision dans les foyers. Chu Kristy déclare dans le journal Libération que « ces jouets qu'on jette sont les mêmes où qu'on aille»47, ainsi la collection va des Barbes à Papas aux Schtroumpfs en passant par Mickey, Barbie, les Teletubbies, mon Petit Poney et encore bien d’autres car L’armée du salut48 de Chu Kristy compte plus de 5000 pièces. 3)- La culture geek Dans cette dernière partie, j’établirai un parallèle entre la culture geek et la culture otaku. En commençant par la définition de termes liés à la culture geek, puis en m’intéressant à l’évolution de la culture geek dans les mass media et enfin au lien qui unit la culture geek avec certaines pièces d’art numérique. a- geek/Nerd A la recherche du bon terme… geek et nerd sont deux termes très proches dont la confusion est courante. Il existe pourtant une différence cruciale, nerd est un terme souvent employé de manière péjorative à l’instar de geek. geek est un terme anglais qui désigne le stéréotype d’une personne passionné de manière presque obsessionnelle (selon les cas) par des sujets précis, comme la science-fiction, les supers héros, les jeux vidéo, la science, les nouvelles technologies mais surtout l’informatique. 47 http://www.liberation.fr/culture/239957.FR.php 29 Le geek ressemble d’assez près à l’otaku, à la différence culturelle près que le geek est généralement porté sur l’univers comix alors que l’otaku collectionnera plus ce qui a trait au manga. Mais au fur et à mesure du temps la frontière geek/otaku devient de plus en plus floue à définir. Par définition le nerd dont le mot est aussi d’origine anglaise est une personne qui aime les sciences et les nouvelles technologies, mais qui contrairement au geek est socialement handicapé. Il est en quelque sorte le hikikomori49 du geek. Il existe un autre terme pour qualifier les geeks extrêmes particulièrement lorsqu’il deviennent des hardcore gamer, c’est à dire des accros aux jeux en réseau de type MMORPG50, comme World of Warcraft (abrégé en WoW), ils sont appelés des No Life. No Life est un terme plus générique que Hardcore Gamer (même si une grande majorité le sont) car il inclus les autres types geeks Extrêmes qui se concentrent entièrement sur une unique passion (ça peut être leur travail). Un No Life, comme son nom l’indique, n’a plus de vie, c’est à dire aucun lien social extérieur. En cela il peut être plus proche de l’Hikikomori qu’il ne l’est du geek. Le No Life est souvent confronté aux critiques de la société (sur le web!) à travers des abréviations comme GAL, Get a Life, littéralement trouve toi une vie. La télévision aime desormais le geek Longtemps relégué (comme l’otaku) au rang du personnage tertiaire, le geek bénéficie cependant d’une image sympathique, il est toujours celui qui aide, qui œuvre dans l’ombre, pas dans un souci de tout maîtriser mais plutôt de celui qui ne veut pas rentrer dans la lumière (qui la craint), c’est le rôle du héros, d’être sous les feux de la rampe. Cependant depuis quelques temps, le personnage du geek prend de l’ampleur, comme on peut le constater The Big Bang Theory, Sheldon montrant son tableau à Penny sur la théorie des cordes (ce qui est entre parenthèses est une blague) 48 Le nom original de l’œuvre est Salvation Army. La photographie sur la page de présentation représente la collection de jouets de Chu Kristy. 49 Hikikomori, est l’otaku extrême, l’ Hikikomori est considéré comme une autre forme de suicide au Japon. Il ne sort plus de sa chambre et se fait livré à manger par un système de trappe au travers de sa porte. Il n’a plus aucun contact avec l’extérieur. Le Nerd est une sorte de version light de l’Hikikomori. 50 Jeu vidéo en ligne de type jeu de rôle. u 30 dans la nouvelle série à succès de CBS, The Big Bang Theory. The Big Bang Theory raconte l’histoire de quatre geeks, confrontés pour deux d’entre eux (les héros de la série) à l’arrivée d’une nouvelle voisine blonde pulpeuse nommée Penny. Si Penny n’inventera pas le fil à couper le beurre, elle sait quand même s’en servir, elle sort donc de la confrontation stérotypée de jolie cruche face aux génies, elle représente l’américaine moyenne. Les quatre geeks travaillent tous dans un laboratoire de physique. Ils ont tous les quatre une personnalité différente. Sheldon, un des deux héros est considéré comme le plus intelligent et à de gros problèmes relationnels qui ne le préoccupe pas du tout, il est plus nerd que geek. Ils ont chacun des degrés d’implication différents dans les domaines geeks même s’ils partagent beaucoup de points communs. La série est très appréciée, car elle montre aux téléspectateurs un univers geek très riche. Le geek intrigue, les courbes de superbes blondes aussi… contrairement à Big Bang Theory qui évitait adroitement le cliché, The Beauty and The Geek, y plonge la tête la première! The Beauty and The Geek est un télé réalité à succès dont l’audience moyenne est de 4 millions de téléspectateurs aux Etats-Unis, Endemol aurait acheté les droits et préparerait un remix pour le diffuser sur TF1. Le télé réalité met en scène neuf bimbos ecervellées en duo avec neuf intellectuels associaux. Le concept est simple chaque couple doit se soumettre à des épreuves, la belle grâce aux conseils du geek devra devenir moins superficielle et le geek devra se transformer en séducteur. Un couple est éliminé à la fin de chaque émission, le couple gagnant en plus de s’être totalement transformé, (comme tous les télé réalité ils s’appuient beaucoup sur l’aventure humaine du téléréalité avant tout) gagnera une forte somme d’argent (pour motiver les troupes!). 31 b- Au cœur de l’univers geek Suck my Geek est un reportage sur la culture geek reporté de manière objective par des geeks. Ce film documentaire a été diffusé sur Canal+ le 30 novembre 2007 et réalisé par Tristan Schulmann et Xavier Sayanoff. Sur la page d’accueil du site consacré au documentaire, les auteurs rajoutent à la fin de leur edito en private joke dans le postcriptum “ P.S. : Han a tiré le premier.” . Cette phrase est un étendard à la culture geek. Elle fait référence au duel entre Han Solo, l’anti-héro de Star Wars avec Dessins circulant sur le net à propos du duel opposant Han Solo et Greedo. Greedo, un chasseur de prime. Dans la version originale de 1980, Han Solo tire le premier et tue directement Greedo, tandis que dans la version remasterisée afin que Han Solo reste politiquement correcte des effets speciaux ont été rajoutés sur la bande pour faire tirer le méchant Greedo en premier, en rajoutant un penchement artificielle de la tête d’Harisson Ford, afin qu’il évite le coup… cette anecdote fait beaucoup rire dans l’univers geek car ils trouvent cette nouvelle scène politiquement correcte particulièrement ridicule. Sur un forum dédié au documentaire Suck my Geek (où l’on peut trouver le lien téléchargeable), un internaute (hyunkel07) laisse le commentaire très interessant, montrant le lien existant entre la culture geek et la culture otaku : “Vivement la même chose sur les otakus ^^”, le nom de l’avatar de cet internaute fait référence à un des personnages phare de la série Fly (Dragon Quest)51. Autre lien entre les deux cultures, le commentaire d’introduction laissé par l’internaute auteur du sujet (neocalimero) qui donne le lien de téléchagement, fait référence aux studios Ghibli52 en disant que ce documentaire et attendu avec la même avidité qu’un film des studios Ghibli. Si on décompose le pseudo neocalimero, on a neo, qui veut dire nouveau mais qui est une référence au héros du film Martix et Caliméro, sympathique canard noir 51 Fly dont le nom original est Dai no Daibōken, littéralement La grande aventure de Dai est un manga de Koji Inada, Riku Sanjo adapté de la série de jeux vidéo Dragon Quest. Fly a aussi été adapté en anime. 32 malchanceux et plaintif qui est né d’une publicité. Comme le personnage japonais D.J.Ko53. D.J. ko a été crée en 1998 comme mascotte d’une société spécialisée dans la vente d’objets électroniques. Elle est composée par tous les éléments d’attractions kawaii, des cheuveux verts coiffés avec des antennes (deux mèches de cheveux qui pointent en l’air comme les antennes d’un insecte), des oreilles de chat, des clochettes dans les cheveux et une autour du cou, une queue, des vêtements de soubrette et des mains et des D.J.Ko pieds exagérément gros rappellant des pattes de chat. C’est un personnage fabriqué à partir de bases de données pour plaire. Le phénomène est aussi connue en France, certains personnages de publicité jouissent d’une grande popularité, comme par exemple Groquik qui a longtemps été la mascotte du chocolat en poudre Nesquik (il était aussi la mascotte du chocolat soluble en Grèce). Il a été remplacé pour des raisons d’image (comme son nom l’indique le Groquik était gros…) par le lapin fluet et sportif, Quicky. Il existe actuellement sur internet des pétitions pour le retour de Groquick, ainsi que plusieurs sites et forums qui lui sont consacrés, ce personnage publicitaire a pourtant disparu des écrans de télévision depuis presque vingt ans. Le maître de cérémonie du reportage Suck my Geek est Yannick Dahan54, un des grands porte-parole de la culture geek en France. Les invités sont nombreux et diversifiés tous mis au rang de geek, les célèbres (Bernard Weber55, Alexandre Astier56, Kevin Smith57…) croisent sans distinction les autres membres de leur communauté. Ils racontent comment ils se situent vis-à-vis de la société, de quelle manière ils se considèrent comme geeks, qu’est-ce que pour eux un geek. Le reportage présente comment des geeks sont devenus les rois d’Hollywood comme 52 Studios d’animation où sont produits les films entre autres d’Hayao Miyazaki et d’Isao Takahata, la mascotte des studios Ghibli est un personnage de Miyazaki, Totoro. 53 Le nom original est D.J. Kyarratto, qui a d’abord était diminué en D.J. Charat (car Kyarratto est la traduction japonaise du mot anglais Character –personnage-)puis en D.J.Ko, ko étant le diminutif affectueux pour dire “petite”. 54 Yannick Dahan est un ancien journaliste du magasine Mad Movie et il présente les émissions «Opération Frisson» sur CinéCinéma Frisson et la Séance Interdite sur Canal+. 55 Bernard Weber est un des auteurs de sciences-fictions français le plus connu, il est notamment l’auteur de la trilogie des Fourmis ou des Tanathaunotes… 56 Alexandre Astier est le producteur, réalisateur et acteur vedette de la série à succès Kaamelott. 57 Kevin Smith, il fait parti de la légende Geek où il connu comme le Roi des Geeks, il est le réalisateur de Clerks, Dogma et Jay & Silent Bob Contre-Attaque, et il est l’un des premiers à avoir fait des Geeks les héros de ses films. 33 Peter Jackson, ce sont des réalisateurs que les producteurs laissent totalement libres “Toi, tu sais, fais comme tu veux!”. Alexandre Astier, nous dit que Spielberg (considéré comme un des leurs par cette communauté) a été un des premiers à mettre en scène en héros, le gamin petit gros à lunette qui avait plein de rêves en tête et qui se faisait frapper par les gens ‘in’ de son école. Dans le documentaire, on peut voir des images de la Japan Expo58 de 2007, le cosplayer est considéré comme appartenant à la même communauté que le geek. La communauté geek ne fait pas de distinction entre le cosplayer habillé en héros de comix comme Spiderman et celui habillé en personnage de manga. Par définition, geek voulant dire passionné de quelquechose, il est tout à fait logique que l’otaku se voit englobé par l’appelation geek. c- Du geek et des oeuvres. Dans le catalogue d’exposition de Cao Fei, Journey, au descriptif du film Cosplayers « All the COSPLAYERS are extremely young, their heads fulls of dreams, from an early age spending all their waking hours in the virtual realities, playing video games. So that when eventually they grow up, they find that they are living a lifestyle that is frowned upon and rejected by society and family alike. With no available channels of expression for their feelings and aspirations, they resort to escapism, allowing themselves to become alienated. However, in the very instant that they are turned into genies, chivalrous knights, fairy princesses or geeks, the pleasures and pains of escapism are fulfilled, fleetingly, even if the reality they live in has not changed in the slightest. »59 Deux ans plus tard en 2006, Cao Fei réalisait une série de photographies de cosplayers, intitulée Un-Cosplayers, sur la photo, House Breaker on peut voir au premier plan un cosplayer en stormtrooper (agent des brigades de la mort de l’Empire de la saga Star Wars) brandissant une pelle et un cosplayer Spiderman en arrière plan 58 La Japan expo est une grosse manifestation qui a lieu en banlieue parisienne début juillet et qui réuni tous les types de japonophylle. Il y a des concerts de Pop Star Japonaises, des défilés de Cosplay, des démonstrations de jeux vidéo, de kendo. L’animatrice pour enfants et adolescents Dorothée est une des Guest Star pour la Japan Expo de 2008. 59 FEI. C. Journey, Frac Ile-de-France/Le Plateau & Vitamin Creative Space, Chine, 2008, 143 pages, p 12-13. 34 tenant une masse sur un tas de gravats, devant les regards ahuris de trois spectateurs, ils donnent l’impression de vouloir grâce à leur super pouvoir casser une maison. Une autre photo de cette série représente deux autres cosplayers en personnage de Star Wars, le House Breaker de Cao Fei (2006) stormtrooper est cette fois-ci en arrière plan tenant une arme, une sorte de super pistolet à eau en plastique, en premier plan comme tenant une échoppe, un Darth Vader (Dark Vador dans la version française)… Les Etats-Unis avaient déjà le Pop Art, mais les références évoluent avec la culture de masse. La culture geek est un peu plus spécifique que la culture de masse, elle a ses propres références qui sont très populaires au sein de la population geek, des fois méconnues par la culture de masse. Un jeu vidéo reste juste un jeu vidéo pour la masse, il peut être agrémenté de qualificatifs plus spécifiques comme ‘de guerre’, ‘d’aventure’, ‘de combat’… Mais peu reconnaîtront au premier coup d’œil, que le jeu vidéo utilisé dans Speech60 de Michaël Sellam est celui qui permet à l’armée des Etats-Unis de recruter des nouveaux membres pour leurs qualités de stratège détectés en tant que gamer. Le jeu vidéo Commando propose aux joueurs d’effectuer les mêmes missions que celles des soldats américains en Irak. Michaël Sellam m’a dit lors d’un entretien être joueur de jeu vidéo, cela ne fait pas de lui un addict, mais il connaît les codes de l’objet qu’il utilise. Sa vidéo Speech est une succession de séquences du jeu sous fond du discours de déclaration de guerre en Irak. Ce jeu vidéo est évidemment un jeu de guerre, qui propose de faire en temps quasi réelle de véritables opérations de commando, le fait de savoir ces détails au premiers coup d’œil, sans avoir besoin de lire tout un descriptif de l’œuvre ne fait-il pas du spectateur geek, un privilégié ? Dans le dispositif Diorama III sous-titré La vie en temps de paix, du collectif Ultralab, le jeu vidéo de simulation de guerre Unreal a été modifié afin de confronter un soldat 60 Speech était exposée à la galerie pascal van hoecke lors d’une expo personnelle intitulée Came in peace (ref à la phrase gravée sur Apollo 11) 35 armé à la solitude d’un désert inhabité. Une autre partie du dispositif était de faire naître une fiction autour d’une petite ville tranquille non nommée voyant son quotidien bouleversé par la chute d’un ovni qui projetait des images de guerres non connues, à venir ou fictives. Un des textes accompagnant cette fiction relatait l’impact de ces images sur la population « Certains allèrent même jusqu’à prétendre que l’appareil était l’émissaire secret d’une sorte de divinité cachée au cœur des territoires virtuels, qu’il y avait là-bas quelque chose, une immense puissance dissimulée, qui émergeait très lentement des brumes du Réseau. Cette théorie rencontra assez d’adeptes pour faire l’objet d’un embryon de culte constitué, avec ses croyances et ses rites, sa doctrine et ses exégèses, ses figures principales et ses saints mineurs. »61 Faisant ainsi naître de l’antre de la bête virtuelle une divinité co-créée par l’entité geek Réseau. Dans une autre œuvre de Cao Fei, Whose Utopia, exposée au Plateau à Paris, un clin d’œil était fait à la culture geek, sous le lit superposé, un poster du boys band Taïwanais Fahrenheit62 était exposé ainsi qu’un poster du girls band taïwanais SHE, ses deux groupes n’ont été réunis sur la scène musicale qu’une seule fois, sur la bande originale du drama taiwanais, Romantic Princess (où ceux des membres de Fahrenheit tiennent des rôles principaux). Ce détail, accentue l’envie d’évasion de la pièce de Cao Fei et seul un spectateur geek, connaissant soit Fahrenheit, soit SHE, soit ou le tout pouvait comprendre cette allusion au drama féerique, qui raconte l’histoire d’une jeune fille heureuse d’une famille très pauvre Poster du groupe Fahrenheit accroché dans Whose Utopia taiwanaise, propulsée au-devant de la société taiwanaise comme étant la petite fille cachée de l’homme le plus puissant du pays. 61 62 ULTRALAB Samaran² Catalogue 2, Monografik Edition et Ultralab publishers, Paris, 2006, 128 pages, p. 72. le poster affiché était précisément celui-ci. 36 Spielberg fait encore une apparition magique dans l’univers geek, avec son film Hook, racontant le retour de Peter Pan dans le Pays Imaginaire. Son personnage de Peter Banning joué par Robin Willams, est devenu un homme préoccupé que par son travail (un nerd ?) et grâce à son retour au pays imaginaire (en réapprenant le jeu) et à ses enfants, il va redevenir Peter Pan (un geek ?). Comme le dit Alexandre Astier dans le film documentaire Suck my Geek, la communauté geek est une communauté dont le trait commun est le refus de grandir, de rentrer dans le monde morne de l’adulte. Le geek ne fuit pas ses responsabilités, il refuse les codes sociétaires de la bonne conduite associés au statut adulte. Comme l’appuie Bernard Weber, le geek doit gagner contre la société car sinon, la société aura avalée la mauvaise pilule de Matrix63. L’appellation culture de Peter Pan me semble la plus appropriée, car elle qualifie au mieux la masse de cette sous-culture. Dans la suite de ma recherche, j’essaierai de démontrer qu’une nouvelle génération d’art contemporain est influencée par la culture Peter Pan. L’otaku et le geek deviendraient-ils les nouveaux spectateurs de prédilection de cet art Peter Pan ou bien en sont-ils les auteurs ? «La société nouvelle est une société de masse» - Edward Shils64 63 On a le choix entre deux pilules, la rouge et la bleue Edwards Shils (1911-1995),sociologue et professeur à l’université de Chicago, il reçoit en 1983 le Prix Balzan, prestigieuse distinction internationale décernée dans les domaines comme les sciences humaines et sociales, l'art, la physique, les mathématiques, les sciences naturelles et la médecine. Cité par LASCH C . culture de masse ou culture populaire ?, Climats,Cahors, 2001, 71 pages, p. 45. 64 37 II. LE JEU (VIDEO) - GAMING. 38 II. Le jeu (vidéo) - Gaming Le jeu vidéo est la figure de proue de la culture Peter Pan, il se trouve mêlé à l’art par gaming. « Les jeux outre leur fonction première de divertissement, proposent des surfaces colorées attrayantes et permettent la mise en scène de jeux de rôle et de récits dans l’espace 3D souvent étonnants, le tout exécuté grâce à un design interactif de pointe»1. Grâce aux nouvelles technologies qui ont permis l’apparition de consoles comme la Wii2 de Nintendo et maintenant l’arrivée de la playsation 33 de Sony, l’artiste numérique pioche dans ses nouveaux game play, pour construire l’interface de ses œuvres. Il est donc maintenant courant lors d’une exposition d’art contemporain de se retrouver avec une Wiimote4 en main pour naviguer dans l’univers de l’art numérique. La première partie sera consacrée au joueur, je m’appuierai sur l’ouvrage de Winnicott, Jeu et Réalité, pour savoir à quelle catégorie le joueur d’art numérique appartient. Est-il un player ou un gamer ? Dans la deuxième partie, je m’attarderai sur la carte. Je la présenterai comme un objet central du jeu vidéo et ponctuerai cette partie sur sa présence référentielle dans l’art numérique. Le jeu vidéo est présent dans l’art numérique sous trois formes combinables, la dernière partie énoncera ces trois formes en trois points : du côté de l’œuvre numérique, du côté du spectateur d’œuvres d’art numériques et du côté de l’artiste numérique. 1 GREENE R. L’Art Internet, Thames & Hudson, collection l’univers de l’art, Paris, 2005, 224 pages, p. 145. La Wii est la cinquième console de salon de la société japonaise Nintendo. Elle est sortie en fin d’année 2006 et fut en rupture de stock en France dès sa parution. Le game play très intuitif de la Wii a complètement bouleversé la conception de game play des jeux vidéos. 3 Sortie la même année que la Wii, au Japon et aux Etats Unis, elle sortira avec un an de retard en France. Les possibilité du game play sont encore plus élevé que la Wii grâce à un capteur capable de mesurer Z la profondeur. 4 La Wiimote est la manette de jeu de la Wii. 2 39 1). Gamer/Player/Joueur Il y a une réelle difficulté de traduction du mot joueur dans la langue anglaise, le joueur est-il un player ou un gamer ? Dans cette première partie, je définirai à travers Jeu et Réalité de Winnicott, le player et le gamer. Puis je m’attarderai sur la figure du fruit de la culture Peter Pan et présent dans l’art numérique. Je terminerai en étudiant la figure du video gamer. a- Quel est le jeu ? Deux types de joueur : gamer et player La difficulté de traduction autour du mot : jeu, dans l’ouvrage de Winnicott , est exprimée dès la préface de Claude Monod (un des deux traducteurs du livre) « le français ne dispose pas, à la différence de la langue anglaise, de deux termes pour désigner les jeux qui comportent des règles et ceux qui n’en comportent pas […] l’auteur […] tient pour essentielle la distinction entre le jeu strictement défini par les règles qui en ordonnent le cours (game) et celui qui se déploie librement (play). »5. Le gamer est donc celui qui se conforme aux règles imposées par le jeu (game), le player est lui un joueur libre, d’un jeu sans règle. Le jeu vidéo ne peut être joué que par un gamer car c’est un game, le joueur doit se conformer aux règles de l’interface et du scénario pour jouer, s’il ne se conforme pas à ces règles, le jeu n’est pas jouable. Lorsqu’on dit d’un jeu vidéo que sa jouabilité est mauvaise ou qu’il est injouable (phrase répétée inlassablement par le joueur perdant) le gamer fait référence au fait que même s’il suit les règles imposées, qu’il se conforme, ce jeu ne les reconnaît pas en tant que telles. Si la non jouabilité persiste, le gamer se trouve alors déconcerté car il n’est pas en face d’un game. En tant que gamer, il doit trouver les règles adéquates qui lui feront ouvrir tel un sésame les portes du game. 40 La règle à suivre… Lorsque la règle du game est transgressée, le gamer utilise l’expression enfantine « ce n’est pas du jeu ! », cette expression familière qui à première vue paraît maladroite explique cependant bien cette même distinction entre le game et le play dans notre langue. Ce jeu désigne le game et si le game ne répond pas à ses propres règles de jouabilité, alors « ce n’est pas du game ! » C’est pour cela qu’il existe dans les games commercialisés l’édition de la règle du jeu. La règle du jeu permet au game d’être jouable rapidement par le gamer qui s’y conforme. La règle de jeu sert de référence aux gamers, elle apparaît comme un juge tranchant un conflit : « la règle dit que… », « ce n’est pas écrit dans la règle ». La règle devient l’ouvrage de référence, c’est la bible du gamer. Dans certains jeux, comme les jeux vidéo, la règle de jeu peut avoir plusieurs formes. Elle est toujours présente dans une certaine mesure dans le manuel accompagnant le game, l’histoire du jeu (ses enjeux) y est expliquée, ainsi que les niveaux et les combinaisons de touches. Il existe en vente (ou disponible sur internet) un complément à cette règle, appelé les soluces6. Ces soluces proposent d’aiguiller le joueur pas à pas vers la solution de l’énigme. Ces solutions de jeu achetables sont rédigées dans des magazines hors-série qui proposent les solutions et les astuces pour réussir un niveau donné sans que le gamer réfléchisse à comment adapter les règles du game à ce niveau pour réussir, les soluces sont une sorte d’assistant, de confort de réussite pour le gamer. Certains gamers refusent cette solution de facilité, qu’ils attribuent à un manque d’investissement du gamer et donc à l’expression « c’est pas du jeu ! » car le gamer n’a pas cherché la règle qui lui était donnée, il s’est conformé à une sorte de plan préétabli par un gamer plus talentueux que lui. Les soluces sont une sorte de carte du game où l’itinéraire à parcourir par le joueur est tracé en rouge. Dans la majorité des jeux vidéo une animatique raconte l’histoire pour emmener le joueur par cette continuité jusqu’à l’interactivité. Au court de l’avancée du jeu, les animatiques se succèdent et attestent du bon déroulement du game, le game se termine toujours par une animatique qui conclut le jeu, qui amène au game over. L’animatique est une scène filmée du personnage (non interactive) qui éclaire le joueur sur l’avancée de l’histoire, c’est un prélude annonçant les nouvelles difficultés à venir. Il existe dans beaucoup de jeux d’action un niveau d’apprentissage, dans la 5 6 WINNICOTT D.W. Jeu et réalité, Gallimard, Paris, 2005, 276 pages, p8-9. Contraction des mots solutions et astuces. 41 saga de Tomb Raider de Sony, on apprend à contrôler le personnage, Lara Croft au gré de parcours au sein du manoir familiale, les combinaisons de touches nous sont expliquées par le majordome7 des Croft qui veille au bon déroulement de notre entraînement. Le joueur n’est pas envoyé dans le monde hostile du game sans préparation. Il doit passer par le lieu où il apprend les règles de jouabilité. Et ce n’est que par sa propre appréciation qu’il décide qu’il est prêt à entrer sur le plateau du game. Le processus d’apprentissage se fait toujours par le biais d’une conversation qui explique la combinaison de touches, dans le monde de Zelda, le héros Link apprend auprès des habitants de son village les touches pour courir, voir au loin, sauter, ramper… et entreprend des petites missions de routine dans le lieu rassurant de la maison (le village de Link, le manoir des Croft, la citadelle de Baldure’s Gate…). Lorsque l’apprentissage est fini le gamer fait passer la symbolique porte de sortie à son personnage. Une animatique reprenant l’interface du jeu, peut servir de transition, le temps du chargement du game. Dans les mini jeux de plus en plus appréciés sur les Interface du jeu la légende Zelda sur Wii consoles intuitives de type Wii, la règle du mini jeu est expliqué avant chaque mini jeu. Les mini jeux se jouent souvent à plusieurs et simultanément sur un écran qui peut être divisé. A chaque début de partie les joueurs peuvent lire ensemble la règle spécifique (la combinaison de touche, le but…) du mini jeu avant de s’affronter. Le non-respect de la règle se traduit par la perte de la partie (un score médiocre), le gamer gagnant est celui qui a le mieux respecté la mini règle. b- Le cosplayer est-il un player ? Le premier cosplay a eu lieu 1939, lors de la première convention de sciences fictions, la WorlCon, où Forrest J. Ackerman s’est présenté habillé en ‘homme du futur cracheur d’étincelles’. La WorlCon est la plus ancienne convention de science-fiction, elle ne connut qu’une interruption entre 1941 et 1945, depuis lors elle se déroule 7 On trouve sur le web comment enfermer le majordome de Lara dans le frigo de la cuisine… afin qu’il arrête de suivre le gamer et de le seriner d’explications ! 42 Couple gagnant du Cosplay World Summit 2007, leur cosplay est adapté du manga Alichino de Kōyu Shurei. chaque année et distingue depuis sa onzième édition des œuvres de science-fiction anglophones contemporaines avec le prestigieux prix Hugo (Science Fiction Achievement Award). Dune de Franck Herbert fut lauréat en 1966, Ursula le Guin remporta quatre distinctions du prix Hugo entre 1970 et 1975 ou encore Neil Graham en 2002 avec American Gods… Le cosplay est issu du cœur de la science-fiction. C’est pourtant au Japon que la pratique du cosplay est la plus répandue. « Il est clair que j’établis ici une distinction marquante entre la signification du substantif ‘play’ (le jeu) et la forme verbale ‘playing’ (l’activité de jeu, jouer). »8 Cosplay est la contraction de costume avec le verbe playing et non du mot player. Le mot dérivé Cosplayer est-il alors un abus de langage ? Le cosplay est régie par plusieurs règles comme l’est le game. Le Cosplay World Summit organisé au Japon est le championnat du monde du Cosplay, les candidats doivent se présenter en duo, avoir fait eux-mêmes leurs costumes, leur prestation scénique doit durer trois minutes… le contenu de la prestation est cependant laissé à leur interprétation personnelle. Lors d’interviews les champions du monde du CWS 2007, Isabelle Jeudy et Damien Ratte ont déclaré qu’ils voyaient le cosplay comme une activité théâtrale. Ils jouent une saynète. Le cosplay est un jeu où le cosplayer joue à être un héros fictionnel. « Pour contrôler ce qui est au dehors, on doit faire des choses, et non simplement penser ou désirer, et faire des choses, cela prend du temps. Jouer, c’est faire »9 Certains personnages comme Mai Shiranuki, personnage féminin sexy du jeu vidéo Fatal Fury, sont très présents dans l’univers cosplay. Marjolaine, ex-candidate/actrice de télés réalités (Greg, le Millionnaire et héroïne à part entière de Marjolaine et les Millionnaires) incarne pour le magazine Game Fan, cette plantureuse guerrière 8 9 WINNICOTT D.W. Jeu et réalité, Gallimard, Paris, 2005, 276 pages, p87. WINNICOTT D.W. Jeu et réalité, Gallimard, Paris, 2005, 276 pages, p89-90. 43 asiatique, une vidéo10 du shooting et d’une interview sont en streaming sur le site Dailymotion. D’autres icônes de jeu vidéo comme Lara Croft de Tomb Raider, ont été maintes fois représentées par différents modèles officiels dans des conventions. La représentation humaine de ces mythes Illustration de Mai Shiranuki sexy est une pratique qui remporte un franc succès commerciale. Couverture du Magazine Game Fan de Marjolaine en Mai Shiranuki. c- Le gamer du video game Au commencement, il y avait Pong… Tout commence en 197211 avec la sortie de la console Atari et son unique jeu Pong. Pong est un jeu de simulation de tennis, noir et blanc se jouant à ses débuts uniquement à deux joueurs (le mode solo n’est pas encore géré dans la programmation), chacun des deux joueurs contrôle un palet, représentation simplifiée de la raquette de tennis et renvoie la balle à son adversaire, la partie est gagnée par le joueur qui marque le plus de points. Avec Pong, Nolan Bushnell vend 19 000 bornes arcades qui envahissent les salles de jeu, la borne arcade est un meuble (de formes et de tailles diverses) contenant un jeu vidéo Borne d’arcade Pong dont l’accès est payant. Les jeux d’arcades atteignent leur 10 http://images.google.fr/imgres?imgurl=http://ak.static.dailymotion.com/dyn/preview/160x120/902734.jpg&imgr efurl=http://www.dailymotion.com/video/x1mfii_francois-lembrouille-vsmarjolaine_fun&h=120&w=160&sz=11&hl=fr&start=2&sig2=MtZlCiHDExSewpkCBBnC9A&um=1&tbnid=tSh m3Y4TWr0GWM:&tbnh=74&tbnw=98&ei=J46YSLHcMZbqwKpmYC_Dw&prev=/images%3Fq%3Dmai%2Bshiranui%2Bmarjolaine%26um%3D1%26hl%3Dfr%26client% 3Dfirefox-a%26rls%3Dorg.mozilla:fr:official 11 En fait l’histoire des jeux vidéos débute dans les années 50, mais l’apparition du premier jeu à succès commercialisé date de 1972, avec Pong de la société Atari. 44 apogée en 1978, avec la venue de Space Invaders, muni d’un tank à canon, protégé derrière des habitations des tirs ennemis, nous devons sauver notre monde de l’envahisseur en tirant sur les vaisseaux ennemis… il n’est pas étonnant que le jeu remporte un tel succès avec le contexte patriotique emplie de héros de guerre. D’ailleurs en 1980, Space Invaders est le jeu le plus vendu sur la console de salon Atari 2600. La même année, Pac-Man fait une entrée très remarquée dans le monde de l’arcade avec 100 000 bornes vendues. En 1983, la société japonaise Nintendo sort la console de salon Famicon appelée aux Etats-Unis et en Europe, la NES12 : Super Mario Bros est né. Grâce au jeu Super Mario Bros qui justifie à lui seul les ventes de la console, Nintendo remporta un grand succès sur le marché, et suscita chez le créateur japonais la confection de d’autres killer games13, comme Donkey Kong ou La Légende de Zélda. La NES se vendra jusqu’à la sortie de sa remplaçante appelée modestement la Super NES en 1991, à plus de 50 millions d’exemplaires. Le concurrent direct de Nintendo est à cette époque, la société Sega, qui aura comme îcone, Sonic le hérisson bleu. A la suite de certains échecs commerciaux Sega se retirera de la branche du jeu vidéo. La nouvelle vague de console arrive avec le support CD et le géant Sony, qui sort en 1994, la Playstation. Des jeux au graphisme 3D, comme le premier volet de Tomb Raider, feront le succès de cette console. La contre-attaque de Nintendo se fera attendre, mais sera révolutionnaire dans le monde du game play, avec la sortie de la console Wii, en 2006. La Wii bouleverse tous les codes du game play, grâce à des capteurs de position et un accéléromètre, l’interaction physique du joueur prend une dimension importante dans ce nouveau game play. Les personnages de Mario, Link, Ray Man et même Sonic (de Sega) sont de retour dans l’univers de cette nouvelle console à travers des mini jeux. La même année au Japon et aux Etats-Unis, Sony sort la Playstation 3 qui offre un game play équivalent à la Wii, la nouvelle génération de console au game play plus intuitif, en plus de donner des courbatures(!), Gamer qui joue au jeu de simulation de boxe sur la console Wii 12 NES est l’abréviation de Nintendo Entertainment System, le mot japonais Famicon est la contraction des mots family et computer. 13 C’est un jeu ou un programme informatique tellement attrayant qu’il justifie à lui seul l’achat d’un système particulier pour l’exploiter. 45 donne aux artistes contemporains d’art interactif, le moyen simple d’utiliser cette technologie de capteurs afin de rendre l’interface de leurs œuvres plus intuitive aux spectateurs. Video game et video gamer Le video gamer est un joueur de jeux video. Le jeu vidéo comme son nom l’indique en anglais est un game, donc est régi par une règle du jeu. Si le video gamer comprend et assimile la règle du game, il avance vers sa résolution. Les jeux vidéo épiques, comme la saga de Zelda, fonctionnent par la résolution de petites quêtes qui amèneront Link à combattre toutes cartes en main le boss14 du niveau pour arriver à sauver au bout du chemin la princesse Zelda des griffes de l’ultime méchant Ganon. L’histoire est identique pour la série des Mario, qui doit toujours sauver le princesse Peach du méchant Wario. Wario représentant ici, le pendant méchant de Mario, le M symboliquement renversé et donc transformé en W. Dans les jeux d’aventure, tel Tomb Raider, qui doit être à son dixième opus, l’héroïne, Lara Croft est une sorte d’Indiana Jones au féminin, qui part à la recherche de reliques perdues dans une course contre la montre pour modestement sauver le monde. La révolution apportée par la saga Tomb Raider est de plusieurs ordres, le personnage féminin représente pour le video gamer masculin l’incarnation d’un fantasme à manipuler une superbe poupée aux formes généreuses (la rumeur disait dès le premier volet qu’il combinaison existait un complexe code de secret touches- qui permettait au video gamer de jouer avec une Lara Croft toute nue !) et représente pour les Evolution du graphisme de Lara Croft. video gamers féminins, la naissance d’une héroïne à la fois forte et crédible dans le monde du video game. Ces types de jeux épiques ou à énigmes demandent beaucoup de temps au video gamer pour arriver à les finir. Le nombre d’heures est un critère d’achat sur des magazines spécialisés, le tester (personne dont le travail est de tester les jeux vidéos pour en transmettre la critique) indique pour un joueur expérimenté, puis moyen et enfin débutant le nombre 46 d’heures approximatif que ce dernier devra consacrer à son jeu pour réussir à le finir. Un bon jeu se doit de tenir en haleine même le plus expérimenté des video gamers, donc le temps minimum passé à le résoudre ne doit pas être trop court, la critique inverse est vraie cependant, il ne faut pas décourager le joueur débutant. Ce temps passé dans l’univers fictif entraîne chez certains joueurs des dérives, car lorsqu’il joue, le video gamer est très concentré. Cette concentration extrême peut occasionner un décalage momentané avec la réalité, car le video gamer est rentré dans la fiction de son jeu. Son implication est plus importante quand il joue que lorsqu’il est simplement spectateur (d’une fiction). Ce processus d’identification est très courant dans les films, où on a peur avec le personnage… Addiction du gamer : l’ultime frontière. Dans les jeux vidéos de type RPG15, l’assimilation du joueur au monde virtuel se fait dans un premier temps par la construction de son avatar. L’avatar représente son moi virtuel, celui qui fera rempart lorsqu’on s’adressera à lui. « Les individus ou les groupes participants sont immergés dans un monde virtuel, c’est-à-dire qu’ils y ont une image d’eux-mêmes et de leur situation. Chaque acte de l’individu ou du groupe modifie le monde virtuel et son image dans le monde virtuel .»16 Dans les MMORPG, comme World of Warcraft, le joueur joue avec un groupe de gamers fixes, ce groupe forme sa guilde. Un chef de guilde est désigné, un comportement précis est à suivre, pour ne pas être exclu de sa guilde. L’action ne se fait pas sans conséquence au sein d’une guilde, elle est régie par les règles du game (WoW) et celles propres à la guilde du joueur. Les membres du groupe doivent se conformer à la charte de conduite de la guilde. Chaque acte laisse donc une trace dans l’histoire du jeu. L’action n’étant plus aussi futile qu’entraînant un simple retour à la sauvegarde antérieure, rapproche le MMORPG, du monde concret. La frontière devient plus floue. Le joueur de WoW n’est plus un gamer isolé, il appartient à un réseau culturel. La question de l'addiction aux video games de type MMORPG se pose de plus en plus souvent et fascine les media. Dans le reportage, Suck my Geek, Yannick Dahan déclare qu’en tant qu’ancien addict de WoW (il dit qu’il y a « passé 14 15 nom donné au personnage le plus fort du niveau que le héros doit battre. Role Playing Game 47 plus de deux ans et demi») « Tu joues deux mois pour le jeu mais après tu joues plus pour le jeu dans World of Warcraft, tu joues pour les gens avec qui tu joues, moi à la fin dans World of Warcraft, j’en avais plus rien à foutre des donjons, j’allais pour voir ma copine Alysson, mon copain Crickett, mon pote Salma… »17. C’est cette communauté non feinte, (non gérée par l’IA18) qui rend addict le joueur et qui peut le transformer en No Life19. Car le No Life préféra sa vie sociale sur WoW. Dans un MMORPG, les notions de réalité, virtualité, sont bien dépassées, les échanges communautaires de WoW sont bien réels, en plus de communiquer pendant le jeu, ils se rencontrent pour faire la fête au cours de ce qui s’appelle une IRL (In Real Life). Rien ne les distingue d’un point de vue communicatif, d’un employé de bureau communiquant avec ses collègues de travail par mails et téléphone et sortant de temps à autres avec eux pour se détendre. La différence concrète existante est que les joueurs de WoW sont majoritairement des consommateurs (l’abonnement à WoW coûte13 euros par mois), l’employé modèle produit pour le développement de son pays. La majorité des gamers de WoW sont soit étudiants, soit salariés (donc ils apportent aussi leur contribution au PIB). C’est une nouvelle forme de socialisation différente de l’ancienne, donc qui interroge. Des cas d’internements liés à la pratique du jeu vidéo World of Warcraft ont été relevés en France, l’un de ces cas à même fait l’objet d’un reportage au journal informationnel de 20 Heures de TF120, Michael Stora21, psychologue clinicien, membre de l’Observatoire des Mondes Numériques des Sciences Humaines, explique le cas, ce jeune homme persuadé d'être son avatar, un elfe de la nuit déambulant en mode invisible dans son appartement. La première chaîne a aussi consacré un reportage dans son émission hebdomadaire d’information Sept à Huit. Ce reportage intitulé Vidéo-Drogue22, montrait l’addiction de Cyril, un jeune homme de 20 ans, au jeu en ligne Counter Strike. CS est un jeu de simulation d’opération commando, il y a deux camps possibles faire partie des forces d’intervention ou faire partie du groupe terroriste. Lors du reportage le garçon explique qu’il est dominé par le jeu et va consulter le spécialiste de l’addiction aux jeux vidéo, Michael Stora. Cependant sans 16 LEVY P. Cyberculture Rapport au Conseil de l’Europe, Edition Odile Jacob, Paris, 1997, 313 pages, p. 54. Suck my Geek, 29’. 18 Intelligence Artificielle 19 désigne une personne qui n’a pas de vie. 20 http://www.dailymotion.com/related/x54kt/video/x67ge_cedric-drogue-de-cs-counterstrike 21 auteur du livre Les écrans ça rend accro… aux édition Hachette et co-auteur du livre dirigé par Serge Tisseron, L’enfant au risque virtuel aux éditions Dunod. 17 48 s’attarder trop dessus, le documentaire en filmant la LAN party de Cyril, montre aussi d’autres joueurs de CS non-addicts, et nous montre une activité de groupe plutôt sympathique où une bande de jeunes joue tous ensemble autour d’une part de pizza, sous fond de commentaires récriminatoires du reporter des nombreux dangers de cette pratique. Les media aiment faire leurs choux gras de ce type de sous-culture obscure, comme les otakus qui ont joui d’une réputation de pédophiles et autres déviances sexuelles, où les rôlistes de Carpentras devenus des adorateurs fascistes, associant irrémédiablement le jeu de rôle avec le nazisme. Dans le reportage Suck my Geek, Le romancier des fourmis Bernard Werber, raconte comment il s’est trouvé confronté à l’incompréhension de toute la direction du journal le Nouvel Observateur quand il avait lancé l’idée en 1982 de faire un article sur les addicts du Seigneur des Anneaux : «Avant, j’étais journaliste scientifique au Nouvel Observateur et un jour, c’était bien avant que Le Seigneurs des Anneaux ne sorte en film, ça devait être en 1982, je dis ‘On devrait faire un article sur les addicts du Seigneur des Anneaux’, et là, il y avait toute la direction du Nouvel Observateur qui était réunie, donc il y avait 120 journalistes quand même ! Et il y a quelqu’un qui dit : ‘C’est quoi le Seigneur des Anneaux ?’ Je me tourne et je dis ‘Ben, tout le monde sait ce qu’est le Seigneur des Anneaux…’et puis je regarde et ils me regardent tous, il y avait les grands Reporter, les gens de la politique, de la culture, les gens littéraires et ‘Non, on a jamais entendu parler du Seigneur des Anneaux.’ ‘Il n’y a personne qui a entendu parler du Seigneur des Anneaux ?’’Personne !’ Bon alors je dis ‘C’est un auteur, il est né en Afrique du Sud…’ et là, il y a quelqu’un qui me coupe et dit ‘Il est né en Afrique du Sud, donc c’est un auteur raciste contre les noirs !’ Je dis ‘Non ! C’est un pur hasard, c’est un anglais qui est né en Afrique du Sud’ ‘Oui, mais on sent que c’est un truc pour l’apartheid !’ ‘Non, le Seigneur des Anneaux, c’est pas un truc pour l’apartheid ! C’est une histoire avec de la chevalerie, avec des quêtes, avec des elfes…’ ‘Ha, oui, oui, on connaît ça, c’est les jeux de rôle’ dit quelqu’un ‘Et les jeux de rôle, c’est un truc pour les petits fachos.’ ‘Il me semble pas que le Seigneur des Anneaux, ça soit spécialement facho, c’est plutôt une quête initiatique…’ et puis, il y a quelqu’un qui dit ‘Attends, un truc d’Afrique du Sud pour les fachos, on peut pas le mettre dans le Nouvel Observateur !’ »23. C’est sur cette note que ce termine le récit de Bernard Werber, attestant de la vision déjà négative de l’univers touchant à la science-fiction, 22 23 http://www.dailymotion.com/related/x54kt/video/x67ge_cedric-drogue-de-cs-counterstrike Suck my Geek, 32’-36’. 49 pourtant l’anecdote de Bernard Werber se passe avant l’évènement tragique de la profanation du cimetière de Carpentras. L’a priori des media était donc déjà présent avant Carpentras. L’affaire Carpentras a juste servi de preuve à la thèse déjà apportée que les rôlistes étaient des « petits fachos »… même après la résolution de l’enquête par l’aveu en 1998 d’un des coupables (les coupables n’étaient pas les rôlistes soupçonnés), l’opinion des media n’avait pas évolué de manière positive envers cette pratique obscure. On présente encore les rôlistes dans certaines séries aux idées bien pensantes (patrie, religion…) comme des anarchistes dégénérés et asociaux. « Jouer conduit à établir des relations de groupe : le jeu peut être une forme de communication »24 Dérives… Au delà de l’addiction avérée des joueurs sur certains jeux vidéo, il existe d’autres dérives du gamer par le hacking. Le hack est une pratique de détournement de l’outil. Il y a différents degrés de hacking, du code qui donne une somme d’argent illimitée25, au hack politique avec l’apparition de messages politisés ou des attaques plus virulentes comme dans la simulation Second Life où l’avatar d’une jeune femme belge aurait été victime d’un viol. Cette jeune femme selon la rumeur aurait porté plainte auprès de la police belge. La question de la violence virtuelle se pose et interroge sur les préjudices occasionnés pour les victimes et les sanctions pénales à infliger aux criminels virtuels. Sur le site du magazine web, Homo Numericus, un article entier est consacré à cette agression cybersexuelle26. Il est très facile de faire appliquer un script à l’avatar, si celui-ci touche un objet, le script lié à l’objet se lit, ce script peut, le temps de sa lecture, imposer à l’avatar une animation (comme boire un verre d’eau). « La transgression, la violence sont moins graves car elles ne contestent que le partage du réel. La simulation est infiniment plus dangereuse car elle laisse toujours supposer, au delà de son objet, que l’ordre et la loi eux-mêmes pourraient bien n’être 24 WINNICOTT D.W. Jeu et réalité, Gallimard, Paris, 2005, 276 pages, p90. dans le video game Baldure’s Gate, on peut gagner de l’argent grâce à un petit hack, il suffit de choisir un de nos personnages et de suivre ses instructions : mettez 1 gemme (sorte d'oeuf) et 3 potions. Dans les "objets rapides", insérez une potion dans chacune des cases. Allez ensuite à l'écran où les potions apparaissent. Retournez à l'équipement et mettez une gemme à la place d'une potion. Revenez à l'écran précédent, l'oeuf n'y est plus!! Cliquez sur l'endroit où devrait se trouver l'oeuf et attendez quelques secondes. Recommencez une seconde fois. Retournez enfin à l'équipement, vous avez 65.000 oeufs, que vous pourrez revendre pour gagner de l'argent !!L’opération est renouvelable indéfiniment. 26 http://www.homo-numericus.net/spip.php?breve879 25 50 que simulation. »27 Baudrillard cerne avant l’heure toute la difficulté de l’affaire, car Seconde Life n’est plus un jeu, mais une véritable simulation, Second Life répond à la vision de Baudrillard « Il n’est plus possible de partir du réel et de fabriquer de l’irréel, de l’imaginaire à partir des données du réel. Le processus sera plutôt inverse : ce sera de mettre en place des situations décentrées, des modèles de simulation et de s’ingénier à leur donner les couleurs du réel, du banal, du vécu, de réinventer le réel comme fiction, précisément parce qu’il a disparu de notre vie. Hallucination du réel, du vécu, du quotidien, mais reconstituée, parfois jusque dans les détails d’une inquiétante étrangeté, reconstituée comme une réserve animale ou végétale, donnée à voir avec une précision transparente mais pourtant sans substance, déréalisée d’avance, hyperréalisée. »28. Le traumatisme dû à une simulation d’agression sexuelle peut perturber le possesseur de l’avatar, si ce dernier ne se dissocie pas de sa représentation virtuelle, « Un certain nombre de commentateurs penchent donc pour assimiler ce crime à une forme de harcèlement sexuel. »29 « Mais il faut admettre que le jeu est toujours à même de se muer en quelque chose d’effrayant. Et l’on peut tenir les jeux (games), avec ce qu’ils comportent d’organisé, comme une tentative de tenir à distance l’aspect effrayant du jeu (playing). »30 27 BAUDRILLARD J. Simulacres et simulation, Galilée, collection Débat, Mayenne, 2004, 234 pages, p36. BAUDRILLARD J. Simulacres et simulation, Galilée, collection Débat, Mayenne, 2004, 234 pages, p181-182. 29 http://www.homo-numericus.net/spip.php?breve879 30 WINNICOTT D.W. Jeu et réalité, Gallimard, Paris, 2005, 276 pages, p103. 28 51 2). Suivre le bon sentier Carte n.f. (lat. charta, papier). Représentation conventionnelle, généralement plane, de phénomènes concrets ou même abstraits, mais toujours localisables dans l’espace.31 Dans la première partie, je m’intéresserai aux origines de la carte et des mythes qu’elle a générée comme l’Ile de Paradis(version 1.5) du collectif Ultralab. Dans la deuxième partie je parlerai de la map, la carte numérique des gamers. La troisième partie sera consacrée à la technologie GPS et aux artistes numériques qui l’ont suivi. a- Le mythe de la carte au trésor Histoire de carte Les premières cartes sont des cartes en T, basées sur la représentation des connaissances de la période biblique. Elles représentent Jérusalem en son centre entourée par l’Afrique, l’Europe et l’Asie. Ce ne sont pas des cartes géographiques, elles sont le support de réflexions théologiques et philosophiques. Les cartes géographiques apparaissent trois siècles plus tard, aux alentours du XIIème siècle. La première carte marine, la Carte Pisane, est estimée comme datant fin du XIIIème siècle, elle est actuellement conservée à la Bibliothèque Nationale de France. La Carte Pisane est de type portulan, c’est à dire qu’elle représente les côtes portuaires et indique par un code couleur l’importance des ports. La carte est un objet de référence, une source fiable d’informations saisies. La carte est un symbole de pouvoir, car elle représente le territoire à une échelle dépassant l’être humain. Elle guide et renseigne ceux qui la possèdent. La carte est un atout stratégique, un objet précieux comparable à un trésor. Lors d’un naufrage, le capitaine cherche à sauver les cartes et les instruments de navigation, garants alors d’un possible retour. De plus 31 GRAND DICTIONNAIRE ENCYCLOPEDIQUE LAROUSSE, Le Grand Larousse Universelle, T.3, Larousse, Paris, 1995, 2280 pages, p. 1824. 52 c’est la carte qui mène au trésor, le possesseur de la carte est presque le possesseur du trésor. Objet ultime de toutes les convoitises, la carte au trésor. Jusqu’au trésor… Le mythe de la carte au trésor, dit que l’emplacement de ce dernier est indiqué par une croix. Le trésor est toujours marqué. La carte peut cependant comporter une énigme ou des instructions comme ‘trois pas à gauche du palmier !’ pour préciser l’emplacement exact où creuser. Un trésor caché est toujours sous terre, enfoui, dans une caverne ou autre sorte de grotte (L’Ile au Trésor, Le Comte de Monte-Cristo, Pirates des Caraïbes…). Le chef d’œuvre de R.L. Stevenson est né d’une carte dessinée avec un enfant, une carte baptisée Treasure Island. « On m’assure qu’il y a des gens qui ne s’intéressent pas aux cartes, mais j’ai quelques peines à le croire. Les noms, les formes des bois, les courbes des routes et des rivières […] tant et tant de sujets de passion se trouvent rassemblés là, pour qui a simplement des yeux pour voir, ou une petite once d’imagination pour comprendre ! Qui ne se souvient d’avoir enfant, plongé sa tête dans l’herbe, en imaginant y voir une forêt miniature, grouillante d’habitants, parcourue d’armées féeriques ? C’est un peu ainsi, tandis que je m’absorbais dans la contemplation de mon Ile au Trésor, que je vis apparaître peu à peu, sortant de bois imaginaires, les futurs personnages du livre. »32 Dans La Dernière Croisade, troisième opus de la saga Indiana Jones, lors de son cours sur la localisation des trésors, le Professeur Jones dit à ses élèves avec un demi-sourire que « l’emplacement n’est pas montré par une croix ! », or lorsqu’il se met en quête de la tombe d’un des frères chevaliers dans la bibliothèque de Venise, l’entrée du souterrain est indiqué par le chiffre romain X, le personnage aventurier déclare alors « l’entrée est marquée par une croix !» en jubilant. Il y a donc distinctement deux mondes, le monde concret où il est le respectable professeur Jones où tout est rationnel, face à celui de l’aventurier Indiana Jones qui appartient au monde du fantastique, buvant à corps perdu dans la coupe sacrée du Saint Graal. Dans l’île de paradis (version 1.15) du collectif Ultralab, une croix est dessinée sur le mur, hypothétique symbole de l’emplacement du trésor… 32 STEVENSON R.L. Essais sur l’art de la fiction, La table Ronde, Paris, 1987, 437 pages, p. 326. 53 L’Ile au Trésor par H. G. Wells Le collectif Ultralab vient d’exposer dans le cadre du programme « terrain de jeu » du Jeu de Paume, l’île de paradis (version 1.15). Subtil mélange entre l’univers de Stevenson, qui transforme le Jeu de Paume en une île virtuelle truffée de passages secrets, avec l’univers de Wells qui le transpose en une époque incertaine où le musée serait recouvert par le sable, inhabité, désert. L’espace est celui d’une île au trésor virtuelle mais sans sa carte, la carte de l’exposition n’indique que les emplacements des sculptures dans l’espace concret du Jeu de Paume, elle n’indique pas le chemin du trésor à trouver, celui symbolisé par la croix bleue entourée de câbles électriques en haut du mur face à l’entrée réelle du musée. Où bien cette croix symboliserai-t-elle l’envie de passer de l’autre côté, du côté bleu de l’île. L’autre carte laissée à notre disposition est celle, obligatoire, du plan d’évacuation en cas d’incendie du musée, ou celle que nous avons en tête à force d’avoir parcouru au gré des expositions la bâtisse. Nous sommes seuls et nous parcourons un territoire à la fois connu et inconnu mais à la recherche de quoi ? Il y a toujours un objectif dans un jeu, peut être celui-ci est de trouver les passages secrets ceux qui mènent vers l’envers du décor. Ce qui est excitant, c’est de partir à la recherche de ces contrées non-exposées du Jeu de Paume, fictives ou réelles, ça n’a pas d’importance, elles sont cachées dans l’île paradisiaque et sont son trésor. Et c’est au détour d’un escalier sous cette virtualité tropicale riche en couleurs et en végétation que nous tombons dans l’abîme d’une immensité grise. Une salle vertigineuse, remplie de blocs de béton virtuels, comme les déchets que l’île aurait entreposée, le derrière du virtuel. On peut descendre au cœur de la masse volumique par l’intermédiaire d’un très long escalier rappelant étrangement la forme de celui situé 54 au fond du musée, multiplié, il devient semblable à celui d’une cage d’escalier de tour HLM où la cage aurait disparu et où les blocs se seraient écroulés. Nous sommes sous l’espace virtuel dans un dédale souterrain. Le temps est celui d’un futur post-apocalyptique ou d’un passé mythologique où l’espèce humaine aurait totalement disparu. On sait qu’on est arrivé bien après quelque chose : catastrophe naturelle, guerre totale, épidémie… la nature a repris ses droits sur la construction humaine, donc celle-ci a disparu de cet espace. Les souterrains nous mènent parmi ces salles obscures à une sorte de plaine plantée de croix, on peut penser qu’ils sont tous morts. La question reste : comment ? A côté d’une porte close où en lettres d’or est inscrit le nom de Rose Vallant, une autre salle montre une réserve d’armes rangées contre le mur, entreposées en attente de resservir. Rose Vallant est comme une preuve (re)liant le Jeu de Paume à la guerre. Mais pour enterrer les morts, il faut bien un vivant ? Pas de cadavre, pas de squelette, on est sur une île, il a pu être entraîné par les flots ou il s’est échappé… ou encore… dans une autre salle, comme suspendu au milieu de fines passerelles, un cube lumineux blanc flotte, c’est une salle vide, c’est à cet emplacement que dans les films et les romans de science-fiction se trouve le cœur de la cité, la vérité ou l’architecte ! Le dispositif de l’île de paradis (version 1.15) permet une immersion en plusieurs strates, d’abord par les différents objets exposés en référence à l’île : sculptures, dessins, peintures qui font partie de l’exposition réelle du Jeu de Paume, et qui sont repris dans l’espace virtualisé du musée et peuvent servir de balises de repérage au visiteur virtuel. La seconde immersion se fait dans la déambulation de l’architecture virtuelle du Jeu de Paume, dans la découverte des souterrains secrets. Où le visiteur intrigué en archéologue virtuel part à la recherche d’indices pour comprendre ce qui est arrivé ou ce qui va arriver dans ce monde si semblable au sien. Ultralab perce une partie de la frontière mythique entre le virtuel et le réel, île de paradis (version 1.15) devient un portail de téléportation d’un Jeu de Paume à l’autre. 55 « Cet imaginaire de la représentation, qui culmine et à la fois s’abîme dans le projet fou des cartographes d’une coextensivité idéale de la carte et du territoire, disparaît dans la simulation »33 b- map et mapping « Ceci est vrai de l’exploration géographique et spatiale aussi : lorsqu’il n’y a plus de territoire vierge, et donc disponible pour l’imaginaire, lorsque la carte couvre tout le territoire, quelque chose comme le principe de réalité disparaît. »34 Véritable GPS du joueur, la carte lui indique à n’importe quel moment où il se trouve. Il existe différents types de carte comme le faisait remarquer Jean-Michel Géridan pendant le séminaire mobiles et immobiles tenu à l’Université Paris 8. La map, la carte des jeux vidéos La carte en plus de désigner la map du niveau, peut aussi désigner par extension, le niveau lui même. Réussir la map, veut dire réussir le niveau. La map désignant la représentation physique du lieu de l’action, le joueur a réussi son niveau quand il s’est rendu dans tous les points de la carte, pour réussir cela il faut tuer tous les ennemis rencontrés. Le but d’un niveau peut varier entre trouver un objet particulier, tuer le boss du niveau, trouver un passage. La première possibilité, celle de l’objet à trouver (cela peut être une personne) peut émaner d’une quête donnée à notre personnage, dont l’accomplissement rapprochera d’une manière ou d’une autre 33 34 BAUDRILLARD J. Simulacres et simulation, Galilée, collection Débat, Mayenne, 2004, 234 pages, p10. BAUDRILLARD J. Simulacres et simulation, Galilée, collection Débat, Mayenne, 2004, 234 pages, p181. 56 le joueur vers la fin du jeu. Une quête peut ne pas être obligatoire dans le déroulement du jeu mais permet d’acquérir des points d’expérience qui rendront le personnage du joueur plus fort. Les deux autres possibilités de passage au niveau suivant sont régies par la suite logique de la progression, chaque niveau remporté par le joueur sera plus dur que le précédant mais moins que le suivant, pour arriver au niveau final. Il existe différentes maps, selon différents types de jeux. Si l’on prend l’exemple des jeux de courses automobiles, dans le grand leader de la simulation automobile, Gran Tourismo, abrégé en GT, la carte du circuit est fixe. Elle est située en haut à gauche de l’écran, la carte du circuit est montrée en son entier et un point rouge désigne la voiture du joueur, les automobiles concurrentes sont elles symbolisées par des points bleus. Ces points glissent comme des Screenshot extrait du jeu GT4 perles sur le fil tracé de la carte au fur et à mesure de l’avancée des véhicules. Le même principe est appliqué dans le jeu de simulation de conduite détourné de manière humoristique, Mario Kart, lorsqu’on joue à quatre joueurs la carte est fixe et au milieu de l’écran de jeu, l’arrivée est signalée par un symbole, les joueurs sont représentés sur la carte par la tête de l’avatar qu’ils pilotent. Dans la version, de Mario Kart, sur Nintendo DS (la dernière console portable de Nintendo, qui bénéficie de deux écrans), on voit sur le premier écran une vue perspective de la course (comme dans les autres versions), l’écran étant trop petit pour contenir de manière visible toutes les informations qu’il y a habituellement (nombre de tour, carte, classement, vitesse, armes…), le second écran de la console portative montre une vue de dessus de notre véhicule sur le circuit, pouvant ainsi anticiper légèrement les Vision des deux écrans de la Nintendo DS du jeu Mario Kart courbures du parcours, comme dans un jeu où la carte n’est pas fixe. C’est entre autres le cas de la série de jeu de simulation de conduite de Forza Motosport, la carte est mobile, c’est le point (ici vert) qui représente le joueur qui est fixe, la carte défile au gré de la vitesse de progression du joueur. Visuellement et technologiquement le paysage défile, la voiture est fixe par rapport au bas de l’écran mais est mobile de gauche à droite. La carte mobile est plus réaliste par rapport au jeu, c’est le défilement du paysage qui est actionné par notre 57 comportement, ce n’est pas nous qui progressons dans le paysage comme au volant d’une voiture. Dans les jeux de RPG, la carte se découvre au fur et à mesure de l’avancée du joueur, la surface non vue est recouverte par un voile noir qui se dissipe à l’arrivée du joueur. La carte du niveau est visible dans son ensemble en mode ‘carte’, ce mode plein écran fait souvent basculer le jeu en mode ‘pause’ le temps Screenshot extrait du jeu Forza Motosport de sa consultation. Le mode ‘pause’, est un mode comme son nom l’indique (référence au jeu de cour d’école, ‘pouce, on fait une pause !’) qui permet au joueur de réfléchir, de se reposer, d’interrompre sa partie pendant une durée indéfinie et de la reprendre à l’endroit exact où il l’a laissée. Pendant ce laps de temps, il ne peut pas se faire attaquer par des ennemis, le temps est suspendu. Dans certain RPG, pour plus de réalisme, le joueur voit toute la topologie découverte, mais Screenshot extrait du jeu Baldure’sGate tout ce qui est hors du champ de vision est recouvert d’un voile gris, c’est à dire qu’il ne voit pas l’action de ses ennemis, si ce n’est pas dans le champ de vision d’un de ses personnages (dans les jeux de type RPG, comme Baldure’s Gate, le joueur peut contrôler plusieurs personnages en même temps, c’est son équipe). Dans ce type de jeu, le joueur n’est pas omniscient, il ne voit pas comme dans la Carte du Maraudeur35 d’Harry Potter tous les faits et gestes des personnages qu’il ne joue pas. Dans certains jeux comme Pacman ou Bomberman, la carte (le niveau) est présente sur l’intégralité de l’écran. On voit les ennemis arriver, on peut anticiper les explosions (dans Bomberman) et élaborer une stratégie d’attaque par rapport Screenshot du jeu Pacman au terrain (à la carte). 35 La Carte du Maraudeur apparaît dans le troisième volume d’Harry Potter sous-titré Le Prisonnier d’Azkaban, cette carte représente l’Ecole Poudlard et ses passage secrets et marque toutes les personnes présentes dans l’enceinte de l’établissement à l’endroit précis où ils se trouvent. 58 «c’est désormais la carte qui précède le territoire –précession des simulacres–, c’est elle qui engendre le territoire » 36 La fleur au fusil, le Mapping peace and love de Velvet Strike En 2002, le collectif Velvet Strike, constitué de Anne-Marie Schleiner, Joan Leandre et Brody Condon, propose aux joueurs à partir du célèbre jeu de Half life « Counter Strike », de taguer sur les textures de leur map (lieu de la partie), des graffitis anti-guerre. Se positionnant comme leur nom l’indique, comme le ‘velours’ de la ‘contre offensive’. Counter Strike est le jeu de tir en temps réel, le plus joué sur internet. Deux équipes s’affrontent : les terroristes et les antiterroristes. L’origine de l’action anti-guerre, du collectif Velvet Strike, est à l’encontre de la politique de terreur de Georges W. Bush amorcée après les attentats du 11 septembre et renforcée depuis la guerre en Irak. Le but étant de sensibiliser au cœur d’un simulateur de conflit. Message qui n’est pas toujours bien reçu par les joueurs : après une action anti-guerre de Velvet Strike, beaucoup d’insultes fusent sur le chat en ligne. Plusieurs raisons sont possibles pour expliquer cette virulence de la part de certains joueurs, comme y voir de l’anti-jeu car l’auteur des tags n’a pas rempli correctement sa mission au sein de l’équipe (qui est de tuer les membres du groupe adverse plutôt que de taguer des messages politisés). D’autres comprennent le message anti-guerre et le trouve hors de propos ici, la justification étant qu’ils sont là pour jouer, pas pour se « prendre la tête » avec de nobles idéaux. Une autre raison peut être l’homophobie, la vue d’une 36 BAUDRILLARD J. Simulacres et simulation, Galilée, collection Débat, Mayenne, 2004, 234 pages, p10. 59 relation sexuelle suggérée entre un terroriste et un antiterroriste, n’étant pas au goût de tous les joueurs. Le collectif Velvet Strike ne hacke pas le jeu, ils se servent d’une fonction déjà existante, qui est de pouvoir taguer la map. En appuyant simplement sur une touche, n’importe quel joueur peut taguer l’espace de jeu (plafonds, sol, murs). Le collectif détourne à leur profit cette fonction populaire du ‘tag’, pour revendiquer, au milieu du champ de bataille le credo de Peace and Love : ‘l’amour pas la guerre’. Les tags de Velvet Strike sont tous intitulés ‘Love’, ils se distinguent par des numéros. Stratégiquement bien utilisé le tag peut être une technique de combat efficace utilisée par les joueurs expérimentés, ils l’utilisent comme leurre, taguant un personnage de leur clan sur la map pour que les tirs ennemis se focalisent sur lui. Cette fonction de stratège est donc détournée par Velvet Strike au profit de couples métissés s’enlaçant malgré les tirs des deux clans. Tels des Roméo et Juliette des temps modernes, le terroriste et l’antiterroriste s’accouplent au cœur de Vérone. Counter Strike est l’emblème du jeu de la lutte antiterroriste, et par cela devient le lieu idéal pour les actions pacifistes du collectif. Sur le site de Velvet Strike (c’est sur ce site que l’on peut télécharger les ‘love spraies’), On peut lire un texte d’Anne-Marie Schleiner qui explique la naissance du collectif Velvet Strike. Cette naissance du collectif pacifiste Velvet Strike est en réponse aux manifestations de haine qui ont envahi les jeux vidéo de type réaliste (de simulation). Depuis le 11 septembre 2001, Osama Ben Laden est modélisé à l’intérieur de jeux vidéo, incitant les joueurs à le tuer. Ainsi, lorsqu’on rencontre Ben Laden dans les Sims, on doit lui donner des chips empoisonnés afin qu’il meure sous le pouvoir du capitalisme (la chips en étant l’ironique symbole). A l’encontre donc de cette effusion haineuse, Velvet Strike montre à voir en plein milieu de tirs croisés la fleur de Woodstock pousser au cœur de la bataille. Le collectif Velvet Strike propose une action pacifiste des plus intéressantes car le joueur aguerri qui parcourt la carte ne peut ignorer les changements visuels apportés par les ‘love spraies’, cela le pousse à s’interroger (sans compromettre de manière ‘terroriste’ la jouabilité). Velvet strike inverse la donne de la haine réelle qui s’était instaurée lors de l’après 11 septembre dans les jeux de simulation, en offrant aux joueurs de Counter Strike de troquer contre leur fusil un bouquet de violette. 60 c- le GPS, la carte de l’art numérique « Un monde virtuel peut simuler fidèlement le monde réel mais selon des échelles immenses ou minuscules. Il peut permettre à l’explorateur de se construire une image virtuelle très différente de son apparence physique quotidienne. Il peut simuler des environnements physiques imaginaires ou hypothétiques, régis par d’autres lois que celles que gouverne le monde ordinaire. Il peut enfin simuler des espaces non physiques, de type symbolique et cartographique, qui autorisent une communication par univers de signes partagés »37 le GPS et l’armée Tout comme Internet, le Global Positioning System (GPS) a été élaboré par l’armée américaine. Les recherches ont commencé en 1960. En 1978, les premiers satellites ont été envoyés dans l’espace, à l’usage seulement de l’armée américaine. C’est à la suite du crash d’un avion civil en 1983, le vol007 Korean Airline, abattu par l’URSS, que le président des Etats-Unis, Ronald Reagan a promis l’usage du GPS par les civils. Cela fut concrétisé par l’action du Président Bill Clinton, qui en 2000, permit à la technologie GPS civile d’être plus performante. Ne voulant pas dépendre des EtatsUnis, l’Europe est en train de développer le Galileo, qui contrairement au GPS et à GLONASS (l’équivalent russe) qui sont sous contrôle de l’armée, sera sous un contrôle strictement civil. Les deux responsables du projet sont L’Union Européenne et l’Agence Spatiale Européenne. Il a été décidé que le système Galileo serait compatible avec la technologie GPS, en cas de problème de réception de l’un, l’autre prendrait automatiquement le relais de manière fantôme (indétectable pour l’utilisateur) cependant les Etats-Unis et l’Europe se réservent chacun pour des raisons de sécurité, le droit de limiter ou d’arrêter dans une certaine mesure le signal. La technologie Galileo devrait être opérationnelle dès 2010 et totalement achevée en 2013. 61 Les artistes GPS Comme avec toutes les nouvelles technologies, des artistes contemporains ont vu dans le GPS, un questionnement, des possibilités artistiques qui sortaient le GPS de son étui paramilitaire. Dans sa recherche, sur Le paysage technologique et les pratiques GPS en art Andrea Urlberger dit que « Désormais, il est non seulement possible de représenter le monde physique par des images numériques mais grâce à un dispositif comme le GPS, il est également possible d’inverser ces rapports et de placer les images numériques dans l’espace physique. Cette double inscription du GPS permet de créer un passage de l’espace réel vers l’espace mental, et en particulier virtuel, mais en même temps, ancre les réseaux dans les territoires des représentations et des usages. »38 GPSMovies de Daniel Sciboz, Liliane Terrier et Jean-Louis Boissier, ainsi que Masaki Fujihata dans la série Field-works, proposent une représentation de l’espace et du temps à travers un parcours. Dans GPSMovie1, des promeneurs munis d’un GPS et d’une webcam, directement reliés à un ordinateur qui enregistre en temps réel les déambulations urbaines des promeneurs dans la Plaine Saint-Denis (lieu qui au delà de sa dimension historique est un endroit toujours en pleine évolution et qui comporte sur sa carte des zones blanches - pas encore définies). Deux images sont côte à côte sur l’écran représentant le même parcours au même instant t, l’une montrant le parcours visuel, la vision de la webcam, l’autre représentant le parcours GPS, à travers des segments unitaires de temps de 1O secondes représentatifs de l’espace. GPS Movie1,rue Landy, la Plaine de Saint-Denis 37 38 LEVY P. Cyberculture, Rapport au Conseil de l’Europe, Odile Jacob, Paris, 1998, 313 pages, p.86. http://www.ciren.org/ciren/laboratoires/Paysage_Technologique/art/index.html 62 Dans Fieldworks, une seule image représente le parcours, le tracé GPS est symbolisé par une ligne blanche, sur laquelle se trouvent des images vidéo, placées précisément au lieu et au temps de la prise. Jean-Louis Boissier précise lors d’un entretien sur GPS Movies avec Andrea Urlberger, qu’il existe «une petite différence au passage, ce que fait Fujihata, et que nous n’avons pas fait, c’est d'enregistrer le comportement de la caméra à propos de sa position, de l’angle de vue. C’est très important dans toute la série Fieldworks et même ailleurs, il Fieldwork@Alsace de Masaki Fujihata 39 avait inventé ça. » Can You See Me Now?40 du collectif Blast Theory, est une pièce qui se présente sous la forme d’un Chase Game. Où des joueurs en ligne vont être traqués dans une ville virtualisée par des joueurs parcourant cette ville en temps réel. Cette pièce a remporté le Golden Nica du festival Ars Electronica de 2003. Can You See me Now? fait une véritable connexion entre espace réel et espace virtualisé, où grâce à la technologie GPS, les joueurs-traqueurs se déplacent et trouvent leur cible dans un monde virtuel. Dans le nouvel Opus, I Like Frank, où les gamers partent à la recherche du mystérieux Frank, la technologie utilisée est le téléphone 3G. 39 http://www.ciren.org/ciren/laboratoires/Paysage_Technologique/art/sciboz/index.html Can you see me now ? est une pièce qui a était présenté par Andrea Urlberger lors du séminaire mobiles immobiles qui s’est déroulé à l’université Paris 8. 40 63 3). L’omniprésence du jeu « Le jeu est désormais un domaine de pratique artistique extrêmement dynamique et varié »41. Le video game est l’association du game et d’un game play. Le game, c’est l’histoire, le design, les personnages, la musique, la simulation…ce qui fera référence au jeu vidéo en tant que tel. Le game play c’est l’interface du jeu, mannettes, écran, touches, Wiimote, joystick. Si on démembre ainsi, les composants du video game, on peut facilement voir qu’il touche une grande partie de la production d’œuvres d’art numériques. Dans la première partie, je prendrai l’exemple de la narration avec The Intruder de Natalie Bookchin, de la perte de la maîtrise d’un univers connu à travers un mapping transformé par Jodi.org et du game play de la console Wii employé pour la rénovation de l’œuvre de Maurice Benayoun, World Skin. Dans la deuxième partie, je parlerai des possibilités offertes au spectateur en tant que joueur de ces œuvres interactives. La dernière partie, abordera, la question de l’artiste référent aux jeux dans leurs œuvres. a- la référence au jeu video dans l’art numérique Dans son étude sur l’Art Internet, Rachel Greene cite un passage du livre de Lev Manovich , The Langage of New Media, où il analyse le principe de narration du jeu « Dans la plupart des jeux, le récit et le temps sont liés aux déplacements qui s’effectuent au sein d’un espace 3D […]. A la différence de la littérature, du théâtre et du cinéma modernes, qui se construisent autour des tensions psychologiques entre des personnages […], ces jeux sur ordinateur nous renvoient à d’anciennes formes de narration dans lesquelles l’intrigue est dictée par le déplacement dans l’espace du héros principal, héros qui voyage là pour sauver la princesse, ici pour chercher un 41 GREENE R. L’Art Internet, Thames & Hudson, collection l’univers de l’art, Paris, 2005, 224 pages, p. 145. 64 trésor, ou encore là pour tuer un dragon et ainsi de suite. »42 Rachel Greene conclut l’apport d’information de cette citation de Lev Manovich par « De nombreux artistes internet ont recourt à ces formes et stratégies propres au jeu pour exprimer leur propos »43. Jeu, sexe et meurtre Natalie Bookchin crée en 1997 The Intruder44, une chronologie des jeux vidéo sur fond de l’Intruse, une nouvelle de Jorge Luis Borges. L’intruse est une jeune femme, Juliana, dont les deux frères Nielsen sont épris, elle est marié à l’aîné, Christian. L’intruse est la pomme de discorde naissante entre l’aîné Nielsen et son cadet, Edouardo. Dans The Intruder, qui est l’intrus ? La jeune femme qui sème le trouble au sein de la fraternité ? Ou nous, spectateur-joueur qui au fur et à mesure de notre habilité au jeu vidéo, dévoilons, les péripéties du scénario ? N’est-ce pas au final, nous le joueur, qui permettons aux frères Nilsen de vendre la jeune femme ? Car l’histoire est la suivante, on ne peut lire ou écouter (selon les tableaux) la nouvelle de Borges que si on ‘passe les niveaux’. Tout commence avec un pong, comme l’histoire du jeu vidéo, il n’y a pas d’avant pong… on ne connaît pas l’histoire, on se contente de renvoyer la balle, la voix nous parle de l’intruse de Jorge Luis Borges à chaque revers, le ‘jeu’ gagné, on rentre dans l’histoire. Chacun des niveaux s’inspire de jeux vidéo différents qui font écho avec la partie de l’histoire qu’il dévoile. Pendant la querelle entre les deux frères on se trouve être l’un d’eux qui tire sur l’autre, et à chaque shoot réussit (quand on tue l’autre) la femme se matérialise derrière nous et disparaît à chaque fois que l’on se fait toucher. Natalie Bookchin, nous fait jouer un rôle dans le déroulement de l’histoire, si on veut gagner on doit faire avancer l’histoire, si on veut connaître l’histoire, on doit être prêt à gagner. 42 GREENE R. L’Art Internet, Thames & Hudson, collection l’univers de l’art, Paris, 2005, 224 pages, p. 148. GREENE R. L’Art Internet, Thames & Hudson, collection l’univers de l’art, Paris, 2005, 224 pages, p. 148. 44 http://bookchin.net/intruder/french/html/a_title.html 43 65 Lors d’un autre niveau, on revient sur le modèle d’un pong, mais d’un genre bien particulier, puisque la balle a été remplacée par une fille que s’envoient le joueur (nous) et l’ordinateur, à chaque fois qu’on relance la fille, un fragment de la nouvelle nous est dévoilé…la surface de jeu noire à été remplacée par des photos d’une femme nue défilant au gré des rebonds. Rebondissement : la voix off nous apprend que les deux frères se partagent la jeune femme. Le niveau suivant est assez déroutant puisqu’il représente le con d’une femme recrachant des objets hétéroclites, que l’on doit récupérer dans un seau pour comprendre que tous ces objets sont énoncés dans ce nouvel extrait de la nouvelle et qu’ils vont sceller le destin de la jeune femme. En les récupérant dans ce seau, on rassemble les effets de la jeune femme pour la conduire au bordel, où les deux frères ont décider de la vendre. On devient pour ainsi dire complice, car en quelque sorte nous avons tourné la manivelle de la narration : nous l’avons aidée à préparer ses bagages. Notre participation au destin tragique de Juliana se fait au début de manière fortuite, on ne sait pas trop ce que l’on fait, on se sert de nous, on ne comprend qu’à la fin du tableau, qu’on a, nous, en tant que joueurs, dupé Juliana. Mais au fur et à mesure de la narration, de l’avancée dans les niveaux, on se sent devenir de plus en plus le bourreau de l’intruse. La tragique histoire ne s’arrête pas là…les deux frères vaquent à leurs occupations et retournent à leur routine sans l’intruse. Lors de l’ultime niveau (le dixième, me semble-t-il), le joueur se retrouve sniper, la cible devient bleue lorsqu’on vise juste la victime qui fuit, le joueur se place alors en chasseur et traque sa proie afin de découvrir la fin de l’histoire. Se déroule un scénario encore plus étrange que dans les autres niveaux, le joueur vise, Sceenshots de The Intruder de Natalie Bookchin tire, tue, et apprend d’une oreille distraite ce qui se passe, il retue, et apprend dans la confession d’un des deux frères qu’il a 66 assassiné l’intruse, le joueur continue à tuer, pour connaître le mot final de la sordide histoire… Il arrive un moment dans The Intruder, où le joueur est tellement pris au jeu, que tout devient réflexe, il relance la fille, marque des points, il doit marquer des points, c’est normal, c’est le jeu, l’adrénaline l’emporte : il jubile. L’histoire horrible qui découle de ses actes est le cadet de ses soucis, il doit jouer, il doit gagner, il doit savoir la suite. Le sordide, le révulse et tout à la fois le fascine, il est embarqué, il ne peut pas s’arrêter de jouer, jusqu’à gagner, jusqu’à la mort de la jeune femme, il doit tuer l’intruse. Il sait que ce qu’il fait est affreux mais il doit le faire pour gagner, pour finir la partie. L’écran final affiche, le game over, la partie est terminée, le rôle du joueur aussi, il a fini l’histoire : elle est morte. En cela, Natalie Bookchin renverse les codes cantonnés du Héros de jeu vidéo, qui répond soit par réflexe sportif au pong : rattraper la balle, soit par le patriotisme engagé des jeux vidéo de guerre : tuer pour sauver le monde (notre monde), qui axent tous les exploits du joueur sous le jour de la performance, de l’héroïque …on parle d’ailleurs dans les jeux vidéo de fantasy, de sauver la princesse, pas de la liquider. Wolfenstein3D VS SOD Le groupe Jodi.org se compose de deux anciens programmeurs (Joan Heemskerk et Dirk Paesmans), devenus artistes à la suite d’une erreur de programmation. La politique de Jodi.org est simple, faire comprendre à l’utilisateur qu’il ne connaît que l’écran de son ordinateur et que, sans cette interface claire, il ne peut pas s’en sortir. Jodi.org veut que l’utilisateur arrive à la conclusion qu’on ne peut pas se fier aux ordinateurs. Jodi.org reprend en 1999, le jeu emblématique, Wolfenstein3D (sorti en 1992), la référence du jeu de tir en 3D, ancêtre de Doom, et le transforme en SOD. Fidèle à sa pensée, Jodi.org, va rendre le jeu incompréhensible et perdre le joueur dans sa machine. Ils ont repris le code source du jeu qui a été révélé au public en 1995. Ils ont remplacé les menus, par des menus invisibles, les titres des rubriques ont été remplacés par des tirets, on arrive jusqu’à l’interface du jeu à l’aveuglette, par un ’ça devrait se trouver là, normalement’. Le joueur chevronné n’est pas tout à fait 67 perdu, car il a déjà l’habitude de ce genre de problème lorsqu’il joue avec un jeu d’import (japonais). SOD est en noir et blanc, certains murs sont effacés/transparents mais le joueur se bloque dessus, Screenshot de Wolfenstein 3D c’est comme ça qu’on arrive à discerner notre environnement car les mappings ont disparus… des êtres invisibles nous tirent dessus, on réplique dans le vide, soit on meurt, soit on les tue, le but est identique au jeu de référence : trouver l’issu du château dans lequel on est enfermé et tuer tous les Nazis qui y résident. Wolfenstein3D est un jeu de guerre sur la seconde guerre mondiale, dont le but ultime est de tuer Hitler. L’enlèvement des textures, des couleurs, peut sembler être juste un moyen de perdre le joueur mais ne peut-on Screenshots de SOD de Jodi.org pas imaginer, sur ce décor strié de noir et blanc, comme un clin d’œil au fait que nous soyons nous-mêmes les bagnards du monde machinique ? Jodi.org joue sur la notoriété labyrinthique de Wolfenstein3D, en le rendant plus déstabilisant, plus efficace, en floutant les indices, on ne sait ni où aller, ni quoi faire, rien ne nous est confié : les cinématiques sont vides. On ignore tout, on ne peut que se reposer sur nos connaissances du jeu original, qui dans ce contexte peuvent paraître bien légères. Les objets étant invisibles, comment les récupérer ? On gagne toujours des points si l’on tue nos ennemis, car même invisibles, ils existent. Dans ce cas là aussi, Jodi.org se joue de nous et de notre foi dans l’outil informatique, nous ne voyons pas notre ennemi, mais lui nous voit, il sait où on se situe, la machine n’a pas les mêmes sens que nous. Car pour l’AI (l’intelligence artificielle), c’est la position dans le plan, nos abscisses et autres ordonnées qui font office d’yeux. Jodi.org, nous fait remarquer que notre langage est erroné, lorsqu’on dit que la machine ne nous a pas ‘vu’, car c’est le langage de la programmation qui prévaut lorsqu’on est sur une machine. L’ironie du groupe Jodi.org à reprendre Wolfenstein3D pour le transformer en SOD, réside au fait que le jeu d’origine est connu pour être innovant dans sa jouabilité et que le moteur 3D permet une réelle immersion du joueur vers un réalisme encore 68 jamais atteint auparavant, pour le transformer avec la version SOD, en jeu à la jouabilité la plus obscure. La map, la carte du joueur, est ici inconnue, on avance à l’aveuglette, c’est à tâtons qu’on discerne les contours de la pièce et que l’on peut actionner, en appuyant sur la barre d’espace, les passages secrets, qui nous entraînent vers d’autres niveaux, d’autres ennemis. Jodi.org, nous montre l’absurdité du spectateur-joueur, qui ne peut pas rentrer dans l’univers fictionnel du jeu vidéo. Il ne peut pas finir le jeu car le joueur doit rentrer dans la peau de l’aveugle qui compte, il doit connaître la carte originale par cœur et prier pour que Jodi.org, n’ai pas déplacé les objets. Il faut noter que Wolfenstein3D est un jeu vidéo qui ne se finit qu’au bout de dizaines d’heures de jeu, il en est de même pour SOD. Jodi.org propose un type de jeu vidéo innovant : le jeu vidéo injouable. Le jeu vidéo se résumerait-il alors à un simple décor ? Ou à un langage de programmation bien agencé ? Une interrogation reste en suspens : que signifie exactement les initiales SOD ? Sod off! : Dégage !, ou bien, poor little sod : pauv' con, ou encore, sod it : merde alors! Mais n’est-ce pas plutôt un condensé de toutes ces charmantes expressions résumées en un simple grand sod jeté à la face du gamer… Jodi.org pose la question du sens. Est-ce que le patriotisme que le joueur ressent dans Wolfenstein3D est bien réel, ou sommes nous plutôt un simulacre de héros tirant sur des fantômes ? Le temps d’une petite guerre… L’ œuvre de Maurice Benayoun, World Skin, sous-titrée « un safari photo au pays de la guerre » a été exposée pour la première fois en France au festival Némo de 2008. World Skin date de 97 et a remporté en 98 le Golden Nica du Festival Ars Electronica. La question du rôle du reporter photographe en temps de guerre est au cœur de la pièce, il est le scalpeur du monde. Deux spectateurs endossent le rôle du reporter, un troisième peut guider le groupe, les autres membres observent. Le groupe est totalement immergé dans ce qui s’appelle le sas. Dans le cas de la reconstitution de World Skin à la Bellevilloise, le sas était composé de deux écrans géants, un face à nous, l’autre sous nos pieds. L’excursion est guidée par 69 l’intermédiaire d’un joystick. L’immersion est impressionnante car on se fait littéralement traverser par les surfaces 2D des photographies de guerre. L’espace de World Skin est un espace virtuel infini peuplé de photos de la Seconde Guerre mondiale et de la guerre de Bosnie-Herzégovine. Ces photos sont régénérées et disposées aléatoirement sur notre progression. Il n’y a aucune carte, aucun point de repère, seules restent les écorchures faites au monde. Chaque photo prise par les deux spectateurs photographes arrache la peau du monde, il ne reste qu’un cadre blanc. La photo a effacé cette partie du monde, ces zones vidées jonchent le territoire infini. La musique interactive composée par Jean-Baptiste Barrière appuie la transformation du spectateur photographe en mitrailleur professionnel. Chaque déclic déclenchant une photo, se rapproche du son d’une détonation. Un point culminant peut être atteint, lorsque les spectateurs photographes ont trop écorché le monde… la seule action possible est juste de se déplacer sous le bruit assourdissant de bombes et autres sifflements de balle. Le monde de Maurice Benayoun est abîmé de manière définitive, il arrive que certains groupes rencontrent les blessures laissées par d’anciens touristes. La notion du temps dans World Skin est profondément ancrée dans les photos des deux guerres choisies, 39-45 et 92-95. On pourrait y voir un message tel que « qu’importe la date c’est toujours la même guerre ». La temporalité de World Skin se trouve surtout dans le temps présent. Chaque lambeau de peau arraché est imprimé sur un format papier A4, le spectateur peut rapporter ses scalps chez lui en guise de souvenir et pour être bien sûr qu’il ne se trompe pas de trophées, sur ces impressions sont inscrites la date et l’heure du shoot, marque indélébile de son action dans l’espace virtuel gravé dans le temps présent. La rénovation de cette pièce a nécessité l’apport d’une technologie dite ‘light’. Les appareils photo sont en fait des Wiimotes, l’appareil photo n’est qu’un décor, ce n’est pas lui qui prend concrètement les photos du safari. Le Deux Wiimotes sont fixées sous les appareils photo et sont peintes en noirs, à droite le Nunchuk, qui pilote le safari déplacement se fait par l’intermédiaire 70 d’un Nunchuk (sorte de joystick) relié à une Wiimote. Les signaux des trois Wiimotes (les deux appareils photos et le joystick) sont récupérés par wifi, et gérés par un des trois ordinateurs nécessaires de World Skin. Ces trois ordinateurs, Face, Sol et Liverpool sont en réseaux. L’application sonore faite sur le logiciel MaxMSP par JeanBaptiste Barrière est lancée par l’ordinateur Face, les signaux des Wiimotes sont aussi gérés par Face, L’application World Skin est lancée sur les ordinateurs Sol et Face, le dernier ordinateur, Liverpool (nom de la ville où World Skin a été exposé dans sa version ‘light’ pour la première fois) gère les rétroprojecteurs et l’ensemble du réseau. b- Le spectateur joueur de pièces numériques Dans cette partie, je traiterai des différents spectateurs joueurs d’œuvres numériques. J’introduirai ma recherche, par le concept du spect-acteur de Jean-Louis Wessberg, puis je me pencherai sur les différents degrés d’action du spect-acteur à travers des exemples d’œuvres d’art numériques. Le spect-acteur Avant de disséquer totalement le spectateur d’art numérique, il existe selon les œuvres deux grands types : le spectateur actif, celui qui agit sur ou avec l’œuvre interactive et le spectateur observateur qui observe l’action du spectateur actif ou qui est simplement contemplatif d’une œuvre numérique non-interactive. Le spectateur actif est appelé par Jean-Louis Weissberg, le spect-acteur : « Enfin, avant d'entrer dans le vif du sujet, il me semble nécessaire de délimiter plus précisément la signification du néologisme proposé de spect-acteur. Je précise que dans mon esprit, la notion d'acteur ne désigne pas ici les espaces de liberté dont jouit l'interprète, au sens théâtral, ou encore l'acteur dans une acception sociologique (l'acteur social). Il renvoie directement à la notion d'acte, quasiment au sens gestuel, par opposition à l'appréciation mentale. Et le trait d'union est essentiel, puisqu'il 71 accouple la fonction perceptive "spect" (regarder) à l'accomplissement de l'acte. »45. Donc le spect-acteur est celui qui observe et qui fait acte. Le spectateur joueur de pièce interactive comme The Intruder, SOD, l’île de paradis (version 1.15) … sont des spect-acteurs, car ils font acte. Un simple déclencheur Le spectateur déclenchant par sa présence une interaction avec l’œuvre est le premier degrés d’acte du spect-acteur. Dans une œuvre numérique comme Empty Cube de Mickaël Auffret et de Quentin Delamarre, représentant une sorte de plante spatiotemporelle mi-organique, mi-minéral emprisonnée dans la représentation d’un cube. La croissance d’Empty Cube est liée à son lieu d’exposition, à la structure qui l’entoure, cette variable est fixée dans le programme dès le début de la gestation du Cube et déterminera sa forme. Le temps de gestation est quand à lui paramétré préalablement sur une durée fixée dès le début de l’exposition et souvent équivalente à sa durée. Sa croissance se fait au rythme d’un battement organique régulier qui devient légèrement plus intense lorsqu’on s’approche, le spectateur agit comme une onde troublant la surface de projection. Par son acte de présence, il inflige au cube un état de stress qui est ressenti par l’accélération légère de son rythme cardiaque. Cependant le spectateur ne marque pas Empty Cube, il n’agit que de manière ponctuelle sur son état et ne bloque ou n’accélère en rien sa progression. Avec ou sans public la sculpture vit, et poursuit sa lente évolution. Empty Cube est déjà totalement paramétré. Gamer observateur Si je prends l’exemple du spectateur joueur de l’île de paradis(version 1.5) du collectif Ultralab. Le spect-acteur fait acte en se déplaçant dans le jeu mais aucune autre action n’est possible au gamer dont les possibilités habituelles d’interactions sont plus importantes (saisir un objet, zoomer, déclencher un mécanisme…) Dans l’île de paradis(version 1.5), le spect-acteur devient observateur de l’île paradisiaque. Il s’y promène, reconnaît le lieu d’exposition du Jeu de Paume et découvre ses souterrains, le jeu de piste et les questionnements sur ce qui s’est passé en ces lieux suspendus 45 J. L. WEISSBERG, Présences à Distance. Déplacement virtuel et réseaux numériques : pourquoi nous ne croyons plus à la télévision, Editions L’Harmattan, Paris, 2000, 304 pages. Texte extrait du chapitre 5 : Retour sur l’interactivité, relevé sur le site : http://hypermedia.univparis8.fr/Weissberg/presence/5.html 72 hors du temps et peut être même déplacé dans l’espace, se fait intellectuellement au fur et à mesure de l’interprétation d’indices trouvés au gré de la promenade du spectateur gamer. Lors d’une intervention à l’Université Paris 8 organisée par Marlène Puccini46, un représentant du collectif Ultralab, nous a expliqué que certains spectateurs gamers tentaient de hacker leurs travaux en essayant de déclencher un beug en tuant l’avatar de la pièce numérique. Dans une de leur précédente pièce, Diorama III, un soldat armé (représentant l’avatar du joueur) se promenant seul dans un désert (il ne peut tirer sur personne) et livré à lui même sans but apparent. La traversée du désert est très longue, plusieurs heures de marche permettent d’atteindre (si on sait où elle se situe) une cité perdue en son centre. Le spectateur gamer souvent décontenancé, a cherché à la place de la cité perdue, un moyen de tuer son avatar. Au contraire de la cité qui ne fut pas trouvée, le gamer réussi en tirant assez près d’un mur à recevoir des éclats des balles blessant son avatar, il conduit ainsi ce dernier à la mort. Ici, le spectateur gamer n’est pas resté dans le chemin tracé par le collectif Ultralab, en hackant la pièce numérique, il en change complètement le sens. Gamer, entravé Le spect-acteur entravé est typiquement celui qui joue ou plutôt qui tente de jouer à SOD. Le monde de Wolfenstein 3D ayant été totalement modifié, il est impossible pour le gamer de se repérer dans ce labyrinthe aux ennemis invisibles, aux objets invisibles et déplacés, aux mapping deformés... Le but de Jodi.org est d’entraver le gamer, surtout celui qui se croit maître du jeu, Jodi.org veut leur montrer qu’ils ne sont rien face à la machine ordinateur. Le duo de Jodi.org prend le rôle du hacker, ce sont eux qui déforment notre univers rassurant à travers l’outil ordinateur en un no man’s land informatique pour nous diminuer. L’action du spect-acteur non prévue par les programmeurs de Jodi.org, n’existe pas, car leur seul but est la capitulation du spectacteur. Jodi.org serait mis en échec que si un gamer arrivait à finir la version modifiée de Wolfenstein 3D ou piratait le code source de SOD mais il n’est pas accessible depuis l’interface. Donc le spect-acteur reste pieds et poings liés jusqu’à ce qu’il décide de quitter l’univers perturbant de SOD. 46 Conférence organisée par Marlène Puccini, professeur de pour les élèves de Master1 d’Art et Technologie de l’Image et un des artistes du collectif Ultralab. 73 Gamer leurré « Le champ ouvert est celui de la simulation au sens cybernétique, c’est-à-dire celui de la manipulation tous azimuts de ces modèles (scénarios, mise en place de situations simulées, etc.) mais alors rien ne distingue cette opération de la gestion et de l’opération même du réel : il n’y a plus de fiction. »47 Le spect-acteur qui se laisse emporter par un scénario préétabli, en pensant avoir imposé ses choix est leurré par la pièce interactive. Dans le cas de The Simulator de Garnet Hertz, sorte de jeu de rôle où le spect-acteur vit la vie d’un équipier de la chaîne de restaurants fast food, MacDonald’s. Le spect-acteur se trouve confronté à des choix d’actions diverses par la sélection d’une des réponses préétablies pour la question posée (comme c’est souvent le cas dans les jeux de RPG). Dans un jeu de type RPG, ce type de choix détermine un certain nombre de paramètres futurs, comme dans un livre dont on est le héros, ces choix faits, conduisent l’avatar du gamer à un game over (positif ou non). Dans The Simulator de Garnet Hertz, l’impression du spect-acteur de commander la vie de l’équipier MacDonald’s est la même que celle du gamer dans le RPG, cependant c’est un leurre, quelques soit les choix du spect-acteur de The Simulator, la journée de l’équipier suivra son cours, il ira faire des hamburgers toute la journée et la journée du lendemain sera à peu de chose près identique à la précédente et à la suivante. Le spect-acteur est prisonnier de la routine imposée par Garnet Hertz : il ne peut pas faire sortir son avatar de cette boucle infernale, il est comme dans le cas du gamer de SOD, pieds et poings liés. Son pouvoir de décision est un leurre. Le Gamer King Master Le but de tous gamers est de devenir, le King Master, c’est à dire le maître du jeu. Le spect-acteur hacker est le King Master des spect-acteurs, c’est lui qui mène la barque. Dans le cas de Velvet Strike, le gamer de CS, à la possibilité de jouer mais surtout de taguer des messages anti-guerre durant la partie, il peut lui aussi créer ses propres tags, il contrôle donc pleinement ses actes. Personne ne l’oblige ni à jouer ni à taguer ni à taguer les tags de Velvet Strike. Comprenant le principe d’action de Velvet Strike, c’est lui qui choisit sa forme d’action. Dans le cas de l’exposition en ligne de Cracking The Maze, en 1999, les organisateurs ont décidé que « l’interface textuelle de cette exposition de patchs de jeu a été conçue 47 BAUDRILLARD J. Simulacres et simulation, Galilée, collection Débat, Mayenne, 2004, 234 pages, p179. 74 pour évoquer le code source de Doom, jeu ouvert dont l’esthétique peut être modifiée par les joueurs. Les créateurs de jeux ouverts comme Doom accordent une attention particulière aux mods et patchs et prennent en compte les désirs des joueurs pour concevoir les versions à venir de leurs produits »48. c- L’artiste numérique gamer Gamerz49 est un jeune festival qui propose de réunir, des jeunes artistes « marquant les courants émergeant de la scène contemporaine artistique en explorant des réflexions environnementales inspirées par le jeu vidéo. Cette exposition montre des relations possibles entre création contemporaine et programmation informatique. Elle proposera au public un moment d’interactivité et d’échange à travers des installations, vidéos, son, laser et des performances » Les expositions Gamerz ont lieu dans l’Espace municipal d’art contemporain Sextius d’Aix-en-Provence et en étaientt à leur deuxième édition en janvier 2008. Le nombre d’artistes participants a doublé entre Gamerz et Gamerz 0250. Ce deuxième opus a beaucoup fait parler de lui dans le monde du jeu vidéo, puisqu’un dossier était consacré à cette exposition dans le magazine de gamer Joystick51 de janvier 2008. Douglas Edric Stanley, professeur d’Arts numériques à L’école supérieure d’art d’Aix-en-Provence ainsi que chercheur au Laboratoire Esthétique de l’Interactivité à Paris 8 et artiste, déclare dans l’interview donnée au magazine Joystick : « Nous travaillons uniquement avec les jeux vidéo quand cela nous arrange artistiquement. Il faut dire aussi que beaucoup d’entre nous sont des gamers. Et nous songeons de plus en plus à des formes de distribution plus classiques de nos jeux. […] Je rêve d’une entrée où des artistes puissent distribuer des jeux plus critiques ou abstraits sur les mêmes plates-formes que les autres. La distribution sur réseau nous ouvre peut-être une petite porte dans ce sens mais c’est loin d’être gagné. Sur ces questions de porosité, je dois saluer Nintendo pour son travail d’ouverture (DS, Wii, Bitgeneration). J’étais au supermarché hier, et j’ai vu des cartouches signées Toshio Iwai. Si vous êtes de vrais gamers, vous allez peut-être être capables de me dire : ‘Ah, oui, le concepteur d’Otocky pour Famicom et de 48 GREENE R. L’Art Internet, Thames & Hudson, collection l’univers de l’art, Paris, 2005, 224 pages, p. 147. http://expogamerz.blogspot.com/ 50 http://gamerz02.blogspot.com/ 49 75 SimTunes pour PC’. Mais avez-vous fait le déplacement pour aller voir ses concerts ou ses installations lors des plus grands festivals d’arts numériques ? Quand on se balade régulièrement dans des festivals comme Ars Electronica, on se demande pourquoi l’industrie n’investit pas plus dans ce monde, car il y a évidemment là une énorme mine d’or. Le risque serait presque uniquement du côté des artistes. »52La frontière entre jeux vidéo et art se fait de plus en plus fine, l’un passant de l’un à l’autre comme l’exemple de l’artiste Toshio Iwai. Certains artistes mêlent directement les deux dans leurs œuvres comme « L’artiste américaine Anne-Marie Schleiner, également commissaire d’exposition, écrivaine et gamer donnait sa vision du phénomène dans un entretien daté de 1999 : ‘L’art en tant que hacking de la culture m’intéresse, un art avec un propos critique qui s’immisce hors des frontières des publics établis de l’art et dialogue avec un public plus large (c’est à dire le public amateur du gaming). Un art qui trouve des cracks dans le code et hacke les systèmes étrangers. Je souhaite également encourager la pollinisation croisée des stratégies propre au jeu et à l’art en donnant aux artistes des outils et des techniques développées par des hackers de jeux et en exposant en tant qu’œuvres d’art des patchs de jeu crées par des gamers. »53 Rachel Greene présente Anne-Marie Schleiner comme gamer au même rang que commissaire d’exposition. Le fait que Anne-Marie Schleiner soit gamer, a son importance, le fait d’être un gamer n’est plus relégué au rang de hobby, cela apporte une caractéristique à son art. Le fait qu’un artiste soit gamer, fait qu’il comprendra les codes du jeu et pourra les détourner, les appliquer, les abolir. Anne-Marie Schleiner ouvre la brèche dans l’autre sens en permettant aux gamers de raconter quelque chose, de devenir actifs dans le monde de l’art, en devenant, grâce à leurs connaissances techniques du monde du jeu des créateurs. Dans une interview de Ariel Kyrou pour le magazine Chronic’Art d’octobre 2005 et reportée dans le catalogue d’exposition Samaran², le collectif Ultralab confie que le jeu vidéo remapper pour Diorama III est un jeu de simulation de guerre auquel les membres du collectif jouaient : « Nous avions choisi presque d’emblée Unreal, sur lequel nous jouions souvent en groupe pour nous défouler. Nous le trouvions très fluide et certaines maps disponibles sur le réseau nous séduisaient beaucoup. »54 51 Joystick n°202- janvier 2008- dossier : Jeu Vidéo et Art, p74-77. Joystick n°202- janvier 2008- dossier : Jeu Vidéo et Art, p77. 53 GREENE R. L’Art Internet, Thames & Hudson, collection l’univers de l’art, Paris, 2005, 224 pages, p. 148. 54 ULTRALAB Samaran² catalogue 2, Monographik edition et Ultralab publisher, Paris, 2006, 128 pages, p. 20. 52 76 « C’est en jouant, et seulement en jouant, que l’individu, enfant ou adulte, est capable d’être créatif et d’utiliser sa personnalité toute entière. C’est seulement en étant créatif que l’individu découvre le soi. De là, on peut en conclure que c’est seulement en jouant que la communication est possible »55. L’œuvre se fait par le jeu, la communication, c’est ça qui la rend créative. L’artiste joue souvent avec le spectateur, en l’interrogeant, en l’intriguant en le contrariant. L’artiste gaming joue avec le joueur et se joue du joueur… le gamer par définition joue aussi pourtant ce serait un sophisme d’en conclure que l’artiste est un gamer. Cependant la majorité des artistes faisant référence à ce que j’ai appelé dans ma première partie, la culture Peter Pan, sont des gamers, car le game fait partie de leur référentiel culturel. « Le gaming est devenu une forme numérique d’art populaire. Au sein de leurs communautés en ligne, les gamers jouent des rôles de critiques, de curateurs et d’artistes en diffusant leur propre mods de jeu et en collectionnant et en analysant ceux des autres. »56 55 56 WINNICOTT D.W. Jeu et réalité, folio essais, Mesnil-sur-l’Estrée, 2005, 276 pages, p110. GREENE R. L’Art Internet, Thames & Hudson, collection l’univers de l’art, Paris, 2005, 224 pages, p. 149. 77 III. AU-DELA DU REEL. 78 III. Au-delà du réel. L’univers fictionnel recouvre un vaste territoire de la Culture Peter Pan. Car dans cette culture il est difficile de ne pas trouver quelque chose qui n’est pas attaché à la fiction. La culture Peter Pan vit par la fiction et réinvente continuellement la fiction. Dans cette dernière partie, je ferai le lien presque indissociable qu’il existe entre l’art numérique et la fiction. La fiction est un univers vaste dont la définition fera l’objet de la première partie, je montrerai dans cette même partie que l’univers fictionnel influence l’art numérique à travers des exemples de pièces numériques comme reflet de l’imaginaire fictionnel. La deuxième partie sera consacrée au rite de l’initiation pour en arriver à la recherche de la maîtrise de nouveaux systèmes technologiques pour un art de plus en plus hight tech. La dernière partie portera sur la quête identitaire, reflet de la culture Peter Pan au travers d’écrits et d’œuvres numériques. 1). La fiction comme fil d’Ariane de l’art numérique. Cette première partie commencera par définir le mot ‘fiction’, je m’attarderai sur d’autres mots qui en découleront afin de mieux couvrir le territoire fictionnel de la culture Peter Pan. Dans la deuxième partie, je mettrai en valeur à travers des exemples comme No Ghost Just A Shell de Pierre Huyghe et Philippe Parreno l’impact de l’univers fictionnel dans l’art numérique. Je terminerai en abordant la question du Fake, du jeu de certains artistes comme le collectif Ultralab qui jongle avec la réalité. a- Cartographie des fictions de la culture Peter Pan Fiction n. f. (lat. fictio, -onis, de fictus, feint, imagé). 1. Création de l’imagination ; ce qui est du domaine de l’imaginaire, de l’irréel […] La fiction est donc le référentiel modélisé : selon des systèmes culturels, proprement littéraires, qui constituent une orthopédie de l’univers d’expérience évoqué. Le jeu créateur consiste à motiver l’inscription du modèle en termes référentiels, à naturaliser la structure inhérente de la fiction. Les degrés de réalisme, attachés à la fiction – du récit merveilleux au récit naturaliste -, sont autant d’indications sur les procédures de motivation : le référentiel exclut le référent absolu et le discours 79 achevé. C’est pourquoi la fiction est rigoureusement réflexive, retour constant sur sa méthode et ses moyens.1 La fiction est donc un univers ouvert, qui reçoit de nouvelles inventions constamment. Elles s’opposent à la réalité mais s’appuient dessus. La fiction au contraire de la réalité, n’est pas bloquée par des faits. La fiction est un genre littéraire de masse. « La question est en effet pas tant celle de la valeur des représentations que celle de leur usage : il se trouve que les représentations fictionnelles ont été développées en vue d’un certain usage spécifique, différent de celui auquel sont destinées et adaptées les représentions dites ‘à fonctions référentielles’ : brouiller les deux, ailleurs que dans le cadre ludique de l’expérimentation artistique, reviendrait à désorganiser notre rapport représentationnel au monde dans lequel nous vivons et aurait des conséquences extrêmement désagréables. »2 « Les itinéraires de l’imaginaire sont ceux de la quête, du voyage dans l’espace et dans le temps, ou encore l’échappée fantasmatique qui construit idéalement un moment de la pensée. En voyageant sur le sens, en produisant des connaissances inédites, les imaginaires font émerger de nouvelles légitimités et inventent les formes sociales de la modernité. »3 La science-fiction La science-fiction est un univers fictionnel spéculatif, dont l’univers fictionnel créé est basé sur un hypothétique : « et s’il c’était passé ça…. » Ouvrant ainsi, l’immense porte des mondes parallèles au nôtre. La science-fiction est une sous-partie de la fiction très présente dans l’univers de la culture Peter Pan. La culture geek étant majoritairement influencée par la sciencefiction. La science-fiction répond à quatre grands thèmes : le space opera, épopée de l’homme à la conquête de l’espace ; l’espace-temps, voyages à bord de machines super sophistiquées à travers les époques ; la domination de la machine, où la machine gouverne l’homme paresseux et le cyborg, qui questionne sur l’homme, sur 1 GRAND DICTIONNAIRE ENCYCLOPEDIQUE LAROUSSE, Le Grand Larousse Universelle, T.6, Larousse, Paris, 1995, 4416 pages, p. 4250. 2 HEINICH N. SCHAEFFER J.M. Art, création, fiction : Entre Sociologie et philosophie, Jacqueline Chambon, Nîmes, 2004, 217 pages, p.163-164. 3 VANBREMEERSH M. C. Dir. Itinéraires de l’imaginaire, L’Harmattan, Paris, 1999, 264 pages, p.11. 80 la nature profonde de l’humanité. Selon sa définition, la science-fiction est un « genre littéraire et cinématographique qui invente des mondes, des sociétés et des êtres situés dans des espaces-temps fictifs (souvent futur), impliquant des sciences, des technologies et des situations radicalement différentes. »4 La science-fiction apparaît dans l’univers prolifique de la fin du XIX siècle grâce à Jules Verne et Herbert George Wells. Beaucoup d’ouvrages antérieurs peuvent être catalogués comme appartenant à la SF mais sont isolés culturellement. Les univers de Jules Verne et de H. G. Wells ont inspiré un des sous genre de la science-fiction, le steampunk. ‘Steam’ signifie vapeur et ‘Punk’ est une référence à un monde qui à des difficultés sociales interclasses à l’origine de violence. C’est donc une science-fiction baroque peuplée d’inventeurs aux inventions incroyables dans un univers parallèle de la fin du XIX siècle à l’esthétique victorienne. Le steampunk est le reflet d’une époque révolutionnée par l’invention de la machine à vapeur5, qui combiné aux spéculations de la science-fiction donne un : « et si dans le monde de la révolution industrielle, un inventeur avait créé ceci… ». L’histoire est lancée, une machine à remonter le temps pour H. G. Wells réutilisée dans des conditions parallèles dans Time After Time6 de Nicholas Meyer (1979) où H. G. Wells se trouve face à Jack l’éventreur dans l’Amérique des années 70. Le Nautilus de Jules Verne a été repris par La Ligue des Gentlemen Extraordinaires, bande dessinée très saluée par la critique, dont l’adaptation au cinéma en 2003, avec Sean Connery dans le rôle principal du chasseur, fut très décevante. Le Capitaine Nemo (nemo signifie en latin personne) et son sous-marin le Nautilus ont aussi été repris dans une adaptation japonaise très libre7 de l’œuvre de Jules Verne Vingt milles lieues sous les mers, intitulée Nadia, le secret de l’eau bleue8 (le titre original est fushigi no umi no Nadia, littéralement Nadia des mers mystérieuses) dont l’histoire débute en plein cœur de l’exposition universelle de Paris de 1889. L’histoire met au centre de son intrigue une 4 GRAND DICTIONNAIRE ENCYCLOPEDIQUE LAROUSSE, Le Grand Larousse Universelle, T.13, Larousse, Paris, 1995, 9568 pages, p. 9422. 5 La machine à vapeur est une des causes majeures de la révolution industrielle. 6 Time After Time a été récompensé par le Grand prix et Antenne d'or au Festival international du film fantastique d'Avoriaz 1980. 7 Le générique de Nadia, le secret de l’eau bleue, indique : « d’après JulesVerne » 8 Le caracter design de la série Nadia a été confiée à Yoshiyuki Sadamoto, dessinateur et designer de la série Neon Genesis Evangelion et plus récemment de l’anime de La Traversé du Temps récompensé par le grand prix du jury du festival d’animation d’Annecy. 81 héroïne aux origines africaines9 élevée dans un cirque qui cherche à découvrir son passé, et qui se retrouve prisonnière du Nautilus et de son étrange capitaine, Nemo. Par l’intermédiaire d’un mystérieux pendentif (objet de toutes les convoitises) le destin de Nadia est mêlé à l’histoire de la tour de Babel et de la chute de la cité engloutie, Atlantis. Le space opera base de la culture geek Portée par le projet de la conquête de l’Espace, la science-fiction en a fait un thème à part entière. Le space opera est la sous-branche de la science-fiction où l’action se passe au cœur d’un espace colonisé par l’Homme. Le terme space opera est une expression au départ péjorative pour qualifier ce genre comme mauvais en faisant allusion à l’expression soap opera. L’expression space opera sera gardée par les amateurs du genre mais la connotation péjorative aura été effacées. Franck Herbert, dans sa saga Dune, pose la question de gérance de différents systèmes autour d’un produit rare, l’épice, nouvel or de ce monde et comment un peuple doit chercher à s’adapter à son environnement, celui hostile de la planète de sable, Arakis. Dune a fait l’objet d’une adaptation cinématographique par David Lynch en 1984, qui donna à son œuvre une esthétique visuelle empreinte d’un univers steampunk. L’univers filmique du space opera obtient ses lettres de noblesse en 1968 avec 2001 Odyssée de l’Espace de Stanley Kubrick, avec cette adaptation de l’univers du romancier Arthur C. Clarke, saluée par la critique. En 1977, sort le premier volet de la trilogie Star Wars de Georges Lucas, présentant un univers multiracial complexe. Le premier Star Wars, A New Hope associant êtres humains, extraterrestres et androïdes se battant contre un gouvernement totalitaire est un succès mondial. Les univers de Star Wars et des séries Star Trek et Galactica ont énormément influencé la culture geek. Dans le reportage Suck my geek, Alexandre Astier dit que l’univers de Star Wars a été pour lui un véritable déclic, une ouverture sur un autre monde, c’est Star Wars qui a fait de lui un geek. 9 afin d’avoir l’aval des producteurs de la série, le design de Nadia a été modifiée au niveau de ses cheveux de peur de ne pas rencontrer la faveur du public japonais face à une héroïne aux caractéristiques physiques totalement africaines (de même pour le Capitaine Nemo). 82 Dans les séries Galactica(1978) et Battlestar Galactica (son remake de 2004), le vocabulaire utilisé pour faire un bond spatio-temporel est dans sa version originale : ‘jump’. Il est amusant de noter que dans le commentaire audio de Matt Mullican dans Five into One (1991), il utilise le mot ‘jump’ pour symboliser son passage d’un univers à l’autre. « A l’ancien conquérant impérialiste a succédé l’aventurier imaginaire »10 L’heroic fantasy, second fer de lance de la culture geek L’icône de l’heroic fantasy est sans contexte J. R. R. Tolkien, qui avec The Lord of the Rings (Le Seigneur des Anneaux) a littéralement planté le décor de l’heroic fantasy. L’heroic fantasy est un monde quasi moyenâgeux peuplé d’êtres de légende comme les Elfes, les Nains, les Orcs… où se mêlent chevalerie et magie. Peter Jackson qui est le réalisateur de l’adaptation cinématographique du Seigneur des Anneaux fait parti de la liste des réalisateurs considérés comme geek, dans le documentaire Suck my geek, avec Guillermo del Toro (Le Labyrinthe de Pan), Sam Raimi (Spiderman), Quentin Tarentino (Kill Bill)… Kill Bill, comme la majorité des films de Tarentino est truffé de références aux mondes geek et otaku. Les contes de Terremer d’Ursula Le Guin (gagnante de quatre prix Hugo), ont fait aussi l’objet d’adaptation comme l’anime de Goro Miyazaki par les studios Ghibli et antérieurement un téléfilm américain à la qualité somme toute très relative. Dans les contes de Terremer, Ursula Le Guin, raconte l’histoire d’un univers peuplé de magie, où son héros, Ged doit combattre le mal qu’il a lui-même crée, le Gebeth, sorte de reflet maléfique de la vantardise et du manque d’humilité du principal protagoniste. Ged doit combattre son monstre. 83 Le monstre Dans les premières pages de La Guerre des Mondes, H. G. Wells dit « Les Martiens c’est nous », la science-fiction exprime le reflet des maux de la société. Le monstre est une figure récurrente de la science-fiction, il est le symbole soit de la monstruosité de l’être humain soit d’une terreur où l’homme se trouve submergé, vulnérable face à une attaque inconnue. Si on étudie le premier King Kong réalisé par Merian C. Cooper et Ernest B. Schoedsack en 1933. C’est l’histoire d’hommes avides d’argent qui se rendent sur l’île de King Kong et y voit en le rencontrant, l’opportunité de gagner encore plus d’argent. C’est l’avidité humaine de vouloir tout dominer qui emmène le monstre au théâtre New-Yorkais, c’est l’avidité journalistique à mitrailler de photos le singe géant qui le rend fou. La conclusion de King Kong n’est pas celle d’un film héroïque où les gentils Américains ont sauvé le monde de la dévastation monstrueuse mais plutôt une critique de l’incapacité de l’homme à gérer les problèmes qu’il génère. La mort de King Kong en haut de l’Empire State Building est une exécution, le seul moyen que l’homme a trouvé pour arrêter le désastre. La mort de King Kong laisse un goût amer. King Kong est à sa manière avant l’heure une fable écologique, dont le message serait de ne pas déporter les espèces de leur milieu naturel. Pourrait-on sinon voir dans l’amertume ressentie, à une échelle très éloignée, une sorte de mea culpa caché de la déportation du peuple noir pour l’avoir réduit en esclavage, où King Kong serait l’allégorie ? La série des Godzilla japonais est le symbole de la terreur humaine face à une attaque massive, comme la bombe atomique. « En effet, quand le Japon eut à subir le traumatisme des explosions nucléaires d’Hiroshima et de Nagasaki, il ajouta naturellement ces deux autres désastres à la liste déjà longue de ses calamités naturelles, et des monstres en vinrent à incarner le nouveau péril de la bombe atomique. Godzilla, par exemple, a été réveillé par un essai nucléaire, il est radioactif et crache des flammes atomiques : il est le péril nucléaire incarné, et lorsqu’il piétine Tokyo ou quelque autre ville portuaire, il n’est que la métaphore réitérée des désastres qui placent le Japon et les Japonais en position de victimes. »11 Les Godzilla japonais n’ont rien à voir avec le film américain Godzilla de 1998, qui présente juste l’attaque 10 11 HOUGRON A. Science-fiction et société, Presse Universitaire de France, Paris, 2000, 294 pages, p. 283. HOUGRON A. Science-fiction et société, Presse Universitaire de France, Paris, 2000, 294 pages, p. 198-199. 84 de New York par un méchant monstre, le nationalisme se doit de répondre à cette agression monstrueuse et part terrasser le monstre, lui infliger ce qu’il mérite. La différence se fait sentir avec la sortie cette année de Cloverfield, où sans explication un monstre sème la terreur comme dans les originaux de Godzilla. Le peuple américain ne sait plus quoi faire, rien ne peut les protéger du désastre, comme lors des attentats du 11 septembre, le monstre ‘Clover’ est le symbole du traumatisme ressenti par les Américains lors des attentats. Les Etats-Unis ne sont plus depuis le 11 septembre 2001 un pays où rien ne peut arriver car bien protégé par la plus puissante armée du monde. Les fables écologiques sont très présentes dans l’univers contemporain japonais au travers d’animes comme Nausicäa de la vallée du vent de Hayao Miyazaki ou encore le film Origine de Keiichi Sugiyama sorti en 2006 où à la suite de l’activation d’une invention visant à ‘forêtiser’ la Lune, la technologie sur la Terre se retrouve alors détruite par la nature et les humains survivants sont dominés dans le futur par les esprits de la forêt. La colonisation de la Terre par la nature depuis la Lune est symbolisée par un dragon (monstre) formé de racine et de feuille s’abattant sur le Japon. Nous sommes là aussi dans le cas d’une chimère tombée du ciel sur le sol japonais juste après une pression sur un bouton rouge. On retrouve cet univers chimérique d’êtres hybrides dans le travail de l’artiste contemporaine japonaise Chiho Aoshima. Dans ses illustrations Graveheads, comme qu’on peut traduire par têtes tombales, il est difficile d’ignorer le parallèle entre les deux têtes tombales, sorte de monstres sortant de terre et les deux Gravehrad de Chiho Aoshima, sur les mur de la pièce Installation view, Asleep, dreaming of reptilian glory, 2005 Blum & Poe, Los Angeles, CA explosions nucléaires d’Hiroshima et de Nagasaki. Les têtes tombales aux formes d’explosions sont couvertes par des nuages noirs d’où pleut du sang, parallèle avec les pluies acides. Des personnages se donnant la main et traversant en farandole d’un bout à 85 l’autre l’illustration font la liaison entre le paradis d’avant et d’après. Ceux se trouvant dans la zone des pluies sanguines ont fondu, ressemblent à des sortes de zombie. Dans le paradis d’après, on retrouve des zombies heureux jouant avec des nonzombis, dans le paradis d’avant on voit au sol une sorte de couple, peut-être Adam et Eve, sautillant gaiement avant la catastrophe. b- Univers fictionnel dans l’art « La fiction est une boîte à outils où nous farfouillons sans cesse à la recherche d’instruments adéquats pour fournir un cadre sensible au réarrangement des concepts que nous souhaitons tripoter, tel celui du virtuel, de la simulation »12 FACELESS, la télésurveillance de George Orwell FACELESS est un film de Manu Luksch, réalisé en 2007 à partie seulement d’images provenant des caméras de surveillances londoniennes. Dans une interview l’artiste décrit son film comme le « portrait d’un monde sous surveillance temporelle »13. Ce long métrage a été très remarqué à Beaubourg lors du 3ème festival Hors-pistes. Manu Luksch s’intéresse de près à la question de la perte de la vie privée au profit d’une meilleure sécurité orchestrée d’une main de maître par le gouvernement britannique. D’origine viennoise, elle s’est trouvée fortement choquée par ce processus de surveillance lorsqu’elle a commencé à habiter à Londres. La loi britannique sur les caméras de surveillance autorise les personnes filmées à recevoir à leur demande, une copie de tous les films dans lesquels ils apparaissent. C’est la démarche que Manu Luksch a faite auprès du département de surveillance, et c’est à partir de ces films qu’elle a décidé de monter FACELESS. « Je me suis dit pourquoi ne pas faire carrément un long-métrage, un thriller SF. Il s’est avéré que le processus a été très long. Et certaines scènes prévues dans le script s’avéraient difficile à obtenir. Du coup, j’écrivais et adaptais le scénario en 12 Propos tenus par le collectif Ultralab lors de leur interview avec le journaliste de Chronic’Art Ariel Kyrou ULTRALAB Samaran² Catalogue 2, Monografik Edition et Ultralab publishers, Paris, 2006, 128 pages, p. 18. 13 http://www.ecrans.fr/La-surveillance-est-une-activite,2048.html 86 fonction des vidéos de surveillance que j’avais réussi à obtenir, en utilisant ce qui se passait spontanément dans les images. Par exemple, on me demande souvent si l’homme dans le film qui me tire dessus était un acteur. En fait, ce qui s’est passé, c’est qu’il s’est approché pour me demander une adresse et m’a fait voir un bout de papier. Sur l’enregistrement, le bout de papier ressemble à un revolver et en masquant quelque peu ma propre personne, j’ai fait en sorte que ça ressemble à une tentative d’assassinat. Finalement, j’ai renversé le processus. Dès qu’un film arrivait, je poursuivais le script. C’est inspiré par La Jetée de Chris Marker. » 14 Extrait du film FACELESS de Manu Lusch (2007) No Ghost just a Shell : réceptacle de fictions Le projet d’Ann Lee commence en 1999 par l’acquisition pour 46000 Ұ d’un personnage standardisé de manga acheté par les artistes Pierre Huyghe et Philippe Parreno à une société designer de personnages animés japonaise. Ils lui donneront le nom d’Ann Lee. « Les deux artistes décident de s’emparer de ce signe virtuel, fragile silhouette en attente d’incarnation, pour l’engager dans des aventures et en faire un signe en expansion. Chacun d’eux travaillera avec Annlee, avant de la confier à d’autres artistes qui pourront la remplir de leur imaginaire. L’ensemble du projet s’appelle No Ghost just a Shell »15. Le nom No Ghost just a Shell est en L’avatar Ann Lee de No Ghost Just a Shell référence au film d’animation de Mamoru Oshii designé par Marsumune Shirow, Ghost in the Shell16, où l’énigmatique ‘puppet master’ prend possession de corps vides pour accomplir ses actions. Il y a une ressemblance 14 http://www.ecrans.fr/La-surveillance-est-une-activite,2048.html WETHERWALD E. Rue Sauvage « L’intelligence observe l’action », les presses du réel, Dijon-Queligny, 2003, 107 pages, p.69. 16 adapté du manga japonais de Marsumune Shirow, le film est connu pour la complexité de son scénario, il sorti en 1995. 15 87 physique et psychologique entre Motoko Kusanagi, l’héroïne de Ghost in the Shell et Ann Lee. Kusanagi est une cyborg à la recherche de son humanité tandis qu’Ann Lee est en attente d’une quelconque identité. Annlee est un écrin à données, pour tous les artistes participant au projet No Ghost just a Shell. Elle représente la figure de l’avatar qui ne prend vie que si quelqu’un agit derrière lui. Les artistes du projet No Ghost just a Shell sont les Pupett Masters, les marionnettistes du corps vide d’Ann Lee. Vouée à disparaître dès sa conception, « Annlee était un produit aliénable, consommable et périssable, comme tout bien de consommation ; détournée de sa fonction, elle est devenue immatérielle, objet de connaissance, catalyseur d’expériences. »17 Elle apparaît pour la première fois, dans Anywhere out of the World18 de Philippe Parreno où le personnage d’Ann Lee se présente et raconte son histoire : « Je suis un produit. Un produit libéré d’un marché que je devais alimenter. (…) J’appartiens à celui ou à celle capable de me remplir d’imaginaire »19. Ann Lee est une enveloppe vide à la disposition de ces artistes, sa fonction est de représenter la saisie qui lui est implantée. L’artiste crée autour d’Ann Lee un protocole, qu’il implante ensuite à l’ersatz, Ann Lee l’exécutera. Ainsi dans la pièce de Pierre Huyghe, One Million Kingdoms20, on voit au gré la promenade d’Ann Lee apparaître un paysage au fur et à mesure qu’Ann Lee parle. Sa voix est une voix synthétique créée à partir de la voix de Neil Amstrong, c’est cette voix masculine et synthétique sortie de l’avatar Ann Lee qui ponctue la création du paysage. Sous le sous-titre «Ecriture fragmentaire», Elisabeth Wetherwald expose la pluralité de l’avatar Ann Lee. « D’abord promise à la réification, puis à la disparition, Annlee échappe de peu aux lois qui l’ont fait naître pour devenir un signe pluriel aux incessantes métamorphoses ; car il ne s’agit pas ici de recopier les modèles de l’industrie culturelle en faisant se succéder des épisodes dont on pourrait suivre la ligne directrice. Chaque artiste propose un avatar particulier qui n’entre pas dans des rapports de causalité avec les autres. »21 ou comme le dit Pierre Huyghe « une image, un produit raconte son histoire, celle d’un signe affranchi du marché de la fiction pour 17 WETHERWALD E. Rue Sauvage « L’intelligence observe l’action », les presses du réel, Dijon-Queligny, 2003, 107 pages, p.70. 18 Pièce de Philippe Parreno réalisée en 2000. 19 Propos du personnage d’Annlee dans la pièce Anywhereout of the World de Philippe Parreno. 20 Pièce de Pierre Huyghe, réalisé en 2001 et présentée au Pavillon français de la 29° Biennale de Venise. 21 WETHERWALD E. Rue Sauvage « L’intelligence observe l’action », les presses du réel, Dijon-Queligny, 2003, 107 pages, p.71. 88 devenir un personnage qui prête sa voix à d’autres auteurs »22. Ann Lee devient en quelque sorte le porte-parole des artistes de No Ghost just a Shell. Lors d’une exposition personnelle de l’artiste Dominique Gonzalez-Foerster, auteur du film Ann Lee in Anzen Zone (2000), en mai 2001 au Consortium, intitulée « Quelle architecture pour Mars » l’artiste crée un univers empli de l’univers de science-fiction baptisé Cosmodrome. Il déclare lors d’une interview sur le projet « Oui [il y a des liens entre Ann Lee et le Cosmodrome], notamment les références à la science-fiction. Avec Ange Leccia, nous avons fait le film ‘ Gold’, présenté dans l’exposition ‘ Elysian Fields’ au Centre Pompidou l’été dernier. Pour nous, c’était le premier road-movie interplanétaire où deux personnages, qu’on ne voit jamais, se déplacent d’un environnement à l’autre, d’une planète à l’autre. À travers ‘ Ann Lee’, ‘ Gold’ et le ‘ Cosmodrome’, je peux enfin explorer cet espace de la science-fiction. » 23 Ann Lee in Anzen Zone de Dominique GonzalezForester (2000). Dans le film Ann Lee in Anzen Zone, Ann Lee est dédoublée, l’originale parle en japonais, le double traduit en anglais. Pour Dominique Gonzalez-Forester l’originale d’Ann Lee doit parler en japonais car elle est originaire du Japon, de cette manière il donne un peu plus d’identité au personnage. « Elle parle dans sa langue et se dédouble. Sa ‘traduction vivante’ (en anglais) est un clone d’ellemême. Ann Lee a une dimension très contemporaine ; elle est à la fois dédoublée, elle existe dans différentes langues et elle adopte une position un peu apocalyptique. Pour moi, il est naturel qu’elle parle le japonais vu que c’est sa langue d’origine. »24 Le projet « écran témoin » de François Curlet date de 2002, il voulait donner une enveloppe réelle au personnage Ann Lee et se proposait d’acheter pendant quatre mois le temps d’une jeune femme qui deviendrait pendant ce laps de temps la projection réelle d’Ann Lee la forme finale du projet se présente comme un film qui résume en quatre minutes les quatre mois dans le corps d’Ann Lee, en rapport avec les témoignages anonymes « le personnage d’Ann Lee sera présenté de dos en buste 22 HUYGUE P. Le château de Turing, les presses du réel, Dijon-Queligny, 2003, 184 pages, p.10. http://www.leconsortium.com/?Expositions:Expositions_pass%26eacute%3Bes:2001 24 http://www.leconsortium.com/?Expositions:Expositions_pass%26eacute%3Bes:2001 23 89 face à la mer. La facture graphique des cheveux subira les influences d’Hokusaï pour tenter de créer une mémoire à la plastique du manga. Le traitement en 3D de ce personnage sera placé sur un fond vidéo d’horizon marin (GO-MOTION). Le mouvement de tête dû à la diction du personnage et la brise de bord de mer donnera du mouvement aux cheveux à la manière d’un code langage »25 c- Le fake, au petit jeu des semblants… Ann Lee toujours d’actualité Ann Lee, le coquillage vide est toujours d’actualité, puisqu’il existe datant de décembre 2007, un blog consacré à la « Recherche d’ Ann Lee » sur la toile26. Ce fake prétend que Ann Lee a disparu de la circulation aux alentours de Châtelet-les-Halles le 12 décembre 2007, des avis de recherche à l’effigie du personnage de manga, ont été placardé autour du lieu de disparition. Une vidéo témoigne de la mobilisation active autour de la recherche d’Ann Lee. Trois pseudos se cachent derrière cette action Zoxadra, andra et zoe. Un lien mène au Vidéo du projet « Avez-vous vu Ann Lee ? » mySpace de Zoxadra, lui aussi consacré au personnage fictionnel, où on apprend la démarche de trois étudiantes d’Arts Plastiques, parties à la recherche d’un être imaginaire dans le monde réel dans un projet intitulée « Avez-vous vu Ann Lee ? ». Le fake27 est un pur produit fictionnel, c’est un terme utilisé sur internet pour désigner une information fausse que l’on voudrait faire passer pour vraie. Un fake, bien réalisé demande une grande application de la part de son créateur car le but est de véhiculer le plus loin et le plus longtemps possible une fausse information. 25 http://www.airdeparis.com/curlet/witness.html http://rechercheann-lee.blogspot.com/2007/12/avis-de-recherche.html 27 signifie ‘faux’ en anglais. 26 90 Chronic’art #46, Fake_culturel_connecté Le fake du numéro 46, du mensuel de juin 2008 Chronic’art a crée un véritable tollé au sein de la presse et du monde du web. Un article en particulier accroche le lecteur, celui du jeu vidéo russe G.O.M.S.K, qui propose, au cours d’une énième chasse à l’homme virtuelle, aux gamers d’endurer des souffrances physiques par le biais d’électrodes reliées aux actions du jeu. La souffrance physique pouvant entraîner la mort du gamer, l’accroche de la couverture est intitulée « Mort pour la partie, en Russie, de jeunes codeurs s’entretuent sur un jeu vidéo ultra-violent d’un nouveau genre… » Olivier Séguret journaliste du quotidien Libération dénonce le numéro 46 comme un fake dès le Couverture du chronic’art #46, avec l’ajout du mot fake dessus. 5 juin : « Tout est faux dans le sujet de Chronic’art, ainsi que l’ensemble du magazine, parfaitement fake ; dans un geste gratuit, total, sérieux malgré sa propre blague, et nulle part motivé. Le geste est saugrenu et amusant, mais aussi opaque. » Apparaît alors pour conforter le fake, sur le site diffuseur de streaming Dailymotion, une vidéo28 présentant le témoignage d’une jeune russe au visage floutée dont le petit amis serait mort après avoir joué à G.O.M.S.K. La vidéo est filmée dans un couloir couvert de tags, la jeune fille parle en russe, son témoignage est sous-titré en français. Tout le magazine est faux, l’article consacré au premier réseau de relation sexuelle sans lendemain : SexChange, est lui aussi un fake, le nom du faux PDG Maynard Anderson a été emprunté à un des amants de Jenna Wade Krebbs (interprétée par Priscilla Presley, ex-femme du chanteur Elvis Presley) de la série Dallas. Tout comme le faux livre ‘Talon Cassé’ de la fausse auteur ‘Charline Lassier’ non sorti chez le vrai éditeur ‘Flammarion’ à qui le magazine Chronic’art réserve une critique acerbe assortie du trophée ‘roman de pouffe’. L’imagination à critiquer ce faux livre est à louer, Ludovic Barbiéri y est absolument abjecte, le fake rend du même coup l’article très drôle, comme l’ensemble du magazine. 91 L’art numérique jongleur de fakes Le collectif Ultralab est l’auteur des dix faux cartons d’invitations à des vernissages fictifs de vrais artistes dans de vraies galerie envoyés à des personnes appartenant au milieu de l’art (artistes, critiques, galeristes…) qui ont sévi entre 1998 et 1999. L’envoi de ces faux cartons d’invitation et le déplacement des invités aux faux vernissages ont fait couler beaucoup d’encre dans la presse. Le magazine Art Presse consacra un dossier sur le sujet et le quotidien Libération, plusieurs articles. Dans un article consultable sur la galerie Magda Danys, Élisabeth Lebovici explique l’ampleur du projet « Pour que ‘l’affaire des cartons piégés’ fonctionne, il a fallu que leur succession soit perceptible, que leur enchaînement parvienne à faire comprendre qu’il ne s’agissait point d’un hasard malheureux dans l’impression de cartons erronés, bref qu’une fiction fût née afin d’être narrée […]Le piège, s’il a existé, contenu dans les cartons d’invitation, a consisté à produire, fragment après fragment, une histoire parallèle, comme une histoire de l’art munie d’un programme légèrement altéré, un peu à la façon des récits de Philip K. Dick. Tout est normal, rien n’est normal : c’est normal, lorsqu’on part d’une fiction pour s’inscrire réellement dans la réalité»29. Le duo d’artistes italiens Eva et Franco Mattes ont piégé une ville entière avec leur projet Nike Ground. En septembre 2003, lors de la 49ème édition de la Biennale de Venise, en faisant croire aux habitants de Vienne que leur place Karlsplatz, serait rebaptisée Nikeplatz, et qu’au milieu de la place siègerait une énorme sculpture représentant la virgule géante du groupe Nike. « Il n’y a pas de distinction entre la réalité et la fiction, les faits et la fantaisie, l’authentique et le simulé. Rien n’est vrai, tout est possible »30 28 29 http://www.dailymotion.com/relevance/search/Gomsk/video/x5num5_gomsk_videogames http://www.magda-gallery.com/fr/ultralab1999.htm 92 2). A travers le miroir numérique L’initiation, le passage d’un état à un autre jugé meilleur, est un phénomène courant dans la science-fiction, on le retrouve dans les romans de Franck Herbert, le cycle de Dune, symbolisé par la boîte. La boîte est l’endroit du changement. En art numérique la boîte a aussi été inventée et porte le nom de SAS Cube. Le passage peut se faire sinon par la boîte, par l’apprentissage, le mimétisme. Principe utilisé par Michel Bret et Marie Hélène Tramus pour instruire leurs femmes virtuelles. Dans un processus d’apprentissage, le mimétisme permet de s’attribuer des gestes déjà existant afin de les comprendre. Dans les Synthetic Performances, Eva et Franko Mattes, programment leur avatar Second Life, pour réaliser virtuellement des performances d’artistes qui ont marqué l’histoire de l’art. a – La boîte boîte à sublimer ou à tuer ? La boîte symbolise l’initiation, le passage d’un état à une nouvelle étape. On ressort soit du bon côté de la boîte, grandi, amélioré, affirmé, modifié, changé, soit du mauvais côté, celui-ci symbolise l’échec, le statu quo. Le passage de la boîte est entre l’évolution et la sublimation de l’être victorieux du rituel. Dans le cycle de Dune romans de science-fiction de Frank Herbert, Paul Atréide doit passer le test d’humanité. L’épreuve consiste à glisser sa main dans la boîte noire pour éprouver sa peur, ce test révélera son destin au héros de Dune. Le test se nomme Gom Jabbar (traduit par haut ennemi), il sert à éprouver l’endurance à la douleur du héros, une douleur que seul un humain peut endurer. Le Gom Jabbar tue instantanément celui qui échoue (qui n’est pas humain). La boîte noire de Dune sert à tuer Le Baron Vladimir Harkonnen, que la boîte n’a pas jugé humain. 30 propos d’Eva et Franco Mattes. http://www.ecrans.fr/La-seconde-vie-des-performances,2554.html 93 Dans la saga de Gunnm31 manga de Yukiko Kishiro, le monde se coupe en deux, la ville basse, la décharge et la citée haute technologie ‘Zalem’, les deux univers sont séparés et ne peuvent communiquer directement. La décharge fournit en provision de tout genre le peuple pensant de Zalem. La structure sociale de l’univers de Gunnm est une référence au film Metropolis de Fritz Lang. Zalem, le nom de la cité suspendue au-dessus de la décharge (la décharge est le lieu où Zalem déverse ses déchets) est en référence au paradis terrestre : ‘Jérusalem’. La cité perchée appartient à une technologie oubliée par ses habitants, au bout de l’énigmatique tube qui suspend la cité se trouve l’autre face cachée et oubliée de la ville, 'Jeru'. L’ordinateur principal a prit discrètement le contrôle de la cité, thème récurrent de la science-fiction. Sur Zalem, les jeunes ‘zalemiens’ entrent en ‘salle d’initiation’ et ressortent deux minutes plus tard adultes. Mais on trouve aussi dans ce paradis céleste au beau milieu d’un magnifique parc, une file interminable de ‘zalémiens’, qui font la queue le plus naturellement du monde devant une autre boîte de passage à l’acte : la machine à suicide. La boîte est considérée comme un changement d’Etat, le passage à l’âge adulte, de vie à trépas. Gunnm va être adapté cinématographiquement par James Cameron sous le titre de Battle Angel, la sortie du film est prévue pour 2009 et prévoira une technologie relief. SAS³, boîte à numériser Le SAS³ ou SAS cube est une installation numérique à but immersif. Inspiré de la technologie CAVE32, le SAS³ est le premier espace immersif cubique à fonctionner sur un réseau PC. Le SAS³ a été mis au point par l’association de Z-A, Clarté et Barco avec le soutien de PRIAMM, le Programme pour la Recherche et l'Innovation dans l’Audiovisuel et le Multimédia. Z-A est une société parisienne spécialisée dans l’image de synthèse et la 3D, cette société a produit et a développé les premières installations interactives de Maurice Benayoun comme Le diable est-il courbe ? , le Tunnel sous l’Atlantique… World Skin de Maurice Benayoun sera présenté dans le CAVE en 1997, lors du Festival Ars Electronica. Le premier SAS³ a été présenté en 2001 au festival Laval Virtuel. 31 YUKIKO K. Gunnm, Glénat deluxe edition, 1990. CAVE® est une marque déposée, propriété de l’"University of Illinois, Board of Trustees" et dont Fakespace Systems Inc. est exploitant exclusif. 32 94 Le SAS³ est une salle d’immersion de forme cubique, dont les faces mesurent 3 mètres carré. Le SAS³ dans sa définition portable peut comporter jusqu’à quatre faces : face (devant), sol, droite et gauche. La projection des écrans Face, Droite et Gauche se fait par rétroprojection à l’arrière de chaque écran, Sol utilise un miroir placé au-dessus pour renvoyer sa projection au sol. Les spectateurs sont à l’intérieur du cube immersif, c’est à dire, ils marchent sur l’écran Sol. Le relief se fait, sur les écrans par une technique de double projection et est ressenti par les spectateurs grâce à des lunettes reliefs (calibrées avec le filtre utilisé par les rétroprojecteurs pour le relief). Les spectateurs sont totalement immergés, et le déplacement dans le monde virtuel se fait par l’un d’eux grâce à un joystick. Lors du Festival Nemo de 2008, la pièce numérique primée par le Golden Nica de Maurice Benayoun, World Skin, a été présentée dans la version la plus légère du SAS³. C’est-à-dire avec juste un écran Face et un écran Sol. L’immersion était tout de même totale pour les voyageurs du safari au pays de la guerre. Certains même se sentaient mal à l’aise, à cause de leur immersion virtuelle dans le propos de l’œuvre de Maurice Benayoun. Le SAS³ est ici la boîte de Maurice Benayoun pour tester l’humanité du spectateur. b- mimétismes Les femmes virtuelles de Michel Bret La funambule virtuelle de Michel Bret et de Marie-Hélène Tramus est un avatar virtuel programmé avec des nanoneurones qui lui permettent d’interagir avec l’extérieur, plus précisément de répondre par des actions propres aux mouvements, aux actions effectuées dans le monde réel à son encontre. Plusieurs modes opératoires sont possibles : la saisie de comportements types à appliquer vis-à-vis de telles ou telles actions extérieures d’un spect-acteur muni de capteurs ou positionnés à un endroit précis, qui permet à l’avatar de connaître la zone de capture d’informations. Ce mode est un mode pédagogique d’apprentissage. On apprend à la funambule grâce à sa programmation de nanoneurones à répondre aux sollicitations extérieures de manière plus ou moins autonome. Un funambule se déplace sur un fil, la funambule virtuelle se déplace sur un fil virtuel. Sa programmation basique est qu’elle ne peut en aucun cas tomber de ce fil, elle ne 95 peut que se rétablir, quelle que soit le déséquilibre. Le spect-acteur de la funambule virtuelle est équipé de capteurs qui sont reliés à l’avatar. Ces capteurs agissent comme une variable extérieure sur la stabilité d’équilibre de la funambule. La funambule virtuelle va appliquer par mimétisme les gestes du spect-acteur. Le spectacteur devient le ‘Puppet Master’, le super marionnettiste de la funambule virtuelle. Si le spect-acteur cherche à faire chuter la funambule en la déséquilibrant, l’avatar se rétablit par n’importe quel moyen, car il est programmé pour ne pas tomber et à moins d’un beug, il ne peut pas ne pas obéir à l’injonction de la programmation. Au préalable, les programmeurs de la funambule virtuelle Michel Bret, Marie-Hélène Tramus… lui ont appris à se rétablir comme le ferait une funambule professionnelle non virtuelle. Mais il est aussi possible grâce à ce qu’Edmond Couchot nomme la seconde interactivité33, que la funambule interagisse instinctivement, et crée de nouvelles manières de se rétablir sur le fil. « La funambule virtuelle est capable d’improviser »34. Dans un autre programme appelé Danse avec moi une danseuse virtuelle à été créée à partir de la même base technologique, la danseuse a été elle préprogrammée avec des mouvements de danseuses professionnelles. Elle interagit grâce à des capteurs avec plusieurs spect-acteurs et répond non pas par mimétisme mais par écho aux informations captées par des mouvements de danse. Ses nanoneurones lui permettent de développer des comportements gestuels autonomes. Les spect-acteurs de la Danse avec moi communiquent par le langage du corps avec elle. Grâce à ses perceptions artificielles et son réseau de neurones, la danseuse peut aussi interpréter la musique. Lors des Rencontres sur la Réalité virtuelle et les Arts Numériques35, qui ont eu lieu à l’auditorium des Arts du Centre d’Enghien, Michel Bret a fait la démonstration de la capacité de saisie de sa femme virtuelle (je la nomme ici ‘femme virtuelle’ car elle n’est pas ni en mode funambule ni en mode danseuse). Il a juste relié une webcam au programme de la femme virtuelle, pour créer une interaction avec l’extérieur. Sans interaction extérieure, la femme virtuelle est en mode ‘latent’, un peu comme un personnage de jeu vidéo lorsque le joueur cesse toute activité. Dès lors que la 33 Concept développé par Edmond Couchot, Michel Bret et Marie-Hélène Tramus voir interview de Michel Bret par Digital Art, sur le site : http://www.demiaux.com/a&t/bret.htm 34 Philocops-Bastille avec Marie Hélène Tramus, le 10 octobre 2006, à 20h. 35 Rencontres sur la Réalité virtuelle et les Arts Numériques : Hervé Huitric, Marie –Hélène Tramus, Bérengère Tirioux, Chu-Yin Chen, Stéphane Donkian, Edmond Couchot, Marlène Puccini, Philippe Fuchs, Alain Lioret, Alain Grumbach, Michel Bret(, Pascal Ruiz, M. Santorineos et N. Dimitriadi. Le 03 avril 2007 à l’auditorium du centre d’art d’Enghein. 96 webcam a été branchée, la femme virtuelle s’articule, voire se désarticule dans tous les sens. Puis Michel Bret la fait passer en mode ‘apprentissage’. Elle décrypte d’abord un mouvement qu’elle enregistre dans sa mémoire virtuelle, puis l’interprète. Une fois un mouvement analysé, elle le reconnaît par la suite. Démonstration faite que cette femme virtuelle est capable, à son niveau, grâce à ses nanoneurones, de saisir une partie de ce qui l’entoure. Elle se programme (presque) de manière autonome. Elle saisit des données qu’elle réinterprète par la suite. Il est par ailleurs intéressant de noter que Bérengère Tirioux36 parle en terme de caractère biologique, lorsqu’elle évoque le comportement de la funambule virtuelle de Michel Bret et Marie-Hélène Tramus, elle explique ce choix du terme ‘caractère biologique’ à travers ses études sur la contribution des neurosciences cognitives à la rencontre entre art numérique et réalité virtuelle. Seconde vie des performances Eva et Franco Mattes font revivre les grandes performances des années 70, en 2007 dans le monde virtuel de Second Life. Le lieu virtuel choisi est la galerie de l’île Odyssey espace virtuel d’exposition d’art contemporain. Les avatars du couple Mattes sont programmés pour exécuter la traduction virtuelle de ces performances. Mimant ainsi au cœur d’un public virtuel l’action Imponderabilia des body artistes Marina Abramovic et Ulay, obligeant donc les avatars invités à passer entre les corps numérisés nus d’Eva et Franco Mattes au Shoot de Chris Buren, l’avatar de Franco vacille sous la douleur virtuelle du tir Imponderabilia de Abramovic par Eva et Franko Mattes sur Second Life (2007). d’Eva qui a touché son bras pixelisé. Les performances ont été très étudiées par les deux artistes pour être fidèlement reproduites dans l’univers virtuel par la programmation. Le projet s’intitule Synthetic Performances. Ils déclarent désobéir « aux trois principes de la performance établis par Marina Abramovic : pas de répétition, pas de fin prévisible, pas de reproduction. Nos performances sont codées longtemps à l’avance, il n’y a aucune place pour l’improvisation, tout est médiatisé, 36 Rencontres sur la Réalité virtuelle et les Arts Numériques : Bérengère Tirioux, La contribution des neurosciences cognitives à la rencontre entre art numérique et réalité virtuelle. 97 rien n’est spontané »37. Ne donnant qu’un ersatz de vie à ses actes dans les archives pixélisées de l’art performance de Second Life, ils s’interrogent sur l’impact que ces performances chocs des années 70, dans un univers où tout le monde est protégé du contact derrière un écran (bouclier surpuissant). Où derrière l’interface de Second Life tout acte devient œuvre de fiction. 3)- Quête identitaire Dans cette dernière partie j’aborderai le thème de la quête identitaire. Ce thème est très présent dans l’univers de la fiction et de l’art numérique. La première souspartie sera consacrée à la confrontation homme/robot. La deuxième sous-partie présentera les jeux de télé réalité comme une quête identitaire sur fond de modèles stéréotypés. La dernière sous-partie traitera de l’omniprésence de la machine dans l’art numérique. a –We are Robots38 « Ces colonisateurs d’un genre particulier sont désignés couramment depuis le roman de Finney de 1954, Graines d’épouvantes, par le vocabulaire anglo-saxon de ‘Pod-people’(littéralement, ‘hommes-cosses’, c’est-à-dire créatures dont l’apparence humaine n’est qu’extérieure). »39 Jean-François Berreville précise dans sa recherche40 qu’il existe trois grands types de Pod-people : le double opposé, le double symétrique, le double amplifiant, catalyseur d’un élément latent. 37 http://www.ecrans.fr/La-seconde-vie-des-performances,2554.html titre en référence à l’exposition de la galerie en 2007, titre repris par le Chronic’art #33 39 VANBREMEERSH M. C. Dir. Itinéraires de l’imaginaire, L’Harmattan, Paris, 1999, 264 pages, p.211. 40 BERREVILLE J. F. Itinéraires de l’imaginaire-Le Duplicata Extraterrestre ou l’altérité révélée, p.209-229 38 98 Jolies poupées robotiques de Metropolis Il est amusant de noter que la grande majorité des robots du monde fictionnel lorsqu’ils ont une personnalité sont féminins au contraire des monstres souvent masculinisés. Le Pod-people opposé de Maria est la grande première sur grand écran. La différence entre l’original humaine et son Podpeople se fait dans la gestuelle. Metropolis étant un film muet, la gestuelle tient une part très importante dans l’interprétation. Les gestes du Pod-people sont saccadés pour refléter sa nature robotique. Ses yeux sont cernés de noir avec de grands cils ce qui la rend plus envoûtante et sensuelle que l’originale. Elle danse presque nue devant une foule de jeunes Le robot Maria (visage de femme à droite aux yeux cernés de noir) hypnotise la foule. hommes de Metropolis, elle les ensorcelle, ils se battent pour elle. Elle finit comme toutes les sorcières, brûlée sur un bûcher, où elle reprend sa forme originelle, celui d’un squelette robotique, la supercherie du Pod-people est mise à nu, la foule de travailleurs comprend que ce n’était pas la vraie Maria. Fritz Lang a été inspiré par le film soviétique de science-fiction Aelita du réalisateur Yakov Protazanov, sorti en 1924, qui est l'adaptation du roman d'Alexei Tolstoï, Aelita. Dans le manga Gunnm de Yukito Kishiro, Gally l’héroïne a pour véritable nom Aelita et tout comme l’Aelita de Tolstoï elle est originaire de la planète Mars. De plus la même trame est reprise, la cité Zalem, la ville haute se fait entretenir par la décharge, la ville basse, il n’y a aucune communication entre les habitants des deux villes. Une différence est à noter, Zalem est habitée par les humains, tandis que la décharge est habitée par des cyborgs. Les cyborgs ont un cerveau humain et un corps mécanique, ils sont considérés par les habitants de Zalem comme non-humains. Pendant toute la série un mystère plane sur Zalem et ses habitants, par la rumeur lancée par un savant ‘zalemien’ déchu, le professeur Desty Nova, sur le prétendu ‘secret de Zalem’ qui rend fou tous les ‘zalemiens’ qui le découvre. Les habitants de Zalem ont un signe distinctif sur le front, qu’ils reçoivent pendant leur passage dans la boîte qui va les rendre adulte. Le secret de Zalem se passe durant ce passage dans la boîte, le cerveau du jeune ‘zalemien’ est remplacé par une puce électronique. La question posée dans Gunnm est de savoir qui est le plus humain entre le ‘zalemien’ au cerveau 99 informatique et au corps biologique ou le cyborg au corps robotisé mais au cerveau humain ? Gunnm peut être découpée en trois parties, qui correspondent à trois évolutions mentales du type enfance, adolescence et âge adulte pour Aelita. Aelita est un cyborg. Dans la troisième phase du manga, Aelita est un agent de Zalem chargé de faire régner l’ordre dans la décharge. Au milieu de cette dernière partie, elle se désolidarise de Zalem et agit selon sa façon de voir les choses : défendre les opprimés de la décharge, elle devient Maria. Alors comme Metropolis, Zalem envoie des Pod-people de Aelita, on reconnaît ces doubles à leur yeux cernés de noir. Il existe une autre référence au personnage d’Aelita, dans le dessin animé français, Code Lyoko41, Aelita est un personnage virtuel vivant coincé dans un jeu vidéo. Dans le Léviathan de Paul Auster, le personnage excentrique Maria est le double fictionnel de l’artiste contemporaine Sophie Calle. Dans son travail Double Jeux, Sophie Calle s’approprie les excentricités propres à son double amplifiant Maria, en les faisant siennes. L’artiste pousse le jeu de rôle jusqu’à demander à Paul Auster de lui donner des directives auxquelles elle se pliera sans concessions, c’est l’objet du dernier livre de Double Jeux, Gottam Handbook, où tout en gardant son identité, l’artiste devient la marionnette animée non-fictive du romancier. Osamu Tezuka, s’inspirera de photogrammes du film de Fritz Lang, pour créer l’univers de son manga intitulé aussi Metropolis. Le manga de Tezuka fera l’objet d’une adaptation en anime en 2001 par Rintaro et sera scénarisé par Katsuhiro Otomo, le créateur du manga Akira. L’univers Tima, héroïne du Metropolis de Rintaro, 2001 est similaire à celui du film de Fritz Lang, la cité futuriste de Metropolis est stratifiée par les couches sociales. Les humains vivent en haut tandis que les robots travaillent dans les bas-fonds. L’héroïne de l’anime est un robot ressemblant à une fillette nommée Tima, elle représente la clef de Ziggurat, une haute tour à l'image de la tour de Babel, conçue pour égaler Dieu. Comme dans le film de Fritz Lang, le mythe de la 41 ce dessin animé est daté de 2003 de Carlo de Boutiny, Thomas Romain et Tania Palumbo. 100 tour de Babel est présent. Et comme dans le mythe, elle va s’effondrer entraînant dans sa chute la haute Metropolis. L’artiste Chiho Aoshima fait référence à la petite Tima dans son œuvre Girl from the Depths (2006). Dans une pièce du musée d’art contemporain de Lyon en décembre 2006, au sol Girl from the Depths, représente une petite fille nue connectée au réseau par des câbles, elle semble flotter, une lumière paraît émaner d’elle. Autour recouvrant tout l’espace des murs, A Fleeting Moment of Happiness, représente le paysage d’une ville hybryde mi-organique mitechnologique, brillant dans les lumières colorées de la nuit… au fur et à mesure l’aube s’étend sur un paysage rural, dont les collines à l’image des immeubles de la ville sont toutes aussi hybrides. La fille des profondeurs semble connectée à ce monde, c’est elle de ses limbes qui le fait fonctionner par le réseau. Les câbles sont rectilignes du côté citadin pour se brancher sur les Girl from the Depths (en bas) et A Fleeting Moment of Happiness (en haut) de Chiho Aoshima, exposition, au musée d’art contemporain de Lyon, décembre 2006 immeubles, ceux reliés aux herbes des collines ressemblent à des fils mouvants. A la recherche d’une humanité Dans le film de Ridley Scott, Blade Runner (1982) adaptation du roman de Philip K. Dick, Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ?, l’architecture du commissariat est la réplique d’une des tours de Metropolis. De plus les replicants sortent d’androïdes sont conçus pour la servitude, rappelant l’inégalité des classes du film de Fritz Lang. Les replicants sont sensés ne ressentir aucune véritable émotion, fait qui est contredit pendant toute la durée du film, le héros se faisant sauver la vie par deux replicants différents. Les replicants qui ressemblent de plus en plus à des humains ont une vie limitée de quatre ans. Rachel est une replicante qui au début du 101 film ignore sa condition d’androïde, c’est un sujet expérimental, auquel on a implanté des souvenirs. Elle sauve la vie de Rick Deckard (interprété par Harrison Ford) en tuant le replicant Léon. Une histoire d’amour se développe entre Rick et Rachel. Lors de l’ultime combat opposant Rick Deckard, le blade runner (chasseur de replicant) à Roy, le chef du groupe de replicants, alors que le blade runner est voué à une mort certaine, Roy le sauve et juste avant de mourir désactivé (il est arrivé à terme de son échéance de vie limitée). Le héros est un chasseur de replicant, il peut savoir si un être est un androïde en lui faisant passer le test d'empathie Voight-Kampff, dans le roman il est intéressant de noter qu’on parle du test de la boîte d’empathie. La nature humaine du héros est ambiguë est-il réellement plus humain que les replicants ? Dans les différentes versions du film (six au total) le héros est soit humain, soit un replicant comme Rachel. Dans la version de 1992 de Ridley Scott, l’androïdité du héros lui est révélée par un origami en forme de licorne, rêve que Rick Deckard fait constamment, laissé par un autre blade runner mystérieux, Gaff interprété par Edward James Olmos qui tient le rôle principal de la série télévisée Battlestar Galactica. Dans Battlestar Galactica remake de 2004 en cours de tournage de la série Galactica, les humains ont créé des robots, les cylons pour les servir. Les humains ont colonisé douze planètes appelées par les différents signes du zodiaque (Caprica, Sagiterion…). Au début de la série, la guerre entre les humains et les cylons est finie, les cylons ont disparu des colonies humaines, les vaisseaux de guerre humains, les battlestars rentrent sur leur colonie. Cependant les cylons ont créé à l’insu des humains une nouvelle espèce cylon androïde indifférenciable physiquement d’un être humain, ces agents cylons se sont infiltrés dans les colonies humaines et ont provoqué le génocide de l’espèce humaine, il n’y a que 55 000 humains survivant qui fuient dans l’espace à la recherche de la treizième colonie, la Terre. Les vaisseaux civils humains sont protégés par le seul battlestar qui n’a pas fait l’objet d’attaque informatique de la part des cylons (les cylons se servent des réseaux informatiques pour neutraliser les battlestars, le Galactica n’a pas été touché car son capitaine joué par Edward James Olmos, refuse une mise en réseau de ses systèmes informatiques). Il existe six modèles connus de cylons humanoïdes, trois de sexe féminin, trois de sexe masculin (comme le nombre de replicants qui sont venus sur Terre). Pour faciliter les missions cylons, certain de ces modèles pensent comme Rachel de Blade Runner, qu’ils sont humains. Les cylons ne meurt pas, leur esprit se télécharge dans une enveloppe identique dès qu’ils meurent. Les cylons sont 102 programmés afin de les obliger à faire certaines actions (dans le cas de ceux qui se pensent humain) mais ils développent un libre arbitre. Plus la série avance et plus on comprend que les cylons sont plus miséricordieux, plus généreux, plus aimants que les humains qui sont avides de destruction. Comme pour les replicants, la même quête d’humanité est présente chez les cylons. La frontière entre humains et machines devient encore plus floue lorsqu’une cylon connue comme telle tombe enceinte, accouche et épouse un humain. Quel est l’identité de cet enfant, quel est son degré d’humanité ? Dans le film Terminator II (1991) du réalisateur James Cameron, le terminator joué par Arnold Schwarzenegger a été reprogrammé par John Connor en 1997 et envoyé par ce dernier pour qu’il le protège en 1984, lorsqu’il avait dix ans, à la suite d’un apprentissage au près de John Connor (10 ans) le terminator devient plus humain et alors que « la douleur n’est qu’une information ! » pleure au moment où il fait ses adieux à l’enfant (il se suicide en se jetant dans du métal en fusion). Quand Marie-Hélène Tramus parle de sa poupée virtuelle, elle l’humanise42. Elle apprend par la programmation à la femme virtuelle à reconnaître les choses pour rentrer en interaction avec elle. Comme la femme virtuelle est dotée de nanoneurones qui lui permettent d’improviser, de faire des choses par elle-même. On peut y voir une certaine forme (même faible) de pensée. Dans Blade Runner, une replicante dit la phrase de René Descartes, « Je pense, donc je suis » définition du philosophe de ce qu’est l’humanité. 42 Café philo au Philocops-Bastille avec Marie Hélène Tramus, le 10 octobre 2006, à 20h. 103 b- La télé réalité « Pour être réel il faut que le monde vous croie tel »43 dit Anne Cauquelin, dans son livre l’exposition de soi : du journal intime aux Webcams. Ces journaux intimes visuels que sont les programmes de télé réalité, mettent en scène une crise d'existentialisme profonde : ‘si on me voit j'existe, si j'existe à travers et pour des gens je cesse d'être inutile, donc mon existence a enfin un sens’. Gérard Bonnet, parle aussi de « [cette] peur de l’anonymat, la peur de ne pas être reconnu conduisent certains à vouloir participer à ces émissions »44. Télé fictions A travers une action en justice, le mystère de la télé réalité se dissipe. Le jeune avocat, maintenant très médiatisé, Jérémie Assous, a gagné son procès et a fait condamner par le tribunal des Prud’hommes, la filiale de TF1 responsable de la production de l’émission de télé réalité L’île de la Tentation. Glem a dû verser une indemnité de 27000 € aux candidats plaignants pour travail dissimulé. Car « Ils [les producteurs] organisent la télé réalité »45 , les candidats sont en fait des acteurs, ils doivent suivre un script, leurs conversations sont répétées pour paraître plus convaincantes. Emanuelle Anizon, journaliste de Télérama dit dans son article « La télé-réalité, elle, place artificiellement les gens dans une situation exceptionnelle. La bimbo à gros seins, le musclé superénervé, la rousse à langue pendue sont ‘castés’ pour remplir des cases bien précises, dans un scénario audiovisuel largement prédéfini. »46 Dans ce même article, elle précisera que « Tous les participants que nous avons interrogés (L'île de la tentation, Koh-Lanta, Pékin express, The bachelor...) racontent à quel point le tournage est scénarisé, encadré. Dépendants de la production, coupés du monde extérieur, coachés par des ‘ nounous ‘ ou des (pseudo) journalistes, ils ont pour la plupart eu à réenregistrer des scènes ou à répéter des phrases quand le ton n'était pas suffisamment convaincant : ‘ Le feu de camp, à l'antenne, c'était quelques minutes, souligne Anthony Brocheton, mais, dans la réalité, 43 CAUQUELIN A. L'exposition de soi : Du journal intime aux Webcams, Eshel, Paris, 2003, 95 pages,p.71. 44 LE GUAY D. L’empire de la Télé-Réalité : Ou comment accroître le « temps de cerveau disponible », Presses de la Renaissance, Paris, 2005, 307 pages, p. 26 : citation de Gérard Bonnet, psychanalyste, extrait d’un entretien au journal Le Monde radio–télévision, 3 mai 2003. 45 http://television.telerama.fr/television/jeremie-assous,31855.php 104 c'était jusqu'à cinq heures d'enregistrement ‘... Par ailleurs, si ‘ l'histoire ‘ mollit trop, la production n'hésite jamais à intervenir. Ainsi pour Koh-Lanta, où les participants sont censés avoir du mal à se nourrir, Adonis, un participant, régalait trop son équipe : ‘ Ça enlevait du suspense... La production m'a dit qu'elle allait nous sanctionner si on continuait à se faire des festins ! ‘ A l'occasion, la production peut même changer les règles du jeu : ‘ Ils avaient besoin de quelqu'un de mon gabarit pour une épreuve. Le tirage au sort que les télé-spectateurs ont vu a été organisé après l'épreuve. Il était bidon ! ‘ Sans parler des images remontées au mépris de la réalité chronologique, des traits de caractère forcés, ou carrément inventés... ». Les acteurs de télé réalité sont toujours en manque de reconnaissance sociale, les plus médiatisés, ceux qui ont gagné, que l’on voit partout ne cherchent pas à faire valoir leur droit face aux maisons de productions qui les ont exploités. La chanteuse Jenifer, ne portera certainement pas plainte contre Endemol et TF1, qui ont une grande part dans la promotion de la carrière de la chanteuse, toujours appelée affectueusement par l’animateur de la Star Academy, Nikos Aliagas, « Notre petite Jenifer », car issue d’un programme de télé réalité, il est normal qu’elle appartienne encore aux téléspectateurs, sous entendu, c’est nous qui t’avons faite ! Comme le professeur Frankenstein crée son monstre, les télé spectateurs donnent vie aux candidats de télé réalité, ils leur accordent le droit de vie ou de mort. Cependant la production remaniant totalement la personnalité des candidats-acteurs, sous couvert de réalité pure et dure de non-fiction, sont en fait enfermés dans un rôle, par le biais de scènes et dialogues préétablis et le montage non chronologique de l’enchaînement des événements dans ce qui est courant d’appeler la quotidienne de l’émission. Ainsi, les producteurs associent un certain type de personnalité au gens, l’exacerbe, pour pouvoir vendre cette image à ceux qui vont décider de la mise à mort du candidat-acteur. François Jost, auteur de L'Empire du Loft, dit que la télé réalité « devrait s'appeler ‘jeu de rôle’. Les émissions sont de plus en plus enregistrées et remontées. Elles basculent vers la fiction, le sitcom, le divertissement pur. » C’est en fait une sorte de jeu de rôle, puisque les candidats jouent un rôle comme des acteurs, mais le jeu de rôle ne désigne pas ça, le jeu de rôle est encore un jeu, le rôliste se retrouve certes confronté à des évènements décidés par le Maître du jeu, mais il y réagit de manière personnelle et lance des dés, son score détermine la suite des 46 Télérama n° 3053 http://television.telerama.fr/television/jeremie-assous-l-avocat-qui-fait-trembler-la-telerealite,31525.php 105 événements, le Maître du jeu ne lui donne pas un script, il ne fait que structurer le monde imaginaire où se déroule l’action. Sous le prétexte de montrer, la réalité, les émissions montrent plus justement leur réalité c’est à dire que sous : « leurs prétentions à refléter, et donc à dire le vrai du monde, à servir de normes de socialisation,[cette réalité] est d’autant plus dangereuse qu’elle est de toute évidence biaisée, pour ne pas dire truquée. Ces émissions n’ont de réalité que le nom. Elles sont construites, arrangées, scénarisées »47. Comme tout est déjà écrit, la fin l’est aussi. Le candidat, le participant, le joueur de télé réalité n’ont que le nom, ils sont plus proches de la marionnette que du gamer, les gamers seraient plutôt les producteurs de ces émissions, manipulant leur avatar de chair et d’os devant des milliers de caméras, « la morale de la télé réalité, ce qu’elle dit de nos vies et de nos comportements, les conclusions que nous pouvons tirer […] des morales voulues, souhaitées, préparées par avance. […]Compte tenu du constant souci de reprendre, comme un tailleur son tissu, la texture de la réalité, la morale des flux cathodiques est parfaitement maîtrisée et ne doit rien au hasard. La production se prend pour un Deus ex machina »48 . Le candidat est modifié selon l’angle d’attaque choisi par la production et le téléspectateur est floué par une mise en scène de soi-disant réalité. Mais tel un fidèle collaborateur le spectateur observateur participe à l’élévation, ou bien la mise à mort du joueur. Ce sont les nouveaux jeux du cirque sur nos écrans de haute qualité numérique. Lorsque les beaux-arts s’en mêlent… Dans le télé réalité, La Nouvelle Star, diffusée par M6, le gagnant de la saison dernière, Julien Doré, a étonné, interpellé, intéressé beaucoup de spectateurs qui avaient été lassés par la fadeur, le stéréotype du gentil garçon qui chante. Julien Doré est diplômé d’un DNSEP des Beaux-Arts de Nice. Si ce jeune beau artiste correspond totalement au stéréotype du beau artiste, il a en revanche une image très décalée par rapport à la télé réalité. La barrette dans les cheveux, le look dandy cocaïné, ses apparitions discrètes contrastées par des prestations de showman sur le plateau télé du Pavillon Baltard ont su séduire les foules. 48 D. LE GUAY, L’empire de la Télé-Réalité : Ou comment accroître le « temps de cerveau disponible », Presses de la Renaissance, Paris, 2005, 307 pages, p. 21 et 22. 106 Julien Doré a trouvé la potion magique pour gagner le télé crochet et ne s’en prive pas. On ne s’attendait tout simplement pas à voir un artiste dans ce type d’émission, sa démarche fait d’ailleurs penser à celle de Mathieu Laurette avec son travail débuté en 1993, Apparitions, « Bonjour, je m'appelle Matthieu Laurette, je suis artiste multimédia depuis mon apparition dans l'émission Tournez manège à TF1 le 16 mars 1993. » Il apparaît pour la première fois dans l’émission de reality show, Tournez manège, et se présente à Evelyne Leclerc comme exerçant la profession d’artiste multimédia. c – l’artiste numérique et la machine. A l’origine, il y avait la saisie Voici le quatrième point de la définition extraite du dictionnaire Le Grand Robert du mot saisie : SAISIE n.f […] ♦4 Inform. Prélèvement (d’une donnée, d’une information) avant introduction dans un ordinateur. La saisie des données. Prise. Saisie directe d’un texte, d’un manuscrit en composition informatisée. 49 La saisie informatique est avant tout le prélèvement (extérieur à la machine) d’une donnée. On est dans la collecte d’informations, il faut collecter avant de pouvoir saisir. Dans le texte, la saisie, Jean-Louis Boissier parle de l’institut de recherche ergonomique de Montpellier, où deux chercheurs prélèvent des informations sur les branches d’un abricotier : le nombre de rameaux, la longueur de chaque rameau… grâce à cette collecte de données sur l’abricotier « l’infographie va traduire ces modèles en objets virtuels [qui seront] l’expression d’un processus qui n’est pas seulement celui de leur fabrication technique mais aussi l’indice de l’existence 107 extérieure, lointaine et proche à la fois, d’une plante naturelle, et encore l’histoire d’une capture, d’une rencontre avec un corps actif par la vision et la parole. »50 La saisie se trouve à la base de tout programme. Le fait même de programmer est une saisie de données coordonnées tout comme le langage s’organise à travers les mots. C’est un langage précis spécifique au logiciel de programmation : où on retranscrit des données biologiques pour les transformer en données numériques et réciproquement. Certains langages informatiques portent un nom, comme le langage html, souvent relié au java script. L’html est un langage statique tandis que le java script est un langage dynamique, ces langages peuvent être associés à d’autres langages comme le css (dont la fonction est de mettre en forme) le php ou le xml. L’action script (proche du java script) du logiciel Macromedia Flash, oriente par son nom « action script » déjà son utilisateur dans une certaine démarche, celle de programmer dans l’optique d’une action. Le langage programmatique de Macromedia Director, s’appelle le lingo, qui signifie en latin « parler ». Il est d’ailleurs intéressant de constater que le langage lingo est le plus littéraire des quatre langages. Le langage dynamique php est souvent associé au langage de traitement de base de données comme le MySQL. La base de données est un back office où l’on stocke les données. Ces données sont saisies de manière informatique, et classées selon la méthode de Merise qui est une méthode d'analyse, de conception et de gestion de projet complètement intégrée. L’organisation se fait à travers des tables liées entre elles. Toutes ses données sont atteignables que par le back office (programmeurs), jamais par le front office (l’utilisateur). Dans l’œuvre de Maurice Benayoun, World Skin, une base de données contient les photos de la seconde guerre mondiale et de la guerre de Bosnie. Le programme choisit et place aléatoirement ses photos en fonction de l’avancée du groupe de spectacteurs dans l’espace infini de World Skin. « Inférence logique, le rendu, comme la saisie, sont paradoxalement des versions de la possession, de la jouissance d’un bien. On verra que l’interactivité serait aussi une forme de rendu comme elle est une saisie, comme le rendu résulte d’une saisie. »51 50 BOISSIER J. L. La saisie, texte à paraître aux presses Universitaires de France, Paris, 2007, 6 pages, p.1 et 2. 108 Définition de l’interactivité Le terme ’interactivité’ est souvent rapproché du terme ‘interaction’. INTERACTION n. f. – 1876, in Littré, Suppl. : de inter-, et action ; p.-ê. par angl. Interaction (1832). Réaction réciproque de deux ou plusieurs phénomènes. Interdépendance. Deux corps en interaction. Action, réaction. Interactions de gravitation, nucléaires. DER. V. Interagir INTERACTIVITE n. f. – D. i. (v. 1980) ; de interactif. Inform. Activité de dialogue entre un individu et une information fournie par une machine. Par ext. Cour. Activité de dialogue entre un individu et une information par l’intermédiaire d’un média. Le mot ‘ interactivité ‘ découle de ‘interactif’, l’adjectif ‘ interactif ‘ est lié aussi au mot ’interaction ‘ : INTERACTIF, IVE adj. – D. i. (v. 1980) ; de inter-, et actif ; p.-ê. par angl. Interactive. interaction. Didact. Qui permet une interaction ; d’une interaction. Phénomènes interactifs. – Inform. Programme, materiel interactif, qui permet des actions en mode conversationnel. DER. Interactivité. « La conversation est la relation revendiquée par l’esthétique de la communication comme son prototype. […] Est-ce pour autant de l’interactivité ? Non, car ce qu’il manque, c’est l’espace de transaction artificiel de l’ordinateur, […] De même, ‘interaction’ ne suffit guère à caractériser l’opération que suppose l’interactivité. L’interaction est le propre à tout individu vivant qui réagit à son milieu et agit en retour sur lui. Ici aussi, il manque la spécificité cybernétique qui rendrait cette interaction interactive : une médiation numérique techniquement programmée. »52 Comme le souligne Anne Cauquelin, le terme d’interactivité contrairement à celui d’interaction est directement lié à la machine, plus précisément à un dialogue entre l’homme et la 51 BOISSIER J. L, La relation comme forme : L’interactivité en art, mamco, Genève, 2004, 312 pages, p. 151. 52 A. CAUQUELIN, Fréquenter les incorporels : contribution à une théorie de l’art contemporain, Presse Universitaire de France, collection lignes d’art, Paris, 2006, 144 pages, p.112. 109 machine. On pourrait voir à travers la définition donnée par Le Grand Robert, que l’interactivité est d’une certaine manière l’opposé de la saisie. La saisie est une information fournie par l’homme qu’il entre dans la machine, tandis que l’interactivité, sort de la base de données informatiques de la machine une information qu’elle donne à l’homme. L’interactivité est donc une continuité possible de la saisie informatique. « L'interactivité est une catégorie propre à l'informatique des années quatre-vingt. Elle tentait de désigner une forme de communication entre programmes et sujets humains au moment où les concepteurs parvenaient à déposer dans les programmes des fragments d'autonomie comportementale. »53 Dans sa définition Jean-Louis Weissberg fait allusion aux recherches de Michel Bret et de Marie-Hélène Tramus autour de ce que Edmond Couchot nommera la « seconde interactivité ». Le résultat de ces travaux sont la femme virtuelle sous sa forme de danseuse et de funambule qui grâce à ses nanoneurones peut développer des fragments d’autonomie comportementale. « À la perspective optique, que le numérique reprend en compte pour en amplifier les performances et la variabilité, s'ajoutent une perspective déterritorialisée dans les réseaux et encore ce qui peut être désigné comme perspective interactive. C'est dans ce dispositif, combinant programmations et interfaces, que se construisent des modalités relationnelles et que se saisissent des relations, avec l'image ou sans l'image. On définit alors une jouabilité, comme il y a une visibilité et une lisibilité. »54 Si nous prenons le cas des expositions « Jouables », ces expositions avaient pour but de montrer différentes expérimentations numériques à travers des œuvres interactives. Le titre « Jouable » vient de la combinaison de dispositifs de programmation avec une interface, c’est ce à quoi fait référence Anne Cauquelin en parlant de jouabilité. Plus précisément, « Une définition approchée en serait la suivante : est dit interactif le travail qui exerce pour capter, mettre en forme ces relations, les modifier, en jouer et leur donner une présence sensible. En somme, 53 J. L. WEISSBERG, Présences à Distance. Déplacement virtuel et réseaux numériques : pourquoi nous ne croyons plus à la télévision, Editions L’Harmattan, Paris, 2000, 304 pages. Texte extrait du chapitre 5 : Retour sur l’interactivité, relevé sur le site : http://hypermedia.univparis8.fr/Weissberg/presence/5.html 54 A. CAUQUELIN dir. texte publié dans la Revue d'esthétique nº 39, "Autres sites, nouveaux paysages", Paris, 2001. 110 dans ce cas, l’interactivité révèle les relations virtuelles qui occupent l’espace cybernétique et ne sont pas perceptibles sans un travail de mise en forme ».55 Dans une œuvre interactive, l’artiste se doit de penser à l’interface d’interaction comme partie intégrante de son œuvre. L’interface d’intégration doit être intuitive pour le spec-acteur. Grâce aux dernières créations de consoles de l’industrie du jeu vidéo, comme la Wii et la Playstation 3, dont les éléments peuvent être facilement détournés de leur fonction première (Wiimotes, Nuntchuk…), le système d’interface d’interaction devient de plus en plus simple à régler. On peut en conclure que l’interactivité ne peut se faire seule, il faut forcément un spect-acteur. Le mot interactivité résulte du dialogue entre l’homme et la machine dans le sens où l’homme déclenche une action sur la machine. L’œuvre interactive par conséquent demande l’action d’un spect-acteur sur l’œuvre pour qu’il y ait communication, dialogue entre le spect-acteur et l’œuvre interactive puisque « Il faut dire que la notion de programme, si elle renvoie à la programmation informatique, désigne plus globalement un processus qui agence avec une particulière attention, dans les pièces interactives, une chaîne de fonctionnement sans solution de continuité et incluant le destinataire. »56 L’art cyborg L’art numérique est un art lié à la technologie numérique. La technologie numérique transforme les images, les sons, les signaux en nombres binaires pour pouvoir les traiter et les interpréter informatiquement. La base binaire, ou appelée la base de 2, traite l’information par une suite de chiffre de 0 et de 1, le chiffre 0 en base binaire est égale à 0, le chiffre 1 à 1, le chiffre 2 à 10, 3 fait 11 et 4 est égale à 100 ainsi de suite… Les données numérisées sont donc traduites en langage numérique. Dans le cas d’une image numérisée, elle va être traduite en pixels (picture elements). Le pixel est l’unité de valeur la plus petite. Plus une image sera lourde numériquement 55 Anne Cauquelin fait référence à La Relation comme forme. L’interactivité en art55 de Jean-Louis Boissier dans A. CAUQUELIN, Fréquenter les incorporels : contribution à une théorie de l’art contemporain, Presse Universitaire de France, collection lignes d’art, Paris, 2006, 144 pages, p.113 56 J.L. BOISSIER, Programmes interactifs, Catalogue, Centre d'art Credac, Ivry-sur-Seine, 1995. http://www.ciren.org/ciren/productions/livre/sommaire.html 111 plus elle aura de pixels. Le pixel est un petit carré de couleur uni. Les couleurs ont des valeurs numériques très précises. Sur le logiciel de retouche d’image d’Adobe Photoshop, on traduit les couleurs en base de 16, donc de 0 à la lettre F, F représente le nombre 16. L’art numérique est un art qui se sert de données numérisées. C’est par conséquent un art lié aux machines informatiques. Il est indissociable de l’informatique. L’artiste numérique est donc un artiste qui se sert de la technologie numérique pour créer ses œuvres. L’artiste numérique extrême, serait l’artiste cyborg. Le mot cyborg est un mot d’origine anglaise issu de la contraction des mots ‘cybernétic’ et ‘organism’ littéralement cybernétique et organisme. Un cyborg est un être humain vivant en symbiose avec la machine. La symbiose est une association constante, obligatoire et spécifique entre deux organismes non viables l'un sans l'autre. La définition du mot cyborg dans la science-fiction dit qu’il est un humain amélioré. L’artiste KC Adams explorait dans l’exposition Cyborg Hybrid, le concept du métissage dans le Manifeste Cyborg de Donna Haraway, à travers une série de portrait d’artistes euro-autochtones avant-gardistes branchés sur la technologie. Un cyborg est donc « un organisme cybernétique, un hybride de machine et d’organique, à la fois une créature issue de la réalité sociale [relations sociales vécues] et une créature de fiction.»57 L’artiste australien Stelarc va beaucoup plus loin dans sa quête de devenir un artiste cyborg. Ses performances prothésiques, avec un troisième bras, un exosquelette, ou d’une oreille greffée prouvent sa détermination à devenir un être humain amélioré : «Tous mes l’augmentation projets et prothésique performances du corps, se que penchent sur ce une soit augmentation par la machine, une augmentation virtuelle ou par des processus biologiques, comme l’oreille supplémentaire, ce sont des manifestations du même concept : l’idée du corps comme architecture évolutive et l’exploration d’une structure anatomique alternative. Dans le cas de l’oreille, on a répliqué une partie du corps, on l’a relocalisée, on l’a reconnectée.»58 57 58 Shéma de involuntary body et third Hand de Stelarc (1997) http://www.stormspirits.ca/Francais/Cyborg/index.html interview de Stelarc du 12 octobre 2007, http://www.ecrans.fr/Le-corps-amplifie-de-Stelarc,2308.html 112 Stelarc pense que le corps humain en tant que tel est obsolète. Stelarc concluera son interview du 12 octobre 2007, donnée au site web Ecran du quotidien Libération, par l’idée que « Les mots zombies et cyborgs sont chargés d’émotion. Un zombie n’a pas d’esprit propre, il agit de manière involontaire. Je ne vois pas le corps comme le site de la psyché ou de l’inscription sociale mais comme un appareil biologique. Je ne crois pas à la prééminence du moi, de l’ego, à l’humain comme une entité singulière et autonome, nous sommes conditionnés par le milieu dans lequel nous vivons. Ce qui est important ce n’est pas ce qui se passe en nous, mais ce qui se passe entre nous. Et quand on pense au cyborg, ça nous rend anxieux parce qu’un cyborg est en partie un homme, en partie une machine, il y a cette crainte d’être automatisé. Mais nous avons toujours construit des artefacts, des instruments et des machines. Nous craignons ce que nous avons toujours été et sommes Stelarc sur son exosquelette mis en parallèle avec le personnage de fiction dr Octopus 59 de Marvel déjà devenus, des zombies et des cyborgs. » S’il est clairement établi que l’artiste numérique n’est pas nécessairement de manière générale un artiste cyborg, peut-on quand même considérer l’art numérique comme un art cyborg ? L’art numérique est un art qui vit dans sa création (tout au moins) en symbiose avec la machine, sinon, il ne pourrait être qualifié de numérique. Tout comme l’être humain à la hanche prothésée de plastique peut être appelé par définition un cyborg, l’art numérique est forcément un art cyborg. 59 interview de Stelarc du 12 octobre 2007, http://www.ecrans.fr/Le-corps-amplifie-de-Stelarc,2308.html 113 CONCLUSION 114 La recherche terminologique autour des termes ‘culture’, ‘populaire’ et ‘masse’, ainsi que ma recherche sur les cultures otaku et geek, m’ont poussée à utiliser le néologisme de culture Peter Pan. La culture Peter Pan est la fusion des cultures geek et otaku qui ont pour point commun de faire fi des codes sociétaires du bon comportement liés au statut de l’être, adulte. La culture Peter Pan est plus qu’une simple culture générationnelle puisqu’elle touche une tranche de la population étalée sur quarante ans. Il faut éloigner le cliché que le geek et l’otaku sont des êtres antisociaux, ces cas existent mais sont des cas isolés de la culture Peter Pan. Il n’y a pas de psychose pathologique rattachée à la culture Peter Pan, le refus de grandir, la référence faite au personnage Peter Pan est une référence symbolique au film de Steven Spilberg, Hook, où Peter Pan a bien grandi mais a oublié quelque chose d’essentiel pour vivre, le jeu. La culture Peter Pan ne regroupe pas les personnes atteintes du syndrome clinique de Peter Pan mais toutes les personnes qui continuent à jouer, qui se réfèrent au jeu. Je me souviens lors d’une conférence au CNAM donnée par un spécialiste de l’addiction aux jeux vidéo, il demanda aux personnes de l’assemblée de lever la main si elles étaient des joueurs (pas spécifiquement de jeu vidéo, juste si on jouait), une majorité de personnes (au début timide sans doute par peur d’être hospitalisé sur le champ !) leva la main, quand il interrogea une personne qui ne jouait plus pour comprendre le pourquoi, la personne interrogée fut mal à l’aise et dans l’incapacité d’en expliquer la raison. L’artiste de la culture Peter Pan est un artiste qui fait référence à cette culture dans ses œuvres. Le jeu vidéo, la science-fiction, sont des paramètres importants de la culture Peter Pan que l’on retrouve dans l’art numérique. C’est à cause des machines… L’art numérique est un art lié aux machines. Les cultures geek et otaku sont fortement liées à l’informatique, on associe souvent l’image du geek et de l’otaku, seul devant son ordinateur à concevoir des programmes informatiques. L’ordinateur est le point d’ancrage de l’art numérique et de la culture Peter Pan. La culture Peter Pan comme je l’entends, à l’ère numérique, est née avec les ordinateurs, les futurs artistes numériques ont grandi en jouant avec la machine et c’est ce qu’ils continuent à faire avec leurs œuvres numériques. La fiction est la base de tout jeu et l’interface des jeux vidéo, le game play est réutilisé dans les œuvres 115 d’art numériques grâce à la programmation. Le jeu numérique est une sorte de liant entre le video game et l’art numérique. L’artiste joue, jongle avec la carcasse vide d’Ann Lee. Lance l’intruse telle une balle de raquette à raquette, part à la recherche d’un trésor sur une île paradisiaque perdue dans un espace-temps pixélisé du Jeu de Paume. Sous couvert de jouer, le sujet traité peut être tout sauf amusant, comme le déroulement de The Intruder, qui nous fait exécuter immanquablement l’innocente, où le speech présidentiel de Mickaël Sellam sous fond de cinématiques de guerre réelle virtualisée. Les revendications sont multiples, jodi.org cherche à terroriser tandis que Velvet Strike cherche l’amour et la paix dans l’univers d’affrontements terroristes. Mais le lien est là, l’univers fictif, les possibilités offertes par le code ou la navigation du gameplay, la source pour l’art numérique est inépuisable et permet de confronter le spect-acteur à l’œuvre, le perdre, le laisser agir à sa guise ou lui faire dégommer l’intruse… La science-fiction avec ses univers cyberpunk et steampunk a ouvert beaucoup de voies visuelles et réflectives à la fiction artistique. Cela fait presque quarante ans que l’univers du manga, sous la forme de dessins animés, a envahi nos téléviseurs et l’esprit de ses téléspectateurs, c’est maintenant un univers très référencé par l’art numérique. La question reste toujours en suspens peuton décoder Ann Lee, si on ne connaît pas le langage manga ? A la recherche d’un contenu, Ann Lee est vide, qui est-elle ? La quête d’une humanité vient d’être cueillie de son univers marasmatique, le cyberpunk. Qui est l’homme cyborg ? Stelarc est un précurseur, un pionnier de cette nouvelle voie de l’artiste cyborg. Une façon de chercher à devenir un surhomme, la quête du super héros, insufflée par les délire fictionnels. Les scientifiques font la liaison, les artistes expérimentaux rejoignent les rangs des scientifiques avides de créations fictionnelles pour devenir comme Da Vinci des inventeurs. Partir à la recherche des rêves, comme Michel Gondry ou Krank, création non finie du film de Jean-Pierre Jeunet et Marc Caro, La cité des enfants perdus. La technologie rend possible, alors l’artiste numérique devient un bâtisseur de fictions. L’artiste peut insuffler de l’irréel dans le réel, grâce à la réalité augmentée. Principe qui permet d’incorporer une image virtuelle dans le paysage réel qui nous entoure, comme un hologramme. 116 Je travaille actuellement sur un projet qui utilise la réalité augmentée, portant sur l’identité, changer le visage, la transformation de ce qui donne une identité physique à quelqu’un en une tête standard, aller jusqu’au bout du stéréotype, de l’intégration ultime, avoir la tête de l’emploi ! Tout part du principe du jeu qui suis-je ? que nous sommes en train d’adapter en technologie de réalité augmentée, les visages sont modélisés en 3D sur le logiciel Maya, intégrés ensuite sur Virtools qui les traite en temps réel et les adapte sur le corps porteur grâce à un repérage dans l’espace dû à des capteurs. Les spect-acteurs face à face voient une tête 3D numérisée en temps réel remplaçant les têtes des autres spect-acteurs. Le principe du jeu est de trouver à quelle célébrité appartient la tête que nous portons. Connaître certains codes de la culture Peter Pan permet de comprendre plus aisément certaines pièces de l’art numérique. Une meilleure immersion grâce à une adaptation plus rapide au game play de l’œuvre, et grâce à un déchiffrage actif des codes de la culture Peter Pan. Les spect-acteurs connaissant la culture Peter Pan sont de plus en plus privilégiés dans les festivals d’art numérique car il émerge de plus en plus d’œuvres référentielles à cet univers. 117 ANNEXES 118 BIBLIOGRAPHIE AOKI C. Fresh Fruits, Phaidon, Londres, 2005, 272 pages. AOKI C. Fruits, Phaidon, Londres, 2001, 272 pages. AUSTER P. Léviathan, Hachette, Paris, 1996, 316 pages. AZUMA H. Génération Otaku, les enfants de la postmodernité, Hachette Littératures collection Hautes tension, Paris, 2008, 186 pages. BAUDRILLARD J. Simulacres et simulation, Galilée, collection Débat, Mayenne, 2004, 234 pages. BOISSIER J. L. La relation comme forme : L’interactivité en art, mamco, Genève, 2004, 312 pages. BOISSIER J. L. 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