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iell artins es ?
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SPÉ
CIAL
MODE
& BU
SINE
SS
ÉDITO
Avez-vous remarqué que les magazines n’ont plus
de baseline ? Terminé « le poids des mots, le choc des
photos » et autre « magazine de l’homme moderne ».
Aujourd’hui, les magazines ont des noms génériques :
Numéro, Another, Industrie – sans compter Magazine.
Que se cache-t-il derrière cette stratégie d’effacement ?
Probablement que la presse écrite n’a plus grand-chose
à revendiquer, pas même un regard singulier, ou alors
purement stylistique.
Un point de vue ? pour quoi faire ? Et, de fait, si on
regarde les différents titres, les mêmes infos s’y débattent sous des atours variés, mais peu de sujets sont
produits ex nihilo ou dans le dos de la fée actualité.
Alors, si les variations concernent le style, les magazines
sont devenus une affaire de direction artistique, et c’est
(presque) tout. Heureusement, un presque subsiste…
Angelo Cirimele
magazine no 3
3
magazine no 3
4
magazine no 3
5
Sommaire
p.12 — Brèves
P.76 — Portfolio
SHOP ASSISTANT
Photographie : Charles Fréger
P.16 — Magazines
Under Current / A Perfect Guide / Vintage Magazine /
Too Much / Work Style
TEXTES
P.26 — Shopping
26 E fESTIVAL
INTERNATIONAL
DE MODE ET
DE PhOTOGRAPhIE
426 EUROS
Portfolio de Fred Lebain
P.88 — Contre
La musique au restaurant
Par Gabriel Gaultier
TEXTES
P.90 — Mood-board
Capes 60’s, 70’s, 80’s
Par Florence Tétier
P.36 — Interview
Le glamour vu d’en bas
Par Farid Chenoune
fESTIVAL 29 AVRIL - 2 MAI
ExPOSITIONS 29 AVRIL - 29 MAI
P.94 — Chronique
Quoi de neuf, doc ?
Par Judicaël Lavrador
P.39 — Biographie
Kenzo
Par Marlène Van de Casteele
DÉfILÉS
RENCONTRES
P.44 — Images
Le sexe des anges
Par Céline Mallet
www.VILLANOAILLES -hyERES.COM
P.46 — Lexique
Cool
Par Anja Aronowsky Cronberg
VILLA NOAILLES,
COMMUNAUTÉ D’AGGLOMÉRATION
TOULON PROVENCE MÉDITERRANÉE
P.48 — Chronique
Jeunes pousses
Par Stéphane Wargnier
ExPOSITIONS
P.96 — Off record art
Le dessous des foires
par Emmanuelle Lequeux
P.99 — Histoire
L’éventail
Par Marlène Van de Casteele
P.102 — Design
Le dessein et la forme
par Pierre Doze
P.104 — Rétrovision
revista Estudios
par Pierre Ponant
P.50 — Rencontre
Vincent B.
Par Mathias Ohrel
PORTFOLIO
P.52 — Off record mode
La mode de demain
Par Angelo Cirimele
P.108 — Useless landscape
Portfolio De Pablo Leon de la Barra
P.118 — Abonnement
MODE
P.119 — Agenda
P.56 — Portfolio
Brygida
Photographie : Alex Vanagas
Stylisme : Sara Bascuñán Alonso
P.121 — 10 Chiffres
Par Clément Corraze
P.68 — Portfolio
LELA
Photographie : Alexandra Catière
Stylisme : Élisa Nalin
© Daniel Sannwald
magazine no 3
6
magazine no 3
7
CONTRIBUTEURS
alex vanagas
photographer
PROFESSEUR de DESIGN & MODE
Céline Mallet
FARID CHENOUNE
ÉCRIT SUR LA MODE
journaliste et critique d’art
Votre principale occupation ces jours-ci ?
Photography and a bit of video work too.
Le projet qui vous tient à cœur ?
It has to do with bikes, cars, and the metro — getting
around town.
Le dernier magazine que vous avez acheté ?
A travel magazine about Arizona.
Votre principale occupation ces jours-ci ?
Surfer avec adresse entre les cartons: je déménage.
Le projet qui vous tient cœur ?
Dessiner davantage. Le dernier magazine que vous avez acheté ?
i-D (mais j’ai beaucoup trop de magazines…)
Votre principale occupation ces jours-ci ?
Régler des problèmes administratifs.
Le projet qui vous tient à cœur ?
Un livre.
Le dernier magazine que vous avez acheté ?
Vestoj.
Votre principale occupation ces jours-ci ?
De retour de Mexico, écrire des papiers sur une année du
Mexique qui ne verra sans doute jamais le jour.
Le projet qui vous tient à cœur ?
La seconde édition de la biennale de Belleville, prévue
pour l’automne 2011
Le dernier magazine que vous avez acheté ?
Les Inrocks, avec Eric et Ramzy en couv !
ELISA NALIN
CHARLES FRÉGER
JudicaËl Lavrador
CLÉMENT CORRAZE
Votre principale occupation ces jours-ci ?
Organiser ma semaine milanaise des défilés.
Le projet qui vous tient à cœur ?
Mes études et mes activités bouddhistes.
Le dernier magazine que vous avez acheté ?
Vogue Italia.
Votre principale occupation ces jours-ci ?
Je réalise une série sur le paganisme en Europe, qui sera
mon prochain livre. Je travaille aussi activement
au déploiement de notre réseau POC (pocproject.com) en
Amérique et en Asie.
Le projet qui vous tient à cœur ?
Partir en vacances avec ma famille.
Le dernier magazine que vous avez acheté ?
Pop.
Votre principale occupation ces jours-ci ?
Chanter Heart in a Cage des Strokes
(“See, i’m stuck in a cityyyyyy /
But iiiiiiii belong in a field…”).
Le projet qui vous tient à cœur ?
D’abord maîtriser L’Anatomie du scénario avec
John Truby. Après on verra.
Le dernier magazine que vous avez acheté ?
Beaux-Arts (mais on me l’a donné).
Votre principale occupation ces jours-ci ?
Aménager un bateau pour un célèbre malletier.
Le projet qui vous tient à cœur ?
Trouver plus de temps pour écrire... Et accessoirement
nourrir lepositionnement des marques pour lesquelles je
travaille afin de mieux
porter leur vision.
Le dernier magazine que vous avez acheté ?
Lurve et Purple, je ne
sais pas en acheter un seul à la fois.
PHOTOGRAPHE
STYLISTE ET CONSULTANTE
magazine no 3
8
emmanuelle lequeux
EVENT MAKER
Critique d’art
magazine no 3
9
Style, media & creative industry
MAGAZINE
n° 3 - VOL. 2 - MARS, AVRIL, MAI 2011
Rédacteur en chef
Angelo Cirimele
—
Directeur artistique
Yorgo Tloupas
assisté de Charlie Janiaut
—
Photographes
Alexandra Catière, Charles Fréger, Charlie Janiaut (magazines), Fred Lebain, Pablo Leon de la Barra, Alex
Vanagas
—
Stylistes
Sara Bascuñán Alonso, Clara Lidström (accessoires), Élisa
Nalin
—
Contributeurs
Clément Corraze, Anja Aronowsky Cronberg, Farid
Chenoune, Pierre Doze, Gabriel Gaultier, Judicaël
Lavrador, Emmanuelle Lequeux, Céline Mallet, Mathias
Ohrel, Pierre Ponant, Florence Tétier, Yorgo Tloupas,
Marlène Van de Casteele, Stéphane Wargnier
—
Illustratrice
Florence Tétier
—
Iconographe
Nathalie Belayche
—
Remerciements
Jean-Charles Bassenne, Sarah Bouakline, Jean-Paul Hirsch,
Galerie Jousse, le Trianon, Gabriel Vieille, Monsieur X
—
Traduction
Kate van den Boogert, Philippe Gontreux
—
Secrétaire de rédaction
Anaïs Chourin
—
Publicité
Favori
Grégoire Marot
Axelle Blanc
233 rue Saint-Honoré
75001 Paris
T 01 42 71 20 46
[email protected]
Couverture
Photographie : Alex Vanagas
Stylisme : Sara Bascuñán Alonso
Mannequin : Brygida chez Next Models
Maquillage : Fumihiro Ban
Coiffure : Shuko Samida
Juste au corps : Barbara Bui
—
Retouches
Janvier
—
Imprimeur
SIO
94120 Fontenay-sous-Bois
—
Conseil distribution et diffusion shop
KD Presse
Éric Namont
14 rue des Messageries
75010 Paris
T 01 42 46 02 20
kdpresse.com
—
Distributeur France MLP
—
Commission paritaire en cours
—
Issn no 1633 – 5821
—
Directeur de publication
Angelo Cirimele
—
Éditeur
ACP - Angelo Cirimele
32 boulevard de Strasbourg 75010 Paris
T 06 16 399 242
—
magazinemagazine.fr
[email protected]
—
© Magazine et les auteurs, tous droits de reproduction réservés.
Magazine n’est pas responsable des textes, photos et illustrations
publiées, qui engagent la seule responsabilité de leurs auteurs.
magazine no 3
10
brèves
Après APC, c’est avec
Adam Kimmel que la
marque américaine
Carhartt a inauguré une
collaboration : 29 pièces
pour l’automne-hiver
2011 qui reviennent
aux origines workwear.
La diffusion, réduite à
quelques détaillants, fait
penser à une opération
d’image plus que de
produits.
After APC, the
American brand Carhartt
has established a
collaboration with Adam
Kimmel: 29 pieces for FallWinter 2011, which return
to the origins of workwear.
The distribution, reduced
to just a few sales points,
makes one think that it’s
more about image than
product.
Ça y est, le groupe
français Lagardère a cédé
ses magazines (102, dans
15 pays) au groupe Hearst,
qui en possède lui 200,
mais aussi 38 hebdos,
15 quotidiens et 29 chaînes
de télé ; on ne serait pas
surpris que quelques
titres fusionnent.
The French press
group Lagardère have
finally surrendered
their magazines (102, in
15 countries) to Hearst,
who has 200 of their
own, but also 38 weekly
and 15 daily papers,
and 29 TV channels ;
we wouldn’t be surprised
if a few titles merge.
On a maintenant
l’impression que ça fait
partie du package : quand
un mannequin incarne
une marque, elle dessine
en plus une collection
capsule. On ne compte
plus les Kate Moss (Top
Shop, Longchamp),
Lou Doillon (La Redoute),
Audrey Marnay (Claudie
Pierlot)… et c’est au tour
d’Erin Wasson, la nouvelle
égérie de Zadig & Voltaire
de concevoir la sienne.
We get the impression
that now it’s part of the
package: when a model
is the face of a brand,
she designs a capsule
collection as well. After
Kate Moss (Top Shop,
Longchamp), Lou Doillon
(La Redoute), Audrey
Marnay (Claudie Pierlot),
it’s Erin Wasson’s turn,
the new face of Zadig &
Voltaire, to design hers.
Décidément, quand ce ne
sont pas des financiers…
NY department store
Barneys.
Two advertising
executives have bought
the Courrèges brand
from founders André
and Coqueline ; Frédéric
Torloting and Jacques
Bungert are co-presidents
of Young & Rubicam France.
Londres, ce n’est pas
que Saint Martins, c’est
aussi Marks & Spencer. Le
magasin britannique va
faire son retour à Paris, de
surcroît sur les ChampsÉlysées, à l’automne 2011.
Ses nouveaux voisins,
aussi en projet
d’installation, pourraient
être Abercrombie &
Fitch, mais aussi Banana
Republic et Zara.
London is not just
St Martins, it’s also
Marks & Spencer. The
British chain returns to
Paris, and what’s more,
to the Champs-Élysées,
in Autumn 2011. Its
new neighbours, also
planning to open there,
could be Abercrombie &
Fitch, but also Banana
Republic and Zara.
La chaîne Arte aussi
se pique de fashion week
et propose un concours
de look qui sera jugé par
un jury de professionnels
et dont le prix sera
une séance photo
professionnelle doublée
d’une exposition.
The Arte channel
gets into fashion week
presenting a competition
which will be judged by
a professional jury, and
boasting a prize of a
professional photo shoot
plus an exhibition.
Côté reconversion,
Dennis Freedman, le
DA emblématique de W
pendant vingt ans, est
désormais responsable
de l’image et de la DA
des magasins américains
Barneys.
Dennis Freedman,
W magazine’s emblematic
AD for 20 years, is now
creative director for the
Ce sont deux
publicitaires qui
ont racheté la
marque Courrèges à
André et Coqueline ;
Frédéric Torloting et
Jacques Bungert sont
co-présidents de Young
et Rubicam France.
magazine no 3
12
Dans sa quête de
nouveaux espaces
publicitairement encore
vierges, Mail’Inside, une
agence française, a eu l’idée
d’utiliser l’intérieur des
enveloppes postales… ou
quand le développement
durable n’est pas forcément
une bonne idée.
In its quest for
new advertising
spaces, Mail’Inside, a
French agency, had
the idea of using the
inside of envelopes.
Or when sustainable
development might not
be such a good idea…
Le groupe Inditex,
justement, qui possède la
chaîne Zara, réfléchit à
un concept de distribution
pour les chaussures et les
accessoires, signe que la
standardisation a encore
de la marge.
The Inditex group,
which owns Zara, is
studying a distribution
concept for its shoes and
accessories, a sign that
standardisation still has
some life left in it.
winner and response in
May 2011. Information on
fondation-giacometti.fr/
Paco Rabanne
prépare donc son retour
sur la scène mode pour
septembre avec un défilé
femme réalisé par le
DA indien Manish Arora.
En attendant, le sac 69
reprend des couleurs et
la marque a initié une
collaboration avec le
collectif H5.
édition a eu lieu début
février et a proposé une
mode occidentalisée, avec
« micro-minijupes » et
bustiers courts.
More chic than Paris
or Milan, Fashion Week
in Islamabad (Pakistan)
is the place to be seen.
The first edition took
place at the beginning of
February and promoted
a Westernised style, with
micro miniskirts and
short bustiers.
C’est par un simple « L »
que Christian Lacroix a
signé les modèles qu’il a
dessinés pour la marque
espagnole Desigual.
It’s with a simple ‘L’
that Christian Lacroix
signed the models that he
designed for the Spanish
brand Desigual.
Un Prix pour lutter
contre la contrefaçon
des œuvres d’art ? Ça
existe, ça s’appelle le
Prix Annette Giacometti,
qui récompense une
exposition, un livre ou
un article. L’occasion
d’un vrai discours
critique ? Premier lauréat
et premières réponses
en mai 2011. Infos sur
fondation-giacometti.fr/
A prize for fighting
against forgery in art?
It exists, it’s called the
Annette Giacometti
Prize, which rewards an
exhibition, a book or an
article. The opportunity
for a real critical
statement? The first
Paco Rabanne is
preparing his return to
fashion for September
with a catwalk show
(womenswear) by Indian
AD Manish Arora. In the
meantime, the 69 bag
comes back to life, and the
brand is also working on
a collaboration with the
collective H5.
Après le serpent de
mer Vanity Fair, dont
une version française
pourrait voir le jour chez
Condé Nast, le groupe
Marie Claire étudierait
la possibilité d’adapter
Harper’s Bazaar au
marché français.
After Vanity Fair,
which could see a French
version from Condé Nast
one day, the Marie Claire
group may be studying
the possibility of adapting
Harper’s Bazaar to the
French market.
Plus chic que Paris
ou Milan, c’est à la
fashion week d’Islamabad
(Pakistan) qu’il fallait
être vu. La première
Le commissaire du
prochain Prix Ricard sera
Éric Troncy. Rendez-vous
en octobre.
Éric Troncy is curator
magazine no 3
13
of the next Ricard prize.
See you in October.
Outre ses nombreuses
activités, Karl Lagerfeld
a récemment trouvé le
temps de jouer dans
une publicité allemande
pour Volkswagen et de
réaliser les visuels de la
campagne Dior homme
Printemps/Été 2011.
Apart from his
numerous activities,
Karl Lagerfeld recently
found the time to
feature in a German ad
for Volkswagen, and to
shoot the campaign for
Dior Homme, Spring/
Summer 2010.
C’est Thierry Marx qui
sera le nouveau chef du
restaurant du Mandarin
oriental, nouveau
palace parisien dans un
bâtiment années 30, dont
l’ouverture est prévue
à l’été 2011, au 247 rue
Saint-Honoré (1er).
Thierry Marx will be
the chef of the restaurant
at the Mandarin Oriental,
the new palace hotel in
a 30s building, opening
this summer, at 247 rue
Saint-Honoré (1st).
The next edition of the
Art Paris fair will take
place at the Grand Palais
from 31 March to 3 April.
In parallel, it will present
diverse events including a
nocturnal circuit through
10 Parisian addresses.
Pour succéder à JeanJacques Aillagon, qui
devrait quitter la direction
du château de Versailles
à l’automne prochain
pour cause de limite d’âge
(65 ans), un nom circule :
celui de Catherine Pégard,
ex-journaliste politique
au Point et conseillère
du président de la
République. Une
professionnelle, donc…
One name is in the
air to take over from JeanJacques Aillagon, who
should retire from the
presidency of the Château
de Versailles next Autumn
due to his age (65), that of
Catherine Pégard, former
political journalist at the
Point and adviser to the
President of the Republic.
So, a professional…
Comment récupérer
la parole éparpillée et
parfois libre des blogs de
mode ? Glamour US vient
de trouver la solution :
en les hébergeant sur
une plateforme de son
site Internet. « Young &
Posh Blogger Network »
présente 17 blogs
américains mais aussi
Le magazine anglais
Grafik, consacré au
design graphique
comme son titre le laisse
supposer, a inauguré une
nouvelle formule, après
quelques mois d’absence ;
il aurait été racheté dans
l’intervalle par Pyramid,
qui édite aussi Étapes en
France.
The English magazine
Grafik, dedicated to
graphic design, as you
might have guessed, has
launched a new format,
after a few months
absence when it was
bought by Pyramid, who
also publish Étapes in
France.
européens, avec campagne
de pub à la clé. Tout ça
pour faire la promo de
Glamour……
How do you collect the
scattered and sometimes
free words of fashion
blogs. Glamour US
has found a solution:
by hosting them on a
platform on its website.
“Young & Posh Blogger
Network” presents
17 American but also
European blogs, with
an ad campaign thrown
in. All that to promote
Glamour…
Le magazine CB News
devrait reparaître début
avril, sous pavillon belge.
The magazine CB News
should reappear early
April, now published by
a Belgian company.
Le restaurant parisien
Corso 3e du nom ouvrira
ses portes en avril
place de la Bastille (4e)…
Constituant ainsi la
première chaîne Costes
avec les ouvertures avenue
Trudaine (9e) et place
Franz-Liszt (10e). Toujours
designé par Robert
Stadler, le Corso Bastille
intégrera des luminaires
spécialement conçus pour
l’endroit, en attendant des
chaises pour cet été.
The Parisian
restaurant Corso opens its
third address in April on
La prochaine édition
de la foire Art Paris se
déroulera au Grand Palais
du 31 mars au 3 avril. Elle
proposera parallèlement
divers événements, dont
un parcours nocturne
regroupant dix lieux
parisiens.
magazine no 3
14
Place de la Bastille (4th),
thus becoming the
first Costes chain, with
addresses already on
Avenue Trudaine (9th) and
Place Franz Liszt (10th).
Also designed by Robert
Stadler, Corso Bastille
will feature light fittings
especially designed
for the space, and this
summer, chairs too.
Le cinéma parisien
Racine Odéon a fait
peau neuve et dévoile
un aménagement de la
designer Matali Crasset.
Espace du producteur et
distributeur Haut et Court,
il en a profité pour adopter
un nom passe-partout : le
Nouvel Odéon. Infos sur
nouvelodeon.com
« Stratigraphie » est
la première exposition
personnelle de la
graphiste Leslie David,
qui présentera un travail
en couleur et au crayon
à La Surprise, nouvelle
galerie parisienne dédiée
à la création graphique.
Du 10 mars au 18 avril,
la-surprise.com
‘Stratigraphie’ is
the first solo show
from the graphic
designer Leslie David,
who will present
coloured pencil works
at La Surprise, a new
Parisian gallery dedicated
to graphic design. From
10 March to 18 April,
la-surprise.com.
récente. Diffusion
confidentielle et infos sur
ill-studio.com
Ill studio, a Parisian
collective of graphic
designers, are to publish a
book on their recent work.
Limited distribution and
infos on ill-studio.com
L’affiche du
64e Festival de Cannes
(11 — 22 mai 2011) sera
désignée par H5.
The poster for the
64th Cannes Film Festival
(11 — 22 May 2011) will be
designed by H5.
(lingerie) est Helena
Christensen, top des
années 90 et fondatrice
de Nylon magazine,
confirmant la longévité
des anciennes stars versus
l’interchangeabilité des
ados russes.
The new face of
the lingerie brand
Triumph is Helena
Christensen, the 90s top
model and founder
of Nylon Magazine,
confirming the longevity
of old stars versus the
interchangeabilty of
Russian teenagers.
Futur 5-étoiles, la
Maison Champs-Élysées
située sur le rond-point
éponyme, sera décorée par
Maison Martin Margiela,
et inaugurée en avril.
A new 5 star hotel, the
Maison Champs-Élysées,
located on the roundabout
of the same name, will
be decorated by Maison
Martin Margiela and
inuagurated in April.
The Parisian cinema
Racine Odéon has been
redecorated by designer
Matali Crasset. Owned
by the production and
distribution company
Haut et Court, the
space also boasts a
new, generic, name:
Le Nouvel Odéon. More
info at nouvelodeon.com
Ill studio, collectif
parisien de designers
graphiques, va publier un
livre sur leur production
Certes, les plus grands
architectes ont signé de
nombreuses boutiques de
luxe ces dernières années.
Et c’est naturellement
que Taschen édite
Shopping Architecture
Now!, qui rassemble les
plus beaux exemples.
Reste qu’un beau livre
sur des boutiques laisse
une curieuse trace de ce
qu’est l’époque.
It’s true, the most
important architects
have worked on many
luxury shops over
the last few years. So
naturally Taschen publish
C’est Terry Richardson
qui a shooté les
nouvelles campagnes
Maje et Blumarine. Le
photographe américain
tient une moyenne de
10 campagnes annuelles.
Terry Richardson shot
Maje and Blumarine’s
latest campaigns; the
American photographer
shoots on average ten
a year.
La nouvelle égérie
de la marque Triumph
magazine no 3
15
Shopping Architecture
Now!, which selects the
most beautiful examples.
Nevertheless, a coffee
table book on shops
leaves a strange trace
of the times.
Do it yourself ! est un
DVD consacré à Vivienne
Westwood et réalisé par
Letmiya Sztalryd, qui a
suivi la créatrice anglaise
pendant un an. Sortie le
9 mars (Arte éditions).
Do It Yourself ! is
a DVD about Vivienne
Westwood and directed
by Letmiya Sztalryd, who
followed the English
designer for a year.
Released on 9 March
(Arte Editions).
MAGAZINES
UNDER CURRENT
Angleterre, semestriel, 144 p., no 4, 230 x 300 mm, 8 €
undercurrentmagazine.com
Un grand format au papier mat pour une série d’histoires de mode qui donnent une
température du moment. Under Current fait partie des magazines qu’on regarde, parfois
d’un œil distrait, à la recherche de nourriture visuelle pour un mood-board ou simplement pour humer l’air du temps. Pas de surprises mais une atmosphère : des noirs et
blancs et des corps masculins et féminins, des changements de papier (pas toujours
justifiés), des histoires et des rencontres, de jeunes mannequins aux airs innocents ou
des estampes plus sensuelles. Bien que le nom du magazine invite à la subtilité (sousjacent, dans le texte), le thème de ce numéro, « Eros », livre quelques approches plus
immédiates : de la figure de la poupée de Hans Bellmer à la vision cash de Gaspar Noé,
en passant par la masturbation en art. Malheureusement, les séries mode restituent
souvent platement l’érotisme attendu et masquent mal la vitrine qu’est Under Current
pour la styliste qui le dirige.
Extrait
For most ignorant British folk — and I include myself in this bracket,
sadly — the first few times you travel to America on a plane, you don’t
imagine you’re heading to a land made from soil, crusty magma or the
scalped remains of those first basket-weaving, arrow-dodging European
colonists, but rather a country that — when viewed from 30,000 ft — resembles nothing more than a gigantic meat patty or Big Mac.
For me —a molly-coddled suburban child brought on a sugary diet of
Teen Wolf and those funny smelling plastic figurines from Star Wars—
all that Americana ingested as a youngster meant that when it came
to my impression of what life might be like across the pond I honestly
thought I would be met by the cast of Young Guns 2 or that old scary
rancher from City Slickers. Basically, cartoonish cowboys who all look
a little like Clint Eastwood, chewing on beef jerky, eating ten-inch thick
hamburgers and sucking on long mustardy hot dogs. Even in my early
teens I thought Ronald McDonald little more than a very posh drive-
thru ; the national dish being a saucer of ketchup.
Unsurprisingly, such spectacular naivety was soon shot to ribbons
when I started visiting regularly for work reasons through-out my twenties, and now I look forward to a trip to the States with messy salivation.
Los Angeles is a city I’ve had the pleasure of visiting almost once every
two months for the past ten years, and modern Californian cuisine has
become a reason unto itself to get my legs across the pond.
I’m not going to deny that on more than one occasion I’ve driven from
the Avis hire car zone at LAX directly to the noisy counter of the In & Out
Burger on Sunset Blvd. With the metallic taste of my scalding hot ‘rubber’
tikka masala from the plane still nuking my taste buds, the canary yellow and lipstick re ?? In & Out Burger zig-zag sign greets hungry, tired,
stagnant travelers such as myself like a junk food epiphany; bloodshot,
weary eyes sure of the flame-grilled, carb-heavy hit about to be gratefully received. The place is like a Hail Mary with extra homemade mayo.
Famous as a rest bite for famished Oscar winners who hit the venue
after the day-long ceremony and before heading to Vanity Fair’s boozy
bash, I&O burgers really are joy to behold.
[…] Jonathan Heaf p. 35
EDITORS IN CHIEF :
Creative director
PUBLISHER :
Melina Nicolaide, Yannis Tsitsovits,
& fashion editor:
Undercurrent publications Ltd.
Wiliam Alderwick
Melina Nicolaide
Hamburger Hills
Two tails of how modern Los Angeles eat today
magazine no 3
16
MAGAZINES
a perfect guide
Suède, semestriel, 210 p., no 20, 230 x 300 mm, 5,90 €
aperfectguide.se
A Perfect Guide to Fashion and Travel pour être précis. Et ça tombe bien parce que mode
et voyage ont souvent à voir – que les histoires de mode fassent voyager au sens propre ou figuré. Mais le magazine suédois entend sa tâche de manière plus immédiate :
renseigner sur des villes ou des pays grâce à des contacts locaux (souvent acteurs du
monde de la création), qui se racontent leur ville et listent les lieux à fréquenter – et
malheureusement pas ceux à éviter. Entretiens, images, infos pratiques sur les lieux
en question… A Perfect Guide mêle l’utile et le superflu, et s’est trouvé au passage un
bon prétexte pour voyager. Le magazine a été bien inspiré de solliciter Tim McIntyre
pour la direction artistique, que ses passages à Interview et Arena Homme Plus ont
aguerri. La section mode est mixte et assez créative, sans toutefois jouer complètement
le jeu du voyage. Pour les destinations lointaines et pas forcément synonymes de glamour, A Perfect Guide publie des doubles pages de cartes postales, qui sont une vraie
plongée dans le réel ; parallèlement, il peut aussi présenter un portfolio d’images plus
poétiques et en surimpression, qui délivrera une atmosphère plus qu’une information
brute. Un agacement pour conclure : les textes ne sont pas tous traduits en anglais, et
le suédois reste un mystère pour beaucoup de lecteurs – signe aussi que la presse de
style ne peut se passer de textes.
Extrait
thru ; the national dish being a saucer of ketchup.
Unsurprisingly, such spectacular naivety was soon shot to ribbons
when I started visiting regularly for work reasons through-out my twenties, and now I look forward to a trip to the States with messy salivation.
Los Angeles is a city I’ve had the pleasure of visiting almost once every
two months for the past ten years, and modern Californian cuisine has
become a reason unto itself to get my legs across the pond.
I’m not going to deny that on more than one occasion I’ve driven from
the Avis hire car zone at LAX directly to the noisy counter of the In & Out
Burger on Sunset Blvd. With the metallic taste of my scalding hot ‘rubber’
tikka masala from the plane still nuking my taste buds, the canary yellow and lipstick re ?? In & Out Burger zig-zag sign greets hungry, tired,
stagnant travelers such as myself like a junk food epiphany; bloodshot,
weary eyes sure of the flame-grilled, carb-heavy hit about to be gratefully received. The place is like a Hail Mary with extra homemade mayo.
Famous as a rest bite for famished Oscar winners who hit the venue
after the day-long ceremony and before heading to Vanity Fair’s boozy
bash, I&O burgers really are joy to behold.
[…] Jonathan Heaf p. 35
Hamburger Hills
Two tails of how modern Los Angeles eat today
For most ignorant British folk — and I include myself in this bracket,
sadly — the first few times you travel to America on a plane, you don’t
imagine you’re heading to a land made from soil, crusty magma or the
scalped remains of those first basket-weaving, arrow-dodging European
colonists, but rather a country that — when viewed from 30,000 ft — resembles nothing more than a gigantic meat patty or Big Mac.
For me —a molly-coddled suburban child brought on a sugary diet of
Teen Wolf and those funny smelling plastic figurines from Star Wars—
all that Americana ingested as a youngster meant that when it came
to my impression of what life might be like across the pond I honestly
thought I would be met by the cast of Young Guns 2 or that old scary
rancher from City Slickers. Basically, cartoonish cowboys who all look
a little like Clint Eastwood, chewing on beef jerky, eating ten-inch thick
hamburgers and sucking on long mustardy hot dogs. Even in my early
teens I thought Ronald McDonald little more than a very posh drive-
Editor in chief
& ART DIRECTOR:
Henrik Raspe
creative director:
Tim McIntyre
editor at large :
Jonathan Heaf
magazine no 3
18
Publisher:
A Perfect Guide
MAGAZINES
VINTAGE
MAGAZINE
États-Unis, semestriel, 108 p., no 2, 225 x 295 mm, 23 €
vintagezine.com
On pourrait se pencher sur ce que les applications iPad vont changer à la presse. On
préférera se tourner vers ce que la presse papier a de spécifique : le papier. Et Vintage
magazine en est une saisissante démonstration. Passé la couverture, la première page
est froissée, et la typo, celle d’une machine à écrire, puis les 100 pages de ce deuxième
numéro seront au diapason : découpes, petits livrets insérés, variété de papiers, mais
presque jamais de grille pouvant faire penser à un ordinateur. Vintage est donc conçu
de manière vintage, parfois jusqu’au désuet, avec dessins au crayon et imagerie datée. Les textures et les ruptures de rythme nous font retomber en enfance et jouent
du rétroviseur : on célèbre tel lieu mythique des années 50 ou tel dîner de gentlemen
du xviiie, on fait un détour par Mad Men et ses Trente Glorieuses… bref, c’était mieux
avant. Nul doute que oui, mais nous ne pouvons pas nous résoudre à avancer à reculons. Aussi, Vintage n’est pas un manifeste mais un hommage à Flair, magazine
publié en 1950 et 1951, très illustré et conçu comme une expérimentation de papiers et
de techniques ; pile où la presse est en train d’arriver.
Extrait
Claw at the table : The Gastronomic
Criticism of Grimod de La Reynière
fermier générale, or tax collector. The position had opened to the family
only after a great-grandfather became a sécretaire du roi to Louis XIV, elevating the bourgeois Grimods into the Grimods de La Reynière, members
of the noblesse de la robe. Along with arriviste status came wealth, which
Laurent showcased in a new manse, the Hôtel Grimod de La Reynière.
Built in the mid-1770s, the hotel particulier overlooked the Champs-Élysées
and was famous for its wall panels, executed by the painter Charles-Louis
Clérisseau and inspired by frescoes from the recently discovered cities of
Pompeii and Herculaneum. The house was excruciatingly chic. So was
Grimod’s mother, the beautiful Suzanne de Jarente de Sénar, who came
from the highest ranks of the French aristocracy, the noblesse d’épée. The
Jarentes traced their lineage to the eleventh century and ancestors who
had fought in the Crusades. Like many other ancient families of the sword,
their nobility had outlived their money, and Suzanne made no secret of
her disappointment at marrying down. The final nail in the marital coffin,
however, came when the couple’s first and only surviving child was born
ten months after the nuptials with grossly malformed hands.
[…] Cathy K. Kaufman p. 88
Seventeen of Paris’s most distingued artists, men of letters, and jurists
braved the winter chill for a supper at the city’s most fashionable home,
Hosted by Alexandre-Balthazar-Laurent Grimod de La Reynière (1758-1837),
a 25-year-old lawyer and sometimes theater critic with a reputation for
staging outlandish entertainments, the event, soon to be known as the
“funeral supper”, was notorious even before it took place. In retrospect,
Grimod’s youthful use of the table for social and political commentary
seems an odd prequel to his mature career as a founder of French gastronomic writing and the world’s first restaurant critic. But nothing about
Grimod was conventional or predictable, and he remains a fascinating,
if enigmatic, figure. At the time of the funeral supper, the La Reynière
family was, to say the least, dysfunctional. Grimod was an overage adolescent, rebelling against his aristocratic parents and the injustices of the
world with flamboyant pranks while unapologetically enjoying the privileges of his rank. Grimod’s father, Laurent, was a retired fourth generation
EDITOR IN CHIEF :
Ivy Baer Sherman
DESIGN :
Regis Scott
PUBLISHER :
Vintage magazine Ltd
magazine no 3
20
MAGAZINES
TOO MUCH
Japon, trimestriel, 96 p., no 1, 185 x 255 mm, 16 €
toomuchmagazine.com
À la manière d’un Monsieur Jourdain, qui faisait de la prose sans le savoir, la presse
de style est les deux pieds dans la mondialisation – sans que la question se soit jamais posée. Les champs qu’elle traite – mode, art et design – sont les attributs d’une
vie urbaine et chaque objet produit est voué à exister dans les dix villes qui comptent.
Mais l’urbanisation galopante d’un côté et le village global de l’autre ont changé nos
habitudes de vie. Se partager entre deux ou trois villes du monde rejoue notre rapport
aux traditions, à la langue et la culture entendue comme un background. Too Much
est à ce carrefour-là, celui où l’humain se frotte à la géographie et le magazine observe
les étincelles ou les glissements que provoquent ces contacts. Basé à Tokyo, Too Much,
“magazine of romantic geography”, brasse des sujets sur l’architecture en questionnant
le studio Sanaa, des données sociologiques et démographiques, s’intéresse à la dépression des Japonais ou à la double culture de Nicola Formichetti, styliste toucheà-tout. Un cahier d’initiatives et d’idées saugrenues offre une autre perspective : la
condition sine qua non pour y participer est que son patronyme contienne le nom
Suzuki. Too Much a ceci de singulier qu’il traite d’architecture et d’urbanisme en
montrant des gens – comme Apartamento le fait pour les intérieurs –, c’est peut-être ce
qui a manqué dans la décennie précédente.
Extrait
Moments as (non) Monuments
An interview with Sam Chermayeff and Jack Hogan (Sanaa)
Sam Chermayeff and Jack Hogan are architects working under Kazuyo
Sejima + Ryue Nishizawa at SANAA, which in March of 2010 received the
Pritzker Architecture Prize for their “deceptive simple” structures. SANAA
manifest a humane direction for contemporary architecture, one focused
around ‘people meeting in architecture’ the driving theme for Sejima’s
curation of the coming 2010 Venice Biennale of Architecture.
What were your first impressions of Tokyo?
Sam: A typical North American or European city as (has?) a certain logic,
or we have certain expectations that they’ll have a logic; you can expect
radials or grids whereas Tokyo has no apparent logic.
Jack: For a society that is rather hierarchical, Tokyo has less of a physical
sense of hierarchy than a city like London where you can feel you are
at the center. In Tokyo, you never have a sense of being at the center of
the city. There really is no center, while Western cities have a stronger
sense of convergence.
What sites in Tokyo would take on a power if there is no center ?
Sam: In Tokyo the sites are just points. Every tourist goes to Shibuya
crossing and so do we, we can orientate ourselves around Shibuya
crossing too. Other points for us are the river in Nakameguro which is
just a nice urban space I particularly like, but the points that are most
important are probably those where masses of people are outside. Like
Chuo-dori —the main street in Ginza— when it is closed for ‘pedestrian
paradise’ on weekends. There are undoubtedly other places but as a
general rule those active places with masses of people moving are the
centers in Tokyo, as opposed to somewhere like Paris, whose centers is
buildings or structures, for me anyway.
And where does the power of these spaces come from ?
Jack: With regard to orientation; directions are often punctuated by the
names of convenience stores, imbuing them with undue power. Their
logos —along with the names of train stations— are the only landmarks that most foreigners can decipher on Google maps, for example.
It is intriguing, and perhaps depressing, that these bright beacons serve
as the primary cues for most of the turning points of my routes.
[…] Ana Finel Honigma
Editor in chief :
editorS :
ART DIRECTOR & DESIGN :
Publisher :
Yoshi Tsujimura
Audrey Fondecave,
Akinobu Maeda
Ok Fred
Cameron Allan McKean
magazine no 3
22
MAGAZINES
WORK STYLE
Suisse, trimestriel, 100 p., no 5, 210 x 270 mm, 12 €
theworkstylemagazine.com
Il faut oser mettre le mot « work » dans le titre d’un magazine, tant cette catégorie est
assimilée aux loisirs. Même dans ce cas, où il s’agit d’un business magazine avec un
peu de lifestyle dedans. Work Style est suisse, côté Lugano, son layout épuré et efficace se révèle très agréable à feuilleter, voire à lire. Et, de fait, tous les sujets qu’on
rencontre dans la presse de style sont aussi traités ici, mais sous l’ange de l’entreprise :
design, voyage, mode, art, enfants… le tout pas des contributeurs internationaux. Seul
hic : Work Style ressemble à une pâle copie de Monocle, tant dans sa forme que dans
le contenu – business, design, voyages d’affaires. Mais on pourrait aussi se réjouir que
la presse de style ne se consulte pas seulement entre initiés et que ce qu’elle fait de
mieux puisse inspirer et se retrouver sur le bureau d’un CEO curieux. Ça fera peut-être
évoluer leurs goûts et leurs commandes, mais c’est une autre – et longue – histoire.
À la différence d’un magazine de mode classique, un business magazine se doit de
justifier ses sujets. Ainsi, pour traiter de mode, Work Style choisit quelques dirigeants
et une styliste propose une sélection d’objets qui lui conviendraient, comme une sorte
de coaching privé, mais aux yeux de tous. Idem pour les cityguides : ce sont de vraies
fiches techniques en forme de poster que le magazine édite séparément. Enfin, il faut
saluer la récente énergie de la presse de style suisse qui, avec Dorade, Novembre et
Work Style sort enfin de sa léthargie.
Extrait
Investing in culture, the way forward
Culture contributes to create a country’s identity, increase its popularity in the World and —as a consequence— its tourism industry.
Culture is a distinctive element of a country, as are its landscape and
industry. When we talk of culture, we immediately think of arts and
entertainment, as well as museums and specific initiatives promoted
by the public and private sectors. Culture is an intangible asset. For
instance, in 2009, Spain earned $53.2billion from tourism-related activities, while France made $48.7billion. Last year, Brooklyn earned
$20billion from cultural tourism —from people who visited because
they had seen Brooklyn in a film, documentary, television programme, or a magazine.
Culture identity
More people travel to see and experience the culture of ancient Rome,
because they have an awareness of that culture: its cultural identity, in
other words. Cultural identity is formed by artists such as movie stars,
filmmakers, authors, composers, painters, but also via jokes, cults and
other aspects. Art is international, and the great artists are timeless.
Therefore, people seek artists like Mozart and Shakespeare. People need
to be trained to appreciate culture. This training comes at all levels, from
primary school to college and university, in arts and sciences. An indicator of a nation’s good governance is the extent of its cultural programs.
Cultures and companies
For companies, culture is a sign of good management that shows commitment to its social responsibility. Described in this way, culture seem
to be an essential element for every developed country. Yet it is not.
Often, for budgetary reasons, funds are shifted in favour of other areas,
and culture goes without. However, a country full of culture is rich.
A shared sentiment
I approached then the economic subject because I used the term ‘rich’,
thinking about culture as a promoter of wealth for a country. The element that I want to show clearly in this article is the ‘sense of culture’.
A state is rich when it ‘feels the culture’ —What does that resemble?
Perhaps it resembles what one might call ‘civic sens’. Culture is also a
shared sentiment.
[…] Gabriel James Byrne p. 29
Chairman :
editor IN CHIEF :
EDITOR:
Publisher:
Mirko Nesurini
Giorgio Tedeschi
Paola Bettinelli
Partecipazioni editoriali
magazine no 3
24
Vous en avez assez des iPhone, 3, 4 et bientôt 5 ; vous décidez d’opter
pour le vintage avec ce très bel Ericsson rouge (10 € sur Ebay), assorti à une bonne partie de votre garde-robe. Moyennant quoi, on
vous offre un Lys (4 € chez Monceau Fleurs, 11 boulevard Henri-IV,
Paris 4e) – signe d’un destin princier ? En prévision de votre avenir,
vous décidez de regarder Paris d’en-bas, c’est-à-dire de la Seine (12 €
avec les Vedettes du Pont-Neuf, Paris 1er ), mais les palais pourraient
bien se faire désirer et vous vous consolez avec ce collier géométrique, noir et blanc, et dangereux par ses angles (Argument par Anne-Sophie Chhim, 580 € sur argument-bijoux.com). Et un tour à la
table de jeu ne sera pas de trop pour vous offrir ces présents (Cercle
de jeu – Académie de billard, 84 rue de Clichy, Paris 9e).
SHOPPING
426
photographie : Fred Lebain
Stylisme : Clara Lidström
COLLIER
LYS
TÉLÉPHONE
BATEAUX MOUCHES
CASINO
580€
4 €
10 €
12 €
-180 €
426 €
magazine no 3
26
magazine no 3
27
C’est en feuilletant ce vieux Vogue de 1957 (80 € aux Archives de la
Presse, 51 rue des Archives, Paris 3e) que vous avez décrété que le
chapeau serait votre ami ce printemps, un Stetson de préférence (98 €
chez Céline Robert, 12 rue Commines, Paris 3e). Mais n’est-ce pas trop
théâtral ? Vous retournez l’objection et décidez de prendre des cours
de théâtre en passant devant ce cheval bâton, parfait animal pour le
scénographe Tadeusz Kantor (130 € à l’Atelier Fanny Vallon, fannyvallon.
com). Contente de vous, vous fondez sur ces 6 macarons assortis (8 €
chez Gérard Mulot, 6 rue du Pas-de-la-Mule, Paris 3e) et décidez que ce
chandelier en bronze vous sera sûrement utile si l’électricité venait à
manquer (110 € au marché Vernaison, Saint-Ouen).
Vous avez choisi de vous offrir un moment de nostalgie en renouant
avec quelques vieux 45 - tours, leur pochette et leur musique qu’on
peut attraper avec les mains (5 € aux Archives de la Presse, 51 rue des
Archives, Paris 3e). Mais le passé ne dure qu’un temps et vous décidez
de changer de tête (et de vie, espère-t-on secrètement) avec une coupe
courte (90 € chez Tony & Guy, 6 rue de Charonne, Paris 11e), de parfum
(Tulipe de Byredo, 95 € chez Colette, 213 rue Saint-Honoré, Paris 1er ) en
espérant que votre poisson rouge n’y voit que du feu (6 € à l’Animalerie
du Châtelet, 2 quai de la Mégisserie, Paris 1er). Bon prince, vous lui
installez un sound system pour lui tout seul (ou presque) avec ces
haut-parleurs Jambox de Jawbone (230 € chez Colette, 213 rue SaintHonoré, Paris 1er).
CHAPEAU
MACARONS
COURS DE THÉÂTRE
CHANDELIER
VOGUE
98 €
8 €
130 €
110 €
80 €
426 €
HAUT-PARLEURS
45 TOURS
POISSON
PARFUM
COIFFEUR
230 €
5 €
6 €
95 €
90 €
426 €
« Il faut davantage se préoccuper de la forme », avez-vous décrété. Ça
commencera par celle de vos lèvres, avec ce rouge Lancôme (26 € chez
Lancôme, 29 rue du Faubourg Saint-Honoré, Paris 8e), puis par ce
soliflore aux formes anguleuses qui ne sauraient mieux servir les
méandres d’une fleur (Victoria Wilmotte chez Tools Galerie, 150 €),
enfin votre silhouette, qu’un coach vous aidera à redessiner (120 €
les deux séances sur coach-gym.com). Vous vous perdrez dans vos
pensées devant un tirage de ce dessin de Jeremy Schneider (40 € sur
la-surprise.com) et irez à la rencontre du printemps armée de votre
écharpe ajourée (90€ chez Surface to Air, 108 rue Vieille-du-Temple,
Paris 3e).
DESSIN
GYM
ÉCHARPE
VASE
ROUGE À LÈVRES
40 €
120 €
90 €
150 €
26 €
426 €
Oui pour les fleurs, mais si on les fabrique soi-même, ou avec l’aide
des « Clouds » que les frères Bouroullec ont conçus pour Kvadrat (140 €
les 4 sur ligneroset.fr). On cherchera des inspirations 60 dans le livre
Sacha de Sacha Van Dorssen (60 € chez Comme un roman, 39 rue de
Bretagne, Paris 3e). Aller chercher des idées, ce n’est pas forcément aller
au bout du monde : emmener son assistant(e) au Havre (60 € allerretour par le train) et regarder de plus près les constructions d’Auguste
Perret, où l’on prendra des notes avec un stylo Montblanc vintage
(160 € sur Ebay). Un verre de vin blanc ne sera pas le pire ennemi pour
remettre en perspective les idées rencontrées (6 € au Café Beaubourg,
100 rue Saint-Martin, Paris 4e).
STYLO
VERRE DE VIN
NUAGES
LIVRE
ALLER-RETOUR
160 €
6 €
140 €
60 €
60 €
426 €
magazine no 3
32
textes
P.36 : interview
le glamour vu d’en bas
P.39 : BIOGRAPHIE
Kenzo
P.44 : IMAGES
Le sexe des anges
P.46 : LEXIQUE
Cool
P.48 : chronique
jeunes pousses
P.50 : RENCONTRE
Vincent B.
P.52 : OFF RECORD MODE
La mode de demain
magazine no 3
34
magazine no 1
35
INTERVIEW
LE GLAMOUR VU
D’EN BAS
[…] parfois, il ne s’agit même plus d’invendus,
mais d’un modèle de la collection, produit dès le
départ en prévision d’une vente flash qui aura
lieu plusieurs mois ou un an après.
Quand on lui dit qu’elle fait de la mode, elle éclate de rire. Elle dit qu’elle fait
simplement du business et que, dans les profondeurs du marché où elle
opère, on est très loin de la mode. Violaine Micol est grossiste en fins de séries,
autrement dit « déstockeuse »…
… Elle travaille pour l’une des trois ou quatre discrètes sociétés qui, en France, rachètent les ultimes stocks
d’invendus des marques – vêtements et accessoires –
pour les revendre à des solderies. À peine arrivée
jeunette de Grenoble à Paris il y a quinze ans sans
connaître quiconque, elle est par hasard embringuée
dans ce métier dont elle ignorait jusqu’à l’existence.
Depuis, elle circule dans les arrière-cours de l’industrie.
Elle traque « les invendus en fin de parcours », et c’est
aussi la mode qu’elle observe. La mode après la mode :
la mode « n-1 » (n moins un), celle de l’année précédente,
la mode des outlets et des villages de marques, la mode
des ventes flash sur Internet et, quand vient son heure,
celle qui finira dans les solderies. La mode et son glamour vus d’en bas.
grands magasins, comme le Printemps, ou encore ceux
de sites de ventes flash comme brands4friends.com
en Allemagne ou privalia.com en Espagne, dont nous
rachetons aussi les stocks qu’ils n’ont pu écouler.
Localiser ces stocks a l’air plus compliqué qu’il
n’y paraît ?
C’est compliqué. Et de plus en plus. D’abord,
d’une entreprise à l’autre, les invendus dépendent rarement des mêmes postes. C’est un travail de contact et de
relations de long terme qui permet un jour « d’ouvrir
une ligne », c’est-à-dire de devenir un partenaire de
déstockage de la marque. C’est ce qui m’est arrivé par
exemple avec Nike Europe. De plus, les responsables de
ces stocks dans les entreprises sont extrêmement sollicités et, une fois sur deux, il y a la mallette qui va
avec : je te vends 50 000 pièces, mais je veux 50 centimes
par pièce pour moi. Comme ça… Moi, je ne le fais pas.
D’abord parce que ce n’est pas ma personnalité, ensuite
parce que je ne sais pas faire, enfin parce que c’est une
histoire d’hommes, ce n’est pas considéré comme un
boulot de femmes. Personne n’a d’ailleurs jamais essayé
de me faire comprendre qu’il aimerait être intéressé et
moi je n’ai jamais essayé de le proposer. J’ai perdu beaucoup d’affaires comme ça sans comprendre, et un jour
j’ai compris. Le problème, c’est que quelqu’un qui touche ne décroche pas.
Vous parlez d’invendus « en fin de parcours ». Ces
stocks de marque que vous rachetez puis revendez à
des solderies, d’où viennent-ils ?
Si un vêtement ou un accessoire en arrive
là, c’est que sa marque n’a pas réussi à le vendre au
cours des étapes successives de sa vie commerciale. Il
a d’abord fait partie d’une collection, été mis en vente
en boutique, puis à nouveau au moment des soldes,
pour échouer finalement dans un de ces magasins
outlet que les marques ouvrent dans les « villages de
marques » (par exemple à Marne-la-Vallée ou sur l’île
Saint-Denis). Pourtant, à aucune de ces étapes il n’a
trouvé preneur, y compris même pendant les soldes de
ces « villages », où s’ajoute à la démarque de base de 30 %
une seconde de 50 % !
Les invendus ont toujours été la bête noire des marques. Vous avez commencé en 1995. Comment cela se
passait ?
À l’époque, le déstockage était un univers
honteux. Il ne fallait surtout pas en parler, les marques étaient terrorisées à l’idée que les clients fuient
s’ils découvraient que leurs articles finissaient dans
des solderies à des prix ridicules. C’était donc le grand
silence : chez les déstockeurs, chez les marques et chez
les consommateurs. L’image de la marque devait à tout
C’est à ce moment-là que vous les détectez ?
Pas seulement. Il y a d’autres opportunités,
par exemple une collection qui ne marche pas et que
la marque ne peut pas mettre dans ses outlets parce
que trop récente. Mais aussi les invendus de marques
qui n’ont tout simplement pas d’outlet ou ceux des
magazine no 3
36
sont rassurées aussi par la durée limitée, un à trois
jours, des ventes flash. Trop s’exposer dans ces ventes
sur Internet peut détériorer leur image. Le canal des
solderies est, lui, beaucoup plus discret, et les marques
apprécient aussi cette sous-exposition.
prix être protégée. C’est d’ailleurs toujours la préoccupation première des marques : ne pas ternir leur image.
On trouve encore des entreprises où les invendus sont
un sujet tabou. Je pourrais citer un grand magasin
parisien où la présidence ne veut pas en entendre parler. C’est aux responsables des achats de se débrouiller.
S’ils ont des invendus, c’est qu’ils ont mal travaillé.
Quelle est la différence entre les stocks vendus dans
ces ventes et ceux écoulés dans les solderies ?
L’assortiment. Dans une vente flash, chaque
modèle doit être disponible dans toutes les tailles et
en quantités suffisantes. Les stocks que j’achète, au
contraire, sont la plupart du temps explosés et leur
assortiment totalement aléatoire. Ce qui fait que, dans
le parcours commercial des invendus, je viens aussi
après les sites.
Comment font-ils alors ?
Je ne sais pas.
En France, à partir de 2006, le succès du site de vente
privée fondé par Jacques-Antoine Granjon a donné
une nouvelle aura commerciale à ces invendus et en
a presque métamorphosé le statut. Vous partagez cette
analyse ?
Je connais bien cette histoire pour avoir travaillé avec Jacques-Antoine Granjon jusqu’en 1999
avant de rejoindre AMS, la société où je suis toujours. Il
n’était alors que déstockeur. Vente-privée.com a inventé
un concept que tout le monde applaudit encore parce
qu’il est incroyablement bien fait. Mais il a été très difficile à imposer. Les marques n’avaient pas confiance.
Samsonite a, je crois, été l’une des premières à sauter le
pas. Les autres ont suivi peu à peu.
En quoi l’engouement pour ces ventes flash et ces
invendus « reglamourisés » a-t-il changé la donne
pour les marques ?
C’est très simple. Pouvoir vendre jusqu’à
60 000 pièces en trois jours, c’est une manne pour les
marques. C’est un tiroir-caisse, du cash immédiat !
D’ailleurs, parfois, il ne s’agit même plus d’invendus,
mais de stocks spéciaux de tel ou tel modèle de la collection, produits dès le départ en prévision d’une vente
flash qui aura lieu plusieurs mois ou un an après. Ce
type de stockage par anticipation est de plus en plus
fréquent. C’est comme si la collection était devenue une
simple collection capsule destinée à la publicité, aux
magazines, c’est-à-dire à l’image. Ou, alors, au contraire,
la marque pressent le succès d’un modèle dans le réseau
traditionnel mais, pour ne pas se priver des bénéfices
Les raisons de ce succès ?
Un : la mise en scène des produits sur le site.
Le temps d’une vente, ils redeviennent à nouveau
désirables. Deux : le principe du club privé rassure les
marques même si tout le monde sait qu’être parrainé
pour y entrer est un jeu d’enfant. Trois : les marques
magazine no 3
37
[…] Ce qui rapporte de l’argent, c’est la rue : tous
ceux qui n’ont pas les moyens de s’acheter le
costume première ligne de chez Dolce & Gabbana
mais qui veulent avoir marqué « D & G » sur leurs
vêtements, ou « CK » pour Calvin Klein.
assurés d’une vente flash, elle gonfle sa production
pour disposer « d’invendus » le moment venu. Ce qui
rapporte de l’argent, c’est la rue : tous ceux qui n’ont pas
les moyens de s’acheter le costume première ligne de
chez Dolce & Gabbana mais qui veulent avoir marqué
« D&G » sur leurs vêtements, ou « CK » pour Calvin Klein.
C’est là que se fait l’argent ; non dans les circuits de
vente traditionnels mais dans les outlets et sur Internet.
BIOGRAPHIE
KENZO
Premier Japonais débarqué à Paris, Kenzo Takada enflamme les années 70 avec
son hymne à la jeunesse et ses défilés spectaculaires. Ses coupes destructurées, ses
mariages de couleurs explosifs et son art du métissage désarçonnent le milieu,
compassé et solennel, de la couture parisienne.
brûle ses invendus en présence d’un huissier –, ni les
petites marques branchées ou les créateurs trendy qui
ont très peu de stock. Vous voyez, c’est bien du business, pas de la mode !
Du point de vue des marques, certainement. Mais du
point de vue des gens qui achètent ? La crise, Internet,
l’explosion de l’offre de mode, l’émulation et la concurrence stylistiques tous azimuts ont donné naissance
à des consommateurs barbares, décomplexés et accrochés à de nouvelles formes de shopping. La vente
flash en est une. Que viennent chercher les visiteurs
sur ces sites ?
D’abord, je ne crois pas que ces achats sur
Internet ou dans les solderies répondent à des besoins
réels, concrets et circonstanciés. Ce sont des achats
d’impulsion. Ce que cherchent les gens, ce sont des prix
et de la mode… ou plutôt de la marque ! D’ailleurs, en
tant que déstockeur, nous avons pour principe de ne
jamais acheter des pièces dégriffées ou des marques
totalement inconnues, nous savons que ça ne se vendrait pas. Donc on surfe sur la notoriété acquise des
marques. La « sensibilité », pour ne pas dire la dépendance aux marques est de plus en plus forte, même
dans les solderies. Même au fin fond, dans les coins les
plus reculés du système, on doit renouveler les offres
de marques sous peine de lassitude, et ces marques
doivent être de plus en plus fortes, puissantes, on leur
fait de plus en plus confiance. Avant, je pouvais faire
découvrir à mes clients des petites marques intéressantes. Pendant des années, j’ai travaillé avec une marque
de lingerie italienne sublime baptisée Valéry, elle se
vendait comme des petits pains. Aujourd’hui, ce serait
impossible. C’est Lejaby et quelques autres… ou rien !
Je le sais par expérience. À côté de notre métier de déstockeur grossiste, nous développons maintenant des
licences avec des marques. Par exemple, une ligne
d’underwear masculine pour une marque de beachwear
très prisée des 18-25 ans. Le résultat est évident : dans
le réseau traditionnel des petites boutiques, nous vendons 5 pièces ici, 30 là. Mais sur vente-privee.com, on
peut monter jusqu’à 25 000 en un jour ! Dois-je préciser
que ceci n’est vrai que pour ce que j’appelle les grosses
marques. Cela ne concerne ni la haute couture, ni les
grandes marques de luxe – dont on dit que l’une d’elles
Propos recueillis par
Farid Chenoune
magazine no 3
38
1939 Naissance de Kenzo
Takada à Himeji (Japon),
à l’ombre du château fort,
des cerisiers en fleurs et
des geishas qui peuplent
sa maisonnée – son père,
un ancien fonctionnaire,
« un homme taciturne,
probe et plutôt rigide »,
a choisi de vivre « assis
derrière la caisse tout au
fond de la machiaï » (la
maison de thé).
créateur de mode n’a pas
de prix, surtout depuis
qu’il a vu le premier défilé
de Pierre Cardin au Japon.
1964 Diplômé et auréolé
de son premier Prix (il
gagne un million de yens
pour un deux-pièces blanc
sur le thème « la laine en
été »), il se fait engager par
le fabricant de prêt-à-porter Mikua et la chaîne de
grands magasins San-Aï. Il
rêve cependant à des horizons plus chantants. « Le
Japon d’après-guerre, ce
n’était pas drôle. Travailler,
travailler, travailler, travailler, ce n’était vraiment
pas joyeux. » Son immeuble doit être démoli pour
les jeux Olympiques d’hiver. Avec les 350 000 yens
de dédommagement, il profite de l’aubaine et prend un
congé de six mois pour visiter l’Europe. Hong-Kong,
Saigon, Colombo, Djibouti, Alexandrie ; le tour des
capitales en trente jours avant d’accoster à Marseille,
direction Paris, respectant scrupuleusement l’itinéraire
prévu par l’agence de voyages comme le parfait petit
touriste japonais muni de son Nikon. Catapulté dans la
capitale de ses rêves, hypnotisé par le tumulte parisien
et le manque de repères, il essaie de s’accoutumer à
cette nouvelle ville. Difficile quand on ne parle pas la
1958 Comme toute jeune
fille de bonne famille
avant son mariage, la
fille aînée suit une école
de couture. Le petit frère
rêverait d’en faire autant…
Pour se consoler, il abreuve
sa sœur en magazines et
expérimente les patrons
encartés. « C’est ainsi que
je me suis faufilé dans la mode et que, dans mes rêves,
j’ai cousu des robes pour les filles aux grands yeux d’un
Occident lointain. » Une lubie qui le pousse à délaisser
l’université de langues étrangères de Kobe pour s’inscrire au Tokyo Bunka Fashion College, la plus grande
école de mode du Japon. En franchissant les portes de
cet établissement, tout juste ouvertes aux garçons, le
jeune homme doit faire face à l’opprobre paternelle.
De petits boulots en cours du soir, il subventionne
lui-même ses frais de scolarité. Son rêve de devenir
magazine no 3
39
« Les mannequins qui venaient de New York
débarquaient en jeans usés qu’elles décoraient de
fleurs. C’était une jolie idée ; elle m’avait plu
et j’ai demandé aux filles de garder leurs jeans
pour mes défilés. »
langue… De croquis en défilés, le jeune homme en pull
chaussette brave sa timidité pour se présenter un jour
chez Louis Féraud, ses dessins sous le bras. Zizi Féraud
lui en achète cinq. Puis le magazine Elle et le Jardin des
Modes. Puis Dominique Peclers, directrice des bureaux
de style du Printemps. Une bonne pub qui lui permet
de décrocher un job chez Pisanti et Relations Textiles
avant de trouver un local, galerie Vivienne, qu’il redécore dans une ambiance de forêt tropicale, à la façon
du Douanier Rousseau. « Quand nous avons enfin posé
le tapis vert, nous étions si heureux et émus que nous
avons passé une nuit blanche à contempler le décor. »
1970 Véritable havre de paix et lieu de rencontre, la
boutique Jungle Jap intrigue artistes et professionnels
de la mode. Les tricots XXS s’entrechoquent avec les
jacquards « pop » et les rayures en tous sens. Comme
le remarque Olivier Saillard : « la fraîcheur de sa création tranche avec les propositions radicales et utopiques des couturiers Courrèges et Cardin ». Tandis que
les métrages de tissus chinés au marché Saint-Pierre
alimentent les machines à coudre du premier étage,
Kenzo Takada organise son premier défilé à l’écart des
salons prestigieux de la haute couture et des manifestations internationales du prêt-à-porter féminin. Au
programme : minikimonos fleuris, pantalons amples
déstructurés, fuseaux tricotés, turbans et robes en
yukuta (matière traditionnelle nippone). La presse, peu
nombreuse, est séduite. Mariella Righini note dans le
Nouvel Observateur : « Pas de japoniaiserie dans sa collection, pas de folklore de bazar oriental. Pas d’exotisme
à la Saint-Germain-des-Prés… C’est plus dans l’art floral
que dans le kimono qu’il faut chercher l’inspiration
de Kenzo. » Lors de sa deuxième présentation, il propose des « blousons-patchworks », mélange de denim et
d’imprimés fleuris, et fait défiler ses tricots sur des jeans
retroussés à mi-mollet : « Les mannequins qui venaient
de New York à Paris pour les collections débarquaient
en jeans usés qu’elles décoraient de fleurs. L’influence
hippie, bien sûr. C’était une jolie idée ; elle m’avait plu
et j’ai demandé aux filles de garder leurs jeans pour
mes défilés. » Peu après, l’un des blousons fait la couverture de Elle. Ses ateliers fonctionnent bientôt à plein
régime et fournissent, dans une frénésie créative, cinq
collections par an. Un an plus tard, il s’aligne sur les
dates officielles des présentations de prêt-à-porter.
1971 À Paris, la rumeur court vite... On le voit traîner
avec sa clique au Sept, le club mondain du moment
– « Pull en V rétréci et pantalon rayé pattes d’éléphant,
Kenzo y arbore tous les soirs un sourire béat plein de
dents blanches.1 » –, on le dit jalousé par Saint Laurent
parce qu’il a acquis les faveurs de Loulou de la Falaise,
la muse du Dieu vivant : « Je me sentais plus proche
de cette créativité juvénile, cosmopolite dans l’esprit,
que de la solennité parisienne ; ça chiffonnait pas mal
les couturiers, qui avaient plutôt leurs entrées chez la
comtesse de Paris », se souvient Loulou. Son hymne à
la jeunesse, qui tranche avec le caractère guindé de la
haute couture, en agace plus d’un, mais acheteurs et
journalistes ne rateraient pour rien au monde son prochain défilé… Le cinquième a lieu dans le grand hall
de la galerie des Champs-Élysées, puis est également
présenté à New York et au Japon – et c’est la cohue. Les
commandes affluent. Mais comment faire face quand
il n’y a pas assez de tissu pour reproduire les modèles du défilé ? Après quelques virées au casino pour
rafler la mise, comptant sur sa bonne étoile, il retourne
au Japon emprunter de l’argent à ses amis, acheter des
cotonnades et des tissus de kimono à bas prix. Ah ! les
magazine no 3
40
qui reflétaient la liberté qu’il avait trouvée, et ses collections insufflaient à la mode un sens de la démocratie
qui transcendait les classes sociales, les rôles assignés
à chaque sexe et les groupes ethniques.3 »
kimonos de son enfance, comme il les a contemplés !…
Mais c’est seulement maintenant qu’il a cette révélation : la coupe occidentale du vêtement, attentive aux
lignes du corps, est finalement plus contraignante.
Pour l’automne-hiver 1971-1972, il inaugure alors son
concept « d’anti-couture », en parfaite rébellion contre
la technique traditionnelle parisienne : il élimine pinces et fermetures éclair, il superpose la coupe kimono,
nette, droite, carrée, à la coupe près du corps, favorisant
la technique du dessin à plat, il rompt avec des saisons d’emmanchures étroites et de manches ajustées, il
récuse ses leçons d’écolier : « la silhouette impeccable,
la ligne galbée, la coupe parfaite ». « J’ai délibérément
cherché à créer des formes non structurées, non définies, à introduire une ampleur nouvelle, différente, en
m’appuyant sur la technique du kimono. »
1974 Sommée d’abandonner la galerie Vivienne pour
d’inextricables questions de bail, l’équipe doit déménager passage Choiseul. Gilles Raysse, un gérant hétérodoxe, un risque-tout parti chercher de l’or en Guyane
avant de devenir photographe de mode à New York,
tente le premier d’organiser la croissance. Plus de
nénuphar dans la boutique mais une énorme rose :
« C’est un tableau de Magritte qui m’a inspiré. J’ai simplement remplacé sa pomme par ma rose. » Pendant ce
temps, Kenzo poursuit ses explorations, œuvrant pour
une décontraction du vestiaire féminin. « Sa petite robe
noire est un short court et collant qu’il impose l’hiver
comme l’été, le soir comme le jour. Sa robe du soir est
une salopette de dîner en satin.4 » Après avoir créé des
costumes d’homme pour les femmes et désentoilé les
manteaux pour une plus grande souplesse, il remet
au goût du jour le tweed (Printemps-Été 73), relance la
jupe longue après des saisons de minijupes et de pantalons, tout en accréditant la mode des superpositions
(Automne-Hiver 73-74) – « Des jupes et des robes que je
pourrais mettre les unes sur les autres pour faire valser les couleurs… » Et tandis que la crise économique
menace et que la mode se gargarise d’exotisme – « les
filles s’habillent en garçon. Les Français s’enchinoisent,
s’africanisent, s’indianisent. Les collections de Kenzo,
qui empruntent à tous les folklores, expriment parfaitement ce “melting-mode”. 5 » –, Kenzo s’en va puiser ses
inspirations au Pérou, en Inde, en Afrique, au Japon…
« Je ne me force pas à courir après des idées en voyageant, je suis le plus souvent passif. Mais si, par hasard,
1972 La présentation groupée des collections de Jungle
Jap, Dorothée Bis (par Jacqueline Jacobson) et Ter et
Bantine (par Chantal Thomass) à la salle Wagram en
octobre 1971 donne le « la » de la décennie, inaugurant
l’ère des défilés spectacles. Toutes classes confondues,
en une joyeuse désinvolture, filles et garçons défilent
bras dessus, bras dessous, avec pour seule consigne :
s’éclater. De la salle Wagram au musée d’Orsay (où, en
avril 72, l’affluence est telle que le défilé doit être interrompu), de la Bourse du commerce à la porte Maillot,
les shows Kenzo sont un prélude à la fête. « En tant
qu’étranger, il pouvait faire preuve de plus d’audace
que ne le font la plupart des créateurs français, trop
intégrés dans la société pour se permettre d’en bousculer les codes.2 » Comme faire défiler des Japonaises en
culotte de zouave (Printemps-Été 79), des Occidentales
en boubous (Printemps-Été 76) ou des Africaines en
kimono (Printemps-Été 83). « Kenzo créait des vêtements
magazine no 3
41
« Non, vraiment, je ne suis pas doué pour la mode sexy
[…] Bien sûr, l’érotisme existe au Japon. Mais il est
différent du sex-appeal à l’occidentale. Je préfère la grâce
spontanée à la séduction préméditée. Pour moi, dans la
mode sexy, il entre toujours une part de calcul. »
C.
collections pour les jeunes, mais je me heurtais
au problème des prix. J’ai
failli abandonner. » Mais
quand la gauche arrive
au pouvoir et propulse
Jack Lang au ministère de
la Culture, l’espoir renaît. La mode s’intellectualise, le
défilé prend ses quartiers au Louvre sous des chapiteaux
géants affrêtés pour l’événement, et son histoire entre
au musée des Arts de la Mode, Pavillon de Marsan.
quelque chose me frappe, je deviens aussitôt attentif.
Je me souviens, par exemple, d’une dame âgée rencontrée à Bali. Elle portait un chemisier, une jupe et une
ceinture dont les motifs étaient tout à fait disparates.
Elle les avait sans doute mélangés n’importe comment,
avec la plus totale indifférence. Mais quel effet ! […] Ça
me dérangeait, et en même temps, c’était si étrange que
j’étais captivé… » Avant de se faire rattraper par Pierre
Bergé. Ce dernier l’invite à rejoindre son groupe Mode
et Création pour représenter les créateurs de prêt-à-porter au sein de la Chambre syndicale de la mode. Une
invitation qui sonne comme la fin d’une ère. À l’insouciance succède la compétition, aux années festives, les
années fric.
1980 La mode, elle, devient théâtrale, excessive. Elle
moule les corps sculptés dans les salles de gym pour
n’être plus que suggestive et sexy. Kenzo ne sombre pas
dans la tendance : « Non, vraiment, je ne suis pas doué
pour la mode sexy. C’est une mode pour femme adulte,
pour la “femme-femme”, comme vous dites. C’est une
mode clin d’œil, aguicheuse et désinvolte. […] Bien sûr,
l’érotisme existe au Japon. Mais il est différent du sexappeal à l’occidentale. Je préfère la grâce spontanée à la
séduction préméditée. Pour moi, dans la mode sexy, il
entre toujours une part de calcul. » La mode est devenue un objet de consommation. Kenzo n’y échappe pas.
Il a beau vouloir rester à l’écoute de la rue, proposer
des « petites pièces » sans prétention, faciles à porter et
bon marché – « dès 1980, je me suis efforcé d’introduire
dans chaque collection des modèles abordables, bien
finis et techniquement très soignés » –, c’est la loi de
la griffe désormais. Il marche au pas de son nouveau
gestionnaire, François Beaufumé qui, du prêt-à-porter masculin, des parfums à la vaisselle, développe
en tous sens la petite entreprise en boîte à licences et
décline en toute impunité la trilogie « fleurs, couleurs,
folklore » jusqu’à l’overdose. New York, Londres, Milan,
1976 La Maison emménage place des Victoires, où sont
réunis la boutique et le studio. Les défilés se tiennent
désormais ici, en plusieurs séances, afin d’accueillir
tout le monde. Fin de la plaisanterie. « Quand je jette
un regard sur mes années 70, je me rends compte, avec
le recul, que j’ai créé beaucoup de vêtements pour leur
effet spectaculaire. Faire des vêtements pour faire un
beau défilé, c’est un jeu très excitant mais qui doit avoir
ses limites. En fait, dans les années 70, je me faisais
plaisir. Dans les années 80, j’ai davantage pensé à faire
plaisir. » À l’aube des années 80, l’inflation n’épargne
pas la mode. Encore faut-il être riche pour s’offrir des
fringues chez Kenzo : « Je voulais continuer à faire des
magazine no 3
42
Épilogue Depuis le départ de son créateur, la marque
Kenzo est en stagnation. LVMH fait taire les rumeurs
de cession en s’apprêtant à lancer une offensive de
relance commerciale. Son successeur, Antonio Marras,
attend le couperet final…
Tokyo, les boutiques fleurissent aux quatre coins du
montde. Et les fêtes délirantes prennent une tournure
plus commerciale.
1993 Lorsque François Beaufumé se pique de faire
entrer la maison Kenzo dans le giron du groupe LVMH,
rien ne va plus. Pressurisé par la valse des financiers,
las de cette mode tiroir-caisse, Kenzo ne s’amuse plus.
Il vend son nom (et son âme) au groupe LVMH pour se
délester du fardeau de la gestion de son entreprise.
Marlène Van de Casteele
1999 Avant de partir, il organise un dernier show
d’adieu pharaonique — sponsorisé par une marque de
téléphonie — devant 4 000 personnes au Zénith. Les
réjouissances durent 48 heures et le champagne coule
à flots.
2006 Quand il souhaite à nouveau utiliser son nom,
il se heurte à un long procès l’opposant à LVMH. La
raison sociale Kenzo appartenant à LVMH, il doit à présent employer son patronyme, Takada, pour créer une
nouvelle marque. Signée avec Asiatides, la collection
« L’Atelier des 5 sens » se décline autour de l’art de vivre.
Il crée aussi chez Sony un label de musique, KT Music,
une nouvelle ligne de vêtements pour La Redoute,
Yumé (rêve), une ligne pour Baccarat. Des regrets ? « Pas
le moins du monde. Moi, j’ai tourné la page, j’ai pris du
recul, je fais ce que j’ai envie de faire. »
1. In Beautiful people, Alicia Drake, éditions Denoël, 2006, p. 181.
2. In Kenzo, contribution de Bradley Quinn, Mythologies modernes,
Rizzoli International Publications, 2010.
3. Ibid.
4. In Histoire idéale de la mode contemporaine, Olivier Saillard, Les Arts
Décoratifs, 2010.
5. In Kenzo, Ginette Sainderichin, éditions du May, 1989.
P.39, Automne-Hiver 1975 - Stern magazine, photo: Hans Feurer © Kenzo,
2009 Ultime page à tourner, la vente de son « ambassade du Japon » à la Bastille (maison de 1 000 m2 avec
jardin japonais) et de sa collection d’œuvres d’art.
Bilan : 14 millions d’euros, de quoi s’assurer une
confortable retraite…
Rizzoli New York, 2010
P.41, Kenzo Takada dans le première boutique KENZO, Galerie Vivienne,
Paris, 1970, photo: Hiroyuki Iwata
© Kenzo, Rizzoli New York, 2010
P.42, Dessin pour la collection Printemps-Eté 1976
Kenzo Takada/KENZO Archives
magazine no 2
43
IMAGES
LE SEXE
DES ANGES
Déjà la belle saison en planète mode : les dieux et déesses des campagnes
publicitaires s’apprêtent à arborer un hâle sensuel. Chez Givenchy, en revanche,
c’est au pays des neiges et des glaces que l’on nous emmène, en deux
photographies signées Mert & Marcus.
La lumière y est spectrale, et le héros, le mannequin
Stephen Thompson, atteint d’albinisme, diaphane. Deux
jeunes femmes l’accompagnent : la blonde Daphne porte
une robe dont les multiples zips et les ruchés redessinent l’anatomie ; la brune Mariacarla est méconnaissable, les orbites sombres et la bouche entravée par
un masque issu de la collection homme aussi immaculé que le reste. Au-delà, chaque couple s’offre au
regard de manière complexe puisque les silhouettes
se confondent par un effet de surimpression, l’une d’elles étant altérée ou semi-transparente. Pendant une
fraction de seconde apparaît un être double ou hanté,
une étrange créature bicéphale.
[…] Dans la rêverie alchimique,
on dit que l’œuvre au « blanc »
symbolise la réunion
harmonieuse des contraires :
les anges à deux têtes de
Mert et Marcus signalent ce
désir d’unité.
hommes ; tous partagent une même allure déconstruite
et longiligne. Dans la rêverie alchimique, on dit que
l’œuvre au « blanc » symbolise la réunion harmonieuse
des contraires : les anges à deux têtes de Mert et Marcus
signalent ce désir d’unité, dans le même temps que
leur bizarrerie légèrement morbide s’inquiète de son
impossibilité fondamentale.
Qu’est-ce qui peut faire courir un créateur de
mode hors des tendances et des sentiers mercantiles ?
La disparition, l’effacement des corps et leurs aspérités au profit d’une autre configuration, une troisième
unité « originaire » et fantasmatique : la perfection du
corps androgyne et ce que cet idéal pourrait être. La
fascination de la mode pour le corps adolescent est
la facette la plus apaisée de ce rêve très ancien. Mais
ce dernier reste aussi pourvoyeur de drames : il serait
à l’origine des formes les plus extravagantes, baroques, prospectives ou sciences fictionnelles avec lesquelles certains créateurs métamorphosent les corps
et les contredisent. On peut lire le petit théâtre orchestré par Mert et Marcus comme une allusion à cette
quête. L’atmosphère y est évanescente voire glaciale :
le désir d’indifférenciation peut être aussi un vœu de
haute pureté stérile — c’est le risque, pas sûr qu’il soit
question d’amour dans cette histoire. Pour les rencontres et l’exaltation moites sur la plage abandonnée, les
coquillages, les crustacés, etc., on sera prié d’aller voir
ailleurs.
Aux dires des critiques, c’est un romantisme
sombre qui caractérise l’esprit de Riccardo Tisci pour
Givenchy, un tempérament gothique qui se manifeste effectivement ici dans le mépris affiché envers
la vulgarité d’une belle saison où les chairs sont d’ordinaire sommées de s’exposer. On peut ajouter que le
pâle Stephen Thompson et son patrimoine génétique
contrarié évoquent les figures masculines de la littérature décadente de la fin du xixe siècle – les Dorian
Gray, les Des Esseintes : des esthètes enfermés dans
la tour d’ivoire d’un égotisme maladif, des beautés
déchues, ambiguës, à la sexualité problématique. Une
autre caractéristique de l’art de Tisci pourrait être cette
relation trouble et troublée aux deux sexes, le jeune
homme étant en charge de l’ensemble des collections.
Les vestiaires masculin et féminin de l’été Givenchy
développent ainsi un même dandysme en noir et blanc,
se vampirisant l’un l’autre ; les femmes empruntent
aux hommes costume et gilet oversized, les hommes,
des shorts aux allures de jupettes et leurs leggings
aux femmes ; le modèle transsexuel Léa T. défile chez
les femmes tandis que les femmes s’invitent chez les
Céline Mallet
Campagne Givenchy Printemps-Eté 2011, photo Mert Alas & Marcus Piggott,
courtesy Givenchy
magazine no 3
44
magazine no 3
45
LEXIQUE
Cool
On n’emploie plus le terme « cool », ou alors au deuxième degré.
Le concept a pourtant une histoire, qui se construit contre l’establishment.
Retour en dix points sur une notion rebelle.
1 : De temps à aut re naît une tendance qui donne à
celui qui l’adopte un look plus nerdy que sexy. Lunettes
surdimensionnées, pantalons trop courts, chaussures
ringardes ou chemises boutonnées jusqu’en haut :
autant d’éléments d’un style qui, pour les non-initiés,
a plus à voir avec ce que portaient nos grands-parents
que ce que l’on s’attendrait à voir sur le dos d’un jeune
trendsetter. Ce type de tendance n’est qu’un exemple
parmi d’autres du rejet de ce que le mainstream
considère comme « sexy » ; elle marque l’individualité
de celui qui l’adopte, elle indique qu’il est Cool.
dans le terme « hip » utilisé par Mailer la réponse à leur
volonté de vivre autre chose qu’une existence dominée
par les banlieues pavillonnaires et les réunions en
costume de flanelle grise. « Hip » et « cool » devinrent
des mots à la mode au cours de cette ère naissante,
et l’attitude correspondante – une conception de
l’existence exaspérée par le langage – se mit à rejoindre
progressivement le cœur même de la société depuis les
marges bohèmes de celle-ci.
Le Cool a toujours été présenté
comme la posture de l’opprimé,
[…] et s’est construit sur l’idée
qu’avec les bonnes fringues,
les bonnes drogues et la
bonne musique viendrait la
bonne attitude.
2 : Le concept de Cool aurait été au départ un moyen
pour les esclaves africains de garder leur dignité face
à leurs maîtres blancs. Tout au long de l’histoire, il a
continué d’incarner cette attitude blasée qu’adopte
l’opprimé pour signifier que, si son corps est enchaîné,
son esprit, lui, ne le sera jamais.
3 : Cette posture de nonchalance a par la suite été associée
aux jazzmen et bluesmen Noirs des années 20, avant
d’imprégner, dans les années 50, la culture mainstream
blanche à travers des polars particulièrement durs, les
films noirs des années 30 et 40, et enfin par celui du
rock’n’roll un peu plus tard.
6 : Selon l’article « Les Hippies – Philosophie d’une sousculture », publié en 1967 dans Time Magazine, le terme
hippie est dérivé « de l’adjectif utilisé avant-guerre par
le jitterbugs [danseurs de swing des années 30, ndt]
« hep » : être « hep » c’est être « dans le coup » ; « hep »
est par la suite devenu « hip » (substantif : « hipster »)
durant l’ère bebop et beatnik des années 50, puis tomba
en désuétude avant d’être remis au goût du jour par la
vague psychédélique.
4 : Malgré ses racines très codées racialement, l’idée de
cool a également marqué les cultures américaine et
européenne. Le sociologue Norbert Elias a ainsi parlé
de l’émergence d’une « nouvelle civilité » dans l’Europe
du xviiie siècle, qui prohiba de plus en plus sévèrement
l’expression spontanée des émotions ; l’historien
Peter N. Stearns a quant à lui étudié la « nouvelle
culture des émotions » aux États-Unis, qui transforma
les normes victoriennes du xixe siècle en une attitude
plus froide, plus imperturbable.
7 : Les T-shirts blancs et les jeans popularisés par James
Dean dans les années 60, tout comme les blousons de
motard arborés par Marlon Brando, les marinières
chères à Andy Warhol, ou encore les cols roulés noirs
et pantalons en velours vus sur les hipsters européens,
ont permis d’établir des standards vestimentaires qui,
encore aujourd’hui, servent de passerelle vers le cool.
5 : La fin des années 50 donna lieu à un profond
changement culturel. Cette transformation fut illustrée
notamment par Organization Man, ouvrage de William
H. Whyte de 1958, et par l’essai White Negro publié par
Norman Mailer en 1957. Beaucoup, désespérés par un
conformisme toujours plus frustrant, trouvèrent alors
magazine no 3
46
Et bien que chacune de ces images
soit assez élémentaire, le simple fait
qu’elles aient pu s’intégrer dans
notre conscience collective comme
des raccourcis culturels vers l’avantgarde et la pensée anti-etablishment
prouve à quel point s’est répandue
et se répand encore l’attitude propre
au Cool.
8 : Au sein d’une culture où la
société mainstream représentait tout
autant la répression et l’exploitation
que la corruption et « l’inauthenticité »,
la contre-culture des années 60 a
réagi en produisant une alternative
habitée par des idéaux de « pureté »
et « d’authenticité ». En ce sens, se
préoccuper du cool revenait donc
à rechercher « l’authentique ». La philosophe Agnes
Heller considère que l’authenticité reste la valeur
la plus sublime de la modernité ; à en juger par la
célébration de l’individualisme dans les médias de
masse contemporains, difficile de lui donner tort.
chacune d’entre elles s’est construite sur l’idée qu’avec
les bonnes fringues, les bonnes drogues et la bonne
musique viendrait la bonne attitude. Le Cool pourrait
donc être conçu comme la colle qui fait tenir ensemble
toutes les sous-cultures, au cours de leur long et
minutieux effort d’exacerbation des fissures existant
entre dominants et subalternes, hétéros et homos,
mainstream et underground. Le Cool est la raison pour
laquelle « ils » sont différents de « nous » et fonctionne
comme un signifiant essentiel du principe de
distinction. Il est absolument indispensable à chaque
groupe d’individus visant à retourner une position
d’outsider en celle d’insider. En d’autres termes, quelle
que soit la sous-culture que l’on scrute à la loupe, on y
trouvera toujours le même dénominateur commun : le
Cool n’incarne pas tant son salut que sa raison d’être.
9 : Dans La Société du spectacle, en 1967, le poète et
réalisateur Guy Debord a notoirement avancé que la
contre-culture, dans son projet de révolutionner la
société et de résister au « spe ctacle », se retrouverait
absorbée, après un temps, par le spectacle même auquel
elle cherchait à résister et finirait inévitablement par ne
constituer qu’une partie du spectacle parmi d’autres. On
pourrait aisément affirmer que c’est précisément ce sort
qu’ont connu l’ensemble des opposants au mainstream.
10 : Des esclaves africains en lutte pour préserver leur
dignité face aux maîtres blancs, jusqu’aux jeunes
occupés à faire des doigts d’honneur à l’establishment
(quand ce n’est pas littéralement à lui mettre des doigts,
mais alors les émotions prennent l’ascendant sur le
cool), le Cool a toujours été présenté comme la posture
de l’opprimé, et a joué en tant que tel un rôle crucial
dans le développement des sous-cultures, puisque
Anja Aronowsky Cronberg
Traduit de l’anglais par
Philippe Gontreux
Hippies, Haight Ashburry, San Francisco , 1967, photo DR
magazine no 3
47
CHRONIQUE
JEUNES POUSSES
L’écosystème de la mode semble avoir soudain besoin de voir émerger de
nouveaux talents, qui fleurissent sous les spots des magazines de printemps.
Allez hop ! Debout là-dedans ! Fini de faire la marmotte,
conforté par l’assurance que votre « hypersomnie » est
un symptôme parfaitement identifié de « dépression saisonnière ». Assommé par les bulletins de Météo France
égrenant les « épisodes neigeux », pluvieux et pourquoi
pas grincheux, vous suciez du sucre sous votre lampe
« plein spectre lumière du jour ». À moins qu’à la pointe
de la luminothérapie high-tech, vous n’arboriez une
paire de « luminettes® », lunettes à LED incrustées qui
« maintiennent la vision sans aucune gêne » (merci à
tobelight.fr d’adresser son chèque à la rédaction ; la
presse papier est fragile…). Terminé tout ça ! Le printemps est à vos fenêtres : ouvrez-les !
Avec l’heure d’été qui s’annonce, l’appétit
va revenir. Bien sûr, depuis la parution du livre de
Jonathan Safran Foer (Faut-il manger les animaux ?),
vous regardez votre séduisant jeune boucher vaguement hipster comme un maillon criminel de la mafia
agro-alimentaire qui cherche à vous empoisonner en
torturant porcs et poulets. Le marchand de clémentines corses au bilan carbone incertain perturbe tout
autant votre éco-responsabilité. Vous êtes un peu interdit devant la lourde charge morale qu’impliquent tous
ces « gestes pour la planète » à faire à chaque instant…
Ne vous laissez pas envahir par le doute, « commencement du désespoir » ! Vous aimez la mode, vous n’êtes
donc ni nihiliste, ni cynique, puisque l’invention du
présent vous intéresse. De plus, vous savez que la crise
est sinon derrière vous, du moins derrière les grands
groupes du luxe, et ça vous rassure.
Et puis, cet engouement généralisé pour les
« jeunes talents de la mode », ça sent bon le renouveau
politiquement correct ! Même le ministre de la Culture
l’a dit dans Elle : « Il faut aider les jeunes créateurs ! »
Offrant ainsi une superbe campagne de publicité à l’un
des plus importants sites français de vente en ligne,
BrandAlley qui abrite la Elle Fashion Factory. Et en
pré-commandant, à moins 50 %, les vêtements de tous
ces jeunes talents dont vous n’aviez jamais entendu
[…] Même le ministre de la Culture l’a dit dans Elle :
« Il faut aider les jeunes créateurs ! » Offrant ainsi
une superbe campagne de publicité à l’un des plus
importants sites français de vente en ligne.
parler, vous participez en direct à la version mode
des AMAP de votre quartier : de l’Association pour le
Maintien d’une Agriculture Paysanne, qui vous fournit
votre panier de légumes certifiés bio chaque semaine,
à cette vertueuse Entreprise de Développement d’une
Mode de Proximité inventée par Elle et le ministère, il
n’y a qu’un pas. Franchissez-le ! Même si l’opération est
loin du « fait main » des « top-of-wear », ventes hebdomadaires de ses collections à des amis d’amis, développées dans les années 90 par Adeline André, elle tente
tout autant de « recréer du lien » entre la mode et ses
consomm’acteurs.
Pas facile en effet de se projeter en février dans
la mode de l’été quand on étrenne à peine ses vêtements achetés aux soldes d’hiver. « Profitez des soldes
d’hiver et préparez les soldes d’été », clamait en janvier
une banque… Les penderies sont au bord de l’asphyxie ?
Rien de tel qu‘une poignée de nouveaux noms en couverture pour tenter de créer un appel d’air. Ainsi, Elle
réinvente le « Bon Magique » à l’heure du tout-à-l’écran,
quand Vogue se prépare à stariser « ses » jeunes et que
la Fédération de la Couture rajeunit son calendrier
des défilés : après des années d’occupation du terrain
par les grandes marques, le printemps des médias fait
éclore son lot de jeunes pousses, prêtes « à se faire une
place dans la jungle de la mode ».
Souhaitons que leur vision s’enracine dans
une réalité, sous peine de devenir une mode « hors
corps » sous engrais médiatique, comme il existe des
cultures « hors sol » déconnectées de tout terroir. Car le
véritable humus d’une mode qui tient debout, c’est sa
connexion aux envies du jour. Sa sève, c’est l’actualité
des désirs. Incarnée.
Stéphane Wargnier
Patron de robe en 4 tailles.
magazine no 3
48
magazine no 3
49
RENCONTRE
VINCENT B.
Angelo avait donné mon numéro à Vincent. Je me souviens d’échanges au
téléphone, lorsqu’il était le bras droit du patron d’un groupe de
communication important : « Tu peux m’écrire un scénario de jeu interactif avec des
personnages hyper aspirationnels pour demain matin ?…
… un truc young, witty, sexy, gimmicky et glamorous.
Une relecture de L’Odyssée suffisamment référencée
pour une appropriation et une identification totales
des joueurs. On a vendu de la talkability et de l’advocacy maximum au client. Je m’occupe de la strat 360,
du territoire et de la mécanique, tu fais le scénario. Je
t’envoie la prez Keynotes par mail. » Ce genre-là.
une vie faite de ça, avec des très hauts et des très bas.
À Oléron, je n’ai pas de surprise, j’ai renoncé au plaisir,
mais j’ai découvert la joie. »
Vincent a tourné le dos à quinze ans d’une
carrière brillante dans l’univers impitoyable et violent
de Christophe Lambert et ses amies les grosses agences
de pub et leurs clients difficiles. Pétri de Donjons et
Dragons, armé d’une solide culture et d’un master en
Californie, d’une expérience à New York et, après avoir
démarré comme professeur en DUT, équipé d’un MBA
en France et d’un grand capitaine d’industrie pour
mentor, Vincent a rapporté de gros budgets et la pression est montée. Après un passage éclair « chez l’annonceur », occupant quatre jours seulement le double
poste de directeur du planning stratégique et directeur
Mais derrière le champ sémantique du pubard
hyper charrette en train de réinventer le nu total sous
les habits pour trois compètes en même temps, l’âme
sensible du Dom Juan tardif rattrapé par sa misanthropie chronique envoyait des messages. Et quand
nous nous sommes revus pour dîner dans toutes les
langues à une grande table de La Fidélité, c’est de
chiens, de Curzio Malaparte et de retrait du monde
que nous avions parlé.
Depuis, Vincent B. a tout plaqué. Il vit à l’île
d’Oléron avec ses deux énormes chiens, dont un Dogue
de Bordeaux. « La première fois que j’ai vu un chien de
cette race c’était à l’Avenue, je suis tombé amoureux.
Je suis repassé lui faire des amabilités tous les jours
ensuite, je pensais à lui, j’étais gaga. J’aime les gros
pépères, je pense m’acheter un mastiff en plus du SaintBernard et du Dogue. » Il déclare aussi, dans un grand
sourire en suspens au-dessus de l’entrecôte à point qu’il
termine dans le 9e arrondissement minéral et bruyant
de Paris : « Je vis dans le présent ! Pas dans le prochain
week-end, les prochaines vacances, la soirée à venir ;
mais dans le ravissement quotidien et gratuit. » Son
profil sur Facebook – « ultime vanité » – a disparu, mais
depuis des mois ses énormes chiens Victor et Tatum
– « comme Art Tatum mais aussi comme la femme de
John McEnroe pour ceux qui ne connaissent pas le
jazz » – occupent l’écran, dans un rayon de soleil ou en
surplomb de la mer. « C’est pas compliqué, je n’ai jamais
été aussi heureux que depuis que je vis à l’île d’Oléron.
Non, je crois que c’est la première fois que je suis heureux ! J’ai remarqué que je passe mon temps à sourire,
là-bas. Tous les jours, je fais la même promenade avec
mes chiens, et tous les jours il y a matière à ravissement. J’ai surfé vendredi dans des vagues magnifiques.
Je suis un contemplatif, je suis bien dans la nature.
J’ai une vie saine. Est-ce que j’avais des ravissements
à Paris ? Non. Je sortais, je me disais tiens, elle, elle
est jolie, des tentations, des excitations, des déceptions…
[…] Est-ce que j’avais des
ravissements à Paris ? Non. Je
sortais, je me disais tiens, elle,
elle est jolie, des tentations, des
excitations, des déceptions… une
vie faite de ça, avec des très
hauts et des très bas.
du planning digital de Lancôme pour le monde entier,
il avait repris un gros job depuis plus d’un an quand
ça s’est arrêté. Mais au lieu de retrouver autre chose,
Vincent a pris un retrait anticipé. « J’ai été très malheureux à 30 ans, j’ai démissionné en 2009, et je crois que
la quarantaine va très très bien se passer. Loin de l’univers ultra normé que j’ai essayé de fuir toute ma vie »,
dit-il pour rassurer tout le monde. L’appel d’Oléron a
été plus fort que la passion de Vincent pour le concept
de contenu de marque.
Ancien bassiste et batteur, érudit de jazz et
amateur des hussards noirs, tourmenté et serein en
fonction des décennies, Vincent n’est pas dingue, ne
magazine no 3
50
boit de vin que s’il est sucré, comme
les enfants, et a manifestement regretté
que son père militaire n’ait pas été plus
affectueux. Il a déjà trouvé un modèle
économique décroissant pour sa nouvelle vie : « Quand tu as fini ta thèse,
tu peux avoir un job de prof permanent à l’école contre lequel tu obtiens
un salaire pas énorme, pour un nombre d’heures dérisoire. » D’où le doctorat
en sciences de gestion « sur les fictions
trans-médias, c’est-à-dire les séries télé
que tu consommes via le produit principal [la série TV, ndlr], mais aussi un roman, un jeu
vidéo, des choses sur Internet, sur les mobiles, etc.,
d’un point de vue marketing ». « Capable dans la même
journée de passer de Julien Gracq à Call of Duty »,
les femmes, j’ai développé une grande crainte, une
misogynie rampante, même si visuellement je suis
toujours fou d’elles. J’étais laid jusqu’à 20 ans, et de
25 à 30 ans j’étais un chasseur ; j’ai fait de la conquête,
énormément, parce que ça me rassurait. Puis j’ai
essayé de me guérir d’un petit problème de dissociation du tendre et du sexuel. En 2011, je suis célibataire. Mais j’ai remarqué que si j’étais encore dans le
business de draguer, je pourrais vendre ça comme un
truc mystérieux, romantique, osé, audacieux. Et m’en
parer, comme le mec seul sur son rocher avec ses deux
chiens. La femme qui se laisserait prendre à ce récit-là
serait une pauvre idiote. »
Vincent a trouvé un moyen de concilier son
amour de la nature, du cinéma, de la solitude, de ses
chiens, des jeux vidéo, de la littérature, de la bande
dessinée et du roman graphique. Il a troqué ses costumes de designer contre une combi néoprène et
surfe sur ses fantasmes de sâdhu à l’écart du monde :
« Supprimer les tentations, ça aide énormément à être
apaisé. Quand tu décides de réduire ton niveau de vie,
quand il n’y a pas de boutiques, de belles femmes, tout
devient doux. À Paris, finalement, je ne sortais jamais,
je n’allais pas au Baron, il fallait tellement être interactif toute la journée que je voulais qu’on me foute la
paix le soir. Pour accepter un dîner avec des gens que
je ne connaissais pas, il aurait fallu que je prenne un
Xanax. Si ton plaisir c’est d’être au milieu des arbres
et regarder la mer, pourquoi ne pas le faire ? » Il a aimé
le Houellebecq – « sauf le dernier chapitre » –, relit Vies
Minuscules de Pierre Michon – « c’est sublime ! » –,
découvre Le Maître et Marguerite, et prend en main
le plus souvent possible « un gros roman de guerre,
Les Nus et les Morts, de Norman Mailer ». « Mais je
lis beaucoup moins que le soir à Paris, quand je travaillais. C’était le moment où la vie commençait. Ici,
j’ai moins besoin de créer cette bulle. »
Le doctorat, un sacerdoce ? Vincent est trop
libidineux pour ça. Il se demande même si sa retraite
de thésard ne serait pas plus douce avec une amoureuse. « À force d’avoir les relations que j’ai eues avec
Avant d’envoyer ce papier, je suis descendu
au Théâtre de l’Œuvre, en dessous de chez moi, voir
le Don Juan de Brecht. D’après Molière. Et même si je
n’ai pas compris pourquoi « Don » plutôt que « Dom »,
ça m’a rappelé quelqu’un. Vincent B. n’a pas beaucoup
parlé de son père militaire de carrière, mais la figure
paternelle était l’Invité de pierre – la statue spectrale
du Commandeur –, de notre dîner entre garçons au
Corneil, dans le 9e arrondissement.
Mathias Ohrel
Dessin de costume du rôle « Le Commandeur », représentation Don Juan de
Moliere à Comedie Francaise, 1947, © Bridgeman Art Library / Bibliotheque
de la Comedie Francaise, Paris, France / Archives Charmet.
magazine no 3
51
off record MODE
LA MODE
DE DEMAIN
[…] si la Saint Martins réussit une chose, c’est de
donner une identité à ses étudiants. Et s’ils ne la
trouvent pas seuls, Louise Wilson, leur directrice, la
trouve pour eux.
Le paysage est assez figé, tout change et rien ne change. Pourtant la mode
continuera de se réinventer, d’une autre manière de celles que nous avons
connues. Qui nommera-t-on héritier ? Où trouvera-t-on les successeurs ?
Voici quelques pistes sur la formation des stylistes et de possibles modèles
économiques de demain, à visage couvert bien entendu.
Vous remarquiez un jour le manque de jeunes créateurs et le fait que des grandes maisons auraient besoin,
un jour ou l’autre, d’un successeur à leur styliste…
Effectivement, les grandes maisons n’ont pas
créé de pépinière. Si on regarde dans le rétroviseur,
on s’aperçoit que les années 90 ont été très riches en
jeunes créateurs et on ne mesurait pas forcément alors
la chance qu’on avait… De nombreuses marques existaient, avec leur identité, et même si ça restait compliqué de les imposer, elles parvenaient à être visibles
dans la presse et les boutiques. C’était aussi le moment
où les Belges se sont imposés, les Martin Margiela, Ann
Demeulemeester, Dries Van Noten, en même temps que
McQueen et Chalayan, même si leur développement
n’a pas toujours été celui auquel ils aspiraient. On
n’avait pas l’impression que ce serait facile, mais on
sentait que c’était possible, ce n’est évidemment plus
le cas aujourd’hui. […] Fin des années 90, les groupes
se sont aperçus qu’ils pouvaient prendre des Galliano,
des McQueen, des Margiela, les placer chez eux et ainsi
récupérer des produits et des filières de communication
plus « cool ». Aujourd’hui, ces marques ont épuisé leurs
directeurs artistiques et leurs créateurs. Parallèlement,
ils n’ont laissé aucune place aux petites marques en
faisant une opération « main basse sur la ville », aussi
bien dans la presse que dans la distribution.
pendant quinze ans à travers jusqu’à douze collections
par an… Et si on lui cherchait un successeur, la tâche
ne serait pas facile puisque les stylistes de talent avec
une certaine expérience ne se bousculent pas…
La succession des créateurs peut aussi se faire en
interne – comme chez Gucci, de Tom Ford à Frida
Giannini – et très bien se passer…
C’est l’École italienne, davantage du côté du
produit que de celui novateur de la marque.
Peut-être aussi que l’on change d’époque et que la
période des stylistes stars est en train de se clore…
Absolument, l’âge d’or des stylistes semble
dépassé. J’ai toujours trouvé la scène londonienne
très intéressante parce qu’elle était riche de créateurs
et assez libre. Le travail de Louise Wilson à la Saint
Martins était de ce point de vue exemplaire, car elle
parvenait à hisser des étudiants à un niveau incroyable.
La limite de ce modèle est que les étudiants issus de
cette école ne veulent pas monter de maison, tout juste
une petite marque artisanale, et rester créateur. Mais
aujourd’hui, les gens n’ont pas tant besoin de vêtements que d’une Maison, au sens d’univers de signes
dans lequel on se sente bien. Prenons Christopher
Kane, peut-être le créateur le plus talentueux de sa
génération – en tout cas, le défilé que tout le monde
a regardé –, eh bien, il n’a pas de Maison et reste un
styliste.
Vous pouvez rappeler en deux mots ?
Les pressions sur la presse sont assez simples :
étant donné le volume publicitaire que les groupes
représentent, il est facile de demander à ne pas partager le gâteau [la visibilité des produits dans les pages
rédactionnelles, ndlr] avec les petites marques. Mais
sur la distribution aussi il y a eu des pressions. On ne
s’en rend pas forcément compte à Paris, mais en Italie
par exemple, où les boutiques multimarques sont plus
répandues, les marques incontournables comme Prada
ou Saint Laurent imposent des minima de commande
sur leurs pièces phare chaque saison (it-bags, chaussures, etc.), qui de fait écartent les plus petites marques du paysage. Cette pression sur les détaillants est
moins visible, et ce n’est pas près de changer, car il
est tabou de parler d’argent dans la mode, pour les
petites comme les grandes marques. […] Aujourd’hui,
on a l’impression que les marques ont pressé leur DA
jusqu’à la dernière goutte (comme Galliano chez Dior),
où il est en poste depuis 1996. Même si un créateur est
talentueux, ce n’est pas facile de coller à son époque
C’est-à-dire ?
Ça signifie qu’ils ne sont pas directeurs artistiques en plus d’être stylistes. Toute cette scène londonienne, les Marios Schwab ou Richard Nicoll, est
brillante et fait de très beaux vêtements, mais elle ne sait
pas créer une image de marque au-delà du vêtement.
D’où cela vient-il ?
À la Saint Martins, on les fait travailler un projet de fin d’année sur lequel toute leur scolarité repose.
Ils y investissent toute leur énergie et sont poussés en
cela en même temps que dirigés par leur directrice.
C’est parfait pour un système pédagogique mais pas
pour un cadre professionnel. Parce qu’une fois diplômés, les étudiants reproduisent ce qu’ils ont appris, à
savoir : plancher sur un nouveau projet chaque saison, donc tous les six mois, ce qui au final ne donne
ni une collection ni une direction. Une collection, ce
magazine no 3
52
n’est pas simplement une idée, c’est deux vestes, trois
manteaux, etc.
une identité à ses étudiants. Et s’ils ne la trouvent pas
seuls, Louise Wilson la trouve pour eux. Ce n’est pas
tant de la vampirisation que du coaching.
Pourtant, nombre de créateurs qui dessinent de grandes marques sont issus de cette école : John Galliano,
Phoebe Philo, Riccardo Tisci, peut-être Gareth Pugh
demain…
C’est vrai, mais je trouve que la nouvelle génération ne fonctionne plus sur le modèle des Philo,
Tisci, etc. Gareth Pugh, c’est différent. Il est aujourd’hui
le chouchou et celui auquel on pense quand il est question de succession, mais il a une histoire particulière :
il n’a pas été accepté au MA (Master) et s’est rabattu sur
un BA (Bachelor) de la Saint Martins. Ses vêtements
n’étaient pas toujours géniaux mais, à côté, il a beaucoup expérimenté autour de son image en organisant
des défilés dans des clubs et plein d’autres choses… de
cette manière, il s’est construit un univers. Parce qu’en
fait, apprendre à dessiner des vêtements, c’est très bien,
mais il y a toujours des gens capables de ça ; ce qui est
précieux, c’est de construire un univers. […] Je reviens
à Christopher Kane : on n’a jamais vu un visuel de ce
créateur. La seule chose qui soit disponible sur Internet,
ce sont des filles sur fond blanc dans un défilé ; on ne
peut pas faire plus minimal et c’est catastrophique pour
la communication. Les designers londoniens ont presque tous la même approche, ils ne trouvent pas d’autre
solution parce qu’ils ne sont pas formés à ça.
Et l’École belge, dont quelques bons stylistes sont
issus, quelle était sa formule ?
Anvers reste une école « carrée » avec de très
bons intervenants, et qui demande beaucoup de travail.
Le contexte belge est peut-être aussi plus propice à l’étude
qu’à une vie dissolue… Dans les années 80, c’était une
identité très belge, mais je crois qu’aujourd’hui on vient
de loin pour y étudier, même du Japon ! […] C’est difficile
d’énoncer des règles définitives sur la formation ; aux
États-Unis, il n’y a pas vraiment de formation et pourtant des créateurs émergent… Mais la seule constante,
c’est un fort coaching de la part des enseignants, quitte
à laisser une empreinte sur les étudiants. J’avais eu
l’occasion de regarder les travaux d’étudiants des Arts
appliqués de Vienne, en Autriche, qui avaient suivi les
cours de Raf Simmons et de Véronique Branquinho, et
ils avaient été marqués au fer rouge, jusque dans leur
charte graphique ! Tout était de très bon niveau, et on se
dit que si la sensibilité doit s’exprimer, elle s’appuiera
sur une qualité déjà présente.
Résumons ce qu’est la mode au-delà du vêtement… un
nom, une charte graphique, des boutiques…
Il n’y a évidemment pas de recette. Mais je suis
surpris du conformisme des jeunes créateurs, tous les
défilés sont identiques : 32 silhouettes sur fond blanc,
avec un casting qui ne surprend pas. Un Helmut Lang
faisait un défilé sur Internet avant tout le monde ! Le
Carrousel du Louvre n’accueille plus de défilés mais,
pour autant, ça n’a pas donné d’impulsion aux stylistes : ils refont la même chose ailleurs, c’était bien la
peine de déménager !
La solution est alors peut-être la direction à deux
têtes : l’une créative et l’autre commerciale…
Oui, le mythe Saint Laurent-Bergé… Mais c’est
très français de faire cette dichotomie : soit on est créatif, soit on est commercial, et au milieu il n’y a rien.
Quand on regarde des Alexander Wang ou Proenza
Schouler, ils arrivent aujourd’hui à un bon équilibre
entre les produits et la griffe.
Comment continuer à inventer aujourd’hui ?
Il y a une offre de vêtements tellement pléthorique que c’est difficile de créer une différence. Prenons
les collaborations Top Shop, H&M ou même le site Asos,
qui propose des pièces à 85 euros dont on sent qu’elles
sont conçues par un studio d’étudiants de 25 ans sortis
des meilleures écoles… Cette qualité et cette créativité à
ce prix sont assez incroyables. Top Shop a fait produire
deux ou trois silhouettes par des étudiants de la Saint
Martins… jusque-là, c’était les vitrines d’Harrods qu’on
leur confiait, ça avance !
Et comment se fait-il que la France produise peu de
stylistes, comparé à l’Angleterre ?
C’est aussi un mystère pour moi… Je pensais
que le post-graduate de l’IFM serait la bonne formation, mais ils ont peut-être mis la charrue avant les
bœufs : on demande aux étudiants de faire un projet
de marque avec des aspects marketing très développés…
Mais bien qu’ils soient en post-grade, ils ne savent pas
encore qui ils sont « créativement ». Je veux dire que
si la Saint Martins réussit une chose, c’est de donner
magazine no 3
53
[…] aujourd’hui, les gens n’ont
pas tant besoin de vêtements
que d’une Maison, au sens d’un
univers de signes dans lequel on
se sente bien.
L’enjeu est peut-être aussi le modèle économique choisi…
Je ne suis pas devin, mais je pense qu’on ne
pourra plus fonctionner comme nous l’avons fait ces
vingt dernières années. Par exemple, le modèle créateur, vêtements très chers et défilés, je ne sais pas s’il
est pérenne. C’est devenu tellement facile de délocaliser et de produire des vêtements de bonne qualité que
le jeu intéressant sera peut-être de faire une marque
avec des pièces à 300 ou 400 euros en boutique, deux
lookbooks et go!… Et je suis sûr que quelqu’un dans
cette génération va se dire que c’est plus rentable et
plus excitant. Parce que les marques de créateur ne
sont jamais rentables… Il faut accepter des money jobs
à côté pour survivre et on n’arrive plus à développer sa
propre marque. Même Galliano, malgré tous ses assistants, n’y arrive pas. Donc dès le départ, on sait que
c’est un modèle qui va dans le mur, il faut donc en
inventer un autre !
on a produit ses pièces avant, on est sûr de soi et on
garde des secrets ! Ça ne peut pas être une solution pour
toutes les marques, car il faut maîtriser son circuit de
distribution, mais les autres inventeront autre chose !
Qu’indique, selon vous, que la page Roitfeld se soit
tournée à Vogue Paris ?
Il y a vingt ans, Carine Roitfeld était styliste
à Glamour et Emmanuelle Alt à 20 ans justement… La
nouvelle rédactrice en chef était déjà rédactrice en
chef mode de Vogue, donc rien de neuf sous le soleil.
Maintenant, il me semble qu’elles sont stylistes, et que
rédacteur en chef, c’est un autre métier. […] Ce qui est
intéressant, c’est que Carine Roitfeld nous était « vendue » comme une star et on peut dire, sans être désobligeant, qu’elle a été virée comme une malpropre. Donc
la star, c’est bien Vogue et pas Carine Roitfeld. Medium
is the message, en anglais.
La mode et sa représentation sont de plus en plus
visibles dans l’art. C’est que la mode est plus présente
dans la vie par rapport aux années 60 par exemple ?
Quelles en sont les implications sociales ?
Ce qui fausse toute réponse sur les enjeux
sociaux, c’est que la mode est devenue la poule aux
œufs d’or. À partir du moment où on essaye de vendre
trois sacs par saison aux minettes, les implications
sociales passent au second plan.
Et pour les créateurs qui ne sont plus « jeunes », quelles sont les perspectives ?
Les grandes Maisons ont aussi leurs problèmes. Internet a accentué la sensation de décalage
entre ce qui est présenté dans les défilés et ce qui est
en boutique. Tous les vêtements sont visibles trois
heures après le défilé mais disponibles six mois plus
tard. Or, il n’y a aucune raison qu’on montre quelque
chose aujourd’hui et que les gens en aient envie dans
six mois ! Sur des pièces « imprimées », des Burberry,
Balenciaga, Prada… c’est difficile de maintenir la désirabilité, car avant même que ce soit l’été, on voit des
avant-premières dans les magazines, puis des rédactrices prises en photo en train de les porter, puis les trois
people du moment, et enfin le motif repris chez H&M
ou Zara… c’est difficile que la cliente sorte ensuite
2 500 euros pour l’avoir. Au point qu’on pourrait dire
que le prêt-à-porter qui défile en mars et en octobre,
c’est la nouvelle « Couture », en ce sens que ce sont des
pièces livrées tard, vendues dans des réseaux élitistes
et à des prix assez élevés. Parallèlement, ce que les
marques vendent n’est pas forcément visible, les collections croisière par exemple, et est disponible pendant la Couture. Bref, on marche sur la tête.
MODE
P.56 : brygida
Photographie Alex vanagas, stylisme sara bascuñán alonso
P.68 : lela
Photographie alexandra catière, stylisme Élisa nalin
P.76 : shop assistant
Photographie charles fréger
Que voyez-vous advenir dans cette nouvelle décennie
qui soit en rupture avec la précédente ?
Je pense que le système arrive au terme d’un
cycle et qu’il va devoir se demander comment maintenir
la désirabilité du consommateur. Et les solutions seront
propres à l’identité de chaque marque, à son réseau, à
sa souplesse… Il y a aussi un autre aspect : bien que je
ne sois pas hippie dans l’âme, je crois que la mode va
être obligée de se préoccuper de comment on produit
et avec qui. C’est déjà le cas dans l’alimentation et l’habitat, je ne vois pas pourquoi ça ne le deviendrait pas
avec le vêtement, qu’on porte au plus près du corps…
Jusqu’à quand pourra-t-on vendre une robe de créateur
2 250 euros sans aucune certitude sur où la teinture a
été faite et sur sa filière de production ? Je ne serais pas
surpris que des certifications écologiques et « éthiques »
fassent leur apparition dans les années à venir.
Quelles solutions ? Et peut-on raccourcir les cycles…
Soit on interdit les photos pendant une durée
donnée, ce qu’a fait Tom Ford. Ou alors, quelqu’un qui
est maître de son réseau de distribution dira : ce que
vous verrez défiler est ce qui sera en boutique dans
deux jours. Soit on délocalisera en Chine et ce sera fait
en deux semaines, ou des ateliers seront relocalisés et
produiront en circuit court. Ou encore on est organisé,
Propos recueillis pas
Angelo Cirimele
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magazine no 3
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BRYGIDA
Une visite de l’exposition « Pom Pom Dust » de Florence Doléac
à la galerie Jousse, Paris, février 2011.
photographie : Alex Vanagas
Stylisme : Sara Bascuñán Alonso
Mannequin : Brygida Surowiec chez Next Models
Coiffure : Shuko Samida
Maquillage : Fumihiro Ban
TRENCH :
CACHAREL
T-SHIRT :
ISSEY MIYAKE
PANTALON :
DENIM STUDIO
JUSTAUCORPS et ceinture :
CACHAREL
SWEAT :
CACHAREL
ROBE :
TARA JARMON
bracelets :
barbara bui
ROBE EN SOIE :
CACHAREL
FOULARD :
VIVIENNE WESTWOOD
CHAUSSURES :
MALOES
T-SHIRT :
ISSEY MIYAKE
JUPE :
OSKLEN
CHAUSSURES :
NO NAME
JUSTE AU CORPS :
BARBARA BUI
CHAUSSURES :
NO NAME
pantalon et veste :
TARA JARMON
CHAUSSURES :
MALOES
BLAZER :
VIVIENNE WESTWOOD ANGLOMANIA
T-SHIRT :
ISSEY MIYAKE
CEINTURE :
CACHAREL
PANTALON :
DENIM STUDIO
CHAUSSURES :
NO NAME
LELA
photographie : Alexandra Catière
Stylisme : Elisa Nalin
Mannequin : Lela Rose chez Major Model
Coiffure : Armand Fauquet chez Artlist 2
Maquillage : Natsuki Oneyama
Assistant stylisme : Marie Dehe
Assistant photo : Sarah Houcke
Remerciements a l‘équipe du Trianon.
letrianon.fr
Robe LONGUE ET TOP PORTÉ EN GILET :
KENZO
COLLIER :
LANVIN
BAGUE :
DALILA BARKACHE
CHAUSSURES :
ROCHAS
Robe, sandales et bracelets :
Prada resort
Collier :
Lanvin
Ceinture tressée :
Sonia Rykiel
Chemise en satin, Short en soie ET
Col amovible en crêpe de soie :
Miu Miu Resort
BAGUE ET BOUCLE D’OREILLE :
DALILA BARKACHE
Robe :
VIKTOR & ROLF
Veste :
JIL SANDER
Collier :
LANVIN
BAgue :
DALILA BARKACHE
PANTALON EN SOIE :
SESSUN
SANDALES :
FENDI
BAGUE :
DALILA BARKACHE
Trench :
Lahssan
Chemisier :
Fendi
Pantalon et Ceinture
portée en lavallière :
Sessun
Bracelets en plexiglas :
Miu Miu et Sonia Rykiel
Chaussures en polyester :
Rochas
Bague :
Dalila Barkache
Sur le sol :
Blouse à pois :
Sonia Rykiel
Robe longue :
Thakoon
Robe :
ROCHAS
Chaussures :
TABITHA SIMMONS
SHOP
ASSIstant
American Apparel Paris, printemps 2011
Photographe : Charles Fréger
assisté de Giulia Marchi
guillain — 22 ANS
AILIN — 20 ANS
BENJAMIN — 26 ANS
PURA — 29 ANS
LAURENT — 24 ans
CLARA — 24 ANS
JULIEN — 23 ANS
RALPH — 22 ANS
SARA — 21 ANS
textes
P.88 : CONTRE
La musique au restaurant
P.90 : MOOD-BOARD
capes 60’s, 70’s, 80’s
94 : CHRONIQUE
quoi de neuf, doc ?
P.96 : OFF RECORD ART
LE DESSOUS DES FOIRES
P.99 : HISTOIRE
L’éventail
P.102 : DESIGN
Le dessein et la forme
P.104 : RÉTROVISION
revista estudios
magazine no 1
magazine no 3
86
87
CONTRE
La musique
au restaurant
les magasins de fringues tuent
le rock […] si le rock, c’est une bande-son
pour choisir des collants ou des jeans, c’est
la fin. C’est la dictature du « cool » :
la musique, c’est sympa !
Inconcevables, insupportables, insensées… certaines choses nous irritent
et il est temps de mettre les points sur les « i ».
Je suis contre la musique dans les restaurants.
Je demande : quel rapport entre manger et écouter de
la musique ? C’est une confusion des sens assez particulière, comme si on balançait des odeurs de bouffe
à l’opéra…
[…]
La vérité est que les gens ont peur que le silence s’installe. Même quand on est reçu chez des gens, ils mettent de la musique, comme s’ils avaient peur du blanc.
Quand tu reçois tes parents chez toi, tu ne mets pas de
musique ! Ils ne comprendraient pas.
[…]
C’est devenu un phénomène généralisé : il n’y a plus
beaucoup de restaurants dans lesquels il n’y a pas de
musique… Plus loin, il y a un Corse, il passe de la
salsa. Ce n’est même pas une question de bonne ou
mauvaise musique ; c’est encore pire quand elle est
bien ! On est partagé, il y a une partie du cerveau qui
aime le morceau et l’autre qui pense qu’il n’a rien à
faire là…
[…]
On parlait du Chateaubriand tout à l’heure ; c’est une
cuisine inventive, qui demande de la concentration,
on ne pourrait pas écouter de la musique en même
temps. Ça reviendrait à ce que, pendant que tu savoures la délicieuse nourriture de l’endroit, ce moment-là
soit associé à We Will Rock You des Queen, par exemple. Si c’était un choix de faire déguster tel potage
accompagné de telle musique – comme on associe un
vin –, ce serait autre chose. Mais que, de manière aléatoire, quelqu’un branche son iPod avec la sélection
qu’il écoute sur son vélo en venant au boulot, c’est un
peu ennuyeux.
[…]
Ça me fait penser aux gens qui travaillent en écoutant
de la musique, c’est profondément incompatible ! Le
summum, c’est la musique instrumentale ou classique, ça en dit long sur la conception de la musique :
si c’est juste un papier peint, c’est pathétique. C’est
d’ailleurs intéressant de voir comment les magasins
de fringues tuent le rock de cette manière ; si le rock,
c’est une bande-son pour choisir des collants ou des
jeans, c’est la fin. C’est la dictature du « cool » : la musique, c’est sympa ! La vendeuse qui danse le rock parce
que c’est cool… Ce n’est pas « cool » le rock, c’est une
musique de Noirs ; une musique de Noirs qui enfilent
des Blanches ! Ce n’est pas une musique de Blanches
qui enfilent des jeans…
[…]
Et maintenant, il y a de la musique aussi dans les gares !
Un jour, je me goure de sortie et je me retrouve dans
une petite gare – Chaville ou un truc dans le genre –,
une petite gare bien jolie de la région parisienne, et là,
sur les deux voies, après le passage du train, on entend
une radio en permanence, même là… La musique entre
dans ta tête, même si tu n’as pas envie de ça ; c’est une
présence communicante permanente.
[…]
Le pire que j’ai vécu, c’était à la montagne, la seule
fois où je suis allé aux sports d’hiver… D’abord c’était
une expérience horrible, parce que c’est le royaume du
mauvais goût : tout le monde est moche, mal habillé
et emballé dans trois couches de vêtements. Alors je
veux fuir tout ça, je prends le téléphérique et je monte
le plus haut possible : là, c’est très beau, on est écrasé,
on est sur le toit du monde, avec le Mont-Blanc d’un
côté et les Grandes Jorasses de l’autre… et des hautparleurs à l’extérieur. Même ce spectacle seul doit être
magazine no 3
88
insupportable, il lui faut un accompagnement musical. Un peu plus bas, un chalet sert du vin chaud, c’est
très agréable… il y a de la musique ! On a toujours une
oreille qui traîne, alors on reconnaît tel jingle ou tel
morceau, et comme c’est redoutablement efficace, ça va
te rester en tête la journée… Il n’y a plus de silence !
[…]
Ce que j’aime à la campagne, et en ville aussi d’ailleurs,
ce sont les grands espaces. D’un seul coup, ta pensée
peut divaguer. Comme quand on prend l’autoroute ; on
se fout de savoir si c’est beau ou moche, on sort de Paris,
on est à Courcouronnes, il y a des poteaux électriques,
des câbles, tout est beau, comme à la campagne. Ça se
complique quand les gens y ajoutent des trucs…
[…]
La seule bonne nouvelle au milieu de l’envahissement de notre espace intime par la musique, ce sont
les taxis, qui se sont mis à écouter TSF. C’est l’un
des rares endroits où l’espace sonore s’est amélioré,
sachant qu’on venait des Grosses Têtes. D’un seul coup,
tu es boulevard Magenta, sous la pluie battante, une
lumière grise, et tu écoutes du jazz à l’arrière d’un taxi.
Tu te retrouves dans un bon polar. Tu as l’impression
d’avoir rendez-vous pour un contrat.
Gabriel Gaultier
Propos recueillis par Angelo Cirimele
Gabriel Gaultier est président de l’agence de publicité Leg.
Restaurant chinois, Shangai.
magazine no 3
89
MOOD-BOARD
capes
60’s, 70’s, 80’s
ILLUSTRATIONS FLORENCE TéTIER
Valentino, 1978
Cape en cachemire bleu de Sartimaglie, col entonnoir fermé par un lien.
Jupe culotte en daim roux, à petit lien
à la ceinture. Blouse en satin de Taroni. Bottes en cuir et daim roux. Chapeau cloche.
In L’Officiel n° 645, 1978
Pierre Cardin, 1960
Cape enveloppante à petite carrure, fermée sur le côté par un
fermoir à glissière. Chapeau en
casque à hublot d’inspiration très
interplanétaire.
In L’Officiel de la mode, n° 545456, 1960
magazine no 3
90
Yves Saint Laurent, 1970
Cape en velours pure laine vierge.
Chapeau d’Artagnan. Jupe en daim
fendue sur le devant.
In L’Officiel n° 578, 1970
magazine no 3
91
Yves Saint Laurent Rive Gauche,
1980
Cape poncho en mohair gansé
marron. Cardigan en cachemire.
Blouse en soie.
In L’Officiel n° 665, 1980
Pucci, 1965
Cape imprimée avec capuche, 1965.
Pierre Cardin, 1981
Poncho en drap d’Hurel, en double
demi-cercle. Epaules élargies par
des effets de plis plats, col entonnoir. Boutonnage asymétrique
Feutre à larges bords.
In L’Officiel n° 675, 1981
magazine no 3
92
magazine no 3
93
CHRONIQUE
QUOI DE NEUF,
DOC ?
Quand les artistes documentent leur travail, il faut s’attendre à tout, y compris
à ce que cette documentation finisse par être elle-même une œuvre d’art.
La doc., une idée neuve.
des images ou des textes, leur activité . Sur thefreezoo.
blogspot.com notamment, la Résidence Silence de l’artiste Serge Comte, installé en Islande. Un site permet
aux artistes d’exister en dehors du temps professionnel, finalement très limité, qu’est celui de l’exposition.
En dehors de leur actualité, l’information continue à
circuler et à se fabriquer. Un artiste comme Stéphane
Degoutin (nogoland.com) met en ligne ses réflexions
et donne des pistes sur des pièces à venir. Il pense et
Contrairement à l’idée reçue, archiver n’est plus la dernière étape d’un travail, celle qui vient parachever le
tout : l’album souvenir ne s’ouvre plus au moment où
l’expo se referme, car, aujourd’hui, les outils numériques permettent de diffuser les informations plus
vite. Les artistes ne se privent pas de documenter leur
travail quasiment en live, au moment où la pièce est
prête et avant même qu’elle ne soit exposée. Le Net
bouleverse donc d’abord le timing de la documentation. Et de là, son contenu, sa nature et son volume.
Car, si hier les dossiers étaient imprimés, massicotés
et reliés a posteriori, aujourd’hui, gain d’argent et de
temps, ils sont envoyés par mail. « Génération pdf » :
l’expression fait d’ailleurs son chemin dans le milieu
de l’art. Le pdf y est le format le plus convenu et le
plus pratique pour faire connaître son travail. Mieux,
les artistes s’affichent sur le Net via leur propre site,
ou bien via des sites de documentation collectifs, ou
bien encore via leur page Facebook. Être présent sur
le Net n’est pas une fin en soi : reste à déterminer le
contenu de la documentation qu’on entend y diffuser,
et celle de la forme. Avoir un site en son nom propre
n’est certes pas la solution la plus facile, puisque, sans
parler du coût financier pour ceux qui sont contraints
de faire appel à un webmaster, sa maintenance et sa
mise à jour régulière restent (plus pour très longtemps cependant) contraignantes. C’est en partie ces
difficultés-là que documentsdartistes.org veut pallier.
Ce site de la Drac Paca regroupe les dossiers de plus
de deux cents artistes de la région, dont par exemple
Noël Dolla, Émilie Perotto, Anita Molinero, mais aussi
ceux d’artistes émergents à peine connus.
[…] Il est donc devenu intéressant
de penser sa documentation
non seulement comme une
archive mais aussi comme un
journal de bord, une fenêtre
constamment ouverte sur l’atelier,
comme un dépassement des
limites de l’exposition.
théorise par le biais du réseau ». Il est donc devenu
intéressant de penser sa documentation non seulement comme une archive mais aussi comme un
journal de bord, une fenêtre constamment ouverte
sur l’atelier. En balançant sur Facebook ou sur leur
propre site les images d’une œuvre encore inachevée, ou bien des clichés de son transport, les artistes ne visent pas seulement à livrer leurs secrets de
fabrication. C’est plutôt une manière pour eux d’envisager l’œuvre dans sa continuité, une extension du
domaine de sa visibilité, un dépassement des limites
de son exposition… laquelle n’est plus qu’un moment
intermédiaire. Il y a un avant et un après exposition
qui sont tout aussi importants.
L’idée de documenter son travail sur le Net
de manière groupée est celle qu’adoptent aussi de jeunes artistes. En y ajoutant pourtant une conception
originale de la documentation. Comme le remarque
Nicolas Thély, maître de conférences en esthétique à
l’université Paris 1, « ils sont de plus en plus nombreux
à se servir du Net pour enregistrer leur activité, leurs
performances, pour valider leur pratique. Une trace
est laissée qui leur permet de dire en quelque sorte :
cela a été fait. C’est le cas par exemple d’un groupe
de jeunes artistes qui ont créé des résidences fictives
dans leur appartement aux quatre coins du monde.
Chaque résidence propose un blog qui documente, par
Du coup, la documentation se révèle être
une forme créative. Et pas seulement sur le Net : certains artistes réalisent ainsi de simples fanzines, ou
magazine no 3
94
des petits feuillets photocopiés et pliés, qui recensent
leurs travaux en même temps que leurs images ou
œuvres cultes. Le jeune Blaise Parmentier livra ainsi
au cours de la biennale de Belleville, en septembre
dernier, un document tout en images montrant ses
travaux de graffeur conceptuel en même temps que
ses « sources » artistiques. L’objet, modeste et gratuit,
s’adressant à tous les spectateurs, s’apparente immédiatement à un multiple tout en restant un objet utile
pour mieux connaître l’univers du jeune artiste. Un
artiste plus connu comme Nicolas Chardon ne se prive
pas lui non plus de réaliser son fanzine – en collaboration avec Clément Rodzielski – à l’occasion d’une de
ses expositions. Titré Palme, imprimé au format A3, sur
papier jaune, plié, le livret devient là encore un document explicatif précieux et cependant original, pour
un coût de revient dérisoire. En somme, la forme qu’on
prête à la documentation de son œuvre tend à devenir
un prolongement de celle-ci et non pas seulement un
à-côté. Elle doit épouser l’esprit du travail et réinventer les formats traditionnels. Et on ne parle pas seulement ici de graphisme : il faut également réfléchir
aux modes de diffusion. Ainsi, Nicolas Chardon a fait
de Palme une édition d’artiste, tirée à 150 exemplaires dont 30 signés. Que dire enfin d’un artiste comme
Jorge Satorre, dont les dessins consistent à raconter
ses jours passés à réfléchir à la nature et à la forme de
sa participation à une exposition, sinon que le jeune
Mexicain inverse les choses : l’œuvre étant le résultat
de la documentation de son activité.
bien décollé du parvis du Palais de Tokyo un matin de
mai 2006… nombreux sont ceux qui préfèrent biaiser
les faits. Un choix stratégique et artistique qui se veut,
là encore, cohérent avec l’esprit du travail de l’artiste.
Lequel joue la plupart du temps avec les croyances, les
doutes, la méfiance, les influences, les ondes, l’invisible. Pendant longtemps, en guise de reproduction de
ses œuvres, Loris Gréaud n’a proposé ainsi à la presse
qu’une reproduction d’une peinture réalisée par des
peintres professionnels vietnamiens d’une photo de
ses pièces…
Nombreux sont ceux qui remettent ainsi en
cause l’authenticité et la fiabilité de leur propre documentation en passant par des formes alternatives de
récit telles que la rumeur ou la légende. En creux, ils
contestent l’aspect scientifique de l’histoire de l’art
telle qu’elle est écrite par les spécialistes, et mènent
une critique institutionnelle qui ne se braque plus
contre les murs des musées ou des galeries, mais qui
vise, de manière plus immatérielle, à falsifier les sources, à instiller de vrais-faux souvenirs et donc à rêver
à voix haute leur propre histoire de l’art.
Cette transparence pleine et entière qui règne
sur Internet, et donc sur Facebook, celle qui préside
à l’impératif professionnel de documenter son travail
d’artiste, est cependant contredite en partie par… les
cachottiers. Parce qu’en matière de documentation, on
peut aussi décider de ne rien donner. De tout cacher
ou de piper les dés. Coquetterie ou vraie défiance par
rapport au tout information et à l’autopromotion, ce
choix-là prend différentes formes : de Tino Sehgal
– refusant mordicus de livrer à la presse (ou à qui que
ce soit d’ailleurs) des images de ses performances – à
Pierre Huyghe – filtrant les informations sur son parcours artistique (et notamment sur sa période ripoline) –, en passant par Loris Gréaud – qui fait croire,
mails et photos à l’appui, que sa montgolfière a bel et
Judicaël Lavrador
Palme, fanzine de Nicolas Chardon réalisé avec Clément Rodzielski.
magazine no 3
95
Off record art
Le dessous
des foires
De rendez-vous consacrés aux professionnels du monde de l’art, les foires
et les biennales sont devenues des événements au sens spectaculaire du terme :
couverture presse, stars et paillettes, fêtes et circuits… Bref, l’art comme un lifestyle.
Comment ce glissement s’est-il opéré et quels en sont les enjeux ?
Éléments de réponse à visage couvert.
Vous participez depuis des années à l’élaboration et
la communication de nombreuses foires et biennales
d’art contemporain. Comment considérez-vous leur
évolution depuis les années 70 ?
Les foires et les biennales, c’est aujourd’hui la
même chose ! On est loin du temps où un artiste refusait de mettre les pieds dans une foire : c’était comme si
une vache était entrée dans une boucherie ! Pour comprendre cette évolution, il faut faire un bref historique
des choses. Outre la foire historique de Chicago née
au début du xxe siècle, la première grande foire d’art
contemporain a été montée par Cologne en Allemagne
à la fin des années 60. Il ne faut pas oublier que les
foires sont nées notamment parce que les galeristes
voulaient contrôler ce que leurs confrères avaient à
proposer. Avec Düsseldorf et Francfort, Cologne formait
alors le triangle d’or de tout le marché de l’art mondial.
Les plus grands galeristes s’y trouvaient… et les plus
grands artistes, à commencer par Joseph Beuys.
tableaux d’Ingres sur les cimaises de la foire. Les gens
sortaient tout et n’importe quoi.
C’est de la Grande-Bretagne que semble venir le tournant, au milieu des années 90.
En 97, Saatchi monte l’exposition « Sensation »
qui révèle au public tous les young British artists
comme Damien Hirst. C’est une révolution ! Dans le
sens où il fait comme Mac Laren avec les Sex Pistols : il
fait un casting comme au cinéma et réunit un groupe
de jeunes gens super beaux et super sympas, qui adorent se faire photographier dans les journaux. Avant,
en Grande-Bretagne, il n’y avait tout simplement rien.
C’est à cette époque que le marché commence à monter
en puissance.
[…] La dernière Documenta
qui ait refusé d’être considérée
comme un événement
commercial est celle de Jan
Hoet en 1992, ou peut-être celle
de Catherine David en 1997.
A l’époque, ces commissaires
refusaient de livrer à l’avance
la liste des artistes qu’ils
invitaient, afin d’éviter que le
marché ne spécule sur eux.
Cette foire de Cologne a-t-elle connu un succès immédiat, en un temps où le marché de l’art était encore
une curiosité marginale ?
La foire était fantastique mais souffrait
d’un gros handicap : les grands collectionneurs juifs,
notamment les trustees des musées américains, étaient
encore très perturbés par l’Allemagne et refusaient de
s’y rendre. C’est pour cela que la foire de Bâle a été
créée. Cette ville suisse a vu naître le premier manifeste sioniste et bénéficiait d’un capital de sympathie.
Des galeristes, dont Beyeler, se sont donc rassemblés
pour créer la foire de Bâle, qui a bénéficié du très fort
ancrage de l’art moderne de la cité, avec notamment
les Kunsthalle et Kunstmuseum. Les premiers succès
de Bâle sont dus à ces grands collectionneurs juifs.
La crise des années 70 ne semble pas affecter ces foires.
Jusqu’à la fin des années 80, tout va très bien.
Le marché était alors très local. Vers 87-88, c’est la
catastrophe. Quelqu’un de la galerie Lisson me rappelait récemment que, jusqu’en 92, ils étaient bien
contents de vendre une pièce pendant une foire. Les
seules à avoir résisté sont alors les grandes galeries,
celles qui étaient capables de sortir leurs trésors de
guerre pour survivre : à Art Basel, la galerie Templon
montrait des Picasso. À cette époque, j’ai même vu des
La création d’une foire par le magazine Frieze en 2001
vient justement surfer sur cette vague.
En 2001, les Anglais entrent dans leurs glory
days dans le domaine de la finance et des services.
Laissant de côté l’association des galeristes londoniens
qui ont imaginé la London Art Fair, le magazine Frieze
magazine no 3
96
crée son propre événement.
C’est du jamais-vu dans
le monde de l’art. Et pour
moi, c’est inadmissible…
Pourquoi inadmissible ?
En 2008, pendant
la crise, certaines galeries
ont dit aux directeurs de
Frieze qu’ils n’avaient
plus le budget pour venir à la foire. On leur a aussitôt fait comprendre que les rédacteurs pourraient soudain devenir moins attentifs à leur programmation !
Aujourd’hui, on est très détendu par rapport à ça, et
pourquoi pas ? Mais le fait est qu’il n’y a plus aucune
voie critique ou éditoriale possible. Ça me fait mal de
voir aujourd’hui Art Forum, ce magazine que je lis
depuis toujours, géré par des rédacteurs en chef incultes, qui demandent à Brad Pitt ce qu’il va acheter. Seuls
les blogs permettent peut-être aujourd’hui un retour
de l’esprit critique.
de leur interdire de communiquer dessus. C’était déjà
foutu avec la biennale de Venise de Francesco Bonami
en 2003 : en invitant une multitude de curateurs à collaborer, en « multi-démocratisant » la biennale, il a tout
bousillé. Après lui, plus rien n’était possible. Invité à
collaborer, le commissaire-star Hans Ulrich Obrist a
fait entrer le loup dans la bergerie avec son Utopia
Station. Ils ont complètement décomplexé les relations
au marché.
Selon vous, il n’est donc plus possible de produire une
biennale digne de ce nom ?
C’est impossible pour une seule personne de
concevoir une biennale. Déjà, tu n’as jamais deux ans
effectifs pour y réfléchir. Ensuite, ce n’est pas ton point
de vue sur l’art que tu développes alors, mais ta capacité à collecter des fonds. Tu vas chez Gagosian ou
chez son voisin pour voir s’ils ne peuvent pas t’aider à
produire. Et tu n’as plus de temps pour conceptualiser
ton projet. Certes, il y a bien un directeur du sponsoring à Venise, mais aucun directeur de sponsoring
n’est capable de faire ce boulot. Celui auquel les collectionneurs potentiels veulent avoir affaire, c’est le
curateur : c’est face à lui qu’ils acceptent d’acheter la
pièce avant qu’elle ne soit montrée à Venise. Parfois,
ils commandent directement la pièce à l’artiste avant
de la ramener à la maison une fois la biennale finie.
En plus, l’équipe d’une biennale n’a pas le temps de
faire du baby-sitting avec les artistes, c’est donc également la galerie qui joue ce rôle.
Quel rôle joue Internet dans cette évolution ?
Avant, le milieu de l’art était très pyramidal,
avec au sommet des gens inaccessibles. Avec Internet,
tout s’est aplati, toutes les hiérarchies ont disparu, et
le goût pour l’art s’est popularisé : plus besoin de se
déplacer pour découvrir une œuvre ou une exposition.
On ne sait plus qui a le pouvoir avec tout ce surcroît
d’info. Mais une chose est sûre : il y a beaucoup d’argent,
et ce sont ces mêmes nouveaux milliardaires qui ont
créé Internet qui choisissent désormais d’investir sur
le marché de l’art comme un nouveau capital-risque.
Vous disiez ne plus voir aucune différence aujourd’hui
entre les foires et les biennales : d’où vient ce sentiment ?
La dernière Documenta qui ait refusé d’être
considérée comme un événement commercial est celle
de Jan Hoet en 1992, ou peut-être celle de Catherine
David en 1997. À l’époque, ces commissaires refusaient
de livrer en avance la liste des artistes qu’ils invitaient
afin d’éviter que le marché ne spécule sur eux. On en
est loin aujourd’hui. Pour sa biennale de Venise en
2009, Daniel Birnbaum s’est posé un instant la question, mais elle était déjà insoluble : ce sont les galeries qui financent désormais les œuvres, impossible
N’y a-t-il donc aucune exception ?
Toutes les biennales fonctionnent désormais
comme cela, sauf peut-être Sharjah. Cet événement
a commencé dans une paix royale, en un temps où
personne ne se préoccupait de l’art du Moyen-Orient.
magazine no 3
97
[…] Art Basel avait un gros problème : le
monde entier venait, mais il était interdit de
communiquer là-dessus […] On a résolu le
problème en créant des conversations entre
grands collectionneurs et grands commissaires.
Et la presse a pu en parler.
Aujourd’hui, par la faute des directeurs de communication, ils ont sur-communiqué, se sont collés à Art
Dubai pour attirer plus de monde ; c’est ainsi qu’ils ont
créé l’explosion, et toute explosion attire les requins.
Heureusement, Sharjah jouit encore d’un très beau
budget, et elle n’a pas besoin de passer des accords
avec des galeries. Elle travaille de façon beaucoup plus
saine. En comparaison, Venise a un tout petit budget,
même si cela n’a pas toujours été le cas : il y a un
musée dans la lagune qui recèle toutes les œuvres
que la biennale a produites, payées, et gardées. Mais
personne ne le connaît.
Comment la création d’Art Basel Miami en 2001 vientelle bousculer elle aussi les choses ?
Ce que Miami a changé, c’est notamment la
relation au sponsor. Avant, les galeristes qui participaient à des foires refusaient qu’il se passe quoique ce
soit en dehors de leurs stands. À Miami, les VIP lounge
ont commencé à se transformer en étals de marques
de luxe, des champagnes à Cartier. Bâle a gardé sa
rigueur, mais Miami a décomplexé tout le monde. Moi,
quand j’ai vu qu’ils avaient invité David Guetta sur
la plage, j’ai annulé mes billets. Pourtant, ça marche.
Quand j’ai su que les responsables du DIFC de Dubai,
l’équivalent du World Trade Center, voulait créer une
foire, je les ai amenés à Miami : aussitôt, ils ont voulu
acheter l’événement. On leur a fait comprendre que
ce n’était pas possible, ils ont donc créé Art Dubai en
2007. C’était la première fois de ma vie que je voyais
un sponsor acheter directement la moitié de la foire !
Cela a été fondamental : sans Art Dubai, jamais le Qatar
n’aurait eu l’idée de créer un musée, jamais les Émirats
arabes unis ne seraient venus à Venise. Cela a décomplexé toute la région sur le rôle qu’elle pouvait jouer
dans le monde.
Vous disiez qu’Art Basel a gardé sa rigueur. Pourtant,
les sponsors y font eux aussi peu à peu irruption.
Art Basel avait un gros problème : le monde
entier venait, mais il était interdit de communiquer
là-dessus. À l’époque, la presse était très pudique sur
le sujet. On a résolu le problème en créant des conversations entre grands collectionneurs et grands commissaires. Et la presse a pu en parler. C’est important
aussi pour que les gens puissent y approfondir leurs
L’ÉVENTAIL
Victime de son folklore touristique, l’éventail périssait dans la boîte aux cadeaux
délaissés, entre les tours Eiffel en plastique et les taxis jaunes en magnets.
Mais voici qu’il réapparaissait cet été, sous le coup du réchauffement climatique,
dans les rames de métro surchauffées ou aux premiers rangs des défilés.
Avec pour fonction première : éventer.
connaissances, notamment sur les marchés émergents,
Moyen-Orien, Inde, Amérique latine. Aujourd’hui, toutes les foires font ça. À Dubai, en un temps où c’était
encore le Wild West, on a créé aussi le Global Art
Forum, que s’est appropriée toute la région.
Comment analysez-vous cette profusion délirante
aujourd’hui d’événements liés à l’art contemporain ?
Quand j’étais enfant, on attendait avec hâte
Documenta, São Paulo, Venise, l’Armory Show, Art
Basel, Cologne, et basta ! Aujourd’hui, tout le calendrier
est truffé de grands événements. Ça devient impossible,
les gens ne peuvent pas voyager tout le temps. Un de
mes clients veut ouvrir un très grand musée début
2013 : j’ai été incapable de lui trouver une date disponible ! Idem pour la Ville de Milan, qui veut organiser
une biennale. Ils ont tout : le lieu, le désir, le budget.
Mais pas de date !
Comment voyez-vous l’avenir ?
Paradoxalement, je le vois dans de tout petits
salons. Il y aura peut-être deux axes de développement :
les jeunes de moins de 40 ans continueront à voyager
tout autour de la planète ; les plus âgés auront besoin
de circonstances différentes pour leurs achats. Je crois
aussi beaucoup aux projets d’Abu Dhabi, même si rien
n’est encore décidé : à qui vont appartenir les œuvres,
qui va les acheter, est-ce un musée universel ? On n’en
sait rien pour l’instant, mais ce qui est génial c’est
qu’ils vont se donner la chance de se tromper mille
fois, parce qu’ils en ont les moyens, et qu’ils sauront
en faire un vrai laboratoire du futur. Quand je pense
qu’Helsinski est tentée par la construction d’un musée
Guggenheim, cela me fait mal ! Ils ont quarante musées
merveilleux là-bas, ils n’ont besoin de personne. Qui
sont donc les gens du Guggenheim pour oser donner
un branding à une ville si merveilleuse ?
Propos recueillis par
Emmanuelle Lequeux
Vue de la foire d’art contemporain de Tokyo.
magazine no 3
98
HISTOIRE
Au commencement était
Ève qui, gênée par le
regard insistant d’Adam
sur sa nudité, se protégea d’une branche d’arbre
arrachée, avant de s’en
éventer. Puis ce fut au tour
de la grande prêtresse du feu, à qui l’on attribue une
large feuille et une palme tressée pour entretenir le
feu sacré. Ensuite, le souverain tout-puissant que l’on
voulait protéger dans sa lutte contre les mouches qui
envahissaient le sud de la Méditerranée. Et pour finir,
les dames de l’Antiquité qui, pour rafraîchir leurs visages ruisselants, employaient des dépouilles de paon…
Rudimentaires, les ancêtres de l’éventail, matériaux
primitifs destinés à protéger du soleil, à rafraîchir ou
à repousser les insectes, n’en fournissent pas moins la
forme qui sied depuis à l’éventail.
Attribut sacré, instrument d’asservissement
ou objet du quotidien, il reflète au fil du temps le statut social de l’éventé. Tandis que les Égyptiens en font
un objet de cérémonie, un emblème de paix céleste
et de méritocratie, l’Empire romain ne le brandit que
pour mieux asservir les peuples qu’il écrase sur son
passage : ainsi l’Empereur se fait-il pomper l’air par
une nuée d’esclaves agitant une plume fixée au bout
d’un long manche. L’aristocratie romaine en fait aussi
un accessoire de mode, prenant modèle sur la femme
grecque qui, dès le ive siècle avant J.-C., s’embellit d’un
flabellum en feuille de myrte, d’acacia ou de lotus.
Les premiers Chrétiens, n’y voyant que la fonction
première du chasse-mouches – d’où son appellation « d’esmouchoir » –,
décident de le rétrograder. Mais il se fait bientôt
une place au cœur de la
communion chrétienne
quand on l’intègre dans le rituel liturgique pour éloigner les insectes de la coupe de vin et du pain consacrés, au point d’en devenir un attribut pontifical.
Jusqu’au xie siècle cependant, l’usage civil de
l’esmouchoir, composé d’un manche et de longs fils de
crin, reste très limité en Europe – il est vrai que son
aspect archaïque le rend repoussant. Ce n’est véritablement qu’au xvie siècle qu’il devient un accessoire
décoratif. Pendant ce temps, le Japon, qui avait reçu
de la Chine l’éventail « écran » – ce bout de tissu fixé à
une hampe apparu au viie siècle avant J.-C. –, élabore
l’éventail plié, le sensu. Conçu au viie siècle après J.-C.
par un artisan japonais qui aurait été inspiré par les
mouvements d’ailes déployées d’une chauve-souris,
l’éventail pliant laisse s’exercer à loisir les meilleurs
artistes-peintres et développe autour des uchiwa et des
Ogi tout un cérémonial de préséances courtisanes.
Mais ce n’est que bien plus tard, en 1540, sous
l’action des conquistadors portugais, que l’éventail
plié japonais s’exporte jusqu’aux portes de l’Europe,
passant de Lisbonne à Florence non sans éveiller la
curiosité de Catherine de Médicis, alors en séjour en
Italie. À son retour en France, elle introduit cet objet
magazine no 3
99
[…] « Va, je te hais », peste l’arrogante en levant son
éventail vers l’épaule droite. « Quand te verrai-je ? »
s’inquiète la prude soucieuse en effleurant
son œil droit de son éventail fermé.
« M’es-tu fidèle ? » minaude la coquette en
soulevant l’éventail de sa main droite…
et éventaillistes (organisés en corporation depuis 1678)
s’en donnent à cœur joie. Ces éventails œuvres d’art
n’en restent pas moins réservés à l’aristocratie. Jusqu’à
ce que Martin Petit invente, en 1770, le moule à plisser,
afin de faciliter la production de masse.
de coquetterie comme un nouvel accessoire de mode
à caractère mixte. C’est ainsi qu’apparaît, en 1588, le
terme « esventail» – rappelons que depuis une charte de
1384, il était dénommé « esventour ». Marie de Médicis
l’impose ensuite comme l’indispensable accessoire
de cour ; sur quoi, en Angleterre, Elizabeth Ier décrète
qu’elle n’accepterait de ses sujets pour tout présent
qu’un éventail.
Se développe alors au xviie siècle, en France
et en Italie, une production de qualité, grâce aux
prouesses techniques de peaussiers et d’artistes peintres s’exerçant à la reproduction miniature de scènes
mythologiques ou historiques. Et tandis que son port
se démocratise – l’usage étant de le suspendre à la ceinture par un ruban –, les langues se délient secrètement
en imaginant, sous-jacent, tout un langage codé… « Va,
je te hais », peste l’arrogante en levant son éventail
vers l’épaule droite. « Quand te verrai-je ? » s’inquiète
la prude soucieuse en effleurant son œil droit de son
éventail fermé. « M’es-tu fidèle ? » minaude la coquette
en soulevant l’éventail de sa main droite… Devenu le
plus fidèle allié de la femme et, par voie de conséquence, l’ennemi du mari cocu, toute l’attention est
marquée sur ce petit objet qui concentre de plus en
plus de ruses (les premiers éventails « à système » renferment des mécanismes articulés ou de menus objets :
crayons, lorgnettes, ciseaux…), et d’ornementation :
montures en ivoire, en nacre ou en écaille, motifs guirlandes, amours roses et scènes galantes, les tabletiers
Aux portes de la Révolution, les scènes peintes
s’inspirent des idées républicaines. La mode est désormais aux portraits des glorieux républicains ou aux
tableaux des grands événements du jour, tandis que
l’éventail imprimé (récemment inventé) se fait le support de chansons, de poèmes et de propagande politique.
Des bouleversements sociaux auxquels ne résistera pas
l’éventail. Face à la disparition de certains circuits de
production et à l’évolution de la mode – les robes légères du Directoire laissent assez passer les courants d’air
pour s’éventer davantage –, l’éventail s’incline.
Sous la Restauration, sa taille diminue et son
décor se simplifie, laissant l’avantage au petit éventail brisé (constitué de lamelles d’ivoire reliées entre
elles par un ruban) qui, faute de personnalité, ne fait
que pasticher les styles du siècle précédent. Cependant,
contrairement au xviiie siècle, où la peinture de feuilles
d’éventail reste considérée comme un art mineur ne
méritant pas d’être signé, à présent de grands noms
s’illustrent (Manet, Renoir, Gauguin, Pissaro) en
miniature. La révolution de 1848 tentera une fois
encore d’anéantir l’éventail, mais les commandes pour
l’exportation permettront de sauver le marché et la
France en reste le seul producteur. Au point qu’entré
progressivement dans la vie des classes bourgeoises,
l’éventail devient la coqueluche de ces dames : impossible de se rendre à un bal, un concerto ou une garden
party sans ce cher compagnon.
réclames produit, objets commémoratifs ou testeur parfum, l’éventail a bon dos. Facile à glisser dans une
lettre, bon marché, il est le support idéal de tout commerçant ou couturier, tel Paul Poiret qui en utilisait à
grands frais, faisant appel aux plus talentueux illustrateurs de l’époque afin de les offrir à la postérité.
Mais la guerre de 1914-18 lui porte un coup fatal. À
présent que la femme travaille, fume, conduit, inutile
de combler le vide par une gestuelle affectée. L’éventail
se perd dans la boîte à gants. Les années 50 le ressuscitent tant bien que mal, mais rien n’y fait. Son langage est désuet. Sauf pour Karl Lagerfeld qui, friand
de conversations légères, s’amuse avec son ombre et sa
caricature dans les années 80. Depuis, il a adopté les
mitaines au détriment de l’éventail, qui ne fait plus
que de sporadiques apparitions dans la haute couture
et le monde du spectacle.
Marlène Van de Casteele
Page précédente : La femme au voile (Portrait de la femme de l’artiste), 1768,
Huile sur toile, Alexandre Roslin - Collection National Museum, Stockholm
À gauche :
1620, Florence
Photo © Victoria and Albert Museum, London
À droite de haut en bas :
18e siècle, France ou Grande Bretagne :
1760-1770, France
1850-1870, Japon
La fin du siècle voit l’éventail publicitaire
pointer le bout de son nez : éventails événementiels,
magazine no 3
100
1775-1800, France
Photos © Victoria and Albert Museum, London
magazine no 3
101
DESIGN
Le dessein
et la forme
Une première exposition, à Paris, propose une collection de luminaires dessinés
par de jeunes designers issus de l’Ecal. La seconde rassemble à Bordeaux
les dessins des frères Bouroullec. Les deux parlent distinctement d’image, et
d’éclairements. Mais ce sont d’abord des invitations à la foi.
Credibile est, quia absurdum est 1 : à l’image de ce prêtre
ânonnant un latin que le disciple n’a jamais compris
mais qui emporte sa ferveur, le designer doit permettre de croire, plus que de donner à comprendre. Je
crois parce que c’est absurde : parce que dépassant la
raison (à ce stade pas question de crétinisme encore,
ni d’escroquerie), c’est une promesse brouillée, une
objectivité brumeuse plutôt. À l’image de ces deux
expositions inaugurant la saison 11 : neuf cents représentations, photographies de dessins et de quelques
machines pour l’album des frères Bouroullec1. Dix-huit
objets variablement lumineux dans la proposition de
l’Ecal2. Parce qu’il est temps de distinguer le design ici
exposé d’un rapport à la clarté – éclairage d’un processus d’un côté (Bouroullec), d’un lieu et d’un outil
de l’autre (Ecal) –, au sens aussi de la morale et d’une
probité impeccable qui ont pu fonder sa démarche en
d’autres temps.
Mystère des dessins des frères B., qui réunissent expressionnisme, lignes inspirées, visions et projection industrielle. La sévérité du trait, l’apparente
modestie formelle, et la perspective du chic invincible
versant suisse Ecal. Ces deux présentations pourraient
être l’occasion de s’exercer à séparer le mensonge vrai
de la fausse vérité. Ou le moment de s’intéresser à un
étant, envisagé indépendamment de considérations
éthiques. Je suis simultanément ébloui – le métier
veut ça –, troublé, un effet collatéral de la distance
qu’il est prudent de maintenir pour respirer et tenter
de penser. De ces états douteux et vagues n’attendre
en conséquence rien de lumineux, sinon une inconfortable révélation : le design est oxymore. La réconciliation provisoire de paradoxes est son unique boulot.
Une tâche peu claire. Chaque dessin réussi n’est que
l’illusion d’une paix. L’armistice précaire, un équilibre
ponctuel, quelques perfections fragiles – il est mirage
d’une heureuse association de contraires. Temps,
argent, fonctions, commanditaire, destinataires, prix,
discours, circonstances d’exposition, histoire, rôles…
Composition contextuellement stable mais sans cesse
menacée de chute dans l’ordre de la frivolité ornementale. L’obscure clarté, c’est lui. La hâte posée, l’inquiétude sereine. Ou parce que le design est né du politique – comment oublier qu’il ne tient son aura que de
cette ambition-là ? – c’est l’assourdissant silence qui le
caractériserait mieux encore.
La revendication muette. Parce que le design
tient presque inévitablement la main gantée du marchand, ce qu’il semble dire avant tout est la mondanité tranquille, celle de notre âge lâche, mais habillée
de rigueur, posture anachorète, dans la combinaison
de super-héros marxiste et protestant héritée de ses
pères. Est-ce un mal ? Conserver la combinaison, certainement, au vu de la manière dont elle est portée.
L’ambition de changer le monde ne peut-elle être
différemment approchée ? Les Rolling Stones n’ont
inventé ni le blues ni le rock’n’roll. Ils n’ont pas plus
été esclaves dans une plantation de coton : leur légitimité sur ce terrain d’inspiration n’en est pas moins
incontestable. Le designer contemporain vit lui aussi
de l’esprit des fantômes. Accepter que plus rien alors
ne pourra plus être limpide, tout en espérant plus de
lucidité – attitude pas nécessairement cynique – de
la part du designer. Il lui faudrait savoir conjuguer
les nuances de ténèbres, et abandonner l’imbécile
et brutale transparence aux souteneurs de pouvoir.
Envisager le travail sans faux-semblants et confier
au dessin cet emploi. À lui la duplicité. Accepter par
ailleurs de reconnaître le décoratif là où il se trouve,
identifier le stylisme et les concessions au joli.
[…] Chaque dessin réussi n’est
que l’illusion d’une paix.
L’armistice précaire, un équilibre
ponctuel, quelques perfections
fragiles — il est mirage d’une
heureuse association de
contraires.
et il ne le dit qu’avec ses mots d’enfant. Il est encore
proche du petit animal, à peine social, étranger à ses
jeux essentiels. L’adulte sait, lui, la nécessité de lire
l’habit et sa splendeur, et cela défie la raison (exemple
récent et désastreux du complètement médiocre dernier roman de Houellebecq, de l’extatique cécité collective engendrée).
L’économie et la tension d’un trait animé
d’insatisfaction esthétique et politique ont fait la
puissance du dessin. Le dessein social du design a
désormais, au mieux, des contours très indécis, celui
que l’on va lire, avec toutes ses différences et convergences, dans ces travaux de l’Ecal et ceux des frères
Bouroullec. Il serait seulement énième pirouette du
joli si cet état n’était révélé que par la voix de l’enfant du conte précisément. Lorsqu’elle a mué, la voix
n’est plus innocente mais cette inédite beauté qu’elle
annonce est autrement excitante. L’initiale promesse
moderne n’est plus, mais c’est aussi là que peut loger
la nouvelle générosité et l’essentielle politesse de la
discipline. À condition pour elle d’acquérir une autre
grâce à la place. Et à nous d’être capables de la lire :
dans le déraisonnable se tiennent encore des critères
permettant de distinguer le valide du médiocre. Ils
relèvent d’abord de l’émotion.
Pierre Doze
1. Plus fréquemment tordu en Credo quia absurdum. Citation de Tertullien
issue de De Carne Christi, Le Cerf, 1976.
2. « Album », exposition de Ronan et Erwan Bouroullec. Arc en Rêves, centre
d’architecture, Bordeaux, du 27 janvier au 27 mars 2011.
3. « A New Generation of Lights », L’Ecal à Paris. Galerie Kreo, 31, rue Dauphine,
L’image, celle traduite par ces deux expositions,
occupe sur le terrain du design et de ses représentations une place grandissante, au rang des instruments
nécessaires au prosélytisme, à la conviction ou à l’embrouille. Dommage lorsqu’il s’agit de cette photographie qui fait mine d’avoir confondu les commandes
magazine no 3
102
de l’illumination et celles de la buse d’enfumage – si
on parlait ici de marketing, de l’atterrante réclame.
Dommage lorsque l’objet réalisé a oublié ce qui devait le
distinguer d’une simple figuration en deux dimensions.
Photographie ou croquis, texte imprimé en vis-à-vis ou
non, l’image renseigne, convoie le sens d’une information et permet à celui qui la lit d’ouvrir aussi largement
que possible sa raison et sa sensibilité à de possibles
nouvelles perspectives, pas forcément explicites.
Surtout l’image séduit, elle suscite une excitation, entretient le mystère et donne à envisager l’accomplissement éventuel d’un rêve laissé obscur : en
quel cas, c’est une ivresse et une autre brume qu’elle
génère, le rideau scintillant du désir qu’elle agite. Les
murs entièrement couverts de documents de « l’exposition album » se placent de ce côté-là du vertige.
À y réfléchir, cet habit de lumière-là devrait depuis
longtemps ressembler à un costume de soirée réalisé
au tricotin, informe et tout mité d’échecs. Il résiste
pourtant. L’envie d’être abusé est plus forte. « Le roi est
nu ! »4 prononce l’imprécateur élémentaire devant les
faux-semblants et les approximations dont s’alimente
le design. Lorsque nous sommes seuls à multiplier
ses mots, à lui inventer des fondements de plus en
plus bizarres. Mais les nouveaux habits de l’empereur,
ce costume idéal du conte d’Andersen, parviennent
effectivement à le rendre somptueux : il faut lire différemment sa conclusion. L’enfant qui voit le roi nu a
raison, mais il n’est qu’un enfant et il n’a que raison,
Paris 6e, du 15 janvier au 5 février 2011.
4. Contes, Andersen. Éd. Folio Gallimard, 1994.
À gauche :
Ronan & Erwan Bouroullec, Album Arc en Rêve centre d’architecture,
Bordeaux © Studio Bouroullec
À droite :
« Les souches », ECAL, Julien Renault. Photo Michel Bonvin / Ecal Courtesy
Galerie Kréo
magazine no 3
103
RÉTROVISION
Revista
Estudios
À Paris, en 1937, au cœur de l’Exposition internationale des arts et techniques,
entre la démesure architecturale et le face-à-face propagandiste des pavillons
de l’URSS et de l’Allemagne nazie, se tient un espace laboratoire, le pavillon de
la République espagnole.
L’Espagne vit des heures cruciales, plongée dans la
guerre civile qui oppose la jeune république et son
Front populaire, issu des élections, au putsch d’une
partie de l’armée ralliée au Caudillo Francisco Franco.
L’Espagne devient le champ d’expérimentation de ce
que l’on n’appelle pas encore les armes de destruction
massive – déversées par les légions nazies et fascistes –
et du langage ambigu des social-démocraties européennes face à un mouvement révolutionnaire luimême animé par des luttes entre tendances anarchiste,
trotskiste et communiste. Le pavillon espagnol résonne
comme un manifeste contre le fascisme et révèle une
relation nouvelle entre le pouvoir et les avant-gardes
artistiques. Commandité par le gouvernement de Juan
Negrín López, la Generalitat de Catalogne et la province
autonome du Pays basque, sa conception est confiée à
l’architecte catalan Josep Lluís Sert et à son homologue
des Asturies, Luis Lacasa. Issus du courant rationaliste, les deux architectes interprètent cette commande
comme la volonté politique d’un peuple et conçoivent
ce pavillon comme une opportunité exceptionnelle
pour dénoncer les entraves au progrès que représentent les forces conservatrices engagées dans le conflit
contre la république et les intellectuels et artistes qui
la soutiennent.
Situé sur l’esplanade du Trocadéro, le pavillon
représente un geste plastique et politique. Plastique
par ses dimensions et la qualité de son concept, de
son ossature (deux étages de plateaux montés comme
sur des pilotis et ouverts sur un patio) et des matériaux utilisés : béton, métal, bois et verre. Politique
par le contenu du message social et culturel. Un message porté par Picasso, qui réalise pour l’occasion la
photomonteur, qui assemble des éléments baroques et
oniriques lui permettant d’échapper au cadre idéologique avec beaucoup d’ironie.
peinture Guernica, exposée au rez-de-chaussée du bâtiment, par Joan Miró avec Le Paysan catalan dans la
Révolution (El Segador), mais aussi par les œuvres de
Julio González et du sculpteur Calder, ainsi que par les
photomontages de Josep Renau. L’ensemble architectural devient un forum « d’agit-prop » où s’exprime une
rhétorique nouvelle autour de l’engagement artistique.
Josep Renau est une figure clé de ce débat.
Affichiste renommé, théoricien (on lui doit divers textes et ouvrages sur la fonction politique de l’affiche et
du graphisme), il est aussi directeur général des BeauxArts au sein du gouvernement Negrín et maître d’œuvre du pavillon espagnol. Communiste peintre plutôt
magazine no 3
104
que peintre communiste, Josep Renau incarne un certain idéal de l’engagement politique de l’artiste. Par
son travail, Josep Renau est aussi un vecteur de l’introduction des avant-gardes dans le paysage graphique
espagnol des années 30. Originaire de Valence, où il a
intégré dès l’âge de 13 ans l’École des beaux-arts de San
Carlos, Josep Renau entre très vite en révolte permanente contre les principes pédagogiques et théoriques
d’un « autre siècle ». Il adopte le style Art déco, en vogue
à Valence, en mélangeant des apports fauves, cubistes et futuristes. Il introduit progressivement dans ses
affiches de cinéma, de spectacles et de corridas de nouvelles constructions d’éléments visuels, l’utilisation de
typographies modernes et la photographie. S’il avoue
son admiration pour le « monteur » Dada Heartfield, c’est
plutôt du côté des constructivistes russes qu’il cherche
ses références plastiques. Ses premiers photomontages
traduisent un univers austère en noir et blanc, sans
aucune distanciation humoristique, juste au service
de la révolution. Son style va néanmoins évoluer et
laisser apparaître un double personnage. D’un côté le
doctrinaire, fondateur de l’Union des écrivains et artistes prolétariens, section espagnole de l’Association des
écrivains et artistes révolutionnaires, et d’un autre, le
Après avoir illustré des ouvrages pour des éditeurs de la mouvance libertaire, comme El dolor universal de Sébastien Faure ou La conquista del pan de
Pierre Kropotkine, Josep Renau réalise la maquette de
la revue anarcho-syndicaliste Orto en 1932. Il publie
par ailleurs ses photomontages en couverture et pages
intérieures de la revue anarchiste Estudios. Fondée en
1928 à Valence par un groupe d’intellectuels proche
de la FAI, Estudios est une revue culturelle, sociologique, et aborde toutes les problématiques de la sexologie. La révolution sexuelle que prône le psychiatre et
[…] Diagonales, déséquilibre des
compositions, typos modernes,
travail à l’aérographe se mettent
au service d’un message et du
combat antifasciste.
psychanalyste autrichien Wilhelm Reich est au cœur
des débats ouverts par Estudios. Débats menés par des
théoriciens libertaires mais aussi des médecins, sociologues et scientifiques. La parole donnée aux femmes,
l’aspect pédagogique relayant les mots d’ordre concernant la contraception, l’avortement, l’hygiène de vie
magazine no 3
105
lui aussi à l’Union des écrivains et artistes prolétariens.
Il participe à la création de l’Atelier des arts plastiques
de l’Alliance des intellectuels, et en 1932 expose à la
première exposition de l’art révolutionnaire.
et surtout la contestation de l’ordre moral imposé par
l’obscurantisme d’un catholicisme violent et prédateur
font d’Estudios l’un des médias anarchistes les plus
lus, et bien au-delà de la seule mouvance libertaire.
Certains numéros tirent à plus de 60 000 exemplaires.
La libération du corps, le naturisme mais aussi des
sujets d’actualité des arts et de la culture définissent
Estudios comme un véritable média d’avant-garde.
Si la maquette n’offre rien de nouveau en
matière de mise en page, hormis quelques variations
et inventions graphiques pour le lettrage des têtes de
rubriques, c’est sur les unes et des cahiers polychromes en pages centrales que s’expriment ces ouvertures
au débat des formes contemporaines. Les photomontages de Josep Renau y alternent avec les images d’un
autre artiste de Valence, Manuel Monleón Burgos. Ce
dernier est autodidacte, formé comme apprenti dans
un atelier de miniatures et d’éventails, il approche les
milieux libertaires et adhère au groupe espérantiste de
Valence. Sa pratique du naturisme se reflète dans ses
travaux, où le nu est omniprésent. Sa rencontre avec
Josep Renau l’amène à un style graphique plus percutant. Diagonales, déséquilibre des compositions, typos
modernes, travail à l’aérographe se mettent au service
d’un message et du combat antifasciste. Monleón adhére
Estudios paraît jusqu’en 1937, la guerre et l’avancée des troupes franquistes bloquant l’approvisionnement en matériels d’impression. En avril 1939, Manuel
Monleón est arrêté et incarcéré dans l’un des bagnes
franquistes tenus par des militaires italiens. Il y passe
plusieurs années. À sa sortie, il crée une petite agence
publicitaire et fonde une revue d’arts graphiques. Dans
les années 50, il s’exile en Colombie où il pratique le
graphisme. Il revient à Valence en 1962 et y meurt en
1976. Josep Renau, échappant à la répression franquiste,
s’exile à Mexico où il devient un graphiste incontournable de la production cinématographique mexicaine
des années 50. Sa proximité avec le Parti communiste
mexicain lui faisant craindre un assassinat, il se réfugie en 1957 à Berlin-Est, où il abandonne tout travail
publicitaire pour ne se consacrer qu’à la peinture et au
photomontage. Josep Renau meurt en 1982 sans finaliser son projet de retour en Espagne, devenue une jeune
démocratie mais échappant à la courte agonie et à la
descente aux enfers de ce qui aurait dû être le paradis
des travailleurs.
magazine no 3
106
Pierre Ponant
PORTFOLIO
P.108 : useless landscape
Photographie Pablo Leon de la Barra
useless
landscape
From a special publication by Pablo Internacional magazine
centrefortheaestheticrevolution.blogspot.com
photographie : Pablo Leòn de la Barra RIO DE JANEIRO
SALVADOR
rio de janeiro
MEXICO
rio de janeiro
MEXICO
rio de janeiro
LIMA
RIO de janeiro
LA HAVANE
MEXICO
rio de janeiro
LA HAVANE
LA HAVANE
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LA HAVANE
SALVADOR
GUADALAJARA
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GUADALAJARA
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Toulouse
Ombres Blanches, 50, rue Léon Gambetta
05 34 45 53 33
Ainsi que dans les kiosques de presse internationale.
Magazine no 4, juin, juillet, août 2011, paraîtra le 15 juin.
MARS
1er au 9 mars
Défilés prêt-à-porter
automne-hiver 2011-2012.
modeaparis.com
1er mars au 8 mai
Nouvelles expositions
au Jeu de Paume : Aernout
Mik, Société Réaliste,
Alex Cecchetti et Mark
Geffriaud.
jeudepaume.org
16 mars au 31 juillet
Miro sculpteur, exposition
rassemblant près de
150 œuvres. Musée Maillol.
museemaillol.com
6 avril
La Nostra Vita de Daniele
Luchetti (2010, 93’),
film d’un réalisateur
dans la mouvance de
Nanni Moretti, et Pina de
Wim Wenders (2011, 100’),
documentaire sur la
chorégraphe Pina Bausch.
En salles
16 mars au 14 août
Unravel, Knitwear in
fashion est une exposition
consacrée à la maille
dans la mode mêlant
des stylistes jeunes et
installés. MoMu, Anvers.
momu.be
18 au 21 mars
Le Salon du Livre invite
les littératures nordiques.
Porte de Versailles.
salondulivreparis.com/
8 avril au 21 mai
Wani, exposition
des commissaires
Paul Ardenne et Marie
Maertens sur les objets
artistiques non identifiés.
Fondation Ricard.
fondation-entreprisericard.com
Jusqu’au 20 mars
Derniers jours. La
photographe Sacha Van
Dorssen en 300 images de
mode, des années 60 à 90.
Institut néerlandais.
institutneerlandais.com
20 avril
Tomboy de Céline
Sciamma. Deuxième film
de la réalisatrice, qui joue
toujours des frontières de
l’identité sexuelle.
En salles
25 au 28 mars
Drawing Now, la
5e édition du salon du
dessin contemporain
accueille 80 galeries au
Carrousel du Louvre.
salondudessin
contemporain.com
29 avril au 2 mai
26e Festival de Hyères,
sélection internationale
de jeunes stylistes et
photographes. Expositions
et tables rondes. Villa
Noailles, Hyères.
villanoailles-hyeres.com
AVRIL
MAI
4 mars au 3 avril
Format, festival
de photographie
contemporaine. Londres.
formatfestival.com
1er avril au 10 juin
Magazine Magazine, une
rétrospective du magazine
que vous tenez entre
les mains, ancienne et
nouvelle formules. 12 Mail.
12mail.com
12 mars au 14 juillet
The Wapping project
— Yohji Yamamoto.
Exposition du créateur
japonais, photographies
et installations. Victoria &
Albert Museum, Londres.
vac.ac.uk
1er avril au 4 juin
La Parisienne, exposition
qui reconstitue à l’aide de
fictions (récits et images)
l’appartement d’une
Parisienne.
Galerie des Galeries.
galerieslafayette.com
6 au 8 mai
Les Puces du design.
Le marché du mobilier
vintage fait un focus
sur le made in Italy des
années 50 à 90, et sur
Jean-Louis Avril, adepte
du carton. Quai de Loire.
pucesdudesign.com
2 au 6 mars
Inauguration de la
Gaîté Lyrique, nouvel
espace dédié aux arts
numériques.
gaite-lyrique.net
2 mars au 4 juillet
François Morellet,
Réinstallation. Exposition
consacrée à l’artiste
français adepte des néons.
Centre Pompidou.
centrepompidou.fr
3 au 6 mars
Armory Show, foire
d’art contemporain
new-yorkaise.
thearmoryshow.com
4 au 8 mars
Cinenordica, semaine du
cinéma nordique à Paris.
Cinéma du Panthéon.
cinenordica.com
Jusqu’au 15 mai
Derniers jours de
l’exposition L’Orient
des femmes, dans laquelle
Christian Lacroix a
sélectionné des costumes
magazinemagazine.fr
magazine no 3
118
magazine no 3
119
traditionnels du
Proche-Orient. Musée
du quai Branly.
quaibranly.fr
Jusqu’au 31 mai
Derniers jours de
l’exposition Zoom
Cieslewicz, présentant
des collages et affiches
du graphiste polonais
Roman Cieslewicz. Cité
nationale de l’histoire et
de l’immigration.
histoire-immigration.fr
21 mai au 5 juin
Festival international de
l’affiche et du graphisme
de Chaumont. Expositions,
tables rondes et concours
étudiant.
chaumont-graphisme.com
25 mai au 19 septembre
Paris, Delhi, Bombay…
Exposition du
commissaire et rédacteur
en chef Fabrice Bousteau,
mettant en regard l’art
contemporain indien et
français. Centre Pompidou.
centrepompidou.fr
28 avril au 30 août
L’art de l’automobile,
chefs-d’œuvre de la
collection Ralph Lauren.
Autrement dit : 17 voitures
de 1930 à nos jours. Les
Arts Décoratifs.
lesartsdecoratifs.fr
31 mai au 4 septembre
La scène artistique
mexicaine contemporaine,
dans le cadre de l’année
France-Mexique. Musée
d’Art moderne de la ville
de Paris.
mam.paris.fr
10 Chiffres
COMPILÉS PAR CLÉMENT CORRAZE
1350
760
euros, c’est le budget nécessaire à l’acquisition d’un tshirt Destroy chez Balmain. À croire que la femme du XXe
siècle ne sait plus rapiécer ses vêtements elle-même. Et si
elle n’en a pas les moyens, Zara le fera pour elle.
26
et 300 c’est respectivement le nombre de dossiers envoyés par les candidats pour les concours de photographie et de mode du prochain Festival de Hyères. Pour
les 10 finalistes en lice dans chaque catégorie, les enjeux
évoluent avec l’arrivée du 2ème Bureau de Sylvie Grumbach et celle d’un Prix Première Vision. Rendez-vous le 29
avril à la Villa Noailles.
352 000
personnes ont pu visiter l’exposition Basquiat, une fréquentation record pour le Musée d’Art moderne de la
Ville de Paris depuis sa réouverture en 2006. Mais une
bagatelle comparée au score de l’exposition Claude Monet
aux Galeries nationales du Grand Palais qui caracole en
tête avec 913 064 visiteurs (la plaçant ainsi comme l’exposition de peinture la plus visitée de France). « Les pharaons vus par les Impressionnistes » au Louvre devrait
permettre de dépasser la barre du million mais aucun
projet sérieux n’a encore été annoncé…
% des applications téléchargées ne sont utilisées qu’une
seule fois. Distinguer le nécessaire du contingent est
souvent subjectif, il n’en reste pas moins que l’utilité
conditionne la fidélité.
16 257 9500
euros, c’est le prix auquel ne s’est pas envolée une Nissan
customisée par Yves Saint Laurent lors d’une enchère organisée par Sidaction dans le cadre du dernier Dîner de
la mode. Heureusement pour la recherche qu’on dénombrait plus de 700 convives et que la table de 10 couverts
était facturée 9000 €.
euros, c’est le loyer au mètre carré de la 5th Avenue de
New York qui reste en 2011 la rue commerçante la plus
chère du monde, loin devant nos Champs Elysées nationaux (6.800 €). Malgré la paternité du business, il faut
croire qu’on ne jouera jamais dans la cour des grands. magazine no 3
121
47
9 000
c’est le nombre de m2 supplémentaires dont devrait bénéficier le Palais de Tokyo en mars 2012. Les travaux menés
par les architectes Lacaton et Vassal devraient commencer fin avril, date à partir de laquelle l’institution cessera
d’accueillir des manifestations privées (pour la privatisation de la Friche, comptez 25 000 €). Certains privilégiés
pourront admirer les lieux une dernière fois en mode
festif durant les prochaines collections. Les autres peuvent toujours aller voir Traces, l’installation d’Amos Gitaï
jusqu’au 17 avril 2011.
c’est le nombre de magazines pour lesquels vous bénéficiez d’un accès virtuel et illimité moyennant 7 euros par
mois. Interview, V, Metal, Lurve ou Dansk font parties de
la sélection et on s’en réjouit même si la qualité haptique en prend un coup. otheredition.com
26
3200
visiteurs uniques par jour de Manystuff pour le blog référence en design graphique. Comme si ses 3 800 posts ne
suffisaient pas à rendre compte de la création actuelle,
Charlotte Cheetham étend une fois de plus ses activités et
opère un glissement vers une réalité curatoriale tangible.
« Kunstkammer – Représentation d’un cabinet d’amateur »,
jusqu’au 25 mars, 12Mail, 12, rue du Mail 75002 Paris.
% des voitures vendues l’année dernière à l’échelle mondiale, étaient grises métallisées, 24% étaient noires, 16%
grises ou blanches... A l’ère de l’uniformisation du goût,
on imagine que la couleur fait peur.
magazine no 3
122
magazine no 3
123
Carré géant
en summer twill.
Hermes.com
Des couleurs inspirées
Hermès,
artisan contemporain
d e p u i s 18 37.