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ou glam et le esse la pr ode, La m r dia & , me Style tive crea str y indu 014 ital bre 2 a et dig e ovemaper, dad e Versac re, n m p ctobn – Toilet de la fem re, o i e temb a Paqu L’imag – Sep Paquit ide – N°17 iques de la jolie-la Les pusiness de Le b édito Ça y est, on a changé d’époque. Fini la critique. Terminé les longs discours. Aujourd’hui, « un bon tweet vaut mieux que trois feuillets » (p. 39). Reste qu’on aime toujours lire ou écouter des histoires et que, même si nous n’en utilisons que 7 %, on aimerait bien que notre cerveau – critique – ne soit pas seulement bon pour la casse. Heureusement, il se profile une ouverture : les médias se sentent à l’étroit dans leurs habits et veulent en changer. Tel magazine (M) veut faire une Web TV, telle radio (France Culture) se met à l’écrit, tel site de e-commerce lance un magazine (Porter)… Et si l’avenir du récit était oral ? En vignette de 5 minutes à podcaster et à écouter dans le métro ? Et si la critique devenait film, s’appuyant sur des images pour en faire un commentaire éclairé ? La mauvaise nouvelle pour les journalistes est qu’ils ne sont pas couchés ; la bonne : ils ont du boulot, s’ils savent réinventer leur métier. 13.16 NOV 2014 GRAND PALAIS Avec le soutien de / With the support of angelo cirimele sommaire textes p.36, 46, 54, 62, 68 — Collection constellations Par Priscillia Saada p.37 — Interview paquita paquin Par Cédric Saint André Perrin p.40 — Chronique mode le business de la jolie-laide Par Alice Pfeiffer intro p.10 — Brèves p.14 — Shopping que faire avec 9 7 5 2 2 e u r o s ? Photographie : Roberto Greco Stylisme : Clémence Cahu p.24 — Magazines system near east printed pages violet protein p.43 — Consumer leica fotografie international par Angelo Cirimele p.47 — Biographie rené gruau Par Marlène Van de Casteele p.52 — Website toiletpaper par Céline Mallet mode p.76 — emeline’s reverie Portfolio d’Alex Villaluz Stylisme : Arabella Mills p.92 — kate Portfolio de Janneke van der Hagen Stylisme : Lilia Toncheva O’Rourke p.104 — kathleen seltzer 1977-1979 Proposé par Patrick Remy p.118 — Collection citations Compilées par Wynn Dan p.120 — Abonnement p.55 — Chronique mode heim, une maison, un magazine et des idées Par Émilie Hammen p.122 — Agenda p.58 — Interview art jocelyn wolff Par Thimothée Chaillou p.63 — Ping pong versace, over constructed? Par Mathieu Buard & Céline Mallet En vente sur magazinemagazine.fr p.69 — Rencontre suzanna l. Par Mathias Ohrel p.72 — Rétrovision audience Par Pierre Ponant magazine 7 magazine contributeurs Style, media & creative industry N° 17 - Septembre, octobre, novembre 2014 rédacteur en chef Angelo Cirimele distribution france KD Presse - Éric Namont 14 rue des Messageries 75010 Paris T 01 42 46 02 20 kdpresse.com directeur artistique Charlie Janiaut fashion director Arabella Mills photographes Roberto Greco, Janneke van der Hagen, Priscillia Saada, Kathleen Seltzer, Alex Villaluz. stylistes Clémence Cahu, Arabella Mills, Lilia Toncheva O’Rourke. contributeurs Mathieu Buard, Timothée Chaillou, Wynn Dan, Émilie Hammen, Céline Mallet, Mathias Ohrel, Alice Pfeiffer, Pierre Ponant, Patrick Remy, Cédric Saint André Perrin, Marlène Van de Casteele. couverture Photographie : Janneke van der Hagen Stylisme : Lilia Toncheva O’Rourke Coiffure : Fumihito Maehara Maquillage : Mai Kodama Mannequin : Kate McGlone chez FM London diffusion internationale Pineapple remerciements Monsieur X. traduction Rebecca Appel secrétaire de rédaction Anaïs Chourin design original Yorgo Tloupas publicité ACP 32 boulevard de Strasbourg 75010 Paris T 06 16 399 242 [email protected] retouches Janvier Issn no 1633 – 5821 CPAPP : 0418 K 90779 directeur de publication Angelo Cirimele Éditeur ACP - Angelo Cirimele 32 boulevard de Strasbourg 75010 Paris T 06 16 399 242 alex villaluz priscillia saada Photographe Photographe Où avez-vous passé vos vacances ? Normandie puis New York. Quelle(s) couleur(s) portez-vous aujourd’hui ? Où avez-vous passé vos vacances ? Dans le sud de la Corse, en famille. Quelle(s) couleur(s) portez-vous aujourd’hui ? Quel est le dernier magazine que vous avez acheté ? National Geographic, Hot and Cool. Quel est le dernier magazine que vous avez acheté ? Masses. roberto greco patrick remy Photographe Éditeur Où avez-vous passé vos vacances ? Chez moi, dans les Pouilles. Quelle(s) couleur(s) portez-vous aujourd’hui ? Où avez-vous passé vos vacances ? Croatie. Quelle(s) couleur(s) portez-vous aujourd’hui ? Quel est le dernier magazine que vous avez acheté ? Le Nouvel Observateur. Quel est le dernier magazine que vous avez acheté ? Inrocks spécial rentrée littéraire, c’est le seul numéro que j’achète ! magazinemagazine.fr [email protected] © Magazine et les auteurs, tous droits de reproduction réservés. Magazine n’est pas responsable des textes, photos et illustrations publiées, qui engagent la seule responsabilité de leurs auteurs. imprimeur Graficas Irudi magazine 8 magazine 9 brèves Après une vague de concentrations, c’est un mouvement de r e f l u x qui affecte les agences de publicité. Gabriel Gaultier avait quitté Leg et le giron d’Havas pour lancer Jésus, puis est venu le tour d’Olivier Altmann de quitter la direction de création de Publicis Conseil pour monter Altmann + Pacreau. À qui le tour ? Babinet ? Chiche… After a period of concentration, a new round of movement has begun at advertising agencies. Gabriel Gaultier has left Leg and Havas to start Jésus, and now it’s Olivier Altmann’s turn to leave his position as head of design at Publicis Conseil to start Altmann + Pacreau. Who’s next? Babinet? I bet… long!), featuring s e l f i e s taken by the Purple-BaronAndré-Richardson team. It will be available at Rizzoli in the U.S., from September. C’est sous la forme d’une boutique, d’un café et à travers son émission de r a d i o hebdomadaire que le magazine Monocle sera présent à Maison & Objet en cette rentrée. The magazine Monocle will be represented at this fall’s Maison & Objet festival with a boutique, a café, and a r a d i o program. Changement de s t r a t é g i e chez Vanessa Rien ne se perd… le Purple Diary d’Olivier Zahm devient un livre (de 600 pages !), qui compile les s e l f i e s du team PurpleBaron-André-Richardson and so on. Chez Rizzoli, dès septembre aux États-Unis. Nothing is lost… Olivier Zahm’s Purple Diary is being turned into a book (600 pages magazine 10 Bruno : la marque va quitter les podiums pour se concentrer sur une communication digitale et print plus ambitieuse. Vanessa Bruno is changing its s t r a t e g y : the brand is stepping off the catwalks to develop more ambitious digital communication and print presentations. Kenzo présente sa collection automne-hiver 2014 à travers une installation v i d é o 3 D (réalisée par Partel Oliva) ; les vidéos et les œuvres seront visibles à la galerie 12Mail du 24 au 26 septembre. Kenzo will present its Fall-Winter 2014 collection via a 3 D v i d e o installation (by Partel Oliva); the videos and designs will be on display at the gallery 12Mail, from September 24-26. Récemment nommé président exécutif de la Chambre syndicale de la couture, Stéphane Wargnier quitte la rédaction en chef du M o n d e d ’ H e r m è s , on ignore encore qui devrait lui succéder. Recently named executive president of the Couture Syndicate, Stéphane Wargnier is stepping down as editor in chief of L e M o n d e d ’ H e r m è s . His successor there has not yet been named. Report des campagnes automne-hiver : côté mannequins, Cara Delevingne est toujours aussi présente (Chanel, Burberry, Mulberry…), mais E d i e C a m p b e l l la talonne (Lanvin, McQueen, Bottega Veneta, et aussi Zara, Sandro). Gisele Bündchen ne chôme pas (Balenciaga, Rykiel, Isabel Marant, Pucci…) et la chanteuse Rita Ora arrive chez Cavalli et DKNY. Fall-Winter fashion update: model Cara Delevingne will be everywhere (Chanel, Burberry, Mulberry…), but E d i e C a m p b e l l won’t be far behind (Lanvin, McQueen, Bottega Veneta, Zara and Sandro). Gisele Bündchen will be working hard too (Balenciaga, Rykiel, Isabel Marant, Pucci…), and the singer Rita Ora will be at Cavalli and DKNY. Côté photographes, Steven Meisel, Mert & Marcus et Inez & Vinoodh tiennent toujours la maison, devant David Sims et Mario Sorrenti. Les tendances ? Le photographe in house se porte toujours bien (Chanel, Saint Laurent, Dolce & Gabbana), le c h e v a l aussi (Hermès, Lanvin, McQueen). Louis Vuitton a choisi trois photographes pour sa campagne (Teller, Klein et Leibovitz). Enfin, vive les photos de groupe : Balmain (à six), Givenchy ou Gucci (à sept) et DKNY (à douze) ! On the photographers’ side, Steven Meisel, Mert & Marcus and Inez & Vinoodh are holding down the house, as are David Sims and Mario Sorrenti. Trends? The “in house” photographer is popular (Chanel, Saint Laurent, Dolce & Gabbana) ; horses too (Hermès, Lanvin and McQueen). Louis Vuitton has chosen three photographers for its campaign (Teller, Klein and Leibovitz). Finally, group photos win the day at Balmain, Givenchy, Gucci and DKNY. depuis des accusations de harcèlement sexuel. The battle between Vogue and Porter La première m o n o g r a p h i e consacrée au designer Robert Stadler paraîtra en octobre aux Éd. La Martinière. Parallèlement, l’exposition « Quiz », commissariat de Robert Stadler et Alexis Vaillant, à la galerie Poirel à Nancy se poursuit jusqu’au 12 octobre. In October, Éd. La Martinière will release the first m o n o g r a p h dedicated to the designer Robert Stadler. Until then, those with an interest in Stadler can visit the “Quiz” exhibit, curated by Stadler and Alexis Vaillant, which runs through October 12 at the Poirel gallery in Nancy. Les médias continuent toujours plus de s’affirmer comme l a b e l s et s’affranchissent des anciennes catégories. Ainsi, Le Parisien et M Le Monde prépareraient une Web TV. News media outlets continue to act increasingly like fashion l a b e l s , and roll out new brands. Le Parisien and M Le Monde are preparing web TV channels. Les rédactrices de mode, et souvent consultantes, passent le pas et deviennent créatrices. Ainsi Caroline Issa (Tank, Because) vient-elle de dessiner une collection de 2 5 p i è c e s pour le department store américain Nordstrom. Peu avant, la consultante anglaise Yasmin Sewell avait fait de même pour Barney’s. More and more fashion editors and consultants are becoming designers themselves. Caroline Issa (Tank, Because) has designed a 2 5 p i e c e collection for Nordstrom, the American department store. The British consultant Yasmin Sewell has done the same at Barney’s. La bataille V o g u e v s P o r t e r se poursuit, photographes interposés. C’est au tour de Terry Richardson de signer une série dans le consumer magazine du site de e-commerce. Il est vrai que le photographe était en délicatesse avec Vogue continues, with photographers caught in the middle. Terry Richardson has done a photo series for the consumer magazine of the e-commerce site. (Though it’s true that Richardson has been in a delicate position at Vogue ever since accusations of sexual harrassment were made against him.) To be honest, Wanted, In Pursuit of Magic, Shaded sont les 4 f r a g r a n c e s de la ligne de parfums lancée par Diane Pernet, connue jusqu’ici pour son blog et son festival de films de mode Asvoff. Lancement le 26 septembre à la galerie Joyce à Paris. To be honest, Wanted, In Pursuit of Magic, Shaded… These are 4 f r a g r a n c e s in the perfume line started by Diane Pernet, known until now for her blog and her festival of fashion films, ASVOFF. The line launches September 26 at the Joyce gallery in Paris. La 3e Biennale de Belleville est intitulée La piste des A p a c h e s , mais c’est le quartier de Belleville qui semble être le vrai thème, puisque cette édition proposera une série de déambulations jalonnées de récits, rencontres et installations. Du 25 septembre au 26 octobre. Plus sur labiennaledebelleville.fr The theme for the 3rd Belleville Biennale, the contemporary art festival that runs from September 25 through October 26, is “The A p a c h e Trail.” But it seems that Belleville itself will be the real star of the show. This third edition will include a series of walks, talks and installations in the Paris neighborhood. Read more on labiennaledebelleville.fr Le magazine Marie Claire fêtera ses 6 0 a n s en octobre et en profitera pour lancer un prix pour jeunes créateurs de mode – quelle bonne idée –, un autre pour une femme artiste et même un festival de musique. Nous qui pensions nous ennuyer cet automne… Marie Claire will celebrate its 6 0 t h b i r t h d a y in October, and will use the opportunity to establish a prize for young fashion designers—what a good idea—, another for a female artist, and a music festival. And we thought we’d be bored this fall… magazine 11 C’est ses 8 0 a n s que Giorgio Armani a fêté en juillet dernier et il en a profité pour annoncer le projet d’un musée consacré à sa Maison, dans sa ville de Milan. Pas de date annoncée, mais le bâtiment à restructurer est choisi. When Giorgio Armani celebrated his 8 0 t h b i r t h d a y last July, he announced plans for a museum devoted to his designs, in his hometown of Milan. No date has yet been announced, but the building that will house the museum has been selected. Le festival Planche(s) Contact à D e a u v i l l e présentera les images de Sarah Moon, Philippe Ramette, Rinko Kawauchi, Henry Roy notamment. Du 25 octobre au 30 novembre. Plus sur deauville-photo.fr/ The Planche(s) Contact festival in D e a u v i l l e , which runs from October 25-November 30, will feature images by Sarah Moon, Philippe Ramette, Rinko Kawauchi and Henry Roy. Read more at deauville-photo.fr/ magazine 12 La vitrine du magazine AD s’est trouvé une nouvelle destination, puisque l’exposition A D I n t é r i e u r s 2014 se tiendra dans la nef des Arts décoratifs. On y découvrira 16 décorateurs, parmi lesquels Bismut & Bismut, Charles Zana, Noé DuchaufourLawrance et l’indispensable Vincent Darré. À partir du 6 septembre. From September 6, the A D I n t e r i o r s 2014 exhibit will be on display at the Museum of Decorative Arts. The exhibit will feature 16 decorators, including Bismut & Bismut, Charles Zana, Noé DuchaufourLawrance and Vincent Darré. Un nouveau consumer magazine consacré à la b e a u t é , sur le modèle de Porter, c’est-à-dire financé par un site de e-commerce, serait en préparation. A new consumer magazine devoted to b e a u t y , based on the Porter model—meaning, financed by an e-commerce site—is being prepared. Le secteur Lafayette, enclave p r o s p e c t i v e au sein de la Fiac, accueillera cette année les galeries Chert (Berlin), Laura Bartlett (London), Parisa Kind (Francfort), RaebervonStenglin (Zurich), Real Fine Arts (Brooklyn), SpazioA (Pistoia), Thomas Duncan (Los Angeles), et les parisiens Antoine Levi, High Art et Triple V. At the FIAC, the c o l l e c t i v e Lafayette will welcome the galleries Chert (Berlin), Laura Bartlett (London), Parisa Kind (Frankfurt), RaebervonStenglin (Zurich), Real Fine Arts (Brooklyn), SpazioA (Pistoia), Thomas Duncan (Los Angeles), and Parisian galleries Antoine Levi, High Art and Triple V. C’est aussi au moment de la Fiac que LVMH devrait inaugurer sa fondation, au jardin d’acclimatation, avec une première exposition consacrée à… F r a n k G e h r y , qui a conçu le bâtiment. Also at the FIAC, LVMH will inaugurate its foundation at the Jardin d’Acclimatation in Paris’ Bois de Boulogne. Its first exhibit is dedicated to F r a n k G e h r y , who designed the foundation’s building. Puisque les concept stores se sont imposés comme des s e l e c t o r s de la production contemporaine, rien d’étonnant à ce qu’ils éditent leurs mémoires. Ainsi le milanais Corso Como, qui publie 10 Corso Como A to Z, chez Rizzoli. Concept stores have become increasingly influential as c u r a t o r s of contemporary production, and it is only logical that they want to reflect on their own histories. Milan-based Corso Como is publishing 10 Corso Como A to Z, at Rizzoli. On peut bénéficier d’un succès d’estime et être – en partie – sur le marché. Ainsi, une part du c a p i t a l de Carven, environ 25 %, serait à vendre. Avis aux amateurs… It’s possible to be both a financial success and— partially—on the market. Approximately 25% of Carven’s c a p i t a l is up for sale. Amateur buyers beware… Collectionneur d’art contemporain, le récent ex-président de la Chambre syndicale de la couture pourrait rassembler ses œ u v r e s au sein d’une fondation. The ex-president of the Couture Syndicate, a collector of contemporary art, is developing a foundation to showcase his w o r k s. Une nouvelle formule d’O b s e s s i o n (supplément mensuel du Nouvel Obs) est annoncée. Arnaud Sagnard, ex-GQ, prend la rédaction en chef, pas encore d’infos sur une nouvelle DA. A new edition of O b s e s s i o n (the monthly supplement of the Nouvel Obs) has been anounced. Arnaud Sagnard will be its editor in chief, but no news yet on who has been chosen as artistic director. s’apprêterait à faire appel à une a g e n c e e x t é r i e u r e pour la réalisation de visuels publicitaires. Mazarine et Publicis sont pour l’instant sur les rangs. Breaking with a longstanding practice, Chanel, particularly its jewelry department, will be bringing in an e x t e r n a l a g e n c y to handle publicity. Mazarine and Publicis are, for the moment, the prime contenders. C’est Steven M e i s e l qui signera le calendrier Pirelli 2015. Et côté filles ? Isabeli Fontana, Adriana Lima et Candice Huffine, entre autres. Steven M e i s e l will be shooting the Pirelli 2015 calendar, which will feature models Isabeli Fontana, Adriana Lima and Candice Huffine, among others. Remarqué pour des visuels pour Roger Vivier, le photographe Philippe Jarrigeon signe la nouvelle campagne A n d r é . Photographer Philippe Jarrigeon, known for his work for Roger Vivier, will design the new A n d r é campaign. Le medium « film » n’en finit plus d’être redécouvert : probablement inspiré d’Asvoff, le festival de films de mode, le Milano D e s i g n F i l m Festival prépare sa 2e édition, qui aura lieu du 9 au 12 octobre, à Milan, donc. Plus sur milanodesignfilmfestival.com Likely inspired by ASVOFF, the festival of fashion films, the Milano D e s i g n F i l m Festival is planning its second edition, which will run from the 9-12 October, in Milan. Get more information at milanodesignfilmfestival.com Rompant avec une pratique séculaire, Chanel, et plus précisément le département joaillerie, Le magazine M o u v e m e n t (théâtre, danse, art, musique), qui avait cessé de paraître fin mai, pourrait renaître de ses cendres avec une nouvelle équipe, dont Aïnhoa JeanCalmettes à la rédaction en chef et Charlie Janiaut à la direction artistique. Mouvement magazine (theater, dance, art and music), which had shut its doors at the end of May, could emerge from the ashes with a new team. Aïnhoa Jean-Calmettes will be editor in chief, Charlie Janiaut will handle artistic direction. Polo Women is thus a happy addition, with a campaign by Bruce Weber. Après de nombreuses années de collaboration, E r w a n F r o t i n ne signera plus les visuels Cartier. Toby McFarlan Pond prendrait la suite. After many years of collaboration, E r w a n F r o t i n will no longer be handling the visuals at Cartier. Toby McFarlan Pond has been tapped to take over. Le consumer magazine de la marque Louis Vuitton pourrait bien être rebaptisé L’Arlésienne tant il aura multiplié les formules avec différents directeurs artistiques. La dernière tentative avec Yorgo Tloupas ne rencontrera pas plus de succès et la sortie du magazine est repoussée sine die. Louis Vuitton’s consumer magazine has branched out extensively, producing editions with many different artistic directors. The release of the latest issue, designed by Yorgo Tloupas, has been pushed back. Il aurait été dommage que la notoriété d’une marque comme Polo de Ralph Lauren ne profite pas du m a r c h é féminin ; c’est chose faite avec Polo Women, et c’est Bruce Weber qui signe l’image. It would have been a shame if a renowned brand like Ralph Lauren’s Polo did not take advantage of the lucrative women’s m a r k e t . Crise ou pas, on s’émancipe. C’est du moins le credo d’Elie T o p qui, laissant la joaillerie de Lanvin qu’il a dessinée pendant onze ans, lance sa propre marque. Rendez-vous fin janvier, pendant la couture. Crisis or no crisis, we have to move on. At least that is the motto of Elie T o p , who is leaving Lanvin jewelry, where he worked for 11 years, to start his own line. Look for it at the end of January, during the couture presentations. Lanvin, justement, il en sera question au printemps prochain, puisque le Palais Galliera proposera une exposition consacrée à J e a n n e L a n v i n qui durera tout l’été. Lanvin, meanwhile, will be in the news next spring, with the Palais Galliera proposing an exhibit devoted to J e a n n e L a n v i n , to run through the summer. magazine 13 que faire avec 97 522 ? Shopping photographie – Roberto Greco Stylisme – Clémence Cahu assistée de Rebecca Andersson et Insook Lee Eau de toilette, h e r m è s Vernis, n a i l m a t i c Jeu de dominos, a r m a n i c a s a Bougie vintage, l e l a b o p a r i s Bougie, f o r n a s e t t i (chez Liquides, bar à parfums) Bracelet, g o o s s e n s Bague en or blanc et diamants, b o u c h e r o n Barre de col, d i o r h o m m e 299 € 18 € Prix secret 49 € 133 € 390 € 6 750 € 350 € Tube de piment (l e b o n M a r c h é ) Verre, é p u r a m a Vernis, y v e s s a i n t l a u r e n t Lames de rasoir doubles, p e r s o n n a Escarpins, p i e r r e h a r d y Porte-clés losange, c a r t i e r Bougeoir de voyage, m a i s o n m a r t i n m a r g i e l a 12 € 20 € 22 € 3 € 740 € Prix secret 62 € Faux cils, s h u u e m u r a Presse-papier, a r m a n i c a s a Coffret p a r f u m d ’ e m p i r e (chez Liquides, bar à parfums) Vernis, c h a n e l Mètre de coton, m a i s o n m a r t i n m a r g i e l a Porte-lunette, e m m a n u e l l e k a h n Porte-lunette laiton, e m m a n u e l l e k a h n Escarpins, c h r i s t i a n l o u b o u t i n Lunettes de soleil, d i o r 24 € Prix secret 330 € 69 € 25 € 80 € 80 € 775 € 380 € eau de parfum, y s - u z a c (chez Taizo à Cannes) Eau de parfum, é t a t l i b r e d ’ o r a n g e Pommade concrète, b u l y Fard à lèvres, s e r g e l utens Blaireau, m ü h l e Stylo or jaune, s . t . d u p o n t Briquet laqué noir, s . t . d u p o n t Stylo collection classic, s . t . d u p o n t Pochette, h e r m è s Décanteur, t o m f o r d Prix secret 150 € 28 € 70 € 79 € 230 € 820 € 200 € 4 000 € 441 € Pendulette octogonale, c a r t i e r Parfum 1,5 l, g u e r l a i n After-shave en pierre d’alun, m ü h l e Lunettes, r a y - b a n Poudres, c h a n e l Eau de parfum, l e g a l i o n (chez Jovoy, Paris) Portefeuille en cuir avec clous, s a i n t l a u r e n t Appareil photo, m i n o x Vaporisateur de voyage, c i r e t r u d o n Manchette baroque, c h a n e l Veilleuse luminescente, m a i s o n m a r t i n m a r g i e l a Soin d a v i d m a l l e t (chez Liquides, bar à parfums) Eau de parfum, l a p a r f u m e r i e m o d e r n e (chez Jovoy, Paris) Mocassin, d i o r h o m m e Bracelet, d i o r L’Orpheline, s e r g e l u t e n s Prix secret 2 500 € 16 € 138 € 104 € 140 € 295 € 229€ 55 € 1 120 € 119 € 55 € 160 € 750 € 1 150 € 99 € Escarpin, c a s a d e i Grande boîte, a r m a n i c a s a Pochette rectangulaire, h u g o m a t h a Mini créoles, a u r é l i e b i d e r m a n n Boucles d’oreilles avec perles Swarovski, s a s k i a d i e z Rouge à lèvres, s h u u e m u r a Briquet Super Héros, b i c Eau de parfum, s a s k i a d i e z 580 € Prix secret 1 140 € 145 € 75 € 30 € 2 € 83 € Pochette, j é r ô m e d r e y f u s s Bloc de marbre motif oiseaux, l e s m i l l e f e u i l l e s , Paris Eau de Parfum, d i o r h o m m e Téléphone, v e r t u Sac, c é l i n e Jetons et dés de backgammon, a r m a n i c a s a Bague, g o o s s e n s Boîte de vaporisateurs, m e m o (Le Bon Marché) 425 € 38 € 99 € 10 900 € 1 600 € Prix secret € 190 € 95 € Ceinture, h e r m è s 990 € Eau de parfum, j o v o y 120 € Botanical Perfume, e a r t h t u f a c e 54 € Minaudière, b o t t e g a v e n e t a 1 800 € Siphon, é p u r a m a 45 € Pions de jeu d’échecs, a r m a n i c a s a Prix secret Poudre bronzante, t o m f o r d 85 € Parfum Ambre Tigré, g i v e n c h y 170 € Chaussure, d i o r 950 € Bougie, f o r n a s e t t i (chez Liquides, bar à parfums) 133 € Chaînette, e m m a n u e l l e k a h n 95 € Lunettes, e m m a n u e l l e k a h n 400 € Magazines system Après tout, la presse de style n’est-elle pas autre chose qu’une presse BtoB, certes apprêtée et faisant mine de jouer un jeu du grand public ? Dès lors que les magazines interprètent tous la même partition (le vestiaire de la saison, les beautiful people de la fashion et quelques curiosités architecturales ou artistiques), le jeu s’est clairement déplacé sur le terrain du comment et non celui du quoi. Alors, certains titres ont envisagé le sujet de manière frontale : Industrie, puis System. Il est à noter que les deux membres féminins du board de System sont les transfuges d’Industrie, rejointes par Thomas Lenthal et Jonathan Wingfield, ex-Numéro. Le sujet de System est donc le backstage du luxe, mais côté stratégie et création, image et vêtement. Et l’approche sera technique ou érudite et non de l’ordre de la célébration ou de la pâmoison. Certes, cela reste une bonne occasion de rencontrer la planète des créateurs et des acteurs – celle qui décide et donne aussi du boulot. Et même si les écoles de mode déversent des contingents de nouveaux arrivants chaque été, pas sûr qu’ils constituent le gros des rangs des lecteurs de System, plus sûrement composés de professionnels de la profession. C’est aussi cela le luxe du luxe : faire semblant de s’adresser à tous et ne concerner que quelques-uns. Côté ligne éditoriale, la cartographie des élus est assez lisible pour qui connaissait Paradis, magazine créé par Thomas Lenthal : Juergen Teller, Azzedine Alaïa, Marc Ascoli, Robert Polidori… avec une tendance marquée pour le rétroviseur plutôt que le parebrise, mais puisqu’on n’a rien contre l’histoire… La DA semble importée, à la gouttière près, de feu Paradis, mais là encore, pourquoi réinventer ? Il y aurait bien le digital, qui rime avec invention… digital … mais voilà : le digital n’est pas configuré pour qui veut converser (les interviews de System s’étalent sur 3 à 4 doubles pages de texte). Résultat, le site ne fait que renvoyer au semestriel, en mentionnant les lieux de vente ; quant aux comptes Instagram, Tweeter ou page Facebook, ils répètent les occurrences relatives au papier. Il n’est pas à exclure que les initiateurs de System se moquent du digital. Mais leur dédain affiché rend criant le fait que l’information chaude et préalablement digérée est omniprésente en ligne et qu’elle appelle des compléments que seuls d’autres médias peuvent offrir. system-magazine.com Angleterre, 206 p., n° 3, semestriel, 230 x 300 mm, 10 € Editorial board : Alexia Niedzielski, Elizabeth von Guttman, Jonathan Wingfield & Thomas Lenthal, Art director : Mathieu Perroud, Publisher : Tartan Publishing magazine 24 Images : charlie janiaut Papier Magazines Papier digital Avec la fiction, le magazine de style reste l’une des rares formes à pouvoir embrasser des sujets aussi vastes que « l’Est ». En effet, par quel canal nous parviennent les informations sur la Turquie par exemple : les news ? Trop occupées au sensationnel ; le documentaire ? Trop peu rentable. Même Youtube va dans le même sens que les médias classiques. Reste le cinéma, la littérature et les magazines. Des interviews, des images de mode, une manière de poser une maquette, et une conception plus élastique de l’Orient, qui commence en Turquie et pousse jusqu’au Liban ou à l’Iran. Bien entendu, les diasporas font voler les frontières et rares sont les contributeurs qui n’ont pas œuvré en Europe occidentale ou aux États-Unis ; c’est probablement pour cette raison que la baseline de ce premier numéro est : Parallel culture is the future. Intégralement rédigé en anglais, Near East cultive une identité turque qui va prendre forme sous d’autres latitudes et ne néglige pas le passé pour comprendre ce qui se joue aujourd’hui. Les images de mode qui viennent rythmer ces 160 pages sont d’autant plus troublantes ; contemporaines et brutes, elles posent un réel qui nous est un peu étranger avec calme et douceur. Comme ce portfolio de la photographe suédoise Lina Scheynius, de nus en plans rapprochés. C’est la matérialité qui semble intéresser l’équipe de Near East et sa fondatrice Mihda Koray, passée par Londres avant de revenir à Istanbul. Un site minimal proposant un simple contact, une page Facebook régulièrement alimentée de l’actualité légère du magazine. Le projet est aussi de monter des expositions et de faire vivre la capitale turque avec des événements et des productions – pas que du virtuel, donc. neareastistanbul.com Turquie, 160 p., n° 1, semestriel, 220 x 285 mm, 21 € Editor in chief : Mihda Koray, Art direction : OMO Creates, Senior editor : Nadim Sammen, Publisher : Near East magazine 26 Images : charlie janiaut near east Magazines Papier digital Sauf quelques dinosaures, les graphistes ne sont aujourd’hui jamais très loin de leur Mac et hyperconnectés sur la production de leurs contemporains. L’idée de communauté virtuelle ne s’est peut-être jamais aussi bien prêtée à une profession. It’s Nice That va ainsi alimenter cette communauté en rassemblant les productions remarquables en graphisme et leur offrant une perspective. Mais ce qui se serait traduit naturellement en magazine il y a encore 10 ans se doit d’être protéiforme aujourd’hui : digital, papier, événements, rencontres… intégrant les temps courts (scan rapide des dernières productions) et ceux plus longs où l’on se demande ce qui se cache derrière le graphisme en termes d’enjeux personnels, politiques ou de société. Car la forme seule n’existe pas sans un contenu qu’on n’interroge jamais vraiment, en graphisme comme ailleurs. Donc Printed Pages, le magazine de It’s Nice That (remarquez les titres ultra dénotatifs), propose un peu de profondeur sur une dizaine de sujets par numéro : des illustrations de contes pour enfants aux photographes de musique en passant par la scénographie des défilés de mode. Bien sûr, l’écueil du magazine de graphisme est son graphisme, qui doit dégager une certaine personnalité en même temps qu’il sait s’effacer devant les autres productions. Printed Pages relève le défi de l’épure et mêle les différents papiers. Dernier point : en plus du semestriel, un livre annuel est édité, qui reprend les 130 projets les plus remarquables pour la rédaction. Ici, c’est le flot des productions, des propositions et des profils qui se déverse, mais de manière organisée. Chaque jour, une rubrique est alimentée : le lundi une playlist, le mardi la bibliothèque d’un designer qui commente 5 livres choisis ; le mercredi les opinions, le vendredi les objets… mais heureusement le week-end est off. Enfin presque, puisque The Weekender fonctionne comme un blog agrégeant liens, vidéos, mini interviews, bref, encore un peu de nourriture pour les yeux. La plateforme digitale sert aussi à faire vivre les événements (annonces et comptes rendus), rencontres, symposiums souvent thématiques et autres projets donnant lieu à des réalisations. En somme, It’s Nice That parvient à combiner temps court, temps long et temps réel, ce qui se dessine comme la trilogie des années à venir, pour l’édition notamment. itsnicethat.com Angleterre, 128 p., n° 6, trimestriel, 200 x 275 mm, 12 € Directors : Will Hudson & Alex Bec, Editor in chief : Rob Alderson, Design : Joseph Burrin & Philip Cronerud Publisher : It’s Nice That Images : charlie janiaut printed pages Magazines Papier digital Cette première moitié d’année 2014 a vu de nombreux magazines se lancer, ce qui ne laisse pas de nous interroger. Envie irrépressible, vieille habitude ? Sauf que ce sont des acteurs rompus au digital comme source d’inspiration et aux multiples formules qu’il offre, des réseaux sociaux aux blogs, etc. Dans le cas de Violet, Leith Clark – styliste de son état, fondatrice du magazine Lula, style director at large du Bazaar anglais, consultante pour quelques marques et actrices –, pas de doute sur son habileté digitale. Mais le papier lui offre d’autres possibilités : produire de vraies images de mode, qui seront regardées et non zappées d’un doigt agile sur une tablette, et éditer de longs textes. Le résultat est d’une très bonne tenue, combinant des entretiens avec des enseignants en mode, des exdirectrices de la mode comme Molly Parkin à Nova dans les 70s ou encore proposant quelques fictions. Les complicités mode sont évidentes avec Luella Bartley, deputy editor et design director de Marc Jacobs – les Anglo-Saxons ne voient pas où est le problème à cumuler information et communication… Violet recèle une vraie énergie, dans les séries mode comme dans la direction artistique, pour ce magazine qui, comme Lula, est une affaire de filles. Pas le temps ? Pas l’envie ? Plus minimal que le site de Violet, ce n’est pas possible : le logo + un contact. Les réseaux sociaux ne sont pas plus bavards. Il est vrai que le nom « violet » avait déjà été préempté par d’autres publications ou livres. violetbook.co.uk Angleterre, 254 p., n° 1, semestriel, 220 x 285 mm, 10 € Editor in chief : Leith Clark, Art direction : Christopher Miller, Deputy editor : Luella Bartley, Publisher : Stephen White & Calum Richardson magazine 30 Images : charlie janiaut violet Magazines Papier digital Étude de cas : vous êtes à la tête d’une agence de conseil en communication et souhaitez vous différencier sur un marché saturé. Que faire ? Il y a bien l’ancienne école des réseaux et des coups, mais c’est un peu trop Séguéla. Plus contemporain, il y a le collaboratif et le partage – enfin, pas tout quand même. Concrètement constituer un réseau de têtes chercheuses : designers, journalistes, scientifiques… leur demander d’humer l’air du temps avec discipline, c’est-à-dire à fréquence régulière et enfin partager ce que vous savez. Site Internet, magazine, livre… toute forme aura son contenu. Voilà résumée l’approche de Protein, une agence qui nous gratifie d’un magazine thématique, plus proche de la revue que des rubriques d’un magazine de style classique. Bien que voisinant avec des magazines de mode et d’art, Protein ne parle pas des créateurs stars, des défilés déjà surmédiatisés, mais bien de ceux qui font des choses, dans des champs aussi variés que les cosmétiques, les jeux vidéo, les sites Internet ou le recyclage du plastique. Ça parle de nous et de maintenant, et plus de l’image d’un monde qui n’existe que sur papier glacé ou sur écran. Le design du magazine est élégant et sans ostentation. Lisible et rythmé, il fabrique son identité loin des visages et des noms trop souvent croisés – le plus connu est Martí Guixé. Enfin, la baseline résume bien le projet : Inspiration, insight, ideas. C’est aussi et avant tout côté digital que ça se passe : des reportages dans la section Feed, des petits films, le programme des événements, et bien sûr le pont avec l’agence de communication, clients et cas concrets. Ici aussi le contrat est globalement respecté : on découvre des choses et on change sa manière d’en envisager d’autres. prote.in Angleterre, 112 p., n° 13, trimestriel, 225 x 300 mm, 9 € Editor : Max Reyner, Art director : Imogen Bellotti, Publisher : Protein magazine 32 Images : charlie janiaut protein p.36, 46, 54, 62, 68 : Collection constellations p.37 : Interview paquita paquin p.40 : Chronique mode le business de la jolie-laide p.43 : Consumer leica fotografie international textes p.47 : Biographie rené gruau p.52 : Website toiletpaper p.55 : Chronique mode heim, une maison, un magazine et des idées p.58 : Interview art jocelyn wolff p.63 : Ping pong versace, over constructed? p.69 : Rencontre suzanna l. p.72 : Rétrovision audience constellations Collection Images : Priscillia Saada paquita paquin Interview Journaliste de mode et écrivain, Paquita Paquin demeure une figure incontournable du milieu de la mode. Celle qui participa au début des années 1970 à l’aventure des g a z o l i n e s , mouvement gay politique aavant d’entamer une carrière à succès dans la presse. Elle collabora dans les « eighties » au quotidien « Le Matin de Paris » puis à « Vogue ». Les années 1990 et 2000 l’amèneront à couvrir les collections pour « Libération » avant qu’elle ne se dirige vers le Web. Curieuse, intuitive et passionnée, Paquita Paquin pose un regard pertinent sur son métier Au départ, la mode relève du visuel ; comment le texte peutil trouver sa place dans cet univers ? L’écrit permet de faire partager un ressenti, de se livrer à des analyses, pas juste de communiquer une information, c’est en cela qu’il trouve sa justification par rapport à la mode. À l’époque où j’ai commencé à écrire sur ce domaine, en 1983, c’était nouveau. Le prêt-à-porter n’existait pas depuis très longtemps, il y avait bien entendu des papiers un peu ampoulés sur les collections de haute couture, mais avec le prêt-à-porter des créateurs, on sentait pointer une excitation nouvelle dont il fallait rendre compte. Des quotidiens s’y attelèrent alors, Le Matin de Paris, par la suite Libération… Quand les choses éclosent, c’est toujours passionnant. Notez que voir des talents chercher à se pérenniser me passionne également. Tu cours toujours les défilés avec la même énergie, le domaine t’intéresse toujours autant ? Ah oui, il y a toujours des trucs qui m’intéressent ! Un talent 36 qui sort du lot, un changement de mood d’une saison à l’autre. Des gens comme Nicolas Ghesquière, Maria Grazia Chiuri et Pierpaolo Picciolo pour Valentino, Rick Owens, Phoebe Philo pour Céline, j’ai toujours un appétit à découvrir ce que vont présenter ceux qui font évoluer le style de l’époque. Je ne suis pas du tout blasée. Et je ne trouve pas que l’époque soit moins créative qu’une autre parce […] Pour une journaliste de mode, c’est aujourd’hui plus important d’avoir l’air de ressembler à un mannequin que de paraître intelligente. que sa mode serait mainstream, ou corporate. Raf Simons chez Dior c’est très intéressant, Nicolas Ghesquière chez Louis Vuitton également. Qu’est-ce qui te donne désormais le plus de satisfaction ? J’ai une prédilection pour la mode masculine parce que l’ambiance est plus sympa. Les gens sont moins sur leur 31, ils ne se sont pas préparés pendant trois heures avant d’arriver au show. Il y a quelque chose de normal. Les journalistes se parlent entre eux, le snobisme des collections féminines est par contre devenu détestable. Hordes de photographes de street-style à l’extérieur des shows, ballet de limousines, personnalités aux premiers rangs, les défilés femme relèvent du grand barnum. Les défilés sont aujourd’hui dédiés à la presse américaine et asiatique, la présence de la presse française se réduit comme peau de chagrin : Elle, L’Officiel, Vogue, Numéro, et c’est tout ! Puisque les Françaises ne sont plus les clientes finales, pourquoi s’embarrasser de titres féminins hexagonaux ? Il faut donc jongler pour se faire inviter ! Et en même temps, pourquoi se battre pour avoir une invitation quand on a le défilé en direct sur style.com. Certaines maisons de luxe vont te refiler une place pour le show 37 de 17h alors que le défilé de 14h30 est déjà passé sur Internet. C’est absurde. Certes, ils gardent quelques stars pour le deuxième défilé, et par rapport à l’écran, tu as la musique et l’ambiance en plus, mais enfin… Les défilés sont aujourd’hui dédiés à la presse américaine et asiatique […] Elle, L’Officiel, Vogue, Numéro et c’est tout ! Puisque les Françaises ne sont plus les clientes finales, pourquoi s’embarrasser de titres féminins hexagonaux ? Le profil des journalistes de mode a-t-il changé ? Les Américaines sont sur les dents. Aucune décontraction, des gravures de mode, elles se préparent des heures le matin avant de se rendre au show et elles se parlent peu – pas de communication. Ce sont des images. Pour une journaliste de mode, c’est aujourd’hui plus important d’avoir l’air de ressembler à un mannequin que de paraître intelligente. Les rédactrices en chef des premiers rangs sont sollicitées par les caméras pour des interviews, chaque détail de leur look sera commenté sur le Net. Pour le grand public, Anna Wintour, Carine Roitfeld ou Babeth Djian incarnent la mode. Idem dans les services de presse : c’est important que les employées représentent physiquement 38 leur maison, d’où ce casting de jeunes filles canons. Outre les rédactrices s’est développée une scène mondaine spécifiquement mode, avec des figures comme Catherine Baba, Olympia Le-Tan ou encore Lily McMenamy. J’ai tenu ce rôle à une époque, dans les années 1970... Si à un moment une fille arrive à incarner une époque, ça m’intéresse ! Une fille comme Catherine Baba, par exemple, évolue en robe du soir du matin au soir ; c’est le décalage qu’elle opère qui est intéressant, car elle est très habillée, mais de façon décontractée. J’aime bien ce côté over-dressed. C’est significatif d’une génération de filles qui vivent non-stop sous le regard des photographes et dont on suit la vie en ligne de soirées en lancements et ouvertures de boutiques. L’influence de certaines femmes un peu dandy sur la mode m’a toujours captivée – l’influence de Loulou de la Falaise auprès d’Yves Saint Laurent nourrit des films aujourd’hui. Voir comment une styliste du moment comme Camille Bidault Waddington donne de sa personne, jouant à chaque fois d’une facette différente de sa personnalité pour servir des maisons aussi diverses qu’APC, Hermès, Chloé ou Marc by Marc Jacobs, c’est captivant. Cette vie sous le regard des photographes et des caméras définit l’esprit même de la mode actuelle. Oui, et cela donne même lieu à des gimmicks. Dans les années 1980, par exemple, les gens se forçaient à tirer la gueule sur les photos ; maintenant il est de bon ton de faire des grimaces genre selfie. Lorsque Olivier Zahm pointe sont nez dans une soirée, les filles se sentent obligées de se foutre à poil et de prendre des poses suggestives dans l’espoir d’apparaître sur son Purple Diary. Jusque dans la décadence, tout le monde est désormais dans l’under control. Les fêtes de la mode, qui par le passé passaient pour de grands défouloirs, se sont muées en séances de pose généralisées, les invités venant se faire photographier dans leurs plus beaux atours avant de filer au plus vite. Impossible de se lâcher dans une fête puisque le moindre écart sera relaté online le lendemain matin. Je ne sais pas, je ne sors pas… Comment as-tu vu évoluer le métier de journaliste de mode ? Il n’a pas foncièrement changé, pas dans sa forme ou la façon dont on le pratique ; c’est le contenu qui a beaucoup changé ! Le métier est le même, il faut parler des collections, interviewer les créateurs, rendre compte des nouveautés. Mais plus exactement de la même façon… Bon, j’ai toujours eu l’impression que la réflexion que l’on cultive, nous, sur la mode est beaucoup trop profonde, un peu trop intello – c’est peut-être dû aux supports pour lesquels j’ai travaillé par le passé qui étaient assez exigeants. Maintenant on nous demande systématiquement d’écrire avec de l’humour, de la légèreté, il faut que cela soit ludique. La réflexion n’est pas au programme, on se fiche de l’avant, de l’après, de l’histoire des […] Maintenant on nous demande systématiquement d’écrire avec de l’humour, de la légèreté, il faut que cela soit ludique. La réflexion n’est pas au programme, on se fiche de l’avant de l’après, de l’histoire des gens. gens, mais on ne parle du contexte que s’il est un peu people. Si le mari de Phoebe Philo, la styliste de Céline, possède une galerie et que ses robes à elle ressemblent à des œuvres d’art, tout cela fait sens, justifie sont travail. Ben voyons… À part quelques interviews, les textes longs sur la mode n’existent plus ? C’est une histoire d’efficacité, mieux vaut un bon tweet que trois feuillets ! Tu as dernièrement œuvré sur Internet, quel est le traitement du style sur la Toile ? Les gens qui font du business sur le Net s’intéressent uniquement à la photo de l’actrice avec le nouveau sac, aux robes sur le tapis rouge des Oscars et aux people présents lors des ouvertures de boutiques. Moi, c’est comprendre à travers une interview ce que le designer a cherché à exprimer dans sa collection qui m’excite… Et ça, c’est inaccessible si tu n’es pas dans un grand quotidien. Sur le Net, les textes sont souvent courts, mais pas toujours faciles à lire, car bien souvent rédigés par des gens qui savent davantage mettre leurs articles en ligne que les écrire. Et puis, pourquoi se fatiguer quand il suffit de recopier le dossier de presse ? On ne leur demande pas d’être passionnés par la mode à ces journalistes, mais d’être rentables. Car ce qui compte, c’est qu’ils postent en continu toute la journée : 60 news a day! Internet prend de plus en plus d’importance, mais on ne peut pas dire que les propositions soient très passionnantes ; les sites des magazines féminins proposent tous des contenus interchangeables. Le problème, c’est qu’il n’y a pas de créativité visuelle sur Internet, tout est réalisé à partir d’images fournies par les marques, cela demeure donc de la promotion. Certes, il y a Nowness, mais leur inventivité passe plus par le film que les photos ou l’écrit. Depuis une quinzaine d’années s’est développé tout un langage spécifique à la presse féminine, nourri d’anglicismes et de terminologies codées, « fashion police », « fashion marathon », « fashion addict », qui rend cette presse assez autocentrée. Parfois je suis simplement choquée par des mots. Par exemple le mot « modeuse » m’horripile : je trouve ça atroce, seul quelqu’un qui n’aime pas la mode peut dire une chose pareille. Quelles sont tes sources d’information ? Je lis les chroniques de Frédéric Martin-Bernard au Figaro, style.com, parfois les envolées lyriques de Fabrice Paineau à L’Express. style.com, ça me va très bien, ils ont une vision large, poussent jusqu’aux backstages pour recueillir des informations en plus de la part des créateurs. C’est agréable, plaisant, et pas trop consensuel. À la fin des années 1990-début 2000, à l’époque où nous écrivions ensemble les comptes rendus de collections pour Libération, nous étions réputés pour notre plume assassine. Aujourd’hui quelque chose qui ne me plaît pas, une collection ratée, je préfère ne pas en parler. À moins d’être dans un quotidien puissant, c’est devenu un exercice un peu trop dangereux… Et puis pourquoi devrais-je exercer un jugement ? J’ai de plus en plus de mal à exercer un jugement, étant même devenue très habile dans le fait de ne pas en porter. Il faut trouver une façon de dire ou de faire comprendre que ça t’a plus ou moins plu, mais pas de jugement. On ne peut plus être dans l’humeur aujourd’hui. J’ai l’impression d’être devenue d’une incroyable docilité. Fini les saisons où l’on détestait tout ! Propos recueillis par cédric saint andré perrin Photo : © Marc-Antoine Serra 39 le business de la jolie-laide Chronique mode Chaque matin, avant de sortir de chez elle, Lily étale de la poudre foncée sous ses yeux et le long de ses joues. Puis elle applique un rouge à lèvres brillant afin d’a u r é o l e r son imposante dentition. Son but ? « Avoir l’air d’un crâne », explique-t-elle en tout sérieux au magazine britannique i-D. Lily, c’est Lily McMenamy, la fille de la cultissime top des années 1980 Kristen McMenamy. Âgée d’à peine 20 ans, notre damoiselle est la nouvelle coqueluche des créateurs, et pas seulement par la force de son patronyme. Avec une mâchoire prognathe, une bouche qu’elle décrit comme « totalement asymétrique » et des yeux globuleux, elle est à sa mère ce que Charlotte Gainsbourg est à Jane Birkin : une version à la fois ressemblante et aux antipodes de ce que la madre représente ; non pas un canon à faire dérailler un conducteur de train, mais un petit canard qui a eu la force de sublimer ses défauts, et qui dresse un portrait de la complexité du genre féminin contemporain. Et ça lui réussit plutôt bien : encore inconnue il y a deux ans, sa carrière a démarré sur des chapeaux de roues, avec déjà trois couvertures de i-D à son actif, un défilé torse nu pour Marc Jacobs, 40 Aujourd’hui, au cœur d’une industrie saturée de sameness, on se rue vers la différence innée plutôt qu’achetée […] sur la physionomie, de la substance sur la surface ». La botte secrète d’actrices telles Bette Davis, Anjelica Houston ou, plus atypique en son genre (et non pas moins iconique), Rossy de Palma, cette belle laideur valoriserait le charme et la personnalité de l’individu, célébrerait toutes les valeurs invisibles, intangibles et inimitables qui font l’individualité de chaque être humain. Outre-Manche, on la décrit comme « jolie-laide », histoire d’adoucir la dureté du propos. Ce terme pseudo-français, pourtant peu employé en terre gauloise, serait extrait d’une chanson de Serge Gainsbourg (lui-même un bien joli laid) écrite pour Bambou, Laide Jolie Laide. L’expression décrit, selon l’imminente journaliste du New York Times Daphne Merkin, « derrière l’image viscérale, une vie intérieure » qui raconte « le triomphe de la personnalité Aujourd’hui, Lily n’est pas seule. Une génération de mannequins est venue contredire l’esthétique photoshoppée de la mode qui battait particulièrement son plein à la fin du xxe siècle ; des jeunes filles aux grandes dents, menton saillant et sex-appeal rugissant refusent le diktat d’une perfection Barbie (ou Victoria’s Secret), et ont repoussé les Miranda Kerr de ce monde à la case de mannequinat high street (elle n’apparaît aujourd’hui plus que dans des campagnes du type et cet hiver, la campagne APC ainsi qu’un shoot dans le Vogue US. Mango). Jamie Bochert, au visage anguleux et quelque peu mortuaire, Hanne Gaby Odiele et son physique maladif, Saskia de Brauw, fièrement costaude, racontent une féminité marginale, unique – et en vogue. Pour Natalie Joos, agent de mannequin, la tendance est claire : c’est une lame de fond depuis des années – plutôt qu’une quête de perfection mathématique, les créateurs cherchent aujourd’hui « une personnalité ». Quant à Stefano Tonchi, rédacteur en chef de W Magazine, notre société réclame de l’authenticité, de l’unique dans une ère où même la beauté est reproductible à l’infini. Ces visages reflètent effectivement un certain scepticisme d’une génération d’Internet natives ultra-familiarisée avec les outils digitaux, et ce depuis leur plus jeune âge. Ladite perfection n’est jamais qu’une illusion temporaire, qui promeut, de surcroît, « un physique si standardisé qu’on pourrait presque y trouver un code-barres dessus », comme l’analyse l’écrivain Mark Seltzer. Aujourd’hui donc, au cœur d’une industrie saturée de sameness (ou « du pareil au même »), on se rue vers la différence innée plutôt qu’achetée. Ou presque. Car, ironiquement, des jeunes filles un peu trop jolies, ou tout simplement normales, rêvent d’un petit minus en plus. Voilà donc tout un marché émergent autour de la création artificielle de « jolie-laideur ». Commençons par le quasi monosourcil de Cara Delevingne. Selon le Wall Street Journal, le domaine de l’épaississement du sourcil est en expansion majeure. À l’encontre du fil archi-épilé des nineties, les ventes de maquillage trompe-l’œil, brosses et crayons en tout genre ont bondi de 30 % l’année dernière, et la même progression est attendue cette année. Ça ne s’arrête pas là : des cliniques onéreuses se spécialisent dans l’intervention chirurgicale sourcilière. Pour la modique somme de 8 000 à 10 000 dollars, des chirurgiens plasticiens peuvent réaliser une greffe capillaire qu’ils réimplantent dans vos sourcils. Idem pour les dents du bonheur à la Ashley Smith. Si les dentistes sont plus habitués à les rapprocher, voilà que des cliniques proposent d’écarter ces deux dents frontales, à coup de limages astucieux et appareils spécialisés – une tendance qui émerge lorsque Tyra Banks impose 41 leica fotografie international Consumer Voilà qu’on démolit des années d’orthodontie coûteuse, qu’on refuse la culture du sourire Colgate, pilier de l’esthétisme ultra-normé du pays et symbole de sophistication de l’être humain se différenciant ainsi de l’animal – ou du pauvre […] à une candidate d’America’s Next Top Model d’aller se faire déformer la dentition pour se donner « un truc en plus ». Voilà qu’on démolit des années d’orthodontie coûteuse, qu’on refuse la culture du sourire Colgate, pilier de l’esthétisme ultra-normé du pays et symbole de sophistication de l’être humain se différenciant ainsi de l’animal – ou du pauvre. Car la jolie-laide, sans le savoir, joue les anthropologues, par sa force occulte à déconstruire l’organisation hiérarchique des genres. Charmante malgré ses traits à première vue atypiques, elle va à l’encontre de la place traditionnelle de la beauté féminine. Selon John Berger, sociologue anglais bien connu, « la femme apparaît et l’homme agit » : autrement dit, la femme et son physique se placent dans une passivité totale destinée à être admirée, reluquée. L’homme, lui, vit le moment présent, et est jugé par ses actions. La femme ni laide, ni classiquement belle apporte à la beauté une qualité performative : 42 c’est quelque chose qui s’incarne, se décide par une force interne, plutôt qu’un cadeau que l’on reçoit (ou pas) arbitrairement. On s’empare de son physique plutôt que de le subir. Dans la mode, cela a toujours été une force, du moins pour les femmes dans l’envers du décor : à travers les époques, des personnalités inouïes ont surgi, fortes et créatrices de leur relation ambiguë à la beauté et à la séduction : Diana Vreeland, Miuccia Prada, Anna Piaggi, à défaut de tomber les hommes, ont ravi le vêtement, en créant un champ d’expression à part qui détournait les codes des genres et de l’attraction. Aujourd’hui, cette vague de mannequins et de célébrités atypiques chamboule une société hyper-hiérarchisée, un monde où l’apparence, comme la couleur et la classe sociale, est un facteur auquel on ne peut échapper. Le triomphe de la fille quirky secoue l’organisation hétéro-normée de notre époque : dans un monde où la société patriarcale fait toujours et encore rimer jolie avec jeunesse fertile, elles libèrent non pas le physique, mais le droit de refuser le rôle maternel. À l’heure où l’avortement est plus que compromis en Europe, la procréation médicalement assistée un débat virulent, et le mariage gay une source de colère nationale, quoi de plus prometteur qu’une femme qui refuse de vendre son corps à la norme reproductive ? Ces beautés pourraient être décrites comme queer, non pas gay, mais dans sa signification d’origine : étranges ou différentes. Car, pour citer la théoricienne féministe Eve Sedgwick, la différence n’est-elle pas le point de départ d’un nouveau champ de possibilités et de libertés ? alice pfeiffer Images : Lily McMenamy, Jamie Bochert ©DR La ruée vers le digital fait parfois oublier que le « brand content » a longtemps été l’apanage du papier, donnant lieu à un objet qu’on peut garder ou c o l l e c t i o n n e r. Certains champs s’y prêtent davantage que d’autres, ainsi en est-il de la photographie ; exemple avec « Leica Fotografie International ». Narcissse et ses avatars (Grasset). En tout cas, on stocke, comme si on avait peur de manquer. Que faire quand on est la marque la plus respectée du marché de la photographie mais que l’objet « appareil photo » est devenu désuet dès lors qu’il s’est glissé dans chaque téléphone ? Continuer, comme si de rien n’était, ou presque, ce qui a été fait depuis soixante-quatre ans : un magazine papier. LFI est d’un grand classicisme dans son approche, mais il a l’avantage d’être un point fixe, qui offre une perspective et met en relief ce qui a changé dans le paysage […] Parce que, même si ça nous semble farfelu aujourd’hui, on a longtemps regardé la photographie dans les magazines ou dans les livres. On imprimait même ses photos de vacances – pas le choix, on n’allait pas se balader avec des négatifs… Jusqu’à il y a peu, l’écran était réservé à la télévision ou l’ordinateur, le reste du contenu étant matérialisé, en papier souvent. Ça avait le mérite de circuler, de représenter une valeur, de garder en mémoire, de se perdre aussi, pour mieux se retrouver ailleurs et créer des surprises, dans un grenier ou sur des étals de marché aux puces… Mais ça c’était avant. Maintenant, on dégaine son smartphone pour prendre note d’une chose vue ou aperçue, pour quoi faire ? « Admirer ? Copier ? Acheter ? » questionne Yves Michaud dans Alors, qui possède un appareil photo aujourd’hui ? Un Leica de surcroît, donc pas donné ni anodin – on aurait l’air fin à faire de mauvaises images avec une telle machine. Des professionnels, bien sûr, encore que la marque n’ait pas de succès dans la mode, secteur qui porte la photo contemporaine autant en termes de visibilité que de création. Des amateurs éclairés aussi et des reporters. Vous savez, ceux qui vont sur les « terrains d’intervention » pour rendre compte… Bon, la multiplication des médias et la répétition des informations qu’ils proposent nous rendent les conflits encore plus lointains, irréels et semblables. Il n’empêche. Si un endroit résiste à l’uniformisation proposée dans la représentation du monde, c’est encore grâce à ceux qui vont s’immerger dans des terrains hostiles et peu touristiques. Certes, la presse 43 papier ne s’y intéresse plus depuis longtemps ; le film faisant plus d’effet que l’image fixe. Donc un magazine, Leica Fotografie International (LFI), avec un penchant affirmé pour le reportage : des gens, des lieux, des guerres… toutes sortes d’images qu’on ne voit plus que dans des festivals. Venons-en aux faits : LFI est d’un grand classicisme dans son approche, mais il a l’avantage d’être un point fixe qui 44 offre une perspective et met en relief ce qui a changé dans le paysage. Ainsi, la multiplication des canaux (Twitter, Instagram…) ne propose finalement que des images très similaires, avec une variation faible. Beaucoup de ce que charrient les réseaux sociaux sont des selfies, des images qui ne nécessitent plus le regard de l’autre ; des autoimages à bout de bras, où il n’y a plus de regard que vers l’objectif, pour soimême. Paradoxalement, on voyait plus le monde quand on voyageait moins, certes par images interposées. LFI fait donc ce travail, dans l’ombre, de proposer des immersions en Ukraine, au Japon ou aux Caraïbes, pour des conflits armés ou des catastrophes naturelles, mais aussi pour des drames loin de l’actualité comme la pollution ou la pauvreté. Là encore, on mesure le prisme qui fait entrer ou non un sujet dans l’actualité et l’oubli volontaire qui en résulte. LFI fait aussi pénétrer le lecteur dans des univers Beaucoup de ce que charrient les réseaux sociaux sont des selfies, des images qui ne nécessitent plus le regard de l’autre ; des autoimages à bout de bras, où il n’y a plus de regard que vers l’objectif, pour soi-même […] photographiques tels que ceux d’Alec Soth, René Burri ou Thomas Ruff, et bien entendu propose de faire partager l’essence de la marque à travers ses produits. Leica présente donc une sorte de way of life, manière de voir le monde et de le représenter, de prendre le temps aussi de poser son regard, d’imprimer une image, au sens propre comme au figuré. On pourrait penser que Leica en est resté au siècle dernier, mais ils ont bien entendu parler du numérique. Pour leurs appareils tout d’abord, mais aussi dans leur manière de communiquer, mêlant concours et cobranding. Le site propose une actualité de la photographie, une galerie virtuelle, un espace librairie subtilement alimenté, un shop, mais aussi des blogs (dont l’un consacré à la chasse !), où l’on constate que le politiquement correct a été laissé à la porte du webmaster. Plus intéressant, le magazine peut être feuilleté en ligne, mais pas intégralement. On peut en revanche se le procurer, également en ligne ou lors d’événements. Par la force des choses, LFI est l’un des rares magazines de photo au sens traditionnel du terme. Il propose huit fois par an une actualité et une archive de la production. Signe qu’on peut combiner image de marque et éditorial. angelo cirimele LFI, Allemagne, 88 p., 215 x 280 mm, 8 numéros par an, 9,90 €. Editors in chief : Inas Fayed, Frank P. Lohstöter, Art direction : Brigitte Schaller, Publisher : Leica lfi-online.de Images : Guillermo Cervera, Ekaterina Mishchenkova, René Burri, Jens Juul. 45 rené gruau Biographie Dessinateur, peintre et affichiste prolifique, René Gruau a marqué l’histoire de l’illustration de mode et publicitaire. Afin de « résoudre des problèmes d’ordre visuel », il suggère, saisit des instants à la dérobée, exalte un stéréotype nostalgique, intensifie une charge affective et intellectuelle dans u n e é c o n o m i e d e m o y e n s. Image : priscillia saada 1 9 0 9 Naissance du comte Zavagli 46 Ricciardelli delle Caminate à Rimini, d’un père aristocrate, d’une mère française. Bientôt, sa mère quitte le palais familial du centre historique de Rimini et reprend son nom de jeune fille, Gruau, dans un effort de redevenir nom commun. Le petit René ne sait plus comment il s’appelle, mais se réveille un matin armé d’un crayon et d’un style. « Je pense que j’ai commencé à dessiner à ma naissance. Je ne me souviens d’aucun moment de mon enfance sans crayon à la main. Je dessinais sur tous les espaces vides. Je dessinais des voitures, ensuite des maisons – je voulais devenir un architecte. C’était mon grand rêve… » 1 9 2 3 « Mais le destin en a voulu autrement et à l’âge de 14 ans, j’ai dû mettre mes aspirations de côté pour penser plutôt à gagner ma vie, et par-dessus tout, mon indépendance. » René se voit obligé de travailler pour subsister. Un jour, il prend son courage à deux mains et s’en va montrer ses dessins à une jeune éditrice d’un magazine italien de Milan, prénommée Vera. « Je ne pense pas qu’elle m’ait pris très au sérieux au début, mais elle m’a donné ma première chance dans la vie en me demandant de lui faire des croquis pour des dessins de mode. » L’histoire de l’illustration de mode moderne commence en effet l’année 1923 quand Condé Nast, le directeur de Vogue, se décide à étendre à l’intérieur des numéros l’image en couleurs qui était jusqu’alors l’apanage de la couverture. « Franchement, je n’y avais jamais songé. Mais j’ai essayé, et le résultat n’était pas mauvais… Le dessin très épuré, c’est ce qui est le plus difficile. Le dessin, l’idée, ça vient petit à petit. Il faut faire beaucoup de croquis… ça vient comme un éternuement… Alors il faut laisser, y revenir quelques jours après. » 1 9 3 2 « Mais nous étions en plein milieu du fascisme et le champ de la mode en Italie, excepté les chemises noires, n’avait pas de marché au-delà des frontières. » Il quitte l’Italie fasciste et suit sa mère jusqu’à Paris. Sa mère, figure centrale du microcosme, apparaît comme l’incarnation des valeurs du « monde », de l’élégance et de l’aristocratie française. Elle est la figure d’un monde disparu, le Paris de la Belle Époque, la capitale de la haute couture. L’illustration de 47 mode y est alors un champ fertile. Il commence à faire du porte-à-porte, son portfolio sous le bras, et à se faire un nom. Il travaille pour des quotidiens, des journaux et des petits magazines. Il fait aussi quelques allers et retours à Londres pour vendre des croquis aux couturiers. C’est ici qu’il rencontre un Anglais qui lui propose de devenir « styliste » pour sa maison de mode sur Grosvenor Street. Il y dessine des collections haute couture, mais se sent vite pieds et poings liés, accablé sous le poids de la responsabilité (être à l’atelier du matin au soir, assister aux essayages, choisir les tissus, commander les accessoires et rencontrer tous les acteurs du milieu de l’industrie de la mode). Un beau jour, excédé, il part prendre l’air à Paris dans l’idée de ne jamais revenir. « J’étais conscient de mon mauvais comportement, mais avec mon caractère indépendant et ce fardeau sur les épaules, je ne pouvais pas m’en empêcher. » 1 9 3 8 À Paris, il raccroche avec ses anciens clients avant que la revue Femina (le concurrent direct de Vogue Paris) puis Marie Claire ne 48 L’histoire de l’illustration de mode moderne commence en 1923, quand Condé Nast, le directeur de Vogue, se décide à étendre à l’intérieur des numéros l’image en couleurs qui était jusqu’alors l’apanage de la couverture […] l’embauchent comme illustrateur. Dès lors, il n’a plus besoin de chasser le client, ses dessins se laissent désirer. Il fait la connaissance de Jacques Fath, de Pierre Balmain et de Christian Dior – qui dessinait alors des figures de mode pour Le Figaro –, tous trois caressant le doux rêve de devenir un jour couturiers… En dessinateur anonyme et fin observateur, il pénètre dans l’antre d’Elsa Schiaparelli, de Coco Chanel et de Cristóbal Balenciaga. Il est de toutes les fêtes, ne renonce à aucun bal et ouvre sa maison à toutes les célébrités de la couture. Mais la guerre surgit bientôt pour le sortir de ses rêveries. Dans le Paris occupé, le travail se fait rare pour les dessinateurs, en raison de la disparition ou de la fermeture des revues de mode. Marie Claire, avec toute la rédaction de Paris‑Soir, quitte Paris pour être imprimé en zone libre, à Lyon. « Ce fut pour moi une sorte de salut ; mais je dois ajouter que mon dessin fut aussi d’un certain secours à Marie Claire. » Il dessine un peu de tout, des croquis de mode aux illustrations de feuilletons et nouvelles. On l’envoie ensuite à Cannes, où se trouvent alors les succursales des plus importantes maisons parisiennes : Chanel, Worth, Lanvin, Hermès… Pour mettre un peu de beurre dans les épinards, il se met à peindre des petits tableaux à l’huile représentant des jeunes femmes plus ou moins vêtues de tulle, de plumes et de rubans… « Douceâtres images de bonbonnière qui se vendaient comme des petits pains et me permirent de traverser ces années difficiles d’assez confortable manière. » 1 9 4 5 La guerre terminée, il remonte à Paris. « La ville était en fête, les maisons de mode réouvraient leurs portes en grand. Les anciens couturiers rénovaient tout et les nouveaux prospéraient dans une atmosphère euphorique, jouissant d’une vitalité suractivée par l’incroyable besoin qu’éprouvaient les femmes de tout âge de se vêtir, d’arborer de nouvelles robes du soir pour les bals, les fêtes qui se succédaient. » Les revues de mode telles que Vogue, Femina, L’Officiel réapparaissent tandis que de nouvelles (Silhouette, L’Album de la mode du Figaro) se lancent. Le nom de Gruau est alors fortement sollicité. « Mes dessins trouvèrent en quelques mois un style nouveau, personnel, qui me vint ainsi, je ne sais comment, comme par enchantement. Je crois que l’atmosphère même du moment a suffi à tout faire. » Les bals des Beistegui ou les fêtes du Palais Labia reflètent en effet cette intense résurrection de la mondanité et des dépenses somptuaires que symbolise l’élégance « classique » incarnée par le vêtement Dior. « Avec Christian Dior, j’avais une totale liberté, il me donnait carte blanche. “Tu fais ce que tu veux…” me disait-il. Ses vêtements étaient une aubaine pour les photographes et les dessinateurs. » Dans la silhouette New Look redessinée à grand renfort d’épaulettes, de balconnets, de paniers, de gaines et de coupes en biais, le dessin de Gruau, avec son amour de la ligne, est parfaitement adéquat à une époque qui redessine (et infléchit) les contours du corps pour rechercher avec nostalgie cette lointaine élégance caractéristique du Second Empire. Les élégantes de Gruau, prises dans un monde tourbillonnant, sont saisies dans l’essayage d’une robe sophistiquée, une séance de maquillage devant un guéridon Louis XV, une scène de théâtre ou d’opéra du haut d’une loge, et toutes sortes de scènes de genre… « Une ligne ! Mais c’est la base de tous les arts, une ligne seule peut nous exprimer la grandeur, la noblesse, la sensualité, elle est la synthèse de toutes les sensations, la concentration de tous les savoirs. » 1 9 4 8 Il se rend à New York afin de travailler pour le Harper’s Bazaar, Vogue et diverses agences de publicité. Le magazine Look l’envoie ensuite à Hollywood pour croquer les stars, mais lorsque la Metro Goldwin Mayer lui propose un contrat de deux ans comme costumier, il refuse. « L’idée de passer tout ce temps dans cette cage de dollars et d’ennui me parut insupportable. Je ne me repentis d’ailleurs jamais de ma décision. » Après avoir copié les créations d’autres artistes, ses amis les couturiers, la publicité avec toutes ses contraintes représente pour lui la liberté. « J’ai toujours voulu faire des affiches. Le dessin publicitaire vous donne la liberté de résoudre des problèmes d’ordre visuel presque toujours ardus, mais aussi souvent stimulants, variés et toujours nouveaux. » Les images créées par Gruau pour la publicité sont traversées par les influences croisées des arts graphiques de la seconde moitié du xixe siècle et du début du xxe ; les influences de Degas, Manet, ToulouseLautrec, Cocteau ou Van Dongen sont déterminantes. Il participe ainsi au renouvellement de l’esthétique de l’annonce et de l’affiche, en travaillant pour des annonceurs proches de son univers d’origine, la mode : marques de bas, chaussures, gants, produits de beauté, parfums, mais aussi pour les grands music-halls parisiens comme 49 « Lorsque je fais un dessin, j’ai besoin d’avoir un modèle vivant que je bouge comme je veux, je ne peux pas reproduire d’après une photo, j’ai besoin de sentir la personne » le Moulin Rouge et le Lido. Dans les années 1950, l’affiche devient un art appliqué à part entière. Une nouvelle génération d’affichistes arrive, avec en tête Savignac, Villemot, Morvan, Georget, Jean Colin, Francis Bernard, René Ravo, Aslan, O’kley. Certains, cependant, continuent de penser que l’art publicitaire n’existe pas – « L’art et la publicité peuvent collaborer, pas se confondre. » « Le créateur publicitaire est-il un artiste ou un esclave ? », s’interroge Villemot dans la revue Vendre, en mars 1952, et de répondre : « Le dessin publicitaire est un art appliqué au commerce, c’est-à-dire créé pour ce but : vendre. La position de l’artiste publicitaire est donc de faire de l’art utile – et par ce truchement, de faire œuvre d’artiste, de remplir un rôle d’éducateur des masses. La rue pourrait être la grande galerie d’exposition populaire. » 1 9 5 5 Synthèse de l’exigence commerciale et d’une conception artistique propre, les affiches de Gruau s’imposent par leur grâce et leur originalité. La femme selon Gruau est féline, sinueuse, mutine, séductrice, capricieuse, vive, dansante. La vision tronquée, raccourcie ou au contraire 50 prolongée à l’infini incite le spectateur à prolonger mentalement la scène… elle le place en position de voyeur. Une de ses techniques préférées pour valoriser le produit : des mains qui apparaissent derrière une porte, qui surgissent d’un large fauteuil, des jambes qui se tendent, se sauvent en courant, dansent. Le dynamisme est ainsi obtenu par la combinaison du détail découpé ou du gros plan, mais aussi par l’utilisation de la diagonale graduée ou zigzagante, suggérant une savante illusion d’espace et de profondeur empruntée à l’art de l’estampe de la fin du xixe siècle. Les perspectives audacieuses, telle la plongée ou la contre-plongée, s’inspirent elles aussi directement de l’estampe japonaise, des Nabis ou des impressionnistes. Le motif tour à tour en creux ou en relief est traité comme un pochoir. Il découpe les figures directement dans des papiers de couleurs qu’il met en scène sur des fonds d’intensités opposées, à la manière des gouaches découpées de Matisse – souvent seuls le visage et le vêtement sont définis, alors que les masses abstraites se partagent l’espace de l’image. L’échelonnement de plans, l’alternance de zones sombres et lumineuses reflètent une composition mouvementée – une technique graphique empruntée à Toulouse-Lautrec. Les « Une ligne ! Mais c’est la base de tous les arts, une ligne seule peut nous exprimer la grandeur, la noblesse, la sensualité, elle est la synthèse de toutes les sensations, la concentration de tous les savoirs. » personnages ainsi saisis comme un instantané photographique contiennent toujours cette tension qui les rend vivants, sensuels. « Il y a toujours un humain au point de départ. Le modèle sert à vérifier la position, l’anatomie. Lorsque je fais un dessin, j’ai besoin d’avoir un modèle vivant que je bouge comme je veux, je ne peux pas reproduire d’après une photo, j’ai besoin de sentir la personne ; s’il n’y a pas de matière, le dessin a moins de personnalité. » 1 9 6 3 Tandis que les journaux de mode font de plus en plus appel à des photographes de mode (pour ne citer qu’Erwin Blumenfeld, William Klein, Guy Bourdin, Helmut Newton, Richard Avedon dans les années 1950), le destin du dessin de mode est intimement lié aux améliorations de la technique qui ont pour effet l’accéléré cinématographique. Un grand débat oppose bientôt les dessinateurs et les photographes. « Je n’ai rien contre la photographie, mais feuilletez un magazine, Vogue par exemple, vous voyez les mêmes top models, les mêmes visages, des femmes toutes jolies, toutes pareilles, mais on ne voit pas le produit, on ne retient ni l’image ni le nom du produit. Ça n’a pas la même puissance. Alors que dans une affiche, peinte par un affichiste, on se souvenait du produit », rétorque alors Gruau. Depuis la fin du xixe siècle, l’esthétique de l’illustration publicitaire suit les courants des modes graphiques. Elle entretient avec les arts majeurs, la peinture en particulier, des relations souvent conflictuelles, mais la photographie qui emprunte à l’univers de la sculpture, de la danse et du cinéma, a perturbé ce système de référence. En effet, la disparition de toute référence figurative dans la peinture de l’époque, le culte de plus en plus prononcé des valeurs d’immédiateté que satisfait au mieux la photographie, le goût des mélanges et le refus de toute formalité rigide, les anciennes attitudes sociales balayées par le culte de la jeunesse anticipent sa désintégration. L’histoire de l’illustration de mode s’achève ainsi en 1963 lorsqu’un à un les Vogue du monde entier renoncent au graphisme pour la photographie. Après 1963, seules les revues féminines plus populaires tiennent encore aux charmes analytiques de l’illustration, trouvant une représentation plus claire, plus appuyée dans le dessin que dans la photo. « On préfère immanquablement une photographie passable à un dessin de mode passable. Mais on préfère toujours le bon dessin à la bonne photographie de mode et les couturiers travaillent mieux sur un de mes dessins que sur la meilleure photo du monde. » 1 9 8 0 En raison de l’uniformisa- tion progressive des revues de mode, René Gruau se consacre désormais entièrement – et ce jusqu’à son décès en 2004 – au dessin publicitaire ou à la création de décors et costumes de théâtre. « Les couvertures photographiques d’aujourd’hui reflètent la vérité sous la forme de superbes modèles dont on voit essentiellement le visage et peu du reste. Toutes belles, maquillées à la perfection. La singularité de nombreuses revues, luxueuses ou non, ne tient au fond qu’à leur titre. » marlène van de casteele Les citations sont extraites des ouvrages René Gruau, Patrick Mauriès, René Gruau, éd. Franco Maria Ricci, 1984 ; Le Premier Siècle de René Gruau, Sylvie Nissen, Vincent Leret, éd. Thalia, 2009 ; René Gruau, Réjane Bargiel, Sylvie Nissen, éd. Le Cherche-Midi, 1999. Images : Illustrations René Gruau ©DR 51 toiletpaper Website Éditer son site Internet, c’est ranger, o r g a n i s e r, hiérarchiser… Sauf si l’on s’appelle Maurizio Cattelan et Pierpaolo Ferrari, qui ont préféré l’option de tout mettre sur le même plan : création, publicité, livres, presse… comme Warhol aimait à le faire. On est en 1916, le premier conflit mondial et industrialisé de l’histoire pourrit l’Europe. En Suisse, terre d’asile, les artistes dadaïstes improvisent des happenings sauvages pour vomir par l’absurde la catastrophe. Les mêmes ne tardent pas à détourner les images diffusées par la presse et le commerce, inventant une forme de collage comme une iconographie où le chaos le dispute à l’ironie, et à une nécessaire violence : démembrées, décapitées, les pin-up des posters conservent leurs bas de soie, mais entrent en collision avec les chars d’assaut ; multipliés et réassemblés, le sigle et les roues des voitures des premières campagnes publicitaires extravaguent des systèmes mécaniques machiavéliques. Le surréalisme, le pop art, l’esthétique punk reprendront à leur compte cette attitude pilleuse et frondeuse, qui manipule les mass media pour en révéler l’inconscient et les rouages. Aujourd’hui ? Il y a Toiletpaper : un magazine et un site, une fabrique d’images comme une marque de fabrique, emmenés par Maurizio Cattelan et Pierpaolo Ferrari, artiste et photographe roués quant aux logiques spectaculaires. Deux images siglées Toiletpaper : un tendre canari à qui l’on coupe sadiquement les ailes ; une fille à l’allure mannequin tout en jambes, mais qui déverse de son t-shirt des spaghettis ensanglantées comme s’il s’agissait de ses intestins. Les mises en scène sont réalisées en studio et évitent le trucage numérique ; les couleurs éclatantes et saturées rappellent un peu les publicités des années 1950 ; les images sont léchées, mais faussement suaves. Affreux, sale et postmoderne, Toiletpaper s’inscrit dans la lignée des avant-gardes évoquées plus haut et salit tout ce qu’il touche, pour la joie mauvaise de faire glisser le sens. Le site est à l’avenant : a priori conforme dans son architecture, mais parodique et déviant sur le fond, ou la surface. Combien de blogs et de tumblr accumulent et redistribuent aujourd’hui, avec une candeur insane et fascinée, les images des autres, brouillant au passage toutes les sources, les contextes et les auteurs ? Et l’utopie Internet ne s’est-elle pas Affreux, sale et postmoderne, Toiletpaper s’inscrit dans la lignée des avant-gardes et salit tout ce qu’il touche, pour la joie mauvaise de faire glisser le sens […] 52 convertie en un vaste supermarché ? La homepage du site de Toiletpaper montre tout elle aussi, au même niveau, dans le désordre ou l’anarchie la plus assumée : les images produites par et pour le magazine lui-même, les textes qu’a pu lui consacrer la presse internationale, les collaborations avec le journal français Libération, avec la marque en vogue Kenzo, avec le Palais de Tokyo. Toutes ces réalités caracolent entre elles, et tout est potentiellement activable sur cette même homepage, où la plupart des images s’animent en quelques saccades frénétiques et au gré d’une bande-son en forme de bruitages tout aussi incongrue. Des citations émanant d’une jet-set internationale de pacotille ponctuent de leur enthousiasme l’opération. Il y a des rubriques. Il y a une boutique en ligne. On peut acheter des t-shirts, des guéridons : des inutilités narquoises entre le gadget et l’objet promotionnel. On peut acheter une pierre tombale en mousse de polyuréthane, effet granit, réalisée en collaboration avec le célèbre groupe de design italien Gufram. Il est ici significatif que Toiletpaper ait aussi remis en scène une sélection d’objets créés par le design radical italien de la fin des années 1960 : soit des objets tenant plus de la sculpture pop ou hyperréaliste d’un Claes Oldenburg que du produit moderne et fonctionnaliste, dont il s’agissait justement à l’époque de défaire la placide assurance comme l’hypocrisie mercantile. La rubrique journal est la plus prodigue en textes, et livre quelques clés quant à la complexité des références qui sous-tend en réalité « l’absurdité » de cet univers. Alors qu’arrive-t-il lorsqu’un hipster apparaît sur un rideau de saucisses, ou lorsque les shorts obscènes de trois pépées remuantes rencontrent des adolescents en pleine overdose cocaïnique ? L’entreprise Toiletpaper est radicale en ce qu’elle consomme toute forme de sophistication, et consume toute forme d’innocence. Peut-on être duplice et révolutionnaire ? Peut-on être idiot et faire la guerre ? Et peut-on adorer les images sans en être le dupe ? céline mallet Images : captures d’écran du site Toiletpaper 53 heim, une maison, un magazine et des idées Chronique mode Que faire lorsque l’on hérite d’une maison de couture un peu vieillissante ? Une belle marque, un j o l i n o m qui a gagné ses lettres de noblesse, mais qui peut-être n’occupe plus le devant de la scène… Cette question, nombre de directeurs artistiques nouvellement appointés se la sont posée. Cet exercice de style n’est-il pas devenu une figure imposée dans le monde du luxe, tant il semble désormais que la créativité d’un designer passe par son habileté à faire renaître de ses cendres une belle endormie plutôt que par sa capacité à créer sous son nom ? Image : priscillia saada En 1920, Jacques Heim est un jeune Parisien tout juste diplômé d’une école de dessin qui rejoint ses parents, Isidore et Jeanne, à la tête de leur maison éponyme. Et à 20 ans, à l’orée des Années folles, Jacques Heim se pose exactement la même question que Karl Lagerfeld en 1982, John Galliano en 1996, Nicolas Ghesquière en 1997 ou plus récemment encore Guillaume Henry en 2009. 54 Rebranding, mode d’emploi Fourreurs d’origine polonaise, les parents Heim ouvrent à Paris en 1899 leur atelier. Le succès est assuré quand les plus élégantes mondaines et demi-mondaines de la Belle Époque viennent se parer de vison et de chinchilla chez eux, au 48 rue Laffitte. Jeanne Heim sera même une complice de la première heure de Mademoiselle Chanel : elle lui fournira des écharpes d’hermine pour sa boutique de Deauville et poursuivra l’aventure encore plusieurs années, lui suggérant la fourrure de lapin à l’allure plus sportive et donc plus « garçonne ». Mais Jacques voit les choses autrement. Être fourreur, c’est être un fournisseur. Ce n’est pas jouir du même prestige qu’une maison de haute couture. Sa première démarche sera donc de dessiner pour la griffe des robes et des manteaux, et non plus exclusivement en fourrure. Diversification et conquête d’un nouveau territoire auquel la maison n’est pas tout à fait étrangère – un bon manuel de stratégie marketing actuel ne suggérerait pas le contraire. Certes, mais malgré une formation en dessin et une habileté certaine pour la coupe et le volume, comment se mesurer aux monstres sacrés de la mode parisienne ? Pas facile de tenir tête à Madeleine Vionnet ou à Jeanne Lanvin et d’intégrer un monde si élitiste. Après quelques collections de manteaux qui attirent l’attention de la presse américaine, Jacques Heim trouve une idée meilleure encore. Jeunes mariés, son épouse et lui sont au centre de la vie artistique et mondaine si caractéristique de l’entre-deux-guerres parisien. Parmi leurs fréquentations, le couple d’artistes Sonia et Robert Delaunay. En 1914 déjà, Guillaume Apollinaire, observant leurs tenues au Bal Bullier, les qualifiait de « réformateurs du costume » et constatait que « l’orphisme simultané a produit des nouveautés vestimentaires qui ne sont pas à dédaigner ». [Dans la revue Heim] on imite la mise en page d’un tract et le ton d’un manifeste pour déclamer ce que sera la mode du printemps 1934 […] Dix ans plus tard, Jacques Heim est toujours du même avis que le poète. Il organise ainsi, dans le cadre de l’Exposition des Arts décoratifs de 55 1925, la « Boutique simultanée » pour Sonia Delaunay – mais sur le pont Alexandre III, loin du Pavillon de l’Élégance et des couturiers parisiens. Cobranding avant l’heure, positionnement intéressé entre art et mode, participation remarquée à l’événement phare de l’esthétique moderne… Pas étonnant que les robes et manteaux « à inspiration cubiste » qui composent les premières collections haute couture de Heim marquent les esprits. Coton, beachwear et jeunes filles en fleur Forte de ses premiers succès, la maison Heim s’inscrit progressivement dans le paysage « officiel » de la mode parisienne. Le flair et la vision singulière de son maître la maintiennent au-devant des modes. En 1931, l’Exposition coloniale internationale ouvre ses portes à Paris. Que retenir de cette exposition dont les idées paraissent pour certains déjà dépassées et que le parti communiste s’attache à boycotter ? Heim la visite et revient avec pas moins de 5 000 mètres de coton imprimé. Le « luxe pauvre » de Chanel n’a qu’à bien se tenir, car Heim vient d’introduire la modeste étoffe au panthéon des tissus couture. En résulte une collection annonciatrice du beachwear aux élégants paréos d’inspiration polynésienne, et qui donnera lieu à la création du maillot Atome, « plus petit costume de bain du monde » et précurseur 56 Jacques Heim organise, dans le cadre de l’Exposition des Arts décoratifs de 1925, la « Boutique simultanée » pour Sonia Delaunay, cobranding avant l’heure […] souvent oublié du bikini. Un autre marché que le couturier conquiert tout autant qu’il invente est celui de la mode jeune. Dès 1936, Heim Jeunes Filles vous habille « de votre première communion à votre mariage » et fait le bonheur des débutantes aisées. Quand on pense à l’impact de cette nouvelle classe de consommateurs sur l’industrie de la mode au cours des décennies suivantes, on ne peut que saluer la démarche… Image d’une marque Mais le dispositif ne serait pas complet sans une dernière note. Pour l’heure, les publicités n’ont pas encore l’impact visuel des campagnes d’une Annie Leibovitz ou d’un Steven Meisel. Que faire avec un budget publicitaire conséquent et une farouche envie d’affirmer sa différence ? Promouvoir sa griffe peut dès lors passer par des moyens détournés. Et quand on a pour relations Germaine Krull, Charlotte Perriand, Man Ray, Sonia Delaunay, mais aussi Dora Maar, Emmanuel Sougez ou Max Ernst, il faut en jouer. En 1931 sort ainsi le premier numéro de la revue Heim, une publication semestrielle qui devient l’organe de promotion officiel de la maison de couture. Dans une maquette qui fait écho aux partis pris plastiques des revues d’avant-garde de l’époque, de Vu à Arts et Métiers Graphiques, la revue Heim propose à ses clientes/lectrices d’explorer un thème : le voyage, le merveilleux, le cinéma… Max Ernst se livre alors à une réflexion graphique sur les « formes et déformation du corps féminin », une photographie de nénuphar signée Man Ray partage une double page avec le portait d’une élégante inconnue – une cliente, sans doute. On y parle aussi de Gabriel Guévrékian, de Marc du Plantier comme de Jacques-Émile Ruhlmann. On imite la mise en page d’un tract et le ton d’un manifeste pour déclamer ce que sera la mode du printemps 1934, on s’instruit sur la notion de luxe à travers les âges… le tout bien entendu entrecoupé de présentations des modèles de la maison. Enfin, l’ensemble se parfait d’un soupçon people, mais choisi, puisqu’on laisse à Charlotte Perriand ou à la princesse Bibesco, poétesse proche de Marcel Proust, le soin d’expliquer ce qu’elles aiment porter. En marge de la maison Heim, Jacques Heim sera élu président de la Chambre syndicale de la couture parisienne de 1958 à 1962. Un parcours qui aura combiné avantgarde et establishment. émilie hammen Images : magazine Heim, de mars 1932 à mars 1937 57 jocelyn wolff Interview art Galeriste d i s c r e t mais efficace, Jocelyn Wolff trace son chemin entre France et Allemagne, privilégiant un travail de fond avec ses artistes plutôt qu’une communication clinquante. Tu as ouvert ta première galerie en 2003 pour déménager en 2006 dans l’espace que tu occupes actuellement. Comment s’est décidée cette installation à Belleville, hasard ou choix prémédité ? Un peu les deux. Je voulais m’installer dans un quartier populaire. Le Plateau venait d’ouvrir à Belleville et Grégoire Maisonneuve avait aussi un espace à Ménilmontant. À un moment où l’aventure des galeries de la rue Louise Weiss, dans le 13e arrondissement de Paris, était en train de s’essouffler, je ne me voyais pas être le dernier à me raccrocher à un train déjà parti depuis longtemps. Je voulais trouver une place au sein d’une ville qui est, dans sa relation à l’art contemporain, assez conservatrice. Au niveau des secteurs géographiques de l’inscription des galeries dans la ville ? 58 La galerie de promotion est un modèle qui m’a toujours intéressé : être fidèle à ses artistes, même si cela prend du temps. Ce modèle est opposé à celui des galeries qui s’orientent uniquement en fonction de leur réseau de collectionneurs, qu’elles favorisent au détriment de leurs artistes […] Oui, il y a vraiment un grand conservatisme dans les parcours parisiens. Paris est une ville dont le centre est très petit par rapport à la taille de son agglomération et je trouve étrange que l’on emprunte toujours des parcours très établis. Je ne vois pas pourquoi une galerie paierait quatre fois son loyer en se privant de certaines libertés juste pour être dans un quartier qui est au centre d’un parcours de collectionneurs. Tu évoques les galeries de la rue Louise Weiss. Leurs programmations ont-elles été un modèle pour ta propre galerie ? Oui, bien sûr. Par exemple, Air de Paris est une galerie qui m’impressionne toujours autant qu’il y a vingt ans. C’est un vrai modèle d’engagement, qui ne faiblit pas. C’est une galerie avec une attitude très pure dans la relation aux artistes, dans leur passion du partage de l’art. J’ai aussi énormément apprécié l’ouverture intellectuelle de la programmation de la galerie de Jennifer Flay, le fait de pouvoir travailler aussi bien avec des artistes conceptuels qu’avec Karen Kilimnik. Sa programmation était passionnante. Une autre galerie qui me fut très importante, dans les années 1990, est celle de Ghislaine Hussenot. Elle avait ce talent de toujours repérer les artistes qu’il fallait pour ses clients au moment où il le fallait. La galerie de promotion est un modèle qui m’a toujours intéressé : être fidèle à ses artistes pour les promouvoir le plus longtemps possible même si cela prend du temps.Ce modèle est opposé à celui des galeries qui s’orientent uniquement en fonction de leur réseau de collectionneurs, qu’elles favorisent au détriment de leurs artistes. D’autres réussissent à faire les deux, comme la galerie Xavier Hufkens ou Barbara Gladstone, qui savent toujours détecter un artiste au bon moment de leur carrière. Penses-tu que Belleville soit un quartier de galeries s’installant dans la durée ou un quartier incubateur comme le fut la rue Louise Weiss ? L’expérience de la rue Louise Weiss a été une très grande réussite puisqu’une partie des galeries les plus puissantes commercialement et au niveau de leur rayonnement international sont issues de cet incubateur ; Emmanuel Perrotin notamment. Quant à savoir si Belleville sera un quartier de galeries dans la durée ou un incubateur, pour l’instant, personne n’en sait rien… Tu as participé à Choices qui, pendant un week-end, invitait collectionneurs et professionnels de l’art à parcourir un ensemble d’expositions dans Paris. Que penses-tu de cette initiative ? C’est une initiative qui était absolument nécessaire et ce fut, sans langue de bois, une grande réussite. Après, malheureusement, Belleville n’existait pas vraiment sur le parcours de Choices. Trop peu de galeries ont participé à cet événement parce qu’elles n’en ont pas les moyens. Donc, le potentiel de cette opération, dans le quartier, nous ne l’avons pas encore vu. En revanche, la réussite de l’opération au niveau de Paris est absolument évidente et éclatante, au-delà de ce qu’on pensait. Alors que beaucoup de galeries essayent à tout prix de s’agrandir, tu as toujours gardé le même espace depuis 2006. J’ai une structure aux coûts fixes assez faibles qui me permet de m’engager davantage sur des productions, sur toute la partie disons invisible des activités de la galerie. À partir du moment où l’on commence à avoir de grands espaces, des coûts fixes très importants, on doit forcément faire des choix commerciaux au sein de sa programmation ; ce n’est absolument pas ce qui m’intéresse. Je préfère avoir des conditions de travail plus compliquées, mais qui me permettent de 59 En France […] les directeurs de musées sont confrontés à cette obligation de faire des entrées. Le Louvre a été co mplètement confisqué par l’industrie touristique, ce n’est plus un lieu de culture […] garder ma liberté artistique, d’expérimenter avec les artistes, de faire des expositions qui ne soient pas des expositions-show-rooms ou des expositions-ventes. Je continue de penser que l’espace d’une galerie ne s’évalue pas en mètres carrés, il doit être un espace d’expérimentation, un prolongement de l’atelier dans lequel il y a déjà un enjeu public. Ce que j’offre ce ne sont pas des milliers de mètres carrés, mais un public exceptionnel. Un public qui ne fréquente pas simplement ma galerie, mais toutes les galeries du quartier. Et ce public, on ne le trouve pas à la galerie Gagosian au Bourget. Au Bourget, c’est autre chose ; il y a un dîner le soir du vernissage avec quelques milliardaires qui vont faire du shopping, mais il n’y a aucune relation sur le long terme impliquant tout le réseau intellectuel de l’art. […] Paris est l’une des seules villes au monde où existe cette pratique de la visite des galeries, le samedi après-midi. On pense que cela va de soi parce que ça existe, mais c’est une pratique culturelle qui est absolument géniale. C’est pour cela que je voulais avoir une galerie sur rue, pour qu’il soit facile d’y entrer et d’en sortir. Je trouve cela important d’avoir un espace qui soit ouvert à tous les publics et où l’on expérimente, où l’on a une programmation très variée et où les artistes peuvent travailler dans le sens qu’ils souhaitent en ayant les moyens de le faire. Après, effectivement, la 60 contrepartie c’est que l’espace de ma galerie est petit. Je continue de penser que l’espace d’une galerie ne s’évalue pas en mètres carrés : il doit être un espace d’expérimentation, un prolongement de l’atelier dans lequel il y a déjà un enjeu public […] Tu évoquais le réseau intellectuel de l’art. La chaîne qui relie artistes, collectionneurs, consultants et galeries semble ne plus avoir besoin des critiques d’art. Effectivement, il y a une baisse de l’influence des critiques d’art. Leur économie dépend de celle du marché d’une façon tellement directe, à travers des commandes de publications, qu’aujourd’hui ils cherchent davantage à légitimer le marché qu’à opérer comme des contre-pouvoirs. Il n’y a plus de contre-pouvoir face à l’hégémonie du marché. Finalement et de façon très limitée, ce sont les galeries qui opèrent comme des contre-pouvoirs par rapport au marché, à la place de ceux dont on pourrait penser que c’est le rôle, à savoir les critiques et les commissaires. Est-ce un changement récent ? Depuis dix ans, je pense que c’est plus ou moins la même chose. Après, je n’ai pas connu la période des critiques qui avaient un véritable pouvoir de légitimation ou de validation. Le grand changement que j’ai pu constater ces derniers temps est de voir des galeries qui appartenaient à ce système de contre-pouvoirs – comme la galerie Marian Goodman – céder à la mode et au virage d’une hype dictés par le marché. Les dernières barrières tombent sous la pression de ce système, y compris pour des galeries puissantes qui opéraient comme des labels indépendants. Comment garde-t-on de jeunes artistes prometteurs au sein de sa galerie ? Bonne question… En gérant leurs pièces comme s’il s’agissait d’artistes établis, en ayant un absolu respect pour leur travail et en ayant des résultats économiques immédiats. Mais pour cela il n’y a pas de recette miracle ! Il faut essayer de faire en sorte que les artistes se rendent compte que l’engagement d’une galerie est parfois difficile à mesurer et à comprendre. Après, on ne peut jamais retenir un artiste contre son gré. La relation entre un galeriste et un artiste est une relation amoureuse, si elle ne fonctionne pas, il ne faut pas la continuer. Si une galerie se sépare d’un artiste ou qu’un artiste quitte sa galerie, des millions de visiteurs pour penser que c’est un succès. Au contraire, quand les lieux d’art deviennent des lieux hyper-fréquentés, on ne peut plus avoir une véritable relation aux œuvres. Ce populisme exacerbé est extrêmement dommageable. il arrive souvent que cela soit simplement un manque de libido de l’un ou de l’autre. En tant que galeriste, on se doit de travailler avec les artistes – qui ont la volonté de construire une œuvre plastique originale, authentique et visionnaire – en essayant de leur offrir une visibilité, ou alors on est un galeriste qui aime ce monde de la parodie, où les valeurs esthétiques et l’expérimentation plastique ne priment plus et ne sont plus des critères de réussite. Avec la galerie que tu codiriges à Berlin, KOW, quelle est ta relation avec le milieu de l’art allemand ? Je dois être l’une des rares galeries françaises qui a des résultats et un très fort réseau en Allemagne. J’ai des collectionneurs allemands avec qui je travaille très régulièrement, mais l’essentiel de mon réseau est américain. En France, à l’inverse de l’Allemagne, les grands musées de province ont du mal à émerger sur un plan international parce qu’ils n’ont pas un public local de qualité. Il y a très peu de collectionneurs en province. Nous avons des institutions fantastiques à Paris, mais il n’y a pas cette diversité à l’échelle du territoire. Quelles seraient les trois mesures à prendre par le ministère de la Culture ? Premièrement, que le pavillon français de la Biennale de Venise devienne un lieu d’exposition où l’on doit montrer des artistes plus jeunes. Que ce lieu ne devienne pas une légion d’honneur ou une ambassade temporaire. Il faut prendre plus de risques pour ne pas passer à côté de tous ces artistes qui ont une pratique expérimentale en France. Il faut aussi arrêter de penser qu’une galerie puissante et riche est un critère de sélection pour l’artiste qui représente la France. Deuxièmement, il faut repenser le rôle des musées pour que leur succès ne soit pas évalué uniquement par leur nombre d’entrées. Le musée Reina Sofía à Madrid est l’un des musées les plus intéressants au monde. Pourquoi n’arrivons-nous pas à faire des programmations aussi pointues en France ? Parce que les directeurs de musée sont confrontés à cette obligation de faire des entrées. Le Louvre a été complètement confisqué par l’industrie touristique, ce n’est plus un lieu de culture. On n’a pas besoin d’avoir Très bien, et la troisième mesure ? Troisièmement, en tant que galeristes, nous vivons dans un climat d’instabilité fiscale et sociale permanent. Nous n’avons pas forcément un mauvais système fiscal en France, mais comme il est en permanence en débat, c’est très difficile de développer un business lorsque tu ne sais pas si demain tout changera. Il y a toujours ce débat populiste sur la position des œuvres d’art dans l’ISF, cela revient régulièrement. Il faudrait absolument qu’en Europe les règles de la concurrence et la TVA sur les œuvres soient les mêmes pour tous les pays. Il y a un énorme travail d’harmonisation fiscale et juridique à faire au plan européen pour que les galeries puissent lutter à armes égales dans un contexte ouvert. Propos recueillis par timothée chaillou Images : Times are hard, but postmodern, Isa Melsheimer January 18, 2014 to march 22, 2014, Galerie Jocelyn Wolff Portrait : ©André Wolff 61 versace, over constructed ? Ping Pong Image : priscillia saada Plus que le vêtement, c’est une certaine image de la femme que la maison Versace cultive, ou plutôt celle du g l a m o u r, version Los Angeles. Une analyse des campagnes démontre à quel point elles étayent la thèse d’une femme femme phallique et objet de désir. 62 et femmes tellement phalliques qu’on en reste coi, femmes qu’il faut soutenir encore et porter par tous les moyens – éphèbes musculeux et nus, détails architecturaux ou totems à la limite de la redondance… Tu disais over constructed ? Céline Mallet écrit à Mathieu Buard, par mail, Date : 4 août 2014 Objet : Ping Pong – Versace, over constructed? Versace donc : un lamé, un drapé sur un déhanché franc, ou la mode comme l’exaltation de la puissance désirante et sexuelle des corps. Une assurance classique, solaire, voluptueuse ; une joie pleine. En tout cas, dans presque toutes les campagnes qu’Avedon aura réalisées pour la maison jusqu’au début des années 1990, campagnes qui nous laissent un peu ahuris ou béats je crois, et quand on songe par exemple à un Terry Richardson : la branlette trash, la tristesse et les flashs anxiogènes, les corps maigres et aigres des nymphettes à deux doigts du procès. peu après la mort de Gianni Versace, puis dans les années 2000 avec Mario Testino, la succession narcissique des clones de Donatella Versace elle-même ayant elle-même succédé à son frère – des odalisques paradoxales car languides, peroxydées, mais puissantes et guerrières en réalité (Madonna, Aguilera… des personnalités de la jet-set la plus wealthy), dont Lady Gaga est l’un des derniers avatars. D’hier à aujourd’hui, je distingue à peu près trois périodes dans les campagnes Versace. La période Avedon, la césure Meisel en 1998, un La préhistoire de l’image Versace c’est d’abord Avedon : puissance des corps, puissance du groupe comme une moderne statuaire, Mathieu Buard écrit à Céline Mallet, par mail, Date : 5 août 2014 Objet : Ping Pong – Versace, over constructed? Over constructed, à fond, tout est construit comme une scène, un théâtre, où les femmes vestales sportwear assument un décontracté baroque, un trop de la pose qui me rappelle cette chanson dont il faut que je retrouve les paroles : « you wear it well… » Cette femme est une rhétorique : celle d’une captation qui dévore le plan et ces hommes aux couleurs rompues, taupe (ahah ! la méduse qui rend les hommes taupes) ou nude, 63 chair. Une domina qui écrase de son pied le bel homme moderne, telle une vénus à la fourrure, ou plutôt une vénus à la permanente, qui braque d’un jeu savant de prises de mains le bel Apollon et le soumet. Blond, blanc, or, déesse indomptable. Les images sont baroques comme sur les plafonds des églises, où les mouvements entrelacés s’enchaînent et accompagnent ici cette femme qui est la figure centrale. Avedon adresse un message efficace : l’homme est à genoux, et nous sommes béats comme tu le disais. Éloquente photographie (spring 1980) où la figure composée des hommes, uniforme, tente de regarder à la dérobée, sinon de capter l’attention de cette femme qui, négligemment, écrase le petit phallus pour mieux l’incarner. Céline Mallet écrit à Mathieu Buard, par mail, Date : 6 août 2014 Objet : Ping Pong – Versace, over constructed? L’incarnation est en effet le mot juste, voire toute la question (outre celle d’en avoir ou pas ; et puisque que l’on parle du grand langage classique et ou baroque). Avedon croit absolument à l’image qu’il met 64 en place : à sa construction qu’il affirme et surligne par tous les moyens, à la beauté (réelle) des corps masculins et féminins qu’il exalte comme photographie. C’est cette croyance toute positiviste qui nous étourdit je crois. Puisque nous croyons moins, que nous nous méfions plus, nous qui regardons d’une ère iconique si sophistiquée et ambiguë. Nous jugeons et disons over constructed, mais n’est-ce pas plutôt le visage complètement refait de Donatella qui l’est ? N’est-ce pas la beauté liftée, masquée, retouchée à l’image de Lady Gaga qui est trop over constructed pour être honnête ? Mathieu Buard écrit à Céline Mallet, par mail, Date : 6 août 2014 Objet : Ping Pong – Versace, over constructed? Coup de bol ou méga intuition (ou tu parles plutôt sous l’effet du sentiment d’un retard culpabilisé ahahah !) from Korea coucou et oui reprenons ! Effectivement on peut dire que Donatella est un must en termes d’équilibres faciaux et d’entrelacements baroques. Over constructed au départ, c’est quand même le Versace, Monsieur Gianni (avec Santo son frère et cofondateur si j’ai bien tout Alors Meisel, 1998, « winter is coming » ? pour reprendre Game of Thrones. La maison ne proposant plus rien si l’on regarde le style, que les looks qui ne soient ad hoc avec l’époque. Non ? compris sur Wiki), construisant ou post-construisant une image de femme over sexy et pas la mama ni la donna. Tout ça suit de façon concomitante l’actualisation de l’industrie à des échelles de distribution grandissantes, Versace devient un système extrêmement rodé qui se décline, d’où l’ère Avedon et du credo « on ne change pas une équipe qui gagne ». L’équilibre de la construction se joue comme une réponse aux propositions des skylines américaines, ériger un empire, faire corps avec le contexte et tenir droit, capital. C’est la fête, celle que décrit Bret Easton Ellis dans Glamorama, mais jamais sans la chute. Versace sans chute, libre et extatique. Du coup la silhouette est colorfull, méga contrastée noire/blanche, ou labellisée d’un motif dévorant (que l’on retrouvera alors dans Versace « casa », sur les coussins et autres assiettes de l’art de la table de l’empire) : soit Avedon 1988, 1993, 1994… Le lion rugit. Éloquente photographie où la figure composée des hommes, uniforme, tente de regarder à la dérobée, sinon de capter l’attention de cette femme qui, négligemment, écrase le petit phallus pour mieux l’incarner […] Céline Mallet écrit à Mathieu Buard, par mail, Date : 6 août 2014 Objet : Ping Pong – Versace, over constructed? Winter is coming in 1998 carrément… et d’ailleurs les hommes partent aussi des images. Les odalisques qui désormais prendront toute la place ont sans doute fini par les dévorer, de la même manière que Donatella Versace a dû elle-même absorber le projet, l’art et la vision de son frère pour que la maison puisse continuer d’exister. Et, oui, vient se greffer à l’affaire l’emballement industriel et international du système mode. Comme dans toutes les grandes superproductions, et comme toute bonne héroïne de péplum, Donatella est puissante et fragile à la fois : il lui faut s’appuyer sur les figures du star system pour justifier et consolider l’empire. Il y a bien une fragilité dans le système donc, comme il existe un chiasme entre le fait d’être une femme d’affaires et de vouloir quand même ressembler à la caricature de Barbie. Avedon c’était un fantasme pur, et un panthéon. Testino aujourd’hui, c’est une stratégie – au fond légèrement schizophrène, d’où l’affaire des images Gaga il y a peu. Il y a quand même un vrai savoirfaire comme une virtuosité technique, un art souvent (pas toujours visible à l’image d’ailleurs) de transcender comme de transfigurer les matières chez Versace. C’est aussi ce que raconte le visage de Donatella, ainsi que celui de Madonna ou Lady Gaga ! Mathieu Buard écrit à Céline Mallet, par mail, Date : 7 août 2014 Objet : Ping Pong – Versace, over constructed? Oui, et du système mode dans le fond rien à redire, le prêt-àporter de luxe repose sur ce mode de production sériel et les Italiens mieux que quiconque ont ce savoir-faire du luxe et savent bien faire l’industrie. La main du tissu, la qualité de l’ensemble, indiscutablement tactile, très bien choisi, est « constructed ». Tant et si bien que crac, Versace Atelier fait surface tout récemment pour défiler au moment de la couture, catégorie analogue, dans l’inconscient collectif, à qualité et rareté... Un choix stratégique évidemment de montée en gamme perpétuelle et moment où Lady Gaga, pour le coup, ne pourra pas défiler (si l’on repense à la stratégie ratée et over-cramée de Nicolas Formichetti au premier défilé de sa prise en main de la direction artistique chez Mugler). On peut dire finalement qu’utiliser une « pop » star c’est faire événement, de faire savoir que la marque existe toujours, à grand renfort de Mert & Marcus, s’assurer d’un succès ou d’une couverture médiatique. 65 Avedon, c’était un fantasme pur et un panthéon. Testino aujourd’hui, c’est une stratégie – au fond légèrement schizophrène, d’où l’affaire des images Gaga il y a peu […] […] Quoi, l’on ne pourrait pas être over the top, femme riche alanguie, poseuse et refaite ? No way! En somme, l’over constructed aura toujours été chez Versace la stratégie éditoriale, celle de l’image. Et en rapport comme tu le disais à l’esthétique sinon aux lois de la jungle du moment. La stratégie éditoriale de Versace, si l’on tente un résumé, n’estce pas la métaphore filée et très explicite de l’addition, photographique, stylistique, technique ? Tu as raison de parler des photographies fuitées sur Internet, le « set design » opéré par les filtres successifs de Photoshop sur le crâne de Lady Gaga, c’est la poursuite de cette stratégie additionnelle. Céline Mallet écrit à Mathieu Buard, par sms, Date : 9 août 2014 Objet : Ping Pong – Versace, over constructed? « Hey, je pense pouvoir accéder à mes mails en début de soirée – j’espère que ça ira… Désolée, connexion infernale et impatience de ma part d’où les textos qui vont suivre ! » « Sinon l’addition oui, à l’image oui, notamment à la grande époque Avedon où 10 corps et allures valent mieux qu’un… L’addition, c’est aussi le baroque dans son acception vulgaire et la caricature du style à 66 l’italienne : on ne retranche rien au contraire – ne nous méfions pas de la beauté quitte à en faire des caisses (des drapés, les découpes, les accessoires, bijoux qui viennent confirmer les découpes, etc., et encore chez Lady Gaga) –, c’est cette audace que relayait si bien Avedon et qui peut-être émeut encore aujourd’hui… » « La pop star est là pour affirmer la mythologie over the top de la maison. Et, oui, sur un mode noir, c’est peut-être aussi devenu une image étrange de l’Autre… » « C’est Donatella qui reste l’image la plus persistante pour Versace aujourd’hui… L’univers stylistique en lui-même, on l’a un peu oublié, non ? D’où les clones qui se répètent, mais énoncent un certain vide, surenchère du seul star system… » Mathieu Buard écrit à Céline Mallet, par mail, Date : 9 août 2014 Objet : Ping Pong – Versace, over constructed? Une girl next door tu veux dire, enfin façon de parler, si l’on considère le pedigree, over the rainbow plutôt… De la Russie des millionnaires ou du public féminin des BRICS finalement, de l’Amérique de la côte est… où le « too much » est la ligne de conduite. Et il est vrai que c’est aussi une façon de poursuivre une distinction, non rachitique et pincée Karl-Chanel, hors maman moderne façon PhoebeCéline. Quoi, l’on ne pourrait pas être over the top, femme riche alanguie, poseuse et refaite ? No way! Le jeu qui se déroule là est too much, et alors ? mathieu buard et c é l i n e m a l l e t Image : p.63, 64, 65 : Campagne printemps 1980, printemps 1981, printemps et automne 1987, printemps et automne 1994, par Richard Avedon p.66, 67 : Printemps et automne 1994 par Richard Avedon. Printemps-automne 2007, printemps 2005 par Mario Testino ; automne 1998 par Steven Meisel ; 2014 par Mert & Marcus. 67 susanna l. Rencontre Le chant olfactif des fleurs, dans les jardins de l’Alcazar à Séville, fait concurrence à la musique des fontaines. Il est encore trop tôt pour les autres touristes et, a v e c l e s f i l l e s, nous arpentons seuls le décor féerique des premiers pas de Bianca sur les azuléjos. Je ne pense pas que [la couture] dicte quoi que ce soit, que ça fasse avancer la mode, comme c’était le cas autrefois […] Image : priscillia saada Ysé est trop petite pour apprendre à marcher, et l’aînée ne se souvient pas de cette étape des vacances, il y a deux ans seulement. Mais la joie est là, Sonia évolue avec la grâce d’une liane d’un bassin à l’autre, Bianca court dans tous les sens en riant aux éclats, on dirait qu’elles sont ivres de beauté, de fatigue et d’émerveillement. 68 Susanna L. m’a fait l’effet d’une fleur précieuse et épineuse du jardin des modes, lorsque je l’ai aperçue pour la première fois dans le soleil de juin à Bruxelles, tout au bout de cette grande table qui rassemblait les membres du jury de La Cambre. J’ai demandé à Stefan S. qui était cette boudeuse qui aime les couleurs, manifestement dégoûtée par ce qu’elle triturait de la fourchette dans son assiette ; il m’a dit simplement : « La bloggeuse que je respecte. » Le lendemain, les discussions sur les travaux des étudiants m’ont révélé un esprit courageux, synthétique, sans compromis, équipé d’une langue précise. Dans la voiture qui nous menait au train, je l’avais trouvée drôle et cool. Nous étions à nouveau ensemble en Belgique la semaine suivante, invités à examiner le travail des élèves de l’Académie. Nous avons rendez-vous rue du Faubourg Saint-Martin, début juillet, à Paris. C’est un dahlia noir sensiblement plus mûr qui ouvre le défilé de la couture chez JPG. Trop âgée pour marcher sur ces talons piégés, elle tombera plusieurs fois – quatre peut-être –, après un tragique pas dansé, répété, qui laissera le fashion pack hébété. La bande-son du dernier film de Jarmush accompagne ce défilé de vamps et de morts-vivants, la fille de Pat Cleveland incarne Morticia et Conchita W. ferme la marche en mariée démoniaque de l’Eurovision. Susanna L. m’attend dans le hall et nous traversons la rue pour aller boire une bière. Les douloureuses titubations de cette icône du passé de JPG me font penser à cette mannequin vue à La Cambre qui avait tatoué « marche » au-dessus du genou gauche et « ou crève » sur la cuisse droite. Susanna L., aka Susie Bubble, a plusieurs centaines de milliers de followers sur Instagram. J’ai un peu honte de ne pas en être, et regrette que la blogosphère demeure un continent si exotique pour ma rencontre avec « one of the fashion blogosphere’s most original and influential voices » – dixit Business of Fashion il y a trois ans déjà. Susie a en fait un filet de voix, perché, qui s’impose par l’attention qu’il demande plus que par le volume. Et transmet des messages sérieux. Sur la couture : « Ça veut dire beaucoup pour moi, si ; il s’agit de garder ces savoir-faire qui mourraient sans la couture, il s’agit de mettre du temps et de l’énergie dans un seul vêtement, le coudre à la main, la tradition. Mais je ne pense pas que ça dicte quoi que ce soit, que ça fasse avancer la mode, comme c’était le cas autrefois. Hussein Chalayan pour Vionnet ? La saison 69 « Le fait que les marques aient le nez rivé à Instagram et donnent de l’importance à tous ces gens qui disent “heeeewww”, “pretty” ou “disgusting!” dit beaucoup sur la manière dont les choses sont en train de changer, dont le pouvoir glisse des prescripteurs aux consommateurs […] » forums au lieu de montrer une collection à travers un défilé classique. En fait, je n’aime pas que les designers revendiquent de faire de l’art, car je pense que leur intention est de dire que ce qu’ils font est plus élevé que de la mode. Mais en fait, la mode peut être aussi élevée que tu le veux. Ça peut être aussi créatif, aussi “poignant” et tout autant provoquant que certaines propositions des meilleurs artistes. » Susie a étudié l’art du à l’université. La mode était un intérêt sans lien avec le sujet de ses études. « Il ne m’est jamais venu à l’esprit d’étudier la mode, car mon école était tellement académique, c’était un peu comme un dirty secret pour moi ; mes amis n’avaient pas de respect pour la mode, trop superficielle pour tout le monde, surtout en Angleterre. Quand j’ai travaillé dans une agence, je me suis dit que ça ne servait à rien toutes ces études intellectuelles pour finalement devenir chef de pub… » C’est à ce moment-là qu’elle a décidé de satisfaire sa nature curieuse en faisant du journalisme, en vérifiant les faits, en posant des questions. « Sauf qu’en mode, le journalisme ne fait pas d’investigation autant qu’il le pourrait. Car les gens aiment toucher la surface des choses, qui est tellement centrale pour la mode. Personne ne veut gratter sous cette surface ; parler des tendances et des modalités suffit la plupart du temps. Je ne passe pas beaucoup de temps à regarder, finalement, donc ça me prend du temps de faire ce travail facile pour d’autres. Je ne suis pas si efficace que ça du coup dans le commentaire sur les collections par exemple, ça n’est pas ma spécialité. » Susie prend le temps de faire les choses, et propose des analyses originales, renseignées et pertinentes. xixe siècle dernière, huit sections, chacune avec un sens spécifique, comme une performance artistique. La mode se manifeste en grande partie par les moyens de l’art contemporain. » Sur les étudiants dont nous avons vu le travail ensemble, qui souvent se sont perdus dans leurs concepts et ont oublié de faire de la mode, elle dit : « Oui, l’art et la mode sont deux choses très différentes, mais les jeunes designers pensent souvent qu’ils peuvent aborder la mode comme l’art, parce qu’ils n’ont pas encore à respecter les contraintes du marché. Je pense qu’ils se disent que c’est le moment de montrer des choses dans des galeries, d’animer des 70 Pendant cinq ans, son blog était une occupation parallèle à ses activités dans la pub, puis comme editor pour le Dazed & Confused. Elle n’a pas décidé d’en faire une occupation à plein temps ; c’est devenu le cas quand elle a compris que sa passion pouvait devenir un business, qu’elle pouvait surmonter sa crainte de devenir free-lance, car « toute ma vie j’ai été formée pour trouver un job à temps plein. Le free-lance n’existe même pas en Chine, et mes parents m’ont transmis cette angoisse de l’incertitude des revenus. Mais le blog, qui était une activité personnelle, est non seulement devenu une source de revenus, mais aussi de projets fabuleux qui me font découvrir ce qu’il se passe dans le monde ». Susie est de fait une observatrice et un acteur d’un monde qui mute. « En moins de dix ans, le paysage médiatique de la mode a totalement changé. Par exemple de photos en noir et blanc dans le WWD à des images en haute définition publiées instantanément. En très peu de temps, la façon dont on reçoit des informations, la façon dont les marques se projettent elles-mêmes, le rapport au temps dans son ensemble ; tout a été bouleversé. » Elle-même a passé beaucoup de temps en bibliothèque et appartient à la génération Google. « Donc oui, je respecte ces gens antibloggers, anti-digital, c’est compréhensible. » les comprennent. Je ne suis pas allée aux défilés dans les années 1980 et 90, je n’ai que mes propres références. Je croyais pouvoir utiliser les images et les forums, mais ça ne remplace pas une first hand experience des choses et de la mode. Le fait que les marques aient le nez rivé à Instagram et donnent de l’importance à tous ces gens qui disent “heeeewww”, “pretty” ou “disgusting!”, je pense que ça dit beaucoup sur la manière dont les choses sont en train de changer, dont le pouvoir glisse des prescripteurs aux consommateurs, et le fait que ces derniers peuvent devenir les prescripteurs. » Les mêmes ressorts temporels font que les Susanna L. de ce monde restent des « juniors » pour ceux qui ont le pouvoir dans la mode depuis plus de vingt ans, et entendent le garder. « C’est aussi une question générationnelle, pas qu’une affaire de média. Dans la mode, les gens donnent de l’importance à la longévité, au temps que vous avez consacré à l’industrie. C’est pourquoi des gens sont maintenus dans l’ombre. » Donc seules Suzy Menkes, Cathy Horyn et Vanessa Friedman sont respectables ? « Oui, car elles ont tout vu. Elles ont une vision lucide des choses, elles Il s’est remis à pleuvoir. Des cordes. Et le défilé Vionnet démarre officiellement dans une minute. Susie grimpe sur ma moto, et je la dépose juste à temps. Nous reprendrons la conversation plus tard. Et c’est sur le Net que je trouve sa réponse à la question d’un autre, sur ce que pourrait devenir son business (circa 2011) : « I don’t think it can be larger than me—it’s as large as I am. » Le temps s’est amélioré depuis. C’est devenu l’été des cactus. Citroën a baptisé sa C4 inrayable aux pare-chocs latéraux comme la précieuse plante grasse, et envahi les routes andalouses avec son modèle protégé. Quelques relents psychédéliques de mes lectures m’ont rappelé les vertus du peyotl, Susie et Stefan avaient partagé du THC dans un ustensile sophistiqué néo-beatnik du nom de Pax by Ploom. Et ma femme, mes filles, Susie, le genre féminin en général, jusqu’aux chardons qui ont composé l’écosystème poétique de mon été, tout s’est passé comme si Mother Earth avait souhaité me convaincre à nouveau de la beauté cachée des fleurs épineuses. Et du temps dont elles ont besoin pour éclore et s’épanouir. mathias ohrel Images : Cactus en fleur, ©DR. Susie Bubble, ©DR. 71 audience Rétrovision Personnalité incontournable du graphisme des années 1960-70, M i l t o n G l a s e r, fondateur avec les illustrateurs Seymour Chwast, Reynold Ruffins et Edward Sorel du mythique Push Pin Studio en 1954, reste un révélateur de la pop culture graphique nord-américaine. Dans un entretien publié en préface de l’ouvrage consacré à son travail, Milton Glaser, design graphique, paru aux éditions du Chêne à Paris en 1973, celui-ci s’explique sur son éclectisme graphique et sa sensibilité esthétique à travers l’image la plus connue de 72 son œuvre : l’affiche de Bob Dylan, tirée à 6 millions d’exemplaires et incluse dans l’album discographique du chanteur. « […] J’ai conçu ce poster à partir de deux conventions différentes : je me suis souvenu d’une silhouette autoportrait de Marcel Duchamp qu’il a lui-même découpée dans du papier – profil aigu, silhouette blanche et noire. J’ai dessiné les cheveux de Dylan en m’inspirant de formes qui m’avaient intrigué dans la peinture islamique. Vous considérez l’osmose entre ces deux phénomènes de style disparates comme quelque chose de “spécifiquement américain”. C’est drôle, non ? Au fond, nous parlons de crédibilité, de conviction. Ce qui est crédible a une origine culturelle ou est plutôt en relation avec une période culturelle déterminée. » Et à la question de savoir jusqu’à quel point le contexte culturel agit sur sa sensibilité esthétique en rapport aux exigences du commanditaire, Milton Glaser « Je suis parti de l’ancien logotype [de Paris Match], j’ai plié un des coins et ai apposé le mot “nouveau”. J’ai dit aux rédacteurs qu’en Amérique les ventes augmentaient de 20 % lorsque l’on mettait le mot “nouveau” sur une couverture. » poursuit : « Je ne puis formuler de réponse claire. Je sais bien qu’il est de plus en plus difficile de travailler avec des gens qui ont une idée trop précise de la solution esthétique d’un problème. Fréquemment des clients vous demandent de concevoir un travail dans le style qui a fait votre succès. Reproduire ce que j’ai déjà fait ne m’intéresse plus. Il faudrait que les gens me soumettent de nouveaux problèmes, en ayant foi en mes recherches stylistiques. C’est la situation que je trouve la plus enrichissante à l’heure actuelle. » formule à concevoir dans les 24 heures. Outre un travail d’illustrateur, d’affiPrenant l’éditeur au pied de la chiste et de typographe, Milton Glaser lettre, Milton Glaser relève le défi et s’attaque à la conception de formules explique ce qui tient du coup de bluff de presse. En 1968, il fonde avec graphique : « […] C’était un vendredi l’éditeur et journaliste Clay Felker après-midi, à seize heures trente. Nous avons le New York Magazine, qui lui sert de champ d’expérimentations graphiques, travaillé jusqu’à dix heures du soir sans interruption sauf pour déguster une douzaine photographiques et typographiques, d’huîtres. Nous avons continué jusqu’à et reste aujourd’hui une référence deux heures du matin, puis nous reprîmes pour avoir formé une génération tôt le samedi jusqu’au soir. Je suis parti de de journalistes en matière de presse l’ancien logotype, j’ai plié un des coins et artistique et culturelle. Puis s’enchaîne ai apposé le mot “nouveau”. J’ai dit aux la conception ou la refonte de forrédacteurs qu’en Amérique les ventes augmules de plus d’une cinquantaine de mentaient de 20 % lorsque l’on met le mot titres, parmi lesquels : The Washington “nouveau” sur une couverture. Utilisant le Post, La Vanguardia à Barcelone, O logotype modifié non seulement sur la couverGlobo à Rio de Janeiro ou encore ture mais aussi sur les affiches et le matériel The Los Angeles Time, The Boston Globe, publicitaire, je visais à institutionnaliser la The Nation… En 1972, de passage à nouvelle formule. Avec quelques changements Paris, Milton Glaser est contacté par de direction photographique et une simplil’éditeur de Paris Match, Jean Prouvost. fication ainsi qu’une meilleure cohérence des Ce dernier lui demande une nouvelle choix typographiques des titres, la diffusion de l’hebdomadaire s’est accrue de 20 %. » Dans les années 1980, avec sa nouvelle agence WBMG, créée avec Walter Bernard, Milton Glaser intervient de nouveau en France sur les nouvelles maquettes de L’Express, des magazines Lire et Jardin des Modes. Mais l’une des expériences où le style de Milton Glaser et Seymour Chwast put s’épanouir pleinement reste celle du magazine Audience, dont le premier numéro paraît en janvier 1971. Une sorte « d’ovni » dans la presse américaine. Tiré à 4 000 exemplaires, ce bimestriel est publié à New York par l’éditeur Tim Hill. Ce dernier en confie la direction artistique à Milton Glaser et Seymour Chwast, et s’entoure d’un conseil éditorial au sein duquel on trouve des personnalités 73 de toutes les disciplines du monde des arts et de la culture. Le graphiste Saul Bass, les écrivains Saul Bellow et Robert Penn Warren, les réalisateurs Alan Arkin et John Cassavetes, les photographes Inge Morath et Gordon Parks, le designer Charles Eames, etc. Revue à couverture cartonnée, Audience oscille entre le magazine et le livre. Sans aucune publicité – le rêve pour les graphistes, qui ainsi peuvent assurer une continuité du chemin de fer sans altération des contenus –, la revue s’adresse à un public d’amateurs de fictions littéraires, d’art, de poésie, d’illustrations et de photographies. La diffusion se fait uniquement sur abonnement, mais malgré cela, sans autre apport financier, l’aventure éditoriale s’arrêtera en 1973 au terme de 13 numéros publiés. Treize numéros intégralement conçus au Push Pin Studio et dont l’impression est sans conteste d’une très grande qualité. Les graphistes disposent d’une liberté totale et interviennent aussi en tant qu’illustrateurs des fictions ou articles publiés. Ils expérimentent ici des procédés de reproduction photomécanique par trames pour la mise en couleurs de dessins en noir et blanc, et leur modulation colorée par un système de gravure noire contrehachurée. Dans l’un des numéros où il s’agissait d’illustrer un article sur des animaux vivant dans l’obscurité, Milton Glaser fait des trous d’épingle dans une feuille de papier noir sur laquelle sont reproduits ces animaux et les éclaire par derrière avec des lumières colorées. Le tout étant photographié et imprimé en couleurs. Audience publie d’autres dessinateurs comme Saul Steinberg (Vol.2 #3) ou Barbara Nessim. Les portfolios photographiques de Charles Harbutt (Interlude, Vol.1 #3), Richard Olsenius (High School, Vol.2 #3), Steve Salmieri (Coney Island, Vol.1 #2) ou Dennis Stock (California, Vol.1 #1), entre autres, offrent au lecteur, à travers des photos aux noirs très denses et souvent colorés, une vision au quotidien de l’Amérique de la fin des sixties. La reproduction de ces portfolios est traitée sur du papier brillant alternant avec des papiers mats ou semi-mats, blancs ou de couleur, choisis en fonction du sujet. Les choix typographiques, qui sont plus des choix de lettrages, s’opèrent à travers le dessin d’alphabets dont les références graphiques émanent d’un regard sur une identité vernaculaire étatsunienne. Quant à la couverture, sur laquelle le titre, en bas de casse, est placé dans un demi-cartouche toujours positionné en haut à droite, elle laisse tout autant de liberté à son concepteur. Typos néon, tête de poupée ancienne, fronton Art déco, carrosserie broyée, calandre rutilante de bolide customisé, emballage de sucrerie forment une sorte de drugstore de nostalgies à pages ouvertes. Et font du magazine Audience le marqueur d’une génération et de son contexte culturel. pïerre ponant Images : magazine Audience, 1971 à 1973. mode emeline’s reverie Photographie : Alex Villaluz, Stylisme : Arabella Mills kate Photographie : Janneke van der Hagen, Stylisme : Lilia Toncheva O’Rourke kathleen seltzer Proposé par Patrick Remy 74 emeline’s reverie Photographie - Alex Villaluz Stylisme - Arabella Mills Assistée de Frédéric Chane-sy et Sandra Masure Coiffure - Kazuko Kitaoka chez Sybille Kléber Maquillage - Camille Lutz chez Mod’s Hair Agency Mannequin - Émeline Ghesquière chez Silent Models Production - Joy Hart - JN Production Assistée de Gwennaëlle Mirol Top Celine Pantalon Roksanda Ilincic Bottines Marc by Marc Jacobs Robe Missoni Cardigan Jonathan Saunders Baskets Acne Studios Blouson Kenzo Robe Veronique Branquinho Manteau Kenzo Pantalon Emanuel Ungaro Robe Issey Miyake Baskets Pierre Hardy Lunettes Christian Dior Top Roksanda Ilincic Jupe Jonathan Saunders Top et escarpins C h r i s t i a n D i o r Jupe B i m b a & L o l a Pantalon M i s s o n i Veste, Pantalon, baskets G i v e n c h y (prefall 2014) Merino jumper and white jeans American Apparel Fishing wire and bead necklace MM6 kate Photographie - Janneke van der Hagen Stylisme - Lilia Toncheva O’Rourke Coiffure - Fumihito Maehara Maquillage - Mai Kodama Mannequin - Kate McGlone chez FM London Wool jacket Shao Yen Wool dress and white flats JW Anderson Gold and crystal top and skirt Tessa Edwards Cotton top American Apparel Wool jacket and trousers Shao Yen Silk bodice Anne Karine Thorbjornsen Merino jumper American Apparel Fishing wire and bead necklace MM6 Wool top and skirt Yirantian Wool dress and white flats JW Anderson kathleen seltzer 1977-1979 C’était en 1998 ? En 1999 ? C’est loin… À cette époque, Hervé Morel m’avait commandé un livre. Cet ancien fondateur du Book et d’Art Director Management (ADM), qui me représentait à l’époque, voulait se lancer dans l’édition et m’avait demandé d’éditer un livre sur les photographes disparus des années 1970. En vrac, Guy Bourdin, dont aucun livre n’avait été édité à cette époque, mais aussi Sacha, Laurence Sackman (dont deux assistants sont devenus célèbres : Paolo Roversi et Arthur Elgort), Jerome Ducrot, Bill Silano, Harri Peccinotti, à l’époque DA des couvertures du Nouvel Obs, Steve Hiett, qui avait disparu à New York, Cheyco Leidmann, Chris von Wangenheim, Art Kane, dont un livre rétrospective va paraître en cette rentrée, ou encore Hans Feurer. Comme ce dernier, certains sont revenus aujourd’hui sur le devant de la scène. J’étais allé à New York pendant deux semaines, à la recherche de ces fameux photographe ; j’avais passé des heures avec Gosta Peterson, Alberto Rizzo (vingt années de still life au Harper’s Bazaar), James Moore, tous trois disparus depuis ; j’avais retrouvé à Brooklyn, alors malfamé, les archives d’Antonio Lopez et de Juan Ramos, puis Denis Piel. Tout contents qu’un Frenchy (avec accent typique) vienne les déranger dans leur retraite tranquille. J’avais une photographe en tête que je voulais absolument retrouver : Kathleen Seltzer. J’ai découvert ses photos de mode dans Photo – un bon magazine à l’époque et non le torchon que l’on connaît aujourd’hui –, précisément le numéro 125 de février 1976. Dix pages en noir et blanc denses, où les visages sont coupés, les robes jouent avec les motifs des canapés, j’étais subjugué. Sur place, j’ai recherché dans les Yellow Pages (avis aux jeunes générations : Internet était balbutiant et Google n’était même pas une idée en ce siècle si lointain…) et trouvé des centaines de K. Seltzer – de quoi avoir mal à la tête… Au bout d’une vingtaine de coups de fil, j’ai laissé un message sur un répondeur automatique avec une voix féminine (une machine avec une cassette pour y laisser un message que l’on branchait au téléphone fixe !), et quelques heures après, Kathleen Seltzer, la photographe, me rappelait à ma chambre d’hôtel ! Le rendez-vous eut lieu chez elle, 54 East 11 Street, appartement 10 (j’ai retrouvé mon carnet de notes !), un magazine 104 appartement rempli de cartons, car elle déménageait le lendemain pour East Hampton avec son répondeur… à un jour près, donc. Autour d’un café elle me raconta sa surprise tout d’abord d’être contactée ; elle avait abandonné la photographie depuis plus de dix ans, à la naissance de son premier enfant et parce qu’elle galérait trop. Amie de Robert Mapplethorpe, elle me parla de ses influences : Horst, Hoyningen-Huene, Deborah Turbeville… De ses cours avec Ray K. Metzker. De ses photos qu’elle réalisait avec des amis, des cousines et des copines qui lui prêtaient des robes. Comme elle était dilettante, elle avait du mal à contrôler leurs expressions – d’où ses images énigmatiques sans visage. De sa carrière ratée de danseuse à Philadelphie, de ses travaux pour Details et de sa série d’images imprimées sur papier journal qu’elle colla sur les murs de Soho en 1981, de sa seule et unique exposition à la galerie Sonnabend, qui n’exposa que peu de photographes, mais Jasper Johns, Roy Lichtenstein ou Andy Warhol… L’après-midi tirait à sa fin. Elle me confia quelques tirages sublimes, ceux-là même qui sont imprimés dans les pages suivantes, mon livre ne vit jamais le jour : la mort d’Hervé Morel, la faillite d’un éditeur américain… Je n’ai jamais rendu ses tirages à Kathleen, j’en ai honte, mais je n’ai pas son adresse et j’ai envoyé quelques messages Facebook en vain. J’ai retrouvé dans un magazine Zoom (#127, automne 1985) une interview d’elle, prémonitoire ? « Je fais un peu de mode de temps en temps. J’aimerais qu’il y ait plus de magazines d’avant-garde qui pourraient éponger les frais de mon travail personnel. Je travaille pour Details quelquefois. Mais je ne sais pas me vendre. De temps en temps, j’organise mon portfolio et je vais à un rendez-vous. Quand j’y suis, j’ai la tentation de dire : “Je suis vraiment désolée d’être venue, c’est une erreur épouvantable !” Je ne suis pas agressive, et je suis très vite intimidée. Mon instinct me souffle de ne pas me mêler au monde. Mon activité reste très souterraine. J’ai été élevée par quelqu’un qui me disait : “Tu vas trouver un mari, il va s’occuper de toi, tu auras des cartes de crédit…” L’idée de faire quelque chose de ma vie ne m’a jamais effleurée. Ça n’a même rien à voir avec le fait d’être une princesse juive américaine, dans le sens droit divin, je croyais tout bêtement qu’il n’y avait pas d’autres alternatives ! » patrick remy magazine 105 citations Collection Compilées par w y n n d a n People everywhere confuse what they read in newspapers with news. a.j. Liebling « Les gens confondent ce qu’ils lisent dans les journaux avec de l’information. » “ Models used to have lives – character. They ate, smoked, had boyfriends. Now, all the girls are so scared to be sent back to Ukraine.” Franca Sozzani « Les mannequins avaient une vie, une personnalité. Elles mangeaient, fumaient, avaient un petit ami. Maintenant, elles ont peur d’être renvoyées en Ukraine. » magazine 118 In the old days, by that I mean the 50s, 60s and 70s, the direction of magazines was determined by the Editor-in-Chief and the Art Director, mostly the Art Director. In magazines today, the Art Director is nothing. helmut newton newton helmut « Dans le temps, je veux dire dans les années 1950, 1960 et 1970, l’identité des magazines était définie par le rédacteur en chef et le directeur artistique, surtout par ce dernier. Dans les magazines contemporains, le directeur artistique n’est plus rien. » "Tous les grands films sont appréciés pour de mauvaises raisons." Jean-Luc Godard Godard Jean-Luc « All the great movies are successful for the wrong reasons. » magazine 119 abonnement PROCHAIN NUMÉRO Abonnement Abonnement an numéros Abonnement111an an///444numéros numéros France France 15 euros Europe 35 euros États-Unis, Asie 40 euros France15 15euros eurosEurope Europe35 35euros eurosÉtats-Unis, États-Unis,Asie Asie40 40euros euros En En ligne sur magazinemagazine.fr Enligne lignesur surmagazinemagazine.fr magazinemagazine.fr Ou ::: Ou par chèque, l’ordre d’ACP l’adresse suivante Oupar parchèque, chèque,àààl’ordre l’ordred’ACP d’ACPàààl’adresse l’adressesuivante suivante ACP ACP Magazine, 32 boulevard de Strasbourg, 75010 Paris ACP–––Magazine, Magazine,32 32boulevard boulevardde deStrasbourg, Strasbourg,75010 75010Paris Paris Magazine 14 paraîtra le 10 6 décembre. Magazine 17,décembre, septembre, octobre,février novembre paraîtra ledécembre 1er septembre Magazinen° n° 18, décembre,janvier, janvier, février paraîtra le 20142014 SEPTEMBRE OCTOBRE 2014 É:221 La revue internationale sur le design graphique et la culture visuelle SPÉCIAL MÉDIAS ET DESIGN GRAPHIQUE SORTIE LE 5 SEPTEMBRE S’ABONNER : WWW.ETAPES.COM NOUS SUIVRE : FACEBOOK - TWITTER - INSTAGRAM - PINTEREST m a g amagazine z i n e no13 magazine 113 121 121 Agenda automne 2014 septembre 6 au 13 septembre De manière concomitante au salon Maison & Objet, la P a r i s D e s i g n W e e k parsème la capitale d’événements design. parisdesignweek.fr 6 septembre au 4 janvier Rétrospective consacrée au photographe de mode H o r s t P . H o r s t au V&A, dont les images ont traversé le siècle. Vam.ac.uk 9 septembre au 21 décembre « From Black and White to Color ». Exposition consacrée à William E g g l e s t o n à la Fondation Henri CartierBresson. Henricartierbresson.org 10 septembre au 31 octobre Exposition pour le 16e prix R i c a r d : « L’époque, les humeurs, les valeurs, l’attention », sous le commissariat de Castillo/ Corrales. Vernissage le 9. Fondation-entreprisericard.com 12 septembre au 14 octobre Exposition des plus beaux l i v r e s suisses à la librairie du centre culturel suisse. Ccsparis.com 13 septembre au 5 octobre Le festival Images se tiendra à V e v e y (Suisse), réunissant près de 50 artistes et photographes internationaux. Images.ch magazine 122 16 au 18 septembre Le salon P r e m i è r e V i s i o n présente les tendances automne 2015- printemps 2016, au Parc des expositions. premierevision.com 17 septembre Mange tes morts – Tu ne diras point de Jean-Charles Hue, 2014, 94’. Un ovni documentaire sur les g i t a n s par un artiste étonnant. En salles 17 septembre au 2 février Exposition N i k i d e S a i n t P h a l l e au Grand Palais, peinture, sculpture et films. Grandpalais.fr 18 au 21 septembre Unseen, la foire de photographie néerlandaise s’installe chaque année un peu plus. Unseenamsterdam.com 23 septembre au 1er octobre Défilés p r ê t - à - p o r t e r femme printemps-été 2015. Modeaparis.com 23 septembre au 15 novembre Pour fêter les 15 ans de l’Andam, la galerie des Galeries présente G r a n d M a g a s i n , une exposition photographique de Philippe Jarrigeon. Galeriedesgaleries.com 24 septembre Saint Laurent de Bertrand Bonello, 2014, 150’. L’autre b i o p i c , resserré sur la période 1967-76. En salles. 24 septembre au 5 janvier Exposition D u c h a m p , la peinture, même au Centre Pompidou. Une centaine d’œuvres pour une approche inattendue de l’artiste. Centrepompidou.fr octobre 4 octobre La Nuit Blanche version 2014 a été confiée à JoséManuel Gonçalvès (1 0 4 ) et proposera un parcours parisien au milieu d’œuvres et installations souvent inédites. Paris.fr 8 octobre au 25 janvier Exposition et rétrospective François Truffaut à la Cinémathèque : les 21 films + conférences. Cinematheque.fr 8 octobre Le Paradis d’ A l a i n C a v a l i e r , 2014, 70’. Le nouveau film du réalisateur de Pater. En salles. 8 au 12 octobre 25e festival du film britannique de D i n a r d , avec Catherine Deneuve en MC. Festivaldufilm-dinard. com 9 au 12 octobre 2e édition du Milano Design Film F e s t i v a l , dont le nom a le mérite d’être explicite. milanodesignfilmfestival. com 11 au 13 octobre 6e édition du festival A s v o f f consacré aux films de mode au Centre Pompidou. Centrepompidou.fr 16 au 19 octobre Pour ses 15 ans, les P u c e s du Design invitent Christian Ghion pour une carte blanche. Pucesdudesign.com 17 octobre au 22 février Importante rétrospective Sonia Delaunay, peinture, mode, design, architecture au musée d’Art moderne de la Ville de Paris. Mam.paris.fr PARIS SINGAPORE MIAMI BEACH SEPT. 5-9,2014 JAN. 23-27, 2015 MARCH 10-13, 2015 MAY 12-15, 2015 novembre Jusqu’au 2 novembre Derniers jours de l’exposition Les années 50, commissariat d’Olivier Saillard et Alexandra Bosc. Palaisgalliera.paris.fr Jusqu’au 2 novembre Prolongation de l’exposition « Inspirations » consacrée à l’univers du créateur belge Dries Van Noten. Lesartsdecoratifs.fr LET’S CALL THE WORLD MAISON 1er au 30 novembre Le Mois de la Photo fédère de nombreuses expositions autour du thème de la Méditerranée. mep-fr.org 13 au 16 novembre P a r i s P h o t o s’installe au Grand Palais. Galeries, éditeurs et symposium sur la dématérialisation. Parisphoto.com 14 au 16 novembre La foire O f f p r i n t consacrée à l’édition indépendante devrait encore se tenir cette année aux Beaux-Arts. Offprintparis.com 19 novembre Eden de Mia-Hansen Løve, 2014, 101’. Une fiction sur la nuit, la musique, les DJ, inspirée des soirées Respect. En salles. M&O PARIS 5-9 SEPTEMBRE 2014 & 23-27 JANVIER 2015 M&O ASIA 10-13 MARS 2015 / M&O AMERICAS 12-15 MAI 2015 * MAISON&OBJET S’OUVRE SUR LE MONDE WWW.MAISON-OBJET.COM 21 novembre La 3e Nuit de la D é c o propose un parcours parisien dans les boutiques du Marais, notamment. lanuitdeladeco.com [email protected] ORGANISATION SAFI, FILIALE DES ATELIERS D’ART DE FRANCE ET DE REED EXPOSITIONS FRANCE / SALON RÉSERVÉ AUX PROFESSIONNELS / DESIGN © BE-POLES La métamorphose, une histoire Hermès Hermes.com