Fatima- BRAHMI DOC FR - Université Abou Bekr Belkaid Tlemcen
Transcription
Fatima- BRAHMI DOC FR - Université Abou Bekr Belkaid Tlemcen
REPUBLIQUE ALGERIENNE DEMOCRATIQUE ET POPULAIRE Ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique REPUBLIQUE la rech erch e scien tif iq ue U n iversité A bou Bakr Belkaïd de Tlemce n Faculté des L ett res e t des lan gues Départemen t des lan gues étran gèr es. Sec tion : Fran çais. Écol e D oct oral e de Françai s - Pôl e O uest A nt enne de Tl emcen Thèse en vue de l 'o bt e nt i on du D oct orat Spécialité : Scien ce s des textes l ittéraires Dupin de Poe, Lecoq de Gaboriau et Holmes de Doyle: Trois héros-détectives examinés sous la loupe comparatiste P résen tée par : Sous la co directio n de : Fat i ma BRA H MI - M. Mohammed H AD JAD J -A OU L - M m e . Chri st i ne Q U EFFELEC Th èse souten ue p ubl iq uemen t devan t le jury com posé de : B oum edi ene B ENMOUSSAT Pr of esseur U. T l emcen Pr ési dent Moham m ed H ADJAD J - AO UL M.C.A U. T l emcen Co -r appor t eur Chri st i ne Q UEFF ELEC Pr of esseur U. L yon2 Co -r appor t eur Rahm ouna MEH ADJ I Pr of esseur U. d’ Esseni a, Or an Exa mi nat r i ce Abdel j l i l MO STEF AO UI Pr of esseur U. T l emcen Exa mi nat eur P hi li ppe GO UDEY M.C.F ( HDR) U. L yon2 Exa mi nat eur ALGERIENNE DEMOCRATIQUE ET POPULAIRE Année universitaire : 2012 / 2013 À la mémoire de ma très chère sœur Souhila À celui qui m’a transmis sa passion pour les études et la recherche, mon très cher père À ma très chère maman, mon adorable fille, mon frère et mes sœurs À toi chère amie Souad Remerciements Mes plus sincères remerciements à : Mr Mohammed Hadjadj -Aoul et à Mme Christine Queffelec pour avoir accepté de diriger mon travail, pour leurs précieuses instruc tions et remarques. Je les remercie également pour leurs critiques pertinentes et fructueuses qui m’ont permis de donner le meilleur de moi -même. Mr Boumediene Benmoussat pour ses encouragements qui ont pu me pousser à en arriver au terme de mes recherches. Tous les membres du jury qui ont accepté d’évaluer ce modeste travail. Pour mes amies Souad et Nassima qui ont supporté mes crises et ma mauvaise humeur de thésarde en phase terminale. Guide de lecture 1 ) C orpu s d’ét u de Nous f ai sons r éfér ence dans not r e t hèse à un cor pus de r omans et nouvel l es pr ovenant de s sour ces sui vant es : Edgar Allan Poe Double Assassinat dans la rue Morgue (The Murder in the Rue Morgue), et La Lettre volée (The Purloined Letter) : Petits classiques. Larousse, 1999. Le Mystère de Marie Roget (The Mystery of Marie Roget) : URL : http://www.ebooksgratuits.com/pdf/poe_histoires_grotesques_et_serieuses.pdf Émile Gaboriau Le Crime d’Orcival : éd. Masque, 2005. Le Dossier 113 : URL : http://www.ebooksgratuits.com/pdf/gaboriau_dossier_113.pdf Monsieur Lecoq : URL : http://www.ebooksgratuits.com/pdf/gaboriau_monsieur_lecoq.pdf Arthur Conan Doyle Les Aventures de Sherlock Holmes, Volume1, Omnibus, Paris, 2005. Les Aventures de Sherlock Holmes, Volume2, Omnibus, Paris, 2006. Les Aventures de Sherlock Holmes, Volume3, Omnibus, Paris, 2007. Nous nous cont ent er ons donc, t out au l ong de ce tr avai l , de ne ci t er que l e nom de l ’ aut eur , l e t i t r e de l ’ œuvr e ai nsi que l a page. ( Les r éf ér ences compl èt es sont données en bi bl i ogr aphi e) . Pour l es aut res publ icat i ons qui ne r el èvent pas du cor pus d’ ét ude , nous en donner ons l a r éf érence compl èt e dans l es not es. 2) La lettrine La l et t ri ne est ut i li sée pour mar quer vi suel lement l es i nt r oducti ons et l es concl usi ons qu’ el les soi ent part i ell es ou génér al es . Le long de ces rues sordides, un homme doit se risquer, un homme sans compromission, désintéressé, courageux. Dans ces sortes d’histoires, voilà ce que doit être le détective. Il est le héros, il est le pivot du roman. Il faut qu’il soit un homme complet, un homme comme les autres ; et pourtant différent. Il doit être, pour employer une formule bien usée, un homme d’honneur par instinct, inévitablement, sans qu’il y pense, et surtout sans qu’il le dise. Raymond Chandler Introduction Int roduct i on R elevant, dès son apparition, d’une classi fication p eu valorisant e, l e genre polici er est longt emps exclu du champ de l a « vrai e » lit térature. Conan Doyl e n’a -t-il pas l ui -mêm e, maintes fois déclaré son aversion, ou tout au m oins son agacem ent à l’égard de cette partie de son œuvre qu’il considérait comme secondai re et qui le détournait de ses meilleures œuvres, entendant par l à ses romans hi storiques ? Les premiers récits à éni gme apparai ssent pourtant dans la littérat ure légitim e, l’intri gue poli cière i rri gue depuis son origine le roman t raditi onnel: que l’on pense à Hugo Les misérabl es, à Balzac Une t énébreuse affaire , ou encore à Dostoï ewsk i Crime et Châtiment. De toute faço n, qu’on dét ect e son ori gine dans « OedipeRoi » ou dans « Zadig », il est indéniable que le rom an pol icier n’a pas à rougi r de s es parents ; ainsi que l a remarque J. Duboi s dans Le Roman poli cier ou l a modernit é : la thématique poli cière se met en place dès le rom anti sme. La particul arit é qui rend au rom an policier son st atut recommandabl e est due au fait m ême que ce genre est jugé , non sans légèret é, comme une littérature de second ordre. C 'est assurém ent cett e situation du genre en dehors (ou à côté) de la « grande » littérat ure qui a contribué à son succès auprès des cl asses moyennes puisque le dével oppem ent du genre poli cier a c oïnci dé historiquement avec cel ui de ces classes et avec l e tri omphe de leur goût ; et tout ce qui a renforcé sa m auvaise réputati on aux yeux des critiques, a, au contraire, assuré son succès auprès du public. Les études sur la littérat ure popul aire ont mo ntré que ce sont surtout les genres dits mi neurs qui refl ètent et écl airent, d'une façon très critique et imm édiate, la situation hist orique, politique et social e d'une nation et de son peupl e. 2 Int roduct i on C’est égal ement un genre qui a réussi un m él ange rem arquabl eme nt délicat entre l e réalisme et le romanesque. Le fait le plus habituel de la vie de tous les jours peut prendre une dimension extraordi naire. C ’est une quête continuell e et i ncessant e d’ori gi nalit é, l’objet des innovati ons l es plus audacieuses et les plus excentri ques. Chaque public détient par conséquent son propre rom an policier. Le genre poli cier a de quoi sédui re l e lect eur : récit à suspens e, intri gue condensée, plaisir de l’enquête, description s précises et claires, sensations fortes, angoisse et f risson, sans parler de l’aspect épisodiquement divertissant li é au bi enfait de cett e salut aire évasion du lecteur. Il faut aussi relever de grands thèm es qui appartiennent à un imagi nai re coll ectif : la lutte entre l es forces du Bien et du Mal , le mani chéi sme des valeurs, l ’espoir en un héros prom éthéen capabl e de redresser les tort s causés par les m échants ou une soci été injuste, la persécution de l’innocence, l ’import ance que revêt la vengeance ou la récompense, etc. Il sembl e bien qu’il s’agisse d’unités thématiques fortes de l’i nconsci ent col lectif que l e genre polici er réactiverait sans cesse . Encore, faut -il rappeler que le crime est éternel et fait parti e de l’homm e , et ce depuis le premier crim e recensé de l ’hum ani té : Caïn tuant son frère Abel 1, ce qui a rend u le genre policier inépuisable et a apport é la possibilit é de créer des séri es, p rocurant un climat d’att ente tout en fidélisant l e lect eur. Le genre polici er puise sa séducti on égal ement dans le personnage de l’enquêteur. Pour que l ’histoire p oli cière soit réussi e, l’enquêt e se doit d’être judi cieusem ent menée, par l a seule rigueur de la logique. Or, cett e enquête doit se faire le récept acl e de toute la puissance intell ectuelle de l ’enquêt eur. Ceci est parti culièrement vrai 1 Motif brillamment traité par l’auteur des Misérables dans un poème de La légende des siècles. 3 Int roduct i on dans la forme t radit ionnelle et classique du genre où le personnage cent ral est en position d’ investi gateur . Il n’est pas un simple personnage, il est un être puissant et une tête pensante qui fait avancer l’enqu êt e, et par là m ême l e roman ; par la seul e force de s a réfl exion. L’enquêt eur du roman poli cier cl assique nous paraît, ph ysiquem ent aussi bien que m ental em ent, doté de si gnes distinctifs qui le rendent crédible. Il est, de ce fait, presque un êt re réel. Le personnage du détective occupe une place important e dans la form e et l e contenu de l’histoire poli cière classique, et bénéfici e d'une att ention part iculière de l'aut eur. C’est à partir de Double Assassinat dans la rue Morgue , qu’il devient l 'élém ent pri ncipal et ori ginal de l 'hi stoire du crime ; place auparavant occ upée par le personnage du crim inel. Il est di ffi cil e de décrire exact ement le statut littérai re du héros -détective, car il n’a pas d’équivalent ni d’homologue d ans tout autre genre de fiction. Plus que cela , il représent e dans l a plupart des cas l 'expressi on de la personnalité de l'auteur lui -mêm e ai nsi que l a reproducti on de ses idées. Le dét ective, héros du genre polici er, se démarque de celui du « héros justici er », qui constituait une des fi gures cl efs du roman populai re (L es Misérables de Vi ctor Hugo, Les Mystères de Paris d’Eugène Sue). C e derni er ét ait personnellem ent impliqué dans l e dram e et luttait cont re un adversai re présent jusqu’à ce que l ’ordre de la justice soit rétabl i, au nom du Bien. Le détective est un e xpert de la technique d’enquête. I l est extéri eur au dram e et porte un regard lucide et distancié sur les événements . La police d’Ét at a certes fourni des noms illustres, qui appartiennent à la vi e et à l’Hi stoire, et dont la litt érature s’est parfois emparée. Le personnage étonnant de Vidocq, ancien bagnard devenu chef de la Sûret é à P aris (mais qui avait aussi créé sa police parall èle), a connu Balzac, qui l’a 4 Int roduct i on immortalisé sous l e nom de Vautrin 2, et Victor Hugo s’en est souvenu aussi bien pour Javert que pour Jean Valjean 3. Mais le détec tive amateur qui résout toujours l es éni gm es les pl us complexes est une création de la fiction, et Poe en est l’incontest abl e initiateur. Jusqu’à nos jours, il est possible d ’observer son i nfluence. Le héros -détective comme nouveau personnage surgissant au XIX e si ècl e, est devenu la plus grande fi gure m arquant e de l a littérat ure policière. C’est le héros infaillible celui qui voi t par le raisonnem ent ce que les aut res ne devi nent pas, le sauveur sur qui tous les espoi rs se fond ent. Dans l a présente étude, nous avons jet é notre dévolu sur le chevali er August e Dupin, Monsi eur Lecoq et Sherlock Holmes, trois héros -dét ectives, qui seront décrits, interrogés, anal ysés et comparés. En un mot, ils s eront scrutés à la loupe à travers troi s expériences de création, c ell es d’Edgar All an Poe, d’Émile Gabori au et d’Arthur Conan Do yl e . La motivation qui nous a conduit e au choix du sujet, rel ève tout d’abord d’un intérêt personnel, provenant de l’att rait qu’exerce sur nous l e roman poli cier. Le suspens qui nous t enait en h alei ne, l e j eu intellectuel, not re goût pour l e m yst ère et la détection policière sont autant de fact eurs qui se sont emparés de notre goût , en tant que lectri ce admiratrice des aventures de Sherlock Holm es. C et intérêt est égal ement li é à la présentation d’un m émoire de magist ère, a yant été soutenu en 2007. Dans ce travail qui traitait de la morali té et de l’immoralit é dans le roman poli cier chez Émile Gabori au, nous avons été am enée à m ettre en évi dence, avec i llustration à l’appui , le fait 2 Balzac, lecteur de Vidocq, le rencontra à de multiples occasions et s’en inspira pour créer le personnage de Vautrin qu’on retrouve dans Le père Goriot, dans Les illusions perdues et dans Splendeurs et misères des courtisanes. 3 Par sa connaissance de Vidocq en 1849 au moment de la rédaction des Misérables, Hugo le dédouble à travers les personnages antagonistes de Jean Valjean, ancien bagnard, et du policier Javert. 5 Int roduct i on que l e genre p oli cier jouit de droit de cité dans l es universités les plus réputées, en égard à bon nombre d’études académiques. Si le choix du genre polici er ét ait guidé par une motivation personnell e, celui des personnages relève plutôt d’un intérêt scienti fique. En e ffet, C’est à Edgar Allan Poe que l ’ on doit la création du personnage de l’enquêteur, le chevalier August e Dupin, un pur produit du rationalisme sci enti fique et positiviste dont le créat eur fut, en son temps, l ’un des plus fervents apologi stes. Sur l es traces de l’écrivain américain et de son enquêt eur, Émil e Gabori au, feuill etoniste français, parvi ent à dével opper la formul e inaugurée vingt ans plus tôt par Poe, en transposant le récit d’éni gme au cadre romanesque. Contrairement au personnage de Poe, Monsi eur Lecoq, l’enquêt eur mis en scène par Gabori au est poli cier et devi ent, de ce fait, le « premi er policier p rofessi onnel de l’histoi re de la littérature polici ère » 4. Dans la continuité de ces deux prem iers pas, un troisi ème s’accomplit ; sans en avoir ét é l ’insti gateur, Arthur Conan Do yl e porte le t ype du détect ive am ateur surdoué à son apogée. Véritabl e m ythe, son inoubliable Sherl ock Holmes devient plus célèbre que son créat eur. Ainsi, Poe, Gabori au et Do yl e doivent une t rès grande part ie de leur gloi re à leurs h éros -dét ectives qui continuent à sédui re, jusqu’à nos jours, un large l ectorat . Géni es de l a déduction, doués d’un don d’observation exceptionnel, d’une minutie frisant la m aniaquerie, courtoi s et ri goureux à l’extrêm e, mais extravagants et plei ns de bizarreri es : t el est le profil de nos dét ectives. Depuis l a création des fi gures du cheval ier Dupin, de Monsi eur Lecoq et de Sherlock Holm es, l es personnages de dét ectives se sont multipliés dans la littérat ure poli cière. Nos dét ectives ne cesseront 4 J. Baudou, J-J. Schléret (dir.), Le Polar, Larousse, Collection « Guide Totem », Paris, 2001, p. 214. 6 Int roduct i on de projet er leur om bre sur leurs émules, a yant droit à une l ongue et brillant e li gnée de disciples : Arsène Lupin(1905), le père Brown (1910), Roul etabill e (1907), Hercule P oirot (1920), Miss Marpl e (1930), Jules Maigret (19 31), etc., pour ne citer que ceux -là. trois fait détectives adapt ations : ont égalem ent lit téraires, l’objet théâtrales, de Les nombreuses tél évisuelles et ciném atographi ques. Dupin, Lecoq et Hol mes apparti ennent à la période fondat rice du genre poli cier, c'est -à-dire approximativeme nt l es six derni ères décenni es du X IX e et le début du XX e si ècl e. C’est en effet l’époque de la naissance et de l’évolution la plus signifi cative , non seulem ent du genre mais surt out du personnage policier, qu e nous comptons anal yser au cours de notre trav ail. De pl us, s’impose une dél imitation d’un champ d’études qui serait devenu trop vaste : depuis le XXe siècl e, s’est amorcée une évolution don t on n’est pas à même de percevoir l ’aboutissement, à l ’heure où nous écrivons ces li gnes. La probl ématique prin cipal e de notre recherche quant à elle est de comprendre comment nos trois héros -détectives avaient pu marquer l e genre policier, tout en rest ant distincts. Nous voudrons égal ement saisi r en quoi réside l’ori ginalité de chacun de leurs créat eurs, et si ces derni ers entretiennent des rapports d’influence, d’inspiration , d’emprunt voi re d’imitati on les uns avec les autres. La résoluti on de notre probl émati que consist e à répondre en amont aux interrogations suivantes : Comment nos auteu rs imposent -ils l'im age de l eur héros, quelle fonction est attribuée à ces derni ers et quelles sont l es val eurs dont ils sont l es supports ? 7 Int roduct i on Quelles stratégi es déploient nos auteurs pour doter leurs personnages d’une épaisseur humaine, et leur donnant l’illusion de l a vie ? En d’aut res termes comm ent ces héros -dét ectives ont pu dépasser le cadre fi ctionnel, et exister en dehors des textes comme des êtres agi ssant et vivant dans un monde réel? L’aut eur polici er ne met j amais fin à la vi e de son héros dans l’hist oire , il est invulnérabl e, il revient à chaque production avec les mêm es trait s de caractère et l es mêmes qualit és et défauts, si toutefois nous consi dérons ce héros comme une personne réell e. De ce fait, l’i nvulnérabilité du héros -dét ective est-elle exaspéran t e d’invraisemblance, et conditionne -t -ell e, par là, l’i denti fi cation du lect eur au héros, ou au contraire, l e héros invulnérable rassure -t -il ce lect eur rendu inquiet par le crim e et le criminel ? Au-delà d’un siècl e et demi, l e plaisir procuré par la lecture des aventures poli cières de nos héros -dét ectives , demeure intact. Qu’est -ce qui suscit e donc un tel engouement toujours renouvel é? En quoi réside leur ori ginalité qui ne cesse de nous interpeller et de nous sédui re ? Le p résent travail met en pa rall èle Dupin, Lecoq et Hol mes, trois héros -dét ectives portant chacun l a marque personnel le de son créat eur. En exami nant les liens qui unissent ou séparent ces personnages , not re objecti f de recherche consist e à mett re en lumière l’apport ori ginal de chaque aut eur à l a création du personnage du détective dans la lit térature polici ère, voire son apport à la création du genre polici er. Pour le cor pus signal ons que le héros récurrent est une composante constant e de l ’écriture de P oe, de Gabori au et de Do yle. Cela rel ève d’un choix éditorial qui perm et de fidéliser l e lecteur qui 8 Int roduct i on aime ret rouver son héros familier, sui vre ses aventures et pénétrer sa vie. Nos aut eurs ont fait évoluer leurs personnages, au cours de leurs différents écrits poli ciers, personnages qui ne sont donc pas invent és d’un bloc, m ais construits au fil des récit s. Dans cett e perspective, notre étude suppose avant tout, un corpus riche t ant quantitativement que qualit ativem ent. Il s'agi ra pour nous, de partici per à une lisibilité plus clai re et plus poi ntue par la comparaison des personnages dans les œuvres choisi es. À cett e fin, nous avons examiné pendant deux années de lecture tous les écrits policiers des t rois auteurs. La t âche a ét é d’abord, relativem ent aisée pour August e Dupi n puisqu’il ne fi gure que dans trois nouvell es, moins facil e, ensuit e, pour Monsi eur Lecoq qui apparaît dans cinq romans, enfin di ffi cile voi re ardue pour Sherlock Holm es , h éros de quatre romans et cinquante -six nouvel les . Devant donc délimiter notre corpus, la sélec tion s’est organi sée autour d’un trait majeur: repérer ce qui réunit ou sépare l es trois personnages s el on un filtre sémi ologique concernant leur être, leur savoir, leur faire et leur hi érarchi e. Nous avons procédé par une pré anal yse, cell e de repérer le s passages spécifiques où s'élabore l e personnage. Nous avons ai nsi distingué deux processus de composition: les processus cumulati fs par lesquels l 'aut eur transmet de nouvell es informations qui complèt ent ou modifient le personnage et les processus de ré pétition ou de renvoi par lesquels l’aut eur rappelle ce qu’est l e personnage, ce qu’il sait, ce qu’il fait. Nous nous somm es donc i ntéressée aux premi ers processus et n’avons ainsi sélectionné que les écrits cont enant du nouveau sur nos personnages. Le présent travail va s’appu yer sur un corpus com posé des t rois nouvell es d’Edgar Allan Poe, de t rois romans d’Émile Gaboriau et de trois rom ans et qui nze nouvelles d’Art hur Conan Do yl e. Il nous a 9 Int roduct i on semblé excessif d'i ntégrer d’autres écrits à un corpus qui est d éjà important; nous nous sommes néanmoi ns servie de certains extrait s de ces écrits – extérieurs donc au corpus - pour enri chi r et combler des zones d’ombre de notre anal yse. Pour ce qui est de la méthodologi e de notre recherche, il faut dire qu’anal yser le personnage du détective est une entreprise tentant e bi en que délicate à conduire , car l’opération peut êt re abordée de bien des manières. P our rester dans l’objectif fixé dès l’intitulé de cett e thèse qui se veut com paratiste, il serait possible de mieux le réaliser en confrontant les troi s personnages à des niveaux différents de leur construction . L’identi té, les port raits, les actions, les paroles, les rapports avec l es aut res personnages ainsi qu’avec l es créat eurs, sont aut ant d’él éments pertinents p our notre anal yse . Notre étude com parative comport e différentes approches complém ent aires, qui paraissent êt re en accord avec l ’objectif principal de cett e recherche. La sémi ologie en t ant que procédé de décr ypt age des si gnes, nous fera personnage. prêt er une at tention particulière au si gnifiant No us nous inspirerons donc d es travaux de du Philippe Hamon qui propose trois champs d'anal yse : « l’être », « l e faire » et « l 'im port ance hiérarchique » du personnage. En revanche , nous ne pouvons nous ranger à l ’avis de Ham on, quand il propose de n e considérer l e personnage que comm e un être de papier, dont le seul rôle est de remplir une fonction textuell e. Hamon s’en prend à l’ idée de l’illusion romanesque qui prend le personnage pour un être réel , il affi rme, en citant Paul Valér y, qu’il s’agit de « superstitions littérai res ». Certes, la sémiologi e nous sera d'un apport inestimable, mais une approche du personnage uniquement textuell e serait de façon absolue difficilement tenabl e , dans la m esure où tout 10 Int roduct i on personnage se crée et évolue en référence à un monde extérieur ou à une réalité. Le contexte t extuel s’insère dans une di mension plus l arge, cell e de l’époque, de l a sociét é, d e l’Histoire et de la culture. S ans oublier que l a const ructi on d’un personnage dépend égal ement du lecteur (auquel nous nous i de ntifions) qui l e met en rapport avec ses propres expériences réell es. Vincent Jouve propose de poser la question « qu’est-ce qu e le personnage pou r le lecteu r ?». Le t héori cien réhabilite ainsi une approche qui prend en compt e le hors -t exte, qui est à la fois l e lieu d’une expérience de lecture et l e monde auquel le personnage réfère. Par conséquent, chaque trait, ph ysique, moral ou ps ychologique, chaque comportem ent ou parole, qui dans le réel rendrait une personne s ympat hique ou antipathique, aurait , dans l’univers rom anesque, le même effet pour le lect eur . C’est dans cett e perspective que l e rapport « personnage/ personne » aura toute s a valeur, et rend possi ble une diversit é d’anal yses. Le roman polici er évoque un monde particuli e r, m ais il révèle aussi, m ême si c’est de façon indirecte, le contexte général dans lequel l’ œuvre a ét é conçue et écrit e, contexte transposé dans le t exte avec plus ou moins de précision, plus ou moins d’omissions ou de fluctuations quand ce ne sont pas des altérations . Les contextes socio-historique et culturel se reconnaissent inévitabl ement dans celui de l’i ntri gue policière, aidant à saisir l a quo tidi ennet é et l es personnages qui l a composent. C ’est surtout par l e regard spéci fique et filtrant de l’enquêteur que le monde e s t présenté au lect eur. Il faut donc s’int éresser de près à ce personnage qui mène l’enquêt e, qui révèle autrement et à sa mani ère la sociét é, en en proposant un tableau parti culier. Il conviendra donc de faire appel à une approche multidisciplinaire, ressembl ant de très près à cell e dont on se sert 11 Int roduct i on pour anal yser l’êt re réel. Une approche où se croisent lit térature, sociologi e, h istoi re, psychologie et philosophie. En s’inscrivant dans le l’intertextualité va à son tour sillage de l’étude comparat ive, nous m ener à une comparaison plus approfondie de nos personnages. C’est une approche qui m et à notre disposition les out ils qui motivent tout chercheur intéressé par l’étude des écrits policiers, not amment les invariants du genre (personnages, éni gme, enquête, …), perm ettant entre autres, le repérage des stéréot ypes, l ’emprunt, l es écarts ou les pasti ches. Le personnage intertex tue l met en j eu deux concepts distincts: « le retour du personnage » et « l ’identité t rans -universell e » 5. Le premi er concept concerne les personnages qui reviennent dans les productions d’un mêm e aut eur, alors que le deuxième repose sur une base d’emprunt ex téri eure et plus large. C es deux concepts vont condui re l’évoluti on de notre recherche puisque, d’une part, notre corpus s’inscrit dans l e t ype sériel, mett ant en scène des héros récurrents , d’aut re part, apport er une réponse à la probl ématique des rapport s que peuvent entretenir nos t rois personnages entre eux. Les di fférentes app roches que nous proposons constitueront donc le fondement de notre étude comparative des trois héros détectives. Enfin, nous proposons un plan de recherche conçu de mani ère tripartite, s’articulant comme suit : Dans un premier chapitre de la première parti e intitulée « Au x ori gi nes du genre et du personnage pol ici er » nous rendrons compte des mom ents cl és de la genèse du genre policier. Nous nous sommes 5 Cité par Marie-Odile Pittin-Hédon, Alasdair Gray: marges et effets de miroirs, Ellug, Paris, 2004, p.324. 12 Int roduct i on fixé pour obj ecti f de mettre en évidence l’import ante place qu’occupe le genre dans l’hist oire de la littérature. Les étapes de sa naissance seront en fait le cadre d’un cheminem ent aboutissant à l’écl osion du personnage du détective. En ce sens, l a création et l’évol ution du héros poli cier se doit d e nous ent raîner à explorer l e terreau dans lequel il a dis crèt ement germ é. Nous suivrons ensuite l ’éclosion du héros-dét ective, t out en démont rant comment sont déjà mis en place un cert ain nombre de conditions qui vont p erm ettre plus tard son avance ascensionnelle . Dans l e second chapitre de cett e mêm e partie, nous présenterons « l es premi ers créat eurs », c'est -à-dire l es initiat eurs que sont nos trois auteurs, et leurs « premiers héros -dét ectives ». Nous apporterons tout d’abord un éclai rage sur certains aspects de la vie et des œuvres des t rois écrivains, sur l e cont exte dans lequel l eurs textes polici ers ét aient produits. Nous tenterons en fait de faire redécouvri r ces créateurs, qui ont su absorber la réalité de leur époque pour en faire de l a fi ction, et à qui l ’on doit la création du genre polici er et le personnage de l’enquêteur. En nous intéressant ensuite à l’i ntri gue poli cière, nous essa yerons de comprendre comment elle est construite par chacun de nos aut eurs , afi n de voir dans quell e m esure la st ructure narrat ive m et en avant l 'étude du personnage. Dans un second t emps , et avant de passer à l’anal yse comparati ve, nous ét ablirons un premi er contact avec les t roi s héros détectives, e n l es présent ant sommai rem ent . Nous cit erons é galem ent les adaptati ons les plus créatives dont nos personnages ont fait objet, dans l e but d’évaluer le degré de l eur popularit é. La deuxième partie intitulée « Le port rai t comm e syst èm e de si gnif icat i on» , va nous perm ettre de répondre à la question suivant e : comment et pourquoi , à t ravers leurs traits ph ysiques, moraux, intellectuels, et c., l es troi s héros -dét ectives peuvent nous marquer. 13 Int roduct i on Nous anal yserons comment nos auteurs procèdent à la qualificati on de leurs personnages. Nous t enterons de comprendre comment Poe, Gaboriau et Do yl e ont réussi à prêt er sentiments, réfl exion, intelli gence ou idiot ie à des « êt res de papier ». Nous exami nerons si le dét ail ph ysique n’est donné que comm e constituant du personnage, ou s’il est chargé de si gnifi er autre cho se que lui -m ême, en véhiculant des si gnes interprétabl es. Dupin, Lecoq et Holm es seront ainsi anal ysés d’après leur identit é, biographie, portrait ph ysique , comportem ents et attitudes mental es, et selon ce que ces élém ents s ymbolisent et m anifestent comm e valeurs et si gni fications. Nous nous consacrerons, dans l a troisième et derni ère partie intitulée « Un e nou velle typologi e d e l ’héroïsme », à l ’ét ude de l a t ypol ogie du dét ecti ve comme personnage héros. Nous examinerons ainsi l es élém ents qui font de nos d ét ectives des héros uniques et distincts. Nous com mencerons dans un premi e r chapit re par anal ys er leurs m éthodes d’i nvesti gation et leur savoir -faire professionnel. Notre but sera de démontrer que l ’aspect principal de la t ypol ogie héroïque de nos détectiv es réside dans leurs compétences et leur professionnalism e à mener une enquêt e policière. Dans l e deuxième chapit re de cett e ultim e partie, nous mettrons l ’accent sur les différents st atuts dont bénéfi cient Dupi n, Lecoq et Holmes, tels que leur statut prof essionnel, leur statut moral, ainsi qu e sur les rapports qu’ils entretiennent avec d’aut res personnages, et avec leur créateur . En définitive, l a somme des résult ats obtenus le l ong de notre étude comparative, fera l’objet de l a conclusion. 14 Première partie Genèse et naissance Premi ère part i e C ert es, c ’est au XIX siècle que l a plu part des auteurs qualifi és de « sérieux », firent naître l e récit poli cier. Il faut cependant se garder de réduire la naissance d’un genre à une innovation littéraire individuell e, alors qu’ell e es t le produit de processus historiques multiples et compl exe s. Puisque le t erm e « genre » t rouve son ét ymologi e dans le mot latin « genus » qui signi fie aussi « ori gine », cette parenté nous donnera l ’occasion de remont er aux ori gines de ce genre. Il est parfait ement légitim e de chercher des ancêt res au genre poli cier, car étudier la création et l’évolution du héros policier impose d’explorer le terreau dans l equel il a secrèt em ent germé. En revanche, il convi ent de le faire avec prudence et discernem ent, sa ns se j eter sur tout texte comport ant un crime ou une part de m ystère. Il en va de mêm e p our ce qui est de l’étude du personnage du détective, il n’est évidemment pas crée sans l e moindre antécédent . D’où une nécessit é de se demander qui sont ses ancêt res dont il cumulera l es qualités. Cela nous permet tra par la m ême occasion de comprendre comm ent sont déjà mis en place un cert ain nombre de conditions qui vont perm ettre plus t ard l ’avènem ent de ce personnage emblém atique. L’étude de l a genèse du genre et du personnage poli cier ne sera en fait que le cadre d’un cheminement aboutissant à fai re connaissance avec Edgar All an Poe, Émi le Gaboriau et Art hur Conan Do yle comm e prem iers créateurs, ainsi qu’avec l eurs personnages respecti fs Auguste Dupin, Monsieur Lecoq et Sherlock Holmes, comme l es premi ers héros -détectives et vérit abl es inst aurateurs du genre poli cier. 16 Chapitre I Aux origines du genre et du personnage policier Première partie. Chapitre I Aux origines du genre et du personnage policier I- Les origines du genre : Approche synthétique et historique . Nous parl ons de « roman polici er » pour utiliser l ’étiquett e la plus communém ent admise. Mais cett e dénomination ne correspond pas exactem ent à notre étude, aussi avons -nous opté po ur le term e « récit » plut ôt que pour « roman », D’autant pl us que nous avons jeté not re dévolu sur un corpus vari é composé de rom ans et de nouvell es. 1. Les origines littéraires 1.1. La littérature d’énigme La litt érature d’éni gme se greffe sur une longue t radition, celle de l a littérat ure cri minelle, dont l es aspects les plus anciens relèvent de l a m ythologie et de l’histoire. Légendes de C ronos ou des Atrides , meurt re d’Abel par Caïn, ……, les exemples sont multiples. Ce qui caractérise tous les crimes ainsi cont és, c’est l’absence de m yst ère. Nous y somm es des témoins, inst ruits de tous les faits et gestes, de l’innocence des vi ctimes, de l a sauvagerie ou de l a ruse des coupables. Mêm e chose quand Térée viole et mutile Philom ène, dans les Métamorphoses d’Ovide, ou quand, dans La Légende dorée de J acques de Voragine, Sainte Marguerit e est injustem ent accusée et soumise à la réclusi on . Pour nous, il n’y a pas de pl ace au doute : l e « suspense » existe à t ravers deux questions : com m ent l a véri t é écl at era- t - el l e ? Com m ent l es m échant s seront - il s puni s ? C’est ce schém a, ce sont ces interrogations qui se ret rouveront , pl us tard, dans tout e l a l ittérat ure criminelle . 18 Première partie. Chapitre I Aux origines du genre et du personnage policier 1.2. La tragédie grecqu e Dans la tragédie grecque, chez Sophocle en parti culier, on pourrait penser que les meurtres et la recherche du ou des coupabl es, préfi gurent le récit policier. Si nous avons évoqué l e dram e grec, on pourrait égalem ent faire référence au t héât re élisabét hain qui n’est pas spéci al ement avare en cadavres et en meurtres pour l a conquête du pouvoi r. Or, une « mort violent e » ou un délit ne perm ettent pas d’assimil er n’importe quell e œuvre à un récit poli cier. Le crime donc, ne pouvait êt r e l’uni que critère pour la naissance du genre. 1.3. Le Zadig de Vol taire Le premier « vrai » récit polici er ne serait -il pas Zadi g de Voltaire 6 ? Nombreux sont les critiques 7 qui ont affirm é que l e chapit re III de Zadi g est la premi ère hist oire de détective connue. P ar ailleurs, Régis Messac est convaincu que : [ …] le suj et de cett e part ie [ chapit re III] du rom an n’ est pas de l ’ i nventi on de Vol t ai re, et que Zadi g a eu des dev anci ers. [ …] l ’ édi t ion Mol and nous avert i t que l ’ Année l i tt érai re ( 1767, t om eI, p. 145- 158) accuse Vol t ai re de s’êt re i nspi ré du cheval i er de Mail l y, aut eur anonym e de Le voyage et l es avent ures des t roi s pri nces de Sarendi p, t radui ts du persan . 8 6 L’étude de Zadig comme prototype du personnage du détective sera développé dans ce même chapitre. Voir infra p.48 7 Par exemple Dr Locard, Policiers de roman et de laboratoire (p. 19-20) ; Léon Lemonnier, Mercure de France (1925), Franck Blighton, Flynn’s Magazine (1924). 8 Régis Messac, Le « Detective Novel» et l’influence de la pensée scientifique, éd. Encrage, collection « Travaux », Paris, 2011, p. 37. 19 Première partie. Chapitre I Aux origines du genre et du personnage policier Or, dans son étude intitulée Voltaire’s Roman Zadig , Wilhelm Seele nous fait savoir que l e ch evalier de Maill y n’avait pas plus de droits que Volt aire à se dire l’inventeur de cett e fable. Seele nous indique une source arabe : Les Mil le et Une Nuits . D’autres chercheurs ont mis en reli ef plusieurs t extes juifs qui correspondent, à quel ques variant es près, aux aventures des t rois pri nces de Sarendip. On est donc incapabl e d’être fixé sur les véritables ancêtres de Zadi g. S eront -ils en définiti ve arabes, persans, hébreux ? Ou bien va -t-on leur trouver encore une autre ori gine, demeurée jusqu’i ci inco nnue ? 1.4. Le roman gothique Il est impossible de nier l a contribution apportée à l a littérat ure policière, au moins par l e climat et pour cert ains décors, par ce qu’on appell e en France l es rom ans « noirs » - « gothiques » - du XVIII e siècl e, un phénom ène qui remont e à 1794, avec la traduction du Moine de Lewis 9 et ensuite des Myst ères d’Udol phe d’Ann R adcliffe 10 et du château d’Otrante d’Horace Walpole 11. Ces « romans de terreur » qui introduisent les thèm es de la sect e, de la bande hors -l aloi bravant la socié té, mettent en scène des forfaits comm is contre l’intérêt général et s’attirent les faveurs d’un large public. Ils utilisent égalem ent tout un attirail d’él éments destinés à semer la terreur, ingrédients que nous ret rouverons plus t ard dans plusieurs séri es polici ères comme les « Rocam bole », les « Arsène Lupin », et dans l es romans de Gaboriau. 9 Mathew Gregory Lewis (1775-1818), romancier et dramaturge anglais. 10 Ann Radcliffe, née Ward (1764-1823) romancière britannique, pionnière du roman gothique. 11 Horatio Walpole ou Horace Walpole (1717-1797), 4e comte d’Orford, fils de Robert Walpole, est un homme politique écrivain et esthète britannique. Il a écrit Le château d’Otrante, qui a lancé la vogue du roman noir. 20 Première partie. Chapitre I Aux origines du genre et du personnage policier 1.5. Chroniques du cri me Plus évident encore est le poids des « chroniques du crim e et des criminels » qu’on voit apparaître en France, comme en Angl eterre et en Espagne, dès l a fin du XV II e si ècl e, et qui connaîtront un dével oppem ent et une audience popul aire parti culièrem ent considérables au XVIII e si ècl e. Largem ent di ffusées par l es m archands des rues et les colport eurs, ces chroniques, publi ées sous formes de brochu res ou d’alm anachs, avai ent le double effet d’attirer l’attention sur les crimes et les criminels en vogue et de livrer des détails – souvent déformés et dém esurém ent grossis – sur la façon dont les seconds avai ent perpétré l es premi ers. Mais c’est aussi l ’époque où quelques grands écrivains commencent à se pencher séri eusement sur l e cr ime, les cri minels et les faits divers. L’intérêt port é au roman pi caresque y est évidemm ent pour quelque chose, mais la chronique criminelle pure n’est pas non plus dédai gn ée. 1.6. E.T.A Hoffman Il faudrait sans dout e inclure parmi les principaux ancêtres de la littérat ure polici ère un cont e d’E.T.A Hoffm ann (1776 – 1822): Mademoiselle de Scudéry (1818). Paris, fut en 1680, le théât re d'assassinats en séri e , l es cadavres que l 'o n relevait au matin dans les rues port aient , com me une si gnature du diabl e, l e mêm e coup de poignard au cœur dont l'infaillibl e précision stupéfiait les médecins. Les vi ctimes, souvent fastueuses et t itrées, ét aient frappées au moment d’accompli r leurs plu s intim es démarches. Chaque nouveau meurt re révél ait un secret d’amour. C 'est alors que Madeleine de 21 Première partie. Chapitre I Aux origines du genre et du personnage policier Scudér y, qui explorait encore l a C art e du Tendre, à l 'âge où l 'on ne devrait plus songer qu'à son salut, fit m erveille dans le com bat sans merci que l a Pol ice du Roi avait engagé contre l e Pri nce des Démons ou l 'un de ses suppôt s. Inspiré de faits divers aut hentiques, ce récit de fi ction est , le premi er à traiter de t hèmes purement poli ciers. 1.7. Les Mémoi res de Vi docq L’un des textes capi taux de ce début du XI X e siècle fut un li vre de mémoires com posés de quatre volumes. Parues en (1828 -1829) Les Mémoires de Vidocq , cet ancien forçat devenu poli cier a servi de modèle à de nombreux personnages de roman, du Vaut rin de Balzac et Jean Valjean de Hugo à M. Lecoq d’ Émil e Gabori au. Ces Mémoires, mêm e passablem ent rom ancées par Lhériti er de l’Ain, le « nègre » d’Eugène -François Vidocq, ont eu une certaine influence sur l a création du genre et se révèlent rapidem ent une vérit able mine de rensei gnem ents pour qui s’intéres se au monde criminel, au travail de poli ce et aux méthodes de ce qu’on n’appel ait pas encore détective. Le livre eut, à coup sûr, une influence capital e sur de nombreux écrivains, a ét é lu par Alexandre Dum as, par Eugène Sue comme par Edgar Poe. S a réputat ion a t rès vite débordé l a France. Et son influence serait considérable sur l e roman noir américain. 22 Première partie. Chapitre I Aux origines du genre et du personnage policier 1.8. Le roman -feuilleton Nous pouvons penser que l e modèl e précurseur le plus important du rom an poli cier est très probablem ent le rom an -feuillet on. Dès 1836, lorsqu’Émile de Gi ra rdin crée la presse à bon marché, il y insère des rom ans découpés en feuilleton s quotidiens. Le premier de ceux -ci , qui parut dans La Presse , fut d’ailleurs La vi ei lle fille d’Honoré de Balzac. Alexandre Dumas père connaît ra l e succès, dans Le Siècle , avec les Trois mousquetaires et Vingt ans après , Frédéri c Soulié publi era Les Mémoire du diabl e dans L e Journal des Débat s , mais c’est Eugène Sue qui reste l e feuilletoniste le plus célèbre de l’époque avec Les Myst ères de Paris publiés dans Le journal des Débats. On peut encore cit er, parmi bi en d’autres, l eurs successeurs du Second Em pire, Ponson du Terrail et sa séri e Rocambol e ainsi que Paul Féval , aut eur d’une fresque écrit e durant quinze ans, Les Habits noirs. Ces rom ans -feuillet ons présent ent une séri e de caract éristi ques très proches du roman polici er, au point qu’il sera parfois difficile de rattacher certains récits à l ’un ou l’autre genre. Mais il manque encore l a notion d’enquêt e et de détective, pour assi miler le feuill eton Lebrun 12 au poli cier, et surtout l’unité de l’int ri gue. Michel considère que tous les thèmes du récit polici er se trouvent dans ce gi gant esque fourre -tout (les rom ans -feuill etons), mai s sans l a ri gueur et l a vraisemblance auxquell es s’att acheront l es découv reurs du genre. 12 Dans son œuvre Almanach du Crime 1980. L’année du roman policier. Ed. Guénaud/polar. 1979. 23 Première partie. Chapitre I Aux origines du genre et du personnage policier 2. Circonstances de la naissance Même si nous voul ons nous limit er à une histoi re strict ement littérai re du genre, nous devons cependant mentionner les facteurs de t ype socio -économ ique, politique, voire ps ychologique pour expliquer les ci rconstances et les raisons – qui ont été énumérées par tous ceux qui ont cherché à expliquer la naissance du récit polici er de l’écl osion et du succès du genre. 2.1 Un gen re attestant une évolu tion soci ale La litt érature cl assi que semble s’inscri re dans un hors-espace, hors-t emps, favorisant la narration aux dépens du cont exte. Elle est totalem ent épurée de tout ce qui ne se déroule pas au sein de l’univers clos où s’i nscrivent les événements de l ’histoire. La réalité n’ y apparaît pas ; pi re, elle est suppl a nt ée par l’utopie beaucoup pl us séduisante aux yeux du lecteur. Par contre, l e genre poli cier trouve précisém ent son essence dans une forme d’ancrage dans l a réalité, le cont exte social n’agissant plus en tant que décor m ai s vérit ablem ent en tant que perso nnage. La naissance et l ’évolution du genre policier sont liées à deux élém ents fondam ent aux : les ci rconstances socio -économiques d’une révoluti on indust riel le au XIX e siècle et le développem ent de l’esprit scienti fique. Ces derni ers ont dû certainement influencer les conditions d’écrit ure des écrivains d’alors comm e les besoins de lecture du public. J. Dubois a li é cet essor au développement des classes mo yennes, car le genre policier est contemporain du mouvem ent romanti que, qui boul everse les règles de bi enséance 24 Première partie. Chapitre I Aux origines du genre et du personnage policier classique, héroïse les marginaux et ex alte l e sentiment de révolt e. Cette classe du peuple trouve dans ce t ype d’écrit : [ …] un t ype de réci t voué à une product i on consom m ati on aussi rapi de qu’ ef f i cace. […] . Dans sa l ect ure com me dans son écr i t ure, l e réci t d’ enquêt e se veut i m age sensi ble d’ une soci ét é du m arché et de l a m achi ne. 13 E. Mandel, quant à lui, lie l’angoisse de la mort, qui expliquerait un des attraits du genre policier, au développement du capit alisme qui entraîne concurrence, ind ividualism e, course au profit et stress. L’être hum ain déséquil ibré, épié par l es « maladi es de civilisation », t ransposerai t ses peurs dans la lecture de ce genre d’écrits puisque : « La réif i cat i on de l a m ort est au cœur m êm e du rom an pol i ci er » 14. En eff et, il n’est pas rare que l’angoisse ou la peur ne vienne accompagner , voire conditi onner, la l ecture d’un récit policier. Sous un angl e di fférent, Boil eau et Narcejac vont confirmer certaines rem arques de Mandel en s’appu yant sur quelques notions élém entai res de psychologi e et de psychanal yse. Pour eux, nos impulsions les pl us primitives, dont cel le de l a peur, sont traduit es dans le langage par la littérature. Nous somme s fascinés par le crime qui nous atti re et nous angoisse à l a fois. E. Poe insiste pou r que tous les efforts de l’écrivain soi ent subordonnés au désir de créer chez son lect eur un cert ain effet. Poe s’interroge : 13 Jacques Dubois, Le roman policier ou la modernité, Armand Colin, Paris, 2006, p. 26. 14 Ernest Mandel, Meurtres exquis : une histoire sociale du roman policier, Montreuil, Presse-EditionCommunication (trad. M. Acampo), 1986, p. 60. 25 Première partie. Chapitre I Aux origines du genre et du personnage policier [ …] , je me di s, avant t out : parm i l es i nnom brabl es ef f ets ou i m pressi ons que l e cœur, l ’ i nt el l i gence ou, pour parl er pl us génér al em ent, l ’ âm e est suscepti bl e l ’ uni que ef f et que je de doi s recevoi r, choi si r quel dans le est cas présent ? 15 Boil eau et Narcej ac, maît res de l’angoisse, répondent à la question de Poe : « L’ uni que ef f et que l e rom an pol i ci er se propose de produi re, c’ est l a peur, l i ée au m ystère » 16. La peur et l’angoisse sont liées au crim e qui d’une part, prend une nouvell e dimens ion au sein de la sociét é et d’autre part, l a sociét é en pl ein e évolution influence l es attent es de l ecture qui s e voient égalem ent modifiées. Le crim e renvoie à une corrupti on social e, voire politi que. Désorm ais, le récit poli cier ne peut plus faire abst raction de l’accroissement de violence qui com mence à caractériser la soci été de l’époque et, bien au contraire, il peut vérit ablem ent en faire son fond de commerce, proche en ce sens d’une approche médi atique du fait social . En résumé, réel et réalit é avaient contri bué à l’épanouissem ent du genre polici er qui avait progressivement glissé d’un motif purem ent litt éraire à de vérit ables perspectives sociol ogiques. 15 E.A. Poe, Contes, essais, poèmes (Préambule au poème du Corbeau), Laffont, coll. « Bouquins », Paris, 1989, p. 1008. 16 Boileau-Narcejac, Le roman policier, Quadrige/PUF, Paris, 1994, p. 26. 26 Première partie. Chapitre I Aux origines du genre et du personnage policier 2.2 Un gen re u rbain Le crime avait déjà fait son apparition dans la vill e, dès les nouvell es d’Edgar Poe qui mettent en scène un Paris m yst érieux, si ce n’est véritablem ent dangereux. L’apparition d’une civilisation urbai ne, et plus exac tement d’une ville industri elle à la fin du XIX è m e siècle, constitue l ’une des circonstances de la naissance du récit pol icier. ...l e rom an pol i ci er est un produi t , une scori e de l a ci vi li sat i on urbaine. Il n’ a pas pu apparaî t re avant que la prem i ère n’ accouche de la seconde [la ci vi l i sation sous l es r ur al e] forceps de l ’ i ndust ri al i sat i on : dans l e prem i er ti ers du XIXe si ècl e. 17 Le développement du comm erce et de l’indust rie va faire et défaire les fortunes, suscit er les conflits d’int érêt, réduire des hommes au désespoir -sui cidai re quand il n’est pas m eurt rier -, donner naissance à des affrontem ent s sans fin, engendrer des querelles dévastat rices : plus l a ville se dével oppe, plus le crime s e répand. Or, l a vill e dispose de tout e une pal ette d’accessoires et d’artifi ces assurant au récit du crime un renouvellem ent constant : gratt e-ciel lugubres, ruelles sombres, entrepôts abandonnés, terrai ns vagues soumis à l a grisaill e, l a plui e, le brouillard, l es bruits, l es odeurs étouffant es, et livrés en pâture aux financi ers, polit iques, désœuvrés et malfrats de tout genre ; autant d’élém ents familiers du crime, qui lui sont propi ces et lui confèrent une quasi normalit é. Avec l’indust rialisation des villes, l e crime a trouvé son lieu de 17 Francis Lacassin, Mythologie du roman policier (I), coll. 10-18. Paris, 1974, p. 12 27 Première partie. Chapitre I Aux origines du genre et du personnage policier prédil ection et le récit un formidable lieu d’i nspiration, parti culièrem ent vivace encore aujourd’hui dans l e genre policier. D’une enquête sur un crime dans l a ville, le récit pol icier converge, en effet, vers la recherche du meurtri er de la ville. Devenue victim e, l a ville est a lors sondée, autopsiée, ses habitants interrogés, suspectés ; le crime d’un individu se fait ainsi le prétexte à une véritable enquête soci ale ; enquête attendue car la ville, immense et m yst éri euse, ne cesse d’inqui éter : La vi l l e i ndust ri ell e, gi gant esqu e, anonym e, f rénét i que, qui f ait se côt oyer ri chesse et pauvret é, nouveaut és et permanences, f ut ur et passé, et qui sem bl e croît re sans qu’ à aucun m om ent une vol ont é hum ai ne uni que et cl ai rement conscient e de ses but s ne parai sse di ri ger et ordonner ce dév el oppem ent, voi l à qui dem eure encore un obj et de st upéf act i on et d’ ef f roi pour cont em porai ns. un cert ai n nom bre de nos 18 Grâce au crime le genre poli cier propose alors de révél er la vi lle. A l’obscurité du cri me il oppose la lumière bl afarde d’une enquête menée dans l a fange, dans l es vast es dessous de la ville, décrits en ces t erm es par Jean -Noël Bl anc : La vi l l e m ont e des prof ondeurs : sous l a surf ace, un m onde caché, creusé. Au - dessus, l a vi l l e pol i cée, l es m œurs pl ei nes d’ urbani t é, l es séduct i ons, l es i l l usi ons, pui s, au - dessous, l a vi l le réel le, l a duret é, l es l ut t es i m pi t oyabl es, le dram e. L’ apparent e pl éni t ude urbai ne recouvre des vi des. Les évi dences 18 Jean-Noël Blanc, Polarville : images de la ville dans le roman policier, Lyon, Presses universitaires, 1991, p. 47. 28 Première partie. Chapitre I Aux origines du genre et du personnage policier m asquent des évi dem ent s. Le j our se change en nui t dans cet t e vi e vert ical e qui perd ses certi t udes et sa t ranqui l l it é parce que, dans ces f ai l les sout errai nes, i l se révèl e que l a vill e a quel que chose à cacher 19. De vi ctime, la ville devient rapidement coupable, com plice voire responsabl e de l a dérive des hommes qu’elle accueille, qu’elle étouffe : La vi l l e écrase l es personnages. El l e l es enf once. Jusqu’ à des prof ondeurs sans nom . Jusqu’ au pl us prof ond d’ el l e -m ême, l à - bas en bas : au t rent e - si xi èm e dessous. El l e y ent raî ne l es pl us f ai bl es. El le l es ensevel it . Al ors se révèl e t out e l ’am pl eur du pi ège. Le t rou, l a f osse. Car el l e n’ est pas l i sse cett e vi l l e. El l e est creusée. O n y descend, on s’ y débat , on peut s’ y ent errer i rrém édi abl em ent 20. L’intrusion de la vil le dans le récit opère donc un renversement radi cal dans l’histoi re du genre. L’enquête urbai ne part du crime pour s’enfoncer plus encore dans l a noirceur, l a viol ence, l’insécurité ; autant de perspectives qui ont fait et font encore recette auprès du public. Car, outre l’intérêt sociologique que présent e le genre, en se faisant le récit de la vi lle, la perspective de l’effet de mode n’est pas négli geabl e dans l ’explication du succès du récit polici er, notamment dans l es sociét és occidental es. 19 Jean-Noël Blanc, op. cit., p. 85. 20 Ibid, p. 84 29 Première partie. Chapitre I Aux origines du genre et du personnage policier 2.3 Polici er et cri min el Parall èlem ent au développement de l a ville, on assiste à cel ui de la police. Les vill es naissantes et leurs environ s industriels vont à leur tour donner naissance à d es masses pauvres et anon ymes d ’où émergeront voleurs et assassins. Afin de contenir cett e criminalité naissante paraissent la police, et plus parti culièrem ent le détecti ve, derni er avatar du héros épique en lutt e contre l es forces du Mal. Selon Lits, nous pouvons const ater qu’ à cette époque s ’est constitué un él ément du corps soci al amené , de par sa nat ure même , à jouer un rôl e maj eur dans les h istoi res polici ères. Ainsi faut-il rappeler que : Ce n’ est en ef f et qu’ en 1829 qu’ apparai ssent l es sergent s de l a vi l l e en uni f orm e dans l es rues de P ari s, qu’ en 1851 que t out es l es pol i ces de F rance sont pl acées sous l’ aut ori t é du Mi nist ère de l a P oli ce général e 21. La situation m ythique corps n’est de pas différent e Scotl and Yard en Grande Bret agne ; l e qui all ait revenir dans d’innombrabl es récit s polici ers était né, peu d’années avant l ’éclosion de not re genre. Mais là, le polici er est encore sans génie parce que sans méthode ; il s’appuyait sur une foule obscure d’indicateurs et comptait plus sur la dénonciation que sur la déduction pour arrêt er les coupables. Cependant, cette police, faite d’espions plus que de limiers, a le mérite d’êt re l à, de faire partie du panoram a de la vil l e. 21 Marc Lits, Le Roman policier : Introduction à la théorie et à l'histoire d'un genre littéraire, Éditions du CEFAL, Liège, 1993. P.34. 30 Première partie. Chapitre I Aux origines du genre et du personnage policier Désormais, l e policier est un t ype social. Le haut de forme, l es favoris, la redingot e strict ement bout onnée, le gourdin t orsadé lui composent une silhouette famili ère. Or, en face du poli cier, nous trouvons le criminel protéi forme. Puisque le déguise ment lui prête une multitude d’ apparences. Le déguisement offre au criminel , nous disent Boileau et Narcejac, t outes les ressources du trompe -l’œil. Il di sparaît dans l’anonym at. Il devient, par essence, insaisissabl e. La guerre de ruse com mence, l e duel entre le Bi en et le Mal qui va passionner un vaste publi c. 2.4 La presse Grâce à l’essor des j ournaux, se découvre à présent un publi c. Le « fait -divers » est créé par la grande presse , et s’il ne conte en général qu’un dram e banal (incendi e, accident, etc.) il offre souvent le récit d’un crime m yst éri eux (assassinat ). P ar conséquent, ce genre de récit provoque un plaisi r int ense : attrait du m yst ère, émotion engendrée par le spect acl e du malheur, désir de justice, etc. C’est le moment où naît l e feuilleton év oqué précédemm ent. Produits pour une masse plus alphabétisée que par l e passé , l es récits représent ent une dim ension mécanique de cette soci ét é urbaine en pl eine révolution industri elle. Vit e composés, vite impri més, vit e vendus, vite lus, ils sont marqués par l a vélocité . Ils bénéficient du support des journaux mieux imprimés et rapidement diffusés et de tout un réseau naissant de di stribution de littérat ure de gare, alors que les déplacements en chemin de fer s’accroissent. Jamais l’écrit n’avait ét é sou mis à ce point à l’exigence de la finalit é : un genre était né ; c’est dans ce cont exte qu’il faut situer l ’œuvre poli cière . 31 Première partie. Chapitre I Aux origines du genre et du personnage policier C’est égal ement au XIX e siècle que le récit polici er manque encore de form e littéraire légitimée et c’est pourquoi il trouve dans l a presse (feuilletons) son terrai n d’expression. Les deux nouvelles de Poe seront d’abord publiées dans la presse, plus tard L’Affair e Lerouge d’Émil e Gaboriau sera égal ement publié en feuilleton. Gaboriau dès le début de sa carri ère d’écrivain, avait sai s i le rôle considérable qu’all ait jouait la presse de son temps. En lisant Madame Bovary , de Gust ave Flaubert , publié en 1857, il fit l a rem arque suivant e qui se révéla prophétique de l ’immense succès qu’il connut quelques années plus t ard : C’ est t rès beau , m ai s on ne s’ adresse qu’ à une seul e cl asse de l a soci ét é. Le t em ps n’ est pas l oi n où apparaî t ra une nouvel l e couche de l ect eurs pour l esquel s il f audra écri re des rom ans spéci aux, quel que chose com me de l ’ Al exandre D u m as ou du F rédéri c Souli é rapet i ssés. Et savez- vous qui écri ra ces rom ans - l à ? Ce sera m oi . Ret enez bi e n ce que j e vous di s : l e j our où l e j ournal à un sou sera réel l em ent f ondé, j e gagnerai 30 000 f rancs par an 22. Le prix du livre est aussi une des explications de la diffusion de cett e litt érature par la presse. L’union de la presse et du récit policier est d’abord un succès économique, Alain -Michel Bo yer rappelle qu’en 1832, le prix des trois volumes du Père Goriot équi vaut à un mois de salai re d’un ouvri er mo yen. C e sera donc l a presse qui perm ettra l’expansion du genre poli cier en suscitant une dem ande de lecture à laquell e vont répondre l es auteurs et les éditeurs. 22 Il s’agit de paroles rapportées par ses amis, donc sujettes à caution puisque ce sont des souvenirs recomposés. Cité par Roger Bonniot, Émile Gaboriau ou la naissance du roman policier, Paris, Editions J. Vrin, Pais, 1985. P.31. 32 Première partie. Chapitre I Aux origines du genre et du personnage policier 2.5 L’enquête poli cière Dès l ors, le récit policier est dans l ’ai r. Ses personnages sont en place. Il n’ y a plus qu’à rendre é vident le lien qui l es réunit , c’est -àdire l ’enquêt e. Au début du XIX e siècl e à Paris, les bases de la police scienti fique sont jet ées pa r le préfet de police Dubois, qui enquêt e sur une t entative d’att entat dont l e Premier consul Bonapart e avait ét é la cible. Plus tard se dével oppera l’idée que tout est accessible à la science, l’homm e lui -même, et l’on verra se développer de nouvell es disciplines : la physio gnomoni e, la phrénologi e et, fi nalem ent, l’anthropom étri e ; et parallèl ement, apparaîtra l’idée qu e le policier qui traque l e criminel est l e rempart de la soci été, celui qui réussi ra son ent reprise grâce à des méthodes rationnelles, voire scientist es plutôt que par la force. La sci ence positive (positivisme), c'est -à-dire cell e qui vise à découvri r l es lois qui régissent les phénom ènes, va s’efforcer de combler le fossé que la philosophi e cl assique avait creusé entre la matière et l’esprit, et tout un courant de pensée t end à réduire l’esprit à la matière. On commençait à croire que les mouvements les plus secrets de notre conscience se traduisent immédiatem ent en jeux de ph ysionomi e. Il n’ y a donc que l a science objective et rationnelle qui dit la vérit é de l’obj et. Là encore Poe ouvrait la voie. En p arl ant du whist, il expliquait qu’un observat eur a ttentif et rationnel est sûr de l ’emporter sur son adversaire : Il exam i ne l a physi onom i e de son part enai re… i l en not e chaque m ouvem ent à m esure que l e j eu m arche et recueil l e un capi t al de pensées dans l es 33 Première partie. Chapitre I Aux origines du genre et du personnage policier expéri ences vari ées de cert it ude, de surpri se, d e t ri om phe ou de m auvai se hum eur. A l a m ani ère de ram asser une l evée, il devi ne si l a m êm e personne en peut f ai re une aut re dans l a sui t e… L’ em barras, l ’ hési t at i on, l a vi vaci t é, l e t rem blem ent , t out est pour sym pt ôm e, di agnost i c, t out rend com pt e, grâce à cet t e percept i on, i nt ui t i ve en apparence, du 23 véri t abl e ét at des choses . Par conséquent , la techni que polici ère, chez Dupin, Lecoq et Holmes, l’observation et l’anal yse se fondent sur un champ de savoi rs complexe qui embrasse la science. Les modes de rais onnem ent reposent, dès lors, sur l’observation, l’induction et la déduction. Ce qui va ap port er à l’enquête j udici aire une aide inestim able. La justi ce ne consist e plus à « appréci er » des témoi gnages, à « peser » un prévenu, à défendre d’abord les intér êt s de la soci été et l a moral e publique. Elle ne procède plus du cœur mais de la seul e intelligence. 23 Edgar Allan Poe, Double Assassinat dans la rue Morgue, p. 41. 34 Première partie. Chapitre I Aux origines du genre et du personnage policier II- Le genre policier : essai de définition Les théori ciens de la littérature parviennent difficil em ent à s’accorder sur une définitio n du genre policie r. D ès 1971, Tzvetan Todorov a observé que la définition stati que d’un genre, voi re de tout genre littérai re, se condamne à êt re cont redit e en perm anence par les œuvres ori ginal es qui font évoluer ce genre et doivent, pour cela, se détacher t ant soit peu des crit ères généri ques initi aux : Une di f f i cul té supplém ent ai re vi ent s’ ajout er à l ’ ét ude des genres, qui t i ent au caract ère spécif i que de t out e norme esthét i que. La grande œuvre crée, d’ une cert ai ne f açon, un nouveau genre, et en m êm e t em ps ell e t ransgre sse l es règl es du genre, val abl es auparavant . [ …] O n pourrai t di re que t out grand l i vre ét abl i t l ’ exi st ence de deux genres, l a réal it é de deux norm es : cel l e du genre qu’ i l t ransgresse, qui dom i nai t l a l it t érat ure précédent e ; et cel l e du genre qu’ i l crée 24. La subdivision désormais classique, proposée par Todorov, en trois form es historiques qui ont coïnci dé avec une phase hist orique du genre est assez sédui sante : a) Le roman à énigme est constitué de deux histoires : si la premi ère relat e le crim e, la seconde déclenche l’enquête. Pour élucider l’affaire, l e détective (et le l ecteur avec lui ) tente de sai sir avec perspicacit é ce qui s’est passé. C’est une activité purem ent intellectuell e, l e détective est intoucha ble, à aucun moment sa vi e n’est m enacée. 24 Tzvetan Todorov, Poétique de la prose, « Typologie du roman policier », Paris, Le Seuil, 1971, chapitre 4, pp. 55-65. Nous ne pouvons suivre Todorov lorsqu’il affirme, sur la même page, que le roman policier ne transgresse pas les règles du genre : notre partie de synthèse, sur ce sujet, s’attachera à montrer que les auteurs choisis ont bien fait évoluer la structure même du genre, notamment en ce qui concerne la personne du narrateur. 35 Première partie. Chapitre I Aux origines du genre et du personnage policier b) Le roman noir qui fusionne les deux histoires : l e récit est simultané à l ’act ion. On ne cherche plus ce qui s’est passé mais ce qui va se passer. Le détective n’est pas sûr d’arriver vivant à la fin de l’enquêt e et l ’intérêt vient du suspense que cel a enge ndre. c) Le roman à suspense qui garde les deux histoires du roman à éni gm e mais développe la seconde. Il ne s’agit plus seulem ent de comprendre ce qui s’est passé m ais de s’i nterroger sur ce qu’il va advenir des personnages principaux. Selon Marc Lits, Baude lai re, en t radui sant le titre de la nouvelle d’Edgar Allan Poe, Doubl e Assassinat dans la rue Morgue a magnifiquem ent défini ce nouveau genre en énumérant les traits essenti els : a) « Double » Ce term e reflèt e bien l’organisation st ructurell e du récit qui n’est pas linéaire, le crim e a déj à eu lieu et le dét ective se doit d’ent reprendre une remont ée dans le temps pour en donner l’explication. Com me Poe le dit lui -même, l’aut eur conçoit son histoire de manière inversée 25. Il s’agi t donc d’une construction double : l a rel ation du crime et le récit de l’enquêt e, les histoires mettant en scène deux héros : le meurtrier et l ’enquêt eur qui est son double inversé. On peut souvent aj outer un 3 e personnage, le narrat eur, confident , faire -valoir et reflet de l’enquêteur d ont l e comment aire double la narration et perm et une dualit é de lect ure. b) « Assassinat » Il s’agit bien i ci de la thém atique m êm e, un cadavre n’est pas toujours indispensable. L’enquête doit se baser sur un act e criminel commis ou supposé tel. Cel a implique un criminel , une vi ctime, un 25 E.A. Poe, Histoires Grotesques et sérieuses. (1864), cité par Marc Lits., L'énigme criminelle : textes pour la classe de français et vade-mecum du professeur de français, Didier-Hatier, 1991, p.39. 36 Première partie. Chapitre I Aux origines du genre et du personnage policier détective et, selon J . Dubois, des suspects. Le récit doit répondre à quelques questions par rapport à cet acte criminel : Qui ? Quand ? Où ? Comment ? et Pourquoi ? Comme il est souhaitabl e que le crim e soit import ant et qu’i l existe des t ent atives de brouill er l es pistes pour que cela ne puisse ressembler à un pur jeu de raisonnement, du t ype « Cluedo 26 ». c) « dans la rue » Il s’agit là de la dimension soci ologique de l’histoi re. Le récit policier dem ande un environnem ent urb ain, en effet - com me cel a a été si gnal é dans les circonst ances de son apparition - l’industri alisati on at tire en vill e une faune interlope. La conséquence est rapide : dès les années 1830, sont instituée s des polices publiques, basées sur l’organisation d e corps const itués reconnaissabl es par l eur uniform e et utilisant des méthodes sci entifiques que reprendront à leur compt e les dét ectives de l a fi ction 27. d) « Morgue » Ce mot correspond à la part d’im aginai re : l e choix du nom est signi ficatif car il m et l’a ccent sur l a force de la mort et rappelle que le récit oppose les forces du Bi en et du Mal comme l a tragédie ou la ps ychanal yse. 26 Cluedo (Clue en Amérique du Nord) est un jeu de société dans lequel les joueurs doivent découvrir qui parmi eux est le meurtrier d'un crime commis dans un manoir anglais. 27 On lira avec intérêt l’article du sociologue Patrick Smets paru dans le Forum du Soir, le 16 juillet 2003 et intitulé « Gangs of New York » : Scorsese et l’État boucher, dans lequel l’auteur, explique le développement des gangs dans la ville moderne du XIXe siècle tel qu’il l’a vu dans le film de Scorsese. Sa conclusion selon laquelle l’Etat est simplement le gang qui a le mieux réussi a provoqué quelques réactions indignées. 37 Première partie. Chapitre I Aux origines du genre et du personnage policier L e genre poli cier n’est pas un genre surgi du néant, nous avons voulu mieux situer sa place et montrer son importance dans l’histoi re de la littérature. Les ét apes de sa naissance seront en effet l e cadre d’un cheminem ent aboutissant à l’éclosion d’un Chevali er Dupin, d’un Monsi eur Lecoq et d’un Sherlock Hol mes. Genre lié au cadre urbain, en prise avec la réalit é et avec l’évoluti on social e, il peut par ailleurs se fai re l e tém oin d’une époque, livrant des informations précieuses d’un point de vue sociologique notam ment. Le genre poli cier est, semble -t-il , la trace romanesque d’une quête a yant pour but de rétabli r un équili bre q ui a été rompu après une transgression soci al e. Mais il ne suffit pas que le récit polici er se déroule dans la soci été, il est de plus nécessaire qu’il y ait l utte, que le détective se heurte à un adversai re qui s’efforce de le dérout er et m ême de le cont r ecarrer. Le plus souvent, le crime a été commis lorsque s’ouvre le récit policier. Mais au sein de l a t ram e narrative, l a lutt e criminelle peut venir cont aminer l e processus d’enquêt e. Fréquemment, l’enquêteur engage le combat contre ceux qui entravent s a recherche tout en s’efforçant aussi à contrecarrer ce qui est à même d’empêcher ou de fausser l a progressi on de son enquête . C’est à ce mom ent -là que l e récit recule vers les formes l es plus anci ennes t elle que le récit d’aventures qui mult iplie les péri péties et fait s’affront er, sur le mode épique, bons et méchants. A l’i nverse, il progresse et évol ue quand les investi gations de son héros se dégag ent de toute dramatisation pour s’adonner à l a spécul ation pure. D’em blée, Dupi n, Lecoq ou Holmes visent à r estreindre au seul effort ment al des démarches qu’ils préfèrent m ener à distance de l ’objet d’enquêt e. Populaire et accessi ble à tous, l e genre polici er entretient un rapport privilégi é avec son lectorat et se pose en véritabl e vect eur de communication, 38 Première partie. Chapitre I Aux origines du genre et du personnage policier jouant de surcroît sur l e pouvoir de conviction dont sembl e joui r s a pièce maît resse, l ’enquêteur. Le genre poli cier obéit à des lois propres, à un fonctionnement interne du personnage principal qui n’a cessé d’évoluer depuis sa création. Une ét ude du person nage du détective sera donc un point de départ int éressant, pour déterminer l ’un des aspects fondam entaux de l’évoluti on du genre policier. 39 Première partie. Chapitre I Aux origines du genre et du personnage policier III- Les prototypes du personnage de détective Il en est de l’étude d es ori gi nes du personnage de l ’enquêt e ur ou du détective comme de cell e des ori gi nes du roman polici er. Ce qui est notabl e dans ce derni er , c’est que l’enquête est sa toile de fond apanage du personnage central : l ’enquêteur, devant venir à bout de son enquêt e. Autrement dit, si l e récit polic i er est fondé en grande parti e sur l’enquêt e et la résol ution de l’éni gm e, l’élucidation de cette derni ère ne se produira pas d’elle -mêm e, les faits ne s’éclai rcissent pas d’eux mêmes non plus. Indispensablem ent s’impose al ors la présence d’un personnage, cel ui qui a la charge de m ener l’enquête , un personnage disposant d’attributs et de capacités très particuli ères. C’est au détective qu’incom bent l es t âches d’expliquer, d’éclairer, d’élucider et de dévoil er. L’enquêteur est, par défi nition, un homme de lo gique et de raison. Il est doté du « fl air », de la persévérance et de l’intelli gence du « l imier ». Dès ses ori gines, l e genre poli cier met donc en scène des enquêt eurs i nfaillibles qui se chargent de dévoil er la vérité et de rét abl ir l’ordre. Nous nous pr oposons ici de sui vre l’éclosion en littérat ure du héros-dét ective t out en démontrant comment sont déj à mis en place un cert ain nombre de conditions qui vont perm ettre plus tard son avènem ent. Nous mettrons également en évidence quelques caractéristique s et motifs qui favoriseront ce glissem ent. Nous aurons l’occasion de répondre aux questions : quels él éments font -ils encore défaut pour que naisse vraiment l e détective comm e héros du genre ? Quell es sont l es formes de transition ? Dans ce cas qui sont l es protot ypes les plus représentatifs annonçant l’avènement d’un Dupin, d’un Lecoq ou d’un Holmes ? 40 Première partie. Chapitre I Aux origines du genre et du personnage policier Il reste à si gnaler que l’accord ne règne pas dans l e monde des spéci alistes de la littérature polici ère sur les personnages à admett re comme protot ypes de la fi gure du héros -dét ective. Dans un souci de clarté, nous s ynthét isons les di fférent s personnages qui semblent faire l 'unanimit é des chercheurs et praticiens. 1. Œdipe déchiffreur de signes Il est difficil e de ne pas retrac er Œdipe dans l e roman d’enquête qui réunit éni gm e et enquête, car les spéci alistes du rom an polici er s’accordent pour l e c onsidér er comm e le premier dét ective de l’histoire. Il n'est sans dout e pas inutile de rappel er au préal able ce qu’es t « l ’affaire Œdipe » t elle qu’elle est habit uellem en t consi gnée : Dès sa nai ssance, [ Œdi pe] est exposé sur l e Ci t héron par ordre de Laï os à qui un orac l e a prédi t qu’ i l m ourrait de l a m ai n de son propr e f il s. Son père f ai t en out re percer et l i er ensem bl e l es deux pi eds. L’ enf ant est recuei l li par des berg ers qui l ui donnent l e nom d’ Œdi pe ( l i tt éral em ent pi eds enf l és ) , et l ’ am ènent au roi de Cori nt he, P ol ybe. Œdi pe est él evé par un souverai n, qu’ i l prend pour son vrai père, et at t ei nt ai nsi l ’ âge d’ hom m e. C’ est al ors que l ’ oracl e de Del phes l ui révèl e l a t e rri bl e dest i née à l aquel l e il est prom i s : Œdi pe t uera son père et épousera sa m ère. Af i n de s’ y soust rai re, Œdi pe s’ exi l e vol ont ai rem ent de Cori nt he qu’i l regarde com m e sa véri t abl e pat ri e. Mai s, sur la rout e de Del phes, i l se prend de querel l e avec un in connu qui n’ est aut re que Laï os, et l e t ue, accom pli ssant ai nsi sans l e savoi r l a prem i ère prophét i e de l ’ oracl e. 41 Première partie. Chapitre I Aux origines du genre et du personnage policier Œdi pe cont i nue son chem i n en di rect i on de Thèbes qui vi t al ors sous l’ em pi re de l a t erreur que f ait régner l e Sphi nx. L es Thébai ns ont publ i é que l e t rône de Thèbes et la m ai n de l eur rei ne serai ent à qui résoudrai t l ’ éni gm e proposée par l e m onst re et l es dél i vrerai t ai nsi de cel ui - ci . À l a q uest i on du sphi nx : « quel est l ’ ani m al qui , doué d’ une seul e voi x, a successi vement quat re, deux et troi s pat t es, et qui est d’ aut ant pl us f ai bl e qu’i l a pl us de pat t es ? », Œdi pe répond que cet êt re n’ est aut re que l ’ hom m e, l equel se t raî ne à quat re pa t t es quand i l est enf ant , se ti ent debout sur ses deux j am bes quand i l est adul t e, et s’ appui e sur un bâton dans sa vi ei ll esses. Le Sphi nx se préci pi t e al ors du haut d’ un rocher ; Œdi pe, reçu avec l es honneurs royaux par l es Thébai ns, épouse Jocast e, accom pl issant ai nsi , t ouj ours sans l e savoi r, l a seconde prophét i e de l ’ oracl e. Jocast e l ui donne quat re enf ants : Et éocl e, P ol ynice, Ant i gone et Ism ène. Mai s l a véri t é f i nit par êt re sue : c’ est du devi n Ti rési as l ui - m êm e que l ’ apprend Œdi pe. Jocast e, i ncapabl e de la support er m et f i n à ses j ours. Œdi pe se crève les yeux et s’ enf ui t de Thèbes, accom pagné de sa f il l e Ant i gone. 28 Même si ce résumé laisse dans l’ombre la dimension d’ « Œdipe l’enquêt eur » qui nous intéresse le plus, il faut savoir que tout au long de la tragédie, Œdipe va s’interroger et interroger d’ aut res personnes pour savoir qui a tué Laïos, il va se livrer à t oute une recherche reposant sur les informations qu’il peut recueillir et sur ses propres déductions pour aboutir à l a vérit é ; il n’en vi endra que lentem ent à l’horri bl e conclusi on qui fait de lui l ’assassin. 28 Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine, Seghers, Paris, 1962, pp. 230-231. 42 Première partie. Chapitre I Aux origines du genre et du personnage policier Régis Messac, aut eur de la premi ère thèse universit aire consacrée au genre policier 29, assure qu’Œdipe engage l’enquête dès le début de la pi èce et se t rouve dans la position d’un ju ge d’instruction qui instrui rait, sans l e savoir, contre lui -même. C’est une situati on qui a été reprise pl usi eurs fois par le rom an policier moderne, l e cas par exemple du Chéri -Bi bi de Gaston Leroux. Messac affi rme qu’en recherchant les indi ces et les preuves, Œdi pe s’est comporté comme tout policier qui se respect e. Sur ce point nous ne pouvons qu'être d'ac cord avec ce grand critique. Relisons l es vers qui on t motivé notre position et qui illustreront mi eux les propos de Messac : Ces gens, dans quel pays sont - i l s ? O ù t rouver La t race m al at t est ée d’ une f aut e anci enne ? (Vers 108-109) En reprenant au début , j e vai s l’ [l ’af f ai re] écl ai rci r une nouvel l e f oi s, m oi comm e vous. ( V e r s 132) Q u’ est- ce qu’ on racont e ? Tout ce qu’ on di t , j e l ’ exam i ne. ( V e r s 2 9 1 ) 30 Œdipe prend l e vrai ton d’un juge d’instruction qui examine minutieusement même l es décl arations les pl us banal es pour voi r si elles ont la val eur de témoi gnage. 29 Le « Detective Novel» et l’influence de la pensée scientifique, parut, en 1929, à la Librairie Ancienne Honoré Champion. Thèse pionnière consacrée au genre policier. Grandement louée par les spécialistes, cette thèse demeure une référence d'autant plus importante qu'elle fait désormais figure de classique. 30 Nous citons Œdipe roi de Sophocle d’après la traduction de Jean et Mayotte Bollack, éd. De Minuit, Paris, 1985. 43 Première partie. Chapitre I Aux origines du genre et du personnage policier Jacques Dubois se demande s’il n’était pas excessi f de dire que la tragédi e Œdipe roi est structurée comme une enquête dont les principaux argument s sont : a) Rappel ant l ’ oracle, Jocast e i ndi que qu’ i l concerne non Œdi pe m ai s l e f i ls qu’ el l e a eu de Laï os et qui a ét é écart é. b) Mai s, comm e J ocast e a m ent i onné l e li eu où La ï os a ét é assassi né, Œdipe s’ y reconnaî t , s’ al arm e et exi ge de voi r cel ui qui a racon t é l e m eurtre et qui est devenu berger ent re - t em ps. Indi ce f avorabl e : Laï os a ét é t ué par des « bri gands », c’ est - à- di re par t out un groupe. c) Survi ent un m essager : i l annonce l a m ort de P ol ybe, roi de Cori nt he et « père » d’ Œdi pe ; une nouvel l e i ndi cati on posi t i ve : Œdi pe ne ri sque pl us de t uer ou d’ av oi r t ué son père. d) Le m êm e m essager dét rom pe cependant le héros : i l n’ est pas l e f i ls nat urel de P ol ybe m ai s un enf ant t rouvé, recuei l l i par l e m essager l ui - m êm e des m ai ns d’ un….berger. e) Survi ent le berger qui , doul oureusem ent , conf i rm e ses di res, sans rev eni r sur l ’ af fai re des bri gands et du m eurtre col l ect if . f) La concl usi on s’ i mpose : Œdi pe est doubl em ent m eurt rier et n’ a pl us qu’ à subi r l e chât iment . 31 Toujours selon Dubois, consacre 31 Œdipe durant tout e c’est bi en à cette enquête que se la pi èce. Comme un élucideur Jacques Dubois, Le roman policier ou la modernité, Armand Colin, Paris, 2006, p. 208. 44 Première partie. Chapitre I Aux origines du genre et du personnage policier d’éni gm es, il se li vre à tout un exercice herméneutique. Par les procédés auxquels il recourt, t el que l’examen de différent s indices, Œdipe anti cipe sur les détectives modernes et sur leurs modes d’investi gation. Boil eau et Narcej ac sont à leur tour convaincus qu’Œdipe, interrogé par le Sphinx, est bi en pl acé dans l a situation d’un polici er qui doit, sous peine de mort, raisonner vite et juste. Ils précisent : « Il i gnore qu’ i l j oue déj à l e rôl e d’ un pol i ci er ; i l ne se rend pas com pt e qu’i l pre nd déj à, comm e l e f era pl us t ard Roul et abi l l e, « la rai son par l e bon bout » » 32. Les deux écri vains sont allés plus loin en affi rmant que Dupin ne raisonnait pas mieux qu’Œdipe, que tout ce qu’il possédait en pl us, c’était l a maît rise consci ente des procéd és de la sci ence. Ils continuent : Si Œdi pe avai t ét é dot é du m êm e équ i pem ent i nt el lect uel , non seul em ent il aurai t échappé au Sphi nx – ce qu’ i l a f ai t , d’ ai l leurs – m ai s encore i l aurai t découvert l es m ot if s du Sphi n x et en quel que sort e percé à j our l e s rai sons prof ondes de ses cri m es. Il l ’ aurai t arrêt é et cont rai nt à avouer. 33 Quant à Marc Lits, il assimile le lien S phinx/Œdipe à celui du détective/ criminel. En effet, le conflit qui reli e l e criminel, détent eur d’un savoir mort el - puisque c’est lu i qui t ue -, au détective qui veut accéder à ce savoi r, est le même que ce qui se jouait entre Œdipe et le Sphi nx. Lit s cit e André Jolles qui rat tache l e récit poli cier à une forme primitive remontant à Œdipe roi , l a cél èbre devinette du Sphinx: 32 Boileau-Narcejac, Le roman policier, Quadrige/PUF, Paris, 1994, p. 12. 33 Ibid., p.p. 21-22. 45 Première partie. Chapitre I Aux origines du genre et du personnage policier O n y [ r é cit pol i ci er ] t rouve deux f i gures : cel le du m alf ai t eur qui chif f re son i denti t é et son m éf ai t , m ai s ouvre dans ce chif f rem ent l a possibi l i t é mêm e de l a découvert e – cel l e du dét ect i ve, du découvreur qui résout l a devi nett e et f ranchit l a cl ôture. 34 Selon Lits, nous sommes ici, explicitement, face à la rel ation Criminel/détective. Ce derni er qui doit résoudre l ’éni gm e dont le premi er possède l a solution qu’il a m asquée et chiffrée. L’ auteur en donne l ’exempl e si mple et proche du j uge qui « doi t savoi r » face à l’accusé qui « sai t ». En somme, Sous les diverses form es qu’il conti nue à prendre, dans l a litt érature policière, le m ythe du dét ective sembl e être l 'un des plus anci ens. C ela correspond peut -être à l’enquêt e ét ernel le que l’homme m ène pour pouvoir ré pondre aux questions : Qui suis -je? D’où j e viens? Où vais -j e? C'est sans doute pour cel a qu'on s'ent end en général à reconnaître dans l e personnage d'Œdipe le protot ype du détective, d'autant que ce personnage est au centre d'une affaire où il s’est condu it com me un enquêteur rem arquabl e, s’est montré méthodique et préci s. Commençant par s’interroger sur l a nature du mal, puis l’endroit du meurt re et arri vant à assembl er l es témoins et examiner les indices, Œdipe a instauré une vraie mise en scène policière et on voit déjà apparaît re des esquisses de raisonnement de t ype poli cier. 34 Cité par Marc Lits, Le Roman policier : Introduction à la théorie et à l'histoire d'un genre littéraire, Éditions du CEFAL, Liège, 1993. P. 90. 46 Première partie. Chapitre I Aux origines du genre et du personnage policier 2. Le subtil Zadig Dans l a quêt e des premiers écrits en mat ière de recherche, c ’est Zadi g dans l’aventure intitulé Le chien et le cheval (1747), qui fait date pour l es spéci alist es du genre policier. Ces derni ers prêt ent attention, précisém ent au chapit re où Zadig se sert de l ’examen des traces que le chi en et le cheval ont laissées sur leur passage pour s’innocent er face à l’eunuque et au grand veneur de Babyl one qui l’accusaient de l es avoir volés. Grâce à la méthode inducti ve, Zadi g parvi ent à donner des précisions sur ces deux animaux qu’il n’a jamais vus : C’ est une épagneul e t rès peti t e, aj out a Zadi g. El l e a f ai t depui s peu des chi ens ; ell e boî t e du pi ed gauche de devant , e t el l e a les orei l les très l ongues. – Vous l ’ avez donc vue ? di t l e prem i er eunuque t out essouf f l é. Non, répondi t Zadi g, j e ne l ’ ai j am a i s vue, et j e n’ ai j am ai s su si l a rei ne avai t une chi enne. [ …] J’ ai vu sur l e sabl e l es t races d’ un ani m al , et j ’ ai j ug é ai sém ent que c’ ét ai ent cel l es d’ un pet i t chi en. Des si l l ons l égers et l ongs, im prim és sur de pet i t es ém i nences de sabl e, ent re l es t races des pat t es, m ’ ont f ait connaî t re que c’ ét ai t une chi enne dont l es m am el les étai ent pendant es, et qu’ ai nsi ell e avai t f ai t des pet i t s i l y a peu de j ours. D’ aut res t races en un sens di f f érent , qui parai ssai ent t ouj ours avoi r rasé l a surf ace du sabl e à côt é des pat t es de devant , m ’ ont appri s qu’ elle avai t l es orei l les t rès l ongues et , comm e j’ ai rem arqué que l e sabl e ét ai t t ouj ours m oi ns creusé par une pat t e que par l es t roi s aut res, j ’ ai com pri s que l a chi enne de 47 Première partie. Chapitre I Aux origines du genre et du personnage policier not re august e rei ne ét ai t un peu boit euse, si j e l ’ ose di re 35. Comme nous l’avons déj à no t é 36, Voltaire a puisé l ’idée de Zadi g dans une hist oire fort a nci enne, mais c’est lui qui lui a assuré la cél ébrit é. Dans ce cont e, une nouveauté est souli gnée : l a tournure scienti fique qui est donnée aux raisonnements i nductifs du personnage, ce qui réduit à néant les accusations de plagi at. Cette méthode déductive est pres que, déjà, cell e d’un Dupin enquêt ant dans la rue Morgue, d’un Sherlock Holmes avec ses brillant es démonst rations logi ques, ou d’un Lecoq qui s’en est servi durant ses enquêtes, à l ’image de ce qui suit : Ce t errai n vague, couvert de nei ge, est com m e une i m mense page bl anche où l es gens que nous recherchons ont écri t , non - seul em ent l eurs m ouvem ent s et l eurs dém arches, m ai s encore l eurs secrèt es pensées, l es espérances et les angoi sses qui l es agit ai ent . Q ue vous di sent - ell es, papa, ces em prei nt es f ugi ti ves ? Ri en. P our m oi , el l es vi vent com m e ceux qui l es ont l aissées, el les pal pi t ent , el l es parl ent , el l es accusent ! … 37 L’impressionnant raisonnement de Zadi g, n’est pourtant considéré par d’autres critiques que comme un exercice d’acrobati e intellectuell e au cours d’une suit e de f ables dont le propos ne peut, à aucun mom ent, être assimilé à une quêt e de l a vérit é, m ême si, après que la littérature pol icière eut vu l e jour , les déductions de Zadi g ont pu influencer de nombreux aut eurs poli ciers. 35 Voltaire, Zadig ou la destinée, Paris, Librio, n°77.1995, p. 14 – 15. 36 Voir p : 19. 37 E. Gaboriau, Monsieur Lecoq, p. 30. 48 Première partie. Chapitre I Aux origines du genre et du personnage policier 3. Beaumarchais et sa Gaieté Dans Le Barbi er de Séville, Beaumarchais 38 met en scène son personnage Barthol o qui manie la « déduction » avec virtuosité, pour faire avouer à Rosi ne qu’ell e a bel et bien écrit une lettre en son absence : B ARTH O LO regarde l es m ai ns de Rosin e : Cel a est . Vous avez écri t . RO SINE, avec em barras : Il serai t assez pl ai sant que vous eussi ez l e proj et de m ’en f ai re conveni r. B ARTH O LO , l ui prenant l a m ai n droi te : Moi ! poi nt du t out ; mai s vot re doi gt encore t aché d’ encre ! H ei n ? rusée si gnora ! RO SINE, à part : Maudi t hom m e ! B ARTH O LO , l ui t enant t ouj ours l a mai n : Une f em me se croit bi en en sûret é, parce qu’ ell e est seule. RO SINE : Ah ! sans dout e… La bel l e preuve ! … F i nissez donc, Monsi eur, vous m e t ordez l e bras. Je m e sui s brûl ée en chif f onnan t aut our de cet t e bougi e ; et l ’ on m ’ a t ouj ours di t qu’ i l f all ai t aussit ôt t rem per dans l ’ encre : c’est ce que j ’ ai f ait . B ARTH O LO : C’ est ce que vous avez f ai t ? Voyons donc si un second t ém oi n conf i rm era l a déposi t i on du prem i er. C’ est ce cahi er de papi e r où j e sui s cert ai n qu’ il y avai t si x f euil l es ; car j e l es com pt e t ous les m atins, auj ourd’ hui encore. 38 Pierre-Auguste Caron de Beaumarchais, (1732-1799), est un écrivain, musicien, homme d’affaires, poète et dramaturge, il fut l’une des figures emblématiques du Siècle des Lumières. 49 Première partie. Chapitre I Aux origines du genre et du personnage policier Il n’ y a plus que cinq feuill es, et Rosine explique que l a sixième a ét é empl o yée à faire un cornet de bonbons, envo yés à la petit e Fi garo : B ARTH O LO : A l a pet i t e F i garo ? Et l a pl um e qui ét ai t t out e neuve, com m ent est - ell e devenue noi re ? Est - ce en écri vant l ’adresse de l a pet it e Fi garo ? RO SINE à part : Cet homm e a un i nst i nct de j al ousi e !… ( H aut .) El l e m’ a servi à ret racer une f leur ef f acée sur l a v est e que j e vous brode au t am bour. B ARTH O LO : Q ue cel a est édif i ant ! P our qu’ on vous crût , m on enf ant , i l f audrai t ne pas rougi r en dégui sant coup sur coup l a véri t é ; m ais c’ est ce que vous ne savez pas en core. RO SINE : Eh ! qui ne rougi rait pas, Monsi eu r, de voi r t i rer des conséquences aussi m al i gnes des choses l e pl us i nnocemm ent f ai t es ? B ARTH O LO : Cert es, j ’ ai t ort . Se brûl er l e doi gt , le t rem per dans l’ encre, f ai re des cornet s aux bonbons pour l a pet i t e F i garo, et dessi ner m a vest e au t am bour ! quoi de plus i nnocent ? Mai s que de mensonges ent assés pour cacher un seul f ai t ! … Je sui s seul e, on ne m e voi t poi nt ; je pourrai m ent i r à m on ai se. Mai s l e bout du doi gt r est e noi r, l a pl um e est t achée, l e papi er m anque ! O n ne saurai t penser à t out . [ …] 39 39 Beaumarchais, Le Barbier de Séville, nouvelle coproduction théâtre des célestins de Lyon compagnie, avril 6, 1998, Acte II, Scène 11. 50 Première partie. Chapitre I Aux origines du genre et du personnage policier Régis Messac se demande si Beaumarchais obéi ssait à une impulsion, lorsqu’il faisait di aloguer ses personnages et s’i l imitait un modèl e. Messac émet l ’h ypot hèse que Beaum archais se souvenait bien du fam eux chapitre III de Zadi g car l’aut eur du Barbier avait imité consciemm ent et ouvertem ent ce passage de Voltai re. Pourtant, Messac ne nie pas la nouveaut é apportée par Beaumarchais au raisonnem ent de son personnage et au caractère contemporai n de son récit. Son récit est en effet plus nouveau par rapport à Volt aire que ce dernier ne l’était par rapport à de Mai ll y. Un an plus t ard, en 1776, alors que Beaumarchais ét ait à Londres, il envo ya à l’éditeur du Morning Chronicle ce qu’il appell e la Gaiet é de l’amateur français . Cett e fois -ci, l’éni gm e y st ructure le récit dans son enti er. Elle est posée au début : J’ ai t rouvé hi er , di t en subst ance l e na rrat eur , après un concert , un m ant eau de f em m e de t af f et as noi r; mes recherches ne m' ont pas perm is d' apprendre quoi que ce soi t sur sa propri ét ai re — m ai s voi ci à quoi el le ressem bl ai t 40 L’éni gme est ensuite progressivem ent résolue , au fil des raisonnem ents du narrat eur, qui se livre à une observati on m inutieus e du vêt ement et à l’examen des indices (quelques cheveux at tachés à l’étoffe, brins de pl umes échappés de l a co iffure, ruban qui attache au cou le manteau, L’Escarboucl e bleue 41 plis et froissements,…..). Quiconque li ra de Conan Do yle juste après la Gaieté de 40 Cité par Chantal Massol, Une poétique de l'énigme: Le Récit herméneutique balzacien, Droz, coll. « Histoire des idées et critique littéraire », Genève, 2006, p. 26. 41 The Blue Carbuncle, où sherlock Holmes se trouve en possession d’au chapeau perdu, et par la seule inspection du couvre chef, pour le plus grand ébahissement de Watson, il arrive à donner une description minutieuse du possesseur. 51 Première partie. Chapitre I Aux origines du genre et du personnage policier l’amat eur français ne pourra manquer d’être frappé par la si militude des procédés em plo yés. Il s’agit bi en l à d’un pur récit d ’enquête. Ai nsi , Beaum archais était en plein e possession du raisonnement emplo yé par l es grands détectives modernes ; un siècle auparavant, il a fait aussi bien que Sherlock Holmes. Et l’on se dem ande avec R égis Messac ce qui pouvait m anquer à Beaum archais pour écri re de vrais romans policiers : Il [ Beaumar chai s] n’ avai t qu’ à écri re d’ aut res gai et és , à vari er le genre, l e dével opper, l ’ ét of f er…. L’ ét of f e ne l ui m anquai t pas, ni l ’ habil e t é, ni l e t al ent , et l ’ i nstrum ent ét ai t déj à dans s a m ai n 42. Beaum archais m anquait de public, nous dit Messac, l ’esprit scienti fique n’ y ét ait pas encore. Le raisonnement i nducti f, mêm e sous ses form es les plus vulgai res, présent é par l’aut eur de Gaiet é était encore un i nstrument ét range et diffi cile à m an i er pour beaucoup de gens. 4. Caleb Williams Caleb Williams, le héros de Godwi n, était le secrétai re d’un riche propriét aire t erri en nomm é Falkl and. Plein de pitié pour les souffrances que semble éprouver son maître, qu’il admire, Caleb finit par découvrir l a cause : l e remords l anci nant d’avoir aut refois laiss é condamner et exécuter des innocents pour un crime qu’il avait lui même commis et de ne s’êt re pas dénoncé, uni quem ent par un faux sentiment de l’honneur. C aleb entreprenait une enquête en règle, et 42 Régis Messac, Le « Detective Novel» et l’influence de la pensée scientifique, éd. Encrage, collection « Travaux », Paris, 2011, p. 124. 52 Première partie. Chapitre I Aux origines du genre et du personnage policier finissait, par un subtil jeu de questi ons, par faire confesser l e meurt re à son maît re . Dans l’enquête m enée par Cal eb Will iams pour aboutir à la vérit é, l es méthodes d ’investi gation et d’interrogatoi re sont encore allégoriques, il est vrai, m ais Cal eb mani feste des quali tés grâce auxquelles il est remarquabl ement proche du vrai détective. Et en premi er li eu l a curiosité : La curi osi té port e avec soi ses pl ai si rs aussi bi en que ses pei nes. L’ espri t se sent ai gui ll onné sans rel âche ; i l est com me s’ i l t ouchai t à chaque m om ent au but qu’ i l se propose ; et , att endu que c’ est un dési r i nsat i abl e de se sat i sf aire qui est son pri nci pe, i l se prom et dans cet t e sat i sf act i on une j oui ssance i nconnue, f ai t e pour com penser, sui vant l ui , t out ce qu’ i l peut avoi r à souf f ri r dans l e cours de son ent repri se. 43 Caleb Williams éprouve avec une int ensi té fabuleuse cet ét range plaisir : Cependant , que si gnif i aient ces t erreurs et ces angoi sses de M. Fal kl and ? [ …] . Mes pensées f l ot t ai ent de conj ecture en conj ect ure ; m ai s c’ét ait là le cent re aut our duquel el les t ournai ent et ret ournai ent sans cesse. Je m e dét erm i nai à observer m on m aî t re et à m’ att acher à t ous ses m ouvem ent s. Aussi t ôt que je m e f us donné cet em ploi , j ’ en éprouvai une sort e de pl ai si r ét range. 44 43 William Godwin, Caleb Williams, ou les choses comme elles sont, Tome1, Traduction : Amédée Pichot, éd. Michel Lévy frères, libraires éditeurs, 1868, Paris, p. 227. 44 Ibid., p.199. 53 Première partie. Chapitre I Aux origines du genre et du personnage policier Ce plai sir, se dem an de R égis Messac, n’est -il pas très voisi n de celui que les modernes limiers éprouvent à rechercher l a solution d’un m ystère, à surveiller un criminel et à guetter l es m aladresses qui le feront se dévoiler ? En tout cas, nous sommes fondés à penser que certaines expressions emplo yées par Cal eb Williams s’appli queraient fort bi en à ces limi ers modernes. Le héros de Godwi n se dit : Je vai s l’ [ mon maî t r e] observer ; j e ne l e perdrai pas un i nst ant de vue ; j e veux sui vre pas à pas l e dédal e de ses pensées » , « l a curi osi t é m ’eût exci t é à com parer m es observat i ons et à en ét udi er l es 45 conséquences . Tout de mêm e, dans l’enquêt e de C al eb comme l e rem arque Messac, on ne trouve pas de déductions proprem ent dites. Il prêche l e faux pour savoir l e vrai et ne fait j am ai s connaître dans l e détail l e cheminement de sa pensée. Voilà des raisons qui nous poussent à penser avec Messac que le héros de Godwin ne peut être un enquêteur au sens propre du m ot. 5. Vidocq Vers la fi n de l a décenni e 1820, sont apparus des si gnes qu i laissent présager une rencontre ent re l a littérature et les procéd ures judiciai res de l’enquête, l e cas de l’i nvention du polici er comme fi gure littérai re. Nul n’avait jusque -là pensé à investir l a fonction du policier d’une plus grande dimension romanes que : le personnage était t rivial, l a fonction hont euse et tout en lui inspirait l e mépri s. Viennent enfi n en 1828, l es Mémoires d’Eugène François Vidocq pour i naugurer en ce sens un transfert capit al, au regard de la littérat ure : l’intégration du personn age du policier, appel é à devenir 45 Cité par Régis Messac, op. cit., p. 173. 54 Première partie. Chapitre I Aux origines du genre et du personnage policier un puissant organisateur t extuel et engagé dès lors dans un l ent procès de requalifi cation. Francis Lacassin écrit: « [ …] i ls [V i docq et son « nè gr e »] i nt rodui sent dans l’ espace l it t érai re un personnage nouveau qui f era f ort une sous ses vari at i ons : pol ici er, dét ect i ve, j ust i cier » 46. Vidocq possédait l’art de se déguiser et celui de la fil ature, qui tiennent une si grande place dans les romans d’Emil e Gaboriau et de Conan Do yl e. Il est vrai qu’en mati ère de déguisem ent , V idocq éclipse tous les voleurs et espi ons réels ou imaginaires qui l’avaient devancé dans cett e voie : tour à t our cui sinier, ébénist e, valet allem and, receleur, et par -dessus tout voleur. « C’ est l e dégui sem ent qui l ui va le mi eux, et l’ on pourrait presq ue di re qu’i l j oue le rôl e au nat urel » 47 : nous affirme Régis Messac. En revanche, p our Messac, l e Vi docq des Mémoires , se m ontre très peu détective, et tout son m érite consist e à connaître admirablem ent l es voleurs, à savoir se mêler à eux et à passer po ur l’un d’eux. Il abusait en effet, de la confiance gagnée dans le pass é parmi la pègre pour aboutir à ses fins. Toujours selon Messac, tout ce qui, dans l es Mémoires, pourrait se rattacher à de vrais souveni rs n’offre aucun caract ère de déduction. En tout cas, si on ne peut pas prendre Vidocq pour l’ « inventeur » du roman polici er, il a sans doute cont ribué à créer le personnage du dét ective et l es Mémoires de ce cél èbre bandit -polici er ont sans dout e rem ué plus d’un esprit. En choisissant un détective comme personnage principal, Edgar Poe nous rapportait donc ce qu 'il avait emprunté ; il connaissait en effet l es Mémoires de Vi docq, qu'il cite dans l e Double Assassinat dans la rue Morgue . 46 Francis Lacassin, Mythologie du roman policier (I), coll. 10-18. Paris, 1974, p. 15-16. 47 Régis Messac, op. cit., p. 245. 55 Première partie. Chapitre I Aux origines du genre et du personnage policier A près avoir évoqué les lointains antécédents du héros détective qu e l’on a pu fai re remonter à l’Antiquit é grecque, nous const atons que ce personnage plonge ses raci nes assez profondém ent dans l’Histoi re , parce qu’il est lié au besoin d’élucidation d’une situation trouble. Certes, les premi ères trace s d’investi gation que l’on dét erre chez ces protot ypes sont fort rudiment aires, mais elles dénotent un certain souci de mise en échec d’une situation anormale, d’éluci dation de m yst ères et l es méthodes emplo yées alors sont assez proches de celles que l’on rencontrera dans l e récit poli cier nai ssant du XIX e siècl e : recherches d’indices, déductions, affirm at ion d’une culpabilité en vue du châti ment du coupable. Il est certain que nous sommes encore loin du détective mondain, élégant et raffiné. Les créateurs de ces protot ypes que nous venons de cit er n’ont pu ni mettre clairem ent en lumière le rôl e prépondérant que les raisonnem ents inductif et déducti f pouvaient jouer dans leurs hi stoires, ni en réserver exclusivement l ’usage à leurs personnages. Autrement dit, s’il est vrai que l’on pourrait trouver chez ces aut eurs, des pages où des personnages font preuve d’ingéniosité, reconnaissons qu’il ne s’agit là que d’infimes pages , qu’un élém ent d’int érêt parmi d’autres. Le charme m yst éri eux de la forêt et d’un monde vierge, la simpl e grandeur de cert ains traits de la vie sauvage, l e m él ange des scènes de guerre et d’amour, t out cela attirait les l ect eurs autant et peut -êt re plus que les histoires de chercheurs de pist es. Cependant, ils avaient m al gré cela entrevu et esquissé le héros -dét ective de l’avenir. 56 Première partie. Chapitre I Aux origines du genre et du personnage policier Nous l’avons donc compris , le héros-détective n’a pas été cré é spontanément, sans l e moindre ant écédent ou précédent. Mais pour le voir éclore il faut attendre la première moitié du X IX e si ècle. Edgar Allan Poe, Émile Gaboriau et A rthur Conan Do yl e ont donné au genre policier ses loi s cl assiques, ils en ont établi l es personnages, ils l es ont fixés t els à peu près que nous l es considér ons de nos j ours. Leur trouvaill e est d’avoi r fait du dét ecti ve ou du polici er, l e personnage principal et s ympat hique, tandis que chez leur s prédécesseurs, c’est le criminel, le bri gand qui était posé en héros. 57 Chapitre II Premiers créateurs & Premiers héros Première partie. Chapitre II Premiers créateurs et premiers héros I- Premiers créateurs A son apparition, l e genre polici er a bénéfi cié de l ’intérêt que lui ont porté de nom breux aut eurs, issus d’ai res géographiques et culturelles différent es , relevant essentiellement des Ét ats -Unis, de l a France et de l’An gl eterre. C es écrivains ont contribué à l’évolution du genre qui a ainsi fait preuve d’une cert aine vivacit é tout au long du XXème siècl e. Tout comm ence avec Edgar Poe. Il crée l’archét ype futur du détective : le cheval ier Dupin et il établit les règles principales du genre. Les ingrédi ents pour un bon roman poli cier sont donc l à: le raisonnem ent, l a ps ychologi e, l e suspense et l a viol enc e. Son premier discipl e n’est autre qu’Ém ile Gaboriau, a yant ét é foul é, comme nous l’avons démontré, Vidocq, et abondamment exploité dans le terrai n par Balz ac, Hugo, le roman-feuillet on. Poe et Gaboriau vont définir de ux écol es très différentes : L’écol e anglo saxonne de POE s’i ntéressera au chemi nement de l’enquête et créera le personnage du dét ective am ateur. L’é cole française de GABOR IAU sera plus sensible à l’aspect rom ancé et mélodramatique du policier : milieu, personnages pittoresques, coups de théât re (comme dans le roman feuilleton) et créera l e personnage du polici er professi onnel. Il faut commence att endre l ’histoi re l ’année du 1887 roman et policier C onan Do yle proprem ent pour dit . que Avec Sherlock Holmes, le m ythe est créé. il sera le « l og i ci en l e pl us i nci sif » et le détective « l e pl us dynam i que et l e pl us f asci nant d’ Europe ». 59 Première partie. Chapitre II Premiers créateurs et premiers héros 1. Poe ou l’image du père . 1.1. Contextes 1.1.1. L’Amérique d’Edgar Allan Poe a) Jeunesse d’une nation démocratique En moins de t rois quarts de siècle, l es Ét ats-Unis se constitu ent : ils ont une vingtai ne d’années en 1809 lorsqu’Edgar Poe naît à Boston, au cœur de la t rès purit aine et démocratique Nouvell e Anglet erre. En 1810, les États -Unis comptent dix -huit Ét ats, cinq millions d’habit ants, tous fiers de leur li bert é et l eurs s ept cent mill e escl aves… L’encouragement donné à la colonisation de l’Ouest conduit l ’Union à conquérir sans cesse de nouveaux territoires, en chassant s ystém atiquement la population indi gène. De fait , l es guerres d’e xterminati on m enées cont re les I ndiens révolt és (1811 – 1813), l’organi sation de leur transfert à l’ouest du Mississippi en 1826, dépl acent progressivement la fronti ère. Des vagues d’immi grant s viennent du sud par le Mississi ppi sur leurs bateaux à fond plat, ou de l’est sur leurs chari ots tirés par l es bœufs. Chasseurs et t rappeurs d’abord, petit s agri culteurs ensuite, ils défrichent l e sol de l a Prairie. Dans le nord, pa ys de grandes villes, une bourgeoisi e d’affaires, à la mentalit é souvent purit aine, acharnée au travail, domine une classe mo yenne nom breuse et un prol étariat déj à important . Le blocus anglais et, depuis 1812, la guerre ouvert e cont re l’Angl eterre y favorisent l’essor de l’industri e, t andi s qu’ils paral ysent le négoce coloni al du Sud, li é à l a Grande -Bretagne. P ar ailleurs, les États du Nord soutiennent une idéologi e appel ée à se développer : cell e qui 60 Première partie. Chapitre II Premiers créateurs et premiers héros unit la cro yance au progrès, l ’affi rmation des idéaux démocratiques et la défense des droits de l’homme. Dans l e sud en revanche, une aristocrat ie foncière, enri chi e par la cultur e du coton, cherche à prot éger une civilisati on fondée sur la plantation. Ell e util ise une m ain -d’œuvre form ée d’esclaves noirs et de « pauvres Bl ancs », contremaît res ou petits fermiers. Fragilisés par la guerre (1812 -1815), cert ains négociants sudistes s ’installent en Anglet erre (c’est le cas des parents adoptifs d’Edgar Poe qui, au lendem ain de Waterloo, s’em barquent pour Londres). La famille Poe retrouve ainsi , en 1820, le cadre t rès aristocratique de l a soci été sudiste. Homm e des villes, Poe se montre ra indifférent au m ythe de la frontière : les valeurs de base de l’Amérique en m arche, ses idéologi es, ses imaginaires, lui sont radi cal ement étrangers. b) Décrépitude d’un e société colonial e E.A. Poe évolue dans des institutions presti gi euses, com me l’université de Virgi nie ou l’Académie m ilitaire de West Point. Dans les cercles littéraires qu’il fréquente, il croise égal ement les fi gures de proue du pouvoir économique et reli gieux. Or, dans tous ces lieux, il s’affi rme comme le représentant conscient des ri c hes Ét ats du Sud, et se dresse cont re la suprématie intell ectuelle du Nord démocrati que. S es idées politiques et social es sont celles des grands colons sudistes, pl anteurs et négoci ants. Hostil e, comme eux, à la philosophi e du progrès et aux théories démoc rati ques, il s’en prend dans son œuvre aux « hérésies modernes » que sont la démocratie et « l ’égalité universel le ». Curi eusement , il voit dans la science le « mal premi er », à l’ori gine de l’aspiration commune à la « démocrati e uni verselle » . 61 Première partie. Chapitre II Premiers créateurs et premiers héros Dans cette perspect ive, nous pouvons aisém ent comprendre le succès remport é en France sous le S econd Empi re par l’œuvre d’Edgar Poe, grâce à l a traduction de Baudelaire. Quand le coup d’État de décembre port e au pouvoi r Napoléon III, Baudel aire s’affirm e « déci dé à rest er désorm ais ét ranger à t oute pol ém i que hum ai ne » . Poe, dont il a déjà traduit et publié en 1848 La révélation magnéti que, lui offre l’opport unité d’une int ense activité de traduction litt éraire. 1.1.2. Une littérature améri caine Si le Nord et le Sud des Ét a ts-Unis se déchirent et s’opposent, la vie social e des col ons de Richmond comme cell e des bourgeois de Boston reste encore imprégnée par la t radition brit annique dans l es st yl es de vie, m ai s égal ement les productions int ellectuelles et artistiques. La litt érature am éri caine n ’est amorcée vraiment qu’avec la génération d’Edgar Poe. a) Poe et la tradition littérai re améri cain e. Le paradoxe de l’œuvre d’Edgar Poe consiste dans le fait que, inappréciée pour ne pas di re m éconnue dans son pa ys nat al, mais chal eureusement val orisé e en France, ell e marque pourtant l es débuts d’une vérit abl e littérature nationale. D’un côté, le monde anglo -saxon manifeste à son égard de fort es réserves, sinon une franche répulsi on : Aldous Huxley 48 fusti ge « l ’ i ncorri gi bl e m auvai s goût » de son st yle et T.S. Eliot 49 considère sa poésie comm e « f rappée de 48 Aldous Leonard Huxley est un écrivain britannique, connu comme romancier et essayiste, il a écrit aussi quelques nouvelles, de la poésie, des récits de voyage et des scénarios de film. Connu du grand public pour son roman Le Meilleur des mondes. 49 Thomas Stearns Eliot est un poète, dramaturge, et critique littéraire américain naturalisé britannique. Il reçoit le prix Nobel de littérature en 1948. 62 Première partie. Chapitre II Premiers créateurs et premiers héros st agnat i on » , rejoi gnant ainsi les jugem ents de contem porains de Poe lui-mêm e, du moins si l’o n en croit Baudelai re dans son ardeur passionnée : « Il f aut , c' est - à- di re j e dési re, qu’ Edga r P oe, qui n’ est pas grand - chose en Am éri que, devi enne un grand hom m e pour l a F rance »e 50. D’un autre côté, il est difficil e de considérer qu e l es Ét ats-Unis aient connu une véritable littérat ure nationale , avant Edgar Poe . Tranchant sur les chroniques, le s t raités théologiques, quel ques poésies didactiques ou burlesques, seules les œuvres de Benjamin Franklin (plus moral iste qu’écrivain), de Brockden Br own (romanci er de terreur), ainsi que celles de Fenimore Cooper, Washing t on Irving ou William Br yant disp osai ent d’un statut littéraire. Par ses arti cles qu’il si gn e comme critique littérai re, Edgar Poe se montre souci eux de créer les condi tions d’une littérat ure améri caine de valeur : jugeant nécessai re de défendre les bons auteurs cont re l a production étran gère, moins risquée pour les éditeurs en quête de val eurs sûres (Charles Dickens, Walter Scott), mais préjudi ciable à la reconnaissance des jeunes tal ents améri cains, il rédi ge un projet de loi sur le cop yri ght, visant à prot éger l es écrivai ns du pl agi at e n l eur garantissant le respect du droit d’aut eur. En out re, Poe se démarque de l a critique litt éraire qui tend à val oriser l es œuvres selon des critères moraux, voi re moralist es, et non esthéti ques. Ce paradoxe s’écl ai re si nous considérons que Poe écrit c ontre une tradition littéraire romantique l argem ent inspirée d’Europe d’une part, cont re une idéologi e et un imaginaire am éri cains qu i s’exècre nt d’autre part. Son œuvre mani fest e une certai ne réticence au réalism e national : on ne t rouve pas trace d’Am éri que chez Poe. Cependant, apparaissent chez lui un bon nombre de thèmes qui 50 Lettre à Sainte-Beuve, 1852. 63 Première partie. Chapitre II Premiers créateurs et premiers héros s’avéreront les pl us const ants de la littérature américaine : l’obsession m aladi ve d’un crim e de famille ou d’un gest e contre nature, et l a volonté acharnée de découvrir m éthodiq uem ent une vérit é qui se dérobe, le divorce puritain du Bien et du Mal ; l’ivresse de la solitude et l ’affirmation exalt ée du moi. b) Les formes li ttérai res à la mode Dès 1830, la sci ence a vulgarisé des h yp othèses nouvell es sur les phénom ènes déconcert ants liés au m agnétisme. Les cont emporains de Poe se passionnent pour tous les phénom ènes électri ques et magnétiques, et lisent Swedenborg 51 que les nouvell es découvertes scienti fiques reme tt ent à la mode. Mais si E. A. Poe lui -mêm e n’hésit e pas, dans La Vérité sur l e cas de M. Valdemar ou dans Révélation magnéti que, à exploiter la fascination de ses cont emporains pour tous les phénom ènes él ectriques et magnéti ques, il n’en revendique pas moins un proj et esthétique ori ginal : tous les phénom ènes qui troublent l a consc ience cl aire l ’intéressent. Il cherche à suggérer au lect eur les déform at ions qu’un esprit tourment é fait subir au réel. En ce sens Poe est doublement moderne : en écrivant des contes qui s’inspirent moins des romans noi rs et en restituant l es « monologues intéri eurs d’êtres ensevelis dans leur univers subjectif ». En m ême temps, il transforme le m atériau li ttérai re de l ’horreur et du magnétism e pour le faire servir à un projet esthétique ori gi nal où le conte, que l’essor de la presse a éri gé comme la form e littéraire à la mode, se construit t out enti er sur la vol onté consci ent e de produire un « effet ». 51 Emanuel Svedberg dit Emanuel Swedenborg (1688-1772) était un scientifique, théologien et philosophe suédois du XVIIIe siècle, qui avait établi sa résidence à Londres. 64 Première partie. Chapitre II Premiers créateurs et premiers héros Le format et la form ule du journal favori sent surtout l’ém ergence de form es littérai res parfaitem ent adaptées au proj et est hétique de Poe. Poe formule ai nsi sa pensée dans Genèse d’un poème : … l es homm es ont besoi n de choses brèves, court es, bi en di gérées, au l i eu de choses vol um i neuses, en un m ot de j ournal i sm e au l i eu de di ssert ati on. Je ne sui s pas sûr que l es hom m es d’ auj ourd’ hui ai ent des pensées pl us prof ondes qu’ i l y a ci nquant e pensent pl us ans ; m ais i ncontest abl em ent vi t e, avec pl us i ls d’ adresse, pl us de préci si on, pl us de mét hode, et m oi ns d’ excroi ssance qu’ aut ref oi s 52. Ces qualités requises par l a form e journalistique sont exact ement cell es qui gouvernent l’écriture des « brefs cont es en prose » par lesquel s E. A. Poe veut faire « effet » sur le lecteur. C ar il a compris que ce sont les formes brèves qui se prêt ent l e mieux à l a maîtris e intellectuell e de la création littérai re. 1.2. Carrière policière 1809 - 1849 Edgar Poe est un écrivain américain dont l'œuvre est à l 'ori gine de quelques uns des genres modernes qui feront fort ifier la littérat ure cont emporaine. Edgar Poe a, dans ses récits , lancé l es bases de ce qui donnera plus tard l es récit s de science -fiction. Une carri ère militaire avortée et des débuts dans l a poésie lui auront certainem ent appris l a rigueur qui lui perm ettent ensuite d’écri re de nombreuses nouvelles. 52 Cité par Jacques Cabau, La prairie perdue. Histoire du roman américain, Seuil, Paris, 1966, p. 32. 65 Première partie. Chapitre II Premiers créateurs et premiers héros Livrés dans l a précipitation, les écrits de Poe ét aient souvent revus et retravaillés pour les publi cati ons ultérieures. Le genre de récits courts est l 'occasion pour Edgar Poe d'appliquer sa théori e consist ant à faire concourir cha que él ém ent vers un seul effet. Car si l'on a tendance à considérer un écrivain par ses rom ans, la nouvell e, genre quelque peu délaissé en France, est pourtant dans les pa ys anglo-saxons très prisée. Les nouvelles perm ettent à Edgar Poe de se faire connaître sur la scène littérai re bien plus sûrem ent que son premi er recueil poétique paru en 1827 - dès sa collaboration au « Burton's Gent elem an's Magazine » où est publiée La chute de la maison Usher, pour ne citer que l'une des ses nouvell es célèbres. Poe fera la gloire de ce j ournal et vivra là les meilleures années de sa vi e. Ses activités dans l a presse littérai re l’ont cert ainem ent aidé dans l a recherche et la perfection de son st yle. La vie d'Edgar Poe fut brève et sa biographie incertaine sur l a fin de sa vi e. journal à New York, Poe acqui ert un ville qu'il avait rejointe pour fuir la misère d'une carri ère prometteuse mais empêchée par ses supéri eurs à Richmond. C’est en 1841, avec Doubl e Assassinat dans la rue Morgue d’Edgar Allan Poe, qu’ apparaît le premier récit véritablement policier de l ’histoire de la littérature. Selon Boil eau et Narcejac, toutes les form es du roman poli cier moderne sont contenues dans La Lettre vol ée, Le Mystère Marie Roget et surtout, bi en sûr, Double Assassinat dans la rue Morgue : Dans l e doubl e crim e de l a rue Morgue , c’ est l ’ i nvesti gat i on sci ent if i que qui vi ent au prem i er pl an ; m ai s l es d i ssert at i ons de Dupi n sur l ’ anal yse des caract ères annoncent l es subt i l i tés psychol ogi ques de Poi rot ; l’ at t ente angoi ssée de la sol ut i on ( ell e ne dure pas l ongt em ps m ais enf i n ell e 66 Première partie. Chapitre II Premiers créateurs et premiers héros exi st e, i névi t abl em ent ) est à l a raci ne du suspense ; l a brut al i t é avec l aquel l e l es deux cri m es ont ét é com m is, l a m uti l ati on des corps, l e sang répandu, en un m ot l ’ horreur de l a scène nous rappellent à tem ps que l a vi ol ence est un él ém ent const i t utif du rom an pol i ci er 53. Pour composer un récit, Poe conçoit l ’histoire « à rebours » : désireux de faire vivre au lecteur l e cheminem ent de l’enquête, il remont e du crime au criminel. Ainsi c’est après s’êt re fait sa propre idée – longuement exposée au narrateur – sur l e « double assassinat » que l e dét ective Dupin élucide compl èt em ent le m ystère. Les t rois nouvell es polici ères de Poe se présentent comm e le li eu d’une possible maît rise du réel par l es performances extraordi nairement logiques d’un singul ier détective. De ces mêmes nouvelles, peuvent se dégager quelques règl es fondame nt ales du rom an polici er. Si Poe n’i gnorait point le positivisme, s’il était égalem ent un bon mathémati cien, il avait aussi lu, comme le souli gne Claude Richard 54, le Comte Robert de Paris 55 (1831) de Walt er Scott qui met en scène un orang -outang « parleur » et m eurt rier, ainsi qu’une nouvell e de Sheridan Le Fanu 56 qui présent e une situation assez semblabl e à celle du Doubl e Assassi nat dans la rue Morgue. La naissance du st yl e policier n’est donc pas une création ex nihilo, mais la conséquence cum ulée de t end ances qui commençaient à s’affirm er 53 Boileau-Narcejac, Le roman policier, PUF, coll. « Que sais-je ? », 1975, p. 22-23. 54 Claude Richard, docteur ès lettres, professeur à l'université Paul-Valéry, Montpellier. 55 Count Robert of Paris, de Walter Scott, romancier anglais. 56 Joseph Sheridan Le Fanu est un de ces écrivains qui a dû subir le purgatoire avant de se voir reconnu à sa juste valeur. Nul ne met en doute son importance dans l’évolution du récit fantastique. Sa nouvelle Carmilla est considérée comme l’une des plus grandes réussites du récit de vampire. 67 Première partie. Chapitre II Premiers créateurs et premiers héros dans la litt érature et auxquell es Poe a donné forme dans cette nouvell e. On a dit des nouvelles d’Edgar Poe, que c’ét aient des contes d’horreur. Mais Le Scarabée d’or et La Lettre vol ée sont plutôt fondés sur l a ratioci nation 57 et c’est précisém ent l a puissance du raisonnem ent qui rend le dét ecti ve de Poe inqui étant, anormal. En fait, Les cont es d’horreur de Poe présagent la voie fantastique d’aut eurs américains comme Lovecraft ou Stephen King 58, al ors que les cont es de ra ti ocination annoncent les romans policiers d’ Émile Gaboriau, Art hur Conan Do yle et pl us tard Dashiell Hammett 59, Ra ymond Chandler 60, et bien d’autres. Des traces de ce que l’on appell era plus tard, la science -fi ction, y sont décel ées. Toutes les nouvell es polici ères de Poe dévoilent la fascination de cet écri vain pour l’esprit et l ’effet dést abilisat eur de la connai ssance sci entifique qui ét ait en t rain de modi fier de fond en comble les idées du XIXe siècl e. Les t rois cont es d’Edgar All an Poe ont donné nai ssance au genre policier dont l e succès dure en France et en Anglet erre, ils sont les protot ypes du genre et n’ont pas été surpassés depuis. Le roman policier d’observati on dérive du Double Assassinat dans la rue Morgue; le rom an policier ps ychologi que de La Lettre volée ; le 57 Il s'agit d'un terme avec lequel Edgar Allan Poe avait désigné ses contes les plus rationnels ou les plus « cérébraux ». 58 Stephen Edwin King né 1947, écrivain américain connu pour ses romans d’horreur et fantastiques. 59 Dashiell Hammett (1894 -1961), est un écrivain américain, considéré comme le fondateur du roman noir. 60 Raymond Thornton Chandler (1888-1959) est un écrivain américain de romans policiers. 68 Première partie. Chapitre II Premiers créateurs et premiers héros roman polici er scientifique du Mystère de Mari e Roget. Nous sommes donc en droit de penser que Poe a bien fourni les m atériaux de base à la littérature polici ère, mêm e si l es enquêtes de Dupin sont encore maladroites et verbeuses, et t out ce qui était en germe chez Poe, va s e dével opper dans l es années qui suivent . En effet, Poe a donné au genre ses lois cl assiques, il en a établi les personn ages, il l’a fixé tel que nous le verron s plus tard. Sa découverte est d’être le premier à avoir fait du détective, l e héros de ses récits, ta ndi s que chez les rom antiques , c’est le criminel qui était posé en héros. Cet audaci eux renversement des rôl es dem andait des précauti ons : afi n de ne pas heurt er l’opi nion publique, Poe a reti ré à son dét ective tout caractère off i ciel , il en a fait un am ateur : Dans ses cont es, Mr. P oe a choi si de dépl oyer son t al ent surt out dans cet t e obscure cont rée qui s’ ét end des l i m it es ext rêm es du proba bl e j usqu’ aux conf i ns m yst éri eux de l a superst i ti on et de l ’i rréel . Il réunit d’ une m ani ère t rès rem arquabl e deux f acul t és que l ’ on t rouve d’ i nf l uencer rarem ent l ’ esprit du associées : le pouvoi r l ect eur l es om bres par i m pal pabl es du m ystère, et l a m i nuti e du dét ai l qui ne l ai sse pas échapper l a m oi ndre épingl e. Tout es deux, en véri t é, sont l es conséquences nat urel l es de l a qual i t é prédomi nant e de son espri t , … 61 Au XX e si ècl e, l es Histoires ext raordinaires furent largement adapt ées un nombre considérable de fois au cinéma . Ed gar Poe se hisse dans l e panthéon de la litt érature anglo-saxonne au ni veau des plus grands qui restent associ és à l a littérat ure poli cière, comm e 61 James Russel Lowell, article paru dans le Graham’s Magazine, 1845, in Edgar Allan Poe, cahier dirigé par Claude Richard, Éditions de l’Herne, 1974. 69 Première partie. Chapitre II Premiers créateurs et premiers héros Agatha Christi e avec Hercul e Poirot et Miss Marple. L’écrivain américain aura ét é un précurseur, sans avoi r profité des retombées financières d'un génie littérai re qui éclaire j usqu'à l a li ttérat ure contem poraine. Cet te fi gure de l 'artiste maudit fait peut -être l e charme de Poe si bi en que de nom breux admirateurs célèbrent encore aujourd'hui sa mémoire en se réuni ssant autour de sa tombe à Baltimore tous les 19 ja nvier, date anniversaire de sa naissance. Pour lui rendre hommage, « M yst er y W riters of Am ercia » 62 décerne chaque année un prix « Edgar All an Poe » qui récompense une créati on visuelle ou littérai re dans l e genre du m ystère. 62 Est une association d’auteurs de romans policiers fondée à New York en 1945. 70 Première partie. Chapitre II Premiers créateurs et premiers héros 2. Émile Gaboriau ou la naissance du roman policier. 2.1. Contextes 2.1.1. La littérature « ju diciaire » En France, le début du XIX e si ècl e est une période politiquement agitée avec l a Rest auration et les débuts de la Monarchie de juillet. Il semble que le p euple et, en particuli er, le prolét ari at urbain attend une explication sur le fonctionnement de la sociét é et de l a justice. Déjà au XVIII e si ècle, les biographi es de bandits cél èbres comm e Cartouche, Mandrin, An thel em Collet, propres à l a littérature de colport age, fascinent l’imaginai re popul aire et suscit ent la sym pathie par leur caract ère cheval eresque. Les Mémoires de Vidocq mettent en scène le monde des truands avec l es bagnes, les structures de l’appareil r épressi f, arti culé aut our des juges, des commissaires de police et des gendarmes. Venant du X VIII e siècle et de l a période révoluti onnai re et i mpéri ale, Vidocq révèl e une criminali té dat ée. Bagnard après avoi r ét é condamné pour faux en 1796, il s’évade, devient indicateur en 1 809, puis poli cier. Chef de la Sûret é en 1811, il s’appui e davant age grâce à son réseau d’indi cat eurs sur la dénonciation plutôt que sur l e raisonnement déductif. Vidocq est considéré par Michel Foucault comme l ’un des premi ers à profi ter du « concubinage » de la police et de l a délinquance 63. Les Mémoires de 63 « L’utilisation politique des délinquants – sous la forme de mouchards, d’indicateurs, de provocateurs – était un fait acquis bien avant le XIXe siècle. Mais après la Révolution, cette pratique a acquis de tout autres dimensions : […] l’organisation d’une sous-police – travaillant en relation directe avec la police légale et susceptible à la limite de devenir une sorte d’armée parallèle –, tout un fonctionnement extra-légal du pouvoir a été pour sa part assuré par la 71 Première partie. Chapitre II Premiers créateurs et premiers héros Vidocq révèl ent l e déplacement d’int érêt, de la part du public, du criminel vers l ’enquêteur. T ype soci al, l e poli cier est né. Balzac l ect eur de Vi docq, le rencont ra à plusi eur s reprises et s’en inspira pour créer le personnage de Vautrin qu’on retrouve dans Le père Goriot , dans Les illusions perdues et dans Spl endeurs et misères des courtisanes . Dans ce dernier ouvrage, l a troi sième partie intitulée « Où mènent les mauvais chemins » nous permet d’assist er à une arrest ation et aux ruses d’un int errogat oire mené par un juge d’instruction. C’est en 1841 avec Une t énébreuse affaire que Balzac frôl e le plus nett ement le rom an poli cier. Gaboriau, lecteur de Balzac, connaissait bien ces rom ans. Si le récit balzacien rest e vivem ent sensible à l’attrait de la chasse poli cière, comporte une enquêt e, une éni gm e et m énage des rebondissem ents, notons qu’ il ne ressemble guère à un vrai roman policier. Tous les él éments du genre se retrouvent dan s l’ensemble de son œuvre, m ais nul le part ils n’ont été réunis avec la concentration suffisante et l e dosage voul u. Le thème du criminel qui a pa yé sa det te envers la soci été pour commencer une nouvelle existence en mettant son expérience du mal au profit du bien se ret rouve chez Vict or Hugo. Après avoir fait l a connaissanc e de Vidocq en 1849 au moment où il entreprit la rédaction des Misérables, Hugo l e dédouble dans l es personnages antagonistes de Jean Valjean, ancien bagnard, et du policier Javert. À la générosité du personnage épique de Valjean qui renonce à s a vengeance s’oppose la m alfaisance acharnée de l’inspecteur, espion maniaque, enferm é dans sa concepti on étroite et instituti onnelle de la masse de manœuvre constituée par les délinquants » : M. Foucault, Surveiller et punir, Gallimard, 1975, p. 327 . 72 Première partie. Chapitre II Premiers créateurs et premiers héros justice et de la loi . Sans êt re un rom an poli cier, Les Mi sérabl es valorisent l a struct ure narrative du roman noi r, la poursuite d’un anci en bagnard par un polici er. 2.1.2. La thématique policière d es romans -feuilletons En 1848, il est ai sé d’identifi er le roman popul aire dans le roman -feuillet on, un genre récent dan s lequel vont s’illustrer Frédéri c Soulié (Les Mémoires du diable, 1837) dans le rom an noi r, Alexandre Dumas dans le rom an histori que et Eugène Sue dans le roman de mœurs. C es aut eurs savent s’adapt er aux contraintes imposées par la presse à bon m arché en découpant l eur texte en t ranches égales, en accél érant leur cadence de t ravail afin de livrer l eur production à date fixe, en inventant des chutes préparant les rebondi ssements de l’intri gue, ils réussirent à toucher un public immense. Paul Féval (1817 -1 887), qui a concurrencé L es Mystères de Londres (1844) et sa franc -maçonneri e du crime, se rapproche avec Les Habits noirs qui compte , sept volum es de pl us de cinq cent pages chacun, des intri gues criminelles cl assiques. L’im port ance de la déduction logique avec l’étude des t races, des emprei n t es et des indices pour dépist e r le criminel, préfigure l e rom an pol icier. Le roman de cape et d’épée d’Al exandre Dum as comme Les Trois Mousquetaires (1844) n’en met pas moins en scène un détective privé dont la mission est de récupérer les ferrets de la reine Anne d’Aut riche. Dans L e Comte de Mont e-Cristo (1844 -1845), Edmond Dant ès, dont l a vie a été brisée par une dénonciation dél étère et finit par subir une conda mnation injust e, s’évade d u chât eau d’ If, se rend sur l’îl e de Mont e-C risto où, grâce aux indications de l ’abbé Faria, il découvre un fabul eux trésor. Sous le nom de comt e Monte -Cristo, 73 Première partie. Chapitre II Premiers créateurs et premiers héros Dant ès, richissim e étranger qui fit son apparition à Paris, fait sensati on auprès la haute sociét é parisienne par son luxe et sa magnifi cence, et entreprend aussitôt, en justici er impl acable, de frapper avec la gloi re de la vengeance . Dans l a littérature populaire, la quête individuelle, la justice personnell e l’emport ent sur l es médiocres représent ants de la soci été, qu’ils soi ent juges ou policiers. La littérature cri minelle et polici ère du X IXe si ècl e se caractérise donc par des t hèm es com me le crim e impuni, l’erreur judiciai re, l a vengeance, l es fi gures anti thétiques du malfait eur et du justicier, la poursuit e ou la chasse à l ’homme. Cependant, l a logique et la cohérence du récit poli cier s’accordent mal aux contrai ntes de l a parution quotidienne et d’une construct ion feuill etonesque à tiroirs . Si la thématique du genre polici er est présent e dans les romans de Balzac comm e dan s les rom ans -feuillet ons, l e récit souffre d’une absence de concentration et de dosage. Les personnages sont davantage pensés par rapport à leur destinée individuell e social e et amoureuse que par rapport à l eur fonction dans l’éni gme cri minelle. 2.2. Biographie et carrière. 1832 - 1873 La double fiction policière pat ernit é : Ed gar s’aut orise Allan d’une P oe et Gaboriau. Toutefois comme le rem arquai t déjà Marius Topin, « Là où le premi er [Poe] avait construit la carcasse du système, le second [Gabori au] a mis les chairs, l e sang, le souffle, la vie ». C’est l’ écrivai n qui va le mieux assimiler une nouvell e mani ère de composer des récits . Il va lire avec i ntérêt les nouvelles de Poe, avec autant d’att ention qu’il avait l u les Mémoires d’Eugène74 Première partie. Chapitre II Premiers créateurs et premiers héros François Vidocq – dont le nom lui aurai t inspiré la création de son cél èbre dét ective Lecoq -, ce qui va l ui perm ettre, sans l e savoi r probablem ent, de devenir le premier aut eur polici er francophone et l’invent eur universel du roman poli cie r. Parmi les sources de Gaboriau, les différents feuillet onistes (mentionnés dans le contexte ), qui situai ent souvent l’acti on de l eurs récits dans les bas fonds criminel s des grandes villes, met tant en scène une confréri e mafieuse ; l e roman -feuilleton dut une parti e de sa popularité à l a fascination qu’exerçait le milieu criminel. Gabori au apparaît nettem ent comm e l’auteur qui marque la transition ent re l e roman feuill eton et le rom an polici er. Contrai rem ent à P oe qui s’est limité à ses trois nouvelles, Gaboriau a donné une séri e de romans pol iciers : L’Affaire Lerouge (1863), et c’est l à que tout se dessine avec une int ri gue qui rappelle, de façon lointaine, le Doubl e Assassi nat dans la rue Morgue , Un roman qui passe presque inaperçu. Il faudra attendre sa reprise dans Le Sol eil en 1865-66, pour que Gaboriau accède à l a not oriét é ; ce qui va lui permett re de publier, coup sur coup, deux romans l’année suivant e Le Dossi er n°113 et Le Crime d’Orci val (1867), puis Monsieur Lecoq (1869) et enfin La Corde au coup (1873). Il est à noter qu’il s’agit de l’ordre chronol ogique de leur publicati on, mais non de celui dans l equel ils ont été écrit s. C’est ce dernier ordre que nous compt ons respect er dans l a présentation du corpus, afin de suivre de façon convenable l ’ascension administrative du jeune agent de la Sûreté Lecoq. La possibilité de voler de ses propres ail es allait pour la premi ère fois êt re offert e au poli cier Lecoq de Gaboriau, dans le roman Monsi eur Lecoq du nom de l ’avisé limier que l es précédents feuill etons avaient rendu cél èbre. Le roman comporte deux parties 75 Première partie. Chapitre II Premiers créateurs et premiers héros bien distinct es. La premières est le récit d’un crim e odieux qui a été commis dans un infâme bouge parisi en , « La poivrière ». Le chef de la pat rouill e croit à un règlem ent de compte entre escarpes. Lecoq pense, lui, que l e m eurt rier e st un hom me du monde, et qu’il pourrait être le duc de Sairmeuse. La seconde parti e nous entraîne à rebrousse-t emps pendant la rest auration et nous cont e des événem ents de province liés aux bouleversements politiques. C 'est là, dans les passions politique s et amoureuses que se noue l e dram e à l 'origine du crime de l a premi ère parti e. Monsieur Lecoq est cert ainement le grand chef-d’œuvre qui dépasse en int érêt tout ce que Gaboriau, peintre authentique de la sociét é du Second Empire, a publié. Toutes les astuces du rom an feuilleton s’associent à la création d’un genre dont Gaboriau reste l e pi onnier incontest able. Si Arsène Lupin 64 est le fils de Monsieur Lecoq, c’est certainement grâce au roman Le Crime d’Orci val qu’il fut conçu ! Roger Bonniot, l e biograph e d’Émil e Gaboriau, nous di t dans l a préface qu’il écri vi t à l’occasion de la réédition du rom an par l es Éditions Encre (1985) qu’il est « sans cont est e le m ei l leur des rom ans j udi ci ai res de Gabori au » . Il s’agit d’un m yst éri eux homicide qui a été commis au chât eau du comte de Trém orel à Orcival. Alors que l a police est persuadée d’avoi r trouvé les coupables de cett e sanglant e affaire, l’agent de S ûret é Lecoq arrive de Paris brisant cett e illusion. Il prend l’affaire en main, redém arre l ’enquête avec des m éthodes très personnell es. Il examine soi gneusement les circonst ances du crim e, rassemble les dét ai ls, découvre les m obiles, reli e d’improbables protagonistes et divers élém ents et trouve enfin l a vérité à l a surpris e général e. C ’est dans ce roman que l es méthodes de déducti on de M. Lecoq annoncent les détectives qui vont suivre. 64 Arsène Lupin est un personnage de fiction français créé par Maurice Leblanc au début du XXe siècle. 76 Première partie. Chapitre II Premiers créateurs et premiers héros Le succès des « romans judici aires » - qualifiés par l a suite de « polici ers » - d’Ém ile Gabori au ne s’est jamais démenti. Publiés à l a fin du Second Em pire, ils ont tout de suit e éveillé un intérêt passionné et, depui s lors, ont été réédités de nombreuses fois en France. Peu de temps après leur appariti on ils ont été tradui ts en une dizaine de langues. Gaboriau passe pour l e père de l’archi -dét ective Sherlock Holmes, Art hur C onan Do yle lui -m êm e en a souli gné l ’i mportance pour la genèse de son œuvre qu’il présente, dans un passage de s es mémoires, comme une espèce de s ynthèse ent re l es modèl es narratifs de Poe et de Gaboriau : Gabori au m ’ avai t sédui t par l’ él égante f açon dont i l agençai t l es pi èces de ses i nt rigues, et l e m agi st ral détect i ve de P oe, M. Dupi n, avai t ét é, depui s m on enf ance, un de m es héros f avori s. 65 Alexandre Duma s salua à son tour l 'atmosphère et l 'habi le té narrative de l 'aut eur, des homm es d’Ét ats illustres, co mme Bismarck et Disraeli, se délect aient à la l ecture des romans de Gaboriau. Avec Régis Messac, le pl us consciencieux des historiens du roman policier, ce sont des écrivains de renom, de l a catégori e d’André Gide, de Jean Cocteau, de Joseph Kessel et d’Arm and Leroux qui ont fait un éloge solidement justifi é de son esprit invent if, de la construction de ses récits et de son tal ent de narrat eur. Le X IXe si ècl e français fut un âge d’or littéraire. Les courants s’ y sont succédé en grand nombre, du romantisme a u s ymbolisme en passant par le réal isme, au gré des chefs -d’œuvre d’auteurs plus 65 “Gaboriau had rather attracted me by the neat dovetailing of his plots, and Poe’s masterful detective, M. Dupin, had from boyhood been one of my heroes. ?”, A. Conan Doyle, Memories and Adventures, London,1924, p. 74 ; citation d’après A. E. MURCH, The Development of the Detective Novel, London, 1968, p. 16. 77 Première partie. Chapitre II Premiers créateurs et premiers héros grands que nature, Balzac, Hugo ou Zol a, par exemple. Si l’on signal e Émile Gabori au mal gré la richesse de ce siècl e, c’est qu’il jouit du mérite d’avoi r inventé le rom an poli cier. 3. Sir Arthur Conan Doyle et le mythe holmésien. 3.1. Contextes 3.1.1. Contexte social Les aventures poli ci ères composées par Do yle nous t ransmet tent une image de la société victorienne de la fin du siècl e. Il convient peut-être de rappel er que la di ffusion de s es écrits est directem ent liée au développement des revues à grand tirage inspirées de modèles am éri cai ns. Les années qui voi ent naît re et se dével opper le c ycl e de Sherl ock Holmes coïnci dent avec l ’émergence d’une nouvell e génération de lecteurs, qui compte un grand nombre d’adolescents. Pour expliquer quelle image de leur société ces lect eurs pouvaient découvri r dans les Aventures écrites par Doyl e, l e romancier George Orwell écrit dans un essai consacré à Sherlock Holmes, intitulé « Grandeur et décadence du rom an policier anglais » : Durant l es années pai si bl es de l a dernière f i n du si ècl e, l a soci été pouvai t passer pour com posée essent i el l em ent de bonnes gens dont l e crim i nel seul t roubl ai t l a quiét ude 66. Or, en réalit é, il est impossible de parler d’ « années paisibl es » à propos de l’ Angleterre de l ’époque puisqu’elle est en plein e effervescence. La transform ation économique rapide et brut ale 66 Cité dans Tout ce que vous avez voulu savoir sur Sherlock Holmes sans jamais l’avoir rencontré de Pierre Nordon, Librairie Générale Française, coll. Le Livre de Poche Biblio essais, Paris, 1994, p. 86. 78 Première partie. Chapitre II Premiers créateurs et premiers héros engendre de nombreux problèmes soci aux, auxquels font all usion de nombreuses œuvres littérai res . Les t ravailleu rs les plus défavorisés expriment leur mécontent ement par l es grèves, des mani festations souvent viol entes, par l ’essor spect acul aire de l ’esprit s yndicalist e, aboutissant à la création du parti t ravaill iste. Ainsi, on peut rel ever dans les récits policier s de Do yle une sociét é composit e comportant des com merçants, des artisans, des prêt res, des médeci ns, des gouvernant es, des dand ys, des renti ers, des minist res et des inspecteurs de Scotland Yard. Mais, c’est une sociét é qui compt e égal ement des chôm eurs e t des m arginaux dont les récits de Do yl e ne nous parl ent pas. L’auteur brit annique ne donne à aucun susceptible m oment d’une remise le sentiment en que quest ion, ni l’ordre soci al soit qu’il puisse être profondém ent m enacé dans ses structures. 3.1.2. Contexte li ttéraire En cette seconde m oitié du X IX e siècl e, une scène culturelle européenne él argi e et enrichie entoure la création du héros do ylien. De nouvell es t endances artistiques sont dessinées, les rencontres entre int ellectuels de tous pa ys se m ultiplient, l es cerveaux sont affectés par l ’esprit de révolution, aut ant sur le pl an spiri tuel que politique. Ainsi, tout est en place pour que se développe ce que Pierre Larousse appelle « l es rom ans de l a cour d’ assise et des i nvest i gati ons pol i cières » 67. La fascinati on traditionnelle pour l e crime y est renouvel ée par l’invention romanesque du poli ci er (celui de Gaboriau par exemple) et égal ement par l ’imaginaire de la traque urbaine. Une combi natoire narrative spéci fique en résult e, dont la mise en forme progressiv e est aux sources du récit poli cier. Elle est 67 Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle, vol. XIII, p. 1327. 79 Première partie. Chapitre II Premiers créateurs et premiers héros caractérisée par deux traits : un récit pris en m ain s par un investi gateur, et la su bstitution du récit de l’enquête à celui du crime, dont l e chem inement consist e précisément à reconsti tuer, par bribes et t âto nnements successi fs, l e méfait initial. Si les célèbres nouvelles publi ées par P oe en 1842 et les romans policiers écrits par Gaboriau à partir de 1863 purent const ituer un protot ype, ils étai ent composit es et h yb r ides, mixte de fait s divers, d’affaires judici aires réell es, de mél odram e, et c. mais l’enquêt e judiciai re et l a recherche de la vérité assurai ent vaille que vaille la cohérence de l’ensemble. Ces écrits comportent toujours des digressions, rebondi ssements et révél ati ons, témoi gnant de l ’emprise des traditions. C’est juste avec l es récit s po lici ers de Con an Do yl e qu’une formalisation du genre va s’ét ablir et c’est dans l’Anglet erre des années 1890 que va se codifi er l e genre polici er. 3.2. Biographie et carrière 1859 - 1930 Arthur Conan Do yl e naquit à Edimbourg en Ecosse. Ses parents étai ent tous deux irl andais. Le jeune Art hur ét ait l e second d’une progénitur e de dix enfants. Il naqui t et vécut essentiell ement sous le règne de la R eine Vi ctori a. Cett e époque historique appel ée « l ’époque vict orienne », a marqué l ’histoire de l’Angl eterre : ce fut une époque très puritai ne. A l’âge de vingt -trois ans, il réalisa que le seul exerci ce de la médecine ne lui permettrait pas de donner tout e sa mesure, et déci da d’écri re. En tant que coll égien, il avait déjà rédi gé des textes pour l e journal de son écol e. Il dispos ait d’une culture littérai re vaste e t diverse, qui comprenait cert es des réci ts d’aventures populaires de 80 Première partie. Chapitre II Premiers créateurs et premiers héros l’époque et des hist oires polici ères (Edgar Poe, Wilki e Coll ins, Émile Gaboriau), m ais aussi les classi ques lati ns et français, Shakespeare, et les deux grands auteurs écossais du siècl e : le romanci er Wal ter Scott et l’écrivain et historien Thomas Carl yle. Il écrit en 1887 Une étude en rouge , le choix du titre trahi t un hommage discret à Gaboriau, et à sa très cél èbre L’Affaire Lerouge . C’est dans ce rom an qu’il crée l e personnage de Sh erlock Holmes. Il s’inspire du Dupin de E. A. Poe, du Le cocq de E. Gabori au, et des méthodes de son professeur de méde cine Bell, et là il faut bien reconnaître que C . Do yle a ét é puissam ment aidé dans sa t âche par sa connaissance assez approfondie de la m édecine l égale. C e premier roman eut plus de succès aux États -Unis qu’en Grande -Bretagne, mais il avait trouvé sa voie et son dét ective ne tarda pas à s’imposer sous tous les ci eux . Pour le mett re en scène, il garda la forme de la nouvell e publi ée régulièr ement en une seule fois, offrant , ai nsi, à ses récits l’avant age de n’être pas composés d’épisodes , comm e c’est le cas pour les ro mans débités en feui lletons. Son personnage est parfait, il est à l a fois b rillant , surdoué, scienti fique et int ellectuel. Mais, l e publi c ne sera conquis qu’avec la parution de ces avent ures sous forme de nouvelle dans Strand Magazine . Thierr y Saint -Joani s, journaliste et président fondateur de la Sociét é Sherlock Holmes de France souligne pertinemm ent que les méthodes de Sherl ock Holm es sont très tôt connues en France, et s e demande si ces m êmes m éthodes ne revi ennent pas, com me un boomerang, à leur source. Quand Holmes et Watson font connaissance, ce dernier apprend que l e détective brit annique a lu les avent ures de l 'i nspecte ur Lecoq de Gaboriau et celles du chevali er Dupin d’Edgar Poe ; il ne citera j am ais plus d 'aut res détectives 81 Première partie. Chapitre II Premiers créateurs et premiers héros «concurrent s ». Peut -on comprendre que seuls les deux Français méritai ent son intérêt..? Le succès de Sherlock Holmes rendit populaire le rom an po licier et lui donna l es bases sur lesquell es i l allait se développer, ainsi, selon Marc Lits 68, si le genre poli cier est né avec E. Poe et É. Gaboriau, c’est uni quement Conan Doyl e qui lui a perm is de s e distinguer des aut res form es de la l ittérat ure popula i re avec la création du personnage de Sherlock Holm es. Sur les parallèl ement traces au du succès cél èbre de la dét ective form e de Baker feuillet onesque Street et dans l es magazines, de nombreux autres détectives de fiction émergent, à l a fin du X IX è m e siècl e et au début du XX è m e , not amment en Grande Bretagne. La nouvelle, forme j usqu’al ors privil égi ée, cède progressivement le pas au roman, qui trouve véritabl ement son point d’ancrage au début des années 1920, avec la form e du whodunit, contracti on de l ’expr ession « who has done it ? » ( « Qui l’a fait ? »), archét ype de ce que l’on appell era le « roman poli cier classique » ou encore « roman d’énigm e ». À parti r de l ’époque de Conan Do yl e, les écrivains cherchèrent en effet à créer des dét ectives capables de r i valiser avec son personnage. L’écrivain angl ais Gil bert Keit h Chesterton , dans les premi ères années du XX e siècle, donna vie au personnage du père Brown, un prêtre détective, et, en 1920, à l’aube de l’âge d’or du roman poli cier, la Britannique Agatha Christie fit naître miss Marpl e et surt out Hercule Poirot, fringant détective bel ge qui emplo yait 68 M. Lits, Le Roman policier : introduction à la théorie et à l’histoire d’un genre littéraire, Liège, Editions du CEFAL, 1993, p. 39. 82 Première partie. Chapitre II Premiers créateurs et premiers héros activement ses « petites cellules grises » à la résolution d’affaires criminelles. Aux Ét ats -Unis commencèrent les séries d' Ell er y Queen , tandis que S. S. Van Dine (pseudon yme de Willard Huntington Wright, 1888 -1939) contait l es aventures du détective dilett ante Philo Vance (l a Myst éri euse Affaire Benson, 1926). À l a même époque, u n autre Améri cain, Earl Derr Bi ggers, i nvent ait un fameux dét ective chinois, Charli e Chan. Parmi les aut res écri vains des années 1930, citons l ’Am éri cain Rex Stout et son détective gourm et, Nero Wolfe, et l’Anglai se Dorot hy S a yers, qui im agina un détective aristocrat e, lord Pet er Wimse y. En France naquit en 1907, sous l a plume de Gaston Leroux , le personnage Roulet abi lle, jeune report er attaché au « bon bout de la raison ». Dans le Mystère de la chambre jaune, où il met en scène Rouletabille, Leroux reprend avec brio le principe du crime en li eu clos. En revanche, le com missaire Mai gret reste le plus cél èbre poli cier français , apparu en 1931 dans Pi etr le L etton : le héros du romanci er bel ge George Simenon aborde ses enquêtes d’un point de vue ps ychol ogique et social. Conan Do yl e se si gnale égalem ent par de nombreux rom ans historiques et des romans d'avent ures comme Le Monde perdu (The lost World ). On lui doit plus de cinquante li vres et un nombre considérable de nouvelles. Candidat au parlem ent, Arthur Conan Do yle est anobli en 1905. Il meurt en 1930, m ais pour l 'état -ci vil seulem ent, puisqu'il rest e l e créat eur d’un détective m yt hique de tous les t emps. 83 Première partie. Chapitre II Premiers créateurs et premiers héros T out en apport ant un éclairage, peut -êt re pas différent de celui apport é par d’autres études, m ais nuancé sur cert ains aspects de l a vie et des œuvres des trois écrivains ; nous avons cherché à fai re -redécouvri r ces créateurs, qui ont su absorber la réalité de leur époque p our en faire de la fi ction. Les écrit s de Poe, Gaboriau et Do yl e trouvent donc précisément leur essence dans une form e d’ancrage dans la réalit é de l eur époque. Le cont exte historico social, politique, int ellectuel ou voire m ême circonst anciel n’agit plus en tant que décor mais vérit abl ement en t ant que personnage : Si l e rom an est d’ abord un f ai t de l angage, un ensem bl e de f orm es, i l n’ en reçoi t pas m oi ns l a m arque du cont ext e dans l equel i l a vu l e j our. L’ époque et l a personnal i t é du rom anci er ne peuvent m anquer de se ref l éter, d’ une f açon ou d ’ une aut re, dans l ’ œuvre dont i l est l a source. 69 Ainsi, m ême s’il ne faut pas voi r dans les écrits de ces aut eurs le miroir de l a réal ité, i ls en recèl ent tout de mêm e d’im portant es empreintes. C’est en fonction de ces contextes que sont inventés égal ement leurs personnages et les missions qui leur sont att ribuées dans le mécanisme de l’intri gue. Leurs héros -dét ectives sont en fait les plus attachant s et c’est grâce à eux que no s t rois auteurs arrivent encore, 69 Jouve Vincent, La poétique du roman, SEDES/HER, Coll. «Campus Lettres», Paris, 1999, p. 89. 84 Première partie. Chapitre II Premiers créateurs et premiers héros de nos jours, à capt er un lectorat aussi féal qu’exigeant. L ’ exemple de Holm es a réussi à peupler nos im agi nations et nous nous référons souvent à lui com me s’il ét ait une personne réell e. Gr âce à ces écrivains -créat eurs, le genre poli cier est indissolubl ement lié au personnage de l’enquêteur, mêm e s’il est vrai que celui -ci s’est métamorphosé au cours de l ’histoi re du genre. Rien n’a encore réussi à le fai re tomber du piédest al où l’avait placé le X IX e siècle. Partons donc du principe que le personnage, si ori ginal qu’il soit, ne surgit jam ai s ex nihilo, mais est préparé et conditi onné par certains cont extes réels dont l a connaissance ne peut que mieux écl airer l’essence et le rendre perm éabl e. Nos illust res héros détectives sont des créatures fictives qui traversent des événements , incarnent des évidemm ent attit udes, beaucoup ils aux vivent des expéri ences dil emmes et aux qui doivent engagements personnels de l eurs créat eurs. Ainsi, Dupin, Lecoq et Holmes sont, en tant que rôl e s, les repères premi ers de l’int ri gue poli cière au sein de laquelle ils évoluent. Nous pensons donc utile de commencer tout d’abord par comprendre la struct ure de cett e intri gue et comment cett e derni ère met en avant l ’étude du personnage du héros. 85 Première partie. Chapitre II Premiers créateurs et premiers héros II. La construction de l’intrigue policière chez les trois auteurs Le coup de génie d’Edgar Poe est d’avoir compris que l e raisonnem ent, possédait à l ui seul un intérêt dramatique, qui pouvait devenir, à lui seul, l ’ess entiel d’une hist oire. C’est donc l’hi stoire de la recherche de la véri té qui fais ait défaut avant Poe. Dans le roman feuill eton et l e roman gothique, pères spirituels du rom an policier 70 , le lecteur trouve une juxtaposition de l ’éni gme et de sa sol ution, or l’ent re -deux est escamoté. Ainsi , l e cheminem ent entre l e point de départ et l e poi nt d’arrivée est absent , et il est remplacé par la coïnci dence fortuit e ou la révél ation inattendue. Le récit policier, invent é par Poe puis développé par Gaboriau et Do yl e, est donc celui où on passe de l’éni gm e à la solution par le mo yen d’une enquête qui devient le propre de l’histoire. De ce fait, ce t ype de récit se présente en texte double, car il articule une à une deux histoires, celle du crime qui apparaît lacunaire, et souvent présent ée dans le désordre et, celle de l ’enquêt e qui reconstitue pas à pas la t emporalité du crime. L’enquêt e prend ainsi les faits à rebours : on remont e de la découvert e du crime à cell e du criminel. J. Dubois relie ce caract ère binaire du récit policier à l a double ori gine du genre, car là où Poe m et tout l’accent sur l’enquêt e, Gaboriau privil égi e encore l’obj et de cette enquêt e, à savoir « le crim e et son pathos ». Quant à Do yl e, il m êlera les deux démarches pour rendre une certaine st abi lité au récit poli cier. 70 Une expression inspirée de celle de Marc Lits qui écrit: « Le roman policier […], un fils spirituel du roman -feuilleton qui a dépassé la réussite de son père ». Le Roman policier : Introduction à la théorie et à l’histoire d’un genre littéraire, Éditions du CEFAL, Liège, 19 93. P. 37. 86 Première partie. Chapitre II Premiers créateurs et premiers héros Pour mi eux comprendre l e point de vue de Dubois, il convient d’examiner l es formes narratives développées par chacun des trois auteurs. Nous avons choisi de nous appu yer essenti ellement sur Double Assassinat dans la rue Morgue de Poe, Le Dossi er n°113 de Gaboriau et La Vallée de la peur de Do yl e. 1. L’intrigue poesque La nouvelle Double Assassinat dans la rue Morgue d’Edgar Poe est bi en une aventure int ellectuell e. Trois mouvem ents structurent le récit : chacun d’eux est relié à l’anal yse et , par conséquent, à l a quête de la vérité. La nouvelle s’ou vre sur un prél ude réfl exif riche d’ensei gnements qui se liraient, entre les lignes, comm e une anal ys e assez fine de la mét hode de raisonnement du dét ective Dupi n. A cett e présent ation indirect e du détective par le narrateur, succède une autre directe par l e biais d’un di alogue réunissant l es deux personnages. Ce dialogue s’apparente à une premi ère illustration des étonnant es capacit és logiques et anal ytiques du détective. Dans un deuxième mouvem ent, l’histoi re du crime début e par la l ecture d’éditions successives de la Gazette des tribunaux qui présent e l’assassinat et ses circonst ances. Le dernier mouvem ent est celui de l’hi stoire de l’enquêt e qui conduit à la découvert e du criminel. Dans ce derni er mouvem ent, quat re étapes sont identi fi ées : 1. la visit e du lieu du crime, consacré e pri ncipal ement au constat ; 2. L’exposé partiel du déroulem ent des événem ents et l e développement des h ypothèses (dialogue ent re l e détective et l e narrat eur) ; 3. La vérificati on empirique propri étai re des de h ypothèses l’animal à travers « criminel » l’interroga toi re (le narrat eur du mari n, fournit la reconstitution de ce témoi gnage). C’est égal ement l e moment où l’histoire du crim e rejo int cell e de l’enquête; 4. L’énoncé des faits au préfet de police et l a libération du sus pect qui se révèl e innocent. 87 Première partie. Chapitre II Premiers créateurs et premiers héros A propos de l a structure du récit policier, Jean -Paul Colin 71 a proposé un schéma linéai re reposant sur trois const antes. La t ram e narrative commence avec l ’existence d’un équilibre soci al qui subit une brusque rupture (Crim e, C), provoquée par un ou plusieurs individus. L’équili bre perturbé est restabilisé ( R ), grâce à une enquête intell ectuell e ( I) et/ou une enquête mat éri elle ( M), qui se traduit par la poursuite du coupabl e. D’aut re part, la rupture créée par le crime est préc édée d’un prél ude, d’une période d’att ente ( A) qui engendre l ’inqui étude et l ’angoisse du lect eur. En appliquant le schéma de Colin au réci t polici er poesque, nous constat ons que l’enquêt e intellectuell e ( I) du dét ective Dupin l’emporte sur l’enquête mat ér i elle (M), presque inexistante. Il est égal ement important de souligner que la situation de rupture ( C) n’est pas provoquée par un i ndividu, m ais par un animal, un orang out ang . Quant à l a période d’att ent e ( A), ell e est présente non pas pour engendrer l’ i nquiétude et l’angoisse m ais pour exhiber les prouesses intell ectuelles du héros -détecti ve. Edgar Poe A C I (M ≈ 0) R L’art de Poe consiste à présent er un problèm e à première vue insoluble et à piquer la curiosité intellectuelle du l ecteur, en lui faisant attendre l a solution l e plus longtemps possible. L’auteur ne 71 Professeur honoraire de linguistique, il est l'auteur de nombreux ouvrages de référence sur la langue française ainsi que des études sur la littérature. Parmi ses publications : La belle époque du roman policier français : Aux origines d'un genre romanesque. 88 Première partie. Chapitre II Premiers créateurs et premiers héros voudrait pas pl onger le lecteur dans l’action, mais dans l a réfl exion et, par l à mêm e, m ettre en val eur la dimension extraordinaire des prouesses de son héros -dét ective. C’est la raison pour laquelle la structure poli cière poesque donne plus d’importance à l’histoire de l’enquêt e qu’à l’hi stoire du crim e, d’où un stat ut narratif du détective plus puissant que cel ui du crimi nel. Pour ce qui est de la position du personnage du dét ec tive dans l a trame narrative de Double Assassinat …, elle est exprimée à travers ce que Genett e appelle la « focalisation interne » 72 ; à savoir que le narrat eur anon yme constitue l e point focal du récit dont l e véritable héros est le dét ecti ve. Le narrateu r se présente comm e un ami du détective, ses int erventions – naïves, terrifiées ou admiratives –, ses erreurs de jugement, sa passivit é rel ative égarent le l ecteur et maintiennent l e suspense ; le géni e de Dupin s’en t rouve survaloris é. Ce parti -pri s narratif maintient le lecteur, tout comm e le narrat eur, dans l ’i gnorance, i l n’a aucun accès à la conscience du héros détective, il n’a qu’à deviner vers quel but le m ène la progression de l’enquêt e. Ainsi , les réactions du héros -dét ective aux événements narrés lui restent i nconnues, car l e narrat eur n’a aucun moyen de déterminer ce que Dupin déduit de sa visite sur l es lieux du crim e, surtout que ce derni er décide d’ent rer dans « sa f ant ai si e de se ref user à t out e conversat i on rel at i vement à l ’assassi nat ». U. Eisenzwei g pense qu’en gardant pour lui seul l es inform ations, c’est l e lect eur lui-mêm e, en effet, que le détective empêche de prendre connaissance des données nécessaires à la solution de l’intri gue. Il faut donc attendre que l e dét ective Dupin livre, vers l a fi n de l ’hi stoire, la 72 « Focalisation » : point de vue à partir duquel les événements ou la réalité de la fiction sont éclairés. Gérard Genette ( Figure III, Le Seuil, 1972) distingue trois modes de focalisation : « la focalisation zéro », « la focalisation externe » et « la focalisation interne », cette dernière est la relation des événements par un narrateur qui ne raconte que ce que voit et ressent un personnage. 89 Première partie. Chapitre II Premiers créateurs et premiers héros solution du m ystère sous forme d’écl aircissem ent concernant des act es passés dont le narrat eur n’avait pas saisi l’import ance. Un narrat eur moins compétent que le dét ective constitue une strat égie narrative qui met en scène la s upéri orité de ce dernier dans un récit où il est l e seul à pouvoir résoudre l’éni gm e. 2. L’intrigu e ch ez Gaboriau Le roman polici er d’ Émile Gabori au est vu par de nombreux critiques littérai res comme une form e h ybri de qui réunit deux esthétiques narratives co ntradi ctoires: celle de la nouvelle qu’il avait reçue de Poe et celle du feuilleton que lui imposa le goût de l’époque. R. Messac pense que Gabori au « eût peut - êt re préf éré, à l ’ i nst ar de P oe, n’ écri re que de courtes nouvel l es [ …] , mai s il l ui f al l ait vi vr e de sa pl um e » car à l’époque, « un f eui ll et oni st e qui voul ai t vrai ment gagner sa vi e devai t produi re avant t out de l ongs, de copi eux f euil l et ons » 73. Ceci pourrait nous expliquer l a tram e narrative hybride adopt ée presque i nvariabl ement dans tout e l’œuvre policière de Gaboriau. Le Crime d’Orcival est un rom an qui, par l ’organisation de ses séquences narratives, constitue ce tte forme mixte du « feuilletonpolicier ». Les 28 chapitres qui composent le rom an se st ruct urent en trois grands mouvements dont le p remi er, composé de 11 chapit res , rel ate la découvert e du cadavre de la comtesse de Trémorel, puis l’enquêt e proprement dite qui conduit à la découverte de l ’assassi n. Par la force de son raisonnem ent et grâce à un examen att entif des traces et indices, l e héros -détective, Monsieur Lecoq , démontre qu’il y a eu mise en scène, que l’assassin était seul et, de surcroî t, n’était autre que le comte de Trémorel. Le troisième mouvem ent, c’est -à- 73 Régis Messac, op.cit., p. 431. 90 Première partie. Chapitre II Premiers créateurs et premiers héros dire la séri e des chapitres 21 –28, nous présent e l a poursuite du coupable, Trém orel est retrouvé e t châtié. Jusqu’i ci , nous sommes dans l a logique m êm e du récit poli cier, un long effort de réfl exion et d’anal yse qui about it nécessai rem ent à l’action destinée à rét ablir, voire corri ger et am éliorer l ’ordre soci al. La di fféren ce rési de donc dans le deuxième mouvem ent. En effet, il s’agit d’une énorm e analepse 74 assurant un rapport de causalité ent re le premi er mouvem ent et le troisième, un vrai rom an popul aire sentim ental qui se déroule sur fond de passi ons orageuses et de j alou si e féroce. C ’est au niveau de ce tte analespse que l a genèse soci ale et ps ychologi que du crime, découvert par l e héros -détective, est retracée. Si l’intrigue poli cière chez Poe se subdivise essentiell ement en deux questions : qui a commis le crim e ? Comment l’a-t-il commis ? Chez Gaboriau l a question est t riple qui ? Comment ? Et pourquoi ? Cette dernière question trouve en effet sa réponse dans l ’ analeps e qu’introduit l ’aut eur dans ses roman s policiers. Le tour de force de Gaboriau est donc d’avoir réussi une concili ation ent re deux t ypes d’écrits tot alem ent opposés : l’écrit policier (rationnel ) et l’écrit populai re (ém otionnel) , mais sans désorganiser à aucun moment l’arrangem ent de l ’intri gue poli cière. Mal gré la réussit e de cette harmonisation, cela littérai res juger de n’ a pas empêché l’insertion d’une de nombreux vast e anal epse critiques comme parasitai re, déconcertante et rebutant e pour le lecteur. A ce propos R. Messac se demande : Q ue nous chaut l ’ hist oi re des am ours de Mart i al de Sai rm euse et de B l anche de Court om i eu, et l a 74 G. Genette définit L’ analepse : « Toute anachronie constitue par rapport au récit dans lesquels elle s’insère – sur lesquels elle se greffe – un récit temporellement second, subordonné au premier […] », Figure III, Le Seuil, Paris, 1972, p. 90. 91 Première partie. Chapitre II Premiers créateurs et premiers héros Terreur B l anche, et l’ ét at des espri t s en 1816, quand nous venons de nous passi onner pour l es prouesses de Lecoq l ancé sur l a pi st e du prévenu Mai ? S’ i l y a un rapport quel conque ent re l e duc de Sai rm euse et Mai , qu’ on nous l ’ e xpl i que, c’ est bi en, m ai s en di x l i gnes. 75 Quant à nous, nous trouvons que cett e structure narrative est certes composite, mais elle est parti cul ièrement intéressant e. Chez Gaboriau, on n’est pas séduit uni quem ent par l ’éni gme, m ais aussi par l ’atmosphère que l’auteur crée autour d’elle, de vraies situations dram atiques qui n’affaiblissent en ri en l’effet du m ystère et du suspense propre au genre polici er. La st ructure de Gabori au peut êt re schém atisée comme suit : Roman poli cier Roman populai re (analepse) Roman policier Or, pour appliquer le schém a de Col in au récit polici er de Gaboriau, nous som me obli gée d’extirper cette anal epse enchâssée au milieu de la trame narrative poli cière. En ne gardant donc que l es élém ents de l ’intri gue, à s avoi r le crim e, l’enquêt e et la résolution, nous obt enons l e schéma sui vant : 75 Régis Messac, op.cit., p. 486. Messac parle des personnages du célèbre roman de Gaboriau Monsieur Lecoq. 92 Première partie. Chapitre II Premiers créateurs et premiers héros Emil e Gaboriau A C I Contrai rem ent à M Poe, l’enquête R mat éri elle chez Gaboriau l’emporte légèrem ent sur l’enquêt e intellectuell e ( M>I), car le problèm e du héros détective est, à partir de fragment s matériels (les indices) et narrati fs (les témoi gnages) l e plus souvent éni gmati ques et contradictoi res, de reconstituer l e récit véri dique d’un scénario caché. Quant au prélude ( A), il représente une situation d’équilibre où sont présentés l’ époque, l e li eu de l 'histoire et les deux personnages qui ont découvert le cadavre. Pour ce q ui est du mode de la narration, chez Gabori au la situation est différente du cas poesque. Le récit de Gaboriau est non focalisé ou à « focalisation zéro », le narrat eur est omnisci ent, mais ne parti cipe pas à l ’histoire. Il nous permet d'accéder aux pensée s du héros -détective et des autres personnages. Ainsi l e l ect eur suit à la trace Monsi eur Lec oq a yant continuell ement accès à ses conflits intéri eurs et ses réfl exions d'enquêt e. Un tel choix de narration crée une d ynamique spéciale entre le l ect eur et l e texte. En qui ttant sa position de témoi n muet chez Poe, le l ect eur chez Gabori au se voit confi er un rôl e beaucoup plus acti f, il peut enfin s'identifier au héros -détective , partager ses émotions et vivre avec lui les différentes péripéti es de l ’histoire. En revanche, le narrat eur de Gaboriau ne nous dit pas tout, il dissimule des parti es important es de l a réfl exion de Monsieur Lecoq, et de l ’avancem ent de l’enquête en général. En effet, au m oment où Lecoq est ment alement acti f, le narrateur le présente au lecteur 93 Première partie. Chapitre II Premiers créateurs et premiers héros comme plongé dans ses pensées. Mais ces pensées ne nous sont pas livrées. Aux moments cruciaux de l’enquêt e, le narrat eur présente l’intériorit é du dét ective comme opaque et insondable. Il s’agit donc d’une stratégi e narrati ve qui fait perdre occasionnell ement au narrat eur son omniscience, en devenant extérieur au personnage tout comme le l ect eur. Cette stratégi e est tout à fait justifi ée par la contraint e du genre policier où l’important doit rest er dissimulé au lect eur j usqu’à l a révélation final e par l e détective, afin d'accentuer l'effet de m yst ère qui plane sur le récit. 3. L’intrigu e doylienn e Arthur Conan Do yl e a notoirement subi l’influence d’Edgar Poe en opt ant pour l’esthétique de l a nouvelle, mais l’i nfl uence de Gaboriau est égalem ent évide nte dans les quat re rom ans de l ’écrivain britanni que. Nous avons si gnalé un peu plus haut que la forme feuill etonesque, s’i mposant à Gaboriau , l’avait obli gé à recouri r au récit popul aire en l’introduisant sous forme d’ anal espse qui ret race la genèse du cr ime, afin de donner à ses récits poli ciers la longueur voulue. Pourquoi donc Conan Do yl e conserve -t -il, sans y être forcé, cett e longueur imposée à Gaboriau par la forme du feuill eton, que l’écrivain britannique n’a j amais prati quée ? La question trouve s a réponse peut êt re dans la passion de Do yl e pour les romans historiques (il en écrivit l ui-m ême plusieurs). En effet, dans ses quatre romans, l ’écrivain brit annique a toujours situé la seconde parti e de l’hist oire qui représente l e récit analeptique (du cr im e), dans un cadre spatio -temporel très él oi gné de celui du récit primai re (de l ’enquêt e). 94 Première partie. Chapitre II Premiers créateurs et premiers héros C’est le cas par exemple de La Vallée de la peur , quat rièm e et derni er des quat re romans qui constituent les écrits les plus dével oppées d e l’œuvre polici ère doyl i enne. La première parti e intitulée « La tragédie de Birlst one » relat e une affai re myst éri eus e qui se produit en 1890, dans l e paisibl e Sussex. Holmes, accompagné de Watson, m ène une enquêt e mouvementée, plei ne d’actions et d’interrogatoi res. Alors qu'on se rapproche du dénouem ent, voici comment cette parti e prend fin : Et m ai nt enant , pati ent s l ect eurs, j e [Wat son] vai s vous dem ander de m e sui vre un m om ent l oi n du m anoi r de B i rl st one, dans l e Sussex, et loi n de l ’ an de grâce au cours duquel nous ent reprî m es [ce] voyage m ouvem ent é [ …] . Je vous i nvi t e à vous t ransport er vi ngt ans en arri ère et à des m i l li ers de ki l om ètres vers l’ ouest af i n que j e pui sse vous exposer une hi st oi re t erri bl e et si nguli ère. [ …] Ne croyez pas que j ’ ent am e un réci t avant que l e pre m i er ne soit t erm i né. Vous verrez en l i sant que ce n’ est pas l e cas. Et l orsque j ’ aurai racont é en dét ai l ces l oi nt ai ns événem ent s et que vous aurez résol u ce m yst ère du passé, nous nous ret rouverons une f oi s de pl us dans l ’ appart em ent de Baker St reet où t out e cett e hi st oi re s’ achèvera, com m e t ant d’ aut res hi st oi res mervei l leuses. 76 La seconde partie intitulée « Les nett oyeurs » début e ai nsi : « C’ ét ai t l e 4 f évri er de l ’ année 1875. L’ hi ver avai t été rude et l a nei ge s’ am oncel ai t dans l es gorges des m ont s G il m ert on ». 77 L’anal epse fait donc remonter à titre rétrospectif l e récit à une générati on en arrière (1890 -1875) et transport e le lecteur à beaucoup 76 A.C. Doyle, Volume3, La Vallée de la peur (The Valley of Fear) , p. 149. 77 Ibid. 95 Première partie. Chapitre II Premiers créateurs et premiers héros plus de cent li eues de Londres, car l’action se situe désormais aux États-Unis. Les événements de 1875, rac ontés après, vont expliquer l’affai re de 1890 exposée en premi er ; l ’inverse est aussi vrai, seul le récit d’enquêt e permet d’exhumer le passé ent erré et le chapitre censuré. Il est donc vrai que cett e analepse est en rel ation de réversibilit é avec l e réci t premi er, mais nous rem arquons que Do yle prend la peine de souligner explicit ement l a cohérence de son roman : « Ne croyez pas que j ’ ent am e un réci t avant que l e prem i er ne soi t t erm i né ». S’il prend cette peine c’est que just ement, l ’insertion de son anal epse apparaît di gressi ve, et n’offre pas l’harmonie à laquell e nous avaient habitués celles d’Émile Gaboriau. En effet , un saut brusque se produit, accentué par les deux intitulés donnés à chaque partie. P ar ailleurs, l a deuxième parti e se compose du mêm e nombre de chapitres que la première (sept cha pitres). Elle est donc rem arquabl ement développée et semble par conséquent former un récit autonom e, raconté par un narrateur anon ym e (il ne s’agit plus de Watson). Le ret our au premier récit est réduit à un tr ès bref épilogue (deux pages). Le roman polici er chez Conan Do yl e est donc st ruct uré ainsi : Roman poli cier Roman socio -historique (anal epse) Roman policier (bref épilogue) Voici R. Messac qui propose de réduire les dévelop pem ents insérés dan s les romans polici ers do yl iens au st rict nécessaire. Le critique souli gne que: Les cent prem ières pages seul es, dans ce genre de réci t sont ut i l es et i nt éressant es. Dès l ors, pourquoi ne pas l es conserver seul es, ou t out au m oi ns, réduire le rest e du réci t [ …] . On pourrai t m êm e pousser l’ ef f ort de com pressi on plus l oi n, car 96 Première partie. Chapitre II Premiers créateurs et premiers héros l e chif f re d’ une centai ne de pages, dans la prem ière part i e, est souvent obt enu par des déve l oppem ent s d’ un i nt érêt m odér és [ …] . En rédui sant ces dével oppem ent s au st ri ct nécessai re, on about i rai t à un réci t court , concent ré, nerveux, d’ une ci nquant e de pages, ou m êm e moi ns. 78 C’est en t out cas à ce genre de récit , dont parle Messac, qu’on aboutit lorsque Do yl e fait apparaît r e son détecti ve dans cinquante -six nouvell es. L’écri vai n britannique n’a pas tardé à comprendre qu’il devait épurer son récit poli cier en le t raitant dans le cadre étroit de la nouvelle. Ainsi, Do yle s’est trouvé ramené à l’esthétique poesque qui représen t ait un intérêt à l a fois sur le plan st ructurel et sur l e plan éditorial, pui sque la longueur de la nouvell e convi ent parfait ement aux commandes que lui adressent les m agazines. Dans ses romans et nouvell es, Do yl e reprend le mode de narration créé par E dgar Poe, un héros -dét ective dont l es exploits sont relat és par un compagnon moins doué que lui, mais en accent uant le trait jusqu’à « f ai re de Wat son [ l e nar r at eur] l e t ype m êm e du « personnage - écran » qui bl oque l ’ accès à l ’ hi st oi re » 79. Par ailleurs, si le narrat eur de Gabori au fait de son mieux pour cacher au lect eur des parties important es de l a réfl exion de Monsieur Lecoq, Watson n’a pas accès à la conscience de Holmes et à ses raisonnem ents, car ce derni er refuse de révél er ses conclusions. Le héros -détective est ici « responsabl e d’ une cert ai ne dram at i sat i on du réci t » 80 qui provoque chez Watson un sentiment de frustration, frust ration qui const itue un indi ce du vi f int érêt avec l equel Watson poursuit, tout com me Holm es, la quête de l a vérit é. Le lect e ur 78 Régis Messac, op.cit., p. 486-487. 79 Christophe Gelly, Le Chien des Baskerville: Poétique du roman policier chez Conan Doyle, Presses Universitaires de Lyon, Lyon, 2005, p. 42. 80 Ibid. p.39. 97 Première partie. Chapitre II Premiers créateurs et premiers héros comprend donc l e sentiment de Watson, d’aut ant plus qu’il se trouve lui-mêm e dans l a même situation envers Holmes, l e seul détenteur de la vérité finale. Il rest e à noter que l ’appli cation du schéma proposé par Coli n au récit poli cier do yli en nous révè l e quelques di fférences par rapport à Poe et Gabori au. D’abord, chez Edgar Poe, l’enquête int ellectuell e l’emporte sur l ’enquête m atériell e, (I>M), par cont re, chez Émile Gaboriau, l’enquêt e matériell e s’im pose plus que l ’enquêt e intellectuell e , (M>I ), alors que chez Doyl e, l’enquête intel lectuelle dépasse légèrement l ’enquêt e mat éri elle, parfois elle peut l’égaler, ( I ≥M) : Conan Doyl e A C I M R Ensuite, l ’équ ilibre du récit est rest abilisé chez Poe, par la découverte de l ’ani mal responsabl e du crime, l’ orang -out ang et l a libération du suspect innocent. Le récit de Gabori au est réstabilisé par l ’arrest ation et l e châtim ent de l’assassin, l e cont e de Trémorel. En revanche, dans L a Vallée de la peur de Do yl e, la re st abilisation (R) constitue moins un retour à l’ordre qu’une simple t ransiti on avec d’aut res récits à venir, car Holm es est présent é en train de soupçonner derri ère toute cette histoi re l a main de l ’invisible Moriart y 81. 81 Holmes l’appelle « le napoléon du crime », il le décrit comme : « Le plus grand manipulateur de tous les temps, l’organisateur de tous les forfaits, le cerveau qui contrôle toute la p ègre : une intelligence qui aurait pu faire ou défaire le destin des nations. Tel est l’homme. » ( La Vallée de la peur, p.1). 98 Première partie. Chapitre II Premiers créateurs et premiers héros L a conclusion à tirer de cette ana l yse est que l’int ri gue policière est construite di fféremment par l es trois aut eurs. Poe met l ’accent sur une structure brève du récit par tant d’une question (qui a tué ? ) et s’achevant sur la réponse à cett e question. Pour arriver à cette réponse, Poe veu t que le récit de l ’enquête soit épuré, qu’il se déroule sans encombre et arrive à son terme jusqu’à ce que le héros -détective triomphe et apport e l a résolution de l’éni gm e. A ce propos Fernandez -Recat ala précise qu’ « Avec ce court réci t , P oe [ …] dresse d es l im i t es : l e hasard en sera excl u, et t out i ndi ce, t out événement , ci rconst ance, t out di scours n’ ont qu’ un but , ef f i cace, cel ui de servi r l ’ économ i e de l a narrat i on » 82. Au cont raire, l a résolution de l’éni gm e chez Gaboriau et Do yle ne voit le jour qu’après insertion d’un récit analeptique qui suffit à l ui seul à constituer une œuvre autonom e. En revanche, chez les troi s auteurs, l’objectif de l a narration – qu’ell e soit assurée par un narrat eur interne ou externe – semble êt re le même ; capter d’embl ée l’attention du lect eur et le tenir en h alei ne jusqu’au bout; il s’agit en d’aut res term es, d’i mpliquer i ntell ectuellement et émoti onnellem ent le lecteur dans l’int ri gue, dont le dénouement imprévu ne survient qu'aux toutes derni ères pages. Par ailleurs, q uel que soit le m ode narrati f utilisé, l a voi x qui prime dans les récits polici ers créés par l es t rois auteurs, e st inévitabl em ent celle de leur héros -détect ive. Ce sont eux qui lancent les pist es, l es éclai reurs du récit, l e point de référence du lecteu r. Leurs jugem ents sont décisi fs et l e lecteur adhère l a plu part du temps à leurs opi nions. Le héros -détective se présent e en effet com me : Sosi e de l ’ écri vai n, const rui sant son réci t f i nal par t ouches successi ves, col l ect ant , ordonnant , i m agi nant , expéri m ent ant pour enf i n se l i vrer à 82 D. Fernandez Recatala, Le Polar, Paris, M. A. Editions, 1986, p. 70. 99 Première partie. Chapitre II Premiers créateurs et premiers héros l ’ énonci ati on. C’ est f i nal ement l e rom an qui paraî t se const rui re au f i l de l ’ enquêt e, port é à bout de bras par la pui ssance de l’ act e narrat if . P rogressi vem ent , l ’ hi st oi re du crim e est ret racée et , avec el l e, cel l e de la vi ct i m e ; une vi ct i m e, personnage m ort - né accouché par le t exte qui renaî t sous l es proj ect eurs de l ’ enquêt e, qui est d’ une cert ai ne m ani ère réi nvent ée par le biai s de la reconst i t ut i on à l aquel l e procède l’ enquêteur ; car l e véri t abl e dram e de la f i ct i on poli ci ère, c’ est que l e cri m e a eu li eu en dehors du t ext e . 83 Le rôl e du héros-dét ective consi ste donc bien à combl er l e vide narrati f imposé par l a découverte du cri me au début du récit polici er. Dupin, Lecoq et Holmes ont l’art de voir mieux que le narrat eu r et plus que le l ect eur ; ils savent associ er des indi ces, des traces et des élém ents qui représentent les pi èces du puzzle (récit) à reconstituer. Une fois l a dernière pièce du puzzle en place, l ’éni gm e (intrigue) es t résolue. Ainsi nous dit J. Dubois : « l ’ aut ori t é du dét ecti ve [ …] ne serai t pas seul em ent pol i ci ère ou judi ci ai re, m ai s aussi bi en auct ori al e » 84. Ces héros détectives ne reçoivent donc pas seulement la direction de l’enquête, mais égalem ent cell e du récit. 83 Estelle Maleski, Le roman policier à l'épreuve des littératures francophones des Antilles et du Maghreb. Enjeux critiques et esthétiques. Thèse de doctorat, Discipline : Littératures française, francophones et comparée. Université Michel de Montaigne Bordeaux III, 2003. 84 Jacques Dubois, Le roman policier ou la modernité, Armand Colin, Paris, 2006, p. 100. 100 Première partie. Chapitre II Premiers créateurs et premiers héros III. Premiers héros-détectives 1. Autour du personn age du détective Dans l e roman populaire dominant la première moiti é du XIX e siècl e, l e justi cier est mû principalement par l a vengeance ou l’expiation, il est ai nsi concerné personnellem ent par le méfait. Il en résult e que l e ressort dram atique se résume à la loi d u t ali on : œil pour œil, dent pour dent et dommage i nfli gé cont re domm age subi. Prenons l’exemple L es Mystères de Paris d’Eugène Sue, Rodolphe, l e héro -justi cier sembl e cert es se dévouer pour l es autres, m ais en vérit é ce n’est qu’une apparence . L’altruism e de Rodolphe dissimule un grand égoïsm e , car il s’agit pour lui de se laver de l’affront qu’il fit jadis subi r à son père. Le héros du rom an popul aire est donc surtout préoccupé des siens propres. En revanche, d ans l e récit poli cier classique, le personnage de l’enquêt eur se m et en campagne à la suite d’un méfait infligé à autrui. Il occupe le devant de la scène. Il actualise l es mécanism es d’observation et d’élucidation, il fi gure et narrativise la résolution du m ystère. Il s’agi t souvent d’un dilettante, d’un am ateur éclai ré même s’il peut tirer profit de cett e acti vité. Or, il peut, comme dans le cas de Lecoq, êt re un enquêteur m andaté mais ses usages sont aussi indépendants que le seront ceux d’Hercule Poirot ou de J ules Mai gret. Il agit l e pl us souvent de son propre chef. C’est un personnage qui se sent supérieur en raison de ses capacit és intell ectuelles. Celles -ci sont largement plus développées que ses compétences ph ysiques. Il observe, écout e, fai t parler, recueill e indi ces et t émoi gnages, expose savamm ent sa méthode et est doté d’un grand savoir, soit sur l e s hom mes, soit sur l es choses e t les faits. 101 Première partie. Chapitre II Premiers créateurs et premiers héros Le pe rsonnage du détective classique ne s’implique dans les affaires criminelles que professionnell ement ou int ell ectuellem ent, rarem ent affectivem ent. Il à peu de rapport avec les criminels et ne les estime qu’en fonction de l eur aptitude à brouiller l es pist es et de leur int elli gence qui lui permet , métaphoriquement, de j ouer aux échecs. Comme le fait l ’aut eur du ro man poli cier avec l e lecteur. Enfin, il court peu de risques pendant ses enquêtes. Les spéci alistes du roman polici er ont fourni plusieurs pi stes fertil es m enant à une desc ription plus compl ète du person nage de l’enquêt eur. Dans L e roman polici er ou la mo dernité , Jacques Dubois distingue quatre grandes images du héros-dét ective: le Surhomme, le Médiat eur, le Fl âneur et l e Dand y : a). Le « surhomme » Il s’agit essenti ellement du héros des romans am éri cains dits «hard-boil ed ». La fi gure du Surhom me provi ent surtout d’une tradition épique et dési gne le champion mais qui a perdu son panache romantique. Il est celui qui aboutit touj ours en réussissant t outes les quêtes entreprises sans éprouver de di fficultés. C 'est l e héros d'acti on qui révèl e toutefoi s un côt é sombre, d'où l 'associ ation avec les protagonistes des romans noi rs américai ns. b). Le « médiateur » Il se rapproche énormément des héros de romans réaliste s. Le détective « médiat eur » glorifi e autant le savoir que l es lois. Il est attiré par l es scie nces (m édecine, physi que, et c.). Les cas de Rouletabill e qui fréquent e le milieu des ph ysici ens de l ’at ome, de Mai gret attiré par la médecine et la ps yc hiatri e. Le « m édiat eur » est un homme de savoir et de Droit qui réunit ses capacit és 102 Première partie. Chapitre II Premiers créateurs et premiers héros intellectuell es et m e ntal es afi n de découvrir l a vérité qui se cache sous le m ystère. c). L e « flâneu r » Le fl âneur est « l ’homme des foules » qui erre et dérive anon ym ement dans la ville. Il s’offre le loisi r d’observer, à l a manière d’un détective, les événem ent s qui se prod uisent dans la ville moderne.il peut s'i ntéresser à un individu insolit e ou à une situation quelque peu étrange et deviendra, m al gré lui, un détective. d). Le « dandy » Dupin, Lecoq et Holmes, l es t rois détectives qui constit uent l’objet de notre thèse son t t ous des Dand ys à quelque tit re. S elon Dubois l e détective « dand y » cultive le goût de la pose et de l a surprise, l a curiosité et la passi on du regard , l e soin de la mi se et la manie du gest e. S’il opère int ensément, c’est toujours avec détachement, un dét achement qui se tei nte aisément des couleurs de l’ironi e. Selon Dubois toujours, le « dandy » est celui qui accomplit son acte avec art et doigt é, souci eux de la réussite cert es mais d’une réussit e qui a sa fin en soi. Ce personnage semble se suffi re à lui même puisqu’ il résout en solit aire l es pl us grandes intri gues. C’est à cett e derni ère cat égori e qu’apparti ennent donc Dupin, Lecoq et Holmes. Mais avant d’ent am er tout e anal yse comparative entre nos personnages, il convi ent au préalabl e d’avoi r un pr emi er contact avec eux, les trois détectives ne seront donc présentés qu’à grands traits . 103 Première partie. Chapitre II Premiers créateurs et premiers héros 2. Les trois détectives 2.1. Le chevalier Auguste Dupin Il s’agit d’un géni al Parisien noct ambul e et am at eur d’éni gmes inextricables. Dupin est un nouveau t ype de personnage romanesque qui ne se caractérise plus par son engagement dans l’action mais par l’exhibition de ses facult és intell ectuell es et la démonstrati on de son génie anal ytique. Il est un pur produit du rationalism e sci entifique et positiviste dont Edgar Poe fut, e n son t emps, l ’un des plus fervents apologist es. Le héros -détective de Poe observe, écoute, raisonne et déjoue les évidences afin d’expliquer les ci rconst ances d’un événem ent devenu m ystérieux . Il apporte, par la seule force de son raisonnem ent, la sol utio n de l 'éni gme. La personnalité du chevalier August e Dupi n, un jeune gentlem an désargenté issu d’une illustre famille, est hors du commun. C e personnage excentrique, philosophe et raisonneur, est doué de génie pour organiser et expliquer de façon scienti fique et méthodique tous l es élém ents d’une affaire criminelle. Cet infaillible détective qui démont e les rouages d’une machine composée pour lui, apparaît comme un êt re supérieur. Le chevali er Dupin n’opère que dans trois nouvell es polici ères de Poe : Double Assassinat dans la rue Morgue , La Lettre volée et Le Myst ère de Mari e Roget . Au regard de ces simples et petites inhibitions, sa postérité fut immense. De l’inspect eur Lecoq à Hercul e Poirot, en passant par Sherlock Holmes, il eut droit à une longue et br illant e li gnée de discipl es. 104 Première partie. Chapitre II Premiers créateurs et premiers héros 2.2. Monsieur Lecoq Contrai rem ent au détective am ateur de Poe, l’enquêteur mi s en scène par Gaboriau est un poli c ier et devient, de ce fait, l e « prem i er pol i ci er prof essi onnel de l ’ hi st oi re de l a li t t érat ure pol i ci ère » 85. Il est le personnage cent ral des enquêtes suivantes : Le Crime d'Orcival , Le Dossier 113, Monsi eur Lecoq , et La Corde au cou . Le héros -détective de Gaboriau est l e m aître poli cier doué d’un extraordinai re espri t d’observation, d’une surprenant e perspicacit é ainsi que d’un réel sens pratique. Il sait pratiquer des déductions logiques à parti r de l'examen d'i ndices ou d'anal yses sc i entifiques comme l 'étude d'em preint es. Il lui arri ve, cert es, de com mettre des erreurs, mais il s’en rend vit e compt e et les corri ge. Lecoq brille dans l 'art de la fi lature et aime se mesurer avec des criminels endurcis. Vérit abl e as du dégui sem ent et du changem ent rapide, il serait l’ancêtre de Fantômas comm e héros phénoménologique du masque. Dans sa lutt e cont re le crim e, il se heurte sou vent à la force d’inertie et m ême à la jalousi e de ses collègues, qui n’entendent pas être dérangés dans leurs investi gations routini ères, ainsi qu’à l a suffisance des ses supéri eurs, qu’il doit s’efforcer de convaincre. A travers son héros -dét ective Le coq, Gabori au fut « l e pre m i er rom anci er à décri re les m œurs pol i cières sous l eur j our exact » 86 85 J. Baudou, J-J. Schléret (dir.), Le Polar, Larousse, Collection « Guide Totem », Paris, 2001, p. 214. 86 Roger Bonniot, Émile Gaboriau ou la naissance du roman policier, Paris, Editions J. Vrin, Pais, 1985. P. 433. 105 Première partie. Chapitre II Premiers créateurs et premiers héros 2.3. Sherlock Hol mes Sherlock Holmes est le di gne représentant du positivism e qui caractérise la seconde moiti é du XIX e si ècl e. C 'est en effet de l'apothéose de l 'esprit scientist e. Holmes a le goût de l a com pilation et de l a classifi cation des données qui font de lui un adepte d'August e Comt e, de Stuart Mill et de Darwin. Apparu en 1887 dans Une étude en rouge, le dét ective britanni que est devenu une des fi gures m ythiques du genre policier. Holmes est un céli batai re endurci, indifférent aux femmes qui n’a réussi à acquéri r une épaisseur humaine que grâce à sa prédilection pour l e violon et l a cocaïne . Chez ce premi er dét ective « vraiment scienti fique », l’observati on et l ’anal yse se fondent sur un cham p de savoi rs complexe qui embrasse l a chimie, l ’anatomie, la criminologi e, l a botanique fondem ent de la toxicologi e, et la géologie pour comprendre l a composition de l a terre en surface. S ans om ettre l’art musical à t r avers cet inévitabl e vi olon qui l’aide, à l ’occasion, à mieux se concentrer ou réfl échi r. Il habite 221 B Baker Street, dans une m aison qu’il partage avec le doct eur Watson qui devi ent vit e son confident et son assistant . C’est lui l e narrat eur de toutes ses avent ures. Le géni e aut ant que l’excent ricit é d u héros- dét ective do ylien lui ont assuré une renommée universelle et ont fait de lui, aux dires de nombreux critiques, l’enquêt eur de fiction le plus connu au m onde. 106 Première partie. Chapitre II Premiers créateurs et premiers héros 3. Trois héros : une notoriété durable Afin d’éval uer le degré de popul arit é de s trois dét ectives après la disparition de l eurs créat eurs, il convient de t enir compte des adapt ations qu’ ils ont suscit ées t ant sur la scène littéraire et théât ral e qu’au ciném a et à la télévision . Ainsi dans une én umération non exhaustive, nous insisterons surtout sur les adapt ations créatives, pleines d’inventions et d’élém ents nouveaux par rapport à l’œuvre ori ginal e, et non pas sur l es innombrables retranscriptions , rééditions et traductions que nous ne pouvons cerner t ant la tâche serait ardue. 3.1. Le chevalier Auguste Dupin Les aventures du chevali er August e Dupin ont ét é une source d’inspiration pour de nombreux écrivains, et ont fait l’objet d’abondantes adapt ations littéraires , dont The Man Who Was Poe (L’homme qui ét ait Poe), un roman pour jeunes écrit en 1989 par Avi 87. L’histoi re décrit un jeune garçon prénomm é Edmund qui vient apporter un souti en amical au chevali er August e Dupin , qui est en réalité Poe lui -mêm e. Edmund et Dupin vont résoudre de nombreux m yst ères ensem ble. Le roman d’Avi fut suivi en 1995 de The Lighthouse at the End of the World , rom an écrit par Stephen Marlowe qui s’est concent ré sur l es derni ères semaines de la vi e d’Edgar Poe. L’aut eur s’em ploie à racont er comment le chevali er Auguste Du pin se dém ène afin de résoudre le m ystère de la disparition de son propre créateur. 87 De son vrai nom Edouard Irving Wortis, un auteur américain pour enfants et jeunes adultes. 107 Première partie. Chapitre II Premiers créateurs et premiers héros Le chevali er Dupi n ne l aisse pas indi fférent le rom anci er George Egon Hatvar y qui, dans The Murder of Edgar Allan Poe (Le meurtre d’Edgar Allan Poe) (1997), présent e le déte ctive Dupin dét erminé à mener une enquêt e sur les circonst ances de la mort de son ami Poe , l'autopsi e révèle un empoisonnement à l 'arsenic. Nous cit ons égal em ent Lenore : The Last Narrative of Edgar Allan Poe (Lenore : Le dernier récit d'Edgar All an Poe) écrit en 2002 par Frank Lovel ock . Il s’agit d’une hist oire fi ctive présentée comme un rêve déli rant de Poe , pend ant son hospitalisation. Le chevalier Dupin fait son apparition pour une missi on qui consiste à ret rouver et sauver son créateur et passer ainsi à la postérit é. Frank Lovelock a même inséré dans son histoire les propres lettres et œuvres de Poe, il les a citées di rectement dans son t exte, en itali que , avec en note l e docum ent d'ori gine. Les auteurs de bande dessinée , eux aussi, n’ ont pas hésité à puiser dans l ’héritage littéraire poesque , les nouvelles poli cières de Poe, en parti culier Double Assassinat dans la rue Morgue , ont constitué leur source d’inspiration privilégiée. En 2007, Double Assassinat dans la rue Morgue fait l’objet d’une adaptatio n en BD par C eka (scénario) et Clod (Dessi n), l a narration proposée est t rès intéressante, imposant l’œuvre de Poe comme actuelle . En adapt ant des cl assiques de l a littérature française et ét rangère, l a collection Ex-libris des éditions Del crout a présent é à son tour les bandes dessinées Double Assassinat dans la rue Morgue en 2009 et Le Myst ère de Marie Roget en 2011, écrites et dessinées par Jean -David Morvan et Fabri ce Druet . Quant aux adaptati ons cinématographi ques et tél évisées , les avent ures du dét ective Dupin ont suscit é égal ement de nombreuses 108 Première partie. Chapitre II Premiers créateurs et premiers héros adapt ations au cinéma et à l a tél évision , cel a a largement contribué à faire connaître l e détective . Depuis le fi lm Doubl e Assassi nat dans la rue Morgue (1932) de Robert Flore y, en passant par Le Fantôme de la rue Morgue (1954) de Ro y del Ruth , et Murders i n the Rue Morgue (1971) de Gordon Hessler . En 1986, dans un film intitulé Le Tueur de la Rue Morgue , Jeannot S zwarc met en scène l’acteur George Cam pbell S cott dans l e rôle de Dupin. La nouveauté de ce film réside dans le fait que Dupin est le père d’une fille qui s’appelle Claire . 3.2. Monsieur Lecoq Dix années après l a disparition d ’Émi le Gabori au, son héros détective était de retour en scène de par la volonté d’un confrère de Gaboriau. Fortuné du Boisgobe y publi e en 1878 La Vi eillesse de Monsieur L ecoq , un récit qu’il divise en deux parti es : Monsieur Lecoq se dérobe et Monsieur Lecoq att aque . L’auteur fait de Lecoq un anci en dét ective amateur que les hauts pers onnages de la police viennent consult er, quand un e affaire leur paraît embrouill ée. C’est pour prolonger les ex ploits du policier de Gaboriau que parut, en 1886, La Fille de Lecoq , sous la pl ume de deux aut eurs : William Busnach et Henri Chabrill at. L’histoire met en scène le héros, M. Muret qui une fois mort, son conci erge apprend à Jeanne, sa fill e, que derrière la personnalit é de son père, se cachait l e célèbre agent de police M. Lecoq. Quant au fam eux roman de Gabori au, Le Crime d’Orci val , l’œuvre rencont ra, en 1878, un succès am plifié par une adaptation au théât re en cinq actes . La pièce fut écrite par Edgar 109 Première partie. Chapitre II Premiers créateurs et premiers héros Pourcelle et Émile Mendel. Pas de Lecoq dans l a pi èce, mais c’est l e personnage de S auvres y qui va l e r empl ace r. L’œuvre poli cière de Gabori au a donné lieu égalem ent à de nombreuses adaptati ons à l’écran, puisque dès 1914, eut lieu la sorti e du film Monsi eur Lecoq , réalisé par Mauri ce Tourneur. La m ême année, Gérard Bourgeois adapte Le Crime d’Orcival et réalise un film intitulé L’affaire d’Orcival , Roussell et Hen ri Gouget. int erprét é En 1932, par Harr y Baur, Henr y Le Dossier n°113 fut, à son tour, porté à l ’écran aux États-Uni s, le fi lm s’intitula File n°113 avec Gaston Le Coq comme personnage principal . Au début des années soixante-dix, fut di ffusé un tél éfilm français intit ulé Nina Gypsy tiré du rom an Dossi er n°113 , adapté par Jacques Vi goureux et André Maheu. Ce tél éfilm restitue parfaitem ent la tradition rocam bolesque de l 'époque où l es traît res sont t oujours odi eux et les victimes désespérées. Toujours en France , le personnage Lecoq, à l’instar de Dupin, a ét é adapté dans le t éléfil m Monsieur Lecoq , comme quatri ème épisode de l a série Les Grands Détectives di ffusée sur Antenne2 en 1975. Ces adapt ations sont cert es rest ées fidèl es à l’esprit de l’œuvre ori ginal e, m ais sans l a reproduire à l a l ett re. 3.3. Sherlock Holmes Devenu un personnage « culte » de la littérature, Sherlock Holmes est découvert aussi bien sur scène qu’au ci ném a muet et parl ant, à la radio comme à l a t élévision. Les enquêt es du détective britannique ont suscité bi en des exploitations d i verses à Londres et se sont diffusé es dans l e monde entier sur des supports aussi variés que le timbre, la bande dessinée, la cassett e vidéo ou le cédérom. Depuis sa création, Holm es continue 110 Première partie. Chapitre II Premiers créateurs et premiers héros à fai re l’objet d’une véritabl e adorati on ; des ét udes lui ont été consacrées, des sites internet et des associations 88 ont ét é créés par et pour ses admirat eurs. Plus surprenant encore, l a création d’une science nouvell e, nommée hol mésologie 89 ou « études holmésiennes » ; des centaines d’ouvrages ont ét é r édi gés sur l e sujet. Le but avoué de cette disci pline est de ret racer la vie et l 'œuvre du dét ective à partir des écrits du Doct eur Wat son 90, ami et chroniqueur de Hol mes. Il n’est donc pas évi dent d’échapper à l ’emprise du personnage de Sherlock Holm es, tant dans l es ra yo ns des librai res – où fi gurent la plus récent e réédi tion bilingue des aventures holm ési ennes 91 - que sur les écrans de ciném a et de t élévision . Holm es ne cesse de connaître des adapt ations , des avatars littérai res, ciném atographi ques, télévisuels, voire des bandes dessinées et des jeux vidéo. Dès l e début du XX e siècl e, un certain nombre d’au t eurs américains ont évoqué la silhouette de Sherlock Holm es. Le détective a été abondamment parodié ou pastiché grâce à des noms d’emprunt : Sherlock Ohms, Sh ylock Holm es et mêm e Raffles Homes. Il est ains i impossible de recenser tout es l es parodies et pa sti ches du héros 88 Plus de 500 associations « holmésienne », réparties dans le monde mais plus particulièrement aux USA, qui organisent des réunions (parfois costumés), conférences, projections, jeux de rôles, pèlerinages, publication de revues … 89 L’holmésologie francophone se fit pastichante et parodique, avant de devenir aujourd’hui une discipline scientifique sérieuse. 90 Derrière lequel se dissimule Doyle, l’auteur. 91 Arthur Conan Doyle, Les Aventures de Sherlock Holmes, volumes 1,2,3, Paris, Omnibus, 2005-2007. C’est notre édition de référence. 111 Première partie. Chapitre II Premiers créateurs et premiers héros do yli en, vu leur très grand nombre 92. Nous n’en citerons donc que les plus mémorabl es. Mauri ce Lebl anc est le premi er à utiliser un pasti che de Hol mes en écrivant Sherlock Holmes arri ve trop tard (1906), pui s Arsène Lupin contre Herlock Sh ol mès (1908). La sortie de cette derni ère avent ure mécontent e Do yl e, furieux de voir son détective et son compagnon Watson ridiculisés sous les noms de Herlock Sholmès et Wilson. Aux États-Unis, l’engouement du pasti cheur am éri cain Jean Ra y pour Sherlo ck Holmes ét ait plus i mportant que celui de Leblanc, puisqu’il publie ent re 1933 et 1940 une série de récits m ettant en scène l e « Sherl ock Holmes am éri cai n » (bi en qu'il fût domicilié Baker Street à Londres) , Harr y Dickson. Tout comm e Holmes, Dickson est un détective consultant et fum e la pipe, mais « le Sherlock Holmes am éri cain », est un enquêteur plus ph ysique, qui de plus n'est pas insensible aux charm es de la gent fémini ne. Pl us d’une décenni e plus t ard, fut publi é en 1954 Les Exploits de Sherlock Holme grâce aux efforts conjoints de l’écrivain poli ci er, John Dickson Carr et d’Adrian Conan Do yl e, le fils du créat eur . Le point de départ de cette œuvre était les enquêtes que Watson évoque dans ses narrations sans l es raconter. Nous ne pouvons parler de pas ti ches hol mésiens sans évoquer le subtil roman intitul é La Solution à Sept pour Cent , écrit en 1974 par l’Américain Ni cholas Me yer. L’auteur racont e les efforts du docteur Watson, pour guérir son compagnon de sa toxicomanie en l’emmenant consult er le Dr. F reud à Vienne. Freud guérit Holmes, et ce dernier explique au docteur ses méthodes d’i nvesti gation, et l ’amène à renoncer à l ’h ypnose et fonder la ps ychanal yse en traquant l’inconsci ent comme un dét ecti ve. 92 Le recensement des parodies et pastiches de Sherlock Holmes est mis en ligne par la « Société Sherlock Holmes de France ». URL : http://www.sshf.com/wiki/index.php/Adaptations 112 Première partie. Chapitre II Premiers créateurs et premiers héros Tout récemment ent re 2006 et 2011 , une série de r omans policiers pour l a jeunesse, Les Enquêtes d'Enola Holmes écrits par Nanc y Springer venaient de t émoi gner que l’engouement suscité par le héros do yl ien est toujours d'actualit é et que la vogue des pastiches holmésiens n'ét ait pas affaibli e chez l es rom anci ers. Enol a Holmes est la sœur cadette de Sherl ock et de Mycroft, tous l es deux ont respectivem ent 20 et 27 ans de plus qu’ell e. Dans les récits de Springer, Sherlock Holmes vit de nouvelles aventures dans l esquelles il croise très souvent la rout e de s a sœur qui fi n it par devenir son alliée. D’autres écrivains, très nombreux d’ail leurs, grands et pet its, ont rendu hommage à Sherl ock Holmes de façon plus ou moins discrète : Van Dine, Wodehouse, Scott Fitzgerald, Bernard Shaw, T.S. Eliot, Ronald Knox, Jea n Giraudoux, Umberto Eco, Jean Dutourd, Jean Ra y, John Dickson Carr, Boileau -Narcejac, Jacques Baudou, P aul Ga yot , Alexis Leca ye, R ené Re ouven…. Sur le plan théât ral, Il est à rappel er que l e X IXe si ècl e m arque la consécration d'une nouvelle tendance au th éât re : l a représentation de pièces tirées de romans . Nous soulignons que la prat ique de l’adaptation au théâtre avait parti cipé au développem ent d’une « culture de l’im age » dont le cinéma s’avère le successeur plus tard. En 1899, Conan Doyl e collabora av ec l ’acteur William Gil l ette afi n de mettre Holm es en scène , dans une pièce théâtrale en cinq act es : Sherlock Holmes . C ette pi èce a ét é jouée sans discontinuer entre 1899 et 1902, non sans connaît re par l a suite de nom breuses reprises, adapt ations, et trad uctions en allem and, espagnol et français. Entre 1922 et 1935 , William Gil lett e réécrit l a pièce Sherlock Holmes en quatre actes . Une dizaine d’année plus tard , Conan Do yle recommence l’expérience et mont e l a nouvell e La bande tachet ée en une pièce de troi s actes, Pierre Nordon nous fait savoi r qu’à Londres, 113 Première partie. Chapitre II Premiers créateurs et premiers héros la pièce a t enu l’affiche pendant près d’un an à partir de juin 1910, et qu’ell e y ét ait reprise en 1921. Le créat eur de Holm es écrivit égal ement en mai 1921 Le Diamant de la couronne , une pièce de théât re en un acte . Sherlock Holm es rest e le personnage de fi ction le plus représent é au ci ném a ave c plus de 260 films recensés . Le détective apparaît pour l a première fois au temps du muet, dans la production américaine du court -métrage Sherl ock Holmes Baffle d (1900). Ce film met en scène un personnage anon yme portant une casquette et fumant une pipe. Vont suivre d’autres films courts (français, scandinaves , entre autres) , puis un long m étrage angl ais Etude en rouge (1914), réali sé par Francis Ford. Dans l a co ntinuité de l a prolifération des films muets et grâce au succès fabuleux de la pi èce Sherlock Holm es jouée et réécrite par William Gillette , ce derni er s’en inspi ra pour une adaptation à l’écran en 1916 , dans un film portant le m ême i nti tulé que la pièce d e théât re. Le rôl e de Sherlock Holm es va continuer de faire l'objet d’excell ent es adapt ations à l 'écran , il fut joué par Eill e Norwood dans trois sérials de quinze courts films muets ret raçant plus de deux tiers du canon hol mésien. Conan Do yle s’enthousi asma pour ces films, et principal ement pour le jeu et le ph ysique de Norwood qui, selon Do yl e, correspondait parfait ement à l’image qu’il se faisait de son dét ective. Plus fort que Sherlock Holmes (1925) est égalem ent une com édie muett e très réussi e réali sée par Harr y Sweet et Joe Rock, le rôl e de Holmes est interprété par Stan Laurel. Mandaté par une client e, ce derni er va se déguiser en femme fatal e pour confondre le mari qui prépare, selon son épouse, un mauvais coup. Le derni er film muet holmési en , avant l’avènem ent du cinéma parlant, est Le Chien des Baskervi lle (1929) de Ri chard Oswal d , avec Carl yle 114 Première partie. Chapitre II Premiers créateurs et premiers héros Blackwell dans l e rôle de Holm es. La copie de ce film -j usque l à considérée comm e perdue - a été retrouvée en 2009 en Pologne . Depuis l 'apparition des prem i ers films parl ants, l a plus parfaite incarnati on du personnage de Holm es est cell e de Basil Rathbone. En effet, c’est avec le duo Rathbone (Hol mes) et Ni gel Bruce (Watson) que l e m ythe holmésien att eint sa notoriété, notamm ent l’excellente version du Chien des Baskervill e (1939). R athbone i ncarna le personnage dans une séri e de q uatorze films réalisés entre 1939 et 1946, imposant ainsi la première int erprét ation mémorable du rôl e. L’acteur devint l’autre référence picturale de Holmes . Dans la li gnée de R athbone, l e personnage holmési en fut merveilleusem ent servi par l’interprétation de l’acteur brit annique Pet er Cushi ng, dans l e premi er film en coul eur Le Chi en des Baskerville (1959). Cushing est considéré comme l ’act eur le plus crédi ble parmi tous ceux qui ont incarné l e personnage de Holmes. En 1975, l’acteur britannique Douglas Wilmer va à son tour fumer l a pipe de Sherl ock Holmes d ans un film intitulé Sherlock Hol mes’s Smart er Brother (L e frère le plus futé de Sherlock Holmes ). Le film « révèl e di scrète m ent une connai ssance t rès a pprof ondi e de Conan Doyl e » 93. Il va de soi que nous citons l a production très ori gi nal e Le Secret de la pyrami de (1985), un film pour enfants produit par Steven Spielberg, dont le rôle pri ncipal de S herlock Holm es revient à l’a ct eur britannique Nichol as Rowe. Le film m et en scène un Holm es et un Watson adolescents, ils se rencont rent au l ycée et se confront ent à une affaire criminelle : des meurtres étranges commis par de fanatiques adorateurs des dieux de l'anci enne Égypt e. Without a Clue (Élémentai re, mon cher... Lock Hol mes ) est égal ement un beau film sorti en 1988 et réal isé par l’américain Thom Eberhardt. Inversant les 93 Pierre Nordon, Tout ce que vous avez voulu savoir sur Sherlock Holmes sans jamais l’avoir rencontré. Paris, Librairie Générale Française, coll. Le Livre de Poche Biblio essais, 1994, p. 112. 115 Première partie. Chapitre II Premiers créateurs et premiers héros rôles, Eberhardt nous présente un Hol mes imbécil e , alcoolique et coureur de jupon , un rôle m agni fiquement interprété par Michael Caine, Watson à l’érudition rem arquabl e est un manipul ateur qui sait mener le jeu, il est interprét é de façon presque inqui étant e par Ben Kingsle y. Il a fallu cependant attendre l’année 2009 pour perm ettre au personnage Holm ésien de donner tout e sa m esure dans un vrai film de cinéma. Sherlock Holmes est un thriller d u réalisateur britannique Gu y Ritchi e, qui m et en scène Robert Downe y Jr dans l e rôl e de Holmes, pour lequel il reçoit un Golden Globe 94. Le film a remporté un tel succès pour qu’une suit e intitulée : Sherlock Hol mes : Jeu d’Ombres voie le jour en 2011. Les séries tél évisuelles n’ont accaparé que progressivem ent l'attention du public en devenant par l a suite les form ats TV les plus appréci és. Ai nsi, fut di ffusée, entre 1949 et 1955 , Sherlock Holmes, une série télévisée de 262 épi sodes, diffusée sur l a BBC en Grande -Bretagne, entre 1949 et 1955. Le rôle de Hol mes fut interprét é par Basil Rathbone. Les Rivaux de Sherl ock Holmes (The Rivals of Sherlock Holmes ), est également une séri e télévisée britanni que t rès cél èbre, diffusée entre 1971 et 1973, en Grande Bretagne, sur ITV en 26 épisodes. La série fut di ffusée en France sur la chaîne FR3. Chaque épisode m ettait en scène un dét ective différent rivalisant Sherlock Holmes pour résoudre un crim e. Au XX I e si ècl e, Conan Do yl e ne cesse d’êt re honoré dans son pa ys , Les Mystères du véritable Sherlock Hol mes (Murder Rooms: Myst eries of the Real Sherlock Holmes ) (2000-2001) est une mini-série t élévisée britanni que t rès ori ginale. Les cinq épi sodes de 90 minutes com posant la séri e, mett ent en scène Arthur Conan Do yl e 94 Une récompense cinématographique décernée annuellement depuis 1951 par la Hollywood Foreign Press Association 116 Première partie. Chapitre II Premiers créateurs et premiers héros et le Doct eur Joseph Bell, qui aurait inspiré l ’aut eur pour l a création du célèbre détective . Toujours en Angl eterre, une énièm e série télévisée a vu le j our en 2010 : Sherlock. Les réalisat eurs Mark Gatiss et Steven Moffat ont pris le ri sque de nous présenter un Holmes vivant en 2010. Cette série nous présent e le cél èbre détective incarné par Benedict Cumberbat ch , et un John Watson, incarné lui par Martin Freem an . Le cont exte et l ’effet 2010 apporte un rafraîchissement exceptionnel au x avent ures holmési ennes. Ainsi, l es nouvell es t echnologi es, nouvelles voi tures, tél éphones portabl es, Internet sont parfait ement i ntégrés dans cett e séri e et dans l’attitude des personnag es. Faisant de bons scores d’audi ence et recevant diverses critiques positives, concernant not amment l 'adapt ation contem poraine de l ’œuvre polici ère doyli enne, la série Sherlock (saison1) a rem porté le BAFTA Award 95 de l a m eilleure séri e dram atique. Une deu xième saison est sortie en fin 2011 en gardant le même cast e. Riche en rebondissements, mouvementé e et découpée en romans et nouvell es, l ’œuvre poli cière de Conan Do yl e était prédestinée à faire une prodi gi euse carri ère égalem ent dans les dessins ani més. Les années 80 ont été donc celles de l’adaptation du personnage de Holmes en dessin animé. En 1983, l e « monstre sacré » du ciném a Peter O'Toole a prêt é sa voix à quatre mini -films adaptés de l’œuvre policière de Do yl e : Une ét ude en rouge , Le Signe des qu atre, La Vallée de la peur et Le Chien des Baskerville . Au Japon, l e célèbre détective brit annique devi ent un chi en dans une célèbre séri e télévisée d’animation italo -j aponaise : Meitant ei Hol mes (1984). Les 26 épisodes de cett e séri e ont été réalisés pa r l e célèbre dessinateur de manga, le japonais Ha yao Mi yaz aki. Un long-m étrage d’animation 95 British Academy of Film and Television Arts est un trophée remis depuis 1954, récompensant les meilleures émissions télévisées diffusées au Royaume-Uni durant l'année précédente. 117 Première partie. Chapitre II Premiers créateurs et premiers héros des studios Disne y, baptisé Basil, détect ive pri vé (The Great Mous e Detective ), est sorti en 1986 . L’ aventure présentée dans ce dessin animé est celle d’une souris vivant sous le bâtim ent du 221b Baker Street. En 2001, l a France à son t our présent e une version animée de Sherlock Holm es : Les Nouvell es avent ures L’épisode Les Dalton cont re Sherl ock Holmes de Lucky Luke . oppose le détective aux Dalton, les cél èbres bandits les plus stupides de l 'Ouest. Après l es diverses adaptations citées, la radio a égal ement amplifi é considérablement la m édiat isation du personnage de Sherlock Holm es . D’aill eurs, nous ne pouvons com pter l e nombre d’adapt ations radiophoniques des aven tures holmési ennes dans le monde, s’ét al ant de 1930 à 2008. Sur un autre plan, l’ expression légendaire « Él ém ent ai re, m on cher Wat son ! » est classée par la « Sociét é Sherlock Holmes de France », comme l’une des répli ques les plus marquantes de l ’histoire du cinéma. Narcej ac trouve que cett e expression « appart i ent à l a l angue com m une au m êm e t i t re que : « To be or not t o be » » 96. Mais ce qui est intri gant, c’est qu’elle n’a j amais été écrit e par Conan Do yl e dans aucun de ses t extes policiers. Dans les aven tures de Holmes, le détective s’excl ame parfois « élémentaire ! », il appelle souvent son compagnon « mon cher Watson », mais il ne prononce j amais l a cél èbre réplique . De ce fait, cet apocryphe aurait été inauguré par Clive Brook 97, le premier Holmes des f il ms parl ants . Les adaptations ont donc cont ribué à instaurer cert ains traits du m ythe holm ésien qui n’ont pas été créés par Do yle lui -m ême. 96 Thomas Narcejac, Une machine à lire : Le roman policier, Paris, Denoël/Gonthier, 1975 97 Dans le film américain Le Retour de Sherlock Holmes (The Return of Sherlock Holmes), sorti en 1929, réalisé par Basil Dean. 118 Première partie. Chapitre II Premiers créateurs et premiers héros E n terme de quantit é comme en qualité , entre adapt ations, hommages et pastiches , Sherlock Holm es est peut -êt re le personnage poli cier le plus adapt é aux différents supports : écrits , écrans, scènes, radios, etc. , il devient l’un des m ythes les plus constamm ent durabl es. Les écrits poli ciers d’Edgar Poe et d’ Émil e Gaboriau, pourtant pastichés, parodiés et adaptés , n’ont pas donné au Chevali er Dupin et à Monsi eur Lecoq la popularité durable dont Holmes continue de jouir , m al gré l eur succès qui a aucun moment n’a été démenti. Nous pouvons penser que l e secret réside dès l e début dans une strat égie éditorial e suivie par Conan Doyl e. L’auteur britannique a bien vu les inconvénients du découpage feuill etonesque pour une publication m ensuelle, suivi auparavant par Gabori au. En un mois, nous explique R égis Messac, il peut se passer bi en des choses : on tombe mal ade, on part en vo yage, on oublie les débuts de l ’histoire, les goûts m ême peuvent changer ; il est donc inévitabl e de manquer tel ou t el numéro. C roit -on que le l ect eur se donnera la peine d’écrire et d’attendre l e numéro qu’il a m anqué ? Ce serait mal connaître la mentalit é d’un lecteur qui exige avant tout un di vert issement accompagné d’échapper d’un à t ous minimum ces d’effort. inconvéni ent s C’est que précisément Conan Doyl e afin nous révèle fièrem ent: Évi dem m ent , l a sol ut i on i déale ét ai t de t rouver un personnage qu i réapparaî t rait cont inuel l em ent, et dont l es avent ures com port erai ent cependant des di vi si ons dont chacune se suf f i rai t à elle - m êm e, de sort e que l ’ achet eur f ût t ouj ours sûr de pouvoi r prendre pl ai si r à t out l e cont enu du m agazi ne. Je 119 Première partie. Chapitre II Premiers créateurs et premiers héros croi s que j ’ ai ét é le prem i er à apercevoi r l es 98 avant ages de cet t e com bi nai son . Ainsi s’est assurée l a longévité de Sherl ock Holm es qui, opérant dans quatre rom ans et cinquant e-six nouvelles , a occupé quarant e ans de la vi e de son créat eur . C ette durée va, à son tour, garant i r la notoriét é et la célébrité du détective brit annique Quand Poe, Gabori au et Do yle ont cré é l eur détective , ils étaient loin de se dout er que plus d’un si ècl e et demi plus tard, Dupi n, Lecoq et Holmes seront l es archét ypes du personnage polici er les plu s connus au monde. Du statut « personnage », les trois détect ives sont passés à celui de « personnes », parce qu’ils ont su exister en dehors d’une intri gue, d’un lieu et d’un tem ps fixés par leur créat eur . Ainsi, avant d’être héroïques, ces personnages sont d’abord humains, et c’est dans cett e humanité qu’il faut rechercher les secrets qui les hantent. Qui sont -i ls donc ? Qu’est -ce qui les caract éri se et l es parti cularise ? Pourquoi et comment sont -ils inventés ? rapports entretiennent -ils entre eux? Quels C’est ce que l’on tentera d’élucider dans l es chapitres qui vont sui vre. 98 Régis Messac, Le « Detective Novel» et l’influence de la pensée scientifique, éd. Encrage, collection « Travaux », Paris, 2011, p. 481. 120 Deuxième partie Le portrait comme système de signification Deuxième part ie V incent Jouve montre 99 que le personnage ap parti ent à l’univers fi ctionnel ; en revanche, il « se donne à l i re com m e un aut re vivant ». Pour le lecteur, que nous sommes, il devient, au fil de l a lecture, une personne réell e, se caractéri sant par des qualités ph ysiques et morales, et j ouissant d’un st atut social. Et c'est ce qui fait tout e l’ambi guït é du personnage. Comm ent l ’écrivain réussit -il à pr êter sentiments, réfl exion, intelli gence ou i diotie à un « être de papier » ? Les héros -dét ectives sont, pour le l ect eur, plus que des personnes, ils refl èt ent son espoi r et ses certitudes, ils évoluent dans un monde qu’il ne connaît ra certainement j amais. Ainsi, ils appartiennent à la fois au monde de la fi ction et à l’univers du lect eur, et voilà peut -être pourquoi l e phénomène héros dépass e l’effet -auteur. Tout au long de notre anal yse, nous examinerons donc comment Poe, Gaboriau et Do yl e procèdent à l a qualifi cation de l eurs héros, afin de mesurer l’ « effet personnage » sur nous, et comprendre comm ent Dupin, Lecoq et Holmes, à t ravers l eurs traits ph ysiques, moraux, i ntellectuels, et c., peuvent nous marquer. Les catégori es de la sémiologie du personnag e, particuli èrement cell es définies par P. Hamon, vont nous servi r de points de repère pour notre ét ude comparative. Les dét ectives seront ai nsi anal ys és selon l eur , id entité, biographi e, portrai t ph ysique, comport ement et attitudes m ental es, et selon ce q ue ces élém ents s ymbolisent et manifestent comm e valeurs. 99 Dans L'effet-personnage dans le roman, Paris, Presses Universitaires de France, 1992, 122 Chapitre I Des portraits physiques parlants Deuxième partie. Chapitre I Des portraits physiques parlants I- Du détail identitaire et biographique du héros -détective 1. Détail identi taire : Pour fai re exister l e personnage, l’écri vain comm ence par lui attribuer une identit é ( nom, p rénom , nationalité…) qui constitue ce que Philippe Hamon appelle « l’étiquette ». C elle -ci semble revêtir une tell e importance qu’elle est susceptible d’ent rer en texte en premi er, avant t out e description. L’i dentité n’est pas seul ement un moyen comm ode de repérage et une marque d’unité qui ratt ache une séri e d’inform ations dispersées à un ancrage unique, mais encore un moyen d’imiter la réalité. En effet , dans son fonctionnement mimétique, le nom par exemple paraît vrai, il sonne juste et, par lui, la fiction se rend crédible. La rhétorique appel ait le nom « t opique de la personne », dans la mesure où il rel ève des t raits permanents qui définissent le personnag e de mani ère plus spéci fique : « L’ êt re du personnage dépend d’ abord du nom propre qui , suggérant une i ndi vi dual i té, est l’ un des i nst rum ent s l es pl u s ef f i caces de l’ ef f et de réel » 100. L’identité est une composant e él émentaire du personnage, cett e marque st abl e est l a manière la plus simple de l ’individualiser, de lui donner un si gnal ement, qui le sing ulari se. Chacun des trois auteurs, a apporté beaucoup de soin au choix de l’identité de son détective. Cela nous fait penser que ce choix : [ …] n’ est pas l e f ai t du hasard, i l pui se sa si gnif icat i on dans le dessei n qu’ on l ui assi gne. Il com m uni que ai ns i à l ’ i ndi vi du qui le port e la sym bol i que et l a valeur de l a personne réf érence ; il 100 Jouve Vincent, La poétique du roman, SEDES/HER, Collection «Campus Lettres », Paris, 1999, p. 57. 124 Deuxième partie. Chapitre I Des portraits physiques parlants l ’ i nscri t dans l ’ univers des vi vant s, et en même t em ps qu’ i l donne pri se sur l ’ i ndi vi du qui devi ent al ors l ocali sabl e et soci al ement i dentif i abl e. 101 Les actions des personn ages nous si gnal ent leur caractère et les incidents les plus fortuits nous offr ent des dét ails concernant l eur personnalit é, car leur comportem ent est i nterp rét é comm e un refl et de leur ps ychologi e . Or, les dét ails identit aires, peuvent aussi être un moyen efficace qui détermine et caractérise un personnage, un mo yen souvent assez subtil et insaisissabl e pui squ’il n’est pas fondé sur un rapport de causal ité, mais sur un rapport métaphorique ou méton ymique. Ainsi l’étiquette en dit l ong, elle n’est pas muett e et ce qui nous i ntéresse i c i c’est just em ent ce qu’ell e révèle et la manière dont elle l e fait. 101 Abomo-Maurin, Marie-Rose, « La recherche de la terre : une lecture du Fils de la tribu », in Tcheuyap, Alexie (sous la direction de), Paris, L’Harmattan, Collection « Critiques littéraires », 2007, pp.263-277. 125 Deuxième partie. Chapitre I Des portraits physiques parlants 1.1. Le DUPIN d e Poe : un Dupont de tous ? Qu’est-ce qui a amené Edgar Poe à attribuer une nationalit é et un nom français à son héros et à le fai re év oluer en France ? Nous pouvons penser que l’attrait qu’offrait Paris pour l’Américain de 1840, ét ait suscit é en grande partie par le fait que c’était la plus presti gi euse m étropole int ellectuell e du monde. Cett e capit ale aurait exercé sur Poe une fascinati on tot ale. F aire naître DUP IN en France, c’est donc lui att ribuer cert aines qualit és en vogue à l’ époque tel que le raisonnement ; une réput ation dont jouissait les Français auprès des Anglophones, et cela depuis Descart es. Francis Lacas si n nous dit qu’il était naturel que DUP IN ait été français, parce que raisonneur 102. Mais ne serait -ce pas injuste de limiter le choix de son héros à cett e seule considération et dire que DUP IN n’est qu’un Dupont, nom générique d’un français l ambda. En t out cas, l e choix de DUP IN a fait coul er beaucoup d’encre. Voici quel ques réfl exi ons qui ont tenté d’éclai rer les motivations d’un tel choix : Certains auteurs affi rment qu’Edgar Al lan Poe se serait inspiré de Charles Dupin appelé aussi le Baron Dupin, mathématicien franç ais connu et ministre de la Mari ne en 1833 , ét ant d onné les penchants de Poe pour l es m athém atiques dans lesquell es il s’était fort distingué d’ail leurs. On a égalem ent pensé au frère aîné de Charl es, André -Marie Dupin, qui fut procureur général à la même époque. Les deux frères se sont fait aussi une réputation littérai re. On s’explique facil ement que Poe, qui n’ a jamais visité la France, ait eu, en tant que journaliste, des sources d’information précises. 102 Francis Lacassin, Mythologie du roman policier (I), coll. 10-18. Paris, 1974, p.60. 126 Deuxième partie. Chapitre I Des portraits physiques parlants Pour am ener son héros à prendre corps, Edgar Poe a puisé généreusem ent dans ses lectures d’aut eurs français t els que Voltaire qui a nanti Zadi g des “germ es du rai sonnem ent”. En effet, Poe témoi gne de sa connaissance de Zadi g en le citant dans sa nouvell e Hop-Frog 103. Point de doute donc que Dupin a it trouvé chez Zadig une part de sa personnalit é et l’élém ent primitif du raisonnement anal ytique. Poe était égal ement un l ect eur attenti f de Vi docq dont les Mémoires ont été traduits en angl ais, l ’année m ême de leur parution en France. Mêm e si l’enquêt eur “dil ettante, esthèt e et raisonneur” de Poe ne doit pas son nom au fondat eur de l a poli ce de Sûreté ; il lui ressemble à s’ y m éprendre. Poe aurait ét é inspi ré aussi par Campanell a, ce m oine italien enferm é pendant la moitié de sa vie dans les cachots de l’inquisition 104 et, qui utilisait ses loisirs en prison à des pratiques fort instructives comme le fait de s’exercer à lire dans l a pensée de ses visiteurs, tout comme le fait DUP IN avec ses int erlocuteurs pour déduire la pensée d’après l ’expression du visage. C’était, nous dit Lacassin, la pratique d’une ancienne science : l a “ph ysiognomonie” (déduire la pensée d’après l ’expression du visage), elle a fait l’objet au XV III e si ècl e d’un énorm e trait é du pasteur suisse Lavater 105 dont Edgar Poe sembl e avoir connu l es écrits, du moins en traducti on. 103 « Il aurait préféré le Gargantua de Rabelais au Zadig de Voltaire » : Edgar Allan Poe, Nouvelles Histoires Extraordinaires, Teddington : The Echo Library, 2008, P.3. 104 Il se réfugie en 1634, en France où il finit sa vie. 105 Johann Kaspar Lavater ou Gaspard (1741- 1801) fut un célèbre physiognomoniste du XVIIIème siècle. Il fut le premier à véritablement élaborer un système de signes morphologiques qui permettait de connaître le caractère d'un individu en étudiant et observant les traits de son visage. Sa théorie visait à démontrer que chaque élément d'un visage (les yeux, le nez, la bouche, les oreilles) avait en propre une signification psychologique ce qui permettait d'en déduire le tempérament d'un sujet donné. 127 Deuxième partie. Chapitre I Des portraits physiques parlants Outre cela, Dupin fait lui -m ême all usion à l’influence de Laplace et de son Essai philosophique sur les probabilités l orsqu’il décl are : En général , l es coïnci dences sont de grosses pi erres d’ achoppem ent dans l a ro ut e de ces pauvres penseurs m al éduqués qui ne savent pas l e prem i er m ot de l a t héori e des probabi l i t és, t héorie à l aquel l e l e savoi r hum ai n doi t ses pl us gl ori euses conquêt es et ses pl us bell es découvert es. 106 Avec tant d’influences sur le personnage de Poe : Zadi g, Vidocq, Campanella, Lavat er, Lapl ace…, et presque tou tes d’ori gi ne française, fau t-il s’étonner si l’aut eur a choisi son héros français ? 1.2. Le cocorico d e LECOQ Pour Gabori au, la carrière du dét ect ive s’é tait ouvert e avec Tabaret, surnomm é « Tirau clair » d’une phrase qui l ui était familière : « Il faut que cel a se ti r e au clair. ». Tabaret es t u n retrait é tandis que Lecoq es t un agent de la Sûreté depuis environ trois ans . Les deux personnages sont à tous point s de vue di fférents. Lorsque Tabaret intervi ent dans L’Affaire Lerouge , c’est à l a demande de Lecoq qui admire ce dét ective am at eur, et voi t en lui une fi gure de grand ancêtre qu’il viendra au besoin consulter et dont il ne citera le nom qu’avec grand respect. Tabaret a pu voi r, dans Lecoq, un homm e qui a, tout comme lui, la passion de la chasse aux criminels et dont les qualit és feront un limier de tout prem ier ordre. Il l e considère comme un fi ls en l e protégeant et le conseillant. Pour Lecoq, Tabaret occupait la position 106 Edgar Allan Poe, Double Assassinat dans la rue Morgue (The Murders in the Rue Morgue), p.80. 128 Deuxième partie. Chapitre I Des portraits physiques parlants de maît re, il s’insp irait de ses t echniques de déduction et de collect es d’indices. Mais n’est -il pas opportun de se dem ander d’où est venue à Gaboriau l ’idée de nommer l e princi pal héros de ses enquêtes policières LECOQ? Pourrait -on penser au Coq gaulois, em blème et s ymbole identitai re de la France depuis des siècles ? Nous p arlons donc d’un rapport crat yliste 107 qui nous ferait croire que Gabori au avait joué du si gni fiant du mot pour établi r une relation entre la sonorit é du nom et le caractère de son enquêteur, comm e l ’ont fa it nombre de rom anciers réalist es et naturalistes au XIX e si ècl e. Cependant, il serait fort douteux qu’avec tout son t alent, Gaboriau se soit content é de cett e facilit é qui, à notre avis, frise la mièvreri e. Le nom de LECOQ ne sera, d’ailleurs, j amais sui vi d’un prénom. R. Bonniot 108 s’est posé cette mêm e questi on quant à l’ori gine du nom. Il a tenté d’ y répondre en émett ant les h ypot hèses suivantes: Que Gabori au l’avai t peut -être emprunté à P. Féval, 109 qui avait nommé ainsi son pol icier des Habits noirs . Qu’il l’aurait gardé comme souveni r du temps de son séj our breton, du fait qu’il était t rès répandu dans cette régi on. Qu’il aurait connu ce nom au cours de ses lectures en songeant à ses premiers ouvrages, dont les suj et s se rapport ent au XVIIe siècl e. C ette dernière h ypothèse , avec la premi ère, pourrait suscit er 107 Le cratylisme est une théorie naturaliste du langage selon laquelle les noms ont un lien direct avec leur signification. 108 Roger Bonniot, Emile Gaboriau ou la naissance du roman policier, J.Vrin, Paris, 1985, p. 411. 109 Gaboriau avait occupé le poste de secrétaire particulier de l’écrivain Paul Féval, feuilletoniste très populaire de son temps. 129 Deuxième partie. Chapitre I Des portraits physiques parlants l’adhésion. En effet, il se peut que Lecoq soit le nom d’un des agents les plus habiles de La Re ynie, chef de l a police parisi enne sous Louis XIV. En tout cas, l ’euphonie avec l e nom de Vidocq est r évélatri ce, il devait pl aire à Gaboriau par sa sonori té et comme s ymbole de la force et du courage que possédait ce personnage. Aux yeux de ses les dimensions du m ythe, c’était contem porains, Vidocq présentait une fi gure de légende à t el point qu'on pourr ait croi re à un personnage fi ctif. C ’est pourquoi, son i nfluence sur le personnage de Gaboriau ne s’était pas limitée qu’à une rime entre les deux noms, plus encore, Lecoq était, tout comme Vidocq, un ancien repris de justice réconcilié avec l es lois 110 . 1.3. SHERLOCK ou “Cher Lecoq” La gestation du détective d’Arthur Conan Do yl e a ét é assez labori euse mais a fini par la naissance du nom de SHER LOCK HOLMES : «Je choi si s, racont e H ol m es, pui s Sherl ock H ol m es » 111 Conan Doyl e, She rri nf ord . D’après di fférentes recherch es, «S HER LOCK » et «HOLMES » pourrai ent parveni r de deux sources distinctes: Do yle avait été influencé d’abord, par le célèbre juriste et médecin américain, Oliver Wendell Holmes. Wendell Hol mes était aussi un écrivain, essa yi ste et poète. Ensuite, par M. Sherwi n et M. Shackl ock, deux cél èbres joueurs de cricket qui avai ent suscité l 'ém erveillement et l 'admirati on de l 'écrivain , lui-m ême un passi onné de ce sport ; 110 Cité dans L’Affaire Lerouge. 111 Cité par Jean Bourdier, Histoire du roman policier, Paris, De Fallois, 1996, p.63. 130 Deuxième partie. Chapitre I Des portraits physiques parlants d’où une s ynthèse des deux noms qui aurait donné naissance à Sherlock. Le nom pourrait être au ssi celui d’Al fred Sherlock, un violoniste de premier pl an de l'Anglet erre cont emporaine (au cours de ses avent ures et à ses m oments d’intense réflexion, le dét ective j ouait du violon). Une autre supposition , celle d’un groupe de chercheurs dont fait parti e Christopher Morle y 112, est que le nom de SHER LOC K ferait allusion à Sherlock William (1641 -1707) qui ét ait un angl ais diri geant de l'Église, ou à son fils, Sherlock Thom as (1678-1761), qui avait servi l’Égl ise d’Angl eterre , évêque pendant 33 ans. Il était égal ement not é dans l'histoi re de l'Église comme un fact eur i mportant de l’apologétique chrétienne. Une derni ère h ypot hèse, que nous trouvons amusant e à notre avis mais dépourvue d’intérêt , est que Sherlock vi endrait d'une déformation de « cher Lecoq », une hypothèse qui n’a pu être prouvée ni argum entée. Si cela s’avérait juste, Conan Do yle aurait fait ce cli n d’œil à Gaboriau pour expri mer son admiration ; n’a -t-il pas not é dans ses Mémories and Adventures : Gabori au m ’ avai t sédui t par l ’ él égante f açon dont i l agençai t l es pi èces de ses i nt rigues, et l e m agi st ral dét ect i ve de P oe, M. Dupi n, avai t ét é, depui s m on enf ance, un de m es héros f avori s. 113 112 Christopher Morley (1890-1957) : journaliste, romancier, essayiste et poète américain. 113 “Gaboriau had rather attracted me by the neat dovetailing of his plots, and Poe’s masterful detective, M. Dupin, had from boyhood been one of my heroes.”, A. Conan Doyle, Memories and Adventures, London,1924, p. 74 ; citation d’après A. E. MURCH, The Development of the Detective Novel, London, 1968, p. 16. 131 Deuxième partie. Chapitre I Des portraits physiques parlants Notons enfin que Gaboriau n’est pas le seul à avoi r conquis Do yle; Edgar P oe n’en est pas moins admiré , et pourt ant rien ne montre qu’il s’en est inspiré pour l e nom de son héros afin de lui rendre ainsi hommage. Si tous les personn ages cit és ci-dessus pouvaient constit uer l a source du nom et prénom que Do yl e avait attribué à son détective, qui donc lui avait servi de modèle pour lui forger une personnalité correspondant à l’appellation S HER LOCK HOLMES? Les spéci alistes en littérature s’accordent à dire que la principal e source d'inspiration pour le personnage de Sherlock Holmes était son professeur en médecine , le Dr Joseph Bell 114, professeur de chi rurgi e clinique à l 'Universi té d'Edimbourg. Médecin distingué et éducat eur, Bell a été chi rurgi en personnel de la reine Vi ctori a chaque fois qu'ell e séjournait en Ecosse ainsi que chirurgi en honoraire d’Edouard VII. Bell est l’auteur de plusi eurs ouvrages médi caux ainsi que de nombreux articl es, et fut pendant vingt -trois années rédacteur de l'Edinburgh Medi cal Journal . Il est l ’aut eur d'une Méthode déducti ve qui servi ra ampl em ent le héros de Doyl e dans ses invest igati ons. Doté d'un fabul eux sens de l'observation, Bell pouvait rel ever des inform ations import antes à partir des détails l es pl us minces , ce qui l'aidait à mi eux connaître les pat hologi es de ses patients, et aussi à se livrer à diverses enquêt es. D’ailleurs, Scotland Yard fit réguli èrement appel à lui et Bell parti cipa à la résol ution de plusieurs affaires criminelles. 114 Francis Lacassin écrit, dans Mythologie du roman policier Tome(I). P.109 : « Le recueil Aventures de Sherlock Holmes lui est dédié. Les dédicaces de Conan Doyle ne figurent jamais dans les éditions françaises de ses œuvres. On se demande quel motif a pu inspirer aux traducteurs ou éditeurs un tel manque de courtoisie ». 132 Deuxième partie. Chapitre I Des portraits physiques parlants SHER LOCK HOLMES paraît avoir emprunté beaucoup à la personne du Dr. Bell ; en cel a, ce dernier devi ent une source d’inspiration probante. A so n professeur, Do yl e finit bien par reconnaître : Mon cher B el l , C‘ est t rès cert ai nem ent à vous que j e doi s Sherl ock H ol m es, et m êm e si dans m es hi st oi res j ’ ai l ’ avant age de pouvoir le pl acer dans t out e sort e de sit uat ions dram at i ques, j e ne croi s pas que son t ravail d‘ anal yse exagère en quoi que ce soi t cert ai ns ef f et s que je vous ai vu produi re dans l e servi ce des pat i ent s de j our. Aut our d u cent re de déduct i on, de rai sonnem ent et d ’ observat i on que j e vous ai ent endu i ncul quer, j ‘ ai t ent é de const rui re un hom m e qui pouss e l a m ét hode aussi loi n qu‘ el l e peut al l er - pl us l oin à l ’ occasi on - et je sui s f ort heureux q ue l e résul t at vous sat i sf asse, vous qui seri ez en droi t d ’ êt re m on cri t i que l e pl us sévère . 115 Ce à quoi le Doct eur Bell avait répondu en écriva nt à Doyl e : « vous êt es vous - mêm e Sherl ock H ol mes et vous l e savez bi en ». D’aucuns seraient tentés de croire à un hommage ou à une expressi on de gratitude du Dr. Bell . D’après cette l ettre, Conan Do yle est très explicite et t rès précis quant au caract ère et à la personnalité de son héros ; HOLMES semble emprunter d’innombrabl es car actéristiques impressi onnant es 115 "It is most certainly to you that I owe Sherlock Holmes, and though in the stories I have the advantage of being able to place [the detective] in all sorts of dramatic positions, I do not think that his analytical work is in the least an exaggeration of some effects which I have seen you produce in the out-patient ward. Round the centre of deduction and inference and observation which I heard you inculcate I have tried to build up a man who pushed the things as far as it would go - further occasionally - and I am so glad that the result has satisfied you, who are the critic with the most right to be severe." .A.C. Doyle, The new annotated Sherlock Holmes. Ed. Klinger Leslie. S, New York: W.W. Norton & Co.; 2005. p. xxiii-xxiv. 133 Deuxième partie. Chapitre I Des portraits physiques parlants t elles ses capacités d’observation et de déducti on. au Dr. Bell Cependant, Do yle voudrait bien faire comprendre à ses lecteurs, qu’il s’agissait juste d’une source d’inspi rat ion et non d’une copi e d’un être réel. Comme tous les aut eurs d’ailleurs, l ’écrivain voudrait qu e sa créativit é, son innovation et, surtout son ori ginali té soient reconnues. Si Dupin et Lecoq étaient Français, de solides att ac hes reli aient Sherlock Holmes à la France. Le dét ecti ve ne l e dit -il pas à Watson, son inévit able compagnon ? : « [ ...] m a grand - m ère […] ét ait l a sœur de Vernet , l e pei nt re f rançai s. Dans l e sang, l ’ art est suscept i bl e de prendre l es f orm es les pl us ét ra nges » 116. Même si Sherlock Holmes réunissait en lui un pur produit de l a bourgeoisie victorienne, et un archét ype du gentl eman brit annique, ses ori gines part iellement françaises sont attestées par les holm ésiens les plus séri eux. « Le sang qui coul e dans l e s vei nes du dét ect i ve est donc, en part i e, f rançais ». 117 Ajoutons que, Hol mes avait refusé l e titre de chevalier en Anglet erre : Je m e souvi ens t rès bi en de l a dat e, car au cours du m êm e m oi s H olmes ref usa un ti t re de cheval ier pour avoi r rendu de s servi ce s qui seront peut - êt re un j our racont és 118. En revanche, il avait accepté la Légion d’honneur en France : « e xpl oi t qui val ut à H olm es une l ett re de remerci ement m anuscri t e du prési dent f rançai s et la m édai ll e de la Légi on 116 A.C. Doyle, Volume2. L’interprète grec (The Greek Interpreter), p.157. 117 Thierry Saint-Joanis, Société Sherlock Holmes de France, http://www.sshf.com/articles.php?id=9, consulté le 20 mars 2011. 118 A.C. Doyle, Volume3. Les trois Garrideb (The Three Garridebs), p. 807. 134 Deuxième partie. Chapitre I Des portraits physiques parlants d’ honneur » 119 ; cela a poussé Thi err y S aint -Joanis 120 à question poser une non dénuée d’esprit pol émique : « U n Angl ai s aurai t - il pu f ai re un t el choi x ? Nous vous l ai ssons j uges » 121, il continue en affi rmant une opini on générale de l a sociét é Sherlock Holmes de France : P our l a Soci ét é Sherl ock H olm es de F rance, i l n' y a pas l ' om bre d' un dout e depui s l ongt em ps. Sherl ock H olm es étai t un dét ect i ve f ranco - angl ai s ( et non f rançai s) si m pl em ent angl ai s, ni mêm e angl o - 122 C’est pourquoi, comme cela fut évoqué précédemment, nous rev enons au ra yonnement dont jouissai t la France en Europe dans plusieurs domai nes, l’influence artistique et littérai re ent re aut res. Rappelons-nous le poids, le presti ge et surtout l’influence véhiculés par les expressions : « pensée française », « culture française », « ra yonnement français » et de leur i mpact sur les bell es lettres universell es. 119 A.C. Doyle, Volume2. Le pince-nez en or (The Golden Pince-Nez), p.997. 120 Journaliste et président fondateur de la Société Sherlock Holmes de France. 121 http://www.sshf.com/articles.php?id=9 122 Ibid. 135 Deuxième partie. Chapitre I Des portraits physiques parlants P our surdéterminer l’effet sémantique des noms de leurs personnages, Poe, Gabori au et Do yl e les ont dotés de noms qui font penser à des personnages réels - quel que fois ficti fs cél èbres, de sorte que le l ect eur va int erprét er l e personnage à l a lumière du savoi r préétabli que recèle son nom. Ce t ype de nom témoi gne d’un cert ain envahi ssem ent des t extes de fi ction par l’univers réel. L’uni vers de la fiction devient ainsi un univers mixte qui allie él éments fi ctifs et réels en accordant droit de cité aux objets réels. Le dét ail identitai re constitue donc, chez les trois auteurs, un procédé littéraire de caract érisation qui joue un rôle capit al dans la création de l’illusion référentiell e et la const ructi on de l’effet d e réalité. C ependant, aucun de nos aut eurs ne se livre à ce travail attenti f et minutieux sur le choix des noms des personnages dont P. Hamon fait, a just e titre, une des caract éristiques maj eures du roman au X IX e siècle 123 . Cit ons l’exemple de La Lettre Volée , où Dupin est le seul personnage qui ait un nom, les autres n’ont droit tout au plus qu’à des initial es : l e préfet est M. G. ; l e ministre est M . D . Dans ce sens, Poe ne s’int éresse pas aux individus, mais seul ement aux rapports logi ques qui les unissent. Le détail identit aire constitue certes un élém ent de cohérence narrative et de source d’inform ation. Il peut aider à caract ériser l e personnage, mais il fonctionne égalem ent comme une porte ouvert e vers une autre dim ension, vers l’uni vers extratextuel. C’est une manière d’int égrer l a réalit é dans l a fiction, comm e de situer l ’êt re fictionnel par rapport au monde réel. Élément indispensabl e pour la lisibilité et l a cohérence du t exte, l’identité constitue au ssi une important e mine d’inform ations sur l es différents aspects du récit. 123 Philippe Hamon, Le Personnel du roman, Librairie Droz, Genève, 1998, p. 108. 136 Deuxième partie. Chapitre I Des portraits physiques parlants Poe, Gaboriau et Doyl e n’ont pas inventé les identités de leurs héros, ces derni ers comme êt res fi ctifs ne sont guère déconnect és des êtres de chair. Les expériences personnelles des trois écri vains leur ont bien fourni leur matière . Il reste à noter que l’univers intéri eur de nos aut eurs inclut leurs lect ures voire tout un patrimoine littérai re, il s’agit d’ une int ert extualité dont le poids est considérable chez ces hommes connus pour êt re très cultivés. 137 Deuxième partie. Chapitre I Des portraits physiques parlants 2. Biographies entre fiction et réalité. Le nom reste cert es la marque et le si gnal privilégié d’un effet de réel du personnage, mais : « l e n om [...] ne p ermet pas de total ement individuer les pers on nages dans l’univ ers du roman» 124, il n’est pas le seul él ément à pol ariser l’attention du lect eur ; ce derni er semble fai re une connaissance plus intim e av ec le personnage, quand il découv re sa biographie. L’écrivain du XIXe siècl e n’éprouvait pas de diffi cult és à parl er ouvertem ent de la vi e de son personnage, car son passé, son histoire, sont des él éments capitaux dans l a voi e de sa particularisation. Le personnage, mi roir de l’indivi du, entre en cont act avec sa propre identité par l ’intermédiai re du souvenir des actions e t pensées passées. S ans m émoire, l e personnage romanesque n’aurait en effet pas l a moindre notion de cause, ni par conséquent de cett e chaîne de causes et d’effets qui constitue l’action romanesque mêm e. Le temps et l’espace sont des composantes essentiell es. Les idées par exemple deviennent ordinaires et banales, quand on les détache du cadre spatio-t emporel , ell es ne sont par conséquent pertinent es et intéressantes que si elles sont replacées dans ce m ême cadre. De la mêm e manière, l es personnages du rom a n ne peuvent être individualisés que si on les place dans un arrière -fond d’espace et de temps précis. Qu’en est-il donc de nos trois écrivains ? Misent -ils sur le détail biographique très répandu au X IX e siècle, ou font -ils exception à la règle générale ? 124 Erman, Michel, Poétique du personnage de roman, Paris, Ellipses, Collection «thèmes & études », 2006, p. 50. 138 Deuxième partie. Chapitre I Des portraits physiques parlants 2.1. La cheval eri e d e Dupin La biographie du personnage de Dupin se limite dans le récit à une poi gnée de dét a ils : d’abord, ses m anières aristocratiques ; c’est un « j eune gent l em an », puis, sa t raj ect oire soc ial e ; il appartient à une « excel l ent e mais f a m i ll e » « par une séri e d’ événem ent s m al encont reux, i l se t rouva rédui t à une t el l e pauvret é… » sa position culturel le ; le narrateur était « f ort 125 , ensuite, ét onné de la prodi gi euse ét endue » des lectures de son ami , et enfin sa position économique , le narrat eur révèle que grâce à la courtoisie des créanciers de Dupin, ce dernier : [ …] rest a en possessi on d’ un peti t reliquat de son pat ri m oi ne, et , sur l a rent e qu’ il en t i rai t , il t rouva m oyen, par une économ i e ri goureuse, de subveni r aux nécessi t és de l a vi e, sans s’ i nqui ét er aut rem ent des superfl ui t és 126 Ces él éments bi ographiques sur le personnage de Dupin, ce noble décl assé, pourraient être fort ement inspirés par la vraie biographie de l’auteur, qui avait , l ui -mêm e, vécu comme un bourgeois désarge nté. C ette biographie fi ctive semble en effet accorder au scripteur la chance d’exister pleinem ent au sein même du texte. Il s’agit d’une intersection créée entre le dedans et le dehors du texte, ent re l’i ntra - et l’extra -textuel, voilà ce qui rend l e script eur personnage de sa propre fi ction, 125 Edgar Allan Poe, Double Assassinat dans la rue Morgue, p.42. 126 Ibid., p.44. comme l e souli gne 139 Deuxième partie. Chapitre I Des portraits physiques parlants U.Eisenzwei g : « C e n’ est que grâce au m asque ( du personnage) que peut êt re t enue l a plum e ( de l ’ auteur) » 127. Dupin appartien t à l’arist ocrati e française et à une famille excellent e, d’où ses qualit és de gentlem an. Il cum ulerait l es attributs positifs de noblesse d’âme et de rang , de lo yaut é et de puret é qui sont inconcili ables avec le crime et l’i mmoralit é, auxquell es not re détective doit faire face. En souli gnant la cl asse soci ale, Poe sembl e indiquer implicit ement, la capacité de son héros à accomplir sa tâche de dét ective, qui est en parfait e adéquat ion avec son éducat ion. Les ori gines familial es de Dupin lui ont permis d’ailleurs de t raiter en égal l e préfet de pol ice et mêm e d’avoi r accès au dom icile particuli er d’un minist re 128. Poe aurait attri bué de l’import ance à la noblesse de rang et du sang et aux qualités qu’elle comporte obligatoirement : un noble ne naît pas m auvais, détail qui t émoi gne de la confi ance pl acée par de nombreux auteurs du XIX e si ècl e dans les qualit és conférées au nobl e par sa seul e naissance. Dupin apparti en t à la noblesse également par son tit re de chevalier, or vivant dans les années 1830 -1840, sous la monarchie de juillet 129, il n’avait dégainé aucune épée à aucun moment ; c’est pourquoi il nous a fallu revenir à la li ttérat ure du X III e si ècl e qui explique que l e tit re de chevali er, ét ait celui que port ent l es cadets 127 U. Eisenzweig, Le Récit impossible. Forme et sens du roman policier, Mesnil-sur-l’Estrée, Editions Bourgois, 1986, p. 43. C’est en référence à une célèbre collection de roman policier. 128 « […] je [Dupin] me présentai un beau matin, comme par hasard, à l’hôtel du ministre. Je trouve D… chez lui ». Edgar Allan Poe, La Lettre volée (The Purloined Letter), Petits classiques. , Paris, 1999, p.128. 129 La monarchie de Juillet tire son nom de l'émeute qui se transforma en révolution, les 27, 28 et 29 juillet 1830 (les Trois Glorieuses), et dont le souverain fut Louis-Philippe Ier, qui fut renversé par la révolution de février 1848. 140 Deuxième partie. Chapitre I Des portraits physiques parlants d’une bonne famille. Ce qui conduit à dire que la nobl esse de Dupin renvoie à cette curieuse nost al gie pour les époques révol ues, qui vient pondérer l ’inscription de Poe dans son siècle. La chevalerie à laquell e apparti ent ce dét ective serait d’une essence di fférent e et nouvell e, ell e serait un code moral très strict qui donne au chevali er des val eurs de référ ence : l’intelli gence, l a force ph ysique et ps ychologique, le courage devant l e danger, le chevali er qui ne recule pas, qui ne craint pas pour sa vie, qui doit aussi êt re lo yal. Enfin, l e chevalier qui est capabl e de rester m aître de lui-m ême dans le feu d e l 'action . Une chevalerie qui veut qu’on marque sa déférence et sa consi dération à l’égard du héros d’Edgar Poe. Mais puisque le s él éments biographiques constituent un apport fondament al dans l a parti cularisation du personnage rom anesque, comment se fa it-il qu’ils soient si peu nombreux chez le héros de Poe? Nous en trouvons les raisons dans sa vision de l ’hom me. Il a probablem ent voulu souli gner l 'import ance des facult és m entales de son héros, et donc l aissé de côt é toute autre considération qui aurait affaibli l a notion primai re de l 'intell igence de ce derni er. Nous pouvons ainsi const ater chez Poe un souci d’authenti cité qui est opposé aux préoccupations d’exactitude de l’écrivain du X IX e si ècl e. Pour éviter que son personnage soit conventionnel, il va lui chercher une singul arit é et le peindre par un détail qui ne soit pas t ypi que mais insolit e, c’est l e souci essenti el du réalisme de Poe. Cette brièvet é des indications biographiques serait égal ement expliquée par un refus du dét ail précis. Poe sembl e opt er pour la description vague et imprécise du personnage qui permett rait de le classer dans le flou auquel le lecteur t entera de rem édier par son imagination pour fai re revi vre une personne réelle. 141 Deuxième partie. Chapitre I Des portraits physiques parlants 2.2. Lecoq le bourgeois A l’inverse de l ’enquêt eur de Poe, on dispose d’abondants détails biographiques sur Lecoq. Tout comme Dupin, il est le fils d’une riche et honorabl e famille de Norm andie, a yant reçu une excellent e éducation et une solide i nstruction. Il avait entrepris l’étude du Droit à la Sorbonne quan d il apprit dans la mêm e semai ne que son père venait de mouri r, rui né, et que sa m ère ne lui avait pas survécu. Désormais, seul au monde et sans ressources , il dut solliciter de nombreux emplois, il donna des leçons particulières en anglais et en latin , il fut courtier d’annonces, démarcheur pour une compagnie d’assurances, il all a à domicile proposer ses rossignol s de librai rie et fut vendeur dans un magasi n de nouveaut és. Fi nalem ent, il devint le secrétaire d’un célèbre astronome . Pour étonner son patron et , surtout, face à une situation qui n'évoluait pas, songea aux moyens de s’enri chir d’un coup, il lui soumit un pl an qui aurait permis de rafler un demi -million sans m ême s’exposer à un soupçon ; l’astronom e jugea peu prudent de garder auprès de lui un secrétaire si ingéni eux, il le congédia en lui disant : « Quand on a vos dispositions et qu’on est pauvre, on devient un vol eur fameux ou un illustre poli cier. Choisissez. » 130. Réflexion fait e, l e secrétaire décida de suivre la seconde voie. Encore une b iographie d’où émane le respect des valeurs bourgeoises ; l a voi e choisie par Lecoq, cell e du bi en et non du m al, n’est que la prérogative de l’homme bi en né, mais aussi une voie qui l’aurait libéré de l ’hérit age douteux d’un Vido cq – comm e ancien repris de justice-, en lui rendant un st atut professionnel respectabl e. 130 E. Gaboriau, Monsieur Lecoq, p.17. 142 Deuxième partie. Chapitre I Des portraits physiques parlants Toujours comme Dupin, Lecoq est un bourgeois déchu du point de vue de sa situat ion matériell e et des aléas de la vi e ; le choix délibéré par Gabori au de ce t ype de personnage est dû probablem ent au fait que son dét ective doit être accepté par toutes l es couches social es et suscit er sinon leur admi ration du moins leur adhésion à ce qu’il ent rep rend comme actions. En outre, l a cl asse soci ale dont Lecoq est issu, devrait l ’inciter à conform er ses actions et ses missions aux valeurs de son anci enne classe, cependa nt son décl assement l ’aidera en t ant que dét ective à s’insérer dans l es milieux sociaux les plus divers. Gabori au aurait cherc hé à harmoniser les valeurs d e la bourgeoisie avec cel les de l a profession de ses policiers. La biographi e de Lecoq semble égalem ent nourrie de celle de Gaboriau lui -mêm e. Cette existence précaire qu’a mené e Lecoq avant d’avoir trouvé sa voie, rappelle pour quelque temps l 'existence de Gaboriau qui eut des débuts d i ffi ciles : « [ Il ] dem anda du pa i n à t ous l es m ét iers qui sont l e l ot des décl assés. Méti ers i ngrat s ! … » 131 . La réalité de l ’aut eur qui a nourri la fiction de son personnage a largement cont ribué à donner l’illusi on qu’il s’agit d’une vérit able personne. U ne fois de plus, comm e nous l’avons déjà noté, il est impossible de m et tre entre parenthèses la personnalit é et l es expériences du créateur, ni d’i gnorer son univers int éri eur et sa biographie consci ente et inconsci ent e, car c’est t out cel a qui va défini r son ori ginali té. 131 E. Gaboriau, Monsieur Lecoq, p. 16. 143 Deuxième partie. Chapitre I Des portraits physiques parlants 2.3. Hol mes l ’aristocrate Quant à Holm es, dont les parents ét aient d es petits propriét aires de la cam pagne, il n’avait présent é à son fidèl e ami Watson qu’un seul frère, son aîné de sept ans, prénom mé M ycroft et qui occupe une place très import ant e au gouvernem ent. Holmes avait ét é encouragé dans sa vocati on par le père de son ami Victor Trevor : Je ne sai s pas c om m ent vous f ai tes cel a, m onsi eur H olm es, mai s j ’ ai l ’ im pressi on que t ous l es dét ect i ves réel s ou i m agi nai res sont des enf ants com parés à vous. C’ est l à vot re vocat i on 132 Descendant de petits propri étai res t erriens, Holmes est issu de la petite aristocrati e campagnarde, mai s i l est égalem ent un citadin t ypiquem ent londoni en, qui connaî t Londres comme sa poche et un intellectuel qui représent e l a couc he studieuse et sci entifique. Êt re à la fois c ampagnard et citadin int ellectuel est une contradi ction qui trouve son explication dans l’Histoire de l’Angl et erre , le dépeuplem ent des ca mpagnes au profit des villes, un exode rural motivé p ar l’effondrement de l’agriculture angl aise à parti r de 1875. Les nouveaux venus à des t âches qui cessent d’être purem ent manuell es requièrent un minimum d’inst ruction , et ont bénéficié , dès 1870, de l’inst ruction généralisée par la loi Forst er 133, qui avai t organisé un ensei gnement prim aire à l ’échelle nati onal e permettant une réduction im pressionnant e de l’anal phabétisme. La place import ante qu’occupait M ycroft, le frère de Sherl ock, serait un indi ce de l ’imprégnati on de l a conscience de cl asse dans la 132 A.C. Doyle, Volume 1, Le “Gloria-Scott” (The “Gloria Scott”), p.1055. 133 Cette loi jette les bases d’un système scolaire en généralisant l’enseignement primaire, elle a été élaborée par William Edouard Forster, un politique et industrialiste britannique. 144 Deuxième partie. Chapitre I Des portraits physiques parlants sociét é britannique où l’image d’une pyramide social e hi érarchisée faisait naturell ement parti e de l ’éducation, dans l a famil le et à l’école. Le somm et était ai nsi occupé par les représentants de l’arist ocrati e , mêm e la petite. Aj outons à cela, le fait que l’aut eur avait fait résider son héros , ainsi que son compagnon , à Baker Street un quarti er huppé considéré comme vit rine de la puissance économique et culturell e britannique. La consci ence de classe émerge donc égal ement chez Conan Do yle, mai s, de manière implicit e seulem ent, car l’aut eur avait certainement compris qu’un héros appart enant à une ari stocratie titrée ou à une haute bourgeoisi e, serait loin de recuei llir une considération unani me et sans nuances. Ceci est d’aill eurs attest é par le refus de Hol mes du titre de chevalier, dont nous avons fait déjà mention plus haut. Nous pensons que Do yl e voul ait plutôt d’un héros popul aire, pl aisant au plus grand nombre, sans verser dans l e populisme. Conan Do yl e s’inquiétait peu de varier l es méthodes et le s usages des bi ographies fi ctives, qui pouvai ent bien donner de l’épaisseur à son personnage ; d’une part , on dirait que Do yle avait la certitude que son détective allait atti rer le lecteur par ses facult és mental es plutôt que par sa vi e et son passé, d’au tre part, rendre un personnage m ystéri eux et énigm atique, donne souvent au lecteur l’envi e de l e suivre et le poursuivre afin de mieux le connaît re et de le com prendre. 145 Deuxième partie. Chapitre I Des portraits physiques parlants L a fonction première des biographies de s trois héros détectives sembl e bien l’établ issem ent d’un cl assement social. Leurs biographi es sont émaill é es de dét ails sur le urs bonnes ori gines. Ici, l a question de li gnée est prépondérant e et la démarche biographique se veut généalogique. Le passé d’un personnage apporte un éclai rage sur son co mportem ent et ses act es. Il dét ermine de façon signi ficative le présent : Le port rai t bi ographi que [ ...] , en f aisant réf érence au passé, voi re à l’ hérédit é, perm et de conf ort er le vraisem bl abl e psychologi que du personnage ( en donnant l a cl é de son comport em ent ) et de préci ser l e regard que l e narrat eur port e sur l ui . 134 Or, si l es trois aut eurs on t mis en scène des personnages de t ype noble décl assé, bourgeois déchu et fils de campagnards, c’est qu’ils voulai ent que leurs détectives puissent d’un côté jouir d’un certai n presti ge avec lequel ils n’ont que des rel ations loint aines et de l’aut re, puissent puiser leur carac tère et comport ements dans l eur classe de naissance. Ainsi, en donnant à leurs héros cette m obilité social e, puisqu’ils passent d’un st atut à un aut re, nos troi s auteurs ont tout mis en œuvre afi n de faciliter l’évolution de leurs personnages qui pourraient alors s’i nfiltrer dans les différents milieux sociaux. Ils aurai ent aussi tout e latitude pour s’ouvrir sur de nouvell es catégories socia l es, entraînant un assouplissement des règl es régissant l es héros cl assiques, qui proscrivaient toute forme de héros ordinaire ressemblant à t out le monde. 134 Jouve Vincent, La poétique du roman, SEDES/HER, Collection « CAMPUS Lettres », Paris, 1999, p.59 146 Deuxième partie. Chapitre I Des portraits physiques parlants Si les trois héros avai ent continué à faire partie des hautes classes de leur soci été, ils n’aurai ent pas pu profit er d’une grande s ympathi e du publi c appartenant en cette moitié du X IX e si ècl e, à une sociét é industri elle composée majoritai rement de prolét aires. Ils s e seraient aussi heurt és au poids des préjugés et des frontières soci ales. Les trois aut eurs, avaient annihil é l’écart soci al qui pouvait opposer leurs héros à leurs l ect eurs, car ils n’avaient pas l e moindre dési r de s’adresser à une élit e mais à un groupe plus large. Dans cett e optique, les héros dont nous parlons ne sont plus ces perso nnages nobles à tous poi nts de vue qui associent à la fois noblesse de rang et noblesse moral e apparent e, ils ne sont pas si parfaits qu’un héros épique ou cl assique. Ils ne se di stinguent pas autant des personnes ordinaires, ils nous ressemblent, et peuv ent aussi êt re affli gés de tares et de défauts. Ces héros représentent plus une réalité qu'un idéal. Ceci n’est pas dit explicitement, mais les détails biographiques des personnages le laissent aisément penser. En somme, nos écrivains réalisent, par le tr uchement d’une biographie fi ctive de leurs héros, une expérimentation t extuelle d’une certaine relation à leur monde réel et non d’une transcripti on fidèl e de l eurs propres expériences. L’idéal de Poe, Gabori au et Do yl e semble résider dans un réalisme qui part du réel pour mieux se dével opper dans l ’i maginai re. 147 Deuxième partie. Chapitre I Des portraits physiques parlants II- L’apparence : un code descriptif Les dét ails identitai res et biographiques ne sont pas les seul s élém ents qui contribuent à l a particularisation des personnages. Ces derni ers peuvent présent er de s traits physi ques qui l es définissent mieux que leur nom et leur passé, et qui les mett ent en relation avec leur position dans l ’univers rom anesque. Le portrait ph ysique qui pourrait prendre l a form e d’une description et d’une présent ation de l ’arrière -fond du personnage, joue égalem ent un rôle dans son individuation. Tout d’abord , ce t ype de port rait remplit une fonction de mise en reli ef du personnage : un minimum de présence corporell e est sinon nécessaire du moins pratique pour cam per les personnages. Il remplit égalem ent une deuxième fonction anaphorique import ante. Enfin, il nous t ransm et, sans cesse, des messages sur l’essence du personnage, il peut en effet être sa mét aphore et l’expression de sa personnalit é. L’apparence est en effet l’expression imagée de l a nat ure du personnage : sous l es traits ph ysiques de ce derni er se révèle son âme, son moi. C’est pourquoi, les changements de la ph ysionomie les plus minimes peuvent être si gni ficatifs, indiquant une évolut ion de l a personnalit é ou de l ’histoi re du personnage. P. Hamon confirme que le port rait est un fo yer de regroupement et de consti tution du « sens » du personnage 135. Dans l e genre policier cl assique, qui se donne à lire selon les règl es communes du réalism e et du vraisembl able et qui recherche une organisation cohérente de son univers rom anesque, nous sommes inévitabl em ent conduits à poser de nom breuses questions: Qu’en est 135 Philippe Hamon, Du Descriptif, Hachette, Paris, 1993, p. 105. 148 Deuxième partie. Chapitre I Des portraits physiques parlants il de la composition du port rait ph ysi que chez Poe, Gaboriau et Do yle ? Lui accordent -ils une pl ace fondamental e dans leurs récits poli ciers? Quel rôle assi gnent-il s au portrait ph ysique, et quelle fonction rem plit -il ? Telles sont les questions auxquelles nous voudrions apport er quelques él éments de réponse. Les portraits ph ysiques de nos héros -détective seront donc objet d’investi gation. 1. Une apparence dissimul ée Nous souli gnons le peu de réalit é ph ysique du héros de Poe. L’œuvre poli cière poesque est t rès pauvre en ce dom aine et peu soucieuse d’exhausti vité. C ontrai rem ent à Gaboriau et Do yle, Poe ne livre aucun détail sur l’apparence ph ysi que de Dupin, il est presque désincarné. Cet écri vain réduit à l’extrême la part accordée à ce t ype de description, son enquêteur a tout juste « l a dose d’existence nécessaire à la marche du récit ». Cett e négli gence va parfoi s jusqu’à l’invraisembl ance. De mêm e, l e confident de Dupin, le narrateur, n’est rien de plus qu’une simple pai re d’oreilles ; sa personnalit é ainsi que son apparence sont si imprécises qu’après l’avoi r vu fi gurer dans trois récits polici ers di fférents, nous ne saurons jam ais s’il faut l’identi fier avec Poe ou l’en distinguer. Chez Poe, le Héros -dét ective sembl e vouloir se dérober aux regards dans une obscurit é prot ect rice. Il est mis en scène dès le début de l’avent ure Doubl e Assassinat dans la rue Morgue et nous sommes invités à connaître son caract ère, mais son visage et s a silhouett e sont invisibles et inconnus. De mêm e dans La Lett re Vol ée et dans Le Myst ère De Mari e Roget, l es premiers cont act s direct s 149 Deuxième partie. Chapitre I Des portraits physiques parlants avec Dupi n ont égal em ent li eu au début, et concernent ses habit udes, sa conduit e, nous apprenons davant age sur ce personnage sans avoi r encore connu l’homme. Le Double Assassinat comm ence par une séri e de scènes nocturnes qui, là encore, camoufl ent le corps de l’enquêt eur: « au p rem i er poi nt du j our nous [ nar r at eur et Dupi n] f erm i ons t ous les l ourds vol et s de not re m asure » j usqu’ à ce que « la pendul e nous avertî t du ret our de l a véri t abl e obscuri t é. Al ors, nous nous échappi ons à t ravers l es rues » 136. Est-ce une m anière subtile e t effi cace chez Poe de se distinguer des écri vains d’aut res genres qui passent pour avoir l e mieux enraciné leurs personnages dans l e réel ? Il se peut égal ement que Poe ait voul u souli gner l 'import anc e du raisonnem ent et donc laiss er de côt é toute aut re considération qui aurait affaibli la not ion primaire de l'i ntelli gence de son détective. Ai nsi, dépourvu d’une ph ysionomie vivant e, il se réduit à sa facult é d’anal yse, c’est un ordinateur avant la lettre. F. Lacassin 137 trouve que Dupin n’est qu’une figure mathém atique desti née à illustrer une dé monstration, et que c’est un détective de chair, réduit à un cerveau. Cette description succincte apport e cependant une dim ension encore plus profonde. D’une part, grâce à une réput ation qui précède l e héros -détective avant mêm e que l 'enquêt e ne débute, le lect eur sait à quoi i l doit s'attendre de ce personnage. D’autre part, Poe veut avec son héros créer non seul ement un personnage vivant, mais aussi un dét ective t ypique. Ne pas t rop parti cul ari ser son enquêteur, c’est en effet le rendre plus universel , pl us ét ernel. 136 Edgar Allan Poe, Double Assassinat dans la rue Morgue, p.46. 137 Dans son ouvrage Mythologie du roman policier (I) 150 Deuxième partie. Chapitre I Des portraits physiques parlants Nous pouvons égal ement supposer que Poe, en estompant son personnage par un flou, n’a pas voulu l’enfermer dans des descriptions fi nes qui limitent l’i maginaire du lect eur qui devra se contenter d’une apparence nébuleuse : En l ’ absence de préci si ons sur ces poi nt s, l e l ect eur voi t des bl onds, des bruns, des yeux vert s…. P ourquoi l ui supprim er ce pl aisi r ? A cont enu égal , l e ci ném a est une boî t e ouvert e que l ’ on t end au spect at eur, et l e roman une boî t e f erm ée qu’ on l i vre au l ect eur. 138 2. Une apparence styl isée Quand l’apparence n’ est pas dissimul ée comm e cell e de Dupin, elle apparaît st ylisée chez l e héros de Gaboriau. Ce derni er ne négli ge pas tot alem ent de parl er de l’apparence ph ysique de son détective, mais conventionnel. il Dans se content e sa d’un représentation portrait limitée ass ez de discret et l ’apparence ph ysique de Monsi eur Lecoq, certaines récurrences se révèlent toutefois si gnifi cati ves de sorte qu’on décèle l ’existence, chez l’aut eur, d’un st éréot ype ph ysique relevant d’un idéa l personnel. Dans l’Affai re Lerouge où Lecoq ne fait qu’ apparaître sur les lieux du crime, nous n’avons de lui que cette descri ption des plus sommaires : « un ga i l l ard habi l e dans son m ét i er, f i n com m e l ’ am bre et j al oux de son chef » 139. C’est dans les ouvr ages suivants qu’i l est le mieux décrit . Dans Monsieur Lecoq , c’est un garçon de vi ngt -cinq à vingt -six ans, il a « l ’ œi l , qui sel on sa vol ont é, éti ncel ait ou s’ét ei gnai t 138 Réponse de Frédéric Fossaert, dans Le Roman Policier et ses personnages, Textes réunis et présentés par Yves Reuter, PUV, Saint-Denis, 1989, p.190. 139 E. Gaboriau, L’Affaire Lerouge, p.8. 151 Deuxième partie. Chapitre I Des portraits physiques parlants com m e l e f eu d’ un p hare à écl i pses, et l e nez, dont l es ai l es larges et charnues avai ent une surprenant e m obi l i t é » 140. Dans Le Crime d’Orcival où Gabori au l’a présent é plus âgé, c’ est « un beau garçon de t rent e - ci nq ans à l ’ œi l f i er, à l a l èvre f rém i ssant e » , « de m agnif i ques cheveux noi rs boucl és f ai saient vi goureusem ent ressort ir l a pâl eu r m at e de son t ei nt et l e f erm e dessi n de sa t êt e énergi que » 141. La brièveté du portrait de ce héros -détective repose, nous semble -t -il, sur le fait que l e rôle de ce personnage est suffisamment i mportant pour qu’une descript ion ph ysique minuti euse soit utile. Pourtant, le peu de traits sur lesquels Gaboriau insist e ont une grande val eur si gnal étique. L’essentiel du port rait ph ysique de Lecoq rest e focalisé su r le visage, siège conventionnel des effet s de personne. Gabori au semble être un adepte de la ph ys iognomonie, cett e pseudo -sci ence créée par Johan -C aspar Lavater 142, selon laquell e on pense qu’il y a correspondance entre les t raits du visage et le t empéram ent ou le caractère de chaque individu. La forme du nez, celle des l èvres, la coul eur des cheveux pa r exemple, font sens. Gaboriau s’int éresse donc avec une prédil ection parti culière au visage de son héros, puisque l es informations int roduit es dans la description de Lecoq se concentrent exclusivem ent aut our de ce derni er. Nous lisons dans l’œil « fier », qui selon la volonté de Lecoq « ét i ncel ai t ou s’ étei gnai t com me l e f eu d’ un phare à écl i pses » , l’esprit intelli gent , le raisonnem ent fulgurant, la réfl exion surprenante et la m alice nécessaires à un fin limier. Nous y lisons égal ement que Lecoq est un o bservat eur paradoxal qui rem arque tout, 140 E. Gaboriau, Monsieur Lecoq, p.26. 141 E. Gaboriau, Le Crime d’Orcival, p.193. 142 Voir la note 105, p.127. 152 Deuxième partie. Chapitre I Des portraits physiques parlants qui peut percevoir non pas simplem ent ce qui est, m ais m ême – et surtout – ce qui est latent. C e qui lui perm et de rem arquer sur l a scène du crim e des détails passés inaperçus aux yeux des autres personnages. Avec la lèvre « f rém i ssant e » et le nez « dont l es ai l es l arges et charnues avai ent une surprenant e m obili t é », Gabori au invoque des parti es du visage qui rappell ent conventionnell ement l’ani malité de l’homme. C ette ani malisation du détective rappelle à son tour le chasseur sur l a trace de sa proie et rejoi nt de la sorte l es fondements même du récit poli cier, proche à l 'ori gi ne, des récits d'aventures où les poursuites, les chasses et les pistages sont monnai e courante. Lecoq se transform e donc en chi en, à qui l’a cuité visuell e et surtout olfactive perm ettent de remont er une piste en déchiffrant des traces qui sont aut ant de si gnes et doivent être lus comm e un langage. L’odorat en éveil, Lecoq va donc senti r, flai rer, reni fler j usqu’à ce que l e coupable soi t démasq ué ; ce que Gaboriau explique en ces termes : « P eut - êt re est - ce chez l ui [ Lecoq] si m pl e af f ai re d’i nst i nct , parei l à cel ui qui pousse l e chi en de chasse sur l a t race du gibi er » 143. L’aut eur nous présente ai nsi un fin limi er qui va jusqu’au bout de son élan. Même la coul eur est en mesure d’indiquer des traits de caractère. Ai nsi, la « pâl eur m ate » du teint peut , selon Lavater, être signe d’un caractère tranquille , de l a sagesse, car un t em pérament sanguin ne serait pas susceptible de pensées profonde s et de réfl exions ful gurant es. Les « m agni f i ques cheveux noi rs » sont une marque d’élection qui nous fait soupçonner l a jeunesse du détective, son courage et son i mpatience. 143 E. Gaboriau, Le Crime d’Orcival, p.378. 153 Deuxième partie. Chapitre I Des portraits physiques parlants Évoquer enfi n la beauté ph ysi que du détective : « beau garçon de t rent e ci nq ans », pourrait correspondre à une beauté m oral e. En effet, accepter d’admettre les rapports de l a beaut é ph ysique et de la beaut é morale, c’est véritablem ent reconnaît re la puissance de l’expression et l e charm e qui se développe sur un visage au moment où, quelle que soit sa forme habituel le, il peint des sentiments généreux. En tout cas, derri ère la description ph ysique, il y a, toujours, une intenti on de l ’auteur. En somme, par le bi ais de la description du visage de son héros, Gaboriau veut nous présent er un dét ecti ve dont l’apparence ne trahit pas la profession et reflèt e sa vraie personnalité. Il sembl e impossible que Lecoq soi t autre que ce que nous avons m ontré, c’est dire à quel point la physi onomie est en rapport avec l’esprit. Gaboriau n’a certes pas brossé un port rait ph ysique détaill é de son héros -détective, mai s il a réussi à isol er les traits caractéristi ques qui le distinguent. 3. Une apparence pop ulaire La mise en t exte de Sherl ock Holm es est différent e de cell e de Dupin et de Lecoq. En effet , en dotant son héros d’un nom, d’un prénom et d’un portrait ph ysique détaillé, Arthur Conan Do yle voulait graver l’aspect de son dét ective dans l’im agination du lect eur, et lui l aisser une impression indélébile. A son ent rée en scène, Holmes fait l’objet d’un port rait ph ysi que sommaire, m ais il y a li eu de relever qu’il n’est pas un personnage fait d’un bloc, il est const ruit au fil des aventures polici ères dont il est le héros. Ainsi, lors de sa premi ère apparition, not re enquêt eur fait l ’objet d’une représent ation approximative, compl étée par notre imagination de lect eur. Son image initiale se précise au cours de la 154 Deuxième partie. Chapitre I Des portraits physiques parlants lecture sel on les informations distill ées par les di fférents textes où il apparaît , nous somm es donc am enés à compléter, voi re à modifier les représent ations que nous avons en tête. L’apparence de Holmes devient alors un compromis entre l es données obj ectives des t extes et nos apports subjecti fs, c e qui n’empêche en aucun cas d’avoir une percepti on étroit em ent li ée à la caract érisation narr ative de notre héros -détective. Il sera donc incontest able que l’im age de Sherlock Holmes, à travers notre étude, naîtra, se const ruira et se développera selon des modalités qui doivent peu au hasard. En tout ét at de cause, il nous sembl e que les détails et él émen ts que nous avons pu glaner ici et l à dans les récits polici ers do yliens offrent une si gni fi cation certaine. C ar mêm e à l a fi n du X IX è m e et au début du XX è m e siècle, après que la sci ence ph ysiognomoniste s’est avérée sans fondem ent aucun, l es personnages n ’ont que rarem ent, du poi nt de vue l ittérai re, des t raits fort uits. Une attention plus part i culière et plus important e qu’à cell e de Lecoq a ét é accordée à l’apparence ph ys ique de Sherlock Holmes. Le détective brit annique s’impose sous une apparence presq ue i dentique et révél atri ce d’un i déal d’homm e. L’écrivain avait ainsi joué sur l es stéréot ypes popul aires ; haut e taill e et minceur qui traduisent la force et l’agilité, l a quali té du re gard ; un sens inné de l’observa tion, la finesse du nez aqui lin ; le fl air et l’autorité souveraine, l e menton carré ; si gne de volonté et ténacit é. La valeur du port rait ph ysique de Sherlock Holmes est entièrem ent s ym bol ique. Tout comm e Gabori au, Do yl e est souci eux de camper son héros moral ement et intellectuell ement, d’un e m ani ère nett e, d’où l’attention portée aux différent es parti es du visage qui perm ettent au lect eur l e moins averti de les décoder en termes ps ychologiques ou moraux. Ainsi, l ’apparence s ymbolique de Holm es met d’emblée l e 155 Deuxième partie. Chapitre I Des portraits physiques parlants lect eur sur l a voie de l a connai ssance du personnage, avant qu’il n’ent re en action. Ses traits, qui se réduisent à quel ques si gnes plus ou moins conventionnels et codés, font plus appel à l ’int elligence, à l’image ment ale qu’à la visualisation. Do yle à son tour va valori ser l’anim al ité jusqu’à la confondre avec le meilleur de son héros. En effet, dans les récits policiers de cet écrivain, le vocabulai re animali er est prégnant, l e dét ective est métamorphosé en chien ou en reptil e. Holmes se t ransfi gure en appel ant des qualit és sensoriell e s dont il n’est pas dépourvu : Sherl ock H ol mes ét ai t t ransf orm é l orsqu’ i l ét ai t l ancé sur une pi st e com m e cel l e - ci . Les hom m es qui n’ ont connu que l e penseur et l e l ogi ci en t ranqui l le de B aker St reet n’ aurai ent pas pu l e reconnaî t re. Son vi sage s’ enf l amm a i t , [ …] ses yeux bri l l ai ent d’ un écl at d’ aci er […] . Ses nari nes sem bl ai ent se di l at er sous l ’ ef f et de l ’ i nsti nct purement ani m al pour l a chasse, et son espri t ét ai t si absol um ent concent ré sur un obj et que t out e quest i on ou rem arque parvenai t à son orei l l e [ …] ne provoquai t au m i eux qu’ un bref grognem ent agacé. 144 La mét aphore est ainsi poussée jusqu’au bout, puisqu’ell e est prise au pied de la lettre. Sherlock Holmes ne ressembl e pas à un chien de chasse ; il est un chien de chasse. L’ animalisation du héros détective ne peut en aucun cas êt re considérée comme déval orisant e ; Holmes est un fin li mier grâce à son fl ai r très affûté. 144 A. C. Doyle, Volume1. Le mystère de la vallée de Boscombe (The Boscombe Valley Mystery, p.547. 156 Deuxième partie. Chapitre I Des portraits physiques parlants Do yle i nscrit son héros dans l e registre animali er quand il parl e égal ement de son « vi sage d’ ai gl e » 145, d’où des « yeu x vif s et per çant s» . Holmes « ne voi t pas pl us que l es aut res» , mais il est « ent raî né à rem arquer ce qu' i l voi t » , c’est pourquoi son regard est incisif, il extrait , indexe et point e. Un tel regard du détective s ymbolise efficacem ent son intelli gence et sa perspicacit é. Watson, narrat eur et compagnon de Holm es, not e : J’ avai s pourt ant eu des preuves si ext raordi nai res de l a vi vaci té de ses f acul t és de percept i on que j e ne dout ai pas un i nst ant qu’ i l pui sse voi r bi en des choses qui m e dem eurai ent cachées. 146 Nous pouvons rel ever d’autres détails physi ques plus précis : ses doigt s nerveux et minces, ses genoux minces, son nez de faucon, son visage étroit, son front large, ses sourcils sombres et épai s, sa voix haute et un peu st rident e, au débit rapide. exprimant l a force, la soli dité et l a Ce sont des trait s singul arit é du caract ère. Arrêtons -nous, par exemple sur cette voix « haut e » et « un peu st ri dent e » . Dans sa composante sémantico -logi que comme dans s a composante sonore, la voix haute est une force mat éri elle don t dispose l’orateur, une véritabl e action qui met en mouvem ent , diri ge, form e, arrête. Nous devons parl er d'act ions vocales dont l’i nfluence est immédiat e sur qui en est touché. La voix haut e et stridente attribuée à Holmes est d’une nature affirmative q ui t ranche et qui s’impose. 145 A.C. Doyle, Volume1, Le Signe des quatre (The Sign of Four), p. 211. 146 A.C. Doyle, Volume1., Une étude en rouge (A Study in Scarlet), p.37. 157 Deuxième partie. Chapitre I Des portraits physiques parlants Résumons , en quel ques traits, Holmes est un homm e fort extraordinai re qui frappe l 'attention même d es observat eurs les plus occasionnels. Nous retrouvons ai nsi dans cette apparence grave et imposant e, une dim ension m ythique pro pre aux héros populaires. D’un point de vue moral, l e dét ective de Do yl e est un surhomme, un héros au sens m ythologique pl utôt que li ttérai re. 4. Compléments de portraits 4.1. L’habit et l’accessoire A l’opposé de Gaboriau, Conan Do yl e mise non seul ement sur les caract éristiques physi ques qui sont hors du contrôl e de son personnage, m ais aussi sur les si gnes de l’habit, de l a toilette, les habitudes alimentaires, qui en partie dépendent de la volonté de son enquêteur. Décrire l a mise d’un personnage, ce n’est pas sacrifi er à des futilités. Dans le cas de nos t extes, l’habit fait l e moine. Comme l’apparence est un mélange de physi que et de vêt em ent , toute l’attention d’Arthur C onan Do yl e a été retenue pour ce derni er . En fait, depui s touj ours, l’habit est li é à la mentalit é de celui qui l e porte ; un li en qui puise ses sources dans une proximité linguistique existant entre « h abit » et « habitus ». Cett e dernière notion anci enne, dont l e sens est att esté dès l’Antiquit é et qui signi fie proprem ent m anière d’être, ren voie par conséquent au caract ère, à l’attitude, dési gnant une disposition à l a fois ph ysique et m oral e. La façon de s'habill er est parfois, censée mieux dénoter le caract ère moral du personnage que les traits du corps. Nous n’avons qu’à penser à l a longue description du père Goriot de Balzac, où nous ne trouvons aucune distinction entre corps et vêt ements, ent re traits ph ysiques et si gnifi cation moral e. 158 Deuxième partie. Chapitre I Des portraits physiques parlants Do yle nous fait savoir que son héros est propre comm e un chat et s’habille él égam ment, dans le genre stri ct : « [ …] de mêm e qu’ il af f ect ai t dans sa mi se une cert ai ne élégance di scrèt e » 147, Il reste très classique, principal ement vêtu de noi r. Il ne se permet pas de fant aisie et ne suit pas l a mode. Mais au quoti dien, il est négli gé. Habill é habituell em ent d’un costum e de tweed, d’une redi ngote ou d’un ulster. Dans l 'intimité, il vit en robe de chambre, il en possède plusieurs l 'une est pourpre, une aut re est bleu e, une troisi èm e est gris souris, sans oubli er le manteau gris et la casquett e de drap qu’il port e à la campagne . Hol mes fum e le ci gare, la ci garett e et l a pi pe. Trois pipes parti culière s sont mentionnées, l a premi ère est noire, i l la fum e lors de ses médit ations, il la rem place parfois par une pipe de bru yère pourvu e d'un tu yau en ambre, mai s q uand il passe à l 'anal yse d'un problèm e, il fum e pl utôt une pipe en m erisier. Quand il si gnale la propreté de son détective, Do yle semble parl er de l ’époque victori enne, cell e durant laquell e l 'Anglet erre dominait l e monde et où ordre et propret é régnaient en maîtres sur la sociét é. L’Angl ais se voit déj à comm e l e maître – raffiné - du monde et le ro yaume victorien rangeait propreté et pureté au nombre des vertus cardinal es. Donc le vêt ement ici symbolise l’int égrat ion et le conformism e sociaux. Au cours du XIXe si ècl e, la propreté fai t l'objet d'une att ent ion grandissant e et revêt une connotation moral e. Ell e devient en effet le gage d'une âm e vertueuse, le garant d'une soci été ordonnée et disciplinée. Ai nsi, quand l’individu est propre, il respire l’ordre et la vertu, contrairement au vi cieux connu général ement par sa salet é et son désordre. Par le jeu ambi gu du ph ysi que et du moral, par l'action réciproque qu'ils entretiennent l 'un sur l'autre, évoquer l’h ygi ène de 147 A.C. Doyle, Volume2. Le rituel des Musgrave (The Musgrave Ritual), p.9. 159 Deuxième partie. Chapitre I Des portraits physiques parlants Sherlock Holmes c’est lui donner une connot ation moral e et ét ablir une correspondance entre l’apparence et l’être profond . Par l’élégance de son héros -détective, Do yle nous présent e un personnage issu du dand ysm e victorien. Tout efois le dand y Holm es n’est pa s un simpl e phénomène de mode épris d’une vi e o isive et superfici elle, errant de club privé en club privé. La perspective de Do yle est d’attribuer au dand ysme de son héros une di mension moral e plus profonde que tout es ces superfici alités citées. C’est u n dand ysm e qui consti tue un jeu sur l ’êt re et le paraît re. Holm es est un homme discret, qui ne cherche pas à se faire rem arquer par des excentri cités vestimentai res, c ’est pourquoi il évit e les couleurs cri ardes et se cont ente du noir et du gris. L’auteur veut certes que son héros soit él égant et raffiné , mais l’habit est, pour lui, un mo yen, jamais une fin. Le dand ysm e de Hol mes ne représent e donc pas seulem ent l ’él égance et la toilett e, m ais il révèl e toute une mani ère d’êt re supposant lucidité, clai rvo ya nce, fiert é et pudeur. Holmes est le personnage dand y d’un esprit à l a fois fin et profond. Selon Baudel aire : « Le m ot dandy i m pl ique une qui nt essence de caract ère et une i ntel l i gence subt il e de t out l e m écani sm e m oral de ce m onde » 148. La quint essence dont parl e Baudel aire, est prise au plus profond du caractère pour s’extérioriser en un habit qui fait le personnage. Elle inspire tous les senti ments que ne saurait faire naître l a personne qui passait inaperçu e. Notre m onde, suggère Baudel aire, n’a -t-il pas bâti ses valeurs et sa moral e sur l ’apparence , représent ée ici par le dand ysm e ? Cette quintessence est l ’él ément fondament al qui va permett re à notre héros -détective d’observer la réalité de sa ville et d’ y trouver l es si gnes du Bien et du Mal. 148 Charles Baudelaire, Le peintre de la vie moderne, in Œuvres Complètes, Gallimard, Bibliothèque de La Pléiade, NRF, Paris, 1976, p. 691. 160 Deuxième partie. Chapitre I Des portraits physiques parlants Enfin, Sherlock Hol mes, comm e la m aj orité des gentlem en de l'époque, fum e pour les vertus du t abac, par conformit é, ou tout simplement par pl aisir. Nous savons que Holmes usait de l a pipe pour se mett re dans l es m eilleures conditions de médit ation. Le t abac est, pour nos troi s dét ectives , un stimul ant intell e ctuel ai nsi qu’un vérit able instrument de travail qui l eur sert à mesurer la diffi cult é d’une éni gm e, Holm es affirm e : « c’est un problème d e trois pipes, et je vous pri e de n e pas me parler du rant cinquante min utes » 149. C’est ainsi que le tabac donne au dét ective l e goût de l 'activit é tranquill e et réguli ère. 4.2. Habitudes ali mentaires Pour les habitudes alimentaires, les soucis de l a profession n’empêchent pas Monsieur Lecoq d’être un bon vivant, un fin gourm et, ce poli ci er est un «grand mangeu r comme tous les hommes d’une activité dévoran te » 150. A l’opposé, le régime aliment aire de Hol mes était « des plu s f rugaux » 151. Mais quand ils travaillent, l es deux détectives vont jusqu'à oubli er carrém ent de s e sustent er : [ …] l es f acul t és s’ af f i nent l orsque vous l es af f am ez [ …] ce que l a di gest i on nécessi t e comm e af f l ux sangui n représent e aut ant de perdu pour l e cerveau. Je sui s un cerveau Wat son. Le rest e de m a personne n’ est guère qu’ un 149 A.C. Doyle, Volume1. La ligue des rouquins (The Red-Headed League), p.459. 150 E. Gaboriau, Le crime d’Orcival, ed. Masque, Paris, 2005, p.440. 151 A.C. Doyle, Volume1, Le visage jaune (The yellow face), p.42. appendi ce. En 161 Deuxième partie. Chapitre I Des portraits physiques parlants conséquence, penser . c’ est le cerveau auquel je dois 152 Il en est de mêm e pour Lecoq : « [ …] i l y avai t pl us de quarant e heures qu’ i l ét ait sur pi ed, et qu’ i l n’ avai t pour ai nsi di re ni bu ni m angé » 153. Cela démont re à quel point ces détectives se donnent t out entier à leur t ravail. Ils sont honnêtes et conscienci eux. Leur t rav ail doit se faire mais doit se faire séri eusement et correct ement. Ce sont des personnages qui ne peuvent vivre que dans l a tensi on de leur énergie et de leurs facultés i ntellectuell es. 4.3. Des habitats all égoriques Souvent le li eu dans lequel vit un personna ge nous révèl e un côté de sa personnalité. C ela nous rappelle Balzac qui a merveilleusement résumé les liens unissant le personnage au décor, lorsqu’au début du Père Goriot , après avoir décrit la pension de M m e Vauquer, il écrit : « [ …] enf i n t out e sa per sonne expl i que l a pensi on, com m e l a pensi on i mpl i que sa personne » 154, c’est toujours Balzac qui nous dit : « sa m ai son et l ui se ressembl ai ent . Vous eussi ez di t de l ' huî t re et son rocher » 155. Chez Poe et Gaboria u, l’habitat semble être sym bol ique, se conform ant à la t radition littéraire du XIX è m e si ècl e qui crée une analogie ent re les personnages et l eur décor. Or, nous avons la nett e impression que les habita ts de nos personnages ne reflètent pas 152 A.C. Doyle, Volume3, La pierre de Mazarin (The Mazarin Stone), p.711. 153 E. Gaboriau, Monsieur Lecoq, p.80. 154 Honoré de Balzac, Le père Goriot, Gallimard et Librairie Générale Française, Paris, 1961, p. 26. 155 Balzac, Gobseck, Editions de la Pleïade, t. II, Gallimard, Paris, 1976, p. 965. 162 Deuxième partie. Chapitre I Des portraits physiques parlants seulem ent leur ét at d’âm e, mais nous off rent égal ement des acc ès à leur époque et à l eur envi ronnement . Car, les t rois détectives ont ét é ancrés dans des milieux culturels, historiques et soci aux qui contribuent à l es définir. La description de l ’habit at aide à défi nir le personnage et à avoir accès à sa vi e et à son époque. Elle contribue également à façonner l’illusion réalist e en souli gnant la dépe ndance de l a personne hum aine à l’égard du cadre dans leque l elle vit et qui l’imprègne. Les habitats des trois héros -dét ectives refl ètent -ils plus ou moins les réalit és soci ales, politiques voire économiques des époques auxquelles l eurs aut eurs les créent ? 4.3.1. L’habitat isolé La maisonnett e choisie par Dupin, l e héros de Poe, et le narrat eur, son compagnon, se situe dans un coin reculé à Paris au « f aubourg Sai nt Germ ai n ». C’est un habit at déserté , « t om bant presque en rui nes » et que les habitants du quartier pensent être hanté : «des superst i t i ons dont nous [ Dupi n et l e narrat eur ] ne dai gnâm es pas nous enquéri r avai ent f ai t désert er » 156. La maison choisie par ces personnag es connaît ainsi un t ripl e i solement , géographi que, temporel (il s’agit d’une « m ai sonnet t e ant i que » coupée donc du t em ps soci al ), et surnat urel puisque cett e habitation est liée à des « super st i t i ons ». L’isolem ent géographique peut être considéré comme un stimulant de la cl ai rvo yance de not re détective, dans la m esure où l’isolem ent est une condition nécessaire à toute pensée profonde et égal ement à tout caract ère profond, n’est -ce pas que : « C’ est en 156 E.A. Poe, Double Assassinat dans la rue Morgue, Paris, p. 45. 163 Deuxième partie. Chapitre I Des portraits physiques parlants s’ i sol ant l e pl us possi bl e que l ’ âme va parveni r à l a connaissance de ce qui est » 157 ? Dupin se retire donc en un isolem ent choisi qui préserverait son intelli gence et sa perspicacit é , afin de pouvoir résoudre les éni gm es criminelles dont il s’est chargé. Le caract ère antique de l a maisonnette peut s ymboli ser la sagesse ancestrale à laquel le se trouve oppos ée la rudesse et la vacuit é de la modernit é. Cet isolem ent serait, pour Edgar Poe, l’expression de cett e nost al gie pour l es époques révolues dont nous avons précédemm ent parl é. 158 Enfin, motivations nous expliquons gothi ques et l ’isolem ent fant astiques surnaturel d’Edgar Poe par que les nous rencont rons dans ses écrits non polici ers tels La chute de la maison Usher et Ligei. Poe n’a pas hésité à installer, m êm e dans ses récits policiers, une atm osphère inquiét ant e susceptibl e qui perm et l e surgissement de l 'effet fantastique, une des spécialit és de cet écrivain. L’habitat de Dupin peut égalem ent révéler une perturbation ou un déséquilibre dans le caractère du dét ective. Le choix d’habiter un lieu isolé est en effet un élém ent révélat eur d’une misanthropie supposée chez Dupi n due probablem ent à sa situation d’aristocrate décl assé. Car, si une vie meill eure est une conquête pour certains, pour d’autres – com me c’est le cas de Dupin – ce n’est que vivre seul dans la nost al gi e d’une vie passée et jugée id yllique. En choisissant l’isolem ent, Dupin vivrait un retour aux sources pour pouvoir mieux support er son existence de désargent é et de décl assé. 157 Claude Tresmontant, in Siences de l’univers et problèmes métaphysiques, Seuil, 1976, p. 161. 158 Voir pages 140-141. 164 Deuxième partie. Chapitre I Des portraits physiques parlants L’habitat sécurisé 4.3.2. Le domi cile de Monsieur Lecoq occupe t out un t roisièm e étage à la rue Montm art re. Pour y accéder, il faut emprunter un escalier « ét roi t et m al écl ai ré », en s’ai dant d’une « ram pe gl uant e » . Sur son palier, on p eut voi r que les « port es de droi t e et de gauche sont condam nées ». Il faut donc se diri ger vers la porte centrale qui va faire l ’objet de t oute une description part iculière et minuti euse : La port e « en f ace », au t roi si ème étage, ne ressem ble pas à t out es l es aut res port es. El l e est de chêne pl ei n, épai sse, sans m oul ures, et encore consol i dée par des croi sil l ons de f er, ni pl us ni m oi ns que l e couvercl e d’ un cof f re -f ort . Au m i l i eu, un j udas est prat i qué, garni de barreaux ent recroi sés à t ravers l esquel s on passerai t à pei ne l e doi gt . O n j urerait une port e de pri son, [ …] . 159 Et quand on pres se sur un bouton de cui vre apparaît à travers le judas un visage fémi nin, fort ement moustachu, et une voix basse prie le visiteur de décli ner son identité. Si ce dernier n’ apparaît pas suspect, la port e s’ouvre « non sans un cert ai n f racas de chaî nes, de t arget t es et de serrures » 160. Une premi ère lecture de cette description, nous ferait comprendre que même à son domicile, Monsieur Lecoq est menacé . C’est lui -mêm e qui nous fera savoi r qu’il s’en ét ait fallu de peu qu’il ne soit tué par un faux facteur des ch em ins de fer, porteur d’un colis que nous diri ons auj ourd’hui pi égé : 159 E. Gaboriau, Le Crime d’Orcival, p.424. 160 Ibid., p. 425. 165 Deuxième partie. Chapitre I Des portraits physiques parlants [ …] j ’ al l onge l a m ain pour l e prendre, pif ! paf ! deux coups de pi st olet écl at ent . Le paquet ét ai t un revol ver envel oppé de t oil e ci rée, l e f act eur ét ait un évadé de Cayenne serré par m o i l’ an passé 161. Le dét ective explique que c’es t pour les besoi ns de sa sécurit é qu’il se voit contrai nt de se déguiser : « j e sui s condam né à m ort par sept m alf ai t eurs, l es pl us dangereux qui s oi ent en F rance » 162. L’aut eur nous révèl e explicitem ent que son dét ective n’est pas en sécurité, il prend des coups et risque la mort à tout mom ent. C’est égal ement une m ani ère d’ affi cher ouvertement la suprémati e de son héros qui ne peut être cont est ée. Il s’agit bi en d’une tradition littérai re polici ère, cell e d’une c oncréti sation idéalisée du courage, de l 'honneur et de l 'i nfaillibilit é du héros -dét ective. En revanche, la porte cent ral e de l’habitat du dét ecti ve est porteuse d’une connotation plus profonde. Cett e porte « consol i dée par des croi si l l ons « serrures », de seraient f er », les ces si gnes « chaî nes » , d’une « t arget t es » sensation et d’i nsécurité marquant cette fin de siècle, où nous assist ons à une montée spect aculai re du nombre des crimes due aux profondes transform ati ons socio-économiques que connaît la Fr ance. Nous parlons de cett e montée en puissance de l’industri alisation , d’où une poussée de violence dans les grandes vi lles, avec au premier rang la capit ale Paris. Gaboriau décrit une époque qui inspi re l a peur en diffusant l 'idée de l 'omni présence du c rime qui peut frapper chacun et à tout mom ent . Les individus ne se sentent en sécurité qu’une fois chez eux, la porte solidement verrouill ée comm e celle de Monsieur Lecoq. 161 E. Gaboriau, Le Crime d’Orcival, p. 428. 162 Ibid., p. 194. 166 Deuxième partie. Chapitre I Des portraits physiques parlants 4.3.3. L’habitat bourgeoi s Sherlock Holm es réside chez Mrs Hudson, au premier étage du 221B Baker Street. Bi en que Baker Street soit une aut hentique rue de Londres, l’adresse 221B n’existait pas à l’époque de la parution des « aventures » de Holm es, car les numéros s’arrêt ai ent au 85. C’est plus tard (durant l’année 1930) que l es rues de ce quarti er ont été réorganisées et que les numéros compris ent re l e 219 et le 229 ont ét é att ribués. Nous souli gnons que Baker Street se trouve au nord-ouest de l a ville de Londres, dans le West End. A l’époque, c’ ét ait une zone résidentiell e de la haut e so ciét é et vitrine de la puissance économique et culturelle brit annique. On y t rouve les mi nistères, de nombreux collèges de l’uni versité de Londres. On y trouve égalem ent des théâtres, des grands magasins et des boutiques à la mode. Le logement de Holmes es t évidemm ent à l ’image de son empl acement, il se trouve dans les beaux quartiers et « se com posai t de deux conf ort abl es cham bres à coucher et d’ un seul vast e sal on, gai em ent m eubl é et écl ai ré » 163. Dans les écrits de Do yle, de nom breux signes extérieurs marquent l ’appartenance à une catégorie soci ale, not amment l e quarti er où l’on habite. Ainsi, situé dans le West End, l’habitat du détective lui offre une vie sereine échappant aux bruit s et à l a délinquance caractéri sant le reste de l a ville occupé par une couche social e composée de chôm eurs, d’indi gents et de marginaux. Doyle nous présente ai nsi une soci été brit anni que fort ement imprégnée de la 163 A.C. Doyle, Volume1, Une étude en rouge (A Study in Scarlet), p. 15. 167 Deuxième partie. Chapitre I Des portraits physiques parlants conscience de cl asse. C’est un sentiment encore plus vi f à l’époque victori enne qu’il ne l’est aujourd’hui. En revanche, le l ogi s de Sherlock Holm es et de son compagnon le docteur Watson est certes bourgeois, mais notre détective ne l’est que t out just e, pui sque c’est le lo yer él evé qui fait que Holm es propose la cohabitat ion à son fut ur narrateur. C’est par rappo rt à cet habitat part agé qu’il faut égalem ent comprendre l’explosion urbaine qui a caract érisé l’évolution de l a sociét é vi ctori enne en cett e fin de siècl e : époque où t rois Angl ais sur quatre sont des citadi ns. D’où une crise de logem ent sans précédent qu i n’a épargné m êm e pas un Holmes censé appart enir à une couche social e aisée. 168 Deuxième partie. Chapitre I Des portraits physiques parlants I l ressort des port rai ts de Lecoq et surt out cel ui de Holmes, que chez Gaboriau t out comm e chez Doyl e, l e dét ail ph ysique n’est donné comm e constituant du personnage, q ue dans la mesure où il est chargé de si gnifier autre chose que lui -mêm e en véhi culant des signes int erprétabl es. Il apparaît très cl airement que Conan Doyl e et Émile Gaboriau, avai ent suffisamment fait pour l aisser plan er le dout e sur l ’identit é de leur h éros, en essa yant de fai re croi re qu’ il était réel. Cependant, l’apparence de Hol mes est sûrem ent un élém ent plus révélateur de son caract ère que celle de Lecoq, à t el point que l a simpl e si lhouette suffit aujourd’hui à représent er de façon st ylisée l a fi g ure du grand détective. Si nous si gnal ons un refus de la descri ption dét aillée par Poe, c’est que l’aut eur aurait choisi de créer, dans son écrit ure, un « bl anc » 164, ou ce qu' Iser appell e des « li eux d’indéterminati on » 165, afin que l’im aginat ion du lecteur s’ y installe et partici pe à l a construction de l’i mage du héros. Ce « bl anc » Gaboriau et Do yl e ont préféré le com bler sans craindre que leurs descriptions détaillées fassent obst acl e à l ’imagination du l ecteur et l’enferm ent dans un carcan. Il s offrent un accès plus aisé aux attitudes, mi miques et personnalit és de l eurs héros. Un tel choix, pourrait avoir deux interprét ations disti nc tes, néanmoins complément aires. L a première serait le danger encouru de laisser libre cours à l’im agination du lect eur, impli quant , par l à, une déformation de l’im age que le romancier voulait donner de son personnage et de ses réact ions . La deuxième serait, q u’une description m ême prolix e, n’empri sonnerait 164 Terme emprunté à Vincent Jouve 165 Wolfgang Iser, L’acte de lecture. Théorie de l’effet esthétique, Trad. française Pierre Mardaga, Bruxelles, 1985. 169 Deuxième partie. Chapitre I Des portraits physiques parlants jamais l ’imagination indomptable et non bridée du l ect eur -notre esprit est ainsi fait -. Le projet de l’auteur serait alors de gui der cett e imagination, en invit ant le lecteur à se l a isser emporter par la fluidité d’une description physi que détaillée, apparemm ent vraisemblable, afin de rapprocher l e plus possibl e son person nage de cel ui imagi né par l e lecteur, puis pour laisser plan er l e doute sur l’identité du héros que l’aut eur présent e comm e réel. En somme, nous avons la nette convi ction que les connot ations, impliquées par les qualifi cati fs intégrés dans ces port raits ph ysi ques sont conventionnelles et que les t raits se réduisant à quelques si gnes plus ou moins codés, vont révéler l a ps ychologi e du personnage. Toutefois , existe-il vraiment une relat ion de cohérence entre l’être et le paraît re chez l es troi s héros -dét ectives ? Leurs portraits ph ysiques sont -ils un support servant à réaliser un référent, à illustrer une qualit é principale ? Voici des questions auxquelles nous devons répondre dans l’étude des port raits moraux de nos héros détectives. 170 Chapitre II Des portraits moraux atypiques Deuxième partie. Chapitre II Des portraits moraux atypiques C ert es, les traits ph ysiques nous ont permis d’avoir une premi ère idée sur l e s trois héros -dét ectives, m ais il est certain que l e portrait moral est l’élém ent du roman avec lequel le lect eur est l e plus familiarisé ; c’est lui qui permet de porter d es jugements de val eur sur l’attitude des personnages. Ai nsi, ces personnages en devi ennent à nos yeux, presque « vivants ». La caract érisation psychologi que du personnage peut être directe, c’est -à-di re que nous rencontrons des informations sur son caractère provenant soit de l’aut eur soit des autres personnages, soit du héros lui -mêm e grâce à une auto -description. Elle est indi recte ou implicite quand le caract ère du personnage ressort de ses act es, de s a conduit e, de la façon dont il agit. Le caract ère peut également se révéler à nous par ce que l e personnage dit (vocabulai re, niveau de langue, t eneur du di scours). Le point de vue des aut res personnages contribue de m ême à sa caractérisation. Edgar Poe, Émile Gaboriau et Conan Doyl e ont montré une certaine ori ginalité dans l ’art de brosser les portraits de l eurs héros détectives. Ils ne se sont pas tenus aux conventions et aux traditions qui imposaient au portrait un plan st rict et lui donnai ent une place fixe dans le récit . En effet, La récurrence de le urs héros sem ble alors leur donner le droit d'ajust er l es portraits moraux de leurs personnages en leur perm ettant d'acquéri r des personnalit és beaucoup plus précises et de revêti r des caractéri stiques plus hum aines. Ainsi, tout comm e l es portraits ph ysi q ues des détectives, qui ont été construits au fil des textes où ils apparaissent , l es indi cat ions sur les traits ps ychologi ques se t rouvent données sans aucun ordre précis ou sont dispersées à travers l es différents récits. A partir de là, l es élém ents per tinents des portraits moraux de nos dét ectives ne son t 172 Deuxième partie. Chapitre II Des portraits moraux atypiques jamais donnés com me définiti fs . Par conséquent, ils ne sont pas facilem ent localisables. Pourtant , les portraits moraux des détectives s’intègrent parfaitement à l’i ntri gue. Nous sommes certains que les trois aut eurs n’ont pas tracé d’em blée les port raits, ils les ont composés par touches successives, dispersées et diluées dan s leurs œuvres poli cières tout entières. Les caractéristiques morales procurent sur un personnage donné de solides inform ations qui nous perm et tent de mieux le comprendre. Nous somm es donc conviés à étudi er l es caractéristiques moral es des trois détectives ; anal yser ainsi l eur caract ère, l eurs habitudes, l eurs goûts et l eur façon de concevoi r la vie. 173 Deuxième partie. Chapitre II Des portraits moraux atypiques 1. Le profil intellec tuel Grâce à son amour très passionné des livres et des loisirs consacrés essentiell ement à l a lecture et à l’étude, Dupin donne l’aspect d’un homm e très cultivé. C’est d’aill eurs dans un cabinet de lecture que le narrat eur fait sa connaissance : « Not re p rem i ère connai ssance se f i t dans un obscur c abi net de l ect ure de l a rue Mont m artre » , le narrat eur ajout e : « Je f us aussi f ort ét onné de l a prodi gi euse ét endue de ses l ect ures » 166. Il est égalem ent une personne plus intelli gent e que la mo yenne : « Ce que j ’ [ nar r ateur ] ai rem arqué dans ce si ngul i er F rançais i nt el li gence surexci t ée ». ét ai t sim pl em ent le résul tat d’ une 167 Il en est d e mêm e pour le héros de Gaboriau ; la description du domicile de Lecoq qui occupe tout un troisi ème ét age de l a rue Montmart re ( mêm e l ieu cit é pour le cabi net de l ect ure de Dupin, est ce une coïncidence ? ), nous laisse découvrir l e profil intell ectuel et scienti fique du dét ective : « L’ aut re pan de m ur ét ai t garni par une bi bl i ot hèque rem pli e d’ ouvrages sci entif iques. Les l i vres de physi que et de chi m ie dom i naient » 168. Quant à Holmes, nous avons affaire à un nouveau t ype d’enquêt eur intell ectuel qui se distingu e de mani ère si gni fi cative de ses prédécesseurs. Watson nous dresse l’invent aire des di sciplines auxquelles s’int éresse son ami dans l a forme qui suit : 166 Edgar Allan Poe, Double Assassinat dans la rue Morgue (The Murders in the Rue Morgue, p.44, p.45. 167 Ibid., p. 47. 168 E. Gaboriau, Le Crime d’Orcival, p. 47. 174 Deuxième partie. Chapitre II Des portraits moraux atypiques 1. Connai ssances en l i t térat ure : nul l es 169. 2. Connai ssances en phi l osophi e : nul l es. 3. Connai ssances en astronom i e : nul les. 4. Connai ssances en pol i t i que : f ai bl es. 5. Connai ssances en bot ani que : i négal es. Cal é sur l a bel l adone, l ' opi u m , et l es poisons en général . Ne connaî t ri en au j ardinage. 6. Connai ssances en gé ol ogi e : prat i ques, mai s l i mi t ées. Sai t reconnaî tre en un seul coup d' œil espèces de sol s. Après dif f érent es des bal ades à pi eds, i l m' a m ont ré des écl aboussures sur son pant a l o n, et i l f ut en m esure de di re par leur coul eur et l eur consi st ance , de quel quart i er de Londres el l es provenai ent . 7. Connai ssances en chi m i e : approf ondi es. 8. Connai ssances en anat om i e : précises, m ai s sans vi si on d’ ensem bl e. 9. Connai ssances en l it térat ure à sensat i on : i m menses. Il sem bl e t out savoir dans l e m oi ndre d ét ai l de t out es l es horreurs perpét rées au cours du si ècl e. 10. Joue bi en du vi ol on. 11. Est expert à l a canne, à l a boxe et en escri m e. 12. A une angl ai s. bonne con nai ssance prat i que du droi t 170 169 « Or, on doit rectifier Watson, car Holmes cite Carlyle dans Une étude en rouge. Il cite Shakespeare (Macbeth). Cite aussi L’Ecclésiaste […]. Il cite Horace en latin, Boileau et La Rochefoucauld en français, Goethe en allemand. Il lit en latin le traité écrit par Richard Zouche, […], des ouvrages philosophiques, tel Le Martyre de l’Homme, de Winwood Reade » : Pierre Nordon, Tout ce que vous avez voulu savoir sur Sherlock Holmes sans jamais l’avoir rencontré. Paris, Librairie Générale Française, coll. Le Livre de Poche Biblio essais, 1994, p. 47. 170 A.C. Doyle, Volume1. Une étude en rouge (A Study in Scarlet), p.21. 175 Deuxième partie. Chapitre II Des portraits moraux atypiques Nous avons dé j à évoqué dans la premi ère parti e le dével oppem ent qu’avait connue l a sci ence au X IX e siècle. Ce n’est sans doute pas un hasard qu e l e genre policier naisse à la moitié d’un siècl e marqué par le rationalisme sci entifique . On assiste à un rapprochem ent entr e l’imaginaire et l a pensée scienti fique impliquant un vérit able changement de paradi gme qui s’imposera dans la littérat ure. D’où des héros i ntelli gents, intell ectuels et ayant des connaissances étendues, alors qu’auparavant science et littérat ure étai ent trop souvent considérées comme des activités qui ne pouvai ent aller ensemble. Baudel aire n’avait pas manqué de marquer que : Le t em ps n' est pas loi n où l ' on com prendra que t out e l i tt érat ure qui se ref use à m archer f rat ernell em ent ent re l a science et l a ph il osophi e est une l i t t érat ure hom ici de et sui ci de. 171 Il s’agit d’ un siècl e où s’est dével oppée l ’idée que tout est accessi ble à la science, l ’homm e lui -m ême. P arallèl ement apparaît ra l’idée que le détecti ve qui poursuit le criminel réussira son entreprise grâce à des méthod es rati onnell es, voire scientifiqu es pl utôt que par la force, son enquêt e polici ère donc ne trouvera ses cautions que du côté de l a science. Si Dupin est l e t ype de détective dot é d’une int elli gence hors du commun et qui ne compte que s ur son exceptionnelle capacité d’anal yse et de déduction pour résoudre les crim es, Lecoq et Holmes sont des dét ectives attirés par les sciences , ils marient l eurs savoirs à leurs capacités de déducti on afin de découvrir l a vérit é qui enfouie dans le m ystère. Pour l’exercice de leur profession, ils ont dû mettre 171 Charles Baudelaire, "L'école païenne", Œuvres complètes, éd. Claude Pichois, Gallimard, Paris, 1961, p. 628. 176 Deuxième partie. Chapitre II Des portraits moraux atypiques le plus possi ble d’atouts dans l eur jeu, car l e génie ne suffisait pas s’il ne s’appu yait sur de solides connaissances. Le poli cier de Gaboriau fait à l’occasion appel aux connaissances de chimistes, surtout en m atière de t oxicologie, et à cell es d’ali énist es et de médecins l égistes. Do yle a fait de son détective un Bri tannique pratique, un chimiste remarquable qui , dans Une étude en rouge , découvre « un réact if qui n’ est préci pit é que par l ’ hém ogl obi ne » . Holmes est aussi écrivain, ses écrits sont d’ordre émi nemment pratique, sa biblio t hèque comporte un traité sur la discrimination entre des différents tabacs, un essai sur la détection des t races de pas, une monographie sur l’écriture des docum ents an ciens, un manuel pratique d’api culture……. Doyl e lui att ribue égalem ent quelques compét ences en médecine général e. Certes, Boileau et Narcejac ont en grande parti e raison, quand ils affirment que Sherlock Holm es est l e premier détective vraim ent scienti fique dépassant incontest ablem ent ses devanciers, mais nous ne trouvons pas surprenant en cette « fin de siècle », que la chimie et les sciences naturelles aient une place prépondérant e auprès du détective. La période qui voit naître et se développer l e c ycl e de Sherlock Holm es coïncide avec ces sci ences qui sont illustrées de manière remarquabl e par les savants de cett e « fin de siècle ». En effet, Chevreul 172 , qui est versé dans l a chimie des colorants, publie en 1883 ses Considérations générales sur les mét hodes sci entifiques . Tyndall 173 publie ses t ravaux sur l’électri cité et l a radi ation. Au cours de cett e m ême décennie, Past eur réali se ses découvert es les plus important es et Berthelot publie ses travaux sur la thermochi mie. Pour ce qui est de ses connaissan ces en m édecine, il faut bien reconnaître que Holm es a su largement puiser dans le bagage sci entif i que de son 172 Michel-Eugène Chevreul (1786-1889), chimiste français. 173 John Tyndall (1820-189 3), physicien irlandais. 177 Deuxième partie. Chapitre II Des portraits moraux atypiques créat eur, médecin au courant de t out es les derni ères t echniques scienti fiques de son époque : En ef f et , l ’ aut eur des Avent ures de Sherl ock H olm es est t out d’ abord un m édeci n qui écri t — t out e sa bi bl i ographi e com prend en paral l èle art i cl es m édi caux et t ext es de f i ct i on — pui s, après 1891 où i l abandonne l a prati que médi cal e pour se consacrer à l ’ écri t ure, un écri vai n qui se souvi ent qu’ i l a ét é m éde ci n. 174 Il serait t rop hâtif de conclure que Lecoq (Dupin est en dehors de cette comparaison, car il m anifest e son goût et ses aptitudes pour les applications abst raites et m ental es et non concrètes) ne s‘appuie pas sur les mét hodes et connaissances scienti fiques que Holmes manipule avec brio, et que cel a s’explique par un savoir que possède et maît rise l ’un alors que l’autre en est dépourvu par manque de connaissances sci entifiques . Tout simplement le profil hautement scienti fique du dét ective Sherlock Hol m es résulterait nat urellem ent d’un cont exte sci entifico -historique, ainsi que de la profession d’ori gi ne de son créateur mai s non d’une intelli gence et d’une culture supéri eures. Il serai t donc inconcevabl e que Lecoq n’utilise pas les découvertes et les inn ovations de la science, alors que la connaissance existe chez le lecteur de Gabori au, cel a ferait passer l e détective pour inculte et par conséquent son créat eur égalem ent, infami e et déshonneur que ne support erait aucun aut eur de rom an policier à l’écoute de son l ect orat. 174 Dominique Meyer-Bolzinger, colloque « Étude clinique et modèles d’enquêtes ». URL : http://www.fabula.org/colloques/document931.php. 178 Deuxième partie. Chapitre II Des portraits moraux atypiques 2. Bizarreries 2.1. Le d étective noctambul e Mon am i avai t une bi zarreri e d’ hum eur – car com m ent déf i ni r cel a ? – c’ ét ai t d’ ai mer la nui t pour l ’ am our de l a nui t ; l a nuit ét ai t sa passi on ; et je t om bai m oi- m êm e t ranqui l l em ent dans cet t e bi zarreri e, com me dans t out es l es autres qui l ui ét ai ent propres, m e l ai ssant al l er au courant de t out es ses abandon . ét ranges ori gi nal i t és avec un parf ai t 175 « Bizarreri e » est donc le term e que le narrateur anon ym e des nouvell es poli cières de Poe a emplo yé pour décrire l ’attitude de son compagnon Dupin qui, pendant l e jour vit reclus chez lui, les vol ets ferm és pour se plonger dans l ’obscurit é. Ce n’est qu’une fois la nuit venue que le dét ecti ve sort de sa m aison pour déambuler longuement à travers l es rues de la capital e qui sommeille, surtout dans l es quarti ers les moi ns éclairés . Lacassin a posé l’excell ente question : Est - ce une cont i nuit é d’ i nspi rati on – cel l e du cont eur f ant ast i que habi t ué à m ani pul er l ’ obscurit é pour m et t re en scène l es f ant ôm es – qui condui t P oe à poser Dupi n en am at eur des t énèbres ? O u l a vol ont é déli bérée de l ui donner un goût du t héât re et de l ’ ef f et ? Dupi n se sert de l a nui t co m m e d’ une scène pour y j ouer ses m ei ll eurs m orceaux . 176 175 Edgar Allan Poe, Double Assassinat dans la rue Morgue, p. 45-46. 176 Francis Lacassin, Mythologie du roman policier (I), coll. 10-18. Paris, 1974, p.21-22. 179 Deuxième partie. Chapitre II Des portraits moraux atypiques Cet engouem ent pour la nuit pourrait fai re penser au personnage gothi que, qui éveill e dans l 'inconsci ent collectif l 'image du vampire et est donc peu propre à suscit er l a s ym pathie du l ect eur. C ’est donc avec une esthétique noire que Poe fonde une litt érature nocturne, exprimant ainsi les anxiétés et l es craintes d’un Américain face à la croissance rapide du dével oppem ent industriel et aux modificati ons de la modernit é. C ’est une anxiété envers l e changem ent , envers l’altérati on des r yt hmes nat urels, envers l’espace urbain : Jadi s déposi t ai res du surnat urel , auj ourd’ hui ref uge du cri m e, cel l es - ci [t énèbres] n’ envel oppent pl us l a f orêt m ai s un nouveau l abyri nt he surgi sur son [ Poe] espace i nqui ét ant : l a vi l l e . 177 L’individu par conséquent ne pourra subsister que dans l’obscurit é recluse. Cela est l e refl et de ce que Georg Sim mel dans Les grandes villes et la vie de l’esprit 178 dési gne comm e la réserve, l’éloi gnement du monde et le recueillement dans des espaces intéri eurs. Ce sentiment d’anxiété et de craint e menace sociopoli tiqu e ; Poe est pourrait surgi r d’une contemporain de la « panique1873 » 179 qui marque l a fin du pouvoi r du président populiste Andrew Jackson et la grande crise économique qui s’ensuit entraînant la faillit e de nombreuses i nstit utions am éri caines. 177 Francis Lacassin, op. cit., p. 21. 178 Georg Simmel est une des figures les plus importantes de la sociologie allemande classique. Simmel est surtout connu comme le promoteur de la sociologie « formelle », une notion fondamentale et acceptée dans les sciences sociales contemporaines. Il est aussi un des fondateurs de la psychologie sociale. Dans son essai de 1903, Les grandes villes et la vie de l’esprit, Simmel pense que la condition métropolitaine se caractérise principalement par une «intensification de la stimulation nerveuse, qui résulte du changement rapide et ininterrompu des impressions externes et internes» : in Philosophie de la modernité, Payot, Paris, 2005, p. 234. 179 La Grande Dépression de 1873-1896 est une crise économique étendue et de grande ampleur qui marqua la fin du XIXème siècle. 180 Deuxième partie. Chapitre II Des portraits moraux atypiques Nous rel evons dans le caractère biz arre de Dupin une phobi e de la lumière, c’est d’ailleurs l a fenêt re écl airée de Madam e L’Espana ye qui a attiré le monst rueux assassin de Double Assassi nat dans la rue Morgue. Le cont rast e ent re l’om bre et la lumière t ransforme l’espace du dét ective en un m onde fantom atique, encadrant des rues funestes et mal éclai rées, accompagnant un réci t annonci ateur de crime . F. Lacassin assure : « P ar ce t rai t , Edgar P oe f i xe l e dest i n du rom an pol i ci er, rom an de l ’om bre, saga des t énèbres ». 180 2.2. L e détecti ve exc entrique Il arrive souvent à S herlock Holmes , tout comme à Dupin, d’être très acti f la nuit, c’est ce que nous dit son ami Watson : M. Sherl ock H ol mes, qui se l evai t habi t uel l em ent t rès t ard l e m ati n –en dehors de ce s occasi ons f réquent es où i l rest é évei ll é t out e l a nui t - ét ait i nst al lé à l a t abl e du pet i t déj euner . 181 Holmes nous offre de nombreuses occasi ons de nous étonner tant son comport em ent reste étrange et excent rique. Hormis ses ét ran getés de mani es, de tics, de sujets de convers ation peu communs, de s a culture hétéroclite, etc., Holm es est un adept e de l a cocaïne et de l a morphine : Sherl ock H ol mes prit son f l acon sur l e coi n du m ant eau de la chem i née, et t i ra la seri ngue hypoderm i que de son ét ui de cui r. D e ses l ongs doi gt s pâl es et nerveux i l aj u st a l a f i ne ai gui l l e et rel eva l a m anche gauche de sa chem i se. P endant , 180 Francis Lacassin, op. cit., p. 21. 181 A.C. Doyle, Volume2. Le Chien des Baskerville (The Hound of the Baskervilles), p. 301. 181 Deuxième partie. Chapitre II Des portraits moraux atypiques quel ques i nst ant s, avant - bras et d’ i nnom brabl es son il exam i na poi gnet m arques de pensivem ent m uscl és, pi qûres. son recouvert s Enf i n, il enf onça l a poi nte, appuya sur l e pi st on et se l ai ssa ret om ber dans l e f aut eui l de vel ours en poussant un l ong soupi r de sat i sfact i on. 182 La prise de morphine ou de cocaïne, à cette époque, ne sem blait pas constituer une i llégalit é, mai s on se rendait compt e de son effet néfaste sur le corps et la santé. Holmes j ustifie sa prise de drogue par un manque d’activités criminell es qui auraient pu lui apporter quelques problèm es à dém êler, et ainsi créer chez lui une activit é intense : Mon espri t , di t -i l , est rebel l e à t out e inact i on. F ourni ssez- m oi t ravai l , des probl èm e s, soum et t ez -m oi le donnez - m oi pl us obscur du des crypt ogram mes ou l a pl us com pl exe des anal yses, et l à j e sui s dans m on é l ém ent . Je peux al or s m e passer des st i m ul ant s artif i ci el s . 183 La drogue pour Hol mes serait un mo yen d’exploration du champ de la conscience et non cet ingrédient sensualiste qui ent raî ne plaisi r et jouissance pour son consomm ateur. P ar affecti on pour son grand ami, Watson s'efforce parfois de ramener Holm es dans le droit chemin. Mais l 'orgueilleux dét ective n'accepte pas si faci l ement les leçons 184 : 182 A.C. Doyle Volume1. Le Signe de quatre (The Sign of Four), p.197. 183 Ibid., p. 199. 184 Dans un drame en 5 actes, écrit en collaboration avec William Gillette et créé à Buffalo (État de New York) le 23 novembre 1898, Conan Doyle a repris sensiblement la même scène où Watson tente en vain de raisonner son ami : 182 Deuxième partie. Chapitre II Des portraits moraux atypiques P eut - être avez - vous rai son, Wat son, di t - i l . Je suppose que son i nf l uence sur l e corps est négat i ve. Mai s je t rouve néanm oi ns qu’ el l e exerce sur l ’esprit une st i m ul at i on si transcendant e et éclai rant e que ses ef f et s i m port ant s. secondai res sont f i nalem ent peu 185 Autre « bizarrerie » que Watson apprend sur Sherl ock Holmes de la bouche de l’ho m me qui les a mis en relation quand tous les deux étai ent en quête d’un nouveau fo yer à Londres : - [ …] H ol m es est un peu t rop sci entif i que à m on goût . Ça f ri se l ’i nsensi bi l it é. [ …] - Très bi en, et al ors ? - O ui , m ai s i l pousse parf oi s un peu l oi n. Quand on en arri ve à f rapper des cadavres à coups de canne en sal l e de di ssect i on, cel a prend cert ai nement une t ournure pl ut ôt bi zarre. - F rapper des cadavres ? - O ui , pour voi r dans quel l e m esure on peut provoquer des bl eus sur des corps après l eur m ort . Je l ’ ai vu f aire de m es propres yeux. 186 « Watson. - Voilà des années que vous avez recours à cette satanée drogue. Et les doses augmentent de plus en plus tous les jours !... Jusqu'à la fin ! Holmes. - Voilà des années que je déjeune tous les jours, Watson ! Et il en est de même jusqu'à la fin. Watson. - En déjeunant on se nourrit !... Avec ces drogues, vous vous empoisonnez... Leurs ravages sont lents mais certains, et elles vous changent un homme du tout au tout ! Holmes. - Je suis tellement dégoûté de moi-même que je ne serais pas fâché de changer... ». Cité par Éric Fouassier, « Sherlock Holmes, Watson et la cocaïne. Une contribution littéraire à l'histoire des toxicomanies », In: Revue d'histoire de la pharmacie, 82e année, N. 300, 1994, p. 66.) 185 A.C. Doyle, Volume1. Le Signe de quatre (The Sign of Four), p. 199. 186 A.C. Doyle, Volume1. Une étude en rouge (A Study in Scarlet), p.9. 183 Deuxième partie. Chapitre II Des portraits moraux atypiques L’éto nnem ent du docteur Watson, le nô tre aussi en tant que lect eurs, ne s’arrêt e pas là, lorsqu’on apprend que Holmes joue du violon à des heures que tout un chacun réserve au somm eil, ou cribl e le mur de son salon en s' entraînant au tir au revolver. Il range ses ci gares dans un seau à charbon, son tabac au fond d'une babouche persane. On peut voir Holmes test er l ’efficacit é d’un poison sur lui même, t ranspercer un cochon mort à coups de harpon. Christophe Gell y nous fait compr endre que l’incapacit é à suivre le raisonnement d’incohérence et de Holm es, qualifi er sa a laissé conduite Watson t axer son ami d’excent rique : « Wat son cor respond en t out poi nt à l ’ i m age du l ect eur i ncom pétent qui rej et te dans l e dom ai ne de la m ani e i nexpl i cabl e, de l ’ ét ranget é, t out ce qu’ il ne com prend pas ». 187 Selon Gell y toujours , la bizarreri e chez Holmes n’est qu’une façade qui cache une identi té bi en p rofonde m ais qu’on ne peut saisi r, et cel a tient, une foi s de plus, aux li mitations imposées par l e poi nt de vue de Watson le narrateur, qui ne perm et pas de voi r et de comprendre Holm es « de l ’ i nt éri eur ». Quant à Boileau et Narcejac, ils affi rm ent que les personnages détectives « sont t ous – parce qu’i l n’ y a pas m oyen de f ai re aut rem ent – des excent ri ques, des personnages étranges, pl ei ns de t ics et de m ani es [ …] » 188, ils pensent que c’est l e personnage de Dupin qui avait imposé cette fatalité (excentri ci té) sur sa post érit é. Même si nous som mes global ement d’accord avec Boil eau et Narcejac, nous pensons que l e caractère at ypique et i ncompara ble de Sherlock Holmes force l ’admiration et que son succès provi endrait de son excent ricit é exceptionnelle qui ne r essemble à aucune autre, ainsi 187 Christophe Gelly, Le Chien des Baskerville: Poétique du roman policier chez Conan Doyle, Presses Universitaires de Lyon, Lyon, 2005, p. 88. 188 Boileau-Narcejac, Le roman policier, Quadrige/PUF, Paris, Vendôme, 1994, p. 30. 184 Deuxième partie. Chapitre II Des portraits moraux atypiques que de son réalism e. Ce détecti ve est cert es loin d’êt re un individu commode : cocaïnomane, méprisant, souvent inatt entif quand on lui parl e, il peut passer des semaines sans sorti r de son appart ement, c’est un personnage do nt les défauts feraient un individu haïssable ; mais, ses défaut s sont compensés par les qualités excepti onnell es dont il fait preuve lorsqu’il combat l e cri me. 2.3. Le policier ty pe Pour le polici er Lecoq, nous pouvons affi rmer qu’il fait exception à la règle avancée par Boil eau et Narcejac, il existe certes des excentri cités dans ses m éthodes de travail mai s non dans son caractère, et cette exception tiendrait à une dissembl ance ent re l a profession d’un pol icier enquêt eur et celle d’un dét ective amat eur. En effet, Lecoq n’est pas libre de son comp ort ement , on ne peut autoriser un fonctionnaire de l a police à avoi r des sautes d’humeur, les affai res qu’il a à résoudre entrent dans le cadre des missions offi ciell es de la poli ce, d’où un comport ement e t un caract ère qui ne devraient à aucun m oment, nui re à l ’image de l’ i nstitution policière. Le docteur Edmond Locard apprécie chez M. Lecoq un « t em péram ent pol i ci er de premi er ordre » 189 et remarque qu’il ressembl e à des « pol i ci ers véri t ables » 190. 189 Cité par Jean-Marc Berlière, Police réelle et police fictive, in: Romantisme, 1993, n°79. pp. 73-90. URL : http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/roman_00488593_1993_num_23_79_6189 190 Cité par Roger Bonniot, Emile Gaboriau ou la naissance du roman policier, J.Vrin, Paris, 1985, p. 411. 185 Deuxième partie. Chapitre II Des portraits moraux atypiques 3. Des déte ctives vaniteux, arrogants et comédiens 3.1. Un certain goût pour la mise en scène Dupin n’est pas si mal placé pour être un acteur, il pratique la comédi e devant t out e personne en face de lui. Lorsqu’il exerce ses dons de raisonnem ent, il est stupéfi ant , se compos ant un visage comme sur scène et changeant mêm e sa voix qui devient surai guë, à tel point que l e narrat eur a besoin de fai re appel à « l a vi ei l le phi l osophi e de l’ âm e doubl e » 191 pour expliquer cett e étrange métamorphose : Dans ces m om ent s - l à, ses m ani ères ét ai ent gl aci al es et di strai t es ; ses yeux regardai ent dans l e vi de, et sa voi x, – une ri che voi x de t énor, habi t uel l em ent , – mont ai t j usqu’ à l a voi x de t êt e ; c’ eût ét é de l a pét ul ance, sans l ’ absol ue dél i bérati on de son parl er et la parf ai t e certi t ude de son accent uat i on. Je l’ observai s dans ses all ures, et je rêvai s souvent à l a vi ei ll e phi l osophi e de l ’ âm e doubl e, – j e m ’ am usai s à l ’i dée d’ un Dupi n doubl e, – un Dupi n créat eur et un Dupi n anal yst e. 192 Est-ce donc une apti tude anal yti que ou une scène théât r al e ? Je [ nar r at eur ] rem arquer anal yt i que et ne pouvai s d’adm i rer part i culière chez […] m ’ em pêcher une Du pi n. Il de apt i t ude sem bl ait prendre un dél i ce âcre à l ’ exercer, – peut êt re m êm e 191 Pensée selon laquelle la nature humaine est fondamentalement double. 192 E. A. Poe, Double Assassinat dans la rue Morgue (The Murders in the Rue Morgue), p.46, p.47. 186 Deuxième partie. Chapitre II Des portraits moraux atypiques à l ’ ét al er, – et avouai t sans f açon t out l e pl ai si r qu’ i l en t i rai t 193 C’est un pl aisir que Dupin veut augm enter en ajout ant à son interprét ation de la mise en scène, pensons à son dial ogue avec le préfet lorsque ce dernier vient le solliciter pour une affaire embarrassante, et Dupin au li eu d’allumer l a l ampe, s’écrie : « Si c’ est un cas qui dem ande de l a réf l exi on [ …] nous l ’ exam i nons pl us convenabl em ent dans l es t énèbres.» 194, Dupin baisse l’écl airage pour mettre en val eur son attitude, un tel gest e du détective le fai t passer du monde de l ’ordi naire au monde de l ’excepti onne l . Lacassin nous parl e d’un « art i f ice m oi ns i nspi ré par le souci de préserver l a bonne m arche de l ’ enquêt e que par l e cabot i nage » 195. Citons une autre scène qu’on ne peut qualifi er que de théât ral e et qui apparaît dans Double Assassinat dans la rue Morgue , ent re Dupin et le suspect : Voi ci quel l e sera m a récom pense : vous me racont ez t out ce qu e vous savez rel at i vem ent aux assassi nat s de l a rue Morgue. Dupi n prononça ces derni ers m ot s d’ une voi x t rès basse et f ort t ranqui l l em ent . Il se di ri gea vers l a port e avec l a m êm e pl aci di té, l a f erm a, et m i t l a cl ef dans sa poche. Il t i ra al ors un pi st ol et de son sei n, et l e posa sans l e m oi ndre ém oi sur l a t abl e »p. 89 193 E. A. Poe, Double Assassinat dans la rue Morgue (The Murders in the Rue Morgue), p. 46. 194 E.A. Poe, La Lettre volée (The Purloined Letter), p.101. 195 Francis Lacassin, Mythologie du roman policier (I), Paris, 1974, coll. 10-18, p. 24. 187 Deuxième partie. Chapitre II Des portraits moraux atypiques Dupin est possédé par le dési r d’étonner, peu importent les circonstances et peu importe la qualité de l’interlocut eur préfet ou simple suspect ; pourvu qu’il en ait un et qui soit près d’attribuer au chevalier l a tout e -puissance. Lecoq confesse à son tour son goût pour la mise en scène : « Il est des gens, cont i nua - t - il , qui ont l a rage du t héât re. Cet t e ra ge est un peu l a mi enne ». 196 Il t héât ralise tous les paramèt res de la réal ité : le lieu devient scène, les personnes se muent en acteurs et les événem ents composent une pièce théâtral e : – P l us dif f i cil e ou pl us bl asé que l e publ i c, cont i nua M. Lecoq, i l me f aut , à m oi , des com édi es véri t abl es ou des dram es réel s. La soci ét é, voi l à m on t héât re. Mes act eurs, à m oi , ont l e ri re f ranc ou pl eurent de vrai es l arm es. Un cri m e se comm et , c’ est l e prol ogue. J’ arri ve, l e prem i er act e com m ence. D’un coup d’ œi l j e sai si s l es moi ndres nuances de l a mi se en scène. P ui s, je cherche à pénét rer l es m obi l es, j e groupe m es personnages, j e rat t ache l es épi sodes au f ai t capi t al , je lie en f ai sceau t out es l es ci rconst ances. Voi ci l ’ exposi t i on. B i ent ôt , l ’ acti on se corse, le fil de m es i nduct i ons m e condui t au coupabl e ; j e le devi ne, j e l ’ arrête, j e l e l i vre. Al ors, arri ve l a grande scène, le prévenu se débat , i l ruse, i l veut donner l e change ; m ai s arm é des arm es que j e l ui ai f orgées, l e j uge d’ i nst ructi on l ’ accabl e, i l s e t roubl e ; il n’ avoue pas, m ai s il est conf ondu. Et aut our de ce personnage pri nci pal , 196 que de personnages secondai res, l es E. Gaboriau, Le Crime d’Orcival, p.162. 188 Deuxième partie. Chapitre II Des portraits moraux atypiques com pl i ces, l es i nst i gat eurs du cri me, l es am i s, les ennem i s, l es t ém oi ns ! [ …] La Cour d’ assi ses, voi l à m on derni er tabl eau. L’ accu sat i on parl e, m ai s c’est m oi qui ai f ourni l es i dées ; l es phrases sont l es broderi es jet ées sur l e canevas de m on ra pport . Le prési dent pose l es quest i ons aux j urés ; quel l e ém ot i on ! C’ est l e sort de m on dram e qui se déci de. Le j ury répond : Non. C’ en es t f ait , m a pi èce ét ai t m auvai se, j e sui s sif f l é. Est - ce oui , au cont rai re, c’ est que m a pi èce ét ai t bonne ; on m ’ appl audi t , j e t ri om phe. Sans com pt er que l e l endem ai n j e pui s al l er voi r m on pri nci pal act eur, et l ui f rapper sur l ’ épaul e en l ui di sant : « Tu as perdu, m on vi eux, j e sui s pl us f ort que t oi ! » M. Lecoq, en ce m om ent mêm e, ét ai t - i l de bonne f oi , ou j ouai t - il une com édi e ! Quant à Holmes, D. Fernandez -R ecat ala m et en avant la théât ralit é de ce personnage et la m anière dont Conan Do yl e parvi ent à val oriser ses m éthodes : H ol m es ne serait pas perçu com m e i l l’ a ét é sans l a t héât ral i té ; son rai sonnem ent ri goureux est m i s non m oi ns ri goureusem ent en si t uat i on : i l f ait événem ent , et ses concl usi ons sont expos ées com me aut ant de dépoui ll es opi m es. La sci ence et l e t héât re se conf ondent dans l a révél at i on qui est l ’ avat ar subl i m e du coup d’ écl at . 197 Holmes, tout comm e Lecoq, revendique fièrem ent son rôl e de metteur en scène et sa conception performative de l’illusi on. Il s e 197 D. Fernandez-Recatala, Le Polar, M. A. Editions, Paris, 1986, p. 98. 189 Deuxième partie. Chapitre II Des portraits moraux atypiques voit artiste, a yant besoin d’u ne belle mi se en scène qui puisse mettre en relief ses succès: L’ i nst i nct de l ’ art ist e qui m onte en m oi me récl am e avec i nsi stance une bel l e m i se en scène. Not re prof essi on, […] , serai t à coup sûr t erne et sordi de si nous ne pouvi ons de t em ps en t em ps enj o l i ver les choses pour m et t re nos résul t at s en val eur. 198 La fi ert é de Holmes réside moins dans la résolution de l’éni gme, que dans la présent ation d’un spectacl e théât ral de qualit é. Pierre Nordon notamm ent a insisté sur ce point : « Son sens de l a perf ecti o n art i sti que l e pousse à rechercher l es dénouem ent s spect acul ai res et él égant s ou à s’ of f rir une m yst if i cat i on aux dépens de ses cl i ent s » 199. Sherlock Holm es est encore un dét ective qui reconnaît lui -même s a passion pour l a mise en scène : « j e ne rési ste j am ai s à une pet i te t ouche t héât ral e ». 200 Les trois esthétisant e héros-détectives de la réalit é, constituent donc une acti vité ils soulignent l eur réel à le reconstruction constante du représent ation artistique. Nous travers somm es dev ant prism e des vision de de la détectives metteurs en scène qui passent les bornes et sacri fient les intérêts du réel à l a qualité de la représentation. 198 A.C. Doyle, Volume3, La Vallée de la peur (The Valley of Fear), p. 131. 199 Pierre Nordon, Sir Arthur Conan Doyle: l'homme et l'œuvre, Didier, « Études Anglaises », Paris, 1964, p. 203. 200 A.C. Doyle, Volume2, Le traité naval (The Naval Treaty), p.253. 190 Deuxième partie. Chapitre II Des portraits moraux atypiques 3.2. Rivalité, cri tique et moquerie Le préfet de poli ce G est partagé ent re l’admi rati on pour les talents de Dupi n et le déplaisi r devant ses succès, il est l’archét ype du polici er offi ciel, imbu d’une puissance dont il adm et mal les failles, il est fidèl e à des préjugés mesquins et à des méthodes dépourvues d’imagi nation, c’est un homme qui sait tout et ne comprend ri en. Dupin se m oque de sa « m ani e de ni er ce qui est , et d’ expl i quer ce qui n’est pas » 201. Par orgueil, le préfet a éprouvé du m al à reconnaît re qu’il était venu réclam er l ’aide de Dupin, il a donc tenté de déguiser l e motif de sa visite : Le f ai t est que l ’ af f ai re est vr ai m ent t rès si m pl e, et j e ne dout e pas que nous pui ssi ons nous en t i rer bi en nous - m êm es ; m ai s j ’ ai pensé que Dupi n ne serai t pas f âché d’apprendre l es dét ail s de cet te af f ai re, parce qu’ el l e est excessi vem ent bizarre. 202 Et là, avec toute l’i ntelli gence d’u n Dupin et la politesse d’un chevalier, i nsinuant l’incompét ence de la poli ce, il répond : « P eut êt re est - ce l a si m pli ci t é m êm e de l a chose qui vous i ndui t en er reur » 203. Si Dupin se mont re ironique à l’égard du préfet lorsqu’il est en s a présence, en son absence, il est pl ein de mépris pour ses m ét hodes : [ …] Q u’ il n’ ai t pas pu débroui l l er ce m yst ère, i l n’ y a null em ent li eu de s’ét onner, et cela est m oi ns si ngul i er qu’ il ne l e croi t ; car, en véri t é, not re am i l e préf et est un peu t rop f i n pour êt re prof ond. Sa 201 E.A. Poe, Double Assassinat dans la rue Morgue (The Murders in the Rue Morgue), p.96. Avec la note de Poe que l’expression est extraite de La Nouvelle Héloïse de J.-J. Rousseau. 202 E. Poe, La Lettre volée (The Purloined Letter), p.102. 203 Ibid., p.102. 191 Deuxième partie. Chapitre II Des portraits moraux atypiques sci ence n’ a pas de base. El l e est t out e en t êt e et n’ a pas de corps, com m e l es port rait s de l a déesse Laverna, - ou, si vous ai m ez mi eux, t out e en t êt e et en épaul es, com m e une m orue. 204 Dupin reproche égal ement à l’ensemble de la police parisi enne , un manque d’im agination frappant aussi bien que de mét hode : « La pol i ce pari sienne, si vant ée pour sa pénét rat i on, est t rès rusée, ri en de pl us. El l e procède sans m ét hode, el l e n’ a pas d’ aut re m ét hode que cel l e du m om ent ». 205 Dans ses luttes contre les c riminels, M. Lecoq se heurte réguli èrement à l a force d’inerti e et même à l a jalousie de ses confrères, qui ne veulent pas être dérangés dans l eurs investigations routinières. Le poli cier explique lui -même au juge de paix comment ses collègues ne ti ennent pas sa venue en haut e estim e : Arri ver quand une i nst ruct i on est comm encée, est dépl orabl e, m onsi eur l e j uge de pai x, t out à f ai t dépl orabl e. Les gens qui vous ont précéd é ont eu l e t em ps de se f ai re un syst èm e, et si vous ne l ’ adopt ez pas d’ em bl ée, c’est le di abl e 206 Mais Lecoq sait parfait ement comment feindre la modestie , accept ant i roniquem ent les critiques de ses supéri eurs : Et avec véri t abl e une act e condescendance d’ héroï sm e, m ai s un que peu rai de, gât ai t une poi nt e f i ne d’ ironi e, i l [ Lecoq] aj out a : – Sel on vous, m onsi eur, que devrai s - j e f aire ? 207 204 E.A. Poe, Double Assassinat dans la rue Morgue (The Murders in the Rue Morgue), p.96. 205 Ibid., 67. 206 E. Gaboriau, Le Crime d’Orcival, p.97. 207 Ibid., p.417. 192 Deuxième partie. Chapitre II Des portraits moraux atypiques Le poli cier peut aller loin dans son affect ation de modest ie : P l us que j am ai s, il ét ait rent ré dans son personnage de m erci er béni n, s’expri m ant d’ une pet i t e voi x f l ût ée, out rant l es f orm ul es obséqui eu ses : « J’ aurai l ’ honneur » ou « Si m onsieur l e j uge dai gne m e perm et t re » 208 Nous constatons une réciprocit é confli ctuell e dans la relation tendue qu’entretient Lecoq avec ses coll ègues ; le poli cier a du mal à support er l eur présence : Et sur cet t e conclu si on l ’ agent de l a Sûret é [ Lecoq] sort ant sa bonbonni ère se récompensa d’ un carré de régl isse adressant au j uge d’ i nstruct i on un j ol i souri re qui bi en cl ai rem ent si gnif i ait : « Ti rez vous de l à. » 209 Le polici er de Gaboriau a su s’imposer au juge en lui arr achant une reconnaissance de sa m éthode savante, de son raisonnem ent puissant et de la val eur de ses servi ces : Enf i n, [ …] , nous l ’ em port ons, cet aust ère m agi st rat qui dét este si f ort l ’ i nst i t uti on dont nous som m es le pl us bel ornem ent , f ai t am ende honora bl e ; i l reconnaît et l oue nos ut i l es servi ces. 210 Avec les polici ers et les inspect eurs de Scotland Yard, Sherlock Holmes entretient , tel un maît re vis -à-vi s de ses élèves, des rapports souvent t endus et ambigus, mêl és d’une petite admi ration, de critique 208 E. Gaboriau, Le Crime d’Orcival, p.394. 209 Ibid., p.413. 210 Ibid., p.427. 193 Deuxième partie. Chapitre II Des portraits moraux atypiques et d’ironi e. En fait, cet esprit supéri eurem ent int elli gent se gauss e des poli ciers l ancés sur l a mêm e affai re que lui , car il support e diffi cilem ent la lent eur d’esprit chez aut rui . - Gregson est l e pl us m al i n des gars de Scot l and Y ard, di t m on am i [Hol me s ] . Lest rade et l ui sont l es seul s qui ém ergent d’ une bande de m édi ocres. Il s sont t ous deux ra pi des et énergi ques, m ais t el l em ent conf orm i st es…c’ en est presque scandal eux. 211 En se confiant à son ami Watson, Hol mes s’irrite d’un m anque de reconnaissance de la part de l a poli ce offi ciell e pour ses grands apports aux enquêt es, pourt ant, les inspect eurs de police sont l es premi ers à récolter l e bénéfice de ses résultats : - Mon cher cam arade qu’ est - ce que cel a peut bi en m e f ai re ? Adm et t ons que j e résol ve t out e l ’ af f ai re, vous pouvez êt re cert ai n que Gregson, Lest rade et com pagni e vont em pocher t out l e crédi t du f ait . Car j e ne suis pas un personnage of f i ciel . - Mai s il vous suppl ie de l ’ ai der. - O ui . Il sai t que j e l ui sui s supéri eur et i l m e l e concède ; m ais i l se couperai t l a l angue pl ut ôt que de l ’ adm ett re devant une t i erce personne. 212 Dans tous les cas, l’intérêt pour Holm es est de résoudre des éni gmes sur lesquell es ont buté les meill eurs enquêt eurs de Scotland Yard. C’est Holmes qui l eur abandonne, habitu ellem ent, tout le mérite du succès : « Sur ci nquant e - t roi s af f ai re s où son i ntervent i on a 211 A.C. Doyle, Volume1, Une étude en rouge (A Study in Scarlet), p.35. 212 Ibid. 194 Deuxième partie. Chapitre II Des portraits moraux atypiques ét é dét ermi nant e, dans quat re seul em ent son nom a ét é ci t é, ce qui ne l ’ a pas em pêché de deveni r cél èbre ». 213 En somme, il s’agit bien d’une scission qui, hist oriqueme nt, a signalé l ’avènement du genre, elle se manifeste sous deux formes essenti elles. La première est cell e d’une distinction institutionnelle entre l ’individu et l e s yst ème. C’est l e cas de l’amat eur Dupin puis, plus tard, de l’enquêteur privé plus ou moin s professionnel , Holmes . La seconde form e consist e en une di stinction sur le pl an de l a personnalit é. L’enquêteur, ici, appartient effectivement à la police offi ciell e, mais il possède un caractère et une conduite différents et supéri eurs en m ême temps, ce qui impl ique des heurts relativement fréquents ent re lui et ses collègues, l’ex emple de ce t ype d’enquêt eur est illustré par Lecoq. Un tal en t sou rce d’orgueil et de vani té 3.3. La modesti e de Lecoq n’est qu’apparent e, car ce dét ective i mbu de lui-mêm e affecte de se rabaisser devant les aut res mai s dans le seul but qu’on le fl atte: « Eh bi en, cont i nua M. Lecoq, d’ un ai r et d’ un t on t rop hum ble pour n’ êt re pas j oué, j ’ hésit e encore » 214. Mais son humilité est un masque qui peut tom ber à n’importe quel moment laissant apparaître l e vrai Lecoq : « Le t on m odest e de Lecoq ét ait devenu soudai nem ent rési st er ». si i m péri eux que le bonhomm e n’ osa l ui 215 Sous la modestie affect ée du dét ective se cache une vanit é intéri eure qui saut e aux yeux des moi ns clai rvo yants : « Le j eune pol i ci er s’ i ncli na, l e verm i ll on de l a m odest i e sur l es j oues ; m ai s l a 213 Roger Bonniot, Emile Gaboriau ou la naissance du roman policier, J.Vrin, Paris, 1985, p. 405. 214 Ibid., p.91. 215 E. Gaboriau, Monsieur Lecoq, p. 48. 195 Deuxième partie. Chapitre II Des portraits moraux atypiques vani t é heureuse escarboucl es » 216 écl at ai t dans ses yeux pl us bri l l ant s que des . A coup sûr, l a vanit é ou l ’orgueil sont pour beaucoup dans le ton que Lecoq adopt e : Tenez, m onsi eur , ajout a l ’ agent , voi ci m onsi eur l e j uge d’ i nst ruct i on qui se croi t en f ace d’ une af f ai re t oute si m ple, t andi s que m oi , m oi M. Lecoq, [ …] j e n’ y vois pas encore cl ai r. 217 Cependant, il faut reconnaître que si le dét ective Lecoq est vaniteux, c’est surtout de s succès qu’il obtient dans l’exercice de sa profession : La f i gure j usqu’ al ors, de M. expri m a Lecoq, la j oi e asse z la pl us so uci euse vi ve. Il éprouvai t l’ orguei l si légi ti m e et si nat urel du capi t ai ne qui voit réussi r les com binai sons qui doi vent perdre l ’ ennem i . 218 D’aill eurs, l es com pliments l es plus maladroits peuvent ravi r Lecoq, quand il les sait sincères et m érit és: « M. Lecoq qui a l a vani t é de t ous l es act eurs, f ut sensi bl e au com pl i m ent et di ssi m ul a assez m al une gri m ace de sat i sf act i on ». 219 En effet , Lecoq est t rès sensi ble aux flatteries : « P ui s c’ ét ai t l a premi ère f oi s que cet t e rosée de l a l ouange t om bai t sur l a van i t é de Lecoq : el l e l ’ épanoui t ». 220 216 E. Gaboriau, Monsieur Lecoq, p. 219. 217 E. Gaboriau, Le Crime d’Orcival, p. 97. 218 Ibid., p.489. 219 Ibid., p.110. 220 E. Gaboriau, Monsieur Lecoq, p.56. 196 Deuxième partie. Chapitre II Des portraits moraux atypiques Vanit é, orgueil ou fierté, ce sont les traits caract éristiques qui font d’un Lecoq une personne a yant une opinion avant ageuse de soi même : L’ af f ai re est com pliquée, dif f i ci l e, t ant m i eux ! Eh ! si el l e ét ait si m pl e, j e ret ournerai s sur - l echam p à P ari s, et dem ai n je vous enverrai s un de m es homm es. Je lai sse aux enf ant s l es rébus f aci l es. 221 Pour en veni r à Hol mes, nous avons déjà si gnalé sa vanité pleine de m épris envers ses prédécesseurs Lecoq et Dupin. Il l es a t raité s de « pauvre i ncapabl e » pour le premier et de « col l ègue t out à f ai t i nf éri eur » pour le deuxième. Un t el rabaissem ent a contrari é so n ami Watson au point qu’il se dit « Ce personnage est peut -êt re t rès i nt el li gent , [ …] , m ai s i l est aussi d’ une i ncroyabl e prét ent i on.» 222 C’est en effet, une très haut e idée qu’a de lui -même Sherl ock Holmes qui décl are en parlant de son plus dangereux adver saire, le bandit de haut vol Moriart y : C’ est un géni e, un phi l osophe, une pensée abst rai t e. Il est dot é d’ un cerveau de t out prem i er ordre. [ …] Vous connai ssez m es f acul t és, m on cher Wat son, et pourt ant au bout de t roi s moi s, j e f us f orcé de reconnaî t re q ue j ’ avai s enf i n rencont ré un adversai re qui étai t m on égal sur le pl an i nt el lect uel . 223 221 E. Gaboriau, Le Crime d’Orcival, p.161. 222 A.C. Doyle, Volume1, Une étude en rouge (A Study in Scarlet), p.29. 223 A.C. Doyle, Volume2, Le dernier problème (The Final Problem), p.269. 197 Deuxième partie. Chapitre II Des portraits moraux atypiques Il ne paraît pas contest abl e que Holmes est excessivement orgueilleux ; un dial ogue entre Holm es et un duc venu solli citer son aide, en dit long sur cet orgueil roide et i ntransi geant du dét ective : - [ …] J’ ai ent endu di re que vous aviez déj à eu l ’ occasi on de vous occuper de quest i ons dél i cat es de cet t e nat ure, monsi eur, bi en qu’ el l es ne concernassent guère, j e suppose, l a m ême cl asse de l a soci été. - En ef f et , j e régress e. - Je vous dem ande pardon ? - Mon derni er cli ent de l a sort e ét ai t un roi . 224 L’orgueil de Holmes peut apparaître sans limite : « j e sui s t out à l a f oi s l ’ ul t im e et l a pl us haut e cour d’ appel en t erm es de recherche cri m i nel l e » 225 . C’est pourquoi il s’est froissé quand un visit eur a cru le fl atter en lui disant qu’il ét ait l e second dét ective d’Europe ; à cel a, Holmes a répli qué avec une certaine rudesse : - Vrai m ent , m onsi eur ! P uis - j e vous dem ander qui a l ’ honneur d’ êt re l e prem ier ? [ …] - L’ œuvre de M. B ert i ll on exercera t ouj ours beaucoup d’ at t ract i on sur un espri t ri goureusem ent sci ent if i que. - Al ors ne f eriez - vous pas m i eux de le consul t er ? 226 Tout en se vant ant toujours de sa supériorité face aux inspect eurs de poli ce, Holm es explique à son ami Watson : 224 A.C. Doyle, Volume1, L’aristocrate célibataire ( The Noble Bachelor), p.795. 225 A.C. Doyle, Volume1, Le Signe des quatre (The Sign of Four), p. 199. 226 A.C. Doyle, Volume2, Le Chien des Baskerville (The Hound of the Baskervilles), p. 313. 198 Deuxième partie. Chapitre II Des portraits moraux atypiques Je m e f l at t e de pouvoi r di st i nguer d’ un seul coup d’ œi l l a cendre de n’ i m porte quel l e m arque connue de ci gares ou de t abac. C’ est préci sément sur ce genre de dét ail s que l ’ enquêt eur expéri m enté se di st i ngue d’ un Gregson ou d’ un Lest rade. 227 Même son ami et coloca tai re W atson, censé le connaître en profondeur et le comprendre, acceptait m al son égotism e : « [ …] j ’ ét ai s vexé pa r cet égocent ri sme qui , j e l ’ avai s pl us d’ une f ois const at é, ét ai t un des t rai t s sai ll ant s de l a personnal i t é si ngul i ère de m on am i » 228. Avec Sherlock Hol mes nous pouvons confi rmer qu’orguei l et vanité sont deux sentiments qui marchent souvent de compagni e : « Ce m êm e caract ère si ngul i èrem ent f i er et réservé, […] , pouvai t êt re ém u au pl us prof ond par l ’ ém ervei ll ement spont ané et l es l ouanges d’ un am i » 229 Tout comm e Lecoq , Holmes est : « sensi bl e à l a f l at t erie à propos de son t al ent qu’ une j eune f i l l e peut l ’ être à propos de sa beaut é.» 230. On peut lire aussi : « Les j oues de H ol m es se col orèrent , et i l s’ i ncl i na devant nous com m e un m aî t re dram atu rge recevant l ’ hom m age du publ i c » 231. Le dét ecti ve est par ailleurs fort consci ent de cet te tare, allant jusqu’à concéder : « j e ne peux êt re d’ accord avec ceux qui cl assent l a m odesti e parm i l es vert us. » 232 227 A.C. Doyle, Volume1, Une étude en rouge (A Study in Scarlet), p.51. 228 A.C. Doyle, Volume1, Les Hêtres-Dorés (The Copper Beeches), p.877. 229 A.C. Doyle, Volume2, Les six Napoléon (The Six Napoleons), p.955. 230 A.C. Doyle, Volume1, Une étude en rouge (A Study in Scarlet), p.53. 231 A.C. Doyle, Volume2, Les six Napoléon (The Six Napoleons), p.955. 232 A.C. Doyle, Volume2, L’interprète grec (The Greek Interpreter) , p.159. 199 Deuxième partie. Chapitre II Des portraits moraux atypiques Même si l es jugements de Watson sur l 'égocentrism e et l’orgueil de son am i ne sont pas sans fondement, Holmes s’en est défendu avec des remarques assez révél atrices sur son ét at d'esprit: Non, ce n’ est ni de l ’ égoï sm e ni de l a vani t é, [ …] . Si j e revendi que une pl ei ne reconn ai ssance de m on art , c’ est qu’ i l s’ agit de quel que chose d’ i m personnel… de quel que chose qui m e dépasse. 233 Pour Lecoq comm e pour Holmes, l’orgueil est u n besoin d’excell er pl us que leurs collègues, et de s’attribuer à eux -mêmes leur propre excellence. Il nous sembl e bien cl air que l’int e lli gence supéri eure et except ionnelle et les grands talents des détect ives sont la cause principale qui a développé leur sentiment d’orgueil et d e vanité. En effet, si l’on observe l ’influence des professions sur l es caractères, l es poèt es, les artist es, les philosophes, etc., o nt souvent une dose d’orgueil beaucoup plus fort e que le reste du monde. Ainsi, avec un Dupi n qui a la passion d’opposer la supériorité de ses anal yses des cri mes à cell es , erronées, de l a poli ce et avec l a fiert é excessi ve d’un Lec oq et l’arrogance infat uée d’un Holmes, l’orgueil devient légitime et se transforme en hommage m érité qu’on se rend à soi -m ême. Ces dét ectives ont ce que l’on appell e l’orgueil légitime des grands invent eurs, comm e Sherl ock Holm es l ’explique lui-mêm e : P our un l ogi ci en, t out es l es choses doi vent êt re vues exact em ent com m e el l es sont , et se sous - est im er 233 A.C. Doyle, Volume1, Les Hêtres-Dorés (The Copper Beeches), p.877. 200 Deuxième partie. Chapitre II Des portraits moraux atypiques revi ent à s’ écart er de l a véri t é aut ant que l orsqu’ on exagère ses propres m éri tes 234. Ce sont des personnages fi ers qui trouvent en eux -mêmes la source de l eur di gni té, et ils savent bi en que cette dernière ne peut être augm entée ni diminuée que par leurs propres actes. Certes à l’orgueil l égitime des détectives se joi nt, il faut l ’avouer, un peu d’égoïsme, mais chez eux, cet orgueil n’est pas un vi ce, ni un jus te sentiment de sa valeur, il est un puissant ressort d’action et d’évolution dans l eur profession. 4. Relations sociales et états émotionnels 4.1. Misanthropie et asocia lité Dupin et son c ompagnon se situent vol ontiers en marge. Avec eux, on assiste à un mode de vie extrême par l’isol ement qui s’oppose aux lois de la soci ét é, le narrat eur et compagnon du détective nous dit : « Si l a routi ne de not re vi e dans ce l i eu avai t été connue du m onde, n ous eussi ons passé pour deux f ous ». L’association Dupin-narrateur m et en commun misanthropie et goût des cachotteries . La coupure est tot ale m ême avec les plus proches : « not re ret rai te ét ait rest ée un secret – soi gneusem ent gardé – pour m es anci ens cam arades », le narrat eur ajoute : « not re récl usi on ét ai t com pl èt e ; nous ne recevi ons aucune vi si t e », « nous ne vi vi ons qu’ ent re nous » 235. Ce vérit abl e isolem ent 236 du reste de l a sociét é contredit le statut de l’enquêt eur qui va s’impliquer dans la vie 234 A.C. Doyle, Volume2, L’interprète grec (The Greek Interpreter), p. 159. 235 E.A. Poe, Double Assassinat dans la rue Morgue (The Murders in the Rue Morgue), p.45. (Même référence pour toutes les notes de cette page). 236 Voir plus haut « l’habitat isolé », p. 163. 201 Deuxième partie. Chapitre II Des portraits moraux atypiques d’aut rui et jouer un rôle soci al fondamental puisqu’il rét abl it l’ordre pertu rbé par l e crimi nel . Cette extrême marginalité inscrit Dupi n et le narrat eur dans l’anim alité, d’où un compor tem ent de bêtes sauvages fuyant tous liens avec la soci été et ainsi avec l’humanité. Cet isol ement quasi animal est accentu é par l e mode de vie clo s des deux personnages. Nous avons l’impression que le portrait d’un Dupin -noctambule fait suite à un Dupin m arginal et asocial , et ce sont l es m êmes raisons, précédemm ent évoquées pour son am our de la nuit , qui semblent l e pousser à craindre toute form e de sociabilit é. Le récit polici er d’Edgar Poe est en effet un exempl e d’une esthétique visuell e marquée par le cont rast e entre l’ombre et la lumière, qui transforme l’espace urbain en un monde spectral, encadrant des intéri eurs propices à l a cl austrophob ie. A travers la dual ité d’un Dupin brillamment intelli gent, raisonneur et anal yst e et un Dupin m ystérieux, misanthrop e et solitaire, nous pouvons constat er qu’Edgar Poe s’est dépeint dans son personnage. En effet, cet écrivain paradoxal car écartel é entre le rationnel avec ses écrits polici ers, et l’irrationnel avec ses écrits fant astiques, avait attribué à son héros plusieurs t raits a yant val eur d’indices sur ses i dées et son st yl e. Dans des réfl exions qu’il publi e en sa qualit é de critique littérai re, Ju les Vernes encourage les lect eurs du magazine Le Musée des fami lles à lire Edgar Poe. Inspiré par l’i denti fication entre Poe et ses personnages , il sembl e ne plus faire l a différence entre l a fi ction et l e réel : [ …] , ce qu’ i l f aut adm i rer dans l es ouvrag es de P oe, c’ est [ …] , l e choi x de ses suj et s, l a personnal i t é t ouj ours ét range de ses héros, l eur t em péram ent m al adif et nerveux, l eur m ani ère de s’expri m er par 202 Deuxième partie. Chapitre II Des portraits moraux atypiques i nt erj ect i ons bi zarres. Et cependant , au m i l ieu de ses im possi bil i tés, exi st e parf oi s une vrai s em bl ance qui s’ em pare de l a crédul i t é du l ecteur . 237 De son côté, Sherl ock Holm es est asocial . Il ne s'est jamais vraim ent mêl é à la sociét é. Il y vit bien sûr, m ais par obligation, parce qu'il a besoin d'elle et surt out parce qu'ell e a besoi n de lui. Hormis sa logeuse M m e Hudson et son servit eur Bill y, il n’y a guère de familiers. Hormis Watson pas d’amis non plus et h ormis son frère M ycroft qu’il voit rarem ent, pas de parents. Pas de rel ations non plus en dehors des cli ent s « souvent peu recom m andabl es » , et de quelques policiers. Holmes détest e la compagni e sous toutes ses form es : comme l’at teste son ami Watson : « [ …] H olm es, dont l ’ âm e de parf ai t bohémi en m éprisai t t out e f orm e de m ondani t é , dem eurai t dans not re m eubl é de B aker St reet , enf oui sous ses l i v res » 238. Il sembl e à premi ère vue que l a misanthropie est un trait familial chez les Holmes, car M ycroft le frère aîné de Sherlock Holmes éprouve l a plus grande répugnance à paraître en public et même à so rtir de chez lui. Êt re misanthrope relève, d’après l e détective, Holmes d’un décrit caract ère le Club brit annique. Diogène, Voi ci dont comment Mycroft est Sherlock l’un des fondateurs : Nom breux sont ceu x à Londres qui , cert ai ns par t i m i di t é, d’ aut res par m i sant hropie, ne dési rent aucunem ent la com pagni e de leurs sem bl ables. Tout ef oi s, i l s ne dédai gnent pas pour aut ant l es f auteui l s conf ort abl es ni l es j ournaux réc ent s. C’ est 237 Jules Vernes, Le Musée des familles, 1864, cité dans Double Assassinat dans la rue Morgue, La Lettre volée, Petits classiques. , Paris, 1999, p.167. 238 A.C. Doyle, Volume1, Un scandale en Bohême (A Scandal in Bohemia), p. 389. 203 Deuxième partie. Chapitre II Des portraits moraux atypiques pour sat i sf ai re ces gens - l à que l e cl ub Diogène a ét é créé, et il réuni t désorm ai s l es homm es l es pl us asoci aux et l es pl us ant i - cl ub s qui soi ent dans cet t e vi l l e. 239 Tout comme Edgar Poe, Conan Do yle se laisse voir derrière son personnage, dans l e port rait de Sherl ock Holm es l’asoci al et le misanthrope. Holmes est un lecteur avi de, Conan Do yl e de son côté, se passi onnait pour la lect ure et tomba amoureux des œuvres de Walter Scott et de Jules Verne. Or, la lecture qui est une pratique essenti ellem ent solit aire, serait pour Hol mes et son créateur, à la fois stimulante, libératrice, mais aussi source de déséquilibr e et d’isolem ent ; M. Pinque l e confi rme int égral ement : H ol m es ne m ent i onne à aucun m oment ses géni t eurs, et cet «oubl i » n’ est probabl em ent pas i nnocent . Son père ressem bl ai t peut - êt re au propre père de Doyl e, auqu el cas l ’ enf ant se serai t t ourné, f aute d’ une i m age m ascul i ne sat i sf ai sant e, vers l es preux cheval i ers des l i vres. 240 239 A.C. Doyle, Volume2, L’interprète grec (The Greek Interpreter), p. 161. 240 Meryl Pinque, Sherlock Holmes : l’ombre du héros, Etude réalisée dans le cadre d’un DEA de Littérature, URL : http://faustroll.net/pinque/index.htm. 204 Deuxième partie. Chapitre II Des portraits moraux atypiques 4.2. Un univers misogyn e Sherlock Holmes est particuli èrement rem arquable dans son attitude face aux femmes et à l 'amour : Mai s l ’ am our est aff ai re d’ ém ot i on, et t out ce qui est ém ot i onnel s’ oppose à l a rai son f roi de et i m pl acable, que j e place au - dessus de t out . Je ne m e m ari erai j am ai s m oi - m êm e, de peur de voi r m on j ugem ent bi ai sé. 241 Chez lui, la vie sent imental e est catégoriquement inexistante, Il se décrit lui -m ême comme un être incapable d’aim er: « Je n’ ai j am ai s ai m é , Wat son » 242. A propos de la misogynie de Holm es, Jorge Luis Borges note: « Il est chast e. Ne sait rien de l ’ am our. N’ a pas aim é. Cet hom m e si vi ril a renoncé à l ’ art d’ ai mer. A B aker St reet , i l vi t seul et à part . 243 Holmes va même jusqu’à pro fesser, en homme averti, l e m épris des femmes : « Il ne f aut j am ai s f ai re ent i èrem ent conf iance aux f em mes. P as m êm e aux m ei l l eures d’ entre el l es » 244. Dans l e m eilleur des cas, il décrit la femme avec la mêm e « obj ectivité qu’un insecte ou un ois eau mi grate ur » : L’ une des cat égori es l es pl us dangereuses qui soi ent , [ …] , est l a f em m e sans at t aches ni am i s. Ell e est l a pl us of f ensi ve, et souvent l a pl us ut i l e des m ort els, m ai s parf ois el le i nci t e i névit abl em ent au 241 A.C. Doyle, Volume1, Le Signe des quatre (The Sign of Four), p.383. 242 A.C. Doyle, Volume3, Le pied-du-diable (The Devil’s Foot), p.577. 243 Cité dans : Poésie en France 1893-1988: une anthologie critique de Henri Deluy, Flammarion, Paris, 1992, p.317. 244 A.C. Doyle, Volume1, Le Signe des quatre, (The Sign of Four), p.305. 205 Deuxième partie. Chapitre II Des portraits moraux atypiques cri m e. El le est sans déf ense. El l e m i gre sans arrêt . [ …] El l e est com me un poul et égaré dans un m onde de renards. Q uand ell e se f ait dévorer, on s’ aperçoi t à pei ne de sa di sparit i on. 245 Miss Mar y Morstan, qui deviendra l’épouse de Watson, vi ent de quitter l e 221B Baker St reet après avoir exposé son pro blème au détective Holm es. W atson, qui assistait à la scène, ne l’a pas écout ée, il est resté fasciné par la beauté de la jeune femm e, beauté que Holmes, lui, n’a pas remarquée. Watson comprend alors l a vérit é: « vous êt es vrai m ent un aut om at e, une machi ne à cal cul er, […] , i l y a par m om ent quel que chose de véri t abl em ent i nhum ai n en vous » 246. Watson reproche à son ami de préférer l ’usage des stupéfi ants à une vi e conjugal e normal e. Ainsi, l orsqu’ à l a fin d’une de l eurs avent ures polici ères, il lui annonce s on mariage en lui posant la question: - Le part age sem ble assez peu équi t abl e, rem arquai -j e. Vous avez f ai t t out l e t ravai l dans cet t e af f ai re. J’ hérite d’ une f emm e, Jones en ret i re t ous l es honneurs, mai s di t es - m oi donc ce qu’ i l vous rest e, à vous ? - P our m oi , di t Sherl ock H olm es, il rest e l e f l acon de cocaï ne. 247 Certai ns critiques pensent que, pour préserver l’infaillibili té de Sherlock Holmes, tout ce cont re quoi il ne peut pas lutter lui est 245 A.C. Doyle, Volume3, La disparition de lady Frances Carfax (The Disappearance of Lady Frances Carfax), p.491. 246 Ibid., p. 217. 247 Ibid., p. 385. 206 Deuxième partie. Chapitre II Des portraits moraux atypiques épargné, et en premier li eu l es fem mes. L’anal yse de Geoffre y O’Bri en paraît, à ce sujet, tout à fait pertinente: Dans l e m onde de Sh erl ock H olm es, aussi f erm é à l a sexual i t é que son appart em ent de Baker St reet est i m perm éabl e au vent et au broui l l ard ext éri eurs, l es m yst ères sont cont rôl és et réduit s à de si m ples obj et s : une l ett re vol ée, une bout ei l le de som nif ère, un condui t d’ aérat i on caché. Ce sont des anom al i es dans un m onde ord onné où l e t em ps et l ’ espace f orm ent des l i gnes cl ai rem ent déf i ni es. En consul t ant un t abl eau horai re et une cart e, i l est f aci l e d’ i sol er l ’ él ément pert urbat eur. [ …] Ce genre de réci t poli ci er excl ut l es f emm es pour l a m êm e rai son qu’ i l él im i ne l e surnat urel : ce sont des m yst ères qui se si t uent bi en au - del à des capaci t és du dét ect i ve . 248 La misogynie de Sherlock Holmes a même théori ciens à prét endre poussé plusie urs que le duo formé par Holmes et Watson form ait un m énage homosexuel t ypi quement vi ctori en, ancré dans le secret et l ’inavoué, à une époque où l 'homosexualité est s ynonym e de dégoût et de rejet. C ependant, Sherlock Holmes ne f uit pas seulem ent la compagni e des femmes, nous n’avons pas manqué de démontrer plus haut qu’il fai t de m ême avec les hommes. Parmi ceux qui s’opposent à l 'idée de voir un Sherlock Holmes homosexuel, i l y a M. Pinque qui argumente ainsi : Ri en n’ est cepend ant pl us cont rouvé que cet t e af f i rm at i on, car Sherl ock H ol mes pl ane l oi n au dessus du sexe et de ses t urpi t udes. Ce suj et ne 248 G. O’Brien, Hard-Boiled USA.. Histoire du roman noir américain, Amiens, Encrage éditions, trad. S. Bourgoin, 1989, édition augmentée, p. 114. 207 Deuxième partie. Chapitre II Des portraits moraux atypiques l ’ i nt éresse pas, qu’ il soi t d’ obédi ence mascul i ne ou f ém i ni ne. [ …] Le héros, par nat ure, est d’ abord un êt re asexué, n’ éprouverai t dépri s de probabl em ent la que c hai r. m épri s, H olm es voi re superbe i ndif f érence, pour des êt res rédui t s à des expédi ent s purem ent physi ques qui , l oi n de rom pre l a m onot oni e de l ’ exist ence, ne f ont au cont rai re que l ’ ent ret eni r et l ’ exacerber . 249 Et pourtant , Sherlock Holmes a atténué sa misogyni e en une seule et unique occasion, c’était avec la t rès belle Irène Adler, l’héroïne de Un scandale en Bohême qui le fascinera au poi nt qu'il la laissera partir libre. Selon Watson, Irène Adler est pour Sherlock Holmes « La femme » qui non seul ement « éclipse » l’ensemble de son sexe, mais elle le « su rpasse ». Il y a mêm e lieu de pens er que Holmes est tombé sous le charme de cette femme. Holmes reconnaît à Irène Adler des qualités d'esprit supéri eures à la mo yenne, car ell e a réussi à faire subir au dét ecti ve un de ses rares éc hecs, ce qui laiss e penser que c e serai ent plutôt ses qualit és intell ectuelles qui av ai ent attiré le dét ective pl utôt que sa beauté ou son charme. A la personnalité misogyne de Sherlock Holm es s’o ppose l a personnalit é sentimentale de M. Lecoq. Ce dernier a une femme dans sa vie ; si important e d’ailleurs qu’il reconnaît en être l’escl ave : O ui , m oi , l ’ agent de l a Sûret é, l a terreur des vol eurs et des assassi ns, [ …] , m oi qui sais t out , qui ai t out vu, t out ent endu, m oi , Lecoq, en f i n, j e sui s pour el l e pl us sim pl e et pl us naïf qu’ un enf ant . Ell e m e t rom pe, j e l e voi s, et el l e m e prouve que j ’ ai m al 249 Meryl Pinque, Sherlock Holmes : l’ombre du héros, Étude réalisée dans le cadre d’un DEA de Littérature, http://faustroll.net/pinque/index.htm . 208 Deuxième partie. Chapitre II Des portraits moraux atypiques vu. El l e m ent , je l e sai s, j e l e l ui prouve… et j e l a croi s. 250 Mais cette femm e dont parl e Lecoq, reste une m aîtresse et non une épouse, et leur amour ne s’est j amais exposé au regard public. Il est bien clair qu’Edgar Poe, Émil e Gabori au et Conan Doyl e ont imposé le célibat à leurs détectives. Nous pouvons penser aux exigences de l eur profession. C’est pour avoir le temps de s e consacrer à leur ardu métier et de ne pas êt re encom br és de sentiments et de responsabilités familiales lorsqu’ils doivent rechercher la clef de l’éni gme. Leur activité intell ectuelle implique donc une sorte d’ascèse. Il l eur faut faire abstracti on de leurs sentiments pour que fonctionne sans défaill ance leur admirable appareil logique. Certes, pour Edgar Poe et Conan Do yl e, la passion amoureuse ne devrait pas toucher l e parfait enquêteur de roman, dont elle ri squerait d’amoindri r l es facultés. Mais Lecoq de Gaboriau, pour y avoir succombé, n’en serait que plus humain et plus s ympathique au lect eur, et ne pourrait jamais être qualifi é de « c érébral à l ’ ext rêm e » , d’ « i ncapabl e d’ ai m er » ou de « m onst re » , comme c’est le cas avec ses h omologues August e Dupin et Sherlock Holmes. 251 250 E. Gaboriau, Le Crime d’Orcival, p.164. 251 « Cérébraux à l’extrême, ils paraissent incapable d’aimer. Disons-le : ce sont des monstres ». Boileau-Narcejac, Le roman policier, Quadrige/PUF, Pari, Vendôme, 1994, p. 30. 209 Deuxième partie. Chapitre II Des portraits moraux atypiques 4.3. Serai ent-ils sensibl es ! Edgar All an Poe présen t e son héros comme un raisonneur sans corps ni âm e, et le présente comm e une incarnation quel que peu abstraite du froid t alent de l’anal yse. Mais il le dote en même temps de traits de caract ères étranges qui le rapprochent du surhomme ou de l’artist e géni al et névrosé. Ainsi , s ’int errogent Boileau et Narcejac : Mai s qui est Dupi n ? Au f ond, P oe n’ en sai t ri en. L’ hom m e ne l ’i nt éresse pas. Il l ui suf f i t de nous suggérer que Dupi n est une prodi gi euse m achi ne à rai sonner. Son aspect est à pei ne esqui ssé. [ …] . En som m e, i l n’exi st e pas. [ …] . L’ homm e qui ne se t rom pe hum ai ne. j am ai s s’ excl ut de la com m unaut é 252 Et mêm e quand il veut se dist rai re, Dupin choisit le Whist dont les manœuvres constituent un véritabl e exerci ce i ntell ect uel. Une telle passion sèche dominée par le calcul et l’effort mental, nous révèle l’aspect raisonneur, froi d et gl acial d’un personnage voué à l’abst raction. En revanche, si Dupin réussit l à o ù la police échoue, c’est qu’il est aussi doué pour la poési e et l a philosophie. Il est un esprit méthodique alli é à un poète qui a, nous confie -t-il modestem ent, écrit quelques vers. L’ attirance du détective est fort e pour l 'art combinatoire : la recherch e d'une poéti que fondée sur une méthode aussi ri goureuse qu'une m éthode sci entifique. 252 Boileau-Narcejac, Le roman policier, Quadrige/PUF, Pari, Vendôme, 1994, p. 30. 210 Deuxième partie. Chapitre II Des portraits moraux atypiques Le personnage de Dupin possède l es qualités nécessai re s pour être poèt e : il s'inquiète des « nécessi t és de vi e » (le rêve, l a lecture, l'écriture et l a conversation), l es « l i vres sont véri t abl ement son seul l uxe ». Il a une i magination extraordinaire puisqu'il trouve l es solutions à tous l es m yst ères qui paraissent impossibl es. Et il manie la langue parfait ement. C’est pour cel a que le dét ective met bien en évidence l a parenté de son exigence poétique avec l 'exigence de ri gueur qui caractérise les sciences. Dupin est poète parce qu’il parvi ent à « dégag er l a sim pl i ci t é réel l e » du monde qui paraît confus à chacun d’entre nous. « Dupi n él uci de et écl ai re l ’ éni gme com m e l e poèt e écl ai re l e l ect eur et l ui dévoi l e l’ i déal ». À travers Dupin, Poe semble être ce poèt e. En parl ant du minist re D, le dérobeur de la fameuse lett re que la reine reçoit ( sans doute) d’un amant, Dupin affi rme : « Co m m e poèt e et m at hém at i ci en, il a dû rai sonner j ust e ; comm e sim pl e m at hém at i cien, i l n’aurai t pas raisonné du t out , et se serait ai nsi mi s à l a m erci du préf et ». 253 Dupin/Poe nous donne ainsi l ’impressi on que la rationalité d u scientifique ne s’oppose pas à la sensibilité d u poète, bien au contraire science et poési e ferai ent bon ménage en une sorte de néopl atonisme tout à fait à part . Ainsi, à travers un détective scienti fique et poèt e, une litt érature nouvell e est née. Le s frères Goncourt, dans leur Journal à l a date du 16 juillet 1865, a ffirment : Après avoi r lu Poe. Q uel que chose que la cri t i que n' a pas vu, un m onde l i tt érai re nouveau, l es si gnes de l a l i t t érat ure du X X e si ècl e. Le m i racul eux sci ent if i que, l a f able par A + B ; une l i t t érat ure m al adi ve et l uci de. 254 253 E.A. Poe, La Lettre volée (The Purloined Letter), p.122. 254 Cité par Jacques Dubois, Le roman policier ou la modernité, Armand Colin, Paris, 2006, p. 38. 211 Deuxième partie. Chapitre II Des portraits moraux atypiques La sci ence a en effet, une grande i mportance dans l’œuvre de Poe, ses t rois nouvelles polici ères reposent en grande partie sur cell e-ci. Poe parvi ent à fai re entre science et littérature un mélange subtil qui donne à son œuvre tout e son ori ginalit é et son intérêt. La fascination de Baudelaire pour le t ravai l de Poe a un rapport direct avec l ’opinion de Baudelai re sur le rapport entre science et littérat ure. S elon l ui, il est impossible pour l a littérat ure d’exister hors de la sci ence et de la philosophie m odernes. C ette i dée ét ait l’un des messages les pl us fondament aux de la théorie litt éraire de Poe, telle qu'il l 'a i ncarnée en l a personne de son héros -dét ective Auguste Dupin. Watson décrit son ami Sherlock Holmes comme étant « l a m achi ne à observer et rai sonner l a pl us parf ai t e que l e monde ait connue » 255 , il not e égalem ent de façon précise les moment s où l e visage du détective prend cette « i m passi bi l it é de peau - rouge, qui a condui t de si nombreuses personnes à l e consi dérer com m e une m achi ne pl ut ôt que com m e un hom me » 256. Pourtant, nous découvrons , sous la haut aine carapace dont s'est entouré Holm es, une réell e sensibilité et un sens profond de l’amitié même s’il ne les m ontre que très exceptionnell ement et pour un temps très court. Lors de l'aventure des Trois Garrideb , quand Holmes s'inquièt e pour Watson qui vient d'êt re bl essé, ce dernier, très ému, racont e : P ui s l es bras m ai gres de m on am i m ’ ent ourèrent et i l me condui si t sur une chai se. - Vous n’ êt es pas blessé, Wat son ? P our l’ am our de Di eu, di t es - m oi que vous n’ êt es pas bl essé ! 255 A.C. Doyle, Volume1, Un scandale en Bohême (A Scandal in Bohemia), p. 389. 256 A.C. Doyle, Volume2, L’estropié (The Crooked Man), p. 91. 212 Deuxième partie. Chapitre II Des portraits moraux atypiques Cel a val ai t bi en une bl essure – cel a val ai t de nom breuses bl essures – que de co nnaî t re la prof ondeur de l a l oyaut é et de l ’ af f ecti on qui se cachai ent derri ère ce m asque f roi d. 257 Le plus ét onnant chez Sherlock Holm es, est son amour pour la musique, c’est un mélomane averti qui pratique le violon, l’instrum ent rom ant ique par excell ence et dont il est dit qu’il constitue « son occupation favorite » 258. Il se déplace vol ontiers pour all er entendre un artiste : la violoniste Norman -Néruda, les frères de Reszké ou une œuvre qui l ui pl aît de Wagner, de C hopin... Chez Holmes comme chez Dupi n, deux facett es s’opposent. D’un côté, ce sont des rai sonneurs et des cerveaux sans émotions, des êtres froids et insensibl es qui passent pour des machines, de l’autre côt é, ce sont des artistes qui, sans une cert ai ne sensibilité, n e pourr aient pas exercer l eur art . C’est ainsi que Watson nous décrit son ami Holmes qui assi stait à un concert: Son vi sage l égèrement souri ant et son regard l angui ssant et rêveur ét ai ent aussi é loi gnés que possi bl e de ceux de H olm es le l im ier, H olm es l ’ i m pl acabl e et i nf at igabl e expert crim i nel à l’ esprit vif . Sa personnal i t é si ngul i ère ét ai t t our à t our dom i née par l ’ une des f acet t es de cet t e dual it é [ …] . 259 Cela se sent : sous des dehors durs et i nhumains se cachent la chai r, l e cœur,…. se cache l’être hum ain. 257 A.C. Doyle, Volume3, Les trois Garrideb (The Three Garridebs), p. 837. 258 A.C. Doyle, Volume1, Une étude en rouge (A Study in Scarlet), p. 65. 259 A.C. Doyle, Volume1, La ligue des rouquins (The Red-Headed League), p. 465. 213 Deuxième partie. Chapitre II Des portraits moraux atypiques Mais, d’où vient cet te impassibilit é propre à Holm es et Dupin ? En fait, l e premi er est britanni que, le deuxièm e port e un nom français, m ais son créateur est am éri cai n, influencé par l 'esthé tique de l 'époque vi ctorienne. D eux personnages part agent donc un mêm e caractère propre aux anglo -saxons : le sang-froid. À l'époque victori enne, les Continentaux sont encore perçus comm e des êtres efféminés par les Brit anniques, p uisque les Français se la issent guider par l eur passion plutôt que par l a raison, et ils ne possèdent pas l a m asculi nité presque froide des Angl ais. Aux yeux de ces derni ers, efféminé s et sensuels sont donc l es caractéristique s t ypiques des continentaux qui cont rast e nt avec l a moral e stricte du peupl e angl ais qui voit dans cette froide rectitude un moyen de défense effi cace contre l es périls étrangers. Ainsi, Lecoq est conform e à l 'im age victorienne du Continental , puisque ses excès de joie, de t ristesse et de colère ne correspondent pas à l a m entalit é angl aise qui se veut beaucoup plus sobre et réfl échie. Lecoq affect e l’impassibilité qui doit êt re l a règl e dans son métier, si l’on ne veut pas perdre sa cl ai rvo yance, mai s au fond c’est un sensible. Il lui arrive d’êt re ému jusqu’a ux larm es , ce qu’il s’efforce toujours de dissimuler : Depui s un m om ent déj à, M. Lecoq f ai sai t l es pl us si ncères ef f ort s pour em pêcher de t om ber une l arm e chaude qui roul ai t dans ses yeux. M. Lecoq est st oï que par pri nci pes et par prof essi on. 260 Pour cacher ses émotions, Lecoq affecte de plaisanter sur un ton c ynique, all ant jusqu’à tomber dans un humour noir assez déplacé. Ainsi quand il a remarqué d’horri bles taches de sang sur l e lieu du 260 Émile Gaboriau, Le crime d’Orcival, p.140. 214 Deuxième partie. Chapitre II Des portraits moraux atypiques crime, il a alors ce reproche : « – Les m al heureux ! O n ne sal i t pas t out ai nsi dans une m ai son, ou du m oins on essui e. O n prend des précaut i ons, que diabl e ! ». 261 Lecoq est plus que sensi ble, il est sentiment al. Comme nous l’avons évoqué précédemment, i l a aimé une femme qui l’a fait souffri r par sa légèret é, cependant i l n ’a pas cessé de l’aimer et , quand ell e lui reviendra, il la reprendra. A l’opposé de l ’Angl o -saxon du X IX e siècl e, perçu comme un êt re austère et quasi dépourvu de sentiments, Lecoq représent e le Français de cette m ême époque qui se l aisse gui der par des p ulsions et des sentiments parfoi s irrationnels. *********** En somme, si nous essa yons de définir les valeurs qu’impliquent les portraits moraux des t rois détectives, force est de const at er qu’ils sont des personnages qui n’ont cert es aucune ori gine di vine ou surnat urelle, mais ils relèvent, comm e sujets de fi ction, de la tradition des héros antiques . D’abord ils sont ét ranges, excentriques, pleins de tics et de manies. La bizarreri e serait bi en l’ él ém ent sur lequel l es détect ives jouent afin de préserver un m ys tère aut our de leur personne, elle est le trait distincti f, sans lequel l es trois enquêteurs ressembl eraient à tout le monde , puisqu’aucun autre si gne ps ychologique ne leur offre la distinction. Outre cel a, sans êt re des surhomm es, nos enquêt eurs jou issent implicitem ent d’une sorte d’i nvul nérabilité. Ils sont donc imperturbables, jusqu’à l ’effronterie ; ils peuvent , la plupa rt du temps, passer pour des indifférents qui n’ont pas froid aux yeux. 261 Émile Gaboriau, Le crime d’Orcival, p. 78. 215 Deuxième partie. Chapitre II Des portraits moraux atypiques Dupin et Holm es sont égal ement des personnages asoci aux, car pour leurs créateurs, tout grand détective se doit d’êt re seul dans son combat avec le m yst ère. Or, la solitude pour Lecoq n’est apparemm ent pas un presti gi eux apanage ni un atout. Les trois détectives sont sûrs d’eux -mêmes, l eur assurance va jusqu’à l’impertinence , voire jusqu’à l’arrogance mais le plus souvent, il s’agit d’une capacit é à prendre l es choses et les gens – leurs coll ègues en parti culi er - d’assez haut sans s’en laiss er compter, avec une nette t endance à la causti cité non dépourvue de coquineri e. Ce sont des personnages flegm atiqu es dans leur profession, censés avoir un sang froid à toute épreuve, c'est -à-dire capabl es de se mainteni r dans des situations obj ectivement traum atisant es et angoissant es ; tel est le cas de Holmes menacé d’êt re m até par un poing énorme qu’on exhibe sous son nez, il se contente de di re, t out en examinant attentivem ent son agresseur : « Êt es - vous né ai nsi ? [ …] O u est - ce venu progressi vem ent ? ». 262 En l’occurrence, il convient de distinguer Lecoq des deux autres détectives dans la mesure où il semble avoi r une certaine vulnérabilit é sur le plan personnel, c’est son cot é sensible , voi re sentiment al, mais qui doit idéal ement, lui conférer une épaisseur humaine aut hentique. En somme, si Jacques Duboi s nous met en gard e cont re la tentation de considérer les personnages comme de vérit ables personnes en affi rm ant qu’ils ne sont que « des héros de papier qui ne sont f ait s que des m ot s et des phrases qual if i ant f ragm ent ai rement l eur êt re et l eur f ai re » 263, nous pensons que les portraits mora ux des personnages leur confèrent l’épaisseur de l’êt re, d’un indi vidu, elle 262 A.C. Doyle, Volume3, Les Trois-Pignons (The Three Gables), p. 741. 263 Jacques Dubois, Le roman policier ou la modernité, Armand Colin, Paris, 2006, p. 87. 216 Deuxième partie. Chapitre II Des portraits moraux atypiques leur a donné l’illusi on de l a vi e. La caract érisation moral e qui dote les dét ectives de notre étude d’une conscience, contribue dans une large mesure à donner de l’étoffe à ces êtres de papi ers. C’est très certainement l’élém ent avec lequel l e l ect eur est l e plus familiarisé, le portrait moral perm et de port e r des jugements de val eur sur l’attitude des personnages et de philosopher sur l eur ps ychol ogi e. 217 Deuxième partie. Chapitre II Des portraits moraux atypiques D ’après Y. Reut er, personnage 264, il dans existe son un articl e lien L’importance ent re les du t ypes de personnages et l es genres littéraires. Ai nsi les personnages réalistes semblabl es aux personnes de la vie réell e, apparaissent exclusivem ent dans les tranche s de vi e et les histoires policières. Nous l e confi rmons dans la mesure où tout a ét é mis en œuvre par Gaboriau, Do yl e et à un m oindre degré P oe, pour « vraisembl abiliser » l eurs héros et fai re oubli er l ’écrit ure. Lecoq et Holmes sont construits selon une harm onie entre l eur apparence et leur nature profonde. Il s nous paraissent de ce fait, presque vivant s d’aut ant qu’ils sont affubl és de t raits ph ysiques et ps ychologi ques marquants. Ernest Gidde y en fait ét at, en ce qui concerne Sherlock Holmes : P hysi que ment aussi bi en que par ses apt i t udes m oral es et m ent ales, H ol m es est dot é de si gnes di st i nctif s qui l e rendent crédi bl es : sa pi pe, sa l oupe, sa casquet te, sa passi on pour l e vi ol on, ses rêveri es, ses m om ent s d’ abat t em ent , l a l uci di t é de son sens de l ’ obs ervat i on, la ri gueur de ses déduct i ons… L’ adresse préci se qui est la si enne à Londres et l a nett eté m ét hodi que qui prési de à la descri pt i on du m obi li er de sa dem eure concourent à l ui donner une consist ance qui est cell e des êt res de l a vi e quot i di enne. Q ui t t ant l a f i cti on, i l ent re dans l ’ hi st oi re. 265 264 Yves Reuter., L’importance du personnage, in Pratiques, n° 60, déc. 1988, p. 8: « le genre appelle des personnages » et « les personnages renvoient au genre ». 265 E. Giddey, Crime et détection. Essai sur les structures du roman policier de langue anglaise, Éditions Peter Lang S.A., Berne, 1990, p. 17-18. 218 Deuxième partie. Chapitre II Des portraits moraux atypiques Le lecteur du récit policier du XIX e si ècle est invité à se perdre volontai rem ent dans une illusion qui possède tous l es pouvoirs de la réalité au poi nt de réveill er les plus vives émotions en lui. Ce qui est incont establ e, c’est que ces personnages ont le pouvoir de séduire le lect eur par un ensemble de t raits moraux qui sont largement perçus comme positifs même quand il s’agi t de défauts ou de t ares (insen sibilité, arrogance, vanit é….). Même si Poe et Do yle on t préféré créer dans leurs œuvres, un obstacle sous forme de personnages l acunai res, et contre lequel le lect eur va se heurter, i ls ont par contre ouvert une port e perm ettant à ce mêm e lecteur d’aller au-delà de l’hi stoire et de découvrir des si gnifi cation s profondes sur la nat ure de ces héros. Nous l’avons bi en rem arqué, la caract érisation des trois détectives s’est faite tant ôt di rectement par des informations provenant d’eux -mêmes ou des narrateurs omnisci ents qui ont accès aux replis de l eur âme, et tantôt indi rectem ent lorsque nous avons saisi par nous mêm e des informations nouvelles sur ces personnages, données impli citem ent à partir d’un détail m atériel, d’une parol e, d’une action voir d’un lieu dans l equel vit le héros (le cas de Dupin). Il est à not er égal ement que les indices de caractérisat ion des détectives sont disséminés dans di fférents récits poli ciers et non pas présent és en bloc dans un seul écrit. Il s doivent donc être réunis et associ és en un fai sceau si gnifi ant par le lecteur pour pou voir parveni r à cerner et saisir ces personnages. Ai nsi, doués d’une longue vie littéraire, à des degrés différents, Dupin, Lecoq et Holmes s’imposent à la conscience du lect eur qui croit en leur existence. Cela est confirmé par Jouve qui pense que la desc ription du personnage se compl ète au fil de la l ecture: 219 Deuxième partie. Chapitre II Des portraits moraux atypiques En règl e général e, l e personnage, l ors de sa prem i ère occurrence, représent ati on t rès est l ' obj et approxi m at i ve, d' une f ort em ent m arquée par l' i m aginat i on du l ect eur. Cet t e im age i ni t i al e se préci se au cours de l a l ect ure sel on l es i nf orm ati ons di sti l l ées par l e t ext e. Le l ect eur est ai nsi am ené à com pl ét er, voi re à m odif i er la représent ati on qu' i l a en t êt e 266 Les t rois dét ectives sont donc des créations imparfaites qui ne trouvent leur com plétude qu e lors de leur rencontre avec l'im aginati on du l ecteur. C ert es, l 'aut eur est cel ui qui construit la plus grande partie de la structure de son personnage, mais cette fi gure sera compl ét ée par l e lecteur. Autrement dit , d’une forte associ ation entre des mots alignés sur une page et une imagination active d’un lect eur , naît ra un être complet sembl abl e à des représent ations du m onde concret. Nous nous somm es inspirée de ce que Jouve propose comme nouvell e approche du personnage, p lutôt que de le consi dérer comm e un être de papier, ayant la mission de remplir une foncti on textuelle, nous avons fondé l’anal yse de son port rait sur l 'effet qu’il provoque au travers du texte et surtout sa «f orce percul ot oi re [ ...] ( capaci t é à agi r sur l e l ecteur) » 267. En anal ysant les portraits de Dupin, Le coq et Holmes, nous le reconnaissons , nous étions , particuli èrem ent pour ces deux derni ers, en plein effet -personnage dont parl e Jouve tout en étant vi ctime de l’ill usion référentiell e , au point qu’il nous est arrivé parfois de voir d ans ces détective s fi ctifs des personnes réell es et indépendantes de l a fiction où ell es int erviennent. Anal ysés comme de véritables personnes, les trois personnages 266 V. Jouve, L'effet-personnage dans le roman, Paris, Presses Universitaires de France, 1992, p. 51. 267 Ibid., P.14. 220 Deuxième partie. Chapitre II Des portraits moraux atypiques sont devenus « l ’ o bj et d’ i nvesti ssem ent s af f ect if s » 268 de not re part . Ce syst ème de sym pat hie a dépendu de trois codes distinct s établis par Jouve : l e code narratif qui nous a, tout d’abord, poussé à nous identifi er aux héros; ensuit e, l e code affectif qui a dét erminé sentiment de s ympathie que nous avons développé le pour ces êtres romanesques ; enfi n, le code culturel est intervenu lors de notre anal yse de la val eur idéologique des trois dét ectives. Ainsi, une premi ère condition requise à la réussit e du genre polici er classique réside en ce que l’enquêt eur doit paraît re crédibl e ; il n’es t pas un simple personnage, i l est une têt e pensante qui, à l a seule force de s a réfl exion fait avancer l’enquête, et par là même l e roman. De ce fait, l es portraits ph ysiques et moraux des t rois héros- détectives constituent un code descripti f, un s ystè m e de si gnificati on, contribuant à l ’effet de réel dont sembl e joui r le rom an policier du XIX e si ècl e. 268 V. Jouve, L'effet-personnage dans le roman, Paris, Presses Universitaires de France, 1992, p. 119. 221 Troisième partie Une nouvelle typologie de l’héroïsme Troi si ème part i e D upin, Lecoq et Holmes parti culière du héros . Ils constituent une t ypologi e adoptent des traits du héros avent uri er et du héros justicier , tout en cessant d’ être surhumains. Ils gardent un aspect humble et une condi tion ordinaire, m ais cachent sous leurs dehors une infaillibilité absolue, rejoi gnant par l à le t ype des héros forts. C ette image particuli ère leur a d’ ailleurs permis d’exercer une attract ion particuli ère sur l e lecteur. L’aut re aspect de l’ héroïsm e de nos dét ectives réside dans leur professionnalism e à mener une enquêt e , en gl orifi ant aut ant le savoi r que l es lois. Les tex tes de not re corpus sont les his toires d’un héros (le dét ecti ve), qui vise l’appropriati on investissant son savoir -faire. d’un obj et (le crimi nel), en Quand les trois dét ecti ves sont sollicités pour prendre en mai n une affaire, on reconnaît déjà l eur compét ence professi onnell e. Les t rois dét ectives jouissent d’une t ypologi e ori ginale, dans la mesure où ils bénéficient de st atuts spéci fiques . Dupin, Lecoq et Holmes se distin guent surtout par leur statut professi onnel, les fonctions qui leur sont attribués , les rôles qu’ils incarnent , et enfin les rapports qu’ils entreti ennent avec leur narrat eur , voire même avec leur créat eur . Tels sont les él éments qui font que nos personnages appartiennent à une t ypologi e nouvell e qui voul ait rompre avec le personnage d e t ype classique. Nous com ptons anal yser et développer ces élém ents dans l e présent chapitre. 223 Chapitre I Des enquêteurs hors du commun Troisième partie. Chapitre I Des enquêteurs hors du commun Poe avait i nvent é bien plus que l e récit policier, il avait invent é l’enquêt e polici ère « scientifique ». Dans la critique littérai re universitaire, on a dmet facilem ent que la naissance du réci t polici er est liée à la sci ence positiviste du XIX è m e siècle. Cette science est « une doct ri ne qui se récl am e de l a seule connai ssance des f ai t s, de l ’ expéri ence sci ent if ique » 269. Lors d’une affaire, l’enquêteur s’emp are des m éthodes sci enti fiques pour les besoins de l ’intri gue. Dans toute affai re criminelle, il faut des preuves pour arrêter le coupable. L’interprétation des indices nécessit e un discour s cohérent argum ent é et logique, Jacques Dubois l e souli gne pertin emment: Dès l ors, l a quêt e s e dépasse en i nt erprét at i on, en un pur t ravai l de l ' i nt ell ect , en m ét hodi que déchif f rem ent des si gnes. Ce qui aut ori se à reconnaî t re dans l e dét ect i ve un savant l ect eur, un sém i ol ogue, un herméneut e 270. C’est pourquoi le rom an po li cier est un d ivertissement scienti fique, car au-delà d’une simple fiction, il intègre à sa structure les procédés fondamentaux de l a logi que. En ce sens, La l ecture devient à l a fois, une école du savoir, du caractère, et un plaisir de l'im aginati on. C’est le cas de Poe, Gaboriau et Do yle qui , en utilisant le code herméneutique, préconisent la logique dans leurs composition s littéraires. Leurs héros -détectives qui possèdent l e pouvoir de faire surgi r le passé, de révéler l’i nvisi ble, ont manifestem ent t r ouvé un public prêt à recevoi r des l eçons sur l’enquêt e poli cière scienti fique ai nsi que s ur l es divers procédés de méthodes d’i nvesti gation. 269 Le nouveau Petit Robert de la langue française, 2007. 270 Jacques Dubois, Le roman policier ou la modernité, Armand Colin, Paris, 2006, p. 174. 225 Troisième partie. Chapitre I Des enquêteurs hors du commun De l à, c omment Dupin, Lecoq et Holmes m ènent -ils leurs enquêtes, et en quoi consiste leur savoir-faire ? Procèdent-ils de l a même mani ère, suivent -ils les mêm es ét apes d’investi gation , ou ontils réussi, chacun de leur côt é, à pratiquer une méthode qui lui ressemble ? Ce sont bien les questions auxquelles nous t âcherons d’apport er des réponses dans ce chapitre. I- L’art de la logique et de la déduction 1. Lire dans l es pensées Le prologue du Double Assassinat dans la rue Morgue , au cours duquel le narrateur anon yme fait l’éloge de l’anal yse, de l’observation et de l’inventi on, perm et d’in troduire naturell ement l e personnage de l ’enquêteur C. Auguste Dupin. Avant m êm e que ne soit évoquée l’affai re de la rue Morgue, celui -ci se livre aux dépens du narrateur à un petit exercice d’anal yse, pénétrant les pensées secrèt es de son compagnon et révél ant ainsi au l ect eur ses dons exceptionnels. Le narrat eur et Dupin marchent en silence lorsque celui -ci déclare à son compagnon : C’ est un bi en peti t garçon, en véri té ; et i l serai t m i eux à sa pl ace au t héât re des Vari ét és. - Cel a répl i quai -j e ne f ai t sans y pas l ’ om bre penser et d’ un sans dout e, rem arquer d’ abord, t ant j’ ét ais absorbé, l a si ngul i ère f açon dont l ’ i nt errupteur adapt ai t sa parol e à m a propre rêveri e . [ …] . 271 Une minute plus t ard, le narrateur réali sant l e miracle, supplie Dupin de lui expliquer comment il a devi né qu’il pensait à… 271 E.A. Poe, Double Assassinat dans la rue Morgue (The Murders in the Rue Morgue), p.47. 226 Troisième partie. Chapitre I Des enquêteurs hors du commun - A Chant i l l y ? i nt errom pre ? Vous dit [ Dupi n] ; f ai si ez en pourquoi vous vous - m êm e la rem arque que sa peti t e t ail l e l e rendai t im propre à l a t ragédi e. 272 Le narrat eur nous explique comment, par suite de réflexions logiques, Dupin est parvenu à deviner à q ui pensait le narrateur tout en lui donnant la sui te de sa pensée. Lacassin précise : « Le j oueur de cart es doué de f acult és anal yti ques est com parabl e au m age ori ent al qui a l e pouvoi r de cont rôl er l’ espri t de ses di sci pl es » 273. Dupin unifi e consci ent et inconsci ent, additionne l 'irrationnel au rationnel. Les cont enus inconsci ents se révèl ent à l a conscience . À premi ère vue donc, la méthode logique du dét ective qui consiste essenti ellem ent à épouser la suit e de pensées d’un ti ers, tient plus du hasard, voi re du fantastique que d’un raisonnem ent logique. Régis Messac se mont re just ement sceptique devant ce genre d’enchaînem ent des pensées que pratique Dupin. Il estim e la chose inconcevabl e, car ce personnage raisonne comme si « l es p ensées ne pouvai ent s’ ass ocier ent re el l es que d’ une seul e f açon. En ef f et , ne peut - on l ever l es yeux au ci el pour autre chose que pour y chercher l a const el l at i on d’ Ori on ? » 274 Dupin insiste pourtant sur le fait que ses anal yses et par la suite ses déductions ne rel èvent pas de l ’i rrati onnel ou du merveill eux mais uniquement de la logique : 272 E.A. Poe, Double Assassinat dans la rue Morgue (The Murders in the Rue Morgue), p.48. 273 Francis Lacassin, Mythologie du roman policier (I), coll. 10-18. Paris, 1974, p.38. 274 Régis Messac, Le « Detective Novel» et l’influence de la pensée scientifique, éd. Encrage, collection « Travaux », Paris, 2011, p. 492. 227 Troisième partie. Chapitre I Des enquêteurs hors du commun La f acult é d’ anal yse ne doi t pas êt re conf ondue avec la si m pl e i ngéni osi t é ; car, pendant que l ’ anal yst e est nécessai rem ent i ngénieux, i l arri ve souvent que l ’ homm e i ncapabl e d’ anal yse. i ngéni eux est absol um ent 275 Si Poe dit que « t out e hi st oi re est un rai sonnem ent de Dupi n », nous savons bi en qu’avant tout, c’est un raisonnem ent de Poe lui même 276, car il sem ble toujours se dessiner à travers son personnage. Ainsi, cette capacit é de li re l es pens ées et d’en deviner la suite est une vrai e théori e que Poe pratique réellement. En 1841, P oe savait que Charles Dickens était en train de publier un rom an, Barnaby Rudge, dont une partie ét ait parue en feuill eton. En suivant le dével oppem ent de sa théori e, Poe parvint à résum er la suite et la concl usion du roman de Dickens et le fit savoir à cel ui -ci : c’ét ait à peu de chose près ce que l’écri vain angl ais avait prévu. Stupéfait, Dickens ne put s’empêcher de dire que « cet hom m e ét ai t l e diabl e ». Ce t ype de déduction, pratiqué par Dupi n, a fidèlem ent été suivi par son successeur Sherlock Holmes. Comment expliquer alors ce passage, sout enu par Holm es et Watson, qui se révèle plus ou moins identique : [ …] , je me pl ongeai dans une prof onde m édi t ati on. Soudai n l a voi x de m on com pagnon s’ i mm i sça dans m es réf l exi ons. - Vous avez rai son. W at son ! C’ est une m ani ère t out à f ai t absurde de régl er un conf li t . - Tout à f ait absurde ! M’ excl am ai - j e, t out à 275 Edgar Allan Poe, Double Assassinat dans la rue Morgue, p.42. 276 Quand Poe a écrit Le mystère de Marie Roget, il s’est inspiré d’une histoire vraie. À travers Dupin, c’est lui qui menait réellement l’enquête à travers ses innombrables articles pour élucider le meurtre de Mary Cecilia Rogers. 228 Troisième partie. Chapitre I Des enquêteurs hors du commun coup consci ent qu’ i l avai t f ait écho à ma pensée l a pl us prof onde ; je me redressai sur m on si ège et l e dévi sageai t ot al ement ébahi . Q u’ est- ce que cel a veut di re, H ol m es ? M’ écri ai j e. Voi l à qui dépasse m on i m agi nati on . 277 Holmes explique al ors compl aisamm ent ses déductions : après que Watson eut l aissé flott er ses regards autour de la cham bre, il a fixé son attention sur le portrait du général Gordon, puis sur celui de Henr y Ward Beecher. Évidemm ent , il s’est rem émoré l es événem ents principaux de la carri ère de ces deux personnages. Le détective n’avait éprouvé aucune pein e à le suivre, d’aut ant plus que ces événem ents ont été l’objet d’une discussion avec son compagnon. Gordon et Beecher ayant pris part à des guerres, Holm es a deviné que l’esprit de son compagnon est tourné de ce côté, car Watson tâtait s a vieille bl essure et souriait amèrem ent. Il n’ y avait donc point de doute pour le détect ive que Watson songe ait à cette mani ère absurde dont les conflits int ernationaux sont régl és. Cela ne laisse pas l’ exégèt e de la littérature poli cière R égis Messac indifférent, il va ju ger ainsi ce dialogue ent re Holmes et Watson : Est - i l besoi n de soul i gner que t out ceci n’ est qu’ une i m i t at i on presque servi l e du début f am eux de Murder i n t he Rue Morgue ? Dans l es deux cas, l e dét ect i ve, [ …] , rai sonne com m e si l es pensées ne pouvai ent s’ associ er ent re el l es que d’ une seule f açon… 278. Messac ne s’arrêt e pas là, il affi rme qu’en comparant Holmes et Dupin, ce dernier était pl us ingénieux que son successeur. En 277 A.C. Doyle, Volume 3, La boîte en carton (The Cardboard Box), p. 1053. 278 R. Messac, op. cit., p. 492. 229 Troisième partie. Chapitre I Des enquêteurs hors du commun enferm ant Holmes et Watson dans l a mêm e chambre, Do yle a grandem ent facilité la tâch e du détective, car les poi nts d’appui de son raisonnem ent sont beaucoup moins vari és que ceux de Dupin qui se trouvait en prom enade en plein air. En tout cas, jam ais on n’assistera de la part de Lecoq à de tels anal yses déductives ou à de tell es « vol t i ge s », sinon : « O n cesserait de l e prendre au séri eux. » 279. Gabori au a cert es voulu que son enquêteur soit un excellent poli cier, m ais non qu’il accom plisse des miracl es de divination, car l’aut eur a cert ainem ent jugé qu’il serait peu possible aux lecteurs d e croire son héros. 2. Lire dans les objets La l ecture dans les pensées par déduction que pratiquent Dupin et Holmes pourrait paraître peu certaine et rel ever du hasard et de la pure fantaisi e, mais Holmes m érit e vraiment l’admiration lorsqu’il fait parl er un obj et inanimé. L’interrogatoire des objets est une passion que le dét ective renouvell e à chaque fois que l’occasion s e présent e. En i nterrogeant un pi nce-nez, une m ontre, une paire de pantoufles, une pipe ou un chapeau, il en tire « non pas un lapin », mais tout un portrait complet - ph ysique et moral – d’un inconnu. Ainsi, sur l a simple trouvaill e d’un pince -nez en or, il annonce dans les journaux : O n recherche une f em m e présent ant bi en, vêt ue avec él égance. El l e possède un nez part icul i èrem ent épai s, des yeux t rès rapprochés. Ell e a l e f ront pl i ssé, un regard scrut at eur, et probabl em ent l e dos voût é. Cert ai ns dét ai l s i ndi quent que par deux f ois au m oi ns el l e aurait eu recours à un o pt i ci en ces 279 Roger Bonniot, Emile Gaboriau ou la naissance du roman policier, J. Vrin, Paris, 1985, p. 411. 230 Troisième partie. Chapitre I Des enquêteurs hors du commun m oi s derni ers. Com me ses l unet t es sont ext rêm em ent f ort es, et que l es opt i ci ens ne sont pas t el l em ent nom breux, i l ne devrai t pas êt re dif f ici l e de l a ret rouver. 280 Ses déductions qui sont, d’après Holmes « l a simplicité m êm e », se fondent sur les observations suivantes : l’objet est déli cat : donc porté par une femm e. En or m assif : il n’irait pas avec une tenue pauvre ou négli gée. Ses pinces, trop larges, montrent que le nez de la dame est épais. Des yeux rapprochés, Holmes n’a pu regarder au cent re ou près du centre des verres. Quant aux front, regard et dos, Holmes explique : [ …] ces verres sont concaves et d’ une épai sseur i nhabi t uel l e. Une f em m e qui a eu une vue aussi déf i ci ente t out e sa vie doi t cert ai nem ent posséder l es caract érist i ques physi ques qui accom pagnent cet te vi si on, lesquel l es se li sent sur l e f ront , l es paupi ères et l es épaul es. 281 Après de tell es déductions, il n'y a pas lieu de s'étonner qu’il signale deux réparations chez l’opticien, l’une plus fraîche que l’aut re aux bagues de liège bordant les pinces. Holmes a fait égal ement porter une de ses plus magist rales déductions sur un objet appartenant à son compagnon W atson, ce derni er l ’a mis au défit de « f ai re parler » une vieille montre qu ’il tire de sa poche. Défi tenu, d ans L’escarboucle bl eue , Holmes se trouve en possession d’un chapeau perdu, et pa r l a seule i nspection du couvre -chef, pour le plus grand ébahissement de Watson, il arrive 280 A.C. Doyle, Volume2, Le pince-nez en or (The Golden Pince-Nez), p. 1011. 281 Ibid., p. 1013. 231 Troisième partie. Chapitre I Des enquêteurs hors du commun à donner une description minutieuse du possesseur : [ …] quel qu’ un d’ émi nem m ent i nt ell ect uel [ …] i l ét ai t pl ut ôt à l ’ ai se ces t roi s derni ères années, bi en qu’ i l t raverse act uel lem ent une très m auvai se passe. Il ét ai t prévoyant, bi en qu’ i l le soi t m oi ns dorénavant , ce qui i ndi que une régressi on m orale qui , associ ée évoquer à quel que son revers i nf l uence de f ort une, m ali gne, la sem ble boi sson probabl em ent , qui agi t sur l ui . Ceci peu t expl i quer aussi l e f ait évi dent que sa f emm e a cessé de l ’ ai mer. 282 Ce ne sont que deux exemples choisi s parmi une vingt aine d’aut res, provoquant la stupeur et l ’adm iration du l ect eur. Ainsi, l es indications que Holmes se plaî t à ti rer de son examen des objets traduisent un œil supéri eurem en t exercé, paraissent pl ausibles et n’ont souvent ri en d’incro yabl e, m ême si elles m édusent non seulem ent l es personnages de l’histoi re , mais égal ement l e l ecteur. Et même si l e raisonnement ingénieux du déte ctive n’est pas à l’abri de la contest ation, il i mporte peu , car l e l ecteur est complice et présent e une grande disposit ion à en être convaincu. Il nous sem ble que le lect eur ne réclam e pas, chez Hol mes, l’authentique mais ce merveilleux avec lequel l e dét ecti ve de Baker Street formule ses anal yses et déductions. Son charme provient de l à plutôt que d’une ri gueur sci entifi que propageant l’ennui, comme c’est souvent le cas avec Dupin. Avec Holmes c’est donc le « dét ect eur » qui se double d’un sorci er qui peu t dresser « l e port rai t d’ un assassi n inconnu, com m e s’ i l en voyait dans une boul e en cri st al » 283. 282 A.C. Doyle, Volume1, L’Escarboucle bleue (The Blue Carbuncle), p. 657. 283 F. Lacassin, op. cit., p. 72. 232 Troisième partie. Chapitre I Des enquêteurs hors du commun Gaboriau lui -mêm e se livrait égal ement à ce petit jeu, mais sans faire preuve de suffisance et à seul e fin de test er sa propre perspi cacit é. Le rédact eur du Figaro Al fred d’Auna y rapporte qu’il l’a vu suivre des passants et se montrer très fier quand il ét ait parvenu à deviner l eur condition social e . Mais pourquoi Gaboriau ne prêt e-t -il pas ce jeu à son enquêteur Lec oq ? La profession de Lecoq en tant que poli ci er offi ciel peut en êt re l a cause, car n’étant pas dilettant e comm e Holmes, le tem ps lui manquerait pour s’adonner à de telles passions. S inon il faut avouer que la supériorité d e Holmes réside en sa capacité à int erpréter des données élém entaires qui échappent aux plus i nte lli gents des hom mes, Nordon le confirme : L’ observat i on par l e regard est chez l ui [Hol mes] un don i nst i nct if , une sort e de seconde nat ure. Il n’ a pas son parei l pour « l i re », ou, pl us exact em ent , déchif f rer l e sens de l ’ obj et . 284 284 Pierre Nordon, Tout ce que vous avez voulu savoir sur Sherlock Holmes sans jamais l’avoir rencontré. Paris, Librairie Générale Française, coll. Le Livre de Poche Biblio essais, 1994, p. 61. 233 Troisième partie. Chapitre I Des enquêteurs hors du commun II- Des enquêtes entre raisonnement et terrain 1. Le détective séd entaire. Dupin prend connai ssance des faits par ouï -dire, en particulier par l es journaux. Il se fait livrer tous l es arti cles relati fs à l ’enquêt e et les étudi e, car chacun d’eux constitue l’él ément d’un puzzle dont les journalistes n’ont pas consci ence. Il élimine les contradictions, assembl e ce qui rest e et relève l es illogism es, pour découvrir enfin la vérité l à où la pol ice avait fait fausse route. D’où l’explication du m yst ère. En effet , c e sont les journaux qui lui ont révélé l es dét ails des meurt res de la rue Morgue ainsi que les déclarations des témoins. Il en ressort une accumulation de const atations étranges , à dérouter tout enquêteur offici el. L’affaire constitue un m ystère apparemmen t inexplicabl e. Comm ent expliquer l’assassinat d’une femme et de sa fille, dans un appart ement dont les port es et les fenêtres sont rest ées ferm ées ? Sur les lieux du crim e, constatant qu’il n’existe aucune issue secrèt e, que la cheminée trop étroi te ne p eut servir de passage, Dupin arrive à la conclusion que le ou les assassins sont passés par l a fenêtre de la cham bre de derrière , même si celle -ci a ét é trouvée herm étiquement close : Mai nt enant am enés com m e nous l e som m es à cet t e concl usi on par des déduct i ons i rréf ragabl es, nous n’ avons pas l e droi t , en t ant que r ai sonneurs, de la rej et er en rai son de son apparent e i m possi bi l it é. Il ne nous rest e donc qu’ à dém ont rer que cet t e i m possi bi li t é apparent e n’ exi st e pas en réal i t é. 285 285 Edgar Allan Poe, Double Assassinat dans la rue Morgue, p.74. 234 Troisième partie. Chapitre I Des enquêteurs hors du commun La solution , en accord avec l es faits, est à la fois imprévue, incro yabl e et simpl e. En rem arquant la férocité du doubl e m eurt re, la force surhumai ne du meurtri er, les étranges poils roussâtres retrouvés dans l a m ain d’une des vi ctimes, le langage incompréhensibl e entendu par les voisin s, Dupin n’a pas besoin d’en savoir plus pour acquéri r une certitude : l’assassin est un énorm e orang -out an g. Si le détective s’est dépl acé sur l es li eux du crim e, c’est seul ement pour en avoir l a confi rmation et non pour examiner l e sol à quatre patt es comme l e font monsi eur Lecoq et Sherlock Holm es. Dans Le Mystère de Mari e Roget , Dupin a fait mieux encore puisqu’il a prouvé l’excell ence de sa méthode. Loin du t héât re du crime, il a, par la seule lecture des j ournaux, réussi à donner une solution à l’éni gme qui, par la suite, s’est révélée correcte. Pour Dupin, l’enquête policière n’est donc qu’un « j eu cérébral d’ observat i on et de déduct i ons » car l’aspect mat éri el de l’enquête lui est indifférent. On n'aurait pas pu concevoir une enquêt e à distance basé e sur la lecture des journaux telle que Dupin l’entreprend avant le milieu du XIXe si ècl e. Il semble que la relati on ent re l 'enquêt e policière pratiquée par Auguste Dupin et l e journal est imparabl e. Comme on a noté que l ’ascension du récit poli cier est l iée à celle de la sci ence, on peut égal ement att ester que l a créat ion du récit poli cier é t ait impensable avant que le report age sur les crimes ne devienne l 'une des principal es activités du journalisme populai re. Gaston Leroux l’ex prime clai rem ent, dans s on rom an poli cier intitulé Le mystère de la chambre jaune , dans lequel – et c’est l'une des premi ères fois dans l a tradition française - le report er joue l e rôl e du dét ective dans une affaire criminelle: 235 Troisième partie. Chapitre I Des enquêteurs hors du commun O n ne saurai t s' ét onner de t rouver chez l a m êm e per sonne report er] , [la doubl e at tendu qual i t é que la de dét ect i ve presse et de quot i di enne com m ençai t déj à à se t ransf orm er et à deveni r ce qu' el l e est à peu près auj ourd' hui : l a gazet t e du cri m e . 286 Cependant, R. Bonniot 287 trouve que les déductions de Dupin sont quand mêm e « un peu t rop géni al es » , et qu’ell es ne doivent pas nous fai re illusi on. rai sonnem ent s » Il pense aussi que les « ébl oui ssants du dét ective, utilisés dans les affaires réelles, condui rai ent à de graves erreurs, car ils comportent t oujours u ne part d’incertitude. C’est le cas chez d’autres critiques qui pensent que la chaîne des déduct ions qui amènent l e détective à l a découvert e du coupable semble solide, mais ne résist e aucunem ent à un examen séri eux ; que la m éthode de Dupin se fonde moin s sur la déducti on elle-m êm e que sur l a passion de la déduction, moins sur la logique que sur la cro yance à sa val eur absolue. Dans les courts récits ou « cont es de rat i oci nat i on » de Poe, l’enquêt eur amat eur décide de se fier à ses yeux et à ses capacit és déductives. Dupin ne se caractérise pas par son engagement dans l’action mai s par l ’exhibition de ses facultés i ntell ectuel les et l a démonst ration de son géni e anal ytique. Le détective n’aime d’aill eurs sortir que la nuit ; période peu propi ce aux formali tés de l ’enquêt e (examen du t errain, interrogat oires….). D’où un contact quasi absent avec l es aspects mat éri els du crim e. C’est la raison pour laquelle on 286 Gaston Leroux, Le mystère de la chambre jaune, Robert Laffont, Paris, 1961, p. 14. 287 Roger Bonniot, op.cit, P.165. 236 Troisième partie. Chapitre I Des enquêteurs hors du commun l’a appel é le « d étective en fauteuil », ou le « détective en pantoufles » qui n’enfile ses chaussur es que pour vérifier s es hypothèses ou chercher le maillon manquant à sa chaîne de raisonnem ent. Nous avons affai re à un personnage bi en curi eux. Par toutes ses facultés, l e cheval ier Dupin est un homme doué d’une grande intelli gence. Il résout les m eurtre s par déduction logique, il contourne l es pi èges et fasci ne ainsi l e lecteur par ses capacités intellectuell es. Il apparaît comm e un vérit able génie aux yeux de tous. Il est l e premi er enquêt eur à user de la force du raisonnement et de la logique infai llib le de ses déductions. L’enquêt eur vit des avent ures int ellectuelles : ce sont l es aventures d’un esprit. E n pratiquant son art d’investi gation, le détective en ti re un grand plaisir délirant : De m êm e que l’ homm e f ort se réj ouit dans son apt i t ude physi que, se com pl aît dans l es exerci ces qui provoquent l ’ anal yst e l es prend muscl es sa à gl oi re l’ act i on, dans de cett e m ême act i vi t é spi ri t uel l e dont l a f onct i on est de débrouil l er. Il t i re du pl ai si r m êm e des pl us t ri vi al es occasi ons qui m et t ent ses t alent s en j eu. 288 La lecture que fait Baudel aire du Double Assassinat met l ’accent sur la méthode et les dons impressionnants d’A uguste Dupin : P ar une concent ration ext rêm e de sa pensée, et par l ’ anal yse successi ve de t ous l es phénom ènes de son ent endem ent , i l est par venu à surprendre l a l oi de l a générat i on des i dées. Ent re une parol e et une 288 Edgar Allan Poe, Double Assassinat dans la rue Morgue, p.38. 237 Troisième partie. Chapitre I Des enquêteurs hors du commun aut re, ent re deux i dées t out à f ait ét rangères en apparence, il peut ét abl i r t out e la séri e i nt erm édi ai re, et com bl er aux yeux ébl o ui s l a l acune des i dées non expri m ées et presque i nconsci ent es . 289 2. Le détective de terrain Tous les sens de Monsieur Lecoq sont en éveil lorsqu’il est sur la pist e d’un gi bier criminel : l’ouïe, la vue, l’odorat. Lecoq s e métamorphose en limier, dont les narines se dilatent lorsqu’il est sur la trace d’u n fauve : Il al l ai t , venait , t ournai t , s’ écart ai t , revenai t encore, courant ou s’ arrêt ant sans rai son apparent e ; i l pal pai t , il scrut ai t , i l i nterrogeait t out : l e t errai n, l es boi s, l es pi erres et j usqu’ aux pl us m enus obj et s ; t ant ôt debout , l e pl us souv ent à genoux, quel quef oi s à pl at vent re, l e vi sage si près de t erre que son hal ei ne devai t f ai re f ondre l a neige. Il avai t t i ré un m èt re de sa poche, et i l s’ en servai t avec une prest esse d’ arpenteur, il m esurait , m esurait , m esurai t…. Et t ous ces m ouvement s, i l l es accom pagnai t de gest es bi zarres ent recoupant de com m e j urons ceux ou d’ un de f ou, pet i t s l es ri res, d’ excl am at i ons de dépi t ou de pl ai si r. Enf i n, [ …] [i l ] s’essuya l es m ai ns à son m ouchoi r et di t : 289 Charles Baudelaire, « Edgar Poe, sa vie et ses œuvres », dans Revue de Paris, Volume d’avril, 1852. P.99. URL : http://books.google.fr/books?id=84zpAAAAMAAJ&printsec=frontcover&dq#v=onepage& 238 Troisième partie. Chapitre I Des enquêteurs hors du commun – Mai nt enant , j e sai s t out . 290 Monsieur Locoq déclare, dans L e crime d’Orci val : « L’ en quêt e d’ un cri m e n’ est autre chose que l a sol ut i on d’ un probl èm e », Mais il convi ent d’ajout er que cette sol ution est recherchée avec passion par Lecoq, acharné à démasquer et m ettre hors d’état de nui re l es pires malfait eurs. Chasse difficil e et dangereuse, car l es fauves qu’il traque sont rusés et capabl e s d’une défense vi goureuse. Mais le policier de Gaboriau ne m anque pas de courage et dispose de tout un arsenal de m o yens et d’ast uces . C’est surtout dans l a recherche et l’exploitation des indi ces et des traces que se révèle le poli cier de grande cl asse. Or l’idée est que ces t races doi vent êt res déchi ffrées ou lues comm e un livre. Lecoq, à genoux, examine les empreint es avec l 'at tention d'un chirom ancien Ce t errai n v ague, couvert de nei ge, est com m e une i m mense page bl anche où l es gens que nous recherchons ont écri t , non - seul em ent l eurs m ouvem ent s et l eurs dém arches, m ai s encore l eurs secrèt es pensées, l es espérances et les angoi sses qui l es agit ai ent . Q ue vous di sent - ell es, papa, ces em prei nt es f ugi ti ves ? Ri en. P our m oi , el l es vi vent com m e ceux qui l es ont l aissées, el les pal pi t ent , el l es parl ent , el l es accusent ! … 291 Et une fois en possession du plus grand nombre d’indi ces possibles, il él abore l’h ypothèse où il pourr a avec vraisemblance les enchâsser. Parmi les nombreux rensei gnements ti rés par Lecoq de 290 E. Gaboriau, Monsieur Lecoq, p. 30. 291 Ibid. 239 Troisième partie. Chapitre I Des enquêteurs hors du commun l’examen des lieux, contentons -nous de citer ceux qui concernent l e complice du meurtri er : C’ est un homm e d’ un cert ai n âge, de haut e t ai l le, – i l a au moi ns un m èt re quatre - vi ngt s, – coif f é d’ une m arron casquet t e m ol le, de drap vêt u d’ un m out onneux, pal et ot mari é très probabl em ent , car il port e une al l i ance au pet i t doi gt de l a m ai n droit e…. 292 Le j eune polici er ne raill e pas et n’a rien dit dont il ne soit matéri ellem ent sûr, rien qui ne soit la stricte et indiscut abl e vérit é. Il continue devant le scepti cisme de son collègue : En som m e, qu’ ai -j e f ai t de si f ort ? Je vous ai di t que l ’ hom me avai t un cert ai n âge … ce n’ ét ai t pas dif f i ci l e après avoir exam i né son pas l our d et t raî nant . Je vous ai f i xé sa t ail l e, l a bel le m ali ce ! … Q uand j e m e sui s aperçu qu’ i l s’ ét ai t accoudé sur le bl oc de pi erre qui est l à, à gauche, j ’ ai m esuré l e susdi t bl oc. Il a un m èt re soi xant e -sept , donc l ’ hom me qui a pu y appuyer son coude a au m oi ns un m èt re quat re - vi ngt s. L’ em prei nt e de sa m ai n m ’ a prouvé que j e ne m e t rom pai s pas. En vo yant qu’ on avai t enl evé l a nei ge qui recouvrai t l e m adri er, je m e sui s dem andé avec quoi ; j ’ ai songé que ce pouvai t êt re avec une casquet t e, et une m arque l ai ss ée par l a visi ère m ’ a prouvé que j e ne me t rom pai s pas. Enf i n, si j ’ ai su de q uel l e coul eur est son pal et ot , et de quel l e ét of f e, c’ est que l orsqu’ il a essuyé l e 292 E. Gaboriau, Monsieur Lecoq, p. 30. 240 Troisième partie. Chapitre I Des enquêteurs hors du commun boi s hum i de, des éclat s de boi s ont ret enu ces pet i ts f l ocons de l ai ne m arron que j ’ ai ret rouv és et qui f i gureront aux pi èces de convi ct i on… 293 Dans Le crime d’Orcival, l e lecteur ne manque d’être surpri s par un dét ective qui traverse la pelouse à quatre patt es, qui i nt erroge l es moindres brins d’herbe et qui observe minutieusement l a direction des p etites ti ges brisées. Et un peu plus t ard, il conclut : En exam i nant l e gazon, [ …] , j ’ ai relevé l es si l l ons parall èl es des pi eds, m ai s l ’ herbe ét ai t f oul ée sur un espace assez l arge. P ourquoi ? C’ est que ce n’ est pas l e cadavre d’ un hom m e qui a ét é t raî né à t ravers l a pel ouse, mai s bi en cel ui d’ une f em me t out habi l l ée et dont l es j upons ét ai ent assez l ourds [ …] . 294 Lecoq est l 'él ève du père Tabaret, ce derni er l ui a appris beaucoup en développant devant lui les conclusions tirées de l’étude des li eux des cri m es, l’exam en des cadavres et les vêt ements de l a victime. Lecoq a su mettre à profit l es leçons de son m aître, et est devenu le logi cien par excellence comme nous pouvons nous en rendre compte en admirant comm ent il s’ y prend pour faire parl er un lit, qu’on a feint d’avoir utilisé pour dérout er les poli ciers chargés d’enquêt er sur l e cri me d’Orcival : O n a ouvert ce l it , c’ est vrai , on s’ est peut - êt re roul é dessus, on a chif f onné l es oreil l ers, f roissé l es couvert ures, f ri pé les draps, m ai s on n’ a pu l ui donner pour un œi l exercé l ’ apparence d’ un l i t dans 293 E. Gaboriau, Monsieur Lecoq, p. 34. 294 E. Gaboriau, Le crime d’Orcival, p. 113. 241 Troisième partie. Chapitre I Des enquêteurs hors du commun l equel deux personn es ont dorm i . Déf ai re un l i t est aussi dif f i cil e, pl us dif f ici l e peut - être que de l e ref ai re. P our l e ref aire, i l n’ est pas i ndispensabl e de ret i rer draps et couvert ures et de retourner l es m at el as. P our l e déf ai re, il f aut absol um ent se coucher dedans et y avoi r chaud. Un l it est un de ces t ém oi ns t erri bl es qui ne t rom pent j am ais et cont re l esquel s on ne peut s’ i nscrire en f aux. O n ne s’ est pas couché dans cel ui - ci … [ …] . Si claire ét ait la démonstration de M. Lecoq, si palpabl es ét aient ses preuves qu’il n’ y avait pas à douter. Il continue : Ces orei l l ers sont très f roi ssés t ous deux, n’ est ce pas ? Mai s voyez en dessous l e t raversi n, i l est i nt act , vous n’ y ret rouvez aucu n de ce s pl i s q ue l ai ssent l e poi ds de la t êt e et l e m ouvem ent des bras Ce n’ est pas t out : regardez l e l i t à part ir du m i l i eu j usqu’ à l ’ ext rémi t é. Com m e l es couvert ures ont été bordées avec soi n, l es deux draps se t o uchent bi en part out . Gl i ssez l a m ai n com me m oi – et i l gl i ssait un de ses bras – et vous sent i rez une rési st ance qui n’ exi st erai t pas si des j am bes s’ ét aient al l ongées à cet endroi t . O r, M. de Trém orel ét ait de t ai l l e à occuper l e l it dans t out e sa l ongueur 295. Dans l e rom an poli cier, le t ype du détective sci en tifi que qui émerge, est incont establem ent cel ui qui rappelle le poli cier créé par Gaboriau, Monsi eur Lecoq . C ’est m ême ce t ype qui revi ent dans l es créations romanesques encore plus modernes. Ce t ype que Gaboriau avait su constituer soit à l 'aide de son i m agination et de son esprit d'observation et de logi que, soit en se docum entant et 295 E. Gaboriau, Le crime d’Orcival, p. 84. 242 Troisième partie. Chapitre I Des enquêteurs hors du commun en anal ysant les t ypes de personnages existants - entre aut res Vidocq et Dupin - et en prenant la décision par la suite, de mettre en scène un personnage di fférent. Avec Lec oq, le personnage du polici er professionnel ent re dans la littérature, i l nous fait découvrir les « m œurs polici ères sous leur jour exact ». À la différence de Dupin, Lecoq ne se confine pas dans l’abst raction absolue. Si Dupi n est l e raisonneur infailli bl e qui ne s’accroch e pas aux détails, si ce n’est pour la sat isfaction morbide de constat er que, sans êt re sort i de son appart ement, il est arri vé à l a soluti on exacte , Lecoq t âtonne, il se t rompe, il observe minutieusement avant de se risquer à des h ypothèses : c’est un homme, et non un syl logism e personnifi é. La comparaison d’Edmond Locard paraît à ce sujet tout à fait perti nente : P our ce qui est de l ' enquêt e crim i nell e, l ' Am éricai n i ncarne l e géni e et l e F rançai s l e t al ent . Le pol i ci er de P oe est t out i nt uit i on ; cel ui de Gabori au est t out expéri ence, sagesse et prat i que du m ét i er. 296 En somme, si Lecoq est inférieur à Dupin sur le t errain de la logique pure, il pourra, grâce à ses investi gations sur l es l ieux des crimes, complét er l a méthode de son préd écesseur. Ainsi, si ce derni er fait souvent l’effet d’un dét e cti ve en chambre. Lecoq quant à lui est constamm ent prêt à se dém ener ph ysiquement, à se donner beaucoup de peine, à se dépasser intensément, quitt e à s’abaisser sur la nei ge ou la poussi ère et à s’agenouiller dans la boue. 296 Cité par Denis Fernandez Récatala, dans Le polar, MA Éditions, Paris, 1986, p. 86. 243 Troisième partie. Chapitre I Des enquêteurs hors du commun 3. Le maître détective En qualifi ant Holmes de « m achi ne à observer et à rai sonner l a pl us parf ai t e de l a planèt e » , Watson nous révèle l es deux points forts de sa méthodologi e : l’observation et le raisonnement. C ’est pourquo i Holmes, en ne bougeant guère de son fauteuil – ce qui nous rappelle Dupin- bénéfici e mi eux de l’admi ration du narrat eur et de cell e du lect eur. Holmes affirme par exempl e que si l’observat eur ét udie bien un fait « [ …] dans une séri e d’ i nci dents, [ il ] dev rai t êt re capabl e de dét erm i ner préci sément t ous l es autres, ceux qui précéden t com me ceux qui en découl ent » 297. En insistant également sur l’importance du raisonnem ent, dans la résolution des problèmes, le dét ective ajout e : « Nous n’ avons pas encore saisi l es résul t at s auxquel s notre seule rai son peut parveni r» 298. Si le raisonnem ent de Dupin est déduct if, celui de Holm es est souvent inducti f, car le premi er raisonne d’abord et véri fie ensuite, mais le deuxième remonte d es faits à leur ori gi ne . Cependant, le s deux détectives se ressemblent comm e deux grands l ecteurs de journaux. Pour Hol mes, la l ect ure des j ournaux est primordiale, afin d’observer l es faits rapportés et de l es trier par l a suite : « Ayant rassem bl é l es f ai ts, j e l es consi dérai en f um ant pl us i eurs pi pes, essayant de di sti nguer ceux qui ét ai ent cruci aux de ceu x qui n’ ét ai ent que purem ent anecdot i ques. 299 . Holmes peut égalem ent observer les fait s exposés par un cli ent, raisonner et trouver la soluti on. Dans Le pont du Thor, L e soldat blafard, Le marchand de coul eurs ret raité, Holmes a trouvé l a solution sans quitt er son salon. S ’il a effectué un dépl acement sur l e 297 A.C. Doyle, Volume1, Les cinq pépins d’orange (The Five Orange Pips), p. 589. 298 Ibid. 299 A.C. Doyle, Volume2, L’estropié (The Crooked Man), p. 101. 244 Troisième partie. Chapitre I Des enquêteurs hors du commun terrain, c’ét ait just e pour une vérifi cati on superflue ou de routine ou peut-être mêm e plus pour « f ai re prendre l ’ air à Watson et au l ect eur que pour céder au pl ai si r d’ ét onner en di sant après une brève i nspect i on : « j ’ ai tout résol u »» 300 . L’appell ation « détect ive en faut euil » correspond dans ces cas -l à, à Holmes tout com me à son homol o gue Dupi n. En revanche, Hol mes n’est pas seuleme nt observat eur et raisonneur, il est aussi un expérim ent ateur, un homm e de terrain tout comme Lecoq. Hol mes a amplifi é cett e sci ence de l 'observation sur le terrain dont Lecoq avait montré l 'importance. Et c’est l a venue du détective britannique sur l e ter rain qui a rendu sa m aîtrise encore plus éclat ant e. Dans une de ses premières aventures, Sherl ock Holmes reconstitue tout ce qui s'est déroulé la nuit du vol au mo yen des t races laissées dans l a nei ge par l es divers act eurs du drame. Le détective affirm e : « une f oi s sur l e chem i n qui m ène à l ’ écuri e, j’y découvri s une hi st oire t rès l ongue et t rès com plexe écri t e devant m oi sur l a nei ge» 301, cel a ne r appell e -t -i l pas le début de Monsi eur Lecoq où le policier de Gaboriau accomplit des prouesses analogues ? Un autre exemple montre une parfaite exploitation du terrain p ar Holmes, m éthode incontest abl ement héritée de Lecoq : Tout en parl ant , i l sort i t brusquem ent un m èt re en ruban et une l oupe de sa poche. Muni de ces deux i nst rum ents, il s’ af f ai ra sil enci eusem ent tout aut our de l a pi èce, s’ arrêtant quel quef oi s, s’ agenoui l l ant parf oi s, et all ant une f oi s mêm e j usqu’ à s’ all onger f ace cont re t erre. [ …] , i l n’ arrêt a pas de parl er dans sa barbe, dans un fl ot conti nu d’ excl am at i ons, de grognem ent s, de sif f l em ent s, et de 300 Francis Lacassin, Mythologie du roman policier (I), coll. 10-18. Paris, 1974, p.98. 301 A.C. Doyle, Volume1, Le diadème de béryls (The Beryl Coronet), p. 869. pet i t s cris 245 Troisième partie. Chapitre I Des enquêteurs hors du commun d’ encouragem ent et d’ espoi r 302. À parti r d e l à, force donc est de const ater qu’à la ri goureuse logique de Dupin, Holmes ajout e l’observation att entive et l’interprétation des indices de Lecoq, m ais en l a poussant plus loin encore, et en l’en ri chissant de nombreuses ressources fourni es par l a science moderne : chimie, géologi e, bot anique, anatomi e, et c. En somme, Les m éthodes des trois dét ect ives sont pl us ou moins différentes les unes des autres pour diverses raisons. D’abord, ils ne sont pas cont emporains (il y a pratiquement une génération d’écart entre chacun d’eux). Compte t enu donc des progrès accompli s par les sciences au cours des années qui séparent chacun des trois détectives, il serait honnêtem ent absurde de reprocher à Dupin de ne pas avoi r recours à des techniques qui n’existaient pas encore, m ais que connaît Lecoq, com me on ne peut non plus reprocher à ce derni er de ne pas user du t éléphone inexistant à son époque et que possède Holmes. Ensuite, M. Lecoq et Sherlock Holm es ont une longue vie littérai re : Cinq rom ans pour Lecoq, quatre rom ans et ci nquante -six nouvell es pour Hol mes, alors que Dupin n’existe qu’à t ravers t rois nouvell es ; ce qui a permis à Lecoq, et plus encore à Holmes de vari er leurs m éthodes et t echniques selon le nombre d’enquêt es prises en charge. Enfin, l a diversit é qu’il y a à relever dans la façon de m ener une enquête chez Dupin ou Lecoq ou Holm es tiennent à la dissemblance des caract ères des trois hommes, de leur stat ut ou leur situation professionnell e et m êm e de l a nature des affai res qu’ils ont à trait er. 302 A.C. Doyle, Volume1. Une étude en rouge (A Study in Scarlet), 2005, p.47. 246 Troisième partie. Chapitre I Des enquêteurs hors du commun Il est pourt ant clai r que Dupin n'est pas homme de t errain. Le détective selon Poe n'est pas homme d'acti on. Dupi n « f ai t de la pol i ce comm e d' aut res f ont du cal cul i ntégral et avec l 'i nf ai lli bi l it é du géni e » 303. Pour lui, tout est connaissable et explicabl e rationnellem ent . Ce détective se caractérise par une int elli gence déductive étonnant e et un pouvoir de raisonnement abst rai t où rien n'est l aissé au hasard ; sur ce point là, le dét ective de Poe est inimitable. Cependant Dupin est, en dépit de quelques touches de bizarreri e, t rès pauvre en humanit é, une vrai e machine à raisonner ; il ne se t rompe jamai s, et ne peut imaginer qu’il puisse se tromper, il va droit au but avec la précision et l’i mplacabilité d’ un m écanisme bien réglé produisant des équations al gébriques que l e lecteur n’aura pas forcément envie de déchiffrer. Le cél èbre criminaliste et directeur du l aborat oire de poli ce t echni que de Lyon de 1910 à 1950, Le Dr. Locard regrette que la m éthode d’Au gust e Dupin soit si peu à la port ée des gendarm es, il affirm e que la visite des lieux et le recueil des indi ces perm ettraient à un polici er d’intelli gence moyenne d’arriver aux mêmes conclusi ons que lui. Le détective de Gaboriau a un avant age sur celui de Poe, Le coq a su vivifier ce qui chez Dupin était demeuré abst rait. Il emploie des méthodes qui ne s’écartent pas de ce qu’on voit dans la poli ce réelle, il est doué d’une surprenante perspicacité ainsi que d’un réel sens pratique. Il lui arrive de comm ettr e des erreurs, ce qui le rend plus humain par opposit ion à Dupin. Lecoq est « découragean t par sa supéri ori t é », on ne peut pas l’imit er. On peut apprécier chez Lecoq, égal ement , son ingéniosité à distinguer et interpréter l es indices, ses admirables anal yses de t races, ses qualités de raisonnem ent qui « pourrai ent servi r de m odèl e à t out pol i ci er, dont pas un sur m il l e, 303 Cité par Berlière Jean-Marc. « Police réelle et police fictive ». In: Romantisme, 1993, n°79. pp. 73-90. 247 Troisième partie. Chapitre I Des enquêteurs hors du commun ci nquant e ans après, ne saurai t f ai re aussi bi en m al gré l es progrès consi dérabl es des connai ssances t echni ques » 304. La résol ution des enquêt es de Lecoq passe pri ncipalem ent par des déductions logi ques et des interrogatoires sur le t errain. Son travail nécessit e donc un mél ange de "fl air", de déduction, mais surtout de patientes investi gations, des recherches, des véri fications méthodiqu es. Il est aidé par ses collègues, il s’éclipse de temps à autre, son enquête n’ accapare pas l a place du rom an comm e le fait cell e de Dupi n. En em prunt ant à Poe l e personnage du dét ective i ntelli gent, cultivé raisonneur et anal yti que, en lui emprunt ant ég alem ent, quelques t raits de caractère (aptitude à résoudre l e probl ème sans bouger) ; Do yle a mis en scène un Holmes qui « connaî t m i eux son m ét i er que Dupi n ». En s’inspi rant en même tem ps de l a méthode pratique du polici er de Gaboriau , le créateur britan nique a doté son détective d’une meil leure connaissance des t echni ques sci entifiques. Le mérite de Do yl e est donc d’avoir réuni toute s sort es d’élém ents épars. Chez Holmes, nous ne trouvons ri en qui n’a it existé avant lui, mais l’amal gam e est plus concent ré, pl us intelli gemment combiné. Holmes est le t ype de dét ective spéci alement adapt é à son art. Il a surcl assé ses prédécesseurs par l’audace, l’aisance et la rapidité de s a réaction : Tout est à im i t er chez H ol m es : sa spéci ali sat i on, sa com pétence t echni que, m ai s l à où i l rest e l e m aî t re, c' est dans l e choi x heureu x de l ' hypot hèse, dans l ' i nt uit i on, dans l a f orce l ogi que 305. 304 Berlière Jean-Marc. « Police réelle et police fictive ». In: Romantisme, 1993, n°79. pp. 73-90. 305 Cité par F. Lacassin, op. cit., p. 115. 248 Troisième partie. Chapitre I Des enquêteurs hors du commun III- Autres procédés d’enquête 1. Des caméléons hu mains En tirant quelques ensei gnem ents des Mémoires de Vi docq, en parti culier sur l ’art du déguisement , Lecoq est devenu un être éminemm ent protéiforme, vi rtuose du déguisem ent et du changem ent rapide. Tel un act eur, il possède un vestiai re bi en achal andé où puiser ses différent es apparences : Tout un côt é du m ur ét ai t occupé par un port em ant ea u où pendai ent l es pl us ét ranges et l es pl us di sparat es déf roques. Là ét ai ent accrochés des cost um es appart enant à t out es l es cl asses de l a soci ét é, depui s l ’ habit à l arge revers, derni ère m ode, orné d’ une rosett e rouge, j usqu’ à l a bl ouse de l ai ne noi re du t yran de barri ère. Sur une pl anche, au dessus du port em ant eau, s’ ét al ai ent sur des t êt es de boi s une douzai ne de perruques de t out es nuances. À t erre, ét ai ent des chaussures assorti es aux di vers cost um es. Enf i n, dans un coi n, se voyai t un assort im ent de c annes assez com pl et et assez vari é pour f aire rêver un col l ecti onneur 306. Il faut savoir que cet art du déguisement était effectivem ent une courant e des poli ci ers, pratique utilisée par Vi docq s'inspirant des mœurs sécul aires des truands de l a « cour des mi racl es », on l a retrouve tout au long du si ècl e. D ans l es Mémoires d'Outre -tombe, et pendant sa courte arrestation au début de la Monarchie de juillet, Chateaubri and, évoque les coulisses de l a Préfecture de poli ce qu'il a pu observer et il rapporte qu'il y existait alors un vesti aire pour y 306 E. Gaboriau, Le crime d’Orcival, p. 425. 249 Troisième partie. Chapitre I Des enquêteurs hors du commun engranger une pl éthore de costumes divers, où les agents trouvai ent les accessoi res nécessai res pour se t ransform er « en m archands de sal ades, en cri eurs des rues, en charbo nni ers, en f orts des hal l es, en m archands de v i eux habi t s, en chi f f onni ers, en j oueurs d' orgue » 307, ils étai ent « coi f f és de perruques », ou avai ent « barbes, m oustaches et f avori s posti ches ». Cependant, si Gaboriau s’est inspi ré sans doute fort em ent de l a réalité poli cière quotidienne, en retour, so n héros a considérablem ent contribué à modifi er non seul ement l'im age de l a poli ce dans l'opi nion publique, mais la police et ses techniques, voire les policiers eux -mêm es. L'illusion d'une police infaillible, qui naît avec les progrès techniques et l es ré ussites de la poli ce judi ci aire, doit beaucoup aux enquêtes et éni gm es crimi nelles résolues avec brio par M. Lecoq. Ainsi, savoir se gri mer, se déguiser, di ssimuler sa personnalit é est le premier com mandem ent du bon policier, et Lecoq est pass é maître en cet art. Un personnage du Dossier n°113 confi rm e bien cet avis : Il ne f audrai t pas en j urer, parce que, voyez vous, personne ne peut se vant er de connaî t re la vrai e f i gure de m onsi eur Lecoq. Il est ceci auj ourd’ hui et cel a dem ai n ; t ant ôt brun, t ant ôt bl ond, parf oi s t out j eune, d’ aut res si vi eux qu’ o n l ui donnerai t cent ans. Tene z, m oi qui v ous parl e, i l m ’ enf once com m e i l veut . Je cause avec un i nconnu, paf ! C’ est l ui . N’ im port e qui peut êt re l ui . O n 307 François-René de Chateaubriand, www.ebooksfrance.com, p. 1021. Mémoires d'Outre−tombe, éditions eBooksFrance, 250 Troisième partie. Chapitre I Des enquêteurs hors du commun m ’ aurai t di t que vous ét iez l ui , j ’ aurai s répondu : « C’ est bi en possi bl e. » 308 Pour rest er t oujours dans la réalit é policière, Gabori au nous explique longuem ent , dans Le crime d’Orcival , que ce serait pour les besoins de sa sécurité que Lecoq, t el un policier réel, se verrait contraint de se maquiller et de se t ravesti r sans cesse : Q ue voul ez - vous ! Tout n’ est pas rose, dans l e m ét i er. O n court , à é cheni l l er l a sociét é, des dangers qui devrai ent bi en nous conci l ier l’ estim e de nos cont em porai ns à déf aut de leur af f ecti on. Tel que vous m e voyez j e sui s condam né à m ort par sept m alf ait eurs, l es plus dangereux qui soi ent en F rance. Je l es ai f ai t prendre, et i l s ont juré – et ce sont des hom m es de parol e – que j e ne mourrai s que de l eur m ai n. [ …] . Q ui sai t si l ’ un deux ne m’ a pas sui vi j usqu’i ci , qui m e dit que de m ai n, au dét our d’ un chem i n creux, j e ne recevrai pas si x pouces de f er dans l e vent re. 309 L’habilité de Sherl ock Holm es à modi fier l ’apparence de son visage et de son corps sem ble égal e à celle de Lecoq. Holmes comptait « au m oi ns ci nq pet i t s ref uges dans d i f f érent s quart i ers de Londres dans l esquels i l pouvai t changer de personnal i té » 310. Dans Un scandal e en Bohême , il apparaît déguisé en une sorte de val et d’écuri e pris de bois son avec le visage rougeaud et d es habit s miteux. Mais quel ques mi nutes après il redevient 308 E. Gaboriau, Le Dossier 113, p.102. 309 E. Gaboriau, Le crime d’Orcival, p. 194. 310 A.C. Doyle, Volume2, Peter le noir (Black Peter), p. 845. comm e il était à 251 Troisième partie. Chapitre I Des enquêteurs hors du commun l’accout umé. Dans Le Signe des quatre, Il a pu se transformer en vieillard avec : [ …] un pas l ourd q ui gravi ssai t l es m arches et un hal èt em ent sif f l ant et bruyant , comm e chez un hom m e ayant de graves probl èm es de respi rat i on. Une ou deux f oi s i l s’ arrêt a, comm e si l ’ ascensi on ét ai t t rop dif f i cil e pour l ui , [ …] , son dos ét ai t voût é, ses genoux t rem bl ai ent et son souf f l e ét ai t doul oureusem ent asthm at i que. 311 Et dans L e dét ecti ve agonisant , il est parvenu à se faire passer pour un mou rant, même aux yeux avertis du doct eur Watson. Il apparaît à son ami, le visage décharné, le front ruissel ant de sueur, les yeux brill ants, agrandis par la fi èvre, l es pommettes rouges, des croût es noires collées aux lèvres, l es mai ns agitées d’un trem blem ent et tenant d’une voix affaibli e des propos incohérents. Les métamorphoses récurrentes de Holmes qui rel èvent au mieux de la prestidi git ation, causent de véritabl es chocs chez Watson. Lacassin s’interroge sur les motivations de Hol mes à se déguiser : « S’ agi t - il de surprendre l es secret s des bandi t s… ou de surprendre Wat son ? » 312. Pinque apporte une réponse si gni ficative, c’est : [ …] une aut re mani ère de Sherl ock H olm es, déci dém ent , est dém ont rer que uni que ; que l orsqu’ i l l ève l e m asque, révél ant son i de nt i t é, « ça m arche encore ! » . Wat son, dupe pri vi légi ée m ai s ravi e de ces ef f ets d’ i l l usi on, s'ém ervei llera chaque f oi s de l a perf ect i on du cost um e. 313 311 A.C. Doyle, Volume1, Le Signe des quatre (The Sign of Four), p. 315. 312 Francis Lacassin, Mythologie du roman policier (I), p.88. 313 Meryl Pinque, Sherlock Holmes : l’ombre du héros, URL :http://faustroll.net/pinque/index.htm. 252 Troisième partie. Chapitre I Des enquêteurs hors du commun Chez Conan Do yl e l e déguisement ne semble guère rel ever d’une réalité polici ère, mais d’un m onde puremen t fi ctif. L’aut eur a affirmé à plusi eurs reprises que l a mission de l’écrivain ét ait de distraire l e lect eur, de l’arracher à ses préoccupations ou à ses soucis quotidiens. Ainsi, quand Holm es assume des identit és différent es c’est souvent, pour l es besoins de l’enquêt e, cert es, m ais surt out pour se flatter de pouvoir ne pas être reconnu en tant que S herlock Holmes. 2. S’identifier au criminel Lecoq ne s’embarrasse pas toujours de scrupules dans ses recherches et n’hési te pas à viol er l e secret d’une correspo ndance ou à s’appropri er les l ettres d’aut rui ; chez le juge d’Escorval ( Monsieur Lecoq), il ramasse une l ettre tombée sur l e t apis et « m û par un sent i m ent i nst i nct if pl us f ort que sa vol ont é », il la lit. Dans Le cri me d’Orcival, il se livre à un act e pe u él égant voire délictueux pour un policier en s’emparant de la l ettre de l a fill e du mai re, abandonnée sur une t able, et en la glissant dans sa poche. Lecoq n’hésite pas égal ement à écout er aux portes tout en se donnant une excuse : « O ui ! Ce n’ est pas f ort dél icat peut - êt re ; m ai s qui veut l a f i n veut l es m oyens. J’ ai écouté et j e m ’ en appl audis […] » 314. Lecoq a toujours sur lui une trousse « renf erm ant une l oupe et di vers i nst rum ents de f ormes bi zarres, une t i ge d’ aci er recourbée vers l e bout , qu’ i l i n t rodui sai t et f ai sai t j ouer dans l es serrures » 315. Ainsi, un excellent polici er doit posséder des talents qui s’apparentent à ceux des cambri oleurs et des faussaires ; son excuse est l a nécessité de fai re éclat er la vérité, disculp er les i nnocents et de dém asquer les coupables. 314 E. Gaboriau, Le Dossier 113, p.189. 315 E. Gaboriau, Le crime d’Orcival, p.88. 253 Troisième partie. Chapitre I Des enquêteurs hors du commun Tout comme Lecoq, Sherlock Holmes n’hésite pas à sacri fier de façon expéditive les mo yens à l a fin, m ais bien entendu, toujours au servi ce d’une j uste cause. En toute connaissance de cause, l e détective se rend coupabl e de vi olation de domi ci le avec prém éditation ( Le vi sage jaune). Holm es se mue en cambriol eur pour le bon motif, muni d’un attirail de cambriolage, dont il n’est pas peu fier : « voi l à un équ i pem ent de cam bri oleur de prem i ère cl asse et du derni er cri » 316. Il est conscient des risques qu’il court et qu’il fait couri r à son ami Watson, tout en plaisantant, il lui dit : « no us avons part agé l e m êm e appart em ent pendant des années, et ce serai t am usant que nous f i nissi ons par part ager l a m êm e cel l ul e » 317. Holmes n’hésit e pas à aller plus loin, il peut troubler l’ordre public en déclenchant un incendie, c’est le cas dans Un scandale en Bohême. Dans L’illustre cli ent , il échappe de peu aux poursui tes : Sherl ock H ol m es se ret rouva m enacé d’ une accusat i on de cam bri ol age, m ais quand l e but est l ouabl e et l e cli ent suf f i sam m ent il l ust re, m êm e l e ri gi de droi t angl ai s devi ent hum ai n et él ast i que. 318 M. Lecoq et Sherlock Holmes imitent ceux qu’ils poursuive nt, et comme excellents psychologues, ils sont capabl es de s’identifi er à eux égal eme nt sur le plan des pensées. L’expérience de Lecoq comm e ex forçat, lui servi ra pour venir à bout des m yst ères auxquels il est confront é. Lecoq s’identifie au criminel et épouse sa logique pour retrouver les sentim ents qui furent les siens avant, pendant e t après le crim e : 316 A.C. Doyle, Volume2, Charles Augustus Milverton (Charles Augustus Milverton), p. 899. 317 Ibid. 318 A.C. Doyle, Volume3, L’illustre client ( The Illustrious Client), p. 665. 254 Troisième partie. Chapitre I Des enquêteurs hors du commun […] j e dépoui ll e m on i ndi vi dual i t é et m’ef f orce de revêt ir l a si enne. Je subst it ue son i ntel l i gence à l a m i enne. Je cesse d’ êt re l ’ agent de l a Sûret é, pour êt re cet homm e, quel qu’ i l soi t . 319 Holmes à son tour possède la facult é de se met tre en pensée à la place du criminel pour mi eux comprendre ses mobiles et reconstituer ses agissem ents, il explique : Je m e m et s à l a pl ace de l a personne et , ayant au préal abl e j augé son i nt el li gence, j ’ essai e d’ i m agi ner com m ent j ’ aurai s m oi -m êm e agi dan s des ci rconst ances i dent i ques. En insistant sur cette technique de s’identifi er à l ’aut re, le détective brit annique donne ce conseil à un inspecteur de Scotland Yard : Vous n’ obt i endrez des résul t at s, i nspect eur, qu’ en vous m et t ant touj ours à l a pl ace de l ’ aut re en réf l échissant à ce que vous auri ez f ait vous - m ême. Cel a requi ert une cert ai ne dose d’ im agi nat i on, m ai s c’ est payant . 320 Cela nous rappelle incontest abl ement Dupin, dans l a Lettr e volée, qui s’est identifié à l ’intell ect de son adversaire, alors qu e l a police a échoué parce qu’elle s’en est tenue à ses propres idées de l’ingéni osité, qui se sont avérées insuffisantes face à un m alfaiteur d’une intelli gence au dessus de la m oyenne. Dupin a évalué son 319 E. Gaboriau, Le crime d’Orcival, p.431. 320 A.C. Doyle, Volume3, Le marchand de couleurs retraité (The Retired Colourman), p. 1051. 255 Troisième partie. Chapitre I Des enquêteurs hors du commun adversaire à sa just e val eur et est parvenu à conf ondre le cri minel en s’identi fiant à lui . S’identifi er au cri minel, pourrait même créer un senti ment d’admi ration chez le détective. En effet, Lecoq est capable d’appréci er le crimi nel int elli gent qui sait évent er les pièges de l a police. Il se retient pou r ne pas l’applaudir et éprouve pour l ui « cet te secrèt e sym pat hi e qu’ i nspi re l’ adversai re qu’ on sent di gne de soi » 321. Voici égalem ent Holmes qui parle avec fascination de son di abolique adversaire le professeur Mori art y : C’ est l e Napol éon du cri m e. [ …] . C’ est un géni e, un phi l osophe, une p ensée abst rai te. Il est dot é d’ un cerveau de t out prem i er ordre. [ …] Vous connai ssez m es f acul t és, m on cher Wat son, et pourt ant au bout de t roi s m oi s, j e f us f orcé de reconnaî t re que j ’ avai s enf i n rencont ré un adversai re qui ét ai t mon égal sur l e pl an i nt ell ect uel . 322 3. Le goût du secret Au cours de leurs enquêt es, Dupin et Holmes taisent l’essentiel de l eurs découvertes, ce qui permett ra d’abord au m ystère de persist er à t ravers l ’i gnorance du narrat eur, puis au probl ème d’ê tre résolu à l a faveur de l’i gnorance du crim inel. Dupin ent reti ent certes une relation intime avec le narrat eur, mais l’intimit é a ses limites chez le dét ective : J’ ai di t que m on am i avait t out es sort es de bi zarreri es, et que je l es m énageai s [ …]. Il ent rai t 321 E. Gaboriau, Monsieur Lecoq, p. 138. 322 A.C. Doyle, Volume2, Le dernier problème (The Final Problem), p.269. 256 Troisième partie. Chapitre I Des enquêteurs hors du commun m ai nt enant dans sa f ant ai si e de se ref user à t out e conversat i on rel at i vem ent à l ’ assassi nat , j usqu’ au l endem ai n à m i di . Ce f ut al ors qu’ il m e dem anda brusquem ent si j ’ avai s rem arqué quel que chose de part i culi er sur l e t héât re du cri m e. 323 Le narrateur a pprend la découvert e de la l ettre vol ée en m ême temps que l a police offici elle. Dans l’affai re de la rue Morgue, le narrat eur reçoit la révél ation peu de temps avant l a police, et après une attent e convenable. Nous avons l ’i mpression que la discrétion de Dupin est dict ée non par la m éfi ance mais, comme à son habit ude, par l e dési r d’étonner. Cett e mise en scène lui assure le flot des applaudissem ents fi naux ; « l e ri deau se l ève à l’ heure dite, j am ai s avant » 324. À son tour, Holm es a cette capacité de s’abstr aire de l ’enquêt e presque instantanément. Il a égalem ent cett e m anie cachotti ère consist ant à détourner l a conversation pour éviter de livrer à Watson des détails concernant l’éni gm e ; ce qui étonne sans dout e l e lecteur autant que le narrateur Watson : Sherl ock H olm es possédai t l a f acult é, à un degré haut em ent rem arquabl e de di ssoci er son espri t à l oi si r. Durant deux heures, l ’ ét range af f ai re dans l aquel l e nous avi ons ét é i m pli qués sem bl a oubl i ée et il s’ absorba enti èrem ent dans l es pei nt ures de l ’ écol e be l ge m oderne. [ …] , i l ne voul ut parl er de ri en d’ aut re que d’ art [ …] . 325 La façon dont Holm es abrège certaines discussions en gardant le secret de ses proj ets et de ses acti ons, relève d’une rét ention 323 E.A. Poe, Double Assassinat dans la rue Morgue (The Murders in the Rue Morgue), p. 69. 324 F. Lacassin, Mythologie du roman policier (I), p. 31. 325 A.C. Doyle, Volume2. Le Chien des Baskerville (The Hound of the Baskervilles), p. 373. 257 Troisième partie. Chapitre I Des enquêteurs hors du commun d’information, que l e narrat eur présente comm e bizarreri e ou comm e défaut chez son ami : L’ un des déf aut s de Sherl ock H olm es – si, à vrai di re, on peut appeler cel a un déf aut – ét ai t qu’i l répugnai t f ort em ent à com m uni quer à qui conque l ’ ensem bl e de ses pl ans j usqu’ au m om ent de l eur exécut i on. 326 Un défaut bi en com mode emprunt é à Dupin, qui lui permet de nous teni r en halei ne avec une éni gme dont nous entreverri ons trop tôt la solution, si l’on nous communiquait toutes l es données. C’est une vol onté, chez Holmes tout com me chez Dupin, de reteni r l’attention de son auditeur au lieu de l ui donner la soluti on aussitôt découverte. Quant au sil ence de Lecoq, c’est un choix imposé en présence des autres hommes de loi. Lecoq préfère se tenir sur la réserve et ne laisser aucun mot l ui échapper. Il est capabl e de dissim uler son intime pensée, tout en cherchant à pénétrer cell e d’un col lègue, et s’efforce, si elle est opposée, de ram ener ce coll ègue adversaire à son opinion, non en l a l ui découvrant franchement , mais en appelant son attention sur les mot s graves ou futiles qui l’ont fixée. En gardant pour l ui seul les informati ons, le détective empêche le lect eur d’êt re édifié par l a connaissance des données nécessaires à la résolution du crim e ou à l a solution de l’intri gue afin de le tenir en haleine. Qu’il s’agi sse donc des l acunes dans l’inform ation fournie au l ect eur ou de certains d ét ails i gnorés par le criminel , c’est au personnage du détective et à son silence qu’il faut remonter pour trouver l es pi èces m anquantes d’un puzzle encore inextricabl e . 326 A.C. Doyle, Volume2. Le Chien des Baskerville (The Hound of the Baskervilles), p. 563. 258 Troisième partie. Chapitre I Des enquêteurs hors du commun IV- Des héros-détectives face à la science Un des t raits caract éristiques de nos troi s héros -dét ectives et qui suffit à l es distinguer comm e des invest igateurs hors pai r, est qu’ils se récl ament de la science et des méthodes scientifiques. Les déductions de Dupin rel èvent du domaine le plus exact qui puisse exister : les mathém atiques. Doté de facult és d’anal yse à un point impressionnant, n otre détective en arrive à reconstituer ce qui s’est passé. En tant qu’anal yste, il doit « décom poser, di sséquer, ét udi er, exam i ner ». Dans Double Assassi nat dans la rue Morgue , Poe produit toute une démonstration sur l e terme « anal yse ». Bien que cett e affai re dépasse l’entendem ent, Dupin va percer une ex plication logique. En part ant des faits (le crime), il remonte à sa cause grâce à une suite de raisonnements et en s’appuyant sur des indi ces matéri els et ps ychologiques. Puis, il poursui t en expliquant le terme « analyse » : Cet t e f acul t é de résol ut i on t i re peut - êt re une grande f orce de l’ét ude des m at hém at i ques, et part i cul ièrem ent de l a t rès ha ut e branche de cet t e sci ence, qui , f ort im proprem ent et sim pl em ent en rai son de ses opérati ons rét rogrades, a ét é nom m ée l ’ anal yse, comm e si el l e ét ai t l ’ anal yse par excel l ence. 327 Dupin s’int éresse de très près aux mathém atiques. Dans Le myst ère de Mari e Ro get, il parl e m at hém at i ques ». Ai l l eur s i l aj out e : m at i ère 327 d’ un cal cul ri goureux. de « cal cul s purem ent « Nous f ai sons du hasard l a Nous soum et t ons l ’ i natt endu et E.A. Poe, Double Assassinat dans la rue Morgue (The Murders in the Rue Morgue), p.39. 259 Troisième partie. Chapitre I Des enquêteurs hors du commun l ’ i nconcevabl e aux f orm ul es m at hém at i ques des écol es » 328. De la même manière Dupin fait de nom breuses anal yses sci entifiques dans la seconde nouvelle, dans La L ettre vol ée , il expose toute une théorie sur le raisonnement tiré e de l’étude des m athém atiques. Il di ra alors que : « Les m at hé m at i ques sont la sci ence des f orm es et des quant i t és » 329 ou en core que « l e rai sonnem ent m at hém at i que n’ est aut re que l a sim pl e logi que appl i quée à la f orm e et à l a quanti t é » 330. Il signale aussi des « a xi om es m at hém at i ques » , de « chi m i e ». Il expose même des formul es telles que « « x » + px » égal ou non à « q »… ou bien encore il s’i ntéresse au « pri nci pe de l a f orce d’i nert i e » . Des récits tels que Double Assassinat dans la rue Morgue , La Lettre volée et Le Myst ère de Marie Roget ont m anifest ement t rouvé un public prêt à recevoi r les leçons de l 'enquêt e policière sci entifique, de la part d’un dét ective qui est à la fois m at hémati cien et logi ci en. Léon Lemmoni er écrit à propos de Poe et du calcul des probabilités : Les cont es pol i ci ers de P oe sont une app l i cati on à l a l i t térat ure du f am eux l i vre de Laplace : Essai phi l osophi que sur l es probabi l i t és […] . A chaque f ai t , il [ Dupi n] at tri bue une cause, i l appl i que l e t roi si ème pri nci pe de Lapl a ce sur « l a m ani ère dont l es probabi l i t és augm ent ent ou di m i nuent par l eurs com bi nai sons m ut uell es ». 331 C’est sans dout e Poe lui -mêm e qui a ouvert la voi e à de t elles comparaisons en écrivant : 328 E.A. Poe, Le Mystère de Marie Roget (The Mystery of Marie Roget), p. 28. 329 E.A. Poe, La Lettre volée (The Purloined Letter), p.123. 330 Ibid. 331 Régis Messac, Le « Detective Novel» et l’influence de la pensée scientifique, éd. Encrage, collection « Travaux », Paris, 2011,p. 304. 260 Troisième partie. Chapitre I Des enquêteurs hors du commun En général , l es coïnci dences sont de grosses pi erres d’ achoppem ent dans l a rout e de ces pauvres penseurs m al éduqués qui ne savent pas l e prem i er m ot de l a t héori e des probabi l i t és, t héorie à l aquel l e l e savoi r hum ai n doi t ses pl us gl ori euses conquêt es et ses pl us bell es découvert es. 332 En revanche, l a logique de Dupin et de son propre aveu, n’est pas enti èrement identique à la logique mathém atique. Reprenons 333 ce fragment de dialogue ent re le dé t ective et son compagnon au sujet du ministre D : - [ …] je croi s qu’ il a écri t un l i vre f ort rem arquabl e sur l e cal cul dif f érent i el et int égral . Il est l e m at hém ati ci en et non pas l e poèt e. - Vous vous t rom pez ; j e l e connai s f ort bien, i l est l ’ un et l ’ aut re. Com m e poète et m at hém at i ci en, i l a dû rai sonner j ust e ; comm e si m pl e m athém at i ci en, i l n’ aurai t pas rai sonné du t out , et se s erai t ai nsi m i s à l a m erci du préf et . 334 Poe sembl e insister sur la distinction entre l’esprit de géom étrie et l’esprit de finesse. Effectivem ent, si l ’intuition fournit l e point de départ dans la méthode de Dupin , ou plutôt de Poe lui -m ême, c’est parce que chez lui l'anal yste est doubl é d'un poète : c’est le poèt e qui, au bout de ses raisonnem ents , découvre h ypothétiquement, par intuition et di vination géni ale, la cause cherchée. Le détective de Gaboriau est trop respectueux de ce qui relève de la science pour ne pas t enir compt e des résultats des examens des 332 E.A. Poe, Double Assassinat dans la rue Morgue (The Murders in the Rue Morgue), p. 80. 333 Voir page 211. 334 E.A. Poe, La Lettre volée (The Purloined Letter), p.122. 261 Troisième partie. Chapitre I Des enquêteurs hors du commun médecins légist es, m ême si l’inspection du cadavre, de la blessure et des ec ch ymoses de la part des médecins, ne fait souvent, que confi rmer les indi cations de Lecoq , il rest e que l ’examen médical minutieux devient absolument fondam ental. Dans le Crime d’Orcival, Lecoq ne m anque pas d’aill eurs de l e souligner une fois le cadavre examiné, l es lieux inspect és et les h ypothèses const ruit es : J’ ai bi en m a l ant erne, et m êm e une chandel l e dans m a l ant erne, i l ne m e m anque pl us qu’ une al l um ett e… [ …] , si m onsi eur l e doct eur dai gnai t prendre l a pei ne de procéder à l’ exam en du cadavre de M m e l a com t esse de Trém orel , il m e rendrai t un grand servi ce. [ …] , j e m e perm et t rai d’ appel er l ’ at t ent i on de m onsieur l e doct eur sur les bl essures f ai t es à la i nst rum ent t êt e de cont ondant M me que de je Trém orel par un suppos e êt re un m art eau. J’ ai ét udié ces bl essures, m oi qui ne sui s pas m édeci n, et el l es m ’ ont paru suspect es. 335 Emanant de la bouche de Lecoq, cett e démonst ration au st yl e badin, m ontre assez bien quell e ét ait la conception que Gaboriau se faisait de l 'enquête j udiciai re : le détecti ve pou rrait bien avoir, grâce à ses qualit és d'observation, l a lantern e et m ême l a chandelle ; il appartenait à la sci ence d’offrir l ’allum ette. Lecoq n’a pas hésité à faire appel aux derniers progrès scienti fiques m arquant son époque. Dans L e Dossier n°113 , l e détective a eu recours à un agrandissement photographi que. Une autre utilisati on de la photographie, trop ordinai re a ujourd’hui, « m ais peut -êt re inventée par Gabori au », renvoi e à l’examen d’un lot de portraits parmi lesquels fi gure celui du coupabl e pr ésumé. Sur un 335 E. Gaboriau, Le Crime d’Orcival, p.91. 262 Troisième partie. Chapitre I Des enquêteurs hors du commun autre regist re, l e héros -dét ective de Gabori au a fait de l a chimi e avant Sherlock Hol mes : « Q uel s poi sons produi sent les ef f et s décrit s ? Je n’ en connai s pas. Et j ’ ai pourt ant étudi é bi en des poi sons, depui s l a di gi t ale de La P omm eraye j usqu ’ à l’ aconi t i ne de l a Sauvresy » 336. En 1907, le criminologue Al fredo Ni ceforo l’œuvre polici ère de Gaboriau considère i nnovat eur af f ranchi de l a rout i ne ». qui s’int éresse à Lecoq com me « un À travers l e dét ective, c’est à Gaboriau qu e Ni ceforo adresse cet él oge : Q uel t ype de poli ci er devrai t êt re l ’ homm e qui , m i eux que t out aut re de son époque, pouvai t se servi r de cet t e f acult é si rare qu’ est l a f acul té de rai sonner l ogi quem ent et m ett re en cont ri but i on des connai ssances sci entif i ques pour l es i nvest i ga ti ons sur l es l i eux du cri me ! 337 Gaboriau a ainsi su profit er de l’exemple d’Edgar Poe. Ses écrit s policiers décèl ent de nombreuses traces de l’influence scient ifique. Il a réussi à conquérir ses fidèl es par la satisf action qu’il apportait à leur int elli gen ce. L’un des rares bi ographes de Gabori au, Marius Topin le souli gne pertinemm ent : [ …] l ' Af f ai re Lerouge , l e Crim e d' Orci val , l e Dossi er n ° 113, Monsi eur Lecoq, La Cor de au cou , œuvres f ort im proprem ent nom mées rom ans [ …] , m ai s auxquel l es véri t abl e t i t re il est général , t em ps de rest i t uer qui est celui - ci : procédés de rai sonnem ent en m ati ère j udici ai re . 336 E. Gaboriau, Le Dossier 113, p.538. 337 Cité par Roger Bonniot, op. cit., p. 431. 338 Cité par R. Messac, op. cit., p. 434. leur des 338 263 Troisième partie. Chapitre I Des enquêteurs hors du commun Quant à Sherlock Holmes, son créat eur lui -mêm e explique : « j ’ ai essayé de créer un dét ect i ve sci ent ifi que qui résout l es probl èm es par ses prop res m oyens, et non grâce aux erreurs du coupabl e » 339. La méthode de Sherlock Holm es met au premier pl an les avant ages que procure le progrès scient ifique. Holmes s’int éresse à plusieurs discipli nes, mais surtout à la chimie. Il a d’ailleurs fait la connaissance de Watson dans un laboratoire de chimie, où il venait de réussir une expéri ence sur l ’hémoglobi ne. Holmes a ainsi fait « pénét rer l a cri mi nol ogi e dans une voi e nouvel l e et , bi en qu e f ict i ve, cet t e découvert e est un poi nt de départ » 340. La m éthode de She rlock Holm es tém oigne du progrès de la science et fait partie de la modernit é de son époque. Sans oublier que dans les enquêt es m enées p ar Holmes, Doyl e n’hésit e pas à réinvesti r ses connai ssances médicales. En jouiss ant égalem ent d’une connaissance ét endu e des techniques de laboratoire, son détective était capabl e d’i ndi quer la provenance d’une boue, d’identifier la nature d’un t abac ou de reconnaître l es dessins d’un pneumatique parmi les 42 sortes de pneus qui existaient à l’époque. Dans Policier s de roman et de laboratoire , Edmond Locard écrit : Ce qui est adm i rabl e chez H olm es, c’ est cett e parf ai t e connai ssance de t out ce qu’i l f aut avoi r ét udi é pour l a découvert e des cri m i nel s ; en quoi i l est grandem ent supéri eur aux pol i ci ers d' Edgar P oe et de Gabori au 341. 339 A.C. Doyle, Souvenirs et Aventures, 1924, extrait présenté sous le titre « Le Dr Joseph Bell vu par Conan Doyle », p. 1 006. 340 Pierre Nordon, Tout ce que vous avez voulu savoir sur Sherlock Holmes sans jamais l’avoir rencontré. Paris, Librairie Générale Française, coll. Le Livre de Poche Biblio essais, 1994, p. 49. 341 Cité par Boileau-Narcejac, Le roman policier, Quadrige/PUF, Paris, 1994, p. 41. 264 Troisième partie. Chapitre I Des enquêteurs hors du commun En revanche, nous pouvons reprocher à Holmes de ne point avoir eu recours aux résul tats d’une aut opsie (comme Lecoq), et de ne pas accorder de content ion aux empreintes digit ales, alors que l’emploi de cett e t echni que était admis en France depui s 1888 ; quand Holm es a découvert la t race très nette d’un pouce sur une boît e, il l’a ignorée ! Il n’a ni usé du tél éphone, ni pris l’automobil e ou le métro. Chose étrange chez un homme qui sur tant de points fut un initiateur, il ignore la dact yloscopie, qui e st si uti le pour le polici er, et qui, à l'époque, ét ait dans le domaine public. C’est la raison qui a poussé Lacassin à exprim er son étonnement : « A cert ai ns égards, Sherl ock H ol m es s’ avère i nexpl i cabl em ent en ret ard sur son t em ps » 342. Heureusement, Hol mes se ratt rape avec l’expertise des docum ents écrits et les écritures secrètes. Il est arrivé à décel er l’odeur de café à partir du papier port ant l’adresse de la destinatai re de La Boîte en cart on . Sa connaissance des soixante -quinze parfums qu’un expert criminologue, lui a permi s d’identifi er dans Le chi en des Baskerville , l ’ori gine féminine d’une lettre. Et là où vraim ent Holmes fait preuve d’une étonnant e ingéniosit é, c’est quand, dans Les hommes dansant s , il réussit à déchi ffrer l’étrange cr yptogramm e form é par des li gnes minuscul es , de sil houett es en t rain de danser. « Les pet i t s hom m es dansant s ne pouv ai ent t ai re i ndéf i nim ent l eur secret au roi des détect i ves, l e dét ecti ve des roi s » 343. Il sembl e mêm e que Holm es a pratiqué la police scienti fique avant qu'ell e ne soit inventée, il a créé un art nou veau. Il a réellem ent influencé la technique poli cière. Le Dr. Locard ne manque pas de lui rendre un hommage di gne de ses tal ents : 342 Francis Lacassin, Mythologie du roman policier (I), p. 102. 343 Ibid., p. 105. 265 Troisième partie. Chapitre I Des enquêteurs hors du commun J’ avoue pour m a part , avoi r pri s dans l es avent ures de Sh. H ol m es l ’ i dée prem i ère de recherches sur l es poussi ères des vêt ement s et sur l es t âches de boue et j e sai s ne pas êt re l e seul à avoi r t rouvé dans ces rom ans des i dées neuves et des i nspi rat i ons uti l es 344. L’image qui se dessine désormais est celle d’un héros -dét ective qui se passionne, et passionne le l ect eur pour l ’enquêt e sci entifique. Grâce à leur caract ère rationnel, Dupi n, Lecoq et Holm es deviennent les ennemis implacabl es de « ceux qui peupl ent le m onde des ombres ». 344 Cité par Francis Lacassin, Mythologie du roman policier (I), p.114. 266 Troisième partie. Chapitre I Des enquêteurs hors du commun D e ce long parallèl e entre les méthodes et procédés d’enquêt e de Dupin, Lecoq et Holm es, nous fini rons par une s ynthèse d es él éments recuei llis dans notre anal yse afin de situer les ressem blances et les dissemblances qui ont caract érisés les trois enquêteurs. Nous avons affaire , tout d'abord, au détective qui se sert principal ement de ses facult és m ental es pour résoudre les énigm es ; c’est le cas de Dupi n. C’est u n esprit fort qui règne sur l 'univers du roman à éni gm es et pour qui chaque m yst ère n'est qu'un problèm e mathém atique qui doit connaître sa classification . Le t ype Dupin ne parti cipe que très rarem ent à l 'action, il préfère garder une certaine distance face aux événem ents. Dist ance qui lui permet d'anal yser plus clairem ent les indices laissés par l e mal faiteur et de découvrir, grâce à diverses opérations ment ales, l a clé du m ystère. Dupin se révèle donc un rationalist e qui a une confi ance exclusive dans l a raison, cel a coïncide avec une époque, milieu du XIX e siècle, où l 'on entend manifester la toute puissance de l 'intelli gence hum aine sur les déterminations de l a nature et du hasard. Dans ce sens, Dupin ne s’intéresse pas aux choses, ni aux individus, m ais seul ement aux rapports logiques qui les unissent. Ce rapport abst rait rest e donc sa seule base. Ensuite, nous retrouvons l e t ype d u policier habile qui m et à profit sa vivacité d’esprit et d’action à la fois. Lecoq, homme de terrain, nous rappell e un scout consci encieux sur un itinérai re t ruffé de si gnes de piste. C’est l’infati gable traqueur d’une cat égori e de gibi er. Sur le t errai n il se transform e en limier voire en animal dont la vue, l ’ouï e et l’odorat sont const amm ent en éveil . Les enquêtes de Lecoq sont pl acées sous le si gne du d ynamisme et du mouvement, et sa méthode est fondée sur l’exam en des indices et ensuit e sur la 267 Troisième partie. Chapitre I Des enquêteurs hors du commun déduction qui s’ensuit. Ce poli cier pl ei n d’énergie nous l’affi rme : « Not e z bi en ceci : un hom m e d’ i nt el l i gence m oyenne qui concent re t out es ses pensées, t out es l es i m pulsi ons de sa vol ont é vers un seul but , arri ve presque t oujours à ce but » 345. Or, Monsieur Le coq est loin d’êt re un homm e d’intelli gence mo yenne ; à l’exception de Dupin, aucun des poli ciers que l’on a mis en scène avant lui ne possède son intelli gence pénét rante, sa lucidité ni m ême sa culture. Par conséquent , deux écoles vont se défini r: L'écol e anglo saxonne d'Edgar Poe qui s'attache à l a fi gure du dét ective amat eur purem ent raisonneur. L'école française de Gabori au qui uti lise des méthodes pratiques et sci entifiques et crée la fi gure du policier professionnel de t errain. Enfin, nous distinguo ns le dét ective adepte du rationalism e et du scientism e en cett e fin de si ècl e qui se transform e, selon les cas, d’un enquêt eur à m atière grise tel que Dupin en vérit abl e homme de terrain t el que Lecoq. Holm es insi ste sur la nécessi té d’une observation mi nutieuse préal abl e au rai sonnem ent (sur ce point là, il se dém arque de Dupin). Or, c’est surt out par cette minut ie dans l’observation que Holmes ressemble au policier de Gaboriau. Le dépl acem ent sur le t errain et l’examen opéré sur la scène de crime caractérisent égal ement de nombreuses enquêtes du détective. En tous les cas, Holmes se veut un chercheur scienti fique et son créat eur le confirm e: « J'ai essayé de créer un détecti ve scien tifique». 346 En créant son héros, Do yl e a réussi à faire la s ynthèse des deux détectives : Dupi n et Lecoq. Cett e synthèse a parti cipé en grande partie à la popul arité mondi ale et durabl e de 345 E. Gaboriau, Le Dossier 113, p.530. 346 Cité par Dominique Meyer-Bolzinger dans Une méthode clinique dans l'enquête policière: Holmes, Poirot, Maigret, Éditions du CÉFAL, Belgique, 2003, p. 16. 268 Troisième partie. Chapitre I Des enquêteurs hors du commun Holmes, qui devi ent, pour toujours, synon yme de « dét ective de génie ». Nos trois enquêt eurs se différenci ent égalem ent dans la m esure où, Dupin et Hol mes agissent sur mandat ement indivi duel, ils procèdent en dehors des ci rcuits offi ciel s, ent ret enant en général des rapports ambi gus et tendus avec les policiers offici els, qui sont général em ent présentés de m anière burl esque ou grotesque et à qui les deux dét ectives tiennent à prouver l eur supériorit é. Par contre, Lecoq est un foncti onnaire offici el de police, mais il rest e quand même un poli cier spéci al, en concurrence avec ses peu s ympathiques collègues qui n’appréci ent guère ses mét hodes. Par aill eurs , si Edgar Do yle se sont inspi rés Allan Poe, Émile Gabori au et C onan sans doute fort ement de la réalit é poli cière quotidienne ou m ythifiée, en retour, et à travers leurs enquêt eurs, ils ont puissamment contribué à modi fier non seul ement l 'i mage de l’enquêt e polici ère dans l 'opinion, m ais l’enquêt e et ses t echniques, voire les enquêt eurs eux -mêm es. L'illusion d'une police infaillibl e, doit beaucoup aux enquêt es et éni gm es criminelles résolues avec le brio qu'on leur connaît par le chevalier Dupin, Monsi eur Lecoq et Sherlock Holmes. Ces héros -détectives ont excité l 'im agi naire et suscité l 'admirati on de leurs cont emporains. Grâ ce à eux les policiers et détectives réel s ont joui d'un presti ge indescri ptible, c es derni ers ont voulu ressembler d'une mani ère ou d'une aut re à ces détectives fictifs. Roger Borniche, un anci en policier français, en préfaçant Émile Gaboriau ou la naissance du roman poli cier affi rme à propos de Gaboriau : Un si ècl e après l ui , j e ne pui s qu’ adm i rer, avec son espri t d’ o bservat i on et la j ust esse de ses 269 Troisième partie. Chapitre I Des enquêteurs hors du commun déduct i ons, l a vérit é de ses « gens de pol i ce », f onct i onnai res ou détect i ves pri vés [ …] 347. Or, ce qui rassem ble les troi s enquêteurs, c’est leur côté rassurant, leur ténacit é, mais aussi leur courage et leur « bonne étoile », ils paraissent infaillibl es et ne perm ettent pas de douter de leur réussite. Boileau -Narcej ac souli gnent: Le dét ect i ve ne peut pas ne pas êt re i nf ai ll i bl e. Il est i nf ai l li bl e, non pas parce qu’ il est un surhom m e, m ai s parce que son rôl e est de « dém on t er » un i m brogli o qui a ét é « m ont é » pour l ui . S’ i l se t rom pai t , i l ne f ourni rai t pas l a preuve que l e m yst ère le dépasse, m ai s t out si m plem ent que l ’ hi st oi re est m auvaise, et , dans ce cas, l e rom anci er renoncerai t à écrire cel l e - ci . Du m om ent que l ’ hi st oi re exi st e, l e pol i ci er est i nf ai ll i bl e. 348 Avec l eur brill ant allant et leur infailli ble lucidité et sagacité , aucun mensonge ni méfait quelconque n’est censé échapper aux trois détectives. Tout se passe, en effet, comme s’ils jouissai ent d’une clairvo yanc e sans limite, leur perm et tant en fin de compte de dévoil er la vérit é. C ette assurance et cet te autorité affi chées par les détectives semble nt hypnotiser, d’une cert aine mani ère le lecteur qui demeure général ement ébloui par ceux qu’il considère com me des êtres hors du comm un et qui a tendance à oublier que ces derniers sont des êt res en papier. Grâce aux méthodes infaillibl es des trois détectives, l a narrat ion policière sembl e être ouvert ement programmée : l e lect eur ignore c e 347 Roger Bonniot, Emile Gaboriau ou la naissance du roman policier, Paris: J.Vrin, 1985. (Préface). 348 Boileau-Narcejac, Le roman policier, Quadrige/PUF, Paris, 1994, p. 28. 270 Troisième partie. Chapitre I Des enquêteurs hors du commun qu’il va découvrir dans le roman, mais il sait déjà qu’on lui annoncera un crim e ou qu’il sera confronté à une éni gm e, dès le début du roman. Il sait égalem ent qu’un enquêteur, qu’il connaît déj à la plupart du temps, sera chargé de résoudre le m ystère, qu’il sera amené à suspect er, innocenter, int erroger, prospecter, juger..... En outre, l e lect eur ne doute pas de la réussite de l’enquêteur qui , de par son sens de pénétrat ion, ne peut être qu’infaillible ; il s’att end donc aux révélations finales, à l a victoi re de la raison sur l e m y stère. En somme, l ’infaillibil ité qui caract érise nos t rois enquêt eurs les consacre comme des héros , c.-à-d. comm e des héros -dét ecti ves. 271 Chapitre II Des personnages aux statuts spécifiques Troisième partie. Chapitre II Des personnages aux statuts spécifiques I. Statut professionnel 1. Le détective officieux Il est à constat er que le nom de « polici er » qui dési gne l e genre ne reflèt e pas les i ntentions des aut eurs qui préfèrent des héros, le plus souvent, indépendants de l’administ ration poli cière. En effet, l a plupart des représentations littéraires du XIX è m e siècle ont enfermé l’appareil polici er dans une tradit ion de Gui gnol . Le polici er offi ciel est décrit comm e un personnage inefficace, ent êté qui, lorsqu’il trouve une pist e qui lui paraît vrai semblabl e, ne change pl us d’opinion et s’ y accroche tenacem ent . C ertains aut eurs ont cl airement affi ché leur déni greme nt de cette instit ution polici ère inopérante et inefficace. Ainsi dans l’Épouvant e, M. Level écrit : Du rest e , quoi d' ét onnant à ce qu' un cri m e f ût perpét ué avec sergent de une vi ll e parei l l e aux audace endroi t s ? Jam ai s dange reux de ! Les rues , passé mi nui t ? des coupe - gorges , et pour ne pas êt re prot égés on payai t des i m pôt s pl us l ourds chaque année. 349 C’est pour cett e raison qu’ il était devenu : paradoxal de dénom m er « pol i ci er » ce qui en f ai t s’ oppose en perm anence à un corps i nst i t ué qui s’ avère i m pui ssant à résoudre cert ai nes éni gm es. 349 Cité par D. Kalifa dans son article « Roman policer, roman de l’insécurité ? » in Crime et Châtiment dans le roman populaire de langue française du XIXe siècle. Actes du colloque international de mai 1992. Université de Limoges, PULIM, 1994, p. 144. 273 Troisième partie. Chapitre II Des personnages aux statuts spécifiques Seul e peut - êt re l’ étym ol ogi e du m ot (pol i s= ci t é) j ust if i e cett e ét i quet te 350. Dominique Kali fa nous fait savoir que l e polici er constituait au début du XIX è m e si ècle, une fi gure honnie, oscill ant de la si lhouette sombre de l’espion à cell e, moins retorse, m ais tout aussi négati ve, du fonctionnaire incapabl e et obtus, englué dans l a routi ne et l a suffisance. Kali fa explique qu’: au x F rance, sources la du phénom ène concept ion prat i quée par F ouché d’ une 351 se pol i ce t rouve, en repensée et com m e un i nst rum ent de rensei gnem ent et de basse poli t i que. Mai nt enu par t ous l es régim es post éri eurs, l a f i gure du m ouchard nourri t t out l’ i m aginai re rom anti que. Du Jackal de Dum as au Javert d e H ugo, l ’ hom m e de pol i ce y dem eure l aquel l e une f i gure l ’ om bre f roi de port ée de et i m pl acabl e, Vi docq sur suri m prim e encore l a suspi ci on cri m i nel l e 352. Il en va de m ême dans Les Français pei nts par eux -mêmes, pour l’image qu’avait le policier à l’époque : La hont e et l ’ i nf am i e l ’ enserrent de t out es part s, l a soci ét é l e chasse de son sei n, l ’ i sol e com m e un pari a, l ui crache son m épri s avec sa pai e, sans 350 Lauric Guillaud, L'Aventure mystérieuse de Poe à Merritt ou les orphelins de Gilgamesh, éditions du C.E.F.A.L. Liège, Belgique, 1993, p. 192. 351 Joseph Fouché, était un homme politique français (1759-1820). Connu par la férocité avec laquelle il réprime l’insurrection lyonnaise. Était ministre de la police sous le Directoire et l'Empire. 352 Domnique Kalifa, « Enquête judiciaire, littérature et imaginaire social au XIX siècle », in Cuadernos de Historia Contemporánea, janvier 2011. URL : http://readperiodicals.com/201101/2593465461.html#b 274 Troisième partie. Chapitre II Des personnages aux statuts spécifiques rem ords, sans regrets, sans pit i é : c' est un agent de pol i ce, c' est un m ouchard . 353 Par la suite, la littérat ure a cont ribué activement à la requalifi cation du métier, mais en n’insistant que sur la part judiciai re de l’activité polici ère. Elle a valorisé le rôl e de la police dans la const ruction de la «sécurit é publique » et la défense des honnêt es gens. En revanche, l e poli cier manqu e d’éclat, l a l ittérat ure l’a cert es sorti de la fange, mais aux yeux des romanciers, il manquait de l’aura romantique qui nim bait les grands criminels. Le fonctionnai re poli ci er éprouvait donc comme fi gure romanesque de de la peine premier pl an. Il à s’imposer demeurait ce personnage t erne, ineffi cace, et le plus souvent ridicule. E.A. Poe et A.C. Doyl e n’ont pas fait exception, l e premi er crée le dét ecti ve amat eur et le deuxièm e met en scène l e dét ective privé professionnel qui, t ous les deux, ne ti ennent pas la police en haut e estime ; mêm e si leurs enquêtes sont menées avec l’assenti ment ou à la demande de cel le -ci. Nous avons précédemm ent 354 évoqué l es rel ations t endues que l es deux détect ives entretiennent avec l es policiers offi ciels qui font fi gure de grotesques ou de burlesques. Poe et Do yl e, ont chois i le statut « privé » pour leur héro , pour que ces derni ers soient des êtres à part, en m arge des norm es et des codes soci aux et qu’ils évoluent dans un monde parallèl e à l’institution polici ère. Ils incarnent une di mension libert aire certaine. Et même s’ils vendent leurs services, chacun d’eux rest e son propre maître et décide seul. Ils diri geront leurs pas. Ils choisissent d’accept er ou de refuser l es missions qu’on leur propose, et peuvent, 353 Armand Durantin, «L’agent de la rue de Jérusalem», Les Français peints par eux-mêmes (Volume 2), Omnibus, Paris, 2003, p. 977. 354 Voir le titre « Rivalité, critique et moquerie » p.190. 275 Troisième partie. Chapitre II Des personnages aux statuts spécifiques à tout moment l es faire évoluer comm e bon leur sembl e. Cela leur perm et de mener leurs enquêtes de m anière tot alem ent autonome, d’intervenir dans des affai res avant l a police, et d’êt re les premiers à découvri r la vérité. Ils ont conti nuell ement une longueur d’avance sur les poli ci ers. A la fin c e sont eux qui les mettent sur la bonne piste. Sherlock Hol mes se compare à un charlat an face à des policiers comparés aux médecins offi ci els : Il [ un cli ent] m ’ a ét é envoyé par Scot l and Y ard. Tout com m e l es médeci ns envoi ent parf oi s l eurs pat i ent s i ncurabl es à un charl at an. Ils prét endent ne ri en pouvoi r f ai re de pl us, et quoi qu’ i l advi enne l e m al ade ne s’ en t rouvera pas pl us m al 355. Le d ynamism e des détectives pri vés contraste donc avec l a passivité des inspect eurs de police, qui supporten t m al d’êt re toujours devancés par ces détectives. Les com pét ences de ces derni ers sont ainsi soulignées et se disti nguent l argement de cell es de l’appareil polici er. Chez Poe comme chez Do yle, il est à noter un constant insuccès de l’enquêt e de police et un perm anent succès de leurs concurrents, les détectives privés. Il s’agit d’une nett e opposition du « privé » à « l ’État ». Il se trouve mêm e que des victim es préfèrent solli citer le détective « privé » et non pas la police . Par exempl e, d ans les avent ures de Holmes, le crim e et la m enace visent le plus souvent des êtres privil égi és, i mportants par leur statut social et poli tique qui font appel, pour conjurer le danger , à ses servi ces parce que tout d’abord ils veul ent que leurs affaires restent discrètes. Et parce qu’ils n'ont pas ou n'ont plus confiance en une poli ce offici elle 355 A.C. Doyle, Volume3, Le marchand de couleurs retraité (The Retired Colourman), p. 1025. 276 Troisième partie. Chapitre II Des personnages aux statuts spécifiques destinée à secourir t outes l es victim es, comme à poursuivre tous les criminels, contrairement au détective privé qui « p eut s’ef facer par moments, devenir presque transparent et se con centrer sur les gens et l eurs problèmes su r lesquels il enquête » 356. Ainsi, face à ce t ype de crim e ou de menace Holmes se dresse et t âche avant tout de décr ypt er avant de combattre. Or, ce don n’est pas à l a portée de tout un chacun, seul not re dét ec tive privé présente l es caract éristi ques du génie qui semble faire défaut à la police offi ciell e. Le détective privé, qu’il soit amat eur du t ype Dupin ou professionnel du t yp e Holmes, devient donc l e personnage favori du retour à l’ordre. C ’est bien lui qu i va constituer l a fi gure moderne et populai re. Il va démontrer en perm anence sa supériorit é sur une police m arquée par une routine inopérant e. Son détachement de l’institution poli cière lui perm ettra d’agi r libre de tout e entrave et loin de l’arbitrai re c ontrai gnant des codes et des lois. Le détective privé est l e personnage i déal, indépendant, maître de ses gestes mais égal ement de sa conscience. 356 Ross Macdonald, Lew Archer, détective privé à Hollywood, Fleuve Noir, Paris, 1993, p. 484. 277 Troisième partie. Chapitre II Des personnages aux statuts spécifiques 2. Le policier officiel Il revi ent à Gabori au d’avoir l’idée de tirer le fonctionnaire policier du ghett o où l’avaient mis la pl upart des aut eurs. Lecoq a en parti e réussi à déchi rer l’im age odi euse et somm aire qu’on se faisait du polici er, à travers Jackal et Javert. Dans Le Petit Vieux des Batignolles , l’inspecteur Michenet donne l 'impression d'êt re port eparol e de Gaboriau : [ …] j e sui s une des sent i nell es perdues de l a ci vi li sat i on, au pri x de m on repos et au ri sque de m a vi e, j ’ assure la sécuri t é de la soci ét é et j ’ en rougi rai s ! … Ce serai t par t rop pl aisant . Tu m e di ras qu’ il exi st e, cont re nous aut res de l a pol i ce, quant i t é de préj ugés i nept es l égués par l e passé… Q ue m’ im port e ! O ui, j e sai s qu’i l y a des m essi eurs suscept i bl es qui nous regardent de t rès haut … Mai s sacrebl eu ! j e voudrai s bi en voi r l eur m i ne si dem ai n m es col lègues et m oi nous nous m e t t i ons en grève, l ai ssant l e pavé l i bre à l ’ arm ée de gredins que nous t enons en respect ! 357 Avant 1910, et en attendant que l’image qu’avait l e policier change radicalem ent avec Mai gret, seul Monsieur Lecoq comme agent de l a Sûreté a donc échappé à l a règl e générale. Or, Gaboriau tient à souli gner que son enquêteur est un polici er parti culier pas comme l es aut res, souvent en désaccord avec ses peu chers collègues qui n’apprécient guère ses m éthodes. R. Bonni ot nous l e dit: Ce m épri s pour l es gens de pol i ce ou, tout au m oi ns, cet t e f roi deur à l eur égard sont p art agés par 357 E. Gaboriau, Le Petit Vieux des Batignolles, URL: http://www.ebooksgratuits.com/pdf/gaboriau_petit_vieux_des_batignolles.pdf. p. 29. 278 Troisième partie. Chapitre II Des personnages aux statuts spécifiques cert ai ns m agist rat s, dont il s sont cependant l es auxi l i ai res i ndi spensabl es » 358 Ce sentim ent se fait jour dans Le crime d’Orcival , quand Domini le juge d’inst ructi on accueil l e peu aim ablement Monsieur Le coq pour ne pas s’être présenté à lui dès son arri vée. L’aut eur précise explicitement : M. Dom i ni n’ ai me pas l a pol i ce et ne s’ en cache guère. Il subi t sa col l aborat i on pl utôt qu’ i l ne l ’ accept e, uni quem ent parce qu’ i l ne peut s’ en passer. Dans sa droi t ure, il condam ne l es m oyens qu’ ell e est parf oi s f orcée d’em pl oyer, t out en reconnai ssant l a nécessit é de ces mêm es m oyens 359. Et quand un Lecoq énergique et int elli gent a affaire à des criminels perfides qui usent de toute leur ingéniosit é pour ne pas laisser t raîner le m oindre indi ce derrière eux, il comprend bien que les méthodes offici elles de la poli ce ne peuvent êt re effi caces à l eur égard : « Le mand at me donne -t-il l e droit d e fouiller sur -lechamp les maisons où j’ai li eu de su pposer qu’il s’ est réfugié ! Non » 360. Raison pour laquell e Monsi eur Lecoq ne cache pas son envie de vouloi r être l e maît re de l ui-mêm e et d’échapper aux contraint es des lois , voire de l a politique qui lui lient les m ai ns : Ah ! m onsi eur, c’ est que l a l égal i t é nous t ue. Nous ne som m es pas l es m aî t res, m al heureusem ent. 358 Roger Bonniot, Émile Gaboriau ou la naissance du roman policier, Paris, Editions J. Vrin, Pais, 1985. P. 224. 359 E. Gaboriau, Le Crime d’Orcival, p.77. 360 Ibid., p. 436. 279 Troisième partie. Chapitre II Des personnages aux statuts spécifiques La l oi nous condam ne à n’ user que d’ arm es court oi ses cont re des adversai res pour qui t ous l es m oyens sont bons. Le P arquet nous l ie l es m ai ns 361. Mal gré cela, Gaboriau a préféré que son héros soit polici er en titre. Sans chercher trop loin les raisons de ce choix, il ne fait guère de doute que le cont exte hexagonal de traditions peu libéral es laiss e fort peu de place au détective (l e mot lui-mêm e n’est int roduit que vers l es années 1880). Mais pourquoi l a Fran ce et, par corollaire, la littérat ure poli cière française n'ont jamais fait bon accueil au détective privé ? Pour répondre à cett e question, nous nous baserons sur l’anal yse t alentueuse de l ’historien français Dominique Kalifa : Naissance de la police pri v ée. Détecti ves et agences de recherche en France 1832 -1942 . Au long des 334 pages qui constituent cett e anal yse, trois dossi ers sont ouvert s par l ’historien, dont voici le résumé : Le premier dossi er aborde une diffici le professionnalisati on d’un m étier aux tâches mal définies. Les représentations littérai res constituent le deuxième dossier ouvert par l’aut eur qui trouve que la production française disqualifi e l e détective, souvent m al honnêt e et parfois ridicule, comme dans le cas exemplaire de Vaude ville, Trioche et Cacol et, crées par Henr y M eilhac et Ludovic Halév y. Mis es en scène pour le théât re en 1871, ces créat ures sont devenues pour longtemps des personnages t ypiques d’une profession à la mauvaise réputation. Kalifa affirm e qu’on chercherait en vain des détectives privés dans la littérat ure polici ère française, mêm e s’il convi ent de reconnaître que 361 E. Gaboriau, Le Crime d’Orcival, p. 436. 280 Troisième partie. Chapitre II Des personnages aux statuts spécifiques Sherlock Holm es, Nick C art er et divers avatars avai ent connus un grand succès en France. Le dernier dossi er est, à nos yeux, le plus pertinent, c ar il traite le rapport de la poli ce privée avec l ’Ét at. Kalifa nous parle d’un réel blocage opposé par l ’institution polici ère au dével oppem ent d’une profession généralem ent com posée d’homm es a yant appart enu à ses rangs avant de rompre avec ell e. Il n’était point admis de confi er au « privé » ce que l’on a toujours consi déré comm e l ’une des premi ères missions de l’État : l a protection des cit o yens. Ce n’est qu’en 1942, qu’une loi avait ét é créée pour réglem enter la profession de directeur et de gérant d’ag ences pri vées. Si la littérature policière françai se a en fin de compt e jet é son dévolu sur un « gentleman cambriol eur » 362 plutôt qu’un S herlock Holmes, c’est certai nement parce que le seul t ype de personnage en marge de l’autorité polici ère pouvant susc iter l ’intérêt serait celui d’un m alfaiteur. 362 Il s’agit d’Arsène Lupin, le héros de Maurice Leblanc 281 Troisième partie. Chapitre II Des personnages aux statuts spécifiques II. L’enquêteur : détective et/ou justicier 1. Le « rétablisseur » de vérité Nous l’avons dit, Dupin est l e premi er dét ective de l ’hist oire littérai re, car il i ncarne une pratique judiciai re d’am at eur, en m arge de l a justi ce instituée. En mêm e t emps, l e personnage du dét ective s e démarque de celui du personnage justicier. Ce dernier est personnell ement impliqué dans le drame et lutte cont re un adversaire présent jusqu’à ce que l’ordre de la justice soit rét a bli, au nom du Bien. Le dét ecti ve est un expert de la technique d’enquêt e. Il est extérieur au drame et port e un regard lucide et distanci é sur les événem ents . Il cherche à identifi er un coupabl e absent avec l equel il n’a que très peu de relations di rectes . Il n’accomplit qu’un act e judiciai re partiel : l e but est de rét ablir l e Vrai. Dans Doubl e Assassinat dans la rue Morgue , l a restaurat ion de la justice est presque un prétexte à la mise en œuvre de l’ « anal yse » dont l’enquête polici ère constit ue u ne modalité parti culière. Le dénouement du récit est très si gnifi cati f à cet égard. La libération d’un suspect, accusé à tort, est rapport ée de manière laconi que. Le sort du marin (propri étai re du singe) n’est pas évoqué. Le récit s’achève sur une note qua si phi losophique : Dupi n, dans des propos spirituels, critique l a « sci ence » du préfet de poli ce, attirant indirectem ent l’att ention du lect eur sur son propre génie de l’anal yse. Le triomphe du Vrai éclipse le triomphe du Bi en. Le plus important pour Dupin est que l e coupable soit découvert, non qu’il soit arrêté. Nous l’avons déj à cité plus haut , le détective de Poe ne s’intéresse pas aux individus, mais seul ement aux rapports l ogiques qui les unissent. L’enquêt e constitue pour lui un exerci ce de la l ogique pure, non un processus qui mène au châtiment. 282 Troisième partie. Chapitre II Des personnages aux statuts spécifiques Le dét ective, loi n d’êt re justici er, aspire plutôt à résoudre une équati on, non rendre justice, pour qu’à l a fin de l ’exerci ce, il tourne la page et affront e une nouvell e affaire (équati on). 2. Le justi cier Lecoq par cont re obéit à une préoccupati on : épargner une erreur à la justi ce. C’est ainsi que, dans Le Crime d’Orci val , l’agent de la Sûret é parvi ent à innocent er Guespin. Il ne fait ri en non plus pour s’opposer à un gest e de vengeance de l a vi ctime , mêm e s’il est condamné par l a l oi, Lecoq laisse Laurence Court ois abat tre son criminel et indi gne amant, l e comte de Trémorel , qui par l âchet é, va l’ent raîner dans son déshonneur. Réagissant comm e justici er, Lecoq laisse s’échapper un coupable, l es effet s de la faute étant réparés, si la publi cité donnée à son procès doit porter att eint e à l’hon orabilité d’une honnête fami lle. C’est ainsi que dans L e Dossier 113 , il a ferm é l es yeux sur la fuit e du prétendu fils de M m e Fauvel. Il lui arri ve égalem ent de p ardonner quand il est quasi certai n que l e coupable se rachètera. Lecoq a renoncé à fai re poursuivre Victor Chupin à la suite de sa t entative d’assassinat sur l a personne du sculpteur André, qui lui a pardonné cont re la prom esse qu’il s’am enderait. Quand il aborde le statut de Lecoq, J. Dubois évoque le surhomm e du feuilleton et le dét ective, qui sont t ous l es deux des héros justi ciers . Car tous deux représentent une pratique j udiciai re parallèl e dans la m esure où ell e ne rejoint la justice instituée q u’in extremis, souli gnant par l à les limites et insuffisances de cell e -ci. Dubois trouve donc que Lecoq est certes un enquêteur appartenant à une institution offi ciell e, mais ses usages sont aussi indépendants que le seront ceux d’Hercule Poirot ou de Jule s Mai gret. Qu’il 283 Troisième partie. Chapitre II Des personnages aux statuts spécifiques s’agisse de ses m ét hodes d’investi gation, ou des sanctions qu’il lui revi ent de prendre, Lecoq agit le plus souvent de son propre chef. Pour J. Dubois, Gabori au est donc l ’écrivain qui, par excellence, m élangea le personnage du j ustici er chaud et surhumain, propre au feuill eton, et celui du justici er froid et quelque peu dand y. 3. Le détective-justici er Chez Holm es, détective et justicier y sont associés . En effet, il est détective quand il illustre une forme d’art pour l’art, quand s on talent s’exerce avec le plus de brio sur des cas infim es pour n’aboutir à rien. Ou quand « tel un gourm et opérant un choix parmi des mets plus ou moins savoureux », il s’int éresse seulem ent aux affaires qui comportent une éni gme considérée com me obscure ou impossible par Scotland Yard. A ce titre, il apparaît com me un successeur de Dupin. Holm es est détective quand il ne m et ses facultés au service ni de la loi , ni de l a morale, ni mêm e de l’int érêt mat éri el . Il est l e détective amat eur qui, pour se divertir ou par pure curiosité, est entraîné dans une avent ure polici ère de par son intérêt pour un individu ou une si tuation parti culière. Ici, Holmes représente l a cat égori e du « Fl âneur » développée par J. Dubois 363. Souvent , notre détective britannique a ccepte de s’att aquer à une éni gm e, parce qu’il est convaincu avant tout que le m ystère est à sa haut eur et que seul es son intelli gence et ses connaissances garantissent son élucidation. Dans de tels cas, l ’excentrique enquêteur ne se livre que dans le j eu, et seul ce dernier l’i ntéresse, et non la condamnation du coupable. En cel a Holm es est le digne continuateur de Dupin. 363 Voir Le roman policier ou la modernité de Jacques Dubois, chapitreV (La symbolique des fonctions). 284 Troisième partie. Chapitre II Des personnages aux statuts spécifiques Force est de rem arquer que l’attitude de Holmes face à la découverte de l’éni gm e prend parfois des proportions démesurées , c’est que l a réussite de l ’enquêt e est avant t out une questi on d’honneur pour lui . Il s’agit plus de répondre à une ambition personnell e -celle de faire preuve d’int elli gence - que de m ener une action profit able et avantageuse pour la communauté. L’enquêt eur fonctio nne i ci com me une machine à résoudre l’éni gm e, non comme un justici er. En revanche, à t ravers l e détective de Baker St reet, Conan Do yle émet des jugements : d’une part sur la loi et la pratique judiciai re, de l’autre, sur la moral e chréti enne. Quant au rôle de justicier, Holm es applique sa propre just ice lorsque l a faute commise n'appelle pas l a sanction que la soci été légale infli gerait à son auteur, en faisant promett re au responsable du délit de ne pas renouvel er son gest e, de fai re amende honorable . La fin de l’avent ure Le Manoir de l’Abbaye est, à cet égard, exemplaire : Wat son, vous êt es l e j ury brit anni que, et j e [ Hol mes] n’ ai j am ai s rencont ré quel qu’ un qui soi t pl us di gne de le représent er. Je suis le j uge. Mai nt enant , m essi eurs l es j urés, v ous avez ent endu l es t ém oi gnages. Jugez - vous ce pri sonni er coupabl e ou non coupabl e ? - Non coupabl e, vot re honneur, di s - j e. - Vox popul i , vox D ei . Vous êt es acqui t t é, capi t ai ne Croker. Tant que l a l oi ne découvre pas une aut re vi ct im e, vous ne crai ndrez ri en de m a part . 364 364 A.C. Doyle, Volume2, Le Manoir de l’Abbaye (The Abbey Grange), p. 1129. 285 Troisième partie. Chapitre II Des personnages aux statuts spécifiques Cette situation se reproduit dans L es troi s étudiants , à l’égard de Gilchri st qui avait dérobé chez son professeur une feuille portant l es sujets d’un concours auquel il devait prendre part le l endemain. Mai s l’étudi ant avait ensuite décidé de ne pas se présenter aux épreuves et d’accept er l e poste qu’on lui offrait dans la poli ce de Rhodésie. Dans L’escarboucle bleue , Holmes renonce encore une fois à li vrer à l a police Horner, le voleur de l a pi erre précieuse, dont le repentir lui paraît sincè re : Je pense que j e co uvre une f él onie, m ai s i l est aussi possi bl e que j e sauve une âm e. Cet i ndi vi du ne f era pl us j am ai s de m al . Il est bi en t rop t errori sé. Envoyez- l e en pri son m ai ntenant , et vous en f erez un gi bi er de pot ence pour l a vi e. De pl us, c’est l a bonne sai son de pardon [Noël]. 365 Il arrive parfois que des conditions sociales soient anéanties et que des t ragédi es famili ales soient m ises au jour, comm e dans le cas de La deuxième tache , où afi n de sauvegarder son honneur auprès de son mari qui est secrét aire d’ Ét at aux Affai res Européennes, une femme cède à un chant age : elle livre à un m aître chanteur des docum ents secrets en échange d’une l ettre indiscrèt e qu’elle avait écrite encore jeune fille. Dans ce cas Holmes s’abstient de faire interv enir la justi ce : Mêm e s’ il est un m argi nal opérant i ndépendam m ent de l ’ of f i ci el l e et bourgeoi se pol i ce vi ct ori enne, il n’ en dem eure pas m oi ns le garant , l e 365 A.C. Doyle, Volume1, L’escarboucle bleue (The Blue Carbuncle), p. 689. 286 Troisième partie. Chapitre II Des personnages aux statuts spécifiques sym bol e de l’ ordre et de l a l oi . […] , i l est aussi une parf ai t e i ncarnat i on du gent l em an bri t anni qu e. 366 La volonté de l aisser à son héros les décisions de justi ce, est claire chez Do yl e, cel a se devine aussi dans la façon souvent fort cavalière envers l a légalit é. C ert es, Hol mes combat pour l a morale, mais une moral e humaine souvent plus nourri e de justi ce naturelle que de lois. Le rôle de dét ective se double donc de celui de justicier. Ainsi que le souli gne M. Pinque : Sans dout e éprouvai t - on un obscur dési r d’ ordre, de j ust i ce et de vert u dans une soci ét é puri t ai ne néanm oins m i née par le vi ce et l ’ i mm orali t é, et Doyle se f it l e port e - parol e de cett e Angl et erre « des purs ». Cel ui qui t ouj ours m arqua un prof ond at t achem ent aux val eurs bri t anni ques, m enant une exi st ence di gne et exem pl ai re, ne pouvai t qu’ engendrer, croi t - on, un personnage sans peur et sans reproche, un héros au sens l e pl us absol u du t erm e – l a réi ncarnat i on du Sauveur. 367 366 Meryl Pinque, Sherlock Holmes : l’ombre du héros, Etude réalisée dans le cadre d’un DEA de Littérature, http://faustroll.net/pinque/index.htm. 367 Ibid. 287 Troisième partie. Chapitre II Des personnages aux statuts spécifiques E n résumé, par son act e insensé, l e cri minel provoque une rupture dans le règne de l a Raison, dans l’ordre du Bien et dans l’ordre de la Loi . Il incombe donc au h éros -dét ective, chargé de rét ablir l’ordre de la raison en m ême temps que l ’ordre public, d’oscill er de ce fait entre dét ection rati onnell e et dét ecti on moral e ou, comm e l e précise W ystan Hugh Auden 368, ent re esthétique et éthique : La t âche d u dét ect i ve c onsi st e à rest aurer l ’ ét at de grâce dans l equel l ’ est hét i que et l ’ét hi que ne f orm ai ent qu’ un. Com m e l ’ assassi n qui a causé leur séparat i on est l ’i ndivi du est hét i quem ent provocant , son adversai re, le dét ect i ve, doi t être soi t le représent ant of f i ci el de l ’ é t hi que, soit un i ndi vi du except i onnel qui se t rouve l ui - m êm e en ét at de grâce. Dans l e premi er cas, c’ est un prof essi onnel ; dans l e second, un am at eur . 369 Dans l e cas d’une enquêt e menée par un justi cier ou un détective/j ustici er, préserver l’éthique peut engendrer des risques dans la m esure où cela dépend d’un individu qui se situe parfois en marge des lois, voi re hors l a loi, et qui n’hésit e pas à t ransgresser l a légalit é, à fai re usage de l a force ou de mo yens malhonnêtes, pour parveni r à ses fi ns. Ici, esthétique et éthique ne sont plus les maîtres mots de l’enquêteur ; l’homm e reprend le dessus sur l es codes et s e place au delà du Bi en et du Mal. Le Bi en ne coïnci de plus avec les lois mais avec la personne de l’enquêteur. Par conséquent, le domaine de l a loi et celui de l a justi ce ne coïncident égalem ent plus. 368 Plus connu sous la signature de W. H. Auden, est un poète et critique britannique. 369 Wystan Hugh Auden, « Le Presbytère coupable. Remarques sur le roman policier par un drogué », in Autopsies du roman policier, U. Eisenzweig (dir.), Union générale d’éditions, Paris, 1983, p. 113-132. 288 Troisième partie. Chapitre II Des personnages aux statuts spécifiques Un mêm e rôl e réunit en fin de compte l e trio composé de Dupin détective, de Lecoq justici er et de Holmes dét ective -j usticier : démasquer le coupable. Il s’agit d’une part, de lever l’éni gme d’un crime commi s secrètement et d’autre part, de confondre et dési gner l’individu coupabl e. L’enquêteur poursuit en ce sens, volont airement ou inconsciemm ent, un double objectif, l’un soumis au pouvoir de la raison, l’aut re, à cel ui de la moral e. Dans cette op tique M. Chastaing distingue l ’ordre mental de l’ordre social : La l i t t érat ure poli ci ère, déf i ni e par deux axes où vari ent l a l ogi que et l ’ expéri ence, se déf i ni t aussi par l es deux vari ables du cri m e et du cri m i nel . En ordonnée, l ’ enquêteur cherche à résou dre le probl èm e posé par un m éf ai t ; en abscisse, i l veut accum ul er des “preuves” af i n d’ i ncul per le m alf ait eur et de discul per des accusés i nnocent s. Son enquêt e a pour obj ect if : l à, l e ret our à l ’ ordre m ent al par l a véri t é ; i ci , l e ret our à l ’ ordre soc i al par l a j ust i ce. 370 En ce sens, le retour à l’ordre mental rel ève cert es d’un strict processus int ellectuel chez Dupin, mais il n’est permis que sous la condition d’un retour à l’ordre soci al. Ainsi, la quêt e de vérit é engagée par l ’enquêteur n’a qu’un but i mposé, cel ui de retrouver le coupable en vue de le soumett re à la punition qu’il m érit e, que ce soit dans le cadre d’une justi ce instituée ou d’une justice personnell e comme c’est l e cas chez Lecoq et Holm es. La découverte de la vérit é par un dét ectiv e ou par un justi cier, s’apparent e alors à un retour à l’ordre, au rétablissement d’un équilibre soci al rompu par le crim e, autrement dit au triomphe du Bi en sur l e Mal. 370 Maxime Chastaing, « Le Roman policier « classique » », in Europe, n°571-572, novembredécembre 1976, p. 26-50. 289 Troisième partie. Chapitre II Des personnages aux statuts spécifiques III- Le tandem détective/assistant Un dispositi f narrat if cont ribuant au façonnage de l a personne du détective a été créé par Edgar Poe : faire du narrat eur l’ami intime du chevali er Dupin, un personnage effacé qui ne parti cipe pas aux exploits de ce derni er. C e t admirat eur a pour fonction de m ettre en valeur la clai rvo yance extraordi n ai re du détective tout en exalta nt ses vertus. Il est d’une intelli gence plus limitée que son ami et lui voue une grande admirati on. Conan Do yl e va em prunter astucieusem ent à Poe son recours à un narrateur peu perspi cace, continuellem ent abasourdi par les brillant es déductions du dét ective mais qui, contrairement au compagnon de Dupin, parti cipe aux exploits de son cam arde. Sherlock Holmes a un ami, docteur en m é decine, narrateur de l’aventure, l e Dr. Watson qui est un peu lent, mais est l’allié fidèl e du dét ective. C e dernier a donc eu le considérable avant age d’êt re servi par un narrat eur qui, en prime, est à la fois mett eur en scène et personnage. Do yl e j ustifie ainsi l a créati on du Dr. Watson : Il [ Hol mes] ne pouvai t pas racont er ses propres expl oi t s ; i l l ui f all ai t donc un cam arade banal qui l e f erai t val oi r par cont rast e - un hom m e act if et i nst ruit qui pourrai t à l a f oi s part i ci per à ses expl oi t s et l es racont er. Un nom t erne et di scret pour ce personnage sans écl at . Watson f erait l ’ af f ai re 371. Les tandems Du pin/ narrat eur et Holmes/ Watson vont devenir des topoï traditionnels du genre polici er cl assique (Poirot /Hasting, Rouletabill e/Sainclair, Lupin/narrat eur). Le narrateur inconnu et le 371 Francis Lacassin, Mythologie du roman policier (I), coll. 10-18. Paris, 1974, p.106-107. 290 Troisième partie. Chapitre II Des personnages aux statuts spécifiques Dr. Watson sont des acol yt es qui assurent la chronique des enquêtes de leurs amis détect ives. Il s’agit tout d’abord, pour ces narrat eurs, de se poser en faire -valoir des fins limiers en racont ant par le détail, mais égalem ent en comment ant non sans une cert aine em phase, le déroulem ent des enquêtes de ces derni ers. A ce propos M. Pinque précise : « [Holm es] est un narcissique. Il lui faut un public, un faire-valoir, d’Afghanistan un admi rateur [Watson] fervent, joue ce et rôle l’an cien à la combattant p erfection » 372. L’opposition de l’intelli gence redout abl e du héros au prosaï sme terre à t erre de s on adj oint, constitue donc l’un des attraits des récits policiers de Poe et de Do yle . La banali té fait tout e l a force de ces personnages incom pétents, puisqu’ell e leur perm et à la fois de renforcer par cont raste le statut des héros -dét ectives, et de flatt er l’intelli gence du l ecteur qui se sent à son aise avec ces narrat eurs à taille hum aine, voi re trop hum aine. Or, il faut souli gner l’import ance de ces amis chroniqueurs ou biographes dans l a vie des détectives. E n évoquant sa rel ation av ec le Dr. Watson, Holm es fait allusion à l’amitié qui, à la fin du XV III e siècl e, unissait le critique Samuel Johnson 373 et son biographe, James Boswell 374. Le dét ecti ve britannique décl are : « je suis perd u sans mon Boswell » 375. Ce que P. Nordon comm ente en ce s termes : 372 Meryl Pinque, Sherlock Holmes : l’ombre du héros, Etude réalisée dans le cadre d’un DEA de Littérature, URL : http://faustroll.net/pinque/index.htm . 373 C’est l’un des principaux auteurs de la littérature anglaise. Poète, essayiste, biographe, lexicographe, traducteur, pamphlétaire, journaliste, éditeur, moraliste et polygraphe. Il est aussi un critique littéraire des plus réputés. Ses commentaires sur Shakespeare, en particulier, sont considérés comme des classiques, URL : http://fr.wikipedia.org/wiki/Samuel_Johnson 374 Est un écrivain et avocat écossais. Connu pour sa monumentale biographie de Samuel Johnson, publiée en 1791, considérée comme l’un des chefs-d’œuvre de la littérature anglaise du XVIIIe siècle. 375 A.C. Doyle, Volume1, Un Scandal en Bohême (A Scandal in Bohemia), p. 399. 291 Troisième partie. Chapitre II Des personnages aux statuts spécifiques O n observera qu’ en se com parant à Sam uel Johnson, H ol m es ne pèche pas par m od est i e. Mais l ’ anal ogi e com port e des i m pl i cat i ons qui t ouchent à la concept i on et à la const i t ut i on m êm es des avent ures. El l e si t ue l e coupl e Wat son -Hol m es dans un schém a cul t urel f am i li er, cel ui du cheval i er et de l ’ écuyer 376. Les récits polici ers de Poe et de Do yle mett ent en scène un chroniqueur lui -même, qui s’exprime à la première personne. Grâce à son statut très parti culier, nous assistons à un dispositif de t echni qu e littérai re ori ginal et ingénieux. Ce dispositif place l e lecteur dans l’intimité du héros, tout en ménageant une part de m ystère. Ainsi, le lect eur est mis dans une situation d’i gnorance aussi int éressante que paradoxale, car il est invit é à résoudre l ’é ni gme avant que l e narrat eur un peu l ent n’ y parvien ne. A cet égard, la mise en relief du brio du dét ective par le narrateur, fl atte en m ême t emps l e sentiment de supériorité du lecteur qui va jubil er de comprendre plus vite que ce derni er et qui ne se lai sse pas prendre aux pièges tendus par le détective. L’aventure Les propri étaires de Reigate en est un exemple explicite. Sherlock Holmes y joue un de ses tours : il fei nt de s e tromper sur l ’heure écrit e sur un billet , pour am ener son suspect à corri ger et à lui donner ainsi un échantillon de son écriture. Le suspect se laisse prendre, et le pauvre Watson n’ y voit que du feu. Il plaint même son compagnon d’avoir commis cett e erreur et de s’exposer aux moqueri es de la police officielle : Je [ Wat son ] f us contrari é par cet t e erreur, car j e savai s com bi en H olm es serait t ouché par une t el l e bévue. Il avai t pour pri nci pe d’ êt re t ouj ours t rès 376 Pierre Nordon, Tout ce que vous avez voulu savoir sur Sherlock Holmes sans jamais l’avoir rencontré. Paris, Librairie Générale Française, coll. Le Livre de Poche. Biblio essais, 1994, p. 67. 292 Troisième partie. Chapitre II Des personnages aux statuts spécifiques préci s quant aux f ai t s, m ai s sa récent e m al adi e l ’ avai t secoué, et ce pet it i nci dent suf f i sait à m ont rer à quel poi nt i l ét a i t l oi n d’ avoir recouvré t ous ses m oyens 377. Et pendant ce t em ps là, le lect eur tout jubilant est sûr, d’une part qu’il s’agit d’un piège tendu au suspect et que Sherlock Holmes a encore réussi, et d’aut re part il jouit de sa victoire sur Watson décidément t rès naïf. En d’autres termes, mal gré les efforts pathétiques du narrateur anon ym e et de Watson pour comp rendre l es cheminements de l eur ami détective , leur i ncompétence avouée instaure donc une pratique compétitive de la l ecture, où le lect eur sera am ené à se poser en concurrent des deux chroniqueurs, et à mesurer sa propre sagacit é. Et s’il arrive au détective de se substituer à son compagnon dans le rôle du narrat eur ? C’est le cas de l’aventure L e sol dat bl afard où le narrateur est pour une fois Holm es. Le dét ective s’est révélé incapabl e de donner au récit la richesse, l e r yt hme et l e suspense dont le Dr. Watson détient l e secret . Dans ce cont exte, Naugrette dit : « La t erreur du l ect eur serai t , préci sém ent , d’ accéder di rect em ent aux pensées et aux rai s onnem ent s d’ un H ol m es narrat eur qui , de f ai t , évacuerai t t out spect acul ai re de ses enquêt es » 378. Par conséquent, l e dispositif narratif duquel l e personnage -narrat eur de Do yl e est absent débouche inévitabl ement sur l’inconfort du lecteur. Sur un autre pl an, Holmes et Dupi n confient à leur compagnon le soin de servir de re l ais ent re les l ect eurs et leur personne . C’est une 377 A.C. Doyle, Volume3, Les propriétaires de Reigate (The Reigate Squires), p. 67. 378 Jean-Pierre Naugrette, « La mort de Sherlock Holmes : réflexions sur la diagonale du détective », in Sherlock Holmes et le signe de la fiction, textes réunis par Denis Mellier, éd., Fontenay-aux-Roses ENS-Éditions, Signes, 1999. P. 94. 293 Troisième partie. Chapitre II Des personnages aux statuts spécifiques élégante façon de concilier l es projections du lecteur et la glorifi cation du héros. De l à, l e narrateur anon yme et le Dr. Watson s’absti ennent de pénétrer l ’int éri eur des consciences et ne dominent ni le temps ni l’espace. Ils ne sont pas omniscients, afin d’évit er l e risque de dévoil er le nom du coupabl e dès les premières li gnes. Ils ne sont égal ement pas l imités au « j e », sous peine de r évél er les indices au fur et à mesure de l eurs découvertes. Ces personnages secondaires intervi ennent donc comme régisseurs de la narration, prenant en charge l e découpage, assurant au l ect eur attent e, surprise, et coups de théât re. En ce sens, ils devienn ent l es délégués litt érai res des auteurs. Enfin, nous souli gnons dans l es écrits policiers do yli en s que l e personnage de Watson apport e l ’él ément « hum ain » aux aventures grâce à son rôle compensateur face à la froideur d e Holm es. C’est un personnage famil ier pour le lect eur qui, malgré l es faibl esses, les naïvet és et l es erreurs de jugem ent du docteur, lui donne sa s ympathi e. N’oublions pas que tout es l es descriptions ph ysiques et moral es des personnages sont faites par lui. Holm es doit sa réput ation autan t à la mani ère dont il est présent é par son ami qu’à ses mérites propres. Grâce au personnage de Watson, une atm osphère humoristique est également assurée. De ce point de vue, l a principal e qualité du docteur consist e à ne pas comprendre, et Holmes ne manque jamais de souligner avec ironi e les réfl exions toutes banal es et évi dent es 379 de son compagnon. Les fausses déductions de Watson se transforment en atout narrati f et décl enchent l e rire qui fait alterner t ension et légèreté dans des enquêtes poli cières pa rfois pesantes. Cet hum our n’est pas sans rappeler cel ui que nous retrouvons dans le duo Don Quichotte/ S ancho Pança. 379 « […] faute de pouvoir les appeler des lapalissades on est tenu d’inventer le terme « watsonismes » : Pierre Nordon, op. cit., p. 72. 294 Troisième partie. Chapitre II Des personnages aux statuts spécifiques Mais Watson ? pourquoi Monsieur Lecoq ne pas dispose-t -il d’un C’est son amour propre qui en serait l a cause. Un Lecoq qui « l ai sse voi r sans vergogne s e s t ât onnem ent s » craint un spect ateur assidu auquel il ne pourrait manquer de montrer ses faiblesses : Égoï st e com m e tous l es grands artist es, M. Lecoq n’ a j am ais f ait d’ él èves et ne cherche pas à en f ai re. Il t ravail l e seul . Il hai t l e s coll aborat eurs, ne voul ant part ager ni l es j oui ssances du t ri om phe, ni l es am ert um es de l a déf ai t e 380. Fort de son amour propre, Lecoq est tout à fait différent de Holmes l ’orgueill eux qui est trop sûr de lui pour que W atson lui fasse ombrage. Or, certain s personnages de Gaboriau ont pu prendre occasionnellem ent l ’attitude de Watson. Dans le Dossier 113, Lecoq dési gne Pâlot comme son subordonné, celui -ci a parfait ement conduit en Anglet erre une di fficil e enquête dont son maître l ’avait chargé. Ce même personnage apparaît encore une fois, dans L es Esclaves de Paris où Lecoq le consi dère désormais comm e son meilleur inspect eur. Fanferlot est un aut re adjoi nt de M. Lecoq qui , tout en admirant son m aître , s’efforce t rop tôt de vol er de ses propres ailes. Fanferlot a tenté, m ais en vain, de teni r Lecoq dans l’i gnorance de ses investi gations, il s’en est trouvé quitte pour une réprimande verbale, non sévè re mais humilian te : Lecoq lui dit [ …] non, tu n’ es pas un sot . Tu as eu si m pl em ent l e t ort de t e charger d’ u ne t âche au dessus de t es f orces. As - t u f ai t f ai re un pas à l ’ af f ai re depui s que tu l a sui s ? Non. C’ est que, voi s t u, i ncom parabl e com m e li eut enant , t u n’ as pas l e sang -f roi d d’ un général . Je vai s t e f ai re cadeau d’ un 380 E. Gaboriau, Le Dossier 113, p.145. 295 Troisième partie. Chapitre II Des personnages aux statuts spécifiques aphori sm e, reti ens -le, et qu’ i l devi e nne l a règl e de t a condui t e : « Tel bri l le au second rang qui s’ écl i pse au prem i er» 381. Et c’est peut être à Pâlot et à Fanferlot que pense Monsieur Lecoq quand, dans l’un de ses rares m om ents d’orgueil, il s’écri e : L’affaire est compl iquée, difficile, tan t mi eux ! Eh ! si elle étai t simpl e, je retourn erais sur -lechamp à Paris, et d emain je vous enverrais un de mes hommes. Je l aisse aux enfants les rébus faciles. 382 381 E. Gaboriau, Le Dossier 113, p. 140. 382 E. Gaboriau, Le Crime d’Orcival, p.159. 296 Troisième partie. Chapitre II Des personnages aux statuts spécifiques IV- Le rapport créateur / créature En prenant appui, d’une part sur not re anal yse des biographies des héros-dét ectives, et dans la quell e nous avons constat é que ce ll esci étai ent parti ellement nourries de s biographies des aut eurs eux mêmes, et d’aut re part sur une tradition critique litt éraire qui considère le personnage romanesque comme une somme d’expériences, d’observations et de virtualités de son aut eur, nous nous somm es dem andée si l a conscience des trois auteurs est une dominant e de la construction de leurs héros. Or, pouvoi r répondre à cett e question, suppose de pouvoir élucider les interrogations suivantes : Dupin, Lecoq et Hol mes sontils des images parti elles, rêvées ou t ransform ées de leurs créat eurs ? Si non, devons -nous disjoindre ces aut eurs et leurs héros, et dire que Poe, Gaboriau et Doyl e apparti ennent à ces écrivains qui , en t oute occasion, m ultiplient les décl arations sur l’autonomie de leurs personnages rom anesques par rapport à eux? Les t ypes de rapports qu’entretiennent Dupin, Lecoq et Holmes avec l eurs créateurs deviennent donc obj et d’investi gation. 297 Troisième partie. Chapitre II Des personnages aux statuts spécifiques 1. Le personnage rêvé Tous les port raits existants de Poe le représentent de face et non pas de profil, ce qui ne nous lai sse pas saisi r l’autre face cachée , peut être rêvée de l’écrivain. Une face que Poe aurait plutôt projet ée sur son personnage Dupin. En effet, l es h istoires poli cières de l’écrivain am éri cai n se déroulent en France, les noms de ses personnages sont français ; nous pouvons nous ét onner du choix qu’a fait Poe de sit uer son univers de fiction dans un pa ys étranger. Mais com ment Poe aurait -il pu situer son œuvre d ans sa patri e alors qu’ un critique a confi é que cett e derni ère « n’ ét ai t pas de ni veau avec l ui » ? Les Ét ats -Unis, premi ère démocrati e créée au monde, pa ys gi gantesque et neuf, j aloux du Vieux conti nent, et qui s’enorgueillit de sa croissance mat ériell e, presque monstrueuse pour ne pas di re attei nte de gi ganti sme . Le temps et l’argent ont une valeur énorme, et l’activité des affaires, vérit able m ani e nationale, laisse peu de place pour l es choses qui ne sont pas mat éri elles. Poe regrettait pour s on pa ys l ’absence d’une aristocratie de race, disant que dans un peupl e sans aristocratie l e goût du beau ne peut que s’affaibli r concit o yens les et disparaître. manifestations L’écrivain d’un dénonçait mauvais goût chez ses propre aux nouveaux riches, mép risait le progrès, et se sent ait donc dans son pa ys comm e un esprit solitaire. Que pouvait -il écri re, pri s dans ce divorce ent re ses propres val eurs spiri tuelles et esthétiques et l es valeurs nouvelles de son pa ys, mat éri ell es et vul gaires ? Mal gré l es errances de cet auteur vo yageur, de Richmond à Balti more, de Baltimore à New York, de New York à Philadelphi e, de Phi ladelphie à Bost on, il n’a jam ais écrit de « souvenirs » de vo yage, il n’a jam ais pu évoquer tel ou t el compat riote. Edgar Poe aurait donc re gagné une 298 Troisième partie. Chapitre II Des personnages aux statuts spécifiques fois pour toutes son monde intérieur, qu’il produit dans ses écrits et s’est proj eté sur son personnage de dét ective. Lorsqu’il a créé pour héros de ses nouvelles poli cières, un héros de noble extraction – mal gré sa déchéance – et l ’a doté en m ême temps d’une merveilleuse intelli gence, Poe semble apporter une nouvell e valeur à l’aristocrati e de sang qui ne peut valoi r si elle n’est pas soutenue par cell e de l’esprit. L’écrivain am éri cai n aurait égal ement voulu se rattacher au siècl e des lumières caract éri sé par l a clarté de l’intelli gence logique, tout en s’opposant à une bourgeoisi e industriell e et com merçant e. L’ambition d’Edgar Poe était de port er haut le flam beau d u Beau: s ynon ym e de nobl esse de tout e nation, cel a lui a coûté l e rejet par sa s ociét é am éri caine mat éri aliste : Sel on B audel ai re, l ’ Am éri que ne f ut pour l ’ aut eur d’ Eurêka, « qu’ une vast e pri son ». P ri vé d’ ari st ocrat i e, son peupl e s’ est t rouvé condam né à corrom pre l e cul t e de l a B eaut é 383. Un héros -détective de nationalité française ne reflèt e-t -il pas l’envi e et le rêve de Poe d’appartenir à la Grande Nation , voire au Vieux Continent francophile en général? convai ncu, L’écrivain puisque nous ne est sans cont este trouvons pas un trace d’Am érique chez lui. Si un fait divers du Kentuck y - l’affai re Sharp Beaucham p - 384, l’i nspire, il l e transpose dans l a Rom e de XV II e siècl e pour en ti rer son dram e Politian. L’affai re Mar y Rogers de New York devient Le Mystère de Marie Roge t à Paris. 383 André Guyaux, Bertrand Marchal, Les Fleurs du mal, colloque de la Sorbonne, Presses de l'Université de Paris-Sorbonne, Paris, 2003, p. 85. 384 Sharp-Beauchamp : affaire criminelle aussi connue sous le nom de « Tragédie du Kentucky », fait référence au meurtre du colonel Solomon P. Sharp, un homme politique américain du Kentucky, par l'avocat Jereboam O. Beauchamp. 299 Troisième partie. Chapitre II Des personnages aux statuts spécifiques Une autre personnal ité rêvée par Poe est égalem ent s ymboli sée par Dupin ; cell e de l’homm e supéri eur sans vices, un mi s anthrope sans faibl esses. On a pu écri re que « Dupi n, c’ est P oe dél i vré de l ’ angoi sse, un Edgar P oe i déal , dont l ’ espri t n’ est pl us ravagé m ai s s’ exerce souverai nem ent sur l a m écanique uni versel l e » 385. En effet, l’aut eur aurait voul u créer un personnage idéalisé qui s’oppose à lui et qui ne correspond pas à sa réalité amère et désolant e. En effet, Poe, déjà al coolique et souffra nt de crises h ypocondri aques, est rendu fragilisé par l a mort de sa fem me ; ce qui le plonge dans une dépression total e si bien qu’il se livre à l’al cool et aux drogues. En créant un personnage antithétique , l’aut eur voudrait donc échapper complèt ement à sa réalité et attei ndre une pure jouissance sémiotique. Il espérerait s e t rouver dans un uni vers tot alem ent déréalisé, puisqu’il est incapable de se situer dans son uni vers réel. En somm e, Dupin constituerait le personnage qu’Edgar Poe rêvait d’êt re. Dès lor s, ce héros -détective serait un double de l’aut eur. Poe crée Dupin, et il est créé par lui. A travers son personnage, l 'auteur améri cai n réalise son rêve le plus cher, à savoi r être un gentl eman européen: P oe se m et en scène l ui - mêm e et i l f ant asm e ( dans l e sens « rêver évei ll é » !) sur l’ idée d’ habi t er P ari s, de f ai re l es b ouqui neri es pour ret rouver des édi t i ons rares qu’i l rêve de posséder, et de rencont rer une versi on i déal e de l ui -m ême, l e Cheval i er Dupi n, avec l equel i l pourra di scut er sans f i n, de j our com m e de nui t 386. 385 Jacques Cabau, Edgar Poe par lui-même, Seuil, Paris, 1960, p. 2. 386 David Sicé, Ecrire comme Edgar Allan Poe, URL : http://www.davonline.com/ecrirekom/ecrirekom_poe_extrait.pdf. 300 Troisième partie. Chapitre II Des personnages aux statuts spécifiques 2. Le personnage porteur d e la pensée de l’auteur La pe nsée d’un aut eur peut êt re véhi culée par son personnage. Ce dernier peut rem ettre en question les modes de connaissance et les cro yances d'une époque . Nous avons déj à vu comment Gaboriau a su propulser au rang de héros, l e personnage du poli cier qui faisai t jusqu’alors fi gure de délat eur et d’espion. A travers Monsieur Lecoq, Gabori au nous révèle sa conception de ce que devra être le policier de l ’aveni r, doté de mo yens scienti fiques qu’on ne peut encore envisager à l’époque. L’homm e de sci ence, Edmond Loc ard, le note : « i l [ Gabor i au] f ut l e prem i er à décri re l es m œurs pol i ci ères sous l eur j our exact » 387. Avec l a création de son personnage Lecoq, Gabori au semble engendrer une dial ectique des reflets. Ainsi, sa concept ion d’un appareil j udici aire infaillibl e est reflétée par son héros -détective. Gaboriau aurait voulu d’un polici er usant de méthodes sci entifiques dans le but de rendre impossible l ’erreur judici aire, un sujet récurrent dans les écrits polici ers de l’auteur : Nos soupçons sont f ondés, cont i nua l e j uge, j ’ en sui s persuadé. Mais s’ i l s ét ai ent f aux ? Not re préci pi t ati on serai t pour ce j eune hom m e un af f reux m al heur. Et encore, quel écl at , quel scandal e ! Y avez- vous songé ? Vous ne savez pas t out ce qu’ une dém arche ri squée peut coût er à l ’ aut ori t é, à la di gni t é de l a j ust i ce, au respect qui const i t ue sa f orce… 388 387 Cité par Roger Bonniot, Emile Gaboriau ou la naissance du roman policier, J.Vrin, Paris, 1985, p. 433. 388 E. Gaboriau, L’Affaire Lerouge, p.110. 301 Troisième partie. Chapitre II Des personnages aux statuts spécifiques C’est dans L’Affai re Lerouge que le thème de « l’erreur judiciai re » t rouve son expression la plus accent uée. On parvi ent à résoudre l’éni gme de cette affaire par des dét ours, impliquant des faut es professionnel les, qui obli gent le j uge à démissionner. Quant à Tabaret, premier dét ective mis en scène par Gabori au, il rejoint à son tour le juge et renonce à ses att ribution s de détective : P arce que le hasard m [T abar et ] ' a servi troi s ou quat re f ois, j' en suis devenu bêt em ent orguei l l eux. Je reconnai s trop t ard que j e ne suis pas ce que j e croyai s : j e sui s un apprent i à qui le succès a f ait t ourner l a cervel l e [ ...] 389 Tabaret est par conséquent vite suppl anté par Monsieur Lecoq, un policier profes si onnel qui se réclam e des m éthodes sci entifiques infaillibl es. Le héros -dét ective de Gaboriau m aîtrise la science, l a sociologi e, la ps ychologi e afin d’arrêter un criminel qui use de toute son intelli gence pour que son crim e rest e impénétrable. Pour l’aut eur, l a question n'est plus donc de savoir « quel sera le sor t du héros ? », mais « réussira -t-il à rétablir l ’ordre? ». Gaboriau est cert es convaincu que l a justice, comme t oute institution hum aine, est suj ette à l ’erreur, m ais il veut prouver qu’avec un polici er comme Lecoq, le crime ne peut rester impuni . Ainsi, Lecoq, comm e él ément d’une int ri gue et résultat d’un travail scriptural , est porteur d’une nouvelle i mage du polici er im aginée et espérée par Gabori au. 389 E. Gaboriau, L’Affaire Lerouge, p.278. 302 Troisième partie. Chapitre II Des personnages aux statuts spécifiques 3. Quand la créature échappe au créateur L’ aut eur j oue avec ses personnages une ét range part i e de squash. Les rebonds sur l es m urs ou l e pl af ond sont aut ori sés, et com pli quent bi grem ent l a t raj ect oi re de l a bal l e. O n pensai t t errasser son adversai re par t el coup, et voi l à que l a bal l e vous revi ent q uasim ent dans l e dos. Ai nsi , dans l e f eu de l ’ écrit ure, l ’ aut eur va « l aisser » un personnage réagi r d’ une f açon qui s’ él oi gne du proj et i ni t i al , ce qui peut al l er j usqu’ à générer une modif i cati on sensi bl e d’ une pai re de chapi t re s. P eut - on di re al ors que l e personnage a « échappé » à l ’ aut eur ? 390 Il existe dans l e monde romanesque des personnages qui, connus à peu près de t out l e monde, se sont ém ancipés de leurs créateurs et de l eur cont exte origina l pour acquérir dans l’imaginai re collectif une autonomi e q ue nous pourrions qualifier de m yt hologique. Bram Stoker et Gast on Leroux n’ont pas eu la chance d’êt re aussi universell ement cél èbres que leurs créatures respectives Dracula et le Fantôme de l’Opéra. Le héros -détective britanni que Sherlock Holmes est le p arangon de ces personnages fictifs qui ont échappé à l eurs créat eurs en s’ani mant d’une vie propre. Doué d’une existence autonom e, Holmes ne cessait d’évoluer et de croître sous l es yeux de Do yle devenu paradoxalement l e spectat eur et le t émoin passif de s a création. En décembre 1893, c’est -à-dire six ans après la création de Holmes, l e Strand Magazine publi e L e dernier probl ème où l’on apprend l a mort du détective. Cett e aventure polici ère fait i ntervenir 390 Réponse de Frédéric Fossaert, dans Le Roman Policier et ses personnages, Textes réunis et présentés par Yves Reuter, PUV, Saint-Denis, 1989, p.192-193. 303 Troisième partie. Chapitre II Des personnages aux statuts spécifiques un personnage à l a mesure de Sherl ock Holmes, le pr ofesseur Moriart y, l’archét ype du savant criminel, qui a mis son génie de mathém atici en au service du Mal. Le détective brit annique a décidé de mett re fin aux agissements de celui qu’il surnomme « le Napoléon du cri me ». Or ce dernier a, de son côt é, réso l u de supprimer Holmes. Les deux adversaires en vi ennent aux mains et se livrent à un combat qui les précipitent tous deux dans les profondeurs du gouffre de Reichenb ach en Suisse. Watson relat e : Au fond de tourbillonnante ce terrible et d ’écu me chaudron d’eau bouillonnante, demeu reront à jamais le plus dan gereux des cri min els et le plu s remarquable d éfenseur de la loi de leu r générati on 391. Sherlock Holm es aurait donc dû mouri r, assassi né par son propre créat eur : Do yle. En effet, le héros -détective a cert es construit la popularité de son auteur, m ais il a également const ruit les m urs de s a prison. Ai nsi, en jugeant que la popularit é de son héros condamnait à l’obscurit é ses « meilleures œuvres », c’est-à-di re ses roman s historiqu es, Conan Do yle résolut de m ettre un term e à son li mier. En novembre 1891 Doyl e avait écrit à sa mère : « Je réf l échi s à t uer H ol m es ; ... et l e l iqui der corps et âme. Il m e dét ourne l'espri t de m ei ll eures choses ». Sa mère répondit : « F ait es com m e bon vous sem bl e, m ai s l e public ne l e prendra pas de gai et é de cœur ». Dans un articl e publié en 1895 par l a revue N ew Age, S ilas Hocking, auteur prolifique populai re dans les années 1880, rapport a qu’il avait rencont ré Conan Do yle en S uisse au cours de l’été 1893, et que ce dernier lui avait confié son i ntention d’en fini r avec son 391 A.C. Doyle, Volume2, Le dernier problème (The Final Problem), p. 297. 304 Troisième partie. Chapitre II Des personnages aux statuts spécifiques détective : « j e l e t uerai à l a f i n de l’ année ». Do yl e aurait ajout é : « Si j e ne l e t ue pas, c’ est l ui qui m e t uera ». Une expressi on qui ne fait donc pas de Holmes seul em ent un empêcheur d’écrire, mais une sorte de doubl e menaçant. « Si j e ne l e t ue pas, c’ est l ui qui m e tuera » c’est donc un cri lancé par Conan Doyl e qui n’est pas sans nous rappel er d’autres cris et situations sembl ables : le cri d’Hergé 392 « j e hai s Ti nt in, vous n’ avez pas i dée à qu el p oi nt » 393, les multiples tentati ves de Mauri ce Leblanc pour se libérer d’Arsène Lupin : « Il m e sui t part out. Il n' est pas m on om bre, je sui s son om bre. C' est l ui qui s' assi ed à cet t e t able quand j ' écri s. Je l ui obéi s », ainsi que les efforts de George Sime non pour fai re valoir ses écrits ps ychologiques éclipsés par l es enquêt es de Mai gret. La critique littéraire Mer yl Pinque a merveilleusement résumé ce que pourraient êt re l es vraies raisons de l a suppression de Holm es par son créat eur : Débordé par l ’ ext rao rdi nai re succès du héros qu’ i l avai t i m agi né, l ’ écri vai n dut crai ndre un m om ent pour son propre presti ge et , af i n d’ évi ter que l e publ i c ne l ’ oubl ie t out à f ai t , orchestra, prém édi t a l a di spari t i on de H olm es en l e préci pi t ant du haut des chut es m aj est ueuse s de Rei chenbach , près de Mei ri ngen, en Sui sse. Le cél èbre l ogi ci en ét ai t devenu t rop envahi ssant , son père i nf anti ci de t rouva donc un 392 De son vrai nom Georges Prosper Remi, auteur belge de bandes dessinées francophone, connu principalement pour Les Aventures de Tintin. 393 Pierre Assouline, Hergé, Plon, Paris, 1996, p.335. 305 Troisième partie. Chapitre II Des personnages aux statuts spécifiques l i eu « pl ausi bl e », à sa m esure, po ur l ’ y f ai re m ouri r 394. Cette fin du dét ective brit annique entraîne fatal em ent le dével oppem ent rapi de d’un m ythe. Fous de colère et de chagrin, les lect eurs de Holm es protest èrent hautem ent cont re cett e suppressi on. Il s sont des centai nes qui arborent des brassards noirs, signe de deuil. Conan Do yle reçoit tantôt des lettres d’injures, le traitant d’assassin, et t ant ôt des supplications pour donner suite aux avent ures holm ésiennes. Le 6 j anvi er 1894, en réponse à un abondant courrier de lect eurs, le m agazine Tit-Bits écrit : Nous avons t ous ét é const ernés d’ apprendre l a m ort de Sherl ock Hol m es et des l ect eurs nous ont suppl i és d’ user de not re i nf l uence auprès de Mr Conan Doyl e pour préveni r cet t e tragédi e. Nous pouvons seul em ent répondre que nous avons pl ai dé s a cause de l a f açon l a pl us pressant e, l a pl us séri euse, l a pl us insi st ant e possi bl e. Com m e des cent ai nes de correspondant s, nous ressent ons cet t e pert e comm e cel l e d’ un vi ei l am i dont la présence nous m anquera beaucoup. Mr Doyl e a est i m é qu’i l ne souhai t ai t pas voi r Sherl ock H olm es abuser de son hospi t ali t é, et que l e publi c s’ ét ai t lassé de l ui . Ni nous - m êm es ni le publ i c ne part agerons cet t e opi ni on ; m ai s nous regret t ons de di re que c’ est cell e de Mr Doyl e 395. 394 Meryl Pinque, Sherlock Holmes : l’ombre du héros, Etude réalisée dans le cadre d’un DEA de Littérature, URL : http://faustroll.net/pinque/index.htm. 395 Cité dans Tout ce que vous avez voulu savoir sur Sherlock Holmes sans jamais l’avoir rencontré de Pierre Nordon, Librairie Générale Française, coll. Le Livre de Poche Biblio essais, Paris, 1994, p. 27. 306 Troisième partie. Chapitre II Des personnages aux statuts spécifiques Les pressions furent ineffi caces devant la résolution de Conan Do yle et son « ent êt em ent bi en di gne de s e s raci nes i rl andai ses » 396. S’enlisant de plus en plus dans un courrier monst rueux, et subissant l ’aut eur finit par une plus fort e pression popul aire et fi nanci ère, céder en « ressuscit ant » son héros-détective. En effet , dix ans plus tard, Do yl e fera réapparaître Holmes dans son roman L e C hien des Baskervill e, en ex pliquant que le détective, contrairement aux apparences, n’avait pas été blessé mort ellement lors de sa chute. La « mort » ne pouvait donc être accolée au plus célèbre des dét ectives. L’idée de l’autonom ie du personn age et de l’indépendance de la créature par rapport à son créateur t rouve son amorce chez Marcel Proust qui écrit en octobre 1920, après la publication du Côté de Guermantes : « cel a va se gât er sans qu' i l y ai t de m a f aut e. Mes personnages ne t ournent pas bi en ; je suis obl i gé de l es sui vre l à où m e m ène l eur déf aut ou l eur vi ce aggravé » 397. Nous ret rouvons cette même idée un peu plus tard chez François Mauri ac dans son célèbre ouvrage L e Romancier et ses personnages : « P l us nos personnages vi vent , et m oi ns i l s nous sont soum i s » 398. Roger Caillois nous parle à son tour de ce qu’il appell e : « l a révolt e de l ’ être f i ctif cont re son dém i urge » 399. En revanche, littérat ure qu’un c'est la premi ère fois personnage cont raint , si dans l 'histoi re de impéri eusemen t, la son créat eur à lui redonner vi e. Holmes est résolument infaillibl e, au -del à même des int entions de Conan Do yl e. Cela s’est passé comme si 396 Meryl Pinque, op.cit. 397 Cité dans Le prédicateur et ses masques : les personnages d’André Malraux de Christiane Moatti, Publications de la Sorbonne 1987, p. 27. 398 Cité dans Le Personnel du roman. Le système des personnages dans Les Rougon-Macquart d'Emile Zola de Philippe Hamon, Librairie Droz, Genève, 1983, p. 13. 399 Roger Caillois, Puissances du roman, Sagittaire, Marseille, 1942, p.150. 307 Troisième partie. Chapitre II Des personnages aux statuts spécifiques l’écrivain, a yant perdu le cont rôl e de son œuvre, ét ait effacé derrière sa créature : « Ces personnages l ittérai res qui deviennent mythiques font souvent à leurs créateurs l’effet d’un diable sorti de sa boîte – et désormais i mpossible à contenir » 400. Holmes devient ai nsi ce personnage mi grant, capable d’all er et de venir entre ficti on et réalit é. Il a su échapper au contrôl e et à l a volonté de son créateur pour adopter une existence m yt hique et peupl er not re im agi naire coll ecti f . Le m yt he holm ésien était dès lors solidement en place. 400 Maxime Prévost, « Compte rendu de Bayard (Pierre), L’Affaire du Chien des Baskerville » in COnTEXTES, URL : http://contextes.revues.org/index2783.html 308 Conclusion Concl usi on A u terme de ce t ravail qui consist ait en une étude comparati ve entre les héros -dét ecti ves August e Dupi n, Monsieur Lecoq et Sherlock Holm es, nous tent erons de s ynthétiser les principaux résul tats obt enus et d’en tirer des conclusion s. Not re objecti f de recherche, rappel ons -l e, ét ai t de montrer l’ori gi nalité de Poe, de Gabori au et de Do yle et leur apport à la création du personnage du détective, d’influence, d’inspiration, tout en d’emprunt insistant sur les voire d’imitation rapports que ces côt é de auteurs peuvent entreteni r les uns avec l es autres. Nous avons d’abord diri gé notre recherche du l’investi gation et de son origine, il en est ressorti que les trois héros détectives n’ont pas surgi du néant, ils possèdent de l ointains antécédents, remontant à l ’antiquité grecque. En revanche, les premi ères traces d’i nvesti gation que l ’on trou ve chez ces protot ypes n’ét aient que rudim entai res, et le personnage posé en héros était le criminel et l e bri gand et non pas l’enquêteur. En examinant par l a suit e une multipl icité de contextes dans lesquel s nos auteurs ont pu créer leurs héros, nous avo ns com pris que le personnage de dét ective n’a pas pu apparaître avant que la sociét é rurale « n’accouche sous le forceps » de l’industri alisati on et du positivisme d’une sociét é urbaine et instruite. Ces cont extes, plus parti culièrem ent litt éraires nous on t égalem ent permis de répondre parti ellem ent à not re probl ématique, en affirm ant que Gaboriau a connu l ’œuvre de P oe et que l es deux auteurs ont servi de modèle à Conan Do yle. La confrontati on des trois héros dét ectives, à des niveaux différents de leur construction (l’être, le faire, l e st at ut et la t ypol ogie), nous a apporté une réponse qui, sans être exhaustive, n’en a pas ét é moins pertinente , aux questionnements sur lesquels 310 Concl usi on notre problém atique s'est fondée. D’une part, l’examen des liens qui unissent les personnages a permis de suivre à la trace, t out t ype d’influence exercée sur leurs créateurs. D’autre part, les éléments qui les séparent et les différencient ont aidé à mieux faire ressorti r l’ori ginalité et l ’apport créatif de chaque auteur. Au niveau de « l ’êt re » des personnages, Poe, Gaboriau et Doyl e ont compris que, pour profiter de la s ym pathie d’un large l ectorat, ils devai ent rédui re, voire mêm e annihiler l’écart soci al qui pouvait opposer leurs héros à leurs lecteurs. Ils ont donc assoupl i l es règl es régissant l e héros classique, beau, ri che et appart enant à la haute sociét é, en optant pour des dét ectives qui ont cert es de s ori gines honorables , mais qui sont ordinaires et communs, m ême s’i ls ne se prêt ent pas facilem ent à des procédures d’ identi fication du l ect eur. Sous une apparence dissimulée, l e héros poesque est sans relief ou, pour emprunter l’expression si préci se de Messac, il a t out juste « l a dose d’existence nécessai re à la m arche du récit ». P oe refuse toute description physique de son détect ive, et ne l’incarne qu’en tant que voix d’un raisonneur qui ne se trompe jamai s. La seul e présence de Dupin, dans le récit, rend inutile celle d’aut res personnages, qui ne sont pour le dét ective que des pièces d’échecs, ou des données d’un problèm e mathém atique util isées pour exposer son raisonnem ent. Exclu de la communaut é humaine, Auguste Dupin, ce détective excent ri que, misanthrope et noct ambul e, est un « m écanism e bi en régl é » et une vrai e « machine à raisonner ». Par sa personnalit é, Dupin exerce une grande influence sur Sherlock Holmes qui, à son tour, passe pour « un automate » e t « une m achi ne à calcul er ». Cert es, Doyl e a accordé une attention parti culière au portrait de son dét ective, en l e dotant d’une apparence imposant e et de quel ques dét ails ph ysiques suffisant à l e singulariser, 311 Concl usi on mais su r l e pl an moral, Holm es ne différera de Dupin que par quelques t raits accessoires. En effet, afin de prêter une épaisseur humaine à ce personnage insensible, a soci al et misogyne endurci, Do yle le préfère toxicomane et viol oni ste, traduisant par l a mêm e occasion une sort e de mél ancolie fin de siècl e. Seul le poli cier de Gaboriau a échappé à l a qualifi cation de « personnage -machi ne ». Il convient donc de distinguer Monsieur Lecoq de ses coll ègues, da ns la mesure où il semble avoir une certaine vulnérabilit é sur l e plan personnel. C’est le coté sensibl e , voire s entiment al du policier françai s qui doit, idéal ement, lui conférer une épaisseur authentique sur l e plan humain. La distinction de Monsieur Lec oq réside égal ement dans le degré d’infaillibilité que son créateur l ui a conféré . Si Dupin est le personnage qui ne peut jamais se trom per, et si Holmes est le détective trop sûr de lui, Lecoq, en revanche, est l e poli cier qui tâtonne, hésite et commet parfois des erreurs, ce qui l’humanise davant age. Lecoq est un personnage touchant , s ympathique et vi vant aux yeux du lecteur, si bien que la qualité principal e de Gabori au consiste à avoi r brossé un portrait cri ant de vérité, et d’être réali ste et crédible, plus que son successeur, et pl us encore que son prédécesseur. Pour ce qui est des pratiques des trois héros -dét ectives, un des traits caract éristiques qui suffit à l es m ettre hors pair, c’est qu’ils s e réclam ent de la science. Ils se ressemblent égal eme nt par l eur ténacité, leur c ourage et l eur « bonne ét oile » qui les rendent rassurants. Ils sont dotés d’une infaillibilité qui, bi en qu’inégal e, ne perm et pas de dout er de leur réussite. Or, c’est au niveau de leurs méthodes d’investi gation, donc de l eur savoi r-fai re professionnel, que Dupin, Lecoq et Holmes se disti nguent le plus. 312 Concl usi on Les surnoms de « détective en fauteuil », et « dét ecti ve en pantoufles », dont Dupin était affubl é nous révèlent t oute une méthode d’enquêt e propre au dét ecti ve poesque . Cet enquêt eur n’enfile « ses chaussures » que pour véri fier ses h ypothèses ou chercher le m aillon manquant à sa chaîne de raisonnem ent. Il ne s’engage pas dans l ’action, il se caract éris e par l’exhibition de ses facultés int ellectuel les et l a démonstrat ion de son géni e anal ytique. C’est un dét ective abstrait qui ne cesse de parler d’al gèbre et de mathém atiques. Lecoq, lui, est un détective de terrain qui ne se confi ne pas dans l’abst raction, il est énergique et n’hésit e guère à s’agenouil ler dans la poussière ou d ans la boue, c’est un vi rtuose du déguisem ent et du changem ent rapide . Si son intelligence peut paraître inféri eure à celle de Dupin, Lecoq possède la ruse et le flair qui ressembl ent à ceux des animaux et des sauvages. Il es t doté d’un extraordinai re esp rit d’observation ainsi que d’une étonnante perspicacit é. Mai s, est -ce une m anière de di re que nous ne pouvons retrouver chez l ’enquêteur de Gabori au des trac es du détective de Poe ? Certes non. Lecoq se rapproche du héros de Poe par ce qu’i l y a de pl us ori ginal en ce derni er , par son rai sonnem ent logique, tout en donnant vie à ce qui chez Dupin était demeuré abstrait. Les m éthodes d ’enquête créée s par P oe et par Gaboriau ne seront pas perdues pour Conan Do yl e. C elui -ci a su coul er Dupin et Lecoq en un seul personnage, Sherl ock Holmes. En effet, c’est par sa minutie dans l’observation, par son art d u déguisement , et par son profil d’expériment ateur que Holmes ressemble à Lecoq. Il a en même tem ps hérité de Dupin l a mani e de se rensei gner sur l es crim es par les journaux, le raisonnem ent, l’exercice de lecture de la pensée, mais surtout une i mpressionnante intelligence qui le rend, tout comme Dupin, incompréhensibl e aux ye ux d’autrui . 313 Concl usi on Même si Conan Do yl e n’a pas invent é grand chose après Poe et Gaboriau, il a toutefois l e mérit e d’avoir réuni tout e s sort es d’él éments épars, pour mettre en scène un « détective de génie ». En effet, en termes de méthodes d’investi gation, nous ne rel evons ri en chez Holmes qui n’ait existé avant lui, m ais l a s yn thèse est intelli gemm ent opérée, elle est réussie, assurant au détective britanni que une not oriét é et une popul arité universell e s. Depuis s a création, d’innombrables dét ectives ont surgi mais aucun d’eux n’a réussi à l ’éclipser ou à l e faire descendre de son t rône. Après une ét ude comparative détaill ée portant sur « l’être » et « l e faire » des troi s héros -détectives, notre int érêt s’est porté sur leurs st atuts qui se sont révél és égal ement spécifiques. En ce qui concerne le statut professionnel des trois héros détectives, le t ype du détective dilet tante est l’invention géni ale d’Edgar Poe, Dupi n est incont establ ement le premier détective de l’histoire littéraire. Conan Do yle a compris que, par sa dimension libert aire et son détachem ent de l’institution poli cière, le personnage poesque sera l e modèl e exemplaire de ses aventures. En effet, l e statut « amateur » ou « privé » a permis à Dupin et à Holmes de rester, chacun, son propre maît re, de mener leurs enquêtes de manière tot alem ent autonom e, d’int ervenir dans des affa ires avant l a police, et d’être les premi ers à découvri r la vérit é. Quant à Gabori au, encore une fois, il ét ait loin de s’en teni r à la simple imitation 401, en optant pour un policier en tit re. Voil à un héros différent, un agent de Sûreté de statut « offi ciel », dont on appréci e le « tempéram ent policier de premi er ordre » et qui ressem ble à des 401 « Malgré qu’il eût des précurseurs, dont je crois qu’il ne s’inspira guère, on peut affirmer qu’Emile Gaboriau fut un créateur véritable » : Edmond Locard. Cité par Roger Bonniot, Emile Gaboriau ou la naissance du roman policier, J.Vrin, Paris, 1985, p. 433. 314 Concl usi on « polici ers vé ritabl es ». Gaboriau a réussi à créer « l e m ythe du flic s ympathique », en déchi rant l’image odieuse et somm aire qu’on s e faisait du polici er à travers Jackal de Dumas et Javert de Hugo. A travers l’anal ys e d’un aut re t ype de statut s, celui du « dét ective » ou du « justici er », nous avons relevé que Poe a préféré son détective « rét ablisseur » de vérité et non du B i en, ce choix est à l’image du caractère abst rait , froid et rationnel de Dupin. Pour cet al gébriste, l’enquêt e est un pur exercice de l’esprit , et non un processus qui mène au châtiment . Or, en obéissant à la préoccupation d’épargner une erreur à la justice, l e pol icier de Gaboriau ass um e son st atut de justici er, sur ce pl an-l à, l a différence entre les deux héros -dét ectives va de soi, puisque, nous l’avons dit, Dupin incarne l e personnage -machine al ors que Lecoq représente le personnage -humai n. Quant à Holmes, il va, une fois de plus, s ynt hétiser ses deux prédécesseurs, i l est, selon l es cas et selon l es t ypes d’affai res qu’i l traite, tantôt comm e Dupin, quand il ne veut se livrer qu’au jeu du m ystère et de l’énigm e, tantôt com me Lecoq quand il s’autorise l ui -mêm e à se substit uer à l a loi. En ce qui concerne le st atut détective/ assistant , il consist e à opposer l’int elli gence redout abl e du détective au prosaïsm e terre à terre de son adjoint . Les tandems Dupin/narrat eur et Holmes/W atson semblent revisiter le m yt he t radi tionnel du double Don Quichott e/Sancho P ança. Si Poe était l e premier à avoi r l ’idée de cett e re pris e, en flanquant son détective d’un ami -narrateur, Do yl e a fait mieux en rendant son imitation plus créative. En effet, la nature de l a rel ation que partagent Holmes et Watson est plus h umai ne, pl us chal eureuse, donc plus vivante que celle qui unit Dupi n à son compagnon. C e que nous admirons par -dessus-tout chez le couple do yli en, c’est cett e atmosphère humoristique résult ant de la naïvet é 315 Concl usi on et de l’incompét ence de Watson. En revanche, Gaboriau n’a emprunt é le statut dét ective/assistant à son prédécesseur qu’occasionnel lement. Il nous rest ait encore, pour terminer cette étude, de savoir exactem ent ce qu’étai ent Dupin, Lecoq et Holmes pour leurs créat eurs. En ce sens, les rapports qu’entretie nnent Poe, Gaboriau et Do yle avec leurs personnages se sont révél és bi en disti ncts. De Dupin, l e personnage qu’Edgar Poe rêvait d’êt re, en passant par Lecoq le porteur d’une nouvelle image du polici er imaginée et espérée par Gaboriau, à Holmes, la créatur e indépendante qui a su échapper à son créateur ; autonome et les trois héros - détectives ont répondu, chacun à sa m anière, à l a consci ence de l eurs auteurs. Pour conclure, nous dirons que les trois auteurs ont réussi à se distinguer, et ont contribué chac un pour sa part à la construction du personnage du dét ective en fondant l es bases sur l esquelles allait s e dével opper ce dernier . Edgar All an Poe fut le précurseur et l’inspirateur à qui il faut accorder l ’honneur dû à un vérit able créat eur. Émile Gabori au fut loin d’êt re un faible i mitateur, l’inspiration ét ait pour lui une source de créativité. Quant à Conan Do yle qui a lo yalem ent reconnu sa dette envers ses deux prédécesseurs, il a réussi à porter le personnage de détect ive à son apogée. Nous ne saurons l e ni er, Sherlock Holm es s ’est im posé sous tous les cieux, il est aussi célèbre en Russie, au Japon qu’en Anglet erre, et c’est sa silhouette qui va donc dominer l e genre policier. Nous affirmons que le présent travail est loin d’être exhausti f, et pourrait utilem ent être compl été à l 'occasion d'autres recherches en élargissant, par exemple, l e cham p d’anal yse aux personnages policiers qui ont m arqué le XX e siècle. Citons notamm ent Mauri ce Leblanc qui, avec Arsène Lupin, le « gentlem an cambrioleur », 316 Concl usi on renouvell e la fi gure populai re du bandit justicier . Citons ensuite Agatha Christie considérée comm e l a R eine du crim e avec son très maniaque et excent ri que détective bel ge Hercul e Poirot et sa désuète mais très perspi cace Miss Marpl e qui va apport er à l a fi gure de détective de la sensi bilité et de l a finesse ps ychologique. Nous citons égal ement l’i nventeur du roman policier ps ychologique, Georges Simenon et son enquêteur, le commissaire M ai gret , ce dernier ne va plus concevoir l ’enquête comm e un puzzle logique ma is comme un e tragédie social e en dévoil ant sous le crime la misère, la solitude et les rancœurs. Com patissant, il va jusqu’à apparaître comme un rédempteur et conduit les coupables à se réconcili er avec eux -mêmes. Ce mêm e champ d’étude pourrait être pl us é largi aux enquêt eurs du roman noir , not amment ceux De Dashiell Hammett, de James Hadl e y Chase et de Ra ymond Chandl er . C’est une nouvelle race d’enquêt eurs , appelés les « durs à cui re » 402, ces dét ecti ves pri vés ne vont pas résoudre de savant es éni gmes dans l eur bureau m ais vont arpenter l es quartiers mal famés. Confrontés à la pègre, i ls seront prêts à user de tous les mo yens pour parvenir à leurs fi ns ; parfois violents et grossiers, souvent à la limite de la légalit é, incorruptibles mais sans scrupul es, ils sont sarcastiques, solitaires et désabusés. Telles sont quelques suggestions parm i tant d’autres , car le roman polici er qui continue à se m ultipl ier en t ypes, en séri es et en succès, ne cesse d’offri r de nouvelles pi stes de recherche à explorer. Que cette étude se termine donc avec un sentiment d'ina chèvement , rien de pl us naturel. 402 « dur à cuire » est la signification littérale « hard-boiled » qui renvoie évidemment à l'école du roman noir américain. 317 Bibliographie Bi bl i ographi e I- Romans et nouvelles du corpus Edgar Allan Poe POE, Edgar Allan, Double Assassinat dans la rue Morgue (The Murder in the Rue Morgue), 1841, Paris, Petits classiques. Larousse, 1999. POE, Edgar Allan, Le Mystère de Marie Roget (The Mystery of Marie Roget), 1842, URL : http://www.ebooksgratuits.com/pdf/poe_histoires_grotesques_et_serieuses.pdf POE, Edgar Allan, La Lettre volée (The Purloined Letter), 1845, Petits classiques. Larousse, Paris, 1999. Émile Gaboriau GABORIAU, Émile, Le Crime d’Orcival, 1867, ed. Masque, Paris, 2005. GABORIAU, Émile, Le Dossier 113, 1867, Edition « Ebooks libres et gratuits », décembre 2004. URL : http://www.ebooksgratuits.com/pdf/gaboriau_dossier_113.pdf GABORIAU, Émile, Monsieur Lecoq, 1868, Edition « Ebooks libres et gratuits », décembre 2003. URL : http://www.ebooksgratuits.com/pdf/gaboriau_monsieur_lecoq.pdf Arthur Conan Doyle DOYLE, Arthur Conan (sir), Une étude en rouge (A Study in Scarlet), 1887, dans Les Aventures de Sherlock Holmes. Volume1, Omnibus, Paris, 2005. DOYLE, Arthur Conan (sir), Le Signe des quatre (The Sign of Four), 1890, dans Les Aventures de Sherlock Holmes. Volume1, Omnibus, Paris, 2005. DOYLE, Arthur Conan (sir), Un scandale en Bohême (A Scandal in Bohemia), 1891, dans Les de Aventures Sherlock Holmes. Volume1, Omnibus, Paris, 2005. DOYLE, Arthur Conan (sir), L’Escarboucle bleue (The Blue Carbuncle), 1892. dans Les Aventures de Sherlock Holmes. Volume1, Omnibus, Paris, 2005. DOYLE, Arthur Conan (sir), Le diadème de béryls (The Beryl Coronet), 1892, dans Les Aventures de Sherlock Holmes. Volume1, Omnibus, Paris, 2005. DOYLE, Arthur Conan (sir), L’estropié (The Crooked Man), 1893, dans Les Aventures de Sherlock Holmes. Volume2, Omnibus, Paris, 2006. 319 Bi bl i ographi e DOYLE, Arthur Conan (sir), L’interprète grec (The Greek Interpreter), 1893, dans Les Aventures de Sherlock Holmes. Volume2, Omnibus, Paris, 2006. DOYLE, Arthur Conan (sir), Le traité naval (The Naval Treaty), 1893, dans Les Aventures de Sherlock Holmes. Volume2, Omnibus, Paris, 2006. DOYLE, Arthur Conan (sir), Le dernier problème (The Final Problem), 1893, Les Aventures de Sherlock Holmes. Volume2, Omnibus, Paris, 2006. DOYLE, Arthur Conan (sir), La boîte en carton (The Cardboard Box), 1893, dans Les Aventures de Sherlock Holmes. Volume3, Omnibus, Paris, 2007. DOYLE, Arthur Conan (sir), Le Chien des Baskerville (The Hound of the Baskervilles), 1901-1902, dans Les Aventures de Sherlock Holmes. Volume2, Omnibus, Paris, 2006. DOYLE, Arthur Conan (sir), Charles Augustus Milverton (Charles Augustus Milverton), 1904, dans Les Aventures de Sherlock Holmes. Volume2, Omnibus, Paris, 2006. DOYLE, Arthur Conan (sir), Le pince-nez en or (The Golden Pince-Nez), 1904, dans Les Aventures de Sherlock Holmes. Volume2, Omnibus, Paris, 2006.g DOYLE, Arthur Conan (sir), Le Manoir de l’Abbaye (The Abbey Grange), 1904, dans Les Aventures de Sherlock Holmes. Volume2, Omnibus, Paris, 2006. DOYLE, Arthur Conan (sir), La Vallée de la peur (The Valley of Fear), 1915, dans Les Aventures de Sherlock Holmes. Volume3, Omnibus, Paris, 2007. DOYLE, Arthur Conan (sir), L’illustre client (The Illustrious Client), 1924, dans Les Aventures de Sherlock Holmes. Volume3, Omnibus, Paris, 2007. DOYLE, Arthur Conan (sir), Les trois Garrideb (The Three Garridebs), 1924, dans Les Aventures de Sherlock Holmes. Volume3, Omnibus, Paris, 2007. DOYLE, Arthur Conan (sir), Le marchand de couleurs retraité (The Retired Colourman), 1926, dans Les Aventures de Sherlock Holmes. Volume3, Omnibus, Paris, 2007. 320 Bi bl i ographi e II- Corpus élargi Edgar Allan Poe POE, Edgar Allan, La Genèse d’un poème, 1846, L’Hrne, coll. Confidences, 1997. POE, Edgar Allan, Nouvelles Histoires Extraordinaires, 1857, Teddington : The Echo Library, 2008. POE, Edgar Allan, Contes, essais, poèmes (Préambule au poème du Corbeau), Laffont, coll. « Bouquins », Paris Laffont, coll. « Bouquins », Paris, 1989. Émile Gaboriau GABORIAU, Émile, L’Affaire Lerouge, 1865, Edition « Ebooks libres et gratuits », février 2005. URL : http ://www.ebooksgratuits.com/pdf/gaboriau_affaire_lerouge.pdf GABORIAU, Émile, La Corde au cou, 1873, Edition « Ebooks libres et gratuits », février 2005. URL :http ://www.ebooksgratuits.com/pdf/gaboriau_corde_au_cou.pdf GABORIAU, Émile, Le Petit Vieux des Batignolles, 1876, Edition « Ebooks libres et gratuits », mars 2005. URL : http://www.ebooksgratuits.com/pdf/gaboriau_petit_vieux_des_batignolles.pdf Arthur Conan Doyle DOYLE, Arthur Conan (sir), Les Aventures de Sherlock Holmes, Volume1, Omnibus, Paris, 2005. DOYLE, Arthur Conan (sir), Les Aventures de Sherlock Holmes, Volume2, Omnibus, Paris, 2006. DOYLE, Arthur Conan (sir), Les Aventures de Sherlock Holmes, Volume3, Omnibus, Paris, 2007. Autres ouvrages BALZAC, Honoré de, Gobseck, Éditions de la Pleïade, t. II, Gallimard, Paris, 1976. BALZAC, Honoré de, Le père Goriot, Gallimard et Librairie Générale Française, Paris, 1961. 321 Bi bl i ographi e BAUDELAIRE, Charles, "L'école païenne", Œuvres complètes, éd. Claude Pichois, Gallimard, Paris, 1961. BAUDELAIRE, Charles, Le peintre de la vie moderne, in Œuvres Complètes, Gallimard, Bibliothèque de La Pléiade, NRF, Paris, 1976. BAUDELAIRE, Charles, Œuvres posthumes, Mercure de France, Paris, 1908. URL : http://fr.wikisource.org/wiki/Livre:Baudelaire__%C5%92uvres_posthumes_1908.djvu BAUMARCHAIS, Pierre-Augustin Caron de, Le Barbier de Séville, Nouvelle coproduction théâtre des célestins de Lyon compagnie avril 6, 1998. BRUNEL, Pierre, « La légende des fins de siècle », in Huysmans, Cahiers de l’Herne, Paris, 1985. CHATEAUBRIAND, François-René de, Mémoires d'Outre−tombe, éditions EbooksFrance, 2004. URL : http://www.ebooksgratuits.com/ebooksfrance/chateaubriand_memoires_outretombe.pdf FREUD, Sigmund, Essais de psychanalyse, Petite Bibliothèque Payot, 2004. GODWIN, William, Caleb Williams, ou les choses comme elles sont, Tome1, Traduction : Amédée Pichot, éd. Michel Lévy frères, libraires éditeurs, Paris, 1868. (Google books). LEROUX, Gaston, Le mystère de la chambre jaune, Robert Laffont, Paris, 1961, p. 14. VOLTAIRE, Zadig ou la destinée, Librio, n°77. Paris, 1995. III- Ouvrages et articles critiques sur les auteurs et/ou personnages du corpus Edgar Allan Poe CABAU, Jacques, Edgar Poe par lui-même, Seuil, Paris, 1960. GUILLAUD, Lauric, L'Aventure mystérieuse de Poe à Merritt ou les orphelins de Gilgamesh, éditions du C.E.F.A.L. Liège, Belgique, 1993. JUSTIN, Henri, Poe dans le champ du vertige, Klincksieck, Paris, 1991. RICHARD, Claude, Edgar Allan Poe Écrivain, Delta, Montpellier, 1990. 322 Bi bl i ographi e SICE, David, Écrire comme Edgar Allan Poe, URL : http://www.davonline.com/ecrirekom/ecrirekom_poe_extrait.pdf Émile Gaboriau BONNIOT, Roger, Émile Gaboriau ou la naissance du roman policier, J. Vrin, Paris, 1985. SCHULZ-BUSCHHAUS, Ulrich, « Roman policier et roman social chez Émile Gaboriau », in Richesses du roman populaire, Actes du colloque international de Pont-à-Mousson, octobre 1983, Vol 5, Centre de recherches sur le roman populaire, Nancy, 1986, p. 167-179. VANONCINI, André, « Crime et châtiment dans l’Affaire Lerouge d’Émile Gaboriau », in Cahiers de l'Association internationale des études françaises, N°44, 1992, p. 191-204. Arthur Conan Doyle et/ou Sherlock Holmes FOUASSIER, Éric, « Sherlock Holmes, Watson et la cocaïne. Une contribution littéraire à l'histoire des toxicomanies », In: Revue d'histoire de la pharmacie, 82e année, N° 300, 1994. GELLY, Christophe, Le Chien des Baskerville : Poétique du roman policier chez Conan Doyle, Pul, coll. Champ Anglophone, Lyon, 2005. MEYER-BOLZINGER, Dominique Une méthode clinique dans l'enquête policière: Holmes, Poirot, Maigret, Éditions du CÉFAL, Belgique, 2003. NAUGRETTE Jean-Pierre, « Énigme et spectacle chez Conan Doyle », Études Anglaises, vol. 34, numéro 4, 1981. NAUGRETTE, Jean-Pierre, « La mort de Sherlock Holmes : réflexions sur la diagonale du détective », in Sherlock Holmes et le signe de la fiction, textes réunis par Denis Mellier, éd., Fontenay-aux-Roses ENS-Éditions, Signes, 1999. NORDON, Pierre, Sir Arthur Conan Doyle: l'homme et l'œuvre, Didier, « Études Anglaises », Paris, 1964. 323 Bi bl i ographi e NORDON, Pierre, Tout ce que vous avez voulu savoir sur Sherlock Holmes sans jamais l’avoir rencontré, Librairie Générale Française, coll. Le Livre de Poche Biblio essais, Paris, 1994. OURDIN, Bernard, Enquête sur Sherlock Holmes, Gallimard, collection Découvertes, Paris, 1997. PREVOST, Maxime, « Compte rendu de Bayard (Pierre), L’Affaire du Chien des Baskerville » in COnTEXTES. 2008. URL : http://contextes.revues.org/index2783.html SAINT-JOANIS, Thierry, Société Sherlock Holmes de France, http://www.sshf.com/articles.php?id=9. IV- Ouvrages et articles critiques sur le genre policier BAUDOU, Jacques & SCHLERET, Jean-Jacques (dir.), Le Polar, Larousse, Collection « Guide Totem », Paris, 2001. BERLIERE, Jean-Marc, Police réelle et police fictive, in: Romantisme, 1993, n°79. URL :http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/roman_00488593_1993_num_23_79_ 6189 BLANC, Jean-Noël, Polarville : images de la ville dans le roman policier, Presses universitaires, Lyon, 1991. BOILEAU, Pierre Louis et NARCEJAC, Thomas, Le roman policier, Quadrige/PUF, Paris, 1994. BOURDIER, Jean, Histoire du roman policier, De Fallois, Paris, 1996. BOYER, Alain-Michel, « Questions de paralittérature », in Poétique n° 98, Seuil, avril 1994. CHASTAING, Maxime, « Le Roman policier « classique » », in Europe, n°571-572, novembre-décembre 1976. COMBES, Annie, Agatha Christie, l'écriture du crime, Les impressions nouvelles, Paris, 1989. DELEUSE, Robert, Les maîtres du roman policier, Bordas, Paris, 1991. DUBOIS, Jacques, « Indicialité du récit policier », in Narration et interprétation, Actes du colloque organisé par les Facultés Universitaires de Saint-Louis, Lettres, Bruxelles, 1984, pp. 115-128. DUBOIS, Jacques, Le roman policier ou la modernité, Armand Colin, Paris, 2006. 324 Bi bl i ographi e DULOUT, Stéphane, Le roman policier, Les Essentiels Milan, Aubin, Toulouse, 1995. EISENZWEIG, Uri, Autopsies du roman policier, Union générale d’éditions, Paris, 1983. EISENZWEIG, Uri, Le Récit impossible. Forme et sens du roman policier, Mesnilsur-l’Estrée, Éditions Bourgois, 1986. EVRARD, Franck, Lire le roman policier, Dunod, Paris, 1996. FERNANDEZ-RECATALA, Denis, Le Polar, M. A. Éditions, Paris, 1986. FONDANECHE, Daniel, Le roman policier, Ellipse, Thèmes et études, Paris, 2000. GIDDEY, Ernest, Crime et détection. Essai sur les structures du roman policier de langue anglaise, Éditions Peter Lang S.A., Berne, 1990. HOVEYDA, Fereydoun, Histoire du roman policier, Le Pavillon, Paris, 1965. KRACAUER, Siegfried, Le Roman policier, un essai philosophique, Payot, Paris, 1981. LACASSIN, Francis, Mythologie du roman policier (I), coll. 10-18. Paris, 1974. LACASSIN, Francis, Mythologie du roman policier (II), coll. 10-18. Paris, 1974. LEBRUN, Michel, Almanach du Crime 1980. L’année du roman policier. Ed. Guénaud/polar. 1979. LITS, Marc, L'énigme criminelle : textes pour la classe de français et vade-mecum du professeur de français, Didier-Hatier, 1991. LITS, Marc, Le Roman policier : Introduction à la théorie et à l'histoire d'un genre littéraire, Éditions du CEFAL, Liège, 1993. MACDONALD, Ross, Lew Archer, détective privé à Hollywood, Fleuve Noir, Paris, 1993. MANDEL, Ernest, Meurtres exquis : une histoire sociale du roman policier, PresseEdition-Communication (trad. M. Acampo), , Montreuil, 1986. MASSOL, Chantal, Une poétique de l'énigme: Le Récit herméneutique balzacien, Droz, coll. « Histoire des idées et critique littéraire », Genève, 2006. MESSAC, Régis, LE « DETECTIVE NOVEL » ET L’INFLUENCE DE LA PENSÉE SCIENTIFIQUE, éd. Encrage, collection « Travaux », Paris, 2011. 325 Bi bl i ographi e MEYER-BOLZINGER, Dominique, Colloque « Étude clinique et modèles d’enquêtes». URL : http://www.fabula.org/colloques/document931.php. MEYER-BOLZINGER, Dominique, Une méthode clinique dans l'enquête policière: Holmes, Poirot, Maigret, Éditions du CÉFAL, Belgique, 2003. MURCH, Alma Elizabeth, The Development of the Detective Novel, Peter Owen, London, 1968. NARCEJAC, Thomas, Une machine à lire : Le roman policier, Denoël/Gonthier, Paris, 1975. O’BRIEN, Geoffrey, Hard-Boiled USA : Histoire du roman noir américain, Amiens, Encrage éditions, coll. «Travaux», n° 2, trad. S. Bourgoin, 1989. Ouvrage collectif : Philosophies du roman policier, Feuillets de L’École Normale Supérieure de Fontenay-Saint Cloud, Ophrys, Paris, 1995. Ouvrage collectif, Premières enquêtes. Un siècle de romans policiers, Edition établie et présentée par Francis Lacassin, Omnibus, Paris, 2005. REUTER, Yves (dir), Le Roman Policier et ses personnages, PUV, Saint-Denis, 1989. REUTER, Yves, « Le suspens : les lois d’un genre », in Pratiques n°25, 1982. Pp. 49-54. TODOROV, Tzvetan, « Typologie du roman policier », in Poétique de la prose, Seuil, Paris, 1971, pp. 55-65. VAREILLE, Jean-Claude, « Chéri-Bibi : Intertextualité, baroque et degré zéro de l’écriture », in Europe, vol. 59, numéro 626-627, 1981, pp. 102-107. VAREILLE, Jean-Claude, L’homme masqué, le justicier et le détective, Presses Universitaires de Lyon, 1989. V- Ouvrages de critique littéraire générale ABOMO-MAURIN, Marie-Rose, « La recherche de la terre : une lecture du Fils de la tribu », in Tcheuyap Alexie (sous la direction de), Pius Ngandu Nkashama. Trajectoires d’un discours, L’Harmattan, Collection « Critiques littéraires », Paris, 2007. ASSOULINE, Pierre, Hergé, Plon, Paris, 1996. 326 Bi bl i ographi e BALLESTRA-PUECH, Sylvie, « Héroïsme, mélancolie et marginalité », in Littérature générale et comparée, Centre de recherche Hubert de Phalèse, 20022003. BARTHES Roland, « L’Effet de réel », in Essais critiques IV, Le bruissement de la langue, Seuil, Paris, pp. 167-174. BARTHES, Roland, Le Degré zéro de l’écriture, Seuil, Paris, 1953. BARTHES, Roland, Mythologies, Seuil, Paris, 1957. BARTHES, Roland, Le Plaisir du texte, Seuil, Points Essais, Paris, 1973. BARTHES, Roland, S/Z, Seuil, Paris, 1970. BELLEMIN-NOEL, Jean, Psychanalyse et littérature, P.U.F., Quadrige, Paris, 2002. BELLEMIN-NOEL, Jean, Vers l’inconscient du texte, P.U.F., Écriture, Paris, 1992. BRUNEL Pierre, PICHOIS Claude, ROUSSEAU André-Michel, Qu'est-ce que la littérature comparée ? Armand Colin, Paris, 1996. CABAU, Jacques, La prairie perdue. Histoire du roman américain, Seuil, Paris, 1966. CAILLOIS, Roger, Puissances du roman, Sagittaire, Marseille, 1942. CHEVREL, Yves, La littérature comparée, P.U.F, Coll. « Que sais-je ? », Paris, 1989. CONSTANS Ellen et VAREILLE Jean-Claude, Crime et Châtiment dans le roman populaire de langue française du XIXe siècle, Actes du colloque international de mai 1992. Université de Limoges, PULIM, 1994. DELUY, Henri, Poésie en France 1893-1988: une anthologie critique, Flammarion, Paris, 1992. DURANTIN, Armand, «L’agent de la rue de Jérusalem», Les Français peints par eux-mêmes (Volume 2), Omnibus, Paris, 2003. ECO Umberto, L’Œuvre ouverte, Paris, Seuil, Paris, 1979. ECO Umberto, Lector in fabula. Le rôle du lecteur ou la coopération interprétative dans les textes narratifs, Grasset, Le Livre de Poche, Biblio, Essais, Paris, 1985. ECO Umberto, Les Limites de l’interprétation, Grasset, Paris, 1992. ECO, Umberto, De Superman au surhomme, Grasset, Paris, 1993. 327 Bi bl i ographi e ERMAN, Michel, Poétique du personnage de roman, Ellipses, Collection «thèmes & études », Paris, 2006. EVRARD, Franck, Fait divers et littérature, Nathan, coll. Université, Paris, 1997. GUYAUX, André et MARCHAL, Bertrand, Les Fleurs du mal, colloque de la Sorbonne, Presses de l'Université de Paris-Sorbonne, Paris, 2003. HAMON, Philippe, Du Descriptif, Hachette, Paris, 1993. HAMON, Philippe, Le Personnel du roman, Librairie Droz, Genève, 1998. ISER, Wolfgang, L’acte de lecture. Théorie de l’effet esthétique, Trad. française Pierre Mardaga, Bruxelles, 1985. JOUVE, Vincent, La poétique du roman, SEDES/HER, Collection «CAMPUS Lettres», Paris, 1999. JOUVE, Vincent, L'effet-personnage dans le roman, Paris, Presses Universitaires de France, 1992. KALIFA, Dominique, « Enquête judiciaire, littérature et imaginaire social au XIX siècle », in Cuadernos de Historia Contemporánea, janvier 2011. URL : http://readperiodicals.com/201101/2593465461.html#b KOTCHI, Bathelemy Nguessan Kotchi, « Sociocritique : littérature et contexte culturel», in Revue d'ethnopsychologie, vol. 35, n°2-3, 1980. MOATTI, Christine, Le prédicateur et ses masques : les personnages d’André Malraux, Publications de la Sorbonne, Paris, 1987. MONTALBETTI, Christine, Le personnage, Flammarion, Paris, 2003. PAGEAUX, Daniel-Henri, Littérature générale et comparée, Armand Colin, Cursus, Paris, 1994. PIEGAY-GROS, Nathalie, Introduction à l’intertextualité, Dunod, Paris, 1996. PITTIN-HÉDON, Marie- Odile, Alasdair Gray: marges et effets de miroirs, Ellug, Paris, 2004. REUTER, Yves, L’importance du personnage, in Pratiques, n° 60, déc. 1988. TRESMONTANT, Claude, Siences de l’univers et problèmes métaphysiques, Seuil, Paris, 1976. TODOROV, Tzvetan, « la Lecture comme construction », in Poétique n° 24, Narratologie, Seuil, 1975. 328 Bi bl i ographi e VERNANT, Jean-Pierre et VIDAL-NAQUET, Pierre, Œdipe et ses mythes, Complexe, coll. Historiques, Bruxelles, 1988. VI- Thèses et mémoires BOUBY, Sylvia, Société et roman policier dans l’Angleterre victorienne et édouardienne, Thèse Lettres, Paris IV, 1990. GELLY, Christophe, Le récit policier anglophone au XIXe siècle : Genèse d’une poétique, THÈSE pour obtenir le grade de docteur de l’université LYON II, Discipline : Études anglophones, le 4 décembre 1999. GIRARD FRANCOIS, Marion, Parodie et transposition dans le roman policier contemporain, THÈSE pour obtenir le grade de docteur de l’université LYON II, Discipline : Lettres et Arts, 24 janvier 2000. MALESKI, Estelle, Le roman policier à l’épreuve des littératures francophones des Antilles et du Maghreb, Thèse pour l’obtention du Doctorat, Discipline : Littératures française, francophones et comparée, Université Michel de Montaigne – Bordeaux III, décembre 2003. PINQUE, Meryl, Sherlock Holmes : l’ombre du héros, Étude réalisée dans le cadre d’un DEA de Littérature. URL : http://faustroll.net/pinque/index.htm. 329 Annexes A nnexes Résumés des romans et nouvelles du corpus I- Edgar Allan Poe 1. Double Ass assinat dans la rue Morgue (1841) L’ af f air e const i t ue un myst èr e appar emme nt i nexpli cabl e. Comment expl i quer , par exempl e, un doubl e assassi nat dans un appar t ement dont les por t es sont bar r ées et l es f enêt r es f er mées ? La pol i ce ne parvi ent pas ét abl ir c omment l ’ assassi n a pu ent r er et sor t i r de l a chambr e du cr i me. C’ est par l e r ai sonnement que l e cheval i er Dupi n, l e dét ect i ve amat eur qui n’ appar ti ent pas à l a pol i ce of fi ci el l e, donne l ’ expl i cat i on : un or ang out an, r amené de Bo r néo par un mar i n, est pas sé par l a f enêt r e de la chambr e de der r i èr e. Un cl ou cassé, un r essor t f er mant aut omat i quement l e châssi s de l a f enêt r e de l a chambr e de d er r i èr e. C’ est en s’ aidant d’ une chaî ne de par at onner re qu’ un êtr e tr ès agi l e a pu se gl i sser . Les sons de sa voi x et des poi l s r oussât r es conf i r ment qu’ il s’ agi t bi en d’ un si nge. 2. Le Myst ère De Marie Roget (1842) La seconde nouvel l e Le M yst ère De M arie Roget ( 1842) , écri t e apr ès Doubl e Assassi nat… et un an avant La Let t re vol ée , n'a ét é publ i ée en Fr ance qu’ en 1865 bi e n apr ès ces deux nouvel l es. Mar i e Roget , une gr i set t e empl oyée au Pal ai s -Ro yal , di spar aît al ors qu’ el l e se rendai t chez sa t ant e. Son cadavr e est r etr ouvé, f l ott ant dans l a Sei ne. La pol i ce ne t r ouve aucune expl i cat i on. S’ agi t -i l mê me du cadavr e de l a j eun e f i l l e ? Des vêt e ment s sont r et r ouvés pr ès de l a barr i èr e du Roul e, ce qui br oui ll e l es pi st es. Le cheval ier Dupi n, appar u dans Doubl e Assassi nat dans l a rue M orgue bal ai e t outes l es hypot hèses de l a pr esse, l aquel l e met en cause une bande de mal f ai teur s. Il dé mont r e que l e coupabl e est un of f i cier de mar i ne, anci en amant de Mar i e. Poe s’ est i nspir é d’ un fai t di ver s aut hent i que. Poe prétendai t avoi r appor t é l a sol uti on de cet t e éni gme à t r aver s sa nouvel l e. 331 A nnexes 3. La Lettre Vol ée (1845) La Let t re Vol ée , ét ait di sai t Poe, « l e m ei l l eur de m es cont es de rat i oci nati on ». Le cheval i er Dupi n r éussi t t out seul , en moi ns d ’ un moi s, à r écupérer dans l ’hôt el du mi ni st re D… l e document vol é que l es mei l l eur s pol ici ers du pr éf et G… cher chaient en vai n depui s pl us d’ un an. « Si l a l et t re avai t ét é cachée dans l e rayon de l eur i nv est i gati on, expl i que Dupi n, ces gai l l ards l’ aurai ent t rouvée [ …] » 403. Donc l a l ett r e n’ ét ait pas cachée. Ell e ét ait dans « un m isérabl e port e - cart es » suspendu par un r uban cr asseux au -dessus du mant eau de l a chemi née. El l e y ét ait j et ée « négl i gem m ent » et « presque déchi rée ». Cet t e l et t r e ser vai t de mo yen de chant a ge a u mi ni st r e D… sur une dame du monde. M aî t r e de la l et tr e, Dupi n r et our ne l a si t uat i on. II- Émile Gaboriau 1. Le Crim e d’ Orci val (1867) Le 9 j uil l et 186…, deux br aconni er s découvr ent à Or ci val l e cadavr e d’ une f emme. Il s’ agi t de l a comt esse de T r emor el . Dans l e chât eau, on t r ouve des t r aces de sang, des meubl es br i sés, des papi er s di spersés, mai s nul l e part l e comt e de T remor el . T out accuse un cer tai n Guespin, qui est ar r êt é. M. Leoq, de l a Sûr et é, envo yé par l a pr éf ect ure de pol i ce, pr end l ’ af fai r e en mai n. Il r ét abl it l’ heur e du cr ime, const at e que l e li t est défai t, mai s que ni l e co mt e ni l a comt esse n’ y ont couché. Les assassi ns ont l ai ssé vol ont ai remen t des i ndi ces destinés à égar er l es soupçons ( not amment ci nq ver res pour f air e cr oi re à ci nq br i gands ou une f ausse l ut t e si mul ée dans l e sabl e par un seul pi ed) . Lecoq t end un pi ège au comt e, qui n’ ét ai t pas mor t . Il ét ai t l ’ assassi n de son é pouse, apr ès avoi r empoi sonné l e pr emi er mar i de cell e -ci . Il avai t sédui t et engr ossé 403 Edgar Allan Poe, La Lettre volée (The Purloined Letter), Petits classiques. Larousse, Paris, 1999, p.118. 332 A nnexes Laur ence, l a f i ll e du mai r e. Co mme i l r ef use l e sui ci de, c’ est Laur ence qui l e t ue. M. Lecoq gagn er a une pr opri ét é à Orci val . 2. Le Dossier 113 (1867) Le 28 j anvi er 186…, o n appr end par la pr esse l e vol d’ une somme de 350000 f r ancs dans le cof f r e -f or t du banqui er Fauvel . Le cai ssier Pr osper Ber t omy est ar r êt é. Il ét ai t seul à avoi r l a cl ef du cof f re avec l e banqui er . Ber t omy a vai t t out e l a conf i ance de Fauvel , d’ aut ant qu’ il ét ai t l’ ami d’ enf ance de sa ni èce. Le j eune Fanf er l ot, di t l ’ Écur euil , est char gé de l ’ enquêt e, en s’ appuyant sur M. Lecoq qui , sous di ver s dégui sement s, démasque une escr oquer i e dont la vi ct i me ét ai t Mme Fauvel . 3. Monsieur Lecoq (1868) Le 22 f évr i er 18…, u ne r onde d’ agent s de l a Sûr et é découvr e dans un bouge, La Poi vr i èr e, un vér i t abl e massacr e. Le coupabl e est appr éhendé. L’ une des vi ct i mes p or t e un uni f or me, ma i s l ’ un des agent s, Lecoq, not e que, vu sa coupe de cheveux, ce ne peut êt r e un sol dat . C’ est l e même Lecoq qui , gr âce à une manœu vr e habi l e, a sai si l e coupabl e pr ésumé. Lecoq appar t i ent à une bonne f ami l l e r ui née et a f ai t di ver s mét i er s où son i nt ell i gence a f ait mer vei l l e ( t r op) , pui s il a choi si d’ ent r er dans la pol i ce. Le chef de l a pat r oui l l e cr oit à un r ègl ement de compt es ent r e escar pes. Lecoq pense, l ui , que l e meur t r ier est un homme du monde. Il r el ève des empr ei nt es dans l a nei ge, qui r évèl ent que deux f emmes se sont échappées. L’ homme ar r êt é pr étend êtr e un enf ant tr ouvé r épondant au nom de Mai . S’ ét ant per du, i l di t êt r e ent ré dans ce bouge où i l a ét é at t aqué par t r oi s escar pes. Lecoq suggèr e au j uge Segmul l er de l ai sser échapper ce Mai et de l e f ai r e sui vr e. Il l es condui t à l ’ hôt el du duc de Ser meuse pui s di spar aît . Déçu, Lecoq pr end c ont act avec un vi eux dét ect i ve, l e pèr e T abaret . Cel ui -ci l ui expl i que qu’ il s’ agi t bien du duc de Ser meus e. La seconde par ti e, L’ Honneur du nom , r envoi e en août 1815, au dévoi l ement d’ un t er r i bl e secr et . Bl anche de Ser meuse a empoi sonné Mar i e -Anne Lachene ur , f i ll e de l’ acquér eur des bi ens des Ser meuse 333 A nnexes devenus bi ens nat i onaux. J ean Lacheneur , f r èr e de Mar ie -Anne et possesseur du secr et , at t i r e Bl anche dans l e bouge de La Poi vr i èr e. Il pr évi ent par ail l eur s l e duc, dans le dessei n de pr ovoquer un scandal e. Int r i gué, l e duc sui t son épouse et sa f emme de cha mbr e. Il s’ agi t d’ un guet -apens. Le duc t ue l es t r oi s mal andr i ns. A son r et our , l a duchesse se donne l a mor t . Lecoq ét ouf f e l ’ aff ai re et obt i ent un post e d’ i mpor t ance. III- Arthur Conan Doy le 1. Une étude en rouge (1887) Dans l e r oman Une ét ude en rouge , Sherl ock Hol mes et Wat son son col ocat ai r e du 221 B Baker St r eet f urent appel és en r enf ort non of f i ci el sur l es l i eux d'un cr i me, une mai son aband onnée de Br i xt on où un cadavr e avai t ét é t r ouvé, l e mot " Rache" ayant été gr i boui l l é « en l et t r es de sang » sur l e mur à côt é et une al l i ance en or ayant ét é l ai ssée. Les pol i ci er s de « Scot l and Yar d » s’ avouèr ent dépassés. Gr âce à une obser vat i on at t enti ve des l ieux, Sherl ock Hol mes co mpr i t ce qui s 'ét ai t passé. Il pl aça d ans un j our nal une pet i te annonce, f ai sant appel au pr opr i ét ai re de l ’ anneau. Il r eçut al or s l a vi sit e d’ une vi ei l l e femme q ui vi nt l e r éclamer . Il l a sui vi t mai s c’ ét ai t en f ait un ho mme dé gui sé q ui par vi nt à l ui échapper . La pol i ce compl èt ement désempar ée, Hol me s décl ar a qu’i l avait r ésol u l ’ éni gme des meur t r es et qu’ i l al l ai t sous peu ar r êt er l e meur t r i er . Pr ét endant f ai r e ses baga ges pour un vo ya ge, i l demanda au chau f f eur qui at t endai t de veni r l ’ aider à l es por t er . Mai s, dès qu’ i l f ut dans sa chambr e , Hol mes sor t i t ses men ot t es et l ’ ar r êta. Fi èr ement , i l décl ar a : « Messi eurs [ …] Je vous présente M. Jef f erson H ope, l ’ assassi n d’ Énoch Drebber et de M. Joseph St rangerson. ». Dans l a seconde part i e, l 'hi st oi r e de ces t r oi s hommes est r acont ée : le meur t r i er s’ est vengé de deux Mor mons qui , en Ut ah, ont obl igé sa f i ancée à deven i r l a concubi ne de l 'u n d 'eux. La conf essi on du crimi nel vi nt conf i r mer l 'h ypot hèse de Sher l ock Hol me s qui expl i qua comment i l avai t pr océdé. 334 A nnexes 2. Le Signe des quatre (1890) Un deux i è me r oma n consacr é à Sher l ock Hol mes : Le Si gne des quat re. C’ est dans ses pages que l e l ect eur appr end que l e hér os -dét ecti ve se dr ogue. C’ est l à aussi qu’ il aff i r me que « l a déduct i on est une sci ence ». Une da m e, Mar y Mor t on, demande à Sher l ock Hol mes d 'enquêt er sur son pèr e, of f i ci é aux Inde s, di spar u voi l à di x ans, l e 3 décembr e 1878. El l e l ui par l e d'une l et t r e bi zar r e qu'el l e a r eçue, accompa gnée de per l es et dans l aquell e un anonyme l ui demandai t de l e r ej oi ndre avec deux ami s qui ne sont pas de l a poli ce. Hol mes et Wat son se r endent avec el l e à ce myst ér i eux r endez -vous. Il s y appr ennen t l a mor t acci dent el l e du capitai ne et l 'exi st ence d 'un f abul eux t r ésor qu 'i l aur ai t r appor t é des Indes. H ol mes pr essent t r ès vi t e qu'i l s 'a gi t de l a vengeance de qua t r e bagnar ds qui ont concl u un pact e secr et . Ayant besoi n d'un coup de mai n pour r epér er un ho mme, i l f ai t appel à T oby, l e chi en l e pl us savant du monde t ant son f l air est dével oppé. 3. Un scandal e en Bohêm e (1891) Le co mt e K r amm, en r éal it é l e r oi de Bohême , vi ent t r ouver Hol mes. Un scandal e menace sa f ami l l e. Une a vent u r i èr e, Ir ène Adl er , po ssède des l et tr es d’ amour du mo nar que. Or cel ui -ci va épouser une pri ncesse. Il f aut que le dét ecti ve r écupèr e ces document s et sur t out une photo compr o met t ant e. Hol mes, s 'ét ant f ai t r ecevoi r , amène Ir ène par une r use à r évél er où se t r ouve l a phot o. S 'ét ant r endue compt e qu 'el l e s 'ét ai t t rahi e, el l e part à l 'ét r ange r avec l a phot o. Mai s el le n'est pl us danger euse pui squ'el l e ai me un au t r e homme. 4. L’Escarboucl e bl eue (1892) Pet er son , un commi ssi onnai r e, conf i e à Hol mes l a pi er r e pr écieuse qu 'i l a tr ouvée dans le j abot d'une oi e abandonnée par un homme qui a l ai ssé aussi un chapeau. Pour l e vol r écent de cet te escar boucl e bl eue est accusé un homme qu i cl ame son i nnocence. Du possesseur du chapeau, Hol mes r e mont e au mar chand d'oi es et t ombe ai nsi sur le vér i t abl e vol eur 335 A nnexes de l a pier r e qui r acont e comment , apr ès avoi r compr o mi s cel ui qui est accusé, il l 'a cachée dans une oi e qu'i l a ensui t e per due de vue. Hol mes l e l i bèr e car l 'accusat i on t ombe et l e vol eur se r epent . 5. Le diadèm e de béryl s (1892) Un banqui er a r apport é chez l ui un di adème. Or , dans l a nuit , i l a sur pr i s son f il s en t rai n de t or dr e l e di adème auquel manquai ent t r oi s bér yl s. Hol mes él uci de l e vol par ti r des empr ei nt es de pas dans l a nei ge et i nnocent e l e f i ls du banqui er . Le dét ecti ve r appor t e l es t r oi s bér yl s en expl i quant que le bij ou a ét é vol é par une ni èce, appar emment i r r épr ochabl e, qui vi t aussi dans l a mai son et dont le f il s est amour eux. El l e l 'a passé à son amant que l e f i l s a rat t r apé. Le di adème avai t ét é br i sé, l 'a mant par t ant avec l es t r oi s bér yl s qu 'i l avai t vendus. 6. L’estropié (1893) Sher l ock Hol mes et s on a mi Wat son sont invi t és à r ésoudr e l 'én i gme que pose l e cri me d u col onel J ames Bar cl ay r et r ou vé mor t , l e vi sage f r appé d’ horr eur , et Nancy sa f e mme é van oui e. Hol mes r econst i t ue cet te soi r ée où Nancy a vai t r encont r é son anci en a mour eux, Henr y Wood, qui avai t ét é t r ahi et mal tr ai t é par J ames au poi nt d'en êt r e r esté “ t ordu” . De r et our chez el le, el l e par l a à J ames de cett e r encontr e, ce qui pr ovoqua l 'al t er cat i on. Mai s Henr y qui l 'a vai t sui vi e, ent r a pour l a pr ot éger et , à sa vue, J ames, f r appé d 'a popl exi e, se blessa en t ombant et Nancy s’ évanoui t . 7. L’interprète grec (1893) Le f r èr e de Sher l ock Hol me s, M ycr of t , pl us habi l e que l ui mai s moi ns doué d 'éner gi e, l ui soumet l 'af f ai r e d'un i nt er pr èt e, M. Melas, qui a ét é enga gé par un cer t ai n Har ol d Lat i mer pour ser vi r d 'i nt er pr èt e ent r e l e Gr ec Paul Kr at i des et deux Angl ai s qui l es ret i ennent l ui et sa sœur cont re l eur vol ont é. Sherl ock Hol mes co mpr end qu 'el l e a ét é sédui t e et qu'on veut f ai r e si gner à son f r èr e l e tr ansf er t de sa f or t une dont i l est l e cur at eur . Mycr of t ayant appr is gr âce à une annonce où se t r ouve l a mai son, Sher l ock Ho l mes y pénèt r e, sauv e l 'i nt er pr èt e d'une asphyxi e 336 A nnexes t andi s que l 'aut r e Gr ec est mor t . Les deux ki dnappeur s par t i s avec l a Gr ecque s'ent r et uent à Budapest . 8. Le trait é naval (1893) Per cy Phel ps, un anci en camar ade de Wat son, f onct i onnaire du « For ei gn Of f i ce », demande l 'ai de de S her l ock Hol mes car on l ui a subt i li sé un t r ès i mpor t ant document di pl omat i que, un t r ait é naval dont i l f ai sait l a copi e dans son bur eau dont i l s'ét ai t absent é un mo ment . Il en est t ombé mal ade et se t r ouve à l a campagne où séj our nent aussi sa f i ancée et l e fr èr e de cel l e -ci qui l ui a d'ai l l eur s cédé sa chambr e. Co mme i l va mi eux, i l n'y a pl us de gar de, et i l const at e qu'on a voul u y ent r er . Hol mes l 'él oi gne, r est e l à et l ui r apport e l e t r ait é : c'est l e f r èr e de l a f i ancée, avec l equel il a dû se batt r e, qui l 'avai t vol é et di ssi mul é dans l a chambr e. 9. Le dernier probl èm e (1893) Apr ès une sér i e de t ent at i ves de meur t r e cont r e l ui commandi t ée par l e pr of esseur J ames P . Mor i ar t y, cr i mi nel géni al et machi avél i que, di gne en t ous poi nt s de se mesur er avec l ui , Hol mes de mande à Wat son de l 'acco mpa gner en Eur ope j usqu'au démant èl ement de l 'or gani sat i on. Apr ès de nombr euses pér i pét i es, l es deux ami s att ei gnent Mei r i ngen, en Sui sse. En haut des chut es de Rei chenbach, cadr e ma gni f i que, gr andi ose et t er r if i ant , pr opi ce à une f i n dr amat i que, Ho l mes et Mor i ar t y s’ empoi gnent dans un cor ps à cor ps au t er me duquel i l s r oul ent ensembl e au f ond du gouf f r e. 10. La boîte en carton (1893) Une chal eur t orr i de règne sur Londr es. Miss Susan Cushi ng appr end à Hol mes et Wat son qu’ ell e a r eçu dans une boî t e deux or eil l es f r aî chement coupées. Qui est l ’ aut eur de cet t e macabr e plai santer i e ? Un ét udi ant en médeci ne auquel el l e aur ai t j adi s l oué une chambr e et dont el l e se ser ai t débar r assée pour mau vai ses mœur s. Hol mes const at e que l es deux or ei l l es n’ appar ti ennent pas à l a mê m e per sonne et ne peuvent veni r 337 A nnexes d’ une sal l e de dissect i on. L’ une est une or ei ll e de f emme, l ’ aut r e cel le d’ un homme. Pour qu oi avoi r adr essé ces vest i ges d’ un cr i me à une demoi sel l e r angée ? Cel l e -ci a deux sœur s : Mar y et Sarah. N’ y a -t -i l pas er r eur ? Le paquet n’ét ai t -i l pas pl ut ôt dest i né à Sar ah, qui avai t vécu chez Mar y? On découvr e que l a pr emi èr e or ei ll e est cel l e de Mar y, qui avai t épousé st ewar d, J i m Br owner , et l ’ aut r e cell e de son amant , Al ec Fai r bai r n, que Sa r ah avai t poussé dans l es br as de sa sœur s pour se ven ger du dédai n de Ji m Br o wner à son égar d. C’ est Br owner qui a t ué l es deux amant s. 11. Le Chien des Baskerville (1901 -1902) Sel on une vi ei l le l égende, Si r Hugo Basker vi l l e aur ait assassi né une j eune f emme d ans l es r ui nes d'un chât eau et aur ai t été at t aqué par l a sui t e par une cr éat ur e f ér oce, l e " chien des enfer s" . Bien des décenni es pl us t ar d, l 'uni que hér i t i er des Basker vi l l e, Si r Henr y, est conf r ont é à cet t e ét r ange mal édi ct i on qui sembl e avoi r de nouveau f ai t son œuvr e : en ef f et , l e ser vant des Baskervi l l e, Bar r ymor e a découver t son maî t r e, Sir Char l es, mor t dans l a l ande avec une de t er r eur figée sur l e vi sage. Le doct eur Ri char d Mor t i mer , un ami de l a f ami l l e des Basker vi l l es, se r end à Londr es af i n de r encont r er l e cél èbr e dét ecti ve Sher l ock H ol mes. Il demande à ce der ni er et à son f i dèl e Watson de veni r avec l ui dans le Devonshi r e, pour pr ot éger Si r Henr y et él uci der l e myst èr e de l a mal édi ct i on du chi en des enf er s. 12. Charl es August us Mi lvert on ( 1904) Le r oi des maî t r es chant eur s, Charl es -Au gust e Mi l ver t on, est convoqué par Hol me s. Il possède des l et t r es « i mpr udent es » d’ E va Br ackwel l . Or cel l e -c i doi t épouser le Co mt e de Dover cour t . Le dét ecti ve doi t l es r écupér er mai s un accor d ne peut se fai r e l’ ami abl e. Hol mes déci de en conséquence, avec l ’ ai de de Watson, de l es cambr i ol er . Mai s, une f oi s dans la pi èce où l e maî t r e chant eur cache ses document s, Hol mes et Watson assi st ent au meur t r e de Mi l ver t on par l ’ une de ses vi ct i mes. Il s s’ enf ui ent apr ès avoi r b r ûl é t ous les papi er s dest i nés di ver s chantages. 338 A nnexes 13. Le pince-n ez en or (1904) L’ i nspect eur Hopki ns vi ent sol l i ci t er l ’ aide de Hol mes. Il ex pose l ’ af fai r e qui l ’ amène : l e pr of esseur Coram a achet é une ma i son t r ès i sol ée. Il y écr i t un li vr e avec l ’ ai de d’ un secr ét ai r e, Wi ll oughby S mi t h . Ce der ni er est assassiné et l ’ on r et r ouve près de l a vi ct i me un pi nce -ne z. C’ est à par ti r de cet obj et que Hol mes dédui t le cour s des événement s. Le pi nce -ne z appar t i ent à une f emme venu e pour vol er Cor am, et qui , sur pr i se par l e secr étai r e, l ’ a poi gnar dé. n'ayant pl us son pi nce -nez, s 'est t r ompée de che mi n et s 'est r et r ouvée dans l a chambr e de Cor a m qui l ’ a cachée. C’ est en f ait sa f emme, el l e est d’or i gi ne r usse. El l e est r evenue pour sauver un j eune Russe à l ’ ai de de d ocumen t s que conser vai t son mar i . El l e se donne l a mor t apr ès avoi r r emi s l es papi er s à Sher l ock Hol mes. 14. Le Manoir de l ’Abbaye (1904) L’ i nspect eur Hopki ns appel l e Hol mes au secour s. Il l ’ i nvi t e le r ej oi ndre au manoi r d e l ’ Abbaye où si r Eust ace Br ackenst al l , l ’ u n des pl us r i ches pr opr i ét air es du K ent , a ét é assassi né et son épouse blessée. Cel l e ci r évèl e d’abor d à Hol mes que si r Eust ace ét ait un i vr ogne i nvét ér é. Pui s el l e l ui r aconte que des vol eur s se sont i ntrodui t s dans l e manoi r , ont vol é de l ’ ar gent er i e e t bu une bout eil l e de si r Eust ace. C’ est ce détai l qui att i r e l ’ att ent i on de Hol mes. Les cambr i ol eur s n’ont pas fi ni la bout eil l e. Lady Br ackenst al l a i nvent é l ’ hi st oi r e du cambr i ol age. En r éal i t é, un ho mme qui l ’ ai mai t n’ a pu suppor t er qu’ el l e soi t mal t r a i t ée par un mar i i vr ogne. Hol mes se t r ansf or me en j uge et l’ acquit t e symbol i que ment . 15. La Vallée de la peur (19614-1915) Hi st oi r e écri t e en deux par t i es : La t ragédi e de Bi rl st one et Les Écl ai reurs. Une substi t ut i on de cadavr e ( l e vr ai J ohn Dougl as n’ est pas mor t ) pour échapper à une t er ri bl e vengea nce que f er a r éussi r Mor i art y. On y voi t , ce qui est r ar e, Sherl ock Hol mes en pr oi e au dout e. On l ’ i nter r oge à l a f i n : « Êt es - vous sûr que personne ne haussera au 339 A nnexes ni veau de ce roi des dém ons ? - Non, j e n’ en sui s pas sûr ! répondi t H ol m es, dont l es yeux sem bl ai ent déchif frer un aveni r l oi nt ain. Je ne di s poi nt qu’i l ne peut pas êt re bat t u. Mai s vous devez m e l ai sser du t em ps ! ». L’af fr ont ement f i nal entr e Holmes et Mor i ar t y aur a l i eu dans Le derni er probl ème . 16. L’illustre client (1924) C’ est l ’ hi st oi re d’ une af f ai r e soumi se à Sher l ock Hol mes p ar Si r J ames Da mer y. El l e concer ne l e bar on Grüner , un Aut r i chi en qui , apr ès avoi r assassi né sa f emme, s’ est r endu en Angl et er r e où i l a sédui t V i ol et de Mer vi l le. Il s’ agi t po ur Hol mes d’ empê cher ce mar i age. Mai s Gr üner pr end l es devant s : Hol mes est vi ct i me d’ u ne t er ri bl e agr essi on. Il en voi e Wat son chez Gr üner , amat eur de por cel ai ne chi noi se, avec une soucoupe de l ’ époque Mi ng. Au mo ment où Gr üner s’ appr êt e à démasquer Wat son , i l est déf i gur é par une anci enne maî t r esse. Hol mes en pr of i t e pour s’ empar er du r egi st r e sur l equel Gr üner consi gnai t ses bonnes f or t unes. Dur e l eçon pour l ’ Autr i chi en. 17. Les trois Garrideb (1924) Cel a se passe en 1902, Al exandr e Hami l t on Gar r i deb, un homm e t r ès r i che, ét ait f i er de son no m. Il a l ai ssé un t est ament dans l equel ses bi ens sont di vi sés en t r ois par t i es : une par ti e r éser vée à un J ohn Garr i deb que Hol mes connaî t et l es deux aut r es pour deux Gar r i deb que J ohn doit t r ouver . J ohn en t r ouve un et confi e à Hol mes l e soi n de découvr ir l ’ aut r e. Mai s pour Hol mes, ce t t e hi st oi r e ne t i ent pas debout . Cer t es un t r oi si ème Gar r i deb est l ocali sé et l e deuxi ème Gar r i deb par t , bi en que f or t sédent air e, à sa r encont r e. En r éal it é c’ est un st r at agème mi s au poi n t par J ohn Gar ri deb, al i as K i ll r er Evans, pour éloi gner son pr ét endu homon yme, qui ne bouge j amai s d e chez l ui , et y r écupér er une machi ne à f abr i quer de l a f ausse monnai e. Hol mes l e sai si t en fl agr ant dél it . 340 A nnexes 18. Le m archand de cou leurs retrait é (1926) J osiah Amber l ey, f abr i cant de pot s de pei nt ur e, s’ est ret ir é, f or t une f ai t e, à Lewi sham. Mai s sa f emme s’ est enf ui e avec un j eune médeci n et l es économi es du mé nage. A mber l ey f ai t appel à Hol mes. Que st i on de cel ui -ci : « Qu’ ave z - vous f ai t des cadavres ? », car Amber l ey a t ué l es amant s et f ai t appel à Hol mes pour é gar er l es soupçons. 341 Index des auteurs Index des auteurs cités A Abomo-Maurin, Marie -Rose : 125 Assouline, Pierre : 305 Auden, Wystan Hugh: 288 Aunay, Alfred d': 233 Avi (Edward Irving Wortis) : 107 B Balzac, Honoré de : 2, 4, 5, 22, 23, 59, 72, 74, 77, 158, 162 Baudelaire, Charles : 36, 62, 63, 160, 176, 212, 237, 238, 299 Baudou, Jacques : 6, 105, 113 Beaumarchais, Pierre-Auguste Caron : 49, 50, 51, 52 Berlière, Jean-Marc : 185, 247, 248 Biggers, Earl Derr : 83 Blanc, Jean-Noël : 28, 29 Boileau, Pierre Louis et Narcejac, Thomas : 25, 26, 31, 45, 66, 67, 113, 177, 184, 185, 209, 210,264, 270 Bonniot, Roger: 32, 76, 105, 129, 185, 195, 230, 236, 263, 270, 278, 279, 301, 314 Borges, Jorge Luis: 205 Bornich, Roger: 269 Bourdier, Jean : 130 Boyer, Alain-Michel: 32 Brown, Charles Brockden: 63 Bryant, William Cullen: 63 Busnach, William-Bertrand: 109 C Cabau, Jacques : 65, 290 Caillois, Roger : 297 Carlyle, Thomas: 82, 164 Carr, John Dickson: 99 Chabrillat, Henri: 96 Chandler, Raymond Thornton: 68, 317 Chase, James Hadley: 307 Chastaing, Maxime : 278, 279 Christie, Agatha : 69, 83, 307 343 Index des auteurs cités Cocteau, Jean : 77 Colin, Jean-Paul : 88 Collins, Wilkie: 80 Comt, Auguste: 92 Cooper, James Fenimore: 63 D Darwin, Charles Robert : 106 Deluy, Henri : 205 Dickens, Charles John Huffam : 63, 228 Dostoïewski, Fedor: 2 Doyle, Arthur Conan: 2, 5, 6, 8, 9, 14, 16, 51, 55, 57, 59, 68, 77, 78, 79, 80, 81, 82, 83, 84, 86, 87, 94, 95, 96, 97, 98, 99, 111, 112, 113, 114, 115, 116, 117, 118, 119, 120, 122, 130, 131,132, 133, 134,135, 136, 137, 144, 145, 147, 154, 155, 156, 157, 158, 159, 160, 161,162, 167, 169, 172, 175, 177, 181, 182, 183, 184, 189, 190, 194, 197, 198, 199, 200, 201, 203, 204, 205, 206, 212, 213, 216,218, 219, 225, 229, 230, 231, 232, 244, 245, 246, 248, 251, 252, 254, 255, 256, 257, 268, 269, 275, 276, 285, 286, 287, 290, 291, 292, 293, 303, 304, 305, 306, 307, 310, 311, 312, 313, 314, 315, 316. Du Boisgobey, Fortuné : 109 Dutourd, Jean Gwenaël : 113 Durantin, Armand : 275 Dubois, Jacques : 2, 24, 25, 37, 44, 86, 87, 100, 102, 103, 211, 216, 225, 283, 284 Dumas, Alexandre : 22, 23, 32, 73, 77, 274, 315 E&F Eco, Umberto: 113 Eisenzweig, Uri: 88, 139, 287 Eliot, Thomas Stearns: 62, 113 Erman, Michel : 138 Fernandez-Recatala, Denis: 99, 189, 243 Féval, Paul: 23, 73, 129 Fitzgerald, Francis Scott Key: 113 Flaubert, Gustave: 32 Fossaert, Frédéric : 151, 303 Foucault, Paul-Michel: 71 Franklin, Benjamin: 63 Frères Goncourt (Edmond de Goncourt et Jules de Goncourt) : 211 344 Index des auteurs cités Freud, Sigmund: 112 G Gaboriau, Émile: 5, 6, 8, 9, 14, 16, 20, 22, 32, 48, 55, 57, 59, 68, 71, 72, 75, 76, 77, 79, 80, 81, 82, 84, 86, 87, 90, 91, 92, 93, 94, 96, 97, 98, 99, 105, 109, 110, 119, 120, 122, 128, 129, 130, 131, 132, 136, 137, 142, 143, 147, 149, 151, 152,153, 154, 155, 158, 161, 162, 165, 166, 169, 172, 174, 177, 178, 185, 188, 192, 193, 195, 196, 197, 209, 214, 218, 225, 233, 238, 239, 240, 241, 242, 243, 245, 247, 248, 249, 250, 251, 253, 255, 261, 262, 263, 264, 268, 269, 270, 278, 279, 280, 284, 295, 296, 297, 301, 302, 310, 311, 312, 313, 314, 315, 316 Gayot, Paul: 113 Gelly, Christophe: 97, 184 Giddey, Ernest : 218 Gide, André: 77 Gillette, William Hooker: 113, 114, 182 Girardin, Émile de : 23 Giraudoux, Hippolyte Jean : 113 Godwin, William: 52, 53, 54 Guillaud, Lauric : 274 Guyaux, André : 299 H Halévy, Ludovic: 280 Hammett, Dashiell: 68, 317 Hamon, Philippe: 11, 122, 124, 136, 148, 307 Hatvary, George Egon: 107 Hergé: 305 Hocking, Silas: 304 Hoffmann, Ernst Theodor Amadeus: 21 Hugo, Victor: 2, 4, 5, 22, 59, 72, 77, 274, 315 Huxley, Aldous: 62 I&J Irving, Washington: 63 Iser, Wolfgang : 169 Johnson, Samuel : 291, 292 Jolles, André : 45 Jouve, Vincent : 11, 84, 121, 122, 124, 146, 169, 219, 220, 221 345 Index des auteurs cités K Kalifa, Dominique : 273, 274, 280, 281 Kessel, Joseph : 77 King, Stephen: 68 Knox, Ronald Arbuthnott: 113 L Lacassin, Francis: 27, 55, 126, 127, 132, 150, 179, 180, 181, 187, 227, 233, 245, 248, 252, 257, 265, 290 Lavater, Johann Kaspar: 127, 128, 152, 153 Le Fanu, Joseph Sheridan: 67 Leblanc, Maurice : 76, 112, 305, 316, 281 Lebrun, Michel : 23 Lecaye, Alexis : 113 Leroux, Armand: 77 Leroux, Gaston: 43, 83, 235, 236, 303 Level, Maurice: 273 Lewis, Matthew Gregory: 20 Lits, Marc: 30, 36, 45, 46, 86 Lovecraft, Howard Phillips: 68 Lovelock, Frank: 108 M Mandel, Ernest : 25 Marchal, Bertrand : 299, 327 Marlowe, Stephen : 107 Massol, Chantal : 51 Mauriac, François : 307 Meilhac, Henry : 280 Meyer-Bolzinger, Dominique : 112, 178, 268 Messac, Régis : 19, 43, 51, 52, 54, 55, 77, 90, 91, 92, 96, 97, 119, 120, 227, 229, 260, 263, 311 Mill, John Stuart : 106 Moatti, Christiane : 307 Morley, Christopher : 131 Morvan, Jean-David : 108 346 Index des auteurs cités N&O Naugrette, Jean-Pierre : 293 Niceforo, Alfredo : 263 Nordon, Pierre : 78, 113, 115, 175, 190, 233, 264, 291, 292, 294, 306, 323 O’brien, Geoffrey: 207 Orwell, George: 78 Ovide: 18 P Pinque, Meryl: 204, 207, 252, 287, 291, 303, 306 Ponson du Terrail, Pierre Alexis : 23 Pourcell, Edgar : 109 Proust, Marcel : 307 Pittin-Hédon, Marie-Odile : 11 Poe, Edgar Allan : 5, 6, 8, 9, 14, 16, 22, 25, 26, 27, 32, 33, 34, 36, 55, 57, 59, 60, 61, 62, 63, 64, 65, 66, 67, 67, 68, 69, 70, 74, 75, 77, 80, 81, 82, 84, 86, 87, 88, 89, 90, 91, 93, 94, 97, 98, 99, 104, 105, 107, 108, 119, 120, 122, 126, 127, 128, 131, 132, 136, 137, 139, 140, 141, 142, 147, 149, 150, 151, 162, 163, 164, 169, 172, 174, 179, 180, 181,186, 187, 191, 192, 201, 202, 203, 204, 209, 210, 211, 212, 218, 219, 225, 226, 227, 228, 234, 236, 237, 243, 247, 248, 259, 260, 261, 263, 264, 268, 269, 274, 275, 276, 282, 290, 291, 292, 297, 298, 299, 300, 310, 311, 304, 313, 314, 315, 316 Prévost, Maxime : 308 Q&R Queen, Ellery : 82 Radcliffe, Ann : 20 Ray, Jean : 112 Reouven, René : 113 Reuter, Yves : 151, 218, 303 Richard, Claude: 67, 69 S S.S. Van Dine: 82, 113 Saint-Joanis, Thierry: 81, 134, 135 Sayers, Dorothy Leigh: 83 Schléret, Jean-Jacques :6, 105 Scott, Walter: 63, 67, 81, 204 347 Index des auteurs cités Seele, Wilhelm: 20 Shakespeare, William: 80, 175, 291 Shaw, George Bernard: 113 Simenon, Georges: 83, 305, 317 Simmel, Georg: 180 Sophocle: 19, 43 Soulié, Frédéric: 23, 32, 73 Springer, Nancy: 112, 113 Stoker, Bram: 303 Stout, Rex Todhunter: 83 Sue, Eugène : 4, 22, 23, 73 Swedenborg, Emanuel: 64 T, V & W Todorov, Tzvetan: 35 Topin, Marius Jean François : 74, 263 Valéry, Paul : 10, 67 Verne, Jules : 202, 203 Vidocq, Eugène-François : 4, 5, 22, 54, 55, 59, 71, 72, 74, 127, 128, 130, 142, 242, 249, 274 Voltaire : 19, 20, 48, 51, 127 Voragine, Jacques de : 18 Walpole, Horace : 20 Wodehouse, Pelham Grenville: 113 348 Table des matières Introduction……………………………………………………………………………………………. Première Partie : Genèse et naissance…………………………………………………………… Chapitre I : Aux origines du genre et du personnage policier…………………………………… I. Les origines du genre : Approche synthétique et historique…………………………… 1. Les origines littéraires…………………………………………………………………... 1.1. La littérature d’énigme……………………………………………………………… 1.2. La tragédie grecque…………………………………………………………………. 1.3. Le Zadig de Voltaire…………………………………………………………............ 1.4. Le roman gothique…………………………………………………………………... 1.5. Chroniques du crime…………………………………………………………........... 1.6. E.T.A. Hoffman………………………………………………………………............ 1.7. Les Mémoires de Vidocq……………………………………………………........... 1.8. Le roman-feuilleton…………………………………………………………………. 2. Circonstances de la naissance……………………………………………………......... 2.1. Un genre attestant une évolution sociale…………………………………………. 2.2. Un genre urbain………………………………………………………………........... 2.3. Policier et criminel…………………………………………………………………... 2.4. La presse…………………………………………………………………………….. 2.5. L’enquête policière………………………………………………………………….. II- Le genre policier : essai de définition……………………………………………………… III- Les prototypes du personnage du détective…………………………………………......... 1. Œdipe déchiffreur de signes…………………………………………………………… 2. Le subtil Zadig…………………………………………………………………………... 3. Beaumarchais et sa Gaieté………………………………………………………............. 01 15 17 18 18 18 19 19 20 21 21 22 23 24 24 27 30 31 33 35 40 41 47 49 349 4. Caleb Williams…………………………………………………………………………... 5. Vidocq…………………………………………………………………………….............. Chapitre II : Premiers créateurs et premiers héros….……………………………………………. I- Premiers créateurs……………………………………………………………………………. 1. Poe ou l’image du père………………………………………………………………….. 1.1. Contextes……………………………………………………………………................. 1.1.1. L’Amérique d’Edgar Allan Poe……………………………………………… a) Jeunesse d’une nation démocratique………………………………………. b) décrépitude d’une société coloniale…………………………………….. 1.1.2. Une littérature américaine……………………………………………………. a) Poe et la tradition littéraire américaine…………………………………… b) Les formes littéraires à la mode……………………………………………. 1.2. Carrière policière………………………………………………………………............ 2. Émile Gaboriau ou la naissance du roman policier…………………………………… 2.1. Contextes………………………………………………………………………………. 2.1.1. La littérature « judiciaire »…………………………………………………… 2.1.2. La thématique policière des romans-feuilletons…………………………… 2.2. Biographie et carrière…………………………………………………………………. 3. Sir Arthur Conan Doyle et le mythe holmésien……………………………………….. 3.1. Contextes……………………………………………………………………………….. 3.1.1. Contexte social………………………………………………………………… 3.1.2. Contexte littéraire……………………………………………………………... 3.2. Biographie et carrière…………………………………………………………………. II- Construction de l’intrigue policière chez les trois auteurs……………………………….. 1. L’intrigue poesque………………………………………………………………………. 2. L’intrigue chez Gaboriau………………………………………………………………. 52 54 58 59 60 60 60 60 61 62 62 64 65 71 71 71 73 74 78 78 78 79 80 86 87 90 350 3. L’intrigue doylienne…………………………………………………………………….. III- Premiers héros-détectives…………………………………………………………………… 1. Autour du personnage du détective……………………………………………………. 2. Les trois détectives……………………………………………………………………… 2.1. Le chevalier Auguste Dupin………………………………………………………… 2.2. Monsieur Lecoq……………………………………………………………………….. 2.3. Sherlock Holmes………………………………………………………………………. 3. Les trois héros : une notoriété durable……………………………………………….. 3.1. Le chevalier Auguste Dupin………………………………………………………… 3.2. Monsieur Lecoq ……………………………………………………………………….. 3.3. Sherlock Holmes………………………………………………………………………. Deuxième Partie : Le portrait comme système de signification…………………………………. Chapitre I : Des portraits physiques parlants………………………………………………………... I- Du détail identitaire et biographique du héros-détective…………………………………. 4. Détail identitaire……………………………………………………………………….. 1.1. Le DUPIN de Poe : un Dupont de tous ?............................................................... 1.2. Le cocorico de LECOQ…………………………………………………………….. 1.3. SHERLOCK ou « cher Lecoq »………………………………………………... 2. Biographies entre fiction et réalité…………………………………………………… 2.1. La chevalerie Dupin……………………………………………………………… 2.2. Lecoq le bourgeois………………………………………………………………… 2.3. Holmes l’aristocrate……………………………………………………………….. II-L’apparence : un code descriptif……………………………………………………………. 1. Une apparence dissimulée……………………………………………………………. 2. Une apparence stylisée………………………………………………………………... 3. Une apparence populaire……………………………………………………………... 94 88 101 104 104 105 106 107 107 109 110 121 123 124 124 126 128 130 138 139 142 144 148 149 151 154 351 4. Compléments de portraits……………………………………………………………. 4.1. L’habit et l’accessoire ……………………………………………………………... 4.2. Habitudes alimentaires……………………………………………………………. 4.3. Des Habitats allégoriques…………………………………………………………. 4.3.1. L’habitat isolé……………………………………………………………….. 4.3.2. L’habitat sécurisé…………………………………………………………… 4.3.3. L’habitat bourgeois………………………………………………………… Chapitre II : Des portraits moraux atypiques………………………………………………………... 1. Le profil intellectuel……………………………………………………………... 2. 3. Bizarreries……………………………………………………………………………… 2.1. Le détective noctambule ………………………………………………………... 2.2. L’extrême excentricité ………………………………………………………… 2.3. Le policier type…………………………………………………………………. Des détectives vaniteux, arrogants et comédiens…………………………………. 3.1. Un certain goût pour la mise en scène……………………………………….. 3.2. Rivalité, critique et moquerie……………………………………………………. 3.3. Un talent source d'orgueil et de vanité………………………………………… 4. Relations sociales et états émotionnels………………………………………………. 4.1. Misanthropie et asociabilité……………………………………………………... 4.2. Un univers misogyne…………………………………………………………….. 4.3. Seraient-ils sensibles?.............................................................................................. Troisième Partie : une nouvelle typologie de l'héroïsme………………………………………. Chapitre I: Des enquêteurs hors du commun……………………………………………………… I- L'art de la logique et de la déduction………………………………………………………. 1. Lire dans les pensées………………………………………………………………… 2. Lire dans les objets…………………………………………………………………….. 158 158 161 162 163 165 167 171 174 179 179 181 185 186 186 191 195 201 202 205 210 222 224 226 226 230 352 II- Des enquêteurs entre raisonnement et terrain……………………………………………. 1. Le détective sédentaire………………………………………………………………... 2. Le détective de terrain………………………………………………………………… 3. Le maître détective……………………………………………………………………. III- Autres procédés d'enquête………………………………………………………………….. 1. Des caméléons humains………………………………………………………………. 2. S'identifier au criminel………………………………………………………………… 3. Le goût du secret………………………………………………………………………. IV- Des héros-détectives face à la science……………………………………………………… Chapitre II: Des personnages aux statuts spécifiques……………………………………………… I- Statut professionnel ………………………………………………………………………. 1. Le détective officieux………………………………………………………………….. 2. Le policier officiel……………………………………………………………………… II- L'enquêteur: détective et/ou justicier……………………………………………………… 1. Le «rétablisseur» de vérité……………………………………………………………. 2. Le justicier………………………………………………………………………………. 3. Le détective-justicier…………………………………………………………………... III- Le tandem détective/assistant…………………………………………………………… IV- Le rapport créateur / créature……………………………………………………………… 1. Le personnage rêvé…………………………………………………………………… 2. Le personnage porteur de la pensée de l'auteur……………………………………. 3. Quand la créature échappe au créateur……………………………………………... Conclusion……………………………………………………………………………………………. Bibliographie………………………………………………………………………………………….... Jk Annexes……………………………………………………………………………………………….... Index des auteurs…………………………………………………………………………………….. 234 234 238 244 249 249 253 256 259 272 273 273 278 282 282 283 284 290 297 298 301 303 309 318 330 342 353 :ملّخص اميل غابوريو و آرثر كونان دويل مدينة إلى أبطال،ليس من شك ان شهرة و مجد كل من الكاتب إدغار آالن بو ذوي موهبة استثنائية في، نوابغ في االستنباط.رواتهم اللذين ال زالوا يسحرون إلى أيامنا هذه جزءا من القراء ال يستهان به تلك هي المظاهر الخاصة العالقة برجال التحري، مع شيء من الغرابة، مع لباقة جد ثابتة، و كذا دقة تقارب اله وس،المالحظة .الثالث السيد لوكوك و شارلوك، أوغست دوبان:إن العمل الذي نحن بصدده يخص دراسة متوازية بين األبطال الثالثة ، عن طريق فحص الروابط بين هذه األشخاص متشابهة كانت أو متفرقة. كل منهم يحمل شارة تكشف عن سمة خالقه،هولمز فإن الهدف من دراستنا هذه يكمن في رفع النقاب عن المساهمات الخاصة بكل كاتب في خلق شخصية التحري عبر االدب .ألبوليسي و بالتالي في خلق النوع البوليسي نفسه . النوع البوليسي – دوبان – لوكوك – هولمز – بطل –تحري – دراسة مقارنة: كـلـمـات مفتاحيه Abstract: Edgar Allan Poe, Emile Gaboriau and Arthur Conan Doyle owe great part of their glory to their hero detectives who, till nowadays, are charming a large number of readers. Their profile can be described as follows: they are geniuses of deduction, endowed with an exceptional gift of observation, with a fussiness- like- attention to detail, courteous and strict to the extreme, but extravagant and funny. The present research work, therefore, draws a parallel between the chevalier Auguste Dupin, Monsieur Lecoq and Sherlock Holmes, three hero detectives, each one carrying the personal print of his creator. When examining either what brings them together or what separates them, our research objective is to shed light on the original contribution of each author to the creation of the detective character in the detective literature, indeed, their contribution to the creation of the detective genre. Key words: detective genre – Dupin – Lecoq – Holmes – hero – detectives – comparative study. Résumé: Edgar Allan Poe, Émile Gaboriau et Arthur Conan Doyle doivent une très grande partie de leur gloire à leurs héros-détectives qui continuent à séduire, jusqu’à nos jours, un large lectorat. Génies de la déduction, doués d’un don d’observation exceptionnel, d’une minutie frisant la maniaquerie, courtois et rigoureux à l’extrême, mais extravagants et pleins de bizarreries : tel est le profil de nos trois détectives. Le présent travail met donc en parallèle le chevalier Auguste Dupin, Monsieur Lecoq et Sherlock Holmes, trois héros-détectives portant chacun la marque personnelle de son créateur. En examinant les liens qui unissent ou séparent ces personnages, notre objectif de recherche consiste à mettre en lumière l’apport original de chaque auteur à la création du personnage du détective dans la littérature policière, voire son apport à la création du genre policier. Mots clés : genre policier - Dupin – Lecoq – Holmes – héros – détectives – étude comparative Abstract: Thèse en vue de l 'o bt ent i on du D oct orat Spécialité : Scien ces des textes l ittéraires Résumé de la thèse Travai l présent é par : Fat i ma BRA H MI - A nnée uni ver si t aire 201 2- 2013- Résumé de la thèse Le genre polici er puise sa séduction dans le personnage de l’enquêt eur. Pour que l’histoi re polici ère soit réussi e, l’enquête s e doit d’êt re judi cieusement m enée, par la seule ri gueur de la logique. Or, cett e en quêt e doit se faire le réceptacl e de t oute l a puissance intellectuell e de l ’enquêt eur. C eci est parti culièrem ent vrai dans la form e traditionnelle et classique du genre où l e personnage central est en position d’investi gat eur. Il n’est pas un sim ple person nage, il est un être puissant et une têt e pensante qui fait avancer l’enquête, et par là mêm e l e roman ; par l a seule force de sa réflexion. L’enquêt eur du rom an polici er cl assique nous paraît, ph ysi quement aussi bien que ment alem ent, doté de signes distin cti fs qui le rendent crédible. Il est, de ce fait, presque un êt re réel. Le personnage du détective occupe une place import ante dans la form e et l e contenu de l’histoire poli cière classique, et bénéfici e d'une att ention part iculière de l'aut eur. C’est à p artir de Double Assassinat dans la rue Morgue , qu’il devient l 'élém ent pri ncipal et ori ginal de l 'histoire du crime ; une place auparavant occupée par l e personnage du crim inel. Il est di ffi cil e de décrire exact ement le statut littérai re du héros -détective , car il n’a pas d’équivalent ni d’homologue dans tout autre genre de fiction. Plus que cela , il représent e dans l a plupart des cas l 'expression de la personnalité de l'auteur lui -mêm e ai nsi que l a reproducti on de ses idées. Le détective, héros du genre p olici er, se démarque de cel ui du « héros justici er », qui constituait une des fi gures cl efs du roman populai re (L es Misérables de Vi ctor Hugo, Les Mystères de Paris d’Eugène Sue). C e derni er ét ait personnellem ent impliqué dans l e dram e et luttait cont re un adversai re présent jusqu’à ce que l ’ordre de la justice soit rétabl i, au nom du Bien. Le détective est un expert de la technique d’enquête. Il est extéri eur au dram e et porte un regard lucide et distancié sur les événements. La police d’Ét at a certes fourni des noms illustres, qui appartiennent à la vi e et à l’Hi stoire, et dont la litt érature s’est parfois emparée. Le personnage étonnant de Vidocq, ancien bagnard devenu chef de la Sûret é à P aris (mais qui avait aussi créé sa police parall èle), a connu Bal zac, qui l’a immortalisé sous l e nom de Vautrin 404, et Victor Hugo qui s’en est souvenu aussi bien pour Javert que pour Jean Valj ean 405. Mais le détective amateur qui résout touj ours l es éni gmes l es plus complexes est une création de l a fiction, et Poe en est l’incontest able i nitiateur. J usqu’à nos j ours, il est possi ble d’observer son influence. Le héros -détective comme nouveau personnage surgissant au XIX e si ècl e, est devenu la plus grande fi gure m arquant e de l a littérat ure policière. C’est le héros infaillib le celui qui voi t par le raisonnem ent ce que les aut res ne devi nent pas, le sauveur sur qui tous les espoi rs se fondent . Dans l a présente étude, nous avons jet é notre dévolu sur le chevali er August e Dupin, Monsi eur Lecoq et Sherlock Holmes, trois héros -dét ectives, qui seront décrits, interrogés, anal ysés et comparés. En un mot, ils seront scrutés à la loupe à t ravers trois expériences de créat ion : Edgar Allan Poe, Émil e Gaboriau, Arthur Conan Do yle. La motivation qui nous a conduite au choix du sujet, relè ve tout d’abord d’un intérêt personnel, provenant de l’att rait qu’exerce sur nous l e roman poli cier. Le suspens qui nous t enait en halei ne, l e j eu intellectuel, not re goût pour l e m yst ère et la détection policière sont autant de fact eurs qui se sont emparé s de notre goût, en tant que 404 Balzac, lecteur de Vidocq, le rencontra à de multiples occasions et s’en inspira pour créer le personnage de Vautrin qu’on retrouve dans Le père Goriot, dans Les illusions perdues et dans Splendeurs et misères des courtisanes. 405 Par sa connaissance de Vidocq en 1849 au moment de la rédaction des Misérables, Hugo le dédouble à travers les personnages antagonistes de Jean Valjean, ancien bagnard, et du policier Javert. lectri ce admiratrice des aventures de Sherlock Holm es. C et intérêt est égal ement li é à la présentation d’un m émoire de magist ère, a yant été soutenu en 2007. Dans ce travail qui traitait de la morali té et de l’immoralit é dans le roman poli cier chez Émile Gabori au, nous avons été am enée à m ettre en évi dence, avec i llustration à l’appui , le fait que l e genre poli cier jouit de droit de cité dans l es universités les plus réputées, en égard à bon nombre d’études académiques. Si le cho ix du genre polici er ét ait guidé par une motivation personnell e, celui des personnages relève plutôt d’un intérêt scienti fique. En effet, C’est à Edgar Allan Poe que l ’on doit la création du personnage de l’enquêteur, le chevalier August e Dupin, un pur pro duit du rationalisme sci enti fique et positiviste dont le créat eur fut, en son temps, l ’un des plus fervents apologi stes. Sur l es traces de l’écrivain américain et de son enquêt eur, Émil e Gabori au, feuill etoniste français, parvi ent à dével opper la formul e i naugurée vingt ans plus tôt par Poe, en transposant le récit d’éni gme au cadre romanesque. Contrairement au personnage de Poe, Monsieur Lecoq, l’enquêt eur mis en scène par Gabori au est poli cier et devi ent, de ce fait, le « premi er policier p rofessi onnel de l’histoi re de la littérature policière » 406. Dans la continuité de ces deux premiers pas, un troisi ème s’accomplit ; sans en avoir ét é l’insti gat eur, Arthur Conan Do yl e porte le t ype du détect ive am ateur surdoué à son apogée. Véritabl e m ythe, son inoubliabl e Sherl ock Holmes devient plus célèbre que son créat eur. Ainsi, Poe, Gaboriau et Do yl e doivent une t rès grande part ie de leur gloi re à leurs héros -dét ectives qui continuent à sédui re, jusqu’à nos jours, un large l ectorat. Géni es de l a déduction, doués d’u n don d’observation exceptionnel, d’une minutie frisant la m aniaquerie, 406 J. Baudou, J-J. Schléret (dir.), Le Polar, Larousse, Collection « Guide Totem », Paris, 2001, p. 214. courtoi s et ri goureux à l’extrêm e, mais extravagants et pleins de bizarreri es : t el est le profil de nos dét ectives. Depuis la création des fi gures du chevalier Dupin, de Monsieur Lecoq et de Sherlock Holm es, l es personnages de dét ectives se sont multipliés dans la littérat ure poli cière. Nos dét ectives ne cesseront de projet er leur om bre sur leurs émules, a yant droit à une l ongue et brillant e li gnée de disciples : Arsène Lupin(1905), le père Brown (1910), Roul etabill e (1907), Hercule P oirot (1920), Miss Marpl e (1930), Jules Maigret (1931), etc., pour ne citer que ceux -là. trois fait détectives adapt ations : ont égalem ent lit téraires, l’objet théâtrales, de Les nombreuses tél évisuelles et ciném atographi ques. Dupin, Lecoq et Hol mes appartiennent à la période fondat ri ce du genre poli cier, c'est -à-dire approximativement l es six derni ères décenni es du X IX e et le début du XX e si ècl e. C’est en effet l’époque de la naissance et de l’évolution l a plus signi ficative non seulem ent du genre mais surt out du personnage policier, que nous comptons anal yser au cours de notre travail. De pl us, s’impose une dél imitation d’un champ d’études qui serait devenu trop vaste : depuis le XXe siècl e, s’est amorcé e une évolution dont on n’est pas à même de percevoir l ’aboutissement, à l ’heure où nous écrivons ces li gnes. La probl émati que principal e de not re recherche quant à elle est de comprendre comm ent nos troi s héros -dét ectives avai ent pu m arquer le genre poli cier, tout en restant distinct s. Nous voudrons égalem ent saisir en quoi réside l’ori ginalit é de chacun de leurs créateurs, et si ces derni ers ent reti ennent des rapports d’influence, d’inspiration, d’emprunt voire d’i mitation les uns avec les aut res. La résolution de notre problém atique consiste à répondre en amont aux interrogations suivantes : Comment nos auteurs imposent -ils l 'image de l eurs héros, quelle fonction est attribuée à ces derni ers et quelles sont l es val eurs dont ils sont l es supports ? Quelles stratégi es déploient nos auteurs pour doter leurs personnages d’une épaisseur humaine, et leur donnant l’illusion de l a vie ? En d’aut res termes comm ent ces héros -dét ectives ont pu dépasser le cadre fi ctionnel, et exister en dehors des textes comme des êtres agi ssant et vivant dans un monde réel? L’aut eur polici er ne met j amais fin à la vi e de son héros dans l’hist oire, il est invulnérabl e, il revient à chaque production avec les mêm es trait s de caractère et l es mêmes qualit és et défauts, s i toutefois nous consi dérons ce héros comme une personne réell e. Or, cett e invulnérabilit é est -ell e exaspérante d’invraisembl ance, et conditionne-t -ell e, par l à, l ’identifi cation du l ect eur au héros, ou au contraire, l e héros i nvulnérabl e rassure -t-il un lect eur rendu inquiet par l e crim e et l e cri minel ? Au-delà d’un siècl e et demi, l e plaisir procuré par la lecture des aventures poli cières de nos héros -dét ectives, demeure intact. Qu’est -ce qui suscit e donc un tel engouement toujours renouvel é? En qu oi réside leur ori ginalité qui ne cesse de nous interpeller et de nous sédui re ? Le présent travail m et en parallèl e Dupi n, Lecoq et Holm es, trois héros -détectives portant chacun la marque créat eur. En exami nant les liens qui personnell e de son unissent o u séparent ces personnages, not re objecti f de recherche consist e à mett re en lumière l’apport ori ginal de chaque aut eur à l a création du personnage du détective dans la lit térature polici ère, voire son apport à la création du genre polici er. Pour le corpus si gnalons que le héros récurrent est une composante constant e de l ’écriture de P oe, de Gabori au et de Do yle. Cela rel ève d’un choix éditorial qui perm et de fidéliser l e lecteur qui aime ret rouver son héros familier, sui vre ses aventures et pénétrer sa vie. Nos aut eurs ont fait évoluer leurs personnages, au cours de leurs différents écrits poli ciers, personnages qui ne sont donc pas invent és d’un bloc, m ais construits au fil des récit s. Dans cett e perspecti ve, not re étude suppose avant tout, un corpus riche tant quantitati vement que qualit ati vement . Il s'agira pour nous , de parti ciper à une lisibilité plus claire et plus pointue par la comparaison des personnages dans les œuvres choisi es. À cett e fin, nous avons examiné pendant deux années de lecture tous le s écrits policiers des t rois auteurs. La t âche a ét é d’abord, relativem ent aisée pour August e Dupi n puisqu’il ne fi gure que dans trois nouvell es, moins facil e, ensuit e, pour Monsi eur Lecoq qui apparaît dans cinq romans, enfin di ffi cile voi re ardue pour She rlock Holm es, héros de quatre romans et cinquante -six nouvel les . Devant donc délimit er not re corpus, la sélection s’est organisée autour d’un trait majeur: repérer ce qui réunit ou sépare l es trois personnages s el on un filtre sémi ologique concernant leur être, leur savoir, leur faire et leur hi érarchi e. Nous avons procédé par une pré anal yse, cell e de repérer les passages spécifiques où s'élabore l e personnage. Nous avons ai nsi distingué deux processus de composition: les processus cumulati fs par lesquels l 'aut eur transmet de nouvell es informations qui complèt ent ou modifient le personnage et les processus de répétition ou de renvoi par lesquels l’aut eur rappelle ce qu’est l e personnage, ce qu’il sait, ce qu’il fait. Nous nous somm es donc i ntéressée aux pr emi ers processus et n’avons ainsi sélectionné que les écrits cont enant du nouveau sur nos personnages. Le présent t ravail va s’appu yer sur un corpus composé des trois nouvell es d’Edgar Allan Poe, de t rois romans d’Émile Gaboriau et de trois rom ans et qui nz e nouvelles d’Art hur Conan Do yl e. Il nous a semblé excessif d'i ntégrer d’autres écrits à un corpus qui est déjà important; nous nous sommes néanmoi ns servie de certains extrait s de ces écrits – extérieurs donc au corpus - pour enri chi r et combler des zones d’ombre de notre anal yse. Pour ce qui est de la méthodologi e de notre recherche, il faut dire qu’anal yser l e personnage du détective est une entrepri se tent ante bien que délicate à condui re, car l ’opération peut être abordée de bien des mani ères. Pour r est er dans l’objecti f fixé dès l’intitulé de cett e thèse qui se veut com paratist e, il serait possibl e de mieux le réaliser en confront ant les trois personnages à des niveaux différents de leur const ruction. L’identité, les portraits, les actions, les parol es, les rapports avec l es autres personnages ainsi qu’avec l es créat eurs , sont aut ant d’él éments pertinents pour notre anal yse. Notre étude com parative comporte différentes approches complém ent aires, qui paraissent êt re en accord avec l ’objectif principal de cett e recherche. La sémiologi e en tant que procédé de décr ypt age des si gnes, nous fera prêter une attention parti culière au signi fiant du personnage. Nous nous inspi rerons donc des travaux de propose trois champs d'anal yse : Philippe Hamon qui « l’êt re », « le fai re » et « l 'im port ance hiérarchique » du personnage. En revanche, nous ne pouvons nous ranger à l ’avis de Ham on, quand il propose de ne considérer l e personnag e que comm e un être de papier, dont le seul rôle est de remplir une fonction textuell e. Hamon s’en prend à l’idée de l’illusion romanesque qui prend le personnage pour un être réel , il affi rme, en citant Paul Valér y, qu’il s’agit de « superstitions littérai res ». Certes, la sémiologi e nous sera d'un apport inestimable, mais une approche du personnage uniquement à textuell e serait de façon absolue difficilement tenabl e, dans la m esure où tout personnage se crée et évolue en référence à un monde extérieur ou à une réalité. Le cont exte textuel s’insère dans une di mension plus l arge, cell e de l’époque, de l a sociét é, de l’Histoire et de la culture. S ans oublier que l a const ructi on d’un personnage dépend égal ement du lecteur (auquel nous nous i dentifions) qui l e met en rapport avec ses propres expériences réell es. Vincent Jouve propose de poser la question « qu’est-ce que le personnage pou r le lecteu r ?». Le t héori cien réhabilite ainsi une approche qui prend en compt e le hors -t exte, qui est à la fois l e lieu d’un e expérience de lecture et l e monde auquel le personnage réfère. Par conséquent, chaque trait, ph ysique, moral ou ps ychologique, chaque comportem ent ou parole, qui dans le réel rendrait une personne s ympat hique ou antipathique, aurait, dans l’univers rom an esque, le même effet pour le lect eur. C’est dans cett e perspective que l e rapport « personnage/ personne » aura toute s a valeur, et rend possi ble une diversit é d’anal yses. Le rom an polici er évoque un monde particulier, mais il révèl e aussi, m ême si c’est d e façon indirecte, le contexte général dans lequel l’œuvre a ét é conçue et écrit e, contexte transposé dans le t exte avec plus ou moins de précision, plus ou moins d’omissions ou de fluctuations quand ce ne sont pas des altérations. Les contextes socio-historique et culturel se reconnaissent inévitabl ement dans celui de l’i ntri gue policière, aidant à saisir l a quotidi ennet é et l es personnages qui l a composent. C ’est surtout par l e regard spéci fique et filtrant de l’enquêteur que le monde est présenté au le ct eur. Il faut donc s’int éresser de près à ce personnage qui mène l’enquête, qui révèle autrement et à sa mani ère la sociét é, en en proposant un tableau parti culier. Il conviendra donc de faire appel à une approche multidisciplinaire, ressembl ant de très près à cell e dont on se sert pour anal yser l’êt re réel. Une approche où se croisent lit térature, sociologi e, histoi re, psychologie et philosophie. En s’i nscrivant dans le l’intertextualité va à son tour sill age de l’étude comparative, nous m ener à une comparaison plus approfondie de nos personnages. C’est une approche qui m et à notre disposition les out ils qui motivent tout chercheur intéressé par l’étude des écrits policiers, not amment les invariants du genre (personnages, éni gme, enquête, …), perm etta nt entre autres, le repérage des stéréot ypes, l ’emprunt, l es écarts ou les pasti ches. Le personnage intertex tuel met en j eu deux concepts distincts: « le retour du personnage » et « l’i denti té trans -universell e » 407. Le premi er concept concerne l es personnag es qui revi ennent dans les productions d’un m ême aut eur, alors que le deuxièm e repose sur une base d’emprunt ext éri eure et plus large. Ces deux concepts vont condui re l’évolution de notre recherche puisque, d’une part, notre corpus s’inscrit dans le t ype s éri el, mettant en scène des héros récurrents, d’aut re part, apporter une réponse à l a problém atique des rapports que peuvent entretenir nos trois personnages entre eux. Les di fférent es approches que nous proposons constitueront donc au fondem ent de notre é tude comparati ve des trois héros -détectives . Enfin, nous proposons étude conçue de manière t ripartite, s’articulant comme suit : Dans un premi er chapitre de la premi ère partie intitul ée « Aux origines du gen re et du personnage pol icier », nous avons démont ré que le genre policier n’est pas un genre surgi du néant , nous avons voulu mieux situer sa place et montrer son importance dans l’histoire de la littérature. Le s étapes de sa naissance seront en effet le cadre d’un cheminement aboutissant à l ’éclosion d’ un Chevali er Dupin, 407 Cité par Marie-Odile Pittin-Hédon, Alasdair Gray: marges et effets de miroirs, Ellug, Paris, 2004, p.324. d’un Monsi eur Lecoq et d’un Sherlock Holmes . Nous somm es passée à l’étude des prototyp es du personnage de d étective , où, nous avons const até que le personnage du détective plonge ses racines assez profondém ent dans l’Histoire, parce qu ’il est lié au besoin d’élucidation d’une situation trouble. Certes, les premi ères traces d’investi gation que l’on déterre, chez les protot ypes étudiés, sont fort rudim ent aires, mais elles dénotent un cert ain souci de mise en échec d’une situati on anorm ale , d’élucidation de m yst ères et les méthodes emplo yées alors sont assez proches de cell es que l’on rencont rera dans l e récit polici er naissant du XIXe siècle : recherches d’indices, déductions, affi rmation d’une culpabilité en vue du châtim ent du coupable. Nous avons donc conclu qu’on ét ait encore loin du détective m ondain, él égant et raffi né. Les créateurs de ces protot ypes que nous avons cit é, n’ont pu ni mett re clai rement en lumière le rôl e prépondérant que l es raisonnement s inductif et déductif pouvai en t jouer dans l eurs histoires, ni en réserver exclusivem ent l’usage à leurs personnages. Dans l e second chapitre de cette m ême partie, nous avons présent é « l es premi ers créateurs », en apportant un éclai rage, peut être pas di fférent de celui apport é par d ’aut res études, mai s nuancé sur certains aspects de l a vi e et des œuvres d’Edgar Poe, d’Émil e Gaboriau et d’ Arthur Conan Do yle. Nous avons cherché à faire redécouvri r ces créateurs, qui ont su absorber la réalit é de l eur époque pour en fai re de la fiction. Les écrits de ces écrivains trouvent donc préci sém ent leur essence dans une forme d’ancrage dans la réalité de leur époque. Le contexte histori co -soci al, politique, intellectuel ou voire mêm e circonst anciel n’agit plus en tant que décor m ais véritablement en tant que personnage. Toujours dans ce deuxième chapitre, Nous avons pensé uti le de commencer tout d’abord par comprendre la st ruct ure de cett e intri gue policière chez les trois auteurs, et comment cett e dernière met en avant l ’étude du personnage du hé ros. Nous sommes donc arrivée à l a convi ction que, quel que soit le mode narratif utilisé, l a voix qui prime dans les récits polici ers créés par les trois aut eurs, est inévitabl em ent cell e de l eurs héros -détectives. Ce sont eux qui lancent l es pist es, l es écl aireurs du récit, le poi nt de référence du lect eur. Leurs jugem ents sont décisi fs et le lect eur adhère la plus part du temps à leurs opinions. Nous avons pu démontré que le rôle du héros -détective consiste donc bien à combler le vide narrat if impos é par l a découvert e du crime au début du récit poli cier. Dupin, Lecoq et Holmes ont l’art de voir mi eux que l e narrat eur et plus que le lecteur ; ils savent associ er des indices, des traces et des éléments qui représent ent l es pi èces du puzzle (récit) à reconst ituer. Une fois la derni ère pièce du puzzle en place, l ’énigm e (int ri gue) est résolue. Ainsi nous dit J. Dubois : « l’autori té d u détective […] ne serai t pas seulement polici ère ou judiciai re, mais aussi bien au ctoriale » 408. Ces héros détectives ne reçoi ven t donc pas seulem ent la di rection de l’enquêt e, mais égal ement cell e du récit. Dans un second temps, et avant de passer à l’anal yse comparati ve, nous avons ét ablit un premier cont act avec les trois héros -détectives, en les présent ant som mairem ent. Nous av ons cité égal ement l es adapt ations les pl us créat ives dont nos personnages ont fait objet, dans l e but d’éval uer l e degré de l eur popul arit é. C’est en ce dernier point que nous avons const até qu’en terme de quantit é comme en qualité, entre adaptations, hom mages et pastiches, Sherlock Holmes était peut -être le personnage policier le plus adapté aux différents supports : écrits, écrans, scènes, radios, et c., il est devenu l’un des m ythes les plus const amment durables. Les écrits polici ers d’Edgar Poe et d’Émi le Gaboriau, pourtant pasti chés, parodiés et adapt és, n’ont pas donné au Chevalier Dupin et à Monsi eur Lecoq la 408 Jacques Dubois, Le roman policier ou la modernité, Armand Colin, Paris, 2006, p. 100. popularité durable dont Holmes continue de jouir, m al gré leur succès qui a aucun mom ent été démenti. La deuxième partie intitulée « L e portrai t comme système d e signification» , nous avons tent é, tout au long de notre anal yse, de mesurer l ’ « effet personnage » sur nous, pour comprendre comment et pourquoi Dupin, Lecoq et Holm es, à travers l eurs traits physi ques , moraux, intellectuel s, etc., ont pu nous marquer. Nous avons examiné égal ement comment Poe, Gaboriau et Do yle procèdent à la qualifi cation de l eurs héros, afin de m esurer l ’ « effet personnage » sur nous, et comprendre comm ent Dupi n, Lecoq et Holm es, à t ravers leurs traits ph ysi ques, moraux , intell ectuels, et c., ont pu nous marquer. Les cat égori es de la sémiologie du personnage, parti culièrem ent cel les défini es par P. Hamon, nous ont servi de points de repère pour notre ét ude comparative. Les dét ectives étai ent ainsi anal ysés selon leur, ide ntité, bi ographie, port rait ph ysique, comportem ent et at titudes m ental es, et selon ce que ces élém ents s ymbolisent et m anifestent comm e valeurs. De ce fait, il est ressortit des portraits de Lecoq et surtout celui de Holm es, que chez Gaboriau tout comme ch ez Do yl e, le dét ail ph ysique n’est donné comme constituant du personnage, que dans la mesure où il est chargé de si gni fier autre chose que lui -même en véhiculant des si gnes interprétabl es. Il a apparu t rès clairement que Conan Do yle et Émile Gabori au, avai ent suffisamm ent fait pour laisser planer le doute sur l’identité de leur héros, en essa yant de faire croi re qu’il ét ait réel. Cependant, l’apparence de Holmes est sûrem ent un élém ent plus révél ateur de son caract ère que cell e de Lecoq, à tel point que l a simple sil houett e suffit aujourd’hui à représent er de façon st ylisée l a fi gure du grand dét ective. Enfin, nous avons conclu par l a nette conviction que les connotations, i mpliquées par les qualifi catifs intégrés dans ces port raits ph ysi ques sont conventionnelles et que l es t raits se réduisant à quelques si gnes pl us ou moins codés, vont révél er l a ps ychologi e du personnage. Pour ce qui est de la qualifi cati on psychologique, nous avons essa yé de définir l es valeurs qu’impliquent les portraits m oraux des trois détectives, force ét ait de constat er qu’ils sont des personnages qui n’ont certes aucune ori gine divi ne ou surnat urelle, mais ils rel èvent , comm e suj ets de fi ction, de l a tradition des héros antiques. D’abord ils sont étranges, excent riques, pleins de t ics et de mani es. La bizarreri e serait bien l ’él ément sur lequel les dét ectives jouent afin de préserver un m ystère aut our de leurs personnes, el le est le trait distincti f, sans lequel l es trois enquêteurs ressembl eraient à tout le monde, puisqu’aucun aut re si gne psychologique ne leur offre la distinction. Outre cela, sans être des surhomm es, nos enquêteurs jouissent im plicitem ent d’une sorte d’i nvulnérabilit é. Ils sont donc imperturbables, jusqu’à l ’effronterie ; ils peuvent , la plupart du temps, passer p our des indifférents qui n’ont pas froid aux yeux. Nous en avons déduit que les portraits moraux des personnages leur confèrent l ’épaisseur de l’être, d’un i ndividu, elle l eur a donné l’illusion de l a vi e. La caractérisati on m oral e qui dot e l es détectives de notre étude d’une conscience, cont ribue dans une large mesure à donner de l ’étoffe à ces êt res de papi ers. C’est t rès cert ainem ent l’élém ent avec lequel le lect eur est le plus familiarisé, l e portrait moral perm et de porter des jugem ents de valeur sur l’attit ude des personnages et de philosopher sur leur psychologi e. Nous nous sommes consacrée, dans l a troisi ème et dernière parti e, intitulée « Une nouvelle typol ogie de l’héroïsme », à l’étude de la t ypologi e du détective comm e personnage héros. Nous ex aminerons ainsi l es élém ents qui font de nos dét ectives des héros uniques et distincts. Nous comm encerons dans un premier chapit re par anal yser l eurs méthodes d’invest igation et leur savoir -fai re professionnel. De là, nous avons pu démontrer qu’ un des trai ts caractéristiques qui suffit à l es mettre hors pair, c’est qu’ils se réclam ent de la science. Ils se ressemblent égal ement par l eur ténacité, leur courage et leur « bonne étoile » qui l es rendent rassurants. Ils sont dotés d’une infaillibilité qui, bi en qu’inégal e, ne perm et pas de dout er de leur réussite. Or, c’est au niveau de leurs méthodes d’investi gation, donc de leur savoi r -fai re professionnel, que Dupin, Lecoq et Holmes se disti nguent le plus. En effet, Les surnoms de « dét ective en fauteuil », et « détective en pantoufl es », dont Dupin était affublé nous révèl ent t oute une méthode d’enquêt e propre au dét ecti ve poesque. Cet enquêt eur n’enfile « ses chaussures » que pour vérifi er ses h ypot hèses ou chercher le m aillon manquant à sa chaîne de raisonne m ent. Il ne s’engage pas dans l ’action, il se caract érise par l’exhibition de ses facultés int ellectuel les et l a démonstrat ion de son géni e anal ytique. C’est un dét ective abstrait qui ne cesse de parler d’al gèbre et de mathém atiques. Le coq, lui, est un dé tective de terrain qui ne s e confine pas dans l’abstraction, il est énergique et n’hésit e guère à s’agenouill er dans l a poussi ère ou dans la boue, c’est un vi rtuose du déguisement et du changement rapide. Si son int elli gence peut paraître inférieure à cell e de Dupin, Lecoq possède la ruse et le flair qui ressemblent à ceux des animaux et des sauvages. Il est doté d’un extraordinai re esprit d’observation ainsi que d’une étonnant e perspi cacit é. Mais, est -ce une mani ère de dire que nous ne pouvons retrouver ch ez l’enquêteur de Gaboriau des traces du dét ective de Poe ? Certes non. Lecoq se rapproche du héros de Poe par ce qu’il y a de plus ori ginal en ce derni er, par son raisonnement l ogi que, tout en donnant vi e à ce qui chez Dupin était demeuré abst rait. Les méthodes d’enquête créées par Poe et par Gaboriau ne seront pas perdues pour Conan Do yle. Celui -ci a su couler Dupin et Lecoq en un seul personnage, Sherlock Holmes. En effet , c’est par sa mi nutie dans l’observation, par son art du déguisement, et par son p rofil d’expériment ateur que Holmes ressemble à Lecoq. Il a en mêm e temps hérit é de Dupin la mani e de se rensei gner sur les crimes par les journaux, l e rai sonnem ent, l ’exerci ce de l ecture de la pensée, mais surtout une i mpressionnante intelligence qui le re nd, tout comme Dupin, incompréhensibl e aux yeux d’aut rui. De ce fait, Même si Conan Doyl e n’a pas inventé grand chose après Poe et Gaboriau, il a toutefois l e mérit e d’avoir réuni tout es sort es d’él éments épars, pour m ettre en scène un « dét ective de géni e ». En effet, en termes de méthodes d’investi gation, nous ne rel evons ri en chez Holmes qui n’ait existé avant lui, m ais l a s yn thèse est intelli gemm ent opérée, elle est réussie, assurant au détective britanni que une not oriét é et une popul arité universell es . Depuis s a création, d’innombrables dét ectives ont surgi mais aucun d’eux n’a réussi à l ’éclipser ou à l e faire descendre de son t rône. En ce qui concerne le statut professionnel des trois héros détectives, le t ype du détective dilettante est l’invention géniale d’Edgar Poe, Dupin est incontestablement le premier détective de l’histoire littéraire. Conan Doyle a compris que, par sa dimension libertaire et son détachement de l’institution policière, le personnage poesque sera le modèle exemplaire de ses a ventures. En effet, le statut « amateur » ou « privé » a permis à Dupin et à Holmes de rester, chacun, son propre maître, de mener leurs enquêtes de manière totalement autonome, d’intervenir dans des affaires avant la police, et d’être les premiers à décou vrir la vérité. Quant à Gaboriau, encore une fois, il était loin de s’en tenir à la simple imitation 409, en optant pour un policier en titre. Voilà un héros différent, un agent de Sûreté de statut « officiel », dont on apprécie le « tempérament policier de premier ordre » et qui ressemble à des « policiers véritables ». 409 « Malgré qu’il eût des précurseurs, dont je crois qu’il ne s’inspira guère, on peut affirmer qu’Emile Gaboriau fut un créateur véritable » : Edmond Locard. Cité par Roger Bonniot, Emile Gaboriau ou la naissance du roman policier, J.Vrin, Paris, 1985, p. 433. Gaboriau a réussi à créer « le m ythe du flic sympathique », en déchirant l’image odieuse et sommaire qu’on se faisait du policier à travers Jackal de Dumas et Javert de Hugo. A travers l’anal yse d’un autre t ype de statuts, celui du « détective » ou du « justicier », nous avons relevé que Poe a préféré son détective « rétablisseur » de vérité et non du Bien, ce choix est à l’image du caractère abstrait, froid et rationnel de Dupin. Pour cet alg ébriste, l’enquête est un pur exercice de l’esprit, et non un processus qui mène au châtiment . Or, en obéissant à la préoccupation d’épargner une erreur à la justice, le policier de Gaboriau assume son statut de justicier, sur ce plan -là, l a différence ent re les deux héros -détectives va de soi, puisque, nous l’avons dit, Dupin incarne le personnage -machine alors que Lecoq représente le personnage -humain. Quant à Holmes, il va, une fois de plus, synthétiser ses deux prédécesseurs, il est, selon les cas et se lon les t ypes d’affaires qu’il traite, tantôt comme Dupin, quand il ne veut se livrer qu’au jeu du m ystère et de l’énigme, tantôt comme Lecoq quand il s’autorise lui -même à se substituer à la loi. En ce qui concerne le statut détective/assistant, il consis te à opposer l’intelligence redoutable du détective au prosaïsme terre à terre de leurs adjoints. semblent Les revisiter tandems le Dupin/narrateur m ythe traditionnel et du Holmes/Watson double Don Quichotte/Sancho Pança. Si Poe était le premier à avoir l ’idée de cette reprise, en flanquant son détective d’un ami -narrateur, Doyle a fait mieux en rendant son imitation plus créative. En effet, la nature de la relation que partagent Holmes et Watson est plus humaine, plus chaleureuse, donc plus vivante que ce lle qui unit Dupin à son compagnon. Ce que nous admirons par -dessus-tout chez le couple doylien, c’est cette atmosphère humoristique résultant de la naïveté et de l’incompétence de Watson. En revanche, Gaboriau n’a emprunté le statut détective/assistant à son prédécesseur qu’occasionnellement. Il nous restait encore, pour terminer cette étude, de savoir exactement ce qu’étaient Dupin, Lecoq et Holmes pour leurs créateurs. En ce sens, les rapports qu’entretiennent Poe, Gaboriau et Doyle avec leurs personnages se sont révélés bien distincts. De Dupin, le personnage qu’Edgar Poe rêvait d’être, en passant par Lecoq le porteur d’une nouvelle image du policier imaginée et espérée par Gaboriau, à Holmes, la créature autonome et indépendante qui a su échapper à son créateur ; les trois héros -détectives ont répondu, chacun à sa manière, à la conscience de leurs auteurs. Pour concl ure, nous dirons que les trois aut eurs ont réussi à s e distinguer, et ont contribué chacun pour sa part à la construction du personnage du dét ective en fondant l es bases sur l esquelles allait s e dével opper ce dernier. Edgar All an Poe fut le précurseur et l’inspirateur à qui il faut accorder l ’honneur dû à un vérit able créat eur. Émile Gaboriau fut loin d’êt re un faibl e i mitateur, l’inspirati on ét ait pour lui une source de créativité. Quant à Conan Do yle qui a lo yalem ent reconnu sa dette envers ses deux prédécesseurs, il a réussi à porter le personnage de détect ive à son apogée. Nous ne saurons l e ni er, Sherlock Holm es s’est im posé sous tous les cieux, il est aussi célèbre en Russie, au Japon qu’en Anglet erre, et c’est sa silhouette qui va donc dominer l e genre policier. Thèse en vue de l 'o bt ent i on du D oct orat Spécialité : Scien ces des textes l ittéraires Introduction et Conclusion en anglais Travai l présent é par : Fat i ma BRA H MI - A nnée uni ver si t aire 201 2- 2013- Introduction Raising, from its appearance, from a little devel oping classi fication, the detective genre is excluded for a long time from the field of the "real " literature. Does not Conan Do yle have himself, man y a tim e decl ared his av ersion, or at least his anno yance towards this part of his work which he considered as secondar y subordinat e and which divert ed him from the best works, underst andi ng there that, historical romances? The first narratives with eni gma appear nevertheless in the justifiabl e literature, the det ective stor y irri gates since its ori gin the traditional novel: that we think of Hugo "Les miserables ", to dark Balzac "Une ténébreuse affaire ", or sti ll to Dostoïewski "Crime et châtiment ". An ywa y, that we det ect its ori g in in "Oedipe-Roi" or in "Zadig ", it is undeni able that the detecti ve novel does not have to be asham ed with its parents ; as well as the rem ark J. Duboi s in " Le Roman polici er ou l a modernité " : the detective them e is set up from the rom anti cism. The pec uliarit y which returns to the detective novel its advisable st atus is due to the fact that this genre is judged, not without lightness as a second -class lit erature. It is doubt less this situation of the ki ndgenre outside of the "bi g" literature whi ch favo red its success with middle classes because the devel opment of the detective genre coinci ded historicall y with that of these classes and with the tri umph of their tast e; and all which strengt hened its bad reputation with the e yes of the criti cs, assured on the contrar y, its success with the publi c. The studi es on the popular literat ure showed that it is especi all y t he genre said minor whi ch reflect and enli ghten, in a ver y critical and immedi ate wa y, the hist ori c, political and social situation of a nation and its people. It is also the genre which made a success of an outstandi ngl y delicate mixture between the realism and the rom antic. The m ost usual fact of the dai l y life can take an extraordinar y dim ension. It is a continual and ceaseless quest of ori gi na lit y, the obj ect of t he most audacious and the most eccent ric innovations. Ever y publ ic holds consequentl y his own police novel . The detective genre has of what to seduce the reader: narrative with suspense, condensed intri gue, pl easure of the investigatio n , precise and clear descriptions, strong sensations, anxiet y and shiver, without speaking about the aspect occasionall y entertai ning bound in about benefaction of this whol esom e escape of the reader. It is also necessar y to raise big them es whi ch belong to a collective imagination: the wrestling bet ween the strengths of the Good and t he Evil, the Mani cheanism of the values, the hope in a hero prométhéen capabl e of ri ghting the wrongs caused b y the miserabl e or an inequitable soci et y, the persecution of t he innocence, the i mportance which dresses the vengeance or the reward, et c. It seems good that it is about strong them atic units of the coll ective unconscious which t he police kind(genre) would reactivat e ceasel essl y. Still, Should I remind that the cri me i s eternal and a part of the m an, and it since the first murder list ed by the hum anit y: Caïn killing his brot her Abel. What made the detective genre inexhaustible and brought the possibilit y of creating series, getting a climate of wait while devel opping l o yalt y of the reader. The detective genre draws its seduction also from the character of the detective. So that the det ective novel is made a success, the investi gation owes be sensibl y l ed, b y the onl y ri gor of t he logi c. now, this investi gation has to be made the receptacle of all the intellectual power of the investi gator. This is parti cularl y true in the traditional and classic shape of the genre where the central character is in investi gator's position. He is not a simple charact er, he is a powerful being and a brains whi ch advances the investi gation, and there even t he novel; b y the onl y strength of its reflect ion. The investi gator of the classi c poli ce novel seems to us, ph ysi call y as well as ment all y, endowed with distinguishing features whi ch make him credibl e. He is, therefore, almost a real being. The charact er of the detective occupies an important place i n the shape and the cont ents of the cl assi c detective stor y, and benefits from a parti cular at tention of the author. It is from The Murders in the Rue Morgue , that it becom es the m ai n el ement and the original of the stor y of the ; pl ace previ ousl y occupied b y the charact er of t he criminal. It is diffi cult to descri be exactl y the lit erar y st atus of the hero -detective, because he(it ) has neither an equivalent nor a count erpart in an y other kind(genre) of fiction. More than it, he represents in most of the cases the expression of the personalit y of the ver y author as well as t he reproducti on of his ideas. The detective, the hero of the detective stor y, dist ances him self from that of the «he roes upholder of the law ", whi ch consti tuted one of the fi gures ke ys of the popular novel ( Les Miserabl es of Vi ctor Hugo, Les Myst ères de Paris of Eugène Sue). The l atter was personall y involved in the drama and fo ught agai nst a present opponent until t he order of the justi ce is restored, in the nam e of Good. The detective is an expert of the technique of investigation. He is outside the drama and carries a glance lucid and dist anced on the events. The poli ce of Sta t e cert ainl y suppli ed illustrious names, which belong to the life and to the Hist or y, and which the literat ure sometimes seized. The charact er amaz ing at Vidocq, old convi ct becom e a head of t he safet y in Paris (but who had also creat ed his secret police), knew Balz ac, who immortalized himunder t he name of Vaut rin, and Vi ctor Hugo who remembered it as well for Javert as fo r J ean Valjean. But the am ateur detective who al wa ys solves t he most complex eni gm as i s a creation of the ficti on, and Poe is the indisputabl e initi ator. Until our da ys, i t is possible t o observe his influence. The hero -detective as the new character appeari ng in the X IXth centur y, became most striking major fi gure of the police literature. It is the infallibl e hero the one who sees by t he reasoning what the others do not guess, the rescuer on whom all the hopes base themselves. In the present stud y, we set our heart on the kni ght August e Dupin, Monsieur Lecoq and Sherlock Holmes, three heroes detectives, who will be described, questioned, a nal yz ed and compared. In bri ef, the y will be scrutinized in the magni f yi ng gl ass through three experiences of creation: Edgar All an Poe, Émile Gaboriau, Arthur Conan Do yle. The m otivation whi ch l ed to us in the choi ce of the subject , recovers first of al l from a personal interest, resulting from the charm that the poli ce novel practi ces on us. The suspense which captivated us, t he intellectual gam e, our taste for the m yster y and the police det ecti on are so man y factors whi ch seized our t aste, as reader admirer of Sherl ock Holmes's adventures. This interest is al so bound to the present ation of a report of magist er y, havi ng been supported in 2007. In this work which dealt with the moralit y and with the immoralit y in the police novel at Émil e Gaboriau, we were brought to highli ght, with illustration in the support, the fact that the detective genre enjo ys ri ght of l egitimat e pl ace in the most renowned universities, i n respect in a lot of academic studi es. If the choi ce of the detective genre was guided b y a pers onal motivation, t hat of the characters recovers rat her from a scienti fic interest. Indeed, It i s to Edgar Allan Poe that we owe the creation of the character of the investi gator, the knight Auguste Dupi n, a pure product of the sci entific and positi vist ra tionalism the creator of which was, at the appropri ate tim e, one of the most fervent apologists. On the tracks of the Am eri can writ er and his investi gator, Émile Gabori au, French colum nist, succeeds in developing the formul a inaugurat ed twent y years earlie r b y Poe, b y t ransposing the narrative of eni gm a into the rom ant ic fram e. Contrar y to the character of Poe, Monsi eur Lecoq, the investi gator staged b y Gaboriau is poli ce and becom es, therefore, t he " first professional policeman of the history of the pol ic e li teratu re " 410. In the continuit y of these two first steps, the third comes true; Without having been the inspirator there, Arthur Conan Do yle carri es the t ype of the exceptionall y gi fted am ateur detective in his peak. R eal m yth, his unforgettabl e S herloc k Holmes becomes more famous than his creator. So, Poe, Gabori au and Do yle owe a very bi g part of thei r glor y to their heroes -detectives who continue to seduce, until our da ys, a wide readership. Geniuses of the deducti on, endowed with an exceptional gi ft of observation, with an accurac y curl ing the fussiness, court eous and ri gorous extremel y, but extravagant and full of odditi es: such is t he profil e of our det ectives. Since the creation of the fi gures of t he kni ght Dupin, Monsieur Lecoq and Sherlock Holme s, the characters of detectives m ultiplied in the police lit erat ure. Our detectives will not st op throwi ng thei r shade on thei r emul ators, legal successor in long and brill iant one lined b y followers: Arsène Lupin ( 1905 ), le père Brown ( 1910 ), Rouletabill e ( 1907 ), Hercul e Poi rot ( 1920 ), Beaut y queen Marpl e ( 1930 ), Jules Mai gret ( 1931 ), et c., to quote onl y those. Three detectives were also the obj ect of numerous adapt ations: literar y, theat rical, t elevision and film. 410 « premier policier professionnel de l’histoire de la littérature policière ». J. Baudou, J-J. Schléret (dir.), Le Polar, Larousse, Collection « Guide Totem », Paris, 2001, p. 214. Dupin, Lecoq and Holmes belon gs to the founding period of the detective genre, that is approximatel y the last six decades of the XIX th and the begi nning of the XX th century. It is indeed the period of the bi rth and t he m ost si gnifi cant evolut ion not onl y of the genre but especiall y of the pol ice character, that we plan to anal yz e during our work. Furthermore, is imperative a dem arcation of a fiel d of studi es which woul d have becom e too vast: for the XXth centur y, primed an evolution the outcome of whi ch we are not able to perceive, w hen we write t hese lines. The main problem of our research as for her is to understand how our three heroes -det ectives had been able to mark the detective genre, while remai ning di fferent. We shall also want to seize in what lies the ori ginalit y of each of their creat ors, and if the l atter maintain reports of influence, inspiration, l oan even of imitati on some with the others. The resolution of our problem consists in answering upst ream the foll owing questi oning : How do our authors impose the image of thei r heroes, whi ch function is attribut ed to the latter and which are the values supports of whi ch the y are? What strategi es spread our authors to endow their charact ers of a hum an thi ckness, and givi ng them the illusion of the life? In other words how these heroes -det ectives were able to exceed the fictional fram e, and to exist except t exts as acti ve and alive beings in a real world? The police aut hor never termi nat es the life of his hero in t he stor y, he is invulnerabl e, he returns to ever y production with the same charact er t rai ts and the same qualities and t he defects, if however we consider this hero as a real person. now, is this invulnerabilit y annoyi ng of unlikeliness, and does it condition, there, the identifi cation of the reader to the hero, or on th e cont rar y, the invulnerabl e hero reassures a reader made worri ed b y the cri me and a criminal? Be yond one and a half centur y, the pl easure got b y the reading of the poli ce adventures of our heroes -det ectives, rem ains intact. What thus arouses such an alwa y s renewed craze? In what lies their ori ginalit y whi ch does not stop calling out to questioning us and seducing us? The present work puts in parall el Dupin, Lecoq and Holmes , three carr yi ng heroes -detectives each marks her personal of her creator. B y examin ing t he links whi ch unite or separat e thes e characters, our objective of research consists in bringing to light the ori ginal cont ribution of ever y author i n the creation of the character of the det ective in t he poli ce lit erature, even its cont ributi on in t he creation of t he detective genre. For the corpus let us indicate that the recurring hero is a constant component of the writing of Poe, Gaboriau and Do yle. It recovers from an editorial choi ce which allows to develop l oyalt y of the reader who likes findi ng his familiar hero, following its adventures and penetrating into his life. Our authors devel oped their characters, during their various poli ce papers, charact ers who are not thus invented b y a block, but not built in the course of narrat ives. In this pe rspective, our stud y supposes above all, a rich corpus so quantitativel y as qualit ativel y. It will be a question for us, to parti cipat e in a clearer and sharper legi bilit y b y the comparison of the charact ers in the chosen works. To t his end, we examined du ring two years of reading all the police papers of three authors. The task was at fi rst, relativel y eas y for August e Dupin because he appears onl y in three short stories, less eas y, then, for Mist er Lecoq who appears in five novels, finall y difficult even di ffi cult for Sherlock Holmes, hero of four novels and fift y six short stories. That must bound thus our corpus, the selection got organi zed around a major line: spot what combines or separat es three charact ers accordi ng to a concerning semiologi cal filter to be them, thei r knowledge, to m ake for t hem and their hierarch y. We proceeded b y a pre-anal ysis, that to spot(locat e) the specifi c passages where elaborat es the charact er. W e so disti nguished two processes of composition: the cumulative processes by wh i ch t he author transmits on new information which com plet e or modif y the charact er and the processes of repetit ion or dismissal b y whi ch the author reminds whom is the charact er, what he knows, what he makes. We were thus interested in the fi rst processes and so select ed no as the papers contai ning of the new on our characters. The present work i s going to lean on a corpus consist ed of t hree short stories of Edgar Allan Poe, three romances of Émil e Gaboriau and three romances and fi fteen short stories of Ar thur Conan Do yle. It seem ed to us excessive to int egrat e t he other papers int o a corpus which is al read y im portant; we nevertheless used cert ain extracts of these papers - outsi des thus in the corpus - to enrich and fi ll shadow zones of our anal ysi s. As for the methodology of our research, it is necessar y t o sa y that to anal yz e the charact er of t he det ective is an attractive compan y although deli cat e to lead, because the operation can be approached b y man y m anners. To sta y in the objective fixed from the ti tl e of this thesis which wants speci alist in comparative li nguistics, it would be possible to realize it better b y confronting three characters with levels di fferent from their construction. The identit y, the portraits, the actions, the words, the reports with the other characters as well as with t he creat ors, are so m an y rel evant elem ents for our anal ysis. Our comparative stud y cont ains various compl ementar y approaches, which appear to be in agreement wit h the m ain objective of this research. The semiolo gy as proceeded to deciphering of the si gns, will make us pa y a parti cular attention on the signi ficant of the charact er. We shall thus be inspired b y Philippe Hamon's works who proposes three fi elds of anal ysis: " the being ", " to make him " and " the hierarchical import ance " of the character. On the other hand, we cannot line up in the opinion of Hamon, when he suggests considering the character onl y as a bei ng of paper, with whom the onl y rol e is to fill a textual function. Hamon t akes itsel f at the id ea of the romantic illusion which takes charact er for a real being, he asserts, by quoting P aul Valér y, that it is about " literar y superstitions ". Cert ainl y, the semiol ogy will be us of an inestimable contribution, but an approach of the charact er onl y i n t extual would be in a absolut e with difficult y bearabl e wa y, as far as ever y character builds up himself and evolves in reference to an outside world or to a realit y. The textual cont ext fits into a wider dimension, that of the period, of the societ y, of t he Histor y and of the culture. Without forgetting that the construction of a charact er also depends on the reader (with whom we becom e identi fied) which puts him in touch with the own real experiences. Vincent Jouve suggests asking the question " what th e charact er for the reader? ". The theorist s o rehabilitat es an approach which t akes int o account the pl ate, which is at the sam e time the place of an experi ence of reading and t he worl d to whi ch the character refers. Consequentl y, ever y feature, ph ysical appearance, moral or ps ychologi cal, ever y behavior or word, which in the realit y would return a nice or unpleasant person, would have, in the rom antic uni verse, the same effect the reader. It i s in this perspective t hat t he rel ationship " charact er / perso n " will have all its value, and m akes possible a di versit y of anal yses . The detective novel evokes a parti cular world, but it also reveals, even if it is in a indirect wa y, t he general context in which the work was concei ved and writt en, context transpose d into the text with more or less of precision, more or l ess omissions or fluctuations when t he y are not changes. The socio -historic and cultural contexts recognize inevitabl y in that of the det ective stor y, helping to seize the ever yda y nature and the cha racters who compose her. It is especiall y b y the speci fic and filt ering glance of the investi gator that the worl d is presented to the reader. It is thus necessar y t o be interested closel y to this character who l eads investi gation the investi gation, who rev eals di fferentl y and in its wa y the societ y, b y proposing a particul ar pict ure. It will thus be advisabl e to appeal to a multidisciplinar y approach, looki ng like ver y cl osel y the one which we use t o anal yz e the real being. An approach where cross themselves lit erature, sociology, histor y, psychology and phil osoph y. B y j oining the trail of the comparative study, the int ert extualité is goi ng to lead us i n his turn to a more thorough comparison of our characters. It i s an approach which provides us with the to ols whi ch motivate ever y researcher i nterest ed in t he stud y of the police papers, in parti cular the invari ants of the genre (charact ers, eni gma, investi gation), allowing among others, the location of stereot ypes , the loan, the distances or the pastiches. T he intertextual charact er involves t wo different concepts: " The return of the charact er "and" the trans -universal identit y ". The first concept concerns t he characters who return in the productions of the sam e author, whil e the second rests on a wider and outsi de base of loan. These two concepts are going t o lead t he evol ution of our research because, on one hand, our corpus joins in the serial t ype, st aging recurring heroes, on the other hand, to bring an answer to the probl em of the rel ationships t hat ou r three charact ers between them can m ai ntain. Vari ous approaches that we t hus propose in the foundation of our comparati ve study of three heroes -detectives. Finall y, we propose a conceived plan of research in a tripartite wa y, arti cul ating as follows: In a first chapt er of the first entitl ed part «In t he ori gi ns of the genre and t he police charact er " we shal l report ke y moment s of t he genesis of the police genre. We settled for obj ective to hi ghlight the important pl ace which occupi es the genre in the hist or y of the literat ure. The stages of his bi rth will be in fact the frame of a progress ending in t he hatching of t he charact er of the detective. This wa y, t he creation and the evolution of the police hero owes l ead us to investi gate the com post in whi ch he discreetl y germinated. We shall follow then the hatching of the hero -det ective, while demonstrating how is al read y set up cert ain number of conditions whi ch are lat er going to allow hi s upward advance. In the second chapt er of t he sam e part, we shall pres ent " the first creators ", that is the initiators whom are our three aut hors, and their " the first heroes -det ectives ". We shall give fi rst of all a perspective on cert ain aspects of the life and the works of three writers, on the context in which their pol ice texts were produced. We shall in fact tr y t o make rediscover these creat ors, who knew how to absorb the realit y of their periods to m ake it of the fiction, and to whom we owe the creation of the detecti ve genre and the character of the investi gator. B y being interest ed then in t he det ective stor y, we would tr y t o underst and how it is built by each of our authors, to see in which m easure t he narrative st ruct ure advances the study of the character. S econdl y, and before passing in the comparative anal ys i s, we shall establish a first contact with three heroes -det ectives, b y presenting them briefl y. We shall also quot e the most creative adapt ations object of whi ch our characters made, with the aim of estimating t he degree of thei r popularit y. The second pa rt enti tled " The portrait as the syst em of meaning ", is going to allow us to answer the following question: how and wh y, through their ph ysical, moral, intellectual features, etc., three heroes-det ectives the y can m ark us. We shall anal yz e how our author s proceed to the quali fications of their charact ers. We shall try to underst and how Poe, Gabori au and Do yl e managed to lend feelings, refl ection, intelli gence or idiocy to " beings of paper ". We shall examine if the ph ysical detail is gi ven onl y as consti tuent of the character, or i f it is in charge of meaning the ot her thing than himself, b y conve yi ng int erpretabl e si gns. Dupin, Lecoq and Holmes will so be anal yz ed according to thei r identit y, bi ograph y, port rait ph ysical appearance, behavior and m ent al a ttitudes, and according to what t hese elem ents s ymbolize and demonst rat e as val ues and meanings. We shall dedi cat e ourselves, i n the third and l ast part , to the stud y of the t ypology of the det ective as the charact er hero. We shall so examine the el em ents whi ch make of our det ecti ves of the unique and different heroes. We shall begi n in a first chapter to anal yz e their m ethods of investi gation and thei r professional know -how. Our purpose will be to demonst rat e that the mai n aspect of the heroi c t ypol ogy of our detectives lives in their skills and thei r professionalism to lead a police investi gation. In t he second chapter of this ultimate part, we shall em phasi ze the vari ous statuses from which benefit Dupi n, Lecoq and Holm es, such as their professi onal status, their moral status, as well as on the relationships which the y maintain with the ot her charact ers, and with thei r creator. After all, the sum of the results obt ained along our comparative stud y, will be the object of the conclusion. Conclusion In the term of this work whi ch consisted of a comparati ve study between the heroes -detectives August e Dupin, Monsi eur Lecoq and Sherlock Holmes, we shall t r y to s ynthesize the main obt ained results and to draw from it concl usions. Our obj ective of re search, l et us call back it, was to show the ori ginalit y of Poe, Gaboriau and Do yle and their contributi on in the creation of the charact er of the detective, while i nsisting on t he rel ationships of influence, inspiration, loan even of imitation t hat these authors can maint ain some with the others. We managed at fi rst our research on the side of the investi gation and near its ori gin, it stood out from it that three heroes -detectives did not appear from the nothingness, the y possess of distant histories, goin g back up to the Greek antiquit y. On the other hand, the first tracks of investi gation whi ch we find at these protot ypes were onl y rudim ent ar y, and the com posed character like a hero was the criminal and the bandit and not the investi gat or. B y examining a ft erward a multiplicit y of contexts in which our authors were abl e to create their heroes, we understood that the character of det ecti ve was not able t o appear before the rural societ y «gi ve birth under t he pair of forceps" t o the indust rializati on and to the positivism of an urban and educat ed soci et y. These contexts, more particul arl y li terar y also all owed us to answer parti all y our problem , b y asserti ng that Gaboriau knew t he work of Poe and that both authors were of use as model to Conan Do yl e. The con front ation of three heroes det ectives, at levels di fferent from their construction (the bei ng, m ake him, the st atus and the t ypol ogy), brought us an answer whi ch, without bei ng exhaustive, being not less rel evant, in the questionings on which our problem based itself. On one hand, the examinat ion of the links whi ch unite the charact ers allowed to follow in the track, ever ythi ng t ypifies of influence exercised on thei r creators. On the other hand, the elem ents which separat e them and differentiat e them helpe d to hi ghli ght bett er the ori ginalit y and t he creative contribut ion of ever y author. At the level of " the being " of the characters, Poe, Gabori au and Do yle understood that, to take advantage of the s ympath y of a wide readership, the y had to reduce, even annul the soci al distance which could set their heroes to thei r readers. The y thus softened rules governing the cl assi c, beautiful, ri ch hero and belonging to the hi gh societ y, b y opting for detectives who have cert ainl y honorable ori gins, but who are ordi nar y and comm on, even if the y do not lend themselves easil y to procedures of identi fication of the reader. Under a hidden appearance, the poesque hero is fl at or, to borrow the expressi on so precise of Messac, he just has " t he dose of existence necessar y for the step of the narrative ". Poe refuses an y ph ysical descripti on of his det ective, and embodi es it onl y as voice of a reasoner who never makes a mistake. The onl y presence of Dupin, in the narrative, makes useless t hat of the other characters, who are for the det ective onl y chessm en, or dat a of a m at hemati cal problem used to expose its reasoning. Excluded from the human communit y, August e Dupin, this eccentri c det ective, the misanthrope and ni ght bird, is a settled well " mechanism " and the real " mac hine to argue ". B y his personalit y, Dupin exercises a bi g infl uence on Sherl ock Holmes who, in his turn, is thought of as " an automaton " and " a cal culator ". Cert ai nl y, Do yle grant ed a parti cul ar att ention on the portrait of his det ective, b y endowing him with an im pressi ve appearance and with some physical details being enough to distinguish him, but morall y speaki ng, Holmes will differ from Dupin onl y b y som e secondar y features. Indeed, to lend a hum an thickness to this hardened insensibl e, antisoci al and misogynous charact er, Do yle prefers it drug addi ct and violi nist, transl ating at the sam e time a ki nd of mel anchol y the end of centur y. Onl y the policeman of Gabori au escaped the quali fication of "character-m achine". It is thus advisable to distingui s h Monsieur Lecoq of his coll eagues, as far as he seems t o have a certai n vulnerabilit y on the personal plan. It is hi ghl y -rat ed sensiti ve, even sentiment al of the French policeman who has to, ideall y, confer him an authentic thi ckness on the human plan. Th e distinction of Mister Lecoq al so lies in the degree of infallibilit y whi ch his creator conferred him. If Dupin is the character who can never make a mistake, and i f Hol mes is the too self -confident, det ecti ve Lecoq, on the other hand, is the policeman wh o gropes, hesitat es and sometimes makes errors, what humanizes him more. Lecoq is a m oving, nice and alive character with the e yes of t he reader, so that the mai n qualit y of Gabori au consist s in having paint ed a true -to -life port rai t, and to be realistic a nd credible, more than his successor, and more still than his predecessor. As for the practi ces of three heroes -det ectives, one of the characteristic features whi ch is enough to put them outstanding, it is that the y refer to the science. The y are also ali ke b y their t enacit y, their courage and t heir " good st ar " which make them reassuring. The y are endowed with an infallibilit y which, although uneven, does not allow to doubt their success. Yet , it is at the level of their methods of investi gation, thus th ei r professional know -how, that Dupin, Lecoq and Holmes distinguish themselves most. The ni cknames of " detective in arm chair ", and " detective in slippers ", with which Dupin was decked out reveal us a whole method of investi gation appropri atefor the poe sque det ecti ve. This investi gator threads " his shoes " onl y to verif y his h ypot heses or look for the link bei ng l acking i n his chain of reasoning. He does not make a commitm ent in the action, he is charact erized b y the exhibition of his intellectual facul ties and the demonst rati on of his anal yti cal geni us. It is an abstract detective who does not stop speaking about al gebra and about mathematics. Lecoq, him, is a detective of ground who does not confine himself in the abst raction, it is energetic and hesit ates hardl y to kneel down in the dust or in the mud, it is a vi rtuoso of the disguise and the fast change. If his intelli gence can seem lower than that of Dupin, Lecoq possesses the guile and t he intuition whi ch l ook like those of the ani mals and savages. He is endowed with an extraordinar y spi rit of observation as well as with a surprising perspi cacit y. But, is it the wa y of sa ying that we cannot fi nd at t he investi gator's of Gabori au of the tracks of the detective of Poe? Certai nl y not. Lecoq gets closer to t he hero of Poe b y what he of more ori ginal there in the latt er, b y his logical reasoning, while giving life to what at Dupin had rem ained abst ract. The m ethods of investi gation creat ed by P oe and b y Gaboriau will not be lost for Conan Do yl e. Thi s one knew how to pour Dupin and Lecoq in a singl e charact er, Sherlock Holmes. Indeed, it is by its accurac y in the observation, b y its art of t he disguise, and b y it s experimenter's profi le that Holm es looks like to Lecoq. He inherit ed at the same time from Dup in the mani a t o inquire about the crimes b y newspapers, reasoning, exercise of reading of the thought, but especiall y an impressive intelli gence which makes him, quite as Dupin, incomprehensible with the e yes of others. Even if Conan Doyl e did not invent m uch aft er Poe and Gaboriau, he has however the merit to have combined an y sorts of scatt ered el ements, to stage a "brilliant detective". Indeed, in terms of met hods of investigation, we find nothing at Holmes who existed before him, but the synthesis is in t elli gentl y operated, it is made a success, assuri ng the British det ecti ve one universal fame and a popularit y. Since his creation, uncount able detectives appeared but none of them managed to darken him or to make him com e down from his throne. After a d etailed comparative stud y concern ing "the being" and "to m ake him " three heroes -det ectives, our interest concerned to thei r statuses whi ch showed themselves also speci fic. As regards the professional status of three heroes -detectives , t ype of the detecti v e dilett ante is Edgar Poe's brilli ant invention; Dupin is unmistakabl y the fi rst detect ive of the literar y histor y. Conan Do yl e understood that, b y his dimension libertarian and his detachment of the police institution, t he poesque charact er will be the ex emplar y model of his adventures. Indeed, the "amat eur " or " privat e" st atus allowed Dupin and Holmes to st a y, each, its own teacher, to l ead thei r investi gations in a totall y autonomous wa y, to intervene in affairs before t he poli ce, and to be the first o nes to discover the t ruth. As for Gaboriau, once again, he was far from bei ng held in the simple imitation, by opting for a policem an titul ar. Here is a different hero, an agent of safet y of "offici al " stat us, of which we appreci at e the " excellent poli ce temperament " and whi ch l ooks like " real policemen ". Gaboriau managed t o create " the m yth of the nice cop ", b y t earing t he obnoxious and summar y image that we were made of the poli cem an through Jackal de Dumas and Javert de Hugo. Through the anal ysis o f another t ype of stat uses, that of the "detective" or the "upholder of the law", we raised that Poe preferred his detective "rétablisseur " of the truth and not the Good, this choice is just like the abst ract, cold and rational character of Dupin. For this al gébriste, the investigation is a pure exercise of the spirit, and not a process which l eads to the punishment. Now, b y obe yi ng the concern to spare an error in the j ustice, the policem an of Gaboriau assum es his status of upholder of the law, on this pla n, the difference between both heroes -det ecti ves is obvious, because, we said it, Dupin embodi es the character -m achine while Lecoq represents the character-human bei ng. As for Holm es, he is goi ng, one more tim e, to synthesize his two predecessors, he is, a s the case may be and accordi ng to the business t ypes whom he treats, this sometimes as Dupin, when he wants to be engaged onl y in the gam e of the m yst er y and the eni gma, this sometimes as Lecoq when it adduces himself to substitute itself for t he law. As regards the status det ective / assist ant, he consists in setting the formidable i ntel ligence of the det ective against the mundaneness down-t o-earth of t heir assist ants. Tandems Dupin / narrator and Holmes / Watson seem to revisit the t raditional m yt h of t he doubl e gi ft Qui chotte / Sancho Pança. If Poe was the first one to have the idea of this resum ption, b y fl anking his detective of a fri end narrator, Do yl e made bett er b y returning its more creative i mitation. Indeed, the nature of the rel ation which shar es Holmes and Watson is thus more hum an, warm er, more alive than the one who unit es Dupin to his companion. That we admire b y - above ever ything to the do yli en coupl e, it is this funn y atmosphere resulting from the nai vet y and from the incom petence of Wats on. On the other hand, Gaboriau borrowed the st atus det ective / assist ant to his predecessor onl y occasionall y. We still had, to end this stud y, to know exactl y whom were Dupin, Lecoq rel ationships and Holmes for their creat ors. This wa y, the whi ch maint a ins Poe, Gabori au and Do yl e with thei r characters showed it self ver y different. Of Dupin, the character about whom Edgar Poe dream ed belong, b y wa y of Lecoq the carrier of a new image of the policem an imagined and hoped b y Gaboriau, t o Holmes, the autonomo us and independent creature which knew how to escape his creator; three heroes -detectives answered, each in the wa y, i n the consciousness of their authors. To conclude, we shall sa y that three authors m anaged to distinguish themsel ves, and contri buted each for the part to the construction of the character of the det ective b y basing the bases on which was going t o develop the latt er. Edgar Allan Poe was the precursor and the inspirer to whom it is necessar y to grant the honor due to a real creat or. Émil e Gab oriau was far from bei ng a low imitator, t he i nspiration was for him a source of creativit y. As for Conan Do yl e who lo yall y recognized his debt to his two predecessors, he m anaged to carr y the character of det ecti ve in his peak. We shall not know how to d en y him, Sherlock Holm es stood out under all the heavens, he is also famous in Russi a, in Japan as i n England, and it is the silhouett e whi ch i s thus going to dom inate the detective genre. We assert that the present work i s far from being exhaustive, and could be usefull y com plet ed on the occasi on of the other researches b y widening, for example, the field of anal ysi s to the police charact ers who marked the XX th centur y. Let us quote in parti cular Mauri ce Leblanc who, with Arsène Lupin, the " gentleman burglar ", renews the popular fi gure of the bandit upholder of the law. Let us quot e then Agatha Christi e considered as the Queen of the crime with very obsessive sound and the eccent ric Bel gi an detective Hercule P oirot and his old -fashioned but ver y acut e Be aut y queen Marple who is going to bring to detective's fi gure of the sensibilit y and some ps ychol ogical sharpness. We also quote the inventor of the ps yc hological police novel, Georges Simenon and his investi gator, the inspector Mai gret, the latter is not going to conceive an y more the investigation as a logi cal puzzle but as a social traged y by revealing under the crime t he povert y, the solitude and the resentment . Compassionate, he goes as far as appearing as a redeem er and l eads the culprit s to becom e re concil ed with themselves. The same fi eld of stud y could be more widened to the investi gators of the crime novel, in particular those Of Dashi ell Hammett, Jam es Hadle y Chase and Ra ymond Chandl er. It i s a new race of investi gat ors; conscripts the " hard -boile d", these detectives are not going to solve learned eni gm ae i n their office but are going to measure the disreputable dist ricts. Confronted with the underworld, the y will be read y to use all the means to reach their purposes; sometimes viol ent and unrefine d, often on the verge of the legalit y, incorruptibl e but without scruples, they are sarcasti c, sol itar y and disenchant ed. Some are some suggestions am ong so man y others, because the police novel whi ch continues to multipl y in t ypi cal, seri al and in success does not stop offering new avenues of research to investi gate. That thi s study thus ends wi th a feeling of in completion, nothing more nature.