prospectives InEE

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prospectives InEE
Prospective
écologie &
environnement
de l’Institut
du
cnrs
C o m pt e - r e n d u d e s j o u r n é e s d e s 2 4 e t 2 5 o c t o b r e 2 0 1 2 , Av i g n o n
hors-série
sommaire
Avant-propos
3
Introduction
5
Ecologie prédictive
et changement planétaire
9
-
introduction
Epistémologie de la prédiction
Des données à l’information
Renforcer les démarches théoriques
Projection, prédiction et
scénarisation
- Conclusion
11
15
23
29
33
39
évolution et écologie
45
- Introduction
- Interactions et rétroactions, rôle
de leur écologie et évolution dans
le fonctionnement des écosystèmes - Prospective priorités en recherche
en écophysiologie animale - Génomique - Systématique, phylogénie - Eco-Evo-Dévo-Paléo - Hérédité génétique et non génétique,
vers une généralisation de la théorie
de l’évolution - Sexe et évolution - Ecologie, Evolution, Santé et
Biodiversité 47
49
65
69
75
79
Homme, sociétés et environnements
99
- Introduction 101
- Evolution humaine biologique et
103
culturelle
- Systèmes culturels, stratégies et
pratiques d’exploitation, de contrôle
111
et de gestion des environnements
119
- Santé et Société - Services écosystémiques, représentation
131
de la nature et de l’environnement Les sciences de l’écologie et de l’environnement
actrices du développement durable 139
141
- Introduction
- Environnements quaternaires non anthropisés
ou peu anthropisés ; interactions Homme-climat
145
environnement sur le long terme
153
- Domestication, agrobiodiversité - Changement global - Organisme 165
Ecosystème - Humain 173
- La mer 183
- Ecologie tropicale 193
- Socio-écosystèmes urbains
- Prospective priorités en recherche
en écotoxicologie 207
- Pour une écologie globale 219
83
89
Outils en écologie 95
Priorités en recherche en écologie
Liste des ateliers
225
240
233
Coordination générale :
Stéphanie Thiébault et Halima Hadi
Directrice de la publication :
Françoise Gaill
Membres du Conseil Scientifique
de l’INEE : Denis Allemand, Valérie
Andrieu-Ponel, Jean-Christophe Auffray, Gilles Boetsch, Wolfgang Cramer,
Christophe Douady, Sylvie Dufour, Patrick
Durand, Jean-Pierre Feral, Marie Gaille,
Josette Garnier, Patricia Gibert-Brunet,
Lamine Gueye, Joël Guiot, Didier Jouffre,
Catherine Kuzucuoglu-Bigonneau, Nadine
Le Bris, Alain Marhic, Virginie Maris,
Jacques Roy, José-Miguel Sanchez-Perez,
Patricia Sourrouille, Jean-Denis Vigne
Gudrun Bornette, Robert Chenorkian,
Martine Hossaert, Sylvain Lamare, directeurs adjoints scientifiques à l’INEE
Comité de pilotage du Colloque
prospectives Avignon : Jean-Christophe
Auffray, Stéphane Blanc, Pierre Capy,
Jérôme Casas, Franck Courchamp,
Bruno David, Philippe Grandcolas, Michel
Loreau, Doyle Mckey, Nicolas Mouquet,
François Renaud, Jean-Denis Vigne
avant-propos
avignon
Prospective
Les problématiques relatives aux questions environnementales et de développement durable
sont nées dans les années 1970, dans un contexte international d’urgence. La prise de
conscience s’est véritablement mise en place à la suite de la parution du rapport Brundtland
en 1987 et la diffusion internationale de ces problématiques a eu lieu à la suite de la conférence de Rio en 1992.
Un premier verrou a été levé dans le domaine scientifique grâce à la mise en place de programmes nationaux tel que le Programme interdisciplinaire de recherche sur l’environnement,
le PIREN, en 1978. La création en janvier 2006 du département Environnement et Développement Durable (EDD) au CNRS fut une étape institutionnelle décisive. Cette création répondait
à une demande liée à la perception économique, sociale et politique des questions liées à
l’environnement, devenues alors un enjeu mondial. Il s’agissait de mettre en œuvre les priorités « Environnement et Développement durable » du CNRS, en favorisant l’innovation et en
réussissant par la transversalité, le passage du disciplinaire à l’interdisciplinaire.
Le travail de structuration d’une communauté travaillant sur les enjeux liés au changement
global et à la mondialisation des activités humaines a été mené avec le plus grand dynamisme
et une solide expertise scientifique des unités associées au CNRS. En 2009, la création d’un
Institut intitulé « Ecologie et Environnement » (INEE), prenant la suite de EDD, permit d’identifier
explicitement l’écologie en tant que domaine disciplinaire pivot et d’afficher notre mission :
« faire émerger les sciences de l’environnement comme champ scientifique intégré ».
Le colloque de Rennes, correspondant aux premières journées prospectives INEE en mai 2009,
fut un moment charnière pour fédérer la communauté nationale sur les axes stratégiques
prioritaires. C’est autour de l’écologie, de la biodiversité et des relations hommes milieux,
que des thématiques telles que les changements climatiques et leurs effets, l’artificialisation
des milieux et du vivant, l’ingénierie écologique, l’écologie de la santé ou la ville… ont pu être
développées.
A la suite de ce colloque, nous avons été en capacité de mettre en place des collaborations
non seulement avec nos partenaires de l’enseignement supérieur, mais aussi avec ceux de
la recherche finalisée, en établissant des liens avec les collectivités et les acteurs du monde
économique et politique. L’un des signes forts de la dynamique instaurée autour des actions
de l’INEE fut la mise en place de l’Alliance nationale de la recherche pour l’Environnement,
Allenvi, comportant 12 membres fondateurs. Le travail réalisé depuis, a permis de donner une
visibilité croissante aux thématiques que nous avions ciblées.
3
Le colloque de prospectives de l’INEE, qui s’est déroulé à Avignon en octobre 2012, marque
une nouvelle étape. Nous ne pallions plus aujourd’hui à l’urgence de la demande, nous avançons dans nos disciplines et à leurs interfaces. De nouveaux défis sont désormais à notre
portée, grâce à un travail mené pleinement à l’interdisciplinaire. Il ne s’agit plus de conduire
les dialogues, il s’agit de les élargir et de les intégrer pour en faire une pensée scientifique. Il
ne s’agit plus de réunir plus ou moins laborieusement des compétences sur une thématique,
mais bien d’identifier des champs thématiques intégrant la diversité des compétences. Il s’agit
d’ouvrir notre dynamique scientifique, à partir des questions d’environnement, vers les autres
grands enjeux de nos sociétés et du développement durable.
Ce document s’inscrit donc dans l’ensemble des cahiers prospectives débutés à l’INEE avec
des prospectives spécifiques concernant une discipline - l’écologie fonctionnelle -, un environnement - le polaire -, un domaine émergent - l’écologie chimique - ou des approches innovantes
- sensors for ecology -, qui furent les prémices du travail de réflexion et d’intégration de notre
démarche.
On voit, à lire ce document, le chemin parcouru depuis Rennes. Avignon fut un moment de foisonnement de questions croisées, de débats autour du bien fondé de la diversité d’approches
et de convergence de problématiques redéfinies. Ces journées ont permis de structurer une
véritable communauté interdisciplinaire autour de la biodiversité naturelle et culturelle, actuelle
et passée, ainsi qu’autour de la fonctionnalité et de l’évolution des écosystèmes, jouant ainsi
un rôle essentiel pour l’IPBES (Plate-forme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques).
Tout ce qui a été mis en place nous permettra d’avancer beaucoup plus loin et bien plus efficacement, pour résoudre et surtout anticiper de véritables défis scientifiques qui s’offrent à nous
dans un avenir plus ou moins proche.
L’écologie est une science encore jeune qui, en devenant globale, se propose d’être intégrative, opérationnelle, prédictive et qui laisse encore toute sa place à l’inattendu et l’innovation.
Comment désormais intégrer l’homme, non seulement en le considérant comme un acteur des
dynamiques écologiques mais aussi en prenant pleinement en compte la complexité, l’irrationalité et l’imprédictibilité des comportements sociaux, fait partie de l’enjeu.
Ce travail de prospective marque les fondements, les avancées et les dynamiques à mettre en
place pour toutes les questions liées à l’écologie et l’environnement.
Je remercie les chercheurs pour leur investissement et l’excellence de leurs travaux qui permettront à nos thématiques de s’inscrire dans les priorités internationales.
Françoise GAILL
Directrice de l’institut écologie et environnement du CNRS
4
introduction
avignon
Prospective
Ce cahier hors série des prospectives de l’INEE rassemble un ensemble de textes issus
de réflexions menées en commun, pendant près d’un an, par les chercheurs de l’INEE.
Avant d’arriver aux fructueux débats menés pendant les trois jours de prospectives en
Avignon, en octobre 2012, nombreuses furent les réunions, échanges, controverses,
qui préparent des documents qui ont constitué les socles de la réflexion. Après Avignon, il ne restait plus qu’à enrichir ces textes des apports des participants et à les
formaliser. Ils sont ici réunis et proposés aux lecteurs.
L’objectif des journées d’Avignon n’était pas de faire un bilan des quatre années passées depuis la création de l’INEE, mais bien, en traçant les pistes de recherches futures, d’affirmer l’identité de l’institut dans sa façon de mener sa recherche dans son
domaine qui allie l’écologie, l’évolution, la biodiversité et les relations homme-milieu. A
l’heure où le paysage de la recherche française est en pleine mutation, l’INEE souhaitait entamer une réflexion sur les défis que les sciences de l’environnement auront à
relever ces prochaines années.
Ce recueil publie les textes issus des 22 ateliers de travail (Cf liste des ateliers page
240), regroupés et réorganisés de façon à proposer une lecture thématique plus fluide.
Grâce au travail de son conseil scientifique, il se décompose en plusieurs chapitres.
Le premier concerne l’écologie prédictive et les changements planétaires. Piloté par
Nicolas Mouquet, Michel Loreau et Yvan Lagadeuc et rassemble de très nombreux
contributeurs. Cet article de fond souligne et discute la nécessité, pour nos disciplines,
dans le contexte des changements globaux, de fournir en parallèle une description de
la diversité biologique, des concepts adéquats pour en comprendre les propriétés et la
dynamique et des modèles satisfaisants pour en prévoir le devenir.
5
prospective de l’institut ecologie et environnement du cnrs
Le chapitre suivant réunit, sous le titre écosystèmes, interactions, évolutions, de
nombreux textes de réflexion. Porté dès l’origine par Jean-Christophe Auffray, Christophe Douady et Sylvie Dufour, les questions portant sur l’évolution (diversification et
transformation du monde vivant) demeurent parmi les plus stimulantes du front de la
connaissance. Si le décryptage des mécanismes de l’évolution garde tout son intérêt
(spéciation, adaptation, sexe et évolution, interactions, etc.) de nouveaux paradigmes
conduisent à l’émergence de thématiques nouvelles. Elles sont liées notamment aux
changements d’échelles qui conduisent à une appréhension plus intégrative et plus
globale de l’évolution, et aux changements de champs d’application qui nous engagent
vers des approches plus prédictives et plus appliquées de l’évolution. De même, sont
évoquées les actions des contraintes abiotiques sur les processus, les structures et
dynamiques des communautés (résistance, résilience, vulnérabilité), les invasions biologiques, les organismes ingénieurs, construction de niche, rôle des traits fonctionnels
dans les processus écologiques à différentes échelles par exemple.
Tout naturellement le chapitre suivant concerne l’Homme, sociétés et environnements.
L’introduction de Gilles Boetsch, Virginie Maris et Wolfgang Cramer souligne la portée
des recherches réalisées à l’interface entre l’étude des écosystèmes et l’étude des
sociétés humaines que ce soit dans l’évolution biologique ou culturelle de l’homme,
les stratégies d’exploitation, de gestion, de contrôle de l’environnement, la santé ou
les services écosystèmiques. Il signale l’importance d’adopter des cadres conceptuels
pour comprendre et anticiper l’évolution des relations passées et à venir entre sociétés
et environnements à des échelles de temps et d’espaces variées.
Ce cheminement aboutit au chapitre intitulé les sciences de l’écologie et de l’environnement, actrices du développement durable. Les auteurs de l’introduction, Jean-Denis
Vigne, Nadine Le Bris, Joël Guyot et Jean-Pierre Feral expliquent son objectif qui « vise
à relever deux défis majeurs : mieux appréhender la complexité extrême des interactions
entre sociétés humaines et systèmes écologiques ; s’appuyer sur cette maîtrise de la
complexité pour accroître le rôle du monde de la recherche dans la construction du développement durable ».
Les outils, qui lors des journées d’Avignon, ne possédaient pas d’atelier propre, puisque
consubstantiels de chacun des ateliers, ont été rassemblés dans un chapitre, grâce
à la ténacité de Jacques Roy, Gudrun Bornette, Cécile Callou et Yvon Le Maho. Ils ont
réussi à faire la synthèse des éléments de prospectives qui mettent l’accent sur une
partie des outils (analytiques, expérimentaux, de bancarisation, de modélisation …).
Le dernier chapitre, enfin, priorités des recherches en écologie, expose les résultats
de l’enquête menée par Franck Courchamp et Jérôme Casas selon le protocole de
Sutherland. Elle vise à identifier les futures priorités des recherches en sciences de
l’Environnement. Elle permet ainsi de faire émerger une vision dynamique et très diversifiée des questions qui importent à la communauté des chercheurs de l’INEE pour la
prochaine décennie
6
Il ne me reste qu’à souhaiter au lecteur de se délecter de ces prospectives qui touchent
à pratiquement tous les domaines de l’environnement et mettent bien en évidence la
qualité et la créativité des chercheurs.
Enfin, je remercie sincèrement les nombreux participants à ces prospectives. Le comité scientifique, qui avec patience, a su proposer des thèmes de réflexion, trouver
les intervenants et préparer les journées d’Avignon. Les animateurs d’ateliers (qu’il
n’est malheureusement pas possible de tous énumérer ici, mais qui, je l’espère, se
reconnaitront) qui ont, non seulement réussi à s’entourer de nombreux contributeurs,
mais aussi à animer les ateliers lors du colloque d’Avignon en s’adaptant à toutes les
contraintes, et qui en plus, ont livré en temps voulu, ces textes de très haut niveau
scientifique pour la publication. Les membres du conseil scientifique de l’INEE qui se
sont tous investis, de façon remarquable, à la préparation de cette publication et qui
furent partie prenante, dès le départ, de cet événement. Enfin, je voudrais dire toute
ma reconnaissance à tout le personnel administratif de l’INEE, et plus particulièrement
au pôle communication, car sans Halima Hadi et Conceicao Silva, un ouvrage de cette
qualité n’aurait pas pu exister.
Stéphanie THIEBAULT
Directrice adjointe de l’institut écologie et environnement du CNRS
Coordinatrice scientifique du Colloque Prospectives d’Avignon,
octobre 2012
7
Prospective
avignon
Ecologie
prédictive
&
changement
planétaire
Coordinateurs
Nicolas Mouquet, Yvan Lagadeuc & Michel
Loreau
Contributeurs
Groupe de réflexion : Frédéric Austerlitz,
Jérôme Chave, Vincent Devictor, Eric
Garnier, Olivier Gimenez, Dominique Joly,
Romain Julliard, Sonia Kéfi, Virginie Maris,
Serge Morand, Wilfried Thuiller
Groupe ressource : Michael Blum, Sarah
Calba, Marc Choisy, Audrey Coreau, Luc
Doyen, Denis Faure, Stéphane Dray, Anne
Duputié, Damien Eveillard, Charly Favier,
Oscar Gaggiotti, Nicolas Galtier, Helene
Guis, Vincent Herbreteau, Philippe Huneman, Franck Jabot, Philippe Jarne, Gael
Kergoat, Gerard Lacroix, Sandra Lavorel,
Jean-François Le Galliard, Line Le Gall,
Xavier Morin, Hélène Morlon, Gilles Pinay,
Julien Pottier, Roger Pradel, Frank Schurr,
Pascal Simonet, Céline Teplitsky, Anne-Lise
Tran, Samuel Venner
avignon
Prospective
introduction
Le contexte actuel des changements planétaires a conduit un nombre croissant d’Etats à adopter une
politique environnementale volontariste (Vitousek et al. 1997; Loreau 2010a). Cette action politique
s’est accompagnée d’un effort de synthèse au niveau scientifique pour englober la problématique de
la biodiversité dans un contexte général en considérant aussi le fonctionnement des écosystèmes,
l’économie ou encore plus largement les sociétés humaines (MEA 2005). Il s’agit pour les scientifiques de fournir en parallèle une description massive des systèmes écologiques, des concepts adéquats pour en comprendre les propriétés ainsi que des modèles prédictifs pour en anticiper le devenir
dans un environnement changeant (Figure 1). Cet effort a favorisé la collaboration entre différents
champs disciplinaires (écologie, évolution, mathématique, physique, chimie, climatologie, économie,
sociologie, anthropologie, etc.), ainsi que l’acquisition et l’analyse d’une quantité de données sans
précédent (Jones et al. 2006; Bellard et al. 2012). Cette démarche demande le développement d’une
recherche de qualité en écologie fondamentale, le développement d’indicateurs biologiques pertinents
et la mise en place de méthodes de scénarisation et d’évaluations à différentes échelles spatiales (localités, régions, pays, continents) et temporelles (année, décennie, siècle). Cet engagement implique
également de penser l’homme non plus comme un simple observateur mais comme un acteur majeur
du devenir des écosystèmes.
Figure 1 : Les éléments de réponse
des systèmes écologiques (en vert) aux
changements globaux (en bleu)
Modifié de Hooper et al. (2005) d’après
Chapin et al. (2000). Les activités humaines sont à présent suffisamment fortes
pour que leurs effets aient des proportions
mondiales. Anticiper la réponse des systèmes écologiques à ces perturbations implique de comprendre les rétroactions entre
les compartiments biotiques et abiotiques,
la distribution des traits des espèces, leur
évolution, et leurs effets sur le fonctionnement des écosystèmes. Les interactions
à prendre en compte, qu’ils s’agisse de
rétroactions positives ou négatives, sont
elles-mêmes multiples : par exemple aux
interfaces entre la biosphère et la géosphère ainsi qu’avec l’atmosphère, au sein
de la biosphère entre des processus biologiques agissant à différentes échelles d’organisation, de temps et d’espace, et entre
processus écologiques et évolutifs dans
les systèmes écologiques. La recherche en
écologie s’appuie donc sur une démarche
synthétique combinant de façon simultanée, coordonnée et interactive des activités
d’observation, d’expérimentation alliées à
une approche théorique et plus récemment
un effort de synthèse et de méta-analyse.
Global changes
- Biogeochemical cycles (C, N,P, organics)
- Land use (type, intensity)
- Climate
- Species invasions
Human activities
Ecosystem goods
and services
Abiotic controls
- Composition
- Richness
- Evenness
- Species interactions
Species
traits
- Evolution
- Function
Ecosystem properties
Abiotic controls
- Resource availability
- Modulators (temp, pH)
- Distubance regime
11
prospective de l’institut ecologie et environnement du cnrs
prospectives d’avignon
L’écologie scientifique est une science assez
jeune. Elle est d’abord passée par une phase
de description et de définition des concepts
avant de se poser la question de la prédiction/prévision (Encadré 1). L’écologie scientifique du 20e siècle a vu le développement
de champs disciplinaires fortement structurés par échelles d’organisation (Encadré 2).
Au 21e siècle, l’écologie est devenue globale
et est marquée par le développement de modèles prévisionnels (Figure 2). Le défi est de
construire une écologie pluridisciplinaire et
prédictive qui nous permette de fournir des
éléments de réponse à la crise environnementale sur une base scientifique (Figure 1).
L’écologie tente ainsi, en ce début de siècle,
de coupler à son développement conceptuel
un objectif d’opérationnalité.
1. Ecologie scientifique entre descriptions et concepts
Les scientifiques ont commencé par décrire la diversité biologique avant de la replacer
dans son contexte environnemental. C’est la grande tradition des naturalistes des 17 et
18ième siècle, en amont des premières approches intégratives/prédictives proposées
par des pionniers comme Lamarck, Darwin, Wallace et Haeckel (voir exemple Figure 2).
Fortement influencée par la pensée philosophique d’Aristote : « la théorie devra rendre
compte de ce qui est observé, et non l’inverse », l’écologie a d’abord procédé par empirisme pour appréhender les règles d’organisation du vivant et sa dynamique (à mettre en
opposition avec les approches en physique : par exemple « C’est la théorie qui décide de
ce que nous pouvons observer » citations de Albert Einstein dans Darwin and Co (Thuillier
1981)). Cette approche « naturaliste » a fortement cloisonné l’écologie, la menaçant de
devenir une « science du cas particulier », chaque famille d’organismes et de milieux
donnant naissance à sa propre écologie : écologie terrestre, écologie marine, écologie
des vertébrés, écologie végétale, écologie microbienne, écologie des communautés etc.
Mais l’écologie, dans sa dimension conceptuelle, a aussi cherché des lois générales
et déterministes gouvernant les relations entre les organismes et leur environnement.
La théorie de la sélection naturelle en fournit l’exemple probablement le plus frappant
– depuis sa formulation initiale par Darwin, elle a fourni une trame générale pour la compréhension du vivant. Un autre exemple est la théorie de la succession écologique qui a
eu dès le début du 20ième siècle pour objectif de prédire les assemblages d’espèces et
le futur des écosystèmes (Clements 1916; McIntosh 1980; Rees et al. 2001). Ecologie
et évolution ont depuis oscillé entre cas particuliers et recherche de concepts forts avec
pour conséquence une difficulté à formuler des lois universelles (Lawton 1999).
Un exemple de cette tendance est donné par les
scénarios de distribution future de la diversité
biologique. Provenant des théories de la biogéographie (Guisan & Thuiller 2005), des modèles
de plus en plus informatifs ont rapidement été
proposés sur la base de scénarios établis par
les climatologues du GIEC (http://www.ipcc.ch).
Ces modèles essentiellement corrélatifs ont
ainsi proposé les premières anticipations sur
les réponses possibles des espèces aux changements climatiques et ont abouti à des avancées importantes en statistique et en gestion
des données. Ils ont cependant aussi souligné
le manque de synthèse en écologie et indirec12
tement déclenché un véritable débat sur notre
niveau de compréhension de la dynamique de la
diversité biologique (Carpenter et al. 2009; Loreau 2010b; Thuiller et al. in review). D’abord limitées aux biogéographes et aux écologues des
communautés, ce débat impliquent maintenant
tous les acteurs de l‘écologie scientifique, de
la génomique à l’écologie des écosystèmes et
à l’épidémiologie. Il devient maintenant crucial,
pour proposer des scénarios de l’avenir des systèmes écologiques, de s’interroger sur la notion
de « prédiction » ainsi que d’évaluer notre capacité les formuler, à les valider et à communiquer
sur les incertitudes associées.
et (c) prédire et prévoir. Nous avons placé les approches théoriques et fondamentales au cœur de
notre prospective en soulignant la nécessité d’un
socle conceptuel fort pour construire une écologie
opérationnelle. En plus de ce travail de synthèse,
nous avons établi une liste des priorités de recherche qui nous semblent pertinentes, dans les
prochaines années, pour faire de l’écologie une
science « globale » et une composante clé de la
politique environnementale à venir.
Nombre de citations
L’objectif de notre atelier a ainsi été d’évaluer
dans quelle mesure l’écologie (au sens large,
incluant l’évolution, l’écologie des organismes,
le fonctionnement des écosystèmes et la biogéographie) est devenue ou peut devenir une science
prédictive et opérationnelle. Nous avons commencé notre analyse par une réflexion générale sur
la définition de ce qu’est une science prédictive.
Nous avons ensuite exploré les trois facettes de la
démarche scientifique : (a) décrire, (b) comprendre
Années
Figure 2 : Ecologie prédictive d’hier et d’aujourd’hui
La prédiction n’est pas récente en écologie. En Janvier 1862, Charles Darwin reçoit un paquet
d’orchidées de Madagascar. Un spécimen (Angraecum sesquipedale) retient alors son attention
par la longueur particulièrement étonnante de son nectaire (20-35 cm). Bien qu’aucun insecte
avec une trompe de cette longueur n’ait été décrit, Darwin affirme son existence, la plante ne pouvant se reproduire sans pollinisateur adapté. En 1871, Wallace aboutit à la même conclusion :
« Qu’un tel papillon existe à Madagascar peut être prédit avec sûreté ; et les naturalistes qui
visitent cette île devraient le chercher avec autant de confiance que les astronomes ont cherché
la planète Neptune, et je me hasarde à prédire qu’ils seront autant couronnés de succès ! » (Wallace 1971). Le papillon est découvert en 1903, 41 ans après la prédiction de Darwin. Les découvreurs ajoutèrent le nom de Praedicta (« prédit ») à l’espèce dorénavant nommée : Xanthopan
morgani praedicta en l’honneur de cette « prédiction ». La planche de Mary A. Grierson dans le
livre Orchidaceæ (Hunt & Grierson 1973) utilisée en arrière-plan représente ces deux espèces.
Au premier plan nous illustrons l’importance grandissante de l’écologie prédictive ces dernières
années (notamment au travers des modèles prédictifs de la distribution de la diversité) : nous
donnons le nombre de citations annuelles pour les articles qui ont « prediction » et « ecology »
dans leurs mots clés (source web of science ; critères de recherche utilisés : Topic=prediction
and ecology ; Timespan=All Years). Parmi les 3941 articles sélectionnés, six ont plus de 1000
citations (Levin 1992; Guisan & Zimmermann 2000; Brown et al. 2004; Guisan & Thuiller 2005;
Elith et al. 2006; Phillips et al. 2006). Parmi ceux-ci, quatre articles proposent des méthodes
pour prévoir les distributions futures des espèces dans le contexte des changements globaux
(Guisan & Zimmermann 2000; Guisan & Thuiller 2005; Elith et al. 2006; Phillips et al. 2006).
13
prospectives d’avignon
2. Cloisonnements des champs disciplinaires
L’écologie scientifique du 20e siècle a vu le développement de champs disciplinaires,
fortement structurés par échelles d’organisation. La génétique des populations a proposé
une méthodologie et un corpus théorique basés entre autres sur les travaux de Fisher,
de Wright et de Kimura (Fisher 1930 ; Wright 1930 ; Kimura 1983), afin de prédire
l’évolution tant pour les locus neutres que pour ceux codant pour des caractères adaptatifs. L’écologie des populations a développé des méthodes sophistiquées d’inférence
des paramètres démographiques au sein des populations (Lebreton et al. 1992; Caswell
2001). L’écologie des communautés a élaboré une vision très organisée et déterministe
des interactions (e.g. théorie de la niche Chase & Leibold 2003) avant de remettre ce
paradigme en question au travers du débat sur les modèles « nuls » ou neutres dans les
années 1970 et 1980 (Caswell 1976), puis des approches des communautés loin de
l’équilibre (DeAngelis & Waterhouse 1987 ; Hastings 2004) et enfin, plus récemment de
la théorie neutre (Bell 2001 ; Hubbell 2001). L’écologie fonctionnelle a ajouté au concept
d’espèce celui de trait fonctionnel en se focalisant sur leurs distributions et sur leurs
liens avec le fonctionnement des écosystèmes (Lavorel et al. 1997; McGill et al. 2006;
Garnier & Navas 2012). La biogéographie a mis en évidence de grands patrons dans la
distribution de la diversité biologique (e.g. relation diversité-énergie, relation diversité-latitude, diversité-aire, théorie métabolique). L’écologie évolutive, sur les traces de Darwin,
a essayé d’intégrer l’ensemble des processus écologiques dans un contexte évolutif pour
comprendre la diversité biologique (au risque parfois de focaliser sur des cas particuliers). L’écologie des écosystèmes s’est focalisée sur les flux de matière et d’énergie
à de grandes échelles spatiale et temporelle sans vraiment y intégrer la diversité biologique (Chapin et al. 2002). Enfin, l’intégration de l’homme comme acteur majeur du
fonctionnement des écosystèmes a donné naissance à la notion de socio-écosystèmes
(Folke 2007; Liu et al. 2007 ). Le périmètre de ces champs disciplinaires a souvent été
déterminé en raison de contingences historiques et humaines plutôt qu’en fonction des
réalités scientifiques (notons que cela est cependant vrai d’autres disciplines scientifiques, à commencer par la physique).
14
avignon
Prospective
éPISTéMOLOGIE
DE LA PRéDICTION
Concepts et enjeux autour de la prédiction
Clarification des concepts
Il convient de distinguer deux sens du terme
de prédiction, selon qu’il renvoie à un certain
niveau de performance des théories scientifiques, ou qu’il désigne une forme d’anticipation
de phénomènes non encore observés.
Premièrement, le terme « prédiction » réfère
en sciences à la notion de performance des
théories. On dira que telle théorie est empiriquement corroborée quand elle « prédit » correctement des phénomènes. L’énoncé général
correspondant à une prédiction est simplement
de type « Si A, alors B ». Dans cet énoncé, A
est une hypothèse dérivée d’un corps de théorie et B simplement un fait que l’on observe ou
observera en conséquence de A. Un simple lien
statistique peut permettre de prédire B à partir de A. Mais la prédiction de B à partir de A
peut aussi correspondre à la connaissance de
l’enchaînement causal qui lie ces deux phénomènes. L’énoncé de prédictions joue par ailleurs un rôle méthodologique clef dans la démarche hypothético-déductive. Dans ce cas, B
peut être le résultat d’une expérience élaborée
spécifiquement pour corroborer l’énoncé prédictif, ou bien un ensemble de données recueillies
indépendamment. Dans ce contexte, la notion
de prédiction est intimement liée à celle d’une
recherche d’explication.
Deuxièmement, et indépendamment de son rapport à l’explication, la notion de prédiction peut
également référer à une possibilité de connaissance du futur (que la chose prédite soit déjà
réalisée mais non encore vérifiée, ou qu’elle
corresponde réellement à un phénomène non
encore réalisé). La prédiction désigne dans ce
cas la capacité d’inférer ce qui pourrait se passer ou bien ce que l’on pourrait observer avant
que cela n’arrive. La prédiction désigne en ce
sens non pas la recherche d’explication mais
notre capacité d’anticipation des phénomènes.
Notons que la notion de prédiction au sens d’anticipation est souvent considérée comme synonyme d’autres termes comme ceux de prévision,
de projection, ou de scénario, même si d’importantes nuances les distinguent (cf. glossaire).
15
prospective de l’institut ecologie et environnement du cnrs
glossaire
Modèle :
Outil conceptuel, réfutable par l’expérience, servant à décrire et prédire un phénomène. On
distingue les modèles phénoménologiques qui établissent des liens constants entre des phénomènes sous forme de règles (verbales, statistiques ou mathématiques) ; et les modèles
mécanistes qui établissent des liens entre des phénomènes sur la base de processus sousjacents que l’on est capable d’expliciter (Encadré 3).
Prédiction :
Quand une projection devient très probable, on parle de prédiction. Une prédiction est souvent
obtenue par un modèle déterministe avec en général un certain de degré de confiance attaché aux projections.
Opérationnalité :
La recherche opérationnelle (aussi appelée aide à la décision) peut être définie comme l’ensemble des méthodes et techniques rationnelles orientées vers la recherche de la meilleure
façon d’opérer des choix en vue d’aboutir au résultat visé ou au meilleur résultat possible (Larousse). Une écologie de la conservation développée dans le monde anglo-saxon (« evidencebased conservation ») propose que c’est par la pratique et non par la théorie qu’on devient
opérationnel. Ce point doit être balancé en proposant une interaction forte entre écologie
théorique et appliquée (plutôt que d’espérer un transfert mécanique et évident de la théorie
à l’opérationnel).
Projection :
Le GIEC a défini le terme « projection » comme étant une description du futur (ou d’un autre
état) et le chemin pour y parvenir.
Scénario :
Un scénario est une description cohérente et plausible d’un futur état du monde et du chemin
pour y parvenir. Un scénario n’est pas une prédiction. En revanche, une projection ou une
prédiction peuvent servir de matériel de base pour un scénario, mais les scénarios requièrent
des informations additionnelles (ex. conditions initiales sur lesquelles le scénario est comparé,
éléments qualitatifs non pris en compte dans les prédictions et les projections). Une série de
scénarios est censée refléter autant que possible, la fourchette d’incertitudes futures possibles. En génétique des populations, on élabore aussi des « scénarios » concernant les passés
probables des populations.
Théorie :
Du grec theorein, « contempler, observer, examiner » désigne couramment une idée ou une
connaissance spéculative et vraisemblable, souvent fondée sur l’observation ou l’expérience,
donnant une représentation idéale, éloignée de «ses» applications. En sciences : modèle ou
un cadre de travail pour la compréhension de la nature et de l’humain. En physique, le terme
de théorie désigne généralement le support mathématique, dérivé d’un petit ensemble de
principes de base et d’équations, permettant de produire des prévisions expérimentales pour
une catégorie donnée de systèmes physiques ». Source Wikipédia.
16
Clarification des enjeux
L’usage contemporain de l’expression « écologie
prédictive » suggère qu’une certaine écologie
peut devenir prédictive ou que l’écologie n’est
pas encore prédictive et cherche à le devenir.
En reprenant les deux sens de la prédiction
(celui d’explication ou d’anticipation) on peut
préciser ce que cette expression signifie (Figure
3). Sur l’axe de la connaissance (horizontal),
l’écologie est prédictive si elle permet d’aboutir
à un état de connaissance correspondant à un
énoncé de type « Si A alors B ». Cet axe peut
lui-même s’orienter d’un sens faible vers un
sens fort : une prédiction peut être le résultat
d’une connaissance empirique (« A précède très
souvent B ») dont l’énoncé correspond à une «
règle ». Au sens fort, la prédiction est le résultat
d’une explication causale complète (« Si A alors
B parce que C »). Lorsque cette explication a
une porté générale on parle davantage de « loi »
que de « règle ». Cette distinction se rapproche
de celle distinguant deux familles de modèles
couramment utilisés en écologie : les modèles
phénoménologiques et les modèles mécanistes
(Encadré 3). Selon l’axe des connaissances,
prétendre à une écologie prédictive consiste à
attendre de celle-ci qu’elle révèle des lois et pas
seulement des règles. Dit autrement, une écologie est prédictive si elle n’est pas limitée à la
description de patrons mais qu’elle est capable
de décrire des processus générant ces patrons,
de les comprendre et de les manipuler. Notons
que cette ambition n’est pas nouvelle, mais
qu’elle existe depuis les débuts de l’écologie
scientifique (Figure 2 et Cooper 2003).
Figure 3 : Paysage épistémologique de l’écologie prédictive
Une réflexion épistémologique sur la notion de prédiction
permet d’identifier deux axes complémentaires. Le premier
concerne l’axe de la connaissance (horizontal) : la prédiction
scientifique correspond à la performativité de notre connaissance du monde. Le deuxième axe (vertical) concerne l’action : la prédiction scientifique peut permettre une anticipation
des phénomènes pour déterminer nos actions ou réactions
futures possibles, souhaitables et/ou nécessaires. Ces deux
axes se déclinent à leur tour aux différentes échelles spatiales
ou temporelles (axe transversal). Ce paysage de l’écologie
prédictive montre la nécessité de mener une réflexion épistémologique intégrée aux sciences de l’écologie pour 1) clarifier
les concepts et les enjeux, 2) comprendre l’articulation de la
prédiction au sens d’explication et au sens d’anticipation et
3) identifier les enjeux scientifiques et éthiques de l’écologie
prédictive et de ses incertitudes. Un troisième axe transversal permet de structurer ce paysage épistémologique par les
échelles temporelles et spatiales envisagées.
Le deuxième axe est celui de la prédiction comprise comme anticipation. L’expression « écologie prédictive » fait alors non seulement référence à notre capacité à formuler des théories
prédictives scientifiquement solides, mais également à la nécessité d’anticiper le futur en vue
de l’action, qu’il s’agisse d’imaginer les modalités d’adaptation aux changements globaux ou
de prévenir ceux-ci. L’enjeu n’est plus principalement la véracité des théories, mais leur utilité en
vue de l’action. Là encore, cet axe peut s’orienter d’un pôle faible (le « possible » : où l’action
n’est pas explicite mais seulement discutée, par
exemple lorsqu’il s’agit de penser les scénarios
d’évolution économique et sociale) vers un sens
fort (le « nécessaire » lorsqu’il s’agit de proposer
des options de gestion). En pratique, les deux
axes de la prédiction sont eux-mêmes structurés par les échelles temporelles et spatiales
envisagées (axe transversal, Figure 3).
17
prospectives d’avignon
3. Modèles « phénoménologiques » et «mécanistes »
Toute démarche de modélisation consiste en une simplification du monde réel, ce qui implique de
formuler des hypothèses sur ce qui peut être négligé, et par opposition sur les processus ou les
facteurs dont le rôle serait prépondérant pour ce que l’on cherche à modéliser. On distingue les
modèles phénoménologiques qui établissent des liens constants entre des phénomènes sous forme
de règles (verbales, statistiques ou mathématiques) ; et les modèles mécanistes qui établissent des
liens entre des phénomènes sur la base de processus sous-jacents que l’on est capable d’expliciter.
Une différence majeure entre modèles mécanistes et modèles phénoménologiques se situe dans
leur capacité potentielle ou non à prédire des situations nouvelles/inédites à des échelles spatiales
et/ou temporelles différentes de celles de leurs hypothèses, prédictions qu’il était difficile d’anticiper avant l’étude du modèle. On parle souvent en ce sens de propriétés émergentes de certains
modèles mécanistes. Ces émergences sont souvent le résultat d’interactions non-linéaires entre les
processus du modèle. Elles sont endogènes (issues du fonctionnement propre de l’objet écologique
modélisé) et/ou exogènes (issues d’une réponse à un facteur externe). Au contraire, les modèles
phénoménologiques ne peuvent prédire des situations qui ne se présentent pas déjà (et de manière
répétée) dans le jeu de données qui sert à leur calibration. Il est à noter cependant qu’un modèle
mécaniste est toujours phénoménologique à une certaine échelle. Par exemple le modèle de photosynthèse de Farquhar (Farquhar et al. 1980) est phénoménologique, tandis que les modèles de
croissance de plantes ayant recours à ce sous-modèle sont souvent considérés comme mécanistes.
MODèLES MéCANISTES
MODèLES PHéNOMéNOLOGIQUES
Théorie
Le fondement théorique des modèles mécanistes est en principe solide et explicite puisque l’ensemble des processus qui
les composent s’inscrit dans un paradigme donné du fonctionnement des objets écologiques. Les hypothèses sous-jacentes
sont directement reliables à une théorie. Par exemple, prédire
la structure d’une communauté à l’aide d’un modèle neutre
revient à poser l’hypothèse que les différences fonctionnelles
entre individus peuvent être négligées.
Il est souvent difficile de rattacher sans ambiguïté les patrons
de variations modélisés dans un modèle phénoménologique à
un cadre théorique précis. C’est alors la liste des covariables de
la variable réponse qui impose les hypothèses sous-jacentes du
modèle. Par exemple, construire un modèle phénoménologique
de distribution d’une espèce végétale à partir de variables climatiques sous-entend l’hypothèse d’un rôle mineur des conditions
de sol ou des phénomènes de dispersion.
Généricité
La généricité d’un modèle mécaniste dépend de son degré de
complexité. Plus il est simple plus il peut s’appliquer à divers
contextes avec le même jeu de paramètres. Le nombre de processus croissant, il devient plus spécifique au contexte de son
développement. Extrapoler les résultats d’un modèle mécaniste
revient à faire l’hypothèse que les processus modélisés varient
de manière régulière dans et en dehors de la zone pour laquelle
des données sont disponibles. Dans les cas où un modèle mécaniste parvient à reproduire les non-linéarités observées à l’aide
de processus réguliers, l’hypothèse de régularité des processus
est acceptable.
Les modèles phénoménologiques sont le plus souvent spécifiques
au jeu de données qui a permis de les ajuster. Ils peuvent donner
des prédictions précises dès lors qu’ils sont appliqués à un même
contexte (ex : interpolation). Cependant, extrapoler des résultats
d’un modèle phénoménologique revient à faire l’hypothèse que les
variations de la surface de réponse, précédemment calibrée, sont
régulières. Cette hypothèse est d’autant plus difficile à accepter
que le phénomène modélisé présente des non-linéarités avérées.
Ainsi, l’extrapolation à partir de ce type de modèle peut-être infructueuse (ex : faible transférabilité géographique des modèles de
distribution d’espèces).
Mise en œuvre
La mise en œuvre des modèles mécanistes est plus ou moins
longue suivant le degré de complexité du modèle. Elle nécessite
une bonne compréhension des processus, éventuellement de
leur formalisation mathématique. La calibration des paramètres
peut-être problématique et nécessiter un grand nombre de données souvent difficiles à acquérir. Avant l’exercice de prévision,
l’analyse des propriétés du modèle peut-être plus ou moins complexe également (analyse de sensibilité, résolution analytique ou
simulations numériques,…).
Les modèles phénoménologiques sont bien souvent plus simples
de mise en œuvre. Ils nécessitent des données descriptives de
l’état des objets écologiques (de plus en plus de bases de données libre d’accès voient le jour) et des outils statistiques disponibles pour tous. Le degré de complexité, de mathématisation (et
de « lisibilité ») des méthodes est toutefois très variable, allant
des modèles de régression aux réseaux de neurones par exemple.
Communication
Les modèles mécanistes peuvent paraître obscurs tant dans
leur fonctionnement que leur mise en œuvre et leur interprétation. Même les modèles les plus simples peuvent nécessiter de
fortes compétences en biologie et/ou mathématique pour les
utiliser ou interpréter leurs résultats.
18
Les modèles phénoménologiques sont plus intuitifs dans leur
principe et leurs sorties. Leur grande souplesse d’utilisation, permet de fournir des cartes de distribution de multiples espèces, de
types d’écosystème, de diversité, et ce à diverses échelles spatiales. Ces cartes sont des outils de communication puissants.
Les spécificités épistémologiques de l’écologie
concernant la prédiction
Difficultés de l’écologie vis-à-vis de sa capacité prédictive
Les sciences physiques servent souvent de modèles de science prédictive aux autres sciences
y compris à l’écologie scientifique (Colyvan &
Ginzburg 2010). Cependant, l’écologie est caractérisée par des difficultés qui lui sont propres
concernant la prédiction (Coreau et al. 2009).
Complexité : Les phénomènes écologiques sont
le plus souvent compliqués, c’est-à-dire qu’ils
résultent d’un enchevêtrement de nombreuses
relations causales, qui, quand bien même elles
seraient toutes connues individuellement, sont
difficiles à isoler dans le monde réel. La complexité peut aussi générer des dynamiques chaotiques, dont les trajectoires sont imprédictibles
au moins localement (Rooney et al. 2007).
Variabilité des échelles : L’écologie est caractérisée par une très grande variabilité des échelles
concernées (Figure 4). Si certaines échelles paraissent emboîtées et interagissent fortement
(par exemple la dynamique des populations et
celle des communautés), d’autres semblent
sans commune mesure (gène et biomes) et
ne peuvent s’étudier que séparément. Ce problème est souvent « évité » par des approches
réductionnistes qui privilégient l’étude d’un niveau d’organisation donné en passant par des
niveaux inférieurs, plus facilement étudiables et
dont les propriétés sont mieux connues.
Comportement ouverts : Les dynamiques des
systèmes écologiques sont le plus souvent des
dynamiques « ouvertes », c’est-à-dire influencées par l’intervention d’événements internes
(création de variation, par exemple) et externes
(colonisation par exemple), eux-mêmes difficiles
à prévoir.
Comportement dynamiques : Même si l’écologie
a été très influencée par l’étude des systèmes
vivants « à l’équilibre » à l’instar de la mécanique
newtonienne, la plupart des systèmes vivants ne
se décrivent, ni ne se comprennent sans y inclure
une composante dynamique et évolutive, aussi
bien à long terme (les propriétés des espèces,
communautés, écosystèmes ne sont pas fixes
sur le long terme) qu’à court terme (ces propriétés changent vite à la suite de la transformation
des conditions biotiques et abiotiques). Or les
dynamiques transitoires, hors équilibre, peuvent
relever de comportements chaotiques, ce qui
affecte la pertinence et la fiabilité des prédictions
(Hastings et al. 1993).
Interaction entre systèmes écologiques et
systèmes socio-culturels : La transformation des systèmes écologiques dépend largement d’une composante proprement humaine
(Figure 1). La plupart des écosystèmes sont
désormais mieux décrits comme des socio-écosystèmes dont les propriétés sont affectées
par les changements planétaires (dans leurs
composantes abiotiques comme dans leurs
composantes biotiques) et ne suivant que partiellement les règles ou les lois qui décrivent le
comportement des systèmes non-humains. La
trajectoire d’un écosystème dépend donc aussi
de choix de sociétés qui relèvent d’un régime
de connaissances et de prédictions souvent
différents de ceux de l’écologie fondamentale
(Liu et al. 2007).
Nouvelles dimensions pour l’écologie prédictive
L’explosion du nombre, de la résolution, et de la
diversité des données nouvelles acquises par
des technologies adaptées à l’écologie (comme
le séquençage à haut débit ou l’imagerie satellitaire et l’écoinformatique) la pousse vers le traitement d’une quantité et d’une qualité d’informations qui nécessite des mutations internes
en rupture avec le schéma hypothético-déductif
classique (Bisby 2000). On assiste notamment
à une hybridation des outils et des méthodes et
des nouvelles approches encouragent la combinaison de modèles phénoménologiques et mécanistes (Encadré 3, McGill & Nekola 2010). Les
frontières entre analyses, modèles, données et
prédictions ont ainsi tendance à se brouiller.
Dans ce contexte, la question de la prédiction
19
prospective de l’institut ecologie et environnement du cnrs
prospectives d’avignon
comme explication risque d’être confondue avec
une amélioration technique et technologique qui
ne s’accompagne pas ou peu d’une meilleure
compréhension du monde vivant. L’investissement dans les dispositifs de type Ecotron
témoigne aussi d’une volonté d’accroître notre
capacité de contrôle des variables multiples
permettant de décrire un système complexe.
De nombreuses expériences « grandeur nature »
sont également réalisées (e.g. Hector et al.
1999) ainsi que des observation de systèmes
naturels sur le long terme (e.g. Charmantier et
al. 2008). Cette tendance peut fait prendre à
l’écologie scientifique les caractéristiques d’une
« méga science » en complément d’autres projets moins dépendant des avancées technologiques (Ferné 1985) mais non moins pertinents
pour comprendre les systèmes vivants.
L’écologie prédictive pour l’action
Depuis ses débuts, l’écologie scientifique n’a
pas seulement la vocation de décrire, elle souhaite aussi expliquer pour agir. Notamment
pour informer les décideurs et apporter des
réponses à la société à travers des modèles
prédictifs. Dès les années 1930, Howard T.
Odum, dans ses travaux sur les flux de matière
et d’énergie dans les écosystèmes, cherchait
à quantifier ce que l’on nome maintenant des
services écosystémiques (Kangas 2004). Mais
l’émergence sur le devant de la scène politique
des enjeux liés à la biodiversité et aux changements planétaires, a suscité un regain d’intérêt
pour les connaissances en écologie. Celles-ci
sont de plus en plus sollicitées (voire directement utilisées) pour anticiper les effets écologiques des changements globaux ainsi que
les conséquences des actions de gestion. Le
développement de l’ingénierie écologique est
un autre témoin de cette évolution du sens de
la prédiction-savoir vers une prédiction-pouvoir
(Mitsch 2012). Quelle est la place de l’écologie prédictive pour l’action dans ce nouveau
contexte ? La biologie de la conservation utilise
par exemple depuis longtemps la prédiction au
sens de l’explication, c’est-à-dire qu’elle développe des connaissances en écologie qui sont
utilisées par les gestionnaires pour préserver,
restaurer les populations et les écosystèmes.
Ces connaissances peuvent être issues de
théories écologiques, ou être la résultante de
l’extrapolation de résultats expérimentaux. Elles
peuvent être aussi des connaissances empiriques résultant de l’analyse des résultats des
mesures de gestion elles-mêmes. Cependant,
il existe des mesures de gestion scientifiquement robustes, mais peu efficaces sur le terrain
car les conditions socio-économiques de leur
mise en œuvre ne sont pas réunies, ou car les
conditions du terrain s’éloignent des conditions
dans lesquelles les connaissances avaient été
produites. A l’inverse, des mesures de gestion
peuvent être efficaces sans que leurs fondements écologiques soient très clairs. La prédiction, au sens de l’anticipation, prend donc une
importance grandissante dans les travaux des
écologues pour répondre aux enjeux des changements planétaires.
Déontologie de la prédiction
Cette exigence grandissante de prédictions
scientifiques de la part des décideurs et susceptibles d’être utilisées pour orienter les politiques
environnementales soulève des questions nouvelles en termes de déontologie. La science est
en effet incapable de fournir des certitudes. La
leçon de la physique est en ce sens frappante
comme le rappel l’extrait d’un article du journal
Libération du 21 mai 2012 (Le pouvoir démiurgique des mathématiques financières, Christian
Walter) :« … en 1986… le président de l’Union
20
internationale de mécanique pure et appliquée,
James Lighthill, fit cette déclaration extraordinaire : “ Ici, il me faut m’arrêter et parler au nom
de la grande fraternité des praticiens de la mécanique. Nous sommes très conscients, aujourd’hui,
de ce que l’enthousiasme que nourrissaient nos
prédécesseurs pour la réussite merveilleuse de
la mécanique newtonienne les a menés à des généralisations dans le domaine de la prévisibilité
[…] que nous savons désormais fausses. Nous
voulons collectivement présenter nos excuses
pour avoir induit en erreur le public cultivé en
répandant, à propos du déterminisme des systèmes qui satisfont aux lois newtoniennes du
mouvement, des idées qui se sont, après 1960,
révélées incorrectes.” [...] Les mathématiques
financières font partie du risque systémique. Il
est grand temps d’aller voir quelles sont les hypothèses sur le hasard qui y sont logées car ces
hypothèses définissent ce risque dont la société civile subit les conséquences, pour son plus
grand malheur ». Cet exemple souligne la responsabilité potentielle des scientifiques dans la
manière dont sont perçus leurs résultats dans
la société. La rapidité avec laquelle l’écologie
scientifique se retrouve aujourd’hui en interface
directe avec la société demande le développement d’une « déontologie » de la prédiction pour
qu’elle communique, non seulement ses résultats, mais aussi les clés de leur interprétation et
leurs limitations.
Recommandations
Si le lien entre connaissances en écologie et action existe, il n’est pas systématique pour définir une
action et la prédiction au sens d’explication n’attend pas nécessairement d’applications pratiques.
Plus généralement, l’articulation entre les deux sens de la prédiction (explication et anticipation)
ouvre un chantier épistémologique majeur en soulevant plusieurs questions. L’action sera-t-elle
plus efficace en étant adossée à une écologie « plus prédictive » ? Comment l’écologie prédictive
interagit-elle avec les interfaces sciences-politiques sur les questions qui la concernent ? Quels
sont les limites et les avantages des scénarios en matière d’écologie ? La réduction à tout prix de
l’incertitude est-elle nécessaire pour l’action et pour la discipline elle-même ? Comment trouver
l’ajustement entre le besoin de connaissances issues de l’écologie scientifique pour l’action et
la prise en compte des autres facteurs influençant la décision ? Autant de questions qui doivent
s’accompagner d’une réflexion sur les normes et les valeurs associées à l’utilisation de l’écologie
prédictive. Ces questions peuvent se regrouper en trois axes de recherches qu’il est primordial de
favoriser aujourd’hui :
Développer une épistémologie de l’écologie à l’InEE. Cette épistémologie intégrée permettra de
mettre en avant les contours des concepts utilisés et leurs conséquences en écologie scientifique.
Des formations spécifiques en épistémologie doivent donc être encouragées ainsi que le fléchage
de postes au recrutement dans les grands laboratoires au niveau national.
Travail thématique sur l’épistémologie de l’écologie. La réflexion classique en philosophie des
sciences a été d’abord centrée sur la physique, puis a visé depuis une trentaine d’années la biologie évolutive (ex : questions sur la sélection naturelle) et la biologie moléculaire (ex : questions
sur le concept de gène). Un travail thématique sur l’épistémologie de l’écologie semble maintenant
nécessaire pour réfléchir sur l’histoire, le sens et le devenir de certains concepts ou méthodes liés
à l’écologie prédictive.
Mettre en place une « déontologie » de la prédiction en écologie. Une réflexion spécifique doit être
favorisée sur les limites et les opportunités pour une communauté de chercheurs habituée à travailler avec des hypothèses de communiquer des résultats bruts à un public en quête de certitudes.
21
prospectives d’avignon
22
avignon
Prospective
DES DONNéES
à L’INFORMATION
Notre communauté est en train de vivre une véritable révolution de l’information (Michener & Jones
2012). Alors que pendant très longtemps, l’une des limitations a été la quantité de données disponibles pour tester les modèles prédictifs, en quelques années ont été mis à disposition des jeux
de données de plus en plus importants, intégrant différentes échelles temporelles et spatiales
pour des milliers d’organismes, ainsi que pour de nombreux gènes et écosystèmes. Ce qui était
jusqu’alors l’exception est devenu la règle : distribution de milliers d’espèces aux échelles continentales (GBIF : http://www.gbif.org/), démographie à long terme de populations (e.g. Lebreton
et al. 2011), phylogénie de taxons entiers (e.g. Davies et al. 2004), polymorphismes génomiques
(NCBI : http://www.ncbi.nlm.nih.gov/, et Genbank http://www.ncbi.nlm.nih.gov/genbank/), base
unifiée de traits fonctionnels (TRY Kattge et al. 2011) et métagénomes (Vandenkoornhuyse et al.
2010; Yooseph et al. 2010). Ces nouveaux jeux de données, alliés à une puissance de calcul et
à une sophistication des logiciels (rendues possibles notamment par la mise en place de plateformes collaboratives comme R) nous offrent aujourd’hui une profondeur d’analyse qui n’était pas
possible il y a encore dix ans. Toutefois ces efforts doivent être maintenus afin de faire basculer
l’écologie dans l’ère de l’information !
Echelles
Organisation
Exemples de processus
Figure 4 : Niveaux d’organisations et
information
Quelques exemples de fonctions aux
échelles d’espace et de temps auxquelles
celles-ci sont généralement appréhendées.
Les fourchettes de valeurs données pour
les échelles (logarithmiques) d’espace et de
temps sont à considérer comme des ordres
de grandeurs approximatifs, donnés respectivement en micromètres et en secondes
(adaptées de Osmond et al. 1980). Abréviations : µm, micromètre ; s, seconde ; mm,
millimètre ; h, heure ; sem, semaine ; m,
mètre ; an, année ; km, kilomètre. Note : les
microorganismes ne peuvent se retrouver
dans la classification cellules/organes/individus. Figure modfiée de Garnier et Navas
(en préparation).
23
prospective de l’institut ecologie et environnement du cnrs
prospectives d’avignon
Collecte des données
La collecte des données nécessite des systèmes
d’observation et d’expérimentation depuis le niveau génétique jusqu’aux écosystèmes (Figure
4 et 5, Encadrés 4 et 5). Il s’agit de disposer
d’équipements complémentaires organisés le
long de gradients de contrôle ou de confinement
considérant des complexités écologiques différentes. Par exemple la communauté de l’INEE
dispose désormais d’une infrastructure expérimentale partagée et ouverte (ANAEE-S pour Analyse et Expérimentation sur les Ecosystèmes
– Services) qui rassemble des moyens expérimentaux in situ, en conditions semi-naturelles
et en conditions contrôlées. En génomique,
les programmes concernant le métagénome
humain (http://www.metahit.eu; http://nihroadmap.nih.gov/) ou l’étude des sols (http://www.
terragenome.org ; http://www.earthmicrobiome.
org), promeuvent des approches collaboratives
intégrées. Des approches exploratoires à large
échelle ont aussi montrées toute leur richesse
(par exemple Tara-Ocean http://oceans.taraexpeditions.org) en intégrant des données de
différents champs disciplinaires. L’étude des
maladies infectieuses bénéficie également au
plan national d’un institut thématique multi-organismes (Institut de Microbiologie et Maladies
Infectieuses). Enfin au niveau des écosystèmes,
il faut noter les travaux entrepris au sein des
Zones Ateliers ou encore des services d’observation que le CNRS coordonne.
Ces différentes initiatives sont à l’origine de
la production d’une quantité de données sans
précédent dans nos disciplines. Par contre une
grande part de la collecte est encore conduite
par des équipes et/ou des chercheurs individuels travaillant sur des sites expérimentaux ou
d’observation qui ne font actuellement l’objet
d’aucune coordination particulière ou d’une
coordination probablement insuffisante. C’est
également le cas de nombreuses observations
issues de la science participative, dont les programmes sont en pleins essors. Les moyens
d’observation sont souvent dépendant d’autres
communautés scientifique : par exemple, les
plates-formes haut débit en génomique existent
au niveau national (par ex., centre national de
séquençage) ou régional, mais aucune n’est
encore portée par la communauté en écologieévolution. Il faut aussi noter aussi que la masse
importante des données existantes concernent
des organismes bien ciblés (ex : mammifères,
oiseaux, poissons et plantes) et nous sommes
encore bien loin d’avoir une image exhaustive de la distribution, des comportements et
des génomes de l’ensemble des organismes
macroscopiques (ex : insectes, crustacés,
champignons) et microscopiques qu’ils soient
autonomes, parasitaires ou symbiotiques (virus,
protozoaires, bactéries ou helminthes, ces derniers représentant 50 % de la diversité spécifique). Un effort particulier reste donc à faire
pour coordonner et diversifier la collecte des
données en écologie.
Un autre défi est de renforcer le lien avec les
approches théoriques et démarche de collecte.
Les données sont souvent collectées à des
échelles spatiales et temporelles prenant en
considération des contingences techniques ou
historiques qui les éloignent parfois des exi-
Figure 5 : Les modes de collecte
de l’information
Il y a un compromis entre les moyens mis
en œuvre pour analyser les processus et
les patrons en écologie. Ce compromis
limite l’étendue de la compréhension des
processus écologiques à certaines échelles
spatiales et temporelle (la zone « a » n’est
pas informative et la zone « b » est techniquement inaccessible). Abréviations : Exp., Expérimentation; Télédétec., Télédétection. ORE.
Observatoire de Recherche en Environnement : http://www.cnrs.fr/cw/dossiers/dosclim1/biblio/pigb18/01_observatoires.htm.
LTER. : le « Long Term Ecological Research
program» est un exemple de programme
(créé par la NSF en 1980) pour poursuivre
des recherches sur des questions écologiques qui se déroulent sur le long terme
et à de large échelle spatiales (http://www.
lternet.edu).
24
gences optimales nécessaires pour appréhender les phénomènes étudiés. L’écologie reste
encore très influencée par une démarche empirique (« data driven ») ne faisant pas suffisamment appel à la théorie (« theorie driven ») qui
pourrait aider à focaliser sur les échelles d’organisation clés en fonction des questions posées
(Figure 4). Une réflexion semble nécessaire pour
définir dans quels cas la théorie doit déterminer
l’objet et les outils de mesure ?
Mise en forme des données
Nous sommes aujourd’hui confrontés à une
« datavalanche », des données en écologie (par exemple Encadrés 3 et 4). Il faut y
inclure également les métadonnées sur les
facteurs abiotiques (incluant les données
climatiques), économiques, sociologiques,
etc. Ces différentes sources d’informations
sont souvent stockées et codées suivant des
normes contingentes à chaque milieu scientifique sans souci d’interfaçage avec les autres
disciplines. Un effort important semble main-
tenant nécessaire pour proposer une normalisation du codage et de la mise en forme des
données pour éviter de constituer une tour
de Babel de l’information en écologie. Certaines initiatives vont dans ce sens (e.g. Ecological Data Wiki http://www.ecologicaldata.
org, DataOne http://www.dataone.org/, EML
: Ecological Metadata Language. http://knb.
ecoinformatics.org/software/eml/) mais elles
restent encore limitées et nécessitent un soutien fort des institutions.
4. De la métagénomique à l’écologie fonctionnelle
La fraction cryptique de la biodiversité microbienne est dorénavant accessible via les nouvelles technologies de séquençage (NTS). La compréhension de ces écosystèmes inclut
l’identification spécifique qui permet de rendre compte de la structure et de la complexité
des communautés, mais aussi et surtout de la mesure de l’abondance des espèces en leur
sein, qui informe de la façon dont elles interagissent pour le partage des ressources. Ainsi
les méta-omics (-génomique/-transcriptomique/-protéomique/-bolomique) sont devenus
des outils essentiels, mais non exclusifs, pour répondre aux questions sur la qualité/vulnérabilité des écosystèmes, à leur capacité d’adaptation face aux changements globaux et
aux services écosystémiques (Bertin et al. 2011). On pourrait être tenté d’accorder une
valeur prédictive à cette connaissance de plus en plus fine et complexe du vivant, sous
réserve de résoudre les limitations actuelles de ces NTS (biais d’échantillonnage, d’extraction, de méthodologie, d’analyse bioinformatiques, etc, Delmont et al. 2012 ; Zinger et al.
2012)). Ainsi, par exemple, les données NGS (« Next Generation Sequencing ») ne peuvent
être exploitées dans leur totalité à cause, tout simplement, de la surreprésentation au sein
des métagénomes environnementaux de gènes aux fonctions hypothétiques, c’est-à-dire
de notre manque de connaissance des relations gènes-fonctions. Une autre difficulté vient
des techniques d’assemblage des génomes (au-delà de 10) à partir des données métagénomiques. Par ailleurs, il serait illusoire de se limiter à la fraction vivante de l’écosystème
en s’affranchissant de la description des paramètres physico-chimiques de l’environnement
(métadonnées), notamment lors de l’exploitation croisée de données publiques. Enfin, en
dépit d’un vrai savoir-faire développé dans nos UMR (la métagénomique microbienne ou le
metabarcode environnemental) l’accès à la «biosphère rare » (expression définissant les
espèces avec un très faible nombre de représentants) ainsi qu’aux espèces récalcitrantes
(difficiles à lyser) reste un verrou majeur pour la caractérisation et la compréhension du
fonctionnement des écosystèmes.
25
prospectives d’avignon
Analyse des données
Pour certains domaines, les flux d’acquisition de
données deviennent extrêmement rapides et/
ou volumineux (par exemple en métagénomique
environnementale, Encadré 4), ce qui pose deux
types de problèmes : (i) la gestion de ce flux et
le stockage des données qui en résulte évoqués
précédemment (ii) l’inadaptation des analyses
et les outils de traitement statistiques et mathématiques classiques pour traiter des flux d’une
telle ampleur. Des techniques d’analyse toujours plus sophistiquées sont en constant développement; nous donnons ici deux exemples de
domaines dans lesquelles les défis d’analyse
ouvrent de nouveaux chantiers pour la bioinformatique et les statistiques.
Génomique évolutive et environnementale : Les
révolutions technologiques des années 20052012 (pyroséquençage, 454, Illumina, Pacific
Bioscience, ion torrent) et celles à venir (nanopore) ont augmenté de plusieurs ordres de grandeur le taux de production de données, impactant
potentiellement tous les domaines d’étude de la
biodiversité moléculaire – sa description (code
barre ADN, metagénomique, phylogénie moléculaire) comme sa compréhension (génomique
évolutive, génétique/génomique des populations,
écologie moléculaire, écologie des communautés). Ces données haut-débit sont typiquement
fragmentées et bruitées et sont aussi par définition non-ciblées. Leur analyse implique donc la
mise en œuvre de modèles et d’algorithmes nouveaux. Par exemple, différents problèmes statistiques dans les études de transcriptomique liés
à l’estimation du taux de faux positifs ou à la surdispersion des gènes différentiellement exprimés
peut radicalement changer les résultats et donc
l’interprétation des données. Une synergie entre
biologistes, bioinformaticiens et statisticiens
reste la clé de voute de la robustesse et fiabilité de l’exploitation des données et une activité
intense de développements méthodologiques de
logiciels est à prévoir dans les années à venir.
Ecologie/Biogéographie : Les questions posées
en biogéographie conduisent également à l’analyse de bases de données massives et dont la
structure est de plus en plus complexe en raison
de l’utilisation simultanée des données de nature
très différente (données génétiques, phylogénie,
carte environnementale, distribution d’abondance, graphes d’interactions, etc.). Les enjeux
sont là également sur les méthodes utilisées (besoin de nouvelles méthodes adaptées à la nature
de ces données originales) mais aussi sur les
moyens de stockage et de calcul (implémentation
d’outils capables de gérer de gros volumes de
données, parallélisation, utilisation de grilles de
calcul, etc.). Un challenge particulier concerne le
domaine de l’ « open data » (appelé aussi « crowdsourcing ») : l’outil Internet conduit à la génération
de données spontanées souvent inexploitées. Il
s’agit alors de modéliser de manière intégrée à la
fois la distribution de ce qui est mesuré et la distribution de l’effort d’observation. Un autre champ
ouvert et celui de l’analyse des interactions au
sens large (réseau trophique, compétition inter
et intra spécifique, etc) aux échelles biogéographiques et la prise en compte de covariables
explicatives (traits, phylogénie, etc.) qui pourrait
s’appuyer sur les récents développements de la
bioinformatique (e.g. Carey et al. 2005).
Partage des données
Il existe de nombreuses limites techniques et
un frein socio-culturel, à la mise en commun et à
l’utilisation des données en écologie, que ce soit
dans les opérations de collecte et traitement
de données ou dans les activités de synthèse
(Reichman et al. 2011). La difficulté principale
résulte notamment du manque d’échanges
entre les acteurs travaillant à chaque niveau
d’organisation (Encadré 2, Figure 4). Ceci est
vrai autant en termes de concepts que d’outils
26
que de « culture » scientifique.
Limitations techniques : les données issues
des travaux en écologie sont extrêmement dispersées, notamment car elles sont souvent
organisées en petits jeux de données collectées
pour répondre à des questions ciblées et très
diverses. Ceci implique en particulier des difficultés relatives à la traçabilité des données et
à l’assurance qualité, de la collecte (précision,
répétabilité, inférence) à la publication. Cette
dispersion a également pour conséquence une
hétérogénéité syntaxique et sémantique des
données qui rend difficile leur homogénéisation
en vue d’un traitement efficace et pertinent. Par
exemple, les communautés qui organisent la collecte de données, celles qui modélisent la biodiversité et celles qui proposent des indicateurs
pour le débat public utilisent des métriques différentes, qui s’avèrent parfois incompatibles.
Limitations socio-culturelles : Il y a aujourd’hui
un manque de reconnaissance institutionnel
pour la collecte des données. Il n’existe également que peu d’incitation au partage, dont
l’intérêt n’est pas toujours évident aux yeux
des acteurs de la collecte. En effet ceux qui
consacrent une grande partie de leur temps
à la collecte des données ont parfois le sentiment, justifié ou non, qu’ils ne contrôlent pas
assez l’utilisation de ces données. Il faut aussi
constater le déficit chronique de financements
et de temps dévolus à la mise en forme et au
stockage des données. Il y a ici un travail important de pédagogie et d’incitation à faire en
direction de ceux qui produisent les données
(il faut que producteurs de données pensent
à leur offrir une seconde vie), de ceux qui produisent les outils d’analyse, des utilisateurs,
mais aussi (et surtout) à destination des financeurs pour que le partage soit au cœur de la
collecte de l’information en écologie.
Limitations structurelles : Il existe souvent un
décalage important entre les pas de temps pertinents à prendre en compte pour comprendre
le fonctionnement de nombreux systèmes écologiques (de l’ordre du siècle pour certains) et
ceux du financement des projets de recherche
(3 à 5 ans au mieux). Surtout, l’effort d’observation est pour l’instant très développé en dehors
d’un pilotage ou d’un accès à la recherche en
écologie : base de données naturalistes, études
d’impact, suivis divers de sites protégés (natura2000, etc.), suivis réglementaires (directive
cadre sur l’eau, épidémio-surveillance en milieu
agricole, et bien d’autre). La masse de données
est extraordinaire, mais très peu organisée ce
qui est au mieux une perte d’opportunités pour
la recherche, au pire, des coûts financiers importants faute de mutualisation. Cette situation
est largement due à la compartimentation de
l’action publique entre différents acteurs.
5. De la génomique des populations à l’adaptation
La génomique des populations utilise le support de l’information génétique (ADN, ARN) mais aussi le produit des gènes
(protéines, métabolites) pour étudier les relations et l’évolution des organismes entre eux et avec leur environnement.
Les NTS (i.e. transcriptomique, protéomique, et métabolomique) marquent une révolution puisqu’elles permettent d’aborder la variation génétique à l’échelle du génome et ouvrent la voie à l’obtention de ressources génétiques chez des
espèces non modèles (Gayral et al. 2011; Grover et al. 2012) lesquelles font pourtant référence pour des questions liées
notamment à la problématique de l’adaptation (Stapley et al. 2010). Via une approche gènes-candidats, elles permettent
de déterminer les bases génétiques de l’adaptation et ainsi de comprendre le lien entre phénotype et génotype. Les
approches NTS permettent de pointer de nouveaux gènes associés à l’adaptation (lectures sans homologies dans les
bases de données), dont il conviendra de définir la fonction en développant des approches pluridisciplinaires, y compris
celles couplées au criblage fonctionnel de banques métagénomiques. Les études de génomique des populations et de
génomique évolutive présentent un potentiel prédictif important dans le domaine environnemental et la gestion de la
biodiversité animale, végétale et microbienne à l’échelle de la planète ; par exemple, la génomique des populations des
microorganismes pathogènes et de leurs vecteurs permet d’aborder des questions multiples sur leur propagation, sur
les phénomènes d’émergence sur l’adaptation à l’hôte et sur le passage de la barrière d’espèce ou l’impact du réchauffement climatique. La génomique des populations a également renouvelé notre compréhension de l’histoire évolutive de
notre espèce, avec par exemple comme objectif la recherche de gènes associés à la prédisposition à certaines maladies.
Les principales limites actuelles aux études de génomique des populations viennent de la diversité et de l’hétérogénéité des traitements d’échantillons et d’exploitation bioinformatique, sans compter la masse sensu stricto de données
dorénavant disponibles. Il est pour cela essentiel de renforcer la multidisciplinarité entre biologistes, bioinformaticiens
et statisticiens et d’appuyer les recherches sur les prédictions théoriques. Le rôle de la sélection au niveau génomique
et de la dynamique de la différenciation des populations pâtit également des méthodes de détection des traces de
sélection positive et des traitements des corrélations entre variations génomiques et environnementales. Il est pour
cela important de rapprocher les questionnements et sources de données entre diversités génétique et fonctionnelle
afin d’identifier les caractères pertinents et d’en déduire leur rôle biologique notamment au niveau de la régulation des
fonctions liées à l’adaptation.
31
27
prospectives d’avignon
Synthèse scientifique
Le développement de l’écologie prédictive nécessite de pouvoir rassembler ces données hétérogènes par nature en un ensemble cohérent qui
puisse être analysé de façon robuste et répétable. Cette démarche constitue ce qu’on appelle
la « synthèse scientifique », qui peut se définir
comme la combinaison et l’intégration de différentes recherches afin d’améliorer la généralité et
l’applicabilité des résultats de la recherche (Hampton & Parker 2011). Le développement de ce type
d’activités a par exemple été fortement stimulé
par la mise en place récente de centres dédiés
à la synthèse : le premier de ce type, le NCEAS
(National Center for Ecogical Analaysis and Synthesis), a été créé aux Etats-Unis en 1995, et le premier centre en Europe, le CESAB – CEntre de Syn-
thèse et d’Analyse sur la Biodiversité - a été créé
en France par la FRB en 2010. L’objectif de ces
centres est de fournir les conditions et le financement permettant à des groupes de chercheurs
1) de combiner et valoriser les données issues
d’observations et expérimentations obtenues sur
des systèmes différents et dans des contextes
variés et/ou 2) de conduire une réflexion poussée
autour de nouveaux concepts ou théories. Ces
centres sont rapidement devenus des acteurs
majeurs de la recherche en écologie et les garants
d’une certaine continuité et coordination de la
mise en forme à l’analyse des données sur le
long terme. Leur rôle devra être renforcé à l’avenir
et élargi à tous les domaines de l’écologie (de la
génétique au fonctionnement des écosystèmes).
Recommandations
L’écoinformatique pourra s’appuyer sur les acquis
de la bioinformatique, tout en prenant en compte
les spécificités des données écologiques, afin
d’améliorer le référencement, la mise à disposition, la gestion, le stockage et le croisement de
ces différentes sources d’information.
Liens avec la théorie : établir des liens plus
forts avec la théorie a été identifié comme une
nécessité afin notamment de développer un
cadre conceptuel novateur permettant de traiter les questions de changements d’échelle,
de spatialisation et de niveaux d’organisation,
et d’améliorer la pertinence de la collecte des
données, dans une démarche d’aller et retour
entre théorie et données (cohabitation entre une
écologie « theory-driven » et « data-driven »).
Intégration et transversalité : adopter des sites et
écosystèmes pilotes pour aider à l’intégration des
données aux différentes échelles d’organisation
en Ecologie (Figures 4 et 5). Favoriser le dialogue
entre disciplines non seulement entre sciences de
la nature et sciences humaines et sociales, mais
aussi au sein des disciplines des sciences de la
nature (par exemple écologie/évolution/biodiversité), ou encore entre sciences de la nature, mathématiques et sciences de l’information.
28
Collecte, mise en forme, stockage et partage :
valoriser la collecte et la mise en forme des données. Une meilleure prise en compte des activités de collectes et d’archivages peut passer,
par exemple, par une utilisation plus systématique des possibilités de publication de jeux de
données dans des revues existantes (exemple
des « data papers » dans la revue Ecology), ou
aussi par la création d’une revue électronique
internationale dédiée à la publication de jeux de
données (ce qui est différent d’un dépôt dans
des « archives », où il n’y a pas de contrôle
par un comité éditorial). Il semble nécessaire
aussi d’encourager le développement de standards pour le codage de l’information qui transcendent les disciplines, afin d’améliorer la qualité et le stockage des données en vue de leur
réutilisation. Enfin il faudra poursuivre l’effort
financier (tant en équipement qu’en ressources
humaines) pour développer les outils de stockage et de pérennisation des données.
Analyse : favoriser des axes de travail de la communauté en écologie statistique pour le développement de nouveaux outils en concertation avec
les chercheurs qui produisent des données. Valoriser ce travail de mise au point méthodologique
semble maintenant une priorité.
RENFORCER LES DéMARCHES
THéORIQUES
avignon
Prospective
Une théorie en science est une interprétation générale qui peut être utilisée pour générer de nouvelles explications. Cette démarche fondamentale est bien sûr valable autant en écologie qu’ailleurs, mais la science écologique est une science jeune (Encadré 1) et elle a été confrontée à des
questions difficiles, tant en matière d’observation du vivant qu’en matière d’interprétation de ces
observations (Encadrés 2, Figures 4 et 5). La mathématisation de notre discipline est encore en
progression (Encadré 6) et une théorie intégrative de l’écologie qui inclut les dimensions physiologique, évolutive, spatiale et fonctionnelle afin de faire des prédictions informées n’est pas encore
disponible. Cette recherche de synthèse représente le plus grand enjeu de notre discipline.
6. Mathématisation de l’Ecologie (exemples récents)
Les avancées récentes sur le plan des outils mathématiques formels ainsi que la possibilité d’avoir accès à
des outils de calcul extrêmement puissants ont permis
de faire émerger des approches extrêmement novatrices et prometteuses en écologie.
En ce qui concerne la dynamique des populations, la compréhension du fonctionnement d’une population passe notamment par l’étude des variations de ses effectifs et des
modifications de sa structure au cours du temps et dans
l’espace. Traditionnellement, cela suppose l’évaluation
d’effectifs via des comptages au niveau populationnel et
des paramètres démographiques (Lebreton et al. 1992)
via des suivis individuels qui viendront nourrir des modèles
de dynamique des populations (Caswell 2001). Bien que
cette démarche soit très utilisée, elle souffre de plusieurs
limitations comme la non-exhaustivité des comptages,
la sensibilité aux erreurs de mesure et aux valeurs manquantes, le besoin d’une grande quantité de données et
une gestion ad-hoc des incertitudes. Grâce au transfert
d’approches mathématiques issues des sciences de l’ingénieur (filtre de Kalman, http://fr.wikipedia.org/wiki/
Filtre_de_Kalman), initialement utilisées pour le guidage
des avions et fusées, il a été possible pour des statisticiens de développer la modélisation intégrée des populations (Besbeas et al. 2002) qui permet de combiner les
différentes sources d’information limitées, dispersées et
hétérogènes sur la dynamique des populations avec des
applications par exemple en écologie évolutive (Peron
et al. 2010). Les hypothèses nécessaires à l’application
de cette approche ont ensuite été rendues moins drastiques grâce au recours à des algorithmes issus de la phy-
sique (méthode de Monte Carlo par chaînes de Markov,
MCMC) permettant ainsi des applications en biologie de
la conservation (Schaub et al. 2007; Brooks et al. 2008).
De même, la génétique des populations repose sur un corpus théorique qui permet de prédire grâce aux outils informatiques actuels l’impact des processus démographiques
et adaptatifs sur la variation génétique, notamment via la
théorie de la coalescence (Kingman 1982a). Ces prédictions peuvent être confrontées aux données moléculaires
et cela permet ainsi d’inférer des évènements de l’histoire
passée des populations par des techniques d’ABC (Beaumont et al. 2002; Beaumont 2010) ou de MCMC par
exemple (Wilson et al. 2003). Ceci a permis par exemple
de déterminer des éléments de l’histoire des populations
de différentes espèces (e.g. Fontaine et al. 2012).
En écologie des communautés, il y a longtemps eu une
dichotomie entre l’étude de modèles dynamiques de
communautés composées de quelques espèces (Holt
1997) et l’étude statique de communautés complexes
composées de nombreuses espèces (Pimm 1982). Plus
récemment, les progrès en programmation et puissance
de calcul des ordinateurs ont permis de calquer des
équations dynamiques sur des réseaux de structure et
richesse spécifique réalistes, permettant ainsi de simuler
et d’étudier la dynamique de communautés complexes
(Brose et al. 2005). Ces études ont permis d’étudier si et
comment des comportements observés dans de petites
communautés pouvaient être extrapolés à de plus larges
communautés et ont permis d’identifier des propriétés
émergentes de communautés complexes.
29
prospectives d’avignon
Qualité de la théorie
Les théories, si elles sont correctes, peuvent servir à faire des prédictions. Par exemple, le principe d’exclusion compétitive qui prédit que deux
espèces qui occupent la même niche ne peuvent
coexister de façon indéfinie (Gause 1934) a eu
un impact fort sur la théorie et la pratique de
l’écologie. De même, des principes fondamentaux en dynamique des populations ont permis
de faire des prédictions sur la propagation des
maladies et développer des méthodes de vaccination efficaces. Si les résultats (par exemple,
l’efficacité du plan de vaccination) sont ce qui
concerne directement les décideurs, la qualité de
la prédiction dépend de manière cruciale de la
qualité de la théorie. Nous donnons ci-dessous
trois exemples possibles de théories transdisciplinaires, souvent héritées de la physique, qui
nous permettent de mieux comprendre le fonctionnement les systèmes écologiques.
Le premier exemple est offert par la théorie
neutre de la biodiversité (Hubbell 2001), qui découle directement de la théorie neutre de l’évolution moléculaire et du formalisme mathématique
qui lui est associé (Kingman 1982b; Kimura
1983 ; Wakeley 2008). Cette approche neutraliste a conduit à une révolution conceptuelle en
écologie des communautés. De plus, le champ
d’application de cette théorie peut s’étendre audelà de l’interprétation des diversités génétique
et spécifique. En effet, on peut penser qu’elle
pourrait servir de cadre interprétatif pour la diversité génomique (en particulier la dynamique des
éléments transposables dans le génome, e.g.
Biemont & Vieira 2006), mais aussi en économie (par exemple pour étudier la dynamique de
croissance des firmes). Récemment, O’Dwyer et
Green (2010) ont démontré que certains résultats de la théorie neutre pouvaient être déduits
de la physique statistique des champs, ouvrant
la possibilité d’établir un lien plus direct entre
théorie neutre et méthodes d’inférence par maximisation de l’entropie.
Un deuxième exemple est inspiré de la théorie
des réseaux dont le développement s’est considérablement accéléré depuis les années 90 dans
des domaines aussi variés que l’informatique, la
physique ou les sciences sociales. En écologie,
cette théorie, initialement utilisée pour l’étude de
réseaux trophiques est maintenant utilisée pour
caractériser des réseaux constitués par d’autres
types d’interactions entre espèces (pollinisation,
dispersion de graines, hôtes-parasites, etc.) voire
même de plusieurs types d’interactions simulta30
nément (Kéfi et al. 2012). Ces études bénéficient
largement des outils et concepts développés en
physique et en sciences sociales (Newman 2012).
Des connexions conceptuelles importantes sont
aussi possibles avec les réseaux métaboliques.
En effet, les réseaux métaboliques complets, tels
que ceux connus maintenant pour certaines bactéries (Parter et al. 2007), permettent de mieux
reconstruire le concept de niche écologique sur
une base génomique, mais permettent aussi de
comprendre le lien entre habitat des espèces et
architecture génomique (et en particulier la modularité du réseau métabolique).
Un troisième exemple concerne la théorie des
catastrophes développée en mathématiques
dans les années 70 (Thom 1975), qui s’est
montrée extrêmement utile pour mieux comprendre les systèmes complexes que sont les
communautés écologiques, en particulier pour
comprendre leurs dynamiques non linéaires
et leurs possibles « points de basculement »
(Scheffer et al. 2001). Les travaux en écologie
de cette dernière décennie ont conduit à l’identification de signes avant-coureurs de l’approche
d’un point de basculement (Scheffer et al. 2009).
Ces signes avant-coureurs, dont les premières
preuves expérimentales ont été publiées très récemment pourraient s’avérer utiles dans d’autres
domaines tels que la climatologie ou l’économie
financière (Sugihara et al. 2012).
Ces théories sont incontournables parce qu’elles
résument des points génériques et pertinents
pour comprendre le vivant qui, à terme, peuvent
être utilisées à des fins de prédiction. Mais force
est aussi de constater que les « surprises » (i.e.
un changement significatif de l’une des variables
descriptives d’un système qui résulte d’un processus inattendu et inconnu) sont aussi fréquentes
en écologie (Encadré 7). Ces surprises mettent
en lumière des cas où notre connaissance d’un
système est insuffisante pour que nous puissions expliquer sa dynamique ou sa réponse à
des perturbations. Ces surprises illustrent le fait
que le modèle utilisé ignore une caractéristique
ou un processus important du système. Elles permettent ainsi d’identifier les maillons manquants
des théories actuelles. L’identification de ces
maillons manquants est essentielle pour augmenter notre capacité prédictive et repose sur
des approches fondamentales qui ne sont pas
directement motivées par les applications, mais
par la recherche de relations profondes entre
concepts. Ce dernier point consiste à identifier
des comportements qui se produisent au-delà
le leur cadre d’application original, en particulier
dans différents champs disciplinaires. L’identification des clés de ces surprises ne peut reposer
que sur une recherche fondamentale forte, en
lien avec l’expérimentation et les données, mais
pas forcément directement connectée à des demandes sociétales.
7. Les surprises en Ecologie
Les surprises, ou résultats inattendus voire contre-intuitifs, sont fréquents en écologie des communautés et des écosystèmes (Doak et al. 2008). Pourquoi ces surprises ? Un exemple classique de surprise est l’occurrence de transitions catastrophiques dans les écosystèmes (Scheffer et al. 2001). En restauration, une fois un écosystème dégradé, une stratégie classique est d’essayer de restaurer les conditions abiotiques d’avant la dégradation (e.g. faible pression de pâturage)
et d’attendre que la communauté retourne à son état initial (i.e. retour de la végétation présente avant la dégradation). Il
y a cependant de nombreux exemples où cette stratégie ne conduit pas à la restauration de l’écosystème (Suding et al.
2004). Dans les champs de milieux semi-arides, il est fréquent que le surpâturage conduise à une forte diminution du couvert végétal et à la disparition de centaines de plantes et que la végétation d’origine du système ne reviennent pas, même
après des années d’exclusion des herbivores (Suding et al. 2004). Ces surprises peuvent généralement être expliquées
par le manque d’un maillon essentiel dans notre modèle (mathématique ou verbal) du système concerné. Dans le cas
des écosystèmes qui ne se régénèrent pas suite à une dégradation, rétablir les conditions abiotiques du milieu seulement
suppose qu’une fois les conditions abiotiques rétablies, les processus de succession vont conduire au rétablissement
du compartiment biotique. Cependant, ce raisonnement consiste à ignorer que les conditions abiotiques du milieu ont
elles aussi changé et qu’il peut exister des boucles de rétroactions entre les conditions biotiques et abiotiques. Dans
l’exemple des champs de milieux semi-arides, la perte du couvert végétal conduit à la production d’une croute superficielle du sol qui diminue le taux d’infiltration de l’eau dans le sol, augmente l’érosion et les pertes d’eau par ruissellement.
L’identification de ces maillons manquants est un moteur important de l’écologie (et de la science en général). Dans cet
exemple, le maillon manquant était un processus essentiel au fonctionnement du système, une boucle de rétroaction
positive entre composants du système. En écologie de la restauration, l’identification de ces phénomènes s’est largement inspiré de théories initialement développées en mathématiques qui expliquent les cas dans lesquels les trajectoires
de dégradation et de restauration d’un système peuvent différer : la théorie des transitions catastrophiques (Thom 1975).
Les modèles développés dans ce cadre ont permis de mettre en évidence des processus généraux qui contribuent à la
résilience des écosystèmes (Holling 1973; May 1977). Ils ont aussi fourni un cadre théorique qui a permis de développer
des outils de prédiction des transitions catastrophiques (Scheffer et al. 2009) ainsi que des stratégies de restauration
des écosystèmes dégradés (Suding et al. 2004). Ceci n’est qu’un exemple de surprise parmi de nombreux autres.
D’autres exemples impliquent l’omission d’une interaction dans un système (e.g. l’existence de liens de facilitation entre
espèces par ailleurs liées par des liens de consommation peut changer la dynamique attendue, Berlow 1999), ou encore
les difficultés d’extrapolation de dynamique d’un système simple à un système complexe (Brose et al. 2005).
Qualité de la prédiction
L’écologie prédictive a choisi deux voies parallèles (Encadré 3). La première a consisté en la recherche de processus généraux permettant d’expliquer des phénomènes (souvent complexes) et
d’en déduire des prédictions (modélisation mécaniste). La seconde procède par corrélations pour
construire des scénarios simples, comme ceux
de la réponse des espèces aux changements
climatiques (modélisation phénoménologique).
Pourtant très souvent en écologie, les problèmes
sont si complexes et impliquent tant de proces-
sus différents, que seuls quelques-uns des processus sont considérés à un instant donné. Cela
n’empêche pas de faire des prédictions, mais
ces prédictions seront nécessairement moins
fiables. En 1924, Raymond Pearl prédisait, en utilisant la courbe logistique, que la population des
Etats Unis d’Amérique serait de 197 millions en
2000 (en réalité elle a été de 285 millions). Les
raisons pour lesquelles cette prédiction ne s’est
pas réalisée tiennent au fait que les flux migratoires et la transition démographique n’avaient
31
prospectives d’avignon
pas été prévus, deux processus très complexes
et en partie imprévisibles. Puisqu’une partie des
trajectoires temporelles des phénomènes écologiques dépendent d’événements aléatoires,
les théories en écologie sont souvent de nature
probabiliste, et on ne peut espérer que déduire
la probabilité d’un état futur, pas sa valeur. Heureusement, un grand nombre d’outils issus de la
théorie des probabilités sont maintenant disponibles dans la boîte à outils du modélisateur en
écologie et en biologie évolutive.
Un exemple est celui du coalescent en génétique
des populations (Kingman 1982a), récemment
étendu à l’écologie des communautés, qui permet de formuler des hypothèses nulles reproduisant le polymorphisme neutre dans une population (ou un ensemble de populations). Un enjeu
majeur en génétique évolutive est d’inférer quels
scénarios passés sont les plus vraisemblables
pour expliquer une configuration de diversité
génétique actuelle, qu’elle soit spatialement explicite ou non. La puissance de la méthode du
coalescent est de permettre de comparer un
ensemble de modèles, plutôt que de rechercher
un scénario correct unique. Elle permet aussi
de comparer les modèles en faisant une utilisation optimale des données disponibles. Le coalescent est à la fois une interprétation théorique
(simplifiée) d’un phénomène, puisqu’il modélise
les relations généalogiques entre individus d’une
même espèce, et un outil statistique permettant
d’inférer la vraisemblance relative de scénarios.
Un autre exemple est la projection d’aires de distribution des espèces dans des environnements
changeants. Ces approches essentiellement
phénoménologiques consistent généralement
à estimer la probabilité qu’une espèce persiste
étant données des conditions climatiques. De
cette fonction on peut déduire l’aire potentielle
sous les conditions actuelles (projection géographique de la niche réalisée actuelle) et aussi la
zone géographique représentant les conditions
climatiques favorables dans le futur via l’utilisation de scénarios climatiques. Cette information
peut ensuite être validée si l’approche permet de
donner une prédiction cohérente de l’état actuel
(e.g. Thuiller et al. 2009) ou en utilisant les données anciennes ou les suivis temporels pour
tester si l’approche permet de projeter correctement un état passé (e.g. Araujo et al. 2005). Ces
scénarios sur la distribution future des espèces
ne sont pas considérés comme mécanistes car
ils ne reposent pas forcément sur une information détaillée de la réponse physiologique de ces
espèces aux changements climatiques (mais voir
Morin et al. 2007), ni sur la réponse adaptative
des populations (Lavergne et al. 2010; Kremer et
al. 2012) et n’intègrent pas les interactions biotiques (voir par exemple Boulangeat et al. 2012).
Il n’existe pas de discontinuité entre les approches phénoménologique et mécanistes, mais
elles diffèrent dans la quantité et la qualité des
connaissances des mécanismes écologiques
et évolutifs impliqués (Encadré 3). Même les
modèles les plus détaillés, reposant sur une
excellente connaissance de la physiologie des
espèces et de leur potentiel adaptatif, font des
simplifications. Comme souvent, la marche de
la science est telle qu’une avancée conceptuelle
à un temps donné est remise en cause comme
trop simpliste plus tard. Ainsi, par exemple, les
modèles phénoménologiques de distribution
d’espèces internalisent peu à peu des connaissances sur le potentiel adaptatif et sur l’environnement biotique et commencent à se rapprocher
de modèles mécanistes dans lesquels on pourra
avoir une plus grande confiance en matière de
prédiction (Thuiller et al. in review).
Recommandations
Des avancées majeures en matière de connaissance fondamentale ont déjà pu être observées dans
les champs disciplinaires de l’INEE, grâce à la mathématisation de nos disciplines (Encadré 6) tant en
génétique et dynamique des populations qu’en écologie des communautés et en génomique environnementale. Ces avancées ont reposé sur des compétences théoriques et mathématiques importantes,
qui doivent continuer d’être encouragées. Ce type d’approche est le meilleur moyen de décloisonner
les disciplines en s’appuyant sur la mission pour l’interdisciplinarité du CNRS. Cela inclut naturellement de continuer à combler le fossé entre écologie et biologie évolutive, mais aussi explorer les collaborations possibles avec les SHS (économie, anthropologie, sociologie, géographie, etc), les sciences
biomédicales et la génomique fonctionnelle. La poursuite d’une réflexion théorique sur des thèmes de
recherche fondamentaux doit rester prioritaire car elle est la condition d’une meilleure maturation de
notre discipline à l’échelle internationale et il est évident que le CNRS, et tout particulièrement l’INEE,
a un rôle clef à jouer dans les années à venir.
32
PROJECTION, PRéDICTION
ET SCéNARISATION
avignon
Prospective
Prédire la réponse d’une espèce, d’un ensemble d’espèces en interactions, d’un écosystème ou de
services écosystémiques à des modifications du milieu demande à l’Écologie, en tant que discipline,
de mettre en cohérence les connaissances, les théories et les patrons observés dans des modèles
dits « prédictifs ». Les modèles dont il est question ici sont des modèles « prédictifs » au sens de
« prévisionnels », c’est-à-dire qui se donnent comme but d’anticiper le futur. L’élaboration ou l’utilisation de modèles prévisionnels prolonge parfois très naturellement l’élaboration de modèles visant à la
prédiction en tant qu’outil de compréhension théorique, mais il n’est pas toujours ainsi. Par définition
ces modèles sont des simplifications d’un état et demandent donc une forte abstraction des processus (Encadré 3). Mais prévoir ne saurait se limiter à l’élaboration de prédictions. En effet, prévoir doit
aussi conduire à des activités de conception de stratégies d’adaptation et/ou de réponses aux changements : stratégies d’aménagement du territoire, de gestion ou de protection de l’environnement, de
translocations qui soient les mieux à même de résister et de s’adapter aux changements futurs et à
la dynamique incertaine des écosystèmes. En ce sens, le défi est double : améliorer les prévisions
que l’on peut réaliser, pouvoir les comparer et les évaluer, mais aussi concevoir des stratégies pour
répondre au mieux à un futur nécessairement flou.
État de l’art
L’écologie lato sensu a déjà montré qu’elle pouvait avoir une capacité à prédire la trajectoire
d’entités, de la population à la communauté,
et d’écosystèmes dans une trame spatiale et
temporelle.
Génétique évolutive : Depuis les travaux de
Wright, Fisher et Kimura (Fisher 1930; Wright
1930; Kimura 1983), la génétique des populations repose sur un corpus méthodologique
solide qui permet de prédire l’impact des processus démographiques et adaptatifs sur la
variation génétique. Ces prédictions peuvent être
confrontées aux données moléculaires pour inférer des effets sélectifs ou démographiques ayant
affecté les populations (Balding et al. 2007 ;
Lawton-Rauh 2008). Cette capacité s’est trouvée
renforcée récemment par des méthodes d’analyse statistique de type MCMC (Kuhner 2009)
ou ABC (Csillery et al. 2010), qui permettent de
choisir entre différents scénarios historiques, et
d’inférer des paramètres démographiques (taux
de migration, de croissance, etc.) et adaptatifs
(type de sélection et coefficients de sélection des
différents gènes ou phénotypes). La génétique
quantitative offre aussi un puissant corpus théorique pour comprendre le processus évolutif que
ce soit sur des organismes d’intérêt direct pour
l’homme (par ex., espèces domestiquées) ou en
populations naturelles (Lynch & Walsh 1997).
Elle permet de produire des prédictions au terme
de quelques générations. Cependant, le passage
à la prédiction d’une trajectoire évolutive future
reste un exercice complexe, en particulier en présence de contraintes environnementales.
Démographie, Dynamique des populations :
Si la dynamique des populations s’est d’abord
concentrée sur les patrons observés dans
les variations d’effectifs des populations, elle
intègre maintenant les mécanismes démographiques pilotant ces variations dans l’espoir de
mieux prédire l’impact des forçages environnementaux et des pressions anthropiques s’exer33
prospective de l’institut ecologie et environnement du cnrs
prospectives d’avignon
çant sur ces populations (Coulson et al. 2001;
Lebreton 2005). Depuis peu, on assiste également à une incorporation de la dimension évolutive dans les modèles de dynamique des populations avec pour objectif la compréhension des
interactions entre la démographie et l’évolution
des traits d’histoire de vie (Arpat et al. 2009 ;
Coulson et al. 2010). En liaison avec l’idée de
replacer l’individu au centre de la modélisation
en dynamique des populations, l’importance de
prendre en compte l’hétérogénéité individuelle
(variation inter-individus dans les paramètres
démographiques par exemple) fait son chemin
avec des ramifications en écologie des communautés pour expliquer la coexistence des
espèces (Miller & Rudolf 2011).
Distribution des espèces : Intrinsèquement,
les espèces, qu’elles soient animales ou végétales ont des contraintes physiologiques et
comportementales souvent liées aux conditions
abiotiques du milieu. Ces contraintes ont des
origines évolutives qui ont été façonnées par
l’histoire biogéographique et des processus
d’adaptation, de spéciation et d’extinction /
colonisation. La modélisation de la distribution
des espèces est certainement un des aspects
où l’écologie a montré une forte ambition prévisionnelle (Guisan & Thuiller 2005). Une suite de
modèles statistiques est utilisée pour déterminer les paramètres bioclimatiques (degrés-jours
de croissance, température minimale), pédologiques (silice-calcaire) et d’utilisation des terres
qui permettent à l’espèce de pouvoir maintenir
des populations viables (Figure 6A). Ces modèles, essentiellement phénoménologiques (Encadré 3), ont montré des capacités prédictives
intéressantes et les récents développements
permettent maintenant de prendre en compte
la dispersion des espèces et commencent à
intégrer certains élément d’interactions biotiques (Thuiller et al. in review). Ce type d’approche a aussi été beaucoup utilisé pour étudier la réponse possible de la biodiversité aux
changements climatiques (Araújo et al. 2011).
La richesse des espèces mais aussi le devenir
d’autres facettes de la biodiversité comme la
diversité phylogénétique ont pu ainsi être prospectés (Figure 6, Thuiller et al. 2011). Les développements actuels des modèles dits hybrides
permettront de fournir dans un futur proche des
scénarios plus informatifs qui devraient pouvoir
prendre en compte davantage de processus fondamentaux (Thuiller et al. in review).
Figure 6 : Modèles de distribution et devenir de la biodiversité
A) Exemple de la prédiction des habitats favorables d’une espèce. Ici le cas du Mélèze
(Larix decidua) dans les Alpes Françaises (Thuiller et al. 2009). B) Exemple de prédiction du devenir de la diversité phylogénétique pour les mammifères et les oiseaux en
Europe face aux changement climatique (Thuiller et al. 2011).
A
34
B
Birds - Current PD
Birds - Future PD
Mammals - Current PD
Mammals - Future PD
B
1970-1979
1980-1989
1990-1999
2000-2008
A
Figure 7 : Prévoir en épidémiologie
A) Modélisation environnementale de la niche d’Aedes albopictus, le
moustique tigre d’origine asiatique, vecteur des virus de la dengue et
du Chikungunya. Le modèle de 2007 prédisait un environnement favorable à son établissement en Europe du sud (Benedict et al. 2007). Le
moustique a été signalé en 2009 à Nice et il est maintenant installé à
Montpellier. Des cas autochtones de dengue et de Chikungunya ont été
observés dans les années suivantes. B) Cartographie des anomalies du
R0 permettant de prédire des zones de risques d’épidémies de maladies
infectieuses, avec ici avec le cas de la maladie de la langue bleue dont le
vecteur est un moustique Culicoides (Guis et al. 2012). La modélisation
avait montré le risque épidémique pour la Hollande en 2006, alors que la
maladie semblait circonscrite au pourtour méditerranéen.
Fonctionnement des écosystèmes : On distingue grossièrement deux types de modèles
de fonctionnement des écosystèmes, selon
l’échelle spatiale considérée et le niveau de
complexité des processus pris en compte.
Par exemple en écologie végétale, d’un côté,
on trouve les modèles globaux de végétation
(Smith et al. 2001). Ils se situent à une large
échelle géographique (continentale, globale),
sont relativement simplifiés au niveau des
processus pris en compte, et considèrent un
nombre limité de types de végétation, en utilisant généralement des types fonctionnels
de plantes. D’un autre côté, on trouve les
modèles développés principalement à une
échelle locale (Cramer et al. 2001), prenant
en compte un grand nombre de mécanismes
et parvenant généralement à une bonne précision des processus étudiés (ex. : respiration et fixation du carbone). Ces modèles sont
souvent très spécifiques et ainsi difficilement
généralisables, ainsi qu’impossibles à mettre
en œuvre pour de grandes surfaces. D’autres
modèles cherchent, comme c’est le cas en milieu marin, à modéliser des échelles spatiales
plus grandes au détriment des processus physiologique (Sumaila et al. 2011).
Services écosystémiques : Les travaux sur
la prédiction et la cartographie des biens et
services associés à la biodiversité sont ainsi
devenus un enjeu important en écologie (MEA
2005; Diaz et al. 2007; Lavorel et al. 2011).
On peut citer les biens alimentaires fournis
par la pêche, la chasse ou l’agriculture, les
services associés au recyclage des nutriments
comme le maintien de la fertilité ou la qualité
des eaux, les rendements des cultures ou la
production de bois estimés par la productivité
des écosystèmes, le stockage du carbone ou
l’accueil de biodiversité au sein de paysages
hétérogènes. Par exemple, la description des
liens entre les propriétés morpho-physico-chimiques des plantes et certaines fonctions des
écosystèmes (Garnier et al. 2004) a permis
de développer des approches prédictives de
services via la distribution de traits fonctionnels des plantes (Lavorel et al. 2011). Ces
approches se focalisent sur la compatibilité
des dynamiques en jeu avec des contraintes
représentant la bonne santé et la sécurité des
systèmes. Ces contraintes sont souvent écologiques comme les seuils d’extinction inspirés de l’analyse de viabilité des populations.
La prise en compte de contraintes socio-économiques (sécurité alimentaire, profitabilité
des exploitations, ...) est désormais mise en
avant et participe de démarches multi-critère.
Toutefois, certains services, tels les services
culturels, restent difficiles à appréhender et à
35
prospectives d’avignon
quantifier (nécessitant un dialogue et une intégration plus poussée avec les SHS).
Epidémiologie : L’épidémiologie s’appuie pour
la prédiction sur des méthodes statistiques et
la modélisation (Anderson & May 1991; Diekmann & Heesterbeek 2000), et plus récemment sur des méthodes moléculaires (Morand
et al. 2012). Une avancée remarquable dans
la prédiction a consisté à intégrer la modélisation épidémiologique dans des cartographies.
Il est ainsi maintenant possible de réaliser
des prédictions en fonction des paramètres
environnementaux actuels et futurs prédits par les modèles climatiques et donc de
prévoir les localités à risques à un moment
donné (Figure 7). L’intégration de la diversité
biologique ou des structures paysagères et de
leurs dynamiques avec ces modèles épidémiologiques reste à construire (ce qui nécessite
en parallèle de développer des recherches
dans les mécanismes écologiques de la
transmission) ainsi que la prise en compte de
l’évolution (en d’autres termes, des mutations
et donc du processus évolutif) de la souche
durant l’épidémie.
Limitations
Complexité : Les modèles prédictifs sont souvent limités à un niveau d’organisation et intègrent peu d’information sur les autres niveaux.
Par exemple, on considère souvent les phénomènes démographiques et adaptatifs séparément, alors qu’ils agissent de manière simultanée sur des génomes constitués de plusieurs
milliards de nucléotides (Nielsen 2005). A l’autre
extrémité, les modèles de distribution d’espèces
ou de fonctionnement des écosystèmes n’intègrent pas suffisamment d’information sur les
dynamiques démographiques et évolutives de
populations dans un cadre spatio-temporel ainsi
que sur la nature des interactions biotiques entre
espèces (Thuiller et al. in review). Les modèles
de distribution d’espèces restent souvent purement phénoménologiques, peu sont mécanistes
(Encadré 3). L’adaptation locale et la plasticité
phénotypique sont très souvent ignorées (mais
voir Kearney et al. 2009; Kramer et al. 2010).
Malgré les efforts consentis en biologie évolutive
et en épidémiologie, les pouvoirs prédictifs de
ces modèles restent encore sujets à débat. En
particulier, le rôle de la mutation et l’apparition
de nouveaux variants (souches en épidémiologie)
sont encore difficiles à modéliser. Par exemple
les réponses évolutives des agents pathogènes
(virulence, spécificité) ou des vecteurs/réservoirs
(résistance) ne sont pas prises en compte. Enfin, les prédictions des biens et services liés à
la biodiversité sont encore peu connectées aux
modèles dynamiques de biodiversité (Civantos et
al. 2012).
Validations et incertitudes : La vision classique de la validation repose sur le principe
qu’un jeu de prédictions devrait être comparé
à un jeu indépendant de données d’observations. Ceci n’est pas ou peu réalisé en raison
de la difficulté d’obtenir des jeux de données
indépendants, car les dynamiques spatio-temporelles ou évolutives sont difficiles à observer.
De plus, pour l’instant, la plupart des études et
rapports présentant des résultats de modèles
prédictifs ne rapportent pas (ou peu) les incertitudes liées aux analyses (ex. : incertitude liée
à l’estimation des paramètres ou à la sélection
des modèles).
Recommandations
La principale limitation concerne une meilleure
intégration des différentes disciplines thématiques en écologie. Pour cela, quelques défis
majeurs doivent être relevés dont nous donnons ici quelques exemples :
Vers une approche intégrée de la prédiction
de la biodiversité. Les récents développe36
ments en modélisation de distributions d’espèces proposes les bases pour des approches
hybrides combinant des modèles phénoménologiques (souvent liés à la physiologie) et
mécanistes pour permettre la prise en compte
de la dispersion et des interactions biotiques.
Comment intégrer ces modèles déjà complexe
sans voir une avalanche de paramètres à esti-
mer ? La réduction de la complexité est devenu
un défi majeur dans la modélisation de la biodiversité si on projette de modéliser les boucles
de rétroactions entre processus (ex : dispersion et interactions biotiques).
Réduire l’incertitude. Comment élargir le
cadre des prédictions purement quantitatives à
des situations où les données sont semi-quantitatives ou qualitatives, ce qui est par exemple
parfois le cas en SHS? Comment concevoir des
stratégies d’aménagement et de gestion fondées sur des prédictions incertaines ? Les stratégies de gestion doivent-elles être conçues à
un instant donné ou plutôt comme un itinéraire
de gestion (ex : gestion adaptative) ?
Penser autrement la biodiversité. Comment
traiter un grand nombre d’espèces dans des
modèles prédictifs ? Il faudra utiliser les
concepts issus de l’écologie des communautés, de la théorie des réseaux, de la théorie
métabolique et de l’écologie fonctionnelle pour
définir des unités de modélisation plus réalistes (par exemple groupes fonctionnels) pour
lesquelles les relations trophiques et d’interactions seront plus faciles à conceptualiser et
donc à prédire.
Inclure la dynamique évolutive. Comment
prédire les potentiels et trajectoires évolutifs
des espèces ? Cela suppose de prendre en
compte, au-delà du cadre habituel (par ex.,
architecture génétique, dérive et sélection, systèmes de reproduction) de façon formelle les
nouvelles mutations, la variabilité cachée, les
interactions entre espèces au sein d’une communauté ou une chaîne trophique et les effets
épigénétiques. La trame conceptuelle utilisée
devra permettre de se projeter à un horizon dépassant les quelques générations (offert par la
génétique quantitative) et incorporer des effets
environnementaux. Elle devra être calibrable
via, par exemple, des expérimentations chez
des microorganismes. Ici encore l’intégration
de modèles prédictifs issues de la démographie, de la génétique, de l’évolution et de l’écologie des communautés est à encourager (voir
par exemple l’encadré 8).
centraliser les données spatio-temporelles,
les données paléo-écologiques et collecter des
données supplémentaires.
Etablir des relations quantitatives entre biodiversité, fonctionnement des écosystèmes.
Quantifier des fonctions supports des services
des écosystèmes. Affiner la mise en œuvre
des méthodes d’évaluation économique en
lien avec les sciences humaines en ce qui
concerne la mise en évidence des valeurs
non économiques, ou les aspects éthiques de
l’évaluation des services écosystémiques.
Intégrer l’écologie avec les SHS. Réconcilier
la production de nourriture, d’énergie, de fibre
avec la protection de la biodiversité est un des
défis les plus importants du siècle en particulier en présence du changement climatique.
La bio-économie (Clark 1976) ou l’économie
écologique (Doyen et al. 2012) s’inscrivent
dans cette perspective. L’objectif est d’éclairer
le pilotage des systèmes en jeu en analysant
et élaborant des stratégies de décision, des
politiques publiques et des scénarios pour la
biodiversité ainsi que pour les biens et services qu’elle rend. Il conviendra de mettre en
oeuvre une démarche de modélisation intégrée
entre l’écologie, les sciences humaines et les
sciences physiques pour traiter de l’interface
et des interactions entre des modèles dynamiques de la nature et des modèles d’activité
humaine. Dans cette perspective, le développement d’approches fondées sur l’idée de faisabilité, d’acceptabilité ou de sécurité comme
la viabilité ou la co-viabilité constitue un défi
important pour aborder la durabilité bio-économique (Pereau et al. 2012).
Développer des modèles de dynamique spatiotemporelle réalistes qui permettent de prendre
en compte à la fois la réponse des espèces
aux environnements abiotiques et biotiques.
Ici il faudra fournir un effort particulier pour
37
prospectives d’avignon
8. Prévision aux frontières de l’Ecologie et de l’Evolution
Les changements environnementaux induisent des pressions de sélection sur de multiples
traits des organismes. L’existence de corrélations génétiques entre traits peut freiner leur
réponse, et réduire leur capacité d’adaptation. Un des enjeux de l’écologie prédictive sera
d’intégrer la réponse évolutive des espèces aux changements environnementaux dans le
formalisme utilisé dans les modèles de distribution (Lavergne et al. 2010). Pour déterminer
dans quelle mesure, et dans quelles conditions, l’architecture génétique des traits adaptatifs limite la réponse aux changements environnementaux, Duputié et al. (2012) ont
développé un modèle simple, dans lequel une espèce unique est soumise au déplacement
continu d’un gradient environnemental. La valeur sélective des individus augmente avec
l’adéquation de plusieurs traits aux conditions environnementales locales. A l’équilibre, si
l’espèce persiste, elle suit le déplacement du gradient avec un retard spatial, et une maladaptation croissante sur le bord de fuite. La persistance de l’espèce est favorisée lorsque
son taux de dispersion est intermédiaire (des taux de dispersion trop élevés rompant les
patrons d’adaptation locale), et lorsque le déplacement de l’optimum phénotypique se
produit dans une direction sous faible sélection stabilisante et dans laquelle la variance
génétique n’est pas limitante. Les auteurs ont construit des expressions analytiques de la
largeur de l’aire et de la vitesse maximale de changement que l’espèce peut supporter, en
fonction des amplitudes et directions des pressions de sélection et de la variance génétique disponible. Pour l’heure, peu d’espèces sont suffisamment connues pour que l’on
puisse estimer tous ces paramètres, mais ce travail offre des pistes prometteuses pour une
intégration des réponses évolutive et démographique des espèces dans les modèles de
distribution. Reste à y ajouter les limitations possibles de l’adaptation, par exemple dues à
de faibles effectifs ou à des interactions avec d’autres espèces.
38
avignon
Prospective
conclusion
Un des objectifs de l’écologie est de prédire la réponse d’une espèce, d’un ensemble d’espèces en
interactions, d’un écosystème ou de services écosystémiques à des modifications du milieu. Cet
objectif qui reste, et doit rester fondamental, prend aujourd’hui une ampleur considérable en raison de
la forte demande sociétale concernant la prédiction des conséquences des actions humaines sur les
écosystèmes et, en retour, l’impact des perturbations environnementales sur les services liés aux écosystèmes et sur la santé humaine. En plus de recommandations concrètes (Encadré 9) notre travail
de prospective a souligné l’importance de soutenir les approches fondamentales pour renforcer les
approches prédictives en écologie scientifique.
Comprendre pour agir
La construction rigoureuse de scénarios nécessite un effort majeur dans le domaine de la
modélisation et de la prédiction. Cela passe
par la construction de méthodes quantitatives
et de modèles intégrés faisant sens non seulement des points de vue écologique et évolutif
mais aussi vis-à-vis des facteurs de forçages
externes (ex : climat, utilisation des terres, pollution, production) et des utilisations potentielles
(ex : socio-économie). Ces modèles intégrés requièrent la communication entre les disciplines
de l’écologie, de l’évolution, des mathématiques
et statistiques, des géosciences et des SHS et
jouent donc un rôle de média scientifique. Dans
ce contexte, les modèles mathématiques et
numériques doivent être de préférence dynamiques dans le temps et dans l’espace pour
tenir compte des processus complexes et adaptatifs qui sous-tendent la dynamique des systèmes écologique. La calibration des modèles
doit s’appuyer sur des bases de données et
des systèmes d’information pérennes et à large
échelle spatiale et mobiliser les mathématiques
appliquées via la statistique. Les indicateurs
utilisés pour l’évaluation des scénarios doivent
avoir de préférence une forte légitimité scientifique et institutionnelle.
Pour être utile pour les décideurs et pour la mise
en œuvre de politiques environnementales et
d’actions d’aménagement, les projections écologiques doivent aussi pouvoir quantifier l’incertitude associée de manière transparente. En effet,
1) l’information contenue dans les scénarios de
biodiversité ou les projections est inversement
proportionnelle à leurs incertitudes et 2) une
sous-estimation de l’incertitude peut générer des
prédictions fausses qui entacheront la confiance
que l’on peut avoir en l’écologie de devenir opérationnelle (Clark et al. 2001). Une recherche et
une communication accrues sur les incertitudes
et les biais qui accompagnent l’écologie prédictive, mais aussi sur les objectifs de son développement et de son utilisation, sont donc devenues
essentielles.
39
prospectives d’avignon
Agir pour comprendre
Le titre de la prospective INEE « Comprendre pour
Agir » suggère que l’objectif de l’écologie en tant
que science devrait être d’aller vers une écologie plus « opérationnelle », donc plus appliquée
et dont les objectifs sont fixés par les demandes
sociétales. Mais est-ce bien ainsi que l’écologie
deviendra plus prédictive ? Certaines prédictions
en science ne s’accompagnent pas du tout de la
possibilité de « faire » quoi que ce soit dans la
sphère « opérationnelle ». La mission de l’écologie
scientifique est-elle de fournir des outils directement applicables pour enrayer la crise de la biodiversité ou, plus généralement, de mieux connaître
les systèmes vivants et leur fonctionnement ?
Une approche classique de prédiction consiste à
calquer ce que l’on connaît du passé pour prédire
les comportements futurs. Ces approches sont
importantes et nous apportent des informations
précieuses. Elles reposent pourtant sur l’idée simplificatrice de l’absence de propriétés émergentes,
nouvelles dans un contexte nouveau. Etre capable
de prédire ces propriétés émergentes est un défi
majeur d’une écologie qui se veut « prédictive ».
Ceci ne peut être fait par une science trop dirigiste ; bien au contraire, il faut laisser aussi toute
sa place à la créativité. Justement, cette liberté de
pensée et de thématique de recherche est une des
caractéristiques originales et un des fondements
même du CNRS, qui se différencie ainsi d’autres
institutions de recherche plus appliquées, qui font
une recherche tout aussi pertinente mais avec des
objectifs et dans un contexte différents.
Un des grands défis de l’écologie actuelle consiste
à passer de l’étape de la prédiction-comme-explication, de nature souvent qualitative, à celle de la
prédiction-comme-anticipation, de nature quantitative. Mais il faut constamment garder à l’esprit
que la seconde étape reposera toujours sur la
première et que l’élaboration d’un socle solide de
connaissances théoriques fondamentales reste et
restera l’élément décisif de la capacité de l’écologie à être « prédictive ».
9. Exemples d’actions à soutenir pour renforcer l’écologie prédictive
Nous donnons ici quelques exemples d’actions concrètes qui ont été discutées durant
les prospectives d’Avignon dans nos ateliers ; cette liste n’est bien sur pas exhaustive.
Nous avons distingué des « actions transversales » liées au développement de l’écologie prédictive et des « actions spécifiques » aux quatre ateliers abordés à Avignon.
Actions transversales
Coordination
Renforcer les liens avec les structures telles que la FRB, IPBES, FAO et autres officines locales, nationales ou internationales chargées de proposer des scénarios aux institutionnels et politiques.
Elaborer un vocabulaire commun entre écologie, biologie, SHS, climatologie etc., pour les diverses dimensions de la prévision scientifique, afin de minimiser malentendus et équivoques.
Une meilleure concertation et mise en réseau de la communauté française sur le thème de l’écologie prédictive. Trop de
recherches sont encore développées de manière indépendantes alors qu’une meilleure organisation au niveau national
serait profitable (ex : via la FRB par exemple). La France a le potentiel pour devenir un acteur majeur sur ce thème. L’émergence d’énormes structures d’excellence en biodiversité en Allemagne va renforcer la compétition au niveau Européen. La
France à le devoir de se structurer à son tour sur ces thématiques.
Interdisciplinarité
Maintenir et renforcer des sections de recrutement interdisciplinaires susceptibles de faire émerger des projets de recherches originaux, capables de travailler explicitement à l’interface entre la composante explicative et appliquée de
l’écologie scientifique.
Organiser des écoles thématiques interdisciplinaires; mise en place de cursus universitaires interdisciplinaires.
Promouvoir les recherches croisées sur des objets et/ou d’étude communs. Renforcer liens avec SU (par ex. OSU).
Renforcer les collaborations entre écologues et mathématiciens/statisticiens mais aussi avec la géophysique, la bio-économie et les SHS.
Dépasser les logiques institutionnelles et donner des moyens réels aux structures de mutualisation (Allenvi, FRB…).
Déontologie
Susciter un débat sur le thème de la déontologie et l’éthique en science écologique avec pour finalité la publication de
recommandations/orientations de bonnes pratiques.
Concertation avec des milieux scientifiques (e.g. GIEC) qui ont une longue expérience de la communication des prévisions.
Organiser des groupes de réflexion sur les rapports entre prédiction scientifique, expertise et champs judiciaire et politique.
Synthèse
40
Créer des lieux (et renforcer des lieux existants) favorisant l’échanges entre disciplines autour de grandes questions de
l’écologie (groupes de travail tels que NCEAS / CESAB, colloques ouverts, écoles thématiques, …).
Actions spécifiques
Epistémologie de la prédiction
Formation
Ouverture de postes spécifiques à l’épistémologie dans les grands laboratoires d’écologie en France.
Formations/ateliers sur l’épistémologie de l’écologie.
Faciliter l’interface écologie SHS.
Des données à l’information
Formation
Organiser des écoles thématiques sur la gestion des données et l’information en écologie. Introduire des cours spécifique
dans les cursus universitaires.
Pertinence
Cibler les questions en s’appuyant sur un cadre conceptuel solide ; définir les métriques pertinentes en collaboration avec
les théoriciens.
Promouvoir les recherches croisées sur des objets et/ou d’étude communs.
Renforcer liens avec les sciences de l’univers.
Interopérabilité
Etablir des standards pour le codage des données.
Développer l’interface disciplinaire écologie/ sciences de l’information (écoinformatique) : création d’un cursus et recrutement de scientifiques à cette interface.
Mise en place de réseaux transversaux permettant la mutualisation des moyens et l’homogénéisation des métadonnées
entre disciplines.
Partage
Etablir des règles de protection de la propriété intellectuelle adaptées au partage des données.
Favoriser et soutenir la création de bases de données ouvertes, curées et révisées sur le long terme.
Création d’une revue électronique internationale pour la mise en ligne des jeux de données.
Valorisation de la mise en forme et du partage des données dans le recrutement des chercheurs et dans les évolutions
de carrières.
Stockage
Renforcer et augmenter les capacités de stockage, la puissance de calculs et les réseaux d’échanges.
Développer une infrastructure pour le stockage des données en écologie.
Analyse
Renforcer la synergie entre biologistes, bioinformaticiens et statisticiens.
Ouverture de postes d’ingénieurs en écoinformatique.
Développement de grilles de calcul mises à la disposition des chercheurs de l’INEE.
Renforcer les démarches théoriques
Fondamentaux
Créations/renforcement de postes/appels d’offres qui n’exigent pas d’applications sociétales directes.
Mathématisation
Développer les formations universitaires pluridisciplinaires mathématiques / écologie, physique / écologie, informatique
/ écologie.
Création de poste à l’interface mathématique écologie. Renforcer la venue de mathématiciens/statisticiens dans les
laboratoires d’écologie et d’évolution.
Favoriser les échanges entre théoriciens de l’écologie, expérimentalistes et empiristes.
Lancer des appels à projets fondamentaux liants mathématiques et écologie.
Surprises
Favoriser les recherches permettant les émergences, les seuls à pouvoir scénariser les surprises, les situations nonanalogues.
Projection, prédictions et scénarisation
Spatialisation
Renforcer la pérennisation de poste technique lié aux traitements de données spatialisées tels que la télédétection, outils
SIG, bases de données spatialisées (certains laboratoires d’écologie en France n’ont pas de SIGiste permanents).
Validation
Encourager la valorisation des suivis temporels, pas seulement de distribution mais aussi de traits d’histoire de vie, les
données passées et les plateformes de simulation.
Pérennisation de la récolte des données à long terme.
Favoriser les projets de validations des modèles prévisionnels.
41
références
• Anderson R.M. & May R.M. (1991). Infectious diseases
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Evolution
Ecologie
introduction
avignon
Prospective
Jean-Christophe Auffray, Christophe Douady, Sylvie Dufour
Les dynamiques écologique et évolutive sont deux perceptions d’un vaste ensemble de
processus, vues à deux échelles de temps différentes. Cette deuxième partie des prospectives de l’INEE regroupe les contributions d’ateliers dont l’objectif partagé est de décrypter
ces processus, notamment ceux qui participent à la production de diversité biologique, à la
dynamique de la biodiversité ainsi qu’au fonctionnement des écosystèmes.
L’atelier « Génomique » cherche à tirer le meilleur profit de l’accès à l’information génétique aux différentes échelles structurales et fonctionnelles afin d’envisager un large
champ de questions allant des mécanismes moléculaires de l’évolution au fonctionnement des écosystèmes. Cet apport de la génomique et les nombreuses avancées méthodologiques dans les domaines du vivant et de la bioinformatique permettent, en outre, de
revisiter des questions classiques de biologie évolutive, avec un nouveau cadre conceptuel et une vision plus intégrative. C’est le cas du déterminisme du sexe, de son évolution
et de son maintien dans le monde vivant abordés dans l’atelier « sexe et Evolution »,
ou de l’interaction complexe entre la dynamique du développement et les dynamiques
évolutive et écologique dans l’atelier « éco-évo-dévo-paléo ». De la même façon, notre
compréhension de la diversité du vivant et de son histoire complexe, objet de l’atelier
« Systématique et Phylogénie », devrait également bénéficier fortement de ces avancées
méthodologiques et conceptuelles.
Ce renouvellement des concepts nous conduit vers une échelle plus globale d’appréhension des mécanismes de l’évolution. Ainsi, l’atelier « hérédité génétique et non génétique » engage la réflexion sur l’importance de la prise en compte de la transmission
non génétique de l’information et de son rôle en évolution. Sur cette question, on pourra
également se référer à l’atelier « évolution biologique et culturelle humaine » dans la
troisième partie de ces prospectives.
Emboitant le pas à l’écologie, les sciences de l’évolution se voient également investies de nouveaux champs d’application, au premier rang desquels la médecine. L’atelier
« écologie, évolution, santé et biodiversité » montre combien les concepts de l’écologie
et de l’évolution ont à apporter à la santé humaine, animale et végétale, tant pour la
prévention que pour la thérapie.
La compréhension de l’impact des changements globaux sur les mécanismes écologiques
et évolutifs, et de leurs conséquences sur la biodiversité et sur les services écosystémiques, requièrent le développement de nouvelles approches pluridisciplinaires et intégratives dans de multiples domaines de l’écologie. Cette démarche se trouve au cœur de
l’atelier « Interactions et rétroactions » qui insiste sur l’approche systémique du rôle des
interactions et rétroactions dans le fonctionnement et dans l’évolution des écosystèmes.
47
prospective de l’institut ecologie et environnement du cnrs
De son côté, l’atelier « priorités en recherche en écophysiologie animale » s’intéresse plus
spécifiquement aux capacités de réponses des animaux aux changements de leur environnement, et à la prise en compte du rôle de la plasticité phénotypique dans les processus
évolutifs. Pour l’impact des changements globaux, on pourra aussi se référer à la première
partie de cette prospective « Ecologie prédictive et changement planétaire » ainsi qu’à plusieurs ateliers dans les troisième et quatrième parties.
La recherche en écologie et évolution dans les laboratoires du CNRS, qu’elle porte sur
l’origine et la dynamique de la biodiversité ou sur le fonctionnement des écosystèmes,
est aujourd’hui à une étape clef de son histoire : elle voit son rôle social considérablement amplifié par la mise en place, par les Nations Unies, de l’IPBES1 et par la mobilisation de son expertise pour répondre à la sollicitation des politiques. Dans ce contexte,
l’ambition forte de l’INEE est de soutenir le niveau d’excellence des recherches fondamentales en sciences de l’évolution et de l’écologie, tout en stimulant leur engagement
dans des voies plus expérimentales, prédictives et appliquées.
48
1 - Plate-forme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques
INTERACTIONS ET RéTROACTIONS, RôLE
DE LEUR éCOLOGIE ET éVOLUTION DANS
LE FONCTIONNEMENT DES éCOSYSTèMES
avignon
Prospective
Coordinateurs : Jacques Roy, Didier Bouchon, Dov Corenblit, Thierry Dutoit, François Lallier, Nathalie Niquil,
Fabrice Vavre
Contributeurs : Anne-Geneviève Bagnères, Virginie Baldy, Pascale Bauda, Françoise Binet, Xavier Bodin, Gudrun
Bornette, Jérôme Casas, Sylvain Charlat, Thierry Gauquelin, Sylvain Lamare, Florent Maraux, Cloé Mulier, Jean-Luc
Peiry, Hervé Piegay, Claire Prigent-Combaret, Pierre Ribstein
Une approche systémique du rôle des interactions et des rétroactions dans le fonctionnement et dans la dynamique des écosystèmes et la mise en regard des connaissances et
pratiques afférentes à des écosystèmes contrastés (terrestre vs marin vs sous-ensembles
spécifiques) peut faire émerger de nouveaux questionnements, méthodes, concepts et
synthèses. En tentant une telle approche, cet atelier s’est positionné dans les champs de
l’écologie fonctionnelle et de l’écologie évolutive où la biodiversité est une composante
majeure, mais pas le seul enjeu. Beaucoup d’enjeux sociétaux, et le devenir même de la
biodiversité, sont liés à des fonctions émergentes des écosystèmes telles que les cycles
biogéochimiques ou les contraintes stœchiométriques dont il faut comprendre les mécanismes intrinsèques et ce qui les contrôle. Cependant, la prise en compte croissante des
capacités évolutives des espèces et des interactions biotiques dans la dynamique de ces
écosystèmes et dans les boucles de rétroactions qu’elles peuvent générer complètent
notre compréhension et offrent de nouveaux leviers de gestion.
L’analyse des besoins de connaissance concernant les mécanismes de mise en place
et de régulation du fonctionnement des écosystèmes constitue le cœur de cet atelier.
Qu’elles soient d’origine abiotique, biotique, ou à l’interface entre ces deux compartiments, les régulations des processus émanent d’interactions et de rétroactions fortes
qu’il faut formaliser.
Les thèmes abordés dans cet atelier sont par essence transversaux. Ils balaient les
demandes en connaissances tels que l’on peut les percevoir à partir de la demande sociale (les interactions et rétroactions dans les écosystèmes régulent un certain nombre
de services écosystémiques), à partir de l’état des lieux de la recherche fondamentale
actuelle ou à partir des besoins des domaines d’application (Figure 1).
Figure 1 : Les interactions et rétroactions, biotiques et abiotiques, sont au
cœur du fonctionnement des écosystèmes. Leur connaissance approfondie permettra de mieux comprendre,
prédire et gérer les services fournis
par les écosystèmes.
Services
écosystémiques
Prédire
Comprendre
Connaissances
fondamentales
Ingénierie écologique
Agir
Inter-rétro-actions
Cœur fct écosystèmes
Connaissances
fondamentales
49
prospective de l’institut ecologie et environnement du cnrs
prospectives d’avignon
Loin d’être exhaustif dans le traitement de ces
interactions et rétroactions, qui ont fait pour partie l’objet de sections des documents « Prospectives en Ecologie Fonctionnelle » et « Prospectives en Ecologie Chimiques » publiés en 2012
ou d’autres ateliers de ce volume, nous avons
tenté de présenter ce qui nous semble être
porteur d’innovation dans l’étude des fonctions
émergentes des écosystèmes, des réseaux d’interactions et des interactions durables. Nous
avons surtout tenté de présenter une vision intégrée de ces trois domaines (figure 2) et nous
proposons, spéculativement, que les concepts
d’individu et d’écosystème se télescopent (l’individu écosystème et l’écosystème individu) et
s’inter-enrichissent.
Forçages
environnementaux
Réseaux d’interactions
Dynamique des communautés
Services écosystémiques
Fonctions émergentes
Cycles biogéochimiques etc …
Interactions durables
L’individu-écosystème
Figure 2 : Chaque domaine de recherche (Interactions durables,
Réseaux d’interactions, Fonctions émergentes) doit être capable de
mieux prédire et maintenir la fourniture des services écosystémiques
en fonction des forçages environnementaux, mais la prise en compte
explicite des interactions entre ces domaines reste un défi pour la
recherche dans les années à venir.
Des enjeux sociétaux aux questions fondamentales
concernant le fonctionnement des écosystèmes
Les services écosystémiques sont de plus en
plus cités en tant que concept écologique, souvent associés au rôle de la biodiversité. Indépendamment de l’opportunité de mettre en avant
ces services pour justifier le maintien de la biodiversité (cf. atelier Services écosystèmiques,
représentation de la nature et de l’environnement), la reconnaissance de leur importance
pour le fonctionnement des sociétés humaines
va grandissante (Millennium Ecosystem Assessment, 2005 ; Daily et al., 2009 ; Carpenter et al.,
2009). Ils sont ainsi amenés à prendre une place
prépondérante dans la gestion des territoires
et des écosystèmes (Daily and Matson, 2008,
Goldstein et al., 2012), notamment au travers
50
de l’ingénierie écologique et leurs conséquences
jusque dans les sphères économiques et politiques vont s’amplifiant (Fisher et al., 2008).
L’ingénierie écologique sera amenée à jouer un
rôle majeur dans nos sociétés. Elle peut être
définie comme l’ensemble des connaissances
scientifiques et des pratiques fondées sur les
mécanismes écologiques et utilisables pour la
gestion adaptative des ressources, la conception, la réalisation et le suivi d’aménagements
ou d’équipements. Les objectifs de l’ingénierie
écologique peuvent se décliner en trois axes
principaux : 1) la réhabilitation/restauration
d’écosystèmes dégradés, de communautés,
de paysages, l’éradication d’espèces invasives
ou au contraire la réintroduction d’espèces 2),
la création de nouveaux écosystèmes durables
qui ont une valeur pour l’homme et pour la biosphère et 3), la mise au point d’outils écologiques
pour résoudre ou prévenir des problèmes de pollution, maintenir, rétablir ou maximiser un service
écosystémique.
La majorité de ces services écosystémiques,
que ce soit les services de soutien (cycle des nutriments, production primaire…), de production
(nourriture, biocombustibles…) ou de régulation
(séquestration du carbone, décomposition des
rejets, purification de l’eau et de l’air, contrôle
des ravageurs…) sont le résultat direct des interactions et rétroactions entre des processus
abiotiques et biotiques intimement associés. La
mise en perspective planétaire de ces services/
processus écologiques majeurs et de leurs interactions dans le contexte d’un développement
durable des activités humaines (Rockström et
al., 2009) est une étape importante dans leur
prise en compte scientifique et politique.
Cependant, en général, le lien direct entre un
service et les mécanismes fonctionnels de l’écosystème qui en assure l’apport n’est que très
rarement explicité et l’on peut se demander s’il
n’est pas souvent perçu que comme une boîte
noire. Par exemple les 100 questions en écologie pertinentes pour les décideurs au Royaume
Uni (Sutherland et al., 2006), n’abordent que très
peu la dynamique des processus et l’importance
des interactions/rétroactions. Le maintien de la
biodiversité et de son rôle dans l’écosystème a
une place importante dans ces questions, mais
les mécanismes en jeu ne sont pas mentionnés. A quel niveau d’information (d’éducation)
concernant ces mécanismes devrait-on amener
les différents acteurs associés aux politiques
scientifiques, voire certains de nos collègues
scientifiques, pour progresser rapidement dans
les défis actuels ? Un effort de communication
sur les processus écologiques en jeu est sans
aucun doute nécessaire.
L’effort de recherche pour comprendre et
maintenir la fourniture de ces services est
immense (Carpenter et al., 2009). L’investissement nécessaire a été comparé à celui
de la médecine, la défense ou l’exploration
spatiale (Kremen and Ostfeld, 2005), mais le
plan d’action n’a pas été suffisamment explicité. L’étude du rôle de la biodiversité dans
le fonctionnement des écosystèmes a été la
voie d’approche principale ces 20 dernières
années. D’autres approches complémentaires, plus « services-centrées », pourraient
être développées (Kremen, 2005). Elles ne
seront cependant pertinentes que si elles incorporent les principales interactions/rétroactions à l’œuvre dans les écosystèmes. Les
sections ci-dessous vont tracer quelques-unes
des pistes de recherche possibles.
Régulations et interactions entre fonctions
de l’écosystème
Les différentes fonctions d’un écosystème
(photosynthèse, respiration, décomposition
de la matière organique, évapotranspiration…)
sont couplées car les cycles des éléments
chimiques (une trentaine) impliqués dans ces
fonctions sont contraints par 1) la stœchiométrie (la quantité relative des éléments dans la
matière vivante) (exemple Sistla & Schimel
2012), 2) les réactions d’oxydo-réduction et
3) la chélation (liaison ion métallique – matière
organique) (Schlesinger et al. 2011 ; Sista &
Schimel 2012). Les changements environnementaux apportent des modifications dans
la disponibilité des éléments qui sont loin de
suivre la stœchiométrie du vivant, d’où des
modifications importantes du fonctionnement
des écosystèmes au travers de rétroactions
qui impliquent le fonctionnement de l’ensemble des organismes (plantes, microorganismes…). L’analyse couplée des différents
cycles biogéochimiques est nécessaire à la
fois pour identifier les relations causales dans
le fonctionnement des écosystèmes, mais
aussi pour trouver des solutions à des dysfonctionnements.
Les cycles du carbone, de l’azote, et du phosphore sont primordiaux pour la vie sur terre et
l’étude de leur couplage a largement commencé
(Finzi et al. 2011a), ce couplage ayant d’importants impacts sur les questions environnemen51
prospectives d’avignon
tales actuelles comme le stockage du carbone
(exemples Drake et al. 2011 ; Esser et al. 2011).
Le couplage avec d’autres éléments a été beaucoup moins abordé malgré des impacts possibles
sur les mêmes problématiques (par exemple
Song et al. 2012 pour le couplage C et Si).
Les points à développer en priorité sont (Finzi et
al. 2011b) :
- coupler les cycles des éléments majeurs avec
ceux des éléments présents en moindre quantité mais qui peuvent contrôler fortement les
fonctions ;
- inclure dans ces couplages les éléments polluants ou toxiques ;
- étudier ces couplages dans des comparaisons
inter-milieux mais aussi dans les zones de transition entre écosystèmes ou milieux ;
- intégrer les résultats expérimentaux aux modèles régionaux et globaux ;
- définir quel est, pour un contexte donné, le meilleur principe pour modéliser le couplage entre
cycles (Rastetter 2011).
Une hiérarchisation des cycles (fonctions) suivant le type de milieu pourrait orienter le type de
couplage à réaliser, et de nouvelles approches
peuvent venir des méthodes et concepts utilisés dans l’étude des réseaux trophiques. Des
analyses associant le couplage des fonctions
et le changement d’échelle, la résilience des
systèmes devraient être tentées. L’impact de
ce couplage sur la structure et l’évolution des
communautés est un champ de recherche très
intéressant à développer, tout comme la réciproque, l’analyse de l’impact des ajustements
évolutifs sur ce couplage (Figure 3).
Elargir type de couplages
Elargir paramètres de forçage
Cycles biogéochimiques
Détoxification
Changements climatiques
Milieux pollués, Milieux extrêmes
Comparaisons inter-milieux
Description et formalisation du
Couplage entre fonctions
Figure 3 : Les interactions entre fonctions de
l’écosystème en définissent fortement les
propriétés et sa réponse aux changements
environnementaux. Une analyse plus large
du couplage entre cycles doit être menée,
dans différents types de milieux et sous
les principaux paramètres de forçage des
écosystèmes. De nouvelles méthodes et
analyses, notamment venant de communautés scientifiques proches, peuvent apporter
des résultats prometteurs.
Nouvelles approches
Méthodes et concepts réseaux trophiques
Analyse résilience, chgt échelles / couplage
Hiérachisation des fct /milieu (typologie)
L’écosystème a été identifié comme le niveau
d’organisation du vivant le plus pertinent et
fonctionnel pour des applications vers l’ingénierie écologique. Cependant de nombreuses
recherches fondamentales sur les écosystèmes sont encore nécessaires dans les domaines de leur auto-organisation, des forçages
externes auxquels ils sont soumis ainsi que
de leur résistance et résilience qui définissent
notamment leur stabilité. Ces recherches ne
peuvent s’affranchir des cadres spatiaux (habitats, dynamiques des taches, relations aire/
espèce, population, communauté, dynamique
paysagère, connectivité spatiale, hétérogénéité, etc.) et temporels (rétroactions temporelles,
52
etc.) ou encore d’éventuels effets secondaires
du pilotage programmé des écosystèmes (invasion biologique, etc.) et des couplages entre
fonctions qui vont en résulter.
Réseaux d’interactions complexes
La structure et le fonctionnement des écosystèmes découlent à la fois des interactions biotiques non-trophiques (par ex. compétition, facilitation, parasitisme, mutualisme), trophiques et
physicochimiques. La prise en compte conceptuelle et pratique de ces dynamiques de rétroactions biotiques-abiotiques au sein des écosystèmes apparaît aujourd’hui fondamentale. Elle
fait d’ailleurs l’objet d’une littérature abondante
structurée autour des notions de facilitation,
d’espèces ingénieurs, de construction de niche,
de phénotype étendu, ou encore de dynamique
éco-évolutive.
Dans le volume « Prospectives Ecologie Fonctionnelle» (CNRS-INEE, 2012), l’écologie trophique
est définie comme le domaine qui « cherche
à caractériser [..] les interactions complexes
qui s’établissent entre les différentes composantes d’un écosystème en fonction de facteurs
internes (physiologiques) mais aussi externes
(cycles saisonniers, changement climatique,
anthropisation,…) ». Par cette définition, est
gommée la frontière qui séparerait l’étude des
interactions trophiques de celle de l’ensemble
des autres interactions, et l’objet central se
situe au-delà du réseau trophique, devenant le
réseau d’interactions complexes. Un focus de
ces études est, par exemple, la question du
lien entre propriétés d’organisation des réseaux
d’interactions et propriétés relatives à leur stabilité (résistance, résilience). Or l’étude de ce
lien est aussi bien appliquée aux réseaux trophiques (Neutel et al. 2002, Link et al. 2005,
Rooney et al. 2006) qu’aux réseaux mutualistes
(Bascompte et al. 2003). Ce lien entre structure
des réseaux d’interactions et leur dynamique
est au cœur du questionnement qui se développe actuellement. Le verrou méthodologique
à lever est alors celui de l’étude mathématique
des propriétés de systèmes dynamiques basés
sur de nombreuses variables d’état, seul moyen
d’appréhender la diversité fonctionnelle à une
échelle satisfaisante. Un enjeu d’avenir est
aussi le décloisonnement des études portées
sur des réseaux d’interactions de différentes
natures. Aujourd’hui, les échanges conceptuels
commencent à percoler entre les communautés
scientifiques étudiant les réseaux trophiques et
mutualistes (Thébault et Fontaine 2010). Une
voie d’avenir de ce domaine reste l’association
des deux dans un réseau unique ou plus généralement de différents types d’interactions (Fontaine et al. 2011).
Les avancées conceptuelles de l’écologie trophique, comme plus généralement de l’ensemble des études de réseaux d’interactions,
reposent sur une étroite association entre expérimentation, observation et modélisation. Le volet expérimental reste cependant à développer,
en particulier dans l’idée de tester les théories
sur ces influences des patrons d’organisation
sur les propriétés de stabilité des réseaux trophiques. Si de telles avancées ont pu se faire
grâce au développement de mésocosmes, la
construction des écotrons est une opportunité
majeure de renforcement de la place de l’expérimentation dans ce triptyque et notamment de
son lien avec l’écologie théorique. Mais le développement de structures expérimentales à plus
grande échelle est un défi majeur, en particulier
pour les systèmes littoraux du fait de la complexité de l’interface eau-sédiment.
Le lien entre le fonctionnement des réseaux
d’interactions et les forçages physico-chimiques
et anthropiques reste un domaine majeur à développer. De ce point de vue aussi, la méthode
de comparaison inter-sites nécessite d’être
complétée par des approches expérimentales
ou de suivi dans le temps de la dynamique du
réseau suite à une perturbation ; ce qui est
comparable à une approche expérimentale in
natura. En effet, la comparaison inter-sites,
bien que riche par ses apports, ne permet pas
toujours la déconvolution de l’ensemble des forçages et souvent ne permet pas non plus de
distinguer la plasticité phénotypique de l’adaptation écotypique (Magnani 2009). De ce point
de vue, le développement de l’expérimentation
sur les réseaux d’interaction est un besoin majeur, de même que les longs suivis temporels
de l’ensemble de leurs composantes. Ceci est
particulièrement vrai sur les questions relatives
à l’influence de la géomorphologie, aux changements climatiques ou à la caractérisation de
l’influence des pressions directes de l’homme
(pollutions, aménagements, surexploitation) sur
le fonctionnement des réseaux.
Les avancées majeures de l’écologie des
réseaux trophiques sont aussi liées à la mise
53
prospective de l’institut ecologie et environnement du cnrs
prospectives d’avignon
en place, actuellement en pleine évolution, de
nouvelles méthodes d’écologie intégratrice et
de quantification des flux. Si les méthodes liées
au suivi des rapports entre isotopes stables
ont permis des avancées majeures dans la
description des sources de matière organique
dans les réseaux, ces méthodes trouvent leurs
limites face à la multiplicité de ces sources de
matière organique dans certains écosystèmes,
certaines sources ne pouvant être correctement distinguées. Les avancées méthodologiques sont attendues du ciblage de l’isotopie
sur certaines molécules, comme par exemple
certains acides aminés ou acides gras caractéristiques de certaines sources d’alimentation.
La connaissance des processus gagnera aussi
des connaissances issues de la caractérisation
des communautés et méta-communautés par
les méthodes de l’écologie chimique (métabo-
Intégrer les adaptations
des organismes
aux changements globaux
lomique), de la méta-génomique et de la métatranscriptomique.
Dans ce domaine de l’écologie des réseaux
d’interaction, le défi de l’intégration des démarches fonctionnelle et évolutive est majeur
(Figure 4). Cette intégration peut être vue sous
deux angles complémentaires correspondant
aux questions suivantes :
- En quoi l’histoire évolutive des composantes
fonctionnelles joue un rôle dans le réseau d’interactions auquel elles appartiennent ?
- Peut-on mettre en place une théorie de l’évolution des écosystèmes ?
Figure 4 : L’étude des réseaux d’interactions inclus
les interactions trophiques et non-trophiques entre
espèces et le rôle structurant des contraintes du
milieu. Des approches éco-évolutives se développent qui doivent aussi se placer dans le contexte
des changements globaux.
Intégrer le rôle
écologique et évolutif
de la physique de l’habitat
Dynamique et évolution des
Réseaux d’interactions
Intégrer composantes
des réseaux (génomique)
et flux (indicateurs fonctionnels)
De nombreux taxons, qualifiés d’espèces ingénieurs d’écosystèmes (sensu Jones et al., 1994),
modifient leur environnement physique, parfois
de manière drastique même avec une faible abondance (cf. notion d’espèce clé, Paine, 1995). Le
concept « d’espèce ingénieur » et l‘utilisation
des espèces clés pour favoriser la résistance
ou la résilience des écosystèmes nécessite en
priorité 1) l’établissement de leur statut fonctionnel et de leurs liens avec les autres espèces (la
biodiversité) et 2) l’identification des conditions
physiques nécessaires au bon déroulement du
cycle de vie de ces espèces ingénieurs. Cette uti-
54
Intégrer dynamique
des communautés
et rétroactions évolutives
lisation repose par conséquent sur une meilleure
compréhension des interactions et rétroactions
entre les espèces ingénieurs et leur milieu physique et les autres espèces. Un exemple d’intégration des démarches fonctionnelle et évolutive
est l’extension du concept « d’espèce ingénieur »
à celui de « construction de niche » (Odling-Smee
et al., 2003) qui a suscité beaucoup d’attention
(par ex. Dawkins, 2004 ; Post and Pallovacs
2009). Contrairement au concept d’ingénieur
d’écosystème – qui reste spécifique aux interactions écologiques sous contrôle d’un environnement physique modifié –, le principe fondateur
du concept de construction de niche est que
les organismes ingénieurs peuvent modifier les
pressions de sélection pour eux-mêmes ou pour
d’autres espèces au sein de l’écosystème, cela
via un contrôle sur leur environnement physique
ou biologique.
La question de savoir comment les modifications environnementales sous contrôle biotique
peuvent induire des réponses écologiques et
évolutives au sein de l’écosystème apparaît
cruciale. Elle va bien au-delà d’une « simple »
analyse, au niveau de la communauté, des ajustements trophiques et structurels en réponse
à des forçages physiques ou des effets ingénieurs. Cette question sous-entend une prise en
compte de la dynamique et de l’évolution des
réseaux d’interactions au sein des écosystèmes
telle que celle proposée par Holling (1973) et
Levin (1998) au travers de la notion de système
adaptatif complexe.
La génétique des communautés constitue dans
ce cadre une synthèse de l’écologie des communautés et de la biologie évolutive. Le cœur de
cette approche consiste à examiner en quoi la
variation génétique d’une espèce affecte les interactions au sein d’une communauté et modifie
la structure et la diversité de cette communauté
(Rowntree et al. 2011). L’enjeu actuel est donc
d’en comprendre les mécanismes.
De nombreuses questions ont été soulevées
dans le cadre de l’atelier en relation avec les
rétroactions biotiques-abiotiques :
• Quels cadres théoriques actuels sont les
plus aptes, voire les plus opérationnels, pour
construire et structurer les approches comparatives et expérimentales nécessaires dans le
domaine éco-évolutif ?
• Dans quelle mesure une typologie des catégories de rétroactions entre les organismes
ingénieurs, leur environnement physique et les
autres espèces occupant cet environnement
peut-elle 1) rendre compte de ces dynamiques
à différentes échelles spatio-temporelles et
dans différents types d’écosystèmes et 2) favoriser la mise en place de nouveaux plans expérimentaux ?
• Comment articuler de manière expérimentale
et in situ les processus écologiques et évolutifs
en relation avec les effets des espèces ingénieurs sur l’environnement physique ? Concernant ce point, il semble que les méthodologies
(stœchiométrie, isotopie, métabolomique, métagénomique) pouvant contribuer efficacement au
développement de cette thématique restent à
déployer. La résolution d’une telle question réclame probablement une analyse fine de la covariance entre l’activité ingénieur des organismes
et la valeur adaptative des organismes (l’environnement physicochimique modifié/construit
affecte-t-il la covariance entre le phénotype de
l’organisme et sa valeur adaptative ?).
La modulation des processus écologiques et
évolutifs via la modification et la régulation de
l’environnement physicochimique en particulier
représente un champ d’investigation prometteur à l’interface entre l’écologie fonctionnelle
et les géosciences (géomorphologie, géologie,
géochimie). Les discussions initiées dans le
cadre de l’atelier ont permis de souligner l’intérêt - voire la nécessité – d’établir des passerelles opérationnelles entre les disciplines des
sciences de la vie et de la terre. Des actions
visant à renforcer les collaborations entre spécialistes notamment des plantes et du sol, des
communautés et des géophysiciens/géochimistes, pourraient être mises en place pour
amplifier le développement de ce domaine.
La nécessité de ce rapprochement avait déjà
été soulignée lors de l’atelier concernant l’écogéochimie lors des prospectives INEE en en
écologie chimique. L’écogéochimie propose
en effet d’analyser la complexité des interactions entre acteurs abiotiques et biologiques
de l’environnement (sans hiérarchiser le vivant
et l’environnement abiotique) et de l’intégrer
dans des modèles afin d’accéder aux propriétés dynamiques que confère cette complexité
aux écosystèmes.
Les avancées dans ce domaine éco-évolutif soustendent une meilleure utilisation de certaines
espèces ingénieurs comme moyen de régulation des flux de matière et d’énergie au sein
d’écosystèmes impactés. L’utilisation d’espèces
ingénieurs pour la préservation et la restauration de services écologiques au sein d’écosystèmes impactés est prometteuse mais réclame
une meilleure connaissance des interactions et
rétroactions avec les processus écologiques et
évolutifs. La prise en compte des rétroactions
entre les compartiments physicochimiques et
biologiques des écosystèmes prend également
tout son sens dans le contexte des bouleversements climatiques et environnementaux.
55
prospectives d’avignon
Interactions durables
Il n’existe sur la planète probablement aucun
organisme qui ne développe pas pendant tout
ou partie de son cycle de vie des interactions
durables avec un autre organisme. Les eucaryotes pluricellulaires hébergent en effet, dans
leur tube digestif ou dans leurs cellules, des
microorganismes symbiotiques parmi lesquels
on compte des eucaryotes unicellulaires (protistes), des procaryotes (bactéries, archées),
ou encore des virus (Moya et al. 2008). Ces
microorganismes jouent un rôle crucial dans
l’expression de fonctions essentielles de leurs
hôtes telles que la nutrition, la défense immunitaire, la reproduction ou encore certains comportements (McFall-Ngai et al. 2013).
L’ubiquité et la diversité de ces symbioses (au
sens initial du « vivre ensemble »), ou « interactions durables », qu’elles soient de nature
conflictuelle ou mutualiste, soulignent leur rôle
probablement essentiel. Il est aujourd’hui clair
que ces interactions durables constituent un
moteur majeur de l’évolution des hôtes, que
l’on considère des échelles de temps micro- ou
macro-évolutives (Sachs et al. 2011 ; McFallNgai et al. 2013). Certaines études révèlent
par exemple que les symbioses conflictuelles
génèrent une accélération de l’évolution, par le
biais d’une « course aux armements » (processus dit de « la reine rouge », Van Valen 1973).
D’autres recherches suggèrent que les symbiotes peuvent être impliqués dans l’adaptation des populations hôtes, notamment lorsque
celles-ci sont confrontées à des changements
importants survenant dans l’environnement.
Si l’on ajoute que certaines symbioses sont
fondamentales au fonctionnement ou à l’établissement même des écosystèmes (e.g. récifs
coralliens, écosystèmes des grands fonds…)
l’ensemble de ces découvertes montre à quel
point les recherches menées en écologie
fonctionnelle et évolutive doivent désormais
prendre en compte cette échelle d’intégration.
Les recherches actuelles considèrent le
microbiome comme l’ensemble des microorganismes de l’hôte, leurs génomes et leurs
interactions dans l’environnement particulier
constitué par l’hôte. Ainsi chaque organisme
peut être vu comme un patch d’habitats occupés par un assemblage microbien (‘nested ecosystems’) (McFall-Ngai et al. 2013). Il est sou-
56
mis aux mêmes processus de dispersion, de
diversification locale, de sélection et de dérive
écologique que l’écologie des communautés.
Cette nouvelle perspective permet de considérer l’organisme vivant non pas seulement
comme un membre d’un réseau d’interactions
avec d’autres espèces de son écosystème
(Macro-communauté), mais également comme
un véritable écosystème hébergeant une communauté microbienne symbiotique (Micro-communauté). Ces développements doivent être
articulés avec l’ensemble des connaissances
développées dans le domaine de l’écologie
fonctionnelle. Des études récentes montrent
par exemple, que les biofilms se développant
sur de nombreuses espèces marines apportent
des fonctions importantes qui déterminent la
place de ces hôtes dans le réseau d’interactions des espèces (Wahl et al. 2012). De la
même manière, l’acquisition d’un microbiome
adapté à un stade critique de la biologie de
nombreux organismes impacte leur rôle écologique (Ezenwa et al. 2012). Les recherches actuelles sur le microbiome humain et sa relation
avec la santé sont un exemple particulièrement
révélateur d’un changement de paradigme sur
notre vision de l’individu (Costello et al. 2012).
Il apparait donc clairement que le phénotype
d’un individu doit être compris comme la résultante de l’expression d’une communauté
de génomes (ou hologénome). Du fait notamment de la stabilité trans-générationnelle des
assemblages (parfois transmis verticalement
de parents à descendants), l’individu communauté constitue un système d’étude pertinent
pour aborder les questions des processus de
sélection à l’échelle des communautés, et
permettre de tester certaines hypothèses du
domaine (Figure 5). Ainsi, des questions telles
que les niveaux de sélection, le rôle évolutif
des conflits génétiques posés par l’organismeécosystème peuvent servir de modèle à la
génétique des communautés (Ferrari & Vavre
2011).
Système symbiotique
Modèle synthétique ID
Individu
Phénotype étendu
Héritabilité des associations
Phénotype étendu
Transmission
horizontale
verticale
incomplète
Environnement
Sélection
Hôte * Symbiotes
Population
Compétition entre communautés
Figure 5 : Les interactions durables (ou symbiotiques) regroupent les associations
entre deux organismes (ou unités génétiques plus ou moins autonomes) spécifiquement distincts qui s’établissent dans la durée et qui s’échelonnent le long d’un continuum allant du parasitisme au mutualisme. Dans ce cadre, l’association entre un
hôte et un (ou des) partenaire(s) symbiotique(s) constitue une nouvelle entité dont le
phénotype est le résultat de l’interaction entre les génomes des deux partenaires :
c’est la notion de phénotype étendu (Dawkins 1982). Les conséquences des interactions durables sont d’abord visibles à l’échelle individuelle mais se répercutent sur la
valeur sélective (adaptative) des individus et constituent un facteur majeur d’évolution.
L’enjeu est donc d’intégrer ces développements avec l’ensemble des connaissances
développées dans le domaine de l’écologie
fonctionnelle avec 3 objectifs principaux :
1. Utiliser les connaissances et les méthodologies de l’écologie fonctionnelle, si elles
sont transposables, pour comprendre le
fonctionnement de l’individu-écosystème.
Il conviendra en particulier d’appliquer les
méthodes d’analyses de méta-communautés et de réseaux d’interactions aux interactions durables (Massol et al. 2011).
2. Utiliser l’individu-écosystème pour tester
certaines hypothèses issues de l’écologie
fonctionnelle.
3. Intégrer les concepts de la biologie évolutive et estimer dans quelles conditions
les communautés et écosystèmes peuvent
constituer des unités de sélection à part
entière. La compréhension de l’évolution
de tels systèmes nécessitera la prise en
compte des différentes unités de sélection
et de leurs conflits potentiels (Fellous et al.
2011).
Ces objectifs sont maintenant accessibles
notamment grâce au développement des outils
de méta-‘omics’ de nouvelle génération per-
mettant d’analyser des interactions biotiques
complexes (parasitisme, symbioses, communautés d’organismes) à différentes échelles
spatiales.
57
prospective de l’institut ecologie et environnement du cnrs
prospectives d’avignon
L’individu écosystème et l’écosystème individu,
vers une intégration ?
Les systèmes symbiotiques peuvent permettre
d’aborder l’analyse de l’évolution des interactions durables sous l’angle des conflits vs coopération et modifier les concepts admis jusquelà. L’une des transitions évolutives majeures du
vivant concerne la coopération : les gènes s’organisent en génomes, les cellules en organismes,
les individus en sociétés. Admettre que la coopération résulte d’une sélection de groupe pose
pourtant un problème conceptuel car on s’attend
à ce que la sélection favorise les traits individuels
égoïstes (Sachs & Hollowell 2004, 2012). Au
contraire de la prépondérance des conflits évolutifs (hypothèse de la Reine rouge), un concept
récent (« l’hypothèse de la reine noire », Morris
et al. 2012) propose une nouvelle perspective :
la dépendance peut émerger d’une sélection de
traits égoïstes (perte ou substitution de gènes ou
de symbiotes). Ce nouveau paradigme suggère
que des bactéries peuvent s’engager dans des
interactions coopératives interdépendantes et
que les signatures de cette dépendance sont
visibles au niveau des génomes par les pertes
complémentaires de fonctions partagées et
échangeables au niveau de la communauté. Ainsi le succès adaptatif de la communauté (inclusive fitness, Hamilton 1964a 1964b) serait sous
la dépendance des interactions de chacun des
membres de la communauté.
Des analogies entre l’individu-écosystème et un
Phénotype étendu
Hôte * Symbiotes
Mutualisme
parasitisme
58
Environnement
Sélection
Ecosystème = Individu
Environnement
Individu = écosystème
écosystème au sens classique du terme existent
(Figure 6). Tout comme l’individu, l’écosystème
est composé d’organismes (généralement un
ensemble variable d’espèces). Ces espèces forment des réseaux d’interactions qui peuvent être
positives ou négatives, comme les interactions
entre un hôte et ses organismes associés. Une
espèce (comme l’hôte pour l’individu-organisme)
peut être prépondérante dans un écosystème (espèce dominante ou espèce ingénieur). Ces interactions entre espèces et avec le milieu abiotique
sont à l’origine des principales fonctions de l’écosystème, notamment celles à l’origine des cycles
biogéochimiques. Ces fonctions sont interdépendantes (les fonctions physiologiques d’un individu
aussi) et sont modulées par les conditions environnementales à court terme (plasticité du fonctionnement de l’écosystème) et à long terme (en
association avec des modifications structurales).
Les forçages environnementaux jouent donc sur
l’écosystème un rôle sélectif quelque peu similaire à celui de la sélection naturelle.
Cette analogie Individu-écosystème, Ecosystème-individu est-elle porteuse d’analyses
novatrices du fonctionnement de l’individu ou
de l’écosystème ? De tels concepts rapportés
aux macro-communautés pourraient-ils ouvrir de
nouvelles perspectives dans la compréhension
des régulations et des interactions entre fonctions des écosystèmes ?
Sélection
(Interactions) Fonctions
Espèces * Espèces
Réseau interactions (+
-)
Figure 6 : Un individu intègre dans son fonctionnement des interactions plus ou moins durables avec d’autres organismes, qui
vont du mutualisme au parasitisme et qui sont dépendantes de l’environnement. La sélection s’opère sur le phénotype étendu qui
émerge de ces interactions. Un écosystème est aussi un assemblage d’organismes (espèces) qui forment des réseaux d’interactions positives ou négatives dépendantes de l’environnement. La résultante de ces interactions est une structure et des fonctions
interdépendantes qui peuvent être assimilables à un phénotype étendu. Les caractéristiques de cette résultante peuvent être
façonnées (sélectionnées ?) par les forçages environnementaux.
Approches méthodologiques, instruments,
infrastructures
L’utilisation de nouveaux instruments et la mise
au point de nouvelles méthodologies sont très
souvent sources d’innovations majeures et
doivent être stimulées. La construction d’infrastructures de services est en cours, à l’échelle
nationale et européenne et il faut en tirer parti
au maximum.
L’utilisation des isotopes, en particulier des isotopes naturels, n’est pas récente. Elle permet
de tracer certaines molécules et de mieux analyser les cycles biogéochimiques, elle permet
aussi de définir « qui mange qui » et « qui fait
quoi » voire « qui va où » dans les réseaux d’interactions et les interactions durables. Cependant
la technologie évolue très vite et offre maintenant des instruments moins onéreux, beaucoup
plus facile d’utilisation et pour certains transportables sur le terrain. Les nouvelles technologies (comme la CRDS Cavity Ring-Down Spectroscopy) permettent aussi l’analyse simultanée
de plusieurs isotopes (par exemple 13C et D). Il y
a donc un large potentiel de nouveaux développements de cette méthodologie.
Les capacités analytiques en général sont en
fort développement. Par exemple en ce qui
concerne l’analyse des gaz, la technologie
CRDS permet aussi l’analyse de plusieurs gaz
(par exemple CO, CO2, CH4, and H2O). La technologie PTRMS (Proton Transfer Reaction Mass
Spectrometry) permet par exemple l’analyse en
ligne des composés organiques volatiles à l’état
de traces (Lindinger et al. 1998). L’analyse des
COV, déjà bien développée en écologie chimique
notamment pour les interactions plantes-animaux, peut maintenant être largement utilisée
dans d’autres aspects du fonctionnement des
écosystèmes. Son utilisation en biologie du sol
va ouvrir des perspectives très larges, notamment pour appréhender en ligne l’activité des
organismes (Insam & Seewald 2010). Un autre
développement analytique est la NanoSIMS (nano-scale secondary ion mass spectrometry) qui
peut permettre des mesures de plusieurs éléments et isotopes à une échelle inférieure au
micron pour par exemple suivre la dynamique de
la matière organique dans les agrégats du sol
(Mueller et al. 2012) mais également dans les
systèmes symbiotiques (Forster et al. 2011).
L’approche de la stœchiométrie a été développée depuis longtemps dans les océans puis
en milieu terrestre. Principalement limitée au
rapport C/N/P, elle commence à s’étendre à
d’autres éléments (CNS, CHONPS). Très utile
pour analyser les flux d’éléments à différentes
échelles et leur réponse aux changements globaux (Elser et al. 2010), l’approche stœchiométrique a aussi de fortes potentialités pour établir
des liens entre l’écologie des écosystèmes et
la biologie évolutive (Elser 2006, Jeyasingh &
Weider 2007) ou avec la théorie métabolique de
l’écologie (Allen & Gillooly 2009).
Des capteurs avec des résolutions spatiales et
spectrales de plus en plus poussées ou avec de
nouvelles technologies (hyperspectral spectroradiometers, Infra Red Thermography, Light Detection and Ranging, Laser Induced Fluorescence
Transient…) permettent d’analyser depuis le
sol ou l’espace, certains dans l’eau, un nombre
grandissant de paramètres de la structure des
écosystèmes et de la biodiversité ainsi que des
paramètres décrivant les stocks des éléments et
estimant des processus biologiques (Kokaly et
al. 2009 ; Pieruschka et al. 2010, Wang et al.
2010 ; Balzarolo M. et al. 2011).
La génétique environnementale reposant sur la
métagénomique, la métatranscriptomique, la métabolomique (meta-‘omics’ en général) a un fort
potentiel de renouveau dans l’étude du fonctionnement des écosystèmes en relation avec la biodiversité à différentes échelles spatiales et temporelles. Le métabolome désigne l’ensemble des
molécules de faible poids moléculaire synthétisées par un organisme. Il joue un rôle clé dans
les interactions entre les organismes et leur environnement. La métabolomique environnementale
est une discipline en plein essor. L’accès à ces
méthodes devraient permettre d’intégrer l’histoire
évolutive des espèces (et donc de leurs traits)
mais également co-évolutive (e.g. co-dispersion)
dans la compréhension de la relation entre fonctionnement des écosystèmes et diversité biologique. Ces leviers méthodologiques permettront,
d’autre part, de comprendre le rôle de la diversité
génétique dans le fonctionnement et la résilience
des écosystèmes. Ces outils permettent d’approfondir notre connaissance de la biodiversité à
59
prospectives d’avignon
des niveaux fins (communautés microbiennes,
microbiome…) Quelles en sont les perspectives
de développement (marqueurs d’intérêt évolutif,
environnemental, biotechnologique ; étude approfondie d’organismes et d’écosystèmes modèles,
description systématique et base de données de
la biodiversité des symbioses …) ?
Ces différentes méthodologies sont applicables
dans les trois thématiques scientifiques développées ci-dessus (régulations et interactions
entre fonctions, réseaux d’interaction et interactions durables), mais les communautés scientifiques respectives les utilisent d’une façon plus
Echanges de méthodologies
entre disciplines
Figure 7 : Le développement technologique et méthodologique de ces dernières
années augmente la performance de
recherche dans de nombreux domaines.
Les différentes communautés scientifiques
de l’écologie doivent se former à ces
nouvelles approches et surtout analyser et
développer le couplage de ces approches
qui ouvrira des voies de recherche très
innovantes.
Développement du couplage
entre méthodologies
Atelier méthodologies
Isotopie, Stœchiométrie, Imagerie, Génomique,
Métabolomique, Molécules organiques,
Thermodynamique, Haut débit
En parallèle au développement de ces technologies et méthodes, des infrastructures expérimentales sont en cours de mise en place in
situ (les SOERE, le Réseau National de Stations Expérimentales en Ecologie), en milieu
semi-contrôlé (le Métatron à Moulis, Planaqua
à Foljuif, Pôle d’Ecotoxicologie de Rovaltain…)
et contrôlé (les Ecotrons de Montpellier et d’IledeFrance). Un projet d‘Investissement d‘Avenir
(ANAEE-Services) où le CNRS et l’INRA vont
joindre leurs compétences vient de démarrer
pour poursuivre leur développement et les coordonner. Une intensification de la communication sur les caractéristiques et potentialités de
ces infrastructures est nécessaire au fur et à
mesure de leur développement. Des stratégies
d‘utilisation doivent être mises en place pour
que la communauté s’approprie ces infrastructures et en tire parti au maximum.
60
ou moins poussée et de manière déconnectée
les unes des autres. Ces communautés peuvent
s’apporter mutuellement des compétences
techniques mais également conceptuelles dans
l’utilisation et l’interprétation de ces données à
différents niveaux d’intégration (Figure 7). Si l’on
prend en compte l’énorme potentialité de combiner ces différentes méthodologies pour aborder
d’une façon innovante certaines thématiques
(par exemple coupler l’approche isotopique avec
la génomique environnementale pour identifier
les taxons consommateurs), il devient indispensable d’organiser rapidement un atelier sur ces
combinaisons de techniques.
Ces nouveaux instruments et infrastructures génèrent de grandes quantités de données. Quels
accompagnements techniques et de formation
doivent être développés, en bioinformatique et
bases de données notamment ? L’INEE et le Museum viennent de créer l’UMS 3468 « Bases de
données Biodiversité, Ecologie, Environnements
Sociétés (BBEES) », dont l’objectif est de structurer et d’optimiser le travail autour des bases de
données de recherche sur la Biodiversité naturelle et culturelle, actuelle et passée. D’autres
structures sont-elles nécessaires ? Quels autres
outils de structuration de la communauté devraient être mis en place : écoles d‘été, participation au CESAB (Centre de Synthèse sur Biodiversité), développement d‘un centre européen
d‘innovation, de synthèse et de formation dans le
cadre d‘ANAEE-Europe, centres de séquençage et
d‘analyse bioinformatique … ?
Conclusions
Les interactions/rétroactions entre fonctions (notamment les cycles biogéochimiques) jouent un rôle
clé dans le fonctionnement et la dynamique des écosystèmes. L’analyse couplée des différents cycles
biogéochimiques est nécessaire à la fois pour identifier les relations causales dans le fonctionnement
des écosystèmes, mais aussi pour trouver des solutions à des dysfonctionnements. La prise en compte
explicite des mécanismes fondamentaux de ce couplage (stœchiométrie, oxydo-réduction, chélation) et
l’intégration de l’approche réseaux trophiques devraient faire progresser significativement nos connaissances dans ce domaine. C’est une première suggestion d’atelier futur. Les conclusions d’un tel atelier
seront utiles pour ensuite élargir les couplages pris en compte (éléments mineurs, polluants) et considérer l’impact d’une large gamme de paramètres de forçage (conditions extrêmes, y compris polluants).
L’étude des réseaux d’interactions complexes a pour objectif d’intégrer les interactions trophiques
et non trophiques (compétition, facilitation, parasitisme, mutualisme) pour mieux appréhender les
propriétés d’organisation de ces réseaux et leur stabilité. Les échanges conceptuels entre les communautés scientifiques travaillant sur chaque type d’interactions et jusqu’à maintenant assez cloisonnées ont commencé. Une deuxième suggestion d’atelier futur serait de formaliser ces échanges
et de définir les méthodologies expérimentales les plus pertinentes pour tester les hypothèses
issues de cette intégration. Une autre suggestion serait de préciser les possibilités d’intégration
des approches fonctionnelles et évolutives (évolution des composantes des réseaux –génomique
environnementale- et des flux –indicateurs fonctionnels, concept de construction de niche …) dans
ces études des réseaux d’interactions complexes.
Une voie très prometteuse dans l’étude des interactions durables est aussi d’intégrer les composantes
fonctionnelles et évolutives qui co-organisent ces interactions durables. L’individu est d’une part considéré comme la résultante de l’expression d’une communauté de génomes et son évolution est fortement
contrainte par cette communauté. Les organismes associés occupent des zones particulières de l’hôte
offrant une hétérogénéité d’habitats. L’ensemble peut être considéré comme un individu-écosystème où
s’appliqueraient les mécanismes de l’écologie fonctionnelle (écologie des communautés et physiologie
de l’écosystème). Une réflexion approfondie sur ce concept d’individu-écosystème et sur son parallèle
l’écosystème (au sens classique) vu comme un individu mériterait de faire aussi l’objet d’un atelier futur
La dernière suggestion d’atelier futur est transversale à toutes les thématiques abordées. Elle concerne
l’énorme potentialité d’innovation dans ces thématiques que peut apporter la combinaison des différentes techniques et méthodologies d’analyse (isotopie, analyse élémentaire, imagerie, méta-omics) qui
se développent rapidement actuellement et qui ne sont pas maîtrisées au même niveau par les différents
groupes de recherche. Cette combinaison de techniques serait d’ailleurs un outil puissant pour l’intégration des approches écologique et évolutives souvent mentionnée dans ce texte.
Ces voies de recherches fondamentales peuvent être développées dans des contextes variés, mais
le contexte de l’ingénierie écologique, souvent pertinent, ne devrait-il pas être envisagé prioritairement ? Les interactions et rétroactions à l’œuvre dans les écosystèmes sont au cœur de la fourniture
des services écosystémiques. La compréhension et la maîtrise de la complexité du fonctionnement
et de la dynamique des systèmes écologiques est un point clé du développement de l’ingénierie
écologique. La recherche se doit de contribuer au renouvellement et à la validation des pratiques
d’ingénierie écologique pour permettre d’avancer vers un pilotage minimal de la complexité écologique et environnementale. L’ingénierie écologique constitue une occasion historique de valoriser les
acquis français en écologie et sciences de l’environnement et de légitimer socialement un secteur
scientifique qui invite à penser différemment le vivant et la place de l’humanité dans le monde. Réciproquement, l’ingénierie écologique offre un cadre sous-exploité pour le développement et les tests
des hypothèses afférentes aux questions abordées dans cet atelier. La recherche en ingénierie écologique est à même de fournir les connaissances nouvelles requises, de mobiliser et d’assembler les
savoirs émanant de champs disciplinaires variés, de traduire les savoirs académiques en guides pour
l’action, d’énoncer des principes généraux à partir des retours d’expériences, de mettre en synergie
savoirs et pratiques. Une réflexion devrait être menée pour voir comment continuer à mieux placer le
développement de l’ingénierie écologique au cœur du développement de l’écologie. Il est possible
que les succès à venir de l’ingénierie écologique, du fait de son association grandissante avec la
demande sociale, conditionneront la perception de l’écologie et les moyens qui y seront alloués.
61
prospective de l’institut ecologie et environnement du cnrs
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63
prospective de l’institut ecologie et environnement du cnrs
prospectives d’avignon
64
PROSPECTIVE PRIORITéS
EN RECHERCHE EN
éCOPHYSIOLOGIE ANIMALE
avignon
Prospective
Coordinateurs : Stéphane Blanc, Xavier Bonnet, Yves Handrich
Contributeurs : Fabien Aubret, Samuel Caro, François Criscuolo, Pierre-Yves Henri, Yvon Le Maho, Damien
Roussel, Gabriele Sorci, Yan Voituron
Place de l’approche écophysiologique
L’anticipation de l’impact des activités humaines
sur la biodiversité est un défi majeur pour les
scientifiques. Pour comprendre et quantifier les
effets liés à la surexploitation des ressources, à
la destruction des habitats, à la pollution, aux espèces invasives, aux modifications climatiques et
physicochimiques de l’atmosphère, des milieux
terrestres et des océans, l’écologie a davantage
besoin d’intégrer les mécanismes biologiques,
notamment physiologiques, mis en jeu au niveau
des individus. Actuellement, les études de synthèse servent de référence. Elles reposent largement sur des modèles mathématiques pour
prendre en compte des informations volumineuses et complexes et exécuter des projections
dans le temps. Mais la plupart des modèles utilisent des estimations des paramètres vitaux des
organismes (e.g. température critiques) souvent
sur la base d’extrapolation des niches occupées
par les espèces plutôt que des valeurs exactes,
ce qui génère des incertitudes sur la nature, la
forme et l’ampleur des processus testés. Deux
limites majeures en découlent : 1) l’absence de
prise en compte de l’évolution des réponses phénotypiques (cf. hypothèse de niche écologique
fixe dans les modèles de niche, alors que les
organismes peuvent changer de physiologie, de
comportements voire évoluer rapidement), et
2) l’impasse faite sur les mécanismes biologiques proximaux impliqués dans les changements observés, ce qui affaiblit leur pouvoir
d’inférence. Or, l’étude de l’impact de l’homme
sur la biodiversité ne se résumant pas à établir
des prédictions sur le devenir des espèces, il est
nécessaire d’élargir le cadre expérimental vers
les processus fondamentaux de l’adaptation des
organismes aux variations environnementales.
Ces limites sont liées au fait que, conventionnellement, les réponses des organismes aux
changements globaux sont catégorisées comme
étant écologiques ou évolutives. Bien qu’il soit
difficile de les dissocier, les réponses écologiques impliquent la plasticité phénotypique, la
dispersion et la sélection de l’habitat, alors que
les réponses évolutives impliquent des modifications génétiques. Ainsi, les populations animales
parvenant à répondre aux nouvelles pressions de
sélection causées par les changements environnementaux globaux le feraient soit en évoluant,
soit par compensation plastique (comportement,
migration). Dans ces approches classiques, la
physiologie de l’individu a été considérée comme
supportant plutôt que contrôlant la réponse des
différents traits d’histoire de vie en réponse à
l’environnement. Or les développements récents
de la biologie ont bouleversé cette vision linéaire
des causalités.
Il est désormais démontré que les mécanismes
physiologiques agissent directement sur les processus de contrôle et d’expression du génome,
aussi bien au niveau cellulaire qu’au niveau de
l’organisme, par exemple par l’action des hormones et de nombreux facteurs de croissance.
Une partie des variations induites est transmissible entre générations. L’écophysiologie évolutive est une discipline émergente dans ce cadre
très vaste de la plasticité phénotypique. Les
Etats Unis sont pionniers dans ces changements
conceptuels qui établissent des liens fonctionnels forts entre la génomique, la physiologie, les
comportements, les processus évolutifs et les
capacités d’adaptation des organismes.
65
prospective de l’institut ecologie et environnement du cnrs
prospectives d’avignon
Originalité et force de l’approche éco-physiologique
L’écophysiologie vise ainsi à comprendre par
quels mécanismes les organismes humains, animaux et végétaux font face aux contraintes de
leur environnement et/ou les anticipent, compte
tenu de leurs propres contraintes physiologiques.
Elle a donc pour objet principal d’étude toutes
les dimensions de la biologie adaptative des
organismes (capacités d’adaptation aux changements, limites physiologiques, optimisation
des traits et des performances en fonction des
contraintes environnementales).
La discipline fait appel aux concepts et méthodes
de la physiologie comparative, l’énergétique,
l’écologie comportementale et la biologie évolutive. Néanmoins les frontières des questions pouvant être abordées en écophysiologie sont souvent fixées par les contraintes méthodologiques.
Ainsi, les progrès récents en biologie moléculaire
et cellulaire, protéomique, écotoxicologie, chimie
isotopique et bio-logging donnent accès à de
nouveaux domaines scientifiques. Ceci apparaît
d’autant plus évident si l’on garde à l’esprit que
le système de codage de l’information perçue
par les organismes est ascendant alors que les
systèmes de contrôle sont descendants ; et que
ces différents niveaux de régulations, dont les
centres supérieurs, interagissent davantage que
ce qu’il était supposé jusqu’à récemment. Ce
qui distingue l’écophysiologie de la physiologie
stricte est que les organismes étudiés ne sont
pas considérés comme des modèles utiles (e.g.
en vue d’application biomédicales) mais comme
des systèmes biologiques qui évoluent dans un
environnement complexe et souvent changeant.
Les processus physiologiques et comportementaux sont interprétés comme des réponses aux
contraintes écologiques réelles qui se déroulent
dans des milieux naturels de plus en plus perturbés. Il est important de souligner que les
conditions dans lesquelles les phénomènes
se produisent sont très difficiles à reproduire
en laboratoire ; particulièrement sans altérer la
réponse naturelle de l’animal évoluant librement
dans son milieu. Ainsi, le champ de compétence
de la discipline progresse en partie à la vitesse
de la miniaturisation des outils de monitoring
des fonctions biologiques (bio-logging non-invasif)
et de la validation de marqueurs intégratifs du
statut physiologique des individus (e.g. dosages
d’hormones, stress oxydatif, stress chronique,
régression des télomères). Ainsi, l’écophysiologie
est fondamentalement pluridisciplinaire.
Défis de l’approche éco-physiologique
Afin d’identifier les relations causales entre perturbations, mécanismes biologiques et performances de l’individu, il est de plus en plus impératif de compléter les observations en nature par
des expérimentations en conditions contrôlées.
L’approche expérimentale est en effet la seule
qui permet de préciser les contributions respectives des différents facteurs environnementaux
sur les organismes ; mais elle permet aussi de
distinguer les facteurs intrinsèques (physiologiques) des facteurs environnementaux. La force
de l’approche expérimentale pour comprendre
et analyser l’impact des perturbations anthropiques est donc considérable. Toutefois, l’un des
défis expérimentaux est justement de parvenir à
reproduire des conditions de captivité reproduisant suffisamment bien les conditions naturelles
(ce qui nécessite des observations de terrain
méticuleuses) et à maintenir les individus testés dans un état physiologique proche de l’état
naturel (ce qui nécessite des connaissances
66
naturalistes étendues). Des exemples récents
montrent à quel point les interactions entre les
grandes fonctions (e.g. locomotion, thermorégulation, digestion) peuvent radicalement différer
selon qu’elles sont étudiées en condition contrôlées de laboratoire ou dans le milieu naturel,
où le comportement et les choix décisionnels
agissent directement sur ces processus physiologiques. Malheureusement, les modèles conventionnels de laboratoire sont réduits à très peu
de groupes taxonomiques, les lignées sont souvent éloignés physiologiquement des animaux
étudiés en nature, et les protocoles classiques
divergent eux aussi des conditions naturelles, ce
qui oblige à faire des extrapolations délicates.
Des élevages de modèles non-conventionnels et
des études en micro-/mésocosmes développés
dans les stations d’écologies expérimentales –
permettant de reconstruire des conditions écologiques plus réalistes, mais contrôlées – encore
trop peu développées en écophysiologie animale
(notamment, par rapport à l’écophysiologie végétale) doivent être encouragées. Il est important
de souligner qu’il faut absolument maintenir une
grande diversité taxonomique pour atteindre ces
objectifs.
Sur un autre niveau d’intégration, nombre
d’études écologiques portent sur les réponses
populationnelles, en termes de norme de réaction moyenne des individus de populations sauvages aux variations de leur environnement.
Mais pour mieux comprendre comment se
constituent ces réponses populationnelles, il est
nécessaire de comprendre la contribution – et
les déterminants de la variabilité – des réponses
individuelles, car c’est largement à cette échelle
qu’opère la sélection naturelle. A l’inverse, et
probablement du fait des contraintes logistiques
(taille des dispositifs expérimentaux, nombres
d’individus suivis en nature), les études écophysiologiques portent essentiellement sur l’étude
des réponses d’individus, dont l’extrapolation
aux populations est limitée. Les deux disciplines
sont complémentaires pour aller vers une compréhension intégrée des processus populationnels. Chaque discipline pourrait aller plus à la
rencontre l’une de l’autre, l’écologie en intégrant
les processus ayant lieu à l’échelle des individus (et des gênes ; l’objet de l’écologie biologie
évolutive), et l’écophysiologie en augmentant
son pouvoir d’investigation à l’échelle des populations animales sauvages (via des dispositifs
expérimentaux et en nature plus ambitieux en
taille, durée et réalisme écophysiologique). En
effet il n’existe pas de substitut aux grandes
tailles d’échantillons pour décrire la variabilité naturelle, substrat de la sélection. Dans le
contexte des changements globaux cela permettra de renforcer la robustesse des modèles prédictifs et de mieux sélectionner les stratégies de
conservation.
Orientations pour le futur
Malgré des progrès important, le cantonnement
relatif de l’écophysiologie animale (et humaine)
au regard de l’essor de l’écophysiologie végétal
peut s’expliquer par notre difficulté à intégrer aux
mêmes échelles (effectif et durée) des suivis de
terrain avec les expérimentations en conditions
contrôlées. Il est impératif de s’en donner les
moyens rapidement ! Pour cela, il est désormais
nécessaire de promouvoir de nouveaux axes
d’investigation en créant un réseau national des
plateaux techniques opérationnels ; à la fois pour
augmenter l’utilisation des techniques maitrisées
par certains laboratoires, mais aussi pour développer de nouvelles compétences et synergies.
En Sciences de la Vie, la seconde moitié du 20ème
siècle a été marquée par l’explosion de la biologie moléculaire. Les progrès considérables accomplis ont aussi favorisé une approche parfois
réductionniste, et ce au détriment d’une approche
physiologique et intégrative. Cependant, la prise
de conscience des lacunes considérables entre
l’accroissement des connaissances dont nous
disposons à l‘échelle de la moléculaire versus
de l’organisme entier a conduit à l’émergence de
nouvelles disciplines : la biologie des systèmes,
la physiologie intégrée ou la physiologie translationnelle, ou encore à un niveau plus écologique,
la physiologie de la conservation et la physiologie évolutive. Hormis la dialectique conceptuelle
qu’elles sous-tendent, ces approches sont les
piliers de l’écophysiologie contemporaine. Il
convient donc de les intégrer dans les approches
classiques d’écophysiologie évolutive. L’enjeu
n’étant plus de comprendre les mécanismes
proprement physiologiques, mais leur implication
dans les processus écologiques au sens large,
allant des processus phénotypiques et cognitifs
au niveau intra-individuel aux variants fonctionnels entre individus et entre espèces ou aux fonctions biologiques impliquées dans les processus
d’extinction ou de réussite adaptative. L’écophysiologie traitera ainsi de fonctionnements transversaux à l’intégralité des échelles d’organisation
du vivant (molécules – gènes – phénotype – individu – population – espèce – communauté – écosystème).
Ce renouvellement sera étroitement dépendant
du niveau de collaboration qui pourra être atteint
entre champs disciplinaires, chaque discipline
traitant souvent les niveaux d’intégration inférieurs comme une boîte noire. Par exemple, les
macro-écologues se dispensent volontiers des
déterminants des variations interspécifiques,
comme les biologistes des populations se
67
prospectives d’avignon
contentent de résumer la variabilité interindividuelle par un paramètre de variance, ou comme
les écophysiologistes qui ignorent les déterminants génétiques ou les mécanismes cellulaires
des adaptations phénotypiques qu’ils étudient.
Lever ces barrières interdisciplinaires semble
être une mission pour les écophysiologistes, leur
questionnement scientifique portant sur la compréhension des mécanismes biologiques à différentes échelles ; de la molécule aux populations.
De grandes avancées récentes de l’écophysiologie concernent essentiellement des aspects
technologiques (bio-logging) et l’endocrinologie
intégrative. Le développement de ces axes doit
être soutenu. Les progrès réalisés en microélectronique permettent de développer des systèmes embarqués (bio-loggers) de plus en plus
performants pour mesurer en conditions de vie
libre de nombreuses fonctions biologiques (énergétique, thermorégulation, rythmes d’activités,
comportement alimentaire ou locomoteur, dispersion ou migration etc.) face à divers gradient
environnementaux (températures ambiantes,
solutés ou gaz dissous, disponibilité alimentaire). En parallèle, la validation de marqueurs
moléculaires intégratifs mais simples des régulations physiologiques (e.g. hormones du stress,
biochimie plasmatique, ROS et télomères) et des
contaminants nous permet d’obtenir de grandes
tailles d’échantillons et d’aborder le rôle de la
physiologie à des échelles supérieures à celles
des individus, comme par exemple le rôle des
polluants et du stress (physiologique) dans l’impact de l’urbanisation sur la dynamique des populations. Par ailleurs, le suivi des déplacements
des animaux a toujours été un défi important
pour les scientifiques, les équipes de terrain ne
parvenant pas à couvrir les échelles spatiales
et temporelles des trajets. Dans ce domaine,
la poursuite de la miniaturisation des outils de
géolocalisation, l’émergence de l’accélérométrie
et les techniques de transmission de données
68
à distance augmentent de manière exponentielle notre capacité à documenter la biologie
dans l’espace d’animaux de plus en plus petits.
Ce sont les plus nombreux et ils occupent une
place centrale dans les écosystèmes. L’association de ces méthodologies avec les approches
émergentes comme la protéomique, la génomique, la trancriptomique, la métabolomique
et la physiologie des fonctions représente une
opportunité unique pour mettre en place une approche écophysiologique mécanistique nouvelle
de l’écologie animale dans un cadre environnemental profondément perturbé (pollutions, changements d’habitat ou de climat). De nos jours,
l’accès aux informations génomiques et protéomiques étant moins limitant d’un point de vue
technique, les écophysiologistes doivent pouvoir
collaborer avec les biologistes moléculaires. Un
domaine d’application important à développer
est l’écophysiologie des pollutions environnementales (écotoxicologie), certaines molécules
synthétisées par l’Homme perturbent gravement
les régulations génomiques et physiologiques.
Connaître ces perturbations permettra des avancées dans des domaines aussi éloignés que la
santé humaine, la restauration des écosystèmes
pollués, ou les régulations de la plasticité phénotypique adaptative.
Pour finir, l’écophysiologie est légitime sur un
plan purement fondamental ; sans devoir répondre à des questions sociétales majeures
comme la conservation de la biodiversité,
l’étude de maladies chroniques ou encore la
découverte de nouveaux mécanismes/molécules d’intérêt biomédical. En effet, elle permet d’établir des liens fonctionnels entre le
génome et le phénotype ; elle permet de comprendre les réponses des individus face aux
variations du milieu naturel. Elle représente
donc un axe majeur pour comprendre comment opère les mécanismes de la sélection
naturelle.
avignon
Prospective
génomique
Coordinateurs : Pierre Capy, Dominique Mouchiroud
Contributeurs : Frédéric Delbac, Nicolas Galtier, Mylène Weill, Christophe Douady, Dominique Joly, Denis
Faure, Ludovic Orlando, François Sabot, Malika Aïnouche, Philippe Vandenkoornhuyse, Richard Cordaux,
Pascal Simonet, Xavier Vekemans
Mots clés : Diversité/fonction des organismes, dynamique des génomes, relation génome/environnement, métagénomique, assemblages d’espèces, transfert génique, dynamique évolutive,
relations génotype-phénotype, impact évolutif des phénomènes épigénétiques, nouvelles techniques de séquençage.
L’actuel et les perspectives
La génomique, de par ses concepts et les nouveaux outils développés, a bouleversé ces dernières années la vision de nombreuses questions biologiques en proposant des approches
plus intégratives. Cette révolution a été rendue
possible grâce à une plus grande accessibilité
(technique et financière) à des outils de séquençage à haut débit dédiés à l’ADN, l’ARN et
aux protéines. Toutefois ces avancées restent
limitées en raison de freins liés à la gestion, la
mise à disposition et le traitement des masses
considérables de données qui sont et seront à
notre disposition.
Tous les champs couverts par l’INEE sont impactés et les questions abordées dans les
domaines de l’écologie et de l’évolution vont,
sans être exhaustif, de l’utilisation de l’ADN
ancien pour reconstruire l’histoire des génomes
et inférer les traits d’histoires de vie d’espèces
ancestrales, à l’approche de métagénomique
environnementale pour explorer la dynamique
et la structuration spatiale de la biodiversité
et son lien avec les conditions environnementales (adaptation), en passant par l’exploration
des polymorphismes et des divergences de séquences pour inférer les processus d’évolution
des populations et des espèces.
Les outils sont essentiellement centrés sur les
techniques NGS et les infrastructures publiques,
semi-publiques et privées de séquençage, les
infrastructures de pré-traitement bioinformatique des données : infrastructures liées à une
plateforme de séquençage ; infrastructures publiques indépendantes des plateformes de séquençage (RENABI,…) ; infrastructures locales
(fédérations de recherches,…). Toutefois, il est
nécessaire que l’articulation entre ces structures soit optimisée.
Les forces en France se trouvent dans les différents pôles d’influence de l’INEE. Ces ensembles sont souvent des zones où le rapprochement de différentes compétences amène à
avoir des approches et des visions de plus en
plus intégrées. Il serait donc important dans
un avenir proche que l’ensemble des unités et
des équipes rattachées à l’INEE, abordant des
thèmes relevant de la génomique, soient clairement identifiées et puissent être intégrées
dans le RTP-Génomique environnementale dont
l’objectif est justement d’aider la communauté
à s’organiser, à mutualiser compétences et
savoir-faire, à optimiser les moyens et à promouvoir les initiatives notamment auprès de
France-Génomique.
69
prospective de l’institut ecologie et environnement du cnrs
prospectives d’avignon
Thématiques et questions
Il nous paraît important de souligner, qu’un point commun à l’ensemble des thèmes qui sont présentés ci-dessous est la nécessité de renforcer les interactions entre Instituts au sein du CNRS,
notamment entre l’INEE et l’INSB sans exclure les physiciens, les mathématiciens et les informaticiens, mais également au-delà du CNRS, avec d’autres tutelles. L’approche INEEènne de ce
domaine de la biologie traduit un glissement de l’étude des « patterns » vers celui des processus,
et vers une biologie plus intégrative. Il y a donc là un réel besoin d’interdisciplinarité.
Les thématiques dans ce domaine de recherche en relation avec les champs couverts par l’INEE,
peuvent être regroupées en 4 domaines principaux, chacun pouvant être décliné en différents
sous thèmes.
Biodiversité
Phylogénie - phylogénomique
• La couverture de la biodiversité par les données de séquences génomiques s’est fortement
élargie en quelques années, bien qu’il reste encore des pans entiers non couverts, dans le domaine eucaryote en particulier. Des progrès majeurs, au plan méthodologique, ont été réalisés
récemment qui vont permettre de reconstituer bien plus efficacement qu’auparavant l’arbre de
la vie en tenant compte d’un spectre bien plus large de données. Il sera également possible
d’extraire des informations nouvelles des données génomiques : datation des divergences,
reconstitution des états et des événements sélectifs ancestraux, étude des communautés et
des environnements ancestraux.
• La sensibilité des approches développées en ADN ancien a déjà rendu possible un nouveau
champ disciplinaire qui, compte tenu de la crise annoncée de la biodiversité, n’est pas prêt de
s’arrêter : celui du monitoring moléculaire en temps réel de la biodiversité présente par l’utilisation de barcodes et de deep-séquencage. Au-delà des aspects technologiques, ce champ
nécessitera de développer des banques de données coordonnées sur la biodiversité des territoires afin de pouvoir interroger ces dernières en routine. Plus généralement d’ailleurs, les NGS
ont remis au goût du jour la nécessité d’avoir de bonnes données de phénomes (physiologie,
écologie, etc), ce qui est rendu possible à large échelle pour certaines espèces modèles grâce
au développement de plateformes de phénotypage automatisé. Ainsi, cette nécessité de coordination entre banques de données et d’une ouverture partagée va devenir essentielle.
Génomique structurelle
Mécanismes moléculaires de l’évolution des génomes : structure et dynamique
Les approches de génomique comparative ont mis en évidence la forte plasticité structurelle
des génomes, et ont notamment permis de caractériser l’importance évolutive du phénomène
de duplication de fragments de chromosomes ou de génomes entiers (paléo-polyploïdisation)
ainsi que le rôle joué par les éléments mobiles. Elles ont également permis de mieux comprendre le rôle des processus de recombinaison, réplication, et réparation (3R).
Réseaux de gènes et leur évolution
Les approches haut débit permettent de déterminer les relations fonctionnelles entre gènes
et leurs impacts sur la dynamique structurelle des génomes. Ces questions relativement nouvelles nécessitent le développement de nouveaux concepts et outils relatif à la dynamique et à
l’évolution des réseaux. Dans ce domaine des approches pluridisciplinaires s’avèrent souvent
nécessaires (mathématiques, physique).
70
Ecologie des génomes
Sous ce terme, il s’agit d’aborder les interactions entre des composants au sein des génomes,
le génome étant considéré comme une communauté dynamique avec des entités qui doivent
cohabiter pour maintenir un équilibre (gènes, ADN égoïstes, gènes égoïstes, distorteurs de
ségrégation et plus généralement les générateurs de conflits génomiques). Quelques analyses
préliminaires montrent que des modèles développés pour l’étude de la dynamique des populations peuvent être transférés à d’autres niveaux tels que le niveau intra-génome. De même, les
génomes n’évoluent pas indépendamment des facteurs biotiques et abiotiques les entourant,
et peuvent donc être considérés comme de véritables écosystèmes.
Définition de core-génomes et de pan-génomes
L’ensemble des séquences communes à tous les individus d’une espèce permet de définir
le génome « cœur » de l’espèce (ce qui fait l’identité de l’espèce) et l’espace de l’ensemble
des séquences des individus de cette espèce permet de déterminer l’amplitude de variation
autour de ce noyau. Cela peut éventuellement déboucher sur une génomique d’association
(association entre profils génomique et phénotypique) mais également sur la définition de
caractéristique d’évolutivité et évolvabilité des génomes.
Génomique des populations
Reconstruction de l’histoire des populations
L’obtention de données de polymorphisme à l’échelle du génome entier permet d’extraire un
signal essentiellement lié à l’histoire démographique des populations, et ainsi de documenter les évènements historiques de goulot d’étranglement ou de croissance démographique,
d’isolement des populations ou de fusion de populations. Elle permet également d’inférer des
changements de traits d’histoire de vie des espèces. Des progrès dans les procédures de
datation moléculaire permettront de rechercher un lien entre les évènements démographiques
historiques et l’histoire des changements environnementaux.
Paléogénomique
• Une tendance actuelle consiste à s’intéresser à tous les éléments des paléogénomes, à
savoir les variations de séquences, mais également les variations de marques épigénétiques
ainsi que les réarrangements chromosomiques. Ces deux dernières approches sont désormais possibles, certes avec quelques limitations, mais il ne fait pas de doute que les développements technologiques en cours (avec par exemple des procédés de séquençage capables
de lire les modifications des bases) contribueront grandement à améliorer la situation. Cela
ouvre des perspectives immenses d’utilisation des vestiges fossiles pour estimer l’importance
des phénomènes épigénétiques dans le processus évolutif.
• Dans ce domaine, il devient également possible de ne plus se limiter à l’ADN comme unique
marqueur des trajectoires évolutives passées. Les protéines, grâce aux développements de
la sensibilité des technologies de spectrométrie de masse, constituent elles aussi maintenant des sources d’information complémentaires. Ce champ est même promis à une véritable explosion puisque ce sont des images (certes incomplètes) de protéomes anciens qu’il
nous est maintenant possible de caractériser, et vraisemblablement à des échelles de temps
plus profondes que celles documentables par l’ADN. Ceci permet par ailleurs d’augurer de
vrais échanges en dehors des simples domaines de l’archéologie et de la paléontologie, par
exemple en évolution moléculaire pour calibration de nouveaux modèles de changements des
acides aminés.
71
prospectives d’avignon
Génomiques fonctionnelles
Fonctionnement des écosystèmes
La métatranscriptomique devrait faciliter notre compréhension du fonctionnement des écosystèmes dans une perspective prédictive. Elle vise, de façon plus appliquée, à répondre à des
questions sur la qualité/vulnérabilité des écosystèmes, les services écosystémiques, et la
capacité d’adaptation des écosystèmes aux changements globaux.
Recherche des déterminants moléculaires responsables de l’adaptation
Les approches «bottom-up» de génomique des populations et d’écologie des génomes mènent à
l’identification de régions génomiques potentiellement impliquées dans l’adaptation par exemple
via les scans génomiques recherchant les signatures de sélection positive ou de forte différenciation génétique. Les déterminants moléculaires de l’adaptation doivent ensuite être validés
sur le plan fonctionnel.
Diversification des modèles pour les tests fonctionnels
Bien qu’historiquement nous nous soyons principalement intéressés à la caractérisation des
génotypes, une évolution vers le test de prédictions commence à être entreprise sur le plan fonctionnel. Des tests cellulaires, voire même in toto avec des organismes génétiquement modifiés,
deviendront un grand enjeu pour valider nos prédictions. D’une part, les NGS permettent l’acquisition d’une importante masse de données chez les organismes non modèles, et d’autre part,
la recherche et les connaissances acquises sur les organismes modèles permettront de tester
fonctionnellement des hypothèses. Il est donc prévisible qu’une diversification des organismes
modèles (organismes pour lesquels des annotations auront été faites et validées) s’opère, afin
de rendre possible de tels tests dans une multitude de cas.
Relation fonctionnelle génotype-phénotype
Ce niveau doit permettre d’aborder des questions anciennes et nouvelles qui ne pouvaient
être résolues faute d’outils adéquats. Il s’agit de traiter de la lecture des génomes non seulement au cours du développement notamment dans le cadre d’analyses de type Evo-Devo en
ajoutant la composante Eco, mais également au niveau populationnel en intégrant le temps
court (modifications épigénomiques) et le temps long (modifications génomiques). Ces approches sont importantes pour comprendre l’évolution du fonctionnement des génomes et
celle des mécanismes de régulation de l’expression des gènes. Dans ce contexte, il sera
important d’intégrer très rapidement, parce ce que ce n’est toujours pas le cas, la dimension
épigénomique dans les scénarios d’évolution des génomes sans oublier qu’en parallèle il faut
que l’on soit capable de faire la part entre épigénomique et génomique, afin de pouvoir modéliser puis tester ces scénarios.
Les outils
Les outils de la génomique sont en constante et
rapide évolution. Il n’est, bien évidemment, plus
d’actualité, sauf cas bien précis, d’associer une
équipe ou un laboratoire à un équipement, d’où
l’importance de la mutualisation entre quelques
unités ou à travers des plateformes. Les points
qui semblent actuellement critiques ou qui
peuvent le devenir rapidement sont le stockage
et la gestion des données (séquençage, transcriptome, protéome, métabolome), leur analyse,
leur traitement et leur partage.
72
Dans ce contexte, une des caractéristiques des
équipes de l’INEE est la prise en considération
de niveaux d’intégration tels que la population
ou l’écosystème. Or, l’accès aux plateformes
de séquençage pose parfois problème lorsque
ces dimensions sont mises en avant. Aussi, il
apparaît nécessaire de pouvoir maintenir des
plateformes voire des plateaux techniques à une
échelle locale, pour des petits projets voire des
mises au point, à côté de plateformes nationales
et internationales.
Par ailleurs, il nous semble important d’avoir une
meilleure coordination pour faire valoir les questions propres aux thématiques de l’INEE. Cela
peut passer dans un premier temps par la mise
en place de structures d’échange type portail à
la fois sur les outils (logiciels, procédures d’annotation), le traitement et les stratégies d’analyse des données, le partage des données, le
référencement des plateformes de séquençage
et d’analyse et de leurs spécificités. A ce titre,
il y a une forte attente concernant la mise en
place de structures telles que l’institut Français
de la Bio-Informatique et de France Génomique,
dans lesquelles, il faudra s’assurer que l’INEE
ou au moins les thématiques de l’INEE soient
bien représentées.
La formation
Dans ce domaine, il apparaît nécessaire de former aussi bien les étudiants que les personnels
en poste à la biologie computationnelle, à la formalisation de questions complexes sous forme
de modèles avec comme objectif une vision plus
intégrative.
Pour ce faire, il est important que l’INEE interagisse avec les acteurs de la formation que sont
les universités et les grandes écoles. Cela peut
se faire à travers les Initiatives d’Excellence ré-
cemment mises en place (LabEx, IDEX…) mais
également via le dispositif original élaboré par
l’INEE, que sont les DIPEE. Ces interactions avec
le monde universitaire et les grandes écoles
peuvent se traduire entre autres par le développement ou le renforcement de formations
à l’interface biologie-mathématiques-physique,
l’organisation d’école d’été, l’aide à la mise en
place de formations dans le cadre des écoles
doctorales, etc.
73
prospective de l’institut ecologie et environnement du cnrs
prospectives d’avignon
Conclusions
En dehors de points déjà mentionnés plus haut, les faits saillants qui émanent de nos discussions
peuvent se résumer en quelques points, dont certains viendront renforcer ceux soulignés dans la
partie Ecologie prédictive et changement planétaire. Il faut dans un avenir proche s’investir pour :
Tirer le meilleur parti de la révolution analytique
• en développant l’analyse des organismes non-modèles présentant des adaptations clés
écologiquement pertinentes ;
• en adaptant les méthodologies et les profondeurs de séquençage aux questions ;
• en développant une coordination entre labos INEE pour un meilleur partage des savoirfaire en pleine évolution. Le prolongement du RTP génomique serait peut-être très utile dans
un premier temps, mais il faudrait également développer des structures d’échanges et de
coordination entre les interlocuteurs clés dans ce domaine à savoir : les infrastructures de
séquençage, les infrastructures de pré-traitement voire de traitement bioinformatique et les
utilisateurs INEE.
Tirer le meilleur parti des données acquises
• en partageant les données. Dans bien des cas, les données sont obtenues pour traiter une
question et seule une petite fraction est réellement exploitée alors qu’elles pourraient être
utilisées pour répondre à d’autres questions. Par ailleurs, les approches théoriques en génomique des populations cherchent bien souvent à tester des scénarios évolutifs, à détecter
l’action de la sélection naturelle, et à estimer les paramètres de ces scénarios, à partir de
données de génomes entiers. Par conséquent, ces données seraient également très utiles.
Comment les partager ? Cette question, très largement aussi débattue dans le cadre des
recherches en informatique, devrait probablement faire l’objet d’une réflexion au sein et audelà de l’INEE (avec comme corollaire une valorisation de la mise en forme et du partage des
données, voir partie Ecologie prédictive et changement planétaire).
Développer l’interdisciplinarité (aspect explicitement souligné
dans les restitutions de la plupart des ateliers lors des journées d’Avignon)
• en proposant la mise en place d’espaces permettant de faire émerger les interactions entre
discipline. L’interdisciplinarité mise en exergue au début de cet exercice est une réelle nécessité qui doit nous conduire vers des approches plus intégratives des génomes et peut-être
aller jusqu’à une génomique prédictive en terme d’adaptation et d’évolution. En parallèle, ce
type de dispositif doit s’accompagner d’une réelle prise en compte et une reconnaissance des
trajectoires professionnelles des acteurs de cette interdisciplinarité.
74
SYSTéMATIQUE,
PHYLOGéNIE
avignon
Prospective
Philippe Grandcolas, Vincent Daubin, Jérôme Chave, Gael Kergoat, Sarah Samadi, Régine Vignes-Lebbe
De nombreuses avancées méthodologiques jalonnent l‘évolution de la Systématique depuis
quelques décennies. L‘analyse phylogénétique permet de reconstruire les relations de parenté entre
les espèces et l’évolution de leurs traits dans le temps profond. La taxonomie et la classification
intègrent aujourd’hui les approches moléculaires et morphologiques et leur devenir est lié à celui
des bases informatiques de connaissance. Les outils ainsi offerts à la communauté prennent une
importance croissante dans le contexte scientifique et sociétal actuel.
D’une part, la biologie de l‘évolution et l‘écologie ont opéré un changement d’échelle dans leurs
études. Celles-ci prennent de plus en plus en compte les études en temps profond au niveau
régional pour interpréter les processus populationnels et individuels observés en temps actuel et
au niveau local. A cet égard, la phylogénie ainsi que la biogéographie deviennent indispensables à
l’étude de l’adaptation et à l’écologie des communautés.
D‘autre part, dans le contexte de la crise de la biodiversité et des effets des changements globaux,
le suivi de la biodiversité et la gestion de l‘environnement suscitent des demandes croissantes
d’évaluation et de validation des mesures de la biodiversité, pour lesquelles les outils de la systématique sont indispensables. Des espèces doivent être identifiées et des bases de connaissance
doivent être construites dans lesquelles les espèces, leurs localisations et la valeur de leurs traits
doivent être mises en correspondances grâce aux référentiels taxonomiques.
Enfin, la crise de la biodiversité et les demandes des pays du Sud induisent une demande de formation sur la biodiversité où la Systématique tient une place fondamentale.
Qu’il s‘agisse de mettre en œuvre les avancées méthodologiques dans la communauté académique
ou de répondre à des demandes sociétales, il y a à chaque fois nécessité de rendre des données
disponibles pour des raisons scientifiques (permettre leur ré-analyse), pratiques (pour assurer la
continuité et la pérennité des suivis), déontologiques (rendre compte aux bailleurs ou aux acteurs
d’un projet), ou pédagogiques. Cette mise à disposition doit autant que possible préserver le lien
entre données archivées et échantillons (par exemple, collections, herbiers) avec les outils informatiques appropriés (bases de données, numérisation, portails web interactifs). Il ne suffit pas de
rendre disponibles des données historiques mais aussi d’archiver de manière moderne les données
actuelles. En d‘autres termes, il faut sauver le cahier de laboratoire et les « voucher specimens » de
l‘écologiste du XXIe siècle.
La dualité de la Systématique, entre ses objectifs propres de biologie de la macroévolution (analyse phylogénétique) et science de la mise à disposition de l’échantillonnage du vivant avec la
taxonomie, amène à décliner deux groupes d’enjeux et de questions, des plus internes à la discipline aux plus altruistes.
75
prospective de l’institut ecologie et environnement du cnrs
prospectives d’avignon
Premier enjeu :
développer une analyse phylogénétique plus intégrative
Cet enjeu se replace dans une double problématique, avec les changements d’échelle de temps
et d’espace en écologie, et les questions propres
de la biologie de l’évolution en temps profond. Il
est également fortement lié au développement
de nouvelles techniques de séquençage (NGS)
ou d’algorithmique analytique.
Depuis plusieurs décennies, les aspects fonctionnels ou évolutifs ont été étudiés à l’échelle
populationnelle et locale, là où les processus de
transmission génétique et de sélection sont directement observables. Les situations ainsi envisagées n’en dépendent pas moins de l’héritage
phylogénétique ou du contexte géographique plus
large, dit «régional», dans lequel se replacent ces
études dites « locales ». L’écologie a ainsi récemment redécouvert l’analyse phylogénétique de
l’évolution et la biogéographie historique, notamment en développant la phylogénétique des communautés ou l’écophylogénétique. Cette nouvelle
perspective implique l’emboitement des échelles
géographiques, et l’analyse dans un même arbre
phylogénétique de problématiques de spéciation
ou d’interactions biotiques et de leur contexte
macroévolutif et ancestral. Cela signifie qu’il
est nécessaire de mener des analyses phylogénétiques positionnées sur de larges intervalles
temporels et géographiques adéquats, avec les
Pour toutes ces études, trois types d’intégration
sont requis dans le futur :
Le premier type concerne les données paléontologiques avec la nature fossile ou actuelle des
espèces. Pendant longtemps, les fossiles ont été
considérés comme des ancêtres qui ne pouvaient
être comparés à des espèces actuelles et dont
l’étude était restreinte à une interprétation morphologique indispensable mais passablement
isolée des interprétations issues de données
néontologiques. Aujourd’hui, cette vision partielle
commence heureusement à être complétée par
des interactions croissantes entre paléontologues et néontologues. Ces derniers, encore assez frileux en la matière, incorporent a minima les
fossiles comme critères de calibration d’arbres
moléculaires: un clade est ainsi censé avoir l’âge
minimum du plus ancien fossile connu. Cette pratique est un tout petit pas dans la bonne direction
mais il est nécessaire dans le futur d’aller encore
76
marqueurs et les techniques statistiques appropriées. Atteindre pleinement ces objectifs d’emboitement d’échelles n’est possible qu’avec de
gros efforts d’intégration de données de natures
et d’origines différentes.
Toutes les problématiques de biologie de l’évolution à plus large échelle au-delà des mécanismes de spéciation et d’adaptation actuelles
ou subactuelles rendent également nécessaires
la menée d’études à l’échelle régionale ou
au-delà et en temps profond. Parmi celles-ci,
on peut citer l’étude de la mise en place des
plans d’organisation en lien avec l’évo-dévo et
la génomique évolutive qui permet d’aborder les
questions fondamentales de l’origine de l’organisation des phénotypes et du génome. La compréhension des crises biotiques est également
un sujet particulièrement important à l’orée de
la sixième extinction; elle passe par l’étude des
rythmes d’évolution avec l’analyse de la balance
entre spéciation et extinction. Enfin, le contexte
géographique de l’évolution est non seulement
un sujet en soi avec la biogéographie historique, récemment redécouverte par une partie
de la communauté scientifique, mais aussi une
contingence spatiale dont la connaissance est
indispensable à la compréhension de l’évolution
biologique.
plus loin en intégrant des fossiles et des espèces
actuelles dans les mêmes analyses phylogénétiques, comme cela a été fait depuis longtemps
par les systématiciens morphologistes. Ces espèces fossiles, en plus de leur âge, portent en
effet bien d’autres informations phénotypiques ou
géographiques qui sont primordiales pour l’étude
de l’évolution. Cette étape d’intégration des données fossiles et actuelles va requérir une interaction importante entre néontologues, paléontologues et algorithmiciens pour développer des
méthodes qui iront bien au-delà de l’utilisation
des fossiles pour calibrer des datations ou des «
mappings » de syndromes phénotypiques sur des
arbres moléculaires.
La prise en compte des données paléontologiques requiert donc un deuxième type d’intégration, qui concerne l’analyse phylogénétique
des caractères phénotypiques. De la même
manière que les espèces fossiles, les carac-
tères phénotypiques en général ne doivent pas
être seulement plaqués a posteriori comme de
vagues syndromes ou des classes analogiques
sur des arbres moléculaires déjà reconstruits.
La compréhension des patrons d’évolution
morpho-anatomiques ou des adaptations en
connexion avec des approches évo-dévo ou avec
des approches de génétique des populations
demande que les caractères phénotypiques
soient «disséqués», codés en détails et incorporés dans l’analyse, comme la systématique morphologique le pratique déjà de son côté depuis
plusieurs décennies. Une exigence d’analyse
détaillée existe également en ce qui concerne la
prise en compte d’éléments plus extrinsèques,
comme la répartition géographique. Seule cette
analyse détaillée des traits d’intérêt permettra
de comprendre leur évolution, en relation avec
leur déterminisme génétique et les pressions de
sélection concernées.
Ce constat amène au troisième type d’intégration nécessaire: réconcilier les messages
émanant des différents processus génétiques.
L’analyse phylogénétique de l’évolution classique présuppose en effet que la transmission
génétique verticale prédomine et qu’un individu
est passablement invariant pour les marqueurs
génétiques concernés. L’analyse phylogénétique doit évoluer vers plus de réalisme pour
discriminer entre transmission verticale classique et transferts horizontaux, y compris chez
des organismes eukaryotes. Elle doit également
prendre en compte la diversité des messages
génétiques présents dans les différents tissus
d’un même individu et ne pas faire l’hypothèse
aveugle de l’évolution concertée. Ce réalisme
biologique devra être pris en compte dans les
méthodes de reconstruction, en permettant une
confrontation entre les messages évolutifs des
différents marqueurs. Cette confrontation n’aura de valeur que si la nature et la répartition
de ces différents marqueurs peuvent être mieux
connues dans les organismes considérés, par la
mise en oeuvre de méthodes de séquençage de
dernière génération, à l’aune de la génomique et
de la transcriptomique.
Second enjeu :
mobiliser et rendre disponibles les données
systématiques de biodiversité
Les exigences actuelles de connaissance, de suivi et de partage des connaissances en matière
de biodiversité sont fortes. Cela est vrai non seulement au niveau de la communauté scientifique
qui a dépassé largement le cadre des quelques
organismes modèles ou charismatiques et qui
est demandeuse de données sur une large palette d’organismes. Mais cela est vrai également
au niveau de la société toute entière, du fait des
besoins déterminés par les politiques de gestion
publique ou d’appropriation citoyenne.
Tous les besoins et tous les nouveaux outils bien
médiatisés dans la communauté scientifique et
même au-delà, incluant pêle-mêle barcodes ADN,
NGS et génomique environnementale, numérisation 2D-3D, analyses phylogénétiques probabilistes, systèmes experts, science participative,
sont directement dépendants de la taxonomie
et des classifications. Contrairement à une idée
reçue tenace, les taxonomies et classifications
ne sont pas et ne doivent pas être figées et ex-
haustives, comme une sorte de dictionnaire encyclopédique dont nous aurions déjà écrit quelques
volumes et dont les autres resteraient à compléter. En réalité, de même que toutes les connaissances scientifiques, la taxonomie évolue en
permanence, par modification participative de la
part des scientifiques du monde entier. De fait,
l’assemblage cohérent de toutes les descriptions
taxonomiques dans un système de classification
et de nomenclature permet d’accéder à une largeur de vue qui transcende les personnes, les
écoles et les nations. Cela permet d’y trouver ou
d’y incorporer les échantillons nécessaires pour
apporter des réponses à toutes les questions
scientifiques. La cohésion du système est garantie par des règles nomenclaturales de fonctionnement qu’il faut également maintenir et améliorer.
L’ampleur de la tâche (plusieurs dizaines de millions d’organismes à décrire, diagnoser et classer) requiert un grand nombre de participations
scientifiques dans toutes les équipes travaillant
sur la biodiversité.
77
prospectives d’avignon
Même si les spécimens eux-mêmes ont vocation à être stockés dans des établissements
ad hoc et pérennes (Muséums, collections
institutionnelles, etc.), il est primordial que
la systématique soit travaillée dans de multiples laboratoires de recherche au plus près
des besoins des scientifiques. Cela implique
de mettre en œuvre une très importante politique de formation des scientifiques à la taxonomie, également à destination des pays du
Sud très demandeurs et envers lesquels nos
politiques et des traités nous engagent. Les
opérations d’échantillonnage contribuant à
la taxonomie et réalisées par tous ces scientifiques peuvent avoir des finalités et des
échelles très variées: études centrées sur des
questions aux échelles locales ou régionales,
inventaires taxonomiques à toutes échelles,
ATBI ou grandes expéditions par définition
locaux mais taxonomiquement larges et nonexhaustifs, etc. Toutes ces opérations doivent
toutes contribuer aux connaissances taxonomiques, en comprenant bien que l’exhaustivité
et la stabilité de ces connaissances, si elles
sont souhaitables dans l’absolu, ne sont pas
des objectifs atteignables, ni dans le pratique
ni dans la théorie.
A cet enjeu de connaissance taxonomique
sur la biodiversité sont associés deux enjeux
connexes corollaires. D’une part, il faut mobiliser et intégrer les données actuelles de biodiversité avec la taxonomie : cela implique que
tous les éléments de connaissance qui se
développent actuellement comme par exemple
les barcodes, ou les études sur les traits écologiques, soient associés via les ontologies adéquates au système taxonomique. Les cahiers
de laboratoire de la biodiversité ne peuvent
pas être gardés au fond du tiroir comme de
coutume. Ils doivent être partagés, utilisés et
réutilisés, sur le modèle de la systématique qui
a mis au point un partage des connaissances
taxonomiques, partage fonctionnel sur la base
des classifications depuis deux siècles.
D’autre part, cette mobilisation et cette intégration de toutes les données de la biodiversité
doivent être complétées par une mise à disposition qui va très au-delà de la publication académique traditionnelle, par le développement de
bases informatisées en ligne.
78
Un certain nombre de principes sont sousjacents à ces enjeux. Des standards doivent être
développés et largement acceptés pour les données de biodiversité (ontologies, mesures). Ils
permettent le stockage et le retour aux données.
Toutes les données de biodiversité (espèce, occurrence, trait, etc., d’origine professionnelle ou
participative citoyenne) doivent être organisées
en s’inspirant de l’exemple des collections de
taxonomie: l’occurrence doit donc être dans la
mesure du possible associée à un spécimen ou
à une entité de référence (tissu, document numérique photographique ou acoustique, etc.), ce qui
permet un retour aux données et leur mutualisation. Les bases de données ainsi constituées
devront être interopérables et gérées dans des
systèmes ouverts.
Toutes ces informations, spécimens, entités et
informations associées, doivent être hébergés
de manière pérenne et accessible. C’est ce qui
est réalisé depuis longtemps par les Muséums,
de façon tellement classique et ancienne qu’on
oublie aujourd’hui de s’en inspirer.
Ce bref aperçu des principaux enjeux en phylogénie en et systématique se replace dans un
contexte très favorable. Il y a d’une part de nouvelles méthodes d’obtention des données moléculaires, incluant séquençage de nouvelle génération et accès au transcriptome, et d’autre part,
des progrès algorithmiques ou informatiques
permettant leur analyse. L’arbre ne doit cependant pas cacher la forêt et les enjeux dépassent
les outils, aussi puissants et innovants soient-ils.
Il est important que les laboratoires étudiant la
biodiversité puissent non seulement accéder à
ces nouvelles données et maîtriser ces nouveaux
procédés mais aussi qu’ils prennent conscience
des enjeux en amont. A ce titre, ils se doivent de
participer à la conception d’analyses phylogénétiques plus intégratives et surtout de participer à
la constitution du système taxonomique en prenant conscience de leurs propres intérêts et de
leurs besoins immédiats dans ce domaine. En
effet, le système de classification taxonomique
participatif, tel qu’il est conçu, demande un minimum d’égoïsme de la part de ses participants
pour pratiquer la vertu de la mise en commun. La
systématique n’est pas une affaire de Muséums
qui la conçoivent en isolement pour des utilisateurs éloignés, elle est l’affaire de tous.
éCO-éVO-DéVO-PALéO
avignon
Prospective
Coordinateurs : Sabrina Renaud & Didier Casane
Contributeurs : Jean-Christophe Auffray, Laure Bonnaud, Serge Cohen, Bruno David, Alexander Ereskovsky,
Philippe Janvier, Patricia Gibert, Catherine Girard, Franck Guy, Thierry Grange, Brigitte Meyer-Berthaud,
Dominique Pontier, Nick Rowe, Bernard Thierry, Irène Till-Bottraud
Des champs disciplinaires aussi différents que l’étude de l’évolution des mécanismes moléculaires du
développement et l’étude du développement chez des organismes fossiles ont connu ces dernières
années d’importantes avancées conceptuelles s’appuyant sur des innovations méthodologiques et
technologiques. Parmi ces avancées, citons l’essor des méthodes en « -omique » et en bioinformatique,
les progrès de la biologie du développement, les progrès de l’imagerie 3D et de la micro-tomographie
qui permettent d’étudier, par exemple, des structures chez les fossiles, jusque-là difficiles à documenter.
Ces avancées ont stimulé les approches à l’interface des champs de recherche sur le développement
et l’évolution (« évo-dévo »), en intégrant la dimension d’interaction entre développement, évolution et
environnement biotique et abiotique (« éco-évo-dévo »). Le développement de telles démarches intégratives est apparu un dénominateur commun à de nombreux ateliers des Prospectives. Dans le contexte
de l’évo-dévo, ceci se traduit notamment par une volonté de la communauté de voir se développer
des interactions fortes entre les départements INEE et INSB. En effet, la richesse de la communauté
évo-dévo vient de la diversité de ses origines, depuis l’étude des mécanismes du développement à
l’échelle moléculaire jusqu’à la paléontologie à l’échelle des temps profonds de la phylogenèse. Une
vraie perspective éco-évo-dévo doit viser à intégrer, au moins conceptuellement, aussi bien les mécanismes (moléculaires, cellulaires, développementaux) que l’échelle évolutive (depuis la micro- jusqu’à
la macro-évolution à l’échelle de dizaines voire de centaines de millions d’années).
Trois principaux points ont émergé de ces prospectives, constituant des priorités thématiques
associées à des verrous méthodologiques majeurs :
1) Le matériel d’étude :
de quelques organismes modèles à la biodiversité naturelle.
Les contraintes méthodologiques ont limité le
décryptage des mécanismes développementaux
et l’analyse des réseaux de gènes à quelques
organismes modèles (drosophile, souris de laboratoire, poisson zèbre…). La révolution des méthodes en « -omique » donne aujourd’hui accès
au même type d’information sur des espèces non
modèles et pour des populations naturelles. Intégrer la biodiversité intra- et inter-espèces dans les
études éco-évo-dévo est crucial pour sortir des
cas particuliers que représentent les quelques
organismes modèles. Cela doit notamment permettre de choisir les organismes étudiés sur
d’autres critères, positionnement phylogénétique
d’intérêt ou contexte environnemental particulier,
afin d’appréhender au mieux les mécanismes
impliqués dans l’ajustement entre l’organisme et
son environnement via son développement.
79
prospective de l’institut ecologie et environnement du cnrs
prospectives d’avignon
2) Des nouvelles méthodologies :
un besoin d’appropriation.
L’étude de la variation naturelle ne pourra
s’effectuer qu’en mobilisant les avancées
technologiques les plus récentes, notamment
les méthodes en « -omique » ainsi que les
compétences bioinformatiques nécessaires
pour faire face à ces énormes jeux de données. Ces méthodes sont transversales à de
nombreux domaines relevant de l’INEE. Les
approches éco-évo-dévo devront également
pouvoir s’appuyer sur des méthodologies plus
spécifiques comme l’imagerie 3D. Ces outils
sont nécessaires pour avoir accès à des données inaccessibles à ce jour (embryons fossiles, organes non minéralisés), mais constituant des informations clés dans un contexte
évo-dévo.
3) Une thématique phare :
revisiter la compréhension de l’adaptation.
Un concept partagé par les différentes approches
de l’évo-dévo est sans doute celui d’adaptation.
L’originalité de l’éco-évo-dévo est d’en rechercher les mécanismes développementaux, pour
comprendre l’origine de la variabilité morphologique, son évolution et son lien avec l’environnement. C’est également, en mettant en avant
l’intégration complexe de l’organisme et de son
développement, d’avancer des hypothèses alternatives à l’adaptation, par exemple en montrant
que l’évolution d’un trait, même apparemment
« complexe », peut se faire « facilement » comme
produit secondaire de l’évolution d’un réseau de
gènes. Cette question de l’adaptation, au cœur
des thématiques de l’INEE, peut se décliner dans
des cadres aussi différents que les réseaux de
gènes ou les organismes éteints. Elle a donc
un fort potentiel fédérateur, en recherchant les
mécanismes du développement qui lient l’organisme à son environnement.
Plus qu’un champ disciplinaire défini par un niveau d’organisation ou un type de phénomènes
observés, l’évo-dévo se caractérise par sa démarche (recherche des mécanismes développementaux sous-tendant les différences morphoanatomiques, et évolution de ces mécanismes).
La variation actuelle comme fossile, les modèles
animaux comme végétaux, les caractères morphologiques comme les changements physiologiques, peuvent donc également relever de
ce champ d’investigation. Les principaux points
énoncés ci-dessus se déclinent donc en une
variété de questions plus spécifiques à chacune
des approches composant l’évo-dévo.
Une compréhension renouvelée de la relation
phénotype-génotype
L’approche évo-dévo de l’évolution a contribué à renouveler la compréhension du lien
entre le génotype et le phénotype. Il apparaît
de plus en plus clairement que l’évolution
des mécanismes du développement implique
au niveau du génome des mutations qui ne
sont pas nécessairement de grande ampleur,
ni en nombre ni en termes d’organisation du
génome. On peut plutôt voir l’évolution des
réseaux de régulation du développement
comme un « bricolage » à partir d’une boîte à
outils génétique somme toute limitée. Malgré
cela, ces mutations peuvent avoir des conséquences phénotypiques importantes, en modifiant l’expression des gènes au cours du dé80
veloppement. L’hétérochronie (déplacement
dans le temps de l’expression des gènes) a
souvent été mise en avant, peut-être parce
que cette notion avait été popularisée, notamment en paléontologie, pour expliquer des
tendances évolutives comme la néoténie. La
réalité est plus complexe et intègre l’hétérotopie (déplacement spatial de l’expression des
gènes), importante pour expliquer par exemple
l’existence de structures répétées (homologie sérielle), et l’hétérométrie (changement
quantitatif d’expression) pour expliquer, entre
autres, des changements de taille relative de
structures. Le rôle respectif de ces variations
d’expression et leurs causes premières, muta-
tions dans les séquences régulatrices ou les
séquences codantes, importance des mécanismes épigénétiques, est une problématique
majeure en évo-dévo au niveau moléculaire.
Elle permet de ré-envisager de manière originale l’évolution d’innovations morphologiques
majeures dans la phylogénie, en y intégrant le
registre fossile.
La composante Dévo comme contrainte
de l’évolution
Les systèmes de contrôle du développement
peuvent produire de manière préférentielle
certains phénotypes à partir d’une variabilité
génétique donnée. Ceci peut constituer des
contraintes et/ou un biais limitant l’espace des
possibles dans l’évolution. Par ailleurs, le développement des organismes implique des gènes
qui sont pour la plupart pléiotropes, et l’on peut
se demander si l’évolution d’un caractère est
le résultat d’une sélection directe (si sélection
il y a) ou d’une sélection indirecte, par l’intermédiaire d’autre(s) caractère(s) corrélé(s). Quel
est l’impact de ces contraintes dans l’évolution à moyen et à long terme ? Quel est le lien
entre contraintes développementales et canalisation du développement ? Quels sont les
mécanismes d’échappement à ces contraintes
permettant des innovations ? Ce dernier point
met en avant que les mécanismes du développement évoluent également. Pour étudier
cet aspect particulier de l’évolution, quel est
le niveau pertinent d’analyse : les composants d’un réseau de régulation, ou le réseau
entier ? Ces réseaux montrent une certaine
robustesse au changement, une même structure phénotypique pouvant être mise en place
par des mécanismes moléculaires sous-jacents
qui ont divergé. Sur toutes ces questions, les
nouvelles approches moléculaires des mécanismes du développement et les nouvelles
méthodes morphométriques pour décrire et
modéliser la morpho-anatomie des organismes
permettent d’examiner deux composantes complémentaires de l’organisation des organismes
multicellulaires : intégration des parties en un
tout fonctionnel d’une part, et d’autre part une
certaine modularité permettant une indépendance relative de l’évolution des parties. Des
avancées majeures sur ces questions sont
attendues dans les années à venir.
La composante éco
Plus que les relations écologiques proprement
dites, cet aspect vise à replacer l’évolution de
l’organisme et de son développement dans
le contexte de la variation environnementale.
Cette démarche est indispensable pour intégrer et tester la composante adaptative des
mécanismes mis en évidence. Des différences
environnementales peuvent conduire un même
génotype à exprimer des voies développementales différentes, ce qui revient à envisager
sous l’angle évo-dévo la plasticité phénotypique. Valider l’interprétation de différences
génétiques et développementales en termes
d’adaptation nécessite de tester l’avantage
sélectif du trait, en termes d’amélioration fonc-
tionnelle et/ou de valeur sélective. Par ailleurs,
l’approche évo-dévo a contribué à mettre en
avant que l’organisme évoluait de manière
intégrée, car un même gène ou réseau de
gènes est impliqué dans de multiples aspects
du phénotype. L’évolution d’un trait doit donc
être remise dans le contexte de l’évolution de
l’organisme dans son ensemble. Des changements environnementaux sont susceptibles
d’avoir des répercussions sur des traits d’histoire de vie (taux de croissance, allocation des
ressources) qui, en changeant le contexte du
développement, pourraient avoir des conséquences inattendues sur d’autres traits, notamment morphologiques.
81
prospectives d’avignon
La dimension temporelle Paléo
Elle constitue une source de questionnement
en donnant accès à la dimension temporelle
de l’évolution. Les données fossiles peuvent
avoir valeur de tests pour les inférences faites
sur les états ancestraux à partir des reconstitutions phylogénétiques ; dans ce contexte,
l’étude de plus en plus poussée de l’ADN ancien
ouvre même la voie à une génomique de taxons
éteints. Les morphologies ancestrales observées peuvent donner de précieuses indications
sur la séquence d’acquisition de caractères
complexes et sur la gamme des « possibles »
phénotypiques explorés par l’évolution du développement au cours du temps. D’éventuelles
similitudes avec des produits de manipulations
de la génétique et/ou du développement (surexpressions, knock-out, mutants) peuvent suggérer
des gènes/voies candidats à étudier. L’analyse
croisée des observations paléontologiques et du
développement des espèces actuelles permet
de re-questionner la notion d’homologie, cruciale
pour établir les relations phylogénétiques entre
organismes : des structures qui ne présentent
pas d’homologie évidente au niveau morphoanatomique peuvent partager des mécanismes
de développement communs (concept d’homologie profonde). Se pose alors la question de
savoir dans quelle mesure on peut propager
une relation d’homologie d’un niveau d’organisation (par exemple un réseau de régulation)
à un autre (par exemple une structure morphoanatomique). Les développements méthodologiques et notamment d’imagerie permettent
aussi d’avoir accès à des données jusqu’alors
inaccessibles, comme l’embryologie d’espèces
éteintes ou la morphologie d’espèces ne présentant que peu de parties minéralisées. Là aussi,
le registre fossile peut être crucial pour analyser
dans un contexte phylogénétique l’évolution des
processus développementaux.
Ces approches éco-évo-dévo sont intégratives de méthodes, de concepts, mais aussi d’échelles,
puisqu’elles interrogent la variation génétique, développementale et phénotypique du niveau
moléculaire jusqu’au niveau de la phylogenèse. Elles partagent des questions évolutives avec
d’autres champs thématiques de l’INEE et ont donc un fort potentiel pour être mobilisées
dans des contextes divers. Citons, parmi les ateliers ayant participé à ces prospectives : la
génomique, l’hérédité génétique et non-génétique, le lien entre sexe et évolution (évo-dévo des
caractères impliqués dans la reproduction), la systématique et la phylogénie, l’écophysiologie, la domestication (évo-dévo des changements phénotypiques observés chez les animaux
et les plantes, si importants dans l’histoire de l’Homme). Une approche éco-évo-dévo pourrait
également être développée pour comprendre les mécanismes de réponse évolutive et/ou de
perturbation du développement face à des pathogènes (évolution et santé) ou des polluants
(écotoxicologie). Plus généralement, dans le contexte du changement global, une approche intégrative éco-évo-dévo pourrait être pertinente pour questionner les capacités de réponse des
organismes au grand challenge auquel ils sont et seront soumis.
82
HéRéDITé GéNéTIQUE ET NON
GéNéTIQUE, VERS UNE GéNéRALISATION
DE LA THéORIE DE L’éVOLUTION
avignon
Prospective
Coordinateurs : Etienne Danchin, Odile Petit
Contributeurs : Fabien Aubret, Jean-Christophe Auffray, Simon Blanchet, Anne Charmantier, Thomas Cucchi, Particia Gibert,
Christophe Grunau, Michael Hochberg, Stéphane Maury, Guillaume Mitta, Catherine Montchamp, Rémy Petit, Benoit Pujol,
Michel Raymond, Francois Rousset, Fabrice Roux, Bernard Thierry, Irène Till-Bottraud, Anne Tresset, Cristina Vieira
Ce texte est l’émanation du travail d’une petite trentaine de personnes, avant, pendant et après la
tenue de l’atelier du même nom.
Contexte général
La biologie vit actuellement une mutation profonde suite à d’importants progrès des connaissances dans de nombreux domaines incluant
les sciences du développement [1,2] et du comportement [3,4,5,6,7], ainsi que l’épigénétique
[8,9,10,11] et l’écologie évolutive dans toutes
ses facettes [12,13,14]. Ces développements
ont conduit de nombreux auteurs à appeler de
leurs vœux la « modernisation » de la synthèse
moderne de l’évolution [2,3,14,15,16,17]. Un
point central réside dans les arguments solides
soutenant l’existence d’une part non-génétique
de l’hérédité. Ces arguments proviennent de
domaines très divers des sciences biologiques
et concernent tous les groupes taxonomiques.
Les écologistes de l’évolution ont cherché à
formaliser ces découvertes en termes d’hérédité, ouvrant la voie à une étude quantitative
des différentes sources de variation phénotypique héritées et de leurs conséquences en
termes de sélection naturelle et d’évolution
[4,7,13,14,18,19] [20]. Il en résulte actuellement au plan mondial un changement de paradigme qui implique qu’aujourd’hui, la vision selon
laquelle l’hérédité de la variation phénotypique
repose uniquement sur la transmission de la
variation génétique (encodée dans la séquence
de l’ADN) ne suffit plus à la compréhension du
processus d’évolution biologique [7,14]. Le modèle d’hérédité qui émerge incorpore non seulement une composante génétique, mais aussi
toutes les formes d’hérédité non-génétique au
sein d’une conception globalisante de la théorie
de l’évolution. Différents termes sont utilisés par
divers auteurs pour décrire cette conception élargie de l’hérédité et de l’évolution, que ce soit une
théorie « inclusive » de l’évolution [13], ou bien
synthèse moderne « étendue » [2,21] ou « généralisée » [18], ou « pluraliste » [22], ou encore
une synthèse moderne « modernisée » [23].
Retour aux sources
Pour bien comprendre ce qui est en jeu dans
ce débat, il est nécessaire de revenir aux fondamentaux. Ce qui différencie le vivant de l’inanimé est la reproduction. Qui dit reproduction,
dit transmission d’un schéma général entre
générations sous la forme d’information per-
mettant de construire un nouvel individu. Historiquement, l’étude de l’hérédité moderne a été
marquée dès les origines par le modèle mendélien et l’approche statistique de l’hérédité, mais
ce n’est que 50 ans plus tard que l’ADN a été
reconnu comme le support a priori de l’informa-
83
prospective de l’institut ecologie et environnement du cnrs
prospectives d’avignon
tion héritée conduisant à la fusion entre tous
ces courants. Nous avons eu alors tendance à
simplifier les formulations en identifiant l’hérédité à la seule transmission d’informations génétiques (au sens classique de la transmission
d’allèles selon les lois de la génétique Mendélienne), tout en sachant qu’il s’agissait là d’une
simplification qu’il faudrait un jour dépasser. De
ce fait, la vision classique actuelle, telle que vé-
hiculée par tous nos livres de cours, est que l’information transmise est essentiellement, si ce
n’est exclusivement, de nature génétique. Selon
cette vision, seule l’information encodée dans
la séquence de l’ADN serait héritée et donc soumise à sélection. Il est maintenant temps de
dépasser cette vision qui a cependant permis
les innombrables progrès que l’on connaît dans
la compréhension de l’hérédité.
Les évolutions actuelles
En effet, l’hérédité génétique n’explique pas
tout. En particulier, diverses approches ont,
depuis maintenant au moins quatre décennies,
apporté des arguments forts montrant l’existence de nombreux types d’information ne reposant pas sur un codage génétique mais qui sont
pourtant clairement héritées et héritables entre
générations. Les domaines scientifiques ayant
apporté de tels arguments sont assez nombreux, que ce soit l’hérédité culturelle (ou héritage social qui inclut l’influence d’individus non
parents dans les groupes sociaux avec recouvrement des générations; les premiers articles
remontent à la fin des année 1970), l’hérédité
écologique en relation avec le phénomène de
construction de niche (domaine qui s’est fortement développé durant les deux dernières décennies), les effets parentaux dont la fonction
évolutive première est bien de transmettre des
informations à la descendance de façon à les
préparer aux conditions environnementales qui
prévalent à ce moment-là et, plus récemment, la
transmission intergénérationnelle des marques
épigénétiques (i.e. des modifications héritables
de l’expression de l’information génétique; domaine en plein développement depuis le milieu
des années 2000; pour des revues sur ces sujets, voir [3,14,19,24,25]), ainsi que l’hérédité
résultant de la transmission verticale des symbiontes transmis, processus bien décrit chez les
insectes, dans l’hérédité inclusive [26,27].
L’originalité de la situation actuelle est dans
l’avènement de développements technologiques
majeurs permettant d’aborder des questions
jusque-là inaccessibles. Il devient maintenant
possible de distinguer l’information génétique
(véhiculée dans la séquence de l’ADN) de l’’information épigénétique héritable (dont une partie
est véhiculée dans les patrons de méthylation
de l’ADN, l’état des histones et par les petits
84
ARN). De plus, la qualité des expériences faites
pour étudier les processus fins d’hérédité (impliquant par exemple des adoptions croisées, ou
des expériences fines de laboratoire comme
l’évolution expérimentale) permet de distinguer
des voies mécanistiques d’hérédité autrefois
techniquement indiscernables, et d’étudier
leurs interactions.
De ce fait, le débat dans ce domaine s’amplifie
au point que la publication récente par Russell
Bonduriansky d’un article intitulé « Rethinking
heredity, again » dans Trends in Ecology and
Evolution a entraîné toute une discussion dans
laquelle certains auteurs –tout en admettant
l’existence de transfert d’information de nature
non-génétique entre générations– concluent qu’in
fine tout revient à de la génétique et qu’à long
terme cela n’affecte pas l’évolution.
Un des grands défis actuels des sciences de
l’écologie et de l’évolution n’est donc pas tant
d’accepter l’existence d’une part non-génétique
à l’hérédité, mais plutôt de reconnaître que cela
peut changer en profondeur les dynamiques
écologiques et évolutives, au point que cela
devrait nous conduire à élargir notre vision de
l’hérédité et de l’évolution en une vision pluridimensionnelle. Une telle reconnaissance passera par une nécessaire étape de quantification de
l’importance de la composante non-génétique
de l’hérédité. Les écologistes de l’évolution ont
une place importante à jouer dans la compréhension de ces processus. Il faut souligner ici
que cela ne remet pas en cause la synthèse moderne mais l’élargit –ou la généralise– , un peu
comme la relativité n’a pas contredit la théorie
Newtonienne mais l’a largement généralisée de
façon a intégrer des situations jusqu’alors non
explicables.
Il nous semble que l’Institut du CNRS INEE est à une place stratégique pour stimuler la participation des
chercheurs français à ce type de recherche de front des sciences. La question de la composante nongénétique de l’hérédité se situe en effet au carrefour entre plusieurs domaines des Sciences Biologiques:
génétique moléculaire et épigénétique, génétique quantitative et des populations, biologie du développement, écologie comportementale, sciences de l’évolution, neurosciences (cognition et apprentissage,
culture animale), les Sciences médicales (médecine évolutionniste), et les Sciences humaines (comportement économique, culture humaine, psychologie, cognition).
Conclusions de l’atelier
Lignes de force
Les discussions ont fait ressortir les lignes de force suivantes :
• L’étude de l’hérédité non-génétique est une approche en pleine émergence au cœur de l’écologie et de l’évolution. D’autres ateliers ont d’ailleurs fait ressortir la nécessité d’intégrer l’épigénétique dans les recherches en écologie et évolution.
• Il nous faut, en amont ou en parallèle à l’acquisition de nouvelles données, encore travailler
à améliorer les concepts et faire régulièrement évoluer leurs contours en écho à l’évolution
des connaissances. Le concept d’épigénétique par exemple recouvre des processus agissant
à différents niveaux d’organisation. Même si la tendance actuelle est de mettre l’accent sur
les mécanismes moléculaires, les facteurs environnementaux agissent à différents niveaux du
phénotype avant de mettre en action les mécanismes à l’échelle de l’ADN et il est important
d’intégrer tous ces processus dans les recherches sur le sujet. D’autres auteurs tendent à
limiter le concept à la partie héritable de ces processus, ce qui serait par trop restrictif.
• Il nous est apparu qu’une des difficultés pour appréhender l’impact de l’hérédité non-génétique réside dans le fait qu’au plan pratique, on ne sait en fait pas encore bien évaluer la part
de l’hérédité qui est strictement génétique.
• La question de l’adaptation demanderait que l’on soit capable d’estimer de manière précise
le lien entre hérédité non-génétique et valeur sélective (fitness). Ce type d’approche sera très
gourmand en données.
Trois axes majeurs de recherche sont proposés
1 - Documentation de cas d’études
L’objectif doit être d’augmenter le nombre de traits/espèces où l’hérédité aura été démontrée comme
impliquant des processus génétiques et non-génétiques. Le développement d’espèces modèle doit
aussi être envisagé en parallèle pour permettre l’étude approfondie des mécanismes d’hérédité nongénétique. Cela nécessitera une augmentation des capacités de génotypage et surtout de phénotypage haut débit, ainsi que la conception de nouvelles techniques permettant de capturer les composantes non-génétiques de l’hérédité. La question du phénotypage haut débit sera centrale dans les
années à venir. Il est également souhaitable d’inclure dans ces approches des organismes non-modèles, notamment des espèces à large distribution géographique, ainsi que des espèces présentant
naturellement une faible diversité génétique.
Nous prédisons que, encore plus que par le passé récent, de nouveaux traits réputés comme
transmis uniquement par voie génétique vont se révéler être transmis par une conjonction de
différents processus en interaction. Identifier les différentes composantes de l’hérédité sera
primordial pour la théorie dès lors que ces divers processus ont des propriétés de transmission
très variables, tant en terme de pérennité des informations transmises (exacte ou partielle,
identique entre les générations ou s’épuisant au fil des générations) qu’en terme de types de
85
prospectives d’avignon
transmission (vertical versus horizontal ou toute combinaison des deux).
L’accumulation de nouveaux cas qui en résultera permettra d’étudier le spectre de distribution
de l’hérédité non-génétique tant au plan taxonomique qu’au niveau du type de trait concerné
(morphologique, comportemental, etc).
2 - Investir dans la compréhension des mécanismes
Ceci impliquera pour nos institutions d’accompagner l’étude à haut débit des génomes et des épigénomes (incluant l’étude des régions non codantes) et celles des transcriptomes (y compris des
petits ARNs ) et de soutenir l’acquisition d’outils de phénotypage haut débit. D’autres défis résident dans le développement de nouveaux modèles d’analyse des données et dans l’amélioration
de notre connaissance des mécanismes de transmission (différentes échelles de temps et types
de transmission, horizontal versus verticale et oblique). Afin d’aller au-delà des études corrélatives
il est indispensable de générer des collections « d’épimutants » et/ou d’établir des méthodes
qui permettent d’introduire des épimutations de façon ciblée. L’impact de la composante nongénétique sur la génétique (via par exemple la libération d’éléments transposables) doit être
systématiquement étudié. Enfin, chez les animaux où l’on observe de la transmission culturelle,
les recherches en cognition animale nous permettront de faire le lien entre toutes ces approches.
3 - Investir dans la théorie
Un enjeu majeur sera d’intégrer l’hérédité non-génétique dans nos modèles d’évolution pour répondre à diverses questions telles que :
• De quelle manière et avec quelle ampleur les parts de l’hérédité génétique et non-génétique
varient elles selon les traits/taxons ?
• Quelles sont les conséquences de la prise en compte de l’hérédité non-génétique sur les
dynamiques écologiques et évolutives ?
• Est-ce que les trajectoires de ces dynamiques et/ou la nature des équilibres prédits par les
modèles d’évolution incluant l’hérédité non-génétique diffèreront fondamentalement de ceux
qui sont prédits par des modèles ne prenant en compte que l’hérédité génétique ?
• Ces considérations théoriques doivent aboutir à des hypothèses qui devront être testées
expérimentalement.
Nous anticipons aussi d’importants défis de modélisation vu la complexité introduite par l’hérédité
non-génétique. Cet objectif impliquera donc une démarche interdisciplinaire avec les mathématiques et l’informatique.
Implications pour l’INEE
Il nous est apparu que de toute évidence, l’INEE doit jouer un rôle central dans ce thème en émergence des sciences de l’écologie et de l’évolution. À ce stade précoce où nous en sommes, il nous
paraît primordial que nos institutions investissent massivement dans la compréhension profonde
des processus qui contribuent à la composante non-génétique de l’hérédité. Bien entendu, mieux
comprendre ces processus devrait générer de nombreuses perspectives appliquées dans le futur,
que ce soit en médecine ou en conservation. Toutefois, comme dans toute discipline scientifique,
ces perspectives ne pourront devenir réalité que si un accent fort est mis au préalable sur la recherche fondamentale et sur la compréhension des processus et mécanismes sous-jacents. C’est
pourquoi nous pensons que les efforts immédiats devront s’orienter vers des recherches plus fondamentales qu’appliqués. Ce n’est que dans un second temps que le transfert de recherche fondamentale vers la recherche appliqué (médecine, conservation etc.) pourra se faire. Dans le même
ordre d’idée, il ne nous semble pas souhaitable de mettre l’accent sur l’humain car les besoins
86
d’expérimentation fortement intrusive ne peuvent pas s’appliquer sur l’humain. Cependant, l’originalité de l’espèce humaine peut être considérée pour certaines études spécifiques, en particulier
pour l’étude de l’évolution culturelle où il ne fait aucun doute que l’espèce humaine constitue un
modèle de choix. Au plan des modèles biologiques, il est nécessaire de développer des modèles
animaux, végétaux et microbiens en fonction des besoins spécifiques des approches adoptées.
Enfin, le développement de cette thématique nouvelle impliquera par nature de fortes transversalités
tant au sein de l’INEE qu’avec d’autres instituts du CNRS comme par exemple l’INSB pour l’étude
des mécanismes proximaux de l’hérédité non-génétique (épigénétique, cognition, neurosciences) ou
bien l’IMSMI pour relever les défis de modélisation. Nous anticipons que de nombreux développements en écologie et évolution devraient émerger de l’ensemble de ces approches au cours de la
décennie à venir.
87
prospective de l’institut ecologie et environnement du cnrs
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SEXE ET éVOLUTION
avignon
Prospective
Coordinateurs : Brigitte Crouau-Roy & Frédéric Veyrunes
Contributeurs : Sylvain Glemin, Dominique Joly, Thomas Lenormand, Gabriel Marais, Sandrine Maurice,
Denis Roze, Sylvain Charlat, Catherine Montchamp-Moreau
Mots clés : Chromosomes sexuels, conflits génomiques, déterminisme du sexe, recombinaison,
systèmes de reproduction
L’évolution et le maintien du sexe reste une des grandes énigmes de la biologie évolutive. En effet,
la reproduction sexuée est a priori une stratégie coûteuse (vs. asexualité) et très contrainte donc
conservée; pourtant elle est extrêmement répandue dans le monde vivant (la très grande majorité des
organismes eucaryotes) et très diversifiée. Plusieurs hypothèses ont été formulées pour expliquer ce
paradoxe, mais les conditions d’apparition et du maintien du sexe au cours de l’évolution restent encore aujourd’hui vivement débattues. Le sexe a d’autant plus fasciné les scientifiques qu’il engendre
des répercussions profondes sur les modalités de transmission de l’information génétique, élément
central pour comprendre les mécanismes de l’adaptation.
Enfin, l’avènement de nouveaux outils technologiques en génomique, transcriptomique et protéomique
ainsi que méthodologiques ont permis des avancées considérables dans la compréhension des mécanismes de déterminisme et d’évolution du sexe. Pourtant de nombreuses questions restent en
suspens et l’augmentation de l’incidence des pathologies associées à la différentiation sexuelle chez
l’homme (liée aux quantités croissantes de perturbateurs endocriniens dans notre environnement)
illustre la nécessité de mieux comprendre l’évolution des chromosomes sexuels mais aussi la complexe initiation du déterminisme du sexe.
Loin de faire un état des lieux exhaustif de la question du « sexe et évolution » qui touche un champ de
recherche très vaste, nous nous sommes intéressés à certains points particuliers.
Evolution du sexe et recombinaison
Contexte
Le sexe est un des grands paradoxes darwiniens :
comment une telle stratégie si coûteuse et instable (coût de la production de mâles) peut-elle
apparaître et se maintenir face à des stratégies
asexuées ? De nombreuses théories basées
sur les effets de la recombinaison peuvent
aujourd’hui expliquer le maintien du sexe, mais
elles justifient encore mal son apparition. Des
approches théoriques et expérimentales correspondantes restent donc à développer.
Le sexe a des répercussions profondes sur l’évo-
lution des espèces et des génomes. En effet, la
sélection à l’échelle d’un génome opère différemment selon qu’il y ait plus ou moins d’associations
génétiques intra- et inter-locus, c’est-à-dire selon
qu’il y ait plus ou moins de « sexe ». Les théories pour rendre compte de l’évolution du sexe
ont été particulièrement développées depuis une
quinzaine d’années et testées par des approches
d’évolution expérimentales depuis une dizaine
d’années. Dans ce contexte, trois grands axes
de recherche se dégagent aujourd’hui.
89
prospective de l’institut ecologie et environnement du cnrs
prospectives d’avignon
Enjeux
• Considérer l’évolution du sexe comme l’évolution d’un syndrome plus global qui associe des
coûts du sexe plus réalistes (conflits sexuels,
conflits génétiques) et des adaptations liées au
sexe de manière plus intégrée (cycles de vie, ploïdie, réparations de l’ADN).
• Développer les théories de génétique des
populations multilocus pour ajouter différentes
sources de stochasticité, telles que la stochasticité mutationnelle et environnementale, à celle
de la dérive qui reste jusqu’à présent centrale
dans les théories les plus pointues.
• Poursuivre le développement de modèles empiriques pouvant tester ces théories, par évolution
expérimentale, par études de terrain (par ex.
parthénogénèse géographique), ou par analyses
comparatives de génomes sexués/asexués.
L’évolution des génomes asexués (ou de portions de génome non recombinantes comme les
chromosomes sexuels) avec les nouveaux outils
de biologie moléculaire restent également un axe
majeur pour mieux élucider l’impact de l’absence
de recombinaison sur les génomes, ainsi que
des conséquences évolutives du sexe.
Sélection sexuelle
L’apparition du sexe chez les organismes génère une nouvelle pression de sélection, la sélection
sexuelle qui vient s’ajouter à la sélection naturelle.
Contexte
Basée sur l’anisogamie (différence d’investissement entre sexes pour les gamètes), la sélection
sexuelle induit des pressions de sélection entre
mâles pour l’accès aux femelles (en général le
sexe limitant) – via la sélection intrasexuelle - et
des pressions de sélection entre sexes dans le
choix du partenaire sexuel – via la sélection intersexuelle. L’étude de ces processus a bénéficié
de modèles et concepts théoriques qui ont permis de dynamiser la démarche expérimentale et
renforcer nos connaissances sur l’évolution des
caractères, leur diversification, et leur coévolution
avec les « préférences » femelles . Plus récemment, le rôle de la sélection sexuelle comme
forces d’adaptation écologique permettant l’exploration d’un large spectre d’espaces phénotypiques autour de l’optimum de viabilité a été souligné. Cette assise théorique a suscité un intérêt
renouvelé pour des études expérimentales sur
des organismes très variés, produisant ainsi un
jeu de connaissances uniques en biologie.
Récemment, le rôle de la sélection sexuelle a
été considéré du point de vue de la différenciation des populations pouvant conduire à un isolement reproducteur et donc faciliter la spéciation. En effet, des espèces phylogénétiquement
proches montrent souvent des déplacements
de caractères reproducteurs, ces derniers évoluant généralement beaucoup plus rapidement
que les autres caractères. Longtemps focalisées au niveau pré-copulatoire, les recherches
de ces dernières décennies se sont tournées
sur les mécanismes plus cryptiques (biochimiques et moléculaires) au niveau post-copulatoire. Le développement d’outils génétiques et
plus récemment les méthodes en « omics » ont
permis des avancées remarquables illustrant
par exemple l’existence de coévolutions antagonistes entre sexes pouvant conduire à des
processus de courses aux armements entre
caractères de persistance chez le mâle et de
résistance chez la femelle.
Enjeux
• Identifier les facteurs génétiques ou épigénétiques impliqués dans le choix pré- et post-copulatoire du partenaire susceptible d’influer les flux de
gènes et donc les divergences entre populations.
• Estimer les coûts et bénéfices des pressions
de sélection dues aux interactions sexuelles.
• Comprendre la coévolution entre signaux
sexuels et récepteurs à l’origine de l’isolement
90
reproducteur.
• Déterminer les incompatibilités gamétiques
entre spermatozoïdes et ovocytes avant ou après
fusions cellulaires.
• Apprécier et quantifier les vitesses d’évolution des gènes liés à différents types de caractères reproducteurs comme les génitalias ou
les protéines séminales
• Déterminer les contraintes génétiques, développementales ou fonctionnelles qui limitent la
diversification des caractères reproducteurs et
diminuent leur vitesse d’évolution.
• Multiplier les études d’évolution expérimentale
pour discriminer les processus génétiques adaptatifs de la plasticité phénotypique.
• Poursuivre l’effort de formulation d’un cadre
théorique pour intégrer les aspects liés à la sélection sexuelle dans un contexte plus large de
coévolution mâle-femelle (y compris pour le choix
de partenaires sexuels dans l’espèce humaine).
Sexe et conflits génomiques
Contexte
Le sexe crée un terrain fertile à l’émergence de
conflits entre compartiments génomiques qui ne
sont pas transmis d’une génération à la suivante
selon les mêmes règles (génome nucléaire vs cytoplasmique par ex) ou causés par des éléments
génomiques égoïstes qui modifient les règles de
transmission à leur profit au détriment de leurs
homologues (distorteurs de ségrégation méiotique par ex). Les conflits génomiques sont une
force évolutive très puissante. Par exemple, les
distorteurs de ségrégation liés aux chromosomes
sexuels peuvent déséquilibrer le sexe-ratio au
risque d’entrainer des extinctions de population,
générant un conflit dans lequel distorteurs et
suppresseurs de distorsion s’accumulent sur différents chromosomes (course aux armements).
Cela peut influencer l’évolution de nombreux phénomènes tels que la régulation épigénétique (ex :
gènes soumis à empreinte parentale), la distribution des gènes dans le génome, le déterminisme
du sexe (gènes féminisants/masculinisants) et
la spéciation (stérilité hybride).
Enjeux
• Identifier de nouveaux gènes distorteurs et
leurs éventuels partenaires suppresseurs.
• Améliorer la compréhension des mécanismes
moléculaires et cellulaires sous-tendant la distorsion de ségrégation.
• Améliorer notre connaissance des modalités d’évolution des conflits provoqués par les
distorteurs de ségrégation dans la nature et
de l’impact de ces conflits sur l’évolution des
génomes et des espèces.
Evolution des systèmes de reproduction
Contexte
La très grande diversité de systèmes de reproduction se traduit à la fois dans la répartition des
sexes au sein et entre les individus, dans la part
de la reproduction sexuée et asexuée, et dans les
systèmes de croisements. Les systèmes de reproduction ont un fort impact sur le fonctionnement
et l’évolution des populations, c’est pourquoi leur
étude occupe une place importante dans de nombreuses thématiques en biologie évolutive et en
écologie (maintien et structuration de la diversité
génétique, mécanismes et dynamique de l’adaptation, évolution des génomes, mécanismes de
diversification des espèces…). L’étude des systèmes de reproduction trouve des implications pra-
tiques en biologie de la conservation en général et
pour l’amélioration des plantes en particulier.
Pour toutes ces raisons, l’évolution des systèmes
de reproduction est, depuis longtemps, un thème
de recherche central en biologie évolutive mais
de nombreuses questions soulèvent encore des
controverses et d’autres sont encore peu abordées. De nouveaux outils à la fois techniques
(comme le séquençage haut débit) et méthodologiques (par exemple les méthodes phylogénétiques d’analyse d’évolution de traits) permettent
maintenant d’aborder ces nouvelles questions
ou de revisiter les anciennes.
Dans ce domaine, le contexte scientifique fran91
prospectives d’avignon
çais se caractérise par plusieurs points forts
comme la modélisation de l’évolution des systèmes de reproduction, l’analyse détaillée et mécanistique de certains systèmes de reproduction
caractéristiques (auto-incompatibilité ou déterminisme du sexe chez les plantes), ou l’utilisation
de la génomique évolutive et de méthodes d’inférence statistique pour tester des hypothèses sur
l’évolution et les conséquences des systèmes
de reproduction (organismes principalement étudiés : plantes, mollusques, arthropodes, mammifères, champignons).
Enjeux
Patrons macroévolutifs liés à l’évolution des systèmes de reproduction
Depuis longtemps, des scénarios d’évolution
des systèmes de reproduction ont été proposés
sur la base soit d’arguments théoriques, soit
d’études comparatives. Grâce à la disponibilité
de phylogénies moléculaires pour un nombre
toujours croissant de groupes d’espèces et
aux développements des méthodes de phylogénies, il devient possible de réévaluer de façon
plus systématique et quantitative certaines
questions. En particulier : quelles sont les
voies préférentielles d’évolution d’un système
de reproduction à un autre (ex : l’évolution de
la dioécie à partir de l’hermaphrodisme passet-elle préférentiellement via la gynodioécie ou
la monœcie) ? A quels taux se font les transitions et existe-t-il des variations entre groupes
d’espèces ? Y a-t-il coévolution entre systèmes
de reproduction et d’autres traits et quelles en
sont les modalités (par exemple entre autofé-
condation et annualité chez les plantes) ? Les
systèmes de reproduction peuvent-ils impacter
les patrons de diversification et certains systèmes sont-ils des culs de sac évolutifs ?
• Caractériser les systèmes de reproduction
chez un grand nombre d’espèces et obtenir des
phylogénies correspondant aux groupes étudiés.
• Mise en œuvre de stratégies d’inventaires et
de compilation de ressources déjà disponibles
et organisation sous forme de bases de données reliant traits, séquences et phylogénies.
L’acquisition de ce type de données doit pouvoir être poursuivie sur du long terme, ce qui
nécessite des échantillonnages sur le terrain
(plantes, champignons, algues), des caractérisations morphologiques, et des analyses génétiques, ce qui ne peut s’envisager que sur des
périodes de temps importantes (supérieures
aux durées habituelles des projets).
Dynamique et déterminisme des transitions de systèmes de reproduction
• Il existe une longue tradition de développements théoriques pour prédire l’évolution
des systèmes de reproduction. Cependant, la
plupart du temps il s’agit de déterminer les
stratégies évolutivement stables dans tel ou
tel contexte écologique et/ou génétique. Les
dynamiques de transition entre deux systèmes
restent encore peu étudiées et un corpus théorique important reste encore à développer pour
comprendre ces transitions : à quelle vitesse
peuvent-elles avoir lieu ? Quelles en sont les
bases génétiques les plus probables ? Comment prendre en compte le contexte démogra-
phique et écologique ? Comment prendre en
compte la co-évolution possible avec d’autres
traits sous sélection ?
• Le pendant d’approches théoriques est de
développer des modèles biologiques pertinents
pour étudier ces transitions en détail, à la fois
les paramètres des populations naturelles (démographie, écologie), les évolutions phénotypiques associées (ex : syndrome d’autofécondation, dimorphisme sexuel chez les espèces
dioïques), et les bases génétiques impliquées,
allant jusqu’à l’identification des gènes impliqués et des pressions de sélection associées.
Conséquences des systèmes de reproduction sur le fonctionnement et l’évolution des populations
Ceci est un enjeu pour des questions de
conservation, de réponses aux changements
globaux, ou d’utilisation des ressources génétiques en amélioration des plantes.
La génomique évolutive et la génomique des populations sont des outils pertinents pour évaluer
92
l’effet des systèmes de reproduction sur les patrons de diversité génétique, les pressions de sélection à l’œuvre (de quelle intensité et sur quels
gènes ?), et à plus long terme, sur la structure
des génomes (quel impact sur les gènes dupliqués ou les chromosomes sexuels par exemple)
ou l’évolution d’autres systèmes génétiques (ex :
recombinaison, taux de mutation). Grâce aux
nouvelles technologies de séquençage, ces questions peuvent maintenant être posées sur des
espèces non modèles. Une approche à développer est donc de comparer les patrons d’évolution
moléculaire chez des espèces proches mais différents par leur système de reproduction (sexuées
/asexuées, allogames / autogames, hermaphrodites / dioïques), et ce de façon répétée dans plusieurs groupes d’espèces. En complément, des
prédictions théoriques restent encore à développer pour mieux comprendre l’effet des systèmes
de reproduction sur l’évolution des génomes car
la plupart des modèles de référence ont été développés pour des espèces sexuées allogames.
Identification des gènes du déterminisme du sexe
et évolution des régions génomiques concernées
Contexte
Le sexe est extrêmement répandu dans le monde
vivant et présente une extraordinaire variabilité
de mécanismes. Cette diversité est d’autant plus
surprenante qu’intuitivement, on s’attendrait à
ce que le sexe soit un processus très conservé,
car soumis à de fortes contraintes sélectives. En
fait, à l’exception de quelques groupes comme
les mammifères (mais il existe aussi des exceptions), le déterminisme du sexe est extrêmement
labile. Cette diversité s’exprime à toutes les
échelles taxonomiques, même les plus fines. A
titre d’exemples, on retrouve des espèces congénériques de reptiles et de poissons présentant
des déterminismes du sexe influencés par des
facteurs environnementaux (comme la température), génétiques (où le sexe du zygote est fixé
lors de la fécondation par le génotype) avec des
chromosomes sexuels XY (hétérogamétie mâle)
ou ZW (hétérogamétie femelle), et même de l’hermaphrodisme. Cette diversité peut également
s’exprimer à l’échelle intraspécifique.
Le déterminisme du sexe le plus communément
rencontré chez les eucaryotes est génétique. Mais
sous ce terme se cache une multitude de systèmes
divers. Le sexe peut être induit par exemples par
des facteurs dominants mâles ou femelles (ex :
gène SRY sur le chromosome Y des mammifères),
une balance entre des facteurs sur le chromosome
X et les autosomes (ex : drosophiles), par l’expression simultanée de plusieurs gènes (ex : systèmes
polygéniques de certains poissons), ou par une
différence de ploïdie entre sexes (systèmes haplodiploïdes des hyménoptères).
Concomitant avec les progrès considérables de
la biologie moléculaire, ce n’est qu’en 1990 que
le gène SRY du déterminisme du sexe chez les
mammifères a été identifié. L’avènement des méthodes de cytogénomiques à la fin des années
90 ont permis des comparaisons génomiques à
grandes échelles taxonomiques (par ex : homme
/ rat / souris), ou entre lignées très divergentes
de mammifères (marsupiaux / homme / ornithorynque) et même en incluant des taxa encore plus
éloignés phylogénétiquement (poulet ou poissonzèbre). Cela a entrainé des avancées considérables dans la compréhension de l’évolution
des chromosomes sexuels et dans l’origine des
chromosomes sexuels humains en particulier. Il
a notamment été montré que les chromosomes
sexuels sont apparus indépendamment dans de
nombreux groupes d’animaux et de plantes, suggérant que des forces évolutives comparables
opèrent dans ces différentes lignées.
Enfin, depuis une décennie, les Nouvelles Générations de Séquençage (NGS) ont révolutionné
la discipline. De nouveaux systèmes de déterminisme du sexe ont ainsi été décrits et de nouveaux
gènes identifiés. Cependant, malgré les avancées
considérables dans le passé récent, beaucoup de
questions restent en suspens.
Enjeux
• Comprendre pourquoi les déterminismes du
sexe sont si diversifiés. Identifier les évènements de transition à l’aide cadres phylogénétiques bien définis. Déterminer les pressions
de sélection (ex : conflits génomiques) par
des approches moléculaires et théoriques.
• Identifier les gènes du déterminisme du sexe.
Depuis la découverte de SRY, seuls quatre
autres déterminants sexuels ont été identifiés,
DMRT1 chez les oiseaux, DMY chez le poisson
médaka, DMW chez le xénope et très récemment celui de la truite (équipe française).
93
prospective de l’institut ecologie et environnement du cnrs
prospectives d’avignon
• La cascade du déterminisme du sexe des
mammifères est de loin la plus connue, pourtant nous savons encore très peu sur le mode
d’action et l’identité des gènes impliqués.
L’étude de systèmes atypiques pourrait permettre de mieux comprendre le déterminisme
du sexe classique des mammifères.
• Génomique comparative dans différentes
lignées présentant des traits d’histoire de
vie différents et à toutes les échelles taxonomiques (puissance pour caractériser les
microévolutions) : distinction des effets li-
gnées-spécifiques, chromosome-spécifiques et
gène-spécifiques.
• Séquencer les chromosomes sexuels de lignées divergentes pour avoir accès aux gènes
et pseudogènes et ainsi appréhender les vitesses d’évolution et les processus de dégénérescence des chromosomes Y.
• Rechercher les signatures de sélection (approches statistiques et phylogénétiques et approches populationnelle et interspécifiques).
• Etudier les facteurs influençant l’arrêt de la
recombinaison des chromosomes sexuels.
Perspectives : vieilles questions, nouvelles approches.
Les contextes et enjeux, brièvement présentés
ci-dessus, permettent d’identifier tout un champ
thématique dans lequel un grand nombre de chercheurs de l’INEE sont impliqués et pour lequel le
CNRS doit dès aujourd’hui investir. Il s’agit pour
l’essentiel de questions anciennes qui restent
encore sans réponse, mais pour lesquelles les
nouvelles approches en « omique » apportent des
nouvelles perspectives et vont conduire, dans un
futur proche, à des avancées significatives.
Nous devons mettre un effort particulier sur :
• La description et l’analyse approfondie de
la diversité des systèmes de reproduction aux
échelles macro et microévolutives. Celles-ci nécessitent 1) l’inférence des systèmes de reproduction, à partir des données de (méta)génomiques, applicable à tout taxon et à étendre
à une grande échelle évolutive et 2) leur interprétation dans un cadre phylogénétique pour
déterminer des patrons macroévolutifs (traits,
taux d’extinction, spéciation, ...).
• L’identification des mécanismes moléculaires sous-tendant les déterminismes sexuels
génétiques et environnementaux. De manière
générale, nous connaissons encore peu de
chose quant à l’identité et les modes d’action
des gènes impliqués dans l’initiation et la cascade moléculaire des déterminismes du sexe.
En particulier, il existe encore un manque notable de connaissance de notre déterminisme
du sexe, celui des mammifères.
• Le développement conjoint d’approches
théoriques et d’évolution expérimentale pour
déterminer les processus évolutifs favorisant
1) l’apparition du sexe, 2) son maintien et
3) les transitions de systèmes de reproduction.
Quels sont les coûts et bénéfices? Les conflits
génétiques rentrent-ils en jeu ? Quels sont les
niveaux de sélection qui agissent sur l’évolution
des systèmes de reproduction ? Ce sont autant
de questionnements pour comprendre « the evolution of sex (...) the hardest problem in evolutionary biology » d’après John Maynard Smith.
• La poursuite des études sur les conséquences évolutives du sexe en considérant des
problématiques très diverses, comme la structure des génomes, les patrons macroévolutifs
(spéciation, extinction), l’évolution moléculaire,
les conflits génétiques, la sélection sexuelle, ...
Besoins
Depuis une dizaine d’années, les questions autour de l’évolution du sexe connaissent un essor
remarquable et le CNRS doit ainsi poursuivre son rôle moteur dans la stratégie scientifique de
cette thématique. Pour cela, l’INEE doit développer des interfaces avec d’autres instituts du CNRS
tels que INSB et INSHS, que ce soit par la création de réseaux thématiques transversaux à l’interface entre Sciences Humaines et Biologie Santé ou par des appels à projets financés.
En parallèle, nous assistons actuellement à une révolution technologique cruciale avec l’avènement des techniques en « omique ». Il y a là un enjeu majeur pour que la France puisse s’imposer
en tant que leader. Le CNRS devrait donc faciliter l’accès à des plateformes NGS, ainsi que la gestion des données issues de ces NGS. Il sera également nécessaire d’encourager et de multiplier
les recrutements de personnels techniques en bioinformatique.
94
éCOLOGIE, éVOLUTION, SANTé
ET BIODIVERSITé
avignon
Prospective
Coordinateurs : François Renaud & Frédéric Thomas
Contributeurs : Jean-Baptiste Ferdy, Evelyne Heyer, Dominique Pontier et Lluis Quintana-Murci
Mots clés : Pathogènes, Ecologie, Evolution, Santé
Le monde fait actuellement face à des perturbations à une échelle et d’une vitesse sans précédents.
Ces perturbations entraînent notamment deux crises majeures, une crise écologique marquée par une
extinction massive de la biodiversité et une crise sanitaire marquée par l’émergence ou la ré-émergence de pathogènes. L’étude des liens étroits et complexes qui existent entre l’environnement, les
écosystèmes et les agents étiologiques responsables de maladies dans les populations humaines,
animales et végétales (HAV) est de ce fait un domaine de recherche en pleine émergence. Toute forme
de gestion de milieu a pour conséquences, souhaitées ou non, d’être favorable à certaines espèces
et défavorable ou neutres pour d’autres. Lorsque les espèces favorisées jouent un rôle prépondérant
dans la réalisation du cycle de vie d’un pathogène, ce dernier se trouve directement avantagé par le
mode de gestion. Il apparaît dans ce cadre nécessaire d’apporter des connaissances permettant la
mise en place d’une gestion des écosystèmes favorable au maintien de la biodiversité tout en prenant
en compte les risques de transmission de pathogènes aux populations HAV, et ce, dans le contexte
des changements climatiques actuels. De telles recherches doivent être menées dans le cadre d’une
collaboration étroite entre écologistes de la santé, biologistes de la conservation et les différents
acteurs de la santé publique et vétérinaire. Par ailleurs, l’application des sciences de l’Ecologie et de
l’Evolution aux problèmes de santé humaine va bien au-delà du contexte des maladies infectieuses et
des écosystèmes, comme le montre l’essor actuel de la Médecine Evolutionniste.
Passer de 7 milliards d’humains sur la planète à 9/10 milliards ou plus à la fin de ce XXIème siècle
constitue le problème majeur de l’ensemble des sociétés et des politiques qui les dirigent. Quelles
espèces et combien accompagneront l’Homme dans son nouvel écosystème? Ce qui est sûr, c’est
que le monde des parasites (ou pathogènes) sera là ! Il l’a toujours été depuis l’aube de la vie sur
notre planète. Pour exemple, les insectes étaient parasités par des virus voici plus de 300 millions
d’années. Les parasites appartiennent, tout comme nous, au grand livre du vivant, et force est
de constater qu’ils sont toujours présents. Sans se positionner dans un néodarwinisme rigide, il
est indéniable que ce sont les meilleurs qui gagnent à un temps et dans un lieu donnés. Ainsi, la
pathogénicité (ou virulence) est un phénotype qui confère un avantage dans un temps donné et
dans un lieu donné (écosystème) à certains individus qui survivent et se reproduisent mieux que
les autres. Néanmoins cette virulence a un revers, et heureusement pour nous, puisqu’un parasite
qui élimine trop rapidement son hôte se suicide par voie de conséquence. La virulence est un trait
phénotypique que l’on peut sélectionner, et donc contre-sélectionner.
95
35
prospective de l’institut ecologie et environnement du cnrs
prospectives d’avignon
Au cours de cet atelier, nous avons pu dégager trois grands axes qui nous semblent fondamentaux
pour les prospectives de la discipline :
96
1) L’échelle des recherches doit se positionner sur les communautés de pathogènes qui
vivent au sein d’une population, voire d’une
espèce hôte ou d’une communauté d’hôtes.
En effet, les agents infectieux comme les espèces hôtes sont organisés en assemblages
communautaires dont il devient primordial
d’analyser les niveaux de structuration. A
l’échelle de l’hôte, cet ensemble définit les
phénotypes responsables de la virulence, de
la résistance et de la tolérance (VRT). Nous
sommes dans des cas d’association de malfaiteurs qui coopèrent ou se combattent au
sein d’un hôte. Des travaux théoriques et expérimentaux ont montré que les co-infections
entre pathogènes peuvent conduire à une
diminution ou à une augmentation de la virulence. Les notions de compétition et de coopération qui sont deux lois des sciences de
l’écologie et de l’évolution devraient être bien
plus exploitées dans les recherches futures.
Tous les organismes qui vivent aux dépens de
l’hôte n’ont pas le même rôle et donc le même
impact sur les processus sélectifs sousjacents. Il devient de ce fait essentiel de différencier ce que nous appellerons les espèces
pathogènes clés, directement impliquées dans
les mécanismes de sélection des VRT. Nous
pourrions résumer la situation ainsi : Qui est
responsable de Quoi ? Un bon pathogène est-il
un pathogène mort ?
Les espèces hôtes ne peuvent, par ailleurs,
vivre sans une communauté commensale,
voire symbiotique, qui leur apporte les éléments indispensables au bon fonctionnement
de leurs métabolismes. Pour exemple, le
nombre de gènes constitutifs du génome humain se chiffre en 103, et celui de la communauté associée à 106. Quelles sont alors les
interactions, conflits d’intérêt ou coopération
entre communautés commensales et communautés pathogènes ?
2) Les changements environnementaux occasionnés par l’expansion démographique humaine, l’industrialisation et l’évolution climatique entraînent des modifications du mode de
vie des organismes hôtes et pathogènes. Nous
observons et observerons des processus de
maladaptation suite à l’ensemble de ces perturbations. Quelles en sont les conséquences
sanitaires ? Pour exemple, les pertes de la biodiversité hôte qui affecteront les écosystèmes
auront des répercussions sur l’ensemble des
pathogènes et commensaux qui circulent dans
ces environnements dits modernes. Observerons-nous des transferts d’espèces de pathogènes sur de nouvelles espèces hôtes, ce qui
caractérise l’émergence infectieuse? Où se
produira-t-il une diminution des diversités de
pathogènes et/ou de commensaux qui aura
également des conséquences sur les dynamiques de transmission et d’évolution des
pathogènes ? Quelles seront les nouvelles interactions phénotypes/génotypes ?
L’urbanisation, les pollutions anthropiques et
l’utilisation de plus en plus prépondérante de
molécules médicamenteuses devront faire
l’objet d’études particulières pour comprendre
l’impact de ces processus sur les populations
hôtes. En effet, sachons que nous sommes
quelque part responsables des sélections de
résistance, puisque l’utilisation systématique
d’antibiotiques ou autres molécules de lutte
anti-pathogènes dans les écosystèmes ne fait
que favoriser ceux qui possèdent les caractéristiques de résistance. Mais nous devons soigner, et donc les utiliser. C’est une spirale dans
laquelle l’issue positive est loin d’être évidente.
3) Il devient urgent de développer une interaction disciplinaire entre Ecologie/Evolution et
Médecine humaine/vétérinaire. Un axe thématique Santé : Ecologie, Evolution (appelé aussi
Médecine Evolutionniste) doit maintenant voir
le jour et se développer. Ce nouvel axe devrait
se définir à deux niveaux : Enseignement et
Recherche. Il semble, en effet, fondamental
d’introduire des enseignements en écologie
et évolution dans la formation des médecins
et des vétérinaires. De même, l’écologie et
l’évolution pourraient être introduites dans les
cursus d’infectiologie, et réciproquement, de
manière à créer des synergies entre des communautés scientifiques qui historiquement se
parlent peu.
Dans cette perspective, il convient aussi d’explorer les conséquences sur notre santé du
manque de correspondance entre l’environnement dans lequel nous vivons à l’heure actuelle
et celui pour lequel nous avons été sélectionnés au cours de millions d’années. L’homme
a modifié rapidement et radicalement son
environnement, et s’est ainsi débarrassé des
pressions sélectives qui ont façonné notre organisme (maladies, climats hostiles, grossesses
fréquentes, durée de vie moyenne proche de la
durée de l’aptitude à la reproduction). Parallèlement, il a créé de nouvelles pressions sélectives auxquelles nos génotypes ne sont pas
forcément capables de répondre. La vitesse (à
l’échelle de l’évolution) avec laquelle ce changement d’environnement a eu lieu a introduit
une profonde discordance entre nos génotypes
et les « conditions environnementales » dans
lesquelles nous vivons.
Ainsi, la prise en compte de mécanismes écologiques et évolutifs doit permettre de comprendre et de prédire des processus tels que :
les maladies auto-immunes sont le reflet de
l’évolution de la performance de notre système immunitaire qui devient moins sollicité
dans certaines régions du globe. Des maladies comme la maladie de Crohn, par exemple,
sont actuellement abordées par les praticiens
hospitaliers sous un nouvel angle. En effet, la
thérapie se base sur l’introduction de molé-
cules provenant de pathogènes, comme les
helminthes. Qu’en est-il pour d’autres aspects
cliniques dus à ce type de dysfonctionnement ?
De façon plus générale, la machine que constitue notre système immunitaire a été réglée
par des millénaires d’évolution pour répondre
de manière adaptée dans un environnement
à fort taux de parasitisme. La diminution de
la pression parasitaire du dernier siècle pourrait-elle être à l’origine du dérèglement du système immunitaire et expliquer ces nouvelles
maladies ?
Nous notons que l’augmentation de l’espérance de vie s’accompagne d’un accroissement
de maladies comme les cancers. Existe-t-il des
cortèges d’agents infectieux responsables de
ou protecteurs contre le cancer? Quelle est la
dynamique évolutive intrinsèque de la maladie?
La médecine personnalisée ne pourra pas voir
le jour, dans le domaine de l’infectiologie, sans
la compréhension des processus dynamiques
qui opèrent, au sein d’un hôte, sur les pathogènes. Dans le cas du VIH, il a été clairement
montré que le système immunitaire de l’hôte et
les thérapies effectuées agissent sur la sélection de virus 1) plus virulents pour échapper
aux défenses hôtes et 2) plus résistants aux
molécules médicamenteuses.
De manière générale, les phylogénies intrahôtes des pathogènes ou des cellules cancéreuses deviennent des informations clefs pour
comprendre les changements de virulence ou
de résistance chez le pathogène ou la cellule
cancéreuse, afin d’adapter les moyens thérapeutiques qui deviennent eux-mêmes évolutifs.
C’est l’ensemble de ces axes qu’il devient important de développer dans les années futures.
Comment les sciences de l’Ecologie et de l’Evolution peuvent/doivent-elles apporter des éléments essentiels d’information pour la santé humaine, animale et végétale en fonction des
paramètres de l’écosystème dans lequel se développent les maladies?
97
prospectives d’avignon
98
&
Homme,
sociétés
environnements
introduction
avignon
Prospective
Virginie Maris, Gilles Boetsch, Wolfgang Cramer
Les travaux menés au sein de l’INEE sur les interactions entre les populations humaines et les
milieux naturels relèvent de deux logiques interdépendantes : mieux comprendre les sociétés humaines et leurs rapports avec l’environnement d’une part ; développer une expertise et des outils
susceptibles d’aider les individus et les sociétés à faire face à ce qui constitue aujourd’hui une véritable crise environnementale (érosion de la biodiversité, changements climatiques, pollution, etc.)
d’autre part. Dans cette troisième partie de la prospective, ces deux dimensions d’une recherche à
la fois fondamentale et appliquée sont considérées de front dans chacun des ateliers.
Dans un premier temps, l’atelier « Evolution humaine biologique et culturelle » s’attache à identifier
les grands enjeux de la recherche à venir au croisement de l’évolution humaine et de l’anthropologie
biologique et culturelle. Il convient pour cela de considérer le temps long de l’évolution humaine,
croisant les études paléontologiques avec les avancées récentes de la biochimie ou de la génétique
d’une part, des sciences humaines et sociales d’autres part. Cet atelier montre l’intérêt qu’il peut y
avoir à considérer les travaux sur les relations entre sociétés et environnements dans un cadre évolutionniste, ainsi que les implications pratiques qu’un tel cadrage peut offrir, notamment en termes
d’applications médicales.
La nécessité d’une approche diachronique est également mise en évidence dans l’atelier « Systèmes culturels, stratégies et pratiques d’exploitation, de contrôle et de gestion des environnements »,
qui interroge les relations complexes entre environnements et sociétés à travers le temps et l’espace, mettant en exergue l’influence réciproque entre les sociétés et l’environnement, les premières
façonnant en partie celui-ci, et en retour le contexte et les changements environnementaux influençant les évolutions culturelles et sociales. A la confluence des différentes écoles de l’anthropologie,
la mise en évidence et la modélisation des dimensions spatiales et temporelles du rapport entre
sociétés et milieux représentent une voie fertile pour comprendre les enjeux environnementaux
passés et présents, notamment en termes de dynamiques des pratiques et des usages liés à la biodiversité (migrations humaines, rapport aux ressources naturelles, histoire des techniques, régimes
de représentations symboliques, etc.). Les nouvelles connaissances et les nouvelles technologies
de marquage, de génomique et paléo-génomique, de morphologie géométrique invitent à développer
une véritable interdisciplinarité entre sciences de la vie et sciences de la société afin de mieux comprendre le rapport des sociétés au temps et à l’espace. Une meilleure appréhension des représentations de la nature (ou du milieu, de l’espace, de l’environnement) par les différentes cultures est
également souhaitable, afin de mettre en dialogue les transformations bio-physiques des milieux par
les processus d’anthropisation et les transformations symboliques et culturelles qui les génèrent,
les accompagnent, ou leur sont concomitantes (langues, modes de gouvernance, savoirs, etc.).
101
prospective de l’institut ecologie et environnement du cnrs
L’atelier « Santé et société » insiste sur le développement d’une recherche devant porter sur les impacts environnementaux autour de la santé ; la première démarche est de mieux définir le concept
d’écologie de la santé, en particulier dans les environnements contaminés (chimique, nucléaire…) ou
dans le cadre d’une alimentation très industrialisée et mal maitrisée. Des thèmes comme la santé
dans l’environnement de travail ou le vieillissement ouvrent des perspectives interdisciplinaires intéressantes avec des champs disciplinaires connexes à ceux de l’INEE. Pour le Sud, les travaux concernant les transitions démographiques, alimentaires et épidémiologiques, en particulier ceux mettant en
avant des superpositions ou au contraire les décalages entre les transitions peuvent ouvrir de belles
perspectives scientifiques.
Les « services écosystémiques » sont les bénéfices que les êtres humains tirent du fonctionnement
des écosystèmes, ce fonctionnement impactant par exemples la qualité de l’eau, de l’air ou du sol,
la prévention des inondations et des sécheresses, la séquestration naturelle du carbone dans les
forêts, les sols, les océans. Dans l’atelier « Services écosystémiques et représentations de la nature »,
deux démarches de recherche pour l’avenir ont été identifiées. D’une part, étant donné l’importance
que prend l’approche par services dans la recherche comme dans la gouvernance, notamment à travers la création de nouveaux organes d’interface entre sciences et politiques comme l’IPBES, il est
nécessaire de renforcer l’expertise française en termes d’évaluation de l’état des écosystèmes, de
modélisation des dynamiques liées à la provision en services, d’économie environnementale et de scénarisation des évolutions à venir. Il est donc essentiel de renforcer la recherche en écologie intégrative
pour mieux pouvoir contribuer à la construction d’expertise pour l’IPBES.
D’autre part, la notion même de services écosystémiques, centrée sur les bénéfices que représente
le fonctionnement des écosystèmes pour les êtres humains et les sociétés, est une notion de plus en
plus vivement sujette à controverse, tant dans la qualification même de la notion de bénéfice que dans
la réduction « instrumentaliste » inhérente à cette approche. Il est donc essentiel de développer une
réflexion critique, empruntant tant à l’histoire, aux sciences économiques, à la philosophie morale et
politique, à la sociologie, à la géographie politique ou encore à l’anthropologie. De tels travaux sont nécessaires à l’élaboration d’un cadre conceptuel riche qui permettra de faire évoluer ce nouveau paradigme susceptible d’avoir des impacts déterminants sur les représentations de la nature, la légitimité
de la gouvernance environnementale, la justice entre individus, entre peuples et entre générations.
Ces quatre ateliers illustrent parfaitement la façon dont les travaux menés à l’INEE sont des travaux d’interface entre l’étude des écosystèmes et l’étude des sociétés. Etant donné l’importance de
l’influence des activités humaines sur les milieux naturels et la dépendance de ces sociétés vis-à-vis
du fonctionnement des écosystèmes, il est plus que jamais indispensable de renforcer la dynamique
d’interdisciplinarité déjà bien présente à l’INEE, afin de permettre qu’écologues, évolutionnistes, généticiens puissent intégrer dans leurs démarche de recherche des travaux issus des sciences humaines
et sociales, comme l’anthropologie, la sociologie, la philosophie, la linguistique, l’histoire, la paléontologie, les sciences politiques, la géographie humaine, etc. Une autre dimension commune de ces
ateliers est la nécessité d’adopter des cadres conceptuels larges et dynamiques, afin de comprendre,
d’anticiper et éventuellement d’influencer les évolutions passées et à venir des relations entre sociétés et environnements à des échelles de temps et d’espaces variées. Enfin, le développement de
nouveaux outils et de nouvelles capacités technologiques (marquage, séquençage, acquisition et stockage de grandes quantités de données, modélisation, etc.) invite à renouveler des travaux passés et à
développer de nouveaux fronts de recherche sur les relations entre sociétés et environnements.
102
éVOLUTION HUMAINE
BIOLOGIQUE ET CULTURELLE
avignon
Prospective
Coordinateurs : Michel Raymond & Bruno Maureille
Contributeurs : Jean-Philip Brugal, Enguerran Macia
Mots clés : Hominoïdé, Hominidé, Homininé, Homme, Evolution, sélection naturelle, adaptation locale, Biologie, évolution culturelle, génétique, comportements, Paléo-anthropologie, Primate, Anthropologie biologique, Anthropologie du vivant, Taphonomie, Variabilité, Référenciel, Santé
Introduction
Bien qu’il existe une masse considérable de
données sur les Hommes du passé et l’Homme
actuel, sur leurs comportements, leurs productions culturelles, il reste de nombreux domaines où la connaissance reste très fragmentaire ou à acquérir à nouveau eut égard aux
améliorations techniques, méthodologiques,
analytiques que nous connaissons depuis, par
exemple, la révolution du numérique ou le développement de la biochimie et de la génétique,
complétés par les progrès dans les techniques
de datation. Parmi les multiples raisons de cet
état de connaissances partielles, signalons
un découpage disciplinaire scientifiquement
arbitraire (par exemple : Homme biologique
= médecine, Homme culturel = Sciences hu-
maines) associé à un certain cloisonnement
institutionnel. Cela crée des difficultés réelles
de voir exister au sein de mêmes structures de
recherche des acteurs complémentaires mais
ayant des itinéraires différents. Il ne suffit pas
de vouloir l’interdisciplinarité pour l’avoir. Il faut
aussi lui permettre d’exister et c’est grâce à
cette dernière que l’on peut comprendre comment et pourquoi ce que l’Homme a été, est, et
peut-être, comment il sera à même de mieux
répondre - en tenant compte de sa propre histoire et du temps long qui caractérise son évolution - collectivement, culturellement, symboliquement, scientifiquement et écologiquement
aux modifications environnementales que l’Humanité connaît à l’échelle de la planète.
Réflexions, problématiques et enjeux
L’Anthropologie biologique et culturelle est
la Discipline qui a pour objet l’étude, dans le
temps et dans l’espace, de la variabilité humaine actuelle et passé (depuis l’origine de la
lignée) et des causes et des conséquences de
ses interactions naturelles ou culturelles avec
ses environnements sensu lato. L’Homme est
un primate culturel et social. On ne peut envisager de l’étudier, de le comprendre si l’angle
d’attaque se fait en ne privilégiant que l’une de
ses caractéristiques…
L’Anthropologie biologique et culturelle est
donc de fait 1) diachronique car aucun de ses
champs disciplinaires ne peut exister en coupant les racines qu’il partage avec les autres et
2) interdisciplinaire car ses sujets de recherche
croisent ceux d’autres disciplines comme l’Ar-
103
prospective de l’institut ecologie et environnement du cnrs
prospectives d’avignon
chéologie, la Biochimie, l’Ecologie, l’Ethnologie, l’Ethologie, la Géographie, la Génétique, la
Linguistique, la Médecine, la Paléontologie, la
Primatologie, la Sociologie. Elle présente donc
naturellement de très nombreuses interactions
avec différents ateliers de la prospective INEE.
Les approches anthropologiques ne peuvent
se concevoir hors du cadre évolutionniste. Il
est toujours nécessaire de replacer l’étude
de l’homme dans son cadre environnemental.
Sous ce terme nous désignons les facteurs
physiques, chimiques, biologiques, géographiques et climatiques, ainsi que des facteurs
sociaux. En effet, ces facteurs peuvent avoir un
effet direct ou indirect, immédiat ou à terme,
sur l’ensemble des êtres vivants et les activités sensu lato des groupes et sociétés humaines, dans un cadre chronologique précis
(ici, l’échelle du Quaternaire, soit environ de -3
Millions d’années à l’Actuel). Les référentiels
actualistes sont fondamentaux, comme par
exemple l’étude des mammifères sociaux des
carnivores aux Primates.
Nous n’avons pas l’ambition ici d’être exhaustif. Les débats lors des journées de prospective d’Avignon ont démontré qu’il y avait en
France au moins trois communautés de professionnels étudiant l’Homme, Primate social
et culturel, qui ne se connaissaient pas assez
bien, qui ne communiquaient pas dans les
mêmes colloques, qui ne valorisaient pas leurs
recherches dans les mêmes supports éditoriaux. Cela est d’autant plus dommage que
les thèmes et champs de recherche que nous
avons identifiés ci-dessous sont très riches
en pistes de réflexions multiples. Ce texte est
donc un compromis et tous les auteurs/contributeurs n’en cautionnent pas l’ensemble.
Thèmes avec une large problématique
Etude de l’Homme fossile (par exemple, Johanson et Blake, 1996)
Devant toujours être replacé dans son contexte
chronologique, paléo-environnemental et culturel
dans le but d‘une reconstitution de son mode de
vie et de ses comportements de subsistance,
l‘homme fossile doit être étudié dans le cadre
d‘une approche interdisciplinaire qui débute dès
les terrains (qui doivent être redynamisés de la
prospection à la production de la monographie).
Sa relation à l‘environnement au cours du temps
et la réponse qu‘il apporte suite à des conditions
de stress et/ou changements climatiques, permet d‘approfondir nos connaissances concernant
la variabilité anatomique humaine ; tant au cours
de l‘évolution des homininés que sur les Homo
sapiens fossiles. Les résultats pourront avoir des
implications sur nos connaissances anatomiques
de l‘homme actuel et avoir éventuellement des
débouchés en ce qui concerne l‘ergonomie, la
médecine, la diversité biologique…
Dans le cadre des études comparatives en
Paléoanthropologie, il est essentiel de travailler en fonction de référentiels. Pour les groupes
fossiles appartenant au genre Homo, celui qui
semble le plus pertinent peut être constitué par
un échantillon – le plus représentatif possible
en fonction des problématiques - basé sur la
variabilité actuelle ou sub-contemporaine. Pour
les groupes fossiles antérieurs au genre Homo,
les collaborations avec les Primatologues sont
incontournables. Dès lors des études paléoéthologiques peuvent aussi être envisagées
avec la nécessite de réaliser des comparaisons
analogiques avec les mammifères sociaux, les
carnivores, les primates.
Evolution culturelle (par exemple, Mesoudi, 2011)
L’importance de la culture est la caractéristique
de notre espèce. Les modalités dans la mise
en place et l’évolution de celle-ci et ses interactions avec notre biologie restent mal comprises,
malgré les impressions de chacun en tant qu’ac104
teur individuel. L’importance des stases culturelles (mais pas forcément comportementales),
des innovations technologiques, l’origine et la
diversification du langage, des systèmes symboliques (incluant les religions), sont des pans
culturels majeurs qui restent des champs trop
peu explorés, aussi bien dans leurs diversités
actuelles que passées. L’évolution biologique
n’est pas indépendante de l’évolution culturelle,
les exemples d’interaction biologie-culture sont
de plus en plus nombreux (exemple : caractéristiques de notre flore intestinale permettant la
consommation de viande faisandée, cuisson des
aliments ; tolérance au lactose ; ensemble des
hypothèses sur les gènes ayant fait l‘objet d‘une
sélection positive chez les Hommes modernes
relativement aux dernières population d‘Homo
sapiens archaïque), mais étant donné l’habitude
de considérer nature et culture indépendamment,
les avancées sont potentiellement considérables
dans ce domaine. Conjointement, la relation biologie-fonction est certainement bien plus complexe qu‘actuellement envisagée et l‘étude sur le
long terme au sein de notre espèce des relations
entre variation biologique et culturelle apporteront des éclairages nouveaux sur ces questions.
Enfin, il y a des recherches à mener sur les conditions et les déterminants de l’innovation et de la
différenciation culturelle.
Evolution des sociétés complexes (par exemple Carneiro, 1970)
La plupart des sociétés humaines sont organisées de façon complexe, avec des castes, des
classes sociales ou des groupes socialement
marqués. Cette distinction sociale n’est pas
indépendante des règles de répartition des ressources, des stratégies et des règles d‘union.
Les conditions écologiques (même si la plupart
des première grandes civilisations sont des sociétés où l‘eau et son contrôle semblent avoir
joué des rôles prépondérants), démographiques
ou autres, de l’apparition de ces sociétés com-
plexes sont trop peu connues. De nombreuses
règles culturelles ont évolué et évoluent dans ce
type de société (comme les modalités de transmission des biens d’une génération à l’autre).
Cela n‘a pas été et n’est pas indépendant d’une
reproduction différentielle entre les individus et
les classes, ainsi que des flux de gènes «interclasses». C’est là un vaste champ où anthropologie, archéologie, génétique des populations et
biologie évolutive pourraient apporter un éclairage novateur.
Variabilité biologique humaine (par exemple Guihard-Costa et al., 2007)
Cette thématique de recherche doit être totalement réinvestie dans pratiquement tous les
champs de l’Anthropologie biologique du vivant.
Elle concerne aussi bien l’étude des causes
environnementales (avec la prise en considération de l’histoire du peuplement ancien) que
les grandes thématiques qui font l’objet de recherches ayant un fort impact sociétal comme
par exemple la variabilité interindividuelle (le
développement d’une approche globale et intégrative de la morphogenèse), la variabilité interpopulationnelle, la diversité et les modifications
culturelles des pratiques alimentaires, l’auxologie (la croissance, le vieillissement qui est un
phénomène nouveau dans l’histoire de l’Humanité en touchant de plus en plus de populations
humaines), la démographie, les migrations, la
génétique (l’étude des causes et des conséquences de la variabilité génétique humaine
actuelle connaît un développement scientifique
extraordinaire mais pas forcément en France),
etc.
Bien des connaissances qui seront ainsi acquises auront également des retombées appliquées par exemple en Médecine, en Médecine
légale et impliquent de larges champs disciplinaires complémentaires comme la Sociologie,
la Psychologie ou l’Ethnologie.
Génétique et comportements (par exemple Jobling et al. 2004)
L‘approche évolutionniste permet d‘expliquer
des fonctionnements cognitifs, des comportements ou des traits culturels qui sont ou ont été
sélectionnés pour l‘avantage qu‘ils procuraient.
Elle permet aussi d‘identifier des molécules qui
agissent sur les comportements, tels que des
hormones, des neurotransmetteurs ou leurs
récepteurs. La composition, la structure et la
quantité de ces molécules est déterminée par
des gènes, et donc varie en fonction des nombreuses possibilités alléliques. Les liens entre
les variations des fréquences des différents
105
prospectives d’avignon
allèles et les différences comportementales
entre les populations humaines, mais aussi
entre les individus dans une même société, en
fonction de l‘environnement social par exemple
doivent aussi faire l‘objet de recherche. L‘étude
des traits cognitifs et culturels préalablement
mis en relations avec certaines fréquences alléliques de gènes peut conduire à des avancées
considérables, non seulement en génétique,
en neurologie et en endocrinologie, mais aussi
en psychologie, en sociologie, etc. Par ailleurs,
les récents progrès en paléogénétique sont
déterminants pour mieux comprendre les relations entre populations humaines du passé, à
l‘échelle des différentes espèces mais aussi
peut-être prochainement pour les migrations anciennes de notre espèce. Ces données devront
être confrontées aux informations biologiques,
pour être appréciées et totalement interprétées
dans un cadre évolutif large et maîtrisé. De plus,
elles offrent la possibilité d‘étudier l‘histoire des
gènes, leur origine, leur apparition et leur évolution, pour ainsi mieux comprendre les modalités
de leur expression.
Coopération et Ethologie humaine (par exemple Candau, 2012)
La coopération entre les individus d’une même
famille est bien comprise au travers du principe
de la sélection de parentèle. Par contre, la coopération à grande échelle, entre individus nonapparentés, comme on peut l’observer dans les
sociétés humaines, reste profondément incomprise, car elle ne peut s’expliquer par les processus classiques de réciprocité. L’importance de
la sélection de groupe ou de la sélection sociale
reste une question ouverte, aucun consensus
n’existant actuellement. Un renouveau interdisciplinaire (éthologie, primatologie, paléoanthropologie et préhistoire, économie, biologie) est
certainement un pré-requis pour aborder cette
question très débattue mais qui piétine. Plus
généralement, les contextes, moteurs individuels
et collectifs de la différenciation sociale et de la
structuration politique, sont à aborder avec le
même esprit, dans le cadre général d’une véritable éthologie humaine.
Thèmes plus ciblés
Médecine évolutionniste (par exemple Nesse & Williams, 1996)
La médecine actuelle considère notre corps
comme imparfait (vieillissement, fragilité aux pathogènes, etc.), alors que ce qui peut être considéré comme des «imperfections» sont le résultat
de compromis évolutifs. Comprendre les sélections impliquées, les mécanismes mêmes qui
ont façonné ces traits et les compromis en jeux,
permet sans doute de mieux pouvoir agir sur certains traits (dont la longévité, ce qui est un des
buts de la médecine actuelle). Une interaction
forte entre biologie évolutionniste et médecine
(ainsi que paléoanthropologie) pourrait apporter
un renouveau dans de nombreuses facettes de
la médecine, en particulier sur le cancer, la sénescence, l’allergie, la grossesse et l’accouchement, l’alimentation, la croissance, le développement psychomoteur ou encore sur les maladies
mentales et les maladies infectieuses.
Paradoxes darwiniens (par exemple Berman, 2003)
Il y a de nombreux traits chez l‘Homme qui sont
considérés comme des paradoxes, car ils sont
héritables, associés à une plus faible fertilité
et/ou longévité, et sont pourtant relativement
fréquents. On peut citer : la ménopause (bien
qu’il existe plusieurs hypothèses évolutives
(dont l’effet grand-mère), elles possèdent toutes
106
des faiblesses et à l’heure actuelle, il n’existe
pas de consensus au sein des spécialistes
permettant de comprendre la ménopause dans
un cadre évolutionniste) ; l’existence d’une préférence homosexuelle masculine (trait dont on
ne connaît aucun facteur post-natal pouvant
l’influencer, associé à une baisse du nombre de
descendant, héritable, et en fréquence variable
suivant les sociétés humaines) commence a être
étudiée (par exemple avec l’hypothèse d’effets
pléiotropiques et antagonistes suivant le sexe),
mais il existe des hypothèses alternatives et
aucune n’explique l’absence de ce trait dans
les populations naturelles animales (où il existe
des comportements homosexuels, mais pas de
préférences homosexuelles); certaines maladies
mentales (syndrome autistique, schizophrénie),
etc. La réduction du nombre moyen d’enfants par
femme, au cours de la transition démographique,
reste également largement incomprise. Il y a là
un défi scientifique qu’il semble indispensable de
relever, car tous ces traits ont des implications
démographiques, médicales ou sociétales.
Différences hommes-femmes (par exemple Geary, 2003)
C’est un domaine extrêmement controversé,
débattu, du fait d’une interférence avec l’idéologie de la théorie du genre. La question est d’importance, car du fait de la volonté sociétale de
construire une égalité homme-femme au niveau
social et politique, est-il nécessaire de prendre
en compte des différences biologiques incontournables (incluant des aspects cognitifs et psycho-
logiques), si elles existent ? Sinon seule l’éducation serait responsable in fine des différences
observées. Les différences mâles-femelles étant
un sujet classique de la biologie évolutive, en particulier au travers de la sélection sexuelle, une
approche (véritablement) interdisciplinaire pourrait amener un éclairage attendu et aux fortes
implications politiques et sociales.
Les outils
L‘étude de l‘Homme ou de ses productions
cognitives, culturelles, symboliques ne peut
se faire sans des données de qualités. Il nous
semble particulièrement important que l‘on
puisse développer dans le futur des problématiques, des outils qui nous permettront de travailler sur des données de qualité et reconnues
comme telles par tous (ou de façon largement
consensuelle). Pour les périodes du passée, la
compréhension de l‘histoire taphonomique de
ce qui sert d‘objets, de collection d‘étude nous
semble devenue une priorité, une urgence. Il
en est de même avec l‘anatomie comparée, la
biomécanique, le développement de nouveaux
outils d’étude morphométrique de grands
échantillons. Pour les périodes récentes, c‘est
la constitution (et leur réalité, leur qualité) des
cohortes analysées en fonction des problématiques qui doit faire l‘objet de toutes les attentions. Alors, la communauté scientifique pourra
bénéficier de bases de données, certes qui
devront évoluer, mais qui seront reconnues et
qui pourront être largement mutualisées. Une
autre urgence concerne la constitution, la gestion, la sauvegarde et la diffusion des bases de
données en anthropologie au sens large. Les
données devraient pouvoir bénéficier au plus
grand nombre et le plus rapidement possible.
Ce n‘est actuellement pas le cas. Leur traitement statistique, leur modélisation de qualité
fait également souvent défaut et il est nécessaire que cette étape de l’exploitation des
résultats soit intégrée en amont de tout projet
générant beaucoup de données.
Enfin, il faut également que la structuration
des organismes de recherches permette de
répondre aux opportunités. L‘étude de l‘évolution biologique et culturelle de l‘Homme se fait
sur le terrain, des terrains que ce soit pour le
passé ou le présent, pour lesquels souvent des
opportunités se présentent. Les acteurs de la
recherche doivent pouvoir y répondre positivement et rapidement…
107
prospective de l’institut ecologie et environnement du cnrs
prospectives d’avignon
Les équipements
Une vraie réflexion doit être menée sur les
équipements lourds, mi-lourds, les plateformes
techniques (par exemple que ce soit en géochronologie ou en imagerie médicale, en génétique
ou paléogénomique, en biostatistique, etc), la
gestion et la sauvegarde sur le long terme des
données. Bien souvent, les améliorations techniques des équipements se fait très rapidement
(à une échelle internationale) et bien plus que
les capacités qu‘ont les laboratoires français
pour entretenir leurs équipements, former des
étudiants futurs chercheurs, ingénieurs ou techniciens qui pourront les faire fonctionner. Il est
donc très important pour notre communauté
nationale de réfléchir à une meilleure ou plutôt
une vraie mutualisation de tels équipements.
Naturellement, il est dans un premier temps
pertinent de former des réseaux, de fédérer des
structures permettant à la communauté nationale afin de bénéficier d‘équipements modernes
et de personnels formés et compétents. Il faut
également développer les collaborations interlaboratoires (biologie / informatique, biologie
/ mathématique) comme cela se fait dans diverses Universités anglophones, redonner aux
chercheurs une envie de curiosité dépassant le
champ du cœur de leur propre discipline. Enfin,
il nous semble également que le besoin en unités propres ou mixtes de service - débarrassés
d’une évaluation par le biais d’une production
écrite car malheureusement toujours corrélée à
une compétition inter-équipe qui ne favorise pas
une activité de service égalitaire à une échelle
nationale – est une troisième voies, peut-être
plus en adéquation avec l‘augmentation de nos
ressources via des appels d‘offre).
Conclusions
Les différents thèmes ci-dessus ne sont pas
indépendants. Au contraire, ils présentent de
nombreuses connections. Par exemple, les
adaptations locales sont au centre de la médecine évolutionniste, certains paradoxes darwiniens semblent liés au degré de stratification
sociale, etc. Alors que l‘on pensait que nos
connaissances sur la variabilité biologique humaine étaient acquises, de nouvelles pistes de
recherche doivent être explorées afin de mieux
comprendre cette dernière et les causes et
conséquences des interactions entre l‘Homme et
ses milieux (en ne négligeant pas la chronologie).
Avec les nouveaux outils de la génomique, de la
physiologie, de l‘imagerie, etc il est très important de reprendre des recherches sur cette variabilité qu‘elle soit physiologique, morphologique,
psychologique, cognitive, démographique, etc
des populations actuelles et aussi du passé et
de comprendre comment les comportements, les
pratiques, les sociétés ont influencé ces variabilités (de la conception à la mort des individus).
Les terrains, le recueil de données sont des
fondamentaux qui nécessitent des activités de
long terme et des collectes pluridisciplinaires,
108
permettant l’obtention de résultats de qualités. Ils autorisent alors des modélisations, des
théorisations, où l’interdisciplinarité de l’étude
de l’homme n’est pas décontextualisée de ses
environnements. Tout au long de l’évolution humaine, l’Homme a construit des niches (sensu
écologiques), et a souvent modifié les milieux
à son propre avantage. Cela s’est accompagné
d’une modification de ses traits biologiques et
culturels, de sa démographie et donc de son
histoire du peuplement. Certains domaines à
forts impacts sociétaux, comme la médecine,
la théorie du genre, pourraient mieux intégrer
les concepts et les connaissances de la biologie évolutionniste. L’intégration de l’approche
culturelle et biologique, dans le cadre d’une
dimension évolutionniste, permet en effet
d’aborder les aspects les moins bien compris
des comportements humains, par exemple de
l’existence de paradoxes darwiniens (traits apparemment délétères, héritables et fréquents),
jusqu’à l’apparition et l’évolution des sociétés
complexes.
De telles démarches nécessitent un croisement
constant de compétences s’exprimant dans un
véritable interdisciplinarité entre différents instituts dans le but de la mise en place de banques
de données communes et fiables permettant à
la fois d’harmoniser les registres analytiques et
autorisant in fine une bonne compréhension de
la variabilité et des mécanismes sous-jacents.
Ces approches forment un gage d’interprétations scientifiques de qualité avec toutes les
implications, notamment sociétales, qu’elles
peuvent engendrer.
Ainsi, il semble possible de concevoir une for-
mation différente dans laquelle le partage des
concepts, outils et méthodes de l’INEE, (qui
s’expriment de l’INSB à l’INSHS), sera effectif
et permettra une nouvelle interdisciplinarité.
Cela œuvrerait à la naissance d’une véritable
anthropologie bio-culturelle et conduirait de fait
à un décloisonnement institutionnel qui permettrait de lui donner une dimension nouvelle
répondant à des besoins sociétaux, et ainsi de
lui donner la place qu’elle devrait avoir dans les
connaissances de base, partagées par tous
les citoyens.
Remerciements
Nous tenons à remercier tous les participants à l’atelier Evolution humaine, biologique et culturelle du
colloque prospective INEE d’Avignon et plus particulièrement ceux qui l’ont activement animé :
J.-Ch. Auffray, J.-J. Bahain, P. Bentoza, S. Blanc, J.-P. Bocquet-Appel, G. Boëtsch, J.-Ph . Brugal, E.
Danchin, Ch. Falguères, C. Garcia, P. Gibert, D. Grimaud-Hervé, F. Guy, E. Heyer, M. Hossaert, M. Lebailly,
E. Macia, Fr. Marchal, P. Sourrouille, B. Thierry.
109
Références
• Berman, L. A. 2003. The puzzle. Exploring the evolutionary puzzle of male homosexuality. Godot, Wilmette, 583 pp.
• Carneiro, R. L. (1970). A theory of the origin of the state. Science,169, 733-738.
• Candau J., 2012. Pourquoi coopérer ? Terrain, 58, 4-25.
• Geary, D.C. 2003. Hommes, femmes. L’évolution des différences sexuelles humaines. De Boeck, Bruxelles, 481 pp.
• Guihard-Costa A.-M., Boëtsch G., Froment A., Guerci A., Robert-Lamblin J., 2007. L’homme et sa diversité. Perspectives et enjeux de l’anthropologie biologique, Paris, CNRS Editions, 171 p.
• Jobling, M. A., Hurles, M. E., & Tyler-Smith, C. (2004). Human evolutionary genetics: Origins, peoples & disease.
In.Pp. 522. Garland Science, New Delhi.
• Johanson D., Blake Edgar, 1996. From Lucy to Language. New York, Simon & Schuster, 272 p.
• Leroi-Gourhan A., 1964. Le geste et la parole. Technique et Langage, Paris, Albin Michel, 319 p.
• Messoudi, A. 2011. Cultural evolution. University of Chicago press, 264 pp.
• Nesse, R. M., & Williams, G. C. 1996. Why we get sick. The new science of Darwinian medicine. New York: Vintage
books.
110
SYSTèMES CULTURELS, STRATéGIES ET
PRATIQUES D’EXPLOITATION, DE CONTRôLE
ET DE GESTION DES ENVIRONNEMENTS
avignon
Prospective
Coordinateurs : Didier Binder & Yildiz Thomas
Contributeurs: Sylvie Beyries, Jean-Pierre Bracco, Cécile Callou, Thomas Cucchi, Claire Delhon, Elise Demeulenaere, Catherine
Dupont, Francesco d’Errico, Eric de Garine, Catherine Kuzucuoglu, Mathieu Langlais, Claire Manen, Martine Regert, Bruno
Maureille et Jean-Denis Vigne
Mots clés : Sociétés – Environnements – Systèmes techniques – Systèmes de mobilité – Systèmes
de représentation – Peuplements – Pratiques, usages, symboles et transferts – Géo-ressources et
bio-ressources – Territoires et réseaux – Adaptation / non-adaptation et résilience
Résumé
Plusieurs directions de recherche, avec des développements sans doute inégaux, ont été identifiées
lors des prospectives d’Avignon avec l’ambition de
contribuer à l’émergence de nouvelles questions,
méthodes ou applications dans les champs croisés des sciences de l’Homme, de la société et de
l’environnement. La principale orientation émergente concerne les possibilités de caractériser les
formes sociales en termes de complexité, de variabilité et de dynamique, depuis la Préhistoire jusqu’à
certains contextes préindustriels et actuels, à partir d’études croisées des empreintes spatiales et
environnementales, ces dernières étant définies
par des marqueurs bio-géo-chimiques, techniques
ou symboliques. Dans cette perspective, les actions à conduire consisteraient notamment à tracer
et géo-localiser les bio et géo-ressources afin de
mieux caractériser les systèmes techniques et les
modes de subsistance, les systèmes de mobilité
et, lorsque cela est possible, les connaissances et
les systèmes de représentation qui en constituent
les fondements.
Les études dédiées aux interactions hommesenvironnements actuelles permettent en outre
d’approfondir notre appréhension des interactions entre systèmes de représentations et pratiques s’inscrivant dans la continuité des héritages de paysages et d’autres objets issus des
interactions bio-culturelles sur le temps long.
L’atelier a donc souligné l’importance cruciale
des thématiques portant sur la diversité des
espaces et leurs variabilités spatio-temporelles,
ainsi que celles qui portent sur les héritages
et les transformations (e.g. paysages, géo-systèmes, agrosystèmes), les seuils (e.g. processus, dynamiques de relais) ou les résiliences…
Sur le plan opérationnel il conviendrait notamment :
• d’articuler les régimes de preuve propres
aux différents champs disciplinaires sollicités (e.g. mieux définir les conditions
d’usage des chronomètres et d’intégration
des proxys à différentes échelles; maîtriser
les processus taphonomiques ; établir les
relations entre savoirs, systèmes de représentations et pratiques…) ;
• de développer les approches expérimentales (e.g. liaisons possibles entre
systèmes anciens et systèmes récents
et validité des comparaisons ; analyses
régressives ; diversification des proxys…)
• de construire et de partager des systèmes de bases de données robustes et
certifiées, préalablement à toute modélisation avec un effort de réflexion, conceptuel
et méthodologique, sur la mise en place
de BDD associant données qualitatives et
quantitatives.
• de travailler à caractériser les limites de
la comparaison des sociétés passées et
actuelles.
111
prospective de l’institut ecologie et environnement du cnrs
prospectives d’avignon
• de promouvoir une interdisciplinarité active, par la pratique de recherches coopératives dans des observatoires, zones, sites
d’étude ou ateliers adaptés à la résolution
de problématiques culturelles et environnementales partagées.
Argument
Les prospectives de Rennes ont réaffirmé la
place cruciale des Sciences de l’Homme et de
la Société dans l’élaboration des objets de recherche, concepts et méthodes des Sciences de
l’Environnement. Ce constat s’est traduit par l’affichage d’une thématique spécifique « Hommes
et Milieux » à l’interface des SHS et des sciences
de la nature (incluant comme il se doit la chimie
et la physique) qui constitue avec l’Ecologie et
l’Evolution un des piliers de l’INEE.
Peut-on se départir de la dichotomie entre le
passé et l’actuel pour interroger ces interactions
complexes à différentes échelles de temps ?
Les vastes corpus de données sur les sociétés actuelles et leurs environnements peuventils être mis en regard des données issues du
passé lointain ? Comment mieux solliciter les
recherches historiques et archéologiques afin
d’établir des passerelles avec un présent en
transformation ?
S’il est inutile de rappeler ici que l’ensemble du
globe a connu une anthropisation plus ou moins
intense et ancienne, il importe en revanche de
souligner que celle-ci résulte tout autant de processus culturels et sociaux s’exprimant à différentes échelles temporelles et spatiales que de la
nature et des rythmes d’adaptation des sociétés
à des environnements parfois changeants (e.g.
épisodes de changement climatique). Ainsi les
cultures humaines produisent de l’environnement
depuis le Plio-pléistocène en « anthropisant » ou
en « artificialisant » les milieux et les milieux ainsi
transformés contribuent à produire de la société.
Les concepts d’anthropo-écosystème et d’artificialisation, sans doute applicables à partir de
l’Holocène, sont-ils pertinents pour les périodes
plus anciennes et avec quelle acception ?
L’intensité, la continuité temporelle, la réversibilité et l’échelle spatiale de ces transformations
du milieu constituent des objets d’étude indissociables de celle des systèmes techniques et
symboliques et de leurs interactions, des institutions et des conduites individuelles qui produisent de la culture matérielle. Ces systèmes
culturels et leurs effets sont d’une complexité
considérable : ils ne répondent pas à des lois
universelles en ce qu’ils produisent de manière
indémêlable du signe et du fonctionnement
(GODELIER 1984, POLANYI 1977).
Les disciplines de l’actuel (ethnologie, géographie,
linguistique …) font cas d’une pluralité de stratégies et de transformations en cours. L’étude des
capacités des sociétés à faire face aux changements représente un enjeu fondamental de notre
compréhension des interactions hommes-milieu
et de nos propres capacités à gérer les défis environnementaux présents et futurs.
112
L’approche sur le temps long est souvent
perçue comme un creuset de la recherche
interdisciplinaire à l’INEE, au même titre que
les approches synchroniques en sciences
humaines et sociales ou en écologie globale.
Comment gérer, dans ce contexte, les changements d’échelle documentaire et analytique
entre passé et présent ? Comment éviter que
les démarches actualistes et expérimentales
des archéologues et paléo-environnementalistes ne soient perçues par les ethnologues,
anthropologues et géographes uniquement
comme une instrumentalisation de l’actuel ?
Symétriquement, comment éviter que l’apport
des fragments de connaissance relatifs au
passé ne soit mesuré qu’à l’aune des politiques publiques à visées utilitaristes ou de
remédiation ? Comment anthropologues, ethnologues et géographes peuvent-ils établir des
passerelles avec des disciplines travaillant sur
le temps long tout en contribuant à la compréhension d’objets en transformation ?
La caractérisation de patrons des formes
sociales et culturelles du passé, tout comme
celles des sociétés « traditionnelles », s’accommode assez mal aujourd’hui des catégorisations
héritées du XIXème siècle (e.g. Paléolithique vs.
Néolithique, nomades vs. sédentaires, cultures
archéologiques, ethnies…). Ces catégories sont
avant tout des conventions d’étiquetage, répondant à des terminologies d’attente, et leur déconstruction constitue un fort enjeu actuel de la
recherche archéologique et ethnologique.
L’analyse du rapport des sociétés à l’espace et
au temps constitue une des voies possibles
de déconstruction, et sans doute une des plus
heuristiques en regard de ses capacités d’intégration interdisciplinaire. En effet, une entrée
spatialisée dans une dynamique temporelle
permet une approche multi-scalaire qui mobilise
l’ensemble des connaissances sur les individus
et les populations, les milieux, les dynamiques
écologiques et les ressources, les représentations, les pratiques et les usages.
Sur le plan théorique, la confrontation des
concepts de l’anthropologie culturelle de l’école
française (MAUSS 1923), de l’anthropologie de
la nature (DESCOLA 2006) à ceux de l’anthropologie anglo-saxonne (BINFORD 1983, KELLY
1995, KREBS & DAVIES 1981), ou de recherches
plus récentes de la Résilience Alliance qui interroge les dynamiques des systèmes socio-écologiques (BERKES & FOLKE 1994) s’avère extrêmement riche dans cette perspective.
De l’échelle locale (habitat = oikos) à l’échelle
globale (aire culturelle / économie-monde =
koinè / oikouménè), cette question du rapport à
l’espace et au temps subsume plusieurs problématiques cruciales dans le champ des interactions homme / milieu : mouvements migratoires
et pressions démographiques, territorialité et
fonctionnement des habitats, territoires et écoumènes, territorialisation, échanges et transferts
à différentes échelles, utilisation, usage et appropriation de la biodiversité…
Comment s’articulent ces différents processus,
dont la compréhension dépend de disciplines et
de champs épistémologiques différents ? Peuton modéliser ces dynamiques complexes ?
Dynamiques et traçabilité des ressources,
des pratiques et des usages
De la Préhistoire aux Temps modernes, les
Hommes ont recherché, dans le milieu, des
ressources biologiques et géologiques différenciées en termes de distribution et d’accessibilité dans le temps et dans l’espace (prévisibles vs. aléatoires ; fixes vs. mobiles) et en
ont parfois régi l’accès. Ils ont côtoyé, utilisé,
transformé, nommé, classé selon différentes
logiques d’ordonnancement du réel des milliers
de géo-matériaux (roches, minéraux, fluides…)
et de biomatériaux (végétaux et animaux, sauvages ou domestiques) impliqués dans un très
grand nombre d’activités relevant tout autant
de l’idéel que du matériel, et responsables de
certaines transformations du milieu physique et
de la biosphère à différentes échelles (ATRAN &
MEDIN 2008).
Ces activités, qui désignent l’humain depuis les
origines, mettent en jeu des techniques organisées en méthodes, et des schémas d’intentions, du plus élémentaire au plus complexe,
prenant la forme de chaînes opératoires diversifiées d’acquisition, de production et d’usage.
Ces concepts et pratiques, enchâssés / encastrés dans la sphère symbolique et dans le tissu
social, fondent le système technique, effecteur
des relations hommes-milieux, et dont la caractérisation, qui inclut de fait une dimension cognitive, constitue un axe majeur pour caractériser
les « cultures » ou les segments de sociétés et
pour décrire les fonctionnements des anthropoécosystèmes.
Le fonctionnement du système et le déroulement des chaînes opératoires sont segmentés dans le temps et généralement aussi dans
l’espace. Les « cultures matérielles » perçues
en un espace et un temps donnés apparaissent
ainsi davantage comme des agrégats ou assemblages résultant de phénomènes polythétiques,
superposant différents aspects de territorialisation. L’étude de cette segmentation / disjonction donne accès à la territorialité (échelle de
l’habitat - oikos) et à la mobilité des groupes, et
de fait à certains aspects des liens sociaux (répartition et transmission des savoir-faire, spécialisation artisanale, transferts de connaissances,
échanges de biens). Cette approche contribue
ainsi à la caractérisation des formes sociales
et environnementales et à celle des interactions
entre écoumènes / économies-monde.
113
prospectives d’avignon
Déjà très ancrée au sein des unités de l’INEE
et de l’INSHS dont les recherches concernent
le passé, cette posture doit encore être confortée par le développement des référentiels et
des méthodes de traçage des ressources, des
techniques et des usages en croisant bio- et géochimie, écologie, sciences des matériaux et des
procédés… Les études intégrées articulant les
différents segments des processus sont encore
trop rares en effet.
L’étude, sous le même angle, des sociétés
« traditionnelles » actuelles (e.g. peuples de
chasseurs-cueilleurs, sociétés rurales préindustrielles) - dont on peut considérer qu’elle est
très insuffisamment développée en regard des
urgences patrimoniales liées à la globalisation
- doit également permettre d’améliorer notre
compréhension de la grande complexité des systèmes culturels, des transformations auxquelles
elles font face (superposition des territoires coutumiers avec d’autres formes de territorialisation,
menaces sur l’agro-biodiversité traditionnelle par
les lobbies industriels et l’introduction d’espèces
invasives, effondrement des systèmes symboliques …) et des manifestations matérielles de
ces systèmes et de leurs transformations.
Depuis plusieurs années des perspectives intéressantes se dessinent au niveau du traçage des
individus, humains, animaux et végétaux, dont
les tissus biologiques, à l’instar des espèces
minérales, sont susceptibles d’enregistrer des
signaux élémentaires, isotopiques ou moléculaires qui peuvent être considérés comme autant
de marqueurs environnementaux et culturels
fixés au cours du temps, à la faveur des changements de milieux physiques et/ou encore à la
faveur de changements de pratiques sociales.
Les acquis récents concernant la diète humaine,
le nourrissage des animaux domestiques, les
migrations des troupeaux sauvages, les migrations humaines, la remue et la transhumance du
bétail, mettent bien en relief l’importance de ce
champ de recherche pour la caractérisation des
systèmes de mobilité à partir de l’étude des individus mobiles eux-mêmes en complément des
données issues des modes d’exploitation des
ressources fixes.
Toutefois d’importants progrès sont néces114
saires en matière d’interprétation des réseaux
trophiques, de maîtrise de la variabilité des marqueurs à l’échelle locale ou régionale ou de différenciation des processus d’enregistrement et
de conservation des signatures biogéochimiques
dans les tissus tout au long de la vie (e.g. remodelage osseux). Ces évolutions appellent des collaborations renouvelées entre bio- et géochimistes,
éthologues et biologistes, anthropologues et bioarchéologues. Elles nécessiteront le recours à
l’expérimentation dans des conditions conformes
à l’éthique et sur des temps longs, contraints par
la durée des phénomènes étudiés. Ce domaine de
recherche requiert des projets de longue haleine
(au-delà de la durée de la recherche sur contrat),
et des observatoires spécifiques, qui peuvent être
couplés ou non avec ceux déjà mis en place pour
l’écologie. Ces recherches ont également vocation
à alimenter les problématiques dans les champs
croisés de la Santé et de l’Environnement.
Par ailleurs, il y a grand intérêt à trouver des
méthodes de pondération / quantification de la
disponibilité des ressources, et notamment de la
biomasse, afin de mieux appréhender les mécanismes des choix anthropiques et d’en inférer
des hypothèses d’ordre paléo-démographique
(Cf. Modèle écologique, RAMADE 2009).
La génétique des populations actuelles et la paléo-génétique et plus récemment la génomique
et la paléo-génomique, de plus en plus souvent
couplées à des approches toujours plus performantes de morphométrie géométrique, ont permis de réaliser des progrès spectaculaires sur
la connaissance des peuplements humains et
des liens sociaux, des processus de spéciation
et de domestication des plantes et des animaux
ou encore des épidémies et épizooties. Ils ont
fait l’objet d’ateliers spécifiques (génomique,
domestication) lors des prospectives d’Avignon, aussi nous nous bornons ici à souligner
l’importance de ces champs disciplinaires dans
le cadre de l’analyse du rapport des sociétés
à l’espace et renvoyons aux textes qui les
concernent (Cf. supra p.69 et sq, p.103 et sq.;
infra p.153 et sq.). Il conviendrait d’en discuter
les propositions en lien avec les thématiques
du présent atelier (e.g. corrélations entre haplogroupes, lignages et systèmes culturels, systèmes de parenté et territorialisation, etc.).
Représentations et évolutions des
anthropo-écosystèmes
Les milieux naturels imposent des conditions
climatiques, physiques et biotiques qui sont autant de contraintes et d’atouts avec lesquels les
hommes ont dû s’accommoder pour construire
des espaces, non seulement viables, mais au
sein desquels puissent également s’exprimer
les aspirations des sociétés à produire des
conditions matérielles, sociales, culturelles, religieuses ou politiques propices.
Les exemples des aménagements physiques
de ces espaces sont nombreux : cultures en
terrasses d’Asie, de Méditerranée, d’Amérique
latine, cultures sur buttes d’Océanie, d’Amazonie, irrigation et gestion sociale de l’eau (systèmes oasiens, polders, marais salants…), etc.
Ces systèmes intègrent les habitats, à la fois
résidences, lieux de ressources, de production
et de pouvoir (oikos), incluant les lieux de culte
et les ensembles funéraires, et leur distribution
dans l’espace ; ils prennent la forme de paysages
culturels, formes de nature socialisées, pensées
et reproductibles, interprétées, mythifiées.
Ces constructions humaines ont également
mis à profit l’hétérogénéité des milieux par la
création de mosaïques reposant sur des mises
en valeur différenciées sur les plans spatial et
temporel. L’étude de ces mosaïques et des ressources biologiques qui leurs sont associées
représente un exemple intéressant pour distinguer les transformations du milieu qui relèvent
d’un dispositif technique et d’un projet explicite
des acteurs, de ce qui est le fruit d’une anthropisation bien réelle, mais fortuite. Ainsi les systèmes agro-sylvo-pastoraux méditerranéens ou
l’élevage des grands troupeaux dans les régions
froides (Himalaya, Sibérie,…) sont des formes
d’adaptation qui ont supposé une continuité des
interactions sur la longue durée entre les sociétés et leur environnement.
Les paysages actuels sont le fruit du fonctionnement des sociétés dans leurs contextes environnementaux ; leur étude peut donner lieu à
des approches de modélisation régressive ou
prospective.
Cette continuité est en outre nourrie des systèmes de représentation illustrant / explicitant
les schémas de pensée qui permettent la reproduction des systèmes culturels eux-mêmes
(langues, textes, images…). Ainsi l’adaptation
ne se mesure pas seulement à l’aune des changements techniques mais également à celle des
systèmes symboliques qui situent / fondent /
représentent une société dans un environnement
donné (RICHERSON & BOYD 2005).
Le traitement des données couvrant le champ
des savoirs et savoir-faire, les modes d’apprentissage et le transfert des connaissances, la
dialectique entre savoirs et pratiques, sont au
cœur des interactions homme-milieu, y compris
dans une dimension purement évolutive. Parmi
les questions importantes qu’il conviendrait
d’approfondir :
• Quelles sont les modalités de la transmission des savoirs (pas toujours verbalisés) sur
les phénomènes biologiques ?
• En quoi la compréhension des modalités de
la transmission de ces savoirs peut-elle nous
permettre de mieux comprendre les transformations des systèmes de connaissance ?
Des études articulant anthropologie et linguistique restent essentielles pour appréhender
les liens signifiants entre discours, pratiques et
usages. L’étymologie, l’étude des champs lexicaux, des catégories sémantiques et de leur
distribution à une échelle régionale sont nécessaires pour apporter un éclairage important
sur les transferts de savoirs, de ressources et
d’usage entre différentes sphères d’échange.
L’évolution des sociétés est souvent rythmée par
des périodes de rupture et de crise liées à des
changements environnementaux, sociaux et/ou
politiques à différentes échelles et par des réactions sociales et politiques à différentes échelles
ayant un fort impact sur la façon de penser, représenter, exploiter, gérer l’espace et les ressources
biologiques. Ces impacts, loin d’être anodins
peuvent donner lieu à des pratiques d’éviction,
l’élaboration de règles restrictives d’accès aux
ressources, faisant ainsi appel à des questions
de recherche sur les relations entre savoirs et
pouvoirs et sur les modes de gouvernance de
l’environnement et des ressources.
De nombreuses directions de recherche mériteraient de plus amples développements dans
ce domaine : étude des représentations de la
nature ou de l’homme dans/hors la nature in115
prospective de l’institut ecologie et environnement du cnrs
prospectives d’avignon
cluant celle des systèmes symboliques depuis le
Paléolithique (art, gestes funéraires…) ; écarts
de perception des changements selon qu’on
les analyse à partir des faits ou des discours
iconographiques ou littéraires ou encore à partir
des discours populaires ; situations de déséquilibre entre société et changements environnementaux, résilience et capacités de réponse
sociétale (fonction des capacités techniques,
politiques, organisationnelles, économiques…
face aux changements de contraintes sur les
ressources); importance relative des différents
facteurs climatiques et environnementaux selon
l’échelle de temps ou d’espace à laquelle on
envisage les phénomènes ; mise à profit des
gradients altitudinaux, des alternances saisonnières de ressources, des complémentarités
entre élevage et agriculture, de la diversité des
milieux ou des ressources ; mise à profit de
l’innovation technologique ou méthodologique,
de l’exploitation des connaissances… autant
de systèmes adaptatifs encore peu explorés à
l’échelle du siècle ou du millénaire.
La période actuelle offre d’importantes sources
d’étude des capacités d’adaptation et des types
de réponses, ainsi que des processus de mutation et de disparition, des sociétés traditionnelles
qui doivent faire face à des changements d’une
ampleur rarement égalée par le passé. Ces
changements comportent notamment une composante temporelle avec une accélération des
processus touchant toutes sortes de domaines
: échanges et production de savoirs, de techniques et de ressources, résiliences et seuils,
processus de transferts et de décision … Ces
phénomènes d’accélération peuvent être perçus,
compris et vécus de façon différenciée par les
différents acteurs. Cette période est également
propice à une réflexion sur les relations entre
1) les héritages des productions bio-culturelles du
passé (paysage, agro-biodiversité…), 2) les nouveaux processus d’apprentissages techniques mis
en œuvre mais également 3) le renouvellement
des systèmes de représentation et 4) les causes
de décalages entre réalités, interprétations et
processus de décision…
Les nouvelles relations de pouvoir induites par
ces accélérations incitent donc à mener des
études qui articuleraient des recherches en « political ecology » (relatives à la gouvernance environnementale et de ses effets), en anthropologie
environnementale, en ethnobiologie...
Que nous apprend l’Actuel, en dépit de la rapidité et de la spécificité des mutations contemporaines, sur la temporalité des processus qui
serait susceptible d’éclairer les évolutions
passées ?
Référentiels et modélisation
La construction des référentiels peut constituer un des lieux d’articulation privilégiée des
recherches interdisciplinaires sur le temps long
et sur l’actuel.
La question des temporalités constitue un
véritable verrou méthodologique. Pour les
sociétés passées, il est fondamental comme
préalable indispensable à la recherche des
causalités, d’une part, de mettre en concordance les échelles temporelles des différentes
disciplines impliquées dans la restitution des
interactions Hommes/Milieux, d’autre part
d’améliorer sensiblement l’appréhension des
dynamiques temporelles des événements passés : affiner la résolution chronologique notamment au travers de programmes ambitieux de
datation et de traitement de ces datations ; re116
cherche exploratoire de nouveaux outils d’analyse en chronométrie.
La constitution, la conservation et la publication
de référentiels (produits par des démarches
actualistes, expérimentales, patrimoniales …)
forment une tâche de fond dans tous les domaines qui nous préoccupent. Leur forme peut
différer fortement selon les communautés (monographies vs. bases numériques de données,
d’images, de sons etc.), expliquant par là même
des différences importantes dans les modes de
communication scientifique.
Un enjeu d’importance concerne le statut de
ces référentiels au sein des laboratoires et
plus particulièrement lorsque ces derniers ne
sont pas dans le giron d’une structure muséale,
comme par exemple le Muséum National d’Histoire Naturelle. Pour les collections qui relèvent
du Patrimoine archéologique et qui résultent
d’opérations programmées ou préventives, il
est souhaitable de développer des conventions
avec le Ministère de la Culture et de la Communication et de pousser à une modification de la
loi actuelle. Celle-ci en effet ne reconnaît à l’Etat
qu’une propriété partielle du patrimoine enfoui,
et ne confère pas la même valeur patrimoniale
aux témoins bio-géologiques qu’aux objets façonnés. D’une manière générale, il est plus que
souhaitable de donner un statut de collections
publiques à l’ensemble de ces référentiels et
de considérer les besoins des laboratoires ou
groupes de laboratoires en équipements spécifiques et en personnels qualifiés (conservateurs). Cela est particulièrement vrai pour les
collections de squelettes humains dont la gestion patrimoniale est à bâtir, alors que le dynamisme des recherches en Archéologie funéraire
place la France en leader mondial. En effet, ces
collections - archéologiques, biologiques, (paléo) environnementales, ethnographiques, expérimentales, géologiques, … - ne sont pas des
objets d’étude à usage unique mais constituent
un patrimoine scientifique susceptible d’être
maintes fois réinvesti et qui doit donc être référencé et conservé selon les règles de l’art.
La mise en bases des données référencées et
spatialisées se répand rapidement pour les différents champs d’investigation portant sur le passé. En revanche, l’anthropologie et des disciplines
associées portant spécifiquement sur les relations sociétés environnement telles que l’ethnobiologie, l’ethnoécologie commencent seulement
à mettre en place différentes formes de bases
de données et d’archivage de données qualitatives et souvent complexes qui sont en leur état
actuel difficilement comparables à des séries
de données générées par des approches plus
quantitatives. Au-delà de leur aspect documentaire et souvent normatif, ces bases permettent
de fonder des modèles numériques pour simuler
des dynamiques spatio-temporelles à différentes
échelles dans une perspective heuristique, sinon
prédictive (e.g. Systèmes Multi-Agents, modélisation des niches éco-culturelles…).
Le développement des systèmes de bases de
données et des outils de modélisation a posé
d’emblée la question de leur diffusion à l’intérieur d’une communauté spécialisée ou vers un
public plus élargi, des moyens de calcul, d’archi-
vage/sauvegarde et de propriété intellectuelle,
question qui a fait l’objet d’une prise en considération à très haut niveau par l’INEE.
En revanche, les questions liées 1) à la représentativité, 2) à la certification des données et
3) à la mise en cohérence de données qualitatives et quantitatives hétérogènes constituent
de véritables problèmes.
Pour les sociétés du passé, une difficulté majeure réside dans l’extrême fractionnement des
données qui nous parviennent en regard des
corpus d’origine supposés. Un des enjeux de la
modélisation archéologique et paléo-environnementale consiste précisément à faire avec des
données dont la représentativité n’est pas établie (et qui n’ont pas, de ce fait, valeur d’échantillon stricto sensu) et, en particulier, de gérer
le problème des « données manquantes ». Les
échantillons parfois opportunistes des anthropologues (à la différence de démarches plus
systématiques de certains travaux de sociologie
ou d’écologie comportementale humaine) présentent les mêmes enjeux quant à la représentativité des données.
Ceci oblige symétriquement à développer une
démarche-qualité pour la consolidation des données disponibles en termes de contexte spatiotemporel, résolution ou taphonomie pour les approches en archéologie et paléo-environnement,
et en termes de représentativité des informateurs ou de degré de répétitivité des données
recueillies pour l’anthropologie. Cette démarche
est une véritable recherche, pourvoyeuse de
résultats originaux. La développer est un enjeu
majeur pour renforcer la qualité et surtout la validité des données issues des bases.
Pour les sociétés actuelles, à l’inverse, l’image
/ la représentation des données, en d’autres
termes « l’explicité », prennent généralement
le pas sur la description détaillée des données
elles-mêmes. Comment coder, stocker, rendre
accessibles les données du discours ethnographique ou de description associées à des objets
collectés ? La question des supports permettant le stockage des données doit être posée.
Il s’agit non seulement de traiter les données
vidéo, son, multimédia mais aussi d’identifier
les appuis techniques nécessaires en amont
pour que les chercheurs puissent apprendre à
collecter divers types de données et les mettre
en forme afin de les rendre accessibles.
117
prospectives d’avignon
Dans ces différentes perspectives, la communauté scientifique pourra s’interroger sur l’intérêt d’un dispositif de certification des données
(e.g. normes ISO déjà mises en œuvre dans
différents champs : environnement, information
géographique …).
Références
• Atran S. & Medin D. – The Native Mind and the Cultural Construction of Nature, Cambridge Mass. & London:
MIT Press, 2008.
• Berkes F. & Folke C. – Linking Social and Ecological Systems for Resilience and Sustainability, Cambridge:
University Press, 1994
• Binford L.R. – In pursuit of the Past: Decoding the Archaeological Record, New-York: Thames & Hudson, 1983
• Descola Ph. – Par-delà nature et culture, Paris : Gallimard, 2006.
• Godelier M. – L’idéel et le matériel : pensée, économies, sociétés, Paris : Fayard, 1984
• Kelly R. – The Foraging Spectrum: Diversity in hunter-gatherer life ways, Washington: Smithsonian Institution
Press, 1995
• Krebs J.R. & Davies N.B. – An Introduction to Behavioural Ecology, Oxford: Blackwell, 1981
• Mauss M. – Essai sur le don. Forme et raison de l’échange dans les sociétés archaïques, L’année sociologique, 1923.
• Polanyi K. – The Livelihood of Man, New-York: Academic Press Edition, 1977
• Ramade F. – Eléments d’écologie. Ecologie fondamentale, Paris : Dunod, 2009
• Richerson P. & Boyd R. – Not By Genes Alone: How Culture Transformed Human Evolution, Chicago: University
of Chicago Press, 2005
118
SANTé et SOCIéTé
avignon
Prospective
Coordinateurs : Gilles Boëtsch & Anne-Marie Guihard-Costa
Contributeurs : Bernard Andrieu, Anne Bargès, Philippe Casanova, Chantal Crenn, Eric Crubézy, Priscilla
Duboz, Marie Gaille, Lamine Gueye, Yannick Jaffré, Enguerran Macia, Anne Marcellini, Véronique Pardo,
Jean-Pierre Poulain , Federica Tamarozzi
Mots clés : systèmes de santé, anthropologie de la santé, santé et bien-être, transmissible, épidémie, pathogènes, sélection, adaptabilité, maladies chroniques non-transmissibles, pollution, eau,
risque, médecine environnementale, tradipraticiens, soins, alimentation, activité physique, vieillissement, insalubrité, handicap, travail, éco-épidémiologie, histoire des épidémies, paléo-parasitologie,
géographie de la santé, écotoxicologie, alimentation humaine, pathologies émergentes
Introduction
Les relations entre environnement, santé et société ont toujours été complexes et plurielles. Elles
ont varié en fonction du temps et se présentent très diversement selon les pressions environnementales et les réponses sociétales. De plus, de manière dynamique et sur le mode de boucles
réflexives, celles-ci doivent intégrer les représentations culturelles de la maladie et du bien-être,
les dimensions économiques et techniques et de vastes choix sociopolitiques.
Sans être exhaustifs, ces rapports complexes entre santé et société peuvent être abordés selon
deux approches :
• Une approche écologique (écologie de la santé). Cette approche interdisciplinaire implique
microbiologistes, parasitologues, climatologues, médecins infectiologues, épidémiologistes,
écologues, mais aussi sociologues, anthropologues, historiens, géographes
• La seconde approche se présente comme une socio-anthropologie de la santé (analyse des
politiques publiques sanitaires, analyse de la qualité de l’offre de soins, pratiques populaires
ayant un impact sur la santé, représentations individuelles et sociales de la maladie…) articulant des approches anthropologiques, statistiques, géographiques, cliniques, économiques…
Dans une perspective d’écologie et/ou de changement global, il convient de focaliser les recherches
autour du modèle de la transition : démographique, épidémiologique, nutritionnelle, écologique.
119
prospective de l’institut ecologie et environnement du cnrs
prospectives d’avignon
Positionnement du CNRS sur ces questions
par rapport à d’autres organismes
L’INSERM développe des recherches à finalité
médicale, dans lesquelles les contextes environnementaux et sociétaux sont envisagés comme
des éléments complémentaires des processus
biologiques, permettant une meilleure compréhension de ces derniers. Le CNRS, par la
diversité des disciplines qui y sont représentées, peut favoriser une approche plus interdisciplinaire et intégrative de l’étiologie des états
de santé. Cette approche pluridisciplinaire est
aussi celle de l’IRD, mais qui, pour des raisons
historiques, la limite à des contextes écologiques plus spécifiques, principalement liés à
des terrains d’étude situés dans des pays en
voie de développement. Le CNRS possède donc
des atouts certains pour développer des études
interdisciplinaires dans ce domaine liant santé
et sociétés.
Positionnement de l’INEE dans le domaine santé-société
Dès sa création, l’INEE a favorisé des thématiques de recherche aux frontières des sciences
écologiques et des sciences humaines. La création d’un axe thématique « Hommes-Milieux »
au sein de l’Institut doit plus encore inciter à
d’autres recherches aux confins des sciences
biomédicales (domaine de la santé), de l’écologie (milieu, environnement), et des sciences
humaines et sociales (en particulier, anthropologiques, sociologiques, géographiques, économiques, juridiques…).
Seule cette appréhension holistique de la
réalité humaine et environnementale peut
permettre de prendre en compte les interrelations entre les différents facteurs non seulement pour interpréter les données épidémiologiques et sanitaires mais aussi, et surtout,
pour initier de nouvelles formes d’interventions au présent et de recherches préventives
pour le futur.
Force est de constater, cependant, que les recherches concernant les rapports entre santé
et société ne se sont pas encore développées
autant qu’on était en droit de l’espérer, sans
doute en raison de la complexité des diverses
approches méthodologiques (voir ci-dessus la
diversité des disciplines impliquées).
D’autre part, si le volet « écologie de la santé » dispose de moyens humains sinon suffisants, du moins potentiellement disponibles
dans l’institut ou dans d’autres organismes
(microbiologistes, parasitologues, climatologues, médecins infectiologues, épidémiolo-
120
gistes, écologues), le volet « anthropologie de
la santé » est encore très peu développé, et le
nombre de chercheurs qui s’y consacrent sont
peu en relation avec le monde de la recherche
médicale ou pharmacologique.
D’une manière générale, il existe un déficit
d’études pluridisciplinaires concernant les rapports entre état de santé et environnements
culturel et social, la majorité des études se focalisant sur les relations entre climat et santé
ou sur les rapports santé-environnement physique, et singulièrement sur l’environnement
physique perturbé (écotoxicologie).
Les thématiques majeures de recherche
à développer à l’INEE
Thématique 1 : Approche par les environnements naturels et anthropisés
Une écologie de la santé
La première approche peut se concevoir comme
une écologie de la santé. On connait déjà des
problématiques en écologie de la santé comme
les corrélations entre changement climatique
et maladies (ex méningites). Ainsi, un accroissement de la température, de l’humidité ou du
vent (température et direction) auront des conséquences sur la structure des écosystèmes,
en particulier au niveau des pathocénoses.
Quelques degrés de variation de température
peuvent provoquer des migrations importantes
de pathogènes vers des régions qui en étaient
exemptes. Ces variations environnementales,
en terme climatique, manque de ressource ou
pollution conduisent vers la mise en place de
recherche autour d’une médecine environnementale actuellement en construction.
S’intéresser à des niches de maladies liées aux
changements environnementaux (comme zoonose) mais qui sont exclus des grandes campagnes de l’OMS, par exemple dans une perspective du temps long (Cf. Les OHM).
Environnement contaminé et santé
Il s’agit d’un sujet très sensible. Par exemple,
les travaux menés dans le cadre de l’OHMI
Estarreja ont mis en exergue la complexité
des rapports entre environnement contaminé
et santé humaine ou animale :
• Il ne faut pas confondre contamination de l’environnement et bioaccessibilité des contaminants. Par exemple, la
teneur en métaux lourds potentiellement
toxiques, présents dans l’environnement,
se retrouve à des concentrations variables
dans les végétaux. La teneur en contaminants dépend non seulement de l’espèce
végétale, mais également de la partie du
végétal (racine, feuille). Ainsi la « bioaccessibilité » des contaminants potentiellement toxiques varie selon l’espèce et
la partie de la plante consommée par les
animaux et par l’homme.
• Il faut prendre en compte les variations
dans le temps des effets négatifs de l’environnement : extension ou rétraction des
zones de contamination sur des périodes
plus ou moins longues. Les effets de la
contamination peuvent également varier
en fonction de l’adaptation biologique des
organismes. Les processus de remédia-
tion (naturels ou anthropiques) sont également des facteurs très importants de
diminution des effets de la pollution sur
la santé (cf. la littérature extensive sur la
phytoremédiation).
• Différentes enquêtes sur la perception
des « risques» en zone industriellement
polluée montrent une certaine discordance
entre la perception des risques environnementaux par la population et le risque
réel encouru pour la santé. La perception
de risques «visibles» (feux de forêt, inondations) est en moyenne plus importante
que celle des risques «cachés» (contamination des eaux et des plantes). Ceci renvoie aussi à l’opposition entre perception
individuelle et collective de la dangerosité ; c’est pourquoi les conduites à risque
doivent être étudiées dans leurs contextes
socioculturels. Sans oublier – en écotoxicologie – le problème des concentrations
et des seuils de dangerosité. Comment
sont-ils déterminés et qui les détermine ?
121
prospectives d’avignon
Alimentation, santé et bien-être
L’alimentation est une activité humaine, à l’évidence, nécessaire à son existence. Elle est à la
jonction du biologique et du culturel. Mais l’aliment est aussi plus que cela car il rentre dans
les stratégies individuelles comme collectives
d’accès au bien-être dont fait partie la bonne
santé. Ingéré et bénéficiant au corps, il se fait
ainsi médicament. Dans un premier sens, l’alimentation peut contribuer au traitement d’une
pathologie précise. Ici les conseils nutritionnels
et un éventuel régime sont formulés par le médecin lui-même, dans le contexte d’une relation
thérapeutique. Dans un sens complémentaire,
que l’on pourrait qualifier de nutritionalisation, la
nutrition est un des aspects du soin de soi qui
passe par le respect des connaissances nutritionnelles transmises par différents vecteurs :
les héritages familiaux et communautaires, la
presse, la télévision, les campagnes d’éducation pour la santé… Dans ce cas, la médicalisation de l’alimentation s’opère hors du face
à face médical et ne s’inscrit plus dans l’ordre
de la thérapeutique mais plutôt dans celui de la
prévention. Un levier puissant de la nutritionalisation est sans doute la pression des modèles
d’esthétique corporelle et l’immensité du désir
de mincir qui l’accompagne chez certaines catégories d’individus, mais ceci n’est pas le cas
dans toutes les sociétés, seulement dans celles
qui bénéficient de régimes alimentaires à ressources caloriques élevées.
Les connaissances en nutrition évoluent,
laissant prise à des controverses et à leur
médiatisation. Ainsi, les médecins hospitalouniversitaires qui jouissent de la plus forte
légitimité sont-ils concurrencés par différentes
catégories de médecins… Les premiers, transformés pour raisons juridiques, en « experts
en nutrition », surfant sur l’immensité du désir
de minceur, recyclent sur Internet certaines
recettes d’amaigrissement au succès relatif.
Les autres, s’auto-désignant parfois « nutritionnistes », (ce qui est d’autant plus facile que
la spécialité n’est que faiblement institutionnalisée) s’attaquent frontalement à la lecture
dominante. Ils proposent souvent des réorganisations des régimes en supprimant telles ou
telles catégories d’aliment ou en privilégiant
certaines. Transformations présentées comme
capables d’effet à «large spectre» pourrait-on
dire : allergies, maux de ventre, troubles digestifs, articulaires, dépression, cancer... et dont la
légitimité repose pour la plupart sur l’argument
122
d’une éventuelle collusion entre la science officielle et les industries alimentaires, des compléments alimentaires ou encore du médicament. Du coup la marginalité scientifique peut
se poser en vertu... Ces postures ne sont pas
nouvelles, il y a depuis longtemps des diététiques alternatives, mais elles connaissent
simplement des formes de médiatisation inédites dans le sillage des crises alimentaires.
Pour le profane doté d’une culture générale, la
fluctuation des savoirs nutritionnels laisse le
champ au doute et à des interprétations multiples. Ces controverses constituent un objet
d’étude pour les sciences sociales. D’autant
plus que les pratiques alimentaires ne sont
pas seulement dictées par des raisons de disponibilité ou d’observance des prescriptions
médicales mais aussi par des raisons culturelles et sociales. Elles sont donc soumises à
des réajustements continus.
La nutritionnalisation de l’alimentation même la
plus respectueuse de la prudence scientifique,
pousse la tendance à l’individualisation. Et nous
ne sommes sans doute qu’au début d’un mouvement qui va aller crescendo. D’abord parce
que la transition épidémiologique (et la montée
en charge des maladies dégénérescentes qui
l’accompagne : cancers, cardiopathies, maladie de dégénérescence, maladie d’Alzheimer...)
mettent en avant les rôles possibles de l’alimentation tant dans la prévention que dans la prise
en charge de la maladie. Ensuite parce que nous
sommes sans doute à la veille d’une révolution
paradigmatique dans le champ de la nutrition.
Les avancées de la génétique aux trois niveaux
que sont la nutri-génétique, la nutri-génomique
et l’épigénétique vont changer la vision que l’on
a de la nutrition, ouvrent de nouveaux espaces
d’articulation et de nouvelles échelles temporelles d’articulation du social et de la génétique.
Celui de la longue durée à l’échelle de la génétique des populations avec l’anthropologie et
la sociologie de l’alimentation, celui des styles
de vie au cours de la grossesse avec l’épigénétique et celui de l’interaction des modèles alimentaires génomique à l’échelle de la vie d’un
individu. Trois nouveaux champs empiriques
de nature à réorganiser en partie le dialogue
entre les sciences humaines et sociales et la
génétique. Le social perdant la caractéristique
d’extérieur de la définition durkheimienne du fait
social et entrant au cœur même du biologique.
Les intuitions de Marcel Mauss avec le « fait so-
cial total » et plus encore d’Edgar Morin avec le
« fait total humain » retrouveront une actualité.
Les connaissances acquises sur les modèles
alimentaires et le fait alimentaire auront alors
une double utilité pour la recherche et pour
l’éducation alimentaire. Ceci doit rapidement
déboucher sur des regards croisés sur la problématique alimentation/pathologies/santé
trois exemples
1 - l’Alimentation de rue dans les pays du Sud
Au niveau de l’évolution des normes d’hygiène, les restaurants dans les villes du Sud jouentils le rôle d’espace de « résistance » ou bien apparaissent-ils comme des espaces de diffusion
de certaines normes alimentaires et nutritionnelles occidentales ou autres ? Il est important
d’interroger les normes d’hygiène autant d’un point de vue nutritionniste que sociologique et
anthropologique. Ce champ de recherche permettrait ainsi d’interroger les représentations de
la santé et de la maladie en lien avec le fait de s’alimenter à l’extérieur du domicile.
2 - La circulation des normes alimentaires entre Nord et Sud et vice et versa
Si l’on s’attarde sur l’exemple des diasporas africaines, il s’agirait de considérer la confrontation des individus les constituant à des modèles nutritifs nouveaux touchant non seulement les migrants eux-mêmes mais également l’ensemble de la parentèle résidant tant en
France qu’au pays de départ via leurs déplacements, l’usage des médias etc. Ainsi serait-il
intéressant de prendre en compte les effets, directs et indirects, au court et long terme sur
les pratiques alimentaires mais également sur la santé et le corps, de la migration, de la
mondialisation et de la globalisation ici et là-bas.
3 - L’adoption, par les pays du Nord, de pratiques alimentaires issues d’autres cultures
pouvant d’effectuer de manière ponctuelle, récurrente, intensive ou exclusive.
Thématique 2 : Approche par les pathologies
Les pathologies sensibles à l’environnement
Deux grands groupes de pathologies : transmissibles et chroniques non transmissibles.
Pour ne prendre qu’un exemple concernant ce
premier ensemble de pathologies, le paludisme
reste une endémie majeure et une menace
dans 106 pays du Monde.
En 2010, bien qu’au cours des 10 dernières
années la mortalité attribuable au paludisme
aurait diminué de plus de 25%, il y aurait eu environ 216 millions de cas cliniques, dont 81% en
Afrique et près de 655 000 personnes seraient
mortes de paludisme. De plus, ces estimations
sont probablement sous-évaluées car elles ne
prennent en compte, pour l’essentiel, que la
mortalité infantile.
Par ailleurs, les modifications du niveau d’immunité acquise par les populations exposées au
paludisme et les défaillances des stratégies de
lutte sont responsables d’épidémies que l’on
s’attend à voir de plus en plus nombreuses et
importantes.
Les mêmes complexités s’appliquent à d’autres pathologies transmissibles comme la tuberculose.
L’ensemble de ces dimensions bio-médicales
sont incluses dans des pratiques sociales et
économiques constituant à la fois les déterminants épidémiologiques des maladies infectieuses et les contextes variables de leur possible prise en charge.
C’est pourquoi on ne peut espérer « vaincre »
ces maladies par une unique action médicale.
L’approche doit être multisectorielle et doit notamment inclure une réflexion sur les questions
123
prospective de l’institut ecologie et environnement du cnrs
prospectives d’avignon
liées à l’eau, l’urbanisme, l’hygiène et l’assainissement notamment en milieux urbains. Comment construire une ville productrice de santé ?
Par ailleurs, on ne pourra dialoguer efficacement
avec les populations touchées par ces pathologies (et parallèlement par d’autres maladies)
sans comprendre leurs logiques comportementales que ce soit en matière d’hygiène, de prévention, de soins et d’usage des propositions
techniques qui leurs sont faites.
Enfin, l’accès aux soins et la qualité de l’offre
médicale sont essentiels à l’adoption de
conduites préventives, de traitements cohérents
et de leur observance.
Pour une action de prévention du paludisme,
une analyse multifactorielle est indispensable : analyse des politiques publiques (distribution de l’eau, élimination des eaux usées,
types d’habitats), des divers contextes de
traitements (automédication, « pharmacie par
terre », secteurs médical « informel », cohérences des prescriptions des soignants), des
usages des propositions préventives (types
possibles de couchage, usage effectif des
100
moustiquaires), des programmes d’information et d’éducation.
Divers travaux de sciences sociales ont abordé
ces dimensions. Mais il importe de construire
une approche cohérente et utile sur ces vastes
questions sociales, économiques et écologiques.
Selon l’OMS, le nombre de décès par maladies
chroniques non transmissibles devrait doubler
d’ici 2030, passant de 30 à 60 millions de cas
par an. La prédominance de ces maladies non
transmissibles (MNT) dans le total des décès
caractérise la deuxième phase de la transition
épidémiologique1. La prévalence des MNT étant
liée à la structure de la population (les plus âgés
en sont plus souvent atteints), la majorité des
pays occidentaux se situe dans la deuxième
phase de la transition épidémiologique (comme
par exemple au Portugal et en France, comme le
montre la figure 1). Ce n’est pas le cas des pays
africains sub-sahariens qui, comme nous l’évoquions précédemment, pour la plupart, comptent
encore un nombre plus important de décès liés à
des maladies infectieuses et transmissibles.
Maladies
transmissibles
60
40
Portugal - France
Sénégal
80
Figure 1 : Place du Sénégal, du
Portugal et de la France dans la
transition épidémiologique
20
0
Maladies
non transmissibles
Ainsi, comme le montre la figure 1, certains
pays africains sub-sahariens comme le Sénégal
se situent dans la première phase de la transition épidémiologique, alors que des pays européens comme le Portugal et la France se situent
dans la seconde phase de cette transition. Par
exemple, le Sénégal, qui connaît actuellement
une augmentation drastique des maladies non
transmissibles (hypertension, diabète…), devrait entrer dans les années à venir dans la deu-
124
xième phase de la transition épidémiologique.
Cependant, comme le souligne l’OMS, « les maladies diarrhéiques, le paludisme ou la dengue,
dépendent beaucoup des conditions météorologiques et l’on s’attend à une aggravation avec
le changement climatique ». Ainsi, du fait du
réchauffement climatique, il n’est pas certain
que la prévalence des maladies transmissibles
diminue au profit des maladies non transmissibles au Sénégal. Si ces prévisions se révé-
1 - Définie comme suit par Omran (1971) : « Au fur et à mesure de l’allongement de l’espérance de vie et du processus de
développement, les causes de décès changent de nature (% dans la mortalité générale) : dans une première phase dominent
les maladies infectieuses et parasitaires et les maladies de carence et dans une troisième les maladies chroniques et dégénératives (maladies circulatoires et cancers deviennent les premières causes de décès). Dans l’intervalle se déroule la phase
de transition à proprement parler, durant laquelle on observe le cumul des deux types de pathologies. » - Omran, A.R (1971)
« The epidemiological transition: A theory of the epidemiology of population change », The Milbank Memorial Fund Quarterly,
49 (4) : 509–538
laient exactes, la transition épidémiologique, initialement conçue comme universelle, ne serait
plus valable au Sénégal, la deuxième phase de
la transition ne pouvant être observée. Il est
donc primordial de mettre la notion de transition
épidémiologique à l’épreuve de la comparaison
inter-populationnelle en développant une étude
croisant les disciplines écologique, anthropologique, médicale et sociologique.
Les maladies transmissibles comme les maladies chroniques non transmissibles dépendent
des facteurs environnementaux mais ne sont
pas générées par les mêmes facteurs de risque.
On peut ainsi parler de « modalités pathologiques » car ce sont moins des états que des
conjonctures qui peuvent devenir pathogènes,
comme des « nouveaux » modes de pollution et
d’intoxication environnementale à faible dose
mais durables, chroniques, touchant de manière
quotidienne et imperceptible des populations (à
quel moment peut-on qualifier l’événement de «
toxique », à quel seuil, etc…).
Ceci génère des discours contradictoires de la
part des autorités sanitaires et politiques, des
crises de confiance entre populations atteintes,
modes de gouvernance, politiques et acteurs
de soins ; ces crises de confiance se concrétisent en des refus de prévention sanitaire.
Ainsi, les polluants lourds, hydriques, passant
par différentes pénétrations dans les circuits alimentaires (mercure, plomb, etc..) qui remettent
en question les modes de vie et d’alimentation entrainent des mobilisations collectives
autour des populations et des associations
autochtones. Ces mouvements politiques sont
importants en tant que réponse face aux phénomènes de pollution, de droits sur la nature,
de gouvernance en général et plus particulièrement de politiques de santé (Amériques-France
concernée en Guyane et ailleurs, Australie, Asie
et Afrique en partie).
1. – Le paradoxe autour de l’eau est
que l’eau est indispensable à la vie
et à l’activité économique.
Elle constitue à la fois une richesse et un danger
potentiel élevé en fonction de la présence ou
de l’absence de protection sanitaire (en particulier en matière d’assainissement). Les eaux
stagnantes ou polluées sont hors des normes
de sécurité à l’opposé des eaux traitées comme
l’eau du robinet… L’eau stagnante, l’eau de
boisson non traitée associée à des pratiques hy-
giéniques défaillantes peuvent générer de nombreuses pathologies (paludisme, bilharziose,
choléra, typhoïdes, helminthes et filarioses).
Par contre, l’’eau des soins (hydrothérapie, thermalisme, SPA) qui est considérée désormais
en Europe comme une « médecine de confort »
destinée aux plus riches, constitue ailleurs un
des recours thérapeutiques accessible aux
plus démunis. Et partout, que ce soit chez les
« heureux du monde » ou les « damnés de la
terre », l’utilisation de l’eau implique la mobilisation d’un appareil complexe de croyances et
d’a priori dont il est nécessaire de reconnaître
l’importance et la complexité. A mi-chemin entre
pratiques bio-médicales et médecines douces,
l’hydrothérapie constitue un excellent terrain
d’observation pour explorer les questions relatives à la place accordée dans la société par
les différentes anomies corporelles. Parmi ces
dernières, non seulement celles relatives à la
maladie, mais aussi celles propres au passage
du temps et à la chronicisation des irritations
environnementales.
Sans oublier que le manque d’eau génère
d’autres pénuries (manque de ressources alimentaires, malnutrition femme enfant associée
à la pauvreté). L’eau doit être saine car si elle
est polluée elle devient insalubre, et les gastropathies vont toucher les enfants et les personnes
âgées (diarrhées).
Analyser ces politiques de l’eau implique à la
fois de comprendre les choix politiques qui sont
effectués (équipement des foyers vs usages
de l’eau pour des sites touristiques consommateurs, équipement des habitations avec des
circuits doubles…), mais aussi la chaîne de
l’eau depuis son exhaure, son transport et sa
consommation.
2. – Autres exemples :
La pollution de l’air ou du sol
Les facteurs abiotiques tels que température, pluviométrie, vent (poussières = asthme)
influencent un certain nombre de pathologies
telles les maladies respiratoires, les maladies
de peau, les maladies ophtalmiques, les maladies liées au seuil de tolérance biologique ou
d’acceptabilité par l’organisme (plomb, mercure, radiations, pesticides, silicose) ; celles-ci
sont l’expression d’une série d’activités économiques (agriculture, extraction minière, énergie,
liaison avec l’ensoleillement…)
125
prospectives d’avignon
Pathologies liées à la migration et au comportement humain
MST (SIDA, hépatites, gonocoxies), associées aux déplacements humains,
à la prostitution et au manque d’éducation à la santé (études nombreuses
sur le continent africain)
Dans ces cas, les interrelations humaines
concernent nécessairement l’organisation
sociale, les formes de mobilité et d’utilisation environnementale... Certaines maladies
transmissibles deviennent des pathologies
durables dans le corps de l’individu et pour
la société ; elles génèrent des prises en
charge de rééducation, de prévention, d’aménagement du temps et de l’espace, de nouveaux rythmes de travail, une prise en compte
d’une altérité qui pourrait s’estomper : le sida
est un exemple. Mais d’autres maladies an-
ciennes infectieuses (onchocercose, lèpre…)
nous fournissent une longue bibliographie de
modes d’adaptation sociétale, communautaire et institutionnelle.
Avec le recul dont nous disposons sur ce qu’il
faut faire ou non, cette connaissance de l’existant (représentations, politiques, institutions,
pratiques individuelles et collectives) nous aiderait à réfléchir davantage à des moyens qui
évitent de répéter les modes de ségrégation et
d’exclusion.
Maladies chroniques liées au changement d’environnement (ex : rural/urbain)
En ville, on constate un changement important
de type d’approvisionnement et de mode de
vie par rapport au milieu rural. Le problème est
alimentaire (boissons sucrées, disparition de
certains produits, mondialisation de la consommation), mais aussi lié aux changements de
l’environnement, en particulier dans les formes
d’activité physique ou encore dans la gamme des
problèmes de l’insalubrité urbaine qui peuvent
entrainer des propagations plus rapides d’épidémies (comme choléra). En effet, après une période de 10 ans d’exposition à l’environnement
urbain, les migrants d’origine rurale développent
des maladies non transmissibles (comme le diabète de type II), ou des facteurs de risque associés à ces maladies (surpoids, obésité…).
Par ailleurs, c’est en partie la migration vers la
ville qui fait que les épidémies existantes à l’extérieur s’y retrouvent, compte tenu notamment
du poids des « nouveaux quartiers » issus de
l’urbanisation sauvage avec forte concentration
populationnelle et très faible protection sanitaire
et hygiénique. Ceci montre la nécessité d’étudier
les pathocénoses dans une perspective d’écologie humaine car les activités économiques nécessitent des populations en bonne santé. Dans
les pays du sud, les maladies ou la mauvaise
santé sont les premiers facteurs du sous-développement ; dans les pays du nord, les maladies
chroniques liées à l’urbanisation et à la sédentarité auront des conséquences économiques et
sociales à très brèves échéances.
La santé au travail
Cet objet de recherche implique que les avancées
techniques en écologie sont souvent présentées
comme transformant de manière positive les
modes de vie. Comme toute nouvelle technique,
elle peut générer de nouvelles exigences pour
les individus. Les recherches devront permettre
d’anticiper ce qui peut contraindre l’individu et
le groupe social. En croisant les transformations
dans les organisations du travail, les pays dits
« émergents » mais également les pays qui ne
le seraient pas encore, montrent des pathologies
et des souffrances au travail que rappellent les
cadres de vie européens. Même si le physique
continue à être malmené dans des milieux socioéconomiquement défavorisés, les pays sont tous
concernés par la montée de troubles psychoso126
ciaux liés au travail, concomitants d’autres insuffisances perçues ou réelles dans le cadre de vie
et accompagnés de plus grandes exigences de
santé et bien-être.
La notion de poste de travail est devenue obsolète
dans les pays industrialisés. En effet, le travailleur
est de plus en plus sous pression dans l’exécution
de tâches qui se superposent en restreignant sa
marge de manœuvre et sa possibilité de création
individuelle. Ce travail « empêché », c’est à dire
l’impossibilité de trouver une solution personnelle
et originale pour passer du travail prescrit au travail réel, est à l’origine des risques psychosociaux.
La médecine du travail qui se développe dans les
pays émergents, dont le but premier devrait être
d’éviter l’altération de la santé des travailleurs
du fait de leur travail, doit répondre à ce défi qui
est passé des risques physiques aux risques
mentaux, sans pour autant en faire disparaître
aucun puisqu’on observe le cumul des deux2.
L’étude des représentations de la santé au tra-
vail est fondamentale, car elle est à l’origine
de la mise en place des systèmes de santé au
travail qui ne seront que des moyens. Adapter
le travail à l’homme... ou l’inverse, c’est là tout
l’enjeu éthique de cette question.
Thématique 3 : Approche par les changements démographiques
Le vieillissement
Le vieillissement des populations, que nous
connaissons actuellement, constitue un phénomène sans précédent dans l’histoire de l’humanité. Si les pays dits « du Nord » semblent particulièrement inquiets face à cette situation, ceux
du Sud doivent s’y préparer dès à présent car
leur vieillissement sera beaucoup plus rapide.
Ces considérations démographiques font du
vieillissement une priorité scientifique dans le
monde entier, sauf – force est malheureusement de le reconnaître – en France, où le déni
n’a pas seulement touché les plus âgés lors de
la canicule de 2003, mais affecte durablement
la recherche sur cette thématique.
Notre retard scientifique sur cette thématique
peut cependant être compensé par une approche moins morcelée que ce qu’elle est dans
les mondes anglo-saxon et asiatique, où les biologistes, sociologues et psychologues abordent
un même objet d’étude sans dialoguer les uns
avec les autres. Pourtant, tous s’accordent à
dire que le vieillissement (humain) est un « processus physiologique vécu dans un contexte
environnemental et social particulier ». Partant
de cette définition, nous devons désormais
chercher à comprendre comment interagissent
les dimensions biologique, psychologique et
sociale de ce processus, afin de contextualiser les savoirs particuliers et les rendre ainsi
pertinents. En somme, le vieillissement est un
processus complexe qu’il s’agit d’étudier dès
à présent de manière interdisciplinaire pour
rendre compte de la réalité du vieillir. C’est au
prix de cet effort collaboratif entre scientifiques
que notre pays pourra rattraper le retard qui est
le sien face à ce défi scientifique du XXIe siècle.
Le vieillissement est marqué par un plus grand
aspect cumulatif et durable de pathologies
ou déficiences. Les travaux devraient prendre
en compte les études qui ne sont pas spécifiquement liées à l’âge mais qui explorent les
possibles et les innovations émergeant de
conditions handicapantes (en particulier liées
à l’habitat, la mobilité, la technologie, le travail,
les loisirs..). Tous les pays « nord » et « sud »
sont concernés, les inventivités en termes de
récupération par exemple, sont particulièrement
nées de contextes de vie difficiles et viennent
interagir avec la santé. D’autre part la manière
de se dire vieux, de se sentir vieux varie en fonction du locuteur, du cadre social, des normes sociales et valeurs… avec des conséquences sur
la motivation, l’énergie mobilisées pour prendre
soin de soi.
Thématique 4 : Approche par les dynamiques sociales mondialisées
Par ailleurs les dimensions de la mondialisation
(télévision, projets de développement, influence
des diasporas…) construisent une modernité
des conduites et des recours. Par exemple, au
sujet des diasporas il s’agirait de considérer la
confrontation des individus qui les constituent à
des modèles nutritifs nouveaux en situation de
migration. Ces modèles nutritifs touchent non
seulement les migrants eux-mêmes mais également l’ensemble de leur parentèle résidant en
France ou dans leur pays de départ via leurs
déplacements, l’usage des médias. Ainsi seraitil intéressant de prendre en compte les effets,
directs et indirects, au court et long terme sur
2 - Divers travaux, dont ceux de l’OMS prédisent que la prévalence des maladies mentales dans les pays industrialisées
dépassera celle des maladies cardio-vasculaires et des cancers. Mais seulement 2% des budgets de recherche y sont consacrés contre 20% pour la recherche sur le cancer.
prospective de l’institut ecologie et environnement du cnrs
127
prospectives d’avignon
les pratiques alimentaires mais également sur
la santé et le corps, de la migration, de la mondialisation et de la globalisation ici et là-bas.
Pour saisir ces modifications les contextes socio-historiques des sociétés de départ doivent
être étudiés par l’anthropologie. La FAO et
l’OMS soulignaient dès 1992 la nécessité de
se pencher sur le phénomène de « transition
nutritionnelle » se développant en Afrique. En
effet, alors que la malnutrition affecte encore
une large partie de la population en Afrique de
l’Ouest les maladies comme le diabète et l’hypertension sont également présentes. Dans le
même temps selon certains épidémiologistes, il
apparaîtrait que les migrants africains dans leur
ensemble seraient concernés par les pathologies de surcharge : cette corrélation mériterait
d’être interrogée. En effet l’anthropologie s’est
révélée un outil précieux pour saisir les enjeux
politiques de la santé. Elle permet de mieux saisir les liens unissant migration et santé.
Plus encore, la démarche anthropologique pourrait apporter des pistes de réflexions sur les
transformations (via la circulation des idées,
des valeurs, des humains, des marchandises)
que vivent les populations migrantes et leurs
familles, sur l’influence de la migration du village vers la ville et la France et vice-versa sur les
changements alimentaires, l’activité physique et
leurs répercussions sur la santé.
Progrès biomédical et impact environnemental
Les progrès des interventions biomédicales
et biotechnologiques sur l’humain mettent en
scène pour la première fois un impact majeur
de l’environnement humain (celui des sciences
biologiques) sur l’évolution même de l’humain.
Ce regard biologisant sur l’humain produit
des transformations majeures dans les représentations de la maladie, du vieillissement et
du contrôle des corps. Ainsi se conforte une
croyance collective dans la capacité de maîtrise
et de contrôle de l’homme sur son environnement et sur lui-même. Dans le même temps,
les comportements (dits déviants) des individus sont désignés comme causalités d’une
nouvelle forme de maladie, les maladies dites
chroniques. Cette représentation appuie l’idée
d’une responsabilité individuelle à l’égard de
la santé et prône une attitude pro-active et
interventionniste. Elle tend à évacuer les analyses complexes du comportement humain et
en particulier à les dégager d’une détermination environnementale sociale ou sociétale, lecture significative d’une société individualiste.
Ainsi, il conviendrait de s’interroger sur la
transformation des systèmes de représentation de la santé et de la maladie et en particulier sur les processus parfois paradoxaux de
biologisation / psychologisation des modèles
étiologiques et de médicalisation / démédicalisation des prises en charge en particulier
dans le champ des maladies dites chroniques.
L’élargissement même de cette catégorie est
également à questionner (maladies transmissibles et non transmissibles : diabète, obésité,
128
VIH, mais aussi maladie mentale etc.).
L’autosanté est une écologie corporelle qui établit dans des réseaux de santé un partage de
solution traditionnelle de bien-être et de guérison. Le recours aux médecines traditionnelles
s’inscrit dans un entretien régulier et culturel
de sa santé physique, morale et sociale en
complément des médecines officielles. À travers l’analyse des recettes et pharmacies
personnelles, la recherche peut porter sur le
monde de santé d’une culture donnée qui se
différencie des autres groupes en fonction des
possibilités de l’écologie des milieux. Dans
ces réseaux de santé, l’autosanté est une pratique partagée d’autorégulation opérée dans
un métissage des savoirs locaux avec ceux de
la médecine officielle. L’intérêt est de pouvoir
dégager la singularité des parcours de santé
et le syncrétisme des conceptions différentes
selon les référentiels culturels.
Conclusion
Les champs à couvrir sont importants mais le fil conducteur doit être la relation entre les changements environnementaux et sociétaux et leur impact sur la santé. Les maladies sociétales ou chroniques non transmissible (HTA, diabète, maladies de dégénérescence….) par rapport aux maladies
transmissibles vont construire, en particulier au sud, de nouvelles politiques de santé publique.
Dans de nombreux pays du sud, les maladies transmissibles récurrentes étaient parmi les premiers
facteurs du sous-développement. S’y ajoutent maintenant diverses maladies chroniques non transmissibles liées à l’urbanisation et à la sédentarité et qui auront des conséquences économiques et
sociales importantes si la prévention ne vient pas compléter la thérapie.
Dans bien des cas, ces questions de santé renvoient à des choix de développement et à des politiques publiques. Comment concilier une production agricole de proximité « rurbaine » et le développement de gîtes pour les moustiques, comment surveiller le marché informel des produits alimentaires dans des villes disjoignant les lieux de vie et de consommation, comment harmoniser des
programmes de santé « découpant » leurs interventions selon des pathologies (choléra, diarrhée,
paludisme) et non selon des causalités (gestion et hygiène de l’eau et des déchets) ?
Une anthropologie de la santé implique la compréhension de la définition et des représentations
de la maladie (et aussi de ce qui se rapporte à l’identification d’une vie bien portante), une analyse
des liens entre des dynamiques sociales, économiques et diverses dimensions sanitaires. Les dispositifs de santé et les accès aux soins, les pratiques médicales, les changements de modes de
vie, ainsi que les réponses socioculturelles autour de la maladie en réponse aux modifications des
données environnementales (épidémies, pollution….) constituent des déterminants des états de
santé. Elle renvoie en particulier aux façons dont les sociétés gèrent la maladie et dont les individus
la vivent. Elle montre que si les connaissances des invariants biologiques du corps et de ses dysfonctionnements sont à la base d’une connaissance scientifique du corps, la connaissance selon
les sociétés et leurs cultures, les frontières de la maladie et des autres malheurs doivent être pris
en compte avec les autres champs de la vie sociale, en particulier le champ du religieux.
La santé relève à l’évidence d’une anthropologie incluant une réflexion d’écologie politique.
Recommandations
Dans une perspective d’écologie et/ou de changement global, se focaliser sur les transitions :
démographique, épidémiologique, écologique et alimentaire.
S’intéresser à des niches de maladies liées aux changements environnementaux (comme les zoonoses) qui sont exclus des grandes campagnes de l’OMS, par ex. dans une perspective du temps
long ou au processus du vieillissement (Cf. Les OHM).
129
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SERVICES éCOSYSTèMIQUES,
REPRéSENTATION DE LA NATURE
ET DE L’ENVIRONNEMENT
avignon
Prospective
Coordinateurs : Jerôme Casas & Franck Courchamp
Contributeurs : Denis Couvet, Marie Gaille, Sandra Lavorel
Mots clés : services écosystémiques, biodiversité, éthique, valeurs, indicateurs, scénarios, conservation, pilotage, fonction écosystémique
Préambule
Cet atelier a uni deux « items » : les services éco-systémiques et la question de la représentation de
la nature et de l’environnement. Il est rapidement apparu lors de la préparation de l’atelier un hiatus
entre différentes manières de comprendre leur réunion et leur problématisation commune. L’une
d’elles est centrée sur la notion de service éco-systémique et s’intéresse surtout aux problèmes
épistémiques que pose sa mise en œuvre (échelle, quantification et plus généralement questions
liées à l’évaluation économique, à la prise en compte politique et sociale, voire les conséquences
morales ; démarches de scénarisation, dimension rétrospective de l’analyse, etc.), Une autre entend
avant tout dans cet atelier questionner les fondements, le sens et les implications de la notion de
service éco-systémique, sur un plan épistémique mais aussi politique, social, moral. Une telle perspective ouvre donc la porte à une éventuelle critique de cette notion, alors que dans la première
démarche évoquée, il convient avant tout de se mobiliser pour résoudre les problèmes épistémiques
que pose sa mise en œuvre et aller de l’avant.
Cette dimension critique fait elle-même l’objet d’une discussion au sein des réflexions en sciences
humaines et sociales, discussion qui trouve d’ailleurs un écho passionnel dans le débat politique.
Certains rejettent la notion de service éco-systémique au nom du danger à envisager la nature
comme un moyen et une ressource considérés à l’aune du seul profit que les sociétés humaines
peuvent en tirer. Ils dénoncent l’hypocrisie qu’il y a prétendre protéger la nature en quantifiant les
services d’ordre divers qu’elle rend aux hommes mieux qu’une vision « qualitative » de celle-ci.
D’autres encore estiment que les problèmes de mesure sont insurmontables. D’autres considèrent
l’élargissement de l’analyse des relations Sociétés-Biodiversité que permet la notion, les nouvelles
perspectives sociales et politiques offertes. Enfin, certains se montrent, sur un mode prudent, plus
ouverts à l’approche « économiste » de la nature souvent associée à la notion de service écosystémique, estimant qu’il ne faut pas la diaboliser a priori mais chercher à mieux la comprendre.
Compte tenu de ce contexte extrêmement controversé, cet atelier constitue une chance de dialogue
et d’échanges qu’il serait dommage de ne pas mettre à profit. Il est aussi une opportunité pour ne
pas faire appel au dialogue interdisciplinaire sur un mode incantatoire, mais pour proposer, sur un
objet spécifique, une discussion commune.
131
prospective de l’institut ecologie et environnement du cnrs
prospectives d’avignon
Première démarche
132
Sandra Lavorel a mis en avant les questions
épistémiques et sur un autre plan, celles associées à la « gouvernance » qu’on rencontre en
travaillant avec la notion de service éco-systémique. Elle propose une caractérisation de cette
notion, et à partir de cette dernière, formule
diverses problématiques de recherche présentées ci-dessous comme les éléments essentiels
de la recherche à venir.
Des demandes d’évaluation de services écosys-
témiques de l’échelle locale, à l’échelle régionale / nationale et globale, sont faites chaque
jour par des décideurs, des gestionnaires, ou
des entrepreneurs. Ces demandes sont souvent
traitées dans l’urgence, et selon un état de l’art
insuffisant. La recherche doit donc continuer de
contribuer à fonder les évaluations sur des bases
conceptuelles et méthodologiques solides.
Il en résulte différentes problématiques de
recherche.
- Mise en place de cadres conceptuels et
méthodologiques pour quantifier les SE de
manière plus fine que par fonction de transfert
(ex. valeur unique par type de couverture des
terres), et prendre en compte explicitement les
effets de la biodiversité, en particulier fonctionnelle – sur les bases des avancées de compréhension fondamentale, mais en devant composer avec les limitations par la disponibilité
des données. Une attention particulière devra
être portée au développement de méthodes
spatialement explicites, y compris à l’identification des échelles pertinentes. L’objectif ultime
devrait être la standardisation des méthodes
au travers de guides de bonnes pratiques et de
boîtes à outils [Concernant le rapport à l’atelier Interactions et Rétroactions, J. Roy précise
que cet atelier ce situe en amont du problème
de quantification abordé ici ; par ailleurs, lien
de cette problématique avec la partie Ecologie
prédictive et changement planétaire].
biodiversité et différents services – et leur
dépendances à différents facteurs (environnement ; humains).
- Réaliser des analyses rétrospectives, si possible spatialement explicites, concernant le
passé plus ou moins lointain, y compris par des
approches d’écologie historique et la paléoécologie. Ces analyses permettront en particulier d’identifier les points de rupture, tels que :
transitions systémiques, écroulement d’écosystèmes et de leurs services. Elles mettront également en évidence les échelles de temps des
dynamiques des services écosystémiques, les
différentes échelles associés à différents SE, et
les processus de type effet retard. Leur reconnaissance permettra en particulier d’alimenter
les démarches de scénarisation.
- Développer et tester des méthodes robustes
pour quantifier les interactions positives (synergies) ou négatives (arbitrages) entre services,
ou entre services et biodiversité :
1) Points chauds / froids (Hot / cold spots)
de SE et identification de leurs recouvrement avec les points chauds de biodiversité ; analyses des variables explicatives
(facteurs environnementaux, gestion des
terres, variables sociales) de ces points
chauds / froids (ex. climat, sols, gestion).
2) Documenter les relations deux-à-deux
ou multiples entre services ; ou entre la
- Continuer de progresser dans les méthodes
d’évaluation, économiques et non-économiques :
3) Identifier les bénéficiaires de différents
services, et caractériser la diversité de
leurs enjeux, intérêts et risques.
4) Lever les verrous conceptuels et méthodologiques de l’évaluation économique
5) Affiner les méthodes de quantification
des valeurs non économiques, y compris
pour prendre en compte la multiplicité des
valeurs et les jeux entre valeurs et entre
acteurs.
6) Quantifier la demande de SE, pour analyser la congruence entre l’offre par les écosystèmes (potentiel de fourniture) et les
demandes.
- Quantifier les flux de services, spatiaux à
différentes échelles, voire temporels (cf. effets retard ci-dessus), et mettre en relation
ces flux avec les flux monétaires, humains,
d’énergie ou d’information. On pourra même
réfléchir à incorporer explicitement les SE
dans les approches de type Analyse de Cycle
de Vie.
Défis et points de blocage potentiels :
7) bases de données, en particulier spatialisées
8) connaissances (prédictives) approfondies
des processus écosystémiques régulant les
SE (Cf atelier Interactions et Rétroactions)
9) connaissances approfondies des systèmes socio-écologiques (futilité des approches simplifiées / simplificatrices !)
10) liens avec les questions de « Valeurs »
Analyse des mécanismes liant biodiversité, fonctionnement
des écosystèmes, et services écosystémiques
La demande forte d’évaluation des services
écosystémiques demande non seulement des
efforts conceptuels et méthodologiques, mais
de comprendre les processus sous-jacents aux
patrons observés, et aux dynamiques passées
et futures, ainsi qu’aux interactions spatiales ou
entre acteurs.
Il en résulte différentes problématiques de
recherche.
- Continuer de progresser dans la compréhension des relations entre biodiversité et fonctionnement des écosystèmes. Si des avancées
certaines ont été faites sur ce sujet au cours de
20 dernières années, nombre de points restent
à éclaircir, y compris :
11) Le rôle des différentes composantes
de la biodiversité e.g. fonctionnelle, phylogénétique dans fonctionnement des écosystèmes et les mécanismes associés. Les
mécanismes fonctionnels et évolutifs d’articulation mécaniste entre ces niveaux.
12) Le rôle de la diversité trophique sensu
lato (types d’interaction, réseaux d’interaction, complexité trophique…) dans fonctionnement des écosystèmes.
13) Le rôle de différentes composantes de
la biodiversité pour des fonctions multiples
simultanées.
14) Le rôle de différentes composantes de
la biodiversité pour le fonctionnement à long
terme (stabilité, résilience)
15) Les échelles spatiales associées aux relations entre biodiversité et fonctionnement
des écosystèmes, et les mécanismes d’articulation entre échelles multiples
16) Les discontinuités écologiques, les rétroactions positives et négatives, et les transitions critiques…
- Comprendre les mécanismes écologiques (en
particulier fonctionnels) sous-tendant les interactions entre services, et entre services et biodiversité – selon les échelles. L’enjeu ici est de
traduire les connaissances sur les compromis
/ synergies / contraintes écologiques et évolutifs en hypothèses sur les compromis / synergies de services, et de tester ces hypothèses
sur des jeux de données diversifiés en termes
de modèles d’études et d’échelles spatiales et
temporelles.
Analyse des mécanismes de mise en œuvre sociale de la notion
- Comprendre le rôle des services écosystémiques dans les processus de dynamique des
systèmes couplés homme-environnement. Ce
champ est un front de recherche nouveau, et
comprend notamment :
17) La compréhension des articulations
entre échelles biophysiques et échelles humaines, par ex. les niveaux de gouvernance.
18) La compréhension de la position des SE
dans des cadres conceptuels dynamiques
tels que les modèles de panarchie, ou plus
généralement les modèles de résilience des
systèmes couplés homme-environnement.
19) La compréhension de la place des services écosystémiques dans les décisions
des acteurs parmi les différentes composantes des mécanismes de décision, et
dans les jeux d’acteurs et de leurs valeurs
(voir partie Valeurs).
20) L’identification des déterminants des flux
de services, y compris leurs relations avec les
autres flux : humains, capital, énergie…
133
prospectives d’avignon
- Comprendre les modalités de mise en œuvre
d’une approche de la gestion de l’environnement et du développement territorial incorporant
les SE, par ex.
21) Intégrer les dimensions économiques,
de gouvernance et sociales de paiements
pour les SE
22) Analyser les différentes modalités possibles d’intensification écologique de l’agriculture, de la foresterie ou de l’aquaculture
au travers de l’intégration des services écosystémiques dits ‘intrants’ et des externalités positives de la biodiversité et de ses effets sur le fonctionnement des écosystèmes
dans les systèmes de production.
23) Raisonner les mécanismes de l’équivalence écologique et des actions de compensation
24) Analyser comment les politiques publiques doivent et peuvent prendre en
compte les services écosystémiques pour la
gestion du territoire, des activités de production primaire (agriculture, foresterie, pêche
aquaculture) et pour la conservation de la
nature.
25)Et pour toutes ces propositions, analyser les trois questions suivantes :
• Les services écosystémiques sont-ils garants d’un « bon » fonctionnement de l’écosystème ?
• Quels bénéfices réels / risques pour la biodiversité ?
• Quels avantages / risques pour les acteurs
locaux ?
Seconde démarche
Au regard de la démarche de recherche précédemment exposée, la seconde démarche identifiée dans la préparation de l’atelier qui entend
avant tout questionner les fondements, le sens
et les implications de la notion de service écosystémique, sur un plan épistémique mais
aussi politique, social, moral prend un chemin
différent et pose d’autres questions pour la
recherche fondamentale des 10 ans à venir.
Compte tenu de la dimension polémique du
questionnement sur les services-écosystémiques, la première question de recherche
consiste à revenir à la caractérisation de ces
services, afin d’identifier :
• l’orientation la plus pertinente pour les
définir (construction d’un espace de controverse ou consistance conceptuelle),
• les disciplines requises dans cet effort
de définition,
• le mode selon lequel ces différents regards disciplinaires doivent interagir.
De ce point de vue, la place acquise par l’économie (en tant que discipline) dans l’approche
des services écosystémiques et la mise en
œuvre de cette notion semble devoir faire
l’objet d’une interrogation particulière. Le
cadre institutionnel de la prise en compte
des services écosystémiques (par exemple
d’éventuels paiements pour services écosystémiques) pourrait être d’une importance cruciale, déterminant les effets sociaux et poli134
tiques, voire éthiques, de mesures de types
économiques.
D’autres disciplines des sciences humaines et
sociales s’intéressent de façon notable à l’environnement depuis quelques décennies (philosophie, anthropologie, sociologie). Mais ont-elles
véritablement investi le sujet des services écosystémiques ? Et si oui, à quel titre ? Sont-elles
porteuses d’un discours particulier à l’égard des
services éco-systémiques ? Devraient-elles être
plus présentes ? Toutes ces questions doivent
orienter la recherche au sein de chacune de ces
disciplines et les conduire à s’interroger sur les
conditions de leur collaboration.
Le premier objectif de la recherche est de faire
un état des lieux de la situation puis, à la lumière de celui-ci, de :
• proposer une définition de la notion de
service éco-systémique à partir de laquelle
les différentes communautés scientifiques
mobilisées autour de cette notion puissent
dialoguer,
A cette fin, on s’intéressera notamment à :
• histoire de la notion,
• acteurs mobilisés dans son émergence
et son élaboration,
• concepts scientifiques associés,
• problématiques écologiques soulevées,
• mécanismes écologiques et évolutifs liés
à la notion.
• Typologie des bénéfices (notamment
place et hiérarchie des bénéfices de type
social ou culturel).
D’autre part (2nd objectif), il convient de repérer
quelle place occupe déjà la notion de service
éco-systémique dans la recherche écologique,
et de mettre en évidence les finalités qu’elle
permet de poursuivre dans cette recherche.
Plusieurs questions de recherche doivent être
posées dans cette perspective :
• Place dans l’analyse des problématiques
environnementales, dans la gestion des
écosystèmes. Conséquences, usages possibles, effets pervers éventuels, associés
à sa mise en œuvre dans les politiques
publiques.
• Qu’apporte la notion de service éco-systémique quant aux représentations que les
individus et les sociétés se font de « la nature », de « l’environnement » et des « écosystèmes » ? Systèmes socio-écologiques,
écologie humaine, écologie politique, anthropologie de l’environnement, domaine
de l’éthique…
• Controverses, notamment liées aux différents usages possibles, épistémologiques,
sociaux, politiques, de la notion (concept
organisateur de connaissance, outil transdisciplinaire, moyen de déterminer les politiques publiques, etc).
• En conclusion, à la lumière de ces éléments, la réflexion pourra évoluer vers une
analyse des représentations de la nature
qui lui sont associées. Est-elle en concurrence avec d’autres notions pour appréhender la relation entre les hommes et les
écosystèmes ?
Enfin, un 3e objectif peut être défini comme celui de l’analyse critique, qui ne signifie pas rejet,
mais discussion, de la mise en œuvre sociale
et des constructions scientifiques de la notion.
La mise en œuvre de la notion rencontre plusieurs
difficultés dont cette partie vise à rendre compte :
a) Dimension épistémologique : de façon générale, que faut-il documenter ? Que faut-il comprendre ? Que faut-il modéliser ? Que faut-il
mesurer ? Au regard de ces éléments, quelles
sciences et quels point de vue faut-il mobiliser ?
En outre, des difficultés épistémologiques particulières doivent être discutées de façon spécifique, notamment :
1) quels concepts et méthodes propres à
l’évaluation économique des services éco-
systémiques et de l’efficacité des mesures
prises ?
2) comment intégrer l’existence de pointsseuil de basculement dans la gestion environnementale et la relative imprévisibilité
des processus écologiques ? Quelles formalisations et quelles disciplines convoquer pour répondre à ces difficultés ?
3) Des questions d’échelle se posent-elles
de façon particulière ?
b) Dimension sociale : quels sont les acteurs
de cette mise en œuvre ? Quels sont ses outils institutionnels, législatifs ? Quels sont les
modes de décision employés pour la gestion
environnementale fondée sur la notion de service éco-systémique ?
c) Dimension politique : comment analyser et
appréhender la diversité des représentations,
la pluralité des acteurs et les conflits d’intérêt dans la gestion de l’environnement ? Les
institutions existantes aux différentes échelles
– régionales, nationales, internationales – sontelles appropriées pour faire face à ces questions ? Peut-on identifier des problèmes particuliers d’« acceptabilité sociale » et comment
analyser ceux-ci ? En quoi la notion de service
écosystémique renouvelle-t-elle l’analyse des
conflits environnementaux ?
Dans cette partie, il s’agit donc de discuter des
implications normatives de la notion de service
éco-systémique : que dit-elle et quelles sont
ses relations avec des objectifs tels que la
conservation de la biodiversité, la restauration,
tant au regard d’une nature perçue comme emblématique (espèces menacées, patrimoniales
et/ou charismatiques) que d’une nature envisagée comme ordinaire (y compris les communautés microbiennes, prépondérantes en biomasse, et essentielles dans le fonctionnement
des écosystèmes) ?
Il conviendra de discuter le rôle dévolu aux solutions de type économique, qui sont souvent associées à la notion de services éco-systémique
(permis, taxes, évitement de subventions perverses, etc.) On pourra, dans cette discussion,
interroger de façon particulière la distinction
faite entre « économie de l’environnement »
et « économie écologique », la deuxième se
démarquant par l’intention de mieux prendre
en compte que la première les contraintes écologiques. Cette discussion mise en place, on
peut s’interroger sur les alternatives à cette
situation.
135
prospective de l’institut ecologie et environnement du cnrs
prospectives d’avignon
Enfin, au regard de la question posée sur l’acceptabilité sociale de certaines mesures, on
peut se demander jusqu’à quel point la gestion de l’environnement se doit de répondre
aux « demandes sociétales » (et lesquelles), et
dans quelle mesure la notion de service écosystémique intervient dans ce débat.
Eu égard à toutes ces questions, la notion de
service écosystémique permet d’éclairer une
interrogation transversale qui doit être posée :
certains acteurs comptent-ils plus que d’autres
(scientifiques, politiques, experts, usagers,
etc.), que ce soit pour fixer des objectifs ou
proposer des représentations de la nature et
de la relation des hommes et des sociétés à
l’environnement ?
Un des enjeux de la recherche à venir est également de déterminer quels types d’interactions
ces démarches peuvent et, le cas échéant,
doivent développer.
Résultats de l’atelier
Lors des Prospectives des 24 et 25 octobre
2012, l’atelier a été animé par D. Couvet et
M. Gaille. Il a réuni 22 participants (sur les 66
inscrits), essentiellement issus du champ des
sciences sociales et humaines (avec deux dominantes disciplinaires : philosophie et géographie) et de l’écologie. Les services écosystémiques ont constitué le cœur de la discussion,
à partir du texte préparatoire qui avait circulé
au préalable auprès de plusieurs participants.
La notion de service éco-systémique est apparu dans le champ des sciences de la conservation. Elle a été mise en avant dans le travail
du Millenium Ecosystem Assessment en 2005,
qui identifie 24 services majeurs, classés en
quatre catégories, selon 5 types de bénéfices
apportés aux humains.
Cette notion donne lieu à une grande diversité
d’interprétations, issues de différentes disciplines ou de leur collaboration. Cette diversité est liée à une double catégorisation, des
fonctions écosystémiques, et des bénéfices,
donc des objectifs qui peuvent être poursuivis avec cet outil. Elle suscite par ailleurs
de nombreuses controverses, moins liées
au problème de sa définition qu’à son statut
opératoire et à sa portée politique et économique. Cette notion a en effet une dimension
normative : elle peut être conçue comme un
moyen - expliciter les dépendances des sociétés vis-à-vis de la biodiversité- pour une fin, la
préservation de la biodiversité. Mais comme
elle constitue le socle d’une grille d’analyse de
ces dépendances, et est donc, à ce titre, un
outil de diagnostic écologique, elle est également suspectée d’orienter les perceptions et
de conduire à de nombreux effets pervers. Le
thème des « paiements pour services écosystémiques » rend bien compte de la richesse et
des ambiguïtés de l’utilisation de ce concept.
Trois questions de recherche majeures ont
émergé des discussions.
Question 1 :
Approfondir la relation biodiversité-services écosystémiques
Ces deux notions sont fortement associées
dans les politiques environnementales - l’Union
européenne associe la préservation des deux,
de même que plusieurs conventions internationales (cf. l’Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem
Services, l’IPBES). La thématique « services
écosystémiques » peut cependant donner l’impression d’occulter progressivement la problématique de la biodiversité. L’atelier a rappelé
l’importance de la complémentarité de ces
136
deux thématiques, qui ne devraient pas être
en compétition, mais rechercher leurs articulations les plus fécondes.
En termes de recherche, et notamment en lien
avec la géographie, il s’agit d’aller au-delà des
fonctions de transfert qui permettent de cartographier les services, avec une simplicité
trompeuse, gommant de nombreuses problématiques concernant la biodiversité.
Pour approfondir, il est nécessaire de mieux
identifier la responsabilité des différents ni-
veaux d’organisation biologique, populations,
communautés, écosystèmes, paysages, le
rôle de la diversité, taxonomique, phylogénétique, fonctionnelle, dans la fourniture de ces
services. Ces causalités doivent être examinées selon différentes échelles d’espace et de
temps.
Il s’agit enfin et surtout d’affronter la problématique des oppositions et synergies entre services. Une raison majeure du développement de
la notion, au sein des sciences de la conservation, réside dans l’hypothèse d’une complémen-
tarité entre services, de multi-fonctionnalité, à
rebours de l’idée d’un pilotage de quelques services, aux dépends des autres. La biodiversité
a un rôle fondamental à jouer dans cette complémentarité. Un usage intéressant de la notion
de service éco-systémique, de ce point de vue,
réside dans la réflexion sur les concurrences
entre services et sur les compromis à faire entre
une pluralité de services (exemple : perpétuer
la biodiversité d’un éco-système/aménager le
paysage pour des touristes et des habitants/
développer l’agriculture).
Question 2 :
Approfondir la dimension sociale et culturelle du rapport à la nature
Telle qu’elle est présentée par le Millenium
Ecosystem Assessment en 2005, la notion de
service éco-systémique se caractérise par la
pauvreté de son élaboration du point de vue
de sa dimension sociale, culturelle et politique.
Le statut qui lui est conféré pourrait sembler
de l’ordre du « résiduel » et la relation à la
nature envisagée en 2005 est de l’ordre du «
récréatif » au sens pauvre du terre. On pourrait vouloir pour cette raison en abandonner
l’usage. Mais c’est compliqué puisque elle
est déjà largement diffusée, y compris dans
les codes juridiques environnementaux. Aussi
faut-il peut-être substituer un paradigme à un
autre et proposer une conception nourrie et
centrale de cette dimension, au point d’en
faire presque le cadre même de l’analyse des
services éco-systémiques. On peut par ailleurs
d’emblée mettre en évidence une faille de
cette conception, de la pauvreté de la conceptualisation de la dimension sociale, culturelle
et politique du rapport à la nature. Fait-on de
cette dimension culturelle le résiduel ou le
cadre d’analyse (dimension Europe latine vs
Europe anglo-saxonne). La question clé à promouvoir est celle de la solidarité des individus
entre eux face à l’objectif de préservation de la
nature et du maintien de l’idée d’un « bien public » dans les relations que chacun entretient
avec les services écoy-systémiques. Il faut se
déprendre d’une vision centrée sur l’individu
et les finalités individuelles et réinventer une
vision « commune » et « collective » du rapport
aux services éco-systémiques.
Question 3 :
Services éco-systémiques et justice environnementale
Si l’on réduit l’approche de la nature à la notion
de service éco-systémique, on risque de se fermer à l’idée que « la nature » est, par elle-même,
indépendante de la finalité de la conservation
que lui assignent les sociétés humaines et des
services qu’elle est susceptible de leur rendre.
D’ailleurs, au sens, littéral, l’expression est un
non-sens : La nature ne rend pas de service !
Le danger inhérent à cette perspective est
d’ailleurs patent dans le risque de ne chercher
à conserver que ce qui sert à quelque chose et
cela au détriment des fonctions redondantes
(problèmes des analogies fonctionnelles ou de
l’équivalence fonctionnelle). Il y a un véritable
clivage entre la perspective centrée sur les services et celle qui refuse de s’y réduire. Afin de
dépasser ce clivage, il faudrait utiliser la notion
de manière réfléchie et critique. La notion est
certes anthropocentrée, mais elle est aussi
une porte ouverte à la question de la justice
environnementale et de la distribution des
responsabilités. Et précisément, elle oblige à
examiner la relation entre hommes et nature.
Elle peut conduire à monétariser la nature : on
peut l’accuser à partir de là de contribuer à
marchandiser la nature, mais en même temps,
son usage signifie qu’on peut faire payer ceux
à qui l’on attribue la cause de la dégradation
de la nature. En outre, le problème n’est peutêtre pas la monétarisation, mais le fait que la
nature soit appropriée. Une autre logique, par
exemple, celle de la patrimonialité, pourrait
137
prospectives d’avignon
être opposée à l’idée de marchandisation de
la nature. Comme outil de débat et de controverse, la notion de service éco-systémique est
donc, politiquement, à double tranchant. Elle
a au moins le mérite d’orienter la réflexion
138
vers cette problématique de la justice environnementale et de nous inviter à réinterroger
l’impact théorique et normatif de la discipline
économique pour les sciences humaines et
sociales et l’écologie.
Les sciences
de l’écologie et
de l’environnement
actrices du
développement
durable
introduction
avignon
Prospective
Jean-Denis Vigne, Nadine Le Bris, Jean-Pierre Feral, Joël Guiot
Ce troisième volet de la prospective vise à relever deux défis majeurs : mieux appréhender la complexité extrême des interactions entre sociétés humaines et systèmes écologiques ; s’appuyer sur
cette maîtrise de la complexité pour accroître le rôle du monde de la recherche dans la construction
du développement durable.
Relever le premier défi implique d’intégrer les diversités naturelles et culturelles impliquées respectivement dans les second et troisième volets de ces prospectives, dans des perspectives résolument
multi- et interdisciplinaires. Pour l’écologie et les sciences de l’évolution, il s’agit d’une part d’intégrer
sur des échelles spatiales et temporelles multiples, la connaissance du fonctionnement des systèmes
écologiques et des leurs interfaces, afin notamment qu’elle soit accessible pour répondre aux enjeux
sociétaux ; d’autre part d’intégrer l’homme non seulement en le considérant comme un acteur potentiel des dynamiques écologiques, mais aussi en prenant pleinement en compte la complexité, l’irrationalité et l’imprédictibilité des comportements sociaux et cela avec les outils propres aux sciences
humaines et sociales. En contrepartie, le défi qui se pose aux sciences humaines et sociales consiste
à élargir leur champ de vision aux questions historiques, économiques, juridiques et philosophiques
que posent les interactions entre société, biodiversité et environnement, à déporter les centres de
gravités de leur réflexion de telle sorte qu’ils incluent pleinement ces problématiques, et à inventer les
outils intellectuels adaptés à cette interface sensible. La rencontre de ces deux mondes académiques
dans le champ des sciences de l’écologie et de l’environnement est source de dynamisme et d’innovation scientifique. Elle est aussi la condition nécessaire à l’élaboration de nouveaux concepts partagés,
à même de fonder l’existence d’une nouvelle communauté scientifique, et de lui permettre de jouer le
rôle qui lui revient dans la construction du développement durable.
Les ateliers du colloque d’Avignon ont mis l’accent sur différents éclairages qui, portés par des communautés particulièrement dynamiques, jouent le rôle d’incubateurs pour ces nouveaux concepts. Il
faut souligner que plusieurs de ces ateliers ont mêlé des chercheurs issus de différentes institutions,
tels, bien sûr, le CNRS, les universités et le Muséum national d’Histoire naturelle, mais aussi l’IRD,
l’IFREMER, le CIRAD ou l’INRA. Cette pluralité est de bon augure lorsqu’il s’agit de souder une communauté scientifique autour du rôle qu’elle est appelée à jouer dans la société.
141
prospective de l’institut ecologie et environnement du cnrs
L’atelier « Environnements quaternaires non anthropisés ou peu anthropisés ; interactions hommeclimat-environnement sur le long terme », enracine d’entrée cette réflexion dans le temps long. C’est
en effet au prix d’approches multiscalaires, dans l’espace et le temps, qu’on pourra mieux maîtriser
les questions qui se posent aux sciences de l’écologie et de l’environnement. C’est aussi en comprenant mieux le fonctionnement d’environnements peu anthropisés mais proches de ceux que nous
connaissons aujourd’hui, qu’on construira les référentiels indispensables à l’élaboration d’un appareil
interprétatif propre aux sciences de l’environnement qui prend en compte et intègre la complexité des
interactions homme-milieu et organismes-environnement. Ce texte met en valeur le bénéfice que ces
dernières peuvent tirer d’une communauté scientifique trop longtemps tenue aux marges des sciences
de la terre, de la vie et de l’homme, mais qui a cependant su forger ses concepts et ses outils, et
développer des recherches novatrices.
En miroir par rapport au précédent, le texte produit par l’atelier « Changement global, organisme, écosystème, humain » pose les multiples questions auxquelles sont confrontées les sociétés modernes :
changements climatiques, érosion de la biodiversité, invasions biologiques, dégradation des habitats...
Cette problématique met en jeu une méthodologie basée à la fois sur l’expérimentation, la collecte
de données de terrain, la modélisation des processus à différentes échelles de temps et d’espace.
Les sciences participatives de plus en plus utilisées et prometteuses impliquent une validation appropriée. Les bases de données doivent être interopérables avec un effort particulier aux interfaces
disciplinaires. Le temps long est également un aspect fondamental qui permet de travailler sur des
processus lents, en particulier ceux qui déterminent la résilience de certains systèmes. L’interdisciplinarité nécessaire à l’appréhension des interactions homme-milieu, l’analyse multi-proxy, la mise au
point d’indicateurs pour l’aide à la décision, la quantification des incertitudes sont autant de défis pour
la communauté scientifique. Cela l’est d’autant plus que le temps du scientifique, celui du citoyen et
du décideur sont différents. Un bon exemple de ce défi est la transition énergétique et les politiques
climatiques qui nécessitent des décisions rapides pour enrayer des tendances sur le long terme.
Le texte de « Prospective priorités en écotoxicologie » offre un complément aux prospectives sur le
changement global, en même temps qu’une illustration particulièrement pertinente des différentes
échelles (du nano au global) sur lesquelles se déclinent les interactions entre disciplines, de la chimie
aux sciences sociales en passant par la physiologie et, bien sûr, l’écologie. Il rappelle la nécessaire
complémentarité des études de terrain, des observatoires, de l’expérimentation et de la modélisation.
Cet atelier centré sur la question des contaminants, de leur dynamique et de leurs effets toxiques sur
les organismes et les écosystèmes, propose une démarche intégrative aux interfaces de plusieurs
champs disciplinaires qui rejoignent différents Organismes de recherche et Instituts du CNRS.
Les quatre textes suivants concernent des thématiques ou des objets pour lesquels les prochaines
années s’annoncent particulièrement productives, en raison du renouvellement des questions de recherches par de nouvelles techniques, ou bien parce qu’elles concernent des champs particulièrement
sensibles pour l’avenir des sociétés. Le domaine « Domestication, agrobiodiversité » réunit ces deux
qualités non seulement parce que les recherches y connaissent un forte production de données nouvelles résultant du développement des outils biogéochimiques, morphométriques ou paléogénétiques,
mais aussi parce qu’elles sont liées aux grandes questions concernant l’avenir de l’alimentation mondiale. C’est en outre un champ dans lequel les sciences historiques viennent épauler de façon de plus
en plus pertinente les problématiques actuelles.
Porté par une communauté d’identité forte mais fragmentée (entre différents biomes, entre régions
marines et océaniques, ancrée dans la biologie des organismes, l’océanographie ou des sciences
de l’évolution), l’atelier « Mer » propose une synthèse des questions prioritaires dans un domaine
particulièrement sensible dans le champ du développement durable. Au cours des dernières décennies, l’emprise des activités humaine sur le milieu marin s’est accru exponentiellement, et même
142
les environnements marins éloignés des côtes jusqu’alors relativement peu impactés par l’homme
sont aujourd’hui concernés. Cette composante majeure de la biosphère participe, par des effets de
synergie ou de rétroaction, aux changements environnementaux planétaires. L’atelier d’Avignon faisait
suite à la parution d’un document établissant le bilan des forces et thèmes majeurs de l’INEE dans ces
domaines. Le texte ci-après le complète et l’oriente selon trois axes prospectifs majeurs : l’intégration
terre-mer, les interactions du vivant avec l’environnement marin et la connectivité. L’objectif est de replacer la dimension biologique et la question des interactions au centre de l’étude du fonctionnement
des écosystèmes marins pour mieux appréhender leurs capacités de réponse vis-à-vis des facteurs de
perturbations tant locales (e.g. eutrophisation) que globales (e.g. fixation du CO2).
L’atelier « Ecologie tropicale » analyse les grands enjeux d’un autre milieu particulièrement sensible
pour les questions de développement durable, et dont la valeur heuristique s’affirme de plus en plus
nettement. Les régions tropicales seront fortement affectées par les effets des changements globaux, et les conséquences de ces recompositions de communautés peuvent être particulièrement profondes dans les écosystèmes tropicaux. Pour la grande majorité d’espèces, nous manquons encore
des données de base pour suivre les impacts sur des populations.
A l’heure où plus de la moitié de la population mondiale vit en ville, les « Socio-écosystèmes
urbains » sont des objets d’étude en même temps que des défis lancés aux sociétés. Au-delà des
multiples questions écologiques et socio-environnementales qui s’y posent, il apparaît que l’un
des enjeux majeurs de cette thématique est d’ordre épistémologique : la ville est le système par
excellence qui permet de rompre avec le paradigme de la nature, et de refonder les recherches sur
des bases plus pragmatiques qu’idéologiques.
A ces quatre textes, il faut adjoindre les prospectives « Recherches polaires » qui ne figurent pas dans
ce volume mais constituent, au même titre que les quatre autres, un champ d’intégration à la fois
dynamique en termes de recherche et sensible pour aborder les défis liés au changement global.
L’atelier intitulé « Pour une écologie globale » conclut ce quatrième volet de la prospective en revisitant en profondeur, moins de trois ans après les prospectives de Rennes, la trilogie fondatrice
de l’INEE : Fonctionnement des écosystèmes, Evolution-biodiversité et Sociétés-territoires. A la
lumière de ce texte, comme de ceux qui précèdent, ce concept fondateur reste certes d’actualité,
mais il apparaît maintenant un peu simpliste, preuve du chemin parcouru depuis 2009. L’« Ecologie globale » laisse place à un ensemble intégré des sciences de l’écologie et de l’environnement
que l’INEE continuera à enrichir et à renforcer pour mieux comprendre les dynamiques complexes
des socio-écosystèmes et pour relever les grands défis actuels.
Ecologie globale
observer
expérimenter
Modéliser
archiver
fonctionnement
des écosystèmes
évolution et
biodiversité
Représentation schématique
de l’Ecologie globale ».
On est tenté de le faire
évoluer maintenant vers une
représentation en réseau,
qui rendrait mieux compte
de l’intensification des
interactions entre les
communautés disciplinaires,
les échelles et les
thématiques.
sociétés et territoires
143
144
ENVIRONNEMENTS QUATERNAIRES
NON ANTHROPISES OU PEU ANTHROPISES ;
INTERACTIONS HOMME-CLIMAT-ENVIRONNEMENT
SUR LE LONG TERME
avignon
Prospective
Coordinateurs : Pierre Antoine, Jean-Jacques Bahain, Pascal Bertran
Contributeurs : Marie-Françoise André, Valérie Andrieu-Ponel, Pierre Antoine, Jean-Jacques Bahain,
Jean-François Berger, Pascal Bertran, Jean-Philip Brugal, Nicole Limondin-Lozouet, Michel Magny,
Bruno Maureille, Olivier Moine, Nicolas Teyssandier
Mots clés : Environnements continentaux, Quaternaire, forçages climatiques, changements rapides,
héritages, dynamiques naturelles, enregistrements-réponses, haute-résolution, géochronologie,
paléo-écosystèmes, paléo-biodiversité, référentiels pré-anthropisation, paléo-(bio)-géographie, (bio)(géo)-archéologie, dynamiques de peuplement humain, taphonomie, bases de données.
Introduction, état des lieux
Au sein de l’INEE, une importante communauté
de recherche travaille sur la réponse des environnements continentaux et des populations humaines aux perturbations naturelles (en particulier climatiques) sur le long terme, soit au cours
des deux derniers millions d’années environ.
Par rapport aux recherches axées exclusivement sur les paléoclimats et leur modélisation
menées au sein de l‘INSU, ou sur les comportements culturel et symbolique de l‘Homme
conduites essentiellement au sein de l‘INSHS,
l’originalité des thématiques développées au
sein de l’INEE réside dans :
1) l’intégration permanente des « interactions Homme-climat-environnement sur le
temps long » (des milieux non anthropisés
pléistocènes aux prémices de l‘anthropisation au Néolithique),
2) la référence au monde vivant actuel
(analogues), aux processus qui l’animent
et à son fonctionnement, pour interpréter
les données résultant de l‘étude des séquences anciennes (archives),
3) un engagement systématique dans les
thématiques de l’archéologie et de la bio- et
géo-archéologie, notamment en collaboration
avec les différents acteurs de l’archéologie
préventive (INRAP, collectivités territoriales,
sociétés privées), le MAE et l’INSHS.
Ces recherches, menées sur l’ensemble des
écosystèmes continentaux et incluant les milieux extrêmes des hautes et basses latitudes,
ont la capacité d’embrasser non seulement
des échelles de temps et d’espace variées,
mais aussi toute la diversité des écosystèmes,
étape indispensable à la compréhension de
leur fonctionnement dans le passé.
Fondamentalement interdisciplinaires, ces recherches reposent sur l’étude des environnements, des archives sédimentaires continentales
et des vestiges associés, qu’elles soient d’origine
lacustre, fluviatile, éolienne, pédologique, karstique, glaciaire ou littorale, en contexte naturel
ou archéologique (Photos 1 à 5). Elles intègrent
à la fois les problématiques, les marqueurs et les
techniques des biosciences, des géosciences de
surface et de l’archéologie.
Ces travaux s’insèrent dans les grands thèmes
de recherche nationaux et internationaux
concernant l’enregistrement des variations
climatiques et la mise en évidence de leurs
impacts sur les environnements continentaux
et les populations humaines préhistoriques
(adaptations culturelles et économiques liées
aux changements environnementaux, migrations et dynamique de peuplements dans différentes régions du monde, paléogéographie et
relations continent-péninsule-île ou archipel…).
145
prospective de l’institut ecologie et environnement du cnrs
prospectives d’avignon
Dans ce contexte, la prise en compte des héritages (morpho-sédimentaires, pédologiques,
biologiques et écologiques) est fondamentale
dans le développement des travaux axés sur le
changement climatique actuel (variabilité de la
vulnérabilité vis-à-vis des processus d‘érosion et
d‘inondation, modification et disparition de biotopes…), et sur l’impact de l’action humaine sur
les environnements. Par exemple, les études sur
les épisodes de dégradation brutale du permafrost au cours du dernier glaciaire ou la modification des systèmes fluviatiles et littoraux au
Tardiglaciaire, en relation avec des épisodes de
réchauffement climatique rapide fournissent des
référentiels uniques pour les recherches visant à
évaluer et à modéliser l‘impact des modifications
climatiques et environnementales actuelles, sujet qui focalise l’attention d’une large part de la
1 - Fouilles de sauvetage INRAP sur le site paléolithique
en contexte loessique d’Etricourt (Somme / projet Canal
Seine-Nord-Europe, collaboration INRAP-CNRS).
communauté scientifique et en premier lieu celle
de nombreux chercheurs de l’INEE.
D’autres exemples significatifs concernent
1) les apports de la paléoécologie sur la compréhension de la composition et de la structuration du vivant dans les écosystèmes actuels ;
2) leurs relations avec les forçages climatiques
quaternaires qui modifient l’architecture et le
fonctionnement de ces écosystèmes.
Ces analyses soulèvent des questions majeures telles que la signification de la biodiversité du monde vivant actuel alors que les écosystèmes ont été transformés très fortement
par l’Homme depuis la fin de la dernière glaciation (soit depuis au moins 15 000 ans), en
particulier dans les régions tempérées.
2 - Carottages dans les formations lacustres
pléistocènes du Maar d’Alleret (collaboration
CNRS - BRGM, Massif central).
Enjeux et Problématiques
D‘une manière générale, les thématiques que
nous proposons de développer reposent sur une
analyse diachronique et multiscalaire (temps et
espace) des environnements quaternaires continentaux avec l’objectif de déboucher sur :
1) Une compréhension la plus fine possible
des interactions Homme-climat-environnement sur le long terme.
2) La mise en place de référentiels pré-anthropisation1 nécessaires à une évaluation
objective de l’impact des activités humaines
sur les environnements physiques et biologiques actuels.
Ces recherches sont au cœur d’interrogations
qui animent la communauté scientifique inter146
nationale (cf. INTIMATE Working Group 4 « Impact » : impact des changements du climat
sur l’environnement et les sociétés) et visent à
caractériser le plus finement possible l’impact
des changements climatiques quaternaires
sur l’environnement au sens large, afin d’appréhender leurs conséquences sur les populations humaines depuis les débuts de l‘hominisation. Ces travaux reposent sur l’approche
intégrée de nombreuses archives naturelles ou
faiblement impactées par l’action de l’Homme
qui amènent à documenter, à l’échelle régionale ou globale, les environnements continentaux tout au long du Quaternaire. Ils se fondent
sur une démarche interdisciplinaire propre aux
1 - Avant que l’impact anthropique n’apparaisse significatif dans les enregistrements et archives étudiées (cf. la notion d’ « Anthropocène ».
3 - Sondage dans le remplissage de l’abris-sousroche de Gavsgheit (Mongolie), (collaboration
CNRS, MAE, Mongolian Institut of Archaeology).
équipes INEE, qui permet de renforcer les passerelles entre plusieurs champs disciplinaires
comme l’écologie systémique, la géographie
physique, la géologie, la pédologie, la biogéochimie, la paléontologie, la paléoanthropologie
et l’archéologie.
Enfin, pour parvenir à une information scientifique interprétable en terme anthropologique,
une évaluation ou une réévaluation de la représentativité, de l’intégrité et de l‘homogénéité
des assemblages archéologiques, fauniques
4 - Echantillonnage en continu à haute résolution
dans la séquence de loess du pléistocène
supérieur de Nussloch, Allemagne (programme
ANR « ACTES »).
et botaniques nécessite le développement des
outils et des concepts de la taphonomie (de
l’échelle du site à celle du paysage). C‘est là
un pré-requis indispensable aux investigations
concernant les archives anciennes.
5 - Fente en coin à
remplissage de sable
affectant une formation
de terrasse fluviatile
sablo-graveleuse de la
Garonne à Cussac
Ces objectifs impliquent la transmission et la
mise à disposition de l’ensemble des résultats,
via la création, la mise en réseau, et l’alimentation de bases de données multi-proxys associées à un cadre chronologique solide et pouvant servir de base à des modélisations.
Compte tenu de l’état des lieux de la recherche au niveau de l’INEE, mais aussi des données qui
proviennent des travaux menés sur ces thématiques au niveau international, un certain nombre de
thématiques et de mots-clés semblent se dégager et représenter des directions de recherche à soutenir dans un futur proche :
Mise en évidence de l’impact des variations climatiques
quaternaires sur les environnements continentaux
Cette thématique multiscalaire est développée
à l’échelle des variations climatiques quaternaires, qu’il s‘agisse des grands cycles de
type glaciaire-interglaciaire (ex. cycle de 100
ka pour le dernier million d’années) ou des
événements climatiques millénaires du dernier
glaciaire (cycles de Dansgaard-Oeschger, événements de Heinrich) et des oscillations séculaires au cours de l’Holocène. Elle concerne
tous les types d‘environnements continentaux
et doit privilégier les milieux qui sont susceptibles de fournir les enregistrements les plus
fins et complets (haute résolution) mais aussi
les plus contrastés : lacs (photo 2), systèmes
fluviatiles, milieux arides et extrêmes (périglaciaire, photo 5), séquences lœssiques (photo
1 et 4)... L’acquisition de données de terrain
(le cas échéant précédées par des études géophysiques) et la quantification de certains paramètres climatiques à l’échelle locale jouent un
rôle fondamental comme élément de contrôle
des simulations menées à des échelles plus
globales. Certains modèles régionaux et globaux montrent notamment l’existence de
connexions à grande distance et de zonages
climatiques complexes à la surface de la planète, dont les variations dans le temps doivent
encore être affinées.
Parallèlement, il est nécessaire de renforcer
l’étude interdisciplinaire des séquences sédimentaires associées aux sites archéologiques
147
prospectives d’avignon
(géoarchéologie), car elles constituent les principales archives permettant de documenter :
1) L’impact des changements climatiques sur
la constitution des sites et leur périphérie.
2) L’adaptation / résilience des populations humaines préhistoriques à ces variations climatiques.
Enfin, la mise en évidence au sein de ces
séquences de hiatus, d’épisodes de remaniements ou d’altération reste fondamentale afin
d‘approcher les conditions de préservation des
assemblages archéologiques et de développer
une approche critique des séquences pédosédimentaires archéologiques (taphonomie) ;
étape fondamentale pour les objectifs de datation et de reconstitution de l’environnement
immédiat des occupations humaines. Dans ce
contexte, la reconstitution des cadres successifs des occupations humaines doit s’appuyer
sur l’analyse des paléodynamiques géomorphologiques.
Mise en évidence des caractéristiques spécifiques
de la biodiversité au Pléistocène
La caractérisation de la biodiversité pléistocène,
notamment aux cours des phases climatiques
« extrêmes » (évènements de Heinrich, cycles
de Dansgaard-Oeschger, optima interglaciaires
ou maxima glaciaires), et sa comparaison avec
la biodiversité de l’Holocène antérieure à l’anthropisation (référentiel pré-anthropisation) ainsi
qu’avec celle de l’Holocène anthropisé est un axe
de recherche fondamental. Un référentiel des différentes modalités d‘anthropisation des milieux
pourrait aussi être constitué à l’échelle des
grandes régions biogéographiques. L’acquisition
de données biologiques associées à un cadre
chronologique précis permettra de mieux comprendre la distribution géographique des taxons
étudiés et de reconstituer les flux migratoires
(dispersion) à l’origine de l’organisation actuelle
des écosystèmes. Pour cela, il est nécessaire
de s’appuyer sur des groupes dont la taxinomie,
dans un cadre évolutif, est bien connue (rang spécifique et en deçà) faisant intervenir les analyses
de morphologie et biométrie autant que l’apport
6 - Dégagement de restes de grand mammifère
(rhinocéros) datés du dernier interglaciaire (Eemien),
fouille archéologique de Caours (Somme)
148
de la paléogénomique. La profondeur temporelle
qu‘offrent les études consacrées aux environnements quaternaires à la compréhension de la biodiversité actuelle reste irremplaçable.
L’objectif est de restituer l’évolution de la biodiversité sur le temps long (photos 6 et 7) afin de
répondre à diverses interrogations concernant :
1) L’impact des variations climatiques sur
les biocénoses : l’enrichissement et (ou)
l’appauvrissement de la diversité du vivant
suivent-ils des tendances progressives ou
des évolutions inégales ? Quel est le rôle
des processus de co-évolution et de compétition, effets de seuil, tipping points, etc...
2) L’effet de l’anthropisation sur la richesse
des écosystèmes par rapport aux référentiels des précédents interglaciaires et du
début de l’Holocène.
7 - Coquille de Cepaea nemoralis espèce forestière
parfaitement préservée dans des tufs calcaires
interglaciaires (Eemien) de Caours (Somme).
3) La liaison avec la distribution géographique actuelle des êtres vivants qui découle de la cyclicité climatique quaternaire
et se trouve aussi fortement influencée par
l’impact anthropique croissant.
Il est important de souligner que cette théma-
tique s’inscrit pleinement dans le questionnement en cours au sein de la communauté
internationale des paléo-écologistes. Les recherches menées par les quaternaristes français dans ce domaine représentent un potentiel important qui doit être valorisé et soutenu
par les choix scientifiques de l’INEE.
Analyse des interactions Homme-climat-environnement
à différentes échelles de temps
Cette analyse concerne des problématiques
actuellement en plein développement et qui ont
trait à la colonisation de la planète par l’Homme,
comme :
• L’émergence de la lignée humaine avec
l’apparition du genre Homo en Afrique.
• Les premiers peuplements de l’Eurasie et
leurs relations avec les milieux physiques.
• L’extinction des néandertaliens et l’émergence de l’Homme anatomiquement moderne en Europe ;
• Les adaptations morphologiques, culturelles et socio-économiques des populations
eurasiatiques et africaines au Pléistocène
supérieur (derniers 150 000 ans).
• Les modalités de la transition entre les
derniers chasseurs-cueilleurs et les premiers
producteurs (agropastoralisme) ;
• Les questions de continuité-discontinuité
des peuplements à différentes échelles de
temps et selon les zones géographiques,
incluant les milieux dits de contraintes (ex.
zones d’altitudes, milieu insulaire).
Elle concerne toutes les régions du monde,
s’appuie en premier lieu sur le travail de terrain
mené par de nombreuses équipes (prospections,
fouilles, carottages) et possède une dimension
temporelle très large, permettant d’appréhender
aussi bien l’impact des grands cycles climatiques
que celui les transitions rapides millénaires (entrées et sorties de glaciations, événements de
Heinrich et interstades millénaires du dernier glaciaire) ou séculaires à annuelles pour l’Holocène.
Un point-clef de ces études concerne l‘impact
des changements paléogéographiques sur les
peuplements humains et les écosystèmes (eustatisme, tectonique, extension des glaciers, volcanisme, mise en place de déserts…), à l’origine
de barrières naturelles plus ou moins temporaires jouant un rôle crucial sur la spéciation,
les migrations et l‘expansion des communautés
vivantes et la biodiversité. In fine, il s‘agit de
comprendre les conséquences de changements
d‘ordre naturel sur les populations humaines à
travers le temps.
Analyse des interactions entre comportements humains
et cadre écologique
Cette thématique est abordée à travers à travers la gestion des ressources alimentaires ou
l‘évolution des pratiques culturelles, notamment
sur la base des approches de l’archéozoologie,
de l’archéobotanique et de l’archéologie (i.e.,
techno-économie des cultures matérielles).
Une démarche interdisciplinaire, mobilisant à
la fois des connaissances sur les paléoclimats
et les paléoenvironnements continentaux, mais
aussi sur les stratégies d‘adaptation (sensu
acquisition, consommation, transformation) des
groupes humains, est indispensable pour aborder les questions de paléogéographie humaine
pendant la préhistoire.
Elles permettent notamment de dépasser la
simple dichotomie nature versus culture avec
d’un côté une vision fortement déterministe
de l’évolution humaine établissant un parallèle direct entre les évolutions culturelles des
sociétés humaines en réponse adaptative aux
fluctuations du climat, et d‘autre part une vision
strictement « culturelle » de l’Homme, dont l’histoire du peuplement serait uniquement régie
par des facteurs démographiques, sociétaux ou
technologiques.
Elles passent par :
1) Le développement des études paléosocio-économiques « intrasites », dont la
systématisation permettra de mieux identifier les changements dans l’alimentation
(stratégies de subsistance) lors de stress
climato-environnementaux.
149
prospective de l’institut ecologie et environnement du cnrs
prospectives d’avignon
2) La mise en place concertée d’une démarche d’inventaire archéologique à des
échelles locales à régionales (incluant la
production de bases de données) pour mieux
identifier les stratégies de redéploiement des
sociétés au sein de l’espace géographique.
Ces thématiques sont au cœur de grands
débats dans la communauté internationale
et sont principalement développées par
des laboratoires affiliés à l’INEE. Grâce à sa
longue tradition de recherche en archéologie
préhistorique et par ses études des paléoenvironnements quaternaires, la France, zone de
carrefour à l’extrémité occidentale de l’Europe,
constitue en effet un laboratoire idéal pour
analyser la paléogéographie humaine et les
mécanismes qui la sous-tendent. C’est là une
condition indispensable pour parvenir à des
modélisations pondérées des dynamiques de
peuplement des groupes et sociétés préhistoriques et protohistoriques.
Développement des études axées sur la taphonomie
des gisements et niveaux archéologiques
Tous les sites archéologiques et paléontologiques ont subi, à des degrés divers, des transformations après leur abandon par l’Homme ou
les animaux sous l’influence de processus biologiques, géomorphologiques et pédologiques.
Pour accéder à une meilleure connaissance des
sociétés préhistoriques et des paléoenvironnements dans lesquels elles ont évolué, l’enjeu
d’une telle analyse est de déterminer quelles
limites doivent être données à l’interprétation
du matériel récolté, soit en raison de la perte
d’intégrité des séries archéologiques et paléontologiques (problème de conservation/préservation, altération, tri hydraulique…), soit à cause
du déplacement des vestiges ou de mélanges
entre des séries différentes.
L’analyse taphonomique, préalable essentiel à
l’étude archéologique et paléobiologique d’un
site, est garante du bien-fondé de l’interprétation
palethnologique. Dans le cas de sites stratifiés,
l’analyse taphonomique permet également de
mettre en lumière les éventuels mélanges d’industries (étude de la distribution spatiale des
vestiges) et, par là même, d’évaluer la pertinence
des séries archéologiques utilisées pour répondre
à des questions de définition ou d’évolution des
cultures préhistoriques. Ce domaine de recherche,
bien que répondant à des questionnements
développés dans les années 80, reste à l’heure
actuelle pour partie une spécificité française et
apparaît novateur sur la scène internationale. Il
permet d’établir une réelle interface entre (bio)
géo-sciences et sciences des matériaux, avec un
rôle fédérateur au niveau méthodologique, notamment à travers une démarche expérimentale.
Outils et développements
D’une manière générale, le soutien des recherches dans le domaine des paléo-environnements et des interactions Homme-climat-environnement pour les périodes anciennes de
l’histoire humaine au sein de l’INEE est fondamental afin d‘assurer une contribution française
significative sur ces questions au sein de la
communauté internationale, et notamment européenne, où ces travaux sont actuellement en
plein essor.
Cela passe notamment par un soutien explicite
de l’INEE aux programmes interdisciplinaires
sur cette thématique, en particulier au travers
d’appels à projets, d’écoles thématiques ou de
150
groupements de recherche associés au recrutement de jeunes chercheurs. Ces recherches
doivent reposer sur le renforcement des collaborations entre spécialistes des dynamiques
environnementales actuelles (photos 8 et 9)
et passées, et de l’archéologie, ainsi que l’intensification des collaborations inter-instituts
(INSU / INSHS).
Le développement de ces thématiques de recherche doit s’appuyer de plus en plus sur la
mise en place d‘une méthodologie d’analyses
intégrées à haute résolution qui nécessitent
un calage chronologique précis. Compte tenu
de l’âge des séquences considérées, cette
8 - Processus périglaciaires actuels :
solifluxion sur versant en Bolivie
approche géochronologique implique le plus
souvent l‘utilisation de méthodes autres que
celle du radiocarbone. Il nous semble important
à la fois de mettre en réseau les équipements
analytiques (outils de caractérisation sédimentologique, micromorphologique, minéralogique
et géochimique) mais aussi de développer de
nouvelles ressources dans le domaine de la
géochronologie (OSL, ESR, cosmonucléides),
actuellement beaucoup trop limités au sein de
la communauté nationale.
La construction de bases de données impose
des efforts de longue haleine en vue de la
construction d‘un socle solide pour l’élaboration
de modèles évolutifs sur les changements paléoenvironnementaux ; socle qui doit permettre le
développement d’une analyse globale des interactions Hommes-Milieux, ainsi que le contrôle et la
correction des modèles prédictifs.
A ce sujet, un consensus se dégage sur la
nécessité de renforcer le développement des
moyens et plateaux analytiques adaptés au
sein de l’Institut (géochronologie, sédimentologie, taphonomie,…). Enfin, un audit des
équipements disponibles dans l’ensemble des
laboratoires INEE constitue un préalable indispensable afin de faire remonter les besoins et
définir les priorités.
De la même façon, le développement des
approches taphonomiques doit s’appuyer sur
une démarche comparative (référentiels actualistes, photo 10) concernant l’action des différents processus biologiques et géomorphologiques. Sur bien des aspects, la taphonomie
appliquée à l’étude des sites préhistoriques
apparaît être encore à un stade exploratoire et
de grands développements sont attendus avec
la multiplication des expériences et des études
de sites.
9 - Processus fluviatiles actuels :
Oued marocain
10 - Processus actuels : carcasse de vache
en cours de décomposition, Pyrennées
L’acquisition de référentiels bien documentés
doit rester une des priorités de ces travaux.
Tous les champs disciplinaires sont concernés
par cet impératif, biosciences, géosciences de
surface et archéologie.
151
prospectives d’avignon
Résumé des principaux points présentés lors du rendu
des ateliers du 25 octobre (5mn)
Introduction
• Rappel du nombre de participants (34/45 inscrits) et de la richesse des débats
• Positionnement de l’Atelier 19 : nécessité de « borner » l’atelier avant d’aborder la présentation
des trois points principaux demandés dans le cadre de la restitution.
• Résultante : structuration du rendu en 2 panneaux
Panneau 1 :
objectif 1 / Définition du périmètre de recherche
Thème central :
Réponse des environnements quaternaires continentaux (incluant les milieux naturels et faiblement anthropisés) et des populations humaines aux perturbations naturelles (en particulier les forçages climatiques) sur le long terme (deux derniers millions d’années environ).
Originalité des thématiques développées au sein de l’INEE :
• Intégration permanente des «interactions Homme-climat-environnement sur le temps long»
(des milieux non anthropisés pléistocènes aux prémices de l’anthropisation au Néolithique).
• Référence constante au monde vivant actuel (analogues), aux processus qui l’animent
et à son fonctionnement, pour interpréter les données résultant de l’étude des séquences
anciennes (archives paléo-environnementales).
• Engagement systématique dans les thématiques de l’archéologie et de la géoarchéologie.
Panneau 2 :
Enjeux scientifiques identifiés par la communauté « Paléo »
• Changements rapides dans les enregistrements quaternaires : archives, indicateurs, mécanismes, impacts, effets de seuil.
• Validation des démarches comparatives passé - actuel (analogues) : conditions initiales,
vitesse des processus, variabilités.
• Modalités et dynamiques de dispersion des peuplements : contraintes environnementales,
voies de migration, colonisation de la planète.
Personnes ressources sollicitées (avant le colloque d’Avignon)
Marie-Françoise André, Valérie Andrieu-Ponel, Fabien Arnaud, Jean-François Berger, José Braga, JeanPhilip Brugal, Cyril Castanet, Jean-Jacques Delannoy, Francesco D’Errico, Christophe Falguères, Didier Galop, David Lefèvre, Nicole Limondin-Lozouet, Michel Magny, Bruno Maureille, Norbert Mercier,
Marylène Patou-Mathis, Jean-Luc Peiry, Isabelle Thery-Parisot, Nicolas Teyssandier.
152
Domestication
agrobiodiversité
avignon
Prospective
Coordinateurs : Jean-Denis Vigne & Jean-Frédéric Terral
Contributeurs : Anne Augereau, Serge Bahuchet, Maxence Bailly, Guillaume Besnard, Didier Binder, Cécile
Brun, Cécile Callou, Victoria de Casteja, Thomas Cucchi, Pierre-Michel Forget, Didier Galop, Eva-Maria Geigl,
Sylvain Glémin, Lionel Gourichon, Finn Kjellberg, Mélanie Pruvost, Matthieu Le Bailly, Doyle McKey, Florent
Maraux, Chloé Martin, Yanick Miras, Jean-Louis Nicolas, Christine Paillard, Anne-Caroline Prévost-Juliard,
Benoit Pujol, Xavier Reboud, Martine Regert, Fabrice Roux, Marie-Pierre Ruas, Margareta Tengberg, Stéphanie Thiébault, Catherine Thèves, Yildiz Thomas, Michèle Tixier-Boichard, Anne Tresset, George Willcox
Des micro-organismes aux plantes et aux vertébrés, l’étude de la domestication est, de longue date,
un champ d’investigation fécond, tant pour les sciences de l’évolution que pour les sciences humaines et sociales. De par son positionnement d’interface disciplinaire, elle offre en effet des conditions particulièrement favorables pour comprendre certains mécanismes de l’évolution biologique
(ex : adaptation, évolution des traits d’histoire de vie, processus de divergence des populations ou
de coévolution, interaction entre démographie et sélection), et ce à différents niveaux d’organisation, du génome à son expression comportementale, structurale et morphologique. Les événements
de domestication peuvent en effet être considérés comme des expériences d’évolution en temps
réel, analysables à travers de multiples sources d’information (ex : rythmes temporels calés par les
données archéologiques, connaissances des taxons ancêtres, identification des pressions de sélection). La répétition de ces expériences autorise l’approche comparative. La domestication joue par
ailleurs un rôle central dans la compréhension des mécanismes d’émergence et d’évolution des sociétés passées et actuelles, de leur alimentation, de leur santé et de leur maîtrise des ressources.
L’analyse de la domestication en tant que système et en tant que processus historique contribue à
comprendre la façon dont les sociétés humaines s’organisent autour de ressources sélectionnées
et transformées, et comment la transformation de la nature leur permet de construire leur histoire.
Depuis quelques années, les sciences de l’environnement revisitent les problématiques liées à la
domestication dans le cadre de l’anthropo-écosystème, l’envisagent comme un phénomène écologique et proposent de nouveaux concepts et de nouvelles pistes de recherche (Zeder 2006, McKey
et al. 2010a, Vigne 2011). Cette évolution contribue à donner un nouvel élan à ce domaine de
recherche, notamment parce qu’elle met l’accent sur l’interaction homme-plante/animal en tant que
composante fondamentale de la domestication, et permet ainsi d’étendre le champ des études comparatives à des modèles marginaux, mais éclairants, que sont les adventices ou les commensaux.
L’intérêt des sciences de l’environnement pour ces thématiques est renforcé par le rôle joué par
la domestication sur la biodiversité, fortement impactée depuis plus de 10 000 ans par la « manipulation » du vivant (sélection de lignées, hybridation, transferts de taxons, invasions biologiques,
OGM). En outre, la connaissance de l’agro-biodiversité et de son histoire s’affirme de plus en plus
comme un enjeu majeur pour la maîtrise du développement durable. Cette thématique d’interface
entre sciences de la vie et sciences de l’homme s’inscrit donc au cœur de l’écologie globale (sensu
« écologie intégrative »).
153
prospective de l’institut ecologie et environnement du cnrs
prospectives d’avignon
La mobilisation d’une soixantaine de chercheurs issus de 25 laboratoires relevant de trois instituts
du CNRS (INEE, INSHS, INSB) mais aussi de cinq autres institutions (MNHN, INRA, IFREMER, CIRAD,
INRAP) autour de l’atelier « Domestication, agrobiodiversité » des journées de prospective d’Avignon témoigne du dynamisme et de la pluralité de la communauté scientifique concernée. Les discussions ont
mis en évidence quatre grands champs prospectifs, portant : 1) sur les processus et rythmes, 2) sur
les mécanismes biologiques, 3) sur les interactions avec la biodiversité et 4) sur les patrimoines phytoet zootechniques et leurs relations avec l’alimentation et la santé. Elles ont également dégagé un
certain nombre de pistes concernant les outils, verrous méthodologiques et stratégies de recherche.
Processus et rythmes
L’analyse des processus historiques et rythmes
d’intensification des interactions entre sociétés
humaines et populations animales ou végétales,
et la comparaison de la diversité des trajectoires
aux différentes échelles spatio-temporelles
visent à identifier et comprendre les mécanismes
de co-évolution ou de co-développement. Cette
recherche a, depuis peu, bénéficié de la multiplication des données archéologiques à haute
résolution et du raffinement des techniques de
l’archéozoologie et de l’archéobotanique (notamment la morphométrie et la paléogénétique), et
de leur rencontre avec les progrès de la génétique des populations et des outils de modélisation (coalescence, inférences bayésiennes ;
Zeder et al. 2006, Vigouroux et al. 2008, Tresset
et al. 2009, Burger et al. 2011, Bollongino 2012,
Larson et al. 2012). De nombreux travaux portant
principalement sur la domestication des plantes
annuelles, des fruitiers et des ongulés au ProcheOrient, en Chine ou en Amérique ont bénéficié de
ces avancées (Bar Yosef & Price 2011, Willcox et
al. 2012). Il convient d’accentuer cette intégration méthodologique, encore fort imparfaite (Larson 2011) en tirant le meilleur parti de l’émergence rapide des nouvelles technologies de
séquençage et des techniques de modélisation,
sans pour autant négliger la validation des échantillons par les techniques propres à l’archéologie
et à la bioarchéologie.
Cette recherche devrait s’attacher à tester les
scénarios élaborés durant ces dix dernières
années, notamment en ce qui concerne les dimensions des aires et rythmes de domestication
initiale (Conolly et al. 2011, Fuller et al. 2011,
2012, Bollongino 2012). Une attention particulière devra être accordée à l’analyse des processus initiaux (agriculture pré-domestique, contrôle
d’animaux sauvages, marronnages ; Vigne et al.
2011, Tano & Willcox 2012, Willcox 2012), aux ré154
servoirs potentiels de domestication secondaire
que sont les anthropophiles, les commensaux ou
les adventices (Cucchi et al. 2012, Ruas & ZechMatterne 2012), à la domestication des plantes
pérennes, encore très mal connue (Kaniewski
et al. 2012, Meyer et al. 2012). Les processus
de domestication non aboutis, les échecs ou les
retours au moins partiels à des systèmes non
productifs chez les populations contemporaines
comme en contexte archéologique, sont également des sources particulièrement éclairantes.
Ces objectifs ne sauraient être atteints sans une
meilleure connaissance de la biogéographie et
de la diversité biologique des taxons qui sont à
l’origine des lignées domestiques (Terral et al.
2012). De même, il faut d’urgence évaluer la part
des lignées domestiques anciennes éteintes
pour consolider les modélisations et prédictions
fondées sur la génétique des populations actuelles. Pour cela, la balle est dans le camp de
la paléogénétique (Larson et al. 2012), dont les
interactions avec l’archéologie doivent impérativement se renforcer ; mais aussi dans celui de
systèmes de modélisation tels la « modélisation
de niche », capables d’inférer la dynamique de la
distribution d’une espèce sauvage en intégrant
les données fossiles (e. g. Besnard et al. 2013).
A l’écart des « foyers » de néolithisation, les
mêmes avancées techniques et conceptuelles
sont de plus en plus souvent mobilisées dans
une perspective phylogéographique pour identifier la ou les origines des lignées domestiques,
la part prise par la biodiversité locale dans leur
diversification, les voies, rythmes, conditions et
causes de leur transfert à l’échelle continentale,
ainsi que les savoirs et savoir-faire associés à
ces transferts (Whittle & Cummings 2007, Tresset et al. 2009). Divers modèles de diversification dans des foyers secondaires laissent à penser que des vagues successives d’introduction
de matériel d’origines multiples pourraient aussi
avoir joué un rôle important dans les processus
de diversification (manioc en Afrique, Delêtre et
al. 2011 ; patate douce en Océanie, Roullier et
al. 2013). Une connaissance fines des “scénarios de domestication” est un pré-requis à l’analyse des mécanismes biologiques impliqués (cf.
2) et doivent, aussi à ce titre, connaître un développement important dans les années à avenir.
Il conviendra d’accentuer l’effort sur les régions
du monde les moins explorées, sans délaisser
cependant celles comme l’Europe ou le ProcheOrient, où la forte densité de données doit permettre d’affiner les analyses. Cette perspective
devrait permettre d’étendre les recherches à
des taxons encore peu explorés (par exemple,
les essences forestières, dont le processus
de domestication a été longtemps négligé), et
d’enrichir la démarche comparative en multipliant
les modèles. Elle reposera nécessairement sur
l’émergence de communautés scientifiques interdisciplinaires formées à l’approche éco-anthropologique des dynamiques de domestication dans
un certain nombre de pays émergents tels que le
Brésil ou la Chine. La communauté scientifique
nationale devrait s’impliquer plus encore dans ce
passage de relais.
Cet élargissement dans l’espace doit s’accompagner d’un élargissement du champ de recherches
dans le temps, en continuité d’échelle avec les
phénomènes de domestication en cours. Ainsi,
il faudra faire un effort particulier pour se pen-
cher sur des processus historiques récents, sans
doute moins attractifs que les débuts de l’agriculture des céréales et, de ce fait, délaissés durant
ces dernières années, mais pour lesquels les
indices archéologiques s’enrichissent de ceux
des textes (e. g. les petits fruits de jardins, Ruas
1992 ; le lapin, Callou 2003). Les deux derniers
millénaires sont riches d’exemples non explorés,
en Europe comme ailleurs, sur lesquels les approches textuelles, archéologiques, morphométriques et (paléo-)génétiques devraient converger.
De même, il convient de tisser des liens entre les
recherches visant les domestications anciennes
et celles qui portent sur les phénomènes en
cours, telles que la diversification des levures
industrielles, la domestication des espèces aquatiques (poissons, coquillages), l’émergence des
nouveaux animaux de compagnie ou des « nouvelles viandes » (ratites, cervidés…). De telles recherches permettront sans doute une meilleure
prise en compte, dans les scénarios anciens,
de facteurs que l’archéologie peine à percevoir
(échecs, maladies…).
Dans ces dernières approches, comme dans
celles qui portent sur les périodes anciennes,
l’analyse diachronique des pratiques sociales
et techniques anciennes qui ont permis des domestications et de celles actuelles qui perdurent
dans des poches peu perturbées par la modernisation agricole est une voie d’exploration du rôle
de la domestication sur les sociétés qu’il ne faudra pas négliger.
Changements biologiques ou comportementaux
induits par la domestication
Identifier et comprendre les déterminismes des
changements biologiques ou comportementaux
induits par la domestication à l’échelle des
individus ou des populations domestiquées
représentent, depuis Darwin, une contribution
importante à la compréhension des sciences
de l’évolution. A cet enjeu traditionnel, certes
fortement renouvelé depuis peu par l’évo-dévo
et la génomique, les approches éco-anthropologiques en ajoutent un second, qui consiste
à comprendre les mécanismes co-évolutifs au
sein du système homme-animaux-plantes-pathogènes. Dans ces deux domaines, les prospectives sont particulièrement riches, et sans
doute plus étendues encore qu’on ne le prévoit,
en raison même du renouvellement très rapide
des techniques et des concepts.
Les progrès de la (paléo)génétique, de la (paléo)
génomique, de l’épigénétique, et leur couplage
avec les approches développementales (évodévo) et de morphométrie (notamment géométrique) renouvellent depuis peu l’intérêt de
l’étude de la domestication en tant que phénomène évolutif. L’effort engagé pour identifier les
syndromes et les « gènes de la domestication »
doit se poursuivre, afin de retracer leur histoire
et de comprendre les mécanismes de leur expression et de leur évolution, entre adaptation
155
prospectives d’avignon
et sélection. A titre d’exemple, l’exploration paléogénétique de la couleur des fruits (This et al.
2007), du changement de la biologie de la reproduction chez la vigne (Picq 2011), des couleurs
du pelage des chevaux (Ludwig et al. 2009),
des capacités olfactives des porcs (Greonen et
al. 2012) ou de digestion de l’amidon par les
chiens (Axelsson et al. 2013), ne sont que les
premiers résultats d’une cohorte de recherches
qui permettront la mise en évidence des cascades de gènes gouvernant la physiologie de
caractères sous sélection tels que le rachis
des céréales, les capacités laitières des bovins,
l’aboiement ou la résistance aux stress.
Les perspectives sont immenses, mais ne
se limitent pas à l’approche génomique. Pour
contribuer pleinement à la compréhension des
conséquences biologiques de la domestication,
cette dernière doit rejoindre un large cortège de
recherches visant à identifier les syndromes de
domestication par la morphologie géométrique,
l’éco-physologie ou l’expérimentation. Nous
sommes actuellement incapable de donner une
liste exhaustive et cohérente des syndromes de
domestication pour des plantes pérennes à propagation clonale aussi importantes sur le plan
économique que l’olivier, la vigne, le palmier
dattier (McKey et al., 2010c, Terral et al. 2010,
2012, Miller & Gross 2011, Meyer et al. 2012),
encore moins pour de nombreux autres fruitiers.
On ne sait pratiquement rien des syndromes
liés aux adaptations édaphiques des plantes
domestiques. Il en va de même pour de nombreuses espèces de mammifères dont on commence seulement à percevoir les syndromes
cachés dans des traits morphométriques ténus
(Cucchi et al. 2009) ou dans des comportements, notamment concernant l’agressivité (Albert et al. 2009). Des travaux en cours ouvrent
par ailleurs la voie à la compréhension des différences embryologiques et ontogéniques qui
distinguent le sauvage du domestique, et sont
susceptibles d’expliquer les divergences morphologiques, physiologiques et comportementales. Dans ce domaine, de nombreuses hypothèses sont testables par l’expérimentation,
pour peu qu’on soit en mesure d’engager des
projets de recherche sur des durées adaptés
aux temps de génération des taxons étudiés.
Le renouvellement des connaissances dans ce
domaine permet d’envisager à moyen terme une
révision des syndromes de domestication propres
à chaque espèce et une nouvelle perception des
syndromes communs aux différents groupes de
taxons. Par une confrontation avec les approches
156
génomiques, cette démarche devrait éclairer en
retour les fonctions des gènes.
Au-delà de l’étude des syndromes de domestication, celle des processus non-adaptatifs est encore limitée (e. g. Gu et al. 2005, Lu et al. 2006,
Cruz et al. 2008, Glemin & Bataillon 2009).
Certains scénarios démographiques comme les
goulots d’étranglement induisent des phases de
forte dérive génétique pouvant conduire à l’évolution de traits neutres ou (faiblement) délétères
(e. g. Kirkpatrick & Jarne 2000, Garcia-Dorado
2012, Willi et al. 2012). De même la sélection
des « gènes de domestication » peut induire
la fixation de variants (faiblement) délétères
en liaison génétique. Des traits phénotypiques
peuvent aussi avoir évolué sans sélection
directe si les « gènes de domestication » ont
des effets pléiotropes. L’étude de ces « coûts »
potentiels de la domestication devrait aussi être
menée en vue d’une meilleure compréhension
des populations actuelles, de leur conservation
et de leur utilisation (cf. infra).
La domestication est sans doute un champ privilégié pour analyser la part des réponses épigénétiques et physiologiques aux pressions environnementales. La « paléo-épigénétique » qui ciblerait
préférentiellement le changement de méthylation
de l’ADN apparaît techniquement à la portée des
outils actuels de génomique même si cela nécessitera des études d’une ampleur encore plus
grande que la « simple » analyse de génomes
complets. Il devient donc envisageable d’explorer
à terme la part de l’origine génétique ou épigénétique des syndromes de domestication (Hess et
al. 2011). De même, de récents travaux ont montré que l’acclimatation des taxons domestiques
à des environnements extrêmes est un domaine
d’investigation particulièrement fécond, car il met
en évidence le rôle de bien d’autres facteurs tels
la composition de la flore du tube digestif chez
les animaux (Balasse 2006).
C’est encore un autre champ particulièrement fécond qui s’ouvre devant nous avec les
progrès de la métagénomique, de la protéomique et de la paléo-parasitologie, que celui
de l’analyse des co-évolutions au sein du système homme-animaux-plantes-pathogènes (Le
Bailly et al. 2008 ; Guinane et al. 2010, Bos
et al. 2011, Stukenbrock & Bataillon 2012).
Ce domaine de recherche s’intéresse aux phénomènes de transmission de pathogènes lors
des premières phases de domestication qui
mettent l’organisme en interaction rapprochée
avec l’homme, les carnivores, les ongulés, les
micromammifères commensaux et des plantes,
tous susceptibles de jouer le rôle de vecteurs
directs de pathogènes ou bien de servir d’hôtes
intermédiaires. Peu d’études sont actuellement
menées sur les processus anciens, mais les
données disponibles sur des populations humaines contemporaines et leurs acquisitions
de pathogènes via des animaux sauvages ou
domestiques permettent d’envisager des approches paléogénétiques fécondes, notamment
pour mettre en place des outils de détection
des pathogènes en contextes sédimentaires.
Elles montrent en effet qu’après des transmissions inter-espèces, les pathogènes ont pu
suivre des voies d’évolution différentes pour
s’étendre aux populations humaines à travers
des mécanismes biologiques distincts (Betsem et al. 2011, Mentabere et al. 2012, Kilpatrick & Randolph 2012). De tels mécanismes
semblent bien compris et permettent d’accéder
à un contrôle du risque. Cependant, la compréhension des étapes initiales de l’émergence
de certains pathogènes et de leurs maladies
associées reste très pauvre. La paléogénétique
pourrait alors avoir sa place dans la compréhen-
sion épidémiologique et microbiologique des
interactions hommes-animaux-plantes afin d’acquérir des connaissances qui peuvent s’appliquer aux événements précoces des processus
d’émergence ou de ré-émergence des maladies
(Thèves et al. 2011, Biagini et al. 2012).
Une autre dimension prospective concernant
des co-évolutions mettant en jeu des microorganismes concerne les expériences anciennes
de fermentation mises en œuvre dans le courant du Néolithique et de l’Âge du bronze, avec
l’invention du vin (Valamoti 2007), de la bière
(Bouby 2011) ou du fromage. Dans ce domaine,
les recherches biogéochimiques commencent à
révéler les périodes et régions d’usage précoce
de la fermentation (Libkind et al. 2011, Sicard &
Legras 2011, Salque et al. 2012). Il faut accentuer l’effort pour mieux identifier les conditions
de naissance de ces interactions et coupler ces
recherches avec des approches, ici encore, métagénomiques, susceptibles de documenter les
mécanismes de sélection des micro-organismes
domestiqués à ces époques, dont l’importance
économique est aujourd’hui considérable.
Impact de la domestication sur la biodiversité
et l’environnement
De nombreux travaux, y compris récents, suggèrent que l’impact de la domestication sur la
biodiversité a été jusqu’à présent fortement
sous-estimé, du moins pour certains groupes
taxinomiques (micro-organismes, plantes à
fleur, arbres, vertébrés supérieurs ; Pascal et
al. 2005, Barbault 2006, Gepts et al. 2012).
Certains évoquent même la perspective d’un
renouvellement de la biodiversité à travers sa
manipulation par l’homme (De Planhol 2004).
Cela résulte en partie d’une méconnaissance
des biodiversités et des scénarios anciens, de
la faible visibilité archéobotanique ou archéozoologique des phénomènes de marronnage/
hybridation (y compris interspécifiques), et de
l’insuffisante prise en compte des étapes initiales du «processus domesticatoire» : contrôle
(ou « gestion ») et transfert de taxons sauvages,
commensalisme (Vigne 2011).
On peut attendre d’importantes avancées dans
ce dernier domaine, tant en ce qui concerne les
adventices des cultures que les faunes et flores
rudérales des agglomérations rurales et urbaines.
Les expériences récentes montrent que le développement de ces recherches est fortement
dépendant de celui des bases de données diachroniques (Cucchi et al. 2005, Brun 2009), de
l’élargissement du spectre taxinomique au-delà
des espèces « modèles » qui ont monopolisé l’attention jusqu’à présent, et d’une interaction forte
entre bioarchéologie, morphologie fonctionnelle,
biogéographie, écologie et ethnologie (Cucchi
et al. 2012, Terral et al. 2012). Il s’agit en effet
de comprendre non seulement comment des
taxons généralistes ou spécialistes s’adaptent
à l’anthropo-écosystème et l’envahissent, mais
aussi comment s’établissent les équilibres dynamiques entre taxons anthropophiles en fonction
des environnements anthropisés, des pratiques
et des capacités d’adaptation des taxons considérés. Concernant les adventices, la bonne compréhension des processus d’évolution de la biodiversité ne saurait se faire sans distinguer les
espèces indigènes et étrangères parmi ces populations aux échelles géographiques considérées
(par exemple une grande partie des adventices
157
prospective de l’institut ecologie et environnement du cnrs
prospectives d’avignon
européennes est d’origine proche-orientale ou
méditerranéenne). Pour les espèces étrangères,
l’étude des processus, rythmes et mécanismes
de leur diffusion et diversification peut se faire de
la même manière que pour les espèces domestiquées et avec les mêmes apports (cf. supra).
La prise en compte du temps de résidence de
ces taxons dans ces environnements est un des
facteurs clés pour comprendre la mise en place
et l’évolution de cette agrobiodiversité. Concernant les animaux commensaux, il convient d’élargir le spectre au-delà des modèles classiques,
ce que le développement de l’archéo-entomologie et des bases de données sur les vertébrés
devrait permettre d’engager dans un proche avenir. Dans tous les cas, un important effort doit
être fait pour documenter les effets des espèces
invasives sur leur écosystème d’accueil, les informations en la matière faisant cruellement défaut,
même dans les régions les plus explorées (Pascal et al. 2006).
De même, une attention particulière doit être
accordée à l’incidence des taxons domestiques
invasifs (Pascal et al. 2006). Il s’agit bien sûr de
mieux connaître les phénomènes d’introgression
des populations domestiques vers les populations sauvages autochtones taxinoniquement
proches (porc-sanglier, ray grass-ivraie…), mais
aussi d’explorer les transferts de pathogènes
ayant suivi la même voie (e.g. varoa de l’abeille
transmis aux bourdons). Cette recherche doit
permettre de faire évoluer les critères de sélection de l’agrobiodiversité moderne pour limiter
les impacts de l’introduction d’espèces domestiquées ou accroitre la durabilité de l’agriculture
et de l’élevage.
Ici encore, la clé du succès réside dans la
prise en considération des systèmes anciens
et contemporains, notamment en concentrant
leurs efforts sur des socio-écosystèmes spécifiques comme le champ ou la ville, ou emblématiques en termes d’écologie et de conservation,
de gouvernance, de services écosystémiques,
(ex. de la cédraie ou de l’arganeraie marocaine).
De même, l’interaction entre ces recherches et
celles qui portent sur « société et santé » offrent
des perspectives particulièrement fécondes.
Il reste beaucoup à faire pour comprendre l’agriculture paysanne moderne ou récente et la
sylviculture dans leurs aspects éco-anthropologiques. Ce vaste domaine de recherche se nour158
rit de l’analyse des systèmes agro-sylvo-pastoraux des périodes de l’histoire récente (Bouby et
al. 2007, Ruas 2009) et des travaux descriptifs
et comparatifs de l’éco-anthropologie, notamment sur des régions particulièrement sensibles
ou posant des questions spécifiques comme les
agrosystèmes tropicaux (Rival et McKey 2008 ;
McKey et al. 2010b) ou la diversité offerte par
l’arc antillais. Les recherches concernant la biodiversité, sa structuration et sa dynamique dans
les espaces forestiers, sous différents climats,
en rapport avec des temps et modalités d’exploitation longs, variés, voire polyphasés, sont
en fort développement, sous l’impulsion des travaux d’eco-anthropologie et de ceux de l’archéobotanique, notamment à travers les nouvelles
techniques d’analyse morphométrique des bois
ou semences archéologiques (Dufraisse & Garcia-Martinez 2011, Paradis et al. in press). Un
nouveau domaine d’investigation s’ouvre par
ailleurs pour la compréhension des interactions
entre les systèmes d’exploitation, la biodiversité et l’environnement, avec la ré-émergence du
concept de « plantes de services », connu dès
l’Antiquité notamment pour supporter les lianes
de la vigne (Ruas 2013) et étendu aujourd’hui à
de nouvelles pratiques agricoles permettant de
réduire le labour ou les intrants.
La perspective d’une approche comparative globale et multiscalaire, qui supposerait l’élaboration de grilles de variables communes à toutes
ces recherches, semble cependant se heurter
à la délicate question de la représentativité des
sociétés modernes, y compris celles d’horticulteurs, par rapport aux sociétés historiques préindustrielles, a fortiori néolithiques.
Patrimoines phyto- et zoo-techniques, alimentation
et santé ; expertise et valorisation
La connaissance et la compréhension de l’agrobiodiversité considérée comme un patrimoine
naturel et culturel, et comme un facteur de
développement durable forment un sujet de
recherche dynamique, contribuant à la compréhension des interactions au sein de l’anthropoécosystème. En synergie avec certaines des
thématiques développées dans le cadre de
l’atelier « Systèmes culturels, stratégies et pratiques d’exploitation, de contrôle et de gestion
des environnements », c’est aussi un chantier de
valorisation des résultats réunis dans les trois
axes de recherche précédents, au service de
grandes questions sociétales.
Comme pour la biodiversité, le premier enjeu
des recherches sur l’agro-biodiversité consiste à
inventorier, décrire et faire connaître la diversité
phénotypique et génotypique des variétés domestiques. Ici aussi, la communauté scientifique
mène une course de vitesse contre la disparition
rapide des variétés anciennes, victimes des pressions économiques et de la mondialisation. Les
enjeux de cette recherche sont en prise directe
avec les grandes questions sociétales liées à
l’alimentation et la santé : elles multiplient les
possibilités de développer des solutions de développement durable adaptées à la diversité des
conditions écologiques et culturelles locales ;
elles sont un atout majeur de résilience des sociétés face au changement global.
La compréhension de la mise en place des
agrobiodiversités passe par une approche phylogéographique, ici encore fondée sur la double
caractérisation morphologique et génétique d’une
large gamme de taxons. Dans la continuité des
investigations évoquées à l’axe 1, cette recherche
connaît déjà un fort développement sur quelques
taxons phares (gourdes, palmier dattier, piments,
vigne, olivier, bovins, ovins, chiens ; cf. références
supra). La connaissance d’un nombre croissant
de génomes et le développement de méthodes
de séquençage de nouvelle génération appliquées aux molécules anciennes ne laissent
aucun doute quant au développement de ces
recherches dans les années à venir. Ici encore,
comme pour les questions d’émergence des lignées domestiques évoquées à l’axe 1 ou celles
de l’impact de la domestication sur la biodiversité
(axe 2), il faudra accorder une attention particulière à la contextualisation historique des échantillons archéologiques et des scénarios produits,
condition nécessaire (et trop rarement réalisée)
pour échapper aux interprétations mécanistes ou
simplificatrices, voire erronées. C’est aussi en
coordonnant les travaux menés sur les périodes
contemporaines et anciennes que l’on identifiera
les variétés réellement anciennes ou les taxons
réellement invasifs sur un long pas de temps
(Pascal et al. 2006), et qu’on pourra définir les
stratégies de préservation et de conservation de
ce patrimoine biologique.
Ces recherches sont indissociables de celles,
sans doute plus traditionnelles mais non moins
actives au plan national et international, concernant l’histoire de l’alimentation des sociétés, et
la maîtrise des systèmes de production passés,
présents et futurs. En particulier, l’analyse des
systèmes préindustriels de gestion des ressources domestiques ou en voie de domestication, et de leurs conséquences sur la santé des
sociétés est à encourager, dans la perspective
de contribuer au développement durable et à la
lutte contre la pauvreté, préoccupations centrales
dans le cadre du sommet de Rio de 2012.
Dans le domaine de la santé et de l’étude des
pathogènes anciens, les efforts réalisés ces dernières années doivent se poursuivre. De plus en
plus d’équipes au sein des universités et des
Organismes de recherche travaillent à l’étude de
l’évolution des pathogènes, ainsi qu’à l’histoire
des maladies, humaines, mais également animales (Brandt et al. 2007, Wirth et al. 2008). Ce
champ disciplinaire se situe définitivement à l’interface de nombreuses problématiques abordées
dans le cadre de cet atelier. Les impacts de la domestication sur les relations hôtes/pathogènes,
l’histoire de l’alimentation et des infections acquises par voie orale, le rapport entre l’évolution
des pathogènes et la nosologie, sont quelques
pistes envisageables dans les années à venir. Les
progrès réalisés dans le domaine de la biologie
moléculaire seront une aide précieuse, d’une part
pour la caractérisation des pathocénoses, mais
également dans la compréhension de l’évolution
et de l’adaptation écologique des pathogènes
(Haensch et al. 2010, Bos et al. 2011).
La plupart des sous-thèmes de cet atelier sont
susceptibles de fournir les éléments de connaissance et de compréhension nécessaires aux
prises de décision des sociétés modernes vis-àvis de leurs ressources biologiques, notamment
de l’agro-biodiversité. Les connaissances fonda159
prospectives d’avignon
mentales produites par la communauté scientifique dans ce domaine lui confèrent un rôle d’expert, aux côtés des grands organismes dont c’est
la mission première. Il convient donc de prendre
en compte, dans cette prospective, le développement de cette activité, sous la forme de mise en
place de systèmes et de tâches d’observation,
de scénarisation et de modélisation, et de recherches translationnelles impliquant fortement
les sciences sociales et la société civile. Cette
réflexion prospective sur la domestication devra
donc être aussi orientée vers l’étude des interactions entre changements globaux, trajectoires sociologiques et dynamiques de l’agrobiodiversité,
et vers l’action et le transfert. La prise en charge
des problèmes environnementaux passe par le
développement de travaux interdisciplinaires permettant une lecture d’ensemble de problèmes
environnementaux qui mêlent de manière indissociable des aspects écologiques et sociétaux
(connexion avec les ateliers « Ecologie globale
et Changement global »). Un des enjeux est plus
que jamais celui de la qualité, de la pertinence
et de la « transférabilité » de la connaissance
produite pour l’action, c’est-à-dire de sa capacité
à préciser la nature des objectifs et les enjeux
associés aux changements vers un meilleur
accompagnement ou une prise en charge plus
efficace des problèmes environnementaux, notamment agro-ecologiques ou d’agro-biodiversité.
Pour y parvenir, les leviers d’action et les marges
de manœuvre concrètes devront être identifiées
d’où l’interaction indispensable de notre communauté scientifique avec des sociologues et des
spécialistes en sciences politiques.
Plus encore que dans les trois premiers axes
développés ci-dessus, le potentiel de recherche
fondamental réuni au CNRS et chez ses partenaires universitaires entre en complémentarité,
voire en continuité, avec les recherches menées
à l’INRA, à l’IFREMER, à AgroParisTechn, à l’IRD
ou au CIRAD. Les premiers prennent en charge
une large part de compréhension des processus
de mise en place et de fluctuation de l’agrobiodiversité et des pratiques agro-sylvo-pastorales,
notamment dans la profondeur historique. Ils
contribuent à l’inventaire et à la description de
l’agrobiodiversité moderne et construisent des
scénarios intégrés qui entrent en complémentarité avec les productions des autres instituts. Ces
derniers orientent plus souvent leur activité vers
l’analyse de taxons ou lignées modèles. L’interdisciplinarité du CNRS, plus particulièrement
de l’INEE, font de cet organisme et de ses partenaires universitaires (notamment le Muséum)
des garants de l’intégration interdisciplinaire, et
des spécialistes de l’approche spatio-temporelle
multiscalaire, qualités qui renforcent la nécessité
d’une mise en complémentarité avec les autres
institutions citées ci-dessus.
Outils, verrous méthodologiques et stratégies
de recherche
Les recherches évoquées dans les axes cidessus ont mis en évidence la nécessité de
renforcer un certain nombre de compétences
techniques et de développer certains outils,
notamment dans le cadre de l’INEE.
Il s’agit en premier lieu des bases de données, auxiliaires incontournables d’interaction
entre les composantes multidisciplinaires de la
communauté scientifique concernée, et outils
d’inventaire, de partage et de mise à disposition de l’information. Les bases de données
diachroniques, alliant informations passées et
présentes, sont particulièrement utiles.
Tant pour comprendre les mécanismes biologiques que pour raffiner ou produire les proxys
bioarchéologiques, ou encore pour tester cer160
taines hypothèses évoquées plus haut, l’expérimentation fait cruellement défaut. Par exemple,
en ce qui concerne l’axe 2, depuis vingt ans,
le discours se fonde en grande partie sur les
expériences, certes régulièrement renouvelées,
réalisées en laboratoire, en champ expérimental
ou en élevage intensif (Belyaev 1975, 1981),
sans qu’il soit possible d’établir un lien entre
ces observations et les premières domestications réalisées par les chasseurs-cueilleurs ou
les sociétés pré-industrielles (Arbuckle 2005,
Zeder 2012). Les projets d’expérimentation in
natura peinent à émerger dans un contexte où
dominent la programmation à court terme et la
recherche du résultat immédiat. Une réflexion
doit être menée dans le cadre des grands équi-
pements d’écologie expérimentale gérés par
l’INEE, ou des parcs et jardins dont les potentialités dans ce domaine sont sous-exploitées.
Les sites d’étude en écologie globale et les
zones ateliers sont des outils importants, dont
il convient de pérenniser le financement sur de
longues durées afin d’en tirer le meilleur bénéfice. Ce sont des lieux d’observation autant que
des creusets d’interaction entre les disciplines
et les institutions concernées.
De façon générale, le développement des techniques analytiques liées à la génomique, à la
protéomique, à la biogéochimie isotopique et
à l’analyse des formes demande un effort soutenu des institutions, tant en termes de personnel technique que d’équipement. C’est un enjeu
majeur de compétitivité pour les équipes engagées dans ces recherches.
Les discussions ont par ailleurs permis d’identifier un certain nombre de verrous méthodologiques ou institutionnels qu’il conviendra de
surmonter.
- Le premier verrou, qu’il serait assez facile
de débloquer, est celui de l’interaction entre
les équipes dispersées entre trois instituts du
CNRS trop étanches les uns aux autres, et entre
des institutions qui ont à l’évidence beaucoup
de complémentarités à partager, notamment
le CNRS, le Muséum, l’INRA, l’IFREMER, l’IRD,
le CIRAD et l’INRAP. Comme souvent lorsqu’il
s’agit d’interdisciplinarité et d’inter-institutionnalité, le manque de standards, de définitions
communes, de concepts partagés et d’harmonisation des protocoles se fait cruellement sentir. Il conviendra d’encourager les initiatives de
colloques, écoles thématiques, tables rondes,
mise en réseau qui émergeraient de la communauté suite aux prospectives d’Avignon.
- Le second verrou concerne l’intégration passéprésent, enjeu majeur pour les quatre axes développés ci-dessus. Cette intégration ne va pas de
soi, car la qualité et la structure des jeux de données réunis par les approches historiques sont
rarement congruentes avec celles de la documentation moderne. Or, les premiers sont contraints
par une perte d’information irrémédiable, alors
que les seconds sont plus souples. Il est donc
plus facile de les mettre en adéquation avec les
premiers que l’inverse. Il semble donc que ce verrou ne pourra sauter que si la communauté des
chercheurs travaillant sur le présent prend mieux
conscience de l’importance d’intégrer des données anciennes, et fait l’effort de structurer ses
propres données de telle sorte qu’elles entrent
en résonance avec ces dernières.
- Un troisième verrou réside dans la difficulté de
contribuer à la formation de jeunes chercheurs
de qualité avec les pays émergeants, dont on
a vu plus haut l’importance dans le nécessaire
élargissement géographique, taxinomique et
thématique de plusieurs champs de recherche.
Il convient de développer les financements
permettant aux jeunes talents venus des pays
émergents de se former dans nos universités
non pas seulement à l’aide de bourses de thèse
de 3 ans qui sont en général insuffisantes pour
obtenir une formation interdisciplinaire dans ces
domaines, mais avec des allocations d’au moins
5 ans, incluant les deux années de Master.
- Un quatrième verrou a été identifié en ce qui
concerne le potentiel d’innovation des équipes.
Il est rendu insuffisant par le mode de financement de la recherche, par trop déséquilibré au
profit de la recherche sur projet. Les soutiens
de base des unités sont trop faibles pour financer les recherches à risque qui sont parfois
sources d’échec, mais aussi souvent d’innovations non prédictibles.
Concernant les stratégies de recherche, il
convient de revaloriser les approches historiques aux yeux des jeunes chercheurs et de les
rendre plus attractives en augmentant le recrutement dans ce domaine clé de la compréhension des phénomènes liés à la domestication et
à l’agrobiodiversité. Les connaissances de base
étant souvent déficitaires dans ces domaines, il
faut faire un effort particulier pour soutenir les
recherches visant à décrire les patrons spatiotemporels, certes moins faciles à valoriser par
des publications dans des grandes revues. Une
attention particulière doit être accordée à la
production de scénarios variables, susceptibles
d’être testés par des démarches comparatives
ou expérimentales. Un tel objectif ne pourra être
atteint, au CNRS, si les barrières qui ont été
érigées entre les instituts ne s’amoindrissent
pas de manière sensible et rapide. Enfin, les
spécificités de chaque organisme doivent être
entretenues et mises en complémentarité avec
celles des autres organismes de recherche : approches interdisciplinaires et multiscalaires sur
le temps long et sur de larges espace, diversités
de taxons et de pratiques au CNRS et chez ses
partenaires universitaires ; suivi de modèles
plus ciblés dans les autres organismes.
161
prospective de l’institut ecologie et environnement du cnrs
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164
CHANGEMENT GLOBAL
ORGANISME, éCOSYSTèME,
HUMAIN
avignon
Prospective
Coordinateurs : Joël Guiot, Alain Nadai, Josette Garnier, Isabelle Chuine, Bernard Reber
Contributeurs : Sandrine Maljean-Dubois, Sophie Cornu, Alberte Bondeau, Emmanuèle Gautier, Bruna
Grizzetti, Catherine Kuzucuoglu, Minh Ha Duong, Olivier Labussière, Viovy Nicolas, Richard Joffre
Introduction
Le changement global concerne l’empreinte humaine sur l’environnement qui se manifeste à une
échelle planétaire. Il s’agit bien sûr du changement climatique, mais également de la dégradation des
habitats, des changements d’occupation des terres, des invasions biologiques, de la perte de biodiversité … Il englobe un certain nombre de dimensions et concerne toutes les parties du globe mais
interagit avec l’échelle locale. C’est une problématique intrinsèquement interdisciplinaire. La question qui est sous-jacente est comment prendre en compte la complexité du système. Les réponses
passent par l’intégration des disciplines, des données, associant également les sciences humaines et
sociales. Il ne s’agit pas ici d’aborder le changement global dans tous ses aspects. Nous nous focalisons sur les écosystèmes, les sociétés humaines et leurs interactions, aspects qui sont au centre des
priorités de l’INEE. Les questions qui nous préoccupent sont : comment les écosystèmes naturels et
construits par l’homme sont-ils perturbés par l’ensemble climat - action anthropique, comment peut-on
atténuer ces changements et comment peut-on s’y adapter ?
Cette transversalité nous oblige à clarifier un
certain nombre de concepts issus à la fois de la
climatologie et des sciences sociales. En particulier, les climatologues nous fournissent des simulations climatiques issues de scénarios liés aux
choix politiques (accords internationaux, droit de
l’Union Européenne...). Cela implique une vision
claire des incertitudes liées aux scénarios et des
changements d’échelle nécessaires pour travailler au niveau de l’écosystème.
Le guide ISO 73 (2009) définit l’incertitude
comme l’état, même partiel, de défaut d’information concernant la compréhension ou la connaissance d’un événement, de ses conséquences ou
de sa vraisemblance. Il définit le risque comme
l’effet de l’incertitude sur l’atteinte des objectifs.
Cette approche dépasse l’ancienne définition du
risque vu comme «la combinaison de la probabilité d’un évènement et de ses conséquences».
De nombreuses formes d’incertitude ne sont
pas probabilisables, comme par exemple celle
concernant la trajectoire future des émissions
de gaz à effet de serre. Et certaines incertitudes
probabilisables ne le sont pas de façon précise,
comme par exemple le paramètre de sensibilité
climatique. La gestion des écosystèmes s’exerce
donc dorénavant dans un contexte où on ne peut
plus se fier uniquement aux fréquences passées
pour évaluer l’aléa climatique comme le risque
de gelées ou de sécheresse.
Un autre concept fondamental est le changement d’échelle. Traditionnellement, la science a
toujours essayé de simplifier en se focalisant sur
une échelle. Cependant l’influence grandissante
de l’homme sur la planète montre qu’il est nécessaire de traverser les échelles. Les processus
qui émaillent ces échelles spatiales couvrent par
exemple les processus rapides de la végétation
dans l’écosystème et la production économique,
ainsi que les processus lents comme ceux de la
géomorphologie et le développement politique
et culturel. Tous ces systèmes qui s’interpénètrent sont conceptualisés par la théorie de la
Panarchie introduite par le botaniste Paul Emile
de Puydt en 1860 et qui doit sa popularisation
récente à Gunderson (voir le livre de Gunderson
et Holling, Panarchy, Island Press, 2001). Les
165
prospective de l’institut ecologie et environnement du cnrs
prospectives d’avignon
propriétés des systèmes dans cette théorie sont
au nombre de trois : le potentiel fixe les limites
du possible, la connectivité détermine le degré
qu’un système a de contrôler sa destinée, la
résilience détermine sa vulnérabilité à des perturbations inattendues qui peuvent dépasser ou
casser le contrôle. L’atténuation et l’adaptation
au changement global devraient s’étudier en prenant en compte ce concept intégratif.
Du point de vue des outils, le modèle mathématique, essayant de traduire en équations les
concepts pertinents, est au cœur de la problématique du changement global, car il intègre
les connaissances, il permet de théoriser les
données, de projeter l’évolution des systèmes.
Pour être vraiment utile, il doit intégrer à la fois
les processus physiques et sociétaux et doit
être bâti sur un socle solide de données, en
particulier aux interfaces des compartiments
étudiés. La modélisation prospective, alliant
modèle et scénarios, constitue un champ de
recherches méthodologiques à développer et
renforcer dans la mesure où elle fournit un
cadre robuste permettant de concilier les interactions hommes-milieux, à diverses échelles
d’espace et de temps, tant dans le futur que
dans le passé.
La collecte de données
L’utilisation des modèles, et notamment leur paramétrage, nécessite une masse considérable de
données. Les chercheurs ont actuellement à leur
disposition une panoplie importante de modèles
qui pourraient déjà répondre à un grand nombre
de questions posées par la société mais ils ne
peuvent pas atteindre complètement leur objectif
car les données nécessaires à leur paramétrage
et leur validation n’existent pas ou sont très insuffisantes. Les chercheurs ont actuellement besoin
de données biologiques, écologiques, physiques
et de sciences humaines à haute résolution spatiale et temporelle. Il est donc actuellement absolument capital de porter les efforts sur la création
de bases de données internationales inter-opérables et accessibles en ligne pour l’ensemble de
la communauté scientifique. La tâche est énorme
puisqu’il s’agit à la fois de mener des grandes
campagnes de sauvetage de données (environmental data rescue), des grandes campagnes de
collecte de données, et enfin d’avoir une cohérence au niveau de l’INEE mais aussi du CNRS
dans son ensemble des bases de données et des
systèmes d’informations. Les chercheurs portent
beaucoup d’espoir en la nouvelle UMS 3468
BBEES qui a vocation à structurer et optimiser le
travail autour des bases de données de recherche
sur la Biodiversité naturelle et culturelle, actuelle
et passée. Les bases de données créées doivent
être interrogeables en ligne, libres d’accès et interopérables entre elles (au niveau international).
Ces bases de données doivent être alimentées,
ce qui implique un soutien fort à l’acquisition
166
sur le long terme de données de terrain, d’expérimentation, avec chaque fois le souci de rendre
publiques ces données, comme l’impose la
Directive Inspire. De nombreux observatoires,
des suivis à long terme (dans le cadre de
zones ateliers, des observatoires hommes-milieux) existent. Ils doivent être pérennisés. En
parallèle, les sciences participatives sont une
source irremplaçable de données, mais elles
nécessitent des pratiques particulières et des
moyens techniques d’acquisition et de validation que l’INEE pourrait aider à développer. Les
données de télédétection permettent une couverture spatiale exhaustive d’un nombre assez
réduit de paramètres. Le domaine est en pleine
expansion avec l’émergence de nouveaux capteurs à très haute résolution spatiale et temporelle et ce type de données est souvent d’un
usage commode pour les modélisateurs. L’essor cependant de la proxi-détection est aussi à
soutenir car cela permet d’accéder également
à une information parfois inaccessible depuis
les satellites mais tout aussi intégrée dans l’espace et à des résolutions spatiales beaucoup
plus fines. Elle est par conséquent plus intéressante pour la plupart des études qui concernent
l’INEE. Le nombre très insuffisant, et toujours
en baisse de personnels techniques, ne permet
plus la collecte de données, qu’elles soient expérimentales ou de terrain. Cela explique peutêtre que nous en soyons parvenus à développer
ou utiliser une palette toujours grandissante de
modèles, mais très peu de données pour pouvoir les mettre en œuvre.
Pour l’étude des phénomènes rares et pour la
compréhension des forçages à grande constante
de temps, la paléoécologie et la paléoclimatologie sont absolument irremplaçables. Mais la
question clé est comment faire pour intégrer les
connaissances du passé pour une meilleure anticipation du futur ? Il y a un « gap » entre données
actuelles et données du passé tant au niveau
de la couverture spatiale, de leur représentativité
spatiale et de leur degré d’intégration. Comment
coupler les données du passé avec le paysage,
l’écosystème ? Les données archéologiques
sont une source d’information socio-économique
du passé. L’ensemble de ces données « archéologie - paleoenvironnements » fournit un moyen
de travailler les interactions homme-milieu sur
le long terme. Mais les besoins sont énormes ;
ils concernent des aspects aussi divers que le
niveau de technologie des sociétés, leur démographie, leur organisation politique, leur degré
d’auto-suffisance, les échanges commerciaux...
L’étude multi-proxy des sédiments à haute résolution avec à la fois les nouvelles techniques
géochimiques de pointe (incluant la collecte
d’un corpus de datations solides, les isotopes,
les composés spécifiques, la paléogénétique...)
et l’approche plus traditionnelle des assemblages de micro-organismes est plus que jamais
précieuse pour reconstituer les paléoenvironnements (voir atelier « Environnement quaternaires
non anthropisés ou peu anthropisés »). A des
échelles de temps plus courtes, il est néces-
saire d’étudier de manière plus systématique
les informations contenues dans les documents
écrits historiques sur l’évolution du climat, de
l’agriculture et de l’industrie depuis les périodes
pré-industrielles. Là aussi, il est donc nécessaire
d’intensifier les relations entre sciences dures
et sciences de la société. Il faut également développer les bases de données sur les interactions
homme-milieu, avec une réflexion sur le codage
des données symboliques et/ou qualitatives,
et la collecte de métadonnées souvent hétérogènes. La carotte sédimentaire et les sites archéologiques permettent le recul temporel, mais
au prix d’une représentation parcellaire. Par
conséquent, il faut un nouveau paradigme de la
complexité écologie-paléoécologie-archéologie.
Pour répondre à la question « comment », des
recherches méthodologiques doivent être engagées pour reconstituer finement, dans l’espace
et dans le temps, les évolutions passées résultant des interactions entre les sociétés et leur
environnement. Des approches couplant ces
données hétérogènes, à l’aide de modèles de
simulations et de scénarios (storytelling, foresight, rétro-prospective), doivent être explorées.
L’évaluation du poids des actions anthropiques
dans le changement global est conditionnée par
1) notre capacité à évaluer la plausibilité et le
degré d’incertitude des résultats et 2) la disponibilité des données (écologiques, paléo-environnementales, archéologiques, géographiques, etc.)
nécessaires à la calibration des modèles.
La modélisation des impacts sur les écosystèmes
Les modèles numériques sont devenus les outils
privilégiés pour établir des projections de l’état
du climat, des écosystèmes et de la biodiversité
dans les décennies et siècles à venir. De nombreux modèles ont été développés ces deux dernières décennies dans cet objectif pour répondre
à des questions particulières sur le devenir des
systèmes naturels (telles que combattre l’eutrophisation des cours d’eau, etc.). Mais très peu
d’entre eux sont actuellement capables d’apporter des réponses à des questions intégratives
que se posent les aménageurs et les politiques
(des populations au écosystèmes incluant les
systèmes anthropo-construits sous l’emprise
des changements globaux).
La plupart du temps ces modèles traitent un système à une échelle donnée. Il est maintenant nécessaire d’interfacer les modèles, pour intégrer
les systèmes et les échelles. Ce besoin provient
des questions que pose la société désireuse
de savoir comment les sociétés humaines pourront s’adapter à leur nouvel environnement pris
dans sa globalité. Les questions qui se posent
à l’heure actuelle sont donc : comment coupler
les modèles ? Les modèles sont-ils capables de
traiter le multi-échelles ou doivent-ils être spécifiques à une échelle et interfacés ? Il est à noter
que l’intégration de ces modèles aux différentes
échelles spatiales et temporelles nécessite des
besoins en moyens de calcul équivalents à ceux
167
prospectives d’avignon
de l’INSU que notre communauté n’a pas à sa
disposition actuellement. Avant cette étape d’intégration, il est nécessaire de souligner qu’un
travail important de validation des modèles doit
être entrepris, ce qui nécessite des masses
considérables de données. De la même manière
un travail important sur l’estimation des incertitudes sur les projections de ces modèles est à
entreprendre car c’est un point particulièrement
important dans le dialogue des scientifiques avec
la société sur ce sujet.
Le niveau de complexité des modèles est également un point de débat. Est-ce que l’objectif de réalisme implique une complexification
croissante ? Un modèle trop complexe risque
de perdre son utilité. Jusqu’où doit-on aller ?
Il est certain que des processus sont décrits
de manière encore trop simpliste. Les sols
sont encore pris en compte de manière grossière. A minima, la diversité, la distribution et
les organisations spatiales du milieu physique
devraient être prises en compte comme co-variable dans les interactions dynamiques climatagroécosystèmes. Quelles sont les boucles de
rétroaction du milieu sur le climat ? Celles-ci
peuvent être soit purement physiques (par
exemple, écoulement et dynamique de l’eau),
soit via les organismes du sol (émissions
de gaz à effet de serre : CO2, CH4, N2O). Ces
boucles de rétroactions devraient-elles être
prises en compte dans tous les scénarios
de modélisation ? Comment apporter des
réponses rapidement pour les organismes à
temps de génération longs tels que les arbres
ou certains mammifères, qui impliquent des
années d’expérimentation et de suivi incompatibles avec la vitesse à laquelle le changement
climatique se produit ?
L’analyse des changements globaux pose directement la question des ressources et des
risques. Les changements globaux induisent
des modifications du cycle de l’eau, des processus d’érosion (des sols en particulier), de la
dynamique des communautés végétales et animales et du fonctionnement des écosystèmes
et agrosystèmes. L’analyse de ces changements
repose en premier lieu sur une analyse à échelle
locale par la caractérisation à haute résolution
spatiale et temporelle des processus physiques
et biologiques, par exemple modes et rythmes
de déglaciation, de fonte des pergélisols, de
transfert de l’eau et des sédiments dans les
lits fluviaux, modification de la répartition géographique des espèces et de leurs interactions
etc, ainsi que leurs conséquences induites, par
exemple sur les processus d’érosion des versants ; la modification de la répartition spatiale
(à différentes échelles) des réserves d’eau,
la modification de la saisonnalité des écoulements ; la répartition des espèces ; le stockage
du carbone par les écosystèmes et la saisonnalité des flux entre végétation et atmosphère,
etc. Mais force est de constater que l’effort de
documentation à haute résolution spatiale et
temporelle des impacts des changements globaux n’est pour l’instant pas à la mesure de la
situation. Ces changements doivent être appréhendés tant à une échelle régionale que globale
afin de mettre en évidence les invariants ou les
réajustements propres à un système donné.
Changement global et société
Les villes consomment de grandes quantités
de ressources naturelles. Elles sont connectées aux territoires ruraux qui leur fournissent
nourriture et eau. Elles influencent par là le
fonctionnement des territoires proches ou
lointains (globalisation). D’une façon plus générale, la perturbation rapide des processus
biogéochimiques et écologiques engendre de
nouveaux risques et modifie la dynamique et la
répartition des ressources existantes (eau, sol
et plantes cultivées). La démarche doit alors
englober une analyse des sociétés. Les ques168
tionnements doivent être d’abord centrés sur
les savoirs locaux : quelle est la perception des
populations locales des changements hydroclimatiques et environnementaux en cours ?
Quelles stratégies adoptent ces populations
vis-à-vis de la modification des ressources et
de l’accroissement du risque ? L’approche doit
être interdisciplinaire par la confrontation des
résultats scientifiques (sciences de la terre,
sciences du vivant et sciences sociales) et des
observations des populations locales (anthropologie).
Les changements globaux peuvent se décliner
dans tous les compartiments des surfaces
continentales et de ses interfaces. Les continuums aquatiques des têtes de bassins aux
zones côtières nécessitent une vision coordonnée des systèmes terrestres (agro-alimentaire), des hydrosystèmes (rivières, réservoirs
et aquifère) et des zones côtières en lien avec
les activités humaines dans les territoires urbains et ruraux.
Les cumuls des impacts et leur prise en
compte dans les outils de modélisation sont
les nouveaux verrous scientifiques. Les pratiques agricoles sont par exemple à l’origine
d’une contamination nitrique qui détériore la
qualité de l’eau, au point que la fabrication de
l’eau potable est menacée. L’utilisation des
sols agricoles pour/par la ville (habitations,
infrastructures, etc.) présentent des risques
pour l’environnement via l’imperméabilisation
et la salinisation des sols, les pertes de biodiversités, l’organisation de l’alimentation en
nourriture et en eau des villes et des territoires
desquels elles dépendent. Les interactions
entre les changements climatiques et la dynamique de la végétation (des cultures) restent
des questions scientifiques majeures pour
assurer la durabilité et l’acceptabilité sociale
des nouveaux systèmes agricoles. Un regain
d’intérêt s’est porté ces dernières années sur
l’agroforesterie, pour laquelle les travaux de
modélisation doivent permettent d’estimer les
atouts (ou les risques) agronomiques, écologiques et économiques dans un contexte de
changement climatique. Ce genre d’études est
utile pour projeter des indicateurs de durabilité
à long terme que l’on peut discuter avec les
décideurs, qui vont choisir de mettre en avant
tel ou tel service écosystémique (par exemple
l’augmentation de la biodiversité).
Appréhender les cumuls des changements globaux nécessite de décliner les observations à
une échelle locale, via des réseaux d’observations (qu’il faut pérenniser) et de modélisation
adaptés. Il existe actuellement des modélisations mécanistes qui peuvent être couplées
off-line, les sorties d’un modèle constituant les
entrées d’un autre. Mais il est important de
développer des plateformes qui fassent dialoguer les modèles en tenant compte des rétroactions des milieux physiques, des activités
humaines et du changement climatique. Les
problématiques de la biodiversité doivent aussi
entrer dans ces plateformes. Ces développements d’outils de modélisation des hydro-agroécosystèmes et leurs contraintes anthropiques
doivent être menés en concertation avec des
études socio-économiques afin de convaincre
les pouvoirs publics et impliquer les décideurs
politiques.
Les interactions entre les scientifiques, les
citoyens, les gestionnaires et les politiquesconstituent un défi car les « temps » de chacun
sont différents, ce qui rend difficile la construction d’une vision d’avenir à long terme.
De nouvelles méthodes de recherche, transdisciplinaires, transorganismes en lien avec les
citoyens, les parties-prenantes et politiques et
les scientifiques doivent désormais bousculer
la recherche conventionnelle. De tels efforts
requièrent des observations sur le terrain, l’analyse des données anciennes, voire des archives,
et le développement d’outils de modélisation,
notamment aux interfaces, tant des écosystèmes (les zones humides, les estuaires par
exemple) que des disciplines (dialogues de modèles pour répondre aux questions relatives à
l’écologie territoriale et des socio-écosystèmes).
169
prospective de l’institut ecologie et environnement du cnrs
prospectives d’avignon
Politiques climatiques et transition énergétique
Sur le plan international, les scénarios tendanciels et d’adaptation au changement climatique sont multiples. Ils traduisent certaines
tendances lourdes dans les visions de nos
futurs énergétiques (nécessité d’une diversification du bouquet énergétique, maîtrise de la
demande d’énergie) mais sont aussi débattus
(logique productiviste, place du nucléaire, des
ressources fossiles non conventionnelles, de la
capture et du stockage géologique du dioxyde
de carbone). Il s’agira d’interroger ces futurs à
partir de quatre questions fondamentales.
Visions et modélisations du futur
Un couplage entre modélisation prospective
et modélisation d’accompagnement est suggéré, ainsi qu’une analyse critique du contenu
des scénarios et des visions du futur qui sont
aujourd’hui proposés. La ligne de partage et
de construction des faits (supposés objectifs)
et des valeurs qui sont au cœur des scénarisations du futur devrait être explorée à partir de
diverses entrées, telles que : 1) l’analyse des
pratiques de modélisation (Comment fait-on
exister un « fait » climatique ou un « futur énergétique » ? Selon quelles formalisations ? Quels
réseaux sociaux portent les différentes modélisations et les différents intérêts ? Quels sont les
plans d’épreuve et leur économie (cf. sociologie
pragmatiste) 2) l’analyse comparée des scénarios au-delà de la quantification technologique
(représentations de l’espace, de l’urbain, de la
technologie, place conférée aux choix politiques,
à la technologie…) ; 3) la mise en œuvre, sur
plusieurs pas de temps d’expérimentations institutionnelles d’ouverture aux non-experts des
visions du futur, allant du débat sur les visions
actuelles à des modélisations participatives,
impliquant des collectifs dans l’enquête et dans
la construction de ces visions (modélisation,
interprétation, valorisation), et faisant appel
aux sciences et aux métiers de la participation
(design institutionnel) ? Selon ces options, les
recherches s’étendront sans doute au-delà de 12
ans, mais peut-être à 24 ans pour être capables
d’atteindre une robustesse et une cohérence sur
les plans épistémiques (relatifs aux sciences de
la nature) et normatifs. On pourrait même vouloir
viser 36 ans pour une approche qui intégrerait
aussi les dimensions des technologies dites responsables pour reprendre les projets européens
parlant « d’innovation responsable ».
Processus de négociations internationales
Afin de pouvoir réfléchir aux institutions à même
de faire émerger un commun climatique, les
succès et échecs des négociations climatiques
appellent des analyses sur le rôle : des représentations du futur ; des controverses sur la
« réalité » du changement climatique d’origine
anthropique ; des décalages entre cycle scientifique et cycle de vie politique ; du resserrement
progressif autour d’un cadrage exclusivement
climatique et économique (coût / prix unique du
carbone, « cap and trade ») ; des conflits notionnels (« legally binding commitment ») ou d’équité
(« fair burden sharing » vs « equitable access
to development »). Il s’agira aussi de réfléchir
au possible rôle des grands acteurs émergents
et des politiques d’aide au développement soutenable, ainsi qu’à l’articulation entre droits de
l’homme et enjeux des changements globaux.
Politiques climatiques, énergétiques, climat-énergie
Le rôle des politiques climatiques, énergétiques et climat-énergie, au niveau national et
supra-national, dans l’élaboration de réponses
à ces enjeux, doit être analysé. Il s’agit, au-delà
de la traditionnelle comparaison entre instru170
ments de politiques publiques, de s’interroger
sur : les options technologiques en présence
dans le domaine de l’énergie ; les collectifs et
les coalitions qui les portent ; les jeux d’acteurs qui orientent ces options énergétiques
et l’incidence des politiques, notamment européennes ; les gouvernances émergentes des
énergies renouvelables et les enjeux qu’elles
soulèvent en terme de développement soutenable (rôle des structures foncières héritées,
relations nord-sud, reconfigurations géopolitiques de l’énergie, enjeux distributifs, accès
à l’énergie et aux ressources, répartition des
risques et des pouvoirs et déplacements de la
relation homme-milieu).
Articulation adaptation/atténuation, développement soutenable
L’articulation entre adaptation et atténuation
reste un enjeu insuffisamment analysé. Il s’agit
notamment de s’interroger sur la manière
dont les politiques énergétiques/climatiques
prennent ou devraient prendre en compte : la
résilience des systèmes biologiques et /ou
anthropiques ; les enjeux de développement ;
les temporalités multiples de processus hétérogènes (infrastructures [ponts /routes /transports /habitat], agriculture/qualité des sols) ;
l’insuffisance des financements face à l’augmentation des risques naturels et au renchéris-
sement possible des infrastructures. Les avantages et limites des stratégies de substitution
environnementale (déplacement d’espèces, recréation d’habitats écologiques,…) de plus en
plus considérés dans le cadre de stratégies de
géo-ingénierie, devront notamment être interrogés. Enfin, au-delà d’une approche classique
par zonage, il semble pertinent de s’interroger
sur les nouvelles représentations, pensées
stratégiques de l’espace, des paysages et des
milieux géographiques que suscite la transition
énergétique.
Conclusion
Le changement global est au coeur des thématiques de l’INEE et transcende les instituts et les organismes. Toutefois nous avons eu la participation de chercheurs de l’INRA, Ifremer, etc.., et il nous
semble important de favoriser davantage ce type d’interactions. Les Fédérations de Recherche, de
par leur interdisciplinarité, nous semblent être un bon outil pour impulser et développer ces interactions. L’INEE doit saisir la chance de sa position à l’interface de nombreuses disciplines pour
réellement prendre en main le domaine du changement global : global au sens planétaire mais aussi
global au sens intégratif.
171
prospectives d’avignon
172
avignon
Prospective
LA MER
Coordinateurs : Denis Allemand, Bruno David, Sylvie Dufour, Jean-Pierre Féral, Nadine Le Bris, Marc
Troussellier, Frédérique Viard
Contributeurs : Sylvain Lamare, Guillaume Lecointre, David Mouillot, Nathalie Niquil, Eric Thiébaut et
tous les participants de l’atelier « Mer » d’Avignon
On a pu s’étonner d’un exercice de réflexion et de prospective dédié à la mer. En effet les concepts
et cadres théoriques qui fondent les recherches en écologie, systématique, évolution et sciences de
l’environnement sont les mêmes pour le domaine marin et le domaine continental. De surcroît, le
cadre général (changement global) est similaire. Au-delà du fait que les agrosystèmes, les forêts, les
montagnes, les zones tropicales bénéficient de réflexions individualisées, en France et à l’étranger,
et que la mer ne doive pas faire exception, l’INEE bien qu’abritant un nombre significatif de laboratoires développant des recherches en mer doit encore consolider sa position. Il s’agissait donc
de faire une synthèse des potentiels de l’institut et d’en évaluer le futur. L’intention n’était pas de
distinguer les recherches d’écologie marine de celles menées sur les autres écosystèmes mais
de donner l’occasion aux équipes « marines » de l’INEE de pouvoir faire connaître leurs priorités
actuelles et à venir tel que le font les communautés des autres organismes de recherche travaillant
dans le milieu marin.
La richesse des compétences présentes dans les unités de l’INEE travaillant sur le domaine marin a
conduit à identifier une grande diversité de problématiques et de pistes de recherche ayant trait aux
écosystèmes marins, à leur connaissance et à leur devenir1. Le présent document a pour objectif de
dégager quelques axes prospectifs synthétiques pour une vision à moyen terme (de l’ordre de cinq
ans), qui pourra être prolongée si besoin est, mais ils ont vocation à être revisités régulièrement
(tous les deux ou trois ans) pour s’ajuster aux avancées nouvelles et aux évolutions rapides du
domaine, notamment celles liées aux technologies « omiques » et aux capteurs.
Ce document de synthèse prospective condense des informations issues de plusieurs sources : les
travaux menés par le groupe de réflexion « Mer » au cours de l’année 2012, les discussions qui ont
eu lieu au sein de l’atelier « Mer » lors du colloque de prospective INEE en Avignon et les contributions du CSI de l’INEE. Les priorités exposées ici sont des indications résumées, elles ne prétendent
pas être exhaustives et sont volontairement hétérogènes. Ainsi, soit ces axes mettent en avant des
transversalités entre communautés et approches, soit ils sont centrés sur un objet d’intérêt. La liste
aurait pu être beaucoup plus longue, mais elle aurait alors débordé du cadre de ce chapitre dont
l’objectif est de mettre en avant quelques priorités.
1 - Un autre cahier de prospective de l’INEE est entièrement dédié à la mer.
prospective de l’institut ecologie et environnement du cnrs
173
prospectives d’avignon
Les trois axes mis en exergue lors des discussions d’Avignon sont les suivants :
• l’intégration terre-mer,
• les interactions du vivant avec l’environnement marin,
• la connectivité.
Les deux premiers sont typiquement marins et ont été discutés en priorité lors de l’atelier prospective d’Avignon. Les questions relatives à la connectivité prennent une résonnance particulière dans
le milieu marin et ont également fait l’objet d’une discussion approfondie.
Cette liste a été élargie à d’autres points d’intérêt, tout aussi importants, qui avaient été soulevés
lors de la phase préparatoire aux prospectives, ou pro parte évoqués en Avignon, parmi lesquels :
• les transitions d’échelle,
• changement global et adaptations,
• modéliser pour scénariser et prévoir,
considérés comme transversaux, ont été traités en tant que tels dans d’autres ateliers de la prospective.
Les besoins et les moyens requis, largement discutés, recoupent tous les axes et ils font l’objet
d’une présentation distincte.
L’intégration terre-mer
La compréhension d’un grand nombre de crises
environnementales, la prédiction du devenir des
systèmes marins côtiers, la préservation de la
biodiversité et des services rendus passent par
une meilleure compréhension du fonctionnement
du continuum terre-mer2 et de ses interfaces.
Les très grands enjeux de différentes natures
qui sont associés à ces écosystèmes d’interface
sont reconnus, mais les connaissances en sont
encore fragmentaires et ne sont pas toujours
en mesure de fournir des aides satisfaisantes
pour assurer leur durabilité en regard des pressions anthropiques subies et à venir. Ce besoin
de recherches se confirme concernant un des
« nouveaux biomes » déjà mis en exergue lors les
prospectives de Rennes en 2009 : le littoral. Plusieurs unités de recherche ont été créées depuis,
ou renforcées dans leurs activités et missions
sur cette interface terre-mer (LIENs3 sur l’Atlantique, l’IMBE4 et ECOSYM5 sur la Méditerranée),
d’autres explorent ces couplages en amont, des
bassins versant aux estuaires (SISYPHE6), ou
au-delà de la zone côtière, des marges continentales aux débris végétaux transportés vers le
milieu abyssal (LECOB7, SAE8).
En termes d’organisation de la science, il s’agit
174
d’encourager l’interdisciplinarité et d’accroître
les interfaces avec les différents acteurs et
usagers (société sensu lato qui est en attente
de plus en plus pressante de réponses scientifiques). Au sein de l’INEE, ce sont l’ensemble
des piliers de compétences (écologie, évolution,
interactions hommes-milieux) qui vont contribuer à cette organisation.
C’est aussi le lieu où l’un des objectifs de l’INEE,
« rapprocher les connaissances de l’action »,
prend une résonance particulière car les questions de l’exploitation des ressources (aujourd’hui
essentiellement les stocks sauvages et le pétrole, mais aussi de plus en plus de nouvelles
ressources biotechnologiques et minières), du
poids grandissant de l’aquaculture côtière dans
la production de protéines, mais aussi de la production d’énergie impactent directement les écosystèmes marins et impliquent le développement
de recherches en amont et en aval des procédés
utilisés.
Plus spécifiquement, une attention particulière
devra être apportée aux items qui suivent :
l Les spécificités biologiques et les capacités adaptatives des organismes, des populations et des communautés qui vivent aux
2 - Le domaine spatial considéré s’étend de la partie inférieure des bassins versants (grand fleuves) et les rivières côtières
jusqu’à la zone d’influence directe des milieux terrestres en mer (e.g. ruissellements, aérosols), parfois matérialisée par le
rebord du plateau continental. 3 - LIENSs : UMR 7226, Littoral, environnement et société, La Rochelle. 4 - IMBE : UMR 7263,
Institut Méditerranéen de la Biodiversité et d’Ecologie marine et continentale, Marseille. 5 - ECOSYM :UMR 5119, Ecologie
des systèmes marins côtiers. 6 - SISYPHE : UMR 7619, Structure et fonctionnement des systèmes hydriques continentaux,
Paris. 7 - LECOB : UMR 8222, Laboratoire d’Ecogéochimie des Environnements Benthiques, Banyuls sur Mer. 8 - SAE; UMR
7138, Systématique, Adaptation, Evolution, Paris
interfaces : quels en sont les mécanismes
et les limites ?
l Les réponses des composantes des
systèmes écologiques à la multiplicité et
l’ampleur des pressions d’origine locale et
globale : comment l’écologie expérimentale
peut-elle contribuer à déconvoluer et/ou reconstituer ces pressions multiples pour en
comprendre les effets ?
l Les conséquences de l’artificialisation
(ports, aménagements littoraux, fermes et
éoliennes offshores…) et des mesures de
conservation ou de protection : comment évaluer les effets positifs comme négatifs de ces
deux processus pour les articuler au mieux ?
l Les rôles de l’hétérogénéité, de la variabilité, de la complexité des environnements littoraux dans les capacités de résistance et de
résilience des systèmes biologiques et socioécologiques et de leurs composantes : quels
sont les processus à l’œuvre et les modèles
conceptuels/numériques sous-jacents ?
l L’identification et l’étude des propriétés
des systèmes fragiles (e.g. îles) et des systèmes plus résilients (e.g. lagunes) ou ceux
dont la résilience est encore peu connues
comme les écosystèmes profonds: quels
indicateurs pertinents proposer ?
l La qualification et surtout la quantification des interactions et rétroactions entre
les systèmes continentaux, côtiers et hauturiers, tant benthiques que pélagiques :
quelles sont les échelles pertinentes et
les modèles associés à développer en
priorité ?
Ces points doivent aussi prendre en compte,
pour y répondre, les recommandations européennes concernant les habitats, l’eau et le
bon état écologique. Les laboratoires de l’INEE
y sont naturellement impliqués.
Les interactions du vivant
avec l’environnement marin
Les interactions et rétroactions biosphère –
géosphère sont reconnues dans leurs grands
principes depuis fort longtemps. Néanmoins,
le développement de moyens techniques plus
performants (notamment capteurs9) permet,
depuis quelques années, de replacer les aspects biologiques au centre de la question des
interactions entre l’océan, dans ses dimensions physico-chimiques, et le vivant. En effet,
ce dernier impacte de façon très significative
de nombreux processus et, globalement, il
conditionne les capacités tampon de l’océan
tant vis-à-vis des pressions locales (e.g. eutrophisation) que globales (e.g. fixation du CO2).
La pluridisciplinarité est aussi à la base des
avancées attendues dans la compréhension
de ces interactions. Les biologistes sensu lato
doivent s’associer plus particulièrement aux
géologues et géochimistes dès lors que l’on
considère le rôle des interfaces benthiques et
pélagiques, aux atmosphériciens et hydrodynamiciens pour comprendre les mécanismes
d’échanges entre atmosphère et océan, ou aux
biogéochimistes pour comprendre le fonctionne-
ment des cycles de la matière. Comme en écologie terrestre, ces compétences sont parfois rassemblées, au sein des unités notamment grâce
à l’intégration de spécialistes en sciences de
l’environnement (physique, chimie, géochimie),
ou dans des structures et programmes à plus
larges échelles (ZA10, OHM11, PIRE) favorisant le
développement de ces interfaces.
Parmi les questions scientifiques plus générales associées à la question des interactions,
celle de la maîtrise des transferts d’échelle
est centrale : comment passer du satellite et
du global/régional à des échelles locales et
comment passer de l’expérimental à échelle
très réduite (e.g. microfluidique, approches à
l’échelle cellulaire « single cell biology » ou de
son expression moléculaire « protéomique/
métabolique ») aux assemblages complexes
que forment les communautés et les écosystèmes ou métaécosystèmes ? Il s’agit aussi de
pouvoir articuler dynamique du vivant et dynamique de l’environnement dans des modèles
intégratifs.
9 - cf. JF Le Galliard, JM Guarini et F Gaill [eds] Sensors for ecology, towards integrated knowledge of ecosystems. 10 - cf. ZA
Brest - Iroise, http://www-ieum.univ-brest.fr/zabri/fr et ZA Terres australes et antartiques, http://za-antartique.univ-rennes1.fr.
11 - cf. OHM littoral méditéranéen, http://www.ohm-inee.cnrs.fr/spip.php?rubrique115
175
prospectives d’avignon
D’autres questions, plus spécifiques, doivent faire
l’objet d’investigations soutenues :
l Quels effets induits de l’évolution de la
composition et de la structure des communautés (e.g. sur les cycles biogéochimiques) ? On pourra par exemple considérer ici les macro-organismes calcifiants et
le cycle du carbone. Parmi les questions
centrales : quelles sont les rétroactions
majeures sur la pompe biologique à carbone induites par des modifications de
la biodiversité planctonique, elles-mêmes
provoquées par le réchauffement, l’acidification, la stratification ou l’oligotrophisation de l’océan ? Comment élargir cette
approche de la question à d’autres orga-
nismes qui peuplent également de vastes
étendues, notamment le benthos côtier,
en particulier les organismes contribuant
à édifier des habitats (e.g. herbiers, coralligène, mangroves, récifs coralliens…) ?
l Quelle est l’importance de la chimiosynthèse dans les cycles du carbone, de l’azote
et d’autre processus de régulations majeurs
des écosystèmes, comme lors de phénomène d’anoxie et d’eutrophisation ? Quels
sont les traits de l’évolution et du fonctionnement des communautés qui dépendent de
ce mode de fixation du carbone ? Quel rôle
jouent les écosystèmes profonds chimiosynthétiques sur la biogéochimie de l’océan et
les écosystèmes pélagiques ?
La connectivité
La connectivité cristallise des questionnements scientifiques à la confluence entre
sciences fondamentales (e.g. paradoxe de
l’adaptation dans des environnements diffusifs ou encore des réponses biologiques anisotropes dans un milieu isotrope) et sciences
appliquées (e.g. schéma de mises en réserves
et de protection des écosystèmes). Les questions de connectivité touchent également des
aspects sociaux (e.g. partage de pratiques)
comme économiques (e.g. transport maritime).
De ce fait, le terme de connectivité utilisé dans
différents contextes disciplinaires avec des
sens divers mérite d’être clarifié pour éviter
des incompréhensions entre les acteurs des
différents domaines scientifiques qui utilisent
ce terme. Pour dépasser les limites méthodologiques et conceptuelles propres à chacune des
disciplines scientifiques, il sera nécessaire de
soutenir des réseaux d’acteurs, par exemple
par des programmes scientifiques dédiés (e.g.
PEPS, ANR).
De façon globale, les flux de gènes, d’individus et d’espèces qui définissent les échanges
entre habitats et milieux se réalisent à différentes échelles spatiales et temporelles et ils
ne peuvent être pleinement compris et pris en
compte que par un couplage des modèles physiques et biologiques, mais aussi par d’autres
approches transdisciplinaires, par exemple
des approches bio-géo-chimiques. Les efforts
176
initiés dans ce domaine associant les compétences des équipes de l’INEE et des autres
instituts/organismes devront être poursuivis.
La plupart des recherches en macroécologie et
notamment celles visant à anticiper les modifications de répartition des espèces sont dépendantes des progrès réalisés dans la compréhension et la prise en compte des mécanismes
de connectivité y compris sur le temps court.
Concernant les processus biologiques, les
questions se posent en termes disciplinaires
ou interdisciplinaires ou encore au titre d’organismes ou d’écosystèmes peu étudiés sous
l’angle de la connectivité :
l Le concept de connectivité prend en
milieu marin des éclairages spécifiques
selon les champs disciplinaires qui s’y
intéressent (écologie, évolution, sciences
sociales). Peut-on et comment réaliser
une intégration disciplinaire autour de la
connectivité ? Quels seraient les chantiers
« idéaux » pour réaliser cette intégration ?
l Quelle utilisation des concepts de la biologie évolutive, et notamment de la génétique et de la génomique, privilégier pour
cerner les questions de connectivité dans
tous les compartiments de la biodiversité
marine du nano- au méga- et du pélagos
au benthos ? Auparavant cette question
de connectivité concernait surtout des
espèces mobiles d’assez grande taille
(notamment approchées par des techniques de Capture-Marquage-Recapture).
La banalisation des outils génétiques et
génomiques permet désormais une ouverture à toutes les espèces marines, y compris celles composant les communautés de
microorganismes, et à toutes les questions
liées à la connectivité.
l Comment intégrer les connaissances obtenues dans le domaine de l’écophysiologie
(ex. variation des traits d’histoire de vie en
fonction des conditions du milieu) dans les
modèles de dispersion, en particulier ceux
intégrant les paramètres physiques (hydrologiques) ?
l Comment mieux articuler les études
fondamentales de la connectivité avec les
problématiques de conservation (liens avec
les AMPs, les invasions biologiques, la
trame bleue, etc.), par exemple pour aller
vers une génétique de la conservation en
milieu marin.
l Dans certains écosystèmes, comme ceux
des grandes profondeurs, les questions
de connectivité se posent avec une acuité
particulière avec d’une part un environnement globalement stable et vaste, mais à
relativement faible densité de peuplement
et d’autre part avec des situations à forte
instabilité temporelle et spatiale pour les
communautés associées aux suintements
hydrothermaux, aux carcasses de grands
cétacés, ou aux bois coulés… Dans d’autres
écosystèmes marins aux interfaces avec le
continent, ce sont notamment les questions
de l’impact plus ou moins simultané des
aménagements et de l’artificialisation des
littoraux, de l’exploitation des ressources ou
de l’accroissement du trafic maritime sur les
flux d’espèces qui doivent être analysés.
Autres items d’intérêt
Les interactions
Elles sont à la base de la quasi-totalité des équilibres et sont de tous ordres : biologique-biologique, sociologique-sociologique, environnementales-environnementales ou croisées. Abordées
au niveau strictement biologique les interactions
ouvrent sur les questions de productivité, de
réseaux trophiques, de symbioses, de relations
hôtes pathogènes, etc., autant de sujets dont
la connaissance en domaine marin est encore
trop fragmentaire, notamment à l’échelle des
microorganismes dont on commence à peine
à percevoir la richesse et la complexité (entre
autres grâce aux premiers résultats de l’expédition TARA). En général ces questions ouvrent
naturellement sur les interactions organismesenvironnement, les adaptations ou associa-
tions d’organismes reflétant généralement une
réponse optimisée aux facteurs de stress ou
ressources disponibles. Mais les interactions
doivent aussi être déclinées dans d’autres domaines (e.g. conflits d’usages pour l’accès aux
ressources) et surtout entre domaines: interactions entre milieu et biodiversité, entre usages
anthropiques et biodiversité, etc. C’est avec ce
type d’approche, intégrant écologie, biologie
de l’évolution, sciences humaines et sociales,
qualifiée d’écologie globale, que l’INEE apporte
toute son originalité. L’identification de nouveaux
Sites d’Etude en Ecologie Globale (SEEG), outil
interdisciplinaire de l’institut, pourra être envisagée pour répondre à des questionnements
propres à des systèmes marins ou littoraux.
Changement global et adaptations du monde marin
Le siècle dernier a vu s’accélérer des changements environnementaux sans précédents,
notamment en relation avec l’accroissement de
la démographie et des activités humaines (artificialisation des milieux, introductions d’espèces,
pêche, changements climatiques, etc.). Ils modi-
fient en profondeur l’ensemble du système mer
dans ses composantes biotiques et abiotiques
comme sociologiques ou économiques. Ceci
pose la question de l’adaptation à différents niveaux d’intégration: organismes, espèces, systèmes écologiques et systèmes anthropiques à
177
prospective de l’institut ecologie et environnement du cnrs
prospectives d’avignon
des échelles de temps pertinentes. Des progrès
importants sont ainsi attendus dans le domaine
de la dynamique des génomes, des études
des mécanismes de l’adaptation et de la physiologie des organismes qui sont des champs
de connaissance fondamentaux à approfondir
pour élaborer des scénarios pertinents. Quelles
réponses et à quel rythme ? Comment apprécier
et analyser la complexité de pressions anthropiques croisées, s’additionnant ou se contrariant ? Comment déconvoluer des signaux d’origines diverses ? Comment se structurent des
circuits d’inter-relations entre systèmes naturels
et anthropiques ? Quelle est leur dynamique ?
La dynamique évolutive et la structure des génomes
Les dix dernières années ont témoigné d’une accélération sans précédent de connaissances sur
la structure et la diversité des génomes marins
dans le cadre de programmes Nationaux et Européens (e.g. Marine Genomics Europe, Oceanomics) qu’il convient de pérenniser et pour laquelle
une démocratisation des outils est encore nécessaire. Ces premiers résultats offrent des outils
pour mieux décrire la diversité (e.g. meta-barco-
ding) et pour aborder de nouvelles questions de
recherche ou aborder différemment des questions
encore mal élucidées dans le domaine marin. Il
s’agit par exemple de la définition d’écotypes, de
l’analyse des mécanismes d’isolement reproducteur ou encore de la relation phénotype-génotype.
Ces recherches ouvrent également la voie vers
une meilleure intégration des mécanismes épigénétiques dans les recherches éco-évolutives.
Modéliser pour scénariser et prévoir ?
Ce triptyque est désormais au centre de nombreuses approches que ce soit pour des systèmes à dominante naturelle et des questions
fondamentales d’écologie, de phylogéographie
ou d’écorégionalisation, comme pour des systèmes à dominante anthropiques et des questions d’impacts, de gestion des territoires… Les
obstacles à surmonter sont du même ordre:
quelles approches développer ? Comment intégrer le vivant et les processus associés dans
les modèles globaux avec l’objectif d’accroître
la fiabilité des prédictions ? Comment calibrer,
transmettre et rendre acceptable l’incertitude ?
Comment intégrer des paramètres sociaux et
économiques aux bases biologiques et environnementales ? Les demandes qui émanent de
la société via diverses instances européennes
(e.g. Marine knowledge 2020), nationales (e.g.
celles du MEDDE), locales, institutionnelles,
comme citoyennes sont de plus en plus nombreuses, tout spécialement lorsqu’il s’agit d’entrevoir des évolutions à venir. Les scientifiques
sont confrontés à une situation paradoxale:
d’un côté des questions pressantes, en attente
de réponses de plus en plus précises, de l’autre
des systèmes hautement complexes requérant
l’acquisition de connaissance fondamentales
qui font largement défaut (e.g. dispersion larvaire pour de nombreuses espèces) et des
analyses lourdes, souvent longues. Une collaboration est, entre autre, nécessaire avec des
laboratoires de l’INSHS.
Les transitions d’échelles
Toutes les sciences pratiquées dans le cadre
de l’institut INEE supposent de savoir basculer entre différentes échelles tout en maintenant une cohérence d’approche. En soi cette
question est très vaste et elle n’est ni neuve, ni
spécifique à la mer. Néanmoins, dans le monde
marin où les interconnexions sont facilitées par
la densité du milieu, comment se font les transitions d’échelle ? C’est-à-dire comment une
178
somme d’effets locaux parvient à un impact
global ? Comment identifier des patrons macroécologiques qui signaleraient des systèmes
perturbés à large échelle ? Quels mécanismes
sont impliqués dans de telles transitions scalaires en domaine marin ? On aborde ici de
plain-pied la problématique des effets de seuil.
A noter que ceci suppose de disposer de séries
temporelles bien documentées.
Les indicateurs
Dans le contexte de la mise en place de directives internationales, notamment Européennes
(type DCH, DCE, DCSMM), de la montée en
puissance de questionnements de la société
civile et des collectivités sur l’état écologique,
la restauration et l’ingénierie écologique associée, l’appréciation des compensations,
les services écosystémiques… la nécessité
de disposer d’indicateurs est cruciale. Il faut
impérativement qu’ils soient forgés sur des
bases scientifiques robustes et il est nécessaire et urgent d’avoir une recherche amont,
expérimentale autant que théorique, qui fournisse ces bases. La validation de ces indicateurs passe pro parte par la mise en place
d’expérimentations de grande ampleur en utilisant les installations des laboratoires marins
(aquariums d’étude, viviers), des mésocosmes
ou encore des aménagements que représentent les parcs nationaux, réserves, AMPs, etc.
Entre généricité et spécificités
En ce qui concerne les axes prioritaires moins
spécifiquement marins évoqués ci-dessus
(e.g. transferts d’échelle, réponses aux changements globaux, scénariser), il convient de
souligner qu’il existe des spécificités à la fois
dans les forçages que subissent les systèmes
marins et dans leurs réponses aux changements globaux.
Ainsi le déplacement des organismes marins
par des voies naturelles ou artificielles (e.g.
eaux de ballast) est plus facile qu’en milieu terrestre ce qui peut conduire à une homogénéisation biologique plus forte et plus rapide et à
très grande échelle spatiale, les barrières naturelles originelles (e.g. équateur) devenant alors
perméables. Les réponses des écosystèmes
marins à l’accroissement des pressions anthropiques comme celle des flux de nutriments
présentent des spécificités comme le développement de zones eutrophes ou anoxiques, ou
le développement massif de microorganismes
qui produisent des composés toxiques pour
les espèces précédemment installées, et parfois aussi pour l’Homme. L’acidification des
océans est également une réponse spécifique
à l’accroissement de la pression partielle en
CO2 dont on connaît encore très mal les conséquences sur le vivant, dans toute sa complexité
écologique, c’est-à-dire en prenant en compte
les mécanismes de régulation des organismes
et associations d’organismes jusqu’aux écosystèmes. Une des pressions les plus spécifiques que subissent les écosystèmes marins
est l’exploitation des ressources qui a concerné et concerne encore aujourd’hui des stocks
d’organismes sauvages et qui sont pour beaucoup des prédateurs supérieurs. Enfin, le statut juridique des eaux marines (eaux internationales, domaine public maritime…) n’a pas
d’équivalent continental et constitue un cadre
particulièrement délicat pour assurer une
durabilité des services écosystémiques, ce
d’autant plus que l’exploitation des ressources
en haute mer s’accélère et ne va aller qu’en
s’accélérant (énergie, minerais).
179
prospectives d’avignon
Les besoins et les moyens requis
Inventaires
De nombreuses thématiques portées au sein
des laboratoires de l’INEE reposent sur la réalisation d’inventaires. Comment ? Pour quoi faire ?
Par exemple, inventorier la biodiversité sous tous
ses aspects (génétique, spécifique ou fonctionnelle) est une question qui se pose à nouveau
de manière aigüe et totalement renouvelée à la
lumière de deux changements récents :
l La prise de conscience que, dans la classique distinction entre known, unknown et
unknowable, la part estimée de l’inconnu est
beaucoup plus vaste qu’envisagée, notamment dans le domaine des microorganismes.
l Le développement accéléré des moyens
d’investigation. Dans ce double cadre, la
proportion du unknown s’accroit au fur et à
mesure que, les techniques se développant,
elles nous révèlent la diversité et la complexité de la vie marine, d’autant que s’y ajoute
une érosion de l’expertise taxonomique dans
les laboratoires. Paradoxalement, plus on
découvre de nouvelles entités génétiques,
spécifiques ou fonctionnelles, plus on réalise
que nos connaissances sont lacunaires.
La caractérisation moléculaire de la biodiversité
marine est une voie privilégiée pour échapper
à différents écueils méthodologiques d’estimation de la diversité du vivant à toutes les
échelles. Cette caractérisation nécessite le
maintien de moyens d’observation et d’accès
aux écosystèmes marins (voir ci-dessous) et
l’amélioration des infrastructures qui gèrent les
référentiels de noms (les collections), la réorganisation des métiers et des infrastructures de
séquençage massif face aux nouvelles technologies, en particulier en termes de capacités de
calcul, et le soutien pérenne de la taxonomie et
de l’anatomie qui donnent sens aux séquences
produites (voir ci-dessous le paragraphe consacré à l’archivage).
Suivis/observations
Devant l’obligation de répondre aux recommandations et directives internationales (type
DCH, DCE, DCSMM) et devant l’importance que
prennent les séries d’observations pour répondre
à des enjeux de recherche finalisée et fondamentale, comment mettre en place des moyens
opérationnels permettant aussi bien des observations à court terme, mais à haute fréquence,
que des suivis à long terme et comment apprécier l’efficacité des actions entreprises (suivis) ?
Dans ces suivis, la place du biologique reste
encore très limitée. Il est urgent que se mettent
en place des observatoires de la diversité marine
en s’appuyant notamment sur des protocoles dédiés aux observations éco-évolutives et pouvant
en outre bénéficier de nouveaux outils omiques
(e.g. méta-barcoding et méta-génomique environnementale) en étroite relation avec les stratégies
expérimentales en écologie. Plus généralement,
la question de l’archivage des données actuelles
et anciennes et de leur valorisation doit être traitée sans délais et il faut se donner les moyens
de surmonter la contradiction entre une politique
de projets à court terme, et le besoin d’études
à long terme, autant qu’anticiper l’intégration de
données de différents domaines disciplinaires
sur des échelles représentatives des systèmes
écologiques pas toujours équivalentes à celles
du suivi des masses d’eau.
Ces observations et ces suivis des laboratoires
marins adaptés aux problématiques de l’INEE
sont nécessaires pour contribuer à la compréhension des effets du réchauffement global en cours,
de l’acidification prévue des mers, des variations
probables du niveau marin, de l’hypoxie et des
changements de la biodiversité sur les écosystèmes. Ils permettent aussi de prendre des décisions concernant leur conservation et leur restauration, tout en permettant la valorisation des
biens et services qui leur sont imputables.
L’archivage
La question de l’archivage est double. Elle
concerne tout autant l’archivage in silico de bases
180
de données de tous ordres (concernant les habitats, taxons, actions anthropiques, impacts,
indicateurs de vulnérabilité…) que l’archivage
physique de spécimens sous différentes formes
(types, tissus, ADN). Ce second aspect est souvent peu débattu en regard de l’archivage numérique des données mais est tout aussi important
dans le cadre des études à base d’inventaire,
de suivi ou rétrospectives où ces spécimens et
échantillons servent de référence. Une difficulté
attendue est celle des espaces dédiés au stockage, car la place est comptée et les besoins de
stockage sont augmentés et diversifiés par des
exigences nouvelles en termes de nombre et
formes de spécimens à conserver. Contrairement
à une première idée assez répandue, une collection n’est pas remplaçable : il ne suffit pas de
retourner sur le terrain pour ramener ce qui a été
perdu. Une collection est aussi un référentiel de
temps : tel échantillon a été trouvé à tel endroit à
tel moment. Et puis la variabilité des populations,
des espèces, des habitats… est telle qu’on ne
recapture jamais deux fois la « même » chose.
Contrairement à une deuxième idée reçue, une
collection ne doit pas être vue comme statique
et improductive, une collection a une vie propre :
il faut l’entretenir, l’incrémenter, organiser sa gestion. Ces activités demandent un certain degré
d’expertise dans le champ des objets conservés
et la description de ces archivages doit faire l’objet du même soin que celui apporté à la genèse
des couches de métadonnées. Contrairement à
une troisième idée reçue, spécifique à la biodiversité, l’identification moléculaire des organismes
n’empêchera pas une érosion des connaissances
liée à l’absence de systématiciens (même si des
efforts de mise en commun internationale des
compétences est un palliatif). Pour qu’un nom
attaché à une séquence d’ADN ait une valeur, il
faut que ce nom soit lui-même attaché à un spécimen-type validé par un taxonomiste.
Il y a donc lieu de développer et de promouvoir
l’interopérabilité et le libre-accès à l’abondance
et à la variété de plus en plus grande de résultats d’observations et de données concernant les
sciences de la mer.
Le développement des laboratoires marins
Bien que représentant une communauté très significative au sein de l’INEE, les unités marines doivent
gagner en visibilité tout en développant les synergies nécessaires avec les autres instituts (INSHS,
INSU, INSB, INC) / organismes (Ifremer, MNHN).
Ces collaborations sont une réalité vécue et revendiquée par la très grande majorité des équipes travaillant sur des questions environnementales, mais
qui ressentent sans les comprendre les rivalités
pouvant exister entre organismes et/ou instituts.
Des solutions devront être proposées et testées
(e.g. programmes inter-organismes) pour optimiser
du « bas en haut » de l’échelle les collaborations sur
un mode gagnant-gagnant.
Structurellement, si l’INSU a « ses » observatoires marins, qui intègrent souvent des unités
INEE, l’INEE n’est l’institut de rattachement principal que d’un seul de ces ensembles. Les stations marines, quelles que soient leurs tutelles,
souvent multiples, sont les grands équipements
nécessaires à la recherche en écologie marine
telle que souhaite le développer l’INEE. La question se pose de la création de nouvelles infrastructures dans ce paysage, mais il est évident
que des outils mieux adaptés aux problématiques en écologie marine doivent être mis en
place, sous la responsabilité de l’INEE ou en en
partenariat avec d’autres instituts à l’instar de
ce que propose EMBRC-France. Ainsi, les laboratoires marins d’écologie doivent maintenir des
passerelles ouvertes vers les thématiques INSB,
tant pour travailler sur des espèces (modèles)
marines vivantes, à des fins de physiologie, de
biologie cellulaire ou de biologie du développement que pour sensibiliser d’autres partenaires
à des problématiques écologiques. Cette ouverture, les rendraient encore plus attractifs en les
positionnant comme « centres de ressources ».
Les moyens à la mer
Au même titre que pour les communautés scientifiques des autres organismes, les équipes marines de l’INEE ont besoin de pouvoir disposer
de moyens (personnels et équipements) d’accès aux écosystèmes marins (plongée scientifique, navires côtiers et hauturiers) et aux déve-
loppements technologiques associés (e.g. ROV,
capteurs, enregistreurs…). Les flottes océanographiques françaises hauturières et côtières
sont d’ores et déjà largement sollicitées pour
des campagnes impliquant des unités INEE.
Cette pression devrait encore s’accroître no181
prospective de l’institut ecologie et environnement du cnrs
prospectives d’avignon
tamment pour des approches pluridisciplinaires
permettant d’apporter simultanément des données sur les différentes composantes des systèmes marins et sur leur fonctionnement, mais
aussi favorisant le développement de thématiques d’interface entre disciplines.
Compte tenu des pressions croissantes sur les
systèmes littoraux et côtiers, il est essentiel
que la recherche en écologie bénéficie d’un
accès élargi à ces moyens, indépendamment
des missions purement océanographiques de
la flotte côtière. La création de l’UMS Flotte
Océanographique Française à laquelle l’INEE
participe (comité de direction) aux cotés de
l’Ifremer, de l’INSU, de l’IPEV et de l’IRD devrait
favoriser cette évolution.
Moyens expérimentaux
La question du développement des moyens
expérimentaux est récurrente. Les stations
marines doivent être équipées de salles d’aquariums alimentées en eau de mer naturelle courante pour l’acclimatation comme pour l’expérimentation dans des conditions strictement
contrôlées. Les besoins existent à différentes
échelles, du micro au mésocosme, jusqu’aux
sites d’expérimentation en écologie qui permettent de centraliser sur un ensemble d’écosystèmes interconnectés des approches expérimentales. Une seule des Stations d’Ecologie
Expérimentale de l’institut est exclusivement
dédiée à des écosystèmes marins. Elle intègre
essentiellement des équipements permettant
de traiter de questions relatives aux écosystèmes pélagiques côtiers. La plupart des infrastructures expérimentales en écologie benthique
restent à développer, de même que les dispositifs entièrement régulés de type ECOTRON. Des
équipements lourds permettant d’instrumenter
des sites naturels, en zone littorale à l’interface terre-mer autant qu’en milieu profond sont
plus que jamais indispensables pour étudier la
réponse d’écosystèmes modèles aux perturbations. Les moyens les plus coûteux devront être
partagés et être attractifs pour la communauté
nationale et internationale.
A côté de l’avantage de développer des liens interdisciplinaires (INEE, INSU, INSB), de faire croître
la notoriété de ces laboratoires marins grâce à
leur positionnement dans d’autres domaines que
l’écologie et l’environnement, une telle situation
de collaboration permet d’obtenir des matériels,
au moins mi-lourds, que des activités exclusivement « écologiques » ne permettraient pas
d’avoir. Ce serait aussi le moyen le plus sûr pour
ces laboratoires de rejoindre des réseaux internationaux de type « centre de ressources » (Marine
Biological Resource Centre), qui seront sollicités
pour répondre à des requêtes comme celles qui
émaneront de l’IPBES.
Personnels
Des personnels dédiés (observation, suivi et inventaires) sont indispensables. Ces tâches impliquent
le maintien de professionnels détenant des capacités d’études sur le terrain ainsi que dans le domaine de l’expertise taxonomique. Elles impliquent
aussi le soutien actif du CNRS à de grandes infrastructures comme les collections d’histoire naturelle
et les stations marines, dont plusieurs demeurent
182
ou sont en passe de devenir orphelines d’experts
en dépit de leur qualité internationale. Une solution
ambitieuse serait de mettre en place, à l’instar de
ce qui existe dans le domaine des sciences de l’univers avec le corps des astronomes et physiciens,
un corps spécialement affecté aux questions de
suivi de la biodiversité et des écosystèmes tant terrestres que marins.
éCOLOGIE TROPICALE
avignon
Prospective
Coordinateurs : Pierre-Michel Forget & Doyle McKey
Contributeurs : Swanni Alvarado, Serge Bahuchet, Christopher Baraloto, Patricia Bentoza, Laurent
Brémond, Thomas Changeux, Jérôme Chave, Anne Corval, Pierre Couteron, Charly Favier, Gaëlle
Fornet, Olivier Hardy, Pierre-Yves Henry, Marta Irving, Didier Jouffre, Finn Kjellberg, Florent Maraux,
Eric Marcon, Serge Planes, Nick Rowe, Thierry Tatoni
Qu’est-ce que l’écologie tropicale au 21ème siècle ? Quels sont les défis pour le futur, compte tenu
des pressions de plus en plus fortes de l’homme sur la nature et du changement climatique ?
Pourquoi un atelier spécifique à l’écologie tropicale?
Depuis Darwin, les organismes et écosystèmes
de la région intertropicale ont servi de modèles
idéaux pour l’étude des processus évolutifs et
de la biodiversité qui en est le résultat. Les
interactions biotiques sont particulièrement importantes comme sources de pressions de sélection sous les tropiques, donnant naissance
à une coévolution plus intense entre espèces
(Dobzhansky 1950 ; Schemske et al. 2009).
Les tropiques fournissent aussi des exemples
de choix pour l’étude de la diversification, à des
échelles de temps allant de la microévolution
suivie « en temps réel » à l’histoire des grandes
innovations et radiations évolutives (Flenley
2011). Les grandes lignées d’organismes ont
leur origine dans des milieux tropicaux, marins (Jablonski et al. 2006) comme terrestres
(par exemple, mammifères et oiseaux : Weir
& Schluter 2007 ; angiospermes : Donoghue
2008). Par leur grande biodiversité, les écosystèmes tropicaux offrent beaucoup plus d’envergure que les écosystèmes extratropicaux pour
les tests d’hypothèses nécessitant la comparaison d’un grand échantillonnage de lignées. Les
socio-écosystèmes des régions intertropicales
renferment aussi une grande diversité humaine
d’ordre culturelle et biologique, leur faisant des
lieux privilégiés pour l’étude des interactions
entre hommes et milieux. D’une façon différente de l’écologie de n’importe quelle autre
région de la planète, « l’écologie tropicale » a
des choses à nous apprendre sur l’évolution
en général (Kricher 2011), et sur la place de
l’Homme dans la biosphère.
Cependant, les tropiques ne sont pas seulement
un terrain de jeu idéal pour les naturalistes et
pour la recherche fondamentale. Les spécificités des régions intertropicales quant à l’évolution et l’écologie leur donnent aussi une place
particulière dans nos efforts pour résoudre l’un
des défis fondamentaux auxquels les sociétés
du 21ème siècle doivent faire face : la conciliation du bien-être humain et l’utilisation durable
des ressources naturelles. Les écosystèmes
tropicaux fournissent des services indispensables à la vie des hommes (climat, carbone,
eau, diversité, ressources minières, bois, etc..)
qu’il ne faut pas gaspiller, mais enfin partager.
Les écosystèmes tropicaux comptent pour plus
que la moitié des stocks de carbone dans les
écosystèmes terrestres et jouent un rôle vital
dans le fonctionnement de la planète toute
entière ; ils constituent le plus gros réservoir
d’eaux non salées sur la planète ; ils sont aussi
183
prospective de l’institut ecologie et environnement du cnrs
prospectives d’avignon
une zone critique pour l’émergence de nouvelles
maladies infectieuses (Guernier et al. 2004).
Pour toutes ces raisons, et d’autres encore, les
écosystèmes tropicaux représentent de grands
enjeux pour la conservation de la biodiversité,
pour l’utilisation durable de la biosphère, et pour
la réconciliation de la biodiversité et du développement durable (Palmer et al. 2005 ; Neff
2011). Pourtant, si l’essentiel de la diversité
est localisée dans les régions tropicales, les
moyens mis en œuvre pour l’écologie tropicale
restent très déficitaires et en défaveur des régions DTOM et des pays en développement.
Les activités humaines ont déjà provoqué d’importants changements environnementaux. Plus
de 40% de la surface terrestre a déjà été transformé en paysages urbains et terrains agricoles,
et les paysages « naturels » restants sont fortement fragmentés par des routes (Barnosky et al.
2012). A ces impacts directs s’ajoute l’impact
des humains sur la composition de l’atmosphère et sur le changement climatique, changements planétaires affectant même les régions
« naturelles » les plus reculées (Holtgrieve et
al. 2011). Ces impacts directs et indirects de
l’Homme conduisent à la perte de la biodiversité. Parce que la biodiversité contribue au fonctionnement des écosystèmes, la perte de la
biodiversité fonctionnelle conduit à son tour à la
diminution des services fournis par les écosystèmes aux humains.
Tous ces problèmes sont exacerbés dans la
région intertropicale, pour des raisons à la fois
d’ordre biologique et social. Premièrement, les
écosystèmes tropicaux sont plus complexes
que ceux des régions extratropicales, notamment à cause de leur plus grande biodiversité
à différentes échelles (par exemple, dans la
diversité génétique inter-populationnelle [Eo
et al. 2008], ainsi que dans la richesse spécifique) et à cause des liens d’interdépendance entre espèces plus forts et plus complexes que dans les régions extratropicales
(Schemske et al. 2009). Pour cette raison et
d’autres (voir ci-dessous), les écosystèmes
tropicaux, et la biodiversité qui les compose
et dont ils dépendent, sont plus vulnérables
aux changements globaux que sont la plupart
des écosystèmes et organismes des régions
extratropicales. Par exemple, alors que les
écosystèmes tropicaux furent longtemps considérés comme peu vulnérables aux effets des
changements climatiques, on se rend compte
aujourd’hui qu’ils sont peut-être même plus
vulnérables que les écosystèmes des régions
184
extratropicales (Corlett 2012). Deuxièmement,
les contextes économico-sociaux-culturels sont
globalement très différents dans les pays de
la ceinture intertropicale (pour la majorité, des
pays du « Sud » en voie de développement) et
les pays industrialisés (le « Nord ») des régions
extratropicales. Le niveau de développement
économique et social plus faible des pays
tropicaux, ainsi que la forte croissance démographique attendue dans ces régions pour les
prochaines décennies, auront comme résultat
une forte augmentation des besoins humains,
mettant en péril la capacité des écosystèmes
tropicaux à fournir les services dont leurs populations humaines dépendent directement
pour leur survie. De plus, les régions intertropicales ont gardé, plus que les pays industrialisés du Nord, une grande diversité culturelle. La diversité des contextes sociaux et
culturels dans la ceinture intertropicale donne
naissance à une diversité correspondante de
socio-écosystèmes. Etudier le fonctionnement
de ces systèmes demande la prise en compte
de la diversité culturelle.
Les écosystèmes tropicaux jouent aussi des
rôles cruciaux et spécifiques dans la dynamique
des changements climatiques et autres changements globaux. Les changements environnementaux dans les régions tropicales ont donc
un fort impact sur la planète toute entière. Les
écosystèmes tropicaux comptent pour plus que
50% des stocks de carbone dans la biosphère
terrestre. Quel est l’avenir de ces stocks ? Pour
une grande portion de la ceinture intertropicale, le climat permet le développement d’une
végétation forestière ou de la savane, comme
deux états stables alternatifs (Hirota et al.
2011 ; Staver et al. 2011). Le destin de ces
régions—le stockage de grandes quantités de
carbone dans la végétation et le sol des forêts,
ou l’émission de grandes quantités de carbone
par les incendies fréquents dans les savanes—
a une énorme influence sur le cycle de carbone,
et donc sur le climat, à l’échelle planétaire.
Comprendre les écosystèmes tropicaux complexes, leurs interfaces avec la diversité humaine culturelle et biologique, et la dynamique
des socio-écosystèmes face aux changements
globaux, demande donc des compétences particulières. Dans la région intertropicale, les
enjeux pour la conservation de la biodiversité,
pour l’utilisation durable de la biosphère et pour
la réconciliation de la biodiversité et du développement durable (Palmer et al. 2005 ; Neff 2011)
nécessitent des axes de recherche spécifiques.
Hiérarchiser les priorités
Face aux enjeux, des urgences immédiates se dessinent en termes de recherche et en termes de
politique scientifique. Les priorités peuvent être organisées en fonction de leur degré d’urgence.
Les différents degrés d’urgence correspondent aussi plus ou moins aux différentes échelles de
temps des processus considérés :
Les actions les plus urgentes
Evaluation rapide de la biodiversité et évaluation rapide des effets immédiats des impacts
anthropiques actuels. Il s’agit de faire le bilan
de l’impact de l’homme sur les écosystèmes
tropicaux, après 50 ans d’usages intensifs des
tropiques, usages qui ont profité aux uns, au
détriment des autres ; et se munir des outils
pour anticiper les conséquences, si possible en
temps utile pour agir. Des méthodes existent
pour l’évaluation rapide de la biodiversité, de
nouvelles méthodes apparaissent. Les relevés
acoustiques permettent l’évaluation rapide de
certains groupes d’animaux à l’aide d’un microphone et un magnétoscope (Sueur et al. 2008).
Ferrer-Paris et al. (2013) proposent le système
NeoMaps comme modèle pour recenser la biodiversité au niveau d’un pays de façon plus rapide,
plus fiable et plus efficace que par des méthodes
existantes. A un autre niveau, le barcoding intègre l’ADN environnemental et évolue vers le
« méta-barcoding » (Taberlet et al. 2012). La télédétection développe de nouvelles perspectives
pour l’évaluation rapide de la biodiversité à des
échelles spatiales très grandes (Asner et Martin
2009). Des méthodes pour l’évaluation rapide
des impacts anthropiques sur les services écosystémiques restent largement à développer. La
disponibilité croissante d’imagerie satellitaire de
haute résolution par Google Earth permettra l’application de plus en plus large de la télédétection
pour évaluer et suivre les impacts anthropiques
(Dorais et Cardille 2011). A une échelle plus locale, des méthodes sont en cours de développement pour suivre l’impact de la fragmentation et
la chasse sur des services écosystémiques tels
que la dissémination des graines (Lermyte et
Forget 2010). Des recherches doivent être financées pour favoriser la mise au point et l’usage
plus large de méthodes innovantes d’inventaire
et suivi de la biodiversité tropicale.
Les actions à moyen terme
En même temps que l’évaluation, il faut mettre en
place des dispositifs pour le suivi de la biodiversité et des effets des impacts anthropiques sur la
biodiversité et sur les services écosystémiques,
dans le passé (avec l’étude d’archives paléoécologiques, bibliographiques, cartographiques, photographiques, herbiers et collections) ainsi que
dans le présent et l’avenir. La première étape
serait d’acquérir une profondeur historique dans
notre compréhension de l’évolution des flores
et des faunes des régions tropicales, en accélérant les recherches sur la phylogéographie des
groupes d’organismes jouant des rôles clés (ou
fournissant des modèles d’étude instructifs) et
sur la paléoécologie des écosystèmes tropicaux.
Comprendre la mise en place de la biodiversité
tropicale et son histoire, notamment au cours du
Quaternaire, nous donnera une « ligne de base ».
Il faudra en même temps mettre en place des
suivis pour comprendre les réponses des communautés et des écosystèmes aux changements
actuels. En milieu marin, et dans les écosystèmes
continentaux des régions tempérées, de tels suivis existent depuis 20-30 ans et leurs résultats
démontrent aujourd’hui l’importance de suivis à
long terme en relation avec le changement climatique (cf. atelier Pour une écologie globale p.
219). Il est crucial que le réseau de sites d’étude
à long terme dans la ceinture intertropicale se
densifie. Nos actions dans ce domaine doivent
être en adéquation avec la réalisation croissante
que nous approchons peut-être une phase où les
forcings globaux peuvent conduire à une transition critique qui bouleversera l’état et le fonctionnement de la biosphère toute entière (Barnosky
et al. 2012), affectant des aires beaucoup plus
grandes que celles directement influencées par
les impacts anthropiques. Comme des métapopulations qui s’effondrent brutalement suite à la
« dette d’extinction » accumulée sur un temps
long, les écosystèmes peuvent être conduits par
des forçages à l’échelle globale à une transition
185
prospectives d’avignon
critique après une période de relative stabilité.
Il est donc urgent de renforcer les liens entre
études à l’échelle locale et à l’échelle globale.
D’un part, il faudrait renforcer l’échantillonnage
à l’échelle locale de paramètres soumis à ces
forcings globaux. Ceci est un défi particulièrement formidable dans les pays tropicaux avec un
manque cruel d’infrastructures. D’autre part, il
faudrait créer des réseaux, pour élargir l’échelle
spatiale à laquelle nous sommes capables
d’analyser nos données. Ceci implique plus
d’entraide, de partage, et de mise en commun
des moyens et des forces. Il faut s’investir dans
le networking afin de synchroniser et de partager
des données entre sites de recherche. Un effort
devrait être fait pour saisir et publier les données
non publiées (données brutes, données des
collections non mises en ligne,…), ou publiées
dans la littérature grise, et les intégrer dans de
nouvelles analyses. La mise en commun de ces
données et la construction de bases de données
partagées nécessiteront la contribution de notre
communauté à la mise en place de protocoles
communs et standardisés, pour faciliter les comparaisons interrégionales et intercontinentales.
Il faudrait chercher les moyens pour favoriser
l’implication des réseaux participatifs (« citizen
science ») pour multiplier notre impact.
De nouveaux outils pour le suivi
Les capteurs de nouvelle génération (« embedded
sensors ») sont capables de fournir une quantité
de données sur les habitats, ce qui était impensable il y a juste quelques années (Porter et al.
2009). L’utilisation de capteurs est particulièrement importante pour les régions tropicales, caractérisées par un réseau peu dense de stations
météorologiques — et par une forte probabilité
d’apparition de climats sans analogues contemporains (voir ci-dessous).
Une piste susceptible de contribuer à combler
le gros manque de données de monitoring environnemental en zone tropicale est de développer des partenariats avec les sociétés de téléphonie mobile, voire d’obtenir leur sponsoring,
pour utiliser leurs réseaux d’antennes afin d’y
installer des stations météorologiques automatiques (éventuellement d’autres capteurs environnementaux). Lorsque la densité du réseau
dans des régions bien isolées le permet, ces antennes sont un des rares équipements presque
toujours bien entretenus et protégés dans les
pays les plus pauvres et il y aurait sans doute
des solutions techniques simples pour transmettre les mesures en continu par téléphonie.
De tels réseaux serviraient beaucoup les études
écologiques et environnementales, tant pour le
suivi des changements climatiques que pour
établir une cartographie à bonne résolution des
gradients climatiques.
Il faut aussi modéliser les cycles de rétroactions,
et les synergies entre processus auparavant
considérés comme indépendants, pour comprendre comment ils peuvent interagir pour amplifier les conséquences des activités humaines sur
la biodiversité et le fonctionnement des écosystèmes. Les modèles doivent prendre en compte
186
le fait que la dynamique temporelle des processus écologiques est souvent non-linéaire, et qu’il
existe de multiples équilibres.
Les recherches en écologie tropicale doivent
concerner non seulement les écosystèmes
forestiers mais aussi d’autres écosystèmes terrestres, notamment les savanes ; et non seulement les écosystèmes continentaux, mais aussi
les écosystèmes tropicaux marins. Les gradients
latitudinaux de richesse spécifique caractérisent
les écosystèmes marins aussi bien que les écosystèmes terrestres (Roy et al. 1998), suggérant
des causes évolutives communes aux deux domaines. L’écologie tropicale doit donc englober
les deux domaines. Cependant, certaines hypothèses actuelles pour expliquer les gradients latitudinaux dans les deux domaines sont basées
sur des raisonnements divergents, voire contradictoires (Huston et Wolverton 2009). Le rôle
des interactions entre écosystèmes terrestres
et marins est bien connu (par exemple, dans la
dynamique de forêts des mangroves [Adame et
al. 2010], les conséquences de la déforestation pour l’écologie des récifs coralliens au large
[Lapointe et al. 2010]), mais de nouvelles hypothèses suggèrent que ces interactions ont une
portée beaucoup plus importante que nous le
pensions (Huston et Wolverton 2009).
Comment favoriser l’intégration de deux communautés ayant des traditions de recherche très
différentes, pour mieux étudier le rôle des interactions entre continents et océans dans l’écologie tropicale, et dans la macroécologie plus généralement ? La communauté INEE peut faire des
contributions uniques à l’étude des liens marinsterrestres, liens jouant des rôles très importants
dans le fonctionnement du système Terre.
Les impacts du changement climatique des problématiques spécifiques aux écosystèmes tropicaux
Les conséquences des changements climatiques sont beaucoup moins étudiées dans la
région intertropicale qu’ailleurs, en partie parce
que nous avons longtemps considéré — à
tort — que les écosystèmes tropicaux seront
peu affectés par le réchauffement. La réalisation que les effets du changement climatique
peuvent agir aussi rapidement que ceux occasionnés par d’autres pressions telles que la
déforestation est relativement récente (Corlett
2012). Les conséquences du changement climatique risquent d’être même plus dramatiques
sous les tropiques car 1) la biodiversité y est
fortement concentrée ; 2) les gammes de tolérance des organismes tropicaux par rapport à
la température (et pour d’autres facteurs abiotiques comme la sécheresse) sont plus étroites
que chez les organismes des régions tempérées ; 3) les populations humaines des pays tropicaux en voie de développement sont plus vulnérables aux conséquences des changements
climatiques sur les services écosystémiques.
Ils risquent de mettre plus de pression sur les
écosystèmes déjà fragilisés par les changements climatiques.
La problématique (globale) de l’impact du changement climatique sur la biodiversité a quelques
autres spécificités tropicales. Premièrement,
pour la grande majorité d’espèces, nous manquons les données de base pour suivre les impacts sur des populations. Les changements climatiques induisent des changements dans l’aire
de répartition des espèces, mais peu d’études
documentent de tels changements dans les
régions intertropicales (Morley 2011 ; Mayle et
al. 2004 ; Bush 2002 ; Feeley 2012 ; Feeley et
al. 2011). Pour prévoir et gérer ces « shifts »
dans l’aire de répartition, une approche est de
modéliser la répartition actuelle de l’espèce, à
partir d’observations sur sa distribution et de
données sur les conditions environnementales
dans cette zone, et sa répartition future, en fonction des changements climatiques. Cependant,
à l’opposé des espèces des régions tempérées,
pour la plupart des espèces tropicales nous ne
disposons pas de suffisamment de données
pour appliquer cette approche. Il y a peu de collectes (et de forts biais dans l’échantillonnage),
et le peu de matériel qui est présent dans des
collections est souvent invisible car pas informatisé (Hopkins 2007 ; Feeley & Silman 2011).
De nouvelles collections, et la numérisation et
mise en ligne des collections déjà existantes,
sont requises.
Deuxièmement, dans les prochaines décennies le réchauffement planétaire va résulter
dans l’apparition de nouveaux climats, sans
analogues actuels. Selon les prédictions,
ces nouveaux climats sont surtout attendus
dans les régions tropicales et subtropicales
(Williams & Jackson 2007). Les conséquences
écologiques de ces changements peuvent être
profondes. Souvent les organismes des habitats insulaires de haute altitude sont considérés les plus vulnérables au réchauffement
global. Cependant, si les habitats à basse altitude atteignent des températures hors l’expérience évolutive des espèces qui les habitent,
ils peuvent perdre des espèces qui ne seront
pas remplacées, des habitats sources plus
chauds n’existant pas. Y aura-t-il une « biotic
attrition » dans les écosystèmes de basse altitude (Colwell et al. 2008 ; Svenning & Condit
2008) ? En vue de l’apparition de ces nouveaux climats, il y a besoin urgent de tester
la robustesse de modèles écologiques à des
conditions climatiques hors notre expérience
moderne (Diamond et al. 2012). Ceci nécessitera entre autres un gros effort dans l’écophysiologie des organismes tropicaux pour examiner leurs tolérances aux nouvelles conditions
climatiques attendues.
Troisièmement, à cause des réponses individuelles des différentes espèces, ces nouveaux
climats vont donner naissance à de nouvelles
communautés écologiques. Les associations
entre espèces risquent d’être perturbées, voire
rompues. Comme les interactions biotiques sont
plus intenses, souvent plus spécifiques, et jouent
des rôles plus importants sous les tropiques, les
conséquences de ces recompositions de communautés peuvent être particulièrement profondes
dans les écosystèmes tropicaux (Schweiger et al.
2008 ; Dunn et al. 2009 ; Lavergne et al. 2010 ;
van der Putten et al. 2010 ; Traill et al. 2010 ;
Sheldon et al. 2011). Va-t-on assister à des changements dans le fonctionnement des processus
écosystémiques ?
Quatrièmement, à cause d’une différence fondamentale dans la variation du régime thermique
187
prospective de l’institut ecologie et environnement du cnrs
prospectives d’avignon
dans l’espace, et pour chaque point de l’espace
dans le temps (Janzen 1967), la dynamique
de la biodiversité le long des gradients altitudinaux dans la région intertropicale est différente
de celle dans les régions extratropicales. Par
conséquent, l’impact des changements climatiques sur les organismes, les communautés
et les écosystèmes distribués sur un gradient
d’élévation sera différent que sur un gradient
comparable en zone tempérée (Janzen 1967 ;
Ghalambor et al. 2006 ; Colwell et al. 2008 ;
Malhi et al. 2010 ; Sheldon et al. 2011).
Ces considérations suggèrent qu’une grande
priorité de recherche doit être la poursuite accélérée de l’intégration actuellement en cours
entre l’écologie fonctionnelle et l’écologie évolutive. Il devient crucial de mieux comprendre l’écophysiologie de diverses lignées d’animaux et de
végétaux tropicaux. Il faut mieux comprendre les
liens entre les adaptations des organismes aux
facteurs abiotiques et leurs adaptations au milieu biotique ; et de comprendre comment les organismes, les communautés et les écosystèmes
répondent aux changements globaux.
Dans les écosystèmes tropicaux hyperdivers, il
est impossible d’étudier toutes les espèces, et
l’utilité de quelques espèces comme modèles
est bien restreinte. Une solution est d’essayer
d’extrapoler des généralisations concernant les
stratégies écologiques par rapport aux traits
fonctionnels. Pour les nouveaux DGVM (Dynamic Global Vegetation Models) par exemple, on
aimerait pouvoir traiter les espèces pas forcément en groupes fonctionnels mais en continu,
avec la possibilité de les réduire en groupes
s’ils se dessinent (par rapport à certains traits,
ou pour certaines questions). L’approche de
Fyllas et al. (2012) est intéressante dans cette
perspective.
Au lieu d’aller « à la pèche » en décrivant les
stratégies fonctionnelles en mesurant une batterie de traits « mous » (soft traits), il faut commencer à construire des modèles mécanistes
intégrant l’organisme dans son ensemble
(whole plant/animal) et mesurer les traits qui
pourrait y être inclus tant que paramètres.
Sterck et al. (2011) offrent un exemple concret
de cette approche.
Questions autour des interactions
Hommes/Environnements dans la région intertropicale
Dans ce domaine aussi, une problématique
globale a des déclinaisons spécifiquement tropicales.
Tandis que de plus en plus d’attention est dévouée aux conséquences des changements climatiques pour les écosystèmes tropicaux (bien
que des données solides soient encore rares),
peu d’attention est consacrée aux synergies
entre le changement climatique et l’utilisation
des terres par les humains. Cependant, ces
synergies sont responsables de la plupart des
effets détrimentaux sur la biodiversité (Brodie
et al. 2012). Comme indiqué ci-dessus, les populations humaines des pays tropicaux du Sud
dépendent souvent directement des produits
et services fournis par les écosystèmes. Leur
utilisation des terres et les pressions exercées
sur les ressources peuvent changer en réponse au changement climatique. Une priorité
de recherche semble se dessiner : Comment
les divers socio-écosystèmes qui caractérisent
188
la ceinture intertropicale vont-ils s’adapter au
changement climatique, et quelles seront les
conséquences pour la biodiversité et les services écosystèmiques ? Nous devons utiliser
la diversité culturelle humaine de la ceinture intertropicale — qui, comme pour la biodiversité,
donne aux études comparées une envergure
inégalée ailleurs — pour construire un cadre
conceptuel solide et synthétique intégrant la
diversité humaine comme facteur explicatif
dans l’analyse des systèmes socio-écologiques
(Chapin et al. 2011 ; Collins et al. 2011). Comment le faire reste un grand défi.
L’avenir de la biodiversité tropicale dépend en
grande partie de l’avenir de l’agriculture tropicale. Un débat actuel concerne les mérites du
« land-sharing » (ou « wildlife-friendly farming »),
d’une côté, et du « land-sparing » (intensification
de l’agriculture pour épargner la nature) comme
stratégies pour la conservation de la biodiversité (Balmford et al. 2012 ; Edwards et Laurance
2012 ; Tscharntke et al. 2012). Les enjeux du
débat entre « land-sharing » et « land-sparing »
sont les plus importants dans les régions intertropicales. Une fois de plus, la grande diversité
bioculturelle des socio-écosystèmes tropicaux
peut être mise à service pour la définition de
stratégies d’agriculture socialement et écologiquement durables. Les régions intertropicales
hébergent la plus grande diversité encore existante de systèmes d’agriculture. Cette diversité peut fournir des pistes pour l’intensification écologique de l’agriculture, utilisant des
pratiques, et du matériel végétal (variétés paysannes), uniques. Les agroécosystèmes, tout
comme les écosystèmes « naturels », peuvent
fournir des services écosystémiques. Le rôle
de la « matrice agricole » (Perfecto et Vandermeer 2009) et de l’agroforestérie (Bhagwat et
al. 2008) dans la conservation de la biodiversité est un sujet actuel de recherche.
La faillite fréquente de la gestion centralisée
des forêts tropicales (par exemple, par l’établissement d’aires protégées par le gouvernement national), ainsi que la réalisation que les
terres utilisées par les populations locales à
des fins agricoles et pour l’extraction de produits forestiers peuvent héberger une biodiversité considérable, a conduit les écologues tropicaux à former de nouvelles alliances avec les
populations locales (Sheil et Lawrence 2004).
La gestion communautaire de ressources a
émergé comme une stratégie alternative à l’exclusion (Lele et al. 2010 ; Bawa et al. 2011 ;
Porter-Bolland et al. 2012).
Les chercheurs et les conservationnistes ont
tout intérêt à former des alliances avec les
populations locales, parce que ces dernières,
s’ils ont gain de cause dans la lutte pour la
justice sociale et pour leurs droits, peuvent
être les meilleurs garants de la protection des
forêts tropicales contre des agents destructeurs externes (Campos et Nepstad 2006).
Ces agents destructeurs sont nombreux et ils
sont puissants. Plus que par l’agriculture paysanne, les écosystèmes tropicaux sont menacés par l’agriculture industrielle et la mondialisation économique (Butler et Laurance 2008).
De vastes étendues de forêts sont converties
en plantations de palmier à huile pour la bioénergie (Fitzherbert et al. 2008 ; Koh et al.
2011), détruites et dégradées par l’extraction
du bois et des minéraux et par l’industrie pétrolière (Butler et Laurance 2008). Les routes,
les oléoducs et les corridors des lignes électriques fragmentent les morceaux qui restent
(Laurance et al. 2009).
Ces considérations posent la question plus
générale, quelles stratégies faut-il adopter
pour la conservation ? Bien que les inconvénients de l’approche des « aires protégées »
classiques soient reconnus, dans certaines situations cette approche est efficace et semble
incontournable (Bruner et al. 2001 ; Laurance
et al. 2012) et a besoin d’être étendue dans
sa couverture géographique (Rodrigues et al.
2004 ; Laurance et al. 2012). Cependant,
les stratégies pour conserver la biodiversité
ne peuvent pas reposer sur les seules aires
protégées. Comme les agroforêts (Bhagwat
et al. 2008), les grands étendus de forêts qui
ont été perturbées par l’exploitation sélective
peuvent servir à d’usages multiples, y compris
la provision de services écosystémiques et le
maintien d’une certaine biodiversité (Putz et
al. 2012).
Des sites observatoires en région tropicale ?
Nos discussions sur les différents thèmes exposés ci-dessus convergent sur une constatation
centrale : une condition indispensable à la poursuite d’études en écologie tropicale à long terme
est de renforcer les plateformes de recherche sur
des sites permanents, dans des régions politiquement stables. Nous manquons, dans les régions
tropicales, de sites Observatoires, à l’instar des
sites observatoires (SOERE) présents dans les
régions tempérées. Les sites permanents doivent
représenter non seulement les écosystèmes
forestiers tropicaux, mais aussi les savanes, qui
occupent une grande aire dans la ceinture intertropicale, hébergent une biodiversité particulière
et contrastent fortement avec les écosystèmes
forestiers dans leur fonctionnement. Les milieux
tropicaux marins doivent aussi être représentés.
Ces sites doivent constituer des nœuds dans
le réseau international de chercheurs et autres
acteurs qui tentent de faire face au défi énorme
confrontant la biodiversité tropicale et son utilisation durable par les sociétés humaines.
189
prospectives d’avignon
Départements et collectivités français d’outre-mer
tropicaux et le reste du monde tropical
Comment notre investissement doit-il être partagé entre les départements et collectivités
français d’outre-mer tropicaux et les autres
pays tropicaux ? Quelles synergies pouvonsnous exploiter, ou créer, entre la recherche française et la recherche internationale ?
La France comporte plusieurs départements
et collectivités d’outre-mer. La plupart de ces
régions ultrapériphériques de l’Europe se
trouvent sous les tropiques. La biodiversité
de ces bastions tropicaux de l’Europe est un
patrimoine biologique exceptionnel et mondialement reconnu. La protection de ce patrimoine
est inscrite comme l’un des objectifs du Grenelle de l’Environnement. Ces régions sont autant de laboratoires vivants où l’état français,
s’il en a la volonté, peut aussi jouer un rôle
pionnier dans la recherche sur la biodiversité
et le fonctionnement des écosystèmes tropicaux, et dans l’application de cette recherche
au développement durable dans toute la ceinture intertropicale. Il faut constater qu’il existe
un déficit de connaissances inquiétant qui
concerne même les données les plus fondamentales sur les écosystèmes de nos départements et collectivités d’outre-mer : description de la biodiversité, de la phénologie et de
la dynamique forestière ; inventaire des stocks
de carbone. L’étude des écosystèmes de nos
départements et collectivités d’outre-mer tropicaux est une responsabilité que nous sommes
les seuls à pouvoir endosser; c’est clairement
une priorité politique et scientifique. La création du Labex CEBA en Guyane est un premier
pas vers cette démarche.
En même temps, les chercheurs français ont
aussi des relations privilégiées avec des partenaires dans de nombreux pays tropicaux, rela-
tions qui se trouvent renforcées par plusieurs
initiatives du gouvernement français. La gamme
de dispositifs mis en place par le gouvernement français pour contribuer à la sauvegarde
de la biodiversité des pays du Sud est impressionnante. Ces initiatives incluent le FFEM,
des accords entre le Ministère de l’Ecologie et
des organismes internationaux tels l’UICN et
l’UNESCO, et des actions comme le FSP Sud
Expert Plantes. Ces initiatives incluent aussi le
Centre d’Echange Français (http://biodiv.mnhn.
fr/information/outre_mer), géré par le Muséum
national d’Histoire naturelle, qui centralise les
informations sur la biodiversité en France métropolitaine et dans les collectivités d’outre-mer. La
France contribue activement aussi aux activités
de la GBIF (Global Biodiversity Information Facility) dans le monde tropical.
Dans un contexte de crise économique et
face au risque de saupoudrage de ressources
limitées, comment peut-on concilier ces différentes responsabilités ? Comment peut-on
favoriser l’intégration de chercheurs internationaux dans des partenariats de recherche
dans les départements et collectivités d’outremer? Comment peut-on favoriser davantage
l’intégration des projets de recherche français
conduits dans les départements et collectivités d’outre-mer, dans des réseaux régionaux,
continentaux et globaux ? Comment peut-on
favoriser l’entraide, le partage, et la mise en
commun des moyens et des forces ?
La stratégie nationale pour la biodiversité existe
(http://www.developpement-durable.gouv.fr/
IMG/pdf/SNB20112020engagement_etat.pdf).
Une stratégie française pour la biodiversité tropicale reste à créer.
Liens avec les autres ateliers
L’écologie tropicale est aussi transversale, interdisciplinaire. Cet atelier doit donc nécessairement
s’inspirer des réflexions et discussions des autres ateliers, en particulier les ateliers « Ecologie prédictive et changement planétaire », « Pour une écologie globale » et « Changement global - Organisme Ecosystème - Humain ». Qu’elle soit prédictive ou globale, l’écologie tropicale vise avant tout à décrire,
donc à observer la diversité, et à comprendre, notamment en expérimentant, les processus écologiques permettant à cette extraordinaire diversité tropicale d’exister et de se maintenir à long terme.
Enfin, l’écologie tropicale a aussi pour finalité de prédire et prévoir les réponses des écosystèmes aux
changements globaux (cf. Atelier « Changement global - Organisme - Ecosystème - Humain »), et cela
190
implique de la modélisation. L’écologie tropicale doit ainsi être aujourd’hui au cœur de la réflexion sur
l’impact des changements globaux, car la disparition ou la forte dégradation des écosystèmes tropicaux, aussi bien terrestres que marins (cf. Atelier « La mer »), affectera in fine l’ensemble des écosystèmes (cf. Atelier « Changement global - Organisme - Ecosystème - Humain ») et des services écosystémiques (cf. Atelier « Services écosystémiques, représentation de la nature et de l’environnement »)
qu’ils offrent sur une large échelle, comme par exemple l’atténuation du réchauffement planétaire à
travers les nombreuses interactions et rétroactions (cf. Atelier « Interactions et rétroactions, rôle de
leur écologie et évolution dans le fonctionnement des écosystèmes ») existant au sein des réseaux
trophiques complexes et diversifiés des écosystèmes tropicaux, dont on ignore encore trop souvent
l’étendue et le niveau de diversité (cf. Atelier « Systématique, phylogénie »). Les écosystèmes tropicaux sont aussi des zones de vie pour des millions d’êtres humains qui en dépendent étroitement au
quotidien pour s’alimenter, se soigner (cf. Atelier « Santé & Société ») et s’y abriter, et participent à la
diversité des systèmes culturels de l’espèce humaine (cf. Atelier « Systèmes culturels »). La destruction des écosystèmes tropicaux est aussi synonyme d’appauvrissement culturel de l’humanité qu’il
convient de freiner, voire de stopper sous peine de voir le monde et les habitats « naturels » s’uniformiser, les rendant encore plus vulnérables aux espèces invasives, animales, végétales ou microbiennes.
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SOCIO-éCOSYSTèMES URBAINS
avignon
Prospective
Magali Deschamps-Cottin & Jean-Yves Toussaint
Mots clés : Urbanisation, Rurbanisation, Anthropisation, Anthropoconstruction, Evolution, Gouvernement, Politique, Démocratie, Economie, Public, Demande sociale, Action, Technique, Ingénierie,
Agriculture, Biodiversité, Mobilités, Nature, Environnement urbain, Archéologie des villes, Histoire
des villes, Modes de vie, Usages
Présentation et état des lieux
L’urbanisation comme forme dominante et
contemporaine d’organisation sociale, politique
et économique apparaît toujours très problématique en sciences de l’environnement et tout
particulièrement en écologie. L’urbanisation
est plus souvent posée comme un problème
environnemental et écologique que comme ensemble de solutions produites par les humains
pour demeurer dans le monde. L’urbanisation
apparaît plus facilement en négatif. Elle est souvent ce contre quoi il faut faire face et agir. L’urbanisation est souvent opposée à la « nature »
et constitue dans cette opposition un problème
pour les sciences de l’environnement, pour
l’écologie et souvent même pour les sciences
de l’homme et de la société. Ce tropisme de
la recherche constitue sans doute l’une des
difficultés à penser l’urbanisation et les villes,
les métropoles autrement que négativement
comme ce qui attente à la nature, aux processus naturels. Ce tropisme est sans doute aussi
l’une des difficultés à proposer des solutions urbaines à la hauteur des défis environnementaux
et écologiques que les sociétés contemporaines
se posent à travers de nombreuses institutions
tant locales que nationales et internationales.
Ces deux difficultés dans la production de
connaissance et dans l’action peuvent à elles
seules constituer un vaste programme de recherche et de prospective en environnement et
en écologie centré sur la ville et l’urbain, sur
l’urbanisation comme forme caractéristique de
l’anthropisation contemporaine. En quelque
sorte l’urbanisation globale qui guette l’avenir
des sociétés humaines devrait être la préoccupation centrale des travaux conduits en environnement et en écologie : pourquoi donc l’urbanisation généralisée plutôt qu’un autre type de
société ? Pourquoi une évolution urbaine et non
pas une autre évolution ? Pourtant l’urbanisation est un fait. Elle est le fait d’une activité
de transformation qui, productrice d’environnements, participe à rendre le monde habitable
pour les humains. Elle effectue une possibilité
d’aménagement ou de ménagement du monde,
parmi d’autres possibles et d’autres voies parfois déjà explorées dans le temps long de l’histoire de l’humanisation.
193
prospective de l’institut ecologie et environnement du cnrs
prospectives d’avignon
L’écologie et l’environnement contre la ville, tout contre
Entre 2005 et 20091, la majorité de la population mondiale est devenue urbaine. L’urbanisation constitue désormais une des principales formes d’anthropisation. Elle caractérise
l’ensemble des sociétés contemporaines au
point que nombreux sont les auteurs qui affirment que l’urbain est un mode de socialisation
généralisé2. Déjà des auteurs comme Henri
Lefebvre3 dans les années 1960 tenaient cette
position, affirmant que le mode de vie urbain
avait depuis longtemps passé les lignes des
remparts urbains pour atteindre l’ensemble
des sociétés4. Le mode de vie urbain affecte
d’une manière ou d’une autre l’ensemble des
sociétés. Cette généralisation à l’échelle mondiale semble consubstantielle à une autre, celle
du capitalisme et de l’industrialisation comme
forme économique de production et de consommation déterminant des formes particulières
et généralisées de rapport au monde. Bernard
Stiegler5, propose de parler de sociétés hyperindustrielles pour qualifier les sociétés contemporaines –en opposition avec l’idée de situation
post-industrielle. L’émergence de ce type de
société urbaine, sous l’effet de la dynamique
capitaliste et industrielle, est aussi l’émergence
de formes particulières d’environnements, de
formes singulières d’anthropoconstruction. Si
nous suivons la démonstration d’H. Lefebvre,
l’urbain ne serait pas la conséquence indirecte
de l’industrialisation et du capitalisme, ces mouvements sont nés de l’urbanisation. Ils l’ont
sans doute renforcée et ont eu des effets de
levier importants, mais ils en sont surtout totalement dépendants.
Cependant ces formes particulières d’environnements qui se généralisent ont longtemps
échappé aux recherches en écologie. L’étude
d’Ellis & Ramankutty (20086) démontre que
75 % des terres émergées et libres de glace seraient sous l’effet direct ou indirect des activités
humaines. Ce qui a conduit à proposer une nouvelle classification des biomes terrestres, en 18
194
« biomes anthropogéniques » ou « Anthromes »
pour caractériser les interactions Hommes-écosystèmes. Les écologues se sont longtemps
détournés de ces milieux. En effet, la grande
majorité des études en écologie se concentre
sur moins de 25 % de milieux « sauvages » restant (Seule 1 publication sur 6 traite des zones
habitées7). Cette sur-représentation des études
en milieux dits « naturels » ou « sauvages »,
outre qu’elle révèle de sévères jugements de
valeur à l’encontre de l’urbanisation, démontre
la difficulté à intégrer la composante humaine
dans l’analyse et la compréhension des processus écologiques.
Cette « indifférence » à la composante humaine
tend à sortir les « humains » de la nature et à
opposer les « humains » aux « non-humains »
(chose, objet8, faune, flore) c’est-à-dire aussi à
attribuer un statut « hors nature » aux humains.
Cette attribution est souvent implicite et participe des impensées des paradigmes de recherche et d’action. Cependant il conviendrait
de s’interroger sur la nature des humains opposables à la nature et tout particulièrement aussi, sur celle des observateurs de la nature. Bref,
cette indifférence conduit à appréhender la formation des environnements sous le seul biais
négatif de la contrainte, de la violence (faite à
la nature), du forçage, de la dénaturation, de la
pollution, de la dégradation, de l’épuisement,
etc. Ceci en contestant, pour ainsi dire, le fait
urbain, rattachant l’écologie à une longue tradition sociale et politique « anti-ville », renvoyant
la ville à l’anti-nature et les humains au statut
de fauteur de trouble dans l’ordonnancement
naturel. Cependant l’urbanisation est un fait et
un facteur décisif dans les conditions environnementales et écologiques ; tout le monde semble
s’accorder sur ce rôle.
Quand la question urbaine ne peut plus être
esquivée, elle est traitée par le biais des
« risques » (technologiques, pollutions massives,
gestion des ressources en eau et énergie, etc.)
1 - les chiffres varient selon les sources (Banque Mondiale, OCDE par exemple), mais toutes les sources s’accordent pour affirmer
qu’en 2009 la population mondiale est majoritairement urbanisée, l’année 2007 est le plus souvent retenue dans la littérature.
2 - sur cette question cf. les commentaires de Michel LUSSAULT ou Jacques LEVY : LUSSAULT M., 2009, « Urbain Mondialisé », in
Traité sur la ville, JM. Stébé et H. Marchal (éd.), PUF, Paris, pp. 723-771 ; LEVY J., 2009, « Mondialisation des Villes », in Traité sur
la ville, JM. Stébé et H. Marchal (éd.), PUF, Paris, pp. 667-721.
3 - LEFEBVRE Henri, e1972, Le droit à la ville, suivi de Espace et politique, Paris, Ed. Anthropos, 284 p.
4 - la discussion reprend ces dernières années, cf. Le traité sur la ville, sous la direction de Jean-Marc STEBE et Hervé MARCHAL
(2009) notamment les textes le Jacques LEVY, « Mondialisation des villes », de Michel LUSSAULT, « Urbain Mondialisé ».
5 - STIEGLER Bernard, 2001, La technique et le temps. 3. Le temps du cinéma et la question du mal-être, éd. Galilée, Paris, 336 p.
6 - ELLIS&RAMANKUTTY 2008, « Putting people in the map : anthropogenic biomes of the world. Frontiers » in Ecology and the
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7 - MARTIN L.J., ELLIS E. &BLOSSEY B., 2010, « Ecology: Not in our backyards », 95th ESA Annual Meeting(Ecological Society of
America), Pittsburgh - Pennsylvania.
8 - parmi les non-humains sont comptés les objets « fabriqués de la main de l’homme » et objets techniques en sens.
et par le biais des stratégies à mettre en œuvre
pour changer les comportements des humains :
réflexions sur les usages, les pratiques, sur la
communication et les informations à mettre en
œuvre pour produire des comportements vertueux pour « préserver », « sauver », « restaurer »
la nature.
Les perspectives plus positives et moins entachées de dualisme restent très marginales. Ces
perspectives ne mobilisent pas ou peu la communauté scientifique attachée aux questions
environnementales et écologiques. L’anthropisation, notamment par la systématisation de l’activité technique, peut aussi être pensée comme
une modalité de transformation du monde et
des hommes de manière à les approprier l’un
à l’autre pour reprendre la formule d’Antoine
Picon9. D’autres pistes encore marginales
ont déjà été tracées pour penser l’environnement comme processus, comme conséquence
de multiples processus de transformation,
dont l’activité humaine. Les anthropologues
montrent, semble-t-il assez facilement, que les
milieux généralement qualifiés comme les plus
« naturels » et les plus « primaires », c’est-àdire les plus proches d’un état de pré-anthropisation (avant l’ère des sociétés sédentaires et
urbaines) sont eux aussi anthropisés parce que
leurs évolutions comprennent, parmi d’autres
incidences, les effets des activités humaines
(Philippe Descola, 200510). Ainsi, en serait-il
de même, par exemple, de l’Amazonie comme
de beaucoup d’autres endroits réputés restés
sauvages ou naturels (William Balée, 199411).
De la même façon en écologie, il n’existe pratiquement plus d’écosystèmes « naturels » sans
influences indirectes (réchauffement climatique,
pollution atmosphérique…). De plus, penser en
termes d’« d’état naturel » limite considérablement la portée des perspectives évolutionnistes.
Les « états naturels » sont en transformations
permanentes et les origines des transformations ne sont pas exclusivement anthropiques
loin s’en faut –transformations permanentes qui
ont conduit aussi à l’existence des humains et
à leur évolution. De nombreuses nuances sont
nécessaires, il est vrai, devant le type de transformation en cours, notamment par rapport aux
pas de temps en lice avec les transformations
humaines notamment à partir de l’avènement
des sociétés industrielles et urbaines.
De son côté, la perspective simondonnienne
semble ouvrir des pistes de première utilité en
pensant l’environnement comme milieu associé au processus d’individuation des sociétés
et de leur économie (Gilbert Simondon12). Tout
processus d’individuation conduit à l’existence
d’un individu et de son milieu associé. Il ne peut
y avoir d’individus, humains ou non-humains,
sans milieu associé et que tout processus d’individuation est la double formation d’un individu
et de son milieu associé. Sans doute pourraiton pousser cette coexistence individu/milieu
associé à l’échelle des sociétés humaines pensée comme s’individuant en formant leur milieu
associé ; l’environnement pourrait constituer
ce milieu à la fois comme matériaux de l’individuation (pris comme processus) et comme ce
qui résulte de ce processus. La dynamique de
l’anthropisation ne serait plus perçue comme
s’opposant à une nature et à un environnement,
mais comme production d’environnement dans
des processus d’individuation ; ces processus
d’individuation interagissant les uns sur les
autres, contraignants les uns et les autres, produiraient la complication environnementale.
L’environnement comme ensemble d’humains
et de non-humains (choses, objets fabriqués,
faune et flore) formant des réseaux13 pourrait
constituer un autre point de vue déjà exploré
(Bruno Latour14 et le Centre de Sociologie de
l’Innovation). L’environnement relève ainsi des
modalités d’institution du monde : qu’est-ce qui
fait partie de l’environnement, qu’est-ce qui doit
en être rejeté ? Ce type de question taraude
les implicites des discours sur la biodiversité
et surtout de sa « restauration » : n’y a-t-il pas
des organismes tout à fait naturels et naturellement proches dont il convient non seulement
de préserver les humains mais également des
9 - PICON Antoine, 1994, « Le dynamisme des techniques », in ouvrage collectif, L’Empire des techniques, éd. Seuil, Paris,
pp. 25-37.
10 - DESCOLA Philippe, 2005, Par-delà nature et culture, Coll. nrf, Ed. Gallimard, Paris, 624 p.
11 - BALÉE William, 1994, Footprints of the Forest : Ka’apor Ethnobotany, éd. Columbia University Press, New York.
12 - SIMONDON Gilbert, e2007, L’individuation psychique et collective, 1ère éd. 1989, Coll. Res-L’Invention Philosophique,
Ed. Aubier, Paris, 298 p.
13 - dès lors que humains et non-humains ne sont pas opposés dans un paradigme dualiste, mais associés comme par
exemple dans la théorie de l’acteur réseau (Actor-network theory –ANT–, Sociologie de l’acteur réseau –SAR–, les réseaux
sociotechniques –cf. AKRICH Madeleine, CALLON Michel, LATOUR Bruno, 2006, Sociologie de la traduction. Textes fondateurs,
Coll. Sciences Sociales, Ed. Ecole des Mines de Paris, Paris, 304 p.).
14 - LATOUR Bruno, e2004, Politiques de la nature. Comment faire entrer les sciences en démocratie, 1ère éd. 1999, Ed. La
Découverte, Paris, 390 p.
195
prospectives d’avignon
non-humains ? Contre lesquels il faut agir et
dont la destruction voire la disparition peutêtre légitimement souhaitée ? Agir pour la biodiversité est souvent encouragé l’intervention
anthropique au profit de quelques non-humains
aux dépens d’autres jugés trop excessifs, trop
envahissants, trop colonisateurs, trop agressifs,
etc., Dans un tel cadre, qui est légitime à choisir,
à décider et selon quelles règles ?
L’environnement pourrait donc aussi être pensé
de manière politique, comme construction (anthropoconstruction –Robert Chenorkian, INEE),
c’est-à-dire comme projet, comme une volonté
de façonner le monde pour s’assurer des conditions de son habitabilité. Cette dernière posture
permettrait bien des espoirs si ce n’était le rejet
systématique ou presque à la fois dans le champ
scientifique et militant, de la maîtrise du monde
et de ses lois. Cette posture habituelle dans
le milieu de l’ingénierie, est contestée au nom
des incertitudes et de l’incapacité des humains
à s’assurer la maîtrise des conséquences de
leurs actes consubstantielle aux limites des savoirs disponibles rapportés aux capacités (techniques et politiques) d’action (Hannah Arendt15
et surtout Hans Jonas16). C’est oublier ce faisant
que dans la pratique, l’action et le projet sont
aussi des anticipations du risque, qu’ils sont
adossés à des calculs et des prévisions visant
à s’assurer la pérennité du monde, à s’assurer
aussi des conditions permettant d’assumer la
responsabilité (sociale, politique et économique)
des changements introduits par la praxis, bref, à
faire en sorte de réaliser des possibles contre
d’autres envisagés comme dangereux, terrifiants
ou tout simplement indésirables (Jean-Pierre
Dupuy 200217). Du reste, le développement des
sciences de l’environnement est en partie lié à
cette capacité de projection propre aux sociétés humaines, exacerbée dans les sociétés
contemporaines industrielles, dont les acteurs
économiques et politiques sont toujours à la recherche des meilleures assurances sur l’avenir.
Ces différentes possibilités de penser la question environnementale sont aujourd’hui presque
inaudibles, dans l’ombre des paradigmes de la
nature et de sa restauration, dans l’ombre de
196
paradigmes substituant la nature aux politiques,
la transcendance des forces cosmiques à l’institution des lois et règles humaines.
La dualité « ville vs nature », et plus généralement la dualité « culture/anthropisation vs nature/évolution », demeure enracinée dans l’approche scientifique et technique des questions
environnementales. Le rapport Brundtland18,
pour ne retenir que lui, met en évidence l’importance de la question urbaine dans sa manière
de poser le problème environnemental et dans
la possibilité d’envisager un « développement
soutenable ». Toutefois, l’urbanisation est posée
dans le prolongement des paradigmes dualistes.
L’urbanisation est un problème, au sens négatif
du terme, à savoir un problème, une crise, une
forme paroxysmique de la crise environnementale contemporaine. La ville peut alors prendre
la forme d’une menace multiforme qui prend l’allure de prophéties eschatologiques (pollutions,
épidémies, violences urbaines, hyperconcentration, etc.). Le diagnostic de crise en appelle à
un renouvellement des formes de l’urbanisation,
à une reconstruction urbaine, à la conception
de nouvelles morphologies urbaines, de nouvelles architectures et plus généralement à une
refonte des modes de gouvernance et de gestion
de tous les flux (énergies, transports des gens
et des marchandises, eau et assainissement,
information, biologiques, etc.). Autrement dit,
le règlement de la question environnementale
nécessite de repenser la ville en reprenant au
passage une vielle antienne, à savoir, « changer
la ville pour changer la vie », à laquelle s’opposaient déjà, à l’aube du XXe siècle dans la Russie
Révolutionnaire, les architectes constructivistes
ou désurbanistes aux réformistes en posant la
nécessité de « changer la vie pour changer la
ville » (Anatole Kopp19). Autrement dit, dans les
solutions et initiatives qui dominent en matière
environnementale, c’est le cadre du développement qui est à transformer et non pas le développement lui-même –le passage de principes
d’écodéveloppement20 aux principes du développement soutenable à la fin des années soixantedix atteste sans doute de ce mouvement et de
son sens profond.
15 - ARENDT Hannah, 1963, Condition de l’homme moderne, éd. Calmann-Lévy, Paris, 406 p. ; 1972, La crise de la culture, huit
exercices de pensée politique, éd. Gallimard, Paris, 380 p.
16 - JONAS Hans, e1990, Le principe responsabilité. Une éthique pour la civilisation technologique, 1ère éd. 1979, trad. de l’allemand par J. Greisch, Das Prinzip Verantwortung, Ed. Champs Flammarion, Paris, 480 p.
17 - DUPUY Jean-Pierre, 2002, Pour un catastrophisme éclairé. Quand l’impossible est certain, Coll. Points, Ed. du Seuil, Paris, 224 p.
18 - BRUNDTLAND Gro Harlem & alii, e1989, Notre avenir à tous. Rapport de la commission mondiale sur l’environnement et le
développement, 1ère éd. 1988, trad. de l’anglais, Our commun future, Ed. Les Publications du Québec - ministère des Communication du Québec, Montréal, 438 p.
19 - KOPP Anatole, 1975, Changer la vie changer la ville, de la vie nouvelle aux problèmes urbains, URSS 1917-1932, éd. Union
Générale d’Editions, Paris, 506 p.
20 - 1972, la Conférence des Nations Unies sur l’Environnement Humain à Stockholm (dite conférence de Stockholm), l’écodeveloppement est encore défendu en 1974 au symposium PNUE/CNUCED consacré aux modes de développement à Coyococ au Mexique.
Changer la ville ou changer la vie pour de meilleurs
environnements urbains ?
Dans ce cadre, nombreux sont les textes qui
suivent le rapport Brundtland et soutiennent une
évolution de la fabrication urbaine et surtout des
formes urbaines (y compris en architecture). Ces
textes peuvent être classés selon trois grandes
catégories : les accords internationaux, les textes
professionnels et les textes législatifs :
• Les accords internationaux lient des États
ou des collectivités territoriales : la déclaration de Rio (1992), la convention des Agendas 21 (1992), la Charte d’Aalborg (1994),
le protocole de Kyoto (1997), la déclaration
de Johannesburg (2002), etc.
• Les textes professionnels engagent des
professions (notamment les architectes,
les urbanistes et les ingénieurs du génie
urbain ou civil). Ils se décomposent en
chartes, normes et marques internationales
et nationales : la Nouvelles Charte d’Athènes
(200321), la Charte d’engagement des architectes en faveur du développement durable
(200522) ou encore les marques comme HQE
(Haute Qualité Environnementale® 1995),
HPE (Haute Performance énergétique), BBC
(Bâtiments basse consommation, inspiré du
Passivhaus allemand et du Minergie Suisse),
la norme ISO 14001 : 2004 (Environmental
management systems) etc.
• Les textes législatifs relèvent de la compétence des parlements et établissent généralement le cadre légal (le plus souvent
national) de l’évolution des conditions de
l’urbanisation : par exemple, en France, la
loi Voynet (1999), la Charte de l’environnement (2005), les lois Grenelle 1 (2009) et
Grenelle 2 (2012), ainsi qu’une multitude de
règlements autour de l’eau, de l’assainissement des émissions diverses qui encadrent
l’ensemble de la gestion urbaine.
L’exemple français avec les Grenelle 1 et 2,
montre les grandes difficultés à mettre en œuvre
des solutions visant à transformer la ville pour y
transformer la vie et l’organiser à la hauteur des
défis identifiés et scientifiquement argumentés.
Les lois Grenelles constituent un début de prise
en compte des problématiques écologiques et
de continuité. Mais un réel problème de mise
en œuvre demeure. Les connaissances disponibles et opérationnalisables manquent cruellement. Les difficultés en cours avec la mise en
œuvre des trames vertes et bleues en France
attestent de ce manque. En effet, approcher la
nature en ville n’a rien d’une évidence pour un
écologue. Si en écologie la connaissance de la
« nature », du fonctionnement des écosystèmes
« naturels » est à peu près acquise, les humains
sont bien souvent associés aux impacts négatifs et constituent un élément majeur de perturbations dont justement les écologues cherchent
à s’affranchir.
Toutefois, travailler sur la nature urbaine et
tout particulièrement sur la biodiversité en
ville constitue une approche nouvelle. Ces recherches ont nécessité du « courage » de la part
de certains écologues pour appréhender la ville.
En effet, les écologues, en général, se tournent
vers les collines, la mer, les forêts ou l’homme
est potentiellement exclu ; ils tendent à tourner
le dos à la ville qui justement perturbe ce qu’ils
considèrent comme nécessaire d’investiguer et
de connaître. Il a donc fallu détourner le regard
pour affronter les interactions Homme-Nature et
observer les interrelations.
Il a fallu également se tourner vers des pratiques
pluridisciplinaires pour commencer à appréhender le fonctionnement de cet « écosystème ».
Le premier mouvement a été de recenser ce
qui existait en ville en dehors des activités humaines et des humains. Il a fallu se tourner vers
des objets non identifiés par les écologues et
les nommer. C’est ainsi que sont apparus les
Espaces à Caractère Naturel23 (ECN). Ensuite
il a fallu transposer certains concepts de l’écologie et de l’écologie du paysage à l’« écosystème urbain ». En France, les premiers travaux
ont été initiés dans les années 1994-1995. Ils
se sont concrétisés avec le programme européen ECORURB en 2001. Ce programme à long
terme, très pluridisciplinaire a été administré
par l’INRA, Ecobio et l’Université de Rennes 1,
l’Institut d’horticulture d’Agrocampus Angers,
par le laboratoire de recherches en sociologie
de Rennes 2 et par le laboratoire du COSTEL.
Ces recherches se sont poursuivies par des pro-
21 - European Council of Town Planners, Conseil Européen des Urbanistes, 2003, La Nouvelle Charte d’Athènes 2003. La
Vision du Conseil Européen des Urbanistes sur Les Villes du 21ième siècle, Nouvelle Charte d’Athènes, version finale, juin
2003, disponible sur http://www.urbanistes.com/page-16.html (consulté le 29 août 2012).
22 - Disponible sur http://www.architectes.org/developpement-durable/publications/charte-d-engagement-des-architectes/
copy_of_charte-d-engagement-des-architectes-en-faveur-du-developpement-durable (consulté le 29 août 2012).
23 - Clergeau P, 2007, Une écologie du paysage urbain, Ed. Apogée, Rennes.
prospective de l’institut ecologie et environnement du cnrs
197
prospectives d’avignon
grammes comme l’ANR Trame Verte Urbaine24
qui regroupe 11 laboratoires de recherche avec
comme villes pilotes Paris, Marseille et Angers
ou encore le programme PIRVE25 qui a financé
par exemple l’« Atlas analytique de la trame
verte de Marseille26 ».
Pourtant malgré ces avancées, la recherche
apparaît souvent en décalage avec les injonctions de Grenelle tout comme leurs traductions
concrètes et opérationnelles. Les collectivités
territoriales et l’ensemble des acteurs mis en
demeure de mettre en place des solutions environnementales, des politiques de développement durable se trouvent très démunis. Faute
de scientifiques en mesure d’accéder à leur
requête d’informations et de stratégies d’action, elles se sont tournées vers les bureaux
d’études. Ceux-ci ont permis aux collectivités
territoriales souvent désemparées devant la
transcription locale des injonctions nationales27
de mettre en place des solutions dans l’urgence. Les mêmes situations s’observent dans
le domaine de l’assainissement des systèmes
intégrés impliquant des mesures en continu28
pour contribuer à l’amélioration et au maintien
du bon état écologique des milieux récepteurs,
et qui font l’objet aujourd’hui de recherches
pour trouver des solutions pérennes.
Les textes de lois, les opérations engagées et
les initiatives relatives à la résolution des problèmes environnementaux apparaissent pour
de nombreux observateurs politiques, militants,
chercheurs, praticiens et publics, bien en deçà
des solutions qu’il serait nécessaire de mettre
en œuvre sur le court terme pour relever les
défis environnementaux. En revanche leur efficacité semble tenir au processus d’homogénéisation et de standardisation des formes de gouvernements nationaux, métropolitains ou urbains,
d’homogénéisation des productions et des
procédés techniques restructurant de manière
très dynamique les marchés des biens et des
services sur l’ensemble de la planète, de standardisation aussi des processus d’évaluation et
d’identification des problèmes environnemen-
198
taux. Typiquement l’émergence du concept de
« gouvernance » depuis une vingtaine d’années
en lieu et place des questions de gouvernement
relève de ce long processus d’homogénéisation
ou de standardisation des problèmes et des décisions, y compris en matière d’environnement
et d’écologie. Le traitement de l’urbanisation et
plus généralement le traitement de la problématique environnementale apparaissent toujours
plus adossés à la mondialisation économique.
D’une certaine manière les difficultés opérationnelles, la distance entre les discours et les
actions, les lois, les règlements et les mises en
œuvre concrètes accréditent toujours plus le
soupçon d’une subordination de la question environnementale au développement économique
et au défi de la croissance. Les nouvelles conditions de croissance en situation de contraintes
environnementales semblent devenir le problème auquel concourent toutes les forces politiques, économiques, scientifiques, techniques.
Les pratiques contemporaines d’aménagement
urbain pourraient renseigner sur cette orientation des modalités de résolution des problèmes
environnementaux : les changements sociaux
en cours engagés à travers l’homogénéisation
des standards de gouvernance, d’actions politique, sociale, économique, technique et scientifique concourent-ils à changer la vie et la ville en
participant à la résolution des problèmes environnementaux et écologiques de l’urbanisation
en cours ?
Sciences et actions semblent aujourd’hui faire
face à des verrous presque insurmontables
pour relever les défis environnementaux que
posent l’urbanisation et son développement sur
tous les continents et dans des conditions de
contrôle politique (notamment démocratique)
qui ne lasse pas d’interroger. La question de la
« gouvernance » atteste, s’il en était besoin, du
déficit de ce contrôle politique (démocratique)
dans la transformation du monde contemporain
et son urbanisation croissante. L’urbanisation
est sans doute l’expression critique de ces défis
et des difficultés à les relever.
24 - ANR TVU «Evaluation des trames vertes urbaines et élaboration de référentiels : une infrastructure entre esthétique et
écologie pour une nouvelle urbanité »codirigés par Nathalie BLANC et Philippe CLERGEAU (http://www.trameverteurbaine.com/).
25 - Le Programme Interdisciplinaire de Recherche Ville et Environnement (PIRVE) est un programme de recherche co-financé par
le CNRS et le Ministère de l’Ecologie. Il soutient des projets de recherche innovants s’intéressant au croisement des problématiques urbaines et environnementales.
26 - http://lped.org/Atlas-analytique-de-la-trame-verte.html
27 - CONSALES JN, GOIFFON M, BARTHELEMY C., 2012, « Entre aménagement du paysage et ménagement de la nature à Marseille : la trame verte à l’épreuve du local », Développement durable et territoires, Vol3(2).
28 - Par exemple, l’ANR MENTOR (Méthodologie et outils opérationnels de conception et de qualification de sites de mesures
en réseau d’assainissement) - Production durable et technologies de l’environnement– proposition lauréate du programme ECOTECH 2011. Projet coordonné par Frédérique LARRARTE (IFSTTAR).
L’urbain et l’urbanisation comme objectifs prioritaires,
pour une écologie urbaine
L’urbanisation se généralise, se mondialise. Pour
certains auteurs (J. Levy, 2009), l’urbanisation et
la mondialisation relèveraient de processus similaires, il y aurait une « profonde connivence entre
l’urbanité et la mondialité ». La ville se globalise.
Les enjeux qui sont résumés ou projetés sous
le terme « ville durable » impliquent de penser la
ville et plus encore la ville du futur ou les futurs
urbains, dans un environnement global. La ville
ou l’urbain ne peuvent être opposés aux milieux
« ruraux » ou aux milieux naturels (ou plutôt même
semi-naturels) environnants. Ces milieux euxmêmes sont urbanisés au moins dans les modes
de vie des habitants, mais aussi par les usages
que ces milieux appellent dans les pratiques urbaines (« touristiques », de « loisirs », de « sport »,
de « récréation », de « culture », voire de « ressourcement » et « régénération » par des séjours dans
« la nature ») participant à autant de processus de
valuation urbaine par lesquelles ces milieux sont
produits, « protégés » et qualifiés : d’une certaine
manière l’idée même d’un milieu naturel qui ne
serait pas spolié est une pensée profondément
urbaine et elle participe de la « consommation »
d’espaces de nature. Ils forment un tout urbanisé
dont les fonctionnements sont intimement liés.
La pluralité scientifique comme condition
d’une écologie urbaine
Depuis la montée en puissance de la « pensée
environnementale », on observe de nouveaux
modes d’aménagement du territoire au service
de la conservation et de la biodiversité. Ainsi en
est-il de l’institution par le Grenelle des Trames
Vertes et Bleues. Ces dernières sont devenues
des outils d’aménagement du territoire visant
à reconstituer un réseau écologique cohérent
pour enrayer la régression de la biodiversité.
Mais ces outils d’aménagement sont perçus
comme des contraintes supplémentaires par
les collectivités territoriales qui se trouvent
très démunies dans leurs mises en œuvre.
En effet ces réseaux écologiques cohérents
nécessitent des connaissances relativement
précises en écologie, sur la répartition des espèces, des cartographies utilisables et, surtout,
des connaissances sur les interactions entre
tous les non-humains occupants ces territoires
et les processus évolutifs à l’œuvre. Ces données n’existent pas toujours, elles sont souvent fragmentaires, voire manquantes et dans
tous les cas elles peinent à suivre les évolutions des territoires. Leur centralisation n’est
pas opérationnelle et les moyens requis pour
assurer le suivi et l’actualisation des données
ne sont pas toujours acquis. Ces données ne
sont pas accessibles aux différentes échelles
nécessaires. Le fonctionnement urbain n’est
pas en reste et l’information dont on dispose
sur les villes n’est pas toujours satisfaisante
pour la penser, la gérer et la fabriquer dans le
cadre des préceptes environnementaux et écologiques.
Il apparaît donc indispensable de concevoir de
nouveaux outils d’observation et de récolte de
données sur le long terme afin de mettre en
place les outils adaptés aux enjeux environnementaux que les sociétés urbaines se fixent
aujourd’hui. Un travail de traduction des résultats scientifiques est souvent requis pour pouvoir les rendre opérationnels. Il manque souvent
des modalités relais de « médiations et de diffusions » à l’interface entre production scientifique et opérationnalisation ; les structures de
valorisations scientifiques actuellement mises
en place et dont les priorités sont économiques
(développement économiques, soutiens aux
entreprises) n’assurent pas ou difficilement ce
type de missions. Il est difficile de conduire de
la recherche-action : entre le temps de la recherche, celui des attentes et des besoins des
politiques publiques, les contraintes sont nombreuses et les temporalités bien souvent inconciliables. Se pose aussi la question du rôle des
publics urbains, des praticiens (des entreprises
et des collectivités territoriales) et des partis politiques et de leurs personnels et militants dans
la production de connaissance et dans l’usage
des connaissances produites.
199
prospectives d’avignon
Les effets qui affectent les publics urbains tout
comme les enjeux auxquels doivent faire face
les praticiens et les politiques ont de multiples
faces : ils apparaissent à la fois sous la forme
d’effets et d’enjeux écologiques et environnementaux, sociologiques, politiques, techniques,
économiques. Il est difficile de purifier les situations d’observation pour les scientifiques, qui se
trouvent confrontés à des objets hybrides, compliqués, hétérogènes. La situation urbaine dans
ses dimensions pluriscalaires et multitemporelles oblige à un dialogue entre les disciplines
qui d’une manière ou d’une autre sont confrontées à l’objet urbain. L’un des objectifs primordiaux pour saisir la réalité urbaine et ses affects
écologiques et environnementaux, consiste à
produire de toute urgence les modalités d’une
pluralité scientifique attachée à la compréhension de l’urbanisation comme fait anthropique
caractéristique des sociétés contemporaines.
Cette pluralité devrait se radicaliser29 avec l’intégration des praticiens, des entreprises, des collectivités territoriales et des publics urbains dont
les actions ont, avec ou sans intentions particulières, de bien plus grandes répercussions sur
la situation environnementales que celles des
scientifiques avec toutes leurs connaissances
accumulées autour des processus environnementaux. L’idée d’une « science participative »
pourrait trouver là matière à s’élaborer.
L’écologie et l’environnement s’urbanisent :
l’urbain observé comme écosystème
La nature en ville commence à être connue, les
espaces à caractère naturel (ECN) font l’objet
de description, le fonctionnement de cette
nature fait l’objet d’investigations. Les travaux
concordent pour montrer que l’augmentation
de la densité de bâti sélectionne certaines espèces, végétale ou animale en fonction de leurs
traits biologiques en favorisant les espèces généralistes, ubiquistes. Ceci entraîne une homogénéisation taxonomique et fonctionnelle des
communautés présentes dans les écosystèmes
urbains. On connaît également le rôle des pratiques de gestion des espaces sur les espèces.
La mise en place de la gestion différenciée, des
normes zéro-phyto, va dans ce sens.
Des travaux sur les communautés de lépidoptères (Lizee et al, 201230) ont montré que si
l’on explique relativement bien la répartition des
espèces en fonction de la distance aux milieux
sources environnants, les métriques caractérisant la matrice bâtie (surfaces imperméables)
sont de meilleurs prédicteurs que les patchs
d’habitats (végétation). Ces observations sont
à mettre en relation avec les processus de colonisation et de dispersion des espèces qui nous
obligent à intégrer cette composante bâtie et à
200
approfondir l’étude de la matrice urbaine de la
morphologie urbaine et de sa relation avec la
biodiversité. On montre également que, sur des
villes comme Paris ou Marseille, l’espace privatif sur la surface de vert urbain est important et
qu’en matière de mise en place de Trame verte
les pouvoirs publics sont impuissants sur de
tels espaces. On commence également à comprendre comment les habitants appréhendent
ces espaces, à la fois paysage vert de la ville
et composante de milieux de vie. L’existence
de pratiques de cette nature urbaine que les
initiatives locales ne manquent pas de valoriser
apparaît à la claire conscience des acteurs. Ainsi, à Marseille, s’est mis en place le GR 2013
(dans le cadre de 2013 Marseille capitale de
la culture) ou encore les balades urbaines fondées sur la récolte de plantes pour la cuisine
initiées et organisées par le collectif SAFI31. On
peut encore noter la création du Parc Urbain des
Papillons (PUP32) espace à la fois de recherche
et de diffusion des connaissances sur la biodiversité urbaine ou encore les sciences participatives avec le programme « sauvage de ma
rue33 ». Ces actions pourraient être de bons
relais pour toucher un plus grand nombre de per-
29 - cette radicalisation dans l’exercice de la pluralité scientifique est aujourd’hui engagée dans le cadre du labex « Intelligences des Mondes Urbains » (http://imu.universite-lyon.fr/)
30 -Lizee M.H., Manel S., Mauffrey J.F, Tatoni T., Deschamps-Cottin M. (2012) Matrix configuration and patch isolation influences override the species–area relationship for urban butterfly communities. Landscape Ecology 27:159-169.
31 - Barthélémy C., Consales J.N., à paraître 2013. Ré-enchanter le territoire à partir de la biodiversité ordinaire : l’artiste, la
friche et le jardin à Marseille. Les jardins, espaces de vie, de connaissances et de biodiversité, XXIIème journée de la Société
d’Ecologie Humaine, 2-4 juin 2012, Brest, Presses Universitaires de Nantes.
32 - http://lped.org/Parc-Urbain-de-Papillons-PUP.html
33 - http://sauvagesdemarue.mnhn.fr/
sonnes sur ces problématiques et en particulier
dans les grandes agglomérations.
Autrement dit, la morphologie urbaine et la typologie urbaine ont des effets directs sur la nature
en ville, mais elles sont liées aux activités anthropiques qu’elles abritent. Autrement dit, c’est le
changement de ces activités qui en impliquant
des changements de la morphologie urbaine et
des typologies de construction oriente la nature
en ville. La connaissance de ces activités, leurs
mobiles comme leurs résiliences (pour ne pas
dire leurs résistances) sont de la plus haute
importance pour disposer des leviers capables
d’urbaniser en fonction des services attendus
de la diversité biologique et plus généralement
de la diversité des environnements.
Porter l’action sur la seule forme urbaine, c’est
prendre le risque d’opposer l’activité sociale
quotidienne et la fabrication urbaine. L’établissement de la forme urbaine impliquerait alors
un contrôle toujours plus grand des activités
individuelles et collectives. L’innovation pourrait être beaucoup plus hardie, notamment sur
les registres démocratiques en permettant aux
publics de s’émanciper et de constituer les cri-
tiques des conditions d’un monde non viable
ou dont la viabilité se paie d’une forte aliénation par le contrôle de plus en plus restrictif et
hétéronome des comportements individuels et
collectifs ; contrôle de plus en plus impératif
à mesure que se dégradant, l’environnement
devient de plus en plus hostile et inhabitable.
L’innovation politique, sociale, organisationnelle
pourrait s’ouvrir avec la perspective de pouvoir
discuter et raisonner publiquement (constitution
de nouvelles arènes politiques) sur les mondes
possibles en départageant ceux qui sont désirables de ceux qui ne le sont pas et notamment
de discerner les mondes terrifiants, monstrueux
et injustes de manière à opérer au présent pour
ne jamais les effectuer.
En fait, le véritable thème prospectif qui
s’impose est l’urbain lui-même. En effet les
connaissances sur ce champ sont peu et mal
intégrées aux sciences de l’environnement et
à l’écologie, elles sont partielles, parfois partiales et dans tous les cas très sectorisées.
Le déficit d’intégration apparaît très grand et il
conviendrait d’orienter le travail de recherche
en ce sens.
Enjeux et perspectives de recherche
L’expérience urbaine, son extension sous les
formes métropolitaines, l’avènement ces dernières années d’un urbain généralisé et, à
termes d’un urbain global appellent l’écologie et
les sciences de l’environnement à prendre en
charge de nouveaux problèmes, de nouvelles
questions scientifiques. Les défis écologiques et
environnementaux soulevés par l’urbain généralisé ne peuvent être relevés par une unique discipline et une unique méthode. L’urbain engage
à la pluralité scientifique bien plus encore qu’à
la pluridisciplinarité. Il s’agit non seulement de
produire des savoirs pour comprendre le monde,
mais plus encore de réinterroger les savoirs
existants et sonder les océans d’ignorance qui
nous interdisent d’agir précisément en connaissance de cause. Le savoir est aujourd’hui disséminé dans les archipels disciplinaires, les
mises en relations, les confrontations restent
malheureusement encore difficiles à produire
et ne permettent pas encore d’avancer sur le
renouvellement des connaissances sans quoi il
sera difficile d’imaginer les mondes possibles,
vivables, désirables qui fonderont les projets
politiques et économiques aptes à ménager
l’environnement en s’appuyant sur les substrats
écologiques de l’existence.
Autrement dit, sans doute le premier enjeu de
recherche est-il épistémologique : comment
changer les conditions de la connaissance pour
connaître mieux et plus justement en regard des
défis à relever et l’urgence devant laquelle nous
devons répondre. Les échelles d’approches
participent également des difficultés à cerner
des objets qui impliquent des approches holistes, tant les interactions sont multiscalaires
et multitemporelles. La prospective et son opérationnalisation apparaissent une orientation
urgente de l’activité de recherche sans quoi
l’exploration des mondes possibles échoue sur
les récifs idéologiques et les intérêts à court
terme. Enfin, l’urbain devrait être rapidement
transformé en laboratoire de recherche en
écologie et en environnement. L’urbain devrait
permettre d’ouvrir sur trois fronts de recherche
pour les années à venir.
201
prospective de l’institut ecologie et environnement du cnrs
prospectives d’avignon
Enjeux épistémologiques
La prise en compte de l’urbanisation et notamment de l’urbain généralisé devrait aider à
rompre avec le paradigme de la nature. Ce paradigme tend à situer les humains hors nature
dans le monde de l’artifice ce qui pose problème
quant au statut des humains (essence divine ?).
La praxis et toutes les transformations de l’existant propre aux nécessités humaines sont observées négativement comme facteur de désordre.
Ce paradigme conduit à penser en termes de
défense de la nature, de protection de la nature.
De ce paradigme naissent le principe de précaution (Hans Jonas34) et sans doute le paradigme
du risque (Ulrich Beck35). Dans ce cadre il est
plus difficile de prendre en compte les formes
de néguentropie liées à l’activité humaine. La
capacité d’invention et surtout de création (nouveaux éléments, manipulations et bricolages
génétiques, nouvelle capacité d’action, etc.) ne
peut être réellement prise en charge par ce type
de paradigme. Ces nouveautés y apparaissent
comme des atteintes à un ordre immuable qu’il
convient de ne pas provoquer. Il est impossible
ainsi de percevoir les environnements comme
des constructions, comme des productions,
comme des enchaînements et des configurations d’humains et de non-humains en perpétuelles transformations. Les environnements
ne peuvent pas être conçus comme relevant de
« projets » (social, politique, économique, technique), comme « qualité d’existence ou qualité
de vie » espérée, escomptée, attendue, projetée
et enjeux de luttes politiques pour leurs définitions.
Enfin le paradigme de la nature réintroduit clandestinement une transcendance par laquelle
une série de valeurs vient qualifier l’analyse des
faits et orienter les protocoles d’observation de
l’existant : typiquement la recherche de référentiels naturels hors de tout artifice pour qualifier
l’artifice, pour le naturel de l’artificiel, le sain du
malsain, le bon du mauvais, ce qu’il faut protéger de ce que l’on peut profaner.
L’introduction d’une épistémologie pragmatique
(Alfred Schultz36, John Dewey37) permettrait de
mieux maîtriser la circulation des faits et des
valeurs dans les questions environnementales
202
et écologiques en produisant les conditions
d’une valuation de la praxis organisée autour de
la mobilisation des connaissances techniques
et scientifiques dans l’action et l’activité anthropiques. Le processus de valuation38 se construit
à partir des effets de la praxis sur les publics, à
partir de la manière dont les publics sont affectés, la manière dont les humains et les non-humains sont affectés par les différentes activités
et actions. L’affectation des publics humains
et non-humains peut fonder les valeurs à partir
desquelles s’oriente l’action et se légitime l’activité quotidienne. La prise en compte des modalités d’affectation des publics humains et nonhumains permet aussi de prendre en compte
l’étendue de l’ignorance quant aux effets de
l’action, du « faire », de la praxis. L’épistémologie pragmatique réintroduit des dynamiques
démocratiques en associant les profanes aux
experts, les gouvernés aux gouvernants, les
savants et les ignorants dans un même destin,
tout en accommodant les relations entre faits et
valeurs sans sombrer dans le relativisme ou l’ultra monisme scientifique et technique. Le pragmatisme, en effet, limite la substantialisation
des valeurs au profit d’un processus d’affectation de valeurs : jugements construits à partir
des effets de l’action et non pas des jugements
construits a priori et substantiels sur l’action.
Il paraît nécessaire d’associer une épistémologie de la pluralité scientifique et technique au
pragmatisme. La question environnementale
et plus encore la question des environnements
urbains ne peuvent relever d’une seule discipline scientifique. La pluridisciplinarité, l’interdisciplinarité, la transdisciplinarité sont souvent
appelées au secours de la nature, mais généralement au prix d’un respect quasi religieux du
monisme disciplinaires –selon la formule consacrée que seul un bon ancrage disciplinaire permet l’exercice de l’interdisciplinarité. Pourtant,
il apparaît difficile de penser l’environnement
sans interrogation plurielle, c’est-à-dire sans
la capacité pour chaque discipline impliquée
dans le champ de l’environnement de pouvoir
interroger toutes les autres, de pouvoir critiquer
le point de vue de chacune : ses perspectives
34 - JONAS Hans, e1990, Le principe responsabilité. Une éthique pour la civilisation technologique, 1ère éd. 1979, trad. de
l’allemand par J. Greisch, Das Prinzip Verantwortung, Ed. Champs Flammarion, Paris, 480 p.
35 - Beck Ulrich, 2008, La société du risque : sur la voie d’une autre modernité, trad. de l’allemand par L. Bernardi, Risikogesellschaft : auf dem Weg in eine andere Moderne, Ed. Flammarion, Paris, 521 p
36 - SCHÜTZ Alfred, e2008, Le chercheur et le quotidien, 1ère éd. 1971, Ed. Klincksieck, Paris, 290 p.
37 - DEWEY John, 2011, La formation des valeurs, trad. de l’américain par Alexandra bidet, Louis Quéré et Gérôme Truc, Coll.
Empêcheurs de penser en rond, Ed. La Découverte, Paris, 238 p.
38 - processus que l’on peut entendre comme processus de construction et d’adoption d’un régime axiologique : processus
conduisant à la production d’un ensemble de valeurs constituant un système de valeur, à partir duquel peut être réalisé une
évaluation, c’est-à-dire, un jugement de valeur, une appréciation à partir d’un système de valeur.
épistémologiques, ses valeurs épistémiques,
ses procédures, ses impensées. La pluralité
scientifique et technique pourrait constituer
une manière de déplacement des modes de formuler les problèmes de chaque discipline par
toutes les autres et ainsi d’espérer renouveler
les stratégies de recherche et de recherche de
« solutions » (tant sur le registre des connaissances formelles, des solutions techniques
que sur celui de la mesure de l’ignorance).
Ces déplacements permettent d’ouvrir de nouvelles perspectives de recherche, de renouveler
les cadres d’analyse, d’enrichir les méthodes
d’enquête pour mieux appréhender les sujets
familiers ou de nouveaux objets de recherche
(Lerman, al., 200239, p. 72). La pluralité scientifique pourrait se radicaliser en associant à la
production de connaissances, les savoirs de
l’action et les savoirs profanes.
La pluralité scientifique et technique ainsi radicalisée semble plus à même de résoudre les
problèmes soulevés par l’urbanisation contemporaine dans ses dimensions métropolitaines
et mondialisée, environnementales et écologiques. Elle recèle des potentialités démocratiques importantes. Elle pourrait relever d’une
« science participative » réaliste et impliquant à
parité toutes les valeurs épistémiques, y compris les croyances, les routines, les habitudes
de penser et d’agir des uns et des autres, non
pour les « respecter » ou les « tolérer » mais pour
les discuter et les « raisonner ». En cela, la pluralité scientifique et technique renouerait avec
l’exercice du raisonnement comme fondement
d’un espace public politique pour définir raisonnablement les mondes désirables et attendus
en enracinant l’activité prospective dans les
faits plutôt que dans les idéologies.
L’expérience urbaine, échelle et temporalité multiples
La technique semble se situer au cœur de la
praxis et des transformations qui produisent les
environnements. Elle est sociale au sens où les
activités humaines requièrent des objets et des
dispositifs techniques qui constituent les ressources des organisations qui sont socialement
légitimes à les fabriquer. Les préoccupations environnementales ne vont pas dans le sens d’une
limitation de la technique bien au contraire. Les
nouveaux objets dont l’existence participerait
d’un environnement écologiquement viable
sont extrêmement compliqués en s’approchant
de fait des cycles « naturels » (des systèmes
écologiques et écosystémiques, de la chimie
« naturelle »). Ces approches introduisent la
complexité du monde et implique l’association
d’une multitude de registre de connaissances,
de techniques et une pluralité de techniciens.
Typiquement dans la gestion des eaux urbaines
les techniques dites alternatives ou douces, requièrent une ingénierie plurielle appelant aussi
bien la microbiologie, la génétique, la chimie, la
mécanique des fluides, la géotechnique… l’urbanisme, la sociologie, la géographie, etc.
La question technique devrait sans doute être
intégrée dans la recherche écologique –en
quelque sorte reprendre le fil d’une anthropologie développée par André LEROI-GOURHAN40
ou André Georges HAUDRICOURT41, repris aujourd’hui avec la mobilisation des objets fabriqués dans l’action (François Dagognet42, Bernard Conein, Laurent Thévenot, Nicolas Dodier43,
Bruno Latour44, etc.45). La technique apparaît
comme constitutive du vivant, systématisée par
les humains dans leurs activités, nécessaire à
leur existence. Sans doute faudrait-il aborder la
39 - LERMAN, N.E., MOHUN A.P., OLDENZIEL R. (2002). L’histoire des techniques et la question du genre : état des travaux et
perspectives pour l’avenir. In :L’engendrement des choses. Des hommes, des femmes et des techniques, D. Chabaud-Rychter, D.
Gardey (dir.), Ed. des archives contemporaines, coll. « Histoire des sciences, des techniques et de la médecine », Paris, 71-87.
40 - LEROI-GOURHAN André, e1995, Le geste et la parole. Technique et langage, tome 1, coll. Sciences d’aujourd’hui, éd. Albin
Michel, Paris, 324 p. ; e1998, Le geste et la parole. La mémoire et les rythmes, tome 2, coll. Sciences d’aujourd’hui, éd. Albin
Michel, Paris, 286 p.
41 - HAUDRICOURT André-Georges, e1987, La technologie science humaine. Recherches d’histoire et d’ethnologie des techniques, éd. Maison des Sciences de l’Homme, Paris, 344 p.
42 - DAGOGNET François, 1989, L’éloge de l’objet. Pour une philosophie de la marchandise, éd. Vrin, Paris, 232 p.
43 - CONEIN Bernard, DODIER Nicolas, THEVENOT Laurent, 1993, Les objets dans l’action. De la maison au laboratoire, éd.
EHESS, Paris, 292 p.
44 - LATOUR Bruno, 1994, « Une sociologie sans objet ? Remarques sur l’interobjectivité », in Sociologie du travail, XXXVI 4/94,
pp. 587-607.
45 - de manière plus modeste les travaux conduits à EVS-UMR 5600 par Sophie VAREILLES et Jean-Yves TOUSSAINT (« usage et
technique » in Le traité sur la ville, sous la direction de Jean-Marc STEBE et Hervé MARCHAL (2009) ainsi que les contributions aux
ANR MENTOR, CABRES, OMEGA et SEGTEUP autour des dispositifs techniques et spatiaux de la gestion des eaux pluviales urbaines.
203
prospectives d’avignon
question à travers le développement « d’écotechnologie », c’est-à-dire la production d’objets
différents, impliquant d’autres milieux associés (Gilbert Simondon, e200746), c’est-à-dire
d’autres rapports sociaux, une autre économie,
une autre politique (démocratie notamment) en
rapport avec les environnements réfléchis par
les connaissances et les pratiques écologiques.
Il s’agirait alors de penser la technique non plus
comme bras armé de l’économie et du développement, mais comme double appropriation qui
fonderait une éco-technologie (ou technologie
écologique et environnementale) à partir de la
définition de la technique proposée par Antoine
Picon : « La technique est ce qui transforme inlassablement le monde et l’homme afin de les
approprier l’un à l’autre » (1994, p. 25).
Ce qui implique de dépasser le cadre proposé
par le « développement soutenable, durable » et
ses avatars « agendas 21 », « Grenelle 1 » et
« Grenelle 2 » qui, mésestimant, cette double
appropriation (qui est une autre manière de poser le processus d’individuation comme double
constitution d’un individu et d’un milieu associé), pensent pouvoir changer l’environnement
sans changer le milieu social, politique, économique, technique, scientifique. Le dépassement
des politiques actuelles implique de travailler
sur ce double processus d’appropriation qui est
également une autre façon de penser et d’agir
dans le sens de « l’humanisation de la nature et
la naturalisation de l’homme » (Etienne Balibar
et al., p. 99547).
Cette perspective de recherche permettrait
aussi d’observer l’actualité de la convivialité
développée dans les années 1970 par par Ivan
Illich48 (1973). Cette perspective pourrait favoriser trois types d’approches :
• multiscalaire, c’est-à-dire toutes les
échelles d’action et de rétroaction (ou de
réaction sur le plan humain) impliquant, la
ville, l’urbain, les environnements locaux,
régionaux, nationaux, internationaux, planétaires, mais aussi les découpages économiques, institutionnels ;
• multitemporelle, les modalités par lesquelles les processus peuvent être simultanés et interagir dans le temps en impliquant
le passé, le présent et les projets (avenirs
désirés ou au contraires honnis) ;
• multidisciplinaire, impliquant les données
sociologiques, économiques, statistiques,
techniques, écologiques, environnementales, chimiques, etc.
Projections et prospective
À moins de penser un destin, une détermination
inexorable, l’avenir est hors de portée de toute
prédiction. L’avenir en ce sens n’est jamais
qu’une possibilité effectuée contre toutes les
autres possibilités. L’avenir pourrait toujours
être autre. Contingent, l’avenir relève de ce qui
pourrait ressembler à une intentionnalité, non
pas celle du destin qui s’impose aux humains et
aux non-humains, mais de ce rapport à ce qui
se réalise aujourd’hui en vue de tout à l’heure,
de demain, d’après demain ou de l’année prochaine. Le projet, comme d’ailleurs l’art d’investir, relève de cette stratégie qui consiste à agir
ici et maintenant pour effectuer un avenir contre
tous les autres possibles. Selon Gilbert Simondon (1989), le projet est une forme de transduc-
204
tion, une modalité qui permet de chercher dans
le virtuel, le moyen de contourner les difficultés,
les obstacles dressés dans le présent devant
l’action. La résolution des problèmes suppose la
récurrence de l’avenir sur le présent, du virtuel
sur l’actuel49, d’un état visé par rapport à un état
existant. De manière générale, le projet serait la
modalité d’expression de la faculté que possède
le vivant de se modifier en fonction du potentiel
que recèle le temps à venir (virtuel).
Le projet serait donc un mode réflexif et pratique
en rapport avec le temps et l’action. Il serait
l’expression du sens du temps et notamment
la seule rétroaction de l’avenir sur le présent
si l’on reprend la démonstration de Jean-Pierre
Dupuy (200250). L’avenir n’existe pas. Il est ce
46 - SIMONDON Gilbert, e2007, L’individuation psychique et collective, 1ère éd. 1989, Coll. Res-L’Invention Philosophique, Ed.
Aubier, Paris, 298 p.
47 - BALIBAR Etienne, CASSIN Barbara, LAUGIER Sandra, 2004, « Praxis », in Vocabulaire Européen des philosophies, B. Cassin
dir., éd. Seuil, Le Robert, Paris, pp. 990-1002.
48 - ILLICH Ivan, e1973, La convivialité, éd. du Seuil, Paris, 159 p.
49 - selon une interprétation du travail de G. Simondon (e1989, Du mode d’existence des objets techniques, 1ère éd. 1958, Coll.
Res-L’Invention Philosophique, Ed. Aubier, Paris, 338p) sur la transduction (notamment p.143-144), le projet étant ici observé
comme une modalité de la transduction, c’est-à-dire de la récurrence du virtuel sur l’actuel, de ce qui est à venir sur le présent
50 - Dupuy Jean-Pierre, 2002, Pour un catastrophisme éclairé. Quand l’impossible est certain, Coll. Points, Ed. du Seuil, Paris, 224 p.
qui n’est pas et ne peut donc participer à l’action sauf si l’avenir devient une intention, une
volonté, le vouloir un état d’un monde, une projection du monde. Le projet est alors l’ensemble
des moyens mis en œuvre ici et maintenant pour
atteindre cet état voulu du monde. C’est exactement l’expérience de l’architecte. Le projet en
ce sens s’oppose à l’avenir conçu comme une
tendance du passé, comme détermination ou
destin. Le projet comme mode d’agir est ce qui
rompt avec le destin en autorisant la reformulation des problèmes et donc des modalités de
vouloir en modifiant les conditions de penser les
solutions. Le projet est antinomique du destin.
Si le destin est ce qui oriente l’action présente
en fonction du passé, le projet est ce qui oriente
l’action présente en fonction d’un à venir, c’est-àdire du repérage d’un potentiel actualisable, d’un
état possible, virtuel, espéré, désiré d’un monde.
L’expérience du projet en architecture, en urbanisme et en ingénierie est une expérience de
cette actualisation d’un potentiel décelé et décelable. Les méthodes de prospectives devraient
sans doute se rapprocher du mode projet et
pourraient constituer une ouverture de recherche
de premier ordre. Elle permettrait de penser les
scénarios autrement que comme des fonctions
de variables passées au profit de mondes voulus,
désirés, réputés viables.
La projection implique sans doute la formation
d’arène où se discutent les mondes possibles,
désirés, voulus. Elle relève d’une politique écologique et environnementale. Elle devrait s’appuyer
sur la capacité d’exploration des mondes possibles que constitue aujourd’hui et plus encore
demain, la géomatique et plus généralement la
manipulation d’énormes masses de données
devenues possible avec les outils STIC (SIG, spatialisation des données, mondes virtuels actualisables dans des scénarios, etc.).
La prospective dans cette perspective et les modélisations qui la sous-tendent (projection notamment) apparaissent sur le plan méthodologique
comme des facteurs de premier ordre pour intégrer des connaissances plurielles. Enfin, la prospective peut s’appuyer sur la modélisation qui
constituerait autant d’objets intermédiaires (Dominique VINCK, 199951) manipulables par les publics, les chercheurs, les politiques et l’ensemble
des acteurs sociaux, formant autant d’arènes
possibles pour définir les mondes désirables et
les mondes honnis. La prospective formant alors
une modalité de sciences participatives et un
véritable programme de recherche.
51 - Vinck Dominique, 1999, «Les objets intermédiaires dans les réseaux de coopération scientifique. Contribution à la prise en
compte des objets dans les dynamiques sociales», revue française de sociologie, avril-juin —XL-2, éd. Ophrys, Paris, pp. 385-414.
prospective de l’institut ecologie et environnement du cnrs
205
prospectives d’avignon
206
PROSPECTIVE PRIORITéS EN
RECHERCHE EN éCOTOXICOLOGIE
avignon
Prospective
Coordinateurs : Pascale Bauda & Laure Giamberini, Cécile Bernard
Contributeurs : Sandrine Charles & Marie-Laure Dellignette-Muller, Arnaud Chaumot & Jeanne
Garric, Eric Vindimian, Alain Devaux & Yves Perrodin, Jérôme Cachot & Pierre Labadie & Hélène Budzinski & Magalie Baudrimont & Jean-Charles Massabuau, Mélanie Auffan & Jérôme
Rose & Armand Masion & Jérôme Labille & Jean-Yves Bottero, Jean Perrin, Catherine Mouneyrac, Michel Auffret & Fabrice Pernet & Philippe Soudant Hélène Hegaret, Claudia Wiegand
& Françoise Binet & Cécile Sulmon, Bruno Combourieu & Elise Billoir, Christophe Minier, Paco
Bustamante & Nicolas Bridiau, Elena Gomez, Clémentine Fritsch, Laffont-Schwob
L’atelier Ecotoxicologie de la prospective INEE a identifié un certain nombre d’actions
prioritaires dont les trois citées dans le tableau ci-après. Ces actions ont pour objectifs
de renforcer l’Ecotoxicologie au sein de l’INEE tout en faisant valoir son rôle d’interface
disciplinaire avec les autres instituts du CNRS. L’Ecotoxicologie au CNRS se doit d’avoir
un rôle clé sur une démarche cognitive dans les mécanismes fondamentaux mis en jeu
en Ecotoxicologie, en relation concertée et complémentaire avec les autres organismes
de recherche, d’enseignement ou d’évaluation et gestion des risques.
207
prospective de l’institut ecologie et environnement du cnrs
prospectives d’avignon
1 - Ecotoxicologie intégrative et réaliste :
spéciation, exposition, impacts à toutes les échelles du vivant
Prendre en compte les Interactions biotiques et abiotiques simultanément dans l’impact des
contaminants et les hiérarchiser aux différentes échelles d’espace et de temps.
1.1 - Comprendre les mécanismes et la dynamique de spéciation et de réactivité des contaminants
1.2 - Comprendre l’écophysiologie d’organismes clés des écosystèmes, les effets des
contaminants sur ces organismes et rétroactions des organismes sur les contaminants.
1.3 - Comprendre le rôle des contaminants dans le fonctionnement des écosystèmes et les
réseaux d’interactions.
Interfaces INSU, INC, INSB
2 - L’Ecotoxicologie et la modélisation
Développer des modèles mathématiques et statistiques à visée cognitive et prédictive
2.1 - Couplage des modèles des processus aux niveaux sub-individuel et individuel à des
modèles de dynamique de populations
2.2 - Interaction avec les modèles écologiques (fonctionnement & réseaux)
Interfaces INSMI
3 - Ecotoxicologie et perceptions humaine et sociale
Vision anthropocentrée de l’Ecotoxicologie. L’Homme acteur des causes, conséquences, cibles
et décisions.
3.1 - Perception sociétale des contaminations et des contaminants
3.2 - Perception économique : coût de l’adaptation
3.3 - Actions : restauration, ingénierie écologique, …
3.4 - Ecotechnologie & Ecodesign & Chimie verte
Interfaces SHS, INSU, INC, INSB
4 - Les outils
- les grands instruments (p. ex. Equipex, plateformes expérimentales et techniques, Synchrotron, Rovaltain, …)
- les programmes : définir des appels d’offres spécifiques et Interdisciplinaires (p. ex.
EC2CO, ANR)
- des chantiers inter- ou pluridisciplinaires ciblant des milieux (p. ex. Arctique, Ville, …), des
activités (p. ex. activités minières) ou des contaminants (p. ex. le mercure, les toxines, les
polluants « émergents », les nanoparticules)
- les Zones ateliers, les OHM
Nécessité d’un portail de communication sur leurs fonctions et leur fonctionnement
5 – Structuration de la communauté
- la SEFA (Société d’Ecotoxicologie Fondamentale et Appliquée) et / ou une branche Française de la SETAC
- une revue « Ecotoxicology Letters » ?
- projet Ecotoxicologie pour la mission interdisciplinaire (p. ex. MISTRAL)
- lieux d’échanges et de discussion : GDR, Atelier thématique, GIS, …
6 – Formation
Masters avec enseignements en Ecotoxicologie (Univ. de Bordeaux, Grenoble, Caen, d’Angers, de Lorraine, du Mans, d’Orléans, Lyon, Bretagne, du Havre, de Franche-Comté & MNHN)
208
Texte de prospective
Le texte de prospective a été construit à partir des documents suivants produits dans l’ordre
chronologique :
• L’atelier de prospective conjointe INSU-EDD (2006-2011) Ecodynamique des contaminants,
écotoxicologie
• Le compte-rendu du séminaire d’écotoxicologie INEE-INRA La Londe les Maures (septembre
2009)
• Le rapport de conjoncture de la section 20 du CoNRS chapitre Ecotoxicologie, dynamique
des éléments et des contaminants, physicochimie des interfaces, biogéochimie (2010)
• Le rapport de la direction générale de la recherche et de l’innovation sur la stratégie nationale de recherche en toxicologie et écotoxicologie (mars 2010)
• La prospective du groupe thématique 9 de l’alliance AllEnvi : Risques environnementaux,
naturels et écotoxiques (2011)
• La prospective écologie fonctionnelle réalisée par l’INEE, section écotoxicologie (2012)
• L’article : Towards a renewed research agenda in ecotoxicology issu des travaux du workshop
du réseau européen PEER64 en 2010 paru en 2012 dans le journal Environmental pollution.
160, 201-206.
Signalons qu’un groupe de travail entre les alliances AllEnvi65 et Aviesan66 a permis une réflexion
conjointe de la toxicologie et l’écotoxicologie.
L’INEE est impliqué dans l’ensemble de ces textes, ainsi que l’INSU, l’INSB, l’INC, l’INSHS, ce qui a
permis de positionner et défendre l’action du CNRS en écotoxicologie et ses actions interdisciplinaires.
Définition et contours
L’écotoxicologie est la science qui étudie la
dynamique et les effets toxiques d’agents d’origine anthropique ou naturelle, sur les écosystèmes. Ce champ disciplinaire repose sur le fait
que l’Homme modifie l’abondance et la répartition de ces agents dans les différents compartiments de la biosphère. Ainsi l’écotoxicologie
s’intéresse aux effets de ces agents, en fonction de leur nature, de leur concentration dans
les milieux et, de leur rémanence.
L’écotoxicologie s’appuie sur des connaissances fondamentales issues de la toxicologie
(impact des substances toxiques sur l’homme)
et de l’écologie ; elle étudie les modifications et
impacts d’agents toxiques aux différents niveaux
d’organisation des systèmes vivants et à différentes échelles spatio-temporelles. Un tel objectif implique l’intégration de plusieurs disciplines,
d’où l’émergence de la notion d’écotoxicologie
intégrative (La Londe des Maures, 2009). Cette
intégration des disciplines reste un objectif stratégique de la discipline, crucial pour satisfaire
les enjeux sociétaux sous-jacents et renforcer la
lisibilité française.
La toxicologie et l’écotoxicologie partagent
plusieurs éléments en commun dont celui des
mécanismes : comprendre comment les substances chimiques présentes dans l’environnement interagissent avec le monde vivant.
L’écotoxicologie est au cœur d’enjeux sociétaux importants en regard de l’impact croissant
des activités humaines sur l’environnement et
des conséquences directes ou indirectes sur
la santé des écosystèmes et des populations
humaines. Les règlementations nationales,
européennes ou mondiales s’appuient sur des
connaissances acquises dans le cadre de recherches fondamentales et appliquées en écotoxicologie. A ce titre, l’un des défis majeurs de
l’écotoxicologie est de parvenir à une meilleure
64 - PEER : Public Employees for Environmental Responsibility. 65 - AllEnvi : Alliance nationale de recherche pour l’Environnement. 66 - Aviesan : Alliance nationale pour les sciences de la vie et de la santé
209
prospectives d’avignon
compréhension et prédiction de la dynamique
des contaminants et de leurs effets, en s’appuyant sur la modélisation des processus impliqués de l’échelle la plus fine à la plus large. On
pourra alors parler d’écotoxicologie prédictive.
Dans ce contexte général, deux grands types de
questionnements concernent l’écotoxicologie :
l la compréhension de la dynamique des
toxiques et de leurs effets, leurs causes et
leurs conséquences dans le cadre d’une
démarche cognitive qui doit intégrer les composés toxiques comme l’une des pressions
anthropiques s’appliquant aux systèmes
vivants.
l l’évaluation des risques environnementaux, qui est au cœur de la demande socié-
tale et qui nécessite des développements :
1) méthodologiques relatifs à la mesure des
concentrations des toxiques dans les différents compartiments des écosystèmes, 2)
de la définition et la mise en œuvre de tests
de toxicité, 3) de l’appréciation de l’exposition des organismes vivants et, 4) de l’estimation des interactions entre contaminants
même pour les faibles doses.
Le CNRS et tout particulièrement l’INEE s’inscrit dans le premier type de questionnement
au titre des enjeux, des soutiens aux équipes
de recherche et des projets. Ces derniers se
positionnent clairement aux interfaces des
disciplines.
Positionnement du CNRS
Le positionnement du CNRS de par son interdisciplinarité est essentiel sur les questions
qui relèvent de la recherche académique alors
que d’autres organismes sont plus impliqués
sur les questions finalisées et ciblées au regard de leurs missions institutionnelles : l’INRA
pour les sols et les milieux aquatiques, l’IRSTEA pour les milieux aquatiques et les enjeux
sociaux associés, l’IFREMER pour le milieu
marin, l’INERIS pour l’évaluation des risques
pour l’Homme et les écosystèmes, les comités
de normalisation pour le transfert des outils
opérationnels vers les utilisateurs, l’ANSES
pour les aspects relatifs à la santé environnementale, l’ONEMA pour la gestion des milieux
aquatiques, le CEA et l’IRSN pour le risque
nucléaire et l’INSERM pour la Santé Humaine.
Quelques universités (Equipes d’Accueil) sont
également actives dans la discipline (p ex. Le
Havre, Reims, Angers, Nantes, …). L’Homme
dans l’écosystème joue un rôle central au de
la discipline, pris en compte, en tant qu’agent
impactant la qualité et la vulnérabilité des
milieux mais également en tant que cible et
au cœur des questionnements sur les enjeux
sociétaux.
Positionnement de l’INEE
Le CNRS doit clairement se positionner sur
l’étude des mécanismes fondamentaux qui
régissent la dynamique des contaminants,
leurs effets et la complexité des interactions
à différentes échelles d’organisation du vivant,
d’espace et de temps. Toute connaissance
fondamentale doit fournir des informations aux
autres organismes de recherche ou opérationnels précités.
Afin d’améliorer la visibilité du CNRS sur les
problématiques relevant de l’écotoxicologie il
est nécessaire de réaliser des recrutements de
personnels sur des projets interdisciplinaires
210
(e.g. bio-physico-chimie, biogéochimie, physique-chimie des contaminants, physiologie,
écologie, … modélisation mais aussi sciences
sociales et humaines, …).
Le CNRS doit être moteur dans la stratégie scientifique de cette thématique par des appels à projets financés sur ressources propres ou sur ressources inter-organismes ou encore être moteur
au sein des organismes financeurs comme l’ANR
et l’ANSES sur des questions scientifiques novatrices et fondamentales en y imposant des représentants parfaitement intégrés dans le tissu de
la recherche française et internationale.
Les priorités de recherche citées ci-dessus
soulignent le rôle crucial du rapprochement
disciplinaire que l’écotoxicologie peut jouer au
sein de l’INEE, avec d’autres instituts du CNRS
(INSU, INC, INSMI et INSHS) ou avec d’autres
organismes.
Développement
instrumental
Physiologie
Biologie intégrative
Génomique
Nouveaux matériaux
Nouveaux polluants
INP
INSB
IN2P3
INSIS
INSHS
Perception des risques
Aspects historiques
Décision, législation, …
INC
Réactivité des polluants
Analyse
INEE
(Bio) géochimie
Dynamique des polluants
INsu
Outils mathématiques
et informatiques
INSMI
INS2I
Les forces et les faiblesses
La prospective « écologie fonctionnelle » réalisée par l’INEE en 2012 a été établie sur une
analyse bibliométrique et rend compte des
avancées majeures de la décennie dans les
différents champs de l’écologie fonctionnelle
dont l’écotoxicologie. Cette analyse bibliométrique constitue une base de travail pour alimenter une réflexion prospective sur les enjeux
actuels et futurs de cette discipline.
(http://www.cnrs.fr/INEE/communication/actus/docs/Brochure_Prospective_Eco_Fonct.pdf)
L’écotoxicologie est la seconde thématique en
nombre de publications par année au niveau
mondial, ce qui témoigne de la vitalité de cette
discipline. La France occupe la 6ème position
sur l’ensemble des pays publiant sur cette
sous-thématique (probablement sous estimée
par le choix des mots clés). Ce champ thématique comprend aussi bien des travaux fondamentaux que finalisés impliquant une grande
diversité d’organismes institutionnels autres
que le CNRS (p. ex. Universités, INRA, INERIS,
IRSTEA, CEA, IFREMER, IRD, MNHN). La diversité et le nombre des organismes institutionnels publiant en écotoxicologie a probablement
pour conséquence de « diluer » les travaux des
unités et des chercheurs du CNRS.
L’écotoxicologie est le seul champ thématique
211
prospective de l’institut ecologie et environnement du cnrs
prospectives d’avignon
pour lequel le CNRS est en dessous de la représentation médiane de 50% des articles publiés
mais avec un facteur d’impact proche de la
valeur mondiale (IFmoy = 3). Il est à noter que,
pour cette discipline, le CNRS fait partie des organismes dont les unités/chercheurs publient
dans les meilleures revues du domaine.
Une première analyse de ces données met en
cause dans l’ordre d’importance :
• Le cloisonnement disciplinaire des formations et de la recherche en général (gestion des laboratoires, organismes, appels
d’offres). Cette tendance a déjà été constatée par le passé et un certain nombre d’actions sont en cours pour décloisonner les
disciplines et les faire converger sur des objets ou questions communs (programmes
interdisciplinaires du CNRS, programmation
EC2CO, programmation ANR, co-gestion de
laboratoires CNRS par 2 instituts…).
• La pluralité des organismes impliqués qui
dilue les moyens. Les spécialisations des
unités (sols, eaux, etc) semblent ne pas
se recouvrir complètement ce qui relativise
le diagnostic, d’autant que si l’écotoxicologie est bien la deuxième thématique en
nombre de publications au niveau mondial,
elle mérite probablement qu’une douzaine
d’organismes et universités s’en saisissent. La création des alliances, et pour
ce qui concerne l’écotoxicologie le groupe
de travail inter-alliance AllEnvi et Aviesan,
sont des initiatives qui devraient permettre
une meilleure coordination et complémentarité de ces moyens.
• La difficulté de structuration de la discipline. En effet, les initiatives structurantes
récentes comme le séminaire de La Londe
des Maures (2009), ou les exercices de
prospectives divers restent des actions
ponctuelles. Les GDR qui constituent des
initiatives structurantes sont à peine plus
pérennes. Ils ont des objectifs ciblés et
sont actuellement très peu pourvus en
moyens. Ils devraient être relayés par les
dispositifs européens que sont les réseaux
COST et Marie Curie. La Société d’Ecotoxicologie Fondamentale et Appliquée (SEFA),
le réseau ou la création d’une section
France de la SETAC pourraient jouer un rôle
dynamique dans la structuration de la recherche en écotoxicologie.
Les priorités INEE pour l’écotoxicologie
Le CNRS peut avoir une action clef dans le renforcement des recherches et des questionnements
aux interfaces de plusieurs disciplines. Ces priorités en Ecotoxicologie au sein de l’INEE s’articulent en cinq axes en réponses à un certain nombre de verrous :
Axe 1 : Ecotoxicologie, géochimie et bio-physico-chimie
dans un contexte écodynamique
Verrous :
• Hétérogénéité : différentes échelles d’observation, aspects spatio-temporels, interfaces entre
milieux et complexité des situations réelles
• Etudes des contaminations simples et multiples : ETM (Éléments Traces Métalliques),
HAP (Hydrocarbures Aromatiques Polycycliques), nanoparticules, substances pharmaceutiques, perturbateurs endocriniens, métaux
stratégiques (Li, Co, Ni, terres rares…), … et
détermination de leur disponibilité
• Difficulté de la prise en compte des produits
de transformation, de leurs propriétés physicochimiques et de leurs activités biologiques par
212
rapport aux molécules initiales
• Etudes des transferts des contaminants
dans les chaines trophiques : localisation subcellulaires des éléments traces, organiques et
minéraux (ex : composés pharmaceutiques,
nanoparticules…), des radionucléides et capacités d’absorption/bioaccumulation par les
niveaux supérieurs (relation spéciation intracellulaire et biodisponibilité).
Priorités de recherche :
L’élucidation des mécanismes réactionnels
aux interfaces eau - sédiment/sol - organisme
vivant doit être poursuivie. Pour étudier ces
mécanismes, les notions de biodisponibilité et
de spéciation s’avèrent essentielles dans un
contexte de dynamique temporel de la spéciation et de la biodisponibilité des contaminants.
Il est important d’approfondir la compréhension du rôle des processus abiotiques et biotiques dans cette dynamique pour ériger les
bases d’une approche de modélisation. Les
changements d’échelles restent un questionnement scientifique à approfondir.
Interfaces et complémentarités
avec les instituts du CNRS : INSU, INC :
L’association bio–physico-chimie / écotoxicologie-biologie devient indispensable et va audelà du lien chimie-écotoxicologie. Il existe
déjà des exemples de cette association que
ce soit en interne au sein des organismes
(IRSTEA, CNRS, INRA, …), ou grâce à des
programmes comme PNETOX , PNRPE , PNR
EST ou encore EC2CO mais l’effort doit se
poursuivre, surtout dans le contexte de l’étude
des multi-contaminations ou des facteurs de
stress multiples (incluant les interactions
entre contaminants et pathogènes ou contaminants et changements climatiques) en situations les plus proches de ce que l’on trouve
dans l’environnement. Les interactions entre
agents toxiques doivent également être maîtrisées pour comprendre les effets sur le vivant. Le rôle de l’INC avec les compétences
des chimistes organiciens, des biochimistes
et des physico-chimistes est tout à fait stratégique dans cet axe pour l’étude des mécanismes à l’échelle moléculaire.
Axe 2 : Ecotoxicologie et physiologie
Verrous :
• Système biologique de référence : un manque
de connaissances sur l’écophysiologie des
organismes clés des écosystèmes est avéré.
Doivent être pris en compte les systèmes immunitaires, endocriniens chez les métazoaires, de
défense chez les plantes et, de reproduction.
Priorités en recherches :
Il est important d’acquérir des connaissances
fines et de références sur la physiologie d’organismes clés des écosystèmes qui sont le plus
souvent différents des organismes « modèles »
de laboratoire. Ces connaissances s’appuient
sur des approches classiques mais également
sur les nouveaux outils de transcriptomique,
protéomique et métabolomique afin de comprendre les effets des contaminants sur des
organes cibles ou les individus, ainsi que les
processus physiologiques (p. ex. excrétion,
métabolisme, …). Les approches en épigénétique doivent aider à la compréhension des
adaptations ou des perturbations du fonctionnement cellulaire qui ont des conséquences à
l’échelle des organismes et leur descendance.
Une bonne connaissance des mécanismes
physiologiques mis en jeu lors d’exposition
à des contaminants doit permettre de comprendre les effets sur les populations et les
communautés dans un système d’interactions
complexes.
Le choix des organismes étudiés et leur multiplicité doit permettre 1) de reconstituer en
conditions contrôlées des réseaux trophiques,
2) d’aborder des questions sur la généricité
des réponses par comparaison des modèles
biologiques et, 3) d’alimenter les bases de
données pour modéliser les processus mis en
jeu en écotoxicologie.
Le rôle des rétroactions (effets de la physiologie des organismes) sur les contaminants et
leur devenir devra être pris en compte.
Interfaces et complémentarité : INSB
La connaissance de la physiologie sensu lato
des organismes modèles des écosystèmes
doit s’appuyer sur celles des modèles de laboratoire avec un transfert de connaissances et
de méthodologies maitrisées par la communauté scientifique de l’INSB. Le rôle des contaminants dans des processus d’adaptation des
organismes s’appuyant sur des approches
de biologie évolutive ou de génomique apparaissent pertinents à explorer.
213
prospectives d’avignon
Axe 3 : Ecotoxicologie et écologie
Verrous :
Prendre en compte le rôle des contaminants :
• dans le fonctionnement des écosystèmes et
les réseaux d’interaction
• au travers des différentes échelles de temps
et d’espace (p. ex. Ecotoxicologie du paysage,
adaptation évolutive)
Priorités de recherche :
Les effets des agents toxiques doivent être
considérés comme une variable de forçage du
fonctionnement des écosystèmes quelle que
soit l’échelle d’observation considérée. Les
communautés d’écotoxicologues et écologues
doivent partager/confronter les concepts théoriques et les outils d’investigation. Un des points
clés sera de passer d’une vision mondialisée où
chaque substance chimique considérée seule
est évaluée pour un écosystème standard sans
réalité physique à une analyse territorialisée de
la vulnérabilité des écosystèmes aux facteurs
de stress multiples. Pour ce faire il est important de développer des approches top-down et
multi-échelles, de prendre en compte les multi-contaminations à des niveaux et temporalités
représentatifs des conditions réelles, d’étudier
les relations entre les facteurs de stress (biotiques et abiotiques) et les contaminants.
Des priorités de milieux-cibles peuvent être
définies.
L’étude des transferts et effets des contaminants aux interfaces entre milieux (terrestres/
aquatiques ou atmosphère/océanique, ou…)
devraient également être évalués afin d’avoir
une meilleure vision intégrée de la vulnérabilité
des écosystèmes.
Axe 4 : Ecotoxicologie et modélisation
Verrous :
• Identifier les niveaux d’organisation biologique auxquels doit être envisagée la réponse
(réseaux métaboliques, traits d’histoire de
vie...) aux contaminants
• Etudier les conséquences (fonctionnelles et
évolutives) de ces changements sur la dynamique des populations, des communautés et
des écosystèmes
Priorités de recherche :
Il est nécessaire d’une part d’identifier les niveaux
d’organisation biologique auxquels doit être envisagée la réponse (réseaux métaboliques, traits
d’histoire de vie...) aux perturbations d’origine
anthropique, et d’autre part d’étudier les conséquences (fonctionnelles et évolutives) de ces
changements sur la dynamique des populations,
des communautés et des écosystèmes ; cela
implique le développement, par une approche interdisciplinaire et intégrée, de modèles mathématiques et statistiques à visée cognitive et prédictive, permettant de coupler des modèles d’effet
fondés sur les processus au niveau sub-individuel
et individuel à des modèles de dynamique de populations, de dynamique de communauté et de
dynamique écosystémique. La modélisation doit
permettre d’aborder la question du changement
d’échelles biologiques, spatiales et temporelles.
Les priorités concernent : 1) le développement
de modèles mathématiques et statistiques à
visée cognitive et prédictive, 2) le couplage de
modèles des processus au niveau sub-individuel
et individuel à des modèles de dynamique de
populations, de communauté et écosystémique,
3) la prise en compte de la variabilité et de l’incertitude ou la définition d’indices de risque au
niveau populationnel ou communautaire.
Axe 5 : Ecotoxicologie et sciences sociales
L’Homme en tant que causes (p. ex. production
contaminants), conséquences (p. ex. effets sur la
vulnérabilité des écosystèmes et leurs usages)
et actions (p. ex. remédiation, législation) est au
centre des problématiques de l’Ecotoxicologie.
Verrous :
• renforcer les collaborations destinées à comprendre l’évolution et la diversité des milieux,
214
sous forçages anthropique et climatique
• intégrer les interactions homme-milieu à
diverses échelles de temps et d’espace dans
l’évolution des milieux actuels en référence à
ceux du passé
• déterminer les responsabilités et le rôle
de l’Homme (du citoyen) dans la gestion des
risques et des enjeux liés aux pollutions
• intégrer les considérations sur la perception
et l’acceptabilité des risques et améliorer la
communication avec la société civile pour la
transmission des connaissances
Priorités de recherche :
Dans les perspectives de recherche qui lient
l’Ecotoxicologie aux Sciences Humaines et
Sociales plusieurs priorités peuvent être définies autour de la problématique de la perception des risques liés aux contaminants sur les
systèmes vivants (incluant l’Homme) et leur
vulnérabilité. Dans la réflexion menée sur la
perception doivent être incluse la perception
économique (p. ex. coût lié au dysfonctionnement des écosystèmes, à la remédiation) mais
également les coûts écosystémiques (p. ex.
coûts adaptatifs des systèmes vivants) et les
relations environnement-santé.
Doivent également être considérées les actions de restauration, d’ingénierie écologique,
… en relation avec l’écodynamique et l’écotoxicologie des contaminants.
Une des conséquences de ces actions de
l’Homme dans la restauration des systèmes
vivants est la recherche de « molécules » ayant
moins d’effets néfastes sur le vivant et dans la
génération de modèles et pratiques différents
conduisant à une réduction des rejets et dispersions. Ces problématiques d’Ecodesign, d’Ecotechnologies (en lien avec les industries) et de
Chimie verte sont à réaliser dans le contexte
de l’Axe 2 et sont largement discutées dans
le groupe thématique 7 Ecotechnologies et
Chimie durable de l’Alliance AllEnvi entre les
différents organismes institutionnels.
Interfaces et complémentarité : INSHS, INC, INSB
Les approches
L’adaptation à la réalité du terrain (Ecotoxicologie « réaliste ») nécessite d’utiliser des approches multi-échelles (spatiales, temporelles
ainsi que les différents niveaux d’organisation
du vivant) et multi-milieux pour lesquelles des
développements méthodologiques sont à poursuivre durant les prochaines années.
Ainsi sont utilisées :
• Les approches top-down afin d’aborder
l’écotoxicologie à larges échelles spatiales.
• Les approches évolutives récentes qui,
outre les connaissances fondamentales
sur les mécanismes d’adaptation, permettent d’établir un lien entre la génétique
des populations et les impacts au niveau
populationnel.
• Les approches omiques et en épigénétique qui, avec le développement technologique important de cette dernière décennie,
constituent une opportunité de coupler différentes échelles en écotoxicologie et d’accroître considérablement la quantité d’information biologique disponible.
• Les approches de modélisation, de l’exposition comme des effets, sont la clé pour la
promotion d’une écotoxicologie prédictive,
pertinente sur le plan écologique et évolutif
et capable de s’adapter à plusieurs échelles.
Les outils nécessaires
Les capacités expérimentales permettent de
mener des projets aux interfaces de l’écotoxicologie, de l’écologie (changement climatique,
influence du compartiment biotique sur la réponse des organismes soumis à des xénobiotiques…), de l’écophysiologie et de la chimie
environnementale à différentes échelles.
• Les réseaux, systèmes d’observation
(SOERE) (p. ex. INSU/RESOMAR : Capteurs
« biologiques » pour l’environnement côtier)
sont des sources de chroniques de données
spatiales et temporelles à larges échelles
qui, en complément de suivi de la dynamique des contaminants doivent permettre
d’aborder des questions d’écotoxicologie à
ces larges échelles.
• Les grands instruments spécifiques à
l’écologie fonctionnelle (les Ecotrons) ont été
développés en France lors de cette décennie;
ils sont toutefois peu adaptés à l’étude de
facteurs de stress chimiques, ou à la manipulation de facteurs de stress multiples.
• Le site de Rovaltain, plateforme accessible à l’ensemble de la communauté des
215
prospective de l’institut ecologie et environnement du cnrs
prospectives d’avignon
écotoxicologues, est une première tentative
de création d’un grand instrument dédié à
des questions d’écotoxicologie. Une équipe
technique et scientifique réside sur site.
• Le développement des approches synchrotron en écotoxicologie en particulier
pour l’étude des pollutions métalliques et
nanoparticulaires sont particulièrement performantes et sont à encourager par le biais
d’actions incitatives et de formations.
• Les plateformes issues des appels à
projets d’Investissements d’avenir sont
également des outils à partager, lieu de rencontres entre disciplines.
• Les outils plus modestes (plateformes
expérimentales locales) autour de questions
ou d’objets ciblés, et/ou le développement
d’outils complexes permettant la manipulation de facteurs de stress multiples sont à
développer. Par exemple les mésocosmes
en réseau permettant de faire des chaines
trophiques longues et dans des milieux complexes (eaux douces vs milieux intertidaux
et milieux marins). De la même manière
les plateformes régionales et nationales
d’expérimentation et instrumentales sont
des outils utilisés par la communauté des
Ecotoxicologues.
La priorité pour l’ensemble de ces outils (existants ou à venir) est leur lisibilité en termes de
fonctions et de fonctionnement. La priorité n’est
sans doute pas de créer de nouveaux outils dédiés à l’Ecotoxicologie mais de créer un portail
unique de communication sur les fonctions et le
fonctionnement de chacun d’entre eux.
Au développement de ces outils, il convient d’associer une réflexion sur l’optimisation des plans
216
d’expérience. Cette optimisation doit passer par
une collecte des données guidée par la modélisation (i.e., en association avec le traitement
statistique de ces données) pour aller vers des
protocoles de validation et de calibration des modèles d’effet permettant d’asseoir la compréhension des mécanismes en jeu et d’autoriser leur
extrapolation ultérieure dans des situations réalistes (in situ et sous l’hypothèse de scénarios
et de cinétiques de contaminations multiples). La
modélisation statistique doit prendre en compte
les notions de variabilité expérimentale à toutes
les échelles. Avec le développement d’approches
intégratives, les bases de données vont être de
taille croissante et regrouper des données disparates. L’enjeu consiste à rassembler de manière
cohérente l’ensemble des données brutes issues d’un large éventail d’expérimentations dans
le domaine de l’écotoxicologie, en conservant
intactes les informations du contexte dans lequel
elles ont été acquises (les métadonnées). En
combinaison avec une base de connaissances et
des outils web interfacés, cela permettra de faire
avancer d’une part le partage des connaissances
au sein du monde académique, et d’autre part
la validation de procédures en routine pour les
gestionnaires du risque environnemental.
Le couplage des données de surveillance des
contaminants dans l’environnement, de leur
devenir et des connaissances géoréférencées
sur la vulnérabilité des écosystèmes intégrés au
sein de systèmes d’information spatiale multi
échelles constitue la clé d’une gestion territoriale des facteurs de stress environnementaux
dont les facteurs de stress toxiques.
Les banques d’échantillons nécessaires pour
gérer les échelles de temps sont à mettre en
place et à gérer au moins au niveau national
voire international.
La structuration de la communauté
La communauté des Ecotoxicologues au sein du CNRS se répartit à l’échelle nationale dans la plupart des UMRs (cf Liste des laboratoires). L’Ecotoxicologie est souvent une discipline d’interface
au sein des UMRs (p. ex. Axe transverse).
lille
amiens
Rouen
metz - nancy
caen
strasbourg
paris
brest
rennes
orléans
dijon
nantes
besançon
vienne
la rochelle
clermontferrand
lyon
limoges
grenoble
valence
avignon
bordeaux
pau
aix
montpellier
marseille
toulouse
banuyls
corse
Cartographie des forces
en Ecotoxicologie
des UMRs du CNRS.
ajaccio
La complémentarité des missions des organismes de recherche, d’évaluation, d’enseignement, …
(p. ex. CNRS, CEA, IRD, IFREMER, IRSTEA, ONEMA, Universités, ANSES,…) souligne l’importance
du rôle d’Allenvi dans le dialogue de complémentarité entre ces organismes et leur coopération
structurante vis-à-vis des futurs appels à projets (p. ex. ANR).
La structuration de la communauté doit s’appuyer sur les réseaux thématiques inter-organismes
tels que la SETAC (Society of Environmental Toxicology and Chemistry) et l’antenne France.
D’autres formes de réseaux (p. ex. GDR, GIS, …) existent autour d’objets ou de lieux qui devraient
être des lieux d’échanges et de discussions.
Une fondation de coopération scientifique pourrait être crée dont la mission principale serait de
soutenir la recherche en écotoxicologie et toxicologie environnementale. Cette fondation, dirigée
majoritairement par des scientifiques de nos communautés (p.ex. écotoxicologue, écologues, modélisateurs, …), pourrait constituer un élément fortement structurant.
217
prospectives d’avignon
218
POUR UNE
éCOLOGIE GLOBALE
avignon
Prospective
Coordinateurs : Thierry Tatoni, Wolfgang Cramer, Hervé Piégay, Didier Galop
Mots clés : écologie intégrative, sciences de l’environnement, multi-échelles, pluridisciplinarité, relation homme-environnement.
En français, le mot « global » associé au mot « écologie » présente une ambiguïté qui invite au débat.
L’objectif de ce document est de faire ressortir l’intérêt de l’écologie globale comme un nouveau
concept fédérateur.
En première intention, « globale » renvoie aux
enjeux planétaires, perçus sur des échelles très
vastes, mais ce terme peut aussi être interprété
comme un synonyme d’« intégrée » ou d’ « intégrative », ce qui n’est pas le cas pour beaucoup
d’autres langues. L’écologie globale recouvre
les deux acceptions du terme, mais seule la
langue française permet de traduire ceci en un
seul terme.
Fondamentalement, l’écologie globale, inscrite
comme une science intégrative, ambitionne
de prendre en compte, autour d’un noyau issu
des enjeux de la relation homme-environnement, des aspects clefs des domaines comme
l’écologie évolutive, l’écologie fonctionnelle, les
sciences de la terre, les sciences de l’homme
et de la société71. L’objectif de la recherche en
écologie globale est une meilleure compréhension des processus environnementaux à partir
d’approches multi-échelles, multi-sectorielles et
pluri-disciplinaires, dans des contextes globaux,
régionaux, voire locaux.
L’écologie globale, comme champ scientifique
partagé, amène à penser l’environnement de
manière systémique, fonctionnelle, afin d’aborder les questions dans toute leur complexité,
à différentes échelles de temps et d’espaces.
Ceci est nécessaire pour éviter des visions
trop sectorielles pouvant conduire à des perceptions faussées, ou du moins à des interprétations partielles des processus. L’écologie
globale affiche aussi des objectifs opérationnels en proposant des résultats mobilisables,
notamment dans l’aménagement du territoire
ou de la gestion des ressources naturelles.
L’homme fait intrinsèquement partie des écosystèmes en tant qu’agent modificateur, utilisateur et bénéficiaire. L’écologie globale vise à
promouvoir un développement durable de la relation homme-environnement, pour prendre en
compte les bénéfices fournis par l’écosystème
pour l’homme ; c’est d’ailleurs pour cela que le
débat science et société est si important dans
cette démarche. La protection de la biodiversité est un aspect important du développement
durable car il s’agit de nourrir et d’assurer le
bien-être des hommes sur terre tout en reconnaissant la valeur intrinsèque de la nature et
du vivant.
L’écologie globale identifie l’ensemble des paramètres à même de poser les bases d’une gestion durable des ressources et des services que
les systèmes socio-écologiques fournissent, de
mieux appréhender et anticiper les risques et
leurs conséquences, et de participer l’amélioration de la qualité de vie des sociétés.
71 - Mooney HA 1999 On the road to global ecology. Ann Rev Energy Environm 24 :1-31
prospective de l’institut ecologie et environnement du cnrs
219
prospectives d’avignon
Pour ce faire, l’écologie globale repose sur des
bases méthodologiques faisant appel à
• l’observation (d’où l’initiation des Observatoires Homme-Milieu et l’intérêt des Zones Ateliers) et la rétro-observation ;
• l’expérimentation (matérialisée notamment par
la création d’écotrons, de plateformes in situ et
le recours de plus en plus souvent à des structures de types mésocosmes et autres systèmes
expérimentaux à des échelles très fines) ;
• la modélisation permettant de faire des liens
explicites entre observation et expérimentation,
tout en proposant des possibilités de généralisation.
Parallèlement, l’ensemble de la démarche nécessite une certaine pérennité dans la gestion
et l’utilisation des données, c’est pourquoi la
mise en place de systèmes d’archivage comme
des bases de données relationnelles est un
investissement incontournable.
Deux ambitions fortes de l’écologie globale : s’appuyer
sur l’interdisciplinarité pour comprendre, s’inscrire en
interaction avec la société pour s’enrichir et transmettre
L’écologie globale est porteuse de deux ambitions fortes :
• Mieux comprendre les dynamiques environnementales en associant les disciplines
scientifiques à un questionnement partagé.
L’interdisciplinarité que l’INEE promeut
grâce notamment aux OHM et aux ZA, doit
permettre d’appréhender les changements
environnementaux, les évolutions à toutes
les échelles spatiales et temporelles, et de
trouver les solutions d’un développement
durable.
• Inscrire la recherche en interactions avec
la société afin que celle-ci questionne les
scientifiques et induise une reformulation
de ces questionnements, une co-construction, mais aussi que les connaissances
nouvelles puissent plus rapidement se
diffuser parmi les acteurs. L’écologie
globale vise ainsi à tester, expérimenter,
simuler des solutions permettant d’assurer le bien-être des populations humaines
en s’appuyant sur la nature et non en la
combattant. Il s’agit ainsi de produire des
connaissances permettant d’assoir l’ingénierie écologique, de favoriser la gestion
intégrée, la restauration, en un mot le développement durable.
Dans ce cadre, l’écologie globale a besoin de
s’alimenter de nombreux champs disciplinaires
afin d’aborder la complexité environnementale :
• les sciences de l’évolution afin de comprendre l’évolution du vivant, de la biodiversité, de l’homme et des sociétés dans
leurs interactions avec le milieu ;
220
• les sciences systémiques afin de comprendre les dynamiques environnementales, la complexité du vivant, les pressions
humaines intégrant l’ensemble des processus biophysiques, chimiques et sociétaux ;
• les sciences sociales afin de comprendre
les objets complexes que l’on aborde pour
lesquels la question des valeurs, de la perception, de l’éthique ou encore de l’équité
se pose avec acuité, faisant appel à la philosophie, la sociologie, le droit ou encore
l’économie ;
• les sciences de l’action, l’ingénierie
écologique notamment, afin de promouvoir de nouveaux savoir-faire, de nouvelles
techniques, de nouvelles pratiques pour
assurer la sécurité des personnes face aux
aléas naturels, exploiter et partager les ressources, réussir le développement durable.
Il faut considérer aussi que l’écologie globale
n’est pas une science exacte et que les systèmes de valeur des chercheurs eux-mêmes
influencent leur production de connaissance,
ce qui implique que les sciences intégratives
doivent aussi s’appuyer sur la philosophie et
l’épistémologie pour comprendre les systèmes
de pensée qui sont à l’origine des concepts et
des théories structurantes de ce champ disciplinaire. Il y a un problème sous-jacent de représentation de ce qu’est la nature et de la place
de l’homme sur terre. Sans déconstruire ce paradigme, on ne pourra pas avancer. Les sciences
de la nature ont construit leurs objets en dehors
de la société pour objectiver leurs démarches et
disposer de référentiels, valorisant (idéalisant)
la nature. Ceci est prégnant dans certains discours scientifiques et les hypothèses formulées
pour produire de la connaissance sont biaisées.
En réintroduisant un débat avec la société dans
ce cadre de l’écologie globale, le scientifique
est confronté à ses ambigüités et doit redéfinir
ses modes de production de connaissance. Le
scientifique n’est plus seulement scientifique, il
est devenu, plus ou moins malgré lui, acteur du
débat. Ceci doit être accepté et il convient de
mieux comprendre quelles en sont les conséquences pour la production de connaissances.
Observer, expérimenter et modéliser le fonctionnement
des systèmes socio-écologiques
Dans l’étude scientifique de la structure et de
la dynamique des systèmes socio-écologiques,
il est important de se démarquer de la considération trop extrémiste de « l’écosystème originel dégradé », malgré l’amère réalité de cette
situation dans de nombreux endroits de la planète. Fondamentalement, tous les écosystèmes
actuels sont structurés par un environnement
physico-chimique « naturel » et par des activités
humaines qui souvent agissent depuis des millénaires. En outre, les conditions « naturelles »
peuvent aussi grandement fluctuer et causer
des changements locaux importants chez les
populations ou communautés. Les chercheurs
impliqués dans cette approche globale (l’ensemble des environnementalistes et particulièrement les écologues) doivent donc chercher à
démêler ces différents forçages d’une manière
impartiale, et ils peuvent le faire en utilisant
toute une gamme de méthodes d’observations,
d’expérimentations, et en s’appuyant aussi sur
des processus modèles ; ces derniers imitent
par exemple les traits fonctionnels des organismes et leur dépendance vis à vis de l’environnement ou leurs interactions les uns avec
les autres.
L’observation en écologie globale s’inscrit à différentes échelles spatiales, du local au global72
explorant le présent et le passé. Parmi les préoccupations globales, aussi bien fondamentales
que méthodologiques, se pose le problème du
recensement et de la hiérarchisation des facteurs qui influencent le fonctionnement des
systèmes socio-écologiques. Quelques aspects
sont particulièrement importants : les composantes physiques du climat, la chimie de l’atmosphère (notamment la concentration en CO2),
les dépôts atmosphériques de nutriments et de
polluants, les modes d’utilisation des terres et
des ressources marines, les changements dans
les modes d’occupation du sol, les aménagements résultant des politiques publiques, de
l’histoire des pratiques etc… Tous ces facteurs
interviennent souvent de manière parallèle, en
causant des effets différenciés sur les organismes, les communautés, les écosystèmes et
les sociétés.
Au cours de ces dernières années, les capacités
d’observation ont atteint un nouveau stade, non
seulement grâce à une disponibilité accrue et
une meilleure qualité des données satellitaires,
mais aussi au développement de réseaux internationaux de scientifiques, bien souvent sous
l’impulsion de grands programmes tels que
l’Earth System Science Partnership (ESSP), et
son successeur Future Earth, permettant de
renforcer les observations à l’échelle globale.
Ironiquement, les premiers indicateurs rendant
véritablement compte des changements globaux dans le fonctionnement des écosystèmes
proviennent des satellites météorologiques à
partir desquels nous pouvons désormais faire
de solides approximations de la quantité du
rayonnement photosynthétique actif. Ces données globales sont disponibles avec une résolution quotidienne et une couverture temporelle
de plus de vingt ans. Elles permettent ainsi de
détecter des changements significatifs dans
l’activité biologique, mais elles offrent aussi la
possibilité d’améliorer les modèles de changements des écosystèmes qui sont ensuite utilisés pour des extrapolations prospectives.
Toutefois, ce type de données ne satisfait pas
les besoins en recadrage temporel plus vaste, ni
en investigations véritablement paléo-environnementales afin d’établir des relations plus générales sur la structuration des écosystèmes et
les changements dans les activités humaines.
72 - Cowling RM & Midgley JJ 1996 The influence of regional phenomena on an emerging global ecology. Gl Ecol and Biogeogr
Lett 5(2) :63-65
221
prospectives d’avignon
L’écologie globale doit donc se nourrir aussi
des travaux relevant de la paléoécologie et de
l’archéologie, mais aussi de l’histoire et de la
géographie en ce qui concerne l’intégration temporelle sur des pas de temps long et la compréhension des dynamiques. Le recours au spatial
paraît alors indispensable pour permettre le recoupement des informations d’origine diverses
et comprendre la diversité des situations, d’où
la nécessité de développer des plateformes
interdisciplinaires telles que les Zones Ateliers
ou les Observatoires Homme-Milieu, choisies
minutieusement quant à leurs pertinences thématiques offrant la possibilité de combiner l’observation régionale avec l’interprétation globale,
voire généralisable dans des contextes socioécologiques contrastés…
L’expérimentation peut fournir des connaissances importantes sur les processus fondamentaux contrôlant les écosystèmes. Pour que
les expérimentations soient pertinentes, elles
doivent tester des facteurs environnementaux
susceptibles de jouer un rôle important dans
un avenir prévisible. Par exemple, la mise en
place d’un réseau de stations expérimentales,
in situ, visant à simuler les changements climatiques à venir, par des systèmes d’exclusion de
pluie doivent permettre d’avoir des réponses
anticipées sur le comportement des formations forestières et arbustives en cas de réduction significative des précipitations. Cependant,
les résultats issus de ces expérimentations
doivent être remis en perspective au regard de
la composante humaine, en prenant soin de se
dégager de l’acception caricaturale et obsolète
d’une Nature agressée par un Homme systématiquement destructeur. L’approche globale
doit aider à faire tomber le clivage Homme /
Nature, sur la base d’arguments scientifiquement validés, en gardant l’objectif finalisé de
proposer des pistes pour de nouvelles formes
de développement.
Le troisième pilier de l’écologie globale (avec
l’observation et l’expérimentation) est le développement de modèles appropriés pour l’expérimentation numérique sans véritables manipulations des écosystèmes. Forcément, ces
modèles sont des simplifications du monde
réel, et l’un des aspects les plus délicats du
travail est de définir le niveau de simplification
lui-même. Actuellement, beaucoup de modélisations d’écosystèmes ont adopté le concept
de « types fonctionnels » pour réduire la diversité des écosystèmes réels à un niveau qui
permet de simuler des processus, et ce, même
222
dans des environnements qui ne sont pas très
bien renseignés. Idéalement, ces types sont
définis afin de rendre compte des caractéristiques les plus importantes de l’histoire de vie
des espèces, et de généraliser la réponse des
organismes, notamment dans des situations
de changements climatiques ou d’augmentation de la teneur en CO2 atmosphérique. Les
modèles écosystémiques continentaux ou
marins sont de plus intégrés dans les modélisations du système Terre, ce qui permet d’étudier l’ensemble des rétroactions entre la dynamique globale du climat, le cycle du carbone et
les activités humaines.
Sur la base des informations validées, issues
des observations de terrain, des expérimentations et de la modélisation, l’écologie globale
interroge la stabilité et l’évolution des systèmes
socio-écologiques de la planète, notamment à
partir des scénarios établis ou de démarches
prospectives au niveau régional. Il faut souligner que ces scénarios ne sont pas pris comme
des prédictions sur le devenir le plus probable
des conditions environnementales, mais ils
fournissent des supports appropriés pour
extrapoler certaines tendances. Par exemple,
s’interroger si les potentialités alimentaires de
la planète sont en adéquation avec l’ensemble
des besoins de l’homme, tout en se préoccupant de la durabilité des ressources naturelles
et de la stabilité du climat, est un questionnement qui relève de l’écologie globale. Même
si, jusqu’ici aucune réponse satisfaisante n’a
été fournie sur cette problématique, plusieurs
études ont montré que l’approvisionnement alimentaire est moins une question de disponibilités de terres arables, de nutriments ou d’eau,
qu’un problème de modulation de la demande.
On sait aujourd’hui que les ressources naturelles s’épuiseront bien plus rapidement si la
consommation de viande continue à augmenter fortement et que ça ne serait pas le cas si
les populations humaines optaient majoritairement pour des régimes plutôt végétariens. Ce
n’est qu’un exemple parmi tant d’autres, où
l’écologie globale étend sa réflexion jusqu’au
domaine des sciences humaines et sociales, y
compris l’économie.
Proposer des solutions aux grands défis
environnementaux
Le grand défi de l’écologie globale pourrait être
résumé de la façon suivante : comment subvenir, de manière satisfaisante, aux besoins de
sept milliards d’êtres humains sur une planète,
tout en respectant l’intégrité fonctionnelle des
écosystèmes et leurs capacités d’adaptationévolution ? Ces besoins s’expriment en termes
d’alimentation, de bien-être et de sécurité… de
développement durable.
Depuis quelques années, le lien entre l’écologie
globale et les sciences sociales s’est en effet
considérablement développé en se focalisant
sur les possibilités de quantifier la valeur économique des écosystèmes et de la biodiversité,
notamment à travers la notion de services écosystémiques. À l’instar d’initiatives internationales comme le Millennium Ecosystem Assessment, les écologues et les économistes peuvent
travailler ensemble pour faire ressortir l’importance du fonctionnement des écosystèmes sur le
plan économique. Plus récemment, l’étude très
remarquée TEEB (The Economics of Ecosystems
and Biodiversity, www.teebweb.org) apporte des
précisions explicites issues de l’écologie globale,
et ce d’une façon tout à fait accessible pour les
politiques et les décideurs.
On peut bien sûr émettre de nombreuses réserves sur la monétarisation des écosystèmes,
notamment car il subsiste encore beaucoup
d’inconnues sur les organismes vivants, les écosystèmes et leur rôle pour l’humanité. Toutefois,
en refusant de hiérarchiser les enjeux entre,
par exemple, le développement industriel et la
conservation des espaces naturels, on risque de
nuire à la qualité des décisions qui sont prises
et in fine, de faire régresser toujours plus les
sociétés humaines dans leurs rapports avec les
ressources naturelles, l’exploitation/l’utilisation
de leur environnement, les choix en matière de
sécurité des personnes. Ainsi, l’écologie globale
se transpose aux niveaux local et régional : quasiment toutes les décisions sur les modes d’utilisation des terres sont prises au niveau local,
basées sur des critères de positionnement régionaux et s’inscrivant dans des contextes socioenvironnementaux plus globaux. L’écologie globale vise à soutenir une telle prise de décision,
en intégrant, de manière objective, les conflits
d’usages, tout en considérant simultanément les
changements globaux qui affectent l’ensemble
des systèmes.
À la lumière des concepts qui sous-tendent l’écologie globale et de ses champs d’application, nous
sommes aussi amenés à reconsidérer les enjeux
liés à la dynamique de la biodiversité. En intégrant
la notion de services écosystémiques, d’intégrité
des écosystèmes ou encore de fonctionnement
écologique, ce sont toutes les espèces qui
deviennent un objet de préoccupation en terme
de conservation et non plus exclusivement les
espèces rares et/ou endémiques. La biodiversité qualifiée « d’ordinaire » est en quelque sorte
réhabilitée, car elle recoupe la grande majorité
des espèces qui « rendent service » à l’humanité,
tout en assurant la plupart du temps l’ossature
fonctionnelle des écosystèmes. De plus, des hypothèses formulées dans le champ de l’écologie
globale font état d’une plus grande vulnérabilité
de la biodiversité « ordinaire » face aux changements globaux, en l’absence de mesures de protections adéquates ou de toute forme d’anticipation en matière de mesures de gestion. Ce champ
réflexif ouvre également la voie à des enjeux appliqués autour de l’ingénierie environnementale ou
écologique, ou encore de la gestion intégrée de
l’environnement… afin de replacer les actions
humaines dans une perspective plus durable.
Même si nous ne sommes qu’au début du développement des recherches en écologie globale,
les réflexions entamées et les premiers résultats obtenus ont déjà conduit à des applications
importantes dans la planification écologique et
l’aménagement du territoire. Tel est le cas en
France à travers, par exemple, la mise en place
des trames vertes et bleues (TVB), des schémas
régionaux de cohérence écologique (SRCE) ou
de la mise en place de la Directive Cadre sur
l’Eau. Parallèlement, la biodiversité est pensée
dans une acception de plus en plus large, en
faisant une place significative à sa dimension
socio-économique. Elle fait désormais l’objet de
plans stratégiques visant à améliorer les connaissances et ses modes de conservation, en intégrant conjointement les aspects naturalistes,
écologiques et humains. De manière exemplaire,
et pour répondre le plus efficacement possible à
tous les enjeux socio-environnementaux liés à la
biodiversité, la région PACA a officiellement lancé,
en 2010, sa Stratégie Globale de la Biodiversité.
L’objectif d’une telle démarche s’inscrit parfaitement dans le courant de l’écologie globale, car il
s’agit de montrer que la préoccupation « biodiver223
prospective de l’institut ecologie et environnement du cnrs
prospectives d’avignon
sité » doit être au cœur de toute forme de développement durable, l’approche globale permettant de faire ressortir tous les services, directs et
indirects, rendus par la biodiversité à l’humanité.
Cependant, comment envisager une gestion de
la biodiversité, des ressources ou des risques
environnementaux au niveau local et même
régional, sans une intégration plus générale,
aussi bien sur le plan des grands processus
socio-économiques que des bouleversements
environnementaux (i.e. les changements dans
les facteurs de contrôle des équilibres physico-chimiques, biologiques ou sociétaux) ? En
proposant des changements d’échelle systématiques, et en intégrant un grand nombre de
catégories de facteurs structurants, l’écologie
globale apparaît désormais comme un outil
conceptuel et méthodologique approprié pour
investiguer les problématiques environnementales majeures, comme les effets du changement climatique ou la dynamique de la biodiversité, avec une dimension politique assumée
et volontariste.
Au-delà des idées partagées par la communauté des scientifiques engagés à l’INEE pour
réussir cette écologie globale, il est important
de promouvoir le dialogue entre les disciplines
et de clarifier l’objet commun. Le terme d’écologie associé à global fait ainsi débat dans les
sciences physiques, chimiques et sociétales
car l’INEE est porteur d’une réflexion plus large
sur l’environnement que le terme proprement
dit d’écologie globale n’exprime pas pleinement et qui peut être source de dissension disciplinaire, comme le débat l’a montré lors des
journées de prospective. La réflexion sur le développement durable se pense d’abord en lien
avec la notion d’environnement qui intègre les
questions d’écologie mais pas uniquement. Le
terme anglais d’ « integrated sciences » repris
par exemple pour le récent colloque IsRivers
(Integrated Sciences for Rivers) en juin 2012
est plus large dans sa définition et plus rassembleur pour le collectif INEE ; toutes les communautés scientifiques qui font l’INEE peuvent
ainsi s’y retrouver dans un esprit d’équité.
Pour réussir cette dynamique collective, plusieurs recommandations peuvent être formulées :
• promouvoir un débat interdisciplinaire sur les grands enjeux de l’écologie globale au sein de
l’INEE, et également avec des partenaires scientifiques au niveau national et international, afin
de partager un langage commun ;
• soutenir l’interdisciplinarité dans le domaine des sciences de l’environnement via la commission interdisciplinaire CID 52, les plateformes de production de connaissances interdisciplinaires (OHM, ZA…), le partage et la gestion des données ;
• renforcer les interactions entre les instituts du CNRS sous l’impulsion de l’INEE pour engager des recherches sur l’environnement ambitieuses et innovantes (s’appuyer sur la Mission
Interdisciplinaire du CNRS et renforcer le soutien financier et institutionnel des unités en
rattachement secondaire à l’INEE fortement investies sur ces thématiques) ;
• renforcer les interactions avec les acteurs publics et les autres organismes de recherche
engagés dans la mise en œuvre du développement durable (ONEMA, Ministère de l’environnement, ONF, agences de l’eau, ADEME, Allenvi) ;
• travailler avec l’ANR et les acteurs de la recherche pour initier des projets interdisciplinaires
ambitieux afin de répondre aux questions environnementales ;
• promouvoir des plateformes interdisciplinaires sur une large palette de biomes (ville, montagne, fleuve, zone agricole, littoraux, hautes latitudes, milieu marin…) afin de couvrir les principaux enjeux environnementaux ;
• mettre en réseau les personnels techniques et réfléchir à une démarche nationale cohérente
et coordonnée en matière de plateformes ;
• communiquer auprès des acteurs de l’environnement et du grand public via notamment internet et la transmission d’informations visuelles et pédagogiques (développement par exemple
de serveurs cartographiques sur les OHM et les ZA ou de courtes vidéos explicatives des
actions en cours).
224
Outils
en Ecologie
outils en écologie
avignon
Prospective
Coordinateur : Jacques Roy
Contributeurs : Cécile Callou, Gudrun Bornette, Yvon Le Maho
L’écologie a pour objectif de comprendre le fonctionnement des écosystèmes, objets par
essence extrêmement diversifiés dont le fonctionnement est déterminé par des processus agissant à des échelles multiples. Cette compréhension passe par l’observation des
patrons présents dans la nature, complétée par des études expérimentales destinées à
identifier le poids et le mécanisme d’action des différents processus, voire à déceler de
nouveaux déterminismes de la biodiversité. De tels objectifs nécessitent le recours à différents outils :
• Des outils analytiques destinés à mesurer à différentes échelles, soit les paramètres
physiques d’intérêt, soit la biodiversité ;
• Des outils expérimentaux, destinés à simuler des processus écologiques dans des
écosystèmes simplifiés ;
• Des outils de bancarisation, destinés à organiser les données en ensembles structurés et interopérables ;
• Des outils d’analyse, destinés à comprendre l’organisation, les liens de dépendance
entre données ;
• Des outils de modélisation, destinés à simuler les processus identifiés et à mesurer
la réponse de ces processus à la variation de variables de contrôle.
Le présent document fait la synthèse des éléments de prospectives qui mettent l’accent
sur une partie de ces outils. Son contenu est par essence déséquilibré entre les différents outils, car certains domaines en émergence suscitent des réflexions de prospectives
intenses, tandis que d’autres sont d’ores et déjà opérationnels, et ne font pas actuellement
forcément l’objet de développements nouveaux.
Se référer à la liste des ateliers page 240 pour avoir la correspondance numéros - noms
d’ateliers.
227
prospective de l’institut ecologie et environnement du cnrs
prospectives d’avignon
Outils analytiques
Les évolutions techniques des instruments sont
telles que les laboratoires français, individuellement, ne peuvent pas acheter ou entretenir les
nouveaux appareillages, et former les étudiants
ou les ingénieurs devant les utiliser. Une mutualisation de ces instruments est donc indispensable et peut être faite en grande partie dans les
infrastructures à vocation nationale. (Ateliers 5,
11). Un portail web d’information sur l’ensemble
des dispositifs expérimentaux accessibles aux
chercheurs de l’INEE est en cours de création
à l’image du portail pour les bases de données
(Ateliers 10, 22).
Certaines approches, utilisées initialement par
une communauté restreinte de chercheurs,
sortent de leur cadre initial et connaissent un
fort développement. Ainsi, l’approche stœchiométrique, développée depuis longtemps dans
l’étude des milieux océaniques et dulçaquicoles, est étendue à l’étude des écosystèmes
terrestres. Outre l’analyse des flux d’éléments à
différentes échelles et leur réponse aux changements globaux, elle offre de fortes potentialités
pour établir des liens entre les problématiques
relevant de l’écologie des écosystèmes et de la
biologie ou de l’écologie évolutive, mais également, pour appréhender des questions relatives
à la théorie métabolique de l’écologie.
Des capteurs avec des résolutions spatiales et
spectrales de plus en plus poussées ou utilisant des nouvelles technologies (hyperspectral
spectroradiometers, Infra Red Thermography,
Light Detection and Ranging, Laser Induced Fluorescence Transient…) permettent d’analyser
depuis le sol ou l’espace, certains dans l’eau,
un nombre grandissant de paramètres de la
structure des écosystèmes et de la biodiversité,
ainsi que des paramètres décrivant les stocks
des éléments et permettant d’estimer les processus biologiques. Les nouvelles technologies,
comme la CRDS (Cavity Ring-Down Spectroscopy), la PTRMS (Proton Transfer Reaction Mass
Spectrometry), la NanoSIMS (nano-scale secondary ion mass spectrometry) permettent respectivement l’analyse simultanée de plusieurs
isotopes, l’analyse de plusieurs gaz, celle des
composés organiques et des éléments et isotopes à l’état de traces en écologie chimique
et dans d’autres études du fonctionnement des
écosystèmes (e.g. biologie du sol, régulations et
interactions entre fonctions, réseaux d’interactions, interactions durables).
228
Du fait de l’énorme potentialité qu’offre le
couplage des différentes méthodologies (par
exemple l’approche isotopique et la génomique
environnementale pour identifier les taxons
consommateurs), il parait indispensable que les
différentes communautés mettent en commun,
non seulement leurs dispositifs, mais aussi
leurs expertises (Atelier 10).
La biodiversité est une composante fonctionnelle majeure des écosystèmes et constitue de
ce fait un enjeu en soi. Son étude requiert toute
une gamme d’outils et de techniques, parfois
anciennes (mais totalement rénovées dans leur
appréhension), comme les collections, d’autres
à la pointe de la technologie, comme celles relevant de la biologie moléculaire.
Les relevés acoustiques permettent l’évaluation
rapide de certains groupes d’animaux. Le système NeoMaps permet de recenser la biodiversité au niveau d’un pays de façon plus rapide,
plus fiable et plus efficace. Le barcoding intègre
l’ADN environnemental et évolue vers le « méta-barcoding ». La télédétection développe de
nouvelles perspectives pour l’évaluation rapide
de la biodiversité sur de très grandes étendues spatiales. Des méthodes innovantes sont
nécessaires pour l’inventaire et le suivi de la
biodiversité tropicale, où les stations météorologiques sont peu nombreuses et où l’apparition
de climats sans analogues contemporains est
fort probable. Une piste est le développement
de partenariats avec des sociétés de téléphonie
mobile (Atelier 14).
Compte tenu de l’âge des séquences considérées, l’approche géochronologique implique le
plus souvent l‘utilisation de méthodes autres
que celle du radiocarbone. Il est donc nécessaire de mettre en réseau les équipements
analytiques (outils de caractérisation sédimentologique, micromorphologique, minéralogique
et géochimique) et de développer les nouvelles ressources (OSL, ESR, cosmonucléides),
actuellement beaucoup trop limitées au sein
de la communauté nationale. De même, le
développement des approches taphonomiques
doit s’appuyer sur une démarche comparative
concernant l’action des différents processus
biologiques et géomorphologiques.
Les grandes avancées récentes de l’écophysiologie font suite à des développements technologiques (bio-logging, RadioFrequencyIDen-
tification) et à l’endocrinologie intégrative. Le
développement de ces axes doit être soutenu.
Les progrès réalisés en micro-électronique permettent de développer des systèmes embarqués (bio-loggers) de plus en plus performants
pour mesurer en conditions de vie libre de nombreuses fonctions biologiques face à divers
gradients environnementaux. L’utilisation de
la RFID permet à l’échelle populationnelle une
identification et une pesée automatique, rendant
ainsi possible un suivi individuel de la réponse
physiologique et comportementale des animaux
aux changements environnementaux. Mais la
RFID permet aussi de suivre des animaux non
perturbés (impact des bagues, de leur lecture,
de loggers), et donc de réduire, ou d’évaluer
les biais inhérents aux investigations. Parallèlement, la validation de marqueurs moléculaires
intégratifs mais simples des régulations physiologiques (e.g. hormones du stress, biochimie
plasmatique, ROS et télomères) et des contaminants nous permet d’obtenir de grandes tailles
d’échantillons et d’aborder le rôle de la physiologie à des échelles supérieures à celles des individus, comme par exemple le rôle des polluants
et du stress (physiologique) dans l’impact de
l’urbanisation sur la dynamique des populations. Le suivi des déplacements des animaux
a toujours été un défi important pour les scientifiques, les équipes de terrain ne parvenant pas
à couvrir les échelles spatiales et temporelles
des trajets. La poursuite de la miniaturisation
des outils de géolocalisation, l’émergence de
l’accélérométrie et les techniques de transmission de données à distance augmentent de manière exponentielle notre capacité à documenter
la biologie dans l’espace d’animaux de plus en
plus petits. Ce sont les plus nombreux et ils
occupent une place centrale dans les écosystèmes (Atelier 21).
Outils expérimentaux
L’expérimentation est nécessaire pour identifier la manière dont chaque variable de forçage
identifiée dans la nature agit sur les processus
écologiques fondamentaux au sein des écosystèmes, des peuplements et des populations
d’organismes.
Même si des processus fondamentaux ont
été identifiés comme structurant le fonctionnement des écosystèmes, les gammes de variations, seuils et niveaux de réponses, conditions
d’expression de ces réponses, ne peuvent être
appréhendées de manière précise in situ. Seule
la modélisation, couplée à des approches expérimentales, permet de fournir une quantification
de ces processus.
L’expérimentation peut mettre en évidence le
rôle d’un ou de quelques facteurs au sein d’un
ensemble de forçages complexes en interaction. Elle permet de simuler des conditions environnementales particulières (du futur ou du passé par exemple) et ainsi de pouvoir extrapoler
dans le temps les processus écosystémiques.
L’expérimentation est aussi nécessaire pour
le développement et paramétrage de modèles
notamment mécanistes et elle forme un binôme
puissant avec la théorie. (Cf Atelier 1, 3, 10 …).
Par conséquent, un dispositif expérimental sur
un seul type d’écosystème ne suffit pas à comprendre le fonctionnement d’écosystèmes par
essence multiples, soumis à des variables de
forçage différentes, tant en termes de nombre
et d’intensité, et induisant des conséquences
biologiques très contrastées. Par exemple, pour
comprendre la manière dont les contraintes environnementales associées aux agrosystèmes
prairiaux, (telles la géologie, le climat, le niveau
de ressources, les prélèvements anthropiques,
fauche, pâturage) vont structurer les réponses
biologiques et écologiques, on aura besoin de
structures expérimentales permettant de manipuler des monolithes de sols et d’en contrôler
l’environnement. Ces structures seront très différentes de celles nécessaires pour comprendre
le fonctionnement d’écosystèmes aquatiques
dans lesquels les facteurs de contrôle seront de
nature parfois très différente (caractéristiques
physico-chimiques, dépendantes du contexte
géologique, et trophiques de l’eau, profondeur,
turbidité, courant, polluants).
De telles infrastructures sont donc nécessaires
pour différents types d’écosystèmes afin de pouvoir faire des prévisions réalistes des réponses
de ces écosystèmes aux altérations environnementales.
229
prospectives d’avignon
Face aux enjeux sociétaux liés à l’environnement,
l’écologie est en train de devenir une « mégascience », et l’expérimentation qui y est associée
est effectivement en pleine mutation. Du fait
de la complexité des facteurs à analyser, de la
nécessité de donner des réponses à différentes
échelles spatiales et temporelles, du coût des
dispositifs expérimentaux et des instruments
pertinents, mais aussi de la nécessité d’agréger
d’une manière flexible différentes compétences,
on s’oriente vers de larges infrastructures expérimentales mutualisées et coordonnées entre elles
au niveau national et international. L’INEE a initié
cette mutation, en particulier avec les Ecotrons
de Montpellier et Ile-de-France où les capacités de
contrôle et de simulation des paramètres environnementaux, ainsi que les capacités de mesures
des processus sont importantes. Une montée en
puissance de dispositifs expérimentaux en milieu
semi-contrôlé est en cours, par exemple le Métatron de Moulis, les mésocosmes aquatiques et
mini-lacs du projet investissement d’avenir Planaqua ou l’outil Ecoaquatron Lyon-Rovaltain. Les
dispositifs expérimentaux ou d’observation in
situ pilotés par l’INEE ont ainsi été labellisés ou
sont en cours de labellisation SOERE par ALLENVI
(SOERE des Zones Ateliers, SOERE ReNSEE en
cours de constitution). Une partie des dispositifs
expérimentaux fait partie du projet d’investissement d’avenir AnaEE-Services (2012-2019) où
l’INEE et l’INRA joignent leurs compétences pour
poursuivre d’une façon coordonnée le développement et l’utilisation de ces dispositifs expérimentaux d’étude des écosystèmes terrestres et
aquatiques, à l’échelle française, et participe à la
construction d’un consortium européen de platesformes expérimentales (AnaEE Europe). Les
outils mis en place par l’INEE à une échelle géographique plus grande et incorporant beaucoup
plus directement les activités humaines, tels les
Zones Ateliers, regroupées en SOERE, et représentant le volet français des LTER européens
et internationaux, et les Observatoires Homme
Milieu, regroupés au sein du LABEX DRIIHM, font
des outils de l’INEE un ensemble pertinent et parfaitement ancré dans les priorités nationales et
internationales en termes de recherche en écologie. Les moyens d’accès à la mer, au travers
de l’UMS Flotte Océanographique Française, complète ce panorama (Cf entre autres Ateliers 1, 5,
10, 11, 17, 22).
230
Les dispositifs supplémentaires qu’il faudrait
développer concernent :
• Une ou des infrastructures de type mésocosmes pour les écosystèmes marins,
notamment benthiques, et des salles
d’aquarium d’eau de mer courante dans les
stations marines (Atelier 11), en complément de la plate-forme MEDIMEER de Sète ;
• Renforcer les stations expérimentales in
situ manipulant les facteurs environnementaux à fort pouvoir de forçage (par exemple
exclusion de pluies, Atelier 5, ou courant) ou
permettant l’expérimentation à long terme
sur les interactions hommes-milieux (par
exemple sur la domestication, Atelier 17) ;
• Compléter les sites observatoires instrumentés en particulier en milieu tropical
(forêt, savane et milieu marin, Atelier 14),
en zone littorale à l’interface terre-mer et
en milieu marin profond (Atelier 11), mais
également en milieu aquatique d’eau douce
(systèmes lotiques), en s’appuyant sur le
réseau des zones ateliers ;
• Développer ou renforcer des plateformes
spécifiques en géochronologie, imagerie,
paléogénomique (Atelier 5), des mésocosmes interconnectés en réseaux pour
simuler des chaînes trophiques longues, et
dans des milieux complexes aux interfaces
(Atelier 22).
L’investissement important dans de grands
dispositifs expérimentaux ou d’observation
doit se poursuivre aussi du fait qu’ils constituent des creusets d’interactions entre les disciplines et entre les institutions (Ateliers 11,
17, 22). Ces grands dispositifs sont le moyen
pour les équipes françaises de s’insérer dans
les réseaux internationaux de recherche ou de
ressources (le Marine Biological Resource Center par exemple) (Ateliers 11, 14). Ainsi la Commission Européenne incite fortement à ce qu’il
y ait un lien fort entre la programmation de la
recherche (Joint Programing Initiatives) et les infrastructures de recherche comme la dynamique
ESFRI (« Analysis and Experimentation on Ecosystems » dans notre domaine). Dans ce contexte,
il est important que l’INEE fasse reconnaître au
niveau du CNRS et du ministère de la recherche
la nécessité de plusieurs TGIR (ou IR) en écologie plutôt que de faire rentrer tous ses dispositifs dans une seule et unique IR.
Outils de bancarisation
La quantité de données naturalistes produites
et mises à disposition de la communauté nationale ou internationale augmente de façon considérable, qu’elles soient issues de la recherche,
des inventaires (nationaux, régionaux, thématiques), des collections ou encore des sciences
participatives. « Explosion de données », « Datavalanche », « Révolution de l’information » sont
des expressions qui illustrent bien le sentiment
des chercheurs face au défi qu’il faut pourtant
impérativement relever (Atelier 1).
Ces données sont essentielles pour la connaissance. Il convient donc de coordonner leur collecte, de les organiser, de définir des standards
pour favoriser les échanges entre bases de données (thésaurus et ontologies), de connaître les
usages qui en seront faits (recherche, expertise,
modélisation, gestion d’espèces ou d’espaces,
etc.), de les documenter correctement (métadonnées et qualité des données), dans le respect de la propriété intellectuelle et des règles
européennes (application de la directive INSPIRE et des normes ISO 19115 et 19139 pour
les métadonnées, par exemple). Il convient également de penser leur stockage à court, moyen
et long terme, et de faciliter leur partage par la
mise en place de portails internet.
Ces préoccupations sont apparues comme essentielles et prioritaires (Ateliers 1, 3, 5, 10, 14,
15, 17, 19 et 22).
L’INEE a anticipé une partie de ces besoins par
la création, avec le Muséum national d’Histoire
naturelle, de l’unité de service BBEES « Bases
de données sur la biodiversité, écologie, environnements et sociétés », dont un des objectifs est
de mettre en réseau les bases de données de
recherche au travers du portail http://www.bddinee.cnrs.fr/. Il s’agit également d’apporter un
soutien technique et scientifique aux unités et
chercheurs, souhaitant structurer, pérenniser et/
ou mutualiser des bases de données, en proposant des solutions déjà appliquées et validées.
Le partage de l’expérience est le corollaire de
cette action. La création en 2012 du réseau
métier « Bases de données », en collaboration
avec la Mission des ressources en compétences technologiques (MRCT) du CNRS, devrait
là encore répondre à de nombreuses attentes :
• Créer un réseau de communication,
d’échanges et de projets permettant d’apporter une aide et une dynamique dans tous
les domaines techniques nécessaires à
la conception, à la réalisation, à l’exploitation ou à l’adaptation optimale des bases
de données : veille technologique, entraide
technique, prospectives techniques, offres
d’emplois, etc. (Ateliers 1, 5, 10, 19) ;
• Mettre en place des groupes de réflexions
sur les dictionnaires de données (jeux de
métadonnées et thésaurus) qui peuvent
être utilisés pour la réalisation des bases de
données et les mettre à la disposition de la
communauté (Ateliers 1, 15, 19) ;
• Harmoniser des actions autour des grands
projets scientifiques multidisciplinaires dans
lesquels une ou plusieurs bases de données jouent un rôle fondamental (Atelier 1) ;
• Proposer et organiser des formations permettant à la communauté de maîtriser les
meilleures innovations techniques adaptées
au contexte de la recherche (Atelier 10) ;
• Connaître les forces et les compétences
des personnels (statutaires ou contractuels)
en réalisant un état des lieux auprès des
unités CNRS et proposer un annuaire des
compétences au sein du réseau (Atelier 10) ;
• Etc.
Ce n’est qu’au prix d’une parfaite harmonisation des données, facilitant leur mutualisation
et leur possible réutilisation que le travail de traitement, d’analyse (statistique, géomatique etc.)
ou encore de modélisation sera rendu optimal.
Malgré les avancées récentes, l’investissement
de l’INEE dans le domaine des bases de données doit se poursuivre, notamment dans les
solutions de stockages et d’archivages (moyens
matériels et humains). Le paysage actuel parait
en effet extrêmement sombre pour qui veut
aujourd’hui trouver une solution claire et stable
d’hébergement de sa base de données. L’aide
à la mise en ligne des données est également
un point fort à ne pas oublier. Il s’agit là d’un
véritable enjeu à ne pas rater.
231
prospectives d’avignon
Outils d’interactions institutionnelles et d’interdisciplinarité
De nombreux ateliers ont exprimé le souhait
de voir se développer des outils favorisant les
interactions entre l’INEE et d’autres instituts du
CNRS (INSB, INSU, INSHS) ou d’autres instituts
français (Museum, INRA, IFREMER, IRD, CIRAD,
IRSTEA, INRAP). Il s’agit de tirer parti des complémentarités en termes de compétences et
d’infrastructures afin de pouvoir répondre d’une
façon pertinente aux grands enjeux environnementaux. Il s’agit dans certains cas d’atteindre
une masse critique dans certains domaines et
souvent dans d’autres cas de développer l’interdisciplinarité. Plus fondamentalement, il faut
aussi au travers de collaborations inter-laboratoires, redonner aux chercheurs une curiosité
dépassant le champ de leur discipline.
Les outils ou actions à mener qui ont été citées
sont les suivants :
• Soutenir les commissions interdisciplinaires (notamment la CID 52 Environnement
et Sociétés) ;
• Renforcer les plateformes de production
de connaissances interdisciplinaires (Zones
Ateliers, Observatoires Homme Milieu) ;
• Compléter ces dispositifs sur les biomes
les plus critiques vis-à-vis des enjeux environnementaux, et non encore pris en considération dans ces réseaux (ville, montagne,
zones agricoles, littoraux, hautes latitudes,
milieu marin, sites pollués) ;
• Créer des réseaux thématiques transversaux par exemple à l’interface Sciences
Humaines – Biologie Santé ;
• Inciter à la mise en place entre disciplines
de définitions communes, de concepts partagés, de standards et de protocoles harmonisés,
• Encourager explicitement l’INEE à soutenir
des programmes interdisciplinaires au travers d’appels à projets, écoles thématiques,
groupement de recherche, recrutements.
Conclusion
Ces différents éléments n’ont pas pour objet de recouvrir de manière exhaustive les forces et les
enjeux que doit relever l’INEE en termes d’outils. Ils soulignent cependant que l’écologie, « mégascience » en développement, doit avoir, eu égard aux enjeux sociétaux associés aux écosystèmes et
à la biodiversité, les moyens de mettre en place ces outils et de recruter le personnel nécessaire.
Certains ont comparé l’investissement nécessaire à l’écologie, notamment pour comprendre et
maintenir les services écosystémiques, à l’investissement réalisé dans la médecine, l’exploration
spatiale ou la défense. Une solution ambitieuse serait par conséquent de mettre en place, à l’instar de ce qui existe dans le domaine des sciences de l’univers avec le corps des astronomes et
physiciens, un corps spécialement affecté aux questions de biodiversité et de fonctionnement des
écosystèmes tant terrestres que marins.
La dynamique engagée en termes d’infrastructures expérimentales et de LTER doit également être
poursuivie et sanctuarisée. En effet, les matériaux et les équipements en cours d’acquisition ou
programmés dans un futur proche doivent bénéficier d’une jouvence ad hoc pour être opérationnels,
et bénéficier des avancées technologiques lorsqu’elles voient le jour. D’autre part, le suivi à long
terme des écosystèmes, et la bancarisation performante des données et des échantillons collectés, est un préalable indispensable pour aborder les problématiques relatives au fonctionnement
et à la dynamique des écosystèmes dans la durée, et répondre ainsi aux grands enjeux actuels de
recherche en écologie.
232
Priorités
en Recherche
en Ecologie
Enquête auprès
des Directeurs d’Unité
avignon
Prospective
Coordinateurs : Jérôme Casas & Franck Courchamp
Un Institut tel que l’INEE se doit de développer une politique de recherche mêlant résolument les
contributions « top-down » et « bottom-up » en matière de choix scientifiques. Ainsi les priorités de
recherche peuvent être identifiées à partir d’une stratégie scientifique établie par la direction aussi
bien que des besoins exprimés par les chercheurs eux-mêmes, les uns et les autres n’étant pas
nécessairement identiques, et très probablement complémentaires. C’est en partant de ce constat
qu’il est apparu pertinent de chercher à identifier un certain nombre de questions jugées comme des
priorités actuelles pour la recherche en écologie et évolution pour les dix années à venir, telles que
ressenties par la communauté des chercheurs de l’INEE. Dans le cadre de l’effort de réflexion sur les
prospectives de l’INEE résumées dans le présent rapport, il est apparu opportun de lancer dans ce
sens une démarche originale auprès des chercheurs.
Fort des expériences acquises lors de plusieurs démarches visant à identifier les futures priorités
en Recherches en Sciences de l’Environnement, le Prof. Sutherland (Université de Cambridge, GB) a
développé un protocole, relativement simple, qui a été repris aux USA puis au Canada1. La démarche
est participative et itérative, s’appuie sur un nombre relativement élevé de participants et permet de
dégager un certain nombre de priorités faisant assez largement consensus dans la communauté.
Nous nous sommes fortement inspirés de cette démarche afin de dégager un nombre particulièrement
restreint de thématiques en recherches sur l’écologie, l’évolution, la biodiversité et les sciences de
l’environnement, telles qu’envisagées par les laboratoires de l’INEE.
Les exercices de prospective ne manquent pas, aussi bien à l’INEE que dans d’autres institutions. La
FRB, par exemple, a mené un exercice semblable entre le colloque de prospective à Rennes et celui
d’Avignon. INEE a mené récemment des prospectives plus ciblées, sur les instruments en écologie sur
l’écologie chimique ou encore sur l’écologie fonctionnelle. Les rapports sont érudits, de belle facture,
mais il est souvent difficile de dégager un petit nombre de thématiques d’un champ disciplinaire vaste,
avec des niveaux de priorité. Il est cependant indéniable, à l’instar d’autres communautés scientifiques parfois bien plus larges (voir http://engineeringchallenges.org/), qu’un nombre restreint de
priorités à mener de front est un atout.
1 - d’après Sutherland, W. J., M. J. Bailey, et al. (2008). «Future novel threats and opportunities facing UK biodiversity identified by horizon scanning.» Journal of Applied Ecology 45(3): 821-833, Pretty, J., W. J. Sutherland, et al. (2010). «The top 100
questions of importance to the future of global agriculture.» International Journal of Agricultural Sustainability 8(4): 219-236,
Fleishman, E., D. E. Blockstein, et al. (2011). «Top 40 Priorities for Science to Inform US Conservation and Management
Policy.» BioScience 61(4): 290-300, Rudd, M. A., K. F. Beazley, et al. (2011). «Generation of Priority Research Questions to
Inform Conservation Policy and Management at a National Level / Generación de Preguntas de Investigación Prioritarias para
Informar a las Políticas y Gestión de la Conservación a Nivel Nacional.» Conservation Biology 25(3): 476-484, Sutherland, W.
J., S. Bardsley, et al. (2011). «Horizon scan of global conservation issues for 2011.» Trends in ecology & evolution (Personal
edition) 26(1): 10-16, Sutherland, W. J., E. Fleishman, et al. (2011). «Methods for collaboratively identifying research priorities
and emerging issues in science and policy.» Methods in Ecology and Evolution 2(3): 238-247.
prospective de l’institut ecologie et environnement du cnrs
235
prospectives d’avignon
La démarche qui a été suivie cette fois fut de demander aux participants à ce projet d’exprimer 3
priorités, sans ordre, sur un site web conçu à cet effet et financé par l’INEE (http://prospective-ecologie.fr/). Du fait de la structure de cette démarche, il n’était pas possible de prendre en compte
l’avis de l’ensemble des acteurs de la recherche de l’INEE, ni même de se restreindre aux seuls
chercheurs. Nous avons par conséquent sollicité tous les Directeurs d’Unités de INEE, l’ensemble
des membres du Conseil Scientifique ainsi que les Directeurs Adjoints Scientifiques de l’INEE, soit
un total de plus de 150 personnes. Pour des raisons de simplification de gestion et des délais
impartis, il n’était pas souhaité que tous les chercheurs participent et l’adresse du site n’a pas été
diffusée au-delà de cette liste initiale. Cependant, les Directeurs d’Unité étaient encouragés, s’ils le
souhaitaient, à faire remonter des questions en provenance des membres de leur Unité, selon les
modalités qui leurs conviendraient. Les questions se devaient d’être de préférence d’ordre hypothético-déductif et de respecter les six règles suivantes :
1. On doit pouvoir y répondre, au moins partiellement, grâce à des expérimentations/modélisations faisables.
2. Les questions permettent des réponses factuelles hors de tout jugement de valeur.
3. Elles ciblent des questions et domaines où la recherche doit être importante et le manque
de savoir criant.
4. Elles concernent un domaine spatial et temporel permettant de les aborder par quelques équipes.
5. Les questions doivent être formulées de manière spécifique, en évitant le généralisme,
comme par exemple « sauvegarder un maximum de biodiversité », et formulées en évitant que
les réponses soient « ça dépend », « oui » et « non ».
6. Les questions doivent être suffisamment modernes et visionnaires pour qu’un esprit de
« conquête ambitieuse » puisse émerger.
Le taux de réponse de la part des personnes ciblées a été plus faible qu’attendu (41 personnes
sur 155 sollicitées), ce qui a empêché le développement d’un processus itératif de sélection d’un
nombre finalement restreint de questions faisant consensus dans la communauté. Les 124 questions obtenues ont cependant permis de dégager un certain nombre de points particulièrement
intéressants, qui sont brièvement exposés ici.
En premier lieu, il est important de souligner que les questions posées par les participants étaient
généralement peu spécifiques, peu d’entre elles concernant des questions restreintes sur des problématiques précises. L’ensemble couvrait de plus un champ très vaste, avec relativement peu
de sujets « à la mode », et avec beaucoup de diversité, tant thématique que de catégorielle (y
compris au sein des trois questions de chaque participant). Quelques exemples typiques de ces
questions ont été reportés dans la table ci-après. Ces exemples illustrent le fait que certaines de
ces questions se portaient sur un plan de changement de paradigme, soulignant que la progression
des connaissances s’accompagne souvent d’une évolution des points de vue, nécessitant parfois
d’envisager une reconsidération de nos schémas de pensée. A l’autre extrême, des besoins se sont
fait sentir sur des questions beaucoup plus pratiques, d’ordre organisationnel, propres ou non aux
spécificités fonctionnelles des chercheurs du CNRS. Entre les deux, une majorité de questions de
compréhension des systèmes écologiques et évolutifs, y compris en intégrant, probablement plus
qu’il y a une décennie, les diverses dimensions humaines et sociétales.
Au sein des questions portant sur la compréhension de nos objets d’étude, il ressort également de
cet exercice 2012 une grande diversité de thématiques, comme illustré par le nombre important de
mots clés utilisés le plus fréquemment (Figure 1). En particulier, un besoin s’est fait très clairement
sentir sur les thématiques de la biodiversité (biologie de la conservation, notion d’anthropocène),
de l’impact des changements globaux sur celle-ci (notamment des changements climatiques et des
invasions biologiques), de son adaptation à ces changements (concepts de résilience, d’épigénétique, d’hérédité non-génétique, de plasticité phénotypique…) et sur les interactions entre la biodiversité et les activités humaines (écosystèmes urbains, écosystèmes et santé, agroécosystèmes
et développement durable, sciences participatives…). A noter l’absence ou quasi-absence de mots-
236
clés jusqu’à récemment assez courant dans nos domaines, comme les termes en « –omique », le
chaos, le sexe, pour n’en citer que trois à la mode dans les décennies passées. Peut-être ceux-ci
ont été remplacés par les deux nouveaux venus que sont changement climatique et l’épigénétique ?
Questions de paradigme
Face aux récentes avancées notamment en épigénétique, faut-il reconsidérer notre vision «gène centré» de
l’évolution ?
L’étude de l’écologie peut-elle s’affranchir de celle des sociétés humaines ?
Comment redéfinir une vision du monde commune aux sciences environnementales et sociales qui intègrent
les modifications anthropiques actuelles des contextes évolutifs et écologiques?
Questions de compréhension
Quels sont les propriétés émergentes des systèmes éco-évolutifs?
Quelles sont les conséquences écologiques et évolutives de l’érosion de la biodiversité?
Comment évaluer et rendre compte des services rendus par la biodiversité et les écosystèmes, en dépassant
toute forme de monétarisation ?
En quoi la santé des écosystèmes détermine t-elle la santé humaine, en particulier dans les milieux riches en
pathogènes?
Quelles sont les limites de la capacité des organismes et des écosystèmes à l’adaptation aux changements
globaux?
Quelle est la nature et le poids des mécanismes épigénétiques participant à l’évolution adaptative?
Comment les représentations que les sociétés se font de la biodiversité et de l’environnement permettent-elles
de mettre en oeuvre des politiques de développement durable réalistes?
Questions d’organisation
Comment gérer et rendre accessibles et utilisables de très grands jeux de données hétérogènes comme il en
existe en écologie ou dans le domaine de la biodiversité?
Comment développer la nouvelle génération d’équipements et d’instruments pour mieux comprendre le fonctionnement des systèmes écologiques?
Comment rendre compatible le financement de la recherche et la poursuite de projets ambitieux, à long terme
et ou à grande échelle?
Table I : exemples de questions
clé en écologie proposées par les
participants de l’INEE
Figure 1 : principaux mots-clés utilisés dans les questions primordiales pour les dix prochaines années en écologie, telles que proposées par les participants de l’INEE. La disposition des mots est aléatoire et n’a aucune signification particulière, si ce n’est d’illustrer
qu’elles se rapportent, globalement et collectivement, à une meilleure compréhension de
la biosphère. La taille des mots clés est proportionnelle à leur fréquence d’utilisation dans
l’ensemble des questions (mais est reprise de manière fractale, et les mots clés les plus
fréquents se retrouvent donc également illustrés en petite taille).
237
prospectives d’avignon
Après un agencement par niveaux de généralité, l’ensemble de ces propositions apparaît comme
appartenir à six grandes thématiques de questionnements que l’on peut eux-mêmes regrouper
dans trois catégories (Figure 2). La première se rapporte directement à la compréhension et l’identification de la biodiversité, aussi bien du point de vue taxonomique que du point de vue structurations spatiale et fonctionnelle ainsi qu’à à la complexité inhérente aux besoins d’intégrations
de processus multi-échelles (spatial, temporel, structurels,…). Dans la seconde catégorie, de très
nombreuses questions concernaient l’évaluation (et la valorisation, dans les deux sens du terme)
de la biodiversité (sous ses différentes dimensions) et des écosystèmes qu’elle constitue, afin
d’en optimiser la gestion (par l’exploitation, aussi bien que par la conservation). Pour ce faire,
il semble essentiel, sous diverses formulations, d’être mieux en mesure de prédire l’impact des
changements environnementaux globaux afin d’en mitiger l’impact sur la biodiversité, sur le fonctionnement des écosystèmes et sur les services qu’ils procurent aux sociétés humaines. Enfin, au
sein d’un troisième grand type de questions, il a été maintes fois suggéré que l’étude de l’écologie
peut aujourd’hui difficilement s’affranchir des composantes humaines et sociétales, à différents
niveaux, et qu’il est par conséquent essentiel de mieux intégrer les études biologiques, écologiques
et celles centrées sur les sciences humaines et sociales. De manière connexe, quelques questions
se rapportaient aux moyens à mettre en œuvre pour adapter nos méthodes et outils de recherche à
ces problématiques clairement en évolution.
Figure 2 : Les six grands thèmes émergeants des 124 questions proposées par
les participants, en trois grands volets qui sont (1) comprendre les processus écologiques et évolutifs et les éléments qui la composent, à différentes échelles, (2)
construire des systèmes pour évaluer, valoriser, projeter et gérer le fonctionnement
et les services des écosystèmes, notamment dans un contexte d’anthropisation
exacerbée et (3) mieux intégrer la dimension humaine dans les recherches, en tant
que facteur aussi bien qu’en tant qu’acteur.
Bien qu’initialement programmé pour être un processus plus largement participatif et résolument
itératif, l’évolution de la méthodologie de mise en lumière des questions clés, imposée par le nombre
finalement limité de participants, a permis de faire émerger une vision dynamique et très diversifiée
des questions qui importent à la communauté des chercheurs de l’INEE pour la prochaine décennie.
Une analyse plus fine des résultats bute sur la trop faible participation, qui est une spécificité non
retrouvée dans les exercices équivalents dans les autres pays. Nous retiendrons cependant que le
caractère dynamique et diversifié est probablement l’un des atouts affiché de cet Institut au sein du
CNRS, ce qui en fait actuellement sa richesse, et ce qui en fera à nouveau, espérons-le, le succès
pour la décennie à venir.
238
liste des ateliers
• éCOLOGIE PRéDICTIVE ET CHANGEMENT PLANéTAIRE (ATELIER 1 LA MODéLISATION DU CONCEPT A L’OPéRATIONNEL)
• GéNOMIQUE (ATELIER 2)
• POUR UNE éCOLOGIE GLOBALE (ATELIER 3)
• CHANGEMENT GLOBAL - ORGANISME - éCOSYSTèME - HUMAIN (ATELIER 4)
• éVOLUTION HUMAINE BIOLOGIQUE ET CULTURELLE (ATELIER 5)
• HéRéDITé GéNéTIQUE ET NON GéNéTIQUE, VERS UNE GéNéRALISATION
DE LA THéORIE DE L’éVOLUTION (ATELIER 6)
• éCOLOGIE, éVOLUTION, SANTé ET BIODIVERSITé (ATELIER 7)
• SANTé et SOCIETé (ATELIER 8)
• SERVICES éCOSYSTéMIQUES, REPRéSENTATION DE LA NATURE
ET DE L’ENVIRONNEMENT (ATELIER 9)
• INTeRACTIONS ET RéTROACTIONS , RôLE DE LEUR éCOLOGIE
ET éVOLUTION DANS LE FONCTIONNEMENT DES éCOSYSTèMES (ATELIER 10)
• LA MER (ATELIER 11)
• éCO-éVO-DéVO -PALéO (ATELIER 12)
• SEXE ET éVOLUTION (ATELIER 13)
• éCOLOGIE TROPICALE (ATELIER 14)
• SYSTéMATIQUE, PHYLOGéNIE (ATELIER 15)
• SYSTèMES CULTURELS, STRATéGIES ET PRATIQUES D’EXPLOITATION,
DE CONTRôLE ET DE GESTION DES ENVIRONNEMENTS (ATELIER 16)
• DOMESTICATION, AGROBIODIVERSITé (ATELIER 17)
• SOCIO-éCOSYSTèMES URBAINS (ATELIER 18)
• ENVIRONNEMENTS QUATERNAIRES NON ANTHROPISéS OU PEU ANTHROPISéS ;
INTeRACTIONS HOMME-CLIMAT - ENVIRONNEMENT SUR LE LONG TERME (ATELIER 19)
• PRIORITéS EN RECHERCHE EN éCOLOGIE (ATELIER 20)
• PROSPECTIVE PRIORITéS EN RECHERCHE EN éCOPHYSIOLOGIE ANIMALE (ATELIER 21)
• PROSPECTIVE PRIORITéS EN RECHERCHE EN éCOTOXICOLOGIE (ATELIER 22)
240
Mai 2013
Illustrations : Romuald Maurel - Crédit photos atelier 19 : P. Antoine - P. Bertran - A. Gauthier - N. Limondin-Lozouet