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LES ÉCO SUPPLÉMENTS - VENDREDI 7 NOVEMBRE 2014
CE SUPPLÉMENT NE PEUT ÊTRE VENDU SÉPARÉMENT
SUPPLÉMENTS
ART CONTEMPORAIN DU MAROC
UNE SAGA CENTENAIRE
AVEC LE SOUTIEN DE
LES ÉCO SUPPLÉMENTS - VENDREDI 7 NOVEMBRE 2014
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ART CONTEMPORAIN
QUATRE PÉDIODES
Début XXe siècle fin des années 50
Depuis l’aube du XXe siècle jusqu’à
la fin des années 50, cette période
est celle de l’avènement de la première génération d’artistes marocains, avec comme figures de
proues en peinture, Mohammed
Ben Ali R’bati (1861-1939) et en photographie, Moulay Abdelaziz (18781943)
Histoire d'une passion
centenaire
C
ent ans résumés en
quatre périodes pour
mieux expliquer les différents courants et les
différentes expériences artistiques marocaines. C’est le
thème de l’exposition inaugurale
du Musée Mohammed VI d'art
moderne et contemporain de
Rabat qui a ouvert ses portes le 8
octobre dernier. «Ce découpage
chronologique en quatre périodes déploie un choix d’œuvres
de différentes générations de
créateurs marocains. Un choix
d’œuvres soigneusement sélectionnées afin d’offrir, à travers un
parcours poétique et pédagogique, des repères judicieux à un
public élargi lui permettant d’apprécier un panorama historique
suffisamment documenté de
l’évolution de l’art moderne et
contemporain produit au Maroc»,
explique la Fondation nationale
des musées. Un parcours dans
l’histoire de l’art au Maroc qu’aucun livre d’histoire ne propose
jusqu’à présent. Il s’agit de sensibiliser le Marocain à son histoire
artistique puisque le Maroc en a
bel et bien une. Si ce que l’on appelle
communément
«Art
contemporain» a commencé en
1945 après la Seconde guerre
mondiale en continuité de l’art
moderne et afin de s’éloigner de
l’art dit «classique». Cependant le
concept de contemporanéité est
à prendre avec des pincettes. Aujourd’hui on parle souvent de
cette génération «Art contemporain» qui se focalise sur l’art visuel
ou la photographie. Il y a donc
plusieurs périodes à analyser.
C’est justement pour revenir sur
cette épopée et montrer que
l’histoire de l’art contemporain
marocain n’a rien à envier à celles
d’autres contrées que LES ÉCO
plonge dans cent ans de passion artistique. Une chose est
sûre: la création marocaine célèbre bien son centenaire au
Musée de l’art contemporain
Mohamed VI avec des artistes
qui ont marqué et qui continuent de marquer, des artistes
d’hier et d’aujourd’hui. Après un
travail de recherches et des rencontres fructueuses avec les
passionnés de l’art au Maroc, il
n’y a aucun doute: le Maroc
commence
à
prendre
conscience de sa richesse artistique en rendant hommage aux
pionniers qui ont tant apporté à
l’art, tout en regardant vers l’ave-
nir. L’avenir, c’est cette jeunesse
créative sur laquelle il faudrait
miser. Des institutions y pensent:
elles encouragent, accompagnent, mais est-ce que ceci est
suffisant? L’art coûte cher. Comment permettre aux créateurs
de s’exprimer sans avoir à penser à l’argent, véritable obstacle
à la créativité? 100 ans. Une période aussi vaste que riche pour
comprendre les réalités du
contexte artistique marocain et
se demander s’il y a un réel marché de l’art ici, quelles en sont les
règles et les limites le cas
échéant. Où s’arrête le public
pour laisser la place au privé et,
surtout, est-ce que l’artiste marocain vit une perpétuelle guerre
ou est-il vraiment en paix? Que
va nous apporter le nouveau
musée et quels sont les dessous
d'une galerie? Donner la parole
aux acteurs culturels, aux artistes
et aux artisans afin de mieux
comprendre cette belle ruée vers
l’art qui permet au monde d’avoir
un regard nouveau sur nous:
celui de l’authenticité, de la modernité et de la diversité. Un nou●
vel hymne artistique est né
DOSSIER RÉALISÉ PAR
JIHANE BOUGRINE
1960-1970
Période florissante des rencontres,
des salons annuels pour bénéficier
de formations, soit en côtoyant des
occidentaux de passage ou installés au Maroc, soit en effectuant des
stages à l’étranger, mais aussi en
suivant des cours dans des ateliers
comme celui de Jacqueline Brodskis à Rabat ainsi que dans les deux
écoles d’art fraîchement créées au
pays : celle de Tétouan, fondée par
l’Espagne en 1945 et celle de Casablanca, par la France en 1950. Cette
formation ne manquera pas d’impacter leur pratique et d’ouvrir le
champ de la création marocaine
des années 60 et 0 à de nouvelles
explorations artistiques où interfèrent tradition et modernité.
1980-1990
Maturité artistique avec des préoccupations identitaires, de l’enracinement culturel et de l’appartenance
nationale ou communautaire. On
assiste alors à un certain éclatement idéologique et à l’affirmation
des individualités artistiques qui cultivent la diversification de tendances esthétiques loin de toute recherche de cohérence stylistique.
Fin du XXe siècle
à nos jours
La nouvelle génération en ébullition
commence à se déployer sur la
scène nationale et internationale
depuis la fin du XXe et continue encore aujourd’hui à enrichir la culture
du Maroc.
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ART CONTEMPORAIN
Fondation nationale des musées
Qotbi pense public et privé
● Rencontre avec le président de la Fondation nationale des musées qui continue
son travail de promotion de l’art marocain. Après une inauguration des plus satisfaisantes du nouveau Musée de l’art contemporain de Rabat, Mehdi Qotbi passe
à la vitesse supérieure. Explications...
L
e président de la Fondation nationale des musées est serein. Il a vu
naître le musée qu’il a
tant attendu, le voit grandir et se
faire connaître, tout en constatant que le monde s’arrache l’art
marocain. L'homme qui ne
cesse de clamer qu’il est l’ouvrier d’une initiative dont le roi
est l’architecte, s’estime heureux
du travail accompli ces deux
dernières années. «La Fondation
nationale des musées n’existe
que depuis deux années. Elle a
ouvert un musée, l'a rendu visible et «visitable». Elle a créé un
partenariat avec le Louvre, l’Institut du monde arabe. Que demander de plus? Attendez un
déjà d'une certaine visibilité sur
les plans national et international. D’ailleurs, Mehdi Qotbi est
fier d’annoncer que
l’endroit en est à près
de 200.000 visiteurs
en moins de 3 semaines d’existence,
signe que le Marocain
aime la culture et que
les choses ont évolué.
«Il y a une chose étonnante aujourd’hui, que
l’on ne voit pas ailleurs.
Il y a des jeunes qui, dans leurs
listes de mariage, demandent
des tableaux. Les choses ont
«Nous allons
réfléchir ensemble
afin d’impliquer
les patrons dans les
acquisitions».
peu, laissez-nous souffler et
continuer à travailler», s’exclame
t-il .Il est vrai que le musée jouit
évolué. L’art commence à faire
partie du quotidien. C’est une
chose qui n’existait pas avant.
Aujourd’hui, des gens viennent
de tout le Maroc! Le Maroc a soif
de culture, il en redemande. Le
musée connaît un succès colossal». Un succès qui est au service de l’art marocain puisque
l’exposition inaugurale met en
avant l’histoire de l’art marocain.
Un choix mûrement réfléchi.
«L’idée était de faire en sorte que
les Marocains puissent s’approprier leur histoire. La plupart des
Marocains ne connaissent pas
leur histoire picturale, il était
donc normal que l’on se concentre sur celle-ci lors de la première
exposition de leur premier
musée d’art contemporain. Nous
avons voulu que le Marocain
s’approprie cet art, tout jeune»,
explique Mehdi Qotbi. «On m’a
souvent dit que les artistes marocains rappellent les Occidentaux
et ils sont comparés à ces
mêmes Occidentaux et à leurs
courants. On oublie de mentionner que ceux-ci ont été influencés et se sont inspirés de nos
couleurs, sont venus se nourrir
de nos paysages et de nos traditions. Je pense à Delacroix , Matisse, les Orientalistes... Il est normal que nous nous appropriions
aussi notre histoire». Confiant, le
président de la Fondation nationale des musées affirme qu'il
est aujourd'hui possible de vivre
de son art. D’ailleurs, tout un
chantier pour une promotion
cadrée de l’art est en train de
voir le jour: «Un contrat entre la
fondation et la CGEM est dans le
pipe. Nous allons réfléchir ensemble afin d’impliquer les patrons dans les acquisitions. L’État
ne peut plus tout faire seul, il faut
impliquer le privé». Un travail de
fond qui impliquera également
une législation de sorte à faciliter les échanges, ainsi que le
bon développement d’un mar●
ché de l’art.
Principaux apports de la convention entre la Fondation nationale des musées et la CGEM
La convention avec la CGEM et la Fédération nationale du tourisme servira en premier lieu à faire connaître les musées auprès des touristes en
les intégrant dans les circuits touristiques. Elle permettra également de sensibiliser les acteurs du tourisme à l’importance de la culture en général
et des musées en particulier, pour enrichir l’offre touristique marocaine. Aujourd'hui, le Maroc a compris l'importance de mettre en valeur le tourisme culturel (preuve en est avec le projet «Rabat, ville lumière, capitale de la culture»), et la fondation s'inscrit donc dans cette dynamique en
signant cette convention avec la CGEM et la Fédération nationale du tourisme.
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ART CONTEMPORAIN
ILS ONT LA COTE...
● La cote des artistes marocains est mouvante et est amenée à changer durant
les années qui viennent. Zoom sur les pionniers qui ont monté la cote, et ceux qui
ont l’intention de prendre leur place.
C
eci n’est pas un classement ou le top 10 des
meilleures ventes. Il
s’agit d’un panorama
des artistes qui ont marqué l’art
marocain, qui continuent à le
nourrir et à le faire exister. De
l’Orientalisme, avec notamment
Hassan El Glaoui ou Mehdi Qotbi,
à l’Art naïf avec Chaïbia, Fatema
Hassan et Fatna Gbouri, en par
l’Art abstrait avec Jilali Gharbaoui,
Abdelkébir Rabì, Ahmed Cherkaoui ou Farid Belkahia, le Maroc
brille. On ne peut malheureusement pas tous les mentionner,
mais citons ceux dont les ventes
ont été remarquées, dont les œuvres ont changé le regard que
portent sur nous les institutions,
le monde. C’est encore tout jeune
au Maroc et les fluctuations du
marché vont faire pencher la balance d'un côté ou de l'autre.
Selon Hicham Daoudi, il est important de se poser une question
: «Qu’est-ce qui est le plus rare et
le plus recherché dans l’art marocain? La solution des valeurs est
là-dedans». Ainsi, l’effet de rareté
des œuvres de Cherkaoui induisent des prix très élevés. En revanche, un Gharbaoui n’est pas si
rare, et pourtant, ses prix restent
hauts quand même. Dans ce caslà, quand Gharbaoui deviendra
rare, Gharbaoui dépassera auto-
Les fluctuations
du marché vont
faire pencher la
balance d'un côté
ou de l'autre.
matiquement Cherkaoui. Telle
est la loi de la cote. «Comme aujourd’hui, les musées s'intéressent
à l'École de Casablanca, Melihi,
Chabaâ et Belkahiya vont remonter également», précise Hicham
Daoudi. En effet, on observe que
cette école est en train de monter, avec un résultat pour Melhihi
à 450.000 DH concernant une
toile de 1m x 1m, et avec un résultat de 350.000 DH pour Chabaâ.
Avec le décès de Belkahia, les
œuvres de l’École de Casablanca ont commencé à être
très demandées. L’École de Casablanca est caractérisée par un
art qui fait évoluer l’identité en
prenant en compte le
débat identitaire. Ses
artistes se sont posé
une question : «Comment créer un art moderne sans oublier les
origines?» Alors que
Melihi et Chabaâ ont
une influence américaine, Farid Belkahia revient à la gestuelle ancestrale. «Depuis 2 ans, on voit
bien que des artistes solides qui
présentent un travail nouveau,
par série, ont des cotes qui se
tiennent plus ou moins. Ceux qui
ont essayé de s’engouffrer dans
une bulle spéculative, à l'ombre
de celle des marchés de capitaux, sont amenés à disparaître»,
prédit Hassan Sefroui, galeriste.
CHAÏBIA TALAL (1929-2004)
Une des œuvres de celle que
rien ne prédestinait à la peinture, poussée à cet art par un
rêve, est estimée à 1.5 MDH aujourd’hui. Née en 1929 dans le
village de Chatou (près d'El Jadida), Chaïbia grandit à la campagne. Elle est le précurseur de
l’Art naïf au Maroc. Un film de sa
vie est prévu pour 2015, réalisé
par Youssef Brtiel.
Record : 1,5 MDH
AHMED CHERKAOUI
(1934-1967)
Il remporte le record des ventes et
réalise 3 résultats à 3.5 MDH, pour
3 œuvres à 3 mois d’intervalle seulement. Il est considéré comme
l'un des précurseurs de la peinture
moderne au Maroc.
Record : 3,5 MDH
JILALI GHARBAOUI
(1930-1971)
Peintre maudit, il est considéré
comme «le premier peintre marocain à avoir choisi le non-figuratif comme mode d'expression
picturale».
Record : 2 MDH
MOHAMED KACIMI
(1942-2003)
Peintre de «l'infigurable», son
œuvre fait voler en éclats les li-
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ART CONTEMPORAIN
mites entre abstraction et figuration.
Record : 600.000 DH
HASSAN EL GLAOUI (1923-...)
Orientaliste, Hassan El Glaoui a
représenté des chevaux, des cavaliers et des fantasias qui deviendront célèbres dans le
monde entier. Il s’est également
essayé au portrait et à la nature
morte.
Record : 450.000 DH
AMINE DEMNATI (1942-1971)
À ses débuts, il pratiquait une
peinture figurative, représentant
des mendiants accroupis, des cireurs ou des natures mortes et
des paysages de villes aux murs
fermés, cernés de traits noirs. Sa
démarche évoluera vers une représentation plus suggérée.
Record : 560.000 DH
MILOUD LABIED (1939-2008)
Tout en travaillant, exerçant les
métiers les plus divers, Labied a
suivi de 1958 à 1962 un apprentissage libre du dessin et de la
peinture dans l’atelier du ministère de la Jeunesse et des
sports, dirigé à Rabat par Jacqueline Brodskis. Il a aussi passé
un an à l’École des Beaux-Arts de
Paris en 1974.
Record : 650.000 DH
MOULAY AHMED DRISSI
(1924-1973)
Autodidacte, Moulay Ahmed Drissi
créait des formes, des paysages,
des personnages selon une logique et une vision du monde tout
à fait personnelle. «Les Cavaliers» se
Vend à 450.000 DH
MOHAMED CHABAÂ
(1935-2013)
Né à Tanger, Mohamed Chabâa
étudie à l'Institut national des
Beaux-arts de Tétouan et obtient
son diplôme en 1955. Il se rend à
Rome où il fréquente l'académie
des Beaux-arts jusqu'en 1964. À
la fois lyrique et géométrique, la
peinture de Chabaâ est dominée par l’abstraction tout en
comportant des éléments du
monde extérieur.
Record : 350 000 DH
MOHAMED MELIHI (1936- ...)
Il a fait partie des premiers artistes
marocains ayant travaillé sur leur
identité, en lien avec les problématiques de l’art contemporain international. Entre l'Afrique et l'Europe,
il ne cesse d’interroger les origines
à travers les symboles qu’il a créés
à partir des archétypes culturels,
tout en les dynamisant, les renouvelant par la couleur et l’organisation de l’espace.
Record : 450.000 DH
MOHAMED HAMIDI (1941 - ...)
Il obtient en 1964 le diplôme d’enseignement de l’Art monumental
de l’École nationale supérieure
des Beaux-Arts de Paris. Il devient, dans cette même institution, l’assistant du peintre Jean
Aujame, dans son atelier de
Fresque.
-------ANDRÉ ELBAZ (1934 - ...)
À El Jadida, André Elbaz se
consacre pendant 12 ans à l'«art
thérapie». La carrière artistique
d’André Elbaz débute en 1957
quand il s’installe à Paris. Artiste à
la palette riche et diversifiée,
André Elbaz voyage tant à travers
les genres qu’à travers les continents. On le retrouve, selon les
époques, au Maroc, en France ou
au Canada.
Record : 100.000 - 130.000 DH
MAHI BINEBINE (1959-...)
Chouchou de l’art marocain qui a la
cote à l’étranger, ses œuvres se
vendent à des centaines de milliers
de dirhams, et il tient une exposition «Carte blanche» en marge du
Forum mondial des droits de
l'Homme à Marrakech en ce moment. Une œuvre de 2013 a atteint
800.000 DH, et sa sculpture en
bronze de 2,61m a atteint 1,51 MDH.
Record : 1,51 MDH
MEHDI QOTBI (1951-...)
Président de la Fondation nationale des musées, ce rêveur militant est un peintre dont les œuvres sont marquées par la
calligraphie et la peinture orientales, un foisonnement de
«signes».
Record 440.000 DH
FOUAD BELLAMINE
(1950-...)
Né en 1950 à Fès, c'est un artiste
peintre marocain, d’abord professeur d’arts plastiques à Rabat
(dès 1973), qui s’établit en 1984 à
Paris, grâce à une bourse d’État,
et soutient une thèse en arts
plastiques sur le concept de
muralité dans la peinture
contemporaine.
Record : 450.000 DH
MOUNIR FATMI (1970-...)
Il construit des espaces et des
jeux de langage qui libèrent la
parole de ceux qui les regardent.
Ses vidéos, installations, dessins,
peintures ou sculptures révèlent
nos ambiguïtés, nos doutes, nos
peurs, nos désirs. Ils permettent
de porter un regard nouveau sur
notre monde. Son œuvre, intitulée «Ceux qui savent et ceux qui
ne savent pas», a atteint
600.000 DH.
Record : 600.000 DH
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ART CONTEMPORAIN
HICHAM
DAOUDI
Fondateur de la Compagnie marocaine
des œuvres et objets d'art
«Aujourd’hui, tous les
artistes ont une cote
sur le marché»
● Réussir à vivre de son art ou non, telle est la question.
Hicham Daoudi, fondateur de la Compagnie marocaine
des œuvres et objets d'Art (CMOOA), première maison
de vente aux enchères au Maroc, accepte de nous parler du centenaire de la création marocaine, de la cote
des artistes et de la jeunesse émergente.
Les ÉCO : Quel regard portez
vous sur les 100 ans de création marocaine? Pourquoi suscite-t-elle autant d’intérêt
maintenant ?
Hicham Daoudi : Ce qui est en
train d’être exposé en ce moment,
dans les différentes manifestations autour de l’art contemporain,
nous l’avons déjà exposé en 20062007, quand personne n’y croyait
encore vraiment. Nous avons été
les pionniers dans le domaine. Je
ne dis pas cela pour flatter notre
entreprise, mais nous avons eu le
courage de montrer des choses
que les Marocains n’étaient pas
encore prêts à voir. En 2006,
l’orientalisme prenait tellement
d'ampleur que nous nous
sommes posé la question de savoir si cela n’allait pas étouffer ou
tuer le travail des artistes marocains. Nous avonsa décidé de procéder à une vente que nous avons
baptisée «100 ans de création au
Maroc». Cette vente a eu un impact énorme. Cela a permis de
mettre l’accent sur les grands
noms de la peinture marocaine.
Les acheteurs d’art marocains
tournaient le dos aux artistes marocains. Nous nous étions dit que
nous étions dans le mauvais sens
de l’histoire. C’était le scénario en
2006. Il fallait donc convaincre les
institutions d’acheter de la peinture marocaine. C’est ce que nous
avons fait, notamment avec Bank
Al-Maghrib en 2006, qui a été un
acteur majeur dans la valorisation
des artistes marocains.
Qu’est-ce qui caractérise
ce centenaire de création
marocaine ? Quels courants
prédominent?
À l’époque, lorsque nous avons
procédé à la vente, les artistes
avaient un succès «d’aura»; ils
avaient une petite reconnaissance
mais, matériellement, c’était encore difficile pour eux. Nous avons
alors fait, selon nos connaissances, des listes d’artistes selon
les courants existants. Le Maroc a
une formidable école de peinture,
parfois «à 180 degrés» dans le sens
où les artistes n’ont rien à avoir les
uns avec les autres. Il y a le courant
naïf, l’art abstrait, l’art identitaire,
l’école figurative et la peinture surréaliste, qui fait référence au domaine du rêve et de l’imaginaire.
Pour chacune des catégories,
nous avions dressé la liste des artistes que nous jugions compétents. Nous ne nous sommes pas
trompés puisqu’aujourd’hui, ce
sont les plus (re)connus. Nous
avions déjà mis sur pied une exposition sur la photographie, ainsi
qu'une expérience «Couleur
Maroc» avec l’art naïf. Nous avons
toujours voulu montrer la diversité
de l’art marocain.
Aujourd'hui, le privé s'est
approprié cette diversité.
Comment expliquez-vous
cet engouement pour l’art
contemporain ?
L’engouement autour de l’art
contemporain au Maroc, comme
dans le monde arabe, s’explique
par la redécouverte, par les élites,
de leur histoire. À un moment, les
gens ont fait en sorte de faire partie de l'élite économique; par réflexe identitaire et par meilleure
appropriation de leur histoire,
ceux-ci comprennent aujourd'hui
les enjeux de «posséder» l'art de
leur pays. Ils deviennent donc des
acteurs. Il y aussi des institutions
muséales qui reconnaissent le talent des artistes. Le fait de voir le
Qatar ou le Liban s’intéresser à l’art
marocain a donné plus confiance
aux Marocains. Il est important de
souligner qu’à un moment, l’élite
comprend et s’approprie l’art de
son pays, et que l’étranger apporte
une légitimité et confirme l’importance des artistes.
●●●
«Le Maroc a une
formidable
école de peinture, parfois «à
180 degrés»
dans le sens où
les artistes n’ont
rien à voir les
uns avec les autres»
Est-ce que cette légitimité artistique permet à l’artiste de
vivre, d’avoir une cote ?
Aujourd’hui, tous les artistes ont
une cote sur le marché. Si je prend
l’exemple de Gharbaoui, il a pratiquement 300 résultats de côte
sur le marché des enchères; Cherkaoui, une centaine, Kacimi, deux
cent. Il y a eu des volumes de
vente qui ont été enregistrés, et
les résultats obtenus permettent
de situer les valeurs des tableaux
dans chaque fourchette. On se réfère environ à 10 résultats pour
commencer l'évalutation d'une
cote, tout en prenant en considération la technique et la période. À
titre d'exemple, on va comparer
les résultats d’un Gharbaoui de
1967 avec les résultats d'un Gharbaoui de 1965, mais on ne va pas
comparer un résultat de Gharbaoui de 1958 avec un Gharbaoui
de 1971. Ce sont donc les résultats
qui sont plus ou moins équivalents qui nous servent, de sorte à
mieux estimer les œuvres qui s’offrent à nous.
À combien estimez-vous la
cote de Jilali Gharbaoui par
exemple ?
Gharbaoui, dans ses bonnes années, est régulièrement autour du
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ART CONTEMPORAIN
million de dirhams. Les très
bonnes œuvres de Gharbaoui dépassent souvent cette valeur. Je
prends souvent l’exemple du million de dirhams parce qu’il est très
parlant aux gens. Quand un artiste marocain peut se targuer
d’obtenir ce résultat, il grave son
nom dans le marbre de l’histoire.
Est-ce que la cote d’un artiste
marocain monte après son
décès?
Ce n’est pas la mort en elle-même
qui induit l'augmentation de la
cote. C’est la gestion des stocks
d’un artiste et la manière avec laquelle ils sont mis en vente qui va
influer sur sa côte. Si, après la
mort, tout le monde se met à vendre les tableaux, cela peut casser
la valeur d’un artiste s’il n’y a pas
assez d’acheteurs pour écouler
ces ventes. En revanche, si la rareté est cultivée et la valeur de l’artiste démontrée par le biais d'expositions, d'articles ou de
publications, il va y avoir plus
d’acheteurs qui voudront en faire
l’acquisition, et cela va entraîner la
hausse des prix. L'on a toujours
une offre qui fait face à une demande, mais il faut savoir créer la
demande, et il faut donner envie
d’acheter. Il faut situer de façon
claire et intelligente la place de
l’artiste en question dans l’histoire
de l’art.
Est-ce le cas de Farid Belkahia,
qui nous a quittés récemment?
Pour Farid Belkahia, les résultats
de vente aux enchères, en ce moment, le placent dans un catégorie démarrant à 50.000 euros et
pouvant aller jusqu'à 66.000
euros. Pour ce qui est des œuvres
de grande taille, elles atteignent
aussi le million de dirhams. La
taille joue beaucoup dans les œuvres de Belkahia.
La CMOOA n'a-t-elle qu’une
vocation marchande?
Non. La maison de vente aux enchères n’est pas uniquement
marchande. Nous avons toujours
cherché à promouvoir l’art dans
nos ventes. La clientèle qui vient
chez nous est une clientèle qui
approuve notre travail. C’est
opaque, un peu anarchique. Les
maisons de ventes aux enchères
fonctionnent quand il y a une idée
et un concept derrière. Quand il
n’auraient pas été exposés s’ils
n’étaient pas passés par les enchères. Les vendeurs privilégient,
pour des raisons de qualité, la
transparence. Ils vont nous faire
confiance parce que nous en parlons bien, avec une certaine ingénierie dans la présentation, au service des œuvres.
Y a-t-il une demande, une
clientèle des ventes aux enchères ?
Le fait d’obtenir de bons résultats
nous permet d'attirer beaucoup
de monde. Il y a une petite part de
surnaturel dans chaque chose,
on a l’impression que des œuvres
viennent vers nous. On tombe sur
des histoires incroyables, on tombe sur des
œuvres incroyables
que l’on n'imaginait exister que dans les livres.
Un ancien retraité à
Marrakech souhaitait
vendre des tableaux. Il
m'a contacté, je suis
passé le voir. Il m'a dit
qu’on lui avait proposé 600.000
DH pour le lot et que si je lui donnais 100.000 DH de plus, ils
étaient à moi. Je lui ai conseillé de
passer par les enchères puisque
ces tableaux valaient beaucoup
plus cher. Il m’a fait confiance,
avec beaucoup de difficulté. Au
final, il a empoché 3.800.000 DH.
À aucun moment nous n'avons
profité de cette facilité. Nous
avons toujours accompagné les
gens pour qu’ils fassent les meilleures affaires possibles, et qu’ils
ne passent pas par des connaissances qui les arnaquent. Il y a
beaucoup de certifications très
douteuses qui sont mises en cir-
«Un Gharbaoui
atteint aujourd'hui
le million de
dirhams».
s’agit uniquement de fond de
commerce, sans expliquer la sacralité des objets artistiques, cela
ne sert à rien. Mon principal objectif a toujours été de faire rentrer l’art marocain dans des musées. On contribue aujourd’hui -et
j’en suis satisfait- à faire rentrer des
tableaux marocains dans plusieurs musées du monde. Le
meilleur de l’art marocain, indiscutable en termes de rareté et de
qualité, est notre priorité. Au
musée de Rabat, plusieurs des tableaux accrochés font partie des
œuvres de nos collectionneurs.
N’ont été exposés au musée que
des tableaux exceptionnels qui
culation venant de supposés experts. La CMOOA a bâti un rempart contre cela. Quand nous
vendons des œuvres, nous remontons aux origines, nous racontons leur histoire, nous trouvons des photos d’archives. Nous
avons une base de données d’archives et de documents qui retracent l'histoire de plusieurs œuvres d’art au Maroc. Il est plus aisé,
pour un client, de venir acquérir
une œuvre chez nous.
●●●
«La clientèle qui
vient chez nous
est une clientèle qui approuve notre
travail. C’est
opaque, un peu
anarchique».
Qu’en est-il de cette nouvelle
génération ? Peut-elle vivre de
son art ?
Ce qui me plairait dans le futur,
c’est que l’art marocain continue
de prendre de la valeur avec cette
génération émergente qui constitue un âge d’or au Maroc. Cette
génération est prodigieuse, une
des plus prodigieuses depuis
celle des années 1960 au Maroc.
Cette génération doit avoir de la
visibilité en Amérique du Nord, en
Europe et ne pas uniquement
passer par des canaux institutionnels comme l’IMA. Elle doit être visible dans les foires, les ventes
aux enchères à l’étranger, la «partie marchande» en sachant qu'il y
a réellement 7 vraies galeries
dans tout le royaume, les autres
étant des vitrines de l'art. Un artiste doit gagner sa vie et, aujourd’hui, plusieurs jeunes qui font
des choses étonnantes, peut-être
trop originales pour les clients nationaux, ne trouvent pas leur
clientèle marocaine. Ma contribution ou mon rôle sera de permettre à ces gens de se vendre et
d’accéder à des circuits leur permettant une belle visibilité, celle
●
qu’ils méritent du reste.
RETROUVEZ L’ACTUALITÉ ÉCONOMIQUE SUR :
www.leseco.ma
L’inspiration au quotidien
LES ÉCO SUPPLÉMENTS - VENDREDI 7 NOVEMBRE 2014
42
ART CONTEMPORAIN
Attijariwafa bank célèbre l'Afrique
● La Fondation Attijariwafa bank renouvelle pour la deuxième fois, depuis 2012, son partenariat
avec la Biennale internationale de Casablanca et la co-organisation d’une nouvelle exposition
panafricaine à l’espace d’art «Actua» ouvert toute la journée jusqu’en décembre.
L
a Fondation Attijariwafa
bank a choisi de mettre
à l’honneur quinze artistes spécialement venues de pays africains et de la
diaspora. Ce sont des femmes,
auxquelles la fondation a dédié
une exposition d’envergure. Un
«vœu cher à la Fondation Attijariwafa bank», soulignent les responsables de la fondation. La
Biennale de Casablanca, placée
cette année sous le séduisant
thème : «Un autre monde est
possible, mais il est dans celuici», a été le moment idéal pour
les mettre en lumière. Visible
jusqu’au 31 décembre, l’exposition met en avant des artistes issues de trois générations suc-
cessives, qui se sont rencontrées en cours d’année à la Résidence d’artistes Ifitry dans la région d’Essaouira, «pour créer,
échanger et se rapprocher». La
Fondation Attijariwafa bank déploie une politique culturelle et
artistique pluridisciplinaire qui
œuvre au développement de
l’accès à l’art pour les plus
jeunes et apporte son soutien
aux arts visuels, à la musique,
au cinéma, à l’art vidéo et au
théâtre.
Patrimoine
Elle encourage les porteurs de
projets culturels dont les efforts
portent particulièrement sur le
renforcement de l’attractivité
culturelle de leur région et sur le
rayonnement international du
Maroc. Par son partenariat renouvelé à la Biennale de Casablanca, la Fondation Attijariwafa
bank, déjà forte de son appui
aux «Journées du patrimoine»,
renforce ainsi son positionnement de partenaire culturel de
la métropole et son rôle d’opérateur et d’accompagnateur de
l’économie créative africaine.
Par ailleurs, la fondation propose
en novembre et décembre des
journées ouvertes au public
avec la possibilité de bénéficier
de visites commentées pour
des groupes scolaires ou pour
les adultes, sur rendez-vous
●
préalable.
ARTISTES INVITÉES
• MALIKA AGUEZNAY, MAROC
• DALILA ALAOUI, MAROC
• PEJU ALATISE, LAGOS
• HÉLÈNE AMOUZOU, TOGO
• LIÉN BOTHA,
AFRIQUE DU SUD
• PÉLAGIE GBAGUIDI, BÉNIN
• PATRIZIA MAÏMOUNA
GUERRESI, SÉNÉGAL
• AYANA JACKSON,
ÉTATS-UNIS/GHANA
• MOUNA KARRAY, TUNISIE
• AHLAM LEMSEFFER, MAROC
• MICHÈLE MAGEMA,
RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE
DU CONGO
• NAJIA MEHADJI,
FRANCE/MAROC
• INGRID MWANGI,
ALLEMAGNE/KENYA
• AMY SOW, MAURITANIE
• KHADIJA TNANA, MAROC
Farid Belkahia sous l’œil de l'expert
● Le 25 septembre dernier, il a quitté ce monde mais n’a jamais quitté le monde de l’Art. Un des plus grand nom de l’art
contemporain au Maroc, il a inspiré et continue d’inspirer de par ses œuvres qui vivent toujours. Moulim El Aroussi, critique
d’art de talent est là pour en témoigner et raconte Farid Belkahia à travers ses chefs-d’œuvres.
«J’
ai connu Farid Belkahia
alors que je n’étais encore
que bachelier. C’était en
1976, et ma rencontre avec lui s’était
faite par l’intermédiaire d’une amie
martiniquaise». Moulim El Aroussi
garde un souvenir nostalgique de
ce grand maître qu’est Belkahia.
«Depuis son installation à Marrakech je ne le voyais plus régulièrement mais je suivais son travail»,
commente Moulim El Aroussi. Docteur d’État es philosophie de l’art de
l’Université de Paris I- Panthéon Sorbonne, Moulim El Aroussi a également dirigé l’École des Beaux-Arts
de Casablanca de 1989 à 1996. Il a
enseigné à l’École d’art d’Aix-enProvence à la même époque et il
est Commissaire d’un grand nombre d’expositions. «Son œuvre se
caractérise par son aspect révolutionnaire», souligne El Aroussi. Pour
cet expert, Farid Belkahia est l’un
des premiers artistes «dans le
monde à avoir rejeté la grammaire
plastique et esthétique de la peinture occidentale, établies depuis la
Renaissance européenne». Ce rejet
se reflète, selon Moulim, par le fait
d’avoir abandonné la toile en la
remplaçant par la peau, la peinture
par des coloris du terroir : le henné
le khôl et d’autres. «Même le cadre
traditionnel, carré ou rectangle a été
abandonné au profit d’un tableau
objet qui porte sa forme en tant
qu’élément plastique». Sur le plan
iconique, aussi, «ce sont des signes
et des symboles issus de la culture
marocaine amazighe et africaine
qui prennent la place des figures
humaines qui peuplaient traditionnellement les œuvres de la peinture
classique». Le peintre qui a imposé
un héritage et des traditions de sa
ville Marrakech qu’il n’a jamais ou-
bliée, a apporté une dimension à la
fois traditionnelle et moderne dans
l’art contemporain. Farid Belkahia,
devenu figure internationale dont la
côte vacille entre 50.000 et 66.000
euros en ce moment, fait partie de
cette belle école de Casablanca
qui va prendre de plus en plus de
valeur. «Toutes les œuvres de Belkahia sont importantes. Il a beaucoup
travaillé sur des séries: la transe, Jérusalem, Bachelard mais ce qui a
toujours marqué son travail c’est la
relation à l’érotisme», explique l’expert qui travaille actuellement avec
Jean-Hubert Martin sur l’exposition
«Le Maroc des nouvelles générations» à l’IMA. Spécialiste de l’art des
années 60 qui a fait l’objet d’un livre,
il est convaincu que Farid Belkahia
a apporté une grande autonomie
par rapport à l’art occidental et une
certaine affirmation de soi. «C’est
ce qu’on appelle la modernité»,
●
conclut-il.
LES ÉCO SUPPLÉMENTS - VENDREDI 7 NOVEMBRE 2014
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ART CONTEMPORAIN
Le Maroc est partout
● Une offensive artistique a été lancée sur la république en ce début d’automne. Le
Musée du Louvre célèbre l’histoire du Maroc à travers une exposition médiévale entre
l’Andalousie et l’Afrique, et l’Institut du Monde arabe expose un Maroc contemporain,
riche de ses artistes s'illustrant dans la peinture, la danse ou la musique. Zoom sur Paris
qui s’arrache l’art marocain…
L
e 14 octobre dernier, Paris
inaugurait son automne
marocain avec deux expositions majeures: «Maroc
médiéval, un empire de l’Afrique à
l’Espagne» pour le Musée du Louvre, et le «Maroc contemporain», à
l’Institut du monde arabe.
Le Maroc et sa
contemporanéité
Oui, oui vous l’avez bien vu aussi.
L’Institut du monde arabe a célébré
le Maroc contemporain avec une
tente bédouine géante à l’entrée.
«Fashion faux pas» ou amalgame
sur fond de préjugés? Nous allons
voir le verre à moitié plein et nous
contenter de croire qu’on a voulu
célébrer la richesse de notre patrimoine et de notre diversité culturelle, pour mieux célébrer la modernité et le Maroc contemporain. «Sur
2.500 m², le visiteur est invité à un
voyage magique et plein de surprises à travers l'incroyable effervescence de la scène artistique
marocaine contemporaine. Toutes
les disciplines sont réunies: arts
plastiques, design, vidéo, architecture, mode... Cette exposition est
l’une des plus importantes jamais
consacrées en France à la scène artistique contemporaine d'un autre
pays», promettent les équipes de
l’IMA. C’est ainsi que l’exposition
donne à voir l’art contemporain, de-
nombre d’environ 80, ils livrent un
panorama très large de la création
au Maroc. Une création marocaine
que les experts de l’IMA sont allés
chercher partout dans le royaume,
en fouillant, cherchant, allant à la
rencontre divers artistes, faisant le
tour de plusieurs galeries. «L’examen de la scène artistique marocaine a révélé un certain nombre de
sujets et de thématiques
qui préoccupent les
jeunes artistes. Ces questionnements, qu’ils soient
en relation avec l’actualité, le passé, ou les problèmes individuels de
chacun, ont retenu l’attention des commissaires. Il a été ainsi décidé
de procéder à des regroupements
en fonction des préoccupations
communes des artistes». Qu'il
s'agisse d'artistes comme Mohamed Zouzaf, Najia Mehadji, Saïd
Ouarzaz, Mahi Binebine ou encore
Noureddine Daifallah, ils ont carte
Paris a inauguré son
automne marocain
avec deux expositions majeures.
puis ses pionniers jusqu’aux plus
jeunes, qui proposent des techniques nouvelles et originales. Appartenant à des catégories variées
regroupant aussi bien ceux qui ont
accédé à la reconnaissance des
musées que des autodidactes, au
blanche à Paris, et représentent dignement le royaume.
Retour aux sources
Paris célèbre le Maroc contemporain, certes, mais aussi le Maroc
médiéval et l’authenticité de cette
période artistique. L’exposition
chronologique retrace l’histoire,
comme jamais elle a été présentée dans un ouvrage, et s'ouvre sur
le territoire du Maghreb al-Aqsa Maghreb occidental (actuel
Maroc)- au lendemain de sa
conquête par les troupes arabes,
suite à l’arrivée en 789 d’un descendant du prophète Mohammed, Idris Ier. Le déclin de la dynastie idrisside au milieu du Xe
siècle va permettre l’arrivée sur le
devant de la scène politique des
Almoravides au milieu du siècle
suivant, un empire qui s’appuie sur
une nouvelle capitale fondée en
1070, Marrakech. Le troisième période évoquée est celle des Almohades, dont l’idéologie s’appuie
alors sur une propagande complexe qui passe par une nouvelle
culture visuelle, où la calligraphie
occupe une place inédite et où
certains motifs, comme le lion,
sont symboliquement réinvestis.
L’exposition se clôture sur la période des Mérinides avec les cheminements symboliques et le re●
tour à Fès (1269-1465).
LES ÉCO SUPPLÉMENTS - VENDREDI 7 NOVEMBRE 2014
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ART CONTEMPORAIN
YANNICK
LINTZ
Commissaire générale de l’exposition
et directrice du département des arts de l’Islam au
Musée du Louvre de Paris.
«Il fallait que cette
exposition soit une leçon
d’histoire»
● Le Hall Napoléon du Musée du Louvre est orné d’œuvres qui constituent un bout d’histoire du Maroc. Un travail de longue haleine que
Yannick Lintz, commissaire générale de l'exposition et son équipe ont
mis au service du «Maroc médiéval : un empire de l’Espagne à
l’Afrique». Une exposition et surtout un cours d’histoire que le public
peut découvrir jusqu’au 19 janvier au Musée du Louvre de Paris.
Les ÉCO : Comment s’est effectué le choix de l’époque médiévale pour rendre hommage au
Maroc ?
Yannick Lintz : Nous avons été
motivés par deux raisons principales. Tout d’abord, le choix est lié
aux relations entre le Musée du
Louvre et le royaume du Maroc,
puisque le roi Mohammed VI a été
un des mécènes du nouveau département des arts de l’Islam dans
lequel il n’y avait encore aucune
œuvre marocaine, puis la volonté
d’un partenariat entre les deux
pays est née ainsi. Le royaume du
Maroc est en train de réorganiser
son réseau de musées et de le moderniser. Un accord a donc été
signé en 2012, en se disant que ce
serait intéressant d’entamer ce partenariat puisqu’une grande partie
du patrimoine marocain était protégé par le protectorat français et il
paraissait donc évident que la première exposition des nouveaux
départements devait porter sur
une thématique qui était absente :
le Maroc dans sa période la plus
glorieuse: l’époque médiévale. La
deuxième raison concerne le département en lui-même qui se doit
de par ses collections et à travers
ses expositions, de porter à la
connaissance du grand public
l’histoire du monde islamique.
Cette histoire est peu connue pour
l’Occident islamique. Je n’ai pas dit
qu’elle n'était pas connue en Orient
car elle l’est un peu quand même
et notamment au Maroc, qui a unifié pendant 5 siècles un territoire à
cheval entre l’Afrique occidentale
et le sud de l’Espagne. Il s’agit d’un
sujet inédit, qui n’a fait l’objet d’aucune exposition et auquel on n'a
consacré aucun livre. C’était du
coup une double opportunité.
Comment sélectionner des
oeuvres pour raconter toute
cette partie de l'histoire ?
La sélection des œuvres s’est faite
selon deux logiques : il fallait à la
fois sélectionner les œuvres au
Maroc qui illustraient ce projet mais
également, pour rester dans une
logique originale et fidèle au
thème, sélectionner celles venant
d’Espagne et de collections de bibliothèques et de musées du
monde entier. La partie marocaine
a mis en place un comité scientifique présidé par une commissaire
générale marocaine, Bahija Simou,
directrice des archives royales du
Maroc, qui a travaillé avec des archivistes, des bibliothécaires, des
historiens, pour recenser des dépôts archéologiques, des musées,
des bibliothèques, ce qui pourrait
être le plus significatif pour illustrer
cette exposition du patrimoine
marocain. Du côté du Louvre, nous
avons fait la même chose avec la
partie espagnole. Dans mon
équipe, l’une des commissaires
scientifiques qui m’a beaucoup assisté, Claire Delery, a beaucoup travaillé en Espagne, a mené des
fouilles archéologiques et a étudié
du matériel de cette période-là en
Espagne. Par ailleurs, nous avons
également fait un travail de recensement dans d’autres musées et
tout cela nous a menés à plus de
300 œuvres qu’on a gardées,
parmi lesquelles figurent 120 œuvres du Maroc, une centaine d’Espagne et une bonne centaine qui
viennent de collections européennes, tunisiennes, israéliennes,
ainsi que, ce qui est pour nous très
important, des collections africaines. Nous avons une magnifique stèle, un trésor national du
musée de Bamako au Mali et un
trésor monétaire illustrant la présence des Marocains Almoravides
en Mauritanie au 12e siècle qui vient
du musée de Nouakchott. Voilà
comment s’est faite la sélection, à
partir d’une liste d’œuvres, mais
pas seulement puisque le tout était
d’établir un parcours pédagogique
pour expliquer l’histoire des trois
grandes dynasties.
●●●
«L’élite intellectuelle religieuse
marocaine
considère cette
exposition
comme une reconnaissance
dans le plus
grand musée
du monde».
Parlez-nous justement de ce
parcours pédagogique. Comment s’est faite la scénographie
de l’exposition ?
En termes de scénographie, nous
avons réalisé un parcours chronologique. Je tenais à ce que cette exposition soit une leçon d’histoire,
que l’on explique l’histoire de ces
dynasties, de leurs manières de développer les arts, les lettres, la politique, l’économie et que l’on puisse
expliquer l’ensemble des influences culturelles de ces dynasties. Le déroulé se fait de cette manière là avec les influences
régionales d’Afrique entre l’art italien
du Moyen Âge et l’art arabo-musulman d’Andalousie. Notre but est de
montrer un axe récurrent dans ce
parcours, lequel se révèle à travers
des villes qui deviendront les
grandes capitales de ces empires,
c’est donc une promenade à travers de grandes cités comme Fès,
Marrakech, Rabat, Séville, Cordoue,
le port méditerranéen d’Alméria.
Nous tenions à montrer cette chronologie, certes, mais également
comment ces villes ont évolué et
LES ÉCO SUPPLÉMENTS - VENDREDI 7 NOVEMBRE 2014
45
ART CONTEMPORAIN
ont embelli, c’est pour cela qu’il y a
une grande place réservée à l’architecture. Nous sommes transportés
réellement au Maroc. Par ailleurs,
s’est posée également la question
de savoir comment exposer un
objet culte comme le grand lustre
de la Quarawine. La question est
profonde. Je l’ai complètement
sorti du parcours pour le positionner en fin d’exposition, sous la rotonde pour accueillir le visiteur
dans sa fonction de lustre, qui
éclaire, nous l'avons donc mis en
scène pour le valoriser, évidemment. Quant aux minbars, qui mesurent 4 m de haut, nous les avons
installés sur des podiums afin d'en
faire de vrais trônes.
Comment s’est déroulé
le travail de restauration ?
Quelles ont été les principales
difficultés ?
Il y a eu des difficultés techniques
et d’organisation, certes, comme
pour tout travail de recensement,
mais ce qui a été vraiment positif
c'est que ce projet d’exposition a
permis, une fois la liste des œuvres
réalisée, d’imaginer un travail de
restauration au Maroc. Beaucoup
de ces œuvres n’étaient pas préparées à être montrées. Il a fallu soit
les nettoyer et les dépoussiérer,
soit parfois les consolider et les réparer. Ceci a été un chantier important dans l’échange entre la France
et le Maroc puisque nous avons
envoyé des experts pendant 3
mois dans 3 villes différentes (Fès,
Marrakech et Rabat) qui ont restauré ces grands minbars en bois,
dépoussiéré les grands lustres de
la mosquée de la Quarawiyine, les
grandes portes en bois et en
bronze, qui ont restauré les céramiques, alors qu'il y a eu un
énorme travail complètement marocain autour des manuscrits, lesquels ont été restaurés dans le laboratoire de la Bibliothèque
nationale de Rabat. C'est une très
belle opération qui nous a permis
mais c’est ce qui est aussi passionnant et intéressant lorsque l’on dirige ce département, c’est que
nous avons à la fois le devoir de
montrer ces leçons d’histoire et
mieux faire connaître cette civilisation, qui n’est pas destructive mais
constructive. Il faut collaborer avec
les pays concernés pour obtenir les
grands témoignages historiques
de cette histoire. Il se trouve qu’au
Maroc et je ne dis pas qu’on aurait
pu faire cela dans tous les pays actuellement, cela illustre la réalité politique et culturelle du pays, qui
prône un Islam de tolérance et de lumière, de
réflexion intellectuelle sur
son histoire.À cause de
cette forte volonté et de
cette identité politique et
culturelle du Maroc d’aujourd’hui, on a pu discuter avec le ministre des
Habous, avec l’imam de
la mosquée Quarawiyine, que je n’ai eu aucun mal à
convaincre. Ils en développaient un
sentiment de fierté, bien au
contraire. L’élite intellectuelle religieuse marocaine considère cette
exposition comme une reconnaissance dans le plus grand musée du
monde. Il a fallu être délicat, organiser plusieurs réunions pour intégrer
les lieux saints, écouter les gens,
leur expliquer la démarche et nous
avons également veillé à déplacer
les œuvres de la mosquée entre la
«Le second acte
de l’exposition
se jouera au Musée
de Rabat
le 2 mars».
de former ou sensibiliser le personnel marocain des musées à la
conservation et à la restauration.
Compliquée à monter, c'était une
très belle opération.
Vous inaugurez donc le
département des arts islamiques, exposez des œuvres
liées à l’Islam... n’est-ce pas
dangereux dans ce contexte
d’amalgames incessants ?
Vous pointez du doigt des réalités,
dernière prière du soir et la première du matin, de le faire sans affichage excessif et avec un maximum de respect, y compris dans
leur exposition ici au Louvre.
●●●
«Il faut
collaborer avec
les pays concernés pour obtenir les grands
témoignages
historiques».
Que va-t-il arriver à cette exposition après le 25 janvier ?
Où les œuvres iront-elles ?
Généralement, lorsque l’exposition s’achève et que le rideau se
referme, les œuvres sont restituées à leurs propriétaires, mais
pour celles-ci, c’est particulier
cette fois puisque le second acte
se jouera à Rabat à partir du 2
mars car une autre forme d'exposition sera présentée au Musée
Mohammed VI, ce sera une
grande première au Maroc que
de reprendre une exposition, qui a
été produite au Louvre. Ce sera
une autre forme d’exposition avec
une même thématique, 70%
d'œuvres identiques mais avec
30% d’adaptations propres au
Maroc, à la fois pour des questions de conservation puisque
des manuscrits exposés pendant
3 mois ne peuvent pas être exposés plus longtemps. Nous travaillons d’ailleurs sur une liste
d’œuvres qui pourraient remplacer celles qui ne peuvent plus être
montrées. Je viens d’ailleurs de
terminer une réunion avec le scénographe de Rabat pour entamer
ce travail d’exposition dès ce mois
●
de novembre…
LES ÉCO SUPPLÉMENTS - VENDREDI 7 NOVEMBRE 2014
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ART CONTEMPORAIN
NAWAL
SLAOUI
Fondatrice de Culture Interface
«Le mécénat culturel
est la solution pour
une industrie de l'art»
● Nawal Slaoui est fervente défenseur de l’art au Maroc. Pour elle , une
galerie est marchande et se renferme dans le Maroc au lieu d’aspirer
à la visibilité internationale. Rencontre avec une passionnée de l’art marocain qui croit en la créativité de la jeunesse et en son pouvoir d’exportation.
Les ÉCO : Culture Interface se
veut productrice et diffuseur
d’art. En quoi cela consiste ?
Nawal Slaoui : Je souhaite
d’abord préciser que Culture Interface redevient semi-nomade.
Je vais être en partie du temps en
galerie d’art. Mon travail consiste
à produire des œuvres pour les
artistes, je finance la production
des œuvres. Cela peut passer par
la production d’une sculpture,
d’une installation ou d’une série
de photographies. Il peut s’agir de
la production d’une vidéo d’art
également. Dans ce sens, la production, c’est l’aide à la réalisation
d’une œuvre. La diffusion
consiste à faire connaître les œuvres et les artistes. Il s’agit de rendre ces œuvres visibles ici ou à
l’international. Ma priorité c’est l’international via des centres d’art,
des expositions, des foires. La diffusion consiste à communiquer
en présentant les œuvres à des
lieux qui font des acquisitions.
L’oeuvre doit être visible par un
maximum de gens. Et enfin,
concernant le soutien à la production, cela ne peut que permettre d'exporter des œuvres
d'art contemporaines sur le marché international et non seulement rendre visible l'art contemporain marocain (ce qui lui donne
de la valeur) mais aussi engendrer
une dynamique d'entrée de devises dans le pays....
Qu’est-ce qui ne fonctionne
pas au Maroc alors ?
Au Maroc, la majorité des galeries
sont marchandes. Pas toutes,
mais il y en a beaucoup. Il y a une
sorte d’enfermement de l’art au
Maroc qui n’est pas sainte pour le
développement d’un marché.
Une œuvre d’art doit avoir de la
concurrence internationale. Cette
concurrence qui n’existe pas ne
conforte pas le marché parce que
les gens ont pris l’habitude de voir
les mêmes artistes tourner. Les
prix qui s’affichent au Maroc que
ce soit en vente aux enchères ou
en galerie, sont des prix marocains. Ce qui représente un marché ne peut pas se calquer sur le
marché international. Jusqu’à présent les prix ont commencé à
semer un doute parmi les collectionneurs. Les prix peuvent atteindre n’importe quel niveau, sans
aucun repère. Si on invitait plus
d’artistes internationaux de calibre, cela permettrait de rééquilibrer les prix au Maroc et de créer
une dynamique. Encore une fois il
y a un problème, on ne voit pas
assez d’artistes internationaux car
les droits de douane sont trop éle-
vés. Cela n’encourage pas à importer. La seule alternative c’est la
résidence mais ce n’est pas une
solution. Cela empêche la diffusion à l’internationale. C’est timide.
Ne mise-t-on pas assez sur la
jeunesse créative ?
Ce sont les jeunes qu’il faut exporter puisqu’ils ont tout à faire et
peuvent évoluer. Mais très peu de
galeries exposent les jeunes et les
soutiennent. La raison en est que
comme elles sont marchandes
majoritairement, elles ne peuvent
pas prendre le risque d’investir
dans une œuvre qui ne coûte pas
assez cher pour couvrir leurs frais.
Cela fait que nous voyons les
mêmes artistes, alors que nous
avons une créativité gigantesque
dans notre pays. J’ai finalement
opté pour une formule itinérante
pour ne pas avoir de murs, de
frais de galerie qui coûtent cher.
Cela me permet de rencontrer
des gens, parler des artistes, parler du Maroc, montrer. Je
m’adapte au marché et aux
contraintes.
Les contraintes sont nombreuses mais qu’en est-il du
contexte légal ?
Il y a une inexistence de lois et le
●●●
«C’est positif
tout cela mais
il faut du
soutien».
Maroc n’a pas de mécénat culturel. On a du sponsoring mais pas
de mécénat. Il y aurait pour les
entreprises marocaines des avantages fiscaux. On pourrait produire, soutenir les jeunes, les accompagner,
exporter.
Le
ministère de la culture a proposé,
pour la première fois, des subventions aux artistes, aux galeristes.
C'est très peu. L’art coûte cher à
produire, à diffuser. 10 millions de
DH pour plusieurs artistes sur 1 an,
ce n’est rien. C’est à peu près
100.000 DH chacun. Cela ne suffit pas. L’État n’a pas les moyens,
le privé devrait intervenir. Le mécénat culturel est la solution au
problème de manque de développement du marché de l’art.
On peut dire tout de même
que le marché avance doucement mais sûrement…
Les choses évoluent. Le regard
que l'Europe sur l’art au Maroc est
très positif. Ils disent que la scène
la plus créative et qui bouge dans
le monde arabe est celle du
Maroc. Certains même parlent de
pourtour méditerranéen. C’est
positif tout cela mais il faut du
soutien. S’il faut la démocratiser, il
faut l’accompagner. Même la
Biennale de Marrakech a du mal à
●
trouver des financements.
LES ÉCO SUPPLÉMENTS - VENDREDI 7 NOVEMBRE 2014
47
ART CONTEMPORAIN
YOUSSEF
LAHRICHI
Acteur et photographe
Metteur en scène
de rêves
● La Chambre claire de la Fondation Alliances a été
séduite par sa vision poétique de la ville blanche. Il
s’appelle Youssef Lahrichi, et il est le lauréat de cette 3e
édition avec la série «Rêveries urbaines». Parcours d’un
metteur en scène de l’image, d’un acteur de ses
propres rêves.
P
ourquoi se contenter de
rêver lorsque l’on peut
vivre ces mêmes rêves?
C’est ce que Youssef
Lahrichi a sûrement dû se demander, en pensant à une Casablanca moins bruyante et moins
mouvementée. Pour ce faire, il
sort dans les rues de sa ville natale et va à la recherche de moments uniques à capturer, au
moment de la rupture du jeûne,
quand Casablanca est déserte et
vulnérable. Elle l’est tellement
qu’elle se laisse prendre au jeu de
la mise en scène et de la photographie. «J'étais à mi-chemin
entre le ras-le-bol et une forme
d'optimisme, une réelle envie de
voir Casablanca vide. Je me suis
posé la question de savoir quand
est-ce que cela pourrait être possible, et la rupture du jeûne m’a
paru être le moment idoine», explique Youssef Lahrichi, à la fois
photographe et acteur. Un sens
de la comédie très présent dans
son travail puisque le jeune artiste se met en scène lui-même,
tantôt pour jouer le touriste, tantôt le footballeur. Un projet qu’il a
entrepris il y a trois ans, qu’il n'a
pas mis en scène mais qu’il s’est
«contenté» d'immortaliser, tout
simplement. Il se rend compte
que, plus que des clichés, il sou-
haite raconter une histoire «ayant
pour décor Casablanca», avoue
cet autodidacte qui a toujours
été fasciné par la photo et les appareils photos. Il se promet d’apprendre la technique, et c’est
ainsi que son histoire d’amour
avec l’image est née. «J’ai toujours été fasciné par la photographie. C’est du réel, cela me parle
plus. C'est ce qui m'a donné envie
d'en faire», explique Youssef Lahrichi, qui est également acteur. «Il
y a des points de convergence
entre la photographie et le théâtre. Pour moi, dans les deux, on
peut émerveiller et émouvoir,
avec des choses du quotidien,
des émotions de tous les jours.
Mais une fois la photo encadrée
ou la mise en scène prête et la
pièce jouée, il y a une réelle pos-
●●●
L'artiste sort
dans les rues de
sa ville natale
et va à la
recherche de
moments
uniques à
capturer, au
moment de la
rupture du
jeûne.
sibilité d’émouvoir». Intimes et
décalées, pleines d’humour,
avec une touche de sarcasme
sur fond d’idéal, le jeune lauréat
de la Chambre claire justifie le
choix des «Rêveries urbaines»:
«J'ai trouvé le titre une fois le travail finalisé, et toutes les photos
réalisées. Quand j’ai pris les
temps de bien les regarder, cela
m’a donné l’impression d'être
dans un rêve, parce qu’on n’a
pas l’habitude de voir Casablanca ainsi. C’est là que j’ai eu
l’idée du rêve; comme ce travail
est axé sur la ville, j’ai pensé à
l’urbain, bien sûr». Son exposi-
tion est à découvrir dans les locaux de la Fondation Alliances à
Aïn Diab, à Casablanca. L’artiste
avoue que l’initiative de la fondation lui offre la possibilité d’exposer et de se professionnaliser.
«La Chambre claire m’apporte
beaucoup. On m’offre la possibilité d’exposer et d’avoir le soutien
financier pour le tirage photos, le
vernissage et la partie communication», poursuit l’artiste qui se
voit offrir un accompagnement
par un photographe professionnel pour décoller, et faire de ses
«Rêveries urbaines» une réalité
●
pérenne…
Meriem Berrada, chef de projet de la Chambre claire
La Chambre claire est un programme de mécénat initié il y a 1 an. Il est né avec l’artiste Merji avec une
envie de voir ses œuvres de façon concrète. Notre rôle est d’appuyer les artistes émergents qui n’ont pas
l’espace, les ressources ni les moyens pour concrétiser leurs projets. L’idée est de mettre en contact les
lauréats avec des professionnels du tirage. Nous avons mis en relation Youssef avec Khalid Nemmaoui,
une expérience très riche pour le lauréat qui a confronté son intention de départ au rendu potentiel, parce
que tant qu’on n'a pas vu le tirage, c’est un autre concept. Il y a eu un travail de conseil, qui est remarqué
par les personnes sensibles à la photographie. Nous lui apportons toute la partie communication également, la mise en relation avec la presse et nous gardons le lien avec l’artiste. Nous sommes heureux que
les lauréats réussissent. Le but, c’est de créer un réseau qui se challenge et qui se concerte.
LES ÉCO SUPPLÉMENTS - VENDREDI 7 NOVEMBRE 2014
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ART CONTEMPORAIN
LA VIE D UNE GALERIE
«Notre souci est de rompre
avec la monotonie»
ANNE LAURENCE SOWAN
GALERIE VENISE CADRE
Les ÉCO : Comment reprendre
les rennes d'une galerie qui a
presque 70 ans d'âge ?
Anne Laurence Sowan : La galerie Venise Cadre est une institution incontournable au Maroc. Il
faut savoir que durant des années,
Venise Cadre était quasiment
l’unique galerie à Casablanca et
tous les plus grands noms de l’histoire de l’art du Maroc y ont exposé. Nous avions donc l’habitude, avec ma famille, de nous
rendre aux vernissages des expositions, comme beaucoup de Casablancais, pour nous imprégner
de ces différentes mouvances artistiques qui font la richesse et la
fierté de notre pays. Le choix de
reprendre cette galerie n’a pas été
aisé. Le principal élément qui a
motivé ma décision était une simple vision : faire de Venise Cadre
une galerie résolument contemporaine qui mise sur la nouvelle
scène artistique, ancrée dans l’air
du temps et apte à se positionner
sur le marché de l’art international.
Cette évolution s’est faite progressivement. Nous sommes allés à la
rencontre de nouveaux talents;
car il était essentiel de représenter
des artistes qui correspondaient à
nos ambitions. Puis il a fallu aussi
convaincre notre public, qui était
habitué à une toute autre identité
de la galerie. Depuis à peu près
trois ans, nous avons pu atteindre
notre objectif.
Quelle est la particularité de la
galerie Venise Cadre par rapport aux autres galeries ?
Les galeries exposent l’art contemporain et constituent une vitrine pour les artistes.
Elles se contentent trop souvent d’exhiber l’art sans le produire ou le diffuser, d’autres jouent
le rôle de véritables galeries au vrai sens du terme. Zoom sur un monde difficile, où il faut
(sur) vivre de sa passion…
présenter nos artistes au sein de
notre galerie et de faire découvrir
leurs œuvres au public. Par la régularité du travail fourni pour chaque
artiste dans la durée, nous travaillons aussi sur leur cotation et
son évolution progressive afin d’installer une confiance entre la galerie,
le client et l’artiste. Pour cette raison,
il est primordial qu’un artiste fasse
des expositions à l’étranger car cela
contribue à valoriser sa cote qui devient reconnue à l’international.
Avec mon collaborateur Mehdi
Hadj Khalifa, nous nous sommes
imposés une certaine rigueur dans
la direction artistique et dans la programmation des expositions de la
galerie. Cette ligne de conduite est
primordiale pour pouvoir toujours
maintenir une longueur d’avance et
se différencier. Le montage de nos
expositions est un long processus
de création qui permet de développer la réflexion du créateur, et d’apporter tout notre savoir-faire et
notre expertise pour donner vie
aux différents projets et réalisations
de l’artiste. Notre maîtrise réside
également dans la diversité de la
nature des œuvres produites à l’occasion d’une exposition. Notre
souci est de rompre avec la monotonie qui caractérise malheureusement trop souvent le marché de
l’art marocain. Aujourd’hui, beaucoup de talents marocains maîtrisent non seulement les techniques dites classiques, telles que
le dessin ou la peinture, mais aussi
les nouvelles technologies qui leur
ouvrent de nouveaux horizons
dans le champ de la création.
Notre collaboration avec cette
nouvelle vague d’artistes est déterminante car ils sont véritablement
à l’écoute du marché de l’art international et ont intégré les codes
qui régissent ce métier.
Quel est votre travail au jour le
jour. Comment vit une galerie ?
Il y a tout d’abord la promotion de
nos artistes, au niveau national et
international. Nous passons par les
canaux traditionnels de la presse locale et régionale lorsqu’une exposition est prévue ou lorsque nous
avons une actualité particulière.
Mais l’enjeu pour nos artistes est de
leur offrir une visibilité internationale. Par ailleurs, nous sommes en
permanence à l’écoute de la création marocaine et étrangère. Cet
univers en perpétuelle évolution
exige un investissement personnel
et intellectuel sans relâche. Il est essentiel de sortir des sentiers battus
pour être créatif et pour cela, il faut
rester toujours ouvert et curieux.
Notre rôle consiste également à re-
Comment valoriser cette cote
justement ?
L’enjeu actuel pour la nouvelle
vague marocaine est d’intégrer les
codes qui régissent le marché international. Il est vraiment indispensable que les artistes nationaux
puissent être présentés par des galeristes et des musées étrangers et
vendus dans des salles de ventes
internationales. Nous pouvons
nous en rendre compte notamment grâce à l’exposition de l’Institut du monde arabe qui offre une
vitrine au monde entier sur notre
culture. On remarque une évolution dans la mentalité des acheteurs qui s’ouvrent au marché international car ils ont besoin d’être
rassurés sur leurs achats. Sachant
que les artistes marocains ont une
cote relativement élevée et qui
s’apparente à celle des artistes internationaux. Il est donc dans l’intérêt de notre métier d’élargir les horizons et de faciliter la circulation de
l’art sur notre territoire tant pour l’exportation de nos artistes que pour
●
l’accueil d’autres nationalités.
LES ÉCO SUPPLÉMENTS - VENDREDI 7 NOVEMBRE 2014
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ART CONTEMPORAIN
«Les œuvres d’art constituent le dernier
compartiment des dépenses des ménages»
HASSAN SEFRIOUI
GALERIE SHART
En plein centre de Casablanca se cache une galerie tenue par un visionnaire et passionné.
La galerie Shart de Hassan Sefrioui est une référence sur le marché comme celle qui milite
pour la diffusion et la production des artistes. Une vraie galerie en somme…
M
élomane de l’abstrait, amoureux de
l’art et mordu de tableaux qui ont une
vision, le galeriste Hassan Sefrioui milite avec Shart dans ce
marché de l’art qu’il considère
comme timide pour le moment.
Les turbulences et les aléas de la
vie d’artiste, ça ne lui fait pas peur
puisqu’il puise dans sa motivation pour faire vivre sa galerie. «Il
faut savoir qu’une galerie a un
fonctionnement un peu saisonnier. Une année de travail commence en octobre et finit en juin.
C’est une activité qui s’exerce
entre 9 et 10 mois par an. En été,
les gens préfèrent être dehors ou
à la plage plutôt que dans des endroits fermés avec des projecteurs. On mise donc sur l’automne et le printemps pour
dépasser la basse saison», explique le galeriste qui choisit ses
artistes en fonction de leur inspiration et de leur technique avec
des thèmes universels qui ne se
contentent pas d’être «marocomarocains». «L’idéal, c’est de trouver des artistes en phase avec ce
qu’ils ont à dire et comment ils le
disent», renchérit Hassan Sefrioui, qui fait la différence entre
les artistes peintres qui sont prêts
et qu’il suffit de diffuser et ceux
qu’il faut produire comme les
photographes et les installateurs.
Selon le galeriste, la scène est dynamique et attractive mais les artistes n’ont pas encore assez de
poids financier puisque «pour exporter un artiste, cela revient à le
faire participer à une foire internationale. Ce qui est très coûteux.
On ne peut pas se permettre de
partir avec des artistes émergents parce que leur fourchette
de prix ne permet pas de couvrir
les frais». Une problématique que
le Musée d’art contemporain de
Rabat devrait permettre de résoudre en partie : «Le musée,
dans tous les pays du monde, est
Le musée promet
cette année
une commission
d’acquisition,
à l’image de ce qui
se fait à l’étranger.
un régulateur de marché. Quand
un musée acquiert l’œuvre d’un
artiste et que sa place est méritée
dans l’exposition permanente du
musée, cela veut dire que l’artiste
est arrivé à un stade de création
et un stade de son parcours qui
font que le galeriste qui le représente peut se permettre de mettre en place
une politique de prix
plus adaptée et cohérente». En somme, si le
nouveau musée de
Rabat fait son travail,
les galeries vivront
mieux et seront soulagées par des artistes
qui vivent de leur art.
Tout le monde est gagnant. Le musée promet d’ailleurs cette année une commission d’acquisition, à l’image de
ce qui se fait à l’étranger avec un
comité composé par un représentant du ministère de la Culture, du ministère de l'Économie
et des finances, un représentant
du monde des critiques d’art
afin de statuer pour dire qu'un
artiste est apte à intégrer la collection permanente dudit
musée, mais est-ce suffisant ? «Il
faut comprendre que l’on est
dans des turbulences économiques en général depuis 2 ans.
Les œuvres d’art constituent le
dernier compartiment des dépenses des ménages. On achète
pas un tableau avant de se nourrir, de s’habiller», explique Hassan
Sefrioui. Ces turbulences font
qu’une galerie souffre forcément
avec une législation qui n’aide
pas. Aujourd’hui pour ramener
un artiste de l’international ou
pour participer à une foire internationale pour un Marocain, il
faut se lever de bonne heure. «Il y
a au Maroc une législation par
rapport à l’exportation d’œuvres
d’art, qui doit faire l’objet d’un accord de la direction des arts du
ministère de la Culture». En
somme, pour exporter, il faut une
autorisation. Le galeriste avoue
que la situation s’est beaucoup
assouplie, mais il reste énormément à faire. «Il y a une taxe de
20,25% de mise à la consommation, une sorte de TVA déguisée.
C’est énorme sur un achat»,
avoue le galeriste qui ne voit pas,
aujourd’hui, un acteur sur le marché avoir la possibilité d’inviter un
artiste connu de l’étranger à
cause de cette taxe. Cependant,
tout cela ne change rien à la passion et à l’amour de l’art. Le 20
novembre, la galerie Shart expose Salim Mouline pour le troisième fois avec un travail militant
sur le libéralisme parce que «the
●
show must go on».