Grèce : Merkel et Hollande font pression pour arracher un accord

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Grèce : Merkel et Hollande font pression pour arracher un accord
SCIENCE & MÉDECINE
LA VACCINATION
DANS LA LIGNE
DE MIRE
SUPPLÉMENT
Mercredi 1er juillet 2015 ­ 71e année ­ No 21913 ­ 2,20 € ­ France métropolitaine ­ www.lemonde.fr ―
Fondateur : Hubert Beuve­Méry
Grèce : Tsipras et les Européens
dans la bataille du référendum
TERRORISME
▶ Le premier ministre grec
▶ Les dirigeants européens
▶ L’échéance du 30 juin
DROITE
a de nouveau appelé ses
concitoyens à voter non,
dimanche, lors du référen­
dum sur un accord entre
le pays et ses créanciers
attendent désormais l’is­
sue du vote des Grecs. Ils
appellent à voter oui pour
éviter le « Grexit » et ses ré­
percussions sur l’Eurozone
du remboursement du FMI divise face à Alexis Tsipras.
n’a plus qu’une impor­
Reportage à Athènes, où
tance relative. Européens
les Grecs restent stoïques
et Grecs se renvoient la
CAHIER ÉCO → LIR E PAGE S 2 À 5
responsabilité de la crise
ANALYSE ET DÉBATS → LIR E PAGE S 1 3 - 1 4
FAILLE SÉCURITAIRE
ENTRE LA TUNISIE
ET L’EUROPE
→
▶ La gauche française se
LIR E PAGE 2
PRIMAIRE
PRÉSIDENTIELLE :
L’ENJEU
DU FINANCEMENT
→
Charles
Pasqua,
le « parrain »
du gaullisme
LIR E PAGE 6
PEINE DE MORT
AUX ÉTATS-UNIS :
LE MAUVAIS
CHOIX
DES JUGES
→
LI R E P A G E 24
▶ L’ancien ministre
de l’intérieur, figure
du RPR, est mort
lundi 29 juin, à 88 ans
DISPARITIONS
→
FN
MARINE LE PEN,
CANDIDATE DANS
LA RÉGION NORD-PASDE-CALAIS-PICARDIE
LIR E P. 1 6 - 1 7
→
LIR E PAGE 7
RELIGION
A Courbevoie
(Hauts-de-Seine),
le 17 juillet 2008.
BRUNO LEVY POUR « LE MONDE »
ÉCONOMIE
UBERPOP CONTRE
TAXIS, LA GUERRE
FRATRICIDE
par jean-baptiste jacquin
U
berPop contre chauffeurs de taxis tradi­
tionnels, ils habitent souvent les mêmes
HLM en banlieue, sont issus de l’immigra­
tion récente et se disputent le même marché.
L’éruption de la concurrence d’Uber a provoqué la
colère des taxis, souvent « plombés » par le coût de la
licence, et qui peinent à gagner plus de 1 200 euros
par mois une fois payés l’ensemble de leurs frais,
pour des horaires de travail considérables. Beau­
coup de chauffeurs UberPop se lancent dans les rues
de la capitale pour une poignée d’heures par jour qui
leur donnent un complément de revenu ou de re­
traite. Deux dirigeants d’Uber France ont été placés
en garde à vue, lundi 30 juin, dans le cadre de l’en­
quête préliminaire sur les services mis en place par
la compagnie américaine, notamment l’application
UberPop, déclarée illégale par le gouvernement. Ils
ont été déférés au parquet mardi matin et devaient
se voir notifier une convocation pour être jugés ul­
térieurement.
→
LIR E L’ E NQU Ê T E PAGE 1 2
E T LE C A HIE R É CO PAGE 6
Les rockeurs
et les stars de
la pop inspirent
Hollywood
→
LIR E PAGE 8
Unecomédiejubilatoire!
télérama
Splendide. Coupdecœur.
studio ciné live
Drôlefrance
et touchant.
info
Une actrice en or.
le figaro
LE REGARD DE PLANTU
À LYON, DES
MOSQUÉES SOUS
PRESSION SALAFISTE
madame figaro
Euphorisant.
Passionnant.
marie claire
Unecomédielamboyante
.
l’express
la croix
Un feel-good movie lumineux.
Les Inrocks
Unepépitebrésilienne. Humouretémotion.
lecanardenchaîné
le jDD
CINÉMA
La vie des rockeurs et stars de
la pop inspire le cinéma, surtout
s’ils connurent des destins tragi­
ques, comme Brian Wilson, âme
tourmentée des Beach Boys,
au cœur du biopic Love & Mercy,
qui sort en salles ce mercredi.
Le scénariste Oren Moverman,
qui avait déjà retracé les parcours
chahutés de Bob Dylan (en 2007)
et Kurt Cobain (en 2010),
a travaillé avec le réalisateur Bill
Pohlad sur ce film qui réussit
à traduire le chaos intérieur
de ce génie de la musique.
→ LIR E
PAGE S 1 8 À 2 1
un film de
AnnA muylAert
actuellement
Algérie 180 DA, Allemagne 2,50 €, Andorre 2,40 €, Autriche 2,80 €, Belgique 2,20 €, Cameroun 1 900 F CFA, Canada 4,50 $, Côte d'Ivoire 1 900 F CFA, Danemark 30 KRD, Espagne 2,50 €, Finlande 4 €, Gabon 1 900 F CFA, Grande-Bretagne 1,90 £, Grèce 2,50 €, Guadeloupe-Martinique 2,40 €, Guyane 2,80 €, Hongrie 950 HUF,
Irlande 2,50 €, Italie 2,50 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 2,20 €, Malte 2,50 €, Maroc 13 DH, Pays-Bas 2,50 €, Portugal cont. 2,50 €, La Réunion 2,40 €, Sénégal 1 900 F CFA, Slovénie 2,50 €, Saint-Martin 2,80 €, Suisse 3,50 CHF, TOM Avion 450 XPF, Tunisie 2,50 DT, Turquie 9 TL, Afrique CFA autres 1 900 F CFA
2 | international
0123
MERCREDI 1ER JUILLET 2015
Faille sécuritaire entre la Tunisie et l’Europe
La France tente, en vain jusqu’ici, de mettre en place avec Tunis un plan global de lutte contre les terroristes
tunis - correspondant
B
ien avant les tragédies de
la plage de Sousse, le
26 juin, et du Musée du
Bardo, le 18 mars, en Tu­
nisie, la coopération en matière de
sécurité entre ce pays et ses partenaires étrangers devait être une clé
essentielle pour protéger cette
jeune démocratie. Si Tunis a annoncé, lundi 29 juin, avoir procédé
à des arrestations en lien avec le
pire attentat de son histoire
(38 morts), la question du défaut
d’organisation et de moyens face à
cette violence planait dans tous les
esprits lors du déplacement, le
même jour, sur les lieux, du ministre de l’intérieur français, Bernard
Cazeneuve, avec ses homologues
allemand et britannique.
Pour couper court à la polémique, le gouvernement tunisien a
annoncé qu’à partir de mercredi,
un millier d’agents de sécurité supplémentaires seraient déployés
autour des hôtels, des sites touristiques et sur les plages. Par ailleurs,
selon un proche de M. Cazeneuve,
ce dernier, après avoir témoigné de
sa solidarité, a assuré les autorités
tunisiennes que « courant juillet,
des sessions de travail seraient organisées avec Tunis sur la sécurisation des frontières et la protection
des sites sensibles ».
En dépit de ces assurances ministérielles, le bilan humain très
lourd de l’attaque sanglante de
Sousse lève le voile sur un échec
tunisien et international, celui de
la coopération. Tout au long de
l’année 2014, l’Union européenne
– en réalité surtout la France –, les
Emirats arabes unis et la Tunisie
promettaient de parvenir à un accord triangulaire permettant d’arrimer solidement le jeune régime
tunisien né de la révolution de
2011. La France fournissait des
moyens et de la formation permettant, notamment, avec l’entreprise Thales, de « créer une
frontière électronique » avec la Libye, les Emiriens finançaient et
Tunis protégeait son territoire.
Défiance
Fin 2014, les Emirats arabes unis
ont claqué la porte des discussions. « Ils ont considéré, rapporte
un témoin des négociations, que
les Tunisiens n’étaient pas fiables
et manquaient de crédibilité. »
Une défiance que les attentats du
Bardo et de Sousse n’ont pas estompée. Un haut diplomate tunisien a confirmé, lundi, au Monde,
que cette coopération trilatérale
« n’a pas encore décollé ». Elle portait, dans un premier temps, sur la
sécurisation des frontières du
Patrouille de police, sur la plage
de Sousse, le 28 juin. ABDELJALIL BOUNHAR/AP
côté libyen et du côté algérien,
dans les montagnes.
Il existe, en effet, deux voies
d’entrée pour les djihadistes sur le
sol tunisien. Les monts Chaambi
et Semmama dans le gouvernorat
de Kasserine, proche de la frontière avec l’Algérie, abritent la base
du groupe Okba Ibn-Nafaa, lié à
Al-Qaida au Maghreb islamique
(AQMI). Cette frontière est plutôt
« bien tenue » du côté algérien, selon les officiels tunisiens, notamment depuis l’attaque du Bardo
qui a conduit au déploiement de
forces de sécurité tunisiennes.
En revanche, la grande inquiétude pour la stabilité de la Tunisie
touche à l’autre frontière, à l’est,
celle partagée avec la Libye. Et là,
c’est le trou noir, car tout dépend
des équilibres politico-militaires
en Libye. L’Etat islamique s’est implanté dans certaines localités
Faute de
coopération
suffisante
avec l’Europe,
Tunis a fini par
se tourner vers
les Etats-Unis
libyennes à la faveur du chaos
général. Les auteurs de l’attentat
du Bardo ont été formés dans un
camp en Libye. Et il existe de
fortes présomptions pour que
Seifeddine Rezgui, le tueur de
Sousse, soit lui aussi lié à une
connexion libyenne.
Le même haut diplomate tunisien estime que « les besoins de la
Tunisie dépassent largement le ca-
dre d’une coopération bilatérale
France-Tunisie, c’est pourquoi nous
sollicitons tous nos amis au-delà de
la France : Etats-Unis, Allemagne,
Italie. Il faut juste coordonner, harmoniser, car il y a parfois des redondances ». Interrogé sur l’existence
d’éventuelles lenteurs liées à « une
susceptibilité tunisienne quant au
respect de sa souveraineté », un diplomate français assure que « la
Tunisie est un Etat souverain : ses
attentes touchent à des sujets régaliens, il est donc logique qu’il y ait
parfois des discussions ».
Faute d’accord global, la coopération se réduit, à ce jour, à des
liens bilatéraux, secteur par secteur. Le ministère de la défense
français traite ainsi directement
avec son homologue tunisien sur
la cession de quatre hélicoptères
Gazelle qui s’ajouteraient aux
sept appareils déjà cédés par la
Le dilemme d’une jeune démocratie
F
igureront-ils parmi les victimes collatérales du terrorisme djihadiste qui frappe
depuis plusieurs mois la Tunisie ?
Les acquis de la révolution de 2011
en matière de libertés publiques
sont-ils menacés par le durcissement du climat sécuritaire ?
Dans une Tunisie traumatisée
par les attaques contre le Musée
du Bardo le 18 mars (22 morts)
puis contre la station balnéaire
d’El-Kantaoui près de Sousse (38
morts) le 26 juin, la crispation
autoritaire qui saisit autant la
classe politique que l’opinion publique commence à susciter l’inquiétude des milieux de défense
des droits de l’homme.
Illustration de ce nouvel air du
temps, la ministre du tourisme,
Selma Elloumi Rekik, déclarait à
l’hôtel Riu Imperial Marhaba d’ElKantaoui, quelques heures après
le carnage revendiqué par l’organisation Etat islamique (EI) : « Des
mesures dures vont être prises.
Tout va changer maintenant. Il
faut prendre très au sérieux les attaques contre l’Etat, les abus de
langage, les excès. »
Face au péril djihadiste, le gouvernement tunisien cherche laborieusement à affiner une réponse sécuritaire à la hauteur des
enjeux.
Outre les attaques de l’EI au
Bardo ou à Sousse visant expressément les touristes étrangers, il
doit faire face à des maquis djihadistes issus de la mouvance AlQaida au Maghreb islamique
(AQMI) dans les monts Chaambi
et Semmama, à proximité de la
frontière algérienne, où une
soixantaine de soldats ou policiers sont morts depuis 2011.
Deux projets de loi
Dans ce contexte, les partisans
d’un durcissement de l’arsenal législatif afin d’élargir la marge de
manœuvre des forces de sécurité
ont le vent en poupe. Ils ont inspiré deux projets de loi dont l’Assemblée tunisienne doit prochai-
nement se saisir.
Le premier, connu sous l’appellation générale de « projet de loi
antiterroriste », vise à remplacer
un précédent texte adopté
en 2003, sous le régime du dictateur déchu Zine El-Abidine Ben
Ali. Les organisations des droits
de l’homme contestent trois de
ses dispositions : l’allongement
de six à quinze jours de la durée
de garde à vue de suspects sans
comparution devant un juge ;
mesures de surveillance, d’écoutes et d’infiltration de groupes
suspects échappant à un contrôle effectif du juge ; et enfin,
stipulation que les crimes de terrorisme sont passibles de la
peine de mort.
« Ce projet affaiblit les garanties
judiciaires auxquels a droit tout
suspect », déplore Mokhtar Trifi,
président du bureau de la Fédération internationale des droits de
l’homme (FIDH) en Tunisie.
Un second projet de loi alarme
également les milieux tunisiens
attachés aux acquis de la révolution de 2011. Visant à « réprimer
les attaques contre les forces armées », ce texte prévoit de lourdes
sanctions contre tout « dénigrement » des forces de sécurité et la
divulgation d’informations considérées comme des « secrets liés
à la sûreté nationale ». « Ce texte
accorde une protection exorbitante aux forces de l’ordre, dénonce M. Trifi. Il marque une dérive sécuritaire potentiellement liberticide. »
M. Trifi s’inquiète notamment
de « l’impunité » qu’il risque de
conférer aux auteurs d’actes de
torture. Une douzaine d’organisations des droits de l’homme présentes en Tunisie ont lancé une
campagne commune contre ce
projet de loi dont les dispositions
sont, à leurs yeux, « incompatibles avec les standards internationaux des droits humains ». Après
l’attaque de Sousse, la controverse promet de s’aigrir. p
f. b.
France. Mais cette nouvelle cession nécessite une remise en état
des Gazelle et donc un financement qui n’est pas encore acquis.
La France a donné des jumelles à
vision nocturne, des gilets pareballes et des véhicules, mais ses
moyens sont limités.
Retards
L’attentat du Bardo avait conduit
la France à envoyer à Tunis une
mission composée d’agents de la
Direction générale de la sécurité
intérieure (DGSI), de la police
antiterroriste et de magistrats
œuvrant dans le même domaine.
« On venait avec une vraie intention de travailler et d’apporter notre savoir-faire avec des moyens
humains et techniques, raconte un
membre de cette délégation. Malheureusement, cela a fait long feu,
nos gars n’ont même pas pu accéder à la scène de crime. »
Officiellement, Paris se félicite
« d’une relation qualitative avec la
Tunisie, notamment sur la formation ». La France a encadré la brigade d’élite de la garde nationale
ainsi que la « modernisation des
fichiers d’état civil » qui permettra
à la Tunisie de mieux coopérer
sur les retours de djihadistes de
Syrie et d’Irak. Le ministère français de l’intérieur constate, enfin,
que depuis l’attaque du Bardo, les
échanges de renseignements avec
Tunis se sont améliorés. « Les Tunisiens préfèrent travailler avec Interpol plutôt que directement avec
des homologues policiers étrangers : ils se sentent davantage respectés en tant qu’Etat », dit-on,
néanmoins, à Paris.
Les Français ne sont pas les seuls
à regretter les retards pris en matière de coopération. Les Allemands ont mené depuis un an
une cinquantaine d’actions ponctuelles mais ne sont pas parvenus
à globaliser cette aide. En revanche, l’Italie paraît entretenir des
relations confiantes, même si elles sont limitées en termes logistiques. Face à l’incapacité européenne et tunisienne à structurer
cette coopération et à la traduire
LE CONTEXTE
DÉMOCRATIE
La révolution tunisienne débutée en décembre 2010 aboutit le
14 janvier 2011 au départ du
président Zine El-Abidine Ben
Ali, après vingt-trois ans au pouvoir. Les élections en octobre 2011 ont vu la victoire du
parti islamiste Ennahda. Trois
ans plus tard, c’est son rival Nidaa Tounès, anti-islamiste, qui
s’impose dans les urnes.
TERRORISME
A partir de 2012, la mouvance
salafiste organisée autour d’Ansar Al-Charia s’affirme dans la
rue et les mosquées avant d’être
réprimée. Certains de ces groupes rejoignent les maquis du
mont Chaambi près de la frontière algérienne, liés à Al-Qaida
au Maghreb islamique (AQMI). A
partir de 2015, l’Etat islamique
menace la Tunisie à partir de la
frontière libyenne.
en termes de sécurité, Tunis a fini
par se tourner vers les Etats-Unis.
Le président tunisien, Béji Caïd
Essebsi, s’est rendu, le 21 mai, à
Washington. Au cours de son séjour, les Etats-Unis se sont engagés
à nommer la Tunisie « un allié majeur non-membre de l’OTAN », un
privilège. En février, avant le Bardo,
le département d’Etat avait « doublé » l’assistance économique et
« triplé » l’assistance en matière de
sécurité d’ici à l’année budgétaire
2016. Par ailleurs, des rumeurs – jamais confirmées – font rituellement état d’une présence de forces
spéciales américaines dans le Sud
tunisien à la frontière avec la Libye,
ou d’installations d’écoute. A Kasserine, les habitants parlent de
drones américains, une affirmation toujours démentie. p
frédéric bobin
et jacques follorou (à paris)
international | 3
0123
MERCREDI 1ER JUILLET 2015
Erdogan songe
à envoyer
l’armée en Syrie
La Turquie entend lutter contre l’EI
pour mieux contrer les Kurdes
istanbul - correspondante
R
éuni à Ankara, lundi
29 juin, le Conseil national de sécurité (MGK) a
examiné « en détail » les
menaces potentielles et « les mesures de sécurité qui s’imposent le
long de la frontière » turco-syrienne, selon un communiqué de
la présidence. Cette annonce n’a
fait que renforcer les spéculations
de la presse locale sur une intervention militaire turque dans le
nord de la Syrie.
La réunion intervient quelques
jours après le cri d’alarme lancé
par le président Recep Tayyip
Erdogan à propos de la formation
éventuelle d’un Etat kurde en
Syrie. Alarmé par les gains territoriaux des forces kurdes sur le terrain, le chef de l’Etat a rappelé vendredi 26 juin que son pays « ne
permettrait jamais la formation
d’un Etat » sur sa frontière sud,
une allusion à la création redoutée d’une région autonome kurde
au nord de la Syrie.
« Nous sommes prêts à toutes les
options en cas de menace à notre
sécurité », a renchéri le premier
ministre, Ahmet Davutoglu, dimanche 28 juin. Détaillées par la
presse turque, les mesures envisagées par Ankara consisteraient à
déployer 18 000 soldats sur une
bande de terre de 100 kilomètres
de long sur 30 kilomètres de large,
actuellement tenue par les djiha-
distes de l’Etat islamique (EI), l’Armée syrienne libre ou d’autres
groupes rebelles entre les villes de
Kobané et de Marea. La « ligne
Marea », comme écrit la presse,
devrait permettre à l’armée turque de réaliser la « zone de sécurité » réclamée, en vain, par Recep
Tayyip Erdogan depuis le début de
la guerre en Syrie en 2011.
Selon la presse turque, le président Erdogan et son premier ministre chercheraient à « faire d’une
pierre deux coups », débarrassant
la zone de la présence de l’EI dans
ses derniers bastions le long de la
frontière tout en empêchant les
forces kurdes syriennes de faire la
jonction entre les cantons de
Kobané (reprise aux djihadistes en
janvier 2015) et d’Afrin (au nordouest d’Alep). Lundi, l’agence de
presse Dogan a diffusé une vidéo
montrant des djihadistes en train
de poser des mines et de creuser
des tranchées aux abords de la
ville de Djarabulus, au nez et à la
barbe des soldats turcs postés de
l’autre côté de la frontière.
Impératif de prudence
De cette façon, les Turcs éclaircissent leur position dans le conflit
syrien. En octobre 2014, le président avait soulevé une vague d’indignation chez les Kurdes en déclarant que la ville de Kobané, encerclée par l’EI, « était sur le point
de tomber » entre les mains des
hommes en noir, un dénouement
A la frontière
avec la Syrie,
un soldat turc
regarde
la fumée des
combats
s’élever
de Kobané,
le 27 juin.
BULENT KILIC/AFP
présenté comme inéluctable sans
qu’il soit envisagé de le contrer.
Cette déclaration avait sonné le
début d’une vague de protestations sans précédent chez les Kurdes de Turquie, causant la mort
d’une cinquantaine de manifestants à l’automne 2014.
Aujourd’hui, M. Erdogan veut à
tout prix empêcher l’EI de gagner
du terrain, une façon de redorer
son blason auprès des forces de la
coalition. Membre de l’OTAN, la
Turquie avait jusqu’ici rechigné à
prendre une part active dans la
lutte contre le « califat » autoproclamé par l’imam Abou Bakr AlBagdadi, voici un an, laissant passer armes et combattants étrangers à travers les 800 kilomètres
de frontière qu’elle partage avec la
Syrie. Soupçonnés par les Kurdes
de complicité active avec l’EI, les
officiels turcs mettaient en avant
TURQUIE
Afrin
Tal Abyad
Alep
Mer
Méd.
Kobané
Marea
SYRIE
LIBAN
Damas
IRAK
100 km
l’impératif de prudence, arguant
du risque de représailles encourues par le pays, où les djihadistes
disposeraient de plus de
3 000 « agents » dormants, selon
une estimation récente des services secrets turcs (MIT).
Avant tout, Ankara voit d’un très
mauvais œil les récents gains territoriaux engrangés par les milices
kurdes des Unités de protection du
peuple (YPG, le bras armé du Parti
de l’union démocratique [PYD], affilié au Parti des travailleurs du
Kurdistan, le PKK, interdit en Turquie). En prenant Tal Abyad, un fief
de l’EI à l’est de Kobané, les Kurdes
syriens semblent en passe de concrétiser leur rêve d’une continuité
territoriale entre les trois cantons
kurdes de Syrie (Afrin, Kobané,
Djézireh). Une fois l’armée turque
installée à Marea, la jonction entre
Kobané et Afrin sera impossible.
Les Turcs n’ont qu’une crainte :
voir se répéter le scénario irakien
de formation d’une région autonome kurde, administrée de surcroît dans ce cas précis par un
parti inféodé au PKK. D’autant
que les combattants kurdes syriens, aidés dans leurs conquêtes
territoriales par les frappes de
l’aviation américaine, ont acquis
une certaine légitimité auprès de
la coalition anti-EI. Le chef du parti
kurde syrien PYD, Saleh Muslim, a
eu beau chercher à rassurer Ankara sur ses intentions, rien n’y a
fait, tant l’imaginaire turc vit dans
la hantise de la création d’un Kurdistan susceptible d’englober les
régions kurdophones de Turquie.
A l’évidence, l’armée turque
n’est pas très chaude pour entrer
en Syrie. Le chef d’état-major,
Necdet Özel, a dit qu’il souhaitait
attendre la formation du gouvernement de coalition issu des élections du 7 juin. « Entrer, c’est facile,
mais comment en sortir ? Tout
d’abord, il faut préparer le terrain
diplomatique, sans cela, le pays
sera en difficulté », soulignait l’ancien chef d’état-major Ilker
Basbug dans une interview au
journal nationaliste Sozcu. p
marie jégo
Le procureur général égyptien tué dans un attentat au Caire
Le magistrat, artisan de la répression contre les Frères musulmans, était une cible prioritaire des mouvements islamistes
L
e deuxième anniversaire de
la
révolution
du
30 juin 2013, qui a précipité
la destitution du président islamiste Mohamed Morsi par l’armée, devait être un jour de célébrations en Egypte. Cette journée
sera marquée par le deuil, après
l’assassinat du procureur général
Hicham Barakat, 65 ans, mort des
suites de ses blessures après l’attentat qui a visé son convoi devant
l’Académie militaire du quartier
d’Héliopolis, dans l’est du Caire,
lundi 29 juin. Huit personnes ont
été blessées dans l’explosion d’une
charge actionnée à distance.
La sophistication du mode opératoire oriente les soupçons en direction d’Ansar Bait Al-Maqdis
(« les Partisans de Jérusalem »), un
groupe djihadiste basé dans le
Sinaï qui s’est rebaptisé « Province
du Sinaï » après son allégeance à
l’Etat islamique (EI), en novembre 2014. Depuis l’été 2013, l’organisation a revendiqué les attaques
qui ont coûté la vie à des centaines
de policiers et de soldats, essentiellement dans la péninsule désertique. Elle est aussi à l’origine d’une
tentative d’assassinat contre l’ancien ministre de l’intérieur, Mohamed Ibrahim, en septembre 2013
au Caire, selon un mode opératoire similaire à l’attentat de lundi.
Paris et Washington ont
condamné cet acte terroriste, qui
constitue un nouveau revers pour
Abdel Fattah Al-Sissi. Elu président
en 2014 sur la promesse de lutter
contre le terrorisme, M. Sissi n’a
pas réussi à juguler la menace posée par l’EI et par une myriade de
nouveaux groupuscules armés
qui ont multiplié, au nom de la
« résistance populaire », des attaques de plus faible ampleur contre
des cibles étatiques, jusque dans le
delta du Nil et au Caire.
Pour les détracteurs du nouveau
pouvoir égyptien, cette escalade
dans la violence traduit l’échec de
la politique du tout-répressif menée, depuis l’été 2013, contre les islamistes, mais aussi contre l’opposition de gauche et laïque. Ils alertent sur la radicalisation d’une
frange islamiste en réaction à la répression féroce engagée contre la
confrérie des Frères musulmans,
classée organisation terroriste en
décembre 2013. La tentation éradicatrice des autorités égyptiennes a
conduit, en deux ans, à « plus de
41 000 personnes arrêtées, inculpées de crimes ou condamnées
après des procès injustes », selon
Amnesty International.
« Liquidation de juges »
En s’attaquant au procureur général, les auteurs de cet attentat ont
visé un personnage-clé du dispositif répressif. Opposant acharné
des islamistes, nommé procureur
général en juillet 2013 après la destitution du président Morsi,
Hicham Barakat a déféré en justice les responsables de la confrérie des Frères musulmans ainsi
que des milliers de ses sympathisants, dont des centaines ont été
condamnés à mort lors de procès
de masse expéditifs.
Les juges égyptiens ayant présidé à ces procès ont été désignés
comme une cible prioritaire de la
« Province du Sinaï » après la pendaison, le 21 mai, de six hommes
reconnus coupables d’avoir mené
des attaques en son nom. L’orga-
nisation a déjà revendiqué l’assassinat de deux juges et d’un procureur à Al-Arich, dans la péninsule
du Sinaï, le 16 mai, jour de la
condamnation à mort de
M. Morsi et d’une centaine de responsables des Frères musulmans
pour des évasions de prison et des
violences durant la révolte popu-
laire de 2011 ayant renversé Hosni
Moubarak. Dans une vidéo diffusée dimanche 28 juin, sous le titre
« Liquidation de juges », elle a réitéré ses menaces contre « la junte
d’oppresseurs (…) qui ont acquitté
les criminels et les corrompus et
jugé d’innocents musulmans ».
Les forces de sécurité égyptien-
nes ont été placées en niveau
d’alerte maximale. L’assassinat du
procureur général, remplacé par
son adjoint, Zakaria Abd El-Aziz
Osman, alimente les craintes
d’une extension de la menace terroriste à l’ensemble du territoire.
Le 10 juin, la tentative déjouée d’attentat contre le site touristique de
Louxor, dans le sud du pays, a réveillé le spectre des années noires
du terrorisme islamiste en Egypte
qui avait vu, dès les années 1980,
une vague d’attentats aveugles
contre l’appareil politique et sécuritaire, la minorité chrétienne et
l’industrie touristique du pays. p
hélène sallon
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MERCREDI 1ER JUILLET 2015
L’espionnage
économique,
priorité de la NSA
L’agence américaine a étroitement
surveillé plusieurs ministres
français de l’économie
L
a lutte contre le terrorisme, priorité de l’Agence
nationale de sécurité
américaine (NSA) et de
ses alliés ? Pas vraiment, à en
croire la nouvelle série de documents publiés lundi 29 juin par
WikiLeaks, en collaboration avec
Mediapart et Libération.
Après avoir mis en ligne, la semaine dernière, des comptes-rendus de surveillance visant les
communications des présidents
Chirac, Sarkozy et Hollande, les
nouveaux documents publiés par
WikiLeaks montrent que les communications d’au moins deux
ministres de l’économie – Pierre
Moscovici et François Baroin –
ont été surveillées par l’agence de
renseignement américaine.
Dans ces notes internes, classées pour la plupart no foreign (« à
ne pas partager à l’étranger »), la
NSA montre une connaissance
très précise du contenu d’une
conversation de Pierre Moscovici
avec le sénateur PS Martial Bourquin. Ce dernier met en garde
M. Moscovici contre une montée
du Front national en cas de suppression de l’allocation équivalent-retraite, un dispositif en faveur des chômeurs proches de
l’âge légal de la retraite. Le degré
de détail laisse peu de doute sur le
fait que la conversation a été
écoutée par la NSA.
Un autre document résume les
positions que s’apprête à prendre
François Baroin juste avant un
sommet du G7 et un sommet
du G20, en 2012. L’origine des in-
formations semble moins claire,
et pourrait provenir aussi bien
d’écoutes que de l’interception
d’un document interne de Bercy.
D’autres documents font un
point sur la position française en
matière de libre-échange, et notent que les critiques formulées
par Nicolas Sarkozy contre l’Organisation mondiale du commerce
(OMC) en 2008 « ne sont pas partagées par son gouvernement ».
Nouvelles révélations
Un seul document publié le
29 juin qui avait été partagé par la
NSA avec ses partenaires de l’alliance dite Five Eyes (Etats-Unis,
Canada, Australie, Grande-Bretagne, Nouvelle-Zélande) concerne
une information sur Jean-David
Levitte, l’ex-ambassadeur de
France à Washington. En 2008, un
rapport pointant le rôle d’entreprises françaises dans le scandale
« Pétrole contre nourriture », une
vaste affaire de détournement
d’argent dans le cadre d’un plan
d’aide à l’Irak assorti de contreparties, avait été publié. Une note
de la NSA informe que le rapport a
été qualifié de « scandaleux » par
l’ambassadeur, « parce qu’il ne
cite aucune entreprise américaine ». « L’ambassadeur affirme
que la plupart des entreprises françaises impliquées étaient des filiales d’entreprises américaines (…) ; il
prévoit de publier, avec l’accord du
ministère des affaires étrangères,
la liste de ces entreprises. »
Ces nouvelles révélations battent un peu plus en brèche la ligne
TC HAD
Onze morts dans
une opération de police
contre Boko Haram
Onze personnes, dont cinq
policiers, ont été tuées, lundi
29 juin, au cours d’une opération de la police contre des
islamistes de Boko Haram à
N’Djamena, deux semaines
après un double attentat sans
précédent dans la capitale.
Selon des sources officielles,
l’opération a commencé
dimanche soir avec l’arrestation du « cerveau » de Boko
Haram au Tchad et au nord
du Cameroun – un Nigérian,
qui « se nomme Bana Fanaye,
alias Mahamat Mustapha », a
précisé le parquet. – (AFP.)
Y ÉMEN
Un attentat antichiite
fait au moins 28 morts
Au moins 28 personnes ont
été tuées lors d’un attentat,
dans la nuit du lundi 29 au
mardi 30 juin, contre la
résidence à Sanaa des frères
Fayçal et Hamid Jayache, des
dirigeants de la rébellion
chiite houthiste, a annoncé
une source médicale. – (AFP.)
Mercredi 1er juillet à 20h30
Christian ECKERT
Invité de
Emission politique présentée par Frédéric HAZIZA
Avec :
Françoise FRESSOZ, Frédéric DUMOULIN et Olivier BOST
Et
sur le canal 13 de la TNT, le câble, le satellite, l’ADSL, la téléphonie mobile, sur iPhone
et iPad. En vidéo à la demande sur www.lcpan.fr et sur Free TV Replay.
www.lcpan.fr
Pierre Moscovici et François Baroin, ici, le 17 mai 2012, à Bercy. CYRIL BITTON/FRENCH POLITICS POUR « LE MONDE »
Les Etats-Unis
obtiennent ainsi
des informations
susceptibles
de leur conférer
un avantage
économique
de défense de la NSA depuis le début des révélations, en juin 2013.
Beaucoup de responsables américains se sont défendus de pratiquer l’espionnage économique,
citant la sécurité nationale
comme critère principal de la surveillance menée par les EtatsUnis. « Ce n’est pas un secret que
les services collectent des informations sur des questions économiques et financières. Ce que nous ne
faisons pas, comme nous l’avons
dit à de multiples reprises, est d’utiliser nos capacités de surveillance
de l’étranger pour voler des secrets
commerciaux de compagnies
étrangères au nom – ou pour leur
donner des informations que nous
collectons – d’entreprises américaines afin d’accroître leur compétitivité », expliquait James Clapper, le directeur du renseignement américain, après que des documents d’Edward Snowden ont
révélé que la NSA avait espionné
l’entreprise brésilienne Petrobras.
Les documents publiés par
WikiLeaks montrent qu’au
contraire, les Etats-Unis n’hésitent pas à mobiliser leurs agences
de renseignement, et leurs énormes moyens, pour collecter des
informations stratégiques susceptibles de leur conférer un
avantage économique – et parfois
à partager ces informations avec
leurs alliés. L’un de ces documents liste des cibles stratégiques
pour l’agence de renseignement :
y figurent des secteurs économiques aussi variés que les télécommunications, la santé et l’énergie.
Par ailleurs, la posture morale
adoptée par les Etats-Unis face à la
Chine en matière d’espionnage
économique est de plus en plus
difficile à tenir. La presse américaine lève fréquemment le voile
sur des cyberattaques téléguidées
de Pékin contre des intérêts américains, notamment économiques. Des attaques que la Chine
dément systématiquement et que
Washington condamne en s’appliquant à présenter la Chine comme
ne respectant pas les règles du
commerce international. Des règles que les Etats-Unis semblent
tout aussi disposés à ignorer. p
martin untersinger
et damien leloup
LE CONTEXTE
SNOWDEN, WIKILEAKS
Les premières révélations sur les
activités de l’Agence nationale
de sécurité américaine (NSA) ont
été publiées en juin 2013 par le
quotidien britannique The Guardian. Elles ont été rendues possibles grâce à un ex-consultant de
la NSA, Edward Snowden, qui a
extrait des milliers de documents confidentiels du cœur
même d’un système mondial de
surveillance. Grâce à une partie
de ces pièces, Le Monde a pu révéler, à partir d’octobre 2013, les
agissements de la NSA à l’encontre de la France. WikiLeaks, pour
sa part, ne fait aucun lien entre
ses documents de la NSA et les
archives Snowden.
La Cour suprême américaine
maintient le principe des injections létales
La question divise profondément les juges, qui se sont prononcés pour par 5 voix contre 4
san francisco - correspondante
P
ar cinq voix contre quatre,
la Cour suprême des EtatsUnis a confirmé, lundi
29 juin, la constitutionnalité de la
méthode d’exécution par injection létale. Les opposants à la
peine de mort ont été déçus mais
pas surpris : la Cour avait déjà approuvé l’injection létale en 2008.
Ils espéraient néanmoins que les
exécutions ratées et les méthodes
opaques auxquelles les Etats ont
recours pour préparer leur cocktail de drogues mortelles auraient
fait évoluer les neuf « sages ».
Au contraire. Les divisions de la
Cour sont apparues plus vives que
jamais sur un sujet auquel elle est
régulièrement appelée à statuer,
mais qu’elle avait essayé d’éviter
depuis sept ans. Quatre juges ont
lu leur opinion de leur fauteuil,
procédure rare, plutôt que de se
borner à la publier. L’ensemble de
la décision compte 127 pages, soit
nettement plus que celle qui a été
rendue par les juges le 26 juin légalisant le mariage homosexuel.
Saisis par quatre condamnés à
mort de l’Etat de l’Oklahoma,
l’Etat où l’exécution-calvaire du
détenu Clayton Lockett avait duré
quarante-cinq minutes en 2014,
les juges ont estimé que les plaignants n’avaient pas apporté de
manière convaincante la preuve
que le midazolam, le sédatif employé, n’était pas suffisamment
efficace pour empêcher la douleur. Celle-ci contrevient au
8e amendement de la Constitution, qui prohibe les traitements
« cruels et inhabituels ». C’est en
invoquant cet amendement que
les détenus peuvent parvenir à
faire remonter leur cause jusqu’à
la juridiction suprême du pays.
Le juge Samuel Alito, qui a rédigé l’opinion majoritaire, a rappelé que la Cour a déjà considéré à
plusieurs reprises que « la peine
de mort n’est pas en soi anticonstitutionnelle ». A propos de l’inefficacité du midazolam, il a expliqué
qu’il revenait aux détenus et à
leurs avocats « d’identifier une
méthode d’exécution différente et
disponible qui procure un risque
moindre de souffrance ». La Cour,
autrement dit, a reporté sur les
détenus la responsabilité de
trouver des produits qui font
moins souffrir…
« Mon corps est en feu »
Les juges conservateurs ont estimé que les opposants à la peine
de mort, en empêchant l’accès
des détenus à des produits plus
fiables, portaient en fait la responsabilité de la cruauté infligée
aux détenus. Le juge Alito s’est
plaint des « efforts pour rendre impossible aux Etats de se procurer
Quatre juges ont
lu leur opinion
de leur fauteuil,
procédure rare,
plutôt
que de se borner
à la publier
des médicaments qui pourraient
être utilisés pour mener à bien la
peine capitale avec peu, voire
aucune souffrance ». Le juge Antonin Scalia a tonné, lui aussi,
contre le mouvement abolitionniste dont l’unique souci est
d’empêcher les Etats de se procurer les substances adéquates.
Depuis 2010, les laboratoires
européens refusent d’exporter du
thiopental aux fins d’exécution.
Le fabriquant Hospira a arrêté la
production aux Etats-Unis en janvier 2011. Certains Etats ont maintenant recours à de petits laboratoires pharmaceutiques qu’ils
refusent d’identifier.
L’un des quatre détenus à l’origine de la plainte, Charles Warner,
a été exécuté en janvier, lorsque la
Cour a refusé d’examiner son recours. Ses derniers mots ont été
« mon corps est en feu ». Malgré
l’avis des experts qui ont témoi-
gné de l’impossibilité d’assurer
que le midazolam est suffisamment puissant pour garantir que
le condamné ne souffre pas, la
Cour a jugé que rien n’était
prouvé. Dans son opinion minoritaire, la juge Sonia Sotomayor a
exprimé l’horreur d’envisager
l’injection des deux substances
censées paralyser le cœur et les
poumons du condamné si la première n’a pas agi. Ce serait « l’équivalent chimique d’être brûlé sur le
bûcher », s’est-elle indignée.
Comme Mme Sotomayor, le juge
Stephen Breyer a estimé qu’un
nouveau débat à la Cour suprême
était nécessaire, qui verrait cette
fois la constitutionnalité de la
peine elle-même réexaminée. Le
temps est venu de réexaminer le
8e amendement, a-t-il estimé, et
de l’interpréter « au regard de
l’évolution des standards de décence qui marque le progrès d’une
société qui mûrit ». La même question a été posée par la juge Ruth
Ginsburg : « Est-ce que la peine de
mort elle-même est constitutionnelle ? » Ce à quoi le conservateur
Antonin Scalia n’a pas manqué de
rétorquer d’une pique à l’adresse
de ceux qui ont voté pour le
mariage homosexuel : « A la
différence du mariage gay, la peine
de mort est approuvée par la
Constitution. » p
corine lesnes
planète | 5
0123
MERCREDI 1ER JUILLET 2015
Une seconde de plus pour accorder les temps
Le 30 juin sera prolongé d’une seconde pour compenser le ralentissement de la rotation de la Terre
A
Reste à savoir quand introduire
une seconde intercalaire. L’opération ne peut pas se faire sur une
base régulière, comme on ajoute
tous les quatre ans une année bissextile au calendrier. Le ralentissement de la Terre variant de manière irrégulière et aléatoire, la solution consiste à le prévoir le plus
fidèlement possible, à partir
d’une multitude de paramètres
géophysiques. C’est à l’IERS qu’il
revient d’effectuer ces prédictions
et d’en déduire l’écart présumé
entre temps astronomique et
temps atomique. Si l’écart attendu dépasse 0,9 seconde, l’IERS
annonce alors l’ajout, sous un délai de six mois, d’une seconde intercalaire, insérée le 30 juin ou le
31 décembre. « Notre tâche
consiste à remettre les pendules à
l’heure », sourit Daniel Gambis.
C’est ce qui va se passer mardi
30 juin à 23 h 59 min 59 s UTC
(soit le 1er juillet à 1 h 59 min 59 s
heure de Paris). Officiellement,
cette dernière seconde avant minuit durera deux secondes, durant lesquelles l’UTC « attendra »
un peu la Terre.
u prochain top, il sera
23 heures 59 minutes et
60 secondes. » Voilà ce
que pourrait annoncer
l’horloge parlante, dans la nuit du
30 juin. C’est la date qui a été retenue par le Service international de
la rotation terrestre et des systèmes de référence (IERS) pour glisser une « seconde intercalaire »
dans les rouages huilés du temps.
Pas de quoi rattraper du sommeil
perdu, certes, mais cette seconde a
son utilité : faire coïncider deux
échelles de temps, celle basée sur
la cadence immuable des horloges
atomiques, et celle basée sur la rotation de la Terre, qui connaît
quelques fluctuations. Utilisée
25 fois depuis 1972, cette petite astuce est cependant régulièrement
remise en question par certains
métrologues. Son sort doit
d’ailleurs être décidé en novembre prochain à Genève, lors de l’assemblée de l’Union internationale
des télécommunications.
Pourquoi cette petite seconde
suscite-t-elle pareil débat ? Il faut
remonter à la seconde moitié du
XXe siècle, lorsque fut redéfinie la
seconde. Avant cette date, les métrologues mesuraient le temps
grâce à des paramètres astronomiques. Un jour correspondait
ainsi à la durée qui sépare deux
passages du Soleil au-dessus du
méridien de Greenwich à midi.
Ainsi défini par le GMT
(Greenwich Mean Time), chaque
jour pouvait être divisé en 24 heures égales, puis en 1 440 minutes,
et enfin en 86 400 secondes.
2 millisecondes par siècle
Mais la donne change en 1955
avec l’arrivée sur le marché des
horloges atomiques au césium,
popularisées par les Britanniques
Louis Essen et Jack Parry. Grossièrement résumé, le principe de ces
instruments consiste à exciter
des atomes de césium-133. Ce faisant, ces derniers émettent une
radiation pérenne et mesurable,
qui se répète très exactement
9 192 631 830 fois en une seconde
astronomique.
Avec un décalage d’une seconde
tous les trois millions d’années,
cette mesure du temps dit atomique (ou TAI) est infiniment plus
précise que le temps astronomique. Le Bureau international de
l’heure, alors chargé de l’établissement de l’heure universelle,
l’adopta en 1967, faisant de la seconde atomique la référence du
temps au sein du système international d’unités (SI). Près de 500
horloges atomiques réparties
dans divers laboratoires contribuent depuis à sa détermination.
Problème, ces instruments ont
beau être de parfaits métronomes,
la Terre, elle, ne tourne pas sur ellemême avec une précision aussi
diabolique. « La rotation de la Terre
a tendance à ralentir », explique
Daniel Gambis, de l’IERS à ParisMeudon. En cause, divers phénomènes tels que les marées, les
vents, les tremblements de terre,
ou encore la répartition de l’eau.
« Le réchauffement des océans entraîne une redistribution de l’eau
des pôles vers l’équateur, ce qui modifie l’énergie cinétique de la Terre
et contribue à son ralentissement »,
mentionne Michel Grenon, de
l’Observatoire de Genève.
En levant le pied, la Terre nous
offre donc des jours plus longs. Pas
de beaucoup : à peine 2 millisecondes par siècle. Cela suffit néanmoins à désynchroniser les deux
échelles de temps. C’est pour y remédier qu’est née l’idée d’une seconde intercalaire en 1972. En suspendant un peu le temps atomique, on comble le retard pris par la
Terre, et le tour est joué. C’est ce
qu’on appelle le temps UTC (pour
Temps universel coordonné, la
base du temps civil international),
correspondant au TAI ajusté en
fonction de ce décalage.
Ordinateurs perturbés
Certains voudraient en finir avec
ce système. Et tant pis si d’ici mille
ans le Soleil pourrait être au zénith
non plus à midi, mais à treize heures. Mais pourquoi vouloir découpler nos horloges des cycles naturels ? Les partisans de l’abolition
invoquent des difficultés grandissantes vis-à-vis des systèmes informatiques. « Synchroniser les
milliers de serveurs qui indiquent le
temps au monde entier est une manipulation humaine qui comporte
des risques », estime Felicitas
Arias, directrice du département
du temps au Bureau international
des poids et mesures (Paris).
C’est surtout le caractère irrégulier de la manipulation qui perturbe les ordinateurs. « Les systèmes informatiques ne sont pas
conçus pour les secondes intercalaires. Pour éviter les plantages,
nombre d’entre eux doivent être
arrêtés », explique Mme Arias. Le
monde de la Bourse, avec ses transactions à haute fréquence effectuées par des machines (des milliers d’ordres sont passés chaque
Certains
voudraient
en finir avec ce
système. Tant pis
si, d’ici mille ans,
le Soleil pourrait
être au zénith
à treize heures
seconde), ou celui des télécommunications redoutent d’être affectés par une panne des serveurs
de temps.
De quoi rappeler de mauvais
souvenirs à la compagnie aérienne australienne Qantas. Le
30 juin 2012, lors de la précédente
seconde intercalaire, celle-ci a vu
s’effondrer son système de réservation en ligne Amadeus, retardant quelque 400 vols durant plusieurs heures. Mais de tels exemples demeurent rares.
Les astronomes, eux, sont d’un
tout autre avis. « Ce serait faire fi
de notre lien avec le milieu naturel.
Nos vies sont calquées sur le temps
solaire, il n’y a aucune raison
d’abandonner la seconde intercalaire », s’agace Michel Grenon.
« La seconde intercalaire est le
meilleur compromis. C’est la technologie qui doit être au service de
l’être humain, et pas l’inverse »,
lance Daniel Gambis, qui voit
dans cette offensive l’œuvre des
milieux militaires et financiers.
Il n’empêche : « Le système actuel n’est pas adapté », assène Felicitas Arias, qui ira plaider sa
cause à Genève en novembre. Un
rassemblement auquel Daniel
Gambis n’a pas été invité. « Le débat a de toute façon quitté le versant scientifique pour un aspect
politique », regrette le cadre de
l’IERS. « Chacun veut désormais
lancer sa propre échelle de temps,
reconnaît Felicitas Arias, malgré
les conséquences catastrophiques
que cela pourrait avoir. Les unités
doivent être discutées lors d’un
débat scientifique et technique, et
pas politique ou culturel. » D’ici
là, la seconde intercalaire est en
sursis. p
fabien goubet (« le temps »)
Une canicule « précoce » s’installe en France
Pour éviter l’hécatombe de 2003, le gouvernement appelle à la mobilisation générale
S
i vous souhaitez connaître
les principales recommandations à suivre en cas de
fortes chaleurs : pour les personnes
âgées, tapez 1 ; pour les enfants et
les adultes, tapez 2… » Tel est le
message, accessible du lundi au
samedi, de 8 heures à 20 heures,
sur la plate-forme téléphonique
d’information « canicule » (au
0800 06 66 66) activée par la ministre de la santé, Marisol
Touraine, mardi 30 juin.
La France, mais aussi une bonne
partie de l’Europe de l’Ouest, va affronter sous l’effet d’une remontée d’air chaud du Sahara un épisode de canicule « précoce et durable ». Vingt-six départements
du Sud-Ouest, du Centre, de l’Ilede-France et du Centre-Est ont été
placés en vigilance orange. Des
températures maximales qui devraient dépasser les 35 0C : 40 0C
sont attendus dans le Sud-Ouest,
Paris connaîtra des températures
atteignant les 38 0C et Lyon, les
37 0C. Les températures minimales se situeront entre 19 0C et 23 0C,
ne permettant pas à l’organisme
de se reposer. « Ces températures
persisteront au moins jusqu’à la
fin de la semaine », précise Météo
France. Il s’agit bien d’une période
de canicule, définie par des tem-
pératures très élevées observées
pendant au moins trois jours consécutifs de jour comme de nuit.
Ces fortes chaleurs ne sont pas
exceptionnelles, mais elles surviennent généralement plutôt
entre la mi-juillet et la mi-août,
une période où les masses d’air
sont plus chaudes sur l’Afrique du
Nord et où les dépressions sont
faibles. En été, c’est la position de
l’anticyclone dit des Açores qui
détermine le type de temps qu’il
fait sur la France. Quand il est positionné sur les Açores, expliquent les météorologues, les dépressions circulent plus librement sur l’Europe. Mais s’il remonte et s’installe sur le nord et
En 2003,
la sécheresse liée
à la canicule
avait entraîné
de nombreux
incendies
en France,
en Espagne
et au Portugal
l’est de l’Europe, les hautes pressions bloquent le passage des perturbations atlantiques, entraînant de fortes températures, favorisées par les vents d’est et du sud.
Ce scénario s’était produit au
mois d’août 2003, entraînant
une canicule meurtrière :
70 000 morts en Europe dont
près de 15 000 en France, 8 000
en Italie, 7 000 en Allemagne… Il
avait fait alors plus de 44 0C à
Conqueyrac (Gard), 40 0C à Bordeaux et 39 0C à Paris.
Cesser toute activité
L’exposition à de fortes chaleurs,
sur une longue période, ne permet plus à l’organisme de réguler
sa température grâce à la transpiration. Les personnes les plus vulnérables, personnes âgées, nourrissons, personnes atteintes de
maladies chroniques, etc., peuvent alors être victimes d’un coup
de chaleur fatal, dues notamment
à la déshydratation. Les personnes en bonne santé, en particulier
celles qui travaillent à l’extérieur
et sont exposées à la chaleur ou
les sportifs ne sont pas non plus à
l’abri. Il faut surveiller les symptômes tels que les crampes musculaires au niveau des bras ou des
jambes, les étourdissements si-
gnes d’épuisement et les insomnies inhabituelles. Ces signes impliquent de cesser toute activité,
de se rafraîchir, boire de l’eau ou
des jus de fruit.
Pour éviter de revivre l’hécatombe de 2013 et l’état d’impréparation du système sanitaire, la mobilisation est générale. La maire de
Paris, Anne Hidalgo, a déclenché
les « mesures d’accompagnement »
prévues en cas de canicule : contact téléphonique avec les personnes vulnérables, salles rafraîchies
dans les établissements publics…
Dans l’Aveyron, la ministre de l’écologie, Ségolène Royal, a lancé la
mobilisation avec le préfet : pompiers, SAMU, services de santé,
maisons de retraite, services sociaux, associations sont sollicités.
Au-delà de cet épisode, un autre
danger guette. En 2003, la sécheresse liée à la canicule avait entraîné de nombreux incendies en
France, en Espagne et au Portugal.
Dans ce dernier pays, 40 % des forêts avaient alors brûlé.
Au niveau de la planète, l’année
2015 pourrait être la plus chaude
depuis le début des relevés de
température en 1880, selon
l’Agence américaine océanique et
atmosphérique. p
rémi barroux
Du 24 juin au 4 août
PRIX SACRIFIÉS
MATELAS
- SOMMIERS
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TRECA - TEMPUR - DUNLOPILLO - EPEDA - SIMMONS - STEINER - BULTEX...
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0123
MERCREDI 1ER JUILLET 2015
Primaire à droite : la bataille de l’argent
Pour les candidats, la présidentielle est une course de fond qui démarre par la recherche de financements
L
a campagne de la primaire à droite pour la présidentielle a déjà démarré. Mais elle ne se joue
pas encore vraiment en public.
Loin des plateaux de télévision,
une bataille secrète s’est engagée
en coulisses. Dans les arrière-salles des restaurants ou des cafés
chics, chaque candidat se démène.
Avec un objectif : se constituer un
trésor de guerre pour financer
cette épreuve dont l’issue est prévue en novembre 2016.
« On ne gagne pas une élection
grâce à l’argent mais il faut au
moins avoir 500 000 euros pour
jouer dans la cour des grands », observe un habitué des campagnes
électorales. Alain Juppé, François
Fillon et Bruno Le Maire l’ont bien
compris. Tous ont intégré qu’ils
ne devaient compter que sur euxmêmes. Le parti présidé par Nicolas Sarkozy, endetté à hauteur de
70 millions, n’a pas prévu de leur
allouer le moindre euro. « Il n’y a
pas d’argent, donc le parti ne donnera rien », a annoncé l’ex-chef de
l’Etat, le 7 avril. Chaque postulant à
l’Elysée a donc créé son microparti pour disposer de sa propre
association de financement.
Cadres expatriés
Alain Juppé, qui a lancé « AJ pour la
France », s’active depuis plusieurs
semaines. Le 4 juillet, il convie ses
petits donateurs à un barbecue à
Suresnes (Hauts-de-Seine). Auparavant, il a investi un des terrains
de chasse favori des candidats à la
primaire : les hommes d’affaires
et les cadres expatriés à l’étranger.
Le 30 avril, il était à New York, où il
a participé à un déjeuner privé
avec une dizaine de soutiens, au
restaurant Rainbow Room du Rockefeller Center à Manhattan. La
veille, il était à Montréal. Le 20 mai,
il se trouvait à Londres pour une
mystérieuse intervention devant
des entrepreneurs français. Lors
de ces rencontres discrètes, des récoltes de fonds ont été organisées.
Le maire de Bordeaux assume :
« Je n’ai pas une fortune personnelle qui me permette de réunir
quelques centaines de milliers
d’euros pour mes déplacements ».
M. Juppé tente ainsi de rattraper
le retard pris sur ses concurrents.
Quand il s’est lancé dans la course
en août 2014, sa structure de financement n’était alors pas en place et
il
lui
restait
seulement
14 700 euros sur le compte de son
ancien microparti, « France moderne ». « Nous avons fait un peu
les choses à l’envers. Il faut rattraper
le temps », observe Marie Guévenoux, première présidente des
jeunes UMP et aujourd’hui chargée de la collecte des dons pour
M. Juppé. Depuis, l’équipe chargée
de lever les fonds s’est structurée.
Mme Guévenoux est accompagnée
par sept autres sympathisants,
tous bénévoles comme elle. En six
mois,
ils
ont
amassé
600 000 euros auprès de 4 000
personnes. « Cela permet de faire
fonctionner ma petite équipe », explique M. Juppé. A la fin de l’année,
ils espèrent avoir atteint le million
et visent le double en 2016.
Bruno Le Maire et François Fillon
ont les mêmes objectifs comptables. Ils ont beau avoir démarré
leur collecte dès 2012, ils se situent
à peu près au même niveau que M.
Juppé : le premier a 500 000 euros
dans les caisses « Avec BLM », le second avait 680 000 euros fin 2014
sur les comptes de son association
Tous misent
sur l’envoi massif
de courriers, qui
allient message
politique
et invitation
à contribuer
« Un donateur
demande la
même discrétion
qu’un électeur »
ALAIN MISSOFFE
soutien de Bruno Le Maire
« Force républicaine ». Eux aussi
multiplient les déplacements à la
rencontre des expatriés pour les
encourager à sortir le carnet de
chèques : après être allé à Bruxelles et à Genève, M. Le Maire se trouvait à Londres le 17 juin. M. Fillon y
était le lendemain.
La course aux financements fait
rage entre les prétendants à l’Elysée car ils visent les mêmes personnes, capables de verser le
maximum légal (7 500 euros par
an). Cette compétition intense se
joue aussi en grande partie en
France, surtout auprès des milieux patronaux et des professions
libérales. Pour convaincre les Français les plus fortunés de mettre la
main à la poche, chaque candidat a
son rabatteur, qui dispose d’un
carnet d’adresses bien fourni.
Bruno Le Maire s’appuie sur l’entrepreneur dans l’informatique
médicale Alain Missoffe, descendant de la dynastie industrielle
Wendel, qui organise régulièrement des rencontres entre le candidat et des petits groupes de patrons. Que ce soit au restaurant ou
chez des particuliers. Toujours de
manière confidentielle. « Un donateur demande la même discrétion qu’un électeur glissant son
bulletin dans l’isoloir », résume
M. Missoffe. Aux côtés de
M. Fillon, Pierre Danon, ex-patron
du groupe Numericable-Completel, joue l’intermédiaire avec les
chefs d’entreprises. M. Juppé, lui,
peut notamment compter sur le
réseau de Virginie Calmels, ancienne patronne d’Endemol, devenue son adjointe à la mairie de
Bordeaux.
Lors des réunions secrètes avec
les grands donateurs, chaque candidat parle avant tout de son projet
et de l’actualité, sans forcément
demander un subside. Question
de pudeur. L’équipe de récolte des
dons passe ensuite. « Avant qu’ils
ne versent de l’argent, il faut les convaincre sur le fond », explique
M. Danon. Chez M. Juppé, un mot
de remerciement est d’abord envoyé après la réunion puis un
mois plus tard, une enveloppe est
adressée avec une proposition de
financement de la campagne. « On
se greffe par-dessus l’agenda politique mais nous n’organisons pas de
dîner seulement pour récolter des
fonds », affirme Mme Guévenoux.
Tous misent aussi sur une bonne
vieille méthode : l’envoi massif de
courriers, qui allient message politique et invitation à contribuer.
M. Le Maire a envoyé deux lettres à
près de 10 000 personnes ces
deux derniers mois. La première
sur le thème du renouveau, la
deuxième sur la réforme du collège. « Les appels aux dons par
mails rapportent très peu. Une lettre, c’est plus concernant », explique son conseiller, Jérôme Grand
d’Esnon. Fin juin, l’équipe de François Fillon a également expédié
plus de 8 000 missives.
« Cette fois, on explique en toute
transparence avoir besoin de financement pour la campagne », confie
Nathalie Etzenbach, ex-banquière
et adjointe au maire de Neuillysur-Seine (Hauts-de-Seine), qui
centralise la collecte de fonds pour
le député de Paris. Dans les prochains mois, les équipes des candidats cherchent à diversifier les
sources de revenus. L’initiative la
plus surprenante vient de l’austère
Alain Juppé : une boutique d’accessoires siglés à son nom sera
ouverte en ligne à l’automne. p
matthieu goar
et alexandre lemarié
Alain Juppé,
au siège
des Nations
unies,
à New York,
le 29 avril.
ANTHONY BEHAR/
SIPANY/SIPA
En attendant, les amis de Sarkozy thésaurisent…
A
lors que ses rivaux travaillent déjà au financement de leur future campagne, Nicolas Sarkozy, lui, se retrouve dans une situation
particulière. Le président du parti
Les Républicains n’est pas officiellement engagé dans une
course à l’argent car il n’a pas encore déclaré sa candidature. Pour
l’instant, il assure être surtout
mobilisé à réduire la dette du
parti.
« On ne sollicite pas encore
ouvertement des dons pour son
éventuelle future campagne. On
est plus sur la logique de continuer
à entretenir le réseau de donateurs qu’il a fidélisés lors de ses
précédentes campagnes et avec
lesquels il a des relations régulières », explique son entourage.
Cela n’empêche pas l’ancien chef
de l’Etat d’amasser tout de même
de l’argent dans l’optique de sa
future campagne. Depuis son retour, il a réactivé son microparti,
l’Association de soutien à l’action
de Nicolas Sarkozy (Asans), pour
mettre de côté les dons récoltés et
financer sa campagne pour la
présidence de l’UMP, à l’automne
2014.
Créée en 2000, cette association
a pour président Brice Hortefeux
et pour trésorier Michel Gaudin,
le directeur de cabinet de
M. Sarkozy, rue de Miromesnil.
Elle disposait de 244 000 euros
fin 2013, affirme au Monde la
Commission nationale des
comptes de campagne (CNCCFP).
Aujourd’hui, ses réserves s’élèveraient à un peu plus de
200 000 euros. « Les dons reçus
depuis un an ont à peu près équilibré les frais de la campagne pour
la présidence de l’UMP », explique
M. Gaudin. Lequel juge que la
double casquette de M. Sarkozy, à
la fois président du parti et probable futur candidat, le dessert
dans sa quête d’argent pour faire
campagne. « On est moins bien
placés que les autres car les gens
donnent plutôt pour le parti que
pour l’Asans », assure-t-il.
Réactiver la « machine à cash »
Les rivaux de l’ex-chef de l’Etat jugent au contraire que sa position
lui apporte un avantage considérable, en lui permettant de faire
campagne avec les moyens du
parti, avant de se déclarer candidat à la dernière minute, en septembre 2016. Soit deux mois
avant le vote pour la primaire.
L’entourage de M. Sarkozy récuse les accusations de conflits
d’intérêts : « Comme nous recevons à la fois des dons pour le
parti et d’autres pour l’Asans, nous
sommes très soucieux de faire la
distinction entre les deux. » Pas
question de donner l’impression
que des transferts pourraient
avoir lieu entre ces deux comptes, après la révélation d’un système présumé de fausses factures et de double comptabilité
dans l’affaire Bygmalion.
Outre des « petites » sommes
de particuliers, M. Sarkozy reçoit
également des contributions plus
importantes venues du « premier
cercle », le club des donateurs les
plus généreux du parti. Depuis
son retour, il s’affaire à réactiver
cette « machine à cash » créée
en 2004, qui rassemble les personnes
prêtes
à
verser
7 500 euros, la somme maximale
autorisée.
Le 4 mai, il a par exemple reçu
une cinquantaine d’entre eux au
siège du parti pour les encourager
à mettre la main à la poche. Une
manière de préparer l’avenir. p
m. gr et al. le
france | 7
0123
MERCREDI 1ER JUILLET 2015
Marine Le Pen sur tous les tableaux
La présidente du Front national conduira la liste de son parti aux régionales en Nord - Pas-de-Calais - Picardie
arras - envoyé spécial
U
n déplacement de
Marine Le Pen sur un
marché suscite bien
souvent un engouement peu commun, surtout en
cette période de défiance envers
la classe politique : « selfies »,
compliments, bousculades pour
venir toucher la présidente du
Front national comme si elle était
une star de la chanson… Dans le
Nord - Pas-de-Calais, ce phénomène est amplifié. Quand elle se
rend à Hénin-Beaumont (Pas-deCalais), le fief où elle est implantée depuis huit ans, Mme Le Pen
n’en finit plus de serrer les mains
et d’embrasser les joues qu’on lui
tend. C’est dire si la candidature
qu’elle a annoncée, mardi 30 juin
à Arras, comme tête de liste du FN
pour les élections régionales de
décembre en Nord - Pas-de-Calais
– Picardie, la grande région issue
de la nouvelle carte des territoires promulguée en janvier, était
attendue.
Pour la présidente du Front national, l’enjeu est de taille. La députée européenne sait qu’une défaite dans cette bataille risque de
l’affaiblir à la veille de partir à la
conquête de l’Elysée en 2017, son
véritable objectif. Elle sait aussi
qu’une éventuelle victoire serait
difficile à gérer, compte tenu de la
fusion des deux régions, qui s’annonce comme un véritable calvaire administratif, et de la proximité dans le temps avec la présidentielle, une fois encore. Mais
cette région est aussi la plus à
La présidente du
FN va affronter
les critiques sur
le télescopage
de ses deux
ambitions,
présidentielle
et régionale
même de tomber dans l’escarcelle
du Front national.
Aux élections européennes de
2014, puis aux élections départementales de 2015, le parti d’extrême droite a largement surclassé ses adversaires en Nord Pas-de-Calais et en Picardie. Avec
34,2 % des voix, puis 36,2 %, il a devancé Les Républicains de plus de
dix points (24 % aux européennes
et 25,8 % aux départementales) et
le Parti socialiste de plus de
quinze points (18,03 % et 23,5 %).
Enfin, un sondage OpinionWay
pour LCI et Le Figaro, publié mardi
30 juin, donne Mme Le Pen en tête
des intentions de vote au premier
tour, avec 33 % des suffrages, contre 26 % pour Xavier Bertrand,
candidat Les Républicains, et 23 %
pour Pierre de Saintignon, candidat PS. Dès lors, pourquoi se priver de sa meilleure locomotive ?
La présidente du FN va devoir affronter les critiques de ses adversaires sur le télescopage de ses différentes ambitions, régionale et
présidentielle. Selon son entourage, la riposte est déjà prête. « Si
elle est élue, elle pourrait se mettre
en retrait de sa fonction pour pouvoir mener les derniers mois de la
campagne présidentielle, sans
doute à partir de janvier 2017 », explique un de ses proches. Marine
Le Pen pourrait désigner au cours
de la campagne régionale le nom
de la personne qui lui succéderait
à la tête de l’exécutif le temps de sa
course à l’Elysée. Et son entourage
de reprendre un des arguments
les plus classiques des cumulards
en campagne pour l’échelon supérieur : « Si elle gagne la présidentielle, elle en fera profiter les
habitants de la région. Tout le
monde comprend qu’elle a un destin présidentiel. Ses adversaires
vont utiliser cet angle d’attaque,
mais pendant ce temps-là, elle parlera de concret. »
Cette candidature représente en
tout cas un nouvel épisode de
l’ancrage de Mme Le Pen dans la région, qui date de près de vingt ans.
Avant de prendre pied à HéninBeaumont, la fille de Jean-Marie
Lors du
lancement de
la campagne
du FN aux
régionales
en Normandie,
à Vieux-Fumé
(Calvados),
le 21 juin.
OLIVIER CORET
Le Pen s’était déjà présentée une
première fois aux élections régionales dans le Nord - Pas-de-Calais,
en 1998. A l’époque, elle émargeait sur les listes du Nord, et avait
été élue. En 2002, aux législatives,
elle traverse la frontière départementale et se présente à Lens.
Mais c’est surtout à compter de
2007 que la cadette des filles Le
Pen s’impose dans la région.
Parler « social »
Cette année-là, à la suite du revers
cuisant essuyé par son père lors de
l’élection présidentielle, Marine
Le Pen est la seule candidate du FN
à se qualifier pour le second tour
des élections législatives. Le binôme qu’elle forme avec son sup-
pléant Steeve Briois ne l’emporte
pas, mais la défaite est alors considérée comme un événement fondateur. Pour elle, c’est même « un
signal de la direction que le FN doit
prendre à l’avenir. (…) Loin de vouloir se positionner sur l’échiquier
politique, le Front doit rester un
parti ni droite-ni gauche capable
de rassembler ». Pour la future
présidente du Front, une partie de
sa ligne politique, en gestation depuis quelques années, se forge définitivement. « Le FN est un parti
national, populaire et social. Il a
vocation à attirer les électeurs déçus par le PS et le PC, qui s’occupent
davantage des sans-papiers que de
la défense des travailleurs », théorise à l’époque Mme Le Pen.
Après la mort de Charles Pasqua, François
Hollande salue « la mémoire d’un gaulliste »
L’ancien ministre, décédé lundi, « incarnait une certaine idée de la France », selon M. Valls
U
n politique ne reçoit jamais, fût-ce de ses « camarades », d’hommages
aussi nombreux et vibrants que
lorsqu’il disparaît. Décédé lundi
29 juin, à l’âge de 88 ans, même
Charles Pasqua n’a pas échappé à
cette loi du genre. Lui qui n’avait
pas lésiné sur les moyens – ni les
mots – pour défendre son camp,
ses convictions et ses intérêts, se
trouve aujourd’hui affublé d’une
étrange auréole. Reflet de la nostalgie d’une époque révolue, dont
il fut l’un des personnages marquants, mais aussi, dans une
moindre mesure, d’un climat et
d’une actualité qui font écho au
souvenir de la voix rocailleuse de
l’ancien ministre de l’intérieur.
Le Parti socialiste, qui avait tant
combattu les « lois Pasqua » lors
de ses passages place Beauvau
(1986-1988 et 1993-1995), s’est
montré pour le moins discret à ce
sujet. Le président de la République, François Hollande, a salué
« la mémoire d’un gaulliste » qui,
« dans des conditions difficiles et
éprouvantes », « a animé de toute
sa personnalité la vie politique
française ». « Jeune résistant,
gaulliste, ministre, voix originale
et parfois controversée, Charles
Pasqua incarnait une certaine idée
de la France », a réagi le premier
ministre, Manuel Valls, sur son
compte Twitter. « Gaulliste et bon
vivant, admirateur de François
Mitterrand et souverainiste, [il]
était l’image d’une droite historique inséparable de l’histoire politique de notre pays », a souligné le
président PS de l’Assemblée nationale, Claude Bartolone.
Hommage unanime à droite
Au PS, l’un des rares qui ait explicitement évoqué les batailles des
années 1980 et 1990 est l’ancien
député PS frondeur Jérôme
Guedj, dans un tweet ainsi rédigé : « En forme d’hommage, se
souvenir que nous l’avons politiquement combattu, ce qui a suscité bien des engagements dans
ma génération. #Pasqua ». « On
évoque le résistant, la lutte contre
le terrorisme, la Françafrique,
l’anti Maastricht. Et moi je pense à
Malik Oussekine… », a commenté
pour sa part la secrétaire nationale de EELV, Emmanuelle Cosse,
faisant référence à la mort de ce
jeune étudiant lors des manifestations à Paris en décembre 1986.
À droite, où l’hommage est naturellement unanime, le combat
souverainiste de Charles Pasqua
est fortement souligné par ceux
« En forme
d’hommage,
se souvenir
que nous l’avons
combattu, ce qui
a suscité bien des
engagements »
JÉRÔME GUEDJ
ancien député PS, sur Twitter
qui portent ce flambeau, tandis
qu’il est enfoui dans les éloges de
ceux qui ne l’ont pas partagé.
« Meneur du non en 1992 et
en 2005 contre la dissolution de la
France au sein d’une Union européenne chimérique et délétère,
Charles Pasqua a inlassablement
terrorisé la pensée unique », a souligné Nicolas Dupont-Aignan, député et président de Debout la
France. « Nous avons aux côtés de
Jacques Chirac, mené bien des combats ensemble. Puis nos routes ont
divergé. Mais sa personnalité m’impressionnait », a commenté sur
Twitter l’ancien premier ministre
Alain Juppé (Les Républicains), qui
fut un fervent partisan du « oui »
lors des référendums précités.
Dans un long communiqué publié lundi soir, l’ancien président
Nicolas Sarkozy a estimé que « la
France perd l’un de ses plus grands
serviteurs ». « Il était l’incarnation
d’une certaine idée de la politique
et de la France, fait d’engagement,
de courage et de convictions », a
ajouté M. Sarkozy. « Charles,
c’était une voix rocailleuse, un regard malicieux, une colère tendre
pour la nation qu’il aimait.
Aujourd’hui, sa mort me fend vraiment le cœur », a affirmé, paraphrasant Raimu, l’ancien premier
ministre François Fillon (Les Républicains).
Autre signe des temps, c’est le
Front national qui s’est fait entendre le premier à l’annonce de la
disparition de celui qui, lors de la
campagne présidentielle de 1988,
avait affirmé avoir des « valeurs
communes » avec ce parti. Sur son
compte Twitter, le numéro deux
du parti, Florian Philippot, a salué
« un grand patriote ». Pour une
fois en accord avec lui, l’ancien
président du FN Jean-Marie Le
Pen a également affirmé que
M. Pasqua était « un patriote ».
« Nous avions des rapprochements et des points de divergence », a-t-il ajouté. p
jean-baptiste de montvalon
Cette
candidature est
le nouvel épisode
d’un ancrage de
près de vingt ans
dans le Nord-Pasde-Calais
Bien avant la dominante souverainiste impulsée par Florian Philippot, Marine Le Pen s’est laissé
convaincre, aux côtés des Héninois Steeve Briois et Bruno Bilde,
que la fermeté sur l’immigration
et la sécurité ne suffisait pas à con-
vaincre les électeurs, et qu’il fallait
parler « social ». Pour l’avocate,
élevée dans le confort du manoir
de Montretout dans les Hauts-deSeine, le Nord - Pas-de-Calais fait
office d’apprentissage accéléré de
la réalité du terrain.
« Parler avec ceux qui n’arrivent
pas à boucler les fins de mois, ni à
boucler le début d’ailleurs, je ne
l’avais pas vu avant, reconnaissait Marine Le Pen pendant la
campagne présidentielle de 2012.
J’ai vécu à Saint-Cloud, la pauvreté comme ça, la souffrance
comme ça, la précarité comme ça,
non, je ne l’avais jamais vue. »
Aujourd’hui, c’est un terreau sur
lequel elle prospère. p
olivier faye
I MMI GRAT I ON
AF FAI R ES
Les contrôles
à la frontière francoitalienne validés
Jean-David Ciot
rejugé en appel dans
le « procès Guérini »
Le Conseil d’Etat, saisi en référé, a validé, lundi 29 juin,
les contrôles d’identité à la
frontière franco-italienne.
« La suppression du contrôle
systématique aux frontières
intérieures de l’espace Schengen n’empêche pas les autorités françaises d’effectuer des
contrôles d’identité ou de titres », a estimé la haute juridiction.
Jean-David Ciot, tête de liste
PS dans les Bouches-duRhône aux régionales, comparaîtra aux côtés de JeanNoël Guérini, ancien
président (ex-PS) du département, le 25 novembre, devant
la cour d’appel d’Aix-en-Provence. En décembre 2014, les
deux élus avaient été relaxés
dans un dossier de détournement de fonds publics.
0123
Chronique d’une audience singulière par Pascale Robert-Diard
sur des dessins de François Boucq
Disponible en kiosques, en librairies et sur Lemonde.fr/boutique
8 | france
0123
MERCREDI 1ER JUILLET 2015
Les mosquées de Lyon sous la pression du salafisme
Les responsables musulmans et les autorités de l’Etat cherchent la parade face aux groupuscules radicaux
mane, pacifique dans son énorme
majorité, souffre des amalgames », dit Abdelkader Bendidi. Le
président du CRCM Rhône-Alpes
avance une autre solution, inédite : la mise sous tutelle des mosquées salafistes. « Je suis prêt à
prendre cette responsabilité s’il le
faut, le CRCM prendrait la gestion
d’un lieu confronté à ce problème,
pour éviter une fermeture préjudiciable aux fidèles qui n’ont rien à
voir avec une minorité néfaste »,
avance M. Bendidi.
lyon - correspondant
L’
attentat de Saint-Quentin-Fallavier (Isère), perpétré aux portes de
Lyon vendredi 26 juin, a
ravivé un sujet brûlant : comment
endiguer l’inquiétante progression du courant salafiste dans les
mosquées de la région lyonnaise ?
La question a été abordée lors
d’une réunion restreinte, qui s’est
tenue lundi 29 juin à midi, dans le
bureau de Michel Delpuech, préfet de région, qui a convié quatre
responsables de la communauté
musulmane régionale. « Nous devons affronter une entreprise souterraine de subversion qui cherche
à atteindre notre modèle démocratique », justifie Michel Delpuech, pour qui « les responsables
religieux sont des remparts et les
promoteurs de la République ». La
concertation entre représentants
de l’Etat et responsables musulmans s’intensifie sous le feu de
l’actualité.
« Si on ne fait rien, on sera à la
merci de ces groupuscules, il faut
nous aider à les éradiquer », dit Abdelkader Bendidi, président du
conseil régional du culte musulman de Rhône-Alpes. Selon lui,
une dizaine de salles de prière sont
désormais directement menacées,
dans une métropole qui compte
une soixantaine de lieux de culte.
Le scénario est toujours le même.
Un petit groupe de fidèles, souvent
des jeunes gens, perturbe le culte,
met en cause l’imam, exerce une
pression et diffuse ses conceptions rétrogrades, propices aux dérives violentes.
Radicalisation
L’environnement salafiste a vraisemblablement joué un rôle déterminant dans la radicalisation de
Yassin Salhi, 35 ans, auteur de l’attaque de l’usine de gaz industriel,
qui a signé son crime en décapitant son patron, en référence explicite aux exécutions de l’Etat islamique. Ces influences semblent
s’être jouées dans le Doubs, sa région natale. Les enquêteurs n’ont
pas complètement élucidé ses re-
Le préfet
de la région,
Michel Delpuech,
envisage
un renforcement
du contrôle des
salles de prière
Kamel Kabtane, recteur de la Grande Mosquée de Lyon, condamne l’attentat en Isère, le 28 juin, à Villefontaine. ROMAIN LAFABREGUE/AFP
lations dans la région lyonnaise,
où il s’était établi avec femme et
enfants à la fin de l’année 2014.
Mais son profil suscite les plus vives inquiétudes au sein de la communauté musulmane lyonnaise.
« L’horreur, la cruauté de ce qui
s’est passé montre la montée en
puissance d’une violence qui se sert
de la religion comme prétexte, une
mouvance radicale gagne du terrain, les mosquées de la région traversent des moments difficiles, il ne
faut pas qu’elles tombent entre les
mains de ces gens-là », estime Azzedine Gaci, recteur de la mosquée
Othmane à Villeurbanne. « Ces
gens profitent du vide, surveillent
l’imam, provoquent le désordre, si
une mosquée manque d’activité ou
de présence, ils s’installent », dit Kamel Kabtane, recteur de la grande
mosquée de Lyon, pour qui les petites structures sont les plus fragiles.
Depuis les attentats de janvier,
les responsables musulmans ont
conscience qu’il faut trouver la parade. A Lyon, ils avaient déjà innové, en portant plainte contre un
fidèle radical qui perturbait selon
eux la mosquée à Oullins, en invoquant un article de la loi de 1905
sur la séparation de l’Eglise et de
l’Etat, qui prévoit une contravention pour « violation de la liberté de
culte par menaces, voies de fait ou
violences ». Le fidèle avait été condamné à une amende par le tribunal de police. Faudra-t-il passer un
cran supérieur et en en arriver à la
fermeture de certaines mosquées ? Le ministre de l’intérieur,
Bernard Cazeneuve, a laissé
ouverte la possibilité de « dissoudre » certaines mosquées, lundi
29 juin sur Europe 1, si « la totalité »
de leurs membres s’inscrivaient
dans une logique d’incitation au
terrorisme. La question n’est plus
taboue au sein des autorités de
l’Etat.
Michel Delpuech, préfet de la région Rhône-Alpes, fait savoir
qu’au-delà de l’intensification du
travail de renseignement policier,
pour détecter des discours et des
profils dangereux, il envisage un
renforcement des contrôles des
salles de prière, en tant qu’établis-
sements recevant du public. Il
s’agit officiellement de vérifier les
normes de sécurité et les règles sanitaires des lieux publics.Sans le
dire ouvertement, le préfet prépare le terrain juridique pour
d’éventuelles fermetures liées à
des problèmes de radicalisme religieux. Dans son précédent poste à
Bordeaux, la préfet Delpuech a
déjà expérimenté cette méthode.
« Il faut tout faire pour ne pas en
arriver là, la communauté musul-
Nouveaux fidèles
Symboliquement, les participants à la réunion du préfet ont
émis l’idée d’afficher la déclaration universelle des droits de
l’homme dans l’entrée des mosquées de la région. « Je sais que le
recteur Kabtane l’a accrochée dans
son bureau, la seule vraie réponse,
c’est un acte de foi républicain »,
dit M. Delpuech.
La communauté est confrontée
à un autre problème sensible,
moins souvent évoqué : le développement exponentiel du nombre de convertis. Ce phénomène
s’illustre aussi dans l’affaire de
Saint-Quentin-Fallavier, puisque
Yassin Salhi a envoyé la photo du
crime à un Français converti parti
combattre en Syrie, SébastienYunès V. Les convertis seraient
près de trois mille dans la région
Rhône-Alpes, selon un responsable du CRCM. Des nouveaux fidèles qui sont « nombreux à tenir
des attitudes radicales, comme s’il
leur fallait démontrer leur appartenance dans la surenchère », observe Kamel Kabtane.
Les responsables musulmans
ont prévu l’ouverture d’un institut de formation à Lyon d’ici à la
fin de l’année, qui sera seul habilité à prononcer les conversions. p
richard schittly
« Dissoudre des mosquées », une menace difficile à exécuter
« s’il y a des associations qui gèrent ces
mosquées et dont la totalité des membres
poursuivent un objectif d’appel à la haine et
d’incitation au terrorisme, ces mosquées seront dissoutes », a affirmé Bernard Cazeneuve, lundi 29 juin, sur Europe 1. Cela n’est
encore jamais arrivé.
Pour agir contre des comportements ou
des discours délictueux dans des mosquées, le gouvernement estime avoir les armes juridiques suffisantes. L’Etat dispose
de deux moyens. Le premier consiste à expulser de France les imams étrangers qui
auraient tenu des discours de haine contre
telle ou telle communauté ou qui auraient
appelé au djihad armé. Le ministère de l’in-
térieur indique avoir procédé à 40 expulsions de ce type depuis 2012, dont 10
en 2014 et 4 depuis le début de 2015. Par
comparaison, de 2008 à 2011, 15 imams
auraient été expulsés.
Il s’agit dans ce cas d’expulsions administratives. Lorsqu’ils ont connaissance
d’agissements de cette nature, les services
de renseignement ou de police saisissent la
direction des libertés publiques et des affaires juridiques du ministère de l’intérieur, qui expertise la demande. Une vingtaine d’arrêtés ministériels d’expulsion seraient en cours d’examen.
Le deuxième moyen, agir contre une
mosquée en tant que telle, est autrement
plus compliqué. La dissolution administrative d’une association cultuelle qui gère
une mosquée est très difficile à obtenir, car
la loi protège efficacement tout type d’associations. L’article 212-1 du code de la sécurité intérieure prévoit cependant qu’un décret en conseil des ministres peut dissoudre une association « qui provoque à la discrimination, à la haine ou à la violence » ou
qui se livre « à des agissements en vue de
provoquer des actes de terrorisme ».
Encore faut-il prouver que c’est bien toute
l’association qui agit de la sorte, ce qui est
très difficilement envisageable pour une
association cultuelle. p
cécile chambraud
Grouper les islamistes en prison est « potentiellement dangereux »
La contrôleure générale des lieux de privation de liberté a émis le 30 juin un avis défavorable à l’expérimentation menée à Fresnes
A
deline Hazan, la contrôleure générale des lieux
de privation de liberté
(CGLPL), est allée voir comment se
passait le regroupement des islamistes en prison, à Fresnes surtout, dans le Val-de-Marne, où les
radicaux sont enfermés dans une
unité particulière depuis octobre 2014, une mesure que le premier ministre veut étendre à quatre autres quartiers de région parisienne et un dans le Nord.
La contrôleure générale, dans un
avis rendu le 30 juin, n’y est pas favorable. Le regroupement est « potentiellement dangereux », ne correspond à aucun régime légal et
peut glisser vers un régime d’isolement, à la discrétion de l’administration, sans les voies de recours
habituelles. La garde des sceaux a
répondu qu’elle partageait ces inquiétudes, qu’il n’était pas ques-
tion de créer un régime de détention spécifique et qu’on travaillait
à améliorer la prise en charge.
Adeline Hazan relève d’abord
que la prison « est loin d’être le lieu
premier de la radicalisation », puisque 16 % seulement des détenus
soupçonnés d’islamisme avaient
déjà été incarcérés auparavant –
mais « il n’est pas contestable que le
phénomène de radicalisation s’amplifie en milieu carcéral ». A
Fresnes, le directeur a commencé à
changer de cellule les détenus qui
posaient problème, c’est-à-dire 22
des 29 personnes poursuivies
pour association de malfaiteurs en
relation avec une entreprise terroriste (ils sont 190 en France) qui se
signalaient par un comportement
prosélyte – interdiction d’évoquer
des sujets « profanes », d’être nu
dans les douches communes…
Cette initiative « n’ayant pas suffi à
16 % seulement
des détenus
soupçonnés
d’islamisme
ont déjà été
incarcérés
auparavant
Faire revenir le calme », le directeur
les a regroupés dans une « unité de
prévention du prosélytisme »
(U2P), sans autre prise en charge –
et sans prévenir la chancellerie.
Les surveillants ne trouvent pas
que le dispositif « ait eu un effet
apaisant sur le reste de la détention ». Quant aux détenus regroupés, que les contrôleurs ont tous
rencontrés, ils craignent « d’être
étiquetés durablement comme islamistes radicaux » et de ne pouvoir
eux-mêmes « se défaire de l’emprise de leurs codétenus ». Adeline
Hazan juge d’ailleurs le critère de
sélection « discutable » : il ne prend
pas en compte les prosélytes qui
ne sont pas poursuivis pour terrorisme, et le risque de stigmatisation est réel.
« Sans cadre juridique »
Seuls cinq détenus radicaux de
Fresnes ont une cellule individuelle, mais tous vont en promenade ensemble et peuvent participer aux activités habituelles, mais
pas à plus de trois à la fois. La généralisation du système à cinq autres
quartiers inquiète la contrôleure.
Regrouper tous ces détenus en région parisienne, d’où qu’ils viennent, peut être contre-productif :
le maintien des liens familiaux est
un droit, et la famille joue un rôle
pour ramener les jeunes à la raison. « Toutes les conséquences ne
paraissent pas avoir été envisagées
à long terme », indique le CGLPL.
Le programme de déradicalisation est testé, pour les volontaires,
dans les maisons d’arrêt d’Osny
(Val-d’Oise) et Fleury-Mérogis (Essonne), par l’Association française
des victimes de terrorisme et l’Association dialogue citoyen. Vingt
personnes, en cellule individuelle,
y seront incarcérées et devraient
avoir accès aux services communs
de la détention – mais feront promenade à part : « Le risque existe
qu’une nouvelle catégorie de personnes détenues soit créée, sans cadre juridique », s’inquiètent les
contrôleurs. Il est un peu tôt pour
juger de l’effet de ces programmes,
qui n’ont démarré qu’en mai. Il
s’agit « d’investir la période de dé-
tention par des stages de citoyenneté, des groupes de parole et toute
activité qui paraît utile pour briser
le repli identitaire ». Et stopper la
violence, sans remettre en cause
l’attachement à l’islam : « Le libre
exercice du culte est garanti par le
principe de laïcité, à valeur constitutionnelle », bien que le nombre
d’aumôniers musulmans soit très
faible – à Fresnes, un imam pour
1 300 musulmans.
Reste l’éternel problème de la
surpopulation carcérale, qui entraîne « une promiscuité propre à
favoriser des comportements radicaux ». A la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis, 4 200 détenus s’entassent dans 2 600 places ; à Osny, 928
personnes dans 580 places : la règle de l'encellulement individuel,
prévu par la loi du 15 juin 2000, n’a
cessé d’être reportée. p
franck johannès
france | 9
0123
MERCREDI 1ER JUILLET 2015
Procès Cottrez : le « non » anéantit la thèse de l’inceste
L’ex-aide soignante accusée d’un octuple infanticide a avoué, lundi 29 juin, que son père ne l’avait jamais violée
douai - envoyée spéciale
O
n savait, en venant à
Douai suivre le procès
d’une femme accusée
d’un octuple infanticide, que l’on allait entrer dans
l’obscurité. On n’imaginait pas
qu’au soir de la troisième journée
de débats, celle-ci serait plus
dense encore. Lundi 29 juin, la vérité que l’on avait cru apercevoir
s’est dérobée. Dominique Cottrez
a repris la clé qu’elle avait ellemême donnée : elle n’a pas été
victime d’inceste, a-t-elle affirmé
après avoir déclaré l’inverse à la
juge d’instruction, aux experts
psychiatres qui l’ont examinée,
puis aux jurés et à la cour du Nord
devant laquelle elle comparaît.
Cette question de l’inceste hante
les débats comme elle a hanté
l’instruction. Ce n’est qu’à la suite
de l’interception d’une conversation téléphonique entre plusieurs
membres de sa famille, évoquant
l’hypothèse d’une relation incestueuse, que Dominique Cottrez a
déclaré avoir été violée, enfant,
par son père. Mais elle avait surtout insisté sur la suite, une relation « consentie », poursuivie à
l’âge adulte pendant plusieurs années, avec Oscar Lempereur.
« C’était comme un amant », disait-elle.
Elle avait laissé aux autres, plus
qu’elle ne l’avait elle-même suggéré, le soin de voir dans cette relation l’une des raisons qui
auraient pu la conduire à tuer huit
bébés entre 1989 et 2000, en raison du doute sur leur paternité.
L’expertise génétique a écarté
Cette question
de l’inceste
hante les débats
comme
elle a hanté
l’instruction
cette hypothèse. Les nouveau-nés
découverts dans des sacs en plastique se sont tous révélés être les
enfants de son mari, Pierre-Marie
Cottrez.
Quand la présidente Anne Segond lui a demandé de venir à la
barre pour parler de ses relations
avec son père, Dominique Cottrez
a offert à la cour l’attitude docile,
bouleversante de soumission qui
est la sienne depuis le début de ce
procès. Dominique Cottrez ne raconte pas. Elle dit des phrases, les
plus courtes possibles, s’interrompt, attend d’être relancée. Il y
a, dans son regard perdu, quelque
chose d’une quête, d’une volonté
de bien faire, comme si elle cherchait moins à donner une explication qu’à apporter la réponse que
les autres attendent d’elle.
La cour et les jurés retiennent
leur souffle tandis que le micro
renvoie l’écho du sien, de plus en
plus court, de plus en plus douloureux, quand elle évoque les
premières « caresses » de son
père. Elle avait 8 ans, dit-elle. Elle
allait « souvent chercher les œufs »
avec lui, lorsqu’un jour, il l’a faite
asseoir dans la paille et lui a retiré
sa « petite culotte ». « Il m’a dit que
c’était notre petit secret. Et il m’a of-
L’HISTOIRE DU JOUR
Les étranges chèques de Julien
Masanet, le fils de « Jo »
A
près le père, le fils. Jusqu’ici, l’affaire de l’ANAS, du nom
de l’Association nationale d’action sociale des personnels de la police nationale et du ministère de l’intérieur,
se concentrait sur son président. Joaquin Masanet dit « Jo » – depuis démis de ses fonctions – avait été mis en examen en février
pour « trafic d’influence », « faux et usage de faux » et « abus de
confiance aggravé ». L’enquête conduite par l’Inspection générale de la police nationale pourrait désormais s’intéresser à son
fils, Julien Masanet. Tracfin, la cellule de renseignement de Bercy
chargée de lutter contre le blanchiment d’argent, a transmis le
7 mai une note d’information à la justice recommandant de procéder à une enquête judiciaire pour vérifier s’il y a eu des infractions pénales de la part de celui-ci.
Tracfin raconte dans cette note que les « opérations financières
atypiques » réalisées depuis 2010
par le fils de Jo Masanet ont retenu
toute son attention. Julien Masanet,
LA CELLULE TRACFIN
brigadier-chef de 37 ans, exerce la
fonction de directeur du centre de
RELÈVE LES OPÉRAvacances de Gujan-Mestras (GiTIONS FINANCIÈRES
ronde) dépendant des œuvres sode la police présidées par son
« ATYPIQUES » DU FILS ciales
père. Or, les enquêteurs de Bercy relèvent que depuis 2010, 133 chèques
DE L’EX-DIRECTEUR
ont été tirés sur les comptes de
DES ŒUVRES SOCIALES l’ANAS, pour un montant de plus de
95 000 euros, au profit de l’intéDE LA POLICE
ressé, « sans justification économique apparente dans la majorité des
cas ». Troublant, et ce d’autant plus que tous les chèques émis par
I’ANAS et encaissés par Julien Masanet sont signés de sa main.
« Personne physique non identifiée »
Ainsi, Tracfin s’étonne de constater que les chèques de
1 182 euros et 546 euros en provenance de I’ANAS – respectivement en novembre 2012 et novembre 2013 – correspondent au
montant de la taxe d’habitation et de la contribution à l’audiovisuel public ces années-là, et prélevées par le Trésor public sur les
comptes personnels de M. Masanet… Il est aussi soupçonné
d’avoir encaissé sur ses comptes bancaires des locations du centre de vacances qu’il dirige. En conclusion, Tracfin considère que
les agissements de Julien Masanet sont « susceptibles de caractériser la commission d’un abus de confiance et de blanchiment ».
Et encore, les enquêteurs de Bercy n’ont pas tous les éléments.
Tracfin s’étonne d’un prêt de 29 000 euros, en vue de l’achat d’un
véhicule, de la part d’un certain François P., « personne physique
non identifiée par le service ». Cet homme figure dans le dossier
d’instruction visant l’ANAS. C’est le patron du Marco Polo, un restaurant situé avenue du Trône à Paris, qui établissait de fausses
notes de frais au détriment de l’ANAS et au profit de « Jo ». p
matthieu suc
fert un petit mouton.
– Et après ?
– Après, c’était beaucoup plus
tard, à l’âge de 12 ans.
– Comment vous souvenez-vous
que vous aviez 12 ans ?
– C’était après ma communion. »
Des caresses encore, dit-elle,
« une fois, c’était dans les
champs ». Pendant l’instruction,
elle avait daté de cet âge son premier viol par son père. Elle affirme aujourd’hui qu’il a eu lieu
lorsqu’elle avait 15 ans.
« Et après ? – Après j’ai rencontré
Pierre-Marie [son mari]. »
Les relations avec son père s’interrompent et reprennent après
la naissance de sa première fille,
poursuit-elle. Elle a 23 ans. « Je me
sentais seule. Et puis j’ai ressenti
des sentiments amoureux. J’étais,
j’étais… amoureuse de lui.
– Que se passe-t-il entre vous ?
– Comme… » Elle hausse les
épaules. « Comme une relation.
– Vous êtes consentante ?
– Oui.
– Vous participez ?
– Oui. Aux gestes. »
Elle dit encore que ça se passe
dans la chambre de son père,
l’après-midi quand elle rentre du
travail, « deux à trois fois par
mois ». Elle affirme qu’à chacune
de ses grossesses, son père était
« au courant », qu’il savait aussi ce
qu’elle faisait des nouveau-nés.
« Il réagit comment ?
– Il ne pose pas de questions. »
La présidente a des doutes. Elle
le lui dit avec autant de fermeté
que de délicatesse. Les deux représentants de l’accusation prennent
à leur tour la parole. Annelise Cau,
d’abord, qui lui rappelle les versions successives et contradictoires qu’elle a livrées pendant l’instruction. « Vous comprenez bien
que si vous changez de version, on
a l’impression que vous mentez.
Elle est où la vérité, Mme Cottrez ? »
Des yeux baissés, un filet de voix :
« Dans ce que je dis aujourd’hui. »
Le procureur Eric Vaillant descend
de son estrade, vient se placer
tout près de l’accusée, qui semble
s’écraser davantage sur ellemême. Il repose les mêmes questions. Quand ? Où ? Comment ? A
quel âge ?
« C’est lui qui a pris votre virginité ?
– Oui.
– Vous lui dites quelque chose ?
– Non, jamais. »
Eric Vaillant s’approche encore :
« Madame, quand vous avez évoqué cet inceste pendant l’instruction, je me souviens que j’ai poussé
un “ouf !” de soulagement. Mais
peut-être que je me suis trompé.
Avez-vous inventé cette histoire
d’inceste ?
– Non !
– S’il a fait ce que vous dites qu’il
vous a fait, c’est un immense salopard. Mais si c’est un mensonge, il
faut le dire. » Il ajoute : « S’il n’y a
« Si vous changez
de version, on a
l’impression que
vous mentez »
ANNELISE CAU
avocate générale
pas d’inceste, ce n’est pas grave, on
va trouver la solution » et répète
sa question : « Il vous a bien fait
tout cela ? »
Un long sanglot : « Oui. Mais ça
reste mon père. »
Me Franck Berton voit les regards tendus, interrogateurs, que
les jurés posent sur sa cliente. « Ils
ne vont pas vous croire, réveillezvous un peu ! », lance -t-il. Dominique Cottrez n’est plus qu’une
montagne de larmes. L’avocat
joue son va-tout : « Vous le jurez
sur la tête de vos filles que votre
père vous a violée ?
– Non !
– Votre père ne vous a pas violée ?
– Non. » Dominique Cottrez
chancelle, son avocat est sonné,
l’audience est suspendue.
La présidente reprend l’interrogatoire quelques minutes plus
tard. « Qu’avez-vous voulu dire ?
– J’ai pas été violée par mon père.
– Ça veut dire quoi ?
– Il m’a pas touchée.
– Jamais ? Ni enfant ni adulte ?
– Non.
– Pourquoi avez-vous dit cela ? »
Dominique Cottrez secoue la tête,
se tait. La présidente insiste :
« C’est important, madame.
– J’y arrive pas.
– Vous saviez que ces huit enfants
étaient de votre mari ?
– Oui. »
De la femme qui, à cet instant,
apparaît comme une menteuse,
ou de ceux – nous tous – auxquels
cet aveu d’inceste apportait une
explication aussi terrifiante que
rassurante, on ne sait qui est le
plus perdu. p
LE CONTEXTE
ALTÉRATION DU
DISCERNEMENT
Dans leur rapport d’expertise, les
psychiatres Daniel Zagury et Michel Dubec se sont appuyés sur
le « passé incestueux » de Dominique Cottrez. Ils avaient conclu
qu’au moment des faits qui lui
sont reprochés, elle avait agi
« dans les tourments d’un débat
intérieur » susceptible d’avoir
« altéré son discernement et le
contrôle de ses actes » au sens
de l’article 122-1 du code pénal.
Celui-ci prévoit dans ce cas une
diminution de la peine encourue. Cette altération du discernement n’a pas été retenue par
l’autre collège d’experts formé
des docteurs Roland Coutanceau
et Serge Bornstein, qui devaient
être entendus mardi 30 juin par
la cour d’assises.
pascale robert-diard
Et soudain, François Pérol perdit son calme
L’ancien conseiller de Nicolas Sarkozy à l’Elysée, nommé en février 2009 à la tête du groupe
Banque populaire-Caisse d’épargne, est jugé pour « prise illégale d’intérêt »
L
a colère des grands calmes
– ou de ceux qui en donnent
l’apparence – est souvent
vive lorsqu’elle s’exprime. La journée s’étire en longueur, lundi
29 juin. Mille fois depuis le matin,
le président Peimane GhalehMarzban a demandé à l’ex-conseiller économique de Nicolas
Sarkozy si l’Elysée n’avait « quand
même » pas été un lieu de décision
pour organiser ce mariage des
Caisses d’épargne et des Banques
populaires. M. Pérol est jugé pour
prise illégale d’intérêt pour avoir
pris, en février 2009, la tête du
groupe BPCE alors qu’il avait suivi
cette fusion comme secrétaire général adjoint de l’Elysée.
Mille fois, François Pérol a répondu comme il le fait depuis le
début de son procès, lundi
22 juin : « Non, je ne crois pas »,
« non, M. le président, je ne pense
pas », ou par cette autre variante :
« Tout avait été décidé à Bercy. »
N’en déplaise à son ancien supérieur Claude Guéant, le patron de
la BPCE maintient même que
l’Elysée ne fut rien d’autre qu’un
« relais d’information » dans ce
dossier avant que le président
Sarkozy ne propose son nom
pour diriger la nouvelle banque.
L’horloge affiche un peu plus de
18 heures quand vient le moment
D’après M. Pérol,
il était urgent
en 2009
d’annoncer le
nom du dirigeant
de BPCE, même
sans le feu vert
des déontologues
d’aborder la question de la saisine
de la commission de déontologie
des fonctionnaires. C’est précisément ce sujet qui lance l’affaire
six ans plus tôt. Et c’est cette
même question qui va faire perdre son calme à François Pérol.
En février 2009, à peine le nom
du conseiller de M. Sarkozy fuitet-il comme étant l’élu pour diriger
la BPCE, que l’opposition dénonce
le fait du prince. La polémique est à
son comble quand, depuis l’Italie,
le chef de l’Etat évoque le feu vert
de la commission alors que celle-ci
n’a en réalité jamais été saisie.
« Il faut être un peu honnête »
Non qu’ils n’aient pas souhaité le
faire, explique M. Pérol, qui continue malgré tout de penser que
cette saisine était facultative puisqu’il n’avait pas outrepassé son
rôle de conseiller. Mais les délais
exigés par les « sages » étaient trop
longs. Or, il y avait urgence. Les
banques s’apprêtaient à annoncer
des pertes considérables. La fusion
devait avoir lieu, et le nom du dirigeant être annoncé dans la foulée.
« Si vous n’aviez pas de doute,
pourquoi alors avoir sollicité l’avis
du secrétaire général du gouvernement, pris les conseils d’un avocat,
et demandé une lettre au président
de la commission de déontologie ? », demande la procureur
Ulrika Weiss.
François Pérol s’agace à mesure
que la représentante du parquet
pose ses questions. « Il faut être
un peu honnête. Vous dites : “S’il y
avait eu un problème, il fallait que
le secrétaire général du gouvernement le dise”. Mais vous lui avez
soumis vos notes, vos mails ? Comment pouvait-il rendre un avis
éclairé ? », enchaîne-t-elle. « Comment expliquez-vous, alors que la
polémique est déjà brûlante, que le
président de la République dise que
la commission de déontologie a
rendu un avis favorable ? »
« Parce qu’il s’est trompé, il a fait
une erreur ! Vous pensez que le président de la République fait une erreur sciemment ? Mais non, il s’est
trompé ! Vous n’avez pas la moindre idée à quelle pression est soumis un président de la République », fulmine François Pérol, qui
s’évertue à décrire le « contexte
exceptionnel » de la crise de 2009.
« Il se trompe, c’est tout ! Puisque
la commission n’avait pas été saisie, pourquoi aurait-il menti ? (...)
M. Guéant est trop aimable quand
il dit que Nicolas Sarkozy a fait un
raccourci. (…) Le président n’a juste
pas compris ce que lui disait
M. Guéant, il s’est trompé ! »
M. Pérol se tourne alors vers le
président et ses assesseurs. Il n’en
revient pas qu’on puisse « imaginer que le président de la République ait pu sciemment dire quelque
chose de faux » alors que cela le
dessert, explique-t-il. « Mme la procureur semble penser que le président de la République ne peut pas se
tromper. J’ai comme l’impression
que les Français ont pensé le contraire en 2012. » p
emeline cazi
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10 | france
0123
MERCREDI 1ER JUILLET 2015
A Calais, une opération humanitaire inédite
Clinique mobile, colis de nourriture… Pour aider les 3 000 migrants, les ONG agissent comme à l’international
REPORTAGE
calais - envoyée spéciale
Q
uand
Géraldine
Martin prend la main
d’Ibrahim, elle repère
tout de suite les petits
sillons entre les doigts
du jeune Soudanais. Un œil sur le
reste du corps, deux ou trois questions, et son diagnostic sonne
comme une évidence. « Vous avez
la gale. Il faut traiter… Êtes-vous
d’accord pour rompre le ramadan
et avaler tout de suite un traitement ? », enchaîne-t-elle, sans lâcher ni la main ni les yeux du
jeune homme, visiblement rassuré par cette humanité. Anne
Dassonville, l’infirmière, s’affaire
à côté de la médecin, préparant le
sachet de médicaments à emporter et les quatre comprimés à avaler immédiatement.
En périphérie de Calais, l’immense bidonville où survivent
quelque 3 000 migrants dispose
désormais de sa clinique mobile.
Et l’ouverture de la petite cabane
de bois clair, qui tranche au milieu
du bidonville de bric et de broc, a
donné le coup d’envoi d’une opération inédite en France.
Mardi 30 juin, cinq camions
chargés chacun de 20 mètres cubes de colis alimentaires ont débarqué au milieu de l’ancienne décharge devenue campement. Suivaient un semi-remorque de fruits
et légumes puis quelques camions
chargés à bloc de kits d’hygiène et
de 600 jerricans vides pour que les
résidents de la ville fantôme puissent disposer d’eau dans leur cahute. « A Calais, il est difficile de se
nourrir, de se soigner, de se laver et
d’avoir accès à l’eau potable », résume Jean-Francois Corty, le responsable des opérations France de
Médecins du monde.
« Il ne s’agit pas
de se substituer
aux autorités
mais de
les rappeler
à leurs devoirs »
ANTOINE OSBERT
responsable de missions
pour le Secours islamique
Fort de ces constats partagés,
Médecins du monde a ouvert une
clinique mobile. Le Secours catholique a lancé un programme
d’« amélioration de l’habitat » et
de construction de lieux collectifs. Le Secours islamique de
France a distribué des colis alimentaires. Quant à Solidarités international, il a mobilisé ses spécialistes pour la construction de
sanitaires, la répartition de kits et
le ramassage des déchets.
De retour du Kurdistan irakien,
Céline Morin a à peine adapté sa
méthode pour gérer la distribution des colis alimentaires du Secours islamique, des kits d’hygiène de Médecins du monde, et
des kits de conservation d’eau de
Solidarités, son ONG. « Lorsqu’on
arrive en zone de catastrophe, on a
en général des relais sur place qui
nous aident. Dans un camp de réfugiés, les gens sont enregistrés. A
Calais, on fait sans les autorités, et
la population fluctue d’un jour sur
l’autre », observe cette humanitaire habituée à s’adapter aux
contraintes locales.
L’urgence pour toutes ces ONG
est de « répondre aux besoins vitaux qui ne sont pas satisfaits ici »,
rappelle Antoine Osbert, responsable des missions sociales en
49 537
En 2014, 49 537 personnes sont passées dans les 25 centres de rétention administrative. Soit une augmentation de 9 % par rapport à
2013, selon le bilan annuel présenté mardi 30 juin par cinq associations, dont la Cimade et l’Ordre de Malte. Celles-ci estiment que le
gouvernement « fait du chiffre ». Le ministre de l’intérieur, Bernard
Cazeneuve, ne devrait pourtant pas changer de ligne. Le 17 juin, lors
de la présentation d’un plan pour répondre à la crise des migrants, il
a déclaré vouloir « renforcer très significativement l’utilisation de la
capacité de 1 400 places actuellement ouvertes en métropole pour
permettre une augmentation du nombre de retours contraints ».
Dans un bidonville à Calais, le 29 juin. OLIVIER PAPEGNIES/COLLECTIF HUMA POUR « LE MONDE »
France pour le Secours islamique.
« Il ne s’agit pas de se substituer
aux autorités sur le long terme,
mais de les rappeler à leurs devoirs. » Une première pour eux.
Comme pour Solidarités international qui signe là sa première
mission en France. « La situation
que j’ai vue à Calais est pire que certains terrains où nous intervenons,
estime Thierry Belhassen, le responsable des opérations d’urgence. En zone de crise, les instances internationales imposent un
point d’eau pour 250 personnes,
tient-il à préciser. À Calais, les migrants disposent de trois points
d’eau pour 3 000 personnes. Et je
ne parle même pas des toilettes. »
En avril, les autorités préfectorales avaient contraint les migrants
à quitter les squats du centre-ville
pour s’entasser autour d’un centre d’accueil de jour. Le Centre Jules-Ferry a été pensé a minima
avec son unique repas quotidien,
ses douches sous-calibrées, ses
WC accessibles entre 11 heures et
20 heures, la présence quelques
heures d’une infirmière. Depuis
avril, la situation s’est dégradée en
dépit des aménagements en
cours de réalisation par les pouvoirs publics.
Course folle
« Lorsque les migrants étaient
dans des petites structures, les associations locales pouvaient intervenir. Des individuels pouvaient
apporter une aide. Ce n’est plus
possible dans un espace qui regroupe 3 000 personnes », regrette le spécialiste des camps, Michel Agier, anthropologue et ethnologue. Et c’est bien ce que ressent Christian Salomé qui gère
L’Auberge des migrants depuis
des années et a arrêté les distributions de nourritures, son organisation n’étant pas à la dimension
du lieu. « La création de ce camp
est perverse car elle a mué l’humanisme de cette ville frontière en une
nécessité d’aide humanitaire », regrette le chercheur, mettant des
mots sur un fort ressenti local.
Peu à peu la souffrance s’est installée dans la lande. Le nombre de
migrants a crû depuis l’éviction
du camp de La Chapelle à Paris et
les soubresauts qui ont suivi. En
quelques heures de consultation,
ce mal-être s’est imposé à Géraldine Martin. « Une majorité de patients souffrent de douleurs gastriques liées au stress des conditions
de vie, à l’inquiétude des lendemains, mais aussi à la faim que
ressentent ces jeunes hommes qui
n’ont qu’un repas par jour. S’y
ajoutent les problèmes dermatologiques liés au manque d’hygiène et
puis bien sûr, les infections qui dégénèrent parce qu’elles ne sont pas
soignées », observe la bénévole de
Médecins du monde, en cherchant dans ses tiroirs le pansement gastrique qui soulagera Ahmed, un Soudanais psychologiquement épuisé par son voyage.
Des années en Libye, une course
folle pour éviter de donner ses empreintes en Italie. Puis la France…
« Après je ne sais pas. J’ai un rendezvous en octobre pour demander
l’asile. Je serai peut-être passé en
Angleterre d’ici là. C’est tellement
loin », ajoute le jeune homme, relativisant en quelques mots les
autocongratulations d’un gouvernement qui estime avoir créé
« une culture de l’asile » à Calais.
D’ailleurs, depuis le 28 juin, 70 à
80 Syriens investissent tous les
jours la place d’Armes en centreville pour demander à pouvoir déposer légalement leur demande
d’asile en Grande-Bretagne. Lundi,
ils ont été gazés pour être délogés,
alors qu’ils veulent rappeler aux
autorités françaises leur souhait
de quitter la France qui « propose
l’asile mais nous laisse dehors encore quelques mois, alors qu’en Angleterre nous sommes hébergés sur
le champ et dignement ». p
maryline baumard
La vente en France du premier médicament au cannabis en suspens
L’autorisation du Sativex avait été annoncée par Marisol Touraine, mais les autorités de santé et le fabricant ne s’entendent pas sur le prix
L
e Sativex, premier médicament à base de cannabis
autorisé en France, pourrait
bien in fine ne jamais arriver dans
les officines. L’explication ? Après
des mois de négociation, Almirall,
le laboratoire qui commercialise
le Sativex en Europe, et le Comité
économique des produits de
santé (CEPS), l’instance qui fixe le
prix des médicaments, ne sont
pas parvenus à s’entendre. Le premier propose de vendre le Sativex
350 euros la boîte, soit 20 % de
moins que le prix moyen pratiqué
en Europe. Le second ne lui en offre pas plus de 60 euros. « C’est
inacceptable : cela reviendrait à
vendre à perte ! », s’indigne Christophe Vandeputte, le directeur
d’Almirall en France, qui souhaite
maintenant « un arbitrage politique ».
De quoi embarrasser la ministre
de la santé, très impliquée dans ce
dossier. En juin 2013, Marisol Touraine avait modifié le code de
santé publique afin que les médicaments dérivés du cannabis
puissent solliciter une autorisa-
tion de mise sur le marché (AMM)
auprès de l’Agence nationale de
sécurité du médicament (ANSM).
Elle mettait ainsi fin à une interdiction vieille de soixante ans,
cette plante ayant été bannie de la
pharmacopée française en 1953.
En janvier 2014, la ministre avait
tenu à annoncer elle-même
l’AMM obtenue par le Sativex
pour traiter les contractures musculaires affectant les personnes
atteintes de sclérose en plaques.
« Une option supplémentaire »
Est-elle prête maintenant à jouer
les arbitres entre le fabricant et le
CEPS ? Contacté par Le Monde, le
ministère indique que les « discussions ne sont pas closes ». Il rappelle que le Sativex a été évalué
par la Haute Autorité de santé
(HAS) « comme c’est la règle », et
que « le niveau de remboursement
et le prix qui [lui] seront attribués
tiendront compte, comme pour
chaque médicament, de cet avis ».
Publié en octobre 2014, celui-ci
juge que l’efficacité du Sativex est
« faible » et qu’il ne représente pas
un progrès thérapeutique par rapport aux traitements existants. Ce
résultat signifie que le prix fixé
par le CEPS ne peut être supérieur
à celui des molécules déjà commercialisées avec la même indication, anciennes et « bon marché ».
Un raisonnement absurde selon
le docteur Patrick Vermersch,
neurologue au CHRU de Lille, qui
a suivi une vingtaine de patients
dans le cadre des essais sur le Sativex. « De nombreux patients ne répondent pas ou plus à ces molécules, insiste-t-il. Le Sativex n’est certes pas un remède miracle, mais il
représente une option supplémentaire pour ces malades. » Sur les
100 000 personnes atteintes de
sclérose en plaques, environ
5 000 pourraient en bénéficier.
« A raison d’une boîte par mois, ce
n’est tout de même pas la mer à
boire ! », s’agace-t-il.
Le prix ne serait-t-il qu’un prétexte pour permettre à la ministre
de la santé de faire marche arrière,
par crainte que le Sativex soit trop
prescrit ? C’est peu probable.
« Nous avons évalué ce risque et
Sur les
100 000 Français
atteints
de sclérose en
plaques, environ
5 000 pourraient
bénéficier
du Sativex
pris des mesures pour encadrer
très précisément la prescription et
la délivrance du médicament », insiste Nathalie Richard, chef du département des stupéfiants et psychotropes de l’ANSM. La prescription initiale est ainsi réservée aux
neurologues et médecins rééducateurs qui exercent à l’hôpital,
pour limiter toute pression des
patients sur les médecins de ville
et notamment les généralistes.
« Nous recevons régulièrement
des appels de patients qui souhaitent s’en procurer pour soulager
leur douleur mais le Sativex n’est
pas indiqué pour cela et les dernières études ne démontrent pas d’efficacité dans ce domaine », précise
Nathalie Richard. Le risque de détournement à usage récréatif paraît également limité : le Sativex,
qui se présente sous la forme d’un
spray, a été conçu pour minimiser
le pic de THC (tétrahydrocannabinol), la molécule à l’origine de l’effet euphorisant du cannabis.
S’il bénéficie d’une attention exceptionnelle, le Sativex n’est en
fait pas le seul à être recalé dans la
dernière ligne droite. « Personne
ne le sait, mais chaque année plusieurs molécules ne sont pas lancées sur le marché français en raison d’un différend sur le prix », révèle Dominique Giorgi, le président du CEPS. « Il s’agit
de médicaments dont l’intérêt thérapeutique est faible et pour lesquels il existe des alternatives », indique-t-il. Dernier exemple en
date : l’Invokana, un antidiabétique produit par le laboratoire
Janssen. Selon la HAS, il n’a pas
démontré d’avantages cliniques
et, plutôt que devoir le brader, le
laboratoire a renoncé à le commercialiser en France.
La Sativex ne quittera sans
doute pas l’Hexagone avec autant
de discrétion. « Pour les patients
qui ont épuisé toutes les options
thérapeutiques, cette situation est
incompréhensible, explique Catherine Mouzawak, infirmière au
sein du Réseau SEP Ile-de-France
Ouest, une association qui se consacre aux personnes atteintes de
sclérose en plaques. Ils s’attendaient à une commercialisation
rapide après l’élan donné par la
ministre. » Alors que la France est
un des seuls pays européens où le
Sativex n’est pas disponible, certains n’hésitent pas à franchir la
frontière pour en acheter. « Des
patients consultent déjà en Allemagne, en Espagne ou en Italie
pour obtenir une ordonnance, quitte à payer le Sativex de
leur poche », constate-t-elle.
D’autres se sont mis… à fumer du
cannabis. La ministre de la santé
n’anticipait sans doute pas un tel
dénouement. p
chloé hecketsweiler
0123 et
présentent
+
MINI GUIDE
SUR UNE VILLE
N°2. Pavillon rouge à la Baule
d’ Emmanuel Grand
illustré par Pierre Place
N°1. Là-bas, c’est Marseille
de Jérémie Guez
illustré par Jacques Ferrandez
N°3. I ♥ Lyon
de Chantal Pelletier
illustré par Loustal
Dans cette quatrième série, les Petits Polars
Le Monde-SNCF vont de ville en ville, en suivant
lescheminsdetraversedepersonnagessouvent
peu recommandables. Pendant tout l’été, de
Marseille à Lille ou de Biarritz à Colmar, nos
auteurs et illustrateurs vous feront redécouvrir
la vie dans nos régions, sous des cieux parfois
très noirs. À la suite de chaque nouvelle, une
échappée curieuse et gourmande sur les lieux
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N°4. Les filles
du Touquet
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9 nouvelles inédites tout l’été
1. 23/06 JÉRÉMIE GUEZ
JACQUES FERRANDEZ
4. 27/06 KARIM MISKÉ
FLORENCE DUPRÉ LA TOUR
Là-bas, c’est Marseille
2. 23/06 EMMANUEL GRAND
PIERRE PLACE
Les Filles du Touquet
5. 8/07
Pavillon rouge à La Baule
3. 25/06 CHANTAL PELLETIER
LOUSTAL
I ♥ Lyon
TITO TOPIN
VINCENT GRAVÉ
Bloody Paris
6. 8/07
ANTOINE CHAINAS
ANTHONY PASTOR
Le soleil se couche parfois à Montpellier
7. 11/07 MICHEL QUINT
POZLA
Si près du malheur à Lille
8. 11/07 IAN MANOOK
HERVÉ BOURHIS
Retour à Biarritz
9. 11/07 NICOLAS MATHIEU
FLORENT CHAVOUET
Paris Colmar
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12 | enquête
0123
MERCREDI 1ER JUILLET 2015
Taxis : une guerre fratricide
UberPop
contre chauffeurs
traditionnels :
ils habitent souvent
les mêmes HLM
de banlieue,
sont issus de la même
immigration récente,
et parfois
de la même famille
montant de ses courses après avoir prélevé
une commission de 25 %. « C’est de l’argent que
je ne déclare pas », reconnaît-il sans gêne. Et
pour cause, « Uber nous explique que ce n’est
pas imposable en dessous de 7 500 euros par
an ». Comme beaucoup, il veut croire ce qui
l’arrange et les ambiguïtés bien dosées des informations mises en ligne par Uber lui facilitent la tâche. En réalité, il est censé ajouter les
montants ainsi gagnés à sa déclaration de revenus.
COMPTE À REBOURS
jean-baptiste jacquin
A
près s’être glissé sans bruit
hors de son appartement,
une sensation agréable envahit Stanley. A 5 heures, ce
lundi 29 juin, la nuit a enfin
apporté un peu de fraîcheur.
Il en profite de tout son corps avant de monter
dans sa voiture. Il ne la quittera pas pendant
quatorze heures… De sa cité HLM de Noisy-leGrand (Seine-Saint-Denis), où il a laissé sa
femme et ses trois enfants endormis, il rejoint
l’aéroport de Roissy - Charles-de-Gaulle en espérant qu’une bonne course lui permettra de
bien démarrer sa journée.
« Avant, j’étais jardinier ou soudeur, ça dépendait », raconte ce Haïtien, qui a souhaité garder l’anonymat, chauffeur de taxi depuis cinq
ans. Arrivé en France en 1999, il n’a pas une
seule fois travaillé de façon stable à l’abri d’un
contrat à durée indéterminée. « C’était surtout
de l’intérim, avec des trous », explique-t-il avec
un accent si prononcé qu’il faut parfois lui demander de répéter.
Taxi, ça lui plaît. Mais les nuits ne sont pas
toujours bonnes. « Des fois, je me couche et je
ne peux pas dormir à cause de soucis d’argent. »
Stanley, qui devait partir deux semaines cet
été en vacances avec sa fille aînée, 12 ans, s’apprête à y renoncer. « J’ai déjà acheté les billets
pour Haïti, mais je vais devoir les oublier. Ma
voiture m’a fait quatre pannes en deux mois, et
je n’ai pas de réserve. »
Jeudi 25 juin, jour de la grève des taxis et
théâtre d’incidents violents, il est resté chez
lui. Cela ne l’empêche pas d’avoir son argumentaire tout prêt pour dénoncer ces chauffeurs qui lui rendent la vie plus difficile. « Nous
les taxis, on est en France, on investit en France.
Avec Uber, tout l’argent part en Amérique ! »
Alors oui, Stanley est colère contre la concurrence d’Uber. Une colère contre des frères d’infortune.
Les chauffeurs UberPop habitent les mêmes
cités de banlieue et sont issus pour beaucoup
de la même immigration récente. C’est une
sorte de guerre fratricide entre deux nouveaux sousprolétariats.
La cité HLM où habite depuis peu Brahima
Diallo se situe à l’opposé de celle de Stanley par
rapport à Paris, à Cergy-Pontoise (Val-d’Oise).
A 26 ans, il y vit avec sa mère et ses trois petits
frères et sœurs, tous encore scolarisés. Chauffeur UberPop depuis trois mois, il gagne 1 300
à 1 400 euros par mois. « Je comprends que ça
énerve les taxis, mais on est des jeunes, on veut
bosser, c’est tout ! » s’emporte-t-il. Depuis septembre, il était « dans le chaos. » « Je ne touchais plus les Assedic, j’avais même pas le RSA.
On avait un arrêté d’expulsion à Goussainville,
j’ai été obligé de faire des conneries, j’avais pas
le choix, c’était pour ma famille… » Sa mère a
bien un travail, « mais elle est amortie maintenant, et souvent malade ». Titulaire d’un BEP
vente, ce Français d’origine comorienne a
commencé à travailler à 17 ans. Dans la litanie
des petits boulots, sa plus longue expérience
fut celle de livreur à domicile chez Planet
Sushi, pendant cinq ans. Et puis, plus rien…
QUELQUES MINUTES EN LIGNE
« J’ai déposé des CV partout, dans tous les domaines, je suis même allé au marché de Rungis
où j’ai balancé au moins 200 CV. Aucune réponse. » Et puis un copain au chômage lui
parle d’UberPop qui permet à un particulier,
sans formation ni contrainte réglementaire,
de s’improviser chauffeur, contrairement à
UberX qui doit faire appel à des professionnels. L’inscription sur UberPop prend quelques minutes en ligne. Mais il faut être propriétaire de sa voiture. « Un ami m’a prêté sa
Renault Clio. On a refait la carte grise à mon
JESSY DESHAIS
nom », explique ce gringalet pétillant. Désormais inscrit comme autoentrepreneur, il est
fier et surtout soulagé de subvenir aux besoins de sa famille. « Je vole pas M’sieur, je travaille. C’est Uber qui m’a permis de me relever ! »
Brahima Diallo n’imagine pas une seconde
qu’il gagne davantage que Stanley en travaillant beaucoup moins que lui. L’Haïtien de
39 ans est l’un de ces forçats du bitume parisien qui travaillent nuit et jour, pour un maigre résultat en fin de mois et une situation financière acrobatique. Stanley a acheté sa licence de taxi en décembre 2013. Les prix de ce
fameux sésame étaient alors au plus haut. Il a
dû débourser 240 000 euros, auxquels s’ajoutent 7 900 euros de droits de mutation.
Grâce à un « apport personnel » (en réalité
une somme empruntée sans intérêt à des
amis taxis) de 25 000 euros, BNP Paribas lui a
accordé un prêt sur onze ans, avec des échéances mensuelles de 2 500 euros. Sa voiture, une
Volkswagen Touran également achetée à crédit, sur cinq ans, lui coûte 500 euros de plus à
rembourser tous les mois. Les insomnies du
moment, c’est l’angoisse de voir sa voiture le
lâcher. Elle n’a 193 000 km. Comment faire s’il
devait en acquérir une autre alors qu’il doit encore en rembourser la moitié ?
Après versement des cotisations maladie et
retraite au régime social des indépendants
(RSI) et de l’assurance professionnelle de la
voiture, il lui reste 1 200 euros nets par mois. Si
cet artisan accepte cette vie de chien, roule six
jours sur sept, au-delà des onze heures quotidiennes réglementaires (« il suffit de couper
« JE VOLE PAS,
M’SIEUR,
JE TRAVAILLE.
C’EST UBER QUI
M’A PERMIS
DE ME RELEVER ! »
BRAHIMA DIALLO
chauffeur UberPop
l’horodateur… »), c’est qu’il entrevoit au bout
de ces courses folles le Graal : le pactole pour la
retraite que devrait lui rapporter la revente de
sa licence. En théorie. Car, en deux ans et demi,
il a déjà vu sa valeur fondre de 50 000 euros.
D’autres additionnent les heures au volant,
mais en cumulant deux jobs. Beaucoup de
chauffeurs UberPop se lancent dans les rues
de la capitale pour une poignée d’heures par
jour qui leur donnent un complément de revenu, ou de retraite. Jean-François, né en Espagne (il préfère taire son nom), est chauffeur de
car en intérim à Orly, où il conduit des personnels navigants. Aux trente heures hebdomadaires pour ce sous-traitant d’ADP, il en rajoute
une grosse vingtaine dans sa petite Mercedes
Class A à transporter les clients que lui envoie
l’application mobile d’Uber.
« On ne fait rien d’illégal », proteste-t-il après
avoir insisté pour que l’on monte à l’avant.
« C’est Uber qui nous le recommande pour ne
pas se faire repérer par la police. » Les « Boers »,
la brigade de la préfecture spécialisée dans la
police des taxis, ont lancé la chasse aux UberPop. Le ministre de l’intérieur a annoncé le
25 juin que leur véhicule serait saisi en cas de
flagrant délit. La filiale du groupe américain a
beau écrire sur le site réservé à ses chauffeurs :
« Nous soutiendrons toujours chaque conducteur UberPop dans quelque situation que ce
soit », la fébrilité a gagné certains d’entre eux.
« L’idéal serait qu’en rythme de croisière je
couvre mon loyer en HLM à Puteaux (Hautsde-Seine) avec UberPop », espère Jean-François. Uber lui verse une fois par semaine le
Ne pas payer d’impôt ne gêne pas Sidiki (qui
n’a pas souhaité donné son nom) non plus.
Ne pas cotiser à la retraite ni à l’assurancemaladie chiffonne un peu plus ce Guinéen arrivé en France en 2001. Mais, ce qui le préoccupe vraiment, ce vendredi 26 juin, ce sont
ses mauvaises notes. A 35 ans, tout timide du
haut de son 1,95 m, le visage émacié, il vient
au siège d’Uber France, dans le 19e arrondissement de Paris, pour comprendre pourquoi il
a été « saqué » par des clients. Est-ce lui ou sa
Fiat Ulysse vieille de neuf ans qui a déplu ?
Chaque client peut noter de 1 à 5 le chauffeur
à l’issue de la course.
Il est inquiet. La rumeur dit que certains
chauffeurs sont exclus de la plate-forme Uber
en cas de trop mauvaises appréciations, sans
indemnités, sans explication et du jour au
lendemain puisqu’ils ne sont pas salariés.
Mais Sidiki veut s’accrocher. Mal fagoté dans
un t-shirt informe et un pantalon de jogging
élimé bleu électrique, il rêve, « si ça marche »,
de s’acheter une nouvelle voiture. Il ne veut
pas redevenir livreur de matériel sur les chantiers, ce qu’il a fait pendant dix ans au fil d’un
chapelet de CDD.
La précarité, Nabil Lahoussin assure en être
sorti. Pourtant, chaque matin quand il allume
le compteur de son taxi, c’est le compte à rebours qu’il déclenche. Il n’a pas de licence et
loue à une petite société de Clichy son taxi,
une grosse Skoda grise. Chaque soir, en rentrant dans son HLM de Garges-lès-Gonesse
(Val-d’Oise), il passe chez son loueur pour lui
payer 120 euros. Chez G7, la location est de
150 euros par jour. « Je ne paye que six jours sur
sept, donc si je veux travailler le septième, c’est
gratuit », se réjouit ce Tunisien de 48 ans, arrivé en France en 1995. Les bonnes journées, il
lui reste, après avoir payé l’essence, 50 ou
60 euros. Les mauvaises journées, c’est un panier percé.
Taxi depuis qu’il a laissé tomber les déménagements en 2007, il affirme qu’il gagnait
mieux sa vie avant. Nabil Lahoussin s’est arrêté deux semaines en février car « il n’y avait
pas assez de travail ». Pour ne pas risquer de
perdre de l’argent, il a préféré ne pas chercher
à en gagner… « Le locataire, il est tellement dépouillé de tout, qu’on ne peut pas l’aider », affirme Robert (qui a préféré garder l’anonymat), un comptable qui fait la paperasse
d’une petite centaine de taxis.
Stanley avait lui aussi commencé comme locataire avant d’investir dans sa plaque. Il ne gagne pas plus, mais quand il aura remboursé,
« ça sera autre chose ». Pour Pierre-Cyrille
Hautcœur, directeur à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, « les taxis sont désormais soit des capitalistes, dont la rémunération
provient en grande partie des licences, soit des
prolétaires déqualifiés qui doivent travailler
pour payer la rente du capital ». Uber, de sa
lointaine Californie, serait la réincarnation
mondialisée et numérisée du français G7.
Autour du traditionnel tiep bou dien, plat
de poisson et de riz, Joao Gomes a passé son
repas dominical à deviser sur la bataille du
moment. Arrivé en France en 2003 de Guinée
Bissau, il est aujourd’hui chez Uber, tandis
que le père de sa femme, son oncle et son cousin, tous guinéens, sont taxis, locataires.
« Tous les dimanches en famille, on ne parle
que de ça. Mais cette fois, ils m’ont vanné parce
que je n’ai pas travaillé pendant trois jours, je
n’osais plus sortir ma voiture. Seulement, à
force, ils font leurs calculs et se demandent s’ils
ne vont pas changer pour devenir VTC », conducteurs de voiture de transport avec chauffeur. Taxis ou Uber, tous vivent dans les mêmes HLM au bout des pistes d’Orly, à Vigneux-sur-Seine (Essonne).
Jean-Claude, lui, n’est pas immigré. « Je suis
Français de souche, moi ! », proclame ce retraité de 63 ans qui n’a pas souhaité donner
son nom. Ancien commerçant, il touche le minimum vieillesse. « Avec cinq ou six heures
d’UberPop par jour, je me fais 120 euros par semaine. » Des revenus qu’il ne déclare pas. Il se
sent protégé par Uber « qui connaît les failles
du système ». « Et puis, au gouvernement, ils
n’ont pas de couilles… Parce que là, on va dans
le mur. » Disparus, les chauffeurs de taxi à l’ancienne ? p
éclairages | 13
0123
MERCREDI 1ER JUILLET 2015
Grèce, migrants : le naufrage de l’Europe
ANALYSE
Deux jours plus tard, le 27 juin, le président de
la Commission a été, à nouveau, « profondément affligé, attristé par le spectacle qu’a donné
l’Europe ». Il en a rejetté la responsabilité sur le
premier ministre grec, Alexis Tsipras, responsable d’avoir, en une nuit, porté « un sacré
coup » à « la conscience européenne » en appelant à un référendum, le 5 juillet, pour se prononcer sur les mesures d’économies proposées à Athènes par ses créanciers. Au risque de
précipiter la Grèce vers le défaut de paiement,
voire la sortie de l’euro.
Il y avait quelque chose de glaçant, à écouter,
le 27 juin, Jeroen Dijsselbloem, le président de
l’Eurogroupe, expliquer que la réunion allait se
poursuivre sans leur homologue grec, Yanis
Varoufakis. Le communiqué des ministres des
finances de la zone euro était accompagné
d’une note de bas de page précisant qu’il était
« approuvé par tous les membres de l’Eurogroupe, à l’exception du membre grec ». Cette
amputation après cinq ans de crises fait froid
dans le dos.
Bien sûr, la responsabilité des Grecs est lourdement engagée. Des années de laisser-aller
économique et de clientélisme. De croissance
artificielle dopée par un endettement fou. Des
successions de gouvernements irresponsables
qui promettent les réformes en faisant semblant de les mettre en place. Enfin, un gouvernement Tsipras, qui, dans la dernière ligne
droite des négociations, préfère privilégier
l’unité de son parti à un compromis, douloureux, mais sans doute pas inatteignable.
alain salles
E
SI ATHÈNES
SORT DE L’EURO,
ON POURRA
BLÂMER
LE GOUVERNEMENT
TSIPRAS,
MAIS CE SERA
D’ABORD UN ÉCHEC
EUROPÉEN
n juillet 2014, devant le Parlement de
Strasbourg, Jean-Claude Juncker avait
présenté la Commission européenne
dont il briguait la présidence comme
celle « de la dernière chance ». Il est vrai que les
élections européennes du printemps précédent avaient été marquées par la poussée des
populismes qui, tous, contestent la logique
même de la construction communautaire.
« Nous devons répondre aux angoisses, aux
peurs et aux espoirs des citoyens européens par
le rêve », promettait, alors, M. Juncker.
Un an plus tard, c’est peu dire que ce rêve est
en train de virer au cauchemar. Jeudi 25 juin,
les 28 pays de l’UE, représentant 500 millions
d’habitants, n’ont pas réussi à s’entendre pour
répartir 60 000 réfugiés, chassés de leurs pays
par la guerre. « Si vous ne pouvez pas trouver
d’accord sur des réfugiés, vous ne méritez pas de
vous appeler Européens », a tonné le président
du conseil italien, Matteo Renzi, laissé bien
seul face à l’afflux de réfugiés, qui trouvent
portes closes à la frontière française après Vin­
timille. L’Europe forteresse sent désormais le
besoin de se protéger à l’intérieur même de ses
frontières ; les pays se barricadent, pensant en­
diguer ainsi la montée de leurs propres popu­
lismes. Et Jean­Claude Juncker ne décolérait
pas devant l’absence de solidarité et l’égoïsme
des chefs d’Etat et de gouvernement.
La stratégie de négociations, mélange d’arrogance et d’amateurisme, du premier ministre
grec et de son ministre des finances, Yanis Varoufakis, est pour beaucoup dans l’incompréhension qui a viré au tragique entre Athènes et
Bruxelles. Mais le jeu des responsabilités ne
peut pas se limiter à la Grèce, épuisée par cinq
ans d’une crise qui lui a fait perdre 25 % de son
PIB et fait exploser chômage et pauvreté.
FAUTES COLLECTIVES
De quoi parle-t-on dans le psychodrame des
négociations engagées depuis janvier ? De la
possibilité pour les créanciers de débloquer la
dernière tranche de 7,2 milliards d’euros qui
reste à verser par les Européens sur un total de
145 milliards. Cette somme aurait déjà dû être
versée, à l’automne 2014. Mais les créanciers
ont essayé d’imposer des conditions difficiles
au premier ministre conservateur Antonis Samaras, en qui ils avaient perdu confiance. Ils
ont été plus conciliants, paradoxalement, avec
Alexis Tsipras. Mais l’hostilité à son égard du
FMI et d’une partie de la droite européenne,
doublée de l’intransigeance de Syriza, incapable de faire le distinguo entre les positions du
ministre allemand des finances, Wolfgang
Schäuble, et celles de Jean-Claude Juncker, ont
rendu impossible tout accord.
Il y avait quelque chose de dérisoire, ces derniers jours, dans ces négociations au bord du
gouffre, quand le FMI et le gouvernement grec
bataillaient pour savoir si une mesure devait
entrer en application le 1er juillet ou le 1er octo-
bre. Dérisoire, car pendant cinq ans tous ces
documents, signés et votés à l’arraché, ont rarement été appliqués. Parce que les différents
gouvernements ont traîné des pieds, mais
aussi parce que les calculs de la « troïka » se
sont avérés approximatifs. Le FMI a déjà reconnu qu’il avait sous-estimé les effets récessifs de ces mesures. Son ancien directeur, Dominique Strauss-Kahn, le confirme dans une
note publiée le 27 juin : « Le FMI a fait des erreurs. » Il estime surtout qu’« insister sur un
ajustement budgétaire préalable dans l’environnement économique actuel est irresponsable
économiquement et politiquement ».
Cinq ans plus tard, on attend toujours le mea
culpa des Européens. Jean-Claude Juncker a
tout juste indiqué qu’il fallait ajouter « une
dose de démocratie à la “troïka” ». Mais, après
plusieurs plans de redressement et la mise en
place d’une task force pour restructurer l’Etat,
le bilan est des plus maigres et ce n’est pas que
la faute des Grecs. Le déficit budgétaire a été
considérablement réduit mais au prix d’un ar­
rêt de l’économie. Les aides accordées aux banques ne leur ont pas permis d’aider les entreprises, exsangues.
Si d’aventure la Grèce sort de l’euro, on
pourra blâmer, à juste titre, le gouvernement
Tsipras. Mais ce sera d’abord et avant tout
un échec européen. Et la Commission aura
épuisé sa « dernière chance ». Sur les migrants,
comme sur la Grèce, elle risque le naufrage. p
[email protected]
LETTRE DE JÉRUSALEM | p iot r smol ar
Dans sa guerre culturelle, la droite israélienne a un héraut
S
hamai Glick semble inoffensif. Il est
maigre, il a de petits yeux vifs bat­
tant derrière des lunettes et peine à
s’arrêter de parler. Il a 27 ans et sa vie
est solidement sanglée par des certitudes. Sa
foi n’admet pas le doute. Shamai Glick porte
une pochette. Elle contient des articles sur
ses exploits, ainsi que des documents sur ses
cibles. C’est pour mieux illustrer, au cours de
notre entretien, la gravité de leur supposée
dérive.
Le militant penche à droite. Très à droite. Il
est croyant, et nationaliste. Très nationaliste.
Il s’est fixé une mission : la chasse aux orga­
nisations et aux spectacles culturels dits
« anti-israéliens ».
En quelques mois, par la grâce de ses
3 000 amis sur Facebook, il est devenu une
redoutable vigie. Il harcèle élus locaux et na­
tionaux pour dénoncer des artistes qu’il ac­
cuse d’apologie du terrorisme ou de diffama­
tion contre l’armée, la colonne vertébrale
d’Israël. « Je représente une nouvelle génération, croyante, qui dit : ceci est mon pays, mon
armée. On accepte les critiques, mais elles doivent être correctes. Or, il y a un petit groupe
d’artistes de gauche qui ont pris le contrôle de
la culture et pensent être les meilleurs. Nous
LES INDÉGIVRABLES PAR GORCE
sommes en guerre idéologique. Nous les haïssons, mais nous ne les tuons pas. Nous les affrontons. »
Informaticien de métier, habitant dans la
ville nouvelle de Bet Shemesh, près de Jéru­
salem, il a un téléphone portable précieux.
On y trouve les numéros de la moitié du gou­
vernement, surtout ses membres conserva­
teurs. Parmi eux, la ministre de la justice,
Ayelet Shaked, une alliée. Elle travaille sur un
projet de loi qui ravit Shamai Glick. Il coupe­
rait tout financement public aux organisa­
tions non gouvernementales critiques des
autorités, comme Breaking the Silence, qui
regroupe des anciens combattants, ou B’Tse­
lem, qui recense les violations des droits de
l’homme dans les territoires occupés.
« B’Tselem est une organisation anti-israélienne, assure­t­il. Elle qualifie les terroristes
du Hamas de combattants de la liberté. Vous
connaissez la différence entre Tsahal et le Hamas ? Quand on tue un enfant, on est désolés.
Eux font la fête. »
Le militant reproche à B’Tselem d’avoir
fourni à un chorégraphe israélien, Arkadi
Zaides, des vidéos montrant des violences
commises par des soldats contre des Palestiniens. Le spectacle de ce dernier, Archives,
mélange d’installation vidéo et de danse, a
provoqué la fureur parmi les colons et les
milieux ultranationalistes.
Le ministère de la culture a déjà demandé à
l’artiste de retirer son logo de l’affiche. La ministre, Miri Regev, est devenue l’incarnation
de la revanche des nationalistes contre une
élite artistique de gauche basée à Tel-Aviv.
Elle vient de couper les fonds du Théâtre Al­
Midan, à Haïfa, qui mettait en scène la vie
d’un terroriste. Elle a menacé le Festival du
film de Jérusalem d’une sanction similaire
s’il diffusait un documentaire sur l’assassin
de l’ancien premier ministre Yitzhak Rabin.
CINQUIÈME COLONNE
Culture, ONG : depuis trois mois, la guerre
idéologique est déclarée. On demande à Shamai Glick qui est légitime pour exercer une
censure. Il sourit. « On ne veut fermer la bouche de personne, mais on vérifie ce qui est dit.
Ça fait trente ans qu’Israël est à droite. Les
gens votent pour que quelqu’un décide. »
Il milite notamment pour que l’Etat ne détache pas de jeunes faisant leur service civil
auprès de ces ONG qu’il considère comme
une cinquième colonne. « Chaque jour, ce
pays peut disparaître. Je suis le seul à com-
prendre qu’une vidéo est une arme bien plus
destructrice que le fusil d’un soldat. »
Shamai Glick est le neveu de Yehuda Glick,
célébrité de la droite ultranationaliste, dont
l’obsession est le droit des juifs à prier sur le
mont du Temple (ou esplanade des Mosquées), en attendant l’édification du troisième temple de Jérusalem. Yehuda Glick a
été la victime d’une tentative d’assassinat
par un Palestinien, en octobre 2014. « Certains ont pour héros Obama ou Justin Bieber.
Moi, c’est mon oncle », résume le neveu.
Le jeune homme est né à Jérusalem. Son
grand-père, médecin de renom, est arrivé des
Etats­Unis en 1976. Le sionisme messianique
est la pierre angulaire de la famille.
Un Etat palestinien ? « Impossible
aujourd’hui, dit­il. On ne peut pas leur faire
confiance. Parmi eux, il y a 10 % de gens mauvais et dangereux, qui prendront le contrôle
des autres. Ma solution, c’est la paix. Il faut
leur donner l’autonomie, des emplois, de l’argent. Il faut leur construire un centre commercial à Bethléem, des hôpitaux pour qu’ils ne
soient pas obligés d’aller à Jérusalem. Il faut la
carotte, mais il faut le bâton. » p
SHAMAI GLICK
S’EST FIXÉ
UNE MISSION :
LA CHASSE AUX
ORGANISATIONS
ET AUX
SPECTACLES
CULTURELS
DITS « ANTIISRAÉLIENS »
[email protected]
Créer pour résister
LIVRE DU JOUR
isabelle rey-lefebvre
S
ouvenirs est un livre de Marie Ra­
meau, photographe et écrivaine, qui a
l’âge des petits­enfants de ses héroïnes. Elle dresse, en photos et en textes, le portrait de vingt femmes, toutes résistantes et déportées. Elle aborde la vie dans les
camps sous l’angle inédit des objets qu’envers
et contre tout les déportées fabriquaient clandestinement.
« Créer, même et surtout ici, c’est résister, c’est
espérer, c’est vouloir vivre », affirme la sœur de
Simone Veil, Denise Vernay, « Miarka » de son
nom de résistante, dans le texte intitulé
« Créer », écrit en 1946, au retour des camps
de la mort, et qui ouvre le livre.
Marie Rameau a patiemment rassemblé ces
objets enfouis au fond des tiroirs et révélés à
l’occasion de ces rencontres. La photographe
a encore découvert d’autres trésors au Musée
de la résistance et de la déportation de Besançon. L’étonnement nous gagne en contemplant ces dessins réalisés avec des crayons vo-
lés sur carton d’emballage détourné de
l’usine d’armement, de Jeannette L’Herminier, ces jeux de société dessinés par Lou Blazer, ce mouchoir brodé par Elizaveta Pilenko
(Marie Rameau rappelle d’ailleurs à son sujet
que, s’étant faufilée dans le Vél’ d’Hiv après la
rafle du 17 juillet 1942, elle en exfiltra, avec la
complicité des éboueurs de Paris, plusieurs
enfants, cachés dans des poubelles), ce sou­
tien­gorge en toile d’habit de prisonnier, une
frivolité strictement interdite dans les camps,
cousu par Annette Chalut.
FAIRE HURLER « L’ALLEMAND RAGEUR »
Ou encore des bijoux, poèmes, ceintures, car­
nets, faits avec rien – « (…) aiguilles, fil, toile de
paillasse, chemises, fil électrique, papier, manche de brosse à dents, outils pour tailler, couper, écrire, dessiner. Jouissance de l’esprit et des
mains qui nous sort du cauchemar… », écrit
Denise Vernay. Michelle Simon, décédée au
début des années 1990, raconte quant à elle le
rire qui fuse d’une colonne de femmes rasées
et fait hurler « l’Allemand rageur ».
Beaucoup de ces objets sont le fruit de
l’amitié, de l’amour, seules armes à portée
des captives qui les rendent capables de créer
sans cesse, comme le fit par exemple une
mère pour son enfant, en bricolant un dé et
des pions.
D’autres imaginèrent une chanson, Les Culottes, écrite pour rire ensemble. Enfin, citons
ce sublime portrait au crayon dessiné par une
autre de ces femmes pour ne pas oublier le
beau visage d’une amie, si jeune, qui vient de
mourir sur sa paillasse…
En 2015, sept décennies après la libération
des camps, il n’y a pas que les musées qui ravi­
vent la mémoire. Souvenirs est d’abord le ré­
cit, à la première personne, d’une jeune
femme d’aujourd’hui, bouleversée par ces
rescapées dont l’histoire est si révoltante
qu’elle est parfois indicible.
Marie Rameau sait très bien dire ce qui,
en 2015, la passionne, l’émeut et l’instruit. Li­
vre après livre, cette auteure prolonge dans le
présent l’indispensable témoignage de ces
femmes d’exception. p
Souvenirs
Marie Rameau
La Ville Brûle, 222 p., 30 €
14 | débats
0123
MERCREDI 1ER JUILLET 2015
La contestation
écologiste crée de
nouveaux Robespierre
Tragédie grecque | par serguei
A Notre-Dame-des-Landes comme ailleurs,
la création de zones à défendre par des militants
proenvironnement ravive la tradition
révolutionnaire française. Le droit se trouve
contesté par une minorité qui dit incarner
un principe de justice supérieur
par pierre auriel
L
La Grèce, un pays aux avant-postes
du déclin occidental
Les Grecs, tels des parias, sont traités avec mépris,
alors qu’ils subissent une profonde crise humanitaire.
L’Europe se montre, encore une fois, incapable
de trouver une réponse adaptée aux maux causés
par un système qui nous échappe
par ersi sotiropoulos
J’
ai l’impression d’écrire sous l’épée de
Damoclès. Chacune des pensées que
j’exprime, le moindre souhait ou espoir peut demain être réfuté, démenti, dépassé. Le 30 juin approche. Je crois
que la confusion surpasse la panique. Que
voulons-nous ? Qui sommes-nous ? Nous,
les Grecs. Les parias de l’Europe, les paresseux et irresponsables qui tourmentons
depuis des mois l’Eurogroupe, accaparons
tous les sommets européens, alors qu’il y a
d’autres sujets cruciaux à discuter,
l’Ukraine ou les produits transgéniques,
par exemple. La crise des dernières années
a soulevé un problème d’identité. Un petit
pays, une longue histoire. Un lointain passé
glorieux qui souvent devient un fardeau et
provoque l’embarras, particulièrement
quand, aux yeux des étrangers, nous sommes depuis des décennies le pays des vacances, de la moussaka et du retsina. Voilà
que nous qui étions les vieux amis de la
pensée, nous restons en suspens, paralysés,
nous n’arrivons plus à penser ce qui arrive.
Devant le Parlement, à Athènes, les affrontements sont de plus en plus violents.
Là où il y a trois ans manifestaient les « indignés », se dressent à présent les banderoles des proeuropéens. Le conflit exacerbé
par le désespoir et l’incertitude entraîne
une polarisation. De manière sournoise,
l’ombre de la discorde nationale plane à
nouveau, soixante-cinq ans après une sanglante guerre civile.
Au début, la victoire électorale de Syriza a
créé un sentiment d’euphorie, même chez
certains de ceux qui n’avaient pas voté
pour eux. Pour la première fois, l’establishment politique grec, associé aux malheurs
des dernières années, ne participait pas au
gouvernement. A ce souffle d’espoir des
SANS EMPLOI ET
SANS CROISSANCE,
UNE GRANDE
PARTIE DE LA
POPULATION VIVRA
SOUS LE SEUIL
DE PAUVRETÉ
premiers mois, quand les négociations
semblaient approcher un point de convergence, a succédé un climat toxique qui a
sapé toute tentative de dialogue. La tâche
principale que s’était fixée Syriza était d’essayer d’enrayer la crise humanitaire du
pays, qui, ces dernières années, a pris des
proportions catastrophiques. Mais il s’agit
du seul gouvernement européen qui s’oppose à l’austérité, et, qui plus est, c’est un
gouvernement de gauche ayant une vision
politique contraire à celle qui est prônée
par les élites économiques et politiques –
ses positions dérangent les créanciers, et,
peu à peu, il devient clair que ceux-ci veulent le réduire à néant.
UN PEUPLE DOUBLEMENT TRAHI
Dans le bras de fer de ce dernier mois, il y a
deux vérités reconnues par les deux parties, créanciers et débiteurs. La Grèce n’est
pas en mesure de rembourser sa dette, et
l’argent du prêt va vers les banques sans
renforcer la relance de la croissance. A côté
de ces vérités, il y a une réalité quotidienne
que les créanciers préfèrent ignorer. Un
pays délabré, des prestations sociales dramatiquement réduites, des mamies qui
fouillent les ordures, des drogués qui sont
déplacés comme des troupeaux par la police d’un quartier à l’autre d’Athènes, des
hôpitaux qui fonctionnent au ralenti sans
personnel suffisant, des médicaments qui
disparaissent. Il ne fait pas de doute que les
mesures adoptées pour lutter contre la récession vont créer une récession plus
grande encore. Sans emploi et sans croissance, une grande partie de la population
vivra sous le seuil de pauvreté.
C’est un peuple laissé dans la confusion,
qui a perdu sa dignité, qui se considère doublement trahi : par les gouvernements successifs, dont la mauvaise gestion, le gaspillage et la corruption l’ont mené à cette situation, et par l’Europe, qui s’est montrée
incapable de garantir un esprit réel de solidarité. Au lieu que ce sentiment de trahison
génère l’union et la combativité, il a entraîné la scission et la discorde. La crise est
banalisée. L’apathie gagne. Le défaitisme.
Le fatalisme. Les institutions sont en lambeaux, la démocratie en péril.
S’il y a quelque chose que j’espère, ou plutôt que j’espérais – car si la situation actuelle aboutit à des élections ou à un référendum, la nouvelle impasse sera imprévisible, et peut-être catastrophique –, c’est
que le gouvernement Syriza mette fin au
clientélisme, une plaie qui accompagne la
Grèce depuis sa création en tant qu’Etat. Sa
conséquence est une méfiance presque atavique envers les institutions. Le Grec est
d’abord individu avant d’être citoyen. Il a
encore des réflexes de bête traquée, tant il
est difficile de survivre dans un Etat très
souvent inféodé à des puissances étrangères, déstabilisé par les inégalités sociales et
l’émigration, et toujours marqué par la seconde guerre mondiale et la guerre civile
qui l’a suivie.
Chaque génération connaît la Grèce et les
Grecs de manière différente. La plus haute
considération alterne avec le pire dédain.
Un jour, nous sommes des héros, un autre
des salauds. La Grèce n’a jamais existé, écrivait André Breton. Voilà une phrase à méditer. Nous sommes comme une faute sur la
carte. Une petite tache au bout de l’Europe,
un peu de Balkans, un peu de MoyenOrient, qui continue, qui persiste à exister
en parlant la même langue depuis plus de
3 500 ans.
L’excès des derniers développements est
l’occasion pour l’Europe de se repencher
sur elle-même. Avec la récession économique, une profonde crise existentielle semble la traverser. Quels étaient les principes à
la base de cette aventure européenne ?
Quelle était l’inspiration qui a fait naître
l’initiative d’Altiero Spinelli et de Jean Monnet ? Qu’est-ce qu’il en reste aujourd’hui ?
Le déclin de l’Occident, de ce que l’on considère comme le berceau de la civilisation,
est un fait. De nouveaux marchés apparaissent et imposent leurs conditions.
Un grave bouleversement humain accompagne ce déclin. Nous nous retrouvons
prisonniers d’un système qui nous
échappe, où nous nous sentons de plus en
plus impuissants, trop souvent contraints à
une passivité insoutenable car les décisions
les plus importantes semblent prises à notre insu, et où les très riches ne sont aucunement affectés par les changements politiques dans leurs pays et les pauvres n’ont
aucun espoir que la politique puisse changer quoi que ce soit en leur faveur.
L’homme a cessé depuis longtemps d’être
la mesure de la vérité et du savoir. Des foules de déracinés se bousculent aux frontières, réfugiés cherchant à arriver jusqu’aux
ports européens par tous les moyens possibles. La mer Méditerranée vient de nouveau d’être couverte de cadavres. Peut-être
la crise grecque est-elle un ultimatum pour
que l’Europe se décide enfin à redéfinir ses
objectifs, à devenir plus audacieuse : faire
deux pas en arrière pour pouvoir avancer. p
¶
Ersi Sotiropoulos
est une romancière grecque,
elle est notamment l’auteure d’« Eva »,
(Stock, 200 p., 19 euros)
es zones à défendre (ZAD) :
défendre l’environnement
contre les pouvoirs publics, contre les projets de développement économique. Regroupés et barricadés dans ces zones,
les zadistes organisent une défense radicale et parfois violente
d’un environnement sanctuarisé. Contre des décisions prises
selon des procédures légales, ils
prétendent incarner un nouvel
idéal de justice pour lequel il est
possible de renverser le droit.
Ce phénomène n’est pas nouveau. Néologisme inventé à Notre-Dame-des-Landes, appliqué à
Sivens ou dans la forêt de Chambaran, les zadistes sont les héritiers conscients du plateau du Larzac. Idéologiquement à la croisée
des mouvements anticapitalistes
et écologistes, ils s’inscrivent plus
profondément dans deux mouvements de contestation de l’ordre
et des pouvoirs publics.
Le premier est spécifiquement
français : c’est le peuple révolutionnaire, ce tropisme de l’imaginaire politique français, du peuple descendant dans la rue, en
dehors de tout cadre, pour renverser le pouvoir. Cet appel au
peuple est structurellement différent de la désobéissance civile
qui s’incarne aujourd’hui dans la
figure des « indignés » ou d’« Occupy Wall Street » : là où la désobéissance civile s’ancre dans le
pacifisme, le peuple révolutionnaire doit pouvoir agir violemment pour l’emporter. Ce peuple
révolutionnaire, ce sont les journées de la Révolution française,
de juin 1848 ou de la Commune
de Paris. Derrière cet imaginaire
réside la croyance en la possibilité pour le peuple en fusion de
résister au pouvoir, d’éclater les
cadres de la légalité pour garantir
le juste par-delà le droit. Les barricades, l’opposition violente aux
forces de l’ordre montrent l’inscription des zadistes dans ce projet révolutionnaire, loin de la désobéissance civile.
UN IDÉAL DE JUSTICE
A ce mouvement se superpose
un second, largement issu du
premier : le volontariat armé international.
A
partir
du
XVIIIe siècle, la figure de l’étranger allant défendre des valeurs
universelles auprès d’un autre
peuple s’est développée. La
guerre d’indépendance grecque,
le Risorgimento italien au XIXe
ou la guerre d’Espagne au XXe
voient de nombreux volontaires
étrangers – souvent jeunes et
portés par l’héroïsme romantique des combats pour la liberté –
se battre pour défendre des
idéaux universels : le libéralisme
chez les philhellènes ou la République pendant la guerre d’Espagne. De la même manière, les
ZAD drainent une population
jeune et européenne, celle des réseaux altermondialistes qui
voient là une manière d’enfin
réaliser une contestation héroïque et violente du pouvoir.
Si l’inscription des zadistes
dans cette double filiation est admise, alors une question se pose
nécessairement : sur quels
idéaux se fonde la revendication
des zadistes pour instruire le procès de la légitimité des décisions
publiques ? Ces différents mouvements reposaient sur l’invoca-
tion d’un idéal de justice pour
contester le pouvoir. Le droit
était contesté et les forces de l’ordre repoussées, car ils étaient injustes et illégitimes. Poursuivant
ces combats, les zadistes se fondent eux aussi sur un tel idéal.
L’histoire politique moderne a
vu échouer de multiples avatars
de cet idéal de justice. La fin du
communisme a pu laisser croire
que la démocratie libérale l’avait
définitivement emporté en tant
que principe de justice : les pouvoirs respectant ce principe
étaient supposés être légitimés
et leurs décisions ne pouvaient
plus être contestées.
Cette fin de l’histoire ne fut
pourtant que temporaire. De
nouveaux idéaux émergèrent à
partir desquels des populations
remirent les décisions démocratiques en cause : au premier
rang, l’écologie. Reprenant et
modifiant le fil de la contestation
altermondialiste du marché et de
l’exploitation, la défense de l’environnement apparaît, dans la
perspective des zadistes, comme
un nouvel idéal de justice pour
lequel il est possible de contester
le pouvoir, même démocratiquement élu.
TYRANNIE DE LA VÉRITÉ
Le mouvement des ZAD n’a donc
rien de nouveau et s’inscrit dans
un passé ancien, maintes fois répété : les idéaux se modifient, les
combats évoluent mais, in fine,
la logique demeure la même. Et
parce que cette logique ne
change pas, ses risques demeurent les mêmes. L’affirmation
d’un idéal de justice contient le
risque d’une tyrannie de la vérité : au nom de la défense de
l’environnement, il devient possible d’affirmer que les citoyens
qui ont voté pour les pouvoirs
publics, locaux ou nationaux, se
sont trompés et donc, de remettre en cause des décisions démocratiquement prises. Grâce à ces
idéaux, une minorité revendique
une légitimité pour renverser le
droit adopté par la majorité.
Cet antagonisme entre la démocratie libérale et les idéaux révolutionnaires d’une justice fondée
sur la vérité est une tension importante de l’univers politique
français : depuis la Révolution
existe une opposition entre,
d’une part, la liberté du peuple de
se gouverner lui-même, liberté
comportant le risque de l’erreur,
et, d’autre part, la croyance en
une justice qu’il s’agirait d’imposer. Les ZAD ne sont au fond
qu’une nouvelle tentative pour
résoudre cette contradiction. p
Professeur de droit public et
constitutionnaliste reconnu, Guy
Carcassonne est mort en 2013.
En sa mémoire, la revue
Pouvoirs, le Club des juristes
et Le Monde ont créé un prix
destiné à récompenser, chaque
année, l’auteur de moins de
40 ans d’un article portant sur
une question constitutionnelle
liée à l’actualité française ou
étrangère. La deuxième édition
a été décernée, mardi 30 juin,
au Conseil constitutionnel.
¶
Pierre Auriel
est lauréat du prix
Guy-Carcassonne,
doctorant en droit
à l’université Paris-II-Assas.
carnet | 15
0123
MERCREDI 1ER JUILLET 2015
Paris.
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AU CARNET DU «MONDE»
Décès
Bernadette Bonicel,
son épouse,
Jérôme et Marianne,
ses enfants,
Ses six petits-enfants,
Sa famille
Et ses amis,
ont la tristesse de faire part du décès de
Michel BONICEL.
Les obsèques civiles ont eu lieu le mardi
16 juin 2015.
61 bis, boulevard Daniel-Dupuis,
41000 Blois.
M. Jean-François Cardinet,
son époux,
Sandrine et Carl-Johan Garnier,
Arnaud et Amandine Cardinet,
Jessica Cardinet,
ses enfants,
Tobias, Solène, Adrien et Camille,
ses petits-enfants chéris,
La famille Cardinet,
La famille Fougères,
ont la tristesse de faire part du décès de
Nicole CARDINET,
née FOUGÈRES,
survenu à Paris, le 28 juin 2015,
dans sa soixante-dixième année.
La cérémonie religieuse sera célébrée
le 3 juillet, à 10 h 30, en l’église de SaintAndré de l’Europe, Paris 8 e , suivie
de l’inhumation dans l’intimité familiale.
39, rue de Moscou,
75008 Paris.
M. John Danilovich,
secrétaire général
Et l’ensemble du personnel
de la Chambre de commerce
internationale (ICC),
ont la profonde tristesse de faire part
du décès soudain de leur collègue et ami,
M. François-Gabriel CEYRAC,
survenu le 17 juin 2015.
La cérémonie religieuse aura lieu
le mercredi 1er juillet, à 10 h 30, en l’église
Saint-Médard, 141, rue Mouffetard,
Paris 5e.
Aix-en-Provence. Mende.
Isabelle et Catherine,
ses illes,
Delphine, Clémence, Alexis,
Marc-Antoine, Thomas,
ses petits-enfants,
Pénelope, Agathe, Roméo, Héloïse,
Virgile et Manon,
ses arrière-petits-enfants,
Jean-François, Corinne, Bruno
et Sabine,
ses neveux,
Maria,
qui a veillé sur lui les derniers mois,
ont la douleur de faire part du décès
à son domicile, le 26 juin 2015,
dans sa quatre-vingt-seizième année, de
Patrice LEROY-JAY,
oficier de la Légion d’honneur,
maire de Belleville-en-Caux,
de 1964 à 1987.
Les familles Donaint, Cappe, Gauze
et Girard
Les obsèques seront célébrées le jeudi
2 juillet, à 15 h 30, en l’église de Bellevilleen-Caux (Seine-Maritime).
ont la tristesse d’annoncer le décès de
Les familles Eyheraguibel, Fredet,
Lemaistre, Leroy-Jay, Rey et Ruchaud,
Le Traversain,
76890 Belleville-en-Caux,
3, rue Chaptal,
75009 Paris,
4, rue Mallet-Stevens,
75016 Paris.
Pierre DONAINT,
survenu le 27 juin 2015,
à l’âge de soixante-dix-huit ans.
Ses obsèques auront lieu ce mercredi
1er juillet, à Aix-en-Provence.
Jérôme, Brice, Cédric Desrez,
ses ils
Et la famille,
font part du décès de
Marie-Luce DUCLOS,
survenu le jeudi 25 juin 2015.
Ses obsèques auront lieu le mercredi
1er juillet, à 11 heures, au crématorium du
cimetière du Père-Lachaise, à Paris 20e.
Paris. Dakar (Sénégal). Grenoble.
Eric Kelkel,
Béatrice Rivail,
ses enfants,
Jacqueline Hantz,
Leurs conjoints,
Ses petits-enfants,
ont la tristesse d’annoncer la disparition
le 22 juin 2015, de
M. Arion Lothar KELKEL,
professeur émérite de philosophie,
à l’université de Paris 8 Saint-Denis,
élève de Jean Wahl,
proche de René Scherer
et de Paul Ricoeur,
son directeur de thèse,
spécialiste de phénoménologie.
La cérémonie d’adieu a eu lieu le
samedi 27 juin, à 14 heures, au Centre
funéraire de Chambéry (Savoie).
Paris.
Saint-Amand-Montrond (Cher).
ont la tristesse de faire part du décès de
Monsieur le professeur Henry HAMARD,
survenu le 20 juin 2015.
Professeur émérite d’ophtalmologie à l’université ParisDescartes, membre de l’Académie nationale de médecine
et commandeur de la Légion d’Honneur, le professeur
Henry HAMARD a été chef de service au Centre hospitalier
national d’ophtalmologie des Quinze-Vingts pendant
de nombreuses années, président de la Commission
médicale d’établissement et médiateur médical.
Tous expriment leurs condoléances à sa famille et leurs
regrets face à la disparition de cette grande figure de
l’ophtalmologie française.
née LE COZ,
égyptologue,
survenu le 28 juin 2015,
à l’âge de quatre-vingt-douze ans.
L’inhumation aura lieu le jeudi
2 juillet, au cimetière de Saint-SauveurLendelin, dans la sépulture de famille.
Remerciements
David Fontaine,
son petit-ils,
Isabelle Monod-Fontaine,
sa belle-ille
et François Rouan
Ainsi que toute sa famille,
nous a quittés à l’âge de quatre-vingt-dix
ans.
Jacques FONTAINE,
Ses obsèques ont été célébrées
au cimetière de Colombiers (Cher).
Qu’il repose en paix.
PF. Saint-Amand funéraire,
Tél. : 02 48 60 60 60.
Sa famille,
Ses proches,
Ses amis,
ont la tristesse de faire part du décès de
Guy MAYER,
physicien,
professeur à l’université
Pierre-et-Marie-Curie - Paris 6,
survenu le 27 juin 2015,
dans sa quatre-vingt-huitième année.
Un dernier hommage lui sera rendu
le mercredi 1 er juillet, à 10 heures, au
cimetière du Père-Lachaise, Paris 20 e,
où l’on se réunira.
On se retrouvera à la porte principale,
entrée par le boulevard de Ménilmontant.
Pédagogue, il disait :
« Le plus souvent c’est une expérience
qui oblige les choses
à nous montrer la voie. »
Cet avis tient lieu de faire-part.
5, rue des Beaux-Arts,
75006 Paris.
ont la tristesse de faire part du décès de
La présidente du Conseil de surveillance,
Le directeur,
Le président de la Commission médicale d’établissement,
Les membres
de la Commission des relations avec les usagers,
Ses confrères et l’ensemble du personnel
du Centre hospitalier national d’ophtalmologie
des Quinze-Vingts,
Mme Michelle THIRION,
M. Claude MAULAZ,
ont la tristesse d’annoncer le décès de
La célébration religieuse de ses
funérailles a eu lieu le 30 juin, à 10 heures,
en l’église Saint-Louis-en-l’île, Paris 4e.
ont le regret de faire part du décès de
employé au journal Le Monde
durant vingt-cinq ans,
Michèle,
son épouse,
Frédéric, Marie-Agnès et Bénédicte,
ses enfants,
Natacha,
sa belle-ille
Et Patrick,
son gendre
Et ses cinq petits-enfants,
survenu le 22 juin 2015.
Eric et Françoise Thirion,
Sylvie et Alain Gadrat,
Christine et Alain
Leteinturier-Laprise,
ses enfants,
Cyril et Chrystelle, Delphine,
Julien et Stéphanie, Lucile, Florent,
Sylvain et Ana, Remi et Céline,
Camille,
ses petits-enfants,
Alexandre, Alice, Coline, Juliette,
Lucas, Hugo, Anaïs, Fanny, Albane,
ses arrière-petits-enfants,
Jean-Marc Postic,
son neveu,
souhaitent remercier ses amis, collègues et
anciens étudiants pour leur présence idèle
et leurs marques de sympathie envoyées
du monde entier, témoignant de son
rayonnement, à l’occasion de la mort de
Le 17 juin 2015,
Pierre de Kernaflen de Kergos (†),
son père,
Valérie de Kernaflen de Kergos,
sa mère,
Arnaud, Agathe et Tristan,
ses frères et sœur,
Mlle Julie
DE KERNAFFLEN
DE KERGOS,
Pantin.
M. Jean OBERTI,
oficier de l’ordre national du Mérite,
docteur ès médecine,
docteur ès sciences,
chargé de recherche à l’INSERM,
ancien adjoint au maire de Montpellier,
survenu à Maurin (Hérault),
le 22 juin 2015.
Une cérémonie civile a eu lieu le samedi
27 juin, à 10 h 30, au Complexe funéraire
de Grammont, avenue Albert-Einstein,
à Montpellier.
Cet avis tient lieu de faire-part.
Aline Pinel,
son épouse,
Valérie et Delphine,
ses illes
et leurs conjoints, Bernard et Leslie,
Elsa, Victor, Jeanne, Margot, Félix,
Louise,
ses petits-enfants,
Gaspard,
son arrière-petit-ils,
Antoinette, Marie-Noëlle, Michèle
et Claude,
ses sœurs,
ont la tristesse de faire part du décès du
docteur
Jean-Pierre PINEL,
survenu le 24 juin 2015,
à l’âge de quatre-vingt-six ans.
La cérémonie religieuse sera célébrée
ce mardi 30 juin, à 14 h 30, en l’église
Saint-Paul Saint-Louis, 99, rue SaintAntoine, à Paris 4e.
L’inhumation aura lieu dans l’intimité
familiale au cimetière de Bonneville-surTouques (Calvados).
professeur émérite
de langue et littérature latines
à l’université de Paris-Sorbonne,
qui s’est éteint le 31 mai 2015,
à l’âge de quatre-vingt-treize ans.
Hommage
Antony.
Sa famille
Et ses proches,
ont la tristesse de faire part du décès de
Jean-Claude BIZOT,
professeur émérite de physique
à l’université Paris 11 Orsay.
La cérémonie religieuse sera célébrée
le mercredi 1er juillet, à 14 h 30, en l’église
Saint-Saturnin, à Antony.
Conférence
Conférence d’été en Sorbonne
le 2 juillet 2015,
« La Fontaine l’enchanteur :
le plus national et le plus universel
des écrivains français »,
par Patrick Dandrey,
professeur de l’université Paris-Sorbonne
Il y a un mystère La Fontaine
comment un poète aussi célèbre
peut-il être aussi méconnu
dans la nature même de son œuvre ?
Analyse et pistes de rélexions
parcourant rapidement les années
qui mènent La Fontaine au fait
de la poésie la plus délicate.
Inscription sur :
http://colloque.paris-sorbonne.fr
ou paiement sur place
(selon les places disponibles),
10 € plein tarif / 5 € tarif étudiant.
Renseignements au 01 53 42 30 39.
[email protected]
Porte-ouverte
Anniversaires de décès
Dominique DALLI.
Bailando.
Il y a un an,
Hélène MONTIES,
née FAUGERE,
nous quittait.
Vous qui l’avez connue de Pau
à Paris, d’El Oued à Touggourt,
de Niamey à Hochiminhville, de Delhi
à Londres, de Bruxelles à Ouagadougou,
de Nozay à Feneyrols et Voray.
Ayez, en ce jour, une pensée pour elle.
Jean-Noël Monties
et ses enfants,
70190 Voray-sur-l’Ognon.
Le 30 juin 1999,
Jean Jacques POULIQUEN
nous quittait.
Sa famille,
Ses amis,
Concerts
Groupe EAC,
Paris. Lyon. Monaco. Pékin. Shanghai.
Claude Vivier Le Got, présidente
du Groupe EAC, félicite ses diplômés
du MBA manager de projet culturel,
en particulier Marine A., embauchée
par Bandits-Mages.
Si comme eux vous souhaitez travailler
dans l’art, la culture et le luxe, venez nous
rencontrer lors de notre journée portes
ouvertes, mercredi 8 juillet 2015,
de 9 h 30 à 17 h 30, à Paris et Lyon.
33, rue La Boétie,
75008 Paris.
Tél. : 01 47 70 23 83.
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11, place Croix-Paquet,
69001 Lyon.
Tél. : 04 78 29 09 89.
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15e édition
du Festival Européen Jeunes Talents,
l’excellence au cœur du Marais !
Du 5 au 25 juillet 2015
aux Archives nationales, Paris 3e,
plus de 70 jeunes musiciens sont présents :
Adrien La Marca, Ismaël Margain,
Jérôme Pernoo, Alain Meunier,
Bruno Philippe, Jean Rondeau,
Raphaël Sévère, Benjamin Alard,
Anne le Bozec, et tant d’autres.
Concerts de musique de chambre
du mardi au samedi à 20 heures
et le dimanche à 18 heures.
Tarifs de 8 € à 15 €.
Informations et réservations sur
www.jeunes-talents.org / 01 40 20 09 32.
Distinction
L’ambassadeur Jean-Paul Carteron
honoré par la Belgique.
Le 11 juin 2015, dans les salons
du Concert Noble, à Bruxelles,
M. Jean-Paul CARTERON,
ambassadeur extraordinaire
et plénipotentiaire des îles Salomon
et fondateur du Forum de Crans-Montana,
s’est vu élever à la dignité
de Commandeur dans l’Ordre de
Leopold II, suivant décret royal de SM le
Roi Philippe, en date du 30 avril.
M. Didier Reynders, vice-premier
ministre et ministre des Affaires étrangeres
de la Belgique présidait la cérémonie et lui
présenta les insignes de son grade, au nom
de Sa Majesté le Roi.
Un dîner oficiel offert par les autorités
marocaines a suivi sous la présidence
conjointe de M. Reynders
et de M me Marie-Louise Colero-Preca,
présidente de la République de Malte,
réunissant quatre cents invités de marque
parmi lesquels de nombreux chefs d’état et
de gouvernement, premières dames,
présidents et membres de Parlements
nationaux, hauts représentants des
Institutions éuropéennes, ministres et
ambassadeurs accrédités à Bruxelles, Paris,
Rome et Genève.
M. Philippe Douste Blazy, secrétaire
général adjoint, représentait les Nations
Unies et M. Jean Daniel Clivaz, les
autorités du Haut Plateau de CransMontana.
ne l’oublient pas.
« Reste l’absence, obstinément ».
Le 1er juillet 1993,
Audrey RICARD
nous quittait ; elle n’avait pas dix-sept
ans.
Souvenons-nous.
« Le Temps nous sépare
Le Temps nous unit
Le Temps nous est parcimonieux
ou fastueusement conté. »
Jacques Prévert.
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Il y a vingt ans, le 1er juillet 1995,
le docteur
Pierre STAGNARA,
est entré dans l’éternité,
à l’âge de soixante-dix-huit ans.
Il y a retrouvé ses enfants,
Jacques, Françoise et Madeleine,
et sa petite-ille,
Margaux.
Denise Stagnara, née Locard,
sa femme,
Chantal et Christian, Jean et Françoise,
Marie-Paule et Alain, Michel et Isabelle,
Marie et François-Régis, Pierre et MarieAnnick, André et Christine,
ses enfants,
Ses cinquante-cinq petits-enfants
Et ses cinquante-huit arrière-petitsenfants,
Marie-Paule,
sa sœur
Et Henri Buttin,
Avec quelques Grands Témoins,
d’une part, ses anciens collaborateurs
et ses anciens malades, d’autre part,
célébreront sa mémoire, en cette période.
Ceux qui l’ont connu et aimé peuvent
écrire à son épouse ou à ses enfants au
Domaine des Garanches, 69460 Odenas,
pour évoquer son souvenir. Merci !
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16 | disparitions
0123
MERCREDI 1ER JUILLET 2015
A « L’Heure de vérité »,
sur Antenne 2,
le 3 juillet 1986.
JEAN-CLAUDE COUTAUSSE/
FRENCH-POLITICS
Charles Pasqua
Figure du gaullisme
I
l est très rare de rencontrer,
dans les milieux du pouvoir,
un homme qui fait peur et
rire tout à la fois. Un homme
dont on a longtemps craint les réseaux, les dossiers secrets, les
coups tordus, mais dont les bons
mots, l’accent provençal et une
certaine façon d’être, à mille
lieues des technocrates de la politique, ont aussi bâti une forme de
popularité.
Charles Pasqua, qui vient de
mourir, lundi 29 juin à l’âge de
88 ans, des suites d’un problème
cardiaque, selon un communiqué
de sa famille publié dans Le Point,
présentait ces deux visages. Celui
d’un « parrain », conversant en
corse avec certains de ses collaborateurs et traînant dans son sillage
un bout de la Françafrique, quelques légendes noires du mouvement gaulliste et bon nombre d’affaires qui défrayèrent la chronique
judiciaire.
Celui aussi d’un personnage à la
Fernandel, terriblement sympathique, fin connaisseur des hommes et invitant chacun à de mémorables saucissonades. Selon les
époques, on jura qu’il avait été « un
grand résistant », « un grognard du
gaullisme », « le premier flic de
France », « le patron du plus riche
conseil général de l’Hexagone, les
Hauts-de-Seine ». Mais c’est encore
François Mitterrand qui résuma le
mieux ce personnage haut en couleur de la Ve République, en évoquant, dans un mélange d’admiration et de méfiance, « ce diable de
M. Pasqua ».
Tout au long de sa vie, l’ancien
ministre laissa presque tout dire.
Lui-même parlait beaucoup, jamais avare d’un bon mot ou d’une
anecdote. C’était cependant sa ma-
nière, très efficace, de cacher toujours l’essentiel. C’est-à-dire sa parfaite connaissance de bon nombre
de secrets d’Etat et de certains
comportements sombres au cœur
de la République. Au sein de la
droite, ceux qui avaient suivi son
parcours, ses choix politiques, ses
procès avaient fini par dire pudiquement de lui « c’est un personnage », comme on évoquerait un
caractère de théâtre. Et il faut parier qu’il y avait là une manière
d’hommage, d’admiration et peutêtre de nostalgie pour une époque
révolue de la politique.
Charles Pasqua résuma un jour
sa vie en une phrase, qui fit rire les
snobs : « Sans de Gaulle et Paul Ricard, je ne serais pas ce que je suis. »
Pour comprendre ce qu’il voulut
alors dire, il faut d’abord revenir
aux 15 ans de ce petit-fils de berger
corse, de ce fils de policier, et sentir
le soleil et les parfums de Grasse,
dans les Alpes-Maritimes. Le jeune
Charles y est né le 18 avril 1927,
dans une famille de patriotes farouches, comme le sont parfois les
Corses.
Après l’invasion de la zone libre
par les armées nazies en novembre 1942, il s’engage dans la Résistance, sous le pseudonyme de
Prairie. En fait, son père, André, est
déjà membre d’un réseau et établit
de fausses cartes d’identité de son
commissariat.
De son côté, Charles fait partie
d’un groupe de jeunes gens qui rejoindront bientôt la France libre
du général de Gaulle. De là datera
son attachement à l’homme du 18Juin, dont il rejoindra après la
guerre, dès sa fondation en 1947, le
RPF. Il a repris ses études, passé son
bac et une licence de droit, et a
épousé la femme qui restera tou-
jours à ses côtés, Jeanne Joly, une
Québécoise rencontrée à Grasse,
avec laquelle il aura aussitôt un fils
unique, Pierre. Il lui faut désormais un métier.
Il va trouver son premier lieu
d’épanouissement dans l’entreprise Ricard, qui mène alors bataille sur le marché des alcools et
spiritueux contre Pernod, et règne
en maîtresse à Marseille, où la fa­
mille Pasqua s’est installée. « J’ai eu
un coup de chance, j’ai été reçu par
Paul Ricard lui-même, racontait
parfois Charles Pasqua. Dans son
bureau, il m’a demandé de mimer
une scène de vente. Ma prestation a
dû lui plaire. Quinze jours plus tard,
j’étais pris à l’essai. »
Il va vite se faire remarquer par
son bagout, son intelligence et son
sens de la vente. Paul Ricard a un
mode de gestion quasi clanique de
son entreprise. Il organise des
week-ends et des corridas chez lui,
invite ses directeurs avec leurs
épouses et s’arrange, au fond,
pour que ses cadres vivent entièrement dans l’orbite Ricard, vacances comprises.
Très vite, Charles Pasqua va être
bombardé inspecteur des ventes
en Corse, puis grimper tous les
échelons jusqu’à la direction générale des ventes en France et à l’ex-
« De Gaulle,
c’était un mythe !
S’il avait été
communiste,
j’aurais été coco
sans hésitation »
CHARLES PASQUA
portation, en 1962, naviguant de la
Corse à Marseille pour atterrir à Paris. En 1967, il est devenu le numéro deux du groupe. De ces moments, il gardera surtout le souvenir d’une méthode qu’il définira
ainsi : « Avec Paul Ricard, on avait
en commun un comportement atypique. En dehors des clous… C’était
une sorte de jeu. Plus qu’un jeu, une
nécessité de l’action. »
Cette « nécessité de l’action »
trouve aussi un exutoire parallèle.
En 1959, il est devenu l’un des cofondateurs, avec Jacques Foccart et
Achille Peretti, du Service d’action
civique (SAC), sorte de police privée du gaullisme, en pleine guerre
d’Algérie. Pasqua en est le vice-président et le dirige avec son ami Daniel Léandri. C’est un curieux mélange de militants, de policiers, de
gendarmes et d’hommes du « milieu » qui, de l’engagement gaulliste des débuts, vont peu à peu dériver vers les coups de main, les règlements de comptes et l’illégalité.
Les amis de « Charles » concèdent alors qu’il est « facilement séduit par les truands », tellement
plus hauts en couleur que ces fils
de la bourgeoisie qui tiennent le
haut du pavé politique. Il ne voit
d’ailleurs pas de contradiction à
les fréquenter pour mieux servir la
figure de légende qui reste sa référence : de Gaulle. « De Gaulle,
c’était un mythe ! explique-t-il un
jour au Monde. S’il avait été communiste, j’aurais été coco sans hésitation. Et s’il m’avait demandé de
mourir pour lui, je l’aurais fait sans
hésiter. »
En 1968, c’est donc avec ses troupes du SAC que Charles Pasqua organise le raz-de-marée gaulliste du
30 mai sur les Champs-Elysées. Il
est élu, dans la foulée, député UDR
18 AVRIL 1927 Naissance à Grasse
(Alpes-Maritimes)
1947 Rejoint
le Rassemblement
du peuple français
1959 Cofonde le Service d’action civique
1968 Elu député UDR
de la circonscription
Clichy-Levallois
(Hauts-de-Seine)
1976 Participe
à la fondation du RPR
1986-1988 Ministre
de l’intérieur
1988 Elu président
du conseil général
des Hauts-de-Seine
1993-1995 Ministre
de l’intérieur
1999 Fondation
du RPF
29 JUIN 2015 Mort
à Suresnes
(Hauts-de-Seine)
dans la circonscription de ClichyLevallois. L’année précédente, il a
quitté Ricard pour monter sa propre société, Euralim, sise à Levallois-Perret, spécialisée dans l’importation de l’Americano, un cocktail italien à base de Campari et de
vermouth. Mais c’est vraiment la
politique qui lui offre le terrain de
jeu auquel il aspire.
Drôlerie pagnolesque
« On ne comprend rien de moi si
l’on ne comprend pas que je suis un
militant », avait coutume de lancer
Pasqua. Il aurait aussi pu ajouter
« si l’on ne comprend pas que je suis
un homme de la guerre ». Ces années-là transcendent tout. Le
compagnonnage de ceux qui ont
vécu le conflit est bien plus fort
que les clivages politiques : il y a
les résistants et les planqués. Et
cent fois Pasqua affichera sa sympathie pour des communistes ou
des socialistes qui peuvent bien
être de « l’autre bord » politique
mais ont fréquenté les mêmes rivages de la lutte contre l’occupant
nazi. A l’inverse, il pourra bien déclarer avoir des « valeurs communes » avec le Front national et
même s’entourer de transfuges de
l’extrême droite et d’anciens de
l’Organisation de l’armée secrète
(OAS), il éprouvera toujours une
aversion profonde pour Jean-Marie Le Pen et les diatribes lancées
par l’ancien député poujadiste,
dans les années 1960, contre la politique d’autodétermination décidée par le Général en Algérie.
Dans ces conditions, que peut
valoir son alliance avec un
homme trop jeune pour avoir
connu la guerre : Jacques Chirac.
Orphelin du général de Gaulle,
Charles Pasqua a pourtant un vrai
coup de cœur pour ce filleul politique de Georges Pompidou. Chirac
a le charme et l’appétit des jeunes
ambitieux et s’il a pris soin de céder en apparence aux conventions bourgeoises, il sait apprécier
à sa juste valeur l’efficacité sous la
drôlerie pagnolesque de Charles.
Dès 1974, Pasqua se met à son
service. « Si vous maintenez pour
la France le cap du gaullisme, je ferai tout ce qui sera en mon pouvoir
pour vous aider à devenir ce nouveau chef », lui dit-il. Désormais,
disparitions | 17
0123
MERCREDI 1ER JUILLET 2015
Avec Jacques Chirac
au congrès du RPR,
à Paris,
le 27 octobre 1991,
et avec Edouard
Balladur,
à l’université d’été
du RPR, à La Baule,
en septembre 1988.
JEAN-CLAUDE COUTAUSSE/
FRENCH-POLITICS
Le 5 mai 1988,
Jacques Chirac
et Charles
Pasqua
accueillent
les otages
du Liban
(sur la photo,
Marcel Carton
et Jean-Paul
Kauffmann).
GEORGES
MERILLON/GAMMA
l’amitié paraît indéfectible. Les
deux hommes se tutoient, partagent leurs secrets, et les filles de
Chirac prennent l’habitude de voir
« Oncle Charles » venir prendre un
whisky, le soir, avec celui qui est
devenu le premier ministre de Valéry Giscard d’Estaing après avoir
trahi l’homme qui incarnait pourtant la résistance gaulliste : Jacques Chaban-Delmas.
C’est ensemble, avec le tandem
Pierre Juillet et Marie-France Garaud, qu’ils vont créer le RPR,
en 1976, après la rupture entre Chirac et Giscard. Pasqua a aidé le
jeune loup à mettre la main sur
l’UDR et à faire taire les barons du
gaullisme. Chirac fait de lui le secrétaire général adjoint du mouvement. Désormais, la deuxième
phase de sa vie politique sera liée à
l’ascension vers la présidence de la
République de ce poulain aux
dents longues. Aucune élection
interne du mouvement néogaulliste ne lui échappe. Ses réseaux
sont mobilisables à tout moment,
même pour les actions les moins
avouables.
En 1981, Chirac fait de lui son directeur de campagne pour l’élection présidentielle. Pasqua se consacre largement à déstabiliser Valéry Giscard d’Estaing, qui se représente. Alors que le président
sortant doit faire face à la polémique sur des diamants offerts par
l’« empereur » centrafricain JeanBedel Bokassa, les « Pasqua boys »
apposent nuitamment sur les affiches du candidat Giscard, juste à la
place des yeux, des diamants
autocollants… Au RPR, les cadres
ont reçu la consigne explicite de
voter pour Mitterrand. Giscard ne
s’en relèvera pas.
Dans l’équipe qui prépare déjà
Chirac à l’élection suivante, Pasqua incarne désormais les « coups
tordus » du RPR et le versant autoritaire d’un leader flanqué, de
l’autre côté, d’un Edouard Balladur et d’un Alain Juppé. Il est devenu la bête noire de la gauche. Il
l’est si bien que, en mars 1986, lorsque la droite gagne les législatives
et que Chirac devient le premier
premier ministre de cohabitation
de la Ve République, François Mitterrand s’oppose à quatre nominations dans le gouvernement,
dont la sienne au ministère de l’intérieur. Chirac cède sur les trois
autres, pas sur lui : Pasqua devient
le « premier flic de France ».
Il entend le rôle à sa façon. Quelques jours après son arrivée Place
Beauvau, il reçoit ainsi le patron
du journal d’extrême droite Minute, Patrick Buisson. De son coffre-fort, le ministre a sorti à l’intention de celui deviendra vingt
ans plus tard le conseiller de Nicolas Sarkozy à l’Elysée un épais dossier rose sur lequel est inscrit en
grosses lettres « Turpitudes socialistes »… Le ministre de l’intérieur
prépare déjà le combat contre la
gauche, et celle-ci ne s’y trompe
pas. Elle conteste le nouveau découpage électoral largement défavorable au PS, et bientôt la délivrance d’un vrai faux passeport
par la Direction de la surveillance
du territoire (DST) à Yves Chalier,
l’ancien chef de cabinet du ministre socialiste Christian Nucci impliqué dans l’affaire du Carrefour
du développement.
« Terroriser les terroristes »
Le 6 décembre 1986, après une manifestation étudiante contre les
lois Devaquet sur l’université, un
jeune homme de 22 ans, Malik
Oussekine, meurt après une violente charge de la police. Le ministre et son ministre délégué à la sécurité, Robert Pandraud, avaient
remis en service ces équipes de
« flics voltigeurs », à moto et équipés de matraques, les chargeant de
« nettoyer » les rues en pourchassant les « casseurs ». Désormais, la
mort de Malik Oussekine lui sera
constamment reprochée, achevant d’assombrir la réputation de
Charles Pasqua.
La droite, en revanche, adhère à
sa politique musclée rendant plus
difficile le séjour des étrangers en
France et loue l’arrestation des terroristes d’Action directe. Le « Il faut
terroriser les terroristes » lancé par
le ministre devient quasiment
une phrase culte au RPR. C’est
aussi grâce à l’action de l’un de ses
proches, Jean-Charles Marchiani,
un ancien du Service de documentation extérieure et de contre-espionnage (SDECE) qui parle en
corse avec le ministre, que seront
notamment libérés le 5 mai 1988
Ses réseaux
sont mobilisables
à tout moment,
même pour
les actions les
moins avouables
les otages du Liban, Jean-Paul
Kauffmann, Marcel Carton et Marcel Fontaine. Sous la caricature de
Fernandel pointe pour la première
fois la puissance de l’homme de
réseaux et de secrets qui, jusqu’à
sa mort, ne livrera jamais les conditions de cette libération dont on
ne connaît toujours pas avec certitude les contreparties.
Le second tour de l’élection présidentielle doit avoir lieu trois
jours plus tard. La joie de voir le
journaliste et les deux diplomates
enfin libres, partagée pourtant
dans toute la France, ne sauvera
pas la droite. François Mitterrand
est réélu. « Décidément, les Français n’aiment pas mon mari »,
constate tout de go Bernadette
Chirac.
En fait, Charles Pasqua a compris
bien avant sa défaite que Chirac ne
l’emporterait pas. Il s’exaspère depuis l’automne 1986 de ses hésitations politiques, de ses faiblesses
face aux « enfantillages » de « la
bande à François Léotard », de sa
fascination pour son ministre de
l’économie libéral Edouard Balladur. « Si tu veux te contenter d’être
le président du conseil général de la
Corrèze, disait-il alors à Chirac, c’est
à ta portée. Mais ce sera sans
nous ! » Il le juge indécis, nerveux
et, pour tout dire, sans colonne
vertébrale.
Dès le lendemain de la présidentielle, il décide de se mettre à son
compte, avec l’aide d’un autre rebelle, Philippe Séguin. Leur offensive contre la direction du parti
néogaulliste va faire long feu, en
février 1990, mais, deux ans plus
tard, le président du groupe RPR
du Sénat Pasqua se retrouve une
nouvelle fois aux côtés de Séguin
contre Chirac et le traité de Maastricht.
Le traité européen, qui donnera
naissance à la monnaie unique,
est adopté par référendum le
20 octobre 1992, mais leur campagne a été d’une remarquable efficacité. Surtout, elle a permis à Pasqua de s’ancrer dans un électorat
populaire souvent abandonné au
Front national, dont il disait – entre les deux tours de l’élection présidentielle de 1988, alors que JeanMarie Le Pen avait obtenu 14,4 %
de voix au premier tour – partager
« les mêmes valeurs ». Il tente de le
cultiver en déposant au Sénat, en
octobre 1988, une proposition de
loi pour le rétablissement de la
peine de mort.
Dans l’opinion, ses formules
font désormais florès : « Les promesses n’engagent que ceux qui les
reçoivent », « La politique, ça se fait
à coups de pied dans les couilles »,
« On est plus fidèle à sa nature qu’à
ses intérêts ». Mais Charles Pasqua
aspire à exercer le pouvoir. Au Sénat, dont il convoitait la présidence, une partie de la droite s’est
coalisée contre lui. En 1983, le
jeune Nicolas Sarkozy lui a soufflé
la mairie de Neuilly, mais il préside depuis 1988 le conseil général le plus riche de France, celui
des Hauts-de-Seine. Le voilà politiquement et financièrement
puissant.
Cela n’a pas échappé à Edouard
Balladur, qui, en 1993, à la faveur
de la victoire de la droite aux élections législatives, est devenu premier ministre pour la deuxième
cohabitation qu’affronte un François Mitterrand cette fois très affaibli par la maladie. Le gouvernement qu’il compose est un petit
chef-d’œuvre d’équilibre politique : tous les chefs de la droite y figurent, de Charles Pasqua, de retour au ministère de l’intérieur, à
Simone Veil, de François Léotard à
Nicolas Sarkozy, de François Bayrou à Gérard Longuet. Pasqua a
déjà compris les ambitions présidentielles de l’ancien conseiller de
Chirac. Agacé par ce qu’il tient
pour de la faiblesse psychologique, il a déclaré froidement à ce
dernier quelques mois auparavant : « Jacques, si tu laisses
Edouard aller à Matignon, ce sera
comme si tu jouais à la roulette
belge : celle où il y a une balle dans
chaque trou du barillet. » Mais
puisque Edouard est là…
Au ministère de l’intérieur, c’est
comme une redite des années
1986-1988. Le nouveau ministre
fait voter la réforme du code de la
nationalité française. Il doit aussi
faire face en 1994 aux manifestations étudiantes contre le contrat
d’insertion professionnelle (CIP),
qui sont marquées par des affrontements violents entre la police et
des groupes de jeunes. Le 4 octobre 1994, il est confronté à une
sanglante fusillade en plein Paris
qui fait trois morts parmi les forces de l’ordre. Elle est perpétrée
par deux étudiants, Florence Rey
et Audry Maupin.
A nouveau, Charles Pasqua se
déclare « personnellement en faveur » du retour de la peine de
mort pour « les assassins les plus
sordides, ceux qui attaquent les
personnes âgées sans défense, ceux
qui violent ou qui tuent des enfants, ceux qui assassinent des responsables des forces de l’ordre ».
Sous sa direction, le général Rondot organise l’arrestation du terroriste Carlos, et c’est aussi sous sa
férule que le GIGN intervient, en
décembre 1994, à l’aéroport de
Marseille, pour « neutraliser » un
commando du GIA ayant détourné un Airbus parti d’Alger.
Pour autant, les militants du RPR
sont soufflés de voir Charles Pasqua décider de soutenir, quelques
mois avant l’élection présidentielle, un Edouard Balladur qu’il
avait pourtant toujours traité au
mieux de « casse-couilles », au pire
de « bourgeois libéral bradeur de
gaullisme ». L’un est souverainiste
et tient l’intervention de l’Etat
pour la marque de la puissance
française. L’autre est européen et
libéral. Que peuvent-ils avoir en
commun, sinon un intérêt trivial
et cynique pour le pouvoir ?
Le Fouché du continent africain
Pasqua a-t-il mesuré le désarroi et
l’incompréhension qu’il suscite
chez ses fidèles ? Au lendemain de
sa prise de position, il est sifflé
dans les rangs du RPR. L’imbroglio de l’affaire Schuller-Maréchal,
en pleine campagne présidentielle, et les scandales judiciaires
de Patrick Balkany qui ébranlent
son fief des Hauts-de-Seine achèvent de ternir son image. La défaite d’Edouard Balladur le laisse
sans allié.
En 1999, son alliance avec Philippe de Villiers aux élections
européennes lui permet de devancer la liste menée par Nicolas
Sarkozy, obligeant ce dernier à démissionner de la tête du RPR. Pasqua et Villiers fondent un nouveau parti, le RPF. Mais les deux
hommes ne sont pas faits pour
s’entendre. Parmi les douze députés RPF élus au Parlement européen, dix le quittent. A la tête du
conseil général des Hauts-deSeine, il crée le pôle universitaire
Léonard-de-Vinci, appelé « fac
Pasqua ». Il commence à se sentir
pousser des ailes. Elles vont être
coupées net par la justice.
« Mes ennuis ont commencé
en 2000, quand j’ai dit que j’étais
candidat à la présidentielle de
2002 », expliquait en 2009 Charles Pasqua, qui détailla : « Il est évident, si l’on regarde les choses a
posteriori, que si j’avais été candidat, Jacques Chirac n’aurait jamais
été élu. Il aurait été battu par Lio-
nel Jospin. Tout a été fait pour
m’éliminer. Un juge s’en est
chargé… » Il n’empêche. Les investigations de la justice éclairent
d’une nouvelle lumière une autre
facette de l’animal politique.
Les connaisseurs de l’Afrique savent depuis longtemps comment
les réseaux Pasqua ont peu à peu
pris la place des anciens réseaux
Foccart. L’ancien patron du SAC
veut être le Fouché du continent
africain et peut compter sur ses fidèles, dont Daniel Léandri, JeanCharles Marchiani et son propre
fils, Pierre Pasqua, pour l’aider
dans cette ambition. Au ministère
de l’intérieur, Pasqua savait rendre service, donner des conseils
de sécurité, surveiller discrètement les opposants installés dans
l’Hexagone, délivrer des visas. A
sa manière, Charles Pasqua mène
en Afrique, notamment dans les
pays pétroliers, sa propre diplomatie. Il essaie d’installer un
homme à lui – souvent un Corse –
chez la plupart des présidents
africains, en débordant largement
le pré carré francophone. Un pour
cent du budget du conseil général
des Hauts-de-Seine est consacré à
la coopération en Afrique.
Lorsque, en janvier 1997, Philippe Jaffré, le nouveau présidentdirecteur général d’Elf Aquitaine,
décide de se rendre en Angola, l’eldorado pétrolier de loin le plus
prometteur d’Afrique, il doit décaler sa visite d’une semaine. L’ancien ministre de l’intérieur a programmé au même moment un
déplacement à Luanda et risque
de monopoliser les meilleurs interlocuteurs à la présidence angolaise, mais aussi de nombreux cadres de la compagnie pétrolière
française. François Mitterrand
l’avait lui-même bien compris : au
sein d’Elf, surnommée « la pompe
Afrique » de la classe politique
française, on peut s’entendre
pour partager et travailler ensemble entre Loïk Le Floch-Prigent,
nommé par le président socialiste, Alfred Sirven, proche de
Charles Pasqua, et le chiraquien
André Tarallo.
Pasqua entretient aussi des
liens étroits avec le marchand
d’armes Pierre Falcone et l’associé
de ce dernier, Arcadi Gaydamak,
décoré de l’ordre national du Mérite pour avoir joué un rôle essentiel dans la libération, en décembre 1995, de pilotes français détenus en Bosnie.
On retrouvera tous ces noms
dans la plupart des affaires financières qui vont plomber les années 2000 de Charles Pasqua. Relaxé dans six d’entre elles, il est
condamné à de la prison avec sursis deux fois, même si le tribunal
souligne n’avoir trouvé chez lui
« aucune âpreté au gain ni aucune
volonté d’enrichissement crapuleux ». Son fils, Pierre, en revanche, doit séjourner en prison. Ces
dernières années, Charles Pasqua,
qui avait renoncé à se représenter
aux élections sénatoriales en 2011,
continuait à retrouver ses amis
autour de charcuteries corses. En
février cependant, il avait enterré
son fils Pierre, et malgré son apparition il y a quelques semaines au
congrès fondateur des Républicains, il n’avait plus pour la politique que le goût de ses secrets. p
raphaëlle bacqué
18 | culture
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MERCREDI 1ER JUILLET 2015
pppp CHEF-D'ŒUVRE
pppv À NE PAS MANQUER
ppvv À VOIR
pvvv POURQUOI PAS
vvvv ON PEUT ÉVITER
Paul Dano
(Brian Wilson
jeune), assis
de face sur le toit
de la voiture.
ARPSELECTION
Le garçon de plage coupé en deux
Dans « Love & Mercy » de Bill Pohlad, le scénariste Oren Moverman entremêle, en deux
tableaux distincts, l’extase et les épreuves de Brian Wilson, génial leader des Beach Boys
RENCONTRE
B
ob Dylan en 2007, Kurt
Cobain en 2010, et maintenant Brian Wilson –
l’âme tourmentée des
Beach Boys. Par trois fois, Oren
Moverman a écrit pour le cinéma
un portrait de star du rock. Todd
Haynes a réalisé (et cosigné le scénario de) I’m Not There, le portrait
fragmenté de Bob Dylan ; This Is
Gonna Suck, le récit des dernières
années du leader de Nirvana, attend toujours un réalisateur, malgré l’imprimatur de Courtney
Love, la veuve de Cobain ; et voici
que sort Love & Mercy, qui met en
scène l’extase et les épreuves qui
furent celles du fils aîné de Murry
et Audree Wilson, frère de Carl et
Dennis, cousin de Mike Love,
auteur de California Girls, Good Vibrations et I Just Wasn’t Made for
These Times.
« Je n’étais pas un expert des
Beach Boys, raconte Oren Moverman au téléphone, depuis New
York. Mon ami Lawrence Inglee
[producteur de The Messenger,
Rampart et Time Out of Mind, que
Moverman a réalisés] était obsédé
par l’histoire de Brian Wilson. Je me
souviens qu’il me conduisait à travers Los Angeles en me montrant
les lieux où les Beach Boys avaient
vécu et travaillé, en m’expliquant
leur histoire. » Malgré les efforts de
Lawrence Inglee, les droits de la
biographie de Brian Wilson ont
échu à Bill Pohlad, producteur, entre autres, de Twelve Years a Slave,
qui a décidé de réaliser le film et
fait appel à Moverman.
Pendant son enfance en Israël,
où il est né en 1966, le scénariste
n’était « guère exposé au
rock’n’roll, un peu par la radio ». A
la fin du siècle dernier, Oren Moverman s’est installé aux EtatsUnis et s’est immergé dans la culture du pays, dont le rock est devenu un élément fondamental.
C’est peut-être son statut d’étranger qui l’a porté à refuser les recettes classiques du film biographique (biographical picture, d’où le
vénérable néologisme hollywoodien « biopic ») et à tenter, dès
l’écriture d’I’m Not There, présenté
à Venise et Toronto en 2007, une
expérience inédite, fractionnant le
portrait de Dylan en six segments
interprétés chacun par un acteur
différent (Cate Blanchett, Richard
Gere, Ben Whishaw…).
« Dylan est un transformiste, explique Oren Moverman. La question centrale est celle de la perception qu’il offre. Le concept du film
tourne autour des idées que Dylan
propose. » Le parcours de Brian
Wilson lui a inspiré un récit beau-
coup plus dramatique : « Un sommet créatif suivi d’une période stérile qui se termine par un séjour de
deux ans au lit, sans quitter sa
chambre dans les années 1970, puis
par l’intervention d’un médecin, le
docteur Eugene Landy, qui affirme
son emprise sur Brian Wilson jusqu’à ce que celui-ci rencontre une
femme. Ces périodes présentent un
contraste très fort, jusque dans le
physique du personnage. »
Marqueterie de moments
La première version du scénario
« beaucoup trop longue », de l’aveu
même de son auteur, était divisée
en trois époques : l’enregistrement des albums Pet Sounds et
Smile, la dépression et la solitude,
Il fallait
surmonter
le statut
très particulier
de l’auteur
de « God Only
Knows »,
sa détestation
de la scène
et des voyages
et la rencontre avec Melinda Ledbetter, qui devait devenir Mrs Wilson et qu’interprète Elizabeth
Banks. « Au fil de l’écriture, la période des années 1970, celle pendant laquelle il est devenu obèse à
force de rester au lit, est devenue de
plus en plus courte, se souvient
Oren Moverman, jusqu’à ce qu’on
en arrive au casting. Nous avons débattu de ces différents moments et
avons conclu qu’à chaque fois ce
n’était pas le même Brian. Nous
avons fini par diviser le film en
deux, pour qu’à chaque période un
acteur différent puisse s’immerger
dans le personnage », tâches qui
échurent à Paul Dano pour les années 1960 et à John Cusack pour
les années 1980.
La structure de Love & Mercy,
marqueterie de moments qui s’entrecroisent à travers les années,
n’est pas sans évoquer le travail
minutieux que Brian Wilson accomplissait dans les studios d’enregistrement, pendant que ses frères et cousins parcouraient le
monde. « Une bonne part du film
est consacrée à la fabrication de la
musique. Il suffit d’écouter les séances d’enregistrement de Pet Sounds
ou de Smile pour savoir ce qui se
passait en studio. Il y avait beaucoup d’expérimentation, de montage et j’ai essayé de travailler
comme Brian le faisait. »
Il fallait aussi surmonter le statut
très particulier de l’auteur de God
Only Knows dans la mythologie
rock. Sa détestation de la scène et
des voyages a empêché le musicien de devenir un performeur. « Il
ne se souciait que de construire un
autre langage par la musique, il
était incapable de construire un
concept de lui-même, de sa vie »,
fait remarquer Oren Moverman.
Cette singularité l’a privé de certains éléments obligés d’autres
films rock, comme les rapports
avec les fans ou la pression médiatique. Le scénariste est d’avis que
« tous les films sont des biopics,
chaque personnage a une vie. Et si
vous racontez la vie d’un personnage qui a travaillé une forme, vous
essayez de la raconter à travers
cette forme ».
This Is Gonna Suck, si le film voit
le jour (et il n’est pas impossible
qu’Oren Moverman le réalise luimême), sera ainsi « un film beaucoup plus linéaire, qui devrait se
préoccuper de savoir qui était Kurt
Cobain quand les caméras et les
projecteurs s’éteignaient. L’étude
d’une solitude, d’un désir d’être
aimé et de la peur d’être rejeté ». p
thomas sotinel
A l’écoute du brouhaha intérieur de Brian Wilson
LOVE & MERCY
pppv
D
ieu seul sait ce qui se
passe dans la tête de Brian
Wilson. Incarné par Paul
Dano dans Love & Mercy, le film
que Bill Pohlad lui consacre, il dit
« ne pas comprendre d’où ça
vient » : ça, c’est la musique, sa
musique. Le son unique des Beach
Boys, dont il a composé et interprété la plupart des chansons et
qui semble se fredonner si facilement, pour le garder encore plus
facilement en tête.
Mais ses textes ne sont souvent
légers qu’en surface et, à mesure
que la carrière des Beach Boys progresse, l’orchestration se hasarde
vers des sonorités plus étonnantes, les rythmes se font changeants, la mélodie se mélancolise.
Comme ses chansons, Brian Wilson cache bien des choses sous ses
airs bon enfant : il est diagnostiqué – abusivement estimeront
plus tard des médecins – schizophrène, et lorsqu’il dit « ne pas comprendre d’où ça vient », peut-être
s’étonne-t-il surtout que quelque
chose de cohérent, a fortiori de
beau, puisse sortir du brouhaha de
musique et de voix qui lui emplit
la tête.
Au point culminant de ce brouhaha, dans les années 1970, se
trouve une longue dépression. Là
où d’autres y auraient vu une
acmé dramatique, Bill Pohlad et
son scénariste Oren Moverman
ont eu la pudeur et l’intelligence
d’en faire le point aveugle de leur
histoire, comme elle a pu être celui
de l’histoire de Brian.
A cause d’elle, le musicien se dédouble. Paul Dano joue le Brian
d’avant, surmontant son vertige
pour emmener les Beach Boys vers
leur apogée artistique, avec l’album Pet Sounds. John Cusack joue
le Brian d’après la chute, tentant de
se relever sous le regard apaisant
d’une femme.
Le dédoublement est risqué : il
réussissait mal à Todd Haynes, qui
s’était mis en tête, avec I’m Not
There (2007), de faire revivre Bob
Dylan en kaléidoscope, avec six acteurs différents.
Une triangulation curieuse
Construit autour de deux acteurs,
le concept de Love & Mercy n’est
plus simple qu’en apparence : il
construit non pas un face-à-face
mais une triangulation curieuse
autour de Dano, Cusack et le Brian
dépressif qu’un troisième acteur
pourrait incarner, hors champ.
L’effet produit est vigoureux, et
l’attention sans cesse maintenue
en éveil tandis que l’on cherche,
aux trois points du triangle, des
correspondances entre les deux
visages filmés de Brian Wilson et
cette face obscure qu’on est contraint de lui imaginer.
De ce va-et-vient émerge bel et
bien un seul personnage, étonnamment net. Comme la musi-
que, la forme naît d’un désordre
apparent. Aussi, plus qu’à l’euphorie des concerts, bien plus qu’au
produit sans tache qui sort du studio, Love & Mercy s’intéresse-t-il
aux états intermédiaires du son
des Beach Boys. D’abord, ce brouhaha primitif dans la tête de Brian,
qu’une mise en scène inspirée s’efforce de faire ressentir plus qu’elle
ne l’imite : un mélange de voix, de
cris, de notes, qui dans la cacophonie trouve comme par accident
des moments d’harmonie, tel un
orchestre qui s’accorde.
Puis le travail en studio de Brian,
où la part expérimentale (aboiements et autres « instruments »
improbables) reste plus modeste
qu’on ne le pense : son vrai défi est
de faire comprendre à ses musiciens la forme qu’il entend donner
à ce chaos. Enfin, l’enregistrement
des voix et ce qu’il dit de l’harmonie du groupe : l’osmose, les récriminations, les couacs. Sur tout cela
plane la musique minimaliste d’At-
ticus Ross, brouillant les lignes
mélodiques comme pour les ramener au chaos à mesure que Wilson les en tire. Peut-être est-elle, à
elle seule, ce troisième acteur qui
joue le Brian dépressif.
Cette cacophonie étudiée n’est
pas toujours agréable à l’oreille,
mais son effet est doublement
beau. Parce qu’il donne à la perfection le sentiment du chaos intérieur du compositeur, il fait voir
comme un miracle sa capacité à tirer de tout cela une forme, et plus
encore un chant. Et parce qu’il détruit pour mieux reconstruire, il
permet aux oreilles, trop confortablement installées dans le souvenir d’une musique que l’on croit
connaître par cœur, de réentendre
God Only Knows comme si on la
découvrait pour la première fois. p
noémie luciani
Film américain de Bill Pohlad.
Avec Paul Dano, John Cusack,
Elizabeth Banks (2 h 01).
culture | 19
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MERCREDI 1ER JUILLET 2015
Le « Prince » somnambule de Marco Bellocchio
Réalisé en 1997, le film splendide du cinéaste italien, adapté de la pièce d’Heinrich von Kleist, sort enfin en France
LE PRINCE DE HOMBOURG
Ce « Prince
de Hombourg »
baigne dans
une atmosphère
magique qui
traduit le trouble
de son héros
tragique, perdu
entre le rêve
et la réalité
pppv
S
urgi du cœur de la tourmente, au beau milieu
d’un champ de bataille,
dans une scène furtive
glissée entre deux cartons de générique, le prince de Hombourg
entre en scène à cheval, sabre à la
main, galbé dans son bel uniforme, le port altier, le regard fier.
ll est jeune, a les traits sensuels
d’Andrea Di Stefano, acteur italien
qui n’avait pas encore 25 ans
en 1997, quand le film a été tourné.
Après ce moment quasi subliminal, on retrouve le personnage hagard, perdu dans le calme bleu
d’une nuit américaine, arpentant
les allées boisées d’un jardin en
terrasses. Le beau guerrier est
aussi un rêveur, un somnambule
qui erre au clair de lune, le teint
pâle comme celui d’un vampire,
prêt à défaillir au moindre éclat de
voix qui viendrait l’arracher à ses
songes. Un jeune homme en proie
à un violent tourment.
Idéalisme dément
Adaptation par Marco Bellocchio
de la dernière pièce d’Heinrich
von Kleist, écrite peu de temps
avant que l’écrivain romantique
ne se donne la mort, en 1811, à
l’âge de 34 ans, Le Prince de Hombourg représentait l’Italie dans la
compétition cannoise de 1997.
Atypique dans la filmographie du
cinéaste italien – qui ne compte
qu’une autre adaptation littéraire, Henri IV, le roi fou (1984),
d’après Pirandello –, elle n’en reflète pas moins le penchant pour
la psychanalyse qui a façonné,
après une première période politique, toute la deuxième partie de
son œuvre.
Qu’il ait fallu dix-huit ans à ce
film pour sortir dans les salles
françaises est difficile à comprendre tant il est splendide. L’initiative en revient à la société Carlotta
Films, qui accompagne ainsi le regain de ferveur qui entoure
aujourd’hui l’œuvre du poète et
dramaturge allemand. Alors qu’au
théâtre, un Prince de Hombourg
mis en scène par Giorgio Barberio
Corsetti ouvrait en 2014 le Festival
d’Avignon, Arnaud des Pallières
s’est inspiré d’un de ses romans
pour son Michael Koohlhaas, et
Autour de ce prince profondément moderne qui ne sait pas où
il est, qui endosse successivement
les oripeaux du lâche et du héros,
autour de son procureur dont les
motivations sont moins pures
qu’il veut bien le dire (la condamnation du prince vise à sacraliser
la discipline de l’armée, mais elle
l’empêche aussi d’épouser Natalia, que l’Electeur souhaite marier
à un autre), l’auteur des Poings
dans les poches et de Vincere interroge le rapport de l’individu au
collectif, du libre arbitre à la loi.
Les acteurs Barbora Bobulova et Andrea Di Stefano. PROD DB/FILMALBATROS
Jessica Hausner de la dernière période de sa vie pour Amour fou. A
des degrés divers, ces entreprises
de réappropriation semblent traduire une volonté de conjurer, par
l’idéalisme dément qu’il a incarné
dans son art comme dans sa vie,
une forme de vide moral propre à
notre époque.
Comme Jacques Rivette qui disait vouloir, pour son Jeanne la
Pucelle, mettre en scène une
« idée de bataille » plutôt qu’une
bataille, Marco Bellocchio a reconstitué l’univers de la cour et de
l’armée prussienne selon un principe d’économie radicale qui fait
écho à la simplicité de l’intrigue.
Condensant l’artifice, il fait exploser l’émotion dans chaque plan
avec une intensité violente, permettant au film d’échapper aux
Ping-pong verbal sous le voile
Deux sœurs musulmanes d’une cité française face à leurs désirs
et aux interdits. Un moyen-métrage désopilant d’Antoine Desrosières
HARAMISTE
ppvv
Q
ue pouvait-on imaginer
en 2015 d’un film français
dont les héroïnes seraient deux musulmanes
d’une cité française qui portent le
voile, sinon un drame social précautionneux, pétri de gravité et de
mauvaise conscience ? Le moyenmétrage Haramiste du réalisateurscénariste Antoine Desrosières,
qui alterne courts et longs depuis
le mitan des années 1980 (A la belle
étoile, 1993 ; Banqueroute, 2000),
est heureusement à mille lieues de
ce mauvais pari : un ping-pong
verbal virevoltant, profus et irrévérencieux, montrant que, sous le
voile, il peut ne pas y avoir qu’une
soumission silencieuse, comme le
veulent les représentations toutes
faites, mais un ahurissant génie
comique qui remodèle l’espace social à sa convenance et vibrionne
follement autour des interdits.
Oui, Messieurs, prenez garde, ces
demoiselles parlent, et leur parole
est un feu grégeois.
D’ailleurs, la question du voile
est vite évacuée, laissant place au
vrai sujet, éternel marronnier de la
fiction française : deux sœurs,
nommées Rim et Yasmina, devant
négocier avec, d’un côté, un désir
qui les tarabuste et, de l’autre, le
rôle social qu’on leur assigne.
Improvisations épiques
On les découvre de face, assises sur
la place d’une cité-dortoir, au milieu des tours, alors qu’un garçon
les aborde. L’une le reçoit gentiment, parce qu’elle aimerait bien
« faire du tam-tam avec ses fesses », son aînée, la plus pudibonde,
l’envoyant paître, pas dupe sur ses
intentions (« On sait ce que c’est :
frère mus’, frère j’m’amuse ! »). Mais
le soir, dans leur chambre, la situation s’inverse : la prude s’inscrit
sur un site de rencontres, y ferre
un bel avocat et fait le mur pour le
rejoindre, tandis que l’autre tente
de la dissuader, la traitant de « sale
haramiste » (le « haram » désignant l’illicite en arabe).
Il y a, dans Haramiste, deux mises en scène qui s’affrontent et,
parfois, se rencontrent. La première, c’est celle de Desrosières,
qui a le mérite de laisser du champ
à la parole, en lui ouvrant des espa-
ces d’une frontalité théâtrale où
elle peut s’ébattre pleinement,
mais qu’il contient cependant
dans un scénario d’émancipation
cadenassé par des stéréotypes dormants (la libération sexuelle ne
pouvant venir que de la migration
sociale). En face, ses deux actrices,
les désopilantes Inas Chanti et
Souad Arsane, d’une réactivité et
d’une inventivité incroyables, qui
se mettent en scène au gré d’improvisations épiques, et donnent
du désir virginal une image complexe, paradoxale, débordant le cadre que le réalisateur leur tend.
De ce conflit naissent parfois des
frictions, mais surtout une drôlerie phénoménale, vissée aux trébuchements de la langue adolescente sur ces objets qu’elle ne sait
pas encore manipuler, prenant,
sur fond de tubes yé-yé, les chibres
pour « Chypre » et les godes pour
des « côtes ». p
mathieu macheret
Film français d’Antoine
Desrosières. Avec Inas Chanti,
Souad Arsane, Jean-Marie
Villeneuve, Samira Kahlaoui
(40 min).
écueils de la reconstitution historique sans rien céder sur le plan
de la beauté.
Ponctué de scènes nocturnes
éclairées à la bougie, traversé par
de splendides échappées filées de
chevaux noirs dans la campagne,
accompagné par la partition romantique de Marco Streccioni, ce
Prince de Hombourg baigne dans
une atmosphère magique qui tra-
duit le trouble de son héros tragique, perdu entre le rêve et la réalité, trop captif de son monde intérieur pour saisir, parfois, ce qui
se passe autour de lui. C’est ainsi
qu’après avoir conduit son armée
à la victoire il se retrouve mis à
pied par le Grand Electeur, puis
condamné à mort, pour n’avoir
pas respecté, parce que pas entendu, les ordres de sa hiérarchie.
Véritable vertige métaphysique
En posant la question de la réalité
des rêves, en les considérant
comme des expériences constitutives de l’être, il provoque, plus encore, un véritable vertige métaphysique. Au début du film, lorsqu’il se réveille de sa crise de somnambulisme, le prince découvre
dans ses mains un gant serti de
perles qu’il se souvient avoir arraché en rêve à Natalia, dans un rêve
amer où l’Electeur, qui s’apprêtait
à le couronner de laurier, s’est ravisé, a tourné les talons et l’a
abandonné sur place.
Fil d’Ariane du film, qui conduira
à un dénouement théâtral sous la
forme d’un « deus ex machina »
dont il est difficile de déterminer,
au cinéma, s’il s’agit d’un rêve ou
d’une blague de l’auteur, cet objet
de passage entre le rêve et la réalité
l’entraînera vers sa perte. A moins
qu’il ne soit le signe de son salut. p
isabelle regnier
Film italien de Marco Bellocchio.
Avec Andrea Di Stefano, Barbora
Bobulova, Toni Bertorelli (1 h 29).
shellac présente
partie. 2, de 1983 à 1989
En haut des marches - Rosa la rose, ille publique
Once more - Le Café des Jules
au cinéma le 8 juillet
rétrospective
le franc-tireur du cinéma français
à suivre...
les coffrets DVD des ilms
de Paul Vecchiali
Nuits blanches sur la jetée
Rétrospective Partie 1 & Partie 2
www.shellac-altern.org
20 | culture
0123
MERCREDI 1ER JUILLET 2015
« Le cinéma
doit être fou,
maniaque,
merveilleux…»
Le réalisateur Sebastian Schipper
explique que tourner « Victoria »
en un seul plan-séquence fut
« comme un voyage vers l’inconnu »
ENTRETIEN
Ce film, son tournage ont dû représenter pour vous quelque
chose de tout à fait particulier…
Ce fut pour moi une véritable
expérience, comme un voyage
vers l’inconnu. Aujourd’hui, après
avoir frôlé la catastrophe, j’ai l’impression de rentrer d’un long
voyage.
père était pasteur, comme
d’ailleurs une bonne partie de ma
famille, mon grand-père, mon arrière-grand-père, un de mes oncles… Je viens de Hanovre, où je
suis né en 1968. J’ai étudié le métier d’acteur à Munich, puis j’ai
joué dans quelques films.
Mon premier film en tant que
réalisateur s’appelait Les Bouffons
[1999]. Puis j’ai fait A friend of
mine, en 2006, et Vers la fin de l’été,
en 2009, d’après Les Affinités électives de Goethe. Si j’étais un musicien, je dirais qu’avec Victoria c’est
la première fois que je trouve mon
propre son. Ma propre musique.
Mes films précédents étaient des
imitations, alors que là il s’agit
d’une véritable invention.
On ne vous connaît pas en
France. Qui êtes-vous ?
Personne ne me connaît, pas
même en Allemagne [rires]. Mon
Votre film aurait-il pu se passer
ailleurs qu’à Berlin ? A Londres
ou à Paris, par exemple ?
Victoria n’est pas un film sur un
Q
uatrième long-métrage du réalisateur allemand
Sebastian
Schipper, Victoria est
constitué d’un seul
plan-séquence de deux heures et
quatorze minutes tourné dans
vingt-deux lieux différents.
La caméra
de Schipper suit
la jeune Victoria dans
le tumulte alcoolisé
des boîtes de nuit
berlinoises. MONKEYBOY
lieu, c’est un film sur des sensations, des sentiments que l’on retrouve en particulier à Berlin.
Ailleurs, le film aurait été sans
doute différent. J’aime cette solidarité du « qui es-tu ? D’où
viens-tu ? », que l’on retrouve à
Berlin, une ville où vivent énormément de jeunes. Une ville bon
marché, où, justement, ce qui ne
vaut pas cher est cool ; une ville
où l’on pense que ce qui est cher
est réservé aux gens qui ne sont
pas cool !
Victoria, elle, est espagnole…
Oui, elle vient d’Espagne. Pour le
reste, on ne sait pas grand-chose
L’Age d’Or
à Naples
20 JUIN / 11 OCTOBRE 2015
Cette exposition est reconnue d’intérêt national par le ministère de la Culture et de
la Communication/Direction générale des patrimoines/Service des musées de France.
Elle bénéficie à ce titre d’un soutien financier exceptionnel de l’État.
Pourquoi n’avoir voulu faire
qu’un seul plan-séquence ?
Je vous l’ai dit : pour échapper à
la tradition. Parce que je ne me demande pas si un film est bon ou
pas. Ni bon ni mauvais, le cinéma
doit être fou, maniaque, merveilleux, horrible… Je n’aime pas
les bons élèves. Le professionnalisme à outrance est en train de
tuer l’idée même du cinéma.
Au début, je trouvais stupide
cette idée de réaliser en un seul
plan-séquence un braquage de
banque. Mais elle revenait sans
cesse, un peu comme ces chiens,
dans la rue, qui inlassablement reviennent vers vous pour réclamer
de la nourriture. A la fin, l’idée
s’est imposée et j’ai décidé de tenter le coup. De monter à bord du
bateau…
Mon idée était paradoxalement
de perdre le contrôle du film, d’arriver à quelque chose qui ne soit
pas parfait. C’est un peu la même
chose lorsque l’on part en vacances. Rien de plus terrible que de savoir, à chaque instant, ce qui va se
passer dans les minutes qui suivent. Les meilleurs moments,
c’est lorsque le restaurant est
fermé et que tu dois improviser,
quand tu viens de rater le ferry et
que tu dois improviser, quand tu
« Victoria
fonctionne
à l’instinct.
Pour moi,
elle est la liberté,
la bonté,
le danger et
le péché réunis »
perds toutes tes affaires et que tu
dois demander de l’aide. Parfois, il
t’arrivera de haïr cette situation,
d’avoir envie de rentrer à la maison. Mais, finalement, quand tu
raconteras ton histoire, tout le
monde l’adorera.
C’est pareil avec un film,
d’autant plus qu’avec les moyens
techniques actuels on arrive à éliminer tout risque d’erreur. C’est
horrible ! C’est important, au contraire, de faire des erreurs. On
croit qu’elles rendent fou alors
qu’en réalité c’est l’absence d’erreur qui nous rend dingue.
En voyant votre film, on
éprouve une sensation de mouvement tout à fait particulière…
Quand on demandait à Francis
Bacon ce qu’il cherchait à toucher
par ses œuvres chez les individus,
leur cœur ou leur cerveau, il répondait : le système nerveux. Je
crois que c’est pareil avec le ci-
néma : on regarde les films avec le
système nerveux.
Quels qu’en soient les défauts ?
Prenez n’importe quel film,
même Apocalypse Now ou A bout
de souffle, il y aura toujours quelqu’un pour critiquer quelque
chose, la fin, le début, le milieu…
J’aime ce qu’a répondu la grande
violoniste Anne-Sophie Mutter
lorsqu’on lui a demandé la définition d’un concert parfait : « Ça
n’existe pas. Et c’est bien que ça
n’existe pas. »
Vous n’avez tourné que trois
prises ?
Heureusement ! Il ne nous restait plus d’argent [rires]. Lors de ce
tournage, pour la première fois,
j’ai éprouvé un sentiment de perte
de contrôle totale. Alors même
que mon métier de réalisateur implique au contraire de tout contrôler, jusqu’au moindre détail ; de refaire les scènes autant que nécessaire. Réaliser Victoria en un seul
plan et en temps réel ne le permettait pas. Du coup, je me comportais comme un entraîneur de foot.
Tout s’est mis en place au moment
du tournage, les dialogues, improvisés, mais aussi l’intrigue et les
motivations des personnages. On
a commencé à tourner à 4 h 20 du
matin. Deux heures quatorze plus
tard, c’était terminé. p
propos recueillis par
franck nouchi
Enchaînement fatal, sans raccords
de la Peinture
VICTORIA
ppvv
Francesco Guarino, Sainte Agathe (détail), vers 1637, huile sur toile, 87 x 72 cm, Naples,
Museo e Gallerie Nazionali di Capodimonte, Photo © Pedicini/Archivio dell’Arte -
DE RIBERA À GIORDANO
d’elle. Juste des intuitions. Elle
fonctionne à l’instinct. Pour moi,
elle est la liberté, la bonté, le danger et le péché réunis.
Ç
a commence dans un night-club, dans la fureur
d’une piste de danse. La caméra suit frénétiquement
une jeune femme qui se déhanche, puis se fraie un chemin vers le
bar puis vers la rue, dans le tumulte alcoolisé des sorties de
boîte de nuit. C’est le début de ce
qui se révélera à la fois un récit se
déroulant durant l’exact temps de
la projection et d’une expérience
singulière pour le spectateur.
Victoria n’est en effet constitué
que d’une seule prise de vue de
2 h 14, se rapprochant ainsi
d’autres expériences ayant traversé l’histoire du cinéma, expériences témoignant d’une recherche qui unifierait la durée de la
projection avec celle du récit en
train d’être conté. La Corde, d’Hitchcock (même si le film contenait
des raccords cachés et même visibles), en serait un des modèles canoniques. Plus récemment, L’Arche
russe, d’Alexandre Sokourov, avait
proposé, cette fois sans tricher sur
le montage, un tel projet.
Le spectateur du film de Sebastian Schipper n’a ainsi d’autre
choix que de suivre l’héroïne, une
jeune Espagnole lâchée dans les
rues de Berlin au petit matin. Au
sortir de la boîte de nuit, elle
tombe sur de jeunes types un peu
éméchés. Après ce qui peut s’apparenter à un jeu ou à un simulacre
de drague, ceux-ci la convainquent
de la suivre dans leurs pérégrinations. A partir de là, les événements vont se succéder selon un
enchaînement fatal. Aux moments de dérives et de suspension
informelle du temps vont progressivement succéder des péripéties
qui feront basculer le film dans un
registre proche du cinéma de
genre, avec hold-up maladroit,
poursuites et coups de feu à la clé.
Tension et suspense
L’intérêt du parti pris du cinéaste
consiste à donner la sensation
d’une ambiguïté essentielle de la
réalité, visible et perceptible dans
son irréversibilité. Que veulent les
compagnons de Victoria ? Quel
est le sens de leurs actions, s’il y en
a un autre que la simple improvisation éthylique ? Aucune direction ne paraît imposée au spectateur qui peut, dès lors, projeter ses
émotions, essentiellement la
peur qu’il arrive quelque chose à
Victoria. L’unité du temps, l’absence de raccords entretiennent
une tension et un suspense particuliers, l’impression que tout
peut arriver, et surtout le pire, que
le film s’ouvre à la possibilité d’un
hasard qui est celui de la vie ellemême.
Tout se passe comme si la jeune
Victoria était plongée au cœur
d’un monde rempli de prédateurs
masculins. Elle semble la proie
virtuelle d’une violence qui ne demanderait qu’à exploser. Inutile
de dire que l’essentiel repose sur la
performance des acteurs, principalement celle de l’étonnante Laia
Costa, qui interprète le rôle central. A l’énergie masculine suicidaire et improductive, elle oppose
une forme d’inconscience salutaire et résistante, une énergie encore plus puissante.
Victoria est ainsi, avant tout, un
formidable portrait de jeune fille
qui se caractérise par une forme de
fausse fragilité et de véritable invincibilité. Si le film de Sebastian
Schipper, Ours d’argent de la
meilleure contribution artistique
au dernier Festival du film de Berlin et Grand Prix du Festival du
film policier de Beaune, s’impose
au-delà du tour de force technique,
c’est dans la façon dont il parvient
à brouiller les clichés qui étiquettent le masculin et le féminin. p
jean-françois rauger
Film allemand de Sebastian
Schipper. Avec Laia Costa,
Frederick Lau, Franz Rogowski.
(2 h 20).
culture | 21
0123
S E M A I N E
MERCREDI 1ER JUILLET 2015
K Retrouvez l’intégralité des critiques sur Lemonde.fr
(édition abonnés)
pppv À NE PAS MANQUER
Love & Mercy
Film américain de Bill Pohlad (2 h 01).
ppvv À VOIR
Haramiste
Film français d’Antoine Desrosières (40 min).
L A
Victoria
Le retour
inlassable
mais lassant de
« Terminator ».
Film allemand de Sebastian Schipper (2 h 20).
pvvv POURQUOI PAS
PARAMOUNT PICTURES
Documentaire français de Thomas Bartel (1 h 08).
« Mes chansons qui tiennent sur la longueur sont vraiment liées
à des images, à une succession de lieux, où j’ai vécu, où je suis
passé, que j’imagine… », affirme Dominique A au début du film.
Sur cette idée, le documentariste et critique rock Thomas Bartel a composé ce beau portrait, accompagnant son personnage
sur les lieux qui l’ont façonné comme homme et comme artiste. Les captations de ses chansons ancrent le film dans un
présent pur. p i. r.
Un Terminator fané et fourbu
Arnold Schwarzenegger se glisse une nouvelle fois dans la peau du personnage créé
il y a trente ans, auquel un scénario paresseux ne laisse aucune chance de convaincre
Fantasia
Film chinois de Wang Chao (1 h 26).
Avec Fantasia, Wang Chao trempe le mélodrame dans un réalisme sec, scrutant, à travers le destin déliquescent d’une famille recomposée, les effets des mutations socio-économiques
en Chine. Une approche éprouvée, qui connut son apogée dans
les années 2000 avec Jia Zhang-ke, mais désormais vidée de sa
substance. Le film systématise à tel point l’irrésolution qu’il
semble ne savoir que faire de ses personnages. p m. ma.
vvvv ON PEUT ÉVITER
Terminator : Genisys
Film américain d’Alan Taylor (2 h 06).
Lost for Words
Film hongkongais de Stanley J. Orzel (1 h 48).
Dans une Hongkong de carte postale, deux clichés vivants (un
ex-marine américain venu chercher une nouvelle vie et une
danseuse chinoise prude et délicate) tombent amoureux. Un
réalisateur malintentionné se met en tête de nous les faire suivre pendant une heure trois quarts de fiction aux airs de mauvaise pub pour l’office du tourisme. p n. lu.
Tales of Tales, Le conte des contes
Film franco-italien de Matteo Garrone (2 heures).
Adapter au cinéma Le Conte des contes, de Giambattista Basile,
l’un des plus anciens livres de contes populaires : le pari était
audacieux. Matteo Garrone fut plus inspiré en 2008 lorsqu’il
tourna Gomorra. Dotée d’un casting ébouriffant (Salma Hayek,
Vincent Cassel, Toby Jones, John C. Reilly, Stacy Martin…), cette
adaptation ne parvient pas à retrouver la magie de l’univers
merveilleux du Pentamerone. p f. n.
NOUS N’AVONS PAS PU VOIR
Les Profs 2
Film français de Pierre-François Martin-Laval (1 h 32).
PAT R I MOI N E
Sites détruits par l’EI :
des « crimes de guerre »,
estime l’Unesco
L’agence culturelle de l’ONU
a dénoncé, lundi 29 juin,
dans une résolution adoptée
à Bonn, les « attaques barbares » perpétrées par les djihadistes de l’organisation Etat islamique contre des sites
archéologiques en Syrie et en
Irak. Le texte a été adopté à la
39e session du comité du Patrimoine mondial de l’Unesco
(en cours), et condamne « les
attaques intentionnelles contre des bâtiments consacrés à
la religion, à l’enseignement, à
l’art, à la science ou à l’action
caritative et contre des monuments historiques ». – (AFP.)
LES MEILLEURES ENTRÉES EN FRANCE
Nombre
de semaines
d’exploitation
Nombre
d’entrées (1)
Nombre
d’écrans
Vice-versa
2
512 674
746
Un moment d’égarement
1
199 483
430
Spy
2
150 918
351
Poltergeist
1
118 951
258
↓
– 23 %
Total
depuis
la sortie
1 300 111
199 483
↓
– 23 %
400 392
118 951
Unfriended
1
91 631
131
91 631
Gunman
1
70 790
370
70 790
San Andreas
5
57 250
510
Comme un avion
3
46 008
372
Mustang
2
44 801
173
Mad Max : Fury Road
7
42 335
388
AP: Avant-première
Source : Ecran Total
Evolution
par rapport
à la semaine
précédente
↓
↓
↓
↓
– 25 %
1 055 160
– 23 %
275 009
– 24 %
125 860
– 28 %
2 254 474
* Estimation
Période du 24 juin au 1er juillet inclus
Les critiques ne font décidément plus la pluie et le beau temps : littéralement encensé par une bonne partie des médias, Les Mille et Une
Nuits, de Miguel Gomes, peine visiblement à attirer les foules dans les
salles : 9 969 personnes l’ont vu après cinq jours d’exploitation. Il sera
intéressant d’observer les effets du bouche-à-oreille dans les semaines
qui viennent. Pour le reste, rien de bien extraordinaire, si ce n’est que
Mustang, le film de la réalisatrice franco-turque Deniz Gamze Ergüven,
pourrait bien être l’un des succès de l’été (44 800 spectateurs en
deuxième semaine, soit déjà plus de 125 000 entrées). Au rayon film
phénomène, La Loi du marché pointe à la 12e place, cumulant pour
l’heure plus de 872 000 entrées. L’objectif du million de spectateurs est
en vue. Parmi les nouveaux films, Un moment d’égarement, de JeanFrançois Richet, ne s’en tire pas trop mal avec près de 200 000 entrées.
Nettement mieux que Gunman, qui n’a attiré que 70 000 personnes.
TERMINATOR GENISYS
vvvv
C
inquième épisode d’une
franchise née il y a trente
ans, Terminator Genisys,
au-delà de ses qualités artistiques (disons-le tout de suite, elles
sont inexistantes), témoigne de
la difficulté d’injecter quelque
chose de nouveau dans ce qui apparaît désormais comme un système étouffant et contraignant.
Il y a en effet, dans l’exploitation
d’une série aussi codifiée que
celle des Terminator, la nécessité
industrielle d’un retour inlassable mais lassant.
Dans un futur où règne une
guerre sans merci entre les machines et une poignée d’humains
faisant de la résistance, John Connor, le chef des rebelles, envoie
dans le passé un de ses lieutenants pour y faire bifurquer le
D V D
L E S
F I L M S
D E
Dominique A. La mémoire vive
cours du temps et assurer la victoire programmée de l’humanité.
Partant de ce postulat, Terminator Genisys, signé d’un réalisateur
venu des séries télévisées, aligne
une série de trouvailles, séquences et situations déjà largement
testées dans les précédents épisodes (les paradoxes spatio-temporels, les robots polymorphes et
invincibles déguisés en policiers,
etc.), paresseusement filmées et
parfois teintées (horreur supplémentaire) d’humour.
Sans doute conscients des dangers que comporte le principe
d’une réitération sans fin, les scénaristes ont multiplié jusqu’à
l’absurde les sauts temporels et
les retournements de situation
(tel personnage passe du côté des
méchants et vice versa), au point
qu’il est aisé de se perdre dans les
méandres d’un récit tarabiscoté,
jusqu’à finalement ne plus éprou-
ver qu’une indifférence générale.
Pour éviter, de toute évidence,
d’égarer trop souvent le spectateur, sont alignées d’innombrables séquences verbeuses et maladroitement interprétées.
Vieillissement des cellules
Le film marque le retour d’Arnold
Schwarzenegger dans une série
dont la naissance contribua à lui
fabriquer une persona particulière. L’acteur a pris de l’âge, son
visage est davantage marqué et le
scénario explique cela par le
vieillissement des cellules humaines qui constitue l’épiderme
des robots. Soit. L’androïde qu’il
incarne (si l’on peut dire) est parfois confronté à des doubles de
lui-même, plus lisses, d’apparence plus jeune.
C’est sans doute pour cela que
Terminator Genisys peut être vu
comme un objet de son temps,
témoignant de la mutation des
images de cinéma.
Schwarzenegger, qui, longtemps, n’a été qu’un corps à la fois
trop parfait pour être humain et
trop réel pour n’être qu’inhumain, est ici alternativement un
corps authentique et un peu
fourbu et une parfaite image de
synthèse. Où finit le monde réel ?
Où commence le monde virtuel ?
Si Terminator Genisys avait été
plus fin et plus conscient de ses
enjeux, il eût pu constituer une
expérience fascinante sur les vertigineuses possibilités d’une
confusion poétique entre le
corps matériel et son simulacre
numérique. p
jean-françois rauger
Film américain d’Alan Taylor.
Avec Arnold Schwarzenegger,
Jason Clarke et Emilia Clarke
(2 h 06).
Magick Lantern Cycle
Double coffret de neuf
courts-métrages de Kenneth
Anger. Potemkine.
« Magick Lantern Cycle »,
c’est le nom donné par Kenneth Anger aux neuf films
où sa créativité, son imagination visionnaire sont portées à leur point d’incandescence. Neuf courts-métrages
muets réalisés entre 1947 et
1980, cela semble peu. C’est
immense, tant ils ont initié
de transformations esthétiques, posant les bases de
l’iconographie homo-érotique, inventant un rapport
citationnel à la musique et
au cinéma, qui allait devenir
le propre de la postmodernité. Fasciné par les stars du
muet, admirateur de Cocteau et de Genet, le cinéaste
californien a ainsi révélé le
potentiel iconique des marins (Fireworks) et des bikers
cuir et chrome tendance SM
(Scorpio Rising). Inventant
de film en film son propre
langage, un archaïsme remontant au cinéma muet
conjugué à une intuition
des transformations de son
époque et un goût pour l’expérimentation propre à la
contre-culture, il se prend de
passion pour le mage anglais Aleister Crowley, invoquant au gré de ses inspirations Lucifer et la beauté
morbide de Marianne Faithfull, la guerre du Vietnam
et la mythologie égyptienne,
Anaïs Nin et la secte de
Charles Manson… Ses visions ont marqué Fassbinder, Lynch (la chanson qui
donne son titre à Blue Velvet
résonnait dans Scorpio Rising), et jusqu’à Scorsese, qui
s’est inspiré de son art du
contrepoint. Auteur d’Eloge
de Kenneth Anger (Cahiers
du cinéma, 1999), Olivier
Assayas parle bien, dans les
bonus, de cette œuvre qui
est, selon lui, « le meilleur
outil dont on dispose pour
repenser l’histoire du cinéma ». p isabelle regnier
AU CINÉMA LE 8 JUILLET
22 | télévisions
0123
MERCREDI 1ER JUILLET 2015
Mort d’un des pionniers de Canal+
VOTRE
SOIRÉE
TÉLÉ
Alain De Greef a été directeur des programmes de la chaîne de 1986 à 2000
TF1
20.55 Arrow
Série créée par Andrew Kreisberg,
Greg Berlanti et Marc Guggenheim.
Avec Stephen Amell, Katie Cassidy,
(EU, saison 2, ép. 1 à 3/23).
23.30 Flash
Série créée par Greg Berlanti, Andrew
Kreisberg et Geoff Johns. Avec Grant
Gustin, Candice Patton, Danielle
Panabaker (EU, S1, ép. 1 et 2/23).
D
eug » est mort. Alain
De Greef, ancien directeur des programmes
emblématique de Canal+ de 1986 à 2000, s’est éteint
lundi 29 juin en fin d’après-midi
dans sa maison de Saint-Saturnin-lès-Apt (Vaucluse). Il avait
68 ans. Depuis deux ans, il luttait
contre un cancer des poumons et
contre un cancer de la mâchoire
qui l’avaient obligé à suspendre
ses activités professionnelles,
mais ne l’empêchaient pas de
s’indigner.
Malgré la maladie, Alain De
Greef était très actif sur Facebook
où il postait régulièrement ses colères et ses commentaires contre
la télévision dont il avait été un
des plus grands dynamiteurs. « Il
avait conservé une capacité d’indignation très rare pour une personnalité audiovisuelle de ce niveau »,
souligne Bernard Zékri, ancien du
magazine Actuel qu’Alain De
Greef fit venir à Canal+ pour s’occuper du Vrai Journal de Karl Zéro,
puis de la rédaction de I-Télé lancée par De Greef en 1999.
France 2
20.56 Nina
Série créée par Alain Robillard et
Thalia Rebinsky. Avec Annelise
Hesme, Nina Melo (S1, ép. 5 et 6/8).
22.35 Kanaks, l’histoire oubliée
Téléfilm de Stéphane Kappes.
Avec Yael Mayat (Fr., 2012, 95 min).
France 3
20.50 Des racines et des ailes
Présenté par Carole Gaessler.
Des Vosges au lac Léman.
23.15 Le Juge Renaud,
un homme à abattre
Documentaire de Francis Renaud
(Fr, 2015, 55 min).
Canal+
20.55 Albert à l’Ouest
Comédie de Seth MacFarlane. Avec
Seth MacFarlane (EU, 2014, 115 min).
22.50 Les Flingueuses
Comédie de Paul Feig. Avec Sandra
Bullock, (EU, 2013, 110 min).
En juin 2011.
GÉRARD ROUSSEL/PANORAMIC
Fan des fifties
Dans un entretien au Monde publié en novembre 2014, à l’occasion des trente ans de Canal+,
Alain De Greef avait eu des commentaires très durs contre les dirigeants de son ancienne chaîne.
Avec ses mots bien pesés, il y dénonçait « les experts en marketing » et pointait férocement « les
dérives » de Canal en s’indignant,
par exemple, de voir Nadine Mo­
rano ou Eric Zemmour sur le pla­
teau du « Grand Journal », l’ancêtre de « Nulle Part Ailleurs », un de
ses bébés favoris. « C’est comme
voir un odieux graffiti sur une toile
de Vermeer ! », s’était-il énervé.
Ancien élève de l’Institut des
Hautes Etudes Cinématographiques (Idhec) aujourd’hui devenu
la Fémis, Alain De Greef a commencé sa carrière dans l’audiovisuel comme chef-monteur à
l’ORTF en 1971 avant d’émigrer sur
Antenne 2, tout juste créée
en 1974. C’est là qu’il rencontre
Pierre Lescure avec qui, en
avril 1982, il concocte le magazine
de pop culture « Les Enfants du
rock », devenue une émission de
référence. Lescure et De Greef,
tous deux biberonnés à la culture
américaine des années 1950, y
font travailler de jeunes journalistes experts en musique rock et
underground. Parmi eux, Bernard Lenoir, Philippe Manœuvre,
Jean-Pierre Dionnet ou Antoine
de Caunes qui font découvrir Madonna, The Cure ou Indochine
aux jeunes téléspectateurs coincés, à l’époque, entre seulement
trois chaînes de télévision. Tout
un petit monde que le tandem
Lescure-De Greef embarque dans
l’aventure Canal+ qui démarre le
4 novembre 1984 sous la présidence d’André Rousselet, l’ex-directeur de cabinet de François
Mitterrand.
De Greef y travaille d’abord
comme directeur de production.
Après avoir manqué de couler
faute d’abonnés, la chaîne cryptée
prend véritablement son essor
en 1986, année où Alain De Greef
est nommé par Lescure à la direction des programmes. En toute liberté, il peut enfin donner libre
cours à sa conception de la télévi-
4 JUIN 1947 Naissance
à Boulogne-Billancourt
1971 Chef-monteur
à l’ORTF
AVRIL 1982 Crée avec
Pierre Lescure le magazine de pop culture
« Les Enfants du rock »
4 NOVEMBRE 1984
Lancement de la chaîne
Canal+
DE 1986 À 2000 Directeur
des programmes
de Canal+
2001 Licencié
de la chaîne cryptée
29 JUIN 2015 Mort à
Saint-Saturnin-lès-Apt
(Vaucluse)
HORIZONTALEMENT
GRILLE N° 15 - 153
PAR PHILIPPE DUPUIS
1
2
3
4
5
6
Mercredi 1er juillet
7
8
9
10
11
12
I
II
III
IV
V
VI
VII
I. Saura vous faire parler. II. Ami d’enfance diicile à quitter. Lieu de rencontres à risques. III. Vue en profondeur. Facilite le franchissement des
obstacles. IV. Club phocéen. Sur la
portée. Cap entre Alicante et Valence.
En réalité. V. Belle in pour le homard.
Sacrilège quand elle est noire. VI. «/»
sur votre clavier. Très bonne opinion.
VII. A mis ses pinceaux au service de
papes, de rois et d’un empereur. Victime des gaz allemands. VIII. Se promène autour du Soleil. Article. IX. Arrivé parmi nous. Petit archipel des
Philippines. Possessif. X. Souvent nécessaire avant de poser la première
pierre.
sion où les émissions ne sont pas
formatées et soumises à la sanction de l’audience. Il est ainsi à
l’origine des programmes qui ont
fait la notoriété de la chaîne :
« Nulle part ailleurs », « Les Guignols de l’info », « Groland », « Les
Deschiens », et c’est lui qui, en lorgnant de près dans le laboratoire
de Radio Nova, repère Jamel Debbouze et lance, entre autres, JulesEdouard Moustic, Benoît Delépine ou Benoît Poelvoorde.
« Il vomissait les tièdes »
Car, par-dessous tout, Alain de
Greef aimait déranger. « Il vomissait les tièdes » rappelle le journaliste Paul Moreira qui, avec l’appui de De Greef, lança le maga­
zine « Spécial Investigation ».
Adepte de l’écrivain Guy Debord
dont il diffusa un documentaire
sur Canal en première partie de
soirée (!), Alain de Greef avait
compris depuis longtemps que la
société avait besoin de sa part de
chaos et qu’il était nécessaire de
bousculer ses règles à travers la
télévision. Une posture qui lui
valut plusieurs rappels à l’ordre
de la part du Conseil Supérieur
de l’Audiovisuel (CSA) que « Les
Guignols de l’Info » ont immortalisé dans un sketch devenu célèbre où la marionnette d’Alain
De Greef tente d’expliquer aux
Sages sa démarche éditoriale,
dans son phrasé tout personnel
composé de « Çaaa vaaa ! »,
« Çaaa vaaa paas ! ».
Viré en 2001 de Canal+ après les
changements
d’actionnaires,
Alain De Greef n’avait pas abandonné son envie de télévision. Il
étudiait toujours de près des projets de chaînes sur le Net notamment avec Jamel et Alain Chabat,
l’un des Nuls qui contribua fortement au succès de Canal. Il consacrait également beaucoup de son
temps à écouter du jazz et, en fin
connaisseur d’art, il fréquentait
beaucoup les musées. « Je suis un
paisible retraité provincial »,
avait-il expliqué au Monde, l’œil
vif et toujours rieur. p
daniel psenny
SUDOKU
N°15-153
SOLUTION DE LA GRILLE N° 15 - 152
HORIZONTALEMENT I. Surpassement. II. Aréole. Météo. III. Rating. Têtu.
IV. Der. Xérès. Tr. V. Item. Set. Zen. VI. Nénés. Cane. VII. Enée. La. Eq.
VIII. Ebranle. Indu. IX. Réac. Uniiée. X. Essartassent.
VERTICALEMENT 1. Sardinière. 2. Uraète. Bès. 3. Refréneras. 4. Pot. Me-
naça. 5. Alix. Sen. 6. Sénés. Elut. 7. Grec. ENA. 8. Em. Etal. Is. 9. Mets.
Naïfs. 10. Eté. Ze. Nie. 11. Nette. Eden. 12. Tourniquet.
La reproduction de tout article est interdite
sans l’accord de l’administration. Commission
paritaire des publications et agences de presse
n° 0717 C 81975 ISSN 0395-2037
0123
Les Unes du Monde
RETROUVEZ L’INTÉGRALITÉ
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VOTRE CHOIX ENCADRÉE
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ie
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65 e Année
- N˚19904
- 1,30 ¤ France métropolitaine
L’investiture
de Barack
Nouvelle édition
Tome 2-Histoire
---
Jeudi 22 janvier
Uniquement
2009
Fondateur
Premières mesures
Le nouveau président
américain a demandé
la suspension
: Hubert Beuve-Méry
En plus du «
en France
- Directeur
Monde »
métropolitaine
: Eric Fottorino
Obama
des audiences
à Guantanam
o
Présidente :
Corinne Mrejen
PRINTED IN FRANCE
Barack et
Michelle Obama,
à pied sur
Pennsylvania
Avenue, mardi
20 janvier,
se dirigent
montré. Une
vers la Maison
evant la foule
nouvelle génération
Blanche. DOUG
tallée à la tête
s’est insqui ait jamais la plus considérable
MILLS/POOL/REUTERS
a Les carnets
transformationde l’Amérique. Une ère
d’une chanteuse.
national de été réunie sur le Mall
de Angélique
a
Washington,
Des rives du commencé.
Kidjo, née au
Obama a prononcé,
a Le grand
Barack lantique,
Pacifique à
jour. Les cérémonies
celles de l’At- aux Etats-Unis pendant Bénin, a chanté
discours d’investituremardi 20 janvier,
toute l’Amérique
la liesse ; les
la campagne
de Barack Obama
;
ambitions d’un
presque modeste.un sur le moment
s’est arrêtée
a Feuille
force d’invoquer
en 2008,
la première
rassembleur
qu’elle était
pendant les
A vivre :
décision de
; n’est jamaisde route. « La grandeur
Abraham
en train de
festivités de et de nouveau administration:
Martin Luther
l’accession
la nouvelle
Lincoln,
un
l’investiture,
au poste
du 18 au
dant en chef
Avec espoir et dû. Elle doit se mériter.
avait lui même King ou John Kennedy,
pendant cent la suspension
des armées, de comman- raconte 20 janvier. Pour Le Monde,
(…)
vertu,
il
placé la barre
responsable
vingt
: les cérémonies,
elle
de plus les courants bravons une fois
discours ne
très haut. Le l’arme nucléaire, d’un
de Guantanamo. jours des audiences
passera probablement
les rencontres
jeune sénateur de – elle a croisé l’actrice
glacials et endurons
cain-américain
Pages 6-7
les tempêtes à
postérité, mais
afri- le chanteur
page 2
et l’éditorial
Lauren
de 47 ans.
venir. » Traduction
il fera date pour pas à la
Harry Belafonte… Bacall,
du discours
ce qu’il a
inaugural du e intégrale
miste Alan Greenspan.
Lire la suite
et l’écono- a It’s the economy...
des Etats-Unis.
44 président
page 6 la
Il faudra à la
velle équipe
taraude : qu’est-ce Une question
nou- a Bourbier Page 18
beaucoup d’imagination
Corine Lesnes
pour sortir de
que cet événement
va changer pour
irakien. Barack
a promis de
l’Afrique ? Page
Obama
et économiquela tourmente financière
retirer toutes
3
qui secoue la
de combat américaines
les troupes
Breakingviews
planète.
page 13
d’Irak d’ici
à mai 2010.
Trop rapide,
estiment les
hauts gradés
de l’armée.
WASHINGTON
CORRESPONDANTE
D
Education
UK price £ 1,40
X
M6
20.55 Qui est la taupe ?
Jeu présenté par Stéphane
Rotenberg.
23.00 Murder
Série créée par Shonda Rhimes.
Avec Viola Davis (EU, S1, ép. 5 et
6/15).
du « Monde » SA
Durée de la société : 99 ans
à compter du 15 décembre 2000.
Capital social : 94.610.348,70 ¤.
Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS).
Rédaction 80, boulevard Auguste-Blanqui,
75707 Paris Cedex 13 Tél. : 01-57-28-20-00
Abonnements par téléphone :
de France 32-89 (0,34 ¤ TTC/min) ;
de l’étranger : (33) 1-76-26-32-89 ;
par courrier électronique :
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Tarif 1 an : France métropolitaine : 399 ¤
Courrier des lecteurs
blog : http://mediateur.blog.lemonde.fr/ ;
Par courrier électronique :
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Médiateur : [email protected]
Internet : site d’information : www.lemonde.fr ;
Finances : http://finance.lemonde.fr ;
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Documentation : http ://archives.lemonde.fr
Collection : Le Monde sur CD-ROM :
CEDROM-SNI 01-44-82-66-40
Le Monde sur microfilms : 03-88-04-28-60
VERTICALEMENT
1. A tendance à faire la girouette.
2. Fabriquée en respectant les règles.
3. Met in. Accord commercial en
grand. 4. Le plombier ne peut rien
faire pour cette fuite. 5. Belle et fragile, elle a de la défense. Emotta.
6. La première n’est pas toujours
bonne. Personnel. 7. Docteur de
l’Eglise. Après vous. 8. Auxiliaire. Toujours là quand il faut. 9. Mise en place
pour suivre. 10. Donne des forces.
Voleuse en remontant. Personnel.
11. Boîte à poussières. Se prend avec
prétention. 12. Redonnèrent belle
allure aux fonds des casseroles.
Arte
20.50 Jan Hus, rebelle
jusqu’au bûcher
Téléfilm de Jiri Svoboda. Avec Matej
Hadek, Jan Dolansky, (République
tchèque, 2015, 125 min).
0.50 L’Europe des écrivains
L’Italie d’Erri De Luca et Claudio
Magris.
Documentaire de Nicolas Autheman
et Raphaëlle Rérolle (Fr., 2013,
50 min).
0123 est édité par la Société éditrice
VIII
IX
France 5
20.40 La Maison France 5
Présenté par Stéphane Thebaut.
21.40 Silence, ça pousse !
Magazine présenté par Noëlle
Bréham et Stéphane Marie.
L’avenir de
Xavier Darcos
Ruines, pleurs
et deuil :
dans Gaza dévastée
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1 500 F CFA,
2,00 ¤, Luxembourg
1,40 ¤, Malte
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12, rue Maurice-Gunsbourg, 94852 Ivry cedex
Toulouse (Occitane Imprimerie)
Montpellier (« Midi Libre »)
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0123
MERCREDI 1ER JUILLET 2015
Le palais baroque
du marquis de Dos Aguas,
Musée de la céramique
(à droite).
HUGHES HERVÉ/HEMIS.FR
La Cité des arts
et des sciences (au centre).
PISTOLESI ANDREA/HEMIS.FR
La Lonja de la Seda, ancienne
halle de la soie (ci-dessous).
GUNNAR KNECHTEL/LAIF-REA
Ludique, balnéaire, à taille
humaine… Moins connue
que Barcelone, la ville
espagnole est idéale
pour une escapade familiale
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10 H 30 : DÉFIER LA GRAVITÉ
Tout au bout du Turia se dresse un complexe
à l’architecture futuriste bluffante : la Cité des
arts et des sciences, dont fait partie le Musée
des sciences (1), signé Santiago Calatrava. Pendant que les plus jeunes coiffés d’un casque
de chantier empilent de (fausses) briques et
regardent les poussins éclore dans un espace
qui leur est dédié (L’Espai dels Xiquets), les
adolescents appréhendent la gravité, les tornades ou encore les chromosomes. Avant de
comprendre la rotation de la Terre grâce à
l’imposant pendule de Foucault.
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9 H 30 : SE PROMENER SUR UN FLEUVE
Les jardins du Turia sont le rendez-vous des
joggeurs, cyclistes et familles qui viennent y
pique-niquer. L’ancien lit du fleuve Turia
– détourné après une inondation en 1957 –,
transformé en parc public de 110 hectares, est
un bon point de départ. De repère également,
car il dessert toute la ville, comme si la Seine
à Paris était vidée et végétalisée. On peut attaquer la journée avec un cafe con leche
(« café au lait ») près du Palau de la Música, et
épuiser les enfants au terrain de jeux Gulliver, avec toboggans sur le corps du géant.
Possibilité de louer des vélos familiaux (15 €
les 30 minutes).
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13 H 30 : DANSER AVEC LES BÉLUGAS
A dix minutes à pied du Museo de las Ciencias, l’Oceanogràphic (2) de l’architecte Felix
Candela est le plus grand aquarium d’Europe : 45 000 poissons et plus de 500 espèces. Le billet est cher, mais la visite en vaut la
peine. On peut déjeuner au milieu des poissons au chic restaurant Submarino avant
d’assister au fascinant spectacle des imposants bélugas, des lions de mer bagarreurs et
des dauphins à la chorégraphie maîtrisée. A
ne pas manquer : le tunnel qui traverse
l’aquarium des requins et dans lequel il est
possible de passer la nuit (sur réservation).
J O U R
2
10 HEURES : PROFITER DE LA PLAGE
Le week-end, les Valenciens se retrouvent
sur les larges plages près du port, surtout à
Las Arenas (5), facilement accessible en métro et tram. L’étendue de sable est immense,
mais les quelques parasols et transats à
louer bon marché sont vite pris d’assaut.
Ceux qui craignent les bains de foule préféreront la plage d’El Saler, située à quelques
kilomètres plus au sud, que l’on rejoint en
voiture ou en empruntant le bus 25.
Y aller
Air Europa propose trois vols
quotidiens Paris-Valence.
Aller-retour à partir de 171 €
en classe économique.
aireuropa.com
Visites
Musée des sciences : avenida
del Professor Lopez Piñero, 7,
46013.
Oceanogràphic : carrer
Eduardo Primo Yufera, 1b,
46013.
Bioparc : avenida Pio Baroja, 3,
46015.
Visite de la vieille ville :
18 € adulte, 15 € enfant.
turiart.com
17 H 30 : BOIRE UN LAIT DE SOUCHET
Pour la gourmandise, il faut quitter le Turia
pour rejoindre à pied ou en bus la lisière de
la vieille ville. Conçu par l’urbaniste Francisco Mora Berenguer en 1914, le Mercado de
Colón (3), grande halle décorée de fer forgé et
céramiques, n’est pas réputé pour sa fine
gastronomie, mais se révèle parfait pour un
quatre-heures (plus tardif, rythme espagnol
oblige). Au choix, une dizaine de restaurants
et salons de thé installés autour d’une esplanade couverte. Goûter bio au Suc de Lluna,
valencien chez Daniel avec horchata (boisson locale à base de lait de souchet) ou d’inspiration asiatique au Ma Khin Café.
20 H 30 : DÎNER BOHÈME
Pour profiter en famille de l’atmosphère du
quartier cosmopolite de Russafa (4) où se côtoient boutiques de créateurs, galeries indépendantes et bars à la mode, deux options :
l’Ubik Café, avec sa librairie d’occasion, et le
Café Berlin au joli décor de bric et de broc.
Le site de l’office de tourisme
est assez complet. Une boutique en ligne permet de réserver des vélos et d’acheter à
prix réduit la Valencia Family
Tourist Card, un pass qui comprend les entrées de certains
sites, des réductions pour les
autres et l’accès illimité aux
transports en commun.
visitvalencia.com/fr
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Av
500 m
Office du tourisme
Restaurants
Ubik Cafe : calle del Literato
Azorin, 13, 46003.
Le restaurant La Pepica.
POMPE INGOLF/HEMIS.FR
La Pepica : paseo Neptuno, 6,
46011.
La plage d’El Saler ,
au sud de la ville.
Orio : carrer de Sant Vicent
Martir, 23, 46002.
MIQUEL GONZALEZ/LAIF-REA
LE WEEK-END,
LES VALENCIENS
SE RETROUVENT
SUR LES PLAGES
PRÈS DU PORT,
SURTOUT
À LAS ARENAS
Cafe Berlin : calle de Cadiz, 22,
46004.
13 H 30 : DÉJEUNER AVEC HEMINGWAY
Les amateurs de paella lui préfèrent d’autres
restaurants, mais, pour l’atmosphère, c’est à
La Pepica (6) qu’il faut s’arrêter. Ce lieu historique autrefois fréquenté par Ernest Hemingway est resté dans son jus. Le dimanche midi, on y croise les chics familles valenciennes installées sur la terrasse, qui devisent devant le va-et-vient de la promenade
longeant la plage. Attention, réservation impérative.
17 H 30 : CHASSER LE DRAGON
Pour continuer à exploiter le thème animalier, fédérateur tous âges confondus, l’agence
Turiart propose des visites thématisées de la
vieille ville, dont une a pour but de débusquer
les dragons cachés. Cet animal, emblème de
Jacques Ier d’Aragon, qui conquit Valence aux
musulmans en 1238, décore la façade du baroque Musée National de la Céramique (8). Mais
aussi celle du bâtiment gothique de la Lonja
de la Seda, l’ancienne halle de la soie. Ludique.
15 HEURES : PARTIR EN SAFARI
Un gorille plongé dans ses pensées, une
meute de suricates à l’affût du danger, des
léopards en quête de déjeuner… Autant d’espèces importées d’Afrique qui vivent au Bioparc (7), domaine de 10 hectares, que l’on rejoint en métro ou en bus. Ici, pas de cage
mais un parcours semé de baobabs et de
grottes qui donne le sentiment de découvrir
les animaux dans leur environnement naturel.
20 H 30 : PIQUER DE LA TXISTORRA
Version basque des tapas, les pintxos (du
verbe pinchar, « piquer ») sont de petites
bouchées généralement composées d’une
tranche de pain surmontée de jambon, thon,
anchois… C’est l’une des spécialités d’Orio (9),
une adresse du centre-ville. Ici, le pintxo à la
txistorra (charcuterie) et le verre de txakoli,
un vin blanc local, sont servis sur la terrasse
ou au frais au premier étage. p
vicky chahine
Hébergements
Tryp Oceanic Hotel :
A deux pas de la Cité des arts
et des sciences, cet hôtel quatre étoiles propose des chambres très confortables. Les
plus : le restaurant où l’on
mange de très bonnes paellas
et la petite piscine. Chambre
familiale à partir de 150 €.
Carrer Pintor Maella, 35,
46023. tryphotels.com
Hotel Jardin Botanico :
Un petit hôtel éco-conscient
installé dans un bâtiment historique du centre-ville. Les
chambres sobres sont égayées
de peintures modernes.
Chambre familiale à partir de
100 €. Carrer del Dr. Peset Cervera, 6, 46008.
hoteljardinbotanico.com
24 | 0123
0123
MERCREDI 1ER JUILLET 2015
par gé r ar d co urtois
Scénario rose
ou scénario noir?
A
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Hollande doit quand
même pester de voir
ses plans sans cesse chamboulés
par les drames du temps présent.
En janvier, il avait su réagir avec
autorité aux attentats terroristes
de Paris et en avait, sur le moment, tiré grand profit. Rien ne
garantit qu’il saura renouveler
cette performance face aux turbulences qui menacent aujourd’hui.
A l’évidence, le président de la
République caressait l’espoir de
voir son horizon s’éclaircir. Il voulait croire – et faire croire – au scénario rose esquissé au fil de ses
multiples interventions récentes.
L’été serait mis à profit pour boucler quelques réformes marquantes (loi Macron, nouvelle organisation territoriale ou transition
énergétique), capables, bientôt,
de figurer en bonne place dans
son bilan. L’automne viendrait
ensuite confirmer l’amélioration
de la situation économique, si
l’on en croit les prévisions de
l’Insee. Le dernier trimestre, enfin, serait marqué par la stabilisation du chômage, voire l’amorce
de sa décrue.
Le chef de l’Etat n’a d’ailleurs pas
attendu ces lendemains qui chantent pour commencer à distribuer
les promesses de « redistribution ». Outre les allégements d’impôt pour quelque 9 millions de
ménages modestes, qui seront effectifs à la rentrée, il a multiplié les
bonnes manières : coup de pouce
général et progressif sur les indices et salaires des fonctionnaires,
complémentaire santé pour tous
les retraités dès 2017, généralisation du tiers payant pour les assurés sociaux, toujours en 2017. Le
tout devait être ponctué, le
14 juillet, par un discours présidentiel invitant les Français à retrouver le chemin de la confiance.
Un engrenage périlleux
Mais ce bel échafaudage se trouve
brutalement ébranlé par trois crises aussi déstabilisantes qu’imprévisibles. La première est, de
nouveau, celle du terrorisme.
Comme en écho aux tueries de
Sousse, en Tunisie, et de Koweït
commises le même jour, le sinistre assassinat, le 26 juin, en Isère,
d’un chef d’entreprise par un musulman radicalisé a rallumé toutes les craintes qui s’étaient exprimées en janvier après les attentats djihadistes contre Charlie
Hebdo et l’Hyper Cacher de la
porte de Vincennes.
Or, contrairement à ce qui s’était
passé il y a six mois, en dépit de
l’appel présidentiel au « sangfroid », de son invitation à « ne
pas créer de divisions inutiles, de
suspicions qui seraient intolérables », l’invocation de « l’esprit »
du 11 janvier n’a pas suffi pour éviter les « vaines querelles ». Soucieux, précisément, de ne pas se
laisser enfermer ou piéger par un
tel climat d’union nationale, Nicolas Sarkozy, le président des Républicains, a ainsi critiqué, sans
tarder, le manque de fermeté du
gouvernement face à la menace
djihadiste, tandis que Marine
Le Pen, la présidente du Front national, réclamait « des mesures
fermes et fortes » pour « terrasser
l’islamisme ».
LES POLÉMIQUES
N’AURONT PAS
RENFORCÉ L’IMAGE
DE PRÉSIDENT
PROTECTEUR
ET RASSEMBLEUR
TERRORISME, CRISE
GRECQUE ET CRISE
DES MIGRANTS
VIENNENT NOIRCIR
L’HORIZON
DE HOLLANDE
Et, pour ne rien arranger, le premier ministre s’est laissé entraîner
à des propos aussi alarmistes que
contestables sur la « guerre de civilisation » qui serait engagée entre
les défenseurs des valeurs humanistes et « l’islamisme obscurantiste » qui veut les détruire. Manuel Valls a eu beau, ensuite, marteler qu’il ne s’agit pas d’une
« guerre entre l’Occident et l’islam »
et dénoncer les « amalgames », il
n’en a pas moins repris à son
compte une formule qui avait valu
à Nicolas Sarkozy les critiques cinglantes de la gauche il y a six mois.
Gageons que ces polémiques
n’auront pas renforcé l’image de
président protecteur et rassembleur que cherche à installer François Hollande.
La crise grecque est le deuxième
foyer d’incertitude majeure. Après
des mois de négociations tortueuses et de poker menteur entre
Athènes, ses créanciers et les responsables européens, voilà pourtant la Grèce à quelques heures du
défaut de paiement et de la faillite.
Le président de la République a,
certes, constamment tenté de proposer la médiation française pour
favoriser un accord « global et durable ». Contrairement à d’autres,
il a toujours pris soin de ménager
les susceptibilités d’Athènes. Lundi
29 juin encore, tout en regrettant
la décision du premier ministre
grec « d’interrompre les négociations », il a redit que « la France est
disponible pour que le dialogue
puisse reprendre aujourd’hui [ou]
demain ».
Mais, pour l’heure, ces bons offices n’ont pu arrêter un engrenage
qui peut être périlleux : pour la
Grèce évidemment, mais aussi
pour l’Europe et la France. M. Hollande a eu beau, ce lundi, vanter la
consolidation de la zone euro et de
son système bancaire pour « faire
face à toute spéculation », il a eu
beau assurer que « l’économie
française est robuste et n’a rien à
craindre de ce qui pourrait se produire », rien ne garantit que la crise
grecque ne déclenche des mouvements incontrôlables sur les marchés financiers, un choc économique redoutable dans une Europe
tout juste convalescente, voire une
crise de confiance dans la monnaie unique. Autant de scénarios
noirs qui mettraient à bas tout espoir d’une solide reprise en
France.
La troisième crise, qui ne faiblira
pas dans les prochaines semaines
estivales, est morale autant que
politique. C’est celle des réfugiés et
migrants qui affluent par milliers
aux portes de l’Europe, quand ils
n’ont pas sombré en Méditerranée. Voilà étalées au grand jour, de
Lesbos à Lampedusa, de Vintimille
à Calais, les divisions européennes, les égoïsmes nationaux, les
calculs sordides, les contorsions
peu glorieuses. Voilà attisées,
comme jamais, les peurs, les ostracismes et les réflexes d’autodéfense qui minent les sociétés européennes en général, et la France en
particulier. Et voilà qui menace,
un peu plus, de pourrir le bel été
auquel rêvait François Hollande.
Ce dernier pourra toujours reprendre son adage favori : rien ne se
passe jamais comme prévu ! p
[email protected]
Tirage du Monde daté mardi 30 juin : 258 950 exemplaires
PEINE DE MORT
AUX ÉTATS-UNIS :
LE MAUVAIS
CHOIX DES JUGES
P
our avoir fait basculer la Cour suprême des Etats-Unis dans le camp
du mariage gay vendredi 26 juin, le
juge Anthony Kennedy a été fêté comme
un héros par la gauche américaine et tous
ceux dans le monde qui sont favorables à
l’égalité des droits des homosexuels. Ce
lundi 29 juin, le « sage » a adopté une posture moins progressiste. Contre l’opinion
des quatre démocrates, il s’est aligné sur les
quatre juges conservateurs de la Cour pour
maintenir le fonctionnement de la peine
de mort aux Etats-Unis, pays qui en est l’un
des champions avec la Chine, l’Arabie saoudite et l’Iran.
La haute instance a jugé « constitutionnelles » les exécutions par injection létale,
malgré le calvaire qu’ont eu à subir récem-
ment plusieurs condamnés à mort, victimes d’un « cocktail » létal inadapté, administré par des bourreaux n’ayant qu’une
formation médicale rudimentaire. Grandeur – certains diront misère – des institutions américaines : en dernier recours, il revient parfois à un seul individu, certes juge,
de trancher sur des questions qui touchent
des millions de ses concitoyens.
En l’espace de trois jours, Anthony Kennedy, 78 ans, le centriste de la Cour, aura
« fait » le mariage gay et refusé de « défaire » la peine capitale. On ne saurait fêter
la première décision sans accepter la seconde. Mais rien n’empêche de faire remarquer que, sur cette question, la Cour est en
retard sur l’évolution de la société. Le soutien à la peine de mort a diminué dans
l’opinion américaine sous l’effet du nombre d’erreurs judiciaires (154 condamnés à
mort ont été libérés depuis 1974, le dernier
le 8 juin) et de l’impossibilité de trouver
une méthode « infaillible ». En 1996, 78 %
des Américains étaient favorables à la
peine capitale. Ils sont maintenant 56 %.
La Cour avait été saisie par quatre détenus
de l’Oklahoma, qui mettaient en doute l’efficacité du midazolam, l’anxiolytique censé
endormir le condamné avant l’administration des deux drogues mortelles. Ils avaient
pris pour preuve l’exécution de Clayton
Lockett, le détenu de l’Oklahoma qui a agonisé pendant 45 minutes en 2014. La Cour
leur a donné tort. Elle a ignoré l’avis des experts, bien que ceux-ci aient dit que le midazolam ne garantit pas l’endormissement
total sans lequel le condamné encourt de
terribles douleurs lorsqu’on lui injecte le second produit, qui paralyse le cœur. Les plaignants, selon les juges, n’ont pas fait la
preuve d’« un quelconque risque substantiel
de souffrances ».
En tout état de cause, ils n’ont pas « présenté d’alternative ». Il revient aux condamnés, en somme, de proposer la meilleure
méthode pour être exécutés… La juge Sonia
Sotomayor a exprimé le sentiment d’horreur des juges démocrates en comparant
l’injection létale à « l’équivalent chimique
d’être brûlé sur le bûcher ».
L’administration Obama est restée largement silencieuse dans le débat sur l’injection létale, laissant les Etats délibérer sur
les modalités. Discrètement, elle a encouragé la « stratégie de la pénurie » appliquée
par les Européens. Ceux-ci, en refusant de
vendre des barbituriques comme le thiopental aux fins d’exécution, ont réussi à paralyser la machine à exécution pendant
plusieurs années.
La décision de la Cour va relancer la
course au midazolam et autres éléments
du « cocktail » utilisé pour l’injection létale. Pour les Européens, elle ne peut que
renforcer la détermination à refuser d’alimenter pareil « bûcher ». p
/ Crédit Photo : La Griffe / Juin 2015
FRANCE | CHRONIQUE
CNR, le 1er producteur
français d’électricité
100 % renouvelable
Depuis 80 ans, nous produisons de l’énergie renouvelable issue de l’eau, du vent et du soleil.
Nous sommes naturellement engagés dans la transition énergétique et la croissance verte.
Nous fournissons déjà le quart de l’hydroélectricité française et œuvrons à l’émergence des énergies de demain.
Découvrez nos 9 engagements en faveur de la transition énergétique et du climat
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CNR,
PARTENAIRE DE
Grèce : l’Europe appelle à voter oui
L’offensive
des pouvoirs
publics
contre Uber
▶ M. Tsipras mène campagne pour le non au référendum du 5 juillet et a dit qu’il ne rembourserait pas le FMI le 30 juin
L
Manifestation, à Athènes,
le 29 juin, en faveur du non
au référendum
du dimanche 5 juillet.
DIMITRIS MICHALAKIS POUR « LE MONDE »
plus évident, mardi 30 juin au matin,
qu’une bonne partie des partenaires (et
créanciers) européens d’Athènes s’étaient
fait une religion sur la conduite à tenir
dans les jours qui viennent.
Tant pis pour la fameuse « deadline »
du 30 juin, date du remboursement de la
Grèce au Fonds monétaire international
(FMI) et de la fin du plan d’aide internationale au pays. Les dirigeants européens
attendent maintenant le vote des Grecs
ENCHÈRES
PERTES & PROFITS | EUROSPORT
VENTES
ET NOMBRE
DE VISITEURS
EN RECUL CHEZ DROUOT
→
LIR E PAGE 6
IDÉES
APPEL À PLUS
DE CRÉATIVITÉ
POUR LUTTER CONTRE
LE RÉCHAUFFEMENT
CLIMATIQUE
→
LIR E PAGE 7
J CAC 40 | 4 850 PTS – 0,40 %
J DOW JONES | 17 596 PTS – 1,95 %
j EURO-DOLLAR | 1,1170
J PÉTROLE | 61,93 $ LE BARIL
J TAUX FRANÇAIS À 10 ANS | 1,21 %
VALEURS AU 30/06 - 9 H 30
aux conservateurs grecs », décryptait,
mardi matin, une source proche des
créanciers. M. Juncker en a pris en tout
cas son parti. Lui n’hésite pas, au risque
d’être critiqué dans sa propre famille politique (les conservateurs européens), à
faire campagne pour le « oui ».
cécile ducourtieux,
avec marie charrel
et jean-baptiste chastang
→ LIR E L A S U IT E PAGE 3
→ LIR E PAGE 6
1
MILLION
NOMBRE D’UTILISATEURS
RÉGULIERS D’UBER EN FRANCE,
SELON LA SOCIÉTÉ
NAUX
RCHAND DE JOUR
CHEZ VOTRE MA
Participer mais, surtout, gagner
L’
idéal olympique formulé par le baron
Pierre de Coubertin en 1908 ne s’applique pas au marché des droits sportifs. Dans cette discipline, l’important, c’est de gagner, plus que de participer. David Zaslav, PDG de Discovery Communications,
l’a bien compris. La maison mère d’Eurosport a
mis 1,3 milliard d’euros sur la table pour acquérir les droits de diffusion européens des quatre
prochains Jeux olympiques (JO) – sur la période
2018-2024 –, et sur tous les supports.
L’irruption d’Eurosport sur ce marché rompt
de vieux équilibres. Jusqu’ici, le Comité international olympique (CIO), détenteur des droits,
s’accordait avec l’UER – un consortium de diffuseurs européens parmi lesquels la BBC,
France Télévisions ou l’allemand ARD – ou directement avec ces chaînes. Cette fois, ces dernières ont été doublées par un concurrent
américain, un géant de la télévision payante,
qui réalise près de 6 milliards de dollars
(5,4 milliards d’euros) de chiffre d’affaires par
an et consacre 2 milliards d’euros annuels aux
achats de droits et de programmes.
Ces chiffres permettent de mesurer la puissance nouvelle d’Eurosport, une ancienne possession de TF1 dont Discovery est devenu l’actionnaire majoritaire en 2014. Outre la force de
frappe financière, la chaîne a joué de deux
autres atouts : sa présence dans plus de cinquante pays européens, et son développement
numérique – avec Eurosport.com et son service
Eurosport Player. Exceptions à cet accord : la
Russie, et les droits de diffusion en France et au
Cahier du « Monde » No 21913 daté Mercredi 1er juillet 2015 - Ne peut être vendu séparément
Royaume-Uni (pour 2018 et 2020), déjà attribués à France Télévisions et à la BBC. « Nous
sous-traiterons une partie des droits », a rassuré
M. Zaslav lors d’une conférence de presse, lundi
29 juin. Le CIO impose que 200 heures de programmes, pour les Jeux d’été, et 100 heures,
pour ceux d’hiver, soient remis sur le marché
pour les chaînes gratuites. « Encore faut-il s’accorder sur le prix », pointe Daniel Bilalian, directeur des sports de France Télévisions.
Mutation à grande vitesse
Première leçon de cet accord : Discovery n’est
pas venu sur le marché européen pour faire de
la figuration. Si Eurosport touche déjà 220 millions d’Européens, le potentiel estimé pour les
JO est de 700 millions. Le Vieux Continent est le
« marché émergent » que veut occuper le
groupe américain, comme l’a répété M. Zaslav
en mai, lors d’un passage à Paris.
Seconde leçon : le marché des droits sportifs
mute à grande vitesse. Pour la première fois de
son histoire, le CIO a cédé les droits d’un continent en bloc, et non pays par pays. Comme
pour certains films ou séries, la mondialisation
est en marche et écarte de la compétition les acteurs de taille nationale, au bénéfice de réseaux
internationaux comme Eurosport ou BeIN
Sports. En février, la chaîne qatari avait acquis
les droits de la Coupe Davis de tennis pour le
monde entier. C’est cette compétition que TF1
n’a pas voulu jouer, en sortant d’Eurosport.
Participer ne sert à rien, il faut gagner. p
alexis delcambre
& CIV ILIS ATIO NS
A
dimanche 5 juillet. En croisant les doigts,
pour ceux qui restent convaincus que le
pays doit rester dans la zone euro, afin
qu’ils disent « oui ».
« Certains plaident encore pour laisser
la porte ouverte et poursuivre le dialogue
avec Athènes. Ils sont à gauche. D’autres
– de droite – ne veulent plus rien faire jusqu’au dimanche 5, certains, parmi eux, espérant qu’un “oui” fera perdre Tsipras et
l’obligera à céder sa place et à la remettre
près la prestation télévisée,
lundi 29 juin, du premier ministre grec Alexis Tsipras, appelant
à voter « non » plutôt deux fois qu’une au
référendum grec sur l’accord « réformes
contre argent frais ». Après le discours
« de vérité » de Jean-Claude Juncker, le
président de la Commission européenne, quelques heures plus tôt, appelant, lui, à voter « oui » pour sauver la
Grèce du « Grexit », il semblait de plus en
es pouvoirs publics accroissent la pression contre
Uber, la société américaine
qui concurrence les taxis. Cinq
jours après la grève spectaculaire
de ces derniers, Pierre-Dimitri Gore-Coty, le directeur général
d’Uber pour l’Europe de l’Ouest, et
Thibaud Simphal, le patron d’Uber
France, ont été déférés, mardi
30 juin, devant un juge d’instruction après une nuit en garde à vue.
Ils étaient entendus, depuis
lundi après-midi, par la brigade
d’enquêtes sur les fraudes aux
technologies de l’information
après l’ouverture d’une enquête
pour des faits présumés « d’organisation illégale d’un système de
mise en relation de clients avec des
personnes qui se livrent au transport routier à titre onéreux et de
conservation illégale de données à
caractère personnel ».
Début janvier, une enquête pour
travail dissimulé a par ailleurs été
lancée à l’encontre de l’entreprise
au sujet de son service UberPop,
qui permet à des particuliers d’offrir des services de chauffeurs. Le
gouvernement considère que
cette offre, déjà utilisée par
400 000 personnes, est illégale,
car les chauffeurs ne sont agréés
par aucune autorité, ni inscrits à
aucun registre professionnel officiel. Il donne ainsi des gages aux
chauffeurs de taxi, très remontés
face à cette concurrence. p
N° 8
JUILLET
AOÛT 2015
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L’EMPIRE
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DEPUIS PRÈS DE 300
Chaque mois, un voyage à travers le temps
et les grandes civilisations à l’origine de notre monde
2 | plein cadre
0123
MERCREDI 1ER JUILLET 2015
LA CRISE GRECQUE
Alexis Tsipras, à Athènes, et Jean-Claude Juncker,
à Bruxelles, le 29 juin.
THANASSIS STAVRAKIS/AP ET JOHN THYS/AFP
« Grexit » : personne ne veut porter le chapeau
A Athènes, Bruxelles, Paris ou Berlin, chacun assure avoir tout fait pour éviter de sortir la Grèce de la zone euro
bruxelles, berlin, athènes correspondants
V
ous allez voir. Chacun
va répéter que si on en
est là, ce n’est pas de sa
faute », avait prévenu
une source proche des créanciers,
au soir de ce pathétique Eurogroupe, samedi 27 juin, au cours
duquel les négociations entre
Athènes et ses créanciers ont été
rompues, à la suite de l’annonce
surprise à Athènes, la veille, d’un
référendum sur l’accord « réformes contre argent frais » dont la
Grèce a besoin pour ne pas s’asphyxier financièrement.
Depuis trois jours, tous les propos publics, à Athènes, Bruxelles,
Paris ou Berlin peuvent être lus à
cette aune : personne ne veut porter le chapeau d’un possible
« Grexit », une sortie de la Grèce
de la zone euro, aux conséquences
économiques, politiques et géopolitiques incalculables. En assurant
avoir tout fait pour éviter ce scénario. En répétant à l’envi que « la
place de la Grèce est dans la zone
euro ». Et en accusant les autres.
Le discours vindicatif de JeanClaude Juncker, le président de la
Commission européenne, lundi
29 juin à midi, et la réponse, sans
concessions, depuis Athènes, du
premier ministre grec Alexis Tsipras, en soirée, illustrent à merveille ce jeu d’autojustification.
« Nous ne méritons pas toutes les
critiques qui nous tombent dessus », a assuré M. Juncker, soulignant toute l’énergie qu’il a consacrée ces derniers mois à trouver
un accord, et rejetant toute la responsabilité du blocage actuel sur
M. Tsipras. Il s’est dit « trahi » et
« déçu en tant que personne » lorsqu’il a appris, dans la nuit de vendredi 26 juin, l’intention du premier ministre grec d’organiser un
référendum alors que devait se
négocier quelques heures plus
tard la dernière version du plan
d’aide à la Grèce.
Juncker a même accusé le gouvernement grec de mentir à ses citoyens en leur faisant croire que
les propositions des créanciers
d’Athènes (Banque centrale européenne, BCE, Commission européenne et FMI) n’étaient plus négociables. « Il n’y a pas de baisses
de salaires, il n’y a pas de baisses de
retraites dans nos propositions »,
a-t-il juré, alors que, depuis plusieurs semaines, Athènes affirmait le contraire. L’ex-premier
ministre luxembourgeois, qui
donnait encore du « mon ami » à
Tsipras début juin, a accusé le gouvernement grec d’avoir quitté la
table « au pire moment » en « brisant l’élan de façon unilatérale »,
de ne « pas dire toute la vérité » et
de « jouer une démocratie contre
dix-huit autres ».
« Blame game »
M. Tsipras aussi a tiré à vue, lundi
soir, lors d’un entretien à la télévision publique ERT, imputant
l’échec des négociations aux
créanciers et avant tout au FMI. Il
l’a accusé « d’être intervenu à la
fin des négociations [le 23 juin]
pour tout changer » alors « que
l’on venait de (…) dire, lundi
22 juin, que la proposition que [le
gouvernement grec venait] de
soumettre était une bonne base ».
De conclure : « Tous les Grecs ont
aujourd’hui compris que nous
avons fait tout ce qui était humainement possible pour arriver à un
accord, mais, en face, ils ne voulaient que nous imposer leurs conditions. »
Si le leader de la gauche radicale
ne « croit pas » à une volonté concertée de sortir la Grèce de la zone
euro – « cela aurait un coût trop
élevé » –, il estime que « le plan
[des créanciers] est d’en finir avec
l’espoir de changement que [son]
gouvernement représente » et les
accuse d’insister sur des mesures
« à caractère idéologique, comme
la suppression des conventions
collectives ».
M. Juncker est un homme de
convictions, un chrétien-démocrate et fervent européen, qui, depuis plus de vingt ans, gravite
dans les sphères communautaires. Lors de sa nomination
comme président de la Commission, mi-2015, il avait mis en garde
contre la « Commission de la dernière chance », expliqué que les
institutions devaient changer,
tenter de mieux répondre aux aspirations de citoyens qui croient
de moins en moins au rêve européen. Comment justifier, dès lors,
un « Grexit » ? Comment éviter
d’être accusé d’avoir été le fossoyeur de la zone euro, alors qu’il
avait promis de la réenchanter ?
Il y a aussi un gros enjeu politique pour la BCE, qui tient le destin
grec entre ses mains, étant la
seule à continuer à financer l’économie du pays au travers des liquidités d’urgence aux banques
hellènes. L’institution de Francfort, jalouse de son indépendance, refuse d’assumer un quelconque rôle politique et historique, en « fermant le robinet » des
liquidités, ce qui précipiterait la
Grèce hors de la zone euro.
Elle sait à quel point cet acte lui
porterait préjudice. D’où les propos pesés au trébuchet de Benoît
Coeuré, membre du directoire de
la BCE, dans Les Echos, mardi
30 juin : « La sortie de la Grèce de
« Nous ne
méritons pas
toutes
les critiques
qui nous tombent
dessus »
JEAN-CLAUDE JUNCKER
président de la Commission
européenne
la zone euro, qui était un objet
théorique, ne peut malheureusement plus être exclue. C’est le résultat du choix du gouvernement
grec de mettre fin à la discussion
avec ses créanciers et de recourir à
un référendum. » Et d’ajouter :
« L’Europe n’a jamais lâché la
Grèce. »
Celle qui a le plus à perdre à ce
« blame game » est Angela Merkel
en raison de la place de l’Allemagne, locomotive de la zone euro,
vite accusée de vouloir dominer.
La chancelière sait qu’un échec de
la monnaie unique lui serait imputé, alors qu’elle rêve de mettre
ses pas dans ceux de Konrad Adenauer (à l’origine de la réconciliation avec la France) et de Helmut
Kohl (à l’origine de l’euro). Elle apparaîtrait, au contraire, comme
celle qui a dilapidé l’héritage de
ces glorieux prédécesseurs.
En juin 2012, déjà en pleine crise
grecque, Joschka Fischer, l’ancien
ministre (écologiste) des affaires
étrangères, avait, dans une tribune retentissante, mis les conservateurs allemands en garde.
« Par deux fois au XXe siècle, pour
asservir le continent, l’Allemagne
s’est détruite elle-même et a détruit
l’ordre européen en provoquant
guerres et génocide (…). Il serait
tragique et en même temps ironique qu’en ce début de XXIe siècle,
l’Allemagne réunifiée, cette fois pacifiquement et avec les meilleures
intentions du monde, détruise une
troisième fois l’ordre européen. »
Lundi, lors des festivités organisées pour les 70 ans de son parti,
la CDU, Mme Merkel a rappelé que
« l’Europe, c’est encore et toujours
des compromis ». La chancelière
allemande n’a d’ailleurs jamais
refusé, durant ces cinq longs
mois de négociations, de rencon-
trer le leader grec, en tête à tête,
lors de mini-sommets, de « bilatérales » en marge des Conseils
européens. « Merkel veut montrer qu’elle aura tout fait pour éviter le “Grexit” », confirme en off
une source diplomatique haut
placée.
Pas question de passer, dans les
manuels d’histoire, pour celui qui
a sorti « Platon » de la zone euro,
pour le fossoyeur des valeurs de
solidarité européennes. Cet enjeu
est présent, même chez ceux qui,
au sein de la droite européenne,
rêvent tout haut d’un « Grexit »,
ou au moins d’un changement de
majorité à Athènes. « Impossible
de passer pour ceux qui ont poussé
la Grèce hors de l’Eurozone, c’est à
elle de partir d’elle-même », suggéraient des sources haut placées au
Parti populaire européen cet hiver. A cet égard, le scénario du référendum n’est pas pour leur déplaire : s’ils disent non, ce sont les
Grecs qui devront assumer le
« Grexit »… p
cécile ducourtieux,
jean-pierre stroobants,
frédéric lemaître
et adéa guillot
L’idée d’une sortie de la Grèce de la zone euro fait son chemin
etant passés du stade où le « Grexit »
(l’hypothèse de la sortie de la Grèce de la
zone euro) était impensable à celui où il est
devenu plausible, certains responsables
européens sont déjà dans le coup d’après :
tirer le meilleur parti d’une situation qu’ils
n’avaient pas souhaitée. Ou faire contre
mauvaise fortune bon cœur. Une vision est
même en train d’émerger : une sortie de la
Grèce bien organisée pourrait aboutir à un
renforcement de la zone euro.
C’est le scénario positif, évoqué en secret.
On le prête à Wolfgang Schäuble (le ministre
allemand des finances), à Mario Draghi – le
patron de la Banque centrale européenne
(BCE) –, mais il a d’autres partisans, notamment l’ancien président Valéry Giscard d’Estaing, qui prône la sortie de la Grèce de
l’euro. Cette hypothèse part d’abord du
principe que le risque de « Grexit » pour la
zone euro est très limité, contrairement aux
prédictions catastrophistes. Selon l’analyse
de Benoît Coeuré – membre du directoire de
la BCE –, dans un entretien publié mardi par
Les Echos, la réaction modérée des marchés
aux soubresauts de ces derniers jours,
« montre la résilience de la zone euro à des
chocs extérieurs. Les filets de sécurité mis en
place ces dernières années jouent leur rôle ».
Coût politique
Vient ensuite l’argument en faveur de la
Grèce : au bout du compte, la seule solution
pour ce pays serait la dévaluation monétaire, car son modèle économique n’est pas
compatible avec une zone monétaire commune. « On a essayé une dévaluation intérieure, mais ça n’a pas marché ; les salaires
ont baissé, pas les prix », note un responsable proche des négociations. Mieux vaudrait donc organiser la sortie de la Grèce de
l’euro, avec un « accompagnement financier
solide » européen, afin de limiter les conséquences de ce processus inédit pour la population grecque. Cet accompagnement
pourrait se faire, par exemple, à l’aide de
fonds structurels, puisque la Grèce resterait
membre de l’Union européenne (UE).
Dans l’hypothèse où l’on arriverait à limiter ainsi la casse pour le peuple grec, reste le
coût politique pour l’UE, celui du précédent
créé par la sortie, pour la première fois, de
l’un des dix-neuf membres de la zone euro,
et de la fin de l’irréversibilité de l’union monétaire. Pour les optimistes, ce serait alors
aux Etats de gérer ce risque politique en le
retournant : une fois débarrassés de la crise
grecque qui les empoisonne depuis cinq
ans, ils pourraient alors se saisir de l’occasion pour renforcer l’intégration de la zone
euro en approfondissant, notamment,
l’union bancaire et budgétaire. p
sylvie kauffmann
économie & entreprise | 3
0123
MERCREDI 1ER JUILLET 2015
La bataille du référendum est lancée
Alors que M. Tsipras appelle à voter « non » dimanche 5 juillet, les dirigeants européens prônent le « oui »
suite de la première page
C’est le seul choix selon le président de la Commission, à même
de sauver la Grèce d’un Grexit et
d’épargner à la zone euro des dégâts collatéraux incalculables. Le
président de la Commission qui a
longtemps pensé qu’un accord serait possible avec Athènes, qui y a
consacré une grande partie de
son énergie, ces cinq derniers
mois, mais qui n’a pas digéré la
rupture surprise des négociations, vendredi 26 juin, avec l’annonce surprise du référendum,
s’est donc employé, lundi 29 juin,
à « vendre » aux Grecs l’accord
proposé à Athènes pas ses créanciers.
« Il n’a jamais été à prendre ou à
laisser » a-t-il affirmé et s’il est
« exigeant », avec sa réforme des
retraites préconisant notamment
la fin progressive des régimes de
pré-retraite, il est aussi « honnête ». Non, a-t-il juré, il n’a jamais
été question de diminuer les retraites les plus faibles, non, « il
n’est pas inspiré par une austérité
stupide ». Et oui , il faut voter
« oui » au référendum, parce
qu’un « non », « serait interprété
comme un non à la zone euro, un
non à l’Europe » a-t-il martelé.
A Berlin, le message était sensiblement le même, lundi. Angela
Merkel a elle aussi lié le référendum en Grèce au maintien du
pays dans l’euro, proposant d’en
attendre l’issue avant une éventuelle poursuite des négociations.
« Si après le référendum le gouvernement grec demandait à reprendre les négociations, naturellement nous ne nous y opposerions
pas », a déclaré la chancelière. Le
référendum « est évidemment lié
au maintien dans l’euro », a-t-elle
dit, tout en prenant soin de ne pas
donner de consigne de vote « aux
citoyens grecs responsables ».
Donald Tusk, le président du
Conseil européen est également
monté au front, lundi, précisant
que « si quelqu’un dit que le gouvernement grec aura une position
de négociation plus forte avec un
“non” au référendum, ce n’est tout
simplement pas vrai ».
Le décalage est frappant avec
Athènes, où Alexis Tsipras, quelques heures plus tard, a précisément affirmé le contraire, disant
que si le « non » l’emportait, cela
signifierait que le gouvernement
serait « mieux armé pour renégocier avec les créanciers ». Il a dé-
C’est la date
du 20 juillet qui,
en l’absence
d’accord,
signifiera le vrai
défaut
de la Grèce
noncé ces appels bruxellois à voter « oui », parlant de « tentative
d’intimidation ». Il a aussi assuré
que son téléphone « restait allumé 24 heures sur 24 », qu’il était
toujours prêt à reprendre les négociations.
« Notre choix est de rester dans
l’euro (…) le message [aux créanciers] est que le gouvernement
grec allait continuer de se trouver
à la table des négociations au lendemain du référendum », a indiqué Alexis Tsipras. Mais il a aussi
clarifié les choses : en cas de
« oui », il démissionnerait, « Je ne
suis pas un premier ministre qui
reste en place qu’il pleuve ou qu’il
vente ».
Importance relative
Dans cette guerre du « oui » contre le « non » à l’échelle de l’Europe, la « deadline » du 30 juin ne
semble plus avoir qu’une importance relative. Lundi soir, Tsipras
l’a dit implicitement : son pays ne
paiera probablement pas le Fonds
monétaire international (FMI)
d’ici mardi soir minuit, heure de
Washington. « Est-ce possible que
les créanciers attendent le paiement du FMI alors qu’ils ont imposé l’asphyxie aux banques ? »,
s’est interrogé le premier ministre. Il a toutefois ajouté : « dès
qu’ils décident de lever l’asphyxie,
ils seront payés ».
De fait, ne pas payer le FMI n’a
rien d’irréversible, même si c’est
un signal de plus – s’il en était besoin, après l’instauration d’un
contrôle des capitaux en Grèce,
lundi –, que le pays est au bord de
l’asphyxie financière. Cela n’a pas
de conséquences aussi dramatiques qu’un défaut de paiement
auprès d’un créancier privé. En
théorie, la directrice générale du
Fonds, Christine Lagarde, peut attendre un mois avant de notifier
officiellement le défaut de paiement.
Mais elle a prévenu : cette
fois-ci, la Grèce ne devrait pas bé-
Manifestant
en faveur
du non au
référendum,
à Athènes,
le 29 juin.
DIMITRIS MICHALAKIS
POUR « LE MONDE »
néficier de ce délai de grâce. Et
tant qu’Athènes n’aura pas remboursé cet « arriéré », il n’aura pas
accès aux 3,5 milliards d’euros de
prêts restant à verser par le FMI à
Athènes.
Tirant déjà les conséquences du
futur référendum et des risques
qu’il fait courir sur l’économie
grecque, l’agence de notation
Standard & Poor’s a abaissé, lundi,
la note de dette de la Grèce à CCC,
alertant sur le risque de défaut et
de « Grexit ».
C’est la date du 20 juillet prochain qui, en l’absence d’accord,
signifiera le vrai défaut, au sens
comptable du terme, de la Grèce.
A cette date, le pays doit rembourser 3,5 milliards d’euros, en rachats d’obligations grecques à la
Banque centrale européenne
(BCE), ce qui sera probablement
impossible. La BCE pourrait être
alors contrainte de fermer le robinet des « ELA », ces financements
d’urgence des banques grecques.
Le 30 juin à minuit, c’est aussi la
fin théorique du deuxième plan
d’aide à la Grèce. Ce qui veut dire
que tout l’argent « fléché » pour le
pays par les Européens, conditionné à la mise en œuvre du
« programme » de réformes grec
(qui n’a pas été agréé), disparaît.
« Quand on veut, on peut »
Ainsi des 1,8 milliard d’euros de
prêts restant à verser à Athènes
dans le cadre de ce deuxième plan
d’aide proprement dit (130 milliards, décidés en 2012). Et aussi
des profits réalisés par la BCE sur
les obligations souveraines grecques en 2014 et en 2015 (en tout
3,3 milliards d’euros).
Pour « réaffecter » ces fonds, il
faudrait, formellement, qu’un
nouveau plan d’aide, le troisième,
avec les montants financiers ac-
compagnés des réformes exigées
par les créanciers, soit décidé. Cela
peut aller vite, en quelques jours,
au prix d’un ou deux Eurogroupes (réunions des ministres des finances de la zone euro) et doit
passer par la validation de quelques parlements nationaux, dont
le Bundestag allemand.
Mais comme disait la chancelière Merkel il y a quelques semaines – elle est maintenant citée à
tout bout de champ à Bruxelles –
« If there is a will, there is a way »
(« quand on veut, on peut »).
Autrement dit, si Athènes revient
à la table des négociations, même
après le 30 juin, ou si les Grecs votent un « oui » franc et massif, di-
La question posée aux Grecs dimanche
Le gouvernement grec a publié le texte de la question qu’il prévoit de soumettre aux électeurs lors du référendum qui aura lieu
dimanche 5 juillet. La case « non » apparaît au-dessus de la case
« oui ». « Est-ce que la proposition soumise par la Commission européenne, la Banque centrale européenne et le Fonds monétaire international lors de l’Eurogroupe du 25 juin 2015, qui consiste en
deux parties qui forment ensemble leur proposition globale, devrait être acceptée ? »
manche 5 juillet, l’Europe pourrait surmonter toutes les difficultés techniques, voire politiques,
pour trouver une solution et
s’épargner un « Grexit ».
Lundi, peu avant son discours
vindicatif
contre
Athènes,
M. Juncker a eu M. Tsipras au téléphone.
Selon nos informations, le président de la Commission a dit au
premier ministre grec, que s’il
s’engageait par écrit, dans une lettre qu’il adresserait à lui, au président de l’Eurogroupe Jeroen Dijsselbloem, à la chancelière Angela
Merkel et au président français
François Hollande, dans laquelle il
appelerait à voter pour le « oui »,
alors il serait prêt, lui, à considérer,
en urgence, la tenue d’un sommet
européen, ou d’un Eurogroupe,
pour aider Athènes à surmonter la
« deadline » du 30 juin. C’était
juste avant que M. Tspiras n’appelle une nouvelle fois ses concitoyens à voter « non » le 5 juillet. p
cécile ducourtieux
(bureau européen)
avec marie charrel
et jean-baptiste chastand
Pourquoi la dette grecque n’est pas soutenable
Malgré les aménagements consentis par ses créanciers, Athènes ne peut honorer ses échéances sans compromettre la future croissance
C’
est le nœud gordien de
la crise grecque. La dette
publique hellène, qui
dépasse aujourd’hui les 177 % du
produit intérieur brut (PIB), cristallise depuis des mois les tensions entre Athènes et ses créanciers. Depuis son arrivée au pouvoir, le gouvernement d’Alexis Tspiras, jugeant son pays étranglé
par les remboursements, souhaite
mettre le sujet au cœur des négociations. Mais ses partenaires
européens, notamment l’Allemagne et l’Espagne, ne veulent pour
l’instant pas en entendre parler. A
Berlin, certains assurent même
que la dette publique grecque, déjà
restructurée en 2012 (elle a été ramenée de 175,1 % à 157,2 % du PIB),
serait soutenable pour peu
qu’Athènes fasse des efforts…
Qui croire ? « Parmi les économistes, il y a consensus pour dire que la
Grèce ne s’en sortira pas sans un
nouvel allégement de sa dette, qui
représente un trop lourd fardeau
pour la reprise », décrypte Cécile
Antonin, de l’OFCE (Observatoire
français des conjonctures économiques). A y regarder de près, le sujet est moins simple qu’il n’y paraît. Pour juger de la soutenabilité
d’une dette publique, les analystes
passent en effet un ensemble de
critères en revue : le ratio de la
dette dans le PIB, les taux d’intérêt
payés, les perspectives de croissance ou encore l’évolution de la
productivité et le montant des excédents budgétaires primaires
(hors paiements des intérêts de la
dette) dégagés…
Jusqu’à l’arrivée de la gauche radicale Syriza au pouvoir, en février, la partie était serrée mais
semblait presque jouable – du
moins, avec des hypothèses de
croissance très optimistes. Depuis sa restructuration de 2012, la
dette publique hellène, qui appartient pour 75 % à des créanciers
publics – Banque centrale européenne, Fonds monétaire international, Fonds européen de stabilité financière (FESF) et autres
pays membres de la zone euro –, a
en effet bénéficié de plusieurs
« Le retour
en récession
a dégradé la
soutenabilité
de la dette,
d’autant que le
pays est toujours
en déflation »
DIEGO ISCARO
IHS Economics
aménagements. Les taux d’intérêt ont ainsi été réduits, si bien
qu’en moyenne le taux que paie la
Grèce est 2,36 % – à peu près
comme l’Allemagne.
« Aménagements conséquents »
Par ailleurs, la « maturité » de certains prêts a été allongée, ce qui signifie qu’ils seront remboursés
sur une période plus longue. Résultat : la dette grecque affiche dé-
sormais une « maturité »
moyenne de 16 ans, contre 7 ans
pour la dette française. Enfin, les
Etats de la zone euro et le FESF ont
accepté un « moratoire » jusqu’en 2023 : d’ici là, Athènes ne
leur versera aucun intérêt et ne
remboursera aucune des sommes empruntées… « Ces aménagements sont conséquents : le gouvernement grec est injuste lorsqu’il
se prétend écrasé par les remboursements », analyse Bruno Cavalier,
économiste chez Oddo Securities.
De fait, selon les hypothèses du
précédent plan d’aide européen,
Athènes serait en mesure de ramener sa dette à 135 % du PIB
en 2019, à condition de dégager
un excédent budgétaire primaire
de 3 % en 2015, 4,5 % en 2016-2017,
4,2 % en 2018-2019, et dans l’hypothèse où la croissance serait supérieure à 2,8 % en 2015, 3,7 % en 2016
et 3,5 % au-delà. « Un scénario rose
qui a été balayé par la dégradation
de la conjoncture observée ces derniers mois », constate Philippe
Waechter, chez Natixis AM.
C’est peu dire. Alors qu’après six
ans d’une douloureuse récession
l’économie hellène renouait enfin
avec la croissance au début de
l’année dernière, le PIB a replongé
de 0,4 % au dernier trimestre
2014, puis de 0,2 % début 2015.
« Les incertitudes autour des négociations et les rumeurs d’une sortie
grecque de la zone euro ont eu des
effets ravageurs sur notre économie », dit Georges Pagoulatos, économiste à l’université d’Athènes.
« Ce retour en récession a automatiquement dégradé la soutenabilité de la dette, d’autant que le pays
est toujours en déflation », ajoute
Diego Iscaro, chez IHS Economics.
Ce n’est pas tout. Le plan d’assistance européen prenant fin mardi
30 juin, Athènes ne recevra pas la
dernière tranche d’aide de 7,2 milliards d’euros prévue. Elle ne
pourra donc pas faire face à ses
échéances (1,6 milliard d’euros au
FMI le 30 juin, 3,5 milliards d’euros
à la BCE le 20 juillet) – sauf nouvel
accord d’ici là. Nombre des remboursements qu’Athènes doit ho-
norer cette année ne sont en effet
pas concernés par le moratoire accordé jusqu’en 2023 par certains
créanciers. « C’est regrettable, car
une fois le “mur de la dette” de 2015
passé, les paiements à honorer seront beaucoup moins élevés », souligne M. Cavalier.
Peut-être. Mais même en cas
d’accord rapide avec les créanciers
et de déblocage d’un nouveau prêt,
la dette grecque restera un handicap. « Pour la ramener vers la cible
de 60 % du PIB exigée par les règles
européennes, le pays devra dégager
d’importants excédents primaires
et ce, pendant des années : ce n’est
pas crédible ni tenable », souligne
Mme Antonin.
Autant dire que la question de
l’allégement reviendra tôt ou tard
sur la table de négociations. Et ce
ne sont pas les pistes qui manquent pour y parvenir : allonger de
nouveau les maturités, indexer les
remboursements sur la croissance
ou, plus radical, effacer une partie
du montant… p
marie charrel
4 | économie & entreprise
0123
MERCREDI 1ER JUILLET 2015
LA CRISE GRECQUE
Les Grecs restent stoïques face aux restrictions
Métros, bus, trains sont gratuits. Les retards de paiement sont tolérés. La carte bancaire est acceptée partout
REPORTAGE
parta, athènes - envoyées spéciales
I
l n’a pas fallu longtemps aux
Grecs pour surmonter le
choc provoqué par l’annonce soudaine, dimanche
28 juin dans la soirée, de la fermeture des banques jusqu’au lendemain du référendum, dimanche
5 juillet.
Quelques ruées anxieuses vers
les distributeurs de billets bientôt
vides. Le réflexe aussi, pour les
plus prévoyants, d’aller faire le
plein d’essence. Non pas par
crainte d’une pénurie mais parce
que certaines pompes n’acceptent qu’un paiement en cash. Et le
jour d’après… Athènes, stoïque et
solidaire, s’organisait. Sans panique. En prenant son mal en patience.
La ville paraissait, lundi 29 juin,
étrangement calme. « Il s’agit de
tenir tranquillement jusqu’au
5 juillet, disait un serveur d’hôtel.
Après le vote, ce sera une autre histoire. » Une situation similaire à
celle d’un mois d’août, quand les
habitants sont partis en vacances,
dit une septuagénaire, surprise de
constater, de bon matin, si peu
d’affluence aux halles où elle fait
régulièrement son marché.
« Peut-être la limite des retraits
d’argent à 60 euros par jour incitet-elle à différer les courses. » Et c’est
vrai que certaines rues commerçantes, comme Euripidou, paraissaient assoupies.
Les touristes étaient là, bien sûr,
que la ministre grecque du tourisme, Elena Kountoura, a tenu à
rassurer bien vite : la limitation
des retraits de billets ne les con-
Pour inciter
les itinérants
à aller voter chez
eux, les péages
d’autoroute
seront supprimés
en fin de semaine
cerne pas. Il n’y a aucun plafond
pour retirer de l’argent des banques étrangères. Et la carte bancaire est acceptée partout… y
compris pour l’accès à l’Acropole.
Le ministre de l’intérieur, Nikos
Voutsis, a, de son côté, multiplié
les annonces pour montrer que la
situation était bien contrôlée et
que tout était mis en œuvre pour
simplifier la vie des Athéniens
privés de cash. Métro, bus et train
urbain sont gratuits toute la semaine. Les retards d’une semaine
pour s’acquitter des factures
d’eau, de téléphone et d’électricité
ne donneront lieu ni à coupure ni
à pénalité.
Initiatives syndicales
Et pour inciter les itinérants à aller voter chez eux, les péages
d’autoroute seront supprimés en
fin de semaine, alors que les bus
reliant les villes proposeront de
grosses réductions. Des associations de médecins ont également
demandé à leurs membres d’offrir toute la semaine des services
gratuits à leur clientèle.
Des syndicats prennent aussi
des initiatives. Et la police sera
mobilisée pour protéger les quel-
Les marchés gardent la tête froide
Au deuxième jour d’une semaine cruciale pour la Grèce, les Bourses reprenaient leurs esprits, mardi 30 juin au matin. A Paris, le
CAC 40 ouvrait en recul de 0,42 %, après avoir chuté de 3,74 %
lundi, son plus fort repli depuis trois ans et demi. Sur le marché
obligataire, rien qui ressemblât au sauve-qui-peut de 2011-2012,
lors de la crise des dettes souveraines. Le rendement des emprunts d’Etat espagnols évoluaient sous 2,4 %, niveau inférieur
à celui de la mi-juin. L’euro reculait légèrement, à 1,11 dollar. Ce
flegme doit beaucoup aux outils mis en place par la Banque centrale européenne : le programme « OMT » (opérations monétaires
sur titres) et le quantitative easing, qui permet des rachats d’actifs.
Rassemblement à Athènes, lundi 29 juin, en faveur du « non » au référendum du 5 juillet. DIMITRIS MICHALAKIS POUR « LE MONDE »
ques agences bancaires qui ouvriront jeudi uniquement à destination des « anciens » voulant retirer l’argent de leur retraite et ne
disposant pas de carte.
Bref, tout le monde se voulait
rassurant. Et, si elles avaient l’objectif de paniquer la population,
les déclarations de quelques politiques européens sur la nécessité
d’un vote « oui » semblaient avoir
l’effet inverse. « C’est une interférence insupportable ! Inadmissible !, protestait Vassiliki, une
jeune pharmacienne rencontrée
lundi soir au rassemblement
pour le vote “non”, organisé sur la
place Syntagma, face au Parlement. Cela ne fait que renforcer
ma résolution à envoyer bouler
leur proposition ! »
A Patra, dans le nord du Péloponnèse, si l’angoisse de l’in-
connu tourmentait les esprits,
impossible de la déceler dans la
routine des habitants. Le doux
soleil qui berçait la localité y
était-il pour quelque chose ?
Même Kostadino, pourtant directement affecté par le contrôle des
capitaux annoncé la veille par le
gouvernement, reconnaît que sa
« première journée sans argent liquide » a été plutôt bonne, du
moins en termes de ventes. Car le
trentenaire a dû batailler pour
s’assurer que les deux boulangeries qu’il tient depuis trois ans à
Aigio puissent être approvisionnées cette semaine.
Panique vite estompée
« Mon fournisseur de farine m’a téléphoné en me disant qu’il pouvait
me livrer ce matin et jusqu’au
mardi 7 juillet à la condition que je
lui verse une somme 50 % supérieure à celle prévue sur ma facture hebdomadaire habituelle. »
Ses fours, ajoute-t-il, fonctionnent avec du pétrole qu’il trouve
à la station-service la plus proche.
« J’ai eu de la chance, le propriétaire m’a prévenu que de nombreuses voitures faisaient la queue
pour prendre de l’essence et qu’il
voulait bien me mettre le nécessaire de côté, en échange de quelques billets. » Au total, il a dépensé près de 3 000 euros.
Quelques inquiets se sont bien
rués çà et là dans les stations-service et les supermarchés alentour.
Mais ce début de mouvement de
panique s’est vite estompé. Dans
les dernières heures d’une douce
soirée d’été, Nikos, Aris, Dimitria,
Aristos, Panos et Grigori partagent une bouteille d’ouzo à la ter-
rasse bondée d’un bistrot. « C’est
un des plus beaux jours de ma vie,
plaisante le dernier, seul employé
de son entreprise de confection
de chaussures. Le paiement de
mes factures a été suspendu. Pendant une semaine, je n’ai plus à me
soucier de rien. »
Célibataires ou sans enfants, ces
électeurs de Syriza reconnaissent
que les récentes actions de l’exécutif peuvent, en revanche, être
assez lourdes pour d’autres, les
familles nombreuses notamment. Mais, résume ironiquement Aris, post-doctorant à l’université : « Avec un salaire de
300 euros par mois, la seule chose
qui change, c’est qu’il me faudra
au moins attendre cinq jours pour
le dépenser entièrement. » p
aude lasjaunias
et annick cojean
Les économistes jugent les exigences des créanciers déraisonnables
La Grèce apparaît en trop mauvais état pour supporter plus d’austérité, et une restructuration de la dette est jugée inéluctable
C’
est peu dire que les dernières propositions des
créanciers de la Grèce,
mises en ligne dimanche 28 juin
sur le site Internet de la Commission européenne, suscitent les
critiques. Patrick Artus, le chef
économiste de Natixis, qu’on ne
peut soupçonner d’être proche de
Syriza – le parti grec de la la gauche radicale, au pouvoir à Athènes – résume assez bien la pensée
dominante : « Aucun économiste
sérieux ne peut avaliser ce
plan mal fichu et très déraisonnable », a-t-il déclaré, lundi 29 juin,
au Monde.
« Le premier ministre grec, Alexis
Tsipras, a des raisons d’appeler à
voter “non” au référendum du
5 juillet. Le programme des créanciers n’est pas acceptable. Demander à une économie en récession de
3 % à 4 % d’afficher un excédent primaire [le solde budgétaire avant
paiement des intérêts de la dette]
de 1 %, c’est la condamner à ne pas
se redresser », ajoute M. Artus, un
partisan en France d’une politique de l’offre.
Les néokeynésiens ne sont donc
pas les seuls à dénoncer les exigences intenables des créanciers
d’Athènes. Les économistes,
quelle que soit leur famille de
pensée, s’accordent pour déplorer
Pour Joseph
Stiglitz,
le Prix Nobel
d’économie, l’exTroïka a « une
responsabilité
criminelle, celle
d’avoir causé une
récession
majeure »
que les bailleurs de fonds d’Athènes minimisent la gravité de la récession grecque, plus longue et
plus profonde que la Grande Dépression aux Etats-Unis dans les
années 1930.
L’économie hellène, ajoutentils, est aujourd’hui en bien trop
mauvais état pour supporter le
surcroît d’austérité – hausses
d’impôt, TVA en tête, et de cotisations, réforme de la grille salariale
et baisse de l’emploi de la fonction
publique, réforme des retraites
etc. – imaginé par la Commission
européenne, la Banque centrale
européenne (BCE) et le Fonds monétaire international (FMI) en
échange d’« argent frais ».
L’ex-« Troïka » a « une responsabilité criminelle, celle d’avoir causé
une récession majeure », a asséné,
lundi, dans le Time le prix Nobel
d’économieJoseph Stiglitz. « Les
créanciers d’Athènes devraient admettre que la politique qu’ils ont
mise en place depuis cinq ans,
l’austérité, n’a pas fonctionné »,
analyse -t-il.
Sur son blog du New York Times,
son collègue Paul Krugman écrit
qu’il voterait « non » au référendum du 5 juillet « bien que la perspective d’une sortie de l’euro inquiète tout un chacun, moi compris ». « Ce que demande la
“Troïka” c’est une poursuite indéfinie de la politique d’austérité menée depuis cinq ans. Mais où est
l’espoir dans tout cela ? », s’interroge-t-il en faisant observer
qu’« une dévaluation [consécutive
à un « Grexit »] ne créerait pas
beaucoup plus de chaos que celui
qui existe aujourd’hui ».
Perplexité
Moins polémique mais tout aussi
affirmatif, le chef économiste de
Coface, Julien Marcilly, rappelle
que « les politiques macroéconomiques doivent être contracycliques ». « Demander à un pays en
récession d’afficher un excédent
budgétaire primaire, même réduit
de 3,5 % à 1 %, n’a pas de sens. Les
dépenses publiques ont diminué
de 20 % en Grèce en termes réels
depuis 2007. En Espagne, pendant
ce temps, elles sont restées stables.
Comment voulez-vous que l’économie puisse se redresser ? »
« A quoi sert de proposer une TVA
à 23 % sur la restauration quand le
tourisme est l’un des rares secteurs
porteurs de l’économie de la
Grèce ? La croissance potentielle
du pays est négative. Ce dernier
a surtout besoin de zones franches
qui rendraient attractive son économie. Ce n’est pas le moment de
décourager les investisseurs et les
entreprises », insiste de son côté
M. Artus.
L’absence totale de toute référence à la question de la dette, jugée pourtant cruciale, est un
autre sujet de perplexité et de critiques pour les économistes Sur
son site Web, la Commission
européenne assure avoir mis en
ligne les dernières propositions
des créanciers tenant compte de
celles avancées par M. Tsipras entre le 8 et le 25 juin « par souci de
transparence, et pour l’information du peuple grec ».
En présentant ces propositions,
Bruxelles fait référence à la dette
grecque. Celle-ci toutefois ne figure pas dans les neuf points qui
ont été abordés par le FMI et les
Européens.
Or de l’avis général, sa restructuration est « inéluctable ». « Il faudrait quatre points de produit intérieur brut [PIB] d’excédent budgétaire primaire pour stabiliser la
dette. Les Grecs sont complètement insolvables. Il ne faut pas leur
faire des prêts mais restructurer la
dette. C’est d’ailleurs ce que pense
le FMI. La Commission n’en veut
pas, non pas pour éviter des pertes
aux banques mais pour des raisons politiques : par égard pour
l’Espagne, le Portugal, l’Irlande etc.
qui ont fait des efforts et par peur
de fâcher les contribuables européens », analyse Patrick Artus.
« Démagogie et mensonge »
« Les positions du gouvernement
Tsipras et des créanciers s’étaient
beaucoup rapprochées. Mais ce
qui a manqué, c’est la discussion et
l’engagement d’une renégociation
de la dette grecque qui est insoutenable et qu’il faudra restructurer,
surenchérit le président de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), Xavier
Ragot. « L’histoire nous a pourtant
appris, avec le Traité de Versailles
et l’Allemagne, ce qu’il en coûte de
poser à un pays des exigences intenables... »
« Les autorités grecques ont demandé que le Mécanisme européen de stabilité [MES] prenne la
dette hellène à son compte, ce qui
ouvrait la possibilité d’un reprofilage partiel de celle-ci. C’était
l’idée du troisième plan d’aide. Elle
n’a pas été acceptée probablement
parce que les créanciers veulent
pouvoir conserver un certain degré
d’ingérence dans la vie de la
Grèce », relève aussi Paola
Monperrus, économiste au Crédit
agricole.
« Il y a eu beaucoup de démagogie et de mensonge et des deux côtés. Les propositions de créanciers
sont technocratiques et elles sont
peu accessibles à l’opinion publique. Les positions du FMI et des
Européens n’étaient pas alignées.
Le premier s’est focalisé sur la nonsoutenabilité de la dette, les seconds voulaient des réformes pour
pouvoir rendre acceptables de futurs sacrifices à leurs contribuables », estime le chef économiste
d’Euler Hermès, Ludovic Subran.
En l’état, les propositions sont généralement jugées « trop technos » pour pouvoir faire l’objet
d’un référendum.
Un référendum qui peut piéger
non seulement M. Tsipras mais
aussi les Européens. p
claire guélaud
économie & entreprise | 5
0123
MERCREDI 1ER JUILLET 2015
Alexis Tsipras
divise
la gauche
française
Les écologistes demandent
un débat parlementaire
E
ntre soutien à la poursuite des négociations et
franc parti pris pour
Alexis Tsipras, la crise
grecque met au jour les lignes de
fracture qui traversent la gauche
française. La possibilité d’un
« Grexit » était à l’ordre du jour,
lundi 29 juin, du premier bureau
national du Parti socialiste depuis
le congrès de Poitiers, qui s’est
tenu début juin. Le premier secrétaire, Jean-Christophe Cambadélis, a défendu la ligne de François
Hollande : « La France doit garder
sa position d’intercesseur et réaffirmer sa disponibilité pour négocier
jusqu’au bout. Nous devons être
mezza voce : nous ne sommes pas
l’expression française de Syriza,
mais dire que la discussion est encore ouverte, c’est aussi prendre position contre Wolfgang Schäuble (le
ministre allemand des finances),
qui considère qu’elle est close. »
Pour le patron du PS, appuyé
lors de la réunion par Martine
Aubry, la sortie de la crise passe
également par l’ouverture du débat sur la question de la renégociation de la dette. Pas question
par ailleurs de remettre en cause
le recours au référendum annoncé par Alexis Tsipras. Pour
Christian Paul, l’un des cadres de
la gauche du parti, à charge pour
les Européens d’envoyer d’ici là
un « message d’espoir » aux
Grecs : « Il faudra de nouvelles initiatives dans la semaine, on ne
peut pas attendre l’arme au pied.
S’il y a un “Grexit”, le signal politique est désastreux, cela signifie
que la solidarité européenne ne
fonctionne pas. »
Emmanuel Maurel, député
européen et dirigeant de l’aile
gauche du PS, estime que le parti
doit sortir de sa réserve : « On n’a
pas le droit d’être neutre. On doit
marquer très clairement notre solidarité avec le peuple grec et le gouvernement en place : laissons
Alexis Tsipras mener ses réformes
structurelles à lui plutôt que les
vieilles recettes de la Commission
[européenne], qui ne marchent
pas. » Les « frondeurs » du PS reprochent globalement à François
Hollande son attitude, qu’ils jugent trop passive. « Comme d’habitude, il a fait une intervention
mi-chèvre, mi-chou, regrettait M.
Maurel à l’issue de la prise de parole du chef de l’Etat lundi matin.
A chaque fois, je rêve que François
Hollande va prendre une initiative
qui lui permettra d’être le héraut
d’une autre Europe, mais il ne saisit jamais cette opportunité. »
« Sans-faute »
Le président de la République, qui
devait rencontrer mardi 30 juin
les présidents des deux Assemblées, des groupes parlementaires
et des commissions sur la question du terrorisme, a ajouté à l’ordre du jour le dossier grec. Les écologistes comptaient bien en profiter pour demander l’organisation
d’un débat parlementaire sur le
sujet, comme cela a pu exister sur
le Mali ou la Syrie. « Ça nous paraît
légitime que le Parlement ait à en
débattre, explique François de
L’HISTOIRE DU JOUR
Quand parier sur la Grèce
n’a plus d’intérêt
François Hollande et Alexis Tsipras, à Bruxelles, le 22 juin. GEERT VANDEN WIJNGAERT/AP
Rugy, coprésident du groupe écologiste à l’Assemblée nationale. Ce
n’est pas inutile qu’il y ait une formalisation des positions de chacun vis-à-vis des Français qui peuvent ressentir une inquiétude. »
Si M. de Rugy trouve « un peu
étrange » d’organiser un référendum en huit jours, nombreux
sont ceux, à la gauche du PS, qui
saluent l’initiative du premier ministre grec. « Ça prouve que Tsipras veut aller au bout du respect
de son mandat, estime Anne Sabourin, qui représente le PCF au
Parti de la gauche européenne.
Mais il a trouvé un bloc de responsables politiques qui ne souhaitent
pas qu’une expérience alternative
de gauche réussisse : ça voudrait
dire que ce qu’ils nous racontent
depuis trente ans – qu’il n’y a pas
d’alternative – est un mensonge. »
Pour Eric Coquerel, coordinateur
politique du Parti de gauche, il
s’agit même d’un « sans-faute ».
« C’est exactement la politique que
A la gauche
du Parti
socialiste,
nombreux sont
ceux qui saluent
l’organisation
d’un référendum
par Alexis Tsipras
nous mènerions si nous étions au
pouvoir, ajoute-t-il. C’est encore
plus méritoire, car il a un rapport
de force qui lui est défavorable. »
Emmanuelle Cosse, secrétaire
nationale d’EELV, est plus nuancée et renvoie chacun à ses responsabilités. « La Grèce ne peut
pas
continuer
comme
aujourd’hui, et le Fonds monétaire
international doit prendre en
compte ce qui s’est passé en janvier
avec l’arrivée de Syriza au pou-
voir », analyse-t-elle en recensant
les sujets sur lequels Athènes doit,
selon elle, avancer, de l’évasion
fiscale aux dépenses militaires,
en passant par la mise en place
d’un véritable cadastre qui permette de lever l’impôt foncier.
Pour elle, un accord ne peut passer que par la dette grecque, que
ce soit grâce à un rééchelonnement ou à une restructuration.
« La question que je me pose est de
savoir si l’Europe et les Grecs ont
vraiment envie de parvenir un accord, interroge-t-elle. Ça me rend
triste pour l’Europe. »
Sans surprise, M. Coquerel est
encore plus direct et dénonce le
« chantage » de l’Eurogroupe.
« C’est le nouveau temps des colonels », assène-t-il, en référence à la
dictature militaire mise en place
en Grèce de 1967 à 1974. « Ça confirme le caractère non démocratique de l’Europe », renchérit Mme Sabourin. Cette dernière n’en revient
toujours pas que les ministres des
finances européens aient décidé,
samedi, de sortir leur collègue grec
des discussions après l’annonce
de l’organisation du référendum.
« C’est un putsch, critique-t-elle. Il
faut arrêter le dix-huit contre un. »
Pour beaucoup, François Hollande aurait pu mieux faire. « Sa
faute originelle, c’est d’avoir refusé
de renégocier le TSCG [pacte budgétaire européen] comme il l’avait
promis, juge David Cormand, secrétaire national adjoint d’EELV. Il
est censé être le seul président de
gauche d’un des plus grands pays
de l’Union européenne. Il avait un
rôle historique à jouer, mais il a
complètement renoncé. Il n’aurait
pas dû être un médiateur dans
cette histoire, mais bien un acteur. » Un sujet qui s’ajoute à la
liste déjà longue des différends qui
opposent désormais le président
socialiste au reste de la gauche. p
nicolas chapuis
et raphaëlle besse
desmoulières
La Slovaquie ne veut plus payer pour les Grecs
Comme ses prédécesseurs, le gouvernement de Robert Fico souhaite
que la Grèce sorte de la zone euro et appelle à ne pas céder au « chantage » d’Athènes
londres - correspondance
prague - correspondant
M
êmes les bookmakers finissent par avoir peur de ce
qui se passe dans la zone euro. William Hill, l’un des
plus gros bookmakers britanniques, a décidé lundi
29 juin d’arrêter de prendre les paris sur une sortie de la Grèce de
la monnaie unique. En cause : tous les paris allaient dans le
même sens. « La seule option sur laquelle les gens étaient prêts à
parier ces deux derniers jours était qu’un “Grexit” se produirait
cette année », explique Graham Sharpe, son porte-parole.
Craignant d’essuyer de trop grosses pertes, William Hill a préféré jeter l’éponge. Ce retrait ne doit cependant pas cacher que les
bookmakers britanniques sont plutôt optimistes sur la situation
grecque. Quand il a fermé ses guichets lundi, William Hill offrait enCRAIGNANT
core 2 pour 9 sur le fait que le pays
reste dans la zone euro, soit 82 % de
D’ESSUYER DE TROP
chances. Inversement, un « Grexit »
n’était coté qu’à 3 pour 1 (25 % de proGROSSES PERTES,
babilités). Les parieurs britanniques,
qui avaient beaucoup cru à l’exploLE BOOKMAKER
sion de la monnaie unique il y a cinq
WILLIAM HILL A PRÉ- ans, semblent désormais presque
optimistes que les technocrates
FÉRÉ JETER L’ÉPONGE plus
européens.
D’autres bookmakers, plus courageux – ou kamikazes – ont gardé les paris ouverts. Paddy Power
offre par exemple 13 pour 8 sur le « Grexit », soit 38 % de probabilités. Ladbrokes propose un pari un peu différent, se concentrant
sur le résultat du référendum du 5 juillet en Grèce : il offre 4 pour
7 pour que le « oui » l’emporte, soit 63 % de chances.
Les Britanniques semblent donc penser que les Grecs reculeront au dernier moment, et accepteront le plan d’austérité des
créanciers. Comme tous les jeux sont bons, les bookmakers ont
ouvert les paris sur d’autres sujets. William Hill propose ainsi de
miser sur le premier pays qui sortira de l’Union européenne : la
Grèce est maintenant la favorite (75 % de chances d’être le premier), suivie, loin derrière, par le Royaume-Uni (20 %). p
éric albert
Q
u’ils soient de gauche ou
de droite, les gouvernements slovaques ont été
constants dans leur attitude face à Athènes, depuis le début de la crise grecque en 2010. Ils
ont toujours été défavorables à
une aide financière qu’ils jugeaient à fonds perdus et ont
prôné très tôt une sortie de la
Grèce de la zone euro ou une
adaptation de son statut. S’ils ont
fini par se rallier à plusieurs reprises à l’avis généreux de l’Eurogroupe, toujours à contrecœur et
mettant en garde leurs partenaires que la seule solution était dans
la faillite de la Grèce, c’était par
« solidarité européenne ».
« Aujourd’hui est déjà trop tard
mais c’est toujours mieux que jamais », explique en substance
Ivan Miklos, ex-ministre de l’économie et des finances slovaque
entre 1998 et 2006 puis de 20102012, dans un entretien, lundi
29 juin, au quotidien Dennik N.
« Seul l’abandon de l’euro par la
Grèce est une solution viable à
moyen terme et indispensable à
long terme si l’on ne veut pas désorganiser la zone euro », estime
l’auteur des réformes ultralibérales du tournant du siècle qui ont
propulsé le pays dans l’Union
européenne et la zone euro. Aussi
recommande-t-il à son successeur, l’actuel ministre social-démocrate Peter Kazimir, de « ne pas
céder au chantage des autorités
d’Athènes » et de « cesser de tout
faire pour maintenir la Grèce dans
la zone euro ».
Ne plus remettre au pot
M. Kazimir semble ne pas avoir
besoin de ces conseils car c’est la
ligne qu’il trace, réunion de
l’Eurogroupe après réunion. De
plus, il ne souhaite pas connaître
le sort de son prédécesseur qui
avait été emporté, en 2012, par la
chute de son gouvernement de
coalition de centre-droit, justement à cause de la Grèce. Un des
partis libéraux du cabinet avait
refusé d’approuver la ratification
du Mécanisme européen de stabilisation (MES). C’est le chef de
M. Kazimir et actuel premier ministre, Robert Fico, qui l’avait ratifié après sa large victoire aux élections et contribué à hauteur de
660 millions d’euros.
Mais M. Fico comme son argentier ne veulent plus remettre au
pot. La faible exposition de la Slovaquie et des banques locales,
même si elles sont la propriété de
grands groupes européens plus
exposés, incite le cabinet à l’intransigeance, car tout défaut de la
Grèce n’aura qu’un coût direct limité pour les finances slovaques
« Les Grecs
ne veulent pas
réduire leurs
retraites, qui sont
deux fois
supérieures
à celles des
Slovaques »
PETER KAZIMIR
ministre de l’économie
et des finances slovaque
et son commerce dérisoire avec la
péninsule. De plus, comme ils le
répètent à qui mieux mieux, les
« Slovaques sont plus pauvres que
les Grecs ». « Les Grecs ne veulent
pas réduire leurs retraites mais elles sont deux fois supérieures à celles des Slovaques », s’offusquait
Peter Kazimir lors d’une des dernières réunions de l’Eurogroupe.
Moins de 500 euros mensuels
En effet, la quasi-totalité des retraités slovaques perçoit moins
de 500 euros par mois alors que le
coût de la vie est le plus élevé d’Europe centrale. Les salaires sont
également bas, le minimum débute à 380 euros et le salaire
moyen s’établit à 931 euros. Mais
plus de la moitié des salariés slovaques gagnent moins de
700 euros par mois…
Aussi M. Fico refuse de demander à ses concitoyens de contribuer aux retraites grecques. « Les
Slovaques ont consenti d’importants efforts et sacrifices pour parvenir là où le pays se trouve maintenant, je ne [leur] demanderai
pas de payer pour les erreurs des
autres », déclarait-il dernièrement à la télévision slovaque.
Depuis le début de la crise, le PIB
par habitant slovaque a dépassé
celui des Grecs (21 000 euros par
habitant contre 16 000 euros). Il y
a moins de dix ans, ce ratio était
inversé. La modération salariale,
un report de l’âge de la retraite, un
code du travail profondément assoupli et une formation professionnelle de qualité ont permis
d’attirer nombre d’investisseurs
d’étrangers et à la Slovaquie d’atteindre des taux de croissance de
6 % avant 2009 et de quelque 3 %
ces dernières années.
Un défaut grec inquiète donc
peu les dirigeants slovaques qui
n’ont pas de compréhension pour
les manœuvres politiques des responsables grecques. A Bratislava,
on est convaincu que, quels que
soient le résultat du référendum
et l’issue de la crise, les Grecs devront se mettre au régime. p
martin plichta
6 | économie & entreprise
0123
MERCREDI 1ER JUILLET 2015
L’Etat part en guerre contre UberPop
Deux dirigeants français de l’entreprise de VTC ont été placés en garde à vue lundi 29 juin
LES DATES
F
ace à l’impuissance manifeste de la justice à bloquer le service UberPop,
déclaré illégal, les pouvoirs publics misent sur la pression psychologique pour faire céder l’entreprise américaine Uber.
Son application mobile, qui permet à tout un chacun de devenir
chauffeur sans contrainte réglementaire, est l’une des causes de
la colère des taxis qui a atteint son
paroxysme avec les violences lors
de la grève du 25 juin.
Lundi 29 juin, Pierre-Dimitri Gore-Coty, le directeur général
d’Uber pour l’Europe de l’Ouest, et
Thibaud Simphal, le patron
d’Uber France, ont été placés en
garde à vue par la brigade d’enquêtes sur les fraudes aux technologies de l’information. « Le rendez-vous était prévu de longue
date sur des affaires remontant à
2014, explique-t-on chez Uber. Le
rendez-vous avait même été reporté du matin à l’après-midi pour
cause d’agenda. »
La garde à vue était, elle, inattendue. Les deux dirigeants devaient
initialement être entendus pour
évoquer la conservation de données individuelles et la non-déclaration d’un fichier à la Commission nationale de l’informatique
et des libertés (CNIL). Une enquête
préliminaire avait été ouverte par
le parquet de Paris, en octobre 2014, pour des faits présumés
« d’organisation illégale d’un système de mise en relation de clients
avec des personnes qui se livrent au
transport routier à titre onéreux et
de conservation illégale de données à caractère personnel ».
Début janvier, une enquête
pour travail dissimulé était lancée
à l’encontre d’Uber. Le 30 juin au
matin, après une nuit dans les locaux de la police, les deux jeunes
dirigeants devaient être déférés
devant un juge d’instruction. Les
charges retenues contre eux
n’étaient pas publiques.
Le gouvernement considère que
l’offre UberPop, qui a déjà été utilisée par 400 000 personnes, est il-
FÉVRIER 2014
Lancement de l’application
UberPop en France.
OCTOBRE 2014
« Loi Thévenoud » sur les taxis
et les voitures de transport
avec chauffeur (VTC).
30 JUIN
Les dirigeants d’Uber France et
Europe sont déférés devant un
juge d’instruction, après une
nuit de garde à vue.
A Lyon, le 25 juin. LAURENT CERINO/REA
légale, car les chauffeurs ne sont
agréés par aucune autorité ni inscrits sur aucun registre professionnel officiel. Pour l’Etat, ils exercent
illégalement la profession de taxi,
alors que le marché s’ouvre dans le
même temps à une nouvelle catégorie, les voitures de transport
avec chauffeurs (VTC), qui font appel à des professionnels.
Guérilla juridique
Et encore, depuis le début de l’année, l’Etat délivre au compte-gouttes ces cartes de VTC, alors que des
milliers de demandes ont été envoyées au ministère des transports. Certains y voient une autre
façon pour le gouvernement de
calmer la colère des taxis contre
l’émergence de cette concurrence,
pourtant légale dans ce cas.
Cependant, Uber, la start-up californienne qui compte Goldman
Sachs ou Google parmi ses actionnaires, n’a pas voulu se soumettre à la loi. Au contraire, elle
s’est lancée dans une véritable
guérilla juridique au niveau français et européen.
Début juin, Uber a étendu son
offre UberPop à Strasbourg, Marseille et Nantes. Les préfectures
de ces secteurs ont rapidement
pris des arrêtés interdisant cette
offre, mais M. Simphal estimait
que ces interdictions ne « changeaient rien »…
Cette attitude au-dessus de la loi
a mis le feu aux poudres tout
comme l’extension de son service. Des taxis ont organisé de véritables guets-apens de chauffeurs Uber dans certaines villes,
avant de lancer une grève nationale, afin de bloquer notamment
les gares et les aéroports.
La tension est montée durant
tout le mois de juin, forçant le gouvernement à réagir. En attendant
l’issue de la longue procédure juridique lancée par Uber, l’Etat cherche à rassurer les chauffeurs de
taxi et multiplie les mesures pour
Ventes et visiteurs en baisse chez Drouot
L’activité se chiffre à 186,5 millions d’euros sur six mois, contre 221 millions un an plus tôt
L
e décor et les acteurs ont
beau changer, les chiffres
sont têtus. Depuis cinq ans,
Drouot a engagé sa mue. Mais le
produit des ventes ne s’élève qu’à
186,5 millions d’euros au premier
semestre, contre 221 millions
d’euros pour la même période
en 2014. Et, malgré ses 5 000 visiteurs journaliers, le vieux pétrolier accuse une baisse de 14 %.
Pourtant, l’hôtel des ventes parisien, qui regroupe 74 sociétés de
vente et 110 commissairespriseurs, a modernisé son bâtiment. Prenant le virage numérique dès 2009, avec Drouot Live,
système permettant d’enchérir
en ligne, il a créé en 2011 la plateforme Drouot Online pour des
ventes exclusivement sur Internet. La vénérable maison a enfin
rajeuni et féminisé ses cadres.
En février, le commissairepriseur Alexandre Giquello, 44
ans, a été nommé à la présidence
du conseil de surveillance de
Drouot Enchère. Un mois et demi
plus tard, il était rejoint par une
transfuge de Christie’s, Cécile Bernard, 46 ans, nouvelle directrice
du développement. « C’est l’année
zéro d’une nouvelle ère », martèle
M. Giquello.
Après le scandale, en 2009, des
malversations de quelques « cols
rouges » – corporation de commissionnaires qui détenaient le
monopole de la manutention
dans l’hôtel des ventes –l’entreprise a assaini ses troupes et attiré
du sang neuf. Récemment, cinq
sociétés de ventes ont choisi
d’opérer à Drouot, notamment le
commissaire-priseur lyonnais
Etienne de Baecque et son confrère marseillais Damien Leclère.
Nouveaux opérateurs
« C’est peut-être une stratégie à
contre-courant, mais, vu de la province, la marque Drouot reste magique », affirme M. Leclère qui a
organisé sa toute première vente
à Drouot le 12 juin. « Il y a un côté
psychologique qui compte pour les
acheteurs et les vendeurs », entérine le commissaire-priseur
Alexandre Millon, 4e dans le classement des sociétés de ventes parisiennes.
Patron de la société Ader, David
Nordmann a beau disposer de sa
propre salle de ventes rue Favart
(2e arrondissement de Paris), il
continue à organiser 75 % de ses
vacations à Drouot. « On vend
mieux là-bas que partout ailleurs
pour des domaines qui nécessitent
une clientèle de passage, assuret-il. Le taux d’objets vendus est de
75 %-80 %, alors qu’ailleurs il ne serait que de 40 %-50 %. Drouot reste
irremplaçable. »
L’arrivée de nouveaux opérateurs ne compense toutefois pas
l’hémorragie des cadors qui refusent de se plier à la stratégie
« club » de Drouot. Toute société
de ventes qui souhaite y officier
doit acheter 7 000 actions au prix
unitaire de 80 euros. Deux étendards de la profession, Piasa et Tajan, qui occupent ex æquo le 6e
rang dans le palmarès des maisons de ventes parisiennes, n’y
ont plus droit de cité faute de posséder le nombre d’actions requis.
« On a été exclu alors qu’on a fait
10 % du chiffre d’affaires de Drouot
en 2010 », ironise Alain Cadiou,
PDG de Piasa. Cet opérateur, ainsi
que Cornette de Saint-Cyr, ont
ouvert en 2014 leurs propres hôtels des ventes dans le Triangle
d’or de Paris (dans le 8e arrondissement), emboîtant le pas à Tajan.
Coût de leur retrait ? Près de
10 millions d’euros de manque à
gagner dans le bilan de Drouot.
« Ce qu’on constate, c’est que sur
les dix principales maisons de ventes parisiennes, six ont un lieu spécifique. C’est un mouvement inéluctable, estime Arnaud Cornette
de Saint-Cyr, directeur de la maison de ventes du même nom. (...)
Pour notre activité autour du
XXe siècle, il faut du temps, de l’espace, un calendrier que l’on maîtrise. »
Les horaires étriqués de l’hôtel
des ventes, le faible nombre de
jours d’exposition, le tarif de loca-
tion prohibitif (entre 2,5 % et 3,5 %
du produit de la vente) font tiquer
les opérateurs. La stratégie sélecte
de Drouot se perçoit jusque dans
les objets proposés. Les ventes dites « courantes » ont été canalisées vers le site de Drouot-Montmartre, rue Doudeauville (18e), où
l’ambiance est fébrile. En revanche, à Drouot-Richelieu, mi-juin, à
un moment où le marché bat traditionnellement son plein, plusieurs salles étaient fermées. En
février, c’est presque le sous-sol
tout entier qui était clos. La raréfaction explique aussi ces portes
closes. Les spécialités qui, jusqu’à
présent, formaient le fonds de
commerce de Drouot, comme le
mobilier-objet d’art classique,
sont en berne.
Aussi l’hôtel des ventes cherchet-il de nouveaux créneaux, en se
lançant notamment dans le Street
art. Mais surtout, c’est son modèle
qui a tout d’une bizarrerie : ses actionnaires, autrement dit les commissaires-priseurs, sont aussi ses
clients, locataires des salles. Du
coup, les décisions qu’ils approuvent en tant que propriétaires,
sont critiquées dès qu’ils endossent la casaque de l’usager.
Compliqué de créer une marque
lisible avec 110 individualités dont
certains rechignent toujours à
faire front commun… p
roxana azimi
limiter l’expansion d’Uber.
Il a, par exemple, renforcé les
contrôles afin d’intercepter les
particuliers-chauffeurs d’UberPop. La brigade des « Boers »,
80 policiers en charge du secteur
des taxis, a été ponctuellement
renforcée par 200 policiers. De
même, Bernard Cazeneuve, le
ministre de l’intérieur, a annoncé le 25 juin que les véhicules
de ces chauffeurs surpris en flagrant délit seraient saisis à titre
conservatoire pour cause de
trouble à l’ordre public.
Ces mesures, ainsi que les gardes à vue des dirigeants d’Uber,
doivent démontrer que le gouver-
nement agit. Ça tombe bien, cela
arrive avant la nouvelle réunion
prévue le 3 juillet place Beauvau
avec les représentants des taxis.
Sur le fond, l’Etat reste très démuni. Il n’a aujourd’hui pas vraiment de réponse à l’expansion
d’Uber et à son service. La dissolution de l’entreprise n’est pas
aujourd’hui juridiquement possible, même si beaucoup la demande, à l’image du président de
la République ou de nombreux
chauffeurs de taxi.
Sur l’AppStore d’Apple, UberPop
était la vingtième application
gratuite la plus téléchargée le
30 juin en France. Et sur les réseaux sociaux, les soutiens à
Uber surpassent de très loin les
soutiens aux taxis. La grève, et les
violences qui s’en sont suivies,
n’ont pas franchement réchauffé
les relations avec la clientèle.
Uber, mais aussi l’ensemble de
ses concurrents VTC, sont
aujourd’hui en train de gagner
dans l’opinion un conflit avec les
taxis en jouant notamment sur le
service et la facilité d’utilisation et
de réservation, des points de faiblesse historiques des taxis. p
T ÉLÉCOMMU N I C AT I ON S
Orange et Partner
vont mettre fin à leur
partenariat en Israël
Les opérateurs français
Orange et israélien Partner
sont parvenus à un accord
permettant au premier de reprendre le contrôle de sa
marque (utilisée par le second en Israël) dans les vingtquatre mois, mettant ainsi
un terme à la récente polémique. Cet accord prévoit le versement d’un montant maximum de 90 millions d’euros
à Partner en cas de résiliation
au cours des vingt-quatre
prochains mois, alors que jusqu’ici il était prévu une utilisation de la marque par l’opérateur israélien jusqu’en 2025.
S ÉCU R I T É
Wendel acquiert
l’américain AlliedBarton
La société d’investissement
Wendel a annoncé mardi
30 juin la signature d’un accord en vue d’acquérir AlliedBarton Security Services,
auprès du fonds Blackstone,
pour 1,7 milliard de dollars,
soit 1,5 milliard d’euros. Wendel investira 670 millions de
dollars en fonds propres au
côté du management de ce
fournisseur de services de sécurité, et détiendra ainsi 96 %
du capital.
F I N AN C ES PU BLI QU ES
La dette publique
de la France monte
à 97,5 % du PIB
La dette publique de la France
au sens des accords de Maas-
philippe jacqué
et jean-baptiste jacquin
tricht a progressé de 51,6 milliards d’euros en six mois,
pour atteindre 2 089 milliards d’euros à la fin du premier trimestre 2015, a indiqué l’Insee mardi 30 juin.
Elle représente ainsi 97,5 %
du PIB, contre 94 % un an
auparavant et 65 % en 2007.
F I N AN C E
Porto Rico en défaut
de paiement
Porto Rico, petite île des Caraïbes de 3,6 millions d’habitants, dotée du statut territoire des Etats-Unis, a fait
savoir, lundi 29 juin, qu’il
était « asphyxié » par une
dette de plus de 70 milliards
de dollars et « ne pouvait plus
la rembourser ».
« Il n’y a pas d’autre option
(…). Ce n’est pas une question
politique, c’est mathématique », déclare le gouverneur
de l’île, Alejandro Garcia Padilla, dans un entretien publié par le New York Times.
C HI MI E
Arkema investit
à Honfleur
Le groupe chimique français
Arkema a annoncé lundi
29 juin un investissement de
60 millions d’euros sur son
site de Honfleur, dans le Calvados, afin de doubler sa capacité de production de tamis moléculaires, des billes
utilisées par les industriels
de la pétrochimie,
notamment pour fabriquer
des plastiques. Arkema
en est le numéro deux mondial.
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MERCREDI 1ER JUILLET 2015
LETTRE DE LA CITY | par ér ic al b ert
La très chère réputation des entreprises
E
n avril, une grande chaîne britannique de supermarchés s’est fait prendre la main dans le sac en Corée du
Sud, pour avoir vendu illégalement
des données sur ses 24 millions de clients à
une société d’assurances. Immédiatement,
l’équipe de Diane Oh Hart s’est mise au travail.
Son correspondant à Séoul, qui parle le coréen, lui a remis un bref rapport détaillant le
problème, qui a immédiatement été ajouté à
la fiche de renseignements qu’elle réalise sur
cette enseigne britannique.
La vingtaine de personnes qui travaillent
pour Diane Oh Hart est surnommée
« l’équipe controverses ». Son objectif : consigner systématiquement toutes les polémiques à travers le monde qui peuvent concerner les entreprises. Qu’il s’agisse de questions
sociales, environnementales ou de gouvernance, elle catalogue toutes les informations
un tant soit peu sensibles. Elle en tire alors des
fiches pour chaque entreprise, avec un système de feux tricolores pour chaque sous-catégorie. Cette enseigne britannique affiche
ainsi une série de « feux orange » sur les questions de corruption, de relations avec les fournisseurs et de traitement de ses employés. Les
pires sociétés reçoivent un « drapeau
rouge » : il y en a trente-six actuellement sur
8 500 entreprises suivies.
Cette équipe fait partie de MSCI, un groupe
mondial qui réalise des indices boursiers. Ses
clients sont essentiellement des grands fonds
d’investissement. Mais de plus en plus, en
complément des informations financières, ils
demandent d’en savoir plus sur la réputation
des entreprises. Ce qu’ils veulent éviter à tout
prix : voir une controverse inattendue éclater
soudainement, qui aurait un fort impact sur
le cours boursier de l’entreprise dans laquelle
ils ont investi.
INVESTISSEURS ÉTHIQUES
Face à cette demande venant des gérants de la
City ou de Wall Street, MSCI a mis en place
cette petite équipe répartie à travers le
monde. Avec des bureaux à Pékin, à Manille et
à Boston, et des correspondants en Amérique
latine ou en Corée, tous les journaux locaux,
les communiqués des régulateurs, les rapports des ONG en langue locale sont épluchés
pour suivre les 8 500 entreprises cotées de
l’indice mondial MSCI. « Nous passons en revue un millier de sources », explique Diane Oh
Hart, elle-même basée à Pékin. « En Chine,
nous préférons éviter la presse locale, souvent
peu fiable, et nous concentrer sur les annonces
des régulateurs », explique Emily Chew, chargée de l’investissement éthique à MSCI.
Le tout est ensuite sélectionné et traduit en
L’ÉCLAIRAGE
Y aura-t-il une bulle boursière
mondiale ?
par jean-pierre petit
Q
u’est-ce qu’une bulle ? Un
état du marché dans lequel la déviation durable
et forte du prix d’un actif
par rapport à ses fondamentaux ne peut s’expliquer et se
prolonger que parce que les investisseurs pensent que le prix sera plus
élevé dans le futur. Cette définition de
l’économiste américain Joseph Stiglitz nous a toujours paru pertinente.
Les bulles d’actifs, loin d’être des
anomalies, constituent un élément
régulateur essentiel du capitalisme
dans lequel nous vivons depuis une
trentaine d’années. Se poser la question de l’existence ou de la perspective
d’une bulle boursière est donc tout à
fait naturel après un marché d’actions
haussier qui a désormais soixantequinze mois, si l’on part du marché directeur mondial que constitue le marché américain (avec une hausse cumulée de l’indice S & P 500 de plus de
215 %). Regardons d’abord les valorisations absolues actuelles du marché
des actions.
Le PER (price/earning ratio, soit le
rapport cours sur bénéfices, à un an)
se situe aujourd’hui légèrement audessus de sa moyenne historique, à 17
(contre une moyenne historique de 15
depuis trente ans). Mais c’est le CAPE
(cyclically adjusted price earnings/ratio, c’est-à-dire le PER calculé sur les
bénéfices des dix dernières années)
qui apparaît comme le plus préoccupant. Il se situe très nettement au-dessus de la moyenne historique (27,3
contre une moyenne très longue de
16,6, depuis 1870 !). Il se situe même
au-dessus des niveaux qui ont correspondu à quasiment tous les démarrages de marchés baissiers depuis un
siècle (1946, 1948, 1951, 1956, 1962,
1966, 1968, 1973, 1987, 2007). Seules les
fins de bulle boursière se situaient à
un niveau supérieur (1929, 2000), à un
niveau de l’ordre de 45.
Il y a cependant au moins trois
¶
Jean-Pierre Petit
est économiste
et président
de la société de conseil
Les Cahiers verts
de l’économie
nuances à apporter à ce ratio. D’abord,
selon Jeremy Siegel, professeur de finances à Wharton (Etats-Unis), les
normes comptables américaines (US
GAAP), introduites dans les années
1990, poussent plus fortement aux
dépréciations d’actifs des entreprises
en cas de baisse des portefeuilles : la
forte chute des résultats de 20072009 est donc, selon lui, biaisée à la
baisse. En s’appuyant sur les données
économiques des entreprises, le CAPE
ratio ne montre alors pas de forte surévaluation.
UN DEGRÉ DE SURVALORISATION
Ensuite, le niveau des taux d’intérêt de
long terme, même s’il a vocation à remonter graduellement, se situe sous
sa moyenne historique. Il réduit à
l’évidence la signification de ce ratio.
Enfin, le niveau aujourd’hui très élevé
des marges tient aussi à des considérations structurelles puissantes (internationalisation des profits américains, baisse de la fiscalité sur les entreprises, oligopolisation de certaines
industries, poids du secteur high-tech
dans les indices), ce qui biaise la comparaison historique.
Au total, il n’y a vraisemblablement
pas de bulle actions, tout au plus un
certain degré de survalorisation qui
peut perdurer, notamment grâce au
bas niveau de taux d’intérêt, c’est-àdire par une bulle obligataire en large
partie contrôlée par la Réserve
fédérale.
Une bulle boursière suppose, historiquement, la réunion de quatre éléments : un long cycle de croissance
forte ; des innovations majeures
comme les chemins de fer, l’électricité, l’automobile, la radio, Internet…
de nature à ancrer des convictions
optimistes ; un climat d’optimisme ;
le maintien de conditions financières
favorables, à l’origine d’une dynamique en faveur des actions. Rien de tel
aujourd’hui. La croissance est modeste (2,2 % aux Etats-Unis depuis la
reprise de l’été 2009 et environ 3 % à
l’échelle mondiale), les innovations
numériques ne se retrouvent pas
– loin s’en faut – dans les gains de productivité (0,6 % par an depuis 2011). Et
on est loin de l’optimisme des années
1920 et 1990. Enfin, la Réserve fédérale va resserrer progressivement les
conditions monétaires au second semestre.
Cela n’empêche pas qu’à des échelons locaux des bulles émergent, notamment sur le marché domestique
chinois. Mais on ne peut pas parler de
bulle boursière mondiale. p
anglais, la langue des investisseurs, qui sont
ainsi prévenus très rapidement des risques
potentiels à l’autre bout du monde.
Ces « fiches de réputation » viennent nourrir la demande des « investisseurs éthiques ».
Ces derniers pèsent aujourd’hui près de
20 000 milliards d’euros à travers le monde.
Une statistique à prendre avec des pincettes :
« éthique » n’a pas la même définition d’un
fonds à un autre, et certains en ont une approche pour le moins large…
Néanmoins, la tendance est à la hausse. Les
encours de cette catégorie ont augmenté de
61 % en deux ans, selon l’association Global
Sustainable Investment Alliance. Les gérants
cherchent de plus en plus à mesurer la « réputation ». Une petite société britannique de consultants, Reputation Dividend, estime ainsi
très précisément que 28 % de la valeur boursière dépend de la réputation des entreprises.
En clair, en cas d’énorme controverse, le quart
de la valorisation peut s’envoler en fumée.
En numéraire, cela représente 875 milliards
d’euros en jeu pour l’ensemble de la Bourse de
Londres. Bien sûr, ce montant est légèrement
absurde : le calcul d’une réputation est nécessairement subjectif. Là encore, l’idée de base
reste claire : la réputation vaut cher, très cher.
La campagne actuelle pour retirer les investissements dans les hydrocarbures le prouve.
De plus en plus de fonds choisissent d’éviter
les technologies les plus polluantes. Le 5 juin, le
fonds souverain norvégien, qui gère 900 milliards de dollars (issus du pétrole de la mer du
Nord !), a décidé de retirer son argent du charbon. Ce qui avait commencé quelques années
auparavant comme un petit mouvement issu
de certaines universités américaines a maintenant un impact mondial réel. Désormais, le
charbon a « mauvaise réputation » et les investisseurs commencent à s’en détourner.
L’approche éthique ne marche pas à tous les
coups, loin de là. L’industrie du tabac est le
secteur le plus rentable de tous si on pousse la
comparaison jusqu’au début du XXe siècle, selon une étude de la London Business School.
L’explication est logique : en se retirant des
industries les plus controversées, les investisseurs les plus consciencieux laissent la place à
d’autres beaucoup moins regardants, qui
achètent à bas prix et engrangent les gains.
En revanche, l’investissement « positif », qui
consiste non pas à désinvestir des « mauvais
secteurs », mais à mettre son argent dans les
« vertueux », semble prometteur. De nombreuses études indiquent que le rendement y
est généralement meilleur que le reste du
marché. La bonne réputation, ça rapporte. p
EN CAS D’ÉNORME
CONTROVERSE,
LE QUART DE LA
VALORISATION
D’UNE SOCIÉTÉ
PEUT PARTIR
EN FUMÉE
Twitter : @IciLondres
La réponse au réchauffement
est aussi culturelle
Vingt-cinq dirigeants de grandes entreprises,
chercheurs et artistes appellent à plus de
créativité pour lutter contre les défis climatiques
collectif
Tous les regards se
tournent vers la Conférence de Paris sur les
changements climatiques, en décembre. Ce moment décisif doit nous permettre de limiter
l’impact du réchauffement et d’accompagner la transition de nos sociétés vers une économie verte, sobre en carbone. Pour réussir, il est
impératif que le politique et le technologique soient mobilisés intensément. Un certain nombre de solutions techniques doivent être
trouvées ou généralisées au plus
vite pour relever ce défi planétaire.
Cependant, force est de constater
qu’une dimension est trop fréquemment occultée ; elle est pourtant soulignée depuis longtemps
par l’Unesco comme incontournable dans les débats autour du développement durable. Cette dimension, c’est la culture. Si nous
réduisons les solutions proposées à
l’occasion de la COP21 à une approche technocentrée et que nous n’introduisons pas la dimension culturelle, nous risquons de nous
heurter encore aux obstacles que
nous rencontrons depuis des décennies.
FORMIDABLE LEVIER
Bien sûr, les réponses apportées par
la science et les techniques sont
premières dans cette affaire. Cela
étant, on peut faire mieux. Il faut
seconder le pôle technoscientifique
pour qu’il soit davantage au béné-
LES ENTREPRISES À GRANDE
PERFORMANCE ÉCONOMIQUE
SONT CELLES QUI MARIENT
LE TECHNOLOGIQUE
ET LE CULTUREL, LE VIRTUEL
ET L’EXPÉRIENTIEL, LA
PERFECTION TECHNICIENNE
ET L’ESTHÉTIQUE
fice de l’homme et de la planète. La
culture doit aider à élever le niveau
de conscience et à faire évoluer les
modes de consommation. S’il est
indispensable par exemple d’investir dans les transports en commun,
il est tout aussi indispensable qu’ils
soient attrayants pour leurs usagers, et que des solutions alternatives existent, économes en énergies
et propres, pour les situations où ils
ne conviennent pas. L’élément culturel peut faciliter ce changement.
Cela suppose de développer systématiquement les contenus immatériels, la diversité des styles, le travail artistique, le sensible.
La culture est capable de contribuer à réorienter les économies de
demain, à redonner un sens à l’activité productive, à freiner un consumérisme aveugle. S’il faut promouvoir le paradigme culturel, ce n’est
pas exclusivement pour des raisons
écologiques, c’est aussi parce qu’il
constitue un formidable levier pour
la croissance et le développement.
L’ÉCONOMIE MAUVE
Les exemples sont légion, du numérique au tourisme, en passant par
les produits de luxe ou l’habitat, qui
révèlent la richesse économique associée aux facteurs culturels (éducation, information et communication et tous les biens à forte
composante imaginaire et sensible). Nous voulons une ville avec
des architectures qui bien sûr économisent ou produisent de l’énergie, permettent le recyclage des déchets et de l’eau de pluie, mais qui
tout à la fois créent un environnement non standardisé et respectueux du paysage, un cadre de vie à
échelle humaine et riche de sensorialité.
Les entreprises à grande performance économique sont désormais
celles qui marient le technologique
et le culturel, le virtuel et l’expérientiel, la perfection technicienne
et l’esthétique. Cette alliance technoculturelle est porteuse d’avenir
dans la mesure où elle répond aux
attentes des consommateurs dans
leurs aspirations croissantes à la
qualité et au mieux vivre. Cette opportunité appelle à se saisir non
seulement de l’économie verte (en
intégrant l’empreinte écologique)
mais aussi de l’économie mauve
– celle qui mise sur le potentiel culturel des biens et des services,
autrement dit les marchés d’expériences et l’économie culturalisée.
Le grand objectif que nous devons viser est une économie du
qualitatif dans laquelle le pôle culturel a toute sa place. Les gouvernements peuvent être des facilitateurs efficaces de cette transition,
en stimulant des outils d’observation, de pilotage et d’incitation. Il
est en effet primordial que l’innovation ne soit plus perçue uniquement sous l’angle technologique.
Nous attendons de la Conférence
de Paris qu’elle favorise un cercle
vertueux, rendu possible par l’alliance du technologique, de l’écologique et du culturel. p
¶
Pierre Bellon, président-fondateur de
Sodexo ; Véronique Cayla, présidente
d’Arte ; Bertrand Collomb, président
d’honneur de Lafarge ; Pascal Colombani, président de Valeo ; Mercedes
Erra, présidente exécutive d’Havas
Worldwide ; Emmanuel Faber, directeur général de Danone ; Pierre Fonlupt, vice-président de Medef international ; Jean-Baptiste de Foucauld,
porte-parole du pacte civique ; PierreAntoine Gailly, président de la chambre de commerce et d’industrie de Paris
Ile-de-France ; Jérôme Gouadain, secrétaire général fondateur de Diversum ; Philippe d’Iribarne, sociologue ; Pascal Lamy, président du
Conseil mondial d’éthique du tourisme ;
Gilles Lipovetsky, philosophe ; JeanPierre Masseret, président de la région Lorraine ; Gérard Mestrallet,
président-directeur général d’Engie ;
Radu Mihaileanu, cinéaste ; Jean
Musitelli, ancien ambassadeur de
France auprès de l’Unesco ; Grégoire
Postel-Vinay, économiste ; JeanJack Queyranne, président de la région Rhône-Alpes ; Odile Quintin, ancienne directrice générale à la
Commission européenne ; Bernard Ramanantsoa, directeur général d’HEC
Paris ; Jean-François Rial, présidentdirecteur général de Voyageurs du
monde ; Franck Riboud, président de
Danone ; Michel de Rosen, présidentdirecteur général d’Eutelsat ; Pierre Simon, président de Paris Ile-de-France
capitale économique.
PO
U P
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PO S Q
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VO JO
S UR
AC S
TI
O
N
S
ACTIONNAIRES DE LAFARGE,
AUBERTSTORCH - Crédit Photos - Getty / Thinkstock
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à fort potentiel de rentabilité et à l’avant-garde de l’industrie des matériaux de construction.
Axé sur l’innovation et le développement durable, LafargeHolcim a pour ambition de répondre aux déis de
l’urbanisation croissante à travers le monde. Conjuguant fortes synergies et faible intensité capitalistique,
LafargeHolcim offrira un modèle de croissance unique qui se traduira notamment par une politique de
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ainsi que les documents reprenant les autres informations de chacune des sociétés, sont disponibles sur leurs sites internet respectifs www.holcim.com ou www.lafarge.com.
Il en est de même du prospectus visé par l’AMF, qui comprend le document de base enregistré auprès de l’AMF. L’attention des investisseurs est attirée sur la section « Facteurs de risques »
du prospectus. Ces documents peuvent être également obtenus sans frais pour les documents de Holcim : Holcim, Zürcherstrasse 156, 8645 Jona, Suisse, pour ceux de Lafarge :
Lafarge, 61, rue des Belles Feuilles, 75116 Paris. Ils sont également disponibles sur le site de l’AMF : www.amf-france.org
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Déjouer la résistance des bactéries
Une étude suggère que la stratégie
consistant à garder en réserve les
antibiotiques les plus puissants n’est
pas toujours la meilleure. PA G E 2
Neurologie : la carte et le territoire
Les descriptions classiques des aires
cérébrales et des fonctions associées
mériteraient d’être révisées, concluent
deux équipes de chercheurs. PA G E 3
Explorateur de l’au-delà neptunien
Grand spécialiste des astres voguant
plus loin que Neptune, Bruno Sicardy
parcourt le monde pour les observer
et les identifier. Portrait. PA G E 7
La vaccination dans la ligne de mire
Face à une vaste pétition exprimant la défiance, la ministre de la santé, Marisol Touraine,
affirme qu’«il ne faut pas avoir de doute par rapport aux vaccins». Pourtant, même des experts éloignés des ligues antivaccinales
appellent à un débat sur certains aspects de cet instrument majeur de la politique sanitaire.
PAGES 4-5
VOISIN/PHANIE
Bill Gates, ce héros du XXIe siècle
E
carte blanche
Laurent
Alexandre
Chirurgien urologue,
président de DNAVision
[email protected]
(PHOTO: MARC CHAUMEIL)
n 2000, Bill Gates a décidé de consacrer la quasi-totalité de sa fortune – près de 80 milliards
de dollars (72,2 milliards d’euros) – à révolutionner la santé dans les pays pauvres. Bill
Gates a été rapidement suivi par Warren Buffett, qui
pèse 60 milliards de dollars. Le duo Gates-Buffett
mène alors une campagne de promotion de la philanthropie auprès des autres milliardaires. C’est la
naissance en 2010 de The Giving Pledge (« la promesse
de don »). Cette initiative a déjà recueilli l’accord de 209
milliardaires, qui ont publiquement accepté de donner
l’essentiel de leur fortune. Parmi les plus connus, Mark
Zuckerberg (Facebook), Larry Ellison (Oracle), George
Lucas (producteur et réalisateur de films), Paul Allen
(cofondateur de Microsoft) ou Ted Turner (CNN).
Ce « philanthro-capitalisme » est d’une efficacité
remarquable : il associe le professionnalisme de ces
grands capitaines d’industrie et une vision messianique cherchant à faire progresser la médecine et la
science. Bill Gates, qui ne veut pas payer davantage
d’impôt, a même ébranlé l’inflexible Thomas Piketty,
pour qui « son point de vue est compréhensible. [Il]
Cahier du « Monde » No 21913 daté Mercredi 1er juillet 2015 - Ne peut être vendu séparément
pense qu’il s’estime sincèrement mieux placé que
le gouvernement pour allouer ses fonds… et par moments cela se vérifie sans doute ».
Certains milliardaires se passionnent, de façon égoïste, pour des pathologies qui les concernent. Ainsi,
Larry Ellison finance la recherche contre le vieillissement qui l’obsède, tandis que Sergey Brin (cofondateur de Google) a donné des sommes considérables
pour la lutte contre la maladie de Parkinson à laquelle
il est génétiquement prédisposé.
A l’inverse, Bill Gates consacre sa fortune à l’amélioration de la santé des plus pauvres, et non pour promouvoir la recherche sur des maladies le concernant.
La devise de sa fondation, « Toutes les vies ont la
même valeur », témoigne de sa vision universaliste.
Lui, le passionné de high-tech, s’est concentré sur des
sujets très « low-tech », comme l’amélioration des latrines, l’accès à de l’eau non contaminée ou la distribution des vaccins et médicaments dans la brousse.
Bill Gates a compris très tôt que ce sont encore les
technologies de base qui permettent de sauver le
maximum de vies. Son action est particulièrement
impressionnante en Afrique, où 300 millions de personnes sont vaccinées contre les principales maladies
graves. Ces campagnes de vaccination éviteront le
cancer à des millions de pauvres puisque, en Afrique,
les microbes sont responsables de 20 % à 50 % des
cancers. Bill Gates est plus utile que des centaines de
milliers de cancérologues !
Lorsqu’il n’existe pas de vaccin disponible, la Fondation Gates lance des programmes de recherche pour
en mettre au point. Chacune de ses actions est contrôlée et évaluée. Des économistes participent à l’optimisation des ressources investies, qui est considérée
comme un devoir pour cette organisation à but non
lucratif. Cette énorme influence de Bill Gates sur la
santé publique effraie parfois : son intervention est
deux fois plus importante que celle de l’Organisation
mondiale de la santé. Que deviendrait la santé publique si Bill Gates se mettait à collectionner les tableaux au lieu de combattre la misère ? Depuis l’année 2000, on estime que sa fondation a déjà sauvé
plus de 10 millions de vies : Bill Gates est le plus grand
héros du XXIe siècle. p
2|
0123
Mercredi 1er juillet 2015
| SCIENCE & MÉDECINE |
AC T UA L I T É
Le casse-tête de l’antibiothérapie
| Trop restreindre l’usage de certains antibiotiques à l’hôpital pourrait faciliter
l’émergence de bactéries multirésistantes, suggère un modèle mathématique
médecine
florence rosier
U
ne nouvelle étude jette un pavé
dans la mare du traitement des
infections bactériennes par antibiothérapie, qui reste un défi de
santé publique. Depuis 2001,
trois plans nationaux se sont
succédé pour lutter contre l’émergence et la diffusion des bactéries résistantes, qui échappent
au traitement par les antibiotiques. L’utilisation
massive de ces médicaments provoque en effet
une « pression de sélection » sur les bactéries, qui
développent des systèmes de défense. A ce jeu
évolutif du chat (l’antibiotique) et de la souris (la
bactérie) s’ajoute un obstacle majeur : la raréfaction de nouveaux antibiotiques.
Selon une estimation récente, les bactéries
multirésistantes provoqueraient plus de
150 000 infections et plus de 12 000 décès chaque année en France. « C’est un drame qui dépasse largement le cadre des maladies infectieuses : il met en péril les progrès accomplis depuis
vingt ans en chirurgie, en cancérologie et en transplantation d’organes, où de nombreux patients
sont immunodéprimés », déplore le professeur
Patrice Courvalin, de l’Institut Pasteur.
Les recommandations en vigueur préconisent
de commencer par traiter la plupart des infections par des antibiotiques courants. Et de réserver aux infections sévères ou résistantes les antibiotiques les plus récents, de « dernier recours »,
qui ciblent un large spectre de bactéries et restent le plus souvent actifs contre les bactéries
multirésistantes. Mais une étude israélienne
éclabousse ce dogme. Publiée le 25 juin dans
PLoS Computational Biology, elle fait appel à un
modèle mathématique qui simule la dynamique
des résistances bactériennes en milieu hospita-
Les bactéries multirésistantes
provoqueraient, en France,
plus de 150 000 infections
et plus de 12 000 décès par an
lier. Lilach Hadany (université de Tel-Aviv) et ses
collègues ont comparé les effets de différentes
stratégies d’utilisation de trois antibiotiques :
soit les médecins (virtuels) prescrivaient d’abord
deux des trois molécules, réservant la troisième
à un usage de dernier recours ; soit ils traitaient
d’emblée l’infection par l’un des trois antibiotiques, avec une égale fréquence.
Pour alimenter leur modèle, les chercheurs ont
estimé les fréquences de résistance bactérienne
à partir de données hospitalières. Résultats :
comme attendu, une utilisation élargie de l’antibiotique de réserve limite le nombre de patients
mal traités. Plus surprenant : elle diminue parfois la diffusion de bactéries multirésistantes.
Quand faudrait-il utiliser d’emblée l’antibiotique
de réserve ? « Lorsque les bactéries présentent déjà
une résistance multiple aux antibiotiques cou-
Tests de sensibilité des germes aux antibiotiques dans un laboratoire. CHASSENET/BSIP
rants », répondent les auteurs. « Cela semble de
bon sens », note Patrice Courvalin.
« La principale leçon est qu’il ne faut pas courir le
risque de l’échec thérapeutique, car c’est alors que
la résistance se crée », résume le docteur Jean Carlet. En janvier, cet ancien réanimateur a été
chargé par la ministre de la santé, Marisol Touraine, de présider une « task force » sur l’antibiorésistance – qui devait remettre ses recommandations le 30 juin. Ce travail met aussi en lumière
le concept de désescalade thérapeutique. « En cas
d’infection sévère, quand le germe en cause n’est
pas encore connu, il faut administrer d’emblée
l’antibiotique jugé le plus efficace, même s’il est récent, explique Jean Carlet. Mais dès que le germe
est caractérisé, il faut revenir à des antibiotiques
plus anciens quand la bactérie y est sensible. »
Pour le professeur Laurent Gutmann, de l’Hôpital européen Georges-Pompidou (Paris), cette
étude a le mérite d’apporter une démonstration
mathématique aux pratiques hospitalières actuelles. « C’est de la haute couture. Pour un malade grave, on peut effectivement donner d’emblée
un antibiotique de réserve si l’on craint une infection par des bactéries multirésistantes : par exemple, quand ce malade revient de certaines zones
intertropicales. »
C’est là un risque majeur : la moitié des personnes voyageant dans ces régions reviennent porteuses de bactéries multirésistantes, acquises par
voie alimentaire, selon une étude publiée en
avril par l’hôpital Bichat (Paris). Selon le professeur Jean-Christophe Lucet, un des auteurs, le
modèle mathématique de l’étude israélienne ne
tient pas compte d’un paramètre majeur : la persistance des bactéries résistantes dans le tube digestif des patients. Or la flore digestive constitue
« l’épicentre de la résistance », selon Jean Carlet.
L’hôpital tente pourtant de diminuer le risque
d’émergence de la résistance en répartissant les
antibiotiques entre les patients (« mixing ») ou
selon les périodes (« rotation »). Mais aucune de
ces stratégies n’a définitivement prouvé son effi-
cacité. « Si des progrès ont été observés dans la diffusion de certaines bactéries résistantes, comme
les staphylocoques résistants à la méticilline (…), la
situation s’aggrave pour les entérobactéries [multirésistantes] », résumait François Bourdillon, directeur de l’Institut de veille sanitaire, fin 2014.
En France, où près de 85 % des antibiotiques
sont prescrits en ville, la consommation d’antibiotiques est très supérieure à la moyenne européenne. C’est là un problème culturel : « L’intérêt
du patient prime face à l’intérêt de la communauté », regrette Jean-Christophe Lucet. p
Virus et cancers résistent aussi
Les bactéries ne sont pas seules à faire de la
résistance. « Entre deux semaines et deux
mois, le VIH développe des mutations de résistance aux traitements », indique le professeur
Vincent Calvez, de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière (Paris). La parade consiste à utiliser
d’emblée des molécules puissantes et bien
tolérées et à suivre le patient en le voyant
tous les trois à six mois.
En cancérologie, « les chimiothérapies favorisent les cellules tumorales qui portent déjà des
mutations de résistance, relève le docteur Marie Dutreix, de l’Institut Curie (Paris). Cette sélection des cellules résistantes est probablement la principale cause d’échec des traite-
ments ». Ceux qui ciblent une enzyme donnée
sont particulièrement faciles à contourner : la
cellule tumorale modifie cette enzyme ou active une voie parallèle. Dans d’autres cas, elle
peut augmenter sa capacité à dégrader le médicament ou activer son efflux.
Comment lutter contre cette fuite thérapeutique ? « La première chose, comme avec les
antibiotiques, est d’utiliser des doses suffisamment élevées pour tuer les cellules avant
qu’elles ne trouvent une stratégie d’échappement. Une autre méthode est de combiner des
traitements dont les voies de résistance diffèrent, une stratégie limitée par la toxicité des
combinaisons. »
Le verre dans tous ses éclats
Un nouveau modèle éclaircit l’un des plus anciens mystères de la physique : la solidification de cette matière non cristalline
C’
est en pensant au difficile déplacement
des passagers dans
les rames bondées de
métro qu’une équipe internationale de chercheurs vient de résoudre, en partie, l’un des plus vieux
et importants mystères de la physique : la formation du verre. Le
passage du verre fondu au verre
dur et cassant que nous connaissons est en effet fort différent de
la transformation de l’eau liquide
en glaçon, ou de bien d’autres
« changements de phase ».
Alors que la fonte de la glace se
fait toujours à 0 °C, celle du verre
– à base de silice, d’aluminium ou
de polymères – est assez variable,
d’où le savoir-faire des souffleurs
de verre et des industriels.
Au niveau moléculaire, la situation est tout aussi troublante.
Alors que dans la glace les molécules forment un joli cristal, dans le
verre, l’organisation est la même
pour la phase solide ou liquide
– très désordonnée. Singularité
supplémentaire : cette matière
apparemment figée s’écoule, mais
si lentement que même les vitraux des cathédrales n’en gardent
pas la trace et qu’il faudrait des
milliards d’années pour le voir.
Autre mystère, la température à
partir de laquelle le verre dur se
met à fondre dépend de l’épaisseur (pour des verres extrêmement fins). Là encore, ce n’est pas
le cas d’un glaçon, qui se liquéfie à
température constante quelle que
soit sa dimension.
En outre, depuis une vingtaine
d’années, les chercheurs ont observé qu’il existe une mince couche liquide en surface : une particule d’or s’y enfonce de quelques
nanomètres…
Même si, depuis des millénaires,
les artisans, les industriels ou les
artistes fabriquent du verre, la
thermodynamique, qui décrit par-
faitement les passages du liquide
au solide ou du liquide au gaz,
bute sur la question de la transition vitreuse.
D’où l’intérêt du modèle proposé dans les PNAS le 22 juin par
une équipe internationale de l’ESPCI ParisTech et de l’université Paris-Diderot, en France, et de l’Institut Perimeter et de l’université
McMaster (Hamilton), au Canada.
Une fine couche liquide
« Nous avons fait d’une pierre
deux coups », résume Thomas Salez, chercheur CNRS à l’ESPCI. Trois
coups, même. Leur théorie décrit
l’évolution de la viscosité avec la
température. Elle explique pourquoi les verres très fins fondent à
plus basse température que les
plus épais, ainsi que la présence de
la fine couche liquide en surface.
La clé est donc de considérer que
les molécules du matériau sont
des passagers du métro aux heu-
res de pointe. Dans cette rame
imaginaire, plus la température
baisse, plus le volume diminue et
la densité augmente : la voiture est
bondée, les passagers ne peuvent
plus bouger. Le matériau est solide
tout en étant désordonné. Cependant, il est quand même possible
de remuer. Soit en jouant des coudes, peu efficace, soit en jouant
collectif, en suggérant de bouger
aussi à son voisin, qui lui-même
demandera à sa voisine de faire un
effort, et ainsi de suite… Bien entendu, les molécules ne se parlent
pas entre elles, et ce mouvement
coopératif à la queue leu leu, qui
peut concerner plusieurs dizaines
de « passagers », n’apparaît que rarement. Néanmoins, ce jeu de taquin mis en équation permet aux
chercheurs de reproduire l’évolution de la dynamique du verre
lorsque le liquide se refroidit.
En outre, si les portes du métro
s’ouvrent, un espace se libère sou-
dain et, constat universel, la coopération n’est plus nécessaire :
chacun pour soi ! Le voisinage de
l’ouverture devient donc plus mobile que l’intérieur. Voici l’équivalent de la couche liquide observée
dans les expériences de vitrification. Tout cela assemblé dans des
formules par le mathématicien de
l’équipe, Justin Salez, explique
aussi l’effet de l’épaisseur sur la
transition vitreuse.
« Nous pensons avoir capturé l’essentiel de la physique du phénomène », estime Elie Raphaël, du
CNRS, à l’ESPCI. « Le domaine est
très vaste et plusieurs modèles ont
déjà été proposés, avec des modes
et des controverses entre différentes écoles. Certaines idées fonctionnent, mais sont peu explicatives. Le
modèle présenté dans les PNAS a
l’avantage de la simplicité et de réunir des idées raisonnables », explique Ludovic Berthier, chercheur
CNRS à l’université de Montpellier.
Pour l’instant, il manque à ce
nouveau modèle plus de confrontation avec des résultats expérimentaux. Il ne sera pas facile non
plus d’observer la queue leu leu
moléculaire pour valider cette
hypothèse.
« Ce n’est pas la fin du problème,
mais le début ! », s’enthousiasme
Kari Dalnoki-Veress, de l’université McMaster. L’analogie du métro ouvre en effet des perspectives
pour modifier les propriétés des
verres en jouant sur la nature des
supports ou du confinement, qui
peuvent « ouvrir » ou « fermer »
les portes aux molécules. « Depuis
quelques années, on fabrique des
verres plus stables et denses par
déposition couche par couche plutôt que par refroidissement. Ces
propriétés pourraient s’expliquer
par un mécanisme analogue à celui décrit dans les PNAS », suppose
Ludovic Berthier. p
david larousserie
AC T UA L I T É
| SCIENCE & MÉDECINE |
De trompeuses cartes du cerveau ?
| Deux études récentes suggèrent que les fonctions remplies par certaines
zones cérébrales ne correspondent pas toujours à ce qui figure dans les manuels de neurologie
neurosciences
hervé morin
C’
est un monstre
étrange, à la grosse
tête dotée de lèvres
charnues, pourvu
d’une langue pendante, de mains immenses, d’un tronc rabougri et de jambes grêles. Cet être improbable est l’homoncule de Wilder Penfield (18911976), une représentation déformée du
corps humain que le neurologue américain a mise au point dans les années
1930-1950, en mesurant chez des
patients opérés du cerveau, mais
conscients, quels mouvements étaient
induits par la stimulation électrique de
points précis de leur cortex.
L’homonculus est difforme car il correspond à une projection proportionnelle à la surface prise par chaque partie du corps dans la portion du cerveau
dévolue au contrôle de ses mouvements : bouger finement la langue
pour parler exige plus de ressources
cérébrales que plier le genou. Cet
homoncule a aussi un quasi-jumeau
représentant les perceptions sensitives – doté, lui, de pieds de hobbit.
Va-t-il falloir corriger ces figures célèbres de la neuro-anatomie pour tenir
compte de nouvelles données d’imagerie cérébrale ? C’est ce que suggère
une étude parue le 16 juin dans le Journal of Neuroscience, dans laquelle
l’équipe de Buzz Jinnah (université
Emory, Atlanta) a demandé à des sujets de contracter les muscles du cou
alors que leur activité cérébrale était
En 2005 et 2011, les
projections cérébrales
des organes génitaux
masculins et féminins
avaient déjà été corrigées
enregistrée par IRM fonctionnelle. La
zone activée dans leur cortex moteur
n’était pas celle mentionnée en 1950
dans la « bible » de Penfield qui présentait l’homonculus : la commande du
cou s’y trouvait placée entre le pouce
et les paupières. Elle se situe plus logiquement entre le tronc et les épaules.
Ces résultats s’ajoutent à d’autres
études qui avaient revisité les régions
cérébrales responsables des mouvements de la tête. Les notations de Penfield pour cette partie du corps s’appuyaient sur neuf patients, à qui il
L’homonculus
de Penfield (1950)
est une
représentation
de l’importance
relative des
différentes
parties du corps
dans le cortex
moteur. La flèche
rouge désigne
la nouvelle
localisation de la
commande des
muscles du cou.
PRUDENTE ET AL., ADAPTÉ
DE PENFIELD ET RASMUSSEN
était délicat de demander de bouger la
tête tout en appliquant une électrode
sur leur cerveau mis à nu. Cecilia Prudente, première auteure de l’article,
ne jette donc pas la pierre aux pionniers : « Ce à quoi ils sont parvenus est
époustouflant, mais il n’est pas surprenant que des méthodes modernes
conduisent à de légers ajustements de
leur carte originelle. » En 2005 et 2011,
les projections cérébrales des organes
génitaux masculins et féminins
avaient déjà été corrigées.
Des travaux publiés le 25 juin dans la
revue Brain s’attaquent, eux, à un
autre classique de la cartographie du
cerveau, l’aire de Wernicke, située
dans le lobe temporal de l’hémisphère
gauche. Elle ne serait pas seule responsable de la compréhension du langage, indique l’équipe de Marek-Marsel Mesulam (Northwestern University, Chicago). Celle-ci a étudié non pas
le cerveau de patients ayant souffert
d’AVC − des travaux ont permis, depuis
140 ans, d’identifier l’essentiel des
zones fonctionnelles du cerveau −,
mais elle s’est appuyée sur des patients atteints d’aphasie primaire progressive, une forme rare de démence.
Ces 72 patients ont été soumis à une
batterie de tests de compréhension du
langage, allant du mot à la phrase, tandis que l’IRM quantitative mesurait
l’épaisseur de leur cortex dans et
autour de l’aire définie par l’Allemand
Carl Wernicke (1848-1905). La perte
d’épaisseur du cortex offre une mesure indirecte de la destruction des
neurones par la maladie. Les patients
dont l’aire de Wernicke était amincie
pouvaient toujours comprendre des
mots isolés, même si leur compréhension des phrases était diversement affectée – alors qu’en cas d’AVC la perte
langagière est plus globale. A l’inverse,
une perte sévère de la compréhension
des mots isolés n’était observée que
chez des patients dont le cortex était
affecté dans une région tout autre, à
l’avant du lobe temporal.
La différence tiendrait au fait que,
lors d’AVC, les lésions affectent aussi
les fibres nerveuses sous-jacentes – la
matière blanche – qui relient ces zones du cortex entre elles. Tandis que
l’aphasie primaire progressive s’attaque d’abord aux neurones du cortex.
Faut-il conclure de ces deux exemples que les cartographies classiques
méritent un sérieux toilettage ? « Les
cartes du cerveau existantes sont assez
bonnes pour les fonctions très basiques
– comme les champs visuels –, mais de
moins en moins pour les fonctions
complexes, répond Marek-Marsel Mesulam. Il est improbable qu’une seule
méthode aboutisse à la carte définitive
du langage, de la mémoire, des émotions ou de l’attention, etc. Le neuroscientifique doit être capable de tolérer
une pluralité de cartes. Notre tâche est
d’éliminer les incohérences fondamentales et d’identifier les convergences. »
« Il faut clairement distinguer la
vision populaire du langage dans le
cerveau, qui est “localisationniste” et
étroite, et celles que les neuroscientifiques de la cognition ont proposées
depuis une quinzaine d’années, précise
Antonio Damasio (université de Californie du Sud). Avec son épouse
Hanna, il avait déjà suggéré que les
processus de compréhension du langage impliquent les aires classiques
(celle de Wernicke et celle de Broca),
mais aussi bien d’autres régions.
Hughes Duffau (CHU de Montpellier), spécialiste des opérations du cerveau sur des patients conscients
atteints de tumeurs cérébrales, est
plus radical encore : « Le localisationnisme doit être définitivement abandonné parce qu’il n’a jamais reflété le
fonctionnement réel du cerveau, qui
s’appuie sur des réseaux parallèles distribués et dynamiques, et qu’il existe
une variabilité majeure anatomofonctionnelle entre individus. » Cette variabilité illustre la plasticité du cerveau,
qui lui permet de s’adapter, dans certaines limites. Pour lui, l’heure est
donc à la « révolution », pour passer du
localisationnisme à une « vision hodotopique » (du grec hodos : voies ; topos :
localisation) qui prenne en compte
les aires cérébrales et les multiples
réseaux qui les relient. p
0123
Mercredi 1er juillet 2015
|3
télescope
Aviation
Solar Impulse 2 est reparti
L’avion solaire Solar Impulse 2 s’est envolé de Nagoya, lundi 29 juin, direction
Hawaï. L’appareil, qui effectue un tour
du monde par étapes, avait dû interrompre son vol entre Nankin (Chine) et
Hawaï à cause du mauvais temps début
juin. La décision de repartir a été reportée à plusieurs reprises, dans l’attente de
bonnes conditions météorologiques :
l’avion est fragile et ne peut supporter
des vents violents, la pluie ou une trop
grande chaleur. Son plan de vol prévoit
ainsi le contournement d’un front nuageux pour rallier l’archipel américain en
cinq jours. Le Suisse André Borschberg,
62 ans, est aux commandes. Il alternera
courtes siestes, yoga et navigation. En
cas de problème, il dispose d’un parachute. L’avion est parti le 9 mars d’Abou
Dhabi pour un tour du monde de
35 000 kilomètres destiné à promouvoir
l’usage des énergies renouvelables.
86 401
secondes
C’est la durée de ce 30 juin, qui bénéficie d’une seconde intercalaire, destinée
à mettre en phase deux échelles de
temps dérivant l’une par rapport à
l’autre : celle du temps atomique international, officiel depuis 1971, établie
par le Bureau international des poids et
mesures à partir d’un parc d’horloges
atomiques réparties dans le monde, et
celle fondée sur la rotation de la Terre,
qui connaît quelques fluctuations. C’est
la 26e fois que cette seconde intercalaire est utilisée depuis 1972.
Médecine
Benzodiazépines : ne pas abuser
Environ 7 millions de personnes
auraient consommé des benzodiazépines contre l’anxiété et les troubles du
sommeil, en 2014. La Haute Autorité de
santé a indiqué, lundi 29 juin, qu’elle
avait réévalué ces molécules : alprazolam
(Xanax), bromazépam (Lexomil),
clorazépate (Tranxène), lorazépam
(Témesta)… Jugeant toujours leur intérêt
thérapeutique comme « important », notamment sur huit à douze semaines, la
HAS recommande le maintien du taux
de remboursement de 65 %. Elle met toutefois en garde sur « les effets indésirables
importants » (troubles de la mémoire, de
la vigilance, chutes…) et une utilisation
prolongée qui expose au risque de dépendance – 16 % des individus qui consommaient ces médicaments en 2014 les
prenaient depuis plusieurs années.
Espace
Une fusée de SpaceX explose
peu après le décollage
La chimiothérapie par vaporisation
Un procédé peu onéreux permettrait de traiter des cancers gynécologiques ou de l’appareil digestif
I
l aura fallu plus de dix ans
de travail acharné pour
concrétiser une idée un
peu folle : vaporiser sous
pression une chimiothérapie directement dans la cavité abdominale de patients atteints de
carcinose péritonéale. Cette
forme avancée de cancers gynécologiques ou de l’appareil digestif se caractérise par l’apparition de métastases dans le péritoine, la membrane qui recouvre l’abdomen et les viscères.
Ce nouveau mode d’administration local est d’autant plus
prometteur que la carcinose
péritonéale représente un défi
pour le corps médical. Ce type
de cancer est très difficilement
détectable à un stade précoce
– jusqu’à 40 % des nodules tumoraux passent inaperçus lors
d’examens par imagerie – et,
jusque-là, il n’existait que peu
d’options thérapeutiques capa-
bles de pénétrer efficacement
dans les tumeurs. Avec pour corollaire une espérance de vie
particulièrement réduite pour
les patients touchés.
Inspirée par la technologie
automobile et ses injecteurs à
haute pression (le prototype
était d’ailleurs un injecteur de
Golf IV Volkswagen !), la chimiothérapie intrapéritonéale
pressurisée (Cippa) a été développée par un chirurgien
suisse, Marc-André Reymond,
professeur à l’université de la
Ruhr, à Bochum, en Allemagne.
Centre au sein duquel l’application clinique de la Cippa a été
mise en place début 2012 et où
850 patients ont déjà été traités
par ce moyen.
« L’idée est très simple, explique le médecin. Lorsque l’on travaille par laparoscopie, on évolue en milieu fermé puisque seules deux incisions minimes sont
effectuées dans le ventre du patient pour passer une caméra et
une canule d’insufflation. Il est
donc possible d’induire des modifications thérapeutiques de ce
milieu, contrairement à une chirurgie conventionnelle ouverte. »
Réduire dix fois la dose
Par l’action combinée de la
vaporisation et de la pression
supplémentaire injectée dans
l’abdomen du patient, la Cippa
permet une distribution homogène de la chimiothérapie dans
l’ensemble de la cavité abdominale, ainsi qu’une meilleure pénétration des tissus par les médicaments. L’efficacité est telle
qu’il devient possible de réduire
de dix fois la dose de produit
injecté, et donc de diminuer
considérablement les effets secondaires chez les patients.
Les premières études cliniques réalisées pour la chimio-
thérapie intrapéritonéale pressurisée dans le cas de cancers
ovariens sont très encourageantes, puisque plus de 60 % des
femmes présentant des résistances aux traitements conventionnels ont montré une réponse thérapeutique à l’issue
de trois séances réalisées à six
semaines d’intervalle.
L’industrie pharmaceutique
ne semble pas spécialement
pressée de soutenir le développement de la Cippa. Le coût
d’une dose de chimiothérapie
avec ce procédé se monte à une
vingtaine d’euros, alors que le
traitement
médicamenteux
palliatif d’un patient coûte généralement entre 3 000 et
5 000 euros par mois.
En France, six centres se sont
formés à cette méthode, à Paris,
Lyon, Nantes et ClermontFerrand et Poissy. Un article
rédigé par l’équipe du professeur
Arnaud Fauconnier, du Centre
hospitalier intercommunal de
Poissy - Saint-Germain-en-Laye
(Yvelines), publié fin 2014 dans la
revue Gynécologie, obstétrique et
fertilité, la décrit comme « une
technique prometteuse chez les
patientes en récidive de cancer de
l’ovaire chimiorésistant », bien
que « ces résultats nécessitent
d’être confirmés par des études
composées de plus grands effectifs, afin de déterminer un éventuel bénéfice en survie globale ».
Autre avantage : le concept est
généralisable à l’ensemble des
cavités du corps et à d’autres
substances médicamenteuses,
ce qui signifie qu’il serait possible de traiter de multiples pathologies, telles que la péritonite, l’endométriose, les adhérences ou encore le cancer non
invasif de la vessie. p
sylvie logean
« le temps » (lausanne)
Une fusée Falcon 9 de la société californienne SpaceX a explosé peu après son
lancement depuis Cape Canaveral en Floride, le 28 juin. Elle devait mettre en orbite une capsule inhabitée Dragon destinée à approvisionner la Station spatiale
internationale (ISS). C’est le troisième
échec en huit mois des livraisons de provisions et de matériel scientifique à l’ISS.
A l’explosion de la fusée Antares de la
firme américaine Orbital Science en octobre 2014 avait succédé la perte d’un
Progress russe fin avril. L’équipage dispose de réserves pour plusieurs mois,
précise la NASA. Pour SpaceX, c’est le premier accident de sa fusée Falcon 9 après
18 vols réussis, dont six sur douze prévus
pour livrer du fret à l’ISS. Les causes de
cet échec ne sont pas encore connues. Il
intervient alors que SpaceX a gagné la
certification de l’US Air Force pour les satellites militaires, marché détenu par
United Launch Alliance (Boeing-Lockheed Martin). Et au moment où la
start-up s’attaque à Arianespace sur celui
satellites commerciaux. SpaceX prépare
aussi une capsule habitée pour mettre
fin à la dépendance des Etats-Unis vis-àvis du Soyouz russe pour convoyer leurs
astronautes vers l’ISS. (PHOTO : AFP)
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0123
Mercredi 1er juillet 2015
| SCIENCE & MÉDECINE |
ÉVÉNEMENT
Santé
Les vaccins, ça se discute
médecine
Effets secondaires graves, pénuries, mauvaise communication... Suscitant une défiance croissante,
la politique vaccinale, par-delà ses bénéfices avérés en santé publique, mérite un débat
sandrine cabut,
moïna fauchier-delavigne
et pascale santi
L
a vaccination, cela ne se discute pas. » Cette déclaration de la ministre de la
santé, vendredi 29 mai,
Marisol Touraine, en réponse à la pétition mise en
ligne en mai par le professeur Henri Joyeux a le mérite de la clarté. Elle ajoutait : « Il ne faut
pas avoir de doute par rapport aux vaccins,
ce qui n’exclut pas la transparence et la recherche pour toujours améliorer la qualité
de nos vaccins. » Mais pourquoi les propos
de la ministre restent-ils inaudibles,
comme semble l’indiquer le succès (plus
de 680 000 signatures) de ce texte ?
Le chirurgien cancérologue de 70 ans y
dénonce la pénurie actuelle de certains
vaccins assurant la protection obligatoire contre la diphtérie, le tétanos et la
poliomyélite (DTP), au profit de formulations hexavalentes qui contiennent,
selon lui, « deux substances dangereuses,
voire très dangereuses », et qui sont bien
plus chères pour la collectivité.
Malgré les critiques de fond sur les
amalgames et les contre-vérités scientifiques de la pétition, ainsi que la réputation de son initiateur, son message semble trouver plus d’échos dans la population que ceux des institutionnels et des
spécialistes des vaccins. Peut-être parce
que la crédibilité de ces acteurs est de plus
en plus écornée : les autorités sanitaires
continuent de payer les maladresses de la
gestion de la vaccination contre l’hépatite B, longtemps suspectée de déclencher des scléroses en plaques. Mais aussi
de la pandémie de grippe H1N1, en 2009
– l’un des vaccins utilisés à cette occasion
ayant en outre engendré des narcolepsies. Leur communication sur le sujet
reste insuffisante, souvent trop péremptoire. Et contradictoire : elles font campagne pour l’obligation vaccinale sans, semble-t-il, se donner vraiment les moyens
d’anticiper les pénuries. La parole des experts est, elle, rendue suspecte par leurs
liens d’intérêts plus ou moins dissimulés
avec l’industrie pharmaceutique.
L’actualité favorise généralement le discours anti-vaccins. En avril, les effets secondaires liés à un vaccin protégeant contre les antirotavirus étaient pointés du
doigt à cause de décès de nourrissons.
Aujourd’hui, c’est le cas d’une petite fille
de 7 mois entre la vie et la mort après une
fièvre aiguë et des convulsions dans les
heures suivant l’injection concomitante
d’un vaccin hexavalent (Infanrix Hexa) et
contre le pneumocoque (Prevenar). Même
si la responsabilité du SAMU, qui a refusé
de prendre en charge l’enfant, est aussi
mise en cause, l’image de la vaccination
risque une nouvelle fois d’en pâtir. En Espagne, à l’inverse, un enfant vient de
mourir d’une diphtérie, contre laquelle
ses parents ne l’avaient pas vacciné.
Le 25 juin, le Conseil national de l’ordre
des médecins a annoncé qu’il portait
plainte devant la chambre disciplinaire
de première instance du LanguedocRoussillon contre Henri Joyeux pour
« l’ensemble de ses propos » sur les vaccins. Contacté, ce dernier n’a pas répondu
aux sollicitations du Monde. Mais la défiance du public ne pourra être balayée
par une procédure disciplinaire et une injonction à se faire vacciner. Des incertitudes demeurent, qui méritent débat public : qu’y a-t-il derrière les pénuries de
vaccins obligatoires et quelles sont les solutions alternatives ? Que sait-on vraiment des adjuvants ? La vaccination obligatoire a-t-elle encore un sens ? Eléments
de réponse à trois questions cruciales.
Pourquoi la pénurie actuelle?
Depuis le début de l’année, les vaccins
combinés tétravalents (diphtérie, tétanos, poliomyélite, coqueluche) et pentavalents (protégeant en plus contre l’aemophilus B) sont devenus introuvables
dans les pharmacies en France. Seule la
formule hexavalente (pentavalent plus
hépatite B, commercialisée uniquement
par GSK), recommandée dans le calendrier vaccinal, ne souffre pas de ruptures
d’approvisionnement.
La situation commencerait à s’améliorer, en tout cas pour les vaccins combinés pentavalents. Selon l’Agence nationale de sécurité du médicament et des
produits de santé (ANSM), les laboratoires Sanofi Pasteur et GSK ont prévu des
approvisionnements, « ce qui permettrait
de stabiliser le marché et de réduire la période de tension sur la deuxième partie de
l’année 2015 ». Des vaccins sont déjà disponibles en centres de protection maternelle et infantile (PMI). Même si les producteurs tiennent à rester flous quant à
ces livraisons, des doses arrivent aussi en
pharmacie. « Je viens de recevoir des pentavalents cette semaine, j’en ai cinquante
dans mon réfrigérateur », affirme Isabelle
Adenot, présidente de l’ordre des pharmaciens. Le retour à la normale n’est
cependant prévu que pour début 2016.
Ces derniers mois, un certain nombre
de vaccins alternatifs sont restés disponibles. Certes, le vaccin simple trivalent
DTP – correspondant aux obligations
vaccinales – n’est plus commercialisé en
France depuis 2008, en raison de « complications allergiques ». Sanofi Pasteur
propose cependant un kit des trois vaccins obligatoires (DT Vax et Imovax polio). Initialement destiné aux enfants
avec une contre-indication au vaccin
anticoquelucheux, il a été accessible gratuitement, sur demande du médecin au
laboratoire, pour les familles souhaitant
se limiter aux vaccins obligatoires. En
rupture depuis janvier, le DT Vax a été
remplacé à partir de mai par un vaccin
diphtérie tétanos initialement destiné au
marché américain. A noter que le DT Vax
avait aussi ses détracteurs, car il contient
un conservateur dérivé du mercure, le
thiomersal.
Pour les rappels, il existe aussi l’option
Repevax® de Sanofi (DTPcaP) ou son
équivalent chez GSK : Boostrix® (respectivement pour les plus de 3 et 4 ans), plus
« Nous payons la note du paternalisme »
A
nthropologue de formation,
Heidi Larson est maître de
conférences à la London
School of Hygiene and Tropical Medicine, où elle dirige des travaux
sur les questions de confiance envers les
vaccins et les implications de ces attitudes dans les programmes vaccinaux.
Elle a rédigé le rapport « The State of
Vaccine Confidence 2015 » (« L’état de la
confiance dans les vaccins »), qui analyse le sujet à l’échelle mondiale.
Les hésitations ou la défiance à
l’égard des vaccins semblent s’accroître. Qu’en est-il réellement ?
Il existe un problème croissant de confiance envers les vaccins dans les couches les plus aisées de la population. On
le constate aux Etats-Unis, au Canada,
en Europe, en Australie, au Japon. Mais
ces doutes ou réticences se rencontrent
aussi parmi les couches les plus défavorisées. Ainsi, le phénomène prend l’allure d’une courbe en U, où les populations des tranches les plus extrêmes de
revenu montrent une défiance plus importante que celles aux revenus
moyens. Les réseaux sociaux jouent un
rôle majeur dans la diffusion de messages de la part de groupes hostiles en
tout ou partie aux vaccins. Néanmoins,
là où un travail important a été accom-
pli par les autorités sanitaires pour convaincre de l’utilité de certains vaccins,
comme au Royaume-Uni avec celui contre la rougeole, les oreillons et la rubéole, l’acceptation de la vaccination a
progressé.
Les oppositions aux vaccins ont des
motivations diverses. Lesquelles
avez-vous identifiées ?
Il existe deux motifs principaux : l’option idéologique privilégiant la nature,
et la défiance à l’égard des autorités.
L’option « nature » prédomine dans des
zones moins ou peu affectées par les
maladies contre lesquelles les vaccins
protègent. Elle s’oppose globalement
aux nouvelles technologies, aux OGM,
aux vaccins et à leurs adjuvants… Cette
attitude se rencontre plutôt dans les
pays développés. La même démarche
apparaît également dans les couches les
plus fortunées des pays émergents.
L’autre motif se rencontre davantage
parmi les populations pauvres et marginalisées, qui éprouvent une forte méfiance à l’égard des gouvernements et
des autorités. Les vaccins sont la seule
intervention en santé qui aille du sommet vers la base, qui soit régulée par le
gouvernement – il en fixe le calendrier –
et concerne toute la population. Quiconque a un problème avec le gouver-
nement peut être réticent aux vaccins,
surtout lors de campagnes de masse.
Avez-vous identifié d’autres mécanismes alimentant la défiance, par
exemple les conflits d’intérêts ?
Cela rejoint le second motif : des personnes ayant des reproches à faire aux
industriels seront évidemment plus enclines à douter de leurs vaccins ou à
penser qu’ils cherchent avant tout à en
vendre le plus possible. Cela s’accompagne de soupçons de collusion entre les
autorités sanitaires et les industriels.
Pourquoi la défiance a-t-elle
augmenté ces dernières années ?
Il y a d’abord le fait que le nombre de
vaccins et d’injections s’est énormément accru ces dernières décennies. Il
conviendrait donc d’essayer de rationaliser les vaccinations plutôt que de les
empiler. Mais nous payons aussi la note
du paternalisme qui a prévalu du côté
des autorités et de la communauté médicale, qui tenaient pour acquis que la
population acceptait docilement de
faire ce qu’on lui disait de faire en matière de vaccination. Le public a fini par
dire : c’en est trop. Ne pas assumer qu’il
peut exister chez des individus des effets indésirables provoqués par un vaccin, bien que l’intérêt collectif de la po-
pulation soit d’être protégée contre des
maladies graves, est contre-productif.
De plus, la proportion de professionnels
de santé ayant des réserves à l’égard des
vaccins a augmenté.
Comment renforcer la confiance
envers la vaccination ?
L’exemple récent de l’Espagne, où un
enfant non vacciné se trouve dans un
état critique après avoir contracté la
diphtérie, montre l’importance de la
vaccination contre cette maladie. Il faut
prendre le temps d’expliquer l’utilité
des vaccins et ne pas considérer que
c’est un fait acquis. Lorsqu’un nouveau
vaccin est introduit, il est indispensable
de prendre en compte les facteurs et le
contexte historiques, sociétaux et politiques pouvant influencer le public.
Donc, il faut investir dans la recherche
en sciences sociales sur ces aspects.
Sans un dialogue des autorités avec les
professionnels de santé et le public, il
n’y aura pas de progrès dans la confiance envers les vaccins. Or, nous en
aurons besoin. Nous le voyons avec les
épidémies en cours (Ebola, MERS coronavirus), sans oublier, tôt ou tard, une
nouvelle pandémie grippale peut-être
plus sévère que celle de 2009. p
propos recueillis par
paul benkimoun
ou moins faciles à trouver en pharmacie.
Seule différence par rapport aux vaccins
tétravalents classiques, une dose plus faible d’antigène contre la diphtérie et la coqueluche.
Face à la suspicion de pénurie organisée, pour une vente forcée des vaccins les
plus onéreux, GSK et Sanofi Pasteur invoquent une production insuffisante
due à une série de facteurs, dont la
hausse de la demande mondiale en vaccins protégeant contre la coqueluche,
plusieurs pays ayant élargi leur recommandation pour ce vaccin. En outre, des
lots auraient été écartés après une série
de contrôles, engendrant ainsi un déséquilibre. GSK explique notamment un
rendement plus faible que prévu des souches de coqueluche. En fonction des interlocuteurs et des semaines, les versions
varient, sans possibilité de vérification
externe.
« L’ANSM inspecte régulièrement les laboratoires producteurs de vaccins sur la
base des bonnes pratiques de fabrication,
mais au quotidien, ce sont les firmes qui
gèrent elles-mêmes les contrôles de leurs
vaccins sur la chaîne de production, explique Dominique Debourges, chargé du
pôle ruptures de stock à l’ANSM. En cas de
rupture de stock ou de risque de rupture
de stock ayant pour origine une anomalie
de production, l’ANSM est avertie mais
cette déclaration n’entraîne pas une inspection sur place. »
Les adjuvants sont-ils
suffisamment étudiés ?
La question de l’innocuité des vaccins
se cristallise en particulier sur les adjuvants suspectés par les « anti-vaccins »
mais aussi, par certains chercheurs, d’induire une série d’effets secondaires. Utilisés pour certains, comme l’aluminium,
depuis presque un siècle, les adjuvants
ont pour fonction de renforcer la réponse immunitaire, donc de réduire la
quantité d’antigène par dose, et le nombre de doses nécessaires pour assurer
une bonne réponse immunitaire.
Le Comité consultatif mondial de la sécurité vaccinale (GACVS), émanation de
l’Organisation mondiale de la santé
(OMS), a conclu à l’innocuité de ces produits, notamment le squalène, qui entre
dans la composition de certains vaccins
antigrippaux et de ceux contre les papillomavirus humains (HPV). Mais lors de la
campagne de vaccination contre la grippe
pandémique A (H1N1), en 2009-2010, le
fait de proposer deux formes vaccinales,
dont une sans adjuvant réservée aux femmes enceintes, avait semé le trouble.
Suspectés de causer des maladies autoimmunes, les adjuvants font l’objet de
polémiques récurrentes. Ceux à base
d’aluminium ont comme principal inconvénient les réactions inflammatoires
qu’ils provoquent au site d’injection. Surtout, l’hydroxyde d’aluminium favoriserait la survenue de la myofasciite à
macrophages (douleurs musculaires, fatigue, invalidité…), décrite pour la première fois en 1998 par Romain Gherardi
(hôpital Henri-Mondor, Inserm) et
Michelle Coquet (hôpital Pellegrin, à
Bordeaux) dans The Lancet. Loin d’être
« anti-vaccin », le professeur Gherardi fait
le lien entre cette maladie et l’hydroxyde
d’aluminium utilisé dans la plupart des
vaccins. L’association Entraide aux malades de myofasciite à macrophages (E3M)
se bat pour que cette corrélation soit reconnue. Des demandes d’indemnisation
sont en cours.
Didier Lambert, président de E3M, qui
ne s’associe pas à la pétition d’Henri
Joyeux, réclame le retour sur le marché
d’un vaccin DT-polio (diphtérie-tétanos-
ÉVÉNEMENT
| SCIENCE & MÉDECINE |
0123
Mercredi 1er juillet 2015
|5
LES ACTEURS DE LA VACCINATION : DE L’INDUSTRIE À L’ASSURÉ
Pour élaborer ses avis et propositions,
le CTV s’appuie sur une expertise
pluridisciplinaire, ainsi que sur celle
des agences qui en sont membres
(ANSM, InVS ,HAS, INPES).
Acteurs publics
Acteurs privés
Les objecteurs
Les modalités de vaccination en France
sont critiquées par des acteurs
d’horizons divers.
Les industriels procèdent
au développement de nouveaux
vaccins et constituent le dossier de
demande d’autorisation de mise sur
le marché (AMM), à partir notamment
des études qu’ils ont réalisées.
PROFESSEUR JOYEUX
• Instigateur d’une pétition mettant en
cause le vaccin contre l’hépatite B,
longtemps accusé, sans que cela soit
démontré, de déclencher des scléroses
en plaques.
• Dénonce la présence d’aluminium
et d’autres adjuvants dans certains
vaccins et l’absence de choix lié
à l’actuelle pénurie.
Face à la pénurie des vaccins
tétravalents et pentavalents, les deux
multinationales avancent les mêmes
explications : elles ne sont plus en
mesure de répondre à l’ensemble des
demandes mondiales concernant
la coqueluche.Le seul vaccin hors
pénurie est hexavalent.
Outre la dyphtérie, le tétanos
et la poliomyélite (DTP),
il immunise contre trois autres maladies.
LABORATOIRES
PHARMACEUTIQUES
14,06
26,33
Infanrix Hexa
39,04
LES VACCINS OBLIGATOIRES
POUR L’ENFANT
• Diphtérie
• Tétanos
• Poliomyélite
Médecin
Patient
LES VACCINS RECOMMANDÉS
Beaucoup de vaccins sont
recommandés, en fonction de l’âge,
du sexe et du contexte (profession,
voyages, lieu de résidence...).
AGENCE NATIONALE
DE SÉCURITÉ DU MÉDICAMENT
ET DES PRODUITS DE SANTÉ
(ANSM)
EMA
• Autorisation de mise sur le marché (AMM)
Dans le développement d’un vaccin, l’ANSM intervient dès la phase des essais cliniques
qu’elle autorise. Elle délivre ensuite, au niveau national, l’AMM en fonction de
l’évaluation du bénéfice et des risques.
• Pharmacovigilance
L’ANSM assure également la surveillance de la sécurité d'emploi du vaccin et contrôle la
publicité auprès du public et des professionnels de santé. Elle est chargée
de l’inspection des sites de production et centralise les alertes sur les effets indésirables.
Infanrix Tetra
Infanrix Quinta
La politique vaccinale se fonde
principalement sur les avis
et propositions du Haut Conseil
de la santé publique (HCSP),
élaborés via le comité technique
des vaccinations (CTV).
MINISTÈRE
DE LA SANTÉ
LA VACCINATION
ASSOCIATION E3M
• Ne relaie pas la pétition du professeur
Joyeux qu’elle estime « contestable
et insuffisament élaborée sur le plan
PRIX DES VACCINS DTP,
scientifique ».
EN EUROS
• Œuvre pour le retour de vaccins sans DT-Polio (au moment du retrait en 2008)
aluminium.
6,70
ASSOCIATION REVAHB
• Regroupe des patients qui s’estiment
victimes du vaccin contre l’hépatite B.
• Aucune visée antivaccinale.
• Contre la vaccination « cachée »
de l’hépatite B par l’Infanrix Hexa.
La politique vaccinale s’intègre dans
la politique de lutte contre les maladies
infectieuses. Elle est élaborée et mise en
œuvre par le ministre chargé de la santé,
pour tenir compte de l’épidémiologie
des maladies à prévention vaccinale,
des avancées techniques dans
ce domaine, des recommandations
de l’OMS et de l’organisation du système
de santé français.
HAUT CONSEIL
DE LA SANTÉ PUBLIQUE (HCSP)
VIA
LE COMITÉ TECHNIQUE
DES VACCINATIONS (CTV)
Deux fabricants se partagent
le marché français des vaccins
obligatoires
• Sanofi Pasteur MSD
• GlaxoSmithKline (GSK)
LIGUE NATIONALE POUR
LA LIBERTÉ DES VACCINATIONS
• Réclame l’abrogration des obligations
vaccinales.
• Indemnisation par l’Etat
des accidents consécutifs
aux vaccinations obligatoires.
Le CTV est un groupe de travail
permanent d'une des commissions
spécialisées du HCSP.
L’autorisation de mise sur le marché
peut être délivrée par
la Commission européenne pour
l’ensemble du territoire de l’UE après
avis de l’Agence européenne des
médicaments (EMA).
LES GRANDES DATES
VACCINS MIS AU POINT
1796
1885
VARIOLE
par Jenner
RAGE
par Louis Pasteur
POLITIQUE VACCINALE
1921 1923
TUBERCULOSE DIPHTÉRIE
(BCG)
1952
POLIOMYÉLITE
1902
1926
1938
VACCIN
OBLIGATOIRE
CONTRE LA VARIOLE
Introduction des sels
d’aluminium comme
adjuvant
VACCIN
OBLIGATOIRE
CONTRE
LA DIPHTÉRIE
poliomyélite) sans adjuvant aluminique.
E3M demande notamment l’utilisation
du phosphate de calcium, utilisé comme
adjuvant dès les années 1960 à l’Institut
Pasteur dans les vaccins antidiphtérique
et antitétanique mais abandonné dans
les années 1980. Des travaux soulignent
de nouveau son intérêt. Dans tous les cas,
« nous souhaitons plus de transparence et
plus de recherches sur cette question des
adjuvants », insiste Didier Lambert.
Sur ces points, les avis sont partagés.
« L’analyse détaillée des conditions nécessaires à la provocation d’une maladie
auto-immune n’apporte aucune preuve à
ce jour permettant d’incriminer les vaccins ou les adjuvants, concluait un groupe
de travail de l’Académie de médecine
en 2012. Tout moratoire portant sur la
non-utilisation des adjuvants aluminiques rendrait impossible la majorité des
vaccinations. La résurgence des maladies
prévenues par ces vaccins entraînerait, en
revanche, et de façon certaine, une morbidité très supérieure à celle, hypothétique,
des maladies auto-immunes ou neurologiques imputées à la vaccination. » Même
conclusion pour la société de pathologie
infectieuse (Spilf), et un rapport du Haut
Comité de santé publique (HCSP) en 2013.
« L’innocuité des adjuvants est un domaine important et négligé », soulignait
pourtant en 2004 l’OMS, qui jugeait leur
évaluation « indispensable ». En 2010,
après l’épisode de la grippe H1N1 et la
campagne de vaccination, un rapport du
Sénat notait lui aussi que l’utilisation des
adjuvants en général est un choix qui
peut être discuté techniquement. « Les
études réalisées jusqu’à présent sur leurs
effets sont peu nombreuses », notait-il, recommandant donc de nouveaux travaux
pour « avoir des idées plus précises sur le
niveau dangereux pour l’homme de la
concentration de mercure, d’aluminium
ou de squalène dans son organisme ».
Les obligations vaccinales
sont-elles encore justifiées ?
En France, les trois vaccins obligatoires
pour l’ensemble de la population (D, T, P)
conditionnent l’entrée en collectivité
(crèche, école…). Notre pays est l’un des
1963 1967
1926
TÉTANOS ET
COQUELUCHE
seuls en Europe à maintenir ce principe
d’obligation vaccinale, avec l’Italie et la
Belgique. Il existe par ailleurs quelques
obligations selon la zone géographique
(fièvre jaune en Guyane) ou la profession
(hépatite B pour les médecins et paramédicaux, typhoïde pour certains personnels de laboratoire…).
Mais cette stratégie est remise en question de façon croissante, pas seulement
par les « anti-vaccins ». En septembre 2014, le HCSP, chargé de proposer la
politique vaccinale, a estimé dans un avis
que le maintien ou non de l’obligation
vaccinale relève d’« un choix sociétal » et
que cela mériterait un débat organisé par
les autorités de santé. Ce comité estime
que, si l’obligation demeure, « la liste des
vaccins obligatoires doit être révisée ». Récemment, la question est remontée jusqu’au Conseil constitutionnel, après l’assignation d’un couple devant un tribunal
correctionnel pour un refus de vacciner
ses enfants. Le Conseil s’est prononcé le
20 mars, en jugeant que le caractère obligatoire de la vaccination, inscrit dans le
code de la santé publique, n’est pas anticonstitutionnel.
Autre critique, ce modèle peut induire
dans le public une notion de hiérarchie
entre vaccins obligatoires et vaccins recommandés, comme ceux contre l’hépatite B, la coqueluche, les méningites, les
papillomavirus – responsables du cancer
du col de l’utérus – ou la grippe. Or, « les
vaccins recommandés et les vaccins obligatoires sont aussi utiles et importants les
uns que les autres », estime l’Institut national de prévention et d’éducation pour
la santé (Inpes). Un avis partagé par
l’ANSM et, bien sûr, les industriels.
L’ancien directeur général de la santé
William Dab est aussi favorable à une discussion de fond. « Une stratégie d’intervention fondée sur l’obligation doit se discuter non dans ses principes, mais dans
ses résultats, et ceux-ci ne sont pas si favorables que l’on puisse se dispenser d’un débat dont la Conférence nationale de santé
aurait pu être saisie », écrit-il sur son blog
« Des risques et des hommes » (hébergé
par Le Monde), en réponse à la déclaration « La vaccination, ça ne se discute
pas », de Marisol Touraine. p
1952
ROUGEOLE OREILLONS
1965
1967
1981
2006
HÉPATITE B
PAPILLOMAVIRUS
1977 1979
VACCIN DERNIER CAS
VACCIN
VACCIN
CONTRE LA DE VARIOLE
OBLIGATOIRE OBLIGATOIRE
CONTRE LA FIÈVRE JAUNE
CONNU
CONTRE
DANS
LE TÉTANOS POLIOMYÉLITE OBLIGATOIRE
EN GUYANE
LE MONDE
2007
LEVÉE DE L’OBLIGATION
LEVÉE DE L’OBLIGATION
DE VACCINATION
DE VACCINATION PAR
ANTIVARIOLIQUE
LE BCG CHEZ L’ENFANT ET
L’ADOLESCENT
V
Bonne réponse immunitaire
En 2008, cette chercheuse a été parmi
les premières dans le monde à conduire un essai clinique avec un vaccin
transcutané. Son principe est de cibler
les cellules de Langerhans, présentatrices d’antigènes et situées dans l’épiderme (la couche superficielle de la
peau), qui ont un rôle fondamental
dans l’initiation d’une bonne réponse
immunitaire.
Ces cellules étant concentrées autour
des follicules pileux, les chercheurs
appliquent une colle dermatologique
qui retire les poils, sur une surface de
4 cm sur 4 cm. Après cette « épilation », le vaccin est déposé à très petite
dose sur la peau. « En utilisant un vaccin antigrippal, nous avons montré que
cette voie d’administration est bien tolérée et qu’elle induit une réponse immunitaire cellulaire meilleure que la
voie intramusculaire. En revanche, elle
2015
SOURCES : ANSM ; INSERM ; SCIENCE ET SANTÉ
Les nouvelles voies
acciner « sans aiguille » par
voie nasale, orale, cutanée… ?
Depuis des décennies, les chercheurs explorent de nouvelles voies
pour remplacer les classiques injections intramusculaires (utilisées pour
la majorité des vaccins) ou sous-cutanées. Un vaccin antigrippal, en spray
nasal (laboratoire AstraZeneca), et un
autre par voie intradermique (Sanofi
Pasteur) sont déjà commercialisés.
La voie cutanée est particulièrement
étudiée. « L’avantage principal est d’induire une bonne réponse immunitaire
avec une dose faible et sans aiguille,
d’où un gain économique. C’est un vrai
besoin dans les pays en voie de développement. Ce qui explique les sommes
importantes investies par l’Organisation mondiale de la santé et la Fondation Gates…, souligne Behazine
Combadière (directrice de recherche
Inserm, Centre d’immunologie et des
maladies infectieuses, Paris). En revanche, les vaccins cutanés ou transcutanés ne supprimeront pas totalement les
douleurs associées aux vaccins. »
2008
RETRAIT DU DTP
n’entraîne pas de production d’anticorps protecteurs », explique Behazine
Combadière.
Un résultat qui a amené l’équipe à
tester son procédé dans des infections
où la réponse immunitaire cellulaire
est prépondérante (par rapport à la
production d’anticorps). Des essais
cliniques sont ainsi en cours avec
plusieurs vaccins anti-VIH. Résultats
attendus en 2016.
D’autres dispositifs sont en développement, tel celui de l’Australien Mark
Kendall : un nanopatch constitué de
20 000 nano-aiguilles enrobées de
l’antigène vaccinal. Le système serait
stable à température ambiante, ce qui
permettrait de s’affranchir de la
chaîne du froid. Les premières études
cliniques sont prévues en 2016, pour
tester ce patch avec trois vaccins du laboratoire Merck (Le Monde du 24 janvier 2015). L’équipe de Mark Prausnitz
(Georgia Institute of Technology) a, de
son côté, conçu un patch avec une
centaine de micro-aiguilles, qui se résorbent en quelques minutes après application. Les tests cliniques sont attendus en 2017 pour une
immunisation contre la rougeole.
L’un des autres défis de la vaccinologie serait de pouvoir proposer des
vaccinations sur mesure, en fonction
des profils individuels (facteurs génétiques, environnementaux et statut
immunitaire). Une équipe internationale vient ainsi de présenter dans la
revue Science du 5 juin le système
Virscan, capable de déterminer les virus auxquels un individu a été exposé
au cours de sa vie, en détectant les anticorps produits par son système
immunitaire pour s’en protéger. Ce
test nécessite moins d’une goutte de
sang et coûte 25 dollars (22,30 euros).
De tels procédés pourraient permettre
de dépister précocement certaines infections, mais aussi de déterminer si
une vaccination ou un rappel sont
nécessaires. p
sandrine cabut
6|
0123
Mercredi 1er juillet 2015
| SCIENCE & MÉDECINE |
Quand l’avenir
des forêts
se dessine
De l’intérêt de glisser des cadavres dans le béton
le livre
L’enjeu complexe des forêts et
de leur gestion durable décrypté
et vulgarisé par l’image
laurent brasier
L’
équivalent de quatorze terrains de
football de surface forestière disparaît chaque minute dans le monde.
Ces chiffres coups de poing contribuent à sensibiliser le grand public au fait que
la forêt, et notamment la forêt tropicale, est un
conservatoire de biodiversité de plus en plus
menacé. Toutefois, le phénomène vu d’Europe
reste abstrait. Et, surtout, la question est plus
complexe qu’elle n’en a l’air. Pour ne prendre
qu’un exemple, l’exploitation du bois entraîne
un appauvrissement, mais ce sont les impacts
indirects qui posent problème : les routes fractionnent les massifs, facilitent l’accès au gibier
pour les chasseurs et encouragent l’installation
des agriculteurs migrants, conduisant au véritable processus de déforestation.
Ce territoire que tout le monde croit connaître, mais que personne ne sait définir (la superficie de la forêt africaine varie du simple au
double selon les définitions), est faussement
familier. Partir à la rencontre de ce « continent » méconnu est la première étape du petit
livre conçu par la journaliste Isabelle Biagiotti
et le chercheur spécialiste des forêts tropicales
Stéphane Guéneau (Centre de coopération international en recherche agronomique pour le
développement), et publié dans la très pédagogique collection « Infographie » de Belin.
Le pari : proposer des doubles pages où chiffres, graphiques et textes concis multipliant
les exemples, complétés par des points de vue
d’experts, se répondent. Sur un sujet aux ramifications aussi étendues, la gageure est élégamment tenue. Données et cartes parlent d’ellesmêmes. L’huile de palme, ennemie des forêts ?
Il n’est qu’à confronter la diminution spectaculaire des sols forestiers en une poignée d’années et le quasi-triplement de la surface cultivée en palmiers à huile dans la partie
indonésienne de Bornéo pour avoir un début
de réponse. La richesse de l’ouvrage est de rendre le lecteur acteur de sa propre découverte.
Celle-ci concerne aussi les hommes qui vivent dans ou de la forêt : un humain sur six. Le
gros du contingent est constitué de petits agriculteurs et non des peuples autochtones auxquels on pense spontanément. Suivent des
thématiques plus touffues avec un parti pris
graphique. La gestion durable – une des infographies récapitule huit siècles (!) de gestion
des forêts en France depuis l’ordonnance de
Philippe Auguste en 1219 –, qui est loin de se
résumer à la création d’espaces protégés. Puis
les réponses apportées au plan international
pour la gestion et la protection des forêts face
au réchauffement climatique. C’est l’occasion
d’y voir un peu plus clair dans les certifications
(FSC, PEFC), de prendre conscience de l’ampleur de l’exploitation illégale, ou de se faire un
avis sur le principe du paiement pour services
environnementaux (PSE), qui tient compte des
services écosystémiques rendus par les forêts.
Osera-t-on dire, au final, que ce petit livre
aura parfaitement su défricher son sujet ? p
L’Avenir des forêts ?, de Stéphane Guéneau et
Isabelle Biagiotti (collection «Infographie»,
Belin, 80 p., 19 €).
Livraison
Hors-série
« A nous l’espace ! »
Ce hors-série de Courrier international (publication du groupe Le Monde), constitué comme il
se doit d’articles de la presse étrangère, renoue
avec l’esprit de la conquête spatiale. Il y est
question de l’après-Station spatiale internationale, de projets d’exploration lunaire ou martienne, des ambitions du tycoon Elon Musk et
de la Chine surpuissante. Mais aussi de sujets
plus décalés, comme « L’instauration de la loi
martienne », l’essorage des candidats au tourisme spatial ou un documentaire géocentriste.
> « Courrier international », “A nous
l’espace !” (juin-juillet-août, 76 p., 8,50 €).
RENDEZ-VOUS
improbablologie
Pierre
Barthélémy
Journaliste et blogueur
Passeurdesciences.blog.lemonde.fr
(PHOTO : MARC CHAUMEIL)
O
n n’a jamais retrouvé le
corps de Jimmy Hoffa. Disparu en 1975, l’ancien président du Syndicat américain
des camionneurs n’a probablement
pas survécu à une rencontre amicale
avec des membres de la Mafia. La
légende raconte que, en 1985,
Anthony Giacalone, un des chefs du
crime organisé à Detroit (Michigan),
passant en voiture près du Renaissance Center, siège de la société General Motors, désigna le groupe de
gratte-ciel en lançant aux sbires qui
l’accompagnaient : « Dites bonjour à
Jimmy Hoffa, les gars. » Précisons
qu’au moment de la disparition du
syndicaliste, on coulait le béton des
fondations du Renaissance Center…
Des chercheurs italiens
Même si cette histoire relève sans
doute plus du fantasme que de la réalité, force est de constater que la Mafia
n’est jamais en manque d’imagination quand il s’agit de se débarrasser
d’un colis encombrant doté d’une
tête, de deux bras, de deux jambes et
d’un torse pour relier le tout, du
moins au départ. Et qu’elle pose, ce
faisant, d’intéressantes questions à la
science. On a déjà évoqué dans cette
chronique la recette du cadavre dissous dans de l’acide sulfurique, des
chercheurs italiens ayant montré que
le procédé n’était pas aussi rapide que
ce que certains repentis prétendaient.
Il faut désormais, pour faire juste
mesure, parler d’une autre étude, italienne elle aussi – on se demande bien
pourquoi… –, sur les effets posthumes
du coulage de macchabée dans le béton, à moins que ce ne soit l’inverse.
Paru en 2013 dans The American
Journal of Forensic Medicine and
Pathology, cet article déplore que la
seule littérature scientifique disponible sur le sujet se résume à quelques
études de cas tout droit issus de la
rubrique des faits divers. Personne
n’ayant fait l’effort de s’intéresser de
manière rigoureuse au devenir des
corps lorsqu’ils ont été malicieusement transformés en matériau de
construction, cette équipe de médecins légistes et vétérinaires a donc
décidé de combler cette lacune. Selon
elle, ce type d’étude est nécessaire
pour s’assurer que la médecine légale
rendra de bonnes conclusions, notamment lorsque les causes du décès
ne seront pas évidentes.
N’ayant pas de mafieux récemment
décédé sous la main, les chercheurs
se sont donc procuré non pas trois
mais quatre petits cochons, morts,
précise le texte, de causes naturelles
– et non pas garrottés à l’aide d’une
corde de piano par un homme en cos-
tume rayé assis derrière eux dans une
voiture. Ces animaux étant, au moins
sur le plan anatomique et sur celui du
régime alimentaire, de bons homologues de l’être humain, les cadavres
des porcelets ont été placés dans du
béton frais, les chercheurs ayant pour
mission de casser les gangues un,
deux, trois et six mois après le début
de l’expérience, et d’autopsier ce
qu’ils trouveraient à l’intérieur.
Le principal résultat a été de constater que, en l’absence d’oxygène mais
aussi d’insectes, la décomposition ne
suivait pas ses étapes habituelles. Certes, les viscères étaient mal préservés
mais, au niveau de l’aspect extérieur,
la putréfaction avait dû s’arrêter assez
vite. Un autre processus chimique
avait pris la relève : la saponification,
c’est-à-dire la transformation des
graisses du corps en une substance
savonneuse, cireuse, dont les auteurs
de l’étude disent qu’elle avait la texture de certains fromages. Ils ajoutent
qu’il est donc difficile d’estimer, pour
un médecin légiste, le temps qu’un
cadavre pris dans du béton a bien pu
y passer. Comme c’est souvent le cas
en science, ces chercheurs réclament
donc des études complémentaires. p
JIE YANG (À GAUCHE)
ET JAVIER ORTEGA-HERNANDEZ
Un ver préhistorique
en armure
affaire de logique
L’explosion du cambrien, il y a un demi-milliard
d’années, a fait naître des êtres aux formes improbables, comme Collinsium ciliosum, un animal au corps mou protégé par des épines. Des
fossiles découverts dans le sud de la Chine sont
décrits dans PNAS du 29 mai. Ce ver marin de
5 cm de long devait se nourrir de matière organique filtrée par ses six paires de pattes antérieures velues, tandis que 72 épines le protégeaient
des prédateurs. Il serait un lointain ancêtre des
péripates ou onycophores, qu’on trouve dans les
forêts humides de l’hémisphère Sud. p
RENDEZ-VOUS
| SCIENCE & MÉDECINE |
0123
Mercredi 1er juillet 2015
|7
Un « crabe-yéti »
découvert dans
l’Antarctique
zoologie
nathaniel herzberg
C
Bruno Sicardy
à l’Observatoire
de Meudon,
le 29 mai.
STÉPHANE REMAEL
POUR « LE MONDE »
vahé ter minassian
I
l aime rester dans l’ombre. Non parce
qu’il fuirait la publicité, mais par passion pour le phénomène astronomique. A 57 ans, Bruno Sicardy, professeur à l’université Pierre-et-Marie-Curie, attaché au Laboratoire d’études
spatiales et d’instrumentation en astrophysique (Lesia), est un membre éminent de la
confrérie des chasseurs d’« occultations stellaires ». Un « fédérateur », « persuasif sans être
agressif » et qui « sait jouer collectif », assurent ses pairs.
Contemplée par une belle nuit d’été, avec le
regard du poète las de l’agitation de la vie
citadine, la voûte céleste semble immuable.
Figée pour l’éternité. Mais que le rêveur s’arrache à sa méditation philosophique pour
pointer un télescope vers le ciel et observer
avec attention. Et, ô miracle ! Il le constatera
lui-même : de temps à autre, dissimulée durant quelques secondes par la silhouette
sombre d’un objet mystérieux et inconnu se
déplaçant au premier plan, une étoile du firmament disparaît !
La tâche confiée à Bruno Sicardy est de tirer
parti de ce clin d’œil des astres pour dévoiler
les caractéristiques des corps – planètes,
lunes, astéroïdes, anneaux… – peuplant cette
banlieue de la Terre qu’est le Système solaire.
C’est que, explique le chercheur en proposant au visiteur d’aller admirer le télescope
de 1 mètre de l’Observatoire de Meudon qu’il
utilise pour former ses étudiants : « La lumière des étoiles est un outil sans égal pour
sonder ces objets et dévoiler leurs particularités. » Beaucoup plus puissant, dans certains
cas, que les plus grands instruments inventés
par l’homme, Hubble compris !
Certes, l’idée n’est pas nouvelle. « Déjà, dans
les années 1960, les astronomes déduisaient le
diamètre des grosses étoiles de la façon dont
leur rayonnement était diffracté sur le bord du
disque lunaire », rappelle Bruno Sicardy. A
l’époque, certains ont pensé inverser le processus pour s’intéresser non plus à l’occulté
mais à l’occultant. En mesurant la baisse de
luminosité apparente de l’étoile, produite par
le passage d’un objet dans la ligne de visée, il
serait possible, imaginent-ils, de connaître
avec précision la durée du phénomène. « Une
donnée qui, combinée avec des informations
sur l’orbite du corps “dissimulateur”, permettrait de calculer sa taille avec une marge d’erreur moindre par rapport aux autres techniques. » La méthode conduirait aussi à établir
sa « forme générale ». Et, en raison des empreintes caractéristiques laissées sur le signal,
donnerait la « preuve » de la présence d’un anneau ou d’une atmosphère dont le profil de
densité, de pression ou de température en
fonction de l’altitude deviendrait, lui aussi,
accessible ! Une dizaine d’années seront nécessaires avant de voir aboutir ces projets.
Entre-temps, Bruno Sicardy se sera embarqué dans l’aventure. Lorsque, à la fin des années 1970, ce normalien né à Monaco rejoint, dans le cadre d’un DEA de physique, le
groupe de Michel Combes et de Jean Lecacheux, de l’Observatoire de Paris, une équipe
américaine vient juste de démontrer, par la
méthode des occultations stellaires, l’existence des anneaux d’Uranus. Dès lors, on
impose à l’étudiant des travaux sur la dynamique de ces structures qui se prolongeront
par une thèse. Avec André Brahic et Fran-
Bruno Sicardy,
chasseur transneptunien
| Cet astronome parcourt la planète pour être pile
dans l’alignement d’étoiles et de petits astres
dont les caractéristiques se révèlent lors de ces rendez-vous
portrait
çoise Roques, Bruno Sicardy a alors l’idée de
proposer un programme d’observation de
Neptune qui aboutit, en 1984, à la révélation
de ses fameux « arcs » ou « anneaux incomplets ». Une formidable découverte confirmée, cinq ans plus tard, par la sonde Voyager 2, dont le scientifique avoue aujourd’hui
être particulièrement fier.
Titularisé, le jeune chercheur se consacre à
des travaux théoriques tout en gardant un
œil rivé au télescope : mesure de la finesse
des anneaux de Saturne, estimation précise
du diamètre de la lune Titania et première
mise en évidence des « ondes de gravité » circulant dans l’atmosphère de Titan.
Pourtant, déjà, son regard est ailleurs.
En 1992, une équipe américaine découvre le
premier des « transneptuniens », des corps
voguant au-delà de l’orbite de Neptune et
dont près de 2 000 – parmi lesquels Pluton
et sa lune Charon – sont connus à ce jour.
Trop éloignés, trop froids, trop petits, ils
sont difficilement appréhendables par les
Avec son équipe, il s’est propulsé
au tout premier rang mondial,
enrichissant son tableau de chasse
de données inédites
sur une douzaine d’objets
méthodes classiques. C’est pain bénit pour le
groupe de Bruno Sicardy, qui parcourt la planète pour réussir à placer à temps ses instruments dans l’étroite bande – sa largeur est
égale à celle du diamètre du corps visé –,
d’où les occultations stellaires pourront être
observées… durant quelques dizaines de secondes ! Une course perpétuelle contre la
montre car, déplore l’astronome, « en attendant les résultats de la mission d’astrométrie
spatiale Gaia (de l’Agence spatiale européenne), partie en 2013, l’imprécision des
éphémérides limite la capacité à prévoir très
en avance le phénomène ».
Equateur, Nouvelle-Zélande, Italie, Brésil…
les expéditions se succèdent. Et les souvenirs
de voyages, occasions de tisser des amitiés
durables ou d’admirer des paysages grandioses, s’accumulent. Il s’agit, à chaque fois, « de
se mettre en rapport avec les astronomes
locaux, de les convaincre de prêter leur matériel et, souvent en leur compagnie, de prendre
la route pour identifier les sites d’où il sera possible, en y répartissant des équipes, de mesurer
le phénomène ».
Et, lorsque l’on ne se déplace pas soi-même,
d’organiser le départ des volontaires européens de la IOTA/ES (European International
Occultation Timing Association) ou de
contacter des clubs dont il faut s’occuper
sur tous les continents ! « L’un des grands
mérites de Bruno Sicardy est d’avoir réussi à
fédérer autour de son projet, tant par son
enthousiasme que par son sens du contact,
une communauté de volontaires, amateurs
comme professionnels, sans qui rien ne serait
possible », observe l’un de ses confrères, François Colas, de l’IMCCE. De fait, ce n’est qu’à
partir de 2009 que ces recherches ont obtenu
un soutien financier de l’Agence nationale
pour la recherche.
Incontestablement, ces efforts ont été
payants. En quelques années, l’équipe de
Bruno Sicardy, qui bénéficie depuis cette
année d’une bourse ERC du Conseil européen de la recherche, s’est propulsée au premier rang mondial du domaine. Enrichissant, au rythme de cinq à dix observations
par an, son tableau de chasse de données inédites sur une douzaine d’objets « transneptuniens ». Charon, Eris, Makemake, Quaoar,
Varuna, Ixion… n’ont livré que leurs tailles et
leurs formes. Mais Chariklo a dévoilé des anneaux, faisant en 2014, du minuscule « centaure » le premier corps non planétaire doté
d’un tel système.
Pluton, qui sera visitée en juillet par la
sonde New Horizons de la NASA, a elle aussi
été surveillée. En 2003, les chercheurs ont
établi que son atmosphère ténue, découverte
quinze ans plus tôt, subissait actuellement
une phase d’expansion. « Une conséquence
probable des cycles saisonniers particuliers à
cet astre », estime Bruno Sicardy. Mais les interrogations concernant son étrange climat,
réglé par la sublimation des glaces qui la recouvrent, demeurent. « Pourquoi en est-elle
dotée et non sa lune Charon ? Certes, cette dernière est trop petite pour retenir une atmosphère. Mais Makemake, qui a une taille intermédiaire, n’en a pas non plus. De même
qu’Eris, qui est pourtant à peine moins gros
que Pluton. Il est vrai que ce corps est très éloigné. En se réchauffant à l’approche du Soleil,
ses glaces formeront-elles une atmosphère ?
Où se trouve la limite ? », demande l’astronome, pensif, en regardant le ciel. p
ette fois, c’est officiel : un yéti a été
découvert. Ou plutôt des yétis, des
milliers de yétis, entassés non pas
dans la neige, comme le mythique
et abominable animal du même nom, mais
à 2 400 mètres de profondeur, dans les eaux
hostiles de l’océan Antarctique. L’annonce a
été faite par une équipe de biologistes britanniques dans la revue PLoS One, le 24 juin.
Pour être tout à fait honnête, il convient
d’ajouter deux choses. D’abord que cette créature, petite par sa taille – 5 cm en moyenne,
pattes comprises –, est un crustacé. Ensuite,
que deux espèces de « crabes-yétis » avaient
déjà été découvertes : l’une, en 2005, dans le
sud du Pacifique, par une équipe française de
l’Ifremer ; l’autre, en 2010, dans l’Atlantique, au
large du Costa Rica. Officiellement nommée
Kiwa, la famille avait reçu son surnom en
raison de l’apparence poilue de sa carapace.
La découverte de l’équipe des universités de
Southampton et de Cambridge reste pourtant
spectaculaire. Car Kiwa tyleri ne vit pas n’importe où. Il a colonisé les grands fonds de
l’océan Antarctique, l’une des mers les plus
hostiles et froides de la planète. Là-bas, à la
limite de la mer de la Scotia, au sud-est de la
Terre de feu, à 2 400 m de fond, la lumière est
presque inexistante. La pression, à l’inverse,
est considérable : 240 atmosphères, soit
240 fois la nôtre. Quant à la température, elle
flirte avec 0 °C, parfois même un peu moins.
Pour survivre dans ce milieu, Kiwa a trouvé
plusieurs parades. D’abord, il s’installe au pied
des cheminées hydrothermales. A leur sommet, quelques mètres ou dizaines de mètres
plus haut, ces fameux « fumeurs » crachent
un fluide sulfuré à 350 °C. « La pression est telle
que 20 cm plus loin l’eau est déjà redescendue
à 40 °C, insiste Sven Thatje, de l’université de
Southampton, premier signataire de l’étude. A
la base de la cheminée, l’eau avoisine 25 °C. Sauf
que, là encore, elle redescend très vite. Kiwa ne
dispose donc que de quelques mètres cubes de
territoire pour vivre. »
« Kiwa tyleri » vit à 2 400 m de profondeur.
SVEN THATJE
Pour profiter de cette denrée rare, Kiwa a
choisi la concentration : plus de 700 spécimens au mètre carré. « L’espèce a même trouvé
la ressource collective de présenter différentes
tailles d’individus, de façon à mieux occuper
l’espace, précise, admiratif, Sven Thatje. Un
peu comme si vous vouliez maximiser le nombre de petits pois dans une boîte… »
Dans ces conditions, difficile de beaucoup
bouger. Certes, les griffes dont sont pourvues
ses pattes permettent au crustacé de progresser sur des surfaces verticales. Mais de là à
chercher de la nourriture… Qu’à cela ne
tienne : c’est la nourriture qui vient à Kiwa.
Comme ses deux cousins, le crabe-yéti de l’Antarctique se nourrit de filaments de bactéries
qu’il recueille sur sa carapace. Or ces organismes ne survivent pas aux eaux glaciales.
Tout semble donc établi pour faire de Kiwa
tyleri un animal installé à demeure dans une
oasis d’eau tiède, au milieu d’un désert de
froid intense. « C’est ce que nous pensions, raconte Sven Thatje. Sauf que, au cours d’une de
ses plongées, notre submersible a filmé des mères légèrement éloignées, puis des larves, plus à
distance encore, et isolées, dans une eau à zéro
degré. » Les scientifiques ont pu établir que la
mère cessait de s’alimenter pour aller pondre
dans l’eau froide. « Une fois nées, les larves
n’ont pas besoin de s’alimenter pendant plusieurs semaines, peut-être plusieurs mois,
jusqu’à leur retour dans la colonie… »
Reste encore une question. Kiwa tyleri a été
retrouvé sur deux sites, distants de 600 kilomètres. Sachant que les adultes ne sont pas
adaptés à l’eau froide et que les larves ne
nagent pratiquement pas, comment l’animal
est-il passé de l’un à l’autre ? Un dernier
mystère du yéti. p
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Mercredi 1er juillet 2015
| SCIENCE & MÉDECINE |
Un laser tord la lumière des éclairs
La trajectoire d’un éclair a tout
d’erratique, et la décharge qui
l’accompagne tombe un peu
n’importe où. Le rêve de contrôler
ce phénomène, pour protéger les
personnes ou les bâtiments, a pour
l’instant échoué, mais une équipe
internationale réunissant
notamment l’Institut national de la
recherche scientifique (Québec),
l’université de Floride centrale et
l’Ecole polytechnique vient de faire
des démonstrations spectaculaires à
petite échelle montrant qu’il n’est
peut-être pas inaccessible. La
technique, décrite le 19 juin dans
Science Advances, pourrait avoir des
applications en microsoudure, en
micro-usinage (découpe de pièces à
l’aide de fortes décharges), ou
encore pour brouiller des systèmes
électroniques. La nouveauté est
d’avoir trouvé le moyen de courber
les éclairs, et pas seulement pour les
canaliser en ligne droite – cela a été
réalisé dans les années 2000 sur
quelques mètres avec un laser
transportable, le Teramobile.
« Mais personne n’a encore réussi à le
faire sur les centaines de mètres
nécessaires pour les éclairs
extérieurs », rappelle Arnaud
Couairon, du Centre de physique
théorique (CNRS-Polytechnique),
coauteur de l’étude. Le principe est
le suivant : l’énergie apportée par un
laser crée une sorte de canal virtuel
que les électrons suivront. L’astuce
pour courber le canal est le recours
à un faisceau laser dit « d’Airy »,
dont l’« œil » intense bouge le long
de la trajectoire. p
david larousserie
Trois configurations pour contrôler les éclairs
Le principe
Le laser intense ionise et chauffe l’air. Le long de ce
« canal », l’air se détend, abaissant ainsi la densité
locale. Les charges suivront ce chemin, car il offre
moins de résistance électrique.
Profil d’intensité
du laser
Laser
Molécules
dans l’air
5 cm
1
Arrivée
du laser
Lentille
Un faisceau normal, intense entre les deux électrodes,
crée des arcs peu rectilignes et aléatoires.
Sortie
du laser
Laser
Zone
moins
dense
2
Lentille conique
Un faisceau focalisé par un cône permet d’avoir
une intensité quasi identique sur le chemin entre les électrodes :
l’éclair résultant est droit.
Eviter les obstacles
En choisissant les bons masques, il est même
possible que l’arc électrique contourne un
obstacle. Cela permettrait des micro-usinages
lorsque le point d’impact est obstrué par une autre
pièce.
Laser
Obstacle
3
Masque et lentille
Des « masques » déforment le laser de sorte que le pic
d’intensité se propage sur un arc de cercle (la lumière,
elle, file tout droit). L’éclair se courbe.
INFOGRAPHIE : HENRI-OLIVIER
SOURCES : CLERICI ET AL., SCIENCE ADVANCES, 19 JUIN
Pour Yves Lévy, directeur de l’Inserm, les avancées de la médecine bouleversent l’administration du soin
et l’organisation du système de santé. Ces mutations représentent de nouveaux enjeux pour la France
Six défis collectifs pour la biomédecine du XXIe siècle
|
I
l aurait été impossible de prédire, voilà
cinquante ans, les défis relevés et les progrès réalisés aujourd’hui en sciences de la
vie et de la santé. Chercheurs, médecins,
acteurs de santé et patients, nous avons
vécu une transformation radicale des méthodes et des concepts en biomédecine. Cette révolution scientifique et technologique a peu de
précédents.
Alors que le séquençage d’un génome humain
aura nécessité dix ans et coûté plus de 2,4 milliards de dollars (2,15 milliards d’euros), il est désormais possible de séquencer en routine, en
quelques heures, la partie codante du génome
pour moins de 1 000 euros.
En parallèle, les données accumulées massivement sur les systèmes biologiques permettent
de modéliser le vivant. Les méthodes d’intégration de ces données, ainsi que notre capacité à
les analyser et modéliser, modifient aujourd’hui
la conception des principes actifs des médicaments, la prédiction grâce à l’informatique des
réponses aux drogues, le « screening » de molécules, et, au-delà, le vaste champ de la biologie de
synthèse.
La reprogrammation des cellules différenciées
en cellules-souches pouvant donner tous types
de cellules représente aussi une avancée majeure. Plus récemment, la technologie Crispr/
Cas9 ouvre la porte à l’« editing » du génome
– c’est-à-dire sa modification. Si ces transformations touchent aux gènes codant pour les cellules sexuelles, il devient alors possible de transmettre des caractères modifiés à la descendance.
D’où le cri d’alarme pour un moratoire lancé par
plusieurs scientifiques, dont le Prix Nobel David
Baltimore. Cet exemple illustre bien que la technologie a été plus rapide que notre capacité à réfléchir et à encadrer les limites éthiques de ces
nouvelles approches.
Ces avancées dessinent une médecine d’un
genre très différent de celle qui nous était familière : une médecine alimentée par la recherche
fondamentale, multidisciplinaire et translationnelle ; une médecine prédictive et régénérative ;
une médecine de précision, mini-invasive et à
haut ciblage ; une médecine dépendante de la
gestion intelligente des données massives (big
data) ; une médecine embarquée et téléportée,
« e-médecine » qui intègre les avancées du numérique et de la robotique ; une médecine mondialisée enfin, qui doit sans cesse s’adapter.
Pour le patient, ces évolutions engendrent la
mise en place d’une médecine individualisée,
tribune
|
dite aussi personnalisée ou de précision. On le
voit avec les progrès considérables réalisés en
oncologie : chaque tumeur a sa propre signature. Cela modifie d’ores et déjà notre définition
du risque, du diagnostic et du traitement de la
maladie.
Ces mutations en cours bouleversent l’administration du soin et l’organisation du système
de santé. Elles posent un certain nombre de défis transversaux pour la France.
Renforcer le lien entre recherches fondamentale et translationnelle La division entre recherches fondamentale et appliquée est définitivement artificielle. La médecine translationnelle n’est pas un continuum linéaire allant de la
bonne idée abstraite en laboratoire à l’application concrète au lit du patient, mais plutôt dépendante d’allers et retours, empruntant parfois
des chemins de traverse, ou pouvant conduire à
des impasses. Cette nouvelle donne pose la question de la prise de risque nécessaire dans le financement de cette recherche.
Développer les infrastructures d’analyse des
données (big data) En santé publique, l’analyse
des données personnelles est au cœur du parcours de soins et de prévention. C’est un enjeu
fort de la loi de santé, avec la mise en place du
système national des données de santé (SNDS). A
cela s’ajoutent la gestion des informations numériques de natures diverses (échantillons de
tissus biologiques, imagerie, cohortes) et des
données privées issues de multiples capteurs de
bien-être utilisés par une population de plus en
plus connectée et attentive à sa santé.
Permettre l’accélération de la chaîne d’innovation Dans cette nouvelle biomédecine, une
stratégie de santé passe par la reconnaissance de
la complexité et de l’autonomie de l’innovation.
La confusion entre politique de recherche et développement (R&D) et innovation peut être problématique : il n’existe pas de lien mécanique
entre l’investissement dans la R&D et une efficacité en termes de retombées innovantes. Plutôt
que de tirer au maximum la recherche vers son
volet finalisé, il faut surtout financer une bonne
recherche en créant les conditions opportunes
d’innovation et de valorisation. A mélanger les
deux, nous risquons de sacrifier des recherches
de rupture à plus long terme, sans pour autant
créer les vrais leviers pour innover à court
terme.
Inventer un nouveau modèle économique et
partenarial aux interfaces public-privé La médecine est partagée entre recherche académique et partenaires industriels, sachant qu’un
tissu industriel solide est indispensable à la
maturation de l’invention puis à sa mise sur le
marché. L’innovation provient de plus en plus
de petites biotechs ou start-up, créées à partir de la recherche académique, reprises par
l’industrie. S’y ajoutent les industriels des données, car le domaine de la santé ne sera plus
la seule affaire des acteurs du médicament, du diagnostic, du dispositif ou de l’instrumentation.
Repenser les mécanismes d’évaluation et
d’estimation du prix de l’innovation en santé
Il est nécessaire de garantir un équilibre entre
les économies à court terme pour l’assurancemaladie d’une part, et la reconnaissance du progrès lié à un nouveau médicament d’autre part.
L’émergence de la médecine de précision pose
avec acuité le problème de l’évaluation de l’innovation. On va traiter des sous-types de pathologies et des sous-familles de malades, avec des bénéfices restreints sur des populations restreintes : comment assume-t-on les coûts de
l’innovation jusqu’au terme de son parcours ? Et
qui décide du bénéfice ?
Garantir le passage de la recherche vers la clinique puis l’égalité d’accès à l’innovation Les
approches thérapeutiques les plus prometteuses
devront être testées dans des essais pilotes avant
d’être étendues à une population plus large. Il
devient illusoire d’organiser des essais cliniques
de phase III (sur des milliers de patients) pour
des cibles à faible démographie. La capacité d’innovation implique le développement d’essais
adaptatifs pour juger du bénéfice potentiel d’un
nouveau traitement. Dès lors, il convient de repenser la manière d’approuver la mise sur le
marché de médicaments innovants, peut-être
en conditionnant leur mise à disposition et leur
remboursement à l’accumulation des données,
de sorte que le soin puisse rester alimenté par la
recherche.
Les immenses espoirs soulevés par la biomédecine émergente créent des attentes que nous
ne pouvons décevoir. Une réflexion collective,
large, intégrant tous les acteurs, est plus que jamais nécessaire pour transformer nos progrès
en une réalité partagée par tous, et pour garantir
les avancées de nos connaissances. p
¶
Yves Lévy,
PDG de l’Institut
national de la santé et
de la recherche médicale
(Inserm), président de
l’Alliance nationale pour
les sciences de la vie et
de la santé (Aviesan).
Le supplément « Science
& médecine » publie
chaque semaine une
tribune libre ouverte au
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