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30 refrains de la mémoire Tubes de la variété marocaine Mohamed Ameskane Sommaire Zine oulain zerka, les américains débarquent Ya sahiba assawlati wa assawlajan, le chant des partisans Awmaloulou, la chanson énigme Omri ma nansak ya mamma, A notre mère Bent Lamdina, ma citadine Ya annassi, ne m’oublies pas Molhimati, ma muse Lalla Fatima, femmes je vous aime Kheft r’jal, quand on a que l’amour Mabkiti andi filbal, j’appelle plus ton nom Andi badouia, ma villageoise Lamkhantar, l’orgueilleux Machi adtek hadi, une habitude Laâroussa, vive la mariée! Ma ana illa bachar, je suis qu’un homme Al Kamar al ahmar, le beau Bouregreg rouge ! Ya hbibi watak salef, une mèche de cheveux Lili touil, voyage au bout de la nuit Taguendaout, un morceau éclair Kifach tlaquina, la rencontre Bard ouskhoun, ni chaud, ni froid Al hob wa al abkaria, la demande en mariage Rijal Allah, ô hommes de Dieu Jrit oujarit, je suis malade ! Bent bladi, les filles de mon pays Al ghorba wa al achk al gadi, mon pays Fat el fout, trop tard Saâa saida, y’a de la joie Khouyi, mon frère Ya jara wadina, mon voisin 6 10 14 18 22 26 28 32 36 40 44 48 52 56 60 64 68 72 76 80 84 88 92 96 100 104 108 112 116 120 L es textes réunies dans ce livre me sont inspirés au cours de la préparation et de la réalisation de l’émission «Filbali oughniyatoun», série documentaire diffusée par Al Oula, la première chaîne de télévision marocaine. Publiés sur les colonnes de l’hebdomadaire La Gazette du Maroc, ils racontent la genèse de 30 refrains de la mémoire de la chanson marocaine moderne. Une manière ludique et modeste de participer à l’écriture de l’histoire d’une part intégrante de notre imaginaire collectif. «Zine oulain zarka», qui évoque le débarquement américain sur les côtes marocaines le 8 novembre 1942, est l’un des refrains les plus originaux du regretté Houcine Slaoui (1921-1951). Ay ay ay sur cette époque et ce qu’elle est devenue. Les américains ont débarqué. Des gens se sont enrichis. Nos femmes ne nous respectent plus. Même les mamies ont mis la voilette et se sont mises, à cœur joie, au Chewing Gum. Les mariées ont trouvé des excuses Et quitté foyers et époux. Dans quelles circonstances et conditions le morceau a été concocté ? Les avis divergent et, comme documents, nous n’avons malheureusement que quelques témoignages oraux sujets à caution. Mohamed Slaoui, fils de Houcine, évoque ceux des derniers amis et musiciens ayant fréquenté son père. Ils pensent que le refrain a été confectionné à Paris, en une nuit de 1944. L’artiste ayant appris le débarquement américain en écoutant la radio du Caire «la voix des arabes». En écoutant la chanson et en analysant ses paroles on ne peut être que sceptiques. C’est avec un sens aigu de l’observation que les événements ont été décrits. La beauté et les yeux bleus nous ont ramené des richesses Aujourd’hui, les filles se baladent en groupe, joyeuses. Combien de désirables les Américains ont mis sur un piédestal. Tu n’entends que ok ok hada ma kan ! Zine oulain zarka les américains débarquent 30 refrains de la mémoire 6 Tubes de la variété marocaine D’après le livre du journaliste et conseiller artistique de grandes maisons de disques Ahmed Hachelaf, «Anthologie de la musique arabe (19061960)», «Azine ouelain» n’a été enregistré qu’en 1949 chez Pathé Marconi sous la référence CPT 7120/21. Sorti en 78 tours, il est sur toutes les radios et sur toutes les lèvres. On ne trouve plus de places dans les carrosses et les bus. Aucun respect ni à gauche ni à droite Même le vélo- taxi est devenu important. Avec les Américains. Tu n’entend que ok ok hada ma kan ! Le morceau commence par des notes de luth et un «Mawal» avant 30 refrains de la mémoire Tubes de la variété marocaine 7 d’enchaîner avec une infinité d’instruments aussi originaux les uns que les autres pour le Maroc de l’époque. Moussa Assoul au «quanoun», Martin au violon et la syrienne Bahia Farah en virtuose soliste, sans oublier la clarinette et les instruments marocains traditionnels et populaires tel le «guenbri». Une troupe métisse qui a fait sensation dans le Paris cosmopolite de l’après deuxième guerre mondiale. Ils ont distribué les bonbons et les cigares. En plus des dollars. Les mamies ont acheté des foulards. Les plus jeunes s’initient à leur langue. Tu n’entends que ok ok kaman bay bay ! Houcine Slaoui se prend pour un historien. Il décrit avec minutie et un humour féroce le débarquement, les nouveautés ramenées par les troupes et les répercussions de l’ensemble sur la société marocaine traditionnelle. La question de la prostitution traverse la chanson de bout en bout. Ils ont distribué des sucreries au goût de la menthe. En plus des Chewing Gum de la poudre et du rouge à lèvres. En plus des bonbons. Mêmes les mamies, aujourd’hui, boivent du Rhum. Avec les Américains. Tu n’entends que ok ok kaman bay bay ! On s’amuse avec eux et les femmes sont gagnantes. Combien de désirables, avec les Américains, portent la voilette et le sac à mains. Tu n’entends que ok ok give mi dollar ! Le dollar est roi. Avec l’argent on se permet tout. On se croirait dans les années quatre vingt et l’explosion de la bourse ! «Zine oulain zarka» est non seulement un refrain inoubliable mais aussi un texte visionnaire d’une actualité brûlante. N’est-t-il pas repris, aujourd’hui, par des voix marocaines et étrangères, par Hatim, le petit fils de Houcine Slaoui, ou par Maurice Medioni ? 30 refrains de la mémoire 8 Tubes de la variété marocaine Houcine Slaoui une légende vivante Houcine Ben Bouchaib a vu le jour le 4 avril 1924, à Derb Boutouil, à Salé. Orphelin de père, il commença à travailler dés son jeune âge pour aider une mère, qui travaillait au bain public Turki, ainsi que plusieurs sœurs. Apprenti chez un tailleur, sa passion reste le chant et la musique. Avec un instrument rudimentaire qu’il confectionna a l’aide d’un bidon et quelques fils électriques, il entonnait les morceaux appris chez les «H’laiqui» (amuseurs publics) des places de la «slwania» comme il aimait appeler la rivale de Rabat. A 12 ans il devient l’un des leurs et emboîte le pas à ses maîtres, les Boujamaa El Farrouj et autre Moulay Bouih. Très jeune aussi, il quitte le cocon familial et erre sur les routes tel un troubadour du Moyen âge. C’est ainsi qu’il apprit l’ensemble des rythmes et des formes musicales des différents terroirs marocains (Ayta, Malhoun, Andalou,Taqtouka..etc). A vingt ans son talent se confirme. Auteur, compositeur et interprète, on lui doit une vingtaine de chansons connues aux thèmes et aux compositions originales. Des textes d’un humour féroce , des rythmes nouveaux introduisant des instruments inconnus de l’époque tels la clarinette, le piano, le saxo et même la batterie. D’une modernité inouïe, ses chansons légères ne dépassaient pas les cinq minutes. Aidé par un ami pianiste français, il débarque à Paris et enregistre chez Pathé Marconi. Il se produisait alors dans les cafés et cabarets fréquentés par la communauté maghrébine de Pigalle, Clichy et Barbés. 30 refrains de la mémoire Tubes de la variété marocaine 9 Chaque création artistique est liée à un contexte historique bien déterminé. « Ya sahiba assawlatiwa assawlajane » est loin d’échapper à la règle. Son écriture coïncide avec la présentation, le 11 janvier 1944, du Manifeste de l’indépendance. Le Maroc, dans le contexte de la fin de la 2éme guerre mondiale, aspire comme tous les peuples en lutte à sa liberté. Le poème, qui est un éloge et hommage à Mohammed V, reflète cet esprit. Ne contient-il pas des derniers vers, non composés, très explicites à cet égard : « Notre objectif est l’indépendance de ce pays, nous sommes prets a en payer le prix. ». Ecrit par Mohamed Benerradi, l’idée de le mettre en musique est venue du maestro des générations Ahmed Bidaoui. Une fois composé, on ne l’écoutait qu’au palais royal ou dans l’intimité des familles nationalistes. M.Benerradi se souvient l’avoir entendu, pour la première fois, chez Zine elabidin ben Brahim. Sa version radiophonique n’a été découverte qu’en 1956. Ya sahiba assawlati wa assawlajane le chant des partisans 30 refrains de la mémoire 10 Tubes de la variété marocaine Chef d’œuvre de composition et d’interprétation, le maître y a mis tout son savoir faire. Ahmed Benchehboun, alias Ahmed Bidaoui est né à Casablanca en 1918. En amateur, il s’initia dés les années trente à la musique en imitant les Sayed Darwich, Salama Hijazi, Mohamed Abdelouahab et autres oum Keltoum. Son vrai apprentissage académique est l’œuvre de l’égyptien Morsy Barakat, maestro de l’orchestre royal. Une fois ce dernier décédé, Ahmed Bidaoui le remplace dans la même fonction. Il dirigea, par la suite, l’orchestre moderne, fondé par Radio Maroc, ainsi que l’orchestre national. Directeur de la musique au sein de la radio et président de la commission des compositions et des paroles jusqu’à son décès survenu le 30 août 1989. Homme de grande et profonde culture, excellent luthiste et compositeur interprète à la voix des grands ténors, on lui doit une centaine d’œuvres dont « Ya sahiba assawlati wa assawlajane », la plus connue. Avec l’utilisation d’une chorale d’enfants de 10 à 14 ans a qui il réussi à apprendre un texte classique, l’instrumentalisation de la trompette et ces passages d’un couplet à l’autre avec grande maîtrise, « Ya sahiba assawlatiwa assawlajane » reste le refrain de la mémoire par excellence que nous fredonnons toujours avec plaisir et nostalgie. 30 refrains de la mémoire Tubes de la variété marocaine 11 Mohamed Benerradi l’humaniste Descendant d’une grande famille Rbati, Mohamed Benerradi est né en 1921. Il s’initia, dés sa tendre enfance, à la culture arabe classique grâce aux maîtres Seddik Cheddadi, Mohamed el Bacha et Sidi madani benhassoun. A l’école Mohamed Ghessous, dont il devient plus tard l’un des enseignants, c’est la langue de Molière qu’il maîtrisa. D’une intelligence précoce, ses talents reflètent les multiples facettes de sa personnalité. En nationaliste convaincu, il participa à la fondation des partis National et l’Istiqlal. A l’indépendance il devient membre du cabinet de Abdallah Ibrahim, secrétaire d’état à l’informations, qui le chargea de la radio. Cabinard ensuite aux affaires étrangères avec les ministres Ahmed Balafrej et Ahmed Iraqi. Consul général en France et ministre délégué. C’est en tant que journaliste qu’il fonda, au sein de ce département, la revue Al Maghrib. Parmi les fondateurs d’Al Alam en 1946, il contribua à Rissalat Al Maghrib, à Al Atlas sans oublier son rôle de rédacteur en chef de Daawat al haq. En parfait bilingue, il composa des poèmes à la thématique variée tels « L’andalouse » ou la fameuse « Ya sahiba assawlati wa assawlajane ». Membre du club Jirari au temps de son fondateur Abdallah et avec son successeur Abbas Jirari. Militant, pédagogue, journaliste, diplomate, poète…Mohamed Benerradi reste avant tout un humble humaniste. 30 refrains de la mémoire 12 Tubes de la variété marocaine 30 refrains de la mémoire Tubes de la variété marocaine 13 Connu sous le sobriquet Fouiteh, inspiré du nom du père Haj Fattah Hallak, Mohamed Tadlaoui est né le 18 mai 1928 dans le quartier Al Makhfia de la médina de Fès. Orphelin à dix ans, il fut apprenti chez un cordonnier ainsi que chez un fabricant de plateaux de thé. Il a quatre ans quand son oncle accrocha dans sa chambre un portrait de Mohamed Abdelouahab tiré du film Al warda al Baida. L’image, qui l’intriguait et qu’il ne cessa d’admirer, le hanta pendant des années. Passionné de musique dès son jeune âge, il jouait de l’harmonica au cours des récréations pour le plaisir de son premier public, ses camarades de classe. Plus tard, Mohamed Bouzoubâa l’initia aux méandres de la musique andalouse et Thami Harrouchi au Melhoun. Outre la musique, il s’intéressait au dessin et au foot en jouant, comme gardien de but, dans l’équipe de l’école Al Adoua. A quatorze ans, il maniait le luth entonnant les classiques égyptiens de Abdelouhab, Oum Kaltoum, Farid Al Atrache et Islmahan. Mehdi Elmandjra se souvient des Nzahas qu’il animait à Sefrou, Sidi Harazem et Jnan Sbil. Plus tard, il crée l’orchestre Achouaa en compagnie de Abderrahim Sekkat, Mohamed Mazgaldi, Ahmed Chaji… La troupe animait les fêtes familiales et passait, chaque semaine, en direct de Dar S’lah, antenne de Radio Maroc. Sa première chanson fut un poème de Mohamed Benbrahim. Fin des années quarante, il s’envole pour Paris, devenu après la guerre, la Mecque des plus grands musiciens et interprètes du monde arabe. Awmaloulou la chanson énigme 30 refrains de la mémoire 14 Tubes de la variété marocaine Maîtrisant les classiques orientaux, il se produisait au cabaret Al Jazair, rue de La Huchette, et au Baghdab, rue Saint André des Arts. Ce dernier était tenu par un samaritain Soussi qui ne picolait pas et ne s’intéressait pas aux spectacles. Drôle de patron de cabaret ! Il s’agissait en fait d’un nationaliste qui fournissait des armes à la résistance et dont le Baghdad n’était qu’une couverture. La rencontre avec Ahmed Hachelaf, journaliste au service arabe de la radio française et directeur artistique chez Pathé Marconi, fut décisive dans sa carrière. C’est grâce à lui qu’il s’est mis à composer des chansons marocaines, à l’instar d’un Houcine Slaoui, dont la fameuse Awmaloulou. Premier essai, premier coup de maître et premier tube du «... précurseur de tout ce qui se fait aujourd’hui dans la nouvelle musique marocaine répandue partout par Abdelouahab Doukkali, Abdelhadi Belkhiyat et un grand nombre de 30 refrains de la mémoire Tubes de la variété marocaine 15 compositeurs qui ont réussi à faire connaître et apprécier la musique marocaine en dehors des frontières du Maroc», note avec justesse le même Hachelaf . En 1974, au cours d’une tournée en France, le capitaine Gossier, exdirecteur de Radio Maroc, invita Fouiteh et Abdelouahab Doukkali. Au cours du dîner, il leur demanda l’explication de la chanson «Awmaloulou» qu’il passait, en boucle, sur l’antenne. Quand Fouiteh lui annonça qu’il s’agissait d’un texte patriotique avec un dialogue entre Mohammed V et son peuple, Gossier s’exlama, «je connais tous les dialectes marocains et j’ai appris toutes les blagues de Marrakech et je me suis fais avoir !». Plus elles vieillissent, plus elles prennent de la valeur comme les grands crus, ainsi sont les chansons de Mohamed Fouiteh. Les marocains ne cessent de les fredonner en hommage à la mémoire d’un humble et discret grand artiste. 30 refrains de la mémoire 16 Tubes de la variété marocaine Jacques Berdugo le témoin, l’ami. «J’ai connu si Mohamed Fouiteh en 1945 à Meknès. On s’est retrouvé après à Paris en 1953 pour ne plus se quitter jusquà son décès. Il m’a tout appris, les chansons de Mohamed Abdelouahab et celles de tous les autres. Il travaillait au cabaret Al Jazair, rue de la Huchette où se produisaient les grandes vedettes à l’instar des Ali Sriti, Mohamed Wahbi, Hassan Elgharbi, Ali Riahi, BlondBlond , ainsi que les plus grandes danseuses du monde arabe. Dans la journée, il suivait des cours au conservatoire de musique. Il a écrit et composé Awmaloulou rue Bonaparte, au foyer où il logeait avec les étudiants marocains Dris Fallah, Houcine Bensaid, Ahmed Snoussi, Benabdelali, Driss Cherradi…En militants nationalistes, ils encadraient la communauté marocaine en Europe et organisaient des soirées pour le retour de sidna Mohammed V. Awmaloulou s’intitulait au début Ha houma lilou (ils sont à sa poursuite) et c’est Ahmed Hachelaf, directeur artistique chez Pathé Marconi, qui lui a conseillé de changer le titre pour éviter la censure des autorités coloniales. C’est ainsi qu’ils l’ont enregistré sous l’appellation d’Awmaloulou. Ses paroles, tout comme celles de Melli mchiti sidi, sont patriotiques et traitent de l’exil et du retour du Roi. Si Mohamed Fouiteh était toujours disponible pour la défense de la question nationale et répondait présent aux manifestations qu’organisait le parti de l’Istiqlal au Maroc et à l’étranger, Belgique, Finlande, Hollande…Il s’est sacrifié et a laissé un nom propre. A nos artistes de puiser dans son lègue. Notre pays a besoin de beaucoup comme lui.» 30 refrains de la mémoire Tubes de la variété marocaine 17 Je ne t’oublierai jamais maman Je ne t’oublierai jamais Je ne survis dans ce monde que grâce à ta bénédiction, maman « Omri manansak ya mamma » reste une chanson emblématique dans le répertoire de Samy Elmaghribi. Un texte mélancolique, né d’une blessure d’enfance. A 14 ans, le plus jeune de ses frères et sœurs, perd sa maman. Le refrain ainsi que sa composition germait depuis cette date dans l’esprit de l’orphelin. Enregistré en 1955 chez Pathé Marconi à Paris, « Omri ma nansak ya mamma » est repris, en boucle, par les radios et sollicité par le public, qui le chante en cœur, à chaque soirée. Tu m’a porté pendant neuf mois Avec douleur, tu m’a mis au monde Mama, avec ton lait tu m’a ressuscité Si je suis en vie, c’est grâce à toi Yolande Amzallag, fille de Samy Elmaghribi, le chante avec beaucoup de sensibilité et en parle avec émotion : « Cette chanson, je l’ai entendue des centaines de fois interprétée par mon père et c’est toujours la même émotion. On ne pouvait que communier avec lui dans cette sensibilité. Je pense que cette blessure, qui l’a frappé à cet âge là, lui a permit de devenir poète. Elle l’a ouvert à la dimension artistique. Mon père a eu le malheur de perdre sa mère très jeune. Mais c’était en même temps pour lui l’occasion de réparer cette blessure à travers l’art. ». Omri manansak ya mamma Combien tu m’a éduqué Combien tu as bercé mon sommeil Je ne t’oublierai jamais maman Sorti en 33 tours, 45 tours et CD, Omri ma nansak ya mamma, repris par de nombreux artistes à travers le monde arabe, est un refrain indémodable. à notre mère 30 refrains de la mémoire 18 Tubes de la variété marocaine 30 refrains de la mémoire Tubes de la variété marocaine 19 Samy Elmaghribi un destin marocain « Je suis né sous le signe du chant, le 7éme jour de Pessah…Le 8éme jour de ma naissance, mon père a invité des Chikhates, des femmes chanteuses, pour qu’elles fredonnent des airs populaires prés de mon berceau. ». C’était en 1922 à Safi, cité atlantique multiconfessionnelle et multiculturelle. En 1926, la famille Amzallag s’installe dans le Mellah de Rabat où le jeune Salomon ne cesse de tendre l’oreille captant les airs de la musique andalouse, du Malhoun et du Chaâbi. Il confectionne sa première mandoline à l’age de sept ans avant de s’initier, plus tard, au luth. Dans la capitale, il se lie d’amitié avec les Maâllem Ben Aissa El Oufir, Benghabrit, Pirou, Mekki El Hajjam… et les accompagne pendant les répétitions et au cours des soirées organisées par les grandes familles juives et musulmanes. A 20 ans, il laisse tomber son poste de directeur commercial pour se consacrer entièrement à la musique. Ne gagnait-il pas, en une nuit, l’équivalent de son salaire mensuel ? L’ami Ahmed Boudroua, pianiste et producteur, lui trouve un nom artistique. Salomon Amzallag devient Samy Elmaghribi. Sa carrière est lancée, une étoile est née. Après la guerre, a l’instar des grands noms de la chanson maghrébine et orientale, il s’envole pour Paris et hante ses studios, ses radios et ses grands cabarets, Al Jazair, le Tam-Tam, la Kasabah, où il cotoie les Ali Riahi, Louiza Tounsia, Blond Blond, Lili Bouniche… En 1948, il enregistre chez Pathé Marconi son premier 78 tours contenant des chansons patriotiques, nachid al malik , historiques le marché noir , sociétales choubban arriada, première chanson sur le sport au Maroc, sans oublier l’amour avec Gitana, ô ma belle et autre boust el foum. Invité par la grande chanteuse et actrice Kaltoum, il se produit dans son cabaret à la Casbah d’Alger, enregistre pour la Radio Télévision Algérienne et se lie d’amitié avec les cheikhs du Haouzi et du Caâbi tels les Bensari, le père Larbi et le fils redouane, et autre Haj Mohamed El Anka. En 1955, à l’instar des ouvriers, étudiants et militants nationalistes, il se présente devant Mohammed V à Saint Germain En Lay et lui chante, avec la complicité du prince Moulay Hassan, alf hnia ouhnia. Le roi lui demande de rentrer au pays, ce qu’il fait sans 30 refrains de la mémoire 20 Tubes de la variété marocaine aucune hésitation. A Casablanca, il lance la société Samyphone qui édite une infinité de 45 et 33 tours réunissant ses chansons, se produit au cours des fêtes nationales et privées. Célébrant un mariage chez la famille Boukrat à Colon Bechar, il apprit la nouvelle du tremblement de terre d’Agadir. Ce soir là, il ne ferma pas l’œil avant d’écrire et de composer un Requiem, qasidat Agadir, à la mémoire des victimes de la catastrophe qui a engloutit le tiers de la population de la capitale du Souss. De retour à Paris, il fréquente la communauté juive algérienne. Avec Maurice El Médioni, Lili Bouniche, Renette l’Oranaise et Blond Blond, il chante au Poussin d’Or la nostalgie et le pays perdu. C’est en 1967 qu’il s’installe au Canada devenant chantre à la Congrégation Spanish et portuguese de Montréal. L’auteur du fameux kaftanek mahloul abandonne la musique profane et se consacre au chant religieux avant d’y revenir sous la pression de ses nombreux fans. Avec Salim Azra, Shlomo Souiri, Lionel Elmaghribi… il se produit au cours des célébrations privées et publiques sauvegardant ainsi, dans l’exil, la richesse du patrimoine musical marocain. Ses concerts des années 1977, 1984 et 2005 sur la Place des Arts à Montréal restent dans les mémoires. Samy revenait de temps à autre au Maroc. On se rappelle sa soirée célébrant la fête du trône en compagnie de Abdelhadi Belkhiat et Raymonde Bidaouia, ses participations aux Festivals du Tarab Gharnati d’Oujda et des Musiques Sacrées de Fès. La nouvelle génération n’a découvert un sympathique vieux entonnant ana chab andi tmanin sana (je suis un jeune de 80 ans) qu’en 2005 sur 2M, au cours de l’émission Shada al alhan. Il devait revenir assister à un grand hommage en mai 2007 à Casablanca, le destin en a décidé autrement. Samy Elmaghribi reste, comme le note le président de la communauté sépharade unifiée du Québec David Bensoussan dans son éloge funèbre, celui « qui a réussi à unir juifs et musulmans grâce à l’amour du chant, égayant ainsi des solitudes qui ne demandent qu’a s’unir et à projeter leur âme dans l’amour et le respect. Il a ainsi contribué à la vision de paix des temps futurs.» Samy Elmaghribi s’est éteint le 09 mars 2008 dans le froid canadien, loin de la chaleur du pays de ses ancêtres. 30 refrains de la mémoire Tubes de la variété marocaine 21 « Bent lamdina », qu’on peut traduire par La citadine, fait partie des premières chansons marocaines dites Asria, créée en 1958. Un genre nouveau, né avec l’indépendance se démarquant à la fois des traditions marocaines classiques (musique andalouse, Malhoun) et populaires, ainsi que des formes orientales, surtout Egyptiennes, qui dominaient la scène à l’époque. Dans ce contexte, l’écrivain et homme de médias par excellence Abdallah Chakroun, a eu l’idée de créer un orchestre nouveau en dehors de l’orchestre moderne, dirigé alors par Ahmed Bidaoui. Il en confie la direction à Mohamed Benabdessalam, luthiste au sein d’une formation de Malhoun, qui entame la sélection des musiciens. On fait appel à Brahim Salah, tunisien connu au sein des cercles parisiens, qui vient de s’installer au Maroc. L’orchestre Al Mounawaât vient de naître. Il ne manquait à Mohamed Benabdessalam que des paroles pour commencer la composition. La nouvelle poésie dialectale n’existait pas. Abdallah Chakroun, habitué à écrire des pièces théâtrales pour la radio, s’essaye à la nouvelle expérience. Il commence par «Al Masrara», inspirée par sa compagne l’actrice Amina Rachid, alias Jamila Benomar, chantée par Mohamed Bentahar et enchaîne par «Bent Lamdina». O fille de la ville c’est sur toi que je chante la fille de mon pays est belle je lui offre mon art. Bent lamdina ma citadine 30 refrains de la mémoire 22 Tubes de la variété marocaine Une fois les paroles, célébrant l’émancipation de la femme marocaine, entre ses mains, Mohamed Benabdessalam, en grand connaisseur des rythmes et chants traditionnels, les habille d’une composition adéquate. Maati Belkacem, chanteur parmi les fondateurs de la chanson marocaine moderne, l’interprète avec beaucoup de grâce. Enregistrée à la radio, Bent lamdina devient le refrain applaudi au cours des tournées de l’orchestre Al Mounawaat. Une fois au théâtre municipal de Casablanca on a frôlé l’émeute ! Au moment où Maâti Belkacem venait de finir de la chanter, une partie du public scandait, «et Bent Derb Sultan» ! Bent lamdina à Casablanca ne peut avoir qu’une seule signification, à savoir la fille de l’ancienne médina. Il fallait donc chanter aussi la fille de Derb Sultan, l’autre grand et rival quartier de la ville. Le regretté Bachir Laâlej, qui animait la soirée, a calmé les esprits en promettant 30 refrains de la mémoire Tubes de la variété marocaine 23 que d’ici la fin de la soirée on improvisera un morceau sur les filles de Derb Sultan. Depuis sa création, Bent Lamdina n’a pas pris la moindre ride. Le refrain est repris en toute occasion et en toute fête familiale marocaine. Il traversa les frontières et devient l’une des chansons marocaines les plus reprises dans le monde arabe avec les versions, entre autres, du tunisien Lotfi Bouchenak et du Koweitien Abdelmouhcine Lamhanna. 30 refrains de la mémoire 24 Tubes de la variété marocaine Maâti Belkacem le pionnier Maâti Belkacem est l’une des figures emblématiques de la chanson marocaine moderne. Né à Salé en 1928, sa première école est le «Msid» ou l’école coranique grâce à laquelle il s’initia à la psalmodie. Passionné dès son jeune âge par la musique et les chants, il fréquentait les cafés chantants de musique andalouse et du Malhoun, notamment celui de Mohamed Baroudi, les «Hlaki» de Bab Lakhmis et de Souk Laghzel, ces cercles de chanteurs itinérants, sortes de troubadours, de bouffons et autres jongleurs. Encouragé par un certain Hanouni à poursuivre son cheminement artistique, il commence par imiter, à 15 ans, les morceaux orientaux de Mohamed Abdelouahab, Oum Kaltoum et Farid Al Atrache. A 19 ans, il fonde, en 1947 et en compagnie d’un groupe d’amis qu’encadraient Benabdessalam et Mekki Frifra, l’orchestre «Al ittihad assalaoui». On dit qu’il a fréquenté et joué dans des groupes de jazz américains. La base de Kenitra était à deux pas de Salé. Soliste et virtuose de contrebasse et de luth plus tard, interprète et compositeur, le répertoire de Maâti Belkacem contient pas moins d’une centaine de chansons d’amour. On lui doit aussi «Houani, houani», «Min Bab Choubak», «Ya lkaouini», «Ah ya kalbi», «Dani yamma»,«Ayyam rabiaa»… Outre la chanson légère en dialecte, Maâti Belkacem a intetprété des poèmes arabes classiques. Chanteur humble et populaire au Maroc mais aussi dans le Maghreb. Star en Algérie et en Tunisie où sa «Mahbouba» reste l’un des tubes indémodables, Maâti Belkacem nous a quitté au mois de mai 2001. 30 refrains de la mémoire Tubes de la variété marocaine 25 Brahim El Alami, l’un de nos plus grands artistes, est issu d’une famille chérifienne de Jbal Allam, Moulay Abdessalam Ben Machich. Son grand père, Haj Driss, fut un grand mélomane et amateur du Melhoun. Né dans l’ancienne médina de Casablanca vers les années trente, sa famille émigre à Derb Sultan où il grandit. Portant un intêret précoce à la musique, il fut initié au départ par son grand frère Mohamed El Alami Aziz, interprète inégalable du Melhoun, du Chaâbi et du Hawzi algérien. Ce dernier se produisait, avec son ami Salim Halali, au fameux Coq d’or, cabaret prestigieux de Casablanca. Il complète sa formation ensuite dans une école française où il apprit le solfège, le jeu instrumental et fréquente les maîtres de l’époque: Haj Ahmed Boudroua, El Madkouri, Boubker Talbi et Mohamed Hrizi, fins connaisseurs de la chanson orientale. C’est dans ce contexte, où la chanson marocaine cherchait ses marques et fut tiraillée entre le folklore et l’imitation aveugle des succès égyptiens, que Brahim El Alami participait, avec les Fouiteh, Ahmed Jabrane, Maâti Belkacem, Abdelkader Rachedi, Ismael Ahmed…, à la naissance de la variété dite «oughnia asria». Tu m’as oublié. Et tu as oublié notre pacte. Même si tu as oublié. Hram alik. Tu as juré de ne jamais trahir. Même si tu as juré. Je ne te crois pas. Ya annassi ne m’oublies pas 30 refrains de la mémoire 26 Tubes de la variété marocaine Brahim El Alami écrivait ses paroles, les composait et les interprétait. Ce fut le cas de Ya annassi qui, dès son enregistrement et son premier passage à la radio, devient un refrain repris par toutes les générations. Le 45 tours sorti chez la Voix du Maroc, s’arrachait. Salim Halali, qui la chantait en toute occasion, voulait en faire une reprise comme il l’avait fait avec Alach ya ghzali de Maâti Belkacem. Le projet n’a pas abouti, car El Alami tenait à son bébé comme à la prunelle de ses yeux. Si le refrain a eu un tel succès, c’est qu’il est tout simplement inspiré des rythmes et formes folkloriques typiquement marocains. Dans une demeure bourgeoise Fassie ou au fin fond des Rhamna, Ya annassi est fredonnée, entonnée, avec délectation et nostalgie, en toute fête familiale. Reprise par la majorité de nos chanteurs, Latifa Raafat, Raymonde Bidaouia, Nouaman Lahlou, au Maroc et ailleurs, Ya annassi reste un tube éternel. 30 refrains de la mémoire Tubes de la variété marocaine 27 Qui ne se souvient pas avoir fredonné, avec plaisir et nostalgie, le refrain de «Molhimati», chanson à la trajectoire pleine d’anecdotes croustillantes. Ahmed Gharbaoui n’a jamais rencontré l’auteur des paroles, Ahmed Nadim, poète égyptien et directeur de l’école du conservatoire égyptien à Rabat dans les années 60. C’est Ahmed Rami, directeur alors de la station régionale de la radio à Tanger, qui les lui a fournit avec la bénédiction de leur géniteur. Du long poème initial, il ne retient que le tiers. A la composition, qui a duré des mois, il ne manquait que l’accroche. Un après midi de la fin des années cinquante, notre artiste invite une copine au cinéma l’Opéra de Casablanca à voir un film. Et c’est ce jour là, grâce à la musique du Géant de la steppe, film russe qu’Alexandre Ptouchko a tourné en 1956, que «Molhimati» a fini par trouver son ouverture instrumentale. Le compositeur entama alors les répétitions avec Abdelouahed Tétouanais qui devait en être l’heureux interprète. Le jour de l’enregistrement, ce dernier manque le rendez-vous et préfère se produire au cours d’une soirée à Marrakech. Molhimati ma muse 30 refrains de la mémoire 28 Tubes de la variété marocaine C’est ainsi que, par le pur des hasards, Gharbaoui finit par chanter le morceau en compagnie de l’orchestre national. A sa première diffusion à la radio en 1961, le public fut enchanté et conquis. Le 45 tours ne tarda pas à sortir chez Boussiphone et on se l’arrachait comme des petits pains. Après un premier enregistrement en noir et blanc à la télévision, qui commença à diffuser ses émissions en 1962, le chanteur ne cessa de l’interpréter en toutes occasions en lui intégrant ses fameux «Mawawil» dont il est l’un des grands spécialistes. «Molhimati», qui éclipsa les «Ommah», «Abd Zine» et autre «Gharib», finit par lui coller à la peau. Et le nom de Gharbaoui devient synonyme de sa muse. Le chanteur et compositeur a pourtant une carrière qui remonte à 1957. 30 refrains de la mémoire Tubes de la variété marocaine 29 Ahmed El Gharbaoui charme et élégance Issu d’une famille originaire de Meknès, Ahmed Elgharbaoui est né à Rabat en 1938. Passionné de chant et de musique, en parallèle à ses études scolaires, il poursuivait un cursus au conservatoire Moulay Rachid, sanctionné en 1951 par un diplôme. Au cours du concours «ghanni ya chabab», qu’animait à travers le royaume Abdessalam Sefiani à la recherche de jeunes talents, il se classa premier. En 1954, il intègre l’orchestre moderne de la radio sous la direction de Ahmed Bidaoui et en 1957 il rejoint, en tant que contrebassiste, l’orchestre «al mounawaat» que dirigeait Ahmed Chajaii. Grand amateur de la chanson orientale et de ses écoles syrienne, iraquienne et égyptienne, il imitait à merveille son idole Farid Al Atrache, surtout son mythique «Awwal hamsa». Encouragé par le journaliste Ahmed Rayane, il s’essaya, pour la première fois, à la composition avec «Bida oumaziana oukhad wardi», écrite par Abdelkrim Bouaâlaga. En collaborant ici et là, il fréquente les grands chanteurs et musiciens des années cinquante et soixante, les Mohamed Fouiteh, Abdelkader Rachedi, Ismail Ahmed, Maâti belkacem, Mohamed Mazgaldi , Abdenebi Jirari, Abbes Khiati et Salim Halali qui l’intégre, pendant une certaine période, à l’orchestre de son cabaret, le fameux Coq d’Or. reste confié à Maati Belkacem, Mohamed Ali (Dikrayat) et Souâd Mohamed. Les mémoires des mélomanes retiennent et fredonnent «Gharib», «Al kaouini binnar», «Ana Abd zine», «Ommah», «Ya harib minni», écrite par Mehdi Zeriouh, «Likaa», écrite par Abderrafia Jawhari, «Alik ya hbibi rani ghannit», «Jrah ouadab», «Tfakker marra»…Mais le nom d’ Ahmed Elgharbaoui reste lié à son chef d’œuvre «Molhimati», la muse écrite par le poète Egyptien Ahmed Nadim, composée et enregistrée en 1961. Elgharbaoui n’était pas seulement un interprète de grande valeur, notamment, en ce qui concerne les «quasida» dont il est l’un des spécialistes maghrébins, sinon arabes. Compositeur, il maniait plusieurs instruments dont le «tarr», la guitare, le piano, le violoncelle et le luth. Le rossignol s’est tu le samedi 13 janvier 2009 nous léguant un riche répertoire. Nous garderons de lui l’image d’un artiste fin et exigeant, modeste, élégant, avec un sens de l’humour incomparable En 1961, il fonde avec Ahmed Benmoussa une troupe réunissant des grands musiciens, tels Ahmed El Ouali (violon), Abdelfattah El Ouali (cithare), Moulay El Ghali (violon), Said El Hanchi(flûte), Abdelhafid Dinia (tarr) et les chanteuses Aicha Hassan et Khadija Ziani. L’ensemble animait, une heure avant la projection des films, les cinémas «Chaâb», «ABC» de Rabat et le «Royal» de Salé. De temps à autre, le chanteur judéo-marocain Léony Elmaghribi les accompagnait. Connu par ses soirées interminables et ses «mawawil», Ahmed Elgharbaoui était une star dont les concerts et soirées à la télévision, au temps des directs du samedi de Ain Chock, étaient suivis par de nombreux fans. La phonothèque de la radio lui conserve pas moins de 134 chansons dont 110 sont composées et chantées par lui, le 30 refrains de la mémoire 30 Tubes de la variété marocaine 30 refrains de la mémoire Tubes de la variété marocaine 31 Il n’y a qu’une ville au monde qui peut produire un ovni comme Hamid Zahir. C’est dans les ruelles labyrinthiques de la médina de la citée ocre qu’il vit le jour. Apprenti boucher au départ, imprégné des rythmes, des chants et de l’humour (noukta), comme tout merrakchi qui se respecte, il se donne à la chanson. Avec un groupe d’amis, les Guiir, Al mahri, al arbi, Salem.., il fonde une troupe unique dont le répertoire s’inspire du « folklore » de la ville et de ses environs, notamment le genre Hawzi. Au luth, accompagné de quatre garçons tapant des mains (al kaf) et de quatre filles choristes, ses refrains, populaires et légers, sont sur toutes les lèvres. Un de ces jours, il croise Ahmed Jabrane dans les studios de Ain Chok à Casablanca. Ce dernier venait de composer et d’enregistrer à Paris Lalla Fatima. En l’écoutant l’interpréter, l’équipe de Hamid l’accompagne en tapant des mains. En présence du directeur de la station d’alors Azeddine Guessous et du réalisateur Mohamed Ziani, Jabrane la lui offre pour l’adapter à sa manière. Après un mois de travail, le 45 tours sort à Casablanca. Et ce fut un succès phénoménal. Lalla Fatima, au nom de dieu un seul mot de toi Je t’ai dis bonjour et tu ne m’a pas répondu Peut-être que tu penses à quelqu’un d’autre Tu n’as pas pensé à moi Je te supplie, dis moi un seul mot Il refroidira le feu ardent qui me brûle Lalla Fatima femmes je vous aime 30 refrains de la mémoire 32 Tubes de la variété marocaine « Lalla Fatima », un mot magique. Cette manière respectueuse de s’adresser à une femme est peut être à l’origine de son succès, sans oublier l’interprétation du maître et l’accompagnant d’une troupe plus qu’originale, avec son jeu, ses mimiques et ses gestes. Traversant les frontières, le refrain devient un tube au Maghreb et au Machrek. Au cours de l’un des voyages de Hassan II en Tunisie, une grande soirée fut organisée. Le grand Ahmed Bidaoui se présente, le luth à la main. Quelqu’un du public crie « Lalla Fatima », un deuxième le suit et c’est toute la salle qui demande au maître, qui avait une réticence a tout ce qui est populaire, de chanter le morceau de Hamid Zahir, décoré par Lahbib Bourguiba par un Wissam d’Or! Le comble du scandale. 30 refrains de la mémoire Tubes de la variété marocaine 33 Dans les pays du golf, où elle fut synonyme du Maroc et des Marocains, elle est chantée tous les soirs dans le palais d’un cheikh dont la cheikha s’appelle Fatima ! Flairant le filon, Hamid Zahir demande à ses amis auteurs ,dont Abdelhak Belfaida, de lui écrire sur « Souad », « Naima », « Zhirou », « Meryem », « Saadia » et « Aouicha », toutes des succès sinon des tubes. « Lalla Fatima », utilisée dans les spots publicitaires et les Sit Com, n’a pas prit la moindre ride. Ahmed Jabrane entre l’exil et l’oubli Il fait partie des premiers artistes marocains fondateurs de la chanson moderne. Enfant de l’ancienne médina de Casablanca, il s’initia au chant, au luth et au piano à l’orphelinat (Al maitam) chez Ahmed Zniber avec Mokhtar Madkouri, Aziz Alami , Mohamed Boudroua… Ahmed Jabrane s’est intéressé au patrimoine dont il s’inspira pour nous offrir les « Ana ma bidi ma naamal », « Li mchalou ghzalou », « Zine lasmar », « Yalli sallamti fia », « tawalti l’ghiba »… Refrains qu’il enregistra à Paris avant de s’envoler pour les Etats-Unis où il vécut jusqu’à sa mort vers la fin des années quatre vint dix. 30 refrains de la mémoire 34 Tubes de la variété marocaine 30 refrains de la mémoire Tubes de la variété marocaine 35 Moi, j’ai entendu dire Que l’amour fait souffrir, Que l’amour fait pleurer, A quoi ça sert l’amour ? Les paroles de Michel Emer (1962), entonnées par la diva Edith Piaf, reçoivent en écho celles de «kheft r’jal». Pourquoi ai-je aimé ? Il a suffi d’un regard pour que je craque… Mes pieds et mes yeux sont a l’origine de ma souffrance… mon cœur crame… Kheft r’jal quand on a que l’amour 30 refrains de la mémoire 36 Tubes de la variété marocaine Les deux chansons relatent des amours impossibles, inassouvis, des passions dévorantes. Le thème est universel. La musique n’est-elle pas un chant qui vient de l’intérieur, qui transgresse races et frontières ? Marrakech, on est à la fin du Protectorat et au début de l’indépendance. Le jeune Laârbi Kawkabi crée «jawk annasr», orchestre de la jeunesse istiqlalienne. Il animait les concours de chansons, les fêtes familiales, nationales et les manifestations du parti de Allal El fassi. La chanson marocaine dite moderne est à ses débuts. Elle se cherchait son propre chemin entre la tradition (musique andalouse, melhoun, folklore) et les classiques arabes, surtout égyptiens. Houcine Slaoui a ouvert le bal, suivi par Fouiteh, Abbas Khiati et autre Brahim Alami. C’est dans ce contexte que «kheft r’jal» a vu le jour. Larbi Kawkabi se souviens, «J’errais dans les labyrinthiques ruelles de Marrakech en fredonnant l’air. La composition a précédé les paroles. Je l’ai écrite, petit bout par petit bout, à l’aide d’un crayon sur le mur de ma chambre. Je racontais une histoire sans fin…». Rabat. Larbi Kawkabi débarque à la capitale en 1959. Il rejoint l’orchestre royal et dépose pas moins de six textes dont «alach ya mahboubi», «lahbib lghali» et «kheft r’jal» devant la commission des paroles. Tous refusés, il récidive quelque temps après. Cette fois-ci fut la bonne. C’était l’époque de la créativité intense, de l’effervescence et de la compétitivité entre les Ahmed Bidaoui, Mohamed Benabdessalam, Abdelkader Rachedi, Abdessalam Amer… Ismaïl Ahmed venait à peine de débuter une carrière d’interprète. L. Kawakabi lui confie «kheft r’jal». Enregistrée en 1963, le succès est immédiat. Mohamed Kawakibi, l’ingénieur de son, le magicien des bruitages de «al kamar al ahmar» et de «téléfoun», évoque l’ambiance au studio et l’utilisation des choristes comme élément essentiel dans la composition. Diffusée 30 refrains de la mémoire Tubes de la variété marocaine 37 en boucle à la radio, le refrain est sur toutes les lèvres. Des paroles d’une simplicité profonde, une composition adéquate alternant mots et sons avec ce refrain au «nay» (flûte) et violons, l’ensemble sur un fond de percussions rythmé et rapide a la 6/8. C’est cette alchimie qui explique sa réussite. «Cette chanson m’est inspirée par Marrakech, ses paysages et son folklore. Les chants, rythmes et musiques de la place Jamaa El Fna parvenaient jusqu’à mes oreilles. On habitait pas loin et il n’y avait pas encore tous ces immeubles.» «Kheft r’jal» a plus de cinquante ans et pas la moindre ride ! On la rechante avec délectation. Les nouvelles générations n’en connaissent que la version de Latifa Raafat, avec son nouvel arrangement. En Algérie, elle est reprise, entre autres, par Saloua et Wahiba al Mahdi. La version du tunisien Tawfiq Annasser (1979) est toujours d’actualité. «Avec kheft r’jal, il m’arrive de recevoir des royalties du Japon !» Quand je lui demande qui la chante au Japon, il me répond avec sa gouaille merrakchi par un «va savoir» ? Sacré Ba arroub ! Ismaïl Ahmed une voix de rossignol Ismail Ahmed descend d’une grande famille de caids des Doukkala, les Khattabi. A Rabat, il rejoint à 14 ans l’orchestre « al ittihad arribati » de Abdennebi Jirari. Flairant ses potentialités artistiques, le maître l’oriente. Il s’inscrit au conservatoire La mamounia où il passe deux ans à s’initier au violon sous la direction d’un professeur allemand. Cet apprentissage académique de la musique classique internationale ne l’empeche pas de continuer de puiser dans le riche et foisonnant patrimoine marocain. Avec ses amis Mohamed El Wali, Mustapha Lamdaouer et Abdelmaksoud Ben Azzouz, il ne ratait pour rien au monde les soirées de musique andalouse et du Melhoun, organisées tous les jeudis à Salé. « Elles nous réunissaient avec l’ecrivain, le poète et l’artisan. Nous discutions, nous apprenions, nous donnions et nous recevions, surtout au cours des Nezahas, pique -niques printaniers des rives du Bouregreg qui se prolongeaient jusqu’à l’aube. » En 1952, il intègre l’orchestre moderne de Radio-Maroc, dirigé par Ahmed El Bidaoui et en 1954 il s’envole pour le Caire. Au conservatoire de la musique arabe, il fréquente les plus grandes 30 refrains de la mémoire 38 Tubes de la variété marocaine vedettes et musiciens égyptiens. Il s’essaie à la composition avec « ha abaat lahou jawab », interprétée par le regretté Maâti Benkacem. Pour célébrer le retour du roi Mohammed V de son exil, il compose et chante « al oum ana farhan », paroles empruntées a son ami Mohamed Lamzgaldi. La chanson patriotique est enregistrée avec l’orchestre de la radio syrienne. A Damas, où il séjourna de 1957 à 1966, il enseigne le violon aux élèves de l’Institut Libre de la Musique Orientale tout en collaborant à la radio. De retour au Maroc, il rejoint sa famille artistique de l’orchestre moderne. Compositeur et grand virtuose du violon, Ismail Ahmed n’a commencé à chanter que par le pur des hasards. « Au cours d’une tournée de Noujoums al masrah, sorte de radio crocher, le candidat qui devait chanter Touba de Abdelhalim Hafed avait fait défaut. Pour calmer le brouhaha du public, on propulsa sur scène Ismail Ahmed qui sauva la face en interprétant le morceau d’une manière magistrale. Un grand chanteur est né. », se souvient Abderrahman Kronbi. «hajrak kassi», «habibi lamma aad», « mrrakech ya ourida », «oudkouri»….la discothèque de la radio lui conserve pas moins de 335 chansons, dans différents thèmes, concoctées avec la complicité des grands paroliers et compositeurs à l’instar des Mohamed Belhoucine, Abdelakader Rachedi, Ali Haddani, Mohamed Benabdessalam, Fathallah Lamghari, Abdenebi Jirari, Ahmed Tayeb El Alj et autres Abderrahim Sekkat. Il dirigea un temps l’orchestre national et on lui confie en 1985 la direction du service de musique, mission qu’il ne quitta jusqu’a sa retraite. Ismail Ahmed, l’élégant, le généreux, l’humaniste s’est éteint le 11/04 /1997 nous léguant des refrains éternels. 30 refrains de la mémoire Tubes de la variété marocaine 39 Ma bkiti andi filbal est un texte que j’ai écris pour le chanter moimême. Une fois sa composition terminée, Abderrahim Sekkat me propose de le donner à un jeune débutant. J’ai accepté sans la moindre hésitation. Je ne pouvais rien refuser à Abderrahim qui était, en plus d’un ami, celui qui m’a orienté dans le milieu artistique. C’est grâce à lui que je suis devenu chanteur. A travers lui j’ai découvert aussi un jeune ambitieux qui n’est autre que Lahbib Idrissi. ». En quelques mots, Fathallahl Lamghari, l’auteur des paroles, résume l’histoire de Ma bkiti andi filbal. Tu n’es plus dans mes pensées J’appelle plus ton nom La journée peut durer tant qu’elle désire La nuit finit toujours par la couvrir Mabkiti andi f’lbal j’appelle plus ton nom 30 refrains de la mémoire 40 Tubes de la variété marocaine Lahbib Idrissi, orphelin qui quitta sa Taounate natale pour Fès, finit par débarquer à Casablanca. Les Belghiti, famille de notables de la ville, le considérait comme l’un de leurs fils. Il l’initièrent au commerce et voulait le marier et faire de lui un homme d’affaires prospère. Mais le « garçon aux allures de play-boy fraîchement sorti de l’adolescence », comme l’écrivit Mounir Rahmouni dans le quotidien l’Opinion, ne pensait qu’a une chose, chanter, devenir une star. Il se présenta à un concours, organisé dans l’enceinte du défunt théâtre municipal de Casablanca et fréquentait tous les artistes en vue à l’époque. Abdelouahed Smili, en mélomane et mécène, les réunissait chez lui pour des soirées de Tarab interminables. C’est là que le compositeur Abderrahim Sekkat le découvrit et lui confie Mabkiti andi filbal. Combien de fois tu m’as abandonné, sous la pluie, devant ta porte Tu m’a fais goûter tant de souffrances Mon état n’est pas un état De mes larmes, les mers ont débordé Tu ne sais pas que la roue tourne Le temps changeant Une fois enregistré en 1969 et sorti en 45 tours avec la photo de Lahbib ressemblant à un James Dan en pleine gloire, le public l’adopta. La 30 refrains de la mémoire Tubes de la variété marocaine 41 télévision s’en empare, un « clip » est tourné par l’équipe Mohamed Ziani, Reggab, Haj Haidar et Hamid Bencherif dans l’une des maisons de Karim Amrani. Mabkiti andi filbal, de par ses paroles profondes, sa composition par un virtuose et son interprétation par une chaude voix, a tenu l’affiche assez longtemps dans les années soixante. Petits et grands l’ont fredonné en tout lieu et en toute circonstance. Abderrahim Sekkat l’artiste sensuel et fin Après avoir obtenu son baccalauréat au lycée Moulay Driss a Fès, Abderrahim Sekkat s’envole pour le Caire, encouragé par son gendre le poète et militant Mohamed Al Wadiaa al assafi. En 1953, il s’inscrit à l’université Fouad 1er. Au pays de la Nahda (Renaissance), il fréquente les plus grandes figures de la musique. De retour au Maroc en 1956, il s’engage a fond dans la création et fait partie des pionniers de la chanson moderne. En tant que compositeur, l’un de ses premiers tubes est « Alach ya ghzali », interprèté par Maati Belkacem et repris, avec grâce par Salim Halali. Il compose pour Fathallah Lamghari « Kass el ballar » et « Khsara fik ghrami » et pour Abdelouahab Doukkali « Balghouh Slami », « Aini alach dmoua » et le summum avec « Wichaya ». Son nom reste aussi lié a la voix de Abdelhadi Belkhiat a qui il offre les chef d’œuvres, « Al hatif » de Nizar Kabbani, « Khabar », « Saddakt Klamhoum », sans oublier l’incontournable « Kitar al hayat », poème épique de Ali Haddani. 30 refrains de la mémoire 42 Tubes de la variété marocaine 30 refrains de la mémoire Tubes de la variété marocaine 43 Andi badouia est le premier texte de Tahar Sabbata , écrit en 1963. Le poète vivait alors dans la région de Khemisset, précisément à Dait Roumi (le lac du chrétien). « La nature est d’une beauté époustouflante et les gens sont humbles et gentils. Celui qui n’a jamais écrit finira par le faire ici ». Il observait alors une bergère qui sortait son troupeau à six heures du matin pour le ramener à dix huit heures. De temps en temps, elle lui offrait du lait. Un soir il se met à écrire, j’ai une villageoise, elle est chez moi, sans maquillage, sa beauté m’illumine et illumine mon logis. Des paysages de « Dait Roumi » et de la rencontre de ce personnage est né le texte de « Andi Badouia ». Dans ces années soixante, la chanson marocaine est à son apogée. Une rivalité féconde inspirait les auteurs, compositeurs et interprètes. C’était l’époque des orchestres régionaux. Abdelkader Rachedi à Tanger, Ahmed Chajai à Fés et Mohamed Benabdessalam à Meknés. Ce dernier encadrait toute une famille. Bahija Idriss, sa sœur Amina et leur frère Mohamed Idrissi. Il leur concoctait, sur mesure, les « Atchana », « téléphone » et autre « mahjouba ». Que des tubes. Constatant le phénomène, Tahar Sabbata décide d’offrir son texte à Mohamed Idrissi qui finit par atterrir entre les mains de Mohamed Benabdessalam. S’inspirant des rythmes et chants folks, il lui trouve la composition adéquate. Andi Badouia ma villageoise 30 refrains de la mémoire 44 Tubes de la variété marocaine Une fois enregistré au studio n°1 avec l’orchestre de Méknes, la chanson est programmée le même jour au cours d’une soirée au théâtre national Mohammed V. Aux premières notes, le public est conquis et supplie le chanteur de la reprendre plusieurs fois. Le regretté Mohamed Bennani, qui animait la soirée, avait du mal à le calmer. La chanson passait, en boucle, sur les ondes et le 45 tours, sorti chez la Voix du Globe, se vend comme des petits pains. Le tube devient synonyme de Mohamed Idrissi qui l’entonne en toute occasion. En 1966 une troupe chinoise débarque au Maroc et offre son spectacle au théâtre Mohammed V. Qu’elle a été la surprise du public quand un chinois prend le micro et annonce, en arabe, que la troupe allait interpréter 30 refrains de la mémoire Tubes de la variété marocaine 45 un morceau marocain. L’orchestre, avec ses instruments traditionnels chinois, exécute les premières notes de « Andi Badouia ». Le chanteur, avec son accent, entonne, « andi badouia, andi fi biti, bla zouak, zine li fiha, idaoui allia ou ala lamkan ». La salle est en délire. Une fois Mohamed Idrissi installé à l’étranger, le morceau que les Maghrébins de l’exil lui demande d’interpréter le plus souvent aussi bien en France, en Belgique ou ailleurs est « Andi badouia ». Quand à Tahar Sabbata, il vient de pondre, une quarantaine d’années après, la suite du texte. Il est actuellement entre les mains d’un compositeur à la recherche de la voix méritante. Ainsi fut le destin de Andi badouia, morceau toujours sur nos lèvres. Tahar Sabbata l’école de la vie Discret, humble, l’homme fuit les médias, les salons, les tribunes et l’hypocrisie sociale. Il fuit «T’bnad », devenu, en ces temps de médiocrité généralisée, un statut social ! Rencontré une fois au détour d’une ruelle de l’ancienne médina de Rabat, je lui demande son portable. Il me répond avec son humour habituel, «je ne suis pas un marchand de bestiaux pour en avoir» ! Je tenais à sa participation à «filbali oughniatoun», série d’émissions sur les refrains de notre répertoire national , diffusée par Al Oula. Non seulement il est intervenu expliquant l’écriture, la composition et l’interprétation de «Andi badouia», mais il nous a été d’un très grand soutien et encouragement pendant la préparation et la réalisation de la série. Pour moi, Tahar Sabbata reste une mémoire vivante et ambulante sur tout ce qui concerne l’histoire de la chanson moderne marocaine et une encyclopédie inépuisable des anecdotes croustillantes la concernant. Né pendant la deuxième guerre mondiale, après des études au lycée Mohammed V, il décroche un poste dans la fonction publique. Lecteur boulimique, mélomane et drogué de stations radios, il finit par s’essayer à l’écriture. Son premier texte est pondu en 1963 à « Dayt Roumi », dans la région de Khemmisset. Composé par Mohamed Benabdessalam et interprété 30 refrains de la mémoire 46 Tubes de la variété marocaine par Mohamed Idrissi, «Andi badouia» est depuis sur toutes les lèvres. Le tube est repris même par une troupe chinoise ! Ce fut en 1966, au cours d’une soirée au théâtre national Mohammed V ! Les poèmes de Tahar Sabbata sont concoctés dans un dialecte marocain simple, profond et riche en images. Sa vie se confond avec son écriture au point où on peut s’amuser à déceler les bribes de sa biographie dans ses textes. «Al Khatem» de Naima Samih, composée par Abderrahim Sekkat, «Haïla» de Mahmoud Idrissi, «l’Oussada» de Mohamed Lahyani, «Zouaj bilajnabia» de Toulati Amenna, toutes composées par Abdelati Amenna, « Ha lahbib ja» de Abdelmounaim Jamaï, composée par Abderrafiq Chenguiti, «Ana min atbaâ Mohamed» de Samira Bensaid, «Al anba al masquia» de Tahar Jimmy… jusqu’à «Casablanca», offerte à la jeune et prometteuse Meriem Benmir. Qui de nos chanteuses et chanteurs n’a pas, dans sa discographie, «chi baraka» de Tahar Sabbata ? Pas moins de 130 chansons sont consignées dans les archives de la radio nationale et c’est loin d’être fini. A l’écoute de la géographie et de l’histoire sociale du pays, il témoigne comme personne de la vie quotidienne. Il célèbre les paysages, les régions et les villes (Rabat, Casablanca, Tanger, Fès, Mekhnès, Essaouira, Agadir, Ouarzazate, Chaouen…). Il chante le journaliste, la speakrine, l’avocat, l’infirmière et écrit sur le baccalauréat, le foot, le commerce, le pouvoir hypothétique (Koursi), les faux amis et la médisance (t’barguig), entonnée avec humour par Mahjoub Raji, sans oublier des thèmes originaux, telle la carte nationale ! 30 refrains de la mémoire Tubes de la variété marocaine 47 Pour changer de répertoire et s’attaquer à la chanson marocaine en «zajal» (dialecte), il a fallu à Mohamed Ali une remarque pertinente de la part de son ami d’enfance Ahmed Tayeb El Alj. Ce dernier lui conseilla, en plaisantant, de ne pas négliger son « capital », c’est-àdire sa culture marocaine, musicalement d’une richesse inouïe. « C’est comme si j’avais reçu une gifle, moi qui ne jurais que par le classique arabe ». C’est dans ce contexte qu’est née la chanson « Lamkhantar ». Sur proposition de son auteur, Jamal Al wazzani, alias Zine Elabidine al wazzani attouhami, réalisateur à la radio et parolier notoire qui fréquentait l’ensemble des artistes qu’ils soient auteurs, compositeurs ou interprètes, que Mohamed Ali a décidé de composer et de chanter un morceau du terroir. Une fois le texte en main, il se mit au travail cherchant la manière de lui trouver l’habillage adéquat. Et ce ne fut pas difficile pour ce fils du fond de la médina de Marrakech avec sa place Jamaa el fna, cour des miracles où on peut écouter tous les chants et tous les rythmes du royaume. Lamkhantar l’orgueilleux 30 refrains de la mémoire 48 Tubes de la variété marocaine Après son enregistrement à la radio avec l’orchestre national et son succès immédiat chez le public, on conseilla à Mohamed Ali de la sortir dans le commerce. Un de ces matins, il débarque chez Philips à Casablanca pour leur proposer son produit. On le reçoit, on l’écoute et on lui explique qu’il lui faut au moins deux chansons pour sortir un 45 tours. Et avant de prendre une décision qu’ils, doivent faire leur étude de marché, savoir qui est Mohamed Ali et est ce qu’il a un public au Maroc etc… La boîte contacte Abdelouahab Doukkali qui n’a pas hésité à le cautionner. Il connaissait la valeur et les qualités de l’artiste. N’ont-ils pas travaillé ensemble sur « Habib al jamahir », Mohamed Ali faisant partie des choristes de ce morceau mémorable. Philips fini par lancer sur le marché le 45tours de « Lamkhantar », avec sur la pochette le portrait du chanteur signé Mohamed Maradji. Les fans se l’arrachent et il est aujourd’hui une pièce rare qu’on ne retrouve que chez les collectionneurs. Dans les archives de la télévision on trouve une version, en noir et blanc, filmée en studio et une soirée à Tanger datant du début des années soixante dix. Mohamed Ali entonnant Lamkhantar, accompagné par les musiciens Egyptiens de la troupe Al massia sous la direction d’Ahmed Fouad Hassan. On sentait qu’ils avaient du mal à jouer le refrain avec sa 30 refrains de la mémoire Tubes de la variété marocaine 49 rythmique, inspirée du patrimoine populaire. Le concert était en plein air et les les feuilles de notes sur leurs pupitres s’envolaient. A chaque fois que le chanteur sentait leur embarras, il faisait appel aux choristes marocains pour sauver la situation. Ainsi est l’histoire de « Lamkhantar ». Crée dans les années soixante, il reste l’un des refrains les plus fredonné par les Marocains. Mohamed Ali voix d’or et virtuose du luth « Ould moulay Ali » a ouvert ses yeux et ses oreilles au fin fond de la médina de Marrakech. Grandi au quartier « qaat bennahid » où il avait comme voisin de palier Ahmed Tayeb El Alj, il psalmodiait au Msid le Coran et les chants patriotiques à l’école El Abdallaouia. Fou de mélodies, il passait des heures en face de l’échoppe du mâallem Lahsika, épicier mélomane et interprète du Melhoun qui possédait – rare privilège à l’époque – un gramophone et une riche collection de 78 tours. C’est ainsi, à l’instar d’un Abdessalam Amer, qu’il apprit les Sayed Darouich, Abdelouahab, Oum Keltoum, Farid al Atrache. .qu’il chantait ensuite en famille ou dans les mariages de voisins et amis. Dans le temps, pour réussir une fête, on louait un gramophone, les disques et les services d’un « technicien », sorte de DJ de la Voix de son Maître, sachant manipuler la satanique machine! Ne fut-elle pas condamnée par les Fatwas des rigoristes tel un Ibn al Mouakkit , auteur de la fameuse « Arrihla al Mourrakouchia» ? Rares étaient les cafés qui en possédaient tels Al Masraf, situé du côté de la Mamounia et fréquenté par l’intelligentsia de la rouge dont le poète Mohamed Ben Brahim, chez Lamine et le café de Moulay Abdessalam de Jamâa el Fna, niché à l’ombre du minaret de la mosquée Kharbouche… De retour de Fès où il avait assisté au mariage de l’un des fils Ghallab, Mohamed, son père Moulay Ali Lâatabi et un ami de la famille faisaient escale à casablanca. Ils s’attablèrent un après-midi au fameux Riad du coté de Bab el Kébir- propriété de Driss Touimipour siroter un verre de thé à la menthe et admirer Ahmed Zniber et son Takht (orchestre de chambre) avec les Smires, Akif, Tantaoui et autre Mustapha Hariri. Profitant d’une pause, l’ami de la famille et beau-père plus tard de notre artiste, proposa au maestro d’écouter le jeune Merrakchi. Et ce fut la première fois que Mohamed Ali se produisit dans un lieu public. Il charma l’assistance en interprétant avec sa voix suave et enfantine « mali foutintou ». Séduit, Zniber proposa à son père de le garder. Il passa quelques années au 30 refrains de la mémoire 50 Tubes de la variété marocaine Riad chantant les classiques de la musique arabe ainsi qu’une composition du maître, « Ana lilmajdi khouliktou ». « Zniber ne m’a rien apprit. Il interdisait aux membres de l’équipe de m’initier aux instruments de peur de le quitter une fois formé ». Avec les événements des années cinquante, les attentats nationalistes et la répression colonialiste, il rejoigna Marrakech pour suivre des études qu’il avait délaissé à la Mdrssa de Ben Youssef. A l’indépendance, il intègre le corps de la police qu’il quitte trois ans plus tard pour se consacrer à la musique. Débarqué à Rabat, il rejoint la radio comme choriste et chanteur tout en suivant les cours du conservatoire de la place Pietri, dirigé par Abdelwahab Agoumi. C’est là qu’Ahmed El Bidaoui l’initia au luth. El Gharbaoui lui compose « dikrayat », sa première chanson dont les paroles sont signées Ahmed Nadim, auteur de la mémorable «Molhimati ». Suivent des compositions d ‘Ahmed Bidaoui, Mohamed Benbrahim (al firdaws al mafqoud), Abdenbi Jirari (Rafiqati)… « J’ai aussi chanté des navets que je regrette aujourd’hui. Je n’avais pas le choix. » Il jure de ne plus chanter pour les autres, s’initie à la composition et crée les « Hrouf Zine », « Kadoukh allia » de Abdelmalek Bennouna, qui a établit et édité « kunnach al haiq, bible des noubats de la musique andalouse, « El walf », ainsi que l’inoubliable «Lamkhantar», écrite par le regretté Jamal al Wazzani.Le 45 tours est sorti chez Philips avec l’aide de l’ami Abdelwahab Doukkali qui l’a cautionné auprès de la société de production internationale. Il se souvient aussi de l’aide inestimable de Khadija Bennouna, fervente amie d’Oum Keltoum et épouse de Mehdi Bennouna, fondateur de la MAP et grand mélomane devant l’éternel. Mohamed Ali compose aussi pour Aicha Alaoui, Ismail Ahmed, Bahija Idriss, Imad Abdelkbir. Il se rappelle d’une pétillante adolescente lui apportant, en scooter les cheveux au vent, un poème de Omar Abou Richa. Interprété par Samira Bensaid, « rabbi al adim » est un chef d’œuvre du répertoire spirituel national… En retraité zen, Mohamed Ali continue d’assouvir sa passion. Il a enregistré récemment pour la radio « Nour ala nour », poème de Moulay Ali Skalli et « Addalal attaih », texte emprunté à « Rawd zitoun », diwan de Mohamed Ben Brahim, réuni et présenté par l’ami Chawki Binbine, tout en épaulant la nouvelle génération. Houda Amenna lui interprète « Nabiou al Birr » d’Ahmed Chawki ainsi que le Mouwachah « Kad Zara ». Loin des projecteurs et du fracas des tendances actuelles, en virtuose du luth et inégalable interprète des classiquiates, Mohamed Ali continu de faire le bonheur des mélomanes du Tarab al assil au Maroc et ailleurs. 30 refrains de la mémoire Tubes de la variété marocaine 51 Ce n’est pas dans tes habitudes de me quitter de devenir ennemi Qu’ai je fais, dis-moi Et si je me suis trompé, excuse moi Ahmed Tayeb El Alj et Abdelkader Rachedi sirotent un thé à la menthe à la terrasse d’un café tangérois. Ils discutent de choses et d’autres. En fouinant dans ses poches, Ahmed Tayeb El Alj fait tomber un papier. Rachedi le ramasse et le lit. Il savait, étant donné leur amitié et complicité, que ça ne pouvait être qu’un poème. Et c’était le manuscrit de « machi adtek hadi ». « J’ai envie de le composer », lance à El Alj qui lui répond qu’il s’agit d’un texte en dialectal et que ce n’était pas dans les habitudes du maître de composer ce genre. Abdelkader Rachedi, à l’époque, maniait plus les créations du regretté Mohamed Belhoucine. La chanson a été destinée, au départ, à Abdelouahed Smili. Homme d’affaires, mélomane notoire, ami des artistes qu’il convie à sa maison et grand mécène devant l’éternel. Il était incollable sur Mohamed Abdelouaheb et interprétait au luth, comme personne, «Koulli da kan lih». Bien que le texte soit en zajal, Abdelkader Rachedi l’habilla d’une composition orientale avec un style purement marocain. Il utilisa les mêmes composantes de «Koulli kida kan lih» avec une maîtrise du rythme qui dépasse, d’après les connaisseurs dont Abdelouahed Tetouani, le travail de Mohamed Abdelouahab. Machi adtek hadi une habitude 30 refrains de la mémoire 52 Tubes de la variété marocaine Le hasard a voulu que c’est Ismail Ahmed qui finit par la chanter vers les années 62/63. Outre la radio, le public la découvre en direct des studios de la télévision, situés à l’époque au dernier étage du théâtre national Mohammed V. Un 45 tours sort chez Ourikaphone qui se vend comme des petits pains. Parmi les fans du refrain, Abdelouahed Tétouani qui rejoint Abdelkader Rachedi et l’orchestre de Tanger, fondé en 1964. Le maestro lui confie plusieurs chansons dont «Machi adtek hadi». Depuis, le fin et élégant artiste tétouanais, la chante avec grâce en y intégrant ses interminables Mawal. Et son nom finit par devenir synonyme du refrain. 30 refrains de la mémoire Tubes de la variété marocaine 53 Abdelkader Rachedi le maître des rythmes Il fait partie des figures incontournables de la chanson marocaine moderne. Dés l’indépendance, il contribua, en compagnie des Fouiteh, Abdelouahab Agoumi, Ahmed Bidaoui, Mohamed Benabdessalam… à la création d’un genre nouveau dit «Asri.». Natif de Rabat d’une famille traditionnelle et mélomane, son enfance a été bercée par les Noubat andalouses et le Tarab Gharnati, les textes du Melhoun et les veillées du Madih et Samaâ qu’organisait une mère Haddaria. Il intègre le conservatoire Moulay Rachid et s’initie, d’une manière plus professionnelle, à tous ces genres, épaulé par les maîtres de l’époque, Najarou, Sbiaâ…Plus tard, Abdelkader Rachedi participa à la constitution des premiers orchestres, à la découverte des nouvelles voix et à la composition des premiers refrains de notre mémoire. Il salua le retour de Mohammed V par «Oudta ya khaira imam» et composa la pièce de «Raksat al Atlas» (la danse de L’Atlas) en 1948. Morceau musical original où il mixa la musique arabe orientale (Maqam Rast) et la musique andalouse marocaine (Insiraf mizan btaihi). Connaisseur des textes de la poésie arabe classique, des Mouachahat andalouses et du Zajal de terroir, Abdelkader Rachedi excellait dans le genre spirituel avec des morceaux mythiques tels « Min dai bhak » de Mohamed Lahyani, « Al matal al ali » de Ismail Ahlmed et « Ya taliîn lajbal » de Abdelhadi Belkhiat. Comment citer toutes les chanteuses et chanteurs marocains ayant bénéficié de son imaginaire fertile et créatif ? Les archives de la radio nationale sauvegardent pas moins de 330 compositions du maître des rythmes. 30 refrains de la mémoire 54 Tubes de la variété marocaine 30 refrains de la mémoire Tubes de la variété marocaine 55 Nous sommes au début des années cinquante du siècle dernier à Fès. Mohamed Fouiteh, Abderrahim Sekkat, Ahmed Chajai et Mohamed Mazgaldi faisaient partie de l’orchestre « Achouaa al fanni ». Ils animaient les soirées et les fêtes familiales, notamment les mariages. La chanson marocaine dite « asria » n’existait pas encore. Pour satisfaire les gens, ils interprétèrent les classiques orientaux, surtout égyptiens à la mode à l’époque avec l’arrivée des films de Mohamed Abdelouahab, d’Oum Kaltoum et la mise sur le marché des premiers gramophones. « Quand on nous demandait une chanson pour la mariée, on savait pas quoi leur offrir. », se souvient Mohamed Mazgaldi. Et la question, « pourquoi le Maroc n’a pas de refrain sur le sujet ? », ne cessa de démanger son esprit. En Egypte, où il passa plusieurs années en compagnie de plusieurs artistes marocains, il s’étonna du nombre de chansons sur le mariage, le mari et la mariée. De retour au Maroc après l’indépendance, il intègre l’orchestre national et demande à plusieurs auteurs de lui écrire sur le thème. Il attendit assez longtemps sans le moindre résultat et finit par écrire lui-même le texte de « Laaroussa ». La mariée, la mariée est belle Elle est délicieuse Son mari est jeune, fin et gentil Il l’aime, elle l’aime. Laâ roussa vive la mariée ! 30 refrains de la mémoire 56 Tubes de la variété marocaine Le texte est inspiré du « Taâchak », forme de chant à la gloire du prophète accompagnant les préparatifs de la mariée. En la maquillant et en l’habillant, « les negafa » entonnent, « prière et salut sur le messager de Dieu/il n’y’a pas d’autre gloire que celle de sidna Mohamed/ Dieu est avec la haute notoriété ». Sa composition puise dans les modes des traditions populaires avec une ouverture instrumentale où le « Bendir » (tambourin) rivalise avec une infinité de violons. De l’ensemble se dégage un air de fête et de joie qui invite à la danse. Une fois enregistrée avec l’orchestre nationale et diffusée sur les ondes, « Laâroussa » devient l’hymne incontournable des noces marocaines. Les maisons de disques se bousculent et présentent leurs offres à l’artiste qui finit par la sortir en 45tours. « La maison a vendu 30 refrains de la mémoire Tubes de la variété marocaine 57 beaucoup, beaucoup de disques et je n’ai touché que des miettes » constate Mohamed Mazgaldi dont le nom est aujourd’hui synonyme de « Laaroussa ». Elle a éclipsé toutes ses autres chansons, lui qui a enregistré que ça soit en Egypte ou au Maroc une infinité de morceaux dont le beau « Kansaoul njoum allil fin ghab al kamar ». « Laâroussa », qui a inspirée d’autres chansons dont « Aroustna zina » de Hamid Zahir et « Farhat al omr » de Atika Ammar, reste indémodable. Tant qu’il y aura mariée, mari et mariage, elle fera partie de notre mémoire. 30 refrains de la mémoire 58 Tubes de la variété marocaine 30 refrains de la mémoire Tubes de la variété marocaine 59 En 1971, Abdelouahab Doukkali déclarait dans « Al anbaa » du 21/22 mars que ses mémoires allaient sortir incessamment. On attend toujours ce qui risque d’être croustillant étant donné son époustouflant destin. Né à Fès, issu d’une famille conservatrice et traditionnelle, Abdelouahab Doukkali s’intéressa très jeune aux arts. En revenant de l’école, le cartable sous le bras, il écoutait derrière la porte d’une boutique du quartier « Almakhfia » les discussions et les répétitions de Mohamed Fouiteh, Abderrahim Sekkat, Mohamed mazgaldi et autre Ahmed Chajai. Et finit par lâcher le collège pour s’initier seul au luth et s’inscrit au conservatoire de musique qui venait d’être crée dans la ville spirituelle. Mais ses premiers amours furent la comédie. N’a-t-il pas joué, avec la troupe nationale, le premier rôle dans « le barbier de Séville », « la maisonnette » et « le moulin » ? Au cinéma, il fut jeune premier au coté de Faten Hamama dans « les sables d’or » et joua dans l’un des premiers films marocains, « vaincre pour vivre » de Mohamed Abderrahman Tazi au coté de Laila Chenna. Ma ana illa bachar rien qu’un homme 30 refrains de la mémoire 60 Tubes de la variété marocaine Entre 1958/1959, il décrocha le premier prix au cours d’un concours organisé par la radio nationale. Abdallah Chakroun, qui animait la manifestation, se souvient, «c’était sa première apparition en public. Après Fès, je l’ai invité pour se produire à Rabat. Et depuis ça continue de plus belle.». Ahmed hachelaf écrit qu’ « en 1959, la radio-télévision marocaine l’engage et ce jeune chanteur rencontre un succès aussi immédit qu’inattendu.». Sa première tournée à l’étranger date de 1962 et elle s’est déroulée en Algérie nouvellement indépendante. En 1963, il s’installe au Caire et se lie d’amitié avec les Baligh Hamdi, Mohamed Al Mouji, Sabah, Farid al atrache, Faiza ahmed, Najat assaghira, Mohamed abdelouahab et Abdelhalim Hafez. Producteur à la radio marocaine à partir de 1965, d’une créativité débordante, innovante et continue, son répertoire est d’une richesse inouïe comprenant une infinité de tubes dont « Ma ana illa bachr» Je ne suis qu’un être humain Avec un cœur et un regard Et toi tu n’es que danger sur danger Alors, arrêtes de me mater. 30 refrains de la mémoire Tubes de la variété marocaine 61 D’après le dramaturge Ahmed Tayeb El Alj, les paroles de « Ma ana illa bachar » ont été pondues en cinq minutes ! « C’était dans les années soixante. Je donnais des cours d’élocution à l’école des instituteurs. A Quelqu’un me reprochant mon Tberguig, ma manière d’observer les autres, je répondais, excuse moi mon ami je ne suis qu’un être humain. En quittant l’école, je remontais dans ma voiture qui, après plusieurs essais, refusa de démarrer. J’avais toujours, à ma porté, un stylo et un cahier d’écolier. J’ai écrit, « Ma ana illa bachar … » et le reste coula d’une traite. Le plus étonnant dans l’affaire, c’est qu’une fois l’écriture finie, la voiture redémarra. » ! Le poète oublia et l’incident et le texte. Sa femme, en bienveillante secrétaire, le découvrit et lui conseilla de le mettre au propre et de le classer. Il le proposa à son ami et complice le compositeur Abdelkader Rachedi qui le lui rend, une année plus tard, lui lançant, « ton texte ne m’a rien inspiré». Quelque temps après, il en fait la lecture à Abdelouahab Doukkali qui lui en avait la composition fin prête ! Pour l’histoire, un fragment du texte, avant d’être composé et chanté, a été utilisé dans la pièce «Wali allah», traduction et adaptation de «Tartuffe» de Molière. Les archives de la télévision en sauvegarde une version en noir et blanc avec un époustouflant dialogue entre Zhor Lamammeri et Ahmed tayeb El Alj : Pas moins d’une cinquantaine d’artistes arabes ont apprivoisé, reprit et intégré a leur répertoire la chanson. Au cours de l’un de ses séjours au Maroc, Hassan II proposa a Sabah d’enregistrer sa version de « Ma ana illa bachar ». Elle s’excusa, « majesté, j’ai un vol demain. Si je le ratte, mon billet ne sera plus valable ». Le monarque réplique, « tu ne quitteras pas le Maroc avant d’enregistrer ma ana illa bachar. Quant au billet, déchires le. Mon avion est à ta disposition. ». L’ingénieur de son Mohamed kawkabi se rappelle de l’événement et de l’effervescence qui régnait dans le studio n°1 de la RTM. Doukkali apprenait, au fur et a mesure, les paroles à Sabah. Musiciens et choristes répétaient et les techniciens se préparaient à mettre la chanson en boite. Avec l’aide des uns et des autres Sabah s’en est sorti avec brio. L’opération n’a pas pris une journée. En Sabah, Hassan II a trouvé une ambassadrice de charme de la chanson marocaine. Ahmed Hachelaf n’écrivit-il pas qu’ «avec ma ana illa bachar, la chanson marocaine dépasse les frontières du Maghreb. Sabah en a enregistré une version qui obtient un succès éclatant et se répand très vite dans le monde arabe.» ? Quant au Maroc qui de nos chanteurs ne l’a pas reprise d’Ismail Ahmed, en passant par Rajja Belmlih, sans oublier Hamid Zahir ? - Toi, wali allah, l’homme de dieu et de religion, tu n’as pas honte de draguer la femme de l’ami qui t’invite et te reçoit sous son toit ? - Je ne suis qu’un être humain, avec un cœur et un regard ! Une fois la chanson composée, enregistrée et prête à la diffusion, un haut responsable de la télévision intervient pour demander à l’auteur d’en changer les paroles car le peuple risque de confondre « hakma » (sagesse) et « houkouma » (gouvernement). El Alj refusa et le refrain est enterré dans les tiroirs pendant deux ans. Abdelouahab Doukkali frappa à la grande porte et l’ordre fut donné pour libérer « Ma ana illa bachar ». A sa première diffusion, le public lui reseva un accueil chaleureux. Le 45 tours, sorti chez Philips à Paris, est sur tous les tourne-disques. Sur la pochette Abdelouahab Doukkali s’y mesure à la Tour Effel. 30 refrains de la mémoire 62 Tubes de la variété marocaine 30 refrains de la mémoire Tubes de la variété marocaine 63 Je l’ai vue poindre, toute confuse derrière les monts. Et les paupières de mes nuits, veillaient alentour. Et cette brise qui miroite, d’aromes et de douceurs. Les rives étaient bordées, de fleurs et de mélodie. Dans ces vagues j’ai vu baigner, les pendules de tous les temps. Et dans ses profondeurs, toutes les trombes s’inclinent. Al kamar al ahmar le beau Bouregreg rouge 30 refrains de la mémoire 64 Tubes de la variété marocaine Le texte, publié dans l’un des numéros de la revue Afaq qu’éditait l’Union des Ecrivains du Maroc, présidée alors par Abdelaziz Lahbabi, est de Abderrafiaa Jawhari. « Je n’ai jamais compris pourquoi les Marocains vivent le dos à la mer et aux fleuves ! ». Al’instar d’Oum Kaltoum (Annil), Abdelouahab « Annahr al khalid » et Strauss (le beau Danube bleu), le poète rend hommage à l’un de nos beaux et nombreux fleuves, le Bouregreg. Au cours d’une soirée de discussion réunissant artistes et intellectuels, Amer leur apprit qu’il a décidé de composer « Al Kamar al Ahmar ». Mohamed Khammar Guennouni lui conseilla de laisser tomber le projet, le texte est difficile et ne se prête pas à la composition. C’est ne pas connaître le tempérament de l’homme de défis qu’est notre compositeur. Le travail a pris des mois. Plus qu’une chanson, nous sommes devant une œuvre composée de plusieurs éléments. Le texte en prose rajouté par le poète et lu par Latifa al Fassi, la lecture de fragments du poème par Abderafiaa, l’ouverture instrumentale jouée par l’orchestre symphonique du conservatoire de Rabat, constitué dans sa majorité par des français a l’exception de Talbi et Chénguiti, le dialogue chanté entre Bahija Idriss et Abdelhadi Belkhiat et les bruitages (les vagues de la mer, l’eau qui coule). Chaque pièce du puzzle a été enregistrée a part et l’ensemble réuni par l’alchimiste du son Mohamed Kawkabi. Ne jouant d’aucun instrument, en fredonnant les airs, Abdesalam Amer dictait à Amr Tantaoui ses trouvailles que ce dernier notait à l’aide de son luth. Enregistrée avec l’orchestre national, bien qu’elle dure pas moins de 45 minutes, le public l’adopte et devienne l’une des chansons incontournables de l’histoire musicale marocaine. Elle traversa les frontières, emportée par Abdelhadi Belkhiat, Abdessalam Amer, Abdelhay Skalli et Abderrahim Amine, au cours de leur périple qui les emmena en voiture du Maroc en Egypte en 1965. A chaque escale, 30 refrains de la mémoire Tubes de la variété marocaine 65 en Algérie, en Tunisie et en Libye, Al kamar al Ahmar est chantée et enregistrée par les radios maghrébines. Au cours d’une visite de courtoisie à Mohammed Abdelouahab, on la lui fait écouter. Il se renseigne sur l’auteur, le compositeur et nationalité de l’orchestre. Interloqué, il déclara qu’il était fier d’avoir une telle œuvre dans sa discothèque. Abdessalam Amer Des compositions lumineuses Abdessalam Amer est né en 1939 à Kasr El Kebir, ville du nord du Maroc imprégnée du rêve andalou. Il perd la vue, à cause d’une maladie mal soignée, et la musique devienne sa passion et sa boussole dans la vie. Il passait son temps devant la boutique du Cheikh Chérif Roussi Houssaini, l’un des maîtres de la musique andalouse de la ville, à écouter sa radio. C’est ainsi qu’il apprit et ne cesse de fredonner les classiques arabes, les Abdelouahab, Oum Kaltoum et autre Farid Al Atrache. Remarquant sa passion, le maître l’invite aux soirées qu’il anime. A l’école, il s’initie à la poésie. Ne pouvant pas lire, dés qu’on lui dicte une phrase, il l’apprenne en la composant, pour ne pas l’oublier. En 1959, il chante « Ma ban khyal hbibi » et « Saqia oulbir », mémorable morceau de Houcine Slaoui. Il descend à Rabat, question de tenter sa chance. Difficile pour quelqu’un qui ne joue d’aucun instrument et qui n’a suivi aucune formation musicale. A Fès, Abdelouahab Doukkali croit en ses capacités et concoctent deux chansons, signées Mohamed Khammar Guennouni, « Akhir Ah » et « Habibati ». Et c’est le retour, en triomphe, à Rabat où il compose, avec la complicité de Abderrafiaa Jawhari, « Miaad », « Al Kamar al ahmar », chantés par Abdelhadi Belkhiat et « Rahila », interprétée par Mohamed Lahyani. Abdessalam Amer, qui nous a quitté en 1979, reste l’un des incontournables piliers ayant rénové la chanson marocaine moderne. 30 refrains de la mémoire 66 Tubes de la variété marocaine 30 refrains de la mémoire Tubes de la variété marocaine 67 Tahar Jimmy débarque au Caire en 1957. Il s’inscrit au conservatoire de musique, loge à la maison des étudiants arabes, grâce à l’intervention de l’Emir Abdelkader Khattabi, et rencontre Hassan Moufti qui lui écrit, en 1959, sa première chanson, « Kanhabbak ounta baid ». Depuis leur amitié et collaboration n’a plus cessé. Ne lui a-t-il pas fourni aussi « Ya ilahi » et « Nachid annasr », dédié à la révolution algérienne? Une fois le groupe de retour au Maroc, ils continuèrent de travailler ensemble. C’est ainsi qu’est né «Ya hbibi watak salef» sur proposition de Hassan Moufti. Une fois le texte en main, Tahar se mit au travail pour trouver l’habillage du poème dialectal célébrant la chevelure de la bien aimée. La chanson est répétée et enregistrée avec l’orchestre de Casablanca, sous la direction de Maati Bidaoui, et proposée à la commission des compositions. Bien qu’acceptée, Tahar la retira plusieurs fois pour la réenregistrer car insatisfait du résultat. Quand elle passa sur les ondes, le public l’adopte avec enthousiasme au cours des concerts, entre autres, ceux des cinémas Vox à Casablanca et l’Empire à Fès. Par l’intermédiaire de Brahim Alami, Tahar Jimmy est contacté par Ahmed Hachelaf, directeur artistique chez Pathé Marconi, qui lui édita quelques chansons dont « Ya hbibi watak salef ». Le refrain est distribué dans le monde arabe. Ya hbibi watak salf une mèche de cheveux 30 refrains de la mémoire 68 Tubes de la variété marocaine « Ya hbibi watak salef » fait partie des premières chansons marocaines filmées, des sortes de clips avant la lettre. C’était les débuts de la télévision nationale en 1962. La Telma, un projet privé datant des années cinquante, qui s’est arrêté en cours de route, est reprise par les pouvoirs publics. En plus des locaux, les fameux studios de Ain Chok, elle laissa beaucoup de matériel et des lots de pellicule vierge. Le réalisateur Mohamed Ziani et ses quatre cameraman, Reggab, Darif, Haidar et Bencherif, tournaient et filmaient tout ce qui bouge. Le soir ils se retrouvaient, en compagnie d’autres artistes, à la Baraka, restaurant dancing sur la route entre Casablanca et Rabat. C’est là qu’un soir une danseuse, à la chevelure qui lui arrivait aux genoux, a fait sensation. Les commentaires sur sa beauté et son « salef » fusaient. Tahar Jimmy était de la compagnie. Il lança, « vous, vous parler de la chevelure, moi je la chante. Je prépare une chanson avec Hassan Moufti sur le sujet. ». Ce soir là, Hamid Bencherif, qui avait la pellicule et la caméra en permanence dans le coffre de sa voiture, proposa à l’équipe de la 30 refrains de la mémoire Tubes de la variété marocaine 69 filmer. Au cours de la discussion, idée, scénario et découpage sont faits. Le lendemain, on fait appel à une autre jeune fille, qui n’avait pas hélas la même chevelure que la danseuse de la veille, qu’on mis a coté de Tahar sur son cabriolet et le tour est joué. La voiture, avec la fille les cheveux au vent, circule et le chanteur qui mime : mon amour ta longue chevelure te va si bien elle te rend plus belle prend soin d’elle… Ainsi est l’histoire d’une chanson qui ne cessa d’inspirer d’autres sur le même sujet. A l’époque Abdelouahab Doukkali chantait, sur un rythme twist et en dialecte égyptien, « Iouâa tkoussi chaarak » et Hassan Moufti ne tarda pas à réaliser « les larmes du regret » avec Mohamed Lahyani en cabriolet et une belle fille les cheveux au vent. 30 refrains de la mémoire 70 Tubes de la variété marocaine Hassan Moufti le messager de l’amour En préparant l’émission « Filbali oughniyatoun », série documentaire sur les refrains cultes de la chanson marocaine, j’ai eu la chance de rencontrer Hassan Moufti. J’ai découvert un homme d’une culture profonde, d’une sensibilité artistique raffinée, un être modeste, généreux, fidèle en amitié et respectueux de ses amis et des autres. Je tenais à le faire intervenir, en tant qu’auteur de « Ya hbibi watak salef », morceau interprété par Tahar Jimmy. Qu’elle a été ma surprise quand il s’excusa avec élégance. Depuis quelques années, il refuse tout entretien avec la presse, les passages à la télé et même les hommages qu’on voulait lui rendre ! Il avait certainement ses raisons, mais Hassan Moufti vous reçoit et peut passer des heures agréables en votre compagnie. Natif de Tétouan en 1935, fasciné par la chambre noire dès sa tendre enfance, il fréquentait, avec assiduité, les cinoches de la ville dont le cinéma Victoria du quartier El Bario. Cinéphile incollable, notamment sur le cinéma égyptien, il s’envole, a la première occasion offerte, pour le Caire et s’inscrit à son Institut du Cinéma. Assistant réalisateur de Youssef Chahine, Salah Abou Saif et Henry Barakat, il se lia d’amitié avec les intellectuels égyptiens et fréquente, en compagnie des Khalid Mechbal, Tahar Jimmy, Mohamed Mazgaldi, Mohamed Benissa, les soirées de l’Institut de Musique Orientale. De retour au Maroc, il travaille à la radio télévision sur un certain nombre d’émissions dont « Ahdat wa rijal » avec Mohamed Larbi Messari et le regretté Hassan Chbihi. Mais le nom de Hassan Moufti reste lié a « Doumouâa annadam » (les larmes du regret) avec Mohammed Lahyani, film qui a battu tous les records d’audience, et a une infinité de refrains écrits pour les grands compositeurs et interprètes de la chanson marocaine dont « Marsoul al hob » (le messager de l’amour, interprétée par Abdelouahab Doukkali. Hassan Moufti est décédé le samedi 1er novembre 2008. 30 refrains de la mémoire Tubes de la variété marocaine 71 Mahmoud, Hassan, Jalila et Younès. C’est au début des années soixante dix que le public marocain découvre les frères Megri, groupe mythique et novateur qui bouscula le champ musical national, dominé alors par la chanson orientale classique et la chanson dite Asria. L’esprit libertaire de 68 soufflait encore et les babas cool squattaient les rivages d’Essaouira, la beat generation ceux de Tanger. La jeunesse écoutait les Stones, les Beatles, les Golden Hands, Ravi Chankar et Jean Beaz. C’est dans ce contexte qu’un musicien de talent, Younès Megri, a composé une sublime mélodie et qu’un poète, Mohamed Ziati Idrissi, l’a habillée par des paroles fluides : Ma nuit est longue elle n’en finit pas, j’ai peu de bougies et personne en ma compagnie, de passion et d’amour, mes larmes ne cessent de couler, Mon cœur est brisé, où trouver mon remède ? Lili touil voyage au bout de la nuit 30 refrains de la mémoire 72 Tubes de la variété marocaine Issu d’une famille de mélomanes, Younès Megri, qui a vu le jour à Oujda, s’initia dès sa plus tendre enfance au patrimoine gharnati et suivi les cours des conservatoires de Rabat et Paris. En musicien confirmé, il compose chanson sur chanson dont «Lili Touil» en 1972, inspirée de l’amour qu’il portait à son père, si Said, et au cumul de toutes les cultures et sons de l’époque. Diffusée sur les ondes, elle décrocha la première place au hit parade que M’hamed Bhiri animait, tous les samedis après-midi, sur Rabat français. Cette distinction lui permis d’être enregistrée à Paris, avec un orchestre philharmonique, au studio des dames. Le 45 tours, sorti chez Polydor, se vend comme des petits pains entre 1973 et 1980 et reçoit un disque d’or. Après, le refrain voyage au Maghreb, Algérie, Tunisie et Libye, et au Machrek, Liban et Syrie. Appréciée par toutes les cultures, elle ne cesse depuis d’être revisitée et piratée. M’hamed Bhiri se rappelle d’un 45 tours reçu de Paris et où une certaine Belinda, l’une des premières chanteuses beure, fredonne «Lili Touil» ! A aucun moment sur la pochette ne sont signalés les noms de l’auteur et du compositeur! Ce qui ne fut pas le cas de Maria de Rossi, qui la reprend avec l’accord des propriétaires. Dans le monde arabe on a, entre autres, les versions de Walid Walid et Hamid Chaîri,qui la fusionna dans un mauvais goût, avec M’raya. Cheb Mami signa la musique du film «Change- moi ma vie» de Liria Begeja , avec Fanny Ardant et Rochdy Zem, en plagiant sans scrupules sa mélodie. La 30 refrains de la mémoire Tubes de la variété marocaine 73 télévision privée tunisienne Nesma TV fait de même en l’utilisant dans les génériques de sa Star Academy et autres émissions. Mais la grosse affaire reste celle du groupe Boney.M, de son «Children of paradise» et son clip, tourné en Jamaïque avec la femme de Bob Marley. Le procès parisien, qui a duré des années, a défrayé la chronique dans les années quatre vingt et a fini par donner gain de cause aux ayants droit. Une mélodie universelle, des paroles ouvertes, «Lili Touil» évoquant, probablement, un chagrin d’amour, est le premier slow rock arabe. Malek, qui en a fait l’une de ses dernières reprises, note que «pour la première fois, la chanson de chez nous passait, grâce a son arrangement musical, à un stade international. C’est une chanson qui pouvait être chantée par n’importe qui. Et c’est une mélodie qui peut toucher toutes les cultures. Je crois que c’est ça, la grande force de cette Chanson». N’est-il pas ainsi le destin des œuvres créatives ? Mohamed Ziati Idrissi paroles et paroles Une amitié et complicité de plus d’une trentaine d’années réunit Mohamed Ziati Idrissi et les frères Megri. Il a signé «Ya al haim» de Mahmoud, «Frag l’hmam» de Jalila, «Aksa Tajriba» de Hassan et «Lili touil» de Younes. Ancien enseignant et producteur d’émissions éducatives et artistiques à la télévision marocaine entre 1968 et 1986, il reste l’un des plus novateurs auteurs et paroliers de la chanson nationale. Ses textes, écrits dans une troisième langue, entre la rigueur du classique arabe et les subtilités du dialecte marocain, ont emprunté les voix de Mohamed Elghaoui, Fatima Makdadi, Mahmoud Idrissi, Soumaya Abdelaziz, Nouaman Lahou, Latifa Raafat …sur des compositions de Abdeati Amenna, Mohamed Belkhiat, Azeddine Mountassir, Aziz Hosni et autre Chakib Assimi. 30 refrains de la mémoire 74 Tubes de la variété marocaine 30 refrains de la mémoire Tubes de la variété marocaine 75 Taguendaout un morceau éclair 30 refrains de la mémoire 76 Tubes de la variété marocaine En 1975, le groupe «Ousmane» (les éclairs) lance sur le marché «Taguendaout», sa première chanson. Des paroles en Tachelhit, empruntées au livret (Amanar) réuni par le journaliste Ahmed Aouzal et une musique moderne, composée et arrangée avec les normes artistiques internationales reconnues. La surprise était grande et Rabat français, le service français de la radio nationale, s’empare du morceau et le diffuse en boucle. A l’instar des auditeurs marocains, Le Roi Hassan II le découvre en conduisant sa voiture sur la route de Skhirat. Hamid Alaoui, qui a produit le 45 tours au sein de la maison de production Mawal, avec une pochette signée Mahmoud Megri, se souvient que les flics étaient à sa recherche. « J’avais peur. En fin de compte le roi désirait tout simplement un exemplaire du vinyle ». Tarik Maaroufi, le seul membre arabe du groupe, se rappelle qu’on leur a demandé de ne pas quitter Rabat car ils risquaient d’être appelés à tout moment pour se produire au palais. Ils restèrent cloîtrés chez eux pendant une semaine. Un de ces jours, un ami de l’organiste, membre de l’orchestre royal, lui demande des renseignements sur la composition du morceau. Il parait que la chanson a été reprise par l’orchestre royal et chantée par Larbi Kaoukabi ! La réjouissance au sein des membres de L’Association Marocaine de la Recherche et de l’Echange Culturel, fondée en 1968 et présidée par Brahim Akhayat, à l’origine de la formation est grande. Les Ali Azaykou, Omar Amrir, Ahmed Boukous, Abdallah Bounfour, Mohamed Moustaoui, Houcine Moujahide… ont gagné leur pari. Après des années de recherches, de répétitions, d’écriture et de composition, Ousmane, qui ne se produisaient au départ que dans les fêtes privées, question de tâter le terrain, sort de l’ombre. On les invite souvent à la radio et à la télévision. La presse commente le phénomène. Des tournées à l’intérieur et à l’extérieur du pays sont organisées dont deux concerts, à guichets fermés, à l’Olympia de Paris en 1977. Et « les enfants berbères de Casablanca n’ont plus honte de parler leur langue maternelle dans la rue », remarque Brahim Akdim. Une mélodie simple, inspirée du patrimoine des Rwayes, un succin mais profond texte sur le thème de l’hypocrisie et l’utilisation d’instruments modernes comme la guitare, le violon, l’orgue et l’accordéon… par les Ammouri Mbarek, Said Bitroufine, Belid El Akkaf, Said Bijaakad, Yazid Korfi et tarik Maaroufi sont les ingrédients ayant permis à 30 refrains de la mémoire Tubes de la variété marocaine 77 Taguendaout d’être apprécié par un large public. Sur toutes les lèvres, son refrains est repris par nombre de groupes qui célèbrent les fêtes familiales dont les mariages. Ammouri Mbarek le troubadour du Souss Natif d’Irguiten, village à l’ombre du Haut-Atlas, dans la région de Taroudant en 1951. Le décès brutal de ses parents le contraint de rejoindre la maison des enfants Lalla Amina. Un orphelinat tenu par les bonnes sœurs franciscaines Deux Marie. C’est là qu’il reçut ses premiers cours de chant et toucha pour la première fois à une guitare, unique instrument à la disposition des jeunes au foyer de l’orphelinat. Il faisait partie de la chorale qui, pendant les randonnées, les fêtes de fin d’année ou du nouvel an, chantait « Frero jaquot », « Sur le pont d’Avignon », ainsi que des textes écrits et composés par l’une des sœurs. Adolescent, il animait les fêtes et soirées du collège Ibn Sulaiman Roudani reprenant du Salvador Adamo et autre Enrico Macias. En 1968/69, il abandonna les études pour se consacrer à sa passion. « J’étais instable et le répétiteur me chassait tout le temps de la classe parce que je n’avais pas les 50dh annuels. ». S’essayant à l’écriture et à la composition, il lance avec deux amis les « Birds », puis le groupe « The Souss Five » dans l’esprit de la mouvance Ghiwani qui déferla sur les seventies. En 1973 Brahim Akhayat le remarqua au cours d’un mariage à Tiznit chez la famille Lakhsassi. Il lui propose de venir à Rabat pour faire partie d’un projet culturel, la création d’un groupe berbère moderne. Le groupe « Yah », devenu par la suite le fameux « Ousmane » (les éclairs), fut connu grâce à l’une de ses premières soirées privées, un mariage chez Haj Omar, alias « Nass blassa » à Casablanca où il y’avait la fine fleur du commerce et de la culture (Ahmed Oulhaj Akhennouch, Najm abaakil, Abdelkrim Khatib, Abndellah Souiri…). Le 30 refrains de la mémoire 78 Tubes de la variété marocaine groupe éclate après trois ans d’existence. Ammouri continue son chemin en solo et sort sa première cassette en 1979 avec le refrain emblématique de la plume de Mohamed Moustaoui, « Tizwit, nera nek dim nmun » (abeille, je désire t’accompagner). Tel un troubadour de la trempe de Haj Belaid ou un Bob Dylan, la guitare en bandoulière et les semelles au vent, il erre sur les routes du Maroc et de l’étranger. Trois fois l’Olympia, la Mutualité, le théâtre des Amandiers en France, l’Université Libre de Belgique, le théâtre Rasa en Hollande, les EtatsUnis, le Canada…En 1985, il crée et compose, à l’occasion du premier festival de la chanson marocaine à Mohammedia, « Gennevilliers », arrangée par Ahmed Khachan et chantée en compagnie d’un orchestre symphonique sous la direction d’Ahmed Awatif. La chanson, écrite par Ali Azayko traitant du thème de l’exil, décroche le troisième prix. Pas moins de dix albums de Ammouri sont sur le marché dont le dernier porte le titre d’ « Afoulki » (2006), beau en Tachelhit, à l’image de son étonnant parcours. 30 refrains de la mémoire Tubes de la variété marocaine 79 La sortie de « kifach tlaquina » au début des années soixante dix fut un événement. Samira Bensaid avait a peine 14 ans. Une adolescente qui se comportait comme une star confirmée. Découverte par Abdennebi Jirari au cours de son émission mythique « Mawahib », il lui offre quelques « Mouachahat ». Son père, Abderrazak Bensaid, demande à son ami Abdellah Issami de lui confier une vraie chanson. Le compositeur talentueux travaillait sur un texte du poète Mohamed Kouach. Il décide de l’offrir à cette nouvelle voix qui l’a séduit. Les répétitions ont nécessité une année et demi. Une fois la création fin prête, ils l’enregistrèrent avec l’orchestre national sous la direction de Abdelkader Rachedi. C’est à ce moment que le directeur de la TVM d’alors intervient pour la confisquer et la sceller dans un tiroir. Pour lui, il était inconcevable qu’une gamine chante l’amour. « A son âge elle ne pouvait chanter que des morceaux patriotiques ou religieux » disait-il pour justifier sa censure. Mais notre jeune star avait un avocat pérpicace. Abderrazak Bensaid, notable de Rabat et militant istiqlalien, a frappé à toutes les portes pour que la bande soit libérée. Une année après, « liquaa » est sur les ondes de la radio. Au cours d’un entretien à la télévision, en compagnie de Samira, il évoquait la situation des filles artistes dans nos sociétés qui rencontrent maints obstacles et lance un plaidoyer pour l’art comme message humaniste et universel. Abderrazak Bensaid, à la différence d’autres parents qui empêchaient leurs enfants d’embrasser des carrières artistiques, tenait à ce que sa fille devienne une grande artiste dans le monde arabe. L’histoire a démontré qu’il était loin de se tromper. Kifach tlaquina la rencontre 30 refrains de la mémoire 80 Tubes de la variété marocaine Comment on s’est rencontré Une question à laquelle je ne trouve pas de réponse La première fois que je t’ai ouvert mon cœur Je t’ai trouvé à sa porte Et quand on s’est salué, mon cœur a reconnu ses amis O mon premier amour Le succès est immédiat et tout le monde reprenait les paroles de Mohamed Kouach, habillées par l’un de nos compositeurs les plus authentiques. Abdallah Issami, pionnier parmi les pionniers à l’origine d’une chanson marocaine moderne, libérée a la fois du folklore et des 30 refrains de la mémoire Tubes de la variété marocaine 81 mélopées orientales. Après la sortie du 45 tours « Liquaa », Samira est invité au Maroc et à l’étranger. Issami se rappelle d’un voyage au festival de Carthage en Tunisie, organisé par le manager Abdelkader. Elle devait y chanter trois chansons. Le manager lui demande une quatrième. « Je ne chanterai que les trois promises. Je suis capable de tout laisser tomber ». Malgré les supplications de sa maman, Lalla Zhor, Samira Bensaid n’interpréta que « Quissat al ams », « kifach tlaquina » et « Houa sahih ». D’un caractère trempé et d’une maturité précoce, Les archives de la télévision sauvegardent des entretiens où elle parle comme les grands. Ce n’est pas donc étonnant qu’elle arrive là où elle est, une chanteuse qui rayonne au-delà de nos frontières. Mohamed Kouach un poète discret Originaire des plaines des Rhamna, l’un des aïeuls de Mohamed Kouach s’installe au début du XX éme siècle à Port Lyautey, actuelle Kenitra. C’est là qu’est né Mohamed en 1944. En 1972, il rejoint l’Institut Royal de la Formation des Cadres de la Jeunesse et des Sports. Retraité en 2004, il consacra la majorité de sa vie à la formation et à l’encadrement des jeunes devenus, au fil des années, des cadres qui exercent à travers le pays. Il fut, entre autres, à l’origine de l’idée du festival des maisons des jeunes et encadra les grandes manifestations du ministère telles les jeux méditerranéens. Ecrivain, poète, nouvelliste, il fut un lecteur boulimique et un auteur exigeant qui ne laissa hélas qu’un petit recueil « Ouyounak », réunis après son décès en 2004. Outre Samira Bensaid et son morceau mythique, Mohamed Kouach a écrit pour Latifa Raafat, Brahim Alami, Mahmoud Idrissi et Tahar Jimmy. 30 refrains de la mémoire 82 Tubes de la variété marocaine 30 refrains de la mémoire Tubes de la variété marocaine 83 Descendant d’une famille cherkaoui de Boujaâd qui s’est installée dans l’oasis de Skoura, à une vingtaine de kilomètres de Ouarzazate, Mohamed Lahyani est né à Casablanca en 1943. Après un bref séjour au conservatoire de la cité blanche, il s’inscrit en 1964 à celui de Rabat, place Piétri, où il fut remarqué par un professeur français considérant que « sa voix est un don de la nature qui ne nécessite pas d’être travaillée. ». Abdallah Issami le présente à Abdelkader Rachedi qui l’intègre à la chorale de l’orchestre national. Il avait à peine17 ans et sa première chanson, « Ya oulidi », est enregistrée avec l’orchestre de Casablanca en1963, morceau écrit et composé par Abdallah Tazi. Suivent les rencontres avec Abderrahim Sekkat /Abdarrahman Alami (Al machmoum), Ahmed Tayeb El alj/Abdelkader Rachedi (Min day bhak), Abdelati Amenna/Tahar Sebbata (Loussada), Abdessalam Amer/ abderrafiaa Jawhari (Rahila, Kissat al achwak), Ali Haddani/Hassan Kadmiri et leur fameux « Bard ou skhoun ». L’histoire de «Bard ou skhoun» a commencé dans la rue ! Sur le boulevard Mohammed V de Rabat, Hassan Kadmiri, peu connu à l’époque interpelle Ali Haddani, parolier en vogue. Il l’invite dans sa garçonnière pour lui faire écouter «Ya sakiat al ward ». Le courant passe entre eux. Ils produisent coup sur coup «Ya sidi ana horr», « Chafni byoun kbar » et « Machi dak zine hada » avant de s’attaquer, avec la complicité de Lahyani, à « Bard ou skhoun ». La chanson fut interdite au début par la commission des paroles que présidait alors Wajih Fahmi Salah. L’arabophone classique avait du mal à saisir et les images et le sens d’un texte marocain du terroir. Bard ou skhoun ni chaud, ni froid! 30 refrains de la mémoire 84 Tubes de la variété marocaine Chaud et froid est l’amour Vous vous ête ligués contre moi Toi et la brune Amour, amour, que ton feu est ardent Laisse mes désirs tantôt chauffer Tantôt recevoir une brise… Comment traduire une écriture polysémique et métaphorique à la limite du surréalisme ? Comment traduire Ali Haddani sans le trahir ? Une chose est sûr, Hassan Kadmiri lui a réussi sa traduction des paroles en 30 refrains de la mémoire Tubes de la variété marocaine 85 musique. Après une longue ouverture instrumentale, les morceaux et les couplets se suivent avec harmonie. Une mise en valeur de la poésie, de la voix et du jeu des musiciens avec les morceaux, en solo, d’un Seddika à la guitare électrique, Hassan à l’accordéon et Sellam Hajoui au violon. Si l’auteur nous plonge dans l’imaginaire riche de notre dialecte, le compositeur a voulu transposer l’expérience égyptienne des Abdelhalim /Baligh Hamdi, à la mode à l’époque, au Maroc. Et dieu sait qu’il a réussi son pari de faire de « Bard ou skhoun » une quasida classique et dialectale à la sauce marocaine avec un brin d’al ayta (les choristes entonnant du dada hayyani). Abdelhalim et Lahyani n’avaient ils pas la même voix ? N’ont-ils pas chanté, en duo, « Bard ou skhoun », hélas dans un cercle privé ? Une fois enregistré, le morceau, chanson de l’année 1972, est sur toutes les lèvres. Le 45 tours , sorti chez Polydor, a reçu un disque platine. Dans les mémoires restera gravée, à jamais, cette fameuse soirée du palais Kabbaj où la chanson est classée n°1 et Mohamed Lahyani fêté comme un prince le jour de ses noces. 30 refrains de la mémoire 86 Tubes de la variété marocaine 30 refrains de la mémoire Tubes de la variété marocaine 87 Nous souhaitons beaucoup de prétendants Qui viennent frapper, à toute heure, à nos portes Pour nous demander en mariage Nous le souhaitons, nous le désirons, ô nos amis… Les nouvelles générations ont découvert la chanson «Al hob wa al abkaria», plus connue sous le nom d’Al khottab, au cours de l’une des soirées de Studio 2M, reprise par les concurrentes Halima Alaoui, Sanna Gouja et Fatim Zohra Mounir. Le lendemain, les fans d’Alizé et de Lorie la fredonnaient à travers le pays. De retour d’un voyage d’études en Egypte et dans les pays arabes, qui a duré un an, le talentueux compositeur Abdelati Amenna constatait que le Maroc manquait de voix féminines. Fasciné par les expériences orientales, notamment celle de «Toulati Al Marah» au Caire, il finit par convaincre trois filles de sa propre famille et crée le trio Toulati Amenna. Les nostalgiques se souviennent du look de Najiba, Rachida et Fatiha, de leur coupe garçon et pantalons patte- d’éléphant, ainsi que de leurs morceaux à la thématique sociétale et originale tels «Zouaj bi al ajnabia» (le mariage avec une étrangère), «Yaghagh oumarg» (nous souffrons d’amour», en Tamazight, et surtout le fameux «Al hob wa al abkaria». Al hob wa al abkaria la demande en mariage 30 refrains de la mémoire 88 Tubes de la variété marocaine Les paroles sont de l’écrivain et poète Mehdi Zeriouh qui se souvient l’avoir écrite au cours d’une nuit d’insomnie. «J’étais en colère contre moi. Le premier jet était d’un pessimisme noir où j’évoquais la souffrance qui ne cessait de frapper à ma porte. En reprenant le texte le lendemain, l’humour et l’espoir remplacèrent la déprime et le désespoir». Il l’a proposa à Abdelati Amenna, avec la complicité du journaliste Khalid Michbal qui incitait les auteurs à s’attaquer aux nouveaux sujets, qui l’apprécia et décida de la composer. Plus qu’une chanson, nous sommes en face d’une petite pièce théâtralisée avec des Spice girls avant la lettre qui interprètent , avec légèreté, effronterie et insouciance, des couplets aussi drôles les uns que les autres. Dés son premier passage à la télévision, au cours d’une soirée transmise en direct du théâtre Mohammed V et animée par Khalid Michbal, le refrain est repris par jeunes et moins jeunes à travers le pays. Le réalisateur Abdelhamid Bencherif s’en empare et crée, avec génie et bricolage, l’un des premiers et originaux «clips» de la chanson nationale caricaturant à outrance la thématique du morceau. 30 refrains de la mémoire Tubes de la variété marocaine 89 «Al hob wa al abkaria» dépassa les frontières du Maroc. Au cours des tournées au Maghreb et dans le monde arabe, le public la demandait et l’appréciait. Une fois, c’était pendant une fête nationale, la grande chanteuse libanaise Faïza Ahmed suppliait Abdelati Amenna de la lui apprendre. Quand ce dernier lui expliqua que ce n’était pas son style et qu’il était prêt à lui composer quelque chose de classique, elle lui répondit qu’elle l’aimait et voulait faire une surprise au Roi Hassan II en l’interprétant devant lui. «Al hob wa al abkaria» lui rappela aussi l’une de ses chansons à la même thématique. 30 refrains de la mémoire 90 Tubes de la variété marocaine 30 refrains de la mémoire Tubes de la variété marocaine 91 Ecrite, composée et interprétée par Fathallah Lamghari, la chanson « Rijal Allah » fait partie du répertoire spirituel marocain. «Allah ala raha », « Allah ikammal rjak », « Ya Allah ya rahim », « Wallah ma anta maana », « Rijal Allah»…le nom d’Allah, comme un leitmotiv, revient souvent dans les couplets de Fathallah Lamghari. « Je ne m’en suis rendu compte qu’après coup. Ça se passait à mon insu. ». Est-ce lié à sa ville natale, Fès la cité spirituelle aux innombrables sanctuaires, aux multiples Zaouias confrériques et aux mille et un minarets ? ou à ses ancêtres, adeptes de l’écriture soufie et descendants du saint-patron des Doukkala, Moulay Abdallah Amghar ? Né en1940, dès sa tendre enfance, il beigna dans ce climat mystique et artistique. Après le baccalauréat, obtenu en 1958, il rejoint l’école administrative pour finir cadre au BRPM (Bureau de Recherche Pétrolière et Minière), poste qu’il occupa jusqu’à sa retraite. En parallèle, il mena une intense activité créatrice. Sa carrière artistique peut se diviser en trois périodes : En auteur, Il s’initia au début à l’écriture Zajal. En interprète, Abderrahim Sekkat lui offre les « Kass elballar », « Khsara fik ya ghrami » et « Elli bnitou raad dah ». En compositeur, il fréquente les Ahmed Bidaoui, Abdessalam Amer, Mohamed Benabdessalam, Mohamed Fouteh et finit par composer ses propres écrits dont « Rijal Allah ». Inspirée des thémes soufis et des rythmes Issaouis, elle convie les corps à la transe, aux danses extatiques. Les amis se sont absentés Partis, ils n’ont laissé que les larmes Depuis qu’ils nous ont quitté, ils ne sont plus revenus et moi, Ô hommes d’Allah, je souffre… Rijal allah ô hommes de Dieu 30 refrains de la mémoire 92 Tubes de la variété marocaine La chanson débute par ce « Mawal » avant d’enchaîner avec le refrain sur un rythme aissawi endiablé. Suivent les autres couplets, entonnés entre Fathallah et les chœurs féminins et masculins. Et le morceau se conclut par un feu d’artifice explosif et la « Jedba » (transe) chère aux Lilas, raves party des Issawa, Hmadcha, Jilala et autres Gnaoua. « Rijal Allah » invoque « les propriétaires du lieu » et célèbre l’amour de Dieu et celui de l’être. Mystique, confrérique et thèrapeutique , elle a de troublantes similitudes avec les envoûtantes danses d’Afrique et des Caraïbes qui inspirèrent la techno, l’acid et autres house music contemporaines. 30 refrains de la mémoire Tubes de la variété marocaine 93 Fathallah Lamghari, au cours de l’émission «filbali oughniatoun», évoque l’une de ses tournées en Algérie, «à l’ouverture d’un grand festival à Alger, à la salle Ibn Khaldoun, j’ai commencé par lire les paroles de Rijal Allah avant de les chanter. Une fois la lecture terminée, le public, en majorité des officiels, scandait aid,aid (repète, repète)... Ce fut l’un des moments les plus émouvants de ma vie.». Le lendemain de la soirée, on pouvait lire dans «Al moujahid», unique quotidien algérien de l’époque, « Rijal Allah » et « faenek ya lahbib », textes métaphoriques sur le rapprochement et la fraternité des peuples, ont été interprétés par Fathallah. Une voix saisissante pour des airs particulièrement séduisants ». Fathallah Lamghari un parolier hors paire En grand amateur de la poésie arabe classique et populaire marocaine, Fathallah Lamghari a entamé sa carrière artistique par l’écriture. D’un imaginaire fertile, il fait partie des grands auteurs ayant marqué l’histoire de la chanson moderne marocaine tels Mohamed Belhoucine, Ahmed Tayeb El Alj, Ali Haddani et autres Tahar Sabbata. « J’ai écris plus pour les autres que pour moi-même. ». Depuis plus de quarante ans qu’il pond des textes à la thématique variée et au style métaphorique et symbolique. Qui, de nos illustres artistes, n’a pas emprunté l’un de ses textes? En 1959, Mohamed Mazgaldi lui chanta «Al warda». Abdelhay Skalli, «Ala al bab tallat al gamra », composée par l’algérien et regretté Ourad Boumediene, auteur du célébrissime «Ya ben sidi, ya khouya ». A Abdelhadi Belkhiat, le complice, il offre «Jarh Kdim », « Mahtar », ainsi que l’inoubliable «Sannara», composée par Mohamed Benabdessalam. A Abdelouahab Doukkali, «Addar li hnak ». A Ismail Ahmed, «Khallik ya kalbi hani». A Mahmoud Idrissi, « mouhal insak al bal» et a Lahbib Idrissi, «Mabkiti andi filbal». Il confie à Naima Samih, «Hada hali», «Ala ghafla» et à Samira Bensaid «Faitli chaftak», les trois composées par Abdelkader Rachedi. Fathallah Lamghari fut à l’origine de la carrière de Latifa Raâfat qui lui interpréta « Ana faârk ya imma », «Achrat lahbab» et « Maghyara », dernier tube de cette dernière. Outre les textes d’amour, il concocta plusieurs refrains patriotiques dont l’immortel «Nidaa al Hassan». Il se remémore ses circonstances, « j’étais devant la télévision quand feu Hassa II a annoncé la Marche Verte. C’est son discours qui m’a inspiré le texte. Je l’ai rédigé en un quart d’heure. Abdallah Issami l’a composé la nuit même et les répétitions débutèrent le lendemain ». La première chanson consacrée à l’événement est devenue l’hymne des marcheurs, reprise en chœur par l’ensemble du peuple marocain. 30 refrains de la mémoire 94 Tubes de la variété marocaine 30 refrains de la mémoire Tubes de la variété marocaine 95 La sortie de «Yak a jarhi» en 1977 coïncida avec l’hospitalisation de Naima Samih. La caméra indiscrète de Larbi Bentarka la surprend sur son lit d’hôpital. Le lien est vite fait entre le thème de la chanson et le malaise de son interprète. Le public adopte le refrain, s’y identifie et chacun y projette ses propres blessures. Ô ma blessure, je n’ai rien épargné pour te trouver remède J’ai réconforté, soigné et pansé Et j’ai supplié le seigneur pour te guérir… Issue d’une famille nombreuse, douze frères et sœurs, Naima Samih est née à Casablanca dans le quartier Bouchentouf. Elle abandonne très tôt les bancs de l’école pour s’initier à la couture et à la coiffure. Mais la fille de Derb Sultan n’a qu’un rêve en tête : chanter. Elle profite d’une soirée artistique, en live de Casablanca sur TVM, pour reprendre «Wahyatak ya cheikh masoud» de Charifa Fadel. Auteurs et musiciens découvrirent alors l’une des plus belles, authentiques, inégalables, inimitables et uniques voix marocaines. Les propositions de paroliers et compositeurs affluent et Naima enchaîne les succès : «Al Khatem», «Bahhara», «Nouara», «Amri Lillah», «Ala Ghafla», «Jari ya jari», «Jrit ou jarit», plus connue par «Yak ajarhi», lui ouvre les cœurs et les portes du monde arabe. Jrit oujarit je suis malade ! 30 refrains de la mémoire 96 Tubes de la variété marocaine Au cours de sa tournée en Algérie en 1974, Abdelhadi Belkhiat invita ses deux complices, le compositeur Abdelkader Wahbi et le parolier Ali Haddani. Ces deux derniers travaillaient sur «Jrit oujarit» et n’arrivaient pas à se mettre d’accord sur la voix qui doit l’interpréter. Le premier proposait Abdelhadi à qui il a déjà composé, entre autres, Awwam, Assabr tkada, Bent ennas…et le deuxième suggérait une voix féminine. Assis à la terrasse de leur hôtel, la voix de Naima, en pleine répitition, leur parvenait. Elle chantait «Allah aliha ksara». C’est à ce moment là, sur les hauteurs d’Alger, qu’ils prirent la décision de lui confier «Jrit oujarit». Une fois à Rabat, le trio s’attaqua au morceau. Ils se retrouvaient chez le mélomane Benbouchta dont la maison est une sorte de salon réunissant l’intelligentsia rbattie de l’époque, les Kamal Zebdi, Mustapha Kasri, Saïd Seddiki, Mohamed Ziani, Larbi Skalli, Amr Tantaoui… Des intellectuels et musiciens qui assistaient au processus créatif du refrain 30 refrains de la mémoire Tubes de la variété marocaine 97 et n’hésitaient pas à donner leurs avis. Une fois l’œuvre achevée, ils l’applaudirent et suggérèrent au ministre de l’Information de l’époque, Mohamed Larbi Khattabi, de la soutenir. Une réception fut organisée, à cette occasion au ministère. Enregistrée à la radio avec l’orchestre nationale, elle est sur toutes les lèvres dès sa première diffusion. On s’arrache le 45 tours, sorti chez Hassania à Paris. «Jrit oujari» est certes une chanson d’amour, mais comme une grande partie des textes de Ali Haddani, elle se prête à plusieurs lectures. On y a vu aussi l’expression d’une certaine tension qui régnait dans le pays en ces temps là. Elle dépassa sitôt les frontières pour traverser le Maghreb et débarquer dans les pays du Golf où elle est toujours fredonnée. Sa composition n’est-elle pas inspirée d’Akallal du sud marocain et de la danse du sabre de Zagora, même danse qu’on retrouve en Arabie Saoudite. La chanson est diffusée sur les radios et les TV des pays du Golf où Naima est devenue une star. Au cours d’une semaine artistique marocaine au Qatar, organisée par l’ambassadeur de ce pays au Maroc, le fetard et mélomane Abdallah El Jida, elle interpréta «Jrit oujarit» en compagnie des musiciens de la troupe d’Oum Keltoum, récupérée par la radio télévision qatarie après la disparition de la diva. Chanson phénomène, à l’émission Mawahib de Abdenbi Jirari, une majorité des candidates ne voulaient chanter qu’elle ! Elle inspira des tissus et des menus ! Reprise, entre autres, par Warda, Georges Wassouf et Cheb Khaled, «Yak a jarhi» reste un tube indémodable. Ali Haddani le ciseleur des mots Bard ou skhoun de Mohamed Elhiyani, Kitar al hayat de Abdelhadi Belkhiat, Khaifa de Samira Bensaid, Shibi de Fatima Makdadi, Machi dak ezzine hada de Abdelmounaim Jamaï, Al ghorba wa al hobb al gadi de Mohamed el Ghaoui….Tous ces refrains de la mémoire sont signés Ali Haddani. L’homme dont « le répertoire constitue, à lui seul , une mémoire vivante du Maroc contemporain. », comme l’ a écrit le journaliste Houcine Chaâbi, est discret et ses apparitions médiatiques sont plus que rares. Ce natif de Fès, enseignant au départ, commence par s’intéresser au 30 refrains de la mémoire 98 Tubes de la variété marocaine théâtre amateur. Un de ces jours, il descend à Casablanca rejoindre la troupe du théâtre ouvrier, affiliée à L’UMT. L’ami Tayeb Seddiki le guide dans les méandres de la métropole entre la Comédie et le Coq d’or. Premier à découvrir en lui le don de parolier, il l’encourage à poursuivre sur cette voie. De retour à Fès, il fait escale à Rabat, question de saluer quelques amis. Il finit par s’y installer définitivement et se lie d’amitié avec des écrivains, musiciens et artistes. Ce fut le temps des débats de Dar Al Fikr, siège actuel de la MAP, avec les Aziz Lahbabi, Abdeljabbar Sehimi, Larbi Messari, Mustapha Kabbaj, Adib Slaoui, Mohamed Choufani …Il fréquente les bibliothèques, dévorent les textes sur les civilisations, le patrimoine, la littérature, la poésie, la pensée et la philosophie. Outre le théâtre et le cinéma, il se met à la peinture et expose avec le soutien de Aziz Lahbabi et du plasticien Mekki Mourcia…Armé d’un vécu riche et d’une culture profonde, à la fois populaire et savante, il quitte la fonction publique pour se consacrer entièrement à l’écriture. Sa poésie constitue une rupture avec ce qui s’écrivait avant. Elle se caractérise par ses nouvelles thématiques, son style original rehaussé par les personnages et les dialogues du théâtre, les images plastiques et cet art d’enrichir le dialecte marocain par la langue arabe classique. L’auteur est aussi d’une grande culture musicale et d’une connaissance des rythmes et des mélodies, ce qui facilite la composition de ses paroles. Une écriture imagée et polysémique qui renvoie à une multitude de lectures dont l’un des exemples emblématiques n’est autre que Jrit ou jarit, composée par Abdelkader Wahbi et interprétée par Naima Samih. Œuvre ouverte dirait Umberto Eco, marocaine jusqu’au fond de la jarre et en même temps universelle. Dans l’introduction à Jrit oujarit, unique et orphelin recueil du poète sortie à l’occasion de l’hommage que lui a rendu le Festival de Rabat, Houcine Chaabi note encore qu’ « a l’écoute et à l’appréciation des paroles de l’une de ses chansons, on ressent la fierté d’etre Marocain. De ses mots, de sa langue et de sa poétique se dégage l’odeur de la terre marocaine. ». Fidèl à sa discrétion légendaire, Ali Haddani nous quitte ,sur la pointe des pieds , le mercredi 28 novembre 2007. 30 refrains de la mémoire Tubes de la variété marocaine 99 Invité chez son ami Abderrahman Alami, Chekara souhaitait composer l’un de ses textes. En un quart d’heure, «Bent bladi» est pondu. Ô fille de mon pays tes yeux m’ont ensorcelé ,Ainsi que ta beauté. Amour de mon cœur , Ai, ai, ai… ô fille de mon pays… Bent bladi les filles de mon pays ! 30 refrains de la mémoire 10 0 Tubes de la variété marocaine Composée et enregistrée en 1978, elle devient synonyme du chantre de la musique du nord que les marocains ont découvert à l’occasion de l’inauguration du théâtre Mohammed V, accompagné de belles danseuses avec des chorégraphies signées Clara Eugenia. Abdessadek Chekara est le fruit de la ville de Tétouan, la petite Grenade et la fille de Fès. Imprégné par l’ambiance de la cité d’Al Haik (auteur du livre de chevet des maâllems d’Al Ala), il s’intéressa très tôt au chant et à la musique. Sa mère, lalla Saâdia, n’était-elle pas une adepte de la Zaouia Harrakia et son père, si Abdessalam, un professeur au conservatoire de musique ? En 1947, à dix huit ans, il intègre cette institution en tant qu’élève pour ne la quitter qu’a sa retraite comme surveillant et professeur. Des Amdah de la zaoouia, des sérénades populaires de la colombe du nord, de la Taktouka jabalia et autres chants rifains, de la musique andalouse de l’école de Tamsamani et du Hawzi, importé par les familles de Tlemcen qui se sont installées au Maroc après la conquête de l’Algérie et du flamenco de la communauté espagnole, il forgea une œuvre unique et un style original. Si son répertoire est riche et varié, «Bent Bladi» reste la plus connue de ses chansons et dieu sait qu’elles sont nombreuses telles Ana fi aarak, Ya oulidi ya hbibi, Al aila farrahtini, Alla yahdik ya ghzali… «Bent bladi» est appréciée au-delà de nos frontières, notamment en Espagne. Avec la complicité du poète José Heredia, il en compose une version avec l’alternance de l’arabe et de l’espagnole, des rythmes du Maroc et de ceux du flamenco. Le refrain est aussitôt imité et repris par divers chanteurs et groupes. En célébrant l’histoire commune et les liens culturels des deux rives de la Méditerranée, Abdessadek Chekara fut un précurseur des adeptes des word music, des fusions, du dialogue des civilisations et des métissages réussis. Ses concerts avec des groupes espagnols dont celui d’ El Lebrijano, avec le pianiste anglais Michael Nyman (Oscar de la meilleure musique du film. « La leçon de 30 refrains de la mémoire Tubes de la variété marocaine 10 1 piano» de Jane Campion, Palme d’Or à Cannes en 1993) à l’occasion de l’expo 92 de Séville, ainsi que ses époustouflants duos avec le judéo marocain et rabbin de Los Engeles Haïm Louk sont des indéniables témoignages de l’universalité et de la modernité de son œuvre, de son legs. Vingt huit ans après «Bent bladi», d’autres expériences ont suivi son cheminement. Je pense à celle de l’orchestre Chekara, dirigé par le neveu Jalal installé en Espagne. A Los ninos de Sarah, des gitans de Montepelier ayant joué sur les scènes du monde entier avec Chico et les Gypsies, Manitas de Plata et autre Paco de Lucia. Au groupe Radio Tarifa. Aux Chants de traverses avec Françoise Atlan et Zoubida Idrissi. Au projet Arabesques, initié par le musicologue Nabyl Akbib et la soprano, universitaire et directrice de la maison de la culture de Tétouan Samira Kadiri. En visionnaire, le maître avait balisé le terrain et ouvert la voie. 30 refrains de la mémoire 10 2 Tubes de la variété marocaine Abdarrahmane Alami auteur prolifique C’est à Fès que Abderrahman Alami a vu le jour en 1933. Issu d’une famille érudite, son frère Mohamed Alami fut «Alem» et «Imam » de la mosquée Al Quraouiin, il apprit le coran, le Hadith et s’abreuva de la poésie arabe classique des Moualakat préislamiques jusqu’aux chefs d’œuvres de l’Andalousie mythique. En 1952, il débarque à Casablanca, fonde une fabrique de chaussures et s’inscrit au conservatoire de musique ! L’un de ses professeurs d’alors n’est autre que le virtuose du luth Ahmed Souleiman Chawki. En 1953, il fut l’un des initiateurs de «l’association des amateurs d’Oum Keltoum» dont le président était Haj Mohamed Bennouna. Une bande de mélomanes qui se retrouvaient, chaque premier jeudi du mois, autour de la radio pour écouter, avec cérémonial, la dernière Quassida de la diva arabe, diffusée par «Radio du Caire». Les femmes allaient au bain maure, mettaient leurs beaux Kaftans, se parfumaient et préparaient de délicats petits plats pour la circonstance. Au début des années soixante, Abderrahmane Alami entame une carrière de parolier des plus fécondes. Les grandes figures de la chanson marocaine ont interprété ses textes à l’instar de Abdelouhab Doukkali (24 morceaux), Ahmed Gharbaoui, Abdelhadi Belkhiat, Mohamed Lamzgaldi, Mohamed Lahyani, Mahmoud Idrissi, Samira Bensaid, Naima Samih…Auteur mais aussi producteur avec la fondation, en 1970, de la société « Atlassiphone » qui édita, entre autres, les premiers Jil jilala et autres Lamchaheb. Abderrahmane Alami nous a quitté le 22 septembre 2005, avec discrétion et élégance, nous léguant «Jawharat azzajal li al hadiri wa al moustakbal», recueil édité en 1997 et contenant une centaine de poèmes dont «Bent bladi». 30 refrains de la mémoire Tubes de la variété marocaine 10 3 Mohamed El Ghaoui, en jeune chanteur venant des écoles de Ba Hamdoun, émission enfantine de Driss Allam, et du fameux Mawahib de Abdenbi Jirari, cherchait son chemin. A l’édition du concours «Adwaa al madina» (les lumières de la ville) de 1979, il décrocha le premier prix en interprétant «Modnaka jafahou» de Mohamed Abdelouahab. «Je tenais à chanter un refrain purement marocain. Un jour, je me pointe au café Balima, lieu privilégié des artistes et intellectuels de Rabat. L’auteur Ali Haddani y avait ses habitudes. Avec beaucoup de courage, je l’interpelle et lui demande de m’offrir l’un de ses poèmes. Il me félicita pour ma version de Abdelouahab et fut ravi de me voir chanter en dialecte marocain». Quand le grand parolier lui demande le nom du compositeur avec qui il pense travailler, il répond, sans aucune hésitation, Mohamed Belkhiat. Ce dernier est un ami d’enfance, sorti comme lui de Mawahib et enseigne, en jeune professeur de musique, au conservatoire de la capitale. Un soir, le trio se retrouve chez le producteur et initiateur d’«Adwa al madina» Hamid Alaoui. Alghorba Wa Al Achk Al Gadi mon pays Ali Haddani, fidèle à ses habitudes, finit par sortir de l’une de ses poches un petit papier, met ses lunettes et commence à lire, «al ghorba wa al achk al gadi, kindir nquaoum hadi, kindir nsaraâ hadi kindir, hirti oulaâmar ghadi, al ghorba wa l’achk al gadi ya galbi o thamaou alik, hilti narjaâ l’bladi, rihra dwa ouidaoui». Les paroles, ciselées en main de maître, évoquent l’exil, l’odeur du pays, l’absence de la mère et le désir de l’aimée. Un texte d’une profondeur inouïe. Belkhiat le lit, le relit même plusieurs fois et s’installe avec El Ghaoui dans un coin du salon. A l’aide de son inséparable luth, il cherche les rythmes et les formules adéquates. Quelques heures après, le premier couplet est fin prêt. Après dîner, on demande à l’assistance d’écouter et d’apprécier. Et ce fut une grande surprise pour tous. Outre Alaoui, Haddani, Belkhiat et El Ghaoui, il y avait d’autres journalistes et artistes parmi les invités dont Mhamed Boukili. Après les félicitations, chacun d’entre eux avait un commentaire ou une suggestion pour améliorer le produit. En une soirée, la chanson est fin prête. «A vous d’aller convaincre l’orchestre national pour l’enregistrement, de mon coté je vous offre le texte, ne me donnez pas le moindre centime» leur lançait Ali Haddani enchanté par la destinée de son bébé. El Ghaoui se pointe chez le maestro 30 refrains de la mémoire 10 4 Tubes de la variété marocaine 30 refrains de la mémoire Tubes de la variété marocaine 10 5 Ahmed Bidaoui qui le reçut en compagnie de Abdelati Amenna et de Jamal Eddine Benchekroun. Après l’avoir écouté, il s’excusa de ne pas pouvoir lui confier l’orchestre national et lui suggère de travailler avec l’un des orchestres régionaux. Grâce à l’intervention de Abdelkader Rachdi, la chanson finit par être enregistrée en 1979 avec la formation nationale et les plus grands instrumentistes de l’époque. Une fois passée sur les ondes, elle accroche les oreilles et s’installe dans les premières places sur les hit-parades. Le refrain fait un tabac au sein des marocains de l’étranger. Les cassettes et CD fleurissent à Barbès et Belleville. Mohamed El Ghaoui, qui se produit souvent dans les pays de l’émigration, est souvent sollicité pour interpréter «Al ghorba wa al achk al gadi», la nostalgie et l’odeur du pays. 30 refrains de la mémoire 10 6 Tubes de la variété marocaine 30 refrains de la mémoire Tubes de la variété marocaine 10 7 Après le succès phénoménal de «Jrit ou jarit», le parolier Ali Hadani et le compositeur Abdelkader Wahbi, préparaient deux autres chansons pour Naima Samih. Les choses de la vie ont empêché le projet d’aboutir et le texte de «Fat el fout» macérait dans un tiroir. Après maintes recherches, ils apprennent l’existence à Casablanca d’une jeune chanteuse au nom de Majda Blidi, issue d’une famille de musiciens. Ils la contactèrent et lui soumettent le premier couplet qu’elle chanta avec grâce. La chanson a trouvé finalement sa voix. Pendant des semaines, le parolier et le compositeur faisaient la navette Rabat-Casa pour répéter avec elle au sein de sa famille. Une fois la chanson prête, ils l’enregistrèrent avec l’orchestre national. Et dès sa première diffusion le public l’adopta et en fera un tube consacré par le prix de la chanson de la saison 1981. Où tu es ? réveille toi de tes songes tourne la page et dis-toi que t’as oublié je suis en face de toi, comme si je n’avais jamais aimé. Fat el fout trop tard 30 refrains de la mémoire 10 8 Tubes de la variété marocaine C’est l’histoire de deux êtres qui s’aiment. Ils ont juré fidélité, mais l’homme a trahi. Il délaissa sa bien aimée avant de revenir vers elle comme s’il s’agissait d’un objet laissé en gage. Mais la réaction de la femme est intransigeante. Nous sommes loin des histoires d’amour des chansons arabes où la femme est soumise et accepte toutes les humiliations. Là est la nouveauté du texte de Ali Haddani, cousu, en trois couplets, de main de maître. Pour trouver une composition musicale digne de ce texte, Abdelkader Wahbi a innové en utilisant une infinité de rythmes et mouvements inspirés des musiques traditionnelles marocaines, ainsi que de la musique occidentale. L’ouverture instrumentale ne fait-elle pas appel à une 5éme symphonie de Beethoven à la sauce marocaine, adaptée au rythme «Haddari» du terroir ? L’interprétation de Majda Abdelouahab, avec sa grâce juvénile, restera dans les annales de la chanson marocaine. L’artiste Egyptien Mohamed Abdelmotaleb ne disait-il pas que son «énergie vocale est la quintessence d’Ismahan, Laila Mourad et Fayrouz réunies» ? En voyageant dans le monde arabe, elle la faisait apprécier, sans difficulté, à des oreilles orientales réticentes au dialecte marocain. Hélas celle à qui on promettait un grand avenir artistique a disparu 30 refrains de la mémoire Tubes de la variété marocaine 10 9 dans un accident tragique de la route en 1992. Elle avait a peine trente ans. Nous gardons de Majda Abdelouahab son sourire permanent, son regard enfantin et le refrain de «Fat el fout» dont l’un des fragments prémonitoires dit : grâce a dieu j’ai échappé à la mort la passion m’a soignée et j’ai guéri. Abdelkader Wahbi des compositions sur mesure Une grande partie du public connaissait ses chansons pas lui. Il est, entre autres, le compositeur de « Nadam » de Mohamed Lahyani, de « Jrit ou jarit » de Naima Samih, De « Khaifa » de Naima Samih et de plusieurs tubes de Abdelhadi Belkhiat tels, « Essbar tkada », « Kif idir assidi » et « Ya bent ennas ». Il s’agit de Abdelkader Wahbi, l’enfant du quartier Jacob de Rabat, qui dans les années soixante se présenta a une soirée du théâtre Mohammed V pour interpréter « Yalli sourtak bin ainaya » de Brahim Alami. Les sifflets du public ont mis fin a une carrière ephémère de chanteur. Quelques années après, après le conservatoire, la radio où il fréquenta les grands a l’instar de Ahmed Bidaoui, Abdennebi Jirari et Abdelkader Rachedi, il se mit à la composition. Dommage qu’une telle carrière s’est un peu essoufflée. C’est vrai qu’il ne voulait pas aussi faire du n’importe quoi. 30 refrains de la mémoire 11 0 Tubes de la variété marocaine 30 refrains de la mémoire Tubes de la variété marocaine 11 1 Tout a commencé grâce à la complicité qui réunit le parolier Mustapha Baghdad et le compositeur-interprète Mahmoud Idrissi. Nous sommes en 1983. Les deux amis sont dans le train Rabat-Oujda pour participer à la première édition du festival de Saidia. Mahmoud demande a Mustapha de lui concocter une chanson qui porte sur la joie, sur les moments de bonheur que chaque être humain souhaite vivre. Le trajet est long, la nuit et les discussions interminables. L’écriture, inspirée de l’expression Marrakchie « Saa saida », est entamée sur les sables chauds de la station balnéaire. L’heure de joie n’a pas de prix Le lieu est illuminé et la gaieté rend paisible L’aimé apparaît nonchalant, de toute magie et beauté . Saa saida y’a de la joie ! 30 refrains de la mémoire 11 2 Tubes de la variété marocaine Avec son inséparable luth, Mahmoud entame la composition de ce premier couplet. Si l’expression inspira l’écriture, c’est un rythme cher a la ville rouge qu’on surnomme « Oulidat al watan » qui déclencha le processus créatif chez le compositeur. Un rythme léger, populaire et profondément ancré dans l’imaginaire marocain avec sa mesure 6/8. La chanson est ainsi écrite et composée. Au cours de ce séjour qui dura quatre jours, l’ossature du refrain est fin prête. Mahmoud évoque aussi le compositeur Mohamed Benabdessalam qu’il avait entre les yeux au moment du travail. « Saa saida » est enregistrée en 1985 avec l’orchestre national et présentée, pour la première fois, à Beni Mellal au cours de l’une des soirées des régions, très accourues dans les années quatre vingt. Pendant l’une des fêtes organisées au palais, Hassan II demande à Mahmoud ce qu’il allait chanter. Ce dernier lui cite une série de chansons et le roi qui s’étonne, « et Saa saida ? ». Il faisait partie des millions de marocains ayant suivi, en direct à la télévision, le concert de la cité de « Ain asardoun ». Enregistré à la radio et distribué, en cassettes, par Hamid Alaoui et sa boite « Adoua al madina », Le refrain connaît un franc succès. «Saa Saida » de par sa thématique et son rythme, est de toutes les fêtes, familiales et nationales. Les chanteurs de café, cabarets et autres hotels s’en emparent. Il traversa même les frontières et fut reprise au Maghreb et en Orient. Abdou Dariassa l’interprète ainsi que Talal Maddah. Au 30 refrains de la mémoire Tubes de la variété marocaine 11 3 Maroc on connaissait la version du chanteur populaire Laasri, en vente en cassettes. Laila El Gouchi, la lauréate de studio 2M devenue chanteuse professionnelle, la revisite avec grâce et maestria. Mustapha Baghdad cordes inspiratrices Né à Marrakech en 1950, après son cursus d’études il finit enseignant au lycée Moulay Youssef à Rabat et plus tard professeur universitaire à la faculté des lettres Ben Msik de Casablanca. Producteur de plusieurs émissions à la radio (Daif zawal, araa fi al adab wa annakd, fi rihab al jamiaa) et à la télévision (hiwar wa fan », Mustapha Baghdad est auteur de livres sur le théâtre, « Le théâtre marocain avant l’indépendance) en 2000, « les premières pièces marocaines » en 2008, et de recueils de poésie Zajal (dialectale), « Min wahii al watar » en 1989 et « Assaki » en 2002. Directeur de plusieurs festivals sur la chanson marocaine et arabe et secrétaire général du Syndicat Libre des Musiciens Marocains, ses textes ont emprunté les voix de plusieurs chanteuses et chanteurs dont le complice Mahmoud Idrissi. 30 refrains de la mémoire 11 4 Tubes de la variété marocaine 30 refrains de la mémoire Tubes de la variété marocaine 11 5 «Un de ces jours, je reçois la visite d’un ami avec qui j’avais une mésentente. Il s’est présenté dans mon bureau au théâtre Mohammed V, où j’exerçais avant la retraite, pour s’excuser. De part et d’autre, on s’est fait des reproches et on a fini par se réconcilier. En me quittant, il me lance, « frère considère moi l’un de tes amis ». Après le départ du visiteur, Ahmed Tayeb El Alj, car il s’agit bien de lui, ne savait plus quoi faire. Il ne pensait qu’à une chose, écrire une chanson inspirée de la phrase prononcée par son ancien nouveau ami. Il se mit au travail et ponde : Khouyi aamalni min hbabek sal alia ou sal alia kif nsal alihoum. A peine la première ébauche mise sur papier et voilà le compositeur Abdelkader Rachedi qui se pointe, à l’improviste et par le pur des hasards. Quand El Alj lui fait la lecture du manuscrit, la couleur de son visage se transforme. Ainsi est le grand compositeur, d’une sensibilité a fleur de peau, il est métamorphosé quand il tombe sur un beau texte « zajal ». Et ce fut le cas avec ce qu’il vient d’entendre. « Tayeb, tu vas finir ton texte. Je ne sortirais d’ici qu’après l’avoir entre mes mains. ». Il bloqua la porte du bureau et attendit que El Alj finisse de mettre au propre « Khouyi ». Demande après moi de temps en temps pense à moi et ne m’oublie pas Qui sans toi mon amour peut comprendre ma situation Et peut m’excuser. Khouyi mon frère 30 refrains de la mémoire 11 6 Tubes de la variété marocaine La chanson une fois composée devait être interprétée par Naima Samih mais elle finit entre les mains de Latifa Raafat. Après de longues répétions, elle fut enregistrée au studio n1 de la radio avec l’orchestre national et les techniciens de son Abdelhak, Jabbar et l’alchimiste Mohamed Kawkabi. Le public la découvre ,pour la première fois, au cours d’une soirée à Sidi Kacem, retransmise par la radio. Chanson de l’année 1986, « Khouyi » vient enrichir le répertoire de la variété nationale et mis sur scène une nouvelle star, Latifa Raafat. 30 refrains de la mémoire Tubes de la variété marocaine 11 7 Piratée avant d’être mise sur le marché en cassettes, elle connue un franc succès au Maroc, dans les pays arabes et au sein des MRE. Hamid Alaoui, son producteur et distributeur, nous informe que quand il demanda au grand compositeur Abdelkader Rachedi le cachet de son travail, ce dernier répondit « pas le moindre centime. Tout ce que je souhaite, c’est que cette chanson soit un bon début pour la nouvelle voix ». Des paroles ciselées de main de maître, une composition sur « Makam al kurd » avec un brin du Malhoun et une interprétation magistrale. Ce sont les ingrédients qui font de « Khouyi » un refrain inoubliable. N’est -il pas toujours fredonné en toute circonstance ? Ahmed Tayeb El Alj une écriture du fond de la jarre Natif de Fès en 1928, Ahmed Tayeb El Alj commença son apprentissage, comme apprenti, chez un «maâlem menuisier». Maître menuisier à l’age adulte, entouré des amis Sekkat, Fouiteh, Mazgaldi , il reprend le chemin des études sur le tard. Outre Fès, la ville de Marrakech, où il séjourna à une certaine époque, lui permit d’approfondir ses connaissances dans les diverses facettes de la culture populaire. C’est ce patrimoine inépuisable qui lui inspira ses pièces et les paroles de ses chansons, interprétées par tous les grands noms de la scène nationale. Auteur prolifique, on lui doit une infinité de pièces (Hada, Wali Allah, Aitouna, Nechba..), de livres encyclopédiques et d’articles. En 1973 il reçut le Prix du Maroc de littérature et en 1975 la médaille du mérite intellectuel syrien. On attend avec impatience la sortie d’un recueil réunissant ses paroles chantées, emblématiques les unes que les autres. 30 refrains de la mémoire 11 8 Tubes de la variété marocaine 30 refrains de la mémoire Tubes de la variété marocaine 11 9 Ya jara wadina O voisin de notre ruisseau, viens égayer nos airs Le désir de nous voir, nous a tant angoissé Et seule la rencontre de nos âmes en délire Ressuscitera nos cœurs. Ya jara wadina mon voisin 30 refrains de la mémoire 12 0 Tubes de la variété marocaine La chanson «Ya jara wadina», écrite par M’hamed Hay, composée par Hassan Kadmiri et interprétée par Raja Belemlih, est considérée comme l’un des premiers refrains arabes «chababi», modernes. Au cours de l’édition 1979 «d’Adwa al madina» (les lumières de la ville), concours organisé par la radio avec la complicité de Hamid Alaoui et dont le but était la recherche de nouvelles voix pour donner du sang neuf et enrichir la scène musicale nationale, Raja Belemlih décroche le premier prix sous le nez de plus de 1500 concurrents. Son interprétation, avec grâce et maestria, de «Wahakika anta al mouna» de la diva Oum Keltoum au théâtre Mohammed V de Rabat, restera dans les mémoires. La lycéenne avait dix sept ans. Au cours du festival de la musique marocaine de 1985, organisé par le ministère de la Culture à Mohammedia, le parolier M’Hamed Hay décroche lui le prix des paroles avec «La tadaâni», composée par Aziz Hosni et interprétée par Soumaya Kaisar. Entre temps Rajaa Belemlih est devenue l’une des grandes chanteuses confirmées. En regardant la cérémonie de Mohammedia à la télévision et en écoutant la magistrale interprétation de Soumia Kaisar, elle ne pensait qu’à une chose, rencontrer le jeune auteur. Par l’intermédiaire du journaliste Niimi, le rendez-vous est pris. M’Hamed Hay est invité chez la chanteuse. En débarquant, il retrouve le compositeur Hassan Kadmiri en train de lui présenter des textes de grandes figures de la poésie marocaine. Instruite, n’a-t-elle pas décroché un DEA en littérature arabe à la fac de Rabat ? Passionnée par Fayrouz, sa voix et ses engagements, elle cherchait autre chose. M’Hamed Hay lui présente une dizaine de poèmes qu’elle lit attentivement avant de finir par choisir «Ya jara wadina». Le morceau est une quassida dite «mabtoura», c’est-à-dire sans fin. Avec le compositeur, on en choisi deux couplets. Après le dîner, elle demande à M’Hamed Hay de les lui faire entendre de sa propre voix, et de les écrire de ses propres mains dans un cahier d’écolier. Hassan Kadmiri 30 refrains de la mémoire Tubes de la variété marocaine 12 1 s’empare du texte et décide de lui trouver une composition digne de la jeunesse et de la beauté de Raja. «Quelque chose de moderne», disaitil. Et ça n’a pas été difficile pour quelqu’un qui a étudié à la mission, fréquenté, adolescent, les boites et les surprises parties et grand connaisseur des musiques occidentales. Le texte, écrit dans une langue arabe fluide et légère, s’y prêtait. La batterie et le saxophone donnent la voix et la diva entonne : Ya jara wadina Zaouir maghanina Achawk adnana Wa al waslou youhnina Ya jara wadina Zaouir maghanina Nous sommes dans les années quatre vingt. La world déferle sur la planète. «Ya jara wadina», qui réconcilia le public des classiques arabes et celui des tendances jazz, folk et rock, est considérée comme l’une des premières chansons arabes dites «chababia», refrain léger dans l’air du temps. Enregistrée chez Mahjoub au studio Zallagh à Casablanca, le public la découvre en 1986 au cours d’une soirée télévisée en direct du complexe sportif Mohammed V de Casablanca. Le lendemain, le refrain est repris et fredonné par grands et petits à travers tout le royaume et le monde arabe. Ce fut la chanson la plus demandée à la cantatrice au cours de ses différents concerts en Egypte et dans le Golf. Rajaa Belemlih, l’une des grandes et dignes ambassadrices de la chanson marocaine sur la scéne arabe, nous a quitté fin août 2007 à la fleur de l’âge, elle avait à peine 47 ans. Parmi ses reliques, le cahier d’écolier de M’Hamed Hay avec les mots manuscrits de «Ya jara wadina». 30 refrains de la mémoire 12 2 Tubes de la variété marocaine Hassan kadmiri des compositions dans l’air du temps C’est à Meknès, sa ville natale, que Hassan Kadmiri s’est découvert un penchant pour la musique. Enfant, il écoutait, en cachette, les programmes de la radio, sa boite magique et apprenait les chansons des troupes se produisant dans les mariages et autres fêtes. En revenant de l’école, il s’immobilisait devant le conservatoire de l’Ismailia avec, dans la tête, le rêve de devenir un jour un grand musicien. Sa décision est prise, le chemin fut long et difficile car la famille et la société marocaine de l’époque regardaient d’un mauvais oeil ces extra- terrestres que sont les artistes. «Musicien, c’est pas un métier sérieux» ne cesse de lui répéter le papa qui lui a fracassé, a coup de pieds, plusieurs luths. Bien que du même avis, la maman est plus conciliante. Ne lui a t’elle pas racheté le luth cassé, emprunté a un ami et n’a t-elle pas réparé, à Fès, le premier? Adolescent, Hassan commence à apprécier les musiques du monde, le classique, la variété et le jazz. Ce fut la période des premiers flirts, des boums et autres surprise - parties dans ce qu’on surnommait à l’époque «le petit Paris», Meknès la cosmopolite où coexistaient différentes ethnies et communautés. C’est là qu’il composa l’une de ses premières chansons, «ya sakiat alward», concoctée avec la complicité du poète Allal Khiari et interprétée par Maâti Benkacem. Fonctionnaire à l’OCP (Office Chérifien des Phosphates) à Rabat, il se lie d’amitié avec Ahmed Bidaoui et fréquente ses séances instructives au café Balima, Abderrahim Sekkat et Ali Haddani. La rencontre avec ce dernier fut un tournant décisif dans sa carrière. Avec Mohamed Lahyani, le troisième mousquetaire, le trio nous offrent «Yak al jarh bra», «Ma kain bass», «Ana horr», «La smaha ya hawa» et «Bard ouskhoun», chanson emblématique composée par Kadmiri à son interprète fétiche. Suivent une infinité de créations dont, entre autres, «Maghlouba» de Samira Bensaid et la mythique «Jara wadina» de Rajaa Belmlih... Hassan Kadmiri reste dans l’histoire de la chanson marocaine moderne un innovateur aux créations inspirées par l’air du temps. 30 refrains de la mémoire Tubes de la variété marocaine 12 3 Conception et réalisation Graphely Impression Imprimerie Toumi. Salé, mars 2009 Dépôt légal 2009 MO 1025 isbn 978-9954-432-76-0
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