Unité de Réflexion et d`Action des Communautés
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Unité de Réflexion et d`Action des Communautés
Janvier 2001 – 11 € Unité de Réflexion et d’Action des Communautés Africaines Édition : URACA Cycle dendi : Les enfants de Hara koye : Les dendi Mamar Hâma du fleuve Niger Janvier 2001 Les textes réunis dans ce document ont été écrits par le Dr Moussa MAMAN, Ethnopsychiatre, fondateur de l’URACA. Certains sont déjà parus dans des publications de l’URACA ou à l’occasion de colloques, d’autres restent à paraître. Sommaire : - 1° partie : Le pays dendi, Géographie, histoire et traditions • • • • • • • • • • • • Présentation du pays dendi Carte du Bénin Carte de la sous-préfecture de Karimama Le mythe fondateur dendi Le royaume de Karimama Rituel d’intronisation d’un Laboukoye « labou izé terey » La citoyeneté dans la tradition dendi/djerma Histoire du village de Bello Tounga Les représentations dendi de la personne Les relations hommes-femmes Le rituel virginal chez les dendis La couvade du deuil p3 p5 p7 p9 p 11 p 13 p 15 p 17 p 23 p 29 p 31 p 35 p 39 - 2° partie : Maladie et soin chez les dendi, religion et thérapie • • • • • • • Les différentes catégories de soignants et leur implantation dans la sous-préfecture de Karimama Etiologies traditionnelles des maladies La transmission fœto-maternelle des maladies Baani zumbu kabu izé, thérapie et danses de possession Culte de possession chez les dendis, exposé d’introduction à la cérémonie rituelle du 24/09/1994 Histoire de zataou, foley esclave Migration et psychiatrie : expérience pilote de thérapie métisse Patient, thérapeute et thérapie entre deux mondes URACA - Unité de Réflexion et d’Action des Communautés Africaines - 33 rue Polonceau - 75018 Paris Tél. 01 42 52 50 13 - Fax 01 44 92 95 35 - Email : [email protected] - www.uraca.org 1 Cycle dendi : Les enfants de Hara koye : Les dendi Mamar Hâma du fleuve Niger Janvier 2001 1° Partie : Le pays dendi du fleuve Niger Géographie, histoire et traditions URACA - Unité de Réflexion et d’Action des Communautés Africaines - 33 rue Polonceau - 75018 Paris Tél. 01 42 52 50 13 - Fax 01 44 92 95 35 - Email : [email protected] - www.uraca.org 2 Cycle dendi : Les enfants de Hara koye : Les dendi Mamar Hâma du fleuve Niger Janvier 2001 LE MYTHE FONDATEUR DENDI Article paru dans le cahier de l’URACA N°9 Les dendi ou dendi mamar Hâma sont descendants des Askiya de Gao (empire de Songhaï). Les premiers Songhaï qu’on appelait Gabi ou Gabibi vivaient dans des îles du fleuve Niger entre Gao et Tombouctou. Ils étaient agriculteurs. Ils furent envahis par les Sorkos qui étaient des pêcheurs très mobiles sur le fleuve. Les Sorkos étaient les maîtres de l’eau. Leur pouvoir était représenté par un énorme poisson qui avait un anneau dans la gueule. Sorko et Gabi venaient adorer ce poisson du matin au soir. Trois frères venus du Yémen (Arabie) tuèrent le poisson fétiche et recréèrent un nouveau royaume. Celui qui tua le poisson devint roi, celui qui avait fabriqué le harpon pour tuer le poisson devint le chef de la caste des forgerons, le troisième frère créa la caste des griots. Ils organisèrent un grand empire avec deux grandes villes: Goungouia et Gao. Ali Kolen et Souleymane Narr, deux princes Songhaï capturés durant la guerre contre l’empire du Mali arrivèrent à s’échapper sous le règne de Maghan, fils de Kankan Moussa, pour arriver à Gao. A Gao, ils déposèrent le roi, leur oncle Ali Kolen. L’aîné s’empara du pouvoir et prit le titre de Sonni. Ainsi naquit la dynastie de Si qui allait libérer le pays et l’organiser. Sonni devint Sonni Ali Ber, il prit Djenné après 7 ans, 7 mois et 7 jours de siège grâce à un blocus de 400 pirogues. Il vainquit l’empire du Mali. Après sa mort, son fils Mohamed Touré peu dynamique se fit renverser de son trône par un général. Comme ce général n’était pas de sang royal, les femmes et les enfants se moquaient de lui en criant à son passage: « Assikia Assikia » (il ne le sera pas, il ne le sera pas (roi)). Il décida pour cela de s’auto-nommer Askia Mohamed Touré. Il était d’origine soninké avec beaucoup de vigueur et d’expérience. Sa mère s’appelait Kassey, c’était la sœur de Sonni Ali Ber (Si). Selon certains, son père s’appelait Boubacar, selon d’autres, il n’aurait pas de père et serait l’enfant naturel de Kassey. Askia Mohamed tua son oncle Si pour asseoir définitivement son pouvoir. Askia Mohamed était l’enfant chouchouté par Sonni Ali Ber (Si) qui l’appelait familièrement « Maa Keina » (mon petit). Selon la légende, il lui aurait coupé la tête. Le petit nom « Maa Keina » est devenu Maamar. Après cet assassinat, Maamar aurait fait un pèlerinage à la Mecque pour se confesser. Maamar se retrouva ensuite en guerre contre les marocains. Ses guerriers Songhaï ne disposaient que de lances face aux marocains armés de fusils. Son armée décida d’attaquer les marocains avec d’immenses troupeaux de bœufs pour les écraser. Les bœufs en entendant le bruit des mousquets se sont emballés sur l’armée Songhaï en créant une panique totale dans les rangs. Les guerriers se sauvèrent de tous côtés. URACA - Unité de Réflexion et d’Action des Communautés Africaines - 33 rue Polonceau - 75018 Paris Tél. 01 42 52 50 13 - Fax 01 44 92 95 35 - Email : [email protected] - www.uraca.org 3 Cycle dendi : Les enfants de Hara koye : Les dendi Mamar Hâma du fleuve Niger Janvier 2001 Ceux qui fuirent cette guerre en suivant le cours du fleuve vers l’aval se sont appelés: les « dendi Songhaï » c’est à dire les Songhaï qui ont fui en suivant le cours du fleuve. La bataille a eu lieu à Tondibi en 1591 ce qui marqua la fin de l’empire Songhaï. Les dendis sont les descendants des Songhaï d’où le nom de dendi Songhaï puis de dendi tout court. Les Dendi habitent maintenant le long du fleuve Niger, à l’extrême nord du Bénin. URACA - Unité de Réflexion et d’Action des Communautés Africaines - 33 rue Polonceau - 75018 Paris Tél. 01 42 52 50 13 - Fax 01 44 92 95 35 - Email : [email protected] - www.uraca.org 4 Cycle dendi : Les enfants de Hara koye : Les dendi Mamar Hâma du fleuve Niger Janvier 2001 LE ROYAUME DE KARIMAMA Le royaume des dendi dont le chef lieu est Karimama, sis sur la rive droite du fleuve Niger est limité: au Nord par le terrotoire de Say et de Dosso (Niger), à l Le Royaume de Karimama Le royaume des dendi dont le chef lieu est Karimama, sis sur la rive droite du fleuve Niger est limité: au Nord par le terrotoire de Say et de Dosso (Niger), à l’Ouest, par le territoire Gourma (Burkina Fasso), au Sud-Ouest par celui de Kandi (Bénin) , au Sud par celui d’Illo (Nigéria) et au Nord-Est par celui de Gaya (Niger). Actuellement le territoire est divisé en deux Sous-Préfectures: Celle de Karimama et celle de Malanville. La population assez jeune (20/40 ans) est de 100 000 habitants environs. L’origine du royaume remonte à la nuit des temps, en effet, le 12 Mars 1591 a vu la chute de l’empire Songhaï de Gao entraînant la dispersion du peuple songhaï. Ainsi El Hadji Hanga, descendant de Maamar a du fuir la région de Gao et se réfugier à Garou. Son fils Samsou Béri, après avoir créé les villages de Tara puis de Gaya a pu constituer le royaume dendi avec Gaya comme capitale. Hargani son frère lui succéda, mais chassé par son neveu, Fodi Morounfa, Hargani se trouva contraint de se réfugier à Karimama, il mourut à Kompa sur le chemin du pèlerinage vers Gao un an plus tard, après avoir créé la dynastie du royaume dendi de la rive droite du fleuve Niger. Le 21 octobre 1897, Alou Faram, chef de Karimama signa un traité de protectorat avec la France. Pour tisser encore plus cette unité, il est indispensable de revoir les anciennes fêtes du royaume oubliées avec le temps à savoir: * La lutte traditionnelle qui rythme la vie du royaume après les récoltes, * Les rituels du mariage actuellement délaissés, * Les rituels initiatiques de passage de l’adolescence à l’âge adulte qui réunissaient tous les jeunes, * Les rituels de pêche qui demandent la réunion de plusieurs villages, les rituels de (Gara Gara) Nunefuruyan, ou la Gani qui fut la fête du nouvel an dendi. URACA - Unité de Réflexion et d’Action des Communautés Africaines - 33 rue Polonceau - 75018 Paris Tél. 01 42 52 50 13 - Fax 01 44 92 95 35 - Email : [email protected] - www.uraca.org 5 Cycle dendi : Les enfants de Hara koye : Les dendi Mamar Hâma du fleuve Niger Janvier 2001 URACA - Unité de Réflexion et d’Action des Communautés Africaines - 33 rue Polonceau - 75018 Paris Tél. 01 42 52 50 13 - Fax 01 44 92 95 35 - Email : [email protected] - www.uraca.org 6 Cycle dendi : Les enfants de Hara koye : Les dendi Mamar Hâma du fleuve Niger Janvier 2001 RITUEL D’INTRONISATION D’UN LABOUKOYE Le vieux Samba Gourmantché de Karimama nous a donné les informations suivantes: Le totem des rois de Karimama est le lion. Chaque roi a un dauphin nommé Dan Galadima. Après la mort du roi, celui qui lui succède a droit à des cérémonies d’intronisation. 1) Tout d’abord, l’ensemble des chefs de famille de la cité se réunissent chez lui tous les soirs en lui faisant un feu de bois et en lui tenant compagnie pendant 7 jours. 2) Ensuite, le roi est mis en couvade pendant 7 jours, seuls les intimes ont la possibilité de le voir. 3) La huitaine est le jour du rasage du roi. Une natte toute neuve est tissée pour la circonstance. Le roi est assis sur la natte et caché sous une moustiquaire pendant le rasage. L’accomplissement du rituel est confiée aux seules familles spécialisées héritières de cette fonction: Bana Fou boro. Lors de cette cérémonie tous les chefs de village sont invités. Il existe une chanson de circonstance dont le refrain est le suivant: Bana Fou Boro, Koï dan bana, Koïka bana 4) Le roi est enturbanné, ainsi il devient définitivement roi. Dans son palais royal, il doit avoir un tambour appelé Toubali qui ne peut résonner que lors de son intronisation ou de sa mort. Les deux baguettes du tambour auraient été faites avec des mains d’homme séchées et décorées avec de la peau de lion. On glorifiait le tambour en disant: Toubali Gourou Han ka no ibéré ssé Toi, tam-tam (toubali), bois le fer et fais le boire à ton ennemi D’autres instruments sont utilisés à l’occasion de l’intronisation: le Kakaki (long instrument à vent en métal), l’algaïta (instrument à vent), le bata (calebasse recouverte d’une membrane servant de percussion). Un autre instrument fabriqué pour des rituels religieux s’appelle Haraye béri (grand instrument à percussion). Lors de sa fabrication, on sacrifie un poulet rouge sur l’autel de fabrication des instruments de musique. URACA - Unité de Réflexion et d’Action des Communautés Africaines - 33 rue Polonceau - 75018 Paris Tél. 01 42 52 50 13 - Fax 01 44 92 95 35 - Email : [email protected] - www.uraca.org 7 Cycle dendi : Les enfants de Hara koye : Les dendi Mamar Hâma du fleuve Niger Janvier 2001 LABOU IZE TEREY » LA CITOYENNETE DANS LA TRADITION DENDI/DJERMA (BENIN/NIGER) A paraître « Labou ize terey » signifie appartenir à une communauté dont on partage les lois et à laquelle on peut apporter quelque chose. Cela sous-entend la notion de la terre et du collectif. Labou = terre, nation, sol, argile Le même mot poussé à outrance aboutit au nationalisme : c’est l’extrémisme du « Labou ize terey ». Il n’existe pas de mot pour le nommer. Seul le contexte exprime la différence du sens. On retrouve ce même concept dans les autres langues africaines. Le préalable consiste à rappeler que l’individu isolé en Afrique n’a pas de sens. Un être humain n’existe que par son existence au sein d’un ou même de plusieurs groupes sociaux. La survie du groupe passe par la participation de chacun. Les différents niveaux de la prise de décision au sein de la population. Le fonctionnement de chaque groupe existant obéit à des règles identiques, d’un groupe de jeunes jusqu’à l’assemblée des chefs de village. Deux principes principaux en régissent le fonctionnement : La discussion est libre au sein du groupe, chacun s’exprime au cours des débats. Le groupe tente de trouver un compromis et une parole commune. C’est cette parole que son leader ira exprimer. En cas de désaccord et d’incapacité à trouver une parole commune le leader pourra soit trancher si la décision doit être prise à son niveau, soit s’abstenir si l’avis du groupe doit être porté dans une instance supérieure (conseil du village par exemple). Le groupe doit avoir un leader qui est garant de sa cohésion et de son unité. C’est un statut, non un pouvoir de décision. En effet, traditionnellement, le chef (de groupe, de famille, de village, etc.) ne parle pas en son nom propre mais au nom de l’ensemble des membres de son groupe. Il représente, on peut même dire qu’il incarne le collectif. Ce leader est choisi selon la règle de la primogéniture. Mais il doit en avoir les capacités. S’il s’en sait incapable, ou si le groupe l’en estime incapable, un autre sera choisi à sa place. Au sein de la famille (qu’elle soit simple famille villageoise ou famille royale) outre la primogéniture, le choix se fait du côté du père. En effet, la tradition dans cette culture est patrilinéaire. Les femmes quand elles se marient vont vivre dans la famille de leur mari et l’héritage ne se transmet que du père à ses fils. Si personne ne convient du côté patrilinéaire, on en prend quelqu’un du côté de la mère. Si l’aînée de la famille est une femme avec un grand charisme elle peut être nommée reine, mais ses enfants ne peuvent pas être princes héritiers, ce sont ses neveux, enfants de ses frères qui peuvent l’être. URACA - Unité de Réflexion et d’Action des Communautés Africaines - 33 rue Polonceau - 75018 Paris Tél. 01 42 52 50 13 - Fax 01 44 92 95 35 - Email : [email protected] - www.uraca.org 8 Cycle dendi : Les enfants de Hara koye : Les dendi Mamar Hâma du fleuve Niger Janvier 2001 1° Le premier niveau : La famille élargie La plus petite unité de population en Afrique est la famille élargie matérialisée par la concession familiale avec les différentes maisons en son sein. Elle comprend les différentes générations d’une même famille, avec les maisons de tous les hommes du lignage qui sont restés dans le même village. Dans celle-ci le chef de famille est responsable de l’ensemble de la famille, de la concession. C’est le patriarche, le plus âgé par génération. C’est un statut, mais pas forcément un pouvoir de décision. En effet, traditionnellement, le chef de famille ne parle pas en son nom propre mais au nom de l’ensemble des membres de sa famille. Il les représente et est le garant de la cohésion de celle-ci. Dans la famille existent des groupes de femmes et des groupes d’hommes, avec des groupes différents par tranche d’âge. Des plus jeunes jusqu’à la génération du chef de famille. Parmi les femmes, les plus âgées (même génération que le chef de famille), les jeunes femmes et les jeunes filles par classe d’âge. Le chef de famille est responsable de ces groupes, éventuellement s’il y a une caste inférieure, si la famille a un groupe de captifs il est responsable de ce groupe là. Un captif est un noble venu d’ailleurs qui a perdu une guerre, c’est un prisonnier de guerre qui vit dans la famille qui l’a vaincu. On peut s’affranchir de différentes façons : en payant un tribu à cette famille une fille de la famille captive peut épouser un noble qui l’affranchit avant le mariage, Si un fils de la famille où vit la famille captive veut épouser l’une des filles de celle-ci, la jeune fille est automatiquement affranchie. Les groupes des familles captives sont représentés au même titre que les autres. Le chef de famille est responsable de la famille dans le système patrilinéaire où les hommes détiennent le pouvoir. S’il y a des problèmes le chef de famille informe tous les groupes des problèmes du village (hommes, femmes, captifs). Chaque groupe se réunit et discute, donne son point de vue et délègue quelqu’un pour aller donner son avis au groupe suivant, plus âgé jusqu’à arriver au dernier groupe avant le chef de famille. Les groupes doivent s’entendrent sur un point de vue commun avant de déléguer le plus âgé pour aller donner l’avis de l’ensemble des groupes d’hommes au chef de famille. Idem du côté des femmes. Les groupes d’hommes et de femmes doivent trouver un consensus avant d’aller donner l’avis du groupe au chef de famille. Le chef de famille sera porteur de cette parole à la discussion de l’ensemble du village. Si les groupes ne sont pas parvenus à s’entendre le chef de famille s’abstiendra à la réunion. URACA - Unité de Réflexion et d’Action des Communautés Africaines - 33 rue Polonceau - 75018 Paris Tél. 01 42 52 50 13 - Fax 01 44 92 95 35 - Email : [email protected] - www.uraca.org 9 Cycle dendi : Les enfants de Hara koye : Les dendi Mamar Hâma du fleuve Niger Janvier 2001 2° Le deuxième niveau : Le regroupement des familles selon les catégories sociales Une fois la première phase terminée les chefs de famille de chaque « corporation » vont se retrouver : pêcheurs, éleveurs, chasseurs, griots, forgerons, etc. Chacun de ces groupes a un représentant choisi selon la règle de la primogéniture comme pour le chef de famille. La prise de décision s’effectue selon les mêmes modalités. Le leader de chaque groupe sera délégué pour porter l’avis collectif à l’assemblée du village. Si le représentant du groupe décède ou qu’il n’accomplit plus sa tâche correctement, le chef du village demande au groupe de se choisir un autre représentant. Si le groupe n’arrive pas à s’entendre sur le choix de la personne, le chef du village tranchera. S’il arrive que le chef fasse un choix qui déplait aux membres du groupe concerné, le groupe se réunit et délègue quelqu’un pour dire son désaccord au chef du village. Normalement, le chef doit suivre la décision du groupe, dans le cas contraire, on fera appel au sage du village qui devra intervenir. Si le chef maintient sa position, on mettra les deux concurrents à l’épreuve, celui qui a été choisi par le chef et celui qui a été choisi par le groupe. L’épreuve sera choisie en fonction de la spécificité du groupe. Par exemple s’il s’agit d’un groupe de pêcheurs celui qui remportera l’épreuve sera le premier qui rapportera un caïman avant l’échéance fixée. 3° Le troisième niveau : Les assemblées villageoises Il en existe plusieurs sortes : Le conseil du village : Elle est présidée par le chef du village choisi selon les mêmes principes que les autres chefs de groupe. Le conseil du village est constitué de tous les représentants des différentes catégories de villageois. Elle s’appelle « kata » grande maison qui peut contenir beaucoup de monde ou « fada » mot haoussa signifiant l’endroit où il y a beaucoup de monde. L’assemblée des chefs de famille est réunie dans le cas de décisions au niveau du village qui concernent la vie de la population, mariage, dot, partage des champs, vente de bétail, fixation des prix, etc. L’avis de chaque groupe est demandé pour prendre une décision. URACA - Unité de Réflexion et d’Action des Communautés Africaines - 33 rue Polonceau - 75018 Paris Tél. 01 42 52 50 13 - Fax 01 44 92 95 35 - Email : [email protected] - www.uraca.org 10 Cycle dendi : Les enfants de Hara koye : Les dendi Mamar Hâma du fleuve Niger Janvier 2001 L’arbre à palabre : Dans le cas de décisions sociales, c’est tout le village qui se réunit et chacun a le droit de prendre la parole. C’est le cas par exemple en cas de conflit entre des familles. Par exemple, il y a peu, dans un village des anciens se sont déplacés pour aller dans l’autre famille avec laquelle ils étaient en conflit. Ce qui est vécu comme une véritable intrusion. Le village s’est réunit (d’ailleurs sans le chef qui était absent) et a décidé que toute personne qui se déplaçait pour aller faire une « attaque » à domicile devait payer une amende au chef du village. Les sommes recueillies dans ce cadre servent de cagnotte collective au village. En général, il sert au grenier collectif pour acheter du grain. En cas de famine, ceux-ci sont partagés entre les familles. Il peut servir aussi à donner à manger à la famille d’un malade qui est dans l’incapacité de cultiver son champ ou encore à soigner une personne malade. L’assemblée villageoise : Si c’est une décision politique, on ne passe plus par la famille, mais par les classes d’âge. Dans le village, les jeunes filles et les jeunes garçons se retrouvent ensemble, et ainsi de suite jusqu’aux générations les plus anciennes. Par exemple si l’état décide d’augmenter les impôts et que la population s’y oppose. Ainsi dans l’histoire les colons ont demandé le recrutement des jeunes pour la guerre. La population a dit « non, on a besoin des jeunes pour cultiver ». les colons ont destitué les chefs qui étaient porteurs des avis de la population s’était opposée à eux. En cas de guerre c’était la population qui disait si oui ou non elle acceptait de partir à la guerre. L’assemblée des femmes : Les femmes se réunissent suivant leur statut conjugal. Ainsi les groupes de femmes mariées appellent leur représentante la « saronia », de même les jeunes filles choisissent la « magajia » ou la « zazi » parmi leur groupe. Il peut y avoir plusieurs groupes par quartier dans un gros village. Certaines décisions ne peuvent être prises ni par l’assemblée ni par le chef du village. Ce sont celles qui concernent le domaine des femmes (contraception, baptême, mariage, fiançailles, naissance, etc.) Par contre les femmes ne participent pas aux décisions de guerre. Mais si l’assemblée des hommes décide d’aller attaquer un autre village, si elles ne sont pas d’accord elles peuvent s’y opposer et les hommes sont obligés d’y renoncer. URACA - Unité de Réflexion et d’Action des Communautés Africaines - 33 rue Polonceau - 75018 Paris Tél. 01 42 52 50 13 - Fax 01 44 92 95 35 - Email : [email protected] - www.uraca.org 11 Cycle dendi : Les enfants de Hara koye : Les dendi Mamar Hâma du fleuve Niger Janvier 2001 4° Le quatrième niveau : Le roi et l’assemblée des chefs de village Le mot pour nommer le roi est « labou koye» : le chef de la terre. Traditionnellement, le roi ne prend aucune décision seul. Il ne peut pas choisir ses conseillers qui sont les représentants de la population. En cas d’avis différents de chefs de village, le roi ou la cour tranchait. La cour était formée des conseillers du roi. Elle était constituée de représentants de chaque petit royaume. Les colonisations principales destructrices de ce système de prise de décision Traditionnellement, le roi ne prend aucune décision seul, il tranche uniquement si les gens sont incapables de s’entendre, il ne pouvait pas choisir ni ses conseillers, ni les chefs de village. Les colonisations (occidentales et arabes) sont venues corrompre ce système. En effet, selon son bon vouloir le colon a remplacé le chef ou le roi par un autre qu’il avait choisi lui-même. Ce chef n’était plus l’émanation de la communauté, et n’avait donc plus ni légitimité si assemblée cohérente dont il serait le porte parole. Il a donc lui aussi choisi sa cour et ses conseillers à sa guise, ceux-ci ne représentant plus personne. La corruption avait remplacé la démocratie à l’africaine. URACA - Unité de Réflexion et d’Action des Communautés Africaines - 33 rue Polonceau - 75018 Paris Tél. 01 42 52 50 13 - Fax 01 44 92 95 35 - Email : [email protected] - www.uraca.org 12 Cycle dendi : Les enfants de Hara koye : Les dendi Mamar Hâma du fleuve Niger Janvier 2001 LE VILLAGE DE BELLO TOUNGA Texte écrit par Jacqueline et Jean François FAURE Le village de Bello Tounga est situé au nord du Bénin au bord du fleuve Niger. Nous sommes en pays Dendi, une région qui s'étend de part et d'autre du fleuve entre les deux états du Niger et du Bénin. - Composition ethnique : Les Dendis, littéralement "ceux qui ont suivi le fleuve", sont des descendants de l'empire Songhaï du Mali, comme les Djermas qui se sont installés au Niger, ils ont descendu le fleuve pour atteindre le nord du Bénin et s’y implanter. Dendis et Djermas constituent la majorité du village. Il y a aussi un quartier de Haoussas (un des groupes les plus importants d’Afrique de l’Ouest, ils ont une grande tradition commerçante) et enfin les Peuls, ce sont des nomades pasteurs d’ovins et de bovins qui séjournent quelques mois dans un endroit puis se déplacent. Les Gourmantchés sont les premiers habitants de la région, ils sont encore très imprégnés de leur culture ancestrale et ne sont pas islamisés. La région très pauvre et très mal connue, est enclavée par l'absence d'infrastructure routière. En plein Sahel, cette zone commence à souffrir sérieusement de l'avancée du désert. La végétation et la faune se sont considérablement raréfiés en 50 ans. Histoire du village Bello Tounga est un village (tounga=hameau tiré du haoussa qui a été dendisé) qui a été créé par Bello en 1940. A l’époque, il y avait un autre village, Bazinga Tounga; ce village-là n’avait pas été créé par Bazinga mais par Nassiri. C’était un village de pêcheurs saisonniers (nous sommes le long du fleuve Niger), des gens qui quittaient Gaya au sud du Niger pour venir faire la pêche sur le fleuve, dans cette région. Ils venaient pour trois mois et ensuite ils retournaient chez eux. Les pêcheurs étaient comme des nomades. Nassiri a été le premier à s’installer là-bas, c’est lui qui a fait venir Bazinga qui était son apprenti pêcheur; et quand il est mort, Bazinga a pris la place et les gens ont appelé ce village Bazinga Tounga. C’est à ce moment là, que Bello est arrivé. C’était un intellectuel car il avait fait l’école Coranique. Il a compris que le village qui était là à Bazinga Tounga ne pouvait pas continuer à survivre à cause des inondations, des intempéries. Il a alors dit : " On va quitter ce village, on va créer un autre village parce qu’ici ce n’est pas un bon emplacement. " Ils ne l’ont pas écouté. Bello est parti, et grâce à sa persévérance, il a fini par créer son propre village. C’était en 19391940 — Bello né au début du siècle — avait alors 40 ans. Il est décédé à l’âge de 97 ans. URACA - Unité de Réflexion et d’Action des Communautés Africaines - 33 rue Polonceau - 75018 Paris Tél. 01 42 52 50 13 - Fax 01 44 92 95 35 - Email : [email protected] - www.uraca.org 13 Cycle dendi : Les enfants de Hara koye : Les dendi Mamar Hâma du fleuve Niger Janvier 2001 Quand il a créé son village, il y a eu un conflit entre le village de Bello Tounga et le village de Bazinga Tounga. Les gens de Bazinga Tounga ne voulaient pas se déplacer pour venir s’installer à Bello Tounga. Mais Bello s’est obstiné et a dit : " Ce village-là que je viens de créer est un village d’avenir, si vous voulez, venez nous rejoindre. "Ainsi jusqu’en 1959, les 2 villages ne s’entendaient pas. Il a fallu 1960 pour que le village de Bazinga Tounga vienne se joindre au village de Bello Tounga, c’est ainsi que les 2 villages se sont jumelés. Mais comme les gens connaissaient le mot Bazinga Tounga, l’appellation Bello Tounga a commencé à disparaître vers 1965. En 1985, de retour au village, le fils de Bello le Dr. Maman a demandé aux villageois : "Comment voulez-vous qu’on appelle le village parce qu’il y en a qui disent un nom et d’autres un autre nom . Qu’est-ce-qu’il faut faire ? " Les villageois ont essayé de trouver un autre nom : par les syllabes " ba " de Bazinga et " bel " de Bello pour faire " Babel ". Or le mot " babel " en langue Dendi a des connotations un peu perverties et sexualisées, les gens n’ont pas voulu entendre parler de ces 2 syllabes. Finalement les autorités locales ont dit : " Ecoutez, vous êtes en train de vous casser la tête, ça c’est un méli-mélo que vous êtes en train de faire. C’est Bello qui a créé son village, ceux qui se sont déplacés pour venir s’installer ici, ce sont ceux-là qui vont perdre. Il faut appeler le village Bello Tounga. Ce n’est pas la peine de chercher d’autres noms qui risquent de vous amener d’autres problèmes. Donc, appelez le village comme ça se faisait, il est né avec le mot Bello Tounga, vous gardez ce nom pour que cela soit authentique. " Ainsi le village a été officiellement reconnu par les autorités en 1988, mais il existait depuis 1940. Bello étant le fondateur du village, il était aussi le chef , mais compte tenu de sa démarche spirituelle, il ne voulait pas être responsable. Il a donné la chefferie à plusieurs personnes. Maintenant Bello vient de mourir et les villageois demandent à son fils le Dr. Maman de devenir le chef du village. Le climat, la végétation, la faune C’est un climat sahélien donc aride. Il y a deux saisons : la saison sèche et la saison pluvieuse. La saison sèche est la plus longue, huit mois qui vont d’octobre à mai. Quelques fois, il y a des pluies précoces (Avril Mai). Cette année par exemple il a eu une arrière-saison avec deux grandes pluies en Octobre, une autre année il y a eu deux pluies en mai. Mais la vraie saison des pluies commence en juin et dure quatre mois. La végétation : le village est dans une région qui se situe au début du Sahara, le Sahel. Cette région est touchée de plus en plus par l’avancée du désert; la végétation (brousse et savane) et la faune s’appauvrissent. La faune : beaucoup d’oiseaux, des canards sauvages, des échassiers. Il y a des ragondins sorte de castors mais plus gros, des serpents, des grands lézards, les varans par exemple, et des hippopotames de temps en temps. Les caïmans sont très difficiles à voir car ils se cachent. Il y a les lamantins dans le fleuve, il y a aussi les singes. Les lions rôdaient encore près du village il y a trente ans. Aujourd’hui ils ont disparu. URACA - Unité de Réflexion et d’Action des Communautés Africaines - 33 rue Polonceau - 75018 Paris Tél. 01 42 52 50 13 - Fax 01 44 92 95 35 - Email : [email protected] - www.uraca.org 14 Cycle dendi : Les enfants de Hara koye : Les dendi Mamar Hâma du fleuve Niger Janvier 2001 Le village et sa population Aujourd’hui il y a 400 habitants dont au moins 120 enfants. 66 enfants viennent d’être recrutés pour la scolarisation (en langue française) puisque le village vient tout juste de construire son école grâce à un don. C’est un village modèle avec des infrastructures : • • • • un dispensaire c’est-à-dire un Centre de Soin avec des cases à proximité pour recevoir les familles des malades nécessitant des soins pendant plusieurs jours. une route, ou plutôt une piste dessert le village. un puits une école très récemment ouverte. Tout ceci (école, route, dispensaire) a été construit sans aucune aide de l’état du Bénin. Il y a deux petites mosquées, la population est en grande majorité de religion musulmane. La polygamie (union d’un homme avec plusieurs femmes) qui est légale et couramment pratiquée dans divers pays d’Afrique, est donc dans le village une forme d’union tout à fait habituelle. Il existe aussi des structures sociales : • • le groupement des femmes qui s’occupe de la promotion des femmes. le groupement des villageois qui s’occupe de la problématique des hommes avec les nouvelles donnes : la promotion de la femmes, quelle est sa place par rapport à l’homme (comment faire la pêche avec la femme ? Comment faire le jardinage, le commerce avec les femmes sans dissocier les deux ? etc…), quel est le rôle de l’homme au niveau de la famille ? • le groupement des pêcheurs est une structure beaucoup plus spécialisée : par exemple, tous les jeudis, le fruit de la pêche est mis dans une caisse commune. Dans la semaine il y a un jour qui revient à tout le monde. Depuis quelques temps, une organisation est en place : les pêcheurs doivent donner le franc symbolique, les marabouts aussi, les femmes… Tous les vendredis, chaque villageois(e) doit cotiser 1 ou 2 centimes. Les activités du village Les villageois sont en grande majorité (à 99 %) des pêcheurs : le village est situé au bord du fleuve Niger. Ils font aussi de l’élevage du bétail (des ovins, des caprins) et de volailles et de la culture (le maïs, le sorgho, le mil, le riz), il y a les arbres fruitiers (les manguiers, les jujubiers, les tamariniers, les figuiers), les fruits sauvages, les fruits de karité dont on fait le beurre de karité. Les gens vivent du petit commerce qui a lieu sur les marchés : commerce du poisson (frais ou fumé), des céréales... URACA - Unité de Réflexion et d’Action des Communautés Africaines - 33 rue Polonceau - 75018 Paris Tél. 01 42 52 50 13 - Fax 01 44 92 95 35 - Email : [email protected] - www.uraca.org 15 Cycle dendi : Les enfants de Hara koye : Les dendi Mamar Hâma du fleuve Niger Janvier 2001 Les femmes du groupement sont formées pour fabriquer le fromage frais. Elles achètent le lait pour faire du fromage frais et le vendre. Du fruit de la vente, une quote-part sera versée à la communauté villageoise. Une action de reboisement de l’île sur le fleuve en face du village est en cours : 1850 plants de " rôniers " ont été mis. Le " rônier " est le palmier le plus résistant : les chèvres peuvent le manger, l’eau peut l’inonder, il continue à pousser quand même. Au bord du fleuve, les villageois fabriquent des briques en terre séchée pour la construction des habitations. Le mode de vie Hommes et femmes vivent séparément et ne se retrouvent qu’à de rares moments privilégiés. L’univers masculin est traditionnellement fait de pêche, de chasse, d’élevage, d’agriculture et d’artisanat. L’éducation des garçons auxquels ils doivent transmettre leurs savoir-faire est également une affaire d’hommes. Les durs travaux sont réservés aux hommes. Par contre, le cœur de la concession et tout ce qui entoure la contraception, la maternité, la naissance appartient aux femmes. Elles sont les chevilles ouvrières de l’ensemble de la société, travaillant aux champs aux moment des semailles et des récoltes, éduquant les tout-petits et les filles, nourrissant et soignant tout le monde. Dans les concessions, les femmes profitent des moments de travail en commun pour palabrer et parler de leurs problèmes. Les enfants restent auprès de leur mère jusqu’au moment du sevrage qui a lieu vers l’âge de 2224 mois. Après un temps de transition, l’enfant est intégré dans sa classe d’âge, soumis à la morale qui règne entre " frères ", parmi lesquels se déroulera désormais l’essentiel de sa vie. A tous les âges, les aînés, ascendants, collatéraux, voisins, ont aussi à éduquer l’enfant, le reprendre, le contrôler. Ce qui n’enlève rien à la force du lien de l’enfant à sa mère. Au village, l’enfant travaille comme tout le monde, et s’il va aux champs il ne va pas travailler comme les grands, on ne l’oblige pas à faire des travaux difficiles. Jusqu’en 1997, un seul enfant était scolarisé et allait à l’école dans un autre village, jusqu’alors on laissait les enfants évoluer, faire leurs expériences, découvrir et comprendre le monde de manière non dirigée. En 1997, une école s’est ouverte grâce à un don qui a permis de faire une construction provisoire en paillote (la construction définitive sera en briques et en ciment), de payer l’instituteur et quelques fournitures scolaires. Il y avait un instituteur pour 66 enfants, beaucoup d’entre eux ont poussé leurs parents à les inscrire. L’école en dur a été construite au cours des années suivantes. Depuis 3 ans l’état béninois a fait des efforts en dotant l’école d’un directeur et de quelques fournitures scolaires. Une cantine a été créée en 1997 et le P.A.M. (programme alimentaire mondial fournit quelques denrées alimentaires. URACA - Unité de Réflexion et d’Action des Communautés Africaines - 33 rue Polonceau - 75018 Paris Tél. 01 42 52 50 13 - Fax 01 44 92 95 35 - Email : [email protected] - www.uraca.org 16 Cycle dendi : Les enfants de Hara koye : Les dendi Mamar Hâma du fleuve Niger Janvier 2001 Les pratiques en matière de santé Il existe au village un Centre de Santé créé par le Dr Maman, c’est une structure médicalisée mais les gens ont aussi recours aux thérapies traditionnelles. Les médecins traditionnels ("tradipraticiens", guérisseurs, marabouts) sont très nombreux en Afrique avec des spécialités variées. Leurs pratiques peuvent être issues de l’Afrique millénaire ou être dérivées de l’Islam. Profondément ancrées dans les cultures locales, leurs réponses thérapeutiques sont en adéquation avec les représentations culturelles des maladies. Au village, il y a des guérisseurs : des familles sont spécialisées dans les problèmes O.R.L., les maladies du foie ou dans les problèmes de morsure de serpent. Les Dendis pratiquent le culte des danses de possession qui est un rituel de soins très spécifique. Des cérémonies thérapeutiques ont lieu au village, au pied de l’Arbre Sacré. Ainsi, selon ce dont il souffre, le malade ira au dispensaire ou chez le "tradipraticien", parfois même chez les deux. Au dispensaire du village l’interprétation culturelle de la maladie est reconnue et est, si nécessaire, intégrée dans le soin. C’est au flanc du village de Bello-tounga, le lieu le plus sacré de la région (Tondi fufu) que chaque année les gardiens du lieu (les gourmantchés) viennent faire les cérémonies du culte de Harakoye à la demande des dendi Mamar Hama. Tous les 33 ans, a lieu la grande cérémonie au cours de laquelle le masque sacré est porté par un homme, cheval d’un esprit qui le possède. Le masque qui sera porté par l’initié appartient à l’esprit qui le possède. Cette cérémonies permet de célébrer le retour des âmes qui doivent se manifester trois mois plus tard dans le ciel sous la forme d’étoiles filantes. Si les cérémonies sont précédées d’une éclipse lunaire, l’homme cheval possédé n’est pas obligé de porter le masque car l’éclipse l’en dispense. URACA - Unité de Réflexion et d’Action des Communautés Africaines - 33 rue Polonceau - 75018 Paris Tél. 01 42 52 50 13 - Fax 01 44 92 95 35 - Email : [email protected] - www.uraca.org 17 Cycle dendi : Les enfants de Hara koye : Les dendi Mamar Hâma du fleuve Niger Janvier 2001 LES REPRÉSENTATIONS DENDI DE LA PERSONNE Article paru dans le cahier de l’URACA N°6 Dans le culte des foley, la notion de personne recouvre quatre entités: * * * * le gaa-ham, le corps physique, le fundi, la vie, l'énergie vitale, le biya, le double de la personne, matérialisée par son ombre, le diya, l'âme, création de Dieu qui n'appartient qu'à lui. Le biya peut être lourd ou léger, un individu ayant un biya lourd est naturellement protégé contre les esprits, par contre, celui qui a un biya léger a besoin d'une protection particulière. Ayant des activités nocturnes (il est doté d'une sorte de mécanisme de dégagement qui le rend autonome dans sa mobilité vis à vis du corps ou gaa-ham), le biya est le siège de la production des rêves ayant une signification dont le zima, en tant que spécialiste s'attache à décoder le sens dans le cadre de son travail d'interprétation et de traitement de la maladie. Le diya n'appartient pas aux esprits, mais seulement à Sidi koy c'est à dire à Dieu. Par contre, ils peuvent soigner les trois autres entités. Si à son tour un esprit tombe malade, il peut avoir des plaies par exemple, et c'est l'humain qui le soigne sans le savoir: Ainsi une femme espiègle qui n'écoutant ni les gens, ni la famille sort la nuit, est une proie privilégiée. Un esprit malade peut se coller à elle et prendre sa force vitale. De même, si une femme prépare le repas tard le soir, un esprit blessé peut prendre le repas chaud comme un emplâtre. C'est pour cela que souvent, les gens qui mangent tard le soir tombent malades et vomissent. Un esprit malade peut aussi utiliser la force vitale d'un arbre, c'est pourquoi on trouve des arbres complètement secs en forêt. URACA - Unité de Réflexion et d’Action des Communautés Africaines - 33 rue Polonceau - 75018 Paris Tél. 01 42 52 50 13 - Fax 01 44 92 95 35 - Email : [email protected] - www.uraca.org 18 Cycle dendi : Les enfants de Hara koye : Les dendi Mamar Hâma du fleuve Niger Janvier 2001 LES RELATIONS HOMMES-FEMMES Texte tiré de la Recherche : Maladies et Sida en pays dendi. L’agent de santé, le guérisseur, le marabout et la radio Il est une réalité difficile à appréhender par les occidentaux c'est les relations entre les hommes et les femmes. Hommes et femmes vivent séparément et ne se retrouvent qu’à de rares moments privilégiés. L’univers masculin est traditionnellement fait de pêche, de chasse, d'élevage, d’agriculture et d'artisanat. L'éducation des garçons, auxquels ils doivent transmettre leurs savoir-faire est également une affaire d'hommes. Les durs travaux sont réservés aux hommes. Par contre, le cœur de la concession et tout ce qui entoure la contraception, la maternité, la naissance appartient aux femmes. Elles sont les chevilles ouvrières de l’ensemble de la société, travaillant aux champs au moment des semailles et des récoltes, éduquant les tout-petits et les filles, nourrissant et soignant tout le monde. Dans une concession, les femmes profitent des moments de travail en commun pour palabrer et parler de leurs problèmes. Il existe dans certaines familles un phénomène nommé "koulli" (enfermées), où les femmes presque cloîtrées ne peuvent sortir d'une maison. Cela concerne certaines femmes de marabouts et de dignitaires très riches. Ces femmes sortent quand même, vont visiter leur famille, font du commerce chez elles et se rendent à la Mecque. Ces comportements sont tout à fait exceptionnels, ainsi pour Karimama, cela ne concerne pas plus de cinq familles; et cela ne reflète pas du tout le mode de vie des femmes. Très pauvre, cette région paysanne ne pourrait survivre sans le travail des femmes. Hommes et femmes ont des rôles équivalents dans les religions traditionnelles. Mais l’arrivée de l’islam a déséquilibré cette réalité en renforçant le rôle des hommes au détriment de celui des femmes. Cela explique sans doute pourquoi les femmes de la région sont restées très attachées au culte des "foley fori" qui leur permet de garder un rôle social déterminant. Les hommes ont été d’autant plus facilement conquis par l'islam que les cultes ancestraux ont été interdits au moment de la révolution. Le langage et l’expression de la sexualité La sexualité est loin d’être tabou mais s’exprime dans des cadres très définis. Entre elles, au quotidien, les femmes abordent directement la sexualité: "Mon mari m'a fait la marinade » « Bakondi » c’est à dire qu'on a fait longtemps l'amour. « Mon mari m'a piqué plus ». « Zormé » URACA - Unité de Réflexion et d’Action des Communautés Africaines - 33 rue Polonceau - 75018 Paris Tél. 01 42 52 50 13 - Fax 01 44 92 95 35 - Email : [email protected] - www.uraca.org 19 Cycle dendi : Les enfants de Hara koye : Les dendi Mamar Hâma du fleuve Niger Janvier 2001 Ou commentant la vie du village, les commentaires fusent du genre, j'ai appris que tel a un gros zizi ou que tel ne fait que dormir dans le lit ou que telle personne est un « toussé-tombé », un «tako kakan » ou alors on parlera de la longueur du pénis du mari d’une telle femme. « Telle n’aime que ça, » etc… Un moyen d’expression privilégié est la métaphore. Ainsi en pilant le mil, une femme peut évoquer directement les difficultés sexuelles de son mari : Elle claque son pilon dans le mortier sur un rythme codé connu des autres femmes qui la soutiennent aussitôt avec le rythme de leurs pilons, et elle chantera: « aïno, aïno, aïno, aïno aï nofila na baba, ai no ga gani woi sé, aï wo si ga gani woi sé kala dei borei ma mara » C'est moi, c'est moi, c'est moi, c'est moi le père de tel, Est-ce moi qui danse pour une femme Je ne danserai pas pour une femme, même si les gens doivent l'apprendre. Ou encore, lors du repas pris en commun le soir par les hommes réunis, elle envoie le plat contenant la boule de mil avec un épi de maïs planté dans la pâte... Cette pratique date de très longtemps et ne se voit plus de nos jours. Ou le mari mangera la pâte avec une sauce pas du tout salée et n’osera pas demander à sa femme pourquoi elle n’a pas mis de sel car tout le monde connaît le code... Il a existé une tradition lors du nouvel an dendi le troisième mois après les récoltes, qui était un jour de plaisanteries et de transgressions. Ce jour là les relations sexuelles hors mariage étaient tolérées, tout le monde sortait. Selon les dires de certains, après avoir disparu, cette tradition tend à revenir de façon insidieuse lors du Maouloud c'est à dire lors de la fête de la naissance du prophète. Ce jour là, une femme d'une caste particulière nommée Sassala va aller voir le chef du village toute nue et elle lui dit: "viens, viens, viens, viens baiser avec moi pour fertiliser la terre, pour donner la chance aux enfants. Viens, viens, viens faire ton devoir." Le chef du village lui donne alors un pagne neuf pour couvrir sa nudité. Mais de nos jours ce système a disparu. Ce même phénomène peut se voir en cas d’éclipse solaire ou lunaire. Là, la femme dit « viens, viens, viens, viens baiser avec ta mère pour libérer le soleil (la lune) » En effet, on considère qu'un phénomène anormal doit être combattu par un acte anormal de même qu'un médicament sera d’autant plus efficace qu’il fera souffrir « Dori no ga dori kâ » «C'est la douleur qui enlève la douleur ». Selon cette pensée symbolique par analogie, l'anormalité seule peut guérir l'anormalité. URACA - Unité de Réflexion et d’Action des Communautés Africaines - 33 rue Polonceau - 75018 Paris Tél. 01 42 52 50 13 - Fax 01 44 92 95 35 - Email : [email protected] - www.uraca.org 20 Cycle dendi : Les enfants de Hara koye : Les dendi Mamar Hâma du fleuve Niger Janvier 2001 De nos jours, seuls les enfants tous sexes confondus jouent du tam-tam en scandant des grossièretés envers les jeunes filles futures mères et symboles de la terre nourricière, les adultes n’y participent guère. Par contre, en dehors des cadres permettant l’expression directe, les comportements féminins dans la région sont marqués par une grande pudeur. Il est vrai que l’univers des femmes, à l’image de l'utérus maternel peut être comparé au ventre protecteur de la maison et de la famille, même si le commerce et les champs les font sortir de longs moments de la journée. Leurs échanges se font essentiellement avec leurs sœurs sociales. Le divorce Traditionnellement le choix des époux était fait par le maître religieux qui consultait les oracles pour voir si les deux futurs époux étaient promis à une cohabitation harmonieuse. En cas de conflit, le tribunal coutumier villageois pouvait conclure au divorce aussi bien à la demande du mari qu’à celle de la femme, si le comportement du conjoint en cause ne correspondait pas aux normes culturelles. Aucun remboursement de dot n’était demandé. La répudiation empruntée à l’islam est quasiment inexistante et très mal vue par la communauté: Un des sages de village ayant pratiqué la répudiation, est resté à la même place sociale, mais plus personne n’a tenu compte de ses avis par la suite. L’influence islamique a beaucoup pénétré la culture traditionnelle du milieu depuis le début du siècle. Actuellement on assiste à des tentatives pour décourager les femmes de demander le divorce en leur réclamant le remboursement de la dot au cas où elles seraient les premières à demander la séparation. Dans les faits, le remboursement est fait par la famille de la femme, ou par son nouveau prétendant lorsqu’elle en aura trouvé un. C'est l'un des préceptes islamiques sur la loi matrimoniale. En Afrique, personne ne reste célibataire. Après un veuvage ou un divorce, la femme ou l'homme se remariera. Dans le cas d'une femme ce sera en général dans le cadre de la polygamie. On comprend que cette structure familiale correspond à un mode de régulation sociale. Ainsi les hommes auront souvent, en vieillissant, plusieurs femmes en même temps, alors que les femmes auront plusieurs maris successifs au cours de leur vie. Le lévirat est très peu pratiqué dans le milieu, quelques rares cas ont été remarqués chez les peuls. URACA - Unité de Réflexion et d’Action des Communautés Africaines - 33 rue Polonceau - 75018 Paris Tél. 01 42 52 50 13 - Fax 01 44 92 95 35 - Email : [email protected] - www.uraca.org 21 Cycle dendi : Les enfants de Hara koye : Les dendi Mamar Hâma du fleuve Niger Janvier 2001 LE RITUEL VIRGINAL CHEZ LES DENDIS Article paru dans le cahier de l’URACA N°9 Description du rituel virginal Selon la légende Songhaï, à l’origine, toute fille d’origine Songhaï qui n’était pas passée par le rituel virginal le « Gossi » ne devait jamais avoir d’enfant dans sa vie. Si elle arrivait à tomber enceinte, l’enfant serait un être inachevé. La préparation du rituel « Gossi » commence le matin. Le « Gounou », maître de cérémonie, spécialiste du « Gossi », réunit chez lui toutes les fillettes du village devant être initiées chez lui. Le nombre n’est pas limité. Première mise en couvade Le soir, tous les enfants sont réunis chez le « Gounou » qui les conduit derrière le village dans un enclos construit à cet effet. Cet enclos s’appelle « Sôllô ». Les futurs époux des filles déjà fiancées doivent apporter chacun 10 fagots de tiges de mil. Les parents des jeunes filles qui n’ont pas de fiancé doivent apporter deux fagots de tiges de mil. Dans le « Sôllô » les jeunes filles sont installées en cercle sur des nattes. Chacune est accompagnée par sa tante paternelle. Pendant toute la nuit, le rituel demande que se poursuive le rythme du tam-tam. Le son de ce tam-tam spécial « Bâtâ » attire les sorciers mangeurs d’âme qui peuvent surgir de toute part pour venir perturber les âmes innocentes des jeunes filles. Car si l’âme d’une fille est perturbée, elle risque d’avoir un enfant inachevé, proie facile pour les sorciers. Pendant ce temps, le « Gounou », maître de cérémonie doit défendre ces âmes innocentes contre les sorciers envahisseurs. Il doit se débattre toute la nuit au milieu des filles en dansant, en priant, en citant des litanies, des incantations etc. Des transes peuvent survenir selon les circonstances. La veille, on a donné à chaque fille une calebasse à moitié remplie d’eau dans laquelle on a projeté des grains de mil, le tout fermé par un éventail. Chaque fille doit avoir sa calebasse placée à côté de sa tête. La « Falanga » (la femme maître de cérémonie), une jeune femme, veille, comme son homologue homme, le « Gounou », au déroulement correct de la cérémonie au cours de la nuit. Le lendemain, on ouvre les calebasses et le mil doit germer obligatoirement. Celle par qui le malheur arrive, c’est à dire pour laquelle le mil n’a pas germé peut être rachetée: on la fait passer à la deuxième phase de l’initiation avec les autres. Cependant, elle doit être préparée autrement: elle est lavée avec des décoctions magiques. URACA - Unité de Réflexion et d’Action des Communautés Africaines - 33 rue Polonceau - 75018 Paris Tél. 01 42 52 50 13 - Fax 01 44 92 95 35 - Email : [email protected] - www.uraca.org 22 Cycle dendi : Les enfants de Hara koye : Les dendi Mamar Hâma du fleuve Niger Janvier 2001 Mais auparavant, on procède à la purification des lieux et de l’acte même de l’initiation. Etape de purification Le maître de cérémonie doit rester éveillé toute la nuit. Le matin de bonne heure, tous les fagots de tige de mil sont entassés au nord de l’enclos « Sôllô ». Le matin, si tout va bien et qu’aucune fille n’est tombée malade, on entreprend un rituel de purification par le feu. Là intervient le pouvoir du forgeron qui doit brûler le tas de fagots grâce à son pouvoir magique devant toute l’assistance. Il doit mettre le feu avec un tour de main magique. Le forgeron prend une pincée de sable qu’il doit jeter sur le fagot de tiges qui doit obligatoirement s’enflammer. On aligne tous les enfants des forgerons. Ceux-ci doivent traverser le feu à trois reprises accompagnés du forgeron maître du feu. Seuls les enfants du forgeron sont habilités à traverser le feu. Après cette cérémonie de purification, toutes les filles sont regroupées dans un autre enclos rituel. Cet enclos est situé à l’intérieur du village contrairement au premier, qui situé derrière le village est fabriqué pour la circonstance. Le « Sôllô » (l’enclos) du village est le lieu de passage obligé de toutes les générations initiées par le rituel virginal. Toutes les filles qui ont déjà passé le rituel sont regroupées dans l’enclos sacré. Le lieu est préparé depuis la nuit des temps. L’espace est tracé en cercle, puis divisé par deux diamètres. C’est au centre du cercle que les filles passent les unes après les autres. Les tantes défont les cheveux de leur nièce qu’elles accompagnent, puis font une raie partant du front jusqu’à l’occiput. Deuxième phase de l’initiation On regroupe toutes les filles en initiation dans le « Sôllô » sacré. Les unes après les autres rentrent dans le « Sôllô » qui est en cercle traversé par deux diamètres. A l’intersection de ces diamètres, le « Gounou » place la fille. La « Falanga » doit verser le lait d’une vache qui a mis bas pour la première fois, au milieu du crâne de la jeune fille. De part et d’autre, le lait doit suivre un itinéraire symétrique: de face, le lait doit parcourir la ligne frontale, l’arête du nez, les lèvres, le menton, le sternum, l’ombilic, la ligne pubienne en passant entre les deux grandes lèvres. de dos, le lait doit passer sur la ligne occipitale, tout le long de la colonne vertébrale, sur le pli interfessier pour rejoindre l’autre coulée de lait au niveau de l’organe sexuel. En cas de déviation du lait de son itinéraire, le « Gounou » asperge le corps de la fille concernée rapidement pour interdire aux gens mal intentionnés de connaître le niveau exact où le lait a commencé à dévier. En effet cela pourrait entraîner une infirmité pour la jeune fille à ce niveau. Chaque fille qui n’a pas réussi l’épreuve doit subir une cure individuelle en l’absence de tout le monde. Le « Gounou » et la « Falanga » les revoient seuls. Le « Gounou » a son assistant: « Gounou Ize » un petit « Gounou ». La « Falanga » a son assistante: « Falanga Wandé » la femme de « Falanga ». On ne peut pas être « Gounou » sans l’avoir hérité. Pour être « Falanga », il faut obligatoirement URACA - Unité de Réflexion et d’Action des Communautés Africaines - 33 rue Polonceau - 75018 Paris Tél. 01 42 52 50 13 - Fax 01 44 92 95 35 - Email : [email protected] - www.uraca.org 23 Cycle dendi : Les enfants de Hara koye : Les dendi Mamar Hâma du fleuve Niger Janvier 2001 être enfant de « Sorko » (grand pêcheur initié). La « Falanga Wandé » est toujours enfant de Bata Kari Izé qui était un soninké noble et griot spécialiste de Bâta, un tambour réservé aux rois et que seuls les descendants des rois doivent utiliser lors des cérémonies spéciales. Signification du rituel virginal Contrairement aux idées reçues, le rituel virginal n’est pas une cérémonie de vérification de la virginité des filles. Il consiste à réveiller les deux sens originels qui sommeillent en elles. Selon la doctrine secrète, une insondable anxiété habite les « Waye boro » (c’est-à dire une personne à 10 symboles), le sexe féminin en général. Pour être « boro » (une personne), la femme qui est déjà fécondée (habitée) par les esprits de la création « Haragaye » doit être préparée, initiée à prendre conscience du formidable changement qui doit s’opérer en elle, en direction de ses plus intimes aspirations. La seule façon pour la femme de maîtriser l’anxiété de la création qui l’habite est de l’initier à l’union paisible avec le TOUT universel. Dans le rituel, le cercle symbolise le cosmos, le tout. Les deux traits perpendiculaires rejoignant le cercle symbolisent la spiritualité. En plaçant la future initiée au milieu du cercle, on lui permet d’émerger vers le haut, vers la perfection de son être. Cette initiation est nécessaire car elle est porteuse de l’espoir de vie. Aussi la femme doit-elle parfaire sa fonction de procréation pour permettre à ses descendants d’acquérir dans le monde invisible le pouvoir d’être en tous lieux, en tous temps, de revenir au passé, de gérer le présent ou de prospecter le futur au service de la famille, du clan de la tribu etc. URACA - Unité de Réflexion et d’Action des Communautés Africaines - 33 rue Polonceau - 75018 Paris Tél. 01 42 52 50 13 - Fax 01 44 92 95 35 - Email : [email protected] - www.uraca.org 24 Cycle dendi : Les enfants de Hara koye : Les dendi Mamar Hâma du fleuve Niger Janvier 2001 LA COUVADE DE DEUIL CHEZ LES DENDI OU LE SAHOU GHNUARI A paraître La couvade est effectuée aussi bien par la femme que par l’homme à la suite de la mort d’un des conjoints. Elle dure 4 mois et 4 jours pour la femme, 3 mois et 3 jours pour l’homme. Toutefois, pour des raisons économiques, la durée a été écourtée chez l’homme et ramenée à 33 jours puis 3 jours depuis l(avènement de l’islam dans nos contrées il y a à peine plus d’un siècle. Quant à la femme, elle continue à observer la même durée jusqu’à nos jours. La couvade ne se fait intégralement qu’une seule fois au cours de la vie. S’il arrive à la femme d’être endeuillée une deuxième fois à la mort de son deuxième époux suite à un remariage, la durée de la deuxième couvade ne sera que de 4 jours. Une femme qui a divorcé de son premier mari doit faire sa couvade à la mort de celui-ci dans son deuxième foyer durant 4 jours. Dans ce cas l’ensemble du rituel lui est épargné. La femme endeuillée est assistée tout au long de la couvade par ses belles-sœurs et les substituts de belles-sœurs. Le lendemain de la mort du mari, celles-ci doivent acheter une marmite en terre cuite avec son couvercle et 3 calebasses neuves également avec leurs couvercles. L’usage des 3 calebasses se fait dès leur achat. L’une est réservée pour les boissons, l’autre pour la nourriture et la troisième pour les douches. Quant à la marmite, elle est utilisée pour faire bouillir les plantes spécifiques pour la circonstance. Noûn-noûgoû est la plante utilisée, elle a une odeur très proche de la menthe et n’est utilisée que pour un deuil. La couvade permet à la personne endeuillée d’éviter le contact avec les visiteurs qui risquent de lui rappeler les souvenirs du défunt ce qui pourrait entraîner dépression ou même folie car dit-on en dendi : « la langue de certains visiteurs peut envoyer les mauvais esprits sur l’endeuillé ». Pendant une couvade qui dure 4 mois, tous les jeudis et les vendredis, la femme est accompagnée dans la brousse. C’est au cours de cette promenade que la cueillette des plantes s’effectue. Une vieille femme initiée à ce travail l’accompagne. Le système consiste à initier la veuve à la connaissances de certaines plantes utiles à la santé. Celle-ci doit être capable à la fin de connaître l’ensemble des rituels pour faire une couvade. Le lendemain matin du deuil, la vieille femme qui l’assiste défait les tresses de la femme, on la dénude complètement. Ses belles sœurs l’accompagnent à la douche pour lui défaire les cheveux, la laver lui enlever sa propre odeur pour la remplacer par celle du mari en lui faisant porter un vêtement du défunt pendant 7 jours. Une fois la femme lavée, Elle marche avec ses accompagnatrices à reculons jusqu'à dans la case de couvade. Là on l’habille avec un vêtement de son mari, une paire de chaussures du mari, on lui donne la vaisselle (plat et bol) du mari et un tissu du défunt lui est donné comme foulard. Elle doit rester 7 jours sans sortir dehors sauf pour aller au toilettes accompagnée de ses belles et ou de sa mère ou du substitut de la mère. On dresse trois tresses sur la tête de la veuve chiffre symbolique de l’homme. 7 jours plus tard les 3 tresses seront défaites et la femme devra être conduite au fleuve pour une purification. Ces trois tresses seront refaites chaque vendredi pendant tout le temps de la couvade. La femme reste toujours entourée par ses belles-sœurs. URACA - Unité de Réflexion et d’Action des Communautés Africaines - 33 rue Polonceau - 75018 Paris Tél. 01 42 52 50 13 - Fax 01 44 92 95 35 - Email : [email protected] - www.uraca.org 25 Cycle dendi : Les enfants de Hara koye : Les dendi Mamar Hâma du fleuve Niger Janvier 2001 Il existe trois espèces d’arbres dont on cueille les jeunes pousses mélangées à noûn-noûgoû pour le bain et la boisson. La femme ne doit pas boire d’eau pure, elle consomme les décoctions des plantes spécifiques. Elle garde toujours une bouillie à base de mil préparée avec les plantes à portée de la main. Le début de la couvade Il faut préciser qu’avant tout mariage on demande l’argent de la porte de la case conjugale. Le lendemain matin de la mort du mari, on enlève la porte de la case que la femme utilisera comme lit. La femme s’y couchera sur le ventre pendant 4 nuits de suite. Après les rituels de purification qui consistent à laver la femme avec des décoctions de feuilles, d'écorce et de fruits sauvages « garbeys », la femme endeuillée et ses accompagnatrices rentrent dans la case à reculons jusqu’au fond de la case. La femme est alors habillée d’un pagne blanc et d’un morceau d’habit blanc de son défunt mari qu’elle portera comme un foulard sur la tête. Elle portera également les chaussures de son mari pendant une semaine. Le lendemain du décès, on lui donnera à boire le jus des jeunes pousses de garbeys. Celles-ci ont été cueillies pour l’occasion le matin même puis pilées et passées dans une passoire afin de recueillir le jus dans un bol dont le mari se servait pour boire. Il faut savoir qu’en Afrique, le mari a un plat particulier dans lequel il mange, un bol dans lequel il boit, aucune femme n’a le droit de manger ou de boire dans l’un de ces récipients. Dans cette occasion exceptionnelle, la femme doit transgresser le tabou en buvant dans le bol de son mari, en portant ses chaussures et quelquefois son pantalon. La couvade proprement dite Dès la mort du mari, la femme ne sort plus de sa case. Elle ne parle à personne sauf à ses bellessœurs et à ses parents directs. Généralement c’est à la mère ou à la belle-mère qu’elle parle. La première nuit du deuil, on enlève la porte de la case et la femme doit se coucher à plat ventre sur la porte au fond de sa case jusqu’au matin. Le lendemain, les belles-sœurs lui défont les tresses et la conduisent au fleuve. Elles l’entraînent dans l’eau jusqu’au niveau du nombril. Trois personnes la tiennent : une derrière avec les mains sur les deux épaules de la veuve, une de chaque côté lui tenant le bras et l’avant-bras, la femme gardant le visage tourné vers l’Est. Elles procèdent alors à une baignade, sorte de noyade en plongeant de force la veuve dans l’eau pendant quelques minutes, puis elles la sortent de l’eau en lui posant la question suivante : « Qu’as-tu vu dans l’eau ? ». Cette partie du rituel est exécutée à quatre reprises au cours desquelles la femme est immergée et émergée de force. A la sortie de l’eau elle doit agiter la tête. Elle a l’obligation de répondre au moins une fois à la question. Elle peut dire : « j’ai vu tel poisson ou tel animal aquatique », à partir de ce moment là, le poisson ou l’animal cité lui restera un interdit alimentaire pour toujours. Il symbolise le degré d’intimité, d’amour qu’elle a pour son mari. Plus la chair du poisson ou de l’animal est estimée sur le plan gastronomique, plus cela témoigne de son URACA - Unité de Réflexion et d’Action des Communautés Africaines - 33 rue Polonceau - 75018 Paris Tél. 01 42 52 50 13 - Fax 01 44 92 95 35 - Email : [email protected] - www.uraca.org 26 Cycle dendi : Les enfants de Hara koye : Les dendi Mamar Hâma du fleuve Niger Janvier 2001 attachement à son mari. Certaines femmes qui n’aiment pas leur mari disent qu’elles ont vu un crapaud, une grenouille ou toute autre saleté indiquant la situation conflictuelle dans le couple ou même l’aversion qu’elle éprouvait envers le défunt. Les belles-sœurs s’empressent de savoir ce qu’elle aura dit avoir vu dans l’eau, la tension ne baisse que quand elles auront entendu le verdict. Même si la femme dit avoir vu un crapaud, cela n’entachera pas la relation privilégiée avec les belles-sœurs en raison du lien à plaisanterie qui existe entre elles. « Le Sâhoû » ( Boro mate) A l’ arrivée de l’islam la couvade de deuil est changée car c’est au marabout de fabriquer un grisgris blanc que la femme endeuillée doit porter sur le cou au bout de la huitaine. A la mort du mari, la femme doit se coucher sur un lit en secko ou sur le secko lui même préparé simplement comme un lit, ou alors sur la porte de la maison de la femme endeuillée. Elle se couche sur ce lit pendant 4 nuits successives, ses mains ne doivent pas toucher le sol pendant 4jours, même pour se lever la femme est aidée par d’autres personnes. La femme peut aller puiser de l’eau au bout de 7 jours, mais elle ne doit pas emprunter le chemin normal, elle doit prendre un autre itinéraire, si elle croise quelqu’un qui la salue, elle ne doit pas répondre. Elle ne doit pas aller au marigot où tout le village s’abreuve, elle ne lave ses habits qu’une fois par semaine ( chaque dimanche par exemple). Le jour du décès du mari devient le jour symbole reservé pour puiser de l’eau, pour laver les habits etc… Arrivée au marigot la femme lave son unique pagne de deuil, qu’elle doit encore porter même mouillé. La sortie définitive de la couvade est le jour du rasage de la femme. On lui rase les cheveux au niveau de la tempe et ce jour là, elle est conduite au fleuve pour être lavée par ses belles-sœurs. Il consiste a immerger la femme 4 fois pendant quelques minutes, les tresses défaites, en agitant chaque fois la tête pour essorer ses cheveux. Au bout de ces 4 fois elle dira ce qu’elle a vu dans l’eau à la demande de ses belles sœurs. (voir explication plus haut). Le bain se prend au fleuve en présence d’un coiffeur traditionnel, mais avec l’islam cette partie du rituel a été interdite et se fait sous forme de douche derrière la case. Auparavant on préparait une bouillie spéciale (sosso-komandi) mélangée avec du miel, de la potasse etc… La femme devait avoir sa part pour elle toute seule. Les autres femmes ne devaient pas boire dans le même bol que la femme en couvade. Le jour du deuil, normalement, on cueille une plante appelée (kio si zoumbou) et on la pile dans un mortier. Kio si zoumbo est le jeune pousse de garbey qu’on cueille pour piler et tamiser en recueillant le jus dans le bol du mari défunt. La femme boit donc ce jus dans le bol de son mari, mais auparavant on lui demandera de dire la vérité à propos de sa maternité c’est à dire si elle n’est pas enceinte car elle risque d’avorter en buvant cette décoction magique. Etre enceinte se dit : « Est-ce que tu ne portes pas ? » (Kambéyan = porter avec soi ) Les belles sœurs insistent beaucoup avant de donner à boire à la veuve car elle perdrait sa grossesse le jour même. La femme enceinte ne doit pas boire cette décoction. L’islam à tout changé ; même la bouillie qu’on faisait pour donner a boire aux visiteurs est interdite. URACA - Unité de Réflexion et d’Action des Communautés Africaines - 33 rue Polonceau - 75018 Paris Tél. 01 42 52 50 13 - Fax 01 44 92 95 35 - Email : [email protected] - www.uraca.org 27 Cycle dendi : Les enfants de Hara koye : Les dendi Mamar Hâma du fleuve Niger Janvier 2001 Avant l’islam : le prêtre animiste qui avait procédé aux cérémonies du deuil recevait de petits cadeaux :à savoir, des colas, de la bouillie, un peu d’argent, quelques objets en nature appartenant au mort ( les chaussures, les gobelets, des bols etc…). C’est maintenant interdit par l’islam. La femme en couvade va cesser de se coucher à ventre plat sur la porte de la case le 4e jour du deuil. Puis elle restera dans sa case jusqu’au huitième où elle sortira pour être lavée par les belles sœurs. S’il arrive qu’une jeune fille perde son fiancé, ses belles sœurs la font passer 4 fois au dessus de la clôture de la maison mortuaire avant de la mettre en couvade pendant la même période que la veuve ou les veuves du défunt. Si le fiancé défunt ne s’était jamais marié, sa fiancée ne restait pas longtemps en couvade. Parmi les belles sœurs, seule la belle sœur ayant déjà fait une couvade a le droit de guider la femme sinon on cherchera une tierce personne substitut de belle sœur pour accompagner la veuve en couvade dans ses déplacements. Chaque semaine la veuve en couvade est conduite en brousse pour cueillir des plantes pour une utilisation rituelle c’est ce jour de la semaine qu’elle fera sa lessive au fleuve accompagnée de la vielle femme choisie à cet effet ou de la belle sœur accompagnatrice. Toutes les 3 semaines la veuve est également accompagnée dans la brousse pour cueillir des plantes et procéder à la destruction de termitières. Il s’agit de casser avec le pied la première , de la deuxième et de la troisième termitières rencontrées sur le chemin dans la brousse. La femme doit commencer avec son pied gauche pour la première termitière, avec le pied droit pour la deuxième et en fin avec le pied gauche pour la troisième. La fin de la couvade A la fin de la couvade, la femme doit être rasée ? On enlève simplement les duvets autour du front et des tempes. Le petit morceau de fil noir autour du cou ne peut être enlevé qu’après avoir traversé le fleuve. Il symbolise le deuil. Les femmes qui n’auront pas pu traverser le fleuve, ne pourront l’enlever que lorsqu’elles auront un nouveau mari. Pour pouvoir retirer le fil noir, le prétendant devra payer une somme d’argent. Cérémonies de deuil chez les kabu ize Ou le koussaou Karou A la mort de leur, les initiés se réunissent pour aller ensemble au fleuve au bord de l’eau pour laver tous les habits du défunt. Au retour, on prépare les cérémonies du deuil. Il s’agit d’installer le corps sur un tabouret mortuaire. C’est alors qu’on joue tous les airs des esprits qui l’ont possédé se son vivant. Chaque esprit doit se manifester sur le cadavre les uns après les autres selon la tradition. Le cadavre est installé au milieu du cercle entouré par les initiés et les parents. URACA - Unité de Réflexion et d’Action des Communautés Africaines - 33 rue Polonceau - 75018 Paris Tél. 01 42 52 50 13 - Fax 01 44 92 95 35 - Email : [email protected] - www.uraca.org 28 Cycle dendi : Les enfants de Hara koye : Les dendi Mamar Hâma du fleuve Niger Janvier 2001 Dans un premier temps on lui prépare son kabu dans une jarre fermée d’un éventail rond. Selon la légende, le kabu est l’arbre originel qui a la vertu de mettre en harmonie le monde des vivants avec le monde invisible, et d’être le véhicule de l’âme pour le monde invisible. De son vivant l’initié devrait s’abreuver de la décoction des éléments de cet arbre selon la personnalité de l’individu et des esprits qui cohabitaient avec lui. La toilette funéraire se faisait avec le kabu, les zima vont cueillir les éléments de l’arbre (feuille, tige, écorce, racine, jeunes pousses etc…) qui ont servi à son initiation. Sinon un autre initié peut être possédé et l’esprit indiquera les partie de l’arbre qu’il faut cueillir pour la circonstance. On pose une jarre dans la case du défunt, sur un pieu à trois fourches, le pieu étant coupé sur un autre espèce d’arbre. Les élément des arbres ainsi cueillis sont mis dans la jarre à moitié remplie d’eau du fleuve (cette eau est puisée au milieu du fleuve) puis on ajoute des gains de mil, le tout fermé par un éventail jusqu’au matin. Pendant la veillée du deuil, on procède a une cérémonie de danse de possession. Après la toilette funéraire, on embaume le corps avec une sorte d’encens rouge (dougou kirey) cueilli pour la circonstance. C’est à ce moment là que le cadavre sera enroulé dans un linceul enfumé également par la même substance. Selon le ou les groupes d’esprits qui l’ont possédé de son vivant, en tenant compte du plus élevé dans le panthéon des esprits, le corps sera soit étalé par terre, soit installé sur un tabouret sacré ou sur un mortier. Cela reflète si l’esprit appartient aux esprits du ciel, de la terre, de l’eau, etc. La cérémonie du détachement du double Les cérémonies de la huitaine Les cérémonies durent une semaine (7 jours). C’est lors de la septième nuit que l’on fait la veillée. Tous les jours les initiés dansent avec deux tiges sacrées préparées pour la cérémonie. URACA - Unité de Réflexion et d’Action des Communautés Africaines - 33 rue Polonceau - 75018 Paris Tél. 01 42 52 50 13 - Fax 01 44 92 95 35 - Email : [email protected] - www.uraca.org 29 Cycle dendi : Les enfants de Hara koye : Les dendi Mamar Hâma du fleuve Niger Janvier 2001 2° Partie : Maladie et soin chez les dendi Religion et thérapie URACA - Unité de Réflexion et d’Action des Communautés Africaines - 33 rue Polonceau - 75018 Paris Tél. 01 42 52 50 13 - Fax 01 44 92 95 35 - Email : [email protected] - www.uraca.org 30 Cycle dendi : Les enfants de Hara koye : Les dendi Mamar Hâma du fleuve Niger Janvier 2001 LES DIFFERENTES CATEGORIES DE SOIGNANTS DANS LA SOUS-PREFECTURE DE KARIMAMA Texte tiré de la Recherche : Maladies et Sida en pays dendi. L’agent de santé, le guérisseur, le marabout et la radio Les tradipraticiens sont très nombreux avec des spécialités variées, ils vivent au cœur des villages même des plus reculés. Leurs pratiques peuvent être issues de l'Afrique millénaire comme celles des « zimas » ou des « sorkos », ou être dérivées de l'islam comme celles des « alphas » et des cheiks. Profondément ancrées dans les cultures locales, leurs réponses thérapeutiques sont en adéquation avec les représentations culturelles des maladies. les guérisseurs Sous un terme générique de « zima » signifiant « celui qui soigne », on retrouve différentes catégories de thérapeutes. Dans le langage commun le mot « zima » emprunté au culte des danses de possession est vulgarisé et signifie celui qui soigne en utilisant les substances végétales, minérales ou animales. Toute personne pratiquant une thérapeutique traditionnelle préislamique quelle qu’elle soit est appelée « zima ». Les principales catégories de guérisseurs sont les suivantes: les véritables « zimas » appartenant au culte de possession, les « sorkos » qui sont spécialisés dans les problèmes ORL et font les incantations des esprits majeurs, en particulier celui de la foudre, les forgerons ou « zam » qui soignent les brûlures, les herboristes ou « touri kako », les « gounous » qui font les circoncisions et les scarifications, les coiffeurs ou « wanzam » qui mettent les ventouses, les « attacheurs », rebouteux de père en fils ou de mère en fille, les « mo ka bey » ou les « donneurs de recettes », qui soignent grâce au savoir acquis après avoir été eux mêmes soignés pendant longtemps pour une maladie donnée, qu’ils ont ainsi appris à soigner sur le tas. Dans les années cinquante, des marabouts venus du Niger prêchant la parole divine ont saccagé les autels des cultes des anciens dans l'ensemble de la sous-préfecture. Dès lors cette pression de l'islam s'est maintenue par les notables musulmans. Cependant, certains cultes perdurent tel le culte de possession ou « Foley Fori ». URACA - Unité de Réflexion et d’Action des Communautés Africaines - 33 rue Polonceau - 75018 Paris Tél. 01 42 52 50 13 - Fax 01 44 92 95 35 - Email : [email protected] - www.uraca.org 31 Cycle dendi : Les enfants de Hara koye : Les dendi Mamar Hâma du fleuve Niger Janvier 2001 les marabouts Le marabout ou « Alfa » est un thérapeute traditionnel islamisé qui soigne avec les sciences coraniques. Suivant les cas, sa pratique est plus ou moins syncrétique entre les techniques traditionnelles de soins préislamiques et des techniques s les marabouts Le marabout ou « Alfa » est un thérapeute traditionnel islamisé qui soigne avec les sciences coraniques. Suivant les cas, sa pratique est plus ou moins syncrétique entre les techniques traditionnelles de soins préislamiques et des techniques s’appuyant exclusivement sur le Coran. Son mode de consultation est plus familial on va souvent lui rendre visite le soir après avoir passé la journée aux champs ou sur le fleuve. On lui soumet alors les difficultés rencontrées au sein de la famille. On consulte souvent pour un autre membre de la famille qui peut être absent (La mère demande conseil pour son fils, la femme pour son mari et vice versa...) Il existe quatre sortes de marabouts dans la région: Les « alpha »: ce sont les plus nombreux. Ils utilisent surtout les versets du Coran sous forme d'écriture sur des tablettes en bois que le patient lave. Il récupère ensuite l'eau dans une calebasse puis il la boit ou se lave avec pour se purifier. Les « alpha zima »: Ce sont à la fois des prêtres du culte de possession et des marabouts. Certains sont initiés avant tout avec des connaissances islamiques, d'autres sont marabouts de formation mais conjointement les thérapeutiques traditionnelles. Les « Dan faraïze » (mot haoussa) : Ce sont des marabouts dribbleurs qui utilisent des tours de magie pour escroquer leurs victimes. les « cheik » : Ils sont rares, ce sont des maîtres de l'islam qui n'utilisent que les prières. les centres de soins Dans la sous-préfecture, les structures médicales sont composées: d'un centre de soins à Birni Lafia avec un infirmier et un aide soignant. Le premier village de la Sous-préfecture, Kargui est situé à 5 km environs. d'un centre de soins à qui se trouve à 12 km de Bimi Lafia, où travaillent un médecin-chef, un infirmier diplômé d’état, une sage-femme contractuelle, un laborantin, et quatre aides-soignants. - La commune de Bogo bogo, à 13 km de Karimama n’a pas d’infrastructure sanitaire. - La commune de Kompa à 25km de Karimama et 17km de Bogo bogo a un centre de soins avec un infirmier et deux aides-soignantes. La commune de Mossey à 26km de Kompa n’a aucune infrastructure sanitaire pour le moment. Le village le plus éloigné "la Mékrou" Pékinga est encore à 26 km de Mossey. URACA - Unité de Réflexion et d’Action des Communautés Africaines - 33 rue Polonceau - 75018 Paris Tél. 01 42 52 50 13 - Fax 01 44 92 95 35 - Email : [email protected] - www.uraca.org 32 Cycle dendi : Les enfants de Hara koye : Les dendi Mamar Hâma du fleuve Niger Janvier 2001 ETIOLOGIES TRADITIONNELLES DES MALADIES Texte tiré de la Recherche : Maladies et Sida en pays dendi. L’agent de santé, le guérisseur, le marabout et la radio La punition divine "Ikwe waadu no", 'la volonté divine" désigne les maladies envoyées intentionnellement par Dieu. Dieu ne punit pas une personne mais un groupe qui a transgressé ses lois. Là aucun mode de prévention n’est concevable en dehors de la prière. Ces maladies sont. soignées de façon quasi exclusive par les marabouts chez lesquels les malades passent pour faire « âwé gnharé »: la prière thérapeutique. Les maladies des esprits "Gandji doori no", "la maladie du diable", c'est à dire une maladie causée par les mauvais esprits. Les maladies chroniques ou d’évolution lente supposent un envoûtement, un sort jeté ou un empoisonnement. Les maladies épidémiques d’évolution rapidement fatales telles que la rougeole ou la méningite sont « des maladies du vent » sensées être dues au passage dans un milieu donné d’un esprit ayant les mêmes caractéristiques que celle-ci et contaminent massivement les gens les plus faibles. Le vent étant assimilé au souffle de l’esprit, c'est à dire aux mauvaises ondes transmises par un esprit lors de son passage dans un milieu. Ces maladies du vent sont redoutées et obligent les gens à renforcer souvent les défenses individuelles. Par exemple au cours de l’épidémie de méningite du début de l’année 1996, les esprits lors des cérémonies de danses de possession ont demandé de nouer une cordelette noire à la jambe gauche. Pour le choléra qui a sévi au même moment, ils ont demandé de faire "Kôo ba iou" "le jus de baobab meilleur que le miel", qui désigne une préparation fabriquée à partir du fruit du baobab et de sel. On sait d’ailleurs que le fruit de baobab est antidiarrhéique et que le sel est indispensable à la réhydratation Ainsi les recettes ne sont pas immuables mais chaque épidémie impose l’organisation de cérémonies au cours desquelles les esprits donnent des directives au groupe. Le «Kôo ba iou», nom de cette recette ordonnée par les esprits, est venue remplacer le sel de réhydratation prescrite par l'OMS. Les maladies ordinaires Une maladie ordinaire est appelée "doori kwaarey no" "une maladie blanche", est une maladie naturelle. Elle peut atteindre n’importe qui et n’appelle aucun commentaire particulier. Une telle maladie est supposée être une maladie qu’on peut éviter comme le choléra ou les dysenteries qui s’attrapent par l’eau et qu'on évite en buvant l’eau des puits. Ces maladies peuvent avoir divers modes de transmission. URACA - Unité de Réflexion et d’Action des Communautés Africaines - 33 rue Polonceau - 75018 Paris Tél. 01 42 52 50 13 - Fax 01 44 92 95 35 - Email : [email protected] - www.uraca.org 33 Cycle dendi : Les enfants de Hara koye : Les dendi Mamar Hâma du fleuve Niger Janvier 2001 LA TRANSMISSION FOETO-MATERNELLE DES MALADIES Texte tiré de la Recherche : Maladies et Sida en pays dendi. L’agent de santé, le guérisseur, le marabout et la radio Dans la région, ce mode de transmission congénital peut se faire de trois manières: * Soit la mère enceinte a mangé un aliment interdit. La maladie de l’enfant reproduit alors les caractéristiques de l’aliment ingéré. Par exemple manger du varan pourra donner une dermatose desquamative à l’enfant. Ceci est lié à des tabous familiaux liant une famille à son génie protecteur. La transgression du tabou alimentaire provoque ce genre de maladies. D'autre part, si une femme enceinte sort à certaines heures interdites quand les génies, les esprits et les djinns ont coutume de sortir et qu’elle croise leur route, l’enfant qu’elle porte pourra tomber malade car les mauvaises ondes transmises par les esprits lors de leur passage sont sensées traverser la barrière utérine pour atteindre le fœtus. L'esprit peut transmettre ses caractéristiques génétiques à l'enfant qui en grandissant, aura le comportement de l'esprit. Ainsi l'autisme, les psychoses infantiles et certaines maladies chroniques sont interprétées de cette manière. Si pour une raison quelconque l’énergie vitale d'une femme est faible, " Tchura" l’oiseau sorcier peut transmettre ses caractéristiques à l’enfant qui est dans son ventre. Ce sont, en particulier, les maladies convulsivantes. La fiente de cet oiseau en tombant sur la case dans laquelle s'abrite une femme enceinte transmet une telle maladie au fœtus. La maladie sera encore plus grave si l'oiseau se pose sur le toit. La mère peut transmettre une maladie à son enfant par la voie sanguine seulement à partir de l’accouchement. C'est souvent une maladie sorcière, car le sorcier aime le sang et profite de la fragilisation de la femme à ce moment précis. La mère transmet toujours sa propre sorcellerie à son enfant par l’allaitement. Cette transmission peut être qualifiée de dominante dans la mesure où l’enfant est considéré comme réellement sorcier. C'est pourquoi on ne donnera jamais son enfant à allaiter à une femme qu’on ne connaît pas. Cela rejoint l'interprétation médicale actuelle concernant le moment privilégié de la transmission du virus du HIV de la mère à son enfant qui est situé au moment de l’accouchement. La transmission sanguine se fait par le père au moment de la conception de l’enfant. Le sang appartient au père: ainsi si son enfant fait une faute grave il lui dira: "Si tu es de mon sang, ce que tu viens de me faire tu le paieras" "si tu as fait ça, c’est que tu n’es pas de mon sang" "tu n’es pas l’enfant né de la ceinture de mon pantalon": on comprend là que le sperme vient du sang du père. Dans l’imaginaire collectif quand un homme fait plusieurs fois l’amour dans une nuit, il n’a plus de sperme, c'est du sang qui coule. Le sperme est constitué à la fois de sang et de moelle. L’enfant est robuste quand le sang et la moelle du père sont bons. Le premier cri de l’enfant suppose que le père est de bonne qualité. Si un homme veut un enfant robuste il ne doit pas trop gaspiller son sperme afin de le concentrer. URACA - Unité de Réflexion et d’Action des Communautés Africaines - 33 rue Polonceau - 75018 Paris Tél. 01 42 52 50 13 - Fax 01 44 92 95 35 - Email : [email protected] - www.uraca.org 34 Cycle dendi : Les enfants de Hara koye : Les dendi Mamar Hâma du fleuve Niger Janvier 2001 Si le père est sorcier, il transmet de manière héréditaire qu’on pourrait qualifier de récessive son "fluide sorcier" à son enfant qui est sensé avoir des comportements déviants mais n’est pas sorcier lui-même. Cet enfant tout en n'étant pas sorcier devient coléreux, impulsif, etc. URACA - Unité de Réflexion et d’Action des Communautés Africaines - 33 rue Polonceau - 75018 Paris Tél. 01 42 52 50 13 - Fax 01 44 92 95 35 - Email : [email protected] - www.uraca.org 35 Cycle dendi : Les enfants de Hara koye : Les dendi Mamar Hâma du fleuve Niger Janvier 2001 BAANI ZUMBU KABU IZE THÉRAPIE ET DANSES DE POSSESSION Article paru dans le cahier de l’URACA N°6 La démarche médicale et l'initiation répondent à un objectif commun qui est de soigner. Alors que la première est analytique et individuelle, la seconde est synthétique et collective, les danses de possession en sont un exemple: Elles consistent à faire appel aux "esprits" pour engendrer un processus thérapeutique qui intègre le groupe social. La rencontre de ces deux méthodes thérapeutiques était le but de des rencontres d'ethnomédecine qui ont eu lieu à Paris en 1994 et 1995. En 1994 avec l'aide de la DGS et DECS, URACA a pu faire venir 20 tradipraticiens du nord Bénin pour participer aux rencontres d'ethnomédecine et au colloque "Jour des savants, nuit des esprits". En 1995, quatre d'entre eux nommés Djibo SAYBOU, Aoudou MAROU, Amadou GARBA et Nayini MAïTCHIDO avec à leur tête Mr Moussa MAMAN fondateur d’URACA, tradipraticien et ethnopsychiatre sont revenus durant un mois pour une expérience pilote de consultations d'ethnomédecine. Il s'agissait de donner aux équipes médicales les moyens de répondre à la question suivante : Comment faut-il situer la prise en charge d'un patient africain en France? Se demander qu'est-ce qu'être guéri, soigné, qui peut guérir ou soigner et pourquoi, c'est d'abord s'interroger sur les valeurs, les croyances et la structure de la société où ces questions sont posées. Or le migrant est par essence à cheval entre deux sociétés, ses représentations de la maladie sont par conséquent à cheval également entre deux systèmes culturels différents. En ce qui concerne les africains en France ils doivent donc faire un grand écart entre des conceptions traditionnelles magico-religieuses profondément ancrées dans leur histoire personnelle et des représentations médicales et rationnelles, seules à être socialement reconnues et valorisées. D'où l'extrême difficulté à exprimer les premières. Dans le contexte de la santé mentale, l'ethnopsychiatrie a permis la prise en compte de ces conceptions traditionnelles, ce qui est rarement le cas dans le cadre des maladies somatiques, et particulièrement du Sida. Le Sida met en échec les techniques modernes, donc pour ces patients imprégnés par l'équation médiatique Sida=mort, le recours aux tradipraticiens leur offre une possibilité de garder espoir et de donner un sens à leur malheur. Les tradipraticiens invités font partie de l'association dendi Baani Zumbu Kabu Ize. Les dendi sont un sous-groupe de l'ethnie djerma-songhaï qui s'étend entre le Niger, le Bénin, le Burkina Fasso et le Mali. URACA - Unité de Réflexion et d’Action des Communautés Africaines - 33 rue Polonceau - 75018 Paris Tél. 01 42 52 50 13 - Fax 01 44 92 95 35 - Email : [email protected] - www.uraca.org 36 Cycle dendi : Les enfants de Hara koye : Les dendi Mamar Hâma du fleuve Niger Janvier 2001 Baani Zumbu Kabu Ize signifie: « pour que vivent les enfants de Kabu ». Kabu est l'arbre originel dont on utilise les pouvoirs dans l'initiation et dont chacune des parties: feuille, branche, fleur, etc., correspond symboliquement à un esprit particulier que l'on attribue à un initié. La religion traditionnelle fait référence à un panthéon d'esprits qui forme une véritable société spirituelle à l'image du panthéon des dieux grecs. Les foley ou "esprits" sont des divinités mobiles et dispersées contrairement aux génies du terroir ou torou qui sont des divinités enracinées. Ils ont une organisation semblable à celle des hommes dont ils sont, à la seule différence qu'ils sont invisibles, presque des doublets. Ils sont hiérarchisés en familles liées entre elles par des relations très complexes. Ils appartiennent à trois grandes familles: la famille de Harakoy, le génie de l'eau, la famille de Béné koy ou Yabilam, le génie du ciel et la famille de Marou, l'esprit de la terre et du feu. Ces "esprits", les foley, sont les enfants de Sidi koy (Dieu, celui qui est invisible). Les foley utilisent le corps des initiés pour parler au groupe durant la transe. Le culte des foley a son prêtre, c'est le zima. celui-ci organise les cérémonies de possession par la transe. Toute cérémonie se fait avec la présence d'un orchestre. L'instrument principal est le goguié, le violon, d'où le nom de may goguié, c'est à dire le violoniste. C'est le généalogiste des foley. Les musiciens jouent la musique de l'esprit qu'ils veulent faire venir et rappellent ses pouvoirs de la même façon que les griots chantent les rois dans les sociétés humaines. Le zima maître de cérémonie ou un de ses collaborateurs traduit la langue de l'esprit pour le public. Le zima se trouve alors en position d'interprète entre le patient et l'esprit, de la même manière que le psychanalyste est interprète entre le patient et son inconscient. On comprend donc facilement que dans cette forme de thérapie, l'inconscient collectif remplace l'inconscient individuel des thérapies occidentales. URACA - Unité de Réflexion et d’Action des Communautés Africaines - 33 rue Polonceau - 75018 Paris Tél. 01 42 52 50 13 - Fax 01 44 92 95 35 - Email : [email protected] - www.uraca.org 37 Cycle dendi : Les enfants de Hara koye : Les dendi Mamar Hâma du fleuve Niger Janvier 2001 CULTE DE POSSESSION CHEZ LES DENDI EXPOSE D'INTRODUCTION A LA CÉRÉMONIE RITUELLE DU 24 Septembre 1994 Article paru dans le cahier de l’URACA N°6 Je voudrais vous parler brièvement du culte de possession chez les dendis. Les dendis sont un sous-groupe des djermas-songhais qui sont également descendants des soninkés. Nous sommes des soninkés mais perdus quelque part, en aval du fleuve car nous n’aimions pas la guerre. Dans notre culte de possession, nous avons ce que nous appelons SIDIKOYE. SIDIKOYE c'est l'invisible. Entre l'invisible et nous, les humains, nous avons ce que nous appelons "les esprits". Nous n’avons pas de prophète. Nous sommes tous des prophètes dès l'instant que nous appartenons à SIDIKOYE. Selon la mythologie dendi personne ne peut représenter SIDIKOYE sur la terre, nous sommes tous ses représentants. Baani Zumbu Kabu ize est une association de ce culte de possession. Les "esprits" sont entre SIDIKOYE et nous. C'est très difficile de les définir dans les références culturelles occidentales. On peut faire le parallèle entre les anges du christianisme ou les malaikas des musulmans ; nous, nous avons les esprits. LE PANTHÉON DES ESPRITS Regardons l'arbre généalogique du panthéon des esprits dendis. Un certain nombre de noms doivent vous sembler bizarres. En prenant de la gauche vers la droite: ALFAGA le génie de la médecine, en dessous SARKI le génie de la psyché. Le plus grand le premier, Rappelle MANA SAROU, à côté de lui il y a DANDOU et TONDI. Tout à l'heure nous allons essayer de faire appel aux esprits et de faire une mise en transe. Nous allons faire appel aux esprits en commençant par TONDI qui vient avant HARAKOY. Nous lui demanderons sa grâce avant de faire appel à HARAKOY puis à YABILAM et enfin ZATAOU. Nous leur demanderons grâce avant de demander à DODO de bien vouloir se manifester. Ce n’est pas parce que TONDI est en haut qu'il est forcément le premier à être appelé : c'est une question de pacte. Pour faire appel à un esprit, il faut faire une sorte de contrat, mais attention, l'esprit est lui aussi obligé de demander pardon aux autres. Ce n’est pas parce qu'on lui a demandé de venir qu’il est le plus grand. L'ordre du diagramme n'est pas forcément l'ordre d'arrivée des esprits. C'est très complexe. Mais avant de commencer les cérémonies, nous sommes tenus de demander grâce aux premiers. URACA - Unité de Réflexion et d’Action des Communautés Africaines - 33 rue Polonceau - 75018 Paris Tél. 01 42 52 50 13 - Fax 01 44 92 95 35 - Email : [email protected] - www.uraca.org 38 Cycle dendi : Les enfants de Hara koye : Les dendi Mamar Hâma du fleuve Niger Janvier 2001 L'INITIATION. Parlons brièvement de l'initiation à cette forme de culte chez les dendis. Plusieurs itinéraires sont possibles: Il existe une initiation pour être thérapeute qui peut se dérouler de la façon suivante. Si vous êtes malade, vous vous rendez dans une cérémonie de danse de possession. Ce jour là, on vous identifie en tant que malade parce que vous avez peut-être quelques réactions qui correspondent à des caractères spécifiques. Le groupe vous identifie. Si vous acceptez de faire une cure, on vous soigne. Une fois que vous êtes soigné, si vous acceptez de faire partie du groupe, on vous initie. * Deuxièmement, vous pouvez être d'une famille de "possédés", ou d'une famille qui a un « esprit » ou un génie, si on peut appeler ça comme ça. Le génie de la famine peut sympathiser avec vous. Dans un premier temps, il donne des signes à la famille et à vous-même, pour dire: "Je suis là, je veux être avec toi". Dans ce cas là, il y a soins également. On vous soigne parce que vous ne connaissez pas du tout ce qui vous arrive, le soin consiste à vous faire comprendre ce qui vous arrive. C'est à partir de ce moment là qu'on vous fait sympathiser avec l'esprit. Et l'esprit peut soit vous prendre comme une personne relais pour faire de la thérapie, soit vous soigner et se limiter là, sans aller plus loin. Il sympathise avec vous, vous oriente si quelque chose ne va pas, oriente votre famille à travers vous et ça s'arrête là. * Il existe une autre forme d'initiation beaucoup plus profondément mystique. Ainsi par exemple, si vous venez dans un groupe de thérapeutes par les danses de possession, on dit que vous avez eu l'appel. Un esprit se manifeste chez quelqu'un d'autre et vous dit que vous êtes d'office membre de l'équipe. A ce moment là, l'équipe vous prend, vous apprend les caractéristiques de l'équipe (et non celles de l'esprit), et là, on vous apprend autre chose: la matérialisation de tous les phénomènes extrasensoriels, ou tout ce que vous voulez. Et c'est là, à ce niveau, qu'on devient un maître. N’oubliez pas que ce que je vous décrit concerne précisément les dendis. Vous pouvez également devenir maître par un autre chemin: si vous êtes malade et qu'une équipe vous a soigné, vous avez subi une cure thérapeutique. Après cette cure, vous pouvez rentrer dans l'équipe: vous dites "j'aime les esprits, je veux savoir". Il y a une manière de le dire, c'est culturel. Alors, on vous apprend. Vous rentrez dans ce cas là dans le monde le plus secret de la formation mystique dendi. Vous arrivez au stade dont nous parlions tout à l’heure, le stade de la mentalisation. Vous devenez un maître, vous n'avez pas besoin de rêves à ce moment là (ce que le marabout appelle esterara, et qui consiste à faire un bout de papier, le mettre sous l'oreiller, s'endormir dessus, et dire le lendemain ce qui s'est passé). Ici, ce n'est pas ça, on vous apprend comme chez les hindous ou les bouddhistes à peu près, à entrer dans des différents états de conscience où vous devenez complètement inconscient et où se manifestent les forces invisibles. Mais c'est un état que vous recherchez vous-même. URACA - Unité de Réflexion et d’Action des Communautés Africaines - 33 rue Polonceau - 75018 Paris Tél. 01 42 52 50 13 - Fax 01 44 92 95 35 - Email : [email protected] - www.uraca.org 39 Cycle dendi : Les enfants de Hara koye : Les dendi Mamar Hâma du fleuve Niger Janvier 2001 Ce sont des techniques particulières qu'on vous apprend, et si vous devenez maître, vous arrivez à un niveau où la pensée humaine n'existe pas. Si dans cet état là, une plante se présente à votre esprit, c'est celle qui soignera le malade dont vous vous occupez. Mais auparavant, on vous aura appris, le monde végétal, le monde minéral et tout le reste. Il faut 7 ans pour entrer dans le système de la mentalisation c'est donc réservé aux grands initiés. LES ESPRITS ET LA THÉRAPIE Quand un patient vient dans l'équipe, parmi les initiés, personne ne peut savoir ce qu'il a. On fait appel à un esprit. C'est à l'esprit de nous dire de quoi il souffre, de poser le diagnostic et de donner les orientations thérapeutiques: à quel moment il faut aller chercher les plantes, à quelle heure, à quel endroit, comment cueillir la plante. C'est l'esprit qui confie un malade à un thérapeute. Alors, qu'on soit grand ou petit initié, dès l'instant où l'esprit dit que tel initié doit s'occuper de cette personne là, tout le monde le soutient même si c'est le dernier initié du groupe. Il devient responsable thérapeutique de ce patient et l'équipe va l'aider sans aucune arrière pensée, parce que c'est l'esprit qui l'a dit. Aucun maître ne peut contester ce verdict, c’est l'esprit qui oriente l'équipe, et choisit un initié parmi les autres, qu'il soit le grand maître ou le dernier. On lui dit, voilà, c'est à toi de t'occuper de lui et le thérapeute va prendre des dispositions pour exécuter ce que l'esprit lui a donné à faire. Donc aucun initié ne pose de diagnostic. Le groupe d’initiés qui est venu lors de ce colloque est tout particulièrement spécialisé en santé mentale. D'autres groupes, par leur appartenance familiale ou leur démarche de formation seront susceptibles de soigner des malades somatiques. Toutefois, les équipes de danses de possession chez les dendis sont beaucoup plus souvent spécialisées en santé mentale. Cela n'empêche pas, dans le cas où un patient se présente pour une raison quelconque sans aucun problème de santé mentale, de le soigner: si un esprit se manifeste et dit ce qu'il faut faire, on le fera. On a souvent eu des réussites, on a également eu des choses qui n'ont pas très bien marché. URACA - Unité de Réflexion et d’Action des Communautés Africaines - 33 rue Polonceau - 75018 Paris Tél. 01 42 52 50 13 - Fax 01 44 92 95 35 - Email : [email protected] - www.uraca.org 40 Cycle dendi : Les enfants de Hara koye : Les dendi Mamar Hâma du fleuve Niger Janvier 2001 HISTOIRE DE ZATAOU, FOLEY ESCLAVE Article paru dans le cahier de l’URACA N°6 « Oh, toi, esclave, tu es fils d'un village heureux » Une grande famine sévit. Zataou vit toute sa famille dans une situation très difficile. Il prit alors un habit d'esclave (un cache sexe en pagne), et se fit passer pour un esclave. Il alla de porte en porte pour piler du mil. Il ramassait le son et le ramenait à sa famille et à son village pour nourrir les siens. Il avait compris que le son contenait tous les éléments nutritifs et il le fit manger à sa famille. Il allait dans les familles les plus riches. A un moment donné, les nobles ne comprirent pas comment les familles les plus démunies résistaient aux maladies, alors qu'eux mêmes qui mangeaient à leur faim, dépérissaient. Comme il se présentait comme un esclave, les nobles ne pouvaient mettre en doute sa parole sous peine de déchoir. Quand il pilait le mil dans une famille et qu'on lui demandait d'amener la boule, il répondait « c'est le mortier qui a mangé la boule ». La famille était donc contrainte d'acheter une deuxième part de mil et partageait son bien sans le savoir avec les plus démunis. Il se comportait comme un idiot et demanda à son entourage: « Si vous venez me chercher dans les familles nobles, vous direz : « avez-vous vu l'idiot, fils de Koda? (Koda=cadet) ». Les nobles répondaient alors: « n'est-ce pas cet esclave qui vient piler chez nous? » De ce jour, sa lignée est devenue esclave. On dit que tous les esclaves sont ses descendants. Il existe trois façons de chanter les louanges de Zataou: Soubou kwara, zarma zarma et dendi dendi. Ces trois traditions sont mêlées dans le texte qui suit. - WAWA DAN KODA L'idiot fils du cadet - SASAGOU MAGANIN KARAFE Un sac de mil qui maîtrise le fer - TOUROUMI YA TCHI DAO C'est toi le mortier qui a mangé la boule de mil - GABI YA TOUBOU Avoir la force c'est un héritage - SAMO TARAYE- MO TOUBOU Même être idiot il faut l'hériter - BANGNA KOARA KANO IZÉ Oh, toi, esclave, tu es fils d'un village heureux URACA - Unité de Réflexion et d’Action des Communautés Africaines - 33 rue Polonceau - 75018 Paris Tél. 01 42 52 50 13 - Fax 01 44 92 95 35 - Email : [email protected] - www.uraca.org 41 Cycle dendi : Les enfants de Hara koye : Les dendi Mamar Hâma du fleuve Niger Janvier 2001 - KANDIA MA GWARANDI Qui me voit me nourrit - KAN MA NA DIA MA TCHI N’GA TE BARAKA Qui ne me voit pas se dira ouf, j’ai eu de la chance - A LA HOU AKBAROU NA NAYE NO Dire « Dieu est grand », c'est avoir confiance - DONAYE GA FOUNDI TABANDI L'habitude ça fait souffrir le cœur - AL KAWALI YA DJARAOU DAÏNO Le serment est un fardeau - KAN NA ZA MA TONANDI Qui le fait doit le tenir - A TCHI IN GA SI HAWOUI TÉ YAN NAN Tu as dit que tu ne cesseras pas de faire des choses honteuses - ZA MA BÉNÉ KOYE, YA TCHMING GA SÉ BÉRÉ Parce que l'esprit de le foudre est ton grand frère - BAN KAN , NA BÉRÉ KAROU GANDA Celui qui a terrassé son grand frère - WO DIN SI KÉNÉ MO KAMBA Ne manquera pas de terrasser son petit frère - A LASSI RAY GA TANGARI NO Les calomniateurs sont des menteurs - MO SI MOUNDI KA YA MO Les yeux ne peuvent pas avoir des larmes pour rien - WO SABA KAKOY WA SABA KAA KAA Partir ensemble, revenir ensemble - SAYE WAWA SAYE BAKO Il faut être idiot ou étranger - SAYE WANDA BAÏSSANI BA Il faut être un ignare URACA - Unité de Réflexion et d’Action des Communautés Africaines - 33 rue Polonceau - 75018 Paris Tél. 01 42 52 50 13 - Fax 01 44 92 95 35 - Email : [email protected] - www.uraca.org 42 Cycle dendi : Les enfants de Hara koye : Les dendi Mamar Hâma du fleuve Niger Janvier 2001 - GA RAWA BABU KIDI Tu sais danser sans musique - HARA MA WHÊÊN BA GNA SÉ Que la musique tonne pour toi, l'esclave - BANGNA KOYE HA LA KASHINA KA DAMBATÉ Le grand Esclave est allé jusqu'à Kashina faire de la boxe - GOLA GOLA KAM BÉRI ZANGA DAÏ ZOUNGAÏ YAN NO BAGNA Un cache sexe amélioré est aussi grand que les pagnes des femmes - SA SA GOU MAGANIN KARAFÉ Un sac de mil est le remède du fer - DA SAMO TÉ GABI TCHERAMAïKOMEY 1 MA BÂNI GANDA Quand un idiot est fort, ceux qui se croient intelligents n'ont qu'à se mettre à l'écart - BANGNA GOUNOUGWARO KAN NA HERE KOYE LO MA Je suis le grand Esclave mangeur de gounou (maître de cérémonie) qui a surpassé les nobles, - TOURI MIN KÂÂSSA TABARIAN DOUTCHI Je suis aussi un mortier en terre cuite et un pilon en fer - ZÂ BÂ BANZA BA Je ne suis pas rouge pour rien - ZAZA KAN NA KOUBEY LOMA Dans la lumière du rouge, je peux manger et boire, mais c'est de l'ombre pour vous - ZATAOU ZAZA GAMBA Zataou, prends manges et bois du rouge, personne ne peut te voir - BAGNA KAN DOBOU TE GWARI Grand Esclave qui a transformé le son en nourriture - A DAKA NAN A BARI NAN On me pile là, on me laisse là - TOURMI YA TCHANGNÉ DÂO je suis le mortier qui a avalé la boule de mil. URACA - Unité de Réflexion et d’Action des Communautés Africaines - 33 rue Polonceau - 75018 Paris Tél. 01 42 52 50 13 - Fax 01 44 92 95 35 - Email : [email protected] - www.uraca.org 43 Cycle dendi : Les enfants de Hara koye : Les dendi Mamar Hâma du fleuve Niger Janvier 2001 MIGRATION ET PSYCHIATRIE : EXPERIENCE PILOTE DE THERAPIE METISSE PATIENT, THERAPEUTE ET THERAPIE ENTRE DEUX MONDES A paraître, intervention faite aux Rencontres Francopsies Octobre 2000 Introduction Comment soigne-t-on quand on a un grand-père « sorko » maître des génies de l'eau, féticheur de renom, un père « alfa » thérapeute musulman célèbre ayant étudié au Nigéria et qu'on a fait l'école des blancs qui nous a conduit jusqu'à la faculté de médecine ? Qui est-on, quand on est né sur une petite île du bout du monde au milieu du fleuve coincée entre le Niger et le Bénin, qu'on est passé par les capitales africaines avant d'atterrir dans le quartier de la Goutte d'Or à Paris où on est considéré comme un thérapeute bizarre donc suspect, alors qu'on est appelé en Afrique le blanc du village ? Comment soigner des patients perdus dans l'entre deux, les pieds en Europe, la tête en Afrique, des descendants d'esclave coupés de leurs racines ; des malades atteints par un nouveau mal qu'ils ne comprennent pas ? De quoi est peuplé le monde de l'invisible ? De l'inconscient des uns et de tous ?, des esprits de la brousse ? Le thérapeute reste un interprète, mais que traduit-il ? Les mots de l'inconscients ou les consignes des esprits ? Nos morts hantent-ils notre mémoire lors de deuils pathologiques ? Leurs âmes errantes nous poursuivent-elles lorsqu'elles n'ont pas pu rejoindre le monde du repos éternel? Comment tisser un pont entre le pays des blancs, pays de l'individu du matérialisme et du visible, et le pays des noirs, pays du groupe, du mysticisme et de l'invisible. Entre une médecine occidentale à Paris, et des thérapies traditionnelles millénaires en Brousse, thérapeute et patients se retrouvent dans un itinéraire métisse et un cadre syncrétique. Le mot ambulatoire prend là sa pleine acception naviguant entre cultures et continents. URACA - Unité de Réflexion et d’Action des Communautés Africaines - 33 rue Polonceau - 75018 Paris Tél. 01 42 52 50 13 - Fax 01 44 92 95 35 - Email : [email protected] - www.uraca.org 44 Cycle dendi : Les enfants de Hara koye : Les dendi Mamar Hâma du fleuve Niger Janvier 2001 Les outils thérapeutiques Le savoir-faire occidental Les techniques traditionnelles sorko Chez les dendis du nord Bénin, le tradipraticien n'est et ne se considère que comme un intermédiaire entre le monde invisible et le monde des vivants. Il se sent investi d'une mission sociale mais sait que les esprits peuvent l'abandonner à tout moment. Il n'a pas de pouvoir propre, il n'est que le dépositaire du pouvoir des esprits. Cela l'oblige à tout moment à rester conforme aux normes déontologiques dictées par les esprits au groupe des initiés. Cette humilité obligée interdit toute dérive liée au sentiment de toute puissance. Nous pouvons retenir quelques éléments méthodologiques dans les modes d'intervention. Les différentes étapes d'une thérapie : Le travail thérapeutique s'exécute en plusieurs temps. * Lors de la première consultation le patient est vu en groupe. Cette consultation a plusieurs objectifs: l'établissement d'un prédiagnostic et d'un lien thérapeutique avec le patient. Un thérapeute sera désigné comme responsable du suivi de ce malade. * Dans cette technique comme dans de nombreuses autres (marabouts, devins ... ), le thérapeute se réveille la nuit et prend une heure pour travailler autour du cas de chaque patient. Ce travail lui permet de donner un diagnostic plus fin et d'orienter les choix thérapeutiques. Les malades connaissent cette modalité ce qui leur permet de ne pas se sentir abandonnés même lorsqu'ils sont seuls chez eux. Pouvoir imaginer le thérapeute travaillant pour eux à tout moment aide les malades à l'élaboration psychique de leur problématique. Les différentes techniques thérapeutiques et divinatoires : * La première consiste à penser volontairement à la problématique du patient par des états de conscience modifiés. Ce qui correspond à peu près au travail d'élaboration du psychanalyste face à son contre-transfert. Avec cette différence que le psychanalyste laisse son inconscient libre d'agir alors que le tradipraticien lui donne un cadre plus précis. Lors de cette méditation, un film peut se dérouler ou une plante peut germer à la frontière de la conscience du thérapeute. Cette plante par exemple est fondamentalement celle qui doit soigner le malade. Cela crée un lien entre l'inconscient du patient et celui de son thérapeute. Éventuellement ce travail peut être répété plusieurs fois ou même de nombreuses fois en fonction de la disponibilité du thérapeute et de la gravité de la pathologie du malade. La technique onirique a deux aspects. soit un travail sur les rêves du thérapeute, soit sur celui du patient. URACA - Unité de Réflexion et d’Action des Communautés Africaines - 33 rue Polonceau - 75018 Paris Tél. 01 42 52 50 13 - Fax 01 44 92 95 35 - Email : [email protected] - www.uraca.org 45 Cycle dendi : Les enfants de Hara koye : Les dendi Mamar Hâma du fleuve Niger Janvier 2001 Les rêves du thérapeute : Le thérapeute avant de dormir peut mentaliser l'image du patient. Les rêves qui viendront autour de cette image donnent la ligne thérapeutique : égorger un poulet rouge, un poulet blanc. Ces rêves sont les outils donnés au thérapeute par ses esprits tutélaires. Ces rêves sont encore plus proches de la technique psychanalytique que les modalités précédemment 'décrites. La technique des rêves a des effets perturbateurs car certains d'entre eux occasionnent des troubles, surtout quand la conscience du thérapeute n'en a pas la maîtrise. C'est pour cela que la formation du thérapeute dans ce domaine peut durer des années (7 ans). Son maître lui donne des moyens de décoder les rêves perturbateurs pour les neutraliser afin que ses facultés soient libérées de leur « parasitage » . Les rêves du patient : Ce sont, comme en occident des supports privilégiés du travail thérapeutique. Selon que ces rêves sont orientés sur le thérapeute ou sur la problématique enjeu, le thérapeute les décode ou les interprète et demande à son patient les sacrifices correspondants. * La géomancie est également une technique de voyance et de thérapie. Chaque signe est soit femelle, soit mâle, ou les deux à la fois. Le thérapeute et la disposition des signes mâles, femelles ou bisexués, interprète celle-ci puis finit par poser le diagnostic. C'est la seule technique où le diagnostic posé requiert l'accord du patient et où on lui demande de l'argent avant l'examen. Ce qui n'est pas sans rappeler le rapport à l'argent des psychanalystes. * La fabrication d'un objet transférentiel intervient plus tard dans le processus thérapeutique. Le thérapeute pose des objets (cauris, cuir, bois ... ) disposés en vrac. Pendant la méditation, l'esprit par sa main choisit un objet. Ensuite, le thérapeute doit "charger cet objet: il oriente sa pensée positive sur celui-ci pour la résolution d'un problème ou l'amélioration d'un état de santé. La technique la plus sophistiquée, réservée aux grands maîtres est la suivante: Le thérapeute prend une écorce type papyrus et du charbon. Il se met en méditation autour de l'image de son malade et sa main écrit automatiquement des graphiques sur l'écorce. Les puissances invisibles s'expriment par son intermédiaire pour soigner le malade. On peut dire également que le contre transfert s'exprime directement, de façon brute sans traduction par la parole. Si la figure dessinée est très évocatrice elle sera interprétée: le dessin d'un bélier ordonnera le sacrifice d'un animal de ce type. Le dessin est ensuite découpé, plié et incorporé à l'objet transférentiel. Dans cette technique, la dernière étape consiste à ce que la conscience du thérapeute assimile l'objet sur lequel elle se concentre pour en pénétrer l'essence profonde. Le thérapeute a donc transformé en matière concrète son inconscient et son contre transfert qu'il donne ensuite directement à son malade qui portera toujours ce trait d'union entre son thérapeute et lui même. URACA - Unité de Réflexion et d’Action des Communautés Africaines - 33 rue Polonceau - 75018 Paris Tél. 01 42 52 50 13 - Fax 01 44 92 95 35 - Email : [email protected] - www.uraca.org 46 Cycle dendi : Les enfants de Hara koye : Les dendi Mamar Hâma du fleuve Niger Janvier 2001 On voit que dans ces techniques, les pensées, les mots, les rêves sont des outils thérapeutiques majeurs ce qui en fait des sœurs jumelles des techniques psychanalytiques, mais s'y rajoutent des supports matériels et symboliques tels que les objets ou les sacrifices. Les cadres thérapeutiques * En France Les consultations de groupe à URACA Elles se font dans un bureau médical dans le quartier de la goutte d'Or. Le groupe est composé de membres de l'équipe de diverses origines aussi bien hommes que femmes, noirs que blancs. C'est un cadre occidental ouvert à l'Afrique. L'efficience de cette consultation repose sur la contenance du groupe qui renvoie non seulement aux modalités du soin en Afrique, mais également à la structuration des sociétés africaines fondées sur le groupe, la communauté et non le seul individu. L'essentiel du travail opéré porte sur les liens: entre l'individu et la famille, la France et le pays d'origine, le groupe d'URACA et les équipes qui nous adressent les patients (assistantes sociales, médecins, éducateurs, etc.). Il s'agit de donner un sens à la maladie, aux symptômes quels qu’ils soient ; sens qui soit en accord avec les représentations traditionnelles. Cela permet une sédation de l'angoisse. Parfois, l'important est de permettre un regard sur le passé, sur les origines. Cela suffit au patient pour renouer avec son histoire et se réinscrire dans une historicité. Dans le suivi des familles une telle approche aide les parents à inscrire l'enfant dans leur descendance, dans son appartenance à la famille, de l'identifier, de lui donner un sens. Elle leur permet de «reconnaître» cet enfant né dans l'exil et qui souvent apparaît comme un étranger à sa propre famille. Cela contribue à resituer la dynamique familiale et à faire apparaître que «le malade» n'est pas toujours celui pour lequel on consulte. En fonction des pathologies, le suivi peut prendre des formes différentes (durée, cadres, accompagnants, etc.). Parfois une seule consultation suffit en autorisant le patient à penser son histoire « à l'africaine », d'autant que l'incitation vient d'une équipe de médecins. Mais souvent, le suivi du patient demande après un certain temps de se poursuivre dans un cadre plus africain. Les consultations à l'hôpital Le premier objet de ce type de consultation est de montrer au malade que l'équipe hospitalière le considère dans sa globalité et non dans son symptôme ou sa maladie seulement. L'équipe d'URACA la mène en présence de l'équipe hospitalière et éventuellement des tradipraticiens venus d'Afrique au cours des rencontres d'ethnomédecine. Le patient peut alors rompre avec le clivage entre sa culture d'origine et celle du pays d'accueil, dans lequel il s'est enfermé. Parfois la maladie survient tellement brutalement qu'elle vient réactiver d'anciens traumatismes soigneusement refoulés par le patient (exil ou problématiques préexistantes à la migration). A la URACA - Unité de Réflexion et d’Action des Communautés Africaines - 33 rue Polonceau - 75018 Paris Tél. 01 42 52 50 13 - Fax 01 44 92 95 35 - Email : [email protected] - www.uraca.org 47 Cycle dendi : Les enfants de Hara koye : Les dendi Mamar Hâma du fleuve Niger Janvier 2001 maladie se surajoute une cohorte de symptômes qui ne prennent sens que par rapport au trajet du patient et à son environnement culturel. La prise en charge ethnopsychiatrique va permettre une élaboration de ces traumatismes par le biais du contexte culturel, des pratiques familiales... En ce qui concerne le VIH, les consultations permettent de répondre à la question « pourquoi moi ? ». En trouvant une causalité aux évènements (la maladie), en rendant compréhensible leur survenue, elle dégage le patient de l'angoisse décuplée par l'insensé, l'a-sensé. Les consultations individuelles à domicile Le domicile, c'est un petit bout d'Afrique à Paris. Le patient dans ce cadre peut exprimer plus librement ses problématiques traditionnelles. Pour y répondre, cela nécessite l'utilisation d'outils purement traditionnels africains ce qui est impensable dans un cadre trop occidental. Une grande partie d'entre eux trouvent dans ce type de prise en charge les réponses qu'ils recherchent et qui leur permettent de reprendre pied dans leur vie sociale et familiale. Certains d'entre eux auront besoin de faire un pas supplémentaire dans leur suivi, pour eux le suivi pourra être poursuivi en Afrique. * En Afrique Bani Zumbu Kabu Izé et les cérémonies de possession La religion traditionnelle fait référence à un panthéon d'esprits qui forme une véritable société spirituelle à l'image du panthéon des dieux grecs. Les foley ou "esprits" sont des divinités mobiles et dispersées contrairement aux génies du terroir ou torou qui sont des divinités enracinées. Ils ont une organisation semblable à celle des hommes dont ils sont, à la seule différence qu'ils sont invisibles, presque des doublets. Ils sont hiérarchisés en familles liées entre elles par des relations très complexes. Ils appartiennent à trois grandes familles : la famille de Harakoy, le génie de l'eau, la famine de Béné koy ou Yabilam, le génie du ciel et la famille de Marou, l'esprit de la terre et du feu. Ce sont les enfants de Sidi koy (Dieu, celui qui est invisible). Au cours de la transe les foley utilisent le corps des initiés pour parler au groupe. Sous un terme générique de zima signifiant celui qui soigne, on retrouve différentes catégories de thérapeutes. Le zima maître de cérémonie traduit la langue de l'esprit pour le public. Le zima se trouve alors en position d'interprète entre le patient et l'esprit, de la même manière que le psychanalyste est interprète entre le patient et son inconscient. On comprend que dans cette forme de thérapie, l'inconscient collectif remplace l'inconscient individuel des thérapies occidentales. Le centre de soins et de santé de Bello Tounga C'est un cadre africain avec un peu d'occident car on y exerce la médecine des blancs avec les médicaments venus de France. Mais les cases d'hospitalisation sont en terre battue, et les accompagnants du malade y résident avec lui, l'entourent, le nourrissent et lui donnent les soins de nursing qu'il requiert. URACA - Unité de Réflexion et d’Action des Communautés Africaines - 33 rue Polonceau - 75018 Paris Tél. 01 42 52 50 13 - Fax 01 44 92 95 35 - Email : [email protected] - www.uraca.org 48 Cycle dendi : Les enfants de Hara koye : Les dendi Mamar Hâma du fleuve Niger Janvier 2001 Ce cadre offre la possibilité d’organiser des « mises en couvades » traditionnelles qui consistent à garder le patient dans la case ronde qui symbolise l’utérus maternel pendant une durée de 7 jours. Pendant tout ce temps il est materné par l’ensemble du groupe des initiés, en particulier par les vieilles femmes qui mangent, dorment avec lui, le lavent comme le font les femmes âgées à une parturiente venant d’accoucher. Dans la case se trouve une calebasse remplie d’eau dans laquelle on met de la poudre de 4 sortes d’arbres sacrés avec des graines de mil choisies un an auparavant. L’eau de la calebasse symbolise le liquide amniotique Durant cette période, il ne sort de sa case que le soir pour participer à des cérémonies de danse de possession. Au cours de celles-ci, il danse avec les initiés pour apprendre les rythmes sacrés. Après la sortie du patient, on ouvre la calebasse, si le mil a germé, la renaissance a eu lieu, la couvade a réussi, tout le monde applaudit et c’est à ce moment là qu’on fait la sortie de la case. Pour tous les patients, ce rituel permet une renaissance symbolisée par les gestes accompagnant la sortie de la case : on attache le patient au niveau de l’ombilic par une corde tenue derrière lui par une vieille femme symbole du cordon ombilical, de même un zima peut prendre les chaussures que va mettre le patient pour sortir et pratiquer des gestes rituels en prononçant des paroles sacrées pour protéger le patient qui ne piétinera pas des endroits interdits ou maléfiques. Le patient sort en reculant comme un enfant qui naît les pieds en premier, puis on lui fera faire la tournée des lieux sacrés, comme un enfant qui découvre son univers et agrandit son espace. On prend le mil germé qu’on pile, on prend l’eau de la calebasse que l’on mélange avec le mil pilé. Ce mélange sera bu tout d’abord par le zima, puis par le patient et enfin par les initiés qui l’ont entouré. Si le patient est possédé, l’identification des esprits perturbateurs se fera pendant la couvade grâce aux cérémonies durant lesquelles, le patient apprendra à vivre en harmonie avec eux (il s’agit d’un endorcisme et non d’un exorcisme). A partir de ce moment l’esprit n’est plus perturbateur mais devient protecteur, il ne se manifeste que lorsqu’on le sollicite dans un cadre précis et non plus de façon intempestive. Problématiques des patients suivis en France et venant à Bello Tounga compléter leur thérapie Pour tous les patients venant de France, ces traitements constituent un retour aux sources, à leurs origines, un ré-enracinement dans la terre mère. Mais ce cadre tient compte de leur histoire dans la migration, l’exil ou l’esclavage. En effet ils sont différents de leurs frères restés sur le continent, et le cadre qui les reçoit doit s’adapter à leurs spécificités et à leurs différences. Ce milieu située au fond de la brousse dans une Afrique restée traditionnelle est quand même en partie métissé ce qui permet leur prise en charge. C’est pourquoi, on a pu voir ces dernières années des patients de différentes origines dont certains avaient tenté des traitements dans leur pays d’origine qui avaient échoué probablement car ils n’avaient pas su tenir compte du parcours de ces patients. Les différentes problématiques des patients suivis en France et venant à Bello Tounga poursuivre leur thérapie tournent autour des thèmes d’identité, d’acculturation, de possession, de déviance sociale et de recherche de sens. URACA - Unité de Réflexion et d’Action des Communautés Africaines - 33 rue Polonceau - 75018 Paris Tél. 01 42 52 50 13 - Fax 01 44 92 95 35 - Email : [email protected] - www.uraca.org 49
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