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LES ÉCO SUPPLÉMENTS - VENDREDI 7 NOVEMBRE 2014 CE SUPPLÉMENT NE PEUT ÊTRE VENDU SÉPARÉMENT SUPPLÉMENTS ART CONTEMPORAIN DU MAROC UNE SAGA CENTENAIRE AVEC LE SOUTIEN DE LES ÉCO SUPPLÉMENTS - VENDREDI 7 NOVEMBRE 2014 36 ART CONTEMPORAIN QUATRE PÉDIODES Début XXe siècle fin des années 50 Depuis l’aube du XXe siècle jusqu’à la fin des années 50, cette période est celle de l’avènement de la première génération d’artistes marocains, avec comme figures de proues en peinture, Mohammed Ben Ali R’bati (1861-1939) et en photographie, Moulay Abdelaziz (18781943) Histoire d'une passion centenaire C ent ans résumés en quatre périodes pour mieux expliquer les différents courants et les différentes expériences artistiques marocaines. C’est le thème de l’exposition inaugurale du Musée Mohammed VI d'art moderne et contemporain de Rabat qui a ouvert ses portes le 8 octobre dernier. «Ce découpage chronologique en quatre périodes déploie un choix d’œuvres de différentes générations de créateurs marocains. Un choix d’œuvres soigneusement sélectionnées afin d’offrir, à travers un parcours poétique et pédagogique, des repères judicieux à un public élargi lui permettant d’apprécier un panorama historique suffisamment documenté de l’évolution de l’art moderne et contemporain produit au Maroc», explique la Fondation nationale des musées. Un parcours dans l’histoire de l’art au Maroc qu’aucun livre d’histoire ne propose jusqu’à présent. Il s’agit de sensibiliser le Marocain à son histoire artistique puisque le Maroc en a bel et bien une. Si ce que l’on appelle communément «Art contemporain» a commencé en 1945 après la Seconde guerre mondiale en continuité de l’art moderne et afin de s’éloigner de l’art dit «classique». Cependant le concept de contemporanéité est à prendre avec des pincettes. Aujourd’hui on parle souvent de cette génération «Art contemporain» qui se focalise sur l’art visuel ou la photographie. Il y a donc plusieurs périodes à analyser. C’est justement pour revenir sur cette épopée et montrer que l’histoire de l’art contemporain marocain n’a rien à envier à celles d’autres contrées que LES ÉCO plonge dans cent ans de passion artistique. Une chose est sûre: la création marocaine célèbre bien son centenaire au Musée de l’art contemporain Mohamed VI avec des artistes qui ont marqué et qui continuent de marquer, des artistes d’hier et d’aujourd’hui. Après un travail de recherches et des rencontres fructueuses avec les passionnés de l’art au Maroc, il n’y a aucun doute: le Maroc commence à prendre conscience de sa richesse artistique en rendant hommage aux pionniers qui ont tant apporté à l’art, tout en regardant vers l’ave- nir. L’avenir, c’est cette jeunesse créative sur laquelle il faudrait miser. Des institutions y pensent: elles encouragent, accompagnent, mais est-ce que ceci est suffisant? L’art coûte cher. Comment permettre aux créateurs de s’exprimer sans avoir à penser à l’argent, véritable obstacle à la créativité? 100 ans. Une période aussi vaste que riche pour comprendre les réalités du contexte artistique marocain et se demander s’il y a un réel marché de l’art ici, quelles en sont les règles et les limites le cas échéant. Où s’arrête le public pour laisser la place au privé et, surtout, est-ce que l’artiste marocain vit une perpétuelle guerre ou est-il vraiment en paix? Que va nous apporter le nouveau musée et quels sont les dessous d'une galerie? Donner la parole aux acteurs culturels, aux artistes et aux artisans afin de mieux comprendre cette belle ruée vers l’art qui permet au monde d’avoir un regard nouveau sur nous: celui de l’authenticité, de la modernité et de la diversité. Un nou● vel hymne artistique est né DOSSIER RÉALISÉ PAR JIHANE BOUGRINE 1960-1970 Période florissante des rencontres, des salons annuels pour bénéficier de formations, soit en côtoyant des occidentaux de passage ou installés au Maroc, soit en effectuant des stages à l’étranger, mais aussi en suivant des cours dans des ateliers comme celui de Jacqueline Brodskis à Rabat ainsi que dans les deux écoles d’art fraîchement créées au pays : celle de Tétouan, fondée par l’Espagne en 1945 et celle de Casablanca, par la France en 1950. Cette formation ne manquera pas d’impacter leur pratique et d’ouvrir le champ de la création marocaine des années 60 et 0 à de nouvelles explorations artistiques où interfèrent tradition et modernité. 1980-1990 Maturité artistique avec des préoccupations identitaires, de l’enracinement culturel et de l’appartenance nationale ou communautaire. On assiste alors à un certain éclatement idéologique et à l’affirmation des individualités artistiques qui cultivent la diversification de tendances esthétiques loin de toute recherche de cohérence stylistique. Fin du XXe siècle à nos jours La nouvelle génération en ébullition commence à se déployer sur la scène nationale et internationale depuis la fin du XXe et continue encore aujourd’hui à enrichir la culture du Maroc. LES ÉCO SUPPLÉMENTS - VENDREDI 7 NOVEMBRE 2014 37 ART CONTEMPORAIN Fondation nationale des musées Qotbi pense public et privé ● Rencontre avec le président de la Fondation nationale des musées qui continue son travail de promotion de l’art marocain. Après une inauguration des plus satisfaisantes du nouveau Musée de l’art contemporain de Rabat, Mehdi Qotbi passe à la vitesse supérieure. Explications... L e président de la Fondation nationale des musées est serein. Il a vu naître le musée qu’il a tant attendu, le voit grandir et se faire connaître, tout en constatant que le monde s’arrache l’art marocain. L'homme qui ne cesse de clamer qu’il est l’ouvrier d’une initiative dont le roi est l’architecte, s’estime heureux du travail accompli ces deux dernières années. «La Fondation nationale des musées n’existe que depuis deux années. Elle a ouvert un musée, l'a rendu visible et «visitable». Elle a créé un partenariat avec le Louvre, l’Institut du monde arabe. Que demander de plus? Attendez un déjà d'une certaine visibilité sur les plans national et international. D’ailleurs, Mehdi Qotbi est fier d’annoncer que l’endroit en est à près de 200.000 visiteurs en moins de 3 semaines d’existence, signe que le Marocain aime la culture et que les choses ont évolué. «Il y a une chose étonnante aujourd’hui, que l’on ne voit pas ailleurs. Il y a des jeunes qui, dans leurs listes de mariage, demandent des tableaux. Les choses ont «Nous allons réfléchir ensemble afin d’impliquer les patrons dans les acquisitions». peu, laissez-nous souffler et continuer à travailler», s’exclame t-il .Il est vrai que le musée jouit évolué. L’art commence à faire partie du quotidien. C’est une chose qui n’existait pas avant. Aujourd’hui, des gens viennent de tout le Maroc! Le Maroc a soif de culture, il en redemande. Le musée connaît un succès colossal». Un succès qui est au service de l’art marocain puisque l’exposition inaugurale met en avant l’histoire de l’art marocain. Un choix mûrement réfléchi. «L’idée était de faire en sorte que les Marocains puissent s’approprier leur histoire. La plupart des Marocains ne connaissent pas leur histoire picturale, il était donc normal que l’on se concentre sur celle-ci lors de la première exposition de leur premier musée d’art contemporain. Nous avons voulu que le Marocain s’approprie cet art, tout jeune», explique Mehdi Qotbi. «On m’a souvent dit que les artistes marocains rappellent les Occidentaux et ils sont comparés à ces mêmes Occidentaux et à leurs courants. On oublie de mentionner que ceux-ci ont été influencés et se sont inspirés de nos couleurs, sont venus se nourrir de nos paysages et de nos traditions. Je pense à Delacroix , Matisse, les Orientalistes... Il est normal que nous nous appropriions aussi notre histoire». Confiant, le président de la Fondation nationale des musées affirme qu'il est aujourd'hui possible de vivre de son art. D’ailleurs, tout un chantier pour une promotion cadrée de l’art est en train de voir le jour: «Un contrat entre la fondation et la CGEM est dans le pipe. Nous allons réfléchir ensemble afin d’impliquer les patrons dans les acquisitions. L’État ne peut plus tout faire seul, il faut impliquer le privé». Un travail de fond qui impliquera également une législation de sorte à faciliter les échanges, ainsi que le bon développement d’un mar● ché de l’art. Principaux apports de la convention entre la Fondation nationale des musées et la CGEM La convention avec la CGEM et la Fédération nationale du tourisme servira en premier lieu à faire connaître les musées auprès des touristes en les intégrant dans les circuits touristiques. Elle permettra également de sensibiliser les acteurs du tourisme à l’importance de la culture en général et des musées en particulier, pour enrichir l’offre touristique marocaine. Aujourd'hui, le Maroc a compris l'importance de mettre en valeur le tourisme culturel (preuve en est avec le projet «Rabat, ville lumière, capitale de la culture»), et la fondation s'inscrit donc dans cette dynamique en signant cette convention avec la CGEM et la Fédération nationale du tourisme. LES ÉCO SUPPLÉMENTS - VENDREDI 7 NOVEMBRE 2014 38 ART CONTEMPORAIN ILS ONT LA COTE... ● La cote des artistes marocains est mouvante et est amenée à changer durant les années qui viennent. Zoom sur les pionniers qui ont monté la cote, et ceux qui ont l’intention de prendre leur place. C eci n’est pas un classement ou le top 10 des meilleures ventes. Il s’agit d’un panorama des artistes qui ont marqué l’art marocain, qui continuent à le nourrir et à le faire exister. De l’Orientalisme, avec notamment Hassan El Glaoui ou Mehdi Qotbi, à l’Art naïf avec Chaïbia, Fatema Hassan et Fatna Gbouri, en par l’Art abstrait avec Jilali Gharbaoui, Abdelkébir Rabì, Ahmed Cherkaoui ou Farid Belkahia, le Maroc brille. On ne peut malheureusement pas tous les mentionner, mais citons ceux dont les ventes ont été remarquées, dont les œuvres ont changé le regard que portent sur nous les institutions, le monde. C’est encore tout jeune au Maroc et les fluctuations du marché vont faire pencher la balance d'un côté ou de l'autre. Selon Hicham Daoudi, il est important de se poser une question : «Qu’est-ce qui est le plus rare et le plus recherché dans l’art marocain? La solution des valeurs est là-dedans». Ainsi, l’effet de rareté des œuvres de Cherkaoui induisent des prix très élevés. En revanche, un Gharbaoui n’est pas si rare, et pourtant, ses prix restent hauts quand même. Dans ce caslà, quand Gharbaoui deviendra rare, Gharbaoui dépassera auto- Les fluctuations du marché vont faire pencher la balance d'un côté ou de l'autre. matiquement Cherkaoui. Telle est la loi de la cote. «Comme aujourd’hui, les musées s'intéressent à l'École de Casablanca, Melihi, Chabaâ et Belkahiya vont remonter également», précise Hicham Daoudi. En effet, on observe que cette école est en train de monter, avec un résultat pour Melhihi à 450.000 DH concernant une toile de 1m x 1m, et avec un résultat de 350.000 DH pour Chabaâ. Avec le décès de Belkahia, les œuvres de l’École de Casablanca ont commencé à être très demandées. L’École de Casablanca est caractérisée par un art qui fait évoluer l’identité en prenant en compte le débat identitaire. Ses artistes se sont posé une question : «Comment créer un art moderne sans oublier les origines?» Alors que Melihi et Chabaâ ont une influence américaine, Farid Belkahia revient à la gestuelle ancestrale. «Depuis 2 ans, on voit bien que des artistes solides qui présentent un travail nouveau, par série, ont des cotes qui se tiennent plus ou moins. Ceux qui ont essayé de s’engouffrer dans une bulle spéculative, à l'ombre de celle des marchés de capitaux, sont amenés à disparaître», prédit Hassan Sefroui, galeriste. CHAÏBIA TALAL (1929-2004) Une des œuvres de celle que rien ne prédestinait à la peinture, poussée à cet art par un rêve, est estimée à 1.5 MDH aujourd’hui. Née en 1929 dans le village de Chatou (près d'El Jadida), Chaïbia grandit à la campagne. Elle est le précurseur de l’Art naïf au Maroc. Un film de sa vie est prévu pour 2015, réalisé par Youssef Brtiel. Record : 1,5 MDH AHMED CHERKAOUI (1934-1967) Il remporte le record des ventes et réalise 3 résultats à 3.5 MDH, pour 3 œuvres à 3 mois d’intervalle seulement. Il est considéré comme l'un des précurseurs de la peinture moderne au Maroc. Record : 3,5 MDH JILALI GHARBAOUI (1930-1971) Peintre maudit, il est considéré comme «le premier peintre marocain à avoir choisi le non-figuratif comme mode d'expression picturale». Record : 2 MDH MOHAMED KACIMI (1942-2003) Peintre de «l'infigurable», son œuvre fait voler en éclats les li- LES ÉCO SUPPLÉMENTS - VENDREDI 7 NOVEMBRE 2014 39 ART CONTEMPORAIN mites entre abstraction et figuration. Record : 600.000 DH HASSAN EL GLAOUI (1923-...) Orientaliste, Hassan El Glaoui a représenté des chevaux, des cavaliers et des fantasias qui deviendront célèbres dans le monde entier. Il s’est également essayé au portrait et à la nature morte. Record : 450.000 DH AMINE DEMNATI (1942-1971) À ses débuts, il pratiquait une peinture figurative, représentant des mendiants accroupis, des cireurs ou des natures mortes et des paysages de villes aux murs fermés, cernés de traits noirs. Sa démarche évoluera vers une représentation plus suggérée. Record : 560.000 DH MILOUD LABIED (1939-2008) Tout en travaillant, exerçant les métiers les plus divers, Labied a suivi de 1958 à 1962 un apprentissage libre du dessin et de la peinture dans l’atelier du ministère de la Jeunesse et des sports, dirigé à Rabat par Jacqueline Brodskis. Il a aussi passé un an à l’École des Beaux-Arts de Paris en 1974. Record : 650.000 DH MOULAY AHMED DRISSI (1924-1973) Autodidacte, Moulay Ahmed Drissi créait des formes, des paysages, des personnages selon une logique et une vision du monde tout à fait personnelle. «Les Cavaliers» se Vend à 450.000 DH MOHAMED CHABAÂ (1935-2013) Né à Tanger, Mohamed Chabâa étudie à l'Institut national des Beaux-arts de Tétouan et obtient son diplôme en 1955. Il se rend à Rome où il fréquente l'académie des Beaux-arts jusqu'en 1964. À la fois lyrique et géométrique, la peinture de Chabaâ est dominée par l’abstraction tout en comportant des éléments du monde extérieur. Record : 350 000 DH MOHAMED MELIHI (1936- ...) Il a fait partie des premiers artistes marocains ayant travaillé sur leur identité, en lien avec les problématiques de l’art contemporain international. Entre l'Afrique et l'Europe, il ne cesse d’interroger les origines à travers les symboles qu’il a créés à partir des archétypes culturels, tout en les dynamisant, les renouvelant par la couleur et l’organisation de l’espace. Record : 450.000 DH MOHAMED HAMIDI (1941 - ...) Il obtient en 1964 le diplôme d’enseignement de l’Art monumental de l’École nationale supérieure des Beaux-Arts de Paris. Il devient, dans cette même institution, l’assistant du peintre Jean Aujame, dans son atelier de Fresque. -------ANDRÉ ELBAZ (1934 - ...) À El Jadida, André Elbaz se consacre pendant 12 ans à l'«art thérapie». La carrière artistique d’André Elbaz débute en 1957 quand il s’installe à Paris. Artiste à la palette riche et diversifiée, André Elbaz voyage tant à travers les genres qu’à travers les continents. On le retrouve, selon les époques, au Maroc, en France ou au Canada. Record : 100.000 - 130.000 DH MAHI BINEBINE (1959-...) Chouchou de l’art marocain qui a la cote à l’étranger, ses œuvres se vendent à des centaines de milliers de dirhams, et il tient une exposition «Carte blanche» en marge du Forum mondial des droits de l'Homme à Marrakech en ce moment. Une œuvre de 2013 a atteint 800.000 DH, et sa sculpture en bronze de 2,61m a atteint 1,51 MDH. Record : 1,51 MDH MEHDI QOTBI (1951-...) Président de la Fondation nationale des musées, ce rêveur militant est un peintre dont les œuvres sont marquées par la calligraphie et la peinture orientales, un foisonnement de «signes». Record 440.000 DH FOUAD BELLAMINE (1950-...) Né en 1950 à Fès, c'est un artiste peintre marocain, d’abord professeur d’arts plastiques à Rabat (dès 1973), qui s’établit en 1984 à Paris, grâce à une bourse d’État, et soutient une thèse en arts plastiques sur le concept de muralité dans la peinture contemporaine. Record : 450.000 DH MOUNIR FATMI (1970-...) Il construit des espaces et des jeux de langage qui libèrent la parole de ceux qui les regardent. Ses vidéos, installations, dessins, peintures ou sculptures révèlent nos ambiguïtés, nos doutes, nos peurs, nos désirs. Ils permettent de porter un regard nouveau sur notre monde. Son œuvre, intitulée «Ceux qui savent et ceux qui ne savent pas», a atteint 600.000 DH. Record : 600.000 DH LES ÉCO SUPPLÉMENTS - VENDREDI 7 NOVEMBRE 2014 40 ART CONTEMPORAIN HICHAM DAOUDI Fondateur de la Compagnie marocaine des œuvres et objets d'art «Aujourd’hui, tous les artistes ont une cote sur le marché» ● Réussir à vivre de son art ou non, telle est la question. Hicham Daoudi, fondateur de la Compagnie marocaine des œuvres et objets d'Art (CMOOA), première maison de vente aux enchères au Maroc, accepte de nous parler du centenaire de la création marocaine, de la cote des artistes et de la jeunesse émergente. Les ÉCO : Quel regard portez vous sur les 100 ans de création marocaine? Pourquoi suscite-t-elle autant d’intérêt maintenant ? Hicham Daoudi : Ce qui est en train d’être exposé en ce moment, dans les différentes manifestations autour de l’art contemporain, nous l’avons déjà exposé en 20062007, quand personne n’y croyait encore vraiment. Nous avons été les pionniers dans le domaine. Je ne dis pas cela pour flatter notre entreprise, mais nous avons eu le courage de montrer des choses que les Marocains n’étaient pas encore prêts à voir. En 2006, l’orientalisme prenait tellement d'ampleur que nous nous sommes posé la question de savoir si cela n’allait pas étouffer ou tuer le travail des artistes marocains. Nous avonsa décidé de procéder à une vente que nous avons baptisée «100 ans de création au Maroc». Cette vente a eu un impact énorme. Cela a permis de mettre l’accent sur les grands noms de la peinture marocaine. Les acheteurs d’art marocains tournaient le dos aux artistes marocains. Nous nous étions dit que nous étions dans le mauvais sens de l’histoire. C’était le scénario en 2006. Il fallait donc convaincre les institutions d’acheter de la peinture marocaine. C’est ce que nous avons fait, notamment avec Bank Al-Maghrib en 2006, qui a été un acteur majeur dans la valorisation des artistes marocains. Qu’est-ce qui caractérise ce centenaire de création marocaine ? Quels courants prédominent? À l’époque, lorsque nous avons procédé à la vente, les artistes avaient un succès «d’aura»; ils avaient une petite reconnaissance mais, matériellement, c’était encore difficile pour eux. Nous avons alors fait, selon nos connaissances, des listes d’artistes selon les courants existants. Le Maroc a une formidable école de peinture, parfois «à 180 degrés» dans le sens où les artistes n’ont rien à avoir les uns avec les autres. Il y a le courant naïf, l’art abstrait, l’art identitaire, l’école figurative et la peinture surréaliste, qui fait référence au domaine du rêve et de l’imaginaire. Pour chacune des catégories, nous avions dressé la liste des artistes que nous jugions compétents. Nous ne nous sommes pas trompés puisqu’aujourd’hui, ce sont les plus (re)connus. Nous avions déjà mis sur pied une exposition sur la photographie, ainsi qu'une expérience «Couleur Maroc» avec l’art naïf. Nous avons toujours voulu montrer la diversité de l’art marocain. Aujourd'hui, le privé s'est approprié cette diversité. Comment expliquez-vous cet engouement pour l’art contemporain ? L’engouement autour de l’art contemporain au Maroc, comme dans le monde arabe, s’explique par la redécouverte, par les élites, de leur histoire. À un moment, les gens ont fait en sorte de faire partie de l'élite économique; par réflexe identitaire et par meilleure appropriation de leur histoire, ceux-ci comprennent aujourd'hui les enjeux de «posséder» l'art de leur pays. Ils deviennent donc des acteurs. Il y aussi des institutions muséales qui reconnaissent le talent des artistes. Le fait de voir le Qatar ou le Liban s’intéresser à l’art marocain a donné plus confiance aux Marocains. Il est important de souligner qu’à un moment, l’élite comprend et s’approprie l’art de son pays, et que l’étranger apporte une légitimité et confirme l’importance des artistes. ●●● «Le Maroc a une formidable école de peinture, parfois «à 180 degrés» dans le sens où les artistes n’ont rien à voir les uns avec les autres» Est-ce que cette légitimité artistique permet à l’artiste de vivre, d’avoir une cote ? Aujourd’hui, tous les artistes ont une cote sur le marché. Si je prend l’exemple de Gharbaoui, il a pratiquement 300 résultats de côte sur le marché des enchères; Cherkaoui, une centaine, Kacimi, deux cent. Il y a eu des volumes de vente qui ont été enregistrés, et les résultats obtenus permettent de situer les valeurs des tableaux dans chaque fourchette. On se réfère environ à 10 résultats pour commencer l'évalutation d'une cote, tout en prenant en considération la technique et la période. À titre d'exemple, on va comparer les résultats d’un Gharbaoui de 1967 avec les résultats d'un Gharbaoui de 1965, mais on ne va pas comparer un résultat de Gharbaoui de 1958 avec un Gharbaoui de 1971. Ce sont donc les résultats qui sont plus ou moins équivalents qui nous servent, de sorte à mieux estimer les œuvres qui s’offrent à nous. À combien estimez-vous la cote de Jilali Gharbaoui par exemple ? Gharbaoui, dans ses bonnes années, est régulièrement autour du LES ÉCO SUPPLÉMENTS - VENDREDI 7 NOVEMBRE 2014 41 ART CONTEMPORAIN million de dirhams. Les très bonnes œuvres de Gharbaoui dépassent souvent cette valeur. Je prends souvent l’exemple du million de dirhams parce qu’il est très parlant aux gens. Quand un artiste marocain peut se targuer d’obtenir ce résultat, il grave son nom dans le marbre de l’histoire. Est-ce que la cote d’un artiste marocain monte après son décès? Ce n’est pas la mort en elle-même qui induit l'augmentation de la cote. C’est la gestion des stocks d’un artiste et la manière avec laquelle ils sont mis en vente qui va influer sur sa côte. Si, après la mort, tout le monde se met à vendre les tableaux, cela peut casser la valeur d’un artiste s’il n’y a pas assez d’acheteurs pour écouler ces ventes. En revanche, si la rareté est cultivée et la valeur de l’artiste démontrée par le biais d'expositions, d'articles ou de publications, il va y avoir plus d’acheteurs qui voudront en faire l’acquisition, et cela va entraîner la hausse des prix. L'on a toujours une offre qui fait face à une demande, mais il faut savoir créer la demande, et il faut donner envie d’acheter. Il faut situer de façon claire et intelligente la place de l’artiste en question dans l’histoire de l’art. Est-ce le cas de Farid Belkahia, qui nous a quittés récemment? Pour Farid Belkahia, les résultats de vente aux enchères, en ce moment, le placent dans un catégorie démarrant à 50.000 euros et pouvant aller jusqu'à 66.000 euros. Pour ce qui est des œuvres de grande taille, elles atteignent aussi le million de dirhams. La taille joue beaucoup dans les œuvres de Belkahia. La CMOOA n'a-t-elle qu’une vocation marchande? Non. La maison de vente aux enchères n’est pas uniquement marchande. Nous avons toujours cherché à promouvoir l’art dans nos ventes. La clientèle qui vient chez nous est une clientèle qui approuve notre travail. C’est opaque, un peu anarchique. Les maisons de ventes aux enchères fonctionnent quand il y a une idée et un concept derrière. Quand il n’auraient pas été exposés s’ils n’étaient pas passés par les enchères. Les vendeurs privilégient, pour des raisons de qualité, la transparence. Ils vont nous faire confiance parce que nous en parlons bien, avec une certaine ingénierie dans la présentation, au service des œuvres. Y a-t-il une demande, une clientèle des ventes aux enchères ? Le fait d’obtenir de bons résultats nous permet d'attirer beaucoup de monde. Il y a une petite part de surnaturel dans chaque chose, on a l’impression que des œuvres viennent vers nous. On tombe sur des histoires incroyables, on tombe sur des œuvres incroyables que l’on n'imaginait exister que dans les livres. Un ancien retraité à Marrakech souhaitait vendre des tableaux. Il m'a contacté, je suis passé le voir. Il m'a dit qu’on lui avait proposé 600.000 DH pour le lot et que si je lui donnais 100.000 DH de plus, ils étaient à moi. Je lui ai conseillé de passer par les enchères puisque ces tableaux valaient beaucoup plus cher. Il m’a fait confiance, avec beaucoup de difficulté. Au final, il a empoché 3.800.000 DH. À aucun moment nous n'avons profité de cette facilité. Nous avons toujours accompagné les gens pour qu’ils fassent les meilleures affaires possibles, et qu’ils ne passent pas par des connaissances qui les arnaquent. Il y a beaucoup de certifications très douteuses qui sont mises en cir- «Un Gharbaoui atteint aujourd'hui le million de dirhams». s’agit uniquement de fond de commerce, sans expliquer la sacralité des objets artistiques, cela ne sert à rien. Mon principal objectif a toujours été de faire rentrer l’art marocain dans des musées. On contribue aujourd’hui -et j’en suis satisfait- à faire rentrer des tableaux marocains dans plusieurs musées du monde. Le meilleur de l’art marocain, indiscutable en termes de rareté et de qualité, est notre priorité. Au musée de Rabat, plusieurs des tableaux accrochés font partie des œuvres de nos collectionneurs. N’ont été exposés au musée que des tableaux exceptionnels qui culation venant de supposés experts. La CMOOA a bâti un rempart contre cela. Quand nous vendons des œuvres, nous remontons aux origines, nous racontons leur histoire, nous trouvons des photos d’archives. Nous avons une base de données d’archives et de documents qui retracent l'histoire de plusieurs œuvres d’art au Maroc. Il est plus aisé, pour un client, de venir acquérir une œuvre chez nous. ●●● «La clientèle qui vient chez nous est une clientèle qui approuve notre travail. C’est opaque, un peu anarchique». Qu’en est-il de cette nouvelle génération ? Peut-elle vivre de son art ? Ce qui me plairait dans le futur, c’est que l’art marocain continue de prendre de la valeur avec cette génération émergente qui constitue un âge d’or au Maroc. Cette génération est prodigieuse, une des plus prodigieuses depuis celle des années 1960 au Maroc. Cette génération doit avoir de la visibilité en Amérique du Nord, en Europe et ne pas uniquement passer par des canaux institutionnels comme l’IMA. Elle doit être visible dans les foires, les ventes aux enchères à l’étranger, la «partie marchande» en sachant qu'il y a réellement 7 vraies galeries dans tout le royaume, les autres étant des vitrines de l'art. Un artiste doit gagner sa vie et, aujourd’hui, plusieurs jeunes qui font des choses étonnantes, peut-être trop originales pour les clients nationaux, ne trouvent pas leur clientèle marocaine. Ma contribution ou mon rôle sera de permettre à ces gens de se vendre et d’accéder à des circuits leur permettant une belle visibilité, celle ● qu’ils méritent du reste. RETROUVEZ L’ACTUALITÉ ÉCONOMIQUE SUR : www.leseco.ma L’inspiration au quotidien LES ÉCO SUPPLÉMENTS - VENDREDI 7 NOVEMBRE 2014 42 ART CONTEMPORAIN Attijariwafa bank célèbre l'Afrique ● La Fondation Attijariwafa bank renouvelle pour la deuxième fois, depuis 2012, son partenariat avec la Biennale internationale de Casablanca et la co-organisation d’une nouvelle exposition panafricaine à l’espace d’art «Actua» ouvert toute la journée jusqu’en décembre. L a Fondation Attijariwafa bank a choisi de mettre à l’honneur quinze artistes spécialement venues de pays africains et de la diaspora. Ce sont des femmes, auxquelles la fondation a dédié une exposition d’envergure. Un «vœu cher à la Fondation Attijariwafa bank», soulignent les responsables de la fondation. La Biennale de Casablanca, placée cette année sous le séduisant thème : «Un autre monde est possible, mais il est dans celuici», a été le moment idéal pour les mettre en lumière. Visible jusqu’au 31 décembre, l’exposition met en avant des artistes issues de trois générations suc- cessives, qui se sont rencontrées en cours d’année à la Résidence d’artistes Ifitry dans la région d’Essaouira, «pour créer, échanger et se rapprocher». La Fondation Attijariwafa bank déploie une politique culturelle et artistique pluridisciplinaire qui œuvre au développement de l’accès à l’art pour les plus jeunes et apporte son soutien aux arts visuels, à la musique, au cinéma, à l’art vidéo et au théâtre. Patrimoine Elle encourage les porteurs de projets culturels dont les efforts portent particulièrement sur le renforcement de l’attractivité culturelle de leur région et sur le rayonnement international du Maroc. Par son partenariat renouvelé à la Biennale de Casablanca, la Fondation Attijariwafa bank, déjà forte de son appui aux «Journées du patrimoine», renforce ainsi son positionnement de partenaire culturel de la métropole et son rôle d’opérateur et d’accompagnateur de l’économie créative africaine. Par ailleurs, la fondation propose en novembre et décembre des journées ouvertes au public avec la possibilité de bénéficier de visites commentées pour des groupes scolaires ou pour les adultes, sur rendez-vous ● préalable. ARTISTES INVITÉES • MALIKA AGUEZNAY, MAROC • DALILA ALAOUI, MAROC • PEJU ALATISE, LAGOS • HÉLÈNE AMOUZOU, TOGO • LIÉN BOTHA, AFRIQUE DU SUD • PÉLAGIE GBAGUIDI, BÉNIN • PATRIZIA MAÏMOUNA GUERRESI, SÉNÉGAL • AYANA JACKSON, ÉTATS-UNIS/GHANA • MOUNA KARRAY, TUNISIE • AHLAM LEMSEFFER, MAROC • MICHÈLE MAGEMA, RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO • NAJIA MEHADJI, FRANCE/MAROC • INGRID MWANGI, ALLEMAGNE/KENYA • AMY SOW, MAURITANIE • KHADIJA TNANA, MAROC Farid Belkahia sous l’œil de l'expert ● Le 25 septembre dernier, il a quitté ce monde mais n’a jamais quitté le monde de l’Art. Un des plus grand nom de l’art contemporain au Maroc, il a inspiré et continue d’inspirer de par ses œuvres qui vivent toujours. Moulim El Aroussi, critique d’art de talent est là pour en témoigner et raconte Farid Belkahia à travers ses chefs-d’œuvres. «J’ ai connu Farid Belkahia alors que je n’étais encore que bachelier. C’était en 1976, et ma rencontre avec lui s’était faite par l’intermédiaire d’une amie martiniquaise». Moulim El Aroussi garde un souvenir nostalgique de ce grand maître qu’est Belkahia. «Depuis son installation à Marrakech je ne le voyais plus régulièrement mais je suivais son travail», commente Moulim El Aroussi. Docteur d’État es philosophie de l’art de l’Université de Paris I- Panthéon Sorbonne, Moulim El Aroussi a également dirigé l’École des Beaux-Arts de Casablanca de 1989 à 1996. Il a enseigné à l’École d’art d’Aix-enProvence à la même époque et il est Commissaire d’un grand nombre d’expositions. «Son œuvre se caractérise par son aspect révolutionnaire», souligne El Aroussi. Pour cet expert, Farid Belkahia est l’un des premiers artistes «dans le monde à avoir rejeté la grammaire plastique et esthétique de la peinture occidentale, établies depuis la Renaissance européenne». Ce rejet se reflète, selon Moulim, par le fait d’avoir abandonné la toile en la remplaçant par la peau, la peinture par des coloris du terroir : le henné le khôl et d’autres. «Même le cadre traditionnel, carré ou rectangle a été abandonné au profit d’un tableau objet qui porte sa forme en tant qu’élément plastique». Sur le plan iconique, aussi, «ce sont des signes et des symboles issus de la culture marocaine amazighe et africaine qui prennent la place des figures humaines qui peuplaient traditionnellement les œuvres de la peinture classique». Le peintre qui a imposé un héritage et des traditions de sa ville Marrakech qu’il n’a jamais ou- bliée, a apporté une dimension à la fois traditionnelle et moderne dans l’art contemporain. Farid Belkahia, devenu figure internationale dont la côte vacille entre 50.000 et 66.000 euros en ce moment, fait partie de cette belle école de Casablanca qui va prendre de plus en plus de valeur. «Toutes les œuvres de Belkahia sont importantes. Il a beaucoup travaillé sur des séries: la transe, Jérusalem, Bachelard mais ce qui a toujours marqué son travail c’est la relation à l’érotisme», explique l’expert qui travaille actuellement avec Jean-Hubert Martin sur l’exposition «Le Maroc des nouvelles générations» à l’IMA. Spécialiste de l’art des années 60 qui a fait l’objet d’un livre, il est convaincu que Farid Belkahia a apporté une grande autonomie par rapport à l’art occidental et une certaine affirmation de soi. «C’est ce qu’on appelle la modernité», ● conclut-il. LES ÉCO SUPPLÉMENTS - VENDREDI 7 NOVEMBRE 2014 43 ART CONTEMPORAIN Le Maroc est partout ● Une offensive artistique a été lancée sur la république en ce début d’automne. Le Musée du Louvre célèbre l’histoire du Maroc à travers une exposition médiévale entre l’Andalousie et l’Afrique, et l’Institut du Monde arabe expose un Maroc contemporain, riche de ses artistes s'illustrant dans la peinture, la danse ou la musique. Zoom sur Paris qui s’arrache l’art marocain… L e 14 octobre dernier, Paris inaugurait son automne marocain avec deux expositions majeures: «Maroc médiéval, un empire de l’Afrique à l’Espagne» pour le Musée du Louvre, et le «Maroc contemporain», à l’Institut du monde arabe. Le Maroc et sa contemporanéité Oui, oui vous l’avez bien vu aussi. L’Institut du monde arabe a célébré le Maroc contemporain avec une tente bédouine géante à l’entrée. «Fashion faux pas» ou amalgame sur fond de préjugés? Nous allons voir le verre à moitié plein et nous contenter de croire qu’on a voulu célébrer la richesse de notre patrimoine et de notre diversité culturelle, pour mieux célébrer la modernité et le Maroc contemporain. «Sur 2.500 m², le visiteur est invité à un voyage magique et plein de surprises à travers l'incroyable effervescence de la scène artistique marocaine contemporaine. Toutes les disciplines sont réunies: arts plastiques, design, vidéo, architecture, mode... Cette exposition est l’une des plus importantes jamais consacrées en France à la scène artistique contemporaine d'un autre pays», promettent les équipes de l’IMA. C’est ainsi que l’exposition donne à voir l’art contemporain, de- nombre d’environ 80, ils livrent un panorama très large de la création au Maroc. Une création marocaine que les experts de l’IMA sont allés chercher partout dans le royaume, en fouillant, cherchant, allant à la rencontre divers artistes, faisant le tour de plusieurs galeries. «L’examen de la scène artistique marocaine a révélé un certain nombre de sujets et de thématiques qui préoccupent les jeunes artistes. Ces questionnements, qu’ils soient en relation avec l’actualité, le passé, ou les problèmes individuels de chacun, ont retenu l’attention des commissaires. Il a été ainsi décidé de procéder à des regroupements en fonction des préoccupations communes des artistes». Qu'il s'agisse d'artistes comme Mohamed Zouzaf, Najia Mehadji, Saïd Ouarzaz, Mahi Binebine ou encore Noureddine Daifallah, ils ont carte Paris a inauguré son automne marocain avec deux expositions majeures. puis ses pionniers jusqu’aux plus jeunes, qui proposent des techniques nouvelles et originales. Appartenant à des catégories variées regroupant aussi bien ceux qui ont accédé à la reconnaissance des musées que des autodidactes, au blanche à Paris, et représentent dignement le royaume. Retour aux sources Paris célèbre le Maroc contemporain, certes, mais aussi le Maroc médiéval et l’authenticité de cette période artistique. L’exposition chronologique retrace l’histoire, comme jamais elle a été présentée dans un ouvrage, et s'ouvre sur le territoire du Maghreb al-Aqsa Maghreb occidental (actuel Maroc)- au lendemain de sa conquête par les troupes arabes, suite à l’arrivée en 789 d’un descendant du prophète Mohammed, Idris Ier. Le déclin de la dynastie idrisside au milieu du Xe siècle va permettre l’arrivée sur le devant de la scène politique des Almoravides au milieu du siècle suivant, un empire qui s’appuie sur une nouvelle capitale fondée en 1070, Marrakech. Le troisième période évoquée est celle des Almohades, dont l’idéologie s’appuie alors sur une propagande complexe qui passe par une nouvelle culture visuelle, où la calligraphie occupe une place inédite et où certains motifs, comme le lion, sont symboliquement réinvestis. L’exposition se clôture sur la période des Mérinides avec les cheminements symboliques et le re● tour à Fès (1269-1465). LES ÉCO SUPPLÉMENTS - VENDREDI 7 NOVEMBRE 2014 44 ART CONTEMPORAIN YANNICK LINTZ Commissaire générale de l’exposition et directrice du département des arts de l’Islam au Musée du Louvre de Paris. «Il fallait que cette exposition soit une leçon d’histoire» ● Le Hall Napoléon du Musée du Louvre est orné d’œuvres qui constituent un bout d’histoire du Maroc. Un travail de longue haleine que Yannick Lintz, commissaire générale de l'exposition et son équipe ont mis au service du «Maroc médiéval : un empire de l’Espagne à l’Afrique». Une exposition et surtout un cours d’histoire que le public peut découvrir jusqu’au 19 janvier au Musée du Louvre de Paris. Les ÉCO : Comment s’est effectué le choix de l’époque médiévale pour rendre hommage au Maroc ? Yannick Lintz : Nous avons été motivés par deux raisons principales. Tout d’abord, le choix est lié aux relations entre le Musée du Louvre et le royaume du Maroc, puisque le roi Mohammed VI a été un des mécènes du nouveau département des arts de l’Islam dans lequel il n’y avait encore aucune œuvre marocaine, puis la volonté d’un partenariat entre les deux pays est née ainsi. Le royaume du Maroc est en train de réorganiser son réseau de musées et de le moderniser. Un accord a donc été signé en 2012, en se disant que ce serait intéressant d’entamer ce partenariat puisqu’une grande partie du patrimoine marocain était protégé par le protectorat français et il paraissait donc évident que la première exposition des nouveaux départements devait porter sur une thématique qui était absente : le Maroc dans sa période la plus glorieuse: l’époque médiévale. La deuxième raison concerne le département en lui-même qui se doit de par ses collections et à travers ses expositions, de porter à la connaissance du grand public l’histoire du monde islamique. Cette histoire est peu connue pour l’Occident islamique. Je n’ai pas dit qu’elle n'était pas connue en Orient car elle l’est un peu quand même et notamment au Maroc, qui a unifié pendant 5 siècles un territoire à cheval entre l’Afrique occidentale et le sud de l’Espagne. Il s’agit d’un sujet inédit, qui n’a fait l’objet d’aucune exposition et auquel on n'a consacré aucun livre. C’était du coup une double opportunité. Comment sélectionner des oeuvres pour raconter toute cette partie de l'histoire ? La sélection des œuvres s’est faite selon deux logiques : il fallait à la fois sélectionner les œuvres au Maroc qui illustraient ce projet mais également, pour rester dans une logique originale et fidèle au thème, sélectionner celles venant d’Espagne et de collections de bibliothèques et de musées du monde entier. La partie marocaine a mis en place un comité scientifique présidé par une commissaire générale marocaine, Bahija Simou, directrice des archives royales du Maroc, qui a travaillé avec des archivistes, des bibliothécaires, des historiens, pour recenser des dépôts archéologiques, des musées, des bibliothèques, ce qui pourrait être le plus significatif pour illustrer cette exposition du patrimoine marocain. Du côté du Louvre, nous avons fait la même chose avec la partie espagnole. Dans mon équipe, l’une des commissaires scientifiques qui m’a beaucoup assisté, Claire Delery, a beaucoup travaillé en Espagne, a mené des fouilles archéologiques et a étudié du matériel de cette période-là en Espagne. Par ailleurs, nous avons également fait un travail de recensement dans d’autres musées et tout cela nous a menés à plus de 300 œuvres qu’on a gardées, parmi lesquelles figurent 120 œuvres du Maroc, une centaine d’Espagne et une bonne centaine qui viennent de collections européennes, tunisiennes, israéliennes, ainsi que, ce qui est pour nous très important, des collections africaines. Nous avons une magnifique stèle, un trésor national du musée de Bamako au Mali et un trésor monétaire illustrant la présence des Marocains Almoravides en Mauritanie au 12e siècle qui vient du musée de Nouakchott. Voilà comment s’est faite la sélection, à partir d’une liste d’œuvres, mais pas seulement puisque le tout était d’établir un parcours pédagogique pour expliquer l’histoire des trois grandes dynasties. ●●● «L’élite intellectuelle religieuse marocaine considère cette exposition comme une reconnaissance dans le plus grand musée du monde». Parlez-nous justement de ce parcours pédagogique. Comment s’est faite la scénographie de l’exposition ? En termes de scénographie, nous avons réalisé un parcours chronologique. Je tenais à ce que cette exposition soit une leçon d’histoire, que l’on explique l’histoire de ces dynasties, de leurs manières de développer les arts, les lettres, la politique, l’économie et que l’on puisse expliquer l’ensemble des influences culturelles de ces dynasties. Le déroulé se fait de cette manière là avec les influences régionales d’Afrique entre l’art italien du Moyen Âge et l’art arabo-musulman d’Andalousie. Notre but est de montrer un axe récurrent dans ce parcours, lequel se révèle à travers des villes qui deviendront les grandes capitales de ces empires, c’est donc une promenade à travers de grandes cités comme Fès, Marrakech, Rabat, Séville, Cordoue, le port méditerranéen d’Alméria. Nous tenions à montrer cette chronologie, certes, mais également comment ces villes ont évolué et LES ÉCO SUPPLÉMENTS - VENDREDI 7 NOVEMBRE 2014 45 ART CONTEMPORAIN ont embelli, c’est pour cela qu’il y a une grande place réservée à l’architecture. Nous sommes transportés réellement au Maroc. Par ailleurs, s’est posée également la question de savoir comment exposer un objet culte comme le grand lustre de la Quarawine. La question est profonde. Je l’ai complètement sorti du parcours pour le positionner en fin d’exposition, sous la rotonde pour accueillir le visiteur dans sa fonction de lustre, qui éclaire, nous l'avons donc mis en scène pour le valoriser, évidemment. Quant aux minbars, qui mesurent 4 m de haut, nous les avons installés sur des podiums afin d'en faire de vrais trônes. Comment s’est déroulé le travail de restauration ? Quelles ont été les principales difficultés ? Il y a eu des difficultés techniques et d’organisation, certes, comme pour tout travail de recensement, mais ce qui a été vraiment positif c'est que ce projet d’exposition a permis, une fois la liste des œuvres réalisée, d’imaginer un travail de restauration au Maroc. Beaucoup de ces œuvres n’étaient pas préparées à être montrées. Il a fallu soit les nettoyer et les dépoussiérer, soit parfois les consolider et les réparer. Ceci a été un chantier important dans l’échange entre la France et le Maroc puisque nous avons envoyé des experts pendant 3 mois dans 3 villes différentes (Fès, Marrakech et Rabat) qui ont restauré ces grands minbars en bois, dépoussiéré les grands lustres de la mosquée de la Quarawiyine, les grandes portes en bois et en bronze, qui ont restauré les céramiques, alors qu'il y a eu un énorme travail complètement marocain autour des manuscrits, lesquels ont été restaurés dans le laboratoire de la Bibliothèque nationale de Rabat. C'est une très belle opération qui nous a permis mais c’est ce qui est aussi passionnant et intéressant lorsque l’on dirige ce département, c’est que nous avons à la fois le devoir de montrer ces leçons d’histoire et mieux faire connaître cette civilisation, qui n’est pas destructive mais constructive. Il faut collaborer avec les pays concernés pour obtenir les grands témoignages historiques de cette histoire. Il se trouve qu’au Maroc et je ne dis pas qu’on aurait pu faire cela dans tous les pays actuellement, cela illustre la réalité politique et culturelle du pays, qui prône un Islam de tolérance et de lumière, de réflexion intellectuelle sur son histoire.À cause de cette forte volonté et de cette identité politique et culturelle du Maroc d’aujourd’hui, on a pu discuter avec le ministre des Habous, avec l’imam de la mosquée Quarawiyine, que je n’ai eu aucun mal à convaincre. Ils en développaient un sentiment de fierté, bien au contraire. L’élite intellectuelle religieuse marocaine considère cette exposition comme une reconnaissance dans le plus grand musée du monde. Il a fallu être délicat, organiser plusieurs réunions pour intégrer les lieux saints, écouter les gens, leur expliquer la démarche et nous avons également veillé à déplacer les œuvres de la mosquée entre la «Le second acte de l’exposition se jouera au Musée de Rabat le 2 mars». de former ou sensibiliser le personnel marocain des musées à la conservation et à la restauration. Compliquée à monter, c'était une très belle opération. Vous inaugurez donc le département des arts islamiques, exposez des œuvres liées à l’Islam... n’est-ce pas dangereux dans ce contexte d’amalgames incessants ? Vous pointez du doigt des réalités, dernière prière du soir et la première du matin, de le faire sans affichage excessif et avec un maximum de respect, y compris dans leur exposition ici au Louvre. ●●● «Il faut collaborer avec les pays concernés pour obtenir les grands témoignages historiques». Que va-t-il arriver à cette exposition après le 25 janvier ? Où les œuvres iront-elles ? Généralement, lorsque l’exposition s’achève et que le rideau se referme, les œuvres sont restituées à leurs propriétaires, mais pour celles-ci, c’est particulier cette fois puisque le second acte se jouera à Rabat à partir du 2 mars car une autre forme d'exposition sera présentée au Musée Mohammed VI, ce sera une grande première au Maroc que de reprendre une exposition, qui a été produite au Louvre. Ce sera une autre forme d’exposition avec une même thématique, 70% d'œuvres identiques mais avec 30% d’adaptations propres au Maroc, à la fois pour des questions de conservation puisque des manuscrits exposés pendant 3 mois ne peuvent pas être exposés plus longtemps. Nous travaillons d’ailleurs sur une liste d’œuvres qui pourraient remplacer celles qui ne peuvent plus être montrées. Je viens d’ailleurs de terminer une réunion avec le scénographe de Rabat pour entamer ce travail d’exposition dès ce mois ● de novembre… LES ÉCO SUPPLÉMENTS - VENDREDI 7 NOVEMBRE 2014 46 ART CONTEMPORAIN NAWAL SLAOUI Fondatrice de Culture Interface «Le mécénat culturel est la solution pour une industrie de l'art» ● Nawal Slaoui est fervente défenseur de l’art au Maroc. Pour elle , une galerie est marchande et se renferme dans le Maroc au lieu d’aspirer à la visibilité internationale. Rencontre avec une passionnée de l’art marocain qui croit en la créativité de la jeunesse et en son pouvoir d’exportation. Les ÉCO : Culture Interface se veut productrice et diffuseur d’art. En quoi cela consiste ? Nawal Slaoui : Je souhaite d’abord préciser que Culture Interface redevient semi-nomade. Je vais être en partie du temps en galerie d’art. Mon travail consiste à produire des œuvres pour les artistes, je finance la production des œuvres. Cela peut passer par la production d’une sculpture, d’une installation ou d’une série de photographies. Il peut s’agir de la production d’une vidéo d’art également. Dans ce sens, la production, c’est l’aide à la réalisation d’une œuvre. La diffusion consiste à faire connaître les œuvres et les artistes. Il s’agit de rendre ces œuvres visibles ici ou à l’international. Ma priorité c’est l’international via des centres d’art, des expositions, des foires. La diffusion consiste à communiquer en présentant les œuvres à des lieux qui font des acquisitions. L’oeuvre doit être visible par un maximum de gens. Et enfin, concernant le soutien à la production, cela ne peut que permettre d'exporter des œuvres d'art contemporaines sur le marché international et non seulement rendre visible l'art contemporain marocain (ce qui lui donne de la valeur) mais aussi engendrer une dynamique d'entrée de devises dans le pays.... Qu’est-ce qui ne fonctionne pas au Maroc alors ? Au Maroc, la majorité des galeries sont marchandes. Pas toutes, mais il y en a beaucoup. Il y a une sorte d’enfermement de l’art au Maroc qui n’est pas sainte pour le développement d’un marché. Une œuvre d’art doit avoir de la concurrence internationale. Cette concurrence qui n’existe pas ne conforte pas le marché parce que les gens ont pris l’habitude de voir les mêmes artistes tourner. Les prix qui s’affichent au Maroc que ce soit en vente aux enchères ou en galerie, sont des prix marocains. Ce qui représente un marché ne peut pas se calquer sur le marché international. Jusqu’à présent les prix ont commencé à semer un doute parmi les collectionneurs. Les prix peuvent atteindre n’importe quel niveau, sans aucun repère. Si on invitait plus d’artistes internationaux de calibre, cela permettrait de rééquilibrer les prix au Maroc et de créer une dynamique. Encore une fois il y a un problème, on ne voit pas assez d’artistes internationaux car les droits de douane sont trop éle- vés. Cela n’encourage pas à importer. La seule alternative c’est la résidence mais ce n’est pas une solution. Cela empêche la diffusion à l’internationale. C’est timide. Ne mise-t-on pas assez sur la jeunesse créative ? Ce sont les jeunes qu’il faut exporter puisqu’ils ont tout à faire et peuvent évoluer. Mais très peu de galeries exposent les jeunes et les soutiennent. La raison en est que comme elles sont marchandes majoritairement, elles ne peuvent pas prendre le risque d’investir dans une œuvre qui ne coûte pas assez cher pour couvrir leurs frais. Cela fait que nous voyons les mêmes artistes, alors que nous avons une créativité gigantesque dans notre pays. J’ai finalement opté pour une formule itinérante pour ne pas avoir de murs, de frais de galerie qui coûtent cher. Cela me permet de rencontrer des gens, parler des artistes, parler du Maroc, montrer. Je m’adapte au marché et aux contraintes. Les contraintes sont nombreuses mais qu’en est-il du contexte légal ? Il y a une inexistence de lois et le ●●● «C’est positif tout cela mais il faut du soutien». Maroc n’a pas de mécénat culturel. On a du sponsoring mais pas de mécénat. Il y aurait pour les entreprises marocaines des avantages fiscaux. On pourrait produire, soutenir les jeunes, les accompagner, exporter. Le ministère de la culture a proposé, pour la première fois, des subventions aux artistes, aux galeristes. C'est très peu. L’art coûte cher à produire, à diffuser. 10 millions de DH pour plusieurs artistes sur 1 an, ce n’est rien. C’est à peu près 100.000 DH chacun. Cela ne suffit pas. L’État n’a pas les moyens, le privé devrait intervenir. Le mécénat culturel est la solution au problème de manque de développement du marché de l’art. On peut dire tout de même que le marché avance doucement mais sûrement… Les choses évoluent. Le regard que l'Europe sur l’art au Maroc est très positif. Ils disent que la scène la plus créative et qui bouge dans le monde arabe est celle du Maroc. Certains même parlent de pourtour méditerranéen. C’est positif tout cela mais il faut du soutien. S’il faut la démocratiser, il faut l’accompagner. Même la Biennale de Marrakech a du mal à ● trouver des financements. LES ÉCO SUPPLÉMENTS - VENDREDI 7 NOVEMBRE 2014 47 ART CONTEMPORAIN YOUSSEF LAHRICHI Acteur et photographe Metteur en scène de rêves ● La Chambre claire de la Fondation Alliances a été séduite par sa vision poétique de la ville blanche. Il s’appelle Youssef Lahrichi, et il est le lauréat de cette 3e édition avec la série «Rêveries urbaines». Parcours d’un metteur en scène de l’image, d’un acteur de ses propres rêves. P ourquoi se contenter de rêver lorsque l’on peut vivre ces mêmes rêves? C’est ce que Youssef Lahrichi a sûrement dû se demander, en pensant à une Casablanca moins bruyante et moins mouvementée. Pour ce faire, il sort dans les rues de sa ville natale et va à la recherche de moments uniques à capturer, au moment de la rupture du jeûne, quand Casablanca est déserte et vulnérable. Elle l’est tellement qu’elle se laisse prendre au jeu de la mise en scène et de la photographie. «J'étais à mi-chemin entre le ras-le-bol et une forme d'optimisme, une réelle envie de voir Casablanca vide. Je me suis posé la question de savoir quand est-ce que cela pourrait être possible, et la rupture du jeûne m’a paru être le moment idoine», explique Youssef Lahrichi, à la fois photographe et acteur. Un sens de la comédie très présent dans son travail puisque le jeune artiste se met en scène lui-même, tantôt pour jouer le touriste, tantôt le footballeur. Un projet qu’il a entrepris il y a trois ans, qu’il n'a pas mis en scène mais qu’il s’est «contenté» d'immortaliser, tout simplement. Il se rend compte que, plus que des clichés, il sou- haite raconter une histoire «ayant pour décor Casablanca», avoue cet autodidacte qui a toujours été fasciné par la photo et les appareils photos. Il se promet d’apprendre la technique, et c’est ainsi que son histoire d’amour avec l’image est née. «J’ai toujours été fasciné par la photographie. C’est du réel, cela me parle plus. C'est ce qui m'a donné envie d'en faire», explique Youssef Lahrichi, qui est également acteur. «Il y a des points de convergence entre la photographie et le théâtre. Pour moi, dans les deux, on peut émerveiller et émouvoir, avec des choses du quotidien, des émotions de tous les jours. Mais une fois la photo encadrée ou la mise en scène prête et la pièce jouée, il y a une réelle pos- ●●● L'artiste sort dans les rues de sa ville natale et va à la recherche de moments uniques à capturer, au moment de la rupture du jeûne. sibilité d’émouvoir». Intimes et décalées, pleines d’humour, avec une touche de sarcasme sur fond d’idéal, le jeune lauréat de la Chambre claire justifie le choix des «Rêveries urbaines»: «J'ai trouvé le titre une fois le travail finalisé, et toutes les photos réalisées. Quand j’ai pris les temps de bien les regarder, cela m’a donné l’impression d'être dans un rêve, parce qu’on n’a pas l’habitude de voir Casablanca ainsi. C’est là que j’ai eu l’idée du rêve; comme ce travail est axé sur la ville, j’ai pensé à l’urbain, bien sûr». Son exposi- tion est à découvrir dans les locaux de la Fondation Alliances à Aïn Diab, à Casablanca. L’artiste avoue que l’initiative de la fondation lui offre la possibilité d’exposer et de se professionnaliser. «La Chambre claire m’apporte beaucoup. On m’offre la possibilité d’exposer et d’avoir le soutien financier pour le tirage photos, le vernissage et la partie communication», poursuit l’artiste qui se voit offrir un accompagnement par un photographe professionnel pour décoller, et faire de ses «Rêveries urbaines» une réalité ● pérenne… Meriem Berrada, chef de projet de la Chambre claire La Chambre claire est un programme de mécénat initié il y a 1 an. Il est né avec l’artiste Merji avec une envie de voir ses œuvres de façon concrète. Notre rôle est d’appuyer les artistes émergents qui n’ont pas l’espace, les ressources ni les moyens pour concrétiser leurs projets. L’idée est de mettre en contact les lauréats avec des professionnels du tirage. Nous avons mis en relation Youssef avec Khalid Nemmaoui, une expérience très riche pour le lauréat qui a confronté son intention de départ au rendu potentiel, parce que tant qu’on n'a pas vu le tirage, c’est un autre concept. Il y a eu un travail de conseil, qui est remarqué par les personnes sensibles à la photographie. Nous lui apportons toute la partie communication également, la mise en relation avec la presse et nous gardons le lien avec l’artiste. Nous sommes heureux que les lauréats réussissent. Le but, c’est de créer un réseau qui se challenge et qui se concerte. LES ÉCO SUPPLÉMENTS - VENDREDI 7 NOVEMBRE 2014 48 ART CONTEMPORAIN LA VIE D UNE GALERIE «Notre souci est de rompre avec la monotonie» ANNE LAURENCE SOWAN GALERIE VENISE CADRE Les ÉCO : Comment reprendre les rennes d'une galerie qui a presque 70 ans d'âge ? Anne Laurence Sowan : La galerie Venise Cadre est une institution incontournable au Maroc. Il faut savoir que durant des années, Venise Cadre était quasiment l’unique galerie à Casablanca et tous les plus grands noms de l’histoire de l’art du Maroc y ont exposé. Nous avions donc l’habitude, avec ma famille, de nous rendre aux vernissages des expositions, comme beaucoup de Casablancais, pour nous imprégner de ces différentes mouvances artistiques qui font la richesse et la fierté de notre pays. Le choix de reprendre cette galerie n’a pas été aisé. Le principal élément qui a motivé ma décision était une simple vision : faire de Venise Cadre une galerie résolument contemporaine qui mise sur la nouvelle scène artistique, ancrée dans l’air du temps et apte à se positionner sur le marché de l’art international. Cette évolution s’est faite progressivement. Nous sommes allés à la rencontre de nouveaux talents; car il était essentiel de représenter des artistes qui correspondaient à nos ambitions. Puis il a fallu aussi convaincre notre public, qui était habitué à une toute autre identité de la galerie. Depuis à peu près trois ans, nous avons pu atteindre notre objectif. Quelle est la particularité de la galerie Venise Cadre par rapport aux autres galeries ? Les galeries exposent l’art contemporain et constituent une vitrine pour les artistes. Elles se contentent trop souvent d’exhiber l’art sans le produire ou le diffuser, d’autres jouent le rôle de véritables galeries au vrai sens du terme. Zoom sur un monde difficile, où il faut (sur) vivre de sa passion… présenter nos artistes au sein de notre galerie et de faire découvrir leurs œuvres au public. Par la régularité du travail fourni pour chaque artiste dans la durée, nous travaillons aussi sur leur cotation et son évolution progressive afin d’installer une confiance entre la galerie, le client et l’artiste. Pour cette raison, il est primordial qu’un artiste fasse des expositions à l’étranger car cela contribue à valoriser sa cote qui devient reconnue à l’international. Avec mon collaborateur Mehdi Hadj Khalifa, nous nous sommes imposés une certaine rigueur dans la direction artistique et dans la programmation des expositions de la galerie. Cette ligne de conduite est primordiale pour pouvoir toujours maintenir une longueur d’avance et se différencier. Le montage de nos expositions est un long processus de création qui permet de développer la réflexion du créateur, et d’apporter tout notre savoir-faire et notre expertise pour donner vie aux différents projets et réalisations de l’artiste. Notre maîtrise réside également dans la diversité de la nature des œuvres produites à l’occasion d’une exposition. Notre souci est de rompre avec la monotonie qui caractérise malheureusement trop souvent le marché de l’art marocain. Aujourd’hui, beaucoup de talents marocains maîtrisent non seulement les techniques dites classiques, telles que le dessin ou la peinture, mais aussi les nouvelles technologies qui leur ouvrent de nouveaux horizons dans le champ de la création. Notre collaboration avec cette nouvelle vague d’artistes est déterminante car ils sont véritablement à l’écoute du marché de l’art international et ont intégré les codes qui régissent ce métier. Quel est votre travail au jour le jour. Comment vit une galerie ? Il y a tout d’abord la promotion de nos artistes, au niveau national et international. Nous passons par les canaux traditionnels de la presse locale et régionale lorsqu’une exposition est prévue ou lorsque nous avons une actualité particulière. Mais l’enjeu pour nos artistes est de leur offrir une visibilité internationale. Par ailleurs, nous sommes en permanence à l’écoute de la création marocaine et étrangère. Cet univers en perpétuelle évolution exige un investissement personnel et intellectuel sans relâche. Il est essentiel de sortir des sentiers battus pour être créatif et pour cela, il faut rester toujours ouvert et curieux. Notre rôle consiste également à re- Comment valoriser cette cote justement ? L’enjeu actuel pour la nouvelle vague marocaine est d’intégrer les codes qui régissent le marché international. Il est vraiment indispensable que les artistes nationaux puissent être présentés par des galeristes et des musées étrangers et vendus dans des salles de ventes internationales. Nous pouvons nous en rendre compte notamment grâce à l’exposition de l’Institut du monde arabe qui offre une vitrine au monde entier sur notre culture. On remarque une évolution dans la mentalité des acheteurs qui s’ouvrent au marché international car ils ont besoin d’être rassurés sur leurs achats. Sachant que les artistes marocains ont une cote relativement élevée et qui s’apparente à celle des artistes internationaux. Il est donc dans l’intérêt de notre métier d’élargir les horizons et de faciliter la circulation de l’art sur notre territoire tant pour l’exportation de nos artistes que pour ● l’accueil d’autres nationalités. LES ÉCO SUPPLÉMENTS - VENDREDI 7 NOVEMBRE 2014 49 ART CONTEMPORAIN «Les œuvres d’art constituent le dernier compartiment des dépenses des ménages» HASSAN SEFRIOUI GALERIE SHART En plein centre de Casablanca se cache une galerie tenue par un visionnaire et passionné. La galerie Shart de Hassan Sefrioui est une référence sur le marché comme celle qui milite pour la diffusion et la production des artistes. Une vraie galerie en somme… M élomane de l’abstrait, amoureux de l’art et mordu de tableaux qui ont une vision, le galeriste Hassan Sefrioui milite avec Shart dans ce marché de l’art qu’il considère comme timide pour le moment. Les turbulences et les aléas de la vie d’artiste, ça ne lui fait pas peur puisqu’il puise dans sa motivation pour faire vivre sa galerie. «Il faut savoir qu’une galerie a un fonctionnement un peu saisonnier. Une année de travail commence en octobre et finit en juin. C’est une activité qui s’exerce entre 9 et 10 mois par an. En été, les gens préfèrent être dehors ou à la plage plutôt que dans des endroits fermés avec des projecteurs. On mise donc sur l’automne et le printemps pour dépasser la basse saison», explique le galeriste qui choisit ses artistes en fonction de leur inspiration et de leur technique avec des thèmes universels qui ne se contentent pas d’être «marocomarocains». «L’idéal, c’est de trouver des artistes en phase avec ce qu’ils ont à dire et comment ils le disent», renchérit Hassan Sefrioui, qui fait la différence entre les artistes peintres qui sont prêts et qu’il suffit de diffuser et ceux qu’il faut produire comme les photographes et les installateurs. Selon le galeriste, la scène est dynamique et attractive mais les artistes n’ont pas encore assez de poids financier puisque «pour exporter un artiste, cela revient à le faire participer à une foire internationale. Ce qui est très coûteux. On ne peut pas se permettre de partir avec des artistes émergents parce que leur fourchette de prix ne permet pas de couvrir les frais». Une problématique que le Musée d’art contemporain de Rabat devrait permettre de résoudre en partie : «Le musée, dans tous les pays du monde, est Le musée promet cette année une commission d’acquisition, à l’image de ce qui se fait à l’étranger. un régulateur de marché. Quand un musée acquiert l’œuvre d’un artiste et que sa place est méritée dans l’exposition permanente du musée, cela veut dire que l’artiste est arrivé à un stade de création et un stade de son parcours qui font que le galeriste qui le représente peut se permettre de mettre en place une politique de prix plus adaptée et cohérente». En somme, si le nouveau musée de Rabat fait son travail, les galeries vivront mieux et seront soulagées par des artistes qui vivent de leur art. Tout le monde est gagnant. Le musée promet d’ailleurs cette année une commission d’acquisition, à l’image de ce qui se fait à l’étranger avec un comité composé par un représentant du ministère de la Culture, du ministère de l'Économie et des finances, un représentant du monde des critiques d’art afin de statuer pour dire qu'un artiste est apte à intégrer la collection permanente dudit musée, mais est-ce suffisant ? «Il faut comprendre que l’on est dans des turbulences économiques en général depuis 2 ans. Les œuvres d’art constituent le dernier compartiment des dépenses des ménages. On achète pas un tableau avant de se nourrir, de s’habiller», explique Hassan Sefrioui. Ces turbulences font qu’une galerie souffre forcément avec une législation qui n’aide pas. Aujourd’hui pour ramener un artiste de l’international ou pour participer à une foire internationale pour un Marocain, il faut se lever de bonne heure. «Il y a au Maroc une législation par rapport à l’exportation d’œuvres d’art, qui doit faire l’objet d’un accord de la direction des arts du ministère de la Culture». En somme, pour exporter, il faut une autorisation. Le galeriste avoue que la situation s’est beaucoup assouplie, mais il reste énormément à faire. «Il y a une taxe de 20,25% de mise à la consommation, une sorte de TVA déguisée. C’est énorme sur un achat», avoue le galeriste qui ne voit pas, aujourd’hui, un acteur sur le marché avoir la possibilité d’inviter un artiste connu de l’étranger à cause de cette taxe. Cependant, tout cela ne change rien à la passion et à l’amour de l’art. Le 20 novembre, la galerie Shart expose Salim Mouline pour le troisième fois avec un travail militant sur le libéralisme parce que «the ● show must go on».
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