Tunnel du Fréjus, rapport complémentaire - BEA-TT
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Tunnel du Fréjus, rapport complémentaire - BEA-TT
BEA-TT Bureau d'Enquêtes sur les Accidents de Transport Terrestre les rapports Rapport complémentaire d'enquête technique sur l'incendie de poids lourd survenu dans le tunnel du Fréjus le 4 juin 2005 juin 2008 Conseil Général des Ponts et Chaussées Le 25 juin 2008 Bureau d'Enquêtes sur les Accidents de Transport Terrestre Affaire n°BEATT-2005-006 Rapport complémentaire d'enquête technique sur l'incendie de poids lourd survenu dans le tunnel du Fréjus le 4 juin 2005 1 Bordereau documentaire Organisme (s) commanditaire (s) : Ministère de l'Ecologie, de l'Energie, du Développement durable et de l'Aménagement du territoire ; MEEDDAT Organisme (s) auteur (s) : Bureau d'Enquêtes sur les Accidents de Transport Terrestre ; BEA-TT Titre du document : Rapport complémentaire d'enquête technique sur l'incendie de poids-lourd survenu dans le tunnel du Fréjus le 4 juin 2005 N°ISRN : EQ-BEATT--08-5--FR Proposition de mots-clés : Incendie, poids lourd, sécurité, détection, fumée, simulation 2 Avertissement L'enquête technique faisant l'objet du présent rapport est réalisée dans le cadre du titre III de la loi n°2002-3 du 3 janvier 2002, et du décret n°2004-85 du 26 janvier 2004, relatifs aux enquêtes techniques après accident ou incident de transport terrestre. Cette enquête a pour seul objet de prévenir de futurs accidents, en déterminant les circonstances et les causes de l'évènement analysé, et en établissant les recommandations de sécurité utiles. Elle ne vise pas à déterminer des responsabilités. 3 Sommaire Glossaire...................................................................................................... 7 Résumé........................................................................................................ 9 1- Introduction..........................................................................................11 2- Reconstitution numérique de l'incendie du 4 juin 2005....................13 2.1- Méthode d'étude et modèles de reconstitution.................................................13 2.2- Détermination de la puissance thermique du scénario de référence................13 2.3- Etude du scénario R de référence.................................................................... 14 3- Etude de scénarios alternatifs de mise en oeuvre du désenfumage dans le cas de l'incendie du 4 juin 2005.................................................. 15 3.1- Désenfumage centré sur le foyer de l'incendie, avec même délai de mise en route que pour l'événement réel (scénario A)......................................................... 17 3.2- Désenfumage centré sur le foyer de l'incendie, avec mise en route au bout de deux minutes (scénario B).......................................................................................17 4- Etude de scénarios illustrant l'influence du lieu de l'incendie et des conditions atmosphériques...................................................................... 19 4.1- Risques mis en évidence par l'incendie du 4 juin 2005................................... 19 4.2- Présentation des scénarios alternatifs étudiés..................................................19 4.3- Cas d'un incendie à 1700 m de l'entrée française (Scénario V1).....................20 4.4- Cas d'un incendie à 8130 m de l'entrée française (Scénarios V2)................... 22 4.5- Cas d'un incendie à 10 730 m de l'entrée française (Scénario V3)..................24 5- Analyse et orientations préventives en cas de forte différence de pression entre les têtes..............................................................................27 5.1- Prise en compte des risques d'incendie dans les consignes d'exploitation du tunnel....................................................................................................................... 27 5.2- Orientations préventives concernant notamment les autocars.........................28 6- Expertise du poids lourd à l'origine de l'incendie (PL A)................ 31 7- Conclusions........................................................................................... 33 7.1- Facteurs de risques mis en évidence par l'étude.............................................. 33 7.2- Recommandation complémentaire...................................................................33 5 ANNEXES.................................................................................................35 Annexe 1 : Reconstitution numérique de l'incendie du 4 juin 2005 et étude de scénarios alternatifs - Fascicule 0 : Synthèse générale de l'étude...........................37 Annexe 2 : Consigne pour le transit des véhicules en tunnel lors d'un dépassement du seuil de différence de pression atmosphérique (SITAF/SFTRF).......................51 6 Glossaire DAI : Détection Automatique d'Incident CETU : Centre d'études des tunnels CIG : Commission Intergouvernementale MW : Mégawatt Pa : Pascal ppm : partie par million 7 Résumé Le présent rapport complète le rapport provisoire d'enquête technique sur l'incendie de poids lourd survenu dans le tunnel du Fréjus le 4 juin 2005, publié en mars 2006. L'ensemble du rapport provisoire et de ce rapport complémentaire constitue le rapport définitif. Les compléments reposent essentiellement sur une étude effectuée par le CETU et qui a porté sur : La reconstitution numérique de l'incendie ; l'étude de scénarios alternatifs de désenfumage ; l'étude de scénarios illustrant l'influence du lieu de l'incendie et des conditions atmosphériques. Cette étude a permis, parmi les 3 hypothèses de puissance d'incendie simulées (30 MW, 60 MW, 90 MW) de considérer qu'une puissance de 60 MW semble être l'hypothèse la plus proche de la réalité, bien qu'un peu faible, Elle a mis en évidence l'importance d'une mise en oeuvre rapide du désenfumage qui devrait normalement être obtenue grâce à la Détection Automatique d'Incendie, mise en place depuis lors dans le tunnel. Cette étude a également mis en évidence la persistance de situations potentiellement dangereuses en cas d'incendie, lorsque la vitesse du courant d'air initial est élevée. C'est le cas à proximité des têtes du tunnel, surtout lorsqu'il y a une différence de pression atmosphérique importante entre les deux têtes de tunnel. La consigne d'exploitation du tunnel prévoit un renforcement gradué des mesures préventives en fonction de cette différence de pression atmosphérique ; toutefois, le problème particulier posé par la présence possible d'autocars, lors d'un incendie survenant dans un tel contexte, devrait être l'objet d'une attention renforcée. En conséquence, une recommandation complémentaire aux concessionnaires, à la Commission intergouvernementale et au Préfet de la Savoie est émise, visant à mieux protéger le transit des autocars dans le tunnel et à vérifier l'efficacité des dispositions prévues pour la mise à l'abri des voyageurs en autocars en invitant les concessionnaires à les faire tester lors d'exercices. 9 1- Introduction Le présent rapport complète le rapport provisoire d'enquête technique sur l'incendie de poids lourd survenu dans le tunnel du Fréjus le 4 juin 2005, publié en mars 2006. L'ensemble du rapport provisoire et de ce rapport complémentaire constitue le rapport définitif. Les compléments reposent essentiellement sur une étude effectuée par le CETU* et qui a porté sur : La reconstitution numérique de l'incendie ; l'étude de scénarios alternatifs de désenfumage ; l'étude de scénarios illustrant l'influence du lieu de l'incendie et des conditions atmosphériques. La synthèse de ces études figure en annexe 1, l'ensemble est publié sur le site internet du BEA-TT. Par ailleurs, l'achèvement de l'expertise complète du poids lourd à l'origine de l'incendie a permis d'apporter un éclairage complémentaire sur le fait générateur de cet événement. * Terme figurant dans le glossaire 11 2- Reconstitution numérique de l'incendie du 4 juin 2005 2.1- Méthode d'étude et modèles de reconstitution L'étude réalisée par le CETU à la demande du BEA-TT a utilisé principalement un modèle numérique dit CFD (Computational Fluid Dynamics) effectuant une simulation tridimensionnelle des conditions rencontrées dans le tunnel dans les différentes hypothèses analysées. Sur cette base ont été précisées les conditions les plus plausibles du déroulement de l'incendie du 4 juin 2005, notamment en ce qui concerne la puissance thermique dégagée. Le scénario de référence R de l'incendie reconstitué a ainsi pu être analysé, ainsi que deux scénarios alternatifs A et B correspondant à des hypothèses différentes de mise en oeuvre du désenfumage. Par la suite, l'étude a été poursuivie à l'aide d'un modèle plus simple (monodimensionnel) pour d'autres scénarios d'incendies similaires, avec différentes hypothèses de localisation dans le tunnel ou de conditions atmosphériques externes. Les caractéristiques de ces modèles ainsi que les résultats obtenus sont décrits dans le rapport établi par le CETU ; on trouvera en annexe au présent rapport le fascicule 0 « synthèse générale de l'étude », l'ensemble du rapport du CETU étant par ailleurs accessible sur le site internet du BEA-TT (www.bea-tt.equipement.gouv.fr) Il convient de rappeler les précautions mentionnées en page 4 de l'étude du CETU concernant les limitations des simulations. De plus, la combustion des autres poids lourds rend d'autant plus complexes ces simulations. 2.2- Détermination de la puissance thermique du scénario de référence La reconstitution numérique du scénario de référence a été réalisée en conservant tous les paramètres connus de l'incendie réel : position du foyer, conditions atmosphériques, mise en oeuvre du désenfumage ; seule la puissance de l'incendie a dû faire l'objet d'hypothèses. Les calculs ont été effectués avec trois hypothèses de puissance de l'incendie : 30 MW, 60 MW et 90 MW. La reconstitution a porté sur la vitesse du courant d'air dans le tunnel (déterminant l'avancement du front de fumée), les températures, les conditions de visibilité et la toxicité (concentration en CO). Les résultats obtenus par calcul ont été comparés avec les valeurs qui ont pu être constatées au moment de l'incendie ; à défaut, la compatibilité de ces résultats avec les effets qui se sont produits a été vérifiée. Cette comparaison a permis de déterminer que parmi les 3 hypothèses étudiées, celle d'une puissance de 60 MW conduisait aux résultats les plus proches de la réalité du sinistre, bien qu'un peu faible, au vu des températures atteintes au voisinage du PL B ; ainsi, dans cette hypothèse, les concentrations en CO calculées permettraient d'expliquer le décès des victimes et ce sans prise en compte d'autres paramètres comme par exemple la concentration en suies particulièrement élevée dans cet incendie. L'hypothèse de 60 MW a été conservée pour les calculs de scénarios alternatifs afin de pouvoir comparer les résultats de la manière la plus pertinente possible. Il convient de noter que les prescriptions de la circulaire du 25 août 2000, relative à la sécurité dans les tunnels du réseau routier national, sont basées sur un incendie de référence d'une puissance de 30 MW. Cette différence conduira à s'interroger sur la maîtrise des risques engendrés par des incendies de très forte puissance. 13 2.3- Etude du scénario R de référence Ce scénario reprend l'hypothèse d'une puissance de 60 MW. Le schéma 1 ci-après illustre : La position au cours du temps des fronts de fumée, côté italien et français, selon les enregistrements vidéo réels, et selon les reconstitutions numériques du modèle pour les scénarios R, A et B ; La position du front de concentration en CO (monoxyde de carbone) à 1000 ppm*, pour les scénarios R, A et B ; ce seuil de 1000 ppm de CO, incapacitant en 30 mn, est également représentatif du front des fortes concentrations en particules de fumées, elles aussi toxiques, avec un effet aggravant par rapport au seul CO. Le parcours des principaux acteurs impliqués dans cet incendie (chauffeurs du PL C, Titan italien), ainsi que certains éléments du tunnel (abris) ont été figurés sur ce graphique. Le scénario R reconstituant l'incendie du 4 juin 2005 met en évidence une progression rapide du front de fumées, à une vitesse voisine de celle du courant d'air longitudinal local établi dans le tunnel avant le démarrage de l'incendie (un peu plus de 1 m/s ou 4 km/h). Il atteint l'abri 6, situé à 630 m du PL A, au bout de 7 mn. Compte tenu de la très forte production de fumées lors de l'incendie de pneumatiques et de leur déstratification rapide du côté « sous le vent », la visibilité était nulle derrière ce front au delà de quelques dizaines de mètres. Le front de concentration en CO1 supérieure à 1000 ppm (polluant et concentration choisis pour estimer la toxicité des gaz) progresse presque à la même vitesse que le front de fumées, et dépasse l'abri 6 après 9 mn. Les deux conducteurs slovaques étaient restés près de 30 mn dans cet environnement très agressif lorsqu'ils sont parvenus à la hauteur de l'abri 6 où ils sont décédés. * Terme figurant dans le glossaire 1 Comme le CETU le signale, l'impact sanitaire des fumées ne se résume pas au seul CO. Les victimes ont également inhalé une grande quantité de suies qui ont obstrué leurs voies respiratoires. Les effets de ces suies sont assez mal connues et il n'est pas possible de les quantifier. 14 3- Etude de scénarios alternatifs de mise en oeuvre du désenfumage dans le cas de l'incendie du 4 juin 2005 Ces scénarios ont pour objectif de tester des variantes du scénario de référence comportant d'autres hypothèses de mise en oeuvre du désenfumage. Suite à des difficultés de localisation du foyer, l'extraction n'a, en effet, pas été centrée sur le PL en feu : elle a été effectuée par ouverture des trappes 45 à 54, alors que le PL A se trouvait à proximité de la trappe 46 ; en outre, sa mise en route n'a pu avoir lieu que 8 mn et 36 s après l'arrêt de ce PL A. Deux scénarios ont été étudiés : Scénario A : le désenfumage est lancé sur les trappes 41 à 50, avec un bon centrage sur la position réelle du PL A, avec le même délai que le 4 juin 2005 (8 mn et 36 s). Scénario B : le désenfumage est lancé sur les trappes 41 à 50, deux minutes après le début de l'incendie. On peut supposer que c'est ce qui se serait produit si un système de détection automatique d'incident (DAI) qui était en cours d'installation lors de l'incendie, avait déjà été en service1. Ces scénarios conservent tous les autres paramètres de l'événement réel et notamment la position de l'incendie à 5938 m de l'entrée française et la même différence de pression atmosphérique entre les deux têtes de tunnel (100 Pa*) que le 4 juin 2005. Il n'a pas été étudié de scénario intégrant un contrôle automatique du courant d'air longitudinal, car ce scénario aurait été proche du scénario B du fait que l'incendie est situé dans une zone de faible vitesse de ce courant d'air (moins de 1 m/s). * Terme figurant dans le glossaire 1 Il convient de noter que comme tout système de détection, la DAI a un taux de fiabilité qui ne peut atteindre les 100% et qu'en outre, la première alarme qui remonte au PCC ne coïncide pas nécessairement avec l'arrêt du véhicule, ce qui peut entraîner une incertitude sur la localisation exacte de l'incendie 15 16 3.1- Désenfumage centré sur le foyer de l'incendie, avec même délai de mise en route que pour l'événement réel (scénario A) Côté italien, le front de fumée atteint l'abri 6 en 6 mn après l'arrêt du PL A ; il se stabilise après 12 à 13 minutes, entre l'abri 6 et l'abri 7, puis il reflue lentement et ne revient au niveau de l'abri 6 qu'après une trentaine de minutes. Les conditions de visibilité dans la zone critique entre le PL A et l'abri 6 ne sont donc guère modifiées par rapport au scénario de référence. Le front des 1000 ppm de CO progresse jusqu'à l'abri 6 à la même vitesse que dans le scénario de référence ; il s'y stabilise ensuite, contrairement à ce qui se passe dans ce scénario de référence. Cependant les concentrations en gaz toxiques et en suies, dans la zone parcourue par les chauffeurs du PL C, restent pratiquement les mêmes, à un niveau très élevé et la visibilité n'est pas améliorée ; de ce fait, leurs conditions de survie ne sont pas meilleures. Par ailleurs, côté France, la persistance d'une nappe de retour très chaude et concentrée en suies, plus importante qu'en scénario de référence, est de nature à gêner significativement l'intervention des sapeurs-pompiers. Ce scénario A n'apporte donc que très peu d'amélioration par rapport au cas réel. 3.2- Désenfumage centré sur le foyer de l'incendie, avec mise en route au bout de deux minutes (scénario B) Les fumées, mieux maîtrisées, se propagent jusqu'au PL D, puis n'avancent que très lentement et n'atteignent pas l'abri 6 qui reste donc visible et accessible ; l'intervention des secours est donc grandement facilitée du côté italien, tout au moins jusqu'à ce niveau qui se situe à plus de 600 m de l'incendie. Le front de haute toxicité (1000 ppm de CO) est très proche de celui des fumées et ne dépasse guère le PL D. Les deux chauffeurs du PL C auraient néanmoins dû séjourner près d'une dizaine de minutes dans un milieu hautement toxique, ce qui ne permet pas de conclure avec certitude qu'ils auraient survécu. Le délai de mise en route du désenfumage est donc un paramètre crucial et l'intérêt de la DAI, qui permet (sous réserve du taux de fiabilité de cet équipement) de réduire ce délai, est parfaitement démontré. Ce scénario B apporte ainsi une amélioration significative des conditions régnant dans le tunnel pour l'intervention des secours par rapport au cas réel. 17 4- Etude de scénarios illustrant l'influence du lieu de l'incendie et des conditions atmosphériques 4.1- Risques mis en évidence par l'incendie du 4 juin 2005 L'incendie du 4 juin 2005 a mis en évidence l'importance des risques résultant d'incendies de forte puissance en tunnel, avec la forte probabilité d'une impossibilité d'accès des services de secours par l'un des deux côtés. Alors que la réglementation technique applicable se réfère à des incendies de 30 MW, des incendies plus puissants peuvent être produits par des matériaux à combustion fortement exothermique et haut pouvoir fumigène tels que des pneus (cas du Fréjus), ou de la margarine et de la farine (cas du Mont-Blanc le 24 mars 1999). De tels cas peuvent se reproduire et doivent être envisagés dans les scénarios d'intervention et de secours. Il faut en effet alors faire face à des conditions ambiantes aggravées : déstratification rapide des fumées, très forte toxicité,et très forte opacité et température élevée. L'analyse du scénario B ci-dessus montre que, dans le nouveau contexte de sécurité mis en place au Fréjus (équipement en DAI, postes de secours en tunnel permettant une intervention rapide), la sécurité des usagers dans un cas similaire à celui du 4 juin 2005 serait nettement mieux assurée. Cependant le déroulement de cet incendie a bénéficié de deux facteurs favorables dont la présence ne serait nullement garantie en cas de nouvel incendie dans le tunnel : d'une part, la localisation de l'incendie dans une zone où la vitesse du courant d'air longitudinal préétabli était faible ; d'autre part, l'absence d'autocar parmi les usagers bloqués sous le vent de l'incendie ; or la présence d'un autocar, avec un nombre important de voyageurs éventuellement âgés ou handicapés, peut compliquer sensiblement l'action des secours et retarder la mise en sécurité des usagers. Rappelons que le 4 juin 2005 un autocar a été bloqué (sans dommage) du côté français au vent de l'incendie, et qu'un autre s'apprêtait à partir sur la plateforme italienne et aurait pu être bloqué sous le vent de l'incendie avec des conséquences potentiellement graves. C'est pourquoi d'autres scénarios ont été testés à l'aide des modèles numériques du CETU, en envisageant des incendies de même puissance localisés dans des zones à vitesse élevée du courant d'air longitudinal. 4.2- Présentation des scénarios alternatifs étudiés Ces scénarios ont pour objectif d'examiner les difficultés supplémentaires qui auraient pu être rencontrées dans des conditions plus défavorables. L'avancement du front de fumée au cours du temps est, en effet, directement lié au courant d'air longitudinal régnant dans le tunnel. La différence de pression atmosphérique existant entre les deux sorties du tunnel provoque un flux naturel en direction de l'Italie auquel se combine le soufflage d'air frais par les carneaux de ventilation (voir § 4.6.9.1 du rapport provisoire). En régime habituel, le courant d'air résultant se dirige généralement vers les deux extrémités du tunnel et possède donc un point de vitesse nulle situé à proximité du milieu de l'ouvrage. La vitesse de ce courant d'air est d'autant plus grande que l'on s'approche de la sortie française ou italienne ; elle est également influencée par la différence de pression atmosphérique entre ces deux sorties qui accélère 19 le courant d'air dans le sens de la différence de pression. L'un des objectifs du mode de ventilation mis en oeuvre en cas d'incendie est de parvenir à annuler la vitesse du courant d'air au droit du foyer afin de cantonner les fumées dans la zone d'extraction ; ceci va évidemment s'avérer difficile, voire impossible, si ce foyer se situe dans une zone de fort courant d'air initial. Le 4 juin 2005, le PL A se trouvait à proximité du milieu du tunnel, dans une zone de faible courant d'air et la différence de pression atmosphérique entre les deux têtes du tunnel était également faible (100 Pa). Il est donc apparu intéressant de réaliser des simulations avec un incendie de puissance équivalente (60 MW) qui se serait situé dans une zone de fort courant d'air. Les simulations ont été réalisées avec des incendies plus proche d'une tête de tunnel et en faisant varier la différence de pression atmosphérique entre les têtes de tunnel. Trois positions de l'incendie ont été retenues : Incendie à 1700 m de l'entrée française (Scénario V1) ; Incendie à 8130 m de l'entrée française (Scénarios V2) ; Incendie à 10 730 m de l'entrée française (Scénario V3). Compte tenu de la lourdeur des calculs et du temps qu'ils nécessitaient, seul le premier scénario a été étudié par simulation 3D ; les autres scénarios ont fait l'objet d'une analyse monodimensionnelle qui permet toutefois une bonne évaluation des conditions attendues en tunnel en matière de vitesse du courant d'air et d'enfumement. Tous ces scénarios comportent un incendie de puissance 60 MW, avec une mise en route du désenfumage au bout de 2 minutes environ, ainsi que la DAI devrait le permettre dans des conditions optimales. 4.3- Cas d'un incendie à 1700 m de l'entrée française (Scénario V1) Ce cas a été étudié par simulation en 3D. Les conditions atmosphériques retenues sont celles du 4 juin 2005 (différence de pression = 100 Pa) le désenfumage est mis en route au bout de 2 mn. Le courant d’air initial simulé est dirigé vers la France et sa vitesse est de 4 m/s. Les fumées sont donc balayées vers la tête française et la vitesse du front est assez proche de celle du courant d’air. La figure ci-après montre la propagation des fronts de fumée. 20 Côté français, la longueur enfumée est de près de 900 m après de 3 mn Cette zone enfumée atteint un maximum de 1350 m au bout de 7 mn, et s'étend alors presque jusqu'à la tête française du tunnel ; puis, elle reflue lentement pour se stabiliser à un peu moins de 300 m du point d'incendie au bout de 21 mn Du côté italien, la nappe de retour ne commence à se développer qu'au bout de 5 mn et se stabilise à une longueur d'environ 300 m, au bout de 14 mn. Le front de haute toxicité (concentration en CO à 1000 ppm) atteint une zone d'environ 300 m en 9 mn du côté français et atteint, 14 mn après le début de l'incendie, une extension similaire du côté italien. Le front de moyenne toxicité (300 ppm) s'est étendu jusqu'à 500 m du côté français avant de refluer. La concentration du CO étant aussi représentative de la concentration des particules de fumée, il apparaît que les fumées qui se sont étendues jusqu'à 900 m du côté français, produites alors que l'incendie n'était pas encore à pleine puissance et diluées par le courant d'air longitudinal, ne sont probablement pas très denses même si elles peuvent néanmoins atteindre une opacité gênante ; la visibilité est estimée à 20 m après 2 mn dans la majeure partie de la zone enfumée. On constate donc que dans un premier temps les fumées s'étendent du côté français à la vitesse du courant d'air préétabli ; mais le système d'extraction parvient ensuite progressivement à neutraliser la vitesse du courant d'air longitudinal, et ramène progressivement la zone enfumée sur 21 une section de 300 m environ de part et d'autre du point d'incendie. Dans ce scénario, les usagers arrêtés sous le vent de l’incendie seraient donc atteints rapidement par le front de fumée, mais ils ne devraient pas y séjourner très longtemps ni être exposés à une atmosphère très toxique sous réserve qu'ils se soient éloignés de plus de 300 m du foyer d'incendie. Certains pourraient cependant rencontrer des difficultés pour identifier l'abri 1 et s'y réfugier, celui ci se trouvant à 150 m côté français du foyer d'incendie et étant rapidement atteint par les fumées. L'arrivée rapide des agents de sécurité joue ici un rôle important. L'intervention des secours serait donc difficile, du côté français, mais, les usagers auraient tout de même, de bonnes chances de survie. 4.4- Cas d'un incendie à 8130 m de l'entrée française (Scénarios V2) Ces scénarios ont été étudiés à l'aide d'un modèle monodimensionnel ; ce modèle n'a pas permis de retracer les courbes de concentration en CO qui auraient souffert d'une trop grande imprécision. La figure ci-après montre l'avancement du front de fumée, côté italien, pour des différences de pression atmosphérique entre les deux têtes de tunnel de 100 Pa (cas du 4 juin 2005), 450 Pa et 600 Pa. La vitesse du courant d'air longitudinal préétabli vers la tête italienne, de l'ordre de 4 m/s pour 100 Pa, augmente avec la différence de pression entre les têtes de tunnel. Les seuils de différence de pression choisis pour l'étude sont voisins de ceux qui figurent dans le règlement de circulation du tunnel pour des mesures d'exploitation spécifiques, et notamment l'interdiction aux PL au dessus de 650 Pa. La puissance de l'incendie est égale à 60 MW, le désenfumage est mis en route au bout de 2 mn. 22 Abri n° 10 Abri n° 9 Abri n° 8 Différence de pression atmosphérique de 100 Pa (scénario V2a) En l'espace de cinq minutes, la fumée s'étend sur une distance d'environ 750 m en direction de l'Italie ; puis, elle reflue lentement. Même si l'action des secours peut être gênée au départ, les chances de survie des usagers paraissent donc bonnes s'ils quittent leurs véhicules pour rejoindre l'abri le plus proche. L'abri 8, situé à 670 m du foyer d'incendie, n'est que brièvement atteint par la fumée. Différence de pression atmosphérique de 450 Pa (scénario V2b) Au début de l’incendie, les fumées sont poussées vers la tête italienne par un courant d’air de 4 m/s environ. On peut estimer la vitesse du front (distincte de celle des fumées) à environ 5 m/s pendant 2 mn. Coté italien, les fumées sortent donc de la zone d’extraction au bout de 2 mn ; la zone enfumée atteint 900 m au bout de 3 mn. Le courant d’air n’est ensuite jamais inversé dans la zone enfumée ; le front continue donc sa progression jusqu’à la tête italienne, à une vitesse d’abord lente, puis de plus en plus rapidement, notamment dans la zone où le soufflage est actif à plein régime. On peut estimer le délai d’enfumage complet du tunnel jusqu'à la tête italienne à une vingtaine de minutes. Cependant ces fumées sont diluées par le courant d'air maintenu. Côté français, on rencontre au maximum une petite nappe de retour, allant jusqu'à la première trappe. 23 Si l'intervention des secours du côté français peut se dérouler dans des conditions normales, elle est rendue plus difficile du côté italien, voire impossible comme le 4 juin 2005. Le tunnel reste enfumé à la hauteur de l'abri 8. Différence de pression atmosphérique de 600 Pa (scénario V2c) L’analyse qualitative est identique à celle du cas précédent ; l’enfumage du tunnel est cependant un peu plus rapide, avec une vitesse initiale de 4,5 m/s. Ainsi, la longueur enfumée atteint 1100 m au bout de 3 mn, du côté italien ; tandis, qu'il n'y a aucune nappe de retour du côté français. Les conditions d'intervention des secours devraient donc être à peu près similaires au cas précédent. 4.5- Cas d'un incendie à 10 730 m de l'entrée française (Scénario V3) Ces scénarios ont été également étudiés à l'aide d'un modèle monodimensionnel ; ce modèle n'a pas permis de retracer les courbes de concentration en CO qui auraient souffert d'une trop grande imprécision. La figure ci-après montre l'avancement du front de fumée, côté italien, pour des différences de pression atmosphérique entre les deux têtes de tunnel de 100 Pa (cas du 4 juin 2005), 450 Pa et 600 Pa. La puissance de l'incendie est égale à 60 MW, le désenfumage est mis en route au bout de 2 mn. Abri n° 11 24 Différence de pression atmosphérique de 100 Pa (scénario V3a) La zone enfumée s'étend sur environ 1000 m en direction de l'Italie, au bout de 3 mn ; elle atteint un maximum d'environ 1300 m au bout de 5 mn, puis reflue ensuite lentement. Au droit de l'abri 11, situé à 630 m du point d'incendie, le tunnel est durablement enfumé. Même si ces fumées sont relativement diluées, les conditions d'intervention des secours peuvent être difficiles du côté italien, où ces fumées s'étendent durablement sur plus de 1200 m. Différence de pression atmosphérique de 450 Pa (Scénario V3b) Le courant d’air initial est très fort (+7 m/s au droit de l’incendie) et va donc s'étendre rapidement dans les premières minutes, avec cependant des fumées assez diluées. La zone enfumée atteint 1300 m du côté de l'Italie au bout de 3 mn. Le front se stabilise à 1800 m au bout de 6 mn, puis reflue très lentement. L'intervention des secours sera donc extrêmement difficile, voire impossible du côté italien. Côté France, une nappe de retour se développe, gênant également l'intervention des secours. Différence de pression atmosphérique de 600 Pa (scénario V3c) Le contrôle du courant d'air s'est dégradé par rapport au cas précédent (+7,5 m/s au droit de l'incendie) ; la zone enfumée atteint 1400 m, du côté de l'Italie, au bout de 3 mn. Le front continue ensuite sa progression pour sortir par la tête italienne au bout de 7 mn. La nappe de retour, côté France est très réduite, voire inexistante, facilitant l'attaque du feu de ce côté ; en revanche, l'intervention des secours du côté italien est rendue extrêmement difficile, voire impossible. 25 5- Analyse et orientations préventives en cas de forte différence de pression entre les têtes 5.1- Prise en compte des risques d'incendie dans les consignes d'exploitation du tunnel Malgré les gains de sécurité sensibles apportés par la DAI, qui permettent de viser un lancement du désenfumage au bout de deux minutes et par la présence de postes de secours en tunnel qui réduisent les délais d'intervention, on constate la persistance de situations potentiellement dangereuses. Les scénarios examinés ci-dessus ne visent évidemment pas à dresser une carte des risques résiduels dans le tunnel du Fréjus en cas d'incendie, mais ont mis en évidence des cas (scénarios des familles V2 et V3) où la mise à l'abri des usagers pourra s'avérer difficile, malgré les importantes améliorations réalisées ou prévues par les concessionnaires. Des situations de ce type se produisent lorsque la vitesse du courant d'air initial est élevée ; c'est le cas à proximité des têtes du tunnel, surtout lorsqu'il y a une différence de pression motrice1 importante entre les deux têtes de tunnel. Dans de tels cas, l'avancement du front de fumée est très rapide et ne peut pas toujours être résorbé par le système d'extraction, ce qui pourrait gêner considérablement l'intervention des secours, voire la rendre impossible, notamment s'il faut mettre à l'abri de nombreux usagers vulnérables tels que des passagers d'autocars. Ces éléments avaient déjà été mis en lumière dans l'étude SETEC TPI/Ferro & Cerioni en date du 02/12/2003 : Tunnel routier du Fréjus – Contrôle de la vitesse de l'air – Détermination des algorithmes de désenfumage. Cette étude avait pour but d'optimiser le processus de désenfumage pour différents scénarios d'incendie ; il est apparu que, lorsque la différence de pression motrice entre les deux têtes de tunnel est importante, le contrôle du courant d'air n'est pas assuré pour certaines positions d'incendie. Ainsi, avant l'incendie, une mesure de transit des autocars sous escorte avait été instaurée en cas de forte différence de pression. Après l'incendie, le règlement de circulation a été modifié, sur proposition de l'exploitant, notamment pour améliorer la sécurité des usagers en autocars : Le 29 juillet 2005 : la distance de sécurité entre un autocar suivant un véhicule de plus de 3,5 tonnes a été a été portée à un minimum de 300 mètres (article 6). De plus, la régulation de l'accès des autocars a été modifiée de manière à porter de 1500 à 2000 mètres, la distance entre 2 autocars (article2) ; le 26 janvier 2006 : la distance de sécurité à l'arrêt entre un autocar suivant un véhicule de plus de 3,5 tonnes a été portée à un minimum de 200 mètres (article 6). Dans un deuxième temps, l’exploitant a aussi été conduit à instaurer à titre préventif des mesures particulières pour le transit des véhicules dans le tunnel lorsque la différence de pression dépasse certains seuils. On trouvera en annexe 2 la consigne correspondante (CR1003 du 10/02/2006 décrivant les mesures à mettre en place lorsque les seuils de 500 et 650 Pa sont atteints). Cette consigne, prévoit notamment que : lorsque la différence de pression motrice entre les têtes dépasse 500 Pa sans dépasser 650 Pa, les autocars peuvent circuler soit isolément accompagnés d'un véhicule de patrouille, soit par groupes de 4 à 7, escortés sous alternat; en outre le tunnel est fermé aux transports de matières dangereuses. Les Conditions Minimales d’Exploitation (CME) mises en place le 1er mai 2007 ont complété cette consigne en fonction de la disponibilité 1 La pression motrice est la pression atmosphérique corrigée de la différence d'altitude entre les têtes de tunnel et de l'effet « cheminée » 27 des installations de ventilation et en autorisant le passage des convois de matières dangereuses sous alternat pour purger les plates-formes ; lorsque la différence de pression dépasse 650 Pa, le tunnel est fermé aux PL ainsi qu'aux autocars n'effectuant pas un aller-retour dans la journée (les autres restant soumis au régime décrit ci-dessus). Toutes ces mesures ont été présentées au Comité de Sécurité et ont été validées par lui. 5.2- Orientations préventives concernant notamment les autocars La consigne d'exploitation présentée ci-dessus prévoit effectivement un renforcement gradué des mesures préventives en fonction de la différence de pression atmosphérique entre les têtes. Lorsque la différence dépasse 650 Pa, l'interdiction des PL supprime tout risque de développement d'un incendie de forte puissance. Pour les différences de pression inférieures, la consigne ne permet cependant pas de prévenir certains risques mis en évidence par l'étude du CETU et notamment ceux qui apparaîtraient dans les scénarios des familles V2 et V3 présentés ci-dessus. Ainsi, la fermeture du tunnel aux matières dangereuses (lorsque le seuil de différence de pression dépasse 500 Pa) laisse circuler dans le tunnel des PL chargés de matières à fort potentiel calorifique et/ou fumigène en cas d'incendie mais non classées comme dangereuses, qui sont à l'origine des incendies du 4 juin 2005 au Fréjus et du 24 mars 1999 au Mont Blanc. Ces risques concernent particulièrement les autocars. Des convois escortés de 4 autocars ou davantage peuvent rassembler plus de 200 voyageurs, éventuellement âgés ou handicapés, qui devraient le cas échéant être mis à l'abri en très peu de temps. Même avec une escorte, dont la mission est aussi d’éteindre un début d’incendie, l'évacuation des autocars ne sera pas facile si le tunnel est enfumé, alors que les autocars paraîtraient encore offrir un abri précaire; l'acheminement vers les abris peut également être long, surtout si ceux-ci sont éloignés, dans le contexte actuel où certaines interdistances entre abris sont importantes. La capacité des abris actuels (20 à 60 m2 au sol) peut également se révéler insuffisante pour mettre à l'abri les voyageurs de plusieurs autocars. En cas d'incendie en présence d'un ou plusieurs autocars, la mise à l'abri des voyageurs peut donc présenter d'importantes difficultés. Il paraîtrait utile de sensibiliser les compagnies d'autocar aux contraintes liées aux passages dans les grands tunnels, comme le prévoit la recommandation R15 du rapport provisoire du BEA-TT (cette recommandation a d'ailleurs été partiellement prise en compte par l'arrêté du 3 janvier 2008, relatif au programme et aux modalités de mise en oeuvre de la formation professionnelle initiale et continue des conducteurs de transport routier de marchandises et de voyageurs, qui comporte un module sur la circulation dans les tunnels). D’autre part, il convient de veiller à la prise en compte de ce risque dans les exercices annuels ; les consignes données aux agents de sécurité doivent être préparées avec soin pour faire face aux différents cas de figure envisageables, et testées à l'occasion d'exercices. Les consignes d'exploitation doivent également être établies pour réduire le plus possible le risque d'apparition de situations difficiles à contrôler. En particulier il conviendrait, au delà d'un seuil de différence de pression à déterminer, d'éviter l'apparition possible de la situation la plus dangereuse, qui consisterait en la présence simultanée de poids lourds et d'autocars dans le tunnel, surtout si ces autocars peuvent être groupés. L'acheminement des autocars groupés et escortés, avec suspension de l'admission des PL pendant le transit du convoi, pourrait répondre à cette préoccupation. Les études mériteraient d'être poursuivies en ce sens, à partir des derniers éléments qui 28 viennent d'être apportés, et en fonction de l'évolution des équipements du tunnel. Recommandation R 18 (concessionnaires, CIG*, Préfet de la Savoie) : Approfondir l'analyse des risques liés, dans l'état actuel des équipements du tunnel, à la présence d'autocars sous le vent d'un incendie, ainsi que les scénarios de mises à l'abri des voyageurs . Sur la base de cette étude : Limiter, en présence de poids lourds, le nombre des autocars groupés en tenant compte de la capacité effective d'accueil des abris, adapter la consigne d'exploitation en cas de franchissement de certains seuils de différence de pression et, au-delà d'un seuil de différence de pression à déterminer, n'autoriser le transit d'autocars groupés qu'assorti d'une suspension de l'accès des PL pendant la durée de ce transit, veiller à la prise en compte de scénarios incluant des autocars dans les exercices annuels afin de vérifier la validité des dispositions de mise en oeuvre des plans de secours concernant ces voyageurs. * Terme figurant dans le glossaire 29 6- Expertise du poids lourd à l'origine de l'incendie (PL A) L'expertise du PL A a permis de déterminer l'origine de l'incendie qui se situe au niveau du turbo compresseur du poids lourd. Un turbo compresseur possède une alimentation et une évacuation d'huile, pour le lubrifier et former le film nécessaire au fonctionnement des paliers de l'arbre. L'huile est identique à celle qui lubrifie le moteur. L'alimentation est assurée par une tuyauterie souple qui se termine par un raccord vissé en partie supérieure et centrale du turbo compresseur. Or, le raccord côté turbo compresseur a été retrouvé nettement desserré, de l'ordre de deux filets. Il est donc hautement probable que l'huile sous pression est sortie par ce raccord insuffisamment serré et s'est vaporisée ; l'aérosol d'huile s'est alors enflammé au contact des parties très chaudes du moteur (bloc moteur, ligne d'échappement, etc...) et a mis le feu sur le flanc droit du moteur ; d'où les premières flammes observées légèrement en arrière de la roue avant droite. Il est à noter que l'implantation du turbo compresseur se trouve précisément dans l'alignement de l'endroit où les flammes ont été aperçues pour la première fois sur les enregistrements de la vidéosurveillance du tunnel et qu'il n'existe quasiment pas d'obstacle entre le turbo et la roue avant droite, si ce n'est une simple enveloppe en matière synthétique. D'autre part, il a été retrouvé sur certaines parties du turbo compresseur (tuyauterie de vidange et collecteur d'échappement) des pièces de fixation qui ne sont pas d'origine et qui pour certaines ne sont pas conformes. Ceci prouve que le turbo compresseur avait déjà été l'objet d'une intervention avec dépose et repose. Cet incendie a donc probablement pour origine un défaut d'entretien. On peut noter qu'il ne s'agit pas du cas le plus fréquent d'incident sur les turbo compresseurs qui consiste en une rupture de l'arbre par usure au bout d'un certain kilométrage. Dans ce cas, la perte de puissance du moteur est soudaine et brutale, alors que pour l'incident qui est à l'origine de l'incendie étudié dans le présent rapport, ce phénomène a pu se développer sur plusieurs minutes avant de provoquer l'arrêt du PL A. 31 7- Conclusions 7.1- Facteurs de risques mis en évidence par l'étude L'étude réalisée par le CETU a mis en évidence la persistance de situations potentiellement dangereuses, en cas d'incendie, lorsque la vitesse du courant d'air initial est élevée. C'est le cas à proximité des têtes du tunnel, surtout lorsqu'il y a une différence de pression motrice importante entre les deux têtes de tunnel. La consigne d'exploitation du tunnel prévoit un renforcement gradué des mesures préventives en fonction de cette différence de pression motrice ; toutefois, le problème particulier posé par la présence possible d'autocars, lors d'un incendie survenant dans un tel contexte, devrait être l'objet d'une attention renforcée. 7.2- Recommandation complémentaire Ceci conduit donc à émettre la recommandation complémentaire suivante : Recommandation R 18 (concessionnaires, CIG, Préfet de la Savoie) : Approfondir l'analyse des risques liés, dans l'état actuel des équipements du tunnel, à la présence d'autocars sous le vent d'un incendie, ainsi que les scénarios de mises à l'abri des voyageurs . Sur la base de cette étude : Limiter, en présence de poids lourds, le nombre des autocars groupés en tenant compte de la capacité effective d'accueil des abris, adapter la consigne d'exploitation en cas de franchissement de certains seuils de différence de pression et, au-delà d'un seuil de différence de pression à déterminer, n'autoriser le transit d'autocars groupés qu'assorti d'une suspension de l'accès des PL pendant la durée de ce transit, veiller à la prise en compte de scénarios incluant des autocars dans les exercices annuels afin de vérifier la validité des dispositions de mise en oeuvre des plans de secours concernant ces voyageurs. 33 ANNEXES Annexe 1 : Reconstitution numérique de l'incendie du 4 juin 2005 et étude de scénarios alternatifs - Fascicule 0 : Synthèse générale de l'étude Annexe 2 : Consigne pour le transit des véhicules en tunnel lors d'un dépassement du seuil de différence de pression atmosphérique (SITAF/SFTRF) . 35 Annexe 1 : Reconstitution numérique de l'incendie du 4 juin 2005 et étude de scénarios alternatifs - Fascicule 0 : Synthèse générale de l'étude 37 direction générale des Routes centre d’Études des Tunnels rapport d’étude Bureau d’Enquêtes sur les Accidents de Transports Terrestres Reconstitution numérique de l’incendie du 4 juin 2005 dans le tunnel routier du Fréjus et étude de scénarios alternatifs Rapport final Fascicule 0 Synthèse générale de l’étude Septembre 2007 Cetu centre d’Études des Tunnels Reconstitution numérique de l’incendie du 4 juin 2005 dans le tunnel du Fréjus Sommaire Objectifs de l’étude et méthodologie générale................................................. 4 Phase 1 : Préparation et calage du modèle........................................................5 Phase 2 : Reconstitution de l’incendie............................................................. 6 Phase 3 : Étude de scénarios alternatifs de désenfumage................................ 7 Phase 4 : Influence du lieu de l’incendie et des conditions atmosphériques extérieures......................................................................................................... 8 Influence de la position de l’incendie........................................................................................ 9 Étude monodimensionnelle de la propagation des fronts en fonction des différences de pression et de la position de l’incendie.................................................................................... 10 Conclusion générale de l’étude....................................................................... 10 3/11 centre d’Études des Tunnels Cetu Reconstitution numérique de l’incendie du 4 juin 2005 dans le tunnel du Fréjus Objectifs de l’étude et méthodologie générale L’étude présentée dans le présent rapport a été réalisée par le Centre d’Études des Tunnels à la demande du Bureau d’Enquêtes sur les Accidents de Transports Terrestres, dans le cadre de son enquête administrative sur l’incendie d’un poids lourd survenu le 4 juin 2005 dans le tunnel routier du Fréjus. Cet accident a fait deux victimes décédées. L’étude vise à préciser l’enquête technique du BEA-TT et à aider celui-ci à formuler ses recommandations sur les points relatifs au désenfumage du tunnel. On peut résumer ses objectifs comme suit : — Simuler numériquement l’évolution de l’enfumage de l’ouvrage au début de l'incendie, afin notamment de valider la méthode de calcul et d'estimer l'ordre de grandeur de la puissance thermique qui conduit aux conditions rencontrées le 4 juin 2005. — Estimer comment ces conditions auraient été modifiées, d’une part si la localisation de l’incendie avait pu être plus précise, et d’autre part si en outre le délai de mise en marche du désenfumage avait pu être réduit ; ces scénarios supposent des équipements qui n’étaient pas encore en fonction au moment de l’incendie mais le sont aujourd’hui. — Enfin, obtenir une vision du comportement probable des fumées si un incendie similaire survenait à un endroit différent dans l’ouvrage et/ou avec des conditions atmosphériques externes différentes, dans les conditions actuelles d'équipement du tunnel. Un certain nombre de cas ont été sélectionnés. L’étude a été menée à l’aide d’un logiciel industriel de mécanique des fluides numérique, technologie souvent désignée par Computational Fluid Dynamics ou CFD. Ce type de logiciel résout de façon approchée les équations fondamentales de la mécanique des fluides, éventuellement couplées à d’autres modèles physiques (réactions chimiques, transfert de masse entre phases, etc.), sur un maillage tridimensionnel (dit « 3D ») du domaine spatial étudié. Ce type de modélisation suppose de faire un certain nombre de choix entre plusieurs modèles possibles pour un même phénomène. Ces choix doivent résulter d’un compromis entre la précision recherchée, l’adaptation du modèle au problème physique étudié et le coût du calcul. Les calculs CFD transitoires (c'est à dire ceux qui simulent l'évolution des conditions dans le temps) peuvent en effet être extrêmement longs (de l’ordre de plusieurs semaines de calcul). Le fascicule 1 du rapport expose les choix de modélisation effectués. Il faut être bien conscient des limitations de ces simulations. La nature des équations interdit toute résolution exacte et leur difficulté impose des méthodes numériques complexes qui donnent une approximation de la solution et doivent entre autres tenir compte de phénomènes à caractère aléatoire comme la turbulence. Certains aspects ne sont pas modélisés ou ne le sont que de façon très schématique. Par ailleurs, les données et les paramètres physiques sont eux-mêmes soumis à des incertitudes. Il ne faut donc pas considérer les résultats comme des chiffres certains, mais plutôt s'attacher aux tendances que les simulations permettent de mettre en évidence. 4/11 Cetu centre d’Études des Tunnels Reconstitution numérique de l’incendie du 4 juin 2005 dans le tunnel du Fréjus L’étude s'est déroulée en quatre phases dont les résultats sont résumés dans les paragraphes suivants. Phase 1 : Préparation et calage du modèle Un nombre important de calculs préliminaires destinés à optimiser le calcul 3D ont été réalisés. Ils ont permis de mettre au point le maillage 3D ainsi que différents choix de modélisation. Le maillage représente un tronçon de tunnel d’une longueur approximative de 1300 m, soit un peu plus que la longueur de la zone d’extraction. Les conditions aux limites du domaine ont cependant été soigneusement ajustées pour tenir compte au mieux de l’écoulement dans le reste de l’ouvrage. On a pour cela utilisé des simulations monodimensionnelles (1D). Ce type de modélisation suppose que les variables physiques sont uniformes dans une section transversale donnée du tunnel. On ne reproduit donc pas les phénomènes de stratification des fumées, et la propagation du front est mal décrite. Cela interdit l’utilisation de tels modèles pour l’étude complète. En revanche, les calculs 1D sont très rapides et bien adaptés pour évaluer les conditions générales d’écoulement dans un ouvrage long comme le tunnel du Fréjus. Des simulations 1D ont donc été effectuées et comparées aux mesures anémométriques du 4 juin 2005 ; leurs résultats ont ensuite servi à caler les paramètres du modèle 3D. La gaine de désenfumage est modélisée afin que la répartition des débits d’extraction entre les trappes de désenfumage soit réaliste. Le modèle 3D prend en compte les effets dits de flottabilité (variation de la masse volumique de l’air en fonction de la température), la turbulence, le transfert de chaleur à travers les parois du tunnel. Le transfert de chaleur est modélisé explicitement dans la dalle de faux plafond car c’est à cet endroit que se produisent les transferts les plus importants. Le foyer est modélisé par une simple source de chaleur ; la réaction de combustion n’est pas simulée. Le calcul est ainsi beaucoup plus rapide et stable ; il donne des résultats physiquement acceptables dans la zone du foyer et réalistes lorsqu’on s’en éloigne. Pour des foyers aussi complexes et faisant intervenir des combustibles solides, les modèles de combustion « simples », c’est-à-dire nécessitant des temps de calcul raisonnables, ne donnent pas forcément de meilleurs résultats. La durée d’incendie simulée est de 24 minutes pour tous les calculs 3D. Le calcul s’arrête au moment où les premières modifications ont été apportées à la stratégie de désenfumage. Tenir compte de ces modifications aurait obligé à rallonger significativement le domaine de calcul ; en outre, on considère généralement que la sécurité des personnes est conditionnée par le déroulement des premières minutes de l’incendie. Enfin, les moyens dont dispose le Cetu ne permettent pas de simuler des durées plus longues en un temps de calcul raisonnable : une simulation de 24 minutes d’incendie avec les modélisations retenues nécessite deux à trois semaines de calcul. 5/11 centre d’Études des Tunnels Cetu Reconstitution numérique de l’incendie du 4 juin 2005 dans le tunnel du Fréjus Phase 2 : Reconstitution de l’incendie Après la phase de préparation et de calage du modèle, les premières simulations ont visé à retrouver par le calcul les conditions physiques rencontrées dans le tunnel au début de l'incendie du 4 juin 2005. Les principaux éléments factuels de l’incendie qui ont servi à élaborer les simulations sont les suivants : — Le poids lourd en feu, dit PL A, circulant dans le sens France-Italie, s’arrête à 5938 m de la tête française, c’est-à-dire près du milieu de l’ouvrage ; la puissance du feu commence à croître significativement à ce moment. — À cet instant, la ventilation sanitaire est en fonction avec un soufflage d’air frais dans tout le tunnel. Les conditions extérieures et la position centrale de l’incendie font que le courant d’air à cet endroit est faible, de l’ordre de 1 m/s dans le sens France-Italie. — Après quelques modifications de ventilation n’ayant pas entraîné de changement significatif des conditions aérauliques dans le tunnel, le désenfumage est lancé 8 minutes et 46 secondes après l’arrêt du PL A. 10 trappes de désenfumage sont ouvertes : une du côté France par rapport au PL A, 9 du côté Italie, alors que le désenfumage s’effectue théoriquement de manière symétrique par rapport au feu. — Les véhicules légers présents dans le tunnel traversent la fumée ou font demi-tour et sortent de l’ouvrage. Trois poids lourds (PL B, PL C, PL D) sont arrêtés par la fumée dans le sens Italie-France. Les chauffeurs des PL A, B et D sont évacués à bord de véhicules légers. Les deux chauffeurs du PL C, qui n’ont pas quitté immédiatement leur véhicule, sont piégés par la fumée et trouveront la mort. Ils seront tous les deux retrouvés au voisinage de l’abri 6, qui se trouve à un peu plus de 500 m du PL A du côté italien. La figure ci-dessous résume la disposition des véhicules dans le tunnel ainsi que la position des trappes de désenfumage et de l’abri 6. Figure 1: Position des véhicules et des issues dans le tunnel. Trois hypothèses ont été considérées pour la puissance maximale du feu : 30, 60 et 90 MW Pour chaque hypothèse, on a supposé une montée en puissance progressive en 7 à 11 minutes. 6/11 Cetu centre d’Études des Tunnels Reconstitution numérique de l’incendie du 4 juin 2005 dans le tunnel du Fréjus Les trois simulations réalisées permettent de retrouver l’évolution observée du courant d’air au droit de l’incendie, où la vitesse est initialement de moins de 1 m/s en direction de l’Italie puis, une fois le désenfumage en fonction, atteint environ 3,5 m/s dans cette même direction. En termes de déplacement des fronts de fumée, les trois hypothèses donnent des résultats assez conformes aux observations effectuées. Il n’est pas possible d’écarter l’une ou l’autre des hypothèses sur ce seul critère. L’hypothèse de puissance 30 MW apparaît en revanche trop faible lorsqu’on s’intéresse aux températures atteintes dans le tunnel. On remarque notamment que la température au voisinage du PL B aurait été trop basse pour que ce véhicule s’enflamme comme cela a été le cas. À l’inverse, une puissance de 90 MW semble surestimée. Le calcul prévoit pour cette puissance des températures d’air supérieures à 100°C sur une grande partie de la zone enfumée, ce qui impliquerait que les deux victimes, qui ont séjourné assez longtemps dans ces conditions, aient subi des brûlures dont il n’est aucunement fait mention par ailleurs. Une puissance de 60 MW semble donc être l’hypothèse la plus proche de la réalité du sinistre, bien qu’un peu faible, là encore au vu des températures atteintes au voisinage du PL B. Cette valeur a été retenue pour la suite de l’étude afin de faciliter la comparaison des résultats. Avec cette puissance d'incendie, les températures calculées au voisinage des différents équipements du tunnel : câble radio, éclairage, plots de jalonnement, etc. permettent d’expliquer les défaillances constatées. Les températures calculées dans les structures de génie civil sont également cohérentes avec les dégradations qu’elles ont subies. En termes de toxicité, le calcul avec une puissance de 60 MW donne des valeurs de l’ordre de 1000 ppm pour la concentration en CO à laquelle les victimes ont été exposées. On estime qu’un sujet moyen peut résister à de telles concentrations pendant environ 30 minutes. Passé ce délai, le sujet peut être toujours vivant mais dans l’incapacité de se soustraire au danger par ses propres moyens. L’impact sanitaire des fumées ne se résume cependant pas au seul CO ; les victimes ont également inhalé une grande quantité de suies qui ont obstrué leurs voies respiratoires. Les effets de ces suies sont assez mal connus et il n’est pas possible de les quantifier. Enfin, la visibilité calculée était, dans tous les cas considérés, nulle partout où de la fumée était présente (la progression n’était possible qu’à tâtons), et ceci dès les premières minutes du sinistre. Phase 3 : Étude de scénarios alternatifs de désenfumage Deux scénarios de désenfumage alternatifs ont fait l'objet de simulations 3D afin d'évaluer l’apport des équipements mis en fonction dans le tunnel postérieurement à l’incendie. Les conditions de l’incendie étaient celles du 4 juin 2005 (pressions atmosphériques, emplacement du foyer). L’hypothèse de puissance maximale de 60 MW a été utilisée. Pour ces deux scénarios, le désenfumage a été effectué à l’aide de 5 trappes de chaque côté de 7/11 Cetu centre d’Études des Tunnels Reconstitution numérique de l’incendie du 4 juin 2005 dans le tunnel du Fréjus l’incendie, contrairement à ce qui s’est passé le 4 juin 2005 (extraction avec une trappe côté France et 9 côté Italie). La seule différence entre les deux scénarios alternatifs était le délai de mise en fonction du désenfumage : 8 min 45 s (identique à ce qui s’est passé le 4 juin 2005) pour le scénario A, 2 min pour le scénario B. Ce dernier scénario peut être considéré comme une représentation de ce qui aurait pu se passer si le tunnel avait été équipé d’une détection automatique d’incident en fonctionnement à la date du sinistre. Les résultats du scénario A (désenfumage centré sur l’incendie mis en marche au bout de 8 min 45) ont montré que le front de fumée aurait eu le temps de se propager vers l’Italie bien au-delà de l’abri 6 avant que le désenfumage ne soit actif à plein régime. Une fois le désenfumage activé, le front de fumée est progressivement ramené vers la zone d’extraction. Cependant, on estime qu’il faut attendre environ 30 minutes pour que l’abri 6 soit de nouveau libre de fumée. La longueur du domaine modélisé dans le calcul ne permet pas d’être plus précis. En régime établi, c’est-à-dire une fois les conditions stabilisées dans le tunnel, le front de fumée côté Italie reste à l’intérieur de la zone d’extraction et l’abri 6 est donc hors de la zone enfumée. Les conditions subies par les deux chauffeurs du PL C auraient donc été très mauvaises (visibilité nulle, atmosphère toxique) pendant une vingtaine de minutes. Leur survie n’était donc pas garantie. Le scénario B (désenfumage en 2 minutes) donne des résultats plus satisfaisants en termes de sécurité. La progression du front de fumée en direction de l’Italie est fortement ralentie dès que le désenfumage atteint un niveau suffisant. Le front de fumée stagne pendant plusieurs minutes au voisinage du PL D avant de reprendre sa progression vers l’Italie. Il ne dépasse ensuite pas la limite de la zone d’extraction, et l’abri 6 ne se trouve donc jamais dans la zone enfumée. Cela crée des conditions beaucoup moins défavorables à l’autoévacuation des chauffeurs du PL C : pendant plus de 10 minutes, ils auraient ainsi eu moins de 250 m à parcourir pour sortir de la zone enfumée. Ils seraient donc probablement sortis de la fumée en effectuant le même parcours que dans l’incendie réel. Cela ne permet cependant pas de conclure avec certitude sur leurs chances de survie, l’atmosphère demeurant très nocive dans la zone enfumée. Du côté français, on observe pour les deux scénarios la remontée d’une nappe de fumée sur environ 150 m. Cette remontée de fumée aurait pu gêner l’intervention des secours, mais la longueur de la nappe reste modeste. Un troisième scénario alternatif de désenfumage avait été envisagé afin d’examiner en outre l’effet du système de contrôle automatique du désenfumage mis en fonction après l’incendie du 4 juin 2005. Ce scénario n’a toutefois pas fait l’objet d’une simulation 3D car les résultats auraient été proches de ceux du scénario B où le courant d’air est de fait bien contrôlé au droit de l’incendie. Phase 4 : Influence du lieu de l’incendie et des conditions atmosphériques extérieures Les différences entre l’incendie tel que reconstitué dans la phase 2 et les scénarios alternatifs étudiés dans la phase 3 portaient uniquement sur la commande de la ventilation du tunnel. Les autres paramètres n’ont pas été modifiés, notamment la différence de 8/11 Cetu centre d’Études des Tunnels Reconstitution numérique de l’incendie du 4 juin 2005 dans le tunnel du Fréjus pression atmosphérique entre les têtes et la position de l’incendie dans le tunnel. Or ces paramètres sont importants car ils déterminent les conditions aérauliques dans le tunnel, aussi bien au début de l’incendie qu’une fois le désenfumage mis en fonction. Il a donc été décidé de réaliser un calcul dans lequel le courant d’air initial serait plus fort ; dans les conditions météorologiques du 4 juin 2005, on aurait pu obtenir ces conditions si l’incendie s’était déclaré plus près d’une tête. Le nombre de combinaisons de paramètres étant très grand, on a également cherché à mettre au point une méthode plus rapide pour estimer les déplacements des fronts de fumée. Influence de la position de l’incendie Un calcul 3D a été réalisé en supposant que l’incendie se trouvait à 1700 m environ de la tête française (au lieu du PM 5938 qui est presque au milieu de l’ouvrage). La différence de pression atmosphérique entre les têtes a été prise égale à celle du 4 juin 2005, soit 100 Pa. La DAI et le système de contrôle du courant d’air ont été supposés installés et en fonctionnement comme c’est actuellement le cas (on rappelle que ces deux équipements n’étaient pas encore en fonction à la date de l’incendie). Le désenfumage a été supposé centré sur l’incendie et lancé en 2 minutes. La principale différence par rapport au scénario alternatif B est que le courant d’air initial était nettement supérieur, de l’ordre de 4 m/s dans le sens Italie-France. L’intérêt de ce calcul est d’évaluer la durée de la phase transitoire du désenfumage ainsi que les conditions au début de l’incendie dans un cas où le désenfumage est théoriquement performant mais où les conditions initiales ne sont pas très favorables. Ce courant d’air fort entraîne rapidement les fumées en direction de la tête française dans les premières minutes de l’incendie. La position du front se stabilise après 6 à 7 minutes d’incendie. Dans le même temps, une nappe de fumée se développe du côté italien. La longueur enfumée maximale est atteinte après 8 minutes d’incendie ; elle est de 1450 m environ. Le front de fumée côté France revient alors lentement vers le foyer et la zone enfumée se stabilise après une vingtaine de minutes sur une longueur légèrement inférieure à 600 m. En régime établi, les fumées sont bien maîtrisées mais la phase transitoire peut s’avérer problématique. Par exemple, un usager qui se trouverait à 400 m du foyer côté France verrait le front de fumée arriver sur lui moins de deux minutes après le début de l’incendie, à une vitesse d’environ 5 m/s (18 km/h). Il resterait dans la fumée pendant environ 10 minutes. Si l’usager se trouve plus près du feu, le front arrive plus vite sur lui et la durée d’exposition à la fumée est considérablement allongée. Les gaz toxiques auxquels seraient exposés ces usagers sont assez fortement dilués par le courant d’air ; les effets irritants des suies peuvent cependant être gênants. La longueur de l’ouvrage, et donc les forts courants d’air générés par la ventilation sanitaire, peuvent donc rendre problématiques les premières minutes d’un incendie même si le contrôle des fumées est bon une fois les conditions stabilisées. 9/11 centre d’Études des Tunnels Cetu Reconstitution numérique de l’incendie du 4 juin 2005 dans le tunnel du Fréjus Étude monodimensionnelle de la propagation des fronts en fonction des différences de pression et de la position de l’incendie Une multitude d’autres scénarios peuvent être envisagés en fonction de différents paramètres, notamment la différence de pression entre les têtes du tunnel et la position de l’incendie. Les étudier de manière exhaustive au moyen de simulations 3D serait extrêmement lourd. Il a donc été décidé de se concentrer sur le déplacement des fronts de fumée, qui est la principale variable influençant la sécurité des usagers, du moins dans un tel cas d’incendie de forte puissance produisant beaucoup de suies, où la visibilité est systématiquement nulle et la toxicité assez élevée dans la zone enfumée . Le déplacement des fronts de fumée peut être estimé à partir de simulations monodimensionnelles isothermes transitoires et d’une analyse experte des résultats à la lumière des résultats 3D déjà obtenus. On a en effet déjà récolté un certain nombre d’informations sur le comportement des fronts en présence d’un courant d’air plus ou moins bien contrôlé ainsi que sur les phases transitoires. Cette démarche permet d’estimer la longueur maximale de tunnel enfumée et la durée nécessaire pour atteindre le régime établi. Quatre scénarios ont ainsi été traités, correspondant à des différences de pression entre les têtes au-delà desquelles des mesures spécifiques d’exploitation sont prévues et à des positions de l’incendie dans le tunnel ne permettant qu’un contrôle assez approximatif du courant d’air. On atteint rarement, dans de tels cas, l’objectif de cantonnement des fumées. Le tunnel peut être totalement enfumé ; les phases transitoires peuvent également être très longues. Conclusion générale de l’étude Le désenfumage du tunnel du Fréjus lors de l’incendie du 4 juin 2005 n’a pas, pour différentes raisons, pu être effectué de façon optimale. La reconstitution de l’incendie a permis de préciser les conditions rencontrées par les usagers et les secours pendant l’événement. L’étude de scénarios alternatifs de désenfumage du même incendie a permis d’examiner l’impact des nouveaux équipements mis en fonction dans le tunnel après l’incendie et destinés à centrer l’extraction sur le foyer et à la déclencher plus rapidement. On peut retenir les points suivants : — Quel que soit le cas de figure, en raison de la forte puissance et du caractère très fumigène du foyer, les fumées ne sont pas stratifiées de telle sorte que, dans toute zone où de la fumée est présente, la visibilité est pratiquement nulle, ce qui rend très difficile l’auto-évacuation des usagers et l’intervention des secours. — Un désenfumage centré sur l’incendie permet d’éviter l’enfumage d’une grande partie du tunnel. Une fois les conditions stabilisées, la zone enfumée a une longueur d’environ 600 à 650 m. — Le délai de mise en marche du désenfumage a une influence très importante sur les conditions rencontrées par les usagers pris dans la fumée : si le désenfumage est mis 10/11 centre d’Études des Tunnels Cetu Reconstitution numérique de l’incendie du 4 juin 2005 dans le tunnel du Fréjus en marche très rapidement, la distance à parcourir pour sortir de la fumée est nettement moins longue. Le front de fumée n’atteint en outre jamais l’abri 6. — Dans tous les cas de figure, l’atmosphère dans la zone enfumée est très nocive et il n'est pas certain que la vie des deux chauffeurs aurait été sauvée par un désenfumage « optimisé » le 4 juin 2005. Ces résultats confirment l’intérêt des équipements aujourd’hui en place (détection automatique d’incident et contrôle du courant d’air) pour des situations d’incendie comparables à celle du 4 juin 2005. L'étude a par ailleurs examiné comment le même incendie pourrait se dérouler s’il se produisait en divers endroits du tunnel avec diverses conditions atmosphériques extérieures, notamment dans des cas plus défavorables, en tenant compte des équipements aujourd'hui en place. Les principales conclusions sont les suivantes : — Si le courant d’air au moment du déclenchement de l’incendie est élevé, du fait que celui-ci se déroule plus près d’une tête, ou que les conditions météorologiques sont défavorables, on trouve des résultats bien différents, avec notamment une longueur de tunnel enfumée beaucoup plus importante pendant la phase transitoire. La nocivité des fumées à grande distance du foyer est toutefois nettement moindre que dans un cas comme celui du 4 juin 2005. — La performance du contrôle du courant d’air longitudinal en fonction des différences de pression atmosphériques et de la position de l’incendie dans le tunnel conditionne la longueur enfumée en régime établi mais aussi la durée de la phase transitoire, qui peut dépasser les trente minutes. Le courant d’air initial conditionne essentiellement la longueur maximale de tunnel enfumée. 11/11 Annexe 2 : Consigne pour le transit des véhicules en tunnel lors d'un dépassement du seuil de différence de pression atmosphérique (SITAF/SFTRF) 51 BEA-TT Bureau d'Enquêtes sur les Accidents de Transport Terrestre Tour Pascal B 92055 La Défense cedex téléphone : 33 (0) 1 40 81 21 83 télécopie : 33 (0) 1 40 81 21 50 mèl : [email protected] web : www.bea-tt.equipement.gouv.fr