ariosita et artificiosita dans les madrigaux de giovanni de macque
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ariosita et artificiosita dans les madrigaux de giovanni de macque
Université Paris Sorbonne (Paris IV) École doctorale V, « Concepts et Langages » Alma Mater Studiorum, Università di Bologna « Musicologia e beni musicali » Thèse pour obtenir le grade de Docteur de l'Université de Paris Sorbonne Discipline : Musicologie Présentée et soutenue publiquement le 5 décembre 2007 par DEUTSCH Catherine Ariosità et artificiosità dans les madrigaux de Giovanni de Macque (1581-1597) Directeurs de recherche : M. le Professeur Frédéric BILLIET M. le Professeur Angelo POMPILIO Jury M. Jacques BARBIER (Université de Tours) M. Frédéric BILLIET (Université Paris IV Sorbonne) M. Anthony NEWCOMB (University of California) M. Angelo POMPILIO (Università di Bologna-Ravenna) M. Massimo PRIVITERA (Università della Calabria) 1 Remerciements J’adresse mes plus grands remerciements à toutes les personnes qui m’ont aidée dans la réalisation de cette thèse : mes directeurs, Frédéric Billiet et Angelo Pompilio, qui ont patiemment guidé mon travail ainsi qu’Anthony Newcomb, qui m’orienta dès le début de mes recherches vers le compositeur Giovanni de Macque. Mes remerciements vont également à Lorenzo Bianconi, ainsi qu’à Gérard Geay et Massimo Privitera pour leurs conseils avisés sur la reconstruction de la voix d’alto du Terzo libro de madrigali a cinque voci. Je remercie aussi Riccardo Teichner, Daniele Baglioni et Valentina Bazzocchi de m’avoir éclairée sur le sens de certaines vers italiens particulièrement obscurs, ainsi que Maryvonne Deutsch, Juliette Mathieu, Raphaëlle Legrand, Miriam Lopes, Nicolas Mondon, Nicolas Corréard, Jalal Zaïm, Céline Letemplé, Roberto Teichner, Javier Domingo et Natalie Lithwick pour leurs relectures et leurs suggestions. 2 Nota bene : Les abréviations suivantes ont été utilisées pour désigner les recueils de Macque : I.6 : Primo libro de madrigali a sei voci a456 : Madrigali a quattro, cinque et sei voci MN1 : Madrigaletti et napolitane MN2 : Secondo libro de madrigaletti et napolitane I.5 : Primo libro de madrigali a cinque voci I.4 : Primo libro de madrigali a quattro voci II.5 : Secondo libro de madrigali a cinque voci II.6 : Secondo libro de madrigali a sei voci III.5 : Terzo libro de madrigali a cinque voci IV.5 : Quarto libro de madrigali a cinque voci III.4 : Terzo libro de madrigali a quattro voci VI.5 : Sesto libro de madrigali a cinque voci Le Répertoire International des Sources Musicales, B/I, Recueils imprimés XVIe-XVIIe siècles, (éd. François Lesure, München/Duisburg, Henle, 1960) est désigné par le sigle RISM. 3 Introduction Giovanni de Macque 1 (Valenciennes, vers 1550 – Naples, 1614), personnage central de la vie musicale romaine et parthénopéenne de la fin de la Renaissance, « insigne maître de la chapelle royale de Naples, musicien et organiste exceptionnel et très excellent ainsi qu’en témoignent ses œuvres » 2 , comme le décrit Pietro Cerone dans son traité El melopeo y maestro, après avoir joui d’une certaine résonance dans les écrits musicaux des premières décennies du Seicento 3 , tomba vite, comme la grande majorité de ses contemporains, dans un oubli quasi total. Lorsque le nom de Macque réapparut dans les travaux des historiographes du XIXe siècle, ces derniers installèrent une certaine confusion quant aux données biographiques le concernant 4 , qui ne fut levée qu’en 1930 grâce aux précieuses recherches d’Ulisse Prota-Giurleo dans les archives napolitaines 5 . Les travaux de Prota-Giurleo, qui servent de point de référence à la totalité des études sur Macque depuis lors, permirent en effet de déterminer avec certitude 1 Plusieurs raisons m’ont poussée à privilégier la dénomination italienne du compositeur, et non sa traduction en français, Jean de Macque, que l’on rencontre dans certains travaux. Tout d’abord, « Jean de Macque » n’apparaît, à ma connaissance, dans aucun document de l’époque ; il est donc tout à fait possible que personne n’ait jamais appelé réellement ainsi le compositeur. D’autre part, le madrigaliste, considéré par Scipione Cerreto « napolitain par ancienneté » (« per antichità napolitano », in CERRETO Scipione, Della prattica musicale vocale et strumentale, Napoli, Carlino, 1601, p. 156), signait systématiquement ses lettres du nom de « Giovanni de Macque », nom qui apparaît également ainsi dans l’acte notarié de son mariage. 2 « Señor Juan Demacque, dignissimo maestro de la capilla real de Naples, musica y organista singular y muy eccelente, come sus obras dan testimonio dello. », in CERONE Pietro, El melopeo y maestro, Napoli, Gargano et Nucci, 1613, p. 757. 3 Pour un exposé des divers témoignages ou éloges sur Macque par ses contemporains, voir CLERCX Suzanne, « Jean de Macque et l’évolution du Madrigalisme », Festschrift Joseph Schmidt-Görg zum 60. Geburtstag, éd. Dagmar Weise, Bonn, Beethovenhaus, 1957, p. 77. Cet inventaire est repris et amplifié dans SHINDLE Richard, The Madrigals of Giovanni de Macque, PhD non publié (Indiana University), Ann Arbor, UMI, 1970, p. 24-29. 4 Van Maldeghem indique dans sa note biographique sur Macque que celui était né en 1525 et avait obtenu le poste de maître de chapelle en 1540 (voir VAN MALDEGHEM Robert-Julien, Le trésor musical. Collection authentique de musique sacrée et profane des anciens maîtres belges. Musique religieuse, Bruxelles, C. Muquardt, 1865, vol. 1, p. viii), information reprise successivement par Fétis, qui attribua également un recueil de Canzonette alla napolitana inexistant (voir FETIS François-Joseph, Bibliographie universelle des musiciens, Paris, Firmin Didot, 1878, vol. 6, p. 218). Robert Eitner reporte lui aussi ces données biographiques tout en notant qu’il semblait difficile que Macque ait été nommé maître de chapelle à l’âge de 15 ans (voir EITNER Robert, Biographisch-bibliographisches Quellen-Lexikon der Musiker und Musikgelehrten bis zu Mitte des 19. Jh., Leipzig, Breitkopf und Härtel, 1900-1904, vol. 6, p. 266). Carlo Schmidl, conscient qu’il s’était écoulé trop de temps entre la date de naissance présumée du compositeur et sa première publication en 1575, envisagea ensuite l’existence de deux Macque (voir SCHMIDL Carlo, Dizionario universale dei musicisti, Milano, Sonzogno, 1938, vol. 2). Van der Straeten, en se basant sur le nom du compositeur, affirma que Macque était originaire du Brabant, hypothèse infirmée par la suite (voir VAN DER STRAETEN Edmond, La musique aux PaysBas avant le XIXe siècle, Bruxelles, C. Muquardt, 1867-1888, vol.4, p. 64). 5 PROTA-GIURLEO Ulisse « Notizie sul musicista belga Jean Macque, maestro della real cappella di palazzo in Napoli », Archivi d’Italia e rassegna internazionale degli archivi, XXIV, 1957, p. 336-343 (première édition : « Notizie sul musicista belga Jean Macque », Société internationale de musicologie. Premier congrès. Liège, 1er au 6 septembre 1930, Nashdom Abbey, Plainsong and Mediaeval music Society, s. d., p. 191-197). 4 l’origine du compositeur, la date approximative de sa naissance, mais surtout de reconstruire une grande partie de sa carrière à Naples depuis son arrivée à la cour de Gesualdo vers 1585 jusqu’à sa mort en 1614. Le musicologue napolitain se basa sur de nombreux documents d’archives et sur les dédicaces des publications de Macque, riches en informations – de ses origines valenciennoises, à sa formation auprès de Philippe de Monte, en passant par le nom de ses protecteurs romains puis napolitains. Outre les divers travaux confirmant la présence de Macque au sein de Compagnia dei Musici di Roma progressivement pris en compte par les biographes 6 , deux autres articles permirent de reconstruire des fragments de la carrière du compositeur. Des recherches d’Albert Smijers 7 dans les archives de la cour impériale viennoise, il est apparu que Macque (orthographié Johann Mackh dans les registres), y fut Kantoreiknabe jusqu’en 1563, après quoi il mua et fut envoyé dans un collège jésuite de la capitale 8 . La date de cette mue, qui advint probablement autour de ses douze ou treize ans, a permis de fixer vers 1550 l’année de naissance du musicien. Les travaux de Herman-Walter Frey sur les maîtres de chapelle de Saint Louis des Français à Rome 9 ont ensuite pu prouver que, contrairement à l’hypothèse de Prota-Giurleo – reprise souvent littéralement par certains musicologues –, Macque réussit à trouver dans la ville pontificale un « poste digne de sa réputation d’excellent organiste » 10 en tenant du 1e octobre 1580 au 31 septembre 1581 l’orgue de cette église. La découverte de la correspondance de Macque par Friedrich Lippmann dans les années 1970 11 jeta un nouveau jour sur les connaissances biographiques relatives à Macque. Cette quinzaine de lettres autographes retrouvées par Lippmann à l’Archivio Caetani de Rome offre 6 Notamment par Suzanne Clercx dans son article de la première édition du MGG (CLERCX Suzanne, « Giovanni de Macque », Die Musik in Geschichte und Gegenwart, Kassel, Bärenreiter, 1960, vol. 8). Sur la Compagnia dei Musici di Roma, voir notamment GIAZOTTO Remo, Quattro secoli di storia dell’Accademia Nazionale di Santa Cecilia, Roma, Accademia Nazionale di Santa Cecilia, 1970. Pour plus d’information bibliographiques, voir infra, p. 32. 7 SMIJERS Albert, « Die kaiserliche Hofmusik-Kapelle von 1543-1619 », Studien zur Musikwissenschaft, VI, 1919, p. 144 et 164-167. 8 Sauf erreur de ma part, le recoupement entre Macque et Mackh fut fait pour la première fois par Suzanne Clercx (voir CLERCX Suzanne, « Jean de Macque et l’évolution du Madrigalisme », op. cit., p. 67). 9 FREY Herman-Walter, « Die Kapellmeister an der französischen Nationalkirche San Luigi dei Francesi in Rom im 16. Jahrhundert », Archiv für Musikwissenschaft, XXIII, 1966, p. 32-60. 10 « un posto degno dela sua fama d’eccellente organista », in PROTA-GIURLEO Ulisse, « Notizie sul musicista belga Jean Macque, maestro della real cappella di palazzo in Napoli », op. cit., p. 338-339. Prota-Giurleo semble parfois poussé par un désir de défendre les couleurs de sa ville lorsqu’il parle de l’ingratitude des Romains envers le franco-flamand : « à Naples Macque ne se sentit ni étranger, ni objet de jalousies, d’hostilités, de rancœurs, comme cela était peut-être arrivé à Rome (« Il Macque non si sentì straniero, né oggetto di gelosie, ostilità, rancori, come forse eragli accaduto a Roma », in PROTA-GIURLEO Ulisse, « Notizie sul musicista belga Jean Macque, maestro della real cappella di palazzo in Napoli », op. cit., p. 339). 11 LIPPMANN Friedrich, « Giovanni de Macque tra Roma e Napoli: nuovi documenti », Rivista Italiana di Musicologia, XIII, 1978, p. 243–279. 5 en effet un témoignage particulièrement précieux des rapports étroits que le compositeur entretenait avec le monde musical romain, de sa relation avec Carlo Gesualdo dans la seconde moitié des années 1580 ainsi que du rôle qu’il joua très probablement dans l’éducation musicale du jeune prince. Cette présentation succincte des données biographiques sur Macque (assez copieuses au regard des maigres informations disponibles concernant la grande majorité de ses contemporains) laisse entrevoir l’intérêt que put éveiller chez les musicologues la carrière de ce Franco-flamand – sans doute le dernier à avoir obtenu un poste d’une telle envergure en Italie – qui parvint à assumer un rôle important dans la vie musicale de deux des plus grands centres italiens de l’époque, Rome et Naples. La redécouverte progressive de l’œuvre de Macque suivit globalement le même parcours que ces recherches biographiques, avec trois étapes principales, la première à la fin du XIXe siècle, la seconde dans les années 1930, la dernière en 1970. Robert-Julien Van Maldeghem est à ma connaissance le premier musicologue à s’être intéressé, à la fin du XIXe siècle, à la musique de Macque. Celui-ci publia en effet ses litanies à huit voix dans le volume de 1865 du Trésor musical 12 et dans celui de 1872, quatre madrigaux de sa période romaine 13 . Malgré une production madrigalesque extrêmement conséquente d’environ deux cent cinquante numéros (au moins onze livres, treize si l’on compte les publications fantômes qui se déduisent de la numérotation), ce sont plutôt les compositions instrumentales de Macque, quantitativement nettement inférieures, qui attirèrent ensuite l’attention des musicologues. En 1938, Joseph Watelet et Anny Piscaer, peut-être éveillés par les récentes découvertes d’Ulisse Prota-Giurleo sur la carrière napolitaine de cet organiste d’origine belge, publièrent 12 Litaniae de B. Maria Virgine in VAN MALDEGHEM Robert-Julien, Le trésor musical. Collection authentique de musique sacrée et profane des anciens maîtres belges, Bruxelles, C. Muquardt, 1865, vol. 1. Van Maldeghem ne cite malheureusement aucune de ses sources. Shindle attribue ces litanies à un manuscrit de la Biblioteca Vaticana de Rome, sans en préciser les références. (Voir SHINDLE Richard, « Macque, Giovanni de », Grove Music Online, http://www.grovemusic.com/shared/views/article.html?section=music.17378.1, page consultée le 29 mai 2006). 13 VAN MALDEGHEM Robert-Julien, Le trésor musical. Collection authentique de musique sacrée et profane des anciens maîtres belges, Bruxelles, C. Muquardt, 1872, vol. 8. Van Maldeghem publia trois madrigaux à quatre voix du recueil de 1579 (Madrigali a quattro, cinque et sei voci) : Non al suo amante più Diana piacque, Amor, e ’l ver fu meco a dir et Se d’altro mai non vivo et Io vidi amor con pargoletta mano du Lauro verde (Ferrara, Baldini, 1583). 6 une quinzaine de pièces instrumentales dans les Werken voor orgel of vier speeltuigen 14 . Cette édition assez copieuse 15 permit une plus large découverte et diffusion de la musique de Macque, qui commença ainsi à entrer dans le répertoire des organistes et des clavecinistes 16 . Parmi cette quinzaine d’œuvres très intéressantes, quatre d’entre elles restèrent tout particulièrement associées au nom du compositeur : les Prime et Seconde stravaganze (Première et seconde extravagances), les Consonanze stravaganti (Consonances extravagantes) et les Durezze e ligature. Ces compositions aux noms extrêmement évocateurs laissaient en effet présumer de l’intérêt du reste de la production de Macque, et notamment de ses madrigaux. Ces derniers souffrirent peut-être du tableau assez peu attractif qu’Alfred Einstein offrit du musicien dans sa célèbre monographie sur le madrigal italien. Ce dernier voyait en effet en Macque « plutôt un élève et successeur de Monte qu’un prédécesseur de Gesualdo, un contemporain d’Ingegneri et Wert plutôt que de Marenzio » 17 . Ses pièces instrumentales révèlent selon lui « un musicien d’une grande naïveté et gaîté, d’une simplicité quasi folklorique qui se trouve, par bien des aspects, à l’extrême opposé de Gesualdo. » 18 Einstein reconnaît cependant que sa connaissance de la production madrigalesque de Macque se limitait à la transcription de quelques pages du recueil de 1579 et d’anthologies datant du début des années 1580 19 . Ce n’est qu’en 1970 que les madrigaux de Macque furent enfin connus sous leur vrai jour grâce à la thèse de doctorat de Richard Shindle, The Madrigals of Giovanni de Macque 20 , 14 PISCAER Anny, WATELET Joseph, Werken voor orgel of vier speeltuigen, Antwerpen, Vereeniging voor Muziekgeschiedenis te Antwerpen, 1938, p. 33-67. Monumenta Musicae Belgicae, vol. 4. 15 Cette édition laissa cependant de côté les Ricercari sui dodici toni du manuscrit Magl. XIX. 106bis de la Biblioteca Nazionale de Florence, qui ne furent transcrits qu’en 1994. Voir DE MACQUE Giovanni, Ricercari sui dodici toni, éd. Chrisopher Stembridge, Milan, Zanibon, 1994. Opere complete per strumenti a tastiera, vol. 1. 16 Aujourd’hui encore, l’essentiel de la discographie de Macque se concentre sur les pièces instrumentales publiées dans le volume des Werken voor orgel of vier speeltuigen. Voir notamment MACQUE Giovanni de, PALESTRINA Giovanni, Palestrina and De Macque : Works For Organ, Liuwe Tamminga, disque compact Accent, 1996, 96115, et FRESCOBALDI Girolamo, PICCI Giovanni, MACQUE Giovanni de, MERULA Tarquinio, Œuvre pour clavecin et orgue, Gustav Leonhardt, disque compact DHM, 1995, B000025OQ. 17 « rather a pupil and successor of Monte than a forerunner of Gesualdo and rather a contemporary of Ingegneri and Wert than a contemporary of Marenzio », in EINSTEIN Alfred, The Italian Madrigal, trad. Alexander Krappe, Roger Sessions et Oliver Strunk, Princeton, Princeton University Press, 1949, p. 698. 18 « a musician of considerable naïveté, gaiety, and folk-like simplicity who is in many respects the direct opposite of Gesualdo », ibid., p. 698. 19 Ibid., p. 697. 20 SHINDLE Richard, The Madrigals of Giovanni de Macque, PhD non publié (Indiana University), Ann Arbor, UMI, 1970. 7 première monographie consacrée exclusivement à sa production madrigalesque 21 . Shindle transcrivit et analysa tous les recueils de madrigaux complets à l’époque, soit les deux premiers livres romains de 1576 et 1579 (Il primo libro de madrigali a sei voci et Madrigali a quattro, cinque et sei voci, imprimés tous deux à Venise par Gardano) et les trois derniers recueils napolitains de 1599, 1610 et 1613 (Il quarto libro de madrigali a cinque voci, Il terzo libro de madrigali a quattro voci et Il sesto libro de madrigali a cinque voci, tous trois publiés à Naples, respectivement chez Carlino et Pace, Gardano et Nucci et enfin chez Magni). Par la force des choses, la thèse de Shindle laissa ainsi de côté toute la période intermédiaire allant de 1581 à 1597, pendant laquelle Macque publia cinq livres de madrigaux et deux recueils de Madrigaletti et napolitane (voir infra, table 1, p. 9). 21 La même année fut soutenue à Liège une autre thèse sur Macque, qui n’eut cependant pas beaucoup de résonance (ANDERSON Lawrence, Giovanni de Macque of Valenciennes and the Evolution of Polyphonic Music in Naples at the End of the Sixteenth Century, thèse non publiée (Université de Liège), 1970). Anderson s’intéressa aux deux recueils de Madrigaletti et Napolitane, aux laudes et au recueil de motets de 1596, mais sans réaliser une transcription complète de son corpus. 8 table 1 : chronologie des recueils de madrigaux de Macque Venezia, Shindle 1576 I.6 Gardano Venezia, 1579 a456 Gardano Venezia, 1581 MN1 Gardano Venezia, 1582 MN2 Gardano Venezia, 1583 I.5 Gardano Venezia, 1586 I.4 Vincenti Venezia, 1587 II.5 Vincenti Venezia, 1589 II.6 Gardano Ferrara, 1597 III.5 Baldini Napoli, 1599 Shindle IV.5 Carlino et Pace Napoli, 1610 III.4 Gardano et Nucci Napoli, 1613 VI.5 Magni entre 1586 et 1610 II.4 ? ? VI.5 ? ? entre 1599 et 1613 La présente étude se propose de combler, dans la mesure du possible, le vide laissé par Shindle, en analysant les recueils publiés par Macque entre ces deux dates et en s’intéressant à l’évolution de son écriture madrigalesque pendant cette période. Un élément de poids est en effet venu changer la donne depuis la parution du PhD de Shindle, puisqu’un exemplaire 9 complet du Primo libro a quattro voci de 1586 et du Secondo libro a cinque voci de 1587 ont été retrouvés à la Biblioteka Jagiellonska de Cracovie, avec toute une série d’imprimés musicaux des XVIe et XVIIe siècle 22 . Ces deux recueils, autrefois conservés à la Deutsche Staatsbibliothek de Berlin, avaient en effet disparu pendant la Seconde guerre mondiale 23 . À la fin du conflit, une partie du fonds de la Staatsbibliothek fut en effet transférée à la Biblioteka Jagiellonska de Cracovie afin d’être mis à l’abri des bombardements, puis redécouverte progressivement, notamment grâce à la publication du catalogue de la bibliothèque polonaise en 1999 (signalons cependant que le Secondo libro de madrigali a cinque voci n’y est pas indexé) 24 . Si le Primo libro a quattro voci de la Biblioteka Jagiellonska est un unicum, d’autres exemplaires des voix du Secondo libro a cinque sont éparpillés dans diverses bibliothèques européennes. Un exemplaire du canto, de l’alto et du quinto est possédé par la Universitätsund Stadtbibliothek de Cologne, deux autres quinto se trouvent à la Biblioteca dell’Accademia filarmonica de Vérone et à la Toonkunst Bibliotheek d’Amsterdam et enfin une partie d’alto est conservée à Paris, dans le fonds du Conservatoire appartenant désormais à la Bibliothèque Nationale. Il faut noter en outre que le RISM n’indique pas un exemplaire de la voix de basso qui aurait permis de recomposer le livre au complet avant la redécouverte de l’exemplaire de la Biblioteka Jagiellonska. Le Vogel reportant la présence de cette voix dans l’ancien fonds Thibault, j’ai pu constater que celle-ci avait été regroupée à la partie d’alto de la Bibliothèque Nationale, qui absorba une partie du fonds Thibault en 1979 (voir infra, table 2). La transcription du Primo libro de madrigali a quattro voci a été réalisée par Giuseppina Lo Coco et sortira dans un futur proche chez l’éditeur florentin Olschki 25 . J’ai réalisé moi-même celle du Secondo libro de madrigali a cinque voci, (voir annexes). 22 Voir MANN Brian, « From Berlin to Cracow: Sixteenth- and Seventeenth-Century Prints of Italian Secular Vocal Music in the Jagiellonian Library », Notes, XLIX, 1992, p. 11-27 Je remercie le Professeur Anthony Newcomb de m’avoir indiqué cette découverte, ainsi que la présence dans ce fonds du Secondo libro de madrigali a sei voci, qui avait échapée à l’investigation de Brian Mann. 23 Le Vogel indique erronément que l’exemplaire du Primo libro a quattro de la Deutsche Staatsbibliothek de Berlin était incomplet (C.T.B.). 24 Les responsables de la bibliothèque berlinoise, à l’aube de la capitulation finale, redistribuèrent le précieux fonds dans diverses bibliothèques de la périphérie du Reich afin de les préserver des bombardements. Voir introduction au catalogue de la bibliothèque, Catalogue of Early Music Prints from the Collections of the Former Preußische Staatsbibliothek in Berlin, Kept at the Jagiellonian Library/Katalog starodruków muzycznych ze zbiorów bylej Pruskiej Biblioteki Panstwowej w Berline, przechowywanych w Bibliotece Jagiellonskiej w Krakowie, éd. Aleksandra Patalas, Kraków, Musica Iagellonica, 1999. 25 Je remercie le Professeur Angelo Pompilio et le Professeur Lorenzo Bianconi de m’avoir donné accès à cette transcription pour faciliter mon travail. En attendant la parution de ce livre, j’ai inclus en annexes les pièces du Primo libro a quattro auxquelles je me réfère le plus fréquemment dans l’analyse. 10 Outre ces deux recueils, il m’a semblé intéressant d’intégrer au corpus de cette thèse les deux livres de Madrigaletti et Napolitane de 1581 et 1582 et le Terzo libro de madrigali a cinque voci de 1597. Les raisons qui avaient poussé Shindle à laisser de côté les deux recueils de Madrigaletti et napolitane sont au contraire celles qui m’incitèrent à les intégrer dans mon corpus. Shindle remarque en effet à juste titre que « ces pièces, bien qu’ayant beaucoup d’attributs madrigalesques, appartiennent à l’étude de la villanella et la canzonetta » 26 . C’est justement l’aspect hybride de cette musique qu’il me paru intéressant de replacer dans l’évolution stylistique du compositeur durant la période prise en considération. De ces deux recueils, et de leur réédition par Phalèse en 1600, il existe de nombreux exemplaires complets (voir infra, table 2). La transcription de la réédition de Phalèse a été réalisée par Carla Ursino dans son mémoire de master 27 . Il existe un unique exemplaire du Terzo libro de madrigali a cinque voci à la Biblioteca Estense de Modène, dont la voix d’alto a malheureusement été perdue 28 . Plusieurs raisons m’ont semblé justifier la nécessité de l’intégrer cependant au corpus malgré cette partie manquante. Tout d’abord, les circonstances de publication du recueil en font un objet rare et particulièrement intéressant. Il s’agit en effet du dernier livre dédicacé au grand mécène ferrarais Alfonso II d’Este, et du dernier opus musical de l’éditeur ducal Baldini. D’autre part, le contenu musical de l’imprimé m’a paru, contre toute attente, présenter une certaine homogénéité stylistique avec le reste du corpus pris en examen, malgré la décennie qui le sépare du Secondo libro a cinque voci et malgré les divergences profondes qui distinguent ces madrigaux de la production antérieure du compositeur. Restait évidemment le problème du texte musical, incomplet. Les récentes éditions des madrigaux de Luzzasco Luzzaschi par Anthony Newcomb 29 m’ont incitée à envisager sérieusement la possibilité de réécrire la partie manquante, travail qui, à l’épreuve, s’est révélé 26 « … these works while having many madrigalesque attributes really belonged to the study of the villanella and the canzonetta. », in SHINDLE Richard, The Madrigals of Giovanni de Macque, op. cit., p. 3. 27 URSINO Carla, « Seguendo l’ordine di suoi Toni posti in Luce ». I Madrigaletti et canzonette napolitane a sei voci di Jean de Macque, nell’edizione di Pierre Phalèse, master (tesi di laurea) non publié (Università della Calabria), 2001. Je remercie le Professeur Massimo Privitera, qui dirigea ce mémoire, de m’en avoir prêté un exemplaire. Cet ouvrage n’étant pas aisément accessible, j’ai inclus en annexes la transcription d’une petite dizaine de madrigaletti. 28 Il est tout à fait probable que cette voix ait disparu lors du transfert de la bibliothèque ducale à Modène, qui provoqua d’importantes pertes. 29 Newcomb a en effet réécrit les parties manquantes de certaines pièces incomplètes dans son édition des madrigaux de Luzzaschi. Voir LUZZASCHI Luzzasco, Complete unaccompanied madrigals, éd. Anthony Newcomb, Middleton, A-R Editions, 2003-2007. Recent Researches in the Music of the Renaissance, vol. 136, 139 et 150. 11 tout à fait réalisable. La perte de la partie d’alto est en effet bien moins handicapante que celle de la basse, du canto ou même du quinto, dont il faut aussi déterminer la tessiture. D’autre part, le type d’écriture très rationnelle qu’emploie Macque dans ce recueil propose de nombreuses pistes pour la reconstruction et les « solutions » sont bien souvent suggérées par la structure du contrepoint lui-même (voir transcription en annexe). Ces cinq imprimés, les deux livres de Madrigaletti et napolitane de 1581-1582, le Primo libro de madrigali a quattro voci et le Secondo libro de madrigali a cinque voci de 1586-1587 ainsi que le Terzo libro de madrigali a cinque voci de 1597 constituent le corpus de cette étude. Des deux autres recueils évoqués précédemment, n’est disponible aujourd’hui que la partie de quinto du Secondo libro de madrigali a sei voci de 1589, conservée à la British Library de Londres qui, au-delà des choix poétiques, ne permet évidemment de se faire qu’une très vague idée des pièces. La Biblioteca Borghese de Rome possédait autrefois un exemplaire complet du Primo libro de madrigali a cinque voci de 1583, mais celui-ci fut vendu avec une partie du fonds à la fin du XIXe siècle. Il n’y a malheureusement rien à ajouter aux observations de Richard Shindle : Pendant l’hiver 1884/1885, Adrian Berwin réalisa à la main le catalogue de la collection de musique de la Biblioteca Borghese. Parmi les entrées, le premier livre de madrigaux à cinq voix était enregistré sous le n. 4248 : Macque, Gio. de –. Madr. a 5v. Ven, Ang. Gardano, 1583. Compl. (5f. in 4o Obl.). Peu de temps après, l’administrateur de la bibliothèque décida de vendre cette collection et commença à le faire en mettant à disposition les volumes individuels. Comme cela procédait trop lentement, l’administrateur mit la collection aux enchères en 1892. Le contenu du catalogue préparé pour la vente fut acheté par l’Accademia di Santa Cecilia de Rome, la Bibliothèque du Conservatoire de Paris, le British Museum de Londres et la Biblioteca Comunale de Palerme. Le livre de madrigaux de 1583 de Macque étant absent du catalogue de la vente, il est évident qu’il fut vendu auparavant à une collection privée entre 1885 et 1892. Sa localisation est aujourd’hui inconnue. 30 30 « During the winter of 1884/85, Adrian Berwin prepared a handwritten catalogue of the music collection in the Biblioteca Borghese. Amonf the items entered under No. 4248 was Macque’s first book of five-voiced 12 table 2 : état de conservation et transcription disponible des madrigaux de Macque (1581-1597) Bibliothèque 1581 Madrigaletti et napolitane réédité en 1600 Italie, Vérone, Biblioteca dell’A filarmonica : complet Royaume-Uni, Londres, British Library Pologne, Dantzig, Biblioteka Polskiej, Nauk : complet France, Paris, Bibliothèque Na C.A.T.B.Q. Italie, Bologna, Civico Museo Bi musicale : C. Italie, Milan, Ufficio ricerca fondi musi 1582 Secondo madrigaletti libro et de napolitane réédité en 1600 Italie, Florence, Biblioteca Nazionale complet Italie, Vérone, Biblioteca dell’A filarmonica : complet Pologne, Dantzig, Biblioteka Polskiej, Nauk : complet Italie, Rome, Biblioteca C.A.T.B.Q. 1583 Primo libro de Disparu madrigali a cinque voci madrigals: Macque, Gio. de –. Madr. A 5v Ven, Ang. Gardano, 1583. Compl. (5f. in 4o Obl.). Shortly afterwards, the trustees of this library decided to sell this collection and began by disposing of individual volumes. As this process moved too slowly, the trustees put the colloction up for auction in 1892. The contents of the catalogue prepared for the auction were bought by the Accademia di Santa Cecilia in Rome, the Bibliothèque du Conservatoire in Paris, th British Museum in London, and the Biblioteca Comunale in Palermo. The 1583 madrigal book of Macque was absent from the auction catalogue and evidently had been sold to a private collection between 1885 and 1892. Its present whereabouts is unknown. », in SHINDLE Richard, The Madrigals of Giovanni de Macque, op. cit., p. 33-34. 13 Santa (Anciennement : Italie, Rome, Borghese) 1586 Primo libro de madrigali a quattro voci Pologne, Cracovie, Biblioteka Jag complet (Anciennement : Allemagne, Berlin, Staatsbibliothek) 1587 Secondo libro de madrigali a cinque voci Pologne, Cracovie, Biblioteka Jagie complet (Anciennement : Allemagne, Berlin, Staatsbibliothek) Allemagne, Cologne, Unive StadtBibliothek : C.A.Q. France, Paris, Bibliothèque Nationale : Hollande, Amsterdam, Toonkunst Bibli Italie, Venise, Biblioteca Nazionale Ma 1589 Secondo libro de Royaume-Uni, Londres, British Library de Italie, Modène, Biblioteca Estense : C.T et Pologne, Dantzig, Biblioteka Polskiej, madrigali a sei voci 1597 Terzo libro madrigali a cinque voci 1600 Madrigaletti Canzonetta sic napolitane a sei voci Nauk : complet rééd. recueils de 1581-1582 Macque publia les cinq recueils du corpus à trois étapes bien distinctes de sa carrière. Les deux recueils de Madrigaletti et napolitane furent en effet composés à la fin de ses années 14 romaines pour deux personnalités de la ville pontificale, au tout début des années 1580, alors que la musique vocale profane italienne connaissait de profonds bouleversements. Le Primo libro de madrigali a quattro voci et le Secondo libro de madrigali a cinque voci, furent publiés peu de temps après son arrivée à Naples, en 1586-1587. Ces recueils, dédicacés à deux membres de l’aristocratie napolitaine, peuvent être considérés comme le témoignage de l’intégration rapide de Macque dans la société parthénopéenne. En 1597, lorsque parut le Terzo libro de madrigali a cinque voci, dernier recueil du corpus, Macque était alors presque arrivé au faîte de sa carrière, puisque deux ans plus tard il recevait la charge de maître de chapelle du Vice-Roi de Naples. Ces madrigaux sont cependant aussi intimement liés à la vie musicale ferraraise des années 1590 ainsi qu’à la figure du duc Alfonso II d’Este, qui commandita le recueil et le fit imprimer par son propre éditeur Baldini. Ces trois moments, ces trois lieux, ces trois environnements artistiques eurent une incidence notable sur le contenu poétique et musical des recueils, dont il résulte une variété de factures tout à fait évidente. Cependant, malgré cette hétérogénéité, un fil conducteur semble relier entre eux tous les éléments de ce corpus, qui possèdent une certaine logique commune. Ces imprimés peuvent être vus en effet comme les différentes expressions d’un phénomène qui toucha une grande partie du répertoire madrigalesque dans les deux dernières décennies du XVIe siècle : le rapprochement du savant et du léger, de la complexité à l’immédiateté, le mélange des genres et des registres stylistiques. Cet antagonisme fut fréquemment envisagé par les auteurs de l’époque en termes d’ariosità et d’artificiosità, deux notions qui, pour plusieurs raisons, constituent à mon sens une clé de lecture intéressante pour analyser le corpus de cette thèse. D’une part, les termes ariosità et artificiosità – ou plutôt les formes nominales aria et artificio et leurs adjectifs correspondants arioso et artificioso – sont utilisés dans deux documents touchant directement l’objet de cette étude. Le premier est la dédicace du Primo libro de madrigaletti et napolitane de Macque et concerne de très près le corpus puisqu’il s’agit d’un texte rédigé – directement ou indirectement – par le compositeur lui-même. Le second, le Discorso sopra la musica de’ suoi tempi de Vincenzo Giustiniani 31 sur lequel nous reviendrons bientôt est, malgré toutes ses 31 GIUSTINIANI Vincenzo, Discorso sopra la musica de' suoi tempi, in SOLERTI Angelo, Le origini del melodramma. Testimonianze dei contemporanei, Torino, Bocca, 1903, rééd. fac-similé, Bologna, Forni, 1980, p. 114. Ce discours, écrit par Giustiniani en 1628, est conservé à l’Archivio di Stato lucchese avec sept autres textes sur différents sujets (coutumes du temps, voyages, peinture, chasse, etc.) dans un manuscrit intitulé 15 imprécisions, l’un des témoignages les plus importants sur les changements stylistiques qui affectèrent la période qui nous intéresse. D’autre part, d’un point de vue analytique, il s’agit là de concepts assez larges, qui englobent et permettent d’interroger un certain nombre de paramètres musicaux : questions de genres et de registres stylistiques ainsi que considérations plus techniques sur des aspects précis de l’écriture. Ces termes ont cependant les défauts de leurs qualités, en ce que leur flexibilité comporte aussi une certaine marge d’imprécision caractéristique des écrits de la Renaissance, pas toujours soucieux de fixer les mots dans un sens strict et bien défini. L’aria est un concept extrêmement riche au XVIe siècle, qui recouvre une multiplicité de significations, non sans rapport les unes avec les autres. Tout d’abord, le terme est utilisé pour désigner des schémas plus ou moins stéréotypés pour la déclamation chantée des grands poèmes narratifs tels que l’Orlando furioso d’Arioste ou bien des formes fixes de la lyrique italienne (par exemple les poésies du Canzoniere de Pétrarque). Ceux-ci pouvaient être imprimés (voir notamment les Aeri racolti … dove si cantano sonetti stanze e terze rime, Napoli, Cacchi, 1577) ou bien de tradition orale, comme les deux célèbres aria della romanesca et aria di Ruggiero, dont il reste de nombreuses traces dans le répertoire instrumental 32 . Le terme aria correspond aussi à l’une des innombrables variétés de genres légers 33 en usage au Cinquecento, caractérisée par une préférence très nette pour les formes strophiques, la brièveté, ainsi que par une certaine simplicité de facture réalisée au moyen d’effectifs à trois Miscellanea di cose diverse per la Curia Romana etc. Varj discorsi, instruzioni. Il fut édité pour la première fois en 1878 par Salvatore Bongri (Lucca, Giusti). Pour plus d’informations sur ce discours, voir l’introduction de Solerti. 32 Sur l’aria comme modèle musical pour réciter des vers, voir HAAR James, « Arie per cantar stanze ariostesche », in Ariosto, la musica, i musicisti, éd. Maria Antonella Balsano, Firenze, Olschki, 1981, p. 31-46 et WESTRUP Jack, « Aria, §1: Derivation and use to the early 17th century », Grove Music Online, http://www.grovemusic.com/shared/views/article.html?section=music.43315.1, page consultée le 13 septembre 2006. 33 Je reprends là l’expression anglo-saxonne « light genres », appellation générique désignant tous les différents types de genres mineurs en usage à la Renaissance : villanesca, villanella, canzone, canzonetta, aria, villotta, napolitana, pour ne citer que les principaux. L’adjectif « light » remonte au moins au traité de Thomas Morley A Plaine and Easie Introduction to Practicall Musicke (voir infra, p. 22). Sur les différents types de genres légers et leur évolution, voir CARDAMONE Donna G., The Canzone villanesca alla napolitana and Related Forms, 1537–1570, Ann Arbor, UMI Research Press, 1981, pour la période allant jusqu’à 1570, et ASSENZA Concetta, La canzonetta dal 1570 al 1615, Lucca, Libreria musicale italiana, 1997, pour la période successive. Voir aussi DEFORD Ruth, « Musical Relationships between the Italian Madrigal and Light Genres in the Sixteenth Century », Musica disciplina, XXXIV, 1985, p. 107-168. 16 ou quatre voix. L’appellation aria est utilisée parfois dans les années 1530 comme synonyme de villanesca (voir notamment les Madrigali a tre et arie napoletane 34 ) et sera reprise plus tard hors du contexte parthénopéen, notamment par Marenzio et Giovannelli dans leurs quelques recueils de canzonette, intitulés villanelle et arie alla napolitana 35 . De manière plus générale, aria possède aussi une acception non plus liée à des questions formelles ou de genre, mais décrivant plutôt les qualités musicales de certaines compositions. Si le terme est utilisé parfois comme synonyme de mélodie – notamment par Zarlino, qui lui préfère cependant le mot cantilena – la notion d’aria semble bien souvent désigner « une qualité indéfinissable, que l’on sentait présente dans certaines pièces, mais qui manquait dans d’autres », pour reprendre les mots de Nino Pirrotta 36 . Vincenzo Giustiniani (1564-1637) fait constamment référence à cette notion dans son Discorso sopra la musica de’ suoi tempi, tout en étant absolument conscient de la difficulté d’expliquer la nature éminemment subjective de cette qualité qu’il juge cependant indispensable à la musique : Dalla maggiore parte delle cose Ce que je viens d’écrire aura sans doute fait suddette forse in Vostra Signoria naître en vous le désir et la curiosité de risulta un desiderio e curiosità di savoir ce qu’est l’aria et la grâce de la sapere che cosa sia l’aria e la grazia musique, … je dirai que répondre della musica, … dirò che il précisément à cette question serait une rispondere precisamente sarà cosa chose difficile même pour des personnes difficile anco a persone più esperte plus expertes que moi. 34 Madrigali a tre et arie napoletane s.l, ca. 1537. À ce propos, voir notamment CARDAMONE Donna G., « Madrigali a tre et arie napolitane: a Typographical and Repertorial Study », Journal of the American Musicological Society, XXXV, 1982, p. 436-481. 35 Voir GIOVANNELLI Ruggero, Il primo libro delle villanelle et arie alla napolitana a tre voci, Venezia, Vincenti, 1588. Le mot aria apparaît dans certaines rééditions des recueils de villanelles de Marenzio (voir par exemple la réédition du Quarto libro delle villanelle et arie alla napolitana a tre voci, Venezia, Vincenti, 1596). Doni assimile l’aria à la canzonetta : « Sous ce même nom madrigal on comprend à la fois les matières musicales telles que sonnet, canzoni, mascherate et autres, et peut-être aussi les villanelles, bien que celles-ci se rapprochent plutôt de la simplicité de ce que l’on appelle justement arie ou canzonette. » (« sotto il qual nome madrigale si comprendono parimente in materia di musica i sonetti, canzoni, mascherate e simili, e fors’anche le villanelle; benché s’accostino alquanto più alla semplicità di quelle che propriamente si dicono arie o canzonette. », in DONI Giovanni Battista, Compendio del trattato de’ generi e de’ modi della musica, Rome, Fei, 1635, p. 100, in SOLERTI Angelo, Le origini del melodramma, op. cit, p. 224). 36 « In the sixteenth century … the word aria referred to some undefinable quality felt to be present in some pieces of music and missing in others. », in PIRROTTA Nino, « Willaert and the Canzone Villanesca », in Music and Culture in Italy from the Middle Ages to the Baroque, Cambridge/London, Harvard University Press, 1984, p. 195. 17 di me. 37 Dans la suite du passage, l’auteur, cherchant à expliciter à son lecteur ce qu’il entend par « l’aria et la grâce de la musique », glisse subrepticement d’un discours sur la composition à un discours sur l’interprétation, s’éloignant progressivement du problème posé initialement. Deux points sont cependant à retenir dans la démonstration de Giustiniani : l’aria est constamment associée à la grazia, la grâce, et correspond à un sentiment immédiat de plaisir et de douceur éprouvé à l’écoute (« goût et plaisir des oreilles », « gusto e diletto alle orecchie » dit Giustiniani). L’emploi de l’adjectif arioso dans la littérature musicale de l’époque peut aider, dans une certaine mesure, à définir le type de sensations auditives liées à l’aria puisque, au risque d’énoncer une lapalissade, l’aria est par nature ariosa. Cet adjectif est parfois utilisé pour indiquer le genre d’un recueil (notamment dans les titres, à la place du mot aria 38 ) mais, le plus souvent, il sert à évoquer et décrire de façon générale des pièces ou des techniques musicales. Les occurrences du mot arioso dans les écrits de la fin du XVIe et du début du XVIIe siècle mettent presque toujours en relation ce terme avec une musique plaisante et l’associent à une beauté de son, à une grâce, une douceur ou une fluidité, confirmant ainsi la conception que Giustiniani se fait de l’aria. L’imprimeur et compositeur romain Antonio Barrè parle par exemple de « madrigali ariosi e piacevoli » (« madrigaux ariosi et plaisants ») dans la dédicace du premier recueil de Madrigali ariosi à quatre voix, qui inaugura la longue série des Libri delle muse 39 . De même, 37 GIUSTINIANI Vincenzo, Discorso sopra la musica de' suoi tempi, in SOLERTI Angelo, Le origini del melodramma, op. cit., p. 114. 38 Arascione voulait probablement attirer l’attention sur le fait que ses laudes étaient des arie en qualifiant d’ariose ses Nuove laudi ariose della Beatissima Virgine scelte da diversi (Roma, Mutij, 1600) : forme strophique, simplicité de facture et petit effectif vocal. Le terme arioso peut aussi se référer aux arie comme modèle pour déclamer des vers. L’expression « choses ariose » est clairement utilisée pour désigner ce type d’arie dans le Libro d'intavolatura di liuto, nel quale si contengono i passemezzi, le romanesche, i saltarelli, et le gagliarde et altre cose ariose composte in diversi tempi de Vincenzo Galilei (manuscrit de 1584, conservé à la Biblioteca Nazionale Centrale di Firenze, éd. fac-similé GALILEI Vincenzo, Libro d'intavolatura di liuto : Firenze 1584, Firenze, S.P.E.S., 1992). 39 La série des Libri delle muse commença en 1555 avec le premier recueil de Madrigali ariosi d’Antoine Barrè (Roma, Barrè) et se conclut en 1575 avec le Quinto libro delle muse a cinque voci (Venezia, Gardano). Elle comprend essentiellement des anthologies de madrigaux de divers auteurs, à trois, quatre et cinq voix, ainsi qu’un recueil de motets. À l’origine imprimés par Antoine Barrè à Rome, les Libri delle muse furent repris dans les années 1560 par les presses vénitiennes de Gardano et Scotto. Pour plus de détails, voir HAAR James, « The 18 dans la dédicace du Secondo libro delle muse a quattro voci, il est question de « madrigali ariosi e belli » (madrigaux beaux et ariosi) 40 . Les adjectifs bello et arioso sont aussi réunis par Giovan Battista Doni, qui parle de l’impossibilité de composer des « mélodies belles et ariose » dans le genre enharmonique 41 . Pietro Cerone évoque un aspect plus harmonique de l’ariosità dans le douzième chapitre dans son traité El melopeo y maestro consacré à La manera de componer madrigales en opposant la dureté de certains intervalles à la douceur des consonances ayrosas 42 . Quant à Caccini, il associe au mot arioso les termes piacevole et licenzioso (agréable et libre), lui opposant ceux de angustia et sechezza (gêne et sécheresse), dans la préface de ses Nuove musiche 43 . Le terme ariosità se réfère donc tant aux caractéristiques de ce genre multiforme qu’est l’aria au XVIe siècle que, plus largement, à un certain type de qualité musicale propre à ce genre – mais pas uniquement – reposant sur la grâce, l’immédiateté, la douceur, mais surtout sur le plaisir de l’écoute. “Madrigale Arioso”: a Mid-Century Development in the Cinquecento Madrigal », Studi musicali, XII, 1983, p. 204. 40 La lettre de dédicace du Primo libro delle muse a quattro voci (Roma, Barré, 1555) est transcrite intégralement dans WERNER Luigi, « Una rarità musicale della Biblioteca Vescovile di Szombathely », Note d’archivio per la storia musicale, VIII, 1931, p. 35. Celle du Secondo libro delle muse a quattro voci (Roma, Barré, 1558) est disponible sur le site du Civico Museo Bibliografico Musicale, http://badigit.comune.bologna.it/cmbm/ scripts/gaspari/scheda.asp ?id=7178, page consultée le 21 août 2007. 41 « Les mélodies enharmoniques … consistent en intervalles extrêmes, c’est-à-dire très petits ou très grands, et pour cette raison il est plus difficile de composer avec elles des mélodies belles et ariose. » (« Le Melodie Enarmoniche … consistono in intervalli estremi, cioè molto piccoli e molto grandi, e però tanto è più difficile con essi comporre melodie belle e ariose. », in DONI Giovan Battista, Due trattati, in Lyra barberina, vol. I, Firenze, Stamperia reale, 1773, p. 292 ; rééd. fac-simile, Lyra barberina, Bologna, Forni, 1974, cité in BATTAGLIA Salvatore, « arioso », Grande dizionario della lingua italiana, Turin, UTET, 1961, vol. 1, p. 658). 42 « Il faut être particulièrement attentif à faire correspondre la mélodie au sens des paroles, et quand il s’agit de choses dures et âpres, il faudra utiliser des passages durs et âpres, composés d’intervalles dissonants. Si le texte parle de choses joyeuses et douces, il faudra aussi des passages gais et harmonieux, en se servant de la nature des consonances ayrosas et de leurs positions les plus gracieuses. » (« Hase de tener cuydado particular de corresponder con la solfa al sentido de la letra, como si tractare de cosas duras y asperas, usarsean passos duros y asperos, compuestos con intervalos dissonates, y si de cosas alegres y dulces, hazesean tambien passos regozijados y armoniosos serviendose de la naturaleza de las consonancias ayrosas y de sus loçanas posturas. », in CERONE Pietro, El melopeo y maestro. Tractado de musica theorica y pratica, op. cit., p. 693, cité in FABBRI Paolo, Il madrigale tra Cinque e Seicento, Bologna, Il Mulino, 1988, p. 16). 43 « La sprezzatura est cette grâce que l'on confère au chant en chantant plusieurs croches et doubles croches audessus de diverses notes, ce qui, fait en temps et lieu, en libérant le chant d'une certaine étroitesse et sécheresse, le rend plaisant, libre et arioso. » (« La sprezzatura è quella leggiadria la quale si dà al canto co 'l trascorso di più crome e semicrome sopra diuerse corde, col quale, fatto à tempo, togliendosi al canto una certa terminata angustia e sechezza, si rende piaceuole, licenzioso, e arioso. », in CACCINI Giulio, Nuove musiche e nuova maniera di scriverle, Firenze, Pignoni, 1614, lettre aux lecteurs ; voir l’édition et la traduction de Jean-Philippe Navarre, CACCINI Giulio, Nuove musiche. Nuove musiche, e nuova maniera di scriverle, Paris, Cerf, 1997, p. 146-147. Arx Musices Iuxta Consignationes Variorum Scriptorum. AMICUS. Renaissance et période préclassique, Domaine italien, vol. 2). 19 Bien que d’un usage en réalité bien moins circonscrit que les dérivés du mot aria, l’artificio, dans un contexte musical, est presque toujours associé au contrappunto, au contrepoint, et à une virtuosité, une maîtrise du langage polyphonique. Il est tout à fait significatif que le terme revienne constamment dans le compte rendu de la joute musicale qui opposa Achille Falcone à Sebastian Raval, racontée par le père du premier, Antonio Falcone. Dans le verdict de la première épreuve, très technique puisque consistant en un canon à cinq voix – accompagné d’un petit texte (appelé « information ») censé défendre les choix compositionnels opérés – le mot artificio apparaît pas moins de trois fois : Io Nicolò Moi, Fra Nicolò Toscano Toscano … dico … che … je dis que la pièce du Seigneur l’opera del Sigor Raval è Raval est composée sans aucun composta artificio artificio, et que l’on n’y trouve ni niuno, e non vi si scorge cosa art, ni talent. Le Seigneur Raval d’arte né d’ingegno né ha il n’a pas su non plus me démontrer detto Sigor Raval addottomi pour sa défense une autorité in suffisante. suo Fra senza favore auttorità On découvre au relevante in sua difesa. Al contraire, dans la pièce d’Achille contrario in quella del Signor un grand artificio, tant par l’entrée Achille vi si scorge artificio des grande, tanto nell’intrar delle différentes, comme savent le faire parti per diverse consonanze, tous les hommes de valeur, que par sì le fait qu’elle puisse être chantée come usano tutti i parties des de che la detta opera si canti in (comme otto differenti maniere (così beaucoup de compositeurs de come Palerme). Et l’information ici visto molti manières hauteurs valent’huomini, quanto in far han huit sur ont pu le différentes constater compositori di Palermo), & incluse qu’il m’a donnée prouve nell’informatione qui inclusa avec une autorité très convaincante datomi que son œuvre est composée avec prova con efficacissime auttorità l’opera artificio. sua esser stata composta con artificio. 44 44 FALCONE Achille, Madrigali, mottetti e ricercari. Madrigali a cinque voci, con alcune opere fatte all'improviso a competenza con Sebastian Raval, maestro della Cappella reale di Sicilia, con una narrazione come veramente il fatto seguisse, Venezia, Giacomo Vincenzi (1603), éd. Massimo Privitera, Firenze, Olschki, 2000, p. XIII. 20 Le terme artificio semble correspondre à la meilleure description que l’on puisse donner des prouesses techniques d’un compositeur. On pourrait citer bien d’autres exemples, notamment Bottrigari qui, dans son discours Il Melone, l’utilise à plusieurs reprises pour décrire les techniques contrapuntiques de ses contemporains : Quella inventione di Cette inventivité contrapuntique à dal laquelle se réfère Sigonio, qui est Sigonio, la qual è l'artificio l’artificio consistant à faire des del far le imitationi, le imitations, des fugues, des doubles fughe, le fughe doppie, le fugues, diritte e le riversce …, di d’autres par mouvement contraire risposte, di antecedentie e di …, des réponses, des antécédents, consequentie, di repliche e des conséquents, et autres artifici, di ne contrapunto artifici solamente ascoltatori quelli. intesa tali rendono diletto intelligenti agli des procure fugues du droites, plaisir et qu’aux auditeurs qui les comprennent. di 45 Comme le fait pressentir cet extrait du Melone, le terme artificio perdit plus tard sa connotation positive lorsque les subtilités du langage contrapuntique furent considérées comme périmées. Le terme, autrefois synonyme d’excellence, ne semble pas avoir réussi à se recycler et, de qualité, il devint défaut, car trop associé au stile antico (voir notamment la défense de la « musique moderne » par Pietro della Valle 46 ). L’artificio se réfère donc à un certain type d’écriture, basée sur la recherche contrapuntique, caractéristique de la polyphonie du XVIe siècle, qui s’oppose à une musique plus simple et moins sophistiquée 47 . 45 BOTTRIGARI Ercole, Il Melone. Discorso armonico, Ferrara, Baldini, 1602, p. 3-4. Cité in FABBRI Paulo, Il madrigale tra Cinque e Seicento, op. cit., p. 30. 46 Pour Pietro della Valle, qui met les messes de Palestrina au rang de « très belles antiquités » à « mettre à l’abri au musée » (« tenerle riposte in un museo come bellissime anticaglie »), l’excès d’artificio est à éviter absolument dans une composition. L’auteur utilise toujours le terme artificio en référence aux techniques contrapuntiques. Lorsqu’il parle d’excellence, il fait plutôt recours mot arte. (Voir DELLA VALLE Pietro, Della musica dell’età nostra che non è punto inferiore, anzi è migliore di quella dell’età passata, discours manuscrit daté de 1640, imprimé par Anton Francesco Gori dans les Trattati di musica di Gio. Battista Doni, (Firenze, 1763), et réédité in SOLERTI Angelo, Le origini del melodramma, op. cit, p. 148-179. Voir p. 173 pour le passage sur Palestrina. 47 Voir par exemple la préface des Lodi, et canzonette spirituali. Raccolte da diuersi autori et ordinate secondo le varie maniere de' versi (Napoli, Longo, 1608), qui oppose les pièces « artificiose et fuguées » (« artificiose e fugate ») à celle « plus simples et sans fugue » (« più semplici e senza fuga »). 21 L’artificio, par la complexité qu’il implique, est l’apanage d’un certain registre stylistique 48 . Zacconi, dans son traité Prattica di musica, distingue les « canzoni, madrigali e vilanelle » qui doivent se faire « de manière joyeuse tant au début qu’à la fin » (« con maniere allegre tanto nel principio quanto nel fine ») des « choses ecclésiastiques que sont les messes, les vêpres, les magnificat, les motets et les litanies » (« cose ecclesiastiche che sono messe, vesperi, magnificat, moteti e litanie ») qui doivent elles « procéder de manière grave et artificiosa » (« andar con maniere gravi et artificiose ») 49 . Thomas Morley, lui, dans son traité A Plaine and Easie Introduction to Practicall Musicke, considère que le madrigal, tout en faisant partie de ce qu’il qualifie de « light music », se trouve juste en dessous du motet dans son échelle de gravitie 50 car il est « le plus artificial et, pour les hommes de jugement, le plus délicieux » (« the most artificial and, to men of understanding, most delightful ») 51 . La canzonetta, dans laquelle on ne peut trouver que « little art » n’est placée qu’au deuxième degré de son échelle de registres stylistiques : The second degree of gravitie Le second degré de gravité dans cette in this light music is given musique to Canzonets, that is little canzonettes, qui short songs (wherein little chansons (dans lesquelles ne peut être art can be showed …). montré que peu d’art …). légère est donné aux sont de petites On voit là se dessiner un antagonisme – dont les théoriciens du XVIe siècle semblent avoir été conscients – entre les concepts d’artificiosità et d’ariosità, la première étant l’attribut d’un registre stylistique élevé, la deuxième étant caractéristique des genres plus modestes. D’un côté l’ariosità, avec sa facilité, sa simplicité de facture et le plaisir immédiat qu’elle procure à l’écoute, de l’autre l’artificio lié à une recherche contrapuntique qui peut, comme le souligne Zarlino, entraver le plaisir immédiat de l’auditeur : Et che sia il vero, che la Musica 48 Et il sera donc vrai que la Musique Sur la notion de registre stylistique musical au XVIe siècle, voir FABBRI Paulo, Il madrigale tra Cinque e Seicento, op. cit., p. 11-14 et LUZZI Cecilia Poesia e musica nei madrigali a cinque voci di Filippo di Monte (1580-1595), Firenze, Olschki, 2003 (particulièrement le chapitre « Il concetto di ‘stile’ come categoria retorica’ », p. 16-22). 49 ZACCONI Lodovico, Prattica di musica, Venezia, Vincenti, 1622, p. 278. Cité in FABBRI Paolo, Il madrigale tra Cinque e Seicento, op. cit., p. 12. 50 Morley utilise le terme gravitie, sans doute calqué sur la notion bembienne de gravità, pour désigner l’échelle des registres stylistiques. 51 MORLEY Thomas, A Plaine and Easie Introduction to Practicall Musicke, London, Peter Short, 1597, p. 180. 22 più diletti universalmente délecte semplice, che universelle quand elle est simple quando è fatta con tanto que quand elle est faite avec artificio, et cantata con molte beaucoup d’artifici, et chantée parti; si può comprender da avec de nombreuses parties. On questo, maggior comprendra donc pourquoi on dilettatione si ode cantare entend chanter avec plus de plaisir alcuno solo al suono di un une seule personne accompagnée Organo, della Lira, del Leuto, par un orgue, une lyre ou un luth, o di altri simili istrumenti, che ou non si ode molti. Et se pur semblable, que plusieurs voix molti insieme ensemble. Et même si plusieurs non è voix chantant ensemble peuvent dubbio, che universalmente émouvoir l’âme, il n’y a pas de con doute quando è che con cantando muoveno l'animo, maggior piacere si de par manière quelque plus instrument qu’on écoutera ascoltano quelle canzoni, le universellement cui parole sono da i cantori plaisir ces chansons dont les insieme pronunciate, che le paroles sont prononcées ensemble dotte compositioni, nelle quali par les chanteurs, plutôt que celles si odono le parole interrotte dont da molte parti. 52 interrompues par de nombreuses on avec entend les plus de paroles parties. La simplicité de facture, dans le chant accompagné comme dans les pièces polyphoniques accordales, provoque plus de plaisir à l’auditeur qu’une musique pleine d’artifici, reposant sur une écriture contrapuntique complexe. On retrouve la même idée dans le Discorso de Giustiniani. Dans l’énoncé des principales règles qu’un compositeur doit suivre « selon l’opinion générale des musiciens, pour qu’une composition de n’importe quel style ou manière réussisse à être digne des éloges et du goût de celui qui l’entend », Giustiniani met l’accent sur le fait que « la composition en entier et particulièrement les fugues soient faciles et fluides de telle sorte que l’artificio ne les rende pas trop scabreux » (« la composizione tutta e particolarmente le fughe siano facili e correnti in maniera che l’artificio non le renda scabrose »). 53 En d’autres termes, Giustiniani, sans 52 ZARLINO Gioseffo, Le Istitutioni harmoniche, Venezia, Franceschi, 1558, deuxième partie, p. 75. GIUSTINIANI Vincenzo, Discorso sopra la musica de' suoi tempi, in SOLERTI Angelo, Le origini del melodramma, op. cit., p. 113. 53 23 condamner en soi la complexité contrapuntique, semble suggérer qu’un artificio trop sec peut nuire à l’ariosità 54 . Le madrigal, tantôt considéré comme l’équivalent profane du motet, tantôt relégué au rang du répertoire léger, à la fois vitrine de l’excellence d’un compositeur et objet destiné au plaisir du chanteur, est probablement le genre qui cristallisa de manière la plus tangible la polarité entre ces deux concepts. Cette dernière atteignit son point culminant précisément pendant la période prise en considération ici, période marquée par un rapprochement des genres légers et du madrigal (voire dans certains cas une fusion), qui donna naissance à ce que l’on appelle le style hybride ou parfois aussi le madrigal-canzonetta 55 . Le Discorso sopra la musica de’ suoi tempi de Vincenzo Giustiniani, on l’a évoqué, est sans doute le meilleur témoignage des changements qui advinrent pendant cette période et pour cette raison fut commenté de nombreuses fois par les chercheurs qui s’intéressèrent à cette étape de l’histoire de la musique vocale profane italienne. Sans procéder de manière systématique, l’auteur du discours suit une double logique dans sa description, se référant tant au mélange des genres (madrigal/genres légers), qu’à la recherche d’un nouvel équilibre entre artificio et ariosità, deux angles d’approche différents pour expliquer un même phénomène. Après avoir évoqué les années de son apprentissage musical (1560-1575, environ), marqués par une division claire et nette entre le madrigal et les genres légers (Giustiniani cite les grands classiques du madrigal, Archadelt, Roland de Lassus, Cyprien de Rore, Philippe de Monte), l’auteur s’intéresse à la nouvelle génération de madrigalistes des années 1580 et à leurs « inventions d’un nouveau plaisir », faites « d’aria agréable » et de « fugues faciles sans artificio extraordinaire » : In 54 poco progresso di tempo En peu de temps, le goût musical s’alterò il gusto della musica e changea comparver le composizioni di compositions de Luca Marenzio Luca Marenzio e di Ruggiero et de Ruggiero Giovannelli, avec Giovannelli, con invenzione di des inventions d’un nouveau et arrivèrent les En soulignant le fait que les diverses techniques contrapuntiques « ne procurent du plaisir qu’aux auditeurs qui les comprennent », Bottrigari, dans l’extrait du Melone évoqué précédemment, exposait exactement le même problème : trop d’artificio nuit au plaisir de la grande majorité des auditeurs. 55 Sur le style hybride, voir notamment NEWCOMB Anthony, « Madrigal, §II, 7: Italy: 16th century: The 1570s': hybrid styles », Grove Music Online, http://www.grovemusic.com/shared/views/article.html ?section=music.40075.2.7, page consultée le 15 juillet 2007. 24 nuovo diletto, tanto quelle da plaisir, aussi bien pour chanter cantarsi a più voci, quanto ad à plusieurs voix qu’à une voix una avec sola sopra alcuno quelques instruments. strumento, l’eccellenza delle L’excellence de ces dernières quali consisteva in una nuova consistait en une aria agréable aria et grata all’orecchie con et d’un nouveau genre, avec alcune fughe facili e senza quelques fugues faciles sans straordinario artificio. 56 artificio extraordinaire. Giustiniani, qui n’était ni un compositeur ni un théoricien, mais juste un noble amateur de musique et d’art en général, ne retrace l’évolution de la « musique de son temps » que dans ses grandes lignes. Marenzio, Giovannelli, mais aussi Macque, on le verra, héritèrent en réalité des nombreuses « inventions d’un nouveau plaisir » qu’Andrea Gabrieli avait expérimentées dans ses madrigaux dès la fin des années 1560, offrant ainsi les premières manifestations du style hybride 57 . L’auteur continue son discours en s’intéressant au nouveau visage des genres légers à partir des années 1575. Giustiniani les présente comme le résultat d’un mélange des genres (à michemin entre madrigal et genres légers) mais aussi comme des villanelle plus artificiose que par le passé. Pour Giustiniani, ce processus fut déclenché par une nouvelle génération de chanteurs (parmi lesquels Giulio Cesare Brancaccio, dont la voix de basse était très appréciée à la cour de Ferrare, et Alessandro Merlo, virtuose romain qui fut employé par la famille d’un des protecteurs de Macque, Camillo Caetani). Ceux-ci : svegliarono i compositori a far incitèrent les compositeurs à opere tanto da cantare a più composer, pour plusieurs voix voci come ad una sola sopra comme un istrumento, … ma con accompagnée par un instrument, procurare … maggiore pour mais voix en seule utilisant plus invenzione et artificio, e ne d’artifici et d’inventions. Il en vennero a risultare alcune résulta Villanelle miste tra Madrigali mélange di canto figurato e di certaines contrapuntique de 59 villanelles, madrigal et de villanelle, villanelle, delle quali se ne dont on voit aujourd’hui beaucoup vedono oggi di molti libri de d’exemples, des auteurs 56 GIUSTINIANI Vincenzo, Discorso sopra la musica de' suoi tempi, in SOLERTI Angelo, Le origini del melodramma, op. cit., p. 106. 57 Pour une lecture critique du texte de Giustiniani, et sur le rôle de Gabrieli, voir notamment DEFORD Ruth, Ruggiero Giovannelli and the Madrigal in Rome, PhD non publié (Harvard University), Ann Arbor, UMI, 1975, p. 224-228. 25 Marenzio gl’autori suddetti e di Orazio susnommés Vecchi et altri. Ma sì come le Giovannelli et aussi d’Orazio Villanelle acquistarono Vecchi 60 et d’autres. Mais de maggior perfezione per lo più même que les villanelles acquirent artificioso plus de perfection grâce à ce componimento, et così anche ciascun autore, a genre fin che le sue composizioni artificioso, riuscissero in auteur, afin que ses compositions generale, procurò d’avanzarsi plussent au goût général, s’essaya nel modo di comporre a più à composer ainsi à plusieurs voci. 58 di gusto de composition de même plus chaque voix. Giustiniani ne peut être taxé ici d’excès de zèle terminologique et la situation qu’il décrit est en réalité multiple. L’auteur fait référence ici aux canzonette à trois et quatre voix, nouveau genre léger né au début des années 1580 sous l’impulsion d’Orazio Vecchi, dont Marenzio et Giovannelli laissèrent aussi quelques recueils, intitulés arie alla napolitana. L’auteur ne mentionne en revanche pas les noms de Giovanni Ferretti, Alessandro Romano et Girolamo Conversi 61 qui furent en réalité les premiers compositeurs à tenter un mélange des genres dans les années 1570, mais furent supplantés par la suite par le succès croissant de la canzonetta. Sans rentrer dans les détails, rappelons simplement que les canzoni alla napolitana, desquels Macque s’inspira très largement dans ses deux recueils de Madrigaletti et napolitane, élargirent à cinq et six voix les textures classiques à trois et quatre voix, et se débarrassèrent peu à peu des formes strophiques qui caractérisaient jusqu’alors tous les types de genres légers 62 . 58 Ibid., p. 106-107. Je reprends ici la traduction du terme canto figurato que choisit Ruth DeFord (DEFORD Ruth, « Musical Relationships between the Italian Madrigal and Light Genres in the Sixteenth Century », Musica disciplina, XXXIV, 1985, p. 117, note 26). La locution canto figurato désigne le chant mesuré par opposition au plain-chant (voir notamment ZARLINO Gioseffo, Le Istitutioni hamoniche, op. cit., première partie, p. 19), et par extension, la musique polyphonique en général. 60 Orazio Vecchi fut l’inventeur de la forme définitive de la canzonetta, à mi-chemin entre la canzone des années 1570 et la villanella. Le premier recueil de canzonette de Vecchi parvenu jusqu’à nous date de 1580, mais il s’agit là d’une réédition. 61 Il s’agit là des plus grands représentants du genre, qui cependant fut cultivé par d’autres compositeurs tels que Giuseppe Caimo ou Giovanni Piccioni. 62 Sur l’évolution convergente des genres légers et du madrigal, voir notamment DEFORD Ruth, « Musical Relationships between the Italian Madrigal and Light Genres in the Sixteenth Century », Musica disciplina, XXXIV, 1985, p. 107-168. Sur les canzoni de Ferretti, voir ASSENZA Concetta, Giovan Ferretti tra canzonetta e madrigale, con l’edizione critica del Quinto libro di canzoni alla napolitane a cinque voci (1585), Firenze, Olschki, 1989. 59 26 La période prise en considération dans cette thèse, 1581-1597, est sans aucun doute celle pendant laquelle Macque fut le plus marqué par le rapprochement des genres et la recherche d’un nouvel équilibre entre l’ariosità et l’artificiosità. Le phénomène est en effet moins visible dans ses publications antérieures et postérieures. Les deux premiers recueils du madrigaliste (Il primo libro de madrigal a sei voci de 1576 et les Madrigali a quattro, cinque et sei voci de 1579) ont pu être considérés parfois par certains musicologues comme caractéristiques du style peu novateur du madrigal romain des années 1570 63 , même si Anthony Newcomb et James Chater ont vu dans le livre de 1579 les premiers signes d’un renouveau stylistique chez les compositeurs romains : Ce fut un étranger, Jean de Macque, qui donna au madrigal romain une impulsion créative décisive. Macque se trouvait à Rome au moins depuis 1574, date à laquelle il contribua au Quarto libro delle muse, un recueil dominé par les compositeurs romains. Le tournant stylistique eut lieu cinq ans plus tard, avec ses Madrigali a quattro cinque et sei voci de 1579, qui placent le compositeur tout à fait à part par rapport à ses collègues romains. Une plus grande variété rythmique et fluidité en sont les caractéristiques principales. 64 Les quelques madrigaux à six voix qui concluent le recueil de 1579, sur lesquels nous reviendrons, sont à mon sens ceux qui préfigurent le plus le virage que prendra Macque dans ses publications suivantes, car ils joignent à cette animation rythmique dont parle Chater, une certaine simplification et clarification harmonique tout à fait caractéristique du style hybride. Dans ses trois derniers recueils (Il quarto libro de madrigali a cinque voci de 1599, Il terzo libro de madrigali a quattro voci de 1610 et Il sesto libro de madrigali a cinque voci de 1613) 63 DeFord, notamment, classe Macque parmi les compositeurs « conservateurs » de la génération pré-Marenzio : « Le style madrigalesque de la génération la plus âgée de compositeurs romains, ceux qui commencèrent à publier dans les années 1570, est tout à fait différent de celui de la jeune génération, qui commença à publier dans les années 1580. … Les compositeurs les plus âgés furent influencés dans une certaine mesure par les œuvres des plus jeunes, mais ils n’adoptèrent pas leurs innovations de bon cœur et, par conséquent, leurs pièces des années 1580 et 1590 sont généralement nettement plus conservatrices que celles de leurs cadets. » (« The madrigal style of the older generation of Roman composers, who began publishing in the 1570s, are quite different from those of the younger generation, who began publishing in the 1580s. … The older composers were often influenced to some extent in their later works by the younger ones, but they did not adopt the innovations whole-heartedly, so their works of the 1580s and ’90s are usually recognizably more conservative than those of their younger contemporaries. », in DEFORD Ruth, Ruggiero Giovannelli and the Madrigal in Rome, op. cit., p. 143). 64 « It was a foreigner, Jean de Macque, who gave the madrigal in Rome a decisive creative impetus. Macque had been in Rome as early as 1574, in time to contribute to the Quarto libro delle muse, a collection dominated by Roman composers. Stylistically the turning point is five years later, for the I.a 4,5,6 of 1579 sets him widely apart from his Roman colleagues. Greater rhythmic variety and fluidity are the main characteristics. Quavers, used rarely in the earlier madrigals, now form an integral part of his melodic thought, often appearing in a melismatic group of four in ascending or descending motion, as with Marenzio. », in CHATER James, Luca Marenzio and the Italian Madrigal. 1577-1593, Ann Arbor, UMI, 1981, p. 14. 27 Macque s’éloigne sensiblement de cette recherche d’ariosità pour explorer un registre souvent beaucoup plus pathétique, qui s’exprime au travers des chromatismes et harmonies recherchées typiques de la dernière génération de madrigalistes napolitains. La légèreté de ton, sans disparaître complètement, deviendra alors bien plus marginale dans la production du compositeur. L’objectif de cette thèse est de faire le pont entre les deux périodes extrêmes de la production madrigalesque de Macque, en analysant le corpus sous la perspective de la dynamique d’échange entre ariosità et artificiosità qui caractérisa le style hybride dans les deux décennies du Cinquecento. Cette problématique est cependant à entendre plus comme un fil conducteur général que comme une grille méthodologique à appliquer de façon systématique sur le corpus, qui ne rendrait pas justice à la complexité de ce répertoire extrêmement varié. D’autre part, si ce travail veut améliorer nos connaissances sur Macque, il espère aussi approfondir notre vision du style hybride et du madrigal des deux dernières décennies du siècle en s’intéressant à l’œuvre d’un musicien qui joua sans aucun doute un rôle important dans l’évolution stylistique du genre. J’ai articulé la thèse selon un parcours chronologique divisant le corpus en trois parties, proposant de mettre en évidence les différentes phases du développement stylistique du compositeur pendant la période qui nous intéresse. Chacune de ces phases correspond à une étape bien définie de sa carrière et est étroitement liée à la vie artistique d’une ville déterminée : la Rome du début des années 1580 avec les deux recueils de Madrigaletti et napolitane (première partie), la Naples de la seconde moitié des années 1580 avec le Primo libro de madrigali a quattro voci et le Secondo libro de madrigali a cinque voci de 1586-1587 (deuxième partie) et enfin la Ferrare des années 1590 avec le Terzo libro de madrigali a cinque voci de 1597 (troisième partie). L’environnement social et musical du compositeur, on l’a déjà évoqué, eut un impact considérable sur le contenu poétique et musical des recueils, c’est pourquoi il m’a semblé utile d’essayer de reconstruire ce dernier avant d’aborder des questions plus analytiques. Chaque partie s’ouvre donc par une introduction contextualisante, donnant un aperçu de la vie musicale de la ville dans laquelle Macque résidait au moment de la publication des ouvrages, faisant le point sur sa situation professionnelle, présentant le dédicataire de chacun des livres et retraçant dans la mesure du possible la genèse des imprimés. Plusieurs ouvrages m’ont été d’un grand secours dans cette entreprise, notamment la thèse doctorale de Ruth DeFord, 28 Giovannelli and The Madrigal in Rome pour la période romaine 65 , celle de Keith Larson sur le madrigal napolitain, The Unaccompagnied Madrigal in Naples 66 , ainsi que la monographie d’Anthony Newcomb sur le madrigal à Ferrare, The Madrigal at Ferrara 67 . L’analyse des pièces se concentre ensuite sur trois paramètres fondamentaux à l’élaboration d’un recueil de madrigaux : les choix poétiques, le recours à certaines techniques musicales déterminées et enfin le type de représentation musicale du texte poétique. Les textes poétiques constituent la matière première du madrigal, et de ces derniers découlent bien des aspects de l’intonation 68 . Leur examen permet déjà de mettre en évidence les intentions du compositeur et les attentes du commanditaire de l’œuvre, que l’on soupçonne bien souvent derrière certains choix poétiques. L’analyse des textes est en outre absolument indissociable de la question de l’ariosità et de l’artificiosità en ce qu’elle fait rentrer en jeu des questions de genres et de registres stylistiques (un sonnet de Pétrarque est par exemple bien plus sophistiqué, complexe et exigeant – on pourrait dire plus artificioso – qu’un texte de villanelle anonyme qui aura lui des connotations bien plus légères). L’analyse des rimes procède selon trois étapes principales, absolument interdépendantes. Il s’agit tout d’abord de déterminer les sources poétiques et musicales des rimes (ou l’absence de sources, qui peut aussi se révéler significative). Le texte apparaît-il dans un recueil imprimé, qui en est l’auteur ? Fut-il musiqué par d’autres auteurs ? La version utilisée par Macque présente-t-elle des divergences notables ? La deuxième étape s’intéresse à des questions formelles et métriques : les différents modèles de versification – formes fixes (sonnet, canzone, madrigal trecentesco...), madrigal cinquecentesco, villanelle, etc. –, le type de vers utilisé, la longueur des textes. La dernière phase s’attache à mettre en évidence les particularités stylistiques des rimes, leurs thématiques (lyrique amoureuse, pastorale, spirituelle, encomiastique…), l’usage d’un lexique connoté, de topoi récurrents, le recours à certaines figure de styles significatives (pluralité, corrélations, chiasmes…). 65 DEFORD Ruth, Ruggiero Giovannelli and the Madrigal in Rome, op. cit. LARSON Keit, The Unaccompanied Madrigal in Naples from 1536–1654, PhD non publié (Harvard University), Ann Arbor, UMI, 1985. 67 NEWCOMB Antony, The Madrigal at Ferrara, Princetown, Princetown University Press, 1980. 68 J’utilise ici le terme « intonation » comme synonyme de « mise en musique », calquant l’usage italien du mot intonazione. 66 29 La grande majorité des données concernant les concordances poétiques et musicales (sources poétiques, recueils de madrigaux comportant une autre intonation du texte) sont tirées du Repertorio della Poesia Italiana Musicata dal 1500 al 1700 (RePIM), base de données projetée en 1977 par Lorenzo Bianconi et Antonio Vassalli, et réalisée par Angelo Pompilio 69 , aujourd’hui consultable on line dans une version provisoire. Signalons en outre que, d’un point de vue plus théorique, mes recherches sur le contenu poétique du corpus doivent beaucoup aux réflexions de Cecilia Luzzi sur les madrigaux de Philippe de Monte 70 . L’analyse des techniques musicales, sans procéder de manière systématique du fait de la variété du corpus, s’attache à identifier un certain de nombre de « marqueurs » de style à travers l’examen de différents paramètres d’écriture : la forme, les choix modaux, les différents types de texture employés, leur proportion et leur évolution, l’harmonie, la prosodie, le rythme, l’articulation du discours, l’emploi des cadences, le recours à certains topoi particulièrement typés. Il s’agira de montrer comment chacun de ces paramètres musicaux se décline selon les différents dosages entre artificiosità et ariosità recherchés par le compositeur et/ou déterminés par le texte poétique, penchant vers un plus ou moins grand degré de complexité, de sophistication, de standardisation ou de légèreté et empruntant tantôt au madrigal classique, tantôt aux genres légers, tantôt au style hybride. Une grande partie des outils d’analyse et de la terminologie utilisée provient des travaux des musicologues qui se sont intéressés à la période. La littérature musicologique ne couvrant cependant pas systématiquement les nécessités du parcours analytique, d’autres ont souvent été créés afin de répondre plus précisément aux différents cas de figure qui se présentaient. Dans la dernière étape de l’analyse, j’ai envisagé la représentation musicale du texte poétique comme un paramètre stylistique variable, partant du principe que celle-ci pouvait également se décliner de différentes manières selon le degré d’artificiosità voulu par le compositeur d’une part, mais aussi selon l’évolution globale du langage madrigalesque qui ne fut pas figé dans son rapport au texte. Plusieurs points m’ont paru significatifs : le choix des mots représentés, la concentration des figures, leur plus ou moins grande standardisation et les différents types de rapports établis entre le signifié et le signifiant musical. D’autre part, même si les madrigalistes se sont attachés avant tout à traduire le contenu sémantique des vers qu’ils musiquaient, l’analyse a pris en compte, lorsque la matière musicale s’y prêtait, 69 POMPILIO Angelo, Repertorio della Poesia Italiana in Musica, 1500-1700 (RePIM), http://repim.muspe.unibo.it/, page consultée le 6 juin 2007. Je remercie le Professeur Angelo Pompilio de m’avoir donné accès aux données concernant les madrigaux de Macque avant la mise en ligne du RePIM. 70 LUZZI Cecilia, Poesia e musica nei madrigali a cinque voci di Filippo di Monte (1580-1595), Firenze, Olschki, 2003. 30 d’autres aspects de la lecture musicale des vers, tels que le rythme poétique et l’organisation syntaxique. Chaque étape de l’analyse a essayé de garder la vision la plus large possible sur le reste de la production vocale profane de l’époque. La délimitation de ce « corpus parallèle » destiné à l’analyse comparative est cependant problématique, celui-ci restant forcément à la fois réducteur et aléatoire. Mon choix s’est porté tout particulièrement sur les intonations par d’autres auteurs des poésies du corpus et sur la production des auteurs présentant des affinités stylistiques avec le compositeur ou qui partagèrent avec lui le même environnement musical à Rome et Naples. Plusieurs « foyers » ont ainsi été délimités. Dans la première partie, mon attention s’est focalisée sur la production légère des années 1570-1580, et tout particulièrement les canzoni de Ferretti et Conversi. Dans la deuxième partie, j’ai voulu mettre en regard les deux premiers recueils napolitains de Macque avec la production romaine et napolitaine des années 1580. Les deux anthologies des Musici di Roma, Dolci affetti (1582) et Le Gioie (1589) 71 offrent un précieux panorama de la production romaine de la période, qui a été complété par les transcriptions de pièces Giovannelli et d’autres auteurs romains proposées par DeFord dans son PhD ainsi que par les premiers recueils de Marenzio 72 . Ma connaissance du madrigal napolitain se fonde essentiellement sur les analyses et les transcriptions proposées par Keith Larson dans son PhD 73 . La troisième partie s’est concentrée sur le trio napolitano-ferrarais, Gesualdo, Luzzaschi, Fontanelli. La thèse est divisée en deux volumes : le premier se concentre sur l’analyse du corpus, le second comporte l’édition des textes poétiques de l’ensemble des recueils, la transcription du Secondo libro de madrigali a cinque voci et du Terzo libro de madrigali a cinque voci ainsi que de quelques autres pièces évoquées au cours de la thèse, auxquels vient s’ajouter la traduction en français de la correspondance de Macque. Les critères d’édition, de transcription, de reconstruction et de traduction sont précisés dans l’introduction du deuxième tome. Sauf précision de ma part, toutes les traductions sont de l’auteur. 71 Sur ces anthologies, voir infra, p. 33. Voir les deuxième et troisième volumes de DEFORD Ruth, Ruggiero Giovannelli and the Madrigal in Rome, op. cit. 73 LARSON Keit, The Unaccompanied Madrigal in Naples from 1536–1654, op. cit. 72 31 P REMIERE PARTIE – LES DEUX RECUEILS DE M ADRIGALETTI ET NAPOLITANE (1581-1582) : LE STYLE HYBRIDE … persuadendomi che dopo molte compositioni artificiose, non le debbiano esser discare queste mie, che sono alquanto ariose massime per esser cose di sì affettionato servitore … … tachant de me persuader qu’après de nombreuses compositions artificiose, ne seraient pas écartées les miennes, qui sont aussi ariose que peuvent l’être celles d’un serviteur aussi attaché que moi … Giovanni de Macque, dédicace du Primo libro de madrigaletti et napolitane Macque à Rome dans les années 1580 Macque et la Compagnia dei musici En 1581, lorsque le Primo libro de madrigaletti et napolitane sortit des presses vénitiennes de Gardano, Macque se trouvait à Rome depuis au moins huit ans. La première trace de sa présence dans la ville pontificale est révélatrice de ce qui fut sans doute son principal milieu musical pendant toutes ses années romaines. En 1574, Macque participa en effet au Quarto libro delle muse 74 , anthologie de madrigaux compilée par Tommaso Benigni qui lança sur le marché éditorial une nouvelle génération de madrigalistes actifs à Rome, parmi lesquels Dragoni, Soriano, G.M. Nanino et Macque. Ce recueil constitue en outre le premier imprimé à rassembler un nombre important de membres de la future Compagnia dei musici di Roma, 74 Il quarto libro delle muse a cinque voci, Venezia, Gardano, 1574. 32 congrégation qui joua vraisemblablement un rôle essentiel dans la vie professionnelle de Macque. Les origines de cette congrégation sont assez floues, mais il semble qu’à l’arrivée du compositeur à Rome, celle-ci commençait à s’organiser de manière informelle. Elle regroupait un certain nombre de musiciens actifs à Rome (mais pas nécessairement d’origine romaine 75 ), parmi lesquels, à côté de Giovanni de Macque, on retrouve, entre autres, Marenzio, Palestrina, Giovannelli, G.M. Nanino, Anerio, Moscaglia, Soriano, Stabile, Dragoni et Bellasio 76 . Même s’il fallut attendre le premier mai 1585 pour que le groupe soit finalement officialisé par la bulle de Sixte Quint Rationi congruit sous le nom de Congregazione dei musici di Roma posta sotto l’invocatione della Beata Vergine, di San Gregorio Magno e di Santa Cecilia 77 , plusieurs documents témoignent du dynamisme de la Compagnia avant cette date. Macque semble avoir participé à presque toutes les activités documentées de la future congrégation et, à travers la carrière romaine du compositeur, on peut suivre pas à pas l’évolution de la Compagnia (même si, paradoxalement, le madrigaliste quitta Rome au moment même où cette dernière fut officialisée par la bulle de Sixte Quint). Macque contribua en effet à presque toutes les anthologies comportant des madrigaux de plusieurs de ces musiciens romains. J’ai déjà évoqué le Quarto libro delle muse de 1574. Dans la première moitié des années 1580, Macque participa encore à cinq autres anthologies. En 1582, il écrivit deux madrigaux pour le recueil Dolci affetti. Madrigali a cinque voci de diversi eccellenti musici di Roma 78 , dans lequel les futurs membres de la Compagnia s’autoproclament pour la première fois « Musiciens de Rome ». Puis, en 1582 et 1583, Macque composa deux madrigaux pour les anthologies ferarraises Il Lauro secco et Il Lauro 75 Macque n’était pas le seul musicien de cette congrégation à avoir des origines franco-flamandes. Barlolomeo Roy et Nicolas Perué venaient respectivement de Bourgogne et de Liège. Parmi les musiciens italiens, une grande partie était aussi des romains d’adoption (par exemple Marenzio et Bellasio, le premier originaire de Brescia, le second de Vérone). 76 Pour plus de renseignements sur la Compagnia dei musici di Roma voir ALFIERI Pietro, Brevi notizie storiche sulla congregazione ed accademia di Santa Cecilia, Roma, Perego-Salvioni, 1845 ; CASIRIMI Raffaelle, « L’antica Congregazione di Santa Cecilia fra i musici di Roma nel secolo XVII », Note d’Archivio, I, 1924, p. 116 ; GIAZOTTO Remo, Quattro secoli di storia dell’Accademia Nazionale di Santa Cecilia, Roma, Accademia Nazionale di Santa Cecilia, 1970, PIRROTTA Nino, I musici di Roma e il madrigale, Dolci affetti (1582) e Le Gioie (1589), Lucca, Libreria Musicale Italiana, 1994 et SUMMERS William J., « The compagnia dei Musici di Roma 1584-1604: a Preliminary Repot », Current Musicology, 34, 1982, p. 7-25. 77 La bulle est reproduite dans GIAZOTTO Remo, Quattro secoli di storia dell’Accademia Nazionale di Santa Cecilia, op. cit., p. 9-11. 78 Dolci affetti. Madrigali a cinque voci de diversi eccellenti musici di Roma (Venezia, Scotto, 1582) est dédicacée au Référendaire Bandini. La lettre de dédicace est signée par l’Accademico Anomato. 33 verde en l’honneur la célèbre chanteuse du duc d’Este Laura Peverara. Même si ces deux recueils ne sont pas à proprement parler une réalisation de la Compagnia dei musici, ces derniers semblent avoir été très impliqués dans ce projet puisque cinq d’entre eux participèrent au premier recueil, et dix au deuxième 79 . En 1583, on retrouve le nom de notre compositeur dans De floridi virtuosi d’Italia. Il primo libro a cinque voci au côté de cinq autres musiciens de la Compagnia 80 . Enfin, probablement à l’époque de son départ pour Naples, Macque participa au Secondo libro de madrigali a quattro voci : con alcuni di diversi eccellenti musici di Roma de Giovanni Battista Moscaglia 81 . Ce dernier déclare dans la préface être l’auteur de tous les textes poétiques, mais avoir délégué la musique à certains compositeurs romains par manque de temps (« non potendo per la brevità del tempo metterli tutti musica »). L’appartenance de Macque à ce réseau de musiciens va plus loin que ces anthologies de madrigaux. En effet, l’unique poste que semble avoir occupé le madrigaliste pendant son séjour à Rome est celui d’organiste à Saint Louis des Français, dont tous les maîtres de chapelle entre 1570 et 1590 furent liés de près ou de loin à la Compagnia 82 . D’après les livres de comptes de Saint Louis des Français, Macque fut employé comme organiste du premier octobre 1580 au 21 septembre 1581, alors que Francesco Soriano y était maître de chapelle 83 . Après avoir quitté Rome, Macque resta en contact avec les membres de la congrégation. Quatre ans après son départ, il participa en effet à la dernière anthologie de la Compagnia, publiée par l’imprimeur vénitien Amadino en 1589 (Le gioie. Madrigali a cinque voci di diversi eccl.mi musici della Compagnia di Roma), pour laquelle il écrivit le madrigal Nei vostri dolci baci. Mais c’est surtout la correspondance que le compositeur entretint avec Camillo Norimberghi, écuyer (scalco) au service de Camillo Caetani (le dédicataire du 79 Participèrent au Lauro secco (Ferrara, Baldini, 1582) Giovannelli, Macque, Perué, Stabile et Zoilo et au Lauro verde (Ferrara, Baldini, 1583) Bellasio, Giovannelli, Locatello, Macque, Marenzio, Perué, Roy, Soriano et Stabile. On aura l’occasion de revenir sur ces premiers liens entre Macque et la cour de Ferrare dans la troisième partie. 80 Les six compositeurs de la Compagnia qui participèrent à De floridi virtuosi d’Italia. Il primo libro a cinque voci (Venezia, Vincenti et Amadino, 1583) sont Dragoni, Macque, Marenzio, Perué, Stabile et Zoilo. 81 Participèrent au Secondo libro de madrigali a quattro voci : con alcuni di diversi eccellenti musici di Roma de Giovanni Battista Moscaglia (Vincenti et Amadino, Venezia, 1585) : G. M. Nanino, Macque, Stabile, Roy, Zoilo, Perué, Crivelli, Giovannelli, Marenzio, Locatello, Bellasio, Iosquino della Sala et Giovanni Pellio. 82 Se succédèrent au poste de maître de chapelle de Saint Louis des Français entre 1572 et 1591 : Bartolomeo Roy (1572-1575), G.M. Nanino (1575-1577), Giovanni Pellio (1577-1578), Francesco Soriano (1578-1581), Johannes Pellio (1581-1583) et Ruggiero Giovannelli (1583-1591). 83 Voir FREY Herman-Walter, « Die Kapellmeister an der französischen Nationalkirche San Luigi dei Francesi in Rom im 16. Jahrhundert », op. cit., p. 39. 34 Secondo libro de madrigaletti et napolitane) 84 , qui témoigne de la solidité de ces liens. Dans la première lettre qui nous est parvenue, datée du 31 janvier 1586, Macque fait par exemple référence à Palestrina, à propos d’une lettre provenant d’Espagne : Onde Vostra Votre Seigneurie me rendrait Signoria mi farà gratia di donc un grand service en allant voir vedere un poco se fra le un peu si parmi les vieilles lettres de lettere vecchie della posta la poste d’Espagne, il n’y en aurait di Spagna vene fussero pas une adressée à moi, ou à vous, ou qualcheduno dirette a me, s’il a été écrit quelque chose à ce o, a lei o, pur se al sujet à Palestrina. Palestrina è stato scritto cosa alcuna di questo negotio. 85 Encore plus intéressante, la lettre du 13 novembre 1586, dans laquelle Macque s’intéresse à la vie de ceux qu’il appelle les virtuosi. 84 Ces lettres, conservées à l’Archivio Caetani de Rome, sont transcrites intégralement dans DEFORD Ruth, Ruggiero Giovannelli and the Madrigal in Rome, op. cit., p. 277-294. De larges extraits sont aussi commentés dans LIPPMANN Friedrich, « Giovanni de Macque tra Roma e Napoli: nuovi documenti », op. cit., p. 243–279. 85 Archivio Caetani, n. 4301. Voir annexes. 35 Ho inteso con mio gran J’ai appris avec un grand 87 dispiacer la morte del Pervue, déplaisir la mort de Pervue , paix à son che sia in gloria, et con piacer âme, et avec plaisir que Soriano lui che il Soriano habbi havuto il succèdera, et s’il arrive quelque autre loco suo et se qualche altre nouvelle novità quelli Seigneurie me fera un immense plaisir en virtuosi, Vostra Signoria mi m’en tenant informé, et puisque notre farà sommo piacer di farmela Seigneur intendere, et per essere mancato désormais privé de son maître le cardinal al Signor Locatello nostro, il San Sistro 89 , de grâce, avisez-moi auprès Cardinale de qui il demeure présentement. seguirà San fra Sisto suo de ces virtuoses, Locatello 88 se Votre retrouve padrone, per gratia avisami con chi si tratiene al presente. 86 Macque fut apparemment rapidement mis au courant de la disparition de Perué, puisque la lettre ne fut écrite que dix-huit jours après sa mort, survenue le 26 septembre 1586 90 . Enfin, dans la lettre du 28 avril 1589, Macque fait allusion à l’amitié qui le lie avec Giovannelli et Santini, dont il ne semble avoir retrouvé l’équivalent à Naples : Che 86 per altra Si ce n’était cela, je m’en Archivio Caetani, n. 28365. Voir annexes. Nicolas Peruve (Peruue, Pervue, ou Perue) succède à Orazio Caccini à Santa Maria Maggiore vers 1581. Soriano reprend son poste en 1586 (voir O’REGAN Noel, « Soriano, Francesco », Grove Music Online, http://www.grovemusic.com/shared/views/article.html?section=music.26258, page consultée le 5 septembre 2007). Pervue mourut le 26 septembre 1586, c’est-à-dire seulement 18 jours avant que Macque ne rédige cette lettre. Sur la mort de Pervue voir notamment MORELLI Arnaldo, Il tempio Armonico, musica nell’oratorio dei Filippini in Roma (1575-1705), op. cit., p. 11. 88 Giovanni Battista Locatello faisait partie, comme Macque, de la Compagnia dei musici di Roma (il composa en effet un madrigal dans les deux anthologies de madrigaux de la congrégation). Il fut aussi organiste à Saint Pierre de Rome dans les années 1580, ainsi qu’à Santo Spirito in Saxia de 1579 à 1595 (voir O’REGAN Noel, « Locatello, Giovanni Battista », Grove Music Online, http://www.grovemusic.com/shared/views/article.html?section= music.16842, page consultée le 5 septembre 2007). 89 Le cardinal Filippo Boncompagni, neveu du Pape Grégoire XIII, mourut 7 juin 1586 et fut enterré à Santa Maria Maggiore. Paolo Bellasio lui dédicaça son Secondo libro de madrigali a cinque voci en 1582. Voir COLDAGELLI Umberto, « Boncompagni Filippo », Dizionario biografico degli Italiani, Roma, Treccani, 1960-, vol. 11, p. 687. 90 Sur la mort de Perué voir MORELLI Arnaldo, « Il tempio Armonico musica nell’oratorio dei Filippini in Roma (1575-1705) », Analecta musicologica, XXVII, 1991, p. 11. 87 36 occasione non mi partirei irais déjà d’ici pour retrouver la già di qua che per la realità qualité de la conversation à Rome, del conversare di Roma, et et pour tous les amis que j’y ai, car per li molti amici che ci ho, je peux dire qu’ici je n’ai pas trouvé ove qua posso dire di non un seul vrai ami, moi qui pourtant haver in tanti anni ancora en ai une infinité. Je ne peux acquistato un vero amico, cependant m’y fier comme je le che io pur ne ho infiniti, ferais d’un Norimberghi ou d’un non però mene posso fidare Giovannelli ou d’un Santino ou de come d’uno tant d’autres encore, à cause du peu d’un de bienveillance qui règne entre les Giovanelli et d’un Santino amis dans ce royaume, où l’on ne et di tant’altri, mercè della peut se fier à personne. Cela est tout poca benevolenza che regna ce que j’ai à écrire à Votre in questo regno fra li amici, Seigneurie per il che non bisogna sentiments. farei Norimberghi à propos de mes fidarsi di nissuno, et questo è a ponto quanto mi occorre di scrivere Signoria mio. a circa Vostra l’animo 91 Giovannelli fut l’un des principaux acteurs du renouvellement de l’écriture madrigalesque dans les années 1580. Même s’il est difficile de déterminer ce que Macque entendait précisément par « véritable ami », cette locution laisse cependant penser à des contacts étroits entre les deux madrigalistes. L’essor du madrigal romain C’est donc un compositeur extrêmement intégré dans la vie musicale romaine qui publie chez Gardano les deux livres de Madrigaletti et napolitane en 1581 et 1582. Quel visage a le madrigal romain en ce début des années 1580 ? Macque avait sans aucun doute contribué à un début de renouveau dans le paysage musical romain des années 1570 en publiant chez l’imprimeur vénitien Gardano ses premiers livres de madrigaux (Il primo libro de madrigali a sei voci en 1576, suivi trois ans plus tard par son Primo libro de madrigali a quattro, cinque e sei voci). En effet, si jusqu’à la fin des années 91 Archivio Caetani, n. 58194. Voir annexes. 37 1560 92 , le madrigal ne trouve pas à Rome un terrain très propice à son épanouissement (dans les années 1560, seul un musicien romain, Annibale Zoilo, publia sous son nom un recueil complet de madrigaux 93 ), quinze recueils voient le jour dans les années 1570, parmi lesquels deux de Macque (voir table 3). table 3 : recueils publiés par des madrigalistes romains dans les années 1570 94 Auteur Nombre de Année recueils publication Bellasio 1 1578 Dragoni 3 1575, de 1575, 1579 Macque 2 1576, 1579 Moscaglia 2 1575, 1579 G. M. Nanino 1 1572 Tartaglino 1 1576 Stabile 1 1572 Anthologies 4 1573, 1574, 1576, 1577 L’activité éditoriale romaine continue à s’animer dans les années 1580, sans doute stimulée par l’arrivée de Luca Marenzio dans la vie musicale 95 , mais aussi par le boom éditorial que connaît le madrigal dans son ensemble à cette période 96 . Lorsque, en 1581, le premier recueil de Madrigaletti et napolitane sort des presses de Gardano, le madrigal romain est en pleine renaissance. Six livres de madrigalistes romains voient en effet le jour cette année-là et, entre 1581 et le départ présumé de Macque pour Naples en 1585, ces derniers ne publieront pas 92 Toutes les données relatives aux imprimés romains sont tirées de la « Chronological Table of Secular Publications by Roman Composers », in DEFORD Ruth, Ruggiero Giovannelli and the Madrigal in Rome, op. cit., p. 330-336. 93 ZOILO Annibale, Il secondo libro de madrigali a quattro e cinque voci, Roma, Blado, 1563. On a souvent imputé à la Contre-Réforme cette réticence romaine envers le madrigal. 94 D’après DEFORD Ruth, Ruggiero Giovannelli and the Madrigal in Rome, op. cit., p. 331. 95 En 1580, Luca Marenzio publia son tout premier recueil de madrigaux, Il primo libro de madrigali a cinque voci (Venezia, Gardano). 96 Voir BIANCONI Lorenzo, Il Seicento, Torino, EDT, 1991, p. 4. Storia della musica a cura della Società Italiana di Musicologia, vol. 4. 38 moins de vingt-huit recueils, soit une multiplication par quatre de l’activité éditoriale des années 1570 97 . L’année 1581 marque un autre tournant dans le panorama musical de la ville. Le premier livre de Madrigaletti et napolitane de Macque est en effet le tout premier imprimé de genres légers publié par un compositeur romain. Suivront douze autres livres jusqu’à la fin des années 1580 98 . À Rome, comme ailleurs en Italie, le goût musical commence à changer, et l’engouement pour les pièces légères à se faire sentir. « All’Illustrissimo Signor mio » : Macque et ses padroni En dehors de ses activités de membre de la Compagnia dei Musici di Roma, Macque, comme n’importe quel compositeur de l’époque, chercha à se placer sous la protection de mécènes susceptibles de l’aider matériellement. Comme l’ont souligné Ruth DeFord et Nino Pirrotta 99 , Rome, du fait de sa situation politique particulière, était alors un lieu particulièrement attractif pour les musiciens : Rome était, on peut le dire, la ville des nombreuses cours. À celle du pape, qui ne dédaignait pas complètement le madrigal, s’ajoutaient celles qui entouraient les principales familles de la noblesse, les ambassades, les cardinaux et les prélats de la curie 100 . Macque avait déjà placé ses premiers recueils sous la protection de deux futurs cardinaux. Serafino Razzali, dédicataire du Primo libro de madrigali a sei voci (1576), qui semble avoir accueilli Macque à son arrivée à Rome 101 , était un important dignitaire ecclésiastique. Sans être originaire d’une grande lignée, il fut nommé cardinal en 1604, quelques années avant sa mort en 1608 102 . Quant à Scipione Gonzaga, dédicataire du Primo libro de madrigali a 97 On s’étonne que Macque, dans sa lettre du 10 octobre 1587, fasse allusion au déclin musical de la ville pontificale. Il se référait sans doute plus aux activités musicales des diverses chapelles et églises de la ville qu’à la pratique profane de salon. 98 Pour le détail des imprimés, voir DEFORD Ruth, Ruggiero Giovannelli and the Madrigal in Rome, op. cit., p. 331-332. 99 DEFORD Ruth, «The composers and their Patrons » in Ruggiero Giovannelli and the Madrigal in Rome, op. cit., p. 8-30 ; PIRROTTA Nino, “Dolci affetti”: i musici di Roma e il madrigale’, Studi musicali, XIV, 1985, p. 59–104 et introduction de I musici di Roma e il madrigale, Dolci affetti (1582) e Le gioie (1589), op. cit., p. ix-xlvii. 100 « Roma era, si può dire, la città delle molte corti – non del tutto schiva nei riguardi del madrigale quella papale, le si aggiungevano quelle che ruotavano intorno alle principali casate nobiliari, alle ambasciate e ai cardinali e prelati presenti in curia. », in PIRROTTA Nino, I musici di Roma e il madrigale, op. cit., p. x. 101 Dans la dédicace du Primo libro de madrigali a sei voci, Macque précise que ces madrigaux sont « nés et ont grandi » chez Serafino Razzali (« nati et allevati in casa sua »). 102 La vie de Serafino Razzali est racontée de manière assez précise dans plusieurs dictionnaires historiques des XVIIe et XVIIIe siècles. Celui-ci naît à Lyon vers 1531, mais se rend avec sa mère et son beau-père à Bologne où 39 quattro, cinque e sei voci (1579) et cardinal lui aussi à partir de 1587, il faisait partie des grandes figures du mécénat de l’époque 103 . Ventura Maffetti En dédicaçant son Primo libro de madrigaletti et napolitane à Ventura Maffetti, Macque ne plaça pas ce nouveau recueil sous la protection d’une importante personnalité politique, ni d’un membre d’une illustre lignée comme il l’avait fait pour ses imprimés précédents. De Ventura Maffetti, nous ne savons que peu de choses. Ce dernier venait certainement d’une famille bourgeoise de la province de Bergame. Selon le Dizionario Storico de Giovanni Battista Di Crollalanza, la lignée Maffetti se divise en effet en deux branches, l’une originaire de Brescia, l’autre des environs de Bergame. Ventura Maffetti faisait sans doute partie de la deuxième puisqu’une bulle papale datant de 1585 le définit comme bergamasque 104 . Di Crollalanza consacre les quelques lignes suivantes à cette branche de la famille Maffetti : Maffetti de Venise (XVIIe Maffetti di Venezia (sec. XVII): Originaria di Sovere, comune provincia di trapiantata della Bergamo, da siècle) : Originaire e un commune de la de Sovere, province de Marcantonio in Venezia. – Bergame, et transplantée à Venise Avendo offerto per la guerra par un di Candia cento mila ducati fu Ayant donné cent mille ducats ascritta alla nobiltà nel 1654. pour la guerre de Candia, elle fut certain Marcantonio.- inscrite à la noblesse en 1654. 105 il étudie le droit civil, à la suite de quoi lui est confiée une chaire à l’université de Bologne. Il se rend ensuite à Rome où il obtient différentes charges ecclésiastiques. Il est Auditeur du tribunal de la Rote, puis évêque de Rennes, patriarcat d’Alexandrie et enfin cardinal. Voir ALIDOSI-PASQUALI Giovanni Nicolò, Li dottori bolognesi di legge canonica e civile, Bologna, Tebaldini, 1620, p. 210 ; BENTIVOGLIO Guido, Memorie e lettere, éd. Costantino Panigada, Bari, Laterza, 1934 ; FANTUZZI Giovanni Notizie degli scrittori bolognesi, Bologna, Stamperia di San Tommaso d’Aquino, 1791-1794 ; rééd. fac-similé Bologna, Forni, 1965. 103 Ami et protecteur du Tasse, Scipione Gonzaga était membre de l’Accademia degli Invaghiti de Mantoue et fonda l’Accademia degli Etterei. Luca Marenzio lui dédia son premier livre de motets à quatre voix (Motectorum pro festis totius anni cum communi sanctorum, Roma, Gardano, 1585). 104 Voir KETTERBACH Bruno, Referendarii Utriusque signaturae a Martino V ad Clementem IX et praelati signaturae supplicationum a Martino V ad Leonem XIII, Roma, Bilioteca apostolica Vaticana, 1931, p. 62. Studi e testi, vol. 55. 105 DI CROLLALANZA Giovanbattista, Dizionario storico-blasonico delle famiglie nobili e notabili italiane estinte e fiorenti, Pisa, sous la direction du Giornale araldico, 1886/1890, rééd. fac-similé Bologna, Forni, 1986, vol. 2, p.45. 40 Lorsque Macque publia le recueil de Madrigaletti et napolitane, les Maffetti ne faisaient donc pas encore partie de la noblesse italienne. Cela n’avait pas empêché Ventura de faire carrière à la curie et de devenir Référendaire Apostolique, comme le déclare la dédicace du recueil de Macque 106 . Cette dernière nous apprend aussi que Ventura était lieutenant à Ancône, dans les Marches. Ce fait est corroboré par une anecdote relatée par Achille Sansi dans la Storia del comune di Spoleto dal secolo XII al XVII 107 , qui évoque la « luogotenenza di Ventura Maffetti ». Dans le même ouvrage, Sansi relate comment Ventura obtint aussi la charge de vice-gouverneur du gouvernement de Spoleto (petite ville d’Ombrie, au sud-est d’Assise). Ventura Maffetti devait donc passer beaucoup de temps hors de Rome, et l’on ne s’étonne pas que Macque fasse allusion à son absence dans sa lettre de dédicace : All’Illustre Reverendissimo et À mon Seigneur Illustre mio et très révéré, le très respecté Monsignor Monseigneur Ventura Maffetti, Signor osservandissimo Ventura Maffetti, Referendario Référendaire Apostolico, et Luogotenente in Lieutenant à Ancône Apostolique et Ancona Sachant Sapendo che Vostra Seigneurie que a Votre l’habitude Signoria Reverendissima suol quelquefois, quand ses graves talhora, quando le è permesso occupations le lui permettent, de dalle sue gravi occupationi, se récréer avec la musique, et ricreasi con la Musica, e tachant persuadendomi qu’après che doppo de me de persuader nombreuses molte compositioni artificiose, compositions non le debbiano esser discare seraient queste mie, che sono alquanto miennes, qui sont aussi ariose ariose massime per esser cose que peuvent l’être celles d’un di servitore, serviteur aussi attaché que moi, quanto io le sono. Ho ricevuto, j’ai décidé, devant les imprimer, dovendole di de vous les dédicacer, à vous dedicarle a Lei, dalla quale sò grâce à qui, j’en suis convaincu, quanta riputatione riceverano. elles Oltra che ella potrà ancho da réputation. sì affettionato dar in luce artificiose, ne écartées les pas recevront En une bonne outre, vous 106 Cette information est confirmée dans les quelques lignes consacrées à Maffetti dans KETTERBACH Bruno, Referendarii Utriusque signaturae, op. cit., p. 62. 107 SANSI Achille, Storia del comune di Spoleto dal secolo XII al XVII seguita da alcune memorie dei tempi posteriori, Foligno, Sgariglia, 1879-1884, vol. 2, p. 248-249. 41 ciò conoscere, che nonostante pourrez ainsi savoir que malgré l’assenza sua, continua tuttavia votre absence, je continue tout in me l’osservanza ch’io le de même à vous porter le plus porto, et Le baccio le mani. Di grand respect. Je vous baise les Roma alli 10 di Maggio 1581. mains. De Rome, le 10 mai 1581. Di Vostra Signoria Illustrissima Affettionatissimo De votre Illustrissime Seigneurie Le serviteur affectionné Servitore Giovanni de Macque Giovanni de Macque Il est possible que Ventura Maffetti ait commandité le recueil de Madrigaletti et napolitane à Macque afin afin d’asseoir sa position sociale auprès de la noblesse romaine par cet acte de mécénat musical. Camillo Caetani En dédicaçant son deuxième livre de Madrigaletti et napolitane à Camillo Caetani (15521602), Macque plaça cette fois-ci son recueil non seulement sous la protection d’une des plus grandes lignées de la noblesse romaine mais aussi sous celle d’une importante famille de mécènes. La maison Caetani, dont les origines remontent au XIIe siècle, avait déjà donné à la Papauté deux papes 108 et pas moins de dix-sept cardinaux. Comme beaucoup de membres de la noblesse romaine de la fin du XVIe siècle, la famille Caetani avait une tradition de mécénat artistique et musical bien enracinée. Selon le biographe de la famille 109 , l’oncle de Camillo, le cardinal Nicolò Caetani (1526-1585), était un grand amateur d’art. Giovanni Battista Conforti lui dédicaça son Primo libro de ricercari a quattro voci (Roma, Dorico, 1558), dont la page de titre présente les armes de la famille Caetani. Il 108 Gelasio II et Bonifacio VIII, respectivement papes de 1118 à 1119 et 1294 à 1303. CAETANI Gelasio, Domus Caietana. Storia documentata della famiglia Caetani, Sancasciano, Val di Pesa, Stianti, 1933, vol. 2, p. 171. 109 42 entretenait aussi à sa cour les deux chanteurs et frères Giovanni Antonio et Alessandro Merlo 110 . Au tournant du siècle, c’est un autre cardinal, Bonifacio Caetani (1568-1617) 111 , qui fut l’objet de trois dédicaces : Il primo libro de madrigali a quattro voci d’Emilio Virgelli (Venezia, Gardano, 1594), Il primo libro de madrigali a sei voci de l’organiste du dôme d’Orvieta Giovanni Piccioni (Venise, Gardano, 1598) et enfin les Canzonette a tre voci d’un noble génois, Borlasca Bernardino (Venezia, Vincenti et Amadino, 1611). Camillo Caetani (1552-1602) est le troisième fils de Bonifacio I Caetani (1514-1574) et de Catherine Pie de Savoie. Il grandit avec son frère Enrico (futur cardinal) et embrasse la carrière ecclésiastique dès l’âge de dix ans. D’après le biographe de la famille, son oncle Nicolò Caetani, Alessandro Farnese et le secrétaire de la famille, l’humaniste Gio. Francesco Peranda (personnage récurant dans les lettres de Macque) jouent un rôle important dans son éducation. Camillo étudie le droit civil et canonique à Pérouse. Après avoir obtenu divers bénéfices ecclésiastiques, il tombe en disgrâce auprès de Sixte Quint. Il est nommé patriarche d’Alexandrie en 1588 et accomplit sa première mission politique en 1589. Il devient ensuite nonce apostolique en 1591 et meurt en 1602, sans avoir réussi à obtenir la charge de cardinal 112 . En 1582, lorsque Macque lui dédicace son Secondo libro de madrigaletti et napolitane, Camillo a exactement trente ans, et vit vraisemblablement à Rome dans le palais familial situé sur les rives du Tibre 113 . Par la suite, deux autres recueils lui seront dédicacés : le Secondo libro delle canzonette alla napolitana a tre voci raccolte per Attilio Gualtieri de Luca Marenzio (Venezia, Vincenti et Amadino, 1585) 114 , et le quinzième livre à cinq voix de Philippe de Monte (Venezia, Gardano, 1592) 115 . 110 Alessandro Merlo (c. 1540-1601) fit partie des chanteurs de la chapelle Giulia et de la chapelle Sixtine. Giustiniani le cite en exemple pour sa large tessiture de vingt-deux notes. Son frère Giovanni Antonio Merlo (mort en 1590) était un chanteur papal. 111 Bonifacio Caetani était le neveu de Camillo Caetani. 112 Pour plus de renseignements sur la vie de Camillo Caetani voir LUTZ Georg, « Caetani, Camillo », in Dizionario biografico degli Italiani, op. cit., vol. 16, p. 137. 113 Voir LIPPMANN Friedrich, « Giovanni de Macque tra Roma e Napoli: nuovi documenti », op. cit., note 39, p. 253. 114 La dédicace de ce recueil de Marenzio, signée par Gualtieri, est transcrite dans LIPPMANN Friedrich, « Giovanni de Macque tra Roma e Napoli: nuovi documenti », op. cit., note 37, p. 251. 115 La dédicace de ce recueil de Monte est disponible sur le site du Civico Museo Bibliografico Musicale, http://badigit.comune.bologna.it/cmbm/gaspari/html/index.htm. 43 La dédicace de Macque s’en tient à des formules d’usage et ne nous apprend rien de particulier sur ses relations avec le dédicataire (tout au plus peut-on entrevoir que Macque attendait avant tout une récompense pour son travail 116 ) : 116 Le mot amorevolezze (traduit ici par bontés), est utilisé par Macque dans sa correspondance pour décrire les bons traitements de Carlo Gesualdo et semble se référer à une sorte d’avantage matériel (voir lettre du 30 juillet et du 4 septembre 1586 en annexes). 44 All’Illustrissimo À l’Illustrissime Signor Camillo Caetano Signor Seigneur Camillo Caetano, mon Mio Osservandiss. Seigneur très Respecté Io ho pensato col J’ai pensé, en dedicare a Vostra Signoria dédicaçant à Votre Seigneurie Illustrissima questo mio novo Illustrissime cette parto récolte Madrigaletti de Madrigaletti et de nouvelle et napolitane, far in uno istesso napolitane, faire en un moment tempo doppio acquisto, l’uno di une manifestarle con questo poco première segno, rispetto al merito suo, manifester avec ce geste, petit ma grande rispetto alle forze par rapport à votre mérite, mais mie, qual sia l’osservanza, et grand par rapport à mes forces, devotione mia verso di lei ; quels sont mon respect et ma l’altro di dar tal protettore a dévotion queste mie fatiche, che quella deuxième est de donner un tel gratia, che forze da sé non protecteur à mon labeur, que troveriano appresso de molti, la cette grâce qu’il n’aurait peut- conseguiscano sotto l’ombra être acquis tout seul auprès de del nome suo, Ma come che si beaucoup, il l’obtiendra sous sia, l’ombre de votre nom. Mais quoi haverò interamente double acquisition. est de envers La pouvoir vous. La sodisfatto a me stesso, quanto qu’il saperò che non le siano state pleinement satisfait que lorsque discare, prezzando io sopra je saurai qu’il n’aura point été tutte l’altre cose il giudizio suo rejeté par vous, estimant plus accompagnato quella que toute autre chose votre cortesia, et amorevolezza con jugement, accompagné de cette che si fa schiavo chiunque la courtoisie et de ces bontés qui conosce. Di Roma alli 25 rendent esclave quiconque vous Settembre 1582. connaît. da en soit, De je ne Rome serai le 25 septembre 1582. Di Vostra Signoria Illustrissima De Votre Seigneurie Illustrissime Affettionatissimo Servitore Le serviteur très 45 Giovanni de affectionné Macque Giovanni de Macque Si la lettre de dédicace de Macque ne nous apprend que peu de choses sur les liens qu’il entretenait avec la maison Caetani, sa correspondance avec Norimberghi, qui vivait chez le dédicataire du recueil, nous donne quelques informations supplémentaires. Macque resta apparemment attaché – au moins formellement – à Camillo Caetani ainsi qu’à son frère le cardinal Enrico après son départ de Rome. Le compositeur fait en effet allusion assez fréquemment à ces deux personnages dans sa correspondance. Plusieurs fois, Macque y évoque ses relations diplomatiques – apparemment délicates – avec le Cardinale et le Sr Camillo. Dans une lettre du 7 mars 1586, Macque écrit : 46 Ringratio Vostra Je remercie infiniment Signoria per infinite volte de la Votre Seigneurie de la révérence reverenza che a nome mio ha qu’elle a faite en mon nom au fatto al Signor Cardinale et al Cardinal et au Seigneur Camillo, Signor Camillo et se ben persiste et bien que vous persistiez à tuttavia che essayer de me convaincre d’écrire scrivi a loro Signori Illustrissimi à leurs Illustrissimes Seigneurs, je Nondimeno non mi son risoluto ne me suis pas encore résolu à le ancora a farlo, si per parermi faire. Il me semble en effet que je ch’io potrei essere fasciato, se risquerai d’être insolent, ou qu’au non in altro almeno di haver moins j’ai trop tardé à le faire, et tardato troppo a farlo come encore que cet office que Votre ancora per parermi che questo Seigneurie a réalisé en mon nom offitio che Vostra Signoria ha suffit ; mais s’il vous semble que je fatto a nome mio basti, ma se pur doive le faire à tout prix, je le ferai le pare ch’io debba farlo in ogni sans égard à ce qui pourrait modo, advenir. in il persuadermi farò senza haver riguardo a quello che ne possa avenire. 117 Dans une autre lettre du 2 juillet 1588, Macque dit espérer pouvoir avoir « le plaisir de jouir pendant quelques jours de la très agréable conversation de son très cher Seigneur Camillo » (« … godere per alcuni giorni la dolcissima conversatione del mio carissimo Sr Camillo … ») lors d’un de ses prochains séjours à Rome 118 . Cependant, lorsque Norimberghi lui suggère de revenir au service des Caetani en cas d’obtention du poste d’organiste à Saint Jean de Latran, Macque ne cache pas ses réticences à l’idée de se retrouver au service d’un cardinal. Dans la lettre du 28 avril 1589, il répond ainsi aux propositions de Norimberghi : 117 118 Archivio Caetani, n. 49315. Voir annexes. Archivio Caetani, n. 28368. Voir annexes. 47 Entre-temps, si jamais In tanto, se per sorte il Signori le parti que m’offrent ces Illustrissimi m’offerissero, fusse Illustrissimes Seigneurs était tale di tel que je me résolusse à lasciare questa per quella stanza, laisser ce poste-ci pour celui- di gratia, favoriscami di farmi là, de grâce, informez-moi des intendere quale suggettione et assujettissements qual obligo saria il mio nel obligations qui seraient les servitio di questi Signori, miens partito che ch’io questi mi risolvesse aciò au et service des de ces che prima di risolvermi io sia Seigneurs, afin qu’avant de me instrutto di ogni cosa, che a dirgli décider, je sois instruit de toute il vero, io che quasi posso dire di chose. À vous dire la vérité, il essere stato tutto il tempo della me semble, à moi qui peux vita mia libero, parmi che saria presque dire avoir été libre quasi da trattare dell’impossibile toute ma vie, qu’il serait peine di ridurmi al presente in una perdue de vouloir me réduire servitù troppo soggetta, come au jour présent à une servitude sogliono trop assujettie, comme le sont essere quelle delli Cardinali con tanta assiduità in d’ordinaire far continue guardie, et altre cose cardinaux, que l’on doit, entre simili, delle quali vorrei se non in autre, aider en permanence et tutto, almeno nella magior parte avec grande d’assiduité. Je essere essente, senza riconoscere voudrais altri essere sinon complètement, au moins comandato da altri che dalli de la majeure partie, et ne patroni. Che a dire il vero a devoir Votra Signoria, s’io non stesse supérieur, ni être commandé più che commodo, parmi che par un autre que mes maîtres. farei una gran pazzia di lasciar À vrai dire, si je ne devais y Napoli, ove io son ben voluto, et vivre molto questi confortablement, il me semble Signori, per andar a stentar que je ferais une grande folie supperiori, altrove. accarezzato né da 119 celles en être des exempté, reconnaître plus aucun que de quitter Naples où je suis apprécié et très bien traité par ces Seigneurs souffrir ailleurs. 119 Archivio Caetani, n. 28368. Voir annexes. 48 pour aller L’intérêt que put revêtir ce second recueil de Madrigaletti et napolitane aux yeux de son dédicataire provient peut-être du fait que ce dernier fut probablement en contact dès son enfance avec certains pionniers du renouveau stylistique des années 1570. En effet, Camillo Caetani eut certainement l’occasion d’entendre dans sa jeunesse le chanteur Alessandro Merlo, cité par Vincenzo Giustiniani dans son Discorso sopra la musica parmi les interprètes qui incitèrent les compositeurs à composer des « villanelles, mélanges de madrigal contrapuntique et de villanelle » (« Villanelle miste tra Madrigali di canto figurato e di villanelle ») 120 . Alessandro Merlo rentra en effet en 1559 au service de l’oncle de Camillo, Nicolò Caetani, qui, d’après le biographe de la famille, était responsable de l’éducation de son neveu. Camillo Caetani était donc probablement bien informé des nouveautés musicales de son temps. L’intérêt de ce dernier pour ce nouveau type de pièces légères est en outre attesté par le fait que, deux ans à peine après la parution des Madrigaletti et napolitane, Attilio Gualtieri lui ait dédicaçé le Secondo libro delle canzonette alla napolitana a tre voci de Luca Marenzio. Madrigaletti ou napolitane ? Textes poétiques et questions formelles Introduction : les Madrigaletti et napolitane ou l’ambiguïté des genres Le titre choisi par Macque pour ses deux nouveaux recueils, Madrigaletti et napolitane, a déjà attiré à plusieurs reprises l’attention des musicologues qui se sont intéressés aux frontières et aux interférences entre genres légers et madrigal. Il s’agit en effet d’un titre à la fois inhabituel et révélateur. Le terme napolitane isolé était utilisé dans les années 1570 comme synonyme de canzone alla napolitana 121 , notamment par Ferretti qui publia à la suite de son Secondo libro delle canzoni alla napolitana a cinque voci (1569) deux recueils intitulés Terzo et Quarto libro delle 120 GIUSTINIANI Vincenzo, Discorso sopra la musica de' suoi tempi, op. cit., in SOLERTI Angelo, Le origini del melodramma, op. cit., p. 107. 121 Le recueils sera d’ailleurs rebatisé Madrigaletti et canzonetti sic napolitane par Phalèse dans sa réédition de 1600. 49 napolitane a cinque voci (1570 et 1571) 122 . Madrigaletto étant un terme peu usité à la fin du XVIe siècle, son sens est moins aisément définissable. Selon Ruth DeFord, Macque fut le premier compositeur à l’utiliser dans un titre de recueil 123 . Cette dernière a relevé deux autres occurrences du mot madrigaletto comme désignation de genre dans un titre, l’une utilisée par Rinaldo del Mel dans ses quatre recueils de Madrigaletti a tre voci 124 , l’autre par Orazio Scaletta dans ses Amorosi pensieri. Il secondo libro de madrigaletti a cinque voci (Venezia, Scotto, 1590), auxquelles on peut ajouter le Primo libro di canzoni e madrigaletti a tre et a quattro voci de Marcello Albano (Napoli, Carlino, 1616). Le terme madrigaletto est évidemment utilisé aussi de manière plus informelle en dehors des titres de recueils, notamment dans quelques lettres de dédicace. Madrigaletto est le diminutif de madrigal, au même titre que canzonetta est celui de canzone. Par analogie, il est assez clair que, de même que la canzonetta constitue la version « allégée » de la canzone 125 , le madrigaletto désigne un madrigal de facture plus légère, moins travaillée. L’intitulé Madrigaletti et napolitane laisse entendre qu’il y aurait deux types de pièces à l’intérieur des recueils, d’un côté les madrigaletti, de l’autre les napolitane. Or, rien ne permet de distinguer ces deux genres dans les imprimés, ni la table des matières, ni une quelconque indication précisant la nature de chacun des numéros pris séparément. Il ne s’agit sans doute pas d’une négligence de la part de l’éditeur ou de l’auteur. Ce dernier semble en effet avoir été plutôt attentif à la finition de ses imprimés, si l’on en croit sa lettre du 7 juin 1586 : Fra tanto mi farà gratia di emendare feriez-vous la grâce de corriger les quell’errore ch’io le dissi erreurs dont je vous parlais à votre alle sua 126 partenza alli départ à propos de mon livre à miei libri a 4 cioè alla quatre voix, en remplaçant, dans la sestina nel principio, et ove sextine dice strophe » et « deuxième strophe », prima stanza et seconda stanza per fare che 122 Entre autres choses, me par du début, « première « première partie » et Sur la connotation du choix des titres des recueils de canzoni alla napolitana voir DEFORD Ruth, « Musical Relationships between the Italian Madrigal and Light Genres in the Sixteenth Century », op. cit., p. 115 et ASSENZA Concetta, La canzonetta dal 1570 al 1615, op. cit, p. 228. 123 Voir DEFORD Ruth, « Musical Relationships between the Italian Madrigal and Light Genres in the Sixteenth Century », op. cit., p. 119. 124 DEL MEL Rinaldo, Il primo libro delli madrigaletti a tre voci, rééd. Milano, Tini, 1590 ; Il primo sic. libro delli madrigaletti a tre voci, rééd. Venezia, Gardano, 1593 ; Il secondo libro delli madrigaletti a tre voci, Venezia, Gardano, 1586 ; Il terzo libro delli madrigaletti a tre voci, Venezia, Gardano, 1594. 125 Ruth DeFord définit la canzonetta comme « a miniature version of the canzone » (voir DEFORD Ruth, « Musical Relationships between the Italian Madrigal and Light Genres in the Sixteenth Century », op. cit., p. 117). 126 Macque a corrigé sue en sua, sans cependant corriger alle en alla. 50 dichi prima parte et seconda « deuxième partie », et ainsi de suite parte, et così tutte le altre jusqu’à la sixième et dernière sino alla sesta et ultima partie, en m’excusant pour ce parte, dérangement dont je vous serai perdonandomi il fastidio del quale le resterò obligatissimo in eterno. éternellement reconnaissant. 127 En outre, comme l’a noté Ruth DeFord, les auteurs prenaient généralement le soin de préciser le genre de chaque pièce dans les recueils mixtes publiés dans la seconde moitié du XVIe siècle : L’importance de la distinction entre les différents genres profanes italiens est révélée par le soin avec lequel les recueils publiés étaient dénommés. Les madrigaux étaient toujours distingués clairement des autres genres, sauf dans les rares cas de styles ambigus. La distinction entre madrigal et genres légers était encore plus évidente dans les recueils qui regroupaient les deux types de pièces. Sur les vingt livres connus qui les mentionnent tous deux dans leur page de titre, quinze indiquent clairement à quelle catégorie appartient telle ou telle pièce (dans la table des matières ou sur chacune des pièces, ou bien les deux). 128 Selon Ruth DeFord, l’absence d’indication sur le genre de chacun des numéros peut être lue comme un choix délibéré de la part du compositeur, destiné à exprimer la nature hybride de cette musique. Toujours selon cette dernière, les Madrigaletti et napolitane seraient les premiers recueils mixtes à laisser planer ainsi une ambiguïté sur leur genre 129 . Ces pièces sont donc à la fois madrigaletti et napolitane, ou bien à mi-chemin entre ces deux genres. Une partie de cette ambiguïté peut cependant être levée grâce à l’analyse des textes poétiques et de la forme musicale, et surtout grâce la mise en évidence des squelettes métriques et formels à la base des intonations. Le contenu des recueils, on le verra, n’est en effet pas totalement uniforme et, sans pouvoir établir un classement rigide des numéros en deux 127 Archivio Caetani, n. 4311. Voir annexes. « The importance of the distinctions among the Italian secular genres in the sixteenth century is evinced by the care with which published collection were labelled. Madrigals were always distinguished clearly from the other genres, except in the rare case of ambiguous styles. The distinction between madrigals and light genres was most apparent in the published collections in which both types appeared together. Of the twenty known books in which both were mentioned on the title page, fifteen contained clear indication (in the table of contents, over the individual pieces, or both) of which pieces belonged to which category. », in DEFORD Ruth, « Musical Relationships between the Italian Madrigal and Light Genres in the Sixteenth Century », op. cit., p. 108-109. 129 Par la suite, seuls trois autres recueils n’opèreront pas la distinction entre les différents genres présents dans leur titre : les Madrigali et canzonette a cinque voci de Orazio Caccini (Venezia, Vincenti, 1585), les Canzoni et madrigali a quattro voci … libro secondo (Venezia, Amadino, 1591) de Nicolò Dalla Casa et enfin les Ardori amorosi. Madrigali e canzonette a tre voci de Bartolomeo Ratti (Venezia, Amadino, 1599) ; voir DEFORD Ruth, « Musical Relationships between the Italian Madrigal and Light Genres in the Sixteenth Century », op. cit., p. 110. 128 51 catégories, il est cependant souvent possible de déterminer de quel côté penche tel ou tel numéro. Choix poétiques Sources et style130 Macque fit essentiellement appel à des textes anonymes pour ces deux recueils de Madrigaletti et napolitane 131 . Seule une demi-douzaine d’entre eux se retrouve dans des recueils de poésies, mais ces derniers datent généralement d’après la parution des deux recueils 132 . Il s’agit le plus souvent d’anthologies de textes de villanelles et de napolitaines ayant probablement acquis leur autonomie poétique grâce au succès de leur mise en musique. À part quelques cas isolés, Macque eut certainement recours à des textes manuscrits. Même si la totalité du premier livre et une grande partie du second constituent la première mise en musique imprimée, il est possible que le compositeur ait aussi repris des textes de pièces légères dont l’intonation circulait sous forme manuscrite. Sans être de nature parfaitement homogène, les textes des Madrigaletti et napolitane sont tous relativement courts (de quatre à sept vers, avec un unique exemple de trois vers) et écrits avec l’attirail rhétorique, thématique et lexical pétrarquiste qui caractérise la presque totalité du répertoire vocal italien de la fin du XVIe siècle 133 . Dans certains cas, ces techniques poétiques sont utilisées de manière tellement systématique que le résultat peut atteindre les limites de la versification mécanique : Deh, non più strali, Amor, Ah, plus de flèches, amour, ah, plus de feu ! deh, non più foco! 130 Toutes les informations sur les concordances poético-musicales proviennent du Repertorio della poesia italiana in musica, 1500-1700 (RePIM), base de données on line réalisée sous la direction d’Angelo Pompilio et disponible sur le site http://repim.muspe.unibo.it/repim/. 131 À part Quel si cocente fuoco de Pompilio Venturi (MN1, n. 17) et Amor io sento un respirar si dolce de Luigi Cassola (MN2, n. 3) ; voir infra, tables 5a, 5b, p. 74. 132 Seuls deux textes furent publiés dans des recueils de poésies datant d’avant la parution des Madrigaletti et napolitane : Amor io sento un respirar si dolce (in CASSOLA Luigi, Madrigali, Venezia, Di Ferrarii, 1544) et Vorrei morir, poème anonyme publié vers 1561 dans une anthologie padouane (Opera nova, Padova, Pasquato, pas avant 1561). Les autres sources poétiques des Madrigaletti et napolitane datent de 1590 (Napolitane e vilanelle nove, Milano, s. éd., c. 1590) et de 1600 (Terzo fiore di vilanelle e arie napolitane, Venezia, Zoppini, vers 1600 et Settimo fiore di vilanelle e arie napolitane, Venezia, Zoppini, c. 1600). 133 Les inflexions dialectales et les thématiques colorées qui caractérisaient les premières villanesche avaient déjà commencé à se raréfier à partir de la fin des années 1550, au profit d’un registre plus élevé et plus neutre, proche de celui du madrigal. 52 Ecco, son tutto vive fiamme Voilà, je ne suis plus que vives flammes et feu, e foco, à quoi bon déchaîner les flammes et le feu ? ché giova saettar le fiamme Que sur Cloris soient lancés les flèches, les e ’l foco? flammes et le feu ! In Clori aventa e strali e fiamme e foco! L’immense majorité des poésies sont, comme le texte ci-dessus, des variations sur le thème de la souffrance amoureuse, sujet privilégié des madrigalistes. De rares textes, cependant, détournent les clichés de la poésie pétrarquiste en malmenant quelque peu l’image de l’être aimé, comme par exemple Se del mio mal non curi (MN1, n. 15) : Se del mio mal Si tu ne soignes pas mon mal non curi, au moins prends pitié almen abbi de toi, car ta beauté pietade di te, che tua beltade fuit plus vite que le vent et tes cheveux d’or se font déjà d’argent. fugge via più che vento e i capei d’oro già si fan d’argento. Cette description du vieillissement anticipé de l’ancien objet du désir du poète s’éloigne passablement de l’esprit du madrigal, en se rapprochant d’autant plus de celui du répertoire léger des origines. La villanesca des premiers temps, en effet, mettait souvent en scène des amants acides, maltraitant voire insultant leur maîtresse trop revêche134 . Ce genre de texte disparut progressivement (mais jamais complètement) lorsque, à partir des années 1560, le répertoire léger commença à se policer, tant au niveau lexical que thématique. La référence inversée à Pétrarque peut se faire aussi de manière détournée, en intégrant, réécrivant et dévoyant certains vers célèbres du Canzoniere. Le premier recueil de 134 Voir par exemple Madonna non è più lo tiemp’antico des Canzon villanesche de Giovan Thomaso di Maio (Venezia, Gardano, 1545) : Madonna non è più lo tiemp’antico/a qu’ell’uzanza che l’aucell’arava/non esser tanto brava/s’io so de Sarn’e tu si de la Cava … (Madame, les temps anciens sont révolus/ainsi que les manières chantées par les oiseaux./ne soit pas si prétentieuse/alors que je viens de Sarno et toi de Cava …). 53 Madrigaletti et napolitane s’ouvre par exemple sur une parodie du premier vers de la sextine de Pétrarque Mai non vo’ più cantar come soleva (Je ne veux plus chanter comme j’en avais l’habitude), qui devient Mai non vo’ pianger più come solea (Je ne veux plus pleurer comme j’en avais l’habitude). Le résultat est d’autant plus parodique qu’il présente un amant délivré des chaînes de l’amour, attitude antipétrarquiste par excellence : Mai non vo’ pianger più come soleva Je ne veux plus pleurer comme je le faisais un tempo autrefois, quand j’étais tout ardent. quand’ardeva. Maintenant que je ne meurs plus en Mo ch’io non moro aimant, amando je veux aller toujours chantant, vo' andar sempre la corde est desserrée et la chaîne est cantando, rompue, sciolto è lo laccio e je suis libre et ne souffre plus. rotta è la catena, libero son e non pato più pena. La réécriture de grands modèles de la littérature est un procédé tout à fait courant dans le répertoire poétique des genres légers. Quelques années plus tard, ce texte sera repris et détourné encore une fois dans le Primo libro delle toscanelle a quattro voci de Gabriele Villani 135 : Mai non vo’ più cantar come solea, Je ne veux plus chanter comme j’en avais l’habitude allor che lieto ardea; alors que, joyeux, j’étais tout ardent. ora Maintenant que je meurs d’amour, ch’io moro amando, j’irai toujours criant, andrò gridando, sempre la corde et la chaîne sont trop serrées je suis prisonnier et souffre une double 135 VILLANI Gabriele, Il primo libro delle toscanelle a quattro voci, Venezia, Gardano, 1587. 54 troppo ristretto è ’l peine. laccio e la catena, io son prigion e pato doppia pena. Les exemples de textes s’éloignant quelque peu des thématiques habituelles du madrigal sont cependant très rares. Contrairement aux recueils de canzone alla napolitana de Ferretti par exemple, les Madrigaletti et napolitane ne jouent pas avec les métaphores colorées animalesques ou culinaires, ni avec la saveur des formes dialectales, dont l’origine remonte au premier répertoire léger 136 . Fidèle à son projet d’écriture hybride, Macque a probablement voulu éviter tout ce qui était trop connoté stylistiquement. Formes métriques : origines et manipulations Si les choix poétiques du compositeur reflètent une volonté de rester relativement neutre au niveau de leur contenu thématique afin de ne pas pencher trop clairement vers un genre bien déterminé, les schémas métriques des textes des Madrigaletti et napolitane trahissent, eux, différentes origines. Il est possible de retracer l’histoire de ces poésies grâce aux autres intonations parvenues jusqu’à nos jours, l’examen des différentes versions nous renseignant en effet sur leur appartenance à tel ou tel genre poétique. a. Textes de madrigaux À peu près la moitié des textes des Madrigaletti et napolitane furent musiqués par d’autres compositeurs, et certains d’entre eux connurent même jusqu’à une vingtaine de versions différentes. Si l’on compare toutes les autres intonations des textes, il apparaît que seul un faible nombre d’entre eux fut remis en musique sous forme de madrigal de manière systématique et, par conséquent, appartenait à plein titre au répertoire madrigalesque. Dans le premier livre, quatre pièces furent musiquées uniquement comme madrigal, dont deux par 136 On trouve encore dans le dernier recueil de Giovan Ferretti (Il quinto libro di canzoni alla napolitana a cinque voci, Venezia, Scotto, 1585) quelques pièces de caractère plus populaire : Berlinghin, berlinghin, dove nasce ’sto bon vin ? (Berlinghin, berlinghin, d’où vient donc ce bon vin ?) ou Miracol in natura voglio dire/d’aver sentito al castel di Barletta/’n asinel sardignolo che ragliava/e un Gallo contrapunti si cantava (Je veux vous raconter un miracle de la nature :/j’ai entendu au château de Barletta/un âne sarde qui braillait/et un coq qui chantait du contrepoint). 55 Macque lui-même dans son Quarto libro de madrigali a cinque voci (La salamandra se nel foco dura et Non sentirò mai pena). Dans le deuxième livre, seuls deux textes sont tirés du fonds poétique madrigalesque. Le premier, Amor io sento un respirar sì dolce de Luigi Cassola, constitue un classique du genre. Il fut mis en musique une dizaine de fois entre 1569 et 1612, et toujours comme madrigal. Le deuxième, Quando sorge l'aurora, a une histoire intéressante qui nous renvoie à l’émulation qui semble avoir existé entre Marenzio et Macque dans les années 1580. Jusqu’en 1622, Macque et Marenzio furent les seuls madrigalistes à se l’approprier. Marenzio, le premier, le mit en musique dans son Secondo libro de madrigali a cinque voci de 1581. Macque en proposa ensuite trois intonations successives. La première apparut dans son Secondo libro de madrigaletti et napolitane, soit un an à peine après la parution de la version de Marenzio. Il ne s’agit probablement pas là d’une coïncidence chronologique : comme on le verra, il existe de fortes ressemblances entre ces deux pièces. En 1586, Macque en composa une deuxième intonation dans son Primo libro de madrigali a quattro voci et enfin, une dizaine d’années plus tard, une ultime version dans son Quarto libro de madrigali a cinque voci (1599-1600). Ces quelques poésies d’origine madrigalesque se distinguent des autres par plusieurs aspects formels. Leurs dimensions sont globalement plus étendues que le reste des autres textes ; Non sentirò mai pena, Amor io sento un respirar sì dolce et Quando sorge l’aurora ont par exemple une longueur de sept vers, qui est le maximum atteint dans les Madrigaletti et napolitane. D’autre part ces textes se rapprochent du madrigal poétique au niveau formel. Leurs schémas métriques ne répondent en effet à aucun modèle de versification standard, mais sont caractérisés au contraire par une libre alternance d’hendécasyllabes et de septénaires, comme dans l’exemple suivant : La Salamandra se nel foco dura A 137 miracolo non è che ’l fa natura, A ma che voi nel mio core, b ch’è tutto fiamme e fuoco, c essendo ghiaccio ritroviate loco, C questo sì ch’è miracolo d’Amore. B b. Textes strophiques 137 J’utilise pour tous les schémas de versification les conventions habituelles de la métrique italienne : lettres majuscules pour les hendécasyllabes (ABC…), minuscules pour les septénaires (abc), lettres minuscules avec un indice indiquant le nombre de syllabes dans les autres cas (a5, b5, c5). L’indice t indique un vers tronco, c’est-àdire un vers accentué sur la dernière syllabe (a5t, b5t, c5t). 56 Si quelques textes des Madrigaletti et napolitane appartiennent, comme on vient de le voir, à la tradition madrigalesque, la plupart d’entre eux font clairement partie du répertoire poétique mineur. Dix textes du premier recueil et cinq du second ne furent en effet mis en musique que comme genre léger 138 . Au niveau formel et métrique, ces textes présentent de nombreuses ressemblances. Les deux tiers d’entre eux ont en effet une longueur de quatre vers et sont construits sur le même modèle de versification AABB (avec variante dans la disposition des septénaires et des hendécasyllabes). Ce schéma métrique a une forte saveur de villanelle en ce qu’il nous renvoie à la première strophe du type métrique le plus usité pour la versification des genres légers à partir des années 1580 : AABB CCDD EEFF GGHH (Concetta Assenza a en effet dénombré pas moins de 490 exemples de ce type dans les recueils de pièces légères publiés entre 1580 et 1615 139 ). Il n’est donc pas étonnant de retrouver une grande partie de ces textes comme premières strophes de villanelle ou de canzonetta dans d’autres intonations, ce qui rend possible la reconstitution du texte « entier » d’un certain nombre de poésies utilisées par Macque. En général, les versions complètes comportent quatre strophes – ce qui correspond à la forme standard des genres légers – comme dans l’exemple suivant : Macque : MNI, n. 17 Croce Quel sì cocente foco, Quel sì cocente foco, ch'al mio misero petto in ogni loco ch'al mio misero petto in ogni loco dava pena e tormento, mi die pene e tormento, sdegno per mia ventura oggi l’ha sdegno per mia ventura oggi l’ha spento. spento. Quella dura catena, cagion d’ogni mio affano, e aspra pena 138 139 Voir infra, table 5a et 5b, p. 74. ASSENZA Concetta, La canzonetta dal 1570 al 1615, op. cit., p. 109. 57 ove legommi Amore, sdegno l’ha rotta, e risanato il core. Quella piaga mortale, che col pungente e velenato strale amor mi fè nel petto, sdegno l’ha risanato al suo dispetto. Tal che saldato il core, mercè del cielo, è spento il fiero ardore, fuor dell’indegno laccio, la cara libertà stringo et abbraccio. 140 Lorsqu’il existe plusieurs autres intonations, il n’est pas rare de constater de fortes variantes entre les textes, comme l’illustrent les trois versions suivantes de Cercai fuggir Amore, dont voici la leçon choisie par Macque (MN1, n. 18) : Cercai fuggir Amore per non sentir dolore, or tal è la mia sorte ch’ognor bramo la morte. 140 CROCE Giovanni, Canzonette a quattro voci, Venezia, Vincenti, 1588. 58 et celles de Rossi (1589), Orologio (1594) et Albano (1618), (les variantes sont mises en évidence en caractère gras ; noter le déplacement des vers ma amor in ogni loco/cresce fiamm’al mio foco de la troisième à la deuxième strophe chez Orologio) : Rossi Orologio Albano Cercai Cercai Cercai fuggir amore per fuggir amore non sentir dolore, fuggir amore per non sentir dolore, or son a sì ria sorte per sentir dolore, or son a sì ria sorte ch’ognor non or son a sì ria sorte ch’ognor ch’ognor bramo la morte. bramo la morte. Cercai Cercai Cercai d’allontanarmi d’allontanarmi d’allontanarmi per più non consumarmi, et per più non consumarmi, or novello strale ma amor in ogni loco rinova ogni mio male. al per più non consumarmi, et or novello strale cresce fiamme desio la morte. mio rinova ogni mio male. foco. Cercai che col partir Credea Credea che col fuggir che col fuggire, finisse il mio martire, finisse finisse il il mio languire, mio martire, ma Amor in 141 142 ma Amor ROSSI Salomone, Il primo libro delle canzonette a tre voci, Venezia, Amadino, 1589. OROLOGIO Alessandro, Secondo libro di canzonette a tre voci, Venezia, Gardano, 1594. 59 e ogni luoco pur in ogni luoco l’antico strale cresce fiamme al in cresce rinova mio fiamme ogni mio male. fuoco. Tal più mi consumo e struggo, consumo mio fuoco. che Ahi, quanto più fuggo, quanto più fuggo, più Tal che al in quanto più fuggo, mi più e consumo e struggo, mi struggo, ch’eterna ch’eterna ch’eterna vuol che sia vuol che sia vuol che sia amor pena mia. la 141 amor amor la pena mia. pena mia. 143 142 Dans certains cas, les strophes ajoutées peuvent n’avoir absolument rien à voir entre elles, comme en témoignent les deux autres versions de Donna leggiadra e bella, texte musiqué par Bellasio en 1592 et par Orologio en 1593. Voici la leçon choisie par Macque (MN2, n. 15) : Donna leggiadra e bella, voi sete la mia stella a cui si volge il core nelle tempeste del crudel Amore. et celles de Bellasio et Orologio : Bellasio 143 144 Orologio ALBANO Marcello, Il primo libro di canzoni e madrigaletti a tre et a quattro voci, Napoli, Carlino, 1616. BELLASIO Paolo, Villanelle a tre voci, Venezia, Gardano, 1592. 60 la Donna leggiadra Donna e leggiadra e bella, bella, voi sete la mia stella voi sete la mia stella e ’l cor tolto m’avete, a cui si volge il core, perché non me nelle ’l tempeste del crudel Amore. rendete? Voi sete il mio tesoro, E con volto amoroso, quella che sol onoro, sete il vero riposo e voi senza pietate che da conforto e lena ognor più m’involate. all’alma stanca sotto grave pena. Rendemi il cor mio, Poi con soave sguardo, che questo sol desio; quanto più nel foco e se ’l vostro m’è dato, ardo, mi sarà assai più grato. sete la mia dolce aura che tutto mi consola e Così di pari ardore, ristaura. vivrem senza dolore, In somma sete tale, e l’amoroso foco li farà festa e gioco. 144 che nel mio maggior male, corro a voi per aita se essa risposo et ansa 145 OROLOGIO Alessandro, Canzonette a tre voci, Venezia, Gardane, 1593. 61 e di mia vita. 145 Seuls les deux premiers vers convergent. Il s’agit là d’un des innombrables exemples de réécriture de textes de genre léger qui, loin de constituer des objets fixes, se déconstruisaient et se reconstruisaient entre les mains des différents compositeurs. Dans un cas, Macque a sans doute repris deux couplets d’un texte strophique, pour en faire deux pièces différentes. Il s’agit des numéros quatre et cinq du second livre : Vorrei morire, suivi immédiatement de S'io non t'adoro. Les deux poèmes mélangent les pentasyllabes, (mètre résolument peu standard en Italie à la fin du XVIe siècle) 146 à des septénaires tronchi (accentués sur la dernière syllabe), en suivant le même schéma métrique a5 a5 b5 b5 c7t c7t : MN2, n. 4 Vorrei a5 morire per presto a5 uscire d’affanni e b5 mio b5 Ma se vita c7t pene, dolce bene. non ho, crudel, come c7t S’io non a5 o mio tesoro, a5 se questo b5 per te non b5 farò? MN2, n. 5 t’adoro, core 146 L’usage généralisé d’autres mètres que le septénaire et l’hendécasyllabe n’apparaît qu’avec le succès des œuvres de Chiabrera (1552-1638), à la toute fin du XVIe siècle. 62 more, non regni c7t tua c7t mai pietà nella gran beltà! Etant donnée la nature peu usuelle de ce schéma de versification, il est tout à fait probable que ces deux poésies aient appartenu à un unique texte, découpé en plusieurs parties. Les deux intonations, qui présentent de nombreuses correspondances, confirment cette hypothèse. De plus, les deux pièces furent reprises dans le second recueil de contrafacta en latin Hortus musicali, quinq, et sex vocibus imprimé par Berg en 1609 avec les indications prima parte, seconda parte, comme s’il s’agissait-là d’une unique pièce 147 . La version strophique de Vorrei morir par Magri 148 ne présente cependant pas la moindre trace de cette hypothétique deuxième strophe. 149 Les textes de trois, cinq et six lignes nous renvoient à des schémas métriques plus anciens ou plus rares. L’unique exemple de trois lignes (MN2, n. 7) : Vaga bellezza e bionde treccie A vedi per te ch’io moro, b oimè, non più martoro! b d’oro, correspond à une variante de l’une des formes poétiques plus couramment utilisées dans les années 1540 et 1550, ABb ABb ABb CCb 150 . Cette dernière présente la particularité de conclure chaque strophe par un vers fixe. La version de Torti possède en effet un refrain, avec une variante dans le dernier couplet 151 : Vaghe bellezze e bionde treccie d’oro, 147 Voir infra, p. 144. DE MAGRI Floriano, Canzonette vilanelle et arie a due voci, Milano, Tini, 1611. 149 Le texte musiqué par Magri présente quatre strophes : Vorrei morire/per prest’uscire/di guai e pene/dolce mio bene./Ma se vita non ho,/crudel come farò? E tu ben sai/ ch’alli miei guai/al mio dolore/nutrisce ’l core/se vita non ho più/forz’è che mori tù. Non mi celare/tue luci rare/che se mi fuggi/poi più mi struggi/e se te non vedrà/quest’alma morirà. Vinca pietade/tua crudeltate/non far che mora/ma ch’ad ognora/con pura è vera fè/si strugge amando te. 150 Voir ASSENZA Concetta, La canzonetta dal 1570 al 1615, op. cit., p. 102. 151 Les variantes du vers fixe (tormento replace martoro dans la dernière occurrence) peuvent s’expliquer par un désir d’assouplir la forme couplet-refrain, aux connotations trop rustiques et populaires pour le goût des années 1580. 148 63 vedi per te ch’io moro, ahimè, non più martoro! Petto di neve, et occhi di zafiro, per voi piango, e sospiro, ahimè, non più martoro! Somme bellezze, e sempre in augumento, per voi morir mi sento, ahimè non più tormento! 152 Certains textes de cinq et six lignes proviennent eux aussi de formes moins courantes de villanelles à refrain, comme par exemple la deuxième pièce du deuxième livre : Preso son io nelle più belle braccia A che fece mai natura. b Deh, dolce mia ventura! b Non so che far mi deggia, c il meglio è ch’io mora amando, e C taccia. qui dérive d’une forme à refrain (AbbcC DeecC FggcC IjjcC), que l’on retrouve chez Zappasorgo : 152 Preso son io nelle più belle braccia A che fecce mai natura. b Deh, dolce mia ventura! b Non so che far mi deggio, c il meglio è ch’io mi mora amando, e taccia. C Pur or mi specchio in la più bella faccia, D che mai creasse ’l mondo. e Deh, viso mio giocondo! e TORTI Lodovico, Il secondo libro delle canzoni a tre voci, Venezia, Vincenti et Amadino, 1584. 64 Non so che far mi deggia, c il meglio è ch’io mi mora amando, e taccia. C Ahimè! che ’l cor nel mio petto s’aggiaccia F e mi sento morir, g pensando al mio partire. g Non so che far mi deggia, c il meglio è ch’io mi mora amando, e taccia. C Ecco Febo, che viene, e mi disfaccia I dal dolce amato seno. j Ahi, sol d’invidia pieno! j Non so che far mi deggia, c il meglio è ch’io mi mora amando, e taccia. C 153 En choisissant de mettre en musique les strophes initiales de pièces strophiques, Macque fait un choix stylistique tout à fait significatif qui correspond parfaitement à son projet d’écriture hybride. Aux genres légers, il emprunte certaines structures métriques fixes qui, au-delà de leur capacité à évoquer un registre stylistique précis, induisent souvent, on le verra, un type d’organisation formelle bien déterminé de la matière musicale. Cependant, en amputant les textes de leurs autres strophes, Macque s’affranchit de ce qui caractérise le plus les genres légers : leur structure strophique, impliquant l’utilisation d’une même musique pour des paroles différentes. Il s’agit là de la plus grande différence formelle entre le madrigal et les genres légers. Le madrigal est en effet par nature durchkomponiert. L’aspect sémantique du texte dictant à la pièce sa structure musicale, deux mots différents ne peuvent théoriquement recevoir une même intonation, sauf si cela se justifie au niveau rhétorique 154 . C’est la raison pour laquelle l’aspect « informe » du madrigal poétique s’adapte parfaitement à son homologue musical. Les genres légers, au contraire, cherchent la coïncidence entre la forme poétique et la forme musicale et font prévaloir l’aspect structurel. Si deux strophes de villanelle sont façonnées sur le même modèle métrique, elles peuvent recevoir la même intonation, même si leur contenu sémantique est de nature opposée. 153 154 ZAPPASORGO Giovanni, Napolitane a tre voci, Venezia, Scotto, 1571. Par exemple dans certains types de constructions syntaxiques (accumulations et anaphores notamment). 65 Macque se trouve exactement à mi-chemin entre ces deux approches antithétiques. Il récupère un certain carcan formel caractéristique des genres légers, à l’intérieur duquel, s’étant émancipé de la structure strophique, il peut opérer à la manière d’un madrigaliste. Les textes strophiques ont été en quelque sorte « madrigalisés ». Macque ne fut pas le premier compositeur à réaliser cette synthèse ; il s’inspira en effet de la canzone alla napolitana des années 1570. À partir du début des années 1570, Giovanni Ferretti, Alessandro Merlo et Girolamo Conversi utilisèrent en effet essentiellement des textes monostrophiques, qui provenait en majorité de premiers couplets de villanelles 155 . c. Textes mixtes Les quelques textes mixtes appartenant à la fois au fonds poétique du répertoire léger et du madrigal (un seul dans le premier recueil, trois dans le second 156 ) sont sans doute ceux qui répondent le mieux à l’esprit hybride des Madrigaletti et napolitane. Ces textes sont placés au croisement du répertoire poétique des genres légers et du madrigal, et sont le reflet des échanges intenses qui s’établirent entre ces deux genres à la fin du Cinquecento 157 . Les textes ne passaient pas d’un répertoire à l’autre sans quelques petits ajustements, comme en témoignent les diverses versions de Non vedo oggi il mio sole. Macque fut le premier à utiliser une forme « allégée » de ce texte qui, depuis sa première intonation par Francesco Corteccia en 1542, appartenait pleinement à la tradition madrigalesque158 . Les modifications opérées par Macque sont tout à fait significatives : Madrigal original Macque, MN2, n. 1 Non vedo oggi il mio sole Non veggio oggi ’l mio sole splender del loco usato, splender nel loco usato, 155 Voir ASSENZA Concetta, La canzonetta dal 1570 al 1615, op. cit. p. 227 et du même auteur, Giovan Ferretti tra canzonetta e madrigale, con l’edizione critica del Quinto libro di canzoni alla napolitane a cinque voci (1585), op. cit., p. 41. 156 Voir infra, tables 5a et 5b, p. 74. 157 Voir DEFORD Ruth, « The Influence of the Madrigal on Canzonetta Texts of the Late Sixteenth Century », Acta musicologica, LIX, 1987, p. 127-139. 158 Le texte ne connut pas moins de six différentes versions musicales entre 1542 et 1581. 159 Je ne vois aujourd’hui mon soleil/rayonner à l’endroit d’autrefois/et n’entends les très douces paroles/qui pouvaient me rendre heureux./Comment alors puis-je rester en vie/sans l’aide que j’avais autrefois ?/Où est la lumière de mon âme ? où a-t-elle disparu ? /Je suis contraint de la suivre et où mes pieds me portent/mes yeux seront à mon cœur une fidèle escorte,/cherchant ma Déesse/que j’adore en cette terre/afin de donner paix ou trêve à ma guerre. 66 né sento le dolcissime parole né sento le dolcissime parole che mi pon far beato. che mi pon far beato. Come dunque posso Come viver posso io senz’alma e io tenermi in vita senza l’usata aita? core? Porgimi aita, Amore! 160 Ov’è l’alma mia luce, ov’è sparita? Seguirla è forza e dove i piè mi porta gl’occhi saranno al cor fidata scorta, cercando la mia Dea, ch’io adoro in terra, per dar o pace o tregua alla mia guerra. 159 Les quatre premières lignes du poème, qui forment une unité syntaxique, ne sont affectées par aucune modification. La seconde partie, plus complexe au niveau stylistique avec sa conclusion très pétrarquiste, est remplacée par une simple invocation à l’amour, à mi-chemin entre le refrain de canzonetta et la conclusion spirituelle de madrigal épigrammatique 161 . Par la suite, toutes les intonations du texte appartiendront au répertoire léger, sous forme monostrophique (Macque, Del Mel ou Wert), ou bien strophique. Les versions strophiques présentent de nombreuses variantes – lexicales, dans la disposition du refrain, dans le choix et 160 Je ne vois aujourd’hui mon soleil/rayonner à l’endroit d’autrefois/et n’entends les très douces paroles/qui pouvaient me rendre heureux./comment donc puis-je vivre sans âme et sans cœur ?/Viens à mon aide, Amour ! 161 Sur le madrigal épigrammatique, voir infra, p. 179. 67 le nombre de strophes, etc. – comme l’illustre la table 2 qui reporte les versions de Hassler, Dragoni, Giovannelli, Orologio, Mogavero : table 4 : six versions de Non vedo oggi il mio sole Hassler/Dragoni/Giovannelli Mogavero Orologio Non vedo oggi il mio sole Non Non veggio veggio oggi il mio sole oggi il mio sole splender nel loco usato, splender né sento le dolcissime parole né Porgimi aita, Amore! sento le né sento le dolcissime parole dolcissime parole alma e core? splender nel loco usato, loco usato, che mi pon far beato. Come viver posso io senza nel che mi pon che mi pon far beato. far beato. Come viver Come viver posso io senza ’l posso io mio core? Valli riposte e monti, senza alma e deserte e apriche piagge, Porgimi senza core? aiuta, Amore! Porgimi aita, limpidi freschi e cristallini amore! fonti, Non veggio antri e fiere selvagge, il biondo crine Si voi godete il sereno almo rassereni sparger l’aria splendore. al sol le chiome, Porgimi aita, Amore! e a mostri cara 162 me si né sento più HASSLER Hans Leo, Canzonette a quattro voci, Norimberga, Gerlach, 1590 ; DRAGONI Giovanni Andrea, Il primo libro delle villanelle a cinque voci, Venezia, Scotto, 1588 ; GIOVANNELLI Ruggiero, Primo libro delle villanelle et arie alla napolitana, Venezia, Vincenti, 1588. 163 MOGAVERO Antonio, Canzonette alla napolitana, Venezia, Vincenti, 1591. 68 quella ch’ha cantar soave rime nel suo grembo il Ite rime dolenti, del Paradiso, suo leggiadro nome. trovate il mio bel lume Piena e cantando narrate i miei tormenti di Come viver grazia cara. posso io senza ’l Come viver mio core? posso io e con un largo fiume, Porgimi spargo da gl’occhi miei a senza alma e aiuta, Amore! senza core? tutte l’ore. Porgimi aita, Porgimi aita, Amore! Non veggio amore! 163 le viole poste Or dammi, amor, aita, nel bianco petto, con un breve ritorno, né veggio in conduci in qua quella beltà specchio remirarsi al sole infinita mirando che rende luce al giorno, il vago aspetto. ma se non mi contenti io Come viver dirò forte: posso io senza ’l « Guidami, morte! ». Amor, a 162 mio core ? Porgimi aiuta, Amore! 164 164 OROLOGIO Alessandro, Canzonette a tre voci, Venezia, Gardano, 1594. 69 Macque conclut le deuxième livre, par un dialogo qui constitue l’unique poésie strophique de tous les Madrigaletti et napolitane. L’appellation dialogo renvoit à la structure dialogique du texte : Tre graziosi Amanti a Trois gracieux amants, a la sua donna avanti: a se trouvaient devant leur «Se tu mori, cor mio, disser B dame : « Si tu meures, mon cœur, d’accordo, B dirent-t-ils ensemble, e che ne lascierai per tuo ricordo?» que laisseras-tu en souvenir c de toi ? » Con le labbra di rose c al primo ella rispose: D «La mia corona avrai perché tu D possa Avec des lèvres de rose au premier elle répondit : « Tu auras ma couronne, impetrar pace a l’alma e requie a l’ossa.» afin de pouvoir e impétrer la paix à l’âme et le e Poi soggionse al secondo, con sembiante giocondo: F F «Il mio orologio tuo voglio che sia, per rimembrar talor la vita mia.» repos aux os. » Puis elle ajouta au second, avec un même visage souriant : g « Je veux que tu aies mon g Al fin le luci affisse H H 70 horloge pour que tu te souviennes nel vero amante e disse, parfois de ma vie. » sospirando: «Ben mio, ti lascio il core, Enfin, elle fixa les yeux che specchio ti sarà d’eterno amore.» sur son véritable amant et elle dit, en soupirant : « Mon bienaimé, je te laisse mon cœur, qui te sera le miroir de mon éternel amour. » Malgré sa structure strophique, ce texte a été mis en musique aussi bien comme genre léger que comme madrigal sans subir presque aucune modification. Il n’est pas inutile de comparer les différentes solutions opérées par les compositeurs qui musiquèrent le texte. Molinaro, dans son Primo libro di canzonette a tre e a quattro voci (Venezia, Gardano, 1595), respecte les canons de la canzonetta et met en musique le texte de manière strophique : une unique intonation pour tous les couplets (voir Ill. 1). Del Mel, dans son Secondo libro delli madrigaletti a tre voci (Venezia, Gardano, 1586) adopte au contraire une attitude de madrigaliste et découpe le texte en quatre parties différentes, avec les indications prima parte, seconda parte etc., caractéristiques du madrigal165 . Macque, encore une fois, se trouve à mi-chemin entre ces deux approches. Il opte pour une intonation durchkomponiert en une seule partie, avec un certain nombre de rappels thématiques rythmant la structure strophique du texte, notamment au début des strophes (voir exemples musicaux 5a et 5b) 166 . 165 166 Voir transcription en annexes. Voir transcription en annexes. 71 Ill. 1 : MOLINARO Simone, Primo libro di canzonette a tre e quattro voci, Venezia, Gardano, 1595, basso, p. 8 167 exemple musical 1a : Tre graziosi amanti (MN2, n. 21) incipit 167 exemple musical 1b : Tre graziosi amanti (MN2, n. 21) brève 20 L’imprimé est consultable au Civico Museo Bibliografico Musicale de Bologne (cote T. 129). 72 Sur la base de l’étude et la comparaison des différentes versions des textes des Madrigaletti et napolitane, il est possible, par analogie, de formuler des hypothèses quant à l’origine des poésies dont il n’existe que l’intonation de Macque. Certaines d’entre elles ont un schéma métrique suffisamment caractérisé pour ne laisser que peu de doutes sur leur provenance. Selon toute probabilité, Mentre al mio chiaro e vivo sol mirava (MN1, n. 4) : Mentre al mio chiaro e vivo A sol mirava, come cigno cantava, a et or che ne son privo, b come palustre augel B piangendo vivo. provient d’une strophe de pièce légère, de même que Altro non voglio altro non cerco e bramo (AaBB) du premier livre, Bacciami vita mia (aABB) et Fammi pur guerra ognor o mia guerriera (AaBB) du deuxième livre. Se nel leggiadro viso (abcbcAA), ou Talor mi s'avicina (abBccDD) du deuxième recueil, appartiennent par contre très probablement au répertoire madrigalesque. Les choix poétiques des Madrigaletti et napolitane sont tout à fait révélateurs du style hybride recherché par leur auteur. Les textes des deux recueils se situent en effet dans le mince interstice qui sépare les genres légers du madrigal, espace suffisamment large cependant pour permettre un petit éventail stylistique, allant de la napolitana au madrigaletto, de la poésie d’origine strophique « madrigalisé » au petit madrigal, en passant par les textes mixtes réalisant une passerelle entre les deux genres. 73 table 5a : textes des MN1, sources, intonations et formes autres intonations ex première intonation d’u int n Textes auteur ou source madriga genres mixt aucu chez str ux légers e Macque e x ne 1.Mai non vo' pianger più come soleva 3 x 2.Per pianto lo mio core 1 x 1 x Napolitane e vilanelle nove, Milano, sans nom 3.Tanti martir mi date d’étiteur, 1590? 4.Mentre al mio chiaro e vivo sol mirava x x 5.Dico spesso al mio core 3 x x 6.Una fiammella viva 2 x x x x Terzo vilanelle fiore & di arie napolitane, Venezia, 7.Vola vola pensier fuor del mio Zoppini, petto 1600] [vers 1 4 x 8.Fuggi pur quanto sai x x 9.Se tu vuoi pur ch'io muoia x x 10.O begli occhi sereni 1 x moro 1 x 12.Vorria saper da voi occhi mortali 2 x 11.Scoprirò l'ardor mio con dir ch'io 13.S'io potessi cantando 14.Questi leggiadri fiori 74 x 2 x x x 15.Se del mio mal non curi 1 x 16.Altro non voglio, altro non cerco e bramo 17.Quel sì cocente foco x Pompilio Venturi 18.Cercai fuggir Amore x 3 x x 7 x x 19.La salamandra se nel foco dura 1 x 20.Non sentirò mai pena 1 x 21.Poi che non posso dire x x 75 table 5b : textes des MN2, sources, intonations et formes autres intonations première genre intonation s Textes auteur ou source 1.Non veggio oggi il mio sole léger mixt aucu chez madrigaux s e Macque 7 14 x 2.Preso son io nelle più belle braccia ne 2 Luigi Cassola, Madrigali, Venzia, 3.Amor io sento un respirar sì dolce Di Ferrarii, 1544 Opera Padova, 7 nova, Lorenzo Pasquato, [pas avant 1561] 4.Vorrei morire 3 x 5.S'io non t'adoro x x 6.Bacciami vita mia x x 7.Vaga bellezza e bionde treccie d'oro 1 2 x x 8.Deh non più strali amor deh non più foco x x 9.Vorrei nel chiaro lume x x 10.Se nel leggiadro viso x x 11.Se quel vital umore x x 12.A che più tender l'arco x x 13.Clori dunque mi lasci ahi non x x 76 fuggire 14.Quando sorge l'aurora 7 15.Donna leggiadra e bella 6 x 16.Talor mi s'avicina x x guerriera x x 19.Amor scorse dagli occhi di mia diva x x 17.Tu ridi sempre mai 5 18.Fammi pur guerra ognor o mia 20.Amar donna ch'è bella 2 Settimo fiore vilanelle & di arie napolitane, Venezia, 21. Tre graziosi amanti Zoppini, [vers 1600] 2 3 x x De la forme métrique à la forme musicale Diversité formelle L’analyse de la forme musicale est intimement liée aux schémas de versification mis en évidence précédemment. De même que la nature hybride des Madrigaletti et napolitane se reflète dans les différents types métriques des textes, la forme musicale des pièces constitue un aspect révélateur de la fusion des styles. Au-delà de leur approche différente à la forme globale (strophique dans un cas, nonstrophique dans l’autre), les genres légers et le madrigal ont une organisation interne antinomique. La grande majorité du répertoire léger répond en effet à des canons standardisés dans l’organisation de la strophe, même s’il est possible d’identifier une multitude de types formels. Le dénominateur commun de tous ces modèles formels est la répétition de section. 77 Celle-ci est notée bien souvent avec des signes de reprise (voir par exemple infra, Ill. 2, p. 81) 168 , ce qui renforce l’impression de carcan rigide, ne laissant aucune place à la variation. Le madrigal ne répond au contraire à aucun schéma fixe dans son organisation formelle. Certains vers peuvent être répétés plusieurs fois (généralement avec quelques variantes), mais sans pour autant suivre de manière précise un canevas structurel bien déterminé. Même si l’on peut déceler une tendance des madrigalistes à répéter le dernier vers ou les deux derniers vers des pièces, cet aspect est cependant considéré plus comme une influence des genres légers sur le madrigal que comme une particularité intrinsèque du genre. Les Madrigaletti et napolitane mélangent schémas formels stéréotypés et pièces structurées de manière beaucoup plus libre. Il est possible de mettre en évidence un lien entre la nature du schéma de versification, plus ou moins connoté génériquement, et le degré de standardisation de la forme musicale, tout en gardant à l’esprit qu’il s’agit bien sûr plus d’une tendance que d’une règle rigide. a. Amplification de villanelles Les textes à la plus forte saveur de napolitana, on l’a évoqué précédemment, répondent au modèle de versification AABB (avec variantes dans la disposition des septénaires et des hendécasyllabes). Il est tout à fait significatif que Macque ait utilisé presque systématiquement la même articulation musicale pour l’intonation de ce type de texte. Le compositeur a en réalité repris la forme musicale traditionnellement associée à ce schéma métrique, ce qui rend la comparaison entre les autres versions et celle de Macque tout à fait intéressante. Dans le premier recueil, huit textes 169 sont construits sur ce modèle de deux distiques à rimes plates. Sur ces huit textes, sept sont articulés exactement de la même manière 170 , selon le schéma suivant : Schéma Forme musicale métrique 168 À ce propos, voir CARDAMONE Donna G., « Forme metriche e musicali della canzone villanesca e della villanella alla napolitana », Rivista italiana di musicologia, XII, 1977, 25–72 et ASSENZA Concetta, « Declinazioni di stile musicale nella canzonetta tra il secolo XVI e XVII » in La canzonetta dal 1570 al 1615, op. cit., p. 123-190. 169 Voir supra, tables 5a et 5b, p. 74. 170 Seul Quel sì cocente foco (MN1, n. 17) est articulé de manière différente. 78 A AA A B BB B comme dans les exemples suivants, Vorria saper da voi (MN1, n. 12), O begli occhi sereni (MN1, n. 10) et Cercai fuggir Amore (MN1, n. 18 171 ): Schéma métrique Vorria saper da voi occhi mortali A Se voi fiammelle sete o strali, A perché quando girate b ferite i cori e i petti fulminate. B O begli occhi sereni a a e d’ogni grazia pieni, perché col vostro sguardo sì possente AA BB AA’ B B abbruciate il mio cor in fiamma ardente? Cercai fuggir Amore a per non sentir dolore, a or tal è la mia sorte a ch’ognor bramo la morte. b 171 Forme musicale BB AA BB’ Voir transcription en annexes. 79 Les répétitions ne sont cependant jamais identiques. Outre le fait que Macque n’utilise aucun signe de reprise, il échange généralement les parties entre les voix de même tessiture (tenore/quinto ou canto/sesto) lors des répétitions, intégrant parfois de petites variantes. Cependant, l’articulation poético-musicale de cette forme binaire provient clairement du répertoire léger. Il suffit pour s’en convaincre de comparer les versions de Macque avec les intonations des autres compositeurs, lorsqu’elles existent. Ci-dessous, le fac-similé de Cercai fuggir amore par Rossi, extrait de son Primo libro di canzonette a tre voci : 80 Ill. 2 : ROSSI Salomone, Primo libro di canzonette a tre voci, Venezia, Gardano, 1589, basso, p. 15 172 Macque utilise exactement le même type d’organisation formelle que Rossi : il divise le texte en deux parties, composées d’un distique de rimes plates, et répète chacune des parties deux fois. Cette forme AABB (avec ses variantes AA’BB’, AABB’, AA’BB) est l’une des plus usitées du répertoire léger des années 1580 et 1590. Concetta Assenza en a relevé pas moins de 709 exemples sur un échantillon de 1670 pièces légères publiées dans les années 1580 et 1590 173 . 172 L’imprimé est consultable au Civico Museo Bibliografico Musicale de Bologne (cote BB. 228). Voir ASSENZA Concetta, La canzonetta dal 1570 al 1615, op. cit., p. 109. Pour un exemple de ce type de pièce, voir en annexes la transcription de Tu ridi sempre mai de Givanni Croce. 173 81 D’une manière générale, la brièveté du texte est proportionnelle à sa conformation à un schéma formel musical standard. L’articulation poético-musicale de l’unique poésie de trois lignes des Madrigaletti et napolitane, par exemple, correspond exactement à celle de Torti dans son Secondo libro delle canzoni a tre voci (Venezia, Vincenti et Amadino, 1584). Schéma Forme musicale métrique Macque Vaga bellezza e bionde treccie d’oro, vedi per te ch’io moro, A AA' Torti A QuickTime™ e un decompressore TIFF (non quest'immagine. compressé) sono necessari per visualizzare b b BB' QuickTime™ e un decompressore TIFF (non quest'immagine. compressé) sono necessari per visualizzare QuickTime™ un decompressore TIFF (none quest'immagine. compressé) sono necessari per visualizzare B QuickTime™ e un decompressore TIFF (non quest'immagine. compressé) sono necessari per visualizzare oimè, non più martoro! Il s’agit là des exemples les plus clairs d’adhésion de la forme musicale à la forme poétique à l’intérieur des deux livres. L’intonation des autres textes issus de strophes de villanelles, tout en déclinant les différents types formels des genres légers – et notamment les variantes de l’autre grand modèle de ce répertoire AABCC 174 – ne lient pas systématiquement un schéma de versification à une forme musicale. Il faut cependant relever qu’il n’existe pas de règles précises quant à l’articulation poético-musicale dans le répertoire des genres légers, mais qu’il s’agit plutôt de tendances et d’habitudes. b. Liberté formelle madrigalesque Dans les textes plus longs ou moins connotés au niveau métrique, la volonté de se détacher des schémas formels des genres légers pour se raprocher des canons madrigalesques est parfaitement tangible. L’un des aspects les plus évidents de cette prise de distance est l’absence de répétition des premières sections, élément quasi omniprésent dans le répertoire léger 175 , mais beaucoup plus rare dans le madrigal. Les textes du répertoire poétique madrigalesque sont presque tous mis en musique selon un même principe (propre à ce genre), en un bloc, avec la répétition du dernier vers ou des deux derniers vers. Amor, io sento un respirar sì dolce de Cassola (MN2, n. 3) est traité de cette manière : 174 La forme AABCC et ses variantes est utilisée neuf fois dans l’ensemble des deux recueils (voir supra, tables 5a et 5b, p. 74). 175 ASSENZA Concetta, La canzonetta dal 1570 al 1615, op. cit., p. 170. Sur un échantillon de 1670 pièces, seules 55 d’entre elles ne répètent pas leur première section, soit à peu près 3% du total. 82 de même que les deux textes repris par Macque dans son Quarto libro de madrigali a cinque voci, La Salamandra se nel foco dura (MN1, n. 19) et Non sentirò mai pena (MN1, n. 20) : Macque fait preuve ici d’une grande sensibilité aux paramètres métriques et formels des textes, sans pourtant opérer de manière absolument systématique. Fammi pur guerra ognor, o mia guerriera, tout en étant construit sur le schéma de versification AABB ne répond pas à la forme musicale standard AABB : 83 de même que Bacciami, vita mia, mis en musique en une unique section, à la manière d’un madrigal. Les Madrigaletti et napolitane se trouvent encore une fois à la croisée des chemins, tantôt madrigaletto, tantôt napolitana, tantôt genre intermédiaire, calquant ici la forme musicale des genres légers, adhérant là aux canons du madrigal, et sortant parfois des schémas standards pour créer de véritables hybrides, à la forme poétique de villanelle et à la forme musicale de madrigal. Répétitions internes Malgré leur grande variété formelle, les deux recueils de Madrigaletti et napolitane sont unifiés par un procédé d’écriture qui donne une certaine homogénéité à l’ensemble des numéros. Macque met en œuvre deux échelles de répétition dans ces pièces. La première, que l’on peut envisager comme « macrorépétition » concerne les sections d’une certaine dimension et imprime aux compositions leurs formes globales, comme on l’a évoqué précédemment. La seconde échelle de répétition, « microrépétition » ou répétition interne, concerne les sections plus petites, (un vers, une partie de vers, ou même un mot) et s’intègre dans la forme globale sans la modifier véritablement. Les répétitions internes sont véritablement omniprésentes dans les deux recueils au point de pouvoir être considérées comme l’un des éléments stylistiques les plus représentatifs de l’écriture de ces livres. En effet, plus de trois phrases sur cinq sont énoncées au moins deux fois de suite et environ un tiers trois fois ou plus. Il n’est pas rare que certaines phrases fassent l’objet de quatre ou cinq occurrences : exemple musical 2 : Se tu vuoi pur ch’io muoia (MN1, n. 9, brève 11) 84 Ce type de répétition n’est pas caractéristique de tous les genres légers. Les pièces les plus simples, et notamment les pièces strophiques, ne font en général pas appel à ce genre de répétitions internes ; à l’intérieur des sections, le texte se déroule de manière linéaire 176 . Il ne fait aucun doute que la structure strophique empêche de s’étendre trop longtemps sur chacun des vers sans quoi la durée totale de la pièce dépasserait le cadre des genres légers. Dans le répertoire du madrigal, la répétition de courtes sections deviendra de plus en plus courante, mais jamais systématique. Dans les Madrigali a quattro, cinque e sei voci, par exemple, à peu près un tiers des phrases sont répétées, soit moitié moins que dans les Madrigaletti et napolitane 177 . Il est rare cependant qu’une phrase soit énoncée plus de deux fois dans un madrigal, sauf dans quelques cas particuliers, pour mettre l’accent sur un mot précis 178 . Les répétitions internes semblent provenir plutôt des genres légers d’une certaine ampleur, notamment de la canzone alla napolitana des années 1570. Leur fonction est multiple. D’une part, elles permettent de donner une certaine dimension aux pièces, sans rentrer dans un travail contrapuntique trop sophistiqué. Ces répétitions internes dessinent en quelque sorte une structure alvéolaire qui amplifie la forme de base et compense la brièveté résultant de la 176 Voir par exemple Cercai fuggir amore de Rossi (voir supra, Ill. 2, p. 81). On verra que les répétitions internes deviendront de plus en plus fréquentes au fil des recueils de Macque. 178 Voir par exemple la péroraison de Ohimè! se tanto amate du Quarto libro de madrigali a cinque voci de Monteverdi, ou certains madrigaux de Gesualdo (voir l’incipit de Ahi, dispietata e cruda du Terzo libro de madrigali a cinque voci de Gesualdo). 177 85 structure monostrophique. Comparons par exemple les deux versions de Vaga bellezza e bionde treccie d’oro - le texte le plus court des Madrigaletti et napolitane – par Torti et par Macque. Les deux pièces, on l’a vu, ont exactement la même structure poético-musicale 179 . La première, cependant, a une durée d’une dizaine de brèves (répétitions comprises, mais sans compter toutes les strophes), alors que la seconde se prolonge sur vingt-huit brèves, soit presque trois fois plus. Cette différence est due en partie aux nombreuses répétitions internes de l’intonation de Macque, qui contrastent avec le déroulement textuel quasi linéaire de celle de Torti, ce dernier ne se concèdant que la répétition du mot Ahimè : table 6 : Vaga bellezza e bionde treccie d’oro, répartition des répétitions (Macque, Torti) 180 Macque Torti A A Vaga bellezza e bionde treccie Vaga bellezza e bionde treccie d’oro d’oro A’ A Vaga bellezza e bionde treccie Vaga bellezza e bionde treccie d’oro d’oro e bionde treccie B d’oro Vedi che per te moro e bionde treccie d’oro Ahimè e bionde treccie d’oro Ahimè B Ahimè non più martoro. 179 Voir supra, p. 82. Le décompte des répétitions des deux tableaux suivants se base sur la perception du texte à l’écoute, ce qui laisse évidemment une certaine marge de subjectivité, minorée cependant par le grand nombre de passages homophones des intonations. 180 86 Vedi per te ch’io moro B Oimè Vedi che per te moro Oimè Ahimè Oimè Ahimè Oimè Ahimè non più martoro. Oimè Oimè non più martoro B’ Vedi per te ch’io moro Oimè Oimè Oimè Oimè Oimè Oimè non più martoro La répétition peut aussi servir à donner du relief au texte poétique, parfois de manière humoristique, comme dans Bacciami, vita mia 181 . Ce texte, bien que n’ayant pas connu d’autre intonation, est une variation sur texte abondamment fréquenté depuis les années 1540, tant par les madrigalistes que par les auteurs de pièces légères 182 . En écho au jeu de répétition du mot bacio (baiser) et de ses dérivés sur lequel se fondent les trois premières lignes du texte, Macque accentue et exagère les répétitions en créant ainsi un mouvement frénétique qui se prolonge jusqu’au point de rupture du texte e poi, venant mettre 181 182 Voir transcription en annexes. Basciami vita mia basciami ancora/né ti spiaccia basciarmi un’altra volta. 87 fin à l’exaltation du baiser. Après quoi, le rythme se ralentit, avec une simple reprise des deux derniers vers : table 7 : Bacciami, vita mia, répartition des répétitions bacciami Bacciami a bacci invita ancor, , vita mia, bacciami Bacciami bacciami Bacciami bacciami Bacciami a bacci invita ancor, , vita ti e ecco ti e ribaccio baccio ecco ti baccio bacciami Bacciami ancor, , vita Bacciami , vita Il s’agit là d’un cas à la fois extrême et unique dans les deux recueils. Pour donner à la répétition tout son potentiel expressif, Macque doit en effet s’affranchir des carcans formels des genres légers. L’intonation anonyme de la variante de ce texte, (Basciami vita mia, basciami ognor/basciami tanto che contento sia) du Secondo libro delle villotte alla napolitana … a tre voci (Venezia, Gardano, 1566), qui au contraire se conforme à la forme musicale standard AABB, semble beaucoup plus timide par rapport à la version de Macque (voir Ill. 3, page suivante). Pour conclure, au-delà de l’aspect purement formel ou rhétorique, il est fort probable que les répétitions internes des Madrigaletti et napolitane aient aussi été conçues pour renforcer le caractère ludique de ces pièces. Les répétitions donnent en effet très souvent lieu à des effets 88 ti ti ribaccio baccio ch’amor e ribaccio ecco ch’amor a bacci invita ancor, , vita mia, ti baccio ch’amor a bacci invita ancor, , vita mia, ecco ch’amor ti de cori spezzati entre les voix – rendus possibles grâce à l’effectif à six parties – et témoignent d’un goût de faire « tourner le son » entre les chanteurs, ce dont se souviendra Marenzio dans ses premiers recueils de madrigaux. Ces jeux de cori spezzati contribuent sans aucun doute à créer l’esprit de légèreté et de divertissement qui règne dans la majorité des numéros. Ill. 3 : ANONYME, Libro delle villotte alla napolitana diversi con due moresche a tre voci (Venezia, Gardano, 1566), canto, p. 11 183 183 In ASSENZA Concetta, Giovan Ferretti tra canzonetta e madrigale, con l’edizione critica del quinto libro di canzoni alla napolitane a cinque voci (1585), op. cit., p. 96. 89 Nouvel esprit, nouvelles techniques Tous les paramètres de l’écriture – texture, rythme, harmonie – constituent des « marqueurs » de style pouvant se décliner selon le registre stylistique du texte poétique et le niveau de complexité recherché par le compositeur. De même que les Madrigaletti et napolitane, au niveau métrique et formel, résultent d’une fusion ou d’une juxtaposition des genres, leur intonation répond également à une recherche de juste équilibre entre les deux pôles du répertoire. Dans la dédicace du Primo libro de madrigaletti et napolitane, Macque évoque plus ou moins ouvertement cette recherche d’un compromis entre la légèreté et l’ariosità de la napolitana et la facture plus travaillée, l’artificiosità, du madrigal : … persuadendomi che dopo compositioni qu’après de nombreuses compositions artificiose, non le debbiano esser artificiose, ne seraient pas écartées les discare queste mie, che sono miennes, qui sont aussi ariose que alquanto peuvent l’être celles d’un serviteur aussi esser molte … tachant de me persuader ariose cose di massime sì per affettionato attaché que moi … servitore … L’imperfection du don musical est un tel topos dans les dédicaces de l’époque, qu’il est difficile de déterminer si Macque entendait réellement s’excuser pour le style volontairement peu artificioso de ses pièces (par comparaison avec le madrigal), résultant de leur facture particulière et non d’un manque de maîtrise contrapuntique, ou bien s’il ne s’agissait là que d’un lieu commun, à travers lequel le musicien exprimait sa peur de ne pas être à la hauteur des attentes de son commanditaire. Quoi qu’il en soit, l’ariosità semble présentée ici comme un substitut à l’artificiosità, celle-là compensant en quelque sorte un défaut (voulu ou subi) de celle-ci. Techniques contrapuntiques et registre stylistique Le choix de textures est sans doute le paramètre qui exprime de la manière la plus évidente les intentions stylistiques du compositeur, les techniques imitatives renvoyant en effet presque 90 automatiquement à un certain niveau de complexité d’écriture et l’écriture homophone à un registre stylistique plus bas. Dans les Madrigaletti et napolitaine, Macque fait appel à l’homophonie de manière beaucoup plus constante que dans ses autres recueils (voir infra, table 8, p. 92). Si l’on compare avec son livre précédent, les Madrigali a quattro, cinque et sei voci, la différence est tout à fait flagrante. Dans ce dernier, l’homophonie représentait approximativement un tiers des phrases. Dans les Madrigaletti et napolitane, les proportions s’inversent puisque environ deux tiers des phrases sont homophones. Le type d’homophonie choisie par Macque est aussi révélatrice du registre stylistique qu’il visait. Dans le répertoire du madrigal, les frontières entre homophonie et contrepoint sont en réalité extrêmement poreuses. Il existe en effet d’infinies nuances permettant de passer très souplement d’une technique à l’autre. L’homophonie peut en effet respecter une scansion franchement accordale du texte (que j’appelerai ici « homophonie parfaite »), mais aussi se diluer dans une synchronisation moins précise des différentes voix (« homophonie imparfaite »), dans laquelle une ou plusieurs parties évoluent de manière autonome sur une base homophone. D’autre part, l’aspect rythmique influe aussi très fortement sur l’impression qui se dégage d’un passage homophone, selon qu’il se base sur les rythmes animés de la canzonetta et fait usage de fuses déclamées (« homophonie rythmique »), ou bien sur un débit plus lent, plus emphatique et plus libre (« homophonie déclamative ») 184 . Dans les Madrigaletti et napolitane, Macque tranche en général pour une homophonie parfaite, laissant peu de place aux petites variantes entre les voix, et préfère très nettement les contours rythmiques vifs et énergiques à une déclamation plus souple (voir infra, tables 8 et 9, p. 92). Tout en restant d’ordre très général, ces observations sont les indicateurs les plus évidents du caractère léger et de l’écriture volontairement peu artificiosa recherchés par Macque dans ces deux recueils. 184 J’ai repris le principe de cette distinction à Cecilia Luzzi (voir le chapitre introductif « L’analisi stilistica nel madrigale polifonico cinquecentesco » in LUZZI Cecilia, Poesia e musica nei madrigali a cinque voci di Filippo di Monte (1580-1595), op. cit., p. 35). 91 table 8 : choix de textures des Madrigaletti et napolitane 185 Contrepoint Homophonie Techniques mixtes MN1 31% 61% 8% MN2 17% 63% 10% table 9 : différents types d’homophonie des Madrigaletti et napolitane Homophonie parfaite Homophonie imparfaite Homophonie rythmique Homophon déclamative MN1 91% 19% 69% 31% MN2 77% 23% 64% 36% Soggetti et fuses déclamées Tout en favorisant largement l’écriture accordale, Macque ne renonça pas complètement aux techniques contrapuntiques dans les Madrigaletti et napolitane, et profita aussi des possibilités offertes par l’effectif à six voix qu’il avait retenu pour ces pièces. Au milieu du flux majoritairement homophone, sont en effet insérés des épisodes contrapuntiques, essentiellement imitatifs. Ces derniers sont d’un genre tout à fait nouveau par rapport aux premiers recueils de Macque. En effet, le compositeur inaugure dans les Madrigaletti et napolitane un type d’écriture imitative basée sur des motifs vifs, aux contours bien définis, très rythmiques et relativement courts, au détriment des soggetti plus fluides de ses premiers madrigaux. L’une des caractéristiques principales de ce nouveau type de soggetti est l’utilisation massive de fuses déclamées consécutives. Il ne s’agit pas là d’un simple détail d’écriture ni d’un élément stylistique négligeable. Au XVIe siècle, l’aspect rythmique était en effet très important dans la catégorisation des styles. Selon Pietro Cerone, si des phrases trop étendues pouvaient faire pencher le madrigal vers le style du motet, une utilisation trop marquée des fuses et notamment des fuses déclamées risquait au contraire de donner une forte saveur de canzonetta : 185 L’unité de tous les calculs sur les textures est la phrase musicale. Le premier chiffre de la table 6 est donc à lire ainsi : 31% des phrases sont musiquées de manière contrapuntique. Les répétitions ne sont pas prises en compte. 92 los Les inventions des madrigaux madrigales han de ser breves, no doivent être brèves, pas plus longues mas largas del valor de dos que la valeur de deux ou trois semi- semibreves o de tres siendo a brèves si l’on utilise le tempo minore, compas menor : y es, porque si las et ceci car si les inventions étaient plus invenciones no longues, elles ne seraient pas adaptées mas aux madrigaux mais plutôt propres fueran proprias de los motetes y aux motets et aux messes. Leur missas. Su proprio es tener su particularité est d’utiliser beaucoup de compostura muschas semiminimas, semi-minimes, et aussi de minimes et y tambien de las minimas, y de semi-brèves syncopées (qui n’ont semibreves sincopadas (las quales pas lieu d’être dans les compositions ya deximos no tener lugar en las ecclésiastiques) et avec une syllabe par composiciones ecclesiasticas) y con note, qu’elle soit semi-brève, minime la palabra denaxo casi de cada ou nota, o vocalises, comme on les trouve dans les no motets. On y met aussi quelques fuses vocalizar con tantos puntos como et parfois quelques doubles fuses (afin se haze en los motetes. Hazense en de fleurir l’œuvre), mais très peu, et ellos algunas corcheas y algunas pas dans toutes les parties en même vezes (para florear mas la obra) temps, mais seulement dans quelques algunas semicorcheas, pero muy unes, sinon elle s’éloignerait de son pocas, y no en todas las partes genre, et pourrait s’appeler œuvre juntamente, sino en algunas dellas, diminuée. que de otra manera saldrà de su disposées de manière à ne pas porter orden, y podriase llamar obra de syllabes, et à ne pas comporter de glosada: y han de ser ordenadas, sauts, car les fuses ainsi disposées sont sin levar sylaba particolar, y sin réservées pour les canzonette et pour saltos; pues estas aussì ordenadas, les strambotti et frottole. Las serian invenciones para fuessen largas, madrigales, semibreve, semiminima de que minima sea, por semi-minime, Celles-ci sans trop doivent de être se reservan para las chanzonetas y para los estrambotes y fròtolas. 186 186 CERONE Pietro, El melopeo y maestro. Tractado de musica theorica y pratica, op. cit., p. 692 ; cité par FABBRI Paolo, Il madrigale tra Cinque e Seicento, op. cit., p. 15. 93 Dans la suite du chapitre, Cerone admet lui-même que ces règles n’étaient plus observées par les madrigalistes de l’époque (Il Melopeo y maestro fut imprimé en 1613), et notamment par les madrigalistes napolitains. Cependant, à la fin des années 1570, les fuses déclamées étaient encore relativement circonscrites au répertoire léger 187 , et la règle énoncée par Cerone était encore parfaitement valable. Même s’il est toujours un peu risqué de se focaliser sur de courts extraits musicaux pour mettre en évidence les caractéristiques de livres entiers, la comparaison des deux passages suivants, le premier tiré des Madrigali a quattro, cinque et sei voci, le second des Madrigaletti et napolitane, peut aider à comprendre le changement stylistique advenu entre ces deux recueils. exemple musical 3a : Il vago e lieto aspetto (a456, n. 21, brèves 5-8) 188 187 Voir DEFORD Ruth, « The Evolution of Rhythmic Style in Italian Secular Music of the Late Sixteenth Century », Studi musicali, X, 1981, p. 43-73. 188 D’après SHINDLE Richard, The Madrigals of Giovanni de Macque, op. cit., p. 380. 94 95 exemple musical 3b : Vorrei nel chiaro lume (MN2, n. 9, brèves 8-10) 96 97 Les deux passages cherchent indubitablement à exprimer la notion d’éblouissement (abbagliar et abbagliò) en faisant passer rapidement un même motif d’une voix à l’autre, afin d’obtenir une texture éparpillée. Le résultat est cependant différent. Alors que du premier se dégage une impression de masse sonore un peu confuse (confusion qui correspond sans aucun doute à l’idée d’éblouissement), le second est beaucoup plus structuré et parvient à tirer profit du jeu de réponses entre les voix grâce à un motif plus concis et plus vif, facilement identifiable à l’écoute au milieu de la polyphonie. Macque avait déjà introduit des sujets basés sur des fuses déclamées dans ses Madrigali a quattro, cinque et sei voci, mais ceux-ci se limitaient presque toujours à la cellule rythmique q. e. Dans les Madrigaletti et napolitane, un nouveau pas est très clairement franchi. Il est en effet rare de trouver un sujet qui ne soit égayé par quelques fuses déclamées ou, le cas échéant, vocalisées. De plus, Macque s’autorise ici et là de longues suites de fuses déclamées, absolument inédites dans ses premiers volumes : exemple musical 4 : Talor mi s’avicina (MN2, n. 16) Si l’on se réfère au passage du Melopeo y maestro de Cerone évoqué précédemment, il émanait sans doute de ce type de motif une forte saveur de genres légers pour l’auditeur des années 1580. Certains compositeurs de pièces légères avaient en effet commencé à explorer les possibilités d’un travail contrapuntique basé sur ce type de sujets vivants, rapides et nerveux dès le début des années 1570. À côté des auteurs de canzoni alla napolitane (notamment Ferretti et Conversi), Zappasorgo, auteur de pièces moins ambitieuses à trois 98 voix 189 , fait figure de précurseur en la matière, comme en témoigne cet extrait des Napolitane a tre voci (1571) : exemple musical 5 : Giovanni Zappasorgo, Sì traviato è ’l folle mio desio (Napolitane a tre voci, Venezia, Scotto, 1571) 190 Il ne fait aucun doute que Macque se fit l’héritier de ces expériences dans les Madrigaletti et napolitane. Il leur donna cependant l’ampleur que lui permettait l’effectif à six voix. L’exemple musical 6, basé sur une imitation doublée à la tierce par mouvement contraire, est un exemple de travail contrapuntique relativement élaboré (peut-être serait-il plus juste de parler ici de travail motivique), difficilement imaginable dans une petite pièce à trois voix. exemple musical 6 : O begli occhi sereni (MN1, n. 10, brèves 13-17) 189 Voir ASSENZA Concetta, La canzonetta dal 1570 al 1615, op. cit., p. 142. D’après ASSENZA Concetta, Giovan Ferretti tra canzonetta e madrigale, con l’edizione critica del quinto libro di canzoni alla napolitane a cinque voci (1585), op. cit, p. 110. 190 99 L’utilisation de ce type de motifs très ciselés et faisant appel aux fuses déclamées constitue un changement important dans le style de Macque. Celui-ci, comme on le verra, ne reviendra plus en arrière. En cela, le compositeur suivit la marche du madrigal qui, à partir des années 1580, généralisa l’utilisation de ces sujets, relativement rare dans le répertoire des années 1570, mais caractéristique du style des madrigalistes de la génération de Marenzio et Giovannelli 191 . Homophonie et standardisation rythmique Le vocabulaire rythmique utilisé par Macque dans les passages homophones est peut-être encore plus connoté que les soggetti en fuses déclamées évoqués précédemment. Le compositeur structure en effet la grande majorité des passages homophones selon des schémas rythmiques prédéterminés, provenant du répertoire léger. Ces modèles rythmiques sont au nombre de quatre ; chacun d’entre comportent sept notes afin s’adapter à la prosodie du septénaire, d’une première partie d’hendécasyllabe a-maiore ou éventuellement d’une seconde moitié d’hendécasyllabe a-minore 192 . Ces rythmes sont utilisés en général sans trop de variantes, les petites différences étant dues à des questions de versification (par exemple, pour s’adapter à un vers tronco). Rythme A Le premier modèle rythmique, appelé ici rythme A est le plus utilisé. Macque s’en sert en effet pour l’intonation de quarante-trois vers, soit approximativement un vers sur cinq, ce qui est considérable (voir infra, table 11, p. 106). Ce rythme se décline en deux formes principales (fréquemment superposées), la première commençant par une minime, la seconde par une semi-minime : exemple musical 7 : rythme A 191 Sur l’émergence d’un nouveau type d’écriture madrigalesque dans les années 1580 voir particulièrement NEWCOMB Anthony, The Madrigal at Ferrara, Princetown, Princetown University Press, 1980 et DEFORD Ruth, Ruggiero Giovannelli and the Madrigal in Rome, op. cit. 192 A-maiore se dit d’un hendécasyllabe dont l’accent principal est placé sur la sixième syllabe ; le rythme de la première partie du vers correspond donc à celui d’un septénaire. A-minore se dit au contraire d’un hendécasyllabe sont l’accent principal est placé sur la quatrième syllabe. C’est alors le rythme de la deuxième partie du vers qui peut être calqué sur celui d’un septénaire (voir BELTRAMI Pietro, La metrica Italiana, Bologna, Il Mulino, 1991, p. 394). 100 Dans quelques cas, le modèle peut subir de légers changements afin de s’adapter à un fragment de vers plus court, ou plus long : exemple musical 8a : variante du rythme A, Se tu vuoi pur ch’io muoia (MN1, n. 9) exemple musical 8b : variante du rythme A, Questi leggiadri fiori (MN1, n. 14) Ce rythme, dont les origines sont difficiles à déterminer, est utilisé abondamment par les compositeurs de pièces légères 193 . Parmi ses innombrables occurrences, on peut citer les deux passages suivants (exemples musicaux 9a et 9b), extraits de napolitaines de Mogavero et Ferretti : exemple musical 9a : Antonio Mogavero, Non veggio oggi il mio sole (Canzonette alla napolitana, Venezia, Vincenti, 1591) 193 Cet aspect hautement stéréotypé de la prosodie au sein du répertoire léger doit être absolument pris en compte dans les analyses comparatives avant de conclure à une imitation ou un échange entre deux auteurs. 101 exemple musical 9b : Giovanni Ferretti, Occhi dell’alma mia, (Quinto libro di canzoni alla napolitana, Venezia, Scotto, 1585)194 Rythme B Le second modèle rythmique utilisé par Macque (rythme B) était déjà présent dans le premier répertoire des villanesche 194 : exemple musical 9a : rythme B Une vingtaine de vers sont musiqués sur ce rythme et sur sa variante plus courte : exemple musical 10b : rythme B’ utilisée généralement pour la première partie d’hendécasyllabes a-minore, (par exemple : Vivrebbe lieto - senza mai languire ou Tacerò dunque - o pur vorrò morir, voir infra, table 12, p. 107). 194 Voir par exemple le refrain de Madonna tu mi fai lo scorucciato, pièce anonyme du tout premier recueil de villanesche (Canzoni villanesche alla napolitana, Napoli, Colonia, 1537). À propos de ce rythme, Concetta Assenza parle d’une « séquence très ancienne, utilisée dans le répertoire mineur depuis ses origines et tout aussi fréquente dans le répertoire de la canzonetta. » (« una sequenza di antica data, in uso nel repertorio minore fin dalla prima produzione e ancora quanto mai diffusa nel repertorio canzonettistico », in La canzonetta dal 1570 al 1615, op. cit., p. 133). 102 Rythme C Le troisième modèle rythmique (rythme C) est le suivant : exemple musical 11 : rythme C Ce rythme n’est utilisé que pour la mise en musique de onze vers, mais de manière quasiment invariante. Il s’agit là d’un rythme un peu moins fréquenté par les compositeurs de pièces légères, mais que l’on peut cependant retrouver chez certains auteurs : exemple musical 12 : Paolo Bellasio, Mai non vo’ pianger (Villanelle a Tre Voci, Venezia, Gardano, 1592) Rythme D Le dernier rythme, rythme D, est le seul à être utilisé de manière régulière dans une forme à cinq et à sept notes (la première étant utilisée pour les septénaires ou la première partie d’hendécasyllabes a-maiore, et la seconde pour la première partie d’hendécasyllabes aminore). Chacune d’entre elles sert à l’intonation d’une dizaine de vers. exemple musical 13a : rythme D1 exemple musical 13b : rythme D2 103 Encore une fois, il s’agit là d’un rythme tout à fait classique dans le répertoire léger, dont il existe de nombreux exemples : exemple musical 14a : Orazio Caccini, Tanti martir mi date (Madrigali et canzonette a cinque voci, Venezia, Vincenti et Amadino, 1585 exemple musical 14b : Giovanni Ferretti, Basciami vita mia (Il primo libro delle canzoni alla napolitane a cinque voci, Venezia, Scotto, 1567) 195 195 D’après ASSENZA Concetta, La canzonetta dal 1570 al 1615, op. cit., p. 98. 104 Modèles prosodiques Ces quatre modèles rythmiques offrent la possibilité de s’adapter aux divers types d’accentuation du septénaire. Le rythme A met l’accent sur la deuxième, la quatrième et l’avant-dernière syllabe : 1 2 3 4 5 6 7 , comme dans les exemples suivants : un tempo quando ardeva si strugge a tutte l’ore e voi crudel e fela ou, plus rarement, uniquement sur la quatrième et l’avant-dernière syllabe, 1 2 3 4 5 6 7 : della mia donna Amore Les rythmes B et D, eux, accentuent la première, la quatrième et l’avant-dernière syllabe, 1 2 3 4 5 6 7 , comme dans les vers qui suivent : Rythme B : sete d’Amor rubella d’ogni mio ben mi priva Rythme D : quante bellezze avete fingi volermi bene Enfin, le rythme C met l’accent sur la première, troisième et avant-dernière syllabe, 1 2 3 4 5 6 7 , comme dans l’exemple suivant : quant’avete beltate ou, plus fréquement, uniquement sur la troisième et l’avant-dernière syllabe : uccidendo mi fia che val esser costante 105 La cinquième et la septième syllabe ne pouvant en aucun cas être accentuées 196 , ces quatre formes sont en mesure de répondre à tous les cas de figure d’accentuation du septénaire ou de l’hémistiche le plus long d’un hendécasyllabe (voir table 10). table 10 : combinaisons prosodiques syllabe 1 2 3 4 accentuée schéma rythmique A (x) B/D x C (x) x x x Macque sort relativement peu de ces schémas rythmiques standardisés dans les passages en homophonie rythmique (il n’existe en effet que quatorze exemples de passages homophones faisant usage de fuses déclamées qui ne répondent pas à ces modèles prédéfinis). La table suivante donne un aperçu de la répartition des différents modèles d’homophonie rythmique, et démontre à quel point le compositeur désirait se conformer à des prototypes de déclamation bien déterminés : table 11 : répartition des modèles d’homophonie rythmique 196 Selon les règles de la métrique italienne, un vers de sept syllabes accentué sur la dernière ou sur l’avant avantdernière syllabe cesse d’être un septénaire pour devenir dans le premier cas un sénaire tronco (accentué sur la dernière syllabe), dans le deuxième cas un octosyllabe sdrucciolo (accentué sur l’avant avant-dernière syllabe). 106 5 table 12 : liste exhaustive des vers mis en musique sur les rythmes A, B, C et D Rythme B Rythme A QuickTime™ e un decompressore TIFF (non compressé) sono necessari per visualizzare quest'immagine. Rythme C QuickTime™ e un decompressore TIFF (non compressé) sono necessari per visualizzare quest'immagine. 1 (2) 3 4 5 6 7 (1) 2 3 4 5 6 7 (1) 2 3 4 5 6 7 un tempo quando ardeva sete d’Amor rubella vo’ si strugge a tutte l’ore d’ogni mio ben mi andar sem cantando priva e non pato più pena e voi crudel e fela eccoti lo mio core quant’avete beltate quel sì cocente foco uccidendo mi fia sdegno per mi ventura che val esser costante porgimi aita Amore ch’ognor et or che ne son privo come palustre augel e voi che ben sapete che piaga di tua man bramo morte fuggi pur quanto sai e quanto più la miro vuoi ch’io celi la fiam bacciami vita mia o sfortunato amante trovo grata mercede ma la ninfa mia bella a che più tender l’arco almen abbi pietade donna deh vedimi morire e faccia quanto vuol or tal è la mia sorte ma quel ch’ha per costume ch’Amor a bacci invita e bionde treccie d’oro leggiadra e bella liquide perle uscire chi ama per destino tu me la mostri amore che tra le fresche rose tre graziosi amanti 107 che giova saetar o pur vorrò morire voi sete la mia stella miracolo d’Amore poiché non posso dire e farmi ogni alma ancella per quel ch’io provo e sento nelle più belle braccia che fece mai natura non regni mai pietà il mio nemico Amore felice lo mio core se nel leggiadro viso e ne begli occhi stai della mia donna Amore poiché tanti n’accende la mia corona avrai al fin le luci affisse che specchio ti sarà Variante du rythme A 108 Variante du rythme B Variante du rythme 1. bacci mi vita ma stringimi ch’al petto ch’al mormorar ecco ti baccio e d’ogni grazia piena e ti ribaccio perché le chiome te tacerò dunque n’adorni e ‘l volto vivrebbe lieto se nel foco dura senza mai languire l’anima si more dimmi perché non vai Autres modèles d’homophonie Même si les passages homophones sans fuses déclamées répondent moins souvent à des schémas rythmiques standards, il est toutefois possible d’identifier quelques modèles récurrents. Le premier modèle nous renvoie encore une fois au répertoire des genres légers197 . Il s’agit d’une intrusion ternaire dans un déroulement rythmique binaire (de type 3+3+2 ou 3+3+3+2), qui intervient sans aucun changement de notation. L’origine de ce rythme remonte aux toutes premières villanesche 198 . Ces passages sont facilement identifiables lorsqu’ils répondent à un schéma rythmique régulier – généralement trochaïque – comme dans l’exemple ci-dessous : exemple musical 15 : rythme 3+3+2, Mai non vo pianger più (MN1, n. 1) 197 Voir DEFORD Ruth, « The Evolution of Rhythmic Style in Italian Secular Music of the Late Sixteenth Century », op. cit., p. 45. 198 Voir Dolce mi saria du Secondo libro di canzone napolitane a tre voci de Giovanni Leonardo Primavera (Venezia, Rampazetto, 1566), transcrit in DEFORD Ruth, « The Evolution of Rhythmic Style in Italian Secular Music of the Late Sixteenth Century », op. cit., p. 57. 109 mio mi Certains passages sont cependant travaillés de manière plus complexe. Le rythme suivant, par exemple, fut sans aucun doute pensé comme un alternance de trochaïque et de iambique, sans quoi les accents toniques seraient presque tous mal placés : exemple musical 16: Vorrei morire (MN2, n. 4) Les derniers modèles rythmiques identifiables font appel aux schémas A, B, C et D traités en augmentation et apparaissent habituellement en fin de pièce, clairement associés à leur modèle de base, comme dans les exemples suivants : exemple musical 17a : rythme A en augmentation, Amor scorse da gl’occhi di mia diva (MN2, n. 19, dernières mesures) exemple musical 17b : rythme B en augmentation, Amor donna ch’è bella (MN2, n. 20, dernières mesures) exemple musical 17c : rythme C en augmentation, Una fiammella viva (MN1, n. 6, dernières mesures) 110 Il s’agit en général plus de reproduire un contour rythmique global que de réaliser une augmentation à proprement parler 199 . Modèles prosodiques et ariosità On peut s’étonner face à une telle standardisation du matériau rythmique mais sans doute faut-il considérer cette stéréotypation non comme un appauvrissement du langage mais plutôt comme un moyen d’arriver à créer cette sensation d’ariosità annoncée par Macque dans la dédicace. Ces modèles venus tout droit du répertoire léger avaient problement démontré leur efficacité au niveau prosodique ainsi que leur capaciter à adhérer au rythme naturel de la versification italienne. Bien avant les expériences de la camerata fiorentina et les airs mesurés à l’antique de l’Académie de Baïf, s’était apparemment créé de manière pragmatique et naturelle tout un fonds de figures rythmiques adaptées à la prosodie du vers italien dans lequel puisaient constamment les compositeurs. Dans un contexte madrigalesque, faire appel à ces modèles signifiait non seulement donnner un petit parfum de canzonetta à son intonation, mais probablement aussi privilégier l’adéquation de la musique à la cadence poétique (et peut-être aussi sa compréhention), plutôt que la dilution rythmique et contrapuntique du vers. Cet aspect standardisé du rythme et de la prosodie semble avoir joué un rôle important dans la notion d’aria à la fin du XVIe siècle, ce qui n’a rien d’étonnant si l’on se rappelle que les modèles de déclamation des vers de la poésie narrative italienne étaient justement appellés arie. Zarlino confirme d’ailleurs cette hypothèse lorsqu’il assimile les arie modernes, aux différents genres rythmiques de la poésie antique. Au chapitre 79 du livre III, intitulé Delle cose che concorrevano nella compositione de i Generi, l’auteur compare en effet les arie du XVIe siècle aux modes rythmiques gréco-romains ; ceux-ci, nous apprend Zarlino, ne peuvent être altérés sans risquer de défigurer l’aria (ou mode) : 199 Seule l’augmentation du rythme A possède une véritable autonomie et est utilisée indépendamment de sa matrice (onze occurrences au total). 111 Era poi la parola Ensuite venait la Dithirambica contenuta sotto parole alcuni caractérisée par certains pieds piedi veloci più dithyrambique, d'ogn'altro piede; et da cotali plus piedi, che erano posti ne i autres ; et ces pieds, qui étaient Versi, haveano la Misura delli utilisés dans les vers, donnaient movimenti dell'Harmonia; et la mesure des mouvements à da cotali piedi, che erano posti l’harmonie. ne i Versi, haveano la Misura était déterminée et constituée delli dell' selon un certain mode, ou aria, Harmonia; la quale Harmonia pour ainsi dire, de chanter. Il era terminata, et costituita en est de même pour cette sotto un certo Modo, overo manière Aria, che lo vogliamo dire, di laquelle on chante aujourd’hui cantare; si come sono quelli les sonnets, ou les canzoni de modi di cantare, sopra i quali Pétrarque, ou bien les rimes cantiamo al presente li Sonetti, d’Arioste. Et ces modes ne o Petrarca, peuvent changer, ni même Rime altérer, certaines de leurs movimenti Canzoni overamente del le rapides de que Cette tous les harmonie chanter, sur dell'Ariosto. Et cotali Modi parties en sortant du nombre ou non si possono mutare, overo mètre qui les caractérisent, sans alterare in parte alcuna fuora que cela n’offense l’ouïe. del loro terminato Numero, o Metro, senza offesa dell' udito. 200 Clarification et organisation des structures harmoniques Un autre paramètre de l’écriture semble avoir contribué également à la sensation d’ariosità pour les musiciens du XVIe siècle. Certains musicologues ont en effet souligné l’importance du versant harmonique de cette notion, notamment Nino Pirrotta, pour qui le concept d’aria serait indissociable d’un certain type de logique accordale : Un élément de base des arie, que la théorie du XVIe siècle n’était pas encore préparée à reconnaître et à évaluer, a certainement été une séquence harmonique « logique », entièrement réalisée dans une composition polyphonique ou bien simplement sous-entendue par l’agencement d’une mélodie, une séquence dont la logique ne coïncidait pas forcément avec 200 ZARLINO Gioseffo, Le Istitutioni harmoniche, op. cit., troisième partie, p. 289. 112 la logique de l’harmonie tonale. Cette logique harmonique a été déterminante pour le succès d’un certain nombre de schémas de basse tels que passamezzo, romanesca, Ruggiero, et autre, qui n’étaient pas des mélodies mais étaient tout de même appelés arie car ils dictaient des séquences harmoniques caractéristiques et donnaient l’air d’avoir quelque chose en commun aux mélodies construites sur elles 201 . Cette vision très harmonique de l’ariosità est aussi partagée par Howard Mayer Brown qui, dans son article « Verso una definizione dell’armonia nel sedicesimo secolo », affirme, à propos des Madrigali ariosi d’Antonio Barrè : il paraît tout aussi vraisemblable que les « qualités ariose » des madrigaux en question résident aussi en partie dans leur configuration harmonique, étant donné que leurs compositeurs possédaient une sensibilité tout à fait particulière pour les accords et les sonorités simultanées contrôlés par les mouvements de la voix de basse202 . Sur la base de ces observations, il m’a paru intéressant d’essayer de déterminer si les configurations harmoniques des Madrigaletti et napolitane possédaient une logique interne allant dans le sens de cette ariosità. Réduction des configurations modales Avant même de se plonger dans les mécanismes harmoniques en tant que tels, il convient de s’arrêter un instant sur les choix modaux du compositeur. Par chance, il est relativement aisé de savoir quel système modal avait adopté Macque car ce dernier nous a laissé une série de ricercari composés dans les douze tons 203 . De ces derniers, il apparaît que Macque, comme beaucoup de ses contemporains, avait adopté le système modal tel qu’il est décrit dans le Dodecachordon de Glarean et dans la première version des Istitutioni harmoniche de Zarlino 201 « One basis element, which sixteenth-century theory was still unprepared to recognize and assess, must have been a “logical” sequence of harmonies, either fully realized in polyphonic composition or merely implied in the statement of a melody, a sequence whose logic was not yet necessarily fully consistent with the logic of tonal harmony. Such logic is what determined the success of a number of bass patterns such as passamezzo, romanesca, Ruggiero, and the like, which were not melodies and yet were called arie because they dictated typical harmonic sequences and thus imparted to every melody built on them the air of having something in common. », in PIRROTTA Nino, « Willaert and the Canzone Villanesca », in Music and Culture in Italy from the Middle Ages to the Baroque, op. cit., p. 195. 202 « appare altrettanto verosimile che le “qualità ariose” dei madrigali in questione risiedano in parte anche nella loro configurazione armonica, dato che i loro compositori ebbero una sensibilità affatto particolare per gli accordi e le sonorità simultanee controllati dai moti della voce del Basso. », in BROWN Howard Mayer, « Verso una definizione dell’armonia nel sedicesimo secolo : sui « madrigali ariosi » di Antonio Barrè » Rivista italiana di musicologia, XXV, 1990, p. 30. 203 Le manuscrit de ces douze ricercari à quatre voix est conservé à la Biblioteca Nazionale di Firenze ; éd. STEMBRIDGE Chrisopher, Ricercari sui dodici toni, op. cit. 113 (1558) 204 . C’est le système que j’adopterai ici pour désigner les modes, en indiquant à chaque fois le type tonal correspondant 205 . Macque, dans les deux recueils, n’utilise pratiquement que six modes. Il privilégie en effet largement les modes 11 et 12 sur fa – {fa/b/c1} et {fa/b/g2}, douze pièces en tout – les modes 7 et 8 non transposés – {sol/§/c1} et {sol/§/g2}, onze pièces – et enfin les modes 1 et 2 sur sol – {sol/b/c1} et {sol/b/g2}, douze pièces au total. Seules cinq pièces sur quarante-deux sont écrites dans des modes différents (voir tables 13 et 14). Dans ses recueils précédents, Macque, tout en favorisant aussi ces six modes, était tout de même beaucoup plus diversifié dans ses choix 206 . table 13 : MN1, MN2, choix modaux Type {ré/§/c1} {ré/§/g2} {mi/§/c1} {mi/§/g2} MN1 1 --- --- --- MN2 --- --- --- --- Total 1 --- --- --- tonal Recueil table 14 : MN1, MN2, classement modal des pièces MN1 MN2 Mai non vo’ pianger più come 1. solea {fa/b/c1} 1. Non veggio og 2. Per pianto lo mio core {fa/b/c1} 2. Preso son io ne Amor, 3. Tanti martir mi date 204 {fa/b/c1} 3. dolce La classification modale de Glarean part de la finale ré pour le premier et le second mode, pour arriver à do pour le onzième et le douzième. Le mode de fa avec bémol y est considéré comme une transposition du mode de do (modes 11 et 12). L’étude de référence sur la modalité polyphonique reste l’ouvrage fondamental de MEIER Bernhard, The Modes of Classical Vocal Polyphony, New York, Broude, 1988 (traduction anglaise de l’original allemand Die Tonarten der klassischen Vokalpolyphonie, Utrecht, Oosthoek, Scheltema & Holkema, 1974). Voir aussi POWERS Harold, « Mode », New Grove Dictionary of Music and Musicians, 2001, vol. 16, p. 775-860. 205 Pour une définition des types tonals voir POWERS Harold « Tonal Types and Modal Categories in Renaissance Polyphony », Journal of the American Musicological Society, XXXIV, 1982, p. 428-470 et, du même auteur, « Is Mode Real? Pietro Aron, the Octenary System, and Polyphony », Basler Jb für historische Musikpraxis, XVI, 1992, 9–52. 206 Un tiers des madrigaux du Primo libro a sei voci et des Madrigali a quattro, cinque et sei voci sortent de ces configurations modales, contre un dixième dans les Madrigaletti et napolitane. 114 io se Mentre al mio chiaro e vivo sol 4. mirava {fa/b/c1} 4. Vorrei morire 5. Dico spesso al mio core {sol/§/g2} 5. S’io non t’ador 6. Una fiammella viva {sol/§/g2} 6. Bacciami vita m Vola vola pensier fuor del mio 7. petto {sol/§/g2} 7. Vaga bellezza 8. Fuggi pur quanto sai {sol/§/c1} 8. Deh non più st 9. Se tu vuoi pur ch’io muoia {sol/§/c1} 9. Vorrei nel chia 10. O begli occhi sereni {sol/§/c1} 10. Se nel leggiadr 11. Scoprirò l’ardor mio {la/§/g2} 11. Se quel vital hu 12. Vorria saper da voi occhi mortali {la/§/g2} 12. A che più tend Clori dunque 13. S’io potessi cantando {sol/b/g2} 13. fuggire 14. Questi leggiadri fiori {sol/b/g2} 14. Quando sorge l 15. Se del mio mal non curi {ré/§/c1} 15. Donna leggiadr 16. Altro non voglio, {sol/b/c1} 16. Talor mi s’avv 17. Quel sì cocente foco {sol/b/c1} 17. Tu ridi sempre Fammi pur gu 18. Cercai fuggir Amore {sol/b/c1} 18. guerriera Amor scorse 19. La Salamandra se nel foco dura {fa/b/g2} 19. diva 20. Non sentirò mai pena {fa/b/g2} 20. Amor donna ch 21. Poi che non posso dire {fa/b/g2} 21. Tre graziosi am Dans les Madrigaletti et napolitane, Macque chercha probablement à se limiter aux configurations modales les plus couramment utilisées dans le répertoire profane 207 , ainsi qu’à éviter les ethos trop sombres traditionnellement associés aux modes 3 et 4 (mode de mi). Macque se conforme ainsi aux habitudes des genres légers. On retrouve exactement la même 207 On retrouve la même prédilection pour la finale sol avec ou sans bémol dans les recueils de Giovannelli et Marenzio des années 1580. Les modes 1 et 2, quasiment absents des Madrigaletti et napolitane, sont aussi très peu utilisés chez ces deux auteurs. La même tendance est perceptible dans l’anthologie romaine Dolci affetti (Venezia, Scotto, 1582), dans laquelle les finales ré et mi et do ne sont pas du tout représentées. 115 tendance dans les recueils de canzonette et de villanelles de Marenzio et Giovannelli 208 , qui privilégient les mêmes modes que Macque dans les Madrigaletti et napolitane 209 . La finale du mode joue généralement un rôle structurel important. La table suivante (table 15) donne un aperçu de la position des cadences principales des pièces (cadences de fin de parties, facilement identifiables étant donnés les canevas formels utilisés, sans tenir compte évidemment des cadences finales). table 15 : position des cadences principales Les cadences principales sont placées très majoritairement sur la finale, puis à sa quarte et quinte ascendantes ou descendantes (quatrième et cinquième « degrés » du mode). À peine plus d’un dixième des cadences principales est réalisé sur une autre hauteur. Même s’il est impossible de mettre en évidence un processus bien déterminé dans la conjugaison des cadences et des formes musicales, on discerne cependant une forte tendance à utiliser la finale aux points d’articulation majeurs des compositions. Au-delà de cette organisation à grande échelle, les pièces possèdent très souvent une logique harmonique interne. Pour l’appréhender, il convient de distinguer deux types d’écritures : d’une part la texture homophone, on l’a vu, largement majoritaire, d’autre part la texture contrapuntique, généralement imitative. À ces deux types d’écritures correspondent autant d’organisations harmoniques. 208 Pour plus de détails, voir NEWCOMB Anthony, “Marenzio and the “nuova aria e grata all’orecchie”, in Music in the Mirror, University of Nebraska Press, 2002, p. 65. 209 Au niveau modal, la seule différence notable entre les Madrigaletti et napolitane de Macque et les recueils de canzonette et villanelles de Giovannelli et Marenzio est l’absence dans les premiers du mode 11 et 12 non transposés {do/§/c1} et {do/§/g2}, assez fréquents dans les seconds. 116 Contrepoint et « ancrage » harmonique Contrairement à ce que l’intuition laisserait présumer, l’organisation harmonique des passages contrapuntiques est souvent plus facilement descriptible et intelligible que celle des passages homophones. Macque généralise en effet l’usage d’une technique contrapuntique basée sur une forte structure harmonique, procédé dont on trouve les toutes premières manifestations dans les pièces à six voix des Madrigali a quattro, cinque et sei voci de 1579. Il s’agit d’un type d’écriture, généralement imitative qui, tout en sonnant comme une superposition de lignes horizontales, est en réalité conçue de manière résolument verticale, sur un canevas harmonique d’un unique accord (ce que j’appelle « imitation monoaccordale », voir infra, exemple musical 18, p. 118), ou sur une alternance de deux ou trois accords (« imitation biaccordale » et « triaccordale », voir infra, exemple musical 19, p. 118). Dans ces passages contrapuntiques, l’harmonie cesse en quelque sorte d’être la résultante de la superposition mélodique, mais c’est le soggetto lui-même qui vient épouser le schéma harmonique. Selon Anthony Newcomb, qui surnomme cette technique pseudocontrepoint (ou moins sérieusement chordal noodling 210 ), la première occurrence de ce type d’imitation dans le répertoire du madrigal se trouverait dans les Madrigali a quattro, cinque et sei voci de Macque 211 . Ce procédé d’écriture s’inscrit cependant dans un phénomène de clarification et de simplification des structures harmoniques qui caractérise les genres légers depuis leur naissance 212 . Dans un contexte madrigalesque, on retrouve une sensibilité harmonique similaire dans certaines pièces d’Andrea Gabrieli dès le début des années 1570 213 . Dans les Madrigaletti et napolitane, le procédé revêt cependant une importance tout à fait nouvelle, et envahit littéralement le matériau imitatif. Les trois quarts des passages contrapuntiques sont en effet construits sur la base d’imitations monoaccordales, biaccordales, ou triaccordales. 210 NEWCOMB Anthony, « Marenzio and the “nuova aria e grata all’orecchie”», op. cit., p. 61-75. Il semble que Macque ait voulu varier les styles selon le nombre de voix qu’il employait. Les techniques contrapuntiques des madrigaux à quatre voix ainsi que la grande majorité de ceux à cinq voix sont en effet tout à fait différentes. Ce n’est que dans les madrigaux à six voix que Macque montre clairement une volonté de simplifier les structures harmoniques des passages imitatifs. 212 Le même type de technique était cependant utilisé depuis longtemps, quoique de façon moins évoluée, en dehors du répertoire madrigalesque, et notamment par Janequin dans ses grandes fresques narratives (voir LOWINSKY Edward, Tonality and Atonality in Sixteenth-Century Music, Berkeley, University of California Press, 1961). 213 Voir par exemple l’incipit de Amor, che de’ mortali du Secondo libro de madrigali a cinque voci de Gabrieli, in GABRIELI Andrea, Il secondo libro di madrigali a cinque voci, éd. David Butchart, Milano, Ricordi, 1996, p. 148. 211 117 exemple musical 18 : imitation monoaccordale, Dal suo volto scendea dolcezza e grazia (a456, n. 17) 214 exemple musical 19 : imitation biaccordale, Una fiammella viva (MN1, n. 6) L’impression de lisibilité et de prévisibilité harmonique qui résulte de ce type de techniques imitatives est en outre renforcée par un autre facteur : l’ « ancrage » très marqué dans la finale. Les trois quarts des imitations biaccordales et triaccordales sont en effet construites autour de la finale, alternée le plus souvent avec ce qui serait appelé dominante et sousdominante dans une pièce tonale. Quant aux imitations monoaccordales, elles sont faites dans plus de la moitié des cas sur la finale elle-même. Certaines pièces poussent très loin l’ancrage dans la final au moyen de ce procédé, et pour cette raison, résultent à nos oreilles extrêmement tonales (Newcomb parle à ce propos d’exemples de prototonalité fonctionnelle 215 ). C’est le cas notamment de Vorria saper da 214 215 D’après SHINDLE Richard, The Madrigals of Giovanni de Macque, op. cit., p. 340. Voir NEWCOMB Anthony, « Marenzio and the “nuova aria e grata all’orecchie”», op. cit. 118 voi 216 (l’un des rares numéro écrit en mode 10, {la/§/g2}), dont le déroulement harmonique est schématisé dans la table 14. L’axe horizontal du schéma représente le déroulement temporel de la pièce, l’axe vertical, l’harmonie. Au centre de ce dernier, la triade finale la/do/mi (sans tenir compte de l’ordre vertical des notes) ; en haut, l’accord de la quinte supérieure mi/sol#/si, sorte de dominante ; en bas, l’accord de la quinte inférieure, ré/fa/la, sorte de sous dominante ; et pour finir, l’accord placé sur la corda mezzana, do/mi/sol. Les deux passages rayés correspondent aux moments où l’harmonie n’est pas organisée autour de ces accords. table 16 : schéma du déroulement harmonique de Vorria saper da voi (MN1, n. 12) Il ressort très clairement de ce schéma que la presque totalité de la pièce n’utilise que les trois accords de finale, de sa quinte supérieure et de sa quinte inférieure. Toutes les pièces ne poussent bien évidemment pas aussi loin le procédé, mais cet exemple illustre clairement la sensation extrêmement tonal que cette technique peut donner aux madrigaletti. En mettant en évidence le caractère prototonal de ces pièces, il ne s’agit évidemment pas de dire que Macque commença de manière consciente à changer sa conception de la composition pour s’acheminer doucement vers la tonalité fonctionnelle. Ce serait absurde, faux au niveau historique et infirmé en outre par le reste de la production de Macque qui, on le verra, abandonna presque complètement ce type d’écriture à partir des années 1590. 216 Voir transcription en annexes. 119 Son intérêt momentané pour cette technique était certainement moins dû à une réelle aspiration à changer radicalement le langage musical qu’à sa recherche d’un langage clair, simplifié, euphonique, facile à chanter et doux à l’oreille, qui rappelle, comme le souligne Newcomb 217 , les « fugues faciles sans artificio extraordinaire » (« fughe facili e senza straordinario artificio ») dont parle Giustiniani à propos des madrigaux de Marenzio 218 . Homophonie et « dérive » harmonique a. Séquences harmoniques Les passages homophones des Madrigaletti et napolitane, comparés aux sections imitatives que nous venons d’évoquer, ont une organisation harmonique beaucoup plus complexe. Comprendre la logique d’enchaînement de chacun des maillons du flux harmonique d’une pièce accordale de la Renaissance est évidemment une entreprise extrêmement ardue. L’une des méthodologies possibles pour aborder le problème est de raisonner par petites séquences harmoniques stéréotypées, comme le firent entre autre Kirkendale et Lowinsky 219 en s’intéressant aux pas de danse, ou plus récemment, Howard Mayer Brown 220 . Même si bien souvent les successions accordales ne semblent répondre à aucun modèle préexistant, il est cependant possible d’identifier un certain nombre de schémas harmoniques présents tout au long des deux recueils. Il s’agit essentiellement de séquences rythmico-harmoniques stéréotypées, résultant de mélodies de basse associées aux modèles rythmiques mis en évidence précédemment 221 . Les deux séquences harmoniques les plus récurrentes sont construites sur le rythme q q. e q q h h (rythme A). Séquence a La première séquence (exemple musical 20a), très courte, est la plus fréquemment utilisée. Elle présente deux formes : la première commence par une seconde descendante, la seconde, par une quarte ascendante, ou une quinte descendante. Macque utilise cette séquence pour musiquer huit vers, chacun des vers étant répété au moins trois ou quatre fois. 217 Voir NEWCOMB Anthony, « Marenzio and the “nuova aria e grata all’orecchie”», op. cit. GIUSTINIANI Vincenzo, Discorso sopra la musica de' suoi tempi, in SOLERTI Angelo, Le origini del melodramma, op. cit., p. 106 (voir supra, p. 25). Cette hypothèse est soutenue in NEWCOMB Anthony, « Marenzio and the “nuova aria e grata all’orecchie”», op. cit. 219 KIRKENDALE Warren, L’aria di Fiorenza, id est Il ballo del gran duca, Firenze, Olschki, 1972 ; LOWINSKY Edward, Tonality and Atonality in Sixteenth-Century Music, op. cit. 220 BROWN Howard Mayer, « Verso una definizione dell’armonia nel sedicesimo secolo : sui « madrigali ariosi » di Antonio Barrè », op. cit., p. 18-60. 221 Voir supra, p. 100 et suivantes. 218 120 exemple musical 20a : séquence harmonique a Séquence b La deuxième séquence est un peu plus longue et caractérisée : exemple musical 20b : séquence harmonique b Cette séquence est utilisée pour mettre en musique cinq vers, eux aussi répétés trois ou quatre fois. Les tables 17 et 18 (voir page suivante) listent toutes les occurrences de ces deux séquences (sans les répétitions ni les transpositions, qui peuvent présenter parfois de légères variantes), avec une réduction de l’harmonie respectant la mélodie de la voix supérieure. Ces deux schémas harmonico-rythmiques ne sont pas propres à Macque. Même s’il paraît délicat de chercher à remonter à leur origine, et de leur donner un nom spécifique – contrairement aux pas de danse Ruggiero, Folia ou de Romanesca – ils faisaient probablement partie du vocabulaire commun utilisé par les compositeurs de l’époque pour composer des sections accordales, notamment dans le répertoire léger. Parmi les schémas harmoniques récurrents que l’on peut identifier dans Madrigaletti et napolitane, ces deux séquences sont sans doute les plus intéressantes : d’une part, elles apparaissent trop souvent pour ne pas être le fruit d’une simple coïncidence, d’autre part, elles sont les seules, parmi celles que j’ai pu identifier, à ne pas se limiter à une succession de triades à l’état fondamental. Cette distinction importante est la preuve que ces séquences n’étaient pas seulement envisagées en tant que modèle mélodique (question que l’on peut se 121 poser lorsqu’on s’intéresse à certains pas de danse 222 ) mais aussi comme véritable modèle harmonique sur lequel construire le reste de la polyphonie. table 17 : séquence harmonique a table 18 : séquence harmonique b 222 La question est posée par KIRKENDALE Warren, L’aria di Fiorenza, op. cit., p. 15-21. 122 Autres séquences harmoniques Il est possible d’identifier d’autres enchaînements harmoniques récurrents, limités cependant à une succession de triades à l’état fondamental. Ces derniers sont toujours liés à des rythmes particuliers. Le schéma rythmique 3+3+2, notamment, est presque systématiquement mis en musique selon un unique principe harmonique utilisant l’aspect répétitif propre au trochaïque pour créer une sorte de petite marche harmonique de tierce, de quarte ou de quinte (voir table 13). table 19 : séquences harmoniques liées au schéma rythmique 3+3+2 (1) 123 Les deux seules occurrences de ce rythme qui ne respectent pas ce principe utilisent exactement la même séquence harmonique : table 20 : séquences harmoniques liées au schéma rythmique 3+3+2 (2) L’identification de séquences harmoniques récurrentes ne permet évidemment pas de comprendre l’ensemble des successions accordales utilisées par Macque dans les deux recueils, puisque seules peu d’entre elles recourent aux modèles que j’ai pu mettre en évidence. Cependant, l’existence même de ces séquences est déjà en soi significative car elle prouve la capacité du compositeur à raisonner selon des canevas harmoniques prédéfinis. b. Organisation à grande échelle Ancrage et dérive 124 Raisonner par petites séquences a toutefois ses limites, car celles-ci ne proposent qu’une vue à très petite échelle de l’organisation harmonique des pièces. En prenant en peu de recul, on s’aperçoit que les directions harmoniques des sections accordales sont dans l’ensemble extrêmement fluctuantes et mobiles. Celles-ci contrastent fortement avec les passages imitatifs, caractérisés par un « ancrage » très marqué dans la finale. À ce terme d’« ancrage », on pourrait opposer celui de « dérive » pour décrire les passages homophones des deux recueils, et ceci pour plusieurs raisons. Premièrement, il est rare qu’une phrase commence et finisse par le même accord. Dans la majorité des cas, l’accord final d’une phrase se trouve à la quinte supérieure ou inférieure de son premier accord (41%), ou à sa tierce (24%), ou plus rarement à sa seconde (16%). Seul 19% des phrases débutent et se concluent sur le même accord. D’autre part, à cette instabilité interne de la phrase, vient s’ajouter un autre facteur de dérive : la transposition quasi systématique lors des répétitions textuelles. Rares sont en effet les répétitions identiques ; en règle générale, une répétition entraîne une transposition 223 à la quinte supérieure ou inférieure, mais aussi à la tierce ou à la seconde (voir exemples musicaux 21a et 21b). exemple musical 21a : transposition à la quinte Una fiamella viva (MN1, n. 21) exemple musical 21b : transposition à la tierce Mentre al mio chiaro e vivo sol mirava (MN1, n. 4) 223 Les transpositions concernent environ 83% des répétitions internes. 125 La dérive interne des phrases combinée aux nombreuses transpositions nous éloigne sensiblement du sentiment prototonal qui pouvait se dégager des passages imitatifs étudiés auparavant, mais également des règles du contrepoint modal. En effet, en dehors des articulations principales fortement centrées sur la finale, les hauteurs cadentielles semblent plutôt résulter de la logique de transposition que d’une volonté de respecter les cadences régulières du mode de la pièce. Cependant, une analyse plus attentive des transpositions et des enchaînements révèle que ceux-ci ne sont pas organisés de manière anarchique ; au contraire, il est souvent possible de dégager une logique formelle et harmonique. Comme nous l’avons vu 224 , les répétitions génèrent souvent des effets de cori spezzati : une partie des chanteurs énonce une phrase, qui est répétée ensuite par un groupe de chanteurs différents (voir supra, exemples musicaux 21a et b, p. 125). Macque utilisa abondamment ce que l’on pourrait appeler « le principe de la note commune » pour passer d’un groupe à l’autre, principe consistant à faire commencer une nouvelle phrase sur l’accord final de la phrase précédente, peut-être dans le but de faciliter l’enchaînement d’un groupe de chanteur à l’autre 225 . Les cycles 224 Voir supra, p. 84 et suivantes. Il ne s’agit là que d’une hypothèse. Il est possible que ces enchaînements n’aient pas été organisés selon ce principe de « note commune », mais résultent tout simplement de la transposition majoritairement à la quinte de phrases dont le premier et le dernier accord sont distants généralement d’une quinte. Deux éléments me font cependant pencher pour le principe de la note commune. Premièrement, les phrases dont le premier et le dernier accord sont distants d’une tierce ne sont presque jamais transposées à la quinte et vice versa. Deuxièmement, le principe de la note commune concerne aussi bien l’enchaînement d’une phrase à sa transposition, que celui de deux phrases différentes. Au total, environ deux tiers des enchaînements se font par note commune. 225 126 Tentons maintenant de relier ensemble ces différentes observations. La distance entre le premier et le dernier accord d’une phrase type est généralement d’une quinte ou d’une tierce : table 21a : agencement des transpositions selon le cycle des quintes et des tierces (1) 226 Si la phrase est répétée, et que la répétition engendre une transposition (comme il advient dans la majorité des cas), il est probable que la phrase suivante reparte sur l’accord final de la phrase précédente et que, par conséquent, si la transposition est régulière, le dernier accord de cette nouvelle phrase se trouvera non seulement à la quinte ou à la tierce de son premier accord, mais à la quinte de la quinte, ou à la tierce de la tierce du début de la première phrase : table 21b : agencement des transpositions selon le cycle des quintes et des tierces (2) et ainsi de suite pour les transpositions suivantes : table 22c : agencement des transpositions selon le cycle des quintes et des tierces (3) 226 Dans les tables 19a,b,c, le début et la fin des phrases sont représentés par des crochets ; ne sont reportées que les directions harmoniques, c’est à dire l’accord initial et final, disposés selon le cycle des quintes à gauche, des tierces à droite. Ces schémas n’envisagent que la direction descendante des cycles, mais le processus peut évidemment se faire dans l’autre sens. 127 En d’autres termes, les accords initiaux et finaux des phrases transposées ont une forte propension à dessiner des cycles de quintes (dans le cas le plus fréquent) ou bien, plus rarement, de tierces. En raisonnant de cette manière, on parvient à trouver une logique à une grande partie des passages accordaux des Madrigaletti et napolitane, qui effectuent bien souvent un trajet d’un point à un autre à travers le cycle des quintes ou des tierces, s’éloignant des points d’ancrage principaux du mode, pour y revenir plus tard aux articulations les plus importantes de la pièce. L’un des exemples plus significatifs de ce type d’organisation est la fin de la première pièce du premier livre Mai non vo’ più pianger (en mode 12 sur fa – {fa/b/c1}) 227 . Le dernier vers, Libero son e non pato più pena, est sectionné en deux parties. Chacune de ces parties est répétée trois fois, et chaque répétition donne lieu à une transposition. La table suivante propose une vue d’ensemble de ce passage, indiquant l’accord initial et final de chacune des phrases disposés selon le cycle des quintes. Le texte est reporté en dessous de chaque section. table 22 : schéma de l’agencement des transpositions du dernier vers de Mai non vo’ più pianger (MN1, n. 1) 227 Voir transcription en annexes. 128 Ce schéma synoptique met en évidence la manière dont Macque organisa le passage de manière parfaitement symétrique, en effectuant un aller retour entre la finale fa et l’accord de ré selon un parcours qui respecte parfaitement le cycle des quintes, processus que l’on ne peut décrire ni en terme de contrepoint modal, ni selon les principes d’une prototonalité fonctionnelle naissante. 129 À petite comme à grande échelle, Macque s’appuya manifestement sur une forte logique harmonique pour structurer ses Madrigaletti et napolitane. Pour revenir aux réflexions de Pirrotta et Brown évoquées au début du chapitre 228 , cette logique harmonique contribua probablement, par sa capacité à insuffler une direction aux phrases, à créer cette sensation d’ariosità dont parle Macque dans sa dédicace. Celle-ci était entre outre indispensable pour charpenter et donner une cohérence à un discours qui, tout en renonçant le plus souvent aux artifices du contrepoint, possédait des dimensions bien plus vastes que celles d’une simple canzonetta de quelques lignes. Cette attention particulière à la simplification et l’organisation harmoniques deviendra un élément important du madrigal des années 1580, notamment chez les madrigalistes romains 229 . Macque, qui fut probablement l’un des pionniers en la matière, ne renoncera pas non plus à cet aspect de l’écriture dans ses recueils successifs, dans des proportions cependant moindres par rapport aux Madrigaletti et napolitane. Une rhétorique musicale simplifiée Les rapports texte-musique constituent eux aussi un élément de l’écriture pouvant être décliné de diverses manières selon les registres stylistiques. Alors que le madrigal reste l’un des lieux privilégiés de la rhétorique musicale 230 , les genres légers, par leur nature strophique et leur facture peu sophistiquée, s’attardent généralement peu sur l’expression d’un mot en particulier, même si, à partir des années 1570, mais surtout dans les années 1580-90, certains auteurs commencent à introduire de petits madrigalismes à l’intérieur de leurs pièces 231 . 228 Voir supra, p. 112. « Il y a un aspect de plus en plus harmonique et accordal dans la musique romaine des années 1580, à tel point que l’on peut être tenté de parler d’élément de prototonalité fonctionnelle. » (« There was an increasingly harmonic, chordal aspect to Roman secular music in the 1580s, even that on might be temped to talk of element of proto-functional tonality. », in NEWCOMB Anthony, « Marenzio and the “nuova aria e grata all’orecchie”», op. cit., p. 61.) 230 Les compositeurs, tout comme les théoriciens insistent en effet sur l’importance de donner un équivalent musical aux principaux concepts du texte poétique dans l’écriture madrigalesque. Pour un exposé détaillé de la littérature théorique du XVIe siècle sur la poétique du madrigal, et notamment sur les rapports texte-musique, voir le chapitre introductif de FABBRI Paolo, Il madrigale tra Cinque e Seicento, op. cit., p. 9-38. 231 Notamment les chez Zappasorgo ou Ferretti (voir ASSENZA Concetta, La canzonetta dal 1570 al 1615, op. cit., p. 143 et 227). 229 130 Concentration des figures Macque, dans les Madrigaletti et napolitane, adopte une attitude intermédiaire. Il cible quelques mots-clés de la poésie (parfois seulement un ou deux), auxquels il trouve un correspondant musical, et met en musique le reste du texte de manière relativement neutre, en ignorant bien souvent certains concepts pourtant facilement traduisibles en musique. Le texte suivant, (numéro 11 du premier recueil), par exemple, regorge d’occasion de madrigalismes (ardore, moro, bella, oimè, stella, celi, fiamma, martire, tacerò, morire) : Scoprirò l’ardor mio con dir ch’io moro, Je dévoilerai mon ardeur en disant que je meure, ma la mia Ninfa bella, mais ma belle Nymphe, per forza oimè di stella, à cause, hélas, de la volonté des étoiles, vuol ch’io celi la fiamma e ’l mio martire. veut que je cache ma flamme et mon martyre. Tacerò dunque o pur vorrò morire. Je me tairai donc, ou bien je veux mourir. Macque ne se concentre cependant que sur le mot martire. Les autres vers reçoivent une intonation tout à fait standard, basée presque uniquement sur les rythmes A, B, C et D 232 : Scoprirò l’ardor moi con Homophonie sur rythme D dir ch’io moro, ma la mia Ninfa bella, Homophonie sur rythme B per forza oime di stella, Homophonie sur rythme A en augmentation vuol ch’io celi la fiamma e’l Homophonie sur rythme D Contrepoint, retards mio martire. Tacerò dunque 232 Homophonie sur rythme B Voir supra, p. 100 et suivantes. 131 o pur vorrò morire. Homophonie sur rythme A Le mot martir est cependant prétexte à une série de dissonances assez tendues, faisant entendre simultanément le retard et sa résolution : exemple musical 22 : Scoprirò l’ardor moi con dir ch’io moro (MN1, n.11) Le texte suivant (Dico spesso al mio core, numéro 5 du premier recueil), répond à un principe identique, même si les moyens déployés sont différents : Dico spesso al homophonie mio core: solo fuggendo imitation sur motif en fuses déclamées può vincer homophonie Amore, e chi non sa fuggire, déclamées resti sicuro di perire. 233 imitation sur motif en fuses sua homophonie sur rythme D man homophonie 233 Je dis souvent à mon cœur/on ne peut vaincre Amour qu’en fuyant,/et qui ne sait fuir/peut être certain de périr de sa main. 132 Macque décide de s’attarder sur les deux mots-clés fuggendo et fuggir qu’il traite de manière presque identique, en imitation sur un motif en fuses déclamées. Les autres mots-clés (core, vincer’Amore, perire) sont mis en musique de manière tout à fait neutre. L’impression qui ressort de ce procédé est que Macque veut se concentrer sur un ou deux effets par pièce, en créant une occasion pour insérer dans le flux musical homophone un passage imitatif sur un sujet vocalisant ou sur des fuses déclamées, ou bien un passage plus pathétique. Ces derniers peuvent être parfois beaucoup plus tendus que dans ses recueils précédents, malgré la relative neutralité de ton adoptée le reste du temps. Le passage suivant, par exemple, qui combine notes de passage dissonantes et retards, anticipe déjà une technique qui deviendra de plus en plus fréquente dans la production du compositeur, notamment dans le Terzo libro de madrigali a cinque voci (1597) et que l’on retrouve aussi dans certains madrigaux de Gesualdo des années 1590 234 : exemple musical 23: Fammi pur guerra (MN2, n. 18) Choix des mots-clés Même si Macque peut s’attarder à traduire quelques fois le champ lexical de la souffrance et des peines, il privilégie en général les concepts pouvant être mis en musique avec des passages imitatifs très enlevés et légers. Comparons par exemple les diverses occurrences des mots fuggire, fiamma d’un côté et de morire de l’autre (et leurs dérivés), trois grands topoi madrigalesques. 234 Voir infra, p. 387. Keit Larson a remarqué que ce type de motif descendant en blanches pointées, souvent doublé à la tierce ou à la sixte était particulièrement fréquent chez la dernière génération de madrigalistes napolitains (voir LARSON Keit, The Unaccompanied Madrigal in Naples from 1536–1654, op. cit., p. 404). 133 Le terme fuggire reçoit un véritable traitement de faveur tout au long des deux recueils puisque ses neuf occurrences font chacune l’objet d’un madrigalisme. Les différentes intonations de ce concept répondent parfaitement aux stéréotypes du genre : petite « fugue » pour traduire l’idée de fuite, sur des sujets en fuses déclamées ou vocalisées (voir infra, table 23a, p. 138). Ce petit madrigalisme très courant fut l’objet des sarcasmes de Vincenzo Galilei, dans ce célèbre passage du Dialogo della musica antica et della moderna, publié en 1581, la même année que le premier recueil de Madrigaletti et napolitane : Altra volta, D’autres fois, les ils diranno imitar le parole contrapuntistes quando tra quei lor concetti imiter les paroles quand, au milieu de ve ne siano alcune che leurs dichino o quelques uns qui disent « fuir » ou quali « voler » ; ils les proféreront alors profferiranno con velocità avec une telle vitesse et avec si peu de tale e con sì poca gratia, grâce qu’il suffit à certain de se quanto basti ad alcuno l’imaginer. « fuggire » « volare », imaginarsi. le concepts, modernes il s’en diront trouvera 235 Les railleries de Galilei prouvent que cette figure était déjà passablement usée ou du moins stéréotypée à l’époque de la parution des Madrigaletti et napolitane. Le mot fiamma, lui aussi parfait support aux motifs vocalisés ou en fuses déclamées, est traité de la même manière. On le retrouve une dizaine de fois dans les deux recueils et seule une occurrence du terme est musiqué de manière neutre (voir infra, table 23b, p. 139). Le mot morire, qui évidemment n’est pas du tout adapté à ce genre de technique imitative, est au contraire rarement mis en valeur. Sur treize apparitions, seules trois donnent lieu à un traitement particulier (congerie, syncopes et retards en notes blanches). Les autres occurrences sont mises en musique sans aucun madrigalisme (voir infra, table 23c, p. 140 et suivantes). Macque privilégie donc les concepts pouvant être traduits par des techniques contrapuntiques reposant sur l’agilité et la rapidité, afin de rester dans l’esprit léger qui caractérise ces recueils. De plus, le compositeur opte bien souvent pour un traitement stéréotypé du rapport 235 GALILEI Vincenzo, Dialogo della musica antica et della moderna, Firenze, Marescotti, 1581, p. 88. 134 texte-musique, préférant les figures familières aux figures plus recherchées, et donc moins directement reconnaissables et intelligibles par le lecteur/auditeur. Le lieu privilégié de l’expression du texte reste l’écriture contrapuntique, que celle-ci se base sur des sujets vifs et légers ou bien sur des sujets en valeurs longues, générateurs de dissonances. Les passages homophones sont souvent beaucoup plus neutres dans leur rapport au texte, et notamment ceux qui sont construits sur les modèles prosodiques stéréotypés. Cependant, Macque réussit à donner un caractère expressif à certains passages homophones, grâce à de légères inflexions mélodiques ou/et harmoniques sur les mots-clés, souvent par l’utilisation du demi-ton ré-mi bémol au sommet de la phrase : exemple musical 24 : inflexion expressive du mi bémol Déclinaison des rapports texte/musique Le degré de standardisation et de précision du rapport au texte dépend cependant beaucoup du support poétique. En effet, certaines pièces entièrement homophones, composées sans presque aucun madrigalisme (telles que Vorrei morire et S’io non t’adoro, numéros 4 et 5 du second recueil) côtoient de véritables petits madrigaux. Les moyens rhétoriques employés dans Vorrei nel chiaro lume (numéro 9 du second recueil), par exemple, dont le schéma métrique 135 abaCB est relativement éloigné d’une strophe de pièce légère, sont largement supérieurs à la moyenne des Madrigaletti et napolitane 236 : Vorrei nel chiaro lume imitation talor fermar quest’occhi, Déclamation sur un accord de do prolongé ma quel c’ha per costume rythme A d’abbagliar texture éclatée entre les voix com’il Sol solmisation sol sur sol combinée avec une anabasis ch’il mira fisso note tenue basso, quinto, et canto solmisation sol sur le so de fisso fa solmisation fa sur fa ch’in abisso e ’n tenebre trabocchi. saut d’octave 237 Chute vers le registre grave cadence évaporée Les figures utilisées, sans atteindre le degré d’abstraction et de complexité que l’on rencontrera dans les recueils successifs, font preuve d’une relative diversité ainsi que d’une assez grande précision (notamment dans les deux derniers vers, qui font chacun l’objet de trois madrigalismes). Il s’agit cependant là d’un cas particulier, la plupart des pièces des deux recueils n’atteignent pas ce niveau de particularisation des concepts poétiques. Le type de rapport au texte contribue sans aucun doute à la détermination du registre stylistique et au degré de complexité d’une pièce ; de même que les choix poétiques ou que l’utilisation de telle ou telle technique contrapuntique, l’aspect rhétorique contribue à définir un certain niveau de raffinement d’écriture. Deux aspects rentrent en ligne de compte. Premièrement, le grain plus ou moins fin de la lecture musicale du texte, le degré zéro étant atteint dans certaines villanelles strophiques, entièrement homophones, dont la musique pourrait s’adapter à n’importe quel texte poétique de même forme métrique. Deuxièmement, le niveau de stéréotypation et de complexité des figures employées. Certains madrigalismes très répandus étaient sans doute reconnus immédiatement par le lecteurauditeur, au même titre que les rythmes stéréotypés du répertoire léger ou que certaines 236 Voir transcription en annexes. Je voudrais dans ce regard lumineux/parfois arrêter mes yeux,/mais celle qui a comme habitude/d’éblouir comme le soleil qui le regarde fixement/fait que dans l’abysse et dans les ténèbres je me précipite. 237 136 séquences harmoniques. Complexifier le rapport au texte (notamment en enfreignant les règles du contrepoint), c’était courir le risque d’être incompris par la frange la moins avisée des musiciens, comme en témoigne la célèbre querelle entre Monteverdi et Artusi 238 . Dans ses deux recueils de Madrigaletti et napolitane, Macque, tout en réagissant musicalement aux concepts poétiques, démontre une volonté de simplifier le rapport au texte, à la fois quantitativement et qualitativement. Il se limite en effet très souvent à n’exprimer que quelques mots choisis du texte poétique, qu’il traduit généralement par des figures assez standardisées et directes pour être comprises par un public non rompu aux subtilités du répertoire madrigalesque. Ses recueils successifs démontreront qu’il ne s’agit là en aucun cas d’un manque d’imagination et de créativité, mais plutôt d’une capacité à composer dans un registre stylistique plus modeste ainsi qu’à s’adapter aux exigences d’un certain type de public. 238 Pour une analyse détaillée de la querelle de Monteverdi et Artusi voir FABBRI Paolo, Monteverdi, Torino, EDT, 1985, p. 48 et suivantes. 137 table 23a : intonations du mot fuggire 138 table 23b : intonations du mot fiamma 139 table 23c : intonations du mot morire 140 table 23c (suite) Parmi tous les recueils de madrigaux publiés par Macque pendant sa carrière, les Madrigaletti et napolitane sont sans aucun doute ceux qui furent accueillis avec le plus grand succès, et qui bénéficièrent de la plus grande diffusion, notamment auprès du public oltremontano. Ce n’est en effet pas tant en Italie que les deux recueils connurent le meilleur accueil – même si la publication du deuxième livre de Madrigaletti et napolitane en 1582, un an à peine après celle du premier volume, laisse penser que ce genre inhabituel avait rencontré une certaine fortune auprès des mélomanes italiens – mais plutôt dans le reste de l’Europe, et en particulier à Anvers, où les pièces semblent avoir profité d’une bonne réception. 141 Dès 1583, un an après leur parution, deux madrigaletti du second livre – Amor io sento un respirar sì dolce et Tre graziosi amanti – sont en effet repris dans le recueil anversois Harmonia celeste di diversi eccelentissimi musici, au côté du madrigal Dal suo volto extrait des Madrigali a quattro, cinque et sei voci. Harmonia celeste est la première anthologie de madrigaux italiens sortie des presses de Pierre Phalèse le jeune, ainsi que le premier grand succès éditorial anversois en matière de madrigal. On peut penser que les deux recueils de Madrigaletti et napolitane avaient rencontré un bon accueil auprès du public pour qu’Andrea Peverage, l’éditeur d’Harmonia celeste, en reprennent deux numéros dans son anthologie si peu de temps après leur parution. Les deux madrigaletti font partie des pièces les plus récentes du recueil, ce dernier étant composé de madrigaux de diverses époques, des années 1560 et 1570 mais aussi du début des années 1580 239 . Un an après, Phalèse réédite l’un des madrigaletto publié dans cette première anthologie (Tre graziosi amanti) dans son recueil de tablatures pour luth Pratum musicum de 1584. Enfin, une année plus tard, Waelrant reprend lui aussi deux madrigaletti du premier et second recueil (Vorria saper da voi et Bacciami mia vita) dans l’anthologie Symphonia angelica, imprimée également chez Phalèse en 1585. Harmonia celeste et Symphonia angelica connurent une immense fortune éditoriale auprès du public anversois. Chacune de ces deux anthologies fut en effet l’objet de nombreuses rééditions 240 . C’est sans aucun doute par le biais de ces deux imprimés que les Madrigaletti et napolitane se diffusèrent parmi les mélomanes flamands. Les madrigaletti des anthologies anversoises furent assez appréciés par la clientèle de Phalèse pour que ce dernier se lançât, en 1600, dans la réédition de la totalité des deux livres en un unique recueil de quarante-et-un titre 241 intitulé Madrigaletti et canzonetti sic napolitane a sei voci. Pierre Phalèse dédicace le recueil à un Flamand amateur de musique du nom de Carolo Van Salinghen. Dans la dédicace, Phalèse fait allusion au goût de Van Salinghen pour les instruments de musique, ce qui laisse présumer que ces compositions étaient interprétées avec un accompagnement instrumental : … Fra tutte gli arti 239 … Entre tous les arts Sont mélangées des pièces de madrigalistes de différentes générations : Roland de Lassus, Andrea Gabrieli, Philippe de Monte, Marenzio, etc. 240 Harmonia celeste et Symphonia angelica connurent respectivement cinq et sept rééditions. 241 Phalèse republia toutes les pièces des deux recueils sauf une, Tre graziosi amanti, sans doute car cette dernière était déjà connue du public anversois grâce à l’anthologie Harmonia celeste. 142 liberali, che danno à gli libéraux, qui donnent aux huomini qualche contentezza, hommes quelque satisfaction, la la Musica è una delle musique est l’un des principale, perche coloro che in principaux, car ceux qui se detta arte si dilettano, per plaisent à un tel art, par l’harmonia delle voci, e delli l’harmonie des voix et des stromenti Musicali, mandano instruments fuora melancolia, repoussent toute mélancolie, en recreandosi in quella honesta se récréant avec cette honnête occupatione. questa occupation. C’est pour cette cagione ho raccolto e ridotto in raison que j’ai recueilli et un Corpo questi Madrigaletti réduit en un seul livre ces Napolitane à Sei Voci del Madrigaletti napolitane à six Eccellente Musico Giovanni de voix de l’excellent musicien Macque. Li quali Signor mio Giovanni come à grandissimo Amatore, pièces, mon Seigneur, je vous (non solamente della Musica, les dédie tout plein de respect, m’a anchora delli stromenti comme à un grand amateur sopradetti) io gli dedico con (non seulement de musique ogni riverenza. … mais aussi des instruments ogni Per musicaux, de Macque. Ces susdits). … La réédition de recueils consacrés à un unique auteur italien (ou vivant en Italie) n’était pas encore une pratique très courante chez les éditeurs anversois. Les Madrigaletti et napolitane ne sont en effet que le sixième exemple de tel imprimé dans le catalogue de Pierre Phalèse 242 . Il s’agit là d’un autre indicateur du succès des Madrigaletti et napolitane, qui répondaient probablement au goût du public anversois (et flamand en général) pour ce type de répertoire 243 . En dehors des imprimés de Phalèse, les Madrigaletti et napolitane connurent aussi une certaine diffusion en Allemagne (à Nuremberg, Munich et Heidelberg) sous des formes variées (contrafacta en latin et français et tablature de luth). En 1588, l’imprimeuse nurembergeoise Katherina Gerlach inclut une pièce du premier livre (Vola, vola, pensier fuor del mio petto) dans le premier tome de son anthologie de madrigaux italiens Gemma musicalis. Puis, en 1597, c’est Jérôme Commelin, éditeur flamand installé à 242 Avant 1600, Phalèse imprima deux livres de madrigaux de Marenzio, un de Felice Anerio, les Baletti de Gastoldi et enfin Il convito musicale de Orazio Vecchi. Tous ces recueils avaient été publiés pour la première fois à Venise. 243 Voir HOEKSTRA Gerald, « The reception and cultivation of the Italian madrigal in Antwerp and the low contries 1555-1620 », Musica disciplinae, 48, 1994, p. 158. 143 Heidelberg, qui publie un contrafactum de Amor io sento un respirar sì dolce (Donner au Seigneur gloire) dans son recueil de Cinquante pseaumes de David, avec la musique a cinq parties d’Orlande de Lassus. Vingt autres pseaumes a cinq et six paries, par divers excellents musiciens de nostre temps. En 1610, un autre imprimeur d’Heidelberg, Johann Rude, intégre à son recueil de tablatures pour luth Flores musicae celle de trois pièces du second recueil, Amor io sento un respirar sì dolce, Tre gratiosi amanti et Bacciami vita mia 244 . Un an auparavant, à Munich, Berg avait imprimé deux contrafacta de madrigaletti du second livre dans son deuxième tome d’Hortus musicali, quinq, et sex vocibus, publié en 1609 (S’io non t’adoro devient Ave Maria dulcis et pia et Vorrei morire, Te invocamus). Après avoir circulé entre les Flandres et l’Allemagne, les Madrigaletti et napolitane font une dernière apparition dans le circuit éditorial italien. En 1609, Simone Molinaro publie en effet deux recueils de contrafacta sacrés, réunis sous le nom de Fatiche spirituali dans lesquels, au côté de compositions d’Andrea Gabrieli, Striggio, Marenzio, Monte et Vecchi, se trouvent les deux premiers numéros de chacun des recueils de Madrigaletti et napolitane : Per pianto lo mio core (Vieni Creator Spiritus), Mai non vuò pianger più (O mundi lumina), Non veggio oggi il mio Sole (Virgo immaculata) et Preso son io (Audite me). La facture très particulière des pièces, leur ariosità, l’esprit léger qui règne dans les recueils, combinés à une polyphonie d’une certaine ampleur, sont sans doute autant de facteurs qui expliquent le succès et la diffusion des Madrigaletti et napolitane auprès du public d’Europe du Nord, ainsi que leur apparition sous des formes variées dans le circuit éditorial. Comme l’ont noté Franco Piperno et Gerald Hoekstra dans leurs études sur la réception du madrigal italien à Anvers et en Europe en général 245 , ce type de musique correspondait tout particulièrement au goût du public européen de l’époque. Il ne faut donc pas s’étonner que ce furent les recueils les moins élaborés, les moins complexes au niveau de l’écriture de toute la production de Macque – mais pour ces raisons même les plus accessibles et les plus ariosi – qui aient été le vecteur de sa reconnaissance au niveau européen. 244 On peut faire l’hypothèse d’un canal de diffusion anversois car il s’agit des mêmes pièces imprimées par Phalèse dans ses anthologies des années 1580. 245 Voir HOEKSTRA Gerald, « The reception and cultivation of the Italian madrigal in Antwerp and the low contries 1555-1620 », op. cit., p. 58 et suivantes et PIPERNO Franco, « Il madrigale italiano in Europa », in Il madrigale oltre il madrigale, éd. Alberto Colzani, Andrea Luppi, Maurizio Padoan, Como, A.M.I.S., 1994, p. 46. 144 D EUXIEME PARTIE – I L PRIMO LIBRO DE MADRIGALI A QUATTRO VOCI ET I L SECONDO LIBRO DE MADRIGALI A CINQUE VOCI (1586- 1587) : LE RETOUR AU MADRIGAL … una nuova aria et grata all’orecchie con alcune fughe facili e senza straordinario artificio … … une aria agréable et d’un nouveau genre, avec quelques fugues faciles sans artificio extraordinaire … Vincenzo Giustiniani, Discorso sopra la musica de’ suoi tempi Les premières années napolitaines Après un premier recueil à cinq voix, imprimé par les presses vénitiennes de Gardano en 1583 et aujourd’hui disparu, Macque publia coup sur coup deux recueils de madrigaux en 1586 et 1587. Avec ces deux nouveaux imprimés, dédicacés à des membres de la noblesse napolitaine, Macque chercha probablement à asseoir sa position dans la société parthénopéenne, où il venait de se transférer. La date exacte de l’arrivée de Macque à Naples n’est pas connue avec précision, mais elle peut se déduire des informations fournies par ses publications et par les anthologies auxquelles le compositeur participa entre 1583 et 1585 ainsi que, dans une moindre mesure, par sa correspondance. Le premier indice d’une possible présence de Macque à Naples est sa contribution au Quarto libro de madrigali a cinque voci, con alcuni a sei, et echo a otto alla fine de Stefano Felis (Venezia, Gardano, 1585), dont la dédicace, signée à Bari (où Felis était maître de chapelle), 145 est datée du 15 février 1585. Felis, sans être à proprement parler un musicien napolitain246 , était en étroits contacts avec ces derniers et avait l’habitude d’intégrer à ses recueils des pièces d’auteurs parthénopéens, de la ville de Bari ou du reste du Royaume des DeuxSiciles 247 . Il est tout à fait probable que Macque se soit déjà trouvé à Naples lors de la publication du Quarto libro, ce qui ferait remonter son arrivée au début de 1585 ou à la fin de 1584, voire même avant. Le second recueil de Madrigaletti et napolitane, dont la dédicace est signée de Rome le 25 septembre 1582, constitue en effet la dernière trace tangible de la présence du madrigaliste dans la ville pontificale. On pourrait objecter que Macque, les années suivantes, participa à d’autres anthologies au contenu fortement romain, à De floridi virtuosi d’Italia et à Il lauro verde en 1583 et surtout, en 1585, au Secondo libro de madrigali con alcuni di diversi eccellenti musici di Roma de Moscaglia 248 . La dédicace de ce dernier livre remonte cependant au 10 septembre 1582. De plus, Macque aurait tout à fait pu participer à ces recueils en étant basé à Naples, comme il le fit en 1589, avec l’anthologie Dolci affetti. L’échange épistolaire entre le compositeur et son ami romain Camillo Norimberghi ne permet pas de trancher la question. La première lettre conservée ne remonte en effet qu’au 31 janvier 1586, mais semble faire état d’une correspondance bien entamée – quoique trop irrégulière aux yeux de Macque – et évoque deux courriers datant d’avant Noël 1585. 1585, année généralement retenue dans les notes biographiques sur Macque, est donc à considérer comme la date la plus tardive de l’arrivée du compositeur à Naples, cette dernière pouvant remonter au moins jusqu’à 1583. Panorama du madrigal napolitain dans les années 1580 Macque, on l’a vu, quitta une Rome en pleine effervescence madrigalesque, ainsi qu’un réseau de musiciens extrêmement bien organisé. Quelle vie musicale trouva-t-il à Naples ? 246 Felis passa une grande partie de sa carrière à Bari et à Prague. Celle-ci fut entrecoupée cependant de quelques séjours napolitains. Sur Stefano Felis, voir LARSON Keith, The Unaccompanied Madrigal in Naples, op. cit., vol. Patricia Ann, « Felis, Stefano », Grove Music Online, 1, p. 339-360 et MYERS http://www.grovemusic.com/shared/views/article.html?section=music.09445, page consultée le 12 juillet 2007. 247 Pomponio Nenna participa aussi au Quarto libro de Felis ainsi qu’à son Primo libro de madrigali a cinque voci (Venezia, Gardano, 1585), et à son Quinto libro de madrigali a cinque voci (Venezia, Gardano, 1583). Scipione Dentice, Mutio Effrem et Rocco Rodio participèrent au Sesto libro de madrigali a cinque voci (Venezia, Gardano, 1591). On retrouve aussi dans les publications de Felis les noms de nombreux compositeurs de la ville de Bari, Gio. Battista Pace, Gio. Donato Vopa, Gio. De Marinis, ainsi que ceux de Gio. Francesco Violanta, Gio. Battista Venelli et de Ridolfo Romano. Le seul compositeur éloigné de la vie musicale du Royaume des Deux-Siciles qui participa aux recueils de Felis est Philippe de Monte, qui toutefois passa une partie de sa vie à Naples, et resta toujours en contact avec la vie musicale napolitaine. 248 Sur ces recueils, voir supra, p. 33. 146 Par qui était pratiqué le madrigal en ce milieu des années 1580 ? Dans quel environnement musical furent conçus ses deux premiers recueils napolitains ? Il est possible que Macque, à son arrivée à Naples, n’ait pas retrouvé dans un premier temps une situation tout à fait aussi stimulante en matière de madrigal que celle de la ville qu’il venait de quitter, même si, suivant l’évolution générale des activités éditoriales du reste de l’Italie, le panorama madrigalesque napolitain commençait alors à s’animer, après des décennies de production relativement anecdotique, tout particulièrement dans les années 1570 249 . En effet, les madrigalistes actifs à Naples dans les années 1580 publièrent apparemment beaucoup moins que leurs collègues romains 250 et restèrent relativement isolés de la vague d’anthologies qui déferla alors sur Rome et sur l’Italie septentrionale. La nostalgie pour les virtuosi romains dont on trouve trace dans la correspondance de Macque n’était peutêtre pas une formule rhétorique de pure complaisance envers son ami Norimberghi 251 . Après ce réveil un peu tardif, les Napolitains feront cependant preuve d’un engouement inégalé pour le madrigal polyphonique, qu’ils continueront à cultiver bien après la 249 Si l’on se base sur la liste des imprimés d’auteurs actifs à Naples réalisée par Larson dans son PhD (The Unaccompanied Madrigal in Naples, op. cit., vol. 1, p. 158, 255 et 311), nous n’avons la trace que de deux recueils de madrigaux entre 1570 et 1579, contre huit pendant la décennie 1560-1569 et douze dans la décennie 1580-1589. La chronologie générale effectuée par le même auteur et Angelo Pompilio (« Cronologia delle edizoni musicali napoletane del Cinque-Seicento », in Musica e cultura a Napoli dal XVI al XIX secolo, éd. L. Bianconi et R. Bossa, Firenze, Olschki, 1983, p. 103-139), qui retient des critères plus larges incluant aussi la seule dédicace à un membre de la société napolitaine, fait état de neuf imprimés entre 1570 et 1579, contre quinze dans la décennie 1560-1569 et trente-six dans la décennie 1580-1589. Ces chiffres sont évidemment à considérer avec précaution, une partie de la production éditoriale de ces années ayant complètement disparu sans laisser de traces. 250 Pour la décennie 1580-1589, le nombre de recueils identifiés comme appartenant à la sphère des madrigalistes romains est presque trois fois supérieur à la production des madrigalistes napolitains (trente-trois imprimés romains contre douze imprimés napolitains, sans compter les nombreuses anthologies). Ces chiffres sont établis sur la base de la table chronologique réalisée par Ruth DeFord (Ruggiero Giovannelli and the Madrigal in Rome, op. cit., p. 330-336), qui adopte des critères relativement similaires à ceux du PhD de Larson. 251 Cet extrait d’une lettre d’un ambassadeur ferrarais au duc d’Este, datée du 28 avril 1582 semble confirmer le retard napolitain en termes de madrigal au début des années 1580 (il est cependant difficile de mesurer le degré d’objectivité de ce type de document) : « J’ai fait en sorte de me procurer un peu de musique, comme me l’avait ordonné Votre Altesse, et j’ai entendu plusieurs fois chanter, aussi les dames, et il ne m’a pas semblé entendre de musique qui, en ce qui concerne les madrigaux, soit digne que je vous la rapporte, car on ne chante ici que des madrigaux imprimés et très vieux, et de ces villanesche que j’ai déjà recueillies en grand nombre et que je rapporterai moi-même à Votre Altesse, bien qu’elles ne le méritent pas, même si je sais qu’elles sont ce que l’on estime le plus dans cette ville. Les dames ne chantent que des pièces très anciennes de Dentice …. » (« Ho procurato in Napoli d’haver qualche cosa di musica secondo l’ordine di V.A., et hò sentito più volte cantare, et anco delle Dame, e non mi è parso di sentir musica quanto a’ madrigali ch’io habbia giudicata degna d’esserle portata, perché non si canta se non madrigali in stampa, et molto vecchii, e di quelle sue villanesche, delle quali ne ho avute molte, ch’io stesso Le porterò all’A. V. se ben non vi è cosa che lo meriti, pur son di quelle che so più estimate in quella Città. Le Dame non cantano se non cose antichissime del Dentice …. », cité en anglais in NEWCOMB Anthony, « Carlo Gesualdo and a Musical Correspondence of 1594 », The Musical Quarterly, LIV, 1968, p. 411. Anthony Newcomb n’ayant pas reporté la version originale des lettres dans cet article, je me réfère à la traduction italienne de Barbara Pizzichelli pour les références des extraits cités, « Carlo Gesualdo e una corrispondenza musicale del 1594 », in Carlo Gesualdo: principe di Venosa, éd. Ennio Speranza, Roma, ISMEZ, 1998, p. 32). 147 désaffection de ce genre dans le reste de l’Italie. Il faudra cependant attendre les premiers imprimés ferrarais de Gesualdo (1594 252 ) et surtout le développement de l’imprimerie musicale à Naples pour assister à cet essor 253 . Cependant, dans les années 1580, on ne trouve encore à Naples aucun madrigaliste du relief de Marenzio ou de Giovannelli. Le compositeur le plus prolifique de cette période fut sans doute Stefano Felis. Entre 1579 et 1591, ce dernier publia en effet six recueils de madrigaux à cinq voix (la plupart de ces livres ont aujourd’hui disparu). Felis, même s’il ne séjourna que peu à Naples, semble avoir été une figure importante et influente de la vie musicale de la ville 254 . À côté de Stefano Felis, les deux madrigalistes actifs à Naples les plus prolifiques des années 1580 furent Macque lui-même, avec ses trois recueils publiés entre 1586 et 1589 et un autre Franco-flamand francophone, Ambroise Marien 255 , dont les trois livres de madrigaux furent imprimés entre 1580 et 1585 256 . Macque occupe une position tout à fait particulière parmi les madrigalistes parthénopéens car il est l’un des rares compositeurs à faire la transition entre la phrase « prégésualdienne » du madrigal napolitain et la nouvelle génération des dernières années du XVIe siècle et du début du XVIIe siècle 257 . Scipione Dentice, Giovan Domenico Montella, qui font partie des auteurs 252 Rappelons que le second livre ferrarais de Gesualdo avait déjà connu une impression antérieure sous le nom de Gioseppe Pilonij (aucun exemplaire de cet imprimé n’a été conservé). Pour cette raison, ce second livre est considéré comme l’opus 1 du compositeur (à ce propos voir WATKINS Glenn, Gesualdo. The Man and His Music, 2e éd., Oxford, Clarendon Press, 1991, p. 56 et 133). 253 Le véritable envol de la production napolitaine n’aura cependant lieu qu’à début du XVIIe siècle (à ce propos, voir POMPILIO Angelo, VASSALLI Antonio, « Il madrigal a Napoli nel Cinque-Seicento », La musica a Napoli durante il Seicento, Atti del Convegno internazionale di Studi, Napoli, 11-14 aprile 1985, éd. Domenico Antonio D’Alessandro et Agostino Ziino, Roma, Torre d’Orfeo, 1987, p. 9-11). 254 On a déjà évoqué le fait que de nombreux compositeurs napolitains – dont Macque et Gesualdo lui-même – publièrent quelques pièces dans les recueils de Felis. De plus, Felis semble avoir eu aussi un certain nombre d’élèves. Giovann Battista Pace et Giovann Donato Vopa sont déclarés explicitement « disciple de Felis » (« discepolo del Felis ») dans l’un de ses recueils. Il est possible que Pomponio Nenna, qui intégra à son premier recueil publié en 1582 un madrigal de Felis – pratique courante entre maître et élève –, fit aussi partie des disciples de ce dernier. Felis fut peut-être aussi le premier maître de Gesualdo (voir infra, p. 155). 255 Ambroise Marien était au service d’une autre branche de la famille Gesualdo. Sur ce compositeur voir LARSON Keith, The Unaccompanied Madrigal in Naples, op. cit., vol. 1, p. 382-391. 256 Les autres madrigalistes napolitains actifs dans les années 1580 sont Girolamo Conversi, Benedetto Serafico di Nardò, Pomponio Nenna, Giovanni Battista Califano, Giovanni Leonardo Primavera, Giovanni Tommaso de Benedictis di Pascarola et Rocco Rodio. Pour un tableau complet du madrigal de cette période voir LARSON Keith, The Unaccompanied Madrigal in Naples, op. cit., vol. 1, p. 311-444. 257 Seuls deux autres compositeurs, Felis et Nenna, sont dans une situation similaire. Il s’agit là cependant de cas particuliers. Les recueils de madrigaux de Felis sont en effet tous concentrés entre 1579 et 1591 à l’exception de son tout dernier recueil de 1602 (avec un saut dans la numérotation entre le sixième livre de 1591 et le neuvième de 1602). Pomponio Nenna semble avoir au contraire marqué une pause de près de vingt ans entre son premier recueil de 1582 et le reste de sa production. La numérotation des recueils de Nenna passe cependant directement du premier livre à cinq au quatrième livre à cinq. Angelo Pompilio a formulé l’hypothèse que les deuxième et 148 napolitains les plus prolifiques de cette nouvelle génération, Pietro Antonio Cinque ou Manilio Caputi commencèrent en effet à publier à peu près en même temps que Gesualdo, alors que Macque avait déjà à son actif sept recueils de madrigaux. Giovanni Maria Trabaci, Ascanio Maione, Francesco Genuino ou Crescenzio Salzilli, eux, ne publièrent leurs premiers madrigaux qu’au début du XVIIe siècle. Macque, on le verra, semble avoir tenu un rôle important auprès de cette génération, certains musicologues ayant même vu en lui le chef de file de cette nouvelle « école napolitaine » 258 . Replacer la production de Macque dans la vie musicale napolitaine reflète sans aucun doute une certaine réalité car les compositeurs et musiciens de la ville constituaient probablement son principal environnement artistique 259 . Cependant, Macque n’était certainement pas cloisonné au milieu musical parthénopéen. Celui-ci, on l’a vu, resta en contact avec les membres de la Compagnia dei musici di Roma après son départ. Sa correspondance prouve aussi qu’il se tenait aux aguets des innovations musicales de ses collègues romains ; la lettre du 29 mars 1586 est à ce propos tout à fait révélatrice : Mi piace che messer Je suis heureux Prospero sij riusciuto in tutta d’apprendre que messer Prospero perfettione a in queste parfaitement réussi ces 261 et, compositioni di concerti, et compositions concertantes per che Vostra Signoria dice puisque Votre Seigneurie me dit che ha trovato inventioni qu’il nove in questo genere di inventions pour ce genre de componere, io gli ho pregato composition, je lui ai demandé per una mia che mi favorisca dans une lettre de me faire la di avisarmi in che consistino grâce de m’informer en quoi queste inventioni, aciò io me consistent ces inventions, afin ne que je puisse m’en servir dans les possi valere nelle a trouvé qui de nouvelles occasioni che mi potessero occasions pourraient se occorrere all’avenire. Ma se présenter à l’avenir. Mais si in questo per modestia sua celui-ci, par modestie, ne voulait non mi volesse compiacere, me satisfaire, de grâce, que Votre troisième livres à cinq voix ne furent jamais publiés du fait de la jalousie de Gesualdo (voir POMPILIO Angelo, « Vita, opere e fortuna di Pomponio Nenna », in Madrigali a quattro voci di Pomponio Nenna, Firenze, Olschki, 1983, p. 13-14). 258 Voir en particulier CARAPEZZA Paolo Emilio, « ‘Quel frutto stramaturo e succoso’: il madrigale napoletano del primo Seicento », in La musica a Napoli durante il Seicento, op. cit., p. 22. 259 Le panorama musical napolitain ne peut évidemment être réduit à sa production madrigalesque. Il ne faut en effet pas oublier que la musique profane ne représente qu’une faible proportion de la musique d’auteurs napolitains dans ces années. À ce propos, voir POMPILIO Angelo, « Editoria musicale a Napoli e in Italia nel Cinque-Seicento », op. cit., p. 102. 149 di gratia supplisca Vostra Signoria al difetto suo. Seigneurie y supplée à sa place. 260 Cette curiosité – à la limite de l’espionnage artistique – qui a ici pour objet le motet polychoral, reflète un état d’esprit qui peut sans aucun doute s’étendre aussi au madrigal, genre bénéficiant d’une bien meilleure diffusion. Si la réalité quotidienne et sociale de Macque était probablement très ancrée dans la vie napolitaine – à en croire les lettres du compositeur, la perspective d’un voyage à Rome semblait se heurter à de nombreuses complications – son horizon musical débordait sans aucun doute des frontières du royaume des Deux-Siciles, en témoigne notamment sa participation à l’anthologie romaine Le gioie de 1589 ou au Trionfo di Dori en 1592 262 . À la cour des Gesualdo À son arrivée à Naples Macque, selon toute vraisemblance, rentra directement au service de Fabrizio Gesualdo de Venosa et de son fils Carlo. Sans nous étendre sur les détails biographiques de cette grande famille de la noblesse napolitaine 263 , rappelons simplement que les Gesualdo de Venosa se trouvaient depuis les années 1560 dans une situation tout à fait avantageuse, à la fois politiquement et financièrement, détail probablement décisif pour expliquer le départ de Macque de la ville pontificale. D’une part, Philippe II avait accordé le titre de prince à Luigi Gesualdo, le grand-père de Carlo, en 1561 (titre dont héritera Carlo à la mort de son père), d’autre part le mariage de Fabrizio Gesualdo à la nièce du pape Pie IV 260 Archivio Caetani n. 4312, voir annexes. Dans la lettre précédente, Macque promet à Norimberghi de lui envoyer un motet à trois chœurs. Le terme « compositioni di concerti » désigne ici le type de motet polychoral pratiqué à Rome. Plusieurs motets polychorals de Macque sont conservés à Rome sous forme manuscrite, à la Biblioteca Santa Cecilia (G-Mss792-795) et à la Biblioteca Nazionale (MSS-Musicali 117-121). 262 Il trionfo di Dori descritto da diversi, et posto in musica, a sei voci, da altretanti autori, (Venezia, Gardano, 1592) contient des pièces d’auteurs de divers horizons, de Rome (Luca Marenzio, Ruggiero Giovannelli, Felice Anerio, Giovanni Palestrina, entre autres), de Venise (Giovanni Gabrieli), et de l’Italie septentrionale (Giulio Eremita Lelio Bertani, Orazio Vecchi). Macque est le seul compositeur napolitain à avoir participé à cette anthologie. 263 Pour plus de détails sur la famille Gesualdo voir les articles « Gesualdo » du Dizioniario biografico degli Italiani, op. cit., vol. 53, p. 488-505 et aussi LARSON Keith, « The Gesualdo Family and Its Fortunes» et « The Gesualdo as Patrons », in The Unaccompanied Madrigal in Naples, op. cit., vol. 2, p. 457-486, qui donne en outre de nombreux renvois bibliographiques. Voir aussi WATKINS Glenn, Gesualdo. The Man and His Music, op. cit., p. 3-6. 261 150 Geronima Borromeo, en 1562, leur avait assuré une solide alliance avec la Papauté. C’est de ce mariage que naquit Carlo le 8 mars 1566 264 . Lorsque Macque rentra au service de cette famille, les Gesualdo de Venosa résidaient depuis une quinzaine d’années dans un prestigieux palais napolitain 265 et entretenaient le type de cour qu’exigeait leur nouveau statut de prince, (les chroniques rapportent en effet que Carlo, lors de son voyage à Ferrare en 1593-94, était accompagné de quatre-vingt-dix personnes 266 ). On peut imaginer que la présence d’un ou plusieurs musiciens de cour contribua à renforcer le nouveau prestige social de la famille. Macque avait, au moins dans les premiers temps, deux padroni : Carlo et son père Fabrizio. Dans deux lettres de dédicace adressées l’une au père, l’autre au fils, le compositeur dit en effet de manière explicite avoir été au service de ces deux personnages. Dans la dédicace des Ricercate et canzoni francesi (Roma, Gardano, 1586) à Carlo Gesualdo, Macque déclare qu’il s’agit là « d’une œuvre composée par moi, pendant mon service auprès de Votre Seigneurie Illustrissime » (« opera uscita da me ne i servitij di Vostra Signoria Illustrissima ») 267 . En 1589, Macque utilise – au passé – le même type de formule dans la dédicace de son Secondo libro de madrigali a sei voci, mais en s’adressant cette fois-ci à Fabrizio Gesualdo : Puisque je ne peux d’une Poi ch’io non posso con altro manifestar al autre manière manifester au mondo, d’essere ricordevole monde que je garde mémoire des de gli oblighi infiniti ch’io obligations infinies que je dois à tengo a Vostra Eccelenza, Votre per tanti favori ricevuti da nombreuses lei, nel tempo ch’io sono reçues de votre part à l’époque où stato alli suoi servitij, che col j’étais à votre service, qu’en vous dedicarle dédicaçant ce deuxième livre de questo mio Excellence, faveurs pour les que j’ai 264 La date de naissance de Gesualdo a longtemps été ignorée (pour plus de précisions sur cette question, voir LARSON Keith, The Unaccompanied Madrigal in Naples, op. cit., p. 466). La date du 8 mars 1566 est retenue dans l’article du Dizioniario biografico degli Italiani, op. cit., p. 495, mais ignorée dans celui du New Grove (BIANCONI Lorenzo « Gesualdo, Carlo, Prince of Venosa, Count of Conza, §1: Life'», Grove Music Online, http://www.grovemusic.com/shared/views/article.html?section=music.10994.1, page consultée le 5 juin 2007). 265 Voir LARSON Keith, The Unaccompanied Madrigal in Naples, op. cit., p. 466-467. 266 Voir NEWCOMB Anthony, « « Carlo Gesualdo and a Musical Correspondance of 1594 », op. cit., p. 411 et Larson Keith, The Unaccompanied Madrigal in Naples, op. cit., p. 471-472. Les témoignages relatifs à la taille de la cour de Gesualdo sont cependant extrêmement variables. 267 Cette lettre, rédigée par Peranda, le secrétaire des Caetani, est conservée à l’Archivio Caetani (Archivio Caetani n. 4303) avec le reste de la correspondance du compositeur. Il s’agit apparemment là de la version définitive de la dédicace du recueil. Une version antérieure de cette lettre, rédigée par Macque et conservée elle aussi à l’Archivio Caetani (Archivio Caetani n. 69415) désignait les ricercari comme : « fruit de mon labeur, produit chez Votre Seigneurie Illustissime » (« frutto delle mie fatiche, prodotto in casa di Vostra Signoria Illustrissima »). 151 Secondo Libro de Madrigali madrigaux à six, fruits produits a sei, frutti prodotti nelli suoi dans vos très agréables terres … amenissimi Stati … Fabrizio est décrit comme un homme de culture par ses contemporains 268 . Avant la naissance de son fils Carlo, il entretenait déjà à sa cour le compositeur Giovanni Leonardo Primavera, dont la présence à son service est documentée au début des années 1560 269 . Dans la suite de la dédicace précédemment citée, Macque fait allusion au fait que Fabrizio était « doué, comme chacun sait, de la parfaite connaissance de la théorie musicale, en plus de tant d’autres sciences, grecques et latines » (« dotata come ogn’uno sa, della perfetta cognitione della Teoria Musicale, oltre tante scienze, et Greche et Latine »). Même s’il s’agit là d’un compliment de circonstance, Fabrizio était très probablement un mélomane et un mécène éclairé. La lettre de dédicace du Secondo libro a sei voci est datée du 25 octobre 1589. À cette date, Macque ne résidait manifestement plus chez Fabrizio puisqu’il est question « du temps où il était à son service ». Avait-il suivi Carlo, qui quitta probablement le domicile paternel après son mariage avec Maria d’Avalos en 1586, pour aller s’installer dans le palais Sangro, situé sur la piazza San Domenico à Naples 270 ? Cette hypothèse est tout à fait valide mais pas entièrement certaine. En effet, si Macque dans un premier temps fait allusion plusieurs fois au « Seigneur Prince, son maître » dans sa correspondance, cela ne se reproduit plus après sa lettre du 4 septembre 1586. À partir de cette date, Macque signe toutes ses lettres avec le terme très générique da Napoli, ce qui n’implique pas forcément une présence physique chez Carlo Gesualdo. Le 28 avril 1589, le compositeur dit être très bien traité par « ces Seigneurs » (« questi Signori »). Peut-être s’agit-il effectivement encore de Fabrizio et Carlo Gesualdo, mais rien ne permet de l’assurer. Cependant, la lettre de dédicace du Secondo libro de madrigali a sei voci datée, on le rappelle, du 25 septembre 1589, fait allusion au fait que ces madrigaux furent composés dans les terres des Gesualdo. En partant de l’hypothèse que Macque se réfère à l’été qui précéda leur publication, il est possible qu’en 1589, ce dernier ait été encore au service de Carlo mais quitté celui de Fabrizio. Cette lecture des informations aujourd’hui disponibles a toujours été privilégiée par les musicologues 271 . 268 À ce propos, voir LARSON Keith, The Unaccompanied Madrigal in Naples, op. cit, p. 480-482. Sur Primavera, voir LARSON Keith, The Unaccompanied Madrigal in Naples, op. cit, p. 287-293 et 376-381. 270 Voir LARSON Keith, « The Gesualdo Family and Its Fortunes», in The Unaccompanied Madrigal in Naples, op. cit, p. 468. 271 Voir notamment SHINDLE Richard, « Macque, Giovanni de, §1: Life », Grove Music Online, http://www.grovemusic.com/shared/views/article.html?section=music.17378.1, page consultée le 4 janvier 2007. 269 152 Quoi qu’il en soit, Macque fut engagé comme second organiste à la Santissima Annuziata le 9 mai 1590 272 , ce qui signifie qu’à cette date, il avait probablement quitté le service de Carlo Gesualdo s’il ne l’avait pas encore fait auparavant273 . Macque fut apparemment très bien traité par Gesualdo. Il fait en effet allusion par deux fois dans ses lettres aux « bontés » (amorevolezze) qu’il reçoit de son prince, et dit avoir à Naples une situation très confortable. On comprend aussi à travers sa correspondance qu’il n’était pas prêt à envisager de vivre sans serviteur et qu’il gagnait suffisamment d’argent pour pouvoir faire des économies. Dans la lettre du 13 novembre 1586, Macque écrit : D’autre Nel resto Signor mio io part, mon tuttavia Seigneur, je me trouve toujours allegramente sano et gagliardo aussi bien ici, en bonne santé, per gratia de Dio, et attendo a vigoureux et, par la grâce de avanzare quanto più posso, per Dieu, potermi finalmente ritirare a économiser le plus possible afin godere di de pouvoir enfin me retirer à Roma, che piaccia a sua divina Rome pour jouir de cette noble Maiestà far nascere qualche ville. Qu’il plaise à sa divine occasione, acciò segua quanto Majesté de faire naître quelque me ne prima. sto qui quell’Alma città 274 et je m’applique à circonstance favorable afin que cela se produise le plus tôt possible ! La lettre du 10 octobre 1587 témoigne du fait que Macque caressait l’espoir de vivre enfin « indépendamment », (ce qui sous-entend probablement indépendamment d’un quelconque mécène) : Et fra tanto mi Je me réjouis entre- des bonnes ralegro infinitamente della temps buona speranza che lei ha di espérances accrescimento fortuna, d’améliorer votre situation grâce mediante il favore delli suoi aux faveurs de vos Seigneurs di infiniment que vous avez 272 La grande majorité des informations concernant la carrière de Macque après son départ de la cour de Gesualdo a été recueillie par Ulisse Prota-Giurleo (« Notizie sul musicista belga Jean Macque, maestro della real cappella di palazzo in Napoli », Archivi d’Italia e rassegna internazionale degli archivi, XXIV, 1957, p. 336– 343). 273 En réalité, ces deux événements ne sont pas forcément liés. En effet, Macque, dans les lettres du 7 et 28 avril 1589, envisage la possibilité de demeurer chez les Caetani à Rome tout en assurant le poste d’organiste à Saint Jean de Latran ; on peut tout à fait imaginer qu’il ait procédé de la même manière, en cumulant son poste à la Santissima Annunziata et son service auprès de Carlo Gesualdo. 274 Archivio Caetani n. 28365, voir annexes. 153 Signori et Illustrissimes, et plaise à Dieu piacia a Dio segua presto que cela s’ensuive bientôt afin aciò Vostra Signoria possi que dar un calcio alla povertà, et donner un coup de pied à la potere finalmente vivere da pauvreté et que vous puissiez sé enfin senza Illustrissimi, haver bisogno Votre vivre Seigneurie puisse indépendamment, d’altri, che questo è pur sans avoir besoin des autres. Cela quanto io vo’ procurando per est d’ailleurs tout ce que je me stesso, et essendo già a souhaite me procurer pour moi- bon termine, spero presto, même, et comme j’en suis déjà à con l’agiuto di Dio arivare al bon point, j’espère bientôt, avec 275 l’aide de Dieu, arriver au port desiato porto. désiré. Comme le dit la dédicace du Secondo libro a sei voci, être au service des Gesualdo impliquait aussi faire des séjours dans leurs terres. Le 4 septembre 1586, Macque signe en effet une lettre de Gesualdo et le 13 novembre 1586, de Caletri. Ce séjour dans l’arrière-pays napolitain est d’ailleurs annoncé par Macque dans sa lettre du 12 juillet 1586. Quelques jours avant le départ, ce dernier informe Norimberghi des détails pratiques nécessaires à la poursuite de leur correspondance et écrit : « mon Prince et Seigneur partira dans trois ou quatre jours pour ses terres, et moi avec lui » (« il Principe mio Signor partirà fra 3 o 4 giorni per andare al suo stato et io con lui »). Macque et Carlo Gesualdo Lorsque Macque rentra au service des Gesualdo, Carlo n’avait pas encore vingt ans mais commençait déjà à s’intéresser à la composition. Celui-ci publia en effet en 1585 sa toute première pièce, le motet Ne reminiscaris Domine, dans le Liber secundus motectorum de Felis 276 , raison pour laquelle le nom de ce dernier a été avancé parmi les potentiels maîtres de Gesualdo 277 . Toutefois, Felis ne se trouvait plus à Naples lorsque Gesualdo était adolescent. Sa présence à Bari est en effet documentée à partir de 1579, alors que Carlo Gesualdo n’avait que 13 ans 278 . D’autre part, Felis, on l’a vu, inclut de nombreuses pièces de compositeurs 275 Archivio Caetani n. 128637, voir annexes. FELIS Stefano, Liber secundus motectorum quinis senis octonisque vocibus, Venezia, Gardano, 1585. 277 Voir notamment PICCARDI Carlo, « Carlo Gesualdo: l’aristocrazia come elezione », Rivista Italiana di musicologia, IX, 1974, p. 67-116. 278 La présence de Felis comme maître de chapelle du dôme de Bari est documentée en 1579, 1583, 1585 et 1588, et il est fortement probable qu’il ait aussi tenu ce poste pendant les années intermédiaires. 276 154 napolitains dans ses recueils. Si certains faisaient partie de ses élèves, d’autres ne l’étaient en aucun cas (notamment Macque, dont la première publication napolitaine, le madrigal Io son di neve al Sol fut imprimée, rappelons-le, dans le Quinto libro de madrigali a cinque de Felis). La place de Macque dans l’éducation musicale de Gesualdo – qui n’exclut pas forcément le rôle de Felis dans la formation du tout jeune prince – est nettement plus documentée. L’hypothèse d’un rapport maître-élève entre les deux compositeurs, réfutée par Alfred Einstein pour des raisons stylistiques 279 , est avancée par Friedrich Lippmann de manière tout à fait convaincante 280 . La découverte de la correspondance de Macque qui, lui, vécut quotidiennement à côté du prince de Venosa pendant une période relativement longue alors que Gesualdo était en âge d’apprendre le contrepoint, a en effet jeté un jour tout à fait nouveau sur leurs relations, en révélant notamment la présence de trois ricercari du prince dans le recueil de Ricercate et canzoni francesi de Macque publié en 1586 et aujourd’hui disparu 281 . Macque, contrairement à Felis, n’avait pas l’habitude d’inviter d’autres auteurs dans ses compositions, détail qui incite à considérer cette adoption comme une preuve de son importance dans l’éducation musicale du prince. Même si dans les années 1585-1587, le prince n’en était qu’au début de son développement musical, Macque le décrit déjà comme un luthiste et un compositeur d’exception dans sa correspondance (c’est-à-dire dans un cadre moins formel qu’une dédicace). Dans sa lettre du 30 juillet 1586, Macque décrit Carlo en ces termes : … questo signore, … ce seigneur qui, che … è gran amatore di en questa scienza, è riuscito tanto amateur de cette science la perfetto in essa, che nel sonare musique, di liuto et nel componere ha parfaitement pochi pari 282 plus d’être la un grand maîtrise qu’il a si peu d’égaux, tant pour jouer du luth que pour composer Carlo semble avoir laissé beaucoup de temps libre à Macque pour étudier et composer, comme en témoigne la suite de cette même lettre : … io me ne sto qua je me trouve très bien 279 Voir EINSTEIN Alfred, The Italian Madrigal, op. cit., p. 697. Voir LIPPMANN Friedrich, « Giovanni de Macque tra Roma e Napoli: nuovi documenti », op. cit., p. 277. 281 Voir ibid. p. 243 et SARTORI Claudio, « Madrigali del Passerini e ricercari di De Macque e Gesualdo », Quadrivium, XIV, 1973, p. 181-186. 282 Archivio Caetani n. 4303, voir annexes. 280 155 fuora alegramente spendendo ici hors de Naples, car je passe la magior parte del tempo a la plus grande partie de mon studiare sonando, componendo temps à étudier, jouant de la et legendo, siché li giorni musique, composant et lisant, si passono ch’io non me ne bien que les jours passent sans n’aveggo, et tanto più per le que je ne m’en rende compte, et solite amorevolezze ch’io ricevo ceci d’autant plus grâce aux giornalmente bontés quotidiennes que j’ai dal Signor Principe mio padrone. l’habitude de recevoir du Seigneur Prince, mon maître. Dans la lettre du 29 mars 1586, Macque fait allusion aux grands progrès qu’il a réalisés depuis son arrivée à Naples : Ma sia come si Mais quoi qu’il en soit, voglia l’havermi scritto mio comme mon cousin m’a écrit qu’il cugino che lui non ha fatto le capitaine Petit ne m’a pas per me quelli boni offitij rendu les bons offices qu’il aurait che havria potuto fare, mi pu me rendre, fa credere che ciò habbi croire qu’il ait pu agir ainsi dans la fatto, forsi dubitando che peur qu’aille vivre en Espagne andasse a star in Spagna quelqu’un qui sache mieux jouer un sonar que lui. Que cela soit la vérité est meglio di lui. Et che questo une chose par trop évidente car, sia il vero, è cosa troppo partout où nous nous sommes manifesta che ovunque si retrouvés che siamo ritrovati insieme, ensemble, toujours retiré 284 il s’est en disant qu’il ne esso sempre ha ceduto, con se consacrait plus beaucoup à la dire che non attende più musique ; cela est la récompense alla musica, mercè del gran du grand travail que j’ai réalisé studio ch’io ho fatto doppoi depuis que je suis parti de Rome. ch’io Roma. 283 sapesse je commence à son partito di 283 Archivio Caetani n. 4312, voir annexes. J’ai traduit « esso sempre ha ceduto » par « il s’est toujours retiré », ce qui sous-entend que le Capitaine Petit a toujours refusé la confrontation musicale avec Macque. Il est possible que le compositeur voulait dire « il s’est toujours montré inférieur ». 284 156 On déduit aussi de la correspondance de Macque que celui-ci avait un clavecin à sa disposition, instrument qu’il avait fait parvenir de Rome par voie maritime, par l’intermédiaire de Norimberghi 285 . Il n’est pas nécessaire de revenir sur l’intérêt passionnel du jeune Gesualdo pour la musique, ni sur ses manières « très napolitaines », dont on trouve largement écho à travers la correspondance des diverses personnes qui le croisèrent sur la route de son voyage pour Ferrare (1593-1594) 286 . La correspondance du compositeur témoigne elle aussi de manière tout à fait intéressante de l’estime dans laquelle Gesualdo tenait la musique. La dédicace du recueil de ricercari de Macque à Gesualdo, qui comporte, on le rappelle, trois pièces de ce dernier, fait l’objet de plusieurs courriers successifs 287 . On y voit là s’opposer deux visions du prince mélomane : d’un côté Macque, qui désire que soit exaltée ouvertement la qualité des compositions du commanditaire, de l’autre celle de Peranda, le secrétaire des Caetani, qui considère que la recherche de louanges sur les aptitudes musicales n’est pas digne d’une personnalité de ce rang. Macque était certainement très attentif à ne pas froisser la susceptibilité de son maître, qui ne réagissait manifestement pas comme la plupart des aristocrates, pour qui, à en croire Peranda, la pratique musicale ne pouvait rentrer véritablement en jeu dans les mérites, les vertù, du prince. Être musicien de cour chez Gesualdo constituait probablement un poste très stimulant. En effet, même si l’hypothèse d’une académie stricto sensu, crée et dirigée par Gesualdo a été réfutée à juste titre par les historiens les plus méticuleux 288 , il est avéré que le prince entretenait à sa cour un grand nombre de musiciens. Cet extrait de Della prattica musica, traité de Scipione Cerreto publié à Naples en 1601, et donc du vivant de Gesualdo, ne laisse que peu de doutes à cet égard : A questo principe di Ce prince ne se più non basta, che si diletti satisfait pas uniquement de della Musica, ma ancora per prendre plaisir à la musique, suo gusto et intertenimento mais en plus, par goût et par tiene in sua Corte, a sue spese, divertissement, il entretient à sa molti Compositori, Sonatori, e cour, à ses frais, de nombreux 285 Voir lettre du 12 juillet 1586. À ce propos, voir en particulier NEWCOMB Anthony, « Carlo Gesualdo and a Musical Correspondance of 1594 », op. cit., et PIRROTTA Nino, « Gesualdo, Ferrara e Venezia », Studi sul teatro veneto fra Rinascimento ed età barocca, éd. Maria Teresa Muraro, Firenze, Olschki, 1971, p. 305-319. 287 Voir notamment la lettre du 30 juillet 1586. 288 L’hypothèse d’une « académie » de musique au sens strict a été réfutée par Keith Larson (voir The Unaccompanied Madrigal in Naples, op. cit, p. 481, et annexe K, p. 953-958). 286 157 Cantori eccellenti. 289 compositeurs, instrumentistes et chanteurs excellents. L’entourage musical du prince était-il déjà aussi fleurissant au milieu des années 1580 ? Il est difficile de le savoir, ainsi que de définir avec précision qui pouvaient être les éventuels « collègues » de Macque à la cour. La photographie la plus digne de foi des musiciens qui peuplaient la cour de Gesualdo se trouve dans la préface de Musica vaga et artificiosa de Romano Micheli (Venezia, Vincenti, 1615), qui passa quelques années au service du prince. Ce dernier évoque en effet le temps où il était « au service de l’Illustrissime et Excellentissime Seigneur Prince de Venosa avec les Seigneurs musiciens Scipione Stella, Gio. Battista Di Paula, Mutio Effrem et Pomponio Nenna, au temps où les Seigneurs Bartolomeo Roy et Gio. Macque étaient maître de chapelle et organiste de la chapelle du vice-roi » (« al servitio dell’Illustrissimo et Eccelentissimo Signore Prencipe di Venosa con li Signori Musici Scipione Stella, Giovanni Battista Di Paula, Mutio Effrem, e Pomponio Nenna, in tempo che erano li Signori Bartolomeo Roi Maestro di capella, e Gio: Macque organista nella capella del Vice Re »). Micheli fait cependant référence à une période postérieure au séjour de Macque chez Gesualdo puisqu’il évoque le temps où celui-ci était organiste du vice-roi (1594-1599). Les musiciens dont parle Micheli n’étaient probablement pas déjà au service de Gesualdo dans les années 1580 290 . Macque, dans sa correspondance, ne fait aucune allusion à d’hypothétiques collègues résidant à la cour de Gesualdo en même temps que lui 291 . Il est cependant tout à fait possible que Carlo ne fut entièrement libre de gérer financièrement sa cour qu’après la mort de son père Fabrizio (c. 1591), et ne commença qu’alors à réunir autour de lui de nombreux instrumentistes et compositeurs. Avant cette date, il n’existe que peu de données relatives aux musiciens qui entouraient Carlo Gesualdo. Giovanni Primavera fut peut-être l’un de ceux qui, sans forcément vivre quotidiennement aux côtés du prince, fréquentaient la vie musicale de ses salons. Ce compositeur 289 qui, on l’a vu, était rentré au service de Fabrizio Gesualdo dans les années CERRETO Scipione, Della prattica musica vocale e strumentale, op. cit., p. 155-156, cité in LARSON Keith, The Unaccompanied Madrigal in Naples, op. cit., vol. 2, p. 954. 290 Dans les années 1580, Stella était alors maestro di cappella à la Santissima Annunziata de Naples ; Effrem rentra probablement au service de Gesualdo vers 1593 ; Nenna se trouvait dans les environs de Bari au début des années 1580 et l’on ne retrouve sa trace à Naples que dans les années 1590. 291 Les seuls musiciens napolitains mentionnés par Macque dans sa correspondance sont Bartolomeo Roy (qui faisait lui aussi partie de la Compagnia dei musici di Roma et qui précéda Macque au poste de maître de chapelle du vice-roi) et Christobal Obregòn, qui n’est cité cependant qu’indirectement en tant qu’organiste de la chapelle du vice-roi (Macque dit avoir déjeuné avec eux dans sa lettre du 31 janvier 1586). 158 1560 avant de s’éloigner de la capitale du royaume des Deux-Siciles 292 , dédicaça en effet son Settimo libro de madrigali a cinque à Carlo Gesualdo le 1e mars 1585. Macque fait allusion aux soirées – voire aux journées – musicales qui se déroulaient en compagnie de membres de la noblesse napolitaine dans sa lettre du 12 juillet 1586 : Sono passate già doe hore di Il est déjà plus de deux heures notte, mercè di questo bell’humore du matin en raison de la bonne del Duca di Traietta, il quale è humeur du Duc de Traietta, qui est venuto a casa nostra subito subito venu chez nous juste après le dopoi disnare et vi è stato sino alla déjeuner et est resté jusqu’au soir ; sera, onde non ho fatto altro tutto je n’ai donc aujourd’hui rien fait hoggi che cantare et sonare. 293 d’autre que chanter et jouer. Ce type d’événement musical informel, qui rythmait sans aucun doute la vie de Macque à la cour, offrit probablement au compositeur la possibilité de faire découvrir sa musique aux membres de la noblesse napolitaine. Le duc de Traietta (ou Traetto) auquel fait référence cette lettre fut en effet le commanditaire du manuscrit de Canzone Francese de la British Library, ouvrage qui contient de nombreuses œuvres de Macque 294 . On peut facilement conjecturer que Scipione Pignatelli et Cesare d’Avalos, dédicataires respectifs du Primo libro de madrigali a quattro voci et du Secondo libro de madrigali a cinque voci, rentrèrent en contact avec Macque de façon similaire. Les commanditaires des œuvres Macque évoque brièvement les commanditaires des deux recueils dans sa lettre du 14 juin 1586 : Mando qui incluse le Je joins ici les deux 292 Voir LARSON Keith, The Unaccompanied Madrigal in Naples, op. cit., p. 287-293 et 376-281. Archivio Caetani n. 4305, voir annexes. 294 Le Libro di Canzone francese, manuscrit conservé à la British Library (Ms. Add. 30491), s’ouvre en effet par cette phrase : « Le duc de Traeta fit faire ce livre pour moi, Luigi Rossi » (« Questo libro lo fece fare il duca di Traeta, per me Luigi Rossi »). Ce manuscrit est généralement considéré comme étant de main de Luigi Rossi, hypothèse cependant fortement remise en question par Anthony Newcomb (voir NEWCOMB Anthony, « Frescobaldi’s Toccatas and their Stylistic Ancestry », Proceeding of the Royal Musical Association, CXI, 1984-1985, p. 34). 293 159 per lettres dédicatoires des livres de mettere nelli miei libri di madrigaux. J’ai envoyé celle Madrigali ché quella des Ricercate à notre Sieur Ricercate l’ho mandata due lettere dedicatorie delle al Prospero. De grâce, que Votre Signor Prospero nostro. Onde Seigneurie Vostra Signoria mi farà gratia ainsi : di farle scrivere cioè quella per l’Illustrissime diretta all’Illustrissimo Signor D’Avalos est pour un de ces Don Cesare D’Avalos a un livres à cinq voix et celle libro di quelli a cinque voci et adressée au Seigneur Marquis l’altra Signor de Lauro pour un de ces livres Marchese di Lauro a un libro à quatre voix. Mais, je vous en di quelli a quattro voci. Ma per prie, qu’elles soient écrites cortesia scritte élégamment, et rédigées comme cosa dans ma version, avec tous les diretta che politamente, al sieno et ogni les celle fasse écrire adressée Don mêmes con tutti li medesmi ponti senza aucune sorte d’abréviation, car far elles doivent être imprimées sorte abbreviationi, perché vogliono esser in stampa. di così sans Cesare disteso come sta nelle copie mie niuna points à faire ainsi. 295 En post-scriptum, Macque réitère sa requête, afin de s’assurer de la diligence de la personne qui imprimera les deux lettres de dédicace car, dit-il, « ces gens-là sont si sophistiqués qu’ils font attention à la moindre lettre ou au moindre point » (« questa gente è tanto sofisticata, che fa caso di una minima lettera o punto »). Cette lettre prouve en outre que Macque s’occupa de la rédaction des dédicaces des deux recueils absolument au même moment, même si ces dernières sont datées l’une du 11 novembre 1586 et l’autre du 20 mai 1587. Scipione Pignatelli Scipione II Pignatelli, dédicataire du Primo libro de madrigali a quattro voci, fut le seul enfant qui naquit du mariage de Camillo Pignatelli et de Donna Lucrezia Carafa 296 . À la mort de son grand-père en 1581, Scipione hérita des titres de ce dernier, et devint ainsi comte Pignatelli et marquis de Lauro 297 . À ce titre de marquis de Lauro, Macque semble faire 295 Archivio Caetani n. 4898, voir annexes. Larson indique par erreur que Scipione est le fils de Camillo Pignatelli et de Girolama Colonna. Cette dernière avait bien épousé un Camillo Pignatelli mais celui-ci appartenait à une autre branche de la famille. Pour une généalogie complète de la famille Pignatelli voir SHAMA Davide, Genealogie delle famiglie nobili italiane, http://www.sardimpex.com/index.htm, page consultée le 3 décembre 2006. 297 Camillo Pignatelli, le père de Scipione, étant décédé avant son propre père, il n’hérita jamais des titres de la famille Pignatelli. 296 160 allusion dans le choix de la sextine de Pétrarque qui ouvre le recueil, Là ver’ l'aurora che sì dolce l'aura. La forme poétique de la sextine impliquant la répetition des derniers mots de chacun des vers exposés dans la première strophe, le mot Laura et son senhal l’aura sont répétés six fois au cours du poème (sept fois si l’on compte le congedo, qui n’est cependant pas musiqué par Macque). Le choix de cette poésie peut se lire comme un discret et délicat hommage à son dédicataire, qui voit son nom intégré à l’intérieur même de la forme poétique et par conséquent de la polyphonie. Le texte anonyme Quando sorge l’aurora, qui suit directement la sextine, reprend dans une moindre mesure le même procédé. La vie de Scipione Pignatelli est racontée dans ses grandes lignes par Carlo de Lellis dans ses Discorsi delle famiglie nobili del regno di Napoli 298 . Scipione épousa en 1582 Vittoria Frangipani della Tolfa dont il eut deux fils, Camillo et Carlo et deux filles Lucrezia et Livia. À la mort de sa femme, il décida de se retirer de la vie publique et rentra dans les ordres 299 , léguant tous ses biens à son fils aîné, qui, selon De Lellis, dilapida son patrimoine en peu de temps. La date de naissance de Scipione reste inconnue, mais l’on sait qu’il mourut le 20 octobre 1620. Celui-ci était donc probablement un jeune homme quand Macque lui dédicaça son Primo libro de madrigali a quattro voci en 1586. La famille de ce commanditaire semble avoir montré un certain intérêt pour les arts, la littérature et les sciences. L’oncle de Scipione, Ascanio, poète pétrarquiste qui fréquenta le Tasse lors de ses séjours napolitains, trouve encore aujourd’hui sa place dans les anthologies de poésie du Cinquecento 300 . Un autre de ses oncles, Muzio, était selon Tommaso Costo 301 astrologue, mathématicien, architecte et poète, et fut cité par le Tasse dans plusieurs de ses 298 DE LELLIS Carlo, Discorsi delle famiglie nobili del regno di Napoli, Napoli, Savio/Paci/Roncagliolo, 16541671, éd. fac-similé Bologna, Forni, 1968, vol. 2, p. 164-165. 299 « … méprisant la vanité du monde, il consacra le reste de sa vie au Seigneur, accédant à la dignité sacerdotale et léguant toutes ses terres et titres à Camillo, son premier fils. » (« … dispregiando egli la vanità del mondo, consacrò il rimanente de’ suoi anni al Signore, con ascendere alla dignità sacerdotale, rinunciando tutti i suoi stati, e titoli a Camillo suo primo genito. » in DE LELLIS Carlo, Discorsi delle famiglie nobili del regno di Napoli, op. cit., p. 164. 300 Les rimes d’Ascanio Pignatelli (c. 1533-1601) furent publiées en un recueil, intitulé Rime del sig. Ascanio Pignatello cavaliero napoletano (Napoli, Stigliola, 1593). Sur Ascanio Pignatelli voir AMMIRATI Luigi, Ascanio Pignatelli, poeta del secolo XVI. Notizie bio-bibliografiche, Marigliano, Anselmi, 1966. 301 Tommaso Costo était le secrétaire de Scipione II. 161 écrits 302 . Tommaso Costo nous apprend en outre que Muzio « donna des œuvres à la musique » (« diede opera alla Musica »). Plusieurs autres membres de cette famille furent dédicataires de recueils de madrigaux à cette période. Macque, notamment, adressa son Quarto libro de madrigali a cinque voci (Napoli, Carlino, 1599) à Liberio Pignatelli 303 . Sur l’intérêt de Scipione pour la musique, nous ne savons que peu de choses. La dédicace de Macque suggère que le marquis aurait interprété ces madrigaux, en les transfigurant de sa noble voix : All’Illustrissimo Signore et Padrone À mon Illustrissime mio osservandissimo Seigneur et Maître, le très respecté Seigneur Don Scipione Pignatello Marquis de Il Signor Don Scipione Lauro Pignatello Marchese di Lauro Ho sì desiderato Vostra Cela fait si longtemps Signoria Illustrissima qualche que je désire donner à Votre segno della servitù, che per le Seigneurie rare qualità, le ho dedicata già quelque signe de la servitude gran tempo fa, che dovendo que depuis longtemps déjà je mandar in stampa il mio primo vous ai dédiée que, devant libro de Madrigali a quattro envoyer voci, saputo premier livre de madrigaux à considerare occasione migliore quatre voix, je n’ai pu trouver di conseguire l’intento mio, che de di farne un dono a Vostra réaliser mon intention que d’en Signoria non faire don à Votre Seigneurie della Illustrissime, non comme une grandezza sua, ma come cosa, chose digne de votre grandeur, nella quale il valor suo haverà mais comme une chose dans come 302 lungamente dare non a ho Illustrissima cosa degna Illustrissime sous meilleure presse occasion mon de Voir NICODEMO Leonardo, Addizioni copiose alla biblioteca napoletana, Napoli, Castaldo, 1683, p. 177. Nicomedo cite les passages du Compendio dell’istoria del Regno di Napoli de Tommaso Costo (Venezia, 1613, p. 80-81) relatifs à Muzio Pignatelli. 303 Liberio Pignatelli ne fait pas partie de la même branche de la famille. Macque dit dans sa dédicace que celuici est « doué comme chacun sait, entre autres vertus, de la parfaite connaissance de la musique » (« dotato come ogn’uno sa, oltra tant’altre virtù, della perfetta cognitione della Musica »). 162 largo campo di esercitarsi, laquelle votre valeur aura libre proteggendola, e facendo, che champ de s’exercer, tout en la quel che forsi è rozzo e aspro, protégeant, et en faisant que ce diventi piacevole, e grato; come qui est peut-être grossier et al sicuro sarà, mentre verrà âpre favorito e gradito da sic agréable, Signore, che in questa nobil adviendra sans aucun doute virtù della Musica, non men lorsqu’elle recevra les faveurs che nelle altre si diletta, e et compiace Supplico Seigneur qui, avec cette noble Signoria vertu qu’est la musique, non Illustrissima che si degni di moins qu’avec des autres, se accettare questo mio primo délecte, et plaît autant. C’est tributo, e lasciargli godere sotto pourquoi il suo felice, e valoroso nome Seigneurie prospera e daigner accepter ce premier le hommage, et de le laisser jouir perciò tanto. Vostra fortuna, riverentemente le bacio devienne sera plaisant comme appréciée je et cela par supplie un Votre Illustrissime de sous son nom heureux et mani. valeureux Di Napoli alli xj di Novembrino MDLXXXVI Di Vostra Signoria Illustrissima Affettionatissimo Servitore fortune prospère, et je vous baise les mains avec révérence. De Naples, le 11 novembre 1586 De Votre Seigneurie Illustrissime Le Giovanni de Macque d’une Serviteur Affectionné Giovanni de Macque Cesare d’Avalos Sept mois après ce premier volume napolitain, Macque dédicaça son Secondo libro de madrigali a cinque voci à un membre d’une très illustre famille de la noblesse napolitaine, Don Cesare d’Avalos (1536-1614) 304 . Il n’est pas difficile d’imaginer comment Macque eut la possibilité de rencontrer ce nouveau dédicataire. Don Cesare d’Avalos était en effet l’oncle de Maria d’Avalos, la première femme de Carlo Gesualdo. On a vu que cette dédicace, signée du 304 Sur la famille d’Avalos, voir les articles « Avalos » du Dizionario biografico degli Italiani, op. cit., vol. 4, p. 627-636. 163 20 mai 1587, fut probablement écrite dès juin 1586, soit plus ou moins à l’époque du mariage de Carlo Gesualdo avec Maria d’Avalos 305 . Cesare d’Avalos reçut probablement une éducation qui favorisait les arts et la littérature. Celui-ci est en effet le troisième né d’un couple d’importants mécènes napolitains, Alfonso d’Avalos et Maria d’Aragona 306 . Le premier était général des armées italiennes de Charles Quint, mais selon Scipione Ammirato « était plein d’éloquence, non seulement militaire mais aussi courtisane » (« era pieno d’eloquenza non che militare, ma cortigiana » 307 ) ; Maria d’Aragona, réputée pour sa beauté et sa forte personnalité était une figure importante de la vie humaniste napolitaine. Cesare grandit dans un environnement culturel de haut vol puisque ses parents étaient les protecteurs d’artistes et d’écrivains tels que Titien, le Tasse, l’Arétin, qui dédicaça trois recueils à Alfonso d’Avalos, ou encore Luigi Tansillo, qui écrivit de nombreux hommages à Maria 308 . Il n’est pas inutile de rappeler qu’Alfonso d’Avalos a longtemps été considéré comme l’auteur du texte d’un des plus célèbres madrigaux de l’histoire du genre, Ancor che col partir de Cyprien de Rore, avant que cette paternité ne soit remise en question par James Haar en 1990 309 . Cesare d’Avalos, le dédicataire du recueil, était grand chancelier du royaume de Naples (gran cancelliere del regno di Napoli, titre énoncé aussi dans la dédicace de Macque), cavalier d’Alcantara et capitaine général de la marine napolitaine. Il épousa Lucrezia del Tufo en 1577, avec qui il eut deux enfants, Iñigo et Giovanni 310 . Son frère, le cardinal Iñigo, était un académicien très actif, et fut momentanément le protecteur du madrigaliste Dattilo Roccia 311 . La dédicace de Macque nous apprend que Cesare d’Avalos avait déjà entendu et apprécié les madrigaux du Secondo libro avant même leur publication, ce qui prouve encore une fois 305 Voir supra, p. 160. La date précise du mariage de Carlo Gesualdo et Maria d’Avalos n’est pas connue. Sur Maria d’Aragona, voir « Aragona, Maria », in Dizionario biografico degli Italiani, op. cit., vol. 3, p. 701702. 307 AMMIRATO Scipione, Delle famiglie nobili napoletane. Parte seconda, Firenze, Massi da Furli, 1651, éd. facsimilé Bologna, Forni, 1973, p. 111. 308 Voir Dizionario biografico degli Italiani, op. cit., vol. 4, p. 615. 309 Voir HAAR James, « Popularity in the Sixteenth-century Madrigal: a Study of Two Instances’, Studies in Musical Sources and Styles: Essays in Honor of Jan LaRue », éd. Eugene K. Wolf et Edward H. Roesner, Madison, A-R Editions, 1990, p. 191–212. 310 Larson indique par erreur le nom de Margherita d’Avalos parmi les enfants de Cesare. Celle-ci était en fait la fille de Giovanni, et donc la petite fille de Cesare (voir SHAMA Davide, Genealogie delle famiglie nobili italiane, op. cit.). 311 Iñigo d’Avalos unifia en 1546 les académies napolitaines dei Sereni et degli Ardenti (voir Dizionario biogafico degli Italiani, op. cit., vol. 4, p. 636). Dattilo Roccia, dans la dédicace de son Secondo libro de madrigali a cinque voci (Napoli, Vitale, 1603), déclare que ses premiers madrigaux virent le jour sous la protection d’Iñigo. 306 164 l’importance des salons de la noblesse pour la diffusion et l’impression de la musique profane à la fin de la Renaissance : All’Illustrissimo Signor Mio et À mon Illustrissime Patrone Seigneur et Maître très respecté osservandissimo le Il Signor Don Cesare d’Avalos, d’Aragona, Cancelliero del Gran Regno di Seigneur Don Cesare D’Avalos, D’Aragona, Grand Chancelier du Règne de Naples Napoli Je vis avec tant de Io vidi con tanta bonté être appréciés et favorisés benignità graditi, et favoriti da par Vostra Signoria Illustrissima li Illustrissime mes madrigaux à miei Madrigali a cinque voci cinq radunati questo aujourd’hui dans ce second secondo Libro, che animato livre, qu’animé par l’espérance dalla speranza di dover essere qu’ils puissent avec non moins non men benignamente da lei de bienveillance être reçus par ricevuti ho vous une fois imprimés, j’ai deliberato di darli in luce come délibéré de leur donner le jour fo, sotto la protettione del nome comme je le fais, sous la suo, la grandezza del quale, protection de votre nom, dont je supplico prie hora in in Stampa, Vostra Signoria Votre Seigneurie voix regroupés Votre Seigneurie Illustrissima a stendere sopra Illustrissime de répandre la questo mio debol parto, acciò grandeur sur ce faible produit quel che per hora forsi pare enfanté par moi, afin que ce indegno di comparire inanzi a qui pour le moment paraît lei, diventi con l’occasione di peut-être indigne de così buona fortuna, degno di comparaître devant vous, non essere sprezzato, per la devienne cette bonne debolezza mia; et con ogni fortune, digne de ne pas être riverenza le bascio le mani. méprisé pour ses faiblesses ; et par tout plein de révérence, je vous Di Napoli alli 20 di baise les mains. Maggio 1587 De Naples le 20 mai Di Vostra Signoria 1587 165 Illustrissima De Votre Seigneurie Illustrissime Affettionatissimo servitore Le Serviteur Affectionné Giovanni di Macque Giovanni de Macque Cesare d’Avalos avait apparemment quelques connections avec la vie musicale de la cour ferraraise, assez en tout cas pour être cité dans une lettre du gentilhomme madrigaliste Scipione Dentice à Alfonso II d’Este datée du 14 septembre 1591, lettre envoyée conjointement au Primo libro de madrigali a cinque voci du compositeur (Napoli, Cancer, 1591), dédicacé au duc de Ferrare : Certificato da molti Certains chevaliers Cavalieri nostri Napolitani, e napolitains, et tout particolarmente dal Signor particulièrement le Seigneur Don Cesare Davalos, quanto Don Cesare d’Avalos, m’ayant Vostra Altezza Serenissima assuré combien Votre Altesse godendo questa Sérénissime, jouissant de cette professione di Musica, sia profession qu’est la musique, est anco fautrice de li professori aussi protecteur de ceux qui la di essa … professent … di 312 Impression des recueils Macque, après être resté fidèle à l’éditeur Angelo Gardano pendant près de dix ans, décida de faire appel au tout jeune éditeur vénitien Vincenti pour ses deux nouveaux recueils. Vincenti, qui avait ouvert son atelier en 1583, était à cette époque l’éditeur privilégié des compositeurs napolitains, ce qui peut expliquer la décision de Macque 313 . Des données précieuses sur la genèse des livres nous sont fournies par la correspondance de Macque, celui-ci ayant eu très souvent recours à son ami Norimberghi pour résoudre les problèmes techniques et financiers soulevés par l’impression. 312 Cette lettre, conservée à l’Archivio di Stato di Modena, est cité in NEWCOMB Anthony, « Carlo Gesualdo e una corrispondenza musicale del 1594», op. cit., p. 33. 313 À ce propos, voir POMPILIO Angelo, « Editoria musicale a Napoli e in Italia nel Cinque-Seicento », op. cit., p. 85-86. 166 En juin 1586, on l’a vu, les lettres de dédicace des deux recueils étaient déjà rédigées et prêtes à l’impression. Le 7 juin 1586, Macque fait allusion au payement de l’impression à Vincenti, ainsi qu’à celui du livre de ricercari, publié à Rome en 1586 par Alessandro Gardano : Et a questo efetto ho C’est à cet effet que mandato con questo procaccio j’ai envoyé avec ce courrier una lettera di Cambio a detto une lettre de change de vingt- Signor Prospero di vinticinque cinq écus d’or au Sieur scudi d’oro in oro che li sarano Prospero, qui lui seront payés pagati da Battista d’Arcangelo par Cavalcanti, che sta com’io credo Cavalcanti qui, je crois, vit in casa di Bernardo Olgiati. chez Bernardo Olgiati. En Onde alla ricevuta di questa, recevant la présente, de grâce, Vostra Signoria mi farà favore que di informarsi da esso se ha demande s’il a déjà reçu cette ricevuto detta lettera acioché se lettre per disgratia si fusse smarrita malchance, elle s’était perdue come già sene sono smarrite comme se sont déjà perdues parechie di Vostra Signoria per plusieurs des vôtres par le il passato, possi avisare subito passé, je puisse avertir tout de detto mercante che non paghi suite ce marchand qu’il ne deti denari a nissuno, et se per paie cet argent à personne sorte con detti denari mancasse d’autre. Et si jamais il devait qualche mezzo scudo d’oro per manquer complimento del pagamento di quelques demi-écus d’or en quella stampa di Roma et di complément du payement de quella di Venetia, mi farà gratia ces imprimés de Rome et de di Venise, de grâce, payez les au pagarlo al detto Signor Battista Votre d’Arcangelo Seigneurie afin que à si, cette lui par somme Prospero, et reimborzarsene poi Sieur da quello che caverà di quella remboursez-vous ensuite de ce mia guarnitione di spada e vous pugnale. 314 Prospero, obtiendrez équipement et de d’épées mon et de poignards. On constate encore une fois, que les frais de publication de ce type de recueil d’auteur n’étaient absolument pas pris en charge par l’éditeur. Les commanditaires Scipione Pignatelli et Cesare d’Avalos en assumèrent peut-être une partie, mais l’on voit aussi Macque faire une sorte d’emprunt à son ami pour finir de payer l’impression. La suite de la correspondance 314 Archivio Caetani n. 4311, voir annexes. 167 nous apprend que Norimberghi consentit à avancer cet argent, sans pourtant réussir à écouler la garnison du compositeur, dont il sera question jusqu’à la lettre du 10 juillet 1587. Même si dans la lettre précédemment citée, Macque fait allusion au payement de « cet imprimé de Venise » au singulier, il se référait sans doute aussi au Secondo libro a cinque puisque le 14 juin 1586, il est dit explicitement que les deux recueils sont déjà prêts à être expédiés à l’éditeur : detto Et quand ledit Sieur Signor Prospero vorrà detti Prospero voudra lesdits livres libri per mandarli in Venetia, pour les envoyer à Venise, de Di gratia Vostra Signoria cegli grâce, que Votre Seigneurie les dij sì come le ho scritto per lui donne, comme je vous l’ai Et l’ultima mia. quando 315 écrit dans ma dernière lettre. Le 12 juillet 1586, Macque parle encore de « ses livres » sans plus de précision, même si l’on peut déduire du contexte qu’il s’agit encore une fois des deux recueils de madrigaux. À Circa poi la stampa propos de delli miei libri ne scrivo a longo l’impression de mes livres, j’ai al Signor Prospero nostro, dal écrit quale se Vostra Signoria sarà Seigneur Prospero, qui viendra ricercata di qualche denari per vous demander quelque argent il porto di essi. 316 longuement à notre pour le port. Les exemplaires imprimés furent apparemment expédiés par la suite à Naples par voie maritime, au moins en ce qui concerne les Ricercate et canzoni francese. Dans la suite de la lettre précédemment citée, Macque commence en effet à se préoccuper du transport des livres de ricercari, pour lequel, explique-t-il, il a fait appel au compositeur romain Prospero Santini : Scrivo 315 316 al J’écris au Sieur Prospero nostro che mi mandi Prospero qu’il m’envoie les questi libri miei per mare diretti livres par la mer, adressés au al Signor Hettore nostro, et per Sieur Hettore, et, puisque Votre che Vostra Signoria sa già Seigneurie sait déjà comment il come si ha da fare per il faut faire, grâce au clavecin cimbalo che mi mandò, di que Archivio Caetani n. 4898, voir annexes. Archivio Caetani n. 4305, voir annexes. 168 Signor vous m’envoyâtes, de gratia Vostra Signoria l’agiuti grâce, aidez-le un peu, et un poco, et l’avisi come ha da informez-le sur la manière de fare. procéder. Malgré l’année qui sépare la publication des deux recueils de madrigaux, ces derniers datent donc probablement plus ou moins de la même période. Ce délai est sans doute à expliquer par des raisons – ou stratégies – éditoriales, plutôt que par deux époques de composition différentes 317 . Choix poétiques : entre deux époques De Pétrarque au Tasse : nouvelles tendances de la poesia per musica Macque adopta deux attitudes relativement contrastées dans les choix poétiques de ses nouveaux recueils. Le Primo libro a quattro voci reste en effet très attaché à la poésie de Pétrarque, qui représente à peu près la moitié des textes choisis, alors que ce dernier est totalement absent du Secondo libro a cinque voci. Ce recueil inaugure en revanche les premières intonations des rimes du Tasse par le madrigaliste. Ces choix poétiques sont le reflet des nouvelles orientations littéraires que prit le répertoire du madrigal dans son ensemble à cette période. En effet, même si Pétrarque reste encore le poète préféré des madrigalistes dans les années 1580 318 , les vers du Canzoniere entrent cependant dans une phase de déclin irréversible à cette période, alors qu’on assiste à la rapide émergence des poésies du Tasse et de ses imitateurs dans les imprimés musicaux. Parallèlement, les formes fixes, le sonnet en premier lieu mais aussi la sextine, la ballata ou la canzone, cultivées par Pétrarque et largement privilégiées par les poètes les plus strictement 317 Il est probable cependant qu’une partie du livre à quatre voix soit réellement antérieure aux madrigaux à cinq voix. En effet, Macque ayant publié son premier recueil à cinq en 1583, on peut raisonnablement considérer que le Secondo libro a cinque ne contient que des pièces composées après les madrigaux de 1583. Les derniers madrigaux à quatre voix de Macque remontent au contraire au recueil à quatre, cinq et six voix de 1579, ce qui permet de penser qu’une partie des pièces du Primo libro a quattro ait pu être composée dès le début des années 1580. D’autre part, Macque réédita dans ces deux livres presque toutes ses contributions aux anthologies ou recueils d’auteur publiés entre 1583 et 1585. On retrouve en effet dans le Secondo libro a cinque les madrigaux Posso cor mio partir et Io son di neve al sol de l’anthologie De Floridi virtuosi d’Italie (1583) ainsi que Gelo ha Madonna il seno et Dolci sdegni e dolce ire, deux pièces du Quarto libro de madrigali a cinque voci de Felis (1585). Non veggio ohimè, publié pour la première fois dans le Secondo libro de madrigali a quattro voci de Battista Moscaglia (1585), trouvera aussi sa place dans le Primo libro a quattro voci. 318 Sur l’évolution des choix poétiques des madrigalistes, voir BIANCONI Lorenzo, « Il Cinquecento e il Seicento », op. cit., et tout particulièrement les pages 330 et 331. 169 pétrarquistes (Pietro Bembo, mais aussi Bernado Tasso 319 ou Giovanni Della Casa par exemple) commencent à être supplantées par le madrigal poétique 320 qui, après avoir été tenu longtemps dans l’ombre du sonnet et des autres genres, commence à acquérir ses lettres de noblesse dans les dernières décennies du Cinquecento 321 . Comme le note Antonio Vassalli à propos des choix poétiques des madrigalistes, « si le rapport quantitatif entre sonnet et madrigal est à peu près de 10 pour 1 jusqu’à 1580, dans la décennie 1580-1590, la prédominance du sonnet chute sensiblement (3 pour 1), alors que dans la décennie successive 1590-1600, la situation se renverse (1 pour 3), pour ensuite se stabiliser plus ou moins sur des proportions égales dans les deux premières décennies du Seicento » 322 . Cet inversement de tendance trahit des expectatives différentes face aux textes poétiques. Les rimes du Canzoniere représentent le courant le plus élevé de la poésie italienne, dont le style exigeant s’exprime à travers les formes métriques sophistiquées du sonnet, genre noble par excellence, mais aussi de la canzone, de la sextine ou de la ballade. Les rimes du Tasse privilégiées par les madrigalistes des années 1580-1590 (qui ne correspondent pas forcément aux textes les plus estimés par leur auteur), ne répondent pas aux mêmes exigences littéraires. À la rigueur des formes fixes est préférée la souplesse du madrigal, « composition la plus informe de toute la tradition poétique italienne » selon Alessandro Martini 323 ; à la longueur du sonnet ou plus encore, de la canzone et de la sextine – genres offrant aux compositeurs la possibilité d’élaborer de vastes compositions multipartites –, la brièveté et la concision de 319 Macque mit en musique huit textes de Bernardo Tasso dans son tout premier recueil de madrigaux. Le madrigal cinquecentesco est à distinguer de son homonyme trecentesco, forme fixe en tercets conclue par un distique en rime plate, encore utilisée ponctuellement par Pétrarque dans son Canzoniere. Sur le madrigal cinquecentesco voir en particulier SCHULZ-BUSCHHAUS Ulrich, Das Madrigal. Zur Stilgeschichte der italienischen Lyrik zwischen Renaissance und Barock, Bad Homburg von der Höhe, Gehlen, 1969 ; MARTINI Alessandro, « Ritratto del madrigale poetico fra Cinque e Seicento », Lettere italiane, XXXII, 1981, p. 529-548 ; DANIELE Antonio, « Teoria e prassi del madrigale libero nel Cinquecento (con alcune note sui madrigali musicati da Andrea Gabrieli) », Andrea Gabrieli e il suo tempo, éd. Francesco Degrada, Firenze, Olschki, 1987, p. 75-169 ; LA VIA Stefano, « ‘Madrigale’ e rapporto fra poesia e musica nella critica letteraria del Cinquecento », Studi musicali, XIX, 1990, p. 33-70. 321 À ce propos, voir tout particulièrement LA VIA Stefano, « ‘Madrigale’ e rapporto fra poesia e musica nella critica letteraria del Cinquecento », op. cit., p. 37-55. 322 « Se il rapporto quantitativo fra sonetti e madrigali è all’incirca di 10 a 1 fino al 1580, nel decennio 15801590, il predominio del sonetto cala sensibilmente (3 a 1) mentre nei successivi anni 1590-1600 la situazione addirittura si ribalta (1 a 3), per poi stabilizzarsi più o meno sulla parità dei valori nel primo ventennio del Seicento », in VASSALI Antonio, « Sull’edizione delle Rime di B. Guarini: una riflessione », Forme e vicende per Giovanni Pozzi, éd. Ottavio Bessomi, Giulia Gianella, Alessandro Martini et Guido Pedrojetta, Padova, Antenore, 1988, p. 228, cité in LUZZI Cecilia, Poesia e musica nei madrigali a cinque di Filippo di Monte, op. cit., p. 25. 323 « … il componimento più informe di tutta la tradizione lirica italiana », in MARTINI Alessandro, « Ritratto del madrigale poetico fra Cinque e Seicento », op. cit., p. 536. 320 170 petites pièces de quelques vers ; à la complexité conceptuelle du modèle pétrarquéen, les pointes d’esprit et les tournures brillantes du madrigal épigrammatique 324 . Cette évolution des choix poétiques des madrigalistes est bien sûr la conséquence des transformations du goût littéraire ambiant. Cependant, celle-ci reflète aussi la recherche d’un support poétique adapté à un langage madrigalesque toujours plus concis et cherchant à particulariser avec un souci du détail de plus en plus méticuleux les images poétiques prises dans leur individualité. À ce propos, ce fameux extrait d’une lettre du poète Muzio Manfredi au compositeur Claudio Merulo (datée du 24 mars 1591) est particulièrement révélateur : Prima mi Avant que je ne parte partissi di Italia, avendo inteso d’Italie, ayant appris que vous che gli desideravate, vi mandai les désiriez, je vous ai envoyé i madrigali mes cent madrigaux imprimés, stampati, ed alcune altre mie ainsi que quelques-unes de picciole poesie scritte a mano, mes petites poésies écrites à la di quelle a punto che voi altri main, de celles que vous autres musici cercate da far loro il musiciens cherchez à mettre canto, cioè brevi, e più di en parole che di concetti, e più di brèves, et plus de paroles que parole dilicate e quasi vane de concepts, et plus de paroles miei cento ch’io che nobili ed espressive. 325 musique, c’est-à-dire délicates et presque vaines que nobles et expressives. Les choix poétiques effectués par Macque dans ses deux premiers recueils napolitains sont à replacer dans cette période de transition, appartenant à une génération de compositeurs (et sans doute aussi de commanditaires) encore traditionnellement liée à la lyrique pétrarquéenne mais aussi de plus en plus séduite par une poésie moins élaborée mais s’adaptant particulièrement bien à l’évolution du langage musical madrigalesque. 324 Sur le madrigal épigrammatique voir SCHULZ-BUSCHHAUS Ulrich, Das Madrigal, op. cit., et tout particulièrement le chapitre V, « Das epigrammatische Madrigal ». 325 MANFREDI Muzio, Lettere brevissime, Venezia, Meietti, 1606, p. 64, cité in BIANCONI Lorenzo, « Il Cinquecento e il Seicento », op. cit., p. 340. 171 Il primo libro de madrigali a quattro voci Pétrarque et les formes fixes Dix des vingt-et-un numéros qui constituent le Primo libro de madrigali a quattro voci sont composés sur des vers pétrarquéens 326 . Macque choisit de mettre en musique trois textes pluripartites, appartenant tous à la première partie « in vita di madonna Laura » des Rerum vulgarium fragmenta : les six strophes de la sextine 327 CCXXXIX Là ver’ l'aurora che sì dolce l'aura (sans le tercet finale), et les sonnets CCXXX I' piansi or canto che 'l celeste lume et LXVII Del mar Tirreno a la sinistra riva. Un ton souvent gracieux et bucolique domine dans ces trois poésies (comme souvent dans les rimes in vita di madonna Laura), notamment grâce à une large utilisation du champ lexical de la nature 328 . Le reste du recueil, nous y reviendrons, est composé sur des vers anonymes. Cette place réservée au Canzoniere peut étonner car Macque, suivant en ceci la tendance générale de l’époque, avait presque abandonné la poésie de Pétrarque après la publication d’un premier recueil encore très centré sur ce poète (dans le Primo libro de madrigali a sei voci, douze numéros sur vingt-neuf sont en effet composés sur des textes du Canzoniere – toutes proportions gardées, ce chiffre reste cependant inférieur à celui du Primo libro de madrigali a quattro voci, voir infra, table 24, p. 177). Cette tendance se confirmera dans ses recueils successifs, puisque Macque ne musiquera par la suite que très peu de textes pétrarquéens, et souvent dans le cadre de madrigaux spirituels. D’autre part, décider de musiquer une sextine en entier (la seule de toute la production de l’auteur) peut paraître une option légèrement passéiste pour l’époque. En effet, ces grandes formes poétiques connurent leur plus grande fortune auprès des madrigalistes dans les années 1560-1570 329 . On ne s’étonnera donc pas que la version de Macque constitue l’une des toutes dernières intonations que connurent les six strophes de la sextine Là ver’ l’aurora 330 après avoir été musiquées par les grands noms du madrigal des années 1560-1570, comme Roland 326 Sont comptées comme des numéros distincts les différentes parties d’un même texte. La sextine ou sestina est une forme particulière de la canzone, constituée de six strophes de six vers ne rimant pas entre eux à l’intérieur de la strophe. Le schéma de versification utilise des mots-rime identiques dans toutes les strophes, alternant selon le principe de rétrogradation croisée : l’ordre des mots-rime de chaque strophe est issu d’une transformation de celui la strophe précédente, selon le procédé suivant : ‘dernier/premier/avantdernier/deuxième/avant-avant-dernier/trosième’. (Voir BELTRAMI Pietro, La metrica italiana, op. cit., p. 411.) 328 Voir en particulier la sextine, dont deux des six mots-rime ont trait à la nature (fiori, fleur, et l’aura, la brise). 329 À ce propos, voir BIANCONI Lorenzo, « Il Cinquecento e il Seicento », op. cit., p. 328. 330 Après Macque, seul Tiburzio Massaino mettra en musique la totalité de ce texte dans son dernier recueil, le Quarto libro de madrigali a cinque voci, Venezia, Gardano, 1594 voir infra, table 26, p. 187). 327 172 de Lassus ou Pietro Vinci. Cela n’empêchera cependant pas que chacune des strophes soit remise en musique séparément jusqu’au début du XVIIe siècle. Le même processus se produit avec le sonnet I' piansi or canto che 'l celeste lume, qui est lui aussi mis en musique pour la dernière fois dans le premier livre à quatre voix de Macque, après avoir connu sept intonations différentes par des compositeurs tels que Adrian Willaert en 1559 ou Philippe de Monte en 1570 (voir infra, table 26, p. 187). Quant au dernier sonnet, Del mar Tirreno a la sinistra riva, il ne fut semble-t-il mis en musique que par Macque. Au-delà de l’analogie entre le nom du commanditaire et l’un des mots-rime de la sextine qui, on l’a évoqué, pourrait être à l’origine de l’intonation de Là ver’ l’aurora 331 , il est possible que Macque ait orienté ainsi ses choix poétiques afin de répondre à la formation vocale à quatre voix de ce recueil, formation plus archaïsante que les traditionnelles cinq voix qui constituaient la norme de l’écriture madrigalesque depuis Cyprien de Rore. Marenzio ne réagit pas différemment dans son unique recueil à quatre voix, imprimé un an avant celui de Macque 332 , dans lequel presque la moitié des numéros sont composés sur des vers du Canzoniere, alors que ses livres à cinq voix des années 1580 ne contiennent pas plus d’une ou deux poésies de Pétrarque par recueil. D’autre part, même si le Canzoniere attire globalement moins les madrigalistes italiens à partir des années 1580, les compositeurs napolitains continuent en revanche à composer massivement sur ses vers à cette période. Ambroise Marien, qui est avec Macque le madrigaliste actif à Naples le plus prolixe des années 1580, consacre en effet la totalité de ses deux recueils de 1580 et 1584 aux rimes du Canzoniere 333 , de même qu’environ un tiers du Secondo libro de madrigali a quattro voci de Rocco Rodio est composé sur des textes de Pétrarque 334 . En outre, on constate que la première strophe de la sextine Là ver’ l’aurora fut aussi musiquée par Giovanni Leonardo Primavera dans le recueil qu’il dédicaça à Carlo Gesualdo 331 Voir supra, p. 160. MARENZIO Luca, Il primo libro de madrigali a quattro voci, Roma, Gardano, 1585. Transcription in The Complete Four Voice Madrigals, éd. John Steel, New York, Schaffner Publishing Company, 1995. 333 MARIEN Ambroise, Il primo libro de madrigali a quattro (Venezia, Gardano, 1580) et Il secondo libro e madrigali a quattro voci (Venezia, Vincenti et Amadino, 1584). Ces recueils sont dédicacés à deux membres de la famille Gesualdo, respectivement Scipione et Michele Gesualdo, parents éloignés de Carlo Gesualdo. 334 RODIO Rocco, Il secondo libro de madrigali a quattro voci (Venezia, Scotto, 1587). Onze texte sur vingt-neuf sont extraits du Canzoniere. 332 173 en 1585 335 alors que Macque se trouvait déjà à sa cour. Ce même imprimé contient aussi une intonation d’une autre sextine complète du Canzoniere, Chi è fermato di menar sua vita. Jusqu’au milieu des années 1580, musiciens et commanditaires parthénopéens semblent donc être restés encore très attachés aux grands modèles de la poésie italienne, et tout particulièrement à Pétrarque. Macque, qui avait presque abandonné ce poète après le recueil de 1576, s’est peut-être adapté au goût ambiant dans son premier livre napolitain, réservant une sélection plus moderne pour son Secondo libro de madrigali a cinque voci. Autres textes anonymes : formes et styles Sur les onze textes qui constituent le reste du Primo libro de madrigali a quattro voci, un seul a pu être attribué, Non veggio ohimé quei leggiadretti lumi. La première publication de ce madrigal appartient en effet au Secondo libro de madrigali de Moscaglia, qui se déclare l’auteur de tous les textes poétiques dans la dédicace, affirmation qui peut cependant être sujette à caution. Les dix autres textes sont anonymes, et jusqu’à aujourd’hui aucune source poétique n’a pu être identifiée. La moitié d’entre eux ne connurent semble-t-il aucune autre intonation (voir infra, table 26, p. 187). Ces textes, qui, à part un, sont tous composés dans le style libre qui caractérise le madrigal cinquecentesco, présentent une relative variété stylistique. Certaines poésies sont écrites dans un registre relativement élevé, notamment Quel dolce nodo che mi strinse il core, dont la forme métrique d’octave 336 impose l’usage exclusif d’hendécasyllabes (vers noble et grave par excellence selon la catégorisation bembienne 337 ). Ce texte, déjà musiqué par Jacopo Corfini en 1565, se conclut par une triple corrélation 338 tout à fait recherchée, renvoyant ces vers à la plus pure tradition pétrarquiste : Quel dolce nodo che mi 335 Ce doux nœud qui me serra le cœur PRIMAVERA Giovanni Leonardo, Il settimo libro de madrigali a cinque voci, Venezia, Vincenti, 1585. L’octave (ottava) est une strophe composée de huit hendécasyllabes respectant le schéma métrique ABABABCC, utilisée notamment dans les poèmes épiques tels que L’Orlando furioso d’Arioste ou La Gerusalemme liberata du Tasse. 337 « Tout retard et toute demeure dans les choses est naturellement caractéristique de la gravité ; cette demeure, étant plus importante dans le vers entier hendécasyllabe que dans le vers rompu septénaire, rend le premier d’autant plus grave, et d’autant moins plaisant que le second. » (« Ogni indugio e ogni dimora nelle cose è naturalmente di gravità inditio; la qual dimora, perciò che è maggiore nel verso intero che nel rotto, alquanto più grave rendendolo, men piacevole il lascia essere di quell’altro. »), in BEMBO Pietro, Prose della volgar lingua, Venezia, Tacuino, 1525, livre 2, chapitre 13, p. 63 (édition consultée : BEMBO Pietro, Prose della volgar lingua. éd. Claudio Vela, Bologna, Clueb, 2001, p. 82). 338 Pour une définition de la pluralité et de la corrélation voir infra, p. 280. 336 174 ne se déliera ni avec le temps, ni avec la strinse il core mort non si sciorrà per tempo né et l’on ne verra jamais s’éteindre la douce per morte, ardeur né mai spenger vedrassi il qui orne et éclaire mon sort obscur. dolce ardore ch’orna e rischiara la mia Alors ma blessure sera moins grande oscura sorte. car le jour apporte les étoiles, et la nuit, le Alor la piaga mia sarà Soleil minore, tant sont doux le nœud, le feu et les flèches ch’il dì le stelle e ’Sol la notte avec lesquels amour me lie, m’enflamme et apporte, m’assaille. tanto son dolci e nodo e foco e strale, onde mi lega amor, arde et assale. D’autres textes, sans forcément déployer un arsenal rhétorique extrêmement élaboré, penchent très clairement vers une gravité de ton quasiment absente du Secondo libro de madrigali a cinque voci. Nel morir si diparte/l’anima del suo velo ou Crudel se m’uccidete, par exemple, pourront servir de départ à la recherche d’une palette musicale plus expressive. Ce type de textes côtoie cependant des poésies beaucoup plus légères, qui parfois ne détonneraient pas dans un recueil de canzonetta. Le schéma métrique de O fammi, Amor, gioire, composé entièrement de septénaires en rimes plates (mètre et rime de la grâce et de la piacevolezza selon Bembo 339 ) pourrait parfaitement convenir à une strophe de pièce légère : O fammi Amor a Ô fais-moi jouir, Amour, a ô tu me fais mourir, gioire, o 339 tu mi fa’ Voir supra, note 337. 175 morire, però che senza b puisque, sans aucune joie, b le mieux est encore que je me meure, gioia c il meglio è ch’io car ce qui mène à la mort c mi muoia: me sortira au moins de mes peines. ché quel ch’a morte mena trarammi almen di pena. De même, le caractère mélique et pastoral de Quando sorge l’aurora, une mise en scène bucolique d’un paysage arcadien composée presque entièrement de septénaires, avait-il trouvé sa place dans le deuxième livre de Madrigaletti et napolitane de Macque 340 : Quando sorge a Quand l’aurore pointe, b les petites herbes et les fleurs l’Aurora, ridon l’erbette e i rient b fiori et les petits amours e i pargoletti amori c se rendent avec les Nymphes van con le Ninfe auprès de mon beau soleil tout intorno al a mio bel Sole adorno, scherzando ad or ad A orné en jouant de temps en temps là où le ciel et la terre tombent amoureux. ora onde la terra e ’l ciel se n’inamora. 340 c Voir supra, p. 55. 176 table 24: textes de Pétrarque mis en musique par Macque Année Titre Total Types formels Incipit 1576 Primo libro de madrigali a sei voci 12 Mille fiate o Cinq sonnets en deux parties Or s'io lo sc Dolce mio c Onde qua gi Già fiammeg Quando mia Dolci durezz Divino sgua Vago augell I' non so se l Deux premières moitiés de sonnet Gl'occhi sere Poi che 'l ca 1579 Madrigali a quattro, cinque et sei 2 Une première moitié de sonnet Amor e 'l ve Un madrigal trecentesco Non al suo a voci 1581 Primo libro de madrigaletti et 0 --- napolitane a sei voci 1582 Secondo libro de madrigaletti et 0 --- napolitane a sei voci 1586 Primo libro de madrigali a quattro 10 Une sextine en six parties Là ver’ l'aur voci Temprar pot Quante lagri 177 Uomini e dè A l'ultimo b Ridon or per Deux sonnets en deux parties Io piansi or Sì profondo Del mar Tirr Solo ov'io er 1587 Secondo libro de madrigali a 0 --- cinque voci 1589 Secondo libro de madrigali a sei 1 une première moitié de sonnet Per divina b voci 1597 Terzo libro de madrigali a cinque 3 Un capitolo voci spirituel) des Trionfi (madrigal La morte è f I' vo piangen Un sonnet en deux parties (madrigal spirituel) 1599 Sì che s'io v Quarto libro de madrigali a cinque 3 Un sonnet en deux parties (madrigal Padre del cie voci spirituel) Or volge Sig Une première moitié de sonnet Poi che 'l ca 1610 Terzo libro de madrigali a quattro 1 Un capitolo des Trionfi voci 1613 Sesto libro de madrigali a cinque 0 voci 178 --- Pallida no m Il secondo libro de madrigali a cinque voci : rimes tassiennes et madrigaux épigrammatiques Le Tasse, Macque et les madrigalistes napolitains À côté des choix poétiques relativement éclectiques du Primo libro de madrigali a quattro voci, les textes du Secondo libro de madrigali a cinque voci apparaissent au contraire extrêmement homogènes. Ce livre, on l’a déjà évoqué, inaugure la toute première intonation de textes du Tasse par Macque. Le compositeur choisit en effet de musiquer trois madrigaux du poète bien connus des madrigalistes, Gelo ha madonna il seno, Mentre, mia stella, miri et Questa vostra pietate. Même si ces trois textes font figure d’exception parmi les autres poésies du recueil, toutes anonymes, il convient de s’arrêter un instant sur les raisons qui poussèrent Macque à effectuer un tel choix. L’adoption des rimes tassiennes par Macque n’est peut-être pas entièrement étrangère au fait que ce recueil ait été dédié à un membre de la famille Avalos, les relations entre le poète et cette grande famille napolitaine étant en effet avérées. Le Tasse écrivit en effet de nombreuses poésies pour célébrer les membres de cette maison, notamment lors du mariage de Maria d’Avalos et de Carlo Gesualdo. Ce dernier, qui ne commença à fréquenter le Tasse que plus tard dans le siècle, ne fut probablement pas à l’origine de la nouvelle orientation poétique de Macque 341 . Cet intérêt pour les textes du Tasse, peut-être motivé en partie par le commanditaire du recueil Cesare d’Avalos, répond aussi à l’engouement généralisé pour les rimes du poète qui, on l’a évoqué, connut son point culminant à la fin des années 1580. Cependant, à Naples, où le Tasse ne se rendit pour la première fois qu’en 1588, Macque fait figure de précurseur 342 . Ce dernier fut apparemment le seul compositeur napolitain à être touché par la vague de popularité de la poésie tassienne dans les années 1580 et il faudra attendre encore une dizaine 341 À ce propos, voir DURANTE Elio, MARTELLOTTI Anna, « Tasso, Luzzaschi e il Principe di Venosa », in Tasso, la musica, i musicisti, éd. Maria Antonella Balsano et Thomas Walker, Firenze, Olschki 1988, p. 34. 342 Il est étonnant que Larson semble ignorer les livres de Macque lorsqu’il déclare : « Bien que les Rime du Tasse aient été publiées depuis la première moitié des années 1580, les compositeurs napolitains ne commencèrent pas à mettre en musique ses vers avant son séjour à Naples de 1588. » « Although Tasso’s Rime were being published in the first half of the 1580s, Neapolitan composers did not begin to set his poems until after his visit there in 1588. », in LARSON Keith, The Unaccompanied Madrigal in Naples, op. cit., vol. 1, p. 316. 179 d’années pour que les autres madrigalistes parthénopéens commencent véritablement à s’intéresser à ces vers 343 . Macque, cependant, continuera sur cette lancée en 1589, choisissant trois nouveaux textes du poète pour son Secondo libro de madrigali a sei voci dédicacé à Fabrizio Gesualdo 344 – ainsi que deux madrigaux attribués par erreur à cet auteur dans la troisième partie des Rime du Tasse éditée par Giulio Vasalini en 1583 345 – avant de délaisser presque définitivement cet auteur dans ses recueils successifs 346 . Il n’est pas impossible que la teneur très tassienne des deux premiers imprimés de Gesualdo 347 soit due à l’influence de Macque sur celui qui fut très probablement son élève. Cette hypothèse est en partie corroborée par le fait que Gesualdo, dans son premier recueil, choisit de se confronter à l’intonation des madrigaux Mentre, mia stella, miri et Gelo ha madonna il seno, deux textes du Tasse déjà musiqués par Macque dans son Secondo libro a cinque. Sources Les vers tassiens du Secondo libro a cinque comparaissent tous dans les premières éditions des Rime du poète 348 . Cependant, deux des trois textes présentent des leçons sensiblement différentes par rapport aux sources imprimées, ce qui laisse présumer que le madrigaliste n’eut pas directement recours à ces dernières. Dans le madrigal Questa vostra pietate, le vers 343 Sur les choix poétiques des madrigalistes napolitains de la génération de Gesualdo, voir POMPILIO Angelo, VASSALLI Antonio, « Il madrigal a Napoli nel Cinque-Seicento », op. cit., p. 12-16 et LARSON Keith, The Unaccompanied Madrigal in Naples, op. cit., vol. 2, p. 547. 344 Les choix poétiques de ce recueil dont, on le rappelle, seule la voix d’alto a été conservée, privilégient largement les madrigaux (16 numéros sur 21) tout en laissant encore une certaine place aux formes fixes (deux sonnets, l’un de Pétrarque et l’autre de Bembo et deux strophes d’une ballade de Bembo). 345 Il s’agit des madrigaux Stavasi il mio bel sole al sol assiso et Come sì m’accendete. Cette attribution erronée a été discutée par Angelo Solerti dans le premier volume de son édition des Rime du Tasse (voir TASSO Torquato, Le rime di Torquato Tasso. Edizione critica sui manoscritti e le antiche stampe. Bibliografia, éd. Angelo Solerti, Bologna, Romagnoli-Dall'Aacqua, 1898-1902, vol. 1, p. XVI et 508). Stavasi il mio bel sole al sol assiso comparait dans les Madrigali de Giovan Battista Strozzi le vieux (Firenze, Sermatelli, 1593). L’attribution de Come sì m’accendete a été remise en question par Solerti sur la base d’une annotation autographe du poète qui, dans un exemplaire des Rime conservé à la Biblioteca Angelica de Rome, indique que le texte n’était pas de lui. Cette attribution erronée est reprise dans certaines rééditions successives. 346 Après le recueil de 1589, Macque ne musiquera plus qu’un seul texte du Tasse (Mentre volgea 'l mio sole, III.4, n. 18). 347 Sur les choix poétiques de Gesualdo, voir CECCHI Paolo, « Le scelte poetiche di Carlo Gesualdo: Fonti letterarie e musicali », in La musica a Napoli durante il Seicento. Atti del Convegno internazionale di Studi, Napoli, 11-14 aprile 1985, éd. Domenico Antonio D’Alessandro et Agostino Ziino, Roma, Torre d’Orfeo, 1987, p. 47–75. Pour Elio Durante et Anna Martellotti, l’abandon successif des rimes tassiennes par Gesualdo serait dû à une influence de Luzzaschi sur ce dernier (« Le Tasse est définitivement sorti de la scène, et Gesualdo, en abandonnant sa première et indéniable prédilection, s’est rangé clairement à l’école de Luzzaschi … » (« Il Tasso è dunque definitivamente uscito della scena, e Gesualdo nell’abbandono di questa sua primitiva innegabile predilezione, si è messo decisamente alla scuola di Luzzaschi ... »), in Tasso, Luzzaschi e il principe di Venosa, op. cit., p. 40. 348 La première édition des Rime du Tasse date de 1581 (Rime del sig. Torquato Tasso. Parte prima. Insieme con altri componimenti del medesimo, Venezia, Manuzio). D’autres éditions suivirent dans les années succesives. 180 ma da forza a l’ardore devient en effet dans la version de Macque ma giunge esca a l’ardore et dans Mentre, mia stella, miri, les vers perché ne gli occhi miei/fiso tu rivolgessi sont distribués de manière différente (perché tu rivolgessi/fisso ne gli occhi miei) et le mot lumi du vers conclusif est remplacé par occhi 349 . Il est possible que Macque se soit procuré ces textes sous forme manuscrite, dans une version circulant de compositeur en compositeur – ou en commanditaire – avant les premières éditions des Rime, voire même qu’il ait recopié directement le texte à partir d’un autre imprimé musical. En effet, si les variantes de Questa vostra pietate ne se retrouvent dans aucune des autres intonations du poème que j’ai pu consulter 350 , la version de Mentre, mia stella, miri retenue par Macque est exactement la même que celle de la première intonation du texte par Pietro Vinci (Il quarto libro de madrigali a cinque voci, Venezia, Scotto, 1573), version que l’on retrouve aussi dans le Primo libro de madrigali a quattro voci du padouan Marc’Antonio Pordenon 351 . Macque semble en outre se référer au madrigal de Vinci dans la mise en musique de certains vers. Les correspondances musicales entre les deux pièces, quoique concernant des figures relativement communes, sont en effet trop nombreuses pour être un simple fait du hasard (voir infra, table 25, p. 182). Il est donc tout à fait envisageable que Macque ait recopié directement le texte poétique à partir du recueil du compositeur sicilien, ce type de circulation des textes poétiques semblant en effet avoir été monnaie courante à l’époque 352 . Les intonations postérieures de Mentre, mia stella, miri que j’ai pu consulter (cinq sur dix), reportent en revanche la version des sources imprimées, à l’exception de celle de Gesualdo qui, contrairement aux madrigalistes napolitains Mayone et Spano, reprend une version relativement proche du madrigal de Macque (seul le mot occhi est remplacé par luci dans le dernier vers, sans revenir cependant aux lumi de la source imprimée). Ces similitudes peuvent aisément s’expliquer étant donné la proximité des deux compositeurs à l’époque de la publication du Secondo libro a cinque. 349 Cette leçon se retrouve aussi dans deux manuscrits de la fin du XVIe siècle, voir TASSO Torquato, Le rime di Torquato Tasso. Edizione critica sui manoscritti e le antiche stampe, op. cit., vol. 3, p. 79. 350 Les intonations antérieures à celle de Macque (Paolo Cavalieri, 1585 et Giulio Eremita, 1586) reportent toutes deux le texte de l’édition des Rime, ainsi que les intonations postérieures que j’ai pu contrôler (six sur neuf). 351 PORDENON Marc’Antonio, Il primo libro de madrigali a quattro voci, Venezia, Gardano, 1580. Le texte retenu deux ans plus tôt par Paolo Bellasio dans son Primo libro de madrigali a cinque voci (Venezia, Scotto, 1578) s’éloigne au contraire sensiblement de la version de Macque comme de la source future source imprimée (Mentre mia stella miri/i bei celesti giri/il ciel esser vorrei/acciò tu rivolgessi/spesso ne lumi miei/le tue ardenti faville/io vagheggiar potessi/mille bellezze tue con occhi mille). 352 À ce propos, voir en particulier BIANCONI Lorenzo, VASSALLI Antonio, « Circolazione letteraria e circolazione musicale del madrigale: il caso G. B. Strozzi », Il madrigale tra Cinque e Seicento, op. cit., p. 12138. 181 table 25 : concordances musicales entre les deux versions de Mentre, mia stella, miri par Macque (II.5) et Vinci (IV.5) 182 Les dix-neuf autres textes du recueil sont tous anonymes et ne comparaissent dans aucune source poétique. Dans la très grande majorité des cas (quinze numéros sur dix-neuf), Macque fut apparemment le seul madrigaliste à musiquer ces vers, ce qui laisse penser que ces poésies furent écrites pour l’occasion, peut-être directement fournies par le commanditaire de l’œuvre 353 . La structure très alambiquée de certaines de ces rimes – parfois à la limite du compréhensible 354 – trahit une démarche poétique sans grandes prétentions littéraires, caractéristique d’une « poésie de consommation » écrite dans la seule vue d’une intonation musicale. Formes et styles Les textes du Secondo libro de madrigali a cinque voci appartiennent à la tendance la plus légère et la plus humble du courant poétique pétrarquiste, contrastant singulièrement avec le style élevé des textes pétrarquéens du livre précédent. Le Secondo libro a cinque est le premier recueil de madrigaux de l’auteur à n’utiliser aucun sonnet 355 ; ce livre se focalise au contraire presque exclusivement sur le madrigal cinquecentesco, forme poétique libre, à la structure métrique ouverte (seul le treizième numéro, Io son di neve al Sol, di cera al foco, répond à une forme métrique fixe, celle de l’octave – ABABABCC). Par la suite, Macque, comme beaucoup de ses contemporains, ne reviendra plus que sporadiquement au sonnet et aux formes fixes en général 356 . Les textes mis en musique par Macque dans ce nouveau recueil appartiennent à la veine la plus piacevole du madrigal poétique de l’époque, dont Giovan Battista Strozzi le jeune nous laissa une précieuse description dans sa Lettione sopra i madrigali (« Leçon sur le madrigal ») de 1574 357 . À part une composition encomiastique, Le Ninfe del mar d’Adria, chantant les louanges d’une ville de la mer adriatique (pour Keith Larson, il pourrait s’agir de Vasto, propriété de la 353 Il arrive que certains auteurs précisent dans la dédicace que le contenu littéraire du recueil leur a été fourni directement par le dédicataire. Voir par exemple la dédicace de l’anthologie Il trionfo di Dori (Venezia, Gardano, 1592), à laquelle participa Macque. 354 Voir particulièrement la conclusion du madrigal Prendi, Signor, vendetta (II.5, n. 10) : « Ahi! che, dubbio del fin, più ti diletta/viver in pace, amore,/che con l’armi cercar d’averne onore! » (littéralement : « Ah, qui, doutant de la fin, plus te délectes,/de vivre en paix, amour,/qu'avec les armes chercher à en avoir honneur ! » ; c’est-àdire : « Ah, amour, toi qui, doutant de l'issue du combat, préfères vivre en paix plutôt que vaincre honorablement par les armes ! »). 355 À l’exclusion évidemment des deux recueils de Madrigaletti et napolitane. 356 Voir supra, note 344 pour le contenu poétique du recueil de 1589. 357 Cette leçon, prononcée en 1574 à l’Accademia fiorentina, ne fut publiée qu’en 1635 (Lettione sopra i Madrigali, recitata l’anno 1574 nell’Accademia Fiorentina, in Orazioni et altre prose, Roma, Grignani). De larges extraits de cette leçon sont proposés dans SCHULZ-BUSCHHAUS Ulrich, Das Madrigal, op. cit., p. 113-120. 183 famille d’Avalos à une soixantaine de kilomètres au sud de Pescara) 358 , les autres textes sont tous des madrigaux amoureux écrits dans un ton généralement plus gracieux et plaisant que tourmenté et pathétique, dans une relative homogénéité sémantique, rhétorique et stylistique. Les textes sont tous relativement courts (entre sept et neuf lignes) et en une unique partie. Cette brièveté, qui reste l’une des caractéristiques essentielles du madrigal de la fin du Cinquecento, est accentuée en outre par un usage soutenu du septénaire, qui représente plus de la moitié des vers 359 . La prédominance de ce mètre, selon Strozzi « plus agréable qu’aucun autre … et que l’on doit, du fait de sa grâce, utiliser dans notre poème » 360 , est tout à fait caractéristique de ce type de madrigal. Une certaine douceur de ton prédomine dans ces textes. Les vers privilégient largement un chant lexical plaisant et gracieux au détriment d’expressions violentes, pathétiques ou trop conceptuelles, et ceci même dans les descriptions des peines d’amour. Le discours se focalise sur la description des parties du corps de l’aimée, souvent évoquées au moyen d’images visuelles immédiates (soleil, neige, étoiles, ciel, rubis, perles, etc.) sans trop s’appesantir sur les souffrances de l’amant, ni sur des raisonnements trop abstraits. Afin de créer une douce musicalité, les textes n’hésitent pas à répéter fréquemment les mêmes mots, ou les mêmes sonorités, à l’intérieur du poème 361 . On retrouve encore une fois l’esthétique madrigalesque prônée par Strozzi, qui préconise en effet l’usage de « paroles … à la sonorité … agréable et gracieuse » (« parole … di suono … piacevole e gratioso ») et non celles « à la sonorité … âpre, désagréable et trop sonore » (« di suono … aspro, spiacevole, troppo sonante »), ainsi que le choix de matière 358 Voir LARSON Keith, The Unaccompanied Madrigal in Naples, op. cit., vol. 1, p. 398. Le titre de marquis de Vasto ne fut pas transmis à Cesare d’Avalos mais, en sautant une génération, ce fut son fils Iñigo, mort à Vasto, qui en hérita. 359 Les septénaires sont en effet légèrement majoritaires (environ 53%), alors qu’ils ne représentaient que 30% dans le Primo libro a quattro, 13% dans le Primo libr a sei et 35% dans les Madrigali a quattro, cinque et sei voci. 360 « … più d’ogn’altro dilettevole … per la gratia e diletto suo si deve in questo nostro Poema accettare » in STROZZI Giovann Battista, Lettione sopra i Madrigali, op. cit., p. 184, cité in SCHULZ-BUSCHHAUS Ulrich, Das Madrigal, op. cit., p. 116. 361 Voir par exemple le dernier vers de Mentre, mia stella, miri (II.5, n. 11), mille bellezze tue con occhi mille, ou encore Dolci sdegni e dolce ire (II.5, n. 6). Ce procédé est aussi évoqué par Strozzi, qui parle à ce propos de « jeux, de répétitions de paroles et de quelques jeux de mots » (« gli scherzi e le repiche delle parole e alcune fredde allusioni »), in Lettione sopra i Madrigali, op. cit., p. 174, cité in SCHULZ-BUSCHHAUS Ulrich, Das Madrigal, op. cit., p. 118. 184 amoureuse évitant « la mort et autres accidents malheureux, qui sont trop dignes de larmes » (« le morti e gli sventurati accidenti, che troppo son degni di lagrime ») 362 . Le célèbre madrigal du Tasse, Mentre mia stella miri, numéro onze du Secondo libro a cinque, est un exemple particulièrement significatif de ce type de texte, défini par SchulzBuschhaus « madrigal mélique », sur la base de la Lettione de Strozzi : mille. Mentre, mia stella, miri Alors que, mon étoile, tu mires i bei celesti giri, les beaux mouvements célestes, il ciel esser vorrei, je voudrais être le ciel perché tu rivolgessi pour que tu tournes, fiso ne’ lumi miei fixées dans mes yeux, le tue dolci faville, tes douces étincelles, io vagheggiar potessi et que je puisse admirer mille bellezze tue con occhi tes mille beautés avec mille yeux. Comme le note Schulz-Buschhaus 363 à propos de ce madrigal, le Tasse, en évitant de conclure par un distique à rime plate contenant la pointe spirituelle tant attendue dans ce type de composition poétique, s’éloigne délibérément du caractère épigrammatique vers lequel tend la grande majorité de la production madrigalesque de la fin du XVIe siècle. Le reste des textes du recueil penche cependant très nettement vers ce style épigrammatique, caractérisé par ses conclusions pleines de brio (ou, pour reprendre un terme cher aux poètes de l’époque, ses arguties) cherchant à résoudre par des raisonnements spirituels les situations problématiques et paradoxales exposées dans le poème et généralement liées aux danni d’amore (les méfaits 362 STROZZI Giovann Battista, Lettione sopra i Madrigali, op. cit., p. 182, cité in SCHULZ-BUSCHHAUS Ulrich, Das Madrigal, op. cit., p. 115. 363 Schulz-Buschhaus remarque en effet, à propos des rimes conclusives de ce texte : « Une rime plate conclusive, qui pourrait augmenter le brio de l’image poétique et diminuer l’harmonie du melos, est cependant évitée. » (« Ein konklusiver Paarreim, der die Brillanz der Gedankenfigur steigern und die Harmonie des Melos mindern könnte, wird jedoch vermieden », in SCHULZ-BUSCHHAUS Ulrich, Das Madrigal, op. cit., p. 133). 185 364 d’amour) . Le texte suivant offre un bon exemple de ce type de composition épigrammatique 365 : Ben poté fede a pieno farvi, perché, da La foi put bien pleinement me vous combler, car, en me fuyant, mon cœur fuggendo, il core s’en est allé à vous, ô mon céleste feu, a voi sen vien, o mio celeste foco, dei vostri chiari Soli il bel sereno. Ma com’in me senza di lui ha loco ciel beau et serein de vos clairs soleils. Mais comment est possible sans lui la vie, qu’amour le dise, lui pour qui l’on vit dans les autres et l’on meurt en soi-même. la vita, il dica amore, per cui si vive in altri e ’n sé si more! Les textes du Secondo libro de madrigali a cinque voci regorgent de ce type de pointes pleines d’esprit, de ces arguties destinées à provoquer l’émerveillement du lecteur par l’ingéniosité de leurs formulations. Elles sont généralement disposées en distique à rime plate 366 , comme le préconise Strozzi, et font appel aux oxymores ou aux oppositions disposées en pluralités, corrélations, chiasmes et autres procédés rhétoriques recherchés. Les extraits suivants donnent quelques exemples significatifs de ce type de pointes conclusives : II.5, n. 3 364 Ce type de conclusion brillante, souvent un distique à rime plate, est elle aussi évoquée par Strozzi dans sa Lettione : « Infailliblement, les vers conclusifs doivent rimer ensemble, et en outre, être spirituels de concept et (comme disent les latins) piquants. Autrement, la fin serait insipide et froide. Un si petit corpuscule ne peut plaire s’il n’est fait tout de substance et de vivacité. » (« Infallibilmente ha da esser rimata la chiusa, ed oltracciò arguta di concetto e (e come dicono i latini) aculeata. Altrimenti sarebbe insipida fine e fredda. Né può un sì picciolo corpicello aggradare, quando egli non sia tutto sostanza e tutto vivacità. », in STROZZI Giovann Battista, Lettione sopra i Madrigali, op. cit., p. 205, cité in SCHULZ-BUSCHHAUS Ulrich, Das Madrigal, op. cit., p. 119). 365 On notera en outre la structure bipartite de ce texte, caractéristique du madrigal épigrammatique. À ce propos, voir SCHULZ-BUSCHHAUS Ulrich, Das Madrigal, op. cit., p. 164. 366 Seize cas sur vingt-et-un. 186 che, se mi diede nel partir qui, s’il me donna au départ tant de douleur, dolore, dans le retour comble de joie mon cœur. nel ritorno di gioia abonda il core. II.5, n. 7 che fass’in me, sovra ogn’uman efetto, qu’elle fait sur moi, au-delà de tout effet humain, l’amaro dolce e la pena l’amer doux et la peine plaisir. diletto. II.5, n. 18 perch’ella vi desia car celle-ci vous désire o in estremo crudel o in ou extrêmement cruelle ou toute pleine de tutto pia.. pitié. Macque, comme beaucoup de madrigalistes des années 1580, fut certainement séduit par les possibilités musicales offertes par ces petites compositions poétiques qui, en quelques vers, offrent un véritable réservoir d’images visuelles, de contrastes et d’oppositions marquées. Ces textes sont en effet particulièrement adaptés à l’écriture du madrigal, « genre musical concentré sur l’amplification et la mise en évidence des images poétiques, mais inadapté à articuler des discours soutenus et étendus », selon Lorenzo Bianconi 367 . table 26 : textes poétiques du Primo libro de madrigali a quattro voci (Venezia, Vicenti, 1586) 368 incipit f septénaires/ longueur 367 « … genere musicale concentrato sull’amplificazione e l’evidenziazione delle immagini poetiche ma inabile ad articolare discorsi sostenuti e diffusi », in BIANCONI Lorenzo, « Il Cinquecento e il Seicento », op. cit., p. 327. 368 La presque totalité des informations de ces tableaux sont tirées de POMPILIO Angelo, Repertorio della poesia italiana musicata dal 1500 al 1700 (RePIM), op. cit. 187 so age orme ètre hendécasyllabes (en poétique brèves) Là ver’ l’aurora, sì che dolce l’aura/al tempo s extine 36 32 BC DE Francesc 0/36 Canzoni Einaudi, F novo 302 suol movere i AE fiori 1p Tempr ar potessi io in BD C 35 sì soavi note/i miei sospiri FD ch'addolcissen AB l'aura 2p E Quante 33 lagrime, lasso, e quanti CB già FA versi/ho sparto al mio tempo e quante 3p Uomini e Dei vincer D 'n note solea EA CF B 29 per forza/Amor DF come si legge 369 Sont indiquées comme sources poétiques les premières éditions individuelles et collectives (sans les rééditions), précédées de l’éventuelle édition moderne de référence. Le nom de l’auteur du texte est indiqué entre crochets pour les éditions collectives ou bien s’il diffère de l’auteur principal du recueil. 370 Les sources musicales indiquent par ordre chronologique tous les recueils présentant une intonation du même texte (sans les rééditions). Les abrévations ont été utilisées (numéro du livre en chiffres romains suivi de nombre de voix en chiffres arabes, ou premiers mots des titres plus fantaisites) suivis du numéro du Nuovo Vogel (VOGEL Emile, EINSTEIN Alfred, LESURE François, SARTORI Claudio, Bibliografia della musica italiana vocale profana publicata dal 1500 al 1700, nuova edizione aumentata, Pomezia/Genève, Staderini/Minkoff, 1977, ici NV), et du numéro du RISM lorsqu’il existe. 188 P 'n prosa e 'n EB versi 4p A A 26 l’ultimo bisogno, miser o alma/ accampa ogni tuo 'ngegno ogni tua forza 5 p Ridon or per 27 le piagge erbette e fiori/ esser non può che quell'angelica alma 6 p 189 190 Quand o m sorge l’aurora/ridon l'erbette fiori e adrig 7 35 so poétique b 6/1 al i cc C 191 Nel m morir si diparte/l'anim adrig 8 41 so poétique bc 5/3 al a dal suo velo cD E Quel o dolce nodo che mi strinse il core/non sciorrà 192 si per ctave 8 BA B 0/8 43 so poétique tempo né per BC morte C Donna, 0 m quando adrig volgete/i vostri al 9 45 so poétique bBa 5/4 chiari lumi Ac D Crudel, 1 se adrig m’uccidete/pu r m voi 11 35 so poétique abb 6/5 al stessa cD offendete EF F I’ 2 piansi, s or canto, che ’l onnet 14 P 35 BB A Francesc 0/14 Canzoni celeste p. 292 lume/quel vivo sol agli occhi miei non cela BB A 1p Sì 3 DC 31 profondo era e di sì larga vena/il pianger CD mio e sì lungi 193 la riva 2p O 4 m 6 fammi, Amor, adrig abb gioire/o tu mi al cc 28 so poétique 6/0 fa morire Del 5 s mar Tirreno a la sinistra onnet 14 22 BB A Francesc 0/14 Canzoni riva/dove rotte dal p. 90 vento piangon l'onde BB A 1p Solo 6 15 ov’io era tra boschetti DC e colli/vergogna ebbi 194 di me P CD ch'al cor gentile 2p Non 7 veggio, m oimè, quei adrig 5 B 26 B Moscagl 2/5 al leggiadretti cC lumi/come solea ch'ognor mi davan vita Al sol le 8 chiome m adrig avea/sciolte la 9 29 so bBa poétique 6/3 al donna mia dC C Donna, 9 se per amarvi/con m adrig 8 35 so bBa poétique 5/3 al vera e salda C fede D O 0 d’Amor m opre rare/col torme adrig al 8 34 so Bc poétique 5/3 195 da me stesso mi trasforma C Aa Chi 1 m prima il cor adrig mi tolse/ancor al so 6 poétique bAb 3/3 per sé lo tiene C table 27 : textes poétiques du Secondo libro de madrigali a cinque voci (Venezia, Vicenti, 1587) Incipit p a g e s sources or ètr epténai ong me e res/ ueu Source imprimées r h endécas yllabes (en brè ves ) Fuggendo il 1 troppo adr lume/abbassai igal gl'occhi source 8 7 B aucune poétique inconnue 3 /5 in aC quell'intatta neve C D 2 Posso, cor mio, partire/senza farvi morire adr 8 a poétique inconnue 1583 - I a 5, Venezia 6 igal /2 Bc 196 source 8 1585 1656 ; RISM 1587 - C (NV 1539 ; M 1589 - a Anversa (NV 1594 Anversa (NV 1600 virtuosi a 5, 05a/06) 1608 Noribergae ( 1608 2294 ; RISM Felice 3 ritorno/che farà veder mio mi quel source 9 adr 8 Ba aucune poétique inconnue 4 igal /5 vivo sole Cc DD Gelo 4 ha Madonna il seno e fiamma il volto/io son fore ghiaccio TASSO 7 adr 0 ba 4 igal /3 di Cc 1578 - Torquato, Opere, éd. Bruno 296 ; RISM 1 Meier, 1579 - Milano, Rizzoli, vol. 1, 1963, p. 417 1579-1 ; RISM B 1585 - TASSO Torquato, Rime del Signor 460 ; RISM) Torquato 371 Pour un exposé détaillé des différentes éditions de chacune des poésies du Tasse, voir l’édition critique de Solerti (TASSO Torquato, Le rime di Torquato Tasso. Edizione critica sui manoscritti e le antiche stampe, op. cit.). 197 Tasso. Parte prima, 1585 - Venezia, Aldo, 1581 371 525 ; RISM C CASONI Girolamo, 1587 Gioie (NV 1539 ; RI poetiche di madrigali, Venezia, Somascho, 1593 Torquato Tasso 1587 - 2748 ; RISM) 1590 - 775 ; RISM M Ghilranda [sic] dell'aurora, 1590 - scelta di madrigali, 1762 ; RISM Venezia, Ciotti, Giunti et 1609 Torquato Tasso 1593 amorosa a 4, 1594 1153 ; RISM 1594 2932 ; RISM 1596 musicale, Anv 1599 - Venezia (NV 1611 Recreatione a A1120) 1613 - a 5, Genova ( 1616 198 (NV 817 ; RIS 1621 - RISM C2224) Quel 5 ben, source 9 ch’aura adr pietosa/agl'avidi igal 6 bB aucune poétique inconnue 6 /3 occhi aperse dD ca Dolci 6 sdegni e ire/nate source 6 dolci adr bB un igal a da 3 aucune poétique inconnue 4 /2 dolce errore C Di pianto e 7 di lamento/gran tempo e senza source 9 adr igal Bb 6 aucune poétique inconnue 5 A /4 speme i pasco il core dc DD Tra 8 bei dorati adr crini/negletti arte così ad source 8 7 BC aucune poétique inconnue 3 igal /5 vago aB apparse D 9 Quando Madonna guardo/ver source 9 il adr ba me igal B 5 aucune poétique inconnue 5 /4 199 pietoso move dC D 1 0 Prendi, Signor, source 8 vendetta/ adr bcc di quest'empia e igal B 3 aucune poétique inconnue 5 /3 superba dD 1 1 Mentre, mia stella, miri/i bei celesti giri TASSO 8 adr 4 a 7 igal 1573 - Torquato, Opere, op. ; RISM V167 cit., vol. 1, p. 566 /1 1578 TASSO cbd 296 ; RISM 1 Torquato, Rime del Signor D Torquato Tasso. Parte prima, Venezia, Aldo, 1581 1579 Venezia (NV 1580 Venezia (NV Il gareggiamento 1586 - poetico del Confuso (NV 2752 ; RI Accademico, Venezia, Barezzi, 1611 Torquato Tasso 1587 - (NV 1539 ; RI 1588 - (NV 1282 ; RI 1591 - (NV 797 ; RIS 1594 1153 ; RISM 200 1597 - (NV 520 ; RIS 1599 Venezia (NV 1600 1332 ; RISM 1603 - (NV 39 ; RISM 1604 1760 ; RISM 1608 - (NV 2630 ; RI 1610 Anversa (NV 1613 - a 5, Genova ( 1616 - 3, Venezia (N 1630 - villa, Venezia 1 2 Le Ninfe del mar d’Adria, adr BB in igal A così sin’al petto/a dolce source 9 7 aucune poétique inconnue 3 /6 suon s'alzan da l'onda Cd cd 1 3 Io son di neve al Sol, di cera source 8 cta BA 3 1583 - poétique inconnue 201 al foco/che se l'un mi disfa, ve 0 B l'altro a 5, Venezia ( /8 1587 – m'accende (NV 1539 ; RI BC C 1 4 Al fiammegiar de’ adr poétique inconnue /3 Ben Norimberga ( poté fede a pieno/farvi da me source 7 adr igal (NV 1539 ; RI 1604 cB dolcemente gira 1587 - 3 lucenti/che perché 0 bc igal begl’occhi 1 5 source 6 BC 8 aucune poétique inconnue 2 A /5 fuggendo il core bB 1 6 Così soave è ’l foco e dolce il adr nodo/con igal m'incendi che source 6 0 B poétique inconnue 0161 ; RISM 2 /4 Amor 1555 - B con che mi leghi 1539 - RISM 1555-2 1587 - (NV 1539 ; RI C 1 7 Chiara source 7 fontana, intorno/al adr bel seggio d'amore igal 8 bB aucune poétique inconnue 4 /3 Cd D 1 8 Questa vostra pietate/non refrigerio al core TASSO 8 adr 7 bb 6 igal Torquato, Opere, op. 525 ; RISM C cit., vol. 1, p. 397 /2 1586 TASSO 202 1585 - cc Torquato, Rime del Signor 892 ; RISM E Torquato 1587 - Tasso. Parte prima, D Venezia, Aldo, 1581 (NV 1539 ; RI 1587 1956 ; RISM 1591 - (NV 797 ; RIS 1594 1335 ; RISM 1598 - 809 ; RISM D 1600 - Anversa (NVA 1603 Napoli (NV 1 1604 - (NV 1531 ; RI 1610 - Anversa (NVA 1616 - 3, Venezia (N 1616 - (NV 817 ; RIS 1616 Filippo I a 5, 1617 203 1533 ; RISM 1 9 Quando source 8 l’amante parte/da adr l'unico suo bene igal 5 ba aucune poétique inconnue 5 /3 c DD 2 0 Non può source 6 l’alma forzarsi/se adr voi la possedete igal 6 bb aucune poétique inconnue 5 /1 cC 2 1 Quando dal mio bel Sole/m'è forza di partire source 8 adr igal bb 9 aucune poétique inconnue 4 C /4 Cd D table 28 : textes poétiques du Secondo libro de madrigali a sei voci (Venezia, Gardano, 1589) p a g e Incipit v orm ètr e e sources imprimées Sourc TASSO Torquato, Rime 1554 - ers s epténai re/ h endécas yllabe 1 Come 204 sì 8 m’accendete/se adri ab tutto ghiaccio sete gal Bc C 4 /4 et prose del signor Torquato a 5, Venezia Tasso. Parte terza, Venezia, Vasalini, 1583 texte anonyme 372 D 1567 Giulio, III a 16) CASONI Girolamo, Gioie poetiche di madrigali, Venezia, Somascho, 1593 1569 RISM F0001 texte anonyme Il poetico Accademico, 1584 - gareggiamento del 1761 ; RISM Confuso 1585 - Venezia, 0600 ; RISM Barezzi, 1611 texte anonyme 1585 - 0879 ; RISM 1585 2649 ; RISM 1587 Venezia (NV 1589 - (NV 1544 ; R 1590 - (NV 0775 ; R 1593 - Nuova spogli RISM 1593-0 1596 - 372 Voir TASSO Torquato, Le rime di Torquato Tasso. Edizione critica sui manoscritti e le antiche stampe. Bibliografia, op. cit., vol. 1, p. 497 et 508. 205 Venezia (NV 1605 1562 ; RISM 1611 madrigali, Le 1615 Venezia (NV 1616 - (NV 0817 ; R 2 Chi vuol 5 veder un sole/in adri negro velo avolto gal source inconnue bC 2 poétique 1583 - Floridi virtu RISM 1583-1 /3 D 1584 2929 ; RISM 1585 Venezia (NV 1586 - Floridi virtu RISM 1586-0 1589 - (NV 1544 ; R 1590 0299 ; RISM 1593 2323 ; RISM 206 1595 - 1600 - Anversa (NV 1604 - Bernardo, I a 1604 - Napoli (NV 1 1620 3028 ; RISM 1623 2780 ; RISM 1627 - ; RISM Z034 In quei bei 3 crini d'oro/ch'avea la mia al nemica 1 adri Bc gal Ab source poétique aucun inconnue 1 5 C /6 vento sparsi 1p Cc Et 4 ben or se EE il chiaro/tornar non cura e di me ride amore 2p 207 Amatemi 5 ben mio/perché sdegna il mio core TASSO 9 adri bB Torquato, Opere, op. cit., vol. 1, p. 399 1585 0347 ; RISM 6 gal /3 dD TASSO Torquato, Rime et prose del signor Torquato 1585 Venezia (NV Tasso. Parte terza, Venezia, 1586 - Vasalini, 1583 eE (NV 1211 ; R Il gareggiamento poetico del Accademico, Barezzi, Tasso 1611 Confuso Venezia, Torquato 1588 2055 ; RISM 1588 - (NV A1588-0 1589 - (NV 1544 ; R 1589 2460 ; RISM 1591 - (NV 0418 ; R 1591 1665 ; RISM 1594 Anversa (NV 1594 - Napoli (NV 1 1600 Madrigali a H2345) 1605 208 Copenaghen 1606 - Anversa (NV 1608 Hamburg (N 1608 Noribergae 1612 2708 ; RISM 1625 (NV 2499 ; R 1629 (NV 2522 ; R Pur che la 6 dolce vista/amor non mi si toglia 8 adri bC gal C source poétique aucun poétique 1589 - inconnue 5 /3 aD d 7 Pallidette viole/che del vivo mio sole 8 adri source inconnue aB (NV 1544 ; R 5 gal /3 C 1590 Venezia (NV 1604 cb Anversa (NV 209 8 Per divina bellezza indarno 6 onne mira/chi gl'occhi t di costei giamai (ters non vide ines) BA PETRARCA Francesco, Canzoniere, op. cit., p. 215 1547 0469 ; RISM 0 /6 AB 1550 0471 ; RISM 1554 - (NV 0087 ; R 1554 Venezia (NV 1555 madrigali,, V 1557 1434 ; RISM 1559 1435 ; RISM 1559 - (NV 1448 ; R 1559 Venezia (NV 1561 2498 ; RISM 1563 2434 ; RISM 1564 0473 ; RISM 210 1565 1303 ; RISM 1568 0007 ; RISM 1569 - (NV 0557 ; R 1570 - Louvain (NV 1571 - ; RISM V167 1571 – (NV 0759 ; R 1583 Andrea, Har A1583-01 ; R 1588 transalpina, L 1589 - (NV 1544 ; R 1604 - (NV 1579 ; R 1605 2058 ; RISM 1609 Firenze (NV 9 Occhi miei che vedeste/il bel 8 adri Raccolto d'alcune 1574 - piacevoli rime, Parma, Viotto, 211 idolo vostro in gal 4 BA 1582 Battista Guarini v. (NV M050 /4 preda altrui cc GUARINI Battista, Delle 1579 - opere del cavalier Battista 2459 ; RISM Guarini. Tomo secondo nel D quale si contengono le Rime, Verona, Tumermani, 1737 1583 - (NV 1556 ; R 1584 2923 ; RISM 1586 2843 ; RISM 1587 Venezia (NV 1587 - (NV 1055 ; R 1588 (NV 1282 ; R 1589 - (NV 1544 ; R 1590 2897 ; RISM 1590 Venezia (NV 1591 (NV 0388 ; R 1591 - (NV 0580 ; R 1591 212 Orazio, La r RISM 1591-2 1593 2573 ; RISM 1601 madrigali, An 1602 a 3, Venezia 1603 2356 ; RISM 1604 Orfeo, Scielt 1604-11) 1605 - ; RISM C221 1606 Venezia (NV 1609 (NV 2020 ; R 1613 Venezia (NV 1613 - Londra (NV 1624 (NV 2772 ; R 1633 213 Venezia (NV 1 0 La mia leggiadra e candida 1 alla BB de Ac angioletta/cantan Dd do a par de le E sirene BEMBO Pietro, Gli Asolani e le rime, éd. Carlo 5 Dionisotti-Casalone, 5 Torino, 1589 - (NV 1544 ; R UTET, 1932, p. 171 /10 antiche 1p Intona cFf cA 1 1 intona E 1569 A già (NV 0738 ; R dicevo io meco o 1580 stelle o dei/o soave Venezia (NV concento 2p 1569 (NV 1746 ; R 1 2 Stavasi il 7 mio bel sole al sol adri bA assiso/che gal C par dC 1554 - et prose del signor Torquato 3 /4 altri non trova TASSO Torquato, Rime Tasso. Parte terza, Venezia, Vasalini, Giovan 1583 Battista Strozzi 373 STROZZI nezia 1554 Venezia (NV Giovan 1559 - Battista, Madrigali, Firenze, 0859 ; RISM Sermatelli, 1593 1567 Il poetico Accademico, 373 Ibid., p. XVI. 214 gareggiamento del Confuso Venezia, Giulio, III a 1567-16) Barezzi, 1611 Giovan 1567 BONAGIUNTA Battista Strozzi A1567-06) 1575 2839 ; RISM 1583 - Li amorosi a RISM 1583-1 1584 (NV 1761 ; R 1585 (NV 2649 ; R 1586 gaudio I a 3, 12) 1587 (NV 2531 ; R 1589 - (NV 1544 ; R 1590 - (NV 0775 ; R 1 3 Al tuo vago pallore/la rosa il pregio cede 9 adri bB TASSO 1583 Torquato, Opere, op. cit., vol. 1, p. 615 (NV 2531 ; R 5 gal /4 cC TASSO Torquato, Rime 1586 - del Signor Torquato Tasso. (NV 0772 ; R Parte prima, Venezia, Aldo, 1589 215 DD (NV 1544 ; R 1581 Ghirlanda dell'aurora, 1594 - scelta di madrigali, Venezia, 1335 ; RISM 1609 Torquato Tasso Il poetico gareggiamento del (NV 2495 ; R Confuso Accademico, Barezzo 1598 Venezia, Barezzi, 1611 1616 - (NV 0828 ; R Torquato Tasso 1 4 Già fu mia 8 dolce speme/assai adri debile e lenta gal bB TASSO Torquato, Opere, op. cit., vol. 1, p. 420 1585 0347 ; RISM 5 TASSO Torquato, Rime 1587 - cC et prose del signor Torquato (NV 0929 ; R cD Tasso. Parte terza, Venezia, D Vasalini, 1583 /3 1588 transalpina, Il poetico gareggiamento del Accademico, Barezzo Confuso Venezia, Barezzi, Torquato Tasso 29) 1611 1589 - (NV 1544 ; R 1590 3, Venezia ( 1591 - (NV 0797 ; R 1591 0807 ; RISM 1601 madrigali, An 216 1604 - Anversa (NV 1 5 Luci vaghe e serene/in quel ponto ch'al cor a source 9 adri gal Bb poétique aucun poétique aucun inconnue 7 A /2 mill'a mille 1p dce 1 6 Amor e di speme privo/devria nato morire 2p 1 7 Allor ch'a' bei coralli/e alle adri inconnue bC 5 gal vermiglie rose source 7 /2 cd D 1 8 1 Son questi quei begl'occhi in onne BB cui mirando/senza t A 1 9 Pietro, Gli Intona Asolani e le rime, op. cit., 4 1550 - p. 174 0 difesa far perdei /14 me stesso 1p BEMBO 0471 ; RISM I fiori delle rime de BB poeti illustri, Venezia, Sessa A fratelli, 1558 Pietro Bembo 1589 - (NV 1544 ; R Parmi veder ne la tua fronte amore/tener DC Intona suo maggior seggio, e d’una parte 2p 1566 CD 2438 ; RISM 1571 (NV 2189 ; R 217 2 0 Se invidia nol consente/or adri come il gal fer le Rime et versi in lode 1554 - della ill.ma et ecc.ma s.ra 1183 ; RISM 6 bB 3 /3 stelle Giovanna Castriota Carafa, 1585 - Vico Equense, Cacchi, 1585 CC Lisabetta Aiutami Cristo 2529 ; RISM 1589 - (NV 1544 ; R 2 1 Or nel candido adri BC seno/bianco gal bD ligustro or source 8 C poétique inconnue 3 /5 vermiglietta rosa E Madrigal et style hybride Considérations générales Après avoir goûté, dans ses Madrigaletti et napolitane, à la tendance la moins sophistiquée du style hybride, Macque retourne à une écriture plus adaptée au genre madrigal dans ses deux nouveaux recueils. Le compositeur renonce évidemment au style très majoritairement homophone qui caractérisait ses Madrigaletti et napolitane pour revenir à des proportions plus équilibrées (voir infra, table 29). On constate cependant que les techniques imitatives sont moins prépondérantes que dans les madrigaux de 1579 374 et ne concernent plus qu’approximativement la moitié des phrases. Elles cèdent la place aux textures homophones, mais surtout aux techniques intermédiaires, à mi-chemin entre l’homophonie et l’imitation. table 29 : évolution de l’utilisation des textures (a456-II.5) 374 Il est difficile de réaliser de telles statistiques avec le Primo libro de madrigali a sei voci de 1576 car le compositeur ne se fixe en général pas sur une technique bien déterminée mais passe librement du contrepoint libre à l’homophonie au cours de la phrase. On notera juste le très faible nombre de passages en homophonie rythmique et en homophonie parfaite. 218 aucun imitation/contrepoint homophonie formes mixtes a456 68% 28% 4% MN1 31% 61% 8% MN2 37% 63% 10% I.4 52% 35% 13% II.5 51% 39% 10% La plupart des passages homophones sont de type déclamatif, mais les techniques d’homophonie rythmique (sections accordales utilisant les fuses déclamées) sont aussi beaucoup plus présentes que dans les premiers recueils, particulièrement dans le Primo libro a quattro voci : table 30 : évolution de l’utilisation des textures homophones (a456-II.5) homophonie rythmique homophonie déclamative a456 11% 89% MN1 69% 31% MN2 64% 36% I.4 30% 70% II.5 19% 21% Ces chiffres quelque peu arides sont le reflet de partis pris stylistiques allant dans le sens d’un allègement de l’écriture et sont caractéristiques du style hybride qui domine la scène musicale dans ce milieu des années 1580. Les choix modaux du compositeur répondent globalement au même souci de légèreté et de clarté (voir infra, table 31, p. 219). Macque privilégie en effet largement les modes aux ethos les plus positifs, les plus adaptés à l’expression d’affects doux, amoureux ou pastoraux. table 31 : I.4 et II.5, choix modaux 219 Type {ré/§/c1} {ré/§/g2} {mi/§/c1} {mi/§/g2} {fa/b/c1} {fa/b/g2} {sol/§/c1} {sol/§/g2} {so tonal Recueil I.4 --- --- 1 --- 2 7 3 2 3 II.5 --- --- --- --- 3 1 3 3 2 Total --- --- 1 --- 5 8 6 3 5 table 32: I.4, II.5, classement modal des pièces I.4 II.5 1. Là ver’ 1. l’aurora, che sì dolce Fuggen troppo lume l’aura 1p 2. Temprar 2. potess’io in sì soavi Posso, partire note 2p 3. Quante lagrime, 3. lasso, e quanti versi 3p 4. Uomini e Dei Felice ritorno {fa/b/g2} 4. Gelo solea vincer per forza Madonna 4p fiamma il volt 5. A l’ultimo 5. bisogno, o miser alma il Quel ch’aura pieto 5 p 6. Ridon or per le 6. piagge erbette e fiori Dolci dolci ire 6 p 7. Quando sorge {fa/b/g2} 7. lamento l’aurora 8. Nel morir si {sol/§/c1} 8. diparte 9. Quel Tra b crini dolce nodo che mi strinse il 220 Di pia {sol/§/c1} 9. Quand Madonna il gu core 10. Donna, quando {sol/§/c1} 10. volgete 11. vendetta Crudel, se {sol/b/c1} 11. m’uccidete 12. I’ piansi, or lume 1p 12. {sol/b/c1} 13. e di sì larga vena 2p O fammi, {la/§/c1} 14. Al f de’ begl’occhi Del mar 15. Tirreno a la sinistra riva 1p 16. Io son Sol, di cera al Amor, gioire 15. Le Nin d’Adria, in sin Sì profondo era 14. Mentr stella, miri canto, che ’l celeste 13. Prendi Solo ov’io era Ben p pieno {la/§/c1} 16. tra boschetti e colli Così s foco e dolce il 2p 17. Non veggio, {sol/§/g2} 17. oimè, quei leggiadretti Chiara intorno lumi 18. Al sol le {sol/§/g2} 18. pietate chiome avea 19. Donna, se per {fa/b/c1} 19. amarvi 20. O d’Amor opre Quand parte {fa/b/c1} 20. rare 21. Questa Non p forzarsi Chi prima il cor mi tolse {mi/§/c1} 21. Quand bel Sole Les modes 11 et 12 dans leur forme naturelle ({do/§/c1}, {do/§/g2}), mais surtout dans leur forme transposée ({fa/b/c1} et {fa/b/g2}) sont les plus utilisés (quinze pièces au total, en 221 comptant comme une entité les différentes parties de la sextine et des sonnets) 375 . Pour Zarlino, le mode 11 est adapté aux danses (atto alle danze e a i balli 376 ) et la forme plagale, quoique originairement adaptée aux arguments tristes (cose lamentevoli), est indispensable au « compositeur qui désire faire quelque mélodie allègre » (« compositore che desidera di fare alcuna cantilena che sia allegra ») 377 . Dans le même esprit, les modes 7 et 8 non transposés sont très souvent employés (neuf pièces au total). La forme authente convient, selon Zarlino, aux « paroles ou matières lascives » (« parole, o materie che siano lascive ») et la forme plagale a pour lui « une suavité naturelle et une grande douceur, qui remplit d’allégresse l’âme des auditeurs, dans un mélange de joie et de douceur » (« una certa naturale soavità, e dolcezza abondante che riempe di allegrezza gli animi de gli ascoltanti, con somma giocondità e soavità mista ») 378 . De l’autre côté du spectre, le mode de mi (mode 3 et 4) n’est utilisé qu’une unique fois, dans sa forme authente, dans le dernier madrigal du Primo libro a quattro, dont l’expressivité, on le verra, fait figure d’exception dans les deux recueils 379 . Macque lui préfère les modes 9 et 10 (six numéros en tout) qui, selon Zarlino, sont étroitement associés aux modes 3 et 4. Cependant, l’ethos sombre et, selon Vecchi, « apte aux paroles plaintives et menaçantes » (« atto alle parole flebili, et minaciose ») 380 du mode 10, dont le potentiel expressif est clairement exploité par Macque dans ses Ricercari sui dodici toni 381 , ne se retrouve pas réellement dans les madrigaux discutés ici. C’est plutôt la version authente du même mode (mode 9) qui peut se teinter parfois d’un caractère grave, même si Zarlino le considérait aussi apte à l’expression des « matières allègres, douces, suaves et sonores » (« materie allegre, dolci, soavi e sonore »). 375 À la même époque, on retrouve la même tendance chez Giovannelli, alors que Marenzio utilise en proportions égales la forme naturelle et la forme transposée (voir NEWCOMB Anthony, « Marenzio and the “nuova aria e grata all’orecchie », op. cit., p. 64-65). 376 Toutes les citations sur l’ethos des modes selon Zarlino sont extraites du chapitre « Della Natura, o proprietà delli Modi. Capitolo 5 » du quatrième livre des Istitutioni harmoniche (p. 301-304). 377 Cette opinion est globalement partagée par Orazio Vecchi, qui déclare le mode 11 « apte aux sujets dansants et gais » (« atto a soggetti danzevoli e giocosi »), et le mode 12 « apte aux paroles victorieuses et triomphantes » (« atto alle parole Vittoriose, et Trionfanti »). Voir VECCHI Orazio, Mostra delli tuoni della musica, Bologna, Civico museo bibliografico musicale, Ms. C 30, fol. 22. 378 Pour Vecchi, les modes 7 et 8 sont respectivement aptes aux « paroles lascives et amoureuses (« parole lascive, et amorose ») et aux « paroles suaves et pleines de douceur » (« parole soavi et piene di dolcezza »), voir Mostra delli tuoni della musica, op. cit., fol. 22. 379 Giovannelli, l’un des hérauts du style hybride, n’écrira pas un seul madrigal en mode de mi à la même période (voir NEWCOMB Anthony, « Marenzio and the “nuova aria e grata all’orecchie », op. cit., p. 65). 380 VECCHI Orazio, Mostra delli tuoni della musica, op. cit., p. 22. 381 Voir MACQUE Giovanni de, Ricercari sui dodici toni, opere complete per strumenti a tastiera, op. cit., p. 30. 222 Le mode de ré (mode 1 et 2) dans sa forme naturelle ({ré/§/c1}, {ré/§/g2}), dont on trouvait encore quelques exemples dans les recueils précédents, est totalement abandonné au profit de sa transposition sur sol ({sol/b/c1}, {sol/b/g2}) (neuf pièces au total). Selon Diruta, cette transposition vers l’aigu, très fréquentée par les madrigalistes 382 , fait perdre au mode plagal le caractère triste et grave qui caractérise au contraire sa version non transposée 383 . Quant à la forme authente, elle fait partie de ces modes mixtes dont il est délicat de définir un ethos particulier – Zarlino parle à son propos d’« un certain effet à mi-chemin entre la tristesse et l’allégresse » (« un certo mezano effetto tra il mesto e lo allegro »). Malgré cette orientation plutôt positive des modes, Macque ne favorise pas particulièrement le système de clés hautes (chiavette) qui prédomine chez certains auteurs de la même période (notamment chez Giovannelli) 384 . Cette relative indifférence pour la couleur brillante des voix aiguës se reflète aussi dans le choix de la tessiture du quinto dans le Secondo libro a cinque. Ce dernier se répartit en effet de manière à peu près équilibrée entre la tessiture de tenore (six pièces), celle du canto (neuf pièces) et celle de l’alto (cinq pièces) 385 . À la même période, certains auteurs (Wert, Monte, Monteverdi, Dragoni, par exemple) 386 auront une préférence beaucoup plus marquée pour les voix féminines aiguës. Macque se rapproche en ceci des choix de Marenzio qui, dans ses premiers recueils à cinq voix, donne une importance égale aux quinto-tenore et aux quinto-canto 387 . Le caractère léger de ces madrigaux se reflète aussi dans certains détails d’écriture. Macque continue à faire usage d’imitations monoaccordales et biaccordales dans ces deux nouveaux recueils. Le compositeur, rappelons-le, avait commencé à utiliser ce procédé dans les madrigaux à six voix du recueil de 1579, et l’avait répandu dans ses Madrigaletti et napolitane. Macque revient ici à une utilisation moins systématique de ce procédé peu artificioso. Cette technique est cependant disséminée un peu partout dans les recueils puisqu’elle gagne jusqu’à certaines intonations de textes de Pétrarque, préférant tout de même la teneur globalement plus légère du Secondo libro a cinque (trente-trois passages en 382 Encore une fois, on retrouve la même tendance chez Marenzio et surtout chez Giovannelli qui utilise la forme transposée des modes 1 et 2 cinq fois plus que leur forme naturelle. 383 Voir DIRUTA Girolamo, « Discorso sopra le modulationi delli toni », Il transilvano. Dialogo sopra il vero modo di sonar, Venezia, Vincenti, 1625, troisième partie, p. 11. 384 Voir DEFORD Ruth, Giovannelli and the Madrigal in Rome, op. cit., p. 34-35 et NEWCOMB Anthony, « Marenzio and the “nuova aria e grata all’orecchie », op. cit., p. 64-65. 385 Le choix de la tessiture des voix ne semble pas entièrement lié au caractère des pièces. En effet, si les madrigaux les plus sombres, composés en mode 9, doublent tous la partie de ténor, le quinto-tenore peut être aussi utilisé dans des pièces plus légères (voir notamment Le Ninfe del mar d’Adria, II.5, n. 12). 386 Voir CHATER James, Luca Marenzio and the Italian Madrigal, op. cit., p. 39. 387 Ibid. 223 imitation mono ou biaccordale au total) à celle du Primo libro a quattro (douze occurrences en tout). Macque généralise aussi l’usage des fuses déclamées, utilisées de manière à la fois plus fréquente et plus exposée que dans les Madrigali a quattro, cinque et sei voci de 1579. En effet, alors que, comme l’a noté Ruth DeFord, la plupart des exordes des madrigaux de 1576 et 1579 commençaient par le rythme 388 , dans le Secondo libro a cinque, Macque privilégie très nettement le rythme (ou ) pour initier ses pièces, (voir infra, table 9, p. 224) – on ne constate cependant pas la même tendance dans le Primo libro a quattro, dont les exordes sont beaucoup plus variés. Ce motif récurrent donne à ces premières mesures un caractère léger et sautillant typique du style hybride des années 1580. Certains exordes utilisent aussi des textures homophones écrites dans l’esprit des genres légers (voir tout particulièrement les premières mesures de Posso, cor mio, partir, sur le modèle de déclamation , ou celles de Tra bei dorati crini et de Questa vostra pietate, sur le rythme trochaïque ). table 33 : motifs placés en exorde (II.5) De plus, les motifs en fuses déclamées consécutives, très présents dans les Madrigaletti et napolitane, mais quasiment absents des recueils précédents, font désormais partie intégrante du langage de Macque, à quatre comme à cinq voix. exemple musical 25 : Le Ninfe del mar d’Adria (II.5, n. 12, brèves 26-27) 388 Voir DEFORD Ruth, Giovannelli and the Madrigal in Rome, op. cit., p. 177. 224 Les fuses vocalisées, en revanche, occupent une place moindre par rapport au Madrigali a quattro, cinque et sei voci, qui reste le recueil le plus vocalisant de toute la production de Macque 389 . Les vocalises ne disparaissent pas pour autant de ces deux nouveaux recueils, mais se limitent généralement à des petites cellules très stéréotypées de quatre ou, dans quelques cas, huit fuses, disposées sur les mots-clés. Macque est apparemment plus tenté par la veine légère du madrigal, que par le style virtuose et luxuriant, même si quelques madrigaux dérogent à cette tendance 390 . Le compositeur – qui, on le rappelle, avait participé aux anthologies ferraraises en l’honneur de la chanteuse de duc de Ferrare Laura Peverara – s’adapte sans doute aux interprètes auxquels il s’adressait, Naples étant encore relativement isolé des petites cours du nord de l’Italie et de leurs ridotti virtuoses en ce milieu des années 1580 391 . Dans ces deux nouveaux recueils, Macque ne change donc pas radicalement son style madrigalesque, mais accentue fortement les tendances déjà observées dans les Madrigali a quattro, cinque et sei voci de 1579, tout en revenant à une écriture plus travaillée que celle des Madrigaletti et napolitane. En ceci, le compositeur ne se démarque pas de ses contemporains, qui adoptèrent massivement le style hybride à partir des années 1580 392 , style qui, en termes quantitatifs, continuera à dominer le répertoire madrigalesque jusqu’à la fin du XVIe siècle. 389 Le total des vers comportant des vocalises s’élève à 59 dans les Madrigali a quattro, cinque et sei voci contre 45 dans le Primo libro a quattro et 22 dans le Secondo libro a cinque. 390 Voir notamment Quel dolce nodo (I.4, n. 9) ou la péroraison de Dolci sdegni e dolci ire (II.5, n. 9). 391 À ce propos voir NEWCOMB Anthony, The madrigal at Ferrara, op. cit., p. 53-89. 392 Sur le style hybride et le style luxuriant voir NEWCOMB Anthony, « Madrigal, §II, 8: Italy: 16th century: The 1580s' », Grove Music Online, http://www.grovemusic.com/shared/views/article.html?section=music.40075.2.8, page consultée le 5 mai 2007. 225 Registres poétiques et déclinaison des styles Ces observations d’ordre très général ne permettent cependant pas de saisir les variations et les nuances stylistiques qui caractérisent les différentes pièces prises dans leur individualité, reflet des différentes typologies textuelles présentes dans les deux recueils. Comme l’a récemment noté Cecilia Luzzi dans sa monographie sur Philippe de Monte, certains madrigalistes démontrent avoir très clairement conscience d’une « hiérarchie de techniques, de topoi, convenant à certaines formes et à certains registres stylistiques, constituant une grille de départ, une structure mentale guidant les choix musicaux sur le principe d’une adéquation au contenu et à la forme de la poésie » 393 . Les choix poétiques des deux recueils étudiés ici, on l’a vu, présentent une gamme de registres stylistiques et de formes assez vaste, quoique penchant tendanciellement vers des thématiques plutôt légères. Les textes vont du petit madrigal épigrammatique anonyme aux rimes de Pétrarque, sextine et sonnets, en passant par des formes intermédiaires. Les différentes attitudes du compositeur face à cette diversité poétique peuvent être mis en évidence par l’examen et la comparaison des procédés d’écriture de certains madrigaux isolés. On remarque tout d’abord que Macque tend à éviter les caractéristiques stylistiques de la canzonetta pour l’intonation des vers pétrarquéens, et ceci tout particulièrement dans la sextine Là ver’ l’aurora. Dans ce grand cycle de madrigaux, la texture, très majoritairement contrapuntique, n’est presque jamais parfaitement homophone et accordale. Les passages verticaux présentent en effet quasiment toujours un petit travail contrapuntique et évitent systématiquement les rythmes de déclamation de la canzonetta tels qu’on les trouvait abondamment dans les Madrigaletti et napolitane. Les exordes imitatifs sont généralement en notes blanches, favorisant les soggetti plutôt fluides et étalés. Le discours sait aussi s’animer pour répondre aux évocations pastorales du texte, mais l’on remarque que, jusqu’à la dernière pièce conçue comme un final brillant et animé, l’emploi des fuses déclamées reste très contenu par rapport aux autres numéros, se limitant à la cellule rythmique q. e. La particularité de ce type d’écriture se perçoit lorsque l’on compare l’intonation de la sextine avec celle de Quando sorge l’aurora, petit texte anonyme déjà mis en musique par Macque 393 « … una gerarchia delle tecniche, dei topoi convenienti a certe forme e a certi registri stilistici poetici, che costituiscono una griglia di partenza, una struttura mentale che guida le scelte musicali in base alla proporzionata “convenienza” con i contenuti e la forma della poesia. », in LUZZI Cecilia, Poesia e musica nei madrigali a cinque di Filippo di Monte, op. cit., p. 11. 226 dans son Secondo libro de madrigaletti et napolitane 394 . Les deux premiers vers de ce madrigal, placé juste après la sextine dans le recueil et écrit dans le même mode qu’elle, semblent faire écho au texte de Pétrarque : Quando sorge l’aurora 395 Ridon l’erbette e i fiori 397 Là ver’ l’aurora, che sì dolce l’aura (vers 1 de la sextine) 396 Ridon or per le piagge erbette e fiori (vers 35 de la sextine) 398 Placée à cet endroit, la pièce s’entend comme une réponse légère à la sextine qui la précède. La différence d’écriture est cependant tout à fait nette, et se note dès les premières mesures. Dans ces dernières, Macque opte pour un soggetto beaucoup plus court que ceux des exordes de la sextine, scindé en deux parties, mettant très nettement en valeur le rythme de canzonetta . Cette animation ne se limite pas à l’exorde puisque la presque totalité des soggetti font usage de fuses déclamées, jusqu’à quatre fuses consécutives (brève quinze). D’autre part, le seul passage homophone de ce madrigal (E i pargoletti amori) est construit sur le modèle rythmique déclamatif , (absent, on le rappelle, de la sextine de Pétrarque), qui renvoie au répertoire léger. Cependant, si Macque s’adapte au registre stylistique du texte poétique, il cherche aussi ici à ne pas « descendre » au-dessous d’un certain degré d’artificiosità – qui est celui qu’il considère le plus adapté au genre madrigal. La comparaison de cette lecture musicale du texte, avec celle du Secondo libro de madrigaletti et napolitane est à ce propos tout à fait révélatrice. Même si ce madrigaletto était l’un des plus élaborés du recueil de 1582, la version du Primo libro a quattro présente un travail contrapuntique nettement plus sophistiqué, qui reprend cependant une partie du matériau motivique de la première version. Retournée à un contexte madrigalesque, la teneur légère de ce texte n’empêche absolument pas le compositeur d’utiliser une écriture contrapuntique beaucoup plus recherchée que dans sa première intonation (voir infra, table 34, p. 228, pour le détail des techniques 394 Voir la transcription des deux versions en annexes. Quand l’aurore pointe 396 Là, vers l’aurore, qu’une si douce brise 397 Les petites herbes et les fleurs rient 398 Les petites herbes et les fleurs rient de par les champs. 395 227 contrapuntiques utilisées). Le caractère fluide de l’écriture, accentué par les très nombreux tuilages et par le faible nombre de cadences nettement articulées, renforce encore le contraste entre les deux versions. Macque, dans ce madrigal, trouve un équilibre entre le caractère léger du texte poétique et une certaine recherche d’écriture. Cet équilibre n’est d’ailleurs pas exactement le même que celui de la version du même texte par Marenzio, parue quelques années auparavant dans son Secondo libro de madrigali a cinque voci (Venezia, Gardano, 1581) 399 . Même si Macque s’est probablement inspiré très largement de l’intonation de son ancien collègue romain, notamment dans le choix des techniques et des motifs, il est tout à fait clair qu’il souhaitait conserver une certaine complexité contrapuntique absente chez Marenzio. Ce dernier propose en effet une version plus homophone (voir infra, table 34, p. 228) et faisant moins recours aux superpositions et aux combinaisons motiviques (notamment dans la péroraison). Même si Macque reprend le contour de certains soggetti de la version de Marenzio (voir infra, table 35, p. 229), il s’éloigne aussi sensiblement de la clarté et simplicité harmonique obtenue par Marenzio grâce à de nombreuses imitations monoaccordales et biaccordales 400 . Le madrigal de Macque a au contraire un rythme harmonique beaucoup plus aléatoire et moins systématique. Ses sections sont aussi moins clairement définies car, contrairement à Marenzio, Macque fuit presque systématiquement la cadence. table 34 : comparaison des techniques contrapuntiques de trois versions de Quando sorge l’aurora (Macque MN2 et I.4, Marenzio II.5) 401 Macque Macque I.4 MN2 Quando II.5 imitation sorge l’aurora, Marenzio simple imitation à double sujet imitation monoaccordale à double sujet ridon imitation l’erbette e i fiori simple imitation à double sujet imitation biaccordale à double sujet e 399 i homophonie homophonie homophonie Transcription du madrigal in MARENZIO Luca, Madrigale für fünf Stimmen, Buch I-III, éd. Alfred Einstein, Hildesheim, Olms, 1967, p. 57-58. 400 Pour une définition de ces termes, voir supra, p. 117 et suivantes. 401 Voir transcription des pièces de Macque en annexes. 228 pargoletti amori rythmique sur rythme B van con le Ninfe intorno rythmique sur rythme A imitation rythmique rythme A imitation simple sur homophonie doublée à la tierce rythmique sur rythme B al mio bel sole adorno, homophonie rythmique sur imitation technique simple mixte rythme A scherzando ad or ad ora, imitation imitation biaccordale par imitation mouvement biaccordale contraire onde la homophonie terra e ’l ciel se rythmique n’inamora 402 . rythme D sur imitation à double sujet déclamation imparfaite (superposition textuelle doublure et à la tierce du premier sujet) table 35 : concordances motiviques entre les deux versions de Quando sorge l’aurora par Macque et Marenzio 402 Voir traduction en annexes. 229 Néanmoins, le compositeur sait aussi parfois se rapprocher d’une écriture plus simple et directe. La pièce la moins artificiosa des deux recueils est sans doute Posso, cor mio, partire (II.5, n. 2), que Marenzio musiqua également dans son Terzo libro de madrigali a sei voci (Venezia, Gardano, 1585). La version du Franco-flamand – qui en réalité est antérieure à celle de Marenzio puisqu’elle fut publiée pour la première fois en 1583 dans l’anthologie De Floridi virtuosi d’Italia – n’a rien à envier à la légèreté et la clarté de celle de Marenzio. Cette dernière se rapproche d’ailleurs par bien des aspects de celle de Macque. Le texte de ce madrigal se distingue par sa forme très particulière, qui joint à une certaine liberté formelle madrigalesque une structure répétitive qui rappelle la forme couplet-refrain des anciennes villanelles. Le texte reprend en effet en conclusion les premiers vers du poème : 230 Posso, cor mio, partire Puis-je, mon cœur, partir senza farvi morire? sans vous faire mourir ? Ch’amor, giusto Signore, Puisqu’Amour, juste Seigneur, vuol che se meco porto il vostro core, veut que j’emporte avec moi votre cœur, con voi ne resti il mio, qu’avec vous reste le mien, onde non morirem né voi ned nous ne mourrons ainsi ni io. vous ni moi. Posso dunque partire Je peux donc partir senza farvi morire. sans vous faire mourir. C’est probablement en réponse à cette structure poétique tout à fait inusuelle que Macque décide de musiquer le texte de manière très homophone, en utilisant largement les modèles de déclamation rythmique de la canzonetta. Peu de concessions sont faites à l’artificiosità dans cette pièce. Macque répète presque littéralement la première section à la fin de la pièce – fait rare dans le madrigal – et insère une longue imitation biaccordale au milieu du madrigal sur les mots né voi ned io. La plupart de ses choix de texture seront repris par Marenzio, ainsi que certains motifs 403 . Ce style très proche de la canzonetta se retrouve dans O fammi, Amor, gioire, numéro 14 du Primo libro a quattro 404 . En écho au texte poétique, dont le schéma métrique composé entièrement de septénaires à rimes plates (aabbcc) pourrait convenir à une strophe de canzonetta, Macque propose une intonation qui fait clairement référence aux techniques du répertoire léger. Le compositeur utilise en effet le même schéma prosodique (rythme A) pour l’intonation de la moitié du poème, allant jusqu’à répéter trois fois de suite le dernier vers, exactement comme il l’aurait fait dans les Madrigaletti et napolitane. 403 Transcription du madrigal in MARENZIO Luca, Third and fourth books of madrigals for 6 voices in Opera omnia, éd. Bernhard Meier et Roland Jackson, Neuhausen-Stuttgart, AIM, Hänssler, 1976, vol. 5, p. 49-51. 404 Voir transcription en annexes. 231 O fammi, amor, gioire imitation o tu mi fa’ morire, imitation però che senza gioia déclamation rythmique sur rythme A il meglio è ch’io mi muoia, déclamation rythmique sur rythme A però che senza gioia déclamation rythmique sur rythme A il meglio è ch’io mi muoia: déclamation rythmique sur rythme A ché quel che a morte mena, imitation ché quel che a morte mena, augmentation rythmique de la phrase précédente trarammi almen di pena, déclamation rythmique sur rythme A trarammi almen di pena, déclamation rythmique sur rythme A trarammi almen di pena, déclamation rythmique sur rythme A ché quel che a morte mena, transposition de la première énonciation en augmentation trarammi almen di pena, déclamation rythmique sur rythme A trarammi almen di pena, déclamation rythmique sur rythme A trarammi almen pena. 405 di déclamation rythmique sur rythme A en augmentation L’emprunt à l’univers des genres légers est parfaitement lisible, même si encore une fois, Macque ne renonce pas à un certain travail contrapuntique pour l’intonation du vers ché quel che a morte mena, traité en augmentation, puis transposé à la seconde inférieure lors de la répétition. Il serait cependant faux de prétendre que ce type de déclamation vive et rythmique n’est circonscrite qu’aux textes les plus légers. Celle-ci peut se retrouver aussi dans l’intonation des rimes de Pétrarque mais teintée d’une inventivité et d’une souplesse rythmique dont on ne trouve pas l’équivalent dans les pièces que nous venons d’évoquer. Sur l’ensemble des poésies de Pétrarque, seule la seconde partie du sonnet Del mar Tirreno a la sinistra riva, Solo ov’io tra boschetti e colli (I.4, n. 16) exploite véritablement les possibilités d’une déclamation homophone sur fuses déclamées. Mais, alors que Macque, on l’a vu, répondait à la simplicité métrique et formelle de Fammi, amore, gioire par une totale standardisation rythmique des passages homophones, le 405 Voir traduction en annexes. 232 compositeur cherche manifestement à se démarquer de ces schémas lorsqu’il se confronte aux vers de Pétrarque. La prosodie se fait alors beaucoup plus recherchée, décalant les accents toniques des appuis rythmiques habituels : exemple musical 26 : Solo ov’io era tra boschetti e colli (I.4, n. 16, brèves 6) ou bien s’éloignant des rythmes de déclamation les plus usuels : exemple musical 27 : Solo ov’io era tra boschetti e colli (I.4, n. 16, brèves 8-9) et 10. De même, l’exorde de cette pièce, construit sur un soggetto scindé en deux motifs contrastés, l’un en notes blanches, l’autre en fuses déclamées, diffère de l’utilisation habituelle de ce type de technique. L’animation rythmique qui caractérise ces premières mesures se justifie par le tableau bucolique dépeint dans ces vers, à travers l’évocation des bois et des collines (boschetti e colli). Mais, alors que, comme l’a noté Ruth DeFord dans son étude sur l’évolution rythmique de la musique vocale italienne de la fin du XVIe siècle 406 , ce type de motif en fuses déclamées entraîne généralement une régularité rythmique proche de nos carrures modernes, l’exorde de Solo ov’io era tra boschetti e colli évite une coïncidence trop marquée entre appuis rythmiques et accents toniques ainsi qu’une régularité trop évidente. Les accents toniques principaux de ce morceau de vers, le ‘e’ de boschetti et le ‘o’ de colli, sont en effet placés tantôt sur la première partie de la minime, tantôt sur la seconde, créant ainsi une riche polyphonie rythmique : 406 DEFORD Ruth, « The Evolution of Rhythmic Style in Italian Secular Music of the Late Sixteenth Century », op. cit., p. 43-73. 233 exemple musical 28 : Solo ov’io era tra boschetti e colli (I.4, n. 16, brèves 1-2) Il ne s’agit pas là d’un hasard puisque Macque réitère exactement le même type de procédé dans la péroraison : exemple musical 29 : Solo ov’io era tra boschetti e colli (I.4, n. 16, brèves 11-12) Pour mesurer la particularité de ces passages, il suffit de comparer l’exorde de ce madrigal avec celui de Non veggio, oimè, quei leggiadretti lumi qui vient juste après dans le même recueil. Dans ce madrigal, les fuses sont disposées de manière parfaitement régulière, par groupe de quatre, procédé qui accentue la division de la brève en autant de minimes. exemple musical 30 : Non veggio, oimè, quei leggiadretti lumi (I.4, n. 17, brèves 1-4) Macque fait donc preuve d’une certaine sensibilité poétique dans ses intonations et sait adapter son écriture au registre et au style des textes. Le compositeur évite ou revisite en effet les topoi du madrigal léger lorsqu’il se confronte aux textes de Pétrarque, même lorsque ceux234 ci tendent vers une évidente piacevolezza. Dans les textes de facture moins sophistiquée, les procédés d’écriture des genres légers sont au contraire parfaitement assumés. Macque sait aussi modérer cette légèreté de ton, notamment dans les quelques textes qui explorent un registre un peu plus grave. Seuls trois textes penchent véritablement vers une certaine gravitas et traitent de thématiques déconseillées par Strozzi dans sa Lettione sopra i madrigali comme étant « trop dignes de larmes » 407 . Deux d’entre eux appartiennent au Primo libro a quattro – Nel morir si diparte (I.4, n. 8) et Crudel se m’uccidete (I.4, n. 11) – et le dernier au Secondo libro a cinque – Di pianto e di lamento (II.5, n. 7). Macque décide aussi de traiter de manière très expressive le dernier numéro du Primo libro a quattro, dont le texte pourtant se limite à une évocation métaphorique du rapt du cœur de l’amant, sans épanchements trop pathétiques : Chi prima il cor mi tolse Qui m’enleva le cœur en premier ancor per sé lo tiene. se le tient encore pour soi. Con sì stretto ligame allor Avec des liens si forts il fut alors accueilli, l’accolse, que j’ai perdu toute espérance onde, lasso, ogni spene de pouvoir aimer à nouveau et en vain tu ch’altra amar possa, e ’ndarno il t’y emploies, tenti, Amore Amour, ch’accender tu non puoi chi non car tu ne peux enflammer qui n’a pas de ha core. cœur. Même si ces quatre textes font figure d’exception dans les deux recueils, arrêtons-nous un instant à détailler les différentes solutions adoptées par Macque pour exprimer ces affects. 407 Voir supra, p. 185. 235 Crudel se m’uccidete est un texte tripartite relativement long – onze vers, longueur maximale du madrigal selon certains théoriciens de l’époque 408 – de type discursif 409 . En réponse à ce style poétique plus grave que les petites compositions épigrammatiques et déjà en relative disgrâce auprès des madrigalistes dans les années 1580, Macque musique ces vers de manière tout à fait classique. Ce dernier écrit en effet un exorde en notes blanches, comme il aurait pu le faire avec un texte de Pétrarque (comparer notamment avec les premières mesures de Quante lagrime, lasso, quanti versi, la troisième partie de la sextine qui ouvre le recueil). Le reste de la pièce s’anime un peu, mais de manière relativement mesurée. On retrouve un exorde en notes blanches pour le premier distique de Di pianto e di lamento, l’une des trois pièces en mode 10 du Secondo libro a cinque. Pour ce madrigal épigrammatique, conclu par une argutie paradoxale en double oxymore, Macque fait ici une curieuse synthèse entre le style léger qui caractérise l’ensemble du Secondo libro a cinque et le caractère grave de ces vers. En effet, le soggetto en brèves et semi-brèves est disposé en imitation biaccordale (mi/la) – technique qui, on le rappelle, est née avec le style hybride – agrémentée ponctuellement de quelques retards de tierce. Les deux dernières pièces sont plus novatrices dans leur recherche d’expressivité. Il s’agit de deux madrigaux épigrammatiques relativement courts (six et huit lignes), conclus par un distique à rime plate en forme de pointe. Nel morir si diparte s’ouvre par une section déclamative dont les deux premiers accords génèrent un chromatisme ascendant. exemple musical 31 : Nel morire si diparte (I.4, n. 8, brèves 1-3) 408 Notamment Girolamo Ruscelli et Antonio Minturno. À ce propos, voir LA VIA Stefano, « ‘Madrigale’ e rapporto fra poesia e musica nella critica letteraria del Cinquecento », op. cit., p. 42-43. 409 Sur la différence entre madrigal discursif et madrigal épigrammatique et l’abandon du premier au profit du second dans les dernières décennies du XVIe siècle voir SCHULZ-BUSCHHAUS Ulrich, Das Madrigal, op. cit., p. 66-101 et p. 163-166. 236 Macque avait évidemment déjà employé cet enchaînement harmonique avec saut de tierce à la basse – déjà un classique à l’époque – mais jamais de façon aussi exposée et directe. Toute la première section est répétée, fait rare dans les madrigaux du compositeur et normalement réservé aux compositions les plus légères. Le procédé est évidemment utilisé ici pour emphatiser ce début très pathétique. Macque offre par la suite une lecture musicale riche en dissonances, violant parfois les règles du contrepoint par un emploi assez libre du retard. Dans l’extrait suivant, par exemple, l’alto devrait normalement attendre la résolution de la dissonance du canto pour remonter sur le fa : exemple musical 32 : Nel morire si diparte (I.4, n. 8, brèves 9-12) On retrouve cette même recherche d’expressivité dans Chi prima il cor mi tolse, dernier numéro du Primo libro a quattro et seul madrigal des deux recueils à être composé en mode de mi 410 . La pièce s’ouvre elle aussi par un passage déclamatif très expressif, dans un style assez proche de certains exordes du Terzo libro a quattro de 1610 411 , quoique encore un peu moins aventureux au niveau harmonique. exemple musical 33 : Chi prima il cor mi tolse (I.4, n. 21, brèves 1-3) 410 Voir transcription en annexes. Voir par exemple dans le Terzo libro de madrigali a quattro voci, l’exorde de Amorosi pensieri, Non è d’aspe o di fera ou S’è ver ch’io t’ami, ah cruda (transcription in SHINDLE Richard, The Madrigals of Giovanni de Macque, op. cit., vol. 3, p. 624, 646, 651) 411 237 À la brièveté de ce madrigal épigrammatique de six lignes, Macque répond en outre par une intonation exceptionnellement courte de 25 brèves, concision que l’on retrouvera dans les imprimés ferrarais de Gesualdo, Luzzaschi et Fontanelli412 . Les recherches de déclamation expressive des deux madrigaux que l’on vient d’évoquer sont relativement nouvelles dans l’œuvre du compositeur. Il faut voir là les premiers germes d’un style qui trouvera toute sa réalisation dans le style fortement pathétique qui caractérise certains madrigaux des derniers recueils du madrigaliste, et notamment dans son Terzo libro de madrigali a quattro voci de 1610. Dans les textes plus légers, Macque peut obscurcir ponctuellement l’intonation, en s’éloignant sensiblement du caractère euphonique pour se risquer à des couleur harmoniques plus tendues, préfigurant parfois certains traits stylistiques de ses recueils successifs. Deux types de procédés sont utilisés. Macque peut d’une part faire preuve d’une certaine liberté dans le traitement des retards. Non seulement les dissonances sont parfois résolues de manière simultanée comme dans l’exemple précédent, mais elles peuvent aussi se cumuler sans aucune transition. Dans l’extrait suivant, la septième si-la est résolue directement sur le triton do#-sol, lui même enchaîné à un autre retard de septième la-sol, procédé réitéré une brève plus tard : exemple musical 34 : Dolci sdegni e dolci ire (II.5, n. 6, brèves 7-8) 412 Voir NEWCOMB Anthony, « The New Ferrarese Style of the 1590’s », in The madrigal at Ferrara, op. cit., p. 113-143. 238 Les notes de passages en semi-minimes et minimes dissonantes constituent l’autre moyen grâce auquel le compositeur parvient à générer des tensions harmoniques intéressantes, parfois un peu étranges, comme le montre l’extrait suivant : exemple musical 35 : Donna, quando volgete (I.4, n. 10, brèves 17-22) Il faut noter que ce procédé se retrouve fréquemment dans les madrigaux des anthologies romaines Dolci affetti et Le Gioie, dans les pièces de Marenzio et Macque, mais aussi dans celles de Dragoni ou Stabile, par exemple 413 . Macque pousse le procédé encore plus loin en faisant passer une triple note de passage parallèle sur une basse fixe : 413 Dans l’anthologie Dolci affetti de 1582, voir par exemple Se dal soave ed amoroso sguardo de Dragoni, et notamment les mesures 33 et 71-72 dans l’édition de Pirrotta (PIRROTTA Nino, I musici di Roma e il madrigale, op. cit., p. 37 et 39) 239 exemple musical 36 : Io son di neve al Sol (II.5, n. 13, brève 22) Cette technique, encore exceptionnelle, deviendra récurrente dans les madrigaux successifs de Macque, ainsi que chez Gesualdo et chez certains compositeurs parthénopéens de la fin du Cinquecento et du début du Seicento 414 . Larson se référait probablement à ce type de passages harmoniquement très suggestifs, surgissant brusquement au milieu d’un discours globalement plus léger, lorsqu’il voyait dans le Secondo libro de madrigali a cinque la racine du style « modéré » de la dernière génération de madrigalistes napolitains 415 . Macque et ses contemporains : citations, imitations et topoi La question des origines et de la circulation de certains procédés d’écriture déterminés, qui vient d’être évoquée à propos des notes de passages dissonantes, se pose de manière tout à fait évidente dans les deux premiers recueils napolitains, ceux-ci ressemblant parfois à un patchwork de figures caractéristique du madrigal des dernières décennies du Cinquecento, et tout particulièrement du style hybride. Composer des madrigaux à la fin du XVIe siècle, c’est en effet adhérer à certains principes de base de l’écriture polyphonique et de la poétique du madrigal en général, mais c’est aussi partager, reprendre et renouveler un certain nombre de procédés, de tics de langage communs à de nombreux auteurs à un moment donné. Macque, comme la plupart de ses contemporains, absorbe dans son style de nombreux topoi compositionnels. Si certains d’entre eux sont hérités des générations de madrigalistes précédentes, d’autres semblent être circonscrits au style léger qui caractérise les deux dernières décennies du XVIe siècle. Ces procédés d’écriture, trop particularisés pour être décrits en termes génériques, sont aussi trop diffus pour pouvoir être déclarés spécifiques à un 414 Notamment chez Montella et Dentice. Voir LARSON Keith, The Unaccompanied Madrigal in Naples, op. cit., p. 555 et 570-571. 415 Voir infra, p. 291. 240 auteur précis. Ils sont la preuve tangible du rôle déterminant de l’imitation dans le processus de composition musicale – et de création artistique en général – à la fin du XVIe siècle : Dans les dernières décennies de la Renaissance, les poètes, les artistes mais aussi les musiciens empruntaient non seulement aux artistes du passé, mais aussi à leurs contemporains. Ces emprunts incitaient évidemment à une compétition musicale animée entre les cercles des différentes cours, pendant qu’au même moment les artistes rivaux tendaient de plus en plus à mesurer leur virtuosité en remettant en musique les mêmes textes poétiques 416 . Comme le relève Glenn Watkins, l’imitation d’un auteur par un autre peut se manifester de manière particulièrement évidente lorsque ce dernier se confronte à un texte déjà musiqué avant lui. Macque ne déroge pas à cette coutume et cite parfois de manière tout à fait explicite l’œuvre d’autres madrigalistes. Nous avons déjà eu l’occasion d’évoquer les correspondances entre certaines intonations de Marenzio ou de Vinci et celles de Macque. Les citations les plus évidentes sont cependant celles qui parsèment la sextine de Pétrarque Là ver’ l’aurora (I.4, n.1-6). Macque fait en effet continuellement référence, de manière plus ou moins explicite, à l’intonation du même texte par Lassus (Quarto libro de madrigali a cinque voci, Venezia, Gardano, 1567) 417 . La dernière partie, Ridon or per le piagge erbette e fiori, semble presque modelée sur la version de son aîné 418 : exemple musical 37 : Roland de Lassus, Ridon or per le piagge erbette e fiori (Il quarto libro de madrigali a cinque voci, Venezia, Gardano, 1567, brèves 1-2) 419 416 « During the waning decades of the Renaissance, poets, artists and musicians alike borrowed not only from the past, but from their contemporaries. Such borrowing had the residual potential, of course, of inspiring a lively musical competition between courtly circles, as artistic rivals increasingly pitted their skills against one another in the overt re-setting of poetic texts. », in WATKINS Glenn E., « ‘‘Imitatio’’ and ‘‘emulatio’’: Changing Concepts of Originality in the Madrigals of Gesualdo and Monteverdi in the 1590s », Claudio Monteverdi: Festschrift Reinhold Hammerstein, éd. L. Finscher, Laaber, 1986, p. 453-487. Sur cette question voir aussi BROWN Howard Mayer, « Emulation, Competition, and Homage: Imitation and Theories of Imitation in the Renaissance », Journal of American Musicological Society, XXXV, 1982, p. 1-48 et HAAR James, « Selfconciousness about Style, Form and Genre in 16th-century Music », Studi musicali, III, 1974, p. 219-227. 417 Transcription in DI LASSO Orlando, Sämtliche Werke, Neue Reihe, éd. Adolf Sandberger, Breitkopf & Härtel, Wiesbaden, 1986, vol. 4, p. 78. 418 Voir aussi les correspondances entre les intonations de Macque et de Lassus dans les vers i miei sospiri ch’addolciscen Laura (deuxième partie), Uomini e Dèi solea vincer per forza et trarre o di vita o di martir quest’alma (quatrième partie) ainsi que se nostra ria fortuna è di più forza (sixième partie). Ces citations sont la preuve que Macque gardait un oeil tourné vers la production de ses aînés, même dans le cas d’un auteur comme Lassus qui resta relativement imperméable aux mutations stylistiques de la fin du XVIe siècle, et ceci en dépit de la notion de progrès et de distance générationnelle que l’on peut lire dans certains écrits de l’époque (voir notamment la dédicace du Sesto libro de madrigali a cinque voci de Luzzasco Luzzaschi (Ferrara, Baldini, 1596) de la main d’Alessandro Guarini, cité in BIANCONI Lorenzo, « Il Cinquecento e il Seicento », op. cit., p. 319). 419 D’après DI LASSO Orlando, Sämtliche Werke, op. cit., p. 78. 241 exemple musical 108 : Giovanni de Macque, Ridon or per le piagge erbette e fiori (I.4, n. 6, brèves 1-2) exemple musical 39 : Roland de Lassus, Ridon or per le piagge erbette e fiori (Il Quarto libro de madrigali a cinque voci, op. cit., brèves 32-33) 420 exemple musical 40 : Giovanni de Macque, Ridon or per le piagge erbette e fiori (I.4, n. 6, brèves 23-25) 420 Ibid., p. 80. 242 Ces citations restent cependant relativement anecdotiques et n’ont, à mon sens, pas de réelles implications sur le style de l’auteur421 . En revanche, le recours fréquent à certains topoi madrigalesques, indépendamment du texte poétique choisi, sont probablement beaucoup plus significatif des choix stylistiques d’un compositeur. Ceux-ci peuvent être liés à des concepts ou à des mots précis, et peuvent être assimilé dans ce cas à des madrigalismes ; d’autres sont au contraire « asémantiques » et s’utilisent dans des situations les plus variées. Sans chercher à faire une étude exhaustive de ces procédés d’écriture, qui dépasserait le cadre de ce travail, je m’arrêterai simplement sur ceux d’entre eux qui semblent particulièrement emblématiques du style hybride des années 1580. Il ne s’agira évidemment pas de prouver la précédence de notre madrigaliste dans l’utilisation de ces techniques, mais plutôt de montrer comment les madrigaux de Macque participèrent à un flux stylistique continu entre les auteurs. Congeries La première de ces techniques a été observée plusieurs fois par les musicologues qui se sont penchés sur la période qui nous intéresse. Il s’agit d’un type d’imitation dans laquelle une paire de voix à la tierce rentre en imitation très rapprochée avec une autre partie, ou vice-versa, généralement dans un principe d’alternance textuelle. Très souvent, ce procédé prend la forme d’une variante du faux-bourdon, auquel Burmeister donnera le nom de 421 Malgré les concordances poético-musicales qui existent entre le Secondo libro a cinque de Macque et la production napolitaine de la génération suivante, notamment les trois textes du Tasse (mis en musique par Gesualdo, Montella, Dentice et Spano), on ne trouve que peu de similitudes avec les intonations du Francoflamand. Celles-ci ne sont jamais évidentes, et se limitent bien souvent à des choix de textures ou à des contours motiviques assez vagues. (À ce propos, voir LARSON Keith, The Unaccompanied Madrigal in Naples, op. cit., p. 477-487, 583 et 628). Les seules correspondances véritablement convaincantes sont celles des deux versions de Mentre mia stella miri par Macque et Gesualdo (Il primo libro de madrigali a cinque voci, Ferrara, Baldini, 1594, transcription in GESUALDO DI VENOSA, Erstes Buch, éd. Wilhelm Weismann et Glenn Watkins, Leipzig, Deutscher Verlag für Musik, 1962, p. 57. Sämtliche Werke, vol. 1). Gesualdo reprend en effet tous les choix de texture opérés par Macque, mais en complexifiant sensiblement les techniques contrapuntiques. Il est possible que cette absence de référence à celui qui fut probablement son maître soit symptomatique de la relation Macque-Gesualdo, ce dernier n’estimant avoir, au dire de Fontanelli, qu’un unique rival, Luzzasco Luzzaschi, et se moquer de tous les autres (« … il dit venir à Ferrare muni d’une forteresse d’œuvres (c’est le terme qu’il utilise) qui lui suffiront à se défendre contre Luzzasco, rival qu’il craint, alors qu’il se moque de tous les autres. » (« … dic’egli di venir a Ferrara con tanti Belloardi d’opere (questo è il termine ch’egli usa) che bastino a difendersi contro il Luzzasco del qual nemico egli teme, et d’ogni altro si burla » (lettre du 23 mai 1594 au duc de Ferrare, cité in NEWCOMB Anthony, « Carlo Gesualdo e una corrispondenza musicale del 1594 », op. cit., p. 29). 243 congeries au début du siècle suivant 422 . Celle-ci consiste en une accumulation d’accords se déplaçant en mouvements conjoints ascendants ou descendants et engendrant le plus souvent une séquence harmonique de type : 5 6 5 6 3 3 3 3 Cette technique, qui existait depuis longtemps dans le répertoire du madrigal 423 , commence à être utilisée de manière relativement systématique par Andrea Gabrieli dès le début des années 1570. En voici un exemple, parmi les nombreuses occurrences : exemple musical 41 : Andrea Gabrieli, Alma serena e bella (Il secondo libro de madrigali a cinque voci, Venezia, Gardano, 1570, brèves 26-28) 424 Dragoni et Macque, parmi d’autres, s’en emparent eux aussi à la fin des années 1570. Dans les deux premiers recueils napolitains de Macque, le procédé réapparaît fréquemment, mais sous des formes à la fois plus dissonantes et rythmiquement plus dessinées, : exemple musical 42 : Giovanni de Macque, Questa vostra pietate (II.5, n. 18, brèves 19-22) 422 Sur les congeries voir BARTEL Dietrich, Musica Poetica. Musical-Rhetorical Figures in German Baroque Music, Universtity of Nebrasca Press, 1997, p. 229-231, PERLINI Silvano, Elementi di retorica musicale. Il testo e la sua veste musicale nella polifonia del ’500-’600, Milano, Ricordi, 2002, p. 33-34 et CHATER James, Luca Marenzio and the Italian Madrigal, op. cit., p. 60. 423 Lassus utilise souvent les congeries dans son Quarto libro de madrigali a cinque voci et notamment dans la sextine Là ver’ l’aurora. 424 D’après GABRIELI Andrea, Il secondo libro de madrigali a cinque voci éd. David Butchart, Milano, Ricordi, 1996, p. 145. Edizione nazionale delle opere di Andrea Gabrieli, vol. 3. 244 Ruth DeFord a elle aussi noté la récurrence de cette figure dans les madrigaux de Ruggiero Giovannelli 425 , de même que James Chater chez Marenzio 426 . Le résultat final peut ne différer que de très peu d’un auteur à l’autre, comme le montrent les deux extraits des madrigaux suivants, le premier tiré du Primo libro de madrigali a cinque voci de Giovannelli, le second du Secondo libro a cinque de Macque, deux recueils publiés à un an d’intervalle : exemple musical 43 : Ruggiero Giovannelli, Ardo ma non t'amo. Prima parte (Il primo libro de madrigali a cinque voci, Venezia, Gardano, 1586, brèves 6-11) 427 exemple musical 44 : Giovanni de Macque, Prendi, Signor, vendetta (II.5, n. 10, brèves 8-10) 425 DEFORD Ruth, Ruggiero Giovannelli and the Madrigal in Rome, op. cit., vol. 1, p. 66. CHATER James, Luca Marenzio and the Italian Madrigal, op. cit., vol. 1, p. 60. 427 D’après DEFORD Ruth, Ruggiero Giovannelli and the Madrigal in Rome, op. cit., vol. 2, p. 48-49. 426 245 En 1589, ce procédé envahit l’anthologie romaine Le gioie (Nino Pirrotta le considère comme l’une des principales particularités stylistiques du recueil 428 ). On retrouvera ce procédé dans le Terzo libro a cinque de Macque ainsi que dans les premiers recueils de Gesualdo, libéré toutefois du caractère douloureux qu’il tendait à exprimer jusqu’à là 429 . Par la suite, Gesualdo et Macque pousseront très loin le potentiel dissonant de cette technique dans certains de leurs madrigaux, s’éloignant sensiblement de l’utilisation qu’en faisait le madrigal des années 1580. Dans cet extrait de O mal nati messagi, qui rappelle fortement le passage de Questa vostra pietate de Macque cité précédemment, Gesualdo attaque par exemple directement l’imitation sur une dissonance non préparée : exemple musical 45 : Carlo Gesualdo, O mal nati messaggi (Il terzo libro de madrigali a cinque voci, Ferrara, Baldini, 1595, brèves 1-3) 430 428 « … ce modèle de deux voix homorythmiques avec une troisième en imitation très rapprochée … est l’un des éléments stylistiques récurrents du recueil. » (« … quel modello delle due voci omoritmiche e la terza in imitazione ravvincinata … è uno degli stilemi ricorrenti nella raccolta », in PIRROTTA Nino, I musici di Roma e il madrigale, op. cit., p. xxi-xxii). Voir par exemple l’intonation du vers Ch’a poco a poco dans le madrigal de Felice Anerio, Da questa pietra amore, p. 165-166. 429 Voir notamment le début de Sian le rose rubini (III.5, n. 11), au caractère très pastoral. 430 D’après GESUALDO DI VENOSA, Drittes Buch, éd. Wilhelm Weismann et Glenn Watkins, Leipzig, Deutscher Verlag für Musik, 1960, p. 37. Sämtliche Werke, vol. 3. 246 Quant à Macque, il ira jusqu’à rajouter une doublure de sixte à la celle de tierce dans ses derniers recueils, créant ainsi une véritable imitation en faux-bourdon : exemple musical 46 : Giovanni de Macque, S’è ver ch’io t’ami, ah cruda (III.4, n. 15, brèves 23-25) 431 Mise en valeur des mots-clés et jeux polyphoniques Une autre technique commune à Macque et à ses contemporains consiste à isoler un motclé au moyen d’un motif vif et court de deux ou trois notes, échangé rapidement entre les différentes voix. Ce procédé, que l’on pourrait appeler jeu polyphonique en référence aux giochi de la classification des mouvements mélodiques d’Artusi 432 , donne un aspect très orchestral à la texture et correspond bien au caractère léger et pétillant si apprécié dans ces années. James Chater et Alfred Einstein ont souligné la virtuosité de Marenzio en la 431 D’après SHINDLE Richard, The Madrigals of Giovanni de Macque, op. cit., vol. 3, p. 654. Dans son traité l’Arte del contraponto (Venezia, Vicenti et Amadino, 1586), Artusi classe les différents mouvements mélodiques en plusieurs catégories. Les giochi (jeux) correspondent à un « groupe de notes répété plusieurs fois » (« reiterata percussione fatta spesse volte »), voir CHATER James, Luca Marenzio and the Italian Madrigal, op. cit., p. 50. Le procédé fait penser à son homonyme poétique, qui consiste à répéter plusieurs fois le même mot (ou ses dérivés sémantiques) au sein d’un même texte (voir supra, p. 185). 432 247 matière 433 , mais ce dernier, tout comme Macque, en hérita probablement des madrigaux d’Andrea Gabrieli, qui semble encore une fois faire figure de précurseur. Les jeux polyphoniques se retrouvent souvent sur le même type de mots, quel que soit le compositeur. C’est souvent ainsi que sont traités les pronoms personnels voi, io, lei, i miei, me (vous, je, mes, moi), peut-être pour mettre en relief l’expression de d’individualité : 433 Voir EINSTEIN Alfed, The Italian Madrigal, op. cit., tome 2, p. 621 et CHATER James, Luca Marenzio and the Italian Madrigal, op. cit., p. 74. 248 exemple musical 47 : Andrea Gabrieli, Se vuoi ch’io mora, (Il secondo libro de madrigali a sei voci,Venezia, Gardano, 1580, n. 7, brèves 19-20) 434 exemple musical 48 : Giovanni de Macque, Posso cor mio partir (II.5, n. 2, brèves 1921) 435 exemple musical 49 : Luca Marenzio, Nel più fiorito Aprile, (Il primo libro de madrigali a sei voci, op. cit., brèves 20-21) 436 434 D’après GABRIELI Andrea, Il secondo libro de madrigali a sei voci, éd. Franco Colussi, Milano, Riccordi, 2001, p. 72. Edizione nazionale delle opere di Andrea Gabrieli, vol. 8. 435 Voir aussi l’intonation du vers di sé la migliore parte lassa (II.5, n. 19, brèves 9-10). 436 D’après MARENZIO Luca, First and second books of madrigals for six voices, éd. Bernhard Meier et Roland Jackson, Neuhausen-Stuttgart, AIM, Hänssler, p. 43. Opera omnia, vol. 5. 249 Les mots perché (pourquoi), sol (soleil), amor (amour) font aussi très souvent l’objet de ce type de traitement : 250 exemple musical 50 : Andrea Gabrieli, Amor mi strugge ’l cor (Il primo libro de madrigali a sei voci, Venezia, Gardano, 1574, brèves 1-3) 437 exemple musical 51 : Giovanni de Macque, Non veggio, oimè, quei leggiadretti lumi (I.4, n. 17, brèves 12-13) 438 exemple musical 52: Luca Marenzio, Non è questa la mano (Il primo libro de madrigali a sei voci, op. cit., brèves 34-35) 439 437 D’après GABRIELI Andrea, Madrigals of the Primo libro a 6, éd. A. Tillman Merritt, Madisson, AR, 1983, p. 69. Complete madrigals, vol. 7/Recent Resarches in the Music of the Renaissance, vol. 47. 438 Voir aussi l’intonation du vers ch’Amor, giusto Signor (II.5, n. 2, brèves, 7-8). 439 D’après MARENZIO Luca, First and second books of madrigals for six voices, op. cit., p. 74. 251 exemple musical 53 : Ruggiero Giovannelli, Rallegrami poss'io (Il secondo libro de madrigali a cinque voci, Venezia, Gardano, 1593) 440 Macque avait déjà commencé à faire régulièrement usage des jeux polyphoniques dans ses Madrigali a quattro, cinque et sei voci, ainsi que dans ses Madrigaletti et napolitane 441 . On les retrouve dans les madrigaux de plusieurs auteurs romains, et notamment dans les 440 D’après DEFORD Ruth, Ruggiero Giovannelli and the Madrigal in Rome, op. cit., vol. 1, p. 55. Pour un jeu polyphonique sur amor voir l’intonation du vers Amor il mio gioire (MN1, n. 21, brève 3), sur un pronom personnel, celle de di tu, ch’al mormorare delle chiare onde (MN1, n. 21, brèves 5-6), sur le mot perché celle de perché quando girate (MN1, n. 12, brève 18). 441 252 anthologies Dolci affetti et Le gioie 442 . Gesualdo les utilisera lui aussi sporadiquement quoique de manière beaucoup plus discrète 443 . Les jeux polyphoniques se feront un peu plus rares dans les madrigaux de Macque à partir du Terzo libro a cinque, probablement à cause de la connotation légère qui leur était associée, mais sans jamais toutefois disparaître complètement. Combinaisons motiviques : motto et foil Si Macque montra toute sa vie une sensibilité particulière pour les superpositions motiviques, certains types de combinaisons utilisées dans les recueils étudiés ici semblent provenir directement du vocabulaire des madrigalistes des années 1580. C’est le cas notamment pour deux techniques dénommées par Ruth DeFord motto et foil dans sa thèse sur Giovannelli 444 . Le premier terme désigne une superposition de motifs contrastés dont l’un ne consiste qu’en quelques notes en valeurs longues, ne portant que les premiers mots du vers. Cette technique paraît avoir eu une durée de vie relativement courte et ne fait qu’une apparition éclair dans les madrigaux de Macque. Contrairement aux congeries et aux jeux polyphoniques, ce procédé n’est pas utilisé à ma connaissance par Andrea Gabrieli. Ruth DeFord a noté la récurrence de cette technique dans les madrigaux de Giovannelli445 , et on la retrouve également chez Marenzio 446 . Les motti sont utilisés par Macque presque exclusivement dans son Primo libro a quattro et quasiment toujours dans l’exorde 447 . 442 Voir par exemple l’intonation du vers di noi sempre Vittoria ha con begli occhi du madrigal d’Annibale Stabile Qual vaga pastorella, in PIRROTTA Nino, I musici di Roma e il madrigale, op. cit., p. 35. 443 Voir par exemple l’intonation du vers in voi tutto ripose de la seconda parte du premier madrigal du Primo libro de madrigali a cinque de Gesualdo (transcription moderne in GESUALDO DI VENOSA, Erstes Buch, op. cit., p. 18). 444 Voir DEFORD Ruth, Ruggiero Giovannelli and the Madrigal in Rome, op. cit., p. 39-40. 445 Ibid. 446 Voir notamment l’exorde de Quando sorge l’aurora du Secondo libro de madrigali a cinque voci de Marenzio ou celui de Occhi sereni e chiari du Primo libro de madrigali a sei voci de Marenzio (transcription moderne in MARENZIO Luca, Third and fourth books of madrigals for six voices, op. cit., p. 56). 447 Le motto est souvent utilisé par Macque pour les évocations de la nature (voir par exemple l’exorde de Quando sorge l’aurora (I.4, n. 7), ou celui de Solo ov’io tra boschetti e colli (I.4, n. 16). Toutefois, le compositeur peut aussi y avoir recours pour traiter des thèmes complètement différents, voir par exemple l’exorde de Non veggio, oimè, quei leggiadretti lumi (I.4, n. 17) ou de Donna quando volgete (I.4, n. 10), ou encore l’intonation du vers lasso, Amor no ’l consente (I.4, n. 19). 253 Le terme foil (ou scalar skeleton pour Anthony Newcomb) désigne la superposition de motifs portant tous deux l’intégralité du texte, contrastant rythmiquement de manière plus ou moins marquée. Selon Newcomb, cette technique viendrait du répertoire de la villanelle, et serait associée à l’esprit pastoral qui caractérise une bonne partie des textes du madrigal des années 1580 448 . Anthony Newcomb, tout comme Ruth DeFord, a noté la récurrence de ce procédé dans les madrigaux de Giovannelli et de Marenzio 449 . Encore une fois, les similitudes entre ces auteurs et Macque sont tout à fait frappantes : exemple musical 54 : Ruggiero Giovannelli, Ardo ma non t'amo. Prima parte (Il primo libro de madrigali a cinque voci, op. cit., brèves 60-62) 450 exemple musical 55 : Giovanni de Macque, Donna, quando volgete (I.4, n. 10, brèves 34-37) 448 Voir NEWCOMB Anthony, « Marenzio and the “nuova aria e grata all’orecchie », op. cit., p. 72-73. Idem. 450 D’après DEFORD Ruth, Ruggiero Giovannelli and the Madrigal in Rome, op. cit., vol. 2, p. 48-49. 449 254 Macque utilise parfois cette technique de manière beaucoup plus spectaculaire, notamment dans le Secondo libro a cinque (voir en particulier les dernières mesures de Dolci sdegni e dolci ire, II.5, n. 6). De l’examen de ces différents procédés, il ressort clairement que Macque imita volontiers ses contemporains, de même que ses madrigaux furent très probablement une source d’inspiration pour ces derniers. Il serait pourtant tout à fait hors de propos de crier au plagiat ou de se désoler de constater que la plupart des techniques utilisées par notre auteur se révèlent appartenir à un style global, commun à de nombreux madrigalistes. La poétique du madrigal polyphonique, comme d’ailleurs de la littérature pétrarquiste de la fin du Cinquecento, consiste en effet plus à réassembler des figures préexistantes, tout en faisant évoluer ce vocabulaire et en le renouvelant dans une certaine mesure, plutôt qu’à prendre à contre-courant le reste de la production en créant un style entièrement neuf et original. Texte et musique Du mot à l’intonation Alors que les démonstrations de virtuosité contrapuntique, on l’a vu, n’étaient plus vraiment à l’ordre du jour dans années 1580, la complexité des rapports entre le texte poétique et la musique, que les théoriciens de la Renaissance considéraient déjà à l’époque comme l’essence même de l’écriture madrigalesque451 , semble au contraire avoir grandement stimulé les compositeurs de cette période et plu à leur public. L’inventivité rhétorique d’un madrigaliste faisait probablement partie des raisons de son succès auprès des musiciens du XVIe siècle. 451 Les correspondances entre texte et musique ne sont bien sûr pas réservées au répertoire du madrigal mais ce genre requiert une attention toute particulière à cet aspect de l’intonation. Cerone est tout à fait explicite à cet égard : « Il faut être particulièrement attentif au fait que dans les madrigaux, plus que dans tout autre genre de composition, le compositeur est tenu d’exprimer le sens des paroles » (« Adviertendo que ne los madrigales, mas que en otro genero de composicion, es tenido el composidor de explicar el sentido de la letra »), in CERONE Pietro, El melopeo y maestro, op. cit., p. 693, cité in FABBRI Paolo, Il madrigale tra Cinque e Seicento, op. cit., p. 16. 255 Comme le note Bernhard Meier, plusieurs méthodologies peuvent être adoptées pour décrire le système rhétorique en usage à la Renaissance : Une description de ce système peut prendre deux points de départ : elle peut commencer par énumérer les différents types de mots qui inspirent une expression musicale, mais elle peut aussi prendre départ sur les différents phénomènes musicaux utilisés généralement pour l’expression des mots au XVIe siècle 452 . Je voudrais proposer ici une autre méthodologie analytique, dont le point de départ ne serait ni le mot ou concept poétique, ni les différentes techniques musicales utilisées pour leur intonation, mais la nature du lien tissé entre les deux, selon son plus ou moins grand degré d’abstraction. Cette démarche, qui veut mettre l’accent sur la complexité des rapports texte-musique, est évidemment critiquable dans la mesure où elle pose un problème épistémologique difficilement résoluble : ce qui paraît aujourd’hui abstrait et complexe était-il déjà perçu ainsi à la fin de la Renaissance ? Probablement pas. Cependant, ce que l’on a coutume d’appeler aujourd’hui madrigalisme n’était en aucun cas accepté comme une évidence par tous les contemporains. Au contraire, les madrigalismes avaient déjà un certain nombre de détracteurs dans la seconde moitié du XVIe siècle, le plus célèbre d’entre eux étant sans doute le florentin Vincenzo Galilei. Ce dernier doutait en effet profondément de l’effet réel de l’attirail rhétorique mis au point par les « contrapuntistes modernes », et de son impact sur l’auditeur 453 . Même si Galilei, dans ses écrits, s’en prend plus à la polyphonie elle-même qu’à un trop grand degré d’abstraction des figures, il est tout à fait significatif que ce tenant de la monodie naissante se soit placé tout à coup du côté de l’auditeur et intéressé à la portée émotionnelle de la musique sur ce dernier 454 . Le constat d’une déconnection totale entre les artifices – rhétoriques ou non – du contrepoint et leurs effets sur le spectateur entraîna 452 « A description of this system can take two points of departure: it can start by enumerating the kind of words that inspire musical expression; but it can also depart from the various musical phenomena commonly used for word expression in the sixteenth century. », in MEIER Bernhard, The Modes of Classical Vocal Polyphony, op. cit., p. 240. 453 Voir la célèbre diatribe de Vincenzo Galilei contre les « contrapuntistes modernes » (Dialogo della musica antica et della moderna, Firenze, Marescotti, 1581, p. 88-89). Galilei est le seul à s’en prendre si précisément aux techniques rhétoriques des madrigalistes, mais ses profonds doutes concernant le pouvoir expressif de la polyphonie sont partagés par les principaux protagonistes de la camerata fiorentina. 454 Dans sa diatribe contre les « contrapuntistes modernes », Galilei met en effet en scène des auditeurs qui, à l’écoute d’un madrigal, loin d’être touchés par la musique, se mettent au contraire à rire. 256 une condamnation sans appel de la polyphonie par les membres de la camerata fiorentina. Il s’agissait évidemment là d’une vision partiale, voire partisane, mais il est tout à fait probable que pour la plupart des contemporains, la question de l’expression du texte poétique ne se posait effectivement pas uniquement en termes d’effet auditif sur le spectateur. D’une part, la grande majorité du répertoire madrigalesque fut écrite pour être chantée a libro, sur le livre, et non pour être écoutée par un auditoire 455 ; d’autre part l’homme de la Renaissance, comme l’a montré Michel Foucault 456 , était habitué à raisonner dans un vaste entrelacs de signes régi par l´analogie et la ressemblance, dans lequel le système de correspondance musico-poétique du madrigal trouve parfaitement sa place, sa logique et sa cohérence. L’analogie ou, pour reprendre un terme aristotélicien caractéristique de la Renaissance, l’imitation, pouvait emprunter plusieurs canaux tout en restant parfaitement valable. Le premier canal, et pour une oreille moderne le moins abstrait et le plus direct, est celui qui relie le concept poétique à la sensation et/ou à l’émotion auditive. C’est ce type d’expression qui triomphera dans les madrigaux de Monteverdi, Gesualdo ou du dernier Marenzio. Le second type d’imitation, dénommée par Alfred Einstein Augenmusik – musique visuelle – s’adresse non plus aux oreilles de l’auditeur mais aux yeux du chanteur-lecteur 457 . Comme l’a montré Alfred Einstein, l’Augenmusik ne touche qu’un registre stylistique relativement élevé (madrigal et motet) mais n’est presque jamais utilisée dans les genres légers, ce qui dénote une certaine complexité d’écriture. Le dernier type de madrigalismes, le plus abstrait selon nos critères, utilise des codes extérieurs – le plus souvent liés aux techniques contrapuntiques ou au vocabulaire musical – savamment imbriqués entre le texte poétique et son intonation. Ceux-ci ne touchent ni l’oreille, ni les yeux du lecteur-auditeur, mais sont conçus pour être compris uniquement par son intellect. 455 Voir EINSTEIN Alfred, The Italian Madrigal, op. cit., p. 243. Michel Foucault a souligné le rôle de l´analogie et la ressemblance dans pensée de la Renaissance : « Jusqu´à la fin du XVIe siècle, la ressemblance a joué un rôle bâtisseur dans le savoir de la culture occidentale. C´est elle qui a conduit pour une grande part l´exégèse et l´interprétation des textes : c´est elle qui a organisé le jeu des symboles, permis la connaissance des choses visibles et invisibles, guidé l´art de les représenter .... », in FOUCAULT Michel, Les mots et les choses une archéologie des sciences humaines, Paris, Gallimard, 1966, p. 32. Au siècle suivant, Descartes marquera une rupture radicale dans l´épistémologie du XVIIe siècle en proposant une méthode scientifique fondée sur l´ordre et la distinction. 457 Voir EINSTEIN Alfred, « Eye Music », in The Italian Madrigal, op. cit., p. 243. 456 257 Ces trois types d’imitation musicale des mots et des concepts poétiques – auditive, visuelle, intellectuelle – constituent la grille de lecture avec laquelle j’analyserai les rapports texte-musique des deux premiers recueils napolitains de Macque. Cette démarche n’est évidemment pas parfaite car bien souvent, une figure musicale peut s’adresser à la fois aux yeux, aux oreilles et à l’intellect 458 . D’autre part, il est fort probable que ce qui requiert aujourd’hui un raisonnement intellectuel pouvait être perçu de manière beaucoup plus directe et intuitive par les musiciens de la Renaissance 459 . Cette grille de lecture a cependant l’intérêt d’interroger le degré de complexité des rapports texte-musique – on pourrait être tenté de parler d’artificiosità, même si le terme n’était pas utilisé en ce sens par les contemporains – partant du principe (déjà évoqué dans le chapitre précédent 460 ) que plus le lien entre le mot et son intonation est abstrait, caché et difficilement perceptible, plus l’écriture se veut recherchée et raffinée. Figures à entendre et/ou ressentir Cette première catégorie de figures englobe les procédés les plus communs et les plus répandus, les premiers qui viennent à l’esprit lorsqu’on évoque les madrigalismes. Ce sont ces effets très directs auxquels font généralement référence les théoriciens de la Renaissance lorsqu’ils traitent de la manière d’« accommoder » la musique aux paroles 461 . Parmi ces paramètres éminemment auditifs figurent le rythme (lent ou rapide 462 , avec ou sans vocalises ornementales 463 ), la tessiture (grave ou aiguë), la direction des mouvements mélodiques 464 (anabasis ou katabasis 465 ), l’usage de certains intervalles mélodiques 458 À ce propos, voir DART Thurston, « Eye Music », Grove Music Online, http://www.grovemusic.com/shared/views/article.html?section=music.09152, page consultée le 5 juin 2007. 459 Voir infra, note 482. 460 Voir supra, 112. 461 Pour un exposé des principaux écrits théoriques du XVIe siècle sur les rapports texte-musique, voir FABBRI Paolo, Il madrigale tra Cinque e Seicento, op. cit, p. 18-29. 462 Pour un exemple de variation rythmique de ce type dans les deux premiers recueils napolitains de Macque, voir l’intonation du vers poi ch’il duol frena e stringe a darli loco (II.5, n. 21, brèves 18-21), qui joue avec l’opposition des mots frena (freine) et stringe (pousse). 463 Macque utilise généralement les vocalises pour évoquer les éléments mobiles de la nature, le feu (foco, fiamme, ardente), l’eau (onde, mare, rio), le vent (vento), les mouvements (move, giri), ou bien le chant (canto). 464 Voir par exemple l’exorde de Sì profondo era e di sì larga vena (I.4, n. 13) pour une tessiture ramassée vers le bas et l’intonation du vers Che non invidio il ciel al sommo Giove (II.5, n. 9, brèves 11-12) pour une tessiture aiguë. 465 L’anabasis consiste à faire monter la ligne mélodique pour exprimer une idée de hauteur, d’ascension, etc. La katabasis est le procédé contraire, et s’utilise pour transcrire les concepts de descente, de profondeur, etc. Ces deux figures de rhétorique musicale ont été codifiées par Athanasius Kircher dans son traité 258 particuliers 466 , l’harmonie consonante ou dissonante, l’utilisation de « cordes naturelles » ou altérées. L’utilisation que fait Macque de ces différents ingrédients, communs à tous les auteurs de l’époque, va du topos le plus banal aux effets les plus recherchés. Comparer par exemple la katabasis extrêmement classique de l’intonation du vers Abbassai gl’occhi (j’abaissai les yeux) : exemple musical 56 : Fuggendo il troppo lume (II.5, n. 1, brèves 2-4) à l’utilisation beaucoup plus subtile des mouvements mélodiques de l’exorde de Mentre Madonna il guardo/ver’ me pietoso move, (Alors que Madonna le regard/vers moi, apitoyé, tourne) : exemple musical 57 : Quando Madonna il guardo (II.5, n. 9, brèves 1-5) Macque met en scène le regard de cette Madonna presque sacralisée (anabasis), opposée au terrestre poète (katabasis) par un mouvement mélodique ascendant puis descendant 467 . Dans le même ordre d’idée, le passage suivant sait tirer habilement profit des balbutiements de la ligne mélodique pour exprimer le questionnement du vers come sarà Musurgia Universalis, sive Ars Magna consoni et dissoni, Roma, Corbelletti, 1650, deuxième partie, livre VIII, p. 145. Voir aussi PERLINI Silvano, Elementi di retorica musicale, op. cit., p. 16 et 26. 466 Voir l’utilisation expressive de la tierce mineure dans l’exorde de Crudel, se m’uccidete (I.4, n. 11), de la sixte mineure dans l’intonation du vers né ’l pianger mio (I.4, n. 4, brève 19-20) et du demi-ton dans l’exorde de Così soave è ’l foco (II.5, n. 16). 467 Ce procédé est utilisé dès le XVe siècle dans les chansons de Busnois (voir MEIER Bernhard, The Modes of Classical Vocal Polyphony, op. cit., p. 241). 259 mia forma ? (comment sera ma forme ?), effet renforcé par le choix d’une imitation par mouvement contraire. exemple musical 58 : O d’Amor opre rare (I.4, n. 20, brèves 9-11) L’utilisation des variations rythmiques peut aussi s’avérer parfois très raffinée. Dans l’intonation de ces vers de Pétrarque, Amor, che dentro l’anima boliva/…/mi spinse, onde in un rio l’erbe asconde/cadi (Amour, qui dans mon âme bouillonnait/…/m'entraîna, tant qu’en un ruisseau caché sous l’herbe), Macque réussit à provoquer une véritable sensation de déséquilibre grâce à un léger décalage rythmique entre le canto et les autres voix : exemple musical 59 : Del mar Tirreno a la sinista riva (I.4, n. 15, brève 16) 260 Macque sait revisiter parfois certains procédés très classiques avec humour. Dans le passage déjà cité du madrigal Posso cor mio partire (voir supra, p. 249), Macque emploie par exemple une cadence évaporée 468 – utilisée en général pour illustrer des idées de fuite, d’évanouissement, ou de mort 469 – en conclusion du vers onde ne morirem né voi ned io (Nous ne mourrons donc ni vous, ni moi). Le compositeur semble vouloir peindre l’individualité du mot io (moi) avec la note isolée du ténor, puis la négation (né voi ned io, ni vous ni moi, c’est-à-dire personne) avec le silence qui suit. De même les notes tenues, utilisées maintes fois pour dépeindre la fixité et l’immobilité 470 , prennent-elles une saveur toute particulière lorsqu’elles servent à évoquer les murmures d’une fontaine 471 : exemple musical 60 : Chiara fontana intorno (II.5, n. 17, brèves 6-7) fore Chiara fontana intorno Une claire fontaine, autour al bel seggio d’Amore du beau siège d’Amour, mormorando sorgea da un lato en murmurant jaillissait d’un côté 468 Sur la cadence évaporée (evaporated cadence), voir NEWCOMB Anthony, The madrigal at Ferrara, op. cit., p. 120. 469 Voir par exemple l’intonation du vers onde vo’ consumando a poco a poco (II.5, n. 21, brèves 12-14) ou les dernières mesures de Bene poté fede a pieno (II.5, n. 15) qui se conclut par une cadence évaporée sur les mots e ’n sé si more (et qui meurt en soi-même). 470 Voir par exemple l’intonation du vers stan tutti per mirarla, fissi e intenti (II.5, n. 14, brèves 13-15). 471 Le même procédé est utilisé dans Poichè non posso dire, le dernier numéro du Primo libro de madrigaletti et napolitane (brève 7-8). 261 L’effet est d’autant plus réussi que le statisme cesse sur l’accent tonique du mot sorgea (jaillissait). Le charme de certains madrigalismes peut venir aussi de leur exagération. Dans le madrigal Quel dolce nodo che mi strinse il core (Ce doux nœud qui me serra le cœur) : Macque musique deux fois le mot nodo (nœud) au moyen de vocalises, une fois de manière relativement conventionnelle, une autre fois de manière beaucoup plus exubérante et libre : exemple musical 61 : Quel dolce nodo che mi strinse il core (I.4, n. 9, brève 24) 262 exemple musical 62 : Quel dolce nodo che mi strinse il core (I.4, n. 9, brève 2) Figures à voir Beaucoup des madrigalismes décrits plus haut peuvent aussi se lire comme Augenmusik, notamment tous les mouvements mélodiques ascendants et descendants qui ont un impact autant visuel que sonore. Cependant, Macque utilise aussi des figures qui ont un pouvoir suggestif beaucoup plus graphique qu’auditif, voire d’autres qui ne sont manifestement destinées qu’à la seule vue du lecteur ou ne peuvent s’entendre qu’au moyen d’une reconstitution a posteriori de la partition. Forme Une première catégorie de musique visuelle joue avec les courbes dessinées par la succession des notes sur la portée. Macque montre un penchant particulier pour les formes sinusoïdales, comme le montre cet extrait de I’ piansi, or canto, che ’l celeste lume (I.4, n. 12), exubérance graphique probablement plus perceptible à l’œil qu’à l’oreille : 263 La régularité des valeurs rythmiques employées semble souligner en outre le caractère fluide de l’écoulement de l’eau. Autre exemple de modelage plus visuel que sonore, cette plongée vers le grave sur mot s’inchina, s’incline : exemple musical 63 : Le Ninfe del mar d’Adria (II.5, n. 12, brèves 28-29) Si Macque avait voulu s’en tenir à un simple effet auditif, l’intervalle d’octave n’était probablement pas nécessaire. Couleur Les madrigalismes les plus strictement visuels sont cependant ceux qui recourent aux couleurs de la notation musicale – évidemment limitées dans les imprimés au noir et au blanc 472 . Macque ne se sert pas des notes noires du système de mensuration ternaire dans ces recueils, mais utilise très souvent le contraste entre semi-minimes et fuses d’un côté et minimes et semi-brèves de l’autre, les premières pour évoquer le noir, la nuit, l’obscurité, les secondes pour la blancheur, la transparence ou la clarté (jour, neige, glace). Dans l’extrait suivant, les effets sont même combinés : exemple musical 64 : Quel dolce nodo che mi strinse il core (I.4, n. 9, brève 14-15) 472 Comme le note Alfred Einstein, il n’est pas impossible que certains auteurs aient utilisé des encres colorées pour peindre les rubis ou les vertes prairies dans les pièces manuscrites (voir EINSTEIN Alfred, The Italian Madrigal, op. cit., vol. 1, p. 242). 264 On remarque dans ce passage que l’Augenmusik n’empêche en rien un niveau d’expression plus auditif, les effets pouvant en effet tout à fait se superposer. Le compositeur ne néglige en effet pas ici l’aspect sonore de l’intonation : le point le plus aigu du canto est placé sur l’accent tonique de rischiara (éclaire) alors que le mot oscura (obscure) donne lieu à une descente générale vers le grave de la tessiture. Les notes noires peuvent aussi être liées à l’idée d’aveuglement, comme dans l’intonation du vers che resta cieco ognun che la rimira (que deviennent aveugles tous ceux qui la regarde) 473 : exemple musical 65 : Al fiammegiar de’ begl’occhi lucenti (II.5, n. 14, brèves 19-20) 473 Comme l’a montré Alfred Einstein (The Italian Madrigal, op. cit., p. 239), ce traitement du mot cieco (aveugle) est un classique du répertoire madrigalesque, qui remonte au moins aux madrigaux de Giovanni Nasco. 265 Dans l’exorde de Ben poté fede a pieno/farvi (littéralement, « La foi put bien vous faire pleine ») Macque se sert des notes noires pour exprimer l’idée de plénitude (celles-ci sont en effet pleines, contrairement aux notes blanches qui sont vides) : exemple musical 66 : Ben poté fede a pieno (II.5, n. 15, brèves 1-3) Ces deux types de peinture (forme et couleur) peuvent se combiner pour des effets visuels particulièrement recherchés. Dans certains vers, Macque montre en effet une sensibilité à ce genre de techniques tout à fait proche de celle de Marenzio 474 . 474 Même Alfred Einstein, pourtant assez peu enclin à apprécier les qualités visuelles de l’Augenmusik, reconnaissait que Marenzio avait porté cette dernière à un effet de raffinement inégalé (voir The Italian Madrigal, op. cit., p. 237 et 241. 266 L’intonation du dernier vers du madrigal Al sol le chiome avea (I.4, n. 18), « fra le nubi s’ascose pien di scorno » (« entre les nuages, il se cacha plein de honte ») ne peut se comprendre que par une analyse visuelle. La basse, l’alto et le canto représentent manifestement les nuages avec leur suite de semi-brèves, rondes et blanches comme des cumulus. La transcription moderne casse malheureusement l’effet pictural du passage, qui ressort au contraire clairement dans l’imprimé original : Ill. 4 : Al sol le chiome avea (I.4, n. 18, alto, brèves 24-29) Au milieu de ce ciel nuageux, le ténor semble errer en une ligne mélodique cassée et anguleuse, probablement censée représenter le soleil se cachant entre les nuages. Ill. 5 : Al sol le chiome avea (I.4, n. 18, tenore, brèves 24-29) On déduit du Discorso de Galilei que ces madrigalismes visuels étaient considérés par leurs auteurs comme un raffinement délicat et recherché, même si le théoricien florentin ne pouvait que condamner ce type de procédé et relever le lien erroné établi entre la vue et l’ouïe : Quando ne hanno trovate che Quand ils les compositeurs dinotino diversità di colori, come modernes trouvent des paroles qui “brune” o “bianche chiome” e simili, évoquent la diversité des couleurs, hanno fatto sotto ad esse note bianche comme e nere per esprimere a detto loro quel chevelure » ou autre, ils posent sous « brunes » ou « blanche 267 sì fatto concetto astutamente e con celles-ci des notes blanches et noires garbo, sottoponendo in quel mentre il pour exprimer, à leurs dires, ces senso dell’udito agli accidenti delle concepts de forme e de’ colori, i quali oggetti sono délicate, soumettant particolari della vista e del tatto nel temps-là le corpo solido. 475 accidents de la forme et des couleurs, manière sens subtile et pendant ce de l’ouïe aux lesquels sont propres à la vue et au toucher des corps solides. Figures à penser Terminologie musicale Les analogies qui relient le concept poétique au lexique musical et/ou aux techniques contrapuntiques sont sans doute celles dont l’accès reste le moins direct et le plus abstrait. La figure la plus facile et la plus communément utilisée est probablement le recours aux syllabes de la solmisation. Ce procédé consiste à considérer le mot comme un assemblage de syllabes, retranscrites musicalement au moyen des noms de notes. Le signifié du mot est alors totalement négligé au profit de son signifiant, fait relativement rare dans l’écriture madrigalesque, qui accepte volontiers d’extraire un mot de son contexte (quitte à aller à l’encontre du sens global du passage), mais plus difficilement de lui ôter toute sa signification 476 . Le procédé de solmisation, hérité des soggetti cavati des messes polyphoniques, fait cependant partie des principaux topoi du madrigal. Macque n’innove pas beaucoup en la matière puisqu’il traite de cette façon les mots les plus généralement touchés par ce procédé : solo, seul (sol-la) 477 , sole, soleil (sol) 478 , fammi, fais-moi (fa-mi). Les deux premiers vers du madrigal O fammi, Amor, gioire (I.4, n. 14) poussent particulièrement loin le procédé. Ces vers paraissent avoir été écrits spécialement pour être mis en musique au moyen des syllabes de la solmisation : O fammi, Amor, gioire, 475 GALILEI Vincenzo, Dialogo della musica antica et della moderna, op. cit., p. 88. Les madrigalistes ne montrent généralement pas une sensibilité particulière aux paramètres sonores du texte poétique (malgré la catégorisation éminemment musicale de la théorie bembienne qui analyse la poésie de Pétrarque en termes de suono, numero et variazione). Les madrigalistes préfèrent généralement s’attacher à exprimer le signifié plutôt que le signifiant. 477 Voir par exemple l’exorde de Solo ov’io erat ra boschetti e colli (I.4, n. 16). 478 Voir par exemple l’exorde de Al Sol le chiome avea (I.4, n. 18). 476 268 o tu mi fa’ morire ce dont profite évidemment Macque, qui construit un exorde entièrement basé sur les demi-tons fa-mi, do-si et sib-la pour le premier vers, et mi-fa et si-do pour le second 479 : exemple musical 67: O fammi, Amor, gioire (I.4, n. 14, brèves 1-8) Le vocabulaire technique du langage musical sert souvent à faire le lien entre le concept poétique et l’idée musicale, de manière plus ou moins raffinée. Macque utilise par exemple la ligature pour exprimer l’idée de lien ou de nœud, procédé apprécié également 479 Ce procédé, fort peu auditif, rencontre la désapprobation de Vicentino dès 1555. Ce dernier ne le considère en effet que comme un « truc » destiné à venir au secours des chanteurs malhabiles. « Souvent, certains compositeurs ont une belle manière de composer quand, dans leurs compositions, ils accompagnent les voyelles par les syllabes des notes ; ce procédé n’apporte que peu de choses, et l’on ne trouve rien de bon en cette combinaison si ce n’est que les paroles sont un peu plus faciles à prononcer pour le chanteur, mais auprès du bon chanteur, il ne faudra pas tenir compte de cette combinaison ; on voit donc qu’elle est de peu d’importance. » (Molte fiate alcuni compositori hanno per una bella maniera di comporre, quando nelle compositioni loro accompagnano le vocali delle sillabe delle note; quest’ordine dà poco guadagno, et non si ritrova in questa compagnia se non che le parole sono un poco più agili al Cantante da pronunciare, ma appresso il buon Cantante non si terrà conto di questa tal compagnia; sì che si vede che è di poca importanza), in VICENTINO Nicola, « Modo di pronuntiare le sillabe lunghe e brevi sotto le note; e come si dè imitare la natura di quelle, con altri ricordi utili. Cap. XXIX », L’antica musica ridotta alla moderna prattica, Roma, Barrè, 1555, livre 4, p. 85. 269 par Marenzio 480 . Il ne s’agit pas là à proprement parler d’Augenmusik, puisque pour comprendre l’effet recherché, le lecteur doit non seulement voir la notation musicale de la partition mais aussi faire le rapprochement avec le terme ligature (ou legature chez Zarlino) qui vient bien sûr du mot legare, lier. L’intonation du vers ch’in mezzo del mio core (Car au milieu de mon cœur) du madrigal Crudel se m’uccidete est un autre exemple de parallélisme entre un mot et le vocabulaire technique musical. Le compositeur a en effet recours à ce que Zarlino appelle corda mezzana, note qui divise en deux la diapente en une tierce majeure et une tierce mineure. La pièce étant en mode 2 sur sol ({sol/b/c1}), la corda mezzana est le si bémol. Le ténor et le canto, les deux voix qui traditionnellement portent le mode, font coïncider l’accent tonique du mot mezzo et la corda mezzana du mode de la pièce, dans un soggetto qui met particulièrement en relief la position médiane du si bémol : exemple musical 68 : Crudel se m’uccidete (I.4, n. 11, canto, brève 10) Dans la péroraison du madrigal Dolci sdegni e dolci ire, Macque fait une aussi allusion indirecte à la technique du cantus firmus (chant « ferme », donc stable) dans l’intonation du dernier vers Qual torre ai venti e qual all’onde scolglio (tel une tour au milieu des vents et tel un rocher dans les vagues). Les valeurs longues donnent en effet à la basse un aspect de cantus firmus : exemple musical 69 : Dolci sdegni e dolci ire (II.5, n. 6, brèves 25-32) 480 Voir CHATER James, Luca Marenzio and the Italian Madrigal, op. cit., p. 62. Pour un exemple de ligature, voir par exemple l’intonation du mot nodo dans le madrigal Così soave è 'l foco (II.5, n.16, tenore, brèves 6-7). 270 L’effet obtenu est évidemment aussi auditif. Le contraste entre l’agitation des voix supérieures 481 et la fermeté de la basse se perçoit sans qu’il soit nécessaire de faire le lien avec le terme cantus firmus. Cependant, cette sorte de jeu de mot musical rajoute un niveau de lecture supplémentaire au passage. Clausula peregrina et commixtio tonorum À mi-chemin entre l’effet auditif et le jeu intellectuel se trouvent toutes les infractions aux règles du contrepoint modal 482 , notamment par le biais de la clausula peregrina 483 (cadence réalisée en dehors des hauteur régulière du mode). Macque montre une certaine virtuosité dans l’usage de ces procédés, notamment lorsqu’il s’intéresse au thème du départ et du retour. Toute la première moitié du madrigal Quando l’amante parte est construite autour du principe d’éloignement et de retour au mode de la pièce (mode 11 sur fa, {fa/b/c1}). 481 Voir le passage entier, II.5, n. 6, brèves 25-33. La question du degré d’abstraction de tels effets est problématique. Pour l’immense majorité des auditeurs d’aujourd’hui, ces procédés ne sont absolument pas perceptibles à l’écoute et n’ont absolument aucune charge émotionnelle, mais était-ce déjà le cas à la Renaissance ? Cela dépendait probablement du public. Les écrits de l’époque témoignent en effet du risque couru par le compositeur qui transgresse les règles du contrepoint car ce dernier s’expose à l’incompréhension de l’auditeur suffisamment instruit pour repérer l’irrégularité, mais pas assez fin pour comprendre qu’il s’agit là d’un moyen expressif. À ce propos, Paolo Fabbri cite la lettre de Marco da Gagliano contenue dans la partie de Bassus generalis de son Sacrarum cantionum … Liber secondus (Venezia, Magni, 1622). L’auteur déclare : « parfois, sortir de la règle accroît sensiblement la beauté de l’œuvre, … ces beautés irrégulières peuvent cependant être tenues par celui qui n’est pas trop expérimenté comme de très grosses inadvertances, et comme des erreurs de débutant » (« tal volta l’uscir di regola cresce non poca bellezza all’opera …, le quali sregolate bellezze, a chi non s’avanza tropp’oltre nell’esperienza, posson essere tenute grossissime inavertenze ed erori da principianti. »), in FABBRI Paolo, Il madrigale tra Cinque e Seicento, op. cit., p. 29. À ce propos, voir aussi, MEIER Bernhard, The Mode of the Classical Vocal Polyphony, op. cit., p. 238-239. 483 Sur la clausula peregrina, voir en particulier MEIER Bernhard, The Mode of Classical Vocal Polyphony, op. cit., p. 89-122 et p. 248-285. Sur l’usage expressif des cadences dans le madrigal, voir LA VIA Stefano, « ‘Natura delle cadenze’ e ‘natura contraria delli modi’, punti di convergenza fra teoria e prassi nel madrigale cinquecentesco », Il saggiatore musical, IV/1, 1997, p. 5-51, CHATER James, « The Structural Function of the Cadence », in Luca Marenzio and the Italian Madrigal, op. cit., p. 76-89 et CECCHI Paolo, « Cadenze e modalità nel ‘Quinto libro’ di Carlo Gesualdo », Rivista italiana di musicologia, XXIII, 1988, p. 93-131. 482 271 Quando l’amante Quand l’amant part cadence sur fa parte cadence sur bémol cadence sur sol De son unique bien-aimée da l’unico suo bene cadence sur fa cadence sur fa di sé la miglior parte La meilleure partie de luimême lassa, Il laisse, cadence sur sol cadence sur sol portando sol seco la spene emportant avec seulement l’espoir del subito ritorno. Du très prochain retour. lui cadence phrygienne sur ré imitation biaccordale sur ré-sol cadence sur fa Le premier vers, Quando l’amante parte, (Quand l’amant part) fait l’objet de trois cadences successives, qui nous éloignent de plus en plus des cadences régulières du mode 484 . La première cadence est sur fa, la seconde sur si bémol, et la troisième sur sol, qui, à ma connaissance, n’est reconnu par aucun théoricien de la Renaissance comme une cadence régulière de ce mode. Il s’agit très clairement d’un cas de clausula peregrina. Fa et sol vont ensuite être respectivement les hauteurs cadentielles du retour et de l’éloignement. La bien-aimée (l’unico suo bene) donne lieu à deux cadences sur fa, puis Macque repart sur sol pour le mot lassa (laisse). L’intonation du cinquième vers est particulièrement 484 La détermination des cadences régulières des modes est un argument particulièrement délicat. Pour Bernhard Meier, les cadences régulières du mode 11 sur fa – ou mode de fa authente, mode 5 pour l’auteur – sont fa et do (voir MEIER Bernhard, The Mode of the Classical Polyphony, op. cit., p. 162). 272 si intéressante. Macque joue en effet avec l’effet d’attente du « très prochain retour » (del subito ritorno). Ce dernier étant annoncé comme imminent mais pas encore présent, le compositeur fait une série de cadence sur sol grâce à une longue imitation biaccordale sur ré-sol, conclue par une cadence sur fa, qui réalise le retour tant espéré. exemple musical 70 : Quando l’amante parte (II.5, n. 19, brèves 16-19) La pièce suivante, Non può l’alma forzasi (L’âme ne peut se forcer) est un autre exemple d’utilisation virtuose de la cadence. Le madrigal s’ouvre par une série de cadences évitées (ce que Zarlino appelle fuggire la cadenza 485 ), qui dévient les phrases des directions normalement attendues, et semblent exprimer l’impossibilité de forcer le parcours des lignes mélodiques. La fin de la première phrase devrait se conclure naturellement par une cadenza perfetta sur l’octave do-do entre quinto et canto sur la troisième brève, cadence annoncée par le retard de la voix supérieure, mais celle-ci est évitée par le canto, qui descend sur la au lieu de remonter sur do. exemple musical 71 : Non può l’alma forzarsi (II.5, n. 20, brèves 1-3) 485 « … il suffira de dire que fuir la cadence est (comme on a vu), une certaine action que font les parties, qui semblent vouloir aller faire une terminaison parfaite, selon l’un des moyens montrés ci-dessus, et se retrouvent ailleurs. » (« … bastarà solamente dire, che 'l Fuggir la Cadenza sia (come havemo veduto) un certo atto, il qual fanno le parti, accennando di voler fare una terminatione perfetta, secondo l'uno de i modi mostrati di sopra, et si rivolgono altrove. »), in ZARLINO Gioseffo, « Il modo di fuggir le Cadenze … Capitolo 54 », Le istitutioni harmoniche, op. cit., troisième partie, p. 226. Le terme cadenza fuggita est utilisé aussi pour désigner les passages en tuilage, dans lesquels une ou plusieurs voix abandonne ou intègre la polyphonie avant la cadence, sans participer à celle-ci. 273 Le même procédé se reproduit aux mesures 3, 7 et 8. Commixtio tonorum Cette transgression des règles du contrepoint modal n’a pas lieu qu’aux cadences. Macque peut aussi sortir volontairement du mode pendant des passages entiers. Il est souvent délicat de savoir si le compositeur fait appel ou non à la mixtio tonorum (passage d’un mode à son correspond plagal ou authente) ou à la commixtio tonorum (passage d’un mode à un autre complètement étranger) 486 car le respect des schémas mélodiques modaux est loin de constituer une règle absolue dans le répertoire du madrigal. Les intentions du compositeur sont cependant parfois extrêmement lisibles. Tel est le cas par exemple dans la dernière partie de Donna quando volgete. Le madrigal se conclut par ces vers : Dura legge d’Amore/che in ogn’evento è travagliato il core (Dure loi d’Amour/puisque le cœur est travaillé à chaque événement). Macque musique la dura legge d’Amore en violant ostensiblement des lois du mode de la pièce (mode 8, {sol, §, c1}. exemple musical 72 : Donna, quando volgete (I.4, n. 10, brèves 31-34) 486 Sur les concepts de mixtio tonorum et commixtio tonorum, voir MEIER Bernhard, The Mode of Classical Vocal Polyphony, op. cit., 287-294, CHATER James, Luca Marenzio and the Italian Madrigal, op. cit., p. 4547, et LA VIA Stefano, « ‘Natura delle cadenze’ e ‘natura contraria delli modi’, punti di convergenza fra teoria e prassi nel madrigale cinquecentesco », op. cit., p. 14-22. Voir aussi ZARLINO Gioseffo, « Delli modi communi e delli misti », Le istitutioni harmoniche, op. cit., quatrième partie, p. 315. Zarlino utilise les termes de modi communi dans les compositions qui font fusionner plagal et authente, et de modi misti dans celles qui mélangent deux modes étrangers. 274 L’infraction modale est d’autant plus évidente qu’à la répétition, le passage est transposé un ton en dessous, à une hauteur qui respecte cette fois-ci le mode et les cadences régulières de la pièce (cadence sur sol, brève 39), avant d’être directement enchaîné à la version non-transposée, répétée une deuxième fois : exemple musical 73 : Donna, quando volgete (I.4, n. 10, brèves 37-42) 275 Ce passage joue aussi avec la connotation dure du dièse, par analogie avec le bécarre, bequadro ou duro 487 . Marenzio utilise le même motif en augmentation dans les premières mesures de Dura legge d’Amor du Nono libro de madrigali a cinque voci, publié presque quinze ans plus tard (Venezia, Gardano, 1599). Marenzio fait peut-être allusion à l’intonation de Macque, à moins que ce type de soggetto ne soit déjà devenu un topos récurrent du répertoire. exemple musical 74 : Luca Marenzio, Dura legge d’Amor (Il nono libro de madrigali a cinque voci, Venezia, Gardano, 1999, brèves 1-8) 488 Techniques contrapuntiques Le degré d’abstraction majeur est sans doute atteint lorsque Macque transcrit un concept poétique par une technique contrapuntique. Contrairement aux transgressions modales, qui pouvaient probablement être entendues ou ressenties par certains auditeurs cultivés, ou aux effets visuels qui restent d’un accès relativement directs à condition d’avoir la partition devant les yeux, ces procédés ne sont compréhensibles que par une analyse rationnelle de l’écriture. Une des techniques les plus classiques consiste à faire correspondre le nombre de voix utilisées à une quantité numérique exprimée plus ou moins clairement dans le texte. L’effet obtenu peut être tout à fait évident lorsqu’il s’agit d’exprimer la solitude, ou la 487 Pour une utilisation équivalente des termes voir par exemple ZARLINO Gioseffo, « Della inventione delle Chiavi, et delle Figure cantabili. Capitolo 2. », Le istitutioni harmoniche, op. cit., troisième partie, p. 148. 488 D’après MARENZIO Luca, Il nono libro de madriglai a cinque voci, éd. Paolo Fabbri, Milano, Zerboni, 2000, p. 14. 276 totalité d’un groupe 489 , mais aussi bien plus caché, si la quantité n’est pas évoquée explicitement dans le poème. Dans l’extrait suivant la réduction de la texture aux deux seules voix supérieures – procédé rarement utilisé par Macque – fait très probablement référence aux deux yeux du poète (nei lumi miei, dans mes yeux), subtilité difficilement saisissable à l’écoute : exemple musical 75 : Mentre, mia stella, miri (II.5, 11, brèves 11-12) Plus complexe est l’analogie entre le concept poétique de duplicité et la technique contrapuntique de contrappunto doppio (contrepoint double), telle qu’on la trouve décrite chez Zarlino 490 . Rappelons que pour Zarlino, un contrappunto doppio s’obtient « en échangeant les parties de telle manière que l’aigu devienne grave et que le grave devienne aigu, sans aucune variation de mouvement » 491 . Le contrappunto doppio de Zarlino correspond à ce que l’on appelle aujourd’hui contrepoint renversable. 489 Pour une réduction de la texture liée à l’idée de solitude, voir par exemple les exordes de Solo ov’io era tra boschetti e colli (I.4, n. 16) et de Non veggio, oimè, quei leggiadretti lumi (I.4, n. 17). Pour un emploi de l’effectif complet pour exprimer la totalité, voir l’intonation du vers Stan tutti per mirarla (II.5, n. 14, brèves 13-14). 490 Voir aussi VICENTINO Nicola, « Modo di comporre il contrapunto doppio, avero compositione doppia. Capitolo XXXIIII », in L’antica musica ridotta alla moderna prattica, op. cit., livre 4, p. 90. 491 « … mutando le parti in questo modo, che l' acuta diventi grave, et la grave acuta, senza variatione alcuna di movimenti. » in ZARLINO Gioseffo, « Delli Contrapunti doppij, et quello che siano. Capitolo 56 », Le istitutioni harmoniche, op. cit., troisième partie, p. 229. 277 Dans la péroraison du madrigal, Nel morir si diparte, Macque met en musique les mots doppio dolore sentendo (en éprouvant une double douleur) par un contrappunto doppio, dans lequel basso et canto échangent leur soggetto : exemple musical 76: Nel morir si diparte (I.4, n. 8, brèves 33-36) Le madrigalisme le plus abstrait et raffiné de l’ensemble des deux recueils est probablement l’usage de contrepoint par mouvement contraire 492 pour l’intonation des paradoxes et des oxymores, figure de rhétorique qui juxtapose des concepts opposés. Le procédé – bien que n’étant pas uniquement réservé aux oxymores – réapparaît trop souvent pour être le fruit d’un simple hasard 493 (notamment dans le Secondo libro a cinque, dont les textes poétiques, on l’a vu, se prêtent particulièrement bien à cette subtilité stylistique) : 492 La locution mouvements contraires (movimenti contari) était déjà utilisée par les théoriciens du XVIe siècle (voir notamment ZARLINO Gioseffo, « Che le parti della Cantilena debbeno procedere per movimenti contrarij. Capitolo 35 », Le Istitutioni harmoniche, op. cit., troisième partie, p. 184). 493 Voir aussi l’exorde de Dolci sdegni e dolci ire (II.5, n. 6) et l’intonation des vers in un pietosa e cruda (II.5, n. 1, brèves 26-28) et l’amaro dolce e la pena diletto (II.5, n. 7, brèves 34-36). 278 exemple musical 77: Così soave è ’l foco (II.5, n. 16, brèves 1-2) Così soave è il foco Le feu est si doux exemple musical 78 : Ben poté fede a pieno (II.5, n. 15, brèves 21-23) per cui si vive in altri pour qui l’on vit dans les autres 279 On mesure l’abîme qui sépare les oxymores gésualdiennes – qui s’expriment de manière essentiellement sensitive et plongent l’auditeur dans une atmosphère ambiguë 494 – de ces jeux de correspondances musico-poétiques, qui procurent des satisfactions bien plus intellectuelles qu’émotionnelles. Syntaxe et musique Introduction L’expression musicale du contenu sémantique du texte poétique est sans aucun doute l’un des aspects les plus significatifs de la poétique du madrigal italien. Cependant, Macque, comme beaucoup de ses contemporains, sait aussi se montrer sensible à d’autres paramètres littéraires, et notamment à certaines tournures logico-syntaxiques caractéristiques du courant pétrarquiste. Le madrigaliste s’attache tout particulièrement à trouver des correspondants musicaux aux variations du rythme poétique et de la progression syntaxique engendrées par ce que le critique littéraire Dàmaso Alonso a défini par le terme pluralité 495 . Rappelons brièvement en quoi consiste ce procédé littéraire éminemment pétrarquiste 496 , qui se propagea dans toute la poésie européenne du XVIe et XVIIe siècle. La pluralité consiste en une accumulation de mots ou syntagmes ayant une fonction syntaxique équivalente au sein de la phrase. Les pluralités sont souvent disposées de manière équilibrée et symétrique au sein du vers, comme dans l’exemple suivant : 494 À ce propos, voir notamment WALKINS Glenn, Gesualdo. The Man and His Music, op. cit., p. 164. ALONSO Dàmaso, Pluralità e correlazione in poesia, Bari, Adriatica, 1971. 496 « Le jeu entre les pluralités .. et l’expression monomembre est presque le moyen normal et habituel de l’expression de la pensée poétique de Pétrarque, est peut-être la caractéristique la plus constante de son style », (« Il giuoco fra le pluralità … e l’espressione monomembre è quasi il mezzo normale e abituale del pensiero poetico del Petrarca, è forse la caratteristica più costante del suo stile. », in ALONSO Dàmaso, « La poesia del Petrarca e il pertrarchismo », Saggio di metodi e limiti stilistici, Bologna, Il Mulino, 1965, p. 311. 495 280 Dolci sdegni – e dolci ire 497 Doux dédains – et douces colères Alonso parle alors de vers plurimembres parfaits498 – le plus souvent bimembres mais aussi trimembres, quadrimembres, etc. Les pluralités peuvent aussi se répartir de manière asymétrique, notamment lorsque le vers n’est pas rempli entièrement par la pluralité, comme dans l’exemple suivant : tanto son dolci e nodo – e foco – e strale tant sont doux les noeuds, – le feu – et les flèches 499 (Alonso parle alors de vers plurimembres imparfaits500 ). Pour Alonso, l’une des fonctions essentielles de la pluralité est de varier le rythme syntaxique de la phrase 501 , l’absence de pluralité procurant une sensation de fluidité, et leur présence créant des ruptures dans le déroulement du discours, qui résulte alors moins continu, car brisé en de petites unités qui ralentissent le débit 502 . Alonso insiste sur le mouvement balancé et équilibré que procure l’expression bimembre chez Pétrarque 503 . 497 Ce madrigal du Secondo libro a cinque de Macque (n. 6) fait référence au premier vers du sonnet CCV de Pétrarque, qui commence par une pluralité de sept membres : Dolci ire, dolci sdegni e dolci paci,/dolce mal, dolce affanno e dolce peso/dolce parlar e dolcemente inteso/ or di dolce ora,/or pien di dolci faci. 498 Voir ALONSO Dàmaso, « La poesia del Petrarca e il petrarchismo », op. cit., p. 307-308. 499 I.4, n. 9, dernier vers. 500 Alonso admet que la distinction entre plurimembres parfaits et imparfaits est difficile à définir (voir « La poesia del Petrarca e il petrarchismo », op. cit., p. 308). 501 À propos de l’usage des pluralités chez Cervantès, Alonso remarque : « Peu ou rien n’est gagné en pittoresque, et très peu (et seulement quelques fois) au niveau conceptuel. … Ce sont en réalité les nécessités rythmiques de la prose de Cervantès (repos, gravité, équilibre) qui poussent à une constante bimembration. » (« Poco o niente si guadagna così nel pittoresco, molto poco (e solamente a volte) nel concettuale. … Sono, in realtà, necessità ritmiche sentite dalla prosa cervantina (riposo, gravità, equilibrio) quelle che la portano a una costante bimembrazione. », in ALONSO Dàmaso, Pluralità e correlazione in poesia, op. cit., p. 17). 502 « Le sonnet de Pétrarque, en général, est caractérisé par une très forte tendance à la pluralité et à la plurimembration. Celle-ci donne la sensation d’un cours d’eau divisé constamment en plusieurs bras, parfois deux, parfois trois, et même plus. Le cours d’eau retourne presque toujours se reposer dans la division binaire ; d’autres fois, il court uni dans un seul lit. » (« Il sonetto del Petrarca, in genere, è caratterizzato da un’enorme tendenza alle pluralità e alle plurimembrazioni dell’endecasillabo. Dà la stessa sensazione di un corso d’acqua diviso costantemente in bracci, a volte due, a volte tre, e anche più. Il corso torna poi quasi sempre a riposarsi nella divisione binaria ; altre volte scorre unito in un solo alveo. », in ALONSO Dàmaso, « La poesia del Petrarca e il petrarchismo », op. cit., p. 316-317). 503 « Les profondes nécessités esthétiques qui cherchaient une forme dans l’esprit de Pétrarque, tendaient à s’exprimer, à se modeler, selon un système équilibré par un mouvement binaire, qui jaillit, pourrait-on dire, d’une bimembration de la pensée poétique. » (« Le profonde necessità estetiche che cercavano una forma nello spirito del Petrarca miravano ad esprimersi, a modellarsi, secondo un sistema equilibrato da un 281 Rythme poétique et répartition du vers Cet aspect particulièrement rythmique de la poésie pétrarquiste trouve son équivalent dans les intonations de Macque, dont les textes font très souvent appel aux pluralités. Même s’il est difficile de généraliser – les madrigalistes opérant rarement de manière systématique –, les ruptures syntaxiques générées par les pluralités se traduisent très souvent par un fractionnement du vers en autant de parties qu’il y a d’entités dans la pluralité, contrairement aux vers monomembres, qui sont plus souvent musiqués en un bloc. La pluralité semble faire partie des principales raisons qui poussent le compositeur à déroger à la règle de la correspondance « phrase musicale = vers ». Il ne s’agit évidemment pas d’une règle absolue, mais d’une tendance assez nette pour mériter d’être signalée 504 . En effet, plus de 70% des vers parfaitement bimembres des deux recueils sont sectionnés aux frontières des conposantes de la pluralité, contre environ 30% des vers monomembres. (Lorsque Macque sectionne un vers monomembre, c’est souvent pour en isoler un mot-clé (amor, ahimè, perché, etc.) ou bien pour privilégier la syntaxe de la phrase au détriment de la métrique en cas d’enjambement 505 ). Ci-dessous sont reportés trois exemples de texte respectant parfaitement la correspondance vers bimembre parfait => deux unités musicales, vers monomembres => une seule unité musicale. Le premier texte s’ouvre et se conclut par deux vers parfaitement bimembres, dont l’intonation musicale isole les membres de la pluralité. (Chaque unité musicale est soulignée, les pluralités musicales sont indiquées en caractères gras.) Dolci sdegni e dolci ire, Doux dédains et douces colères, movimento binario, che sorge, potremmo dire, da una bimembrazione del pensiero poetico, in ALONSO Dàmaso, « La poesia del Petrarca e il petrarchismo », op. cit., p. 316). 504 Certains madrigaux ne fonctionnent en effet pas du tout selon ce principe. Voir en particulier Le Ninfe del mar d’Adria, dont la majorité des vers sont découpés en deux parties sans la présence de pluralités (le rythme ample des hendécasyllabes ne correspondait probablement pas à l’atmosphère recherchée par Macque dans la pièce). 505 Sur la mise en valeur des mots-clés par un découpage du vers, voir supra, p. 247. Pour des exemples d’enjambements, voir particulièrement l’intonation des vers suivants : lo spietato costume/penso (II.5, n. 1), perché tu rivolgessi/fisso (II.5, n. 11), Ben pote fede a pieno/farvi et ma com’in me senza di lui ha loco/la vita (II.5, n. 15), di sé la migliore parte/lassa (II.5, n. 19) et né può dal vostr’amor/distormi (II.5, n. 20). 282 nés d’une douce erreur, nate da un dolce errore, cessez désormais de pénétrer mon coeur cessate omai di penetrarmi il core et de me martyriser, e di darmi martire! que je redevienne celui que j’ai toujours été, Ch’io son qual esser soglio, tel une tour dans les vents qual torre ai venti e qual et tel un rocher dans les all’onde scoglio! vagues. Le texte suivant, presque entièrement construit sur une pensée binaire réunifiée dans le dernier distique, se présente comme une succession de pluralités reliées entre elles par ce qu’Alonso a définit corrélation 506 . Macque ne divise en deux que les vers parfaitement bimembres (nous verrons par la suite qu’il existe d’autres moyens pour exprimer les pluralités de plus petite taille). Così soave è ’l foco e dolce il Si suave est le feu, et si doux le nœud nodo avec lequel tu m’incendies, Amour, con che m’incendi, Amor, con che avec lequel tu me mi leghi, lies, ch’arso e preso mi godo, qu’ardent et emprisonné je jouis né cercherò giamai s’estingua o et ne chercherai jamais à l’éteindre ou le 506 La corrélation est définie par Alonso comme une suite de pluralités dont les membres sont reliés entre eux par un même lien logico-syntaxique (dans le madrigal Così soave è ’l foco, il s’agit d’une double corrélation qui met en parallèle la description et les effets du feu et du nœud sur l’amant). Nous ne nous attarderons pas sur la corrélation, car celle-ci n’a pas de vraies implications musicales dans les madrigaux étudiés ici (voir ALONSO Dàmaso, « Teoria della correlazione », Pluralità e correlazione in poesia, op. cit., p. 117-280). 283 sleghi, dénouer, anzi, desio che sempre au contraire, je désire que toujours si strugga il cor in sì soavi tempre. mon cœur se détruise dans un étau si suave. Le dernier poème ne contient aucune pluralité. L’intonation de Macque respecte alors parfaitement l’équivalence vers=unité musicale 507 . Crudel, se m’uccidete, Cruelle, si nous me tuez pur voi stessa offendete, vous vous blessez vous-même, ch’in mezzo del mio core car au milieu de mon cœur vi scolpì viva Amore, Amour vous a gravée toute vive tal che voi non potrete de telle sorte que vous ne puissiez ferirmi con begli occhi, me blesser de vos beaux yeux che parte de la piaga a voi sans qu’une partie de la plaie ne vous touche non tocchi. vous-même. Ma se tanto crudel esser vi Mais s’il vous plaît d’être si cruelle piace, ne faites alors usage que de votre visage adoperate almen solo la face, car je serai content de mourir par le feu che contento sarò morir di afin que vous restiez embrasée encore un peu. foco, perch’ancor 507 voi restiate Pour un autre exemple de texte entièrement monomembre, voir Quando Madonna il gardo (II.5, n. 9). 284 accesa un poco. Les moyens mis en œuvre pour diviser les différentes parties de la pluralité sont variables. Ils vont de la séparation en blocs plus ou moins imperméables au moyen de cadences bien définies et/ou de contraste de tessiture 508 , à la juxtaposition de techniques contrapuntiques différentes 509 , en passant par la simple scission du vers en deux soggetti combinés 510 . Ces différents procédés peuvent bien évidemment se combiner, comme dans l’intonation de ce vers bimembre, « che l’arde a un tempo – e fa divenir gielo » (« qui l’embrase – tout en le transformant en glace ») : exemple musical 79 : Nel morir si diparte (I.4, n. 8, brèves 22-28) Cet extrait illustre aussi un autre aspect important de la mise en musique des pluralités. En effet, Macque ne s’attache pas seulement à respecter le rythme poétique résultant de l’utilisation de vers plurimembres, mais il cherche généralement aussi à exprimer le lien sémantique qui unit leurs différents composants. 508 Voir par exemple l’intonation du vers Sua dolce forza e suo santo costume (I.4, n. 12). Voir par exemple l’exorde de Così soave è ’l foco e dolce il nodo (II.5, n. 16). 510 La plupart des vers bimembres des textes précédents sont traités de cette manière (voir par exemple l’intonation de l’exorde et de la péroraison de Dolci sdegni e dolce ire (II.5, n. 6). 509 285 Contraste et identité Envisagé sous un angle sémantique, le principe de la pluralité est d’accumuler des concepts qui ont à la fois un dénominateur commun et un élément qui les distingue 511 . Chaque membre de la pluralité est en quelque sorte une variation conceptuelle sur un thème, généralement celui des danni d’amore 512 . La variation peut être minime si les concepts sont apparentés, voire nulle en cas de synonyme, mais aussi, topos bien connu de la poésie pétrarquiste, en opposition brutale. Dans l’exemple précédent, Macque met très clairement l’accent sur le contraste entre les deux membres de la pluralité, exprimant l’opposition du couple arde/fa divenir gielo par l’utilisation de techniques radicalement opposées (imitation/homophonie ; rapidité des vocalises/lenteur de la déclamation ; diatonisme/chromatisme). Cette tendance à accentuer de manière très marquée les oppositions du texte poétique – et pas uniquement dans le cadre de pluralités – se renforcera de plus en plus chez la dernière génération de madrigalistes, Macque compris 513 . Dans les deux recueils qui nous intéressent ici, l’expression des contrastes encore reste relativement mesurée 514 . Macque s’intéresse plutôt à exprimer la relation d’identité qui s’établit entre les différentes parties des pluralités. Le procédé généralement utilisé consiste à répéter un même motif, celui-ci pouvant être mélodique et/ou rythmique, et/ou harmonique : exemple musical 80 : pluralité mélodique, Ben poté fede a pieno (II.5, n. 15, brèves 22 et 26) per cui si vive in altri – e ’n sé si more pour qui l’on vit dans les autres – et l’on meurt en soi-même 511 Voir ALONSO Dàmaso, « La poesia del Petrarca e il petrarchismo », op. cit., p. 307. Sur les danni d’amore, voir ALONSO Dàmaso, « La poesia del Petrarca e il petrarchismo », op. cit., p. 335-342. 513 À ce propos, voir BIANCONI Lorenzo, Il Seicento, op. cit., p. 7-9. 514 Pour un autre exemple d’opposition marquée entre deux membres d’une pluralité voir l’exorde de I’ piansi, or canto, ché ’l celeste lume (I.4, n. 12) et aussi dans une certaine mesure l’intonation du vers Non lauro o palma, ma tranquilla oliva (I.4, n. 13), voir infra, exemple musical 82, p. 287. 512 286 exemple musical 81 : pluralité rythmique, A l’ultimo bisogno (I.4, n. 5, brèves 4-6) accampa ogni tuo ingegno – ogni tua forza tout ton talent aligne – et puis tout ton pouvoir exemple musical 82 : pluralité harmonique, Sì profondo era e di sì larga vena (I.4, n. 13, brèves 11-15) non lauro, – o palma, – ma tranquilla olive non laurier – ou palme, – mais pacifique olive Le caractère anaphorique de certaines pluralités s’adapte particulièrement bien à ce genre de procédés 515 : exemple musical 83 : Dolci sdegni e dolci ire (II.5, n. 6, brèves 27-30) 515 Pour une analyse des anaphores musicales du Quinto libro de madrigali a cinque voci de Monteverdi, voir notamment FABBRI Paolo, Monteverdi, op. cit., p. 84-85. 287 qual torre ai venti – e qual a l’onde scoglio tel une tour dans les vents – et tel un rocher dans les vagues. exemple musical 84 : Così soave è ’l foco (II.5, n. 16, brèves 7-9) con che m’incendi Amor, – con che mi leghi avec qui tu m’incendies, Amour, – avec qui tu me lies, Le morcellement du vers n’est cependant pas obligatoire pour produire l’effet recherché, la répétition pouvant s’opérer à l’intérieur même du soggetto : exemple musical 85 : Nel morir si diparte (I.4, n. 8, brèves 12-16) Gran dolor, – pena grave Grande douleur, – peine grave La répétition d’un même motif à l’intérieur du soggetto, procédé plus discret que la division du vers, est souvent préférée pour les vers bimembres imparfaits et asymétriques 516 : exemple musical 86 : Così soave è ’l foco (II.5, n. 16, brèves 13-14) 516 Voir aussi l’intonation des vers gran tempo e senza speme, i’ pasco il core (II.5, n. 6), fra le perle e i rubini (II.5, n. 8) et né cercherò giamai s’estingua o sleghi (II.5, n. 16). 288 ch’arso – e preso mi godo qu’ardent – et emprisonné je jouis Dans un cas, la pluralité est même tout simplement exprimée par le retour continuel sur la même hauteur de la ligne mélodique, et ceci dans toutes les voix (sauf une fois à la basse) : 289 exemple musical 87 : Quel dolce nodo che mi strinse il core (I.4, n. 9, brèves 27-32) onde mi lega Amor, – arde – et assale avec lesquels Amour me lie, – m’enflamme – et m’assaille Le caractère obsessionnel de la ligne mélodique correspond particulièrement bien à cette description accumulative des danni d’amore. Contrairement aux deux livres de Madrigaletti et napolitane, qui conjuguait légèreté de ton et simplicité des rapports texte-musique, les deux premiers recueils napolitains de Macque ne renoncent en rien aux subtilités et au raffinement de la rhétorique madrigalesque. Le compositeur réalise au contraire ici un véritable travail d’orfèvre, récupérant et renouvelant l’attirail de figures hérité des générations de madrigalistes (et motettistes) précédentes. Si l’on en croit Ruth DeFord, qui considère que dans les deux premiers recueils romains de Macque, « la musique n’a généralement que peu de rapport 290 avec le texte » et que leur auteur « n’a presque aucun souci d’exprimer le contenu émotionnel du texte en musique » 517 , cette attention au texte poétique serait relativement nouvelle dans la production du madrigaliste. Ces observations méritent cependant sans doute d’être relativisées car beaucoup des procédés utilisés dans les deux premiers livres napolitains de Macque étaient déjà présents dans ses recueils romains des années 1570. S’il est vrai que le compositeur peut avoir, on l’a vu, une attitude extrêmement abstraite par rapport au texte poétique, et ne pas toujours exprimer les concepts poétiques de manière « émotionnelle », l’attention au texte est, elle, bien réelle et s’attache à en retranscrire tant le niveau sémantique que syntaxique et logique. Les deux premiers recueils napolitains de Macque adhèrent par bien des aspects à la légèreté du style hybride qui caractérise une grande partie de la production madrigalesque des années 1580 : choix poétiques très centrés sur les petits madrigaux épigrammatiques, importance croissante des techniques homophones, utilisation de soggetti caractérisés par leur vivacité rythmique et leurs contours bien ciselés, recours aux schémas rythmiques stéréotypés de canzonetta, clarté harmonique, intonations parsemées de topoi du madrigal léger, jeux symboliques entre la musique et le mot poussés à l’extrême, etc. Tout en démontrant une préférence très nette pour cette légèreté de ton et cette simplicité de facture, Macque ne s’enferma cependant pas dans un style unique et continua, comme beaucoup de ses contemporains, à cultiver aussi d’autres types d’écritures, liées à l’intonation plus exigeante des rimes du Canzoniere, ou bien à la recherche d’un langage plus expressif et plus sombre. Pour Keith Larson, qui ne connaissait cependant que le Secondo libro a cinque sous une forme incomplète : 517 « The music usually has little relationship to the text », « Macque … has virtually no interest in expressing the emotional content of his texts in music », in DEFORD Ruth, Ruggiero Giovannelli and the Madrigal in Rome, op. cit., p. 178-179. 291 « Macque combina dans le Secondo libro a cinque pour la première fois dans l’histoire du madrigal napolitain, et avec maestria, beaucoup d’aspects caractéristiques de ce qui deviendra par la suite la tradition centrale du madrigal post-gésualdien » 518 . Cette combinaison d’éléments nouveaux aux madrigalistes napolitains, fait de légèreté matinée ponctuellement de passages plus tendus harmoniquement, doit sans doute beaucoup au passé romain du compositeur, à l’émulation qui semble avoir existé entre lui et Marenzio – figure majeure et incontournable du madrigal de cette période – à ses relations apparemment assez proches avec Giovannelli et les autres musiciens de la Compagnia dei musici di Roma, qui surent cueillir avant leurs collègues parthénopéens les transformations du langage madrigalesque. La musique de Macque démontre clairement que celui-ci avait un regard très large sur le madrigal, englobant non seulement la production de ses connaissances romaines Marenzio et Giovannelli, mais aussi celle de Lassus, de Gabrieli et même du grand maître sicilien Vinci et probablement de bien d’autres. Macque, comme tous les grands noms du madrigal, sut se montrer extrêmement sensible aux moindres sursauts stylistiques de ce genre mouvant par excellence, résultant de l’inventivité constante des compositeurs et de l’évolution du goût de leurs commanditaires et de leur public. Même si une conception trop cloisonnée des vies musicales locales ne reflète certainement pas fidèlement la réalité, il est possible que Naples ait été plus isolée que la ville pontificale dans les années 1580, au moins en matière de musique profane. Les observations de Keith Larson incitent même, de manière peut-être un peu simpliste, à envisager l’arrivée de Macque à Naples comme un élément d’ouverture dans le panorama musical parthénopéen, « important » à Naples ces « inventions procurant un nouveau plaisir » (« invenzione di nuovo diletto ») dont parle Giustiniani à propos de la musique de Marenzio et Giovannelli 519 , et assumant peu à peu le rôle de chef de file et de capo scuola qu’on lui a souvent prêté. 518 « Macque combined for the first time in the Neapolitan madrigal, and in a masterful way, most of the features of what would later become the central stylistic tradition of the post-Gesualdo madrigal », in LARSON Keith, The Unaccompanied Madrigal in Naples, op. cit., p. 396. 519 Voir supra, p. 25. 292 293 T ROISIEME PARTIE – I L TERZO LIBRO DE MADRIGALI A CINQUE VOCI L’ ARTIFICIOSA ARIOSITA (1597) OU 520 … procurava con ogni sforzo et industria fare elezione di fughe, che, se ben rendevano difficoltà nel componerle, fossero ariose o riuscissero dolci e correnti a segno … … il s’ingéniait avec tous ses efforts et tout son art à choisir des fugues qui, bien que difficiles à composer, soient ariose et résultent douces et fluides … Vincenzo Giustiniani, Discorso sopra la musica de’ suoi tempi Naples et Ferrare dans les années 1590 De la Santissima Annunziata à la chapelle royale Après la publication de trois recueils en quatre ans pendant ses premières années napolitaines, Macque marqua une longue pause avant la parution de son Terzo libro de madrigali a cinque voci en 1597, pendant laquelle sa production madrigalesque se résuma à quelques participations à des anthologies 521 . La seule publication de Macque pendant cette période est son premier et unique livre de motet, imprimé quelques mois avant la 520 Je remercie le Professeur Massimo Privitera de m’avoir suggéré cette élégante expression. Ces contributions se limitent cependant généralement à des rééditions d’anciennes pièces – notamment dans les anthologies anversoises – et, on y reviendra, à des canzonette spirituelles. Sa participation à Il trionfo di Dori (Venezia, Gardano, 1592), Vaghe Ninfe selvagge, est le seul madrigal inédit de ces anthologies. 521 294 parution du Terzo libro 522 . Mis à part ces motets, nous n’avons la trace d’aucun autre imprimé du compositeur entre 1589 et 1597, même si la numérotation des recueils à quatre voix passe directement du premier livre (1586) au troisième (1610), ce qui signifie qu’un second livre à quatre voix fut probablement publié entre ces deux dates523 . Pendant les années qui séparèrent la publication du Secondo libro de madrigali a sei voci de celle du Terzo libro de madrigali a cinque voci, la carrière napolitaine du madrigaliste prit un tournant décisif. Dans sa lettre du 7 avril 1589, Macque confessait à son ami Norimberghi se trouver dans un « labyrinthe » face aux possibilités qui se présentaient à lui : rester à Naples, partir en Sicile ou revenir à Rome. Macque, « très irrésolu quant à la manière de finir le cours de sa vie », faisait allusion d’une part à l’éventualité de devenir maître de chapelle du viceroi de Sicile, et donc de se transférer à Palerme 524 , d’autre part à un poste d’organiste à 522 MACQUE Giovanni de, Johannis Macque, Valentinatis Belgae, Motectorum quinque, sex, et octo vocum, Liber primus, Mutium, Roma, 1596. 523 Plusieurs éléments peuvent expliquer ce silence de huit ans. La relation du compositeur avec Giovenale Ancina qui, selon une anecdote sur laquelle nous reviendrons, ne voyait pas d’un très bon œil le contenu frivole des poésies choisies par Macque peut sans doute expliquer ce silence (voir infra, p. 307). Plusieurs grands noms du madrigal cessèrent de publier pendant quelques années à cette période. Pour Anthony Newcomb, cela pourrait être le fait d’une réflexion profonde sur le langage musical, qui amena aux changements stylistiques radicaux des dernières années du Cinquencento : « La question de la réponse à ces enjeux la seconda pratica fut apparemment problématique pour tous les compositeurs concernés puisque chacun d’entre eux, en temps normal relativement prolifique, cessa presque de publier pendant plusieurs années. Luzzaschi publia seulement une poignée de pièces individuelles entre 1582 et 1594. Marenzio, qui avait publié plus d’une douzaine de livres au début des années 1580, n’en publia qu’un seul entre 1588 et 1594 ; Monteverdi, qui était le plus jeune des trois, était légèrement décalé par rapport à ses aînés : il publia ses trois premiers livres en 1587-1592, pour s’arrêter ensuite pendant plus de dix ans. Chacun d’entre eux, lorsqu’il recommença à publier, composa d’une manière tout à fait différente, en utilisant des harmonies plus osées, plus de dissonances, plus de contrastes rythmiques et d’intervalles mélodiques inhabituels. » (« The problem of how to respond to this summons was apparently troublesome for all the composers involved, for each of them, normally quite prolific, virtually stopped publishing for several years. Luzzaschi published only a handful of individual pieces between 1582 and 1594; Marenzio, who had published over a dozen books in the first years of the 1580s, published only one between 1588 and 1594; Monteverdi, who was much the youngest of the three, went through the cycle somewhat later, publishing his first three books in 1587–92, then stopping for over ten years. Each man, when he began to publish again, composed in a markedly different style, using bolder harmonies, a higher level of dissonance, and more rhythmic contrast and unusual melodic intervals …. », in NEWCOMB Anthony, « Madrigal, §II, 11: Italy: 16th century: The 1590s: the rise of the ‘seconda pratica’ », Grove Music Online, http://www.grovemusic.com/shared/views/article.html?section=music.4007 5.2.11, page consultée le 5 juin 2007). En ce qui concerne Macque on notera aussi plus prosaïquement que ce moment de silence correspond à une période très intense de la carrière du compositeur, pendant laquelle celui-ci n’eut peut-être tout simplement pas le temps de s’occuper de la publication d’un autre recueil. 524 Le poste de maestro de la Cappella Palatina de la cathédrale de Palerme sera assigné à Sebastian Raval en 1595. 295 Saint Jean de Latran, qui lui aurait permis de retrouver les musici di Roma et enfin à un mariage avec une jeune Napolitaine, qui l’aurait définitivement fixé à Naples. Maque opta apparemment pour la troisième solution puisqu’il contracta un mariage avec la Napolitaine Isabella Tonto le 4 avril 1592, union dont naîtront au moins quatre enfants 525 . Il est significatif que les parties intéressées aient jugé nécessaire de préciser dans l’acte de mariage que Macque aurait dû verser la somme de mille ducats au cas où il décidait de laisser Naples sans le consentement de son épouse, clause en effet prudente étant donné la mobilité du compositeur jusqu’alors 526 . Connaissant l’issue heureuse du labyrinthe dans lequel se trouvait Macque, nous pouvons considérer aujourd’hui que son choix fut tout à fait judicieux. Macque fut en effet successivement nommé second organiste à la Santissima Annunziata en mai 1590 527 puis, en septembre 1594, organiste à la chapelle du vice-roi de Naples 528 , institution dont il deviendra le maître de chapelle en décembre 1599 529 . En l’espace de quelques années, la 525 Ulisse Prota-Giurleo a retrouvé dans les archives de Naples les actes de baptême de Pietro Philippo et Maria Macque (datant respectivement de juillet 1603 et de juin 1605) ainsi que le contrat de mariage de Giovanna Macque datant de mai 1617. Voir PROTA-GIURLEO Ulisse, « Notizie sul musicista belga Jean Macque, maestro della real cappella di palazzo in Napoli », op. cit., p. 345-346. De plus, il est question d’une autre fille de Macque, Anna Antonia, dans une anecdote miraculeuse de la vie de Giovenale Ancina narrée par Carlo Lombardo (voir LOMBARDO Carlo, Della vita di Giovenale Ancina, libro V, Naples, Gaffaro, 1656, p. 119). Voir infra, p. 312. 526 « Il a été convenu expressément entre les parties que le Seigneur Giovanni ne pourra en aucun cas emmener vivre hors de Naples la demoiselle Isabelle, sa future femme, contre sa volonté et hors et sans son consentement écrit, sans quoi, s’il violait le pacte, c’est-à-dire si la demoiselle Isabella ne voulait pas s’en aller, et que le Seigneur Giovanni partait de cette ville de Naples pour aller habiter hors de Naples contre la volonté de la Mademoiselle Isabella, dans ce cas, il sera tenu, comme il le promet et à partir de maintenant y est obligé, de payer une peine statim et incontinenti de mille ducats à Isabelle, car il en a été convenu ainsi entre les parties. » (« Item è stato espressamente convenuto tra dette parti, che esso Sigore Giovanni in nullo modo possa portare fora Napoli per abitazione detta Sigora Isabella, sua futura moglie, contra la sua volontà e consenso in scriptis, altramente, contravenendo al patto o vero non volendoci andare detta Sigora Isabella, si partesse esso Sigore Giovanni da questa Città di Napoli, et andasse ad abitare fora Napoli, contro la volontà di detta Sigora Isabella, in tal caso sia tenuto, come promette e da mo s’obbliga, pagare de pena statim et incontinenti ducati mille a detta Isabella, perchè così è stato convenuto tra dette parti … », Archivio Notar. Napoli – Nr. Luigi Giordano, Vol. Capit. Matrim. Fol 711, cité in PROTA-GIURLEO Ulisse, « Notizie sul musicista belga Jean Macque, maestro della real cappella di palazzo in Napoli », op. cit., p. 340-341) 527 La Santissima Annunziata venant de se pourvoir d’un deuxième orgue, elle engagea Macque en tant que second organiste le 9 mai 1590 (voir PROTA-GIURLEO Ulisse, « Notizie sul musicista belga Jean Macque, maestro della real cappella di palazzo in Napoli », op. cit., p. 340 et 344). 528 L’organiste espagnol Christobal Obregon démissionna de ce poste pour des raisons de santé et Macque fut proposé comme second organiste de la chapelle du vice-roi le 11 septembre 1594 et se licencia de la Santissima Annunziata le premier décembre 1594 (voir PROTA-GIURLEO Ulisse, « Notizie sul musicista belga Jean Macque, maestro della real cappella di palazzo in Napoli », op. cit., p. 341 et 346). 529 Bartolomeo Roy, maître de chapelle du vice-roi et ancien collègue de la Compagnia dei musici di Roma étant décédé le 2 février 1599, Macque fut nommé à sa place le 12 décembre 1599. 296 carrière de Macque connut donc une ascension tout à fait remarquable, qui le fit passer de l’état de musicien de cour à celui de maître de chapelle du vice-roi de Naples 530 , sans aucun doute l’un des postes les plus prestigieux de la ville et peut-être même de toute l’Italie méridionale 531 . Le compositeur, désormais fortement ancré dans le tissu social et musical parthénopéen, exerça apparemment une certaine influence sur les jeunes musiciens de la ville, influence dont il est cependant délicat de mesurer la portée réelle. Il est en effet difficile de déterminer avec précision qui furent réellement les élèves de Macque car seuls deux d’entre eux se déclarent ouvertement disciples du Franco-flamand : Donato Antonio Spano 532 et Luigi Rossi 533 . La tradition a aussi rangé parmi les disciples de Macque certains musiciens qui travaillèrent sous sa direction à la Santissima Annunziata et/ou à la chapelle du vice-roi, ou bien qui prirent sa succession dans ces deux grandes institutions musicales napolitaines : Giovanni Maria Trabaci, Ascanio Maione, Francesco Lambardi et Andrea Falconieri, auxquels fut ajouté parfois aussi le nom de Giovanni Domenico Montella 534 . 530 Les vice-rois napolitains que servirent Macque furent Juan de Zuñica, comte de Miranda (1586-1595), Don Enrique de Gusman, comte d’Olivares (1595-1599), Don Ferrante Ruiz de Castro, comte de Lemos (1599-1603), Don Juan Alfonso Pimental d’Herrera, comte de Benavente (1603-1610) et Don Pedro Fernante de Castro, comte de Lemos (1610-1616). 531 Cette ascension sociale fut aussi accompagnée d’une sensible amélioration financière : le compositeur vit en effet son salaire tripler en treize ans. Les dix ducats mensuels de ses débuts à la Santissima Annunziata en devinrent douze en 1591, puis seize lorsque le compositeur se transféra à la chapelle du vice-roi, dix-neuf en 1598, vingt-six à sa nomination comme maître de chapelle, pour finir à trente ducats en 1603. Ces précisions sur le salaire de Macque sont dues encore une fois aux recherches minutieuses de Ulisse Prota-Giurleo. 532 Dans la page de titre de ses Madrigaletti ariosi et villanelle a quattro voci (Napoli, Sottile, 1607), Spano se déclare disciple de Macque et précise que ces pièces furent composées sous la tutelle du compositeur. Ce recueil fait probablement écho aux deux livres de Madrigaletti et napolitane de son maître. Sur Spano, voir LARSON Keith, The Unaccompanied Madrigal in Naples, op. cit., p. 626-631. 533 Dans la première page du manuscrit 30491 de Canzone francese de la British Library, il est en effet question de Macque en ces termes : « Giovanni de Macque qui fut le maître de l’infortuné Luigi Rossi » (« Gioanni Demaqque/ Che fù maestro di Luigi Rossi sfortunato »). 534 Il semble que cette tradition remonte aux recherches de Ulisse Prota-Giurleo sur la vie musicale napolitaine. Celui-ci ne cite malheureusement pas les sources qui lui permirent d’arriver à ces conclusions. Voir, outre l’article déjà cité « Notizie sul musicista belga Jean Macque, maestro della real cappella di palazzo in Napoli », op. cit., p. 342, PROTA-GIURLEO Ulisse, « La musica a Napoli nel Seicento », Samnium, I/4, 1928, p. 67-90 et du même auteur, « Giovanni Maria Trabaci e gli organisti della real cappella di palazzo di Napoli », L’Organo, 1960, p. 185-195. Cette lignée fut ensuite reprise par Alfred Einstein (The Italian Madrigal, op. cit., p. 697), Susanne Clerx-Lejeune (« Jean de Macque et l’évolution du madrigalisme à la fin du XVIe siècle », op. cit., p. 77), puis par Shindle dans son PhD et dans l’article du New Grove consacré à Macque. Keith Larson, en revanche, ne mentionne pas ces informations dans son PhD. 297 Même s’il n’existe aucun document prouvant de manière irréfutable le statut de maestro dont jouissait Macque auprès de ces nombreux musiciens napolitains, il est tout à fait vraisemblable que celui-ci joua un rôle important dans l’apprentissage de certains chanteurs ou instrumentistes qui travaillèrent sous sa direction, notamment lorsqu’il prit la peine de recommander leur candidature auprès du vice-roi comme ce fut le cas pour Lambardi 535 et Maione 536 . Trabaci et Maione, après avoir travaillé tous deux pour la Santissima Annunziata 537 , devinrent respectivement premier et second organiste de la chapelle du vice-roi à partir de 1601-1602 (alors que Macque était maître de chapelle) et développèrent une écriture pour clavier tout à fait proche de celle de Macque, ce qui laisse présumer de l’importance du rôle du Franco-flamand dans leur formation 538 . Les liens de Giovanni Domenico Montella et Macque sont moins documentés. Celui-ci devint membre de la chapelle du vice-roi en 1591, d’abord en tant que luthiste et par la suite comme organiste. Montella fut un madrigaliste extrêmement prolixe 539 , peut-être stimulé par la personnalité de Macque comme l’ont suggéré certains musicologues 540 . Fonder l’hypothèse d’un rapport maître-disciple entre ces deux compositeurs sur la base d’une certaine similitude entre leur écriture madrigalesque me semble cependant un peu hasardeux étant donné la circulation extrêmement fluide des techniques d’écriture de ce 535 Macque recommanda la candidature de Francesco Lambardi auprès du vice-roi en ces termes : « Il est l’un des meilleurs éléments de la Chapelle Royale, très habile et adroit tout particulièrement au monocorde » (« E uno dei migliori soggetti che siano nella Real Cappella, molto habile e destro specialmente nel monocordo », cité in PROTA-GIURLEO Ulisse, « Giovanni Maria Trabaci e gli organisti della real cappella di palazzo di Napoli », op. cit. p. 193). Au début des années 1590, Macque était aussi en contact avec le père de Francesco Lambardi, Camillo. Ce dernier déclare en effet dans la dédicace de ses Responsorii della settimana santa a due cori (Napoli, D’Ausilio, 1592) que Macque et Stella jouaient ses compositions pendant le service liturgique de la Santissima Annuziata. 536 Voir LARSON Keith, The Unaccompanied Madrigal in Naples, op. cit., p. 612. Larson ne cite malheureusement pas la source de cette information. 537 Trabaci commença sa carrière comme ténor à la Santissima Annunziata (1594-1601) avant de rentrer à la chapelle du vice-roi, dont il devint maître de chapelle à la mort de Macque. Maione fut engagé comme organiste à la Santissima Annunziata en 1593. 538 À ce propos, voir notamment NEWCOMB Anthony, « Frescobaldi’s Toccatas and their Stylistic Ancestry », op. cit., p. 33 et du même auteur, « When the ‘style antico’ was young », Trasmissione e recezione delle forme di cultura musicale: atti del XIV Congresso della Società internazionale di musicologia, Torino, EDT, 1990, p. 175-81. Voir aussi WITZENMANN Wolfgang, « Rapporti fra la musica strumentale di Trabaci e quella di Frescobaldi », La musica a Napoli durante il Seicento, op. cit., p. 237-251 et dans le même ouvrage FISCHER Klaus, « La posizione di Ascanio Mayone e di Giovanni Maria Trabaci nello sviluppo del ricercare », p. 253-306. 539 Après ses deux premiers livres de 1594 et 1596, Montella publia pas moins de douze recueils entre 1602 et 1607. 540 Voir notamment SHINDLE Richard, CHOU Chih-Hsin « Montella, Giovanni Domenico », Grove Music Online, http://www.grovemusic.com/shared/views/article.html?section=music.19009, page consultée le 5 juin 2007. 298 genre à l’époque 541 . Quant à Andrea Falconieri, rien dans sa biographie ne permet à ma connaissance de conclure qu’il ait pu suivre les enseignements de Macque 542 . Le madrigal napolitain et la cour ferraraise Macque était donc devenu une personnalité musicale d’une certaine stature lorsqu’il dédicaça son Terzo libro de madrigali a cinque voci à Alfonso II d’Este le 15 janvier 1597. Il s’agit là du tout dernier recueil de madrigaux dédicacé au duc, qui mourut quelques mois plus tard, le 27 octobre 1597. Même si cette dédicace est présentée par Macque comme un acte spontané, ce nouveau livre de madrigaux répondit selon toute vraisemblance à une commande du duc, qui finança très probablement l’impression. Le recueil fut en effet édité par Baldini, l’imprimeur ducal, dont la production était réservée au cercle limité des amateurs de musique de la cour de Ferrare et ne poursuivait apparemment aucun but commercial 543 . L’édition, relativement luxueuse, large et lisible, 541 Les avis sont partagés sur la question des rapports entre Macque et Montella. Pour Paolo Emilio Carapezza, « le grand maestro de tous, Giovanni de Macque et son élève Gian Domenico Montella » (« il grande maestro di tutti, Giovanni de Macque, e il suo allievo Gian Domenico Montella ») constituent le noyau dur du madrigal napolitain, la source de toutes les expériences compositionnelles de Gesualdo et Nenna, « le couple principal, central, les classiques par excellence du madrigal napolitain, … le Haydn et le Mozart de la fin de la Renaissance napolitaine » (« la coppia principale, centrale, … i classici per antonomasia del madrigale napoletano … lo Haydn e il Mozart del tardo Rinascimento napoletano », in CARAPEZZA Paolo Emilio, « ‘Quel frutto stramaturo e succoso’: il madrigale napoletano del primo Seicento », op. cit., p. 21-22). Pour Larson, Macque ne figure pas parmi les auteurs qui auraient pu influencer Montella dans son écriture madrigalesque. Pour lui, « Dentice et Gesualdo furent les sources principales des idées de Montella » (« Dentice and Gesualdo were Montella’s most frequent sources for ideas »), même si « son style musical se développa dans une direction opposée au leur : loin de la complexité contrapuntique et vers une texture plus accordale » (« his musical style developed in a direction the opposite of their: away from contrapuntal complexity and toward more chordal texture »), in LARSON Keith, The Unaccompanied Madrigal in Naples, op. cit., p. 582 et 592). 542 Falconieri quitta en effet Naples relativement jeune et passa toute la première partie de sa vie en Italie septentrionale. Il retourna à Naples lorsqu’il fut nommé maître de chapelle du vice-roi, à la mort de Trabaci Timms, « Falconieri, Andrea », Grove Music Online en 1647 (voir COLIN http://www.grovemusic.com/shared/views/article.html?section=music.09258, page consultée le 6 juillet 2007). 543 « Bien qu’aucune documentation sur les arrangements économiques concernant ces imprimés n’ait survécu, ceux-ci semblent avoir été une petite activité éditoriale mise en place avec les évènements qui accompagnèrent les visites de Gesualdo à la cour ferraraise. J’ai émis l’hypothèse que ces premières éditions aient été distribuées de façon quasi privée à quelques personnes particulièrement favorisées, comme une démonstration des brillantes activités qui se déroulaient à l’intérieur des frontières de la cour de Ferrare. Quelles qu’en soient les raisons, les parties conservées de cette première série de publication sont rares » (« Although no documentations has survived as to the economic arrangements surrounding these prints, they seem to have been small press runs put out as part of the activities surrounding the visits of Gesualdo to the Ferrarese court. I have surmised that these first editions were distributed almost privately to the specially favored, as a demonstration of the brilliant musical activity of taking place within the confines of the 299 sans atteindre le niveau de raffinement des anthologies Il lauro secco et Il lauro verde publiées par Baldini en 1582-1583, contraste avec le format économique des imprimeurs vénitiens auquel Macque avait fait appel jusqu’alors. Comme beaucoup d’imprimés de la collection de la famille d’Este, l’exemplaire du duc, conservé à la Biblioteca estense de Modène, fut en outre recouvert d’une pellicule dorée, revêtu de parchemin et fermé avec un ruban de soie, tout comme le précise l’inventaire de la bibliothèque ducale, réalisé en 1625 par Matteo Bidelli 544 . Cet inventaire fait aussi état de la présence du tout premier recueil de Macque, Il primo libro de madrigali a sei voci de 1576 dans la bibliothèque du duc, ce qui témoigne d’un certain intérêt de la part d’Alfonso II ou de ses chanteuses pour la musique de notre compositeur, et ceci dès le début de sa carrière. Cet intérêt se manifeste en outre par la présence de Macque dans les deux anthologies en l’honneur de Laura Peverara, la perle musicale de la cour, Il lauro secco (1582) et Il lauro verde (1583). Macque n’était donc pas un inconnu à la cour de Ferrare, et ceci avant même que les liens politiques et artistiques entre Naples et la famille d’Este n’aient été renforcés par le mariage de Carlo Gesualdo et de Leonora d’Este, la petite nièce d’Alfonso II, le 21 février 1594. Il n’existe aucun document témoignant de la présence de Macque au côté de Gesualdo lors du séjour ferrarais occasionné par ses noces et il est d’ailleurs tout à fait improbable que le compositeur ait participé à cette expédition. Tout d’abord, car Macque ne faisait plus partie de l’entourage du prince lorsque celui-ci entreprit son voyage en 1593 ; ses obligations à la Santissima Annunziata étaient en outre certainement incompatibles avec un séjour de plusieurs mois en dehors du royaume des Deux-Siciles et, de plus, la période Ferrarese court. Whatever the reason, surviving part books from this first series of publications are rare. », in introduction d’Anthony Newcomb à FONTANELLI Alfonso, Primo libro di madrigali a cinque, éd. Anthony Newcomb, Madison, A-R, 1999, p. xi. Complete madrigals, vol. 1/Recent researches in the music of the Renaissance, vol. 119. Voir aussi l’introduction du même auteur à LUZZASCHI Luzzasco, Il quarto libro de' madrigali a cinque voci (Ferrara, 1594) and madrigals published only in anthologies, 1583-1604, op. cit., p. x. Complete unaccompanied madrigals, vol. 2/ Recent researches in the music of the Renaissance, vol. 139.Voir aussi, toujours du même auteur, The Madrigal at Ferrare, op. cit., p. 114. 544 Nota dei libri di musica, che si sono trovati nell’Armario grande posto nella camera ove stanno gli Instromenti Musicali di S. A. S. che havea in custodia il già D. Nicolò in Canonica, e consegnati di commissione dell’A. S. a D. Matteo Bidelli il dì 24 Ottobre 1626 (Archivio di Stato di Modena, Archivio per materia, Musica e Musicisti, Busta 4a). Pour une description des inventaires de la bibliothèque ducale, voir NEWCOMB Anthony, The Madrigal at Ferrara, op. cit., p. 213-250. 300 1594-1596 correspond exactement à sa nomination et à ses débuts à la chapelle du viceroi. On notera aussi que Macque venait de s’engager auprès de son épouse à ne pas résider en dehors de Naples et, même si ce voyage à Ferrare ne violait pas précisément les termes du contrat de mariage, il est possible qu’il n’aurait pas été approuvé in scriptis par Isabella Tonto. Le Terzo libro est à replacer dans le contexte des fructueux échanges musicaux entre Naples et Ferrare qui accompagnèrent les noces et le séjour ferrarais du prince. D’une part, le recueil se rattache au nouvel intérêt du duc pour la musique parthénopéenne, probablement déclenché par cette union. En plus du Terzo libro de Macque, Alfonso II fut en effet dédicataire du Primo libro de madrigali de Scipione Dentice (Napoli, Cancer, 1591) 545 , du Primo libro de madrigali a cinque voci de Bartolomeo Roy (Roma, Coattini, 1591) 546 et du Motectorum liber primus de Scipione Stella publié par Baldini en 1595547 . D’autre part, le recueil de Macque conclut la célèbre série de recueils de madrigaux du triumvirat napolitano-ferrarais Gesualdo-Luzzaschi-Fontanelli, sortie des presses de Baldini entre 1594 et 1597 548 . Du fait de sa dédicace, de son lieu de composition et de la date tardive de sa publication, le recueil de Macque occupe une place tout à fait particulière au sein de cette série d’imprimés. Tout d’abord, il s’agit du seul recueil dédicacé au duc d’Este, ce qui incite à penser que ce dernier fut peut-être plus impliqué dans la genèse de ce livre que dans celle des autres volumes, pour lesquels, comme le suggère Anthony Newcomb, le duc assuma peut-être un rôle plus auxiliaire 549 . En outre, s’il est vrai que les imprimés de Baldini 545 DENTICE Scipione, Il primo libro de madrigali a cinque voci, Napoli, Cancer, 1591. Dentice était un gentilhomme de la noblesse napolitaine. 546 Roy précéda Macque au poste de maître de chapelle du vice-roi de Naples. Cette dédicace est cependant ambiguë car elle est signée par le romain Paulo Quartieri, qui s’occupa aussi de recueillir les pièces. Bartolomeo Roy semble avoir été relativement peu impliqué dans l’élaboration de l’imprimé (un extrait de la dédicace est fourni in VOGEL Emil, EINSTEIN Alfred, LESURE François, SARTORI Claudio, Bibliografia della musica italiana vocale profana, op. cit., vol. 2, p. 947) 547 Stella était organiste à la Santissima Anunziata. Ce recueil de motets, publié après l’arrivée de Gesualdo à la cour de Ferrare, semble avoir été projeté avant même le départ de Naples du prince. À ce propos, voir NEWCOMB Anthony, « Carlo Gesualdo and a Musical Correspondance of 1594 », op. cit., p. 415. 548 Rappelons que les presses ducales avaient cessé leurs activités musicales depuis 1586 lorsqu’elles publièrent coup sur coup ces neuf recueils de madrigaux en quatre ans. Le Terzo libro a cinque de Macque constitue le dernier opus de la série. Sur ces imprimés, voir NEWCOMB Anthony, The Madrigal at Ferrara, op. cit., p. 113-143. 549 Ibid., p. 114. Tous les recueils de Gesualdo (publiés sans nom d’auteur) et le quatrième livre de Luzzaschi furent dédicacés à Carlo Gesualdo. Luzzaschi dédicaça ses cinquième et sixième livres 301 furent le résultat d’une émulation artistique nourrie d’intenses discussions entre Luzzaschi, Gesualdo et Fontanelli, qui portèrent aux premières manifestations de la seconda pratica, Macque resta inévitablement très isolé de cette compétition musicale, se trouvant physiquement à Naples. On notera en outre que Macque ne bénéficiait pas de l’auréole de noblesse dont jouissait Gesualdo, mais aussi Fontanelli, qui portait le titre de comte de Reggio, et même indirectement Luzzaschi, qui représentait musicalement le duc de Ferrare 550 . Macque fait référence au très haut niveau musical de la cour d’Alfonso II dans sa lettre de dédicace, et l’on peut être tenté d’y lire une allusion aux récents imprimés de Baldini : Al Serenissimo Signor e Au Sérénissime Seigneur, mon maître très respecté, le Seigneur Duc patron mio Colendissimo de Ferrare, etc. Il Signor Duca di Ferrara, ecc. Alors que, poussé par mes amis, je pense mettre au jour mon Mentre per la violenza fattami da miei amici, penso à metter’ in luce questo mio Terzo Libro de Madrigali, conosco, che la bassezza dell’Opera ricerca appunto l’Altezza di qualche grande Principe, sotto la cui ombra, e troisième livre de madrigaux, je sais que la bassesse de l’œuvre recherche justement la grandeur de quelque grand prince, sous l’ombre et la protection duquel elle puisse acquérir un peu de cet honneur dont elle est indigne par elle-même. Ayant respectivement à la duchesse Margherita et à Lucrezia d’Este. Le recueil de Fontenelli, publié lui aussi anonymement, ne porte pas de dédicace. 550 Le soin avec lequel Fontanelli met en valeur le nom de Luzzaschi dans sa correspondance avec le duc ne laisse que peu de doute quant à la valeur symbolique du musicien auprès d’Alfonso II. On notera en outre que Scipione Dentice, qui dédicaça un recueil au duc de Ferrare en 1591 et un autre en 1598 à sa nièce Leonora d’Este, la femme de Gesualdo, faisaient lui aussi partie de la noblesse puisque sa famille était inscrite au seggio de Capuana. Sur la généalogie de Scipione Dentice, voir LARSON Keith, The Unaccompanied Madrigal in Naples, op. cit. p. 557-558 et plus précisément DENTICE Luigi, Storia di Casa Dentice, Roma, Tip. del Senato, 1934. Le même élitisme social sévissait apparemment à Naples dans l’entourage de Gesualdo où la compétition madrigalesque ne pouvait apparemment s’exprimer que dans une relative homogénéité de classe. À ce propos, voir POMPILIO Angelo, « Vita, opere e fortuna di Pomponio Nenna », op. cit., p. 13. 302 protettione possa acquistar alcuna donc choisi entre tous votre Altesse, parte di quell’honore del qual per se dont l’amour particulier pour la stessa è indegna; Onde havendo musique démontre clairement la scelto fra tutti l’Altezza vostra, nella douce harmonie que, dans votre âme, quale il particolare diletto della produisent les nombreuses et insignes Musica dimostra apertamente la vertus qui règnent en celle-ci, je viens dolce armonia, che nell’animo suo vous dédicacer, et vous présenter fanno le molte e eccelse virtù, che avec une grande humilité ce fruit de regnano in esso. Vengo à dedicarle, e ma grossière intelligence, car c’est presentarle con tanta humiltà questo votre bienveillance qui me l’a fait frutto del mio rozzo ingegno, quantà oser, è la sua benignità, che me ci hà fatto qu’avec vos très nobles oreilles, vous ardito, non l’honoriez plus que de le faire ch’elle con pretendendo le sue però, nobilissime sans prétendre comparaître entre cependant les choses orecchie lo facci degno di maggior exceptionnelles honore, che di comparir tra le cose l’habitude d’entendre quelquefois, elettissime, volta mais juste pour vous rendre encore godere, solo per rendere tanto più plus goûteuse l’excellence de celle-ci. gustosa De che suole tal all’Altezza vostra ceci, je que vous vous supplie avez avec l’eccelenza di quelle: Di ciò la révérence, et comme un serviteur supplico riverentemente, e come suo minime, mais très dévoué, je prie minimo, ma devotissimo servitore: Dieu pour votre longue félicité. prego Dio per lunga felicità. De Naples, le 15 janvier 1597 Di Napoli à’ 15 di Genaro De Votre Altesse Sérénissime, 1597 Di Vostra Serenissima, Altezza Le serviteur dévoué Giovanni de Macque Devotissimo Servitore Giovanni de Macque 303 Quelles raisons amenèrent le duc à commissionner ce recueil, et à faire rentrer Macque dans le cercle très fermé des madrigalistes publiés par Baldini ? La question reste évidemment ouverte, mais l’on peut formuler quelques hypothèses. Plusieurs personnes sont susceptibles d’avoir joué un rôle dans la naissance de cet imprimé et d’avoir recommandé Macque auprès du duc Alfonso. Gesualdo, en premier lieu, qui gardait peut-être une certaine estime pour celui qui fut vraisemblablement son professeur et vécut plusieurs années à ses côtés ; Fontanelli qui, dans son enquête sur la musique napolitaine lors de son séjour parthénopéen, ne put passer à côté de l’une des principales personnalités musicales de la ville, même s’il n’en reste absolument aucune trace dans sa correspondance 551 . Luzzaschi enfin, probablement informé de la réputation de ce collègue organiste 552 qui cultivait un style relativement proche du sien dans ses ricercari 553 . Pour compléter ce tableau, signalons encore deux autres personnalités qui purent être, de près ou de loin, impliquées dans le réseau napolitano-ferrarais de Macque. Deux protecteurs du compositeur étaient en contact avec la vie musicale de la cour de Ferrare. On a déjà évoqué la figure de Cesare d’Avalos, le dédicataire du Secondo libro de madrigali a cinque, qui recommanda apparemment Scipione Dentice auprès du duc de Ferrare pour la dédicace de son Primo libro de madrigali a cinque de 1591. Le duc de Traetto, qui connaissait personnellement Macque puisque ce dernier évoque une journée musicale passée à ses côtés dans sa correspondance, et qui fut le commanditaire manuscrit du Add. 30491 de Canzone francese de la British Library, fut peut-être un autre intermédiaire entre Macque et la cour de Ferrare. Le duc de Traetto était en effet aux côtés 551 Dans sa description de la vie musicale napolitaine pour le duc de Ferrare, Fontanelli ne se concentra manifestement que sur la musique de cour (voir NEWCOMB Anthony, « Carlo Gesualdo and a Musical Correspondance of 1594 », op. cit.). 552 Macque jouissait d’une certaine réputation comme organiste à la fin de sa vie. Celle-ci perdura apparemment après sa mort, puisqu’en 1640, Pietro della Valle le cite parmi les « très grands hommes de valeur » (« grandissimi valentuomini ») au côté de Luzzaschi, Andrea et Giovanni Gabrieli, dans le passage dédié à la musique instrumentale de son discours Della musica dell’età nostra che non è punto inferiore, anzi è migliore di quella dell’età passata (voir SOLERTI Angelo, Le origini del melodramma, op. cit, p. 157). 553 Macque semble aussi avoir eu une certaine influence sur Frescobaldi, qui fut l’élève de Luzzaschi. À ce propos, voir NEWCOMB Anthony, « Frescobaldi’s Toccatas and their Stylistic Ancestry », op. cit. 304 de Gesualdo lors de son voyage et fut, semble-t-il, relativement impliqué dans les évènements de la vie musicale ferraraise 554 . Macque et l’Oratorio napolitain Si l’intensification des relations artistiques entre la cour ferraraise et la vie musicale napolitaine fut sans aucun doute le moteur principal de la publication du Terzo libro de madrigali a cinque voci de Macque, un autre facteur joua probablement un rôle important dans l’élaboration d’une partie du livre. Dans le Terzo libro, Macque inclut pour la première fois quelques pièces spirituelles à un recueil de madrigaux, inaugurant ainsi une pratique qui perdura jusqu’à son dernier livre, quoique dans des proportions moindres 555 . Les madrigaux spirituels occupent en effet une place relativement conséquente dans l’imprimé (six numéros en tout, deux compositions en deux parties, et deux en une partie). Sous l’influence de la Contre-Réforme, intégrer un ou plusieurs madrigaux spirituels à un recueil de musique profane était devenu une habitude tout à fait courante, et il se peut que Macque n’ait fait que suivre la tendance générale. Il est cependant difficile de ne pas faire le lien entre la présence de ces pièces dans le Terzo libro et les relations très étroites que le compositeur avait tissé avec la congrégation napolitaine de l’Oratorio de Filippo Neri à partir de la fin des années 1580. L’Oratorio napolitain fut fondé en 1586, peu après l’arrivée de Macque, par deux membres de la congrégation romaine, Francesco Maria Tarugi et Antonio Talpa, comme 554 Le 21 Novembre 1593, le duc de Ferrare écrit personnellement au violiste Orazio Bassano, detto Orazio della Viola da Cento, pour l’appeler à Ferrare afin de le faire jouer devant le duc de Mantoue et le duc de Traietta : « Très cher, l’illustrissime duc de Mantoue qui se trouve ici avec nous, comme le fait aussi le duc de Traietta, montre un grand désir de vous entendre, et nous a demandé de vous faire venir. » (« Dilettissimo Nostro, L’Illustrissimo Duca di Mantova il quale si trova quì con noi siccome fa anche il Duca di Traietta mostra molto desiderio di sentirvi, et ci ha richiesto che vi facciamo venire », in NEWCOMB Anthoy, The Madrigal at Ferrara, op. cit., p.195). 555 Par la suite Macque, consacrera systématiquement les deux dernières pages de ses recueils à des madrigaux spirituels. Signalons en outre l’intonation de O gran stupor/o grave errore dans le Sesto libro de madrigali a cinque voci de 1613, extrait de la Rappresentazione di Anima et di Corpo d’Agostino Manni, mis en musique par Emilio Cavalieri (Roma, Mutii, 1600). 305 une antenne de la maison-mère fondée à Rome par Filippo Neri 556 . Macque contribua aux améliorations successives de l’Oratorio en prêtant deux cents ducats pour la réalisation du largo, la place adjacente à l’église, en 1598 557 . En octobre 1586, quelques mois après la création de la congrégation napolitaine, celle-ci accueillit un autre père oratorien mandé de Rome par Filippo Neri, Giovenale Ancina, qui semble avoir joué un rôle important dans la vie spirituelle de Macque. Giovenale Ancina 558 (1545-1604), qui resta à Naples jusqu’en automne 1596, était fortement marqué par les idées de Filippo Neri sur le renouvellement du culte catholique et, en fervent défenseur de la Contre-Réforme, il eut un rôle actif dans la diffusion de la poésie sacrée et de la musique spirituelle. Sa réalisation la plus marquante est l’anthologie Il tempio armonico della beatissima vergine (Roma, Mutii, 1599), à laquelle Macque participa 559 . Macque, qui était très certainement en contact avec les oratoriens dès le début des années 1580 560 , se rapprocha sensiblement de la communauté par l’intermédiaire de Giovenale 556 Pour une chronologie de la fondation des divers Oratorios, voir GASBARRI Carlo, L’Oratorio romano dal Cinquecento al Novecento, Roma, Arti Grafiche D’Urso, 1963, p. 203-205. Sur la création de l’Oratorio napolitains, voir BORRELLI Mario, Le costitutioni dell’Oratorio napoletano, Napoli, Congregazione dell’Oratorio, 1968. Sur les rapports entre les congrégations romaines et napolitaines, voir MORELLI Arnaldo, « L’Oratorio dei Filippini : Rapporti tra Roma e Napoli », La musica a Napoli durante il Seicento, op. cit, p. 456. 557 Voir BORRELLI Mario, Il largo dei Girolamini, Napoli, D’Agostino, 1962, p. 81-82, cité in MORELLI Arnaldo, « L’Oratorio dei Filippini : Rapporti tra Roma e Napoli », La musica a Napoli durante il Seicento, op. cit, p. 457. 558 Giovenale Ancina naquit le 19 octobre 1545 dans la région de Cuneo. Il venait d’une famille aristocratique, et étudia la médecine, la philosophie et la rhétorique et probablement aussi la musique à Montpellier puis à Padoue et à Turin. Il se rendit à Rome en novembre 1574, où il rencontra deux ans plus tard Filippo Neri, qui exerça une influence considérable sur ses idées. Ancina rentra le premier octobre 1580 dans la Congrégation de l’Oratorio et fut ordonné prêtre en 1582. Après son séjour napolitain, il retourna à Rome en 1596, puis se rendit dans le nord de l’Italie. Deux ans avant sa mort en 1604, il fut nommé évêque de Saluzzo. Giovenale Ancina fut béatifié en 1890. Sur Giovenale Ancina, voir DAMILANO Piero, Giovenale Ancina, musicista filippino (1545–1604), Firenze, Olschki, 1956 ; MORELLI Arnaldo, « L'Oratorio dei Filippini: rapporti tra Roma e Napoli », La musica a Napoli durante il Seicento, op. cit., p. 455–63 et dans le même volume ROSTIROLLA Giancarlo, « Aspetti di vita musicale religiosa nella chiesa e negli Oratori dei padri Filippini e Gesuiti di Napoli a cavaliere tra Cinque e Seicento », in La musica a Napoli durante il Seicento, op. cit., p. 643–704. 559 Ce recueil est constitué de laudes à trois voix, récoltées par Ancina entre 1575 et 1599. La pièce de Macque s’intitule In te la vita nasce. 560 Il est en effet tout à fait probable que Macque, comme beaucoup de musiciens romains, avait déjà commencé à fréquenter les oratoriens lorsqu’il se trouvait à Rome. Quelques pièces de Macque faisaient partie du répertoire des oratoriens romains et figurent dans le Secondo libro delle laudi, anthologie publiée 1583 (Roma, Gardano, rééditée en 1589 dans le Libro delle laudi spirituali) ainsi que dans le manuscrit Z. 122-130 de la Bibliothèque Vallicella de Rome (voir MORELLI Arnaldo, « Il tempio armonico: Musica 306 Ancina. Selon Carlo Lombardo, qui publia en 1656 une biographie du père oratorien, Macque était son pénitent, ce qui dut en effet créer une certaine intimité entre les deux hommes 561 . Les relations entre le compositeur et Giovenale Ancina furent assez étroites pour que le nom de Macque apparaisse à plusieurs reprises dans l’ouvrage de Carlo Lombardo. Dans une première anecdote, citée dans divers travaux sur Ancina et sur les Oratoriens napolitains 562 , l’auteur fait référence aux nombreux musiciens qu’Ancina fréquenta et remit sur le droit chemin et, après avoir évoqué la conversion d’une jeune chanteuse napolitaine (Giovanna Sanchez), celui-ci relate un épisode tout à fait pittoresque mettant en scène le « célèbre compositeur flamand, appelé Giovanni Macque, qui fut ensuite maître de la chapelle royale de Naples » (« il celebre compositore chiamato Giovanni Macque Fiammingo che fù poi maestro della Regal Cappella di Napoli » : Macque essendo penitente di Giovenale ricevè di fresco dalla Macque, qui était pénitent de Giovenale, avait reçu depuis peu des stampa di Vinegia due mute da se presses composti : del che datone avviso al composés par lui. Ayant avisé le père Padre [Ancina], se le fece egli subito Ancina, portar tutte in camera. Li vide il immédiatement zelante e chambre. Ce défenseur zélé de la pureté trovatele imbrattate da parole poco les vit, et les ayant trouvés souillés de honeste, paroles peu honnêtes, qui sans aucun difensore e della senz’altro Purità, havrebbero vénitiennes celui-ci deux se apporter recueils les fit dans sa nell'Oratorio dei Filippini in Roma (1575–1705) », op. cit. p. 67-68). De plus, le compositeur collabora avec la Confraternità della Santissima Trinità dei Pellegrini, fondée en 1548 par Filippo Neri, pour laquelle il écrivit un certain nombre de motets polychorals (pour plus de détails, voir O’REGAN Noel, Institutional Patronage in Post-Tridentine Rome: Music at Santissima Trinità dei Pelegrini, 1580–1650, London, Royal Musical Association, 1995, particulièrement p. 40 et 69-71). 561 LOMBARDO Carlo, Della vita di Giovenale Ancina da Fossano della congregatione dell’Oratorio, e poi vescovo di Saluzzo descritta dal padre Carlo Lombrado della medesima congregazione, Napoli, Gaffaro, 1656. Les liens de Macque avec le milieu oratorien sont loin d’être un cas particulier. Scipione Dentice est un autre exemple de compositeur en contact avec les pères de l’Oratorio. Celui-ci faisait partie de la liste des bienfaiteurs de la congrégation et publia deux recueils de madrigaux spirituels en 1629 et 1640 (voir MORELLI Arnaldo, « L'Oratorio dei Filippini: rapporti tra Roma e Napoli », op. cit., p. 458). 562 Notamment par DAMILANO Piero, « Giovanni Giovenale Ancina ed il suo contributo allo sviluppo della lauda Filippina cinquecentesca », Rivista musicale italiana, LIV, 1952, p. 9-10. Voir aussi MORELLI Arnaldo, « L’Oratorio dei Filippini: rapporti tra Roma e Napoli » in La musica a Napoli durante il Seicento, op. cit., p. 457. Suzanne Clerx fait également référence à cet épisode dans son article sur Macque (« Jean de Macque et l’évolution du madrigalisme », op. cit., p. 74.) 307 apportato pregiuditio alla purità doute auraient porté préjudice à la dell’incauta gioventù ; mosso dallo pureté de la jeunesse imprudente, mû spirito di Dio, prese le forbici e par l’esprit de Dieu, prit les ciseaux et tagliolle tutte in minuti pezzi ; poi les chiamatosi Giovanni in sua camera, in morceaux. Puis il rappela Giovanni vece di lodare le compositioni, come dans sa chambre, et au lieu de louer les quegli credeva, gli mostrò il nuovo compositions, sacrificio, che di quelle haveva fatto al l’attendait, il lui montra le nouveau suo Signore. Restò il buon huomo a tal sacrifice, qu’il avait fait à son Seigneur. vista tutto arrossito e scornato, ma À cette vue, le bon homme resta tout entrando subito in sé medesimo e rouge de confusion, mais, sachant avec conoscendo con qual spirito fosse stato quel esprit cela avait été fait par le ciò fatto dal servo di Dio, rasserenata serviteur de Dieu, une fois son esprit et la mente, e’l volto, rese molte gratie al son visage rassérénés, il remercia suo padre, approvando quanto haveva grandement le père, en approuvant ce fatto, e promettendogli di non più qu’il avait fait, et en lui promettant de comporre opere ne plus composer d’œuvres avec de parole, come con puntualissimamente. 563 poi simiglianti esegui découpa telles tous paroles, deux comme ce en celui-ci qu’il petits s’y respecta d’ailleurs par la suite de manière très stricte. Même s’il est difficile de faire rentrer ce type d’anecdote dans un cadre historique précis, ce récit se base sûrement sur un fonds de vérité. En effet, bien que la conclusion de Carlo Lombardo soit évidemment erronée puisque Macque continua jusqu’à sa mort à publier des madrigaux sur des textes aussi impudiques que ceux qu’il avait musiqués par le passé 564 , force est de constater que la période napolitaine de Giovenale Ancina coïncide à peu près avec la pause éditoriale de Macque, même si ce silence eut peut-être d’autres motivations 565 . Les deux recueils évoqués par Carlo Lombardo pourraient parfaitement 563 LOMBARDO Carlo, Della vita di Giovenale Ancina, op. cit., p. 60. Voir notamment certains textes du Terzo libro de madrigali a quattro voci de 1610, par exemple Vaga Clori amorosa,/che di tanti diletti hai colmo il seno (Gracieuse Clori amoureuse/dont, parmi tous les charmes, le plus beau est ton sein). 565 Voir supra, note 523. 564 308 correspondre au Primo libro a quattro et au Secondo a cinque qui, on l’a vu, furent imprimés plus ou moins au même moment, et sortirent des presses vénitiennes en 15861587, soit à l’arrivée d’Ancina à Naples. On peut facilement conjecturer qu’un texte comme Quel ben, ch’aura pietosa du Secondo libro a cinque, qui met en scène une partie non précisée du corps de l’aimée découverte par une « brise charitable » devant les « yeux avides » du poète 566 , n’ait pas trouvé grâce à ceux d’Ancina, comme d’ailleurs une bonne partie des textes du recueil. On constate d’ailleurs que le Terzo libro a cinque est presque purgé de ce type d’évocations érotiques extrêmement explicites, encore présentes dans le recueil de 1589, et l’on peut se demander si Ancina, qui quitta Naples à l’automne de l’année 1596, soit quelques mois avant l’impression du recueil, ne joua pas un rôle de censeur dans les choix poétiques du compositeur. Si les années 1589-1597 ne furent pas fastes en matière de musique profane, Macque publia en revanche de nombreuses laudes spirituelles 567 à cette période, peut-être sous l’impulsion de ses fréquentations oratoriennes (voir infra, table 36, p. 310). Le madrigaliste participa en effet aux trois anthologies du graveur Verovio, les Canzonette sprirituali a tre voci de 1591, Il devoto pianto della gloriosa Vergine de 1592 et les Laudi della musica de 1595 puis au Tempio harmonico della beata vergine d’Ancina de 1599 (Roma, Mutii) et enfin en 1600 aux Nuove laudi ariose della Beatissima Vergine du Romain Giovanni Arascione (Roma, Mutii) 568 . Rappelons aussi qu’en 1610, Simone Molinaro publia quatre contrafacta spirituels de madrigaletti de Macque dans ses deux recueils de Fatiche spirituali (Venezia, Amadino) 569 . 566 II.5, n. 5. Les laudes spirituelles post-tridentines se diffusèrent sous l’impulsion de Filippo Neri à Rome, puis dans le reste de l’Italie, parallèlement aux congrégations oratoriennes. Celles-ci étaient destinées à la dévotion personnelle et collective dans le milieu oratorien, dans un contexte paraliturgique. Le but poursuivi était d’impliquer plus efficacement le fidèle dans la prière (apparemment plus par l’écoute que par la pratique). Les laudes déclinèrent à la fin du XVIe avec la naissance de l’oratorio en tant que genre musical. Sur les laudes, voir notamment MORELLI Arnaldo, « Il tempio armonico: Musica nell'Oratorio dei Filippini in Roma (1575–1705) », Analecta Musicologica, XXVII, 1991. 568 Giovanni Arascione était un ami de Giovenale Ancina. Il contribua, aux côtés de Filippo Neri, à la diffusion des laudes post-tridentines dans la société romaine. Ses Nuove laudi ariose della Beatissima Virgine scelte da diversi autori furent conçue comme la suite du Tempio armonico d’Ancina. Macque publia quatre pièces dans cette anthologie : L’alto Fattor, che l’Univeso regge, S’io di te penso, Passato è il verno et O donna gloriosa, mais à part la seconde, toutes sont des rééditions du Secondo libro delle laude de 1583 (voir infra, table 36, p. 310). 569 Voir supra, p. 144. 567 309 De plus, il est fort possible la congrégation oratorienne ait été impliquée directement dans la publication de l’unique recueil de motet de Macque datant de 1596. Celui-ci est en effet dédicacé à Francesco Maria Tarugi, l’un des fondateurs de l’Oratorio napolitain 570 , et fut imprimé non par les presses vénitiennes auxquelles le compositeur faisait généralement appel, ni par un imprimeur napolitain, mais fut confié à Mutii, éditeur romain proche des oratoriens, qui publia entre autres le Tempio harmonico d’Ancina et les Nuove laudi ariose d’Arascione 571 . D’autre part, le seul exemplaire de ces motets est conservé à Biblioteca del Monumento nazionale dell’Oratorio dei Girolamini (bibliothèque des pères hiéronymites de Naples), héritiers de la congrégation oratorienne de la ville 572 . table 36 : publications spirituelles de Macque Publications des pères oratoriens, Ancina, Arascione Il secondo delle Libro libro laudi, Roma delle laudi Tempio spirituali a della voci, R beatissima Beatissima Verovio, Vergine, Vergine, Roma, Mutii, Roma, laudi spirituali, della Roma, Gardano 1589 1583 ariose 1591 Mutii, 1599 1600 570 Voir supra, p. 305. Nicolà Mutii est aussi l’éditeur de la Rappresentatione di Anima et di Corpo d’Emilio de’ Cavalieri, œuvre présentée pour la première fois à l’Oratorio de Santa Maria in Vallicella (rebaptisée par les oratorien Chiesa Nuova) en 1600 et publiée la même année. 572 La congrégation des oratoriens de Naples, après une première période de dépendance envers la maisonmère romaine, rentra en conflit avec cette dernière. Dans les premières années du Seicento, les deux congrégations se séparèrent définitivement. Par la suite, les oratoriens napolitains abandonnèrent le nom de filippini au profit de l’adjectif girolamini (hiéronymites), terme qui fait référence à la toute première communauté oratorienne créée par Filippo Neri à San Girolamo della Carità. 571 310 Canz Nuove armonico Gardano Publ Di te la x vita nasce Passato è x x x x x x il verno L' alto fattor che l'universo regge S'io di te x penso O donna x x x gloriosa O dolce x rimembranza Dolcissimo x amor mio Fa buon Fa ch’io x Gesù rimanga esangue Così di croce armato Spesso il canto ad amare E sopra gl'arbuscelli E i travagliati amanti Se dunque il dolce canto Vieni 311 Creator Spiritus (Per pianto lo mio core) O mundi lumina (Mai non vo’ pianger più) Virgo immaculata (Non veggio oggi il mio Sole) Audite me (Preso son io) En me reportant à l’index de l’ouvrage de Lombardo, j’ai retrouvé deux autres anecdotes concernant le compositeur. Celles-ci sont racontées avec une certaine verve par leur auteur et n’ont, à ma connaissance, jamais été évoquées dans la littérature musicologique. Même si ces deux extraits concernent moins directement le propos, ils témoignent cependant des liens très étroits qui semblent avoir existé entre Macque et Giovenale Ancina, c’est pourquoi je les cite ici dans leur intégralité : Di alcune cose maravigliose Des choses merveilleuse opérées operate dal Signore per mezzo del par le Seigneur au moyen de son suo servo Giovenale, ancor vivente. serviteur Giovenale. Chapitre II Cap. II 312 Anna Antonia Macque, la fille unique et très aimée de Giovanni Si ritrovava in Napoli gravamente inferma Anna Antonia Macque figliuola unica, e amatissima di Giovanni Macque maestro della regal Cappella, e figliuolo spirituale del servo di Dio, più volte nominato di sopra. Era la bambina di undici mesi, e non havendo preso latte per due giorni, nè giovandole i molti rimedij applicati da valenti medici, era ridotta all’estremo della vita ; e di già il Padre, disperata la sua salute, haveva fatto preparare la cassa da morto, aspettando da hora in hora il suo passaggio. Piagneva inconsolabilmente Isabella Tonto sua madre ; venutagli à laonde memoria Giovanni, il suo benedetto Padre giovenale, partissi da casa, e andossene all’Oratorio, e ritrovatolo pregollo colle lagrime à gli occhi ad andar seco à casa, per consolar’almeno l’afflitta Madre. S’inviò tosto il servo di Dio, e giunto in casa di Giovanni, in veder la madre della moribonda figliula dirottamente piagnere, intenerito proruppe anch’egli à 573 Macque, maître de la chapelle royale et fils spirituel du serviteur de Dieu, déjà nommé plusieurs fois ci-dessus, s’était retrouvée gravement malade à Naples. L’enfant avait onze mois et n’avait plus pris de lait depuis deux jour ; les nombreux remèdes appliqués par des médecins habiles ne lui ayant pas réussi, elle en était réduite aux dernières extrémités de sa vie. Et déjà son père, sa santé étant dans une situation désespérée, avait fait préparer le cercueil, en attendant d’heure en heure son trépas. Sa mère Isabella Tonto pleurait inconsolable. C’est alors que Giovanni, son père béni Giovenale lui étant venu à l’esprit, partit de la maison et s’en alla à l’Oratorio, et l’ayant retrouvé, il le pria les larmes aux yeux de l’accompagner chez lui, pour consoler au moins la mère affligée. Le serviteur de Dieu se mit tout de suite en route, et arrivé chez Giovanni, et voyant pleurer abondamment la mère de la petite fille moribonde, attendri, il éclata lui aussi en sanglots. Mais il se retourna vers Giovanni et lui dit : « Allons prier à Santa Maria del LOMBARDO Carlo, Della vita di Giovenale Ancina, op. cit., p. 119. 313 lagrimare. Ma rivoltosi à Giovanni, Principio ». andiamo, gli disse à fare oratione à l’église, il ajouta : « Nous serons Santa Maria del Principio ; e écoutés. », ressentant peut-être dans nell’entrar della Chiesa, son for intérieur qu’il allait obtenir sa soggiunse : haveremo buona grâce. Ils firent ensemble une prière à udienza, sentendosi forse inspirato la vierge, et puis, se retournant vers le nell’interno di dover ottenere la père affligé, il lui dit : « Ne doute pas, gratia. Fecero car ta fille ne mourra pas ». Il oratione alla rivoltosi all’afflitto giuntamente Vergine, Et, en entrant dans e poi retourna ensuite avec Giovanni chez Padre, gli lui et voyant l’enfant presque morte, il disse : Non dubitare, che la figlia dit avec une grande foi : « Elle ne non morirà. Indi ritornò con mourra pas ! ». Et c’est précisément ce Giovanni à casa, e in veder la qui se produisit, car, à peine Giovenale bambina poco men che morta, avait tourné le dos pour s’en retourner disse con gran fede : non morirà. à l’Oratorio, l’enfant étant un peu E’ così appunto seguì ; poiche in revenue à elle, elle commença à téter le voltar le spalle Giovenale per lait, et son état s’améliora tant qu’en tornarsene all’Oratorio, rivenuta quelques heures, elle ne souffrait plus al quanto la figliula cominciò à du tout, sans qu’aucun autre remède succhiare il latte, e migliorò di n’ait été appliqué. Plusieurs fois, la modo, che fra poche hore fanò même affatto, senza che le fosse applicato entendit raconter tout ceci par ses altro rimedio ; Il che più volte parents, qui souvent lui disaient : « Tu l’istessa figliuola fatta poi grande es vivante grâce au père Ancina. ». enfant, devenue grande, udì raccontare da’ suoi parenti, che spesso le dicevano : tu sei viva per il Padre Giovenale 573 . Lombardo était apparemment bien informé des détails de la vie de Macque (qu’il connaissait sans doute personnellement), puisqu’il cite le nom exact de sa femme, Isabella Tonto, ainsi que celui du nouveau-né, Anna Antonia. Dans le récit suivant, l’auteur précise même le nom du médecin que consultait le compositeur : 314 Nè fu di minor maraviglia Et cela ne fut pas moins quello, che il benedetto Padre operò merveilleux lorsque le père béni opéra nella dell’istesso sur la propre personne du même Giovanni Macque, due anni dopo la Giovanni Macque, deux ans après avoir salute rendu la santé à sa fille. Giovanni avait propria persona impretrata alla figliuola. Haveva dunque Giovanni per lo spatio donc d’un’anno intiero patito sì eccessivo souffert d’une extrême douleur dans dolore in tutto il braccio destro, che tout le bras droit. Après avoir appliqué dopo molti rimedij applicativi, non de nombreux remèdes, et ne sentant sentendo aucune giovamento alcuno, gli pendant une amélioration, année son entière, docteur haveva detto apertamente Giovanni di Giovanni Vita suo medico, che tal dolore non ouvertement qu’une telle douleur ne poteva più guarirsi, e che però pouvait se guérir, et que, pour cette lasciasse di farvi altri medicamenti, raison, il pouvait cesser de faire poiche, à suo giuditio, il male era d’autres traitements, car à son avis, le incurabile. Stava per questo molto mal était incurable. Le patient était afflito il patiente ; ma ricordandosi un pour cela très affligé mais, se souvenant giorno Giovenale un jour des vertus de Giovenale, sperimentata da lui nella persona di expérimentées par lui sur la personne sua figliuola, uscì di casa aggravato de sa fille, il sortit de chez lui, un jour molto dal dolore, dicendo : Anderò à où la douleur s’était particulièrement ritrovare e aggravée, en disant : « J’irai trouver le raccomanderommi alle sue orationi. père, et je me recommanderai à ses Nell’entrar’in Chiesa esso s’incontra prières. » En entrant dans l’église, il con Giovenale, e tutto mesto gli rencontra Giovenale, et tout triste, se racconta si mit à lui raconter l’affliction dans ritrovava per causa del suo dolore laquelle il se trouvait à cause de cette incurabile. Lo compatisce il servo di douleur incurable. Le serviteur de Dieu Dio, e tutto pietoso gli dice : dove compatit et tout plein de pitié, il lui dit : havete il dolore? Gli addita il luogo « Où avez-vous mal ? » Giovanni lui della virtù il l’afflittione di Padre, in cui di Vita lui avait dit 315 Giovanni, e egli colle sacre mani gli indiqua l’endroit, et celui-ci, de ses tocca tutto il braccio. Mirabile Dio ne’ mains sacrées, lui toucha tout le bras. Ô servi suoi ; al tocco di Giovenale Dieu admirable dans ses serviteurs ! À svanisce in un’instante il dolore, senza peine Giovenale l’avait-il touché, la che mai più lo sentisse in tutto il resto douleur s’évanouit en un instant, sans di sua vita. Ritornossene dunque à qu’il ne la ressente plus jamais pendant casa e tout le reste de sa vie. S’en retournant piagnendo per l’allegrezza, raccontò donc chez lui parfaitement guéri, et a’ suoi quanto gli era accaduto con pleurant de joie, il raconta à sa famille Giovenale, il ce qu’il lui était arrivé avec Giovenale, per et tous se mirent à remercier le l’avvenire in maggior concetto di seigneur Dieu, et tinrent par la suite Santo, in cui per il passato l’havean celui-ci pour un plus grand saint encore tenuto 574 . que ce qu’ils ne pensaient par le passé. perfettamente signor guarito, ringratiandone Iddio, e tutti tenendolo Si l’on accorde quelque crédit aux détails délivrés par le récit de Lombardo, ces événements se seraient déroulés deux ou trois ans après la naissance du premier enfant de Macque (rappelons que celui-ci épousa Isabella Tonto en 1592) et avant le départ de Giovenale Ancina en 1596, c’est-à-dire au moment où Macque devint organiste de la chapelle du vice-roi. Encore une fois, on ne peut pas accuser ces lignes d’une totale invraisemblance car il est tout à fait possible que Macque, organiste de métier, ait été atteint d’une tendinite, mal assez fréquent chez les instrumentistes. Etant donné les nombreuses évidences témoignant des rapports étroits que Macque entretint avec la congrégation napolitaine, il paraît tout à fait envisageable que certains madrigaux spirituels du Terzo libro a cinque voci aient pu être à l’origine créés pour l’Oratorio napolitain, voire même interprétés entre ses murs. En effet, si le madrigal spirituel a longtemps été envisagé comme le cousin du madrigal profane, composé et interprété pour un même public de cours ou d’académies, on admet aujourd’hui qu’il ait aussi pu être utilisé comme la version raffinée des laudes post-tridentines, destiné à un 574 Ibid., p. 119-120. 316 public oratorien (mais aussi jésuite) plus exigent musicalement 575 . On aura l’occasion de voir que le contenu des textes poétiques renforce encore l’hypothèse d’une origine et/ou d’une destination oratorienne d’une partie de ces pièces. Choix poétiques : poésie pastorale et rimes spirituelles Les choix poétiques du Terzo libro de madrigali a cinque voci sont très clairement divisés en deux genres bien distincts, distribués avec une certaine logique à l’intérieur du recueil. Le premier type de textes, que l’on pourrait définir comme poésie pastorale, occupe les deux premiers tiers du livre. À peu près la moitié d’entre eux sont des textes d’auteurs (Battista Guarini, Filippo Alberti, Maffío Venier, Cristoforo Castelletti) et apparaissent dans des sources imprimées datant d’avant la parution du Terzo libro. Les autres rimes pastorales du recueil, peut-être composées pour l’occasion, sont anonymes et ne furent musiquées que par Macque. Le recueil se conclut par une série de textes de caractère spirituel ou moral, d’origine et de facture variées. Afin de respecter le classement modal, l’un d’entre eux, La morte è fin d’una prigione oscura en mode 4 {mi/§/c1}, ne comparaît pas à la fin du volume mais a été regroupé avec les autres madrigaux en mode de mi. Textes pastoraux : sources et style Même si aucun des textes de caractère pastoral n’a été attribué aux poètes ferrarais locaux (Ridolfo Arlotti ou Annibale Pocaterra par exemple, qui intéressèrent Luzzaschi, 575 Je reprends ici la thèse défendue par David Nutter (voir NUTTER David, « On the Origins of the NorthItalian ‘Madrigale Spirituale’ », Trasmissione e recezione delle forme di cultura musicale: atti del XIV Congresso della Società internazionale di musicologia, op. cit., p. 877–889 et particulièrement la note 3 p. 887). La musique spirituelle semble aussi être devenue une manière d’attirer les amateurs de musique entre les murs de l’oratorio. Pietro della Valle confessera en effet dans son Della musica dell’età nostra de 1640, avoir choisi son église en fonction de la qualité musicale de son répertoire, préférant fréquenter les oratoriens ou les hiéronymites « pour la bonne musique que l’on entendait tous les soirs ». L’auteur ajoute ensuite : « sans elles, je ne serais peut-être pas allé de nombreuses fois de nuit ou par mauvais temps et mauvaises routes, à l’église à faire le bien ; et ce qui m’est arrivé, je pense avec raison que cela puisse advenir à d’autres » (« per le buone musiche che ogni sera si sentivano; le quali se non fossero state, non forse sarei andato molte volte di notte per mali tempi e cattive strade, alle chiese a far del bene; e quello che avviene a me, con ragione penso che possa avvenire ad ogni altro, in DELLA VALLE Pietro, Della musica dell’età nostra che non è punto inferiore, anzi è migliore di quella dell’età passata, op. cit., in SOLERTI Angelo, Le origini del melodramma, op. cit., p. 176). 317 Fontanelli et Gesualdo dans les années 1590), un certain nombre d’entre eux n’en sont pas moins étroitement connectés avec la cour ferraraise. Les choix poétiques les plus clairement orientés vers les goûts poétiques du commanditaire du recueil sont les extraits du Pastor fido de Battista Guarini, tragicomédie pastorale qui, rappelons-le, fut écrite et crée à Ferrare dans la première moitié des années 1580, avant que son auteur ne quitte la cour d’Alfonso II en 1588. Macque musiqua deux extraits de la pastorale : Al subito apparir del primo raggio (et sa deuxième partie E s’alor non si coglie) et Non son, non son questi sospiri ardenti. Même si Macque aurait parfaitement pu se procurer le texte du Pastor fido sans l’intermédiaire de la cour de Ferrare puisque la pièce avait déjà connu plusieurs éditions à l’époque de la parution du Terzo libro 576 , il est difficile de ne pas faire le lien entre la présence de Guarini dans le recueil et le nom de son dédicataire. L’intérêt du compositeur pour les rimes du poète reste en effet presque exclusivement circonscrit au Terzo libro. Malgré le succès croissant des rimes guariniennes auprès des madrigalistes à la fin du Cinquecento et au début du Seicento 577 , aucun texte de cet auteur n’est présent dans les autres recueils du Franco-flamand, à l’exception du madrigal Occhi miei che vedeste, du Secondo libro a sei de 1589 – le choix de ces vers était toutefois probablement plus motivé par la cohorte de compositeurs qui musiquèrent le texte avant Macque que par le nom de leur auteur 578 . D’autre part, même si dans les années 1590, certaines anthologies poétiques avaient permis la diffusion des madrigaux du poète ferrarais auprès des musiciens 579 , tel n’était 576 La première édition du Pastor fido date de 1589 même si le recueil est daté de 1590 (ll pastor fido tragicomedia pastorale, Venezia, Bonfadino, 1590). La pièce fut rééditée l’année suivant par Baldini, l’éditeur ducal ferrarais. Sur la genèse et les premières éditions du Pastor fido, voir ROSSI Vittorio, Battista Guarini ed « Il pastor fido ». Studio biografico-critico con documenti inediti, Torino, Loescher, 1886. 577 Dans les premières décennies du XVIIe siècle, la fortune des rimes guariniennes auprès des compositeurs atteignit presque celle du Canzoniere de Pétrarque. À ce propos, voir BIANCONI Lorenzo, « Il Cinquecento e il Seicento », op. cit., p. 331-333. 578 Ce texte, qui comparaît dans une anthologie poétique du début des années 1580 (Raccolto d'alcune piacevoli rime, Parma, Viotto, 1582) fut en effet musiqué une dizaine de fois avant la parution du Secondo libro a sei de Macque, et une quinzaine de fois par la suite. 579 Même si la première édition des rimes de Guarini ne vit le jour qu’en 1598 (GUARINI Battista, Rime, Venezia, Ciotti), la diffusion d’un certain nombre de textes avait été rendue possible grâce à diverses anthologies. À ce propos, voir VASSALLI Antonio, « Appunti per la storia della scrittura guariniana: le rime a 318 pas encore le cas pour les vers du Pastor fido 580 . Seule une petite dizaine de madrigalistes musiquèrent des extraits de la pastorale avant la parution du Terzo libro, et presque tous étaient liés à la cour de Ferrare ou à sa voisine, la cour de Mantoue 581 (voir infra, table 37). table 37 : recueils de madrigaux publiés avant 1597 dans lesquels sont musiqués un ou plusieurs extraits du Pastor fido Date Compositeur – recueil 1587 Nombre de pièces Luca Marenzio 1 Annibale Coma 1 Filippo di 1 Leone Leoni – 1 Claudio 1 – IV.6 1588 – II.4 1590 Monte – XIV.5 1591 II.5 1592 Monteverdi – III.5 1593 Girolamo Belli 1 Philippo 1 – III.6 1593 di Monte – XVI.5 stampa prima del 1598 », Guarini, la musica, i musicisti, éd. Angelo Pompilio, Lucca, Libreria Musicale Italiana Editrice, 1997, p. 3-12 et du même auteur, en collaboration avec Angelo Pompilio, et dans le même ouvrage, « Indice delle rime di Battista Guarini poste in musica », p. 185-225. 580 Voir CHATER James, « ‘Un pasticcio di madrigaletti’? The Early Musical Fortune of Il Pastor fido », Guarini, la musica, i musicisti, op. cit., p. 150. 581 Les liens de Marenzio, Monteverdi et Wert avec les cours ferraraise et mantouane sont bien connus. Annibale Coma naquit et mourut à Mantoue après avoir effectué toute sa carrière dans cette ville. Philippe de Monte dédicaça son Quartodecimo libro de madrigali a cinque voci (Venezia, Gardano, 1590) au duc Alfonso II. Girolamo Belli fut un élève de Luzzaschi et commença sa carrière comme membre de la chapelle de Mantoue. Il dédicaça ses deux premières publications au duc et à la duchesse de Ferrare (voir NEWCOMB Anthony, The Madrigal at Ferrara, op. cit., p. 167). Leone Leoni était membre de l’Accademia Olimpica de Vérone, qui était elle aussi connectée avec Ferrare. Les deux compositeurs les plus éloignés de la cour de Ferrare sont Rinaldo del Mel, un Franco-flamand plutôt lié au milieu musical romain, et Rodiano Barera, musicien de Crémone. 319 1594 Luca Marenzio 5 Marenzio Luca 15 – VI.5 1595 – VII.5 madrigal (dont un d’Antonio Bicci) 1595 Giaches de 10 Del 1 Rodiano Barera 1 Wert – XI.5 1595 Rinaldo Mel – III.6 1596 – I.5 On notera en outre que les passages du Pastor fido choisis par Macque, contrairement au madrigal Occhi miei che vedeste, ne font pas partie des textes à la mode parmi les madrigalistes 582 . Macque fut le seul à musiquer la première partie de Al subito apparir del primo raggio et la deuxième partie E s'alor non si coglie, ne connut que deux autres intonations, toutes deux postérieures au Terzo libro 583 . Non son, non son questi sospiri ardenti fut en revanche musiqué pour la dernière fois par Macque, après les intonations de Coma (1588) et de Monte (1593) 584 . Ces versions présentent cependant des divergences textuelles tout à fait nettes qui rendent peu probable l’existence d’un lien entre les trois pièces 585 . Il est donc extrêmement vraisemblable que ces choix poétiques aient été suggérés par le duc Alfonso II ou par un intermédiaire, voire même que les textes aient été fournis directement par la cour de Ferrare, sous forme imprimée ou plus probablement manuscrite. Les versions des extraits du Pastor fido musiqués par Macque présentent en 582 Certains textes du Pastor fido de Guarini connurent jusqu’à une trentaine d’intonations (Ah dolente partita fut musiqué 37 fois, Cruda Amarilli, 27 fois, O primavera, gioventù dell’anno, 22 fois). Voir CHATER James, « ‘Un pasticcio di madrigaletti’? », op. cit., p. 154. 583 GASTOLDI Giovanni Giacomo, Il quarto libro de madrigali a cinque voci, Venezia, Amadino 1602 et BERNARDI Stefano, Il primo libro de madrigali a tre voci, Roma, Zannetti, 1611. 584 COMA Annibale, Il secondo libro de madrigali a quattro voci, Venezia, Vincenti, 1588 et MONTE Filippo di, Il sestodecimo libro delli madrigali a cinque voci, Venezia, Gardano, 1593. La pièce de Coma constitue l’une des premières intonations du Pastor fido éditées dans un recueil de madrigaux. 585 La version de la source imprimée n’apparaît dans aucune des intonations du texte. Celle de Monte reporte la version suivante : Non son, Tirsi, non sono/ questi sospiri ardenti et celle d’Annibale Coma : Non sospirar cor mio non sospirare/non son come a te pare. 320 effet quelques variantes par rapport à la source imprimée, tout en lui restant globalement très fidèle 586 . L’une d’entre elles correspond à un petit arrangement syntaxique, dû à l’isolement du passage de son contexte 587 , les autres sont opérées sans raisons structurelles apparentes et ne concernent que le premier vers 588 . Signalons en outre la présence d’un madrigal très clairement modelé sur un passage de la pastorale de Guarini : Quel rossignol che plora. Le texte constitue une variation poétique sur un extrait de la première scène du premier acte de la pièce, emprunte cependant d’une plus grande mélancolie 589 : Macque, III.5 Il Pastor fido, acte I, scène 1, vers 175-186 Quel rossignol che plora Quell’augellin, che canta sì dolcemente, e tra le verdi sì dolcemente e lascivetto vola fronde or da l’abete al faggio scompagnato s’asconde, ed or dal faggio al mirto or che, fuggendo il Sole, s’avesse umano spirto, l’oscura notte discolora, il mondo direbbe: «Ardo d’amore, ardo d’amore.» 591 s’avesse le parole, 586 Contrairement à certains compositeurs, Macque n’eut apparemment pas recours aux extraits du Pastor fido publiés dans certaines anthologies avant l’édition du texte complet. Une variante de Non son, come a te pare comparaît bien dans l’anthologie éditée par Varoli (Della nova scelta di rime di diversi eccellenti scrittori dell’età nostra, éd. Benedetto Varoli, Casalmaggiore, Guerino e compagno, 1590, p. 77), mais celle-ci s’éloigne sensiblement de la version de Macque. La version de Coma provient en revanche très probablement de cette édition. 587 Dans le madrigal Al subito apparir del primo raggio, le sujet de la phrase, Rosa gentil, est tiré d’un vers antérieur. 588 Non son, non son questi sospiri ardenti est une fusion de deux vers de la pastorale Non son, come a te pare/questi sospiri ardenti. Dans la deuxième partie de Al subito apparir del primo raggio les premiers mots Ma s’alhor, sont changés en E s’alhor. 589 Ce texte fait aussi probablement référence au sonnet CCCXI de Pétrarque Quel rosignuol, che sì soave piagne. 321 diria: «Piango i miei danni, le mie fiere fortune e i lunghi affanni.» 590 Elio Durante et Anna Martellotti ont souligné la présence, dans les madrigaux de Luzzasco Luzzaschi, de nombreux textes anonymes élaborés à partir de vers guariniens et notamment à partir d’extraits du Pastor fido (ceux-ci parlent à leur propos d’alio modo) 592 . Sur la base de ces correspondances, les auteurs ont ainsi proposé d’attribuer un certain nombre de ces textes à Guarini qui, on le sait, remania considérablement ses rimes entre le début des années 1580 et ses premières éditions. Pour les mêmes raisons, on peut sans doute se risquer à attribuer Quel rossignol che plora à l’auteur du Pastor fido, à moins que ces vers ne constituent un hommage à Guarini de la part d’un poète ferrarais moins illustre 593 . Le dialogue de Filippo Alberti 594 , Di questi fiori ond'io et sa deuxième partie Sian le rose rubini, perle i ligustri sont aussi à mettre en relation avec la famille d’Este. D’une part, le texte apparaît dans le recueil Rime piacevoli édité par Caporali, anthologie poétique 590 Ce rossignol qui pleure/si doucement, et dans le vert feuillage/se cache, esseulé,/maintenant que, alors que le soleil fuit,/la nuit obscure décolore le monde,/s’il possédait la parole/il dirait : « Je pleure mes malheurs,/mon sort cruel et mes longues douleurs. » 591 Ce petit oiseau, qui chante/si doucement et vole lascivement tantôt du sapin au hêtre, tantôt du hêtre au myrte /s’il avait un esprit humain/il dirait : « Je brûle d’amour, je brûle d’amour ». 592 Voir DURANTE Elio, MARTELLOTTI Anna, Le due “scelte” napoletane di Luzzasco Luzzaschi, op. cit., vol. 1, p. 51-79. 593 Durante et Martellotti ont souligné l’importance de la pratique de l’alio modo au sein de l’académie ferraraise : « … c’est justement dans l’atmosphère d’une académie fermée que les exercices sur un même sujet, les alio modo, ainsi que les imitations de poètes plus talentueux, ou même carrément le plagiat évident du Tasse ou de Guarini, perdent leur connotation négative pour prendre la forme d’un hommage affectueux ou d’une respectueuse citation.(« … è proprio nell’ambito di una chiusa accademia che le esercitazioni su un medesimo soggetto, gli alio modo, così come le imitazioni dei poeti più dotati, o addirittura i palesi plagi di Tasso o di Guarini, perdendo la loro connotazione negativa si configurano come affettuoso omaggio o come deferente citazione. », ibid., p. 67). 594 Filippo Alberti (1548-1612) était un poète de Pérouse, membre de l’Accademia degli Insensati. Il était aussi un ami du Tasse, dont il corrigea la Gerusalemme liberata. Ses vers furent musiqués par des compositeurs de toute l’Italie. Dans le milieu napolitano-ferrarais, signalons notamment les intonations de Scipione Dentice, qui inclut un texte d’Alberti dans le recueil dédicacé à Alfonso II en 1591 (Cogli la vaga rosa), celle du Primo libro a cinque de Gesualdo (Non mirar, non mirare) et Odio et amo infelice, du Terzo libro de madrigali a sei voci de Girolamo Belli (Venezia, Amadino, 1593). 322 extrêmement prisée par les madrigalistes 595 , dont l’une des premières éditions fut réalisée par l’imprimeur du duc de Ferrare Baldini en 1586 596 . Même s’il serait réducteur de vouloir cantonner cette anthologie au seul milieu ferrarais (celle-ci connut en effet un grand succès éditorial pendant les deux dernières décennies du Cinquecento), il ne fait aucun doute qu’elle devait faire partie des recueils de poésies appréciés à la cour d’Alfonso II. D’autre part, le texte de ce madrigal en deux parties correspond aux premières strophes d’un dialogue de Filippo Alberti « fait à l’instance de l’Illustrissime Seigneur Alessandro d’Este, désigné ici sous le nom d’Alessi » (« fatto ad instanza dell’Illustrissimo Signor Alessandro d’Este, inteso sotto il nome d’Alessi »), comme le précise l’édition de Caporali. Ce dialogue met en scène deux personnages : Alessi (qui, si l’on en croit la didascalie, fait référence au commanditaire du texte Alessandro d’Este) et Iride597 . À part une petite variante qui s’apparente plus à une coquille de l’éditeur 598 , ces deux textes suivent à la lettre la source imprimée. Il vezzoso Narciso, le madrigal qui précède directement les deux parties de Di questi fiori ond'io dans le Terzo libro, fait en outre très clairement écho au dialogue d’Alberti, qui en est peut-être l’auteur. Cet autre exemple d’alio modo est en effet construit comme une réplique d’Alessi (« Moi, Alessi inconsolable », « Io sconsolato Alessi », vers 4), qui évoque son amour pour une fleur, allusion évidente au personnage d’Iride (Iris) : 595 À ce propos voir BIANCONI Lorenzo, « Il Cinquecento e il Seicento », op. cit., p. 150 et LUZZI Cecilia, Poesia e musica nei madrigali a cinque voci di Filippo di Monte, op. cit., p. 107. 596 Parmi les éditions qui se sont conservées jusqu’à nos jours, la plus ancienne date de 1585 (Le piacevoli rime di m. Cesare Caporali perugino. Di nuovo in questa terza impressione accresciute d'altre gravi per l'adietro non più date in luce, Milano, Tigri). Tigri précise cependant qu’il s’agit là déjà de la troisième édition. L’anthologie connut par la suite plusieurs rééditions dont une par les presses ducales de Baldini en 1586 (Rime piacevoli di Cesare Caporali, del Mauro, et d'altri auttori/Accresciute in questa quarta impressione di molte rime gravi, & burlesche del si g. Torq. Tasso, e di diversi nobilissimi ingegni) et deux autres par l’imprimeur ferrarais Mamarello en 1590 et 1592. 597 Alessandro d’Este (1568-1624) fut élevé par Alfonso II de Ferrare. Il fut le protecteur de nombreux artistes, écrivains et musiciens (il fut notamment dédicataire de l’Antiparnaso d’Orazio Vecchi). Il obtint la charge de cardinal en 1599. Sur Alessandro d’Este voir Dizionario biografico degli Italiani, op. cit., vol. 43, p. 310-312. 598 Dans l’imprimé du Terzo libro apparaît la variante suivante : Sian le rose i rubini, perle i ligustri au lieu de la leçon de Caporali Sian le rose rubini, perle i ligustri. Il s’agit sans doute d’une erreur de l’éditeur, car cette leçon n’a pas de sens (c’est pourquoi j’ai rétabli le texte de Caporali dans la transcription du madrigal). 323 Il vezzoso Narciso, Le gracieux Narcisse, per la sua crudeltate in varie en étant cruel de diverses façons, tempre, vécut toujours en lui-même et pour visse in se stesso e per se lui-même. stesso sempre. Moi, Alessi inconsolable, Io, sconsolato Alessi, entre les verts lauriers et les pâles fra verdi allori e pallidi cyprès cipressi, je vis, grâce à Amour, vivo, mercè d’Amore, non en moi, mais en une fleur et pour non in me, ma in fiore e per une fleur. un fiore. Deux autres madrigaux du Terzo libro apparaît dans les Rime piacevoli de Caporali : Uscia da i monti fuora et Il matutino vento, deux strophes d’une canzone du poète vénitien Maffío Venier 599 . Il est cependant tout à fait improbable que Macque ait eut recours à l’anthologie de Caporali, car les deux poèmes présentent des variantes sensiblement différentes de la source imprimée. Si la leçon de Uscia dai monti fuora choisie par Macque se contente d’une petite intervention syntaxique (le cinquième vers ajoute en effet le sujet de la phrase Aminta gentil, transformant un septénaire en hendécasyllabe), Il matutino vento est un exemple de remaniement assez conséquent de texte poétique. La structure syntaxique a en effet été entièrement remodelée (et nettement complexifiée), même si le texte reste tout à fait reconnaissable : Macque, III.5 599 Caporali, Le piacevoli rime Maffío Venier (1550-1586), neveu du poète Domenico Venier, faisait partie de l’aristocratie vénitienne et devint poète à la cour médicéenne à partir de 1575 (sur cet auteur, voir VENIER Maffío, Poesie diverse, éd. Attilio Carminati, préface de Manlio Cortelazzo, Venezia, Corbo e Fiore, 2001. 324 Il matutino vento Al matutino vento tremolar fa le fronde, tremolavan le frondi e i fiumi onde d’argento il fiume onde d’argento mandar alle lor sponde, mandava a la lor spondi e i verdeggianti prati e si vedeano i pratti dolcemente ondeggiar da tutti i dolcemente ondeggiar da tutti i lati. 600 lati. 601 Macque est le premier madrigaliste à avoir musiqué Uscia da i monti fuora et, s’il existe deux versions antérieures de Al matutino vento, aucune d’entre elles ne reporte les variantes du Terzo libro 602 . Encore une fois, Macque eut probablement recours à des textes circulant sous forme manuscrite, même s’il est difficile d’en définir l’origine, sans doute ferraraise. Sparge la bella Aurora et Or che ridente e bella, les deux madrigaux anonymes qui ouvrent le Terzo libro sont peut-être une citation plus ou moins explicite d’un madrigal anonyme musiqué par Luzzaschi dans son Sesto libro de madrigali a cinque de 1596. Même s’il peut s’agir là d’un hasard, les incipit de deux textes semblent en effet faire écho aux deux premiers vers d’un madrigal du Sesto libro de madrigali a cinque voci de Luzzaschi (Ferrara, Baldini, 1596) : Sorge la vaga Aurora La gracieuse Aurore se lève, tutta ridente e bella toute riante et belle, e seco adduce l’amorosa et porte avec elle l’étoile 600 Le vent du matin/fait trembloter les feuilles/et des vagues argentées/envoyer les fleuves à leurs rives/et les prés verdoyants/doucement ondoyer de tous côtés. 601 Au vent du matin,/les feuilles tremblotaient/le fleuve des vagues argentées/envoyait à ses rives/et l’on voyait les prés/doucement ondoyer de tous côtés. 602 Uscia dai monti fuora connut par la suite sept intonations dont une par un compositeur des environs de Naples (CERBELLO Giovanni Battista, Il primo libro de madrigali a tre voci, Napoli, Vitale, 1619). 325 stella, amoureuse che lieto il mondo infiora; qui fait fleurir l’heureux monde ; poi sorge il mio bel sole puis mon beau soleil se lève, bello com’esser suole beau comme il sait l’être, e seco adduce Amore et porte avec lui Amour ch’incende l’alme di soave ardore. qui enflamme l’âme de douces ardeurs. Qu’il s’agisse là d’une citation ou d’une simple parenté stylistique, ces correspondances argumentent en faveur d’une origine ferraraise de ces vers. L’empreinte ferraraise des autres textes de caractère pastoral du Terzo libro est moins facilement discernable. Les gracieuses évocations bucoliques qui se dégagent des trois numéros précédant la série de textes spirituels (A l'apparir de la novella Aurora, sa deuxième partie Ogni pianta, ogni fera, si sente il petto et Al mormorar de l’onde) présentent d’évidentes affinités stylistiques avec les autres rimes pastorales du recueil, mais rien ne permet cependant d’affirmer que ces textes soient liés de près ou de loin à la cour ferraraise. Quant au madrigal Corron d’argento i fiumi de Cristoforo Castelletti 603 , il semble plutôt lié au milieu artistique romano-napolitain. Les rimes de ce poète et dramaturge romain, apparemment très implanté dans la vie artistique de la ville pontificale, connurent en effet un certain succès auprès des madrigalistes romains et méridionaux, mais intéressèrent peu les compositeurs de l’Italie septentrionale. Les vers sont extraits de sa pastorale L'Amarilli qui, aux côtés de sa comédie Le stravaganze d’Amor, constitue la source principale des 603 Sur Christoforo Castelletti, voir notamment CHATER James, « Castelletti’s ‘Stravaganze d’Amore’ (1585): a Comedy With Interludes », Studi musicali, VIII, 1979, p. 85–148 ; GRECO Aulo, « Le stravaganze romane del Castelletti », L’istituzione del teatro comico nel rinascimento, Napoli, Liguori, 1976, p. 139-179 et du même auteur, La vita romana nella commedia del rinascimento, Rome, Reale Istituto di Studi romani, 1945, p. 16-20. Pour une biographie relativement détaillée, voir l’article sur Christoforo Castelletti du Dizionario biografico degli Italiani, vol. 21, p. 671-673. 326 rimes de l’auteur musiqués par les madrigalistes 604 . Les quatre actes de L’Amarilli sont encadrés par des madrigaux poétiques, qui, d’après les témoignages, étaient conçus comme des intermèdes mis en musique et chantés lors des premières représentations de la pastorale 605 . Corron d’argento i fiumi est le dernier de ces intermèdes et conclut la pièce. Il est précédé de la didascalie « Madrigal à chanter à la fin de l’acte (« Madrigale per cantare nel fine dell’Atto »). Il est toutefois peu probable que l’intonation de Macque ait été destinée à une représentation théâtrale. Le compositeur n’eut en outre peut-être pas accès à la source imprimée, car encore une fois, la version qu’il choisit ne correspond pas exactement au texte original 606 . Malgré un ancrage résolument ferrarais, les choix poétiques du Terzo libro n’ont au niveau stylistique que bien peu en commun avec ceux des recueils publiés par Gesualdo, Luzzaschi et Fontanelli pendant les années 1594-1596. Ces derniers s’intéressèrent en effet relativement peu aux rimes de caractère pastoral et privilégièrent largement les madrigaux épigrammatiques amoureux, qui sont au contraire totalement absents du recueil de Macque 607 . Les profondes divergences entre le contenu poétique du Terzo libro et celui des autres imprimés de Baldini s’expliquent probablement par la place très particulière que tient ce recueil au sein de la production ferraraise de ces années. En effet, le Terzo libro fut 604 Corran d’argento fut aussi musiqué par Stefano Felis (Il nono libro de madrigali a cinque voci, Venezia, Vincenti et Amadino, 1602) et par son élève Giovanni Battista Pace (Il primo libro de madrigali a cinque voci, Venezia, Gardano 1585). À Naples, Montella et Spano musiquèrent aussi quelques textes de Castelletti et à Rome Marenzio et Giovannelli. Un extrait de L’Amarilli fut en outre choisi pour la joute compositionnelle entre Sebastian Raval et Achile Falcone, qui se déroula à Palerme au tout début du Seicento (à ce propos, voir FALCONE Achille, Madrigali, mottetti e ricercari. Madrigali a cinque voci, con alcune opere fatte all'improviso a competenza con Sebastian Raval, maestro della Cappella reale di Sicilia, con una narrazione come veramente il fatto seguisse, Venezia, Giacomo Vincenzi (1603), éd. Massimo Privitera, Firenze, Olschki, 2000). 605 La première représentation de la pièce eut lieu à Rome en 1580. La pièce fut ensuite publiée à Venise en L'Amarilli pastorale, Venezia, Berichio) et connut plusieurs rééditions 1582 (CASTELLETTI Cristoforo, les années suivantes. 606 Le premier vers reporte en effet Corron d'argento i fiumi au lieu du Corran d’argento i fiumi de la source imprimée et l’avant-dernier remplace in pace gira par e ’n riso gira. Il est cependant possible que ces petites interventions aient été réalisées par Macque lui-même. 607 Les textes de caractère pastoral ne sont pas totalement absents des madrigaux de ces auteurs (voir notamment les derniers numéros du premier livre de Gesualdo, Felice Primavera, Danzan le ninfe oneste, Son sì belle le rose) mais sont largement sous représentés et, au moins dans le cas de Gesualdo, ces pièces furent composées avant le séjour du prince à Ferrare. À ce propos, voir notamment l’introduction d’Anthony Newcomb de l’édition des madrigaux de Luzzaschi (LUZZASCHI Luzzasco, Il quarto libro de' madrigali a cinque voci (Ferrara, 1594) and madrigals published only in anthologies, 1583-1604, op. cit, p. xiv et du même auteur The Madrigal at Ferrara, op. cit., p. 130. 327 vraisemblablement plus conçu pour satisfaire les attentes musicales du duc de Ferrare que comme une réponse aux enjeux stylistiques soulevés par le trio Luzzaschi-GesualdoFontanelli, dans lesquels Alfonso II ne fut probablement qu’indirectement impliqué 608 . L’extrême brièveté des textes constitue peut-être l’unique point de convergence entre le Terzo libro et les autres imprimés ferrarais 609 . Macque s’éloigne en effet sensiblement de la teneur sombre et pathétique de ces derniers pour privilégier une poésie mélique, fraîche et gracieuse dans laquelle les effusions sentimentales trop explicites sont manifestement évitées. Les extraits du Pastor fido retenus par Macque – ou par le commanditaire – sont à ce propos tout à fait significatifs. Nombre de madrigalistes, Marenzio, Monteverdi, Wert notamment, furent attirés par le style affettuoso de Guarini, par les épanchements amoureux de Mirtillo et d’Amarilli, conçus comme des petits madrigaux poétiques autonomes 610 . Macque privilégia au contraire le discours moralisateur d’Ergastro sur les méfaits de l’amour (Non son, non son questi sospiri ardenti) qui clôt la scène 2 de l’acte 1 et fait suite au célèbre lamento de Mirtillo Cruda Amarilli 611 , ainsi que le discours métaphorique de Titiro, le père d’Amarilli, sur les bienfaits du mariage (Al subito apparir del primo raggio, acte 1, scène 4). Si on les replace dans leur contexte dramatique, ces textes semblent presque faire écho aux madrigaux spirituels qui concluent le recueil. Même si la grande majorité des textes pastoraux penchent vers une évidente piacevolezza, un certain nombre d’entre eux sont cependant construits sur une opposition d’affetti plus 608 Comme le note Anthony Newcomb, le manuscrit anonyme Mus. F. 1525 de la Biblioteca Estense de Modène, qui contient vraisemblablement des madrigaux de Fontanelli composés vers 1590 pour le duc de Ferrare, présente plus d’affinités avec les thématiques pastorales (voir NEWCOMB Anthony, The Madrigal at Ferrara, op. cit., p. 132 et du même auteur « Alfonso Fontanelli and the Ancestry of the Seconda Pratica Madrigal », Studies in Renaissance and Baroque Music in Honor of Arthur Mendel, éd. Robert Marshall, Kassel, Bärenreiter, 1974, p. 47–68). 609 La longueur moyenne des textes pastoraux du recueil est 5,9 vers (en comptant les différentes parties d’une même pièce comme un numéro séparé). Cette brièveté est accentuée en outre par une large utilisation des septénaires, qui représentent approximativement la moitié des vers. 610 La pièce a souvent été décrite comme un patchwork de madrigaux affettuosi (à ce propos, voir CHATER James, « ‘Un pasticcio di madrigaletti’? The Early Musical Fortune of Il Pastor fido », op. cit., p. 139-140. 611 Il est amusant de constater que dans l’édition de Varoli (Della nova scelta di rime di diversi eccellenti scrittori dell’età nostra, op. cit., p. 77), ce discours moral est transformé en complainte amoureuse, par le simple ajout du vers initial Non sospirar, cor mio, non sospirare (Ne soupire pas, mon cœur, ne soupire pas) qui renverse complètement la perspective. À ce propos, voir DURANTE Elio, MARTELLOTTI Anna, « Il cavalier Guarini e il Concerto delle Dame », Guarini, la musica, i musicisti, op. cit., p. 132. 328 ou moins marquée. Au milieu d’un paysage idyllique, dépeint par une très large utilisation du champ lexical de la nature, le ou les derniers vers offrent souvent un net contraste, assombrissant l’atmosphère générale par l’exposition d’un sentiment plus triste, ou simplement par un mot assez connoté pour permettre une plus grande variété d’affetti. C’est le cas notamment du madrigal Or che ridente e bella qui, après avoir exposé dans les six premiers vers les images les plus gracieuses (les petites herbes, les fleurs pourpres, les odeurs orientales, le chant des hirondelles etc.) finit par une évocation de la douleur de Philomène 612 (« e Filomena alterna i suoi dolori »). Le même procédé se retrouve dans le madrigal en deux parties A l'apparir de la novella Aurora-Ogni pianta, ogni fera, si sente il petto. Après une description des chaudes couleurs de l’aurore, le madrigal se conclut par les vers : « mais, hélas, la belle et claire lumière/ redouble mes pleurs et me fait soupirer » (« ma, lasso, a me la bella e chiara luce/raddoppia il pianto e a sospirar m'induce »). Ce type de construction, qui pousse à l’extrême le principe de varietà entre piacevolezza et gravità, trouve sans aucun doute ses origines dans certains vers du Canzoniere tels que le sonnet CCCX Zephiro torna, e ’l bel tempo rimena. Replacés dans un contexte musical, ces choix poétiques visaient probablement à créer des occasions de juxtapositions de gammes expressives musicales antithétiques ce qui, du point de vue du résultat sonore, est particulièrement judicieux. Textes spirituels Contrairement aux madrigaux pastoraux, dont les textes sont d’une évidente homogénéité stylistique, les pièces spirituelles du Terzo libro sont composées sur des vers sensiblement différents les uns des autres et répondent à des canons stylistiques résolument opposés. Le sonnet de Pétrarque en deux parties, I’ vo piangendo i miei passati tempi – Sì che, s’io vissi in guerra et in tempesta qui conclut le recueil, appartient à la tradition la plus noble de la lyrique italienne. L’atmosphère recueillie et religieuse de ces vers, qui constituent le dernier sonnet et l’avant-dernier texte du Canzoniere, en fit l’un des textes privilégiés pour 612 Ce madrigal fait référence au mythe de Philomène, raconté par Ovide dans ses Métamorphoses (livre 6, vers 412-721). Philomène, abusée par son beau-frère, fut métamorphosée en hirondelle et sa sœur Procné, en rossignol. Le texte musiqué par Macque reprend la tradition des poètes romains qui firent généralement de Philomèle le rossignol, son nom évoquant davantage la musique (« qui aime le chant »). 329 les méditations du Vendredi saint 613 . I’ vo piangendo fait partie des sonnets pétrarquéens les plus appréciés des madrigalistes. Le texte connut en effet pas moins d’une cinquantaine d’intonations entre 1542 et 1623, par des compositeurs tels que Archadelt en 1554, Wert en 1561, Andrea Gabrieli en 1562, Lassus en 1567, pour ne citer que les plus célèbres (voir infra, table 38, p. 333). Signalons en outre que Fontanelli musiqua le texte dans son Primo libro de madrigali a cinque voci, publié par Baldini un an avant la parution du Terzo libro. On ne peut exclure que l’intonation de Macque soit une réponse à celle de Fontanelli, même si les deux madrigaux n’ont pas grand chose en commun musicalement 614 . De diffusion beaucoup plus confidentielle parmi les madrigalistes est en revanche l’extrait du Trionfo della morte de Pétrarque, La morte è fin d’una prigione oscura. Paolo Cecchi a noté l’importance du milieu intellectuel napolitain pour la valorisation des Trionfi lors des premières décennies du Cinquecento, ainsi que la primauté des musiciens parthénopéens dans les premières intonations de l’œuvre 615 . Les capitoli pétrarquéens connurent une certaine fortune madrigalesque – incomparable cependant à celle du Canzoniere – entre le milieu des années 1550 et celui des années 1580 616 . À partir de 1585, toutes les intonations des passages des Trionfi qui précédèrent celle de Macque sont liées de près ou de loin au royaume des Deux-Siciles 617 . Le choix de ce texte est donc probablement à replacer dans une tradition plus napolitaine que ferraraise. 613 Le sonnet fut d’ailleurs édité dans deux anthologies de rimes spirituelles napolitaines de la fin des années 1560 et du début des années 1570 (Rime spirituali di sette poeti illustri, Napoli, Boy., 1569 et Rime spirituali di diversi eccellenti poeti toscani, Napoli, Salviani, 1574). Voir infra, table 38, p. 333. 614 On notera que la musique spirituelle était aussi pratiquée à Ferrare, même si cela ne transparaît pas véritablement dans les imprimés de Baldini. Signalons notamment le madrigal spirituel qui ouvre le manuscrit M. F. 1525 de la Biblioteca Estense (voir NEWCOMB Anthony, The Madrigal at Ferrara, op. cit., p. 132) et, en remontant dans le temps, la dédicace du Quarto libro de madrigali a cinque voci de Roland de Lassus (Venezia, Gardano, 1567) à Alfonso II, qui contient diverses pièces spirituelles. À ce propos voir FERRARI BARASSI Elena, « Il madrigale spirituale nel Cinquecento e la raccolta monteverdiana del 1583 », Claudio Monteverdi e il suo tempo, éd. Raffaello Monterosso, Verona, 1968, p. 232. 615 Voir CECCHI Paolo, « Gravitas, devozione e poesia morale nelle intonazioni dei 'trionfi' di Orlando di Lasso », publication électronique des actes du colloque international Petrarch and the Flemish Composers, http://www.unisi.it/tdtc/petrarca/ad_documenti.htm, page consultée le 4 juillet 2007, p. 2-3. 616 On dénombre au total une cinquantaine d’intonations de passage des Trionfi, c’est-à-dire à peu près autant que celles du seul sonnet I’ vo piangendo. Sur les intonations des Trionfi, Voir CECCHI Paolo, « Gravitas, devozione e poesia morale nelle intonazioni dei 'trionfi' di Orlando di Lasso », op. cit., p. 10-12. 617 Stefano Felis (1585), Giovanni Donato Vopa (1585), Roland de Lassus (1585) et Rocco Rodio (1587). Voir CECCHI Paolo, « Gravitas, devozione e poesia morale nelle intonazioni dei 'trionfi' di Orlando di Lasso », op. cit., p. 11-12. 330 La morte è fin d’una prigione oscura, invitation à l’exaltation de la mort comme libération de la vie terrestre et de ses basses considérations, adhère parfaitement aux thématiques du répertoire spirituel post-tridentin, et son intonation peut être considérée pour cette raison comme une pièce à vocation morale, sinon spirituelle. Le madrigal en deux parties Ami chi vuol amare - La bellezza superna se trouve à l’antithèse du style élevé qui caractérise les rimes pétrarquéennes et appartient plutôt à la veine utilitaire de la poésie spirituelle. Il s’agit d’une compilation de strophes de deux canzonette appartenant à une anthologie de rimes spirituelles en neuf volumes, Del gioiello di canzonette spirituali, éditée par les presses vénitiennes de Vincenti (malheureusement sans date de publication). Chacun de ces imprimés est constitué d’une dizaine de feuillets, publiés sans dédicace ni nom d’auteur. La seule précision fournie par l’imprimé est que les pièces furent « recueillies à l’instance de vertueuses et dévotes personnes » (« raccolte a compiacenza de Virtuose, e Devote Persone »), sans plus de précisions. Cette édition peu ostentatoire, probablement destinée à la dévotion privée, fut vraisemblablement constituée des textes de canzonette populaires à l’époque. Ami chi vuol amare apparaît en effet dans plusieurs recueils de laudes spirituelles, dans le Tempio armonico de Giovenale Ancina de 1599 (intonation de Giovanni Maria Nanino) et dans les Lodi e canzonette spirituali (Napoli, Longo, 1608, intonation anonyme) ainsi que dans le Teatro armonico spirituale de Giovanni Francesco Anerio (1619) 618 . L’origine de ce texte est sans aucun doute à chercher du côté de l’Oratorio napolitain. Le procédé de compilation des vers choisis par Macque rappelle celui des pièces légères de l’époque. Les deux parties de la canzonetta correspondent en effet à des strophes éditées dans deux volumes différents du Gioello di canzonette spirituali (voir infra, table 38, p. 333). La première partie se situe dans le quatrième volume et la seconde dans le troisième. La forme métrique absolument standard de ces rimes (aaBB) rend extrêmement aisé ce type d’intervention. On constate en outre que, à l’intérieur des strophes, la source imprimée et le Terzo libro ne présentent absolument aucune divergence. L’enchaînement des strophes répond même à une certaine logique commune. La seconde strophe de la version de Macque est en effet construite comme l’antithèse de celle du quatrième volume 618 ANERIO Giovanni Francesco, Teatro armonico spirituale di madrigali a cinque, sei, sette et otto voci concertati con il basso per l'organo, Roma, Robletti, 1619. 331 du Gioiello, la première énumérant tous les bienfaits de la « beauté céleste » (« bellezza superna »), la seconde, tous les défauts de la « beauté terrestre » (« bellezza terrena »). Dans les deux cas, ces vers s’accordent bien avec la première strophe Ami chi vuol amare, qui est conçue comme une opposition entre la « beauté qui fait souffrir » (« beltà che fa penare ») et la « beauté céleste », qui « ne donne aucune douleur » (« beltà celeste, e non mi dà dolore »). Il vero Amore e vivo, le madrigal qui suit directement la canzonetta spirituelle, est un texte anonyme qui ne fut mis en musique apparemment que par Macque. Celui-ci reprend le même principe d’opposition entre amour spirituel et amour charnel et pourrait parfaitement faire partie d’un recueil de canzonette spirituali comme le Gioiello. Son schéma métrique aBaBCC ne détonnerait pas non plus dans ce type d’anthologie et il est possible que ces vers aient aussi fait partie du répertoire des laudes de l’Oratorio napolitain. Rimes spirituelles et pastorales donnent donc le ton de ce nouveau recueil, le dernier du compositeur à laisser un tel espace au versant le plus frais, gracieux et léger de la poesia per musica. Dans ses publications postérieures, les choix poétiques de Macque se porteront souvent vers l’expression de sentiments plus dramatiques et pathétiques, sans cependant jamais renoncer complètement aux paysages arcadiens et aux jeux amoureux entre nymphes et bergers, auxquels le madrigaliste réservera toujours une certaine place, et ce jusqu’à son dernier recueil 619 . table 38 : textes poétiques du Terzo libro de madrigali a cinque voci (Ferrara, Baldini, 1597) 620 incipit um f orme 619 sep ètre source ongu poétique Dans le Quarto libro de madrigali a cinque voci de 1599, les rimes pastorales occupent encore à peu près la moitié du recueil. Dans le Terzo libro de madrigali a quattro voci de 1610, celles-ci se font beaucoup plus discrètes pour réapparaître enfin dans le tout dernier recueil, le Sesto libro de madrigali a cinque voci de 1613. Dans ce dernier livre, Macque retourne même aux sources de la poésie pastorale en musiquant quatre strophes de L’Arcadia de Iacopo Sannazaro – aux accents cependant bien plus pathétiques que bucoliques – renouant ainsi avec les grands modèles de la littérature italienne. 620 Pour plus détail sur les informations de ce tableau, voir supra, p. 187. 332 éro ténaires/ eur 621 he ndécasylla (en bes brèv es) Sparge la 3 bella Aurora m adrigal source 9 9 bA poétique inconnue 5/4 cC dE Or 4 che ridente e bella m adrigal source 7 8 bcC poétique inconnue 5/2 bC Uscia da i 5 monti fuora s trophe de canzone CAPORALI 6 bab CC 6 4/2 Cesare, Le piacevoli rime, Milano, Tini, Maffio 1585 Venier Cesare, fra i Rime piacevoli, Venetia, Giacomo Cornetti, 1588, Ricc (NV CAPORALI 621 5, V Maffio Entre crochets le numéro de la pagination de l’édition de Baldini, qui commence à la page trois. 333 Ven Nori Venier a 3, (NV (NV Il matutino 6 vento s trophe babc de CAPORALI 6 C 5 5/1 canzone Cesare, Le piacevoli 5, V rime, op. cit. Maffio var Venier Arm CAPORALI Cesare, Rime piacevoli, op. cit. Maffio Venier Al 7 subito e del xtrait de primo raggio 1p pastoral apparir E 8 s’alor non si coglie 2p 4 4/8 Battista, ll fido 1 pastor tragicomedia pastorale, e DefF Ven GUARINI 13 bB C15 Venezia, Ven Bonfadino, 1590 GUARINI HiJJ Battista, ll pastor fido, éd. Elisabetta Selmi, Veniezia, Marsilio, 1999 IV a 2p (NV 334 m Il vezzoso 9 Narciso adrigal source 7 7 BB poétique inconnue 3/4 CdD Di d questi fiori ond'io 1p ialogue 10 4/6 Cesare, Le piacevoli rime, op. cit. Filippo Alberti le rose rubini, perle 11 4 BaB cd Sian CAPORALI 10 8 cEE i ligustri 2p CAPORALI Cesare, Rime piacevoli, op. cit. Filippo Alberti ALBERTI Filippo, Rime, Venetia, Ciotti, 1602 Corron 0 p d'argento i fiumi astorale CASTELLETTI 7 2 bbC 4/3 12 Cristoforo, Ven L'Amarilli, pastorale, Dd Venetia, Berichio, 1582 Ven (NV over S254 Quel 1 rossignol 13 plora m che adrigal source 8 Bbc A 2 poétique inconnue 5/3 335 dD Non 2 14 son, e non son questi xtrait de sospiri ardenti pastoral GUARINI 7 7 bAB bCC 2/5 Battista, ll fido e pastor (NV tragicomedia pastorale, op. cit. Ven GUARINI Battista, Pastor fido, Ven op. cit. La morte 3 15 è fin d'una c apitolo PETRARCA 6 3 BA 0/6 prigione oscura Francesco, Trionfi, mad Milano-Napoli, RISM Ricciardi, 1951, p. CB 524 Fire Ven A 4 16 m l'apparir de la novella adrigal 6 BAC Aurora source 10 Bc poétique inconnue 1/9 1p Ogni 5 pianta, ogni fera, 17 si sente il petto DEE 9 2p Al 6 18 mormorar l'onde 336 m de adrigal source 8 4 bAc 6/2 poétique inconnue c D Ami 7 chi vuol amare 1p 19 c anzonett Terzo 8 4 aBB 4/4 a 8 bellezza superna 20 2p canzonette spirituali, cDD le Quarto. Del gioiello di spirituel La 8 et Venezia, Ven Vincenti, [pas avant 1619] ANC armo 1599 spiri 1608 Nap Teat RISM (NV Il 9 21 Amore e vivo vero M adrigal ou source 6 5 BaB poétique inconnue 2/4 canzone 337 tta C spirituel le I' 0 22 vo piangendo i miei s onnet 1 vissi in guerra et 23 in tempesta 2p 2 BBA 0/1 passati tempi 1p Sì che, s’io Rime 14 di sette poeti illustri, Napoli, 4 BBA spirituali Ven Boy., 1569 5 Rime spirituali di diversi DC eccellenti toscani, CD Ven poeti Napoli, Ven Salviani, 1574 PETRARCA (NV Francesco, Canzoniere, op. cit. (NV Ven Ven (NV Ven Ven 338 Giov RISM Leon RISM Giul 1566 Ven Ven 4-6, Ven Ven (NV 5, V II a 339 (NV (NV (NV a 6-1 16) Ven Nori Ven Ven (NV (NV Ferr Ven 340 Ven (NV 2, R part Ven Giro RISM Mad RISM Del 01A Gian RISM 341 Ven 3, V Arie (NV Mon Ven Ven 1, V Ven Une légèreté savante Le registre stylistique et le contenu des textes poétiques, on l’a déjà évoqué à maintes reprises, conditionnent fortement l’orientation générale des techniques musicales que le madrigaliste donne à ses intonations. Les choix poétiques du Terzo libro penchant 342 essentiellement vers des rimes à caractère pastoral et mélique, le compositeur se devait automatiquement d’écarter deux types d’écritures : le style grave et austère des intonations classiques de vers pétrarquéens ainsi que le traitement très expressif réservé aux madrigaux poétiques d’inspiration plus pathétique. L’atmosphère bucolique qui règne dans les textes imposait au contraire le choix d’un registre plus léger, dans la continuité du style hybride des décennies précédentes. Cependant, d’autres facteurs entrent évidemment en ligne de compte dans le choix de tel ou tel type d’écriture, parmi lesquels figure notamment le commanditaire de l’œuvre, qui peut jouer un rôle non négligeable dans l’élaboration d’un recueil. En ce qui concerne le Terzo libro, il est extrêmement probable que le duc de Ferrare, et son environnement musical de haut niveau, eurent un impact tout à fait notable sur le résultat musical final de ce nouveau recueil. La dédicace du Terzo libro, on l’a vu, permet d’entrevoir que Macque était conscient des exigences artistiques des « très nobles oreilles » (« nobilissime orecchie ») d’Alfonso II. Le style rhétorique de cette lettre, toute empreinte d’une humilité courtisane, laisse transparaître que Macque se plaçait dans la continuité des « choses exceptionnelles que le duc de Ferrare avait l’habitude d’entendre quelques fois » (« le cose elettissime, che suole tal volta godere »), même si le musicien prétend ne chercher qu’à « rendre encore plus goûteuse l’excellence de celle-ci » (« rendere tanto più gustosa all’Altezza vostra l’eccelenza di quelle ») par comparaison avec le « fruit de son grossier esprit » (« frutto del mio rozzo ingegno »). Macque avait vraisemblablement conscience de l’enjeu que constituait pour lui le fait de suivre directement la série d’imprimés du trio Gesualdo-Luzzaschi-Fontanelli, imprimés qui avaient définitivement tiré un trait sur le côté simple et direct de la veine la plus légère du madrigal. D’autre part, presque dix ans étaient passés depuis les dernières publications de Macque et il aurait été étonnant qu’un compositeur généralement prêt à saisir les évolutions du langage madrigalesque pour faire évoluer son propre style, ressuscite intact un style 343 hybride désormais bien moins en phase avec la modernité en cette toute fin de Cinquecento. Cette conjonction de facteurs contribue sans doute à expliquer pourquoi Macque plaça ce nouveau recueil – et particulièrement l’intonation des textes à caractère pastoral – sous le signe d’une double exigence stylistique, cherchant à concilier la recherche d’une écriture plus élaborée et travaillée que dans ses madrigaux précédents à une certaine légèreté de ton héritée du style hybride. Il est quelque peu rassurant que les termes de cette synthèse, qui pourrait sembler une pure projection analytique, aient été formulés à l’époque par un contemporain, même si cela ne concernait pas directement la musique de Macque. Dans son Discorso sopra la musica, Vincenzo Giustiniani place en effet sa description de la musique de Gesualdo sous une perspective relativement similaire, rapprochant à la fin du passage le style du Prince, à celui des compositeurs de son entourage (Nenna, Stella) et à celui de Fontanelli : E cominciò il Prencipe Et le Prince Gesualdo di Gesualdo di Venosa, che sonava Venosa, anche per eccellenza di Leuto e di excellemment du luth et de la Chitarra napoletana, a componere guitare napolitaine, commença à Madrigali pieni di molto artificio e composer di contraponto esquisito, con fughe d’artifices et de contrepoint exquis, difficile e vaghe in ciascuna parte, avec intrecciate fra loro, prese in tale gracieuses dans chacune des parties, proporzioni che non vi fussero note et imbriquées les unes dans les superflue fuga autres de telle façon qu’il ne reste incominciata, la quale sempre anche aucune note en trop et en dehors de restava poi messa alla rovescia della la fugue commencée, laquelle était prima. E perché questa esquisitezza toujours composée à l’envers de la di regola soleva talvolta render la première. Et comme cette exquisité composizione pouvait 344 e fuori dura della e scabrosa, des qui des jouait madrigaux fugues rendre aussi pleins difficiles parfois et la procurava et composition dure et compliquée, il industria fare elezione di fughe, che, s’ingéniait avec tous ses efforts et se ben rendevano difficoltà nel tout son art à choisir des fugues qui, componerle, o bien que difficiles à composer, soient riuscissero dolci e correnti a segno, ariose et apparaîssent douces et che paressero nell’atto del cantare fluides afin qu’elles semblent à tous facili da comporsi da ciascuno, ma faciles à composer lorsque qu’on les alla prova poi si trovassero difficili e chante, mais qu’en s’y penchant de non da ogni compositore. Et in plus près, on les trouve difficiles et questa guisa compose lo Stella, il pas du premier compositeur venu. Nenna Ritici Et les Napolitains Nenna et Scipione napoletani, che seguivano il suddetto de Ritici, qui suivaient la manière modo del Principe di Venosa e del susdite du Prince de Venosa et du Conte Alfonso Fontanella sic 622 . Comte e con ogni fossero Scipione sforzo ariose de Alfonso Fontanelli, composèrent aussi de cette manière. Le témoignage de Giustiniani est par bien des aspects problématique. D’une part, car celui-ci ne mentionne pas le nom de Macque – dont il ne connaissait probablement pas la musique – parmi les Napolitains proches du prince de Venosa. D’autre part, car on peine à reconnaître dans cet extrait la représentation que l’on a généralement donnée de la musique de Gesualdo 623 , au point que l’on est en droit de se demander si Giustiniani ne projeta pas tout simplement sur cette dernière son propre idéal musical. En effet, si l’adjectif artificioso s’adapte parfaitement aux madrigaux gésualdiens, les termes doux et fluides sont assez éloignés de leur l’univers sonore ; Giustiniani se référait peut-être aux pièces de ses premiers recueils dans lesquels, comme l’ont noté à plusieurs reprises les 622 GIUSTINIANI Vincenzo, Discorso sopra la musica, op. cit., in SOLERTI Angelo, Le origini del melodramma, op. cit., p. 109. 623 À ce propos, Pietro della Valle est beaucoup plus proche de notre conception de l’art gésuadien. Celui-ci parle en effet de cantare affettuoso à propos la musique de Gesualdo, le rapprochant des auteurs des premiers opéras, Claudio Monteverdi et Jacopo Peri. Voir DELLA VALLE Pietro, Della musica dell’età nostra che non è punto inferiore, anzi è migliore di quella dell’età passata, in SOLERTI Angelo, Le origini del melodramma, op. cit, p. 153. Voir infra, p. 376. 345 musicologues, Gesualdo s’attacha visiblement à faire démonstration de virtuosité contrapuntique tout en conservant une certaine légèreté de ton 624 . Quelle que soit la réalité artistique sur laquelle se base l’analyse de Giustiniani, il est toutefois intéressant que celle-ci ait été formulée aussi clairement par un mélomane de l’époque. Il semble en effet que cette synthèse entre légèreté apparente et complexité de facture, ne renonçant ni à ariosità ni à l’artificio mais proposant plutôt une fusion totale de ces deux aspects de l’écriture (et non un compromis comme le faisait le style hybride), ait fait partie des préoccupations musicales de cette fin de siècle. Les madrigaux pastoraux et l’héritage revisité du style hybride Renouvellement du vocabulaire rythmique La marque la plus évidente d’une recherche de légèreté dans les intonations de textes à caractère pastoral est l’absolue omniprésence des fuses déclamées dans les passages imitatifs. Celles-ci envahissent littéralement le matériel contrapuntique, comme jamais dans les recueils précédents de Macque. La table suivante met très clairement en évidence cette tendance : table 39 : total des motifs contrapuntiques en fuses déclamées (I.6-III.5) 624 Voir notamment WATKINS Glenn, Gesualdo. The Man and His Music, op. cit., p. 133-140. Einstein est assez dur avec le premier Gesualdo, surtout en ce qui concerne ses quelques tentatives pastorales. À propos de son intonation de Tirsi morir volea du Primo libro, celui-ci remarque : « S’il y a un endroit où l’on peut voir l’amateur de haute naissance que personne n’avait le courage de critiquer, c’est bien ici. Dans cette pièce, Gesualdo cultive en réalité le contraste entre les ritenutos écrits des passages accordaux et les élaborations polyphoniques en motifs déclamés rapidement, mais ces motifs sont secs et prosaïques, et l’on ne trouve aucune intuition pour la sensualité pastorale de la pièce, une sensualité qui est sa vie et sa justification. (« If anywhere, it is here that we see the high-born dilettante whom no one dared to criticize. In this piece Gesualdo admittedly cultivates the contrast of written-out chordal ritenutos and the polyphonic elaboration of rapidly declaimed motifs, but these motifs are dry and prosaic, and there is no feeling for the pastoral sensuality of the scene, a sensuality which is its life and justification. » », in EINSTEIN Alfred, The Italian Madrigal, op. cit., vol. 2, p. 695). 346 100 90 80 70 60 une seule (q. fuse e) plusieurs croches total 50 40 30 20 10 0 I.6 a456 MN1 MN2 I.4 II.5 III.5 Cette vivacité rythmique a cependant un visage totalement différent de celle des recueils précédents. On constate en effet que le rythme q. e, qui prédominait largement dans les deux premiers recueils napolitains, n’est utilisé que très marginalement dans le Terzo libro, et souvent en combinaison avec d’autres cellules rythmiques animées 625 . Cette figure possédait probablement trop d’affinités avec le répertoire léger, et était peut-être même passablement démodée à la fin des années 1590. Macque lui préfère au contraire un motif plus complexe, h. e e avec sa variante QuickTime™ e un decompressore TIFF (non compressé) sono necessari per visualizzare quest'immagine. h e e, au riche potentiel contrapuntique et harmonique, qui réapparaît pas moins d’une trentaine de fois dans le recueil, généralement en début de phrase (voir infra, table 40, p. 348). D’un point de vue rythmique, l’intérêt de ce motif est d’éviter, grâce à la syncope, la division trop claire de la brève en quatre minimes. Ce rythme, qui ne comparaît que de manière anecdotique dans les madrigaux antérieurs du compositeur 626 , est aussi très présent chez Luzzaschi, notamment dans son Quinto libro (1595) 627 . En conclure que Macque se serait directement inspiré du madrigaliste ferrarais 625 Voir notamment l’exorde de Di questi fior ond’io sur le rythme h. e e q. e h h Le compositeur utilise le rythme h. e e deux fois dans le deuxième livre de Madrigaletti et napolitaine, ainsi que dans le Primo libro a quattro voci et une fois dans le Secondo libro a cinque voci. 627 Dans le Quinto libro de Luzzaschi, la cellule h. e e et sa variante h e e apparaissent dans l’intonation d’une trentaine de vers, de manière souvent combinée. Gesualdo a recours à ce rythme de manière moins constante, souvent pour les exclamatio (deh, ahi, o, etc.). 626 QuickTime™ e un decompressore TIFF (non compressé) sono necessari per visualizzare quest'immagine. 347 est peut-être un peu hâtif, mais cette hypothèse n’est pas à exclure car, si l’on retrouve la même cellule rythmique dans certains madrigaux de Marenzio et Monteverdi datant de la même période 628 , ces derniers en font cependant un usage bien plus modéré 629 . table 40 : motifs et sa variante QuickTime™ e un decompressore TIFF (non co sono necessari per visualizzare a. début de phrase 628 On rencontre assez fréquemment ce motif rythmique dans le Terzo libro de madrigali a cinque voci de Monteverdi (Venezia, Amadino, 1592) et un peu plus occasionnellement dans les derniers recueils à cinq voix de Marenzio. 629 Macque continuera à faire un abondant usage de la cellule rythmique h. e e dans ses trois derniers recueils. Le madrigal spirituel O gran stupor du Sesto libro de madrigali a cinque voci de 1613 est même presque entièrement construit sur ce rythme (voir SHINDLE Richard, The Madrigals of Giovanni de Macque, op. cit., p. 722-734). 348 a. début de phrase (suite) 349 b. milieu de phase Ce goût pour la syncope, doublé d’un souci d’enrichir, de renouveler et de complexifier le vocabulaire rythmique, est extrêmement lisible dans ce nouveau recueil, et se ressent notamment par l’utilisation nouvelle que fait Macque de la cellule eeee, souvent disposée à cheval sur le temps et non entre deux temps, comme le compositeur le faisait auparavant. L’extrait suivant est un exemple tout à fait heureux de balancement rythmique, évitant 350 toute lourdeur grâce au décalage des accents toniques et des appuis rythmiques naturellement attendus 630 : exemple musical 88 : Or che ridente e bella (III.5, n. 2, brèves 3-5) Dissonances de couleur et variété modale Très fréquemment, ces passages animés sont parsemés de légères dissonances passagères, qui viennent donner plus de relief aux évocations des paysages arcadiens. Le retard engendré par la syncope du rythme génère ainsi de nombreuses dissonances, mais celles-ci peuvent être aussi tout simplement attaquées sans préparation, directement sur la deuxième partie de la minime, comme dans l’exemple suivant : exemple musical 89 : Or che ridente e bella (III.5, n. 2, brève 1) Il peut s’agir aussi de notes de passage de la durée d’une semi-minime disposées sur la deuxième partie de la semi-brève : 630 À ce propos, voir supra, p. 234. 351 exemple musical 90 : Sparge la bella Aurora (III.5, n. 1, brèves 27-29) Le Terzo libro est plein de ces dissonances de couleur, conçues manifestement dans le but de pimenter agréablement la polyphonie 631 . Il s’agit là d’une ouverture notable dans la conception harmonique du compositeur qui, jusqu’alors, se servait des dissonances pour exprimer les affects négatifs mais rarement en simple ornement du contrepoint. Antonio Falcone a discuté ce type de procédé dans le compte-rendu de la joute musicale qui se déroula à Palerme entre l’espagnol Sebastian Raval et son fils Achille, jointe à l’édition des Madrigali, mottetti e ricercari de ce dernier publiée en 1603 632 . Celui-ci se moque des corrections opérées par le musicien espagnol sur un madrigal de son fils, dans un passage faisant usage de ce type de dissonances de couleur : e quando viene quel et quand arrive ce passage qui dit a passo che dice a te Vezzosa te Vezzosa Clori à toi gracieuse Clori, Clori, egli non si vergogna celui-ci Raval n’a pas honte de le emendarlo per esservi quella corriger à cause de cette neuvième, car il nona non intendendo bene ne connaît pas bien l’art et l’efficacité des l’arte delle dissonances bien disposées, ni combien dissonanze ben poste, quanto elles peuvent améliorer l’harmonie. Mais e la efficacia rendano maggior armonia. Ma 631 On dénombre en tout 109 fuses dissonantes disposées sur la seconde partie de la minime et une quinzaine de semi-minimes de passage sur la minime (sans compter évidemment la partie d’alto). 632 Pour plus de détails sur cette joute musicale et sur l’imprimé des madrigaux d’Achille Falcone et des épreuves de la compétition, voir l’introduction de l’édition de Massimo Privitera, (FALCONE Achille, Madrigali, mottetti e ricercari (1603), éd. Massimo Privitera, Olschki, Firenze, 2000). 352 egli, faccendo la sua fuga tutta lui, en faisant sa fugue toute consonante, consonante, di et en procédant simplement de tierce en terza in terza incomposta, la tierce, la rend bien inférieure, comme on rende molto inferiore, come peut le voir dans ce passage de Raval : procedendo ponno vedere in questo di Raval: Et in quel di Achille, per Et dans celui d’Achille, il me esserci quella dissonanza, pare a me semble que la dissonance apporte che maggior vaghezza e diletto plus de grâce et de plaisir à la apporti all’udito e a l’andamento del conduite du passage, comme ici : passo, come qui: 633 L’euphonie harmonique, clé de voûte d’une grande partie du style hybride des années 1580, était apparemment en passe de devenir synonyme de banalité au tournant du siècle, banalité que Macque s’efforce manifestement d’éviter dans le Terzo libro. Cette attention à l’enrichissement de la palette sonore est aussi perceptible dans les choix modaux du compositeur. Si Macque fait évidemment appel aux modes les plus classiques et les plus en usage dans le répertoire madrigalesque (le recueil s’ouvre en effet avec quatre pièces en mode 11 sur fa {fa,b,g2}, suivies de trois numéros en mode 7 {sol/§/c1}, 633 FALCONE Achille, Madrigali, mottetti e ricercari. Madrigali a cinque voci, con alcune opere fatte all’improviso a competenza con Sebastain Raval, maestro della Cappella Reale di Sicilia, con una narrazione come veramente il fatto seguisse, Venezia, Vincenti, 1603, p. 17-18. Voir l’édition de Massimo Privitera pour le fac-similé (p. 143-144). 353 et d’un madrigal en deux parties en mode 1 sur sol {sol/b /g2}), celui-ci laisse également une place tout à fait conséquente au mode de mi, mode sensiblement éloigné de l’univers léger du madrigal-canzonetta et très peu utilisé par Macque dans ses derniers recueils (voir infra, table 41 et 42, p. 355). Ce mode, très chargé affectivement, est choisi pour musiquer les textes au caractère plus sombre 634 . Jusqu’alors, Macque lui préférait le mode 9 {la/§/g2} pour musiquer ce type d’affect, mode que le compositeur ne néglige pas totalement dans le Terzo libro, mais réserve à un madrigal en deux parties de caractère ambigu, mélangeant atmosphère pastorale et effusion sentimentale (A l’apparir de la novella Aurora-Ogni pianta, ogni fera). Dans ses recueils successifs, Macque n’utilisera plus le mode de mi que dans l’intonation du sonnet de Pétrarque Padre del ciel dopo i perduti giorni dans le Quarto libro de madrigali a cinque voci de 1599. Malgré une tendance tout à fait nette vers une dramatisation du discours, le madrigaliste, dans ses deux derniers livres, ne fera plus appel au mode de mi, réservant plutôt le mode 10 ({la/§/c1}) à certaines de ses pages les plus expressives 635 . Il est possible que cette forte présence du mode de mi dans le Terzo libro soit inspirée des madrigaux ferrarais de Luzzaschi, Fontanelli et Gesualdo. Ces derniers laissèrent en effet toujours une certaine place au mode phrygien dans leurs recueils 636 . 634 Trois pièces sont composées en mode de mi : Non son questi sospir, qui se conclut par un catalogue des tourments amoureux, Quel rossignol che plora qui se focalise sur les malheurs d’un rossignol et La morte è fin d’una prigione oscura, méditation sur la mort. 635 Voir notamment Non è d’aspe o di fera et Donna, se ’l cor hai di diamante e ’l petto dans le Terzo libro a quattro voci, ainsi que Tu ti lagni al mio pianto et la quatrième et dernière partie de I tuoi capelli, o Filli, in una cistola, Io piango, o Filli, il tuo spietato interito sur un texte de Sannazaro dans le Sesto libro de madrigali a cinque voci (voir SHINDLE Richard, The Madrigals of Giovanni de Macque, op. cit., p. 641650, 773-780 et 781-791) 636 À partir de 1595, chacun des imprimés de Baldini (le quatrième livre de Gesualdo, le cinquième de Luzzaschi et le premier de Fontanelli en 1595, le sixième et septième de Luzzaschi en 1596 et 1597) comportent deux pièces en mode de mi. Les deux premiers imprimés de Gesualdo, qui ne laissent pas beaucoup d’importance à ce mode, ne furent selon toute vraisemblance pas composés avant le séjour ferrarais de Gesualdo. Pour les choix modaux de Luzzaschi et Fontaneli, voir notamment l’introduction des éditions d’Anthony Newcomb, FONTANELLI Alfonso, Primo libro di madrigali a cinque voci (Ferrara, 1595), op. cit., p. xi et LUZZASCHI Luzzasco, Il quarto libro de' madrigali a cinque voci (Ferrara, 1594) and madrigals published only in anthologies, 1583-1604, op. cit., p. xviii et xix. 354 Le mode 1 non transposé {ré/§/g2}, moins lumineux que sa transposition sur sol, réapparaît aussi dans le Terzo libro. Ce mode, généralement peu favorisé dans le répertoire léger, était totalement absent de ses deux livres précédents 637 . Macque s’attache manifestement à varier les couleurs modales dans ce recueil, l’homogénéité des textes poétiques n’empêchant en effet pas le compositeur de déployer un spectre modal relativement large. table 41 : choix modaux du Terzo libro de madrigali a cinque voci : total Type {ré/§/c1} {ré/§/g2} {mi/§/ III.5 1 --- 3 tonal table 42 : ordre modal des pièces N 1 3 2 4 3 5 4 6 5 7 6 8 7 9 8 10 9 11 637 638 incipit Sparge la bella Or che ridente Uscia dai Il matutino Al subito E s’alor non si Il vezzoso Di questi fiori Sian le rose Type {fa/b/g2} {fa/b/g2} {fa/b/g2} {fa/b/g2} {sol/§/c1} {sol/§/c1} {sol/b/g2} Voir supra, tables 31 et 32, p. 219. Entre crochets le numéro de la pagination de l’édition de Baldini, qui commence à la page trois. 355 10 12 11 13 12 14 13 15 14 16 15 17 16 18 17 19 18 20 19 21 20 22 21 23 Corron Quel rossignol Non son, non La morte è fin A l'apparir de Ogni pianta, Al mormorar Ami chi vuol La bellezza Il vero Amore I' vo Sì che, s’io {ré/§/c1} {mi/§/c1} {mi/§/c1} {mi/§/c1} {la/§/g2} {sol/§/g2} {sol/§/g2} {sol/b/c1} {sol/b/c1} vissi in guerra et in tempesta 2p Artificiosità contrapuntique À l’intérieur de ce cadre résolument tourné vers une vivacité rythmique, conjugué à une recherche de variété modale et harmonique, Macque s’applique à déployer toutes les subtilités d’une écriture contrapuntique raffinée, réservant aux techniques imitatives la part la plus conséquente des pièces 639 . table 43 : répartition des textures du III.5 imitation/contrepoint homophonie formes mixtes 63% 23% 14% La majorité des passages imitatifs font en effet appel aux combinaisons motiviques (généralement de deux sujets en miroir) et aux doublures (à la tierce ou à la sixte) laissant moins de place qu’auparavant à l’imitation simple. Macque est d’autre part devenu beaucoup plus strict dans les imitations si l’on compare avec ses recueils précédents, et évite presque systématiquement d’avoir recours au contrepoint libre. Les sujets sont en effet quasiment toujours choisis de manière à ne subir presque aucune modification en passant aux autres voix. 639 Voir supra, tables 29 et 30, p. 218 pour les proportions des autres recueils. 356 La table suivante met en évidence cet inversement de tendance entre les premiers recueils napolitains de Macque et le Terzo libro : table 44 : techniques utilisées dans les passages imitatifs (I.4-III.5) Il est difficile de ne pas faire le lien entre ces observations et l’évocation des « fugues difficiles et gracieuses de toutes les parties, imbriquées les unes dans les autres de telle façon qu’il ne reste aucune note en trop et en dehors de la fugue commencée, laquelle était toujours composée à l’envers de la première » faite par Giustiniani à propos des madrigaux de Gesualdo 640 . On pourrait être tenté de remarquer que certains passages imitatifs en fuses déclamées peuvent être traités de manière relativement similaire dans les Madrigaletti et napolitane (doublures, mouvements contraires, traitement strict du sujet) et que les commentaires de Giustiniani ne sont pas forcément synonymes d’artificiosità. La grande différence réside cependant dans le soubassement harmonique qui est généralement à la base de ces élaborations contrapuntiques dans les Madrigaletti et napolitane (et dans le style hybride en général). Celui-ci fait le plus souvent défaut au Terzo libro, dont la logique 640 Voir supra, p. 344. 357 contrapuntique est résolument horizontale et fait relativement peu appel aux procédés de simplification harmonique tels qu’on les trouvait dans les recueils précédents du compositeur 641 . La comparaison des deux extraits suivants, le premier tiré du Primo libro de madrigaletti et napolitane, le second du Terzo libro, construits tous deux sur un contrepoint par mouvement contraire, met en évidence le fossé existant entre les deux types d’écriture. Le premier ne s’échappe pas de l’accord de sol majeur et constitue plutôt un exemple de pseudo-contrepoint, pour reprendre l’expression d’Anthony Newcomb, que de virtuosité contrapuntique : exemple musical 91 : Dico spesso al mio core (MN1, n. 5, brèves 8-10) Le parcours harmonique de cet extrait du Terzo libro, basé lui aussi sur un soggetto en gamme ascendante et descendante, est au contraire bien plus fluctuant, et semble plutôt résulter de la logique interne du contrepoint que d’un enchaînement accordal prédéfini : exemple musical 92 : Di questi fiori ond’io (III.5, n. 8, brèves 14-15) 641 Les imitations biaccordales ne sont pas totalement absentes du Terzo libro, mais leurs apparitions sont généralement très fugitives. À l’exception du madrigal La morte è fin d’una prigione oscura (voir infra, p. 371), l’alternance harmonique reste peu systématique et ne concerne généralement qu’une petite partie de la phrase (voir par exemple, dans le premier numéro, l’intonation du vers Facciamo risonar). 358 Même si le compositeur cherche la plupart du temps à conserver une certaine clarté dans ses choix de textures, certaines élaborations contrapuntiques – notamment dans les péroraisons – ne sont pas sans rappeler ce que Anthony Newcomb a dénommé l’écriture kaléidoscopique, caractéristique du style de Luzzaschi et reprise successivement par Gesualdo et Fontanelli 642 . Celle-ci consiste à découper le matériel contrapuntique en petites sections, répétées et échangées entre les différentes parties. Dans l’intonation du dernier vers du madrigal Il vezzoso Narciso, par exemple, Macque fragmente le vers en trois motifs très brefs (non in me – ma in un fior – e per un fior) qu’il dissémine entre les voix. Cette imbrication motivique qui, contrairement à certains jeux contrapuntiques typiques du madrigal-canzonetta, n’est pas soutenue par une forte structure harmonique mais semble encore une fois répondre à une logique purement horizontale, correspond sans aucun doute à une recherche de grand raffinement d’écriture 643 : exemple musical 93 : Il vezzoso Narciso (III.5, n. 7, brèves 19-27) 642 Voir NEWCOMB Anthony, The Madrigal at Ferrara, op. cit., p. 120-121. Pour d’autres exemples de ce type d’élaborations contrapuntiques, voir par exemple la péroraison de Sian le rose rubini ou celle de Al mormorar de l’onde. 643 359 Cette finesse d’écriture est perceptible également dans les passages homophones. Macque n’hésite pas à puiser dans le fonds de modèles rythmiques de la canzonetta pour les passages accordaux, mais il les utilise de manière beaucoup plus travaillée qu’auparavant. Ceux-ci, en plus de présenter généralement un petit travail contrapuntique évitant la scansion parfaitement synchronisée du texte, sont souvent composés sur la base d’une logique contrapuntique. La conclusion du madrigal en deux parties Al subito apparir del primo raggio – E s’alor non si coglie est à ce propos tout à fait significative. Les quatre répétitions du dernier vers, construites sur deux schémas rythmiques de canzonetta accolés ( ) sont un rappel évident au répertoire léger. Cependant, lors des deux premières occurrences, la ligne du canto vient briser la verticalité de l’écriture, en 360 entrant en imitation trois minimes plus tard et tout le passage est construit sur deux motifs traités par mouvement contraire : exemple musical 94 : E s’alor non si coglie, (III.5, n. 6, brèves 15-21) Il ne s’agit certes pas là d’un exploit contrapuntique, mais cette petite particularité prouve cependant une attention tout à fait évidente au détail de l’écriture. Le même souci du détail se retrouve dans l’exorde de la pièce. Le passage est construit sur le rythme , utilisé ici de manière parfaitement homophone. À la répétition, le compositeur réécrit toute la phrase par mouvement contraire et en contrepoint renversable, subtilité d’écriture qui contraste sensiblement avec l’apparente facilité qui se dégage de ces premières mesures, au point qu’on pourrait parler ici d’artificiosità cachée. Cette opposition entre impression de simplicité à l’écoute et complexité d’écriture n’apparaissant qu’à l’analyse rappelle encore une fois les commentaires de Giustiniani sur les madrigaux de Gesualdo évoqués précédemment. exemple musical 95: Al subito apparir del primo raggio (III.5, n. 5, brèves 1-2) 361 Ce type de construction concerne la majorité des passages homophones qui sont très souvent traités par mouvement contraire ou en contrepoint renversable aux répétitions 644 . On peut être tenté de faire le lien avec l’écriture de Gesualdo qui, comme l’a noté Glenn Watkins dans sa monographie sur ce compositeur, fait très souvent appel à ce type de procédés dans les passages déclamatifs homophones 645 . Imitation alternée Macque sait cependant parfois renoncer à cette complexité contrapuntique dans un souci de compréhension du texte poétique. La polyphonie se répartit alors par paire de voix, selon un principe d’alternance textuelle assez proche des congeries (et peut-être dérivant de ces dernières), permettant une plus grande clarté d’énonciation. Le motif rythmique h. e e h, avec sa juxtaposition de notes tenues et de fuses déclamées, se prête particulièrement bien à ce type de procédé. Celui-ci réapparaît aussi fréquemment chez Luzzaschi et Gesualdo dans des formes extrêmement proches, même si le résultat sonore final peut s’avérer sensiblement différent : 644 Un certain nombre de répétitions de passages homophones utilisent les mouvements contraires, au moins à certaines voix (voir par exemple dans la première pièce du recueil Sparge la bella aurora, l’intonation des vers Che s’apre a noi et Cantiamo pur ou bien dans Corron d’argento i fiumi (numéro 10), le vers Cantate o vaghi augelli ou encore l’exorde de A l’appartir de la novella Aurora). 645 Voir WATKINS Glenn, Gesualdo. The Man and His Music, op. cit., p. 135-140 et 151-153. 362 exemple musical 96 : Giovanni de Macque, Sparge la bella Aurora (III.5, n. 1, brèves 3-5) 646 exemple musical 97 : Luzzasco Luzzaschi, Non guardar ché se guardi (Il Quinto libro de madrigali a cinque voci, Ferrara, Baldini, 1595, brève 6) 647 exemple musical 98 : Carlo Gesualdo, Arde il mio cor (Il quarto libro de madrigali a cinque voci, Ferrara, Baldini, 1596, mesure 26) 648 646 Voir aussi dans la même pièce, l’intonation du vers Da vaghi augelli il giorno et dans E s’alor non si coglie, la péroraison de la pièce suivante Or che ridente e bella (brève 16-17 et 20-21) ou encore dans Ogni pianta, ogni fera, l’intonation du vers Raddoppia il pianto. 647 D’après DURANTE Elio, MARTELLOTTI Anna, Le due « scelte » napoletane di Luzzasco Luzzaschi, Firenze, S.P.E.S., 1998, vol. 2, p. 38-39. Voir aussi dans le Quinto libro de Luzzaschi Lungi da te cor mio dont beaucoup de passages sont construits sur le même principe d’alternance textuelle. 648 D’après GESUALDO DI VENOSA, Viertes Buch, éd. Wilhelm Weismann et Glenn Watkins, Leipzig, Deutscher Verlag für Musik, 1958, p. 26. Sämtliche Werke, vol. 4 363 Les deux extraits suivants, tirés du Quinto libro de Luzzaschi (1595) et du Terzo libro de Macque, proposent un autre type de solution au problème de la compréhension du texte dans un contexte contrapuntique, jouant toujours avec le principe d’énonciation alternée. Macque avait-il sous les yeux le madrigal de Luzzasco lorsqu’il composa le passage ? exemple musical 99 : Luzzaschi Luzzasco, Io vissi anima mia (Il quinto libo de madrigali a cinque voci, op. cit.) 649 649 D’après DURANTE Elio, MARTELLOTTI Anna, Le due « scelte » napoletane di Luzzasco Luzzaschi, op. cit., vol. 2, p. 112-113. 364 exemple musical 100 : Giovanni de Macque, Uscia dai monti fuora (III.5, n. 3, brèves 7-10) 650 Ce type de procédé contrapuntique aéré est évoqué par Pietro della Valle, dans un passage de Della musica dell’età nostra. L’auteur discute des nouvelles formes de fugues en usage parmi ses contemporains et fait l’éloge des compositeurs qui savent sacrifier la complexité contrapuntique pour permettre une plus grande clarté des paroles : Non fanno caso che le Ils n’attachent pas fughe paiano troppo facili, purché d’importance au fait que les fugues non confondano le parole nè il loro paraissent trop faciles, tant qu’elles senso: le interrompono bene spesso ne confondent pas les paroles et leur con pause, acciocchè le parti si diano sens. Ils les interrompent bien tempo l’una all’altra, e ciascuna di souvent avec des pauses, afin que les esse spicchi bene le sue parole. 651 parties se donnent le temps les unes aux autres, et que chacune d’entre elles détache clairement ses paroles. Miniaturisme, morcellement et ambiguïté cadentielle Un même souci de synthèse entre l’héritage du madrigal-canzonetta et une écriture plus recherchée est perceptible dans l’organisation globale des pièces. Tout d’abord, Macque 650 L’alto peut sembler peut-être un peu trop dissonant, cependant, comme on l’a évoqué, ce type de note de passage en semi-minime tombant sur la minime se rencontre relativement fréquemment dans le recueil. Voir supra, p. 351 et suivantes. 651 DELLA VALLE Pietro, Della musica dell’età nostra, op. cit., in SOLERTI Angelo, Le origini del melodramma, op. cit., p. 152. 365 propose des intonations de très petites dimensions dans ce nouveau recueil, notamment pour les textes de caractère pastoral, dont la brièveté se rapproche plus des Madrigaletti et napolitane que de ses madrigaux précédents. La longueur moyenne des compositions est en effet de 29, 2 brèves si l’on compte tous les numéros du recueil, mais seulement de 26, 9 brèves si l’on exclut les madrigaux spirituels, soit presque six brèves de moins que dans Secondo libro a cinque et à peine plus que dans le premier recueil de Madrigaletti et napolitane 652 . Cette concision est probablement à mettre en rapport avec le style ferrarais des années 1590 653 mais aussi avec une tendance générale du compositeur à composer des pièces de plus en plus courtes 654 . Macque combine à la brièveté des pièces, une évidente clarté d’articulation des différentes phrases musicales. Les cadences se succèdent en effet avec une grande fréquence, créant ainsi des sections musicales de petite taille, généralement répétées, dont les contours sont très clairement définis 655 . Ce cadre extrêmement structuré et sectionné est compensé en partie par la grande liberté avec laquelle Macque use des cadences, celles-ci possédant souvent un caractère très faiblement conclusif. Les cadences parfaites avec saut de quarte ou de quinte à la basse ne constituent en effet pas la norme dans ce recueil et ne représentent même pas la moitié des cadences du recueil (environ 45%, contre un peu moins de 60% dans les deux premiers 652 La longueur moyenne des pièces du Primo libro de madrigaletti et napolitane est de 26,7 brèves, soit légèrement plus que celle du Secondo libro (24,9 brèves). 653 Certaines intonations de Gesualdo n’arrivent même pas à une vingtaine de brèves, notamment lorsqu’il s’agit de prima parte. Voir par exemple, dans le Quarto libro, Cor mio, deh, non piangete (dix-sept brèves), Moro, e mentre sospiro (dix-huit brèves), ou encore Ecco, morirò dunque (dix-sept brèves). 654 Cette tendance est particulièrement perceptible dans le dernier recueil du compositeur, dont les pièces ont une durée moyenne de 25 brèves. Il peut être intéressant de faire le lien entre la brièveté de ces madrigaux et les remarques de Cerone à propos de l’usage des différents rythmes. Le théoricien s’insurge en effet contre les madrigalistes napolitains qui passent outre le bon usage des différentes valeurs rythmiques : « Il est vrai que certains compositeurs modernes (et en particulier les musiciens napolitains), au lieu de faire usage des quatre figures sur les syllabes, c’est-à-dire la brève, la semi-brève, la minime et la semi-minime, utilisent la semi-brève, la minime, la semi-minime et la fuse, et pour les chanter bien à l’aise, ils élargissent de telle manière la battue qu’il y passerait commodément un char avec ses bœufs » (« Verdad es que algunos modernos (y en particular los musicos napolitanos) en lugar de poner en obra las quatro figuras breve, semibreve, minima y semiminima con palabras, ponen la semimibreve, minima, semiminima et crochea, et para cantarlas bien, alargan de tal manera el compas, que passara comodamente un carro con sus bueyes », in CERONE Pietro, El melopeo y maestro, op. cit., p. 692, cité in FABBRI Paolo, Il madrigale tra Cinque e Seicento, op. cit, p. 15). Il est possible que, les tempos étant considérablement ralentis, les madrigalistes aient par conséquent préféré composer des pièces plus courtes. 655 L’intervalle moyen entre deux cadences est de 2,3 brèves dans le Terzo libro a cinque, chiffre qui tombe à 1,9 brèves si l’on ne compte que les pièces pastorales, contre 3,1 dans le Primo libro a quattro voci, et 2,6 dans le Secondo libro a cinque. 366 recueils napolitains). Cette diminution est compensée par une forte présence de cadences alternatives, qui n’ont guère en commun avec les cadences classiques que la fonction syntaxique et la position dans la phrase musicale. On remarque notamment une forte propension à laisser les phrases en suspens au moyen d’enchaînements du type QuickTime™ e un decompressore TIFF (non compressé) sono necessari per visualizzare quest'immagine. ou QuickTime™ e un decompressore TIFF (non compressé) sono necessari per visualizzare quest'immagine. (vingt-six occurrences au total), introduits parfois de manière tout à fait étonnante 656 : exemple musical 101: Or che ridente e bella (III.5, n. 2, brèves 5-6) Certaines formules cadentielles sont assez peu orthodoxes 657 et il arrive même fréquemment que la pause syntaxique soit réalisée par la simple répétition d’un même accord, précédé d’une séquence harmonique sans aucun caractère cadentiel 658 . La phrase semble alors s’arrêter au milieu de sa course : exemple musical 102 : Il vezzoso Narciso (III.5, n. 7, brèves 16-18) 656 Voir tout particulièrement la seconde partie de Di questi fiori ond’io, Sian le rose rubini pour un exemple d’utilisation massive de ce type de cadences suspendues. 657 Voir notamment l’exorde de Al subito appari del primo raggio. 658 Les passages de ce type ne manquent pas dans le Terzo libro. Voir en particulier les premières mesures de la seconde partie du madrigal A l’apparir de la novella Aurora, Ogni pianta, ogni fera. 367 On peut être tenté de voir une influence de Luzzaschi – grand virtuose des discours morcelés, ponctués par des cadences très faibles et inclassables 659 – dans le choix de ce vocabulaire cadentiel peu conclusif, même si Macque n’utilise qu’occasionnellement les cadences évaporées si chères au ferrarais 660 et qu’on ne trouve pas l’équivalent des liquidations cadentielles très particulières concluant souvent les madrigaux de ce dernier. L’impression qui se dégage de ces pièces est que Macque, suivant en ceci le trio ferrarais, renonce au débit continu, fluide et étalé de l’écriture contrapuntique traditionnelle – que l’on trouvait encore ponctuellement dans ses deux premiers recueils napolitains – en même temps qu’aux articulations franches et prévisibles du style hybride, pour explorer une troisième voie intermédiaire, faite de concision et de clarté sans pourtant renoncer à la variété et à la complexité d’écriture. Madrigaux spirituels Les madrigaux spirituels qui concluent le recueil reprennent dans une certaine mesure les mêmes problématiques que les pièces pastorales, tout en démontrant de façon particulièrement évidente la capacité du compositeur à faire correspondre son écriture musicale au registre stylistique des textes poétiques. Macque, on l’a évoqué, choisit de musiquer deux types de rimes spirituelles : d’un côté, des poésies anonymes utilitaires, 659 Anthony Newcomb a en effet noté le penchant de Luzzaschi pour ce type de cadences (voir The Italian Madrigal, op. cit., p. 120-121). Le premier madrigal du Quinto libro de Luzzaschi offre de nombreux exemples de ces cadences à faible potentiel conclusif. 660 Je n’ai trouvé qu’un véritable cas de cadence évaporée dans le recueil (voir Il matutino vento, brève 7), alors que le compositeur les utilisait assez fréquemment le Secondo libro de madrigali a cinque (cinq occurrences en tout). 368 tirées du courant poétique conséquent à la Contre-Réforme, de l’autre des vers pétrarquéens traditionnellement associés à la méditation morale ou religieuse. L’adhérence de l’écriture musicale au contenu poétique, qui reformule une fois de plus la polarité et la dynamique d’échange entre complexité et simplicité, est ici encore parfaitement lisible. Dans ses intonations des textes de Pétrarque, et tout particulièrement dans le sonnet qui conclut le recueil, Macque fait appel à un éventail de technique qui contraste sensiblement avec le reste du recueil. Tout d’abord, le madrigaliste propose une intonation bien plus longue que le reste des pièces puisque la première partie a une durée de quarante-deux brèves et la seconde de trente-cinq brèves – soit respectivement treize et six brèves de plus que la moyenne du recueil. Le discours est en outre très faiblement articulé, les cadences se suivant avec beaucoup moins de fréquence que dans le reste du livre 661 et l’enchaînement des différentes phrases musicales faisant souvent appel aux tuilages 662 . Cette impression de flux continu est encore renforcée par le caractère des sujets, rythmiquement très étalés, composés majoritairement en notes blanches et utilisant les fuses déclamées avec parcimonie. Seule l’évocation de la guerre et des tempêtes au début de la seconde partie (Sì che, s’io vissi in guerra et in tempesta) provoque une réelle animation du discours. Les schémas d’homophonie rythmique sont évidemment bannis de cette intonation, de même que toute tentative d’homophonie parfaitement synchronisée. Macque se concentre au contraire sur les techniques imitatives, n’utilisant les passages homophones qu’à des fins rhétoriques, par exemple pour mettre en valeur l’invocation au « Roi du ciel » (« Re del ciel »). Le compositeur conjugue ici le ton poétique grave et recueilli des vers pétrarquéens à une intonation portant tous les signes extérieurs d’une écriture à l’ancienne, presque dans un style motet : fluidité et continuité du débit, textures majoritairement contrapuntiques, valeurs rythmiques étalées, etc. 661 662 Une cadence toutes les 3,6 brèves contre une toutes les 1,9 brèves dans les textes pastoraux. Les articulations en tuilage représentent 45% des transitions, contre 20% dans le reste du recueil. 369 Macque se place ainsi dans la continuité de la lignée de compositeurs qui musiquèrent le texte avant lui – notamment Roland de Lassus 663 – mais reste relativement imperméable aux solutions plus modernes proposées deux ans auparavant par Alfonso Fontanelli dans son Primo libro de madrigali a cinque voci, comme le souligne Anthony Newcomb dans l’introduction son édition de ce recueil 664 . Ce cadre extrêmement traditionnel n’empêche cependant pas le compositeur d’intégrer quelques dissonances savoureuses ne respectant pas toujours au pied de la lettre les normes de résolution des retards. Dans le passage suivant, Macque accumule les dissonances, enchaînant une septième à un triton, puis à un retard de quarte 665 : exemple musical 103 : Sì ché s’io vissi in guerra et in tempesta (III.5, n. 21, brèves 1921) Comme le remarque Shindle, on retrouve cette même tendance dans l’intonation du sonnet spirituel bipartite du Quarto libro, Padre del ciel dopo i perduti giorni – Or volge Signor 663 L’intonation de Macque présente en effet de nombreux points de convergence avec celle de Lassus, notamment dans l’exorde, en note blanche avec une tierce mineure ascendante et descendante, et dans les passages déclamatifs sur les vers Tu, che vedi i miei mali indegni et empi/Re del cielo invisibile e immortale. 664 Voir FONTANELLI Alfonso, Primo libro di madrigali a cinque voci (Ferrara, 1595), op. cit., p. xiv-xv. À mon sens, on peut cependant trouver quelques points de convergences entre les deux versions, notamment dans l’exorde à deux sujets en notes blanches, dans l’utilisation de certains rythmes (voir par exemple l’intonation des vers Re del cielo invisibile e immortale/soccorri a l’alma disviata e frale), ou dans certaines juxtapositions de textures contrastantes (voir l’intonation des deux premiers vers de la seconde partie Sì che s’io vissi in guerra et in tempesta/mora in pace et in porto). Ces similitudes sont cependant totalement anecdotiques, et montre simplement que Macque connaissait probablement l’intonation de Fontanelli. 665 Voir aussi à la brève 8 de la seconde partie, la septième mineure entre quinto et canto résolue directement sur une quinte. 370 mio l'undecimo anno, qui offre une intonation d’apparence très classique, ponctuée cependant de passages harmoniquement corsés 666 . Dans son intonation du chapitre du Trionfo della morte de Pétrarque, Macque se montre bien plus ambigu et juxtapose des styles très différents en réponse au contraste exprimé dans le texte poétique. Le capitolo de Pétrarque est en effet une réflexion sur l’attitude que l’homme doit adopter face à la mort et oppose l’« ennui » (« la noia ») à la « joie » (« la gioia »). La pièce s’ouvre par un exorde sur un sujet en notes blanches dans un style motet, fuyant la cadence au moyen d’un motif déviant systématiquement la sensible : exemple musical 104 : La morte è fin d’une prigione oscura (III.5, n. 13, brèves 3-4) Cette première section est enchaînée sans transition ni cadence sur l’une des rares imitations biaccordales du recueil (la/Mi) sur le rythme animé , contrastant singulièrement avec le style motet et la complexité harmonique des premières mesures. Cette clarté harmonique, probablement destinée à dépeindre les « âmes nobles » (« animi gentili »), tourne court au moyen d’une cadence évitée (brève 10), à peine sont évoqués les « autres » (« gli altri ») et leurs préoccupations tombées « dans la boue » (« nel fango »). Cette première partie se conclut à la brève 13 par la première articulation cadentielle nette du madrigal. 666 À propos de ce madrigal spirituel, Shindle remarque : « En regardant superficiellement ce madrigal bipartite, on est frappé par son apparence de motet. … Mais en allant au-delà de ce regard superficiel, beaucoup d’aspects typiquement napolitains commencent à se manifester » (« Looking superficially through this bipartite madrigal, one is struck by its motet-like appearance. … But going beyond this superficial glance, many peculiarly Neapolitan aspects begin to manifest themselves. », in SHINDLE Richard, The Madrigals of Giovanni de Macque, op. cit., p. 202). 371 La suite de la pièce n’est pas moins ambiguë. Macque utilise une deuxième fois un passage en alternance harmonique autour de la finale dans le vers suivant (« Et maintenant ma mort, qui t’ennuies », « Et ora il morir mio, che sì t’annoia »), mais c’est cette fois-ci en faisant appel à l’accord de si majeur, dont les deux altérations ré dièse et fa dièse donnent au passage une couleur particulièrement dure, tout à fait éloignée de l’effet euphonique généralement obtenu par les imitations biaccordales. Le madrigal se conclut par une longue péroraison animée, entièrement construite sur des sujets en fuses déclamées et en vocalises, assez proche de l’intonation des canzonette spirituali, qui fait écho à l’allégresse avec laquelle se clôt le capitolo. Macque propose une juxtaposition de style tout à fait étonnante dans cette pièce, oscillant tour à tour entre le langage grave et austère propre aux intonations des rimes pétrarquéennes et le ton enjoué du répertoire léger, brouillant les frontières entre les différents registres, frontières que le compositeur avait d’ailleurs maintes fois contribué à édifier ou à confirmer dans le reste de sa production madrigalesque. Dans l’intonation des canzonette spirituali, Macque retourne en revanche à une synthèse stylistique relativement proche des solutions adoptées dans les madrigaux pastoraux. Macque parsème en effet les pièces de marqueurs du style hybride sans pour autant négliger le raffinement de l’écriture contrapuntique. Ami chi vuol amare – La bellezza superna, madrigal en deux parties, est un parfait exemple de cette fusion. Au niveau de la forme globale, ce madrigal en deux parties reprend les principes caractéristiques des genres légers. Macque ne décide pas de se focaliser sur la nature strophique du texte (en reprenant par exemple une partie du matériau motivique dans la seconde partie), mais structure l’ensemble selon le schéma formel AAB-CDD qui rappelle les modèles les plus courants de la canzonetta par la répétition de la première et de la dernière section. Les parties répétées (A et D) sont de dimensions assez amples (respectivement cinq et dix mesures) et sont assez nettement délimitées pour que la forme apparaisse clairement à l’écoute. La pièce s’ouvre par une section homophone sur un schéma rythmique trochaïque , suivie par une courte section imitative sur deux sujets portant des textes 372 différents, le premier présentant des affinités avec le style hybride par sa simplicité mélodique et son modèle rythmique basé sur la cellule : exemple musical 105: Ami chi vuol amare, (III.5, n. 17, canto, brève 2-3) le second construit au contraire une ligne mélodique tortueuse engendrant des chromatismes indirects, rendant absolument impossible la réalisation d’un soubassement harmonique simplifié : exemple musical 106 : Ami chi vuol amare, (III.5, n. 17, quinto, brève 4-5) Ce sujet est en outre probablement conçu comme une diminution de la ligne du quinto exposée de manière homophone et diatonique dans les premières mesures : exemple musical 107 : Ami chi vuol amare, (III.5, n. 17, brève 1-2) Le reste de l’intonation est à l’avenant. Les passages imitatifs en fuses déclamées sont légions, généralement construits en combinaison motivique, et jonchées de dissonances de 373 couleur 667 . Les passages homophones servent de point de départ à des élaborations contrapuntiques assez éloignées du côté immédiat et direct du répertoire léger 668 . Macque propose donc pour ces petites poésies strophiques spirituelles des intonations aux faux airs de canzonette spirituali, gardant un œil rivé sur la légèreté sans jamais céder en réalité à la simplicité et l’immédiateté propre à ce genre. Avec le Terzo libro, Macque arrive à un point d’équilibre, que l’on peut lire comme le résultat des recherches réalisées durant les vingt années précédentes. Cette parfaite fusion du léger et du savant, cette artificiosa ariosità, qui caractérise la quasi totalité des pièces du recueil à l’exception des intonations des vers pétrarquéens, représente une forme aboutie que le madrigaliste ne cherchera plus véritablement à modifier dans ses recueils successifs. Non que Macque se soit figé stylistiquement dans ses dernières publications. Au contraire, les quinze dernières années du compositeurs seront marquées par d’importantes innovations. Cependant, celles-ci concerneront essentiellement le pôle opposé de l’éventail affectif du langage madrigalesque, ce que l’on pourrait appeler le style expressif, ou même expressionniste, pour reprendre l’expression utilisée par Anthony Newcomb dans son article du New Grove sur le madrigal 669 . Les intonations de textes pastoraux des derniers recueils ne présentent quant à elles pas de transformations majeures. On y retrouve le même vocabulaire rythmique, les mêmes soggetti rapides en fuses déclamées, le même goût pour les élaborations contrapuntiques raffinées, les mêmes dissonances de couleur. La seule différence notable réside dans l’utilisation d’ornements rythmiquement beaucoup complexes et libres 670 , mais cet aspect, on le verra, était déjà en germe dans le Terzo libro 671 . 667 Voir notamment les premières mesures de La bellezza superna qui offrent un exemple particulièrement significatif de ce type de procédé. 668 Voir notamment l’intonation de ch’a me distrugge dolcemente il cor (brèves 10-15), dont la ligne de basse est reprise dans la suite de la phrase, en combinaison avec un autre sujet. Ce type de procédé sera repris de manière magistrale dans le madrigal spirituel O gran stupor du Sesto libro de madrigali a cinque voci de 1613, le dernier recueil du compositeur (transcription in SHINDLE Richard, The Madrigals of Giovanni de Macque, op. cit., p. 722-734). 669 Voir NEWCOMB Anthony, « Madrigal, §II, 9: Italy: 16th century: Expressionistic and recitational styles; the late 1580s », Grove Music Online, http://www.grovemusic.com/shared/views/article.html?section=music.40075.2.9, page consultée le 5 juin 2007. 670 À ce propos, voir SHINDLE Richard, The Madrigals of Giovanni de Macque, op. cit., p. 266 671 Voir infra, p. 382. 374 Même si Macque n’abandonna jamais ce versant léger de l’écriture madrigalesque, on peut dire que le recueil de 1597 marque la fin d’une époque. Ses madrigaux postérieurs se fixeront en effet des enjeux et des défis totalement différents : la recherche d’une déclamation très expressive et affettuosa, l’élaboration d’une palette harmonique toujours plus tendue, l’apprivoisement contrapuntique des échelles chromatiques, autant d’éléments relativement étrangers cette ariosità que le madrigaliste avait poursuivie sans relâche jusqu’alors. Du lecteur à l’auditeur : vers un nouveau rapport au texte Concepts et affects Si le Terzo libro reste encore globalement tourné vers la légèreté caractéristique du style hybride, tout en revisitant profondément ses principes, Macque inaugure dans ce recueil un type de rapport au texte poétique d’un genre nouveau, qui s’achemine plus vers la dernière manière du compositeur qu’il ne rappelle ses madrigaux précédents. Macque, on l’a vu, poussa très loin les jeux analogiques et symboliques dans ses premiers recueils napolitains. Il répondait en cela parfaitement aux tendances du madrigal de l’époque qui, malgré les vitupérations de Galilei, continua à se délecter de ces enfantillages pendant un certain temps. Il est vrai cependant que le Franco-flamand ne se plaçait manifestement pas dans la perspective de transporter émotionnellement un auditoire, mais plutôt d’explorer tous les liens possibles entre la parole et le signe musical. Cependant, en 1597, les temps avaient déjà commencé à changer. Cause ou conséquence des prémisses de cette nouvelle ère, la camerata fiorentina, dans sa recherche sans doute chimérique de ressusciter la musique des anciens, avait réussi à placer ou replacer l’émotion auditive au cœur du débat musical. Mesurer l’impact exact des discussions des florentins sur les madrigalistes est une entreprise difficile, mais il est certain que les compositeurs que l’on considère généralement comme les principaux représentants de la seconda pratica, Marenzio, Gesualdo, Luzzaschi, Monteverdi et Fontanelli, sans 375 abandonner le langage polyphonique, se mirent eux aussi à envisager les rapports textemusique dans une perspective bien plus émotionnelle qu’intellectuelle. Même si des figuralismes continuent à apparaître dans les pièces de ces auteurs, leur rôle semble désormais secondaire 672 . Ce changement est particulièrement notable dans la musique de Marenzio, qui fut probablement l’un des artisans les plus imaginatifs et brillants en terme de vocabulaire madrigalesque pendant les années 1580 mais qui, comme l’ont noté Alfred Einstein et James Chater 673 , se mit en recherche d’un autre type d’expression du texte poétique à partir de son Sesto libro de madrigali a cinque voci de 1594. Les réflexions de Chater sur les raisons de cette nouvelle orientation sont particulièrement intéressantes et peuvent aussi s’appliquer à un compositeur tel que Macque. Celui-ci remarque à juste titre que l’attention au mot isolé, principe fondateur de la poétique du madrigal, entre en conflit avec d’autres niveaux d’expression lorsqu’elle est poussée à un niveau trop élevé, et que cette spirale d’individualisation toujours plus précise du concept poétique était destinée à se tarir d’elle-même 674 . Pietro della Valle semble tout à fait conscient des nouveaux enjeux de cette génération de madrigalistes lorsqu’il écrit que « le Prince de Venosa … montra peut-être le chemin à tous les autres en terme de chant affettuoso » (« il Principe di Venosa … diede forse luce a tutti gli altri nel cantare affettuoso » 675 ). Le discours de Pietro della Valle, qui remonte à 1640 676 , offre une perspective différente de celle de Galilei ou même de Giustiniani, en ce qu’il bénéficie d’une distance critique qui manquait forcément à ces derniers (Pietro della Valle se définit comme un homme de son temps en opposition à ceux du temps passé comme il ressort clairement du titre de son discours). Pour Pietro della Valle, il va de soi que le vrai fondement de la musique, pour reprendre son expression (i veri fondamenti della musica), réside dans sa capacité à toucher l’auditeur, « dans les affects, dans les grâces et dans l’expression vive du sens de ce que l’on chante, qui est vraiment ce qui 672 Dans son article du New Grove, Tim Carter met en garde contre la vision un peu simpliste soutenant que les figuralismes disparurent dans la musique des compositeurs de la seconda pratica (voir CARTER Tim, « Word painting », Grove Music Online, http://www.grovemusic.com/shared/views/articl e.html?section=music.30568, page consultée le 21 juin 2007). 673 Voir CHATER James, Luca Marenzio and the Italian Madrigal, op. cit., p. 125-126 et EINSTEIN Alfred, The Italian Madrigal, op. cit., p. 642. 674 Voir CHATER James, Luca Marenzio and the Italian Madrigal, op. cit., p. 125. 675 DELLA VALLE Pietro, Della musica dell’età nostra che non è punto inferiore, anzi è migliore di quella dell’età passata, op. cit., in SOLERTI Angelo, Le origini del melodramma, op. cit., p. 153. 676 Sur la genèse du discours de Pietro della Valle, voir supra, note 46. 376 ravit et fait aller véritablement en extase » (« negli affetti, nelle grazie e nella viva espressione de’ sensi di quello che si canta ; che è quello che veramente rapisce e fa da dovero andare in estasi ») 677 . Une musique moins intellectuelle et plus sensuelle en somme, comme le confesse Pietro della Valle 678 , qui trouve assurément ses premières manifestations dans le canto affettuoso de la dernière génération de madrigaliste. La locution canto affettuoso utilisée par della Valle pour définir la musique de Gesualdo est particulièrement significative et nous ramène à la catégorisation des madrigalismes proposée par Nicola Vicentino dans son traité L’antica musica ridotta alla moderna prattica (1555). Vicentino distingue en effet trois types de notions poétiques pouvant être exprimées par l’harmonie : les concepts, les passions et les affects679 . … perché la musica fatta … car la musique composée sopra parole, non è fatta per altro se sur les mots n’est faite pour rien non per esprimere il concetto, e le d’autre que pour exprimer les passioni e gli effetti di quelle con concepts, les passions et les affects l'armonia; 680 de ceux-ci au moyen de l’harmonie. Vicentino ne s’étend pas sur la définition de ces trois termes, mais l’on peut conjecturer que les concetti désignent les idées et objets neutres émotionnellement (haut, bas, blanc, montagne, yeux, etc.), alors que les affetti renvoient à toute forme de sentiment, qui dans une forme plus violente et moins contrôlée passent dans la catégorie des passioni. D’une manière peut-être un peu caricaturale, on pourrait dire que les compositeurs de la seconda pratica se sont concentrés sur les passions et les affects au détriment des concepts, dont la description musicale s’adaptait mieux à l’attirail rhétorique madrigalesque des décennies précédentes. 677 DELLA VALLE Pietro, Della musica dell’età nostra, op. cit., in SOLERTI Angelo, Le origini del melodramma, op. cit., p. 153. 678 Ibid., p. 175-176. 679 Sur ce passage, voir CARTER Tim « Word-painting », Grove Music Online, op. cit. 680 VICENTINO Nicola, L’antica musica ridotta alla moderna prattica, op. cit., quatrième livre, chp. XXIX, p. 85v-86r. 377 Selon toute vraisemblance, Macque eut connaissance de cette nouvelle orientation du langage lorsqu’il composa les madrigaux du Terzo libro. Malgré un contenu poétique extrêmement descriptif et très fourni en occasions de figuralismes, le recueil se ressent de ce changement profond de l’esthétique madrigalesque et ouvre la voie à un nouveau type de rapport au texte, plus direct, moins conceptuel et plus émotionnel, fait d’évocations et d’émotions, plus que de raisonnements abstraits et de symbolismes. Cette évolution rend par conséquent complètement caduc le type de méthodologie analytique mise en place précédemment pour les deux premiers recueils napolitains. La description de ce nouveau rapport au texte est d’ailleurs bien plus délicate. En effet, alors que l’exposition des procédés très abstraits présents dans les madrigaux précédents du compositeur est un exercice tout à fait approprié à l’analyse, l’explication de l’émotion purement musicale se heurte à toute tentative de systématisation, voire même de description. Univers pastoral, peinture des mots et évocation sonore Il serait en réalité un peu simplificateur de prétendre que Macque abandonna définitivement les jeux symboliques dans ce nouveau recueil. Tout comme son contemporain Marenzio et même dans une certaine mesure son cadet Monterverdi, il ne renonça jamais complètement à cette partie de la rhétorique madrigalesque dans sa musique. La toute première pièce du recueil, Sparge la bella Aurora, est un exemple particulièrement brillant de mélange des genres, à cheval entre la particularisation très précise des concepts du texte poétique et le tableau sonore extrêmement évocateur. Dans la première partie du poème, toute concentrée sur la description de l’aurore, Macque n’a recours à aucun truc de madrigaliste mais parvient à dépeindre l’atmosphère matinale au moyen d’une musique qu’on pourrait être tenté de décrire en reprenant les termes de Giustiniani « aria e grazia della musica » 681 . Plus concrètement, les techniques utilisées ici peuvent se résumer à quelques principes que l’on retrouve dans la plupart des descriptions pastorales du recueil : fraîcheur mélodique, contrepoint souvent bien aéré, 681 Voir supra, p. 17. 378 souplesse rythmique résultant des fuses déclamées et harmonie suggestive ponctuée de dissonance bien choisies. Dans la seconde partie du texte, qui redescend vers des préoccupations plus terrestres et plus humaines, Macque réussit au contraire un véritable feu d’artifice de figures et topoi madrigalesques concentré en une quinzaine de brèves. L’invitation au chant (« cantiam noi pur », « chantons donc ») est exprimée par le traditionnel passage en ternaire, le verbe « suivre » (« e i lor dolci concenti/seguendo », « et en suivant leurs doux concerts »), par une imitation très serrée entre deux paires de voix, et par la reprise d’une partie du motif mélodique à la fin de la phrase sur les mots seguendo : exemple musical 108 : Sparge la bella Aurora (III.5, n. 1, canto, brèves 26-29) les « hauts accents » (« alti accenti ») par une anabasis : exemple musical 109 : Sparge la bella Aurora (III.5, n. 1, canto, brèves 29-31) les résonances (« facciamo risonar », « faisons résonner ») par un jeu d’écho à l’intérieur du motif, lui-même éparpillé entre les voix : exemple musical 110 : Sparge la bella Aurora (III.5, n. 1, canto, brèves 32-33) pour finir par les vallées et les monts, dessinés au moyen de procédés purement visuels : exemple musical 111: Sparge la bella Aurora (III.5, n. 1, quinto, brèves 34) 379 exemple musical 112 : Sparge la bella Aurora (III.5, n. 1, tenore, brèves 35-39) Macque ne pouvait donner de meilleure preuve de son talent de peintre des mots que dans la péroraison de cette première pièce, qui n’ouvre sans doute pas le recueil par hasard. Cependant, on peine à retrouver l’équivalent de cette démonstration de virtuosité madrigalesque dans le reste du recueil, qui penche très sensiblement vers un type d’expression plus diffuse du contenu poétique. Et, même si sont disposées ici et là certaines figures visuelles ou conceptuelles 682 , le résultat sonore et sensuel semble toujours primer, comme dans cette délicieuse évocation de l’ondulation des champs (« dolcemente ondeggiare da tutti i lati », « doucement onduler de tout côté »), dont le dessin sinusoïdal de la ligne mélodique paraît accessoire au regard du doux balancement qui se dégage du passage, évitant toute monotonie grâce à un parcours harmonique en tierces descendantes : exemple musical 113 : Il matutino vento (III.5, n. 4, brèves 17-19) 682 Voir notamment le passage en notes noires dans Quel rossignol che plora, brève 15, sur les mots « l’oscura note il mondo discolora » (« la nuit obscure décolore le monde »). 380 Nombre d’occasions de figuralismes sont évitées dans ce recueil. Il est fort probable que dix ans plus tôt, Macque aurait musiqué de manière totalement différente les évocations de la nature qui peuplent les textes poétiques, les fleurs, les fleuves, les couronnes, le vent, etc., en ayant constamment recours à des petits tours de voix ponctuels et relativement standardisés. Macque évite la plupart du temps ce type de topos dans le Terzo libro, préférant passer rapidement sur le mot pour privilégier le tableau général 683 . Dans l’extrait suivant, par exemple, Macque ne s’attarde pas sur les « petites herbes vertes et les fleurs nouvelles » (« verdi erbette e i fior novelli »), mais dépeint le tout grâce à un motif en fuses déclamées suivant un parcours harmonique parsemé de dissonances de couleurs et conclu par une cadenza fuggita. La touche lumineuse est assurée par la succession d’accords majeurs de la deuxième brève (Mi, La, Ré) qui déstabilise sensiblement le cadre modal dorien de la pièce. exemple musical 114 : Giovanni de Macque, Corron d’argento i fiumi (III.5, n. 10, brèves 8-9) Et, même si Macque fait parfois appel aux vocalises comme figuralismes, c’est en cherchant manifestement à sortir des formules stéréotypées, dont on ne trouve que peu d’exemples. Le compositeur préfère développer des motifs aux contours mélodiques et 683 Il existe tout de même quelques passages dans lesquels Macque ne résiste pas à illustrer le texte en se concentrant sur les mots isolés. Voir par exemple l’exorde de Uscia dai monti fuora, imitation combinant deux sujets sur des textes différents, le premier illustrant par une vocalise ascendante les montagne sur les mots « Uscia dai monti fuora » (« Il jaillissait d’une montagne »), le second représentant la chute de l’eau sortant de la source par un motif en fuses déclamées descendantes sur les mots « un cristalino gielo » (« une glace cristalline »). 381 rythmiques plus libres (et pas forcément identiques entre les voix) dont se dégage parfois une légère sensation d’improvisation 684 : exemple musical 115 : E s’alor non si coglie (III.5, n. 6, tenore, brèves 7-8) Les péroraisons pathétiques Redistribution des proportions du texte poétique Macque ne s’attachant plus à retranscrire chacun des objets décrits dans le texte poétique, l’éventail des concepts exprimés musicalement s’en trouve par conséquent considérablement réduit. Le compositeur avait probablement conscience du risque de monotonie qu’il courait en se focalisant uniquement sur les évocations de paysages arcadiens idylliques, si suggestives et poétiques qu’elles puissent être, et il apparaît que le nombre de pièces entièrement centrées sur les atmosphères pastorales est finalement relativement limité 685 . Macque cherche en effet à remplacer la variété de concetti par une opposition franche et nette entre affetti pour reprendre la catégorisation de Vicentino, exploitant au maximum les occasions de contrastes offertes par les textes poétiques. En effet, même si la grande majorité des madrigaux penche vers une évidente grâce et légèreté, le compositeur se réserve aussi un certain espace pour la recherche d’une palette expressive plus tendue, profitant des quelques passages plus sombres des textes poétiques pour juxtaposer des techniques opposées, et se donner l’occasion de réaliser des expériences harmoniques intéressantes. 684 Voir aussi les dernières mesures de Sparge la bella Aurora, sur les mots « e i monti », ou encore l’intonation du vers « e i fiumi onde d’argento » dans Il matutino vento. 685 Seuls les madrigaux Il matutino vento, Di questi fiori ond’io 1p-Sian le rose rubini 2p et Al mormorar de l’onde (n. 4, 8,9 et 16) se concentrent du début à la fin sur une atmosphère pastorale. Dans le reste des pièces, comparaît toujours un moment un peu plus tendu, même si parfois celui-ci n’arrive qu’à la fin de la seconda parte des madrigaux bipartites (voir notamment A l’apparir de la novella Aurora 1p-Ogni pianta, ogni fera 2p). 382 La moitié des rimes pastorales, on l’a évoqué, sont construites sur cette variété d’affetti, et presque tous concentrent les sentiments plus sombres dans le, ou les derniers vers 686 . Macque renverse cependant souvent complètement les proportions du texte poétique, réservant une part beaucoup plus importante à l’intonation de ces moments plus pathétiques qu’au reste du poème. Le madrigal Or che ridente e bella est à ce propos tout à fait significatif. Les six premiers vers de ce texte, une description de la nature, de ses fleurs et de ses parfums, sont musiqués en une quinzaine de brèves alors que le dernier vers, e Filomena alterna i suoi dolori (et Philomène lui répond avec sa douleur), est prétexte à une longue péroraison dissonante de treize mesures, soit presque autant que le reste du madrigal. Ce qui n’était qu’un septième du poème couvre presque la moitié de l’intonation. Longueur en brève Or che ridente e bella, Alors de riantes et belles, 2,5 di liete erbette adorna ornées de joyeuses petites 3 herbes e di purpurei fiori, et de fleurs pourpres spira ogni piaggia intorno toutes arabi odori, alentours les soufflent terres aux 3,5 d’orientales odeurs la vaga rondinella l’hirondelle gracieuse garrendo al nido torna retourne à son nid en 6 gazouillant e Filomena alterna i suoi dolori. et Philomène lui répond 13 avec sa douleur. Il vezzoso Narciso inverse le principe : le moment le plus tendu du poème se trouve au début du texte, sur le deuxième vers, « per la sua crudeltate in varie tempre » (« pour sa 686 Voir supra, p. 329. 383 cruauté de diverses façons »). Celui-ci est musiqué en sept brèves, soit presque autant que la péroraison. L’accent est très clairement mis sur les mots les plus sombres du texte : Longueur en brève Il vezzoso Narciso, Le gracieux Narcisse, 3 per la sua crudeltate in en étant cruel de diverses 7, 5 varie tempre, façons, visse in se stesso e per se stesso sempre. vécut toujours en lui-même 2 et pour lui-même. Io, sconsolato Alessi, moi, Alessi inconsolable, 2 fra verdi allori e pallidi entre les verts lauriers et 3 cipressi, les pâles cyprès vivo, mercé d’Amore, je vis, grâce à Amour, 3 non in me, ma in un fiore e non en moi, mais en une 8 per un fiore. fleur et pour une fleur. Macque déborde parfois complètement le sens du texte pour développer ces longues sections dissonantes. C’est le cas notamment dans la péroraison de Uscia dai monti fuora, dont les rimes ne penchent pas réellement vers un affect pathétique. Seul le mot pianger (pleurer) dans le dernier vers est porteur d’une évocation un peu plus triste, mais replacé dans son contexte poétique, il s’agit plutôt d’un sentiment positif puisque ce sont les chênes et les myrtes qui pleurent d’amour et non un amant de désespoir. Macque s’empare cependant de ces vers qu’il revêt d’une intonation extrêmement tendue d’une durée de plus de dix brèves (contre seize pour le reste du poème), nous livrant l’un des passages les plus expressifs du recueil 687 . Longueur en br Uscia dai monti fuora Il jaillissait d’une montagne un cristallino gielo une glace cristalline e la nascente Aurora et l’Aurore naissance 3 revêtait le Ciel de perles 2,5 vestia di perle Cielo, 687 Voir infra, p. 386. 384 il 7 quand’Aminta gentil con dolci spirti quand la charmante Aminta, avec de doux soupirs faisait pleurer d’Amour les chênes et facea pianger d’Amor le quercie e i 3 10,5 les myrtes mirti. Certes, les plaisirs d’amour sont souvent représentés comme une douce souffrance dans le répertoire madrigalesque, lequel ne s’embarrasse d’ailleurs généralement pas du contexte poétique général afin de mieux se concentrer sur le mot isolé, mais il y a tout de même quelque chose d’un peu excessif dans les proportions de cette intonation, qui laisse penser que Macque pouvait parfois se servir du texte poétique comme prétexte à laisser libre cours à son imagination musicale 688 . Vers une nouvelle palette expressive C’est essentiellement lors ces passages expressifs que le compositeur se risque à explorer des techniques plus expérimentales et pose les bases d’un certain nombre de traits stylistiques qui deviendront caractéristiques de ses derniers recueils de madrigaux. Malgré sa proximité avec Gesualdo, qui avait déjà publié son quatrième livre lors de l’impression du Terzo libro, Macque ne montre pas d’attirance particulière pour les échelles chromatiques et reste de ce point de vue là encore assez peu novateur 689 . Son intérêt est plutôt focalisé sur les harmonies dissonantes et les frottements très concentrés entre différentes parties de la polyphonie. 688 Le même principe vaut pour les madrigaux Non son questi sospir, Ogni pianta, ogni fera et dans une moindre mesure pour Quel rossignol che plora et Corron d’argento i fiumi. Ce type de construction poéticomusicale, basée sur un fort contraste entre évocations pastorales et effusions sentimentales pathétiques, se retrouve aussi dans le Quarto libro de madrigali a cinque voci de 1599 (voir par exemple la toute première pièce du recueil, I liquidi cristali). À ce propos, voir SHINDLE Richard, The Madrigals of Giovanni de Macque, op. cit., p. 212-213. 689 Il faudra attendre le Quarto libro de madrigali a cinque de 1599 pour que Macque se lance dans des élaborations contrapuntiques faisant véritablement usage de chromatismes (voir notamment Poi che ’l camin m’è chiuso di mercede, in SHINDLE Richard, The Madrigals of Giovanni de Macque, op. cit., p. 419-429). Dans le Terzo libro, le compositeur se contente le plus souvent d’enchaînements chromatiques tout à fait classiques, généralement avec saut de tierce à la basse. 385 Macque continue à explorer les procédés mis en œuvre dans ses recueils précédents, mais en les accentuant davantage. Certains retards, notamment, sont résolus de manière tout à fait intéressante. Le passage suivant est un exemple d’accumulation de dissonances, enchaînées l’une à l’autre de façon peu orthodoxe. La septième se résout en effet sur une seconde, qui elle-même est suivie par un triton généré par la note de passage du quinto. Si ma proposition pour la voix manquante est correcte, il faut rajouter encore à ces dissonances l’intervalle de seconde entre alto et quinto : exemple musical 116 : Or che ridente e bella (III.5, n. 2, brèves 16-17) C’est cependant dans le traitement des notes de passage que Macque se montre le plus expérimental. Les petits frottements qui passaient avant rapidement sont désormais plus qu’assumés, ils sont mis en valeur et étirés afin de créer des couleurs harmoniques tout à fait particulières. L’intonation du dernier vers de Uscia dai monti fuora présente peut-être l’exemple le plus abouti de ce type de procédés. Macque réitère trois fois le passage, amplifiant à chaque répétition l’effet harmonique dissonant. À la première occurrence, seules deux voix sont concernées, à la deuxième, Macque accumule les notes de passage dans l’ensemble des parties, à 386 la troisième, le motif initial est traité en augmentation , avec des effets cluster sur la deuxième partie des semibrèves (mi-fa-sol-la et ré-mi-fa-sol) 690 : exemple musical 117 : Uscia dai monti fuora (III.5, n. 3, brèves 21-23) Ce type de faux-bourdon alterné générateur de dissonances deviendra l’un des traits caractéristiques du dernier Macque 691 et, comme l’a noté Lorenzo Bianconi dans son article du New Grove sur Gesualdo, ce procédé fait aussi partie des techniques récurrentes dans les madrigaux du prince de Venosa 692 . Dans le même ordre d’idées, les enchaînements parallèles rapides d’accord de tierce et sixte mais aussi de quarte et sixte, reprenant des soggetti développés en imitation dans le reste de la pièce, font désormais partie intégrante du style de Macque. Dans cet extrait du madrigal spirituel Ami chi vuol amare, traité selon le principe de dilatation du dernier vers en une longue péroraison dissonante tel qu’on le trouve dans les textes pastoraux, Macque introduit par exemple de manière tout à fait étonnante les deux 690 Voir aussi l’intonation de « piango i miei danni » dans le madrigal Quel rossignol che plora pour ce même type de doubles notes de passage très dissonantes. 691 Voir notamment dans le Terzo libro de madrigali a quattro voci de 1610, la péroraison de S’è ver ch’io t’ami, ah cruda ou l’intonation du vers I miei duri lamenti du madrigal Vaghi augelletti, che per valli e monti (in SHINDLE Richard, The Madrigals of Giovanni de Macque, op. cit., p. 614 et 654-655). 692 Voir BIANCONI Lorenzo, « Gesualdo, Carlo, Prince of Venosa, Count of Conza, §2: Literary and stylistic sources », Grove Music Online, http://www.grovemusic.com/shared/views/article.html?section= music.10994.2, page consultée le 18 août 2007. Pour des exemples de ce type de procédés chez Gesualdo – qui opère cependant toujours ne manière beaucoup moins systématique – voir par exemple les premières mesures de Questa crudele e pia ou de la seconde partie de Or, che in gioia creadea viver contento, O sempre crudo Amore dans le Quarto libro (voir GESUALDO DI VENOSA, Viertes Buch, op. cit., p. 30 et 35). 387 sujets du passage imitatif qui clôt la prima parte, avant de les redistribuer de manière totalement différente dans les brèves suivantes : exemple musical 118: Giovanni de Macque, Ami chi vuol amare (III.5, n. 17, brèves 16-17) Ce procédé se rencontre aussi très fréquemment chez Gesualdo, dans des formes tout à fait comparables : exemple musical 119: Carlo Gesualdo, Meraviglia d’Amore (Il terzo libro de madrigali a cinque voci, Ferrara, Baldini, 1594, mesures 18-19) 693 Luzzaschi, qui pourtant n’hésite pas à utiliser parfois des quintes parallèles (probablement en imitation des textures de villanelles 694 ), n’a à ma connaissance que très peu recours à ce type de technique 695 qui, il est vrai, possède des résonances résolument archaïques. 693 D’après GESUALDO DI VENOSA, Drittes Buch, op. cit., p. 47. 388 Même si Macque se tourne le plus souvent vers les tensions harmoniques pour exprimer les passages les plus pathétiques, celui-ci fait occasionnellement appel à d’autres procédés pour dramatiser le discours. L’un d’entre eux s’inspire très probablement d’un célèbre madrigal du Terzo libro de Gesualdo, Sospirava il mio core, qui commence avec un sospiratio tout à fait évocateur, scindant le mot sospirava (soupirait) en deux parties séparées par un silence : exemple musical 120 : Gesualdo, Sospirava il mio core (Il terzo libro de madrigali a cinque voci, op. cit., mesures 1-2) 696 Même si Gesualdo ne fut pas le premier à pousser aussi loin cette technique 697 , la plupart des compositeurs, comme l’a noté Glenn Watkins 698 , se contentait d’interrompre la phrase avant le mot soupir et non en son milieu 699 . Il est fort probable que Luzzaschi dans son Quinto libro de 1595, puis Macque dans son Terzo libro avaient à l’esprit la pièce de 694 Tout à fait étonnante, l’intonation du vers « del pianto mio, de la mia morte ride » (« de mes pleurs, de ma mort, elle rit » dans le madrigal Ahi cruda sorte mia du Quinto libro de Luzzaschi, qui au milieu d’un passage déclamatif extrêmement expressif, introduit des vocalises en tierces et quintes parallèles aux trois voix graves sur le mot ride (rit) (voir DURANTE Elio, MARTELLOTTI Anna, Le due « scelte » napoletane di Luzzasco Luzzaschi, op. cit., p. 52). 695 Alors que de nombreux passages pourraient très bien se prêter à ce procédé, je n’ai trouvé qu’un seul exemple de ce type de parallélisme chez Luzzaschi, dans l’intonation du vers « Deh, dillo Amore » du madrigal Come viva il mio core du Quinto libro (voir DURANTE Elio, MARTELLOTTI Anna, Le due « scelte » napoletane di Luzzasco Luzzaschi, op. cit., p. 67). 696 D’après GESUALDO DI VENOSA, Drittes Buch, op. cit., p. 35. 697 Orazio Tigrini prend en exemple Palestrina dans son traité Il compendio della musica (Venezia, Amadino, 1588, p. 125), pour avoir scindé en deux parties le mot sospiri (sospi-ri) dans le madrigal Queste saranno ben lacrime de son Primo libro de madrigali a quattro voci de 1554, (extrait cité in FABBRI Paolo, Il madrigale tra Cinque e Seicento, op. cit., p. 25). 698 Voir WATKINS Glenn, Gesualdo. The Man and His Music, op cit., p. 171. 699 Pour un exemple plus normal de sospiratio chez Macque, voir par exemple l’intonation du vers « i miei sospiri » (« mes soupirs ») de la seconde partie de la sextine de Pétrarque Temprar potess’io in sí soavi note (I.4, n. 2). 389 Gesualdo lorsqu’ils firent appel eux aussi au même procédé pour dépeindre les soupirs amoureux 700 : exemple musical 121: Luzzasco Luzzaschi, Ecco o dolce o gradita (Il quinto libro de madrigali a cinque voci, op. cit., brèves 8-9) 701 exemple musical 122 : Giovanni de Macque, Ogni pianta ogni fera 2p (III.5, n. 15, brèves 24-25) Peut-être plus intéressants quant au développement futur du style madrigalesque de Macque sont les quelques passages de déclamation homophone très emphatique, tirant tout leur potentiel expressif du morcellement du vers en petites unités répétées et surtout de l’utilisation très dramatique des silences, parfaite antithèse du débit fluide qui caractérisait les premiers madrigaux du compositeur : 700 Cette figure attirera par la suite les critiques de Giovan Battista Doni, qui regrettera que le prince de Venosa se soit prêté à ce type de procédé (in DONI Giovan Battista, Trattato della musica scenica, in Lyra Barberina, vol. 2, Firenze, Typis Caesareis, 1763, chp. XXV, p. 73, cité en anglais in WATKINS Glenn, Gesualdo. The Man and His Music, op cit., p. 171). 701 D’après DURANTE Elio, MARTELLOTTI Anna, Le due « scelte » napoletane di Luzzasco Luzzaschi, op. cit., p. 85. 390 exemple musical 123 : Giovanni de Macque Non son, non son questi sospiri ardenti (III.5, n. 12, brèves 1-4) Macque n’utilise encore que très parcimonieusement cette technique qui, comme l’a souligné Anthony Newcomb, fait partie des traits stylistiques les plus caractéristiques de Luzzaschi 702 , mais aussi de Gesualdo, et ce dès son premier recueil 703 . Macque, qui n’avait jusqu’à là jamais véritablement perçu toute l’éloquence potentielle du silence 704 , fut probablement marqué par les madrigaux de ces derniers, tout comme le fut probablement aussi Fontanelli 705 . Dans ses derniers recueils, Macque se souviendra de ce 702 « Le placement judicieux d’un silence à toutes les voix est caractéristique de Luzzaschi, qui est le maître du silence général plein de tension. Celui-ci lui permet d’articuler clairement les sections, de mettre en évidence la division syntaxique du poème, ou de mettre en musique une exclamation dramatique. » (« The careful placement of a rest for all five voices is typical of Luzzaschi: he is the master of the tension-filled general pause. It permits him to articulate his sections clearly, to point up the syntactical divisions of the poem, or to set off a dramatic exclamation. », in NEWCOMB Anthony, The Madrigal at Ferrara, op. cit., p. 122). Le Quinto libro de Luzzaschi offre en effet d’innombrables exemples de ce type de déclamation interrompue. Voir par exemple Se parti i’ moro ou les premières mesures de Come viva il mio core (voir DURANTE Elio, MARTELLOTTI Anna, Le due « scelte » napoletane di Luzzasco Luzzaschi, op. cit., p. 54-56 et 67). 703 Voir par exemple les premières mesures de Come esser può ch’io viva dans le Primo libro de Gesualdo (voir GESUALDO DI VENOSA, Erstes Buch, op. cit., p. 24). Non è questa la mano du Secondo libro offre un exemple tout à fait similaire à l’intonation de Non son, non son questi sospiri ardenti de Macque (voir GESUALDO DI VENOSA, Drittes Buch, op. cit., p. 41). À ce propos, voir WATKINS Glenn, Gesualdo. The Man and His Music, op cit., au sous-chapitre « Text and Music: Disruption and Contrast », p. 170-179. 704 Un madrigal comme Chi prima il cor mi tolse, du Primo libro a quattro voci de Macque ne tire par exemple pas du tout partie de l’interruption simultanée et brutale des voix malgré sa recherche d’expressivité. Macque peut utiliser parfois le silence pour diviser les sections, mais non pour son potentiel dramatique. 705 L’intonation I’ vo piangendo i miei passati tempi du Primo libro de Fontanelli présente de nombreux passages en déclamation interrompue par des silences (voir par exemple les premières mesures de la seconde partie, in FONTANELLI Alfonso, Primo libro di madrigali a cinque voci (Ferrara, 1595), op. cit., p. 19-20). 391 procédé, réalisant parfois de façon magnifiquement orchestrée certaines interruptions très théâtrales du discours 706 . Le Terzo libro, par bien des aspects, marque une rupture dans la conception des rapports texte-musique du compositeur, ouvrant la voix à ce qui deviendra son dernier style (peutêtre serait-il plus juste de parler de ses derniers styles). Macque ne reviendra en effet pas en arrière mais, bien au contraire, poussera toujours plus loin le potentiel émotionnel du langage madrigalesque. D’une part, l’abandon des figuralismes et des symbolismes ne fera que se confirmer dans ses publications postérieures 707 . D’autre part, une attention accrue pour le versant le plus sombre du spectre poétique madrigalesque, probablement le plus à même de muovere gli affetti, conjuguée à des outils musicaux de plus en plus riches, porteront Macque à des sommets d’expressivité, sans jamais toutefois que soient abandonnés le langage polyphonique et ses artifices contrapuntiques. Même si le Terzo libro baigne encore dans une certaine douceur, on commence cependant à y entrevoir les prémisses d’une l’écriture plus dense et plus dramatique, ainsi qu’à reconnaître par endroit « ce fruit très mûr et juteux » (« quel frutto stramaturo e succoso ») – pour reprendre l’expression forgée par Emilio Carapezza 708 – que fut le madrigal polyphonique napolitain à l’aube du Seicento. 706 L’un des exemples les plus impressionnants est peut-être le début de O gran stupore dans le Sesto libro qui conclut par un silence à toutes les voix l’enchaînement harmonique si bémol majeur, do majeur, avec un saut de septième à la basse (voir SHINDLE Richard, The Madrigals of Giovanni de Macque, op. cit., p. 722). De nombreux exemples comparaissent aussi dans le Terzo libro a quattro voci de 1610 (voir par exemple l’intonation des vers « e tu no ’l sai/dunque o sei pietra » dans le madrigal S’è ver ch’io t’ami, ah cruda, in SHINDLE Richard, The Madrigals of Giovanni de Macque, op. cit., p. 653-654). 707 Shindle a noté aussi la moindre importante que Macque donna aux figuralismes dans ses derniers recueils. À propos du Quarto libro de madrigali a cinque de 1599, celui-ci remarque en effet : « Bien qu’effectivement utilisée à plusieurs occasions, la représentation graphique du texte n’assume pas une position aussi prédominante que dans les derniers madrigaux romains. » (« Although effectively used on several occasions, the graphic representation of the text does not hold so prominent a position as it did in the later Roman madrigals. », in SHINDLE Richard, The Madrigals of Giovanni de Macque, op. cit., p. 229230.) 708 Voir CARAPEZZA Paolo Emilio, « ‘Quel frutto stramaturo e succoso’: il madrigale napoletano del primo Seicento », op. cit. 392 De tous les éléments du corpus, le Terzo libro de madrigali a cinque voci est probablement le recueil qui connut la réception la plus confidentielle. L’unique exemplaire existant, qui passa directement de la bibliothèque ducale à la Biblioteca estense de Modène, témoigne de la faible circulation dont bénéficia le livre et rappelle le sort du Sesto libro de madrigali a cinque voci de Luzzaschi, conservé lui aussi de manière extrêmement lacunaire dans une unique bibliothèque 709 . Notons aussi que, contrairement aux deux premiers recueils napolitains de 1586-1587, aucune pièce du Terzo libro ne fut rééditée dans des anthologies, ce qui fait soupçonner que ces madrigaux furent peut-être touchés par l’auréole de mystère et de secret qui caractérisait la vie musicale de la cour de Ferrare. Plus qu’aucun autre livre de Macque, le Terzo libro se ressent du rapport très étroit avec son dédicataire et semble avoir été conçu comme un objet destiné à satisfaire l’appétence musicale du duc. La décennie qui sépare la publication du Secondo libro a sei voci du Terzo libro a cinque voci aurait pu conduire Macque à imprimer des compositions de diverses époques, à glaner quelques madrigaux parmi sa production plus ancienne. Tel n’est pas le cas. Le Terzo libro présente au contraire une grande homogénéité stylistique, tant au niveau poétique que musical, qui laisse penser que la grande majorité des pièces – mis à part peut-être certains madrigaux spirituels – ait été composée dans un laps de temps relativement court, en tenant à l’esprit les attentes et les exigences du duc de Ferrare. Le contenu du recueil renvoie en effet constamment à leur commanditaire, tant par ses choix poétiques, peut-être en partie imposés par le dédicataire, que dans son écriture musicale, qui partage avec les madrigaux ferrarais de Gesualdo, Fontanelli et Luzzaschi un certain nombre de procédés d’écriture. Le Terzo libro présente cependant aussi une certaine logique dans le parcours stylistique du compositeur, et peut être vu comme un point de transition dans sa production madrigalesque. Celui-ci est encore en effet très imprégné de cette recherche de grâce et d’ariosità qui caractérise ses recueils précédents, mais préfigure aussi le style de ses derniers recueils, non seulement dans les quelques passages déployant une palette 709 Seule la partie de quinto du Sesto libro de madrigali a cinque voci de Luzzaschi a été conservée, à la Biblioteca Marucelliana de Florence. 393 musicale plus dense et plus expressive, mais encore et surtout par cette évidente attention au raffinement de l’écriture contrapuntique. Les recueils successifs du compositeur, et tout particulièrement son Sesto libro de madrigali a sei voci de 1613 composé un an avant sa mort, donneront toute la mesure de l’attachement de Macque au langage madrigalesque polyphonique et de son goût pour la virtuosité contrapuntique. Ceux-ci participent de manière particulièrement brillante à cet automne de la Renaissance que fut le madrigal napolitain dans les premières années du Seicento, ignorant les nouveaux chemins empruntés par la « musique moderne » pour se réfugier dans un style extrêmement sophistiqué, mais peut-être déjà légèrement anachronique. Macque passera en quelque sorte d’une artificiosa ariosità à un expressionnisme artificioso, développant un style très exigeant mais peut-être aussi moins facilement accessible que les pièces du corpus pris en considération dans cette thèse 710 . Conclusion Arrivés au terme de cette étude, revenons dans un premier temps sur les deux notions qui ont guidé l’analyse et la lecture des madrigaux pris en considération. L’ariosità avait été envisagée dans l’introduction comme un concept multiple, renvoyant tant à des questions formelles et de genre qu’à une sensation moins précise et plus subjective ressentie – ou non – à l’écoute d’une pièce. L’ariosità des madrigaux de Macque répond parfaitement à la nature plurielle de cette notion, déclinée de différente manière par le madrigaliste. Dans les deux recueils de Madrigaletti et napolitane, le compositeur fait appel à un certain nombre de paramètres techniques – forme poétique et musicale, texture, organisation 710 Larson a noté lui aussi que ceux qu’il définit comme les « madrigalistes napolitains fortement influencés par Gesualdo » (« Neapolitan madrigalists strongly influenced by Gesualdo », dont fait partie Macque), écrivirent « des madrigaux dont l’écoute, sinon l’interprétation, constituaient de véritable challenge, plus adaptés au salon qu’à Posillipo, et requérant une audience écoutant avec vigilanza. De tels connaisseurs de finesses contrapuntiques allaient devenir de plus en rares au cours du XVIIe siècle. » (« madrigals usually rather challenging to listen to, if not to perform, more appropriate for the chamber than for Posillipo, and requiring an audience listening with vigilanza. Such connoisseurs of intricate counterpoint would become increasingly rare in the course of the seventeenth century. », in LARSON Keith, The Unaccompanied Madrigal in Naples, op. cit., p. 785). 394 rythmique, prosodique et harmonique – qui renvoient bien souvent à l’aria en tant que genre. Les deux premiers recueils napolitains reprennent dans une moindre mesure ces éléments d’écriture très connotés (homophonie, schémas prosodiques stéréotypés, clarification harmonique, animation rythmique) qui fonctionnent, à mon sens, comme des « marqueurs » de genre. Le Terzo libro répond en revanche à un autre type d’ariosità, qui rappelle davantage la définition très vague et subjective qu’en donne Giustiniani qu’elle ne s’inscrit dans des questions de genre. Les « marqueurs » de style disparaissent ou sont complètement revisités, le vocabulaire rythmique est renouvelé, la clarté harmonique sacrifiée au profit de l’élaboration contrapuntique. Le compositeur ne perd cependant pas de vue le plaisir de l’écoute, l’élégance, la douceur et la fluidité du discours. Il s’agit là en quelque sorte d’une ariosità plus extérieure qu’intérieure. Le rapport du compositeur à l’artificio varie aussi considérablement au fil des deux décennies prises en considération. Les madrigaletti et napolitane et une grande partie des pièces des deux premiers recueils napolitains se situent très clairement du côté du compromis et constituent un exemple évident de la polarité entre la légèreté et le savant, Macque penchant tantôt vers l’une, tantôt vers l’autre. Dans le Terzo libro, le madrigaliste envisage de manière totalement différente les termes de cette fusion. Libérée d’un certain nombre de traits stylistique du style hybride, la complexité contrapuntique reprend ses droits d’une manière qui semble presque « démonstrative » ou « représentative ». L’écriture artificiosa de Macque n’a en effet pas du tout le même visage que le style savant de Lassus ou de Monte, par exemple. L’attention du compositeur paraît se focaliser sur le respect de l’imitation stricte, la transformation et la combinaison des soggetti, autant d’éléments utilisés jusque-là par l’auteur dans des proportions bien moindres, même si on les voit parfois poindre dans certains passages du Secondo libro a cinque. Ces techniques d’écriture très contraignantes sont moins centrales et prépondérantes dans le madrigal classique qui dilue fréquemment les contours des soggetti dans un contrepoint plus libre 711 . 711 À ce propos, voir COEURDEVEY Annie, Roland de Lassus, Paris, Fayard, 2003, p. 417. 395 On peut envisager ce phénomène comme une rencontre entre les techniques contrapuntiques et les soggetti-motifs très dessinés du style hybride, moins aisément modelables et déformables, mais très adaptés aux jeux de superpositions motiviques. D’autre part, cette approche à la fois stricte et combinatoire de l’écriture imitative semble parfois avoir été perçue en cette fin de Renaissance comme la véritable preuve de l’habileté, de l’excellence du compositeur, et c’est en ceci qu’elle peut paraître quelquefois un peu démonstrative ou représentative. Giustiniani insiste notamment sur le fait que les élaborations contrapuntiques de Gesualdo – dont la description de l’auteur, on l’a évoqué, se rapproche sensiblement du style artificioso de Macque – sont « difficiles » et « pas du premier compositeur venu ». Quelques années plus tard, Pietro della Valle semble considérer ces raffinements comme franchement ostentatoires lorsqu’il affirme : « Les maître de notre temps ne font pas ainsi mais, avec plus de jugement, ils n’ont cure d’étaler en tout lieu des artifici, même s’ils les maîtrisent » 712 . Les paroles de Giustiniani paraissent faire écho à ce que l’on a pu parfois reprocher aux premiers madrigaux du prince de Venosa. Macque était peut-être mû par ce même désir de démonstration contrapuntique, mais il n’y a rien de scolaire dans son artificiosità, rien de sec, de rigide ou d’aride, de même que son ariosità est rarement plate ou banale dans sa simplicité. Le compositeur se montre parfaitement à l’aise dans ce langage polyphonique et réussit toujours à répondre à cet esprit d’intimité et de plaisir qui caractérise le répertoire madrigalesque des dernières décennies du XVIe siècle, musique de chambre par excellence. Il est d’ailleurs tout à fait vraisemblable que Macque ait parfaitement connu ce type de « joies madrigalesques », pour reprendre le titre de la seconde anthologie des musiciens romains, Le Gioie de 1589. Le compositeur eut en effet sans aucun doute l’occasion de participer à de nombreuses journées musicales dans les salons de Gesualdo, au cours desquelles il interpréta très probablement ses propres madrigaux ainsi que les premières compositions du prince 713 . 712 « I maestri dell’età nostra non fanno così, ma con più giudizio, non si curano di ostentare in ogni luogo gli artifizi che pure sanno », in DELLA VALLE Pietro, Della musica dell’età nostra che non è punto inferiore, anzi è migliore di quella dell’età passata, in SOLERTI Angelo, Le origini del melodramma, op. cit., p. 152. 713 Qu’avait chanté Macque toute la journée sinon des madrigaux lorsqu’il écrit à Norimberghi : « je n’ai donc aujourd’hui rien fait d’autre que chanter et jouer » ? (« onde non ho fatto altro tutto hoggi che cantare et sonare », lettre du 12 juillet 1587, voir annexes …). 396 L’un des objectifs de cette thèse était également de compléter les recherches de Shindle sur les madrigaux de Macque, en s’intéressant à une période survolée très rapidement par ce musicologue. À l’issue de ce travail, plusieurs points peuvent peut-être être ajoutés aux conclusions de Shindle. L’un des aspects du style de Macque qui fut à mon sens le plus sous-estimé est la sensibilité et grande imagination dont fait preuve le compositeur dans la représentation musicale du texte poétique. Cette composante a échappé à Shindle, ainsi qu’à Ruth DeFord, car ceux-ci n’avaient à l’esprit que les premiers et les derniers recueils de Macque. Les observations de DeFord ont déjà été évoquées à la fin de la deuxième partie 714 ; Shindle, tout en relevant certains madrigalismes, considère que Macque « ne poussa pas cette technique aussi loin que Marenzio » 715 . Marenzio fut peut-être effectivement encore plus inventif en la matière, mais il ne fait aucun doute que les deux premiers recueils napolitains de Macque contiennent de nombreux exemples de lectures musicales riches et foisonnantes des textes poétiques. Le compositeur s’y montre non seulement attentif à l’élément sémantique des poésies, mais aussi à leur construction syntaxique, et plus généralement à leur registre stylistique. Ces réflexions nous amènent aussi à repenser les rapports du Franco-flamand avec Marenzio. Einstein, on l’a déjà évoqué, voyait plus en Macque un élève de Monte qu’un contemporain de Marenzio 716 . Shindle a réévalué en partie cette opinion dans son PhD et, plus récemment, dans son article du New Grove 717 , mais sans toutefois mesurer selon moi l’importance de la relation qui lia les deux madrigalistes, qui va au-delà de la « brève 714 Voir supra, p. 291. « He does not carry this technique to extent found in the early madrigals in Marenzio », in SHINDLE Richard, The Madrigals of Giovanni de Macque, op. cit., p. 280. Shindle signale en passant que le Terzo libro de 1597 semble être riche en madrigalismes mais celui-ci se basait probablement sur la transcription de la toute première pièces qui, on l’a vu, n’est pas véritablement représentative du reste du recueil (ibid., p. 281). 716 Voir EINSTEIN Alfred, The Italian Madrigal, op. cit., p. 698. 717 « Les madrigaux sérieux du début des années 1580 sont adoucis par son association avec Marenzio, qui était de dix ans son cadet » (« The serious madrigals of the early 1580s are tempered by his association with Marenzio, who was some ten years younger. » SHINDLE Richard, « Macque, Giovanni de, §2: Works », Grove Music Online, http://www.grovemusic.com/shared/views/article.html?section= music.17378.2, page consultée le 29 mai 2006). 715 397 influence » évoquée par le musicologue 718 . Dans les années 1580, les langages madrigalesques de Macque et Marenzio partagent en effet plus d’un trait stylistique. On y retrouve le même goût pour l’expression du texte, pour les jeux polyphoniques, pour la redistribution de la texture entre différents groupes de voix, la même clarté harmonique ainsi que cette recherche de légèreté qui confine parfois à l’humour (ces traits stylistiques ne furent d’ailleurs pas cultivés que par ces deux auteurs, mais caractérise toute une période de l’histoire du madrigal). Les convergences très nettes entre les intonations des mêmes textes par les deux madrigalistes (notamment Posso, cor mio, partire et Quando sorge l’aurora 719 ) ne font que confirmer l’existence d’un intérêt réciproque entre ces auteurs. Macque fut peut-être un peu moins élégant, plus « terre-à-terre », moins « sensuel et rêveur » comme le remarque Shindle 720 . Cependant, le Terzo libro de 1597 est tout entier empreint de cette sensualité rêveuse et poétique qui manque peut-être parfois aux premiers recueils du compositeur 721 . Cependant, comme l’a noté Shindle, les chemins de Macque et Marenzio divergent complètement dans les années 1590 722 . L’analyse du Terzo libro ne fait que confirmer les observations de Shindle : Macque fut totalement imperméable au style déclamatif affettuoso qui caractérise les derniers recueils de Marenzio, même si celui-ci retourna lui aussi à un type de contrepoint plus strict dans son tout dernier livre. 718 « On sent une brève influence de Marenzio dans les œuvres de Macque du début des années 1580 » (« Marenzio’s influence is briefly felt in the works of the early 1580’s. », in SHINDLE Richard, The Madrigals of Giovanni de Macque, op. cit., p. 279. 719 Voir supra, p. 229. Shindle discute dans sa conclusion les intonations de Quando sorge l’aurora par Macque et Marenzio et constate un fossé entre les deux pièces. Shindle s’est cependant focalisé sur la dernière version du compositeur (qui date de 1599) et non sur ses versions antérieures qui sont au contraire très proches de celle de Marenzio (ibid., p. 280). 720 « If we compare the two men, Marenio is a sensualist, a dreamer …, whereas Macque is more practical, more down-to-earth … », ibid., p. 280. 721 Les origines franco-flamandes du compositeur, son manque de « latinité », semble parfois à l’origine de ce jugement un peu sec sur son œuvre. Ceci est particulièrement frappant chez Ruth DeFord, qui range Macque complètement à part des autres compositeurs romains, italiens de naissance. Voir DEFORD Ruth, Ruggiero Giovannelli and the Madrigal in Rome, op. cit., p. 181. 722 « Le dernier style de Marenzio semble n’avoir eu aucun effet sur Macque » (« The later style of Marenzio seems to have little effect, if any, on Macque. », in SHINDLE Richard, The Madrigals of Giovanni de Macque, op. cit., p. 280). 398 Les recueils pris en examen dans cette thèse permettent également d’interroger à nouveau le couple Macque-Gesualdo. Shindle a noté, comme la plupart des musicologues qui se sont intéressés à la question, l’influence du prince de Venosa sur le Franco-flamand dans ses dernières publications, notamment dans son Terzo libro de madrigali a quattro voci de 1610 723 . Shindle, qui conclut son PhD avant la découverte de la correspondance du compositeur par Lippmann et ignorait donc l’existence des trois ricercari du prince insérés dans les Ricercate et canzoni francese de Macque, ne se pencha pas sur l’hypothèse d’une tendance inverse 724 . On aurait espéré pouvoir découvrir dans les deux premiers recueils napolitains de Macque, composés chez Gesualdo, les traces de la relation de maître à élève qui unit vraisemblablement les deux musiciens dans la seconde moitié des années 1580. La question est cependant délicate. D’un côté, certaines pièces des recueils présentent bien cette alternance entre animation rythmique, sujets en fuses déclamées, et passage homophones plus sereins, caractéristiques de Gesualdo. Ce type d’écriture n’est cependant pas propre aux deux hommes, mais commune à plusieurs autres auteurs de la période. On rencontre aussi dans quelques passages du Secondo libro a cinque voci les prémisses de procédés harmoniques qui deviendront caractéristiques du style de Gesualdo, notamment les « faux-bourdons » dissonants. D’autre part, le prince musiqua dans son premier livre deux textes du Secondo libro de madrigali a cinque voci de Macque, Mentre, mia stella miri, et Gelo ha Madonna il seno, que l’on voudrait lire comme une sorte d’hommage à son ancien maître. Les intonations des deux madrigalistes ne sont pas sans points communs 725 , mais l’aspect euphonique qui caractérise souvent le style de Macque dans les années 1580 est totalement étranger à Gesualdo. L’écriture très dense et presque touffue du contrepoint gesualdien n’a pas ses racines dans la première production madrigalesque du Franco-flamand qui, on l’a déjà évoqué à maintes reprises, n’avait cure de faire démonstration d’artificiosità dans ses premières années napolitaines. Il est possible, 723 Shindle parle même, à propos du Terzo libro a quattro voci de 1610, d’un moment de crise et de remise en question de la part de Macque, dû selon lui à la confrontation musicale du compositeur avec la musique de Gesualdo. Voir SHINDLE Richard, The Madrigals of Giovanni de Macque, op. cit., p. 280-281. 724 Voir supra, p. 155. 725 À ce propos, voir notamment DEUTSCH Catherine, « Un exemple de “triple filiation” madrigalesque : Philippe de Monte, Giovanni de Macque, Carlo Gesualdo », La musique représentative, actes des Premières Rencontres Interartistiques de l’Observatoire Musical Français, Paris, 2004, p. 35-45. Série Conférence et Séminaire n° 18. 399 comme l’affirme Larson, que la postérité de ces deux premiers recueils napolitains de Macque soit plus à rechercher dans la production de Montella, de Dentice et des autres « compositeurs modérés » de la dernière génération de madrigalistes napolitains, que dans les premières œuvres de Gesualdo 726 . Curieusement, le Terzo libro a cinque de 1597 rappelle bien plus la première manière de Gesualdo que les recueils de 1586-1587, même si celui-ci fut imprimé bien après les premiers recueils du prince. L’usage immodéré de fuses déclamées, les soggetti très stricts, traités par mouvement contraire, doublés, combinés, le recours à certains topoi d’écriture très caractérisés, comme l’imitation alternée et les faux-bourdons enfouis dans la polyphonie 727 , l’abandon des parcours harmoniques simplifiés au profit d’une logique plus linéaire sont autant d’éléments qui renvoient aux deux premiers livres de Gesualdo et furent repris ensuite par certains madrigalistes parthénopéens à la fin du Cinquecento et au début du Seicento 728 . Il est possible que la relation Macque-Gesualdo se soit jouée dans un premier temps sur un plan plus instrumental que madrigalesque (il n’est peut-être pas anodin que Macque ait « adopté » trois ricercari du prince dans son recueil de Ricercate et canzoni francese et non quelques madrigaux dans l’un de ses recueils). La question reste cependant ouverte et mériterait peut-être d’être envisagée de façon plus approfondie et systématique. La production sacrée du compositeur constitue un autre objet d’étude qu’il pourrait être intéressant d’explorer plus amplement. À ma connaissance, celle-ci n’a pas en effet bénéficié jusqu’à aujourd’hui de recherches aussi exhaustives que ses pièces instrumentales ou ses madrigaux, même si Shindle évoque brièvement le contenu du 726 « Les caractéristiques stylistiques qui pour la première fois ont été mis ensemble d’une manière convaincante dans le II.5 de Macque réapparaissent dans les œuvres de ces composeurs modérés avec quelques légères modifications dans le sens d’une plus grande complexité et subtilité. » (« Stylistic features which had first come together in an effective way in Macque’s 2.5 reappear in the works of these moderate composers whith only a few slight modifications, usually toward greater complexity or subtlety. » in LARSON Keith, The Unaccompanied Madrigal in Naples, op. cit., p. 551). Voir aussi supra, p. 291. 727 Sur ces aspects de l’écriture, voir supra, p. 239. 728 Larson a vu le même goût pour l’animation rythmique, la démonstration contrapuntique et l’écriture artificiosa basée sur les combinaisons motiviques chez la dernière génération de madrigalistes parthénopéens, et notamment dans les recueils de Dentice Lacorcia, Agresta et Nenna, ainsi que dans les premières publications de Montella (voir LARSON Keith, The Unaccompanied Madrigal in Naples, op. cit., p. 567, 588, 684 et 785). 400 recueil de motets de 1596 et les quelques motets polychorals dans son article du New Grove 729 . Une étude de la musique sacrée de Macque permettrait en outre d'explorer ses rapports avec les diverses congrégations religieuses, à Rome et à Naples. Les travaux de Noel O’Regan ont déjà permis de mettre en lumière les liens du compositeur avec la Santissima Trinità dei Pellegrini, pour qui Macque composa apparemment plusieurs motets 730 . La participation de Macque aux anthologies de laudes à partir des années 1580 indique aussi que ses pièces faisaient partie du répertoire oratoriens dans les deux dernières décennies du siècle. Les relations du Franco-flamand avec les filippini ne firent apparemment que se renforcer après son arrivée à Naples, en témoigne son recueil de motets, dédicacé, on le rappelle, à l’un des fondateurs de l’Oratorio napolitain, ainsi que les quelques anecdotes relatées par Carlo Lombardo dans son récit de la vie de Giovenale Ancina 731 . Je ne connais aucune transcription accessible de ce recueil de motets, dont il serait peut-être envisageable de reconstruire les parties manquantes, au moins dans les pièces à cinq et six voix 732 . La réouverture prochaine des archives musicales de la Biblioteca del Monumento nazionale dell’Oratorio dei Girolamini de Naples 733 , fermée depuis une vingtaine d’années, ouvrira en outre de nouvelles perspectives de recherche sur la collaboration entre Macque et l’Oratorio napolitain qui, très probablement, ne se limita pas au recueil de motets de 1596 et aux quelques laudes publiées dans les anthologies. Un séjour aux archives de la congrégation permettra sans doute d’apporter de nouveaux éléments à notre connaissance sur le compositeur. 729 Voir SHINDLE Richard, « Macque, Giovanni de, §2: Works », Grove Music Online, op. cit. Le manuscrit MSS.MUS.77-88 de la Biblioteca nazionale de Rome, qui fut selon O’Regan compilé par Zoilo pour la Santissima Trinità, contient plusieurs pièces de Macque (Salve Regina, Ave Regina, Ecce nunc, In convertendo). Voir O’REGAN Noel, Institutional Patronage in Post-Tridentine Rome: Music at Santissima Trinità dei Pelegrini, 1580–1650, op. cit., p. 68-71. 731 Voir supra, p. 307. 732 MACQUE Giovanni de, Johannis Macque, Valentinatis Belgae, Motectorum quinque, sex, et octo vocum, Liber primus, Mutium, Roma, 1596. De cet imprimé, ont été conservées les parties de superius, altus, bassus et quintus. Il manque les voix de tenor, sextus, septimus, octavus. 733 Les archives musicales de la Biblioteca del Monumento nazionale dell’Oratorio dei Girolamini viennent de rentrer dans une phase de restructuration. La réouverture est prévue courant 2008. 730 401 Saluons pour finir l’initiative de Giuseppina Lo Coco qui, en publiant chez Olschki le Primo libro de madrigali a quattro voci de 1586, contribuera à diffuser de manière plus large la musique de Giovanni de Macque auprès des musiciens et des musicologues et, on l’espère, les incitera à faire sortir ses madrigaux du long silence dans lesquels ils reposent depuis des siècles. L’édition partielle ou complète des madrigaux de Macque avait été ambitionnée par plusieurs musicologues, sans jamais se réaliser 734 . Souhaitons que la publication du Primo libro de madrigali a quattro voci puisse redonner départ à d’autres projets d’éditions de la musique de ce compositeur. 734 La publication du Quarto et du Sesto libro de madrigali a cinque voci (1599 et 1613) chez l’éditeur florentin Olschki avait été projetée dans les années 1980 par Lorenzo Bianconi et Renato Di Benedetto, (celle-ci est d’ailleurs annoncée comme imminente par Emilio Carapezza dans son article « ‘Quel frutto stramaturo e succoso’: il madrigale napoletano del primo Seicento », op. cit., p. 20, note 11). Anthony Newcomb parle aussi de son intention de publier les deux premiers recueils napolitains de Macque dans son édition des madrigaux de Luzzaschi. Voir LUZZASCHI Luzzasco, Quinto libro de' madrigali a cinque voci (Ferrara, 1595) ; Sesto libro de' madrigali a cinque voci (Ferrara, 1596) ; Settimo libro de' madrigali a cinque voci (Ferrara, 1604), éd. Anthony Newcomb, Middleton, A-R Editions, 2003, p. l. Complete unaccompanied madrigals, vol. 1/ Recent researches in the music of the Renaissance, vol. 136. 402 Sintesi in italiano Ariosità e artificiosità nei madrigali di Giovanni de Macque (1581-1597) La tesi verte sul periodo centrale della produzione madrigalistica del compositore franco fiammingo Giovanni de Macque. Sono state prese in considerazione nell’analisi cinque stampe, pubblicate tra il 1581 e il 1597, ovvero i due libri di Madrigaletti et napolitane a sei voci del 1581-1582, il Primo libro de madrigali a quattro voci del 1586, il Secondo libro de madrigali a cinque voci del 1587 e infine il Terzo libro de madrigali a cinque voci del 1597 (un’opera stampata nel 1589 è stata tralasciata perché la sola parte dell’alto si è conservata sino ad oggi). Dal momento che il periodo preso in esame non è stato oggetto di un’analisi approfondita da parte della ricerca musicologica, i confini cronologici del corpus sono stati circoscritti, con lo scopo di colmare una tale lacuna. La tesi si propone di completare la principale monografia dedicata ai madrigali di Macque che, per diverse ragioni, sorvola molto rapidamente sul periodo centrale della produzione dell’autore. Sono state effettuate due trascrizioni – a mia conoscenza, mai realizzate sino ad oggi –: quella del Secondo libro de madrigali a cinque voci del 1587 e quella del Terzo libro de madrigali a cinque voci. Per quest’ultimo libro ho inoltre provveduto a ricostruire la voce mancante dell’alto. La problematica analitica che emerge dal confronto dei singoli elementi del corpus merita inoltre un’attenzione particolare. Essa apre, in effetti, una prospettiva rilevante su un aspetto dello sviluppo stilistico dell’autore, specifica del periodo preso in esame e meno presente nella sua produzione anteriore e posteriore. Questi libri, composti in tre momenti successivi della carriera del madrigalista, e per tre ambienti musicali determinati, possono essere considerati come diverse manifestazioni di un fenomeno che riguarda una parte cospicua del repertorio vocale profano italiano degli ultimi decenni del Cinquecento: 403 l’avvicinamento della scrittura sapiente alla leggerezza, della complessità alla semplicità, nonché la mescolanza di generi e di registri stilistici. Tale fenomeno è stato valutato nella presente tesi attraverso due nozioni in uso sia nella letteratura e nella trattistica musicale coeva, che da Macque stesso in una sua lettera dedicatoria: l’ariosità e l’artificiosità. Una ricerca filologico-storica, basata su scritti della fine del Cinquecento e dell’inizio del Seicento, ha consentito di definire e tracciare i contorni semantici di questi due concetti. L’ariosità si riferisce 1. al genere aria, che designa ulteriormente due tipi di pezzi, a./ gli schemi stereotipati usati per la declamazione di versi epici o lirici, b./ una varietà di genere minore, caratterizzata da una certa semplicità compositiva così come dal ricorso frequente alle forme strofiche 2. ad una qualità soggettiva sentita – o non sentita – all’ascolto di una composizione, fondata su una sensazione di piacere, di dolcezza, di orecchiabilità e di facilità di ricezione uditiva. In un contesto musicale, l’artificiosità è sinonimo di virtuosità stilistica come di padronanza delle tecniche contrappuntistiche. L’artificiosità e l’ariosità sono state sovente presentate come due nozioni antitetiche alla fine del Rinascimento, legate insieme in una specie di “relazione polare”, in cui la ricerca dell’una implica una riduzione dell’altra e vice-versa. Esse corrispondono, infatti, a registri stilistici contrastanti: l’artificio viene riservato ai generi più aulici, in particolare il mottetto – ma anche, secondo certi autori, il madrigale – mentre l’ariosità caratterizza i così detti “generi leggeri”, canzonetta, canzone, napoletana, villanesca, villanella e, ovviamente, aria. Per giunta, tali concetti sembrano intrinsecamente opporsi, dal momento che l’artificiosità mira ad un bersaglio tecnico e intellettuale, ad un approccio analitico della musica, laddove l’ariosità risponde ad una ricerca di piacere, ad una ricezione più sensuale dell’opera. Il madrigale, talora considerato come l’equivalente profano del mottetto, talora relegato al rango di repertorio minore, contemporaneamente vetrina dell’eccellenza del compositore e oggetto di piacere per il cantante, è probabilmente il genere che cristallizzò in modo più tangibile la “polarità” fra questi due concetti. Quest’ultima segnò in modo particolarmente rilevante il periodo qui preso in considerazione, che vide la nascita e la diffusione del così detto stile ibrido. Questo tipo di scrittura, che caratterizzò la musica vocale profana 404 italiana della fine del Cinquecento, mischia diversi tratti dei generi leggeri e del madrigale, offuscando così i confini fra questi due repertori, rimasti relativamente impermeabili fino ad allora. Macque fu particolarmente sensibile a tali trasformazioni durante il periodo preso in esame, e seppe rispondere a questi mutamenti stilistici col variare e rinnovare costantemente il suo linguaggio madrigalistico. Il presente studio ha per oggetto l’analisi di questa evoluzione attraverso il prisma della dinamica di scambio fra ariosità e artificiosità che caratterizzò lo stile ibrido negli ultimi due decenni del Cinquecento. La tesi segue un percorso cronologico che divide il corpus in tre parti, individuando le fasi successive dello sviluppo stilistico di Macque durante il periodo preso in considerazione. Ognuna di queste fasi corrisponde ad una tappa ben definita della sua carriera ed è strettamente legata all’ambiente artistico di una città determinata: la Roma dei primi anni del 1580 con i due libri di Madrigaletti et napolitane (prima parte), la Napoli della seconda metà del 1580 col Primo libro de madrigali a quattro voci e il Secondo libro de madrigalia cinque voci del 1586-87 (seconda parte) e, infine, la Ferrara degli anni 1590 col Terzo libro de madrigali a cinque voci del 1597 (terza parte). Un’introduzione apre ogni singola parte con lo scopo di contestualizzare l’opera. L’analisi si concentra poi su tre parametri fondamentali della scrittura madrigalistica: le scelte poetiche, il ricorso a determinate tecniche compositive, ed infine la rappresentazione musicale del testo poetico. Prima parte – le due raccolte di Madrigaletti et napolitane (1581-1582): lo stile ibrido Inizialmente vengono esaminati gli stretti rapporti che il compositore manteneva con i maggiori esponenti della vita musicale romana all’epoca della pubblicazione dei libri e lo sviluppo del madrigale romano negli anni 1580. Le figure dei committenti, Ventura Maffetti e Camillo Caetani, sono altresì prese in esame. L’attenzione si focalizza in seguito sull’ambiguità che si sprigiona dal titolo e dall’organizzazione delle due raccolte; l’autore mantiene, infatti, una certa elusività quanto 405 al genere preciso di ogni singolo componimento. La denominazione Madrigaletti et napolitane fa riferimento a due tipi di pezzi, senza che siano mai differenziati i madrigaletti dalle napolitane (il primo termine si riferisce a madrigali più semplici e più brevi, il secondo, ad una varietà di genere leggero). Il madrigalista pare voler accennare che i componimenti si trovano a metà strada fra questi due generi. L’analisi delle scelte poetiche e delle forme musicali permette quindi di esplicitare tale ambiguità generica. Le varie origini delle rime e degli schemi metrici e formali, proveniente talora del repertorio leggero, talora da quello madrigalistico, e talvolta a cavallo tra i due, evidenzia la natura eminentemente ibrida di questi libri. L’attenzione viene richiamata in seguito su un estratto della lettera dedicatoria del Primo libro de madrigaletti et napolitane, in cui il compositore si scusa, presso il committente dell’opera, della lacuna di artificiosità del suo “debole parto”, che spera poter controbilanciare per mezzo della loro ariosità. Attraverso l’analisi delle tecniche musicali si cerca poi di individuare per quali ragioni questi pezzi possono essere valutati ariosi e poco artificiosi. A questo riguardo, sono presi in considerazione vari aspetti della scrittura: la mancanza di complessità della tessitura polifonica – per lo più tendente verso le tecniche omofoniche –, la chiarezza delle articolazioni e delle cadenze, la vivacità del lessico ritmico, il ricorso frequente a crome declamate, la standardizzazione degli schemi prosodici con numerosi richiami ai ritmi del repertorio leggero, la semplificazione e la chiarificazione delle strutture armoniche – capaci di generare un sentimento di eufonia così come di infondere una possente direzione alle frasi. Questa fase dell’analisi permette inoltre di definire certe cifre, ovvero segni stilistici, sui quali si appoggerà l’esame del corpus rimanente. Lo studio della rappresentazione musicale del testo segue la stessa prospettiva. L’accento è posto sulla sintesi realizzata tra l’attenzione alla parola, che è tipica del madrigale, e la relativa neutralità che caratterizza il repertorio minore. Macque oscilla tra l’una e l’altra in base alla materia poetica. La prima parte si conclude col richiamo della buona accoglienza di cui hanno goduto le stampe, in particolare nell’Europa del nord. Il successo delle raccolte, ristampate ad 406 Anversa nel 1600, è riconducibile alla particolare sintesi presente in questi libri, alla loro ariosità, e allo spirito di leggerezza che predomina nei componimenti. Si tratta, infatti, di elementi particolarmente apprezzati dal pubblico franco fiammingo della fine del Cinquecento. Seconda parte – Il primo libro de madrigali a quattro voci e Il secondo libro de madrigali a cinque voci (1586-1587): il ritorno al madrigale Dopo avere tracciato un breve ritratto del madrigale partenopeo all’arrivo di Macque a Napoli, viene esaminato il rapporto del compositore con la famiglia Gesualdo, nella cui casa furono composti i due libri studiati in questa parte. L’accento è posto sulla figura di Carlo Gesualdo e sul ruolo che il franco fiammingo rivestì probabilmente nell’educazione musicale del Principe. L’attenzione si sposta poi sui committenti delle stampe, Scipione Pignatelli e Cesare d’Avalos. Questo quadro di contestualizzazione, ampiamente basato su informazioni tratte dalla corrispondenza di Macque, traccia infine le tappe successive della stampa delle opere, che fu motivo di un intenso scambio epistolare tra il compositore e il suo amico romano Camillo Norimberga. Sono state poi prese in considerazione le scelte poetiche. A tale riguardo è stata esaminata la gradazione di registri poetici dei testi musicati, che vanno dalle forme fisse petrarchesche (sonetti, canzoni), alle composizioni poetiche affini al repertorio leggero. Una categoria intermedia, fatta di piccoli madrigali epigrammatici senza pretese letterarie, caratteristici dei gusti poetici italiani nella fine del Cinquecento, è stata oggetto di una riflessione più approfondita. Un approccio parallelo è stato adottato nell’analisi musicale dei pezzi. Dopo qualche considerazione generica relativa alle tecniche contrappuntistiche, alle scelte modali e al lessico ritmico, tendente per lo più verso una maggiore leggerezza, una semplicità ed una vivacità tipiche del madrigale ibrido, viene presa in esame la varietà delle soluzioni impiegate dal compositore nelle sue intonazioni, chiaramente modellate sul registro stilistico dei testi poetici. Lo studio svolto si propone di evidenziare come il registro poetico aulico e la scrittura artificiosa siano strettamente collegate, mentre le intonazioni 407 di testi più modesti si distinguono per il frequente ricorso ai segni stilistici individuati nei Madrigaletti et napolitane. L’attenzione è anche richiamata sul fatto che questi segni possono talvolta essere rivisitati, nel senso di una maggiore complessità, quando sono usati nelle intonazioni di versi petrarcheschi. Dall’esame emerge inoltre un ulteriore aspetto significativo di questi pezzi, ovvero il ricorso a numerosi topoi compositivi peculiari dello stile ibrido. L’analisi si sofferma poi a rintracciare la circolazione di questi procedimenti di scrittura nel madrigale coevo, attraverso il richiamo alla musica di Andrea Gabrieli, Luca Marenzio e Ruggiero Giovannelli, tre attori rilevanti dello sviluppo e della diffusione del madrigale ibrido. Una prospettiva del tutto diversa è adottata nell’esame della rappresentazione musicale del testo poetico. Essa mira a sottolineare l’ampia varietà e la ricchezza operata da Macque in queste due raccolte. A tal fine, la metodologia analitica impiegata divide i madrigalismi in tre categorie di analogie, equivalenti ad un livello crescente di astrazione. Sono esaminate in primo luogo le figure da sentire, in seguito, le figure da vedere, e infine, le figure da pensare. Questa gradazione vuole evidenziare la complessità e la sottigliezza della rappresentazione musicale del testo poetico, e propone di considerarla come un’ulteriore manifestazione di artificiosità, allargando i confini di questo concetto. Dopo aver analizzato il versante semantico dell’intonazione, viene presa in considerazione l’espressione musicale di aspetti logico-sintattici dei versi poetici. Con tale esame si vogliono infine rivalutare le osservazioni di certi scritti musicologici relativi alla mancanza di fantasia retorica del compositore, giudicato talvolta del tutto privo di sensibilità verso concetti e contenuti poetici. La seconda parte si conclude valutando il ruolo di queste due raccolte nell’evoluzione del madrigale partenopeo, considerate come una specie di “ponte stilistico” tra le vite musicali romane e napoletane. Terza parte – Il terzo libro de madrigali a cinque voci (1597) o l’artificiosa ariosità 408 Il terzo libro de madrigali a cinque voci, ultima raccolta dedicata al duca di Ferrara e ultima opera musicale uscita dalle stampe ducali di Baldini, è, in un primo tempo, collocato nel contesto delle intense relazioni politiche e culturali che avvicinarono la città ferrarese e quella partenopea sul finire del Cinquecento. Si accenna poi alla nuova situazione professionale di Macque, che comprende i legami intercorsi con i filippini napoletani, che sembrano riflettersi nella presenza di qualche madrigale spirituale alla fine della raccolta. Dopo aver sottolineato la forte impronta ferrarese di una parte notevole dei testi del Terzo libro tramite un esame delle fonti poetiche, l’attenzione è richiamata sul carattere pastorale e melico delle rime musicate. I testi spirituali sono poi presi in considerazione, mettendo in rilievo la distanza che separa il registro stilistico delle rime petrarchesche a vocazione meditativa, dalle brevi strofe di canzonette spirituali. Sono, infine, state valutate le origini filippine di questi ultimi testi. L’esame della musica si focalizza su un aspetto peculiare di questi pezzi, qui considerato in termine di “artificiosa ariosità” o “sapiente leggerezza”. Dall’analisi della musica si ricava come Macque rivisitò certe cifre dello stile ibrido, integrandole in un discorso decisamente artificioso. A tale riguardo, sono stati presi in esame diversi punti: il rinnovo del lessico ritmico che, pur spingendo al massimo l’uso delle crome declamate, sembra evitare coscientemente i richiami troppo ovvi al repertorio leggero; l’abbandono dell’eufonia per un discorso cosparso di dissonanze coloristiche; il netto aumento di combinazioni di soggetti e di passaggi in contrappunto rigoroso; il ricorso alla virtuosità contrappuntistica pure nei momenti omofoni apparentemente semplici; l’interpunzione frequente e chiara del discorso, controbilanciata da un uso molto libero delle cadenze. L’intonazione del sonetto spirituale di Petrarca, ultimo madrigale della raccolta, è oggetto di un’attenzione particolare. Il contrasto fra la scrittura “all’antica” che caratterizza questo madrigale, e il resto del volume è valutato come un’ulteriore dimostrazione della capacità dell’autore di rispondere musicalmente al registro stilistico dei testi poetici. Il rapporto testo-musica è esaminato in seguito sotto una nuova luce. L’artificiosità retorica delle due prime raccolte napoletane viene opposta ad una lettura musicale dei concetti poetici meno intellettuale e più immediata e sensuale, concentrata più 409 sull’evocazione sonora che sulla pittura analogica delle parole. Si è cercato poi di ricondurre questo “stile affettuoso”, rivolto probabilmente più all’uditore che al lettorecantante, all’emergenza della “seconda pratica”, che rinnovò profondamente il rapporto con il testo dell’ultima generazione di madrigalisti. Il particolare spazio musicale lasciato ai rari concetti negativi, che incupiscono talvolta i paesaggi idillici che popolano le rime, è considerato come un mezzo efficace per colpire le emozioni dell’uditore, così come un contrappeso all’atmosfera leggera e pastorale che distingue, nel complesso, la quasi totalità del libro. La terza parte si chiude con una riflessione sulla posizione del Terzo libro nella produzione madrigalistica di Macque. Esso è pensato come un punto di transizione verso la sua ultima maniera, marcata sì da una ricerca di artificiosità contrappuntistica, ma anche da un relativo abbandono dell’ariosità a favore di un linguaggio patetico, se non addirittura espressionista. Le conclusioni propongono in primo luogo una riflessione di sintesi sui termini della problematica, che vuole evidenziare l’evoluzione del compositore nel suo rapporto con l’artificio e l’ariosità. L’attenzione è richiamata sul passaggio da un’ariosità “generica” ad un’ariosità “soggettiva”, e sul peso crescente della virtuosità contrappuntistica nello stile del madrigalista, apparentemente sempre meno disposto a sacrificare l’artificiosità del suo linguaggio ad una certa facilità di ascolto o di interpretazione. Questa osservazione ci porta a ripensare il ruolo della virtuosità contrappuntistica nel madrigale polifonico dell’ultimo Cinquecento e del primo Seicento. Per spiegare questo fenomeno, peculiare ad una parte cospicua del madrigale partenopeo post-gesualdiano – che sembra prendere in contropiede l’evoluzione complessiva del linguaggio musicale all’alba del Barocco – è proposta una lettura “rappresentativa” o “dimostrativa” dell’artificiosità. Ritornando infine a considerazioni più generiche sull’autore, sono stati esaminati i precedenti studi compiuti dalla dottrina su Giovanni de Macque cercando di compararli con i risultati della presente ricerca. La tesi si conclude suggerendo nuovi percorsi d’indagine sul compositore. 410 I testi poetici e la loro traduzione in francese, la trascrizione del Secondo libro de madrigali a cinque voci e del Terzo libro de madrigali a cinque voci, e la corrispondenza del compositore tradotta in francese sono riuniti in un volume di appendici. 411 Annexes Critères de transcription Nota bene Les transcriptions des textes poétiques et des madrigaux ont été réalisées avec les microfilms des imprimés suivants : Madrigaletti et napolitane et Secondo libro de madrigaletti et napolitane : exemplaires complets de la Biblioteca dell’Accademia filarmonica de Vérone (Italie), confrontés avec la réédition de Phalèse (Madrigaletti et canzonetti sic napolitane a sei voci) conservée intégralement à la Biblioteka Polskiej (Akademii Nauk) de Dantzig (Pologne) Primo libro de madrigali a quattro voci : exemplaire complet de la Biblioteka Jagiellonska de Cracovie (Pologne) Secondo libro de madrigali a cinque voci : exemplaire complet de la Biblioteka Jagiellonska de Cracovie (Pologne) Secondo libro de madrigali a sei voci : Quinto de la British Library de Londres (Royaume-Uni) Terzo libro de madrigali a cinque voci : Canto, Tenore, Quinto, Basso de la Biblioteca Estense de Modène (Italie) Critères d’édition des textes poétiques L’édition des textes poétiques des recueils est organisée en trois textes parallèles, disposés sur trois colonnes. À gauche, la transcription semi-diplomatique de la source musicale ; au milieu, sa transcription interprétative ; à droite, la traduction en français 735 . Pour ne pas alourdir la lecture, seul le nom de l’auteur a été indiqué en haut à gauche de la 735 Sur la question de la transcription des textes poétiques du Cinquecento, et particulièrement ceux des imprimés musicaux, voir notamment : STUSSI Alfredo, Introduzione agli studi di filologia italiana, Bologna, Il Mulino, 1994 ; LA FACE BIANCONI Giuseppina, « Filologia dei testi poetici nella musica vocale italiana », Acta Musicologica, LXVI, 1994, p. 1-21 ; MIGLIORINI Bruno, « Note sulla grafia italiana nel rinascimento », Studi di filologia italiana, XIII, 1955, p. 259-296, et LUZZI Cecilia, Archivio musicale Petrarca in musica. Criteri di edizione dei testi poetici, http://www.unisi.it/tdtc/petrarca/pim.htm. Ces travaux ont guidé la grande majorité de mes choix éditoriaux. 412 transcription interprétative. Pour plus d’information sur les sources, le lecteur pourra se référer aux tables contenues dans le premier volume de la thèse. Transcription semi-diplomatique La transcription semi-diplomatique rétablit le texte de la source musicale en restant fidèle à ses particularités graphiques : orthographe, majuscules en début de vers, erreurs, absence quasi totale de ponctuation, abréviations, utilisation du &, etc. Les différentes voix ne présentant cependant pas toujours la même version du texte, la leçon la plus proche de l’usage moderne a toujours été préférée. Les petites variantes entre les voix ont été indiquées si elles semblaient significatives. Pour réduire l’appareil de notes, un certain nombre de divergences n’ont pas été signalées, notamment lorsqu’elles concernaient les élisions, l’accentuation, les majuscules, les abréviations, les apostrophes, la ponctuation, les différentes graphies de et (e, et, &) et l’usage variable du v et du u. La seule intervention majeure sur le texte concerne sa présentation en vers et la reconstruction de sa forme métrique, impliquant l’élimination des répétitions de l’intonation musicale. Lorsque les majuscules – qui indiquent les débuts de vers dans l’intonation musicale – étaient erronées ou au contraire manquaient, celles-ci ont été supprimées ou rétablies avec une note en bas du texte. Les éventuelles taches ou parties manquantes de l’imprimé ont été indiquées dans l’appareil de note. Toute adjonction au texte a été encadrée entre crochets (même les indications Prima parte, Seconda parte, lorsqu’elles manquaient). La transcription du Primo et Secondo libro de madrigaletti et napolitane, seuls recueils du corpus à avoir connu une réédition, se base sur la première édition de Gardano. L’édition de Phalèse se démarque très peu de celle de Gardano, même dans le choix des abréviations, des élisions et des variantes orthographiques. La seule différence notable réside dans l’utilisation du v en début de mot (alors que Gardano utilise toujours le u). J’ai indiqué les quelques erreurs, qui généralement sont reprises de la première édition. Transcription interprétative 413 La transcription interprétative, retenue pour l’édition musicale, propose une lecture légèrement modernisée du texte poétique dans le but d’en faciliter la compréhension. Les majuscules de début de vers ont été supprimées ; l’accentuation et la ponctuation (réalisées selon les normes italiennes) ont été entièrement refaites. La graphie de certains mots a été modernisée selon les critères suivants : utilisation du u et v selon l’usage moderne (vivo pour viuo) suppression du h étymologique (ora pour hora) substitution du ti par zi devant les voyelles (graziosi pour gratiosi) substitution du j par i (sii pour sij) résolution des abréviations et du & La division des mots a été modernisée dans la plupart des cas (degli pour de gli, allor pour all’hor, talor pour tal’hor). Les articles contractés tels que de lo ou a le, n’ont en revanche pas subi de modernisation dans la mesure où celle-ci aurait nécessité le redoublement de la consonne et eu une incidence sur la prononciation. Les apostrophes utilisées pour indiquer les très nombreuses élisions ont le plus souvent été supprimées et la voyelle manquante rétablie en italique, notamment pour les verbes, adjectifs et substantifs (le fiamme pour le fiamm’). L’apostrophe a été en revanche rétablie dans le cas d’apocopes (ver’ pour ver, apocope de verso). Certaines particularités graphiques ou orthographiques de la source ont cependant été conservées, notamment l’usage : du et devant les voyelles (remplacé par e devant les consonnes ou en cas d’hypermétrie) de la majuscule pour les personnifications (Amor, Donna, Ciel, Ninfe) de certaines variantes orthographiques concernant le redoublement des consonnes (avezzo pour avvezzo, rafrenar pour raffrenar, baccio pour bacio) de l’orthographie archaïsante des sons ge et sce (gielo pour gelo, treccie pour trecce) Lorsque la source musicale était incomplète (particulièrement dans le cas du Secondo libro de madrigali a sei voci), les parties de texte manquantes ont été rétablies entre crochets, en indiquant en note la source consultée. 414 Les notes disposées en bas de chaque texte indiquent les variantes significatives résultant de la confrontation avec les sources de référence, lorsqu’elles existent, ainsi que les éventuelles corrections effectuées sur le texte poétique. Traduction Lorsque je l’ai pu, j’ai préféré faire appel à des traductions préexistantes en indiquant les références sous ces dernières. Cependant, la grande majorité des poésies étant d’auteurs anonymes ou mineurs, aucune traduction n’était souvent disponible. Dans ces cas, mes traductions se veulent une simple aide à la compréhension du lecteur francophone. Cellesci restent relativement proches du texte tant au niveau syntaxique que lexical. L’équivalence vers italien = vers français a généralement été conservée afin de faciliter la comparaison avec le texte original. Dans le cas d’hyperbates intraduisibles en français et obligeant à déranger l’ordre des mots, le déplacement d’un syntagme d’un vers à l’autre a été indiqué entre crochets (< >). Lorsque le texte italien ne permettait pas de déterminer le genre du poète et/ou de son interlocuteur, le sexe masculin a toujours été préféré pour le premier, et le féminin pour le second, ce cas de figure étant le plus fréquent dans la littérature pétrarquiste. Pour conserver une certaine homogénéité avec la pratique italienne, l’usage des minuscules en début de vers a été préféré 736 . Nota bene Les notes ont été placées à la fin de chaque texte en respectant l’ordre suivant : numéro de vers (v. 1), voix (C., A., T., B., Q.) ou source (Canzoniere) présentant la variante, partie du texte : variante. Afin d’alléger l’appareil de notes, les abréviations suivantes ont été utilisées pour les références bibliographiques : Phalèse : MACQUE Giovanni de, Madrigaletti et canzonetti sic napolitane a sei voci, Anversa, Phalèse, 1600. 736 C’est aussi l’option choisie par Pierre Blanc dans sa traduction du Canzoniere (voir PETRARQUE, Le chansonnier, éd. bilingue, trad. Pierre Blanc, Paris, Bordas, 1989). 415 Canzoniere : PETRARCA Francesco, Canzoniere, éd. Roberto Antonelli, Gianfranco Contini, Daniele Ponchiroli, Torino, Einaudi, 1982. Chansonnier : PETRARQUE, Le chansonnier, éd. bilingue, trad. Pierre Blanc, Paris, Bordas, 1989. Trionfi : PETRARCA Francesco, Rime, Trionfi, e poesie latine, éd. F. Neri, Milano-Napoli, Ricciardi, 1951. Rime : TASSO Torquato, Opere, vol. 1, Rime, éd. Bruno Meier, Milano, Rizzoli, 19631964. Gli Asolani e le rime : BEMBO Pietro, Gli Asolani e le rime,éd. Carlo Dionisotti-Casalone, Torino, UTET, 1932. Pastor fido : GUARINI Battista, Pastor fido, Venezia, Ciotti, 1602. Rime piacevoli : CAPORALI Cesare, Rime piacevoli di Cesare Caporali …, Ferrara, Baldini, 1586. Critères de transcription des madrigaux Le travail de transcription a consisté à mettre en partition les différentes parties séparées des madrigaux et à en moderniser la notation. Les signes anciens ont été transformés en respectant l’usage moderne, selon les équivalences suivantes : Longue Brève Semi-brève Minime Semi-minime 416 Fuse Semi-fuse Les clés d’ut1, ut2, ut3, ut4 et fa3 ont été remplacées par les clés de sol et de fa4 afin de rendre la transcription aisément accessible par tout type de lecteur (les clés d’origine sont indiquées en début de pièce). L’usage des clés modernes a cependant des inconvénients car ces dernières obligent à noter l’alto et le tenore avec de nombreuses lignes supplémentaires, que celles-ci soient octaviées ou non. Sauf cas particulier, la clé de sol octaviée a été préférée pour le tenor, et celle de sol non octaviée pour l’alto. Les parties de quinto des madrigaux de Macque doublent presque systématiquement la tessiture du canto, de l’alto ou du tenore sans jamais occuper une position intermédiaire. Le quinto a pour cette raison toujours été placé en dessous de la voix dont il partage la tessiture. La lecture peut cependant être troublée par la présence durable du quinto audessus de sa voix jumelle. Notation rythmique Les parties séparées ne présentent aucune barre de mesure. Celles-ci ont été rajoutées dans la transcription, comme il était coutume de le faire dans les notations en partition de l’époque (notamment dans l’édition complète des madrigaux à cinq voix de Gesualdo par Molinaro 737 ). Au lieu de l’alternance entre mesures d’une semi-brève et mesure d’une brève que l’on trouve dans les éditions anciennes, toutes les mesures sont ici de la durée d’une brève (sauf dans les passages en ternaire). Les indications de tempus QuickTime™ e un decompressore TIFF (non quest'immagine. compressé) sono necessari per visualizzare conservées. Ces signes sont à entendre plus comme des indications de tempo ( rapide que et QuickTime™ e un decompressore TIFF (non quest'immagine. compressé) sono necessari per visualizzare QuickTime™ e un TIFF (non compressé) sonodecompressore necessari per visualizzare quest'immagin ont été étant plus ) que comme notifiant un tactus alla semibreve ou alla breve 738 . Dans les QuickTime™ e un TIFF (non compressé) sonodecompressore necessari per visualizzare quest'immagin deux cas, les notions rythmiques originelles ont été gardées. 737 Voir notamment GESUALDO Carlo, Partitura delli sei libri de’ madrigali a cinque voci, Genova, Pavoni, 1613. 738 À ce propos voir COLETTE Marie-Noëlle, POPIN Marielle, VENDRIX Philippe, Histoire de la notation du Moyen Age à la Renaissance, Paris, Minerve, 2003, p. 191. 417 Les signes proportionnels ont été conservés, de même que les valeurs d’origine. L’équivalence rythmique est suggérée au-dessus de la portée. Il n’y a que deux exemples de signe proportionnel dans les madrigaux transcrits. Ceux-ci utilisent tous deux le passage de QuickTime™ e un decompressore TIFF (non compressé) sono necessari per visualizzare quest'immagine. à . Si l’on s’en tient au tableau du Syntagma musicum de Preatorius, il s’agirait là d’une proportion sesquialtera avec l’équivalence « brève = semi-brève pointée » 739 . Le tempo très lent qui résulte de cette proportion contraste cependant singulièrement avec le contenu poétique du texte, deux invitations joyeuses au chant, c’est pourquoi j’ai suggéré qu’elle soit plutôt comprise comme proportion tripla « semi-brève = semi-brève pointée », équivalent à un passage de l’équivalence entre QuickTime™ e un decompressore TIFF (non compressé) sono necessari per visualizzare quest'immagine. QuickTime™ e un TIFF (non compressé) sonodecompressore necessari per visualizzare quest'immagin à , irrégularité probablement due à et . QuickTime™ e un decompressore TIFF (non compressé) sono necessari per visualizzare quest'immagine La color a été maintenue car celle-ci correspond souvent à un madrigalisme. La transcrire en notation moderne risquerait d’ôter toute sa signification au passage concerné. L’équivalence rythmique est indiquée en haut de la portée. Plusieurs particularités graphiques sont en outre à signaler : Les fuses consécutives, détachées dans l’original, ont été reliées dans les vocalises, mais non en cas de déclamation : - Les ligatures sont résolues et indiquées entre crochets : 739 Idem, p. 182. 418 - Les longues qui concluent presque systématiquement les pièces sont conservées, même si celles-ci ne correspondent pas à la durée de la mesure. Celles-ci sont à interpréter comme des points d’orgue. Altérations Toutes les altérations du texte original ont été maintenues, sauf celles de précaution sur mi et si, qui sont indiquées dans l’appareil critique. Le signe a été remplacé par # et §, selon les cas. Les altérations ne valent que pour la note concernée et pour ses éventuelles répétitions immédiates, si celles-ci ne sont pas interrompues par un silence. Les altérations ajoutées ont été placées au-dessus de la portée dans plusieurs cas de figure. La plupart d’entre elles sont des altérations de précaution, lorsque la hauteur altérée se représente dans la même mesure ou lors de fausses relations740 . Préférant pécher par omission que par excès d’interventionnisme, les cas de musica ficta ont été traités avec extrême prudence 741 . Ceux-ci concernent essentiellement les formules cadentielles sans sensible et les entrées en imitation. Quelques relations horizontales ou verticales ont été modifiées pour éviter des rencontres incongrues, en tenant cependant toujours à l’esprit que l’écriture madrigalesque de Macque utilise de nombreux intervalles « interdits », harmoniquement ou mélodiquement, et que sa musique est par nature pleine de « bizarreries ». Placement du texte 740 Sur les fausses relations au XVIe siècle, voir HAAR James, « False Relations and Chromaticism in Sixteenth-Century Music », Journal of American Musicological Society, XXX, 1977, p. 391-418. 741 Je me suis référée notamment à BERGER Karol, Musica ficta. Theories of Accidental Inflections in Vocale Polyphony from Marchetto da Padova to Gioseffo Zarlino, Cambridge, Cambridge Universtity Press, 1987 et TOFT Robert, Aural Images of Lost Traditions. Sharps and Flats in the Sixteenth Century, Toronto, University of Toronto Press, 1992. 419 Le texte poétique a été redistribué selon l’usage moderne, en plaçant chaque syllabe sous la note qui la porte. Les majuscules de début de vers ont été maintenues, à la première énonciation du texte comme aux répétitions. Les répétitions textuelles ont été séparées par des virgules. Les signes ij ou ii, qui indiquent dans l’imprimé les répétitions textuelles ont été supprimées. Le texte a alors été répété entre crochets. Reconstruction de la partie d’alto du Terzo libro de madrigali a cinque voci Je fais appel dans mon travail à deux ouvrages de référence sur le contrepoint Renaissance, La tecnica del contrappunto vocale nel Cinquecento de Renato Dionisi et Bruno Zanolini 742 et l’Aide-mémoire du contrepoint du XVIe siècle d’Olivier Trachier 743 . Le seul manuel d’écriture que j’ai cependant réellement suivi à la lettre est la production madrigalesque de Macque qui a répondu à la grande majorité des interrogations qui se sont présentées à moi durant le travail. Règles générales Sans rentrer dans les détails et tous les cas particuliers, les principes suivants, déduits de la production du compositeur, ont prévalu dans mon travail : 1. Intervalles parallèles 742 Les quintes et octaves parallèles par mouvement contraire sont autorisées (voir Sian le rose rubini, III.5, n. 9, brève 13, canto-tenore et Quel rossignol che plora, III.5, n. 11, brèves 12-13, tenore-basso) DIONISI Renato ZANOLINI Bruno, La tecnica del contrappunto vocale nel Cinquecento, Milano, Edizioni Suvini Zerboni, rééd. 2001 743 TRACHIER Olivier, Aide-mémoire du contrepoint du XVIe siècle, Paris, Durand, 1995. 420 2. Une simple note de passage suffit à autoriser deux quintes ou deux octaves parallèles (voir par exemple Sian le rose rubini, III.5, n. 9, brève 17, quinto-basso et Quel rossignol che plora, III.5, n. 11, brèves 13, cantobasso) Les enchaînements de sixtes et tierces ou de sixtes et quartes de type fauxbourdon peuvent être utilisés de façon isolés, mais aussi au milieu de la polyphonie (voir par exemple Ami chi vuol’amare, III.5, n. 17, brève 16-17 et Io son di neve al Sol, II.5, n. 13, brève 22) Dissonances 3. Doublure, équilibre, croisement de voix 4. 744 Tous les retards sont préparés, mais peuvent se résoudre avec un mouvement simultané des deux voix concernées (voir par exemple Sì che s’io vissi in guerra, III.5, n. 21, brèves 7-8, canto-quinto) Les retards peuvent être cumulés et résolus sur des dissonances aux autres voix (voir par exemple Or che ridente e bella, III.5, n. 2, brèves 16-17) Les retards peuvent tomber sur n’importe quelle partie du tactus, mais la résolution doit s’opérer sur une partie rythmiquement moins accentuée. Les notes de passages dissonantes en fuses sur la première partie de la semiminime, en semi-minime sur la première partie de la minime mais aussi en minime sur la première partie de la semi-brève sont autorisées (voir La bellezza superna, III.5, n. 18, brève 1-4, Quel rossignol che plora, III.5, n. 11, brèves 23-26 et Uscia dai monti fuora, III.5, n. 3, brèves 22-23) Les doubles et triples notes de passage sont autorisées (voir « intervalles parallèles ») Les sixtes et quartes cadentielles peuvent se faire sans doublure de la basse (voir Quando dal mio bel Sole, II.5, n. 21, brève 11) Dans les passages homophones, la doublure de la basse est préférable mais pas obligatoire La tierce à vide est toujours préférée à la quinte à vide Macque peut faire occasionnellement appel à des unissons, même entre des parties éloignées (voir Sparge la bella Aurora, III.5, n. 1, brève 3, canto-tenore) Les croisements de voix sont autorisés de manière ponctuelle ou prolongée (voir par exemple le croisement de voix alto-tenore, prolongé jusqu’au dernier accord in Tant’è dolce il pensiero, IV.5, n. 6 744 ) Texte poétique et prosodie Voir SHINDLE Richard, The Madrigals of Giovanni de Macque, op. cit., p. 448. 421 Même si Macque préfère en général faire apparaître le texte au complet à chacune des voix, il arrive qu’une partie ne porte pas l’intégralité d’un vers (voir par exemple Il vezzoso Narciso, III.5, n. 7, brève 1-8, basso) L’accent tonique est toujours placé sur la partie plus accentuée du temps, sauf de très rares exceptions, notamment dans les passages en valeurs lentes qui diluent la prosodie (voir I’ vo piangendo, III.5, n. 20, brève 27-28, quinto) Reconstruction du contrepoint Macque, dans le Terzo libro de madrigali a cinque voci, fait généralement appel à un contrepoint strict, permettant par l’analyse de reconstruire de manière relativement fiable une grande partie de la partie d’alto. Bien souvent, l’entrée des différentes voix dans la polyphonie se fait de manière régulière, selon une logique rythmique prévisible, suggérant fortement les contours de la partie manquante. Dans l’extrait suivant, par exemple, le balancement rythmique à la minime ne laisse que peu de possibilités à l’entrée de l’alto : exemple musical 11 : Il matutino vento (III.5, n. 4, brèves 17-18) L’irrégularité rythmique à deuxième minime de la deuxième brève indique presque obligatoirement l’emplacement de l’alto. La quinte à vide fa-la impose un ré sur la deuxième minime, et le reste du motif est suggéré par l’alternance ascendant/descendant du passage : exemple musical 12 : suite 422 On pourrait s’en tenir là, mais le long silence précédant l’entrée de l’alto fait suspecter que celui-ci, comme le canto le tenore et le basso, pourrait également répéter deux fois le petit soggetto. Une fois encore, il n’y a guère qu’une solution possible, l’alto ne pouvant qu’entrer avant la première apparition du quinto : exemple musical 13 : suite et fin Dans d’autres cas, c’est le jeu des doublures qui indique l’emplacement et la hauteur de la voix d’alto, comme dans l’exemple suivant : exemple musical 14 : Sparge la bella Aurora (III.5, n. 1, brèves 4-8) 423 Ce type d’écriture alternée fonctionne souvent par paire de voix chez Macque. Encore une fois, il n’y a qu’une solution possible : doubler le quinto à la tierce inférieure, et le basso à la tierce supérieure : exemple musical 15 : suite C’est sur la base de ce type de raisonnement que j’ai reconstruit une grande partie des passages contrapuntiques. La reconstruction est moins fiable lorsque l’imitation se fait plus souple et plus libre, notamment dans les deux parties de l’intonation du sonnet de Pétrarque I’ vo piangendo. Les passages homophones sont généralement plus faciles à reconstruire. Dès lors que quelques accords sont incomplets, comme c’est généralement le cas, le jeu des quintes et des octaves parallèles oblige bien souvent les mouvements mélodiques intermédiaires. De plus, Macque a bien souvent une pensée contrapuntique dans les passages homophones du Terzo libro. On entrevoit par exemple, dans l’extrait suivant, que Macque construit le 424 passage en contrepoint renversable par mouvement contraire puisque, à la répétition la basse reprend la ligne de tenore, et le tenore celle du quinto : exemple musical 16 : Al subito apparir del primo raggio (III.5, n. 5, brèves 1-4) Il suffit alors de renverser la voix de canto pour trouver celle d’alto puis d’ajuster la hauteur en fonction des besoins de l’harmonie : exemple musical 17 : suite Il s’agit là bien sûr des exemples les plus évidents, mais les quelques raisonnements énoncés précédemment permettent de résoudre bien des cas de figures. Dans les cas plus ardus, un principe de discrétion et de récupération du matériau motivique environnant a toujours prévalu. La voix d’alto est notée sur une portée de dimension réduite afin que le lecteur tienne toujours à l’esprit qu’il ne s’agit là que d’une reconstruction. 425 Textes poétiques Primo libro de madrigaletti et napolitane (Venezia, Gardano, 1581) 1. Mai non uo pianger piu come soleua Je Mai non vo’ pianger più come faisais soleva Vn tempo quand’ardeua un tempo quand’ardeva. autr Mo ch’io non moro amando Mo ch’io non moro amando Ma aimant, Vo andar sempre cantando vo' andar sempre cantando, je v sciolto è lo laccio e rotta è la Sciolt’e lo laccio et rott’e la catena la catena, rompue, Libero son & non pato piu pena. libero son e non pato più pena. je s 2. 3. 426 Per pianto lo mio core Per pianto lo mio core De Si strugge a tutte l’hore si strugge a tutte l’ore, se d Et uoi crudel’et fella e voi crudel e fella et v Sete d’Amor rubella. sete d’Amor rubella. vou Tanti martir mi date Tanti martir mi date Vou Quant’hauete beltate quant'avete beltate, que Et uoi che ben sapete e voi che ben sapete et v Quante bellezze hauete quante bellezze avete, com Pensate quanti guai pensate quanti guai pen Pato senza trouar pieta giamai. pato senza trovar pietà giamai. je s Mentre al mio chiaro e vivo sol Alo Phalèse, v. 1, C., Tanti : Trnti 4. Mentr’al mio chiar’e uiuo sol miraua mirava je c Come Cigno cantaua come Cigno cantava, mai Et hor che ne son priuo et or che ne son privo com come palustre augel piangendo pleurant. Come palustr’augel piangendo vivo. uiuo. 5. Dico spess’al mio core Dico spesso al mio core: Je d Solo fuggendo puo uincer’Amore solo fuggendo può vincer Amore, on n Et chi non sa fuggire e chi non sa fuggire et q Resti sicuro di sua man perire. resti sicuro di sua man perire. peu Una fiammella viva Une v. 1, C., B. : fugendo alterne avec fuggendo Phalèse v. 1, C., A., T. : idem 6. Vna fiammella uiua 427 7. D’ogni mio ben mi priua d'ogni mio ben mi priva, me Et quanto piu la miro e quanto più la miro, et p Ahi lasso ogn’hor sospiro ahi lasso, ognor sospiro. héla O sfortunato amante O sfortunato amante, Ôa Che ual esser costante. che val esser costante? à qu Vola uola pensier fuor del mio Vola, vola, pensier, fuor del mio Vol petto petto, va-t Vanne ueloce a quella faccia bella vanne veloce a quella faccia qui bella Ch’e la mia chiara stella ch’è la mia chiara stella, Dilli cortesemente & con amore dilli cortesemente e con amore: Eccoti lo mio core. eccoti lo mio core! disvoi Phalèse, C. : la dernière ligne manque. 8. Fuggi pur quanto sai Fuggi pur quanto sai, Fui Donna crudel perch’io donna crudel, perch’io fem Sent’ogn’hor piu tormenti & sento ognor più tormenti e je r maggior guai 428 maggior guai, et de plus g Che pur ti uo seguire che pur ti vo’ seguire, et v Se ben n’ho da morire. se ben n’ho da morire. mêm 9. Se tu uuoi pur ch’io muoia Se tu vuoi pur ch’io muoia, Si t Non mi dar piu dolore non mi dar più dolore, ces Che di tormenti si pasce il mio che di tormenti si pasce il mio car core core, mai Ma stringimi al tuo seno ma stringimi al tuo seno, je che verrò presto di dolcezza douceur. Che uerro presto di dolcezza meno. meno. 10. O begli occhi sereni O begli occhi sereni Ôb Et d’ogni gratia pieni e d’ogni grazia pieni, et p Perche col uostro sguardo si perché col vostro sguardo sì pou possente possente ince Abbruciate il mio cor in fiamm’ardente. abbruciate il mio cor in fiamma ardentes ? ardente? v. 4, toutes les voix : abbrucciate alterne avec abbruciate. Phalèse, v. 2, C. : piena alterne avec pieni 429 11. ch’io moro ch’io moro, meure, Ma la mia Ninfa bella ma la mia Ninfa bella, ma Per forz’oime di stella per forza oimè di stella, à ca Vuol ch’io celi la fiamma e ’l mio vuol ch’io celi la fiamma e ’l mio veu martire martire. martyre. Tacerò dunque o pur vorrò Je m Vorria saper da uoi occhi mortali Vorria saper da voi occhi mortali Je Se uoi fiammelle sete o strali Se voi fiammelle sete o strali, Tacero dunque o pur uorro morire. morire. 12. Je Scoprirò l’ardor mio con dir Scopriro l’ardor mio con dir mortels, si v Perche quando girate perché quando girate Ferite i cori e i petti fulminate. ferite i cori e i petti fulminate. car vou v.2, toutes les voix sauf B., fiammelle: fiamelle poitrines. Phalèse, toutes les voix (y compris B.), fiammelle : fiamelle v. 4, toutes les voix Ferite : ferite Phalèse : idem 13. 430 S’io potessi cantando S’io potessi cantando Si j Rafrenare l’ardente mio desire rafrenare l’ardente mio desire, réfr Felice lo mio core felice lo mio core, mo Che fuor d’ogni martire che, fuor d’ogni martire, car vivrebbe lieto senza mai languire. il v Questi leggiadri fiori Questi leggiadri fiori Ces Et questa ghirlandetta e questa ghirlandetta et c Tirsi a te manda o Clori Tirsi a te manda, o Clori, Tir Perche le chiome te n’adorni e ’l perché le chiome te n’adorni e ’l afin Viurebbe lieto senza mai languire. v. 3, toutes les voix, Felice : felice Phalèse : idem 14. visage volto, uolto Che liberta gl’ha tolto. che libertà gl’ha tolto. car 431 15. Se del mio mal non curi Se del mio mal non curi, Almen’habbi pietade almen abbi pietade Di te che tua beltade di te, che tua beltade Fugge uia piu che uento fugge via più che vento E i capei d’oro gia si fan e i capei d’oro già si fan d’argento. 16. d’argento. Altro non uoglio altro non cerco et bramo Altro non voglio, altro non cerco e bramo Se non uoi che tant’amo se non voi che tant’amo, Et faccia quanto uuol fortuna e faccia quanto vuol fortuna ria ria, Che uoi sarete & sete l’alma Pompilio che voi sarete e sete l’alma mia. mia. 17. ne bram Quel si cocente foco Quel sì cocente foco, Ch’al mio misero pett’in ogni ch'al mio misero petto in ogni Venturi ? loco loco Daua pena & tormento dava pena e tormento, Sdegno per mia uentura hoggi sdegno per mia ventura oggi éteint. l’ha spento. 432 l’ha spento. 18. 19. Cercai fuggir’Amore Cercai fuggir Amore Per non sentir dolore per non sentir dolore, Hor tal’e la mia sorte or tal è la mia sorte Ch’ogn’hor bramo la morte. ch’ognor bramo la morte. La Salamandra se nel foco La Salamandra se nel foco dura, dura miracolo non è che ’l fa Miracolo non e che ’l fa natura natura, Ma che uoi nel mio core ma che voi nel mio core, Ch’e tutto fiamm’& foco ch’è tutto fiamme e foco, Essendo ghiaccio ritrouiate essendo loco ghiaccio ritroviate loco, Questo d’Amore. si ch’e miracolo questo sì ch’è miracolo d’Amore. 433 20. Non sentiro mai pena Non sentirò mai pena Je n Mentre con dolce ardore mentre, con dolce ardore, qua Questa Ninfa si uaga e si serena questa Ninfa sì vaga e sì serena cett Infiammera ’l mio core infiammerà ’l mio core. enf O che lieto gioire O che lieto gioire, O, q Arder amando senza mai languire. 21. arder amando senza que mai languire! Poiche non posso dire Poiché non posso dire, Pui Amor il mio gioire Amore, il mio gioire, Am Di tu ch’al mormorar delle di’ tu ch’al mormorar delle dis- chiar’onde chiare onde, su quest’erbette e sotto queste Su quest’herbett’& sotto queste fronde claires, sur fronde je tr Trouo grata mercede il mio trovo grata mercede il mio servir et m seruir e mia candida fede. & mia candida fede. Secondo libro de madrigaletti et napolitane (Venezia, Gardano, 1582) 434 1. Non uegg’hoggi ’l mio sole Non veggio oggi ’l mio sole Je n Splender nel loco usato splender nel loco usato, rayo Ne sento le dolcissime parole né sento le dolcissime parole et n Che mi pon far beato che mi pon far beato. qui Come uiuer poss’io senz’alma & Come viver posso io senz’alma e Com core 2. cœur ? core? Porgimi aita Amore. Porgimi aita, Amore! Vie Preso son io nelle piu belle Preso son io nelle più belle Je s braccia braccia que Che fece mai natura che fece mai natura. Ah, Deh dolce mia uentura Deh, dolce mia ventura! Je n Non so che far mi deggia Non so che far mi deggia, le m Il meglio e ch’io mi mora amando e taccia. il meglio è ch’io mi mora me taise. amando, e taccia. 435 3. Luigi Cassola Amor, io sento un respirar sì Amor io sent’un respirar si dolce A dolce de Di Laura mia in questa piaggia aprica 4. 5. 436 di Laura mia in questa piaggia qu aprica, re Ch’ancor la fiamm’antica ch’ancor la fiamma antica Nel cor si rinouella nel cor si rinovella, Et si leggiadr’e bella e sì leggiadra e bella Tu me la mostri Amore tu me la mostri, Amore, Che di dolcezza l’anima si more. che di dolcezza l’anima si more. Vorrei morire Vorrei morire Je Per prest’uscire per presto uscire po D’affann’& pene d’affanni e pene, de Dolce mio bene dolce mio bene. o Ma se uita non ho Ma se vita non ho, M Crudel come faro. crudel, come farò? cr S’io non t’adoro S’io non t’adoro, Si O mio thesoro o mio tesoro, ô et tu qu 6. Se questo core se questo core si Per te non more per te non more, de Non regni mai pieta non regni mai pietà qu Nella tua gran belta. nella tua gran beltà! da Bacciami uita mia Bacciami, vita mia, E bacciami ancor, ch’Amor a’ em Bacciami ancor ch’Amor a bacci inuita bacci invita! V Ecco ti baccio et ti ribaccio & poi Ecco ti baccio, e ti ribaccio, e encore, e poi je Ti lascio l’alma fra bei labbri tuoi. tuoi. 7. ti lascio l’alma fra bei labbri Vaga bellezza e bionde treccie Vaga bellezza & bionde treccie d’oro C d’oro, vo Vedi per te ch’io moro vedi per te ch’io moro, hé Oime non piu martoro. oimè, non più martoro! 437 8. Deh, non più strali, Amor, deh, non Deh non piu stral’Amor deh non piu foco Ah più foco! Vo Ecco, son tutto vive fiamme e foco, Ecco son tutto uiue fiamm’e feu, foco ché giova saettar le fiamme e ’l àq Che gioua saettar le fiamme e ’l foco? Qu foco In Clori aventa e strali e fiamme e flammes e In Clori auenta e strali e foco! fiamme e foco. v. 1, toutes les voix, deh : Deh 9. Vorrei nel chiaro lume Vorrei nel chiaro lume Je v Talhor fermar quest’occhi talor fermar quest’occhi, par Ma quel c’ha per costume ma quel c’ha per costume ma D’abbagliar com’il Sol ch’il d’abbagliar com’il Sol ch’il mira d’é mira fisso Fa ch’in abisso e ’n tenebre trabocchi. 10. 438 fixement fisso, fa ch’in abisso e ’n tenebre trabocchi. fait me précipi Se nel leggiadro uiso Se nel leggiadro viso Si d Et ne begli occhi stai e ne begli occhi stai et d De la mia donn’Amore de la mia donna, Amore, <tu Dimmi perche non uai dimmi perché non vai dis Talhor a star nel core talor a star nel core par Et non lo rendi del tuo ardor e non lo rendi del tuo ardor et t conquiso conquisto, pui Poiche tanti n’accende col bel poiché tanti n’accende col bel viso. visage. uiso. v. 1, A., Q., S., viso : riso 11. Se quel uital humore Se quel vital umore, Ce Ch’e tra le fresche rose ch'è tra le fresche rose ent Ou’il suo albergo pose ov’il suo albergo pose où Il mio nemico Amore il mio nemico Amore, mo Succhiar potessi qual maggior succhiare potessi, qual maggior si piacere Potrei al mond’hauere. plaisir piacere potrei al mondo avere? au v. 5, toutes les voix, qual : Qual Phalèse : idem 439 12. A che piu tender l’arco A che più tender l’arco Pou Iniquo e crudo Amore iniquo e crudo Amore, ini Non e questo mio petto tutto non è questo mio petto tutto carco ma d’idardi e del tuo ardore? de Voltati a quella che ti fugge e Re carco D’idardi & del tuo ardore Voltati a quella che ti fugge e sprezza, et d sprezza e scocca in lei la frezza! E scocca in lei la frezza. Phalèse, C. : tout le quart de la page en bas à droite manque. Phalèse, v. 5, T., sprezza : spezza 13. Clori dunque mi lasci ahi non fuggire Clori, dunque mi lasci! Ahi, non Clo fuggire, eh, Deh uedimi morire deh, vedimi morire! Vo Eccomi l’alma uscire, eccomi il Eccomi l’alm’uscire eccomi il core Che per seguirti al fin mi salta fuore che per seguirti al fin mi salta fuore. Se pur crudel aime non uuoi ch’io uiua E l’alm’e ’l cor nel tuo bel seno 440 qui core, Si, rav Se pur crudel, aimè, non vuoi ch’io viva, e l’alma e ’l cor nel tuo bel seno âme, et mo avviva! auuiua. v. 3, toutes les voix, eccomi : Eccomi Phalèse : idem Phalèse, v. 4, C., T., salta : solta 14. Quando sorge l’aurora Quando sorge l’aurora, Qu Ridon l’herbett’e i fiori ridon l’erbette e i fiori les E i pargoletti amori e i pargoletti amori et l Van con le Ninfe intorno van con le Ninfe intorno se Al mio bel sol adorno al mio bel sol adorno, aup Scherzand’ad hor’ad hora scherzando ad or ad ora en Onde la terr’e ’l ciel se onde terra e ’l ciel se là o n’innamora. n’innamora. 15. la Donna leggiadr’e bella Donna leggiadra e bella, Fem Voi sete la mia stella voi sete la mia stella vou A cui si uolg’il core a cui si volge il core à la nelle tempeste del crudel Amore. dan Nelle tempeste del crudel Amore. 441 16. Talhor mi s’auicina Talor mi s’avicina, Par Lei a fuggirmi auezza lei a fuggirmi avezza, elle Ond’io corro a ueder la sua ond’io corro a veder la sua je c bellezza bellezza, cro Credendo hauer respiro credendo aver respiro, ma Ma piu tosto m’adiro ma più tosto m’adiro, car Perche si ratto uien si ratto perché sì ratto vien, sì ratto fugge, et v fugge che col venir e col fuggir mi Che col uenir & col fuggir mi strugge. strugge. 17. 18. Tu ridi sempre mai Tu ridi sempre mai, Tu Per darmi affanni & guai per darmi affanni e guai, pou Fingi uolermi bene fingi volermi bene, tu f Crudel per darmi pene. crudel, per darmi pene. cru Fammi pur guerr’ogn’hor o Fammi pur guerra ognor, o mia Fai mia guerriera guerriera, ma Ma sij crudel e fera ma sii crudel e fera car Che piaga di tua man o di tuo 442 ché piaga di tua man o di tuo strale strale uccidendo mi fia dolce e vitale. en Amor scorse dagl’occhi di mia Am Vccidendo mi fia dolce e uitale. 19. Amor scorse da gl’occhi di mia diua diva, des Liquide perle uscir & fiamma liquide perle uscir e fiamma viva, vives uiua et e disse : «Quinci è ’l foco e le flèches Et disse quinci e ’l foco et le quadrella quadrella per mille amanti e farmi ogn’alma Per mill’amanti & pou âmes mes farmi ancella.» ogn’alma ancella 443 20. Amar donna ch’e bella Amar donna ch’è bella, Aim Per forza oime di stella per forza, oimè, di stella, àc Per quel ch’io prou’& sento per quel ch’io provo e sento pou E troppo gran tormento è troppo gran tormento. est O misero e meschino O misero e meschino Ôm Chi ama per destino. chi ama per destino! qui Tre gratiosi Amanti Tre graziosi Amanti Tro A la sua donna auanti a la sua donna avanti: se Se tu mori cor mio disser «Se tu mori, cor mio, disser «S Phalèse, v. 1, toutes les voix et l’index, Amar : Amor 21. d’accordo Et che ne lascierai per tuo ricordo ensemble, d’accordo, e che ne lascierai per tuo que ricordo?» Av Con le labbra di rose Con le labbra di rose au al primo ella rispose: Al prim’ella rispose «T La mia corona haurai perche tu possa 444 «La mia corona avrai perché tu possa imp impetrar pace a l’alma e requie a Impetrar pace a l’alm’& requie a l’ossa l’ossa.» Pu ave Poi soggionse al secondo, Poi soggions’al secondo «J Con sembiante giocondo con sembiante giocondo: pou Il mio horologio tuo uoglio che «Il mio orologio tuo voglio che sia, vie. » sia per rimembrar talor la vita mia.» Per rimembrar talhor la uita En mia Al fin le luci affisse Al fin le luci affisse sur nel vero amante e disse, en mon cœur, sospirando: «Ben mio, ti lascio il Nel uero amante e disse qui core, Sospirando Ben mio ti lascio il che specchio ti sarà d’eterno core amore.» Che specchio ti sara d’eterno amore. v. 15, toutes les voix, Sospirando ben : sospirando Ben Primo libro de madrigali a quattro voci (Venezia, Vincenti, 1586) 445 1. Francesco Prima parte Prima parte Pr Petrarca La ver l’aurora che sì dolce Là ver’ l’aurora, che sì dolce De l’aura l’aura à Al tempo nouo suol mouer’i al tempo novo suol movere i fiori, fleurs, fiori et e gli augeletti incominciar lor E gli augeletti incominciar lor versi, chants, versi sì dolcemente i pensier dentro a si Sì dolcemente i pensier dentr’a l’alma je l’alma mover mi sento a chi gli ha tutti in qu Mouer mi sento a chi gli ha forza tutt’in forza Cha che ritornar convienmmi a le mie Che ritornar conuiemm’a le note. mie note. v. 3, Canzoniere, augeletti : augelletti v. 5, Canzoniere, gli ha : li à 2. Francesco Seconda parte Seconda parte De Petrarca Temprar potess’io in sì soaui Temprar potess’io in sì soavi note Pu i me note miei sospiri ch’addolciscen I miei sospiri ch’addolciscen Laura l’a Laura facendo a lei ragion ch’a me fa M Facend’a lei ragion ch’a me fa forza! fleurs forza Ma pria fia ’l verno la stagion de’ Ma pria fia ’l verno la stagion fiori, 446 qu ch’amor fiorisca in quella nobil de’ fiori qu alma, Cha Ch’amor fiorisca in quella che non curò giamai rime né nobil alma versi. Che non curò giamai rime nè v. 3, Canzoniere, facendo : faccendo versi. v. 3, toutes les voix, Facend’a : facend'a 3. Francesco Terza parte Terza parte Tr Petrarca Quante lagrime lasso quanti Quante lagrime, lasso, quanti Qu versi versi aiho già sparti al mio tempo, e ’n notes Ho già spart’al mio temp’e ’n quante note quante note aiHo riprouat’humiliar ho riprovato umiliar quell’alma! El quell’alma Elle si sta pur com’aspr’alpe a do Ella si stà pur com’aspr’alp’a l’aura fleurs, l’aura dolce, la qual ben move frondi e ma Dolce la qual ben moue frond’e fiori, fiori ma nulla pò se ’ncontra ha Ma nulla po se ’ncontr’ha maggior forza. maggior forza. v. 1, Canzoniere, quanti : e quanti v. 6, Canzoniere, se ’ncontra ha : se ’ncontra 447 Cha 4. Francesco Quarta parte Quarta parte Qu Petrarca Huomini e Dei solea vincer per Uomini e Dei solea vincer per De forza pouvoir, forza Amor come si legge in prosa e ’n versi je et io ’l provai su ’l primo aprir dei fleurs ; fiori. Hora nè ’l mio Signor nè le sue note chants : versi: Et io ’l prouai su ’l prim’aprir de i fiori co Amor, come si legge in prosa e ’n Ora né ’l mio Signor né le sue or note, ni né ’l pianger mio né i preghi pon Laure Nè ’l pianger mio nè i preghi pon far Laura far Laura de Trarre ò di vita ò di martir quest’alma. trarre o di vita o di martir quest’alma. Ch v. 1, Canzoniere, Uomini : Homini v. 2, Canzoniere, prosa : prose v. 3, Canzoniere, su ’l : in su ’l ; dei fiori : de’ fiori 5. Francesco Quinta parte Quinta parte Ci Petrarca A l’vltimo bisogno ò misera A l’ultimo bisogno, o misera En alma alma, tou Accamp’ogni tuo ingegno ogni tua forza 448 accampa ogni tuo ingegno, ogni pouvoir, tua forza, Mentre fra noi di vita alberga Laura mentre fra noi di vita alberga tan Laura. Il Null’al mond’è che Nulla al mondo è che non possano chants, non i versi: possan’i versi et e gli aspidi incantar sanno in lor notes E gli aspidi incantar sanno in lor note note, no nonché ’l gielo adornar di novi fleurs. Non che ’l gielo adornar di fiori. noui fiori. Ch v. 3, Canzoniere, Laura : l’aura v. 5, Canzoniere, e gli : e li 6. Francesco Sesta & ultima parte Petrarca Ridon’hor per le piagge herbett’e fiori Sesta parte Si Ridon or per le piagge erbette e Ri fleurs : fiori: Esser non po esser non pò che quella angelica che quell’angelic’alma il alma n’ Non senta il suon de l’amorose note non senta il suon de l’amorose si note. forza pl Se nostra ria fortuna è di più Se nostra ria fortun’è di più forza, Lagrimando e cantando i nostri versi no lagrimando e cantando i nostri versi E col bue cacciando l’aura. zoppo andrem l’aure. Ch e col bue zoppo andrem cacciando l’aura. 449 v. 4, T., fortun’ : fottun’ 7. Quando sorge l’Aurora Quando sorge l’Aurora, Qu Ridon l’herbett’e i fiori ridon l’erbette e i fiori les E i pargolett’amori e i pargoletti amori et Van con le Ninfe intorno van con le Ninfe intorno se Al mio bel Sol’adorno al mio bel Sole adorno, au Scherzand’ad hor ad hora scherzando ad or ad ora en Onde la terr’e ’l ciel se onde la terra e ’l ciel se là n’inamora v. 7, toutes les voix, se : Se ; T., n’inamora : n’iamora. 450 n’inamora. 8. Nel morir si diparte Nel morir si diparte En mo L’anima dal suo velo l'anima dal suo velo. de son Gran dolor pena graue Gran dolor, pena grave, Grand Ma via maggior quando l’amante ma vi ha maggior quando l’amante mais i parte parte de la d Da la vista soaue da la vista soave, qui l’e che l’arde a un tempo e fa divenir Che l’ard’a vn tempo & fa diuenir gielo l’âme Perche lassa partendo perché lassa, partendo, L’anim’e ’l cor doppio dolor l’anima e ’l cor doppio dolor sentendo. 9. car il l gielo, sentendo. Quel dolce nodo che mi strinse il Quel dolce nodo che mi strins’il core Ce dou core ne se d Non si sciorrà per tempo nè per morte non si sciorrà per tempo né per et l’o morte, ardeur Nè mai spenger vedrassi il dolce ardore né mai spenger vedrassi il dolce qui orn ardore ch’orna e rischiara la mia oscura Ch’orn’& rischiara la mia oscura sorte sorte. A l’hor la piaga mia sarà minore Alors car le Alor la piaga mia sarà minore, 451 ch’il dì le stelle e ’Sol la notte Ch’il dì le stelle e ’l Sol la nott’apporte tant so apporte, avec tanto son dolci e nodo e foco e m’assaille. Tanto son dolci & nodo & foc’et strale strale, Onde mi leg’amor ard’et assale. 452 onde mi lega amor, arde et assale. 10. Donna quando volgete Donna, quando volgete D I vostri chiari lumi i vostri chiari lumi vo per mirar gli occhi miei rivolti in po Per mirar gli occhi miei riuolt’in fiumi Lasso che m’ancidete lasso, che m’ancidete? hé Che dentro l’alma penetrar mi Ché dentro l’alma penetrar mi Po sento âme ? sento? E s’altroue talhor li riuolgete E s’altrove talor li rivolgete, Et E maggior il tormento è maggior il tormento. m Dura legge d’Amore Dura legge d’Amore Du Ch’in ogn’euento è trauagliat’il ch’in ogni evento è travagliato il si Crudel se m’vccidete Crudel, se m’uccidete, Cr Pur voi stess’offendete pur voi stessa offendete, vo Ch’in mezzo del mio core ch’in mezzo del mio core ca Vi scolpi viu’Amore vi scolpì viva Amore, Am Tal che voi non potrete tal che voi non potrete de Ferirmi con begli occhi ferirmi con begli occhi, m core. core. 11. fleuves, fiumi, 453 Che parte de la piaga a voi non tocchi sa che parte de la piaga a voi non touche vo tocchi. Ma se tanto crudel esser vi Ma se tanto crudel esser vi piace, M adoperate almen solo la face, ne che contento sarò morir di foco, ca perch’ancor voi restiate accesa un af piace Adoperat’almen solo la face Che contento sarò morir di foco Perch’ancor peu. voi poco. restiat’acces’vn poco. v. 6, toutes les voix Ferirmi : ferirmi 12. Francesco Prima parte Prima parte Pr Petrarca I’ piansi hor canto che ’l celeste I’ piansi, or canto, che ’l celeste J’ quel vivo Sole agli occhi miei non Quel viuo Sol’a gli occhi miei non cela révèle costume; do larmes, fiume, Per accorciar del mio viuer la manière ; onde suol trar di lagrime tal Onde suol trar di lagrime tal fiume sa sua dolce forza e suo santo Sua dolce forza & suo santo costume da nel qual onesto Amor chiaro rivela riuela ne vivant, cela, Nel qual honest’Amor chiaro 454 éclat lume lume per accorciar del mio viver la tela po che non pur ponte o guado o remi tela qu rames, ou o vela Che non pur pont’o guad’o ma scampar non potiemmi ale né rem’o vela m sauver. piume. Ma scampar non potiemm’ale Ch v. 3, Canzoniere, rivela : revela ne piume. v. 5, Canzoniere, onde : onde è v. 8, Canzoniere, potiemmi : potienmi 13. Francesco Seconda parte Seconda parte D Petrarca Sì profond’era & di sì larga Sì profondo era e di sì larga vena Si il pianger mio e sì lungi la riva, m ch’i’ v’aggiungeva col pensier a qu vena Il pianger mio & sì lungi la riua Ch’i v’aggiungeua col pensier a pena. arriver. pena Non lauro o palma, ma tranquilla Non lauro o palma ma oliva N olive tranquill’oliua Pietà mi manda, e ’l tempo m Pietà mi manda e ’l tempo rasserena, et rasserena e ’ pianto asciuga, e vuol ancor je vive. E ’l piant’asciuga et vuol ancor ch’io viva. Ch ch’io viua. v. 2, Canzoniere, lungi : lunge v. 3, Canzoniere, pensier : penser 14. O famm’Amor gioire O fammi Amor gioire, Ô 455 15. O tu mi fa morire o tu mi fa’ morire, ô Però che senza gioia però che senza gioia pu Il meglio è ch’io mi muoia il meglio è ch’io mi muoia: le Che quel ch’a morte mena ché quel ch’a morte mena ca Traramm’almen di pena. trarammi almen di pena. m Francesco Prima parte Prima parte Pr Petrarca Del mar Thirreno a la sinistra Del mar Tirreno a la sinistra riva, D gauche, riua dove rotte dal vento piangon où Doue rotte dal vento piangon l’onde, l’onde Subito vidi quell’altera fronde subito vidi quella altera fronde, so di cui convien che ’n tante carte do d’écrire. Di cui conuien che ’n tante scriva. carte scriua Amor, che dentro a l’anima Am Amor che dentto a l’anima bolliva, bolliua per rimembranza de le treccie m Per rimembranza de le treccie bionde bionde sous l’her mi spinse, onde in un rio che Mi spinse ond’in vn rio che l’erba asconde l’herb’asconde Cadi non già come persona 456 au je vive. cadi, non già come persona viva. Ch v. 4, Canzoniere, convien : conven viua. v. 5, C. a l’anima : l’anima 16. Francesco Seconda parte Seconda parte D Petrarca Solo ou’io era tra boschetti e Solo ov’io era tra boschetti e colli Se monts, colli vergogna ebbi di me, ch’al cor Vergogn’hebbi di me ch’al cor gentile ho gentile pa basta ben tanto, et altro spron Basta ben tanto & altro spron non volli. n’eus bes non volli Piacemi almen d’aver cangiato Piacem’almen d’hauer cangiato stile Je style, stile pa dagli occhi a’ piè, se de lor esser Da gli occhi a pie se de lor molli ruissellem esser molli gli altri asciugasse un più cortese de avril ! Gli altri asciugasse vn più Aprile. cortes’Aprile. Ch v. 5, toutes les voix, se : Se 17. Non veggio oime quei leggiadretti lumi Non veggio, oimè, quei Je leggiadretti lumi, co Come dauan vita solea ch’ogn’hor mi come solea, ch’ogno mi davan ils me don vita. Vi 457 Amor porgim’aita Amor, porgimi aita et Et d’vna stessa fiamma e d’una stessa fiamma so Il suo come ’l mio core ard’et il suo, come ’l mio core, arda et enflamme infiamma. 18. infiamma! Al Sol le chiom’hauea Al Sol le chiome avea Au Sciolte la Donna mia sciolte la Donna mia, dé A l’hor che pien d’inuidia e alor che pien d’invidia e gelosia al egli cosi dicea: ain «Perch’ei ne meni il giorno, « forse Giove ha creato pe quest’altro novo Sol, di me più ce gelosia Egli cosi dicea Pech’ei ne meni il giorno Forse Giou’ha creato Quest’altro nouo Sol di me più adorno.» moi. » adorno E così, tutt’irato, Et fra le nubi s’ascose pien di il E cosi tutt’irato honte. Fra le nubi s’ascose pien di scorno. scorno. v. 6, toutes les voix, Forse : forse v. 9, toutes les voix, Fra : fra 19. 458 Donna se per amarui Donna, se per amarvi D Con vera & salda fede con vera e salda fede, d'u Grand’odio ne riporto per mercede grand’odio ne riporto je per haine, mercede, Cominciar vò ad odiarui cominciar vo’ ad odiarvi, je Forse che m’amerete forse che m’amerete pe Et al lungo seruir premio darete et al lungo servir premio darete. et servitude. Lasso Amor nol consente Lasso, Amor nol consente, H Ma vol ch’in amar voi sia ogn’hor più ardente. ma vuol ch’in amar voi sia ognor m più ardente. dans mon v.5, toutes les voix, Forse : forse 459 20. O d’Amor opre rare O d’Amor opre rare, Ô œuv Col torme da me stesso mi col torme da me stesso mi trasforma qui, trasforma transforme in voi, donna divina. In voi donna diuina en vou Come sarà mia forma? Come sarà mia forma Comm Terrena non, ma qual voi pellegrina. Terrena non ma qual voi pellegrina Non p Tal è ’l poter d’amore Tel es Tal’è ’l poter d’amore Che, rubandomi il cor, mi può beare qui en Che rubandom’il cor mi può beare In forme nove e care. en des In forme nou’e care. 21. Chi prima il cor mi tolse Chi prima il cor mi tolse Qui m Ancor per se lo tiene ancor per sé lo tiene. se le ti Con sì stretto ligame allhor Con sì stretto ligame allor l’accolse, Avec d onde, lasso, ogni spene que j’a ch’altra amar possa, e ’ndarno il de pou l’accolse Onde lass’ogni spene Ch’altr’amar poss’e ’n darn’il tenti, Amore emploies, Am tent’Amore ch’accender tu non puoi chi non ha Ch’accender tu non puoi chi non core. ha core. v. 5, B. spene : speme 460 car tu Secondo libro de madrigali a cinque voci (Venezia, Vincenti, 1587) 1. Fuggend’il troppo lume Fuggendo il troppo lume, Fuyan Abbassai gli occh’in quell’intatta abbasai gli occhi in quell’intatta je bais neue neve; Ce gra Il gran piacer far breue il gran piacer far breve pensa Lo spietato costume lo spietato costume de cett Pensò di quella man che ricoperse pensò di quella man che ricoperse le bie Il ben che fors’Amor pietos’offerse il ben che forse Amor pietoso offert. offerse. Mais Ma ’l crebb’alhor in vn pietosa e cruda Ma ’l crebbe alor, in un pietosa e cruelle, cruda, s'offra Offerendo se stess’a offerendo sé stessa agl’occhi ignuda. gl’occh’ignuda. v. 5, toutes les voix, Pensò di : pensò Di 2. Posso cor mio partire Posso, cor mio, partire Puis-je Senza farui morire senza farvi morire? sans v Ch’Amor giusto Signore Ch’amor, giusto Signore, Puisqu 461 Vuol che se meco port’il vostro core vuol che se meco porto il vostro veut q core, qu’ave Con voi ne rest’il mio con voi ne resti il mio, nous n Onde non morirem ne voi ned io onde non morirem né voi ned io. Je peu Posso dunque partire Posso dunque partire sans v Senza farui morire. v. 6, C., morirem : moriren 462 Senza farvi morire. 3. Felice mio ritorno Felice mio ritorno, He Che mi fara veder quel viuo che mi farà veder quel vivo Sole qu di vago lume adorno, orn e le soavi angeliche parole, et < quali scolpite ne la mente porto, <le udir per mio conforto. <q Onde ringrazio Amore C’ che, se mi diede nel partir dolore, qu nel ritorno di gioia abonda il core. dan Gelo ha Madonna il seno e fiamme Ma Sole Di vago lum’adorno & le soaui angeliche parole Quali scolpite ne la mente porto Vdir per mio conforto Onde ringratio Amore Che se mi diede nel partir dolore Nel ritorno di gioia abond’il core. v. 2, A., quel : que v. 3, A., adorno : adoruo 4. Torquato Gelo ha Madonna il seno & fiamme il volto il volto; Tasso mo Io son ghiaccio di fore io son ghiaccio di fore ma E ’l foc’ho dentr’accolto e ’l foco ho dentro accolto. Ce Quest’auien perch’Amore Quest’avien perch’Amore 463 Nè la sua front’alberga & nel mio petto ne la sua fronte alberga e nel mio sur petto, et n né mai cangia ricetto Nè mai cangia ricetto afi sì ch’io l’abbia negl’occhi, ella nel cœur. Si ch’io l’habbia ne gl’occhi ella nel core. v. 4, A., Amore : Amnre core. v. 1, Rime, fiamme : fiamma v. 2, Rime, fore : fuore v. 4, Rime, avien : avvien 5. Quel ben ch’aura pietosa Quel ben, ch’aura pietosa Ce A gl’auidi occh’aperse agl'avidi occhi aperse, ava Ahi lasso inuida man tosto ahi coperse lasso, invida man tosto hél coperse, ma Ma non si ratto che non fuss’impressa ma non sì ratto non fuss’impressa Nel mezzo del mio core nel mezzo del mio core Quella neue auiuata in bel quella neve avivata in bel colore. colore O miracol d’Amore, O miracol d’Amore ch’in una parte istessa Ch’in vna part’istessa or neve e foco posa! Hor neue & foco posa. 464 che au cet Ôm qu peu 6. Dolci sdegni & dolc’ire Dolci sdegni e dolci ire, Doux Nate da vn dolce errore nate da un dolce errore, nés d’ Cessat’homai di penetrarm’il core cessate omai di penetrarmi il core cessez & di dami martire e di darmi martir! et de m Ch’io son qual esser soglio Ch’io son qual esser soglio, Que je Qual torre a i venti & qual qual torre ai venti e qual all’onde tel une all’onde scoglio. 7. scoglio! les vagues. Di piant’e di lamento Di pianto e di lamento, De ple Gran temp’e senza speme i pasco gran tempo e senza speme, i’ pasco il longte il core core cœur Sott’il tuo giog’Amore sott’il tuo giogo, Amore, sous to Et a fuggirt’ancor son tard’è lento et a fuggirti ancor son tardo e lento, et je su Perche l’alta bellezza perché l’alta bellezza car la Ond’ho piagat’il petto ond’ho piagato il petto à laqu Si l’alma ammira & prezza sì l’alma ammira e prezza, mon â Che fass’in me sour’ogn’human che fass’in me, sovra ogn’uman qu’elle efetto efetto, L’amaro dolce & la pena diletto. humain, l’amaro dolce e la pena diletto. l’amer 465 v. 4, toutes les voix, son : Son v. 7, toutes les voix sauf Q., ammira : amira v. 8, toutes les voix sour’: Sour’ v. 8, A., Che : Cht 8. Tra bei dorati crini Tra bei dorati crini Entre Negletti ad arte cosi vago apparse negletti ad arte, così vago apparse néglig Il viuo raggio del mio chiaro Sole il vivo raggio del mio chiaro Sole, le vif r & vsciron parole et usciron parole, et sort Fra le perle e i rubini fra le perle e i rubini, entre l Si dolci che di subito il cor arse sì dolci, che di subito il cor arse, si dou Di si soau’ardore di sì soave ardore d’une Ch’ardendo godo & ne ringratio ch’ardendo godo e ne ringrazio qu’en amore. amore. v. 5, toutes les voix, Fra : fra v. 6, toutes les voix, subito : Subito v. 7, toutes les voix, soau’ : Soau’ 466 9. Quando Madonna il guardo Quando Madonna il guardo Alors Ver me pietoso moue ver’ me pietoso move, apitoy Si dolce e ’l foco ond’ardo sì dolce è ’l foco ond’ardo, le feu Che non inuidio il ciel al Sommo che non invidio il ciel al sommo que je Gioue Giove; et cett Et questo stato mio e questo stato mio, bien q Ancor che di poc’hore ancor che di poc’ore, pourra Auanza d’ogn’amant’ogni desio avanza d’ogn’amante ogni desio. Mais q Hor che saria s’Amore Or che saria s’Amore m’en c Me n’affidasse per piu tempo il Me n’affidasse per più tempo il core? core. v. 8, T., che : cche 10. Prendi Signor vendetta Prendi, Signor, vendetta Venge Di quest’empia è superba di quest’empia e superba de cett Che tutt’odia & disprezza che tutt’odia e disprezza, qui ha & sol se mira & prezza e sol sé mira e prezza, et ne s Questa che legge & fede vnque questa che legge e fede unque non celle-l non serba serba! Ah, < Ahi che dubbio del fin più ti 467 diletta Ahi, che, dubbio del fin, più ti diletta préfères vivre plutôt viver in pace, amore, Viuer in pace amore armes ! Che con l’armi cercar d’hauerne honore. v. 7, toutes les voix, Viver : viuer v. 5, A., Q., vnque : vnqua 468 che con l’armi cercar d’averne onore? 11. Torquato Mentre mia stella miri Mentre, mia stella, miri Alo Tasso I bei celesti giri i bei celesti giri, les Il ciel esser vorrei il ciel esser vorrei, je v Perche tu riuolgessi perché tu rivolgessi pou Fiso ne’ lumi miei fiso ne’ lumi miei fix Le tue dolci fauille le tue dolci faville, tes Io vagheggiar potessi io vagheggiar potessi et q Mille bellezze tue con occhi mille bellezze tue con occhi mille. tes Le Ninfe del mar d’Adria in sin’al Le mille. v. 5, toutes les voix, Fiso : fiso 12. Le Ninfe del mar d’Adria in sin’al petto A cosi dolce suon s’alzan da l’onda la poitrine petto, a così dolce suon, s’alzan da àu l’onda, et, & volt’il viso alla propinqua sponda e volto il viso alla propinqua elle sponda, Con tali note aprir questo concetto Città felice al cui diuin’aspetto con tali note aprir questo concetto: « Città «V fai felice, al cui divino aspetto, Chiaro si scorge che d’eccelse 469 le b chiaro si scorge che d’eccelse e & rare qu rare s’in Alme sei nido tale alme sei nido tale, Ch’a le tue riue chiare ch’a le tue rive chiare S’inchina ogni mortale. s’inchina ogni mortale! » v. 2, C., T., onda : onde 470 13. Io son di neue al Sol di cera al Io son di neve al Sol, di cera al foco, Je suis che et si l’ foco se l’un mi disfa, l’altro Che se l’un mi disfa l’altro m’accende, je vais m’accende onde vo consumando a poco a poco, car Am Onde vo consumando a poco à ch’armor in fredde e calde umor mi poco Si toi rende. temps, ni le m Ch’amor in fredd’e cald’humor Se tu, ben mio, non mi dai tempo e mi rende de gué loco Se tu ben mio non mi dai temp’è saldar la piaga ond’il mio duol loco depende, pour c tu perd Saldar la piag’ond’il mio duol per sì gravosa pena et infinita depende tu perderai l’amante et io la vita. Per si grauosa pena & infinita Tu perderai l’amante & io la vita. v. 2, A, T, Q. : acende puis accende v. 4, C., Ch’amor : Ch’mor 14. Al fiammegiar de lucenti begl’occhi Al fiammegiar de’ begl’occhi Au fla lucenti, que do Che dolcemente gira che dolcemente gira celle q Chi m’ha rapito il core chi m’ha rapito il core, tous re 471 Stan tutti per mirarla fiss’e intenti stan tutti per mirarla, fissi e intenti, et sa s Et tant’è ’l suo splendore e tant’è ’l suo splendore, que qu Che resta cieco ogn’un che la che resta cieco ognun che la remira. Ben pote fede à pieno Ben poté fede a pieno La foi Farui perche da me fuggend’il farvi, perché, da me fuggendo, il vous c remira. 15. core core s’en e A voi sen viene ò mio celeste foco a voi sen vien, o mio celeste foco, ciel be Dei vostri chiari Sol’il bel sereno dei vostri chiari Soli il bel sereno. Mais c Ma com’in me senza di lui ha Ma com’in me senza di lui ha loco la vie, loco la vita, il dica amore, lui pou La vita il dica amore per cui si vive in altri e ’n sé si more! en soi-même. Per cui si viue in atri e ’n se si more. v. 2, toutes les voix, Farui : farui v. 3, toutes les voix, sen : Sen v. 5, toutes les voix, senza : Senza 16. Così soaue e ’l foco et dolce il Così soave è ’l foco e dolce il nodo Si sua con che m’incendi, Amor, con che avec l nodo Con che m’incend’Amor con che mi leghi, mi leghi 472 tu me lies, Ch’arso è preso mi godo ch’arso e preso mi godo, qu’ard Nè cercherò giamai s’estingu’o né cercherò giamai s’estingua o et ne sleghi, sleghi dénouer, Anzi desio che sempre anzi desio che sempre au con Si strugg’il cor in si soaui tempre. si strugga il cor in sì soavi tempre. mon c 473 17. Chiara fontana intorno Chiara fontana intorno Un Al bel seggio d’Amore al bel seggio d’Amore du Mormorando sorgea da vn lato mormorando sorgea da un lato en fore, fore d’u in guisa tal ch’adorno In guisa tal ch’adorno le Lagrimò ’l ciel bagnoss’in terra lagrimò ’l ciel, bagnoss’in terra poi mo poi l’ardente foco mio, bie L’ardente foco mio anzi lascionne un sempiterno Anzi lascionne vn sempiterno oblio. oblio. v. 3, toutes les voix, sorgea : Sorgea v. 6, A., Lagrimò : Lahimò v. 6, B., bagnoss’ : bagnos’in 18. Torquato Questa vostra pietate Questa vostra pietate Vo Tasso Non refrigerio al core non refrigerio al core, ne Ma giunge esca a l’ardore ma giunge esca a l’ardore: ma Dunque d’esser pietos’homai dunque cessate d’esser pietosa omai ce cessate d’u 474 In cosi strana guisa in così strana guisa qu Che ne sia l’alma vccisa che ne sia l’alma uccisa: ca Perch’ella vi desia perch’ella vi desia ou O in estremo crudel o in tutto o in estremo crudel o in tutto pia. pitié. pia. v. 3, Rime, giunge esca : da forza v. 4, Q., cessate : cessatu 19. Quando l’amante parte Quando l’amante parte Qu Da l’vnico suo bene da l’unico suo bene, de Di se la miglior parte di sé la miglior parte la Lassa portando sol seco la spene lassa, portando sol seco la spene il Del subito ritorno del subito ritorno. l’espoir du Ma se troppo soggiorno Ma se troppo soggiorno Fa lontano da lui dura partita fa lontano da lui dura partita, Con la speranza perd’ancor la con la speranza perde ancor la vita. M loi douloureu vita. av v. 7, toutes les voix, Fa : fa 475 20. 21. Non può l’alma sforzarsi Non può l’alma sforzarsi L’âme Se voi la possedete se voi la possedete, si vou Dunque di che temete dunque di che temete? que cr Ardo qual già prim’arsi Ardo qual già prima arsi, Je brû Nè può dal vostr’amore né può dal vostr’amore et <au Distormi qual si sia forz’o timore. distormi, qual si sia forza o timore. <ne pe Quando dal mio bel Sole Quando dal mio bel Sole Quand M’è forza di partire m’è forza di partire, il me f Si m’assale il martire sì m’assale il martire, le mar Ch’il cor ne langue & manca à ch’il cor ne langue e manca a poco a que m poco à poco poco; Mais i Ma pur auien che l’alma si ma pur avien che l’alma si console puis q console poi ch’il duol frena e stringe a darli force à laisser Poi ch’il duol frena & stringe à loco au reto darli loco di ritornar la spene et cell Di ritornar la spene e questa sol in vita mi mantiene. Et questa sol in vita mi mantiene. 476 Secondo libro de madrigali a sei voci (Venezia, Gardano, 1589) 1. Torquato Come si m’accendete Come sì m’accendete, Co Tasso Se tutto ghiaccio sete se tutto ghiaccio sete? si v E al foco che mi date E al foco che mi date, Et Voi ghiaccio come voi non voi dileguate ghiaccio, come voi vou non pas ? dileguate? Anz’a sue fiamme ahi lasso Anzi a sue fiamme, ahi lasso, Au Di ghiaccio diuentat’un duro di ghiaccio diventate un duro de sasso sasso. Ôm O miracol d’Amor fuor di O miracol d’Amor fuor di natura, qu' natura che un ghiaccio altri arda, et egli au feu. Ch’un ghiaccio altr’arda & egli al foco indura. al foco indura. 2. Chi vol veder vn sole Chi vol veder un sole Qu In negro vel’auolto in negro velo avolto, env Miri la donna mia che ’l cor miri la donna mia che ’l cor m’ha mir m’hà tolto tolto, et q Che s’à l’habito altrui mostra che s’a l’abito altrui mostra douleur, 477 dolore ad dolore, ses beaux Nel vis’hà gioia & ne amore. begl’occhi amore. 3. nel viso ha gioia e nei begl’occhi i Prima parte Prima parte Pre In quei bei crini d’oro In quei bei crini d’oro Da C’hauea la mia nemica al vento ch’avea la mia nemica al vento qu' sparsi, sparsi rap ratto volò ’l mio core, Ratto volò ’l mio core Et fè qual vag’augel et verd’alloro ramo. 478 e fé qual vago augel fra verde verts laurie fra alloro, qui Che brama di celarsi che brama di celarsi Et scherzando sen và di ram’in e scherzando sen va di ramo in et v ramo. 4. Seconda parte Seconda parte De Et hor se ben il chiamo Et or se ben il chiamo, Et Tornar non cura & di me tornar non cura e di me ride il n rid’amore amore. ma Ma tempr’il mio dolore Ma tempra il mio dolore qu Che se n’auien che senza lui mi muoia che se n’avien che senza lui mi il v muoia, joie. Viurà nel nuou’albergo in dolce gioia. gioia. 5. vivrà nel nuovo albergo in dolce Torquato Amatemi ben mio Amatemi, ben mio, Aim Tasso Perche sdeg’il mio core perché sdegna il mio core car Ogn’altro cibo & viue sol ogni d’Amore altro cibo e vive un sol d’Amour. d’Amore. V’amerò se m’amate V’amerò, se m’amate, Je Ne men de la mia vita né men de la mia vita pas L’amor fia lungo e fia con lui l’amor fia lungo e fia con lui l’a finita finita. lui. Ma s’amarmi negate Ma s’amarmi negate, Ma Morirò disperato morirò disperato je m 479 Per non amarui non essendo per non amarvi, non essendo pou Pur che la dolce vista Pur che la dolce vista, Ta Amor non mi si toglia Amor, non mi si toglia, Am Aprasi il petto e alle saette al aprasi il petto e alle saette al foco, qu amato. amato. 6. foco au feu, ch’escono da begl’occhi egli dia Ch’escono da begl’occh’egli loco, qu place, dia loco che se d’acerba doglia Che se d’acerba doglia car spesso la gioia è mista, Spesso la gioia è mista sou mi rende pago e lieto un guardo Mi rende pago et lieto vn solo un guardo solo ch’ad or ad or n’involo. Ch’ad hor ad hor n’inuolo. 480 <m 7. Pallidette viole Pallidette viole, Pâ Che del mio viuo sole che del mio vivo sole qu Con tanta leggiadria le gote con tanta leggiadria le gote ornate, les così volesse Amore si ch’io baciar vi potessi a tutte qu ornate Cosi voless’Amore Ch’io baciar vi potessi à tutte l’ore! l’hore ca Come voi di vaghezza e di beltate Come voi di vaghezza e di beltate tou ogni famoso fiore et Ogni famoso fiore e le rose avanzate! Et le rose auanzate. 8. Per diuina bellezza indarno Francesco Per divina bellezza indarno mira En chi gl’occhi di costei giamai non qu mira Petrarca Chi gl’occhi di costei giamai vide alo non vide come soavemente ella gli gira; Come soauemente ella gli gira et non sa come Amor sana, e come qu Non sa com’Amor sana & ancide, soupirs, com’ancide chi non sa come dolce ella sospira, Chi non sa come dolc’ella 481 sospira E come dolce parla & dolce ride. v. 2 giamai : Giamai 482 e come dolce parla, e dolce ride. la v. 2, Canzoniere, di : de Cha 9. Battista Occhi miei che vedeste Occhi miei che vedeste Ôm Guarini Il bel idolo vostro in pred’altrui il bel idolo vostro in preda altrui, vot Come come vedendo ciò non vi ciò non vi com vous pas ? chiudeste? chiudeste E tu alma che viui sempr’in lui E tu, alma che vivi sempre in lui, Et t Com’à pensarlo solo come a pensarlo solo com Non ten fuggisti à volo non ten fuggisti a volo? ne t Lasso posso ben dire Lasso, posso ben dire Hél Che ’l souerchio dolor non fa che ’l soverchio dolor non fa qu'u Prima parte Pre morire. morire. 10. vedendo Pietro Prima parte Bembo La mia La leggiadr’e candid’angioletta mia leggiadra e candida Mo angioletta, cha Cantand’à par de cantando a par de le Sirene le Siren’antiche Con altre d’honestate e preggio amiche ave antiche, con altre d’onestate e preggio petites herb amiche Seders’à l’ombra in grembo de l’herbetta <je sedersi a l’ombra in grembo de tou dans le cie l’erbetta 483 Vidd’io pien di spauento quel tan perch'esser mi parea pur su nel ava cielo, Tal di dolcezza velo Auolt’hauea vidd’io pien di spavento: tal di dolcezza velo pont’à gl’occhi miei. avolto avea quel ponto agli occhi miei. v. 3, Gli Asolani e le rime, onestate e preggio : onestade e pregio v. 5, Gli Asolani e le rime, vidd’io : vid’io v. 6 : vers manquant dans la voix d’A. v. 8, Gli Asolani e le rime, ponto : punto 484 11. Pietro Seconda parte Seconda parte De Bembo Et già diceu’io meco ò stelle ò E già dicev’io meco: o stelle, o Et ô dieux, dei, Dei O soaue concento o soave concento! ôd Quand’io m’accorsi Quand’io m’accorsi ch'ell'eran Qu demoiselle donzelle, Amor io non mi pento D’esser ferito de la tua saetta S’un tuo si picciol ben tanto diletta. liete, secure e belle. heu Amor, io non mi pento Am d’esser ferito de la tua saetta, d'a s’un tuo sì picciol ben tanto si u diletta. v. 4, Gli Asolani e le rime, io : i’ v. 4-5 : partie manquante dans la voix d’A. 12. Torquato Stauasi il mio bel sole al sol assiso Stavasi il mio bel sole al sol Mo assiso, Tasso lui che pari altri non trova. Che par’altri non trova Dé Sciolto il biondo crin d’or del Sciolt’il biondo crin d’or del Paradiso Si specchiaua nel viso del mio sole se Paradiso si specchiava nel viso del mio sole, 485 et d sole. 486 Et in quel Specchio e ’n quello e in quel specchio e ’n quello il s Si riuedea si bello si rivedea sì bello qu Ch’al mio sole parea d’esser il ch’al mio sole parea d’esser il sole. 13. Torquato Al tuo vago pallore Al tuo vago pallore À Tasso La rosa il pregio cede la rosa il pregio cede, la Che per lo scorno hor piu che per lo scorno or più arrossir et, arrossir si vede encore plu si vede. Quest’è ’l color ch’amore Quest’è ’l color ch’amore Ce Di sua man ting’et segna di sua man tinge e segna, de Ne né vanno i suoi guerrier sotto et vann’i suoi guerrier sott’altr’insegna emblème. altra insegna. Che piu l’alba homai sdegna Che più? L’alba omai sdegna Qu L’ostro e ’nuaghisce il ciel di l'ostro e ’nvaghisce il ciel di tue le tue viole viole et 14. E teco brama impallidirs’il sole. e teco brama impallidirsi il sole. Torquato Già fu mia dolce speme Già fu mia dolce speme Au Tasso Assai debile e lenta assai debile e lenta, trè Hor cresce si ch’ella piacer or cresce sì ch’ella piacer diventa. ma plaisir. diuenta Ma, perch’io speri insieme M Ma perch’io sper’insieme e insieme abbia diletto, et E’insiem’habbia diletto mai non adempie Amor ogni Mai non ademp’Amor ognì mio 487 affetto Am difetto; ma e sempre il mio piacere Et sempr’il mio piacere plaisir temprando va, perché maggior lo Temprando và perche maggior lo spere. afi spere. v. 8, Rime, perché : perché io 15. Prima parte Prima parte Pr Luci vagh’e serene Luci vaghe e serene, Ye In quel ponto ch’al cor à mill’à in quel ponto ch’al cor, a mille a àl mille, mille spene. 488 arr Giunser vostre fauille giunser vostre faville, S’accese in me ’l desir cadde la s’accese in me ’l desir, cadde la disparut. s’a spene. 16. 17. Seconda parte Seconda parte De Amor di speme priuo Amor di speme privo Ce Deuria nato morire devria nato morire, dev Ma in me si fa piu viuo ma in me si fa più vivo, ma Tanto poter hauete tanto poter avete, tan Luci beate e liete. luci beate e liete. yeu All’hor ch’à bei coralli Allor ch’a bei coralli Alo E alle vermiglie rose e alle vermiglie rose et a S’unir insieme queste labr’ardenti s’unir insieme queste labra s’u ardenti, ôd O dolcezz’amorose o dolcezze amorose qui Ch’all’hor fosti presenti ch’allor fosti presenti, Ah Deh perch’in tal gioire deh, perch’in tal gioire ave Con voi mia vita non potei con voi mia vita non potei finire? Pietro Prima parte Prima parte Pre Bembo Son questi quei begl’occhi in Son questi quei begli occhi, in cui Ce finire. 18. 489 mirando cui mirando Senza difesa far perdei me senza difesa far perdei me stesso? stesso en regarda san même ? E questo quel bel ciglio, a cui sì E questo quel bel ciglio à cui si spesso Ce souvent, spesso invan del mio languir mercè In van del mio languir merce dimando? je langueur ? dimando. Son queste quelle chiome, che Son queste quelle chiome che legando C’e legando vanno il mio cor, sì ch’ei ne more Vann’il mio cor O volto espresso? che mi stai nell’alm’impresso Perch’io O volto, che mi stai nell’alma impresso, viua di me suffoqué ? Ôv pou perché io viva di me sempre in moi-même mai sempr’in bando. mo bando? v. 7, Gli Asolani e le rime, nell’ : ne l’ 19. Pietro Seconda parte Bembo Parmi veder ne la tua Seconda parte De Parmi veder ne la tua fronte amore Il m tener suo maggior seggio, e d’una ten front’amore Tener suo maggior seggio e parte se d’una parte volar speme, piacer, tema e douleur ; Volar speme piacer 490 dolore; Da l’altra quasi stell’in ciel éparses, consparte, consparte de da l’altra, quasi stelle in ciel quinci e quindi apparir senno, Quinci e quind’apparir senno ici valore, valore bea Bellezza leggiadria bellezza, leggiadria, natura et arte. natur’& arte. 20. S’inuidia no ’l consente S’invidia no ’l consente, Si Hor com’il fer le stelle or com’il fer le stelle alo Formar qua giù cose di lor piu formar qua giù cose di lor più à f belle qu’elles ? belle? Credo che fur s’intente A la grand’opra al dilettos’affanno Credo che fur s’intente Je a la grand’opra, al dilettoso au affanno, qu che non s’accorser del lor proprio dommages Che non s’accorser del lor proprio danno. 21 Lisabetta danno. Or nel candido seno Or nel candido seno Tan Bianco ligustro hor vermiglietta bianco ligustro, or vermiglietta un Aiutami Cristo rosa rosa Tra le vermiglie labra portar vermeilles à tra le vermiglie labra portar suole suole porter 491 La mia Ninfa amorosa la mia Ninfa amorosa, ma Non per crescer à se freggi et non per crescer a sé freggi et onori non honori distinction che non ponn’illustrar le stelle il Che non ponn’illustrar le stell’il sole, don étoiles sole ma perch’il mondo veda ma Ma perch’il mondo vede ogni vago color s’inchina e ceda. Ogni vago color s’inchina & tou v. 8, veda : vede ceda. céder. v. 2 : vermiglieta puis vermiglietta Terzo libro de madrigali a cinque voci (Ferrara, Baldini, 1597) 1. Sparge la bell’Aurora Sparge la bella Aurora Le bel Dal lucid’Oriente dal lucido Oriente depuis La sua fronte di ros’espunta fuora la sua fronte di rosa e spunta fuora; son fro Gia salutar si sente già salutar si sente déjà o Da vagh’augell’il giorno da vaghi augelli il giorno, par les Che s’apr’a noi di chiari raggi che s’apre a noi di chiari raggi qui s’o adorno adorno. Chant Cantiã noi pur, e i lor dolci 492 Cantiam noi pur, e i lor dolci concenti suivan concenti monts ! Seguendo e ’n alti accenti seguendo, e ’n alti accenti Facciamo risonar le valli è i facciamo risonar le valli e i monti! monti. v. 3, Q., fuora : e fuora v. 5, C., T. : vagh’ puis vagg’ v. 7, B., e i lor : i lor ; B., concenti : contenti v. 9, toutes les voix, Facciamo : facciamo 2. Hor che ridente e bella Or che ridente e belle, Alors Di liete herbett’adorna di liete erbette adorna ornées E di purpurei fiori e di purpurei fiori, et de f spira ogni piaggia intorno arabi toutes Spir’ogni piagg’intorno arab’odori d’orientales o odori, La vaga rondinella la vaga rondinella l’hiron Garrend’al nido torna garrendo al nido torna retour E Filomena altern’i suoi dolori. e Filomena alterna i suoi dolori. et Phil 493 3. Maffío Vscia da i monti fuora Uscia dai monti fuora Il Vn cristallino gielo un cristallino gielo u E la nascent’Aurora e la nascente Aurora, et Vestia di perl’il Cielo vestia di perle il Cielo, re Quand’Aminta gentil con dolci quand’Aminta genti con dolci qu Venier spirti soupirs, spirti Facea pianger d’Amor le quercie e i mirti. fa facea pianger d’Amor le quercie e myrtes. i mirti. v. 5, Rime piacevoli, quand’Aminta genti con dolci v. 6, toutes les voix, Facea : facea spirti : quando con dolci spirti 4. lati. Il matutino vento Il matutino vento L Tremolar fa le fronde tremolar fa le fronde, fa E i fium’onde d’argento e i fiumi onde d’argento et Mandar alle lor sponde mandar alle lor sponde, en E i verdeggianti prati e i verdeggianti prati et Dolcement’ondeggiar da tutti i dolcemente ondeggiar da tutti i d lati. Rime piacevoli : Al matutino vento/ tremolavan le frondi/il fiume onde d’argento/mandava a la lor sponde/e si vedeano i pratti/dolcemente ondeggiar da tutti i lati. 494 5. Battista Prima parte Prima parte P Guarini Al subito apparir del primo Al subito apparir del primo raggio À che spunti in Oriente, qu Rosa gentil si desta e si risente la raggio Che spunti in Oriente elle, Rosa gentil si desta e si risente e scopre al sol, che la vagheggia e et E scopr’al sol che la vagheggia e mira mire, mira il suo vermiglio et odorato seno Il suo vermiglio, & odorato seno où Dou’Ape sussurando nei matutini albori d Ne i matutin’albori Vola suggendo so dov’Ape, sussurando, vola suggendo i rugiadosi umori. i rugiados’humori. v v. 3, Pastor fido : si desta e si risente (le sujet de la phrase, Rosa gentil, est tiré du vers 858, soit quelques vers avant le début du madrigal) v. 3, toutes les voix, si : Si v. 8, C., T. Q., rugiados’ : ruggiados’ 6. Battista Seconda parte Seconda parte D Guarini E s’alhor non si coglie E s’alor non si coglie, E Si che del mezzo di senta le sì che del mezzodì senta le d midi, fiamme, fiamme Cad’al cader del Sole cade al cader del Sole Si scolorit’in su la siep’ombrosa sì scolorita in su el la siepe si ombrosa, qu Ch’appena si può dir questa fu 495 ch’appena si può dir: «Questa fu rose. » rosa. rosa.» v. 5, C., B. : a pena alterne avec appena ; A., Q. : a pena 7. v. 1, Pastor fido, E s’alor : Ma s’alhor Il vezzoso Narciso Il vezzoso Narciso, L Per la sua crudeltate in varie per la sua crudeltate in varie en tempre, tempre vé visse in se stesso e per se stesso même. Viss’in se stesso e per se stesso sempre. sempre M Io, sconsolato Alessi, Io sconsolat’Alessi en fra verdi allori e pallidi cipressi, Fra verd’allori e pallidi cipressi je vivo, mercè d’Amore, Viuo mercè d’Amore n non in me, ma in fiore e per un fleur. Non in me ma in vn fiore e per vn fiore. fiore. v. 4, T., sconsolat’ : scohsolat’ v. 7, toutes les voix, Non : non 8. Filippo Prima parte Prima parte P Di questi fior’ond’io Di questi fiori ond’io D Hò pien’il gremb’e ’l seno Iride ho pieno il grembo e ’ seno, Iride m Alberti bella, bella 496 et E che lungo quel rio e che lungo quel rio Colsi per te da questa pianta e colsi per te da questa pianta e j’ quella 9. Filippo p quella, d Smalta il finissim’oro smalta il finissimo oro De le tue chiom’illustri. de le tue chiome illustri! Seconda parte Seconda parte D Sian le rose i rubini perle i Sian le rose rubini, perle i Q Alberti ligustri troènes, d lugustri E con gentil lauoro e con gentil lavoro, et Al soaue spirar d’aura beata al soave spirar d’aura beata, au fanne ricca ghirlanda et odorata. fa Fanne ricca ghirlanda & odorata. v. 1 : est reportée ici la leçon des Rime piacevoli, v. 4, toutes les voix, Fanne : fanne 10. Cristoforo car la variante musiquée par Macque (Sian le rose i rubini) n’a pas de sens. Corron d’argent’i fiumi Corron d’argento i fiumi, L Zefiro dolce e grato Zefiro dolce e grato Z Spira soaue fiato spira soave fiato, so Desta le verd’herbett’e i fior desta le verdi erbette e i fior et Castelletti nouelli fleurs no novelli. Cantat’o vagh’augelli Cantate, o vaghi augelli, C Poi c’hogg’Amor in gioia e ’n poich’oggi Amor in gioia e ’n riso ca riso gira et en joie gira 497 Il longo pianto e l’ira. il longo pianto e l’ira! v. 4, B., Q. : novelli puis nonelli v. 1, L’Amarilli pastorale, Corran : Corron v. 6, L’Amarilli pastorale, ’n riso : in pace v. 7, L’Amarilli pastorale, longo : lungo 498 le 11. Quel rossignol che plora Quel rossignol che plora Ce Si dolcemente e tra le verdi sì dolcemente, e tra le verdi si fronde fronde se Scompagnato s’asconde scompagnato s’asconde, m Hor che fuggendo il Sole or che, fuggendo il Sole, la L’oscura nott’il mondo l’oscura notte il mondo discolora, s’i discolora s’avesse le parole, il S’hauesse le parole diria: «Piango i miei danni, m Diria piango i miei danni le mie fiere fortune e i lunghi Le mie fiere fortune e i affanni.» lungh’affanni. 12. Battista Non son non son questi sospir’ardenti Non son, non son questi sospiri No ardenti Guarini au Refrigerio del core refrigerio del core; m Ma son più tost’impetuosi venti ma son più tosto impetuosi venti Che spiran ne l’incendio e ’l che spiran ne l’incendio e ’fan fan maggiore maggiore Con turbini d’Amore Ch’apportan sempr’a impétueux qu croître con turbini d’Amore, av ch’apportan sempre a miserelli qu 499 amanti miserell’amanti Foschi nembi di duol pioggie di pianti. amants foschi nembi di duol, pioggie di de pluies de pianti. v. 1, Pastor fido : Non son, come a te pare v. 7, toutes les voix, Foschi : foschi v. 7, Pastor fido, pioggie : piogge 13. La Francesco mort’è fin La morte è fin d’una prigione d’vna prigion’oscura La d’une pris oscura Petrarca pour les a A gl’animi gentili a gl’altr’è agl'animi gentili; agl’altri è noia, la fange te noia ch’hanno posto nel fango ogni lor Ch’hanno posto nel fango ogni cura. tant, te c lor cura sentir la m Et ora il morir mio, che sì Et hor’il morir mio che si t’annoia, t’annoia ti farebbe allegrar se tu sentissi Ti farebb’allegrar se tu sentissi la millesima parte di mia gioia. La millesima parte di mia gioia. v. 1, Trionfi, prigione : pregione v. 2, Trionfi, agl’animi gentili ; alg’altri : a l’anime gentili; a l’altre 500 Et Les 14. Prima parte Prima parte Premi A l’apparir de la nouell’Aurora A l’apparir de la novella Aurora, À l’ap Che di vermiglie rose e vaghi fiori che di vermiglie rose e vaghi fiori qui de Contest’ha contesto ha ’l crin e tutt’il mondo a la ch ’l crin’e tutt’il indora, mond’indora on ent S’odon’al suon de’ liquidi ruscelli s’odono al suon de’ liquidi ruscelli, Cantand’a cantando a schiera, rinovar gl’amori schiera une nu rinouar <renou gl’amori i vezzosetti augelli. I vezzosett’augelli. 15. Seconda parte Seconda parte Deuxi Ogni piant’ogni fera si sent’il Ogni pianta, ogni fera, si sente il Toute petto petto rempli Ripieno d’amoroso e dolce affetto ripieno d’amoroso e dolce affetto; Mais Ma lasso a me la bell’e chiara Ma, lasso, a me la bella e chiara luce moi, luce raddoppia il pianto e a sospirar redoub Raddoppia il pianto e a sospirar m’induce. m’induce. 16. Al mormorar de l’onde Al mormorar de l’onde Au mu 501 De limpidi ruscelli de' limpidi ruscelli, de ruis S’odon soaue tremolar le fronde s’odon soave tremolar le fronde on ent Che dolc’aura percote, che dolce aura percote, que la E i vezzosett’augelli e i vezzosetti augelli et les g Temprar si dolci note, temprar sì dolci note, forme Che ben ferin’e ’l core che ben ferino è ’l core que le se non destano in lui spirto d’Amore. s’ils n Prima parte Prima parte Premi Ami chi vuol’amare Ami chi vuol amare, Aime Beltà che fa penare beltà che fa penare, beauté Ch’a me distrugge dolcement’il ch’a me distrugge dolcemente il car mo Se non destan’in lui spirto d’Amore. 17. core, core beauté Beltà celeste e non mi da dolore. 502 beltà celeste, e non mi dà dolore! 18. Seconda parte Seconda parte Deu La bellezza superna La bellezza superna La Spira letitia eterna spira letizia eterna, insp e di quest’è più dolce l’amarezza, et l che di quell’altra ogni maggior que E di quest’e più dolce l’amarezza Che di quell'altra ogni maggior dolcezza. dolcezza 19. Il ver’Amor’e viuo De l’alm’è l’alma poich’ogn’altr’oggetto Il vero Amore e vivo Le de l’alma è l’alma, poich’ogni de l altro oggetto, étan d’amar essendo privo, D’amar essendo priuo est Degno non è de degno non è de l’amoroso affetto. L’â l’amoros’affetto L’anima, perché sola è riamante, retour, L’anima perche sola è riamante sol’è Sol’e degna d’amor degna d’amor, degna seu degna d’amante. d’amante. 20. Francesco Prima parte Prima parte Pre Petrarca I vò piangendo i miei passati I’ vo piangendo i miei passati Je v tempi tempi 503 I quai pos’in amar cosa mortale i quai posi in amar cosa mortale, que Senza leuarm’a volo hauend’io senza levarmi a volo, avend’io san l’ale ailes, l’ale, Per dar forse di me non bass’essempi essempi. Tu che vedi i miei mali indegn’& empi Re exemple. Tu che vedi i miei mali indegni et Ciel’inuisibil’è immortale Toi impies, empi, del pou per far forse di me non bassi Re del Cielo invisibile e Roi immortale, sec Soccorr’a l’alma disuiata e frale soccorri a l’alma disviata e frale, et c E i suoi difetti di tua gratia adempi. e i suoi difetti di tua grazia adempi. v. 4, T., Forsi : forsi Chan v. 3, Canzoniere, avend’io : abbiend’io v. 4, Canzoniere, essepi : exempi v. 6, Canzoniere, e immortale : immortale v. 8, Canzoniere, e i suoi difetti : e ’l suo defecto 21 Francesco Seconda parte Seconda parte Deu Petrarca Si che s’io viss’in guerra & in Sì che, s’io vissi in guerra et in pou tempesta tempesta je m Mora in pace & in porto e se la stanza 504 mora in pace et in porto; e se la stanza fut Fu vana almen sia la partit’honesta fu vana, almen sia la partita départ. onesta. Pou A quel poco di viuer che m’auanza A quel poco di viver che et m’avanza secourir : Et al morir degn’esser tua man presta et al morir, degni esser tua man Tu presta: espérance. Tu sai ben ch’in altrui non ho speranza v. 2, toutes les voix, e : E tu sai ben ch’in altrui non ho Chan speranza. v. 6, Canzoniere, ch’in : che ’n v. 3, toutes les voix, fu : Fu 505 Musique Il secondo libro de madrigali a cinque voci (Venezia, Vincenti, 1587) I. Fuggendo il troppo lume 71 II. Posso, cor mio, partire 75 III. Felice mio ritorno 78 IV. Gelo ha Madonna il seno 82 V. Quel ben ch’aura pietosa 86 VI. Dolci sdegni e dolci ire 90 VII. Di pianto e di lamento 94 VIII. Tra bei dorati crini 99 IX. Quando Madonna il guardo 102 X. Prendi, Signor, vendetta 107 XI. Mentre, mia stella, miri 111 XII. Le Ninfe del mar d’Adria 116 XIII. Io son di neve al Sol 121 XIV. Al fiammegiar de’ begl’occhi lucenti 126 XV. Ben poté fede a pieno 130 XVI. Così soave è ‘l foco 134 XVII. Chiara fontana intorno 138 XVIII. Questa vostra pietate 142 XIX. Quando l’amante parte 145 XX. Non può l’alma forzarsi 149 XXI. Quando dal mio bel Sole 152 Il terzo libro de madrigali a cinque voci (Ferrara, Baldini, 1597) 506 I. Sparge la bella Aurora 161 II. Or che ridente e bella 165 III. Uscia dai monti fuora 168 IV. Il matutino vento 171 V. Al subito apparir del primo raggio (prima parte) 174 VI. E s’alor non si coglie (seconda parte) 177 VII. Il vezzoso Narciso 180 VIII. Di questi fiori ond’io (prima parte) 183 IX. Sian le rose rubini (seconda parte) 186 X. Corron d’argento i fiumi 189 XI. Quel rossignol che plora 192 XII. Non son, non son questi sospiri ardenti 195 XIII. La morte è fin d’una prigione oscura 198 XIV. A l’apparir de la novella Aurora (prima parte) 202 XV. Ogni pianta, ogni fera, si sente il petto (seconda 205 XVI. Al mormorar de l’onde 208 XVII. Ami chi vuol’amare (prima parte) 212 XVIII. La bellezza superna (seconda parte) 215 XIX. Il vero Amore e vivo 218 XX. I’ vo piangendo i miei passati tempi (prima parte) 221 XXI. Sì che, s’io vissi in guerra et in tempesta (seconda 225 parte) parte) Pièces adjointes Giovanni de Macque, Madrigaletti et napolitane Mai non vo’ pianger più come solea (MN1, n. 1) 233 Vorria saper da voi (MN1, n. 12) 238 507 Cercai fuggire Amore (MN1, n. 18) 244 Bacciami vita mia (MN2, n. 6) 248 Vorrei nel chiaro lume (MN2, n. 9) 252 Quando sorge l’aurora (MN2, n. 14) 256 Tre graziosi amanti (MN2, n. 21) 260 Giovanni de Macque, Primo libro de madrigali a quattro voci Quando sorge l’aurora (I.4, n. 7) 267 O fammi, Amor, gioire (I.4, n. 14) 271 Chi prima il cor mi tolse (I.4, n. 21) 274 Giovanni Croce, Primo libro delle Canzonette a tre voci Tu ridi sempre mai 276 Rinaldo del Mel, Secondo libro delli madrigaletti a tre voci Tre graziosi amanti 277 Pietro Vinci, Quarto libro de madrigali a cinque voci Mentre, mia stella, miri 508 282 509 510 511 512 513 514 515 516 517 518 519 520 521 522 523 524 525 526 527 528 529 530 531 532 533 534 535 536 537 538 539 540 541 542 543 544 545 546 547 548 549 550 551 552 553 554 555 556 557 558 559 560 561 562 563 564 Appareils critiques Secondo libro de madrigali a cinque voci I. Fuggendo il troppo lume Basso : le signe de tactus est •. III. Felice mio ritorno Canto : le signe de tactus est •. IV. Gelo ha Madonna il seno Basso : le signe de tactus est •. V. Quel ben ch’aura pietosa Alto, brèves 20-25 : les syllabes ne sont pas placées correctement. Alto, brèves 23-24 : le la minime n’est pas pointé. VI. Dolci sdegni e dolce ire Basso, brève 5 : le ré semi-brève est pointé. Basso, brève 17 : erreur de texte, & penetrarm’il core au lieu de E di darmi martire. VII. Di pianto e di lamento Canto, brève 26 : ligature cum opposita proprietate. VIII. Tra bei dorati crini Tenore, brève 5 : le ré est un mi. 565 IX. Quando Madonna il guardo Tenore, brève 2 : le troisième la est une minime. Tenore, brève 28 : le do semi-minime n’est pas pointé. XI. Mentre, mia stella, miri Canto, brève 11 : le fa fuse est une semi-minime. Tenore, brève 22 : le premier sol dièse est une semi-minime. Alto, brève 30 : silence de minime superflu après le silence de semi-brève. Tenore, brèves 32-33 : la dernière note est une longue. XII. Le Ninfe del mar d’Adria Quinto, brève 17 : le ré minime est pointé. XIII. Io son di neve al Sol Quinto, brèves 32-33 : la dernière note est une longue. Basso, brèves 31-32 : la dernière note est précédée d’un ré breve au lieu d’un ré longue. XV. Ben pote fede a pieno Canto, brève 10 : le la minime n’est pas pointé. Quinto, brève 13 : le fa semi-minime est pointé. Brèves 26-27 : toutes les parties ont un silence de brève. XVI. Così soave é ‘l foco Tenore, brèves 6-7 : ligature cum opposita proprietate. 566 Tenore, brève 13 : le premier la est un sol. XVII. Chiara fontana intorno Alto : il manque le signe de tactus. XX. Non può l’alma forzarsi Quinto, brève 24 : il manque la pause de semi-brève. XXI. Quando dal mio bel Sole Quinto, Basso : le signe de tactus est •. Tenore : il manque le signe de tactus. Alto, brèves 37-38 : ligature cum opposita proprietate terminée en minor color. Tenore, brève 21 : le sol n’est pas pointé. Terzo Libro de Madrigali a Cinque Voci I. Sparge la bella Aurora Tenore, brèves 4 : dièse (=bécard) de précaution avant le mi. IV. Or che ridente e bella Tenore, brève 4 and 12 : dièse (=bécard) de précaution avant le mi. V. Uscia dai monti fuora Canto, brève 11 : dièse (=bécard) de précaution avant le mi. XI. Sian le rose rubini Canto, brèves 2 et 8, quinto brève 24 : dièse (=bécard) de précaution avant le mi. 567 XII. Corron d’argento i fiumi Quinto, brève 15 : la brève n’est pas pointée. Quinto, brève 17 : le si est un do. XIII. Quel rossignol che plora Quinto, brève 29 : ligature cum opposita proprietate. XIV. Non son questi sospir Quinto brève 10 : dièse (=bécard) de précaution avant le si. Basso, brève 23 : dièse (=bécard) de précaution avant le si. Basso, brève 24 : dièse (=bécard) de précaution avant le si. XV. La morte è fin d’una prigione oscura Basso, brève 32 : le mi est une semi-brève pointé au lieu d’un brève pointée. XVIII. Al mormorar de l’onde Quinto, brève 20 : dièse (=bécard) de précaution avant le si. Pièces adjointes Giovanni de Macque, Madrigaletti et napolitane Cercai fuggire Amore Canto, brèves 14 et 17, Phalèse : le mi n’est pas bémol. Giovanni de Macque, Primo libro de madrigali a quattro voci 568 Quando sorge l’aurora Tenore, brève 10 : ligature cum opposita proprietate. Canto, brève 15 : dièse (=bécard) de précaution avant le mi. O fammi, Amor, gioire Basso, brève 23 : il manque le premier do. Chi prima il cor mi tolse Tenore, brève 3 : dièse (=bécard) de précaution avant le si. Rinaldo del Mel, Secondo libro delli madrigaletti a tre voci Tre graziosi amanti. Seconda parte Tenore, brèves 29-30 : ligature cum opposita proprietate terminée en minor color. Basso, brèves 29-30 : ligature cum opposita proprietate pointée. Canto, brève 32 : ligature cum opposita proprietate. Basso, brève 31-32 : ligature cum opposita proprietate terminée en minor color. Pietro Vinci, Quarto libro de madrigali a cinque voci Mentre, mia stella, miri Basso, brève 17 : Io vagheggiare potessi, au lieu de Le tue dolci faville. Brèves 17-19 et 22-23 : potesti alterne avec potessi 569 Correspondance de Macque Présentation, principes de transcription et traduction Dans les années 1570, Friedrich Lippmann retrouva à l’Archivio Caetani de Rome une quinzaine de lettres de Giovanni de Macque ainsi que deux versions de la dédicace de ses Ricercate et Canzoni francese a quattro voci (Roma, Gardano, 1586), recueil aujourd’hui disparu. Ces lettres sont adressées à Camillo Norimberga, écuyer (scalco) entre 1583/84 et 1589 de la famille Caetano, anciens protecteurs romains de Macque, et envoyées chez ces derniers avec l’indication « In casa dell’Illustrissimo Signore Honorato Caetano », ou « In casa di Monsegnor Illustrissimo Caetano » sur le verso du feuillet. Ces lettres, écrites entre le 31 janvier et le 28 avril 1589, ne représentent qu’un fragment de la correspondance entre les deux hommes. Macque y fait preuve d’une grande maîtrise de la langue toscane qui confirme sa longue expérience des cours italiennes. La graphie trahit peut-être un léger accent francophone (par sa forte tendance à négliger les doubles consonnes 745 ) mâtiné d’inflexions romaines ou méridionales (notamment par l’usage du sce pour le -ce et parfois du -r pour -rr 746 ) et, très rarement, de traces dialectales 747 . De ce mélange résultent parfois des graphies tout à fait particulières (le mot sfacciato devient par exemple dans la bouche de Macque faciato, prononcé avec un accent romain fasciato). L’aisance de Macque à l’écrit s’explique sans doute par les nombreux échanges épistolaires qu’il tenait et évoque dans ses lettres (avec Prospero Santini et son cousin d’Espagne, notamment) et confirme le fait que le compositeur arriva probablement assez jeune en Italie. La seule transcription complète de cette correspondance a été réalisée par Ruth DeFord dans son PhD sur Giovannelli 748 . Lippmann en propose de larges extraits mais laisse 745 Lorsque Macque recopie un extrait de la dédicace de Peranda dans sa lettre du 30 juillet 1586, il change par exemple eccellenza en eccelenza. 746 Par exemple, dans la graphie constante d’arivare pour arrivare. Il s’agit cependant peut-être là d’un archaïsme. 747 En particulier « pigliare basca », dans la lettre du 13 novembre 1586 (voir infra, p. 604). 748 DEFORD Ruth, Ruggiero Giovannelli and the Madrigal in Rome, op. cit., p. 277-294. 570 parfois de côté des paragraphes entiers 749 . L’écriture de Macque étant extrêmement claire et lisible, les divergences entre les deux lectures restent tout à fait marginales. Je me suis basée ici sur la transcription de Ruth DeFord, opérant cependant quelques modifications toujours indiquées en note de bas de page (lectures différentes, nouvelles suggestions pour les mots illisibles coupés par les trous du papier, encadrés ici entre crochets). Celles-ci ont été réalisées à partir des quelques lettres que j’ai pu consulter à l’Archivio Caetani (sept sur dix-sept, les autres étant malheureusement trop abîmées pour que l’archiviste accepte de me les laisser consulter, voir infra, table), et dans les autres cas à partir des extraits livrés par Lippmann, qui propose parfois une lecture légèrement différente de celle de DeFord 750 . Pour respecter les particularités de l’écriture du compositeur, j’ai opté ici pour une transcription diplomatique, modernisant l’accentuation et rationalisant légèrement la ponctuation – toutes deux placées de manière relativement aléatoire par Macque. Les abréviations ont été résolues en caractère normal (DeFord propose elle une transcription respectant fidèlement l’original, mis à part la résolution de la plupart des abréviations). Le contenu des lettres a été réorganisé en paragraphes thématiques et les parties abîmées, indiquées entre crochets. Je propose en face du texte italien une traduction en français, dont beaucoup de principes sont inspirés du travail d’Annonciade Russo sur la correspondance de Monteverdi 751 . J’ai cherché à y trouver un juste compromis entre la fluidité de lecture du texte en français et le respect des caractéristiques lexicales et syntaxiques du style de Macque. La traduction se veut cependant plus une aide à la compréhension du texte italien qu’un texte littéraire autonome. J’ai préféré en effet rester proche de la langue de départ plutôt que de favoriser la langue d’arrivée, quitte à employer des tournures qui, en français, peuvent sembler peu élégantes ou lourdes (notamment les répétitions très rapprochées de certains mots, 749 LIPPMANN Friedrich « Giovanni de Macque tra Roma e Napoli: nuovi documenti », op. cit. Afin de ne pas alourdir l’appareil de note, je n’ai indiqué que les divergences significatives entre les lectures de Lippmann et DeFord. 751 MONTEVERDI Claudio, Correspondance, préfaces, épîtres dédicatoires. Trad. Annonciade Russo. A.M.I.C.U.S. Renaissance et période préclassique, Domaine italien, vol. 3, Liège, Mardaga, 2001. 750 571 utilisées parfois de façon humoristique 752 , et les accumulations de relatives dont résultent souvent des phrases de dimensions proustiennes). L’alternance entre le lei et le « Vostra Signoria » a été rendue par un mélange de vouvoiement et de troisième personne du singulier pour les éléments de phrase voisins de la locution « Votre Seigneurie », comme cela se faisait couramment dans le français de l’époque. Les titres ont presque toujours été traduits littéralement (Signor = Sieur ou Seigneur, messer = messer, Illustrissimo = Illustrissime, etc.), sauf lorsque la langue français n’en possédait pas d’équivalent (Signora = Madame ou Dame). La table suivante donne les références de toutes les lettres à l’Archivio Caetani, et indique par une croix celles dont j’ai pu consulter l’original. Date Numéro d’archive Lettre 1 31 janvier 1586 Original consulté Archivio Caetani n. 4301 Lettre 2 7 mars 1586 Archivio Caetani x n. 49315 Lettre 3 29 mars 1586 Archivio Caetani x n. 4312 Lettre 4 7 juin 1586 Archivio Caetani x n. 4311 Lettre 5 14 juin 1586 Archivio Caetani x n. 4898 Lettre 6 28 juin 1586 Archivio Caetani x n. 4909 Lettre 7 12 juillet 1586 Archivio Caetani n. 4305 Dédicace de Macque 752 20 juin 1586 Voir notamment le premier paragraphe de la lettre 14 du 7 avril 1589. 572 Archivio Caetani x n. 69415 Lettre 8 et dédicace 30 juillet 1586 de Peranda n. 4303 Lettre 9 4 septembre 1586 Lettre 10 Archivio Caetani n. 28927 13 novembre 1586 Lettre 11 Archivio Caetani Archivio Caetani n. 28365 10 juillet 1587 x Archivio Caetani n. 128637 Lettre 12 10 octobre 1587 Archivio Caetani n. 128637 Lettre 13 2 juillet 1588 Archivio Caetani n. 28368 Lettre 14 7 avril 1589 Archivio Caetani n. 18694 Lettre 15 28 avril 1589 Archivio Caetani n. 58194 Lettre 1 : 31 janvier 1586 Molto Magnifico Signor Fratello osservandissimo Poi che Vostra Signoria m’assicura per l’amorevolissima Sua di 24 del presente che a torto havevo preso ombra de fatti suoi, et congietturando del suo scrivere che il tutto è proceduto più tosto da negligenza che da disamorevolezza alcuna, con mio grandissimo piacer ho sgombrato della mente mia un velo che offuscava al quanto il bel sereno della mia fraterna amicitia, la quale dal canto mio è et sara sempre quale è stata per il passato. Ben prego Vostra Signoria a non essere così scarsa delle sue tanto da me desiate lettere, che se pur non ha tempo di scrivermi ogni quindeci dì, almeno me scriva una volta il mese, che a dirle il vero io dubito che quel che dice di quella lettera scrittami di 2 fogli innanzi Natali, e poi un’altra dopoi le feste, sia più tosto scusa che altro poi che se una 573 fusse capitata male, gran cosa saria che l’altra havesse preso questa medesma strada, pur io voglio più tosto credere quanto mi vien detto da Vostra Signoria che metterlo in dubbio. Circa il rallegrarmi con lettere con l’Illustrissimo Cardinale nostro et col Signor Camillo suo fratello come lei mi persuade di fare, l’havrei fato s’io havesse creduto di non esserne fallato di presontione, Ma dubitandone molto, son restato di farlo, tanto più che Vostra Signoria potra farmi gratia di far questo offitio a bocca con un humilissimo baciamano da parte mia a lor Signori Illustrissimi, pur se le parera ch’io debbi farlo in ogni modo, faro quanto mi comandera. Hieri fui a disnare col Signor Roi come l’Organista del vice Re, il quale mi disse che Carnovale il castrato che già fu cantor del Papa, passò de qui li giorni a dietro per andarne in Sicilia, et che non havendomi potuto trovare, lo pregò che mi dicesse ch’io era aspettato in Spagna con gran devotione et che quelli cantori fiamenghi della capella di Sua Maiestà non volevano altro Organista di me, et che il mio salario saria stato un scudo il dì, et che a Roma era già stato scritto ch’io fusse inviato in quella corte, cosa che mi fa stravedere, essendo più di un anno et mezzo 753 ch’io non ho havuto lettere di mio cugino né nuova alcuna di questo negotio. Très Magnifique Seigneur, Frère très respecté Puisque Votre Seigneurie m’assure dans sa très aimable lettre du 24 de ce mois que j’avais tort d’avoir pris ombrage de son comportement et que vos paroles me laissent maintenant croire que tout est arrivé par négligence plutôt que par manque d’amitié, c’est avec un immense plaisir que j’ai débarrassé mon esprit d’un voile qui offusquait quelque peu le beau ciel bleu de mon amitié fraternelle, laquelle de mon côté est et sera toujours ce qu’elle a été par le passé. Je prie Votre Seigneurie de ne pas être aussi avare de ses lettres que je désire tant et, si vous n’avez pas le temps de m’écrire tous les quinze jours, écrivezmoi au moins une fois par mois car, à dire la vérité, je doute fort de ce que vous dites à propos de cette lettre de deux pages que vous m’auriez écrite avant Noël, et de cette autre datant d’après les fêtes. J’y vois plus une excuse qu’autre chose, car si l’une avait mal fini, 753 mezzo : Lippmann lit metà. 574 il serait très étonnant que l’autre ait pris le même chemin ; je préfère cependant croire les dires de Votre Seigneurie plutôt que de les mettre en doute. À propos des compliments que vous essayer de me persuader d’adresser par lettre au très Illustre Cardinal et au Seigneur Camillo son frère 754 , je les aurais déjà faits si je n’avais cru en pécher par présomption. Mais, comme j’étais très indécis, j’ai m’en suis abstenu, d’autant plus que Votre Seigneurie pourra me faire la grâce de réaliser cet office oralement de ma part, avec un très humble baisemain à leurs Illustrissimes Seigneurs ; si cependant il vous semble qu’il me faut le faire à tout prix, je ferai comme vous me le commandez. Hier, je suis allé déjeuner avec le Sieur Roi755 et l’organiste du vice-roi, qui m’a dit que Carnovale, le castrat qui fut autrefois chanteur du Pape, est passé par ici il y a quelques jours pour s’en aller en Sicile ; ne m’ayant pas trouvé, il le pria de me dire que j’étais attendu en Espagne avec grande dévotion et que les chanteurs flamands de la chapelle de Sa Majesté ne voulait un autre organiste que moi, que mon salaire serait d’un écu par jour, et qu’on avait déjà écrit à Rome que je sois envoyé à cette cour. Cela me laisse perplexe, car je n’ai reçu aucune lettre de mon cousin depuis plus d’un an et demi, ni aucune nouvelle de cette affaire. Onde Vostra Signoria mi farà gratia di vedere un poco se fra le lettere vecchie della posta di Spagna vene fussero qualcheduno dirette a me, o, a lei o, pur se al Palestrina è stato scritto cosa alcuna di questo negotio o, a Monsignor Brisengha 756 , et se questi non ne sanno niente, Vostra Signoria per gratia ne domandi al Secretario de l’Imbasciatore di Sua Altezza 757 se questi mesi passati è stato scritto a Sua Eccelenza cosa alcuna di mandare un Organista fiamengo in Spagna. Et se lei per alcuna di queste vie, ne può investigare cosa alcuna, basterà solo, che s’informi se è venuto ordine per li denari del viagio – però come da se, senza parere ch’io gline habbi scritto cosa alcuna perché se ben la cosa fusse chiara, stando io qui comodissimamente non so s’io lasciassi questo servitio per quello. Et se per 754 Le cardinal Enrico Caetano (1550-1599) et Camillo Caetano (1552-1602), à qui Macque dédicaça le Secondo libro de madrigaletti et napolitane, sont très fréquemment cités dans la correspondance. Le destinataire des lettres, Camillo Norimbergha, était à leur service. Sur les Caetani, voir le premier tome de la thèse. 755 Bartolomeo Roy était maestro di cappella du vice-roi. L’organiste était Cristobal Obregòn. 756 Brisengha : Lippmann lit Orisengha ou Crisengha. 757 Altezza : Lippmann lit Maestà. 575 sorte Vostra Signoria non ne può haver nova alcuna, essendo stato detto Carnovale ultimamente alcuni mesi a Roma, informisi di gratia da coloro con chi solea praticare, se ci ha mai detto cosa alcuna di questa cosa et a chi ne è stato scritto a Roma, et non saria gran cosa che il Signor Sotto ne sapesse qualche cosa. Et per cortesia Vostra Signoria mi perdoni il fastidio, poi che gline resterò obligatissimo in eterno. Che sarà fine di questa baciando le mani di Vostra Signoria augurandole dal Signor Iddio ogni desiato contento. Di Napoli alli 31 Gennaio 1586 Di Vostra Signoria Servitore et fratello Giovanni de Macque Votre Seigneurie me rendrait donc un grand service en allant voir un peu si parmi les vieilles lettres de la poste d’Espagne, il n’y en aurait pas une adressée à moi, ou à vous, ou s’il a été écrit quelque chose à ce sujet à Palestrina, ou à Monseigneur Brinsengha 758 ; et si ceux-ci n’en savent rien, que Votre Seigneurie, de grâce, demande au Secrétaire de l’Ambassadeur de Son Altesse si l’on a écrit ces mois-ci à Son Excellence quelque chose à propos d’un organiste flamand à envoyer en Espagne. Et si par aucun de ces moyens vous ne réussissez à en savoir plus sur cette affaire, il suffira simplement que vous vous informiez s’il est arrivé un ordre pour les frais de voyage – mais cela, sans avoir l’air que je ne vous en aie rien suggéré car, même si la chose était assurée, me trouvant très bien ici, je ne sais si je lâcherais mon poste pour celui-là. Et si jamais Votre Seigneurie ne parvenait à avoir de nouvelles, étant donné que ledit Carnovale a passé récemment quelques mois à Rome, de grâce, informez-vous auprès de ceux qu’il fréquentait d’habitude s’il leur a dit quelque chose à ce sujet et quel est le nom de la personne à qui l’on a écrit à ce propos ; il me semble difficile que le Sieur Sotto 759 n’en sache rien. 758 DeFord a identifié ce personnage comme étant l’abbé Brisengha, le directeur de l’ambassade espagnole à Rome (voir DEFORD Ruth, Ruggiero Giovannelli and the Madrigal in Rome, op. cit., p. 278). 759 Francisco Soto ou Sotto, compositeur et chanteur espagnol établi à Rome, était membre de l’Oratorio. Il fut en rapport avec la Compagnia dei musici di Roma. À ce propos, voir notamment MORELLI Arnaldo, Il tempio Armonico. Musica nell’oratorio dei Filippini in Roma (1575-1705), op. cit., p. 13 et 110. 576 Que Votre Seigneurie m’excuse pour la gêne occasionnée, dont je vous resterai éternellement obligé. Pour finir, je baise la main de Votre Seigneurie, lui souhaitant de Seigneur Dieu tout désir contenté. De Naples, le 31 Janvier 1586 De Votre Seigneurie Serviteur et frère Giovanni de Macque Lettre 2 : 7 mars 1586 Molto Magnifico Signor Fratello osservandissimo La lettera di Spagna che Vostra Signoria mi ha mandata mi è stata molto cara per [più] rispetti, sia per haver inteso la conclusione di quel negotio, come ancora per essermi chiarito che conforme a quanto ho sempre dubitato il Capitan Petit non essersi adoperato in questa cosa conforme a l’amicitia che sempre ha mostr[ato di portarmi 760 . Ma manco male è che mai mene sono fi[dato] troppo, et meno mene fiderò all 761 ’avenire, et essendomi referi]to 762 che sono più mesi 763 che è partito di Spagna, et non essendo qui ancora comparso mi persuado che forsi passerà per Roma, Onde Vostra Signoria per cortesia stia avertito se ne potrà haver nova, Et se per sorte lo vedesse, Di gratia informisi un poco da lui, dissimulando però il rimanente, se quel Organista fiamengo è mai arivato in quella corte, et se è stato accettato, poi che il scrivermi mio cugino che dificilmente saria stato accettato, et essendo poi sopragionto il dire del Carnovale, mi fa quasi credere che la cosa stia ancora in piede. Ma sia come si voglia, poco fastidio son per pigliarmene, et quel che desidero di sapere è più presto per curiosita che per altro. Ringratio Vostra Signoria per infinite volte de la reverenza 764 che a nome mio ha fatto al Signor Cardinale et al Signor Camillo et se ben persiste tuttavia in persuadermi che scrivi 760 mostrato portarmi : DeFord lit mostrato portarmi ; Lippmann lit mostato nel parlarmi. DeFord, all’ : al’. 762 Cette suggestion est la mienne. 763 DeFord, mesi : mese. 764 reverenza : DeFord lit riverenza ; Lippmann reverenza. 761 577 a loro Signori Illustrissimi Nondimeno non mi son risoluto ancora a farlo, si per parermi ch’io potrei essere fasciato, se non in altro almeno di haver tardato troppo a farlo come ancora per parermi che questo offitio che Vostra Signoria ha fatto a nome mio basti, ma se pur le pare ch’io debba farlo in ogni modo, il farò senza haver riguardo a quello che ne possa avenire. Très Magnifique Seigneur, Frère très respecté La lettre d’Espagne que Votre Seigneurie m’a envoyée m’a été très précieuse pour plusieurs raisons : d’une part, elle m’a appris la conclusion de cette affaire, d’autre part elle m’a démontré que, comme je m’en étais toujours douté, le Capitaine Petit 765 ne s’est pas comporté dans cette histoire conformément à l’amitié qu’il m’a toujours démontré 766 . Heureusement que je n’ai jamais eu tellement confiance en lui ! Je m’y fierai encore moins à l’avenir. J’ai appris qu’il est parti pour l’Espagne il y a déjà plusieurs mois, mais il ne s’est pas encore fait voir ici : je suis donc persuadé qu’il passera par Rome. Par conséquent, que Votre Seigneurie, de grâce, soit attentive aux informations qu’elle pourrait se procurer à ce sujet. Et si jamais vous le voyez, de grâce, informez-vous un peu auprès de lui (dissimulant cependant tout le reste) si cet organiste flamand est bien arrivé à cette cour, et s’il y a été accepté, puisque d’après ce que m’a écrit mon cousin, il aurait été difficilement accepté ; et si on ajoute à cela les dires de Carnovale, j’ai tout lieu de croire que la chose tient encore sur pied. Mais quoi qu’il en soit, tout cela a trop peu d’importance pour que je m’en préoccupe, et mon désir de savoir ce qu’il en est vient plutôt de ma curiosité que d’autre chose. Je remercie infiniment Votre Seigneurie de la révérence qu’elle a faite en mon nom au Cardinal et au Seigneur Camillo, et bien que vous persistiez à essayer de me convaincre d’écrire à leurs Illustrissimes Seigneurs, je ne me suis pas encore résolu à le faire. Il me semble en effet que je risquerai d’être insolent, ou qu’au moins j’ai trop tardé à le faire, et 765 Lippmann indique qu’un « Capitaine Petit » figure dans la liste d’organistes réputés à Naples d’un manuscrit conservé à la Biblioteca dei Gerolamini de Naples (L’Esercitio De Nicolò Taglia Ferro De la Città d’Alatro. Cantore de la Regia Cappella di Sua Maestà cattolica nel Regno de Napoli, manuscrit S.M. XXVIII.1.66, f. 81) Voir LIPPMANN Friedrich « Giovanni de Macque tra Roma e Napoli: nuovi documenti », op. cit., p. 255. 766 Macque fait référence à un poste en Espagne, dont il est déjà question dans la première lettre. 578 encore que cet office que Votre Seigneurie a réalisé en mon nom suffit ; mais s’il vous semble que je doive le faire à tout prix, je le ferai sans égard à ce qui pourrait advenir. Nel resto per il dubio ch’io hebbi una volta di esser [scancelato de] 767 la amicitia di Vostra Signoria per la contumacia nella quale pensai di essere incolso 768 per non haverli mandato certe canzoni francese che desiderava 769 mi risolvo al presente di compiacerla di un motetto a 3 chori che desidera però con conditione che non lo dia fuori come mio, ma di messer Prospero nostro 770 poi che lo faro solo per compiacerla, et non per propria elettione, atteso che [se] uscisse fuori sotto nome mio, potria essere se ben’io son servitore de tutti, che non fusse accetto a qualcheduno che forsi mi porta qualche odio interno, onde per evitare questo inconveniente, sarà meglio che esca sotto nome di detto messer Prospero nostro, al quale Vostra Signoria potrà darlo, [a]ciò lo faci cantare come suo, et s’io mene fussi trovato uno [fatto l’avrei 771 mandato con questo procaccio, ma 772 havendo a farlo lo manderò con quest’altro procaccio. Fra tanto [Vostra Signoria] mi [farà] gratia di risalutare messer Prospero da parte mia, et dirli che se mi vuol bene, che ne è contracambiato da me intieramente. Che sarà fine di questa pregando Iddio che conceda a Vostra Signoria quanto saprei desiderare per me stesso. Di Napoli, alli 7 di Marzo 1586 Di Vostra Signoria Servitore et Fratello Giovanni de Macque D’autre part, en ce qui concerne le doute que j’avais eu autrefois d’être déchu de l’amitié de Votre Seigneurie à cause de l’isolement dans lequel je pensais être tombé pour ne vous avoir pas envoyé ces chansons françaises que vous désiriez, je me décide maintenant à vous complaire en composant pour vous le motet à trois chœurs que vous désirez, mais à la condition que vous ne le présentiez pas comme étant le mien, mais comme celui de 767 Cette suggestion est la mienne. Cette suggestion est la mienne. 769 desiderava : DeFord lit desiderave. 770 Cette suggestion est la mienne. 771 Cette suggestion est la mienne. 772 ma : DeFord lit me. 768 579 notre messer Prospero 773 , puisque je le fais seulement pour vous satisfaire et non de ma propre volonté, attendu que s’il sortait sous mon nom, il se pourrait, bien que je sois le serviteur de tous, qu’il ne fût pas bien accueilli par quelque personne qui me pourrait porter une profonde haine. Pour éviter cet inconvénient, il sera donc mieux qu’il sorte sous le nom dudit messer Prospero, auquel Votre Seigneurie pourra le donner afin qu’il le fasse chanter comme étant le sien, et si j’en avais trouvé un déjà composé, je l’aurais envoyé avec ce courrier, mais comme il me faut encore le faire, je l’enverrai par le prochain courrier ; entre-temps Votre Seigneurie me fera la grâce de saluer de nouveau messer Prospero de ma part, et de lui dire que s’il m’aime beaucoup, je le lui rends entièrement. Pour finir, je prie Dieu qu’il concède à Votre Seigneurie tout ce que je saurais désirer pour moi-même. De Naples, le 7 mars 1586 De Votre Seigneurie Serviteur et Frère Giovanni de Macque Lettre 3, 29 mars 1586 Molto Magnifico Signor Fratello osservandissimo Non accade che Vostra Signoria mi ringratij del motetto mandatoli, poi che tengo per obligo il servirla in tutto quello che si estendano le mie debole forze. Ben me sarà caro di esser avisato de la riusciuta che havra fatto aciò che possi pigliar animo di farne qualch’altro quest’altro anno. Mi piace che messer Prospero sij riusciuto in tutta perfettione in queste compositioni di concerti, et per che Vostra Signoria dice che ha trovato inventioni nove in questo genere di 773 Prospero Santini, compositeur et organiste, rentra dans l’Oratorio en 1592 (voir MORELLI Arnaldo, Il tempio Armonico. Musica nell’oratorio dei Filippini in Roma (1575-1705), op. cit., p. 14-15. Summers le range parmi les musiciens qui, tout en ne participant pas aux anthologies de la Compagnia dei musici di Roma, firent très probablement partie de la congrégation (voir SUMMERS William J., « The compagnia dei Musici di Roma 1584-1604: a Preliminary Repot », p. 13. 580 componere, io gli ho pregato per una mia che mi favorisca di avisarmi in che consistino 774 queste inventioni, aciò io me ne possi valere nelle occasioni che mi potessero occorrere all’avenire. Ma se in questo 775 per modestia sua non mi volesse compiacere, di gratia supplisca 776 Vostra Signoria al difetto suo. Il Signor Petit gionse qua come le scrissi per l’ultima mia al quale havendo spiato in che termine stava quel negotio di Spagna, m’ha detto che quel Organista fiamengo non era ancora arivato in quella corte, et quasi che mi fa sospettare che dicendo lui di voler tornar in Spagna quest’Autunno, massime per esser777 morta la sua consorte che non aspiri a quel loco. Ma sia come si voglia l’havermi scritto mio cugino che lui non ha fatto per me quelli boni offitij che havria potuto fare, mi fa credere che ciò habbi fatto, forsi dubitando che andasse a star in Spagna un che sapesse sonar meglio di lui. Et che questo sia il vero, è cosa troppo manifesta che ovunque si siamo ritrovati 778 insieme, esso sempre ha ceduto, con dire che non attende più alla musica, mercè del gran studio ch’io ho fatto doppoi ch’io son partito di 779 Roma, sì come Vostra Signoria potrà vedere 780 se viene a Napoli come m’ha accennato 781 che sperava di fare, che piacia 782 a Dio, segua presto, et che per fine 783 di questa conceda a Vostra Signoria quanto desia. Di Napoli alli 29 di Marzo 1586 Di Vostra Signoria Servitore et Fratello Giovanni de Macque Très Magnifique Seigneur, Frère très respecté 774 consistino : DeFord lit consistono ; Lippmann lit consistino. questo : Lippmann lit questa. 776 supplisca : DeFord lit supplica ; Lippmann lit supplisca. 777 esser : DeFord lit essere ; Lippmann lit esser. 778 siamo ritrovati : DeFord lit siano retrovati. 779 di : DeFord lit da. 780 vedere : DeFord lit veder ; Lippmann lit vedere. 781 accennato : DeFord lit accenato. 782 piacia : DeFord lit piaccia. 783 et che per fine : DeFord lit et per fine. 775 581 Il n’est pas nécessaire que Votre Seigneurie me remercie pour le motet que je lui ai envoyé, car je considère comme une obligation le fait de vous servir autant que me le permettent mes faibles forces. Il me serait bien cher d’être informé du succès qu’il aura afin que je puisse prendre courage pour en faire quelque autre cette année. Je suis heureux d’apprendre que messer Prospero a parfaitement réussi ces compositions concertantes 784 et, puisque Votre Seigneurie me dit qu’il a trouvé de nouvelles inventions pour ce genre de composition, je lui ai demandé dans une lettre de me faire la grâce de m’informer en quoi consistent ces inventions, afin que je puisse m’en servir dans les occasions qui pourraient se présenter à l’avenir. Mais si celui-ci, par modestie, ne voulait me satisfaire, de grâce, que Votre Seigneurie y supplée à sa place. Le Sieur Petit est venu ici, comme je vous l’ai écrit dans ma dernière lettre et, ayant cherché à m’informer auprès de lui où en était l’affaire d’Espagne, il m’a dit que l’organiste flamand n’était pas encore arrivé à cette cour, ce qui me fait presque soupçonner que, comme il dit vouloir revenir en Espagne cet automne, et surtout comme sa femme vient de mourir, il n’est pas véritablement intéressé par ce poste. Mais quoi qu’il en soit, comme mon cousin m’a écrit qu’il ne m’a pas rendu les bons offices qu’il aurait pu me rendre, je commence à croire qu’il ait pu agir ainsi dans la peur qu’aille vivre en Espagne quelqu’un qui sache mieux jouer que lui. Que cela soit la vérité est une chose par trop évidente car, partout où nous nous sommes retrouvés ensemble, il s’est toujours retiré 785 en disant qu’il ne se consacrait plus beaucoup à la musique ; cela est la récompense du grand travail que j’ai réalisé depuis que je suis parti de Rome, comme Votre Seigneurie pourra le constater si elle vient à Naples. Puisque vous m’avez fait allusion à votre espoir de le faire, qu’il plaise à Dieu que cela s’ensuive bientôt et, que, pour finir, il vous concède tout ce que vous désirez. De Naples, le 29 Mars 1586 De Votre Seigneurie 784 Dans la lettre précédente, Macque promet à Norimberga de lui envoyer un motet à trois chœurs. Le terme « compositioni di concerti » désigne ici le type de motet polychoral pratiqué à Rome. Plusieurs motets polychorals de Macque sont conservés à Rome sous forme manuscrite, à la Biblioteca Santa Cecilia (GMss-792-795) et à la Biblioteca Nazionale (MSS-Musicali 117-121). 785 J’ai traduit « esso sempre ha ceduto » par « il s’est toujours retiré », ce qui sous-entend que le Capitaine Petit a toujours refusé la confrontation musicale avec Macque. Il est possible que le compositeur voulait dire « il s’est toujours montré inférieur ». 582 Serviteur et Frère Giovanni de Macque 583 Lettre 4 : 7 juin 1586 Molto Magnifico Signor Fratello osservandissimo Col procaccio passato hebbi la letterina di Vostra Signoria per la quale intesi il suo salvo arivo costì, che mio Signor ne sia laudato, et poiché hormai sarà sfacendata che sarano finite le visite del Signor Camillo et sì ancora per essere fuora de l’offitio della Santissima Trinita, spererò che mi scriverà più a longo del suo solito, sì come gliene prego con ogni caldezza, però con sua 786 comodita. Fra tanto mi farà gratia di emendare quell’errore ch’io le dissi alle sua787 partenza alli miei libri a 4 cioè alla sestina nel principio, et ove dice prima stanza et seconda stanza per fare che dichi prima parte et seconda parte, et così tutte le altre sino alla sesta et ultima parte, perdonandomi il fastidio del quale le resterò obligatissimo in eterno. Non ho potuto ancora mandare le lettere 788 dedicatorie però spero mandarle con quest’altro procaccio, et alhora Vostra Signoria mi farà gratia di farle scrivere sì come gliene pregai già et perché ho risoluto di far stampare costì li Ricercari dal fratello del Gardano Vostra Signoria potrà darli al Signor Prospero nostro ad’ogni sua 789 requisitione poi che lui ha già fatto il patto con detto Gardano, et a questo efetto ho mandato con questo procaccio una lettera di Cambio a detto Signor Prospero di vinticinque scudi d’oro in oro che li sarano 790 pagati da Battista d’Arcangelo Cavalcanti, che sta com’io credo in casa di Bernardo Olgiati 791 . Onde alla ricevuta di questa, Vostra Signoria mi farà favore di informarsi da esso se ha ricevuto detta lettera acioché se per disgratia si fusse smarrita come già sene sono smarrite parechie di Vostra Signoria per il passato, possi avisare subito detto mercante che non paghi deti 792 denari a nissuno, et se per sorte 793 con detti 786 sua : DeFord lit sue. Macque a corrigé sue en sua , sans cependant corriger alle en alla. 788 lettere : Lippmann lit tre. 789 sua : DeFord lit sue. 790 sarano : DeFord lit saranno. 791 Olgiati : DeFord lit Giato , Lippmann Olgiati. 792 deti : DeFord lit detti. 787 584 denari mancasse qualche mezzo 794 scudo d’oro per complimento del pagamento di quella stampa di Roma et di quella di Venetia, mi 795 farà gratia di pagarlo al detto Signor Prospero, et reimborzarsene poi da quello che caverà di quella mia guarnitione di spada e pugnale. Che sarà fine di questa con le duplicate racommandationi del Signor Hettore nostro il quale essendo tornato hieri da Bozuolo non se siamo 796 visto ancora se non alla sfugita. Però domani saremo insieme et forsi che anderemo dalla parente, la quale bacierò una volta per amor di Vostra Signoria, si come mi sarà caro che lei baci una volta per amor mio la Signora Bella 797 . Di Napoli allo 7 di giugno 1586 Di Vostra Signoria Servitore et fratello Giovanni de Macque Très Magnifique Seigneur, Frère très respecté Dans le courrier précédent, j’ai eu la petite lettre de Votre Seigneurie, grâce à laquelle j’ai compris que vous étiez arrivé à Rome sain et sauf. Que notre Seigneur en soit loué ! Et comme vous serez désormais libre, puisque les visites du Seigneur Camillo vont finir et aussi parce que vous allez être hors de l’office de la Santissima Trinità 798 , j’espère que vous m’écrirez plus longuement que d’habitude, ce dont je vous prie avec grande chaleur, mais selon vos possibilités. Entre autres choses, me feriez-vous la grâce de corriger les erreurs dont je vous parlais à votre départ à propos de mon livre à quatre voix, en remplaçant, dans la sextine du début, « première strophe » et « deuxième strophe », par « première partie » et « deuxième 793 sorte : DeFord lit sorta. mezzo : DeFord lit pezzo. 795 mi : DeFord lit me. 796 se siamo : DeFord lit abiamo. 797 Le nom de la dame est remplacé par ce signe. 798 Voir note 885. 794 585 partie », et ainsi de suite jusqu’à la sixième et dernière partie, en m’excusant pour ce dérangement dont je vous serai éternellement reconnaissant 799 . Je n’ai pas encore pu envoyer les lettres dédicatoires, mais j’espère le faire avec le prochain courrier ; Votre Seigneurie me rendrait alors un grand service en les faisant écrire comme je vous l’ai déjà demandé. Comme j’ai résolu de faire imprimer à Rome les ricercares par le frère de Gardano 800 , Votre Seigneurie pourra alors les donner à notre Sieur Prospero dès qu’il vous le demandera car il a déjà conclu le contrat avec ledit Gardano. C’est à cet effet que j’ai envoyé avec ce courrier une lettre de change de vingtcinq écus d’or au Sieur Prospero, qui lui seront payés par Battista d’Arcangelo Cavalcanti qui, je crois, vit chez Bernardo Olgiati. En recevant la présente, de grâce, que Votre Seigneurie lui demande s’il a déjà reçu cette lettre afin que si, par malchance, elle s’était perdue comme se sont déjà perdues plusieurs des vôtres par le passé 801 , je puisse avertir tout de suite ce marchand qu’il ne paie cet argent à personne d’autre. Et si jamais il devait manquer à cette somme quelques demi-écus d’or en complément du payement de ces imprimés de Rome et de Venise, de grâce, payez les au Sieur Prospero, et remboursezvous ensuite de ce vous obtiendrez de mon équipement d’épées et de poignards. Je mets fin à la présente avec les doubles recommandations de notre Sieur Hettore 802 , que nous n’avons vu encore qu’à la va-vite car il vient à peine de rentrer hier de Bozuolo. Mais demain nous serons ensemble et peut-être irons-nous chez la parente, que j’embrasserai une fois par amour de Votre Seigneurie, comme il me serait cher que vous embrassiez une fois la Belle Dame par amour de moi 803 . De Naples, le 7 juin 1586 De Votre Seigneurie 799 Il s’agit évidemment de la sextine Là ver’ l’aurora de Pétrarque, qui ouvre le Primo libro de madrigali a quattro voci de 1586. L’erreur signalée par Macque a été corrigée. 800 Alessandro Gardano, qui tint un atelier d’imprimerie à Rome de 1583 à 1591. 801 Ces pertes ont déjà été évoquées dans la lettre du 31 janvier. 802 Hettore Gisorieri, dont le nom complet apparaît dans les lettres successives, s’occupera du courrier de Macque lorsque ce dernier partira pour les terres de Gesualdo. 803 Macque reste plutôt elliptique lorsqu’il évoque des figures féminines. Le signe semble ici employé pour éviter d’écrire en toutes lettres le nom de cette « belle dame ». On peut peut-être déduire du contexte que « la parente » du début de la phrase, dont il sera de nouveau question dans les deux lettres suivantes, fait partie de la famille de Hettore Chesorieri. Le ton plutôt frivole qu’emploie le compositeur dans la lettre du 28 juin 1586 laisse cependant penser qu’il s’agirait plutôt là d’une courtisane. 586 Serviteur et frère Giovanni de Macque Lettre 5 : 14 juin 1586 Molto Magnifico Signor Fratello osservandissimo Poi che Vostra Signoria si va servendo della licenza ch’io li diedi intorno al scrivere, almeno si ricordi della promessa che mi fece, che mi scriverebbe sempre il foglio intiero, al che mancando, rivocarò il tutto, giudicando esser meglio haver lettere sue spesso, benché succinte, che haverne sì di raro et così brevi, pur facia lei ch’io non desidero altro che la sua comodita. Ho ricevuto la lettera di Spagna et visto quanto mi scrive mio cugino, et poi che, sì come dice Vostra Signoria, io mi ritrovo 804 al presente a tale, ch’io non ho bisogno di quel partito, si può tolerare il tutto facilmente, et a ponto ci ho risposto con questa medesma clausula. Mando qui incluse le due lettere dedicatorie per mettere nelli miei libri di Madrigali ché quella 805 delle Ricercate l’ho mandata 806 al Signor Prospero nostro. Onde Vostra Signoria mi farà gratia di farle scrivere cioè quella per diretta all’Illustrissimo Signor Don Cesare D’Avalos a un libro di quelli a cinque voci et l’altra diretta al Signor Marchese di Lauro a un libro di quelli a quattro voci. Ma per cortesia che sieno scritte politamente, et ogni cosa disteso come sta nelle copie mie con tutti li medesmi ponti senza far niuna sorte di abbreviationi, perché così vogliono esser in stampa et quando detto Signor Prospero vorrà detti libri per mandarli in Venetia, Di gratia Vostra Signoria cegli dij sì come le ho scritto per l’ultima mia, alla quale referendomi farò fine baciando le mani di Vostra Signoria alla quale mi raccomando con tutto il cuore. Di Napoli alli 14 di Giugno 1586 Di Vostra Signoria Servitore et Fratello 804 ritrovo : DeFord lit ritorno ; Lippmann lit ritrovo quella : DeFord lit quello 806 mandata : DeFord lit mandato 805 587 Giovanni de Macque en bas de la page Per cortesia Vostra Signoria avertisca che non si facia alcuno errore nel scrivere dette lettere et particolarmente nell’intitulatione loro; et in somma che sieno scritte a punto a punto come le mie, perché questa gente è tanto sofistica, che fa caso di una minima lettera o ponto. à gauche de la page Hettore Gisorieri 807 servitore affetionatissimo di Vostra Signoria le bascia le mani, et in memoria de la sua venuta in Casa della parente di lui, sempre che la va a visitare, l’abbraccia et bascia teneramente. Très Magnifique Seigneur, Frère très respecté Puisque Votre Seigneurie use de la liberté que je lui ai donnée à propos de notre correspondance, souvenez-vous au moins de la promesse que vous me fîtes de m’écrire toujours une feuille entière ; mais comme vous manquez à celle-ci, je retire tout ce que j’ai dit, jugeant qu’il vaut mieux avoir de vos lettres souvent, même si elles sont succinctes, qu’en avoir aussi rarement, et d’aussi courtes ; je ne souhaite cependant que ce qui vous convient. J’ai bien reçu la lettre d’Espagne et, vu ce que m’écrit mon cousin, et puisque, comme le dit Votre Seigneurie, je me trouve au jour présent dans une situation telle que je n’ai pas besoin de ce poste, il est facile de supporter tout cela, et c’est précisément ainsi que j’ai répondu 808 . 807 DeFord lit Gisoriere, Lippmann Chesorieri. Dans la lettre du 31 janvier 1585, Macque avait demandé à Norimberghi de s’enquérir de cette lettre venue d’Espagne. 808 588 Je joins ici les deux lettres dédicatoires des livres de madrigaux. J’ai envoyé celle des Ricercate à notre Sieur Prospero. De grâce, que Votre Seigneurie les fasse écrire ainsi : celle adressée à l’Illustrissime Don Cesare D’Avalos est pour un de ces livres à cinq voix et celle adressée au Seigneur Marquis de Lauro pour un de ces livres à quatre voix. Mais, je vous en prie, qu’elles soient écrites élégamment, et rédigées comme dans ma version, avec tous les mêmes points sans faire aucune sorte d’abréviation, car elles doivent être imprimées ainsi. Et quand ledit Sieur Prospero voudra lesdits livres pour les envoyer à Venise, de grâce, que Votre Seigneurie les lui donne, comme je vous l’ai écrit dans ma dernière lettre, à laquelle, pour finir, je me réfère et baise les mains de Votre Seigneurie, à qui je me recommande de tout mon cœur. De Naples, le 14 juin 1586 De Votre Seigneurie Serviteur et Frère Giovanni de Macque en bas de la page S’il vous plaît, que Votre Seigneurie veille à ce que ne soit faite aucune erreur en écrivant lesdites lettres, et particulièrement dans leur intitulé ; en somme, qu’elles soient écrites point à point comme les miennes, car ces gens-là sont si sophistiqués qu’ils font attention à la moindre lettre ou au moindre point. à gauche de la page Hettore Gisorieri, le serviteur très affectionné de Votre Seigneurie, vous baise les mains et, en souvenir de sa visite à la parente, qu’il va voir très souvent, il vous embrasse et vous baise tendrement. Lettre 6 : 28 juin 1586 589 Molto Magnifico Signor Fratello osservandissimo Vostra Signoria mi ha fatto il magior piacer del mondo a scrivermi così alla libera il parer suo intorno alla lettera dedicatoria delle mie Ricercate, et gline ho obligo infinito, benché mi saria stato caro oltra modo d’intendere se lei l’ha mostrata a persone intelligenti 809 nel scrivere, o pur se questo è stato solo il parer suo et del Signor Prospero nostro al quale ho risposto a longo sopra 810 questo particolare, et questo solamente per il dubio ch’io ho che Vostra Signoria sia fuor di Roma, essendo solito di quando in quando andare alla Cisterna o a Sermonetta con quelli Signori Illustrissimi. Onde lei potrà farsi mostrare la lettera che li scrivo, per la quale in conclusione lo prego et Vostra Signoria insieme insieme che mi favorischino di mostrarla al Signor Peranda et al Signor Giulio Cesare secretari di Monsignor Illustrissimo Gaetano o, a qualche altra persona intelligente in questa professione, aciò che se non gli pare che possi stare a martello, Vostra Signoria, o detto Signor Prospero melo possino avisare, aciò io possi farne fare un’altra. Benché se lei mi havesse favorito di mandarmi quelle doe che mi scrive di dovermi mandare, mi sariano state più che carissime, et certo ch’io mi sono maravigliato che lei non meli ha mandato, et più me ne maravigliarei s’io non pensassi che non le ha forsi potuto haver a tempo et che mele mandera con quest’altro procaccio. Ma se per sorte non mele ha ancora mandate alla ricevuta di questa, et che quelli Signori Secretatij sieno di parere che la mia non possi stare a botta di martello, per cortersia Vostra Signoria mi favorisca di mandarmi queste doe che mi ha promesse aciò ch’io possi elegermene una, et tanto più ch’io spero che detto Signor Prospero nostro farà in modo che il stampatore si contenterà di soprasedere la stampa del primo foglio sin che ritorni detta lettera a Roma. Il che è quanto mi 811 occorre di scrivere a Vostra Signoria intorno a questo particolare. 809 intelligenti : DeFord lit intelligente longo sopra : DeFord lit longo. Sopra 811 mi : DeFord lit me 810 590 Très Magnifique Seigneur, Frère très respecté Votre Seigneurie m’a rendu le plus grand service du monde en m’écrivant aussi librement son avis sur la dédicace de mes ricercares et je vous en suis infiniment obligé 812 . Cependant, il m’eût été extrêmement précieux de savoir si vous l’avez montrée à des personnes qui s’y connaissent en écriture, ou bien si cela n’était que votre avis et celui de notre Sieur Prospero, à qui j’ai répondu longuement à ce propos, mais seulement car que je craignais que Votre Seigneurie ne soit partie de Rome, comme vous avez l’habitude d’aller de temps en temps à Cisterna ou à Sermonetta avec ces Illustrissimes Seigneurs 813 . Vous pourrez donc lui demander de vous montrer la lettre que je lui ai écrite, dans laquelle je lui demande en conclusion, ainsi qu’à Votre Seigneurie, de me faire ensemble la grâce de la montrer au Sieur Peranda 814 et au Sieur Giulio Cesare, secrétaires de l’Illustrissime Monseigneur Gaetano ou à quelque autre personne qui s’y connaît en la matière, afin que s’il leur semble qu’elle ne peut passer ainsi sous presse, que Votre Seigneurie, ou bien ledit Sieur Prospero, m’en avise afin que je puisse en faire faire une autre. Cependant, si vous m’aviez fait la grâce de m’envoyer ces deux lettres que vous dîtes devoir m’envoyer dans votre courrier, celles-ci m’auraient été fort précieuses. J’étais évidemment étonné de ne point les y trouver, et j’en serais encore plus étonné si je n’avais pensé que vous n’avez peut-être pas réussi à les avoir à temps et que vous me les enverrez par le prochain courrier. Mais si jamais vous ne les avez pas encore envoyées à la réception de la présente et que ces Seigneurs Secrétaires considèrent que la mienne ne peut passer ainsi sous presse, de grâce, que Votre Seigneurie m’envoie les deux lettres que vous m’avez promises afin que je puisse en choisir une, d’autant plus qu’il me faut espérer que ledit Sieur Prospero réussira à faire en sorte que l’imprimeur consente à surseoir à l’impression 812 La lettre de dédicace rédigée par Macque (ou par un tiers) a été conservée. Voir infra, p. 629. Sermoneta, fief des Caetano et duché à partir de 1586, se trouve à une cinquantaine de kilomètres au sudest de Rome. Le château des Caetani y existe encore. Cisterna di Latina est à mi-chemin entre Rome et Sermonetta. 814 Francesco Peranda fut le secrétaire de la famille Caetani de 1566 à sa mort. Voir CAETANI Gelasio, Domus Caietana. Storia documentata della famiglia Caetani, vol. 2, op. cit., p. 102. 813 591 de la première page jusqu’à ce que ladite lettre s’en retourne à Rome. Cela est tout ce dont j’avais besoin d’écrire à Votre Seigneurie sur ce détail. 592 La ringratio delli denari che ha dato a detto Signor Prospero nostro a compimento di quanto li mancava per pagamento di detta stampa, delli quali potrà reimborzarsene da quello che si caverà del fornimento di spada et pugnale et se lei haverà fatica a smaltirlo per via di spadari, se potesse far nascere occasione di farlo rifare da quelli gentilhomini 815 di casa, non saria se non bene però mi rimetto in tutto a quello che li parerà più espediente. Che sarà fine di questa con le reduplicate racomandationi del Signor Hettorre nostro et della Signora parente la quale è piu bella che mai, et di tal sorte che potria essere ch’io m’apparentasse un giorno con lei da dovero, però per una volta sola perciò ch’io ne ho delle altre assai più belle di lei per continuar l’amicitia sin tanto che il Signor Iddio m’inspirerà di acasarmi al quale prego che conceda a Vostra Signoria quanto desidera. Di Napoli alli 28 di Giugno 1586. Di Vostra Signoria Servitore et Fratello Giovanni de Macque en bas à gauche de la page avertisca Vostra Signoria se mi manda quelle doe lettere che mi ha promesse che è necessario che in quelle si faccia qualche mentione delle tre ricercate di quel Signore che sono stampate con le mie, per che altrimente non mi pare che haveriano gratia. 815 gentilhomini : DeFord lit gentilhuomini ; Lippmann lit gentilhomini 593 Je vous remercie de l’argent que vous avez donné audit Sieur Prospero pour compléter ce qui manquait au payement de ladite impression, duquel vous pourrez vous rembourser de ce qui l’on tirera de mon équipement d’épées et de poignards 816 . Si vous avez du mal à l’écouler par la voie des armuriers, essayez de le faire faire par les gentilshommes de la maison ; l’idée ne me semble pas du tout mauvaise, mais je m’en remets complètement à vous pour trouver la solution la plus efficace. Je mets fin à la présente avec les doubles recommandations de notre Sieur Hettore et de Madame la parente, qui est plus belle que jamais, de telle sorte qu’il se pourrait bien que je me lie vraiment un jour avec elle, mais seulement pour une fois, car j’en connais des bien plus belles encore avec qui j’aimerais continuer l’amitié jusqu’au moment où le Seigneur Dieu m’inspirera de me marier. Je prie qu’il concède à Votre Seigneurie tout ce qu’elle désire. De Naples, le 28 juin 1586 De Votre Seigneurie Serviteur et Frère Giovanni de Macque en bas de la page Que Votre Seigneurie se rappelle bien, si vous m’envoyez les deux lettres que vous m’avez promises, qu’il est nécessaire d’y faire mention des trois ricercares de ce Seigneur imprimés avec les miens sans quoi il me semble qu’elles ne trouveront point grâce. 816 Macque fait référence à ce payement dans la lettre du 7 juin 1586. 594 Lettre 7 : 12 juillet 1586 Molto Magnifico Signor Fratello osservandissimo Già che per disgratia Vostra Signoria non mi ha potuto sin hora mandare quella lettera dedicatoria fatta dal Signor Peranda, spererò pur che l’haverò quest’altra settimana infallibilmente, et mi sarà carissimo oltra misura aciò io possi resolvermi quale si debba stampare, benché credo al sicuro che sarà questa di detto Signor Peranda, poi che venendo da perzona 817 tale, non ci sarà ponto che dire. Mi meraviglio assai de l’ombra che Vostra Signoria ha preso ch’io non habbi accettato in bona parte il parer suo della lettera mia, poi che se lei si ricorda, troverà ch’io gliene ho ringratiato infinitamente con dire che in ciò mi ha fatto il magior piacer del mondo, et così gli affermo di novo per il che non accade dire altro. Signor mio caro, il Principe mio Signor partirà 818 fra 3 o 4 giorni per andare al suo stato et io con lui, onde le lettere che Vostra Signoria mi favorirà 819 di scrivermi all’avenire mi farà gratia di inviarle a Napoli dirette con una coperta al Signor Gioseppe Piloni, che per essere mio amicissimo, procurerà di riceverle et invarmele ovunque mi ritrovero. Circa poi la stampa delli miei libri ne scrivo a longo al Signor Prospero nostro, dal quale se Vostra Signoria sarà ricercata di qualche denari per il porto di essi, o, altre cose, mi farà favore di darglieli reimborzandosi poi da quello che caverà del fornimento della mia spada et pugnale, et se questo non bastasse, le farò subito pagare il restante. Nel resto Signor mio dolcissimo Vostra Signoria mi perdoni se scrivo tanto il fretta, et sia certo che l’ho indovinato a scrivere questa matina al detto Signor Prospero nostro poi che s’io havessi indugiato sin’hora non saria stato possibile, perciò che sono passate già doe hore di notte, mercè di questo bell’humore del Duca di Traietta, il quale è venuto a casa nostra subito subito dopoi disnare et vi è stato sino alla sera, onde non ho fatto altro tutto 817 perzona : Lippmann lit persona. Lippmann lit partira ; DeFord lit partiva. 819 favorirà : DeFord lit favorisca ; Lippmann lit favorirà. 818 595 hoggi che cantare et sonare, sì che per gratia Vostra Signoria mi perdoni et mi vogli bene come ne voglio a lei. Di Napoli alli 12 di luglio 1586 Di Vostra Signoria Servitore et Fratello Giovanni de Macque en bas de la page Scrivo al Signor Prospero nostro che mi mandi questi libri miei per mare diretti al Signor Hettore nostro, et per che Vostra Signoria sa già come si ha da fare per il cimbalo che mi mandò, di gratia Vostra Signoria l’agiuti un poco, et l’avisi come ha da fare. Très Magnifique Seigneur, Frère très respecté Puisque Votre Seigneurie n’a malheureusement pas pu encore m’envoyer la lettre dédicatoire du Sieur Peranda, j’espère tout de même l’avoir sans faute cette semaine. Celle-ci me sera extrêmement précieuse pour pouvoir décider quelle lettre imprimer, bien qu’il ne fasse aucun doute qu’il s’agira de celle dudit Sieur Peranda. Venant d’une personne telle, il ne saurait en effet rien y avoir à redire. Je m’étonne beaucoup que Votre Seigneurie ait pris ombrage de ce que je n’aie pas accepté de bonne grâce son avis sur ma lettre. Souvenez-vous, je vous en ai remercié infiniment en disant que vous m’aviez rendu là le plus grand service du monde, ce que j’affirme de nouveau car je ne puis dire autre chose. Mon cher Seigneur, mon Seigneur Prince 820 partira dans trois ou quatre jours pour ses terres, et moi avec lui ; par conséquent, les lettres que Votre Seigneurie me fera l’honneur de m’écrire à l’avenir, de grâce, envoyez-les à Naples en les adressant au Sieur Gioseppe 820 Carlo Gesualdo, dont il sera question dans les lettres successives. 596 Piloni 821 qui, étant un très bon ami à moi, s’occupera de les recevoir et de me les envoyer où que je me trouve. J’ai écrit longuement à notre Sieur Prospero à propos de l’impression de mes livres. S’il vous demande quelque argent pour le port ou pour autre chose, merci de le lui rembourser avec ce que vous tirerez de la vente de mon équipement d’épées et de poignards et, si cela ne devait suffire, je vous ferai payer immédiatement le reste. D’autre part, mon très doux Seigneur, que Votre Seigneurie me pardonne si je vous écris si rapidement, et soyez sûr que j’ai bien fait d’écrire ce matin audit Sieur Prospero, car si j’avais tardé jusqu’à maintenant, cela m’aurait été alors impossible. Il est en effet déjà plus de deux heures du matin en raison de la bonne humeur du Duc de Traietta 822 , qui est venu chez nous juste après le déjeuner et est resté jusqu’au soir ; je n’ai donc aujourd’hui rien fait d’autre que chanter et jouer, de sorte que Votre Seigneurie me pardonne et m’aime autant que je l’aime. De Naples, le 12 juillet 1586 De Votre Seigneurie Serviteur et Frère Giovanni de Macque en bas de la page J’écris au Sieur Prospero qu’il m’envoie les livres par la mer 823 , adressés au Sieur Hettore, et, puisque Votre Seigneurie sait déjà comment il faut faire, grâce au clavecin que vous m’envoyâtes, de grâce, aidez-le un peu, et informez-le sur la manière de procéder. 821 Gioseppe Pilonij signa la première impression du Secondo libro de madrigali a cinque voci de Gesualdo, qui sortit sous un faux nom. 822 Sur le duc de Traetto, voir le premier volume de la thèse. 823 Les exemplaire des Ricercate et canzoni francese a quattro voci, imprimées à Rome chez Gardano. 597 Lettre 8 : 30 juillet 1586 Molto Magnifico Signor Fratello osservandissimo Ho finalmente ricevuto la tanta desiata 824 lettera dedicatoria dal Signor Peranda, la quale a giuditio mio è bellissima, et ho scritto al Signor Prospero nostro che si stampi, se pur non è stampata a quest’hora. Ma per parlar libero con Vostra Signoria se per sorte non fusse ancora stampata, havei sic molto caro per satisfation mia, che detto Signor Peranda ci mutasse una cosa che non molto mi aggrada, per che ove dice che, «non già perch’io non sia certo, che ella non desidera laude da cose simili con tutto che essa apparisca l’eccelenza del suo ingegno», parmi ch’io voglia inferire che detto Signor Don Carlo disprezzi la Musica et che non sia per compiacersi che quest’opere sue sieno laudate, il che è molto alieno da questo signore, poi che oltra che è gran amatore di questa scienza, è riuscito tanto perfetto in essa, che nel sonare di liuto et nel componere ha pochi pari per il che mi saria di sommo contento che a contemplatione di Vostra Signoria detto Signor Peranda cambiasse queste parole, et che laudasse un poco più queste tre ricercate di detto signore et similmente la perfetta cognitione che ha di questa virtù. Ma sia il tutto detto con sopportatione 825 , che se al detto Signor Peranda pare che stia bene così, et che il non desiderare il Signor Don Carlo Gesualdo laude di queste sue compositioni si possa attribuire alla Sua modestia, di gratia non muti cosa alcuna, et sia come si voglia, o, in questo modo o nell’altro che restasse servito di accomodarla, facia Vostra Signoria per cortesie con nostro 826 Signor Prospero che si stampi quanto prima, aciò che il stampatore non perda tempo. Nel resto Signor mio dolcissimo io me ne sto qua fuora alegramente spendendo la magior parte del tempo a studiare sonando, componendo et legendo, siché li giorni passono ch’io non me ne n’aveggo, et tanto più per le solite amorevolezze ch’io ricevo giornalmente dal Signor Principe mio padrone. 824 desiata : DeFord lit desiderata ; Lippmann lit desiata sopportatione : Lippmann lit sopportitione 826 Lippmann lit nostro Signor Prospero. DeFord lit Signor Prospero. 825 598 Vostra Signoria non manchi per gratia di farmi degno talhora delle sue lettere, indirizzandole a Napoli al Signor Gioseppe Piloni, o, pur al Signor Hettore nostro, dal quale mi saranno poi mandate sicuramente. Che sarà fine di questa baciando le mani di Vostra Signoria pregandola da Dio ogni desiato contento. Di Napoli alli 30 di luglio 1586 Di Vostra Signoria Servitore et Fratello Giovanni de Macque 599 Très Magnifique Seigneur, Frère très respecté J’ai finalement reçu la lettre dédicatoire du Sieur Peranda que j’attendais tant, laquelle, à mon sens, est très belle et j’ai écrit à notre Sieur Prospero qu’on l’imprime, si jamais elle n’était pas encore imprimée à cette heure827 . Mais pour parler librement avec Votre Seigneurie, si jamais elle n’était pas encore imprimée, il me serait précieux que, pour me satisfaire complètement, ledit Sieur Peranda y changeât une chose qui ne me plaît pas beaucoup. En effet, lorsqu’il est dit « non parce que je pense que vous désirez être loué pour de semblables choses, même si celles-ci démontrent clairement l’excellence de votre talent » 828 , il me semble que cela insinue que ledit Seigneur Don Carlo Gesualdo méprise la Musique et qu’il lui déplaise que ces œuvres soient louées, ce qui est complètement étranger à ce seigneur qui, en plus d’être un grand amateur de cette science, la maîtrise si parfaitement qu’il a peu d’égaux, tant pour jouer du luth que pour composer. C’est pourquoi je serais extrêmement content, si Votre Seigneurie le juge nécessaire, que ledit Peranda y changeât ces quelques mots, et qu’il louât un peu plus les trois ricercares de ce Seigneur, ainsi que la parfaite connaissance qu’il a de cette vertu 829 . Mais je dis tout cela en m’en excusant d’avance, et s’il semble au Sieur Peranda que tout va très bien ainsi, et que la modestie du Seigneur Don Carlo Gesualdo puisse expliquer qu’il ne désire pas de louanges de ces compositions, de grâce, ne changez rien. Et quoi qu’il en soit, dans cette version ou dans l’autre – qu’il reste libre d’arranger à sa convenance –faites en sorte, avec le Sieur Peranda, que le tout soit imprimé au plus vite afin que l’imprimeur ne perde pas de temps. D’autre part, mon très doux Seigneur, je me trouve très bien ici hors de Naples, car je passe la plus grande partie de mon temps à étudier, jouant de la musique, composant et lisant, si bien que les jours passent sans que je ne m’en rende compte, et ceci d’autant plus 827 La lettre de dédicace de Peranda a été conservée (voir infra, p. 629). Macque fait référence à trois ricercares de Gesualdo imprimés dans ses Ricercate et Canzoni Francese a quattro voci (Roma, Alessandro Guardano, 1586) et cite les mots de la dédicace de Peranda. 829 J’ai conservé ici le terme vertu, qui était encore synonyme d’art dans l’Italie de la fin du XVIe siècle. 828 600 grâce aux bontés quotidiennes que j’ai l’habitude de recevoir du Seigneur Prince, mon maître 830 . De grâce, que Votre Seigneurie ne manque pas de me m’honorer de temps en temps de ses lettres, en les adressant au Sieur Gioseppe Piloni, ou bien à notre Sieur Hettore, qui me les enverra sans faute. Pour finir, je baise les mains de Votre Seigneurie, en priant Dieu qu’il contente tous vos désirs. De Naples 831 , le 30 juillet 1586 De Votre Seigneurie Serviteur et Frère Giovanni de Macque 830 Carlo Gesualdo. Macque ne peut se trouver à Naples (il dit en effet être hors de cette ville dans l’avant-dernier paragraphe), mais probablement à Gesualdo, d’où est signée la lettre suivante. 831 601 Lettre 9 : 4 septembre 1586 Molto Magnifico Signor Fratello osservandissimo Credo certo che le occupationi di Vostra Signoria sieno grande, ma credo ancora che l’affetione che mi porta è grandissima, onde dovria star di sopra, et se pur non ha tempo di scrivermi ogni procaccio, almeno una volta il mese dovria consolarmi, sì come spero che farà, partito che sarà Monsignor Illustrissimo per Bologna 832 et il Signor Honorato per Spagna et il Signor Pietro 833 per fiandra, et così gliene prego quanto pregar posso, poi che rimanendo il Signor Camillo solo, credo che farà una vita conforme alla natura sua, quietissima, onde spero che Vostra Signoria havrà quanto tempo vorrà per compiacermi, et starò aspettando con desiderio ne segua l’efetto conforme al desiderio mio. Ho ricevuto la settimana passata una lettera di spagna di mio cugino, mandatami dal Signor Hettore nostro al quale è stata indirizzata, per la quale mi scrive che è risurto di novo quello negotio che Vostra Signoria sa per haver ricusato di venire colui ch’era stato chiamato di fiandra per quel servitio. Onde gli ho risposto liberamente che vegga di non imbarcarsi in modo che non possi poi sbarcarsi con honore suo, et che se pure vuole trattare di novo questo negotio lo faci come da sé, senza che paia che ne sappi l’animo mio aciò che sucedendo 834 in questo mentre, qualche cosa, come facilmente potria avenire, per la quale io ricusassi di andar a quel servitio, esso habbi largo campo di potersi scusare. Nel resto Signor mio Caro io mene sto qua al solito allegramente 835 con le solite amorevolezze del Signor Principe mio Signor, et vo perseverando tuttavia in bonissima 832 Lippmann lit Bologna ; DeFord lit Cologna. Le cardinal Enrico Caetani (1550-1599) était légat à Bologne (voir DE CARO G., « Caetani, Enrico », Dizionazio biografico degli italiani, op. cit., vol. XVI, p. 149). Onorato Caetani (1542-1592) fut fait duc par le pape Sixte V en le 23 octobre 1586. Macque fait probablement référence au séjour à Madrid qu’il réalisa juste après, en janvier 1587, pour renforcer ses relations avec Philippe II (voir DE CARO Gaspare, « Caetani, Onorato», Dizionazio biografico degli italiani, op. cit., vol. XVI, p. 207). Pietro Caetani (1552-1614), le fils d’Onorato Caetani, fit son service militaire en Flandre, d’où il ne rentra qu’en 1592 (voir RAFFAELI CAMMAROTA Marina, « Caetani, Pietro», Dizionazio biografico degli italiani, op. cit., vol. XVI, p. 217). 834 sucedendo : Lippmann lit succedendo. 835 allegramente : Lippmann lit allegrissimamente. 833 602 prosperità, che dio ne sia lodato, al quale per fine di questo prego 836 che conceda a Vostra Signoria quanto saprei desiderare per me stesso. Di Gesualdo alli 4 di settembre 1586 Di Vostra Signoria Servitore et Fratello Giovanni de Macque en bas de la page mi farà gratia di farmi intendere se ha fatto ancora essito di quelli guarnimenti di spada et pugnale Très Magnifique Seigneur et Frère très respecté Je suis absolument convaincu que les occupations de Votre Seigneurie sont grandes, mais je crois aussi que l’affection que vous me portez est très grande et devrait donc primer et, même si vous n’avez pas le temps de m’écrire à tous les courriers, une lettre par mois devrait me consoler. J’espère bien que vous le ferez, maintenant que sont partis Monseigneur Illustrissime pour Bologne, le Seigneur Honorato pour l’Espagne et le Seigneur Pietro pour les Flandres. Je vous en prie autant que je le puis et, comme il ne reste avec vous que le Seigneur Camillo, je crois que Votre Seigneurie mènera une vie très calme conforme à sa nature, c’est pourquoi j’espère que Votre Seigneurie aura tout le temps qu’elle voudra pour me satisfaire, et j’attendrai impatiemment que mon désir soit réalisé. J’ai reçu la semaine dernière une lettre d’Espagne de mon cousin, envoyée par notre Sieur Hettore à qui elle avait été adressée, dans laquelle il m’écrit qu’est réapparue de nouveau l’affaire que Votre Seigneurie sait 837 , car celui qui avait été appelé des Flandres pour ce poste s’est refusé à venir. Ce à quoi je lui ai répondu librement qu’il veille à ne pas 836 837 questo : peut-être questa. Macque fait allusion au poste en Espagne dont il a été question dans les premières lettres. 603 s’embarquer dans cette affaire au point de ne plus pouvoir s’en sortir honorablement, et que s’il veut tout de même essayer de renégocier, qu’il le fasse comme si cela venait de lui, sans sembler connaître mon avis sur la question, afin que s’il arrivait quelque chose entre temps, comme cela pourrait facilement se produire, qui me fasse refuser ce poste, il ait le champ libre de s’excuser. D’autre part, mon cher Seigneur, je me trouve, comme d’habitude, très bien ici, grâce aux attentions quotidiennes du Seigneur Prince mon Seigneur, et je continue à jouir d’une grande prospérité. Que Dieu en soit loué, à qui, pour finir, je prie de concéder à Votre Seigneurie tout ce que je saurais désirer pour moi-même. De Gesualdo, le 4 septembre 1586 De Votre Seigneurie Serviteur et Frère Giovanni de Macque en bas de la page De grâce, si vous avez déjà réussi à écouler mon équipement d’épées et de poignards, tenez-en moi au courant. Lettre 10 : 13 novembre 1586 Molto Magnifico Signor Fratello osservandissimo Con infinito dispiacere ho inteso la indispositione di Vostra Signoria, essendomi la Sua salute cara al par della mia istessa, ma poi che era già convalescente, spero in Dio che haverà già del tutto riaquistato la pristina sanità, il che mi sarà di grandissima consolatione di poter intendere, et piacia a Dio segua presto. 604 Ho ricevuto dal 838 Signor Prospero nostro il compimento delle mie ricercate et per gratia Vostra Signoria non si pigli più basca alcuna per quella lettera dedicatoria, poi che quanto piu la leggo et rileggo, tanto più mi par bella, et priva di ogni afettatione. Ho inteso con mio gran dispiacer la morte del Pervue, che sia in gloria, et con piacer che il Soriano habbi havuto il loco suo et se qualche altre novità seguirà fra quelli virtuosi, Vostra Signoria mi farà sommo piacer di farmela intendere, et per essere mancato al Signor Locatello nostro, il Cardinale San Sisto suo padrone, per gratia avisami con chi si tratiene al presente. Circa quelli guarnimenti, già che quelli spadari fanno al presente si poche facende, converrà a spettare qualche occasione per smeltirli 839 la quale presentandosi so che lei non la lascierà perdere. Nel resto Signor mio io mene sto qui tuttavia allegramente 840 sano et gagliardo per gratia de Dio, et attendo a avanzare quanto più posso, per potermi finalmente ritirare a godere quell’Alma città di Roma, che piaccia a sua 841 divina Maiestà far nascere qualche occasione, acciò segua quanto prima, et che fìa questo mezzo 842 et per sempre conceda a Vostra Signoria quanto desia. Di Caletri alli 13 di Novembre 1586 Di Vostra Signoria Servitore et Fratello Giovanni de Macque Très Magnifique Seigneur, Frère très respecté 838 dal : DeFord lit del ; Lippmann lit dal. DeFord lit smeltire, mais sans doute faut-il lire smaltire (écouler), que l’on retrouve orthographié ainsi dans la lettre du 10 juillet 1587. 840 allegramente : Lippmann lit ralegrissimamente. 841 sua : DeFord lit suo. 842 DeFord lit mezzo mais peut-être faut-il lire sezzo (dernier, final). 839 605 J’ai appris avec un infini déplaisir l’indisposition de Votre Seigneurie, votre santé m’étant aussi chère que la mienne. Mais puisque vous étiez déjà convalescent, je prie Dieu que vous ayez déjà retrouvé complètement la santé, cela me réconfortera grandement de l’apprendre, qu’il plaise à Dieu que cela s’ensuive bientôt ! J’ai reçu aujourd’hui de notre Seigneur Prospero le complément de mes ricercares et, de grâce, que Votre Seigneurie ne se fasse plus de bile 843 pour cette lettre dédicatoire, car plus je la lis et relis, plus elle me semble belle, et privée de toute affectation. J’ai appris avec un grand déplaisir la mort de Pervue844 , paix à son âme, et avec plaisir que Soriano lui succèdera, et s’il arrive quelque autre nouvelle de ces virtuoses, Votre Seigneurie me fera un immense plaisir en m’en tenant informé, et puisque notre Seigneur Locatello 845 se retrouve désormais privé de son maître le cardinal San Sistro 846 , de grâce, avisez-moi auprès de qui il demeure présentement. À propos de mon équipement, puisque ces armuriers en font en ce moment si peu de cas, il conviendra d’attendre une meilleure occasion pour l’écouler, mais je suis convaincu que vous ne la laisserez pas passer lorsque celle-ci se présentera. D’autre part, mon Seigneur, je me trouve toujours aussi bien ici, en bonne santé, vigoureux et, par la grâce de Dieu, et je m’applique à économiser le plus possible afin de pouvoir enfin me retirer à Rome pour jouir de cette noble ville. Qu’il plaise à sa divine Majesté de faire naître quelque circonstance favorable afin que cela se produise le plus tôt 843 Basca est un terme napolitain, qui signifie angoisse, mal-être (voir CORTELAZZO Manlio, MARCATO Carla, I dialetti italiani, Torino, UTET, 1998, p. 67). J’ai traduit l’expression pigliare basca par une locution légèrement familière afin de rendre le registre dialectal. 844 Nicolas Peruve (Peruue, Pervue, ou Perue) succède à Orazio Caccini à Santa Maria Maggiore vers 1581. Soriano reprend son poste en 1586 (voir O’REGAN Noel, « Soriano, Francesco », Grove Music Online, http://www.grovemusic.com/shared/views/article.html?section=music.26258, accès le 5 septembre 2007). Pervue mourut le 26 septembre 1586, c’est-à-dire seulement 18 jours avant que Macque ne rédige cette lettre. Sur la mort de Pervue voir notamment MORELLI Arnaldo, Il tempio Armonico, musica nell’oratorio dei Filippini in Roma (1575-1705), op. cit., p. 11. 845 Giovanni Battista Locatello faisait partie, comme Macque, de la Compagnia dei musici di Roma (il composa en effet un madrigal dans les deux anthologies de madrigaux de la congrégation). Il fut aussi organiste à Saint Pierre de Rome dans les années 1580, ainsi qu’à Santo Spirito in Saxia de 1579 à 1595 Noel, « Locatello, Giovanni Battista », Grove Music Online, (voir O’REGAN http://www.grovemusic.com/shared/views/article.html?section= music.16842.) 846 Le cardinal Filippo Boncompagni, neveu du Pape Grégoire XIII, mourut 7 juin 1586 et fut enterré à Santa Maria Maggiore. Paolo Bellasio lui dédicaça son Secondo libro de madrigali a cinque voci en 1582. Voir COLDAGELLI Umberto, « Boncompagni Filippo », Dizionario Biografico degli Italiani, op. cit., vol. 11, p. 687 606 possible ! Pour finir, je prie qu’elle concède toujours à Votre Seigneurie tout ce que vous désirez. De Caletri 847 , le 13 novembre 1586 De Votre Seigneurie Serviteur et Frère Giovanni de Macque 847 Calitri, qui appartenait aux Gesualdo depuis 1304, se situe à une centaine de kilomètres à l’est de Naples. 607 Lettre 11 : 10 juillet 1587 Molto Magnifico Signor Fratello osservandissimo Scrivendomi il Signor Prospero nostro che Vostra Signoria gli ha detto di dubitare ch’io sia scoruciato 848 seco per non haverli risposto a l’ultima sua non posso assai maravigliarmi di questo suo sospetto, non havendomene dato occasione alcuna. Onde parmi di haver magior occasione di lamentarmi di lei, poi che s’io non le diedi risposta, fu per mancamento di occasioni, ove per il contrario,non scrivendomi lei stessa questo suo dubio si può attribuire a mancamento di affettione, oltra che se lei mi vuole bene, et che 849 sia certa come dovria essere, per l’esperienza di tanti anni che si conosciamo, che questo bene sia reciproco, non dovria mai per qualsivogli accidente di tempo o di fortuna intrare in diffidenza alcuna, che dà più tosto inditio di poco amore, che di stabile amicitia. Ma sia come si voglia, io sono et sarò sempre qual fui, servitore, amico, et bon fratello del mio Signor Norimberghi; et di questo gliene fo ampia fede con questa, la quale non havendo a servire per altro farò fine, augurandole del Signor Iddio quanto posso desiderare per me stesso. Di Napoli alli 10 di luglio 1587 Di Vostra Signoria Servitore et Fratello Giovanni de Macque en bas à gauche de la page Di novo non ci è cosa degna di relatione se non che qua si sono fatti 4000 fanti che vanno per quanto si dice in francia in soccorso del Duca di Ghisa, et havendo inteso che pur a roma sene fanno delli altri, onde si troveranno a smaltire ogni sorte d’armi, se Vostra 848 849 scoruciato : DeFord lit scorverato. et che sia : DeFord lit et sia. 608 Signoria potrà far fare essito di quelli guarnimenti di spada et pugnali miei, mene farà 850 somma gratia, della 851 quale le resterò obligatissimo. 850 851 farà : DeFord lit sarà. della : DeFord lit delle. 609 Très Magnifique Seigneur, Frère très respecté Notre Sieur Prospero m’écrit que Votre Seigneurie lui a dit se demander si j’étais fâché contre vous car je n’ai pas répondu à votre dernière lettre. Je ne pourrais trop m’étonner de vos doutes car vous ne m’en avez jamais rien montré. Il me semble donc que j’ai moi bien plus de raisons de me plaindre de vous, car si je ne vous ai pas répondu, ce fut par manque d’occasion, alors qu’au contraire on peut penser que, si vous ne m’ayez pas écrit à propos de vos doutes, cela était par manque d’affection de votre part. De plus, si vous m’aimez vraiment – et soyez sûr, comme vous devriez l’être du fait de ce lien qui nous unit depuis tant d’années que nous nous connaissons, que cette amitié est réciproque – en aucun cas vous ne devriez, pour un quelconque contretemps ou incident de fortune, devenir défiant envers moi, ce qui est plutôt signe d’un manque d’amour que d’une amitié stable. Mais quoi qu’il en soit, je suis et serai toujours tel que je fus, serviteur et ami et bon frère de mon Sieur Norimberghi : cette présente vous en témoigne amplement. Et comme celle-ci n’avait d’autres fins, je finis en vous souhaitant de Seigneur Dieu tout ce que je peux désirer pour moi-même. De Naples, le 10 juillet 1587 De Votre Seigneurie Serviteur et Frère Giovanni de Macque en bas de la page De nouveau, la seule chose qui soit digne d’être relatée est qu’il a été fait ici quatre mille fantassins qui vont, à ce que l’on dit, en France au secours du Duc de Guise ; ayant appris qu’on en faisait d’autres à Rome et qu’on y trouvera donc à vendre toute sorte d’armes, si Votre Seigneurie peut faire faire écouler mon équipement d’épées et de poignards, elle me rendra un immense service dont je lui resterai très obligé. Lettre 12 : 10 octobre 1587 610 Molto Magnifico Signor Fratello osservandissimo Ho d’haver grandissimo obligo al Signor Hettore nostro, poi che subito gionto a Roma, ha mosso 852 Vostra Signoria a consolarmi con l’amorevolissima sua di 3 del presente, cosa da me tanto desiata, mercè de l’amore fraterno che sempre le ho portato, et portero in eterno, onde la prego di non essere sì negligente a l’avenire come è stata per il passato ma di favorirmi almeno una volta il mese con darmi nova della salute sua, a me cara quanto la istessa 853 sì come dal canto mio esseguirò, certissimo che pur a lei deve essere carissimo l’intendere nova de l’essere mio, del quale ne havera havuto ampia relatione dal detto Signor Hettore, sì come al suo ritorno spero haver di quello di Vostra Signoria Et fra tanto mi ralegro infinitamente della buona speranza che lei ha di accrescimento di fortuna, mediante il favore delli suoi Signori Illustrissimi, et piacia a Dio segua presto aciò Vostra Signoria possi dar un calcio alla povertà, et potere finalmente vivere da sé senza haver bisogno d’altri, che questo è pur quanto io vo’ procurando per me stesso, et essendo già a bon termine, spero presto, con l’agiuto di Dio arivare 854 al desiato porto. Che la musica sia come bandita di 855 Roma non mi è cosa nova poi che da ch’io ci era, andava tuttavia declinando, ma mi piace bene che quella della Serenissima 856 Madona de l’Orso 857 si continui tuttavia, come spero che sempre si continuerà, et tanto ch’io spero di intervenirci ancora io qualche giorno, che sarà 858 forsi più presto di quello che Vostra Signoria s’imagina. Nel resto Vostra Signoria mi farà gratia di far havere al Signor Hettore la qui inclusa quanto prima, et per che gli prego che voglia da parte mia andare a fare reverenza a Monsignor Serafino mio padrone, se Vostra Signoria potesse favorirmi di andar in 852 mosso : DeFord lit mosto ; Lippmann lit mosso. Peut-être mia istessa. 854 arivare : DeFord lit arrivare ; Lippmann lit arivare. 855 di : DeFord lit da. 856 Serenissima : DeFord lit Signora ; Lippmann lit Serenissima. 857 Orso : DeFord lit Orto, Lippmann lit Orso. 858 sarà : DeFord lit farà ; Lippmann lit sarà. 853 611 compania sua, se ben non fusse per altro che per farlo introdurre 859 dal detto Signor conoscendo lei tutti quelli di casa, mene farà gratia singolarissima, che sara fine di questa pregando Nostro Signore che conceda a Vostra Signoria quanto desia. Di Napoli alli 10 di ottobre 1587 Di Vostra Signoria Servitore et Fratello Giovanni de Macque 859 introdurre : DeFord lit introduire ; Lippmann introdurre. 612 Très Magnifique Seigneur, Frère très respecté Je me dois d’être très obligé envers notre Sieur Hettore, puisque, à peine arrivé à Rome, il a incité Votre Seigneurie à me consoler par sa très aimable lettre du 3 de ce mois, que je désirais tant en raison de l’amour fraternel que j’ai toujours éprouvé pour vous, et que j’éprouverai éternellement. Je vous prie donc d’être moins négligent à l’avenir que vous ne l’avez été par le passé, mais de me faire l’honneur de me donner au moins une fois par mois des nouvelles de votre santé, qui m’est aussi chère que la mienne, de même que de mon côté je m’y engage également. Je suis en effet absolument certain qu’il vous est aussi précieux d’avoir des nouvelles de mon état, dont ledit Sieur Hettore vous aura certainement fait un ample récit, de même qu’à son retour j’espère en avoir un sur celui de Votre Seigneurie. Je me réjouis entre-temps infiniment des bonnes espérances que vous avez d’améliorer votre situation grâce aux faveurs de vos Seigneurs Illustrissimes, et plaise à Dieu que cela s’ensuive bientôt afin que Votre Seigneurie puisse donner un coup de pied à la pauvreté et que vous puissiez enfin vivre indépendamment, sans avoir besoin des autres. Cela est d’ailleurs tout ce que je souhaite me procurer pour moi-même, et comme j’en suis déjà à bon point, j’espère bientôt, avec l’aide de Dieu, arriver au port désiré. Que la musique soit comme bannie de Rome, cela ne m’est pas étranger, puisque quand que j’y étais, elle ne faisait déjà que décliner, mais je suis bien content que continue quand même celle de la Serenissima Madona de l’Orso 860 . J’espère qu’elle continuera toujours, d’autant plus que j’envisage d’y prendre encore part moi-même un jour, et ce sera même peut-être plus tôt que Votre Seigneurie ne se l’imagine. 860 Lippmann identifie la Madona del Orso, comme l’église attenante au palais habité par la famille Caetani dans la seconde moitié du XVIe siècle, situé dans le quartier de l’Orso à l’emplacement de l’actuelle piazza di Ponte Umberto I. Le palais et l’église, connue aussi sous le nom de Santa Maria in Posterula, furent détruits à la fin du XIXe siècle. Voir LIPPMANN Friedrich, « Giovanni de Macque tra Roma e Napoli: nuovi documenti », op. cit., p. 252 et 272. Pour DeFord, il pourrait s’agir de l’église et de l’oratorio de Santa Maria dell’Orto, située encore aujourd’hui à Trastevere. (DEFORD Ruth, Ruggiero Giovannelli and the Madrigal in Rome, op. cit., p. 288). La première hypothèse me semble cependant plus convaincante. 613 D’autre part, que Votre Seigneurie, de grâce, transmette au Sieur Hettore la lettre ici présente au plus vite dans laquelle je le prie de bien vouloir aller faire de ma part la révérence à Monseigneur Serafino 861 , mon maître. Si Votre Seigneurie pouvait me faire la faveur d’y aller en sa compagnie, ne serait-ce que pour l’introduire audit Seigneur, puisque vous connaissez tout le monde dans cette maison, vous me rendriez là un service extraordinaire. Pour finir, je prie Notre Seigneur qu’il concède à Votre Seigneurie tout ce qu’elle désire. De Naples, le 10 octobre 1587 De Votre Seigneurie Serviteur et Frère Giovanni de Macque 861 Il s’agit sans aucun doute de Serafino Razzali, le dédicataire du premier recueil de Macque, Il primo libro de madrigali a sei voci de 1576. 614 Lettre 13 : 2 juillet 1588 Molto Magnifico Signor Fratello osservandissimo Non diedi risposta a l’ultima che Vostra Signoria mi scrisse percioché [ ] mi scriveva che saria stata presto di partenza con l’Illustrissimo Signor Camillo per la sua Abbatia, et hora havendo inteso per l’amorevolissima sua di 15 del passato che era già ritornata [questa] servirà per risposta de l’una e de l’altra, dicendole [ ] et non poco mi è spiaciuto che detto Signor si sia risoluto di non toccar Napoli per questa volta, benché questo dispiacer viene quasi affatto a mitigarsi con la speranza che Vostra Signoria mi ha fatto 862 che sua Signoria Illustrissima sia per venirci in ogno modo questo settembre, onde prego Nostro Signore che segua l’efetto aciò ch’io possi goderla com’io desidero, benché spero che forsi la prevenirò, poi che havend’io grandissimo desiderio di andare a stare a Roma almeno 15, o vinti giorni per fare riverenza alli patroni miei, et insieme per visitare [gl’ami]ci miei, forsi che mi risolverò di andarci questo settembre. Che se così seguirà io spero che almeno per doi sabbati si faremo [musica] 863 alla Madona Santissima de l’Orso 864 , et oltra li gusti [che] 865 spero di haverci, io credo certo che questo sarà un delli [ma]giori, il poter godere per alcuni giorni la dolcissima conversatione del mio carissimo Signor Camillo, dal quale desiderarsi sic di saper il nome] 866 di quel Signor di Casa Caraciolo che li ha dato a l’Abbatio [buona] 867 relatione delli fatti miei, aciò ch’io sappia a chi [devo] 868 haver quest’obligo. Nel resto la ringratio delle nuove che mi ha dato, et la prego a continuare con la sua bona comodità già che il Signor Prospero nostro di rado mene scrive, che sarà fine di questa pregando il Signor Iddio le conceda il colmo di ogni felicità. Di Napoli alli 2 di Luglio 1588 869 862 fatto : DeFord lit detto : Lippmann lit fatto. Suggestion de Lippmann. 864 Orso : DeFord lit Orto ; Lippmann lit Orso. 865 suggestion de Lippmann. 866 Les trois dernières suggestions (il nome, buona et devo) sont les miennes. 867 Idem. 868 Idem. 869 DeFord date cette lettre du 12 juillet 1588, Lippmann du 2 juillet. Etant donné que Macque dit répondre à une lettre du 15 mai, la seconde hypothèse semble plus probable. 863 615 Di Vostra Signoria Servitore et Fratello Giovanni de Macque 616 Très Magnifique Seigneur, Frère très respecté Je n’ai pas répondu à la dernière lettre que Votre Seigneurie m’a écrite car vous m’y disiez que vous étiez sur le point de partir avec l’Illustrissime Seigneur Camillo pour son abbaye 870 . Ayant maintenant appris grâce à votre très aimable lettre du 15 du mois dernier que vous étiez déjà revenu, la présente servira de réponse à l’une et l’autre lettre, en vous disant [ ] et il ne m’a pas peu déplu que ledit Seigneur ne se soit résolu à passer par Naples cette fois ci, bien que ce déplaisir s’adoucisse presque complètement à l’espoir que sa Seigneurie Illustrissime y vienne à coup sûr en septembre, comme Votre Seigneurie me l’a écrit ; je prie donc Notre Seigneur que cela s’ensuive afin que je puisse jouir de votre compagnie autant que je le désire, bien que j’espère peut-être vous précéder car j’ai moimême grand désir d’aller passer à Rome au moins quinze ou vingt jours pour faire la révérence à mes maîtres et pour visiter mes amis. Je me résoudrai peut-être à y aller en septembre. Si cela s’ensuit, j’espère que nous ferons de la musique au moins deux samedis à la Madona Santissima de l’Orso 871 . Plus encore que tous les plaisirs que j’espère y trouver, je suis certain que l’un des plus grands sera de pouvoir jouir pendant quelques jours de la très douce conversation de mon très cher Seigneur Camillo. J’aimerais d’ailleurs qu’il m’apprenne le nom de ce Seigneur de la Casa Caraciolo qui, à l’abbaye, lui a fait un si bon récit me regardant, afin que je sache à qui je dois cette obligation. D’autre part, je vous remercie des nouvelles que vous m’avez données, et je vous prie de continuer ainsi, mais selon vos possibilités, étant donné que notre Sieur Prospero ne m’en écrit que rarement. Pour finir, je prie le Seigneur Dieu de vous concéder le comble de toute félicité. De Naples, le 2 juillet 1588 De Votre Seigneurie Serviteur et Frère Giovanni de Macque 870 Camillo Caetani était abbé de l’abbaye de San Vincenzo Martire al Volturno et prieur de l’abbaye de San Pietro e Stefano di Valvisciolo, situé à quelques kilomètres au nord de Sermoneta. Voir LUTZ Georg, « Caetano, Camillo », in Dizionazio biografico degli italiani, op. cit., vol. XVI, op. cit., p. 137. 871 Voir note 860. 617 Lettre 14 : 7 avril 1589 Molto Magnifico Signor Fratello osservandissimo Mi ralegro infinitamente che Vostra Signoria sia viva, et talmente viva che tuttavia vive in lei la memoria del suo carissimo Macque, onde prego il Signor Iddio che questa vita non s’estingua prima de l’altra, che per sua divina gratia cela conceda longa et felicissima, poiché io vivrei di vita molto infelice se vivendo restasse priva di vita l’incredibile affettione ch’io porto al mio Signor Norimberghi. Io scrissi li giorni passati al Signor Prospero nostro ch’io era per venirmene a Roma per fare riverenza alli patroni miei et visitar li amici, et hora per accendermi magiormente, et forsi per il desiderio che ha 872 ch’io mici fermi, mi scrive che è vacato l’Organo di Santo Giovanni Laterano, et che oltra questo, Vostra Signoria gli ha detto che [haverà] 873 trattato di farmi haver stanza in casa delli Illustrissimi Signori suoi padroni con honorata provisione. Onde se ben non posso scrivere a Vostra Signoria affermativamente 874 di andarci per li rispetti che intenderà, nondimeno mi farà gratia di avisarmi la provisione che pensa che mi dariano, et s’io potrei haver da loro la parte, o, la spesa per me et per un servitore oltre la provisione, poi che havendo qua 875 sempre tenuto servitore, parmi che non ci saria l’honor mio a starne senza. Ma aciò Vostra Signoria sappia il perché ch’io non le posso scrivere affermativamente, ha da saper ch’io mi ritrovo al presente molto irresoluto nel terminare il corso de la vita mia, poi che se venisse in Sicilia la resoluzione 876 di Spagna di un benefitio che aspetta il Maestro di Capella di quel Vice Re, io sarei subito chiamato in quel loco con 25 scudi il mese di provisione, et oltra questo io son’adesso in stretta pratica per congiongermi in matrimonio con una giovane ben nata che ha più di doi millia ducati di dote, sì che Vostra Signoria può facilmente congietturar in che laberinto io mi ritrovo al presente. Ma per che 872 ha : DeFord lit ho ; Lippmann lit ha. haverà : d’après Lippmann. 874 affermativamente : Lippmann lit affermatione. 875 avendo qua sempre : DeFord lit avendo sempre ; Lippmann lit avendo qua sempre. 876 resoluzione : DeFord lit resolusione ; Lippmann lit resoluzione. 873 618 sono cose che presto si risolveranno, di gratia non resti Vostra Signoria per questo] 877 di favorirmi di avisarmi quanto di sopra, aciò che se per sorte non si effetuassero le sopradette cose, io possa risolvermi di fare una [gita] 878 sino a Roma. Con che assicurandola ch’io le son piu servitor che mai, farò fine di questa bacciando le mani i.e. con tutto il cuore. Di Napoli alli 7 di aprile 89 Di Vostra Signoria Servitore et Fratello Giovanni de Macque 877 878 questo : d’après Lippmann. gita : d’après Lippmann. 619 Très Magnifique Seigneur, Frère très respecté Je me réjouis infiniment que Votre Seigneurie soit en vie, et tellement en vie que vit encore en elle le souvenir de son très cher Macque. Je prie donc le Seigneur Dieu que cette vie ne s’éteigne pas avant la mienne, et que, par sa grâce divine, il nous l’accorde longue et très heureuse, car je vivrais une vie très malheureuse si, tout en vivant, l’incroyable affection que je porte à mon Sieur Norimberghi devait rester sans vie. J’ai écrit ces jours-ci à notre Sieur Prospero que j’étais sur le point de m’en venir à Rome pour faire la révérence à mes maîtres et visiter mes amis. Pour m’enflammer encore plus, et peut-être par désir de me voir m’y arrêter, celui-ci m’écrit maintenant que l’orgue de Saint Jean de Latran est vacant. En outre, Votre Seigneurie lui a dit que vous essayez de me faire avoir un poste chez les Illustrissimes Seigneurs, vos maîtres, avec un honorable salaire. Bien que je ne puisse écrire affirmativement à Votre Seigneurie que je m’y rendrai dans les conditions qu’elle entendra, de grâce, informez-moi quand même du salaire que vous pensez qu’ils me donneraient, et si je pourrais bénéficier d’un payement en nature pour moi et pour un serviteur en plus de mon salaire car, ayant toujours eu ici avec moi un serviteur, il me semble que ce ne serait pas de mon rang d’en être privé. Mais afin que Votre Seigneurie sache pourquoi je ne peux lui répondre affirmativement, il faut que vous sachiez que je suis en ce moment très irrésolu quant à la manière de finir le cours de ma vie, car s’il arrivait en Sicile un ordre d’Espagne concernant un bénéfice qu’attend le maître de chapelle du vice-roi, je serais immédiatement appelé à ce poste avec vingt-cinq écus de salaire par mois. De plus, je suis en ce moment en tractation étroite pour m’unir en mariage avec une jeune fille bien née qui a plus de deux mille ducats de dot 879 . Votre Seigneurie peut donc facilement conjecturer dans quel labyrinthe je me trouve au jour présent. Mais comme ce sont des choses qui se résoudront bientôt, de grâce, que cela n’empêche pas Votre Seigneurie de m’aviser de tout, afin que, si jamais les 879 Il s’agit probablement d’Isabella Tonto, que le compositeur épouse en 1592 puisque le montant de la dot est le même. 620 choses susdites n’aboutissaient pas, je puisse me résoudre à faire un voyage à Rome. En vous assurant que je suis plus que jamais votre serviteur, je finis en vous baisant les mains de tout cœur. De Naples, le 7 avril 89 De Votre Seigneurie Serviteur et Frère Giovanni de Macque 621 Lettre 15 : 28 avril 1589 Molto Magnifico Signor Fratello osservandissimo L’amorevolissima di Vostra Signoria di 14 del presente mi è stata più che carissima scorgendo in essa il gran desiderio che ha ch’io torni a Roma, per il che dice che havria fatto nascere occasione per trattare di farmi havere qualche honorato apoggio con l’Illustrissimi Signori suoi patroni, il che sarà seguito mi farà gratia di avisarmene ogni particolarità aciò che conforme alla risposta ch’io havrò da Vostra Signoria intorno a questo particolare, et dal Signor Prospero nostro circa l’organo, io possi risolvermi di andare o di restare, già che il primo disegno ch’io havea fatto di andare per far riverenza alli padroni et visitare li amici, et poi tornarmene, è hormai svanito, poi che sopragiongendo li caldi, per andar per tornar, sarebbe per ponere manifestamente la sanità in compromesso. Et di questo ne è veramente stata causa, quel partito di Sicilia, et poi il matrimonio che si è trattato, et pur queste doe cose stanno ancora vive, benché quella di Sicilia è per tardar ancora un pezzo per li rispetti ch’io scrissi già a Vostra Signoria, onde l’altra è per concludersi o, escludersi fra 8 o dieci giorni, et di quello che seguirà la farò avisata. In tanto, se per sorte il partito che questi Signori Illustrissimi m’offerissero, fusse tale ch’io mi risolvesse 880 di lasciare questa per quella stanza, di gratia, favoriscami di farmi intendere quale suggettione et qual obligo saria il mio nel servitio di questi Signori, aciò che prima di risolvermi io sia instrutto di ogni cosa, che a dirgli il vero, io che quasi posso dire di essere stato tutto il tempo della vita mia libero, parmi che saria quasi da trattare dell’impossibile di ridurmi al presente in una servitù troppo soggetta, come sogliono essere quelle delli Cardinali con tanta assiduità in far continue guardie, et altre cose simili, delle quali vorrei se non in tutto, almeno nella magior parte essere essente, senza riconoscere altri supperiori, né essere comandato da altri che dalli patroni. Che a dire il vero a Votra Signoria, s’io non stesse più che commodo, parmi che farei una gran pazzia di lasciar Napoli, ove io son ben voluto, et molto accarezzato da questi Signori, per andar 880 risolvesse : DeFord lit risolveresse ; Lippmann lit risolvesse. 622 a stentar altrove. Che per altra occasione non mi partirei già di qua che per la realità del conversare di Roma, et per li molti amici che ci ho, ove qua posso dire di non haver in tanti anni ancora acquistato un vero amico, che io pur 881 ne ho infiniti, non però mene posso fidare come farei d’uno Norimberghi d’un Giovanelli et d’un Santino et di tant’altri, mercè della poca benevolenza che regna in questo regno fra li amici, per il che non bisogna fidarsi di nissuno, et questo è a ponto quanto mi occorre di scrivere a Vostra Signoria circa l’animo mio. 881 Suggestion de Lippmann. 623 Très Magnifique Seigneur, Frère très respecté La très aimable lettre de Votre Seigneurie du 14 de ce mois m’a été plus que précieuse car j’y ai découvert le grand désir que vous avez que je retourne à Rome, puisque vous dites essayer de trouver le moyen de me faire gagner le respectable appui des Illustrissimes Seigneurs vos maîtres. De grâce, informez-moi de tous les détails qui s’ensuivront afin que, selon la réponse que j’aurai de Votre Seigneurie à ce sujet, ainsi que du Sieur Prospero à propos du poste d’organiste 882 , je puisse me décider à partir ou à rester, vu que mon premier projet d’aller présenter mes respects à mes maîtres et visiter mes amis, puis de m’en retourner, est désormais compromis car, la chaleur étant survenue, un aller-retour mettrait à coup sûr ma santé en péril. Mais la vraie cause de tout cela a été ce poste en Sicile ainsi que le mariage qui a été négocié, et ces deux affaires sont elles aussi encore d’actualité et, même si celle de Sicile va encore tarder un peu pour les raisons dont j’ai déjà parlé à Votre Seigneurie, l’autre est sur le point de se conclure ou d’être écartée d’ici huit ou dix jours ; je vous tiendrai avisé de ce qui s’en suivra. Entre-temps, si jamais le parti que m’offrent ces Illustrissimes Seigneurs était tel que je me résolusse à laisser ce poste-ci pour celui-là, de grâce, informez-moi des assujettissements et des obligations qui seraient les miens au service de ces Seigneurs, afin qu’avant de me décider, je sois instruit de toute chose. À vous dire la vérité, il me semble, à moi qui peux presque dire avoir été libre toute ma vie, qu’il serait peine perdue de vouloir me réduire au jour présent à une servitude trop assujettie, comme le sont d’ordinaire celles des cardinaux, que l’on doit, entre autre, aider en permanence et avec grande d’assiduité. Je voudrais en être exempté, sinon complètement, au moins de la majeure partie, et ne devoir reconnaître aucun supérieur, ni être commandé par un autre que mes maîtres. À vrai dire, si je ne devais y vivre plus que confortablement, il me semble que je ferais une grande folie de quitter Naples où je suis apprécié et très bien traité par ces Seigneurs pour aller souffrir ailleurs. Si ce n’était cela, je m’en irais déjà 882 Macque fait référence au poste d’organiste à Saint Jean de Latran dont il a été question dans la lettre précédente. 624 d’ici pour retrouver la qualité de la conversation à Rome, et pour tous les amis que j’y ai, car je peux dire qu’ici je n’ai pas trouvé un seul vrai ami, moi qui pourtant en ai une infinité. Je ne peux cependant m’y fier comme je le ferais d’un Norimberghi ou d’un Giovannelli ou d’un Santino ou de tant d’autres encore, à cause du peu de bienveillance qui règne entre les amis dans ce royaume, où l’on ne peut se fier à personne. Cela est tout ce que j’ai à écrire à Votre Seigneurie à propos de mes sentiments. 625 Sono molti anni ch’io non ho scritto né havuto lettere di casa mia et questo per non haver havuto comodità di indirizzare le mie, et sapendo che li Signori Pietro et Ruggiero Gaetani si ritrovano tuttavia in fiandra, per cortesia Vostra Signoria mi scriva in qual terra sogliono stare, et perché non può essere che qualche lor servitore non sene sia ritornato, di gratia domandi a questo tale, se non vi saria nissuna sorte di comodità di poter indrizzare lettere a Valencene che è la città ove son nato, perché se si potesse sperare qualche bono recapito, io mi servirei in questo del favor di Vostra Signori, et in qualche progresso di tempo potrei per questa medesma via tentare di ricevere li denari che li miei parenti mi sono debitori da molti anni in qua, il che di quanto giovamento mi saria, credo che facilmente selo potrà imaginare, onde la prego per farmi gratia di pigliarne diligente informatione, con farmi intendere il tutto. Mi è piaciuto infinitamente l’intendere che li Signori Musici della Santissima Trinità si habbino al solito fatto honore, et tanto più per esserne, com’io credo, stato capo il Signor Rugiero tanto amico nostro commune. Il che mi fa credere che Vostra Signoria l’haverà favorito spesse volte, sì come all’incontro credo che lei ne haverà ricevuto il contracambio alla Madona de l’Orso 883 , ove credo che pur si seguiti la musica già continuata tanti anni sono, a instanza dell’Illustrissimi Signori Suoi. La ringratio delle nove dattemi et la prego a continuare et di farmi intendere se il Caveliero del liuto et messer Bartolomeo si sono retirati alli servitij del Cardinale Mont’alto come si è detto qua. Il che sarà fine di questa baciando le mani di Vostra Signoria pregandole da Nostra Signore ogni vero contento. Di Napoli alli 28 di April 1589 Di Vostra Signoria Magnifico Illustrissimo Servitore et Fratello Giovanni de Macque Il y a de nombreuses années que je n’ai ni écrit ni eu de lettres de mon pays, car je n’avais trouvé aucun moyen de les adresser. Sachant que les Seigneurs Pietro et Ruggiero 883 Orso : DeFord lit Orto ; Lippmann lit Orso. 626 Caetani 884 se trouvent en ce moment en Flandre, s’il vous plaît, que Votre Seigneurie m’écrive en quelle terre ils ont l’habitude d’aller, et comme il est impossible qu’aucun de leurs serviteurs ne soit pas encore revenu, demandez à l’un d’entre eux s’il y aurait pas un moyen d’adresser mes lettres à Valenciennes, la ville où je suis né. Car si je pouvais espérer obtenir une adresse fiable, je profiterais des faveurs de Votre Seigneurie, et en peu de temps je pourrais par ce moyen tenter de recevoir l’argent que me doit ma famille depuis déjà tant d’années. Je suis convaincu que vous pourrez facilement vous imaginer à quel point cela me serait utile. Je vous prie donc de me faire la grâce de vous en informer diligemment et de me tenir au courant. J’ai été infiniment heureux d’apprendre que les Seigneurs Musiciens de la Santissima Trinità 885 se sont distingués comme toujours, d’autant plus que le chef en a été, il me semble, le Seigneur Rugiero 886 , notre si bon ami commun. Cela me fait croire que vous l’aurez honoré de nombreuses visites, et que de votre côté, vous l’aurez certainement reçu aussi à la Madona del Orso 887 , où je crois que l’on poursuit cette musique qui continue déjà depuis tant d’années, à l’instance de vos Illustrissimes Seigneurs. Je vous remercie des nouvelles que vous m’avez données, et je vous prie de me faire savoir si le Chevalier du Luth et messer Bartholomeo sont entrés au service du Cardinal Montalto 888 , comme on le dit ici. Pour finir, je baise les mains de Votre Seigneurie et en priant Notre Seigneur pour le contentement de tous vos désirs. De Naples, le 28 avril 1589 884 Macque a déjà évoqué le service militaire de Pietro Caetani en Flandre dans la lettre du 4 septembre 1586. Son frère, Ruggero Caetano, l’accompagna pendant un certain temps (voir CAETANI Gelasio, Domus Caietana. Storia documentata della famiglia Caetani, vol. 2, op. cit., p. 251-254 et RAFFAELI CAMMAROTA Marina, « Caetani, Pietro», Dizionazio biografico degli italiani, op. cit., vol. XVI, p. 217). 885 Pour Lippmann, il s’agirait là de la Santissima Trinità degli Scozzesi, qui connut une riche activité musicale dans les années 1580 (voir LIPPMANN Friedrich « Giovanni de Macque tra Roma e Napoli: nuovi documenti », op. cit., p. 273). Il me semble cependant plus probable que Macque se réfère à la Santissima Trinità dei Pellegrini, qui comptait le cardinal Enrico Caetani parmi ses protecteurs, pour qui Macque composa plusieurs motets polychorals (voir Voir O’REGAN Noel, Institutional Patronage in Post-Tridentine Rome: Music at Santissima Trinità dei Pellegrini, 1580–1650, op. cit., p. 69-71 et 78). 886 Ruggiero Giovannelli participa activement à la vie musicale de la Santissima Trinità dei Pellegrini (idem, p. 64-65 et 74-75). 887 Voir note 860. 888 Le cardinal Montalto, Alessandro Peretti Damasceni, fait partie des grandes figures du mécénat de la fin de la Renaissance. Vincenzo Giustiniani évoque son goût pour la musique dans son Discorso sopra la musica, et fait allusion au Cavaliere del Leuto parmi les musiciens qui furent à son service (voir GIUSTINIANI Vincenzo, Discorso sopra la musica de' suoi tempi, in SOLERTI Angelo, Le origini del melodramma, op. cit., p. 100). Sur le cardinal Montalto, voir en particulier Cametti Alberto, « Chi era 627 De Votre Seigneurie Magnifique et Illustrissime Serviteur et Frère Giovanni de Macque l’« Hippolita », cantatrice del cardinal di Musikgesellschaft », XV, 1913-1914, p. 111-123. 628 Montalto ? », Sammelbände der Internationalen Lettres de dédicace des Ricercate et Canzoni francese de Macque Version de Macque (document non autographe) au recto Lettera dedicatoria per le mie Ricercate et Canzoni francese a quattro voci au verso All’Illustrissimo Signor mio, et Patrone osservandissimo Il Signor Don Carlo Gesualdo In questo mio libro di Ricercate et Canzoni francesi, frutto delle mie fatiche, prodotto in casa di Vostra Signoria Illustrissima, che ultimamente io ho deliberato di dar alla stampa, si vederanno impresse tre Ricercate composte da lei: per le quali conoscerà a pieno il mondo, quanto ella habbia perfetta cognitione della Musica, et con quanto studio vi si sia bene impegnata. Il che io ho fatto ad arte per rendermi sicuro, che mentre elle saranno riconosciute, ammirate, et riverite, come degne figliole di Vostra Signoria Illustrissima, in conseguenza, le opere mie habbiano la parte del lor respetto 889 , se 890 non per merito loro, almeno come serve collocate appresso di tre sorelle tanto Illustri, nate d’un Padre sì celebre, non pure per lo splendor del suo sangue, ma anco per l’Eccenlenza di tante sue virtù singolari. E sì come, sotto la sua protettione, io mi reputo di viver fortunato, così m’assicuro, che elle viveranno felicissime. Le dedico, et presento dunque a Vostra Signoria Illustrissima con la maggior humilità, et devotione, che posso, et la supplico, che si degni di favorirle in modo tale, ch’io possa andarmi animando di consecrarle altre cose per l’avenire, che paiono degne di lei, alla quale bascio riverentemente le mani. Di Napoli a 20 di Giugno 1586 Di Vostra Signoria Illustrissima 889 890 D’après Lippmann se : Lippmann et DeFord lisent e 629 Affettionatissimo Servitore Giovanni de Macque 630 au recto Lettre de dédicace pour mes ricercares et chansons française à quatre voix au verso À mon Illustrissime Seigneur et maître très respecté Le Seigneur Don Carlo Gesualdo Dans ce livre de ricercares et chansons françaises, fruit de mon travail réalisé chez Votre Seigneurie Illustrissime, que je me suis finalement résolu à faire imprimer, on pourra voir trois ricercares composés par vous, grâce auxquels le monde entier pourra connaître pleinement la parfaite connaissance que vous avez de la Musique ainsi que les études approfondies vous avez réalisées. Je l’ai fait afin de m’assurer que, alors que ceux-ci seront reconnus, admirés, et révérés comme digne progéniture de Votre Seigneurie Illustrissime, mes œuvres puissent jouir par conséquent d’une partie de ce respect, si ce n’est pour leur mérite, au moins en tant qu’esclaves placées aux côtés de trois sœurs si illustres, nées d’un père si célèbre, non seulement par la splendeur de son sang, mais aussi par l’excellence de toutes ses vertus extraordinaires. Et comme je me considère fortuné de vivre sous votre protection, je m’assure ainsi qu’elles vivront elles aussi très heureuses. Je les dédie et présente donc à Votre Seigneurie Illustrissime avec l’humilité et la dévotion la plus grande que je puis, et je vous supplie de daigner les protéger de façon à ce que puisse continuer à espérer vous consacrer à l’avenir d’autres choses dignes de vous, à qui je baisse les mains avec révérence. De Naples, le 20 juin 1586 De Votre Seigneurie Illustrissime Serviteur très affectionné 631 Giovanni de Macque 632 Version de Peranda All’Illustrissimo Signor mio, et Patrone osservandissimo Il Signor Don Carlo Gesualdo In questo libro di Ricercate, et Canzoni Francesi, opera uscita da me nei servitij di Vostra Signoria Illustrissima, tengono principal luogo tre Ricercate composte da lei, le quali, presupposta la sua licenza, mando con altre mie alla stampa, non già perch’io non sia certo, ch’ella non desidera laude da cose simili, con tutta ch’in essa apparisca l’Eccellenza del suo ingegno: ma perché conosca, che alli compagni ne venirà quella luce et quell’ornamento, che non hanno potuto ricevere dalla mia imperfettione. Conosco ancora, che, dovendo io per la stessa causa, oltre all’obligo della servitù, dedicare a Vostra Signoria Illustrissima le mie fatiche, il rispetto della virtù, e del nome suo potrà renderne più benigno il giuditio d’altri, et salvarmi da qual si voglia maligna, o, troppo severa censura. Supplico riverentemente Vostra Signoria Illustrissima a concedermi in ciò la volontà con l’autorità sua, accettando da me l’affetto della mia sincera devotione, et persuadendosi, che dal libro, che io le dedico, non cerco altro honore, che di far manifesto al mondo, che ogni mia attione et studio ha per fine il servirla. Con che le bascio humilmente le mani. Di Napoli alli 30 di luglio 1586 Di Vostra Signoria Illustrissima Affettionatissimo Servitore Giovanni de Macque 633 À mon Illustrissime Seigneur et maître très respecté Le Seigneur Don Carlo Gesualdo Dans ce livre de ricercares et chansons françaises, œuvre que j’ai produite pendant mon service auprès de Votre Seigneurie Illustrissime, le rôle principal est tenu par les trois ricercares composés par vous, que, avec votre permission, je fais imprimer avec les miens, non parce que je pense que vous désirez être loué pour de semblables choses, même si celles-ci démontrent clairement l’excellence de votre talent, mais afin que ses compagnons connaissent cette lumière et cet ornement qu’ils n’auraient pas pu recevoir de ma seule imperfection. Je sais aussi que, devant pour les mêmes raisons, outre les obligations de ma servitude, dédicacer à Votre Seigneurie Illustrissime mon travail, le respect de la vertu et de votre nom pourra me rendre plus bienveillant le jugement d’autrui, et me sauver de quelque censure méchante ou trop sévère. Je supplie avec révérence Votre Seigneurie Illustrissime de satisfaire ainsi mon désir grâce à son autorité, en acceptant de moi le sentiment de ma dévotion sincère, et en étant persuadé qu’en lui dédicaçant ce livre, je ne cherche d’autre honneur que de manifester au monde entier que toutes mes actions et tout mon travail ont pour fin de vous servir. Je vous baise humblement les mains. De Naples le 30 juin 1586 De Votre Seigneurie Illustrissime Serviteur très affectionné Giovanni de Macque 634 Ill. 6 : lettre du 7 juin 1586 (Archivio Caetani n. 4311) 635 Bibliographie Sources manuscrites Italie, Archivio Caetani di Roma n. 4301 (lettre du 31 janvier 1586) n. 49315 (lettre du 7 mars 1586) n. 4312 (lettre du 29 mars 1586) n. 4311 (lettre du 7 juin 1586) n. 4898 (lettre du 14 juin 1586) n. 69415 (lettre du 20 juin 1586) n. 4909 (lettre du 28 juin 1586) n. 4303 (lettre du 30 juillet 1586) n. 7352 (idem) n. 28927 (lettre du 4 septembre 1586) n. 28365 (lettre du 13 novembre 1586) n. 128637 (lettre du 10 juillet 1587) n. 181240 (lettre du 10 octobre 1587) n. 28368 (lettre du 2 juillet 1588) n. 18694 (lettre du 7 avril 1589) n. 58194 (lettre du 28 avril 1589) Sources théoriques et historiques ALIDOSI-PASQUALI Giovanni Nicolò, Li dottori bolognesi di legge canonica e civile, Bologna, Tebaldini, 1620. 636 AMMIRATO Scipione, Delle famiglie nobili napoletane, Firenze, Massi da Furli, 1651, éd. fac-similé Bologna, Forni, 1973. 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