Editorial Board / Comité de rédaction Advisory Board / Comité

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Editorial Board / Comité de rédaction
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International Journal of Canadian Studies
Revue internationale d’études canadiennes
27, Spring / Printemps 2003
Transculturalisms
Les transferts culturels
Table of Contents / Table des matières
Robert Schwartzwald
Introduction / Présentation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5
Roland Walter
Between Canada and the Caribbean:
Transcultural Contact Zones in the Works of Dionne Brand . . . . . . . . 23
Józef Kwaterko
L’américanité : voies du concept et voix de la fiction
au Québec et dans la Caraïbe. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 43
Daniel Chartier
Une voix parallèle de la fin du XIXe siècle au Québec :
Sui Sin Far . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 61
Simon Harel et Mathieu-Alexandre Jacques
L’écrivain-témoin : déplacements, transferts culturels et expérience de
l’habitabilité dans les romans d’exil d’Émile Ollivier . . . . . . . . . . . . . 77
Sherry Simon
Hybridity Revisited: St. Michael’s of Mile End . . . . . . . . . . . . . . . . . 107
Sirma Bilge
La construction politique de l’ethnicité et les enjeux de la
représentation de la « communauté » à travers l’étude
d’une fête turque à Montréal . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 121
Claire Poitras
La nouvelle économie à la rescousse des métropoles industrielles.
Analyse comparée des stratégies publiques à Montréal et à
Glasgow. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 149
International Journal of Canadian Studies / Revue internationale d’études canadiennes
27, Spring / Printemps 2003
International Journal of Canadian Studies
Revue internationale d’études canadiennes
Ravi de Costa
Treaties in British Columbia:
The Search for a New Relationship. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 173
Research Note / Note de recherche
Margery Fee
The Sapir-Whorf Hypothesis and the Contemporary Language and
Literary Revival among the First Nations in Canada . . . . . . . . . . . . . 199
Review Essays / Essais critiques
Stéphane Kelly
Mémoire, politique et nation au Québec . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 211
Charlotte Sturgess
Between the Imaginary and the Real:
Cultural Encounters in Northern Space. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 221
Graciela Martínez-Zalce
Borders North of the Americas:
Transcultural Spaces of Changing Identities. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 229
Zilá Bernd
Les métamorphoses comme figures de l’américanité . . . . . . . . . . . . . 255
Barbara Pell
Contemporary Canadian Religious Novels:
Postmodern Faith and Fiction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 265
Tribute / Hommage
Dorit Naaman
Edward Saïd (1935-2003)
The Gift of a Public Intellectual . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 279
Authors / Auteurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 283
Canadian Studies Journals Around the World
Revues d’études canadiennes dans le monde . . . . . . . . . . . . . . . . . 285
4
Introduction
Présentation
When the International Journal of
Canadian Studies published a
theme issue on “Post-Canada” one
year ago, my Introduction noted
how surprised and intrigued we
Editors were that the overwhelming
majority of submissions interpreted
the post of our topic as
post-colonial: “In our post dossier,”
I wrote, “Canada is not so much
(an) exemplary entity (…) as it is
itself subjected to destabilizing
analyses: Here is Canada in
struggle with its colonial-settler
past; faced with contemporary
internal challenges for recognition
by its subaltern, internal Others;
and precariously situated in its
relations of interdependence and
hegemony in a newly configured
global conjuncture”
(Schwartzwald, 5). This critical
stance has been carried through by
the contributors to our current
issue, but with one major
difference: this time, five of the
eight articles in our thematic
dossier are in French, while in
“Post-Canada,” all were in English.
As Cynthia Sugars notes in her
contribution to “Post-Canada,” “the
term postcolonial is not generally
used in the study of Québécois
literature and culture. Although
there are obvious overlaps in
contemporary postcolonial theory,
these debates are more commonly
staged in terms of la transculture,
or l’identitaire, or l’écriture
migrante” (Sugars 35). With the
current issue of the Journal, we
now have l’autre volet,–the putting
into play, as it were–of what
Sugars’ respectful distinction calls
“the vectors of convergence that
may obtain in cultural debates.”
Lorsque la Revue internationale
d’études canadiennes a publié un
numéro thématique sur le
« Post-Canada », il y a un an, je
remarquais dans ma présentation à
quel point nous, les rédacteurs de la
Revue, avions été surpris et intrigués
de noter que l’immense majorité des
auteurs des textes reçus avaient
interprété ce post comme une
référence au post-colonialisme :
« Dans notre dossier post », comme
je l’écrivais à ce moment-là, « le
Canada n’est pas tellement l’entité
exemplaire qui se représente au
monde à travers l’élaboration de
telles théories qu’il n’est lui-même
l’objet d’analyses déstabilisantes.
Ici, le Canada est en lutte avec son
passé colonial et colonisateur,
confronté à des défis internes
contemporains et à son désir de
reconnaissance par ses Autres
subalternes et internes, et installé
dans une situation précaire dans ses
relations d’interdépendance et
d’hégémonie à l’intérieur d’une
conjoncture mondiale qui vient
d’assumer une figure nouvelle. »
(Schwartzwald, 5). Cette attitude
critique a été maintenue par les
auteurs qui ont contribué au présent
numéro, à une importante différence
près, toutefois : cette fois-ci, cinq
des huit articles que comprend notre
dossier thématique sont rédigés en
français, tandis que dans « PostCanada », tous les textes étaient en
anglais. Comme le note Cynthia
Sugars dans sa contribution à « PostCanada », « le terme même de
post-colonial n’est pas généralement
utilisé dans les études portant sur la
littérature et la culture québécoises.
En dépit de recoupements évidents
avec la théorie postcoloniale
International Journal of Canadian Studies / Revue internationale d’études canadiennes
27, Spring / Printemps 2003
International Journal of Canadian Studies
Revue internationale d’études canadiennes
Indeed, what we find throughout our
dossier on transculturalism is a
common concern to eschew
“euphoric” or exclusively
celebratory claims. This is as true for
the opening article by Roland Walter
as it is for Józef Kwaterko, Simon
Harel and Mathieu-Alexandre
Jacques, Daniel Chartier, and Sherry
Simon. In the articles by Sirma
Bilge, Claire Poitras, and Ravi de
Costa, we have case studies of
resistances and asymmetries in
situations where triumphalist or
apologetic conclusions about
processes of transculturation are
obviated by crucial disequilibriums
of power.
Roland Walter’s article does us the
immense service of reviewing the
origins of the term transculturalism
in the work of Cuban writer
Fernando Ortiz in the 1940s, as well
as the plethora of concepts
associated with it. This is a useful
place to begin, especially since
Walter follows up with a pertinent
critique of Ortiz’s emphasis on
acculturation and neoculturation,
seeing these as the twin poles of an
all too linear and ultimately closed
trajectory. Walter is more interested
in the space of in-betweeness, not
simply as a place of transit from one
home to another, but as a space in
which old homes are rememorialized
and new ones refigured in a process
of reculturation. Elsewhere, Diana
Brydon has noted how “Black
Canadian writing sometimes
reroutes the black Atlantic discourse
of Gilroy and others to stress
settlement and the putting down of
new roots in Canada…but always in
such a way as to alter Canadian
space and the established discourse
of the nation:” (Brydon 120, my
6
contemporaine, ces débats sont plus
généralement mis en scène en termes
de débat sur la transculture,
l’identitaire, ou l’écriture migrante »
(Sugars 35). Or, voici que le numéro
actuel de la revue nous présente
aujourd’hui l’autre volet — la mise
en scène, si l’on veut — de ce que
Sugars, dans ses distinctions
respectueuses, appelle « les vecteurs
de la convergence qui peuvent
émerger dans les débats culturels ».
De fait, ce que nous retrouvons
partout dans le présent dossier sur
les transferts culturels se ramène à
une préoccupation commune de
renonciation aux prétentions
« euphoriques » ou exclusivement
célébratoires. C’est tout aussi vrai du
premier texte, de Roland Walter, que
de ceux de Józef Kwaterko, de
Simon Harel et Mathieu-Alexandre
Jacques, de Daniel Chartier et de
Sherry Simon. Dans les articles de
Sirma Bilge, de Claire Poitras et de
Ravi de Costa, nous trouvons des
études de cas sur la résistance et les
asymétries dans des situations où des
conclusions triomphalistes ou
apologétiques sur des processus de
transferts culturels sont obviés dans
des déséquilibres cruciaux du
pouvoir.
Dans son article, Roland Walter
nous rend l’immense service de se
pencher sur les origines mêmes de
l’expression « transculturalisme »,
dans l’œuvre de l’écrivain cubain
des années quarante Ferdinando
Ortiz, et fait valoir la grande
abondance de concepts qui y sont
associés. Il nous offre ainsi un point
de départ utile, et d’autant plus qu’il
fait suivre cette discussion d’une
critique pertinente de l’accent
qu’Ortiz met sur l’acculturation et la
néoculturation, où il n’hésite pas à
voir les deux pôles jumeaux d’une
Introduction
Présentation
trajectoire trop linéaire et
ultimement fermée. Walter est
davantage intéressé par l’espace de
l’entre-deux, considéré non
seulement comme un lieu de passage
d’un chez soi à l’autre, mais comme
un espace à l’intérieur duquel les
vieux chez soi sont remémorés et les
nouveaux chez-soi refigurés dans le
cadre d’un processus de
reculturation. Ailleurs, Diane
Brydon note comment « l’écriture
des Noirs au Canada réachemine
parfois le discours de l’Atlantique
noire de Gilroy et d’autres pour
insister sur l’établissement et
l’enracinement au Canada… mais
Józef Kwaterko focuses on relations toujours de telle façon que l’on
puisse altérer l’espace canadien et le
between Quebec and Caribbean
discours établi (established) de la
literatures, advancing an argument
for the special pertinence of literary nation. » (Brydon 120, c’est moi qui
souligne). Quand Walter se livre à
texts in assessing the work of
cultural transfer: “A literary type of une analyse approfondie de deux
reading would give us the advantage romans de Dionne Brand, lui aussi
voit dans l’œuvre de cette dernière
of situating this inter-American
un réordonnancement quasiproblematics outside of the
conceptual realm properly speaking, performatif de l’espace national.
undermined by false alternatives and Pour Walter, les personnages de
Brand résident dans un espace
ideological overstatements, so as to
asocial, inconscient qui se situe
observe how fiction (as well as the
quelque part entre les Antilles et le
writer’s cultural imaginary) both
assimilate and aesthetically reshape Canada, et c’est son écriture de ces
personnages qui transforme
the ideologems and the topoi that
« l’entre-deux culturel considéré
narrate American in social
discourse.” More broadly, Kwaterko comme un état liminal, inconscient
en un chez soi synthétique et
is concerned with the specific
transculturel situé à l’intérieur même
articulations américanité has
received as it contends for discursive du langage — un chez soi que
caractérisent des relations à
hegemony in debates over the
l’intérieur desquelles les différences
trajectory of Quebec’s cultural
culturelles ne sont pas
identity. Despite their best
“hypostasiées” lorsqu’elles se
intentions, Kwaterko suggests, the
moulent ensemble dans des formes
proponents of américanité in its
predominant formulations inevitably nouvelles ».
privilege acculturation and
alienation over dynamic processes of Pour sa part, Józef Kwaterko se
concentre sur les relations que l’on
neo- and reculturation by positing
the future as a return, or recovery, of peut établir entre les littératures
québécoise et antillaise. Il formule
an idealized past that has been lost,
emphasis). When Walter turns to a
close analysis of two novels by
Dionne Brand he likewise sees in her
work a quasi-performative
reordering of national space. For
Walter, Brand’s characters dwell in
an asocial, unconscious space
between the Caribbean and Canada,
and it is her writing of them that
transforms “cultural in-betweeness
as an unconscious, liminal state into
a synthetic transcultural home within
language–a home characterized by
relations in which cultural
differences are not sublated as they
flow together into new forms.”
7
International Journal of Canadian Studies
Revue internationale d’études canadiennes
un argument en faveur de la
pertinence particulière des textes
littéraires en évaluant les conditions
de la mise en œuvre des transferts
culturels : « L’avantage d’une
lecture de type littéraire serait de
pouvoir situer cette problématique
interaméricaine hors du champ
proprement conceptuel, miné par de
fausses alternatives et des
surenchères idéologiques, afin
d’observer comment la fiction (et
l’imaginaire culturel de l’écrivain) à
la fois absorbe et retravaille
esthétiquement les idéologèmes et
les topoi qui narrent l’Amérique
In Daniel Chartier’s essay on the
dans le discours social. » Plus
Montreal-born writer Sui Sin Far–
largement, Kwaterko se soucie des
born Edith Eaton of an English
articulations particulières dont
father and a Chinese mother–the
l’américanité a hérité dans ses
stakes of such a dynamic concept
become apparent for literary history efforts pour gagner l’hégémonie
discursive dans les débats qui ont
today. Sui lived and wrote in
entouré la trajectoire de l’identité
Montreal at the same time as the
supremely canonized École littéraire culturelle québécoise. Kwaterko
suggère que, en dépit de leurs
de Montréal, whose personalities
meilleures intentions, les partisans
included Quebec’s own poète
de l’américanité dans ses
maudit, Émile Nelligan, but her
relationship to this group was one of formulations prédominantes sont
inévitablement amenés à privilégier
“non-coincidence.” Chartier
l’acculturation et l’aliénation par
surmises how the paths of these
rapport aux processus dynamiques
writers must have literally crossed,
de néoculturation et de reculturation
but whereas the École went on to
occupy a watershed place in Quebec en posant l’avenir comme un retour,
ou une reprise, d’un passé idéalisé
literary history, Eaton’s presence
qui a été perdu, et ce même
failed to receive any recognition
lorsqu’ils se refusent à recourir aux
within the Quebec literary
vieux essentialismes du langage, de
institution. Recovered in recent
la foi et des institutions, mais
decades in the United States by
préfèrent invoquer une
feminist literary scholars, her
« spécificité » récemment
newfound presence poses a
reformulée des Amériques qui exclut
challenge to how the contemporary
ou disqualifie les influences
literary institution in Quebec will
regard its “atypical” writers. Sui Sin européennes et étasuniennes (dans
ce dernier cas, on préférera parler
Far’s observations on gender and
d’américanisation). Kwaterko
class diversity in Montreal’s Mile
préconise un concept dynamique
End, for example, and her decision
to forego the fashionably exoticizing d’américanité qui, loin d’être une
literary adventures of her sister, who quête de l’identité, constituerait « un
mode de connaissance du caractère
even if they do so not through the
old essentialisms of language, faith,
and institutions, but through a newly
formulated “specificity” of the
Americas that excludes or
disqualifies European and United
States influences (the latter often
referred to as américanisation).
Kwaterko argues for a dynamic
concept of américanité that, far from
being an identitary quest, would be
“a mode of knowledge about the
changing and paradoxical character
of the American ‘real’.”
8
Introduction
Présentation
assumed a Japanese persona,
uncannily place her in proximity to
those whose recent work on
heterogeneity and hybridity in
Montreal have been redefining its
imaginaire. Pierre Anctil, Esther
Trépannier, and Sherry Simon, for
example, have done much to bring
into relief a lively Yiddish literary
and Jewish artistic scene that
characterized Montreal in the
decades of the mid-20th century.
Simon has suggested that the recent
translation and publication of
Yiddish poetry in French are a
symptom of a changing relationship
of forces wherein the francophone
majority, rather than insulating itself
from parallel cultural expressions,
now incorporates them in a
confident process of self-redefinition
that dynamizes once solid notions of
the national community.
Simon Harel and Mathieu-Alexandre
Jacques’ provocative essay
articulates another cautionary
position against insouciant assertions
of transculturalism that, in their
haste to celebrate a newly hybridized
subject, would repress “the painful
sensoriality of the diasporic world.”
Through a consideration of the work
of Haitian-born Quebec writer Émile
Ollivier, the authors see in the act of
writing an attempt to work through
the traumatisms of displacement. If
Walter reminds us that displacement,
like transculturation itself, “is a
double sign of loss and suffering
(…) and empowerment,” Harel and
Jacques’ psychoanalytically
informed interpretation of this
dynamic places the emphasis very
much on migrant literature’s
singular ability to repeat and
re-enact the subject’s traumatic
separation from an originary place.
In Ollivier’s writing the authors see
changeant et paradoxal du réel
américain ».
Dans l’article de Daniel Chartier sur
l’écrivaine Sui Sin Far — née Edith
Eaton, à Montréal, d’un père anglais
et d’une mère chinoise — les enjeux
d’un tel concept dynamique pour
l’histoire littéraire telle qu’elle est
pratiquée aujourd’hui ressortent
clairement. Sui vivait et écrivait à
Montréal durant la même période
que l’École littéraire de Montréal,
soit une institution depuis lors
suprêmement canonisée, à laquelle
appartenait, entre autres, le propre
poète maudit du Québec, Émile
Nelligan, mais la relation qu’elle
entretenait avec ce groupe en était
une de « non-coïncidence ». Chartier
spécule sur la façon dont les
cheminements littéraires de ces
écrivains doivent s’être croisés,
mais, tandis que l’École a fini par
jouer un rôle de point tournant dans
l’histoire littéraire du Québec,
l’institution littéraire québécoise ne
s’est, quant à elle, jamais souciée de
reconnaître la présence d’Eaton en
son sein. Redécouverte depuis
quelques décennies aux États-Unis
par des chercheures féministes
spécialisées dans les études
littéraires, Eaton / Sui Sin Far est
une auteure dont la présence
retrouvée nous pose un défi en ce
qui a trait à la façon dont
l’institution littéraire contemporaine
québécoise envisage ses écrivains et
ses écrivaines « atypiques ». Les
remarques formulées par Sui Si Far
au sujet, par exemple, de la diversité
des sexes et des classes sociales dans
le quartier du Mile End de Montréal
et sa décision de renoncer à des
aventures littéraires exotisantes et à
la mode comme celles auxquelles se
livrait sa sœur, qui se faisait
volontiers passer pour japonaise,
9
International Journal of Canadian Studies
Revue internationale d’études canadiennes
a work of mourning for the loss of
love that ties each exile to the
mother. What this practice suggests
to Harel and Jacques is the
importance of the lieu habité, or
inhabited place, in shaping accounts
of nomadism and exile. The rub is
that this inhabited place is one that
inhabits us, and thus not so easily
disposed of through acts of
ontological voluntarism: “Space
forces itself on us against our own
will” and haunts the ways in which
we are able to process and integrate
new cultural phenomena.
For Sherry Simon, it is hybridity, a
key concept in the repertory of
transculturation, that must become
“not a banner but an exploratory
device.” Like Walter, she
distinguishes between hybridity and
heterogeneity, in effect seeking to
provide a variegated appreciation of
what Chartier and Kwaterko also
refer to as non-coincidence.
Focusing her discussion on the
Church of St. Michael the Archangel
in Montreal’s Mile End
neighbourhood, Simon first
considers the structure’s imposing
presence on the urban landscape.
Then, by taking us inside, she is able
to both explicate the Church as an
expression of the evolution of the
neighborhood and of its
contemporary cultural diversity.
Diachronically, the Church achieves
the “artful combination of forms”
that, in a context that valorizes
cultural exchange and
interpenetration, marks the
successful performance of the
hybrid. A tour of its various
religious symbols and disparate
decor reminds us, however, that such
hybrid moments are provisional and
privileged; at any time–and perhaps
10
font qu’elle entretient une relation
étrangement proche avec ceux et
celles dont les travaux récents sur
l’hétérogénéité et l’hybridité à
Montréal ont permis de redéfinir
l’imaginaire montréalais. Pierre
Anctil, Esther Trépanier et Sherry
Simon, pour ne citer qu’eux, ont
beaucoup fait pour faire valoir la
scène artistique et littéraire juive et
yiddish très animée qui caractérisait
le Montréal des décennies du milieu
du 20e siècle. Simon a suggéré que
la traduction et la publication récente
de poèmes yiddish en français
constituent un symptôme de
l’évolution d’un rapport de forces où
la majorité francophone, au lieu de
s’isoler des expressions culturelles
parallèles aux siennes, s’est au
contraire mise à se les incorporer
dans un esprit confiant
d’autoredéfinition qui dynamise des
notions — jadis considérées comme
immuables — de la communauté
nationale.
Dans leur article provocateur, Simon
Harel et Mathieu-Alexandre Jacques
articulent une autre position qui vise
à nous mettre en garde contre les
affirmations insouciantes des
transferts culturels qui, dans leur
hâte de célébrer un nouveau sujet
hybride, n’hésiteraient pas à
réprimer « la sensorialité
douloureuse du monde
diasporique ». En étudiant les
œuvres d’Émile Ollivier, écrivain
québécois né en Haïti, les auteurs de
ce texte voient dans l’acte d’écrire
une tentative d’émerger des
traumatismes du déplacement. Si
Walter nous rappelle que le
déplacement, à l’instar des transferts
culturels, « constitue un double
signe de perte et de souffrance (…)
et de prise en charge »,
l’interprétation de Harel et de
Introduction
Présentation
even at this moment–demographic
changes and the socio-economic and
identitarian shifts they register risk
disassembling this provisional
hybridity into a disjointed,
heterotopic space. Here the
constitutive elements may contend
with each other anew and
reassemble in unpredictable ways.
“Cities,” Simon asserts, “offer
different models of interaction than
those imposed by national frames.”
In this volume, we might add, it is
not a question of just any city, but of
one in particular. Montreal, in one
way or another, is of concern to six
of our eight theme articles and
central to half of them. What is it
about Montreal that gives it this
singular position? To say it is
diversity or multiculturalism would
be saying very little, since there are
Canadian cities that are as
statistically multicultural, or more
so, than Montreal. Perhaps it is
something else–what Simon calls the
double consciousness of living in a
permanent state of haunting by a
proximate second language, of not
having the “luxury” of a single
normative linguistic code, of being
reminded instead at every turn of the
provisional and relational aspects of
language by virtue of there being a
second code through which to filter
cultural phenomena. In other words,
there is no single, coherent
hegemony in Montreal through
which relations between language,
culture, and politics have become
easily aligned and naturalized. This
also complicates and intensifies
relations between the established
historical communities and those
newly arrived. In Sirma Bilge’s
essay, we learn about how a
relatively small immigrant
community, Turks in Montreal,
Jacques, informée par la
psychanalyse, met très fortement
l’accent sur la capacité singulière de
la littérature migrante de répéter et
de reprendre la séparation
traumatique du sujet du lieu originel.
Dans l’écriture d’Ollivier, les
auteurs voient une œuvre de deuil, le
deuil d’un amour qui lie chaque
exilé à la mère. Cette pratique
suggère à Harel et à Jacques
l’importance du rôle joué par le
« lieu habité » dans le façonnement
des comptes-rendus du nomadisme
et de l’exil. Là où le bât blesse, c’est
que ce lieu habité est surtout un lieu
qui « nous habite », et donc un lieu
dont on ne peut pas facilement se
débarrasser en posant des actes de
volontarisme ontologique :
« L’espace s’impose à notre corps
défendant » et hante les façons dont
nous sommes capables de traiter et
d’intégrer de nouveaux phénomènes
culturels.
Pour Sherry Simon, c’est l’hybridité,
un concept clé du répertoire des
transferts culturels qui doit devenir
« non pas une bannière mais un
dispositif exploratoire ». À l’instar
de Walter, elle formule une
distinction entre l’hybridité et
l’hétérogénéité, cherchant ainsi à
nous donner une appréciation
bigarrée de ce que Chartier et
Kwaterko appellent également la
non-coïncidence. En concentrant son
propos sur l’Église Saint-Michel
Archange du quartier du Mile End
de Montréal, Simon montre d’abord
comment l’édifice domine le
paysage urbain. Puis, en nous faisant
pénétrer à l’intérieur, elle est en
mesure de nous expliquer l’Église
comme expression à la fois de
l’évolution du quartier et de sa
diversité culturelle contemporaine.
Sur le plan diachronique, l’église
11
International Journal of Canadian Studies
Revue internationale d’études canadiennes
negotiate issues of representation
and cultural value through a
traditional children’s festival. How
do these issues express themselves
in relation to the Turkish
community, to the citizenry of
Montreal community at large, and
even to Turkey itself? Bilge shows
how the Festival serves as a form of
insertion/inscription into the new
society; the social actors in this
drama are caught between a desire to
embrace Canadian pluralism–federal
multiculturalism and Quebec’s
interculturalism–on the one hand
and, on the other, the equally
pluralistic expectation by Armenians
in Montreal that the genocide of
1915 be commemorated beyond the
community and acknowledged by
the municipal, provincial, and
federal governments, and thus
incorporated into Canada’s cultural
memory. This proposed form of
cultural transfer is resisted by the
Turkish community over and above
internal ethnic and class differences
and recurrently poses the question of
how it wishes to be represented:
would featuring traditional dress, for
example, be taken by others as a
valorization of authenticity, or an
expression of “backwardness”? In
the current international political
conjuncture, such questions become
particularly acute.
Claire Poitras’ essay gives cultural
transfer a whole new meaning in its
comparative study of Montreal and
Glasgow, two former industrial
giants that have, in recent years,
sought to refashion themselves for
the 21st century by privileging the
tertiary sector, and cultural
industries in particular. This has
taken place both through large-scale
urban renewal and the rehabilitation
12
parvient à réaliser une
« combinaison élégante de formes »
qui, dans un contexte qui valorise les
échanges culturels et
l’interpénétration des cultures,
marque l’exécution réussie de
l’hybride. En même temps, un
examen de ses divers symboles
religieux et de son décor disparate
nous rappelle que des moments
d’hybridité comme ceux-là ne sont
que provisoires et privilégiés; en tout
temps — et peut-être même au
moment présent — des changements
démographiques, et les
déplacements socio-économiques et
identitaires dont ils témoignent
risquent de démonter cette hybridité
provisoire, en la transformant en un
espace disjoint et hétérotopique.
Aussi les éléments constitutifs sont à
nouveau aux prises les uns avec les
autres et pourraient se réassembler
suivant des schèmes imprévisibles.
« Les villes », soutient Simon
« nous offrent d’autres modèles
d’interaction que ceux qu’imposent
les cadres nationaux ». Dans le
présent numéro, pourrions-nous
ajouter, il n’est pas question de
n’importe quelle ville, mais d’une
ville en particulier. Montréal, d’une
façon ou d’une autre, préoccupe les
auteurs de six de nos huit articles
thématiques et se situe au cœur
même de la moitié de ceux-ci.
Qu’est-ce qui, caractérisant
Montréal, peut lui conférer une
position si singulière? Ce serait dire
peu de chose que de répondre « la
diversité » ou « le multiculturalisme », car on pourrait
mentionner un certain nombre
d’autres villes canadiennes qui, d’un
point de vue statistique, sont aussi
multiculturelles que Montréal, ou
même davantage. Peut-être s’agit-il
de quelque chose d’autre — de ce
Introduction
Présentation
que Simon appelle la double
conscience de vivre dans un état
permanent de hantise par une
deuxième langue si proche, de ne
pas avoir le « luxe » de pouvoir
disposer d’un code linguistique
normatif unique et ce du fait qu’il y
a un deuxième code à travers lequel
on peut filtrer des phénomènes
culturels. En d’autres termes, il
n’existe pas, à Montréal, une
hégémonie unique et cohérente en
vertu de laquelle les relations entre
les langues, les cultures et les
opinions politiques se seraient
facilement alignées et donc
naturalisées, un phénomène qui à la
fois complique et intensifie les
relations entre les communautés
historiques bien établies et les
nouveaux arrivants. C’est ainsi que
dans l’article de Sirma Bilge, nous
apprenons comment une
communauté immigrante
relativement petite, les Turcs de
In our final theme article, Ravi de
Montréal, se sert d’un festival
Costa examines the process of new
traditionnel pour négocier des
treaty writing in British Columbia.
At the outset, the purported objective questions de représentation et de
valeur culturelle. Comment ces
of this process was the
questions s’expriment-t-elles à
decolonization of the relationship
between Aboriginal peoples and the travers le Festival des enfants dans
ses rapports avec la communauté
federal and provincial governments
in the name of “recognition, respect, turque et aux yeux de l’ensemble de
la population montréalaise et même
and justice.” With such
du point de vue de la Turquie
self-proclaimed objectives, it might
elle-même? Sous cet éclairage, le
be assumed that this would be an
occasion to witness a trans- dynamic Festival joue le rôle de moyen
d’insertion ou d’inscription dans la
at work on a grand scale. Certainly,
there is a longstanding discussion in société nouvelle. Les acteurs sociaux
de ce drame sont écartelés entre,
Canada on the historical extent of
d’une part, le désir d’embrasser le
exchange (trans-cultural) or
pluralisme canadien — soit tant le
influence (inter-cultural) between
multiculturalisme fédéral que
European settlers and Aboriginal
l’interculturalisme du gouvernement
peoples in the contact period. With
this scholarly debate buttressed by a du Québec — et, d’autre part,
l’attente tout aussi pluraliste des
new postcolonial consciousness, it
Arméniens de Montréal, qui
might have been hoped that
government negotiators would have voudraient que le génocide de 1915
soit commémoré au-delà des limites
approached these negotiations
of abandoned districts, as well as the
scheduling of festivals and large
expositions across the full range of
the arts. In both cases,
supra-municipal levels of
government have intervened in ways
that went very much against the
neo-liberal ethos of the period.
Poitras provides a detailed balance
sheet of these interventions, with
special consideration of the extent to
which it has been possible to
respond to the exigencies of
economic and cultural globalization
while meeting the needs of the local
populations, particularly those
sectors that have been hardest hit by
deindustrialization. The gulf, she
suggests, remains quite wide, with
the transfer of cultural assets
benefitting mainly professional class
layers, tourists, and outside
investors.
13
International Journal of Canadian Studies
Revue internationale d’études canadiennes
already sensitized to differing
notions of land ownership and use,
justice, and representation. What de
Costa maintains instead is that
momentum in the negotiations has
been eroding due to a
monoculturally driven “obsession”
by government officials with the
question of “certainty”: Does their
desire for new treaties derive from
“a recognition of Aboriginal rights
or an idemnity against their future
assertion?” de Costa asks. Rather
than regarding treaties as acts of
recognition ensuring shared access
to resources, the governments persist
in seeing them as “bills of sale,” sad
evidence that a meaningful
transcultural dynamic has been far
from informing the negotiating
process.
Marjorie Fee’s research note on the
Sapir-Whorf hypothesis and its
pertinence to language revival
among First Nations dovetails nicely
with de Costa’s essay. She argues
that we ignore the symbolic weight
of language at our peril (an example
might well be the current impasse in
B.C. treaty negotiations over
“certainty”), and that there are
critical reasons for not dismissing
the relationship between language
and cultural consciousness. Once
skeptical about campaigns for the
revival of individual languages
spoken today by only handfuls of
people, Fee now sees in the teaching
of traditional Aboriginal languages a
powerful stimulus to political
viability. These knowledges
legitimate identity both at the
personal and community levels, thus
reinforcing and coinciding with
Aboriginal views of the land as
chronotope, “points in the geography
14
de leur communauté, reconnu par les
gouvernements municipal,
provincial et fédéral, et ainsi
incorporé dans la mémoire culturelle
canadienne. Or la communauté
turque résiste à cette tentative de
transfert culturel : comme le
Festival des enfants a lieu la veille
même de la commémoration
arménienne, il sert ainsi à la fois à
unir la communauté turque au-delà
de ses différences ethniques internes
et de ses différences de classes
sociales et à poser la question jamais
résolue du mode de sa représentation : par exemple, le port du
costume traditionnel sera-t-il
interprété par d’autres comme une
valorisation de l’authenticité ou au
contraire comme une expression
d’une culture « arriérée »? Dans la
conjoncture politique internationale
actuelle, des questions de ce genre se
posent avec une acuité toute
particulière.
L’article de Claire Poitras confère
une toute nouvelle signification aux
transferts culturels : il s’agit d’une
étude comparative de Montréal et de
Glasgow, deux anciens géants
industriels qui, au cours des
dernières années, se sont efforcés de
se remodeler et de s’adapter aux
nouvelles réalités du 21e siècle en
privilégiant le secteur tertiaire et les
industries culturelles en particulier.
Dans les deux cas, on y est parvenue
grâce à une vaste entreprise de
démolition et de construction
urbaine et de rénovation de quartiers
désaffectés, ainsi que par
l’organisation de festivals et de
grandes expositions mettant en jeu la
gamme complète des formes
d’expression artistique. À Glasgow
comme à Montréal, des ordres
supra-municipaux de gouvernement
sont intervenus en recourant à des
Introduction
Présentation
of a community where time and
space intersect and fuse.”
Our review essays return to several
of the questions raised in our
thematic dossier. Stéphane Kelly
provides us with a thorough account
of how a new generation of Quebec
historians are reassessing the ways
in which their predecessors (and
many of their contemporaries) have
been practicing the intergenerational
transfer of cultural knowledge. The
new historians call for a new linkage
between history and memory, and a
renewal of the relationship between
intellectuals and the community that
does not replicate the essentializing,
paternalistic discourses of the past.
Charlotte Sturgess’s review of three
studies on the North focuses on
books that either consciously
critique or unconsciously underscore
the essentially appropriative
relationship that has existed between
mainstream Canadian society and
the “north” up until now. It is
Canada that sets the terms of this
incorporation, Sturgess observes,
and wonders, on the basis of what
she has read, whether “Inuit cultures
(can) participate actively in that
Canadian identity they serve?”
Graciela Martínez-Zalce’s survey of
representations of the border in
Mexican and Canadian films
explores a topos that gives rise to
largely different anxieties in the two
countries. Zalce observes wryly that
the only border films from Mexico
with happy ends are those where the
border is not explicitly represented;
in Canada, by way of contrast, the
non-representation of the border
produces fear and anxiety over its
eventual dissolution. Zalce notes that
this unease also allows for Canadian
films where the border is treated as a
symbolic issue, abstracted from an
moyens qui contrevenaient tout à fait
à l’ethos néo-libéral de l’époque.
Poitras trace un bilan détaillé de ces
interventions, en accordant une
attention toute particulière à la
mesure dans laquelle on a pu
satisfaire aux exigences de la
mondialisation économique et
culturelle tout en répondant aux
besoins des populations locales, et
en particulier des segments de ces
populations qui avaient été les plus
durement frappés par la
désindustrialisation. L’écart,
suggère-t-elle, demeure très large,
dans la mesure où ce sont surtout
d’autres groupes, dont les couches
professionnelles, les touristes et les
investisseurs externes, qui
bénéficient de ces transferts d’actifs
culturels.
Dans notre dernier article
thématique, Ravi de Costa se penche
sur le processus de rédaction de
nouveaux traités en ColombieBritannique. D’emblée, l’objectif
affiché de ce processus était de
décoloniser les relations entre les
peuples autochtones et les
gouvernements fédéral et provincial,
et ce au nom de « la reconnaissance,
du respect et de la justice ». À la
suite de la proclamation de tels
idéaux, on pouvait s’attendre à
pouvoir bénéficier d’une occasion
d’observer la dynamique du trans à
l’œuvre sur une grande échelle. Sans
doute discute-t-on depuis longtemps
au Canada de la portée historique
des échanges (transculturels ) et des
influences (interculturelles) entre les
colons européens et les peuples
autochtones qui ont eu lieu au cours
de la période de prise de contact.
Comme ce débat savant se voit
maintenant étayé par une nouvelle
conscience postcoloniale, il était
permis d’espérer que les
15
International Journal of Canadian Studies
Revue internationale d’études canadiennes
négociateurs désignés par le
gouvernement se présenteraient à la
table des négociations déjà
sensibilisés à la diversité des notions
Zilá Bernd examines Yann Martel’s de propriété et d’usage du territoire,
de justice et de représentation. Au
Booker award-winning Life of Pi
lieu de cela, selon de Costa, les
and her fellow Porto-Alegrian
négociations ont rapidement perdu
Moacyr Scliar’s Max e os felinos.
de leur élan du fait d’une
Moving beyond the scandal that
erupted when Scliar accused Martel « obsession » monoculturelle de
of plagiarizing his work, Bernd sees fonctionnaires autour de la question
de la « certitude » : leur désir de
in each novel an archetypal,
conclure de nouveaux traités
allegorical account of the
immigrant’s passage from one life to procède-t-il d’une « reconnaissance
another. Bernd’s account is situated des droits autochtones ou du besoin
de se prémunir contre leur
more within Ortiz’s original
conceptualization of transculturalism affirmation à venir? » se demande de
Costa. Plutôt que de considérer les
than those of several of our
traités comme des actes de
contributors, even though she
reconnaissance qui permettraient de
distinguishes between the two
garantir un accès partagé à des
voyages, one to Canada with its
ressources naturelles, le
official, relatively recent politics of
gouvernement s’obstine à les
multiculturalism, and the other to
regarder comme des « actes de
Brazil, where an older,
longer-established ideology of racial vente » — une triste indication du
harmony has for some time lay bare fait qu’on est encore loin d’un
processus de négociation qui serait
its contradictions. Bernd pays
informé par une dynamique
particular attention to Pi’s desire to
be versed in Christianity, Islam, and transculturelle significative.
Hinduism in preparation for his
La note de recherche de Marjorie
arrival in multicultural Canada, a
Fee au sujet de l’hypothèse Sapirmoment that is also taken up in
Whorf et de sa pertinence dans le
Barbara Pell’s review of recent
contexte de la renaissance des
Canadian novels that engage issues
langues des premières nations cadre
of faith and religion. Pell’s account
fort bien avec l’article de Costa. Fee
focuses on works that feature
soutient que c’est à nos risques et
traditional forms of Christianity
périls que nous ignorons le poids
interrogated by a new post-modern
sensibility that “subverts, conflates, symbolique du langage (un exemple
pourrait nous en être fourni par
and demythologizes” the “great
l’impasse actuelle des négociations
narrative” of this faith in order to
sur la conclusion d’un nouveau traité
place it in closer contact with
en Colombie-Britannique et qui sont
personal forms of spirituality. She
argues that this has become possible actuellement enlisées dans des
in a postcolonial context where there discussions sur la « certitude »). Elle
ajoute qu’il existe des raisons d’une
is a great diversity of faiths in
portée critique de ne pas rejeter
Canada, but perhaps more
l’existence de relations entre le
importantly, that it is a direct result
langage et la conscience culturelle.
actual political frontier, a
phenomenon virtually unseen in
Mexican cinema.
16
Introduction
Présentation
of a postmodern attitude toward
metafiction: “the indeterminacy of
story and the need for faith in the
fictionalizing of fact.” Or, as Pi
would say to his incredulous
interrogators: “What is your problem
with hard to believe?”
Jadis sceptique face aux campagnes
visant à faire revivre des langues
isolées que ne parlent plus que de
très petits groupes de locuteurs, Fee
reconnaît maintenant que
l’enseignement des langues
autochtones traditionnelles peut
constituer un stimulant important de
Our issue closes with a tribute to
la pérennité politique. Ces savoirs
Edward Saïd by Dorit Naaman. Not légitiment l’identité tant sur les plans
only “Transculturalisms,” but
personnel que communautaire, une
“Post-Canada,” too, is suffused with légitimation qui coïncide
Saïd’s insight that “knowledge about admirablement avec les points de
a topic is also, and maybe foremost, vue autochtones sur le territoire
knowledge about the collector and
considéré comme chronotope et qui
provider of that knowledge,” as
les renforce — le territoire « désigne
Naaman so aptly puts it. Said’s
la géographie de la communauté, le
belief in agencied beginnings has
lieu où le temps et l’espace
also been crucial to the insight,
s’entrecroisent et se fusionnent ».
shared across the essays in this
volume, that the dynamics of
Nos essais critiques font un retour
cultural transfer militate against
sur plusieurs des questions soulevées
efforts to legitimate cultures through à l’intérieur de notre dossier
essentialized origins. As a graduate
thématique. Stéphane Kelly nous
student, I was privileged to attend a offre un essai critique détaillé de la
seminar led by Edward Saïd in
façon dont une nouvelle génération
which he read aloud portions of the
d’historiens québécois sont en train
manuscript of the yet unpublished
de réévaluer les façons dont leurs
Orientalism. For all the distance that prédécesseurs (et beaucoup de leurs
postcolonial and transcultural studies contemporains) ont pratiqué le
have traveled in the intervening
transfert intergénérationnel des
decades, I still recall that moment as savoirs culturels. Ces nouveaux
the one that opened me, consciously historiens préconisent l’établisand irrevocably, to desiring in
sement d’un maillage neuf entre
culture what Saïd calls “the rich
l’histoire et la mémoire, ainsi que le
fabric (…) which no one can fully
renouvellement des relations entre
comprehend, and no one can fully
l’intellectuel et la communauté qui
own.” Certainly at our millenial
éviterait de reproduire les discours
cusp, with its soured hopes and
essentialisants et paternalistes du
forgotten peace dividend, few can be passé. L’essai critique de Charlotte
as instructive as Saïd about how
Sturgess au sujet de trois livres
many “major political and
portant sur le Nord se concentre sur
intellectual disasters (are) caused by des ouvrages qui soit se livrent à une
reductive moments that tried to
critique consciente ou soulignent
simplify and purify.” This issue of
inconsciemment les relations
our Journal is dedicated to showing essentiellement appropriatives qui,
how, in Canada, it is possible to
jusqu’à maintenant, ont prévalu
pursue such an intellectual legacy
entre la société canadienne
responsibly, without reducing
majoritaire et le « nord ». C’est le
17
International Journal of Canadian Studies
Revue internationale d’études canadiennes
cultural transfer to either a
complacent state ideology or an
abstraction that dispenses with
embodied, dynamic subjects.
Robert Schwartzwald
Editor-in-Chief
Works Cited
Brydon, Diana. “Detour Canada:
Rerouting the Black Atlantic,
Reconfiguring the Postcolonial.”
Reconfigurations. Canadian
Literatures and Postcolonial
Identities, Marc Maufort and
Franca Bellarsi, eds. Bruxelles:
P.I.E.–Peter Lang, 2002. 109-122.
Schwartzwald, Robert. “Introduction.”
International Journal of Canadian
Studies/Revue internationale
d’études canadiennes 25 (Spring/
Printemps 2002): “Post-Canada.”
5-13.
Sugars, Cynthia. “National Posts:
Theorizing Canadian
Postcolonialism.” International
Journal of Canadian Studies/Revue
internationale d’études
canadiennes 25 (Spring/ Printemps
2002): 15-41.
Canada qui dicte les conditions de
cette incorporation, de noter
Sturgess, et puis elle se demande, à
partir de ce qu’elle a lu, si « les
cultures inuit (peuvent) participer
activement à cette identité
canadienne qu’elles servent ». Le
survol de représentations de la
frontière dans les cinémas canadien
et mexicain, que nous offre Graciela
Martínez-Zalce, explore un thème
qui suscite des inquiétudes fort
différentes que l’on soit dans l’un ou
dans l’autre de ces deux pays. Zalce
note avec ironie que les seuls films
« frontaliers » mexicains qui
finissent bien sont ceux où la
frontière n’est pas explicitement
représentée; au Canada, par
contraste, la non-représentation de la
frontière donne lieu à des craintes et
à des angoisses, liées à la
perspective de sa dissolution. Zalce
note que ce malaise a comme
conséquence la production de films
canadiens où la question de la
frontière est traitée sur un plan
symbolique et abstraction faite de
toute délimitation politique réelle, un
phénomène qui est pratiquement
jamais vu dans le cinéma mexicain.
Pour sa part, Zilá Bernd se penche
sur Life of Pi, la Vie de Pi, le roman
de Yann Martel qui s’est mérité le
prix Booker, ainsi que sur Max e os
felinos, un livre de l’écrivain
brésilien Moacyr Scliar, qui, comme
elle, est originaire de Porto Alegro.
Au-delà du scandale qui s’est
produit lorsque Scliar a accusé
Martel d’avoir plagié son œuvre,
Bernd analyse les deux romans pour
y voir un compte-rendu archétypal et
allégorique du passage de
l’immigrant d’une vie à une autre. À
l’instar de plusieurs des autres
auteurs qui ont contribué à ce
numéro thématique, l’analyse de
18
Introduction
Présentation
Bernd se rapproche davantage de
l’idée originale qu’Ortiz se faisait
des transferts culturels et ce même si
elle tient à opérer une distinction
entre les deux voyages, celui vers le
Canada et sa politique de
multiculturalisme officiel
relativement récente et celui vers le
Brésil, où une idéologie plus
ancienne et mieux établie de
l’harmonie raciale étale depuis
quelques temps ses propres
contradictions. Bernd prête une
attention toute particulière au désir
de Pi d’acquérir une bonne
connaissance du Christianisme, de
l’Islam et de l’Hindouïsme, pour se
préparer à son arrivée dans le
Canada multiculturel, un moment
auquel s’attarde également Barbara
Pell dans son survol de romans
canadiens récents qui s’attaquent
aux questions de foi et de religion.
Le survol auquel se livre Pell se
rapporte à des ouvrages qui mettent
en vedette des formes traditionnelles
de Christianisme qui se voient
maintenant interrogées par une
nouvelle sensibilité postmoderne qui
« subvertit, apparie et
démythologise » le « grand récit » de
cette foi afin de la mettre en contact
plus étroit avec des formes plus
personnelles de spiritualité. Elle
soutient que, au Canada, ce
phénomène a été rendu possible pour
un contexte postcolonial où l’on
retrouve une grande diversité de
croyances religieuses, mais, ce qui
est peut-être plus important, il
découle directement d’une attitude
postmoderne envers la métafiction :
« l’indétermination du récit et le
besoin de la foi dans la
fictionalisation du fait ». Ou,
comme Pi l’aurait dit à ses
interrogateurs incrédules : « quel
problème vous pose ce qui est dur à
croire? »
19
International Journal of Canadian Studies
Revue internationale d’études canadiennes
Notre numéro se termine avec un
hommage rendu par Dorit Naaman à
Edward Saïd. Non seulement « Les
transferts culturels » mais « PostCanada » également sont tout
imprégnés de l’intuition
fondamentale de Saïd que « la
connaissance sur un sujet donné est
également, et peut-être avant tout,
une connaissance sur celui qui a
recueilli et qui nous offre ce
savoir », ainsi que Naaman le dit si
bien. La croyance de Saïd en les
commencements agenciés a
également joué un rôle essentiel
dans l’émergence de cette autre
intuition, que partagent tous les
textes contenus dans ce numéro, que
la dynamique des transferts culturels
milite contre toute tentative de
légitimer les cultures à travers des
origines essentialisées. Quand j’étais
un étudiant diplômé, j’ai eu le
privilège d’assister à un séminaire
d’Edward Saïd où il a lu des extraits
du manuscrit de son Orientalism,
alors encore inédit. En dépit du long
chemin que les études postcoloniales
et transculturelles ont parcouru
depuis cette époque, je me souviens
encore de ce moment comme d’un
qui, consciemment et
irrévocablement, m’a donné la soif
d’une culture dont Saïd dit qu’elle
est « le riche tissu (…) que nul ne
saurait comprendre totalement et qui
ne saurait pleinement appartenir à
quiconque ». Certainement, à l’orée
d’un nouveau millénaire, dans une
époque d’espoirs aigris et de
dividendes de paix oubliés, peu de
gens peuvent nous en dire autant que
Saïd sur le nombre de « désastres
politiques et intellectuels importants
qui résultent de moments réducteurs
où l’on a tenté de simplifier et de
purifier ». Le présent numéro de
notre Revue est consacré à la tâche
de montrer comment, au Canada, on
20
Introduction
Présentation
peut entretenir un tel héritage
intellectuel d’une façon responsable,
c’est-à-dire sans pour autant ramener
les transferts culturels à une
idéologie d’État complaisante ou
encore à une abstraction qui ferait
l’économie de sujets incarnés et
dynamiques.
Robert Schwartzwald
Rédacteur en chef
Ouvrages cités
Brydon, Diana. “Detour Canada:
Rerouting the Black Atlantic,
Reconfiguring the Postcolonial.”
Reconfigurations. Canadian
Literatures and Postcolonial
Identities, Marc Maufort et Franca
Bellarsi, eds. Breuxelles:
P.I.E.–Peter Lang, 2002. 109-122.
Schwartzwald, Robert. “Présentation.”
International Journal of Canadian
Studies/Revue internationale
d’études canadiennes 25 (Spring/
Printemps 2002): “Post-Canada.”
5-13.
Sugars, Cynthia. “National Posts:
Theorizing Canadian
Postcolonialism.” International
Journal of Canadian Studies/Revue
internationale d’études
canadiennes 25 (Spring/ Printemps
2002): 15-41.
21
Roland Walter
Between Canada and the Caribbean:
Transcultural Contact Zones in the Works of
Dionne Brand
Abstract
This paper traces the development of the term “transculturation” from
Fernando Ortiz to Antonio Benítez-Rojo, and examines the transcultural
contact zones between Canada and the Caribbean in Dionne Brand’s short
story, “Sketches in transit … going home” and two novels, In Another Place,
Not Here (1986) and At the Full and Change of the Moon (1999). It redeploys
transculturation as a form of disjunctive synthesis and symbiosis and posits it
as a cultural paradigm and critical mode to explore fractal relations and
in-between spaces caused by mobility. This theorization serves as the basis
for an analysis of the dynamic mechanisms of transculturation in the process
of identity formation in Brand’s writing.
Résumé
Cet article, qui retrace l’évolution du terme « transculturation » de Fernando
Ortiz à Antonio Benítez-Rojo, se penche sur les zones de contact transculturel
entre le Canada et les Antilles telles qu’elles ressortent d’une nouvelle de
Dionne Brand, « Sketches in transit … going home » ainsi que de ses deux
romans, In Another Place, Not Here (1986) et At the Full and Change of the
Moon (1999). On y redéploie la « transculturation » considérée comme une
forme de symbiose et de synthèse disjonctive et on l’y pose comme un
paradigme culturel et un mode critique d’exploration des relations fractales
et des espaces entre-deux qui résultent du jeu de la mobilité. Cette
théorisation sert de fondement à une analyse des mécanismes dynamiques des
échanges culturels (transculturation) à l’intérieur du processus de formation
de l’identité, tel que l’écriture de Brand le décrit.
Identity is not like some piece of clothing that is
lost and found and then slipped on hoping it will
fit. (Condé, 2000: 158).
In between, Liney, in between, as if your life
could never see itself, ... language seemed to
split in two, one branch fell silent, the other
argued hotly for going home. (Brand,
1990: 26, 31).
International Journal of Canadian Studies / Revue internationale d’études canadiennes
27, Spring / Printemps 2003
International Journal of Canadian Studies
Revue internationale d’études canadiennes
The Caribbean space is an inter-American contact zone par excellence.
From the period of early colonization to the present hegemonic, neoliberal
restructuring, the Caribbean, perhaps like no other region in the Americas,
has been subjected to cultural and racial mixture and has functioned as a
pool of cheap, exploitable labour. The impact of this (neo)colonization on
Caribbean life and culture has been such that Caribbean people define their
identity and subject position between different geographical locations and
signifying systems. This hybridity, as Homi Bhabha (1994: 114) has
pointed out, produces cultural ambivalence because of the continuing latent
impact of the imperial value system on colonial subjects. The forced and
willed migrations of transatlantic enslavement, colonialism, imperialism
and the present-day transnational economic world order have created
shifting “contact zones,” as Mary Louise Pratt (1992: 6-7) has argued,
where questions of identity involving negotiations of borders that separate
and unite the self and the other are historically structured in containment
and resistance. Caribbean migration, seen as a discontinuous dialectics
between what Glissant (1997: 211) calls “rootedness and errantry,”
confronts its subjects with a constant shift of attitudes, habits and points of
view. Whether here or there, Caribbean migrants always cross a borderline
separating inside from outside, past from present, space from place. Hence,
what dominates in this enactment of different juxtaposed or overlapping
ethos and worldviews is a lived and/or narrated in-betweenness
characterized by displaced relationships. Caribbean identity, then, is
characterized by a movement between and across multiple locations: a
“migratory subjectivity” that can be conceived in terms of both
“domination” and “slipperiness, else-whereness” (Boyce Davies, 1994:
36). Whether seen as “double-consciousness” (Du Bois), “mimicry”
(Bhabha), the baroque “incorporative protoplasm” (Lezama Lima) or the
ambivalent movement between the “mastery of form” and the
“deformation of mastery” (Baker), this slipperiness between locations
signals that identity is always a question of alterity. Glissant (1997: 11) has
used the notion of the “rhizome” to describe this relational character of
identity: “each and every identity is extended through a relationship with
the Other.” In the context of Caribbean diaspora mobility with its
fragmented histories and intermediate, juxtaposed and overlapping spaces
and places, the question arises how to analyze the relationship between
cultures and identities shaped in fractal ways? This essay posits that one of
the analytical models to measure the sameness and difference of
contemporary fractal relations and realities is the cultural paradigm of
“transculturation.” Unlike Cornejo Polar and Moreiras1, the first part of this
essay will argue that we should keep transculturation as a critical mode for
the exploration of the ambivalent in-between spaces resulting from
intercultural contact. The discussion will then move to Dionne Brand, a
writer born in Trinidad and living in Toronto, whose novels and short
stories shed specific light on the relation between mobility and
transculturation. This essay’s specific objective will be to examine the
24
Between Canada and the Caribbean:
Transcultural Contact Zones in the Works of Dionne Brand
dynamic mechanisms of transculturation in the construction of her
characters’ diaspora identities.
Coined by Fernando Ortiz in the 1940s, the term “transculturation”
marks the shifting relations and ways of transmission between different
cultures, nations, regions, races, ethnicities, classes and languages at the
ambiguous interface of premodern, modern and postmodern times. Ortiz
(1947: 102-03) defines transculturation in Cuba as follows:
I am of the opinion that the word transculturation better expresses
the different phases of the process of transition from one culture to
another because this does not consist merely in acquiring another
culture, which is what the English word acculturation really
implies, but the process also necessarily involves the loss or
uprooting of a previous culture, which could be defined as a
deculturation. In addition it carries the idea of the consequent
creation of new cultural phenomena, which could be called
neoculturation.
Seen as an alternative to the concept of “acculturation,” which to Ortiz did
not signify mutual cultural interaction but a one-way process of
assimilation, transculturation describes the two-way “give and take”
transmission between cultures, particularly those in dissimilar positions of
power. For Ortiz, transcultural relationships, such as those between
tobacco and sugar, or European and African rhythms, are inscribed in
geopolitical and economic power structures and their interdependent
elements are linked, separated, and juxtaposed in both contradictory and
complementary ways through both inclusive and exclusive borders.
Moreover, since the heterogeneous elements are implicated in an ongoing
process of change, the neoculturated objective is constantly deferred. This
means that transculturation in Ortiz does not unambiguously stand for a
synthetic dialectical fusion of heterogeneous cultural elements. What
forms the nation-state, national identity and culture in Ortiz is a
transcultural conceptualization characterized by the tension between
synthesis and symbiosis, fusion and antagonistic coexistence, an interplay
whose stages are impossible to trace entirely.2 What links Ortiz to later
critics of the term such as Nancy Morejón (1982) and Angel Rama (1982) is
the differentiation between text and subtext: the nation as text is constituted
by cultural difference as heterogeneous subtext–that is, heterogeneity is
sublated in the formation of a nation-state and national identity.3 Whether
situated within the social, economic and cultural contrapuntal dynamics of
commodities and rhythms (tobacco, sugar, and drums) as in Ortiz, or
problematized as a cultural form of writing which mixes European
avant-garde techniques, such as narrative fragmentation, interior
monologue and stream of consciousness, and Latin American oral forms
and structures of storytelling as in Rama, transculturation denotes the idea
of inclusion–the reconciliatory integration of elements from different
cultures. This incorporation of cultural elements, a transcultural dynamics
25
International Journal of Canadian Studies
Revue internationale d’études canadiennes
which involves the partial loss and assimilation of cultural elements in the
process of cultural reinvention, suppresses the development of cultural
heterogeneity by writing the universal over the particular. The unification
of different races, ethnic groups, regions, languages and literatures around a
common cultural and national identity freezes the continuous negotiations
and struggles inherent in its fluid constitution. In this context, the
movement from the part to the whole, insofar as it recognizes cultural
difference as a subtextualized agent, comes dangerously close to
legitimating that which it was set out to undermine, namely the discourse of
hybridity-as-synthesis promoting assimilation–unity-as-sameness–as the
epistemic basis and force of the development of modern nation-states and
cultural identities. In that it ambiguously oscillates between difference and
sameness, between seeing culture, identity, and the nation as both a
signifying process and inert signs, this transcultural discourse brackets the
incommensurable excess produced in the disruptive zone of their
encounter.
This closure of the transcultural in-between zone has been challenged by
Antonio Benítez-Rojo. By rewriting Ortiz’s counterpoint between tobacco
and sugar within a postmodern, neocolonial context where the scientific
discourses and master narratives of Western modernity clash with Caribbean premodern oral rhythms, Benítez-Rojo transwrites transculturation as
synthetic inclusion and totality into transculturation as a heterotopic and
“supersyncretic” disorder characterized by noise, lack, fragmentation,
in-betweenness and chaos. Here transcultural relations are characterized by
a coexistence of culturally different dynamics which excludes a synthetic
naturalization (e.g., subjugation-as-subtextualization) of elements of one
culture into those of another culture. Instead, they are characterized by what
he calls “insoluble differential equations.” These transcultural processes,
then, do not neutralize but enhance the antagonistic and complementary
tension between culturally diverse elements (Benítez-Rojo, 1996: 20-21,
24-29). From this perspective, cultural formations do not disappear into
others (acculturation and deculturation) but are juggled with by subjects
whose stable identities make way for identities-in-process characterized by
shifting identifications. This shift from utopia to heterotopia, from
synthesis to symbiosis, and condensation to diffraction in the definition of
transculturation–that is from a sublation of original identities in the
formation of a new national/cultural identity to a radical juxtaposition or
parallelism of multiple postnational/postcultural identifications–is of
utmost importance since it reinscribes cultural heterogeneity as incommensurable excess into transcultural contact and thereby opens up a
historical and theoretical process closed by conciliatory absorption.
The lagging of the dialectical negotiations between two opposite entities
through this reinscription of multiplicity highlights transculturation as an
always open process of becoming, a disjunctive flow between and across
synthesis and symbiosis, continuity and rupture, coherence and
26
Between Canada and the Caribbean:
Transcultural Contact Zones in the Works of Dionne Brand
fragmentation, utopia and dystopia, consensus and incommensurability,
deconstruction and reconstruction–a flow mediating the tension between
cultural homogenization and cultural heterogenization. Transculturation, I
contend, should be understood as a multivalent mode encompassing an
uneasy dialogue between hegemonic and counterhegemonic forces and
practices, between gestures, acts and strategies of coercion, appropriation,
expropriation and reappropriation. A dialogue which discriminates
between diverse categories: imposed or willed assimilation and multiple
forms of resistance. As such, it is a critical paradigm enabling us to trace the
ways that transmission occurs within and between different cultures,
regions and nations, particularly those in unequal relations of power rooted
and routed in slavery, (neo)colonialism, migration and diasporization.
Furthermore, and perhaps most importantly, as such a negotiator of the
disruptive in-between zone of inter- and intracultural disjunctures and
conjunctures–the place where diverse sociocultural histories, customs,
values, beliefs and cognitive systems are contested and interwoven with
their different representations being either dissolved into each other or
preserved–transculturation accounts for the local and global production
and interplay of difference and sameness.
Both difference and sameness are inevitably linked to the politics of
domination, subalternization, and resistance. Since identity is not an
inherent state of being or condition, but rather a meaningful effect produced
by an intricately interwoven relationship between symbolic representation
and specific political, economic and sociocultural policies, and, since it is
always posited in a differential relation with another (the desubalternization of subaltern identity, for instance), in order to materialize and begin
its counteragency, implies a critical appropriation of the dominant
discourse. Only an understanding of the negative image of subalternity
facilitates the re-creation of an alter-image. If the subaltern cannot be
thought without the dominant subject, both implicated in a hegemonic
structure based on diverse forms of sociocultural inequality, and if the
politics of subalternization and desubalternization are implicated in
transcultural processes of appropriation and reappropriation, it makes little
sense to pose the study of subalternity as an alternative model of cultural
interpretation to transculturation, as suggested by Moreiras (2001:
200-202). Transculturation, seen as a multivalent mode and paradigm,
maps the (in)communicability inherent in the subaltern/dominant split in
the interstitial zone. Consequently, we should relate subalternity and
transculturation so as to map the dynamic forces which produce, limit,
prolong and transform dissimilar identity positions in specific inter- and
intracultural contact zones.
***
27
International Journal of Canadian Studies
Revue internationale d’études canadiennes
One of the prevalent themes of Dionne Brand’s creative writing is
arguably subsumed under the term “displacement,” operating polysematically at the levels of énoncé and enunciation. Most of her characters,
like Brand herself, live between “here and there” (Birbalsingh, 1996: 122).
In Brand’s fiction, the diasporic movement of the characters within and
through a space constituted by different places and cultures which link the
centre with the neocolonial periphery stresses the cultural in-betweenness
of the Caribbean subject as a quintessential effect of the Caribbean
experience.4 Moving between places and through cultures her characters
perform different identifications on the borderline of “being”–the
historically constituted and determined categories that shape a subject’s
diverse sociocultural locations–and “becoming,” the enactment of these
categories within “the continuous ‘play’ of history, culture and power”
(Hall, 2000: 23). That is to say, the continuous “shuttling between frontiers”
(Minh-ha, 1991: 18) negotiates their repositioning as transidentities on the
move between different cultures. In order to illustrate this transcultural
identitarian process, we will now move to one of Brand’s short stories in
Sans Souci (1989).
In “Sketches in transit … going home,” Dionne Brand delves into the
psyche of her characters in order to lay bare the effect of living in between
borders separating and uniting Canada and the Caribbean. Loaded with
consumer goods, the very “reason for emigrating in the first place,”
Caribbean migrant workers at Toronto Airport board a vacation flight back
to the Caribbean. Being low-wage, sweat-job immigrants in Toronto and
wearing a mask of rags-to-riches tourists in their island homeplaces, they
are described as being “half here and half there” (133). Located between
different cultural orders of knowledge, these migrants instead of “going
home” move from one deferred homecoming to the next. Spending a couple
of weeks per year in the Caribbean, they have an ambiguous relation to their
island birthplaces, a “[l]ove which was not love because it could not centre
itself on a shape, a piece of land. Love which only recollected gesture and
not movement, event and not time” (142). Brand equates them with
commodities “grown for export” such as “sugar cane and arrowroot” (134).
Like these endogenous products, cultivated here but manufactured there,
the islanders change in the process of moving back and forth between
Canada and the Caribbean. Pushed out by dismal economic conditions in
the Caribbean and forced into a subaltern position in Toronto, they are as
much pulled by nostalgia and family relations as by an internalized desire to
play the master figure in a game in which successful emigration is supposed
to mean a change of “class … station” and colour: the elevation from
“nigger” status to “brown-skin status” (134).5 Nowhere at home, torn
between places, they do not only live in an interstitial space but have
internalized its racial, classist and sexist boundaries. That is to say, their
transcultural subjectivities refract those identity-based forms of oppression–(neo)colonialism, racism, classism and sexism–that deny or delimit
the negotiation and comprehension of identity’s meanings.
28
Between Canada and the Caribbean:
Transcultural Contact Zones in the Works of Dionne Brand
However, this confluence of different cultural elements shaping their
identities is a continuous, open-ended process. This is highlighted through
the setting of the plot, namely the hermetic space of a plane indicating a
transcultural contact zone where Caribbean and Canadian people meet but
do not mingle. During the flight from Canada to the Caribbean, hesitancy
makes way for spontaneity, silence for music, and Trinidadian
pronunciation and idioms become standard: “the accents returned, minding
to keep that hint of ‘away’to impress friends at home” (141). In other words,
here identitarian transculturation is a liminal process, a present state
between a past separation and a desired but never achieved homecoming.
Acting as if “they owned the airspace, the skies going south” (141), they
float in a borderless no-man’s-land, a liminal space where self-identification is determined by changing social conditions (tourist/worker)
between two cultures. It might be argued that they assert their transcultural
identities as social conditions with room both for Canadian habits and the
continuation of creolized Caribbean customs: the former being toned down
in the Caribbean and the latter in Canada. Yet Brand emphasizes that her
characters, embedded in hegemonic forces and practices as “[u]seless …
cash crops” (142), playact rather than assert their identities. In the process
of imitating the Canadian Other–the desire to assimilate into Canadian
society–they have not lost but rather repressed their former self. Stimulated
by alcohol and the anticipation of carnival, this former self erupts with a
difference during the flight. This dynamic of disavowal effecting
identitarian disjuncture provides space–what Bhabha has called a “third
space”–for another self: a transculturated in-between self; a self “halfunderstood, half-seen … waving like sugar cane stalks in a breeze” (142).
Like these stalks acted upon by the wind, the Caribbean migrants do not act
consciously. Based on the process of memorization, their Caribbean self
bears on their Canadian one (and vice versa) unconsciously. In this respect,
a form of acting emerges from transculturation that does not act: it is an
asocial agency. Thus, within the dynamics of economic globalization this
transculturation-as-liminality, while constituting a temporal, spatial and
cultural interface, a movement between places, subject positions and
identifications, does not enable the migrant border subject to undo and
revise his/her positionality and to “formulat[e] a potentially unlimited
series of alternative social arrangements” (Turner, 1974: 14). For most of
these migrants, there is no homecoming, no reintegration into the bosom of
community. Unable to see and comprehend themselves fully, they stumble
in and through a cultural limbo. In this story, then, transculturation
negotiates the unconscious performance of different identitarian locations
between two cultures–a process of disavowal producing disjuncture, an
in-between existence characterized by fluid and dynamic relations.
Transculturation as an effect of disjunctive (neo)colonial fluxes implies
displacement. Yet displacement is itself, like transculturation, an
ambiguous concept: it is a double sign of loss and suffering (deculturation,
acculturation) and of empowerment that holds a capacity for transfor-
29
International Journal of Canadian Studies
Revue internationale d’études canadiennes
mation as opportunities to choose new subject positions (neoculturation).
In order to elaborate on this doubling of transculturation, we will now move
the discussion to Dionne Brand’s two novels.
***
Brand’s first novel, In Another Place, Not Here (1996), speaks of a
tension-laden intercultural chronotope–a spatial borderland between
Toronto and an unnamed Caribbean island (most likely Grenada) set within
a present imbued with the Caribbean history of the Middle Passage, slavery,
the plantation system, and resistance to colonization. This chronotope
serves as the setting for both Elizete’s and Verlia’s search for identity and
sense of belonging. The discontinuous narrative, shifting between Verlia’s,
Elizete’s and an unnamed narrator’s perspective, tells the two women’s
love relationship and their individual histories in a fluctuating movement
that juxtaposes Elizete’s cultural rootedness and Verlia’s transcultural
uprootedness. Through this fragmented juxtaposition, Brand creates a
contact zone in which memory encodes the traces of the past in the present
of transcultural displacement.
Elizete, who has never left her birthplace, is deeply rooted in the
everyday reality and landscape of her Caribbean island. Seeing Verlia
working next to her in the cane fields for the first time, she describes her as
“sweat, sweet like sugar.” When she cuts her foot with the machete, “blood
bloom[s] in the stalks of cane” and the resultant “pain” spreads across “the
field spinning green mile after mile…” (3-4). The continuous temporality
of bloody slave labour suggested through the imagery anchors Elizete in a
place framed in temporal in-betweenness: a present being-in-the-world
imbued with a memory of the past that longs for future redemption. In other
words, she is rooted in a place characterized by a history of displacement–a
history that pervades both the human and the natural world, establishing a
dynamic relation between them.
The pattern of this fragmented (hi)story begins with Adela, the greatgreat-grandmother of the woman who raised Elizete. Forced to leave Africa
and taken to the Caribbean as a slave, Adela remembered the route across
the Atlantic. In the new place, however, her memory made way for oblivion.
Beyond the fact that she named the island “Nowhere,” she passed on no
knowledge to her descendents (19). While understanding the reason for
Adela’s resistance, her denial to put down roots in the killing fields of a
space where belonging was lost on the distant horizon of the ocean, Elizete
vows to turn Adela’s geographical and temporal space of in-betweenness
into a place of belonging: “Nothing barren here, Adela, in my eyes
everything full of fullness, everything yielding, the milk of yams, dasheen
bursting blue flesh. … Where you see nowhere I must see everything.
Where you leave all that emptiness I must fill it up. … the place beautiful but
30
Between Canada and the Caribbean:
Transcultural Contact Zones in the Works of Dionne Brand
at the same time you think how a place like this make so much unhappiness.
… I make myself determined to love this and never to leave” (24-25).
At the same time, however, she does not feel at home in this place and
yearns for spatial distance from a stifling experience: “I born to clean Isaiah’
house and work cane since I was a child and say what you want Isaiah feed
me and all I have to do is lay down under him in the night and work the cane
in the day” (4). Abused by her partner, she dreams of “running” and “flying”
away until she meets Verlia and begins to understand that “[a] woman can
be a bridge from these bodies whipping cane. A way to cross over” (16).
Here, Brand poses a lesbian relationship imbued with a feminist
consciousness as a means of emancipation and decolonization: a possibility
for women to create a homeplace within the patriarchal power structure of
the Caribbean social space. The geographical place that Elizete dreams of
escaping to becomes the physical and mental place of another woman; a
human place as an interstitial zone of experience linking her self to the self
of the other and vice versa. Furthermore, and perhaps most important,
unlike Elizete, Verlia is an African-Caribbean woman living a continuous
process of identitarian transculturation.
Verlia’s errant journey between the Caribbean and Canada can be seen as
a liminal process of transculturation. Arnold van Gennep’s Les rites de
passage (1909: 14) introduces the notion of liminality as an intermediate
stage in the process of ritual initiation constituted by three phases:
separation, margin or limen, and reaggregation. For Gennep, liminality is a
transitory moment between states, social positions or points in age.
Elaborating on Gennep’s concept, Turner (1974: 274, 42, 52) has argued
that liminality is not only a phase between states, but a state in itself, “a
movement between fixed points,” which accounts for its “ambiguous,
unsettled, and unsettling” nature. It “refer[s] to any condition outside or on
the peripheries of everyday life” and as “a sphere or domain of action or
thought rather than a social modality” it “may imply solitude … the
voluntary or involuntary withdrawal of an individual from a social-structural matrix” as well as “alienation from … social existence.” In the
following section I want to argue that Verlia’s liminal condition, which is at
the centre of her everyday life, is constituted by a series of transitory stages
mediated by transculturation.
Unlike Elizete, Verlia has family living in Canada and does not depend
on work in the cane fields to survive. This privileged position enables her to
attend school and imagine a world beyond the borders of her island
birthplace, a place too small and backward to hold the images of different,
bigger spaces described in books and flashed on television screens. That is
to say, a metropolitan educational system and mass media usher in Verlia’s
separation-as-acculturation. At seventeen, Verlia has completely internalized these images and put “a cinematic distance” (137) between herself, her
family and the island. Disgusted by what she regards as the island people’s
31
International Journal of Canadian Studies
Revue internationale d’études canadiennes
passivity and superstitious belief system, she leaves for Canada. In Sudbury
and Toronto, Verlia is confronted with her aunt and uncle’s alienation, a
double consciousness based upon their assumption that they can assimilate
into the “frozen” world of white supremacy (148). In the mirror image of
her relatives, Verlia begins to see and deconstruct her own acculturative
imagination. Verlia’s criticism of their attempts to imagine “themselves
into the white town’s imagining,” of their belief that “[i]f you blend in and
mix there is no problem” (142), without realizing that the hegemonic
system includes them in the chain of production as exchangeable cogs,
“slid[ing] them to the side like so much meat wrapped in brown paper”
(182), translates her move from segregation-as-acculturation to the margin
as a place where neoculturation is effected through the assimilation of
elements from other cultures and the concomitant partial loss of sedimented
cultural elements (deculturation). Unwilling to accept her relatives’
insider-outsider position on the periphery of Canadian society–a position
nurtured by ethnoracial otherization and subaltern mimicry–Verlia
assumes her blackness as cultural difference, that is as both a lived and
discursive strategy of resistance aiming at the creation of what Bhabha
(1994: 162) calls “other spaces of subaltern signification.” Joining the
Black Power Movement in the early 1970s signifies her conscious move to
decolonize the space of a subordinated in-between position intent on
translating it into a place of recreated cultural difference.6 By moving from
this in-betweenness to a recreated margin conceived as a positionality of
cultural difference Verlia makes political activism her place of resistance so
as to “grow into her Black self” (149). Active political commitment, then,
serves her as a means of recreating her ethnic identity, as a place from where
she can rename (and thereby reclaim) a racialized and homophobic space,
which denies her a sense of belonging.
Verlia’s politicization in Toronto–her association with the Black
Movement and her reading of texts by Che Guevara, Frantz Fanon, and
C.L.R. James, among others–enables her to acquire a sense of self rooted in
the collective experience and political struggle of oppressed peoples in
Africa and the Americas. During Verlia’s mental decolonization, the small
Caribbean island and her individual Caribbeanness gradually take shape
and make sense within a world order determined by the unscrupulous,
divisive global logic of colonialism, imperialism, and capitalism. Mining
the site of memory, she begins to reimagine her cultural identity as being
rooted in an island culture that is not isolated from the rest of the world but
linked to other places and peoples at the crossroads of imperial conflicts.
This conscientization, stimulated through intercultural African diaspora
activism and reading, allows Verlia to grasp her gradual crack-up in
Toronto. Becoming aware of her psychic dissociation, she thinks that
“[h]ere is a hole in a wall opening to the sea and you … she cannot recognize
anything after that … she cannot remember why you … she is standing at a
corner called Bathurst and Bloor looking into a store window, looking back
32
Between Canada and the Caribbean:
Transcultural Contact Zones in the Works of Dionne Brand
from the sea” (198). Mapping the rhythm of Verlia’s mind haunted by
memory through stream-of-consciousness writing, Brand describes a
woman who becomes conscious of her gradual “disappear[ance]” as she
drifts through a city space unable to remember her name (199). In the store
window, Verlia sees herself as if through a mirror: an alienated,
fragmented, heterotopic self between here and there, Canada and the
Caribbean. The store window, where different chronotopes and subject
positions meet across an eroded border linking the real and the virtual,
functions as a limen, a passageway that allows Verlia to see herself from the
place where she is not, to understand her absence from a “here”
characterized by “nothing to hold on to or leave a mark,” by memory that
speaks of “missing” and forgetting (199), and to move back toward and
reconstitute her split “you … she” self. As such, it initiates yet another stage
in the process of Verlia’s identitarian transculturation: her decision to go
back to her island birthplace and participate in the conscientization of the
cane workers.
In Grenada, Verlia’s actual rediscovery of the island “landscape,”
whereby, according to Glissant (1992: 234), “desire for the other country
ceases to be a form of alienation,” is an open-ended process. Although
Verlia is able to overcome her initial alienation (the longing for her friends
and lover in Toronto), adapt to local ways without feeling totally
disconnected from the outside world and is accepted by the local people, she
does not develop Elizete’s “earthbound” sense of belonging (202). Instead,
by relating history to the experience of place during her stay on the island,
Verlia affiliates her meandering diasporic self with the local culture and
reality. Watching the cane fields and the decaying remnants of the sugar
mills, Verlia visualizes the pain and suffering of the past, locating herself in
a time-space continuum: “This place is old as water and since then Black
people drown here in their own sweat” (84). In her diary, commenting upon
the internalized hatred, the violence and suffering that characterize life on
the island, she elaborates on this point: “This place holds you down with an
unweighable load …. It’s the fact …. Intangible fact of this place. It’s not
possible to get rid of that. So much would have to have not happened. It’s
like a life sentence. Call it what we want–colonialism, imperialism–it’s a
fucking life sentence” (214-215; emphasis added). Straddling the temporal
and geopolitical border linking the past with the present and the Caribbean
with the global imperial world system, Verlia fills both her own and her
island’s silenced (hi)story with historical meaning. Verlia’s immersion in
the island culture and reality results in something new, in knowledge
emerging from suffering, pain, and grief: the transitory reaggregation of a
restless transculturated self in an open-ended process of becoming.
It is through Verlia’s transculturated self that Elizete becomes aware of
her rootedness in the island space. Verlia’s restless waters, “the plain wash
and sea of her” (5), do not only open up Elizete’s rock-like existence in the
prison-house of male abuse to the alternative of lesbian love, but bring
33
International Journal of Canadian Studies
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about the blooming of a collective memory deeply buried in the sea, the
landscape and the people’s unconscious. Yet Elizete fully recognizes the
female bonds which link her to the past, the hidden memory passed between
women from generation to generation connecting them to a place, only after
Verlia’s death and during her subsequent journey to Toronto. In search of
the traces of Verlia’s past life, Elizete drifts through the maze of streets and
houses as an illegal “woman from nowhere” (49) in search of work and a
place to stay. Unable to name a cosmopolitan environment that “resisted
knowing” since “[h]er names would not do for this place” (69-70), Elizete
remains a speechless migrant outsider crashing into the racist and sexist
borders of a Canadian system based on her subalternization.
Whereas Verlia goes through an open-ended synthetic process of
identitarian transculturation that enables her to transform cultural
assimilation into neocultural reaggregation, Elizete’s final homecoming,
her vow “to love [her island birthplace] and never to leave” (25), is effected
by symbiotic intercultural contact. When Elizete meets Abena (Verlia’s
ex-lover) in Toronto, both women begin to share their individual (hi)stories,
nurturing their split psyches. Abena is convinced that “what she herself had
to tell would fit well in the middle of this noise. She knew that it had a place
in between names and grass and murmuring. That way it would go” (241).
The bond between woman and the spoken word creates the “bridge”
between women “to cross over” (16). Unlike Verlia, who moves through
cultures and whose identity is shaped by a confluence of different cultural
elements, Elizete is temporarily located between cultures–an insider
looking out (in Grenada with Verlia) and an outsider looking in (with Abena
in Toronto). The “bridge,” then, stands for female bonding and, perhaps
most important, for Brand’s prophetic vision of an innovative imagination:
the possibility of a nonexploitive, intersubjective cultural contact zone
characterized by heterogeneous unity–a synthesis and/or symbiosis where
differences explode hierarchical totalities.
***
Brand’s second novel, At the Full and Change of the Moon (1999), centers
on the “life sentence” of the historical burden as a source of present-day
Caribbean fragmentation, alienation, dispossession and migration. Eula
summarizes this quintessential effect of the Caribbean experience when she
describes her being-in-the-world of the 1980s as “[a] whole broken-up
tragedy, standing in the middle of the world cracking” and her family as
being “scattered out with a violent randomness” (258). The novel, in
rendering a Caribbean family’s uprootedness throughout the African
diaspora across six generations, searches for possible explanations of this
migratory nature of Caribbean space. In contrast to her first novel, Brand
traces Caribbean discontinuity in a linear chronotopic movement from the
1820s to the 1990s and from the Caribbean space to other parts of the
34
Between Canada and the Caribbean:
Transcultural Contact Zones in the Works of Dionne Brand
Americas and Europe. This emphasis on the continuity of discontinuity
frames a fragmented line of displaced lives in an infinite space that lacks
boundaries circumscribing a homeplace. Eula, in a letter to her dead
mother, states her longing for such a homeplace, a locality signifying (1) a
geographical place, (2) an unbroken genealogical tree, and (3) a minable
site of memory (246-47). The novel’s linear narrative then, underlines the
ungraspable invisibility of a continuous line of dislocated lives
characterized by geographical and emotional distance, madness,
loneliness, hatred, self-loathing and violence spiralling in one form or
another from one generation to the next.
Brand’s epic story of a family’s struggle for survival depicts the
historical, cultural and psychological fragmentation and discontinuity of its
members as the source of destruction, social disorder, and psychosis: in
their restlessness they are drifters through an “extended Caribbean”
(Hulme, 1992: 4), always feeling out of place. Within the novel’s Caribbean
“meta-archipelago,” which following Benítez-Rojo (1996: 4), has “neither
a boundary nor a center,” characters such as Private Sones, Cordelia, Priest,
Adrian, Maya and Eula float as “debris” (238) in “the damp and hungry
interstices” of a world where “borders” may be rendered temporarily
“invisible” but cannot be undone (167). In attempting to cope with their
in-between subject positions in varied ways, they are never able to fully
overcome and act on the neocolonial borders demarcating their destinies.
The persistence of these borders, both internal(ized) and external, accepted
and rejected, undermined and recreated, maps a specific “borderization”
(Gómez-Peña, 1987: 1) of the Caribbean space exemplified by the
characters’ individual experiences. Whether pushing drugs in the United
States as illegal immigrants (Priest, Adrian) or working in a Canadian post
office (Eula) or as a prostitute in Europe (Maya), they all follow meandering
paths laid out in the past without being aware of it or able to use the past as a
key to re(-)member and explain the fragments of their shattered lives in the
present. Brand mines her characters’ individual (hi)stories as sites of
memory with the aim of decoding the roots of their dispossession. That is,
the characters’ past experiences–sexual abuse, sexism, racism multinational labour exploitation, and the imposition and internalization of
metropolitan cultural values, among others–partially explain their
emotional fragmentation and alienation as well as their migration.
Although most characters are conscious of their individual memory, they
do not discern the deeper motives for their errantry, which are buried in the
lost traces of their collective unconscious–traces buried in the past through
both an imposed and willed forgetting. As Eula posits: “I think we forget
who we were. Nothing is changing, it is just that we are forgetting. All the
centuries past may be one long sleep. We are either put to sleep or we choose
to sleep” (234). Eula points here to a history lived as “nonhistory,” which, in
the words of Edouard Glissant, is a direct effect of the “ruptures” and
“dislocation” originating from the “slave trade.” Hence, “historical
35
International Journal of Canadian Studies
Revue internationale d’études canadiennes
consciousness could not be deposited gradually and continuously like
sediment … but came together in the context of shock, contraction, painful
negation, and explosive forces.” This fragmented, discontinuous history
has resulted in “the erasing of the collective memory” (Glissant, 1992:
61-62). Brand’s characters are unable to discern the historical conditions
they were born into; conditions, which according to Brand, preordain
Caribbean emigration (Birbalsingh, 1996: 121). The loss of collective
memory and the inherent incapacity to grasp the conditions and roots of this
absence render the characters’ “lived history as a steadily advancing
neurosis” (Glissant, 1992: 65). These characters move through cultures
without anchoring. Whereas, according to Glissant (1997: 34), “creolization carries along … into the … explosion of cultures” whereby “they are
[not] scattered or mutually diluted” but mutually transformed through
“their consensual, not imposed, sharing,” in Brand’s novel cultures crash in
symbiosis, creating a variety of transcultural contact zones through which
her characters move as if on schizo-walks. The following section will focus
on Maya’s schizo-walk across a transcultural contact zone, bringing
together the Caribbean and Europe in a tension-laden relationship.
Having left Curaçao–the killing flames of Shell-operated oil fields, a
domineering father and a consenting mother–Maya starts a new life in
Europe. Walking down a street in Bruges with her husband and daughter,
she is carried back to other places trying to grasp the events and itinerary
which led up to her present situation, the “circumstances that no one could
predict” (224). The chapter dealing with Maya’s experience, revealingly
entitled “In a Window,” suggests a double reading of Maya’s experience at
the intersection of the present and the past. Before getting married, Maya
earns her living as a prostitute in Amsterdam. Posing in a window, Maya
offers her brown body, adorned with “a fine gold chain,” to the piercing
gazes of her clients. But instead of returning their looks she “watches
herself in half light and half dark” (207). Positioned on a borderline that
both separates the inside from the outside and connects them, “[a] place to
look in and look out” (208), Maya chooses an inward gaze to demarcate the
boundary of her inside place (window/body). Her resistance intent on
defending her naked self against the invading gazes, however, has an
opposite effect. Stimulated by Maya’s rejection, which undermines their
power to conquer her body–this battle zone where light and darkness, desire
and repulsion clash–her clients lace their invasion with violence, staging an
iterative replay of the “lethal” sexual game between master and slave (210).
“In this window,” Maya muses, “where all talk was no talk at all, all joy was
induced and all greeting fiscal, who could be innocent? That there was such
drama for something so ordinary meant that what was being traded was not
sex at all.” So what is this “something else” (220) that Maya cannot
understand? Why, as a married woman, is she incapable of loving her
daughter, who feels her “absence” (225)? It is my contention that what is
evoked through the window tableau and Maya’s emotionlessness is a
contemporary version of the ongoing history of colonialism and resistance.
36
Between Canada and the Caribbean:
Transcultural Contact Zones in the Works of Dionne Brand
On display in the window is the relation between the gaze of mastery–the
exploring, exoticizing, surveillant male gaze of (neo)colonialism, body
control and commodification–and the deformative gaze of the female
Other(ed), the inward-oriented look in search of body control and
desubalternization. The deferred exchange of these gazes spotlights a
multidimensional, fractal in-betweenness imbued with time (past/present),
race (white/coloured), gender (man/woman), place (Europe/Caribbean)
and positioning (knowing subject/known object). What is highlighted
through these symbiotic gazes, which symbolically clash on the female
labouring body where they draw interrelated antagonistic maps of desire
and self-determination, is Maya’s diaspora in-betweenness, the effect of a
transcultural dislocation and dispossession whose roots go back to slavery,
the plantation system, and maroon resistance, as is emphasized by the
narrative’s opening and closing chapters. Her agency, as with the maroons,
is ambivalent in that her “mimicry” consists of both resistance and
collaboration.7
For Bhabha (1994: 86, 88) “mimicry is at once resemblance and
menace.” It is an ambivalent form of “colonial imitation” whose “menace
… is its double vision which in disclosing the ambivalence of colonial
discourse also disrupts its authority.” In other words, mimicry’s double
vision demystifies the invention of the colonizer’s ethnoracial and cultural
supremacy through its ambivalent slipperiness, what Bhabha calls “its
excess, its difference.” Bhabha’s mimicry is an ambivalent process of
“doubling … a metonymy of colonial desire”; a “desire that, through the
repetition of partial presence, which is the basis of mimicry, articulates
those disturbances of cultural, racial and historical difference that menace
the narcissistic demand of colonial authority.” What Bhabha proposes,
then, is a reinscription of the contact between opposed cultural epistemes in
hybrid articulations within specific relations of power and historical
circumstances–a process mediated by mimicry. Mimicry describes a
discursive process in which different articulations are animated by the
“partial presence” of the self within the other, such that the cultural
difference of each is at once preserved and prevented through the “process
of disavowal.” Thus, it is important to note that Bhabha’s mimicry, although
embedded in hegemonic forces and practices, carries the menace of double
vision in an unconscious, asocial way. As such, mimicry is an act of
resistance that cannot effect sociocultural transformation. Mimicry, then,
should not be confused with “hybridization,” which according to Bhabha
(Olson and Worsham, 1999: 39) is a “social … discursive, enunciatory,
cultural, subjective process” involving the conscious negotiation of subject
positions and relations of power.
In this sense, Maya’s mimicry is an unconscious, asocial agency within a
neocolonial intercultural context. As is suggested by the “fine gold chain,”
Maya both wants to play the game and resist its norms. Having decided to
make her living as a prostitute in Europe so as “to drift on the cream of life”
37
International Journal of Canadian Studies
Revue internationale d’études canadiennes
(215), Maya becomes both an active player and prisoner of her desires in
this playacting of mimicry. Similar to the attitude of the maroons, Maya’s
resistance is supplemented (and undermined) by collaboration, a
willingness based on what Spivak (1995: 96) has called the migrants’
“common interest with dominant global capital.” Mimicry as playacting
does not liberate Maya from her transcultural in-betweenness or from those
global hegemonic forces that determine her destiny as they have
determined the destinies of her ancestors. As an adolescent in Curaçao, a
prostitute in Amsterdam and a wife and mother in Bruges, Maya is on the
verge of a nervous breakdown, dreaming of another life, of leaving, moving
on. Nowhere at home, Maya, like all the other characters in the novel, is a
transient moving through a shifting transcultural contact zone.
Whereas Maya’s mimicry is an unconscious agency of survival, Dionne
Brand’s discursive mimicry constitutes a conscious agency of intervention.
Derek Walcott (1993: 55) has defined mimicry as “an act of imagination,” a
“design.” In her mimicry of the colonizer’s language, Brand re-articulates
and re-designs images into alter-images and visions into re-visions. In the
process, she masters the ideology of form by de-forming it, creating “in,
while giving name to, her own i-mage” in an effort to unwrite and rewrite
“the word wounded by the dislocation and imbalance of the world/i-mage
equation” (Philip, 1996: 21). In other words, Brand’s mimicry transforms
transcultural in-betweenness as an unconscious, liminal state into a
synthetic transcultural home within language–a home characterized by
relations in which cultural differences are not sublated as they flow together
into new forms. Brand’s discursive mimicry becomes transwriting; that is,
a writing that crosses a transcultural contact zone, striving to go beyond, to
transform this cultural limbo described earlier as a liminal state of transcultural in-betweenness, through an open-ended process of appropriation,
reappropriation, continuity and rupture.
***
In Brand’s writing then, places and people are displaced into a repeating
space of transcultural in-betweenness, where the self-awareness of selfconscious beings is deferred through a sequence of losses: transculturation
as acculturation and deculturation. This is the dispossession of roots
(history, culture, family, place) since the colonial past has “favoured,”
according to Bernabé, Chamoiseau, and Confiant (1990: 896), “exteriority
and fed the estrangement of the present.” Brand’s narrative highlights both
the violence implicit in this transcultural process and its effect on the minds
and bodies of her transculturated characters. Following Foucault (1986)
and Augé (1992), this essay argues that the violent clash of different
cultures in Brand’s novels throws her characters into heterotopic in-between nonplaces–a war zone where they see themselves and each other, as if
through a mirror, multiply reflected: between here and there, a self othered
38
Between Canada and the Caribbean:
Transcultural Contact Zones in the Works of Dionne Brand
through external and/or internal images and a self re-created through an
appropriation of these images. Thus, the mirror functions as a heterotopic
trope-as-screen onto which the dynamic forces capable of limiting or
prolonging transcultural identity formation are projected and transposed
into a semiotic structure.
Brand’s transwriting, as mentioned, works through this transcultural
contact zone of the migratory Caribbean experience characterized by
dispersal and displacement. Seen as reculturation it results in the revelation
of the lost traces of history–the buried vestiges of a memory that is there,
whether conscious or unconscious–intent on reconstructing the collective
memory within a chronotope that opens up to a transcultural imagery in
which, contrary to Ortiz’s and Rama’s and more akin to Benítez-Rojo’s
understanding of transculturation, the synthetic and symbiotic relations
between different cultural elements enhance their heterogeneity.
Notes
1.
2.
3.
4.
5.
6.
7.
Antonio Cornejo Polar (2000: 194) suggests using the term “heterogeneity” as an
alternative to transculturation since heterogeneity covers both cultural and social
issues. Alberto Moreiras (2001: 234) regards the reconciliatory synthesis
underlying transcultural processes as a complicit ideological practice of Western
metaphysics. I will redeploy transculturation as disjunctive synthesis and
symbiosis.
Although Ortiz sometimes uses the adjectives “synthetic” and “syncretist” to
describe the transcultural nature of “the various economies and cultures … in
Cuba” (1947: 99) and of Cuban music, their sense is undermined by the multiple
unresolved “economic, social, and historical contrasts” which sustain Ortiz’s
concept of transculturation. That the meaning of these adjectives resides in the
tension of their complementary opposites, namely fusion and disjunction,
becomes clear in the following passage: “The historic evolution of economicsocial phenomena is extremely complex, and the variety of factors that determine
them cause them to vary greatly in the course of their development; at times there
are similarities that make them appear identical; at times the differences make
them seem completely opposed” (97).
The issue of “coloniality,” then, is not “missing,” in Ortiz, as Mignolo (2000: 16)
maintains, but constitutes the fermenting subtext of the main text, namely the
issue of the nation and nationality.
For George Lamming (1960) this experience is characterized by two fundamental
aspects: exile and displacement.
Here I am drawing on the “push-pull” thesis of migration described by Stephen
Castles and Mark J. Miller (1993: 19-22).
For the difference between “space” and “place,” see Tuan (1977).
On these two contradictory sides of marronage, see Price (1979) and Campbell
(1988).
Works Cited
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39
International Journal of Canadian Studies
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51-57.
41
Józef Kwaterko
L’américanité : voies du concept et voix de la fiction
au Québec et dans la Caraïbe
Résumé
Cet article se propose d’interroger une série de conceptualisations de
l’américanité, greffées sur le topoï ou idéologème « Amérique », afin
d’observer leur mise en fiction (thématisation et narrativisation) au Québec
et dans la Caraïbe francophone. On remarquera qu’à côté des concepts qui
instrumentalisent la problématique de l’américanité en opérant des clivages
et des dichotomies dans le cadre postcolonial, on trouve dans le discours
scientifique et intellectuel de ces deux espaces des postulats d’ouverture
fondés sur le principe de transculturation. Ces deux perspectives sont
examinées succinctement dans leurs possibles déplacements fictionnels chez
différents auteurs québécois (depuis Louis Fréchette et Gabrielle Roy jusqu’à
Régine Robin et Émile Ollivier) et franco-caribéens (depuis le mouvement
indigéniste en passant par « l’antillanité » d’Édouard Glissant et la
littérature des femmes, Simone Schwarz-Bart et Maryse Condé, jusqu’à la
« créolité » de Patrick Chamoiseau). Il s’agira de signaler au sein de la fiction
de ces deux champs culturels franco-américains certains enjeux et stratégies
imaginaires de la réappropriation de l’Amérique sur un mode postnational et
transidentitaire qui remet en question les discours politico-esthétiques en
présence.
Abstract
This paper aims to explore a series of attempts at conceptualizing Americanness that are grafted on the topos, or ideologeme, “America,” in order to
examine the manner in which they are fictionalized (through thematization
and narrativization) and this both in Québec and in the French-speaking
Caribbean. It will be appreciated that, in addition to concepts that serve to
instrumentalize the problematic of Americanness through sharp divisions and
dichotomies in the postcolonial context, one can find, in both the scientific and
intellectual discourses on those two spaces, certain postulates of openness
that are based on the principle of cultural exchanges. Both disparate outlooks
are examined from the vantage point of their possible fictional shifts in the
works of different writers, both from Québec (from Louis Fréchette and
Gabrielle Roy to Régine Robin and Émille Ollivier) and from the Frenchspeaking Caribbean (from the Indigenist movement to Patrick Chamoiseau’s
“créolité” (Creolness) to Édouard Glissant’s “antillanité” (Antillaniness)
and the feminist literature of Simon Schwarz-Bart and Maryse Condé). The
purpose of the paper is to emphasize, within the framework of fictional
writings of both of these very different Franco-American cultural areas,
certain imaginary stakes and strategies that aim at regaining ownership of
International Journal of Canadian Studies / Revue internationale d’études canadiennes
27, Spring / Printemps 2003
International Journal of Canadian Studies
Revue internationale d’études canadiennes
America on a postnational and transidentitary mode that calls into question
the predominant political and aesthetic discourses.
Si depuis les années 1980 l’image-concept d’américanité a été l’objet d’un
flou sémantique et des approximations souvent confuses – espace, lieu,
mythe de la nature ou de la nouveauté, sentiment de découverte,
américanisation (the Americain way of life), melting pot, ouverture
continentale, urbanité débridée, absence d’historicité1 –, il semble
connaître aujourd’hui une crise épistémologique assez aiguë. En
schématisant, on peut désigner deux façons de concevoir l’Amérique face
aux interrogations sur l’évolution du monde dans le futur. D’une part, il
s’agit d’une pensée réparatrice qui replace le brassage des cultures et des
identités de la période coloniale dans le cadre des solidarités interculturelles
postcoloniales, associées à une reterritorialisation panaméricaine, à une
americanidad renouvelée. Comme le préconise clairement l’historien
québécois, Gérard Bouchard : « Si une nouvelle vision du monde panaméricaine devait prendre forme, ce ne pourraît être […] que sur le mode d’une
protestation, d’une résistance et d’une affirmation qui redonnent une voix
et un espoir aux dépossédés du Nouveau Monde. Autrement dit : d’un
contre-récit. » (Bouchard, 2001, p. 184) Il en va précisément d’un parti pris
idéologique qui revalorise le national derrière un discours sur la décolonisation de type nouveau –, là où la situation transculturelle et métissée des
cultures américaines contemporaines est opposée tant aux cultures des
vieilles métropoles européennes, que l’on prétend souvent à tort non
métissables, qu’à l’hégémonie économico-politique des États-Unis2.
Remplie de bons sentiments et d’attitudes moralisatrices dont la générosité
ne fait aucun doute, cette pensée recherche de nouvelles alliances
interculturelles entre les nations aux parcours brisés, consécutifs à la
colonisation. Qu’elle accrédite une américanité transnationalitaire et
volontairement utopique, celle des collectivités neuves en rupture avec les
anciennes métropoles et résistant au « grand récit états-unien » (Bouchard,
2000), idéalise l’antériorité amérindienne sur les autres cultures américaines résultant de l’immigration – pensons à l’idée d’une « américité »
primordiale (Sioui, 1989) et d’« Amérindie » (Dussel, 1995) – ou qu’elle
mythifie une authenticité africaine-américaine inaltérable et prémoderne
(Price, 1991), il s’agit dans presque tous les cas de figure d’une rhétorique
de l’altérité qui met le doigt sur les blessures historiques et qui pathétise les
conflits. Dans le même geste, en projetant les affrontements du passé dans
un continuum postcolonial et postmoderne, cette perspective
« culturaliste » et radicalement relativiste (résolument critique de la raison
occidentale) occulte le potentiel de réconciliation pour montrer indéfiniment un face-à-face conflictuel entre les cultures conquérantes et
conquises, dominantes et dominées, pré-coloniales et postcoloniales,
populaires et élitistes (technocratiques, impérialistes). Or, comme il s’agit
d’une saisie adversative et dichotomique des Amériques qui associe la
mondialisation à une américanisation rampante (imposition d’une même
44
L’américanité : voies du concept et voix de la fiction
au Québec et dans la Caraïbe
matrice économique et culturelle), elle tend plutôt à dépister les
phénomènes de déculturation (déracinement, assimilation) et à donner la
priorité à la problématique de l’acculturation (là où la « subsistance » et la
« persistance » des substrats indigènes et ethniques dans le processus
d’inculturation sont ramenées généralement à des tactiques de résistance).
Il va de soi qu’une telle perspective reste moins attentive à des phénomènes
de néo-culturation ou de transculturation qui définissent l’hétérogénéité
identitaire constitutive des Amériques, au sens que Jean-François Côté
donne à l’« hybridité culturelle originale, qui se réfléchit tout autant dans
les expressions coloniales (donc, prénationales), que nationales et
continentales (ou postnationales) » (in Cuccioletta, Côté, Lesemann, 2001,
p. 23).
Le vieux et le nouveau, on le sait, ne recouvrent pas automatiquement les
notions de bon ou de mauvais. On a toutefois l’impression que derrière la
nouvelle rhétorique de l’altérité qui porte les marques de l’obsession de la
nouveauté et qui idéalise les nations vaincues, resurgissent des phantasmes,
longtemps refoulés, d’une pureté passée à retrouver. Au point que l’on se
demande si l’axiologie de la métamorphose comme synonyme de la
« bonne » américanité ne remet pas à l’honneur soit les vieilles utopies
européennes de la fondation (Nouvelle-France, Nouvelle-Angleterre,
Nouveau-Mexique, etc.), soit les idées d’une société sans filiation ni
fardeau du passé inspirées de la philosophie des Lumières (Hobbes, Locke,
Rousseau), soit encore le positivisme politique d’un Tocqueville
(Thériault, 2002, p. 32; Gruzinski, 1999, p. 52-53).
À l’autre versant de la conceptualisation contemporaine de
l’américanité, l’on trouve des travaux qui pensent l’Amérique également
en termes de métamorphose. Celle-ci est toutefois perçue comme procès de
transculturation, au sens de transmutation des cultures les unes par les
autres résultant d’interpénétration constante et inachevée des éléments
allogènes. Une telle saisie de l’américanité s’élabore aussi bien dans les
Amériques qu’ailleurs dans diverses disciplines : philosophie, sociologie,
histoire des idées, anthropologie culturelle, ethnographie, critique de l’art
et critique littéraire3. Malgré une diversité d’approches, de notions, de
concepts d’analyse, de topoï et d’idées-images (« anthropophagie
culturelle », carnavalisation, hybridité, créolisation, métissage, « transvaloration », simulacre, poétique de la relation, réel merveilleux, néobaroque, polyphonie, pensée de la marge, entre-deux, in-between,
réadaptation, remake, revival, « recyclage culturel »), ces approches et
interrogations semblent avoir plusieurs postulats en commun. Il s’agit
avant tout d’échapper aux oppositions binaires et manichéennes et de
penser l’Amérique dans une complexité identitaire et culturelle où l’Europe
et les États-Unis ne servent ni de remorque ni de repoussoir. Un autre enjeux
visible est de s’émanciper de l’axiologie de l’identité nationale (qu’elle soit
majoritaire ou minoritaire) ainsi que des cadres territoriaux, ethniques ou
communautaires de l’analyse, et de comprendre les transferts, les
45
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Revue internationale d’études canadiennes
métissages culturels ainsi que les mutations dans l’ordre de représentation
des Amériques comme processus de transaction et de négociation
identitaire qui échappe aux certitudes de type évolutionniste avec ses
catégories de causalité et de linéarité historique. Comme l’a démontré
Serge Gruzinski sur l’exemple du choc de la conquête du Mexique au XVIe
siècle, suivi d’un double déracinement civilisationnel, amérindien et
espagnol, la colonisation a favorisé un métissage complexe (musical,
scriptural, pictural et linguistique) qui a profondément hybridisé les
sociétés en présence au fil des concessions réciproques et des dérapages aux
projets coloniaux : « L’occidentalisation n’a pas été qu’une irruption
destructrice ou une entreprise normalisatrice, puisqu’elle a pris part à la
création des formes d’expression métisses. Une part à la fois calculée et
involontaire, mais une part indéniable » (Gruzinski, 1999, p. 293).
L’idée de transculturation, inhérente aux échanges culturels, n’exclut
donc ni les rapports de force manifestes ou occultés ni les relations
inégalitaires et bouleversements douloureux issus de l’époque coloniale.
Elle permet en outre de penser l’américanité comme métamorphose,
repérable toutefois au-delà d’une conception euphorique du métissage
(biologique, religieux, linguistique ou social) qui tend à accréditer une
résorption des contraires par syncrétisme, fusion, osmose ou toute autre
forme de sublimation de synthèse culturelle « réussie »4. Enfin, s’agissant
cette fois d’un postulat heuristique et méthodologique, plusieurs travaux
qui s’inscrivent dans cette perspective transculturelle non-culturaliste
sortent de cadres purement théoriques et spéculatifs afin d’étudier
l’américanité à l’œuvre, à travers un examen détaillé, souvent minutieux,
de pratiques sociales, de rituels, de croyances, de discours en circulation
ainsi que d’expressions artistiques et littéraires concrètes.
Vue dans cette perspective, une étude diachronique sélective du corpus
littéraire québécois et caribéen permettrait de situer la représentation de
l’Amérique dans une dynamique interaméricaine historiquement configurée qui n’exclut pas artificiellement les influences européennes ou l’effet
de la culture des États-Unis. Loin de gommer les différences, l’avantage
d’une lecture de type littéraire serait de pouvoir situer cette problématique
interaméricaine hors du champ proprement conceptuel, miné par de fausses
alternatives et des surenchères idéologiques, afin d’observer comment la
fiction (et l’imaginaire culturel de l’écrivain) à la fois absorbe et retravaille
esthétiquement les idéologèmes et les topoï qui narrent l’Amérique dans le
discours social.
Au-delà des grands récits
Pour illustrer succintement la façon dont cette problématique s’articule
dans la production littéraire au Québec, on pourrait s’appuyer sur des
perspectives déjà ouvertes qui proposent une diversité de schèmes
interprétatifs. En études québécoises, on dispose déjà des concepts
opératoires, comme ceux proposés naguère par Jacques Languirand (1975,
46
L’américanité : voies du concept et voix de la fiction
au Québec et dans la Caraïbe
p. 224) : sédentarisme et nomadisme. Le nomadisme, associé à la
« tendance dionysienne à l’américanité » (p. 231) et rattaché à l’exploration
française du continent, serait inhibé ou avorté dans plusieurs œuvres
québécoises qui exhibent plutôt la tendance apollinienne, introvertie
(comme dans le cas de Menaud, maître draveur de Félix-Antoine Savard).
On peut songer aussi au couple notionnel proposé par l’historien, Raymond
Montpetit (1986, p. 140), pour qui l’américanité (projet, virtualité)
s’opposerait à l’« américanitude » (habitude et consommation passive de la
culture nord-américaine en milieu urbain).
Mais il semble que l’on aura l’avantage de recourir à des catégories
moins disjonctives, fondées plutôt sur l’ambiguïté que sur l’ambivalence
ou le dualisme. Parmi celles-ci, évoquons la coprésence tensionnelle dans
le tissu romanesque des structures héroïques (diurnes) et mystiques
(nocturnes) lesquelles, selon Jean Morency, réinvestissent la représentation
imaginaire de l’Amérique, au sens d’un mythe commun (projection vers un
ailleurs), présent chez de nombreux écrivains québécois et états-uniens
depuis le XIXe siècle jusqu’à nos jours (Morency, p. 225-235). On pourra
invoquer également la distinction non disjonctive que Simon Harel perçoit
entre altérité (perception angoissée de l’étranger comme sujet dissemblable) et altération de l’identité (médiation intrinsèque de l’Autre,
abolition de la distance, passage à l’étrangeté). Dépistée dans les
mécanismes discursifs du roman québécois contemporain comme négociation interculturelle, cette dernière modalité figure la revendication de
l’américanité continentale, hors de l’espace originaire (le Québec). En tant
que virtualité dialogique, posée en contrepoint d’un discours sur la différence culturelle, l’altération de l’identité signalerait en même temps le
parcours que doit faire la littérature québécoise pour accéder à sa véritable
cosmopolitisation (Harel, 1989, p. 62-70). Si Pierre Nepveu (1998, p. 7-9)
ouvre une perspective analogue, son originalité consiste à démontrer à
partir de textes poétiques, romanesques et essayistiques des Amériques (au
Québec, en Ontario, en Acadie, aux États-Unis et au Brésil), comment
l’intériorité (sur le plan physique et psychique) et l’extériorité (élans
d’expansion ou de conquête inhérents aux grands mythes américains) ne
s’annulent pas, mais s’aimantent et s’articulent sur une coprésence fragile.
Selon Nepveu, cette tension dynamique entre les différences, au plus intime
de l’écriture, a pu doter la littérature québécoise d’une potentialité
dialogique interaméricaine depuis ses débuts (Marie de l’Incarnation,
Laure Conan) et au long du XXe siècle (dans la poésie de Saint-Denys
Garneau, Alain Grandbois et Paul-Marie Lapointe), jusqu’aux transferts
américains récents, opérés sur le monde imaginaire (du Sud au Nord-Est
québécois) par les écrivains de l’immigration haïtienne (p. 328-330).
Ces formulations et propositions interprétatives mettent en lumière
l’américanité de la littérature québécoise non pas tant comme quête
d’identité, crise d’identité ou perte d’identité, mais comme mode de
connaissance du caractère changeant et paradoxal du réel américain,
47
International Journal of Canadian Studies
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marqué par le flux du multiple et des contradictions en apparence
irréconciliables, mais qui favorisent l’affleurement de l’étrangeté « en
-dedans », reconnue et éprouvée par le sujet (narrateur et/ou personnage)
comme une altérité en soi5. Dans la majorité des approches critiques
mentionnées, il s’agit de mettre au jour la thématisation active de
l’Amérique dans le texte, de montrer, à travers une diversité de stratégies
discursives et narratives, une dimension proprement esthétique de
l’américanité, perceptible dans le lexique, les motifs, les symboles, dans
l’imaginaire de l’espace et celui de la langue ainsi que dans le rapport à la
mémoire et au passé historique.
À suivre cette piste accommodatrice et textuelle sur une longue durée, on
pourrait faire l’hypothèse que la littérature québécoise limite, réprime ou
dilapide son aventure américaine chaque fois qu’elle s’empare de
l’Amérique pour se chercher une origine ou une filiation, que ce soit sur un
mode identitaire négatif, mobilisé par les idéologèmes inhérents au
discours social (comme ceux d’abandon par la France, de menace
identitaire ou d’aliénation historique) ou sur un mode euphorique qui
exprime une extase, un plongeon corps et âme dans l’espace sociohistorique américain au sens d’une affinité élective, fortement idéalisée.
Sur ce plan, à titre d’exemple, La légende d’un peuple (1887) de Louis
Fréchette, long poème épique hanté par l’héroïsation d’une Amérique
française à jamais perdue, par le projet utopique d’une improbable alliance
entre la Louisiane, le Mississipi et la Baie d’Hudson, apparaît comme une
œuvre collée sur le discours du romantisme français où tout se joue dans la
représentation manichéiste de l’Amérique, opposant la France à
l’Angleterre. Pourtant, ce mimétisme s’opère non pas tant parce que
Fréchette se nourrit d’un puissant intertexte que sont La légende d’un siècle
de Hugo et Atala de Chateaubriand, mais parce qu’il s’en sert sur un mode
instrumental, au nom d’une prise de position idéologique à peine masquée
contre la Confédération. À l’encontre de Fréchette, Nelligan, poète qui,
pourrait-on dire, s’est frotté à toutes les esthétiques et à toutes les névroses
cultivées par la poésie européenne (de Goethe à Rimbaud en passant par
Baudelaire, Gauthier, Leconte de Lisle, Verlaine et Rodenbach)6, semble
traduire une expérience typiquement américaine (ou québécoise, si l’on
veut). Pour mesurer cette expérience, il ne suffit pas de dire que ses poèmes
véhiculent les images de l’exil et de la folie qui sont, on le sait, le fondement
de toute modernité littéraire (tant européenne qu’américaine), il faudra
encore tenir compte d’une tonalité et d’une expressivité qui recyclent
activement les poétiques européennes et qui expriment le désir d’une
souveraineté mineure (au sens que Deleuze et Guatari donnent à l’écriture
de Kafka). Tandis que Fréchette renoue avec l’héritage romantique
européen sur un mode compensateur, visant à l’édification de la collectivité
(comme l’attestent les poèmes « Joliett » et « À la Baie de Hudson » de La
légende d’un peuple), Nelligan, lui, n’adhère à aucun discours axiologique
ou explicitement historicisé. Son langage poétique semble plutôt imprégné
48
L’américanité : voies du concept et voix de la fiction
au Québec et dans la Caraïbe
d’une hybridité et d’une mise en doute de l’identité (individuelle et
collective) qui lui permet de décliner son « je » sur une autre appartenance –
comme dans ce simple vers du « Soir d’hiver » : « je suis la nouvelle
Norvège/d’où les blonds ciels se sont allés ». Sentir une « étrangeté en soi »
n’est-il pas le signe de l’américanité de Nelligan? À l’opposé d’un discours
de la survivance américaine qui masque le sentiment de la perte patrimoniale, il s’agit d’un recyclage actif de modèles européens qui favorise le
travail de la mimèsis de l’Amérique : une Amérique intérieure, construite à
même le sentiment de non-coïncidence à soi et figurée comme un espace
mental où l’onirique et le réel se négocient à travers les élans vers l’ailleurs
du sujet-Nelligan, sans que jamais ne soit sacrifiée sa propre sa culture de
référence (catholique, canadienne-française et irlandaise), ni son sentiment
religieux et sa conscience d’un nécessaire repli (Marcotte, p. 99) :
Prêtre, je suis hanté, c’est la nuit dans la ville,
Mon âme est le donjon des mortels péchés noirs,
Il pleut une tristesse horrible aux promenoirs
Et personne ne vient de la plèbe servile.7
Dans le même ordre d’idées, mais en regard des représentations
chronotopiques et tangibles de l’Amérique, on peut observer comment les
romans « urbains » de Gabrielle Roy, Bonheur d’occasion (1945) et
Alexandre Chenevert (1954), démasquent les contradictions du discours
duplessiste (un Québec moderne, mais traditionnel) en mettant en jeu les
grands idéologèmes – menace identitaire et progrès – générateurs de polémiques idéologiques des années 1940, consécutives à la perception de
l’American way of life envahissant les comportements collectifs des
Québécois (Popovic, 1991, p. 89-90). En effet, le premier roman de Roy
semble à la fois absorber et problématiser ces idéologèmes en circulation.
D’une part, il tend à représenter Montréal comme lieu de pouvoir et de la
domination anglaise sur l’ouvrier canadien-français (à mentalité paysanne
et corporatiste). Dautre part, il raconte déjà une société marchant
inéluctablement vers le capitalisme monopolistique : une américanisation
effrénée, représentée tout autant par le mythe du self-made man qu’incarne
Jacques Lévesque que par le modèle consumériste dont le personnage de
Florentine Lacasse est hautement symbolique (voir respectivement
Popovic, Kwaterko, Saint-Martin in Marie-André Beaudet, dir., 1999).
Alexandre Chenevert figure déjà amplement le destin américain d’un
Québec aux prises avec un cosmopolitisme accéléré par l’immigration de
l’après-guerre ainsi qu’avec une urbanité de plus en plus polyglotte et
homogénéisante – vérité nord-américaine que la doxa identitaire de
l’époque ne veut pas reconnaître et dont le désarroi identitaire du
personnage éponyme du roman est un symptôme névrotique (Kwaterko,
1994).
Or, pour prendre un contre-exemple, on peut évoquer maints textes à
l’époque de la Révolution tranquille qui rompent avec les topoï de la
menace américaine pour revendiquer explicitement l’américanité comme
49
International Journal of Canadian Studies
Revue internationale d’études canadiennes
signe de différence radicale et comme volonté d’affirmation d’une nouvelle
identité québécoise en rupture avec l’aliénation séculaire. Cette stratégie
est par trop visible dans le choix du joual comme langue d’écriture et à
travers les figures du « nègre blanc d’Amérique » et du colonisé. Elle
programme la lecture de plusieurs romans des auteurs proches de la revue
Parti pris; on peut la repérer aisément dans L’Afficheur hurle (1965) de
Paul Chamberland ou dans le poème-affiche « Speak White » (1969) de
Michèle Lalonde sans parler de l’essai autobiographique de Pierre
Vallières, Nègres blancs d’Amérique, paru en 1968. Ici et là, brandir son
américanité comme langage initiatique du colonisé8 ou comme une identité
humiliée et dégradée traduit certainement une américanité partagée avec
tous les « damnés de la terre », une « négritude » et un « tiermondisme »
québécois. Mais dans tous ces cas de figure, il s’agit d’une identitification
avec une cause politique, d’une réappropriation de l’interculturalité
américaine sur un mode idéologique – là où l’identitification avec le Nègre
blanc ou avec le « mauvais sauvage » demeure le plus souvent vécue par
substitution, comme emprunt, phantasme ou simulacre (Nepveu, 1990).
Si, à la même époque, une appréhension originale de l’altérité
américaine commence à se manifester, elle se situe plutôt du côté des
romanciers qui récusent le joual et qui s’aventurent hors des cadres
temporels et géographiques québécois, voire nord-américains. Avant tout,
chez Hubert Aquin qui parodie dans Prochain épisode (1965) une intrigue à
la James Bond située dans une Suisse polysémique, et qui fait de l’Italie de
la Renaissance dans L’antiphonaire (1969) une figure en contrepoint des
impasses de la révolution québécoise. Mais l’on peut entrevoir le même
besoin d’écart de l’espace proprement communautaire (québécois) chez
Réjean Ducharme qui, dans La fille de Christophe Colomb (1969), dévore,
déconstruit et parodie les mythologies d’une (re)conquête de l’Amérique
par le truchement d’un imaginaire verbal centrifuge, voyageur, transcontinental (Marcotte, p. 93-94).
Et, inversement, si dans les années 1980 la représentation spatiotemporelle, sociale et culturelle de l’Amérique se concrétise dans la fiction
québécoise et que plusieurs romanciers multiplient les référents étatsuniens et projettent leurs histoires en Californie pour s’enivrer de ses codes,
mythes et mirages afin de mieux les transgresser ou les subvertir par
l’ironie, la parodie ou le pastiche9 –, toute cette aventure américaine est
encore assumée dans un rapport à l’extra-territorialité. Non pas tant à cause
d’une volonté de résistance contre les pièges de l’indifférenciation et du
nivellement culturel, mais parce que le sentiment d’un devenir hétérogène
et métisse du Québec y est encore incapable de se départir d’un repli
tactique, d’une reterritorialisation ou d’un retour identitaire (Harel, 1989,
p. 159-207).
50
L’américanité : voies du concept et voix de la fiction
au Québec et dans la Caraïbe
Une vocation transaméricaine
Dans une étude perspicace, Laurent Mailhot nous invite à réfléchir à cette
ambiguïté des projections américaines dans la littérature québécoise en
constatant que « [l]’Amérique, c’est le rêve même, le Grand Rêve dont il
faut pourtant se réveiller après qu’il nous a nourris. » (1992, p. 308). Pour sa
part, François Ricard (1988, p. 15) voit le signe de ce réveil dans la
normalisation de la littérature québécoise, dans sa diversification et dans la
relativisation de ses codes. Il est légitime de dire que l’apport des écrivains
immigrés au Québec depuis les années 1980 et, surtout, au tournant du
siècle dernier, contribuera de façon décisive à une telle normalisation.
Venus de tous les horizons culturels et géographiques, ces écrivains
récusent tout repli territorial ou ethnique et transgressent tous les concepts
d’une américanité spécifique à la littérature québécoise. Il faudrait
peut-être remarquer que lorsque l’écrivain migrant avait été perçu, dans les
années 1980 au Québec, comme un errant sans socle identitaire défini, la
critique bienveillante a tenté de le récupérer comme écrivain néoquébécois, puis, de proche en proche, de légitimer par des accolades
institutionnelles, la fascination pour l’interculturalité au Québec (Harel,
2001, p. 128-132). Plusieurs écrivains immigrés conscients des pièges
d’assimilation à la majorité ont récusé le label de Néo-québécois et
l’enfermement dans la catégorie d’écrivain migrant. Ils se sont exprimés
contre toute marginalisation tant dans leurs œuvres (comme Régine Robin
dans La Québécoite, paru en 1983, ou Marco Micone dans son poème,
« Speak What? », paru en 1989) que directement (voir le recueil d’entretiens
de Suzanne Giguère, 2001; Émile Ollivier, 2001, p. 70).
Dans la perspective de la textualisation de problématique de l’américanité toutefois, il importe de relever un autre trait marquant : après avoir
été hantée par les thèmes de l’exil, du déchirement, des phantasmes
d’intégration ou des angoisses d’enfermement, cette littérature rejoue
aujourd’hui le deuil de l’origine non pas en le déclinant sur des relations
binaires (le Québec et le Canada, le pays d’origine) ou par superposition de
certains thèmes (marginalisation, folie, brouillage identitaire), mais plutôt
en creusant « en dedans » une nouvelle altérité; autrement dit, en faisant de
l’écriture en français au Québec un mode de connaissance des brassages et
des métamorphoses qui surviennent dans les Amériques et qui ont trait à
l’hybridité culturelle contemporaine.
Dans La Québécoite (1983) et L’immense fatigue des pierres (1999) de
Régine Robin, on voit cette hybridité et ces allers-retours comme un rapport
transmémoriel qui instaure un dialogue interaméricain (et a fortiori
européen) entre, d’une part, l’écriture juive d’avant l’Holocaust, celle de
Sholem Stern, de Jacob Isaak Segal ou d’Abraham Moses Klein, écrivains
yiddishophones de Montréal qui ont constitué au Québec la première
communauté d’immigrants littéraires (Anctil, 2001) et, d’autre part, une
judéité de l’écriture après Auschwitz, inassimilable à aucune singularité
communautaire, à aucun parcours identitaire connu (Kwaterko, 1998,
51
International Journal of Canadian Studies
Revue internationale d’études canadiennes
p. 171-173). Ce même aspect est autrement articulé par les écrivains
haïtiens exilés au Québec. Non pas tant parce qu’ils tropicalisent le Nord
moyennant une écriture baroque et ludique, mais parce qu’en tant qu’exilés,
ils tentent une véritable aventure américaine à partir de la subjectivité du
migrant, toujours à la croisée des mémoires et des appartenances. Cette
aventure est puissamment revendiquée dans l’entreprise de Dany
Laferrière qui s’empare dans Comment faire l’amour avec un nègre sans se
fatiguer (1985) de l’altérité québécoise et de l’altérité « nègre » non pas à
des fins totalisantes ou pour faire dialoguer les deux minoritaires (l’Haïtien
et le Québécois), mais pour marquer son désir de l’appropriation de la
pluralité américaine : « JE VEUX TOUTE L’AMÉRIQUE. Pas moins.
Avec toutes les girls de Radio City, ses buildings, ses voitures, son énorme
gaspillage et même sa bureaucratie » (Laferrière, 1985, p. 29). En multipliant les références littéraires et les allusions culturelles les plus disparates,
l’émigré haïtien déjoue les pièges de la « négritude » et se libère de la
topique de déchirement (en l’occurrence, de l’écartèlement entre Haïti et
Québec propre aux écrivains haïtiens de la première vague de l’exil) en
faveur d’une nouvelle identité migrante et transculturelle (Simon, 1994,
p. 173). Cette assomption d’une identité américaine hybride n’empêchera
pas Laferrière de s’éloigner progressivement de l’horizon spatiotemporel
québécois en vue d’un réenracinement imaginaire dans son pays d’origine.
Si bien que les retrouvailles avec son Haïti dans ses autofictions – L’Odeur
du café (1991), Pays sans chapeau (1997) ou Le Cri des oiseaux fous (2000)
– s’effectuent toujours sur un mode tâtonnant qui signifie moins un retour à
la communauté d’origine qu’un retour sur soi, une acceptation de la perte et
une méditation sur sa propre étrangeté de l’exilé.
L’œuvre d’Émile Ollivier donne tout le sens à cette pluralité de
passerelles et de parcours qui débordent sans cesse le continent et qui font
immerger l’espace-temps américain (québécois, haïtien, états-unien) dans
une expérience transculturelle et transidentitaire. On le perçoit de façon
singulière dans ce fragment de Mille eaux (1999) où Émile Ollivier se
tourne vers son enfance créole pour ressusciter l’image d’un vieux réfugié
Allemand vivant en bordure de son village natal et qu’il lui était défendu
d’approcher :
Cette image de l’Allemand me hante aujourd’hui encore. Il
m’arrive de lui inventer une histoire, de fabuler sur son passé.
Heinrich Heine raconte que lorsque Dante marchait à travers
Vérone le peuple le montrait du doigt et murmurait qu’il était en
enfer. Aurait-il pu sans cela décrire tous ses tourments ? Il ne les a
pas tirés de son imagination, il les a vécus, éprouvés, vus, sentis, il
était vraiment en enfer, dans la cité des damnés : il était en exil. […]
Quand je repense aujourd’hui à cet homme, tout un imbroglio de
questions se posent à moi. […] Comment peut-on vivre seul
comme un grain de rosaire ? Était-il vraiment seul ? Où était-il
hanté par une foule imaginaire ? […] Maître Théétète disait qu’il
pouvait être un élément du IIIe Reich en fuite. Était-il seulement
52
L’américanité : voies du concept et voix de la fiction
au Québec et dans la Caraïbe
allemand ? Déserteur, juif allemand, survivant d’Auschwitz, de
Buchenwald ? Quel crime avait-il commis pour s’exiler ainsi ?
Quelle déception l’avait relégué loin du monde, contraint à cet
apprentissage de la solitude, de l’indifférence et de la pauvreté ?
Que cherchait-il à oublier ? Depuis j’ai appris que, pour beaucoup
d’Allemands, l’exil ne fût pas une nécessité matérielle mais une
décision morale, un acte de courage et de lucidité. Au moment où
l’Europe tout entière fut menacée de tomber sous la botte nazie,
peu d’Européens avaient songé à s’exiler en Amérique. Ils
voulaient demeurer près des frontières du Reich, revenir au plus
vite, et surtout ne pas s’éloigner du pays. Privés de la possibilité de
s’exprimer, traqués, torturés, plusieurs ont choisi l’exil dans des
pays frontaliers où ils ont trouvé une liberté d’action. En ce tempslà, cette Amérique, vaste fabrique de mythologies, l’Amérique
monstrueuse qui alliait l’immensité des paysages et des ressources
humaines à la puissance de la technique et de l’argent, leur apparaissait comme un espace culturel vide… Alors, lui, qu’était-il
venu chercher si loin de sa terre natale? Je ne le saurai jamais :
désespérance de l’Histoire ou de la Mémoire ? (107-108)
Vers une créolité « ex-centrique »
Une telle poétique du dépaysement où l’américanité se laisse capter par une
logique de la relation, au plus intime de la subjectivité, fait penser à de
nouveaux enjeux interculturels dans la fiction franco-caribéennne en Haïti
et dans les Antilles françaises. Il faut cependant reconnaître que cette fiction
avait été longtemps aux prises avec la mythologie de l’identitaire pour
s’opposer à la violence coloniale et afin de se défaire de modèles imposés.
Comme l’a rappelé récemment Zilá Bernd, pour les écrivains indigénistes
en Haïti qui proclament en 1927 leur américanité dans le premier numéro de
La Revue indigène, il importe de construire une doctrine originelle afin de
renouer les liens rompus entre l’Amérique hispanique et l’Amérique
française. Or, le présupposé qui mobilise cette liaison fait obstacle au
renouvellement esthétique vivement réclamé. Car sur le plan idéologique,
se définir en termes d’un atavisme américain sert beaucoup plus à l’époque
le discours sur le danger du « franco-tropisme » des élites haïtiennes et de
l’aliénation culturelle que les pratiques effectives de mélange et d’hybridation (Bernd, 2002, p. 17-18).
En 1932, dans l’unique numéro de Légitime défense (aussitôt délégalisé
par la censure française), les étudiants antillais de Paris se heurtent au même
problème : voulant rompre avec les modèles européens, ils se tournent cette
fois vers les poètes noirs américains (Langston Hughes, Claude McKay) et
vers les poètes indigénistes haïtiens (Carl Brouard, Émile Roumer, Philippe
Toby-Marclin, Jacques Roumain) pour se réenraciner via Harlem et la
négritude (avant Aimé Césaire et Léopold Sédar Senghor) dans une Afrique
qui reste pour eux presque aussi mythique et lointaine que les cultures
amérindiennes (caraïbe et arawak) pour les indigénistes haïtiens. Dès lors,
53
International Journal of Canadian Studies
Revue internationale d’études canadiennes
en tant que projection imaginaire et postulat idéologique, la revendication
d’une américanité transnationale s’enlise peu à peu dans des schémas
antithétiques qui fabriquent des mythologies différentialistes et des
filiations primordiales (africaines, amérindiennes), mais qui réfèrent à un
sentiment d’acculturation en situation coloniale et à des idéaux d’émancipation et d’égalité. Ces contradictions inhérantes au manifeste des jeunes
Antillais montrent, selon Édouard Glissant, un permanent oscillement
entre « l’amour et la haine du monde occidental », « une symbolique
aliénante […] nouée à une volonté de dépassement par l’universel »
(Glissant, [1981] 1997, p. 734-745).
Il est indéniable que sur le plan proprement esthétique plusieurs œuvres
de la négritude antillaise font preuve de résistance ou de stratégie de
soumission transgressive du minoritaire à des discours, modèles et genres
dominants : songeons aux Pigments (1937) de Léon-Gontram Damas ou
aux Cahiers du retour au pays natal (1939) et à la Tragédie du roi
Christophe (1963) d’Aimé Césaire. Mais il est tout aussi patent que la
rhétorique de l’auto-affirmation et de la réappropriation identitaire
commence à s’absolutiser pour prendre dès les années 1970 une dimension
nettement essentialiste. On le voit clairement chez les écrivains qui
idéalisent une « antillanité » locale : guyannaise (Berthène Juminier, Serge
Patient), coolie (Maurice Virassamy, Ernest Moutoussamy), guadeloupéenne (Jacqueline Manicou) ou martiniquaise (les premiers récits de
Raphaël Confiant). Avant les années 1980, rares sont les textes capables de
s’écarter de la doxa identitaire pour proposer une poétique inventive,
critique et non pas didactique, ayant prise sur le réel caribéen sans tomber
dans l’essentialisme. En ce qui concerne Haïti, Gouverneurs de la rosée
(1946) de Jacques Roumain apparaît comme le premier roman paysan qui
bouscule le code nationaliste de l’indigénisme haïtien par l’alliage du
marxisme et du réel-merveilleux afro-chrétien (Serres, 1973). Dans le
sillage de Roumain, Jacques Stephen Alexis trouvera une authenticité de
l’expression dans le mélange de sources africaines, amérindiennes (taïno et
chemès) et occidentales (en particulier françaises). Ce brassage de cultures
est d’ailleurs fortement revendiqué dans son essai, « Prolégomènes à un
manifeste du réalisme merveilleux des Haïtiens » (1956). Mais l’originalité
d’Alexis ne relève pas de la rupture avec l’indigénisme, obnubilé par la
dimension africaine de la personnalité collective haïtienne, mais de la
singularité d’une forme qui étend l’identité haïtienne au-delà des frontières
raciales et ethniques. Dans son recueil de nouvelles, Romancéro aux étoiles
(1960), cette libération de contraintes appelle une expressivité qui
« baroquise » le français par un imaginaire verbal exubérant. Dans
l’attention sérieuse accordée au merveilleux (la cosmogonie du vaudou, le
surnaturel, l’insolite) et à la culture populaire haïtienne (le conte, la
légende, les mythes), Alexis parvient à créer un espace interculturel :
caribéen, latino-américain et européen. On peut sentir cette effervescence
du langage dans le portrait de la princesse Arawak, Anacaona, dépeint par le
Vieux Vent Caraïbe, co-narrateur du récit :
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L’américanité : voies du concept et voix de la fiction
au Québec et dans la Caraïbe
Les pieds de La Fleur d’Or étaient plus beaux que ces scarabées
rouges et or du Plateau Central, ils étaient cambrés, polis,
intelligents et ses orteils étaient des véritables bijoux vivants, vifs
et prompts. Je m’enroulais sur ses pieds et ils vivaient en moi
comme des oiseaux tièdes et respirants. Je coulais ma langue de ses
chevilles à ses genoux […] ses jambes tendres, impatientes et
douces comme de belles cannes créoles. […]. Je prenais son sexe
emplumé dans ma bouche de vent, alors sa pulsation capricante se
communiquait à ma chair vaporeuse et je devenais ce que nul vent
ne pourra plus être, une palpitation fraîche et parfumée qui
couvrait, englobait et frisait la Caraïbe tout entière!10
L’esthétique d’Alexis préfigurait ainsi la voie dans laquelle allaient
s’engager plusieurs écrivains haïtiens demeurés au pays (comme Frank
Étienne ou Gary Victor) ou qui ont fui la dictature des Duvaliers dans les
diasporas. Il est significatif que cette voie fait toujours usage de la parole
populaire et des images carnavalisées portées par plusieurs voix et
mémoires11, et que tout en préservant l’imaginaire des origines elle
accueille le métissage, la transformation, ouvre la fiction haïtienne à son
devenir transculturel, désormais pleinement américain et créole.
Dans les années 1980 et 1990, la littérature francophone des Petites
Antilles va elle aussi se rapprocher des Amériques en revendiquant son
« antillanité » (comme antithèse de la négritude) et sa « créolité » (Bernabé,
Chamoiseau, Confiant, 1989). Or là aussi, on pourrait débusquer des
réactions de défense piégées par une logique différentialiste qui fait de la
créolisation du français standard une stratégie de déviance et d’infraction à
la norme (visible surtout dans les premiers romans de Raphaël Confiant).
Dans les premiers romans de Patrick Chamoiseu (Chronique de sept
misères, 1986, Solibo Magnifique, 1988) l’ambition d’assimiler la réalité
verbale à la réalité sociale (la culture populaire) relève d’une idéologie de la
survivance qui contamine discrètement la représentation. La rhétorique de
la créolité fétichise le lieu d’origine (les quartiers de bord de mer de Fort-deFrance, royaume de « djobbeurs ») et gomme la diversité du réel antillais.
La critique à peine voilée que les auteurs de l’Éloge de la créolité adressent
à Édouard Glissant, en lui reprochant son indécision entre l’intériorité d’un
« fondal-natal » et l’extériorité américaine, est à cet égard hautement
significative :
Plonger dans notre singularité, l’investir de manière projective,
rejoindre à fond ce que nous sommes… sont des mots d’Édouard
Glissant. L’objectif était en vue; pour appréhender cette
civilisation antillaise dans son espace américain, il nous fallait
sortir des cris, des symboles, des comminations fracassantes, des
prophéties déclamatoires, tourner le dos à l’inscription fétichiste
dans une universalité régie par les valeurs occidentales, afin
d’entrer dans la minutieuse exploration de nous-mêmes […]. Un
peu comme en fouilles archéologiques : l’espace étant quadrillé,
avancer à petites touches de pinceau-brosse afin de rien altérer ou
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International Journal of Canadian Studies
Revue internationale d’études canadiennes
perdre de ce nous-mêmes enfoui sous la francisation. Mais les
voies de pénétration dans l’Antillanité n’étant pas balisées, la
chose fut plus facile à dire qu’à faire. […] Glissant lui-même ne
nous y aidait pas tellement, pris par son propre travail, éloigné par
son rythme, persuadé d’écrire pour des lecteurs futurs (1993,
p. 22-23).
À l’encontre de cette conception de l’identité créole, associée à la notion
de territoire, on voit apparaître, dès les années 1980, des romancières qui
pratiquent une « poétique du détour » (pour reprendre un terme de Glissant),
c’est-à-dire un travail proprement esthétique qui desserre le cadastre
antillais et le transborde dans un espace archipélique, continental et
transcontinental. Ainsi dans Moi, Tituba sorcière noire… de Salem (1986),
Maryse Condé transpose le parcours historique et géographique d’une
esclave de la Barbade en une expérience imaginaire où la mémoire « nègre »
consonne avec la mémoire anglo-protestante et judéo-espagnole. Ton beau
capitaine (1987), monodrame de Simone Schwarz-Bart, s’offre à sa
manière comme un récit où les altérités insulaires (guadeloupéenne et
haïtienne) pourront communiquer à travers les rêves et les désillusions d’un
couple séparé. C’est précisément cette même conscience du potentiel de la
diversité culturelle américaine qui permet à Édouard Glissant de dépister
dans son essai-fiction, Faulkner-Mississipi (1996) et dans son roman,
Sartorius (1999), la similarité des procédés de mélange, de créolisation
linguistique et d’hybridation narrative qui relient Faulkner à Saint-John
Perse ainsi qu’à la parole de conteurs créoles. De surcroît, en résistant
contre une « créolité » limitée uniquement à la question de la langue, à la
créolisation du français à des fins strictement contre-identitaires (de
démarcation du français métropolitain), Glissant propose une véritable
« poétique » de la créolité : un texte « créolisé », ouvert sur le monde où
s’affrontent et se confrontent des éléments linguistiques et culturels
disparates, susceptibles de produire des effets esthétiques imprévisibles
(Glissant, 1997). Sensible à la « parole du maître », Patrick Chamoiseau se
fera plus réceptif aux virtualités d’une écriture créole multilingue. Dans son
essai, Écrire au pays dominé (1997), qui se veut un dialogue avec Glissant,
il conçoit la créolité comme invite à des reconfigurations identitaires en une
« mosaïque incertaine, toujours conflictuelle et chaotique » (Chamoiseau,
1997, p. 200). Significativement, à partir de Texaco (1992) et de L’Esclave
vieil homme et le molosse (1997), les romans de Chamoiseau proposeront
des thèmes et des procédés qui feront un usage de la créolité capable de
connexions dialogiques nouvelles entre les dominants et les dominés. On
perçoit tout ce potentiel d’invention et d’audace esthétique dans Biblique
des derniers gestes (2002), le plus récent roman de Patrick Chamoiseau. La
prise en compte d’une identité culturelle interactive pourra y être figurée
par des créatures hybrides (Sarah-Anaïs-Alicia, Deborah-Nicol, Balthasar
Bodule-Jules : alter ego de Chamoiseau), dans un récit multidirectionnel,
foisonnant de versions, d’hypothèses, d’énigmes –, là où l’antillanité et la
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L’américanité : voies du concept et voix de la fiction
au Québec et dans la Caraïbe
créolité ne sont plus strictement antillaises ni strictement créoles, mais
caraïbéennes, transaméricaines et européennes.
Joël Des Rosiers, auteur haïtien du Québec, observe cette reconfiguration des paradigmes qui s’articulent sur une ex-centricité et une pluralité
des références du monde créole : « Nous sommes des Haïtiens québécois
comme nous sommes désormais Haïtiens français, américains, guadeloupéens, africains. Tel est le destin d’un petit pays mais d’une grande
nation passant de la diaspora à la “métaspora” » (1996, 101). Il semble que
la prise en compte de ce déplacement des limites identitaires vers une
américanité rhizomatique, « métasporique », au-delà d’un pluralisme de
surface, libère aujourd’hui les fictions francophones québécoises et
caribéennes d’anciens carcans ethniques. En regard de la dynamique
interne de ces fictions à l’heure actuelle, tout concept d’une différence
américaine, fondée sur une idéologie sécurisante, ne pourrait que minimaliser la réalité polymorphe et créolisée des Amériques.
Notes
1.
2.
3.
Pour le cas spécifique du Québec, voir Benoît Melançon, « La littérature
québécoise et l’Amérique. Prolégomènes et bibliographie », Études françaises,
26 : 2 (1990) : 65-108. Pour une perspective comparatiste interaméricaine
(Québec-Antilles-Brésil) voir Zilá Bernd, « Américanité : les transfers du
concept », Interfaces Brasil/Canadá, 1:2 (2002) : 9-27. Pour une perspective
comparatiste interdiscursive du XIXe siècle (Canada français-Amérique latine)
voir Marie Couillard et Patrick Imbert (dir.), Les discours du Nouveau Monde au
19e siècle au Canada français et en Amérique latine/Los discursos del Nuevo
Mundo en el siglo XIX en el Canadá francófono y en América latina, Ottawa,
Legas, 1995, ainsi que Marie Couillard, « L’invention des Amériques : de
barbarie/civilisation à oisiveté/travail », Revue canadienne de littérature
comparée, vol. 27, n° 3, septembre 2003.
Pour le resurgissement de ce type de discours dans le domaine de la critique
littéraire au Québec, voir Robert S. Schwartzwald, « Quel jardin pour la
littérature québécoise? Rebondissement du discours de la décolonisation dans le
paradigme postcolonial au Québec », dans Canadian Literatures and Postcolonial Identities/Littératures canadiennes et identités postcoloniales (edited
by/sous la direction de Marc Maufort & Franca Bellarsi), Bruxelles-BernFrankfurt/M-New York-Oxford-Wien, P.I.E.– Peter Lang, 2002, 79-89 (coll.
New Comparative Poetics, n° 7, Nouvelle poétique comparative, n° 7).
Faute de pouvoir dresser ici un répertoire détaillé d’études dans ces diverses
disciplines, on mentionnera les noms de certains chercheurs, intellectuels et
écrivains qui travaillent dans l’aire latino-américaine hispanophone (Gonzalo
Aguirre Beltrán, Emanuel Bonfil Batalla, Néstor García Cancilini, Ruben Darió,
Irlemar Chiampi, Carlos Fuentes, Edmundo O’Gorman, Octavio Paz, Angel
Rama et Iris M. Zavala) et lusophone (depuis Gilberto Freyre et Sergio Buarque
de Holanda jusqu’à Lilian Pestre de Almeida, Donaldo Schüller et Zilá Bernd en
passant par Haroldo de Campos, João Adolfo Hansen et Darcy Ribeiro),
caribéenne (depuis Fernando Ortiz et Alejo Carpentier jusqu’à Jose Lezama
Lima, Severo Sarduy, Maryse Condé, René Depestre, Patrick Chamoiseau et
Édouard Glissant), états-unienne (les travaux de Walter Mignolo, Mary Louise
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International Journal of Canadian Studies
Revue internationale d’études canadiennes
Pratt, Paula-Gilbert Louis, Robert Schwartzwald dans la foulée de la pensée de
Hyden White, Benedict Anderson, Frederic Jameson et de la relecture critique de
Homi Bhabha et d’Edward Saïd), franco-canadienne et québécoise (Marie
Couillard, Patrick Imbert, François Paré, Raoul Boudreau, Bernard Andrès,
Jean-François Chassay, Simon Harel, Maximilien Laroche, Jean Larose, Pierre
Nepveu, Alexis Nouss, Pierre Monette, Raymond Montpetit, Jean Morency,
Sherry Simon, Yvan Lamonde, Jocelyn Létourneau, Walter Moser, Joseph Yvon
Thériault) et européenne (Jean-Loup Amselle, Jean Baudrillard, Serge Gruzinski,
Carmen Bernand, François Laplantine, Hans-Jürgen Lüsebrink).
4. Sur le plan socio-politique, l’option d’un métissage hors de toute porosité
rappelle à plusieurs égards certains paradigmes sociodiscursifs qui nourrissent,
tout au long du XIXe siècle, dans les Amériques, les utopies du progrès
économico-industriel et d’une démocratie libérale à sens unique (intégration de la
« barbarie » indigène à la « civilisation » américaine; métamorphose des
Autochtones en Créoles euro- américains); voir Couillard, 2000.
5. Cette réflexion épistémologique et herméneutique est également pratiquée par
Jean-François Chassay (dans L’ambiguïté américaine. Le roman québécois face
aux États-Unis, Montréal, XYZ, 1995), Bernard Andrès (dans Écrire le Québec :
de la contrainte à la contrariété, Montréal, XYZ, 1990) et dans le collectif
L’Identitaire et le littéraire dans les Amériques (sous la dir. de Bernard Andrès et
Zilá Bernd), Québec, Nota bene, 1999.
6. Voir à ce sujet les travaux fondamentaux de Paul Wyczynski : Émile Nelligan.
Sources et originalité de son œuvre, Ottawa, Éditions de l’Université d’Ottawa,
1960 et Nelligan et la musique, Ottawa, Éditions de l’Université d’Ottawa, 1971.
7. « Confession nocturne » (fragment) dans Émile Nelligan. Poésies complètes
1896-1941, Montréal, Bibliothèque québécoise, 1992.
8. En 1965, Gérald Godin compare l’usage du joual à celui du jive talk, pig-latin,
dog latin ou gumbo utilisés par les Noirs américains dans les années 1960 (Godin,
1965, p. 59). En 1968, il proclamera explicitement : « […] cette langue était en
positif et est encore en positif le décalque de notre originalité en Amérique. Et en
négatif le reflet de notre situation de colonisés » (Godin, 1968, p. 94).
9. Comme dans La première personne (1980) de Pierre Turgeon, Le voyageur
discret (1981) de Gilles Archambault, Volkswagen blues (1984) de Jacques
Poulin, Une histoire américaine (1986) de Jacques Godbout, Vendredi Friday
d’Alain Poissant ou Copies conformes (1989) de Monique Larue.
10. Jacques-Stephen Alexis, « Dit de la Fleur d’Or » dans Romancéro aux étoiles,
Paris, Gallimard, 1961, p. 158-159.
11. On voit bien cette poétique dans Hadriana dans tous mes rêves (1988) de René
Depestre ou dans La Rue des pas perdus (1996) de Lyonnel Trouillot. On peut
l’observer aussi dans les « fictions migrantes » récentes publiées au Québec par
Stanley Péan (Zombie Blues, 1996) et par Marie-Célie Agnant (La dot de Sara,
2000; Le livre d’Emma, 2001).
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60
Daniel Chartier
Une voix parallèle de la fin du XIXe siècle
au Québec : Sui Sin Far 1
Résumé
Dans cet article, l’auteur aborde les problématiques interprétatives de
l’histoire littéraire que soulève le parcours atypique de l’écrivaine
québécoise d’origine sino-anglaise Sui Sin Far. Par suite du renouvellement
interprétatif du corpus national qu’a entraîné le courant des écritures
migrantes, le parcours de l’auteure sur le continent américain, absent dans
l’historiographie du Québec, témoigne de l’importance d’un regard nouveau
sur les corpus marginaux de l’histoire de la vie littéraire au Québec.
Marginale s’il en est une, Sui Sin Far (ou Edith Eaton) n’entretient pas de
liens avec les acteurs de la vie littéraire au début du 20e siècle. Il n’en
demeure pas moins que les questionnements que soulève la revendication de
sa double identité se rapproche de la prise de parole migrante de la fin du 20e
siècle au Québec; Sui Sin Far s’avère ainsi être une précurseure des
problématiques qui animeront la vie littéraire près d’un siècle plus tard.
Abstract
In this paper, the author deals with the interpretative problematics of literary
history raised by the atypical journey of Sui Sin Far, a Québec writer of
Chinese-English origin. As a result of the interpretative renewal of the
national literary corpus brought about by the migrant literary movement, the
author’s journey on the North American continent, never mentioned in
Québec historiography, bears witness to the importance of considering
marginal corpuses in a new light within the context of the history of literary
life in Québec. A marginal figure, if there ever was one, Sui Sin Far (also
known as Edith Eaton) maintained no relationship at all with the other actors
on the local literary scene in the early years of the 20th century. And yet the
questions raised by her claim to a dual identity are not unrelated to what
happened when migrant writers eventually stole the spotlight in late 20th
century Québec : Sui Sin Far thus appears as the forerunner of certain
problematics that will become critical to Québec literary life a century later.
Le soir du 7 novembre 1895, « un certain nombre de jeunes gens2 » sont
réunis à l’initiative des écrivains Louvigny de Montigny et Jean
Charbonneau dans la salle du Palais de justice de Montréal, près du château
de Ramezay où auront lieu leurs séances publiques quelques années plus
tard; ils fondent, au cours de cette soirée, une académie qui prendra le nom
d’École littéraire de Montréal. Lorsqu’ils se quittent et rentrent chez eux,
International Journal of Canadian Studies / Revue internationale d’études canadiennes
27, Spring / Printemps 2003
International Journal of Canadian Studies
Revue internationale d’études canadiennes
dans les maisons cossues du quartier latin, ils suivent le même trajet, de la
rue Notre-Dame au carré Saint-Louis, qui leur permettra de raccompagner
Émile Nelligan après la célèbre séance du 26 mai 1899 au cours de laquelle
le poète, « l’œil enflammé, la voix sonore clama, comme l’écrit Jean
Charbonneau, les strophes de la Romance du vin3 ». Or le soir du 7
novembre 1895, à quelques mètres seulement de là, une jeune fille frêle a
quitté le bureau de sténographe qu’elle venait à peine d’ouvrir au coin de la
rue Saint-Jacques et du boulevard Saint-Laurent, a remonté ce boulevard en
traversant ce qui deviendra au XXe siècle le quartier chinois4 et a peut-être
croisé les jeunes écrivains de l’École littéraire en marchant vers chez elle,
dans le quartier populaire francophone de Hochelaga. Cette jeune fille, qui
travaillait au journal Montreal Star depuis 1883 et qui publiait depuis 1888
des chroniques et de courts récits, quittera quelques années plus tard
Montréal pour la Jamaïque, reviendra au pays, puis partira pour la côte
ouest américaine avant de se réinstaller définitivement auprès de sa famille,
à Montréal. Elle mourra peu de temps après, en 1914, et elle sera enterrée au
cimetière du Mont-Royal, où elle repose toujours sous un curieux
monument qui porte des caractères illisibles pour la majorité des Montréalais : des idéogrammes chinois. Ces derniers témoignent aujourd’hui
encore de l’existence de cette étonnante femme, considérée comme la
première écrivaine de fiction d’origine asiatique d’Amérique du Nord et
pourtant totalement inconnue dans la vie littéraire du Québec5. Son
existence et son œuvre, inscrites dans un régime constant et multiple de
non-coïncidence, à l’image du parcours parallèle qui rendait sa rencontre
avec les écrivains de l’époque impossible (par son sexe, sa langue, son
origine ethnique et ses propos), constituent cependant un cas-limite qui
nous permet de mesurer les possibilités historiques d’interprétation des
œuvres des écrivains atypiques et les limites méthodologiques des concepts
qui nous guident dans la rédaction de l’histoire littéraire ou de l’histoire de
la vie littéraire.
Si l’émergence dans la littérature québécoise de ce que le poète
québécois d’origine haïtienne Robert-Berrouët Oriol a nommé « les
écritures migrantes6 » a transformé les thématiques, les problématiques et
la nature des œuvres littéraires lues et consacrées au Québec à partir de
19827, il faut toutefois attendre la fin des années 1990 pour que l’histoire
littéraire tienne compte de ces changements structurels pour redéfinir son
objet et s’ouvrir à des corpus jusque-là laissés dans l’ombre. Amorcé par les
études féministes (Lucie Lequin, Maïr Verthuy et Christl Verduyn) qui
tenaient enfin compte de l’apport des écrivaines émigrées à la constitution
littéraire, ce virage a été en partie incorporé dans le projet collectif
d’Histoire de la vie littéraire au Québec8 à partir de 1991, puis de manière
plus spécifique dans des études à caractère synthétique ou historique,
notamment celles de Simon Harel, Sherry Simon, Pierre Nepveu, Clément
Moisan, Renate Hildebrand et moi-même9. Ce redéploiement historique
permet aujourd’hui de considérer, dans la perspective élargie de la vie
littéraire10 au Québec, des corpus qui ne sont pas directement liés au
62
Une voix parallèle de la fin du XIXe siècle au Québec : Sui Sin Far
développement de la littérature québécoise (de langue française), mais qui
concernent tout de même directement la vie littéraire du Québec : des
écrivains de langue anglaise comme William Henry Drummond, Stephen
Leacock et Neil Bissoondath, mais aussi des écrivains qui n’écrivent ni en
français ni en anglais comme Hirsh Zvi Wolfsky, Négovan Rajic et Michele
Pirone, ont été l’objet d’une attention nouvelle qui force à reconsidérer
l’objet littéraire du Québec dans sa pluralité, mais qui modifie aussi
l’interprétation que l’on peut proposer de leurs œuvres.
À cet égard, l’œuvre d’Edith Eaton représente un cas typique de noncoïncidence et d’inscription parallèle dans la vie littéraire, qu’on a eu
jusqu’à maintenant tendance à délaisser. Le fait qu’elle n’ait pas eu de liens
avec les écrivains de son époque, qu’elle ait écrit en anglais, qu’elle ait eu
des affinités plus marquées avec les instances éditoriales américaines que
canadiennes, ont tour à tour justifié son absence dans l’historiographie du
Québec. Pourtant aujourd’hui, ces mêmes raisons constituent autant de
sujets qui rendent son œuvre fascinante et permettent justement de poser la
question du silence et de l’absence des écrivains atypiques dans la rédaction
des histoires littéraires.
Aussi, ce croisement manqué avec les écrivains de son époque n’est que
l’un des lieux de non-coïncidence qui marquent le parcours et l’œuvre
d’Edith Eaton, qui choisit, à partir de 189611, d’écrire sous le pseudonyme
chinois de « Sui Sin Far », un nom qui renvoie à la fois à son enfance et à sa
volonté d’affirmer l’instabilité de son identité à travers des textes qui
donneront une voix à ceux dont on parle, sans qu’on les entende. En période
d’acerbe sinophobie12, tant au Canada qu’aux États-Unis, elle énonce un
projet d’écriture qui se veut à la fois identitaire et dérangeant. Lorsqu’elle
expose son intention de publier un livre, elle affirme sa volonté
« d’implanter quelques pensées eurasiennes dans la littérature occidentale13 ». Aussi, elle écrit avec ironie et défi en 1910, dans une nouvelle
intitulée La femme inférieure (The Inferior Woman) : « La femme
américaine peut écrire des livres sur les Chinois; pourquoi une femme
chinoise ne pourrait-elle pas écrire un livre sur les Américains14? »
Sui Sin Far représente un cas exceptionnel dans la vie littéraire de la fin
du XIXe siècle en Amérique du Nord et au Québec. Née d’une mère
chinoise et d’un père anglais, immigrée à Montréal avec sa famille en 1872,
elle a décidé d’assumer le caractère mouvant et instable de son identité, et
les textes qu’elle a laissés se trouvent décalés par rapport à la position de son
temps et rejoignent plutôt les œuvres postmodernes de l’écriture migrante
de la fin du XXe siècle. Son discours revendique toutes les facettes de sa
singularité et transforme sa prise de parole en un geste politique et
esthétique divergent. Immigrée, eurasienne, donc ni asiatique ni caucasienne et victime des préjugés des uns comme des autres, célibataire sans
enfant, professionnelle du journalisme dès l’âge de dix-huit ans, elle vit une
enfance difficile entre un père artiste et ruiné et une mère de quatorze
enfants. Bien qu’elle doive contribuer au revenu familial en vendant sur les
63
International Journal of Canadian Studies
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trottoirs de la ville des lacets qu’elle tresse avec humilité, elle reste une
jeune enfant qui doit craindre les dangers de l’urbanité : « À de nombreux
moments, j’ai eu peur de “disparaître mystérieusement”15 », écrit-elle. Elle
comprend très tôt l’ambivalence de son métissage et à dix ans, elle constate
la solitude qu’elle engendre :
Je ne peux me confier ni à mon père ni à ma mère. Ils ne pourraient
me comprendre. Comment le pourraient-ils? Il est Anglais, elle est
Chinoise. Je ne suis ni comme l’un ni comme l’autre, une étrangère
à mes propres parents. « Qui sommes-nous donc? », ai-je demandé
à mon frère. « Qu’importe », a-t-il répondu. Et cependant, cela
avait toute son importance.16
Cette précarité et cette prise de parole inattendue dans le discours du
XIXe siècle se doublent d’une conscience du rôle de pionnière que lui fait
jouer la société culturelle : première à forger le terme de « Chinese
American », qui sous-tend la problématique de l’intégration et des dangers
de la folklorisation, elle se confronte aussi à l’absence de modèle littéraire
pour exprimer l’expérience du passage de la différence silencieuse vers
l’énonciation de cette particularité. Elizabeth Ammons, l’une des
premières à avoir étudié, avec Amy Ling et Annette White-Park, l’œuvre et
le personnage d’Edith Eaton (tous deux difficilement séparables), écrit à
propos de l’auteure dans Conflicting Stories: American Woman Writers at
the Turn into the Twentith Century : « Elle n’avait aucun modèle littéraire,
aucune femme comme elle qui avait publié auparavant et qui puisse lui
servir de guide […] Le fait que Sui Sin Far ait pu s’inventer – et créer sa
propre voix – dans ce climat de racisme étouffé et systématique constitue
l’une des grandes avancées de la littérature nord-américaine du tournant du
siècle.17 » De plus, on peut difficilement étudier la contribution littéraire
d’Edith Eaton sans évoquer celle de sa sœur Winnifred, tant leurs choix
esthétiques, leurs succès et leurs postérités divergent18. En parlant des
rapports entre elle et sa sœur pendant leur enfance, Edith Eaton écrit : « Mes
parents me comparent avec elle. […] Mon père me dit que je ne serai jamais
plus que la moitié de ce qu’est ma mère ou de ce que sera ma sœur.19 »
Winnifred devient elle aussi écrivaine, mais plutôt que de revendiquer la
part chinoise d’elle-même, elle choisit de s’inventer une biographie et une
identité japonaises, sous le pseudonyme de Onoto Watanna20, ce qui la
soustrait au racisme ambiant, la coiffe de l’auréole exotique, mais la sépare
à jamais de sa sœur Edith. Ce travestissement lui permet toutefois
d’atteindre la fortune : elle fréquente les milieux littéraires new-yorkais,
rencontre Mark Twain21, obtient des succès littéraires – elle publie une
douzaine de romans, dont A Japanese Nightingale, vendu à plus de 200 000
exemplaires – et atteint même la gloire populaire sur Broadway et à
Hollywood, où elle scénarise quelques films22. L’ironie du sort veut que ce
soit Winnifred qui rédige la notice nécrologique de sa sœur, parue dans le
New York Times en 1914 : elle transforme alors l’engagement d’Edith de
manière à couvrir sa propre mystification. Elle y écrit que Sui Sin Far était la
64
Une voix parallèle de la fin du XIXe siècle au Québec : Sui Sin Far
fille : d’« une noble Japonaise qui a été adoptée enfant par Sir Hugh
Matheson23 ». Hors de propos à son époque, dans son milieu, dans sa famille
et dans sa revendication d’une identité subtile, mais équivoque, Edith Eaton
n’a pas connu la coïncidence littéraire de sa sœur qui a su produire, en
masquant ce qu’elle était, une œuvre populaire dont on se souvient encore24,
quoiqu’on la considère aujourd’hui comme un travestissement. L’engagement de Sui Sin Far se joue plutôt sur l’idée de non-coïncidence, un
vecteur reconnu à la fin du XXe siècle et légitimé dans l’organisation sociale
et culturelle comme une valorisation de la différence. À un siècle de
distance, c’est aujourd’hui elle, et non Winnifred, qui occupe l’intérêt
littéraire.
Cette comparaison féconde entre les deux écrivaines, l’une définie
comme opportuniste, avec une œuvre populaire et prévisible, quoique
réussie et mettant en scène des couples mixtes composés d’une femme
asiatique et d’un homme américain, et l’autre, symbole d’authenticité et de
courage, qui n’a pu écrire que de courtes fictions, engagée à donner une voix
à des personnages faibles et honnis de la société nord-américaine, au talent
littéraire mitigé, oubliée de la critique pendant près d’un siècle, est l’un des
axes contemporains de la réception de l’œuvre de Sui Sin Far. Si cette
dernière a été ignorée par l’institution littéraire de sa mort au début des
années 1990, elle a été récupérée depuis par le discours féministe
américain, notamment par Elizabeth Ammons25, S.E. Solberg26, Annette
White-Parks et Amy Ling. Ces dernières ont réédité l’œuvre de Sui Sin Far
en 199527, alors qu’Annette White-Parks faisait paraître, après sa thèse de
doctorat28, une exhaustive biographie littéraire29. En 10 ans, on lui a ainsi
consacré aux États-Unis 21 mémoires et thèses, une vingtaine d’articles
scientifiques et chapitres de livres, et 2 volumes, dont une biographie et une
réédition de son unique recueil. Cependant, Edith Eaton est jusqu’à
aujourd’hui totalement absente du discours historique sur la vie littéraire au
Québec, bien qu’elle y ait vécu la plus grande partie de sa vie. Aucune
traduction vers le français, ni aucun article scientifique dans les revues
d’études québécoises ne vient rendre compte de sa place atypique dans la
vie littéraire ou culturelle, sinon une volonté affirmée par la communauté
chinoise de Montréal de lui élever un monument30 et de lui consacrer une
série annuelle de conférences31.
La critique universitaire relève le caractère ambivalent de l’auteure,
d’abord tiraillée par sa double identité, puis se portant à la défense de la part
chinoise d’elle-même. Elle se situe ainsi à la source d’un renouvellement de
l’image des Asiatiques et des Eurasiens dans la littérature, réussissant à leur
donner un visage humain, malgré la sinophobie exacerbée de la période,
illustrée par des pillages, la peur du « péril jaune » et des restrictions racistes
à l’immigration, tant aux États-Unis qu’au Canada32. Elle donne la
première une image de l’intérieur de Chinatown, s’intéressant d’abord aux
femmes et aux enfants auxquels elle donne la parole. Elle se rapproche ainsi
de nombreuses pionnières de l’écriture, tant québécoises qu’américaines,
65
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qui ont dû sacrifier toute vie de famille pour se consacrer à une difficile
carrière littéraire, souvent limitée à quelques œuvres isolées, à des genres
courts (la chronique, la nouvelle et le récit), souvent autobiographiques et
presque toujours restés dans la marginalité.
Edith Eaton publie en octobre 1888 sa première nouvelle33, intitulée « A
trip in a horse car34 ». Elle paraît dans The Dominion Illustrated, un
périodique dédié, comme on le mentionne dans son premier numéro de
juillet 1888, à « la construction d’une nation homogène, unie et
patriotique » mais qui « ignore toute discrimination de race ou de
religion35 ». Le magazine vient d’être fondé par l’écrivain John Talon
Lesperance, auteur d’un récit sur la tentative d’invasion américaine du
Canada de 1775-177636 qui occupe une place importante dans la littérature
canadienne-française, par sa traduction intitulée Les Bastonnais37.
Lesperance agit à Montréal envers Eaton comme l’un de ses premiers
mentors et publie ses huit textes de jeunesse.
Si elle ne peut souscrire que partiellement aux objectifs politiques du
périodique dans lequel elle paraît, notamment par sa défense de la diversité,
la nouvelle Un voyage en charrette (A Trip in A Horse Car) relève les
tensions qui alimentent et gouvernent la place de Sui Sin Far dans la vie
sociale et culturelle de son époque et les préoccupations littéraires qui
l’inscriront dans un champ de non-coïncidence. Bien qu’elle publie ce
premier récit en empruntant une voix canadienne-anglaise qui ne révèle pas
ses origines asiatiques, cette dernière développe un registre parallèle inédit
qui se reproduira dans ses écrits subséquents : d’une part, elle ne néglige pas
d’engendrer sa narration dans la faiblesse d’un personnage qui observe le
monde autour de lui de manière semble-t-il passive, tout en accordant une
attention intéressée à des éléments habituellement absents du discours
littéraire; d’autre part, le texte, en empruntant une forme peu novatrice, à
mi-chemin entre le récit et la chronique – deux des rares formes que peuvent
se permettre les écrivaines de l’époque, qui ne disposent pas de la liberté de
leur spectre formel –, développe un modèle qui sera repris dans les textes
publiés dans Mrs. Spring Fragrance, soit une trame narrative classique
percée de rapides saillies porteuses d’une charge politique qui dérange le
sens général du récit, sans toutefois le renverser. Donc, d’une part la
présence d’une voix inattendue qui porte une attention à des éléments
socialement voulus comme invisibles, d’autre part une narration pouvant
sembler anodine, mais renfermant de petites mitrailles tactiques qui
déstabilisent les niveaux de sens.
Le récit porte sur l’observation des passagers d’une carriole, qui va du
Mile-End à la Côte-Saint-Antoine, à Montréal. L’attention de la narratrice,
qui dit préférer par humilité ce transport à d’autres modes plus confortables,
se pose sur la diversité de ceux qui peuplent la ville : « Vous rencontrez
toutes sortes de gens dans ces chars, écrit-elle, des bourgeois et des ouvriers,
des riches et des pauvres, dans un échantillon exact de la ville38 ». Cette
relation de la diversité, qu’on retrouvera par exemple une quarantaine
66
Une voix parallèle de la fin du XIXe siècle au Québec : Sui Sin Far
d’années plus tard dans les nouvelles de Marie Le Franc, notamment dans
son recueil Visages de Montréal39, contraste avec les objectifs du magazine,
mais surtout avec le nationalisme qui se développe à l’époque, du côté tant
canadien-français que canadien-anglais. Dans quelques passages, ce
discours divergeant se double d’une défense de la marginalité, qui est bien
sûr celle de l’auteure, sans que le lecteur en soit ici informé : « Si quelqu’un
est le moindrement différent des autres habitants de cette terre, écrit-elle, il
ou elle est certain d’être qualifié de fou, ou de quelque chose de
semblable.40 » Dans ce passage, la volonté de marquer la différence
sexuelle en insistant sur le « il ou elle » relaie celle de donner une voix aux
femmes, notamment aux démunies et aux enfants, souvent au détriment de
la position des personnages masculins. La narratrice tente par exemple de
comprendre la soumission de deux ouvrières canadiennes-françaises, dont
elle déplore la pauvreté malgré leur acharnement au travail, puis observe la
bonté d’une mère et de sa fille, qu’elle perd de vue alors que « la silhouette
d’un jeune homme s’interpose entre elles », ce qui la rend furieuse. Cette
disposition envers les misérables se veut une véritable compassion : « nous
savons que ceux qui souffrent le plus sont ceux qui ne le démontrent pas41 ».
Son texte n’exclut pas une certaine ironie envers les forts, un constat
d’impuissance à l’égard des désespérés et la recherche d’une justice contre
les hypocrites. Dans de brefs commentaires, elle dépasse ainsi la simple
pitié pour le monde et pose un jugement sévère sur ceux qui l’entourent.
Elle déplore ainsi la présence « d’un jeune homme qui montre quelle bonne
opinion il a de lui-même42 », mais observe avec attendrissement une
indigente qui s’écrase pour se faire oublier. Elle écrit : « Qui est-elle qui
disparaît ainsi dans un coin comme si elle voulait disparaître du monde43? »
et elle ajoute, avec une lucidité cruelle : « Seul Dieu sait ce qui en est de sa
vie. Le plus vite elle se terminera, le mieux ce sera.44 » Sa mordante
observation corrode particulièrement la bigoterie, illustrée dans ce texte
initial par deux vieilles dames dont la description, si elle débute de manière
favorable, s’achève dans un puissant revers : « Ce sont de riches dames,
pratiquantes et charitables; je crains pourtant qu’elles n’occuperont pas
dans l’autre monde la position qu’elles occupent dans celui-ci.45 »
La publication à Chicago en 1912 du recueil Mrs. Spring Fragrance
marque l’un des rares moments d’achèvement de l’auteure et l’un des
uniques passages vers une certaine normalisation littéraire. Sans ce curieux
livre, imprimé sur un papier précieux avec des illustrations chinoises en
filigrane46 et qui reprend avec une certaine cohérence une sélection des
récits et des nouvelles qu’elle a disséminés dans les journaux et magazines
québécois et américains, il est bien peu probable qu’elle ait été redécouverte
des décennies plus tard et que sa contribution paradoxale ait pu jamais être
enregistrée dans la mémoire littéraire. Edith Eaton avait conscience de son
caractère dissemblable et de la nécessité du devoir de s’inventer une place
dans une structure culturelle fortement réactive à ses choix identitaires :
parce que physiologiquement elle n’appartient à aucune minorité visible et
qu’elle aurait pu soit poursuivre une carrière journalistique et littéraire sous
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son nom de naissance en masquant qu’elle était Eurasienne, soit se jouer de
son identité et afficher comme sa sœur un faux exotisme japonais, elle
marque une rupture fondamentale dans le discours sur la nationalité, la race
et l’identité. En choisissant d’assumer non seulement la part asiatique
d’elle-même, mais surtout l’ambivalence de son statut « d’entre-deux »,
elle pose l’identité comme un choix, plutôt qu’une donnée de naissance ou
de sang. Par ce fait, elle déconstruit l’idée de base du racisme et du
« nativisme » qui excluent à la fois la possibilité de triompher de sa
naissance et le fait qu’il existe une part de convention dans la détermination
de soi-même.
Le moment charnière de la carrière littéraire de Sui Sin Far47 correspond
à la publication, le 21 janvier 1909 dans le magazine The Independent, d’un
texte primordial intitulé « Extraits du journal d’une Eurasienne48 »
(« Leaves from the Mental Portfolio of an Eurasian »), qui la conduit,
au-delà de la prise en charge de la part asiatique d’elle-même, à exposer les
étapes biographiques et intellectuelles qui l’ont menée à une proposition
ethnique, culturelle et littéraire la distinguant de sa famille, de son milieu et
de son époque. De notre point de vue, ce texte est sans aucun doute celui qui
la rapproche le plus du mouvement des « écritures migrantes » de la fin du
XXe siècle49 et qui confirme l’intérêt envers son œuvre50, non seulement
dans la défense d’une identité à l’opposé des définitions déterministes ou
monoculturelles, mais surtout dans la considération d’une problématique
complexe, propre aux parcours des écrivains issus de l’immigration51 et aux
identités collectives travaillées par ses déplacements.
Le texte d’une douzaine de feuillets retrace la biographie de l’écrivaine,
de son enfance dans les jardins anglais aux motivations qui guident son
engagement littéraire. Cependant, à cet itinéraire se superpose un circuit
intellectuel d’une autre importance, de la prise de conscience de la
différence aux considérations formelles qui en découlent. L’indignation
provoquée alors qu’enfant, elle entend sa nourrice parler contre sa mère
chinoise la conduit à se durcir devant ses propres alliées et à préférer par
fierté, pour un temps, le mensonge à la solidarité; cependant, la honte de sa
différence physique, exposée dans une soirée d’enfants, l’amène plutôt à se
terrer dans l’incompréhension. Cet intérêt péjoratif, qu’elle ne comprend
pas, irrigue cependant sa curiosité pour le monde chinois : « À part ma mère,
écrit-elle, qui est plutôt anglaise par son éducation et ses manières, je n’ai
jamais vu de Chinois.52 » Elle saisit un jour ce monde en découvrant une
échoppe chinoise à New York : elle vit cette rencontre comme un choc et
n’arrive pas à se reconnaître en eux. Toutefois, ce premier contact lui
permet de constater son double statut défensif, exacerbé par les enfants du
voisinage qui la tiraillent : en plein combat aux côtés de son frère, elle sent la
force que lui donne sa mixité. « Ils tirent mes cheveux, ils déchirent mes
vêtements, ils écorchent mon visage, mais mon frère se défend et je sens le
sang blanc dans nos veines qui lutte puissamment pour la part chinoise de
nous-mêmes.53 »
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Une voix parallèle de la fin du XIXe siècle au Québec : Sui Sin Far
À ces courts passages de solidarité font suite de longs moments de
solitude; d’abord par la comparaison familiale avec sa sœur Winnifred,
contre qui elle ne peut opposer qu’une constitution physiologique faible :
« Je sais, écrit-elle, que le fait eurasien pèse trop lourd sur mes épaules
d’enfant; je cache ma faiblesse devant ma famille, jusqu’à ce que je ne
puisse plus résister.54 » Ensuite, vient la solitude d’être différente de ses
deux parents qui, s’ils se sont épousés, n’ont par contre pas eu à vivre la
dualité culturelle qui la déchire. Ce sentiment d’esseulement ne s’apaise
que des années plus tard, alors qu’en mission journalistique, elle rencontre
des enfants nés d’un couple mixte et qu’elle retrouve en eux les
interrogations qui l’avaient troublée.
La prise en charge de sa nature double, entre l’Asie et l’Occident, la place
au milieu des tirs, victime d’un côté du racisme des Nord-Américains
envers les Chinois, mais aussi de ces derniers envers ceux qui sont, comme
elle l’écrit, « les demi-Blancs55 ». Elle raconte que le choix de revendiquer
entièrement les influences qui l’ont façonnée l’ont obligée à affronter les
préjugés qu’elle aurait pu tout aussi bien endosser. Elle choisit plutôt
d’affirmer sa différence. Ainsi, au cours d’un dîner auquel elle est invitée,
elle est témoin d’une discussion sinophobe, alors que ses hôtes ignorent son
appartenance ethnique. Elle décide à ce moment de rompre le silence, au
risque d’être rejetée :
Je concentre mes forces et je lève les yeux de table. « Monsieur K.,
dis-je alors à mon patron, les Chinois n’ont peut-être pas d’âme,
aucune expression sur leur visage et ils demeurent bien loin de
toute civilisation, mais qu’importe qu’ils le soient, j’aimerais que
vous sachiez que moi, je suis une Chinoise. »56
Cette première étape, liée à l’affirmation de la différence, ouvre pour
Sui Sin Far de nouvelles solidarités, qui lui permettent ne pas s’enfermer
dans une exclusive ethnicité. En Jamaïque, elle se sent ainsi liée au destin
des Noirs, également victimes de racisme : les Blancs ne savent pas,
écrit-elle, « que je fais aussi partie du “peuple noir” de la terre57 ». En fait, ce
n’est pas la revendication de son appartenance qui fonde l’essentiel de son
originalité, mais la conscience que cette dernière est une construction
volontaire : d’une part, elle admet que certains Chinois refusent de
reconnaître en elle l’une des leurs, malgré son engagement en leur faveur;
d’autre part, elle dénote que l’identité est un concept mouvant qui se
développe par le savoir58. Elle termine ce texte décisif par une réflexion sur
les apports individuels et collectifs de l’identité, définissant cette quête
comme une aventure individuelle, certes difficile, mais qui doit s’appuyer
sur l’existence de cultures collectives. Ce passage marque à la fois la
volonté de coïncidence de Sui Sin Far avec elle-même et les cultures qui
l’ont construite et la non-coïncidence de ses propos avec son époque :
Après tout, écrit-elle, je n’ai aucune nationalité et je n’ai aucune
envie d’en réclamer aucune. L’individualité doit primer sur la
nationalité. « Tu es toi et je suis moi », dit Confucius. Pour ma part,
69
International Journal of Canadian Studies
Revue internationale d’études canadiennes
je tends ma main droite aux Occidentaux et ma main gauche aux
Orientaux et j’espère qu’ils ne détruiront pas ce lien insignifiant
qui les unit. Et c’est tout.
Cette conclusion touchante, qui lie admirablement son engagement et sa
fragilité, paraît davantage contemporaine à notre époque qu’elle ne pourrait
l’être au tournant du siècle. Cette inadéquation de Sui Sin Far confirme par
ailleurs l’intérêt que l’on peut porter à cette écrivaine, qui pose pour
l’histoire littéraire le défi de la reconnaissance des cas marginaux; elle n’a,
on le saisit bien, jamais connu les fondateurs de l’École littéraire de
Montréal et son œuvre ne s’inscrit pas dans la même filiation. Mais pour ces
raisons, et pour ces différences, elle éclaire cette période d’une manière
nouvelle, et son parcours prescrit une réflexion sur les concepts qui
président à notre conception de l’identité et de l’histoire littéraire. Elle
ouvre aussi un champ de recherche fascinant pour l’analyse de ce qui
détermine les frontières des corpus littéraires; son silence dans
l’historiographie prend ainsi valeur de signe qui interpelle un renouvellement méthodologique.
Notes
1.
2.
3.
4.
5.
6.
70
Je remercie Cynthia Fortin pour son précieux travail d’assistanat de recherche
pour ce projet, ainsi que Dominic Marcil; une version préliminaire de cette
conférence a été présentée au Congrès de l’Association francophone pour le
savoir (ACFAS), à l’Université Laval (Québec), en mai 2002.
Jean Charbonneau, L’École littéraire de Montréal, Montréal, Éditions Albert
Lévesque, 1935, p. 51.
Ibidem.
Il existait déjà quelques immigrants chinois à Montréal pendant cette période,
mais ils étaient très peu nombreux. Dans un curieux texte sur la communauté
chinoise de Montréal, qui révèle l’existence d’une esclave dans la ville, Edith
Eaton les évalue à 300 hommes… et 3 femmes seulement. « There are quite a
number of Chinese in Montreal. Mr. Chan Tung, who lives in the hotel on
Lagauchetiere street, says there are three hundred.[…] Mrs. Wing Sing, Mrs. Sam
Kee, and the little girl are the only Chinese females in Montreal. » « Girl Slave in
Montreal », Montreal Daily Witness, 4 mai 1894, repris in Amy Ling et Annette
White-Parks [éd.], Mrs. Spring Fragrance and Other Writings, by Suin Sin Far,
Urbana et Chicago, University of Illinois Press, coll. « The Asian American
Experience », 1995, p. 181-183.
Le Québec compte peu d’écrivains d’origine asiatique; seuls les plus
contemporains ont écrit en français : la plus connue est la romancière Ying Chen
(Shanghaï, 1961-). Il y a aussi le poète et essayiste Yong Chung (Japon, 1960-),
son frère, le nouvelliste Ook Chung (Japon, 1963-), la romancière et journaliste
Bach Mai (Ho Chi Minh Ville, 1953-), la romancière Aki Shimazaki (Japon,
1955-), l’écrivain pour la jeunesse, peintre et illustrateur, qui écrit en anglais et en
mandarin, Song Nan Zhang (Shanghaï, 1942-), et le linguiste et enseignant Louis
Armantier (Vinch, 1938-), toutefois né de parents d’origine française.
Robert Berrouët-Oriol, « L’effet d’exil », Vice versa, n° 17, décembre 1986janvier 1987, p. 20.
Une voix parallèle de la fin du XIXe siècle au Québec : Sui Sin Far
7.
8.
9.
10.
11.
12.
13.
14.
15.
16.
17.
Mentionnons notamment, parmi les plus importantes : Gens du silence (1982) de
Marco Micone, La Québécoite (1983) de Régine Robin, Les lettres chinoises
(1993) de Ying Chen, Littoral (1999) de Wajdi Mouawad et Mille Eaux (1999)
d’Émile Ollivier.
Maurice Lemire et Denis Saint-Jacques, La vie littéraire au Québec (tome I,
1991).
Notons Simon Harel, Le voleur de parcours. Identité et cosmopolitisme dans la
littérature québécoise contemporaine (1989); Sherry Simon et al., Fictions de
l’identitaire au Québec (1991); Pierre Nepveu, L’écologie du réel. Mort et
naissance de la littérature québécoise contemporaine (1988); Clément Moisan et
Renate Hildebrand, Ces étrangers du dedans. Une histoire de l’écriture migrante
au Québec, 1937-1997 (2001); et Daniel Chartier, Dictionnaire des écrivains
émigrés au Québec, 1800-1999 (2003).
On peut définir ce concept, dans le cas du Québec, comme « toute activité ou
problématique liée à la littérature qui se déroule au Québec ou qui a une incidence
sur la littérature telle qu’on la conçoit au Québec. » (Daniel Chartier,
« Introduction », Dictionnaire des écrivains émigrés au Québec, 1800-1999,
Québec, Nota bene, 2003, p. 7).
« The first use of her pseudonym, initially spelled Sui Seen Far, appeared around
1896 in her stories published in Fly Leaf and the Lotus, edited by her
brother-in-law Walter Blackburn Harte. » Amy Ling, « Pioneers and Paradigms:
The Eaton Sisters », Between Worlds. Women Writers of Chinese Ancestry, New
York, Pergamme Press, 1990, p. 28.
Denise Helly mentionne que le racisme anti-asiatique à Montréal suit la migration
d’Ouest en Est des travailleurs cantonnais arrivés pour la construction du
transcontinental. L’idée de sinophobie gagne donc le Québec avant même
l’arrivée des Chinois, qui restent peu nombreux avant le début du XXe siècle.
Voir « Le racisme anti-asiatique à Montréal », Helly, Denise, Les Chinois à
Montréal, 1877-1951, Québec, Institut québécois de recherche sur la culture,
1987, p. 137-152.
Traduction de « the intention of publishing a book and planting a few Eurasian
thoughts in Western literature », « Sui Sin Far, the Half Chinese Writer Tells of
Her Career », Ling, Amy et White-Parks, Annette [éd.], Mrs. Spring Fragrance
and Other Writings, Urbana et Chicago, University of Illinois Press, coll. « The
Asian Americain Experience », 1995, p. 288.
Traduction de « The American woman writes books about the Chinese. Why not
a Chinese woman write books about the Americans? », « The Inferior Woman »,
Ling, Amy et White-Parks, Annette [éd.], Mrs. Spring Fragrance and Other
Writings, p. 39.
Traduction de « I come near to “mysteriously disappearing” many time. »,
« Leaves from the Mental Portfolio of an Eurasian », Ling, Amy et White-Parks,
Annette [éd.], Mrs. Spring Fragrance and Other Writings, p. 222.
Traduction de « I do not confide in my father and mother. They would not
understand. How could they? He is English, she is Chinese. I am different to both
of them—a stranger, tho [sic] their own child. “What are we?” I ask my brother.
“It does not matter, sissy,” he responds. But it does. » « Leaves from the Mental
Portfolio of an Eurasian », The Independent, vol. 66, 21 janvier 1909, p. 128.
Traduction de « She had no literary models, no published female forebears like
herself to guide and empower her, and she wrote at a time of intensified, virulent
anti-Chinese sentiment in the United States. That Sui Sin Far invented
herself—created her own voice—out of such deep silencing and systematic racist
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repression was one of the best triumphs of American literature at the turn of the
century. » Ammons, Elizabeth, « Audacious Words: Sui Sin Far’s Mrs. Spring
Fragrance », Conflicting Stories: American Women Writers at the Turn into the
Twentieth Century, New York, Oxford Universtity Press, 1991, p. 105.
La critique d’aujourd’hui est sans équivoque en comparant les deux écrivaines.
James Doyle écrit : « There seems little doubt now, however, that Winnifred was
the less capable writer of the two sisters. Although she was a fluent stylist while
Edith’s writting is often stiled and laborious, most of the novels of Onoto
Watanna are too obviously dependent on predictable formulas of sentimental
fiction, while the stories of Sui Sin Far, whatever their artistic limitations, are
sincere efforts to explore important problems of ethnic and gender conflict. »
« Sui Sin Far and Onoto Watanna: Two Early Chinese-Canadian Authors »,
Canadian Literature / Littérature canadienne, numéro 140, Printemps 1994,
p. 57.
Traduction de « My parents compare her with me. […] My father tells me that I
will never make half the woman that my mother is or that my sister will be. »
« Leaves from the Mental Portfolio of an Eurasian », p. 127.
Ce pseudonyme n’est que la pointe de l’iceberg de la mascarade. Comme le relate
Amy Ling, « Inventing a Japanese-sounding name, Onoto Watanna, she also
created an appropriate history, claiming Nagasaki as her birthplace and a
Japanese noblewoman for her mother. For the frontispiece of her third novel, The
Wooing of Wistaria (1902), Winnifred had herself photographed in a kimono
with hair piled high in Japanese fashion, standing before a screen painted with
wisteria and iris. Decorating the title page, identified as a “Fac-simile of the
author’s autograph in Japanese,” is a reasonable imitation of cursive Japanese
writing. » « Pioneers and Paradigms: The Eaton Sisters », Between Worlds:
Women Writers of Chinese Ancestry, New York, Pergamme Press, 1990, p. 25.
« In New-York city, she moved in a distinguished circle including such
luminaries as Edith Wharton, Anita Loos, Jean Webster, David Belasco, Mark
Twain and Lew Wallace. » Amy Ling, « Pioneers and Paradigms: The Eaton
Sisters », p. 29.
« A Japanese Nightingale would sell 200,000 copies, be made into a Broadway
play and silent film, and make her rich and famous. » Susan Schwarts, « Plucky
writer’s life was her best story », The Gazette, 3 décembre 2001, p. E-3. A
Japanese Nightingale, by Onoto Watanna, New York, London, Harper & Bros.,
1901, 225 p. Ce roman a été adapté sous forme de film muet en 1918 par George
Fitzmaurice. Voir : http://us.imdb.com/Title?0009237.
Traduction de « a Japanese noblewoman who had been adopted by Sir Hugh
Matheson as a child ». Cité dans Annette White-Park, Sui Sin Far / Edith Maude
Eaton. A Literary Biography, Urbana et Chicago, University of Illinois Press,
coll. « The Asian American Experience », 1995, p. 32. Selon S.E. Solberg, « Sui
Sin Far / Edith Eaton: First Chinese-American Fictionist », Melus, 8, printemps
1981, p. 29 : « The irony is that obituary manages to skirt any meaningful
summary of Edith’s life in favor of legitimizing family history for Winnifred.
[...] ».
A Japanese Nightingale vient d’être réédité avec Madame Buttlefly de John
Luther Long dans une série de « textes orientalistes » : New Brunswick (New
Jersey), Rutgers University Press, 2002.
Notamment dans son l’introduction à Tricksterism in the Turn-of-the-Century
American Literature, qu’elle signe conjointement avec Annette White-Parks
(Hanover et Londres, University Press of New England, 1994, p. 1-20) et
Une voix parallèle de la fin du XIXe siècle au Québec : Sui Sin Far
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« Audacious Words: Sui Sin Far’s Mrs. Spring Fragrance », Conflicting Stories.
American Women Writers at the Turn into the Twentieth Century, New York,
Oxford University Press, 1991, p. 105-120.
Elle consacre deux articles à Sui Sin Far, l’un dans Melus, 8, printemps 1981, p.
27-39 et l’autre dans Mayumi Tsutakawa et Alan Chong Lau [éd.], Turning
Shadows into Light, Seattle, Young Pine Press, 1982, p. 85-87.
Mrs. Spring Fragrance and Other Writings, Urbana et Chicago, University of
Illinois Press, coll. « The Asian American Experience », 1995, 296 p.
« Sui Sin Far: Writer of the Chinese-Anglo Borders of North America, 18851914 », thèse de doctorat, Washington State University, 1991, 387 f.
Sui Sin Far / Edith Maude Eaton. A Literary Biography, Urbana et Chicago,
University of Illinois Press, coll. « The Asian American Experience », 1995,
268 p.
« […] in 1992, the Chinese Neighbourhood Society petitioned to have the Place
d’Armes métro station renamed Sui Sin Far », Curran, Peggy, « A voice rarely
heard, Montrealer chronicled Chinese community », The Gazette, 7 mai 1998,
p. A-3.
Voir Gyulai, Linda, « Mergers threaten diversity? Toronto record cited », The
Gazette, 29 mai 2000, p. A-3.
« En juillet 1885, la voie transcontinentale étant presque terminée, [le Parlement
d’Ottawa] impose une taxe d’entrée de 50 $ à tout homme d’origine chinoise
entrant au Canada. […] [En] 1903, il fixe le montant de la taxe à 500 $. » Notons à
titre de comparaison qu’un représentant chinois témoignait devant une
Commission d’enquête, en 1884, que le solde moyen obtenu par un ouvrier
chinois après une année de travail au Canada était d’environ 43 $. Helly, Denise,
Les Chinois à Montréal, 1877-1951, p. 41 et 46.
Les traces des écrits de Sui Sin Far ne sont pas facilement repérables; sa
biographe, Annette White-Park, écrit en 1991 que sa première publication date de
1890 (« The wisdom of the new », Legacy: A Journal of Nineteenth-Century
Women’s Literature, 6, printemps 1991, p. 34), mais en découvrant de nouvelles
archives elle constate en 1995 que « the first of Sui Sin Far’s recovered writings
date from 1888 and were published in the Montreal’s new monthly dedicated to
the promotion of Canada, The Dominion Illustrated. » (Sui Sin Far / Edith Maude
Eaton. A Literary Biography, Urbana et Chicago, University of Illinois Press,
coll. « The Asian American Experience. », 1995, p. 63).
The Dominion Illustrated, vol. 1, 13 octobre 1888, p. 235.
Traduction de « We are for building up a homogeneous, united, patriotic nation,
and for ignoring all prejudice of race and sect. » The Dominion Illustrated, 7
juillet 1888, p. 1.
The Bastonnais. Tale of the American Invasion of Canada in 1775-76, Toronto,
Belford, 1877, 359 p.
La traduction est d’abord publiée en 1876 dans La République (de Boston), repris
dans la Revue canadienne en 1893-1894, puis publié en volume par Beauchemin
en 1896.
Traduction de « You meet all kinds of people in these cars, high and low, rich and
poor, the quality and a quantity of the city. » The Dominion Illustrated, vol. 1, 13
octobre 1888, p. 235.
Montréal, Éditions du Zodiaque, coll. « du Zodiaque », 1934, 236 p.
Traduction de « If a person happens to be a little different from the generality of
this world’s inhabitants, he or she is sure to be called a crank, or something very
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like that expressive word. » The Dominion Illustrated, vol. 1, 13 octobre 1888,
p. 235.
Traduction de « for we know that they who sorrow the most give no sign ».
Ibidem, p. 235.
Traduction de « the young man shows plainly that he appreciates himself ».
Ibidem, p. 235.
Traduction de « Who is this that shrinks into a corner, as if she would willingly
shrink out of the world? » Ibidem, p. 235.
Traduction de « God alone knows what her life is. The sooner ‘tis ended the
better. » Ibidem, p. 235.
Traduction de « They are rich ladies, good church members, charitable in many
ways; but I am afraid they will not have the same position in the next world that
they have in this. » Ibidem, p. 235.
« In 1912, A.C. McClurg and Company of Chicago collected thirty-seven of these
stories in a volume entitled after the first story, Mrs. Spring Fragrance. In a florid
fashion, the vermillion cover is embossed in gold letter and decorated with lotus
flower, a dragonfly and the moon. The pages are gray-green, lightly imprimed
with a Chinese-style painting of a crested bird on a branch of bamboo, a flowering
branch of plum and the Chinese characters for Happiness, Prosperity, and
Longevity vertically descending along the right side. Eaton’s stories, some
appropriately charming and lively, others, however, striking, ironic, even bitter,
notes, are printed on these delicately decorated sheets. » Amy Ling, « Edith
Eaton: Pioneer Chinamerican Writer and Feminist », American Literary Realism
(1870-1910), 16, automne 1983, p. 291.
Annette White-Parks écrit de ce texte : « On 21 January 1909, with the
appearance of “Leaves from the Mental Portfolio of an Eurasian,” in The
Independent, her voice came bursting forth—publicly, nationally—signaling
unprecedented recognition and a cycle of writing and publishing energy for Sui
Sin Far that would continue. » Sui Sin Far / Edith Maude Eaton. A literary
Biography, p. 47.
Traduction de « Leaves from the Mental Portfolio of an Eurasian », paru dans The
Independent, vol. 66, 21 janvier 1909, p. 125-132.
Voir à ce sujet Daniel Chartier, « Les origines de l’écriture migrante.
L’immigration littéraire au Québec au cours des deux derniers siècles », Voix et
Images, vol. XXVII, n° 2 (80), hiver 2002, p. 303-316.
Et ce, malgré les faiblesses formelles constatées, qui ne devraient toutefois être
déterminantes que dans la mesure où l’on considère les conditions dans lesquelles
elle a dû travailler. S.E. Solveig constate que Sui Sin Far reproduit ainsi certains
stéréotypes qu’elle cherche vainement à dépasser, faute d’une plus sûre maîtrise
de son art : « I would argue that Edith Eaton as Sui Sin Far did manage to dip into
those deeper currents beneath the surface color, but no matter what she saw and
understood, there was no acceptable form to shape it to. Had she been physically
stronger and had a more sophisticated literary apprenticeship, she might have
been able to create that new form. [...] Fictionnal stereotypes for the Chinatown
tales had been established, and it was difficult for anyone, even a strongly
independent mind, to ignore them. No matter how frank and open Eaton might
have been in a memoir such as “Leaves from the mental portfolio an Eurasian,”
when she turned her hand to fiction the possible was limited by the acceptable. »
« Sui Sin Far / Edith Eaton: First Chinese-American Fictionist », Melus, 8,
printemps 1981, p. 33.
Une voix parallèle de la fin du XIXe siècle au Québec : Sui Sin Far
51. Voir à ce sujet Daniel Chartier, Dictionnaire des écrivains émigrés au Québec,
1800-1999, Québec, Nota bene éditeur, 2003.
52. Traduction de « With the exception of my mother, who is English bred with
English ways and manner of dress, I have never seen a Chinese person. » Sui Sin
Far, « Leaves from the Mental Portfolio of an Eurasian », p. 126.
53. Traduction de « They pull my hair, they tear my clothes, they scratch my face, and
all but lame my brother; but the white blood in our veins fights valiantly for the
Chinese half of us. » Ibidem, p. 126.
54. Traduction de « I know that the cross of the Eurasian bore too heavily unpon my
childish shoulders. I usually hide my weakness from the family until I cannot
stand. » Ibidem, p. 127.
55. Traduction de « the half white ». Ibidem, p. 129.
56. Traduction de « With a great effort I raise my eyes from my place. “Mr. K.” I say,
addressing my employer, “the Chinese people may have no souls, no expression
on their faces, be altogether beyond the pale of civilization, but whatever they are,
I want you to understand that I am–I am a Chinese.” » Ibidem, p. 129.
57. Traduction de « […] that I too am of the “brown people” of the earth. » Ibidem,
p. 130.
58. En revenant sur sa première rencontre avec des Chinois, elle écrit : « My Chinese
instincts develop. I am no longer the little girl who shrunk against my brother at
the first sight of a Chinaman. Many and many a time, when alone in a strange
place, has the appearance of even a humble laundryman given me a sense of
protection and made me feel quite at home. » Ibidem, p. 131.
75
Simon Harel et Mathieu-Alexandre Jacques
L’écrivain-témoin : déplacements, transferts
culturels et expérience de l’habitabilité dans les
romans d’exil d’Émile Ollivier 1
Résumé
L’œuvre d’Émile Ollivier s’inscrit dans un contexte particulier de l’histoire
littéraire au Québec. Écrivain phare du mouvement montréalais « Haïti
littéraire » et précurseur de ce que l’on nommera au début des années 1980
l’écriture migrante, Ollivier questionne, avec beaucoup d’acuité dans ses
textes, l’impact et les conséquences des déplacements, du déracinement et de
l’intégration (parfois difficile) du sujet migrant à des contextes socioculturels
en constante transformation. En réponse à la fragilisation identitaire
provoquée par l’exil, nous montrerons en quoi l’écriture d’Ollivier tisse, à
même le matériau de l’écriture, un espace de réconfort, une forme
accueillante et protectrice au sein de laquelle le sujet écrivant parvient à se
relocaliser tout en favorisant l’éclosion d’un discours parfois éclaté et
polyphonique, en prise directe sur l’enfance et le pays natal.
Abstract
The work of Émile Ollivier forms part of a particular context within the
literary history of Québec. A leading light of the Montréal literary movement
“Haïti Littéraire” and a forerunner of what would later come to be known, in
the early 1980s, as migrant literature, Ollivier examines, with a remarkable
degree of insight, both the impact and the consequences of the travels, the
uprooting and the (often difficult) integration of the migrating subject in
constantly changing social and cultural contexts. In response to the
“embrittlement of the identity” resulting from the exile, we will demonstrate
how Ollivier’s writing creates, out of the material of writing itself, a
comforting space, a welcoming and protective envelope within which the
writing subject manages to relocate himself, while fostering the emergence of
a discourse at times both enlightened and polyphonical, and which is directly
connected with the writer’s childhood and native land.
Bien que singulière et profondément personnelle, l’œuvre romanesque
d’Émile Ollivier n’en est pas moins emblématique d’une catégorie récente
(et particulière) d’œuvres littéraires au Québec. L’écriture de cet écrivain
haïtien exilé à Montréal pose effectivement la question du difficile rapport à
la migration et à la traversée des cultures dont ses romans sont autant de
témoignages poignants. Mais plus particulièrement encore, cette œuvre
nous oblige à prendre en considération le facteur natal, l’ombilic du rapport
à l’espace qui loge au cœur de toute véritable réflexion sur l’écriture
International Journal of Canadian Studies / Revue internationale d’études canadiennes
27, Spring / Printemps 2003
International Journal of Canadian Studies
Revue internationale d’études canadiennes
migrante. De façon assez étrange, cette question du natal est évacuée la
plupart du temps des théories sur les conditions de possibilité de la
migrance. On se plaît à parler, avec une certaine euphorie, de
l’inéluctabilité de la migrance, de son caractère éthique, de sa valeur
principielle. De façon naïve, on présente la migrance comme une nécessité
qui masque (avec une certaine prudence) ce qui nous qualifie comme sujet
dans notre relation au lieu. Négligé, ce dernier prendrait la forme d’un
retour à l’identique, d’un principe de répétition qui, curieusement,
rappellerait le caractère entropique de la pulsion de mort freudienne. Ainsi,
dans de nombreux discours (qui vont de Freud à Heidegger, en passant par
Michel de Certeau), il n’y a de lieu que pour la mort. Il n’y a, s’agissant du
lien intime à l’espace, qu’un principe de mort qui surdétermine notre
relation à l’univers paysager. Comme si, paradoxalement, le lieu ne prenait
véritablement sens qu’avec la désintégration du sujet et de sa corporéité.
Pouvons-nous avancer, ce serait certes une affirmation radicale, que
notre relation à la migration et au métissage est empreinte d’une pensée
défaitiste qui nous interdit de réfléchir à la composition métisse du lieu?
Pouvons-nous de plus, et ce sera là un des volets de notre interrogation,
prendre en compte la nécessité d’une pensée réaliste du lieu qui fasse
obstacle aux faux-fuyants d’une pensée cosmétique du métissage, pensée
qui nous interdit, par son caractère trop euphorique, de prendre en compte
ce qui nous lie à la mère dans un espace psychique complexe dont on ne peut
exclure la question de la sédentarité?
Il semble bien que la trop grande médiatisation des réflexions actuelles
sur l’écriture migrante au Québec (du cahier « livres » de La Presse au
courrier des lecteurs des différents périodiques et quotidiens) mène à
l’impasse, à la répétition, pire encore : à un atermoiement idéologique qui se
complaît à répéter la valeur de la différence, de la pluralité au détriment
d’une réflexion réelle – solide et nuancée – sur les fondements des lieux
habités de notre époque. Plusieurs motifs concourent à expliciter le
caractère répétitif de cette réflexion. Nous ne nous y attarderons pas, mais
force est d’admettre que cette réflexion vague et généralisée se traduit trop
souvent par un discours liturgique (dans le domaine des études culturelles),
moralisateur, notamment pour tout ce qui concerne notre relation à l’espace
interculturel (ou transculturel) dans la sphère sociale.
Face à ce constat, l’étude de l’œuvre d’Émile Ollivier nous permettra de
montrer comment l’écrivain immigré recrée dans la matérialité même de
l’écriture un rapport à un « chez soi », à un habitat qui s’oppose à cette
conception préjudiciable de l’écrivain sans assises et constamment
déraciné. Par l’injection d’images et par l’entremise d’un souffle énonciatif
résolument subjectif, Ollivier nous semble revaloriser le rapport tout à fait
personnel entre le sujet (ce piéton de l’histoire) et le territoire qui est, chez
lui, profondément incarné, si ce n’est, comme nous le verrons, en prise
directe avec l’Haïti natal. Cette intimité et cette concrétude du rapport au
78
L’écrivain-témoin : déplacements, transferts culturels et expérience de
l’habitabilité dans les romans d’exil d’Émile Ollivier
lieu parcourent en filigrane tout l’œuvre de l’écrivain comme s’il s’agissait
d’un passage obligé :
Je croyais dur comme fer, et Amédée le savait, que cette terre sous
nos pieds était ce qu’il y avait de plus solide. On est d’ici, pas
d’ailleurs, même prisonniers – comment disait-il déjà? – Claquemurés, dans cette baie de ronces et de baya rondes. J’étais
persuadée que le plus beau pays du monde était celui où les rues
sont pavoisées de sourires, où les maisons sont identifiées par des
prénoms de connaissances, où les arbres recèlent le nombril
d’êtres chers, où le vent prend la voix de l’être aimé, doux bruit de
la brindille cassée au tuyau de l’oreille.2
La narration chez cet écrivain migrant se double souvent d’une nécessité
descriptive où le paysage se voit énoncé (et transfiguré) par la
remémoration affective du rapport au lieu. Il y a chez Ollivier un
surinvestissement de la mémoire du lieu. Plus encore, il y a nécessité chez
lui de prolonger cette relation tactile au lieu dans l’espace potentiel3, dans
cette forme virtuelle, que représente le texte littéraire.
Selon nous, une anthropologie de l’activité littéraire (et de l’acte
d’écrire) montrerait en quoi les écritures migrantes ne revendiquent pas tant
le déplacement que l’assise formelle (et structurelle) qui coïncide, dans
bien des cas, avec la quête du lieu. Certes, cette idée nous prend à rebours.
Elle nous inquiète et nous émerveille tant la question du lieu semble avoir
été évacuée de nos discours contemporains; le lieu étant habituellement
considéré comme le fondement d’une quête ontologique dont la résonance
est depuis longtemps perçue comme désuète. On peut comprendre que les
théoriciens du déplacement et de la « migrance » (et de manière plus
générale les anthropologues de la culture) fassent maintenant preuve d’un
scepticisme renouvelé à l’égard de ces niches sphérologiques4 qui
tiendraient lieu de fondement matriciel. On peut comprendre aussi que,
dans le contexte actuel, la quête du lieu soit faussement perçue comme une
façon de renouer avec l’« unité de l’être », de (re)mettre en cause les
discours sur la diversité culturelle et la représentation de l’autre comme
sujet hybride. Nous croyons cependant que cette réflexion sur la relation
entre l’écrivain et l’espace topographique a le mérite de mettre en lumière
les fondements (et mécanismes) de la construction identitaire et
énonciative du sujet migrant.
Pour point de départ de cette réflexion : l’œuvre d’Émile Ollivier dont les
écrits sont autant de variations sur les enjeux et conséquences de
l’émigration. Né en 1940, Ollivier appartient à l’une des toutes premières
vagues d’immigrés haïtiens au Québec. Il s’y installe en 1965, après avoir
séjourné en France quelques années pour poursuivre des études de lettres et
de psychologie à la Sorbonne. Fuyant Haïti essentiellement pour des
raisons politiques – Duvalier s’étant autoproclamé président à vie en
instaurant un climat de dictature particulièrement sanguinaire –, c’est
d’abord pour enseigner à Amos en Abitibi qu’Ollivier rejoint le Québec. Il y
79
International Journal of Canadian Studies
Revue internationale d’études canadiennes
séjournera pendant plus de 35 ans occupant successivement les fonctions
d’enseignant à Amos (pendant deux ans) ainsi que celles de professeur à
l’Université de Montréal où il enseignera plus d’une vingtaine d’années en
menant de front son activité de littéraire5. L’œuvre d’Ollivier pose, au
centre de ses réflexions et de ses thématiques, la question complexe (et
parfois épineuse) de la situation haïtienne et des phénomènes migratoires
qui y sont souvent liés et dont les effets sont, pour l’écrivain, considérables
quant aux processus de définition et de questionnement identitaire :
J’ai forgé le mot migrance pour indiquer que la migration est à la
fois une douleur, une souffrance (la perte des racines, d’une
certaine « naturalité ») et un positionnement à distance, un lieu de
vigilance. Si je vois très bien les pertes que cette situation inflige :
perte du bain utérin, de la langue maternelle, du sol, tout cela
conduisant sinon à un éclatement, du moins à la fragilisation de
l’identité, dans le même temps, je considère la contrepartie : une
individualité polyphonique, un univers décloisonné qui est
foisonnement, bourgeonnement de vie et liberté.6
Libre, affranchie de toute censure et de toute répression, l’œuvre d’Ollivier
n’en est pas moins hantée par la présence résurgente du pays natal (que l’on
ne quitte jamais totalement7). Toute une partie du travail de l’écrivain
consistera alors à reconstituer cette « terre d’avant » par le travail conjugué
de l’écriture et de la mémoire.
Le mouvement de l’écriture : du trans au reflet de l’habitabilité
On a souvent l’impression que la pensée contemporaine nous amène à
remettre en question les formes de la fixité au profit d’une pensée du
passage. Si tel est le cas, l’œuvre d’Ollivier offre un contre-exemple
intéressant puisqu’elle fait référence (de manière réitérée) à la relation au
lieu. Plus encore, celui-ci se présente souvent, de manière archétypique,
comme le substitut ou le prolongement du rapport à la mère. À la manière
d’un spectre obsédant, cette figure parcourt tout l’œuvre d’Ollivier comme
en témoignent de façon retentissante ces quelques phrases de MèreSolitude :
Que dois-je faire pour liquider cette obsession de ma mère?
Dois-je me mettre à forcer des verrous, à entrer dans mon passé par
effraction, voleur de mon propre foyer? Dois-je me mettre à
fouiller des commodes, à visiter des armoires, à me pencher sur des
coffres profonds? Déplacer des photos, lire les pages de journal
intime, pages jaunies, durcies par le temps? Mais quand bien
même je mettrais la maison à sac, à la recherche des traces, rubans,
intimités, parfums de la défunte, quand bien même je scruterais
tout ce qui avait pu être en contact avec sa peau, capelines remisées
dans la penderie, nids tressés dans une paille de rêve où niche
l’odeur de sa chevelure qui contenait peut-être les oiseaux de sa
tête pleine d’oiseaux, arriverais-je à connaître la vérité, toute la
80
L’écrivain-témoin : déplacements, transferts culturels et expérience de
l’habitabilité dans les romans d’exil d’Émile Ollivier
vérité? Ma mère, Noémie Morelli, mon obsession maladive!
L’eau noire de mes songes est nourrie d’elle. L’écume de mes jours
goûte le sel des baisers qu’elle m’avait donnés.8
N’y a-t-il pas dans cette association de la mère et de la maison l’héritage
d’une pensée nostalgique que n’aurait pas désavouée Freud, ce dernier
faisant valoir dans Malaise dans la civilisation la pérennité du corps
maternel, son caractère violemment sexué pour tout sujet qui fait appel à la
mise en forme d’une territorialité imaginaire? La critique semble un peu
sévère. Mais si nous prenons le temps de saisir la complexité de l’écriture
d’Émile Ollivier, nous verrons néanmoins que la forme du lieu habité est
investie de ce pouvoir de mort qui appartient, dans l’économie psychique, à
la démesure du don maternel. Pouvoir de mort, ou encore infanticide :
autant de formes qui permettent au sujet de penser la désillusion de son
premier habitat psychique, de ce lien intime et familier que la psychanalyse
nomme la première relation d’objet.
Passages, La discorde aux cent voix, ou encore Mère-Solitude sont
autant de romans d’Émile Ollivier qui mettent en scène un discours
intérieur où s’affirme une parole résolument solitaire. On pourrait parler à
cet égard d’un soliloque tragique tant le narrateur essaie de rapporter, tout
en les rabattant sur lui-même, la multiplicité des voix narratives dont il a été
le témoin. À ce titre – et en parlant de sa situation de migrant condamné à
l’errance – Ollivier déclare que « nous sommes traversés par des multiplicités et des multiplicités nous traversent »9. En fait, chez lui, l’énonciation
naît d’une nécessité de prise de parole qui se double d’une volonté de se
faire entendre, quitte à s’inventer soi-même ses propres interlocuteurs :
[…] Mais il faut que je parle. Il le faut. Je sais, vous ne pouvez pas
comprendre. Je sais. Entre vous et moi, il y a des distances, des
fonds de cale, des années-lumière. Je sais. Entre vous et moi, de
lourds sédiments humains. Que faudrait-il faire pour les réduire à
néant?10
Ou encore dans ce passage où l’écrivain cristallise dans ses propres mots
l’histoire passée sous silence d’un peuple sans parole à qui on aurait fermé
la porte d’accès au symbolique :
Nous venons d’un pays qui n’en finit pas de se faire, de se défaire,
de se refaire. Coureurs de fond, nous avons franchi cinq siècles
d’histoire, opiniâtres et inaltérables galériens. Nous avons
subsisté, persévéré sur les flots du temps, dans cette barque putride
et imputrescible à la fois, dégradable et pérenne. Notre histoire est
celle d’une perpétuelle menace d’effacement, effacement d’un
paysage, effacement d’un peuplement : le génocide des Indiens
caraïbes, la grande transhumance, l’esclavage et, depuis la mort de
l’Empereur, une interminable histoire de brigandage. Notre
substance est tissée de défaites et de décompositions. Et pourtant,
nous franchissons la durée, nous traversons le temps, même si le
sol semble se dérober sous nos pas. Malgré vents et marées, malgré
81
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ce présent en feu, ce temps de tourments, cette éternité dans le purgatoire, nous continuons à survivre en nous livrant à d’impossibles
gymnastiques.11
À suivre ainsi les traces laissées par les Passages d’Ollivier, on voit bien à
quel point le sujet se trouve à vivre en différé, par le truchement de la
narration, faisant ainsi éclore cette parole publique (la sienne, celle de tout
un peuple) qui a comme qualité essentielle sa fugacité et son aspect
« oralisé ».
La psychosomatique des lieux12 se mesure à cette étrange synchronie
entre le temps de parole – qui est l’affirmation d’un témoignage – et le temps
de la ville et de son histoire. La parole du narrateur est un discours rapporté;
nous pourrions dire qu’il s’agit d’un discours retardé qui fait l’expérience
d’une non-synchronie entre l’affirmation vive de l’événement et sa
(re)transcription par un sujet qui peut en composer la mémoire personnelle.
Ce phénomène de subjectivation de l’événement de l’histoire (celle de son
lieu de naissance) gouverne l’écriture d’Ollivier jusque dans ses moindres
retranchements, comme dans ce passage où l’écrivain questionne
explicitement son rapport tout à fait particulier au lieu et aux problèmes
posés par sa retranscription :
Que puis-je dire de ce pays? Que puis-je dire de cette ville? Je suis
né et j’ai grandi dans cette ville vomie par la mer, coincée par la
montagne. Que sais-je de la montagne, sinon son dos de rat pelé,
galeux, sa face ravinée? Aujourd’hui, tel un mendiant assis à
l’ombre d’un palmier moribond, le long d’un chemin qui semble
ne devoir mener nulle part, la main tendue, j’implore les passants,
avec cette même rengaine de ma mémoire perdue : que me soit
faite la charité de mon passé, cela vous sera rendu plus tard! Perdu
dans les abysses de mes paysages intérieurs, je me suis assigné à
moi-même cette exploration muette de mon passé et celui de mon
pays. Je tends mes mains vides. Pour toute richesse, le silence. Un
silence peuplé de signes, signes que je triture inlassablement, avec
l’espoir, le sale et ferme petit espoir, de trouver le texte original que
je sais enfoui dans les mâchicoulis de ma mémoire.13
L’énonciateur, dans les divers romans d’Émile Ollivier, se voue à une
forme de narration diasporique. Le sujet, de retour dans son Haïti natal, fait
l’expérience d’une plongée mémorielle troublante qui le ramène à son
enfance et, de manière plus précise, au temps révolu de l’enfance utopique.
L’exactitude de ce retour au temps natal est le signe d’une désillusion
profonde. Nous pourrions parler à propos des divers romans d’Émile
Ollivier de la disposition, sinon de la mise en scène d’un facteur
traumatique lié au temps de l’enfance. Évidemment, s’agissant de l’espace
romanesque, il est oiseux de faire référence au trauma. Cette évocation peut
nous laisser entendre le placage d’une image, d’une représentation en
arrière-fond qui aurait valeur d’illustration traumatique. Or le trauma n’est
pas une image, ni une représentation. Il n’appartient pas à la surface
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L’écrivain-témoin : déplacements, transferts culturels et expérience de
l’habitabilité dans les romans d’exil d’Émile Ollivier
hypnotique du rêve. Il ne se caractérise pas par sa plasticité perceptive, mais
au contraire par sa résistance au symbolique, par la mise en jeu d’un
hors-temps qui est la cristallisation, à tout prendre insupportable, d’un
néant que le sujet se voit dans l’obligation de subir, à la manière d’une
déferlante qui s’impose brutalement à la mémoire. Qu’on lise les
descriptions des diverses maisons et villas dans les romans d’Émile Ollivier
et l’on sera à même de constater qu’elles sont la révélation d’un fondement,
d’une assise territoriale qui est le signe d’une persistance si ce n’est, à la
limite, le signe d’un acharnement à faire sens.
Leyda reconnaît la ville des Cayes. On n’oublie pas un lieu où l’on
a vécu, où l’on est revenu été après été, dans la même maison. Voici
la place d’Armes à l’entrecroisement des quatre rues principales et
les maisons à étage unique, disposées en carré autour d’elle. Les
galeries hautes, surmontées d’arcades communiquent entre elles
d’une intersection à l’autre, invitant à la flânerie, à l’amitié, au
partage. Pour y accéder, neuf marches en béton, véritables gardefous contre les raz-de-marée. La ville des Cayes semble s’incurver
pour recevoir les paquets de vagues toutes les fois que les caprices
du vent incitent la mer à franchir les limites de la baie. Les jours
torrentiels, la Ravine du Sud entre en fureur, roule des flots
tumultueux et rouges, gronde, menaçante, oublie sa route d’embouchure, emprunte avenues, rues et ruelles. L’ouragan passé, elle
réintégrera son lit de sable en abandonnant, dédaigneuse, ses
trophées : branches et troncs d’arbres, toiture de chaume et de tôle,
cadavres d’animaux et d’humains, tant et tant d’éléments qui, jour
après jour, pendant une bonne semaine, empuantissent l’air.14
L’écriture d’Émile Ollivier n’est pas si différente, à considérer cette mise en
situation du lieu, de l’œuvre de jeunesse d’un V.S. Naipaul. Qu’on pense à
Une maison pour Monsieur Biswas et l’on constatera, aussi bien pour Émile
Ollivier que pour V.S. Naipaul, cet enjeu fondamental que forme l’habitat
et la nécessité constamment renouvelée qui consiste à nommer et narrer
l’espace fréquenté, ce lieu d’intimité, dont le sujet se sent séparé.
Le lieu habité : naissance d’une notion
Parler de lieu habité pourrait laisser entendre l’existence d’une assise,
d’une fixité qui peut accueillir de façon durable le déploiement de l’identité.
Si l’on veut prendre au sérieux les notions de lieu habité et d’écriturerefuge, en somme si l’on désire quitter la sphère de l’identité entendue
comme accomplissement de soi, genèse, ressourcement, retour aux sources
et aux racines, il convient d’expliciter cette démarche. Les lieux habités ne
sont pas des formes matérielles qui existent indépendamment de
l’intervention d’un sujet dans l’histoire. Les lieux habités permettent de
figurer ce qu’est pour une collectivité la représentation du domaine
familier. Il nous semble, sur ces questions, plus efficace de faire référence à
ce qui constitue le sujet dans sa détermination topique, puis de cerner les
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modes de figuration (ou encore d’infiguration) de l’étrangeté, du trauma, du
déplacement. Cette scénographie permet de constituer un théâtre d’opérations, ou encore une « carte du tendre » : formes diverses qui induisent un
monde de l’action (ou encore un monde rêvé). La notion de lieu habité,
parce qu’elle circonscrit d’abord un espace topique qui coïncide avec la
figuration du monde familier, permet, par la suite, d’envisager la formation
d’une pensée-mère, d’une pensée habitacle, d’une « pensée monde » qui
fait l’objet d’une énonciation singulière. La pensée habitacle est
précisément cette forme subjective qui indique chaque fois la façon dont un
sujet se situe dans le monde, la manière dont il habite le monde, c’est-à-dire
la forme singulière de son aménagement du monde. Et cette posture
singulière a comme valeur notable de mettre en place une mécanique
énonciative qui est aussi, c’est là le plus important, un appareillage
prothétique à l’aide duquel le sujet recompose, dans la langue, cette relation
fondatrice à l’habitat et au « chez soi ». En faisant appel de manière aussi
significative à la relation au lieu, la littérature migrante montre bien que
l’espace n’est pas seulement une affaire de représentation visuelle (ou
picturale), mais qu’il a également un rôle de premier ordre au sein de la
représentation littéraire.
Le fondement physique du lieu est cet entourage, matrice ou encore
chôra15 qui fait du sujet un être lié par la trajectivité qui donne sens à son
parcours. L’être n’est pas une propriété. Il est une forme enveloppante,
flexible qui dresse et entoure le sujet, façon de dire que ce dernier est
entouré d’un revêtement de sens, véritable chôra qui lui donne matière à
penser. Dans cette perspective, le lieu n’est pas ce que l’on habite. Il n’est
pas une coordonnée identifiable physiquement, comme un point fixe et
défini sur une carte géographique qui nous indique la visibilité d’un espace
à parcourir. Le lieu nous habite. Il nous pénètre et nous confond. C’est dire
en quoi nous nous méprenons sur le sens de l’espace lorsque nous croyons
identifier un lieu à notre mesure et, plus encore, lorsque nous croyons cerner
et délimiter les balises de ce lieu. En fait, le lieu nous absorbe et nous
dépossède dans la démesure de sa forme chorésique. Voilà pourquoi tout
espace propre est une supercherie, un affront fait au monde invisible qui
correspond aussi à notre façon d’être au monde. Nous croyons habiter
l’espace, lui octroyer une densité, si ce n’est une qualité d’être qui se reflète
dans nos actions quotidiennes. Or c’est là une grossière erreur dans la
mesure où l’espace n’est pas notre extériorité instrumentale. L’espace
s’impose à notre corps défendant. Il n’est pas la pellicule de sens qui permet
d’affiner notre silhouette. Il n’est pas la forme caricaturale de notre
« êtreté ». L’espace, il faut entendre ici la démesure du lieu, est notre chair, la
chair du monde : notre matérialité pulsionnelle, tout autant que notre source
corporelle16.
Toute description de paysage (et elles sont nombreuses dans l’œuvre
d’Émile Ollivier) bute sur la présence insistante d’un passage à vide où le
sens s’effrite, s’étiole, comme s’il était sans cesse aspiré par un univers sans
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L’écrivain-témoin : déplacements, transferts culturels et expérience de
l’habitabilité dans les romans d’exil d’Émile Ollivier
pitié. Ce paysage, toujours dense et en constante régénérescence, devient
ainsi la matière brute, la pâte, le matériau de base avec lequel « le peintre de
la vie quotidienne », en l’occurrence le romancier exilé, doit négocier. Face
à la densité des lieux et à la quantité d’images qu’ils évoquent, le narrateur
des romans d’Ollivier est souvent saisi d’un vertige exalté qui s’exprime à
travers l’entrelacement constant des registres du narratif et du descriptif :
Je traverse d’un pas pressé la ville, règne de l’insensé. Paysage de
montagne et de mer, horizon de pin et de plaine. On n’aura jamais
fini de la décrire. Ville de la basilique unique, du grand gibet et de la
boue! Cette ville dégouline vers la mer comme un abcès. Ville de
l’incandescence comme feu d’épines en plein vent, paroxysme
jamais atteint de merveilles et de terreurs! Ils t’ont appelée
Trou-Bordet, mais tu es également Trou-aux-Vices, Trou-auxAssassins, Trou-aux-Crimes. Ville de sang et d’ordures! Ville aux
aguets! Ville de bitume et de trou! On n’aura jamais fini de te
décrire. Acacias et bougainvillées, arbres assoiffés et squelettiques noircis par la fumée des trains de canne à sucre. Ah! Cette
ville, on n’aura jamais fini de la décrire! Surtout ce côté-ci de la
ville : entassement de baraques et de bicoques, amalgame de bois,
de tôles et de joncs tressés, fouillis de gîtes anarchiquement élevés,
tant au fond des ravines que sur les pentes abruptes. Ici, ils ont pris
place au-dessus de la fétidité d’un égout, là, à cheval sur la croupe
d’un fossé. Ah! Ce côté-ci de la ville, avec ses venelles tortueuses,
malodorantes, où s’entassent des flopées d’êtres vivants et grouillants : familles de dix enfants, opulentes mamas, chiens fouineurs,
dévoreurs de pierres, chats de gouttière, petites vieilles chiffonnées, cocotiers drapés de noir, piaulement de morveux, dindons
mouillés, poules de Guinée, coqs de basse-cour, cochons, vaches,
chèvres et moutons, bêtes à bon Dieu en ce pays, dans la splendeur
d’un dimanche de novembre à son couchant, novembre poisseux
avec ses dents de gypse et la misère.17
L’enveloppe scripturaire : rempart et reflet d’une perte
archaïque
Comment lire dès lors, à travers ces tensions, l’œuvre de cet écrivain? Nous
pensons qu’il faut y voir la création d’une œuvre insulaire permettant de
sauvegarder l’image d’une relation à la mère qui n’appartient pas au monde
mortifère de l’abandon. Ainsi, dans l’abondance et le fouillis des souvenirs,
de ces images affectives qui réactivent le travail de mémoire, point toujours
quelque part, à travers le territoire, la figure de la mère, souvenir
indépassable et constamment ressassé, activant par sa présence spectrale,
non seulement le dialogue intérieur, mais l’activité créatrice elle-même :
Tout, ici, Ah! Quel bel exemple de dialogue muet avec une morte
qui réclame son dû. Mais, Noémie Morelli, te rends-tu compte? Tu
exiges l’échange de la vie même, au plus vivant d’entre nous deux.
Te rends-tu compte? Aucun doute maintenant ne peut subsister.
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Cette quête a débouché sur une métaphore de moi-même, me
donnant à voir ce que ta mémoire, paradoxalement et par on ne sait
quelle pirouette, me prophétise. Car, elle m’a amené à découvrir
l’histoire de ma famille et, par-delà, chose encore plus grave,
l’histoire de mon pays, ce rocher chauve, cette terre de montagne
avec sa pierraille, ses alluvions, sa mort à petit feu. Tout cela,
Noémie Morelli, transcende nos modestes personnes pour scander
le devenir de six millions d’hommes. Tout cela – ô miracle – se
présente finalement non pas comme une fiction, mais comme la
vibration même de la réalité.18
À travers ce lyrisme, Émile Ollivier nous révèle une chose simple : la perte
de l’amour qui nous lie à la mère provoque une blessure dont on ne se remet
pas facilement. On peut tenter de faire semblant, on peut prétendre que cette
absence est peu de chose, qu’il sera possible de la remplacer par un objet, un
simulacre. Mais de façon essentielle, on ne fait que substituer un lien nous
unissant à la mère. Toute tentative de créer un rempart territorial à cette
béance, à cette absence première, est une façon de lutter contre l’angoisse.
Évidemment, à dire les choses de cette manière, le propos pourra sembler
tranchant. Mais il faut se demander s’il n’y a pas nécessité de redonner sens
à cette configuration dépressive de la perte et à son actualisation par le
travail de deuil que propose la littérature et, a fortiori, l’acte d’écrire.
Sur cette question, encore une fois, il est nécessaire de s’engager au cœur
même des tensions soulevées par l’écriture d’Ollivier en lisant un passage
de Mère-Solitude qui trace, à coup d’images et de bribes mémorielles, les
pourtours de ce cadre organisateur :
D’où viennent ces images étranges qui hantent mes nuits et que
j’associe toujours au visage de ma mère? Quand je pense à ses
allées et venues, je vois défiler dans ma tête des dispositifs pour
voyeurs, des fouets, des chaînes, des préservatifs au quart remplis
de sperme frais, des phallus en caoutchouc, car rien ne manque au
décor que l’on devine ancien mais que l’on voit comme une
maquette exposée dans une foire touristique. Dans ma tête, je vois
une maison en surplomb comme dans une photo aérienne.19
Comme nous pouvons le constater, il est bien question ici du pouvoir de
procréation de l’imaginaire, pouvoir réservé à une maîtresse-femme (en
l’occurrence la mère) qui incarne tout à la fois la démesure de Trou-Bordet
et, plus encore, le pouvoir à la fois excrémentiel et matriciel du lieu.
Curieusement, cet espace est impropre : les représentations de TrouBordet20 (nom ironique conféré à Port-au-Prince) imposent de prendre en
considération la place de l’écrivain dans un monde troublé, figure
caractéristique de la migrance et de la manière dont l’énonciateur perçoit le
rapport l’unissant à son matériau : l’écriture. Ici, la mère fait office de
paysage mémoriel à partir duquel le sujet écrivain convoque à la fois
l’espace intime et le monde de l’exclusion et de la possession. Comme si
l’image de la mère et du territoire ne pouvait plus désormais se manifester,
86
L’écrivain-témoin : déplacements, transferts culturels et expérience de
l’habitabilité dans les romans d’exil d’Émile Ollivier
pour l’écrivain migrant, sans le sentiment d’une perte profonde et fondamentale.
La mère représente ce « tiers espace » ou encore cet espace transitionnel
au sens où l’entend Winnicott : elle incarne une forme affective et intense où
le sujet fait l’expérience des limites de son identité. Dans Mère-Solitude, le
dialogue avec une morte qui réclame son dû est, de manière paradoxale, une
relation vitale, un véritable chant d’amour. On peut entendre ce dialogue
intérieur comme un discours qui lie le sujet aux confins de la culture. En fait,
nul discours diasporique ne peut véritablement tenir face à l’intensité d’un
tel amour. Nul discours diasporique ne peut tenir face à la puissance de
l’union avec la mère qui, dans ce cas-ci, sert à la création d’une œuvreinsulaire. Parler d’œuvre-insulaire, c’est d’abord rattacher l’œuvre à ce qui
tient lieu de source et de référence au monde haïtien, mais c’est aussi
montrer, de façon légitime, que l’œuvre-insulaire fait appel à une pensée
habitacle dans laquelle se joue la dimension imaginaire et sexuelle de la
création : dynamique (ainsi que nous le rappelle Kristeva) qui nous permet
d’envisager le processus d’engendrement de la forme. De fait, dans l’œuvre
d’Émile Ollivier, on retrouve ce souci d’une contenance qui, concrètement,
permet d’accueillir le lyrisme, le rythme de la phrase, un point d’appui, en
somme, nécessaire à l’émergence d’une surface sensible (l’écriture)
capable de faire échec au paysage mémoriel du trauma.
L’œuvre-refuge
Cette lecture thématique des tensions à la fois inhérentes et sous-jacentes à
l’écriture d’Émile Ollivier nous permet de comprendre l’importance du
texte, son rôle vital, notamment pour ces écrivains migrants, victimes
(volontaires ou non) de la traversée des lieux et cultures, de ce que l’on
nomme désormais, de manière certes un peu pompeuse, la déterritorialisation. C’est que l’écriture est à sa manière une œuvre-refuge. La
maison protège, elle offre un abri : dans sa permanence, elle offre un toit qui
protège des intempéries et qui met en relation le sujet avec la cosmicité.
Mais ce faisant, la maison nous offre peut-être aussi un abri psychique, une
certaine forme de sécurité narcissique contre les transformations non
souhaitées du monde. Il est possible que nous ne fassions pas autre chose
que de projeter de manière parfois névrotique l’insuffisance plénière de
notre condition de sujet souffrant sur les formes de l’habitat. Et que ce
processus ait pour fonction d’agrandir démesurément notre relation au
monde de manière à nous protéger de la petitesse de la condition humaine et
de l’insécurité qui l’accompagne. À l’instar des fonctions primordiales de
la maison et du lieu habité, le texte permettrait au sujet d’avoir une certaine
emprise sur ce monde qui fuit; en somme l’écriture serait l’occasion d’une
restauration psychique, processus avec lequel les psychanalystes, mais
aussi les décorateurs, les experts en restauration sont familiers dans la
mesure où il suppose la correction, par l’application d’une surface
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étrangère, d’une œuvre originale qui a été altérée, pervertie, usée par le
temps.
La forme du lieu habité se nourrit, chez Émile Ollivier, d’une
interrogation qui fait référence à une psychosomatique de l’espace, à une
mise en jeu inconsciente des éléments topographiques (le pays natal, la
maison familiale, les villes et quartiers typiques d’Haïti, etc.). Enjeu
profond de cet art pratique qu’est la constitution subjective de notre
expérience corporelle, le lieu nous permet, comme le suggère François
Vigouroux dans L’âme des maisons, de parler de maison-mère dans la
mesure où ce terme renvoie à la figure du refuge21. Certes nous ne pouvons
attribuer au lieu la force d’un archétype. Encore que la réflexion de
Vigouroux, par sa clarté, nous amène à être prudents : la maison-mère est le
prototype de la première relation d’objet. La psychanalyse fait référence de
cette manière à la constitution de la relation à l’objet maternel. La maisonmère serait alors la forme réalisée de ce lien émotionnel. Et toute
perturbation dans la qualité de ce lien se manifesterait de manière nette par
la contestation de la primauté de l’acte d’habiter. Pour cette raison, le
refuge, ou encore l’abri, seraient des formes enveloppantes qui témoignent
du lien à la mère. Plus encore, elles seraient des formes narcissisées de la
qualité de ce lien. L’acte de devenir sujet, de se constituer pour soi et pour
autrui comme entité distincte, proviendrait de la qualité de cette relation
d’objet nouée dès la petite enfance et de la résilience émotionnelle dont elle
est garante.
Si la maison résiste aux intempéries, si elle permet la mise en valeur d’un
espace domestique, c’est qu’elle offre un univers où il est possible d’être
connu et reconnu. Fréquenter l’œuvre d’Émile Ollivier, c’est accepter que
la maison soit la qualification (ou l’expression) d’une intériorité qui
échappe au vertige de la perte identitaire. En fait, le sujet croit pouvoir se
réfugier au cœur de cet espace domestique. Mais en relisant l’œuvre
d’Ollivier, on se rend vite compte que le lieu n’est pas toujours l’indice
d’une familiarité rassurante. La maison est d’abord la mise en œuvre d’un
discours insulaire; en témoigne la tentative de clôturer l’espace, de le
représenter :
Leyda revisite le foyer de son enfance. Il a gardé le même aspect de
dignité vieillotte. Dans la grande pièce qui sert de vestibule, un
lustre à branches, agrémenté de feuillages, de fleurettes, de
pendeloques de verre se transformant en feu d’artifice de couleur
dès qu’allumé. Un grand escalier de bois conduit aux chambres.
Leyda connaît le grincement particulier de chacune des marches.
Les portes-fenêtres ouvrant sur le balcon, regardent sur la place et
offrent aux promeneurs la permission de reluquer à discrétion.22
Mais sous cette présence rassurante, il faut souligner la place de la perte
d’identité qui n’est pas simple artifice. Tout l’œuvre d’Émile Ollivier
raconte l’expérience d’une dépossession implacable. À leur manière, les
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L’écrivain-témoin : déplacements, transferts culturels et expérience de
l’habitabilité dans les romans d’exil d’Émile Ollivier
divers romans d’Ollivier entretiennent des correspondances étroites avec
La chute de la maison Usher. La maison est aussi un espace contraint,
porteur de secrets de famille : cryptes, ou encore bulles de sens traumatiques
qui accueillent les actions des personnages. La figure de l’envoûtement est
ici déterminante puisque la quête romanesque est dictée par les
refoulements premiers dont la généalogie est porteuse. Ici, le propos
d’Émile Ollivier n’est pas foncièrement original, mais il a néanmoins le
mérite d’indiquer en quoi les dispositifs écotopiques23 peuvent devenir des
lieux d’effroi.
Émile Ollivier ne cesse de nous rappeler le lieu vide de notre mémoire
vacillante. Il ne cesse de nous rappeler la maison vide des ancêtres : maison
vide qui nous fait redouter la mort et nous fait espérer le songe utopique
d’une véritable réconciliation interculturelle. Mais Émile Ollivier sait que
toute maison loge en soi le souhait du déshabiter. C’est lorsque nous
sommes au plus près de notre mémoire que nous quittons le lieu habité pour
espérer nous plonger dans le vide. Qu’il s’agisse de la maison Monsanto
dans Les urnes scellées, ou encore la maison Morelli dans Mère-Solitude, il
est souvent question chez Ollivier d’une maison vide qui fait référence à un
deuil impossible. La maison est déjà un lieu de mort. Elle entasse, enfouit
les souvenirs d’une généalogie mystérieuse comme l’illustre ce passage :
La race des Morelli, métèques de souche douteuse, a fait pendant
longtemps la loi dans ce pays. Ils ont, au long des années, au fil des
générations, vécu tantôt repliés sur eux-mêmes, tantôt ouverts au
monde extérieur… Quatre siècles d’histoire ont vu naître, grandir
et mourir les Morelli dans cette demeure restaurée sous les deux
Empires et réaménagée sous l’occupation américaine pour
répondre aux besoins et commodités de la vie contemporaine.
L’œil avisé, aujourd’hui, peut avoir du mal à démêler les
influences européennes des apports indigènes car architectes et
artistes, à travers les ans, n’ont pas hésité à superposer et à mêler
mosaïques, volutes et torsades…24
Plus loin, le narrateur nous fait comprendre que cette demeure est associée à
un interdit violent :
Il est vrai que cette maison nous a toujours paru comme un corps
étranger en notre sein, une enclave dans notre territoire. De grands
mystères l’ont toujours entourée; mystère de la vie quotidienne de
cette famille; mystère, leur mode de subsistance et de reproduction; mystère, leur mort et leur sépulture.25
De quoi est-il question dans ce passage de Mère-Solitude? Sylvain Morelli
a été assassiné sur une place publique de Trou-Bordet. S’ensuit une
narration chorale où les témoins de cette mort alternent prises de parole et
déclamations. La raison en est simple : cette maison possède un pouvoir
maléfique. Depuis toujours, et de manière plus insistante depuis
l’assassinat, la seule présence de cette maison semble avoir plongé la
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communauté de Trou-Bordet dans une vive inquiétude, proche de cette
perte d’identité dont nous avons parlé plus tôt. Tout laisse croire que la
maison reflète et ravive les mystères, secrets et tabous de la communauté.
La maison Morelli est à la fois localisée et étrangère. Elle frappe l’œil par
sa démesure baroque et demeure en même temps un espace secret. À vrai
dire, on ne sait trop qui sont les Morelli, pas plus qu’on ne connaît la raison
de leur installation à Trou-Bordet. L’argumentation de cette narration
chorale est nette : qui ira porter à son domicile le cadavre de Sylvain
Morelli? Ou, pour le formuler autrement : qui ira le reconduire à sa dernière
demeure? Et, si l’on garde à l’esprit le titre de ce roman, Mère-Solitude, rien
ne nous empêche d’y voir une réflexion sur la maison maternelle qui
accueille et protège, cette maison maternelle qui, en raison de son aspect
protecteur, s’avère aussi terrifiante.
Ces considérations sur la force (parfois énigmatique) et la forme
protectrice du lieu habité nous mènent au phénomène de restauration qui,
quel qu’en soit l’objet d’application, est toujours l’expression d’un souhait
utopique. Plus encore, la restauration, si l’on s’en tient au vocabulaire
psychanalytique, est d’abord l’expression d’un vœu qui consiste à mettre
un terme à l’écoulement du temps, à son caractère à la fois éphémère et
implacable. Si la maison est une fenêtre endopsychique ouverte sur le
monde, c’est qu’elle nous permet d’aménager les formes diverses de notre
finitude, d’agrandir notre résidence première : le corps humain. Plus
encore, le corps-psyché serait alors une forme vive de cette résidence sur la
terre qu’est la maison maternelle. Et le souci de restauration, de correction
aurait alors pour fonction de pallier les attaques destructrices contre cette
maison-mère. François Vigouroux décrit de façon heureuse ce phénomène
particulier :
Ce serait donc pour se protéger de la peur, pour se séparer du
magma des origines, que l’homme s’invente des techniques et se
construit des maisons. Il s’y abrite sans doute. Mais elles lui
servent aussi à fixer les limites symboliques de l’espace où il vit.
Elles lui permettent de nommer l’étendue, de donner un nom à ce
que l’on appelle justement les êtres – les aîtres – de la maison. […]
Au moment même où, avec un souci exaspéré de tout gérer, de tout
prévoir et de tout organiser, nous tentons de masquer notre
angoisse et de conserver l’illusion de notre toute-puissance, c’est
toute l’histoire passée – la nôtre, celle de l’espèce et celle de la
planète –, c’est tout notre passé enfoui et refoulé qui tente de voir le
jour et fait surgir dans notre vie quotidienne, comme des lapsus, ses
taupinières incongrues.26
Le lieu d’attache
La relation à l’habitat se constitue en effet selon un double principe :
l’attachement, la maîtrise, le souci de cohérence correspondent à une
90
L’écrivain-témoin : déplacements, transferts culturels et expérience de
l’habitabilité dans les romans d’exil d’Émile Ollivier
volonté de saisir l’espace, de le cristalliser, de le fondre dans une étendue
qui possède une qualité perceptible. Mais cet attachement au sens est
lui-même trompeur. La cohérence est le masque restaurateur de l’oubli; il
est la forme cosmétique que les familles, les sociétés se donnent afin de
préserver l’unité de leur permanence. Comment dès lors pouvons-nous
imaginer cette relation à l’habitat dans l’œuvre d’Émile Ollivier, d’autant
qu’elle engage une relation complexe à la migrance et à l’imaginaire du
corps? La perte d’identité caractérise justement la dissolution des points de
repère du sujet dans le monde. Rappelons-nous Mère-Solitude qui met en
relief, avec insistance, la figure de la maison des Morelli. Chez Ollivier, la
description romanesque traduit cette émanation vitale du souffle. En ce
sens, l’écriture d’Ollivier emprunte à la tradition orale : lieu parfois labyrinthique, parfois circulaire, en tous les cas lieu qui déroute et plonge le sujet
dans la perplexité. À force de lire les descriptions de la maison des Morelli,
le lecteur est étourdi par la profusion de signes qui ont une valeur à la fois
indicielle et représentative. Les descriptions semblent vouloir dire : voilà
comment ça s’est passé; voilà où ça s’est passé. Ces descriptions massives
ont pour fonction première de contrer l’oubli. Elles ne participent pas d’un
projet réaliste, encore moins naturaliste, mais visent à une réappropriation
de la mémoire, fut-elle sous l’angle de l’onirisme et de l’imagination27.
C’est à ce titre que l’on a fait appel à la notion de « réalisme merveilleux »28
pour définir le style de l’œuvre d’Ollivier, en l’associant ainsi à une certaine
tradition antillaise et sud-américaine.
De nombreux éléments de défamiliarisation de la trame romanesque
caractérisent l’œuvre d’Ollivier. Mais les descriptions que l’on retrouve
dans Mère-Solitude dépassent ce projet. Elles font valoir la force de l’oralité
qui correspond au statut de l’écrivain public. C’est souvent d’une voix de
femme dont il est question dans les divers romans d’Émile Ollivier. À la
manière d’un Naïm Kattan, le pouvoir tout-puissant de l’oralité – du
souffle – est une caractéristique forte de l’écriture de cet écrivain et, seraiton porté à dire, de la migrance en général. Chose certaine, il y a une
importance commune accordée à la voix dans les romans de Naïm Kattan et
d’Émile Ollivier. Faut-il voir dans cette convergence d’intérêts autour de la
mise en forme de l’oralité la conséquence d’un enracinement culturel
premier? Ollivier ne cesse d’insister sur la fonction du conteur dont la tâche
première serait de raconter des histoires. C’est dire que l’acte narratif
implique, pour lui, une réactualisation du sujet, sa prise en compte dans
l’engagement dont son œuvre fait valoir la nécessité, sinon l’urgence. C’est
d’ailleurs ce même Ollivier qui met en relief la fonction polynarrative de
l’écrivain-public et qui fait de l’espace (ou de l’agora) le lieu de confluence
d’un réseau de voix diverses. L’écrivain public serait ainsi à sa manière la
forme laïque et populaire du scribe dans la mesure où son don – qui est
d’abord un savoir – lui permet de prendre la parole par le truchement de
l’écrit.
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International Journal of Canadian Studies
Revue internationale d’études canadiennes
Revenons aux descriptions foisonnantes parsemées au sein de MèreSolitude. De manière parfois subtile, mais non moins profonde, ces
descriptions mettent en scène un enveloppement matriciel (ou du moins son
désir) qui correspond encore une fois à ce que François Vigouroux nomme
la « maison-mère », comme l’illustre ce passage :
Et me voilà! Moi, Narcès Morelli, parti à la recherche de l’image
de ma mère, sans bagages, sans flûte enchantée, ni rime, ni raison,
mais au fur et à mesure que je m’avance dans l’épaisseur historique
et matérielle de cette terre, je découvre que rien n’a changé dans ce
pays, rien absolument rien n’a changé.29
À lire Émile Ollivier, il y a en effet une relation inversement proportionnelle
entre la densité de la trame historique et le portrait de la mère, portrait pour
ainsi dire immatériel, qui compose une géographie imaginaire (parfois
fantasmée) de l’espace du corps. La migration mène donc l’écrivain à
questionner, de manière inlassable, l’identité, ses racines (la famille, son
lien à la mère, etc.) et, avec elles, toute la société haïtienne.
La place du témoin
À lire Émile Ollivier, nous devons retenir cette actualité du revenant qui
surgit à la mémoire tel un mauvais souvenir qui dévide, devant nous, son
cortège d’humeurs. Le revenant, dans l’œuvre d’Émile Ollivier, est le
fantôme du paysage natal (Haïti) qui s’impose où que le narrateur porte ses
pas. Où que l’on aille, semble nous dire le narrateur, on traîne sa terre avec
soi comme un spectre obsédant. Il y a là une actualité de la revenance qui
caractérise la déambulation des traumatisés de la mémoire. Et l’œuvre
d’Ollivier est tout entière consacrée à cette question tant elle fait valoir que
le paysage de la mémoire est ici fragile, sinon effiloché :
Le Cuba auquel elle référait était un pays lointain, irréel, onirique.
Cuba à travers les brumes des réminiscences d’une fillette. Elle
regardait un rivage oublié, situé au-delà de l’horizon. Elle
regardait au loin, en direction de son île et elle se demandait quand
elle pourrait la revoir. […] Le souvenir qu’elle avait conservé de la
Havane, c’est celui d’une fête foraine : le bourdonnement des
guitares, la foule, les flâneries, la paresse des tropiques, la vie des
rues mêlée à la vie des boutiques, une rumeur de ruches, la Havane
illimitée, éclatante de blancheur et mangée de soleil.30
En effet, à parler comme nous le faisons de l’écriture migrante, nous ne
pouvons nous permettre de négliger la place des morts qui incarnent un
horizon fugitif, celui des absents et des déplacés. Encore une fois, l’œuvre
d’Émile Ollivier propose un regard sensible sur ces problématiques31 dans
la mesure où le territoire géopolitique (on pensera sur ces questions au
roman Passages, qui met en jeu une déambulation menant le narrateur de
Port-au-Prince à Montréal) donne toute sa place aux absents.
92
L’écrivain-témoin : déplacements, transferts culturels et expérience de
l’habitabilité dans les romans d’exil d’Émile Ollivier
Le statut de l’écrivain public fait valoir la place du témoin qui tente, du
mieux qu’il peut, de rendre compte du monde qui défile sous ses yeux. Mais
la place du témoin, aussi nécessaire qu’elle soit, est une activité à doubledétente. Le sujet veut témoigner de ce qu’il observe, de ce qu’il entend, mais
ce témoignage, du fait de la position énonciative adoptée, le place dans une
position excentrique, dans une posture d’outre-tombe dirait Blanchot. Mais
témoigner, c’est aussi ravir la parole de l’autre. À cet égard, le statut de
l’écrivain public chez Ollivier est ambivalent. Dans plusieurs passages,
l’écriture semble être la forme même de la déception et de la désillusion. Par
exemple, dans Passages, le narrateur affronte le clinquant technologique de
Miami, l’inertie violente de son Haïti natal pour avouer, en fin de parcours,
la nécessité du retour à Montréal. Retour difficile, il est vrai puisqu’il se fait
dans la contemplation d’un échec existentiel. Vivre à Haïti n’est pas chose
possible : le sujet s’anéantirait dans un monde où la répétition du
traumatique fait partie intégrante de la vie sociale, où la décomposition de la
trame urbaine tient lieu d’esthétique quotidienne. Il faut quitter ce lieu de
perdition qui condamne le sujet à une telle fatigue psychique que la faculté
d’exister en est réduite à sa plus simple expression. Miroir et reflet de cette
fatigue, l’écriture se traduit alors par une chute dans le silence, la parole ne
parvenant plus à témoigner. Que reste-t-il alors de ce témoignage
nécessaire et désiré qui se veut une parole solidaire, authentique, soucieuse
de rendre compte de la complexité du monde social? Le sujet, qui se
voudrait écrivain-rapporteur, est condamné à l’imposture. Car on le sait,
l’écriture marque, enferme, identifie le sujet à partir de balises dont la forme
spatiale est relativement contrainte.
L’éprouvé douloureux logé dans les plis de la mémoire
Il faut tenir compte, dans la lecture de l’œuvre d’Émile Ollivier, de cette
mise en scène particulière et difficile de l’espace qui semble, chez lui,
toujours trop réel, trop puissant, capable, somme toute, de tuer par son
intensité. Il y a dans cette œuvre un aveu réaliste : le trauma bute sur un point
de fuite qui est la détresse de l’enfant abandonné par sa mère; enfant esseulé
dont le prolongement logique se situe ensuite du côté de la figure de l’amant
solitaire, forcé à errer sans finalité précise :
Leur trajet [aux voyageurs], à la limite, ne dessinera qu’une
boucle, tant les événements sont jetés là, orphelins, les attendant,
pareils à des quais de gares. Ils erreront sans fin, animés du même
désir fou que celui qui hante le destin implacable des saumons : ils
tâtent des fleuves, des océans, pour retrouver à la fin l’eau, même
impure, où ils sont nés et y pondre en une seule et brusque poussée,
une réplique d’eux-mêmes et mourir.
Il est dans l’existence des éclipses où il nous semble avoir tout
perdu, des temps de silence où l’on se trouve plongé dans un
brouillard, une nuit en deuil d’étoiles. Nul reflet n’éclaire la route.
De l’enfermement de l’île à la prison de Krome, de l’inventaire des
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Revue internationale d’études canadiennes
ratés au catalogue des renoncements, le même délicat problème de
la migrance, un long détour sur le chemin de la souffrance.
Passagers clandestins dans le ventre d’un navire, nous visitons non
des lieux, mais le temps.
Entre Mère-Solitude, récit de la détresse infantile (où le narrateur parle de
son enfance avec les yeux et le regard de celui qui a été abandonné), et
Passages, une accentuation de la douleur se fait sentir. On ne peut
s’empêcher de noter, dans l’expression de cette peur, la présence d’une
douleur qui croît jour après jour, amplifiant sans cesse la détresse du
narrateur qui tente de rendre compte, pour soi et pour les autres, de
l’itinéraire singulier d’une migrance.
Qui disait que le voyage est illusoire? On a beau se déplacer d’un
endroit à l’autre, se livrer à une agitation sans relâche, en réalité, on
ne fait que marquer le pas, tant les lieux restent inchangés. Dans
leur soif de départ, les voyageurs ignorent souvent qu’ils ne feront
qu’emprunter de vieilles traces. Mus par une pulsion, quand ils ont
mal ici, ils veulent aller ailleurs. Ils oublient que le mieux être est
inaccessible puisqu’ils portent en eux leur étrangeté.34
L’œuvre d’Émile Ollivier utilise des voies de traverse afin de dire la
singularité de ce désir. En ce sens, le lyrisme demeure un moment (et une
forme) exemplaire de cette narration dans la mesure où le sujet est happé par
la forme du désir qui échappe à l’indifférence. Qu’on lise cet extrait de
Passages pour prendre le pouls de cette mémoire désirante dont le paysage
(sensoriel) s’échafaude bien souvent à partir de simples éléments perceptifs
(odeurs, bribes de conversations, etc.) :
Et surtout revoir Port-au-Prince, sa ville, qu’il avait figée dans le
temps et dans sa mémoire, espace complice, espace aux mille
facettes. Existent-elles encore ces rencontres sur les galeries des
maisons? Existent-ils encore ces petits temples de l’amitié où la
fumée des cigarettes tenait lieu d’encens?35
Le panorama offre ici l’occasion d’une écriture-palimpseste qui donne sens
à la mémoire, qui tente de révéler le truchement de cette mémoire : figure,
personnage, ou encore événement porteur d’une signification ponctuelle et
qui permettrait de donner sens au déplacement.
L’exil : mouvement de l’angoisse et de l’accablement
traumatique
Suivre Émile Ollivier à travers ses pages-paysages (J.-P. Richard), à travers
les différents chemins de traverse tracés par le souffle de cette écriture
baroque et frénétique, c’est saisir la sensorialité douloureuse du monde
diasporique. C’est surtout comprendre que le rappel mémoriel est une
forme active de cette écriture qui tente de mettre un terme aux traumatismes
des déplacements, à la douleur des délogés : sans-abri, réfugiés politiques,
94
L’écrivain-témoin : déplacements, transferts culturels et expérience de
l’habitabilité dans les romans d’exil d’Émile Ollivier
déserteurs et exilés de toutes sortes. Plusieurs extraits de Passages sont
particulièrement révélateurs de cette tension relative au phénomène
migratoire où le lieu d’origine est volontairement mis à mal pour adoucir et
conforter le sujet dans son élan migratoire :
Je veux quitter ce pays d’immondices, d’égouts à ciel ouvert, de
crottes; je veux quitter ce pays où les sentes boueuses empestent
l’urine rancie; je veux m’en aller loin des aisselles et des vagins qui
n’ont plus mémoire d’eau claire. Je veux quitter ce nid de vermines
où blattes, tiques, morpions, punaises, maringouins mâles et
femelles font la loi. Je veux échapper à la malaria, au pian, au
choléra. Ah! Seigneur! Échapper aux griffes des tigres, ne plus
patauger dans cette plaie grouillante de vers, cette gangrène, cette
gonorrhée chronique. Un pays ça? Pays mon cul! Il faudrait vivre
le nez pincé, tant ça fouette, tant ça schlingue. Quatre siècles de
mauvais air, de mauvaises races, de mauvaises nations…36
Ce rappel mémoriel, on le retrouve dans la description d’un paysage-corps,
paysage qui met en relief encore une fois cette densité sensorielle de la
représentation : mélange où s’entrechoquent mort et naissance, bâtardise et
lyrisme.
L’art d’Émile Ollivier fait alterner l’excès et le trop peu : figures
traumatiques de la perte et de la surprésence hallucinée de l’objet maternel.
Son œuvre nous montre que la littérature est l’expérience d’un deuil
premier, un deuil originaire qui ne laisse d’autre choix au sujet que de se
mouvoir dans un monde contraint, un monde hanté par ces fantômes et
revenants qui habitent l’écriture. La notion d’« habitabilité psychique »37
prend ici tout son sens. En effet, si l’espace est une fiction, si sa trajectoire
est imprécise et incertaine, à l’inverse la littérature semble tenir lieu, chez
Ollivier, de boîtier d’écriture. L’écriture devient ainsi une forme contenante
qui permet de faire jouer les résonances d’un mode narratif qui emprunte
l’essentiel de sa forme à la rencontre de l’avers et de l’envers, de l’intériorité
et de l’extériorité, du soi et de l’autre. En lisant Mille eaux, récit
autobiographique qui prend acte de l’impossibilité d’un retour au pays natal
en proposant plutôt une réconciliation avec le passé, on se rend compte à
quel point l’écriture fait figure de contenant, commémorant la place des
disparus. Être lyrique, c’est dans cette perspective lutter contre l’emprise de
la mort. La disparition de la mère dans Mère-Solitude est accompagnée de la
disparition précoce du père dans Mille eaux dont le sujet se rappelle la
physionomie imposante, bien que celle-ci ne s’actualise que par le biais
d’une silhouette vue de dos. Cet éprouvé de douleur qui traverse l’œuvre
d’Émile Ollivier, sous forme parfois de traces discrètes, transmigre dans la
parole même de l’écrivain. Plusieurs passages de l’œuvre d’Ollivier font
écho à ce phénomène comme dans cet extrait où il est dit :
Normand était très peu bavard sur sa vie. Quand il lui arrivait d’en
parler, il ne restait que des traces, des trous, quelques scènes,
quelques lieux, blocs opaques. Normand aimait voyager.38
95
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Revue internationale d’études canadiennes
Comme le laisse entendre ce passage et de nombreux autres qui parsèment
l’œuvre d’Ollivier, on constate que bien souvent la figure de la mobilité
laisse place à l’infiguration et au silence du trauma. Dans Mille eaux, le récit
d’enfance est l’aveu d’une urgence vitale puisque le sujet tente de nommer
avec des mots incertains le lieu même de sa naissance et de sa généalogie.
L’écriture diasporique serait-elle alors une façon d’en finir avec les mots de
la mère? Serait-elle par ailleurs une façon de nommer la disparition du père,
sa fuite hors de la cellule familiale alors que le sujet habite encore les
territoires de son enfance? À adopter ce point de vue, l’écriture migrante
serait encore une façon de composer avec la perte, la séparation et la
disparition.
L’œuvre d’Émile Ollivier a ceci de particulier qu’elle permet de prendre
la mesure des lieux-dits de l’angoisse. Lorsque l’écrivain fait valoir
l’importance des repérages identitaires qui permettent à tout un chacun
d’exister, lorsqu’il fait appel à l’écrivain public, Émile Ollivier interroge le
destin de la parole39 qui n’est pas seulement la revendication solitaire du
récit de soi. Pas de lyrisme inutile dans l’œuvre d’Émile Ollivier; le propos
y est à la fois âpre, disparate et amoureux tant l’engagement nécessite, pour
chacun de nous, la reconnaissance toujours multiple de ce qui nous fait
résidants sur la terre.
Est-ce là un vain moralisme, une vision du monde romantique et sans
grande promesse d’avenir? En tous les cas, l’œuvre d’Ollivier propose une
vision tout à fait particulière du rapport au lieu dont l’énonciation (souvent
tactile et sensuelle) tend, selon nous, à restituer « par » et « à travers » le
langage cette expérience subjective de la traversée de l’espace et des
cultures. Plus que jamais, le sens prend forme ici selon une cartographie à la
fois psychique et ancrée dans l’espace. Entrer dans l’œuvre d’Ollivier, c’est
accepter de nouer une relation d’intimité au lieu dont nous sous-estimons
souvent l’emprise et la puissance d’enracinement.
Les romans d’Émile Ollivier sont consacrés à l’Haïti natal, ce qui
explique en partie qu’on lise cette œuvre comme une autobiographie
déguisée. Le propos est réducteur : il masque la densité formelle de ces
romans au profit d’un discours anecdotique sur l’appartenance et les
méfaits de l’exil. Il faut voir que l’œuvre d’Émile Ollivier, bien qu’il fasse
référence au pays natal, ne cesse d’interroger l’imprégnation émotionnelle
de la relation au lieu. Qu’on pense au titre de l’un de ses ouvrages : Les urnes
scellées. À l’instar du titre, la structure du roman fait valoir la puissance
d’enveloppement de la sexualité féminine qui rejoint le rêve d’une maison
qui accueille, protège, loge le sujet dans la forme élémentaire de la matière
vivante. Les urnes scellées, c’est la revendication d’un fondement qui fait
référence au natal. Mais le titre nous rappelle aussi un enveloppement
étouffant, une puissance d’engendrement qui est forclose. Dans Les urnes
scellées, les femmes sont à leur manière les génies du lieu, figure mythologique dont on aurait tort de sous-estimer l’importance. L’œuvre d’Ollivier
propose, sans afféterie, une réflexion de fond sur les conditions de l’exil.
96
L’écrivain-témoin : déplacements, transferts culturels et expérience de
l’habitabilité dans les romans d’exil d’Émile Ollivier
Haïti semble l’intime toile de fond d’un monde promu au désastre. Que ce
soit Cayes ou Trou-Bordet, l’espace public de la ville – son agora – est
théâtralisé comme si la raison pratique de ses habitants était réduite à sa plus
simple expression.
Poétique du lieu impur
La ville est l’espace du multiple contrarié. Elle ne correspond d’aucune
manière à l’harmonie du foisonnement cosmopolite. Nous ne pouvons
parler à cet égard de la mise en forme d’une différence qui est exemplifiée
par la création d’un nouveau pacte social. La trame sociale de Trou-Bordet
ou des Cayes impose sa démesure coloniale : personnages fantoches qui
font valoir une préciosité de pacotille qui masque à peine l’intolérable
violence des relations interpersonnelles. L’écrivain public prête son
attention aux personnages sans voix dont il relate la chronique : l’histoire
d’une dévastation.
C’est dans cette perspective que les notions de mouvance et de migrance
prennent sens. Pérégriner, pour Ollivier, c’est accepter une impureté (quasi
ontologique) qui constitue le sujet dans sa fragilité, mais aussi dans sa
relation intime au lieu habité. Lisons, à cet égard, ce passage de MèreSolitude :
Mais d’où me vient cette tenace impression que je retire de ma
mémoire? Un lieu purifié comme si, avant de tracer le carré de la
maison dont les orifices s’ouvrent sur les quatre points cardinaux,
le terrain avait dû être déblayé de ses cailloux, de ses arbres, de tous
les restes organiques qui pouvaient s’y trouver. Il est en effet plat,
uni et, par son aspect, il souligne qu’il s’agit là d’un lieu purifié de
tous les signes ou symboles qui favorisent la chute ou l’attachement à la vie, un espace incorruptible où s’accomplit le passage
de l’un au tout, de la nuit à la lumière. Les divisions fondamentales
de la superficie intérieure sont tracées en suivant deux lignes
principales qui vont du nord au sud et de l’est à l’ouest. Le centre,
un carré, une pièce qui tient office de salon. Au-dessus des portes,
sur les quatre murs, au plancher, on trouve, peintes en couleurs
vives, les réalités les plus hétéroclites, le président de la
République et son épouse sont représentés avec des yeux rouge vif,
la tête en bas, mains et pieds rongés, déformés, on y trouve, sans
ordre aucun, des organes de perception, d’évacuation ou de
génération. Mais au plancher, au centre de la pièce, bien incrusté
dans le sol, un miroir de pur style chinois décoré de dessins
cabalistiques. Au plafond, un trou irradie de la lumière. Est-ce un
cadran solaire ou simplement des schémas de l’univers?40
Comme on peut le constater, il y a chez Émile Ollivier une soif de
sublimation, d’expression du pulsionnel qui est aussi soif de sens. Il y a en
effet chez cet écrivain une glorification incarnée de l’instinctuel qui se
donne à lire dans la révélation de l’informe. La description du lieu purifié
97
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Revue internationale d’études canadiennes
maintient de manière parfois inquiétante ces points cardinaux qui situent la
mémoire des lieux, l’idée même d’un point de vue organisateur entre l’ici et
l’ailleurs.
Parler de ce lieu purifié peut laisser entendre l’idée d’une pensée
habitacle : mise en scène du corps dans l’espace; et création d’une
corporéité sensorielle dont le narrateur est l’agent. C’est ce que laisse
entendre ce passage de Mère-Solitude qui permet la conjugaison de la
sublimation et de la sensorialité, dans une transincarnation de la forme qui
n’est pas sans résonance mystique. Pourtant, ce lieu purifié n’a rien à voir
avec la démesure d’une utopie. Il nous mène en d’autres lieux où la forme
révélée n’est pas autre chose que l’infiguration de l’abjection. Il faut sur
cette question envisager des voies de traverse entre le lyrisme et cette association du corps et du lieu.
À sa manière, Émile Ollivier ne cesse de dire qu’on n’immigre pas
vraiment ou jamais totalement, que le sujet de l’immobilité traumatique (de
cette fatigue que l’on retrouve exprimée dans Passages) est condamné, de
manière paradoxale, à l’errance. En fait, chez Ollivier, l’imaginaire
corporel est convoqué pour donner forme à cet accablement qui gangrène le
sujet de l’intérieur.
Pour un nouvel imaginaire du lieu?
Avec Émile Ollivier, la littérature migrante se construit comme un nouveau
palimpseste mémoriel qui recourt aux formes du cosmopolitisme, de la
citadinité, du choc et du croisement des cultures. Il faut prendre la juste
mesure de cette écriture dans le contexte des lettres québécoises
contemporaines. Il faut aussi prendre acte de cette œuvre qui met en relief la
raison pratique du territoire et les déambulations contraintes des sans-abri
de la mémoire officielle.
Qui est mandaté afin de nommer et arpenter ce territoire, qui peut en dire
les formes et les reliefs? Qui peut décrire les paysages de nos lieux habités?
C’est ici que l’œuvre d’Émile Ollivier trouve tout son sens, comme si le fait
de repérer des territoires diasporiques était le contrepoint implicite d’une
interrogation persistante sur l’avenir du Québec contemporain.
Notes
1.
2.
3.
98
Nous tenons tout particulièrement à remercier Cindy Baril et Claudine
Landreville pour leurs lectures attentives et leurs précieux commentaires.
Émile Ollivier, Passages, Montréal, L’hexagone, coll. « Fictions », 1991,
p. 40-41.
Pour approfondir cette notion d’espace potentiel, lieu médian entre l’intériorité
du sujet et le principe de réalité incarné par l’environnement social, on se
reportera aux travaux menés par D.W. Winnicott et plus particulièrement à ses
ouvrages en traduction : L’enfant et le monde extérieur : le développement des
relations, Paris, Payot, coll. « Petite bibliothèque Payot / Sciences de l’homme »
L’écrivain-témoin : déplacements, transferts culturels et expérience de
l’habitabilité dans les romans d’exil d’Émile Ollivier
(1975) et Jeu et réalité : l’espace potentiel, Paris, Gallimard, coll. « Connaissance
de l’inconscient » (1975).
4. Par cette expression, nous faisons référence au caractère potentiellement
enveloppant du rapport au lieu réconfortant (ou à la matrice) que nous aurons
l’occasion de définir et d’exemplifier au cours de cet article en l’associant
notamment à la notion de chôra telle que l’entend Julia Kristeva.
5. Avec quelques-uns de ses homologues haïtiens nouvellement arrivés au Québec,
Ollivier joindra les rangs du mouvement « Haïti Littéraire » qui permettra des
échanges intéressants avec plusieurs écrivains québécois au moment même où
bouillonne la Révolution tranquille. C’est notamment par le biais de ces échanges
qu’émergera le volet anti-colonial de l’histoire des idées au Québec, volet qui
sera d’ailleurs relayé (et alimenté) par des revues comme Parti pris dans laquelle
on trouvera plusieurs analyses inspirées de l’œuvre de Frantz Fanon.
6. Émile Ollivier, Repérages, Montréal, Leméac, coll. « L’écritoire », 2001, p. 119.
7. Ollivier n’aura de cesse de revenir sur ce sentiment ambigu, inhérent au processus
migratoire, selon lequel le sujet en « exil », où qu’il se trouve, a toujours
l’impression de traîner sa terre avec lui. Ainsi le passage vers l’ailleurs, la
découverte de nouveaux lieux ne cède pas le pas à un processus d’effacement (ou
d’oubli) de la terre natale, mais permet plutôt de voir à distance ce que l’on a
quitté : « J’ai quitté Haïti; en revanche, Haïti ne m’a jamais quitté tant toute mon
œuvre est obsédée par la mémoire du pays natal. Mon être haïtien, même mâtiné
de plusieurs sédiments d’errance et de socialisation en terre étrangère, se révèle à
ma conscience tenace, vivace. Je crois au travail de mémoire, à l’exhumation de
ces paroles enfouies dans le corps et le cœur qui portent les pas dans la pierraille
de l’errance et qui projettent hors de soi, sans limite » (Ollivier, Repérages, 2001,
p. 94).
8. Émile Ollivier, Mère-Solitude, Paris, Éditions Albin Michel, 1983, p. 11-12.
9. Cf. Francine Bordeleau, « Émile Ollivier : l’écriture pour desceller la mémoire.
Entrevue avec Émile Ollivier » dans Lettres québécoises, no 102 (été 2001), p. 9.
10. Émile Ollivier, Mère-Solitude, Paris, Éditions du Serpent à plumes, coll.
« Motifs », 1999 [1983], p. 107.
11. Émile Ollivier, Passages, op. cit., p. 129-130.
12. La référence à la psychosomatique relève d’une longue tradition psychanalytique
qui fait appel à la médecine. Rappelons que de Georg Groddeck à Sandor
Ferenczi, tous deux contemporains de Freud, l’enjeu était de débusquer, dans les
brutales atteintes à l’intégrité corporelle, le symptôme d’un pâtir défaillant. Ce
n’est pas un hasard si des psychanalystes herméneutes, tel Ludwig Binswanger,
ont, dans cette foulée, élaboré une clinique psychanalytique qui fait du symptôme
le signe d’une difficile intégration du sujet dans le monde. À suivre cette
perspective, toute référence à l’ordre psychosomatique ferait intervenir le statut
central de l’écotopie ou encore de l’oïkos (ce sentiment d’appartenance à un lieu
pour soi).
La réflexion sur l’ordre psychosomatique peut être prolongée dans le cadre de
travaux sur le processus migratoire. En effet, sur ces questions, la littérature offre
un matériau particulièrement riche. Ainsi est-il aisé et frappant de constater, à la
suite de la lecture des œuvres d’Ollivier, de quelle manière l’écriture met en scène
une configuration corporelle implicite, pas si éloignée de la sphérologie
revendiquée par Peter Sloterdjik. De fait, les romans d’Ollivier font alterner les
figures du trauma et du nostos (de cette nostalgie pour le monde natal). C’est que
le processus migratoire n’est pas fonction d’une trajectoire rectiligne qui
s’effectuerait sans heurts et sans bouleversements. En fait, il faut imaginer que le
99
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corps (matrice première de cette écotopie) subit les contrecoups de ces migrations
imprévues qui mettent à mal la sécurité narcissique du sujet. Dans cette
perspective, on ne saurait sous-estimer la manière dont le corps incorpore les
détresses silencieuses, l’amertume et les deuils difficiles qu’imposent les
différents processus migratoires.
Pour les cliniciens, la psychosomatisation trouve un terrain favorable, une
prédisposition lors de situations où le sujet fait l’impasse sur l’existence d’un
noyau psychique potentiellement pathogène. En d’autres termes, le dérèglement
psychosomatique intervient dans les situations où une neutralité de façade, une
indifférence émotionnelle et une désaffectation tiennent lieu de paravent,
masquant une détresse psychique importante. Dès lors, les postulats énoncés par
les tenants de la clinique psychosomatique sont très clairs : l’absence de
symbolisation (par le langage, forme première de la communication entre
humains) se traduit, dans des situations potentiellement pathogènes, par un
dérèglement de la fonction écotopique.
À un niveau plus fondamental, la psychosomatique pose la question importante
qui consiste à savoir quelle est la relation du corps avec l’écoumène? Cette
interrogation est vitale en même temps qu’elle complexifie les enjeux de la
psychosomatique. Bien souvent, les travaux écotopiques mettent l’accent de
manière outrancière sur le monde visible, ou sur ce que Michel de Certeau
nomme les « récits d’espace ». La tentation est alors forte d’associer spontanément l’espace vécu (Gisela Pankow) aux représentations spatiales établies.
Mais si, sous certaines facettes, l’écotopie peut prendre la forme d’une nouvelle
discipline apte à comprendre la « sphérologie » du monde sensible, ce sera à la
condition d’abandonner la mise en relation de la spatialité (comme récit d’espace)
et de la signification.
Les dispositifs écotopiques, s’ils sont sensibles, fortement investis par des affects,
ne sont pas toujours des représentations spatiales. Prenons pour exemple le sujet
angoissé qui est, d’une certaine manière, enclavé par une forme immatérielle de la
sensibilité. Ne lui demandez pas si ce qu’il ressent est vrai. La question sera reçue
avec dédain, comme si vous, l’interlocuteur, adoptiez un détachement tout
philosophique à propos de la nature représentative de l’angoisse. Il en va de
même du rêve ou des hallucinations motrices qui animent le sujet et le forcent à
habiter une sphérologie inconsciente. C’est que l’acte d’écrire engage
véritablement une psychosomatique du « lieu dit » dont nous ne pouvons faire
l’économie à propos de nos propres investigations. Qu’il s’agisse de la faculté de
contenance, de la définition du Moi-peau chez les psychanalystes ou encore de
nos propres travaux sur le « boîtier d’écriture » ou le « récit de soi », il semble
bien, d’un point de vue psychanalytique, que le texte littéraire s’érige souvent
comme une représentation analogique du corps-psyché.
Que veut dire, en ces termes, une écriture psychosomatique? Nous croyons, pour
notre part, y voir une activité qui donne libre cours aux médiations des sphères
consciente et inconsciente du sujet. À penser l’écriture psychosomatique sous
cette forme, elle incarnerait donc une mise en relation féconde et durable de
l’image du corps traduite en représentation graphique.
13. Émile Ollivier, Mère-Solitude (1999), op. cit., p. 27.
14. Émile Ollivier, Passages, op. cit., p. 150-151.
15. Nous nous référons ici au sens qu’a pris ce concept notamment à la suite des
lectures attentives du Timée de Platon par Luc Brisson, mais également au
prolongement psychanalytique que tendent à conférer à cette notion certains
théoriciens post-structuralistes tels Julia Kristeva et, dans le champ plus
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L’écrivain-témoin : déplacements, transferts culturels et expérience de
l’habitabilité dans les romans d’exil d’Émile Ollivier
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spécifiquement géographique, Augustin Berque. De manière audacieuse,
Kristeva, par exemple, tente de montrer que la relation qui unit le langage au texte
fait écho à celle de la mère et du corps, le texte littéraire permettant de faire surgir
les traces pulsionnelles, une rythmique en somme, qui fait écho à l’espace
matriciel où le sujet était en symbiose avec un espace à la fois protecteur et
nourricier. Poursuivant les réflexions de Platon qui concevait la chôra comme un
tiers espace étranger aux formes prédéfinies, sorte de lieu intangible, hybride,
constamment en mouvement tout en étant fondateur, originaire et en lien direct
avec le monde des sensations, Kristeva confère cependant à cette notion une
résonance littéraire et psychanalytique en montrant comment les traces de ce
rapport privilégié à un lieu premier peuvent ressurgir, sous forme pulsionnelle,
dans la matérialité de l’écriture. C’est là ébaucher les grandes lignes de cette
« chora sémiotique » dont Kristeva dit qu’elle est étroitement associée aux
rythmes, aux sons, à ce qui constitue le bagage nécessaire à toutes possibilités de
signification. Dès lors, dans cette conception du texte et de ses tensions, Kristeva
opposera deux forces en présence que sont le sémiotique (langage antéprédicatif
d’avant l’émergence du nom, qui nous rappelle notre rapport symbiotique à la
mère) et le symbolique qui, au contraire, désigne le langage instrumental, celui
des relations sociales, codifiées et normalisées. De manière tout à fait
surprenante, Ollivier semble faire référence, dans ses réflexions, à cette dualité du
sémiotique et du symbolique qu’il associe à la double influence, chez lui, du
créole et du français. Écoutons le : « Je crois le créole enfoui en moi, dans une
crypte; il est pour moi un réservoir de rythmes, de sons et d’images. Sur cette
crypte, j’ai bâti avec le français une nouvelle demeure et j’y séjourne, corps et
âme. » (Ollivier, 2001, p. 64).
La corporéité du lieu nous traverse donc dans la mesure où elle s’impose sans que
nous ayons notre mot à dire. Nous pourrions tout aussi bien évoquer une logique
du « tiers espace » (Bhabha; 1994) : formulation contemporaine qui met en relief
cette porosité du lieu et que nous expliciterons plus à fond dans les pages qui
suivent.
Émile Ollivier, Mère-Solitude (1999), op. cit., p. 28-29.
idem, p. 171-172.
Émile Ollivier, Mère-Solitude (1999), op. cit., p. 110.
Comme le fait bien remarquer Francine Bordeleau, Ollivier fait référence par
cette appellation au premier nom donné à Haïti : « nom aussi ironique que peu
flatteur » (Bordeleau, 2001, p. 9). Bordeleau montre bien qu’à travers certaines
expressions et sobriquets, Ollivier injecte dans ses références faites à Haïti, à sa
terre natale, « une certaine dose de cynisme et d’images négatives » (Ibid., p. 9).
La psychosomatique des lieux que l’on retrouve dans les divers romans d’Émile
Ollivier correspond, sur cette question, à la mise en place d’un pare-excitations,
d’un bouclier narratif qui permet de contrer et de pallier la détresse essentielle, de
lui offrir un contour qui serait l’incarnation d’un signifiant vital.
Émile Ollivier, Passages, op. cit., p. 151.
Les manifestations concrètes des dispositifs écotopiques adoptent différentes
formes à travers l’architecture, l’aménagement urbain, l’anthropologie des
manières de faire (De Certeau), ou des interactions quotidiennes (E. Goffman).
La « sphérologie » chère à Peter Sloterdijk, et sur laquelle nous nous sommes
attardés plus tôt, serait elle aussi une forme dérivée relative aux dispositifs
écotopiques. Sans pour autant élargir inutilement l’éventail de ces manifestations – mais toujours en étroite relation avec cette forme protectrice que
représente l’écotopie – il ne faudrait pas oublier les travaux psychanalytiques qui
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traitent de l’enveloppe psychique, du self. Sur ces questions, les contributions de
Didier Anzieu, de René Kaës et des psychanalystes post-kleiniens sont
absolument déterminantes. De tous ces travaux, il ressort que l’intégration du
sujet à l’espace est problématique; Sloterdijk et Anzieu insistent sur le caractère
constitutif de la sphérologie. Encore que Didier Anzieu met l’accent sur les
faillites de l’organisation psychosomatique. Les écrits de ce psychanalyste sur
Beckett et Francis Bacon sont pertinents dans la mesure où ils insistent sur la
porosité des représentations analogiques du Moi-peau. De la même manière que
nous insistons sur l’importance de l’alocativité dans toute réflexion sérieuse sur
l’écotopie, Didier Anzieu fait valoir que les œuvres de fiction dignes d’attention
se caractérisent par la grande fragilité des repères spatiaux organisateurs de la
trame écotopique.
Du cyberself aux hybridités culturelles contemporaines, c’est la volonté de sortir
hors-de-soi qui est manifeste. C’est une volonté maligne, à sa manière cruelle, qui
impose d’en finir avec la cloison du lieu sous prétexte que ce dernier incarnerait
une raison pratique par trop dérangeante et aliénante. Or rien ne nous dit que cette
exotopie (qui consiste à se voir comme un autre) soit autre chose qu’une fadaise
d’époque. Rien ne nous dit que la désinstallation, contre-discours de l’identité, ne
soit pas autre chose que son banal complément. Il serait préférable d’aborder cette
question en faisant appel à la notion fort ancienne de « génie du lieu ». Cette
notion, qui constitue une sorte de chimère poétique, est intéressante en raison de
son pouvoir d’indétermination, dans la mesure où elle suscite en chacun de nous
des rêveries singulières liées à l’expérience de l’habitabilité. Si ce « génie du
lieu » semble parfois avoir mauvaise presse tant le discours journalistique (que
nous consommons jour après jour) insiste sur la désaffection de nos lieux de vie,
l’expression n’en demeure pas moins stimulante : nous n’y voyons pas la forme
redoutée, pour tout dire honnie, du réenchantement du monde que les intellectuels
rejettent du revers de la main. Nous n’y voyons pas non plus une utopie tribale (à
la Maffesoli, ou à la Tobie Nathan). Le génie du lieu, ce serait plutôt une forme
d’ensorcellement qui nous protège contre la rage du monde. Voilà ce qu’est pour
nous l’écotopie.
Émile Ollivier, Mère-Solitude (1999), op.cit., p. 36-37.
Ibid., p. 58-59.
François Vigouroux, L’âme des maisons, Paris, Presses universitaires de France,
coll. « Perspectives critiques », 1996, p. 60.
À ce sujet, l’écrivain ne se leurre pas, déclarant récemment, dans un entretien
avec Francine Bordeleau, publié peu de temps avant sa mort dans le mensuel
Lettres québécoises : « la mémoire n’est pas une résurrection du passé, mais une
reconstruction ». Cf. Francine Bordeleau, « Émile Ollivier : l’écriture pour
desceller la mémoire. Entrevue avec Émile Ollivier », op. cit., p. 10.
Le lyrisme de l’œuvre d’Émile Ollivier est bien connu. Il ne faut donc pas se
surprendre que l’on ait voulu faire de cet écrivain l’un des artisans du « réalisme
magique » dont on affuble bien (et trop) souvent la littérature antillaise et
sud-américaine. Par contre, il y a effectivement chez Ollivier présence d’un
imaginaire débridé où les contraires se chevauchent et se fusionnent. Stanley
Péan montre bien que l’Haïti dont rêve Ollivier est ce « territoire privilégié de la
cohabitation des contraires, une île magique où l’improbable et le vraisemblable,
le cauchemardesque et le chimérique, le cocasse et le tragique se juxtaposent, se
confondent, s’amalgament (Péan, 2001, p. 11). Péan fait ainsi d’Ollivier un
héritier, bien que beaucoup moins engagé, de cette figure haute en couleur que fut
l’écrivain Jacques Stephen Alexis. Personnalité incontournable de l’histoire
L’écrivain-témoin : déplacements, transferts culturels et expérience de
l’habitabilité dans les romans d’exil d’Émile Ollivier
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politique et littéraire haïtienne, Alexis invitait, dans son Prolégomènes à un
manifeste du réalisme merveilleux des Haïtiens (1956), ses « compatriotes
artistes et écrivains à traduire dans leurs œuvres la part indicible de la réalité
haïtienne […], cette part du réel et de l’Histoire qui ne se laisse pas appréhender
par l’esprit cartésien » (Ibid., p. 11).
Émile Ollivier, Mère-Solitude (1999), op. cit., p. 214-215.
Émile Ollivier, Passages, op. cit., p. 33.
C’est un peu pour cette raison – et pour cette importance accordée à certaines
sensations limites telles le rapport à la mort et à l’immonde – que l’écriture
d’Émile Ollivier nous semble faire partie des rares œuvres au Québec qui posent,
de manière aussi vive, la question fondamentale de la fragilité et de la porosité des
enjeux migratoires.
Rappelons la double trame de ce roman : on y suit, sous forme de récit imbriqué,
la quête identitaire de Normand Malavie, un québécois d’origine haïtienne qui
rêve d’un retour aux racines alors que, simultanément, Ollivier nous présente le
récit épique d’Amédée Hosange et de ses compagnons haïtiens qui décident
d’immigrer en Amérique, direction la Floride.
Ibid, p. 129-130.
ibid., p. 129.
Ibid., p. 55.
Ibid., p. 43.
Cette notion d’habitabilité telle que nous l’entendons ne désigne pas seulement la
manière dont un énonciateur, un narrateur, puis des personnages configurent et
habitent le monde de la fiction, mais également – et de manière foncièrement
différente – la manière dont l’œuvre est empêchée d’exister, dont elle est interdite
de séjour par ces « revenants » de l’écriture que nous avons mis en valeur un peu
plus tôt.
Émile Ollivier, Passages, op. cit., p. 62.
Cette résistance est d’une actualité brûlante dans la mesure où elle s’inscrit, plus
que jamais, dans le discours actuel sur l’inscription (et le statut) du territoire
géopolitique. Certes, nous avons pu croire, à la suite des travaux de Morin et
Bertrand (1979), que l’imaginaire avait droit de cité, qu’il permettrait de mieux
comprendre les croisements identitaires en vigueur aujourd’hui. Mais c’était là
une illusion commode et nous savons désormais que la notion de transculture,
tout comme celles d’hybridité et de métissage, correspond à une survalorisation
de la culture. Comme si ces configurations de sens permettaient de renouveler
notre compréhension du monde actuel. Face à ce constat, le propos d’Émile
Ollivier est fort différent et propose, de ce fait, de nouvelles perspectives. Bien
sûr, il recourt à l’imaginaire diasporique, mais le monde dont il est question chez
lui demeure sceptique à l’égard de toute réappropriation utopique. L’hybridité
n’est pas un nouvel horizon de sens. Ce sont plutôt les bâtards, les éclopés et les
sans-logis qui habitent cette écriture et qui posent, de manière lucide et cruciale,
la question de la place du témoin au cœur des discours contemporains.
Émile Ollivier, Mère-Solitude (1999), op. cit., p. 110-111.
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105
Sherry Simon
Hybridity Revisited: St. Michael’s of Mile End 1
Abstract
St. Michael’s Church in the Mile End district of Montreal offers a rich
example of cultural hybridity. A close reading of the architecture and social
history of the church suggests, however, the complexity of the elements and
values of cultural mixing and the need for careful contextualization. The
article argues that, if the term hybridity is to be useful, its parameters must be
continually redefined.
Résumé
L’église St. Michael dans le district du Mile End de Montréal constitue un
riche exemple d’hybridité. Un examen attentif de son histoire architecturale
et sociale fait ressortir cependant la complexité des éléments et des valeurs du
mélange culturel et la nécessité d’une mise en contexte soignée. L’article
soutient que le mot « hybridité » ne sera utile que si ses paramètres sont
redéfinis constamment.
From Mount Royal, as you look towards the north end of Montreal, you can
see a broad turquoise mushroom of a dome, flanked by what looks like a
minaret. Despite its size and distinctive shape, few Montrealers are able to
identify the building that stands under the dome. One gray March Sunday, I
tracked down the stem of the mushroom and entered what turned out to be a
church. I was surprised to see the church crowded, and even more to see
gaudy green lightbulbs on the altar, tracing out a shamrock and a harp. Was
this an Irish church, then? The priest was reciting the Mass in a language I
could not identify. Neither English nor French. When the time came for the
credo, the whole congregation joined together. It was Polish. Now I noted
the family groupings, the attentive children, the Eastern-bloc leather
jackets and hairdos. This explained the packed church, so unusual in
Quebec today. When the Poles filed out, they were replaced by a handful of
parishioners for the English mass at noon. These were mostly Italians that I
recognized from the local grocery store.
An Irish church in the Byzantine style, frequented by Poles and Italians,
towering over a cosmopolitan and culturally diverse neighbourhood: Saint
Michael’s is a compelling image of cultural hybridity. It is an apt symbol of
the neighbourhood itself, an urban village which is a crossroads of cultures.
International Journal of Canadian Studies / Revue internationale d’études canadiennes
27, Spring / Printemps 2003
International Journal of Canadian Studies
Revue internationale d’études canadiennes
The concept of hybridity has become the object of both enthusiasm and
critique over the last years in the human sciences. Celebrated as the mark of
new, fluid identities, it has more often been used as a positive evaluatory
term than as an instrument of analysis. To what extent can terms like
hybridity, métissage, cosmopolitanism or creolization account for specific
transcultural encounters, the historical significance and differential
cultural weightings of mixed forms? The recent Métissages by Alexis
Nouss and François Laplantine is a symptom of this difficulty. If all the
objects in the encyclopedia are “métis” (the volume contains hundreds of
entries, across historical periods, artistic genres and cultures), what is the
specificity of the cultural configurations which produced them? What the
concept of métissage gains in philosophical depth, it loses in analytical
precision.
The Church of St. Michael the Archangel in Mile End will allow me to
investigate the messages of hybridity in the evolving context of Montreal’s
Mile End neighbourhood–from the building of the church in 1915 to the
dramatic changes which have occurred largely over the last thirty years.
Hybridity here is not a banner but an exploratory device, a trail leading me
back towards the sources of the Church’s odd mixtures and then forward to
the wider field through which the cultural meanings of this object emerge
today. The Church is a meeting-place of stories, a knot of questions we are
invited to unravel, the opportunity to speculate on cultural identities in
today’s Montreal.
An Irish Church...
Why an Irish church? This question is puzzling to today’s Montrealers who
are much more likely to associate the Mile End area with immigrants from
central and south Europe–Yiddish-speaking newcomers from the first
decades of the twentieth century, or the Italian, Portuguese and Greek
immigrants of mid-century. Few remember the Irish presence here. But in
fact, when Saint Michael’s was completed in 1915, it was designed to
accommodate what was to become the largest English-speaking Irish
parish in Montreal at that time. Mile End around 1910 was a construction
site. The city was prosperous and pushing vigorously north beyond Mount
Royal park. Flats were going up with great speed along the newly created
avenues of “the North End,” advancing into tracts of farmland (Germain,
93-96, Marsan). The church was to stand as the centre of a network of
convents and schools, the suburban adjunct to downtown Saint Patrick’s.
The city is so forgetful. Once the Irish community began to migrate
across town to the western parts of the city, few traces of the Irish remained
in Mile End. The only obvious reminder is the name of the neighbourhood
school, Luke Callaghan. In 1964, with the population of the parish
dwindling, Cardinal Léger decreed a merger between St. Michael’s and the
Polish Franciscan community of St. Anthony’s.
108
Hybridity Revisited: St. Michael’s of Mile End
How does a city remember? The list of things forgotten in Mile End is
rich and colourful. Just blocks away from St. Michael’s there was once a
Crystal Palace, built in honour of the visit of the Prince of Wales in 1865,
and a major railway station, with trains leaving for all the big cities in
Canada. There are no traces of either structure today. Not so many years
ago, the storefronts of the neighbourhood were covered with Greek,
Yiddish and Hebrew script. These inscriptions have now been erased,
sponged out by Law 101. In a short time: the work of centuries.
Yet the neighbourhood is not lacking in memories. The Jewish
community has left behind monuments and institutions that fuel a busy
nostalgia industry. It is not so much the buildings themselves as the work of
writers like Mordecai Richler, A.M. Klein, Irving Layton, Shulamis Yellin
and others that sustains historical memory. Where are the Irish writers who
would have given us a permanent memory of their world around St.
Michael’s church? Their words would have served the function of the
figures originally embossed on Saint Michael’s roof–shamrock-like shapes
in green and white that suggested the identity of the church. These
disappeared when the roof was repaired. The church is now an enormous
cipher, a question mark on the horizon of the city.
...In the Byzantine Style
The pamphlet published to celebrate the twenty-fifth anniversary of St.
Michael’s parish (founded in 1902) is expansive in praise for the “superb
temple which flings its mosque-like dome to the skies” (St. Michael’s
Church, p.12). The parish was indeed proud of its “headquarters,” not only
“the most artistic and the most original in a city noted for the magnificence
of its places of worship” but “one of the most interesting of ecclesiastical
buildings in the Dominion, and the first Church in Canada in the Byzantine
style” (p. 12).
Why the Byzantine style? The author of the pamphlet suggests that the
choice was made under the influence of Pope Pius X (1903-1910), who
actively promoted early Christian styles. Pope St. Pius X is known for his
role in reviving Gregorian chant; his love for early architecture can be
traced to the same enthusiasm for early forms.2 He advocated a return to the
mystery and purity of the primitive Christian church. The symbolic
dimensions of this choice seem obvious: the Byzantine style reaches back
to the purer faith of the very first days of the Church, as well as to the oriental
roots of Christianity. Byzantium is the midpoint between East and West, the
encounter of opposing and yet reconciled traditions. With the neo-Gothic
vogue on the wane in the early years of the new century, new styles were
needed. The neo-Byzantine style–which gained some currency throughout
North America–would recall the spiritual truth of the Church, as well as its
universality.
109
International Journal of Canadian Studies
Revue internationale d’études canadiennes
But what was true at the turn of the century remains true today. The author
of the pamphlet complains that the average worshipper does not understand
the “surpassingly lovely and symbolic” qualities of the structure (p. 14).
And even though the Byzantine style is now more familiar in North
America, confusion is increased by the fact that the style is used not only for
churches but for mosques and synagogues as well. Byzantium remains
mysterious–it spills across categories that are usually recognizably secure.
Caught between two strongly defined moments in European history, the fall
of Rome, the beginning of the Renaissance, the Byzantine Empire is
situated, for us, in an in-between historical space. The empire at its most
extensive makes a neat circle around the Mediterranean, just jumping part
of the coastline in France and Spain. Its centre is at the mouth of the
Bosphorus, Europe’s periphery, the starting point of Asia. The Empire
extended east and west, from Antioch in the East to the pillars of Hercules.
What are we to make of the ring around the Mediterranean, drawing
together East and West, hemispheres of the world we have been taught to
consider separate? Byzantium is a dark stain, bleeding across the
boundaries that frame the landscape of European history.
Saint Sophia in Istanbul played a special role in influencing the church’s
architect, Aristide Beaugrand-Champage (1876-1950). When it was first
built in 537, Saint Sophia was admired for the perfect harmony of its
proportions but also admired for the technical feat of its construction, the
enormous dome that seemed to be floating in the air, suspended from the
skies and filled with light. “Rising on high into the boundless air,” says a
poet of the time, “the great helmet enfolds all on every side, just as though
the radiant heaven had become the church’s covering” (Milburn, p. 184-6).
The dome of Saint Michael’s was also considered an architectural feat,
using reinforced concrete for the first time in Quebec to sustain an
enormous surface. The area under the vast dome is free of pillars.
But what is most remarkable about Aristide Beaugrand-Champagne’s
“replica” of Saint Sophia is this. When Constantinople fell to the Ottomans
on May 23, 1453 Mehmet II converted the church into the Mosque of Aya
Sofya, putting up a temporary wooden minaret which was replaced in later
years by tall permanent minarets at the four corners.3 These delicate
minarets, an afterthought, are now the very source of Hagia Sofia’s
dignified and expansive beauty. The pencil-shaped towers at the four
corners of the building counterbalance and set off the weighty roundness of
the church. When Beaugrand-Champagne used Saint Sofia as a model, he
took the church and minarets together as his source. His inspiration was not
just a church, but a building where Islamic and Christian features were
fused. A church with a minaret?
It is difficult to imagine what Aristide Beaugrand-Champagne had in
mind when he sent out this mixed message. Beaugrand-Champagne was a
well-known figure in Montreal cultural history–a teacher, landscape
architect and passionate amateur historian. His most popular architectural
110
Hybridity Revisited: St. Michael’s of Mile End
design is radically different in style and sensibility from St. Michaels. This
is the Chalet on Mount Royal, built in 1932, an elegant and warm
construction of stone and wood, much loved by Montrealers. His lifelong
quest was to prove that the actual site of the Iroquoian village of Hochelaga
was in the current city of Outremont. He wrote numerous articles on
Iroquois culture in Les Cahiers des Dix, the journal of a circle of Montreal
intellectuals. Could Aristide have anticipated the increasingly mixed
character of the neighbourhood?
Prominent on the Montreal horizon, Saint Michael’s is a monument
whose meaning is still difficult to interpret. The church recalls the
turbulence of past ages, the acts of violence through which sacred sites are
appropriated by the victors–the Roman and then the Christian appropriation of Egyptian temples, the Moslem takeover of Hindu sites in India. The
monuments of conquered peoples are not destroyed, but “converted”
symbolically to serve their new rulers. In the case of Saint Sophia and its
copy, Saint Michael’s, the melding of religious symbols–the church with
minarets–becomes a powerful new symbol of its own, a hybrid which looks
forward to a time of reconciliation. The recycling of architectural styles
continually reactivates new meanings. Today the coupling of Christian and
Islamic references is especially provocative. The minaret of Saint
Michael’s is no longer an isolated sign of Islam in the city–the sight of
mosques is now becoming familiar, whether it be in Park Extension or
outside the city in the suburbs. And so the church today points to the
intermixing of histories which were once very distant, but which today
inhabit the same territory, add to the repertoire of proximate differences that
make up a cosmopolitan city. The church joins a new network of references,
enters a new history, as it becomes an ever more familiar sight, printed on
T-shirts that celebrate the recently discovered neighbourhood pride of Mile
End.
The church also speaks of the optimism of a city entering the twentieth
century, responding to massive waves of immigration. The very size of the
church is a gesture of hope. If Pope Pius X wanted the church’s Byzantine
style to speak of the universality of the Catholic church, however, he would
be disappointed today. The Byzantine style hardly evokes the nowhereeverywhere of universality. What the church tells us about is particularism.
It is the materiality of the church that is impressive, its enigmatic
foreignness.
Entering the Church
The interior design of the church is the work of Guido Nincheri (18851973). Nincheri was an Italian immigrant who became the most famous
church decorator in Canada, especially known for his stained glass
windows. Nincheri produced thousands of windows and decorated many of
the most important churches in Montreal, including Saint-Viateur
d’Outremont, Saint-Léon of Westmount, and among his rare profane
111
International Journal of Canadian Studies
Revue internationale d’études canadiennes
settings–the Chateau Dufresne (Labonne). Like many elements of
Montreal’s cultural history, Nincheri and his work are only recently being
rediscovered by professional and amateur historians. As a beneficiary of
contracts granted by the Catholic church for many years, as the painter of
the notorious fresco portraying Benito Mussolini in the Nostra Donna de la
Difesa church, Nincheri was very much a popular and populist artist. Much
of his work today seems stereotyped and naive. However, there are aspects
of his work which are provocative and astonishing–most notably the
“Fallen Angels” in Saint Michael’s church.
Among Nincheri’s realizations, the decorations of St. Michael’s are
outstanding in their vividness and sensuality. Here are particularly evident
the influence of the English PreRaphaelites–in the depiction of women’s
bodies and in the deployment of angels’wings. Botticelli and Michelangelo
are also suggested in some of the women’s heads or the muscle-bound
bodies of the damned (Labonne, p. 36).
Nincheri was given the contract to decorate the church some ten years
after the structure was completed in 1915. Many of the features of the
decoration (frescoes and stained glass windows) seem to clash with the
church’s interior architectural components: the rows of Romanesque
windows ringing the cupola, the four Moorish balconies looking down
from the dome. The windows are entirely unconventional for a church.
Neither geometric decorations nor the usual Biblical scenes, they are
flaming, oversized flowers. The glare of the morning light brings out the
brash orange and green of the Art Deco style petals that take up half the side
walls. The colour scheme contrasts violently with the more modest blue and
red painted motifs in the church, the huge prisms of flower pulsing
aggressively against the tiny detailed patterns.4
Saint Michael looks down from the very centre of the dome. The great
warrior angel stands, young and blank-faced, with his foot on the neck of the
dragon. He is a bland figure, especially in contrast to his enemies–who are
astounding. They are painted in Art Deco peacock and gold on the sides of
the dome, about mid-way between ceiling and floor. Eight gorgeous figures
are crumpled into the shapes of falling angels. They are going down, head
first, in a flurry of wing and robe, gossamer capes flying, their muscled
backs exposed. By their grace, by their artful tumbling, they far outdo the
stolid Michael. They are sexualized beings, their bodies a glorious torment
of conflicting signs.
Nincheri seems to be inspired by the daring forms of the church. His
decorations are especially fanciful, in comparison with his work in other
churches. At the same time, his work disregards many of the imposing
architectural features of the church. Rather than blending in with the
oriental theme, the painted frescoes and stained glass windows struggle
against it. There is no sense of unity, no quiet harmony. Hybridity seems to
have dissolved into disorder. Nincheri seems to be contributing his own
112
Hybridity Revisited: St. Michael’s of Mile End
willful version of stylistic hybridity– a mixture closer to heterogeneity than
to the artful combination of forms. This heterogeneity is echoed by the
proliferation of images throughout the church.
Churches can be “kataphatic” or “apophatic,” says Margaret Visser.
(Visser, p. 172) They rejoice in the stimulation of visual imagination or they
deliberately choose to encourage the emptying of the mind. Saint
Michael’s, like most parish churches in Quebec, belongs to the first
category. It has a rich panoply of saints, its own variegated collection
chosen from among the thousands of possible candidates, “fellow
Christians,” says Visser, “who are thought of as ready and willing to offer
inspiration, support, company, a sense of history, and even simple narrative
interest and variety, if it is desired.” The lined-up figures of the saints in
churches, Visser suggests, form a kind of procession, “both of the living and
of the lined-up-and-remembered dead,” a process which recalls “the
continuous but itinerant character of Christianity. The Church is
experienced as a huge crowd of people, past as well as present, on the
march, pressing on towards the day when God’s kingdom will reign upon
earth” (p. 173).
There is a special connection to be drawn between the archetypal journey
of Christendom and a church such as Saint Michael’s. Most of the church’s
parishioners are immigrants, more or less recent. Their saints have also
travelled to join them in this new land. And, once established here, these
saints serve as conduits back to the stories and histories of each community.
In Saint Michael’s we find Saint Patrick and Saint Anne, Saint Peter,
Lawrence, Agnes, Saint Anthony, Theresa of Lisieux, Saint John the
Baptist, San Marziale, Our Lady of Czestechova and Maximilian Kolbe,
the Polish Franciscan worker priest executed at Auschwitz. Most of these
are stand-up models except for Our Lady of Czestechova, an icon, a relic of
Byzantium and a reminder of pre-Christian days, it is said, when pagan
goddesses guarded holy sites. Kolbe is depicted in an oil painting, hand on
heart, in tones of dark brown and sepia, sitting without frame on the altar
dedicated to the parish war dead of 1939-1945, bringing a note of dark
intensity to these side alleys of the church, ledges strewn with candles, fake
flowers, greeting cards or crucifixes deposited ex voto, the bric-a-brac of
piety.
Each of these saints carries a history, making the church an intersection
of narratives, each telling of the pathos of migration. These migrations tell
of the catastrophes of history, the Irish famine, the forced migration of the
peasantry of southern Italy, the dramas of Communism and its struggles
with the Church in Poland. Together, they speak of the mixed languages of
this neighbourhood, which is a traditional buffer zone between the French
and English sectors of the city, a zone which has experienced successive
waves of immigration, each one leaving behind fragments and traces as yet
more recent newcomers arrive. Can we imagine the dissonance of their
113
International Journal of Canadian Studies
Revue internationale d’études canadiennes
stories recited in chorus? We would hear a fabric of strange harmonies, an
echo of the voices outside, the soundscape of the neighbourhood.
Not all the saints have the same status. There are the “national” saints,
Saint Patrick, Saint Jean-Baptiste. Saint Michael is of course the titular
saint and Saint Francis reminds us that the church is now run by a Polish
Franciscan community. What of San Marziale? He is a visitor, brought to
the church in 1968 because the Italians of the neighbourhood had no church
of their own. San Marziale is the patron saint of the village of Ischa
sull’Ionio, in Calabria. He was ordered from Italy, and flown over by
airplane by a group of fourteen men–il Comitato–including Rocco who is
the owner of Café Olympia (known as Open da’ Night), the now cultish
Italian café on the corner across the street from the church. They obtained
permission from Saint Michael’s (with an agreement to hand over the
collection gathered at special masses) to place him in the church. He stands
in his glass case, a painted Roman soldier, waiting for his yearly procession
on the shoulders of his paesani from Calabria. He has a certain Italian
elegance to him, the shine of lacquer brightening up the painted colours of
his tunic, his knee-high boots, the palm fronds he carries in his hand. For
many years there was a bicycle race to accompany his feastday and the
neighbourhood would wake on Sunday morning to a swarm of buzzing, as
the bikes raced by, taking the corner at a synchronized tilt.
The home-made races are over now. Each year the crowds dwindle, the
ancient musicians are more wrinkled, their step a little less martial as they
balance their antique brass instruments. Still rows of women, dressed in
black, walk slowly behind the saint, arms joined, singing their shy hymns.
And every year the priest stands on the balcony of the church, with the odour
of sausages wafting up from the pavement, to tell of the story of a young
Roman soldier who became a martyr.
… In a Culturally Diverse Neighbourhood
Mile End has always been a place of passage, a stopover on the way to better
things. The name probably refers to the distance of a mile which separated
Sherbrooke street, the northern limit of Montreal in the 18th century, from
Mile End Road, today’s Mont-Royal avenue. Like its counterpart in
London, Mile End is a border area. The neighbourhood occupies a space
between the two dominant identities in Montreal, the Anglophone west and
the Francophone east. It is an in-between space, a no man’s land, a territory
of uncertainty in a city where identity counts.
Salman Rushdie says of Bombay that it is a “city of remakes” (Rushdie,
Moor’s Last Sigh, p. 187). We could say the same of Mile End, that it is a
neighbourhood of makeovers. As each new wave of immigration washes
over the plateau, it refashions the features of the neighbourhood in its own
image. There were once some sixty synagogues in this neighbourhood, and
the episodes of their transformation over the course of almost a century
114
Hybridity Revisited: St. Michael’s of Mile End
chronicle the destiny of public architecture (Bronson, 2002). The transformations are diverse: the small synagogues have been turned into alternative
venues like a mime theatre, a yoga centre or evangelical churches; the larger
buildings taken over by other immigrant religious groups, Russian
Orthodox and Ukrainian, some welcoming a number of religious groups in
succession. Previous religious symbols, like carved Jewish stars, are
sometimes ignored, sometimes awkwardly transformed. While some
changes are congruent, esthetically or culturally, others are distressing.
One synagogue has become an apartment building, the large noble edifice
punctured by tiny square windows and ringed by the gruesome, coloured
panels of 1950s balconies.
While St. Michael’s church dominates the landscape of Mile End, two
other structures compete for symbolic importance. Consider the Collège
français on Fairmount street, two blocks down from St. Michael’s. The
Collège français was once the Bnai Jacob Synagogue, a distinguished and
beautiful building. During the 1960s, the Collège français bought the
synagogue and covered its front with a new facade of yellow bricks. The
brick and glass frontage of the college hides the face of the synagogue,
leaving in view only the top fringe, with its scroll of Hebrew letters,
squaring the graceful curve of the building. This defacing is a product of the
era of what was known as “urban renewal” of the 1960s–a period when
history was disregarded in the name of a brash sense of entitlement on the
part of urban authorities and property owners. The Jewish past of Mile End
was ignored, the brick and stone put to better use. The crude treatment of the
Bnai Jacob Synagogue was compensated, years later, by the respect given
to the recent renovation of an Anglican church on Park avenue. When this
building was deserted by its Anglophone parishioners in the 1990s, it was
transformed into the local municipal library, the wooden beams and
commemorative windows gracefully integrated into the building’s new
functions.
These three buildings are all hybrids: each combines disparate cultural
and architectural elements. Yet each delivers a different message.
St. Michael’s uses exotic forms of cultural difference in an attempt to
neutralize the power of specificity. If its aim was to promote universality, its
function today is to draw attention to the diversity of cultural mixings that
now prevails in the neighbourhood. The current facade of Bnai Jacob was
designed to express the opposite intention. It does not express the
accumulation of identities but rather the desire to cancel out competing
identities. The facade is a blatant expression of disrespect, the product of a
period which saw a great deal of reckless demolition across Montreal. Bnai
Jacob stands as an example of architectural profiteering, the spoils of the
vanquished passing to the victors. As for the Anglican church, it represents
the contemporary form of recycling, where the religious elements of the
building’s past are neutralized. The Anglican identity of the church is
de-fused, and it is the pure esthetics of the past which remain. The library
115
International Journal of Canadian Studies
Revue internationale d’études canadiennes
recalls not the specific identity of the previous occupants but rather the
vocation of the church. No longer the home of a single community, it is now
a place for a new community to gather.
As landscapes thicken with history, we are increasingly aware of the
overlay of meanings left by a succession of stories and languages. The
natural horizon, the architecture of cities, and the literature we read: all are
marked by competing voices. To walk the city streets is to hear these
conversations, to be attentive to the alliances and frictions they produce.
Inter vs. Trans: La fête de la Saint-Jean
At the very foot of St. Michael’s church, the Fête de la Saint-Jean is
celebrated in Mile End every year. For some twenty years now, each 24th of
June, the festivities take on a special character in this neighbourhood. Why?
Because it was here that it first became possible to celebrate Quebec’s
national day on the basis of a new kind of allegiance.
When the Mile End celebration was inaugurated in the 1980s, it
represented a new way of celebrating Quebec nationalism. From this site,
within a multiethnic neighbourhood, it was possible to send a new kind of
salute to the Quebec collectivity–one that flouted both the traditional Anglo
boycott of June 24 and the exclusivism of traditional nationalism. It is both
fitting and ironic that this celebration originated in a neighbourhood where
French-Canadians had always lived (for many because of the proximity of
large clothing factories) but whose presence was not very visible.
The celebration usually follows the same plan. In the late afternoon there
is family entertainment, often folkdancing groups. Then there is a meal
where you get to fill your plate with a selection of ethnic foods–African
meatballs, fried food from the Caribbean, Indian rice dishes, etc. This is
classic multiculturalism, diversity on display. Each kind of food is labelled
by its origin, represented as “typical” of the group it represents. You have
your culture, I have mine, but on this special occasion we’ll share. When I
fill my plate with a selection of national foods, I become a cosmopolitan
freed from the bounds of my singularity. But tomorrow morning will find
me back at my own cultural breakfast table.
Later in the evening there will be dancing to Latin or African beats of
fusion music. Here the multicultural model breaks down, differences
melding one into the other. If multiculturalism treats cultures as autonomous and closed, distinct, recognizable as spectacle and as objects of
consumption, the music speaks of mixture. It is closer to the identities of the
spectators. In fact, many of the participants in this festival will have
difficulty identifying themselves within one single cultural frame.
Multiculturalism suggests that cultures live in peaceful coexistence and
tolerance, egalitarian pluralism, tolerance and mutual recognition. In a
hybrid regime, on the other hand, cultural traits enter into modes of
116
Hybridity Revisited: St. Michael’s of Mile End
circulation, interaction and unpredictable fusions. Identities are set into
motion. Hybridity signals the beginning of an era where the prefix used to
describe cultural relations passes from “inter” to “trans.” Commerce
between cultures is not of the order of exchange, but of interpenetration and
contamination. How to account for today’s increasingly complex forms of
cultural contact and forms of identity?
The vocabulary which has been available to describe cultural contact
has, until recently, been limited. Acculturation and assimilation are mirror
images (negative and positive) of the same process: the loss of distinctive
cultural traits to a host culture which is assumed to remain intact and stable.
Hybridity, créolité, métissage refer to forms of mixing, each recalling a
vexed history, where cultural mixing has been associated with a legacy of
violence and racism. Increasingly used to refer to the changing character of
Quebec society, these terms are also unsatisfactory for the way in which
they conflate process and result. We need to distinguish the ways in which
identities come together, the values that these fusions represent, the
different forms they take.
One of the overarching questions of our time is how to account for new
forms of cultural contact and interaction. When different realities came
together, what kind of shapes did they produce? How durable is this new
formation? What kind of terms could be used to describe the couplings,
fusions, interpenetrations which come about as a result of cultures,
languages and individuals meeting in the space of cities? To engage with the
complexities of contact is to explore the “fractures and entanglements”
asymmetries, ethics, histories, interdependencies, distributions of power
and accountability” (Pratt, p. 33), which play themselves out in intercultural interactions.
Cosmopolitan cities offer models of interaction which are different from
those imposed by national frames. To choose the neighbourhood as a frame
for analysis is to propose a different map, a crisscrossing of motives and
desires, a continual flow of cross-cultural traffic.
In Montreal, Mile End now represents a neighbourhood of old
immigration. The neighbourhood is increasingly gentrified, its population
more and more professional. This is but one of the many changes occurring
very rapidly in a newly prosperous city, where construction is booming and
renovation rampant. The edges of the city, once ragged and disheveled,
have become neat, smoothed into parks and condo developments. Many
neighbourhoods are far more varied and mixed than Mile End. Large
communities of immigrants have moved to the suburbs, and there are
important groups of East Asians on the West Island, for instance, and many
immigrants living on the South Shore. For sheer heterogeneity of
immigrant groups, you must look to Park Extension or to Côte-des-Neiges,
rather than to Mile End.
117
International Journal of Canadian Studies
Revue internationale d’études canadiennes
Still, hybridity lives in a heightened form in Mile End. Hybridity is not
only a feature of the architecture–it exists on many planes: in mixed
affiliations and loyalties, in imaginative creations, in the languages which
circulate on its streets. If a neighbourhood can be said to have a sensibility,
then Mile End’s has to do with polyglot interaction, passage and exchange.
While French is increasingly the language of public communication, the
filter through which the public world is accessed, English and other
languages are commonly heard on its streets. The culture of the neighbourhood takes shape through this movement across languages. To live in
Montreal is to experience a double consciousness. All language is
shadowed by another tongue, haunted by another code beneath or beyond
the language one speaks. Translation becomes the active principle through
which we can understand cultural mixing. Writers have put translation to
use, opening up new paths across the city, finding stimulation in this
contact. But translation often exceeds its conventional role and expands
into forms of creative interference. Translation gives way to hybrid forms of
communication, writes new chapters in the city’s social history.
These forms of hybridity and translation are inscribed in the memory of
the neighbourhood, its historical consciousness of marginality (Germain,
2000, p. 246). Cosmopolitan consciousness is sustained by a set of practices
and symbols–the celebration of the Saint-Jean, the many religious
buildings “in transition” (Bronson), the memories contained in St.
Michael’s Church. But will the neighbourhood forget, as the city continues
to evolve? Like any hybrid assemblage, these memories and their symbols
have provisional meanings, continually open to reinterpretation.
Notes
1.
2.
3.
118
With thanks to Kevin Cohalan, for years of enthusiasm and generous information-sharing, and to Robbie Schwartzwald, for this particular instance of
encouragement among many others. This article is a development of ideas
introduced in my Hybridité culturelle, Montréal, Île de la tortue, 1999.
Cohalan refers to Pius X’s papal decree of November 22, 1903 on Sacred music
and his encyclical on Pope Gregory the Great, Iucunda Sane, which appeared four
months later, March 12, 1904. See http://www.vatican.va/holy_father/
pius_x/encyclicals/documents/hf_p-x_enc_12031904_iucunda-sane_en.html.
This is how Rowland Mainstone (Hagia Sophia, Thames and Hudson, 1988)
describes the process of conversion: “The initial adaptation probably involved
little more than the removal of the principal Christian liturgical furnishings, their
replacement by a mihrab and mimbar oriented towards Mecca, and the
construction of a temporary wooden minaret. The cross over the dome was
replaced by a crescent … Externally the silhouette was progressively changed in
later years by the building of tall permanent minarets in the four corners … By the
early nineteenth century most of the high-level mosaic figures in the nave had
been painted over, large square panels bearing Arabic inscriptions had been hung
against the faces of the piers, and the richest colour must have been that of the
prayer rugs which covered the whole floor. The light from these lamps, the
vastness of the space under the dome, and the strange effect of the skew alignment
Hybridity Revisited: St. Michael’s of Mile End
4.
of the prayer rugs and furnishings and the rows of the turbaned congregation were
what most impressed the few non-Muslims who then gained admittance.” (pp.
11-12)
There is some possibility that Aristide was himself responsible for the stained
glass windows. Kevin Cohalan found a sketch of the window design on the back
of one his architectural drawings.
References
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brochure prepared for the Mile End Historical Society, 2002.
Germain, Annick and Damaris Rose, Montréal. The Quest for a Metropolis. Toronto,
John Wiley & Sons, 2000.
Germain, Annick, coor. Cohabitation interethnique et vie de quartier, Collection
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Labonne, Paul, dir. Guido Nincheri. Un artiste florentin en Amérique. Ouvrage produit
à l’occasion de l’exposition au Château Dufresne, juin à octobre 2001. Atelier
d’histoire d’Hochelaga-Maisonneuve, 2001.
Laplantine, François et Alexis Nouss, Métissages. Paris, Fayard, 2002.
Mainstone, Rowland, Hagia Sophia, London, Thames and Hudson, 1988.
Marsan, Jean-Claude, Montréal en évolution, Historique du développement de
l’architecture et de l’environnement urbain montréalais. Montréal, Méridien,
1994. (3e édition).
Milburn, Robert, Early Christian Art and Architecture, Berkeley, University of
California Press, 1988.
Pratt, Mary Louise, “The Traffic in Meaning: Translation, Contagion, Infiltration,”
Profession 2002, Modern Language Association, 2002, pp. 25-36.
Rushdie, Salman, The Moor’s Last Sigh. Toronto, Knopf Canada, 1995.
Saint Michael’s Church, Montreal. 1902-1927. Pamphlet published for the Jubilee
anniversary of the Parish, reprinted 2002 for the Parish Centennial Year.
Simon, Sherry, L’Hybridité culturelle. Montréal, Île de la Tortue, 1999.
Vachon, André, “Le neuvième fauteuil, Aristide Beaugrand-Champagne,” Les cahiers
des Dix, no. 51, 1966, pp. 173-179.
Visser, Margaret, The Geometry of Love. Toronto, Harperflamingo Canada, 2001.
119
Sirma Bilge
La construction politique de l’ethnicité et les enjeux
de la représentation de la « communauté » à travers
l’étude d’une fête turque à Montréal
Résumé
S’appuyant sur une enquête de terrain effectuée dans le milieu immigré turc à
Montréal et sur un cadre d’analyse scindant la notion de communauté
ethnique en trois piliers distincts : identitaire, organisationnel et politique,
cet article examine la construction politique d’une communauté et sa mise en
représentation à travers une célébration spécifique, la Fête des enfants. Enjeu
des discours dominants internes et externes sur la «turcité», le
multiculturalisme et l’interculturalisme, la mise en représentation de la
communauté immigrée lors de cette fête, érigée par les membres en tradition,
apparaît alors comme un espace d’enchevêtrement de l’identitaire et du
politique – agissant également sur l’aspect organisationnel, étant donné le
rôle structurant des pratiques festives dans l’associationnisme immigré.
Au-delà des aspects identitaire et organisationnel, se dessine toutefois, à
travers cette pratique festive, un projet collectif résolument politique, tourné
à la fois vers la société d’établissement dont la communauté recherche la
reconnaissance, vers la société d’origine, notamment vers l’État, dont le
groupe immigré reproduit et propage la vision historique, et vers la diaspora
pour en actualiser l’imaginaire collectif.
Abstract
Based on a field study conducted among Turkish Montrealers, this paper
operates through an analytical framework splitting the notion of ethnic
community into three distinctive pillars (identity, organization and politics).
More precisely, it focuses on the political construction of an émigré
community and on its public performance through a specific festive activity:
Children’s festival. This annual reenactment of a Turkish national holiday,
celebrating the foundation of the National Assembly and the declaration of
sovereignty, by Turkish Montrealers reveals itself as a cultural re-processing
worked by power relations located at multiple levels and shaped by internal
and external dominant discourses on «Turkishness», multiculturalism and
interculturalism. This celebration becomes a site where identity and politics
intermingle, and influence the organizational dimension, thanks to the
structuring role played by rituals and celebrations on émigré associationism.
Yet, beyond the issues of collective identity and organization, an explicit
political agenda reveals itself throughout this celebration, one that speaks
both to the settlement society, from which the community seeks to obtain
recognition, and to the home society, whose historical visions the community
International Journal of Canadian Studies / Revue internationale d’études canadiennes
27, Spring / Printemps 2003
International Journal of Canadian Studies
Revue internationale d’études canadiennes
intends to reproduce and disseminate, as well as to the Turkish diaspora, in
order to activate its communal imaginary.
Introduction
L’étude des fêtes et rituels en contexte post-migratoire vise non seulement
la compréhension de la capacité des acteurs à préserver, à transmettre et à
réinventer des éléments de leur culture et de leur histoire, mais aussi la
saisie des rapports que ces pratiques permettent d’établir avec le nouveau
contexte. La célébration ou la commémoration devient alors un acte
d’appartenance inscrivant la mémoire spécifique du groupe dans la société
d’établissement.
Si les dimensions culturelles et sociales de ces célébrations minoritaires1
ne font aucun doute, leur dimension politique semble moins évidente.
Pourtant, la communauté, dite ethnique ou culturelle, ne saurait se résumer
à une entité sociale, culturelle ou économique si et tant bien que les
processus politiques2 participent grandement à forger sa structure, son
évolution, ainsi que les relations sociales qui la tissent (Breton, 1983).
Exploitant certains résultats d’un travail de terrain3 effectué dans le
milieu immigré turc à Montréal, cet article s’applique à explorer les
manières dont le politique s’exprime à travers une fête communautaire
spécifique, la Fête des enfants. L’objectif est d’examiner les enjeux internes
et externes de la mise en représentation de la communauté à travers cette
fête et de cerner les motifs qui la sous-tendent. La fête sera appréhendée
comme une activité collective qui est à la fois l’expression vers l’extérieur
d’une ethnicité distincte et un facteur de cohésion interne, une activité
significative permettant au groupe de parler de lui vers l’extérieur, mais
aussi de se parler à lui-même. On découvrira que la visée politique de cette
fête dépasse les confins du local pour atteindre un espace public
transnational, étant tournée conjointement vers la société d’établissement
dont le groupe recherche la reconnaissance, vers la société d’origine, plus
particulièrement vers l’État d’origine pour reproduire et propager la vision
historique officielle, et enfin, vers la diaspora4 pour en tisser l’imaginaire
collectif.
La fête comme expression et ciment de l’ethnicité
Les pratiques festives ou commémoratives des groupes immigrés offrent
une base à l’identité collective qui exprime un héritage historico-culturel
spécifique toujours réinterprété (Hilly et Meintel, 2000), une base où
s’opère également sa transmission aux générations futures. Ces
célébrations participent, en outre, à l’appropriation à la fois matérielle et
symbolique de l’espace, constituant des actes d’appartenance, des
performative belongings (Fortier, 2000), qui inscrivent la mémoire
spécifique du groupe dans le nouvel environnement.
122
La construction politique de l’ethnicité et les enjeux de la représentation de
la « communauté » à travers l’étude d’une fête turque à Montréal
Que cette spécificité soit décrite en termes mnémoniques ou
patrimoniaux (mémoire, histoire, culture…), elle fait appel à la notion
d’ethnicité. Celle-ci se circonscrit ici au contexte post-migratoire5 et
renvoie à une identité collective minoritaire et à une organisation sociale
constituées sur une base ethnique au sein d’une population comprenant les
migrants originaires de Turquie et leurs descendants. Nous nommons
ethnicité le sens collectif que les individus ont de la spécificité historique et
culturelle de leur groupe6, ce qui implique la croyance en une communauté
d’ancêtres réels ou supposés (Weber, 1922) et un sentiment de
responsabilité collective (Wirth, 1928) concernant leur destin historique et
leur devenir en tant que groupe distinct. Ce sentiment d’appartenance, forgé
en premier lieu au sein de la famille par la socialisation primaire effectuée
principalement par le travail des mères (Juteau-Lee, 1983), sert aussi de
base à l’action collective et se consolide au cours de la même action qui l’a
rendu en premier lieu socialement significatif. Parfaite illustration du
retournement sociologique, l’action sociale est donc à la fois le socle et le
ciment de l’ethnicité, et l’ethnicité, autant son produit que son activateur.7
Les fêtes en tant que pratique sociale permettent aux groupes d’exprimer
une identité ethnique distincte reconnaissable en vertu de ses frontières
sociales, même si le contenu de cette identité fluctue selon les époques, les
acteurs et les situations d’interaction (Barth, 1969). La sélection, à partir de
ce contenu culturel fluctuant, des valeurs et des pratiques qui représenteront
favorablement le groupe vers l’extérieur engendre des débats internes sur
l’identité et l’authenticité. Or, ces tensions, au lieu d’affaiblir le groupe
ethnique, dynamisent sa vie collective, renforçant l’intérêt que portent les
membres aux affaires internes au détriment de l’intérêt porté vers
l’exogroupe (Breton, 1964).
Certaines pratiques collectives des groupes immigrés, englobés dans un
grand ensemble institutionnel majoritaire auquel ils sont liés par une
relation d’interdépendance inégale découlant de l’immigration 8 ,
acquièrent une dimension politique capable de générer un espace public
transcendant les limites de leur communauté locale. Cet espace pourrait
être désigné comme une sphère publique diasporique dans laquelle sont
interprétés et disputés différents imaginaires transnationaux et où les fables
esthétiques et morales de la diaspora sont formulées, la mobilisation
politique générée (Werbner, 1998). La Fête des enfants, en tant qu’unique
mise en représentation élaborée de la communauté turque de Montréal
tournée vers la société d’établissement, fait clairement partie de ce type de
pratiques collectives dotées d’une dimension politique. La communauté
s’efforce de la célébrer avec l’exogroupe et vise la participation active
autant des tiers minoritaires que du groupe majoritaire. Toutefois, on verra
que l’orientation publique de cette célébration ne fait pas l’unanimité au
sein de la communauté, certains privilégiant une fête qui serait célébrée
dans l’« entre-soi » de l’espace communautaire, et d’autres cherchant à
accroître la visibilité de leur groupe dans l’espace public en y organisant
123
International Journal of Canadian Studies
Revue internationale d’études canadiennes
une grande fête. Se profilent alors, derrière cette célébration, non seulement
les divergences d’opinions internes, mais aussi deux espaces politiques
parallèles qui interagissent : celui des affaires internes et celui des affaires
externes.
D’emblée, on a établi que la mise en représentation d’une communauté à
travers la fête constitue un processus à la fois identitaire et politique, qui agit
également sur l’aspect organisationnel, étant donné le rôle structurant des
pratiques festives dans l’associationnisme immigré. L’objet d’analyse
privilégié dans cet article est la dimension politique. Avant d’examiner
comment une fête communautaire se transforme en un espace d’action
collective motivée par des objectifs politiques complexes, un espace où
seront réactualisés certains grands thèmes historiques de l’identité
nationale turque, il convient d’offrir un bref aperçu de ce milieu immigré
largement méconnu dans l’espace canadien9 et plus particulièrement des
courants politiques qui l’investissent.
Le milieu immigré turc à Montréal : aperçu des tendances et des
clivages socio-politiques
L’espace migratoire turc reflète l’hétérogénéité de la société d’origine,
segmentée le long des lignes ethniques, confessionnelles, sociales et
politiques, sous l’apparence unitaire de l’État-nation de type jacobin. À
partir des années 1970, les milieux immigrés turcs et kurdes en Europe se
radicalisent sous l’effet de l’arrivée des militants de gauche, des mouvements pro-kurdes et, dans une moindre envergure, des fondamentalistes
islamistes en tant que demandeurs d’asile. Se transplantent alors de manière
durable, dans l’immigration, ces forces politiques dissidentes au régime
d’Ankara, renforçant par ce fait même une situation de dissymétrie par
rapport au paysage politique en Turquie qui s’était établie à partir des
années 1960 (Bozarslan, 1992). En l’absence de l’État turc10 et face aux
besoins accrus des familles immigrées, les forces politiques marginalisées
en Turquie investissent donc l’espace immigré turc en Europe occidentale11
alors que les forces dominantes du paysage politique de Turquie y restent
marginalisées.
La situation en Amérique du Nord diffère considérablement de cette
configuration : les forces dissidentes qui foisonnent dans l’espace européen
y sont négligeables et le discours dominant parmi les Turcs d’Amérique
reste essentiellement patriotique et pro-étatique. Cette différence
s’explique entre autres par les caractéristiques propres au mouvement
migratoire turc vers ce continent, initialement composé des professionnels
urbains qui ont établi en grande partie les repères normatifs de l’univers
communautaire (Bilge, 2002), dont l’examen dépasse le cadre du présent
article.
Les efforts déployés par l’État turc, à partir des années 1980, pour
encadrer ses ressortissants expatriés trouvent donc un allié de choix parmi
124
La construction politique de l’ethnicité et les enjeux de la représentation de
la « communauté » à travers l’étude d’une fête turque à Montréal
cette élite urbaine établie en Amérique du Nord. À Montréal, leur
établissement remonte aux années 1950 et 60. En fait, dès la fin des années
1940, l’immigration turque vers les États-Unis et le Canada devient une
migration essentiellement composée de professionnels, comprenant
surtout des médecins et des ingénieurs. Si les États-Unis et le Canada
n’avaient pas, à l’époque, imposé de mesures restrictives à l’endroit de
certains pays d’origine, comme la Turquie, jugés incompatibles avec le
tissu ethnico-culturel de la société – le quota était fixé à 100 professionnels
par an jusqu’au milieu des années 1960 –, leur nombre aurait été
considérablement plus élevé (Halman, 1980). Avec l’abolition des critères
raciaux dans les politiques d’immigration canadienne et américaine,
respectivement à partir de 1962 et de 1965, et la libéralisation du droit à
l’émigration en Turquie en 196112, la migration professionnelle s’accélère
jusqu’au milieu des années 1970 pour ne s’affaiblir qu’avec la crise
pétrolière de 1973-74 et la mise en place des barrières professionnelles à
l’endroit des médecins et ingénieurs diplômés à l’étranger.
À Montréal, l’arrivée de ces professionnels coïncide avec l’expansion du
secteur tertiaire de l’économie québécoise résultant des réformes
institutionnelles entreprises par l’État québécois dans les secteurs publics et
parapublics (hôpitaux, écoles, etc.) et créant un besoin accru en personnel
qualifié (Labelle, et al. 1983). Il ressort non seulement que cette cohorte
comprenait des travailleurs hautement qualifiés, mais aussi que son arrivée
et son établissement se situaient dans une conjoncture socioéconomique
résolument favorable à l’intégration en emploi des immigrants. Par
conséquent, les conditions d’existence matérielles et symboliques des
migrants de cette cohorte ont peu de similitudes avec celles de la cohorte
suivante, composée, elle, des demandeurs d’asile issus de la campagne
anatolienne. Il importe de souligner que l’arrivée de ce segment rural et
faiblement scolarisé ne découlait ni des politiques de recrutement
officielles, ni des programmes de parrainage familial, mais s’était réalisée
par le recours à l’asile politique, et ce, dans un contexte de récession
économique. Ainsi, entre septembre 1986 et janvier 1987, survint à
Montréal une vague de quelque 2000 demandeurs d’asile turcs, dont
environ un cinquième était d’origine kurde. Arrivés à une époque où le
Canada n’exigeait pas de visa de visiteur des ressortissants de la Turquie,
ceux-ci réclamèrent aussitôt le statut de réfugié pour des raisons
essentiellement économiques. Le rejet de leur demande par les autorités
fédérales quelque 18 mois après leur arrivée engendra une mobilisation
soutenue et haute en couleur qui culmina en avril 1988 avec « la marche sur
Ottawa ». Sous la vaste couverture des médias où ils étaient représentés
d’abord comme des faux réfugiés abusant du système canadien, ensuite
comme des victimes de la lenteur du même système, leurs péripéties
devinrent « l’affaire des Turcs ».13 Au terme de la controverse, environ la
moitié d’entre eux se firent expulser, mais la plupart parvinrent à retourner
au Québec dans les deux années suivantes, munis du statut d’immigrant
permanent obtenu grâce aux certificats de sélection délivrés par les
125
International Journal of Canadian Studies
Revue internationale d’études canadiennes
autorités québécoises. Il ressort qu’à la différence de la cohorte ancienne,
ces demandeurs d’asile ont rencontré d’importantes difficultés d’insertion
économique. Aussi ont-ils souffert, pendant une période au moins, d’une
certaine stigmatisation sociale associée à leur représentation collective en
tant que « faux réfugiés ».
Sur le plan de la structuration communautaire, ces deux différentes
vagues migratoires, porteuses de différences liées à la classe, au mode de
vie, aux convictions politiques et religieuses, ont engendré, dans
l’établissement, une segmentation génératrice de rivalités et de conflits
plutôt que de solidarités.14 L’arrivée, en tant que demandeurs d’asile, d’un
groupe deux fois plus nombreux et foncièrement dissemblable de la
communauté déjà en place, au lieu de susciter une vague de solidarité, a joué
un rôle accélérateur sur les relations sociales préexistantes, révélant des
conflits latents et des clivages internes. Un contrecoup discernable de
l’arrivée des « ruraux » demandeurs d’asile s’est observé dans la vie
associative : leur recrutement par un sous-groupe s’opposant à la mainmise
de l’ancienne élite sur l’administration de l’unique association turque de
l’époque a vite fait de provoquer une scission au sein de celle-ci. Un an et
demi après l’arrivée de ces demandeurs d’asile, une nouvelle organisation,
la Maison populaire de Turquie, a été formée à Montréal par une centaine de
Québécois d’origine turque décidés à lutter contre la décision ministérielle
d’expulser leurs compatriotes et désireux d’offrir à la population une
organisation parallèle, différente de l’autre association turque de Montréal
qu’ils jugeaient discriminatoire et antidémocratique. Affirmant que leur
association était ouverte à toutes les minorités originaires de Turquie, les
fondateurs accusèrent les dirigeants de l’autre association de s’adonner à
des pratiques religieuses et politiques discriminatoires et de ne pas avoir
suffisamment défendu les droits de leurs compatriotes menacés de
déportation (La Presse, « Les Turcs trouvent refuge dans une église », 20
mars 1988).
Pour clore cette brève topographie du milieu immigré turc à Montréal, on
soulignera que 40 ans après la création de la première association turque à
Montréal, les Turcs constituent une population de 5160 personnes à
Montréal, qui reçoit 95 p. 100 du phénomène migratoire turc au Québec. À
l’échelle canadienne, la taille de cette population se chiffre, selon le
recensement de 2001, à 25 000 personnes. Aussi le groupe turc reflète-t-il,
malgré sa taille réduite et son faible degré d’institutionnalisation15,
l’hétérogénéité de la société d’origine avec ses clivages ethniques,
confessionnels, régionaux et sociaux, lesquels se doublent de nouveaux
facteurs de différenciation liés au contexte d’établissement, tels que
l’antériorité, les comportements linguistiques, les trajectoires
résidentielles et professionnelles, autant d’éléments producteurs de
nouvelles hiérarchies internes. À cet égard, l’intérêt d’analyser la Fête des
enfants réside dans le fait que cette célébration est vécue par les membres
comme une des rares occasions permettant à la communauté de passer
126
La construction politique de l’ethnicité et les enjeux de la représentation de
la « communauté » à travers l’étude d’une fête turque à Montréal
outre, ne serait-ce que temporairement, certains de ses clivages internes et
de s’unir autour d’une activité exaltant les sentiments patriotiques. Mais en
même temps, son organisation cristallise le débat normatif sur la « turcité »
où se confrontent et se creusent les clivages politiques et idéologiques
internes.
Le patriotisme en tant que pôle central de l’identité expatriée
turque
L’examen de l’histoire de l’immigration turque à Montréal permet de
comprendre comment le noyau ancien se posa comme le dépositaire de
l’identité collective. Avant 1986, la présence turque à Montréal se résumait
à un millier d’individus, comprenant majoritairement des professionnels et
des gens d’affaires d’origine urbaine. Ce noyau initial affichait un fort
degré de cohésion du fait de son homogénéité socioprofessionnelle,
générationnelle et, dans une certaine mesure, politique : ils étaient les fils et
les filles de la République laïque, en rupture avec le passé ottoman et ses
valeurs islamiques. Ils avaient structuré leur micro-communauté autour de
l’unique association, la Turkish Canadian Cultural Association, fondée en
1964 et renommée dans les années 1970, dans un contexte de recrudescence
du nationalisme québécois, l’Association culturelle turque du Québec.
Leur vie sociale était comparable à celle prônée dans les premières
décennies de la République; alors que l’espace urbain en Turquie se
transformait sous l’effet de l’exode rural, ces anciens avaient pu se
préserver de l’irruption des traditions anatoliennes et disaient « vivre en
Occident comme des Occidentaux ».
Ce tableau relativement homogène était agrémenté d’un petit groupe
d’immigrés semi-étudiant, semi-ouvrier, fortement politisé et souvent de
gauche, arrivés à partir de la seconde moitié des années 1970, ainsi que
quelques familles d’origine urbaine mais d’observance religieuse qui
avaient du mal à trouver une plate-forme d’expression communautaire du
fait de la domination du sous-groupe laïc. Les tensions latentes entre ces
différents sous-groupes prirent une toute autre envergure avec l’arrivée des
demandeurs d’asile qu’un journaliste montréalais désignait à juste titre
comme « l’irruption dans la belle société du paysannat anatolien »
(Leblanc, 1997).
Une des conséquences intracommunautaires de l’arrivée d’un groupe
réputé pour son traditionalisme fut l’élargissement du bassin de
recrutement du sous-groupe conservateur et religieux. Nonobstant
l’accroissement de l’influence de ce sous-groupe, l’espace public
communautaire demeure encore dominé par le sous-groupe laïc (prooccidentaliste) qui rassemble « anciens et assimilés » autour de
l’association Turquébec. Celle-ci, fondée en 1992 « parce que l’ancienne
association était envahie par l’autre camp », assume l’organisation de la
célébration de la Fête des enfants qui constitue l’événement le plus
spectaculaire produit par la communauté turque de Montréal.
127
International Journal of Canadian Studies
Revue internationale d’études canadiennes
On notera que la production d’un spectacle de grande envergure à
l’occasion d’une fête nationale dédiée aux enfants contribue non seulement
à la transmission des valeurs patriotiques aux jeunes générations, mais
qu’elle permet aussi au noyau ancien, qui contrôle le pouvoir dans
l’association organisatrice de l’événement, de consolider son influence
intracommunautaire. Ce noyau, en dépit de sa faiblesse numérique, sert de
groupe de référence intracommunautaire et jouit d’un pouvoir symbolique
lui permettant d’attirer, à l’intérieur de ses frontières sociales, des migrants
arrivés ultérieurement mais dont les caractéristiques socioprofessionnelles
et normatives s’apparentent aux siennes. L’orientation occidentaliste mais
résolument patriotique et pro-étatique de ce sous-groupe dirigeant marque
ainsi profondément la vie festive des Turcs à Montréal, dont la Fête des
enfants est le point culminant. Cette fête joue, on le verra, un rôle à la fois
interne et externe dans la construction et le maintien de la communauté
turque à Montréal.
À l’occasion de la Fête des enfants, l’association Turquébec, assume
donc la production d’un grand spectacle « interculturel » composé des
danses folkloriques sur une grande scène montréalaise. Afin de faciliter la
participation, cet événement est toujours organisé un samedi autour du 23
avril, date de la fête nationale. En 1998, le spectacle eut lieu le 26 avril au
théâtre Saint-Denis, dans le centre-ville de Montréal, et a suscité la
participation de nombreuses communautés culturelles. À part les troupes
de danse des associations turques de Montréal – celles de Turquébec et de
l’Association culturelle turque du Québec –, on a pu découvrir, lors de cet
événement, les spectacles de 14 « communautés culturelles » représentant
les « nations » suivantes, telles qu’énumérées dans le programme du
spectacle : la Corée, la Hongrie, la République dominicaine, la Pologne, le
Vietnam, l’Écosse, l’Irlande, le Mexique, la Bulgarie, le Guatemala, l’Inde,
la Barbade, l’Israël et le Québec. Il est intéressant de noter que les
organisateurs turcs, pour qui la célébration de la culture d’origine rime avec
l’exaltation de la nation et de l’État d’origine, projettent cette configuration
sur les autres groupes participant en les imaginant comme les émissaires de
l’État dont ils représenteraient la culture, et en agençant l’espace de cette
célébration comme une mini société des nations, où l’interculturel recèle
implicitement l’international. Cette fête met ainsi en scène une
iconographie composée essentiellement des symboles nationaux : lors du
spectacle de 1998, la scène était décorée des drapeaux des « nations »
participantes; trois drapeaux – turc, québécois et canadien – se distinguaient toutefois par leur plus grande taille et leur emplacement. Aussi
observait-on une grande toile surplombant ces drapeaux et représentant
Atatürk, le père des Turcs, suivie d’un de ses adages transcrit en turc, en
anglais et en français : « paix dans le pays, paix dans le monde ».
Cette année-là, chaque troupe de danse a fait une seule présentation, à
l’exception de la troupe de l’association organisatrice, Turquébec, qui, en
tant que vedette de l’événement, en a fait six. L’auditoire comprenait plus de
128
La construction politique de l’ethnicité et les enjeux de la représentation de
la « communauté » à travers l’étude d’une fête turque à Montréal
600 personnes, majoritairement des familles turques dont les enfants
figuraient parmi les danseurs.
Il appert que, contrairement à la conception commune des fêtes
populaires comme des espaces de liberté propices à l’expression des
discours identitaires marginalisés, minoritaires et contestataires (Cohen,
1982; Ribart, 1999), la dimension contestataire semble faire défaut à la vie
festive des Turcs de Montréal qui traduit la prédominance d’une idéologie
patriotique et pro-étatique dans ce milieu immigré. On soulignera que
l’activité contestataire caractérise davantage les milieux minoritaires du
contexte d’origine (kurde, alévi), alors que les groupes issus de la majorité
sociale, ethnique, confessionnelle et politique semblent adhérer à une
position pro-statu quo par rapport à l’État d’origine. Bien que la population
turque dans toutes ses couches sociales soit réputée pour sa grande
sensibilité à l’image que projette la Turquie à l’étranger (Copeaux, 1997),
l’importance accordée à la défense de l’image de la nation – et de l’État –, de
son histoire, de son intégrité territoriale, ainsi que de la légitimité de ses
actions, s’avère amplifiée en contexte postmigratoire au sein de l’élite
patriotique qui s’expose davantage à l’activisme des groupes perçus
comme antiturcs.16
Il est intéressant de noter qu’à l’origine de la fondation, en 1964, de la
première association turque à Montréal par l’élite immigrée résidait un
besoin partagé de « faire le contrepoids à la propagande antiturque qui
dominait la scène internationale lors de la crise chypriote ». Pour combattre
« l’antiturcisme ambiant véhiculé par les médias et la diaspora grecque »,
une poignée de professionnels décidèrent de se constituer en association et
de diffuser le point de vue turc dans l’espace public. Depuis lors, les motifs
incitant ces migrants patriotes à s’organiser et à se mobiliser selon des
critères ethniques, même s’ils visent des adversaires diversifiés, ne
semblent pas avoir changé beaucoup, la préoccupation majeure demeurant
la défense de l’image de l’État et de l’honneur de la nation à l’étranger. Nos
résultats d’enquête montrent qu’en contexte montréalais, c’est l’activisme
arménien qui est vécu par les acteurs comme une atteinte constante à la
dignité nationale, alors que dans d’autres contextes, comme en Europe
occidentale où la présence kurde est importante, ce sont les revendications
kurdes qui constituent un « danger national » prioritaire. À Montréal,
comme ailleurs, la mobilisation ethnopolitique contre ces « lobbies
hostiles » devient un champ de construction de l’ethnicité immigrée turque
et d’actualisation des liens avec la nation ou l’État d’origine.
En substance, ces « patriotes » entretiennent des liens avec les
organisations politiques turques en Amérique du Nord17 et s’imaginent être
sur la ligne de front. Leur rhétorique abonde des thèmes de vigilance
constante, de mission patriotique et de devoir national. Certains chefs de
file associatifs vont jusqu’à s’attribuer une fonction diplomatique
officieuse, se définissant comme des ambassadeurs de bonne volonté :
129
International Journal of Canadian Studies
Revue internationale d’études canadiennes
We Turkish Canadians are proud of our homeland and yet happy to
live here sharing many benefits with other ethnic groups offered by
this country. […] Everyone of us is or should be a goodwill
ambassador for Turkey.18
Ce discours récurrent en milieu immigré révèle que les contentieux non
résolus du pays d’origine sur le plan international (comme la question
chypriote, la controverse du génocide19, la situation kurde, etc.) affectent la
vie des Turcs à l’étranger. Bien entendu, seulement les plus zélés d’entre
eux vont jusqu’à se définir comme des émissaires de bonne volonté de
l’État turc et à faire de sa défense symbolique à l’étranger un élément
définissant de l’ethnicité turque en migration.
Leur ferveur patriotique s’active chaque fois que sont mises en doute les
certitudes sur lesquelles reposent les principes fondateurs de l’identité
nationale turque et que se produisent des situations perçues comme
diffamatoires pour la dignité nationale. On verra plus loin que de telles
situations perçues comme menaçantes pour l’identité collective (comme la
cause arménienne) influent sur l’orientation de la Fête des enfants et de
l’engagement des acteurs dans son organisation. Pour saisir cet aspect
relationnel avec l’exogroupe et cerner la portée de l’opposition arménoturque dans la mise en représentation de la communauté turque à travers
cette fête, il convient de jeter un bref regard sur notre conceptualisation des
relations sociales identifiées comme consubstantielles à la formation et au
maintien des communautés ethniques en contexte postmigratoire (Bilge,
2002).
La mise en scène de la communauté à travers la Fête des
enfants : les forces en jeu
Les facteurs participant à la mise en représentation de la communauté
immigrée à travers les pratiques culturelles sont multiples et interactifs. Ces
facteurs tombent généralement sous trois catégories de relations sociales
qui sont centrales aux processus de construction d’une communauté sur une
base ethnique, processus que nous désignons, nous inspirant de Weber,
comme les communalisations ethniques postmigratoires. Ces trois
catégories sont des relations majoritaires-minoritaires, des relations interminoritaires et des relations intracommunautaires. L’examen de la mise en
représentation de la « turcité » à travers la Fête des enfants montre le rôle
joué par chacune de ces trois catégories de relations sociales.
La dimension intracommunautaire ou les enjeux internes de la
reproduction de la nation en contexte postmigratoire
Pour commencer, on soulignera que la célébration de la Fête des enfants
n’est pas une nouvelle manifestation festive propre à la communauté turque
de Montréal. Elle fait partie des trois fêtes nationales célébrées
officiellement dans le pays d’origine20. Ces dates marquent le calendrier
130
La construction politique de l’ethnicité et les enjeux de la représentation de
la « communauté » à travers l’étude d’une fête turque à Montréal
festif national aussi bien à l’extérieur du pays qu’à l’intérieur. En contexte
postmigratoire, ces célébrations se font parfois sous les auspices des
missions étrangères turques et suscitent la participation de la diaspora et des
délégations venues de Turquie.21 Ces célébrations et commémorations
constituent un gage d’allégeance nationale, inégalement partagé par les
sous-groupes constitutifs de la catégorie immigrée turque. Dans les milieux
minoritaires, comme chez les Kurdes, les fêtes nationales turques riment
surtout avec la mémoire de la répression étatique et n’emportent pas
l’adhésion, tandis que dans les milieux religieux sunnites, en opposition
avec l’idéologie kémaliste fondatrice de la république, les fêtes nationales
sont vues comme un outil de promotion des valeurs républicaines laïques, et
non islamiques, et sont rarement célébrées. À Montréal, la faiblesse
numérique et institutionnelle de ces sous-groupes et la domination de l’élite
patriotique et pro-étatique font que tant les fêtes religieuses que nationales
sont célébrées, et ce, conformément à la nouvelle orientation idéologique
que l’État turc s’est donnée depuis les années 1980, soit la synthèse
turco-islamique.
À cet égard, on notera que depuis l’intervention militaire de 1980,
l’importance accordée par l’État turc à la célébration des fêtes nationales
s’est considérablement accrue, comme en témoigne l’internationalisation
de la Fête des enfants datant aussi de cette période. Depuis lors, l’État turc
reçoit, à l’occasion de cette fête, les délégations étrangères comprenant des
troupes de danse folklorique composées d’enfants et d’adolescents. Les
spectacles « nationaux » produits par ces délégations invitées, à côté de
ceux des troupes turques, permettent à l’État de véhiculer son idéologie
nationaliste, dans la mesure où l’ensemble de ces spectacles compose une
allégorie internationale où chaque troupe représente « une nation = un État
= une culture ». Le fait que l’ensemble de ces festivités s’étalant sur
plusieurs jours soit transmis par les chaînes de télévision nationale est aussi
éloquent. En substance, à travers cette fête nationale dédiée aux enfants et
appréciée par la population du fait des spectacles colorés et exotiques, l’État
diffuse à grande échelle son idéologie exaltant les valeurs familiales sur
lesquelles la nation est imaginée. Derrière les danses folkloriques turques
représentatives des sept régions géographiques de Turquie, se profile le
principe de l’unité nationale où la diversité interne se trouve réduite à ses
composantes régionales et administratives, mais réprimée dans ses dimensions ethniques et religieuses.
En immigration, la célébration de cette fête dans un contexte
pluriethnique donne des messages ambivalents : alors que les pays
d’origine des troupes de danse participant à ce spectacle interculturel sont
représentés selon le principe « un pays = une nation », le pays
d’établissement est honoré pour son pluralisme, pour être « une nation des
nations », comme décrit dans le discours inaugural. Force est de constater
qu’aucune troupe folklorique ne représente en particulier le Canada, alors
que le Québec est symbolisé par une troupe distincte. Cela étant dit, la
131
International Journal of Canadian Studies
Revue internationale d’études canadiennes
représentation du Québec à travers cette fête n’est pas homogène : on
retrouve à la fois l’ethnicité canadienne-française qui se produit à travers sa
troupe de danse folklorique et moult références dans la bouche des
organisateurs à un Québec interculturel.
Il ressort que cette célébration permet aux immigrés turcs d’activer leur
allégeance nationale, de satisfaire leur sens de responsabilité collective en
s’imaginant représenter l’État et la nation turcs sur la scène internationale,
mais aussi d’intégrer l’idéologie dominante du pluralisme culturel de la société d’accueil (multiculturalisme canadien, interculturalisme québécois)
en se produisant en tant que communauté culturelle. Cette production est
largement l’œuvre des leaders communautaires et des membres actifs des
associations qui jouent un rôle majeur dans la détermination des valeurs à
mettre en relief et des façons de promouvoir l’identité collective dans
l’espace public. Ces élites dirigeantes exercent une influence sur la
production de l’identité du groupe en orientant l’action collective qui
l’exprimera. Derrière leurs choix concrets concernant les éléments à mettre
de l’avant et ceux à estomper, se profilent des idées et des pratiques dotées
d’une signification sociale capable de re-imaginer un « nous » dans le
nouveau contexte d’établissement. La production et la diffusion d’une
identité collective favorable par des activités socialement significatives,
telles les fêtes, constituent un processus traversé par des tensions et une
compétition symbolique entre diverses conceptions de la « turcité ». Si la
Fête des enfants constitue, pour la communauté turque de Montréal, la date
la plus importante de son calendrier communautaire, le point culminant des
relations publiques qu’elle établit avec l’extérieur, cela résulte d’un choix
politique conscient des élites et des dirigeants associatifs.
À l’occasion de cette fête surinvestie pour différentes raisons,
l’association Turquébec organise, l’a-t-on souligné préalablement, au nom
de la communauté turque de Montréal, un grand spectacle public annuel qui
est reconnu par les acteurs comme une tradition locale. La préparation de ce
spectacle requiert la mobilisation d’importantes ressources sociales et
économiques de la communauté. Aussi, sa réussite devient-elle un objectif
collectif réunissant hebdomadairement les familles participantes dans le
local associatif. Les préparatifs de ce spectacle planifié pour la troisième
semaine du mois d’avril commencent plusieurs mois à l’avance, à
l’automne. Dès la détermination du programme préliminaire et le choix des
régions qui seront en vedette dans le spectacle, les membres du comité de
folklore élaborent un plan d’action et supervisent son exécution. Au cours
de ces réunions hebdomadaires, les mères habiles en couture se mettent à
confectionner les costumes, pendant que dans la salle adjacente les enfants
pratiquent les danses sous la supervision de l’instructeur. Les pères se
chargent du transport et restent rarement présents sur les lieux, préférant
socialiser entre eux dans un café voisin. À la fin des répétitions, les familles
prennent un goûter collectif préparé à tour de rôle. Il appert que
l’organisation de ce spectacle, qui mobilise plusieurs familles, et ce,
132
La construction politique de l’ethnicité et les enjeux de la représentation de
la « communauté » à travers l’étude d’une fête turque à Montréal
régulièrement, constitue une action collective génératrice des situations
d’interactions intracommunautaires soutenues non seulement entre
individus mais aussi entre générations.
Le rôle de l’organisation de ce spectacle dépasse toutefois le niveau des
relations informelles intracommunautaires et touche aussi la structuration
du pouvoir et du leadership interne. Le succès de ce spectacle, auquel
participent de nombreuses troupes de danse représentant diverses
communautés culturelles du Québec et du Canada et où sont invitées des
personnalités politiques locales et nationales, consolide autant la place de
l’association organisatrice de l’événement au sein de la communauté que la
légitimité interne de ses dirigeants. Cette pratique festive remplit donc de
multiples fonctions internes, autant au niveau des relations interpersonnelles qu’au niveau de la gouvernance intracommunautaire, des
rapports de pouvoir et de compétition. À titre d’exemple, la qualité
artistique du spectacle constitue un moyen d’affirmer dans la diaspora,
auprès des autres associations turques à Montréal et dans les autres villes
canadiennes22, le prestige de l’association organisatrice, Turquébec. Ainsi,
la troupe folklorique de cette association se fait régulièrement inviter aux
fêtes multiculturelles des autres villes, notamment au festival des tulipes
qui se déroule au mois de mai dans la capitale fédérale. Parfois les rivalités
ont raison de l’objectif d’épater la galerie avec un spectacle professionnel;
l’association locale décide alors de prendre l’initiative et de faire une
présentation de moindre envergure avec sa troupe plutôt que de faire appel à
celle de Turquébec.
En outre, il convient de souligner que la production d’un spectacle
coûteux et « pompeux » n’est pas du goût de tous. Toutefois, les partisans
d’une célébration plus modeste, qui serait réservée à l’espace communautaire, n’étant ni assez nombreux, ni assez influents pour changer
l’orientation de l’événement, celui-ci demeure un grand spectacle public
tourné vers l’extérieur, entre autres, une démarche de relations publiques.
Extrêmement soucieux de l’image projetée vers l’extérieur à travers ce
spectacle, les membres actifs de l’association débattent énergiquement de
son contenu, qui exposera la communauté aux regards étrangers. Ce débat
dépasse l’espace associatif et rejoint d’autres acteurs intéressés par la vie
communautaire. L’organisation du spectacle devient alors le théâtre des
polémiques internes sur les menus détails, tels le choix des costumes,
l’élaboration du répertoire (les régions de Turquie devant y figurer, etc.), à
travers lesquels s’expriment différentes conceptions de l’identité collective
et se perpétuent les clivages idéologiques majeurs de la société turque,
notamment celui entre les pro-occidentalistes laïcs et les traditionalistes
religieux. Certains membres voudraient par exemple inclure des danses
occidentales dans le répertoire, alors que d’autres défendent plutôt
l’« authenticité » des danses traditionnelles turques. Même le choix des
costumes devient un lieu de confrontation idéologique : pendant que
certains trouvent les costumes traditionnels pour les filles trop couverts et
133
International Journal of Canadian Studies
Revue internationale d’études canadiennes
craignent la projection vers l’extérieur d’une image d’une Turquie
« arriérée et islamiste », d’autres critiquent les tenants de ce discours qu’ils
jugent comme « prêts à vendre leur âme pour se faire apprécier des
Occidentaux ». Un spectacle antérieur, ayant intégré des shows modernes
dans son répertoire, avait été vivement critiqué par certains parents
traditionalistes en raison des vêtements des filles jugés trop révélateurs :
« ils ont fait danser nos filles comme si elles étaient des danseuses de
cabaret » confiait un père visiblement offusqué. Il convient de signaler à cet
égard que comme le sous-groupe « nanti » et pro-occidentaliste, qui est
d’établissement ancien, est exsangue de jeunes générations – leurs enfants
anglicisés ayant massivement abandonné le Québec – la survie des activités
culturelles de leur association, Turquébec, est tributaire de la participation
des enfants des familles conservatrices issues du monde rural. Les
dirigeants associatifs ne peuvent donc risquer d’aliéner ces familles plutôt
traditionnelles. Ainsi, l’année suivant celle dont le spectacle incluait des
danses modernes, l’association a enregistré une chute notable dans la
participation des enfants, notamment des filles, et ce, malgré le
rétablissement d’un répertoire traditionnel avec des costumes authentiques
(couverts). Pour d’autres, la tentative d’intégrer des danses occidentales
était critiquable à d’autres égards : ils trouvaient « franchement ridicule »,
voire « humiliant », de faire faire aux enfants turcs de « fausses danses de
cow-boys à l’américaine » ou du « french cancan » au lieu d’« afficher avec
fierté la richesse de notre culture ». Un informateur déplorait que par ces
spectacles navrants, les Turcs aient montré au grand public à quel point leur
communauté était complexée.
Dans le même ordre d’idées, le nouveau responsable du spectacle – un
spécialiste du folklore turc – relate avoir eu de la difficulté à faire accepter
les costumes traditionnels. Cette fois-ci, c’étaient les pro-occidentalistes
qui critiquaient les costumes trop couverts et craignaient de diffuser une
image des Turcs comme un « peuple obscurantiste ». Une mère exprimait
son inquiétude en ces termes : « déjà qu’ils nous confondent avec les
Arabes, avec des vêtements comme ça sur les enfants, nous allons passer
pour des nomades arriérés ».
Ce genre de désaccords au moment d’établir les marqueurs du groupe
n’est pas étranger aux autres communautés immigrées. Ce qui peut sembler
plus inhabituel, c’est l’intérêt que suscitent ces polémiques expatriées dans
la société d’origine, fait montrant une fois de plus une population
extrêmement soucieuse de l’image des Turcs à l’étranger. Ces débats du
monde expatrié sont connus du lectorat national grâce à la couverture qu’en
font occasionnellement certains journaux turcs.23 Ces « Turcs de
l’extérieur » ou de l’étranger font parler d’eux notamment à l’occasion de la
parade annuelle turque à New York, qui est devenue une tradition depuis 20
ans et dont l’émergence est liée, selon l’un de ses concepteurs, à la volonté
de « dénoncer le terrorisme arménien qui frappait à l’époque les diplomates
turcs »24. Cette activité, vantée comme la plus grande organisation des
134
La construction politique de l’ethnicité et les enjeux de la représentation de
la « communauté » à travers l’étude d’une fête turque à Montréal
Turcs de l’étranger et à laquelle participent diverses communautés et
associations turques des États-Unis et du Canada, ainsi que des troupes de
danse folklorique et des artistes invités, pour l’occasion, de Turquie, attire
l’attention des médias nationaux qui ne manquent pas d’exposer les conflits
de coulisses.
Un tel conflit a eu lieu au sujet de la participation au défilé d’une fanfare
militaire ottomane, les mehteran, composée d’hommes aux moustaches
impressionnantes et habillés en janissaires. L’évocation, par les
journalistes, de l’existence des frictions entre les partisans et les opposants à
la participation de cette fanfare a déclenché un vaste débat sur la fierté
nationale et la définition de la vraie « turcité ». Alors que les opposants
essayaient de faire valoir que la participation d’une telle troupe véhiculerait
à grande échelle « le stéréotype négatif du guerrier turc, le grand moustachu
sanguinaire, armé de son yatagan », les partisans affirmaient « douter de la
turcité de ceux qui ne souhaitent pas voir notre troupe de mehteran aux
États-Unis » et soutenaient qu’il était temps de « se réconcilier avec son
héritage historique, de s’en réjouir ». Des déclarations enflammées sur la
moustache en tant que marqueur de fierté nationale se faisaient entendre :
« Ceux qui croient que la moustache des mehteran est préjudiciable à
l’image des Turcs ont honte de leur turcité. Qu’ils déclarent une fois pour
toutes qu’ils ne sont pas turcs et qu’ils cessent de se mêler de nos
affaires! »25
Après l’examen de la dimension interne des enjeux de la mise en
représentation de la communauté par la pratique festive, il sera question de
sa dimension externe qui sera scindée en deux sous-catégories : relations
interminoritaires et relations majoritaires-minoritaires.
La dimension interminoritaire
Constatant le surinvestissement de la célébration de la Fête des enfants, qui
se déroule chaque année autour du 23 avril et qui coïncide avec la
commémoration du génocide arménien (24 avril), il est pertinent de
s’interroger sur les raisons poussant la communauté à mettre en relief cette
fête nationale plutôt qu’une autre.
Un facteur pouvant expliquer l’importance accordée à cette célébration
en particulier pourrait émaner de la condition existentielle propre au
déracinement. Souvent éprouvées par l’angoisse de la perte des origines, les
familles immigrées cherchent à transmettre les valeurs qu’ils considèrent
primordiales parce qu’emblématiques, à leurs yeux, de leur appartenance
ethnico-nationale ou religieuse. L’amour de la patrie en fait partie. La
célébration d’une fête dédiée par le fondateur de la république, Atatürk, aux
enfants de la nation constitue une occasion de promouvoir les sentiments
patriotiques auprès des jeunes générations, pour qu’« ils sachent d’où ils
viennent, qu’ils valorisent leurs origines et qu’ils soient fiers de leur
histoire ». Or, la raison principale de l’orientation publique de cette
135
International Journal of Canadian Studies
Revue internationale d’études canadiennes
célébration semble émaner de l’extérieur de la communauté, soit du
contexte des rapports interminoritaires.
Notre enquête de terrain a permis d’identifier la dynamique conflictuelle
des mobilisations arménienne et turque comme un élément important de la
construction politique de l’ethnicité turque en contexte montréalais, et plus
généralement comme un facteur conditionnant le déroulement de la vie
communautaire des deux groupes adverses, ainsi que la pérennité de leurs
frontières sociales. Le rôle rassembleur du conflit avec l’exogroupe dans la
propagation des sentiments communautaires a déjà été exposé en détail
(Smith, 1981, 1986). Nos résultats vont dans le même sens et font montre du
rôle mobilisateur et unificateur des conflits récurrents entre les Arméniens
et les Turcs pour leurs communautés locales respectives : à diverses
occasions, la controverse sur le génocide est apparue comme un facteur de
cohésion interne et un activateur du sentiment communautaire. Les
revendications arméniennes sont perçues par la plupart des Turcs comme
des attaques identitaires, en ce sens qu’elles remettent en question les
certitudes sur lesquelles repose leur identité nationale. La force identitaire
de ce conflit réside dans le fait qu’il heurte, dans les deux cas, le rapport
spécifique que le groupe entretient avec son histoire et sa mémoire
collective. L’effet homogénéisant de cette interaction conflictuelle est donc
valable pour les deux groupes dont l’identité ethnique se forge et se
consolide à travers deux causes nationales antithétiques. L’interaction
conflictuelle entre Arméniens et Turcs conduit ainsi au raidissement des
identités collectives exclusives, renforçant les tendances totalisantes
articulées autour de la diabolisation de l’autre et de la construction du soi
comme le peuple élu.
L’aspect conflictuel des relations arméno-turques dépasse le cadre
montréalais et s’observe dans tous les contextes de cohabitation, de
Melbourne à Marseille. Concrètement, la commémoration du génocide par
la diaspora arménienne au cours de la semaine du 24 avril donne lieu à des
frictions annuelles entre ces deux groupes un peu partout dans le monde où
ils coexistent en statut minoritaire. Le paroxysme de ce calendrier
spécifique des tensions intercommunautaires est atteint durant la semaine
du 24 avril où l’on observe une intensification périodique des mobilisations
du côté arménien en vue d’obtenir la reconnaissance du génocide. Dans le
milieu turc, certains acteurs expriment leur angoisse concernant les
célébrations arméniennes et se déclarent atteints du « syndrome du 24
avril », date qu’ils n’hésitent pas à nommer « Hate-the-Turk Armenian
Day »26.
Au cours de cette semaine, la diaspora arménienne commémore
l’événement considéré comme le socle de sa mémoire contemporaine, le
temps zéro de sa conscience collective en diaspora, soit le génocide
(Hovanessian, 1995). Diverses communautés organisent des cérémonies
commémoratives religieuses et séculières, et proposent des motions de
reconnaissance du génocide aux législatures de leur pays de résidence, tant
136
La construction politique de l’ethnicité et les enjeux de la représentation de
la « communauté » à travers l’étude d’une fête turque à Montréal
au niveau local que national.27 À cette même date, certaines communautés
turques célèbrent l’anniversaire de la souveraineté nationale, la Fête des
enfants. À Montréal, la production, à l’occasion de cette fête, d’un grand
spectacle public, le seul événement communautaire, soulève l’éventualité
que ce choix recèle une stratégie collective visant à redresser l’image des
Turcs et de la Turquie dans une période où celle-ci est sérieusement mise à
mal. Force est de reconnaître que cette forme de célébration permet à la
communauté turque de faire parler d’elle d’une manière positive dans
l’espace public, notamment dans les médias locaux. Derrière la célébration
de la Fête des enfants se profilent donc en toile de fond les craintes d’une
communauté concernant l’activisme arménien et la reconnaissance du
génocide.
Pourtant, la primauté de l’adversité arménienne dans la construction de
la communauté turque n’apparaît pas de prime abord dans les discours. Les
leaders communautaires font, au besoin, usage d’un terme générique de
lobbies antiturcs. Lorsqu’on leur demande de préciser, ils évoquent un
certain triumvirat greco-arméno-kurde auquel d’autres ajoutent les Arabes
– notamment les Syriens – « qui nous ont trahis dans le passé en s’alliant aux
Anglais et qui abritent aujourd’hui la guérilla kurde ». Cela dit, au niveau
des pratiques et des discours spontanés – en dehors des entretiens formels –
il s’avère que le talon d’Achille est bel et bien la question arménienne, et ce,
d’autant plus que les organisations arméniennes de Montréal semblent être
le fer de lance de la mobilisation de ce groupe à l’échelle pancanadienne.
L’opinion dominante sur la question arménienne, façonnée largement
par le discours officiel de l’État turc, est que les allégations arméniennes
relatives au génocide seraient inexactes. Cette conviction partagée par la
majorité des Turcs à Montréal – qui n’ont eu accès qu’à la version officielle
des faits, à l’école et dans les médias – crée une obligation morale, une
responsabilité commune, de contre-manifester chaque fois que la diaspora
arménienne expose publiquement sa mémoire collective. À cet égard, on
notera que l’espace immigré témoigne d’une plus grande sensibilité à la
question arménienne que la société turque. La locomotive de cette
conscientisation est indubitablement l’élite immigrée qui est plus exposée,
de par sa position socioprofessionnelle et ses compétences linguistiques,
aux thèses arméniennes les plus radicales, qui revendiquent, en sus de la
reconnaissance, une réparation territoriale. Cette revendication réveille la
peur historiquement ancrée du démembrement de la Turquie vécue avec
plus d’intensité en migration, du fait, probablement, de la condition
existentielle propre au déracinement où l’individu vivrait l’angoisse de
l’assimilation qui serait synonyme, pour certains, d’un anéantissement
symbolique. Aussi l’État turc encourage-t-il de maintes façons
l’organisation d’un mouvement civique de base (grassroots) en milieu
immigré qui œuvrera pour la défense de ses intérêts à l’étranger.28
Gage d’appartenance aux « vrais Turcs » pour certains, le sentiment
patriotique s’enflamme lorsque confronté aux patriotismes antagoniques,
137
International Journal of Canadian Studies
Revue internationale d’études canadiennes
précisément à la cause arménienne. L’activisme arménien crée chez les
immigrés turcs, notamment au sein de l’élite, un sentiment d’être
injustement attaqué, de subir une discrimination et une diffamation
nationale, qui devient une conscience collective transnationale où se
joignent la nation et la diaspora. Ce grief collectif se transforme parfois en
action dont l’objet est de faire valoir le point de vue turc et de renverser la
situation perçue comme discriminatoire. La célébration de la Fête des
enfants, au-delà de sa dimension culturelle et identitaire, constitue donc un
exemple de ce type de stratégies politiques. En substance, il ressort que la
mise en représentation d’une communauté pourrait difficilement être
dissociée du contexte de cohabitation interculturelle et de l’état des
relations entre les groupes constitutifs du milieu d’établissement, mais
aussi plus généralement de l’état des relations internationales.
Afin de mieux illustrer l’environnement compétitif des relations
interethniques et le pouvoir du groupe majoritaire, il est pertinent
d’apporter d’autres exemples que la Fête des enfants. Un tel cas s’observe
dans la controverse des parcs dont le paroxysme a été atteint à l’automne
1997, au moment où le Conseil exécutif de la ville de Montréal allait voter le
projet d’ériger un monument commémoratif du génocide arménien au parc
Marcellin-Wilson à Montréal. Les périples politiques entourant cette
controverse sont trop longs pour être repris ici (Bilge, 2002), on se
contentera de souligner qu’à l’origine du conflit, qu’un journal montréalais
décrit judicieusement comme le « mauvais ménage entre tulipes turques et
génocide arménien »29, se trouve la mobilisation turque contre ce projet
arménien.
Soutenu par le Comité national arménien du Canada (CNAC) – siégeant
à Montréal –, ce projet a d’abord trouvé un écho favorable auprès du
pouvoir municipal. Lorsque le projet a été rendu public, l’élite dirigeante de
la communauté turque s’est mobilisée dans une campagne de lobbying, et
des signes avant-coureurs d’incidents diplomatiques entre la Turquie et le
Canada sont apparus. L’administration municipale a fini par suspendre le
dossier pendant plus de trois ans, au cours desquels les deux communautés
ont cherché à faire pression en faveur de leurs intérêts, sur les instances
décisionnaires.
Pour les militants turcs, qui renient catégoriquement la véracité du
génocide et épousent sans distance critique la thèse officielle de l’État turc,
le projet du monument arménien est vécu comme une diffamation publique
faisant de leurs ancêtres des meurtriers. La menace identitaire ressentie par
ce projet est telle qu’elle permet aux divers sous-groupes de passer outre à
leurs divergences politiques afin d’empêcher la construction du monument
commémoratif du génocide. Dans une lettre ouverte publiée dans La
Presse, trois leaders associatifs s’adressent à leurs concitoyens
montréalais, les priant de ne pas prendre parti dans « une controverse
historique sans rapport avec notre pays d’adoption, le Canada, en faveur
d’une communauté et aux dépens de l’autre ».30
138
La construction politique de l’ethnicité et les enjeux de la représentation de
la « communauté » à travers l’étude d’une fête turque à Montréal
Finalement, l’administration municipale résout le conflit en attribuant
des terrains aux deux communautés pour qu’elles y construisent leur lieu de
mémoire respectif, un monument du génocide pour les Arméniens et un
jardin de tulipes pour les Turcs. À travers la controverse du monument s’est
ainsi dessiné l’enjeu de l’inscription physique de la mémoire du groupe sur
le terrain montréalais. L’examen de ce cas a aussi permis d’identifier
certaines stratégies encourues par ces deux groupes minoritaires en
compétition pour faire valoir leur cause respective et antithétique auprès du
groupe majoritaire, ce qui nous amène au dernier contexte à considérer :
celui des relations majoritaires-minoritaires.
La dimension majoritaire-minoritaire
Si l’activisme arménien est perçu par les migrants turcs comme une atteinte
à leur identité nationale, la contre-mobilisation qu’il suscite s’inscrit dans
une logique ethnique aussi bien en termes de procédés empruntés, de
finalité et d’acteurs participants. L’objectif de combattre l’activisme
« ennemi » – d’une autre minorité – va de pair avec la promotion de sa cause
auprès du majoritaire dont le groupe recherche la reconnaissance. Dans un
contexte de cohabitation pluriethnique où les minorités en quête de
reconnaissance sont en compétition, voire en conflit comme c’est le cas ici,
les pratiques culturelles telles les fêtes et les commémorations recèlent ainsi
des relations complexes qui dépassent la dynamique interminoritaire et
impliquent le groupe majoritaire. Faire parler de sa communauté de
manière favorable, comme une communauté qui agit et entre en interaction
harmonieuse avec d’autres communautés, devient un enjeu important, et
ce, même si dans les faits, la présence du groupe dans l’espace public prend
souvent la forme d’une anti-group mobilization, comme en témoigne la
dynamique conflictuelle des relations arméno-turques.
L’organisation de la Fête des enfants offre chaque année, à la
communauté turque de Montréal, l’occasion de faire parler favorablement
d’elle et de consolider ses relations instituées avec diverses instances
gouvernementales, de la municipalité jusqu’au pouvoir fédéral. Certains
leaders s’enorgueillissent même d’avoir inspiré, par cette tradition
nationale turque, l’ancien maire de Montréal, Pierre Bourque, à établir un
festival montréalais pour les enfants.
La vocation pluraliste de cette célébration, en ce sens que les
organisateurs invitent les autres troupes folkloriques à participer à la
production d’un spectacle interculturel, permet également à la
communauté turque de faire bonne figure en réitérant son adhésion à
l’idéologie pluraliste qui caractérise la société d’accueil. Les dirigeants
associatifs se montrent par ailleurs assez sensibles à la tension QuébecCanada et trient les invités soigneusement pour ne créer aucun incident
diplomatique. La même sensibilité s’observe dans les usages linguistiques :
les discours inauguraux sont ainsi prononcés en trois langues (turc, anglais
et français), de même que l’animation de tout l’événement. Les invités
139
International Journal of Canadian Studies
Revue internationale d’études canadiennes
politiques comprennent généralement les élus municipaux et provinciaux,
quelques sénateurs et délégués ministériels au niveau provincial ou fédéral
en lien avec l’administration du pluralisme culturel (Patrimoine Canada,
MRCI), des journalistes, des représentants des milieux communautaires et
caritatifs. Parfois la cérémonie commence par une donation. Lors de la
cérémonie de 1998 le président d’une organisation caritative montréalaise,
The Sun Youth, a ainsi reçu un don fait par l’association Turquébec au nom
de la communauté turque de Montréal. Quant aux représentants de l’État
turc, ils comprennent généralement les attachés consulaires, l’émissaire
turc à l’organisation internationale de l’aviation (IATA), dont le siège
international se trouve à Montréal, et le consul honoraire de Montréal.
On a vu que la Fête des enfants avait acquis une vocation internationaliste
en Turquie depuis les années 80 et qu’elle accueillait les délégations de
jeunes venues de divers pays. L’internationalisme de la fête originelle se
transforme en pluralisme dans le contexte d’établissement, conformément
au modèle dominant la société d’accueil. Cependant, l’idéologie jacobine
qui sous-tend la fête en contexte d’origine demeure prépondérante dans
celle célébrée en établissement, et se matérialise entre autres dans le
maintien de l’équation « un pays = une nation » comme principe
organisateur des festivités. Autrement dit, la conception qui passe en
filigrane l’ensemble des spectacles associe chaque troupe de danse à une
communauté culturelle homogène, qui serait elle-même représentative
d’un État-nation.
En outre, l’intégration des idéologies de la société d’établissement à cette
pratique festive produit un discours combinant l’interculturalisme
québécois et le multiculturalisme canadien et fédéral. Ainsi, le discours
inaugural invoque l’adhésion de la communauté turque à l’interculturalisme; en revanche, la clôture de l’événement réunit toutes les
troupes participantes sur la scène, et les animateurs honorent, dans un
message final, à la fois l’origine et l’établissement, unissant la métaphore
de la « mosaïque anatolienne » et celle de la « mosaïque canadienne », et
intégrant par ce fait même le discours fédéral sur le multiculturalisme.
Toutefois, le pluralisme joue parfois des tours aux patriotes turcs,
lorsqu’il va à l’encontre de leurs intérêts et conduit à la reconnaissance de
l’histoire arménienne, donc du génocide. C’est en vertu des politiques
pluralistes (multiculturalisme et interculturalisme) que divers groupes de
pression arméniens revendiquent, par exemple, l’inclusion dans les
programmes scolaires l’histoire du génocide. Au Canada, cette intégration
aurait été évitée de justesse en 1988 avec l’intervention de la diplomatie
turque.31 L’établissement des calendriers officiels donne également lieu à
des tensions. Ainsi, lorsque l’édition 2001 du calendrier interculturel de la
ville de Montréal a omis de marquer le 24 avril comme la journée
commémorative du génocide arménien, même si son conseil municipal
invite depuis 1997 les Montréalais à « commémorer l’anniversaire en
solidarité avec la communauté arménienne » (La Presse, « Un calendrier
140
La construction politique de l’ethnicité et les enjeux de la représentation de
la « communauté » à travers l’étude d’une fête turque à Montréal
interculturel truffé d’erreurs et d’oublis », 1er juin 2001), la communauté
arménienne a protesté, pendant que les leaders turcs se félicitaient comme
si cet oubli revenait à épouser leur vision. Bref, lorsque le devoir de
mémoire arménien œuvre dans une société où l’intégration des histoires
minoritaires dans l’historiographie nationale est possible et négociable,
cela donne de quoi cauchemarder aux immigrés turcs pro-étatiques.
En substance, on soulignera que l’organisation de l’action collective
reposant sur les sentiments ethniques s’avère, dans le cas turc, moins
déterminée par les politiques et les pratiques publiques québécoises et
canadiennes que par la présence des tensions avec d’autres minorités. Cela
étant dit, le fait que le système politique canadien permet la participation
politique selon les lignes ethniques et la pratique du lobbying a un effet
stimulant sur la compétition interethnique (Nagel, 1986) ainsi que sur les
stratégies des minorités pour défendre leurs intérêts. Il est clair que le conflit
arméno-turc devient un terrain de lobbying pour les deux groupes qui
tentent d’influer les instances décisionnaires en leur faveur. Le rôle
d’arbitrage et le pouvoir de reconnaissance du groupe majoritaire pèsent
donc indubitablement sur l’orientation des mobilisations ethnopolitiques
des minorités et peuvent accentuer tant l’ethnicisation des modes de
participation civique que la politisation des processus sociaux ethniques.
Conclusion
La mise en représentation d’une communauté est un processus complexe
influencé conjointement par des facteurs liés à l’histoire du groupe, à sa
trajectoire migratoire, à la place de l’État d’origine sur la scène
internationale, ainsi qu’aux conditions socioéconomiques et à la structure
des rapports sociaux qui prévalent dans la société d’établissement. Les fêtes
communautaires participent pleinement à ces processus de représentation
collective. Ces pratiques festives ou commémoratives célèbrent une
identité collective reposant, certes, sur un dénominateur historico-culturel
commun, mais dont le contenu ne fait pas l’unanimité au sein du groupe. En
effet, celui-ci est interprété différemment selon les époques, les acteurs et
les interlocuteurs, et les tensions relatives à sa définition semblent attisées
lors des événements hautement investis par le groupe pour diverses raisons.
La Fête des enfants constitue donc une de ces pratiques socialement
significatives pour la communauté turque de Montréal et se révèle comme
un laboratoire d’observation intéressant des multiples enjeux de la
représentation collective et des tensions que celle-ci est à même
d’engendrer à plusieurs niveaux, soit aux niveaux intracommunautaire,
interminoritaire et majoritaire-minoritaire. La transformation de cette fête
en une action politique, porteuse de vraie « turcité », se fait, on l’a vu, sous
l’influence de l’élite communautaire patriotique, soutenue aussi par l’État
turc. Le fait que la préoccupation de combattre les diffamations antiturques,
dont l’activisme arménien, soit partagée par un ensemble de représentants
communautaires patriotiques dispersés dans l’espace immigré turc génère
141
International Journal of Canadian Studies
Revue internationale d’études canadiennes
une sphère politique transnationale qui fonctionne surtout grâce aux
nouvelles technologies d’information et de communication comme
Internet et qui bénéficie également de l’appui matériel et symbolique de
l’État turc.
De l’examen des enjeux politiques qui se profilent derrière la célébration
de la Fête des enfants, il ressort que l’ethnicité turque en milieu montréalais
n’est pas la simple expression d’un héritage historico-culturel spécifique et
qu’elle répond à un besoin organisationnel et politique dans un environnement compétitif, voire conflictuel. Ce constat permet en outre de mettre
en évidence une dynamique interethnique peu connue, impliquant une
situation de conflit où se confrontent deux récits nationaux antithétiques,
deux rapports à l’histoire mutuellement exclusifs, qui sont aussi en
compétition pour la reconnaissance du majoritaire. En plus de sa dimension
culturelle qui exprime un héritage spécifique, et au-delà de la question de sa
transmission aux générations futures, la pratique festive, s’avère donc une
stratégie ethnopolitique.
L’intérêt de cette analyse axée moins sur le contenu spécifique des
pratiques promouvant une identité historico-culturelle spécifique que sur le
rapport que les individus entretiennent avec cet héritage et l’interprétation
qu’ils en font dans un environnement conflictuel, est de montrer
l’imbrication des forces en jeu dans ces processus sociaux ethniques. On
retiendra en outre la diversité interne des rapports au passé (histoire,
culture, mémoire, etc.) qu’entretiennent les sous-groupes constitutifs d’une
communauté, et l’effet homogénéisant du conflit avec l’extérieur, qui
unifie, ne serait-ce que temporairement, ces différents modes de rapport au
passé.
En dernier lieu, on soulignera que dans l’espace nord-américain, où être
turc ne s’accompagne pas d’une discrimination substantielle exercée de la
part du groupe majoritaire qui contrôle les principaux leviers de la société,
c’est dans les relations avec les minoritaires que semblent se trouver les
éléments permettant au groupe de maintenir ses frontières sociales. C’est
comme si pour se perpétuer, le groupe ethnique avait besoin d’une
interaction compétitive, voire conflictuelle, avec l’exogroupe qui lui
permettrait de produire son grief collectif, sa cause, et de s’y fixer.
Notes
1.
142
Nous utilisons les notions de minorité et de majorité dans leur sens sociologique
qui est affranchi d’une considération numérique et renvoie à la question du
pouvoir (Simon, 1995). Le groupe majoritaire pourrait donc être minoritaire au
sens statistique mais le fait qu’il détermine le cadre institutionnel (juridique,
politique, économique et culturel) et établit les normes de la société dans son
ensemble fait de lui une majorité sociologique. En revanche, les groupes
minoritaires sont ceux dont les conditions objectives d’existence, le statut dans la
stratification sociale, voire les représentations collectives, dépendent, pour une
bonne part, du groupe majoritaire (Guillaumin, 1972). Il importe toutefois
La construction politique de l’ethnicité et les enjeux de la représentation de
la « communauté » à travers l’étude d’une fête turque à Montréal
d’appréhender ces rapports de pouvoir dissymétriques entre majoritaires et
minoritaires non comme une situation de domination inaltérable, mais comme
des rapports d’interdépendance inégale dont la teneur et l’amplitude varient selon
les époques, les groupes et les acteurs.
2. Le politique réfère ici aux événements ayant trait à la détermination et à la
réalisation d’objectifs publics ou à la distribution différentielle du pouvoir et à
son utilisation dans les groupes intéressés par ces objectifs (Breton, 1983: 24).
3. Menée dans le cadre d’une recherche doctorale, l’enquête de terrain s’étale sur
deux ans et comprend trois volets : entretiens approfondis menés avec 54
primo-migrants (31 hommes, 23 femmes), observation participante et recherche
documentaire. Ces trois méthodes d’enquête (entretiens, observation et analyse
documentaire) correspondent grosso modo aux trois niveaux d’analyse –
macrosocial, microsocial et symbolique – privilégiés dans la thèse : les entretiens
ont davantage servi à dégager les représentations collectives des acteurs (niveau
symbolique), pendant que les observations ont permis l’examen des relations
interpersonnelles et des réseaux de sociabilité (niveau microsocial). Enfin,
l’analyse macrosociologique a été effectuée sur un corpus constitué à partir de la
recherche documentaire.
4. Le terme diaspora est utilisé dans son acception large et non traditionnelle qui
conditionne la dispersion géographique aux persécutions et à l’absence, du moins
initiale, d’un territoire national (Rigoni, 1997).
5. Le fait ethnique, tant au niveau de la catégorisation qu’à celui de la formation des
communautés sur cette base, ne saurait se résumer aux mouvements migratoires.
Schermerhorn (1968) compte parmi les rapports fondateurs des différenciations
ethniques autant les mouvements migratoires – incluant la migration forcée et
l’esclavagisme – que le colonialisme et l’annexion. On note, dans tous les cas, le
caractère inégalitaire des rapports de pouvoir entre les groupes.
6. « A shared sense of peoplehood », un sens collectif d’une humanité distincte,
disait Gordon (1964: 24) dans une définition de l’ethnicité qui la rapproche de la
nation. Juteau-Lee (1983) ajouterait à cette humanité distincte son aspect
inégalitaire, soulignant que l’ethnicité serait davantage l’humanité moindre
réservée aux groupes dominés. Notre définition s’inspire aussi d’Isajiw (1974) et
de Meintel (1993). Pour la communauté ethnique, nous avons rendu
opérationnelle l’approche de Yancey, Ericksen et Juliani (1976) qui la repose sur
trois piliers distincts : identitaire, organisationnel et politique.
7. Le fait social étant caractérisé par l’interaction entre le processus et le produit, le
sentiment commun qui sert en premier lieu de base à l’action collective se
consolide et se cristallise au cours de cette même action (Schnapper, 1998 : 88).
Pour le rôle central de l’action collective dans l’émergence du sentiment
ethnique, voir Weber, [1922] 1971: 423.
8. Toute migration ne conduit pas toutefois à la subordination du groupe migrant,
comme en témoigne le statut dominant des colonisateurs (Lieberson, 1961).
9. L’état des connaissances sur les Turcs dans l’espace nord-américain demeure
largement lacunaire (voir, Bilge, 2002).
10. L’État turc, après une période d’indifférence à la fin des années 1950, reconnaît
l’émigration comme un fait de société et l’intègre dans ses plans de
développement quinquennaux à partir de 1961. Son intérêt demeure toutefois
longtemps de nature purement économique. C’est surtout à partir du putsch
militaire en 1980 que la population expatriée commence à être considérée d’une
perspective politique et, explicitement, comme une force politique par les
pouvoirs publics.
143
International Journal of Canadian Studies
Revue internationale d’études canadiennes
11. Ce qui représente 90 p. 100 du phénomène migratoire turc au monde qui se chiffre
à 4 millions d’individus.
12. L’article 18 de la réforme constitutionnelle de 1961. L’État turc contribue à son
insu à cette migration en envoyant les cadres pour formation. Les années 1950
constituent en Turquie une ère de libéralisation politique et économique :
l’établissement du régime multipartite en 1946 amène au pouvoir le Parti
démocrate, fervent partisan de la privatisation de l’économie et réputé pour son
pro-américanisme, comme en témoigne sa devise de développement économique : « transformer l’Asie mineure en Amérique mineure ». Le gouvernement
met en place des programmes de formation des cadres aux États-Unis; le Canada
s’y trouve inclus un peu comme le prolongement du rêve américain.
13. Pour P.-A. Comeau, alors rédacteur en chef du Devoir, il s’agit d’« un épisode
navrant » faisant des Turcs « des héros populaires de certains quartiers de la
métropole » et « des acteurs involontaires de certains mini-drames qui jalonnent
la chronique » de la fin des années 1980 (Comeau, 1990 : 8).
14. D’autres groupes immigrés sont également traversés par des tensions liées à la
différence de cohorte et de classe. Les études mentionnent par exemple l’attitude
négative des élites italienne et haïtienne à l’arrivée des compatriotes ruraux.
15. Contrairement aux groupes immigrés établis avant 1960, les Turcs ne disposent
pas de réseau institutionnel développé : à Montréal, leur communauté ne possède
ni banque, ni école, ni hôpital. On note cependant une diversité associative,
certaines s’affichant sous l’enseigne culturelle, d’autre religieuse ou encore
économique. Cette faiblesse institutionnelle s’explique en partie par le fait que
l’établissement des premiers Turcs coïncide avec le renforcement de l’État
québécois et la mise en place de mesures centralisatrices récupérant le pouvoir
des communautés. Ce transfert de pouvoir agit considérablement sur l’autonomie
des communautés (minoritaires) par rapport à la société, étant donné que
l’autonomie est proportionnelle à leur complétude institutionnelle (Breton,
1964). Plus leurs institutions sont diversifiées, plus grands sont leur capacité
organisationnelle et leur pouvoir d’intégrer de nouveaux migrants.
16. Le patriotisme exacerbé de l’élite immigrée semble receler une certaine mauvaise
conscience du fait d’avoir émigré au lieu de servir la société d’origine où ils ont
été formés à grands frais. Le discours et éventuellement la mobilisation
patriotique contre les lobbies antiturcs pourraient être un moyen de la sublimer.
Des recherches ciblées, menées sur des échantillons homogènes, sont nécessaires
pour vérifier cette hypothèse.
17. On citera ces organisations fédératrices : l’ATAA, Assembly of TurkishAmerican Associations, est fondée en 1979 et regroupe 54 associations turcoaméricaines (y compris certaines associations turcophones : azéris, turkmènes,
karaçay, etc.). Siégeant stratégiquement à Washington, D.C., elle agit comme un
groupe d’intérêt et entreprend des activités de lobbying, en veillant notamment à
la participation des bases (grassroots) et à la fondation de coalitions stratégiques.
La FTAA, Federation of Turkish-American Associations, est fondée en 1956 à
New York et regroupe plus de 40 associations turques et turcophones à travers les
États-Unis. Elle est responsable du plus grand événement des Turcs en diaspora :
il s’agit du Festival culturel turc qui se tient au mois de mai à New York. Cette
année la 22e parade annuelle turco-américaine qui constitue le point culminant de
ce festival a eu lieu un samedi, le 17 mai 2003, et a débuté comme les autres
années du cœur de Manhattan (56th street, Madison avenue). Finalement la
FCTA, Federation of Canadian-Turkish Association, est fondée en 1985 à
Toronto et chapeaute 19 organisations turques implantées dans 4 provinces
144
La construction politique de l’ethnicité et les enjeux de la représentation de
la « communauté » à travers l’étude d’une fête turque à Montréal
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25.
26.
27.
canadiennes, dont l’association Turquébec de Montréal évoquée dans cet article.
L’État turc accorde beaucoup d’importance à la représentation unifiée de l’espace
immigré turc, qu’il espère voir s’organiser en un lobby transnational défendant
ses intérêts. La formation en 1992 d’une superstructure, World Turkish Congress,
à New York témoigne de ces efforts. <www.ataa.org/ataa/about/about.html;
http://www.tadf.org/; http://www.canturkfed.org/>.
S. Çinar, président de la Vancouver Island Turkish Canadian Friendship Society,
à Victoria, C.-B. Propos parus dans Merhaba, été 2000. Les discours des leaders
montréalais rencontrés en entrevue traduisaient le même engagement pour
représenter au mieux la nation et la patrie à l’étranger.
Une stratégie importante adoptée par les organisations immigrées pro-étatiques
sur cette question est la publication et la diffusion des pamphlets politiques
soutenant la thèse officielle de l’État turc. L’ATAA a ainsi publié en 1982 et en
1987 deux opuscules : Setting the Record Straight: On Armenian Propaganda
Against Turkey et Armenian Allegations Myth and Reality. En 1987, la FCTA a
publié un opuscule intitulé Armenian Issue. La dernière publication de la FCTA,
parue en avril 2000 à Toronto, porte également sur la question arménienne :
Perpetuating the Genocide Myth. Armenian Forgeries and Falsifications. Il
convient de mentionner un ouvrage publié en avril 2002 d’un auteur américain,
Sam Wees, pour lequel les organisations turques, notamment le Turkish Forum
qui s’opère sur Internet (www.turkishforum.com) ont mené d’intenses
campagnes publicitaires. La publication de ce livre à l’intitulé racoleur, Armenia:
the Great Deception. Secrets of a “Christian” Terrorist State, a suscité beaucoup
d’animosité du côté arménien. En 2002, le Turkish Forum diffusait régulièrement
des extraits de ce livre dans son bulletin électronique et offrait la possibilité
d’acheter un exemplaire signé par l’auteur sur son site Internet.
Chacune de ces fêtes représente une étape de l’historiographie nationale turque :
la Fête des enfants (23 avril) commémore la déclaration de la souveraineté
nationale et la fondation de l’Assemblée nationale, la Fête de la jeunesse (19 mai)
marque le début de la Guerre de libération, et celle de la République (29 octobre),
la proclamation de la république. Une autre date importante est le 10 novembre
qui commémore la mort d’Atatürk, fondateur de la Turquie moderne.
Notons qu’à New York les immigrés turcs organisent depuis 1982 un événement
pour marquer cette période et qui a été reconnu par les autorités municipales
comme le Festival culturel turc. Certains Turcs de Montréal (association, troupe
folklorique), à l’instar d’autres délégations de la diaspora ou de Turquie, se
rendent à New York pour participer à ce festival dont l’activité majeure est la
parade annuelle sus-mentionnée (voir, la note 17).
Le responsable artistique de ce spectacle (un instructeur de danse) est sollicité par
les autres associations turques : en 1997, il avait dirigé à la fois la troupe de
Turquébec à Montréal et celle d’une association turque à Ottawa.
Voir l’article apparu dans un grand quotidien national : Dogan Uluç, Hürriyet,
21.04.2002.
E. Buyukataman, Président de la Fédération des associations turco-américaines
(FTAA), Turkish Forum, avril 2002.
C. Toprak, Yeni Vatan, 23.04.2002.
Turkish Forum Newsletter, janvier 2001.
L’ensemble de ces stratégies collectives constitue la cause arménienne qui
renvoie à une revendication politique poursuivant un double objectif : obtenir la
reconnaissance, par le gouvernement turc, du génocide des Arméniens et une
réparation territoriale et monétaire pour les torts causés. L’importance attribuée à
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Revue internationale d’études canadiennes
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la demande territoriale varie en fonction des affiliations politiques et s’avère plus
ancrée dans la diaspora qu’en Arménie (Libaridian, 1991). Cette revendication
territoriale porte atteinte au principe fondateur de la république turque, soit
l’intégrité territoriale et le caractère unitaire et indivisible de l’État, d’où la
virulence des réactions qu’elle suscite. Copeaux (1997) rappelle que toute la
politique extérieure turque est formulée selon ce principe jacobin.
L’action patriotique émigrée est soutenue matériellement ou symboliquement par
l’État, comme en témoigne la distinction officielle reçue par un leader
communautaire de Montréal. Cofondateur de la première association turque de
Montréal, ce leader a reçu en mai 2002 une médaille de reconnaissance décernée
par le ministère turc des affaires étrangères « pour ses valeureux services à l’État
et à la communauté turque locale ». Il est le premier Turco-canadien à recevoir cet
honneur, qui lui a été remis lors d’une cérémonie officielle à Montréal à laquelle
ont participé l’ambassadeur de Turquie à Ottawa, ainsi que les notables de la
communauté. L’ambassadeur a loué cette personnalité comme un « défenseur des
intérêts de la Turquie » et « une personne qui contribue à sa communauté ».
« Tulipes turques et génocide arménien font mauvais ménage dans la métropole », La Presse, 12 août 1997. Voir aussi, « Les Arméniens veulent leur
monument et s’impatientent », Le Journal de Montréal, 30 octobre 1996;
« Armenian holocaust memorial okayed, but proponents furious that monument
won’t mention number of people killed », The Montreal Gazette, 24 octobre
1997 : A3 ; « Les Arméniens de Montréal crient enfin victoire », La Presse, 24
avril 1998.
Yaman Bölük, Orhan Ketene et Halit Sözen, « Les Turcs de Montréal indignés et
attristés : “Vivons ensemble en paix et en harmonie au Canada” », La Presse,
26.04.1996 : B3. Respectivement, les trois co-signataires étaient alors les
présidents de Turquébec, de l’Association culturelle turque du Québec et de la
Communauté islamique turque du Québec.
G. Basmadjian, Président du Comité national arménien du Canada, Gamk/
Horizon, 13 mars 1996.
On reconnaîtra l’influence des approches instrumentalistes (le choix rationnel,
par exemple) dans cette interprétation mettant en relief le rôle incitatif joué par
certaines structures politiques et institutionnelles d’une société dans le choix par
les groupes minoritaires de l’ethnicité comme une base pour la mobilisation
collective. L’ethnicité devient ainsi la base de l’organisation collective lorsqu’un
tel choix offre un avantage social, politique ou économique.
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147
Claire Poitras
La nouvelle économie à la rescousse des métropoles
industrielles. Analyse comparée des stratégies
publiques à Montréal et à Glasgow 1
Résumé
En tant que grandes villes industrielles, Montréal et Glasgow ont connu
d’importantes difficultés de reconversion économique depuis les années
1960. Au cours des 20 dernières années, les acteurs économiques et politiques
des deux métropoles ont élaboré des stratégies de relance afin d’appuyer de
nouveaux secteurs économiques en émergence, notamment les secteurs des
services, de la culture et des nouvelles technologies de l’information et des
communications. À partir d’une analyse des moyens promotionnels et des
actions entreprises par les acteurs publics – souvent en partenariat avec les
acteurs privés –, nous dégageons les processus par lesquels les acteurs
publics ont réussi à changer l’image de ces villes industrielles en déclin
contre celle de villes post-industrielles qui bénéficient d’une riche vie
culturelle et d’une économie dynamique.
Abstract
Since the 1960s, as large industrial cities, Montréal and Glasgow have been
confronted with the challenges of economic restructuring. In the last twenty
years or so, economic and political actors of both cities have implemented
regeneration strategies aimed at facilitating the shift from a manufacturingbased economy to an economy based on services, cultural activities, and new
information and communication technologies. This paper does a comparative
analysis of marketing strategies and actions undertaken by public actors–
sometimes in partnership with private-sector actors–and highlights the
process by which these public actors have managed to change the image of
declining industrial cities to one of dynamic post-industrial cities with a
thriving cultural life and vibrant economy.
La restructuration des économies urbaines préoccupe aussi bien les
gouvernements que les entreprises privées. Depuis la seconde moitié des
années 1990, la plupart des villes tentent de se positionner parmi le peloton
de tête des agglomérations où se déploie la nouvelle économie. Selon
certains observateurs de la scène urbaine, la présence d’entreprises de haute
technologie serait favorable à la relance des villes et, en particulier, des
quartiers péri-centraux (Kotkin, 2000, p. 20; Wolfe, 1999). Il en va de
même des activités et équipements culturels et autres installations
récréatives qui sont désormais considérés comme des générateurs du
International Journal of Canadian Studies / Revue internationale d’études canadiennes
27, Spring / Printemps 2003
International Journal of Canadian Studies
Revue internationale d’études canadiennes
développement urbain (Clark, Lloyd, Wong et Jain, 2002). D’après
plusieurs chercheurs, nous vivons résolument à une époque où la créativité
et la culture sont des facteurs de développement (Clark, 2001; Florida,
2002; Landry, 2000; Saint-Pierre, 2002; Verwijnen et Lehtovuori, 1999).
Notre définition de la nouvelle économie inclut les domaines qui
produisent ou utilisent de façon intensive les nouvelles technologies et en
particulier les technologies de l’information et de la communication. À cet
égard, elle rejoint celle proposée par Castells et Hall (1994) selon lesquels
les modes de production ont été transformés par les nouvelles technologies
de l’information et de la communication, favorisant de ce fait le
redéploiement des activités économiques dans l’espace métropolitain.
Selon Clarke et Gaile, la nouvelle géographie résultant de la valeur
ajoutée que procurent les technologies avancées reposerait d’abord et avant
tout sur le capital humain et non plus sur les facteurs de localisation
traditionnels (proximité des ressources, faible coût de la main-d’œuvre,
etc.). En ce sens, le capital humain serait au cœur de la globalisation, ce qui
s’explique, d’un côté, par la croissance du secteur tertiaire et le déclin de la
production manufacturière et, de l’autre, par l’émergence de l’industrie du
savoir et le rôle accru des technologies de l’information dans l’économie
(Clarke et Gaile, 1998, p. 6). Certes, l’apport des technologies de l’information et de la communication est fondamental dans la mise en forme de la
nouvelle économie, mais cette dernière comprend également les secteurs
de la culture, des arts, du tourisme et du divertissement qui occupent
désormais une place de choix dans le développement économique des villes
(McNeil et While, 2001, p. 298). Les investissements récents dans ces
secteurs constituent sans doute les preuves les plus tangibles que les villes
ne sont plus des machines à produire; elles ont été transformées en
machines à se divertir et en temples de la consommation symbolique
(Baudrillard, 1970).
Dans ce contexte, certains facteurs, qui étaient auparavant considérés
comme essentiels à l’essor d’un milieu, deviennent désormais désuets.
Comment des villes dont le développement s’est largement appuyé sur
l’économie industrielle dans le passé peuvent-elles de nos jours renouveler
leur position dans la hiérarchie urbaine? Dans cet article, nous nous
intéressons à deux grandes villes industrielles qui ont dû faire face à la
désindustrialisation, Montréal au Canada et Glasgow en Écosse. L’accent
est mis sur les interventions des pouvoirs publics. Spécifiquement, nous
nous concentrons sur un ingrédient de la stratégie de reconversion portant
sur la transformation de l’image de la ville. À l’ère de la mondialisation et de
la compétitivité accrue entre les villes pour attirer des entreprises,
notamment dans les secteurs de la nouvelle économie, cette stratégie
consiste à afficher clairement la position privilégiée de certaines villes dans
le domaine. Quelles stratégies les pouvoirs publics de Montréal et de
Glasgow ont-ils retenues pour les inscrire dans le palmarès des villes qui
appartiennent résolument au XXIe siècle? D’entrée de jeu, il faut
150
La nouvelle économie à la rescousse des métropoles industrielles. Analyse
comparée des stratégies publiques à Montréal et à Glasgow
mentionner que les stratégies publiques récentes font écho à des approches
et à des initiatives mises en œuvre au début des années 1980.
Quels ont été les effets du déploiement de la nouvelle économie au cours
des dernières décennies sur les stratégies de développement économique
des villes? Comment deux villes comme Montréal et Glasgow, dont
l’histoire a été marquée par l’omniprésence du secteur secondaire, ont-elles
réussi à prendre le virage de la tertiarisation et de l’économie du savoir?
Notre objectif est de faire une analyse comparative des stratégies
employées par les acteurs publics, notamment les gouvernements
supérieurs et les gouvernements locaux, pour faciliter la réinsertion
contemporaine de Montréal et de Glasgow dans les nouveaux espaces de la
nouvelle économie. De manière spécifique, à partir d’une analyse des
moyens promotionnels et des actions entreprises par les acteurs publics
depuis le début des années 1980 – souvent en partenariat avec les acteurs
privés –, nous cherchons à dégager les processus par lesquels ces acteurs ont
réussi à changer l’image de ces villes industrielles en déclin contre celle de
villes post-industrielles qui bénéficient d’une riche vie culturelle et d’une
économie dynamique. À cet égard, la transformation du cadre physique de
la ville au moyen de projets de réaménagement urbain est au cœur de cette
approche.
Ce texte est divisé en deux parties. Dans un premier temps, nous
présentons les conditions d’émergence des stratégies de revitalisation à
l’aide d’une synthèse des changements économiques et démographiques
survenus aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale dans les deux
villes. Dans un deuxième temps, nous nous attardons aux pratiques de
revitalisation à l’œuvre dans les deux métropoles à partir d’une série
d’exemples de projets d’aménagement urbain. Pour conclure, nous
effectuons un bref bilan de la portée des interventions sur le développement
récent des deux villes.
Des métropoles contestées
En tant que grandes villes industrielles, Montréal et Glasgow ont connu
d’importantes difficultés de reconversion économique depuis les années
1960. Au moment de leur apogée, ces deux villes ont été le moteur industriel
d’un vaste territoire. Après avoir joué le rôle de métropole industrielle à
partir de 1850 et ce, jusqu’aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale,
les deux agglomérations ont vu leur base économique manufacturière
s’effondrer, entraînant des pertes massives d’emplois. Aux prises avec un
passé industriel lourd de conséquences et ce, tant sur le plan social que sur
celui de la dynamique spatiale – un taux de chômage élevé, une population
sous-scolarisée, des terrains contaminés par d’intenses activités industrielles et des espaces abandonnés à proximité du centre de la ville – les
autorités publiques et les citoyens de Glasgow et de Montréal ont dû revoir
leur vision du développement urbain, à la lumière d’importants
changements économiques.
151
International Journal of Canadian Studies
Revue internationale d’études canadiennes
Montréal en quête de fierté
Après avoir été la métropole du Canada, Montréal détient, depuis les années
1960, le rôle de métropole du Québec (Linteau, 1992, p. 443). À partir du
début des années 1970, plusieurs observateurs de la scène économique
locale n’hésitent pas à parler du déclin de Montréal2 en raison du
déplacement des activités économiques vers l’ouest et en particulier vers la
région de Toronto. Par ailleurs, au début des années 1970, les acteurs locaux
sont lents à saisir l’ampleur de la tâche qui les attend. Il faut dire qu’entre le
milieu des années 1960 et des années 1970, plusieurs grands projets initiés
par le maire Jean Drapeau, notamment l’Exposition universelle de 1967 et
les Jeux Olympiques, créent un faux sentiment de confort. Or, la fin des
années 1970 est marquée par une prise de conscience du rétrécissement de
l’empire économique montréalais, voire le processus de « provincialisation » de son économie, la perte des sièges sociaux, le taux de chômage
élevé, en particulier par rapport à Toronto, la fuite d’une bonne partie de
l’élite anglophone, le déclin démographique de la ville-centre au profit de la
banlieue, de même qu’une reconversion économique difficile en raison du
poids de certains secteurs industriels dans l’économie, comme le textile et
le vêtement.
Au cours des trente dernières années, l’économie montréalaise a fait
l’objet d’un nombre impressionnant d’études, de commissions et de
sommets socio-économiques. Que peut-on dégager, d’une manière
synthétique, de ces différentes analyses? Avec le recul, des économistes ont
souligné que le déclin de Montréal a été somme toute relatif puisque, depuis
le début des années 1960, d’une part, le niveau de vie des Montréalais s’est
amélioré et, d’autre part, le nombre d’emplois a connu un accroissement
significatif (Coffey et Polèse, 1993, p. 419). Certes, le déclin a touché
certains secteurs économiques, notamment le secteur secondaire. Du coup,
il a fragilisé des quartiers centraux (par exemple le Centre-Sud et le
Sud-Ouest) et des populations spécifiques qui dépendaient largement des
activités et des emplois manufacturiers. Cependant, à l’échelle de
l’agglomération, la croissance économique s’est maintenue. Autrement dit,
le déclin industriel a d’abord et avant tout touché la ville de Montréal, et non
l’ensemble de la région, comme on peut le voir au tableau 1. Sur le territoire
métropolitain, l’emploi n’a cessé de croître.
En ce qui a trait aux changements survenus sur le plan de la structure de
l’emploi dans la région métropolitaine, on constate rétrospectivement que
le tableau n’est pas complètement sombre. Ainsi, entre 1971 et 1991, le
nombre d’emplois dans le secteur secondaire a continué de croître dans la
région métropolitaine – avec un certain repli entre 1981 et 1991 – et les
emplois reliés au secteur tertiaire ont connu une expansion substantielle. En
fait, les principaux éléments qui ont contribué au soi-disant déclin de
Montréal sont la perte massive d’emplois dans le secteur traditionnel du
vêtement et la relocalisation des emplois industriels à l’extérieur des limites
de la ville-centre.
152
La nouvelle économie à la rescousse des métropoles industrielles. Analyse
comparée des stratégies publiques à Montréal et à Glasgow
Le concept de retournement spatial a été proposé pour mettre en évidence
les changements intra-métropolitains qui sont survenus en trente ans eu
égard au processus de relocalisation des emplois manufacturiers : « Les
vieux quartiers se sont vidés en l’espace d’une génération, tournant à la
friche, au repoussoir, à la zone d’évitement, tandis que s’épanouissaient de
nouveaux espaces industriels autour de parcs d’activités suburbains »
(Manzagol, 1998, p. 128). Parallèlement à ce déclin, des emplois
manufacturiers ont été créés dans des secteurs associés aux nouvelles
technologies comme l’aéronautique, la biopharmaceutique et les télécommunications.
Tableau 1
Changements à la structure de l’emploi
dans la région métropolitaine de Montréal, 1971-1991
1971
1981
1991
Secondaire
283 300
320 889
310 312
Tertiaire
593 900
876 500
1 037 500
Total
877 200
1 197 389
1 347 812
Source : Statistique Canada.
Au plan démographique, entre 1961 et 1991, un des traits marquants s’est
révélé la diminution du poids relatif de la population de la ville-centre à
l’intérieur de la région métropolitaine, qui est passé de 56 p. 100 à 31 p. 100
(tableau 2). La contraction de la population habitant dans la ville de
Montréal a été considérable – bien qu’elle se soit stabilisée depuis le début
des années 19903 – mais la grande région de Montréal a connu un essor
démographique sans précédent.
Compte tenu des changements économiques et démographiques qui
affligeaient la ville-centre, à la fin des années 1980, un climat généralisé de
morosité régnait sur la métropole québécoise. Malgré un portrait peint à
grands traits foncés, quelques zones de lumière apparaissaient au tableau.
Ainsi, plusieurs rapports ou études identifiaient certains secteurs prometteurs, notamment l’aéronautique, les biotechnologies, les transports et les
télécommunications pour lesquels le grand Montréal disposait de bases
solides4. De plus, certaines caractéristiques clés comme sa position géographique enviable, le coût de la vie modéré et le biculturalisme sont
constamment mises de l’avant pour faire la promotion de Montréal. Ainsi, à
partir des années 1980, différents acteurs publics et privés se sont efforcés
de vendre les atouts de Montréal aux investisseurs étrangers ou aux
entreprises canadiennes qui opteraient pour Toronto, sa principale rivale.
153
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Revue internationale d’études canadiennes
Tableau 2
Population de la ville de Montréal et
de la région métropolitaine de Montréal, 1961-1991
1961
1971
1981
1991
Ville de Montréal
1 191 062
1 214 352
980 354
1 017 665
Région
métropolitaine
2 109 506
2 743 208
2 828 348
3 290 792
56
44
35
31
Pourcentage de la
population de la
ville-centre par
rapport à la région
Source : Statistique Canada.
En raison des problèmes particuliers qui affectaient la ville-centre dans
les années 1980, les politiciens locaux se sont engagés dans une démarche
de promotion visant à redonner à Montréal ses lettres de noblesse. Comme
tel, Montréal n’a pas fait l’objet d’une campagne destinée à lui donner une
nouvelle image. En effet, il est rare de retrouver, dans les villes nordaméricaines, une approche de type marketing urbain ou branding telle
qu’employée par les acteurs locaux européens depuis les années 1980
(Ashworth, 1990). Il n’en reste pas moins qu’en dépit de la venue de grands
événements, au cours des années 1960 et 1970, les images de Montréal
projetées dans les médias n’étaient pas toutes très reluisantes. Ainsi, en
1975, le président du Bureau de recherche et de développement
économique de Montréal soulignait le fait que les autorités publiques se
préoccupaient peu de la qualité de vie, un facteur clé de la rétention des
ménages et des entreprises :
Ville vivant d’une politique de grandeur depuis une décennie, on a
laissé détériorer le tissu urbain. En effet, c’est par 15 000 personnes
par année que la population fuit une des villes les plus polluées du
pays. Polluée par l’air, le bruit, le sol, l’eau, Montréal est un pauvre
spectacle où l’on constate que les efforts sont orientés vers un seul
endroit : les Jeux olympiques. (…) Montréal est une ville où l’on
travaille et où l’on s’amuse mais où l’on ne veut plus vivre. (Déry,
1975, p. 138)
Les campagnes de publicité qui ont été élaborées dans l’histoire récente
de la métropole s’adressaient avant toute chose aux Montréalais. Ainsi, un
premier slogan fut adopté par l’administration Drapeau en 1983, « La fierté
a une ville : Montréal ». Cette campagne municipale cherchait à redonner
confiance aux Montréalais et à réactiver leur fierté en rehaussant l’image de
la ville et de son administration, tout en les persuadant qu’ils avaient fait le
154
La nouvelle économie à la rescousse des métropoles industrielles. Analyse
comparée des stratégies publiques à Montréal et à Glasgow
bon choix en habitant Montréal. Quelques années plus tard, en raison des
difficultés économiques vécues par un nombre accru d’individus, il est clair
que l’adoption d’une telle vision était nettement insuffisante pour
convaincre les Montréalais du bien-fondé de leur choix :
Montréal tombe en ruines. Promenez-vous rue Sainte-Catherine,
vous en apprendrez plus sur la métropole québécoise que dans le
plus percutant des rapports. Un magasin sur dix est vide (27 % des
locaux commerciaux de Montréal sont vacants!) et les commerçants, surtaxés, crient famine. L’entretien des chaussées et des
trottoirs est négligé et un itinérant vous aborde tous les 3 mètres.
Pourtant, jamais ville n’aura été aussi auscultée, étudiée,
consultée. Le diagnostic peut être résumé en deux mots : pauvreté
et chômage. (Duhamel, 1992, p. 28)
Pour faire face aux problèmes d’image dont souffre Montréal et qui a fait
fuir la population et les entreprises vers les villes de banlieue, en 1996,
l’administration du maire Pierre Bourque récidive avec la campagne de
publicité « Montréal, c’est toi ma ville ». Le but avoué du maire est alors de
mobiliser la population pour la relance de Montréal. En raison des
difficultés économiques et sociales que vit la population montréalaise, les
médias réagissent vivement à cette campagne qualifiée de « jovialiste ».
Selon eux et des experts en relations publiques, l’image qui est donnée de la
ville est totalement fausse et cherche à camoufler ses vrais problèmes :
Cette campagne, c’est en fait un hiatus. Un hiatus entre la réalité, la
brutale réalité que nous enseignent les faits, et la représentation
que devraient s’en faire les Montréalais. C’est un détour de sens.
Dans son dernier bulletin complet concernant le chômage,
Statistique Canada rappelle que le rapport emploi/population à
Montréal est le plus faible des grandes villes canadiennes. Il est de
56,9 % contre 58,7 % pour Québec, 61 % pour Toronto, 69,6 %
pour Calgary, etc... [sic] Or, cela, le commun des mortels le sait
comme il sait que le taux d’inoccupation des logements est très
élevé, que les revenus sont proportionnellement plus bas qu’ils ne
l’étaient il y a une dizaine d’années et que les nids de poule s’y
comptent par centaines. (Truffaut, 1996, p. A1)
À partir de 1997, la représentation de Montréal dans les médias
commence à changer. On ne peut certainement pas attribuer cette évolution
au succès des campagnes de promotion auprès des Montréalais. En fait, les
nombreuses initiatives publiques et privées s’appuyant sur les forces de la
métropole québécoise – le support au développement des industries de
l’aéronautique et de l’aérospatiale, des biotechnologies et de la pharmaceutique, la stratégie d’internationalisation de la ville – commençaient à
porter fruit. Dorénavant consacré capitale économique et culturelle du
Québec, Montréal projetait l’image d’une ville énergique et innovante.
Mentionnons aussi l’apport de grands événements comme le Festival
international de jazz de Montréal depuis 1978 et les Floralies interna-
155
International Journal of Canadian Studies
Revue internationale d’études canadiennes
tionales de Montréal tenues en 1980. De plus, comme nous le verrons plus
tard, un certain nombre de projets d’aménagement promus par les acteurs
publics sont élaborés pour transformer son visage de métropole industrielle
en déclin. Tant et si bien qu’en 2002, lors d’un symposium organisé par la
Chambre de commerce de Montréal, un ancien président de la Chambre de
commerce énonce avec confiance que la situation s’est complètement
transformée :
La morosité et le misérabilisme des années 80 et du début des
années 90 ont cédé la place à un dynamisme et à un renouveau qui
ont permis de créer une masse critique dans des secteurs de pointe
comme la haute technologie, les industries culturelles, les activités
internationales et le tourisme. (Roy, 2002, p. 4)
Le développement de Montréal baigne désormais dans un optimisme
renouvelé, et les acteurs voient dans plusieurs programmes et projets
l’explication de cette réussite.
Glasgow en quête de notoriété
Deux éléments majeurs se dégagent d’un portrait des principaux changements économiques et démographiques qui ont marqué l’agglomération de
Glasgow depuis les années 1960. Le premier concerne l’écroulement du
secteur secondaire au profit du secteur tertiaire (tableau 3). Le second est
l’important déclin démographique de la ville-centre et de la conurbation
(tableau 4).
Tableau 3
Changements à la structure de l’emploi
dans la conurbation* de Glasgow, 1971-1991
1971
1981
1991
Secondaire
306 531
188 534
121 000
Tertiaire
405 029
430 032
452 000
Total
711 560
618 566
573 000
Source : Gomez, 1998, p. 108.
* Le territoire couvert par ce tableau est plus petit que celui de la région de Strathclyde;
il comprend la ville-centre et cinq municipalités environnantes.
Dès les années 1950, l’économie de la région urbaine connaît
d’importants changements. Les secteurs industriels traditionnels qui ont
fait la renommée de Glasgow – houille, aciéries, construction navale,
chimie, matériel de forage – se sont effondrés (Lever et Mather, 1986). De
plus, à l’instar de ce qui se produit dans la région de Montréal, les
entreprises de production industrielle préfèrent s’établir dans des zones
156
La nouvelle économie à la rescousse des métropoles industrielles. Analyse
comparée des stratégies publiques à Montréal et à Glasgow
périphériques (villes nouvelles ou espaces non urbanisés) et ce, même si des
sites industriels sont disponibles dans la ville-centre (Maver, 2000, p. 218).
Tableau 4
Population de la ville de Glasgow et
de la conurbation de Glasgow, 1961-1991
1961
1971
1981
1991
Ville de Glasgow
1 055 017
897 485
774 068
688 600
Conurbation (Strathclyde
Region)
2 583 991
2 573 544
2 404 155
2 184 380
41
35
32
32
Pourcentage de la
population de la ville-centre
par rapport à la région
Source : UK Census of Population
Le principal trait marquant de la période est le virage tertiaire pris par
l’économie. Par contre, en dépit de la croissance de nouveaux secteurs
comme celui des services, la perte des emplois manufacturiers est massive.
Entre 1971 et 1991, les emplois du secteur secondaire diminuent. Ils
passent de 306 531 à 121 000 (voir le tableau 3). Dès lors, le taux de
chômage demeure élevé chez les anciens travailleurs des chantiers navals.
Même en tenant compte de la croissance du secteur tertiaire à partir des
années 1970, le déclin des emplois dans la région de Glasgow est absolu et
non pas relatif. C’est pourquoi cette agglomération est affectée par des
problèmes de chômage chronique.
La conurbation de Glasgow se démarque par rapport à Montréal, où le
déclin démographique de la ville-centre s’est accompagné d’un exode
massif vers la banlieue, puisque tant la ville-centre que les espaces
périphériques ont fait l’objet d’une baisse démographique absolue. Ainsi,
entre 1971 et 1991, la conurbation de Glasgow a perdu 15 p. 100 de sa
population. Le déclin démographique a particulièrement touché la villecentre qui a perdu plus de 35 p. 100 de sa population entre 1961 et 1991 et ce,
même si quelques quartiers, notamment la Merchant City5 et le West End
ont vu leur population sensiblement augmenter entre 1981 et 1991. La
déconcentration démographique a été partiellement engendrée par les
programmes de démolition des logements décrépis et par la politique de
colonisation des villes nouvelles dans les années 1960 et 1970 (Keating,
1988, p. 19). Mais le trait le plus marquant est le départ volontaire de
nombreux ménages (Baily, Turok, Docherty et al., 1999, p. 49).
En 1973, le West Central Scotland Plan réalisé par le gouvernement
écossais reconnaît l’ampleur des pertes d’emplois (Robertson, 1998, p. 55).
157
International Journal of Canadian Studies
Revue internationale d’études canadiennes
L’initiative de revitalisation urbaine Glasgow Eastern Area Renewal
Project (GEAR) découle du constat présenté dans le plan régional, et son
principal objectif est de revitaliser les quartiers affectés par la perte
d’emplois industriels (Boyle, 1993). À partir de ce moment, les acteurs
locaux, appuyés par la nouvelle agence de développement relevant du
palier supérieur du gouvernement, la Scottish Development Agency créée
en 1975 (qui devient en 1990 la Scottish Enterprise), entament une
campagne de promotion qui mise sur la réinvention de la ville (Maver,
2000, p. 220).
Les 30 dernières années de l’histoire de Glasgow ont été marquées par
une stratégie de « réinvention de la ville » basée sur la culture et les services,
rompant avec son passé industriel. Selon plusieurs chercheurs, les
principales images accolées à la ville étaient celles d’une métropole
violente, aux prises avec de graves problèmes sociaux (pauvreté, violence,
militantisme ouvrier radical, vastes zones polluées, chômage de longue
durée, alcoolisme) et une économie périclitante (Keating, 1988, p. 174).
Dans les termes d’un observateur de la scène urbaine, l’image projetée par
Glasgow était sombre : « Glasgow was seen as the City of mean streets and
mean people, razor gangs, the Gorbals slums of smoke, grime, and fog, of
drunks, impenetrable accents and communists. » (Taylor, 1990, p. 2, cité
par Boyle et Hughes, 1991, p. 220).
En réaction au processus de désindustrialisation, les pouvoirs publics
supérieurs et locaux ont élaboré des stratégies qui visaient à attirer des
investissements pour revitaliser la ville. Un élément clé de la stratégie des
acteurs locaux était la campagne de marketing destinée à convaincre les
gens que Glasgow était autre chose qu’une ville industrielle en déclin. À
défaut de réussir à transformer rapidement la réalité, il a été décidé de
s’attaquer d’abord à l’image de la ville. Selon Boyle et Hughes (1991, p.
220), dès le début des années 1970, les acteurs locaux ont entrepris de
transformer l’image de Glasgow. Toutefois, c’est dans les années 1980 que
la stratégie s’est concrétisée avec la campagne initiée par le maire, le Lord
Provost Michael Kelly, en 1980 avec son célèbre slogan, « Glasgow’s Miles
Better » (Keating, 1988, p. 174; Maver, 2000, p. 22; Paddison, 1993).
Tablant sur le caractère sympathique de la ville, les promoteurs de la ville
ont cherché à redonner confiance à ses habitants, mais surtout à faire
rayonner Glasgow à l’échelle nationale et internationale.
Pour plusieurs observateurs de la scène urbaine, cette campagne destinée
à attirer des touristes et des investissements représente un point tournant
dans l’histoire de la ville et de la revitalisation de ses quartiers centraux.
Cette campagne a été accompagnée de programmes visant à faire émerger
des nouveaux secteurs économiques et à donner une vocation inédite à la
ville, notamment en développant le commerce de détail au centre-ville et en
le dotant d’équipements culturels de classe internationale. Ainsi, l’administration municipale a choisi de soutenir la réhabilitation du patrimoine
architectural victorien au centre de la ville.
158
La nouvelle économie à la rescousse des métropoles industrielles. Analyse
comparée des stratégies publiques à Montréal et à Glasgow
Comme l’a mentionné l’historienne Helen Meller, au cours des années
1980, dans les villes britanniques, la croissance économique devient
intimement reliée à la promotion de la culture. En raison de la forte tradition
civique prévalant à Glasgow dans le domaine de la promotion des arts, la
ville avait une longueur d’avance (Meller, 1997, cité par Maver, 2000,
p. 221). Par exemple, en 1983, la Ville a inauguré la nouvelle galerie Burrell
qui abritait une collection de plusieurs milliers d’objets d’art offerts par un
armateur philanthrope. Ce musée est rapidement devenu une attraction
touristique.
À cette campagne d’image, il faut ajouter la mise sur pied, à la fin des
années 1980, de deux événements culturels, Mayfest International (un
festival d’arts annuel) et le Glasgow’s Garden Festival, en 1988, qui attire
quatre millions de personnes (OCDE, 2002, p. 95). En 1990, l’événement
European City of Culture vient couronner les actions précédemment
entreprises en matière de développement culturel. Cette initiative compte
plus de neuf millions d’inscriptions (OCDE, 2002, p. 95). De plus, l’infrastructure culturelle de la ville est complétée grâce à l’inauguration de
nouveaux musées et de salles de spectacle, notamment le Royal Concert
Hall en 1990.
Au début des années 1990, d’autres slogans sont employés pour
témoigner du dynamisme de la ville : « There is a lot of Glasgowing on » et
« Glasgow’s Alive » (Gomez, 1998, p. 111). En raison de l’effervescence
culturelle dont Glasgow fait l’objet, son image projetée en GrandeBretagne et à l’étranger est celle d’une ville en pleine renaissance, jeune,
cool, dynamique et innovante. Ainsi, sur le plan du développement
touristique, la campagne de promotion se révèle un véritable succès comme
en atteste le nombre de visiteurs. En outre, les efforts consentis en matière
d’équipements culturels sont récompensés lorsque la ville est sélectionnée,
en 1999, pour recevoir le prix de la ville britannique d’architecture et de
design (British City of Architecture and Design Award). Il faut dire que
Glasgow était déjà inscrite au circuit des grandes villes architecturales en
raison du caractère exceptionnel des bâtiments construits à l’époque
géorgienne et victorienne et de ceux conçus par les représentants du
mouvement Arts & Crafts au tournant du XXe siècle, en particulier Charles
Rennie Macintosh.
Bien qu’on ne puisse nier que l’approche promotionnelle a été favorable
à l’image de Glasgow, des chercheurs ont néanmoins fait ressortir ses
limites (Keating, 1988). Une telle pratique n’a pas réussi, notamment, à
faire diminuer le taux de chômage des populations les plus touchées par la
disparition des emplois manufacturiers (Paddison, 1993). On n’efface pas
l’hypothèque et les traces laissées par un passé industriel simplement en
changeant l’image d’une ville : « Glasgow is seen as torn between its
industrial past and efforts to promote a post-industrial future. Using image
and culture to promote sustainable economic regeneration and satisfy an
unequal population is difficult » (Baily, Turok, Docherty et al., 1999, p. 47).
159
International Journal of Canadian Studies
Revue internationale d’études canadiennes
De plus, il a été noté par certains chercheurs que la revitalisation du
centre-ville n’a pas eu des retombées manifestes sur les quartiers
périphériques en difficulté (Keating, 1988, p. 195; Robertson, 1998).
Les acteurs de la revitalisation urbaine et leurs projets
Au cours des 20 dernières années, les acteurs politiques et économiques des
deux métropoles ont élaboré des stratégies de relance afin d’appuyer des
secteurs économiques en émergence, notamment ceux des services, de la
culture et des nouvelles technologies. Dans les deux cas, les interventions
ont surtout porté sur le réaménagement du cadre physique au moyen de la
réalisation de projets combinant développement immobilier et création
d’emplois. Les programmes ont mis l’accent sur la transformation du
paysage urbain à la faveur d’une nouvelle vision de la ville qui s’appuie sur
les caractéristiques de l’économie urbaine contemporaine où les
technologies numériques, les loisirs, le divertissement et la consommation
occupent une place privilégiée. À cet égard, tant à Montréal qu’à Glasgow,
depuis le milieu des années 1980, une panoplie de projets ont servi de
catalyseur à cette transformation. Dans le but d’illustrer la diversité des
stratégies publiques employées, nous nous concentrons sur un certain
nombre d’exemples portant sur des espaces spécifiques. Dans le cas de
Montréal, nous avons retenu le réaménagement du Vieux-Port et des abords
du canal de Lachine, ainsi que les projets de « cités industrielles » du
gouvernement du Québec. Dans le cas de Glasgow, nous considérons les
actions municipales portant sur le centre-ville, les initiatives des agences du
Scottish Office eu égard à la création de zones destinées à l’accueil
d’entreprises de haute technologie et le projet multipartite de revitalisation
des berges de la rivière Clyde.
Montréal : des projets urbains mis en œuvre par les trois paliers de
gouvernement
La réhabilitation du Vieux-Port de Montréal et des abords du canal de
Lachine constituent les principaux projets d’aménagement qui ont joué un
rôle clé dans la revitalisation de Montréal et qui ont contribué à lui accoler
une image de ville post-industrielle. Pilotées par le gouvernement fédéral,
ces interventions ont transformé le paysage urbain de la métropole
industrielle. Le gouvernement du Québec a aussi été très entreprenant dans
les opérations de revitalisation urbaine. Dans la seconde moitié des années
1990, sa présence a été manifeste grâce à ses projets de création de « cités
industrielles » destinées à accueillir les travailleurs de la nouvelle
économie. L’approche des projets urbains retenue pour ces différentes
interventions aménagistes comporte de prime abord une démarche de
marketing, de fabrication d’une image de marque qui est révélatrice des
intérêts et des enjeux sous-jacents (Ingallina, 2001, p. 27). C’est pourquoi
les instigateurs de ces différents projets se sont engagés dans un processus
de transformation de l’image d’un morceau de ville.
160
La nouvelle économie à la rescousse des métropoles industrielles. Analyse
comparée des stratégies publiques à Montréal et à Glasgow
À partir des années 1960, le recours à de nouvelles méthodes de
manutention des marchandises, notamment la généralisation de la
conteneurisation, a eu pour effet de rendre inutile la zone portuaire située au
cœur historique de Montréal. Après un processus de consultation publique,
au milieu des années 1980 (Comité consultatif du Vieux-Port de Montréal,
1986), les autorités fédérales, en collaboration avec l’administration
municipale, ont opté pour un aménagement accessible, où les rapports
sociaux ne reposaient pas en priorité sur les relations marchandes. Forts des
expériences de reconversion des paysages portuaires nord-américains qui
ont soit « privatisé » soit « marchandisé » les espaces riverains, les acteurs
montréalais interpellés par le réaménagement du Vieux-Port ont choisi de
mettre en valeur le site en faisant appel à l’idée d’espace public
(Vermeersch, 1998). À cette fin, les anciennes installations portuaires (silos
à grain, tour de manutention) ont été préservées à titre de vestiges d’une
période révolue. Il s’agissait de créer des paysages résolument
post-industriels qui marient quelques traces historiques avec des signes de
la postmodernité : espaces de déambulation, pistes cyclables, cafésterrasses, animateurs publics, cinéma IMAX et plus récemment centre
interactif des sciences ont été mis à la disposition des flâneurs d’une
nouvelle ère.
L’autre projet d’importance visant à redonner vie à une vaste zone
industrielle en déclin est le réaménagement des berges du canal de Lachine.
Depuis les années 1980, les abords du canal ont fait l’objet de plusieurs
interventions. Fermé à la navigation au début des années 1970 à la suite de
l’ouverture de la Voie maritime du Saint-Laurent en 1959, le canal (long de
11 kilomètres) et ses abords composaient les reliquats du Montréal
industriel. L’important patrimoine industriel qui y subsistait était un témoin
privilégié de ce qui fut jadis le berceau de l’industrialisation au Canada
(Desloges et Gelly, 2002). Propriété du gouvernement fédéral, le canal a
d’abord fait l’objet d’un programme de réaménagement physique et
paysager, notamment avec la réalisation d’une piste cyclable longue de 14
kilomètres. À la fin des années 1980, l’administration montréalaise, en
concertation avec les groupes communautaires des quartiers ouvriers
adjacents au canal (Pointe-Saint-Charles, Saint-Henri et PetiteBourgogne), a mis en avant une politique destinée à la relance de l’emploi
local grâce à l’implantation de petites et de moyennes entreprises
industrielles et au maintien en place des populations à l’aide d’une politique
de logement (Sénécal et Michel, 2002, p. 160). Ambitieuse, cette politique
n’est pas parvenue à contrer les tendances lourdes qui marquaient alors
l’économie de Montréal, notamment la suburbanisation des activités
industrielles. Ainsi, la réalisation d’un parc industriel n’a jamais pris son
envol. En effet, les entreprises préféraient nettement se localiser à
proximité des grands axes autoroutiers ou de l’aéroport : les berges du canal
étaient vues comme une localisation d’un autre âge. Quant à la politique de
logement qui s’adressait à la population locale, elle a été mise à l’écart lors
de l’arrivée au pouvoir du maire Pierre Bourque en 1994. Ce dernier était
161
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Revue internationale d’études canadiennes
beaucoup plus ouvert que son prédécesseur à l’idée de laisser le marché
libre aux promoteurs immobiliers et, du coup, occasionner l’embourgeoisement des quartiers environnants.
En 1997, la Ville de Montréal propose un nouveau plan de revitalisation
qui valorise le potentiel résidentiel, récréo-touristique et patrimonial des
berges. Elle y définit son rôle comme un facilitateur du développement
urbain et s’engage à améliorer les espaces et les infrastructures publics.
Depuis la fin des années 1990, plusieurs centaines d’unités d’habitation ont
été construites. En 2002, la réouverture du canal à la navigation de plaisance
grâce à l’appui financier du gouvernement fédéral a constitué le dernier
épisode de l’histoire de la réinsertion du canal de Lachine dans le Montréal
post-industriel.
À la fin des années 1990, le gouvernement du Québec, avec la Ville de
Montréal, est également intervenu dans l’aménagement urbain en créant
deux secteurs destinés à recevoir les travailleurs de la nouvelle économie, la
Cité Multimédia et la Cité du commerce électronique (Bordeleau et al.,
2001, p. 15; Manzagol, Robitaille et Roy, 2000, p. 214). La particularité de
son approche repose sur une stratégie qui combine développement
immobilier et création d’emplois. Cette stratégie consiste à regrouper des
entreprises dans des zones ou des immeubles désignés. L’aménagement de
ces ensembles immobiliers vise, d’une part, à stimuler la création d’emplois
à l’aide d’avantages fiscaux6 et, d’autre part, à favoriser la relance
d’espaces urbains en attente de redéveloppement.
Avec le projet de la Cité Multimédia, les promoteurs ont tenté de créer
une image forte de Montréal et ce, pour faire oublier les images négatives
associées aux anciens quartiers industriels et en particulier celui où elle se
trouve (Poitras, 2002a; Poitras 2002b). En fait, tout un imaginaire a été
élaboré autour du projet et de la personnalité des gens qui y travaillent.
L’identité nouvelle de la Cité est fondée sur l’imaginaire de l’économie
reliée à l’Internet et de ses acteurs : les entreprises, les travailleurs
« branchés » et leur mode de vie, les types de services offerts, de même que
l’organisation fonctionnelle du quartier.
Également initié par le gouvernement du Québec, cette fois en
partenariat avec le Mouvement Desjardins et des sociétés immobilières
privées, le projet de la Cité du commerce électronique n’a pas connu le
même succès que celui réservé au multimédia. Présenté par le maire de
Montréal, lors de son lancement en mai 2000, comme la nouvelle
Baie-James du Québec (Cardinal, 2000, p. A3), cet important projet
immobilier comptait au départ neuf tours situées en plein cœur du centre des
affaires sur le boulevard René-Lévesque Ouest totalisant plus de 100 000
mètres carrés d’espace locatif où travailleraient jusqu’à 20 000 personnes.
Le principe pour y attirer des occupants était le même que celui de la Cité
Multimédia : des crédits d’impôt par emploi créé accordés aux entreprises
locataires. En se transformant en promoteur immobilier avec son projet de
162
La nouvelle économie à la rescousse des métropoles industrielles. Analyse
comparée des stratégies publiques à Montréal et à Glasgow
Cité Multimédia, le gouvernement du Québec s’était déjà attiré les foudres
des promoteurs privés qui dénonçaient la situation de concurrence déloyale
créée par la construction d’immeubles où les entreprises obtenaient des
subventions à la création d’emplois. Face à ces critiques, le gouvernement a
réajusté le tir en élargissant le périmètre de la cité, lui donnant le nom de
« zone » qui couvre désormais l’ensemble du centre-ville. En dépit des
changements apportés au programme, jusqu’à maintenant, deux tours ont
été érigées. Pour l’heure, l’avenir du projet demeure incertain. Il faut
souligner que peu de temps après son lancement, l’économie reliée à
l’Internet présentait des signes d’essoufflement. De plus, ce projet révèle
les limites d’une approche qui mise d’abord sur le développement
immobilier pour créer des emplois rattachés à la nouvelle économie.
Glasgow : l’entrepreneuriat urbain piloté par les gouvernements
supérieurs
À l’instar du cas montréalais, on constate qu’à Glasgow, les principaux
acteurs de la reconversion économique de la ville sont les pouvoirs publics
supérieurs. Certes, les acteurs municipaux sont intervenus mais plusieurs
chercheurs s’entendent pour dire que les agences du Scottish Office,
notamment la Scottish Development Agency (créée en 1975 et devenue la
Scottish Enterprise en 1990 et la Scottish Enterprise Glasgow quelques
années plus tard) ont assumé un rôle stratégique dans la revitalisation de
Glasgow (Gomez, 1998, p. 110; Kantor, 2000). Leur principal mandat est
d’attirer des investisseurs dans des zones industrielles en déclin ou de
mettre en œuvre des projets de revitalisation urbaine.
Comme nous l’avons souligné, les principales interventions en vue de
favoriser la relance de Glasgow ont porté, au cours des années 1980 et 1990,
sur l’art, la culture et le commerce de détail. Pour attirer les visiteurs,
l’administration municipale a fortement soutenu l’aménagement des
galeries marchandes au centre-ville. Ses interventions se sont aussi
concentrées sur la réhabilitation de la Merchant City pour accueillir des
bureaux et des logements.
Au début des années 1990, selon le directeur de la planification du
District Council, les efforts de promotion ont porté fruit. En misant sur le
tourisme et le secteur des services, il estime que les autorités publiques ont
réussi à faire connaître Glasgow à l’échelle internationale comme une ville
à l’avant-garde des innovations urbaines : « one of the first examples of a
post-industrial city… regarded in knowledgeable circles as a model for
economic regeneration » (Rae, 1993, cité par Maver, 2000, p. 222). En
raison du succès de la stratégie misant sur le commerce de détail, Glasgow
est devenu une destination populaire de chalandage, arrivant en GrandeBretagne, au deuxième rang après Londres. Dans sa stratégie de
développement économique de 1997 (Glasgow City Council, 1997), la
Ville de Glasgow continue d’affirmer que la promotion d’une image
positive de la ville demeure centrale. Tout en maintenant l’image d’une
163
International Journal of Canadian Studies
Revue internationale d’études canadiennes
ville sympathique, l’administration municipale prévoit, grâce à l’appui du
gouvernement écossais, développer l’industrie touristique, soutenir les
activités métropolitaines dans la secteur culturel (cinéma, musique,
artisanat, design, architecture), accroître l’attrait du centre-ville et
renforcer les liens internationaux.
Dès les années 1980, l’agence de développement du gouvernement
écossais a pris un virage entrepreneurial très net. Dans le contexte du
démantèlement de l’État-providence britannique, ses directeurs ont dû
s’associer à des entrepreneurs privés pour revitaliser le centre-ville. Parmi
les principaux projets réalisés, on peut rappeler plusieurs galeries
marchandes et la conversion en habitation d’un nombre important
d’immeubles industriels et commerciaux.
L’idée d’attirer des entreprises de la nouvelle économie à l’aide
d’incitatifs fiscaux est également présente à Glasgow. Une agence relevant
du Scottish Office – l’agence Locate in Scotland établie en 1981 – a pour
mandat de faire de la prospection internationale auprès d’entreprises qui
souhaitent s’établir en Écosse. Par contre, contrairement à Montréal, les
entreprises de la nouvelle économie ont été, jusqu’à maintenant, peu
attirées par une localisation urbaine. Dès lors, c’est la région connue sous le
nom de Silicon Glen située à l’est de Glasgow et englobant le West Lothian,
le Lanarkshire et le Renfrewshire qui est sortie particulièrement gagnante
des programmes d’aide. Plusieurs entreprises multinationales
d’informatique et de matériel électronique s’y sont établies : Sun
Microsystems, Compaq, Motorola, etc. Il en va de même de centres
d’appel. Ainsi, les entreprises rattachées à la nouvelle économie ont opté
pour une localisation périphérique car elles préfèrent les espaces non
urbanisés (greenfields). Par ailleurs, la création du West of Scotland
Science Park à Glasgow en 1983 par la Scottish Enterprise a tenté d’attirer
des entreprises de haute technologie en valorisant la proximité des
universités locales et les possibilités de transfert d’idées. Plus récemment,
Scottish Enterprise Glasgow a lancé une autre initiative immobilière,
CityScience, un quartier multifonctionnel destiné aux sciences et aux
technologies (logiciel, optique, commerce électronique, sciences de la vie)
qui a pour objectif de revitaliser une zone centrale de Glasgow (OCDE,
2002, p. 95). À l’instar des projets de « cités » montréalaises, ces initiatives
immobilières sont sensibles aux aléas du marché immobilier et leur objectif
est d’abord et avant tout de donner une image de marque à un quartier ou à
une zone.
En 2002, les acteurs publics – locaux, régionaux et nationaux – du
développement urbain à Glasgow ont reconnu le caractère unique de la
rivière Clyde (OCDE, 2002; Clyde Waterfront Working Group, 2002) dont
les berges sont demeurées en grande partie inoccupées à la suite du départ
des chantiers navals et des aciéries. S’inspirant des expériences étrangères,
on prévoit désormais la conquête de ce vaste espace industrialoportuaire en
y établissant des activités culturelles et de divertissement ainsi que des
164
La nouvelle économie à la rescousse des métropoles industrielles. Analyse
comparée des stratégies publiques à Montréal et à Glasgow
entreprises de la nouvelle économie. Le mouvement de réhabilitation des
berges a été amorcé en 1983 lors de l’inauguration du Scottish Exhibition
and Conference Center. En 1988, la tenue du Glasgow Garden Festival
avait aussi favorisé sa reconquête. Depuis la tenue de cet événement, un
complexe immobilier tertiaire dont la Scottish Enterprise est le promoteur,
Pacific Quay, occupe l’espace. Enfin, la construction d’un centre
commercial et de divertissement à Braehead ainsi que l’ouverture du
Glasgow Science Centre sont venues renforcer la tendance.
Selon la stratégie retenue par l’agence tripartite incluant le gouvernement écossais, la Ville de Glasgow et d’autres municipalités de la région,
la transformation des abords de la rivière pourrait augmenter la
compétitivité de la région en créant 35 000 emplois. L’approche
multisectorielle préconisée comprend la création d’emplois dans les
secteurs des biotechnologies et du multimédia, la revitalisation des communautés riveraines, le tourisme, l’implantation de nouveaux équipements
culturels et la mise en valeur du patrimoine. Dans cette perspective, les
promoteurs misent à la fois sur des concepts aménagistes et architecturaux
avant-gardistes et sur le développement d’un réseau de transport efficace
(Clyde Waterfront Working Group, 2002). Bref, on cherche à redonner à la
rivière Clyde le rôle essentiel qu’elle a joué dans l’histoire de la région
métropolitaine, tout en faisant le pont entre l’ancienne et la nouvelle
économie.
Conclusion
Dans les deux villes étudiées, les indicateurs économiques récents
montrent une nette amélioration de la santé économique, notamment en ce
qui a trait aux emplois créés, à la valeur des ventes au détail, à la vigueur du
marché immobilier, aux mises en chantier et aux investissements publics et
privés (Glasgow City Council, 2002; Ville de Montréal, 2002) par
comparaison à la situation qui prévalait jusqu’au milieu des années 1990.
Peut-on conclure que les stratégies déployées par les pouvoirs publics ont
porté fruit? Pour apporter quelques éléments de réponse à cette question,
nous reviendrons sur deux aspects : le cadre à l’intérieur duquel s’élaborent
ces stratégies et leur effet sur la population locale.
Les choix politiques effectués pour soutenir la relance des deux
métropoles s’inscrivent dans un cadre politico-institutionnel marqué par
des contraintes et des occasions qui sont à même de les influencer. Le
principal défi des pouvoirs publics des deux métropoles a été de répondre
simultanément, d’un côté, aux exigences de la globalisation de l’économie
et de la culture et, de l’autre, aux besoins locaux exprimés par une
population en difficulté. Tant à Montréal qu’à Glasgow, les acteurs publics
ont assumé le leadership de la reconversion, tout en mettant à contribution
les entrepreneurs privés. Dans les deux villes, les espaces anciennement
consacrés aux activités manufacturières de l’industrie lourde sont
désormais convoités par les promoteurs immobiliers qui cherchent à en
165
International Journal of Canadian Studies
Revue internationale d’études canadiennes
faire des lieux résidentiels de prestige. On peut également souligner
l’omniprésence du gouvernement du Québec dans les projets de
reconversion de l’économie montréalaise depuis 1997. En investissant
massivement dans de grands projets urbains visant à inscrire la métropole
québécoise dans le circuit international des villes high-tech, le
gouvernement du Québec a joué le rôle de nouveau producteur de la ville.
En ce sens, les pouvoirs publics supérieurs, en collaboration avec les élus
locaux, ont utilisé l’espace à titre de support expérimental pour élaborer des
stratégies devant répondre aux mutations socio-économiques engendrées
par la mondialisation. Il en va de même du gouvernement écossais. Il faut
souligner que, dans le contexte britannique, les stratégies retenues par les
agences du Scottish Office sont inhabituelles. Ainsi, l’interventionnisme
dans le champ économique est plus marqué en Écosse qu’ailleurs en
Grande-Bretagne, notamment en Angleterre. Sociétés distinctes, l’Écosse
et le Québec ont développé des traditions politiques différentes dans leurs
contextes gouvernementaux respectifs et cela se reflète dans leurs choix en
matière de re-développement urbain.
Les moyens mis en œuvre pour favoriser la reconversion économique
s’inscrivent dans l’approche de la ville entrepreneuriale telle qu’elle a été
présentée par des chercheurs comme Harvey (1989) et selon laquelle les
élus locaux ont délaissé leur approche gestionnaire traditionnelle orientée
en priorité vers la fourniture des services à la population, au profit d’une
approche qui cherche d’abord et avant tout à attirer les investissements
privés. Par contre, dans les cas qui nous intéressent, ce sont en premier lieu
les pouvoirs publics supérieurs qui ont pris le virage entrepreneurial. Il n’en
reste pas moins, qu’à l’échelon local, les acteurs politiques locaux n’ont pas
hésité à utiliser certains éléments de cette approche. Ainsi, comme le
soulignent Savitch et Kantor (2002, p. 299), à Glasgow, un nouveau langage
a été élaboré par les pouvoirs publics pour convaincre les gens que la ville
s’était transformée en milieu jeune et dynamique. En fait, les acteurs
publics ont essentiellement retenu de la vision entrepreneuriale du
développement l’idée de place marketing (Jessop, 1998).
À Glasgow, des chercheurs ont montré que les pouvoirs publics
supérieurs ont joué un rôle majeur dans les stratégies de régénération. Il
reste que la portée de ces interventions a été limitée. Dans le cadre du
programme Cities financé par l’Economic and Social Research Council,
des chercheurs du département d’études urbaines de l’université de
Glasgow ont procédé à une analyse comparative de Glasgow et
d’Édimbourg en matière de cohésion sociale et de compétitivité urbaine.
Leurs conclusions quant à la revitalisation de Glasgow sont sans
équivoque. Bien que la situation économique de la ville se soit améliorée au
cours des années 1990, les défis à relever demeurent importants : « (…) the
human and physical problems from decades of decline are substantial and
will not be resolved easily at current rates of progress. The biggest
challenges in this respect appear to be unemployment and derelict land »
166
La nouvelle économie à la rescousse des métropoles industrielles. Analyse
comparée des stratégies publiques à Montréal et à Glasgow
(Baily, Turok, Docherty et al., 1999, p. v). Plusieurs chercheurs considèrent
que l’image de Glasgow a bel et bien changé mais que la relance
économique n’a pas été au rendez-vous pour tous (Gomez, 1998, p. 114).
Pour plusieurs habitants, la ville représente désormais un milieu de vie plus
attrayant et dynamique. Cependant, pour un nombre encore trop élevé de
personnes, le chômage de longue durée et le peu d’offres d’emploi
constituent des obstacles sérieux à l’insertion dans une économie urbaine
renouvelée (Maver, 2000, p. 222). À cet égard, à la fin des années 1980,
Keating (1988, pp. 193-199) notait que Glasgow était devenu une ville
duale et ce, tant sur le plan socio-économique que spatial. Il dénotait un
contraste marqué entre la vitalité du secteur tertiaire par rapport au déclin du
secteur secondaire et une différenciation des réinvestissements au centre
par rapport au manque de ressources dans les quartiers périphériques. Cette
dualisation résulte en bonne partie de circonstances qui échappent aux
autorités locales, notamment la transformation radicale de l’économie
britannique aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale. En ce sens, le
processus de changement qui est survenu à Glasgow s’est également
manifesté dans plusieurs villes anglaises comme Liverpool, Manchester ou
Birmingham.
En dépit de succès indéniables en ce qui a trait à sa capacité à reconvertir
son économie et à métamorphoser des zones industrielles abandonnées en
espaces ludiques et attrayants pour la classe moyenne, parmi les grandes
métropoles canadiennes, Montréal demeure la plus pauvre. Les stratégies
retenues qui ont misé sur les idéaux véhiculés par les protagonistes de la
nouvelle économie ont peu affecté les conditions de vie des populations en
difficulté. Certes, les données de Statistique Canada ont montré une
amélioration de la situation entre 1995 et 2001 alors que la proportion de la
population vivant sous le seuil de faible revenu est passée de 34,8 p. 100 à
29 p. 100 (Leduc, 2003, p. A1). Il reste que dans d’autres grandes villes
comme Ottawa, les stratégies de développement misant sur la haute
technologie ont été plus fructueuses compte tenu, notamment d’un passé
industriel moins lourd.
Les deux métropoles ont utilisé les mêmes arguments pour attirer des
entreprises : disponibilité d’une main-d’œuvre qualifiée avec des
compétences linguistiques qui les distinguent, coûts de la main-d’œuvre
compétitifs, faible mobilité de la main-d’œuvre, caractère multiculturel,
coûts immobiliers avantageux, réseaux de télécommunication très performants, accès à des installations aéroportuaires de calibre international,
population jeune en raison de la présence de plusieurs universités.
Les changements survenus dans les deux villes ont eu des effets
différenciés sur les populations locales. Pour les travailleurs de la nouvelle
économie et les habitants des nouveaux quartiers revitalisés, les deux villes
sont devenues des milieux stimulants offrant une urbanité exceptionnelle
en raison de la richesse de leur patrimoine bâti qui date de l’ère victorienne
et édouardienne. En ce qui a trait aux travailleurs de l’ancienne économie
167
International Journal of Canadian Studies
Revue internationale d’études canadiennes
qui n’ont pas réussi à prendre le virage de la haute technologie, les quartiers
centraux ou péri-centraux n’offrent pas les mêmes atouts sans compter que
les possibilités de revoir les activités industrielles lourdes rythmer la vie de
ces quartiers sont révolues.
En dernière analyse, il faut reconnaître que la trajectoire historique d’une
ville, sa structure économique, son organisation sociale et les valeurs qui
sous-tendent son développement ne se redéfinissent pas aisément. En
rompant avec le passé industriel de la ville et de ses habitants, les acteurs
publics à Montréal et à Glasgow veulent tourner la page. Cependant, pour
qu’un nombre accru de citadins puissent profiter des bienfaits de la
nouvelle économie, les acteurs du développement urbain doivent
maintenant penser la ville et son aménagement non plus en fonction des
demandes des touristes ou des exigences des investisseurs étrangers, mais
plutôt en se préoccupant davantage de sa principale force, à savoir ses
propres habitants.
Notes
1.
2.
3.
4.
5.
6.
168
Ce texte est tiré d’une communication présentée dans le cadre du colloque
interdisciplinaire « Montréal-Glasgow » qui s’est tenu à l’université de Glasgow
en mars 2003. Je remercie les évaluateurs anonymes, les membres du comité de
rédaction de la Revue internationale d’études canadiennes, ainsi que Pierre
Hamel pour leurs commentaires sur une première version de ce texte. Je tiens
également à remercier le Fonds québécois de la recherche sur la société et la
culture et le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada pour leur
soutien financier.
En 1970, le rapport Higgins-Martin-Raynauld est le premier à avoir sonné
l’alarme à cet égard (Higgins, Martin et Raynauld, 1970).
Selon le dernier recensement, en 2001 la population de la ville de Montréal était
de 1 039 534 personnes, ce qui représente une hausse de 2 p. 100 par rapport à
1991. La population de la région métropolitaine a également crû pour atteindre
3 426 350 personnes, soit une hausse de 4 p. 100. En 2001, la part de la population
de la ville-centre par rapport à la région était de 30 p. 100.
C’est le cas notamment du rapport Picard paru en 1986.
Au début des années 1980, l’administration locale de Glasgow (Glasgow District
Council) met sur pied un programme de revitalisation de ce quartier historique
localisé au centre. Propriétaire du tiers des immeubles qui s’y trouvent – et dont
les deux tiers sont inoccupés –, la municipalité, et éventuellement la Scottish
Development Agency, offrent des subventions à la conversion d’édifices
industriels et commerciaux en habitation. Cette initiative permet de réintroduire
des habitants dans un quartier qui était demeuré inhabité pendant des décennies.
Au début de l’année 1994, plus de 1 000 nouvelles unités résidentielles avaient
été mises sur le marché (Jones et Watkins, 1996, p. 1132; Rosenburg et Watkins,
1999). Un processus similaire de repeuplement a marqué le Vieux-Montréal à
partir des années 1970.
Le gouvernement du Québec rembourse 40 p. 100 des salaires versés à des
employés, jusqu’à concurrence de 15 000 $CAN par an par emploi admissible. Ce
remboursement prend la forme d’un crédit d’impôt remboursable, égal à 40 p.
100 des salaires. Cette aide est renouvelable annuellement, jusqu’en 2010. À la
La nouvelle économie à la rescousse des métropoles industrielles. Analyse
comparée des stratégies publiques à Montréal et à Glasgow
fin de 2002, dans son plan d’action en matière économique, le gouvernement du
Québec annonçait le gel de plusieurs programmes d’incitatifs fiscaux visant
l’installation d’entreprises dans des sites désignés. Par conséquent, bien qu’ils ne
remettent pas en cause les engagements déjà pris, ces modifications viennent
mettre un terme hâtif à la construction de nouveaux édifices dans les « cités »
montréalaises (Gouvernement du Québec, 2002, p. ix).
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171
Ravi de Costa
Treaties in British Columbia:
The Search for a New Relationship *
Abstract
For the last decade, Native peoples in British Columbia have been engaged in
comprehensive treaty negotiations with the provincial and federal
governments. This paper considers the achievements so far, to question the
integrity of the stated goal, to create “a new relationship between peoples.”
The current process began as a response to a set of related pressures on the
state that raised doubts about its political legitimacy and effectiveness. Native
peoples saw this as an opportunity for recognition of their autonomy, which in
their view was never properly recognized. Though the process attempts to
place constraints on that autonomy, some find this acceptable, as their acute
need for economic and social development can only be financed and
supported through treaty settlements. Constraints, however, must also apply
to the two governments’ powers over issues comprising such settlements. Yet
it is far from evident that the governments of Canada and of British Columbia
will allow their own authority to be curtailed to enable the full enjoyment of
Native autonomy. Moreover, a number of issues crucial to the decolonization
of the relationship are simply not open for negotiation. Other Native groups
reject the premises of treaty-making, seeing simply another chapter in the
subjugation of Native people. In the circumstances, it appears that, rather
than create new relationships between peoples, the main function of the treaty
process is to renew the political legitimacy of the state.
Résumé
Depuis une décennie, les peuples autochtones de la Colombie-Britannique
sont engagés dans des négociations globales visant à la conclusion de traités
avec les gouvernements fédéral et provincial. Dans cet article, on examine les
résultants obtenus jusqu’à maintenant, afin de remettre en question
l’intégrité de l’objectif avoué qui est de créer « une relation nouvelle entre les
peuples ». Le processus actuel a commencé par être une réponse à un
ensemble de pressions connexes qui s’exerçaient sur l’État et qui soulevaient
des doutes quant à sa légitimité et à son efficacité. Les peuples autochtones y
ont vu une occasion de faire reconnaître leur autonomie, ce qui, à leur avis,
n’avait jamais véritablement eu lieu. Même si le processus tente d’imposer
des contraintes à cette autonomie, certains le jugent acceptable, car leur
besoin aigu de développement économique et social ne peut être satisfait que
s’ils jouissent du financement et du support que leur accordent les règlements
de traité. Ceci dit, des contraintes devraient également s’appliquer aux
pouvoirs des deux ordres de gouvernement dans les dossiers couverts par ces
règlements. Et pourtant il est loin d’être évident que les gouvernements du
Canada et de la Colombie-Britannique accepteront de voir réduire leur
International Journal of Canadian Studies / Revue internationale d’études canadiennes
27, Spring / Printemps 2003
International Journal of Canadian Studies
Revue internationale d’études canadiennes
propre autorité pour permettre à des autochtones de jouir d’une pleine
autonomie. De plus, plusieurs dossiers essentiels à la décolonisation de la
relation ne sont tout simplement pas un objet de négociation. D’autres
groupes autochtones rejettent les prémisses de la conclusion de tels traités :
ils n’y voient qu’un chapitre de plus dans l’histoire de la subjugation des
peuples autochtones, la principale fonction du processus de traité étant de
reconfirmer la légitimité de l’État.
Introduction
Treaty-making in British Columbia began with the goal of ending the
colonial relationship and building a new relationship between peoples
equal in recognition and respect. With such an ambition, it is perhaps unjust
to criticize a mere decade’s work given the centuries of dispossession and
abuse that went into creating the “old” or ongoing relationship. However,
certain fundamental patterns of the treaty process in British Columbia are
now becoming visible. In fact, this is a process that is beginning to suffer
serious political fatigue.
This paper argues that in a process that ostensibly seeks indigenous
consent, the inability of the provincial and federal governments to secure
that consent on key issues has had a corrosive effect on the stated goal of
building new relationships between peoples. It may not be controversial to
assume the following: for a relationship to be healthy, even vibrant, it must
be based on some truthful understanding of how it has come to be–its
history. Lies and denial make for suspicion and hostility. Moreover, good
relations require acknowledgment of the present circumstances of the
parties, both absolutely and relative to each other–with power comes
responsibility. Finally, the ability of the parties to retain control over their
separate identities and futures is important in a good relationship. In this
sense, good relationships, whether between individuals or peoples, occur in
time and rely on respectful understandings of the other’s past, present and
future.
As it is taking place in British Columbia, treaty-making involves
precisely these questions, using the tool of comprehensive negotiations in
order to end the colonial relationship and seek one that can meet these tests
of recognition, respect and justice. However, on crucial issues, of
compensation, governance and certainty for example, Native peoples feel
that they have not been recognized, treated with respect and justice. In what
follows, this argument is pursued. However, it is first necessary to establish
the historical context of treaty-making and to provide an outline of the
process of negotiations over the last ten years. The questions central to
relationship-building can then be addressed. Finally, recent developments
in jurisprudence and provincial politics are considered along with an
overview of the current status of treaty-making in British Columbia.
174
Treaties in British Columbia:
The Search for a New Relationship
The Context of Treaty-Making in British Columbia
There is a long and complex history of treaty-making in Canada. Treaties
were reached in various periods: “Peace and Friendship” treaties were
reached soon after the earliest contacts between Natives and Europeans; as
the colonial state was consolidated, treaties increasingly became
mechanisms for land purchase. Abandoned in the early twentieth century,
treaties returned to government policy after a Supreme Court finding of
unextinguished Aboriginal title in the Calder case of 1973. With few
exceptions, that history of treaties did not encompass British Columbia
until Calder.1
An explanation for this can be found in the differing interpretations made
by colonial elites of the 1763 Royal Proclamation, which reserved all lands
west of the Rocky Mountains as the hunting grounds for Indians. Without
recounting that entire history, it is important to note that the colony (and
province after 1871) of British Columbia observed neither the intention of
the Proclamation nor the facts of Native possession. In effect, British
Columbia was considered terra nullius or empty land. As in much of the
New World, the first markers of identity were natural resources, the
industries which extracted them and their solidity as a political base:
“Historically, provincial governments have been little concerned with a
broader vision of what B.C. might become, were they to venture beyond the
immediate demands of a resource-based economy” (Barman: 356).
Challenges to that vision were frequently made by Native peoples.2
However, these representations were largely ignored and from 1927-51
land claims activity by Natives was prohibited by amendments to the Indian
Act. Soon after the prohibition was lifted, the exceptionalism of British
Columbia, in not having negotiated the status of Native peoples through
treaties, began to come under increased pressure from three related sources:
direct action by Native peoples; more favourable jurisprudence; and shifts
in federal policy (de Costa).
From 1951 there was a rapid evolution of organizational structures and
political strategy for Native land claims. Arange of bodies emerged to make
their claims, including the Native Brotherhood of British Columbia, the
Union of British Columbia Indian Chiefs, the British Columbia
Association of Non-Status Indians, the Alliance of British Columbia Indian
Bands and the United Native Nations (Tennant; McFarlane). Though the
styles and goals varied, land was a crucial issue for all. Government
intransigence in the face of these developments was soon reflected in a rise
in direct action across the province.
Tennant suggested that 1973 saw the start of “the contemporary era of
B.C. Indian political protest,” the timing influenced by events at Wounded
Knee in South Dakota (174). Activities soon mushroomed: blockades of
logging roads and government offices; protest marches; obstruction of
railway development; and, particularly the assertion of traditional resource
175
International Journal of Canadian Studies
Revue internationale d’études canadiennes
rights (179-80). George Manuel, a highly influential British Columbia
Native leader called for “sophisticated civil disobedience,” referring to an
“army” of activists who would take up arms in the struggle if necessary
(McFarlane: 249-50).
By the early 1980s, direct action targeted resource industries
systematically. Such was their effect through that decade that in 1989,
David Mitchell, a member of the provincial Cabinet and Vice-President of
the lumber company Westar, described provincial authority as having in
some areas broken down completely: “it is no longer certain who controls
the forests in north-west British Columbia.”3 This was a crisis in an
economy so heavily dependent on the resources sector for jobs and export
earnings. Forestry products are especially important: Canada is the world’s
largest exporter of forest products, a third of which come from British
Columbia (Council of Forest Industries 2000: 11; 21). This equates to over
CAN$15B in export revenue, half of the total value of exports from the
province, and nearly 5% of total exports from the whole of Canada. Though
employment levels are declining, over 100,000 people are still directly
employed by the sector in a workforce of 1.9M (British Columbia 2001).
Secondly, the jurisprudence around Aboriginal rights and title started to
change rapidly (de Costa). Initially the province responded to land claims
by refusing any acknowledgment and mobilizing denials such as the
“tense” argument (the view that Confederation had annulled Aboriginal
title), and the “implicit extinguishment” position (the argument that any
provincial assertion through legislation automatically extinguished title).4
In 1973 the title claim of the Nisga’a, litigated since the 1960s, reached the
Supreme Court of Canada.
The Calder decision found that the Nisga’a had held Aboriginal title
before settlers came, though the judges split over the question of the
continuing existence of their title. In their obiter dicta, the judges decided
that Aboriginal title did not depend upon the 1763 Royal Proclamation, but
on proof of occupation since “time immemorial”; extinguishment by the
Crown must be “clear and plain.” A busy period of litigation ensued which
extended the scope of potential Aboriginal title while increasingly
developing its content. The provincial assertion that its territory was terra
nullius was becoming increasingly untenable.
The British Columbia Supreme Court deepened the doubts over
government authority and tenure, granting injunctions against resource
activities in various corners of the territory: on Vancouver Island, in the
remote Northeast of the province, in the southern Okanagan Valley and on
the North Coast, injunctions allowed for the possibility of continuing title.
At McLeod Lake, a protest that involved unsanctioned Native logging gave
rise to a ruling that allowed the band to sell their “illegal” timber (Tennant:
225).
176
Treaties in British Columbia:
The Search for a New Relationship
A direct consequence of increased judicial sensitivity to Indigenous
rights–and the third source of pressure on provincial exceptionalism–was
federal policy reform. After Calder, Prime Minister Trudeau established an
Office of Native Claims to deal with both comprehensive claims, such as
that of the Nisga’a, as well as Native grievances under the historical treaties
(Miller: 344). Foster calls this the “third period” of treaty-making in
Canada.5 A range of settlements have been reached under that process,
though it must be pointed out that none of these deal with the heavily settled
regions of Canada.
Federal policy was to negotiate only one claim at a time, resulting in a
situation where although many British Columbia Native groups had joined
up through the 1980s, “the line had not moved” (Tennant: 206-7). As a
bilateral set of negotiations between Native communities and Canada,
comprehensive claims presented a vexed question over land: more than
90% of Crown land in British Columbia is vested in the province, and the
courts had determined that federal appropriations of Crown land must be
done with provincial agreement.
However, by the 1980s, these pressures, as well as the rise of the
conservation movement and the declining market for forestry commodities
were clearly making the foundations of British Columbia’s prosperity less
sure. Still, as late as 1986, an old guard could be seen maintaining the rage
over Native land claims: “British Columbians have always felt they are on
proper legal ground.”6 It was not until the election of the Vander Zalm
government in 1986 that the Social Credit party became more pragmatic
and by 1989, figures like Jack Weisgerber and Eric Denhoff were revealing
fresh thinking within the conservative party. In Weisgerber’s speech
endorsing the treaty process in 1993, he acknowledged this prior “strategy
of denial” at length: “We maintained that there was no issue there to discuss.
If there was, it was in our minds clearly a federal responsibility and
shouldn’t involve the province, and we tended to avoid it.”7
New Relationships in British Columbia?
This brief history outlines the variety of challenges to the provincial refusal
to deal with the claims of Native peoples for recognition and justice. These
were political, from the rapidly developing political movement supporting
Native claims. Additionally, the pressure was moral, with an emerging
political value amongst the British Columbia and Canadian public that
treaty negotiations were a matter of honour and justice.
The pressure was also legal, as the hierarchy of Canadian courts grew
more amenable to Native claims, thereby forcing federal policy shifts. This
created economic pressure, as doubtful provincial tenure and authority
made new investment in resource industries less attractive, while allowing
the profitability of existing ventures to be threatened by direct action. The
177
International Journal of Canadian Studies
Revue internationale d’études canadiennes
history of denial in British Columbia was now bringing the legitimacy and
effectiveness of the provincial government into doubt.
At its inception, provincial rhetoric expressed the difficulties that a treaty
process had to resolve: “(We must) forge a new relationship with the first
nations people of this province, a relationship based on trust and mutual
respect, a relationship that will enable first nations communities to move
forward toward greater self-reliance and self-determination; and a
relationship that will allow us all–aboriginal and non-aboriginal–to move
beyond conflict and confrontation.”8
However, the initial openness to radically new “nation-to-nation”
relationships has long receded. Of the many pressures on the political
legitimacy of the province and the Canadian state as a whole, resolving
legal uncertainty and economic insecurity dominate treaty negotiations.
The governments have used the process of treaty-making to lock First
Nations into an expensive and time-consuming process in which the
recognition of their legal rights–particularly rights to govern themselves–is
heavily constrained by the requirement that these negotiations set out the
terms of all future interactions between indigenous peoples and the state,
thereby foreclosing the effects of reformist jurisprudence, political
developments or major demographic shifts. Moreover, the aspects of
economic development promised by the process appear unbalanced by the
refusal to deal substantively with the historical sources of economic
marginalization.
The variety of pressures noted above acted to invalidate the colonial
distribution of power, lands and resources in the province. The treaty
process appeared to be a way to manage their redistribution, bringing
Native peoples in as recognition of their prior occupation and using the idea
of relationships between peoples as the new basis for governing the
territory. What has emerged is a policy of modest concessions on lands and
resources and fewer still on political powers. New relationships implied
that legitimacy would be renewed through the recognition and inclusion of
indigenous peoples. While First Nations are absorbed in negotiations,
politically and financially, the pressures on provincial political legitimacy
have been reduced.
The Process of Treaty-Making
The British Columbia Treaty Commission Agreement (the Agreement)
was reached in 1992 between three “principals”: the governments of
Canada and British Columbia, and the First Nations Summit (FNS), a body
bringing together the leadership of communities representing some 70% of
British Columbia’s Native population. It in turn endorsed an earlier report
commissioned by the provincial government, the British Columbia Claims
Task Force Report (the Report), which is the foundational and substantive
text of modern treaty-making in British Columbia (British Columbia
178
Treaties in British Columbia:
The Search for a New Relationship
1991). It made nineteen recommendations, and most unusually for a report
of its type, all were quickly adopted by both governments and the FNS.
Under the terms of the agreement, a framework for the British Columbia
Treaty Commission (the Commission) was set out. There would be five
treaty commissioners: two appointed by the FNS, one by British Columbia
and one by Canada; the Chief Commissioner appointed by mutual consent
of the principals. The Report recommended that the parties negotiate any
issues of interest to them and described explicitly how tripartite
negotiations would proceed between the province, Canada and individual
First Nations: each set of negotiations in the process–each treaty
“table”–would go through six stages (BCTC 1999c).
First Nations initiate the process, each Native group indicating their
voluntary participation, setting out who they are and the extent of their
traditional territory (Stage 1). This is known as a Statement of Intent (SOI).
Then the First Nation and the two governments have to demonstrate their
“mandate,” their capacity to negotiate and ratify agreements9, and the
measures for public consultation they intend to put in place (Stage 2). Once
the Commission was satisfied each treaty table was declared ready.
Initial discussions could then begin: what would be the table structure–
would there be side-tables to deal with wildlife or taxation issues, for
example? The main aim is to get an agenda for future negotiations, a
“Framework Agreement” (Stage 3). This needed to be ratified according to
the procedures set out at Stage 2. Substantive negotiations could then begin,
working towards drafts of chapters that would become the final text of the
treaty. A collection of draft chapters is an “Agreement-in-Principle” (AIP),
which again, requires ratification (Stage 4).
Finally, negotiations would arrive at the final text of Agreement. Here a
process of constitutional and legal review is undertaken in addition to
further discussions at the table (Stage 5). Effectively the conclusion of
negotiations, this document naturally requires ratification by all three
parties, using the approach they had committed to at the outset. After this,
only implementation of the Final Agreement remains (Stage 6). Once
complete, the Final Agreement has the status of an Aboriginal Treaty under
section 35 of the Constitution Act (1982).
While the structure of the process invites few criticisms, in practice, its
operations are the source of considerable frustration. It is worth considering
the issues of interest-based negotiations and debt.
Funding
One of the key decisions taken by the principals had been to make First
Nations’ access to funds (for lawyers, anthropologists, oral history studies,
etc.) largely dependent on loans. Negotiation Support Funding, as it is
known, is 80% a loan from Canada, and 20% a grant which Canada and
179
International Journal of Canadian Studies
Revue internationale d’études canadiennes
British Columbia split 60/40. Throughout the process, this system has been
managed by the Commission: as of September 2002, $222M had been
disbursed, $177M as loans. In 2002-2003, $38M was available (BCTC
2002b: 29). Loans are due seven years after a table reaches an AIP, and 12
years after the first loan if talks break down.
Yet many First Nations object to the very principle of loans. Why, they
ask, should Native people go into debt so that settler governments can
rationalize Native rights into the dominant political system? It is a
reasonable criticism, made compelling by the fiscal weakness of most
Native communities in the province. The consequences of indebtedness
are well explained by Bernard Schulmann, treaty analyst with the
Ts’kw’aylaxw (Pavilion) Band:
… the indebtedness issue is worst for those that did not have their
treaty office completely separated from their regular office. That
was the case with Ts’kw’aylaxw, … So the band in one year went
from you know a typical band, moderately solvent, not doing well,
but not bankrupt, to being on paper, completely bankrupt. The
treaty debts make the band look like it has a net liability not net
assets. The Band is now unable to go to the bank and convince them
that they are a good credit risk, because the band now has this
$1.7 million debt to the federal government on their books
(Schulmann).
Interest-Based Negotiations
A second issue concerns the way in which negotiations are conducted. In
addition to a commitment that all issues of interest to the parties would be
“on the table,” the principals decided at the outset of the treaty process that
negotiations would adopt an “interest-based” form of negotiation. A
participant in the process explained the rationale:
Essentially there’s two models of negotiation, there’s interestbased, and there’s the typical competitive labour-union kind of
model. And we came into the process saying “no, we don’t want to
compete, we don’t want to hide our cards and only put the ones out
on the table that we think we should” (Didluck).
So, an “interest” for Natives might be something like ensuring that
zoning or resource decisions were highly sensitive to concerns for
traditional burial grounds. This contrasts with the “position” that Native
groups must control the zoning or resource allocation processes
themselves. One of the intentions of this alternative model of negotiation
was to help create good will and trust among the parties (Govier). It often
seems not to have arisen. Although relations between individuals on tables
are often good, it has been the view of First Nations that the two
government’s negotiators do not come and negotiate, but calculate their
bottom-line away from treaty tables. Rick Krehbiel, analyst with the
180
Treaties in British Columbia:
The Search for a New Relationship
Lheidli T’enneh Band, summarized the disappointment felt over the crucial
issue of land and cash “quantum”:
…[T]he first big lie! … if I ever get involved in litigating this
process, the first issue I will raise on the bad faith issue is the myth
of interest-based negotiations… One of the real problems with the
process is that the land and cash stuff is never negotiated. It comes
out of a cost-sharing formula, it’s created by shadowy people who
live in the basement in Victoria and Ottawa. It’s not made by the
treaty process, it’s simply a financial tug-of-war between the
lowest forms of bureaucrat … those 2 key things, the key to the
whole process, are never negotiated (Krehbiel).
Such criticism takes on a new force after the 1999 British Columbia
Supreme Court ruling in Luuxhon, which confirmed the requirement that
negotiations, once commenced by government, must be continued in good
faith (at para. 71-75). Accusations of negotiating in “bad faith” now
encourage a legalistic interpretation, and though the definition of “good
faith” is still unclear, this may be the foundation on which First Nations
build their criticisms of the British Columbia treaty process in years to
come.10 However, as I discuss below, questions of good faith and
interest-based negotiation may be lesser challenges than the governments’
refusal to discuss some issues at all.
The Issues
These problems in the structure of the negotiating process, though not
insurmountable, have drained much of the initial euphoria; it was a sense of
optimism and trust that had been thought crucial to the timely conclusion of
treaties. However, minimal progress on the substantive questions has raised
doubts amongst many observers about whether comprehensive agreements
may ever be reached: momentum continues to erode, while alternatives are
being explored.
As noted above, theoretically nothing is ruled out on treaty tables, though
this is far from the reality. I will demonstrate this, and explore some of the
associated tensions, by briefly considering several of the issues the parties
have been failing to resolve over the last ten years: land “quantum” and
interim measures; compensation; and “certainty.”
Quantum and interim measures
Quantum refers to the package comprising both what the governments
envisage as “treaty settlement lands,”11 as well as cash to fund Native
administration and development. The provincial government has
repeatedly excluded all “fee simple” or privately-owned lands from
discussion; and originally canvassed a “5% solution”–that when all
treaty-making was concluded “the amount of land held by First Nations…
will be about five percent of British Columbia, a figure proportionate to
181
International Journal of Canadian Studies
Revue internationale d’études canadiennes
their population” (British Columbia 1996). They have been reluctant to
indicate quantum before Stage 4. However, First Nations wanted a clear
indication of quantum early in the process. As Schulmann pointed out,
… the issue for (Pavilion) Band is regaining control of the land,
regaining control over probably about 30-45,000 hectares of land.
If they can get that then most of the other stuff can probably be
lived with. If they can’t get that scale of land it doesn’t matter what
the rest of it says, it’s irrelevant (Schulmann).
Pavilion were offered less than ten per cent of that in March 2000 and
voted to disband their negotiations in July that year. Though this response is
not typical, the gulf over quantum at treaty tables across the province is
significant. The First Nations Summit meanwhile has vigorously put its
own absolute positions, arguing, “we will not allow British Columbia to use
the treaty process to acquire jurisdiction where none now exists” (FNS
1996: 2).
Further proof of the tension over land can be seen in the implementation
of the interim measures policy. The Report had recognized that treaties
would take time, explicitly recommending a process for the protection and
sharing of lands and resources before each treaty was concluded. Arange of
interim measure options was contemplated: 1) notification of potential
impacts on issues that may be discussed at treaty tables, particularly
unilateral action on lands and resources; 2) consultation over that action; 3)
consent for such initiatives; 4) joint management processes requiring
consensus; and 5) restrictions or moratoria on land and resource use (British
Columbia 1991: Recommendation 16). The Supreme Court ruling in
Delgamuuk’w (dealt with below) clearly confirms the wisdom of this
policy, and as McNeil has argued, characterized resource activities as
requiring Native involvement (McNeil 1998: 13). Yet First Nations have
been extremely dissatisfied with the interim measures policy. Again, the
province has been reluctant to contemplate interim arrangements until
tables reach Stage 4. Chief Treaty Commissioner Miles Richardson pointed
out the problem with such policy:
First Nations are largely saying, and I think quite legitimately that,
“it’s just not on that we continue sitting negotiating at treaty tables
accumulating huge amounts of debt when the very assets, the very
resources that we’re talking about are rolling by our offices on
logging trucks” (Richardson).
A raft of interim measures was reached through late 1999 and 2000, in
part a response to the then New Democratic Party government’s deep
unpopularity and the perception that the treaty process was achieving
nothing other than continued public expenditure and mounting First Nation
indebtedness. Yet on examination, there is little immediate substance to
these agreements and certainly not the Native participation in the resource
sector envisaged in the Report. Some of the measures provide basic
182
Treaties in British Columbia:
The Search for a New Relationship
infrastructure to Native communities, such as the maintenance of access
roads in winter (BCTC 2001a). The innovation of Treaty Related Measures,
meanwhile, was clearly designed to keep First Nations in treaty
discussions, with small amounts of funding to do studies of economic
ventures that may come to fruition after a treaty is concluded (BCTC
2001a). In its 2001 review of the process, Looking Back, Looking Forward,
the Commission pointed out that, of 60 recently agreed measures, only one
was a land protection agreement (BCTC 2001c: 11). The 2002 First Nations
Economic Measures Fund of $30M keeps entirely within these parameters.
More recently there has been some discussions about “incrementalism,”
which would see the constitutional protection of some aspects of an
agreement before others, as a way of testing out agreements and building
good faith. This could mean “fast-tracking” some parts of an agreement
through Stages 4-6, leaving areas of disagreement for future negotiations.
As yet, no concrete proposals for this have emerged from the principals.
Land is certain to be an ongoing matter for the relationships between
Native and non-Native peoples. In some cases, agreements on quantum
have been reached at tables which have then not gained community
acceptance. The reasons for this may be found deeper, in Native attitudes to
their history of subjugation and to particular visions of their future, of
entitlements based in ongoing identities.
Compensation
The Task Force Report clearly contemplated that compensation would be
discussed, recommending discussions without “unilateral restriction.”
Moreover, it noted that negotiations may “include consideration of a
financial component to recognize past use of land and resources and First
Nation’s ongoing interests … The task force encourages the parties to reach
a negotiated solution by bargaining with good will and good faith in the
determination of compensation” (British Columbia 1991).
First Nations have maintained that compensation is one of the
fundamental reasons they are involved in the comprehensive process. The
FNS resolved in May 1998 that no Final Agreements would be reached that
did not clearly set out the wrongs committed against First Nations and offer
compensation for them (FNS 2001). Their position is certainly
representative of many First Nations on this issue:
All the time the people have been in our territory, making money,
building businesses, there’s been no compensation for our people,
and it will not be discussed in the treaty process (Smith).
Canada maintains that “history has been dealt with”12 through its
response to the Royal Commission on Aboriginal Peoples: Gathering
Strength – Canada’s Aboriginal Action Plan provided an official apology
(particularly to the victims of the residential schools policy) and $350M as a
183
International Journal of Canadian Studies
Revue internationale d’études canadiennes
“healing fund” (Canada 1997). Canada insists that the cash component of
treaty settlements is an exchange of “value for value”–that is, the purchase
of legal certainty.13 British Columbia allows for a “blend of approaches,”
recognising that while Natives will probably see cash settlements as
compensation, the province sees them as providing the basis of future
development (Lovick 1998).
We might reflect on the kind of relationship that allows parties to openly
differ on this matter: at one level it might appear an appropriate recognition
of difference in community values. However, it ignores both the disparities
of power between the parties, and the central historical rationale for
treaty-making: First Nation’s desires, steadfastly maintained since contact,
for recognition and justice. The tacit agreement-to-disagree over
compensation is disingenuous in the extreme; such an attitude toward
compensation for past injustice defeats its purpose. The Summit maintains
that this is an issue for which there is little or no negotiating space.
Compensation is fundamentally a positive recognition of the difference that
originally justified Native dispossession and abuse, and which now
underpins their ongoing predicament of marginalization.
Certainty
There were differences in the meaning of the term “certainty” used
by witnesses (British Columbia 1997: “Certainty”).
If “certainty” means extinguishment of Native rights, few Native groups in
British Columbia are likely to want it. In Canada, a rich vocabulary has been
developed to take overt extinguishment phrases out of the language in
which agreements are reached. From “Cede, release and surrender”–the
earliest phrasing–to the language of the James Bay & Northern Quebec
Agreement (1975) in which the First Nation “releases” all and then is
“granted-back” some of its rights, this has been a productive field.
In 1998, the province revised its stance, adopting a certainty policy
known as “modify and release.”14 This is the approach taken in the Nisga’a
Final Agreement (NFA), which is the only example of certainty language
available from British Columbia, given the lack of concluded treaties. Two
of the commissioners submitted that such a “modification (of Aboriginal
title) removes uncertainty” (BCTC 1999b: 4). Osgoode Hall scholar
Gordon Christie has pointed out, however, that in “a process of
modification some of the properties of a thing alter, while others remain the
same. The same thing exists after the modification…” (Christie 2000: 28).
Sections 26-31 of the general provisions of the NFA then invite
comment. Here the two governments are “released from future claims”;
they have “a duty to consult” only under the terms of the NFA itself; they
gain one indemnity against all “acts or omissions” that may have infringed
Aboriginal title before the agreement comes into effect; and gain another
184
Treaties in British Columbia:
The Search for a New Relationship
against any infringements or still existing rights not protected and set out in
the NFA (BCTC 2000b: Chapter 2).
Such provisions are what governments call non-extinguishment, even
though the denial of potential future rights while so many legal doubts
remain seems egregious. The last Minister for Aboriginal Affairs in the
NDP government, Dale Lovick, told Natives who suggested it was indeed
extinguishment, that they “misunderstood” (Lovick). The current
government has a more transparent agenda. While in opposition in 1997,
members of the now-governing Liberal party penned a minority report on
the Nisga’a AIP, in which they stated: “Whether a more benign legal
technique for achieving certainty can be agreed upon remains to be seen, for
the issue is not really about the phraseology, but the requirement for
extinguishment” (British Columbia 1997).
Faced with an absolutist approach to certainty, many Natives are looking
for something altogether different. During the Senate hearings as part of the
federal government’s ratification of the NFA in early 2000, a Gitanyow
elder spoke of their desire for “a set of living agreements,” of partnerships
between peoples that were flexible and respectful.15 No concept in
Native-settler relations is more fetishized than certainty–but the British
Columbia treaty process lays bare the question: is “certainty” the
recognition of Native rights, or an indemnity against their future assertion?
Clearly, some in British Columbia feel that the modification of their rights
envisaged by the governments is tantamount to a negation of their inherent
status as Native peoples.
Delgamuuk’w and Beyond
In December of 1997, the Supreme Court of Canada gave its judgment in
the case known as Delgamuuk’w.16 While there was no determination on
the specific question of the Aboriginal title of the Gitskan-Wetsuweten (a
First Nation in northern British Columbia), the ruling had major
ramifications for the treaty process which continue to be grappled with.
Formally ordering a new trial, the court encouraged “negotiated
settlements with good faith and give and take on all sides” (at para. 186).
The judgment then established a new context for such negotiations by
developing a clearer definition of Aboriginal title: neither an inalienable
form of fee simple nor mere usufructuary (usage) rights, it is “somewhere in
between these positions.” Aboriginal title is a right in land itself, and can
encompass a range of practices “not all of which need be … integral to the
distinctive cultures of Aboriginal societies.” The opening provided here is
the source of ongoing dispute, though such practices cannot include those
which would threaten the Aboriginal way of life itself (at para. 110-11).
This elaboration of Aboriginal title gives further content to s.35. However,
it is certain that title is not immune from infringement by the federal
government:
185
International Journal of Canadian Studies
Revue internationale d’études canadiennes
[T]he development of agriculture, forestry, mining, and
hydroelectric power, the general economic development of the
interior of British Columbia, protection of the environment or
endangered species, the building of infrastructure and the
settlement of foreign populations to support those aims, are the
kinds of objectives that are consistent with this purpose and, in
principle, can justify the infringement of Aboriginal title (at para.
165).
Persky suggested that the wide scope of the phrase “general economic
development” may be minimized by the requirement to consult and an
obligation to pay compensation where infringement occurs (Persky: 20).
The exhortation of the court for parties to negotiate rather than litigate is
notable, although it has many precedents, such as in the widely-cited
Martin case in the British Columbia Court of Appeal, which provided
injunctive relief against logging activity to a First Nation on Vancouver
Island in 1985. The judge remarked that the people of British Columbia
were entitled to think that their leadership would negotiate reasonable
outcomes on their behalf without the accumulating costs and the enmity of
litigation.
Several points may be raised, however: exhortations from the bench to
negotiate, like those for peace, can often elide questions of power, a fact not
lost on First Nations, governments or observers of the treaty process.
Moreover, the judgment downplayed a number of issues that have proven
consistently beyond the abilities of negotiating teams. These include the
range of activities and the character of Aboriginal jurisdiction or
self-government over title lands; the specifics of good faith consultation;
and an appropriate level of compensation for extinguished title.
Consequently, litigation is likely to be an active part of First Nation
strategy for some time. In recent jurisprudence in the British Columbia
Court of Appeal, First Nations gained a recognition they had long sought on
treaty tables without success: the right to be consulted over resource
allocation decisions on lands the legal status of which remains in dispute.
Both the Haida and Taku River Tlingit judgements saw the duty of the
provincial government to consult made more concrete: in the former, the
court pointed to an infringement of that duty and extended it to the
corporation involved, lumber multinational Weyerhauser.17
Such recognition has been at the centre of Native demands since they
realized that Europeans intended to settle in their traditional territories.
Indeed, part of the energy created by the treaty process at its inception was
its apparent openness to Native interests over resource allocation decisions
in advance of final determinations of title. The interim measures process, as
pointed out, leaves much to be desired.
186
Treaties in British Columbia:
The Search for a New Relationship
So, in the absence of widespread confidence in negotiations, litigation is
seen by First Nations as one way of extending their recognition within
Canadian institutions. Their resources, numbers and politically marginal
status, will, I suggest, ensure that this remains the case. In fact, the Xeni
Gwitlin case currently before the Supreme Court (and involving title) has
seen a preliminary finding awarding costs in advance to the First Nation
plaintiff, because in the view of the court, the treaty process did not offer a
reasonable alternative to litigation (BCTC 2003: 2).
Conversely, governments may be able to approach hortatory judicial
instructions with indifference. It is the view of one scholar, Gurston Dacks,
that governments may simply continue to make a safe bet on litigation:
[Governments] anticipate that Aboriginal title will be recognized
only over modest areas of land. Bolstering this confidence is their
calculation that First Nations will be reluctant to test the
Aboriginal title waters for fear of an unfavorable judicial decision
that will weaken their position at the claims negotiating tables.
This reticence may well counter the momentum that the
Delgamuuk’w decision created in favour of First Nations’ claims
… if the option is to alter their negotiating positions in the face of
court judgements, they may prefer to tough it out by using the
uniqueness of each First Nation’s circumstances to compel a very
large number of them to take their claims to court … Governments
can take considerable comfort in the Delgamuuk’w decision.
While their resources are not endless, they are better able to fight a
war of legal attrition than are most First Nations. There are good
reasons for First Nations to avoid litigation (Dacks).
It is difficult to see such a strategy, if it is real, as “good faith.” However,
even leaving aside such issues, some First Nations see the entire context of
negotiations as having the potential to lead away from the vision that they
have for their communities. Theirs is a hostility to the rationale of treaties as
“bills of sale” resulting in certainty; this contrasts with an understanding of
the earliest treaties as acts of recognition ensuring shared access to
resources (Williams 1997: 126-37).
Important for such positions is the renewal of traditional identities and
the assertion of traditional rights. A key thinker in this mode is Taiaiake
(Gerald) Alfred, whose work emphasizes “self-conscious traditionalism”
(Alfred 1995: 68-87; Alfred 1999: 80-88). This is not simply the self-consciousness of a Native display, but the coming to awareness of self through
Native traditions; the formation of identity through the renewal of culture;
an expression of personal freedom through the practice of Native social,
economic and political norms. From this position, negotiating with the
settler society takes a back seat to community-based activities.
187
International Journal of Canadian Studies
Revue internationale d’études canadiennes
It is possible that such tactics may have a new legal basis. Legal scholar
Kent McNeil has suggested that, notwithstanding its many defects,
Delgamuuk’w may see a reversal to the “burden of proof” in title litigation:
If an Aboriginal nation is primarily in possession of land, there
does not seem much reason for them to bring on action for
declaration of their title to it. They can generally act as landholders
do, and use the lands for their own purposes, in accordance with the
collective needs of their community … if an Aboriginal nation
brought an action, not for a declaration of Aboriginal title, but for
trespass on that Aboriginal title lands, the evidential requirements
would be different as well because in that situation they would only
have to prove present possession, not their title (McNeil 1999: 30).
Others do not disavow negotiations but are seeking to situate those
within a coherent range of activities.18 The Delgamuuk’w/Gisday National
Process, conducted by the Assembly of First Nations, aims to “provide
assistance and organizational capacity for First Nations considering
asserting their title consistent with the Delgamuuk’w decision” (AFN 2000:
1). Six basic principles comprise a complete post-Delgamuuk’w assertion
of Native title, rights and interests: community participation and public
education; pre-litigation and political negotiation; litigation; policy
development; direct action; and finally, an international campaign–to
challenge Canada’s image as an international defender of human rights.19
There is coherence to this: community education about what the law is,
development of practices appropriate to it, and the use of traditional
resources all form an affirmation of Native identities, indeed are measures
to bind and stabilize them. The other three strategies, openness to
negotiation, pursuit of litigation where necessary, and organization at an
international level, all indicate growing indigenous political confidence in
diverse modes of engagement with Canadian and provincial institutions.
The conscious assertion of traditional rights has been the basis of major
political mobilization amongst Native peoples across Canada. In fact,
direct action is largely what led to the treaty process in the first place. While
negotiated outcomes seem preferable and in keeping with the rhetoric of
new relationships between peoples, they are not the sole method for
pursuing Native claims. Government intransigence at treaty tables ensures
this is likely to remain the case.
Provincial Unilateralism
Though the gestation of the treaty process was undoubtedly during the final
Social Credit government of the late 1980s and early 1990s, carriage of the
process was indelibly associated with the NDP, which held government
from October 1991. Their electoral liquidation in May 2001 (they went
from government to holding two seats in a legislature of 79; the Liberal
party holds the other 77) created disquiet among pro-treaty First Nations.
188
Treaties in British Columbia:
The Search for a New Relationship
Mainly, this was due to the Liberals’ promise to hold a provincial
referendum on the government’s mandate at treaty tables.
Since at least the initialling of the Nisga’a Agreement-in-Principle in
1996 (in negotiations substantially similar to the British Columbia treaty
process but conducted outside it) the Liberals railed against a lack of
transparency and accountability in treaty-making. Moreover, they acted as
a conduit for harsh critics in the resources sector, such as the Council of
Forest Industries and the B.C. Fisheries Survival Coalition.
In government they quickly kept their promise, establishing a committee
to hear public views on the content of the referendum, then holding a poll
within a year of taking office. Eight questions were asked, to provide clear
instructions to members of the provincial negotiating teams (British
Columbia 2002b). The referendum was held under the British Columbia
Referendum Act, which meant that if approved, the eight issues would
become legally binding on the government under provincial law.
All eight were given overwhelming approval (British Columbia 2002a).
Partly this was due to the concerted boycott of the referendum by nearly all
Native peoples and their supporters. There was thinly-veiled criticism of it
by the Treaty Commission, which felt a referendum was neither “cost-effective nor efficient” (BCTC 2002a: 2).
One issue exemplifies the new politics around treaties: self-government.
As with their right to be consulted over resource decisions, Natives have
been claiming recognition for traditional modes of government since
contact. Only in 1995 did the federal government finally recognize
self-government as an inherent right (Canada 1995). In a range of decisions,
Canadian courts have encouraged this position, most explicitly in a 2001
British Columbia Supreme Court ruling in Campbell (an action brought by
the current Premier), which rejected the proposition that all power in
Canada resides with the federal and provincial governments, stating that
self-government was a s.35 Aboriginal right (BCTC 2002b: 21).20
However, the British Columbia government chose to ask residents of the
province whether they agreed with the proposition that “Aboriginal
self-government should have the characteristics of local government, with
powers delegated from Canada and British Columbia” (emphasis added).
As is common in federal systems, local government exists “at the pleasure”
of the province through legislation.
Now, 87% approval of that question means that provincial negotiators
are obliged to discuss only delegated models of self-government at treaty
tables. While the exact meaning of the words remains in many ways
unclear, no one thinks that “delegated” and “inherent” might mean the same
thing. Anathema to the origins of the process in First Nations demands for
recognition of their unique status, it contradicts the rhetoric of
“interest-based negotiations,” as well as judicial orthodoxy, federal
189
International Journal of Canadian Studies
Revue internationale d’études canadiennes
government policy and widely-regarded recent scholarship from the
United States linking economic development in Indian country with
substantial self-government arrangements (Cornell and Kalt). It has been
justified as a timely act of democracy for all peoples in the province.
While the stance is unlikely to survive a constitutional challenge, it does
beg the question, exposing the contradictions between provincial political
legitimacy and the broad philosophical intentions of treaties as attempts to
build new relationships between peoples. In another sense, the serious
policy divergence between them raises considerable doubt over whether
the governments of British Columbia and of Canada can enter into new
relationships on behalf of the same “people” at all.
The Status of the Process
There are some suggestions that negotiations, however, are proceeding.
Before considering these claims, an overview of the status of negotiations is
warranted.
As of May 2003, there are no modern treaties in British Columbia other
than the NFA, negotiated from 1976-2000 under the federal comprehensive
claims policy. A decade into the British Columbia treaty process, 53 First
Nations, representing approximately two-thirds of Native peoples in the
province, are in negotiations with the two governments at 42 treaty tables
(some neighbouring First Nations negotiating at common tables). The
overwhelming majority of tables remain in the first substantive phase of
talks, Stage 4, obstructed by the structural and fundamental problems
discussed above. The Commission noted recently that treaty tables had
“struggled to sustain momentum …. Substantive negotiations were
disrupted … many tables met infrequently, some did not meet at all” (BCTC
2002b: 7). The referendum was blamed for this loss of impetus.
Only one First Nation has joined the process since 1997 (the year of the
Delgamuuk’w judgment), the Hupacasath First Nation having left the
collective Nuu-chah-nulth Tribal Council (NTC) negotiations on the edge
of Stage 5 to pursue its own treaty agenda. Another band, at McLeod Lake
near the province’s north-east border with Alberta, reached an “adhesion”
to one of the early 20th century numbered treaties–Treaty 8, one of the
openly colonial extinguishment treaties. It secured a significant land
quantum and resource access through bilateral negotiations with Canada
(BCTC 2000a). As Krehbiel noted:
Certainly the outcome of McLeod Lake was far better than … that
(neighboring Lheidli was offered in 2000) in terms of land and
resources … it would provide a large land quantum and a larger
cash quantum, tax exemption, and a clear hunting and fishing
right. That isn’t easy to achieve in the other process (Krehbiel).
190
Treaties in British Columbia:
The Search for a New Relationship
Those tables that have reached Stage 5 so far have faced a community
backlash: the Sechelt community rejected its AIP in July 2000, in favour of
a return to litigation; the Nuu-chah-nulth AIP, initialled on March 10, 2001
was rejected during the ratification process by Nuu-chah-nulth
communities; and finally the Sliammon table, which also reached an AIP in
March 2001, is still to have that ratified by the Sliammon community. Some
tables have been effectively disbanded by First Nations, in addition to two
First Nations–Ts’kw’aylaxw, and the Xaxli’p–that have formally
withdrawn from the British Columbia treaty process.21
Progress is rumoured to be taking place on several tables, with press
releases indicating a new will in the provincial government to make
progress. The 2003 Throne Speech, setting out provincial government
priorities, included a statement regretting “years of paternalistic policies
that fostered inequity, intolerance, isolation and indifference,” though
rhetorical concessions are hardly new nor likely to convince First Nations
of anything in particular.
Recent developments on the Snuneymuxw table on Vancouver Island
have been hailed as a breakthrough: though only a summary of a draft is
available, it suggests some agreement on quantum (approximately 5000
hectares and $64M) and over revenue-sharing on resources taken from
traditional territories (Snuneymuxw, British Columbia and Canada 2003).
However, on the thorny issue of self-government there is little more than a
restatement of positions with the delegated/inherent question not
considered, let alone resolved; compensation and certainty are not
discussed at all. Such developments may be a sign that the parties feel an
“incremental” approach may rebuild confidence in the process.
Recently, “high-level talks” between the principals on the obstacles to
treaties have apparently been frank but without outcomes (BCTC 2003: 6).
Undoubtedly, we can expect some First Nations to succumb to the superior
power and resources of the governments, and reach agreements that
provide them with access to new funding sources enabling development in
their communities. However, clear resolution about the fundamentals of the
new relationships between Native and non-Native remains remote.
Conclusion
It has been a normative assumption of this paper that the claims of Native
peoples for recognition and justice deserve to be acknowledged. I hold to
this view because of Native peoples’ distinct status, not because such an
acknowledgment would serve as a legitimation of the province of British
Columbia, though that would likely be the eventual outcome of appropriate
recognition.
Yet in crucial respects, the current treaty process allows the governments
to achieve legitimation without–in the view of Native peoples–adequate
recognition. In part, this is the consequence of inadequate funding and the
191
International Journal of Canadian Studies
Revue internationale d’études canadiennes
weaknesses of a process for distributing justice that has no ways to manage
existing power imbalances between the parties. More than this, however,
the goal and rhetoric of “new relationships between peoples” has become a
trope, disconnected from any sensible understanding of the old and ongoing
relationships of dispossession and abuse. It is an attitude clearly manifest in
government positions on compensation and interim measures.
Similarly, the governments’obsession with legal and economic certainty
is crafted largely at the expense of an honest understanding of Native
traditions of governance, and by the dogmatic assertion that this process
should be the end. At the start of the 21st century, Native peoples are
expected to define themselves and set out explicitly their needs for all time:
without this, non-Native peoples are thought to be held in perpetual
uncertainty. Rather than an ongoing and mature relationship that is
consciously situated in time, governments in Canada have a vision of a
relationship that is yet to struggle free of older patterns of domination.
Notes
*
1.
2.
3.
4.
5.
6.
7.
8.
192
This research was supported by a grant from the International Council for
Canadian Studies.
The main exceptions are the Douglas treaties reached on Vancouver Island in the
1860s. Other agreements are the source of some historical interest, notably the
Barricade treaties reached between authorities and the Carrier peoples around the
Prince George area in the early 1900s. The 1899-1900 agreement, Treaty 8,
straddled the Alberta-British Columbia border. It was the subject of an adhesion
by the McLeod Lake Band in 2000, an issue I discuss below. The only “modern”
treaty is the Nisga’a Final Agreement (NFA) also concluded in 2000 but reached
through a separate process known as the comprehensive claims policy.
For clarity, I use the term Native(s) to refer to all indigenous peoples in the
province; First Nation(s) is restricted to those peoples involved in the treaty
process.
Terry Glavin, “Westar joins Northwest timber protest,” The Vancouver Sun
(February 23, 1990).
See Tennant, pp. 216-218.
The first being the pre-Confederation treaties made prior to 1867; the second the
“numbered treaties” from Treaty 1 in southern Manitoba in 1871 to Treaty 11 in
the Northwest Territories in 1921 (Foster: 358). There have been various
adhesions, including the McLeod Lake Band’s adhesion to Treaty 8 in the
Northeast part of British Columbia in 2000.
British Columbia Minister for Intergovernmental Relations, Garde Gardom:
“Land claims: harmony must begin in Ottawa,” The Vancouver Sun (September
9, 1986).
Jack Weisgerber, British Columbia Legislative Assembly Hansard (May 19,
1993).
Andrew Petter (Minister for Aboriginal Affairs), British Columbia Debates of the
Legislative Assembly (May 19, 1993) (emphasis added). The policy language of
“new relationships” or partnerships between peoples was long entrenched in
Indian Affairs and now has become the operational idiom. (Canada, House of
Commons Special Committee on Indian Self-Government, and Penner 1983: 41;
Treaties in British Columbia:
The Search for a New Relationship
9.
10.
11.
12.
13.
14.
15.
16.
17.
18.
19.
20.
21.
22.
Canada, Task Force to Review Comprehensive Claims Policy, Coolican, Canada,
and Indian and Northern Affairs Canada 1985: iv; Hamilton, A. C., Canada, and
Indian and Northern Affairs 1995: 71; Canada, Royal Commission on Aboriginal
Peoples 1996: Volume 2; Richardson; First Nations Education Steering
Committee 1998: 3).
First Nations decided that ratification would be by community referendum.
British Columbia and Canada decided that agreements would be ratified by
passage through the Legislature and Parliament respectively.
The Snuneymuxw, for example, appeared awake to the strategic value of the “bad
faith” line in their negotiations during 2000. See Wagg, 2000.
That is, land that after treaties will be under the exclusive ownership and
jurisdiction of First Nations.
Eric Denhoff, Canada, Gitanyow Main Table Meeting (Vancouver, September
17, 1999).
Tom Molloy, Chief Negotiator, Federal Treaty Negotiation Office. Quoted in
Lewis 1998.
Craig McInnes, “British Columbia changes treaty approach,” The Globe and
Mail (May 14, 1998).
Elmer Derrick, Canada, Proceedings of the Standing Senate Committee on
Aboriginal Peoples, Issue No. 4, Bill C-9, An Act to give effect to the Nisga’a
Final Agreement 1999-2000 (Ottawa, February 23, 2000).
For a comprehensive analysis of the judgment see the range of scholarly articles
available at http://www.delgamuukw.org/.
It should be noted that both these cases are the subject of appeal by the province.
The government is seeking to have the Supreme Court find that constitutional
authority over resource decisions is retained by the province.
Dene Moore, “Bands grow weary of treaty process,” The Canadian Press (July
13, 1999).
Interior Alliance News, “New Delgamuuk’w Plan of Action,” (July 2000).
The Supreme Court of Canada is yet to provide a definitive judgment on
self-government.
The In-SHUCK-ch/N’Quat’qua withdrew but have since rejoined the process.
CBC News (February 12, 2003).
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Politics and the Rise of Native Nationalism, Oxford University Press, New York.
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Oxford University Press, New York.
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Questions and Answers,” http://www.delgamuukw.org/news/qa.pdf [accessed
November 12, 2001].
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Barman, Jean (1996). The West beyond the West: A History of British Columbia,
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196
Research Note
Note de recherche
Margery Fee
The Sapir-Whorf Hypothesis and the Contemporary
Language and Literary Revival among the First
Nations in Canada
Introduction
Whorf spoke of “a new principle of relativity, which holds that all observers
are not led by the same physical evidence to the same picture of the
universe, unless their linguistic backgrounds are similar, or can in some
way be calibrated” (Whorf 1956: 214). A contributor to the Linguist chat
room discussing the Sapir-Whorf hypothesis comments that “[t]he view
that one’s world view is determined by the language one speaks is nearly
universally accepted by educated people who aren’t linguists.” This
certainly seems true of First Nations peoples. Mi’kmaq writer Marie
Battiste writes: “Aboriginal languages are the basic media for the transmission and survival of Aboriginal consciousness, cultures, literatures,
histories, religions, political institutions, and values. They provide
distinctive perspectives on and understanding of the world …” (Battiste
2000: 199). This view that language and cultural consciousness are related
is held by the settler cultures as well as by Aboriginal peoples in Canada–an
obvious example being Quebec sovereigntist attitudes to French. Indeed,
the grounding of national identity in national language dates at least as far
back as the mid-eighteenth century (see Gumperz and Levinson 1996:
1-18). In a local Vancouver newspaper account of the Aboriginal language
revivals in Canada, English is depicted as both the modernizer and the
colonizer: “English is vibrant and powerful, endlessly complex. It has the
ability to assimilate new concepts and generate new forms. It is, in fact, a bit
of a bully” (Scott 2001: 17). Minority languages are depicted as inherently
resistant, with features that are difficult to assimilate into English: “But
English cannot absorb all the idiosyncrasies of the Sechelt language” (Scott
2001: 17). The languages and their associated cultures are rightly depicted
as inextricable. The debate between those who believe language and culture
are inextricable and those who do not is important for understanding the
move towards Aboriginal language revitalization in Canada, because the
beliefs of everyone in Canada, not just those of the scholarly experts or the
remaining speakers, affect the future of Aboriginal languages.
International Journal of Canadian Studies / Revue internationale d’études canadiennes
27, Spring / Printemps 2003
International Journal of Canadian Studies
Revue internationale d’études canadiennes
The Sapir-Whorf Hypothesis Today
As Randy Allen Harris notes in The Linguistics Wars (1993), the dominant
school of linguistics in North America is founded on the ideas of Noam
Chomsky. Chomsky posits that all human brains are hard-wired for
language, and although this hard-wiring must be triggered by exposure to
an actual language, the underlying hard-wiring provides all languages,
however varied, with some important “super-rules.” Thus, the possibility
of a universal grammar exists, which can be discovered by comparing
languages, and this constitutes the paradigm in which many linguists work.
As Harrris says, however, “Chomsky defines linguistics in a way that
leaves recalcitrant data on the extreme periphery, … that leaves the
aesthetic elements of language in some cold and distant stretch of the
galaxy … [and] … in a way that draws on literary criticism as a negative
example … (Harris 1993: 246). Steven Pinker, in his best-selling Chomskyan account of linguistics, The Language Instinct: How the Mind Creates
Language (1995), gives an overview of the Sapir-Whorf hypothesis. In a
chapter, he argues that “[p]eople do not think in English or Chinese or
Apache; they think in a language of thought,” which he terms “mentalese”
(81). He states that “[l]inguistic relativity came out of the Boas school, as
part of a campaign to show that nonliterate cultures were as complex and
sophisticated as European ones. But the supposedly mind-broadening
anecdotes owe their appeal to a patronizing willingness to treat other
cultures’ psychologies as weird and exotic compared to our own” (Pinker
64). For Pinker, linguistic relativism is “wrong, all wrong” (Pinker 67). He
makes it appear not only unscientific, but also colonizing, to assume that
there might exist important language-based differences among cultures.
George Lakoff, a dissident student of Chomsky’s and a “leading figure in
the most rapidly expanding linguistic approach of the last decade, cognitive
grammar” (Harris 1993: 247), devotes a chapter of his Women, Fire, and
Dangerous Things to examining Whorf’s theories and contemporary tests
of them. He concludes that “detailed empirical studies have convinced me
in a way that Whorf’s cursory studies did not, that these [Amerindian]
languages differ from English and from each other in the way they
conceptualize spatial location. These differences are largely differences in
conceptual organization” (Lakoff 1987: 334). He continues,
Whorf was right in observing that concepts that have been made
part of the grammar of a language are used in thought, not just as
objects of thought, and that they are used spontaneously,
automatically, unconsciously, and effortlessly … I am convinced
by Whorf’s arguments that the way we use concepts affects the
way we understand experience; concepts that are spontaneous,
automatic, and unconscious are simply going to have a greater
(though less obvious) impact on how we understand everyday life
than concepts that we merely ponder. (Lakoff 1987: 335)
200
The Sapir-Whorf Hypothesis and the Contemporary Language and Literary
Revival among the First Nations in Canada
John A. Lucy, in “The Scope of Linguistic Relativity: An Analysis and
Review of Empirical Research” notes that “[w]e still know little about the
connections between particular language patterns and mental life–let alone
how they operate or how significant they are” (Lucy 1996: 37). He accounts
for the paucity of empirical research on the tendency of both physical and
social scientists to disregard the symbolic aspects of language and to carry
on “as if language had … an unproblematic ‘mapping’ relationship to
perception, cognition, emotion, social interaction, etc.” (39)
Dan Alford gives a stirring account of the misrepresentation of Whorf’s
ideas, arguing that deterministic linguistic theories can be connected to
Newtonian physics, while Whorf read Einstein’s theory of relativity and
connected to it his thinking on language. Whorf, according to Alford, “from
his acquaintance with physics, moved from Newtonian monocausal determinism as an ideal into systems thinking–where sometimes the opposite of
one profound truth is another profound truth, where everything is
INTERdependent, multicausal, interconnected: Language shapes culture
while culture is shaping language; language shapes thinking while thinking
is shaping language” (Linguist List 1995). Alford also examines the ideas of
the late David Bohm, author of Wholeness and the Implicate Order (1980)
and former Professor of Theoretical Physics at Birbeck College, London,
who examined the disparity between widespread Western world views and
the way in which quantum theory sees the world. Interestingly, at this time,
Bohm had apparently not heard of Sapir, Whorf, or Amerindian languages.
However, he argues that
the subject-verb-object structure of modern languages implies that
all action arises in a separate subject, and acts either on a separate
object, or reflexively on itself. This pervasive structure leads in the
whole of life to a function that divides the totality of existence into
separate entities, which are considered to be essentially fixed and
static in their nature. We then inquire whether it is possible to
experiment with new language forms in which the basic role will
be given to the verb rather than to the noun. Such forms will have
as their content a series of actions that flow and merge into each
other without sharp separations or breaks. Thus, both in form and
content, the language will be in harmony with the unbroken
flowing movement of existence as a whole. (Bohm 1980: xii)
And just in case you take the last phrase as implying he thought that this
existence as a whole could be clearly defined, he notes that “my attitude
from the beginning [has] been that our notions concerning cosmology and
the general nature of reality are in a continuous process of development”
(xiv), which accords with the view of movement in quantum mechanics as
“discontinuous, not causally determinate and not well defined” (xv).
Before he died in 1991, Bohm had discovered that some Amerindian
languages in fact did work the way he had proposed as a new way of using
language.
201
International Journal of Canadian Studies
Revue internationale d’études canadiennes
What follows outlines ways in which researchers are now examining
linguistic relativism. In Philosophy in the Flesh: The Embodied Mind and
its Challenge to Western Thought, George Lakoff and Mark Johnson
examine how metaphors embedded in language affect worldviews. For
example, the idea that time represents a resource holds true in Western
capitalist culture because “our culture happens to have a great many
institutions that reify the Time Is A Resource and Time Is Money
metaphors” (Lakoff and Johnson 1999: 164) including time clocks,
payment by the hour, appointment books and deadlines. They note that
“Cultures in which time is not conceptualized and institutionalized as a
resource remind us that time in itself is not inherently resourcelike. There
are people in the world who live their lives without even the idea of
budgeting time or worrying that they are wasting it” (165). From a different
perspective, Dan Slobin argues that “research on linguistic relativity is
incomplete without attention to the cognitive processes that are brought to
bear, online, in the course of using language” (Slobin 2001: 2, his
emphasis). Thus he notes that different languages require speakers to
remember different information. We are familiar with the difference
between English and French in the treatment of the second person (a
difference found in many other languages). English pronoun choice does
not tell us anything about the speaker’s relationship to an addressee or to
others in a narrative, while the French speaker’s choice between familiar
“tu” or more formal “vous” does. Some languages, Slobin notes, do not
permit speakers simply to say something was behind something else, but
rather “use absolute systems, in which, for example, one would say,
‘There’s a rabbit north of the tree,’ or ‘seaward from the tree,’ rather than
‘behind the tree’” (21). Thus people using particular linguistic systems
become habituated to noting and remembering particular aspects of the
social or physical world. Slobin points out, “It is unlikely that people
experience events in their lives differently because of the language they
speak. But events quickly become part of a personal narrative, and then
language can begin to shape those memories” (21).
Several of these writers have examined the ethical consequences of our
attitudes to language. Lakoff speaks against the idea that if we accept
linguistic relativism, we are faced with ethical chaos: “Conceptual
relativism of the sort that appears to exist does not rule out universal ethical
standards of some sort–at least as far as I can determine. Nor does it seem to
tell us very much about what such standards should be. However, a refusal
to recognize conceptual relativism where it exists does have ethical
consequences. It leads directly to conceptual elitism and imperialism–to
the assumption that our behaviour is rational and that of other people is not,
and to attempts to impose our way of thinking on others” (337).
Indeed Lucy makes the case that testing the ideas of linguistic relativism
can lead us to insights about the ways in which our own naturalization of
Western standard languages can blind us to certain ethical positions:
202
The Sapir-Whorf Hypothesis and the Contemporary Language and Literary
Revival among the First Nations in Canada
Bloom, Cohn, Bourdieu, and others have noted that although this
[Western] mode of rationalized, decontextualized discourse
achieves certain advantages in terms of scientific theory construction, it brings concomitant disadvantages insofar as it separates
speakers from sensitivity to actual situations. Such an alienation
from concrete realities can result in failed ethical engagement and
moral action in the world. The crucial point in this, of course, is that
this mode of orientation to the world is now richly embodied in the
lexical and grammatical structure of the language itself–especially
in the standard language of the dominant class strata. And as
Whorf noted long ago, speakers will, quite predictably, take the
elements of their language as “natural” and “given” in the world.
(61)
The history of linguistic imperialism is the whole focus of Alistair’s
Pennycook’s English and the Discourses of Colonialism (1998), which
argues that views of English as a language are carried in a discourse of
colonialism that sees English as the language of progress, reason and
modernity (compare the newspaper comment I cited at the beginning of this
paper as well as Parakrama 1995).
Although a great deal more can be (and has been) said on linguistic
relativity versus universality, perhaps Deborah Cameron’s remarks on this
issue can provide perspective on why this discussion is valuable:
Like “what is truth?” “how shall we live?,” “does God exist?” and
so forth, the question of language and reality is not generally posed
in the hope that someone will come up with a definitive answer.
The point of posing problems of this kind is not to find a solution so
you can move on to something else; on the contrary, it is to enable
conversation to continue on subjects we think important for the
understanding of our condition. We deepen that understanding by
reflecting on the questions themselves, and the last thing we need
is for our reflections to be cut short by a scientist saying: “but we
know the answer to that one.” (156)
First Nations Writers and Language Beliefs
One does not have to speak a language fluently, or even know more than a
few words, to deploy it to reveal one’s cultural affiliations and legitimate
one’s right to assert cultural difference. Thus, Thomas King uses Cherokee
headings in Green Grass, Running Water (1994), even though he himself
does not speak the language. That Tomson Highway uses Italian musical
terms as section headings in Kiss of the Fur Queen (1999) asserts something
else: that a fluent Cree speaker can also master the complexities of classical
music. The political message of both authors is the same: we can master
modern Western culture and claim our traditional culture at the same time,
asserting a freedom to choose denied them by those who apply tests like the
203
International Journal of Canadian Studies
Revue internationale d’études canadiennes
so-called “pizza test”–you eat pizza, so you can’t be Indian. In Green Grass,
Running Water, one White character challenges Eli, a Blackfoot:
You guys aren’t real Indians anyway. I mean you drive cars, watch
television, go to hockey games. Look at you. You’re a university
professor.”
That’s my profession. Being Indian isn’t a profession.
And you speak as good English as me.
Better, said Eli. And I speak Blackfoot, too. My sisters speak
Blackfoot. So do my nieces and nephew. (141)
Marilyn Dumont, a descendent of Gabriel Dumont who fought with
Louis Riel against the encroachment of a Protestant English-speaking state
at Red River, says of English, “it’s had its hand over my mouth since my first
day of school” (54) and turns around the usual insistence that standard
English be the norm:
my father doesn’t read or write
the King’s English says he’s
dumb but he speaks Cree
how many of you speak Cree?
correct Cree not correct English (54)
Eden Robinson’s first fiction collection, Traplines (1996), showed no
evidence, apart from the title and the author’s picture, that she is Aboriginal.
She explicitly wanted to avoid the trap that awaits First Nations people in
contemporary Canada: Either you are a traditional Indian, born on a trapline
(as Tomson Highway actually was) or a modern pizza-eating Canadian. Her
next novel, Monkey Beach (2000), asserts that she can be both. This novel is
framed by the Haisla language: On the first page, Lisamarie wakes up to
hear the crows who “sit in our greengage tree. Half-awake I hear them speak
to me in Haisla. La’es, they say, La’es, la’es” (1). It is as if her world speaks
Haisla, even though she does not have more than a fragmentary knowledge
of it. Her grandmother tells her stories and she thinks “[b]ut to really
understand the old stories, you had to speak Haisla. She would tell me a new
Haisla word a day, and I’d memorize it. But, I thought dejectedly, even at
one word a day, that was only 365 words a year, so I’d be an old woman by
the time I could put sentences together” (Robinson 2000: 211). Her
grandmother teaches her the word for an especially sweet blueberry that
means “blueberry with white mould on it”–slightly disgusted, she tastes it.
From then on, instead of throwing those berries out as spoiled, she sees that
they are better than the others. These flips in perspective are the result of her
learning to categorize differently through another language. At the end of
the novel, she has a vision of her dead relatives: “They are blurry, dark
figures against the firelight. For a moment, the singing becomes clear. I can
understand the words, even though they are in Haisla, and it’s a farewell
song” (373-74). Tomson Highway writes from a modern Cree perspective,
204
The Sapir-Whorf Hypothesis and the Contemporary Language and Literary
Revival among the First Nations in Canada
where the aircraft landing in a remote northern community is described as
landing “in flawless Cree” (187) and where conversations between the Cree
characters and the ostensibly Cree-speaking priest make clear that “on
matters sensual, sexual and therefore fun, a chasm as unbridgeable as hell
separates Cree from English” (190). He repeatedly connects linguistic
gender with sexuality. In Kiss of the Fur Queen, his character Gabriel says
“if Native languages have no gender, then why should we?” (298). Many of
his characters are gay–others are ambiguous, and his Trickster is sometimes
gay. Certainly the Cree, like many other Native North American cultures,
permitted, even encouraged or celebrated, a much wider range of sexual
roles than traditional Western culture (Roscoe 1998). However, this has not
been linked specifically to language. Will Roscoe, in Changing Ones:
Third and Fourth Genders in Native North America, notes that “knowledge
of berdaches’ anatomical sex was never denied, and the sexual acts
performed with them were recognized (with distinct terms) as different
from heterosexual acts” (10). He also notes that “few [Western theorists of
sexuality] have ever considered cross-cultural evidence; many show a
marked disinclination for empirical evidence of any kind. Consequently,
certain elements of Western beliefs and epistemology have been
essentialized as universal features of human societies” (5). Presumably,
more work on the connections between language and sexuality in Cree and
other Native North American cultures might well support the connections
that Highway asserts.
Language Beliefs and Language Revitalization
At one time I was rather skeptical about the promotion of language revival
for the First Nations in Canada. At a little over 3% of the population (2001
Census, www.statcan.ca), Aboriginal people (defined as Indian, Inuit and
Metis people of Canada, under the 1982 Constitution Act) are a small
group. It seems language revival might simply work against pan-Aboriginal political action and continue a long history of “divide and conquer”
tactics used against them. I believed in translatability and shared the
resistance of many Chomskyan linguists to the idea that speaking a
different language meant that one held a different world view. I noted that
the Queen, a Jamaican taxi driver and I were all first language English
speakers, and yet clearly held very different world views. I also felt the
insistence of some First Nations speakers on language as a test of
authenticity offensive– “If you don’t speak Ojibway, you aren’t Ojibway.”
Finally, I felt that the time and energy expended on language revival might
be better put to use on a more direct attempt to change the colonial power
structure. However, lately, I have begun to change my mind.
At the University of British Columbia, located on traditional Musqueam
territory, we are now offering courses in the Musqueam dialect of
Halq’eméylem, the Coast Salish language spoken from Yale to Vancouver,
and on Vancouver Island from Malahat to Nanoose. The English words for
205
International Journal of Canadian Studies
Revue internationale d’études canadiennes
coho, sockeye–types of salmon–and for Sasquatch, come from Halq’eméylem. It has three dialects: only around a dozen speakers of all three survive.
Tragically, the odds of reviving the language to the point that it becomes a
first language for anyone ever again are minuscule, since the counterexample of Hebrew required a set of cultural and historical conditions that
are unlikely to be replicated (see Harshav 1993). Nonetheless, Hebrew
survived due to a wide range of uses that had great symbolic, religious and
political importance, and it seems likely that the many endangered First
Nations languages in Canada may survive to serve a variety of similar
cultural purposes.
Already I have noticed that First Nations people do not announce that
they are from a particular cultural group as they once might have done, but
simply use a phrase in their language as a powerful assertion of cultural and
political affiliation which identifies and legitimates simultaneously. For
many, the process of learning their language provides healing of a traumatic
break in families and communities caused by the imposition of English at
residential schools. The actual process of language renewal means that
Elders who are speakers become an even more precious cultural resource
and integrates a huge amount of disconnected anthropological and
linguistic research back into community life. For example, at Musqueam,
there is now a website where one can hear the voices of people dead for
many years telling stories that are used in the language program.
Halq’eméylem is already being used more in ceremonies. Old ways of
praying (holding hands), gesturing (raising both hands, palm up, from the
elbows, in thanking others), and speaking in public are all now being
revived or expanded. Halq’eméylem also now appears on fridge magnets,
mouse pads, and calendars, produced in the community in order to integrate
the distinctive alphabet used for the language into daily life. Students break
down at graduation ceremonies as they try to explain how important the
chance to take the course is to them, and their parents and grandparents are
also taking them. The force of this use of one’s indigenous language
connects to Deborah Cameron’s point about the importance of using
non-sexist language, even though, as some have argued, this is unlikely in
itself to change the thinking of sexist people:
[T]he movement for so-called “politically correct” language does
not threaten our freedom to speak as we choose, within the limits
imposed by any social and public interaction. It threatens only our
freedom to imagine that our linguistic choices are inconsequential,
or to suppose that any one group of people has an inalienable right
to prescribe them. (33)
In using their language, First Nations people assert their right to choose
what language they speak against a history that forced them to speak
English.
206
The Sapir-Whorf Hypothesis and the Contemporary Language and Literary
Revival among the First Nations in Canada
At the political level, the insistence on the need to teach the traditional
language allows for better justification to the dominant society of the need
for First Nations control over education from day care on up. In Canada, in
fact, much of the work of making this argument has already been done by
Quebec sovereigntists. This connection of sovereignty and language is
almost inevitable in Canada–and a powerful political tool to legitimate
identity at both the community and personal level.
Arguments derived from linguistic relativism can also be used in land
claims. Just as Slobin notes that some languages require absolute
orientation with respect to the directions or some physical aspect of the
landscape, so Keith Basso notes of the Navajo (quoting Harry Hoijer) that
“[e]ven the most minute occurrences are described by Navajos in close
conjunction with their physical setting, suggesting that unless narrated
events are spatially anchored their significance is somehow reduced and
cannot be properly addressed” (Basso 1996: 45). The same is true of the
Western Apache; he remarks “[l]osing the land is something the Western
Apaches can ill afford to do, for geographical features have served the
people for centuries as indispensable mnemonic pegs on which to hang the
moral teachings of their history. Accordingly, such locations present themselves as instances of what Mikhail Bakhtin has called chronotopes. As
Bakhtin describes them, chronotopes are ‘points in the geography of a
community where time and space intersect and fuse’”(Basso 1996: 62).
It is the job of humanists, those who believe language has functions
beyond one-to-one mapping between word and thing and who believe that
equality does not mean that everyone should become the same (that is, like
us) to continue to examine how language connects to culture without
assuming that standard English is the place to start. For First Nations
peoples, that is too much like the perspective of colonial administrators. Of
course it is far more time-consuming to study languages comparatively, but
it is not a waste of time for those who believe in the importance of working
transculturally.
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208
Review Essays
Essais critiques
Stéphane Kelly
Mémoire, politique et nation au Québec
Ronald Rudin, Faire de l’histoire au Québec, Québec, Septentrion, 1998,
279 p.
Jocelyn Létourneau, Passer à l’avenir. Histoire, mémoire, identité dans le
Québec d’aujourd’hui, Montréal, Boréal, 2000, 194 p.
Joseph-Yvon Thériault, Critique de l’américanité. Mémoire et démocratie,
Montréal, Québec/Amérique, 2002, 374 p.
Jacques Beauchemin, L’histoire en trop. La mauvaise conscience des
souverainistes québécois, Montréal, VLB éditeur, 2002, 212 p.
Depuis cinq ans, les écrits sur la mémoire collective ont occupé une place de
choix dans les débats intellectuels québécois. Une vaste réflexion sur ce
thème traverse maintenant les diverses disciplines des sciences humaines.
Les ouvrages récents de Ronald Rudin, Jocelyn Létourneau, Joseph-Yvon
Thériault et Jacques Beauchemin en témoignent. La lecture de ces ouvrages
donne à penser qu’une nouvelle façon d’appréhender le passé québécois est
en train de naître. Ce sont des essais audacieux et significatifs qui
marqueront probablement la vie intellectuelle québécoise dans les
prochaines années. On se propose ici de fournir quelques pistes de lectures.
S’inspirant du livre That Noble Dream1 de Peter Novick sur l’historiographie américaine, Ronald Rudin propose dans Faire de l’histoire au
Québec un long commentaire sur les moments clés et les figures
marquantes de la profession historienne au Québec. Les premiers chapitres
du livre, consacrés aux écrits historiques de l’abbé Lionel Groulx, sont
surprenants. Rudin reproche aux historiens contemporains de le boycotter
pour cause d’antimodernisme. Or, il montre que la pratique historienne de
Groulx était aussi rigoureuse du point de vue scientifique que celle des
historiens québécois qui ont marqué les années 1960 et 1970. Les exemples
cités par Rudin sont éloquents. Ils tendent à montrer qu’en dépit de ses vues
religieuses et politiques, le chanoine avait toujours obéi à un idéal
scientifique. Cette réhabilitation de l’historien Groulx, dans les premiers
chapitres, permet à Rudin de poser les jalons d’une critique dévastatrice de
l’historiographie québécoise (francophone) contemporaine.
L’œuvre de Groulx serait l’archétype du récit historique canadienfrançais qui a prédominé jusqu’à la fin des années 1960 : l’histoire d’un
International Journal of Canadian Studies / Revue internationale d’études canadiennes
27, Spring / Printemps 2003
International Journal of Canadian Studies
Revue internationale d’études canadiennes
peuple relatée sous le signe du drame, du parcours singulier et du destin
atypique. Qu’il s’agisse de Garneau ou de Bibaud, de Groulx ou de Chapais,
de Séguin ou de Ouellet, la trame narrative traçait invariablement le récit
d’un peuple qui avait ses caractéristiques propres et un destin singulier à
l’échelle de l’Amérique du Nord ou de l’Occident :
Durant les sept premières décennies de ce siècle, l’historiographie
québécoise fut dominée par des individus – aussi méthodologiquement et politiquement divers que l’abbé Lionel Groulx et
Fernand Ouellet – qui mettaient d’abord en relief la spécificité de
l’expérience francophone et qui, dans l’ensemble, ne s’inquiétaient pas outre mesure de ce que leurs opinions politiques soient
parfaitement décelables. (p. 15)
Or, souligne Rudin, une génération d’historiens abandonnera ce récit à
partir de la fin des années 1960. Ces historiens, Rudin les nomme
« révisionnistes ». C’est à l’occasion d’un séjour en Irlande qu’il s’aperçoit
que l’historiographie québécoise, comme l’historiographie irlandaise, a
définitivement rejeté les anciennes représentations :
Revenu au Canada avec le vague projet d’une étude comparative
de ces deux histoires, je me lançai dans la lecture d’ouvrages
irlandais et compris bientôt ce que voulaient dire mes collègues
[irlandais] en parlant de renonciation à certains aspects du passé.
Livre après livre, je me trouvai en présence d’historiens attentifs à
minimiser l’importance de phénomènes aussi centraux à l’histoire
de l’Irlande que le catholicisme et le colonialisme. Ces auteurs
tentaient même de marginaliser la tradition de violence de ce pays.
Voilà qui ressemblait fort à ce qu’accomplissaient les révisionnistes au Québec. (p. 9)
Quelles sont les principales figures de l’école révisionniste? Rudin
identifie Paul-André Linteau, Jean-Claude Robert, Normand Séguin, Serge
Courville et Jacques Rouillard, qui, nés à la fin des années 1940 et ayant
atteint l’université à la fin des années 1960, se sont intégrés au corps
professoral au début des années 1970. Les travaux révisionnistes ont
fortement nuancé le récit du Québec moderne brossé par les révolutionnaires tranquilles. L’industrialisation et l’urbanisation s’étant déployées
graduellement sur l’ensemble du XXe siècle, la Révolution tranquille ne
représenta pas une rupture brutale et totale. Pour les principaux révisionnistes, le Québec était déjà moderne dans plusieurs secteurs, souvent depuis
les années 1930. Les révisionnistes reprochèrent aux révolutionnaires
tranquilles de s’être attribué le beau rôle dans leur récit de l’histoire récente
du Québec contemporain.
Les révisionnistes se démarquent aussi, écrit Rudin, par leur conception
du travail scientifique. Ils sont critiques à l’égard de leurs prédécesseurs, les
accusant d’avoir manqué d’objectivité et d’avoir manifesté des biais
politiques. Les révisionnistes embrassent donc une conception étroite de
212
Mémoire, politique et nation au Québec
l’objectivité et adhèrent sans réserve au mouvement de professionnalisation du métier d’universitaire. En se cramponnant d’une façon
exagérée à un idéal scientifique, les révisionnistes ont négligé de maintenir
ce lien précieux entre l’académie et le public. C’est d’ailleurs là le grand
défi pour ceux qui tentent de définir un regard post-révisionniste : réduire le
fossé entre la mémoire et l’histoire. À ce sujet, Rudin manifeste à la fin de
son livre de l’enthousiasme pour deux historiens, Jocelyn Létourneau et
Gérard Bouchard. Il voit dans les écrits de ceux-ci le germe d’une vision
historique qui dépasserait les apories de l’école révisionniste. Ces auteurs
ont lancé des appels pour l’écriture d’une histoire du Québec qui ne serait
pas réduite à ses dimensions structurelles, matérielles et rationnelles.
Dans Passer à l’avenir, Jocelyn Létourneau réfléchit sur l’avenir de
l’histoire et de la mémoire au Québec. Il se propose d’analyser moins le
passé québécois en soi que sa mise en narration. Cette dernière devrait viser
à produire une société meilleure et un héritage émancipateur pour le
Québec de demain. Pour y arriver, il juge souhaitable l’abandon des
principaux paramètres du grand récit national franco-québécois, celui
d’une collectivité inachevée, misérable, empêchée d’être : « Le défi que
doivent relever les Québécois n’est pas d’opter pour une mémoire fondée
sur la démission ou le mépris envers le passé. Ce défi est plutôt de discerner
ce qui, dans l’ayant-été, doit être assumé ou déassumé au nom des valeurs et
des contextes du présent » (p. 20).
L’historien déplore l’hégémonie intellectuelle de ce grand récit relatant
les déboires, les oppressions et les échecs d’un petit peuple vivant au sein
d’un environnement hostile. Depuis François-Xavier Garneau jusqu’à
Fernand Dumont, ce récit est rédigé sous le signe de la mélancolie et du
tragique : « Pour exister maintenant et demain, les Québécois ont pour
devoir de se souvenir de leurs misères, de porter à leur tour la souffrance des
anciens, une souffrance immémoriale stigmatisée par autant d’événements
tragiques » (p. 20). Ce récit fait état d’une incapacité des Franco-Québécois
à tirer parti de leur situation en Amérique du Nord. Pire, ils ignoreraient
qu’ils sont une collectivité brimée, dominée par un Autre (le Canada, les
États-Unis, le clergé). Létourneau souligne que ce récit est déconnecté de
l’expérience historique concrète des Franco-Québécois. Cette dernière
s’avèrerait beaucoup moins négative; elle serait composée tantôt de
défaites, tantôt de victoires. Le Québécois serait un être pragmatique et
opportuniste, capable de tirer son épingle du jeu grâce à un attentisme bien
dosé, à une ambivalence réaliste.
L’incapacité de la classe intellectuelle québécoise à sortir des paramètres
déprimants de ce récit national tient à son rapport à la mémoire.
L’intellectuel mélancolique, se considérant comme solidaire de « sa petite
nation », veut rester fidèle à ses ancêtres. Dans son travail de pensée, il
accorde la primauté à la mémoire. En faisant de la fidélité aux ancêtres un
absolu, il se coupe de la complexité historique québécoise. Par un curieux
retournement, il en vient à douter que le Québec se souvient des oppressions
213
International Journal of Canadian Studies
Revue internationale d’études canadiennes
du passé et de celles du présent. Pour décrire l’apathie du peuple, il invente
des concepts : la survivance, la société globale, la fatigue culturelle. Ces
concepts traduisent une impatience face à une collectivité qui refuse de
s’engager dans la voie du millénarisme souverainiste.
Létourneau propose de « révolutionner la mémoire québécoise » en
réinventant l’épistémè historique québécoise. Il s’agirait d’impenser le
pays, en sortant des paramètres dominants du récit national largement
déterminés par le triptyque classique, misère-mélancolie-refondation : le
passé des Québécois serait marqué par la misère; la narration de celui-ci
aurait adopté un style mélancolique; corriger et achever ce destin historique
exigerait une refondation nationale. La nouvelle épistémè proposée par
Létourneau rejette l’idée de nation, jugée impropre à saisir la réalité
changeante et multiforme de la collectivité franco-québécoise.
Létourneau identifie deux tâches concrètes pour réaliser cette
révolution. Premièrement, les rapports entre les héritiers et les ancêtres
doivent être redéfinis. Les premiers ne disposent pas d’une licence
complète envers les anciens et ne peuvent jeter le bébé avec l’eau du bain :
« les héritiers ont, au regard de leurs pères, la charge particulièrement lourde
de faire fructifier un legs initial, c’est-à-dire de tirer parti de l’apport des
ancêtres en vue d’accroître le bénéfice accumulé de bonté » (p. 26). Les
ancêtres, de leur côté, ont la responsabilité « de savoir mourir », en refusant
de conclure l’histoire dans laquelle ils ont joué un rôle : « Les ancêtres ont en
effet pour obligation de laisser les héritiers en prise sur leur destin. Ils
doivent envisager leur disparition ou leur mort comme un moment de rachat
ou de libération » (p. 25-26).
Deuxièmement, Létourneau propose le rejet de la métaphore proposée
par Serge Cantin, « porter son pays comme un enfant ». Cette métaphore
laisse entendre que le destin québécois serait inachevé, et que cette société
tarderait à accéder à la vie adulte et à assumer ses responsabilités.
L’ambivalence, écrit Létourneau, n’est pas trahison des ancêtres, fausse
conscience ou aliénation. C’est plutôt la poursuite de la ligne du risque
calculé.
Dans son essai Critique de l’américanité, Joseph-Yvon Thériault
propose une analyse ambitieuse d’un concept clé de la pensée québécoise
contemporaine. Selon les principaux penseurs de cette dernière,
l’américanité ne serait pas une simple dimension de l’identité québécoise,
mais son caractère déterminant. Le Québec adhérerait avec le reste de
l’Amérique à une même culture continentale, différenciée de la vieille
culture des sociétés européennes. Être américain signifierait non pas
seulement partager une même civilisation technique et économique, mais
aussi un ethos. Il serait impossible d’y échapper, elle serait un impératif. Le
Canada français aurait commis l’erreur de ne pas assumer son destin
continental. La culture québécoise contemporaine, depuis la Révolution
214
Mémoire, politique et nation au Québec
tranquille, aurait amorcé un virage salutaire, en proposant une rupture avec
l’idéal européen canadien-français.
La pensée de l’américanité, selon Thériault, propose un rapport au passé
et à l’avenir inadéquat, trop lié à l’esprit de la modernité radicale. Selon elle,
la question du Québec ne se poserait plus dans l’ordre de la filiation, mais de
la nouveauté; la compréhension de cette société serait moins à scruter dans
son histoire que dans son appartenance continentale; elle penserait son
avenir moins dans l’ordre du projet que dans une soumission aux impératifs
continentaux. Selon le sociologue, le rapport à la mémoire des partisans de
l’américanité est problématique. Comme Rudin, il déplore le fossé entre
l’histoire et la mémoire. Il y aurait d’une part l’absence de référence à la
question nationale dans la production historienne savante; il y aurait d’autre
part l’omniprésence de la question nationale dans les discours publics.
Cette dissociation aurait des effets néfastes, car c’est en conférant une
histoire à la mémoire qu’on peut prévenir d’éventuels débordements
identitaires. « Ce n’est donc pas par excès d’histoire que l’identitaire et
l’utilitarisme s’affirment au cœur des nationalismes contemporains, mais,
au contraire, par une mémoire laissée à elle-même, sans modérateurs
intellectuels ou historiques » (p. 180).
Sur le plan de la démarche scientifique, la génération des historiens
révisionnistes aurait adopté de façon inconditionnelle la démarche
explicative. Trois facteurs ont contribué durant les années 1960 à
discréditer la démarche compréhensive : 1) l’engouement pour les
méthodes quantitatives; 2) la montée du marxisme; et 3) l’influence de
l’histoire sociale et de l’école des Annales. En se dissociant de l’histoire
compréhensive, les historiens révisionnistes voulaient échapper à
l’accusation de perpétuer une tradition de conservatisme, de dogmatisme
religieux et de xénophobie. Ce faisant, ils firent le pari, impossible,
d’expliquer l’histoire du Québec en faisant fi de sa représentation.
Thériault souligne une certaine ironie dans le travail historiographique
québécois. L’histoire explicative a continué à fleurir au Québec pendant
que l’on assistait ailleurs en Occident à un retour de l’événement et du
politique. Si les historiens révisionnistes s’appliquaient à décrire la
normalité du parcours historique du Québec, ils insistaient néanmoins pour
noter le cheminement anormal des générations précédentes d’historiens
québécois. Ainsi, en restant attachés de façon viscérale à la démarche
explicative, ils continuent aujourd’hui à se distinguer du « développement
normal » de la discipline historique en Occident. « L’historiographie
québécoise contemporaine est radicale et singulière par son incapacité à
réintégrer l’univers du compréhensif dans sa démarche explicative »
(p. 204).
En dépit de sa profession de foi objectiviste, l’école révisionniste n’est
pas neutre en soi, selon Thériault. Sa conception radicale de la modernité
vise à marginaliser la mémoire. Cette visée alimente la thèse des
215
International Journal of Canadian Studies
Revue internationale d’études canadiennes
antinationalistes, selon laquelle les intellectuels québécois cacheraient une
mémoire honteuse. Or, selon Thériault, l’historiographie québécoise
souffre plutôt d’amnésie. C’est la raison pour laquelle il propose de
retrouver dans l’histoire du Québec « le lieu d’une intention significative
particulière, une tradition politique, une mémoire, que l’on peut assumer et
qui mérite d’être retransmise » (p. 208). Une telle tradition ne se trouve ni
dans une généalogie, ni dans une essence nationale, ni encore dans un
quelconque déterminisme continental. Elle se situe plutôt dans l’entrecroisement des réponses données à la question nationale : le républicanisme de
Papineau, la nation spirituelle de Parent, le libéralisme de Dessaulles,
l’ultramontanisme de Bourget, le nationalisme canadien d’Henri Bourassa,
la nation française de Lionel Groulx, les deux nations d’André Laurendeau,
l’antinationalisme québécois de Pierre Elliott Trudeau. Ces réponses, faites
de négations, de piétinements, d’hésitations, forment la trace d’une
tradition qui se structure génération après génération.
Dans L’histoire en trop, Jacques Beauchemin approfondit la réflexion
sur la forme que pourrait prendre une sensibilité post-révisionniste
québécoise. Il le fait en assumant d’entrée de jeu une position politique : la
défense de la souveraineté du Québec. Contrairement aux trois auteurs
penseurs précédents, il place au début de sa réflexion l’adhésion à un projet
politique précis. Pour développer son argument, il se donne une double
tâche. Premièrement, il veut prendre au sérieux le défi que lance le
pluralisme identitaire à la légitimité du souverainisme québécois. Les
partisans de ce projet politique devraient mieux intégrer les nouvelles
conceptions de la démocratie et de la citoyenneté. Deuxièmement, les
souverainistes devraient rester sensibles à la préservation de la mémoire et
de l’héritage communautaire des Franco-Québécois.
Beauchemin réagit contre les excès du révisionnisme. Si la tradition
intellectuelle québécoise a généralement défendu l’idée d’un destin
historique singulier, les révisionnistes l’ont complètement abandonné : « Il
est remarquable que les tentatives contemporaines, vouées à ce même
travail d’élucidation, paraissent se méfier de la présence de l’histoire,
comme si le fait de la rappeler pouvait avoir pour effet de refermer l’histoire
du Québec sur les particularités de la collectivité canadienne-française » (p.
12). Aux yeux des révisionnistes, l’histoire canadienne-française devrait
être camouflée dans le but de ne pas nuire à l’affirmation d’un souverainisme ouvert à l’altérité : « Le nationalisme francophone semble, en effet,
traversé par une mauvaise conscience qui lui interdirait le rappel trop
insistant de cette histoire. Je crois qu’il faut essayer d’échapper au refus de
soi qui s’exprime dans cette mauvaise conscience et d’assumer ce que
porte, de loin, la conscience historique francophone » (p.13).
Selon lui, la volonté des souverainistes de récuser les traces de la
mémoire canadienne-française prolongerait une tendance au refus de soi
qui traverse toute la pensée politique depuis la Révolution tranquille. Dans
les années 1960, les nouveaux Québécois ont voulu se distancier des
216
Mémoire, politique et nation au Québec
Canadiens français traditionalistes et conservateurs. Depuis les années
1980, les Québécois redoublent cette critique en effaçant les traces qu’ils
ont laissées dans l’histoire. Ce jugement porté sur la tradition canadiennefrançaise serait trop sévère. Le sociologue ne cherche pas à réhabiliter ses
facettes conservatrices ou ethniques. Mais cette tradition, rappelle-t-il, était
le véhicule grâce auquel les francophones ont justifié leur existence
nationale. Une collectivité ne peut construire ses représentations collectives sur un refus de soi. Cette tradition canadienne-française porte même
des éléments communautaristes susceptibles aujourd’hui d’inspirer une
éthique de solidarité sociale.
Selon Beauchemin, la pertinence de la souveraineté diminue lorsque ses
défenseurs s’éloignent d’une définition communautariste de la nation
québécoise. Il critique par exemple la perspective de l’historien Gérard
Bouchard, qui tend à marginaliser la dimension communautaire. Celui-ci
marginalise la présence d’éléments communautaristes au sein de sa vision
nationale : « pour parvenir à la superposition heureuse des dimensions
communautaristes et civiques, Gérard Bouchard a d’abord dû réduire la
dimension culturelle de l’“être ensemble” québécois à la commune
utilisation du français et ensuite réinterpréter la notion de tradition dans les
termes d’une éthique politique faite d’adhésion aux grandes valeurs à
portée universaliste de la modernité. » (p. 148)
À la suite de Fernand Dumont, Beauchemin souligne qu’un projet
éthico-politique repose, en dernière analyse, sur des fondements communautaristes. D’abord, on ne peut éluder la question de l’appartenance au
nom de laquelle peut se justifier l’idéal souverainiste. À trop vouloir faire
du projet souverainiste celui de tous les Québécois inclusivement, on tend à
nier le fait qu’il intéresse d’abord les francophones et ceux qui ont décidé de
faire route avec eux. Ensuite, tout projet politique est le fait d’un sujet de
culture et de mémoire : « Les valeurs de la communauté se sont lentement
formées dans le cours de l’existence sociale et font partie de la mémoire à
côté des grands événements, des coutumes et de certaines pratiques
culturelles à travers lesquelles la communauté fait l’expérience de sa
singularité » (p.170). Cette mémoire informe les acteurs politiques d’une
certaine continuité. Le sociologue invite ainsi ses collègues à assumer la
subjectivité qui traverse la conscience historique franco-québécoise. Cette
subjectivité permettrait de conserver les éléments de communautarisme
(entraide, sens de la justice, affabilité) des Franco-Québécois, nécessaire à
la défense d’une éthique sociale de solidarité.
Ces quatre essais, s’ils ont chacun une visée spécifique, participent
néanmoins d’une visée commune : 1) définir une nouvelle sensibilité
historico-politique affranchie de la lecture révisionniste; 2) établir un pont
entre l’histoire savante et la mémoire collective; 3) réaffirmer le rôle central
de la subjectivité, des idées et du politique dans l’histoire; 4) souligner la
pertinence de l’intellectuel public dans le débat démocratique au Québec.
Ces auteurs ne se sont donc pas contentés d’interpréter le passé québécois.
217
International Journal of Canadian Studies
Revue internationale d’études canadiennes
Comme intellectuels publics, ils ont proposé des voies pour nourrir la
conscience historique québécoise. Avant de conclure, attardons-nous à ces
différentes voies proposées, qui laissent voir des divergences notables.
Celles-ci ont principalement trait à trois points précis : le récit national
canadien-français, le pluralisme identitaire et le projet de souveraineté du
Québec.
Jocelyn Létourneau souhaite que le Québec s’affranchisse du récit
national canadien-français. Le jugeant défaitiste, dépressif et mélancolique, il esquisse des voies pour en sortir. Pour y parvenir, il cherche dans
le passé québécois des éléments discordants, dissonants, capables
d’inspirer les Québécois, désormais affirmatifs et compétitifs, que la
Révolution tranquille a libérés. Thériault et Beauchemin sont en désaccord
avec cette lecture qu’ils jugent modernisante et utilitariste. Tous les deux
cherchent plutôt à réintroduire un dialogue avec ce récit national, dans le but
d’inspirer un destin singulier en Amérique du Nord. Cet impératif de
dialogue est plus radical chez Thériault que chez Beauchemin, la critique de
la modernité y est plus sévère. Rudin reconnaît que ce récit national a ses
côtés sombres, mais il prône la recherche d’un équilibre qui ferait place
autant aux traits singuliers qu’aux traits universels de l’expérience
historique québécoise.
Thériault propose une critique sévère du pluralisme identitaire promue
par la modernité radicale américaine. Celle-ci cherche à éliminer les
aspects mémoriels incompatibles avec les impératifs du pluralisme
contemporain. Sur cette question, Beauchemin et Létourneau sont plus
souples, tentant de définir une position de compromis : le premier en
demandant aux partisans du pluralisme de reconnaître la légitimité de
l’héritage franco-québécois; le second en exigeant l’abandon du projet de
création d’une mémoire québécoise unitaire, qui lamine les autres
mémoires, réfractaires au projet souverainiste. Rudin note que le Québec,
sur cette question, est encore distinct. Contrairement aux historiens
canadiens-anglais et américains, les partisans de l’histoire nationale restent
nombreux et réfractaires à l’idée de faire une plus grande place au
pluralisme identitaire.
Cette réflexion historiographique n’est pas étrangère au débat sur la
question nationale. Dans la première version de sa critique, Rudin écrivait
que les révisionnistes étaient motivés par des desseins souverainistes2. S’il
ne prend pas position sur la question nationale, ses sympathies penchent
indéniablement vers l’école historique de Laval (associée au camp fédéraliste). Létourneau est plutôt explicite face au projet souverainiste
québécois. Il le voit comme un inutile rêve d’achèvement du destin
historique franco-québécois. Thériault ne prend pas formellement position;
mais il laisse entendre qu’il y serait sympathique s’il était formulé dans des
termes plus sympathiques au passé du Canada français. À l’instar de
Létourneau, Beauchemin défend explicitement une position politique,
218
Mémoire, politique et nation au Québec
affichant d’entrée de jeu ses convictions souverainistes et les plaçant au
cœur de son argumentation.
Laquelle de ces voies séduira les Québécois dans les prochaines années?
Peut-être que l’avenir n’empruntera aucune de ces voies; peut-être aussi
qu’il suivra une voie intermédiaire, au carrefour de ces positions. En
attendant de le savoir, il faut apprécier la pertinence de ces essais et
reconnaître que le silence des intellectuels québécois a été définitivement
rompu.
Notes
1.
2.
Peter Novick, That Noble Dream: The Objectivity Question and the American
Historical Profession, Cambridge : Cambridge University Press, 1988.
Ronald Rudin, “Revisionism and the Search for a Normal Society: A Critique of
Recent Quebec Historical Writing”, Canadian Historical Writing, 1992, vol. 73,
p. 30-61. À notre avis, Rudin n’avait pas tort d’associer le révisionnisme à une
volonté d’affirmation nationale. Cette thèse provoqua un tel tollé que, dans ses
textes subséquents, Rudin la nuança. Voir « L’éclipse du national dans la
nouvelle histoire du Québec », in Michel Sarra-Bournet (éd.), Les nationalismes
au Québec, Québec : Presses de l’Université Laval, 2001, p. 277-306.
219
Charlotte Sturgess
Between the Imaginary and the Real:
Cultural Encounters in Northern Space
Grace, Sherrill, Canada and the Idea of North (Montreal & Kingston:
McGills-Queen’s University Press, 2001).
Hulan, Renée, Northern Experience and the Myths of Canadian Culture
(Montreal & Kingston: McGills-Queen’s University Press, 2002).
Bastedo, Jamie, Reaching North: A Celebration of the Subarctic (Red Deer:
Red Deer College Press, 1998).
Since Lacan, we know that the Real (in the sense of an entirely knowable,
unmediated reality) is both behind and beyond us. We know that the
condition for identity of any kind (personal, national or communal) lies in
the acceptance that representation mediates our access to the world.
However, given the plethora of studies on the forms and constraints of
representation, and its complicity with power structures, we also know that
representation itself is not a level playing field. In this respect, the cost of
our founding myths, romances and nostalgia structuring our imaginary
sense of self is paid by those whom such myths, romances and nostalgia
exclude or repress. Yet positing inclusiveness without challenging the very
foundations of our representations is not recognition of difference but
means homogenization; the result of such imaginary appropriations is
merely reproduction of the same.
These remarks establish the scope of the problems raised by the
Canadian North as an “idea” (to borrow from the title of Sherrill Grace’s
book, Canada and the Idea of North, echoing Glen Gould’s The Idea of
North–which wanders like a leitmotif through her text). The North as structuring the Canadian imaginary, as integral to a national self-representation,
is questioned (and challenged in varying degrees) in the three texts
reviewed in this essay. What has resulted from my reading of these texts in
fact is a profusion of questions. The Canadian North I had initially
envisaged, naïvely, as a geographical region I have never visited and only
“know” through my readings of Canadian literature, becomes here a
concept. North, an ill-defined region/area/place on my mental map, thus
becomes a discursive space: a “North” of literary history and cultural
encounter, a “North,” which presents a whole field of speculation on the
links between texts and nationhood, between narratives of the nation and
the nation as narrative.
International Journal of Canadian Studies / Revue internationale d’études canadiennes
27, Spring / Printemps 2003
International Journal of Canadian Studies
Revue internationale d’études canadiennes
Ethnography, Ideology and the Constructing of Canada
In Northern Experience and the Myths of Canadian Culture, Renée Hulan
questions, in a way, the type of conflation (that of narrative and nation), I
have just suggested. Central to her argument, as I understand it, is the way
the North and its people have become the “North” as a literary object, an
object which masks the ideological conditions of its inception. Hulan pairs
nineteenth-century realistic ethnography with literary realism. She links
the disembodied, authoritative voice, which described, and thus “created,”
the reality of indigenous Northern people through the eyes of the (Southern)
observer with the disembodied narrator of realism. These two authorities
ostensibly occupy a position outside the universe they relate (and in fact
create). She thus puts the complicity between literature and our
constructions of the ethnic Other at the centre of her thesis. Her firm line of
reasoning traces the observer’s eye/experiencing “I” historically from the
era of colonial contact with the North and its indigenous peoples to that of
the contemporary postmodernist blurring of those observer/observed
distinctions. In this way, Hulan sets out to challenge the politics of
experience that implicitly legitimizes non-indigenous writings of the
North. She also debates whether postmodern ethnography really
dismantles the transcendent logic underpinning realism. She demonstrates
that breaking with an absent, authoritative vision does not automatically
evacuate the transcendent, and appropriative premises on which such
vision relies. As Hulan indicates, how are such non-indigenous writings to
promote the claims to representation of First Nations if the premises of
representation per se have not been examined?
Increasingly, at the theoretical centre of Canadian critical thinking,
stands the complex relation between those writings, which foreground a
will to non-appropriation of their Northern subject matter (Robert Kroetsch
and Rudy Wiebe are discussed in this context by both Grace and Hulan, if
from differing perspectives), and the “authentic” representation, which
such empathetic fictions seem to construct.
If the aestheticizing of the North concerns Hulan, one could say that
Grace’s wide-reaching and erudite study concerns the North as aesthetics,
that is, the North as “North.” Grace begins from the premises that in each
and every Canadian resides a, or several versions of “North,” (whatever
form such representations take) which in some way defines him/her as
Canadian. She then postulates the ultimately discursive and heterogeneous
nature of this “North,” framing her examination of multiple Canadian
artistic and literary forms within both Foucault’s theory of discursive
formations and Bakhtinian dialogics. If I understand Grace’s argument, the
point of intersection between Foucault’s and Bahktin’s theories is their
mutual centring of ideology in “language as constitutive of social relations
instead of as instrumental” (Grace, 25). Thus, the semiotic systems studied
in Grace’s text are made to release those tropes and other discursive
222
Between the Imaginary and the Real:
Cultural Encounters in Northern Space
symptoms which speak of the social constraints (ideologies, power
relations and mythologies) within which they came into being, and through
which they “mean” as North. As Grace confronts us with an astounding
array of cultural artefacts and processes, she also offers an ethnographic
perspective, which emerges from the signifying patterns of plays, fictions,
music and art under scrutiny. For the drive of the study is what such
discourses have to say about the historical, literary and social construction
of the North as a Canadian self-representation (even if such a representation
remains for Grace contingent, plural and provisional). Yet the argument
also relies on an a priori capacity to identify, and therefore limit, the play of
those sign systems as descriptive of the North: to place them perhaps within
a frame which attests to Grace’s particular ideas of what the North
represents. For, and here I am back again at the hard face of representation
and its problems, the maintaining of those oppositions North/South, inside/
outside, dominated/dominating which underpin the study, even as it shows
the blurring of such boundaries, keeps in place a stable premise supporting
such oppositions. Moreover, despite Grace’s rigorously analytic and
distanced standpoint, and her emphasis on diversity, one sometimes has the
feeling that there exists an all-inclusive “us” to be rescued from these
oppositions, and that such an “us” will be situated within the common
cultural, epistemic ground of a “North” as collective, unproblematic and
ideal. For example, the “cold, snow, silence, fur, and a paradoxical warmth”
seen as “what is missing in the South” (Grace, 202), although attributed to
the writer Elizabeth Hay, contributes to a vision which seems to express
Grace’s own view. The continual situating of an ideal discursive “North”
within North/South oppositions runs the risk of fixing it as an alternative
orthodoxy. The capacity of the “North” to implicitly serve as “native land”
in the national imaginary, tends to undermine the ideological or political
thrust of Foucault’s discursive formation or Bakhtin’s dialogics. As Hulan
very rightly points out, “in a plural society, cultural differences can always
be tolerated and assimilated without conceding much power while political
differences cannot” (Hulan, 18).
Mythologizing the North
Jamie Bastedo’s North is not Grace’s Arctic but the sub-Arctic, and he
explores, in anecdotal/journalistic fashion those tropes (snow, trees, insects
and plants) associated with the kind of Canadian wilderness discourse
which Margaret Atwood has made her fictional trade-mark. But Bastedo is
not concerned with representation, nor with the relevance of the North to a
Canadian national identity or pedagogy. In his book, latter day explorers,
Japanese tourists in search of the Northern lights, self-styled naturalists and
prospectors take the wilderness trail from Yellowknife in search of
adventure. The occasional Indian appears on the horizon to serve as an
authentic source of tradition or wilderness know-how, for example when
we learn that the glaciologist, Bill Pruitt, “turned to the native peoples of the
North, whose rich vocabulary of snow words reflects an intimate and
223
International Journal of Canadian Studies
Revue internationale d’études canadiennes
practical knowledge of snow” (Bastedo, 47), or when we are informed that
“Aboriginal leaders across the top of the continent have personally
congratulated Pruitt for his liberal use of native languages to portray snow
phenomena” (48).
Undoubtedly, the individual (White, male, his credentials legitimized by
in-depth experience of the terrain) stands at the centre of this North, a North
that seems to enact that masculine quest-for-the-self through knowledge of,
and confrontation with the potentially hostile Other. Yet pioneer stories
such as Bastedo risking frostbite to make radio programmes in the wild, or
Bill, the field man for The Imperial Oil Company, “navigating through a
virtually unmapped landscape” (109) hold no deliberate hint of irony.
Framing the individual experiences of this exploration into the nature of
snowflakes or the logistics of forest fire control is a body of institutional
authorities (corporate, governmental and academic), regularly invoked to
legitimize the individual exploits. Thus, true to the adventure genre,
although pen-pushing bureaucrats are shown to be fools, these heroes of
endurance and self-sufficiency are portrayed as finally gaining recognition
from the powers that be, and in that context Bastedo is not remiss at
institutional name dropping. A certain type of narrative of the nation
emerges from this North and situates wilderness as an individual frontier
experience within a myth of Canadian nation-building. In this way the
masculine quest discourse of Reaching North imitates those Canadian
literary quests dealing in the attaining of masculinity through the
“separation, initiation, and return,” which create and sustain myths of the
North as “an ideal racial and gender identity” (Hulan, 135-137). We also
have in Bastedo’s text the North as that territorial encounter through which
penetrating and embracing the land (gendered as female) goes hand in hand
with the act of naming. For at one point Bastedo’s Arctic becomes that
supine, virgin territory, conferred identity through the signature of the
geologist/naturalist Bill McDonald: “A colossal series of cliffs towering
above the East Arm of Great Slave Lake bears Bill’s surname: the
McDonald Fault. So does a large body of water … McDonald lake. Back in
Yellowknife one of Bill’s favorite haunts, … became known as the
McDonald Café … And to this day a lakeshore road named McDonald
Drive winds through the heart and soul of a community built on gold”
(Bastedo, 122).
I also hasten to say that Bastedo provides the reader with many pleasures
of initiation; those, for example, of learning about the mechanics of
production of a snowflake or the particular varieties of Northern lake plants.
It is precisely the “human interest” perspective fostered by the book,
informed by Bastedo’s extensive knowledge of the territory and his
professional ability to take the reader with him up the trail, which
contributes to the pulling power of this adventure narrative and to the way
we desire to participate in the adventure.
224
Between the Imaginary and the Real:
Cultural Encounters in Northern Space
In the context of the North as a masculine adventure narrative, both
Grace and Hulan deal extensively with the way the Arctic has been
ideologically and discursively conflated with masculine frontier ideals,
which came to represent the image of Canada itself as a new country. In
“re-viewing the Klondike,” Grace tells the fascinating account of Kate
Carmack, a Native woman from a Tagish/Tlingit family, who, having
married Carmack, an American prospector, participated in the Gold Rush
of 1896-1898. Grace’s perspective involves retrieving a “voice, a presence,
a position” for the Native woman who became the travesty of a middle-class
Victorian wife to the gold-rich Carmack before being abandoned as racially
undesirable when Carmack returned to the United States, leaving her
penniless and taking their child with him. The account, along with the
extraordinary and troubling photographs of the “cross-dressed” Native
woman, required to pass as middle-class Victorian White, demonstrates not
only the sexism of the male frontier adventure narrative of which the Gold
Rush was emblematic, but shows also the North as a vehicle for the
Canadian national ideal “of purification and white supremacy” (Grace, 96).
When Grace speaks of Rudy Wiebe and Robert Kroetsch–whose works are
heavily identified with the North–I have to agree with her verdict that their
works present a feminine-gendered North. I concur in thinking that Wiebe’s
Discovery of Strangers, despite the meticulous historical documentation,
his focalizing the narrative through a Native female character, and the
obvious care and sympathy for his subject matter, signifies as “the Mother
of Canadian northern narrative,” while Kroetsch’s northern novels “chart a
search for the North-as-Mother” (Grace, 190). If both writers, in their
particular ways, are concerned with remythologizing the North in order to
do justice to history and to the peoples who have been subjected to that
exploitative colonial history, I would hold, along with both Grace and
Hulan, that the Arctic as the fantasized, desired, mysterious, ideal space of
representation continues to be encoded as feminine by White, male writers.
In this respect, Bastedo’s preoccupation, as it will already have become
clear, is not to challenge representations of the North as the fantasized,
feminine Other. The frame within which his heroes do what they do in the
“real” world (that is, the world of men) offers no opening for an alternative
view or even evidence that he considers such an alternative view viable. His
work does not question the historical, political or epistemological
relevance of exploring, pioneering or rushing around on snowmobiles.
Bastedo loves the thrill and the spill of technology, which in his words:
“allows us to sprout wings and streak across the sky like a peregrine falcon,
to acquire fins and plumb the ocean depths like a bowhead whale” (Bastedo,
97). This does not mean however that, within the anecdotal, masculine
adventure narrative presented by Reaching North, Native traditions and
knowledge are not respected. The passage describing the technology and
usefulness of Dene snowshoes is a case in point. But the frame of
interpretation established by the observing eye (and the narrating “I”) is
never thrown open to question. As a result, Bastedo’s experience of the
225
International Journal of Canadian Studies
Revue internationale d’études canadiennes
North expresses belief in unmediated access to knowledge of the North.
The North in turn can be completely known because the observer as
experiencing self legitimizes the authority of the observer’s/narrator’s
focus as a “true” one.
Writing Back: The Possibility of Politics
Much has been said and theorized in the domain of Canadian literary studies
about the necessity for multiple “re”s such as “revision,” “rewriting,”
“retrieval” and so on. The Inuit voices found in the last section of Grace’s
study, which engages with a range of texts (cartoons and photographs,
narratives and works of art), are a case in point. Grace puts the focus on the
Inuits’ “writing back” to both historical and contemporary exclusions.
Whereas this cultural riposte is situated at the end of her volume (giving
slightly the impression that in the field of unequal power relations amply
explored throughout the study, everything will nonetheless turn out right in
the end), Hulan places her interrogations within the framework of the
political meanings surrounding the emergence of Inuit writings in the
cultural mainstream. In this respect she questions the apparently welcome
reception of indigenous works and points to the constraints to which such
works are subjected. That is, the value of the work is assessed on criteria,
which have more to do with constructions of the Inuit themselves according
to their allotted place in non-indigenous versions of “Canadianness.” Hulan
speaks of the role of Inuit literary productions in the eyes of the largely
non-Inuit editors and cultural deciders. She concentrates not only on the
Inuits’ “writing back” but on how the reception of such posited “writing
back” is constrained, since its reception is determined within already
established frames and demands made of the Inuits and not by the Inuits.
Hulan stresses the fact that primary interest is given to the indigenous
literature’s capacity to provide an “authentic” voice of tradition. Such
interest in the indigenous “voice of tradition” has led to publishing
predominantly pre-contact works and has in turn fostered a particular view
of Native culture as a dying culture. “Writing back,” as Hulan makes clear,
thus risks falling prey to the accommodation of indigenous cultural
products within a national context, which is unwilling to challenge its own
frames of reference or the pre-suppositions underlying such accommodations. As she points out, “Inuit culture can be considered a sort of apex
of Canadian nordicity.” Its role in national myth articulates both “the idea of
North in the Canadian identity” and “the difference that multiculturalism
claims to accommodate” (Hulan, 95). The question becomes whether Inuit
cultures can participate actively in the Canadian identity they serve.
Hulan convincingly maintains that the vested interests in creating and
maintaining the myth of the North as an index of Canadian identity have
ramifications that influence and derive from the culture industry, but which
have little to do with the Inuits themselves, who do not identify with a North
packaged as Canadian national heritage. That a politics of all-inclusiveness
226
Between the Imaginary and the Real:
Cultural Encounters in Northern Space
obfuscates political claims to fundamental changes in power distribution,
and makes of difference the “managed” confirmation of the non-Native
norm, is a convincing thesis. That, on the other hand, Grace invokes Caribbean-Canadian Dionne Brand’s writing at the end of her study in support of
such all-inclusiveness seems surprising. To my knowledge, Brand’s
writing constantly ironizes and plays upon the tropes of Canadian
“Northerness” in order to suggest the prejudice embedded in such national
representations. The Canada that is constructed in themes and tropes
throughout Brand’s work seems rather to lend itself to positing the suspect
nature of “Canadianness” itself. I would concur with Hulan that for the
characters in Brand’s fictions, “the whiteness of winter stands as a
metaphor for the many ways in which their lives lack colour” (Hulan, 164).
In the same way, for other contemporary writers, for example those of
Asian extraction like Sky Lee, Evelyn Lau or Hiromi Goto, the North as a
structuring myth does not seem to play a part in their sense of Canadianness.
Their work rather problematizes the necessary negotiations made on the
level of identity within those topographies they actually inhabit (the city of
Vancouver or the Canadian West). “Canadianness” itself for such writers as
Brand remains a concept fraught with political and economic difficulties
overlayed with those of prejudice and sexism.
Seen from this angle, the imaginary journey to the North-in-the-self can
only be evaluated as a marker of Canadian identity when the politics of
“Canadianness” that lies embedded within that identity is problematized.
Yet, as Grace states so clearly and thoroughly, we have access to
representation but not the Real. There is no bottom line in authenticity in the
area of representation.
I offer a very simplistic proposition: perhaps when the North ceases to be
the “North,” the desired object of Canadian imaginary self-identifications,
it will have become what it is, incredibly cold, extremely hard to live
in–unless one has the experience and know-how of those who do live
there–and unbelievably different from the places that most people inhabit
whether inside or outside Canada. But that will of course just be my idea. It
will say something about me, not the North. I will doubtless continue to take
my imaginary identifications for the Real because we all do. But the “all” is
important here for if (to take up the strand of Grace’s initial interrogations)
Southerners cease to dominate the field of Canadian representation, it will
be because they have become “Southerners.” In other words, that definition
will also have yielded the complex overlapping of class interests, gender
and race involved in the construction of nationhood and in the quest for the
North.
In concluding and at the risk of sliding into idealism, I suggest that
perhaps increased political and economic power will enable the indigenous
peoples to level that playing field in the domain of the imaginary and their
“writing back” will put the “South” in South.
227
Graciela Martínez-Zalce1
Borders North of the Americas:
Transcultural Spaces of Changing Identities
The main objective of this essay is to explore the subject of North American
borders through recent films produced in the three countries of the region.
Even though the differences between the Northern and the Southern border
of the USA are empiricallyobvious (simplifying, of course, the complex
economic, political and cultural relations that Mexico and Canada have
with the United States, through and besides NAFTA), the fact of living side
by side with the most powerful country in the world is a definitive one in
both countries. Why recent films? Mainly because, quite apart from the
importance of the border in “real” life, there is still much to say about how
this provocative space has been portrayed in a medium that can reach wide
audiences. Although much has been written about literary representations
of the Canada-US border –for example, the works of W.H. New or of those
engaged with the borderlands project–Canadian films dealing with the
subject have not been assembled as a corpus. On the Mexican side,
researcher Norma Iglesias carried out an exhaustive compilation of border
films in order to define the genre, but she stopped with the 1980s. During the
nineties, literature was analyzed and interpreted while border films were
left aside.
The border is a place where transcultural phenomena are probably more
evident than in any other geographical region. Anyone who has seen Steven
Soderbergh’s Traffic has learned that the border constitutes a paradoxical,
dazzling and arid space, sometimes drawn in ochre, sometimes in sepia. So,
this essay is arbitrary, a term I borrow from essayist Adolfo Castañón. It is a
collection of cinematographic visions coming from the two borders that the
United States shares with Mexico and Canada, and what transpires on them:
the traffic of illegal substances and human beings; a life where cultures
clash and intermingle, where some want out, others want in, and others
simply want to linger. How are these spaces represented? Who are these
characters inhabiting them? It is far from an exhaustive review. The purpose
has been to include movies that, though not free from the dangers of
stereotyping, are inevitably linked to the representation of the border and
that have value not only as a cultural, but also as an aesthetic product.2 It is
also arbitrary because, for the time being,3 though I acknowledge their
importance, I have not included Chicano movies, the ideal example of
transcultural phenomena. Most of this production is not only of a superb
International Journal of Canadian Studies / Revue internationale d’études canadiennes
27, Spring / Printemps 2003
International Journal of Canadian Studies
Revue internationale d’études canadiennes
quality, but also an accurate description of life on the border and deserves a
separate study.
According both to Norma Iglesias4 and to David Maciel and María Rosa
Acevedo,5 when we see a movie about the border we are looking at a genre
in itself. It should be noted here that in these two texts, “the border” refers to
the border separating Mexico from the United States, as if this were the
border by antonomasia or, maybe, because for us Mexicans it actually is.
How do these specialists define the genre? Iglesias states that a border
movie is one that satisfies the following requirements: the plot, or an
important part of it, takes place in one of the border cities found between
Mexico and the United States; it deals with a border character, regardless of
where the plot takes place; it concerns a population living in the United
States but with Mexican origins; it is filmed in a border town, even if the plot
does not make this evident; and an important part of its story line refers to
the border or to national identity problems. So, according to Iglesias (Cf.
Op. cit., p. 17), it is therefore a subject, a character style, a genre, a type of
production, and a cultural identity problem.
Since the subject here is broader, as it includes not only Mexican
productions, but also American and Canadian ones, I will extend this
definition so that it includes the border between the United States and
Canada.
Regarding Mexican border films, Iglesias notes that, in three different
stages of the 20th century, it is possible to distinguish variations on the
following subjects: migration to the United States; the border as a sinful
place or the cabaret melodrama; the creation of border stereotypes such as
the pocho and folkloric nationalism; the western; the ranchero comedy and,
afterwards, the sex-comedy; migration linked to the Chicano population;
the border as the ideal place for action adventures and police stories related
to drug dealing.
In addition, Maciel and Rosa Acevedo concentrate on analyzing the
subject of migration in Mexican cinema. It is their contention that the
subject is far from dead. They also include a vision regarding “The control
of our border according to Hollywood”6 where they assert that:
North American films [sic] about this issue follow a basic
discourse formula, a modified version of the western in which the
hero bravely fights against bands that deal with undocumented
workers, that they always end beating. […] They are a vehicle for a
traditional action story for the main star, […]. They have a clear
political message: the importance of controlling the South border
and the need to start a campaign against the clandestine
transportation of migrant labourers to the USA. They reveal the
concerns and worries of the US on the migration issue. (Op. cit.,
pp. 211-212)7
230
Borders North of the Americas:
Transcultural Spaces of Changing Identities
Moreover, when dealing with the creation of stereotypes, Maciel and Rosa
Acevedo accurately point out that from the earliest productions, archetypal
Mexican characters appear in these movies, portraying villains, cowards
and buffoons.8 Both Iglesias and Maciel note that in border movies women
always hold supporting roles. Even in the case of cabaret melodramas,
female characters are always subordinated to male ones.
Perhaps it could be stated that there is not a sufficient number of
Canadian border films to constitute a genre in itself. Furthermore, it could
be said that most border movies (Mexican or Canadian) at the end of the
twentieth century could also be classified as road movies.9 It seems
interesting to note that, of the five points that form Iglesias’ definition of a
border movie, the only one that cannot apply to the northern border of the
US is the one about a population of Mexican origin. Oddly enough, the
subjects, character styles, genre and cultural identity appear both in the
north and the south. Finally, I must note that of the 20 movies reviewed for
this paper, 15 were filmed in the nineties and, therefore, there are some
substantial differences compared to the analysis of previous years in both
Iglesias and Maciel.
Two Borders Separated by One Country
In similar undertakings, two chroniclers, Tom Miller10 (from the US) and
Marian Botsford Fraser11 (from Canada), travelled along both US borders.
There is great variation in what they saw and, therefore I would like to use
their words to begin my analysis of the film corpus.
Miller defines the Mexican-US border:
Every year [… ] in the spirit of international amistad,12 politicians
on both sides proclaim their mutual and eternal goodwill. On other
days they might take issue over the problems of migration, drugs,
pollution, and smuggling, but on this day the abrazo,13 the
embrace, is in order. [… They are separated by a] seven-foot link
fence separating the United States from Mexico, topped by
three strands of barbed wire which slant toward Mexico. On
the barbs shreds of clothing are visible, left by Mexicans who have
tried to scale the barrier. […] Alas, the fence turns the “hand of
friendship extended” into a most delicate problem. […] Such
ironies and contradictions thrive along the border between the
United States and Mexico, a region that does not adhere to the
economic, ethical, political or cultural standards of either country.
[…]
The border [is a] third country, a strip two thousand miles long and
no more than twenty miles wide. […] The symbiotic relationships
shared by the many pairs of border towns […] are born of
necessity. The cities couple like reluctant lovers in the night,
embracing for fear that letting go could only be worse.
231
International Journal of Canadian Studies
Revue internationale d’études canadiennes
The general impression of border towns is that they are sleazy and
sleepy, dusty and desolate, places where the poor and the criminal
mingle. In truth, many are like that. But the border is also sexy and
hypnotic, mysterious and magical, self-reliant and remarkably
resilient. It changes pesos into dollars, humans into illegals,
innocence into hedonism. No other international boundary
juxtaposes such a poor but developing nation with such a wealthy
and industrialized one. (Op. cit., pp. xi-xii)
Meanwhile, Fraser writes:
Like many North Americans, I have a family history that moves
freely back and forth across the Canada/US border. […] I grew
up with ideas about funny little differences north and south of the
line.
The border is “the line”; it is always called the line by the people
who live there and the people who put it there.
The 49th parallel is a metaphor we use casually in North America,
probably more frequently in Canada than in the United States. It
signals many things to us, north and south of the 49th–an accent, a
cold front, a style in television programming, the look of a face, the
cut of a coat. When we talk about the 49th parallel, we visualize a
map with a dotted line drawn across the belly of North America.
The line, or an approximation of it, is indelibly printed on our
imaginations […]. The total length of the line is more than 5500
miles, or 8891 kilometers. […]
The border in a sense runs tangentially to two national identities.
[…]
To most North Americans, the border is several things. It is the
momentary uneasiness we feel as we approach the Customs and
Immigration building at an official border crossing. […] The
border is also the scene of our smuggling mythology. […] But the
Canada/US border is also a series of local cultures that in some
places embrace the line and in others are isolated by it. […]
Visually, it is a long, long line of numbered monuments. […] The
story of laying down the line is a record of endurance, precision
and co-operation […]. The Canada/US border is a peculiarly vital
strip of shared mythology and landscape. […] (Op. cit., pp. 1-4)
[S]mall differences between two cultures. Monuments recalling
challenges to a thin line of distinction between two countries.
Images of people whose daily lives are structured by proximity to
the line but who are far removed from the game of borderline
diplomacy that defines and regulates it. Images of the boundary
vista, which must be tended like a garden or it will disappear. (Id.,
p. 203)
232
Borders North of the Americas:
Transcultural Spaces of Changing Identities
These long quotes are very eloquent about the different perspectives of the
border that can be sensed on the Río Bravo (or Grande) and the 49th Parallel.
As journalistic chronicles, they are not to be read as fictional narration,
since their main aim is to describe a reality, not to build a mythology around
it. Although the borderlands pictured in them seem to be realities quite
diverse from each other, they are both describing–of course with a very
different nuance–the fear of what comes from the south: in one case, a
government builds a fence in order to stop migration; in the other, people
underline their differences in order not to be absorbed by the giant. Both
attitudes relate to the border as a limit, as a barrier that separates and
delimits in a real sense on one side and in a metaphorical sense on the other.
The crossing of geographical frontiers, as described by the chroniclers, also
implies a cultural crossing; and even though regional communities have
developed a sense of friendship and cooperation, mental and governmental
barriers would have to disappear in order to be able to talk about a real
integration and a radical change in the mythologies involved with the ideas
of the border, as embraced by Mexicans and Canadians. Therefore, if in the
south of the US a peculiar culture arises, in spite of a real wall being tangible
proof that borders do exist, and the fear that certain sectors of the population
feel when facing the possibility of cultures mixing, in the north there exists
the opposite concern, that the border might disappear, taking along with it
the few differences separating two national cultures.
Because these paradoxes are alive in the contact zones described here, it
is impossible to forget, at least in the North American context, that
transborder spaces imply simultaneously mingling and rejection. For
example, despite NAFTA, Mexican citizens are still required to have a visa
to cross the border, and after September 11, Fraser’s cheerful view of a
freewheeling crossing might no longer be true. At the beginning of the 21st
century, the fact is that, once more in spite of NAFTA, the United States has
chosen to “refrontierize.”14 The Bush administration considers border
controls to be vulnerable, even more on the Canadian side, because of the
lack of data bases that could render precise information about people
travelling from one side of the line to the other, a consequence of the
longstanding, amicable policy towards Canadian citizens evoked in
Fraser’s chronicle. But the fact is also that everyday, on the Mexico-US
border, one million people cross in both directions and that 208,932,840
vehicles cross to the US through Mexico. This means that each year, the
southern border of the US allows in more than 300 million people, and
approximately 90 million cars and 4.3 million truck crossings; while in the
north, in terms of people traffic, over 200 million two-way border crossings
take place a year at 130 border crossing points between the US and
Canada.15
This part of the chronicle, related to intelligent borders, scanned
fingerprints and foreign countries filled with the usual suspects who still
233
International Journal of Canadian Studies
Revue internationale d’études canadiennes
have to travel and work on either of the “other” sides, has yet to be
interpreted by writers and filmmakers.
Crossing Borders
Touch of Evil, El callejón de los milagros, Mujeres insumisas,
Santitos, Bajo California, El jardín del Edén, Perdita Durango,
Traffic, The Untouchables, Highway 61, Niagara, Niagara
A significant detail in the first sequence of Touch of Evil by Orson Welles is
that the action takes place exactly on the borderline and that a famous
Mexican cop, recently wed to an American citizen, crosses the line at the
same moment as a car explodes. A 2,200-mile border, he says, that has been
calm until now. During the rest of the film, policemen and bad guys go back
and forth between Mexico and the US: justice is served in the end. The plot
of the border genre has been compacted here, masterfully: the borderline is
explosive because, unwillingly, it allows the mingling of different people.
It is a sort of no man’s land where everything is available; therefore, it must
be surveyed and mistrusted. Despite Welles’ genius, the stereotypes
persist.
Why is the Mexican-US border crossed?
In El callejón de los milagros,16 the border never appears on screen.
However, two young male characters dream of getting there; one to work on
the other side, save some money and marry the leading female character; the
other, to run away from his father. The spectator sees them leave, forced by
circumstances, when the former almost kills his father’s lover and has to run
away. The spectator is also present for their return; the former now married
to a Chicano woman and with a baby; the latter now successful.
In Mujeres insumisas17 the border also remains off screen. Here a group
of starving women–beaten, unsatisfied, exploited–runs away looking for a
new life, a dignified life that, as suggested by the filmic discourse, is only
possible in another country. Women alone. This is the first movie in our
corpus that could fit into the road movie genre: from Colima to Los
Angeles, the women travel by bus, train and airplane. Guadalajara is a kind
of vestibule for the border; it is a large city where a person can get lost,
where transition is possible, and where some stereotypical traits from the
border city can already be found. Aside from being a way station on their
journey north, there is action in this city that takes place in a bar familiar
with murder and drug dealing. However, the fact that the referential border
is never present makes the ending, narrated partially through postcards,
implausible: from Tijuana they travel to Los Angeles, a city where they buy
a successful Mexican restaurant and, in the end, are able to break free
financially and spiritually. Is it that happiness lies in another place?
Both these films were widely shown, and their view of migration seems
quite naïve. It is interesting that their stories of success are only present in
234
Borders North of the Americas:
Transcultural Spaces of Changing Identities
films where the border is only a word in the characters’ dialogues, where it
exists only off-screen. Only then are Mexican migrants successful; only
then do they fulfil their dreams and fill their wallets and purses with dollars;
only then does the fantasy become true. In the first case, they return to
Mexico City where their dreams clash; in the second one, the fantasy
survives because the characters choose not to look back.
In Santitos,18 also a road movie, the main character is once again a
woman on her own. In this case, faith is the engine behind the trip. With the
aid of magical realism, Esperanza (an obviously symbolic name) travels by
bus from Tlacotalpan to Tijuana looking for some pimps because she
believes her daughter is not dead but that she has been kidnapped. “¿Qué
vas a hacer a Tijuana?”19 she asks her neighbour, “Ps lo que todo mundo va
a hacer a Tijuana.”20 As it turns out, everybody goes there to work in
whatever job is available to get money. Crossing the border, Esperanza’s
journey is an initiation: prostitution in Tijuana, and working by day and by
night in Los Angeles, lead her to accept the reality of the death of her
daughter. In order to get to this point, she has to pass some initiation tests:
she is robbed; she has to become a prostitute; by miracle, she crosses the
border in the trunk of a car helped by Juan Soldado;21 she finds her hero
behind a wrestler’s mask–like Santo,22 though this one is an angel–and she
rejects him to find herself again in the house she left at the beginning of her
journey. This “magical realism” interpretation of the border culture on the
US side, an interpretation of the Chicano popular culture, might be seen as
involuntarily parodic, since it simplifies the question of the crossing, the
appropriation of some Mexican icons as an expression of Chicano
hybridity, and the fact of Mexicans being rejected by other minorities in the
US.
How is the border seen in Santitos? Tijuana is a place where the streets are
lighted by neon announcing cabarets and sleazy motels, a city with taco
stands sporting bare light bulbs, with kitsch handicrafts and with its own
religious imagery where Juan Soldado prevails. What we see of every day
life in Tijuana are brothels and dimly or artificially lit interiors;23
Esperanza’s spiritual life must be solved by phone. In Tijuana, the devil
himself lives at the Atolladero Hotel incarnated in a woman.24 In contrast,
Los Angeles does somehow live up to its name. Even though it seems in
some ways like an extension of Tijuana in the north, there are some
generous human beings represented by Chicanos. The presence of Chicano
culture can be felt in the wrestling scenes and the murals: it provides
Esperanza with her avenging angel and with the virgin of Guadalupe who
makes it clear that happiness is not to be found in a different place, but
within oneself. She recognizes her miracle in the street murals.
Although there is a comic side to Santitos, one of the most discussed
issues nowadays at the Mexico-US border at Ciudad Juárez, Chihuahua, is
that of the more than 300 very young women who have disappeared, some
of whose corpses have been found in the desert, and whose murders have
235
International Journal of Canadian Studies
Revue internationale d’études canadiennes
not yet been solved. Although the urban legend underlying Esperanza’s
search will be resolved in the film with a happy ending, which involves love
and laughter, the issue of women disappearing along the border has been a
serious one dealt with in several documentary films and chronicles.25
Another journey of initiation is the one undertaken by the main character
of yet another road movie, Bajo California, el límite del tiempo,26 where a
Chicano artist runs away from himself towards the south looking both for
his roots and for redemption. We find out through flashbacks that he
accidentally ran over a pregnant woman, probably an illegal Mexican alien.
His woman’s voice-off talks to him in English in a tape he plays in his pick
up truck. There is an undifferentiated transition from one language to
another–there are no subtitles–as a symbol of the border. In this film, the
road is represented in three ways: filmed (the referential road) symbolized
by contemporary maps, and marked with footprints as in the pre-Hispanic
codex. In the same sequence, the three symbolizations of the road are
alternated: the first one is linked to the present time of the protagonist, who
being a US citizen, will have no problem crossing to Mexico; the second
one is the guide he will use to get to know the country: to go to the source of
his life he needs this abstraction to guide him to a reality yet unknown to
him; the third one is the hint that solves the clue: the unknown territory is not
only geographical, it is also mythical, since it deals with the past. Because
the protagonist’s journey is not only physical, but also spiritual, the
footprints in the codex are a metaphor of the imagination linked to the
reconstruction of the past, be it individual or collective.
Roads can be interpreted as non-places,27 only used for moving from one
place to another, where icons are “universal” and serve as indications to the
people passing through; the referential border, another non-place, where
proving one’s identity is necessary to cross over, where staying makes no
sense. Here, however, as opposed to the previous movies, the journey is
southward bound, towards the desolation of the desert, where a motor
vehicle bears little usefulness because contact with the soil is what matters.
The main character leaves a mark with his ephemeral art built with rocks
and fire. As a pilgrim would, he seeks purification. What are the risks of
crossing the border in the opposite direction? Those that stem from coming
face to face with one’s true self. As he travels looking for caves, for
prehistoric paintings, for his grandmother’s grave, for his unknown
relatives, for the remains of the known regional history, he is back on his
life’s track; he has a daughter far away; his schedule includes a return trip
because he has achieved inner peace.
In El jardín del Edén28 the border is crossed both ways, from the south to
the north and the other way around.29 From the initial sequence, the border
is presented as the main scenario for very diverse characters inhabiting the
border region. Traffic symbols, real symbols: signals and a wall
scribbled-full of graffiti: “If the Berlin wall fell, why can’t this one?”30
236
Borders North of the Americas:
Transcultural Spaces of Changing Identities
On one hand, the border is described as some sort of limbo for those who
wait and wait for the right time to cross. A single individualized character,
among a mass of men and women with lost gazes: a farmer looking for a job
to help his family in Michoacán. On the other, the border is a refuge for
Americans who cannot adapt to their own country: brother and sister,
dysfunctional artists; he, a frustrated writer, obsessed with whale
behaviour–an animal that, in turn, symbolizes migrants–and totally
isolated from the Mexican community; she, a perpetual teenager with many
vocations, fascinated by the otherness represented by some natives of
Oaxaca who do not speak Spanish. We never learn how or why they ended
up in the north. In addition, it is the ideal working environment for this
Chicano artist that tries to approach her Mexican roots by putting on an art
show reaffirming her Chicano status.
For the most part, women on their own are the ones crossing the border
back south. And, in this direction, it is possible to cross without any
problems because these characters coming from the north are already
settled in Tijuana at the beginning of the story. Quite the opposite from
crossing in the opposite direction. We see groups doing it by night and by
day, alone or guided by polleros31 and always being sent back by the border
patrol. A successful crossing, though only partial, occurs again with the aid
of Juan Soldado and in the trunk of the car of an American citizen who is not
overly questioned by the officer at the gate: where no difference is apparent,
no suspicion arises.
The presence of the border patrol is another representative symbol of the
border: it is there, watching, not only over possible migrants, but also over
the day-to-day affairs of those living in Tijuana.32 Hence, not every person
that crosses is an immigrant, or a criminal, in spite of what the following
movies state. Perdita Durango,33 for example, is a fun inventory of all the
violent stereotypes associated with the borderline. Another road movie,
filmed in Tijuana, Sonora and Arizona, based on a tabloid story of
narcosatánicos, foetuses, drugs, corpses, mugging and black magic. These
are just some of the horrors in this film’s repertoire that Perdita and Romeo
practice just for the heck of it.
The border is described both referentially and symbolically. Here, the
barely discernible transition between English and Spanish is also used to
mirror the space inhabited by the characters. Working here as metonymy,
the border is symbolically represented in the first sequence by the airport.
Then, once more, the road and its signals; the wall and its graffiti. Again,
crossing from north to south is not difficult even when carrying a dead body
and the loot from a bank robbery in the back seat.
When Perdita asks Romeo if he lives in Mexico, he answers “Not
exactly,” and it is true. In Perdita Durango, the border is a space of
confrontation between Hispanics and Anglos. Violence is the prevalent
emotion in this environment. The characters inhabiting it are robbers or
237
International Journal of Canadian Studies
Revue internationale d’études canadiennes
petty thieves, murderers, devil worshippers or naive and despicable
gringos. Crimes are committed on the American side, and the Mexican side
is a refuge. Irony is what saves the film from falling into caricature. And,
nonetheless, stereotyping is its most outstanding feature.
Meanwhile, in Traffic34 the very title says it all. The border is a place for
undertaking, as well as fighting, the traffic of illegal substances. There is
corruption on both sides, though there is more on the Mexican side.
However, drug use is limited to the US side, and not only in marginal
populations, but more so among the privileged classes, among teenagers
whose parents could care less about what their children do, or who are just
too busy to notice. Could this be the reason why the movie plays with
coloured filters? Could this be why the border is sepia and the north, blue?
Traffic is also plagued by stereotypes:35 the honest cop, the corrupt army,
the colluded system, the ethical judge, the Hispanic dealers, the ochre
border, the connecting site for international drug trafficking. As in Perdita
Durango, but without the black humour, Tijuana is represented as a city
where criminals hide behind a uniform or at some bar. There are also taco
stands lighted by a bare light bulb and a baseball park where children play,
not to mention large deserted fields where small aircraft land loaded with
smuggled drugs. Given its ambiguity, the ending–be it ironic, be it a fairy
tale–leaves the spectator sceptical. Can we really believe that, somewhere,
there is a judicial that chooses, as a reward for his bravery, to receive a
baseball field he can donate to the community? Is there some place where a
high-ranking politician who, as penance for his bad parenting skills, quits
his position to support his daughter in a rehab clinic?
Nevertheless, international crime does not only take place on the
southern border of the United States. It should suffice to remember that long
sequence in The Untouchables36 where Elliot Ness and his boys are waiting,
aided by the mounted police, for a shipment of alcohol, which will turn out
to be the beginning of the end for Al Capone. The border here is an iron
bridge, a huge field with only a little cabin in sight: desolation is the perfect
scenario for concluding illicit deals. As Mariane Botsford Fraser pointed
out in her definition of the US-Canadian border, there is a contraband
mythology in the region. It is a known fact that at least one of the great
contemporary Canadian fortunes originated from US prohibition and
alcohol smuggling along the northern border.
The black humour comedy Highway 6137 also plays with the smuggling
mythology, though in this case, involuntarily. Another road movie in this
already long list, where the ingredients are sex, drugs, rock and roll and
death. Even though stereotypes are also present here–the small town barber
also a wannabe musician, dazzled by the unscrupulous and promiscuous
city-savvy roadie, the American professional musicians addicted to drugs,
violence and sex–the ironic tone of the movie that even includes the devil in
238
Borders North of the Americas:
Transcultural Spaces of Changing Identities
the shape of a wish-granter that nobody takes seriously when they sign their
soul away through a contract, saves it from caricaturizing the characters.
The border is represented by Pickerell Falls, a town in Ontario, the last
stop on the bus line. The main character, who has never gone to the city or
crossed the border, in spite of living right next to it, begins a journey that, as
we have seen in other cases, has a lot of initiation ritual. While remaining
innocent, he gets involved in corpse and cocaine trafficking. Given that he
ignores his real situation, the journey south–“New Orleans, the birthplace
of jazz […], a chance to drive down the highway, hear the music, meet the
people, see America. A dream come true”–to this far away country that is
yet so near, implies becoming a master of his own destiny, following his
dream, his vocation. With his ever-ready suitcase, the corpse is the perfect
excuse for going down the legendary and Dylanian Highway 61 with his
“ideal” woman by his side.
As in this genre’s classics, the car is of great importance to the movie: the
only thing his parents left him, the orphaned hero has never used it for
transportation; it has only served as a bedroom and confessional. He was
saving it for his great trip: the search for his destiny–seeing the world, in
other words, travelling to the United States. The sequence where they cross
the immigration and customs gate is interesting because it could hardly ever
be depicted in a similar fashion in a Mexican movie. The American guards
are threatening, or at least they should be, given the circumstances. The
musician’s partner has a long criminal record; she knows that they are
carrying the dead body of a stranger filled with cocaine in the van (and
they’re being followed by the devil who wants to claim his property) and,
with unsurpassable cynicism, she listens to the guard’s sermon that, far
from eliciting respect, becomes ridiculous with its predictable epilogue:
“Welcome to America.” And then, in an ironic punch line: a large billboard
that reads: “Sign up for America’s Drug Free Decade.” It would be very
interesting to develop a further interpretation of this irony under the
perspective of the new “intelligent borders” policy.
The last road movie in this section is the independent film Niagara,
Niagara38 where, as in El jardín del Edén, the ones that choose to cross the
border are the misfits of American society. In this case, a couple of
marginalized teenagers–one who is mentally ill, her parents filthy rich by
way of human waste, and the other, a petty thief that lives in poverty with his
handicapped father–suffer from a monotonous and unsatisfactory life.
They head north in hopes of finding something unattainable on their side of
the border: a society that is not racist or prejudiced, symbolized by the sale
of black Barbies. The restrictions on alcohol and drug sales for minors are
characteristic of the United States side of the border. Therefore, what starts
as a trip looking to fulfil an absurd wish or a childish whim, turns into flight
after the characters are driven to crime.
239
International Journal of Canadian Studies
Revue internationale d’études canadiennes
Two borders appear in the movie. First, the natural ones, the falls, a wall
of water separating the two countries that can bury violence and leave a
certain way of life behind.39 Before being purified by the water, the
characters throw their van down a cliff and their weapons into the falls, a
prelude to their entrance into the foreign country on foot. The second border
is the legal one, where their bags are checked and they are allowed in
without a problem even though both are minors. The premise that where no
difference is apparent, no suspicion arises, is met again.
Now, in this case, fulfilling their wish was not possible due to cultural
differences and stereotypes such as, to begin with, the accent. Stereotypes
clash: Americans represent disorder, violence, whim, the imposition of
their will; Canadians represent cultural diversity, rigid order, good manners
and intolerance to a certain extent. The confrontation ends in tragedy, with a
shooting and death. And the ending takes us back to the water border, open,
with the possibility of still living the fantasy because reality is unbearable.
Borders Lived
Hasta morir, El jardín del Edén, Gas Food Lodging, Lone Star,
Bordertown Café
It becomes apparent that there are more borders crossed than borders lived.
However, the latter have many common traits: women on their own, cafés,
truck drivers, dressing styles, arid landscapes, loneliness, culture clash.
In Hasta morir,40 the fringes of Mexico City, personified by gang
members, come together with one of the dominant cultures of Tijuana, the
cholos. Delinquency, in both cases, is shown as the only way for young
people to get their hands on some monetary resources. The main characters,
a couple of childhood friends, exchange places so that the cholo settles
down in Mexico City and the gang member flees north after killing a cop.
Tijuana is described through metonymy, through emblematic settings: the
bus station, the beach, the dog track, the graffiti; but it is also a set of dusty
sloping streets, with a culture so strong it absorbs anyone that comes to live
there. The transformation in the character’s wardrobe confirms it. Nobody
there wants to cross the border.41 The film is interesting because it settles the
border as a place for outcasts. Even though gangs also exist in Mexico City,
their “natural” space seems to be the border, which operates as sort of a no
man’s land: a hideaway where misfits find brotherhoods that will embrace
them; a place where people can be reborn, where they can build an identity
from scratch and fit in. Young people’s culture is focused as the centre of the
film, but it has nothing to do with the teenage expectations of going to
school and living carefree; these young people struggle for their lives,
literally, in a territory where the border not only separates two nations, but
situates them in the margins because of their outfits, their decorated cars,
their knives, their music.
240
Borders North of the Americas:
Transcultural Spaces of Changing Identities
The same happens for many of the characters in El jardín del Edén. It has
a series of women on their own, with children, and living on the border.
There is a widow, with her three sons, who opens a photographic studio in
order to support her family; there is the aunt, a speculator dilettante, who
helps the newly arrived get settled; and there is a Chicano mother with an
aphasic daughter who works at installing an art show. These are all working
women and they dissolve the stereotype of women created in previous
border films (the prostitute or crook, always subordinated to the male
character) in order to create a new one: the single mother.
The city of everyday life is the one in the photographic studio, the aunt’s
storage house where she sells objects discarded by the gringos, the parking
lots where the cholos take their jumping cars, the sloping streets and the
antechamber to migration, next to the wall. The city of everyday life is, in
this movie, two cities: one for those who came to stay and another one for
those that are there involuntarily, always waiting for an opportunity to get
out. None of them had been present as a constant before in Mexican film and
they dissolve the stereotype of the border town as a big brothel or cantina.
Gas Food Lodging42 takes place on the border, in Laramie, New Mexico.
Again transitioning from English to Spanish is a symbol of the place.
Movies are another, more important, symbol: the supposedly Mexican
melodramas that the female Anglo teenage main character watches and
from which she gets not only her sentimental education, but also her ability
to free herself of prejudice and understand the Mexican-American
population that shares the town with the Anglos. The contempt the latter
feel for the former is only mentioned a couple of times and the confrontation
does not appear as something violent, but rather as unawareness and
ignorance from the Anglo characters.
The roadside café is another symbol of the place, because people only
stop there when they are going elsewhere, which is one of the most
important leitmotifs in the film. A town that is made up of a few streets and
surrounded by an arid landscape, millenary caves and, once more, a
population of women on their own that state: “That’s what men do: they
walk away.” For the main character’s sister, success lies in leaving town and
going to Houston, the great city. For her, it is accepting her life just as it is,
with an absent, alcoholic father and a run-down mother with a Chicano
lover. The difficulties of sharing the contact zone and the transcultural
space are embodied in the bicultural couple. The communities, in this film,
are not shown and the conflict takes place in a more private space: the one of
the Anglo protagonist and her Mexican-American boyfriend.
In Lone Star,43 a movie that takes place in the Rio county near Perdido,
the problems of living in a multi-racial community (Anglos, AfricanAmericans and Chicanos) determined not to intermingle can be explicitly
summarized in one of the lines from its fantastic script. The sheriff, when
241
International Journal of Canadian Studies
Revue internationale d’études canadiennes
talking about everyday life, says: “Business is booming. Got your drugs.
Got your illegals.”
Once again, the presence of Spanish and English in the dialogues; the
café serving as a meeting place; the few streets that make up the town; and,
the surrounding millenary desert are an ideal place for paleonthological
research. Meanwhile, in a school, a class about regional history, or more
specifically, about the Alamo episode, serves as an excuse for the members
of the different communities to test their strength: what the students should
learn, how history is defined, how historical facts diverge, given their
deep-seated nature in each region, depending on who is speaking.
Based on the resolution of a crime committed many years back, by a
racist, corrupt and exploiting sheriff, the characters start untangling stories
where their origins go hand in hand with their destinies. We see the
successful restaurant owner who, in an attempt to erase the fact of her
recently acquired nationality, tells the border patrol about the migrants and
speaks of them with disdain as mojados. The old Anglos that refuse to lose
their privileges. The African-American soldiers, whose only opportunity to
get away from ghetto life is the army. The mixed couple that could never get
married because of their parent’s disapproval. Here the stereotype is broken
with an intelligent blow at the end of the story: this disapproval is not based
on racism, but incest.
The only thing that Mexican spectators could fault in Lone Star is that, in
striving for realism, migrants–Chicano actors and actresses–are made to
speak in Spanish with a poorly translated dialogue…The effect is, thus,
counterproductive.
And, finally, Bordertown Café,45 where the similarity of the scenery of
Warren, Manitoba, with the landscapes of the two previous movies is
amazing. A town with a single main road, open fields, plains, with only a
signal marking the border, where everything is identical on both sides.
Again, a woman on her own with her son. The absent father, a truck driver,
an American. Once more, the confrontation of two cultures: Canadians
looking down on Americans for being noisy, for being indiscreet–or so they
feel.
Here, however, there is something really different: the immigration gate.
Both cars and trailers go through, honking their horns, and the guards that
spend their free time painting or sunbathing wave to travellers and do not
make them stop for the routine inspection that prevails in other places.
In the teenager’s room, border life is symbolized on the walls: an
American flag and a hockey poster. And the conflict in this character’s life:
choosing between his mother and his father; between life in the café on the
Canadian border or a stable life with a stepmother living south. Here the
characters are stuck in a rut; the border is a symbol of the immovable, of the
desperately ineluctable: the chosen destiny.
242
Borders North of the Americas:
Transcultural Spaces of Changing Identities
But in this film we can also sense what Fraser describes in her chronicle:
there is a similarity, a friendliness, between the communities that share this
arid, almost void space; and paradoxically, there is some antagonism, the
desperate desire not to become a reflection of what they are.
Symbolic Borders
Borderlines/Territoire, Cube
There are no movies in Mexican filmmaking that refer to the border as a
symbolic space; maybe because the referential border to be allegorized is
extremely concrete. Two examples are found, however, in Canadian
cinema.
One of the starting points of this analysis was that, as Maciel and Rosa
Acevedo have stated, Mexican and U.S. film-makers are still concerned
with migration. They say that there is a peculiar Hollywood perspective on
controlling the border in which U.S. films are a vehicle to state a very clear
political message: it is important to control the southern border, because the
importance of the migration issue must not be overlooked. So, when seeing
this genre we must stress the idea that the border must also be reinforced:
quite a contradictory message during the nineties, when globalization is
supposedly the rule and borders are supposed to be more porous for various
reasons, economic and cultural ones. Therefore, I dare to suggest that this is
the reason why Mexican films can never refer to the border as a symbolic
space: the referential border up North is too concrete for us to either
allegorize it or ironize about it.
A traditional idea of the border is always linked to the idea of division,
separation and difference; not only does the border exist as a line on a map,
but as a sensitive area where two countries or two political systems confront
each other. Contemporary theorists, though, define borders as in-between
spaces where regional culture is always conscious of its unique status as
crossroads.46 Both are present in the border genre.
Why, then, include these two films that apparently have nothing to do
with the aforementioned definitions? Mostly, because I find it quite
interesting that Canadian films do represent border spaces or frontier
territories in a symbolic and ironic way.
Borderlines/Territoire,47 a title that is itself very evocative, firstly
because the translation is not literal–in English it refers to border limits; in
French to the territory–and because it gives us an idea of another border
present in the culture of this country that might have been explored in this
essay: the border between Anglophones and Francophones, or maybe, the
border between Quebec and the rest of Canada.
However, this animated short refers to the limits existing between
individual human beings that decide to live as a couple, the difficulties of
243
International Journal of Canadian Studies
Revue internationale d’études canadiennes
cohabitation, the voluntarily shared spaces where, sometimes, we do not
know where to stand so as to not get in the way of each other.
In the dim light of a bedroom, the territory of intimacy, a blue man plays a
guitar when a red woman storms in, filling the room with light, becoming
orange. Thus placing a line between them.
As Spener and Staudt point out (p. 5), borderlines exist in different
dimensions of human experience–not only the ones dealing with nation
states. Dividing lines reflect opposite interests and identities, including
gendered ones. The animation short provides us, in a sort of watercolour
sketch, with an affirmation of this: men want something, women want
something else. Within territories, Spener and Staudt state48 closed
relations are created for several reasons; an example are those based on
intimate affection, erotic links and couples. It is no accident that so many
institutions continue to be based on closed relations in which the
participation of others has been excluded, limited or subject to certain
conditions (such as marriage). Even though the establishment of these
closed partnerships is characteristic of sociability and identity formation,
paradoxically, conflict almost always arises around this process. The irony
lying under this paradox is the main characteristic of Gauthier’s short film.
The two characters portrayed share a territory, but day to day life leads them
to subdivide it. He wants to make his music, she wants to read; he feels
harassed, she feels expelled; a guitar, the newspaper, a cigarette are
elements of disagreement. As long as there are no words, body language is
the only means of establishing some sort of agreement to share this territory
once more; but utopia will never be possible as long as borders exist: in the
midst of caressing, his hand finds the remote control and installs the
ultimate frontier: television rises as an unmerciful killer of intimacy.
Two characteristics stress the impossibility of sharing territories: each of
the characters is painted with a different primary colour; and the musical
score that underlines the couple’s action is interrupted by the loud noise that
comes out of the TV set. We can interpret this noise as the roaring of the
masses during some sports match that we are unable to see, but that they can.
Cube49 is a more radical example in this sense. Trapped inside some sort
of Rubik’s cube, the characters in this sci-fi film have to find a mathematical
way to exit each of the cubic rooms where they are mysteriously imprisoned
and surrounded by mortal traps. Each wall is a border, a limit. To cross it, an
unknown password has to be deciphered, which can only be done by an idiot
savant, an autistic mathematical genius. The cube is an allegory of a
faceless power that destroys and that kills. Nevertheless, logic, created by
human beings (in this case mathematics) is able to decipher its mysteries
and, to some degree, conquer the absurd of such absolute power. The cube is
an allegory of the violence that all borders imply and also of the fierce
safeguard of territories. Does it mean that the outside is just the same as the
244
Borders North of the Americas:
Transcultural Spaces of Changing Identities
inside? That borders only divide similar realities: violence, authoritarianism, stupidity? That the cube is merely a mirror of the world?
Paradoxical Spaces: NAFTA, 9-11, Intelligent Borders. How Can
We Be Neighbours in North America?
Throughout the twentieth century, the 49th parallel claimed the right to be
called the world’s longest undefended border. Not anymore. Since the
terrorist attacks, now known as “9-11,” and unbelievably to us south of the
US border, the Canadian porous line is now perceived as dangerous. But
nowadays:
Scores of pundits singled out for blame Canada’s “permissive”
refugee laws and its more liberal non-visa requirement policies
with a variety of countries, among them nations that the United
States opposes. […] The rhetoric connecting terrorism to
“foreigners” who abuse differences in national immigration
legislation could then also be used to pressure Canada into
changing its policies and to articulate demands for more U.S.
Border Patrol agents and stricter immigration policies in the
United States itself.50
From a Mexican perspective, this is not surprising. As stated before, we can
never forget that the Tijuana-San Diego border is fenced, closely surveyed
and, paradoxically, the most crossed point of entry in the whole world.
Mexicans can never forget the northern border: el río Bravo, to us. During
the Iraq war, much was said about the US reaction to a migration treaty, and
how it would affect Mexican migrants. The lines outside the US embassy
seem to be longer and fewer visas are being granted, presumably not only to
Mexican citizens. NAFTA of course has facilitated the transportation of
Mexican goods to the US, but we still need a visa to visit that country.
In the year 2004, while government institutions celebrate the tenth
anniversary of NAFTA, while the goods needed by US markets continue to
freely cross North American borders, entry to the USA will be more
difficult for some people, Mexicans for sure: fewer visas will be issued,
pictures will be taken at customs offices, eyes and fingerprints will be
scanned. As the Tijuanense novelist Luis Humberto Crosthwaite has
written:51 to cross the US border will require an intellectual effort, the
knowledge that nations have doors that open or close. In this case, the door
will open or close depending on who you are or who they think you are.
While paradoxically adhering to the belief of free trade, the US will fiercely
keep its gates closed to the usual suspects.
Over this same decade, the Mexican film industry has almost died.
Whenever it seems to regain its health, it’s impossible not to wonder if this is
merely a last sigh. But while almost nothing was being filmed, border
movies remained prominent in the inventory.52 So, with such a small output,
the fact that more than a half a dozen films deal with border issues only
245
International Journal of Canadian Studies
Revue internationale d’études canadiennes
highlights the relevance of this topic in contemporary popular culture,
including in literature and music, in Mexico.
And why is that? Because, as stated before, after oil, it is the income in
dollars from migrant workers that has kept our economy alive (their
revenues are higher than the ones we receive for the tourism industry). For a
long time, the city with the second largest population of Mexicans has been
Los Angeles, California (it is said that it is the same with Canadians);
because in spite of being a partner in NAFTA, Mexicans still need a visa
costing 100 dollars and that will only be approved after you have proven
that you are employed and have a bank account; because during summer,
every day, there are government spots on the media warning people that
crossing illegally can cost them their lives; because in Arizona the new
sport of ranchers deerhunting for migrants is, unfortunately, no urban
legend; because of the drug trafficking and the tunnels and the FBI most
wanted list with Mexican names; because of the more than 300 women
murdered in Ciudad Juárez; because of the fence. Mexicans cannot seem to
take their eyes off the American border. Which reminds us of the always
present saying that might sound like a cliché, but a hundred years after it was
invented by a politician can still make sense to a lot of people: Poor Mexico,
so far from God, so close to the United States.
Saying that, of course, takes us back to the unavoidable stereotypes, or at
least so it seems from the corpus reviewed. Why can’t filmmakers avoid
stereotyping in the border genre?
There is a significant difference between how Mexican films on the one
hand and Canadian or US films on the other depict the border, and it is linked
to the fact that Mexican filmmakers have not allowed themselves to be
ironic about this subject because the issue still makes our culture angry.53
Filmmakers translate the crossing of the border as the possibility of
making a dream come true, the American dream: a safe job, higher income,
becoming middle class: the US as a source for wealth (and not only to
migrant workers, but also to smugglers, drug dealers, crooks). So it is quite
interesting that these success stories are only present in films like El
callejón de los milagros or Mujeres insumisas, where the border is a
discourse, a word in the characters’ dialogues, where it exists only off
screen. Only then are Mexican migrants successful; only then do they fulfil
their dreams and fill their wallets and purses with dollars; only then does the
fantasy become true. Perhaps closer to the truth is the interpretation of
border life given to us by Lone Star, where migrants are sub-employed, and
where second or third generation ones show mixed feelings towards the
newly arrived. El jardín del Edén shows some humour in its title (no one of
course, considers Tijuana a garden of Eden), but the film on the whole is
more on the melodramatic side and, in spite of a couple of other ironic hints
(the reference to the Berlin wall, the smuggling of the men by the naïve
246
Borders North of the Americas:
Transcultural Spaces of Changing Identities
American woman), the conclusion of the film, with its ensemble of
anonymous men waiting for a chance to cross, is discouraging.
Stereotypes recreate our fears. They are the embodiment of our
defensiveness. Stereotypes exist all across the corpus, be it Canadian,
Mexican or independent US productions: the good Americans, mostly
misfits in love with either Mexican or Canadian culture; the bad Americans,
mostly government officials or Mexican Americanized migrants, or just
men without any scruples; the good Mexicans (exploited migrants); the
good Canadians (innocent citizens who will be abused by smart
Americans); the bad Mexicans (polleros, drug dealers, police officers),
although, quite interestingly, I would not dare to say that I could find the
stereotype of the bad Canadian.
The reinforcement of borders–not only international, but domestic too–
has been wisely translated by a polemical documentary, filmed by an
American director, but with Canadian investments. Bowling for Columbine
is a different type of border story, one that explains why the once world’s
longest undefended border will no longer be so: Moore, in trying to
understand youth violence and its roots, translates this reinforcement in
terms of fear, too. Fear of the other, of the unknown, of the one you do not
want to mingle with. So the nation locks itself in: by reinforcing the real
borders, but also the symbolic ones. And, in a lighter tone, this unavoidably
reminds us of the animation film that claims to be bigger, longer and uncut,
the South Park movie, which (in an intertext with another Michael Moore
film Canadian Bacon, the one that made him an honorary Canadian) has an
interesting take on this set of depictions of the border because it inverts the
“American as enemy” stereotype and reaches its climax in the lyrics of
“Blame Canada, blame Canada, they’re not even a country, anyway.”
Lyrics that remind us, once more, of the observation made by Fraser when
she states that, up north, the fear is that the border might just dissolve.
Borders are places of great political, social and cultural complexity.
What happens when they are charged with symbolism? Frontier spaces are
represented as paradoxical, whether it’s the porous one dealing with the life
of a couple or the rigid and concrete ones of a cubic prison; whether it’s
everyday life or borders controlled by power.
Spener and Staudt state that for the State, borders are necessary fictions
that represent purity and the legitimate. In other words, they are a semi
permeable membrane knit by officials and the state apparatus of
surveillance. To divide, to confront would be the main reason of this type of
border. But the opposite may result: danger can produce a close community.
In both Canadian films which can be read as allegories of borders, situations
of inclusion and exclusion are linked to the individuals who are its
protagonists. The portrayal of borderlands is linked to confrontation, but
also to the building of communities.
247
International Journal of Canadian Studies
Revue internationale d’études canadiennes
We have yet to receive an interpretation from filmmakers of the regional
geography of North America after the “refrontierization” of the US
following September 11. Whether their perspective will be melodramatic,
comic or ironic is still to be seen. Whether the filters they use are sepia or
blue, we still can’t know. The borders still dazzle us as spectators whether as
fictional representation or as actual realities. And this, we don’t only know
because of Soderbergh.
Notes
1.
The author wishes to thank the Government of Canada, through the Department
of Foreign Affairs and International Trade, and the Embassy of Canada in
Mexico, for a Faculty Research Program fellowship, 2003, which made this essay
possible. Also the team of the PAPIIT project at CISAN-UNAM (Elizabeth
Gutiérrez, Alejandro Mercado and Silvia Vélez), who gave me valuable ideas for
this text and the longer project into which it will develop.
2. Thus, there is a radical difference between this investigation and the one by
Norma Iglesias, who aside from having carried out an exhaustive compilation,
states in the second chapter of her book--symptomatically called “La visión de la
frontera a través del cine mexicano. Un paseo entre churros” (Visions of the
border through Mexican cinema; a walk among churros–churro, a greasy,
extremely sweet pastry, is the Mexican term for a very, very bad picture) that an
aesthetic review is a waste of time.
3. This text is the beginning of a much longer project, that will hopefully become a
book, which will include more theoretical reflections about the border, as well as
Chicano film examples.
4. Cf. Entre yerba, polvo y plomo. Lo fronterizo visto por el cine mexicano, 2 vols.,
Tijuana, Mexico, El Colegio de la Frontera Norte, 1991.
5. Cf. “El inmigrante del celuloide. El cine narrativo de la inmigración mexicana,”
in Cultura al otro lado de la frontera, David R. Maciel and María Herrera-Sobek,
coords., Mexico, siglo veintiuno, 1999, pp. 191-253 and David R. Maciel, El
bandolero, el pocho y la raza, Mexico, CONACULTA/siglo veintiuno, 2000.
6. “El control de nuestra frontera según Hollywood”
7. “Los filmes norteamericanos [sic] sobre el tema siguen una fórmula discursiva
básica, una versión modificada del western en la que el héroe lucha valientemente
contra bandas implicadas en el tráfico de trabajadores indocumentados, a las que
siempre acaban por derrotar. […] son un vehículo para una historia de acción
tradicional para la estrella principal, […] Tienen un mensaje político claro: la
importancia del control de la frontera sur y la necesidad de poner en práctica una
campaña contra el transporte clandestino de trabajadores migratorios a EU.
Revelan las preocupaciones e inquietudes de EU acerca del tema de la migración
[…].” The translation to English is mine.
8. “Desde las primeras producciones, personajes mexicanos arquetípicos aparecían
sin cesar en el cine en papeles de villanos, cobardes y bufones.” (Id., p. 213)
9. As will be seen in the forthcoming analysis.
10. On the Border. Portraits of America’s Southwestern Frontier, USA, University
of Arizona Press, 1989. Emphasis added.
11. Walking the Line, Vancouver/Toronto, Douglas & McIntyre, 1989. Emphasis
added.
12. Friendship.
248
Borders North of the Americas:
Transcultural Spaces of Changing Identities
13. Hug, embrace.
14. Cf. Patricia Vázquez, “Fronteras ¿inteligentes,” Revista mexicana de estudios
canadienses, nueva época, núm. 4, otoño 2002, pp. 47-56.
15. http://www.state.gov./www/regions/wha/0012_cusp_report.html
(06/11/03);
http://www.usembassy-mexico.gov/sataglance1.htm (05/11/03).
16. Dir. Jorge Fons. Production: Mexico.
17. Dir. Alberto Isaac. Production: Mexico.
18. Dir. Alejandro Springall. Production: Mexico / US.
19. “What will you be doing in Tijuana?”
20. “Course, what everyone does in Tijuana.”
21. Juan Soldado was a soldier killed by one of his superiors when he saved a woman
from being raped by this man. His grave has become a shrine where this laysaint
is worshipped by migrants who feel protected by his image while illegally
crossing the border.
22. El Santo, the Saint, is another important figure for Mexican popular culture; he
was a wrestler with a silver mask, who embodied goodness, courage and honour,
and became very famous because he was the star of cheesy action movies for
around two decades.
23. In the movie there is an intertext with El lugar sin límites (Place without limits) by
Arturo Ripstein, because the owner of the “service house,” Doña Trini, is no other
than Roberto Cobo, la Manuela, in that other film (which, fortunately, has been
already issued in DVD).
24. A similarity with Highway 61, where the devil is also a travel companion or
unwanted guide, this element will be further explored regarding this character.
25. Cf. Señorita extraviada, dir. Lourdes Portillo, production: México; Víctor
Ronquillo, Las muertas de Juárez, México, Planeta, 1999; Sergio González
Rodríguez, Huesos en el desierto, México, Anagrama, 2002.
26. Dir. Carlos Bolado. Production: Mexico.
27. Cf. Marc Augé, Los no lugares, espacios de la sobremodernidad, Barcelona,
Gedisa, 1994.
28. Dir. María Novaro. Co-production: Mexico / Canada.
29. Other aspects of this movie will be analyzed in the following section.
30. “Si el muro de Berlín cayó, ¿por qué éste no?”
31. Pollo in Spanish means chicken; polleros are people who traffic in illegal
migrants who in turn are compared to chickens, all packed in the back of trucks.
32. This scene is repeated also in Traffic.
33. Dir. Alex de la Iglesia. Co-production: Spain / Mexico.
34. Dir. Steven Soderbergh. Production: US.
35. One that is especially irksome for spectators on this side of the border is the
Mexican stereotype. In order to give an effect of authenticity and to have them
speak Spanish, some Latin actors were hired to represent the Mexicans. For the
Mexican spectator, it is obvious that the Spanish-speaker has a peculiar accent,
which decreases the effect of realism and fails to be effective. Something similar
happens in Lone Star and it will be further analyzed.
36. Dir. Brian de Palma. Production: US.
37. Dir. Bruce McDonald. Production: Canada.
38. Dir. Bob Gosse. Production: US.
39. Fraser points out in her text that part of the border mythology is a sign advising
American citizens crossing the border to leave their weapons at home before
entering Canada.
40. Dir. Fernando Sariñana. Production: Mexico.
249
International Journal of Canadian Studies
Revue internationale d’études canadiennes
41. The border is home in this film, meaning that it is a film mainly about born
Tijuanenses, not about the great population of migrants who are waiting to cross
the border and who will develop a split sense of home: the place where they
inhabit as migrants versus the place that they left and where they long to go back
to some time, as it happens in films like Santitos or El jardín del Edén.
42. Dir. Allison Anders. Production: US.
43. Dir. John Sayles. Production: US.
44. The movie is actually filmed on location along the border between Eagle Pass and
Piedras Negras.
45. Dir. Norma Bailey. Production: Canada.
46. David Spener and Kathleen Staudt, “The view from the frontier: theoretical
perspectives undisciplined,” The US-Mexico Border: Transcending Divisions,
Contesting Identities, USA, Lynne Rienner 1998, p. 3-35.
47. Direction, Script, Animation and Camera, Vincent Gauthier, prod. Studio
d’animation programme français, NFB/ONF, 1992, 3’50”.
48. “The motives for closure of in-group relationships vary widely from the
intimately affectual in the case of erotic relationships to the spiritual in the case of
shared religious belief, to the cultural and historical in the case of ethnic group
and nationalities, to pecuniary interest in the case of the business enterprise,” Op.
cit., p. 10.
49. Dir. Vincenzo Natali. Production: Canada.
50. Claudia Sadowski-Smith, “Reading across Diaspora: Chinese and Mexican
Undocumented Immigration across U.S. Land Borders, in Sadowski-Smith, ed.,
Globalization on the Line. Culture, Capital and Citizenship at U.S. Borders,
USA, Palgrave, 2002, pp. 69-70.
51. “Piensa en esto: de preferencia no lo hagas. […] La verdad es que no vale la pena
el ajetreo. […] Atravesar una línea divisoria requiere de un esfuerzo intelectual,
un conocimiento de que las naciones tienen puertas que se abren y se cierran; una
idea fija de que un país, cualquiera que éste sea, se guarda el derecho de admisión
a sus jardines y podría echarte de ellos a la primera provocación.” Luis Humberto
Crosthwaite, Instrucciones para cruzar la frontera, México, Joaquín Mortiz,
2002, p. 9.
52. We can read the enormous amount of titles in Norma Iglesias’ book, filled with
reviews of pictures written, directed, produced and/or acted by the Almada
brothers, tough action heroes with moustaches and cowboy hats who fought
dealers or polleros, or by Rosa Gloria Chagoyán, the very famous Camelia la
texana or Lola la trailera, sometimes drug-dealer, sometimes smuggler,
sometimes female action heroine. Their films are so bad that they never allow us
to believe they are ironic or parodies; and, of course, all they did was to perpetuate
the stereotype of the border as a place of vice and evil, as the road to perdition.
53. The same happens with some Chicano films from the eighties, for example. In
Zoot Suit the leitmotif of the film is discrimination towards pachucos, just
because of ethnicity and looks; in La Bamba, Ritchie Valens is rejected by his
Anglo girlfriend’s family, even though he is a successful rock idol; in the more
recent Stand and Deliver the turning point of the film deals with suspicion: no one
can believe in the intelligence and will power of teenagers from the Chicano
community.
250
Borders North of the Americas:
Transcultural Spaces of Changing Identities
Extended filmography
Bajo California, el límite del tiempo, dir. Carlos Bolado, prod. IMCINE, producciones
Sincronía, Carlos Bolado, Salvador Aguirre, script Carlos Bolado, Ariel García,
photography Claudio Rocha, Rafael Ortega, editor Carlos Bolado, with Damián
Alcázar, Jesús Ochoa, Gabriel Retes, Claudette Maille, 1998, 96 mins., Pelimex
VHS
Bamba, La, dir. Luis Valdez, prod. Taylor Hackford, Bill Borden, script Luis Valdez,
with Esaí Morales, Lou Diamond Phillips, Rosana de Soto, Elizabeth Peña, 1985,
109 mins., Columbia DVD
Beyond the Frontier, dir. Dale Phillips, 1983, NFB, VHS
Borderlines/Territoire, dir. Vincent Gauthier, prod. NFB, Yves Leduc, animation,
1992, 3:59 mins., VHS
Bowling for Columbine, dir. Michael Moore, prod. United Artists, Alliance Atlantis,
Salter Street Films, VIF2, Dog Eat Dog Films, script Michael Moore, jefe de
archivo Carl Deal, editor asociado T. Woody Richman, photography Brian Danitz
y Michael McDonough, Animation Harold Moss, 2002, 1:59 mins., MGM DVD
Bordertown Café, dir. Norma Bailey, prod. NFB, Norma Bailey, Joe MacDonald,
Stephen J. Rothe, Ches Yetman, 100:35 mins., 1993, NFB VHS
Callejón de los milagros, el, dir. Jorge Fons, prod. Alameda Films, IMCINE, Fondo de
Fomento a la Calidad Cinematográfica, UdeG, Arturo Ripstein, script Vicente
Leñero basado en la novela homónima de Naguib Mahfouz, photography Carlos
Marcovich, editor Carlos Savage, 1994, 140 mins., Alameda Films DVD
Canadian Bacon, dir. Michael Moore, prod. Propaganda Films, David Brown,
Maverick Picture Co., script Michael Moore, photography Haskell Wexler, editor
Wendey Stanzler y Michael Berenbaum, with John Candy, Alan Alda, Rea
Perlman, Kevin Pollack, Rip Torn, 1995, 1:35 mins., MGM DVD
Cube, dir. Vicenzo Natale, prod. Cube Libre, Telefilm Canada, Notario Film
Development, Mekra Mek, Betty Orr, script André Bijelic, Vincenzo Natale,
photography Derek Rogers, editor John Sanders, efectos especiales y animation
CORE Digital Pictures, with Nicole DeBoer, Nicky Guadagni, David Hewlett,
Andrew Miller, Julian Richings, Wayne Robson, Maurice Dean Wint, 1997, 90
mins., Trimark DVD
De ida y vuelta, dir. Salvador Aguirre, prod. CCC, FOPROcine, CONACULTA/
IMCINE, Ángeles Castro Gurría, Hugo Rodríguez, script Salvador Aguirre,
Alejandro Lubezki, photography Gerónimo Denti, editor Moisés Ortiz-Urquidi,
90 mins., Quality Films DVD
Desperado, dir. Robert Rodríguez, prod. Los Hooligans Productions, Bill Borden,
script Robert Rodríguez, photography Guillermo Navarro, with Antonio
Banderas, Salma Hayek, Steve Buscemi, Cheech Marin, 1995, 103 mins.,
Columbia DVD
From Dusk Till Dawn, dir. Robert Rodríguez, prod. Los Hooligans Productions,
Quentin Tarantino, Robert Rodríguez, Lawrence Bender, script Quentin
Tarantino basado en una historia de Robert Kurtzman, photography Guillermo
Navarro, editor Robert Rodríguez, with Harvey Keitel, George Clooney, Quentin
Tarantino, Juliette Lewis, 108 mins., 1996, Dimension DVD
Gas Food Lodging, dir. Allison Anders, prod. Cineville, Daniel Hassid, Richard Peck,
Carl-Jan Colpaert, script Allison Anders, photography Dean Lent, editor Tracy S.
Granger, with Brooke Adams, Ione Skye, Fairuza Balk, 1991, 102 mins.,
Columbia Tristar VHS
Hasta morir, dir. Fernando Sariñana, prod. IMCINE, Fernando Sariñana, script
Marcela Fuentes Beráin, photography Guillermo Granillo, editor Carlos Bolado,
with Demian Bichir, Juan Manuel Bernal, Verónica Merchant, Vanessa Bauche,
1994, 100 mins., Vanguard DVD
Highway 61, dir. Bruce McDonald, prod. Telefilm Canada, Ontario Film Development,
Shadow Shows Productions, script Don McKellar, photography Miroslaw
Baszak, editor Michael Pacek, with Valerie Buhagiar, Don McKellar, Earl Pastko
y Peter Breck, 99 mins.,1992, Cineplex Odeon Video VHS
Invasion from the South, John Howe, 1956, NFB
251
International Journal of Canadian Studies
Revue internationale d’études canadiennes
Jardín del Edén, el, dir. María Novaro, prod. IMCINE, Verseau, Jorge Sánchez, script
Beatriz Novaro, María Novaro, photography Eric A. Edwards, editor Sigfrido
Barjau, with Renee Coleman, Bruno Bichir, Gabriela Roel, Rosario Sagrav, 1995,
104 mins., Vanguard DVD
Lone Star, dir. John Sayles, prod. Rio Dulce Inc., R. Paul Miller, Maggie Renzi, script
John Sayles, photography Stuart Dryburgh, editor John Sayles, with Ron Canada,
Chris Cooper, Kris Kristofferson, Frances McDormand, Elizabeth Peña, 1995,
135 mins., WB DVD
Mariachi, el, dir. Robert Rodríguez, prod. Los Hooligans, Robert Rodríguez, Carlos
Gallardo, script Robert Rodríguez, with Carlos Gallardo, Consuelo Gómez, Peter
Marquiardt, 1993, 81 mins., Columbia Tristar DVD
Milagro Beanfield War, the, dir. Robert Redford, 1988
Mi vida loca/My Crazy Life, dir. Allison Anders, prod. HBO, Film Four International,
Cineville, Daniel Hassid, Carl-Jan Colpaert, script Allison Anders, photography
Rodrigo García, editor Kathryn Himoff, Tracy S. Granger, with Angel Avilés,
Seidy López, Jacob Vargas, Panchito Gómez, Jesé Borrego, 1994, 100 mins.,
HBO, Sony Pictures Classics VHS
My Family/Mi familia, dir. Gregory Nava, prod. American Zoetrope-Anna Thomas–
Newcomm, script Gregory Nava, Anna Thomas, photography Edward Lachman,
editor Nancy Richardson, with Jimmy Smits, Wsaí Morales, Eduardo López
Rojas, Jenny Gago, Elpidia Carrillo, Edward James Olmos, 1995, 126 mins., New
Line Cinema VHS
Mujeres insumisas, dir. Alberto Isaac, prod. Televicine, UdG, U. de Colima, Alberto
Isaac, with Patricia Reyes Spíndola, Regina Orozco, Lourdes Elizarrarás, Juana
Ruiz, 1994, Videocine VHS
Neighbours, dir. Norman McLaren, 1952, NFB Best of the best strange tales of the
imagination, NFB DVD
Neighbours and Other Strangers, dir. Wendy Tilby, prod. NFB (Palm d’Or for Best
Short Film), 3 shorts, 1999, 27:12 mins., VHS
Niagara Niagara, dir. Bob Gosse, prod. The Shooting Gallery, David L. Buschell,
Daniel J. Victor, Larry Meistrich, script Matthew Weiss, photography Michael
Spiller, editor Rachel Warden, with Robin Tunney, Henry Thomas, Michael
Parks, 1997, 93 mins., Artisan VHS
North by Northwest, dir. Alfred Hitchcock, prod MGM, script Ernest Lehman, with
Cary Grant, Eva Marie Saint, James Mason, 1959, 136 mins., WB DVD
North of 60, dir. John Howe, 1956
Perdita Durango, dir. Alex de la Iglesia, based on the homonimous novel by Barry
Gifford, with Javier Bardem, Rosie Perez
Piedras Verdes, dir. Angel Flores Torres, prod. Videocine, De cuernos al abismo Films,
CONACULTA/IMCINE, dirección de arte Mirko von Berner, editor Damián
Méndez, Angel Flores Torres, with Vanesa Bauche, Angel Flores Marini, Juan
Carlos Retes, 2000, Quality films DVD
Santitos, dir. Alejandro Springall, prod. Springall Pictures, John Sayles, Alejandro
Springall, Claudia Florescano, script María Amparo Escandón basado en su
novela homónima, photography Xavier Pérez Grobet, editor Carol Dysinger, with
Dolores Heredia, Demián Bichir, Alberto Estrella, Fernando Torre Lapham, 2000,
150 mins., Nuvision DVD
Sin dejar huella, dir. María Novaro, prod. Tabasco Films, Altavista Films, Tornasol
Films, Dulce Kuri, script María Novaro, photography Sergei Saldívar Tanaka,
editor Angel Hernández Zoido, 2000, 110 mins., Nuvision DVD
South Park, Bigger, Longer and Uncut, dir. Trey Parker, prod. Scott Rudin, Trey
Parker, Matt Stone, dir. animation Eric Stough, 1999, 78 mins., Comedy Central
DVD
Stand and Deliver, dir. Ramón Menéndez, prod. American Playhouse Theatrical, Tom
Musca, script Ramón Menéndez, Tom Musca, with Edward James Olmos, Lou
Diamond Phillips, Rosana de Soto, Andy García, 1988, 103 mins., WB DVD
Touch of Evil, dir. Orson Welles, prod. Albert Zugsmith, script Orson Welles based on
the novella Badge of Evil by Whit Masterson, with Charlton Heston, Janet Leigh,
252
Borders North of the Americas:
Transcultural Spaces of Changing Identities
Orson Welles, Marlene Dietrich, Zsa Zsa Gabor, 1958, 111 mins., Universal
DVD
Traffic, dir. Steven Soderbergh, prod. Bedford Falls, Laura Bickford, script Stephen
Gaghan, editor Stepeh Mirrione, with Benicio del Toro, Michael Douglas, Luis
Guzmán, Dennis Quaid, Catherine Zeta-Jones, 2000, 147 mins., Criterion
Collection DVD
Untouchables, the, dir. Brian de Palma, prod. Art Linson, script David Mamet,
photography Stephen H. Burum, editor Jerry Greenberg, with Kevin Costner,
Charles Martin Smith, Andy García, Robert de Niro, Sean Connery, 1987, 119
mins., Paramount DVD.
253
Zilá Bernd
Les métamorphoses comme figures de l’américanité
Martel, Yann. Life of Pi, A Novel. Vintage Canada, 2001.
Scliar, Moacyr. Max e os felinos. Porto Alegre : L&PM Pockets, 2001.
(Primeira edição 1981). Pour l’édition en français : Max et les félins.
Montréal : Les Intouchables, 2003.)
Et sais que je suis un homme maintenant, car je
suis la plus dangereuse des bêtes.
Erri De Lucca, Trois chevaux
Le présent essai a comme principal objectif de mettre en parallèle Life of Pi,
A Novel (2001)1, de l’écrivain canadien Yann Martel (1963-), et Max e os
felinos (1981)2, de l’écrivain brésilien Moacyr Scliar (1937-). Nous ne
prétendons pas reprendre la polémique instaurée par la presse vers la fin de
2002 concernant l’accusation de plagiat par l’auteur brésilien contre le
Canadien. Ce qui nous intéresse ici, c’est l’analyse des convergences
existant entre les deux œuvres et les figures de l’américanité qui s’en
dégagent. Les thématiques de la traversée de l’océan, du naufrage et des
survivants adolescents qui arrivent au Nouveau Monde reprennent les
mythes du renouvellement, constitutifs de l’américanité. La traversée imite
le voyage inaugural de Christophe Colomb, et les bateaux de sauvetage qui
permettent aux adolescents d’arriver au Canada ou au Brésil symbolisent
l’arche de Noé, mythe du recommencement et de la restauration cyclique
par excellence. On soulignera les métamorphoses des personnages pendant
le voyage et leurs rapports avec les félins (un tigre et un jaguar) qui
survivent avec eux et qui symbolisent à la fois les forces du subconscient et
la mémoire du passé que les immigrants apportent avec eux en Amérique.
Avant la traversée
Dans le livre de Scliar, Max et les félins, l’adolescent Max, fils d’un
commerçant de fourrures juif, a vécu entouré de toutes sortes de peaux
d’animaux les plus diverses : renards, visons, castors, etc. Le magasin « Au
tigre du Bengale » était décoré d’un tigre que son père avait lui-même
chassé en Inde et qu’il avait fait empailler. Depuis son enfance, Max
craignait cet animal, à tel point qu’il faisait de violents cauchemars même
s’il ne s’agissait que d’un élément décoratif. Il avait été traumatisé par un
International Journal of Canadian Studies / Revue internationale d’études canadiennes
27, Spring / Printemps 2003
International Journal of Canadian Studies
Revue internationale d’études canadiennes
ordre de son père d’aller chercher tout seul, un soir, le journal qu’il avait
oublié dans le magasin. Pour obéir, l’enfant avait dû traverser le territoire du
père, – la boutique à fourrures, – faire face au plus puissant des carnassiers,
le tigre du Bengale, qui lui faisait terriblement peur. Il était si nerveux qu’il
s’était blessé la tête; il était rentré chez lui en sanglotant après avoir vécu une
expérience qu’il n’oublierait jamais.
Quelques années plus tard, quand le régime nazi commence à émerger en
Allemagne, Max, qui avait participé à des manifestations antinazies alors
qu’il était à l’université, doit quitter Berlin par le premier bateau pour ne pas
se faire arrêter. Un naufrage force le jeune homme à se trouver une place
dans une embarcation de sauvetage déjà occupée par le plus terrible des
carnivores, un jaguar originaire d’Amérique latine! Si Max associe pour le
reste de sa vie l’image du tigre empaillé à l’autoritarisme de son père, le
jaguar, qu’il doit nourrir pendant toute la traversée pour ne pas se laisser
dévorer, restera comme une rémanence de l’autoritarisme politique
représenté par le régime nazi, qui l’a obligé à quitter sa famille et son pays
natal.
Dans Life of Pi, A Novel de l’écrivain canadien Yann Martel, Piscine
Molitor Patel (dit Pi) aura, à Pondichéry, ancien chef-lieu de canton en Inde
française, une expérience tout autre avec les bêtes, ayant vécu une enfance
heureuse en compagnie de sa famille qui était propriétaire d’un zoo. Il a
passé son enfance entouré d’animaux sauvages (vivants et non pas
empaillés) de toutes espèces, minutieusement décrits par l’auteur, qui
révèle une connaissance importante de la zoologie. L’enfant tiendra de son
père l’art d’apaiser les animaux, se sentant très à l’aise, même encore tout
jeune, lorsqu’il les nourrit et les soigne. Un détail important à souligner :
Piscine développe, au-delà de son intérêt pour la zoologie, une grande
curiosité pour l’étude des religions, voulant devenir en même temps
chrétien, musulman et hindou, préparation symbolique et présage du multiculturalisme du Canada, pays vers lequel son père a décidé d’immigrer.
Il faut également noter l’habileté de Yann Martel à conférer les pouvoirs
narratifs : l’auteur cède sa place de narrateur à Piscine Patel adulte qui,
vivant à Toronto, raconte l’histoire de Pi, sa fantastique traversée de l’océan
Pacifique, le naufrage du bateau dans lequel il voyageait avec toute sa
famille et, finalement, sa résidence pendant 227 jours dans une embarcation
de sauvetage avec un tigre du Bengale.
« We’ll sail like Columbus! » (Life of Pi, p. 97) « Nous allons naviguer
comme Christophe Colomb », a dit le père, vers un nouveau pays, vers une
vie nouvelle, une utopie nouvelle. La vente du zoo était indispensable pour
que la famille obtienne des moyens financiers nécessaires au recommencement en Amérique. Avec à son bord une partie des animaux vendus
aux zoos des États-Unis, le Tsimtsum part de Madras, en Inde, en 1977.
256
Les métamorphoses comme figures de l’américanité
La traversée
Tandis que Max traverse l’Atlantique pour arriver au Brésil, Pi fait la
traversée du Pacifique pour arriver au Mexique, puis au Canada, sa
destination finale. Le naufrage de leurs bateaux entraîne la disparition de
tous les passagers. Les seuls rescapés sont les héros, Max (Scliar) et Pi
(Martel), qui réussissent à se sauver grâce à de précaires embarcations de
sauvetage dont ils partagent l’espace exigu avec des animaux sauvages
échappés des cales des bateaux et qui ont réussi, eux aussi, à survivre au
désastre.
Cet épisode nous rappelle d’emblée le texte biblique de l’arche de Noé
(Genèse, 6, 17), mythe de la restauration cyclique par excellence. Après le
déluge, Noé, sa famille et un couple de chaque espèce animale et végétale,
resteront 40 jours et 40 nuits dans l’arche, en attente de la décrue des eaux
pour recommencer le monde à neuf. Ce sera donc seulement après le
passage initiatique qu’ils seront prêts à donner naissance à une nouvelle
forme de vie sur la planète.
Les deux romans, en tant que textes emblématiques de l’immigration
vers les Amériques, réécrivent curieusement ce fameux passage de la
Genèse, pour représenter symboliquement le fait que les immigrants vivent
eux aussi un rituel d’initiation, présenté par l’entremise de l’imagerie de la
traversée et du naufrage, avec la perte de leurs biens et de leurs références,
pour arriver nus, tels de nouveaux Adam, prêts à (re)commencer un
nouveau cycle existentiel.
Ce qui est intéressant de noter dans les deux textes, c’est l’importance
que les auteurs accordent au « trans » (préfixe inscrit dans traversée) qui
renvoie au passage à l’au-delà, à la sortie de soi-même. L’océan est l’espace
intermédiaire, l’entre-deux; les personnages y resteront à la dérive dans un
espace-temps suspendu où ils feront face à leurs démons, représentés par
des animaux féroces comme le tigre, le zèbre, l’orang-outan et la hyène,
dans le cas de Life of Pi, et le jaguar, dans le cas de Max e os felinos. Partis à
la dérive, les personnages s’écarteront de leur route, ils perdront de vue la
rive et seront emportés au gré des vents et des courants.
Le passage d’un continent à l’autre et le temps passé à la dérive
constituent un espace interstitiel qui n’est plus ni le pays natal ni le pays
d’arrivée. Cet espace impose aux personnages le temps de faire le « deuil de
l’origine », selon la belle expression de Régine Robin, de faire l’expérience
de l’étrangeté et de figurer à nouveau les utopies américaines. Pendant la
traversée il faudra faire preuve de courage et de débrouillardise pour assurer
sa survie dans cet entre-lieu. Dans le sillage de Christophe Colomb, les
personnages vivent le passage du connu à l’inconnu, du civilisé à la
barbarie, et comme le conquérant de 1492, ils devront faire face aux
monstres et aux êtres fantastiques qui, selon l’imaginaire de l’époque des
conquêtes, peuplaient la « mer ténébreuse ». Le principal défi qui se
présente aux personnages est de dépasser les situations-limites et de se
257
International Journal of Canadian Studies
Revue internationale d’études canadiennes
maintenir vivants malgré les menaces constantes des tempêtes, des vagues
et des animaux affamés. Ils sortent tous les deux vainqueurs de l’expérience
de la perte, de la solitude et surtout de l’incertitude.
Les techniques du récit fantastique, empruntés au journal de bord de
Colomb, matrice textuelle incontestable de ce procédé esthétique, invitent
les lecteurs à partager l’expérience insolite des migrants qui, tout en laissant
derrière eux leur héritage culturel, doivent se mesurer aux fantasmes et aux
démons de leur subconscient avant de commencer une vie nouvelle dans le
pays d’adoption. En réalisant en même temps la rupture (avec le passé) et la
liaison (avec l’avenir), les naufragés vivent à la limite de leurs résistances
physiques et mentales. Vivre à la frontière de ses propres limites produit des
effets curieux : les actions des bêtes et des humains se confondent; le réel et
la fiction se distinguent difficilement. Le besoin de rester en vie mobilise
toutes les forces des naufragés, qui n’ont d’autre motivation que la
survivance.
La survie physique est une métonymie des efforts que les migrants
devront accomplir dans leur nouvelle vie pour ne pas laisser mourir leur
mémoire et leur héritage culturel. Mentionnons ici la réflexion de Margaret
Atwood concernant les éléments qui symbolisent et synthétisent certaines
nations. Selon l’écrivaine canadienne, les frontières symbolisent les
Amériques, tandis que l’île serait le mot synthèse pour l’Angleterre, et
survivance, le véritable symbole centralisateur pour le Canada (Atwood,
p. 32). Le thème de la survivance présent pendant toute la traversée de
l’océan préfigure l’effort de survivre matériellement et culturellement en
pays étranger. Comme le souligne Atwood, « la survivance pourrait être le
vestige d’un ordre ancien qui s’arrangerait pour durer comme le ferait le
reptile d’une espèce primitive » (p. 33).
L’arrivée au Nouveau Monde
Le livre de Scliar accorde une place importante à l’arrivée au Nouveau
Monde et à l’inscription de Max dans le contexte de Porto Alegre, ville
située à l’extrême sud du Brésil. Tout d’abord on observe une métamorphose du personnage qui, au moment de quitter son pays, était encore
adolescent et qui, dès l’arrivée au Brésil, affiche un comportement adulte.
Malgré ses espoirs par rapport à la nouvelle terre, le personnage commence
à se sentir persécuté : il pense que ses voisins l’espionnent et qu’un jaguar le
guette, même en sachant que le sud du pays n’est pas l’habitat préféré des
jaguars... Il est nécessaire ici de rappeler les thèses de Gérard Bouchard sur
les Amériques comme siège et objet d’une nouvelle utopie. Bouchard
constate l’échec des grandes utopies américaines tels que le melting pot et la
démocratie raciale brésilienne, entre autres, et reconnaît un certain déclin (il
parle même de fatigue) « de l’américanité comme espace de rêve et de
remplacement » (Bouchard, 2000, p. 182). Le destin de Max relève en
quelque sorte de cette vision pessimiste des Amériques comme espace voué
258
Les métamorphoses comme figures de l’américanité
à la mort ou à l’échec des utopies, car le personnage n’arrive pas à se libérer
des fantasmes qui l’habitaient à Berlin. Ce ne sera que plusieurs années plus
tard, après avoir essayé de tuer un supposé membre du parti nazi et d’avoir
purgé une peine de quelques années de prison, qu’il se sentira enfin
véritablement « en paix avec ses félins » (Scliar, p. 116).
Si chez Scliar, tout un chapitre du livre est consacré à l’arrivée au Brésil
ainsi qu’aux difficultés du personnage à se tailler une place dans la société
d’accueil, chez Martel, le livre finit au moment où le naufragé arrive en terre
ferme, se fait soigner à l’hôpital et raconte ses péripéties de deux façons
différentes. Néanmoins, le lecteur sait dès le début que l’adaptation à
Toronto de Piscine Molitor Patel, dit Pi, a été très réussie, car il est lui-même
le ou un des narrateurs de cette histoire insolite. On sait par exemple qu’il a
réussi à finir ses études dans deux domaines différents, en zoologie et en
histoire des religions, et qu’il a chez lui une statue de Ganesh, qui renvoie à
l’hindouisme, religion pratiquée par sa famille en Inde, une Vierge de la
Guadeloupe, qui évoque la religion catholique, et une photo de Kaaba,
figure sacrée de l’Islam. Il est donc pleinement dans le transculturel, et cette
ouverture aux différents modes de rapport au monde fait peut-être partie des
stratégies de survivance du personnage. Dans ce récit plein d’humour, le
message sous-jacent renvoie incessamment à la thèse selon laquelle on peut
trouver la ou les vérités en suivant des chemins différents.
Chez Scliar les passages transculturels sont moins évidents dans la
mesure où le personnage est en train de résoudre des conflits existentiels
préalables; chez Martel, les passages transculturels sont nets et clairement
montrés : le savoir empirique sur les animaux que tient Pi de son pays natal
et qu’il réactualise pendant le voyage se transforme en savoir scientifique
après ses études en zoologie. Les dialogues entamés en Inde à propos des
différences qui existent entre les religions, deviennent, à Toronto, un savoir
formel assuré par l’université. On observe dans les phénomènes de la
transculture que les différents apports culturels entrant en contact passent
par un processus de transmutation et deviennent quelque chose de neuf qui
permet à l’immigrant de devenir autre sans cesser d’être lui-même.
Les figures de l’américanité
Les deux romans exploitent les figures et les mythes de l’américanité dans
la mesure où ils se construisent à partir de voyages, de passages, de
traversées et de migrations. S’ils projettent des dystopies, ils projettent
surtout des utopies de recommencement et de renouvellement. Les deux
personnages revivent l’expérience de Christophe Colomb, sa pulsion de
voyager et le dépassement de sa crainte face aux monstres qui peuplaient,
croyait-on, la mer et les terres à découvrir. Ces animaux sauvages
représentent aussi l’« autre » des personnages, et les différents récits
présentés montrent qu’en situation-limite – comme la lutte pour la
survivance –, les hommes peuvent se comporter pareillement aux bêtes les
plus féroces.
259
International Journal of Canadian Studies
Revue internationale d’études canadiennes
Cette interface homme-bête se trouve cryptée dans les deux œuvres.
Dans le roman de Scliar, en épigraphe, on trouve cette citation de Francisco
Macia Ngueme, dictateur de la Guinée équatoriale : « Le tigre n’a peur de
personne... Le tigre invisible. Mon âme. » Dans le roman de Martel, il s’agit
d’un jeu de personnification; le narrateur peut facilement fabriquer une
autre version de son récit en remplaçant les animaux par des êtres humains :
l’hyène devient le cuisinier, le zèbre à la jambe cassée devient un des marins
du bateau, l’ourang-outan, la mère de Pi, et le tigre est le garçon lui-même
ou un humain nommé Richard Park avec qui dialogue Pi pendant la longue
dérive, ce qui l’empêche de devenir fou.
Deux récits, c’est-à-dire deux possibilités de représenter les faits sont
fournies aux premiers sauveteurs qui viennent en aide des naufragés. Dans
le cas de Life of Pi, les enquêteurs de la compagnie d’assurances, qui
viennent connaître les circonstances du naufrage du Tsimtsum et des
conditions presque miraculeuses de la survie du héros, font face à deux
récits différents. Les fonctionnaires qui viennent interviewer Pi à
l’infirmerie Benito Juarez, à Tomatlán au Mexique, ont du mal à croire au
récit – qu’ils considèrent fantastique – selon lequel le jeune homme a réussi
à survivre pendant 227 jours en compagnie de quatre animaux qui peu à peu
s’entre-tuent et dont il ne reste à la fin que le tigre. Face à l’incrédulité des
fonctionnaires, Pi leur présente sa deuxième version selon laquelle il s’est
retrouvé dans le bateau de sauvetage avec quatre humains. Les
fonctionnaires trouvent cette deuxième version, où il est question d’une
pratique anthropophage, encore plus terrible que la première, qu’ils avaient
considérée comme le fruit de l’imagination et de l’excitation du personnage
resté si longtemps seul. Dans leur rapport, ils optent, prudemment, pour la
première version.
Dans Max et os felinos, le jeune homme parle du jaguar qui lui a tenu
compagnie après le naufrage du Germania aux marins venus le sauver. Les
marins attribuent l’histoire du jaguar à l’imagination de Max qui est
bouleversé par la longue exposition au soleil, à la solitude et à l’extrême
fatigue.
Ce jeu de récits doubles signale l’impossibilité, dans l’espace des
Amériques, de l’univocité, des vérités et des certitudes indiscutables. Les
deux auteurs envisagent l’espace américain comme un lieu de négociation
de l’identitaire et nous transmettent une leçon d’une importance fondamentale : il n’y a pas de faits; ce qui existe, ce sont des récits. Il s’agit en fait
d’une allusion très claire à l’histoire des Amériques où chaque événement a
au moins deux versions : celle des colonisés et celle des colonisateurs, celle
des vaincus et celle des vainqueurs. Ceux qui sont en mesure de raconter
l’histoire – les vainqueurs – choisissent le point de vue, les personnages
principaux et les épisodes; ils ont presque toujours tendance à oblitérer les
circonstances, la résistance et le courage des vaincus.
260
Les métamorphoses comme figures de l’américanité
Comme nous avons voulu montrer, les deux livres se construisent à partir
d’une même intrigue – un garçon et une bête essayant de survivre sur un
bateau en dérive –, la plus vieille idée du monde, selon Sarah Schmidt
(National Post, 2002). Selon l’auteure, cette thématique émerge dans le
roman de Tarzan, d’Edgar Rice Burroughs, et dans d’autres œuvres dont
l’énumération serait fastidieuse. Burroughs a construit un récit similaire
dans son livre The Lad and the Lion (1914), inspiré par un imaginaire
religieux où des personnes partent à la dérive avec des animaux, dont
l’exemple le plus connu est celui de l’arche de Noé, et par une tradition de la
littérature enfance-jeunesse basée sur des liens privilégiés entre les enfants
et les animaux. Sara Schmidt rappelle, dans le même article, l’exemple de
The Jungle Book, de Rudyard Kipling, où tout un chapitre est consacré au
récit d’un garçon et d’un lion en dérive, pendant des années, à bord d’un
bateau délabré.
Les romans qui font l’objet de la présente étude gardent pourtant leur
originalité si on les lit dans la perspective des transferts culturels3, en
essayant de les interpréter comme étant des récits emblématiques de
l’immigration, et leurs personnages, comme étant des personnifications de
la survivance. La traversée de l’océan se constitue comme l’espace
intermédiaire qui n’est ni le nouvel horizon, ni l’abandon de ce qui a été. La
longue dérive sur les vagues, constitue l’entre-lieu – incontournable pour
les migrants – où « présent et passé, intérieur et extérieur, inclusion et
exclusion s’entrecroisent pour produire des figures complexes de la
diversité et de l’identitaire »4.
C’est dans cet entre-lieu aquatique, mouvant et instable, que sont mises
en scène les luttes des personnages avec leurs propres démons, avec l’autre
aspect d’eux-même. Ce rituel initiatique s’avère indispensable avant
d’arriver à un monde qui s’est construit jusqu’ici sans eux.
Les deux personnages, après avoir fait un voyage abracadabrant, arrivent
à ce qui commence : une nouvelle vie en Amérique. Il semble que les deux
auteurs, réécrivent le poème-synthèse de l’américanité qui ouvre le recueil
L’homme rapaillé de Gaston Miron. Ils sont en quelque sorte eux aussi des
hommes rapaillés, car ils vont, dans le contexte du Nouveau Monde,
recueillir des matériaux déjà utilisés pour leur conférer un nouvel usage,
assurant ainsi la survie des traces et des fragments de leur mémoire qui ont
survécu au naufrage. Miron a employé l’expression homme rapaillé
« comme un symbole de la reconstruction de l’humain sous les décombres
de la colonisation »,5 dans un moment marqué par une crise profonde des
utopies et dans l’espoir de pouvoir les éveiller. Moacyr Scliar et Yann
Martel, écrivains des Amériques, ont eu besoin de relancer le thème des
utopies de recommencement à partir du point de vue des immigrants,
peut-être imbus du même désir d’inciter au rêve, essentiel aux humains et
fonction primordiale de la littérature.
261
International Journal of Canadian Studies
Revue internationale d’études canadiennes
Les auteurs ont choisi, comme stratégie narrative, l’appel au récit
fantastique, qui cache un certain nombre d’énigmes et de mystères. Ils
laissent aux lecteurs la tâche de pénétrer à l’intérieur du récit pour en
décrypter certaines opacités, comme le nom que s’est attribué le
personnage, Pi, seizième lettre de l’alphabet grec, qui renvoie à periphereia
(périphérie) et qui désigne la circonférence du cercle. Ce nombre étrange
désigné par une lettre, est chargé de mystères qui défient l’intelligence de
l’humanité depuis l’antiquité la plus reculée.
Notes
1.
2.
3.
4.
5.
Yann Martel a reçu le Man Booker Prize de 2002, un des prix littéraires européens
les plus prestigieux. Il a également été finaliste des prix du Gouverneur général du
Canada et du Commonwealth Writers Prize pour le meilleur livre de l’année. La
version française date de 2003.
Né à Porto Alegre en 1937, Moacyr Scliar est un auteur très connu au Brésil où il a
déjà publié plus de 40 ouvrages de fiction (contes, romans, chroniques, etc). La
plus grande partie de son œuvre a été traduite en différentes langues, dont
l’anglais, le français et l’allemand. L’auteur a été reçu à l’Académie brésilienne
des Lettres en 2003.
Le concept de transculturation a été d’abord décrit en Amérique latine, à Cuba,
par Fernando Ortiz, vers les années 1940. En français, où le mot ne fait pas encore
partie des dictionnaires, on fait souvent appel à une périphrase, transfert culturel,
pour évoquer le même ensemble notionnel. Étant donné qu’elle opère sur le mode
du dialogue entre les communautés culturelles, la perspective transculturelle
inaugure des voies de réciprocité dans les relations culturelles en se portant
garante de la fertilité des échanges. Le concept de transculture a été théorisé au
Québec surtout entre 1983 et 1996 par le groupe de la revue trilingue Vice Versa.
Comme nous le rappelle Robert Dion, le concept de transculture, qui a été
développé par Lamberto Tassinari, Fulvio Caccia et Antonio d’Alfonso, garde
des rapports très étroits avec d’autres concepts en circulation dans Vice Versa
comme ceux d’hybridation culturelle, de hors-lieu et de métissage culturel. Pour
ces auteurs, trans (de transculture) « se révèle particulièrement riche de
connotations; il renvoie à la translation, à la transgression, à la transition, à ce qui
est latéral et tangentiel ». (Tassinari et Dion, 2003, p. 209)
Pour le concept d’entre-lieu, consulter le texte de Nubia Hanciau : « O conceito de
entre-lugar e as literaturas americanas no feminino » publié dans Bernd, Z., org.
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p. 109-119.
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263
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Despite an apparently increasing secularity in Canadian society, there
exists strong evidence of a growing interest in religion and spirituality in
contemporary Canadian fiction. Marie Vautier, in a chapter of Is Canada
Postcolonial? Unsettling Canadian Literature, says that her earlier work,
New World Myth, had convinced her that “postmodern techniques such as
parody and self-reflexive irony in the service of postcolonial strategies in
[Canadian] novels of the 1970s and early 1980s had sufficiently demythologized the question of religion in contemporary culture, and that religion
per se would not necessarily be a primary concern of what is called ‘second
wave postcolonial fiction’” (Vautier 270). However, as Margaret Atwood
has ironically demonstrated with the Crakers in her recent Oryx and Crake,
religion seems to be too instinctive to be deprogrammed from humanity.
Therefore, Vautier now concludes that, in a self-proclaimed post-religious
era, “very many contemporary novels explore the trope of religiosity”
(Vautier 270). In her article she cites, among others, Barbara Gowdy’s The
White Bone, Thomas King’s Green Grass, Running Water, Tomson
Highway’s Kiss of the Fur Queen, and Ann-Marie MacDonald’s Fall on
Your Knees.
Critical books dealing with religion and Canadian fiction are relatively
few: William Closson James’ Locations of the Sacred: Essays on Religion,
Literature and Canadian Culture, and my Faith and Fiction: A Theological
Critique of the Narrative Strategies of Hugh MacLennan and Morley
Callaghan focus on modern Canadian novels and traditional definitions of
religion and transcendence. Jamie S. Scott’s two critical anthologies, And
the Birds Began to Sing: Religion and Literature in Post-Colonial Cultures
International Journal of Canadian Studies / Revue internationale d’études canadiennes
27, Spring / Printemps 2003
International Journal of Canadian Studies
Revue internationale d’études canadiennes
and Mapping the Sacred: Religion, Geography & Postcolonial Literatures,
include essays on more recent Canadian novels and some consideration of
“the postcolonial challenge to the colonial imposition of the discourse of
Christianity in settler-invader colonies” (Vautier 272). This “postcolonial
challenge” to Christianity might seem to place Northrop Frye’s statement
that “[Christian] religion has been a major–perhaps the major–cultural
force in Canada, at least down to the last generation or two” (Frye 832) as a
historical observation tied to its 1965 delivery and its reference to fifty years
earlier. However, as I have pointed out in other articles, Christianity itself
can be a site of contestation of the dominant colonial mentality (“Postcolonial Place” 54) and, while Canada has progressively become “pluralistic
in religion as well as culture, Christianity, nonetheless, continues to be the
dominant frame of religious reference” (“Religion and Literature” 955).
Therefore, the depiction, subversion and conflation with personal
spirituality of traditional Christianity–previously the dominant masternarrative, but now most frequently interrogated and demythologised–
characterise several important contemporary Canadian novels that will be
considered here. The five novels I will concentrate on have been published
within the last three years by well-known Canadian writers. They are
written for a contemporary secular audience but clearly reference a
Christian worldview. They all (to a greater or lesser extent) invoke a
postmodern metafictional conception of “story,” which attempts to
transcend a postmodern “incredulity toward metanarratives” and reaches
toward a faith living in the interstices between fact and fiction.
Of the six novelists, Hugh Hood is the most traditional in faith and fiction
and, probably because of this stance, the least popular. A conservative
Roman Catholic, Hood published his twelve-volume roman fleuve, The
New Age/Le nouveau siècle from 1975 to 2000: “The most ambitious
literary undertaking to date in English-speaking Canada” (Keith 3). This
brilliant, epic Christian allegory has always frustrated the critics because of
its unfashionable narrative genre, demanding theological allusions, and
general lack of postmodern scepticism, irony and conflict. Depending on
one’s perspective, Volume 12, Near Water, is the best–or the worst–of the
series.
On a mid-summer day in the second decade of the twenty-first century
(The New Age), the narrator of the entire series, Matthew (Matt) Goderich,
dies in his early eighties of a “cerebrovascular accident” (a stroke: coincidentally and poignantly, the cause of Hood’s own death just one month
before the publication of this volume). This Book of Revelation consists
solely of Matt’s twenty-eight hours stream-of-consciousness before death;
it represents an extreme example of all the idiosyncratic features of the
previous eleven volumes. There is practically no plot; for 250 pages the
reader is immersed in the theological meditations of a highly intelligent,
pleasantly charming and decent, but oddly pedantic narrator. Hood clearly
demonstrates here that he does not write modern realism or postmodern
266
Contemporary Canadian Religious Novels:
Postmodern Faith and Fiction
metafiction any more than Homer, Dante or St. John of Patmos did–this is
apocalyptic eschatology: “Novel turning into allegory from Homer to
Dante, the greatest of endings, the essential arrival, SAFE AT HOME! …
The deepest narrative of all with the supreme usefulness of high allegory.
Safe at home in Eden, … the history of our salvation, periplum!” (9).
At the beginning of the novel, Matt returns to the Goderich family
cottage (allegorically Godes rice–“God’s kingdom”) to await a reunion
with his estranged wife Edie (the lost Eden). After one-third of the novel,
Matt has a stroke while lying on a recliner by the shore; the rest of the book
consists of his laborious attempts to fall out of the recliner and crawl across
the ground and up the nine stairs to the porch where he dies in an old swing
(completing the circle begun in Volume I, The Swing in the Garden, with
symbolic allusions to the Fall and the Cross of Christ). Matt has spent his
life as a near-celebrity: son of a Nobel Prize winner; husband of a popular
painter; father of an astronaut; and friend of a famous actor. His final
reflections and memories embrace all the major characters of the series in a
benediction of hope and love. But the majority of the book is an allegory of
faith structured (with a couple of Hoodian revisions) according to the
standard fifth century textbook of mysticism, The Celestial Hierarchy by
Pseudo-Dionysius the Aeropagite (15). The nine chapters parallel the nine
ascending orders of the angels that mediate between humanity and God:
Angels, Archangels, Powers, Virtues, Principalities, Dominions, Thrones,
Cherubim, and Seraphim. Matt’s passage from physical reality to spiritual
transcendence is marked by his progression through this “triad of triads”
toward knowing God: philosophy, theology, and narrative; discipline,
reason, and suffering; and finally, divine action, thought, and love as he
enters into the “Divine Presence” (251).
Lawrence Mathews defends Hood (“our country has produced no better
writer of prose”) and Near Water (“It’s prose. It’s fiction. It’s didactic
without being polemical”) against the “species of provincialism” that
insists on defining all the best contemporary novels as “characterised by
horror, and anger, and by the secular philosophical positions inspired by
such emotions” (112). Hood’s novels draw on an older (he would say
eternal) religious tradition for his parables of faith and love; his stories
privilege a contemporary subjectivity and spirituality, but within a
traditional Christian metanarrative.
Rudy Wiebe’s Sweeter Than All the World may also seem like traditional
religious fiction, modelled partly on the 17th century The Bloody Theatre or
Martyrs Mirror of the Defenseless Christians. But Wiebe, a devout
Mennonite and winner of two Governor General’s Awards for novels that
sensitively depicted First Nations religious traditions, has returned to his
ethnic roots in another historiographic metafiction combined with a postmodern quest for spiritual meaning. This epic portrayal of a marginalised
and persecuted people is as contemporary as today’s headlines, although
Wiebe’s pacifist theme does not constitute the usual political response.
267
International Journal of Canadian Studies
Revue internationale d’études canadiennes
The novel’s contemporary protagonist, Adam Wiebe, has rejected his
Mennonite traditions for wealthy materialism and secular morality. But
when his casual affairs destroy his marriage and alienate his children, Adam
becomes obsessed with discovering his ancestral history, seeking in the
stories of Mennonite suffering and faithfulness the meaning and integrity
he has lost. In ten chapters interspersed with Adam’s contemporary
spiritual pilgrimage, Wiebe depicts the persecutions of a religious minority
over five centuries and four continents. In roughly chronological order the
novel presents horrific first person narratives of suffering, most often from
a female perspective: The sixteenth-century women Weynken Wybe and
Maeyken Wens, with silencing screws on their tongues, burned at the stake
for their Anabaptist beliefs; the nineteenth-century Anna Wiebe,
sacrificially serving her family on a brutal trek to the Russian steppes to
save her brothers from Prussian Army conscription; the ninety-year-old
Katarina Loewen Wiebe, in 1941 recounting all of her family dead in a
lifetime of Ukrainian wars and ghettos; and, most terribly, Elizabeth
Katarina Wiebe’s story of the rape and murder of nurses caught in East
Prussia in 1945 when the advancing Red Army took its revenge. The men’s
tales are more political and indicate their relative power in a patriarchal
culture even under persecution: Enoch Seeman, exiled by his own church’s
narrow legalism, who finds success as a portrait painter in London;
and–framing the novel–the story of the earlier, archetypal Adam Wiebe
(Wybe Adams van Harlingen 1584-1652) whose engineering inventions
saved the city of Danzig and earned him, if not equal citizenship, at least a
comfortable life and future hope for later Wiebes.
In his prosperous present, the new Adam Wiebe has to repossess his past,
translating his historical voyeurism into personal commitment and family
love. He finally achieves this at his sister’s funeral, making himself
vulnerable when he confesses her love, forgives his brother, and begs his
wife for absolution. At the end of the novel he shares his repossessed family
history with his reunited “family” in “the conviction of their enduring love”
(420).
However, despite the protagonist’s secular scepticism, the ironic
subversion of religious authority, and the privileging of female and First
Nations narratives (a Dogrib elder foreshadows Adam’s final lesson), the
theological themes of the novel go beyond global politics and humanistic
love. They explore the complex and irresolvable connections between sin,
suffering, grace, and (quoting Graham Greene) “the appalling strangeness
of the mercy of God” (376) with biblical archetypes of the first and second
Adam and the story of Cain and Abel. The title, echoing the old Mennonite
hymn, expresses the essence of Wiebe’s theme and the divine source of
love: “Christ will me His aid afford/ Never to fall, never to fall”–“Sweeter
than all the world to me/Sweeter than all, sweeter than all” (351, 356).
In a remarkable coincidence, another Canadian novel about Mennonite
history was published at the same time as Wiebe’s (and, consequently,
268
Contemporary Canadian Religious Novels:
Postmodern Faith and Fiction
frequently compared with it): Sandra Birdsell’s The Russländer, shortlisted for the 2001 Giller Prize. Birdsell, who rejected her “judgmental”
maternal Mennonite heritage as a teenager, returns to it with a more
sympathetic view of the history of her grandmother, whose family fled the
aftermath of the Russian Revolution in 1923 to come to Canada, part of the
Mennonite diaspora called the Russländers (Bergman 71).
In the novel the eponymous protagonist, fifteen-year-old Katherine
Vogt, escapes the rape of her sister and the massacre of her family and
friends by hiding in a hole in the ground. This trauma and countless other
atrocities of the Civil War–including terror, disease, and starvation–reduce
Katya and her compatriots from affluent, comfortable, somewhat
secularised but religiously legalistic collaborators with the Tsarist regime
to desperate, persecuted aliens in a cruel, chaotic world (like twentiethcentury ethnic minorities in Germany, Uganda, Sri Lanka, Rwanda, and
elsewhere, as Birdsell points out). Katya, now almost one hundred years old
and living in Winnipeg, tells her story to a young researcher who (like
Birdsell) is preserving the stories of Ukrainian Mennonite history for future
generations. He cites the Russian proverb: “Dwell on the past and you’ll
lose an eye, … ignore the past and you’ll lose both of them” (302). In a rare
happy ending for a Birdsell novel, Katya has married her saviour,
Kornelius, learned that “love prevails” (342) over all evils, and “by the
grace of God” produced seventy-three offspring that “no accidents or
heartbreak” have yet touched (349). Therefore, to her usual themes of loss,
betrayal, and discrimination, Birdsell has now added love, hope,
redemption, and the triumph of the human spirit.
The mainly chronological structure of the novel traces the Fall of the
Mennonite community, with the archetypal imagery of the Twenty-Third
Psalm, from an idyllic Eden (Part I: “In Green Pastures”), to the evils of
Paradise Lost (Part II: “In the Presence of Enemies”), to the hope of the
Exodus (Part III: “Surely Goodness and Mercy”). Birdsell sacrifices
suspense for significance, however, by giving a November 15, 1917
newspaper report of the massacre of Katya’s family on the first page of the
novel; the next 235 pages of childhood delight and naivety about the
impending disaster (from 1910-1917) are ironically contextualised by this
frame. The last fifty pages of the novel are similarly framed by the
metafictional device of Katya’s story to the young archivist; the result is a
(somewhat belated) reminder of the subjectivity of the story.
With her usual portrayal of strong, survivor women within a patriarchal
society, Birdsell foregrounds the intimate female stories of domestic life
(through recipes, letters and journals). Although her geographical and
historical scope is not as great as Wiebe’s, she also gives a complex,
nuanced portrait of a Mennonite culture that includes churchmen whose
legalism masks hypocrisy and landowners whose greed incites violence, as
well as faithful Christians and courageous, sacrificial coreligionists.
Perhaps because of her own position as a “person of faith” who does not
269
International Journal of Canadian Studies
Revue internationale d’études canadiennes
belong to a church and “doesn’t feel any more like a Mennonite” (Bergman
71), Birdsell emphasises sociological vulnerability and religious
scepticism more than Wiebe’s historical persecution and religious
suffering.
Neither Diane Schoemperlen nor Nino Ricci demonstrated any interest
in writing religious novels before their latest books. Perhaps because of
their freedom from religious traditions, they have written extraordinary
revisionings of the central characters in Christianity–Jesus and Mary–that
demythologise, familiarise, and humanise these icons of the faith.
Schoemperlen writes reverently of Mary’s divinity and her own
spirituality; Ricci writes sceptically of Jesus’ humanity and his ethical
impact. Both authors foreground the creed of postmodern metafiction: the
indeterminacy of story and the need for faith in the fictionalising of fact.
Schoemperlen, an admittedly autobiographical writer, describes in the
“Author’s Notes and Acknowledgements” for Our Lady of the Lost and
Found her growing fascination with “Marian apparitions” and their
connection, in her mind, with postmodern philosophical and theological
ideas about “the uncertainty principle, quantum physics, irony, narrative,
fact, fiction, and both/and possibility over either/or opposites” (339). The
result is a spiritual autobiography, which transforms a novelist’s life. In a
simple plot, a middle-aged writer (like Schoemperlen) in an Ontario city
(like Kingston) on a Monday morning in April encounters the Virgin Mary
in her living room wearing “a navy blue trench coat and white running
shoes” (30). Mary asks to stay with the narrator for a week of rest before her
demanding May schedule. The 25 chapters alternate their ordinary daily
activities (cooking, eating, reading, talking, walking, and shopping) with
“History” chapters that recount a selection from the 20,000 visions of Mary
over the past two thousand years. Mary is the ideal guest, friend, mother and
confidante–kind, wise, sensitive, sensible and very funny. Confronted with
the “miracle” of the latest “anti-aging face cream” at the mall, she mutters
“Imagine what that stuff could do for me. I’m two thousand years old and
don’t look a day over two hundred” (193-94). When she leaves, the narrator
is deeply bereft but significantly changed. Her meditations form the
substance of this account that she has promised Mary to disguise as “a work
of fiction” (62).
The themes of the novel are inherent in the spiritual development of the
narrator. Near the end, she quotes Diarmuid O’Murchu’s Quantum
Theology:
In terms of faith, what brings meaning and integration to one’s
experience, the facts are quite secondary. It’s the story (and not the
facts) that grips the imagination, impregnates the heart, and
animates the spirit within (304).
Thus, her chapter titles move from “Signs” and “Facts” at the beginning
to “Faith” and “Grace” at the end. Like most of Schoemperlen’s readers, her
270
Contemporary Canadian Religious Novels:
Postmodern Faith and Fiction
narrator begins as a “not … particularly religious or spiritual person. … a
neoagnostic” (51), apparently content and controlled in her life. But her
week with Mary causes a revisioning of her daily world, a reversal of
“seeing” and “believing” in her modern sceptical mind. Once sensitised to
the holy in the daily, she finds her “blinders have been removed” and
evidence of the spiritual everywhere (225).
The narrator’s meditations on historical Marian visions may begin as
“amused, superior, or cynical,” but they end with tears for the pain of the
world (215) and an understanding that in “talk[ing] to God … we are also
talking to ourselves” and vice versa (214). In the turning-point chapter,
“Doubt,” she recognises that her lack of faith is a result of the age-old
“conundrum of theodicy”: If God is all-good, all-powerful, all-knowing,
then why do [evil] things happen?” (246). And her epiphany is surrender to
the “Negative Capability” of “not knowing”: “I finally understood that my
uncertainty and my doubt were gifts that made me the perfect candidate for
faith” (253). Before Mary departs, the narrator confesses her losses and her
loneliness and finds a very postmodern and indeterminate faith: “It is time
now to venture out of the comforting land of either/or opposites and travel
into the uncertain territory of both/and. Time to realize that irony is not
cynicism, paradox is not chaos, and prayer is not wishful thinking” (327).
When Mary leaves her the gift of all her milagros, the petitions of the
faithful, “the holy relics of the lost and found” and the promise “I am with
you always” (329-30), the narrator begins to write her story, knowing that
“writing is an act of faith” and “[her] own salvation” and that, in contemporary religious narratives, there are no absolutes, no answers, no closure:
“There is no way of knowing how the story will end: her story, my story,
yours. … That, in itself, is an unspeakable gift” (338).
Throughout the novel, Schoemperlen uses Werner Heisenberg’s
uncertainty principle as a metaphor for faith versus facts. Now that “science
can no longer be regarded as the method by which all the mysteries of the
universe will eventually be dispelled,” science itself “has begun to ask some
of the same questions as religion: questions of faith, meaning of God”
(298). Shoemperlen connects scientific indeterminism with historical
subjectivity in the narrator’s contemplations of the “stories” of Mary in
eight “History” chapters; she concludes that facts are no more true than
fiction. Marian apparitions, like all postmodern religious novels, constitute
“prayers” that are, as “Heisenberg said of the probability wave, ‘standing in
the middle between possibility and reality.’It is in that still point … between
fact and fiction that faith not only survives but thrives” (266). It is also the
“thin place” where imagination and literature originate (270).
Like Schoemperlen, Nino Ricci in Testament has written a postmodern
revisioning of one of the central characters in Christianity. Unlike
Schoemperlen, Ricci–a lapsed Catholic “who lost his faith in his late
teens”– (Bethune 75) has problematised Jesus Christ as a wholly human
character and rationalised all his “supernatural” miracles. Nevertheless,
271
International Journal of Canadian Studies
Revue internationale d’études canadiennes
Ricci depicts the uniquely charismatic power of this man who shaped
Western history in his image. Strongly influenced by the social anthropology of the “Jesus Seminar” and John Dominic Crosson’s The Historical
Jesus: The Life of a Mediterranean Jewish Peasant, Ricci characterises his
postmodern Christ by simultaneously foregrounding the historical/
political context of his life with first-century Jews and Gentiles, and the
social/ethical importance of his relevance for twenty-first century nonbelievers.
Ricci structures Testament in four interlocking and overlapping sections
like the Gospel narratives. However, Ricci’s narrators are all significantly
marginalised outsiders who illustrate Jesus’radical inclusivity: Two men (a
rebel Jew and a Syrian shepherd) and two women (normally excluded from
rabbinic circles). He further defamiliarises the bible stories by using the
original semitic spelling for names and places rather than the Greek
translations common to the New Testament and demythologises the
miracles by providing plausible naturalistic explanations (for example,
Lazarus is not raised from the dead but awakened from a coma), usually
illustrating a revolutionary ethical principle.
Ricci’s most radical revision, however, concerns the character of Jesus.
This Jewish Yeshua is not the divine incarnation of immaculate conception,
but the illegitimate product of a Roman legate’s rape of Mary, who was then
married off to an elderly, hypocritical Joseph to avoid scandal (a legend
from ancient Talmudic commentaries). This Jesus is a moody, rebellious
son who abandons conventional Jewish family and society to follow John
the Baptist and, after his death, to preach his own anti-authoritarian,
egalitarian and inclusive doctrines. A quintessential outsider and charismatic revolutionary, he empowers his community of marginalised men and
silenced women to think independently, act ethically, and challenge
orthodox prejudices and injustices. Therefore, his crucifixion is a result of
his social defiance of Jewish and Roman powers. And his legacy is not
spiritual resurrection (Ricci suggests that his followers stole Jesus’ body
from the tomb) but ethical inspiration.
In the four narratives that comprise this novel, Ricci foregrounds the
subjectivity and indeterminacy of stories that reflect their narrators’
preoccupations and perspectives, often regarding the same events, in the
construction of the Jesus myth. The first three sections parallel the Synoptic
Gospels (of Matthew, Mark and Luke) in their overview of Jesus’ life. In
Book I, Yihuda of Qiryat (Judas Iscariot), the archetypal villain of
Christianity, is recuperated as a political zealot who initially joins Yeshua as
a spy, hoping to persuade him to revolutionary violence, but eventually
attempts to protect him from his political naivety. Yihuda admires Yeshua’s
ethical teachings about the kingdom of God on earth and his compassion
towards lepers and outcasts, but sceptically argues against his idealism. At
the end of his chapter, however, Yihuda recognizes the destructive
“irrelevance” and “folly” of political struggles and the “hope of something
272
Contemporary Canadian Religious Novels:
Postmodern Faith and Fiction
new” that Yeshua represents: “if there was someone whose vision was truly
more than hope for his own gain or greater glory, then perhaps God had not
made us simply animals” (122).
Miryam of Migdal (Mary Magdalene) in Book II reflects the sensitivity
to social conventions of a merchant’s daughter but is liberated by Yeshua’s
egalitarian treatment of women in his community. Even his patriarchal
followers come to understand his radical inclusivity: “You’re saying that
the women are like us fishermen and peasants. No one bothers with us
because they think we’re nothing, and that’s why you’ve come to us” (130).
She finally recognises that Yeshua’s consistent modelling of forgiveness
and humility, while negating their hopes for political leadership, have given
them a “newness of vision,” an “aliveness” that awakens wonder in
everything, and destroys every ambition “except the one, which was to be
near him” (223).
Ricci’s most iconoclastic reworking of the Christian story comes in Book
III, told by Miryam, His Mother. A victim of patriarchal society by rape,
forced marriage, and humiliation, she spends her life in paranoid bitterness,
urging social conformity and protective silence on her son. In her desperation to escape her “sin” and “God’s judgement,” she unwittingly makes
Yeshua “the scapegoat,” driving him away from her respectability to
minister to outcasts. However, as she shares the vigil before his crucifixion
with Miryam of Migdal, she glimpses through the faith of the “simple girl of
Galilee” the unique inspiration of the son she has never really known: “The
wonder I heard in her voice was not so different from what I myself had felt,
that sense of a doorway Yeshua stood before, to some new understanding …
for those who had eyes to see it” (315).
Book IV parallels John’s Gospel in its Greek-influenced perspective and
concentration on the last week of Jesus’ life. Ricci invents the character of
Simon of Gergesa, a disenfranchised shepherd from the Decapolis, whose
discipleship foregrounds the gentile perspective and Jesus’ acceptance of
other races and religions. Simon befriends an ironic foil to Jesus: The
charlatan Jerubal who pretends to teach lepers, cast out devils, multiply
fishes, and perform wonders “like your friend Jesus” (337). However, this
parody of false miracles foregrounds Jesus’ real transformations of
people’s lives. The naïve narrator becomes “Simon the wise” (364),
believing in Jesus when Peter recants. Even Jerubel is reformed by Jesus’
example from a selfish cynic to a self-sacrificial martyr.
With postmodern scepticism Ricci’s alter-ego muses on the crucifixion:
“[H]owever things get remembered, you can be sure it won’t be how they
actually were”; they will be changed “to make a better story of it” (454).
Nevertheless, despite narrative indeterminacies, Simon realises that he has
experienced, through Jesus, a “vision” of wisdom, beauty, and wonder, and
a “glimpse … through a gateway or door” of a “further realm there might be
that we see nothing of” (455-56). Thus, Ricci, while demythologising and
273
International Journal of Canadian Studies
Revue internationale d’études canadiennes
humanising his Jesus, leaves a space for the transcendent to enter the human
narrative.
In 2002 Yann Martel became only the third Canadian ever to win the
(Man) Booker Prize for Life of Pi, “a story to make you believe in God”(x).
The international success of this book demonstrates, for me, three key
things about contemporary religious novels. First, spirituality is still at the
heart of human existence, despite contemporary scepticism and secularism.
The novels analysed here are representative of many more that explore faith
from a variety of belief perspectives. It may even be that the postmodern
deconstruction of the enlightenment project of humanism and rationalism
has opened a door to the transcendent (using Ricci’s imagery) that was
closed for three centuries.
Secondly, Canada is no longer a predominantly European Christian
society. Like Martel’s wonderfully ecumenical narrator, Pi Patel, who is “a
practicing Hindu, Christian and Muslim” (71), Canada boasts a plurality of
religious adherents. In his enthusiastic devotion, Pi dismisses all the
negative stereotypes of religion, celebrating their core values and ultimate
unity: “Hindus, in their capacity for love, are indeed hairless Christians, just
as Muslims, in the way they see God in everything, are bearded Hindus, and
Christians, in their devotion to God, are hat-wearing Muslims” (54-55).
After he satirises the violence of “interfaith dialogue,” Pi essentialises all
religion as “‘All religions are true.’ I just want to love God” (76).
Although I have, in five novels, surveyed the Christian tradition I am
familiar with, there are many contemporary Canadian writers that “draw on
Islam, Hinduism, Parsi, Buddhism, Sikhism and other world beliefs”
including First Nations Mythologies (Pell, “Religion” 959). In addition to
Jewish Canadian novelists, such as Matt Cohen and Anne Michaels, and
First Nation writers like Thomas King and Tomson Highway, a selection
would include Wayson Choy (Buddhism), Rohinton Mistry (Parsi), Anita
Rau Badami (Hinduism) and M. G. Vassanji (Islam).
Thirdly, spirituality has always been best conveyed as story (one might
say, as God did). Here again, Pi Patel shares his religious wisdom: “I cannot
think of a better way to spread the faith. No thundering from a pulpit, no
condemnation from bad churches, no peer pressure, just a book of scripture
quietly waiting to say hello, as gentle and powerful as a little girl’s kiss on
your cheek” (230). At the end, when the authorities disbelieve his creation
parable about surviving 227 days in a lifeboat with a Bengal tiger, Pi
denounces scientific scepticism and secular rationalism: “Love is hard to
believe, ask any lover. Life is hard to believe, ask any scientist. God is hard
to believe, ask any believer. What is your problem with hard to believe?”
(330). Since every “telling about something” is “already something of an
invention,” the supposed facts of scientific theory and the acknowledged
subjectivity of religious parable are equally fallible. The question is: which
tells us about “the world”; which reflects “reality” (335)? Or, as Pi asks,
274
Contemporary Canadian Religious Novels:
Postmodern Faith and Fiction
“which is the better story?” Even the rational businessmen interrogators
admit a preference for his original allegory of the courage of humanity, the
faithfulness of God, and the wonders of Creation: “Yes. The story with the
animals is the better story.” Martel’s theme is the suspension of disbelief in
the wonders of faith as Pi replies “Thank you. And so it goes with God”
(352). And so it goes with us.
Works Cited
Bergman, Brian. “Pacifist and doomed: Two Canadian novelists of Mennonite
background look to their people’s past.” Maclean’s, 22 Oct. 2001: 68-72.
Bethune, Brian. “The Gospel of Nino Ricci: An author crafts a fine novel from the Good
Book.” Maclean’s, 13 May 2002: 75.
Frye, Northrop. “Conclusion.” Literary History of Canada. Ed. Carl F. Klinck.
Toronto: University of Toronto Press, 1965, p. 821-49.
Keith, W.J. Canadian Odyssey: A Reading of Hugh Hood’s “The new Age/ Le nouveau
siecle.” Montreal and Kingston: McGill-Queen’s, 2002.
Mathews, Lawrence. “Last Things.” Essays on Canadian Writing 72 (Winter 2000):
109-17.
Pell, Barbara. “Postcolonial Place/Sacred Space in Hugh Hood’s Christian Allegories.”
Mapping the Sacred: Religion, Geography and Postcolonial Literatures. Ed.
Jamie S. Scott and Paul Simpson-Housley. Amsterdam: Rodopi, 2001, p. 53-70.
–––––. “Religion and Literature.” Encyclopedia of Literature in Canada. Ed. W. H.
New. Toronto: University of Toronto Press, 2002. 955-59.
Vautier, Marie. “Religion, Postcolonial Side-by-sidedness, and la transculture.” Is
Canada Postcolonial? Unsettling Canadian Literature. Ed. Laura Moss.
Waterloo: Wilfrid Laurier UP, 2003.
275
Tribute
Hommage
Dorit Naaman
Edward Saïd (1935-2003)
The Gift of a Public Intellectual
Let us start from the beginning. Or at least, let us start from Beginnings, the
beautiful book Saïd published in 1975 that has unfortunately been
overshadowed by the infamous and influential Orientalism (1978).
Beginnings grounds itself in literary criticism, but in fact is a philosophical
essay about the nature of ideas, a criticism of teleology and a meditation
about changing directions in the study of the humanities in the 20th century.
In this early book, Saïd already reveals his intellectual mark: an extensive
theoretical project firmly grounded in thorough textual analysis. Saïd
tackles the idea of a beginning both as a practice (the first line on the page),
and as an intellectual endeavour. Saïd identifies origin as a divine and
passive notion, while the beginning is historical and active, marking and
making difference, “from the beginning, despite any one beginning.”
Writing against the culturally dominant notion of a linear progression from
a beginning, Saïd charts out beginnings as moments that mark intention.
Tied in as they are with processes that are not of a linear, historical
trajectory, they can be identified mostly in retrospect. Beginnings are rarely
the origin of an intellectual river, but the point at which one jumps in to start
one’s own journey. Looking back at Orientalism–a book that is widely
considered one of the founding texts for post-colonial theory–through the
perspective of Beginnings, one starts to grasp the enormity of Edward
Saïd’s intellectual production.
Orientalism concerns itself with knowledge and power, or how
knowledge about a topic is also, and maybe foremost, knowledge about the
collector and provider of that knowledge. That is, knowledge can never be
purely objective, but is always affected by the ideological framework in
which it is collected and represented. Moreover, knowledge is not neutral,
but is a tool in political systems of control, thus produced according to
certain needs that can never be reduced to simple intellectual curiosity.
What generations of European Orientalists produced was not knowledge
about the Middle East, but knowledge about how a European (self) sees the
Middle-Eastern (other), which, Saïd argues forcefully, informs us more
about the representing self than about the represented other. Colonial
discourse offered simple dichotomies such as self/other (civilized/
primitive; subject/object; modern/under-developed; etc.), all supported by
scientific “knowledge.” Saïd’s analysis exposes the problematic nature of
such binary propositions, since the “other” is never just the opposite of the
International Journal of Canadian Studies / Revue internationale d’études canadiennes
27, Spring / Printemps 2003
International Journal of Canadian Studies
Revue internationale d’études canadiennes
self, but is in fact a representation of the self’s fears, fantasies, etc. To that
extent, Saïd offered the budding field of post-colonial studies an analytic
tool, as well as a pragmatic methodology. While Saïd’s own universalism
was often at odds with some post-colonial critics’ emphasis on cultural
subjectivity, Orientalism still stands as a foundational text in the field. In
the coming years, with identity politics increasingly present in the public
arena, issues of self-representation, access to the means of representation,
and an understanding of the ways knowledge is being produced, would be
revisited often, and Saïd’s formulations would become instrumental for
both analysis and activism. By 1981, with the publication of Covering
Islam, (following The Question of Palestine, 1979), Saïd’s trilogy made an
overwhelming case for how journalism, media and cultural institutions
work to cover-up, and thus produce knowledge that serves ideological
needs, rather than to neutrally and objectively “cover” or represent a topic.
The work was novel and naturally influential, and yet looking at
Orientalism from the perspective of Beginnings, one must wonder about
the intransitive beginnings in Saïd’s own intellectual processes, since after
all, for many Arabs, the awareness of their representations by the West did
not start with Saïd’s book. Furthermore, the historical forces that marked a
text like Orientalism as an original birth point for the field of post-colonialism should be examined. Needless to say, most Orientalist departments
(many of which still consider Saïd an enemy of the discipline) changed their
name to Middle East studies programs at about the same time.
Undoubtedly, the irony of the status of Orientalism as an original text did
not escape Saïd.
Covering Islam focuses on American media representations of
post-revolutionary Iran during the prolonged American hostage crisis.
Unlike much political analysis written before the collapse of the USSR, the
first Gulf War of 1991, and the recent wars in Afghanistan and Iraq, the book
is still profoundly relevant. Moreover, reading the book today, post 9/11 and
with some awakening by Americans to the ramifications of American (and
first world) foreign policy in the region, the book explains how much Islam,
Arabs and the Middle East are still vilified and mystified in North American
discourse. Like much of Saïd’s later writing, the book marks him as a public
intellectual, one who is equipped to perform an intellectual analysis, but
who harnesses his intellect not for the benefit of elitist academic spheres,
but instead for the larger public. In his political writing Saïd tried to avoid
academic jargon, to be accessible, humanist and yet not simplistic. His
political writing was controversial to many, but even those who disagreed
with his opinions respected his elegance, clarity and intellectual honesty.
Saïd’s later writing (for instance Culture and Imperialism, 1993)
focuses more broadly on marginalized cultures, and makes strong
claims for the impossibility of pure or idiosyncratic cultures.
Culture is always based on borrowings and appropriations, so
originality, or ownership, are futile terms of discussion. Clearly, this
280
Edward Saïd (1935-2003)
The Gift of a Public Intellectual
work is of great interest to those who look at the hybrid nature of the
contemporary nation-state as it functions under the conditions of a
global economy with immigration, and migration, ever-present.
Canadian culture, for instance–being bilingual legally, but
multiethnic and multilingual in effect–is a great corpus for such
analysis.
Saïd saw his role as an intellectual not limited to his desk, books and
publishing. Saïd took part in political processes, particularly those relevant
to the fate of the Palestinian-Israeli conflict. A tireless spokesperson on
behalf of the Palestinian people, he published in books, journals and
newspapers, spoke on countless radio and television shows, and used every
opportunity to draw attention to the plight of a severely under-represented
tragedy. As a political figure, Saïd was unique as well, directing his fire not
only at Israel (in his words a colonial power), but attacking Arab leaders for
abandoning the Palestinians, and the Palestinian leadership (particularly
after the Oslo accord) for its policies and corruption. An ardent opponent of
the Oslo accord, he sat as an independent on the Palestinian National
Council, always advocating for the rights of everyday people. His political
stance bought him many enemies, but his successful efforts, with Daniel
Barenboim, to bring together Israeli and Palestinian young musicians is one
example of his humanism and care for a shared and dignified future for
Palestinians and Israelis.
I cannot end this tribute without a personal note. In the weeks since Saïd’s
death, I have been reading obituaries filled with stories from friends and
colleagues. Unlike them, I have never met Edward (as they tend to refer to
him), but he has been enormously influential on my personal, intellectual
and political growth. I clearly remember the first time I read an article by
Saïd, although I cannot remember which article it was. At the time I was a
filmmaking student in the U.S., and I was slowly investigating the Zionist
ideology of my upbringing in Israel. I had some intuitions, and since the first
days in the U.S. I had sought communication with Arabs, but Saïd named
things for me, articulated historical processes, offered an alternative
narrative to the one I have known. I did not take him in wholesale. I had
some problems, issues and disagreements, but his careful, un-vehement
writing encouraged me to ask more questions and find more answers. In the
years to come I could see him standing there, like a sane lighthouse in a sea
of mostly irrational and emotional responses, saying loud and clear what he
thought. I did not always agree with the content, but I always felt that his
opinion never negated my right to exist, that it graciously invited me to be
ethical, political, intellectual and creative. I have since gone on with an
academic career, writing about Middle Eastern cinema, and making
documentaries. I have also found my political voice and activism, and I am
trying to work towards a future for our two peoples. Throughout my
journey, I always considered Edward Saïd to be a role model of a public
intellectual, an inspiration in merging intellectual and political life, in
281
International Journal of Canadian Studies
Revue internationale d’études canadiennes
taking an ethical stance in the face of wrath and disapproval, in struggling
for a more humane world. Like many others I will miss Saïd’s insights and
guidance, but in the spirit of the gift that he gave me, I will continue to
struggle for a better future.
Let me close with the words of Edward Saïd from an interview with
Israeli journalist Ari Shavit in 2000:
“Why do you think I am so interested in a bi-national state?
Because I want a rich fabric of some sort, which no one can fully
comprehend, and no one can fully own. I never understood the idea
of this is my place and you are out. I do not appreciate going back to
the origin, to the pure. I believe that major political and intellectual
disasters were caused by reductive movements that tried to
simplify and purify. […] I don’t believe in all that. I wouldn’t want
it for myself. Even if I were a Jew. And it won’t last. Take it from
me, Ari. Take my word for it. I’m older than you. It won’t even be
remembered.”
You sound very Jewish.
“Of course. I’m the last Jewish intellectual. You don’t know
anyone else. All your other Jewish intellectuals are now suburban
squires. From Amos Oz to all these people here in America. So I’m
the last one. The only true follower of Adorno. Let me put it this
way: I’m a Jewish-Palestinian” (Power, Politics, and Culture:
Interviews with Edward Saïd, New York: Pantheon, 2001).
282
Authors / Auteurs
Zilá BERND, Praça Julio de Castilhos 64 ap. 92, Porto Alegre - RS,
90430-020 Brasil.
Sirma BILGE, chercheure postdoctorale, Université de Montréal,
CEETUM/CRI-VIFF Case postale 6128, Succursale
Centre-ville, Montréal, Québec, H3C 3J7.
Daniel CHARTIER, Professeur, Études littéraires, Université du
Québec à Montréal, Case postale 8888, Succursale Centre-ville,
Montréal, Québec, H3C 3P8.
Ravi DE COSTA, Research Fellow, Institute on Globalization and
the Human Condition, McMaster University, 1280 Main Street
West, Hamilton, Ontario L8S 4L8.
Margery FEE, PhD, Associate Dean of Arts, Students, University of
British Columbia, Buch C-154, 1866 Main Mall, Vancouver,
British Columbia, V6T 1Z1.
Simon HAREL, Directeur, CELAT, Université du Québec à
Montréal, Département d’études littéraires, Local J-4775, Case
postale 8888, Succursale Centre-ville, Montréal, Québec, H3C
3P8.
Mathieu-Alexandre JACQUES, doctorant à l’Université du Québec
à Montréal et à l’Université de Paris III (Sorbonne Nouvelle),
France. Courriel : [email protected].
Stéphane KELLY, chercheur associé, CELAT, Université Laval,
Québec, Québec, G1K 7P4.
Józef KWATERKO, Professeur, Institut d’études romanes,
Université de Varsovie, rue Obozna 8, 00-927 Varsovie,
Pologne.
Graciela MARTÍNEZ-ZALCE, Researcher, Centro de
Investigaciones sobre América del Norte, Universidad Nacional
Autónoma de México, Torre II de Humanidades piso 10, Ciudad
Universitaria, 04510, DF. México.
Dorit NAAMAN, Department of Film Studies, Queen’s University,
99 University Avenue, Kingston, Ontario,
K7L 3N6.
International Journal of Canadian Studies / Revue internationale d’études canadiennes
27, Spring / Printemps 2003
International Journal of Canadian Studies
Revue internationale d’études canadiennes
Barbara PELL, Trinity Western University, Department of English,
7600 Glover Road Langley, B.C. V2Y 1Y1.
Claire POITRAS, Université du Québec, INRS-Urbanisation,
Culture et Société, 3465, rue Durocher, Montréal, Québec, H2X
2C6.
Sherry SIMON, Département d’études françaises, Concordia
University, S-LB 638 3, 1455, de Maisonneuve Blvd West,
Montreal, Quebec, H3G 1M8.
Charlotte STURGESS, Département d’anglais, Université Marc
Bloch, 22, rue René Descartes, 67084 Strasbourg Cedex, France.
Roland WALTER, Programa de Pós-Gracuaçao em Letras/EFPE,
Universidade Federal de Pernambuco, Centro de Artes e
Comunicaçao, Campus Universitário-Dep. de Letras,
Recipe-PE-CEP: 57040-530, Brazil.
Canadian Studies Journals Around the World
Revues d’études canadiennes dans le monde
The American Review of Canadian Studies. Quarterly/Trimestriel. $60; $25
(Student/Étudiant; retired membership/membres retraités); $105
(Institutions). Association for Canadian Studies in the United States, 1317 F
Street NW, Suite 920, Washington, DC, 20004-1105, U.S.A.
Editor/Rédacteur: Robert Thacker (St. Lawrence University).
The Annual Review of Canadian Studies. Yearly/Annuel. Japanese
Association for Canadian Studies, Department of English Literature and
Languages, Tsuda College, 2-1-1 Tsuda-machi, Kodaira-shi, Tokyo 187, Japan.
Editor/Rédactrice: Masako Iino (Tsuda College).
Australian-Canadian Studies. Biannual/Semestriel. Subscription information to
be obtained from/Pour tout renseignement sur les abonnements, veuillez
contacter: Associate Professor Jan Critchett, School of Australian and
International Studies, Faculty of Arts, P.O. Box 423, Warmambool, Victoria,
Australia, 3280.
Editors/Rédacteurs: Hart Cohen (University of Western Sydney
Nepean), Wendy Waring (Macquarie University).
British Journal of Canadian Studies. Biannual/Semestriel. Available
through membership to the British Association for Canadian
Studies/Disponible aux membres de l’Association britannique d’études
canadiennes. BACS, 21 George Square, Edinburgh EH8 9LD, Scotland.
Editor/Rédacteur: Colin Nicholson (University of Edinburgh).
Interfaces Brazil/Canadá. Anual.15$ Cdn. Revista da Abecan. ABECAN/
Associaçao Brasileira de Estudos Canadenses. Av. Bento Gonçalves, 9500,
Instituto de Letras, sala 114, 91540-000 Porto Alegre (RS), Brasil.
Editora: Nubia Jacques Hanciau, Fundação Universidade do Rio
Grande (Brasil).
Canadian Issues/Thèmes canadiens. Annual/Annuel. $Can15 per copy/
l’exemplaire (plus 7% GST in Canada/TPS de 7 p. 100 en sus au Canada).
Association for Canadian Studies, P.O. Box 8888, Station Centre-Ville,
Montreal, Qc, H3C 3P8/Association d’études canadiennes, C.p. 8888, succ.
Centre-Ville, Montréal (Qc) H3C 3P8.
Études canadiennes : revue interdisciplinaire des études canadiennes en
France. Semestriel/Biannual. 45 euros. Association française d’études
canadiennes, Maison des sciences de l’homme d’Aquitaine, Domaine
Universitaire, 33405, Pessac, France.
Rédacteur en chef/Editor-in-Chief: André-Louis Sanguin (Université
de Paris-Sorbonne).
Indian Journal of Canadian Studies.Yearly/Annuel. Indian Association of
Canadian Studies, 32A, Gandhi Road, P.O. T.V. Koil, Tiruchirapalli 620005 (T.N.), India.
Publisher/Éditeur: Chandra Mohan (University of Delhi).
The Journal of American and Canadian Studies. Yearly/Annuel. The Journal
of American and Canadian Studies. Sophia University, Institute of American
and Canadian Studies, 7-1 Kioicho, Chiyoda-ku, Tokyo 102, Japan.
Editor/Rédacteur: Kazuyuki Matsuo (Sophia University).
Journal of Canadian Studies/Revue d’études canadiennes. Quarterly/
Trimestriel. $Can35; $Can15 (Student/Étudiant); $Can55 (Institutions).
Plus 7% GST in Canada/TPS de 7 p. 100 en sus au Canada. Outside
Canada, payment is required in American dollars/À l’extérieur du Canada,
les frais sont en dollars américains. Journal of Canadian Studies, Trent
University, P.O. Box 4800, Peterborough, Ontario, K9J 7B8.
Editor/Directeur: Stephen Bocking (Trent University).
The Korean Journal of Canadian Studies. Biannual/Semestriel. Articles are
published in Korean/Publication de langue coréenne. Institute of East and
West Studies, Yonsei University, Room 528, Seoul 120-749, Korea.
Editor/Rédacteur: Myung Soon Shin (Yonsei University).
Korean Review of Canadian Studies. Annual/Annuel. Articles are published
in Korean/Publication de langue coréenne. Korean Association for
Canadian Studies (KACS), Centre de recherches sur la francophonie,
Faculté des Sciences Humaines, Université Nationale de Séoul, 56-1
Shinrim-dong Kwanak-ku, Séoul, Corée du Sud.
Editor/Rédacteur: Jang, Jung Ae (Université nationale de Séoul).
Québec Studies. Biannual/Semestriel. US$45; US$35 (Student/ Étudiants);
US$50 (Libraries/Bibliothèques). Outside the U.S., please add US$6/
Abonné à l’extérieur des É.-U., prière d’ajouter 6$US. Professor Jane Moss,
French Department, Colby College, Waterville, ME 04901 USA.
Editor/Rédacteur: Patrick Coleman (University of California at Los Angeles).
Revista Española de Estudios Canadienses. Yearly/Annuel. 4.000 ptas; 8.000
ptas (Institutions). Asociacion española de estudios canadienses, Espronceda, 40,
28003, Madrid, Spain.
Editor/Rédacteur: Kathleen Firth (Universidad de Barcelona).
Revista Mexicana de Estudios Canadienses. Biannual/Semestriel. 70$.
Asociación Mexicana de Estudios Canadienses. RMEC, Coordinación de
Relaciones Internacionales, Facultad de Ciencias Políticas y Sociales,
Ciudad Universitaria, UNAM, C.P. 04500, México.
Directora: María Cristina Rosas (Universidad Nacional Autónoma de
México).
Revista Venezolana de Estudios Canadienses. Biannual/Semestriel. 500 Bs.
Asociacion Venezolana de Estudios Canadienses. Subscriptions/
Abonnements: Embajada de Canadá, Torre Europa, Piso 7. Ave. Francisco
de Miranda. Apartado 63.302. Caracas 1060, Venezuela.
Editor/Rédacteur: Vilma E. Petrash (Universidad Central de
Venezuela).
Revue internationale d’études canadiennes/International Journal of
Canadian Studies. Biannual/Semestriel. $Can40 (Institutions); $Can30
(Regular/ régulier); $Can20 (ICCS Members, retirees and
students/Membres du CIEC, retraités et étudiants). Outside Canada, please
add $Can5/Abonnés à l’extérieur du Canada, prière d’ajouter 5$can. Plus
7% GST in Canada/TPS de 7 p. 100 en sus au Canada. IJCS/RIÉC, 75
Albert, S-908, Ottawa, Canada K1P 5E7.
Rédacteur en chef/Editor-in-Chief: Robert Schwartzwald (University
of Massachusetts Amherst).
Rivista di Studi Canadesi. Annual/Annuel. 30.000 lire; Foreign/Étranger,
40.000 lire. Rivista di Studi Canadesi, Grafischena, n. 13147723, Viale
Stazione 177-72015 Fasano di Puglia, (Br-Italia).
Director/Directeur: Giovanni Dotoli (Università di Bari).
Zeitschrift für Kanada Studien. Biannual/Semestriel. DM25. Zeitschrift für
Kanada Studien, Pädagogische Hochschule, Kunzenweg 21, D-79199
Freiburg, Germany.
Editors/Rédacteurs: Udo Kempf (Universität Freiburg), Reingard
Nischik (Universität Konstanz).
INTERNATIONAL JOURNAL OF CANADIAN STUDIES
Call for Papers
Health and Well-Being in Canada
Volume 29 (Spring 2004)
The Canadian State has, from time to time, come to the defense of
“real” Canadian values, based on public involvement and a sense
of community. Over the past several years, however, health care
has become an area of confrontation between the federal
government and one provincial government in particular. The
Government of Alberta has proposed nothing less than an attempt
to reshape Canadian identity by developing a new health care
system patterned on the U.S. model that leans heavily toward
private sector involvement. In this confront- ation, we see how the
issue of health touches on a variety of complex questions that go
far beyond the specific dimension of managing health care
services insofar as two sometimes contradictory logics of
Canadian identity are at loggerheads.
The issue of health also extends to the concept of well-being in the
broader sense. What do we mean when we say that someone is
“doing all right” in Canada? On the other hand, is it possible to
speak of Canadian malaises? In what ways do discourses on
Canadian rights, immigration, ageing, youth, leisure, women’s
health issues, sexuality, and work relate to the overall issue of
health in a Canadian context? In what ways are these issues of
health and well-being represented through academic, political,
and cultural (including literature, the media, and the visual arts)
channels?
The IJCS invites submissions that address issues of health and
well-being in a variety of dimensions, including comparative
studies that evaluate the Canadian experience in relation to other
experiences throughout the world.
Please forward paper (and an abstract of 100 words max.) before
January 15, 2004 to: IJCS, 75 Albert, S-908, Ottawa, Ontario,
Canada K1P 5E7. Tel.: (613) 789-7834; fax: (613) 789-7830;
e-mail: [email protected].
REVUE INTERNATIONALE D’ÉTUDES CANADIENNES
Soumission de texte
La santé et le bien-être au Canada
Numéro 29 (printemps 2004)
L’État canadien s’est parfois porté à la défense des « vraies »
valeurs canadiennes, fondées sur l’engagement public et un sens
de la communauté. Or, le domaine de la santé a fait l’objet au cours
des dernières années d’un affrontement entre le gouvernement
fédéral et une province en particulier, l’Alberta. À l’opposé de
la vision du fédéral, le gouvernement provincial de l’Alberta
prétend ni plus ni moins renouveler l’identité canadienne en
développant un nouveau système de santé inspiré du modèle
américain où le recours au secteur privé deviendra une voie
importante.
Cette question de la santé touche donc des aspects complexes qui
débordent la seule dimension de la gestion des services de santé
dans la mesure où deux logiques identitaires « canadian » parfois
contradictoires s’y affrontent. Puis elle s’étend au bien- être dans
le sens le plus large. Qu’est-ce qu’est « être bien dans sa peau » au
Canada? En revanche, y a-t-il des « malaises » canadiens ?
Comment les discours sur les droits, les loisirs, la jeunesse, le
vieillissement, l’immigration, la santé des femmes, la sexualité et
le travail visent-ils la santé dans le contexte canadien ? Quels sont
les modes de représentation de ces questions de santé à travers la
production culturelle (littérature, médias, arts visuels), scientifique et étatique question.
La RIÉC invite donc les soumissions qui s’adressent à la question
de santé dans ces multiples dimensions, y compris les études
comparées qui mettent l’expérience canadienne à l’épreuve
d’autres expériences autour du monde.
S.v.p. faire parvenir votre texte (et un résumé de 100 mots max.)
d’ici le 15 janvier 2004 au Secrétariat de la Revue internationale
d’études canadiennes : 75, rue Albert, S-908, Ottawa, Canada,
K1P 5E7. Tél. : (613) 789-7834; téléc. : (613) 789-7830; courriel :
[email protected].
INTERNATIONAL JOURNAL OF CANADIAN STUDIES
Call for Papers
Security / Insecurity
Volume 29 (Fall 2004)
The events of September 11, 2001 brought the issue of security to
the forefront of western consciousness and caused it to loom large
over the American political landscape. Security would appear to
be an issue driven exclusively by the successes of international
terrorism. But is this really the case? Is it not true that western
societies nurture a fascination for security, which, in the final
analysis, stems from their profound sense of insecurity in the
modern world?
In an era of market restructuring, globalization, and the erosion of
geo-political landmarks that had become familiar to us since the
Second World War, are we not being assailed by a pervasive sense
of anomie that could lead to an abiding sense of insecurity?
On the other hand, have not a number of social and “identitarian”
movements made great strides in recent years, in effect
challenging the myriad forms of insecurity to which traditional
norms and values had subjected them? In what way would this
dialectic between security and insecurity manifest itself in Canada
in the 21st century, and more particularly in those areas whose
scope extends beyond the “war on terrorism?”
The IJCS invites submissions that deal with this question within
the following frameworks: politics, the social sciences, the
communication sciences, the arts, literature and any other relevant
discipline.
Kindly submit your paper (including an abstract of 100 words or
less) before April 1, 2004 to the IJCS Secretariat, 75 Albert Street,
Suite 908, Ottawa, Canada, K1P 5E7. Tel: (613) 789- 7834; Fax:
(613) 789-7830. E-mail: [email protected].
REVUE INTERNATIONALE D’ÉTUDES CANADIENNES
Appel de textes
Sécurité / Insécurité
Numéro 29 (automne 2004)
Les événements du 11 septembre 2001 ont fait de la sécurité le
thème dominant des sociétés occidentales et, en particulier,
l’aspect principal de la politique américaine. La sécurité apparaît
donc comme un thème accentué uniquement par les réussites du
terrorisme international. Mais est-ce si sûr? N’y a-t-il pas dans les
sociétés occidentales une fascination pour la sécurité qui est au
fond provoquée par la profonde insécurité du monde moderne?
Dans le contexte de ce nouveau siècle de restructuration et de
globalisation des marchés, ainsi que d’érosion et de perte des
points de répère en place depuis la fin de la Deuxième Guerre
mondiale, nous retrouverions-nous devant une impression
générale d’anomie qui pourrait conduire à un profond sentiment
d’insécurité?
En revanche, n’est-il pas le cas que certains mouvements sociaux
et identitaires ont réalisé des gains importants au cours des années
récentes qui les sécurisent vis-à-vis des normes traditonnelles
ébranlées par la (post)modernité? Quelles seraient, justement, au
Canada, les manifestations de cette dialectique entre la sécurité et
l’insécurité au 21e siècle, par ailleurs dans des domaines qui
débordent largement la seule dimension de la lutte au
“terrorisme?”
La RIEC invite des soumissions qui s’adressent à cette problématique du point de vue de la politique et des sciences sociales, des
sciences de la communication, des arts, de la littérature et toute
autre perspective pertinente.
S.v.p. faire parvenir votre texte (y compris un résumé de 100 mots
max.) d’ici le 1er avril 2004 au secrétariat de la RIÉC : 75, rue
Albert, S-908, Ottawa, Canada, K1P 5E7. Tél. : (613) 789-7834;
télécopieur : (613) 789-7830; courriel : [email protected].
INTERNATIONAL JOURNAL OF CANADIAN STUDIES
Call for Open Topic Articles
The Editorial Board of the IJCS has decided to broaden the format of the
Journal. While each future issue of the IJCS will include a set of articles
addressing a given theme, as in the past, it will also include several articles
that do not do so. Beyond heightening the general interest of each issue, this
change should also facilitate participation in the Journal by the international
community of Canadianists.
Accordingly, the Editorial Board welcomes manuscripts on any topic in the
study of Canada. As in the past, all submissions must undergo peer review.
Final decisions regarding publication are made by the Editorial Board.
Often, accepted articles need to undergo some revision. The IJCS
undertakes that upon receiving a satisfactorily revised version of a
submission that it has accepted for publication, it will make every effort to
ensure that the article appears in the next regular issue of the Journal.
Please forward paper and abstract (one hundred words) to the IJCS at the
following address: 75 Albert, S-908, Ottawa, Ontario K1P 5E7. Fax:
(613) 789-7830; e-mail: [email protected].
REVUE INTERNATIONALE D’ÉTUDES CANADIENNES
Soumission d’articles hors-thèmes
La Revue internationale d’études canadiennes a adopté une politique visant
à modifier quelque peu son format. En effet, la Revue continuera à offrir une
série d’articles portant sur un thème retenu, mais dorénavant elle publiera
aussi des articles hors-thèmes.
Le Comité de rédaction examinera donc toute soumission qui porte sur un
sujet relié aux études canadiennes indépendamment du thème retenu. Bien
entendu comme toute soumission, celle-ci fera l’objet d’une évaluation par
pairs. La décision finale concernant la publication d’un texte est rendue par
le Comité de rédaction. Une décision d’accepter de publier un texte est
souvent accompagnée d’une demande de révision. Une fois qu’elle aura
reçu une version révisée qu’elle jugera acceptable, la Revue essaiera, dans
la mesure du possible, d’inclure cet article dans le numéro suivant la date
d’acceptation finale.
S.v.p. faire parvenir votre texte et un résumé (100 mots maximum) au
Secrétariat de la RIÉC : 75, rue Albert, bureau 908, Ottawa, Canada,
K1P 5E7. Téléc. : (613) 789-7830; courriel : [email protected].
INTERNATIONAL JOURNAL OF CANADIAN STUDIES
REVUE INTERNATIONALE D’ÉTUDES CANADIENNES
SUBSCRIPTION/ABONNEMENT
Rates per year (for subscriptions in Canada, please add 7 % GST; for subscriptions outside
Canada, please add 5 dollars)/Tarif par année (au Canada, prière d’ajouter 7 p. 100
de TPS; les abonnés à l’étranger prièrent d’ajouter 5 dollars:
$40
$30
$25
$20
Institutions
Regular subscription/abonnement régulier
Members of associations affiliated with the Learned Societies/membres des associations
affiliées aux Sociétés savantes
Members of ICCS Associations, retirees or students, include proof/membres des
associations du CIEC, retraités ou étudiants, joindre une preuve
Please indicate year of subscription/Veuillez indiquer l’année d’abonnement désirée :
1997
1998
1999
2000
2001
2002
2003
2004
No15
No 16
No17
No 18
No19
No 20
No 21
No 22
No 23
No 24
No 25
No 26
No 27
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No 30
Time, Space and Place/Le temps, l’espace et le lieu
Nationalism and Globalization/Nationalisme et mondialisation
Representation/La représentation
Diaspora and Exile / La diaspora et l’exil
Articles from Foreign Canadian Studies Journals / Articles de revues
d’études canadiennes à l’étranger
Rebellion and Resistance / Rébellion et résistance
Sexuality / La sexualité
Canada and the World in the Twentieth Century / Le Canada et le monde
au XXe siècle
Spirituality, Faith, Belief / Spiritualité, foi et croyance
Territory(ies) / Territoire(s)
Post-Canada
Performing Canada / Le Canada mis en scène
Transculturalisms / Les transferts culturels
Health and Well-Being in Canada / La santé et le bien-être au Canada
Security - Insecurity / Sécurité - Insécurité
The North / Le Nord
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