prospectives InEE
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prospectives InEE
Prospective écologie & environnement de l’Institut du cnrs C o m pt e - r e n d u d e s j o u r n é e s d e s 2 4 e t 2 5 o c t o b r e 2 0 1 2 , Av i g n o n hors-série sommaire Avant-propos 3 Introduction 5 Ecologie prédictive et changement planétaire 9 - introduction Epistémologie de la prédiction Des données à l’information Renforcer les démarches théoriques Projection, prédiction et scénarisation - Conclusion 11 15 23 29 33 39 évolution et écologie 45 - Introduction - Interactions et rétroactions, rôle de leur écologie et évolution dans le fonctionnement des écosystèmes - Prospective priorités en recherche en écophysiologie animale - Génomique - Systématique, phylogénie - Eco-Evo-Dévo-Paléo - Hérédité génétique et non génétique, vers une généralisation de la théorie de l’évolution - Sexe et évolution - Ecologie, Evolution, Santé et Biodiversité 47 49 65 69 75 79 Homme, sociétés et environnements 99 - Introduction 101 - Evolution humaine biologique et 103 culturelle - Systèmes culturels, stratégies et pratiques d’exploitation, de contrôle 111 et de gestion des environnements 119 - Santé et Société - Services écosystémiques, représentation 131 de la nature et de l’environnement Les sciences de l’écologie et de l’environnement actrices du développement durable 139 141 - Introduction - Environnements quaternaires non anthropisés ou peu anthropisés ; interactions Homme-climat 145 environnement sur le long terme 153 - Domestication, agrobiodiversité - Changement global - Organisme 165 Ecosystème - Humain 173 - La mer 183 - Ecologie tropicale 193 - Socio-écosystèmes urbains - Prospective priorités en recherche en écotoxicologie 207 - Pour une écologie globale 219 83 89 Outils en écologie 95 Priorités en recherche en écologie Liste des ateliers 225 240 233 Coordination générale : Stéphanie Thiébault et Halima Hadi Directrice de la publication : Françoise Gaill Membres du Conseil Scientifique de l’INEE : Denis Allemand, Valérie Andrieu-Ponel, Jean-Christophe Auffray, Gilles Boetsch, Wolfgang Cramer, Christophe Douady, Sylvie Dufour, Patrick Durand, Jean-Pierre Feral, Marie Gaille, Josette Garnier, Patricia Gibert-Brunet, Lamine Gueye, Joël Guiot, Didier Jouffre, Catherine Kuzucuoglu-Bigonneau, Nadine Le Bris, Alain Marhic, Virginie Maris, Jacques Roy, José-Miguel Sanchez-Perez, Patricia Sourrouille, Jean-Denis Vigne Gudrun Bornette, Robert Chenorkian, Martine Hossaert, Sylvain Lamare, directeurs adjoints scientifiques à l’INEE Comité de pilotage du Colloque prospectives Avignon : Jean-Christophe Auffray, Stéphane Blanc, Pierre Capy, Jérôme Casas, Franck Courchamp, Bruno David, Philippe Grandcolas, Michel Loreau, Doyle Mckey, Nicolas Mouquet, François Renaud, Jean-Denis Vigne avant-propos avignon Prospective Les problématiques relatives aux questions environnementales et de développement durable sont nées dans les années 1970, dans un contexte international d’urgence. La prise de conscience s’est véritablement mise en place à la suite de la parution du rapport Brundtland en 1987 et la diffusion internationale de ces problématiques a eu lieu à la suite de la conférence de Rio en 1992. Un premier verrou a été levé dans le domaine scientifique grâce à la mise en place de programmes nationaux tel que le Programme interdisciplinaire de recherche sur l’environnement, le PIREN, en 1978. La création en janvier 2006 du département Environnement et Développement Durable (EDD) au CNRS fut une étape institutionnelle décisive. Cette création répondait à une demande liée à la perception économique, sociale et politique des questions liées à l’environnement, devenues alors un enjeu mondial. Il s’agissait de mettre en œuvre les priorités « Environnement et Développement durable » du CNRS, en favorisant l’innovation et en réussissant par la transversalité, le passage du disciplinaire à l’interdisciplinaire. Le travail de structuration d’une communauté travaillant sur les enjeux liés au changement global et à la mondialisation des activités humaines a été mené avec le plus grand dynamisme et une solide expertise scientifique des unités associées au CNRS. En 2009, la création d’un Institut intitulé « Ecologie et Environnement » (INEE), prenant la suite de EDD, permit d’identifier explicitement l’écologie en tant que domaine disciplinaire pivot et d’afficher notre mission : « faire émerger les sciences de l’environnement comme champ scientifique intégré ». Le colloque de Rennes, correspondant aux premières journées prospectives INEE en mai 2009, fut un moment charnière pour fédérer la communauté nationale sur les axes stratégiques prioritaires. C’est autour de l’écologie, de la biodiversité et des relations hommes milieux, que des thématiques telles que les changements climatiques et leurs effets, l’artificialisation des milieux et du vivant, l’ingénierie écologique, l’écologie de la santé ou la ville… ont pu être développées. A la suite de ce colloque, nous avons été en capacité de mettre en place des collaborations non seulement avec nos partenaires de l’enseignement supérieur, mais aussi avec ceux de la recherche finalisée, en établissant des liens avec les collectivités et les acteurs du monde économique et politique. L’un des signes forts de la dynamique instaurée autour des actions de l’INEE fut la mise en place de l’Alliance nationale de la recherche pour l’Environnement, Allenvi, comportant 12 membres fondateurs. Le travail réalisé depuis, a permis de donner une visibilité croissante aux thématiques que nous avions ciblées. 3 Le colloque de prospectives de l’INEE, qui s’est déroulé à Avignon en octobre 2012, marque une nouvelle étape. Nous ne pallions plus aujourd’hui à l’urgence de la demande, nous avançons dans nos disciplines et à leurs interfaces. De nouveaux défis sont désormais à notre portée, grâce à un travail mené pleinement à l’interdisciplinaire. Il ne s’agit plus de conduire les dialogues, il s’agit de les élargir et de les intégrer pour en faire une pensée scientifique. Il ne s’agit plus de réunir plus ou moins laborieusement des compétences sur une thématique, mais bien d’identifier des champs thématiques intégrant la diversité des compétences. Il s’agit d’ouvrir notre dynamique scientifique, à partir des questions d’environnement, vers les autres grands enjeux de nos sociétés et du développement durable. Ce document s’inscrit donc dans l’ensemble des cahiers prospectives débutés à l’INEE avec des prospectives spécifiques concernant une discipline - l’écologie fonctionnelle -, un environnement - le polaire -, un domaine émergent - l’écologie chimique - ou des approches innovantes - sensors for ecology -, qui furent les prémices du travail de réflexion et d’intégration de notre démarche. On voit, à lire ce document, le chemin parcouru depuis Rennes. Avignon fut un moment de foisonnement de questions croisées, de débats autour du bien fondé de la diversité d’approches et de convergence de problématiques redéfinies. Ces journées ont permis de structurer une véritable communauté interdisciplinaire autour de la biodiversité naturelle et culturelle, actuelle et passée, ainsi qu’autour de la fonctionnalité et de l’évolution des écosystèmes, jouant ainsi un rôle essentiel pour l’IPBES (Plate-forme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques). Tout ce qui a été mis en place nous permettra d’avancer beaucoup plus loin et bien plus efficacement, pour résoudre et surtout anticiper de véritables défis scientifiques qui s’offrent à nous dans un avenir plus ou moins proche. L’écologie est une science encore jeune qui, en devenant globale, se propose d’être intégrative, opérationnelle, prédictive et qui laisse encore toute sa place à l’inattendu et l’innovation. Comment désormais intégrer l’homme, non seulement en le considérant comme un acteur des dynamiques écologiques mais aussi en prenant pleinement en compte la complexité, l’irrationalité et l’imprédictibilité des comportements sociaux, fait partie de l’enjeu. Ce travail de prospective marque les fondements, les avancées et les dynamiques à mettre en place pour toutes les questions liées à l’écologie et l’environnement. Je remercie les chercheurs pour leur investissement et l’excellence de leurs travaux qui permettront à nos thématiques de s’inscrire dans les priorités internationales. Françoise GAILL Directrice de l’institut écologie et environnement du CNRS 4 introduction avignon Prospective Ce cahier hors série des prospectives de l’INEE rassemble un ensemble de textes issus de réflexions menées en commun, pendant près d’un an, par les chercheurs de l’INEE. Avant d’arriver aux fructueux débats menés pendant les trois jours de prospectives en Avignon, en octobre 2012, nombreuses furent les réunions, échanges, controverses, qui préparent des documents qui ont constitué les socles de la réflexion. Après Avignon, il ne restait plus qu’à enrichir ces textes des apports des participants et à les formaliser. Ils sont ici réunis et proposés aux lecteurs. L’objectif des journées d’Avignon n’était pas de faire un bilan des quatre années passées depuis la création de l’INEE, mais bien, en traçant les pistes de recherches futures, d’affirmer l’identité de l’institut dans sa façon de mener sa recherche dans son domaine qui allie l’écologie, l’évolution, la biodiversité et les relations homme-milieu. A l’heure où le paysage de la recherche française est en pleine mutation, l’INEE souhaitait entamer une réflexion sur les défis que les sciences de l’environnement auront à relever ces prochaines années. Ce recueil publie les textes issus des 22 ateliers de travail (Cf liste des ateliers page 240), regroupés et réorganisés de façon à proposer une lecture thématique plus fluide. Grâce au travail de son conseil scientifique, il se décompose en plusieurs chapitres. Le premier concerne l’écologie prédictive et les changements planétaires. Piloté par Nicolas Mouquet, Michel Loreau et Yvan Lagadeuc et rassemble de très nombreux contributeurs. Cet article de fond souligne et discute la nécessité, pour nos disciplines, dans le contexte des changements globaux, de fournir en parallèle une description de la diversité biologique, des concepts adéquats pour en comprendre les propriétés et la dynamique et des modèles satisfaisants pour en prévoir le devenir. 5 prospective de l’institut ecologie et environnement du cnrs Le chapitre suivant réunit, sous le titre écosystèmes, interactions, évolutions, de nombreux textes de réflexion. Porté dès l’origine par Jean-Christophe Auffray, Christophe Douady et Sylvie Dufour, les questions portant sur l’évolution (diversification et transformation du monde vivant) demeurent parmi les plus stimulantes du front de la connaissance. Si le décryptage des mécanismes de l’évolution garde tout son intérêt (spéciation, adaptation, sexe et évolution, interactions, etc.) de nouveaux paradigmes conduisent à l’émergence de thématiques nouvelles. Elles sont liées notamment aux changements d’échelles qui conduisent à une appréhension plus intégrative et plus globale de l’évolution, et aux changements de champs d’application qui nous engagent vers des approches plus prédictives et plus appliquées de l’évolution. De même, sont évoquées les actions des contraintes abiotiques sur les processus, les structures et dynamiques des communautés (résistance, résilience, vulnérabilité), les invasions biologiques, les organismes ingénieurs, construction de niche, rôle des traits fonctionnels dans les processus écologiques à différentes échelles par exemple. Tout naturellement le chapitre suivant concerne l’Homme, sociétés et environnements. L’introduction de Gilles Boetsch, Virginie Maris et Wolfgang Cramer souligne la portée des recherches réalisées à l’interface entre l’étude des écosystèmes et l’étude des sociétés humaines que ce soit dans l’évolution biologique ou culturelle de l’homme, les stratégies d’exploitation, de gestion, de contrôle de l’environnement, la santé ou les services écosystèmiques. Il signale l’importance d’adopter des cadres conceptuels pour comprendre et anticiper l’évolution des relations passées et à venir entre sociétés et environnements à des échelles de temps et d’espaces variées. Ce cheminement aboutit au chapitre intitulé les sciences de l’écologie et de l’environnement, actrices du développement durable. Les auteurs de l’introduction, Jean-Denis Vigne, Nadine Le Bris, Joël Guyot et Jean-Pierre Feral expliquent son objectif qui « vise à relever deux défis majeurs : mieux appréhender la complexité extrême des interactions entre sociétés humaines et systèmes écologiques ; s’appuyer sur cette maîtrise de la complexité pour accroître le rôle du monde de la recherche dans la construction du développement durable ». Les outils, qui lors des journées d’Avignon, ne possédaient pas d’atelier propre, puisque consubstantiels de chacun des ateliers, ont été rassemblés dans un chapitre, grâce à la ténacité de Jacques Roy, Gudrun Bornette, Cécile Callou et Yvon Le Maho. Ils ont réussi à faire la synthèse des éléments de prospectives qui mettent l’accent sur une partie des outils (analytiques, expérimentaux, de bancarisation, de modélisation …). Le dernier chapitre, enfin, priorités des recherches en écologie, expose les résultats de l’enquête menée par Franck Courchamp et Jérôme Casas selon le protocole de Sutherland. Elle vise à identifier les futures priorités des recherches en sciences de l’Environnement. Elle permet ainsi de faire émerger une vision dynamique et très diversifiée des questions qui importent à la communauté des chercheurs de l’INEE pour la prochaine décennie 6 Il ne me reste qu’à souhaiter au lecteur de se délecter de ces prospectives qui touchent à pratiquement tous les domaines de l’environnement et mettent bien en évidence la qualité et la créativité des chercheurs. Enfin, je remercie sincèrement les nombreux participants à ces prospectives. Le comité scientifique, qui avec patience, a su proposer des thèmes de réflexion, trouver les intervenants et préparer les journées d’Avignon. Les animateurs d’ateliers (qu’il n’est malheureusement pas possible de tous énumérer ici, mais qui, je l’espère, se reconnaitront) qui ont, non seulement réussi à s’entourer de nombreux contributeurs, mais aussi à animer les ateliers lors du colloque d’Avignon en s’adaptant à toutes les contraintes, et qui en plus, ont livré en temps voulu, ces textes de très haut niveau scientifique pour la publication. Les membres du conseil scientifique de l’INEE qui se sont tous investis, de façon remarquable, à la préparation de cette publication et qui furent partie prenante, dès le départ, de cet événement. Enfin, je voudrais dire toute ma reconnaissance à tout le personnel administratif de l’INEE, et plus particulièrement au pôle communication, car sans Halima Hadi et Conceicao Silva, un ouvrage de cette qualité n’aurait pas pu exister. Stéphanie THIEBAULT Directrice adjointe de l’institut écologie et environnement du CNRS Coordinatrice scientifique du Colloque Prospectives d’Avignon, octobre 2012 7 Prospective avignon Ecologie prédictive & changement planétaire Coordinateurs Nicolas Mouquet, Yvan Lagadeuc & Michel Loreau Contributeurs Groupe de réflexion : Frédéric Austerlitz, Jérôme Chave, Vincent Devictor, Eric Garnier, Olivier Gimenez, Dominique Joly, Romain Julliard, Sonia Kéfi, Virginie Maris, Serge Morand, Wilfried Thuiller Groupe ressource : Michael Blum, Sarah Calba, Marc Choisy, Audrey Coreau, Luc Doyen, Denis Faure, Stéphane Dray, Anne Duputié, Damien Eveillard, Charly Favier, Oscar Gaggiotti, Nicolas Galtier, Helene Guis, Vincent Herbreteau, Philippe Huneman, Franck Jabot, Philippe Jarne, Gael Kergoat, Gerard Lacroix, Sandra Lavorel, Jean-François Le Galliard, Line Le Gall, Xavier Morin, Hélène Morlon, Gilles Pinay, Julien Pottier, Roger Pradel, Frank Schurr, Pascal Simonet, Céline Teplitsky, Anne-Lise Tran, Samuel Venner avignon Prospective introduction Le contexte actuel des changements planétaires a conduit un nombre croissant d’Etats à adopter une politique environnementale volontariste (Vitousek et al. 1997; Loreau 2010a). Cette action politique s’est accompagnée d’un effort de synthèse au niveau scientifique pour englober la problématique de la biodiversité dans un contexte général en considérant aussi le fonctionnement des écosystèmes, l’économie ou encore plus largement les sociétés humaines (MEA 2005). Il s’agit pour les scientifiques de fournir en parallèle une description massive des systèmes écologiques, des concepts adéquats pour en comprendre les propriétés ainsi que des modèles prédictifs pour en anticiper le devenir dans un environnement changeant (Figure 1). Cet effort a favorisé la collaboration entre différents champs disciplinaires (écologie, évolution, mathématique, physique, chimie, climatologie, économie, sociologie, anthropologie, etc.), ainsi que l’acquisition et l’analyse d’une quantité de données sans précédent (Jones et al. 2006; Bellard et al. 2012). Cette démarche demande le développement d’une recherche de qualité en écologie fondamentale, le développement d’indicateurs biologiques pertinents et la mise en place de méthodes de scénarisation et d’évaluations à différentes échelles spatiales (localités, régions, pays, continents) et temporelles (année, décennie, siècle). Cet engagement implique également de penser l’homme non plus comme un simple observateur mais comme un acteur majeur du devenir des écosystèmes. Figure 1 : Les éléments de réponse des systèmes écologiques (en vert) aux changements globaux (en bleu) Modifié de Hooper et al. (2005) d’après Chapin et al. (2000). Les activités humaines sont à présent suffisamment fortes pour que leurs effets aient des proportions mondiales. Anticiper la réponse des systèmes écologiques à ces perturbations implique de comprendre les rétroactions entre les compartiments biotiques et abiotiques, la distribution des traits des espèces, leur évolution, et leurs effets sur le fonctionnement des écosystèmes. Les interactions à prendre en compte, qu’ils s’agisse de rétroactions positives ou négatives, sont elles-mêmes multiples : par exemple aux interfaces entre la biosphère et la géosphère ainsi qu’avec l’atmosphère, au sein de la biosphère entre des processus biologiques agissant à différentes échelles d’organisation, de temps et d’espace, et entre processus écologiques et évolutifs dans les systèmes écologiques. La recherche en écologie s’appuie donc sur une démarche synthétique combinant de façon simultanée, coordonnée et interactive des activités d’observation, d’expérimentation alliées à une approche théorique et plus récemment un effort de synthèse et de méta-analyse. Global changes - Biogeochemical cycles (C, N,P, organics) - Land use (type, intensity) - Climate - Species invasions Human activities Ecosystem goods and services Abiotic controls - Composition - Richness - Evenness - Species interactions Species traits - Evolution - Function Ecosystem properties Abiotic controls - Resource availability - Modulators (temp, pH) - Distubance regime 11 prospective de l’institut ecologie et environnement du cnrs prospectives d’avignon L’écologie scientifique est une science assez jeune. Elle est d’abord passée par une phase de description et de définition des concepts avant de se poser la question de la prédiction/prévision (Encadré 1). L’écologie scientifique du 20e siècle a vu le développement de champs disciplinaires fortement structurés par échelles d’organisation (Encadré 2). Au 21e siècle, l’écologie est devenue globale et est marquée par le développement de modèles prévisionnels (Figure 2). Le défi est de construire une écologie pluridisciplinaire et prédictive qui nous permette de fournir des éléments de réponse à la crise environnementale sur une base scientifique (Figure 1). L’écologie tente ainsi, en ce début de siècle, de coupler à son développement conceptuel un objectif d’opérationnalité. 1. Ecologie scientifique entre descriptions et concepts Les scientifiques ont commencé par décrire la diversité biologique avant de la replacer dans son contexte environnemental. C’est la grande tradition des naturalistes des 17 et 18ième siècle, en amont des premières approches intégratives/prédictives proposées par des pionniers comme Lamarck, Darwin, Wallace et Haeckel (voir exemple Figure 2). Fortement influencée par la pensée philosophique d’Aristote : « la théorie devra rendre compte de ce qui est observé, et non l’inverse », l’écologie a d’abord procédé par empirisme pour appréhender les règles d’organisation du vivant et sa dynamique (à mettre en opposition avec les approches en physique : par exemple « C’est la théorie qui décide de ce que nous pouvons observer » citations de Albert Einstein dans Darwin and Co (Thuillier 1981)). Cette approche « naturaliste » a fortement cloisonné l’écologie, la menaçant de devenir une « science du cas particulier », chaque famille d’organismes et de milieux donnant naissance à sa propre écologie : écologie terrestre, écologie marine, écologie des vertébrés, écologie végétale, écologie microbienne, écologie des communautés etc. Mais l’écologie, dans sa dimension conceptuelle, a aussi cherché des lois générales et déterministes gouvernant les relations entre les organismes et leur environnement. La théorie de la sélection naturelle en fournit l’exemple probablement le plus frappant – depuis sa formulation initiale par Darwin, elle a fourni une trame générale pour la compréhension du vivant. Un autre exemple est la théorie de la succession écologique qui a eu dès le début du 20ième siècle pour objectif de prédire les assemblages d’espèces et le futur des écosystèmes (Clements 1916; McIntosh 1980; Rees et al. 2001). Ecologie et évolution ont depuis oscillé entre cas particuliers et recherche de concepts forts avec pour conséquence une difficulté à formuler des lois universelles (Lawton 1999). Un exemple de cette tendance est donné par les scénarios de distribution future de la diversité biologique. Provenant des théories de la biogéographie (Guisan & Thuiller 2005), des modèles de plus en plus informatifs ont rapidement été proposés sur la base de scénarios établis par les climatologues du GIEC (http://www.ipcc.ch). Ces modèles essentiellement corrélatifs ont ainsi proposé les premières anticipations sur les réponses possibles des espèces aux changements climatiques et ont abouti à des avancées importantes en statistique et en gestion des données. Ils ont cependant aussi souligné le manque de synthèse en écologie et indirec12 tement déclenché un véritable débat sur notre niveau de compréhension de la dynamique de la diversité biologique (Carpenter et al. 2009; Loreau 2010b; Thuiller et al. in review). D’abord limitées aux biogéographes et aux écologues des communautés, ce débat impliquent maintenant tous les acteurs de l‘écologie scientifique, de la génomique à l’écologie des écosystèmes et à l’épidémiologie. Il devient maintenant crucial, pour proposer des scénarios de l’avenir des systèmes écologiques, de s’interroger sur la notion de « prédiction » ainsi que d’évaluer notre capacité les formuler, à les valider et à communiquer sur les incertitudes associées. et (c) prédire et prévoir. Nous avons placé les approches théoriques et fondamentales au cœur de notre prospective en soulignant la nécessité d’un socle conceptuel fort pour construire une écologie opérationnelle. En plus de ce travail de synthèse, nous avons établi une liste des priorités de recherche qui nous semblent pertinentes, dans les prochaines années, pour faire de l’écologie une science « globale » et une composante clé de la politique environnementale à venir. Nombre de citations L’objectif de notre atelier a ainsi été d’évaluer dans quelle mesure l’écologie (au sens large, incluant l’évolution, l’écologie des organismes, le fonctionnement des écosystèmes et la biogéographie) est devenue ou peut devenir une science prédictive et opérationnelle. Nous avons commencé notre analyse par une réflexion générale sur la définition de ce qu’est une science prédictive. Nous avons ensuite exploré les trois facettes de la démarche scientifique : (a) décrire, (b) comprendre Années Figure 2 : Ecologie prédictive d’hier et d’aujourd’hui La prédiction n’est pas récente en écologie. En Janvier 1862, Charles Darwin reçoit un paquet d’orchidées de Madagascar. Un spécimen (Angraecum sesquipedale) retient alors son attention par la longueur particulièrement étonnante de son nectaire (20-35 cm). Bien qu’aucun insecte avec une trompe de cette longueur n’ait été décrit, Darwin affirme son existence, la plante ne pouvant se reproduire sans pollinisateur adapté. En 1871, Wallace aboutit à la même conclusion : « Qu’un tel papillon existe à Madagascar peut être prédit avec sûreté ; et les naturalistes qui visitent cette île devraient le chercher avec autant de confiance que les astronomes ont cherché la planète Neptune, et je me hasarde à prédire qu’ils seront autant couronnés de succès ! » (Wallace 1971). Le papillon est découvert en 1903, 41 ans après la prédiction de Darwin. Les découvreurs ajoutèrent le nom de Praedicta (« prédit ») à l’espèce dorénavant nommée : Xanthopan morgani praedicta en l’honneur de cette « prédiction ». La planche de Mary A. Grierson dans le livre Orchidaceæ (Hunt & Grierson 1973) utilisée en arrière-plan représente ces deux espèces. Au premier plan nous illustrons l’importance grandissante de l’écologie prédictive ces dernières années (notamment au travers des modèles prédictifs de la distribution de la diversité) : nous donnons le nombre de citations annuelles pour les articles qui ont « prediction » et « ecology » dans leurs mots clés (source web of science ; critères de recherche utilisés : Topic=prediction and ecology ; Timespan=All Years). Parmi les 3941 articles sélectionnés, six ont plus de 1000 citations (Levin 1992; Guisan & Zimmermann 2000; Brown et al. 2004; Guisan & Thuiller 2005; Elith et al. 2006; Phillips et al. 2006). Parmi ceux-ci, quatre articles proposent des méthodes pour prévoir les distributions futures des espèces dans le contexte des changements globaux (Guisan & Zimmermann 2000; Guisan & Thuiller 2005; Elith et al. 2006; Phillips et al. 2006). 13 prospectives d’avignon 2. Cloisonnements des champs disciplinaires L’écologie scientifique du 20e siècle a vu le développement de champs disciplinaires, fortement structurés par échelles d’organisation. La génétique des populations a proposé une méthodologie et un corpus théorique basés entre autres sur les travaux de Fisher, de Wright et de Kimura (Fisher 1930 ; Wright 1930 ; Kimura 1983), afin de prédire l’évolution tant pour les locus neutres que pour ceux codant pour des caractères adaptatifs. L’écologie des populations a développé des méthodes sophistiquées d’inférence des paramètres démographiques au sein des populations (Lebreton et al. 1992; Caswell 2001). L’écologie des communautés a élaboré une vision très organisée et déterministe des interactions (e.g. théorie de la niche Chase & Leibold 2003) avant de remettre ce paradigme en question au travers du débat sur les modèles « nuls » ou neutres dans les années 1970 et 1980 (Caswell 1976), puis des approches des communautés loin de l’équilibre (DeAngelis & Waterhouse 1987 ; Hastings 2004) et enfin, plus récemment de la théorie neutre (Bell 2001 ; Hubbell 2001). L’écologie fonctionnelle a ajouté au concept d’espèce celui de trait fonctionnel en se focalisant sur leurs distributions et sur leurs liens avec le fonctionnement des écosystèmes (Lavorel et al. 1997; McGill et al. 2006; Garnier & Navas 2012). La biogéographie a mis en évidence de grands patrons dans la distribution de la diversité biologique (e.g. relation diversité-énergie, relation diversité-latitude, diversité-aire, théorie métabolique). L’écologie évolutive, sur les traces de Darwin, a essayé d’intégrer l’ensemble des processus écologiques dans un contexte évolutif pour comprendre la diversité biologique (au risque parfois de focaliser sur des cas particuliers). L’écologie des écosystèmes s’est focalisée sur les flux de matière et d’énergie à de grandes échelles spatiale et temporelle sans vraiment y intégrer la diversité biologique (Chapin et al. 2002). Enfin, l’intégration de l’homme comme acteur majeur du fonctionnement des écosystèmes a donné naissance à la notion de socio-écosystèmes (Folke 2007; Liu et al. 2007 ). Le périmètre de ces champs disciplinaires a souvent été déterminé en raison de contingences historiques et humaines plutôt qu’en fonction des réalités scientifiques (notons que cela est cependant vrai d’autres disciplines scientifiques, à commencer par la physique). 14 avignon Prospective éPISTéMOLOGIE DE LA PRéDICTION Concepts et enjeux autour de la prédiction Clarification des concepts Il convient de distinguer deux sens du terme de prédiction, selon qu’il renvoie à un certain niveau de performance des théories scientifiques, ou qu’il désigne une forme d’anticipation de phénomènes non encore observés. Premièrement, le terme « prédiction » réfère en sciences à la notion de performance des théories. On dira que telle théorie est empiriquement corroborée quand elle « prédit » correctement des phénomènes. L’énoncé général correspondant à une prédiction est simplement de type « Si A, alors B ». Dans cet énoncé, A est une hypothèse dérivée d’un corps de théorie et B simplement un fait que l’on observe ou observera en conséquence de A. Un simple lien statistique peut permettre de prédire B à partir de A. Mais la prédiction de B à partir de A peut aussi correspondre à la connaissance de l’enchaînement causal qui lie ces deux phénomènes. L’énoncé de prédictions joue par ailleurs un rôle méthodologique clef dans la démarche hypothético-déductive. Dans ce cas, B peut être le résultat d’une expérience élaborée spécifiquement pour corroborer l’énoncé prédictif, ou bien un ensemble de données recueillies indépendamment. Dans ce contexte, la notion de prédiction est intimement liée à celle d’une recherche d’explication. Deuxièmement, et indépendamment de son rapport à l’explication, la notion de prédiction peut également référer à une possibilité de connaissance du futur (que la chose prédite soit déjà réalisée mais non encore vérifiée, ou qu’elle corresponde réellement à un phénomène non encore réalisé). La prédiction désigne dans ce cas la capacité d’inférer ce qui pourrait se passer ou bien ce que l’on pourrait observer avant que cela n’arrive. La prédiction désigne en ce sens non pas la recherche d’explication mais notre capacité d’anticipation des phénomènes. Notons que la notion de prédiction au sens d’anticipation est souvent considérée comme synonyme d’autres termes comme ceux de prévision, de projection, ou de scénario, même si d’importantes nuances les distinguent (cf. glossaire). 15 prospective de l’institut ecologie et environnement du cnrs glossaire Modèle : Outil conceptuel, réfutable par l’expérience, servant à décrire et prédire un phénomène. On distingue les modèles phénoménologiques qui établissent des liens constants entre des phénomènes sous forme de règles (verbales, statistiques ou mathématiques) ; et les modèles mécanistes qui établissent des liens entre des phénomènes sur la base de processus sousjacents que l’on est capable d’expliciter (Encadré 3). Prédiction : Quand une projection devient très probable, on parle de prédiction. Une prédiction est souvent obtenue par un modèle déterministe avec en général un certain de degré de confiance attaché aux projections. Opérationnalité : La recherche opérationnelle (aussi appelée aide à la décision) peut être définie comme l’ensemble des méthodes et techniques rationnelles orientées vers la recherche de la meilleure façon d’opérer des choix en vue d’aboutir au résultat visé ou au meilleur résultat possible (Larousse). Une écologie de la conservation développée dans le monde anglo-saxon (« evidencebased conservation ») propose que c’est par la pratique et non par la théorie qu’on devient opérationnel. Ce point doit être balancé en proposant une interaction forte entre écologie théorique et appliquée (plutôt que d’espérer un transfert mécanique et évident de la théorie à l’opérationnel). Projection : Le GIEC a défini le terme « projection » comme étant une description du futur (ou d’un autre état) et le chemin pour y parvenir. Scénario : Un scénario est une description cohérente et plausible d’un futur état du monde et du chemin pour y parvenir. Un scénario n’est pas une prédiction. En revanche, une projection ou une prédiction peuvent servir de matériel de base pour un scénario, mais les scénarios requièrent des informations additionnelles (ex. conditions initiales sur lesquelles le scénario est comparé, éléments qualitatifs non pris en compte dans les prédictions et les projections). Une série de scénarios est censée refléter autant que possible, la fourchette d’incertitudes futures possibles. En génétique des populations, on élabore aussi des « scénarios » concernant les passés probables des populations. Théorie : Du grec theorein, « contempler, observer, examiner » désigne couramment une idée ou une connaissance spéculative et vraisemblable, souvent fondée sur l’observation ou l’expérience, donnant une représentation idéale, éloignée de «ses» applications. En sciences : modèle ou un cadre de travail pour la compréhension de la nature et de l’humain. En physique, le terme de théorie désigne généralement le support mathématique, dérivé d’un petit ensemble de principes de base et d’équations, permettant de produire des prévisions expérimentales pour une catégorie donnée de systèmes physiques ». Source Wikipédia. 16 Clarification des enjeux L’usage contemporain de l’expression « écologie prédictive » suggère qu’une certaine écologie peut devenir prédictive ou que l’écologie n’est pas encore prédictive et cherche à le devenir. En reprenant les deux sens de la prédiction (celui d’explication ou d’anticipation) on peut préciser ce que cette expression signifie (Figure 3). Sur l’axe de la connaissance (horizontal), l’écologie est prédictive si elle permet d’aboutir à un état de connaissance correspondant à un énoncé de type « Si A alors B ». Cet axe peut lui-même s’orienter d’un sens faible vers un sens fort : une prédiction peut être le résultat d’une connaissance empirique (« A précède très souvent B ») dont l’énoncé correspond à une « règle ». Au sens fort, la prédiction est le résultat d’une explication causale complète (« Si A alors B parce que C »). Lorsque cette explication a une porté générale on parle davantage de « loi » que de « règle ». Cette distinction se rapproche de celle distinguant deux familles de modèles couramment utilisés en écologie : les modèles phénoménologiques et les modèles mécanistes (Encadré 3). Selon l’axe des connaissances, prétendre à une écologie prédictive consiste à attendre de celle-ci qu’elle révèle des lois et pas seulement des règles. Dit autrement, une écologie est prédictive si elle n’est pas limitée à la description de patrons mais qu’elle est capable de décrire des processus générant ces patrons, de les comprendre et de les manipuler. Notons que cette ambition n’est pas nouvelle, mais qu’elle existe depuis les débuts de l’écologie scientifique (Figure 2 et Cooper 2003). Figure 3 : Paysage épistémologique de l’écologie prédictive Une réflexion épistémologique sur la notion de prédiction permet d’identifier deux axes complémentaires. Le premier concerne l’axe de la connaissance (horizontal) : la prédiction scientifique correspond à la performativité de notre connaissance du monde. Le deuxième axe (vertical) concerne l’action : la prédiction scientifique peut permettre une anticipation des phénomènes pour déterminer nos actions ou réactions futures possibles, souhaitables et/ou nécessaires. Ces deux axes se déclinent à leur tour aux différentes échelles spatiales ou temporelles (axe transversal). Ce paysage de l’écologie prédictive montre la nécessité de mener une réflexion épistémologique intégrée aux sciences de l’écologie pour 1) clarifier les concepts et les enjeux, 2) comprendre l’articulation de la prédiction au sens d’explication et au sens d’anticipation et 3) identifier les enjeux scientifiques et éthiques de l’écologie prédictive et de ses incertitudes. Un troisième axe transversal permet de structurer ce paysage épistémologique par les échelles temporelles et spatiales envisagées. Le deuxième axe est celui de la prédiction comprise comme anticipation. L’expression « écologie prédictive » fait alors non seulement référence à notre capacité à formuler des théories prédictives scientifiquement solides, mais également à la nécessité d’anticiper le futur en vue de l’action, qu’il s’agisse d’imaginer les modalités d’adaptation aux changements globaux ou de prévenir ceux-ci. L’enjeu n’est plus principalement la véracité des théories, mais leur utilité en vue de l’action. Là encore, cet axe peut s’orienter d’un pôle faible (le « possible » : où l’action n’est pas explicite mais seulement discutée, par exemple lorsqu’il s’agit de penser les scénarios d’évolution économique et sociale) vers un sens fort (le « nécessaire » lorsqu’il s’agit de proposer des options de gestion). En pratique, les deux axes de la prédiction sont eux-mêmes structurés par les échelles temporelles et spatiales envisagées (axe transversal, Figure 3). 17 prospectives d’avignon 3. Modèles « phénoménologiques » et «mécanistes » Toute démarche de modélisation consiste en une simplification du monde réel, ce qui implique de formuler des hypothèses sur ce qui peut être négligé, et par opposition sur les processus ou les facteurs dont le rôle serait prépondérant pour ce que l’on cherche à modéliser. On distingue les modèles phénoménologiques qui établissent des liens constants entre des phénomènes sous forme de règles (verbales, statistiques ou mathématiques) ; et les modèles mécanistes qui établissent des liens entre des phénomènes sur la base de processus sous-jacents que l’on est capable d’expliciter. Une différence majeure entre modèles mécanistes et modèles phénoménologiques se situe dans leur capacité potentielle ou non à prédire des situations nouvelles/inédites à des échelles spatiales et/ou temporelles différentes de celles de leurs hypothèses, prédictions qu’il était difficile d’anticiper avant l’étude du modèle. On parle souvent en ce sens de propriétés émergentes de certains modèles mécanistes. Ces émergences sont souvent le résultat d’interactions non-linéaires entre les processus du modèle. Elles sont endogènes (issues du fonctionnement propre de l’objet écologique modélisé) et/ou exogènes (issues d’une réponse à un facteur externe). Au contraire, les modèles phénoménologiques ne peuvent prédire des situations qui ne se présentent pas déjà (et de manière répétée) dans le jeu de données qui sert à leur calibration. Il est à noter cependant qu’un modèle mécaniste est toujours phénoménologique à une certaine échelle. Par exemple le modèle de photosynthèse de Farquhar (Farquhar et al. 1980) est phénoménologique, tandis que les modèles de croissance de plantes ayant recours à ce sous-modèle sont souvent considérés comme mécanistes. MODèLES MéCANISTES MODèLES PHéNOMéNOLOGIQUES Théorie Le fondement théorique des modèles mécanistes est en principe solide et explicite puisque l’ensemble des processus qui les composent s’inscrit dans un paradigme donné du fonctionnement des objets écologiques. Les hypothèses sous-jacentes sont directement reliables à une théorie. Par exemple, prédire la structure d’une communauté à l’aide d’un modèle neutre revient à poser l’hypothèse que les différences fonctionnelles entre individus peuvent être négligées. Il est souvent difficile de rattacher sans ambiguïté les patrons de variations modélisés dans un modèle phénoménologique à un cadre théorique précis. C’est alors la liste des covariables de la variable réponse qui impose les hypothèses sous-jacentes du modèle. Par exemple, construire un modèle phénoménologique de distribution d’une espèce végétale à partir de variables climatiques sous-entend l’hypothèse d’un rôle mineur des conditions de sol ou des phénomènes de dispersion. Généricité La généricité d’un modèle mécaniste dépend de son degré de complexité. Plus il est simple plus il peut s’appliquer à divers contextes avec le même jeu de paramètres. Le nombre de processus croissant, il devient plus spécifique au contexte de son développement. Extrapoler les résultats d’un modèle mécaniste revient à faire l’hypothèse que les processus modélisés varient de manière régulière dans et en dehors de la zone pour laquelle des données sont disponibles. Dans les cas où un modèle mécaniste parvient à reproduire les non-linéarités observées à l’aide de processus réguliers, l’hypothèse de régularité des processus est acceptable. Les modèles phénoménologiques sont le plus souvent spécifiques au jeu de données qui a permis de les ajuster. Ils peuvent donner des prédictions précises dès lors qu’ils sont appliqués à un même contexte (ex : interpolation). Cependant, extrapoler des résultats d’un modèle phénoménologique revient à faire l’hypothèse que les variations de la surface de réponse, précédemment calibrée, sont régulières. Cette hypothèse est d’autant plus difficile à accepter que le phénomène modélisé présente des non-linéarités avérées. Ainsi, l’extrapolation à partir de ce type de modèle peut-être infructueuse (ex : faible transférabilité géographique des modèles de distribution d’espèces). Mise en œuvre La mise en œuvre des modèles mécanistes est plus ou moins longue suivant le degré de complexité du modèle. Elle nécessite une bonne compréhension des processus, éventuellement de leur formalisation mathématique. La calibration des paramètres peut-être problématique et nécessiter un grand nombre de données souvent difficiles à acquérir. Avant l’exercice de prévision, l’analyse des propriétés du modèle peut-être plus ou moins complexe également (analyse de sensibilité, résolution analytique ou simulations numériques,…). Les modèles phénoménologiques sont bien souvent plus simples de mise en œuvre. Ils nécessitent des données descriptives de l’état des objets écologiques (de plus en plus de bases de données libre d’accès voient le jour) et des outils statistiques disponibles pour tous. Le degré de complexité, de mathématisation (et de « lisibilité ») des méthodes est toutefois très variable, allant des modèles de régression aux réseaux de neurones par exemple. Communication Les modèles mécanistes peuvent paraître obscurs tant dans leur fonctionnement que leur mise en œuvre et leur interprétation. Même les modèles les plus simples peuvent nécessiter de fortes compétences en biologie et/ou mathématique pour les utiliser ou interpréter leurs résultats. 18 Les modèles phénoménologiques sont plus intuitifs dans leur principe et leurs sorties. Leur grande souplesse d’utilisation, permet de fournir des cartes de distribution de multiples espèces, de types d’écosystème, de diversité, et ce à diverses échelles spatiales. Ces cartes sont des outils de communication puissants. Les spécificités épistémologiques de l’écologie concernant la prédiction Difficultés de l’écologie vis-à-vis de sa capacité prédictive Les sciences physiques servent souvent de modèles de science prédictive aux autres sciences y compris à l’écologie scientifique (Colyvan & Ginzburg 2010). Cependant, l’écologie est caractérisée par des difficultés qui lui sont propres concernant la prédiction (Coreau et al. 2009). Complexité : Les phénomènes écologiques sont le plus souvent compliqués, c’est-à-dire qu’ils résultent d’un enchevêtrement de nombreuses relations causales, qui, quand bien même elles seraient toutes connues individuellement, sont difficiles à isoler dans le monde réel. La complexité peut aussi générer des dynamiques chaotiques, dont les trajectoires sont imprédictibles au moins localement (Rooney et al. 2007). Variabilité des échelles : L’écologie est caractérisée par une très grande variabilité des échelles concernées (Figure 4). Si certaines échelles paraissent emboîtées et interagissent fortement (par exemple la dynamique des populations et celle des communautés), d’autres semblent sans commune mesure (gène et biomes) et ne peuvent s’étudier que séparément. Ce problème est souvent « évité » par des approches réductionnistes qui privilégient l’étude d’un niveau d’organisation donné en passant par des niveaux inférieurs, plus facilement étudiables et dont les propriétés sont mieux connues. Comportement ouverts : Les dynamiques des systèmes écologiques sont le plus souvent des dynamiques « ouvertes », c’est-à-dire influencées par l’intervention d’événements internes (création de variation, par exemple) et externes (colonisation par exemple), eux-mêmes difficiles à prévoir. Comportement dynamiques : Même si l’écologie a été très influencée par l’étude des systèmes vivants « à l’équilibre » à l’instar de la mécanique newtonienne, la plupart des systèmes vivants ne se décrivent, ni ne se comprennent sans y inclure une composante dynamique et évolutive, aussi bien à long terme (les propriétés des espèces, communautés, écosystèmes ne sont pas fixes sur le long terme) qu’à court terme (ces propriétés changent vite à la suite de la transformation des conditions biotiques et abiotiques). Or les dynamiques transitoires, hors équilibre, peuvent relever de comportements chaotiques, ce qui affecte la pertinence et la fiabilité des prédictions (Hastings et al. 1993). Interaction entre systèmes écologiques et systèmes socio-culturels : La transformation des systèmes écologiques dépend largement d’une composante proprement humaine (Figure 1). La plupart des écosystèmes sont désormais mieux décrits comme des socio-écosystèmes dont les propriétés sont affectées par les changements planétaires (dans leurs composantes abiotiques comme dans leurs composantes biotiques) et ne suivant que partiellement les règles ou les lois qui décrivent le comportement des systèmes non-humains. La trajectoire d’un écosystème dépend donc aussi de choix de sociétés qui relèvent d’un régime de connaissances et de prédictions souvent différents de ceux de l’écologie fondamentale (Liu et al. 2007). Nouvelles dimensions pour l’écologie prédictive L’explosion du nombre, de la résolution, et de la diversité des données nouvelles acquises par des technologies adaptées à l’écologie (comme le séquençage à haut débit ou l’imagerie satellitaire et l’écoinformatique) la pousse vers le traitement d’une quantité et d’une qualité d’informations qui nécessite des mutations internes en rupture avec le schéma hypothético-déductif classique (Bisby 2000). On assiste notamment à une hybridation des outils et des méthodes et des nouvelles approches encouragent la combinaison de modèles phénoménologiques et mécanistes (Encadré 3, McGill & Nekola 2010). Les frontières entre analyses, modèles, données et prédictions ont ainsi tendance à se brouiller. Dans ce contexte, la question de la prédiction 19 prospective de l’institut ecologie et environnement du cnrs prospectives d’avignon comme explication risque d’être confondue avec une amélioration technique et technologique qui ne s’accompagne pas ou peu d’une meilleure compréhension du monde vivant. L’investissement dans les dispositifs de type Ecotron témoigne aussi d’une volonté d’accroître notre capacité de contrôle des variables multiples permettant de décrire un système complexe. De nombreuses expériences « grandeur nature » sont également réalisées (e.g. Hector et al. 1999) ainsi que des observation de systèmes naturels sur le long terme (e.g. Charmantier et al. 2008). Cette tendance peut fait prendre à l’écologie scientifique les caractéristiques d’une « méga science » en complément d’autres projets moins dépendant des avancées technologiques (Ferné 1985) mais non moins pertinents pour comprendre les systèmes vivants. L’écologie prédictive pour l’action Depuis ses débuts, l’écologie scientifique n’a pas seulement la vocation de décrire, elle souhaite aussi expliquer pour agir. Notamment pour informer les décideurs et apporter des réponses à la société à travers des modèles prédictifs. Dès les années 1930, Howard T. Odum, dans ses travaux sur les flux de matière et d’énergie dans les écosystèmes, cherchait à quantifier ce que l’on nome maintenant des services écosystémiques (Kangas 2004). Mais l’émergence sur le devant de la scène politique des enjeux liés à la biodiversité et aux changements planétaires, a suscité un regain d’intérêt pour les connaissances en écologie. Celles-ci sont de plus en plus sollicitées (voire directement utilisées) pour anticiper les effets écologiques des changements globaux ainsi que les conséquences des actions de gestion. Le développement de l’ingénierie écologique est un autre témoin de cette évolution du sens de la prédiction-savoir vers une prédiction-pouvoir (Mitsch 2012). Quelle est la place de l’écologie prédictive pour l’action dans ce nouveau contexte ? La biologie de la conservation utilise par exemple depuis longtemps la prédiction au sens de l’explication, c’est-à-dire qu’elle développe des connaissances en écologie qui sont utilisées par les gestionnaires pour préserver, restaurer les populations et les écosystèmes. Ces connaissances peuvent être issues de théories écologiques, ou être la résultante de l’extrapolation de résultats expérimentaux. Elles peuvent être aussi des connaissances empiriques résultant de l’analyse des résultats des mesures de gestion elles-mêmes. Cependant, il existe des mesures de gestion scientifiquement robustes, mais peu efficaces sur le terrain car les conditions socio-économiques de leur mise en œuvre ne sont pas réunies, ou car les conditions du terrain s’éloignent des conditions dans lesquelles les connaissances avaient été produites. A l’inverse, des mesures de gestion peuvent être efficaces sans que leurs fondements écologiques soient très clairs. La prédiction, au sens de l’anticipation, prend donc une importance grandissante dans les travaux des écologues pour répondre aux enjeux des changements planétaires. Déontologie de la prédiction Cette exigence grandissante de prédictions scientifiques de la part des décideurs et susceptibles d’être utilisées pour orienter les politiques environnementales soulève des questions nouvelles en termes de déontologie. La science est en effet incapable de fournir des certitudes. La leçon de la physique est en ce sens frappante comme le rappel l’extrait d’un article du journal Libération du 21 mai 2012 (Le pouvoir démiurgique des mathématiques financières, Christian Walter) :« … en 1986… le président de l’Union 20 internationale de mécanique pure et appliquée, James Lighthill, fit cette déclaration extraordinaire : “ Ici, il me faut m’arrêter et parler au nom de la grande fraternité des praticiens de la mécanique. Nous sommes très conscients, aujourd’hui, de ce que l’enthousiasme que nourrissaient nos prédécesseurs pour la réussite merveilleuse de la mécanique newtonienne les a menés à des généralisations dans le domaine de la prévisibilité […] que nous savons désormais fausses. Nous voulons collectivement présenter nos excuses pour avoir induit en erreur le public cultivé en répandant, à propos du déterminisme des systèmes qui satisfont aux lois newtoniennes du mouvement, des idées qui se sont, après 1960, révélées incorrectes.” [...] Les mathématiques financières font partie du risque systémique. Il est grand temps d’aller voir quelles sont les hypothèses sur le hasard qui y sont logées car ces hypothèses définissent ce risque dont la société civile subit les conséquences, pour son plus grand malheur ». Cet exemple souligne la responsabilité potentielle des scientifiques dans la manière dont sont perçus leurs résultats dans la société. La rapidité avec laquelle l’écologie scientifique se retrouve aujourd’hui en interface directe avec la société demande le développement d’une « déontologie » de la prédiction pour qu’elle communique, non seulement ses résultats, mais aussi les clés de leur interprétation et leurs limitations. Recommandations Si le lien entre connaissances en écologie et action existe, il n’est pas systématique pour définir une action et la prédiction au sens d’explication n’attend pas nécessairement d’applications pratiques. Plus généralement, l’articulation entre les deux sens de la prédiction (explication et anticipation) ouvre un chantier épistémologique majeur en soulevant plusieurs questions. L’action sera-t-elle plus efficace en étant adossée à une écologie « plus prédictive » ? Comment l’écologie prédictive interagit-elle avec les interfaces sciences-politiques sur les questions qui la concernent ? Quels sont les limites et les avantages des scénarios en matière d’écologie ? La réduction à tout prix de l’incertitude est-elle nécessaire pour l’action et pour la discipline elle-même ? Comment trouver l’ajustement entre le besoin de connaissances issues de l’écologie scientifique pour l’action et la prise en compte des autres facteurs influençant la décision ? Autant de questions qui doivent s’accompagner d’une réflexion sur les normes et les valeurs associées à l’utilisation de l’écologie prédictive. Ces questions peuvent se regrouper en trois axes de recherches qu’il est primordial de favoriser aujourd’hui : Développer une épistémologie de l’écologie à l’InEE. Cette épistémologie intégrée permettra de mettre en avant les contours des concepts utilisés et leurs conséquences en écologie scientifique. Des formations spécifiques en épistémologie doivent donc être encouragées ainsi que le fléchage de postes au recrutement dans les grands laboratoires au niveau national. Travail thématique sur l’épistémologie de l’écologie. La réflexion classique en philosophie des sciences a été d’abord centrée sur la physique, puis a visé depuis une trentaine d’années la biologie évolutive (ex : questions sur la sélection naturelle) et la biologie moléculaire (ex : questions sur le concept de gène). Un travail thématique sur l’épistémologie de l’écologie semble maintenant nécessaire pour réfléchir sur l’histoire, le sens et le devenir de certains concepts ou méthodes liés à l’écologie prédictive. Mettre en place une « déontologie » de la prédiction en écologie. Une réflexion spécifique doit être favorisée sur les limites et les opportunités pour une communauté de chercheurs habituée à travailler avec des hypothèses de communiquer des résultats bruts à un public en quête de certitudes. 21 prospectives d’avignon 22 avignon Prospective DES DONNéES à L’INFORMATION Notre communauté est en train de vivre une véritable révolution de l’information (Michener & Jones 2012). Alors que pendant très longtemps, l’une des limitations a été la quantité de données disponibles pour tester les modèles prédictifs, en quelques années ont été mis à disposition des jeux de données de plus en plus importants, intégrant différentes échelles temporelles et spatiales pour des milliers d’organismes, ainsi que pour de nombreux gènes et écosystèmes. Ce qui était jusqu’alors l’exception est devenu la règle : distribution de milliers d’espèces aux échelles continentales (GBIF : http://www.gbif.org/), démographie à long terme de populations (e.g. Lebreton et al. 2011), phylogénie de taxons entiers (e.g. Davies et al. 2004), polymorphismes génomiques (NCBI : http://www.ncbi.nlm.nih.gov/, et Genbank http://www.ncbi.nlm.nih.gov/genbank/), base unifiée de traits fonctionnels (TRY Kattge et al. 2011) et métagénomes (Vandenkoornhuyse et al. 2010; Yooseph et al. 2010). Ces nouveaux jeux de données, alliés à une puissance de calcul et à une sophistication des logiciels (rendues possibles notamment par la mise en place de plateformes collaboratives comme R) nous offrent aujourd’hui une profondeur d’analyse qui n’était pas possible il y a encore dix ans. Toutefois ces efforts doivent être maintenus afin de faire basculer l’écologie dans l’ère de l’information ! Echelles Organisation Exemples de processus Figure 4 : Niveaux d’organisations et information Quelques exemples de fonctions aux échelles d’espace et de temps auxquelles celles-ci sont généralement appréhendées. Les fourchettes de valeurs données pour les échelles (logarithmiques) d’espace et de temps sont à considérer comme des ordres de grandeurs approximatifs, donnés respectivement en micromètres et en secondes (adaptées de Osmond et al. 1980). Abréviations : µm, micromètre ; s, seconde ; mm, millimètre ; h, heure ; sem, semaine ; m, mètre ; an, année ; km, kilomètre. Note : les microorganismes ne peuvent se retrouver dans la classification cellules/organes/individus. Figure modfiée de Garnier et Navas (en préparation). 23 prospective de l’institut ecologie et environnement du cnrs prospectives d’avignon Collecte des données La collecte des données nécessite des systèmes d’observation et d’expérimentation depuis le niveau génétique jusqu’aux écosystèmes (Figure 4 et 5, Encadrés 4 et 5). Il s’agit de disposer d’équipements complémentaires organisés le long de gradients de contrôle ou de confinement considérant des complexités écologiques différentes. Par exemple la communauté de l’INEE dispose désormais d’une infrastructure expérimentale partagée et ouverte (ANAEE-S pour Analyse et Expérimentation sur les Ecosystèmes – Services) qui rassemble des moyens expérimentaux in situ, en conditions semi-naturelles et en conditions contrôlées. En génomique, les programmes concernant le métagénome humain (http://www.metahit.eu; http://nihroadmap.nih.gov/) ou l’étude des sols (http://www. terragenome.org ; http://www.earthmicrobiome. org), promeuvent des approches collaboratives intégrées. Des approches exploratoires à large échelle ont aussi montrées toute leur richesse (par exemple Tara-Ocean http://oceans.taraexpeditions.org) en intégrant des données de différents champs disciplinaires. L’étude des maladies infectieuses bénéficie également au plan national d’un institut thématique multi-organismes (Institut de Microbiologie et Maladies Infectieuses). Enfin au niveau des écosystèmes, il faut noter les travaux entrepris au sein des Zones Ateliers ou encore des services d’observation que le CNRS coordonne. Ces différentes initiatives sont à l’origine de la production d’une quantité de données sans précédent dans nos disciplines. Par contre une grande part de la collecte est encore conduite par des équipes et/ou des chercheurs individuels travaillant sur des sites expérimentaux ou d’observation qui ne font actuellement l’objet d’aucune coordination particulière ou d’une coordination probablement insuffisante. C’est également le cas de nombreuses observations issues de la science participative, dont les programmes sont en pleins essors. Les moyens d’observation sont souvent dépendant d’autres communautés scientifique : par exemple, les plates-formes haut débit en génomique existent au niveau national (par ex., centre national de séquençage) ou régional, mais aucune n’est encore portée par la communauté en écologieévolution. Il faut aussi noter aussi que la masse importante des données existantes concernent des organismes bien ciblés (ex : mammifères, oiseaux, poissons et plantes) et nous sommes encore bien loin d’avoir une image exhaustive de la distribution, des comportements et des génomes de l’ensemble des organismes macroscopiques (ex : insectes, crustacés, champignons) et microscopiques qu’ils soient autonomes, parasitaires ou symbiotiques (virus, protozoaires, bactéries ou helminthes, ces derniers représentant 50 % de la diversité spécifique). Un effort particulier reste donc à faire pour coordonner et diversifier la collecte des données en écologie. Un autre défi est de renforcer le lien avec les approches théoriques et démarche de collecte. Les données sont souvent collectées à des échelles spatiales et temporelles prenant en considération des contingences techniques ou historiques qui les éloignent parfois des exi- Figure 5 : Les modes de collecte de l’information Il y a un compromis entre les moyens mis en œuvre pour analyser les processus et les patrons en écologie. Ce compromis limite l’étendue de la compréhension des processus écologiques à certaines échelles spatiales et temporelle (la zone « a » n’est pas informative et la zone « b » est techniquement inaccessible). Abréviations : Exp., Expérimentation; Télédétec., Télédétection. ORE. Observatoire de Recherche en Environnement : http://www.cnrs.fr/cw/dossiers/dosclim1/biblio/pigb18/01_observatoires.htm. LTER. : le « Long Term Ecological Research program» est un exemple de programme (créé par la NSF en 1980) pour poursuivre des recherches sur des questions écologiques qui se déroulent sur le long terme et à de large échelle spatiales (http://www. lternet.edu). 24 gences optimales nécessaires pour appréhender les phénomènes étudiés. L’écologie reste encore très influencée par une démarche empirique (« data driven ») ne faisant pas suffisamment appel à la théorie (« theorie driven ») qui pourrait aider à focaliser sur les échelles d’organisation clés en fonction des questions posées (Figure 4). Une réflexion semble nécessaire pour définir dans quels cas la théorie doit déterminer l’objet et les outils de mesure ? Mise en forme des données Nous sommes aujourd’hui confrontés à une « datavalanche », des données en écologie (par exemple Encadrés 3 et 4). Il faut y inclure également les métadonnées sur les facteurs abiotiques (incluant les données climatiques), économiques, sociologiques, etc. Ces différentes sources d’informations sont souvent stockées et codées suivant des normes contingentes à chaque milieu scientifique sans souci d’interfaçage avec les autres disciplines. Un effort important semble main- tenant nécessaire pour proposer une normalisation du codage et de la mise en forme des données pour éviter de constituer une tour de Babel de l’information en écologie. Certaines initiatives vont dans ce sens (e.g. Ecological Data Wiki http://www.ecologicaldata. org, DataOne http://www.dataone.org/, EML : Ecological Metadata Language. http://knb. ecoinformatics.org/software/eml/) mais elles restent encore limitées et nécessitent un soutien fort des institutions. 4. De la métagénomique à l’écologie fonctionnelle La fraction cryptique de la biodiversité microbienne est dorénavant accessible via les nouvelles technologies de séquençage (NTS). La compréhension de ces écosystèmes inclut l’identification spécifique qui permet de rendre compte de la structure et de la complexité des communautés, mais aussi et surtout de la mesure de l’abondance des espèces en leur sein, qui informe de la façon dont elles interagissent pour le partage des ressources. Ainsi les méta-omics (-génomique/-transcriptomique/-protéomique/-bolomique) sont devenus des outils essentiels, mais non exclusifs, pour répondre aux questions sur la qualité/vulnérabilité des écosystèmes, à leur capacité d’adaptation face aux changements globaux et aux services écosystémiques (Bertin et al. 2011). On pourrait être tenté d’accorder une valeur prédictive à cette connaissance de plus en plus fine et complexe du vivant, sous réserve de résoudre les limitations actuelles de ces NTS (biais d’échantillonnage, d’extraction, de méthodologie, d’analyse bioinformatiques, etc, Delmont et al. 2012 ; Zinger et al. 2012)). Ainsi, par exemple, les données NGS (« Next Generation Sequencing ») ne peuvent être exploitées dans leur totalité à cause, tout simplement, de la surreprésentation au sein des métagénomes environnementaux de gènes aux fonctions hypothétiques, c’est-à-dire de notre manque de connaissance des relations gènes-fonctions. Une autre difficulté vient des techniques d’assemblage des génomes (au-delà de 10) à partir des données métagénomiques. Par ailleurs, il serait illusoire de se limiter à la fraction vivante de l’écosystème en s’affranchissant de la description des paramètres physico-chimiques de l’environnement (métadonnées), notamment lors de l’exploitation croisée de données publiques. Enfin, en dépit d’un vrai savoir-faire développé dans nos UMR (la métagénomique microbienne ou le metabarcode environnemental) l’accès à la «biosphère rare » (expression définissant les espèces avec un très faible nombre de représentants) ainsi qu’aux espèces récalcitrantes (difficiles à lyser) reste un verrou majeur pour la caractérisation et la compréhension du fonctionnement des écosystèmes. 25 prospectives d’avignon Analyse des données Pour certains domaines, les flux d’acquisition de données deviennent extrêmement rapides et/ ou volumineux (par exemple en métagénomique environnementale, Encadré 4), ce qui pose deux types de problèmes : (i) la gestion de ce flux et le stockage des données qui en résulte évoqués précédemment (ii) l’inadaptation des analyses et les outils de traitement statistiques et mathématiques classiques pour traiter des flux d’une telle ampleur. Des techniques d’analyse toujours plus sophistiquées sont en constant développement; nous donnons ici deux exemples de domaines dans lesquelles les défis d’analyse ouvrent de nouveaux chantiers pour la bioinformatique et les statistiques. Génomique évolutive et environnementale : Les révolutions technologiques des années 20052012 (pyroséquençage, 454, Illumina, Pacific Bioscience, ion torrent) et celles à venir (nanopore) ont augmenté de plusieurs ordres de grandeur le taux de production de données, impactant potentiellement tous les domaines d’étude de la biodiversité moléculaire – sa description (code barre ADN, metagénomique, phylogénie moléculaire) comme sa compréhension (génomique évolutive, génétique/génomique des populations, écologie moléculaire, écologie des communautés). Ces données haut-débit sont typiquement fragmentées et bruitées et sont aussi par définition non-ciblées. Leur analyse implique donc la mise en œuvre de modèles et d’algorithmes nouveaux. Par exemple, différents problèmes statistiques dans les études de transcriptomique liés à l’estimation du taux de faux positifs ou à la surdispersion des gènes différentiellement exprimés peut radicalement changer les résultats et donc l’interprétation des données. Une synergie entre biologistes, bioinformaticiens et statisticiens reste la clé de voute de la robustesse et fiabilité de l’exploitation des données et une activité intense de développements méthodologiques de logiciels est à prévoir dans les années à venir. Ecologie/Biogéographie : Les questions posées en biogéographie conduisent également à l’analyse de bases de données massives et dont la structure est de plus en plus complexe en raison de l’utilisation simultanée des données de nature très différente (données génétiques, phylogénie, carte environnementale, distribution d’abondance, graphes d’interactions, etc.). Les enjeux sont là également sur les méthodes utilisées (besoin de nouvelles méthodes adaptées à la nature de ces données originales) mais aussi sur les moyens de stockage et de calcul (implémentation d’outils capables de gérer de gros volumes de données, parallélisation, utilisation de grilles de calcul, etc.). Un challenge particulier concerne le domaine de l’ « open data » (appelé aussi « crowdsourcing ») : l’outil Internet conduit à la génération de données spontanées souvent inexploitées. Il s’agit alors de modéliser de manière intégrée à la fois la distribution de ce qui est mesuré et la distribution de l’effort d’observation. Un autre champ ouvert et celui de l’analyse des interactions au sens large (réseau trophique, compétition inter et intra spécifique, etc) aux échelles biogéographiques et la prise en compte de covariables explicatives (traits, phylogénie, etc.) qui pourrait s’appuyer sur les récents développements de la bioinformatique (e.g. Carey et al. 2005). Partage des données Il existe de nombreuses limites techniques et un frein socio-culturel, à la mise en commun et à l’utilisation des données en écologie, que ce soit dans les opérations de collecte et traitement de données ou dans les activités de synthèse (Reichman et al. 2011). La difficulté principale résulte notamment du manque d’échanges entre les acteurs travaillant à chaque niveau d’organisation (Encadré 2, Figure 4). Ceci est vrai autant en termes de concepts que d’outils 26 que de « culture » scientifique. Limitations techniques : les données issues des travaux en écologie sont extrêmement dispersées, notamment car elles sont souvent organisées en petits jeux de données collectées pour répondre à des questions ciblées et très diverses. Ceci implique en particulier des difficultés relatives à la traçabilité des données et à l’assurance qualité, de la collecte (précision, répétabilité, inférence) à la publication. Cette dispersion a également pour conséquence une hétérogénéité syntaxique et sémantique des données qui rend difficile leur homogénéisation en vue d’un traitement efficace et pertinent. Par exemple, les communautés qui organisent la collecte de données, celles qui modélisent la biodiversité et celles qui proposent des indicateurs pour le débat public utilisent des métriques différentes, qui s’avèrent parfois incompatibles. Limitations socio-culturelles : Il y a aujourd’hui un manque de reconnaissance institutionnel pour la collecte des données. Il n’existe également que peu d’incitation au partage, dont l’intérêt n’est pas toujours évident aux yeux des acteurs de la collecte. En effet ceux qui consacrent une grande partie de leur temps à la collecte des données ont parfois le sentiment, justifié ou non, qu’ils ne contrôlent pas assez l’utilisation de ces données. Il faut aussi constater le déficit chronique de financements et de temps dévolus à la mise en forme et au stockage des données. Il y a ici un travail important de pédagogie et d’incitation à faire en direction de ceux qui produisent les données (il faut que producteurs de données pensent à leur offrir une seconde vie), de ceux qui produisent les outils d’analyse, des utilisateurs, mais aussi (et surtout) à destination des financeurs pour que le partage soit au cœur de la collecte de l’information en écologie. Limitations structurelles : Il existe souvent un décalage important entre les pas de temps pertinents à prendre en compte pour comprendre le fonctionnement de nombreux systèmes écologiques (de l’ordre du siècle pour certains) et ceux du financement des projets de recherche (3 à 5 ans au mieux). Surtout, l’effort d’observation est pour l’instant très développé en dehors d’un pilotage ou d’un accès à la recherche en écologie : base de données naturalistes, études d’impact, suivis divers de sites protégés (natura2000, etc.), suivis réglementaires (directive cadre sur l’eau, épidémio-surveillance en milieu agricole, et bien d’autre). La masse de données est extraordinaire, mais très peu organisée ce qui est au mieux une perte d’opportunités pour la recherche, au pire, des coûts financiers importants faute de mutualisation. Cette situation est largement due à la compartimentation de l’action publique entre différents acteurs. 5. De la génomique des populations à l’adaptation La génomique des populations utilise le support de l’information génétique (ADN, ARN) mais aussi le produit des gènes (protéines, métabolites) pour étudier les relations et l’évolution des organismes entre eux et avec leur environnement. Les NTS (i.e. transcriptomique, protéomique, et métabolomique) marquent une révolution puisqu’elles permettent d’aborder la variation génétique à l’échelle du génome et ouvrent la voie à l’obtention de ressources génétiques chez des espèces non modèles (Gayral et al. 2011; Grover et al. 2012) lesquelles font pourtant référence pour des questions liées notamment à la problématique de l’adaptation (Stapley et al. 2010). Via une approche gènes-candidats, elles permettent de déterminer les bases génétiques de l’adaptation et ainsi de comprendre le lien entre phénotype et génotype. Les approches NTS permettent de pointer de nouveaux gènes associés à l’adaptation (lectures sans homologies dans les bases de données), dont il conviendra de définir la fonction en développant des approches pluridisciplinaires, y compris celles couplées au criblage fonctionnel de banques métagénomiques. Les études de génomique des populations et de génomique évolutive présentent un potentiel prédictif important dans le domaine environnemental et la gestion de la biodiversité animale, végétale et microbienne à l’échelle de la planète ; par exemple, la génomique des populations des microorganismes pathogènes et de leurs vecteurs permet d’aborder des questions multiples sur leur propagation, sur les phénomènes d’émergence sur l’adaptation à l’hôte et sur le passage de la barrière d’espèce ou l’impact du réchauffement climatique. La génomique des populations a également renouvelé notre compréhension de l’histoire évolutive de notre espèce, avec par exemple comme objectif la recherche de gènes associés à la prédisposition à certaines maladies. Les principales limites actuelles aux études de génomique des populations viennent de la diversité et de l’hétérogénéité des traitements d’échantillons et d’exploitation bioinformatique, sans compter la masse sensu stricto de données dorénavant disponibles. Il est pour cela essentiel de renforcer la multidisciplinarité entre biologistes, bioinformaticiens et statisticiens et d’appuyer les recherches sur les prédictions théoriques. Le rôle de la sélection au niveau génomique et de la dynamique de la différenciation des populations pâtit également des méthodes de détection des traces de sélection positive et des traitements des corrélations entre variations génomiques et environnementales. Il est pour cela important de rapprocher les questionnements et sources de données entre diversités génétique et fonctionnelle afin d’identifier les caractères pertinents et d’en déduire leur rôle biologique notamment au niveau de la régulation des fonctions liées à l’adaptation. 31 27 prospectives d’avignon Synthèse scientifique Le développement de l’écologie prédictive nécessite de pouvoir rassembler ces données hétérogènes par nature en un ensemble cohérent qui puisse être analysé de façon robuste et répétable. Cette démarche constitue ce qu’on appelle la « synthèse scientifique », qui peut se définir comme la combinaison et l’intégration de différentes recherches afin d’améliorer la généralité et l’applicabilité des résultats de la recherche (Hampton & Parker 2011). Le développement de ce type d’activités a par exemple été fortement stimulé par la mise en place récente de centres dédiés à la synthèse : le premier de ce type, le NCEAS (National Center for Ecogical Analaysis and Synthesis), a été créé aux Etats-Unis en 1995, et le premier centre en Europe, le CESAB – CEntre de Syn- thèse et d’Analyse sur la Biodiversité - a été créé en France par la FRB en 2010. L’objectif de ces centres est de fournir les conditions et le financement permettant à des groupes de chercheurs 1) de combiner et valoriser les données issues d’observations et expérimentations obtenues sur des systèmes différents et dans des contextes variés et/ou 2) de conduire une réflexion poussée autour de nouveaux concepts ou théories. Ces centres sont rapidement devenus des acteurs majeurs de la recherche en écologie et les garants d’une certaine continuité et coordination de la mise en forme à l’analyse des données sur le long terme. Leur rôle devra être renforcé à l’avenir et élargi à tous les domaines de l’écologie (de la génétique au fonctionnement des écosystèmes). Recommandations L’écoinformatique pourra s’appuyer sur les acquis de la bioinformatique, tout en prenant en compte les spécificités des données écologiques, afin d’améliorer le référencement, la mise à disposition, la gestion, le stockage et le croisement de ces différentes sources d’information. Liens avec la théorie : établir des liens plus forts avec la théorie a été identifié comme une nécessité afin notamment de développer un cadre conceptuel novateur permettant de traiter les questions de changements d’échelle, de spatialisation et de niveaux d’organisation, et d’améliorer la pertinence de la collecte des données, dans une démarche d’aller et retour entre théorie et données (cohabitation entre une écologie « theory-driven » et « data-driven »). Intégration et transversalité : adopter des sites et écosystèmes pilotes pour aider à l’intégration des données aux différentes échelles d’organisation en Ecologie (Figures 4 et 5). Favoriser le dialogue entre disciplines non seulement entre sciences de la nature et sciences humaines et sociales, mais aussi au sein des disciplines des sciences de la nature (par exemple écologie/évolution/biodiversité), ou encore entre sciences de la nature, mathématiques et sciences de l’information. 28 Collecte, mise en forme, stockage et partage : valoriser la collecte et la mise en forme des données. Une meilleure prise en compte des activités de collectes et d’archivages peut passer, par exemple, par une utilisation plus systématique des possibilités de publication de jeux de données dans des revues existantes (exemple des « data papers » dans la revue Ecology), ou aussi par la création d’une revue électronique internationale dédiée à la publication de jeux de données (ce qui est différent d’un dépôt dans des « archives », où il n’y a pas de contrôle par un comité éditorial). Il semble nécessaire aussi d’encourager le développement de standards pour le codage de l’information qui transcendent les disciplines, afin d’améliorer la qualité et le stockage des données en vue de leur réutilisation. Enfin il faudra poursuivre l’effort financier (tant en équipement qu’en ressources humaines) pour développer les outils de stockage et de pérennisation des données. Analyse : favoriser des axes de travail de la communauté en écologie statistique pour le développement de nouveaux outils en concertation avec les chercheurs qui produisent des données. Valoriser ce travail de mise au point méthodologique semble maintenant une priorité. RENFORCER LES DéMARCHES THéORIQUES avignon Prospective Une théorie en science est une interprétation générale qui peut être utilisée pour générer de nouvelles explications. Cette démarche fondamentale est bien sûr valable autant en écologie qu’ailleurs, mais la science écologique est une science jeune (Encadré 1) et elle a été confrontée à des questions difficiles, tant en matière d’observation du vivant qu’en matière d’interprétation de ces observations (Encadrés 2, Figures 4 et 5). La mathématisation de notre discipline est encore en progression (Encadré 6) et une théorie intégrative de l’écologie qui inclut les dimensions physiologique, évolutive, spatiale et fonctionnelle afin de faire des prédictions informées n’est pas encore disponible. Cette recherche de synthèse représente le plus grand enjeu de notre discipline. 6. Mathématisation de l’Ecologie (exemples récents) Les avancées récentes sur le plan des outils mathématiques formels ainsi que la possibilité d’avoir accès à des outils de calcul extrêmement puissants ont permis de faire émerger des approches extrêmement novatrices et prometteuses en écologie. En ce qui concerne la dynamique des populations, la compréhension du fonctionnement d’une population passe notamment par l’étude des variations de ses effectifs et des modifications de sa structure au cours du temps et dans l’espace. Traditionnellement, cela suppose l’évaluation d’effectifs via des comptages au niveau populationnel et des paramètres démographiques (Lebreton et al. 1992) via des suivis individuels qui viendront nourrir des modèles de dynamique des populations (Caswell 2001). Bien que cette démarche soit très utilisée, elle souffre de plusieurs limitations comme la non-exhaustivité des comptages, la sensibilité aux erreurs de mesure et aux valeurs manquantes, le besoin d’une grande quantité de données et une gestion ad-hoc des incertitudes. Grâce au transfert d’approches mathématiques issues des sciences de l’ingénieur (filtre de Kalman, http://fr.wikipedia.org/wiki/ Filtre_de_Kalman), initialement utilisées pour le guidage des avions et fusées, il a été possible pour des statisticiens de développer la modélisation intégrée des populations (Besbeas et al. 2002) qui permet de combiner les différentes sources d’information limitées, dispersées et hétérogènes sur la dynamique des populations avec des applications par exemple en écologie évolutive (Peron et al. 2010). Les hypothèses nécessaires à l’application de cette approche ont ensuite été rendues moins drastiques grâce au recours à des algorithmes issus de la phy- sique (méthode de Monte Carlo par chaînes de Markov, MCMC) permettant ainsi des applications en biologie de la conservation (Schaub et al. 2007; Brooks et al. 2008). De même, la génétique des populations repose sur un corpus théorique qui permet de prédire grâce aux outils informatiques actuels l’impact des processus démographiques et adaptatifs sur la variation génétique, notamment via la théorie de la coalescence (Kingman 1982a). Ces prédictions peuvent être confrontées aux données moléculaires et cela permet ainsi d’inférer des évènements de l’histoire passée des populations par des techniques d’ABC (Beaumont et al. 2002; Beaumont 2010) ou de MCMC par exemple (Wilson et al. 2003). Ceci a permis par exemple de déterminer des éléments de l’histoire des populations de différentes espèces (e.g. Fontaine et al. 2012). En écologie des communautés, il y a longtemps eu une dichotomie entre l’étude de modèles dynamiques de communautés composées de quelques espèces (Holt 1997) et l’étude statique de communautés complexes composées de nombreuses espèces (Pimm 1982). Plus récemment, les progrès en programmation et puissance de calcul des ordinateurs ont permis de calquer des équations dynamiques sur des réseaux de structure et richesse spécifique réalistes, permettant ainsi de simuler et d’étudier la dynamique de communautés complexes (Brose et al. 2005). Ces études ont permis d’étudier si et comment des comportements observés dans de petites communautés pouvaient être extrapolés à de plus larges communautés et ont permis d’identifier des propriétés émergentes de communautés complexes. 29 prospectives d’avignon Qualité de la théorie Les théories, si elles sont correctes, peuvent servir à faire des prédictions. Par exemple, le principe d’exclusion compétitive qui prédit que deux espèces qui occupent la même niche ne peuvent coexister de façon indéfinie (Gause 1934) a eu un impact fort sur la théorie et la pratique de l’écologie. De même, des principes fondamentaux en dynamique des populations ont permis de faire des prédictions sur la propagation des maladies et développer des méthodes de vaccination efficaces. Si les résultats (par exemple, l’efficacité du plan de vaccination) sont ce qui concerne directement les décideurs, la qualité de la prédiction dépend de manière cruciale de la qualité de la théorie. Nous donnons ci-dessous trois exemples possibles de théories transdisciplinaires, souvent héritées de la physique, qui nous permettent de mieux comprendre le fonctionnement les systèmes écologiques. Le premier exemple est offert par la théorie neutre de la biodiversité (Hubbell 2001), qui découle directement de la théorie neutre de l’évolution moléculaire et du formalisme mathématique qui lui est associé (Kingman 1982b; Kimura 1983 ; Wakeley 2008). Cette approche neutraliste a conduit à une révolution conceptuelle en écologie des communautés. De plus, le champ d’application de cette théorie peut s’étendre audelà de l’interprétation des diversités génétique et spécifique. En effet, on peut penser qu’elle pourrait servir de cadre interprétatif pour la diversité génomique (en particulier la dynamique des éléments transposables dans le génome, e.g. Biemont & Vieira 2006), mais aussi en économie (par exemple pour étudier la dynamique de croissance des firmes). Récemment, O’Dwyer et Green (2010) ont démontré que certains résultats de la théorie neutre pouvaient être déduits de la physique statistique des champs, ouvrant la possibilité d’établir un lien plus direct entre théorie neutre et méthodes d’inférence par maximisation de l’entropie. Un deuxième exemple est inspiré de la théorie des réseaux dont le développement s’est considérablement accéléré depuis les années 90 dans des domaines aussi variés que l’informatique, la physique ou les sciences sociales. En écologie, cette théorie, initialement utilisée pour l’étude de réseaux trophiques est maintenant utilisée pour caractériser des réseaux constitués par d’autres types d’interactions entre espèces (pollinisation, dispersion de graines, hôtes-parasites, etc.) voire même de plusieurs types d’interactions simulta30 nément (Kéfi et al. 2012). Ces études bénéficient largement des outils et concepts développés en physique et en sciences sociales (Newman 2012). Des connexions conceptuelles importantes sont aussi possibles avec les réseaux métaboliques. En effet, les réseaux métaboliques complets, tels que ceux connus maintenant pour certaines bactéries (Parter et al. 2007), permettent de mieux reconstruire le concept de niche écologique sur une base génomique, mais permettent aussi de comprendre le lien entre habitat des espèces et architecture génomique (et en particulier la modularité du réseau métabolique). Un troisième exemple concerne la théorie des catastrophes développée en mathématiques dans les années 70 (Thom 1975), qui s’est montrée extrêmement utile pour mieux comprendre les systèmes complexes que sont les communautés écologiques, en particulier pour comprendre leurs dynamiques non linéaires et leurs possibles « points de basculement » (Scheffer et al. 2001). Les travaux en écologie de cette dernière décennie ont conduit à l’identification de signes avant-coureurs de l’approche d’un point de basculement (Scheffer et al. 2009). Ces signes avant-coureurs, dont les premières preuves expérimentales ont été publiées très récemment pourraient s’avérer utiles dans d’autres domaines tels que la climatologie ou l’économie financière (Sugihara et al. 2012). Ces théories sont incontournables parce qu’elles résument des points génériques et pertinents pour comprendre le vivant qui, à terme, peuvent être utilisées à des fins de prédiction. Mais force est aussi de constater que les « surprises » (i.e. un changement significatif de l’une des variables descriptives d’un système qui résulte d’un processus inattendu et inconnu) sont aussi fréquentes en écologie (Encadré 7). Ces surprises mettent en lumière des cas où notre connaissance d’un système est insuffisante pour que nous puissions expliquer sa dynamique ou sa réponse à des perturbations. Ces surprises illustrent le fait que le modèle utilisé ignore une caractéristique ou un processus important du système. Elles permettent ainsi d’identifier les maillons manquants des théories actuelles. L’identification de ces maillons manquants est essentielle pour augmenter notre capacité prédictive et repose sur des approches fondamentales qui ne sont pas directement motivées par les applications, mais par la recherche de relations profondes entre concepts. Ce dernier point consiste à identifier des comportements qui se produisent au-delà le leur cadre d’application original, en particulier dans différents champs disciplinaires. L’identification des clés de ces surprises ne peut reposer que sur une recherche fondamentale forte, en lien avec l’expérimentation et les données, mais pas forcément directement connectée à des demandes sociétales. 7. Les surprises en Ecologie Les surprises, ou résultats inattendus voire contre-intuitifs, sont fréquents en écologie des communautés et des écosystèmes (Doak et al. 2008). Pourquoi ces surprises ? Un exemple classique de surprise est l’occurrence de transitions catastrophiques dans les écosystèmes (Scheffer et al. 2001). En restauration, une fois un écosystème dégradé, une stratégie classique est d’essayer de restaurer les conditions abiotiques d’avant la dégradation (e.g. faible pression de pâturage) et d’attendre que la communauté retourne à son état initial (i.e. retour de la végétation présente avant la dégradation). Il y a cependant de nombreux exemples où cette stratégie ne conduit pas à la restauration de l’écosystème (Suding et al. 2004). Dans les champs de milieux semi-arides, il est fréquent que le surpâturage conduise à une forte diminution du couvert végétal et à la disparition de centaines de plantes et que la végétation d’origine du système ne reviennent pas, même après des années d’exclusion des herbivores (Suding et al. 2004). Ces surprises peuvent généralement être expliquées par le manque d’un maillon essentiel dans notre modèle (mathématique ou verbal) du système concerné. Dans le cas des écosystèmes qui ne se régénèrent pas suite à une dégradation, rétablir les conditions abiotiques du milieu seulement suppose qu’une fois les conditions abiotiques rétablies, les processus de succession vont conduire au rétablissement du compartiment biotique. Cependant, ce raisonnement consiste à ignorer que les conditions abiotiques du milieu ont elles aussi changé et qu’il peut exister des boucles de rétroactions entre les conditions biotiques et abiotiques. Dans l’exemple des champs de milieux semi-arides, la perte du couvert végétal conduit à la production d’une croute superficielle du sol qui diminue le taux d’infiltration de l’eau dans le sol, augmente l’érosion et les pertes d’eau par ruissellement. L’identification de ces maillons manquants est un moteur important de l’écologie (et de la science en général). Dans cet exemple, le maillon manquant était un processus essentiel au fonctionnement du système, une boucle de rétroaction positive entre composants du système. En écologie de la restauration, l’identification de ces phénomènes s’est largement inspiré de théories initialement développées en mathématiques qui expliquent les cas dans lesquels les trajectoires de dégradation et de restauration d’un système peuvent différer : la théorie des transitions catastrophiques (Thom 1975). Les modèles développés dans ce cadre ont permis de mettre en évidence des processus généraux qui contribuent à la résilience des écosystèmes (Holling 1973; May 1977). Ils ont aussi fourni un cadre théorique qui a permis de développer des outils de prédiction des transitions catastrophiques (Scheffer et al. 2009) ainsi que des stratégies de restauration des écosystèmes dégradés (Suding et al. 2004). Ceci n’est qu’un exemple de surprise parmi de nombreux autres. D’autres exemples impliquent l’omission d’une interaction dans un système (e.g. l’existence de liens de facilitation entre espèces par ailleurs liées par des liens de consommation peut changer la dynamique attendue, Berlow 1999), ou encore les difficultés d’extrapolation de dynamique d’un système simple à un système complexe (Brose et al. 2005). Qualité de la prédiction L’écologie prédictive a choisi deux voies parallèles (Encadré 3). La première a consisté en la recherche de processus généraux permettant d’expliquer des phénomènes (souvent complexes) et d’en déduire des prédictions (modélisation mécaniste). La seconde procède par corrélations pour construire des scénarios simples, comme ceux de la réponse des espèces aux changements climatiques (modélisation phénoménologique). Pourtant très souvent en écologie, les problèmes sont si complexes et impliquent tant de proces- sus différents, que seuls quelques-uns des processus sont considérés à un instant donné. Cela n’empêche pas de faire des prédictions, mais ces prédictions seront nécessairement moins fiables. En 1924, Raymond Pearl prédisait, en utilisant la courbe logistique, que la population des Etats Unis d’Amérique serait de 197 millions en 2000 (en réalité elle a été de 285 millions). Les raisons pour lesquelles cette prédiction ne s’est pas réalisée tiennent au fait que les flux migratoires et la transition démographique n’avaient 31 prospectives d’avignon pas été prévus, deux processus très complexes et en partie imprévisibles. Puisqu’une partie des trajectoires temporelles des phénomènes écologiques dépendent d’événements aléatoires, les théories en écologie sont souvent de nature probabiliste, et on ne peut espérer que déduire la probabilité d’un état futur, pas sa valeur. Heureusement, un grand nombre d’outils issus de la théorie des probabilités sont maintenant disponibles dans la boîte à outils du modélisateur en écologie et en biologie évolutive. Un exemple est celui du coalescent en génétique des populations (Kingman 1982a), récemment étendu à l’écologie des communautés, qui permet de formuler des hypothèses nulles reproduisant le polymorphisme neutre dans une population (ou un ensemble de populations). Un enjeu majeur en génétique évolutive est d’inférer quels scénarios passés sont les plus vraisemblables pour expliquer une configuration de diversité génétique actuelle, qu’elle soit spatialement explicite ou non. La puissance de la méthode du coalescent est de permettre de comparer un ensemble de modèles, plutôt que de rechercher un scénario correct unique. Elle permet aussi de comparer les modèles en faisant une utilisation optimale des données disponibles. Le coalescent est à la fois une interprétation théorique (simplifiée) d’un phénomène, puisqu’il modélise les relations généalogiques entre individus d’une même espèce, et un outil statistique permettant d’inférer la vraisemblance relative de scénarios. Un autre exemple est la projection d’aires de distribution des espèces dans des environnements changeants. Ces approches essentiellement phénoménologiques consistent généralement à estimer la probabilité qu’une espèce persiste étant données des conditions climatiques. De cette fonction on peut déduire l’aire potentielle sous les conditions actuelles (projection géographique de la niche réalisée actuelle) et aussi la zone géographique représentant les conditions climatiques favorables dans le futur via l’utilisation de scénarios climatiques. Cette information peut ensuite être validée si l’approche permet de donner une prédiction cohérente de l’état actuel (e.g. Thuiller et al. 2009) ou en utilisant les données anciennes ou les suivis temporels pour tester si l’approche permet de projeter correctement un état passé (e.g. Araujo et al. 2005). Ces scénarios sur la distribution future des espèces ne sont pas considérés comme mécanistes car ils ne reposent pas forcément sur une information détaillée de la réponse physiologique de ces espèces aux changements climatiques (mais voir Morin et al. 2007), ni sur la réponse adaptative des populations (Lavergne et al. 2010; Kremer et al. 2012) et n’intègrent pas les interactions biotiques (voir par exemple Boulangeat et al. 2012). Il n’existe pas de discontinuité entre les approches phénoménologique et mécanistes, mais elles diffèrent dans la quantité et la qualité des connaissances des mécanismes écologiques et évolutifs impliqués (Encadré 3). Même les modèles les plus détaillés, reposant sur une excellente connaissance de la physiologie des espèces et de leur potentiel adaptatif, font des simplifications. Comme souvent, la marche de la science est telle qu’une avancée conceptuelle à un temps donné est remise en cause comme trop simpliste plus tard. Ainsi, par exemple, les modèles phénoménologiques de distribution d’espèces internalisent peu à peu des connaissances sur le potentiel adaptatif et sur l’environnement biotique et commencent à se rapprocher de modèles mécanistes dans lesquels on pourra avoir une plus grande confiance en matière de prédiction (Thuiller et al. in review). Recommandations Des avancées majeures en matière de connaissance fondamentale ont déjà pu être observées dans les champs disciplinaires de l’INEE, grâce à la mathématisation de nos disciplines (Encadré 6) tant en génétique et dynamique des populations qu’en écologie des communautés et en génomique environnementale. Ces avancées ont reposé sur des compétences théoriques et mathématiques importantes, qui doivent continuer d’être encouragées. Ce type d’approche est le meilleur moyen de décloisonner les disciplines en s’appuyant sur la mission pour l’interdisciplinarité du CNRS. Cela inclut naturellement de continuer à combler le fossé entre écologie et biologie évolutive, mais aussi explorer les collaborations possibles avec les SHS (économie, anthropologie, sociologie, géographie, etc), les sciences biomédicales et la génomique fonctionnelle. La poursuite d’une réflexion théorique sur des thèmes de recherche fondamentaux doit rester prioritaire car elle est la condition d’une meilleure maturation de notre discipline à l’échelle internationale et il est évident que le CNRS, et tout particulièrement l’INEE, a un rôle clef à jouer dans les années à venir. 32 PROJECTION, PRéDICTION ET SCéNARISATION avignon Prospective Prédire la réponse d’une espèce, d’un ensemble d’espèces en interactions, d’un écosystème ou de services écosystémiques à des modifications du milieu demande à l’Écologie, en tant que discipline, de mettre en cohérence les connaissances, les théories et les patrons observés dans des modèles dits « prédictifs ». Les modèles dont il est question ici sont des modèles « prédictifs » au sens de « prévisionnels », c’est-à-dire qui se donnent comme but d’anticiper le futur. L’élaboration ou l’utilisation de modèles prévisionnels prolonge parfois très naturellement l’élaboration de modèles visant à la prédiction en tant qu’outil de compréhension théorique, mais il n’est pas toujours ainsi. Par définition ces modèles sont des simplifications d’un état et demandent donc une forte abstraction des processus (Encadré 3). Mais prévoir ne saurait se limiter à l’élaboration de prédictions. En effet, prévoir doit aussi conduire à des activités de conception de stratégies d’adaptation et/ou de réponses aux changements : stratégies d’aménagement du territoire, de gestion ou de protection de l’environnement, de translocations qui soient les mieux à même de résister et de s’adapter aux changements futurs et à la dynamique incertaine des écosystèmes. En ce sens, le défi est double : améliorer les prévisions que l’on peut réaliser, pouvoir les comparer et les évaluer, mais aussi concevoir des stratégies pour répondre au mieux à un futur nécessairement flou. État de l’art L’écologie lato sensu a déjà montré qu’elle pouvait avoir une capacité à prédire la trajectoire d’entités, de la population à la communauté, et d’écosystèmes dans une trame spatiale et temporelle. Génétique évolutive : Depuis les travaux de Wright, Fisher et Kimura (Fisher 1930; Wright 1930; Kimura 1983), la génétique des populations repose sur un corpus méthodologique solide qui permet de prédire l’impact des processus démographiques et adaptatifs sur la variation génétique. Ces prédictions peuvent être confrontées aux données moléculaires pour inférer des effets sélectifs ou démographiques ayant affecté les populations (Balding et al. 2007 ; Lawton-Rauh 2008). Cette capacité s’est trouvée renforcée récemment par des méthodes d’analyse statistique de type MCMC (Kuhner 2009) ou ABC (Csillery et al. 2010), qui permettent de choisir entre différents scénarios historiques, et d’inférer des paramètres démographiques (taux de migration, de croissance, etc.) et adaptatifs (type de sélection et coefficients de sélection des différents gènes ou phénotypes). La génétique quantitative offre aussi un puissant corpus théorique pour comprendre le processus évolutif que ce soit sur des organismes d’intérêt direct pour l’homme (par ex., espèces domestiquées) ou en populations naturelles (Lynch & Walsh 1997). Elle permet de produire des prédictions au terme de quelques générations. Cependant, le passage à la prédiction d’une trajectoire évolutive future reste un exercice complexe, en particulier en présence de contraintes environnementales. Démographie, Dynamique des populations : Si la dynamique des populations s’est d’abord concentrée sur les patrons observés dans les variations d’effectifs des populations, elle intègre maintenant les mécanismes démographiques pilotant ces variations dans l’espoir de mieux prédire l’impact des forçages environnementaux et des pressions anthropiques s’exer33 prospective de l’institut ecologie et environnement du cnrs prospectives d’avignon çant sur ces populations (Coulson et al. 2001; Lebreton 2005). Depuis peu, on assiste également à une incorporation de la dimension évolutive dans les modèles de dynamique des populations avec pour objectif la compréhension des interactions entre la démographie et l’évolution des traits d’histoire de vie (Arpat et al. 2009 ; Coulson et al. 2010). En liaison avec l’idée de replacer l’individu au centre de la modélisation en dynamique des populations, l’importance de prendre en compte l’hétérogénéité individuelle (variation inter-individus dans les paramètres démographiques par exemple) fait son chemin avec des ramifications en écologie des communautés pour expliquer la coexistence des espèces (Miller & Rudolf 2011). Distribution des espèces : Intrinsèquement, les espèces, qu’elles soient animales ou végétales ont des contraintes physiologiques et comportementales souvent liées aux conditions abiotiques du milieu. Ces contraintes ont des origines évolutives qui ont été façonnées par l’histoire biogéographique et des processus d’adaptation, de spéciation et d’extinction / colonisation. La modélisation de la distribution des espèces est certainement un des aspects où l’écologie a montré une forte ambition prévisionnelle (Guisan & Thuiller 2005). Une suite de modèles statistiques est utilisée pour déterminer les paramètres bioclimatiques (degrés-jours de croissance, température minimale), pédologiques (silice-calcaire) et d’utilisation des terres qui permettent à l’espèce de pouvoir maintenir des populations viables (Figure 6A). Ces modèles, essentiellement phénoménologiques (Encadré 3), ont montré des capacités prédictives intéressantes et les récents développements permettent maintenant de prendre en compte la dispersion des espèces et commencent à intégrer certains élément d’interactions biotiques (Thuiller et al. in review). Ce type d’approche a aussi été beaucoup utilisé pour étudier la réponse possible de la biodiversité aux changements climatiques (Araújo et al. 2011). La richesse des espèces mais aussi le devenir d’autres facettes de la biodiversité comme la diversité phylogénétique ont pu ainsi être prospectés (Figure 6, Thuiller et al. 2011). Les développements actuels des modèles dits hybrides permettront de fournir dans un futur proche des scénarios plus informatifs qui devraient pouvoir prendre en compte davantage de processus fondamentaux (Thuiller et al. in review). Figure 6 : Modèles de distribution et devenir de la biodiversité A) Exemple de la prédiction des habitats favorables d’une espèce. Ici le cas du Mélèze (Larix decidua) dans les Alpes Françaises (Thuiller et al. 2009). B) Exemple de prédiction du devenir de la diversité phylogénétique pour les mammifères et les oiseaux en Europe face aux changement climatique (Thuiller et al. 2011). A 34 B Birds - Current PD Birds - Future PD Mammals - Current PD Mammals - Future PD B 1970-1979 1980-1989 1990-1999 2000-2008 A Figure 7 : Prévoir en épidémiologie A) Modélisation environnementale de la niche d’Aedes albopictus, le moustique tigre d’origine asiatique, vecteur des virus de la dengue et du Chikungunya. Le modèle de 2007 prédisait un environnement favorable à son établissement en Europe du sud (Benedict et al. 2007). Le moustique a été signalé en 2009 à Nice et il est maintenant installé à Montpellier. Des cas autochtones de dengue et de Chikungunya ont été observés dans les années suivantes. B) Cartographie des anomalies du R0 permettant de prédire des zones de risques d’épidémies de maladies infectieuses, avec ici avec le cas de la maladie de la langue bleue dont le vecteur est un moustique Culicoides (Guis et al. 2012). La modélisation avait montré le risque épidémique pour la Hollande en 2006, alors que la maladie semblait circonscrite au pourtour méditerranéen. Fonctionnement des écosystèmes : On distingue grossièrement deux types de modèles de fonctionnement des écosystèmes, selon l’échelle spatiale considérée et le niveau de complexité des processus pris en compte. Par exemple en écologie végétale, d’un côté, on trouve les modèles globaux de végétation (Smith et al. 2001). Ils se situent à une large échelle géographique (continentale, globale), sont relativement simplifiés au niveau des processus pris en compte, et considèrent un nombre limité de types de végétation, en utilisant généralement des types fonctionnels de plantes. D’un autre côté, on trouve les modèles développés principalement à une échelle locale (Cramer et al. 2001), prenant en compte un grand nombre de mécanismes et parvenant généralement à une bonne précision des processus étudiés (ex. : respiration et fixation du carbone). Ces modèles sont souvent très spécifiques et ainsi difficilement généralisables, ainsi qu’impossibles à mettre en œuvre pour de grandes surfaces. D’autres modèles cherchent, comme c’est le cas en milieu marin, à modéliser des échelles spatiales plus grandes au détriment des processus physiologique (Sumaila et al. 2011). Services écosystémiques : Les travaux sur la prédiction et la cartographie des biens et services associés à la biodiversité sont ainsi devenus un enjeu important en écologie (MEA 2005; Diaz et al. 2007; Lavorel et al. 2011). On peut citer les biens alimentaires fournis par la pêche, la chasse ou l’agriculture, les services associés au recyclage des nutriments comme le maintien de la fertilité ou la qualité des eaux, les rendements des cultures ou la production de bois estimés par la productivité des écosystèmes, le stockage du carbone ou l’accueil de biodiversité au sein de paysages hétérogènes. Par exemple, la description des liens entre les propriétés morpho-physico-chimiques des plantes et certaines fonctions des écosystèmes (Garnier et al. 2004) a permis de développer des approches prédictives de services via la distribution de traits fonctionnels des plantes (Lavorel et al. 2011). Ces approches se focalisent sur la compatibilité des dynamiques en jeu avec des contraintes représentant la bonne santé et la sécurité des systèmes. Ces contraintes sont souvent écologiques comme les seuils d’extinction inspirés de l’analyse de viabilité des populations. La prise en compte de contraintes socio-économiques (sécurité alimentaire, profitabilité des exploitations, ...) est désormais mise en avant et participe de démarches multi-critère. Toutefois, certains services, tels les services culturels, restent difficiles à appréhender et à 35 prospectives d’avignon quantifier (nécessitant un dialogue et une intégration plus poussée avec les SHS). Epidémiologie : L’épidémiologie s’appuie pour la prédiction sur des méthodes statistiques et la modélisation (Anderson & May 1991; Diekmann & Heesterbeek 2000), et plus récemment sur des méthodes moléculaires (Morand et al. 2012). Une avancée remarquable dans la prédiction a consisté à intégrer la modélisation épidémiologique dans des cartographies. Il est ainsi maintenant possible de réaliser des prédictions en fonction des paramètres environnementaux actuels et futurs prédits par les modèles climatiques et donc de prévoir les localités à risques à un moment donné (Figure 7). L’intégration de la diversité biologique ou des structures paysagères et de leurs dynamiques avec ces modèles épidémiologiques reste à construire (ce qui nécessite en parallèle de développer des recherches dans les mécanismes écologiques de la transmission) ainsi que la prise en compte de l’évolution (en d’autres termes, des mutations et donc du processus évolutif) de la souche durant l’épidémie. Limitations Complexité : Les modèles prédictifs sont souvent limités à un niveau d’organisation et intègrent peu d’information sur les autres niveaux. Par exemple, on considère souvent les phénomènes démographiques et adaptatifs séparément, alors qu’ils agissent de manière simultanée sur des génomes constitués de plusieurs milliards de nucléotides (Nielsen 2005). A l’autre extrémité, les modèles de distribution d’espèces ou de fonctionnement des écosystèmes n’intègrent pas suffisamment d’information sur les dynamiques démographiques et évolutives de populations dans un cadre spatio-temporel ainsi que sur la nature des interactions biotiques entre espèces (Thuiller et al. in review). Les modèles de distribution d’espèces restent souvent purement phénoménologiques, peu sont mécanistes (Encadré 3). L’adaptation locale et la plasticité phénotypique sont très souvent ignorées (mais voir Kearney et al. 2009; Kramer et al. 2010). Malgré les efforts consentis en biologie évolutive et en épidémiologie, les pouvoirs prédictifs de ces modèles restent encore sujets à débat. En particulier, le rôle de la mutation et l’apparition de nouveaux variants (souches en épidémiologie) sont encore difficiles à modéliser. Par exemple les réponses évolutives des agents pathogènes (virulence, spécificité) ou des vecteurs/réservoirs (résistance) ne sont pas prises en compte. Enfin, les prédictions des biens et services liés à la biodiversité sont encore peu connectées aux modèles dynamiques de biodiversité (Civantos et al. 2012). Validations et incertitudes : La vision classique de la validation repose sur le principe qu’un jeu de prédictions devrait être comparé à un jeu indépendant de données d’observations. Ceci n’est pas ou peu réalisé en raison de la difficulté d’obtenir des jeux de données indépendants, car les dynamiques spatio-temporelles ou évolutives sont difficiles à observer. De plus, pour l’instant, la plupart des études et rapports présentant des résultats de modèles prédictifs ne rapportent pas (ou peu) les incertitudes liées aux analyses (ex. : incertitude liée à l’estimation des paramètres ou à la sélection des modèles). Recommandations La principale limitation concerne une meilleure intégration des différentes disciplines thématiques en écologie. Pour cela, quelques défis majeurs doivent être relevés dont nous donnons ici quelques exemples : Vers une approche intégrée de la prédiction de la biodiversité. Les récents développe36 ments en modélisation de distributions d’espèces proposes les bases pour des approches hybrides combinant des modèles phénoménologiques (souvent liés à la physiologie) et mécanistes pour permettre la prise en compte de la dispersion et des interactions biotiques. Comment intégrer ces modèles déjà complexe sans voir une avalanche de paramètres à esti- mer ? La réduction de la complexité est devenu un défi majeur dans la modélisation de la biodiversité si on projette de modéliser les boucles de rétroactions entre processus (ex : dispersion et interactions biotiques). Réduire l’incertitude. Comment élargir le cadre des prédictions purement quantitatives à des situations où les données sont semi-quantitatives ou qualitatives, ce qui est par exemple parfois le cas en SHS? Comment concevoir des stratégies d’aménagement et de gestion fondées sur des prédictions incertaines ? Les stratégies de gestion doivent-elles être conçues à un instant donné ou plutôt comme un itinéraire de gestion (ex : gestion adaptative) ? Penser autrement la biodiversité. Comment traiter un grand nombre d’espèces dans des modèles prédictifs ? Il faudra utiliser les concepts issus de l’écologie des communautés, de la théorie des réseaux, de la théorie métabolique et de l’écologie fonctionnelle pour définir des unités de modélisation plus réalistes (par exemple groupes fonctionnels) pour lesquelles les relations trophiques et d’interactions seront plus faciles à conceptualiser et donc à prédire. Inclure la dynamique évolutive. Comment prédire les potentiels et trajectoires évolutifs des espèces ? Cela suppose de prendre en compte, au-delà du cadre habituel (par ex., architecture génétique, dérive et sélection, systèmes de reproduction) de façon formelle les nouvelles mutations, la variabilité cachée, les interactions entre espèces au sein d’une communauté ou une chaîne trophique et les effets épigénétiques. La trame conceptuelle utilisée devra permettre de se projeter à un horizon dépassant les quelques générations (offert par la génétique quantitative) et incorporer des effets environnementaux. Elle devra être calibrable via, par exemple, des expérimentations chez des microorganismes. Ici encore l’intégration de modèles prédictifs issues de la démographie, de la génétique, de l’évolution et de l’écologie des communautés est à encourager (voir par exemple l’encadré 8). centraliser les données spatio-temporelles, les données paléo-écologiques et collecter des données supplémentaires. Etablir des relations quantitatives entre biodiversité, fonctionnement des écosystèmes. Quantifier des fonctions supports des services des écosystèmes. Affiner la mise en œuvre des méthodes d’évaluation économique en lien avec les sciences humaines en ce qui concerne la mise en évidence des valeurs non économiques, ou les aspects éthiques de l’évaluation des services écosystémiques. Intégrer l’écologie avec les SHS. Réconcilier la production de nourriture, d’énergie, de fibre avec la protection de la biodiversité est un des défis les plus importants du siècle en particulier en présence du changement climatique. La bio-économie (Clark 1976) ou l’économie écologique (Doyen et al. 2012) s’inscrivent dans cette perspective. L’objectif est d’éclairer le pilotage des systèmes en jeu en analysant et élaborant des stratégies de décision, des politiques publiques et des scénarios pour la biodiversité ainsi que pour les biens et services qu’elle rend. Il conviendra de mettre en oeuvre une démarche de modélisation intégrée entre l’écologie, les sciences humaines et les sciences physiques pour traiter de l’interface et des interactions entre des modèles dynamiques de la nature et des modèles d’activité humaine. Dans cette perspective, le développement d’approches fondées sur l’idée de faisabilité, d’acceptabilité ou de sécurité comme la viabilité ou la co-viabilité constitue un défi important pour aborder la durabilité bio-économique (Pereau et al. 2012). Développer des modèles de dynamique spatiotemporelle réalistes qui permettent de prendre en compte à la fois la réponse des espèces aux environnements abiotiques et biotiques. Ici il faudra fournir un effort particulier pour 37 prospectives d’avignon 8. Prévision aux frontières de l’Ecologie et de l’Evolution Les changements environnementaux induisent des pressions de sélection sur de multiples traits des organismes. L’existence de corrélations génétiques entre traits peut freiner leur réponse, et réduire leur capacité d’adaptation. Un des enjeux de l’écologie prédictive sera d’intégrer la réponse évolutive des espèces aux changements environnementaux dans le formalisme utilisé dans les modèles de distribution (Lavergne et al. 2010). Pour déterminer dans quelle mesure, et dans quelles conditions, l’architecture génétique des traits adaptatifs limite la réponse aux changements environnementaux, Duputié et al. (2012) ont développé un modèle simple, dans lequel une espèce unique est soumise au déplacement continu d’un gradient environnemental. La valeur sélective des individus augmente avec l’adéquation de plusieurs traits aux conditions environnementales locales. A l’équilibre, si l’espèce persiste, elle suit le déplacement du gradient avec un retard spatial, et une maladaptation croissante sur le bord de fuite. La persistance de l’espèce est favorisée lorsque son taux de dispersion est intermédiaire (des taux de dispersion trop élevés rompant les patrons d’adaptation locale), et lorsque le déplacement de l’optimum phénotypique se produit dans une direction sous faible sélection stabilisante et dans laquelle la variance génétique n’est pas limitante. Les auteurs ont construit des expressions analytiques de la largeur de l’aire et de la vitesse maximale de changement que l’espèce peut supporter, en fonction des amplitudes et directions des pressions de sélection et de la variance génétique disponible. Pour l’heure, peu d’espèces sont suffisamment connues pour que l’on puisse estimer tous ces paramètres, mais ce travail offre des pistes prometteuses pour une intégration des réponses évolutive et démographique des espèces dans les modèles de distribution. Reste à y ajouter les limitations possibles de l’adaptation, par exemple dues à de faibles effectifs ou à des interactions avec d’autres espèces. 38 avignon Prospective conclusion Un des objectifs de l’écologie est de prédire la réponse d’une espèce, d’un ensemble d’espèces en interactions, d’un écosystème ou de services écosystémiques à des modifications du milieu. Cet objectif qui reste, et doit rester fondamental, prend aujourd’hui une ampleur considérable en raison de la forte demande sociétale concernant la prédiction des conséquences des actions humaines sur les écosystèmes et, en retour, l’impact des perturbations environnementales sur les services liés aux écosystèmes et sur la santé humaine. En plus de recommandations concrètes (Encadré 9) notre travail de prospective a souligné l’importance de soutenir les approches fondamentales pour renforcer les approches prédictives en écologie scientifique. Comprendre pour agir La construction rigoureuse de scénarios nécessite un effort majeur dans le domaine de la modélisation et de la prédiction. Cela passe par la construction de méthodes quantitatives et de modèles intégrés faisant sens non seulement des points de vue écologique et évolutif mais aussi vis-à-vis des facteurs de forçages externes (ex : climat, utilisation des terres, pollution, production) et des utilisations potentielles (ex : socio-économie). Ces modèles intégrés requièrent la communication entre les disciplines de l’écologie, de l’évolution, des mathématiques et statistiques, des géosciences et des SHS et jouent donc un rôle de média scientifique. Dans ce contexte, les modèles mathématiques et numériques doivent être de préférence dynamiques dans le temps et dans l’espace pour tenir compte des processus complexes et adaptatifs qui sous-tendent la dynamique des systèmes écologique. La calibration des modèles doit s’appuyer sur des bases de données et des systèmes d’information pérennes et à large échelle spatiale et mobiliser les mathématiques appliquées via la statistique. Les indicateurs utilisés pour l’évaluation des scénarios doivent avoir de préférence une forte légitimité scientifique et institutionnelle. Pour être utile pour les décideurs et pour la mise en œuvre de politiques environnementales et d’actions d’aménagement, les projections écologiques doivent aussi pouvoir quantifier l’incertitude associée de manière transparente. En effet, 1) l’information contenue dans les scénarios de biodiversité ou les projections est inversement proportionnelle à leurs incertitudes et 2) une sous-estimation de l’incertitude peut générer des prédictions fausses qui entacheront la confiance que l’on peut avoir en l’écologie de devenir opérationnelle (Clark et al. 2001). Une recherche et une communication accrues sur les incertitudes et les biais qui accompagnent l’écologie prédictive, mais aussi sur les objectifs de son développement et de son utilisation, sont donc devenues essentielles. 39 prospectives d’avignon Agir pour comprendre Le titre de la prospective INEE « Comprendre pour Agir » suggère que l’objectif de l’écologie en tant que science devrait être d’aller vers une écologie plus « opérationnelle », donc plus appliquée et dont les objectifs sont fixés par les demandes sociétales. Mais est-ce bien ainsi que l’écologie deviendra plus prédictive ? Certaines prédictions en science ne s’accompagnent pas du tout de la possibilité de « faire » quoi que ce soit dans la sphère « opérationnelle ». La mission de l’écologie scientifique est-elle de fournir des outils directement applicables pour enrayer la crise de la biodiversité ou, plus généralement, de mieux connaître les systèmes vivants et leur fonctionnement ? Une approche classique de prédiction consiste à calquer ce que l’on connaît du passé pour prédire les comportements futurs. Ces approches sont importantes et nous apportent des informations précieuses. Elles reposent pourtant sur l’idée simplificatrice de l’absence de propriétés émergentes, nouvelles dans un contexte nouveau. Etre capable de prédire ces propriétés émergentes est un défi majeur d’une écologie qui se veut « prédictive ». Ceci ne peut être fait par une science trop dirigiste ; bien au contraire, il faut laisser aussi toute sa place à la créativité. Justement, cette liberté de pensée et de thématique de recherche est une des caractéristiques originales et un des fondements même du CNRS, qui se différencie ainsi d’autres institutions de recherche plus appliquées, qui font une recherche tout aussi pertinente mais avec des objectifs et dans un contexte différents. Un des grands défis de l’écologie actuelle consiste à passer de l’étape de la prédiction-comme-explication, de nature souvent qualitative, à celle de la prédiction-comme-anticipation, de nature quantitative. Mais il faut constamment garder à l’esprit que la seconde étape reposera toujours sur la première et que l’élaboration d’un socle solide de connaissances théoriques fondamentales reste et restera l’élément décisif de la capacité de l’écologie à être « prédictive ». 9. Exemples d’actions à soutenir pour renforcer l’écologie prédictive Nous donnons ici quelques exemples d’actions concrètes qui ont été discutées durant les prospectives d’Avignon dans nos ateliers ; cette liste n’est bien sur pas exhaustive. Nous avons distingué des « actions transversales » liées au développement de l’écologie prédictive et des « actions spécifiques » aux quatre ateliers abordés à Avignon. Actions transversales Coordination Renforcer les liens avec les structures telles que la FRB, IPBES, FAO et autres officines locales, nationales ou internationales chargées de proposer des scénarios aux institutionnels et politiques. Elaborer un vocabulaire commun entre écologie, biologie, SHS, climatologie etc., pour les diverses dimensions de la prévision scientifique, afin de minimiser malentendus et équivoques. Une meilleure concertation et mise en réseau de la communauté française sur le thème de l’écologie prédictive. Trop de recherches sont encore développées de manière indépendantes alors qu’une meilleure organisation au niveau national serait profitable (ex : via la FRB par exemple). La France a le potentiel pour devenir un acteur majeur sur ce thème. L’émergence d’énormes structures d’excellence en biodiversité en Allemagne va renforcer la compétition au niveau Européen. La France à le devoir de se structurer à son tour sur ces thématiques. Interdisciplinarité Maintenir et renforcer des sections de recrutement interdisciplinaires susceptibles de faire émerger des projets de recherches originaux, capables de travailler explicitement à l’interface entre la composante explicative et appliquée de l’écologie scientifique. Organiser des écoles thématiques interdisciplinaires; mise en place de cursus universitaires interdisciplinaires. Promouvoir les recherches croisées sur des objets et/ou d’étude communs. Renforcer liens avec SU (par ex. OSU). Renforcer les collaborations entre écologues et mathématiciens/statisticiens mais aussi avec la géophysique, la bio-économie et les SHS. Dépasser les logiques institutionnelles et donner des moyens réels aux structures de mutualisation (Allenvi, FRB…). Déontologie Susciter un débat sur le thème de la déontologie et l’éthique en science écologique avec pour finalité la publication de recommandations/orientations de bonnes pratiques. Concertation avec des milieux scientifiques (e.g. GIEC) qui ont une longue expérience de la communication des prévisions. Organiser des groupes de réflexion sur les rapports entre prédiction scientifique, expertise et champs judiciaire et politique. Synthèse 40 Créer des lieux (et renforcer des lieux existants) favorisant l’échanges entre disciplines autour de grandes questions de l’écologie (groupes de travail tels que NCEAS / CESAB, colloques ouverts, écoles thématiques, …). Actions spécifiques Epistémologie de la prédiction Formation Ouverture de postes spécifiques à l’épistémologie dans les grands laboratoires d’écologie en France. Formations/ateliers sur l’épistémologie de l’écologie. Faciliter l’interface écologie SHS. Des données à l’information Formation Organiser des écoles thématiques sur la gestion des données et l’information en écologie. Introduire des cours spécifique dans les cursus universitaires. Pertinence Cibler les questions en s’appuyant sur un cadre conceptuel solide ; définir les métriques pertinentes en collaboration avec les théoriciens. Promouvoir les recherches croisées sur des objets et/ou d’étude communs. Renforcer liens avec les sciences de l’univers. Interopérabilité Etablir des standards pour le codage des données. Développer l’interface disciplinaire écologie/ sciences de l’information (écoinformatique) : création d’un cursus et recrutement de scientifiques à cette interface. Mise en place de réseaux transversaux permettant la mutualisation des moyens et l’homogénéisation des métadonnées entre disciplines. Partage Etablir des règles de protection de la propriété intellectuelle adaptées au partage des données. Favoriser et soutenir la création de bases de données ouvertes, curées et révisées sur le long terme. Création d’une revue électronique internationale pour la mise en ligne des jeux de données. Valorisation de la mise en forme et du partage des données dans le recrutement des chercheurs et dans les évolutions de carrières. Stockage Renforcer et augmenter les capacités de stockage, la puissance de calculs et les réseaux d’échanges. Développer une infrastructure pour le stockage des données en écologie. Analyse Renforcer la synergie entre biologistes, bioinformaticiens et statisticiens. Ouverture de postes d’ingénieurs en écoinformatique. Développement de grilles de calcul mises à la disposition des chercheurs de l’INEE. Renforcer les démarches théoriques Fondamentaux Créations/renforcement de postes/appels d’offres qui n’exigent pas d’applications sociétales directes. Mathématisation Développer les formations universitaires pluridisciplinaires mathématiques / écologie, physique / écologie, informatique / écologie. Création de poste à l’interface mathématique écologie. Renforcer la venue de mathématiciens/statisticiens dans les laboratoires d’écologie et d’évolution. Favoriser les échanges entre théoriciens de l’écologie, expérimentalistes et empiristes. Lancer des appels à projets fondamentaux liants mathématiques et écologie. Surprises Favoriser les recherches permettant les émergences, les seuls à pouvoir scénariser les surprises, les situations nonanalogues. Projection, prédictions et scénarisation Spatialisation Renforcer la pérennisation de poste technique lié aux traitements de données spatialisées tels que la télédétection, outils SIG, bases de données spatialisées (certains laboratoires d’écologie en France n’ont pas de SIGiste permanents). Validation Encourager la valorisation des suivis temporels, pas seulement de distribution mais aussi de traits d’histoire de vie, les données passées et les plateformes de simulation. Pérennisation de la récolte des données à long terme. Favoriser les projets de validations des modèles prévisionnels. 41 références • Anderson R.M. & May R.M. (1991). Infectious diseases of humans : Dynamics and control. 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Cette deuxième partie des prospectives de l’INEE regroupe les contributions d’ateliers dont l’objectif partagé est de décrypter ces processus, notamment ceux qui participent à la production de diversité biologique, à la dynamique de la biodiversité ainsi qu’au fonctionnement des écosystèmes. L’atelier « Génomique » cherche à tirer le meilleur profit de l’accès à l’information génétique aux différentes échelles structurales et fonctionnelles afin d’envisager un large champ de questions allant des mécanismes moléculaires de l’évolution au fonctionnement des écosystèmes. Cet apport de la génomique et les nombreuses avancées méthodologiques dans les domaines du vivant et de la bioinformatique permettent, en outre, de revisiter des questions classiques de biologie évolutive, avec un nouveau cadre conceptuel et une vision plus intégrative. C’est le cas du déterminisme du sexe, de son évolution et de son maintien dans le monde vivant abordés dans l’atelier « sexe et Evolution », ou de l’interaction complexe entre la dynamique du développement et les dynamiques évolutive et écologique dans l’atelier « éco-évo-dévo-paléo ». De la même façon, notre compréhension de la diversité du vivant et de son histoire complexe, objet de l’atelier « Systématique et Phylogénie », devrait également bénéficier fortement de ces avancées méthodologiques et conceptuelles. Ce renouvellement des concepts nous conduit vers une échelle plus globale d’appréhension des mécanismes de l’évolution. Ainsi, l’atelier « hérédité génétique et non génétique » engage la réflexion sur l’importance de la prise en compte de la transmission non génétique de l’information et de son rôle en évolution. Sur cette question, on pourra également se référer à l’atelier « évolution biologique et culturelle humaine » dans la troisième partie de ces prospectives. Emboitant le pas à l’écologie, les sciences de l’évolution se voient également investies de nouveaux champs d’application, au premier rang desquels la médecine. L’atelier « écologie, évolution, santé et biodiversité » montre combien les concepts de l’écologie et de l’évolution ont à apporter à la santé humaine, animale et végétale, tant pour la prévention que pour la thérapie. La compréhension de l’impact des changements globaux sur les mécanismes écologiques et évolutifs, et de leurs conséquences sur la biodiversité et sur les services écosystémiques, requièrent le développement de nouvelles approches pluridisciplinaires et intégratives dans de multiples domaines de l’écologie. Cette démarche se trouve au cœur de l’atelier « Interactions et rétroactions » qui insiste sur l’approche systémique du rôle des interactions et rétroactions dans le fonctionnement et dans l’évolution des écosystèmes. 47 prospective de l’institut ecologie et environnement du cnrs De son côté, l’atelier « priorités en recherche en écophysiologie animale » s’intéresse plus spécifiquement aux capacités de réponses des animaux aux changements de leur environnement, et à la prise en compte du rôle de la plasticité phénotypique dans les processus évolutifs. Pour l’impact des changements globaux, on pourra aussi se référer à la première partie de cette prospective « Ecologie prédictive et changement planétaire » ainsi qu’à plusieurs ateliers dans les troisième et quatrième parties. La recherche en écologie et évolution dans les laboratoires du CNRS, qu’elle porte sur l’origine et la dynamique de la biodiversité ou sur le fonctionnement des écosystèmes, est aujourd’hui à une étape clef de son histoire : elle voit son rôle social considérablement amplifié par la mise en place, par les Nations Unies, de l’IPBES1 et par la mobilisation de son expertise pour répondre à la sollicitation des politiques. Dans ce contexte, l’ambition forte de l’INEE est de soutenir le niveau d’excellence des recherches fondamentales en sciences de l’évolution et de l’écologie, tout en stimulant leur engagement dans des voies plus expérimentales, prédictives et appliquées. 48 1 - Plate-forme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques INTERACTIONS ET RéTROACTIONS, RôLE DE LEUR éCOLOGIE ET éVOLUTION DANS LE FONCTIONNEMENT DES éCOSYSTèMES avignon Prospective Coordinateurs : Jacques Roy, Didier Bouchon, Dov Corenblit, Thierry Dutoit, François Lallier, Nathalie Niquil, Fabrice Vavre Contributeurs : Anne-Geneviève Bagnères, Virginie Baldy, Pascale Bauda, Françoise Binet, Xavier Bodin, Gudrun Bornette, Jérôme Casas, Sylvain Charlat, Thierry Gauquelin, Sylvain Lamare, Florent Maraux, Cloé Mulier, Jean-Luc Peiry, Hervé Piegay, Claire Prigent-Combaret, Pierre Ribstein Une approche systémique du rôle des interactions et des rétroactions dans le fonctionnement et dans la dynamique des écosystèmes et la mise en regard des connaissances et pratiques afférentes à des écosystèmes contrastés (terrestre vs marin vs sous-ensembles spécifiques) peut faire émerger de nouveaux questionnements, méthodes, concepts et synthèses. En tentant une telle approche, cet atelier s’est positionné dans les champs de l’écologie fonctionnelle et de l’écologie évolutive où la biodiversité est une composante majeure, mais pas le seul enjeu. Beaucoup d’enjeux sociétaux, et le devenir même de la biodiversité, sont liés à des fonctions émergentes des écosystèmes telles que les cycles biogéochimiques ou les contraintes stœchiométriques dont il faut comprendre les mécanismes intrinsèques et ce qui les contrôle. Cependant, la prise en compte croissante des capacités évolutives des espèces et des interactions biotiques dans la dynamique de ces écosystèmes et dans les boucles de rétroactions qu’elles peuvent générer complètent notre compréhension et offrent de nouveaux leviers de gestion. L’analyse des besoins de connaissance concernant les mécanismes de mise en place et de régulation du fonctionnement des écosystèmes constitue le cœur de cet atelier. Qu’elles soient d’origine abiotique, biotique, ou à l’interface entre ces deux compartiments, les régulations des processus émanent d’interactions et de rétroactions fortes qu’il faut formaliser. Les thèmes abordés dans cet atelier sont par essence transversaux. Ils balaient les demandes en connaissances tels que l’on peut les percevoir à partir de la demande sociale (les interactions et rétroactions dans les écosystèmes régulent un certain nombre de services écosystémiques), à partir de l’état des lieux de la recherche fondamentale actuelle ou à partir des besoins des domaines d’application (Figure 1). Figure 1 : Les interactions et rétroactions, biotiques et abiotiques, sont au cœur du fonctionnement des écosystèmes. Leur connaissance approfondie permettra de mieux comprendre, prédire et gérer les services fournis par les écosystèmes. Services écosystémiques Prédire Comprendre Connaissances fondamentales Ingénierie écologique Agir Inter-rétro-actions Cœur fct écosystèmes Connaissances fondamentales 49 prospective de l’institut ecologie et environnement du cnrs prospectives d’avignon Loin d’être exhaustif dans le traitement de ces interactions et rétroactions, qui ont fait pour partie l’objet de sections des documents « Prospectives en Ecologie Fonctionnelle » et « Prospectives en Ecologie Chimiques » publiés en 2012 ou d’autres ateliers de ce volume, nous avons tenté de présenter ce qui nous semble être porteur d’innovation dans l’étude des fonctions émergentes des écosystèmes, des réseaux d’interactions et des interactions durables. Nous avons surtout tenté de présenter une vision intégrée de ces trois domaines (figure 2) et nous proposons, spéculativement, que les concepts d’individu et d’écosystème se télescopent (l’individu écosystème et l’écosystème individu) et s’inter-enrichissent. Forçages environnementaux Réseaux d’interactions Dynamique des communautés Services écosystémiques Fonctions émergentes Cycles biogéochimiques etc … Interactions durables L’individu-écosystème Figure 2 : Chaque domaine de recherche (Interactions durables, Réseaux d’interactions, Fonctions émergentes) doit être capable de mieux prédire et maintenir la fourniture des services écosystémiques en fonction des forçages environnementaux, mais la prise en compte explicite des interactions entre ces domaines reste un défi pour la recherche dans les années à venir. Des enjeux sociétaux aux questions fondamentales concernant le fonctionnement des écosystèmes Les services écosystémiques sont de plus en plus cités en tant que concept écologique, souvent associés au rôle de la biodiversité. Indépendamment de l’opportunité de mettre en avant ces services pour justifier le maintien de la biodiversité (cf. atelier Services écosystèmiques, représentation de la nature et de l’environnement), la reconnaissance de leur importance pour le fonctionnement des sociétés humaines va grandissante (Millennium Ecosystem Assessment, 2005 ; Daily et al., 2009 ; Carpenter et al., 2009). Ils sont ainsi amenés à prendre une place prépondérante dans la gestion des territoires et des écosystèmes (Daily and Matson, 2008, Goldstein et al., 2012), notamment au travers 50 de l’ingénierie écologique et leurs conséquences jusque dans les sphères économiques et politiques vont s’amplifiant (Fisher et al., 2008). L’ingénierie écologique sera amenée à jouer un rôle majeur dans nos sociétés. Elle peut être définie comme l’ensemble des connaissances scientifiques et des pratiques fondées sur les mécanismes écologiques et utilisables pour la gestion adaptative des ressources, la conception, la réalisation et le suivi d’aménagements ou d’équipements. Les objectifs de l’ingénierie écologique peuvent se décliner en trois axes principaux : 1) la réhabilitation/restauration d’écosystèmes dégradés, de communautés, de paysages, l’éradication d’espèces invasives ou au contraire la réintroduction d’espèces 2), la création de nouveaux écosystèmes durables qui ont une valeur pour l’homme et pour la biosphère et 3), la mise au point d’outils écologiques pour résoudre ou prévenir des problèmes de pollution, maintenir, rétablir ou maximiser un service écosystémique. La majorité de ces services écosystémiques, que ce soit les services de soutien (cycle des nutriments, production primaire…), de production (nourriture, biocombustibles…) ou de régulation (séquestration du carbone, décomposition des rejets, purification de l’eau et de l’air, contrôle des ravageurs…) sont le résultat direct des interactions et rétroactions entre des processus abiotiques et biotiques intimement associés. La mise en perspective planétaire de ces services/ processus écologiques majeurs et de leurs interactions dans le contexte d’un développement durable des activités humaines (Rockström et al., 2009) est une étape importante dans leur prise en compte scientifique et politique. Cependant, en général, le lien direct entre un service et les mécanismes fonctionnels de l’écosystème qui en assure l’apport n’est que très rarement explicité et l’on peut se demander s’il n’est pas souvent perçu que comme une boîte noire. Par exemple les 100 questions en écologie pertinentes pour les décideurs au Royaume Uni (Sutherland et al., 2006), n’abordent que très peu la dynamique des processus et l’importance des interactions/rétroactions. Le maintien de la biodiversité et de son rôle dans l’écosystème a une place importante dans ces questions, mais les mécanismes en jeu ne sont pas mentionnés. A quel niveau d’information (d’éducation) concernant ces mécanismes devrait-on amener les différents acteurs associés aux politiques scientifiques, voire certains de nos collègues scientifiques, pour progresser rapidement dans les défis actuels ? Un effort de communication sur les processus écologiques en jeu est sans aucun doute nécessaire. L’effort de recherche pour comprendre et maintenir la fourniture de ces services est immense (Carpenter et al., 2009). L’investissement nécessaire a été comparé à celui de la médecine, la défense ou l’exploration spatiale (Kremen and Ostfeld, 2005), mais le plan d’action n’a pas été suffisamment explicité. L’étude du rôle de la biodiversité dans le fonctionnement des écosystèmes a été la voie d’approche principale ces 20 dernières années. D’autres approches complémentaires, plus « services-centrées », pourraient être développées (Kremen, 2005). Elles ne seront cependant pertinentes que si elles incorporent les principales interactions/rétroactions à l’œuvre dans les écosystèmes. Les sections ci-dessous vont tracer quelques-unes des pistes de recherche possibles. Régulations et interactions entre fonctions de l’écosystème Les différentes fonctions d’un écosystème (photosynthèse, respiration, décomposition de la matière organique, évapotranspiration…) sont couplées car les cycles des éléments chimiques (une trentaine) impliqués dans ces fonctions sont contraints par 1) la stœchiométrie (la quantité relative des éléments dans la matière vivante) (exemple Sistla & Schimel 2012), 2) les réactions d’oxydo-réduction et 3) la chélation (liaison ion métallique – matière organique) (Schlesinger et al. 2011 ; Sista & Schimel 2012). Les changements environnementaux apportent des modifications dans la disponibilité des éléments qui sont loin de suivre la stœchiométrie du vivant, d’où des modifications importantes du fonctionnement des écosystèmes au travers de rétroactions qui impliquent le fonctionnement de l’ensemble des organismes (plantes, microorganismes…). L’analyse couplée des différents cycles biogéochimiques est nécessaire à la fois pour identifier les relations causales dans le fonctionnement des écosystèmes, mais aussi pour trouver des solutions à des dysfonctionnements. Les cycles du carbone, de l’azote, et du phosphore sont primordiaux pour la vie sur terre et l’étude de leur couplage a largement commencé (Finzi et al. 2011a), ce couplage ayant d’importants impacts sur les questions environnemen51 prospectives d’avignon tales actuelles comme le stockage du carbone (exemples Drake et al. 2011 ; Esser et al. 2011). Le couplage avec d’autres éléments a été beaucoup moins abordé malgré des impacts possibles sur les mêmes problématiques (par exemple Song et al. 2012 pour le couplage C et Si). Les points à développer en priorité sont (Finzi et al. 2011b) : - coupler les cycles des éléments majeurs avec ceux des éléments présents en moindre quantité mais qui peuvent contrôler fortement les fonctions ; - inclure dans ces couplages les éléments polluants ou toxiques ; - étudier ces couplages dans des comparaisons inter-milieux mais aussi dans les zones de transition entre écosystèmes ou milieux ; - intégrer les résultats expérimentaux aux modèles régionaux et globaux ; - définir quel est, pour un contexte donné, le meilleur principe pour modéliser le couplage entre cycles (Rastetter 2011). Une hiérarchisation des cycles (fonctions) suivant le type de milieu pourrait orienter le type de couplage à réaliser, et de nouvelles approches peuvent venir des méthodes et concepts utilisés dans l’étude des réseaux trophiques. Des analyses associant le couplage des fonctions et le changement d’échelle, la résilience des systèmes devraient être tentées. L’impact de ce couplage sur la structure et l’évolution des communautés est un champ de recherche très intéressant à développer, tout comme la réciproque, l’analyse de l’impact des ajustements évolutifs sur ce couplage (Figure 3). Elargir type de couplages Elargir paramètres de forçage Cycles biogéochimiques Détoxification Changements climatiques Milieux pollués, Milieux extrêmes Comparaisons inter-milieux Description et formalisation du Couplage entre fonctions Figure 3 : Les interactions entre fonctions de l’écosystème en définissent fortement les propriétés et sa réponse aux changements environnementaux. Une analyse plus large du couplage entre cycles doit être menée, dans différents types de milieux et sous les principaux paramètres de forçage des écosystèmes. De nouvelles méthodes et analyses, notamment venant de communautés scientifiques proches, peuvent apporter des résultats prometteurs. Nouvelles approches Méthodes et concepts réseaux trophiques Analyse résilience, chgt échelles / couplage Hiérachisation des fct /milieu (typologie) L’écosystème a été identifié comme le niveau d’organisation du vivant le plus pertinent et fonctionnel pour des applications vers l’ingénierie écologique. Cependant de nombreuses recherches fondamentales sur les écosystèmes sont encore nécessaires dans les domaines de leur auto-organisation, des forçages externes auxquels ils sont soumis ainsi que de leur résistance et résilience qui définissent notamment leur stabilité. Ces recherches ne peuvent s’affranchir des cadres spatiaux (habitats, dynamiques des taches, relations aire/ espèce, population, communauté, dynamique paysagère, connectivité spatiale, hétérogénéité, etc.) et temporels (rétroactions temporelles, 52 etc.) ou encore d’éventuels effets secondaires du pilotage programmé des écosystèmes (invasion biologique, etc.) et des couplages entre fonctions qui vont en résulter. Réseaux d’interactions complexes La structure et le fonctionnement des écosystèmes découlent à la fois des interactions biotiques non-trophiques (par ex. compétition, facilitation, parasitisme, mutualisme), trophiques et physicochimiques. La prise en compte conceptuelle et pratique de ces dynamiques de rétroactions biotiques-abiotiques au sein des écosystèmes apparaît aujourd’hui fondamentale. Elle fait d’ailleurs l’objet d’une littérature abondante structurée autour des notions de facilitation, d’espèces ingénieurs, de construction de niche, de phénotype étendu, ou encore de dynamique éco-évolutive. Dans le volume « Prospectives Ecologie Fonctionnelle» (CNRS-INEE, 2012), l’écologie trophique est définie comme le domaine qui « cherche à caractériser [..] les interactions complexes qui s’établissent entre les différentes composantes d’un écosystème en fonction de facteurs internes (physiologiques) mais aussi externes (cycles saisonniers, changement climatique, anthropisation,…) ». Par cette définition, est gommée la frontière qui séparerait l’étude des interactions trophiques de celle de l’ensemble des autres interactions, et l’objet central se situe au-delà du réseau trophique, devenant le réseau d’interactions complexes. Un focus de ces études est, par exemple, la question du lien entre propriétés d’organisation des réseaux d’interactions et propriétés relatives à leur stabilité (résistance, résilience). Or l’étude de ce lien est aussi bien appliquée aux réseaux trophiques (Neutel et al. 2002, Link et al. 2005, Rooney et al. 2006) qu’aux réseaux mutualistes (Bascompte et al. 2003). Ce lien entre structure des réseaux d’interactions et leur dynamique est au cœur du questionnement qui se développe actuellement. Le verrou méthodologique à lever est alors celui de l’étude mathématique des propriétés de systèmes dynamiques basés sur de nombreuses variables d’état, seul moyen d’appréhender la diversité fonctionnelle à une échelle satisfaisante. Un enjeu d’avenir est aussi le décloisonnement des études portées sur des réseaux d’interactions de différentes natures. Aujourd’hui, les échanges conceptuels commencent à percoler entre les communautés scientifiques étudiant les réseaux trophiques et mutualistes (Thébault et Fontaine 2010). Une voie d’avenir de ce domaine reste l’association des deux dans un réseau unique ou plus généralement de différents types d’interactions (Fontaine et al. 2011). Les avancées conceptuelles de l’écologie trophique, comme plus généralement de l’ensemble des études de réseaux d’interactions, reposent sur une étroite association entre expérimentation, observation et modélisation. Le volet expérimental reste cependant à développer, en particulier dans l’idée de tester les théories sur ces influences des patrons d’organisation sur les propriétés de stabilité des réseaux trophiques. Si de telles avancées ont pu se faire grâce au développement de mésocosmes, la construction des écotrons est une opportunité majeure de renforcement de la place de l’expérimentation dans ce triptyque et notamment de son lien avec l’écologie théorique. Mais le développement de structures expérimentales à plus grande échelle est un défi majeur, en particulier pour les systèmes littoraux du fait de la complexité de l’interface eau-sédiment. Le lien entre le fonctionnement des réseaux d’interactions et les forçages physico-chimiques et anthropiques reste un domaine majeur à développer. De ce point de vue aussi, la méthode de comparaison inter-sites nécessite d’être complétée par des approches expérimentales ou de suivi dans le temps de la dynamique du réseau suite à une perturbation ; ce qui est comparable à une approche expérimentale in natura. En effet, la comparaison inter-sites, bien que riche par ses apports, ne permet pas toujours la déconvolution de l’ensemble des forçages et souvent ne permet pas non plus de distinguer la plasticité phénotypique de l’adaptation écotypique (Magnani 2009). De ce point de vue, le développement de l’expérimentation sur les réseaux d’interaction est un besoin majeur, de même que les longs suivis temporels de l’ensemble de leurs composantes. Ceci est particulièrement vrai sur les questions relatives à l’influence de la géomorphologie, aux changements climatiques ou à la caractérisation de l’influence des pressions directes de l’homme (pollutions, aménagements, surexploitation) sur le fonctionnement des réseaux. Les avancées majeures de l’écologie des réseaux trophiques sont aussi liées à la mise 53 prospective de l’institut ecologie et environnement du cnrs prospectives d’avignon en place, actuellement en pleine évolution, de nouvelles méthodes d’écologie intégratrice et de quantification des flux. Si les méthodes liées au suivi des rapports entre isotopes stables ont permis des avancées majeures dans la description des sources de matière organique dans les réseaux, ces méthodes trouvent leurs limites face à la multiplicité de ces sources de matière organique dans certains écosystèmes, certaines sources ne pouvant être correctement distinguées. Les avancées méthodologiques sont attendues du ciblage de l’isotopie sur certaines molécules, comme par exemple certains acides aminés ou acides gras caractéristiques de certaines sources d’alimentation. La connaissance des processus gagnera aussi des connaissances issues de la caractérisation des communautés et méta-communautés par les méthodes de l’écologie chimique (métabo- Intégrer les adaptations des organismes aux changements globaux lomique), de la méta-génomique et de la métatranscriptomique. Dans ce domaine de l’écologie des réseaux d’interaction, le défi de l’intégration des démarches fonctionnelle et évolutive est majeur (Figure 4). Cette intégration peut être vue sous deux angles complémentaires correspondant aux questions suivantes : - En quoi l’histoire évolutive des composantes fonctionnelles joue un rôle dans le réseau d’interactions auquel elles appartiennent ? - Peut-on mettre en place une théorie de l’évolution des écosystèmes ? Figure 4 : L’étude des réseaux d’interactions inclus les interactions trophiques et non-trophiques entre espèces et le rôle structurant des contraintes du milieu. Des approches éco-évolutives se développent qui doivent aussi se placer dans le contexte des changements globaux. Intégrer le rôle écologique et évolutif de la physique de l’habitat Dynamique et évolution des Réseaux d’interactions Intégrer composantes des réseaux (génomique) et flux (indicateurs fonctionnels) De nombreux taxons, qualifiés d’espèces ingénieurs d’écosystèmes (sensu Jones et al., 1994), modifient leur environnement physique, parfois de manière drastique même avec une faible abondance (cf. notion d’espèce clé, Paine, 1995). Le concept « d’espèce ingénieur » et l‘utilisation des espèces clés pour favoriser la résistance ou la résilience des écosystèmes nécessite en priorité 1) l’établissement de leur statut fonctionnel et de leurs liens avec les autres espèces (la biodiversité) et 2) l’identification des conditions physiques nécessaires au bon déroulement du cycle de vie de ces espèces ingénieurs. Cette uti- 54 Intégrer dynamique des communautés et rétroactions évolutives lisation repose par conséquent sur une meilleure compréhension des interactions et rétroactions entre les espèces ingénieurs et leur milieu physique et les autres espèces. Un exemple d’intégration des démarches fonctionnelle et évolutive est l’extension du concept « d’espèce ingénieur » à celui de « construction de niche » (Odling-Smee et al., 2003) qui a suscité beaucoup d’attention (par ex. Dawkins, 2004 ; Post and Pallovacs 2009). Contrairement au concept d’ingénieur d’écosystème – qui reste spécifique aux interactions écologiques sous contrôle d’un environnement physique modifié –, le principe fondateur du concept de construction de niche est que les organismes ingénieurs peuvent modifier les pressions de sélection pour eux-mêmes ou pour d’autres espèces au sein de l’écosystème, cela via un contrôle sur leur environnement physique ou biologique. La question de savoir comment les modifications environnementales sous contrôle biotique peuvent induire des réponses écologiques et évolutives au sein de l’écosystème apparaît cruciale. Elle va bien au-delà d’une « simple » analyse, au niveau de la communauté, des ajustements trophiques et structurels en réponse à des forçages physiques ou des effets ingénieurs. Cette question sous-entend une prise en compte de la dynamique et de l’évolution des réseaux d’interactions au sein des écosystèmes telle que celle proposée par Holling (1973) et Levin (1998) au travers de la notion de système adaptatif complexe. La génétique des communautés constitue dans ce cadre une synthèse de l’écologie des communautés et de la biologie évolutive. Le cœur de cette approche consiste à examiner en quoi la variation génétique d’une espèce affecte les interactions au sein d’une communauté et modifie la structure et la diversité de cette communauté (Rowntree et al. 2011). L’enjeu actuel est donc d’en comprendre les mécanismes. De nombreuses questions ont été soulevées dans le cadre de l’atelier en relation avec les rétroactions biotiques-abiotiques : • Quels cadres théoriques actuels sont les plus aptes, voire les plus opérationnels, pour construire et structurer les approches comparatives et expérimentales nécessaires dans le domaine éco-évolutif ? • Dans quelle mesure une typologie des catégories de rétroactions entre les organismes ingénieurs, leur environnement physique et les autres espèces occupant cet environnement peut-elle 1) rendre compte de ces dynamiques à différentes échelles spatio-temporelles et dans différents types d’écosystèmes et 2) favoriser la mise en place de nouveaux plans expérimentaux ? • Comment articuler de manière expérimentale et in situ les processus écologiques et évolutifs en relation avec les effets des espèces ingénieurs sur l’environnement physique ? Concernant ce point, il semble que les méthodologies (stœchiométrie, isotopie, métabolomique, métagénomique) pouvant contribuer efficacement au développement de cette thématique restent à déployer. La résolution d’une telle question réclame probablement une analyse fine de la covariance entre l’activité ingénieur des organismes et la valeur adaptative des organismes (l’environnement physicochimique modifié/construit affecte-t-il la covariance entre le phénotype de l’organisme et sa valeur adaptative ?). La modulation des processus écologiques et évolutifs via la modification et la régulation de l’environnement physicochimique en particulier représente un champ d’investigation prometteur à l’interface entre l’écologie fonctionnelle et les géosciences (géomorphologie, géologie, géochimie). Les discussions initiées dans le cadre de l’atelier ont permis de souligner l’intérêt - voire la nécessité – d’établir des passerelles opérationnelles entre les disciplines des sciences de la vie et de la terre. Des actions visant à renforcer les collaborations entre spécialistes notamment des plantes et du sol, des communautés et des géophysiciens/géochimistes, pourraient être mises en place pour amplifier le développement de ce domaine. La nécessité de ce rapprochement avait déjà été soulignée lors de l’atelier concernant l’écogéochimie lors des prospectives INEE en en écologie chimique. L’écogéochimie propose en effet d’analyser la complexité des interactions entre acteurs abiotiques et biologiques de l’environnement (sans hiérarchiser le vivant et l’environnement abiotique) et de l’intégrer dans des modèles afin d’accéder aux propriétés dynamiques que confère cette complexité aux écosystèmes. Les avancées dans ce domaine éco-évolutif soustendent une meilleure utilisation de certaines espèces ingénieurs comme moyen de régulation des flux de matière et d’énergie au sein d’écosystèmes impactés. L’utilisation d’espèces ingénieurs pour la préservation et la restauration de services écologiques au sein d’écosystèmes impactés est prometteuse mais réclame une meilleure connaissance des interactions et rétroactions avec les processus écologiques et évolutifs. La prise en compte des rétroactions entre les compartiments physicochimiques et biologiques des écosystèmes prend également tout son sens dans le contexte des bouleversements climatiques et environnementaux. 55 prospectives d’avignon Interactions durables Il n’existe sur la planète probablement aucun organisme qui ne développe pas pendant tout ou partie de son cycle de vie des interactions durables avec un autre organisme. Les eucaryotes pluricellulaires hébergent en effet, dans leur tube digestif ou dans leurs cellules, des microorganismes symbiotiques parmi lesquels on compte des eucaryotes unicellulaires (protistes), des procaryotes (bactéries, archées), ou encore des virus (Moya et al. 2008). Ces microorganismes jouent un rôle crucial dans l’expression de fonctions essentielles de leurs hôtes telles que la nutrition, la défense immunitaire, la reproduction ou encore certains comportements (McFall-Ngai et al. 2013). L’ubiquité et la diversité de ces symbioses (au sens initial du « vivre ensemble »), ou « interactions durables », qu’elles soient de nature conflictuelle ou mutualiste, soulignent leur rôle probablement essentiel. Il est aujourd’hui clair que ces interactions durables constituent un moteur majeur de l’évolution des hôtes, que l’on considère des échelles de temps micro- ou macro-évolutives (Sachs et al. 2011 ; McFallNgai et al. 2013). Certaines études révèlent par exemple que les symbioses conflictuelles génèrent une accélération de l’évolution, par le biais d’une « course aux armements » (processus dit de « la reine rouge », Van Valen 1973). D’autres recherches suggèrent que les symbiotes peuvent être impliqués dans l’adaptation des populations hôtes, notamment lorsque celles-ci sont confrontées à des changements importants survenant dans l’environnement. Si l’on ajoute que certaines symbioses sont fondamentales au fonctionnement ou à l’établissement même des écosystèmes (e.g. récifs coralliens, écosystèmes des grands fonds…) l’ensemble de ces découvertes montre à quel point les recherches menées en écologie fonctionnelle et évolutive doivent désormais prendre en compte cette échelle d’intégration. Les recherches actuelles considèrent le microbiome comme l’ensemble des microorganismes de l’hôte, leurs génomes et leurs interactions dans l’environnement particulier constitué par l’hôte. Ainsi chaque organisme peut être vu comme un patch d’habitats occupés par un assemblage microbien (‘nested ecosystems’) (McFall-Ngai et al. 2013). Il est sou- 56 mis aux mêmes processus de dispersion, de diversification locale, de sélection et de dérive écologique que l’écologie des communautés. Cette nouvelle perspective permet de considérer l’organisme vivant non pas seulement comme un membre d’un réseau d’interactions avec d’autres espèces de son écosystème (Macro-communauté), mais également comme un véritable écosystème hébergeant une communauté microbienne symbiotique (Micro-communauté). Ces développements doivent être articulés avec l’ensemble des connaissances développées dans le domaine de l’écologie fonctionnelle. Des études récentes montrent par exemple, que les biofilms se développant sur de nombreuses espèces marines apportent des fonctions importantes qui déterminent la place de ces hôtes dans le réseau d’interactions des espèces (Wahl et al. 2012). De la même manière, l’acquisition d’un microbiome adapté à un stade critique de la biologie de nombreux organismes impacte leur rôle écologique (Ezenwa et al. 2012). Les recherches actuelles sur le microbiome humain et sa relation avec la santé sont un exemple particulièrement révélateur d’un changement de paradigme sur notre vision de l’individu (Costello et al. 2012). Il apparait donc clairement que le phénotype d’un individu doit être compris comme la résultante de l’expression d’une communauté de génomes (ou hologénome). Du fait notamment de la stabilité trans-générationnelle des assemblages (parfois transmis verticalement de parents à descendants), l’individu communauté constitue un système d’étude pertinent pour aborder les questions des processus de sélection à l’échelle des communautés, et permettre de tester certaines hypothèses du domaine (Figure 5). Ainsi, des questions telles que les niveaux de sélection, le rôle évolutif des conflits génétiques posés par l’organismeécosystème peuvent servir de modèle à la génétique des communautés (Ferrari & Vavre 2011). Système symbiotique Modèle synthétique ID Individu Phénotype étendu Héritabilité des associations Phénotype étendu Transmission horizontale verticale incomplète Environnement Sélection Hôte * Symbiotes Population Compétition entre communautés Figure 5 : Les interactions durables (ou symbiotiques) regroupent les associations entre deux organismes (ou unités génétiques plus ou moins autonomes) spécifiquement distincts qui s’établissent dans la durée et qui s’échelonnent le long d’un continuum allant du parasitisme au mutualisme. Dans ce cadre, l’association entre un hôte et un (ou des) partenaire(s) symbiotique(s) constitue une nouvelle entité dont le phénotype est le résultat de l’interaction entre les génomes des deux partenaires : c’est la notion de phénotype étendu (Dawkins 1982). Les conséquences des interactions durables sont d’abord visibles à l’échelle individuelle mais se répercutent sur la valeur sélective (adaptative) des individus et constituent un facteur majeur d’évolution. L’enjeu est donc d’intégrer ces développements avec l’ensemble des connaissances développées dans le domaine de l’écologie fonctionnelle avec 3 objectifs principaux : 1. Utiliser les connaissances et les méthodologies de l’écologie fonctionnelle, si elles sont transposables, pour comprendre le fonctionnement de l’individu-écosystème. Il conviendra en particulier d’appliquer les méthodes d’analyses de méta-communautés et de réseaux d’interactions aux interactions durables (Massol et al. 2011). 2. Utiliser l’individu-écosystème pour tester certaines hypothèses issues de l’écologie fonctionnelle. 3. Intégrer les concepts de la biologie évolutive et estimer dans quelles conditions les communautés et écosystèmes peuvent constituer des unités de sélection à part entière. La compréhension de l’évolution de tels systèmes nécessitera la prise en compte des différentes unités de sélection et de leurs conflits potentiels (Fellous et al. 2011). Ces objectifs sont maintenant accessibles notamment grâce au développement des outils de méta-‘omics’ de nouvelle génération per- mettant d’analyser des interactions biotiques complexes (parasitisme, symbioses, communautés d’organismes) à différentes échelles spatiales. 57 prospective de l’institut ecologie et environnement du cnrs prospectives d’avignon L’individu écosystème et l’écosystème individu, vers une intégration ? Les systèmes symbiotiques peuvent permettre d’aborder l’analyse de l’évolution des interactions durables sous l’angle des conflits vs coopération et modifier les concepts admis jusquelà. L’une des transitions évolutives majeures du vivant concerne la coopération : les gènes s’organisent en génomes, les cellules en organismes, les individus en sociétés. Admettre que la coopération résulte d’une sélection de groupe pose pourtant un problème conceptuel car on s’attend à ce que la sélection favorise les traits individuels égoïstes (Sachs & Hollowell 2004, 2012). Au contraire de la prépondérance des conflits évolutifs (hypothèse de la Reine rouge), un concept récent (« l’hypothèse de la reine noire », Morris et al. 2012) propose une nouvelle perspective : la dépendance peut émerger d’une sélection de traits égoïstes (perte ou substitution de gènes ou de symbiotes). Ce nouveau paradigme suggère que des bactéries peuvent s’engager dans des interactions coopératives interdépendantes et que les signatures de cette dépendance sont visibles au niveau des génomes par les pertes complémentaires de fonctions partagées et échangeables au niveau de la communauté. Ainsi le succès adaptatif de la communauté (inclusive fitness, Hamilton 1964a 1964b) serait sous la dépendance des interactions de chacun des membres de la communauté. Des analogies entre l’individu-écosystème et un Phénotype étendu Hôte * Symbiotes Mutualisme parasitisme 58 Environnement Sélection Ecosystème = Individu Environnement Individu = écosystème écosystème au sens classique du terme existent (Figure 6). Tout comme l’individu, l’écosystème est composé d’organismes (généralement un ensemble variable d’espèces). Ces espèces forment des réseaux d’interactions qui peuvent être positives ou négatives, comme les interactions entre un hôte et ses organismes associés. Une espèce (comme l’hôte pour l’individu-organisme) peut être prépondérante dans un écosystème (espèce dominante ou espèce ingénieur). Ces interactions entre espèces et avec le milieu abiotique sont à l’origine des principales fonctions de l’écosystème, notamment celles à l’origine des cycles biogéochimiques. Ces fonctions sont interdépendantes (les fonctions physiologiques d’un individu aussi) et sont modulées par les conditions environnementales à court terme (plasticité du fonctionnement de l’écosystème) et à long terme (en association avec des modifications structurales). Les forçages environnementaux jouent donc sur l’écosystème un rôle sélectif quelque peu similaire à celui de la sélection naturelle. Cette analogie Individu-écosystème, Ecosystème-individu est-elle porteuse d’analyses novatrices du fonctionnement de l’individu ou de l’écosystème ? De tels concepts rapportés aux macro-communautés pourraient-ils ouvrir de nouvelles perspectives dans la compréhension des régulations et des interactions entre fonctions des écosystèmes ? Sélection (Interactions) Fonctions Espèces * Espèces Réseau interactions (+ -) Figure 6 : Un individu intègre dans son fonctionnement des interactions plus ou moins durables avec d’autres organismes, qui vont du mutualisme au parasitisme et qui sont dépendantes de l’environnement. La sélection s’opère sur le phénotype étendu qui émerge de ces interactions. Un écosystème est aussi un assemblage d’organismes (espèces) qui forment des réseaux d’interactions positives ou négatives dépendantes de l’environnement. La résultante de ces interactions est une structure et des fonctions interdépendantes qui peuvent être assimilables à un phénotype étendu. Les caractéristiques de cette résultante peuvent être façonnées (sélectionnées ?) par les forçages environnementaux. Approches méthodologiques, instruments, infrastructures L’utilisation de nouveaux instruments et la mise au point de nouvelles méthodologies sont très souvent sources d’innovations majeures et doivent être stimulées. La construction d’infrastructures de services est en cours, à l’échelle nationale et européenne et il faut en tirer parti au maximum. L’utilisation des isotopes, en particulier des isotopes naturels, n’est pas récente. Elle permet de tracer certaines molécules et de mieux analyser les cycles biogéochimiques, elle permet aussi de définir « qui mange qui » et « qui fait quoi » voire « qui va où » dans les réseaux d’interactions et les interactions durables. Cependant la technologie évolue très vite et offre maintenant des instruments moins onéreux, beaucoup plus facile d’utilisation et pour certains transportables sur le terrain. Les nouvelles technologies (comme la CRDS Cavity Ring-Down Spectroscopy) permettent aussi l’analyse simultanée de plusieurs isotopes (par exemple 13C et D). Il y a donc un large potentiel de nouveaux développements de cette méthodologie. Les capacités analytiques en général sont en fort développement. Par exemple en ce qui concerne l’analyse des gaz, la technologie CRDS permet aussi l’analyse de plusieurs gaz (par exemple CO, CO2, CH4, and H2O). La technologie PTRMS (Proton Transfer Reaction Mass Spectrometry) permet par exemple l’analyse en ligne des composés organiques volatiles à l’état de traces (Lindinger et al. 1998). L’analyse des COV, déjà bien développée en écologie chimique notamment pour les interactions plantes-animaux, peut maintenant être largement utilisée dans d’autres aspects du fonctionnement des écosystèmes. Son utilisation en biologie du sol va ouvrir des perspectives très larges, notamment pour appréhender en ligne l’activité des organismes (Insam & Seewald 2010). Un autre développement analytique est la NanoSIMS (nano-scale secondary ion mass spectrometry) qui peut permettre des mesures de plusieurs éléments et isotopes à une échelle inférieure au micron pour par exemple suivre la dynamique de la matière organique dans les agrégats du sol (Mueller et al. 2012) mais également dans les systèmes symbiotiques (Forster et al. 2011). L’approche de la stœchiométrie a été développée depuis longtemps dans les océans puis en milieu terrestre. Principalement limitée au rapport C/N/P, elle commence à s’étendre à d’autres éléments (CNS, CHONPS). Très utile pour analyser les flux d’éléments à différentes échelles et leur réponse aux changements globaux (Elser et al. 2010), l’approche stœchiométrique a aussi de fortes potentialités pour établir des liens entre l’écologie des écosystèmes et la biologie évolutive (Elser 2006, Jeyasingh & Weider 2007) ou avec la théorie métabolique de l’écologie (Allen & Gillooly 2009). Des capteurs avec des résolutions spatiales et spectrales de plus en plus poussées ou avec de nouvelles technologies (hyperspectral spectroradiometers, Infra Red Thermography, Light Detection and Ranging, Laser Induced Fluorescence Transient…) permettent d’analyser depuis le sol ou l’espace, certains dans l’eau, un nombre grandissant de paramètres de la structure des écosystèmes et de la biodiversité ainsi que des paramètres décrivant les stocks des éléments et estimant des processus biologiques (Kokaly et al. 2009 ; Pieruschka et al. 2010, Wang et al. 2010 ; Balzarolo M. et al. 2011). La génétique environnementale reposant sur la métagénomique, la métatranscriptomique, la métabolomique (meta-‘omics’ en général) a un fort potentiel de renouveau dans l’étude du fonctionnement des écosystèmes en relation avec la biodiversité à différentes échelles spatiales et temporelles. Le métabolome désigne l’ensemble des molécules de faible poids moléculaire synthétisées par un organisme. Il joue un rôle clé dans les interactions entre les organismes et leur environnement. La métabolomique environnementale est une discipline en plein essor. L’accès à ces méthodes devraient permettre d’intégrer l’histoire évolutive des espèces (et donc de leurs traits) mais également co-évolutive (e.g. co-dispersion) dans la compréhension de la relation entre fonctionnement des écosystèmes et diversité biologique. Ces leviers méthodologiques permettront, d’autre part, de comprendre le rôle de la diversité génétique dans le fonctionnement et la résilience des écosystèmes. Ces outils permettent d’approfondir notre connaissance de la biodiversité à 59 prospectives d’avignon des niveaux fins (communautés microbiennes, microbiome…) Quelles en sont les perspectives de développement (marqueurs d’intérêt évolutif, environnemental, biotechnologique ; étude approfondie d’organismes et d’écosystèmes modèles, description systématique et base de données de la biodiversité des symbioses …) ? Ces différentes méthodologies sont applicables dans les trois thématiques scientifiques développées ci-dessus (régulations et interactions entre fonctions, réseaux d’interaction et interactions durables), mais les communautés scientifiques respectives les utilisent d’une façon plus Echanges de méthodologies entre disciplines Figure 7 : Le développement technologique et méthodologique de ces dernières années augmente la performance de recherche dans de nombreux domaines. Les différentes communautés scientifiques de l’écologie doivent se former à ces nouvelles approches et surtout analyser et développer le couplage de ces approches qui ouvrira des voies de recherche très innovantes. Développement du couplage entre méthodologies Atelier méthodologies Isotopie, Stœchiométrie, Imagerie, Génomique, Métabolomique, Molécules organiques, Thermodynamique, Haut débit En parallèle au développement de ces technologies et méthodes, des infrastructures expérimentales sont en cours de mise en place in situ (les SOERE, le Réseau National de Stations Expérimentales en Ecologie), en milieu semi-contrôlé (le Métatron à Moulis, Planaqua à Foljuif, Pôle d’Ecotoxicologie de Rovaltain…) et contrôlé (les Ecotrons de Montpellier et d’IledeFrance). Un projet d‘Investissement d‘Avenir (ANAEE-Services) où le CNRS et l’INRA vont joindre leurs compétences vient de démarrer pour poursuivre leur développement et les coordonner. Une intensification de la communication sur les caractéristiques et potentialités de ces infrastructures est nécessaire au fur et à mesure de leur développement. Des stratégies d‘utilisation doivent être mises en place pour que la communauté s’approprie ces infrastructures et en tire parti au maximum. 60 ou moins poussée et de manière déconnectée les unes des autres. Ces communautés peuvent s’apporter mutuellement des compétences techniques mais également conceptuelles dans l’utilisation et l’interprétation de ces données à différents niveaux d’intégration (Figure 7). Si l’on prend en compte l’énorme potentialité de combiner ces différentes méthodologies pour aborder d’une façon innovante certaines thématiques (par exemple coupler l’approche isotopique avec la génomique environnementale pour identifier les taxons consommateurs), il devient indispensable d’organiser rapidement un atelier sur ces combinaisons de techniques. Ces nouveaux instruments et infrastructures génèrent de grandes quantités de données. Quels accompagnements techniques et de formation doivent être développés, en bioinformatique et bases de données notamment ? L’INEE et le Museum viennent de créer l’UMS 3468 « Bases de données Biodiversité, Ecologie, Environnements Sociétés (BBEES) », dont l’objectif est de structurer et d’optimiser le travail autour des bases de données de recherche sur la Biodiversité naturelle et culturelle, actuelle et passée. D’autres structures sont-elles nécessaires ? Quels autres outils de structuration de la communauté devraient être mis en place : écoles d‘été, participation au CESAB (Centre de Synthèse sur Biodiversité), développement d‘un centre européen d‘innovation, de synthèse et de formation dans le cadre d‘ANAEE-Europe, centres de séquençage et d‘analyse bioinformatique … ? Conclusions Les interactions/rétroactions entre fonctions (notamment les cycles biogéochimiques) jouent un rôle clé dans le fonctionnement et la dynamique des écosystèmes. L’analyse couplée des différents cycles biogéochimiques est nécessaire à la fois pour identifier les relations causales dans le fonctionnement des écosystèmes, mais aussi pour trouver des solutions à des dysfonctionnements. La prise en compte explicite des mécanismes fondamentaux de ce couplage (stœchiométrie, oxydo-réduction, chélation) et l’intégration de l’approche réseaux trophiques devraient faire progresser significativement nos connaissances dans ce domaine. C’est une première suggestion d’atelier futur. Les conclusions d’un tel atelier seront utiles pour ensuite élargir les couplages pris en compte (éléments mineurs, polluants) et considérer l’impact d’une large gamme de paramètres de forçage (conditions extrêmes, y compris polluants). L’étude des réseaux d’interactions complexes a pour objectif d’intégrer les interactions trophiques et non trophiques (compétition, facilitation, parasitisme, mutualisme) pour mieux appréhender les propriétés d’organisation de ces réseaux et leur stabilité. Les échanges conceptuels entre les communautés scientifiques travaillant sur chaque type d’interactions et jusqu’à maintenant assez cloisonnées ont commencé. Une deuxième suggestion d’atelier futur serait de formaliser ces échanges et de définir les méthodologies expérimentales les plus pertinentes pour tester les hypothèses issues de cette intégration. Une autre suggestion serait de préciser les possibilités d’intégration des approches fonctionnelles et évolutives (évolution des composantes des réseaux –génomique environnementale- et des flux –indicateurs fonctionnels, concept de construction de niche …) dans ces études des réseaux d’interactions complexes. Une voie très prometteuse dans l’étude des interactions durables est aussi d’intégrer les composantes fonctionnelles et évolutives qui co-organisent ces interactions durables. L’individu est d’une part considéré comme la résultante de l’expression d’une communauté de génomes et son évolution est fortement contrainte par cette communauté. Les organismes associés occupent des zones particulières de l’hôte offrant une hétérogénéité d’habitats. L’ensemble peut être considéré comme un individu-écosystème où s’appliqueraient les mécanismes de l’écologie fonctionnelle (écologie des communautés et physiologie de l’écosystème). Une réflexion approfondie sur ce concept d’individu-écosystème et sur son parallèle l’écosystème (au sens classique) vu comme un individu mériterait de faire aussi l’objet d’un atelier futur La dernière suggestion d’atelier futur est transversale à toutes les thématiques abordées. Elle concerne l’énorme potentialité d’innovation dans ces thématiques que peut apporter la combinaison des différentes techniques et méthodologies d’analyse (isotopie, analyse élémentaire, imagerie, méta-omics) qui se développent rapidement actuellement et qui ne sont pas maîtrisées au même niveau par les différents groupes de recherche. Cette combinaison de techniques serait d’ailleurs un outil puissant pour l’intégration des approches écologique et évolutives souvent mentionnée dans ce texte. Ces voies de recherches fondamentales peuvent être développées dans des contextes variés, mais le contexte de l’ingénierie écologique, souvent pertinent, ne devrait-il pas être envisagé prioritairement ? Les interactions et rétroactions à l’œuvre dans les écosystèmes sont au cœur de la fourniture des services écosystémiques. La compréhension et la maîtrise de la complexité du fonctionnement et de la dynamique des systèmes écologiques est un point clé du développement de l’ingénierie écologique. La recherche se doit de contribuer au renouvellement et à la validation des pratiques d’ingénierie écologique pour permettre d’avancer vers un pilotage minimal de la complexité écologique et environnementale. L’ingénierie écologique constitue une occasion historique de valoriser les acquis français en écologie et sciences de l’environnement et de légitimer socialement un secteur scientifique qui invite à penser différemment le vivant et la place de l’humanité dans le monde. Réciproquement, l’ingénierie écologique offre un cadre sous-exploité pour le développement et les tests des hypothèses afférentes aux questions abordées dans cet atelier. La recherche en ingénierie écologique est à même de fournir les connaissances nouvelles requises, de mobiliser et d’assembler les savoirs émanant de champs disciplinaires variés, de traduire les savoirs académiques en guides pour l’action, d’énoncer des principes généraux à partir des retours d’expériences, de mettre en synergie savoirs et pratiques. Une réflexion devrait être menée pour voir comment continuer à mieux placer le développement de l’ingénierie écologique au cœur du développement de l’écologie. Il est possible que les succès à venir de l’ingénierie écologique, du fait de son association grandissante avec la demande sociale, conditionneront la perception de l’écologie et les moyens qui y seront alloués. 61 prospective de l’institut ecologie et environnement du cnrs Références • Allen A.P., Gillooly J.F. 2009. Towards an integration of ecological stoichiometry and the metabolic theory of ecology to better understand nutrient cycling. 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Elles reposent largement sur des modèles mathématiques pour prendre en compte des informations volumineuses et complexes et exécuter des projections dans le temps. Mais la plupart des modèles utilisent des estimations des paramètres vitaux des organismes (e.g. température critiques) souvent sur la base d’extrapolation des niches occupées par les espèces plutôt que des valeurs exactes, ce qui génère des incertitudes sur la nature, la forme et l’ampleur des processus testés. Deux limites majeures en découlent : 1) l’absence de prise en compte de l’évolution des réponses phénotypiques (cf. hypothèse de niche écologique fixe dans les modèles de niche, alors que les organismes peuvent changer de physiologie, de comportements voire évoluer rapidement), et 2) l’impasse faite sur les mécanismes biologiques proximaux impliqués dans les changements observés, ce qui affaiblit leur pouvoir d’inférence. Or, l’étude de l’impact de l’homme sur la biodiversité ne se résumant pas à établir des prédictions sur le devenir des espèces, il est nécessaire d’élargir le cadre expérimental vers les processus fondamentaux de l’adaptation des organismes aux variations environnementales. Ces limites sont liées au fait que, conventionnellement, les réponses des organismes aux changements globaux sont catégorisées comme étant écologiques ou évolutives. Bien qu’il soit difficile de les dissocier, les réponses écologiques impliquent la plasticité phénotypique, la dispersion et la sélection de l’habitat, alors que les réponses évolutives impliquent des modifications génétiques. Ainsi, les populations animales parvenant à répondre aux nouvelles pressions de sélection causées par les changements environnementaux globaux le feraient soit en évoluant, soit par compensation plastique (comportement, migration). Dans ces approches classiques, la physiologie de l’individu a été considérée comme supportant plutôt que contrôlant la réponse des différents traits d’histoire de vie en réponse à l’environnement. Or les développements récents de la biologie ont bouleversé cette vision linéaire des causalités. Il est désormais démontré que les mécanismes physiologiques agissent directement sur les processus de contrôle et d’expression du génome, aussi bien au niveau cellulaire qu’au niveau de l’organisme, par exemple par l’action des hormones et de nombreux facteurs de croissance. Une partie des variations induites est transmissible entre générations. L’écophysiologie évolutive est une discipline émergente dans ce cadre très vaste de la plasticité phénotypique. Les Etats Unis sont pionniers dans ces changements conceptuels qui établissent des liens fonctionnels forts entre la génomique, la physiologie, les comportements, les processus évolutifs et les capacités d’adaptation des organismes. 65 prospective de l’institut ecologie et environnement du cnrs prospectives d’avignon Originalité et force de l’approche éco-physiologique L’écophysiologie vise ainsi à comprendre par quels mécanismes les organismes humains, animaux et végétaux font face aux contraintes de leur environnement et/ou les anticipent, compte tenu de leurs propres contraintes physiologiques. Elle a donc pour objet principal d’étude toutes les dimensions de la biologie adaptative des organismes (capacités d’adaptation aux changements, limites physiologiques, optimisation des traits et des performances en fonction des contraintes environnementales). La discipline fait appel aux concepts et méthodes de la physiologie comparative, l’énergétique, l’écologie comportementale et la biologie évolutive. Néanmoins les frontières des questions pouvant être abordées en écophysiologie sont souvent fixées par les contraintes méthodologiques. Ainsi, les progrès récents en biologie moléculaire et cellulaire, protéomique, écotoxicologie, chimie isotopique et bio-logging donnent accès à de nouveaux domaines scientifiques. Ceci apparaît d’autant plus évident si l’on garde à l’esprit que le système de codage de l’information perçue par les organismes est ascendant alors que les systèmes de contrôle sont descendants ; et que ces différents niveaux de régulations, dont les centres supérieurs, interagissent davantage que ce qu’il était supposé jusqu’à récemment. Ce qui distingue l’écophysiologie de la physiologie stricte est que les organismes étudiés ne sont pas considérés comme des modèles utiles (e.g. en vue d’application biomédicales) mais comme des systèmes biologiques qui évoluent dans un environnement complexe et souvent changeant. Les processus physiologiques et comportementaux sont interprétés comme des réponses aux contraintes écologiques réelles qui se déroulent dans des milieux naturels de plus en plus perturbés. Il est important de souligner que les conditions dans lesquelles les phénomènes se produisent sont très difficiles à reproduire en laboratoire ; particulièrement sans altérer la réponse naturelle de l’animal évoluant librement dans son milieu. Ainsi, le champ de compétence de la discipline progresse en partie à la vitesse de la miniaturisation des outils de monitoring des fonctions biologiques (bio-logging non-invasif) et de la validation de marqueurs intégratifs du statut physiologique des individus (e.g. dosages d’hormones, stress oxydatif, stress chronique, régression des télomères). Ainsi, l’écophysiologie est fondamentalement pluridisciplinaire. Défis de l’approche éco-physiologique Afin d’identifier les relations causales entre perturbations, mécanismes biologiques et performances de l’individu, il est de plus en plus impératif de compléter les observations en nature par des expérimentations en conditions contrôlées. L’approche expérimentale est en effet la seule qui permet de préciser les contributions respectives des différents facteurs environnementaux sur les organismes ; mais elle permet aussi de distinguer les facteurs intrinsèques (physiologiques) des facteurs environnementaux. La force de l’approche expérimentale pour comprendre et analyser l’impact des perturbations anthropiques est donc considérable. Toutefois, l’un des défis expérimentaux est justement de parvenir à reproduire des conditions de captivité reproduisant suffisamment bien les conditions naturelles (ce qui nécessite des observations de terrain méticuleuses) et à maintenir les individus testés dans un état physiologique proche de l’état naturel (ce qui nécessite des connaissances 66 naturalistes étendues). Des exemples récents montrent à quel point les interactions entre les grandes fonctions (e.g. locomotion, thermorégulation, digestion) peuvent radicalement différer selon qu’elles sont étudiées en condition contrôlées de laboratoire ou dans le milieu naturel, où le comportement et les choix décisionnels agissent directement sur ces processus physiologiques. Malheureusement, les modèles conventionnels de laboratoire sont réduits à très peu de groupes taxonomiques, les lignées sont souvent éloignés physiologiquement des animaux étudiés en nature, et les protocoles classiques divergent eux aussi des conditions naturelles, ce qui oblige à faire des extrapolations délicates. Des élevages de modèles non-conventionnels et des études en micro-/mésocosmes développés dans les stations d’écologies expérimentales – permettant de reconstruire des conditions écologiques plus réalistes, mais contrôlées – encore trop peu développées en écophysiologie animale (notamment, par rapport à l’écophysiologie végétale) doivent être encouragées. Il est important de souligner qu’il faut absolument maintenir une grande diversité taxonomique pour atteindre ces objectifs. Sur un autre niveau d’intégration, nombre d’études écologiques portent sur les réponses populationnelles, en termes de norme de réaction moyenne des individus de populations sauvages aux variations de leur environnement. Mais pour mieux comprendre comment se constituent ces réponses populationnelles, il est nécessaire de comprendre la contribution – et les déterminants de la variabilité – des réponses individuelles, car c’est largement à cette échelle qu’opère la sélection naturelle. A l’inverse, et probablement du fait des contraintes logistiques (taille des dispositifs expérimentaux, nombres d’individus suivis en nature), les études écophysiologiques portent essentiellement sur l’étude des réponses d’individus, dont l’extrapolation aux populations est limitée. Les deux disciplines sont complémentaires pour aller vers une compréhension intégrée des processus populationnels. Chaque discipline pourrait aller plus à la rencontre l’une de l’autre, l’écologie en intégrant les processus ayant lieu à l’échelle des individus (et des gênes ; l’objet de l’écologie biologie évolutive), et l’écophysiologie en augmentant son pouvoir d’investigation à l’échelle des populations animales sauvages (via des dispositifs expérimentaux et en nature plus ambitieux en taille, durée et réalisme écophysiologique). En effet il n’existe pas de substitut aux grandes tailles d’échantillons pour décrire la variabilité naturelle, substrat de la sélection. Dans le contexte des changements globaux cela permettra de renforcer la robustesse des modèles prédictifs et de mieux sélectionner les stratégies de conservation. Orientations pour le futur Malgré des progrès important, le cantonnement relatif de l’écophysiologie animale (et humaine) au regard de l’essor de l’écophysiologie végétal peut s’expliquer par notre difficulté à intégrer aux mêmes échelles (effectif et durée) des suivis de terrain avec les expérimentations en conditions contrôlées. Il est impératif de s’en donner les moyens rapidement ! Pour cela, il est désormais nécessaire de promouvoir de nouveaux axes d’investigation en créant un réseau national des plateaux techniques opérationnels ; à la fois pour augmenter l’utilisation des techniques maitrisées par certains laboratoires, mais aussi pour développer de nouvelles compétences et synergies. En Sciences de la Vie, la seconde moitié du 20ème siècle a été marquée par l’explosion de la biologie moléculaire. Les progrès considérables accomplis ont aussi favorisé une approche parfois réductionniste, et ce au détriment d’une approche physiologique et intégrative. Cependant, la prise de conscience des lacunes considérables entre l’accroissement des connaissances dont nous disposons à l‘échelle de la moléculaire versus de l’organisme entier a conduit à l’émergence de nouvelles disciplines : la biologie des systèmes, la physiologie intégrée ou la physiologie translationnelle, ou encore à un niveau plus écologique, la physiologie de la conservation et la physiologie évolutive. Hormis la dialectique conceptuelle qu’elles sous-tendent, ces approches sont les piliers de l’écophysiologie contemporaine. Il convient donc de les intégrer dans les approches classiques d’écophysiologie évolutive. L’enjeu n’étant plus de comprendre les mécanismes proprement physiologiques, mais leur implication dans les processus écologiques au sens large, allant des processus phénotypiques et cognitifs au niveau intra-individuel aux variants fonctionnels entre individus et entre espèces ou aux fonctions biologiques impliquées dans les processus d’extinction ou de réussite adaptative. L’écophysiologie traitera ainsi de fonctionnements transversaux à l’intégralité des échelles d’organisation du vivant (molécules – gènes – phénotype – individu – population – espèce – communauté – écosystème). Ce renouvellement sera étroitement dépendant du niveau de collaboration qui pourra être atteint entre champs disciplinaires, chaque discipline traitant souvent les niveaux d’intégration inférieurs comme une boîte noire. Par exemple, les macro-écologues se dispensent volontiers des déterminants des variations interspécifiques, comme les biologistes des populations se 67 prospectives d’avignon contentent de résumer la variabilité interindividuelle par un paramètre de variance, ou comme les écophysiologistes qui ignorent les déterminants génétiques ou les mécanismes cellulaires des adaptations phénotypiques qu’ils étudient. Lever ces barrières interdisciplinaires semble être une mission pour les écophysiologistes, leur questionnement scientifique portant sur la compréhension des mécanismes biologiques à différentes échelles ; de la molécule aux populations. De grandes avancées récentes de l’écophysiologie concernent essentiellement des aspects technologiques (bio-logging) et l’endocrinologie intégrative. Le développement de ces axes doit être soutenu. Les progrès réalisés en microélectronique permettent de développer des systèmes embarqués (bio-loggers) de plus en plus performants pour mesurer en conditions de vie libre de nombreuses fonctions biologiques (énergétique, thermorégulation, rythmes d’activités, comportement alimentaire ou locomoteur, dispersion ou migration etc.) face à divers gradient environnementaux (températures ambiantes, solutés ou gaz dissous, disponibilité alimentaire). En parallèle, la validation de marqueurs moléculaires intégratifs mais simples des régulations physiologiques (e.g. hormones du stress, biochimie plasmatique, ROS et télomères) et des contaminants nous permet d’obtenir de grandes tailles d’échantillons et d’aborder le rôle de la physiologie à des échelles supérieures à celles des individus, comme par exemple le rôle des polluants et du stress (physiologique) dans l’impact de l’urbanisation sur la dynamique des populations. Par ailleurs, le suivi des déplacements des animaux a toujours été un défi important pour les scientifiques, les équipes de terrain ne parvenant pas à couvrir les échelles spatiales et temporelles des trajets. Dans ce domaine, la poursuite de la miniaturisation des outils de géolocalisation, l’émergence de l’accélérométrie et les techniques de transmission de données 68 à distance augmentent de manière exponentielle notre capacité à documenter la biologie dans l’espace d’animaux de plus en plus petits. Ce sont les plus nombreux et ils occupent une place centrale dans les écosystèmes. L’association de ces méthodologies avec les approches émergentes comme la protéomique, la génomique, la trancriptomique, la métabolomique et la physiologie des fonctions représente une opportunité unique pour mettre en place une approche écophysiologique mécanistique nouvelle de l’écologie animale dans un cadre environnemental profondément perturbé (pollutions, changements d’habitat ou de climat). De nos jours, l’accès aux informations génomiques et protéomiques étant moins limitant d’un point de vue technique, les écophysiologistes doivent pouvoir collaborer avec les biologistes moléculaires. Un domaine d’application important à développer est l’écophysiologie des pollutions environnementales (écotoxicologie), certaines molécules synthétisées par l’Homme perturbent gravement les régulations génomiques et physiologiques. Connaître ces perturbations permettra des avancées dans des domaines aussi éloignés que la santé humaine, la restauration des écosystèmes pollués, ou les régulations de la plasticité phénotypique adaptative. Pour finir, l’écophysiologie est légitime sur un plan purement fondamental ; sans devoir répondre à des questions sociétales majeures comme la conservation de la biodiversité, l’étude de maladies chroniques ou encore la découverte de nouveaux mécanismes/molécules d’intérêt biomédical. En effet, elle permet d’établir des liens fonctionnels entre le génome et le phénotype ; elle permet de comprendre les réponses des individus face aux variations du milieu naturel. Elle représente donc un axe majeur pour comprendre comment opère les mécanismes de la sélection naturelle. avignon Prospective génomique Coordinateurs : Pierre Capy, Dominique Mouchiroud Contributeurs : Frédéric Delbac, Nicolas Galtier, Mylène Weill, Christophe Douady, Dominique Joly, Denis Faure, Ludovic Orlando, François Sabot, Malika Aïnouche, Philippe Vandenkoornhuyse, Richard Cordaux, Pascal Simonet, Xavier Vekemans Mots clés : Diversité/fonction des organismes, dynamique des génomes, relation génome/environnement, métagénomique, assemblages d’espèces, transfert génique, dynamique évolutive, relations génotype-phénotype, impact évolutif des phénomènes épigénétiques, nouvelles techniques de séquençage. L’actuel et les perspectives La génomique, de par ses concepts et les nouveaux outils développés, a bouleversé ces dernières années la vision de nombreuses questions biologiques en proposant des approches plus intégratives. Cette révolution a été rendue possible grâce à une plus grande accessibilité (technique et financière) à des outils de séquençage à haut débit dédiés à l’ADN, l’ARN et aux protéines. Toutefois ces avancées restent limitées en raison de freins liés à la gestion, la mise à disposition et le traitement des masses considérables de données qui sont et seront à notre disposition. Tous les champs couverts par l’INEE sont impactés et les questions abordées dans les domaines de l’écologie et de l’évolution vont, sans être exhaustif, de l’utilisation de l’ADN ancien pour reconstruire l’histoire des génomes et inférer les traits d’histoires de vie d’espèces ancestrales, à l’approche de métagénomique environnementale pour explorer la dynamique et la structuration spatiale de la biodiversité et son lien avec les conditions environnementales (adaptation), en passant par l’exploration des polymorphismes et des divergences de séquences pour inférer les processus d’évolution des populations et des espèces. Les outils sont essentiellement centrés sur les techniques NGS et les infrastructures publiques, semi-publiques et privées de séquençage, les infrastructures de pré-traitement bioinformatique des données : infrastructures liées à une plateforme de séquençage ; infrastructures publiques indépendantes des plateformes de séquençage (RENABI,…) ; infrastructures locales (fédérations de recherches,…). Toutefois, il est nécessaire que l’articulation entre ces structures soit optimisée. Les forces en France se trouvent dans les différents pôles d’influence de l’INEE. Ces ensembles sont souvent des zones où le rapprochement de différentes compétences amène à avoir des approches et des visions de plus en plus intégrées. Il serait donc important dans un avenir proche que l’ensemble des unités et des équipes rattachées à l’INEE, abordant des thèmes relevant de la génomique, soient clairement identifiées et puissent être intégrées dans le RTP-Génomique environnementale dont l’objectif est justement d’aider la communauté à s’organiser, à mutualiser compétences et savoir-faire, à optimiser les moyens et à promouvoir les initiatives notamment auprès de France-Génomique. 69 prospective de l’institut ecologie et environnement du cnrs prospectives d’avignon Thématiques et questions Il nous paraît important de souligner, qu’un point commun à l’ensemble des thèmes qui sont présentés ci-dessous est la nécessité de renforcer les interactions entre Instituts au sein du CNRS, notamment entre l’INEE et l’INSB sans exclure les physiciens, les mathématiciens et les informaticiens, mais également au-delà du CNRS, avec d’autres tutelles. L’approche INEEènne de ce domaine de la biologie traduit un glissement de l’étude des « patterns » vers celui des processus, et vers une biologie plus intégrative. Il y a donc là un réel besoin d’interdisciplinarité. Les thématiques dans ce domaine de recherche en relation avec les champs couverts par l’INEE, peuvent être regroupées en 4 domaines principaux, chacun pouvant être décliné en différents sous thèmes. Biodiversité Phylogénie - phylogénomique • La couverture de la biodiversité par les données de séquences génomiques s’est fortement élargie en quelques années, bien qu’il reste encore des pans entiers non couverts, dans le domaine eucaryote en particulier. Des progrès majeurs, au plan méthodologique, ont été réalisés récemment qui vont permettre de reconstituer bien plus efficacement qu’auparavant l’arbre de la vie en tenant compte d’un spectre bien plus large de données. Il sera également possible d’extraire des informations nouvelles des données génomiques : datation des divergences, reconstitution des états et des événements sélectifs ancestraux, étude des communautés et des environnements ancestraux. • La sensibilité des approches développées en ADN ancien a déjà rendu possible un nouveau champ disciplinaire qui, compte tenu de la crise annoncée de la biodiversité, n’est pas prêt de s’arrêter : celui du monitoring moléculaire en temps réel de la biodiversité présente par l’utilisation de barcodes et de deep-séquencage. Au-delà des aspects technologiques, ce champ nécessitera de développer des banques de données coordonnées sur la biodiversité des territoires afin de pouvoir interroger ces dernières en routine. Plus généralement d’ailleurs, les NGS ont remis au goût du jour la nécessité d’avoir de bonnes données de phénomes (physiologie, écologie, etc), ce qui est rendu possible à large échelle pour certaines espèces modèles grâce au développement de plateformes de phénotypage automatisé. Ainsi, cette nécessité de coordination entre banques de données et d’une ouverture partagée va devenir essentielle. Génomique structurelle Mécanismes moléculaires de l’évolution des génomes : structure et dynamique Les approches de génomique comparative ont mis en évidence la forte plasticité structurelle des génomes, et ont notamment permis de caractériser l’importance évolutive du phénomène de duplication de fragments de chromosomes ou de génomes entiers (paléo-polyploïdisation) ainsi que le rôle joué par les éléments mobiles. Elles ont également permis de mieux comprendre le rôle des processus de recombinaison, réplication, et réparation (3R). Réseaux de gènes et leur évolution Les approches haut débit permettent de déterminer les relations fonctionnelles entre gènes et leurs impacts sur la dynamique structurelle des génomes. Ces questions relativement nouvelles nécessitent le développement de nouveaux concepts et outils relatif à la dynamique et à l’évolution des réseaux. Dans ce domaine des approches pluridisciplinaires s’avèrent souvent nécessaires (mathématiques, physique). 70 Ecologie des génomes Sous ce terme, il s’agit d’aborder les interactions entre des composants au sein des génomes, le génome étant considéré comme une communauté dynamique avec des entités qui doivent cohabiter pour maintenir un équilibre (gènes, ADN égoïstes, gènes égoïstes, distorteurs de ségrégation et plus généralement les générateurs de conflits génomiques). Quelques analyses préliminaires montrent que des modèles développés pour l’étude de la dynamique des populations peuvent être transférés à d’autres niveaux tels que le niveau intra-génome. De même, les génomes n’évoluent pas indépendamment des facteurs biotiques et abiotiques les entourant, et peuvent donc être considérés comme de véritables écosystèmes. Définition de core-génomes et de pan-génomes L’ensemble des séquences communes à tous les individus d’une espèce permet de définir le génome « cœur » de l’espèce (ce qui fait l’identité de l’espèce) et l’espace de l’ensemble des séquences des individus de cette espèce permet de déterminer l’amplitude de variation autour de ce noyau. Cela peut éventuellement déboucher sur une génomique d’association (association entre profils génomique et phénotypique) mais également sur la définition de caractéristique d’évolutivité et évolvabilité des génomes. Génomique des populations Reconstruction de l’histoire des populations L’obtention de données de polymorphisme à l’échelle du génome entier permet d’extraire un signal essentiellement lié à l’histoire démographique des populations, et ainsi de documenter les évènements historiques de goulot d’étranglement ou de croissance démographique, d’isolement des populations ou de fusion de populations. Elle permet également d’inférer des changements de traits d’histoire de vie des espèces. Des progrès dans les procédures de datation moléculaire permettront de rechercher un lien entre les évènements démographiques historiques et l’histoire des changements environnementaux. Paléogénomique • Une tendance actuelle consiste à s’intéresser à tous les éléments des paléogénomes, à savoir les variations de séquences, mais également les variations de marques épigénétiques ainsi que les réarrangements chromosomiques. Ces deux dernières approches sont désormais possibles, certes avec quelques limitations, mais il ne fait pas de doute que les développements technologiques en cours (avec par exemple des procédés de séquençage capables de lire les modifications des bases) contribueront grandement à améliorer la situation. Cela ouvre des perspectives immenses d’utilisation des vestiges fossiles pour estimer l’importance des phénomènes épigénétiques dans le processus évolutif. • Dans ce domaine, il devient également possible de ne plus se limiter à l’ADN comme unique marqueur des trajectoires évolutives passées. Les protéines, grâce aux développements de la sensibilité des technologies de spectrométrie de masse, constituent elles aussi maintenant des sources d’information complémentaires. Ce champ est même promis à une véritable explosion puisque ce sont des images (certes incomplètes) de protéomes anciens qu’il nous est maintenant possible de caractériser, et vraisemblablement à des échelles de temps plus profondes que celles documentables par l’ADN. Ceci permet par ailleurs d’augurer de vrais échanges en dehors des simples domaines de l’archéologie et de la paléontologie, par exemple en évolution moléculaire pour calibration de nouveaux modèles de changements des acides aminés. 71 prospectives d’avignon Génomiques fonctionnelles Fonctionnement des écosystèmes La métatranscriptomique devrait faciliter notre compréhension du fonctionnement des écosystèmes dans une perspective prédictive. Elle vise, de façon plus appliquée, à répondre à des questions sur la qualité/vulnérabilité des écosystèmes, les services écosystémiques, et la capacité d’adaptation des écosystèmes aux changements globaux. Recherche des déterminants moléculaires responsables de l’adaptation Les approches «bottom-up» de génomique des populations et d’écologie des génomes mènent à l’identification de régions génomiques potentiellement impliquées dans l’adaptation par exemple via les scans génomiques recherchant les signatures de sélection positive ou de forte différenciation génétique. Les déterminants moléculaires de l’adaptation doivent ensuite être validés sur le plan fonctionnel. Diversification des modèles pour les tests fonctionnels Bien qu’historiquement nous nous soyons principalement intéressés à la caractérisation des génotypes, une évolution vers le test de prédictions commence à être entreprise sur le plan fonctionnel. Des tests cellulaires, voire même in toto avec des organismes génétiquement modifiés, deviendront un grand enjeu pour valider nos prédictions. D’une part, les NGS permettent l’acquisition d’une importante masse de données chez les organismes non modèles, et d’autre part, la recherche et les connaissances acquises sur les organismes modèles permettront de tester fonctionnellement des hypothèses. Il est donc prévisible qu’une diversification des organismes modèles (organismes pour lesquels des annotations auront été faites et validées) s’opère, afin de rendre possible de tels tests dans une multitude de cas. Relation fonctionnelle génotype-phénotype Ce niveau doit permettre d’aborder des questions anciennes et nouvelles qui ne pouvaient être résolues faute d’outils adéquats. Il s’agit de traiter de la lecture des génomes non seulement au cours du développement notamment dans le cadre d’analyses de type Evo-Devo en ajoutant la composante Eco, mais également au niveau populationnel en intégrant le temps court (modifications épigénomiques) et le temps long (modifications génomiques). Ces approches sont importantes pour comprendre l’évolution du fonctionnement des génomes et celle des mécanismes de régulation de l’expression des gènes. Dans ce contexte, il sera important d’intégrer très rapidement, parce ce que ce n’est toujours pas le cas, la dimension épigénomique dans les scénarios d’évolution des génomes sans oublier qu’en parallèle il faut que l’on soit capable de faire la part entre épigénomique et génomique, afin de pouvoir modéliser puis tester ces scénarios. Les outils Les outils de la génomique sont en constante et rapide évolution. Il n’est, bien évidemment, plus d’actualité, sauf cas bien précis, d’associer une équipe ou un laboratoire à un équipement, d’où l’importance de la mutualisation entre quelques unités ou à travers des plateformes. Les points qui semblent actuellement critiques ou qui peuvent le devenir rapidement sont le stockage et la gestion des données (séquençage, transcriptome, protéome, métabolome), leur analyse, leur traitement et leur partage. 72 Dans ce contexte, une des caractéristiques des équipes de l’INEE est la prise en considération de niveaux d’intégration tels que la population ou l’écosystème. Or, l’accès aux plateformes de séquençage pose parfois problème lorsque ces dimensions sont mises en avant. Aussi, il apparaît nécessaire de pouvoir maintenir des plateformes voire des plateaux techniques à une échelle locale, pour des petits projets voire des mises au point, à côté de plateformes nationales et internationales. Par ailleurs, il nous semble important d’avoir une meilleure coordination pour faire valoir les questions propres aux thématiques de l’INEE. Cela peut passer dans un premier temps par la mise en place de structures d’échange type portail à la fois sur les outils (logiciels, procédures d’annotation), le traitement et les stratégies d’analyse des données, le partage des données, le référencement des plateformes de séquençage et d’analyse et de leurs spécificités. A ce titre, il y a une forte attente concernant la mise en place de structures telles que l’institut Français de la Bio-Informatique et de France Génomique, dans lesquelles, il faudra s’assurer que l’INEE ou au moins les thématiques de l’INEE soient bien représentées. La formation Dans ce domaine, il apparaît nécessaire de former aussi bien les étudiants que les personnels en poste à la biologie computationnelle, à la formalisation de questions complexes sous forme de modèles avec comme objectif une vision plus intégrative. Pour ce faire, il est important que l’INEE interagisse avec les acteurs de la formation que sont les universités et les grandes écoles. Cela peut se faire à travers les Initiatives d’Excellence ré- cemment mises en place (LabEx, IDEX…) mais également via le dispositif original élaboré par l’INEE, que sont les DIPEE. Ces interactions avec le monde universitaire et les grandes écoles peuvent se traduire entre autres par le développement ou le renforcement de formations à l’interface biologie-mathématiques-physique, l’organisation d’école d’été, l’aide à la mise en place de formations dans le cadre des écoles doctorales, etc. 73 prospective de l’institut ecologie et environnement du cnrs prospectives d’avignon Conclusions En dehors de points déjà mentionnés plus haut, les faits saillants qui émanent de nos discussions peuvent se résumer en quelques points, dont certains viendront renforcer ceux soulignés dans la partie Ecologie prédictive et changement planétaire. Il faut dans un avenir proche s’investir pour : Tirer le meilleur parti de la révolution analytique • en développant l’analyse des organismes non-modèles présentant des adaptations clés écologiquement pertinentes ; • en adaptant les méthodologies et les profondeurs de séquençage aux questions ; • en développant une coordination entre labos INEE pour un meilleur partage des savoirfaire en pleine évolution. Le prolongement du RTP génomique serait peut-être très utile dans un premier temps, mais il faudrait également développer des structures d’échanges et de coordination entre les interlocuteurs clés dans ce domaine à savoir : les infrastructures de séquençage, les infrastructures de pré-traitement voire de traitement bioinformatique et les utilisateurs INEE. Tirer le meilleur parti des données acquises • en partageant les données. Dans bien des cas, les données sont obtenues pour traiter une question et seule une petite fraction est réellement exploitée alors qu’elles pourraient être utilisées pour répondre à d’autres questions. Par ailleurs, les approches théoriques en génomique des populations cherchent bien souvent à tester des scénarios évolutifs, à détecter l’action de la sélection naturelle, et à estimer les paramètres de ces scénarios, à partir de données de génomes entiers. Par conséquent, ces données seraient également très utiles. Comment les partager ? Cette question, très largement aussi débattue dans le cadre des recherches en informatique, devrait probablement faire l’objet d’une réflexion au sein et audelà de l’INEE (avec comme corollaire une valorisation de la mise en forme et du partage des données, voir partie Ecologie prédictive et changement planétaire). Développer l’interdisciplinarité (aspect explicitement souligné dans les restitutions de la plupart des ateliers lors des journées d’Avignon) • en proposant la mise en place d’espaces permettant de faire émerger les interactions entre discipline. L’interdisciplinarité mise en exergue au début de cet exercice est une réelle nécessité qui doit nous conduire vers des approches plus intégratives des génomes et peut-être aller jusqu’à une génomique prédictive en terme d’adaptation et d’évolution. En parallèle, ce type de dispositif doit s’accompagner d’une réelle prise en compte et une reconnaissance des trajectoires professionnelles des acteurs de cette interdisciplinarité. 74 SYSTéMATIQUE, PHYLOGéNIE avignon Prospective Philippe Grandcolas, Vincent Daubin, Jérôme Chave, Gael Kergoat, Sarah Samadi, Régine Vignes-Lebbe De nombreuses avancées méthodologiques jalonnent l‘évolution de la Systématique depuis quelques décennies. L‘analyse phylogénétique permet de reconstruire les relations de parenté entre les espèces et l’évolution de leurs traits dans le temps profond. La taxonomie et la classification intègrent aujourd’hui les approches moléculaires et morphologiques et leur devenir est lié à celui des bases informatiques de connaissance. Les outils ainsi offerts à la communauté prennent une importance croissante dans le contexte scientifique et sociétal actuel. D’une part, la biologie de l‘évolution et l‘écologie ont opéré un changement d’échelle dans leurs études. Celles-ci prennent de plus en plus en compte les études en temps profond au niveau régional pour interpréter les processus populationnels et individuels observés en temps actuel et au niveau local. A cet égard, la phylogénie ainsi que la biogéographie deviennent indispensables à l’étude de l’adaptation et à l’écologie des communautés. D‘autre part, dans le contexte de la crise de la biodiversité et des effets des changements globaux, le suivi de la biodiversité et la gestion de l‘environnement suscitent des demandes croissantes d’évaluation et de validation des mesures de la biodiversité, pour lesquelles les outils de la systématique sont indispensables. Des espèces doivent être identifiées et des bases de connaissance doivent être construites dans lesquelles les espèces, leurs localisations et la valeur de leurs traits doivent être mises en correspondances grâce aux référentiels taxonomiques. Enfin, la crise de la biodiversité et les demandes des pays du Sud induisent une demande de formation sur la biodiversité où la Systématique tient une place fondamentale. Qu’il s‘agisse de mettre en œuvre les avancées méthodologiques dans la communauté académique ou de répondre à des demandes sociétales, il y a à chaque fois nécessité de rendre des données disponibles pour des raisons scientifiques (permettre leur ré-analyse), pratiques (pour assurer la continuité et la pérennité des suivis), déontologiques (rendre compte aux bailleurs ou aux acteurs d’un projet), ou pédagogiques. Cette mise à disposition doit autant que possible préserver le lien entre données archivées et échantillons (par exemple, collections, herbiers) avec les outils informatiques appropriés (bases de données, numérisation, portails web interactifs). Il ne suffit pas de rendre disponibles des données historiques mais aussi d’archiver de manière moderne les données actuelles. En d‘autres termes, il faut sauver le cahier de laboratoire et les « voucher specimens » de l‘écologiste du XXIe siècle. La dualité de la Systématique, entre ses objectifs propres de biologie de la macroévolution (analyse phylogénétique) et science de la mise à disposition de l’échantillonnage du vivant avec la taxonomie, amène à décliner deux groupes d’enjeux et de questions, des plus internes à la discipline aux plus altruistes. 75 prospective de l’institut ecologie et environnement du cnrs prospectives d’avignon Premier enjeu : développer une analyse phylogénétique plus intégrative Cet enjeu se replace dans une double problématique, avec les changements d’échelle de temps et d’espace en écologie, et les questions propres de la biologie de l’évolution en temps profond. Il est également fortement lié au développement de nouvelles techniques de séquençage (NGS) ou d’algorithmique analytique. Depuis plusieurs décennies, les aspects fonctionnels ou évolutifs ont été étudiés à l’échelle populationnelle et locale, là où les processus de transmission génétique et de sélection sont directement observables. Les situations ainsi envisagées n’en dépendent pas moins de l’héritage phylogénétique ou du contexte géographique plus large, dit «régional», dans lequel se replacent ces études dites « locales ». L’écologie a ainsi récemment redécouvert l’analyse phylogénétique de l’évolution et la biogéographie historique, notamment en développant la phylogénétique des communautés ou l’écophylogénétique. Cette nouvelle perspective implique l’emboitement des échelles géographiques, et l’analyse dans un même arbre phylogénétique de problématiques de spéciation ou d’interactions biotiques et de leur contexte macroévolutif et ancestral. Cela signifie qu’il est nécessaire de mener des analyses phylogénétiques positionnées sur de larges intervalles temporels et géographiques adéquats, avec les Pour toutes ces études, trois types d’intégration sont requis dans le futur : Le premier type concerne les données paléontologiques avec la nature fossile ou actuelle des espèces. Pendant longtemps, les fossiles ont été considérés comme des ancêtres qui ne pouvaient être comparés à des espèces actuelles et dont l’étude était restreinte à une interprétation morphologique indispensable mais passablement isolée des interprétations issues de données néontologiques. Aujourd’hui, cette vision partielle commence heureusement à être complétée par des interactions croissantes entre paléontologues et néontologues. Ces derniers, encore assez frileux en la matière, incorporent a minima les fossiles comme critères de calibration d’arbres moléculaires: un clade est ainsi censé avoir l’âge minimum du plus ancien fossile connu. Cette pratique est un tout petit pas dans la bonne direction mais il est nécessaire dans le futur d’aller encore 76 marqueurs et les techniques statistiques appropriées. Atteindre pleinement ces objectifs d’emboitement d’échelles n’est possible qu’avec de gros efforts d’intégration de données de natures et d’origines différentes. Toutes les problématiques de biologie de l’évolution à plus large échelle au-delà des mécanismes de spéciation et d’adaptation actuelles ou subactuelles rendent également nécessaires la menée d’études à l’échelle régionale ou au-delà et en temps profond. Parmi celles-ci, on peut citer l’étude de la mise en place des plans d’organisation en lien avec l’évo-dévo et la génomique évolutive qui permet d’aborder les questions fondamentales de l’origine de l’organisation des phénotypes et du génome. La compréhension des crises biotiques est également un sujet particulièrement important à l’orée de la sixième extinction; elle passe par l’étude des rythmes d’évolution avec l’analyse de la balance entre spéciation et extinction. Enfin, le contexte géographique de l’évolution est non seulement un sujet en soi avec la biogéographie historique, récemment redécouverte par une partie de la communauté scientifique, mais aussi une contingence spatiale dont la connaissance est indispensable à la compréhension de l’évolution biologique. plus loin en intégrant des fossiles et des espèces actuelles dans les mêmes analyses phylogénétiques, comme cela a été fait depuis longtemps par les systématiciens morphologistes. Ces espèces fossiles, en plus de leur âge, portent en effet bien d’autres informations phénotypiques ou géographiques qui sont primordiales pour l’étude de l’évolution. Cette étape d’intégration des données fossiles et actuelles va requérir une interaction importante entre néontologues, paléontologues et algorithmiciens pour développer des méthodes qui iront bien au-delà de l’utilisation des fossiles pour calibrer des datations ou des « mappings » de syndromes phénotypiques sur des arbres moléculaires. La prise en compte des données paléontologiques requiert donc un deuxième type d’intégration, qui concerne l’analyse phylogénétique des caractères phénotypiques. De la même manière que les espèces fossiles, les carac- tères phénotypiques en général ne doivent pas être seulement plaqués a posteriori comme de vagues syndromes ou des classes analogiques sur des arbres moléculaires déjà reconstruits. La compréhension des patrons d’évolution morpho-anatomiques ou des adaptations en connexion avec des approches évo-dévo ou avec des approches de génétique des populations demande que les caractères phénotypiques soient «disséqués», codés en détails et incorporés dans l’analyse, comme la systématique morphologique le pratique déjà de son côté depuis plusieurs décennies. Une exigence d’analyse détaillée existe également en ce qui concerne la prise en compte d’éléments plus extrinsèques, comme la répartition géographique. Seule cette analyse détaillée des traits d’intérêt permettra de comprendre leur évolution, en relation avec leur déterminisme génétique et les pressions de sélection concernées. Ce constat amène au troisième type d’intégration nécessaire: réconcilier les messages émanant des différents processus génétiques. L’analyse phylogénétique de l’évolution classique présuppose en effet que la transmission génétique verticale prédomine et qu’un individu est passablement invariant pour les marqueurs génétiques concernés. L’analyse phylogénétique doit évoluer vers plus de réalisme pour discriminer entre transmission verticale classique et transferts horizontaux, y compris chez des organismes eukaryotes. Elle doit également prendre en compte la diversité des messages génétiques présents dans les différents tissus d’un même individu et ne pas faire l’hypothèse aveugle de l’évolution concertée. Ce réalisme biologique devra être pris en compte dans les méthodes de reconstruction, en permettant une confrontation entre les messages évolutifs des différents marqueurs. Cette confrontation n’aura de valeur que si la nature et la répartition de ces différents marqueurs peuvent être mieux connues dans les organismes considérés, par la mise en oeuvre de méthodes de séquençage de dernière génération, à l’aune de la génomique et de la transcriptomique. Second enjeu : mobiliser et rendre disponibles les données systématiques de biodiversité Les exigences actuelles de connaissance, de suivi et de partage des connaissances en matière de biodiversité sont fortes. Cela est vrai non seulement au niveau de la communauté scientifique qui a dépassé largement le cadre des quelques organismes modèles ou charismatiques et qui est demandeuse de données sur une large palette d’organismes. Mais cela est vrai également au niveau de la société toute entière, du fait des besoins déterminés par les politiques de gestion publique ou d’appropriation citoyenne. Tous les besoins et tous les nouveaux outils bien médiatisés dans la communauté scientifique et même au-delà, incluant pêle-mêle barcodes ADN, NGS et génomique environnementale, numérisation 2D-3D, analyses phylogénétiques probabilistes, systèmes experts, science participative, sont directement dépendants de la taxonomie et des classifications. Contrairement à une idée reçue tenace, les taxonomies et classifications ne sont pas et ne doivent pas être figées et ex- haustives, comme une sorte de dictionnaire encyclopédique dont nous aurions déjà écrit quelques volumes et dont les autres resteraient à compléter. En réalité, de même que toutes les connaissances scientifiques, la taxonomie évolue en permanence, par modification participative de la part des scientifiques du monde entier. De fait, l’assemblage cohérent de toutes les descriptions taxonomiques dans un système de classification et de nomenclature permet d’accéder à une largeur de vue qui transcende les personnes, les écoles et les nations. Cela permet d’y trouver ou d’y incorporer les échantillons nécessaires pour apporter des réponses à toutes les questions scientifiques. La cohésion du système est garantie par des règles nomenclaturales de fonctionnement qu’il faut également maintenir et améliorer. L’ampleur de la tâche (plusieurs dizaines de millions d’organismes à décrire, diagnoser et classer) requiert un grand nombre de participations scientifiques dans toutes les équipes travaillant sur la biodiversité. 77 prospectives d’avignon Même si les spécimens eux-mêmes ont vocation à être stockés dans des établissements ad hoc et pérennes (Muséums, collections institutionnelles, etc.), il est primordial que la systématique soit travaillée dans de multiples laboratoires de recherche au plus près des besoins des scientifiques. Cela implique de mettre en œuvre une très importante politique de formation des scientifiques à la taxonomie, également à destination des pays du Sud très demandeurs et envers lesquels nos politiques et des traités nous engagent. Les opérations d’échantillonnage contribuant à la taxonomie et réalisées par tous ces scientifiques peuvent avoir des finalités et des échelles très variées: études centrées sur des questions aux échelles locales ou régionales, inventaires taxonomiques à toutes échelles, ATBI ou grandes expéditions par définition locaux mais taxonomiquement larges et nonexhaustifs, etc. Toutes ces opérations doivent toutes contribuer aux connaissances taxonomiques, en comprenant bien que l’exhaustivité et la stabilité de ces connaissances, si elles sont souhaitables dans l’absolu, ne sont pas des objectifs atteignables, ni dans le pratique ni dans la théorie. A cet enjeu de connaissance taxonomique sur la biodiversité sont associés deux enjeux connexes corollaires. D’une part, il faut mobiliser et intégrer les données actuelles de biodiversité avec la taxonomie : cela implique que tous les éléments de connaissance qui se développent actuellement comme par exemple les barcodes, ou les études sur les traits écologiques, soient associés via les ontologies adéquates au système taxonomique. Les cahiers de laboratoire de la biodiversité ne peuvent pas être gardés au fond du tiroir comme de coutume. Ils doivent être partagés, utilisés et réutilisés, sur le modèle de la systématique qui a mis au point un partage des connaissances taxonomiques, partage fonctionnel sur la base des classifications depuis deux siècles. D’autre part, cette mobilisation et cette intégration de toutes les données de la biodiversité doivent être complétées par une mise à disposition qui va très au-delà de la publication académique traditionnelle, par le développement de bases informatisées en ligne. 78 Un certain nombre de principes sont sousjacents à ces enjeux. Des standards doivent être développés et largement acceptés pour les données de biodiversité (ontologies, mesures). Ils permettent le stockage et le retour aux données. Toutes les données de biodiversité (espèce, occurrence, trait, etc., d’origine professionnelle ou participative citoyenne) doivent être organisées en s’inspirant de l’exemple des collections de taxonomie: l’occurrence doit donc être dans la mesure du possible associée à un spécimen ou à une entité de référence (tissu, document numérique photographique ou acoustique, etc.), ce qui permet un retour aux données et leur mutualisation. Les bases de données ainsi constituées devront être interopérables et gérées dans des systèmes ouverts. Toutes ces informations, spécimens, entités et informations associées, doivent être hébergés de manière pérenne et accessible. C’est ce qui est réalisé depuis longtemps par les Muséums, de façon tellement classique et ancienne qu’on oublie aujourd’hui de s’en inspirer. Ce bref aperçu des principaux enjeux en phylogénie en et systématique se replace dans un contexte très favorable. Il y a d’une part de nouvelles méthodes d’obtention des données moléculaires, incluant séquençage de nouvelle génération et accès au transcriptome, et d’autre part, des progrès algorithmiques ou informatiques permettant leur analyse. L’arbre ne doit cependant pas cacher la forêt et les enjeux dépassent les outils, aussi puissants et innovants soient-ils. Il est important que les laboratoires étudiant la biodiversité puissent non seulement accéder à ces nouvelles données et maîtriser ces nouveaux procédés mais aussi qu’ils prennent conscience des enjeux en amont. A ce titre, ils se doivent de participer à la conception d’analyses phylogénétiques plus intégratives et surtout de participer à la constitution du système taxonomique en prenant conscience de leurs propres intérêts et de leurs besoins immédiats dans ce domaine. En effet, le système de classification taxonomique participatif, tel qu’il est conçu, demande un minimum d’égoïsme de la part de ses participants pour pratiquer la vertu de la mise en commun. La systématique n’est pas une affaire de Muséums qui la conçoivent en isolement pour des utilisateurs éloignés, elle est l’affaire de tous. éCO-éVO-DéVO-PALéO avignon Prospective Coordinateurs : Sabrina Renaud & Didier Casane Contributeurs : Jean-Christophe Auffray, Laure Bonnaud, Serge Cohen, Bruno David, Alexander Ereskovsky, Philippe Janvier, Patricia Gibert, Catherine Girard, Franck Guy, Thierry Grange, Brigitte Meyer-Berthaud, Dominique Pontier, Nick Rowe, Bernard Thierry, Irène Till-Bottraud Des champs disciplinaires aussi différents que l’étude de l’évolution des mécanismes moléculaires du développement et l’étude du développement chez des organismes fossiles ont connu ces dernières années d’importantes avancées conceptuelles s’appuyant sur des innovations méthodologiques et technologiques. Parmi ces avancées, citons l’essor des méthodes en « -omique » et en bioinformatique, les progrès de la biologie du développement, les progrès de l’imagerie 3D et de la micro-tomographie qui permettent d’étudier, par exemple, des structures chez les fossiles, jusque-là difficiles à documenter. Ces avancées ont stimulé les approches à l’interface des champs de recherche sur le développement et l’évolution (« évo-dévo »), en intégrant la dimension d’interaction entre développement, évolution et environnement biotique et abiotique (« éco-évo-dévo »). Le développement de telles démarches intégratives est apparu un dénominateur commun à de nombreux ateliers des Prospectives. Dans le contexte de l’évo-dévo, ceci se traduit notamment par une volonté de la communauté de voir se développer des interactions fortes entre les départements INEE et INSB. En effet, la richesse de la communauté évo-dévo vient de la diversité de ses origines, depuis l’étude des mécanismes du développement à l’échelle moléculaire jusqu’à la paléontologie à l’échelle des temps profonds de la phylogenèse. Une vraie perspective éco-évo-dévo doit viser à intégrer, au moins conceptuellement, aussi bien les mécanismes (moléculaires, cellulaires, développementaux) que l’échelle évolutive (depuis la micro- jusqu’à la macro-évolution à l’échelle de dizaines voire de centaines de millions d’années). Trois principaux points ont émergé de ces prospectives, constituant des priorités thématiques associées à des verrous méthodologiques majeurs : 1) Le matériel d’étude : de quelques organismes modèles à la biodiversité naturelle. Les contraintes méthodologiques ont limité le décryptage des mécanismes développementaux et l’analyse des réseaux de gènes à quelques organismes modèles (drosophile, souris de laboratoire, poisson zèbre…). La révolution des méthodes en « -omique » donne aujourd’hui accès au même type d’information sur des espèces non modèles et pour des populations naturelles. Intégrer la biodiversité intra- et inter-espèces dans les études éco-évo-dévo est crucial pour sortir des cas particuliers que représentent les quelques organismes modèles. Cela doit notamment permettre de choisir les organismes étudiés sur d’autres critères, positionnement phylogénétique d’intérêt ou contexte environnemental particulier, afin d’appréhender au mieux les mécanismes impliqués dans l’ajustement entre l’organisme et son environnement via son développement. 79 prospective de l’institut ecologie et environnement du cnrs prospectives d’avignon 2) Des nouvelles méthodologies : un besoin d’appropriation. L’étude de la variation naturelle ne pourra s’effectuer qu’en mobilisant les avancées technologiques les plus récentes, notamment les méthodes en « -omique » ainsi que les compétences bioinformatiques nécessaires pour faire face à ces énormes jeux de données. Ces méthodes sont transversales à de nombreux domaines relevant de l’INEE. Les approches éco-évo-dévo devront également pouvoir s’appuyer sur des méthodologies plus spécifiques comme l’imagerie 3D. Ces outils sont nécessaires pour avoir accès à des données inaccessibles à ce jour (embryons fossiles, organes non minéralisés), mais constituant des informations clés dans un contexte évo-dévo. 3) Une thématique phare : revisiter la compréhension de l’adaptation. Un concept partagé par les différentes approches de l’évo-dévo est sans doute celui d’adaptation. L’originalité de l’éco-évo-dévo est d’en rechercher les mécanismes développementaux, pour comprendre l’origine de la variabilité morphologique, son évolution et son lien avec l’environnement. C’est également, en mettant en avant l’intégration complexe de l’organisme et de son développement, d’avancer des hypothèses alternatives à l’adaptation, par exemple en montrant que l’évolution d’un trait, même apparemment « complexe », peut se faire « facilement » comme produit secondaire de l’évolution d’un réseau de gènes. Cette question de l’adaptation, au cœur des thématiques de l’INEE, peut se décliner dans des cadres aussi différents que les réseaux de gènes ou les organismes éteints. Elle a donc un fort potentiel fédérateur, en recherchant les mécanismes du développement qui lient l’organisme à son environnement. Plus qu’un champ disciplinaire défini par un niveau d’organisation ou un type de phénomènes observés, l’évo-dévo se caractérise par sa démarche (recherche des mécanismes développementaux sous-tendant les différences morphoanatomiques, et évolution de ces mécanismes). La variation actuelle comme fossile, les modèles animaux comme végétaux, les caractères morphologiques comme les changements physiologiques, peuvent donc également relever de ce champ d’investigation. Les principaux points énoncés ci-dessus se déclinent donc en une variété de questions plus spécifiques à chacune des approches composant l’évo-dévo. Une compréhension renouvelée de la relation phénotype-génotype L’approche évo-dévo de l’évolution a contribué à renouveler la compréhension du lien entre le génotype et le phénotype. Il apparaît de plus en plus clairement que l’évolution des mécanismes du développement implique au niveau du génome des mutations qui ne sont pas nécessairement de grande ampleur, ni en nombre ni en termes d’organisation du génome. On peut plutôt voir l’évolution des réseaux de régulation du développement comme un « bricolage » à partir d’une boîte à outils génétique somme toute limitée. Malgré cela, ces mutations peuvent avoir des conséquences phénotypiques importantes, en modifiant l’expression des gènes au cours du dé80 veloppement. L’hétérochronie (déplacement dans le temps de l’expression des gènes) a souvent été mise en avant, peut-être parce que cette notion avait été popularisée, notamment en paléontologie, pour expliquer des tendances évolutives comme la néoténie. La réalité est plus complexe et intègre l’hétérotopie (déplacement spatial de l’expression des gènes), importante pour expliquer par exemple l’existence de structures répétées (homologie sérielle), et l’hétérométrie (changement quantitatif d’expression) pour expliquer, entre autres, des changements de taille relative de structures. Le rôle respectif de ces variations d’expression et leurs causes premières, muta- tions dans les séquences régulatrices ou les séquences codantes, importance des mécanismes épigénétiques, est une problématique majeure en évo-dévo au niveau moléculaire. Elle permet de ré-envisager de manière originale l’évolution d’innovations morphologiques majeures dans la phylogénie, en y intégrant le registre fossile. La composante Dévo comme contrainte de l’évolution Les systèmes de contrôle du développement peuvent produire de manière préférentielle certains phénotypes à partir d’une variabilité génétique donnée. Ceci peut constituer des contraintes et/ou un biais limitant l’espace des possibles dans l’évolution. Par ailleurs, le développement des organismes implique des gènes qui sont pour la plupart pléiotropes, et l’on peut se demander si l’évolution d’un caractère est le résultat d’une sélection directe (si sélection il y a) ou d’une sélection indirecte, par l’intermédiaire d’autre(s) caractère(s) corrélé(s). Quel est l’impact de ces contraintes dans l’évolution à moyen et à long terme ? Quel est le lien entre contraintes développementales et canalisation du développement ? Quels sont les mécanismes d’échappement à ces contraintes permettant des innovations ? Ce dernier point met en avant que les mécanismes du développement évoluent également. Pour étudier cet aspect particulier de l’évolution, quel est le niveau pertinent d’analyse : les composants d’un réseau de régulation, ou le réseau entier ? Ces réseaux montrent une certaine robustesse au changement, une même structure phénotypique pouvant être mise en place par des mécanismes moléculaires sous-jacents qui ont divergé. Sur toutes ces questions, les nouvelles approches moléculaires des mécanismes du développement et les nouvelles méthodes morphométriques pour décrire et modéliser la morpho-anatomie des organismes permettent d’examiner deux composantes complémentaires de l’organisation des organismes multicellulaires : intégration des parties en un tout fonctionnel d’une part, et d’autre part une certaine modularité permettant une indépendance relative de l’évolution des parties. Des avancées majeures sur ces questions sont attendues dans les années à venir. La composante éco Plus que les relations écologiques proprement dites, cet aspect vise à replacer l’évolution de l’organisme et de son développement dans le contexte de la variation environnementale. Cette démarche est indispensable pour intégrer et tester la composante adaptative des mécanismes mis en évidence. Des différences environnementales peuvent conduire un même génotype à exprimer des voies développementales différentes, ce qui revient à envisager sous l’angle évo-dévo la plasticité phénotypique. Valider l’interprétation de différences génétiques et développementales en termes d’adaptation nécessite de tester l’avantage sélectif du trait, en termes d’amélioration fonc- tionnelle et/ou de valeur sélective. Par ailleurs, l’approche évo-dévo a contribué à mettre en avant que l’organisme évoluait de manière intégrée, car un même gène ou réseau de gènes est impliqué dans de multiples aspects du phénotype. L’évolution d’un trait doit donc être remise dans le contexte de l’évolution de l’organisme dans son ensemble. Des changements environnementaux sont susceptibles d’avoir des répercussions sur des traits d’histoire de vie (taux de croissance, allocation des ressources) qui, en changeant le contexte du développement, pourraient avoir des conséquences inattendues sur d’autres traits, notamment morphologiques. 81 prospectives d’avignon La dimension temporelle Paléo Elle constitue une source de questionnement en donnant accès à la dimension temporelle de l’évolution. Les données fossiles peuvent avoir valeur de tests pour les inférences faites sur les états ancestraux à partir des reconstitutions phylogénétiques ; dans ce contexte, l’étude de plus en plus poussée de l’ADN ancien ouvre même la voie à une génomique de taxons éteints. Les morphologies ancestrales observées peuvent donner de précieuses indications sur la séquence d’acquisition de caractères complexes et sur la gamme des « possibles » phénotypiques explorés par l’évolution du développement au cours du temps. D’éventuelles similitudes avec des produits de manipulations de la génétique et/ou du développement (surexpressions, knock-out, mutants) peuvent suggérer des gènes/voies candidats à étudier. L’analyse croisée des observations paléontologiques et du développement des espèces actuelles permet de re-questionner la notion d’homologie, cruciale pour établir les relations phylogénétiques entre organismes : des structures qui ne présentent pas d’homologie évidente au niveau morphoanatomique peuvent partager des mécanismes de développement communs (concept d’homologie profonde). Se pose alors la question de savoir dans quelle mesure on peut propager une relation d’homologie d’un niveau d’organisation (par exemple un réseau de régulation) à un autre (par exemple une structure morphoanatomique). Les développements méthodologiques et notamment d’imagerie permettent aussi d’avoir accès à des données jusqu’alors inaccessibles, comme l’embryologie d’espèces éteintes ou la morphologie d’espèces ne présentant que peu de parties minéralisées. Là aussi, le registre fossile peut être crucial pour analyser dans un contexte phylogénétique l’évolution des processus développementaux. Ces approches éco-évo-dévo sont intégratives de méthodes, de concepts, mais aussi d’échelles, puisqu’elles interrogent la variation génétique, développementale et phénotypique du niveau moléculaire jusqu’au niveau de la phylogenèse. Elles partagent des questions évolutives avec d’autres champs thématiques de l’INEE et ont donc un fort potentiel pour être mobilisées dans des contextes divers. Citons, parmi les ateliers ayant participé à ces prospectives : la génomique, l’hérédité génétique et non-génétique, le lien entre sexe et évolution (évo-dévo des caractères impliqués dans la reproduction), la systématique et la phylogénie, l’écophysiologie, la domestication (évo-dévo des changements phénotypiques observés chez les animaux et les plantes, si importants dans l’histoire de l’Homme). Une approche éco-évo-dévo pourrait également être développée pour comprendre les mécanismes de réponse évolutive et/ou de perturbation du développement face à des pathogènes (évolution et santé) ou des polluants (écotoxicologie). Plus généralement, dans le contexte du changement global, une approche intégrative éco-évo-dévo pourrait être pertinente pour questionner les capacités de réponse des organismes au grand challenge auquel ils sont et seront soumis. 82 HéRéDITé GéNéTIQUE ET NON GéNéTIQUE, VERS UNE GéNéRALISATION DE LA THéORIE DE L’éVOLUTION avignon Prospective Coordinateurs : Etienne Danchin, Odile Petit Contributeurs : Fabien Aubret, Jean-Christophe Auffray, Simon Blanchet, Anne Charmantier, Thomas Cucchi, Particia Gibert, Christophe Grunau, Michael Hochberg, Stéphane Maury, Guillaume Mitta, Catherine Montchamp, Rémy Petit, Benoit Pujol, Michel Raymond, Francois Rousset, Fabrice Roux, Bernard Thierry, Irène Till-Bottraud, Anne Tresset, Cristina Vieira Ce texte est l’émanation du travail d’une petite trentaine de personnes, avant, pendant et après la tenue de l’atelier du même nom. Contexte général La biologie vit actuellement une mutation profonde suite à d’importants progrès des connaissances dans de nombreux domaines incluant les sciences du développement [1,2] et du comportement [3,4,5,6,7], ainsi que l’épigénétique [8,9,10,11] et l’écologie évolutive dans toutes ses facettes [12,13,14]. Ces développements ont conduit de nombreux auteurs à appeler de leurs vœux la « modernisation » de la synthèse moderne de l’évolution [2,3,14,15,16,17]. Un point central réside dans les arguments solides soutenant l’existence d’une part non-génétique de l’hérédité. Ces arguments proviennent de domaines très divers des sciences biologiques et concernent tous les groupes taxonomiques. Les écologistes de l’évolution ont cherché à formaliser ces découvertes en termes d’hérédité, ouvrant la voie à une étude quantitative des différentes sources de variation phénotypique héritées et de leurs conséquences en termes de sélection naturelle et d’évolution [4,7,13,14,18,19] [20]. Il en résulte actuellement au plan mondial un changement de paradigme qui implique qu’aujourd’hui, la vision selon laquelle l’hérédité de la variation phénotypique repose uniquement sur la transmission de la variation génétique (encodée dans la séquence de l’ADN) ne suffit plus à la compréhension du processus d’évolution biologique [7,14]. Le modèle d’hérédité qui émerge incorpore non seulement une composante génétique, mais aussi toutes les formes d’hérédité non-génétique au sein d’une conception globalisante de la théorie de l’évolution. Différents termes sont utilisés par divers auteurs pour décrire cette conception élargie de l’hérédité et de l’évolution, que ce soit une théorie « inclusive » de l’évolution [13], ou bien synthèse moderne « étendue » [2,21] ou « généralisée » [18], ou « pluraliste » [22], ou encore une synthèse moderne « modernisée » [23]. Retour aux sources Pour bien comprendre ce qui est en jeu dans ce débat, il est nécessaire de revenir aux fondamentaux. Ce qui différencie le vivant de l’inanimé est la reproduction. Qui dit reproduction, dit transmission d’un schéma général entre générations sous la forme d’information per- mettant de construire un nouvel individu. Historiquement, l’étude de l’hérédité moderne a été marquée dès les origines par le modèle mendélien et l’approche statistique de l’hérédité, mais ce n’est que 50 ans plus tard que l’ADN a été reconnu comme le support a priori de l’informa- 83 prospective de l’institut ecologie et environnement du cnrs prospectives d’avignon tion héritée conduisant à la fusion entre tous ces courants. Nous avons eu alors tendance à simplifier les formulations en identifiant l’hérédité à la seule transmission d’informations génétiques (au sens classique de la transmission d’allèles selon les lois de la génétique Mendélienne), tout en sachant qu’il s’agissait là d’une simplification qu’il faudrait un jour dépasser. De ce fait, la vision classique actuelle, telle que vé- hiculée par tous nos livres de cours, est que l’information transmise est essentiellement, si ce n’est exclusivement, de nature génétique. Selon cette vision, seule l’information encodée dans la séquence de l’ADN serait héritée et donc soumise à sélection. Il est maintenant temps de dépasser cette vision qui a cependant permis les innombrables progrès que l’on connaît dans la compréhension de l’hérédité. Les évolutions actuelles En effet, l’hérédité génétique n’explique pas tout. En particulier, diverses approches ont, depuis maintenant au moins quatre décennies, apporté des arguments forts montrant l’existence de nombreux types d’information ne reposant pas sur un codage génétique mais qui sont pourtant clairement héritées et héritables entre générations. Les domaines scientifiques ayant apporté de tels arguments sont assez nombreux, que ce soit l’hérédité culturelle (ou héritage social qui inclut l’influence d’individus non parents dans les groupes sociaux avec recouvrement des générations; les premiers articles remontent à la fin des année 1970), l’hérédité écologique en relation avec le phénomène de construction de niche (domaine qui s’est fortement développé durant les deux dernières décennies), les effets parentaux dont la fonction évolutive première est bien de transmettre des informations à la descendance de façon à les préparer aux conditions environnementales qui prévalent à ce moment-là et, plus récemment, la transmission intergénérationnelle des marques épigénétiques (i.e. des modifications héritables de l’expression de l’information génétique; domaine en plein développement depuis le milieu des années 2000; pour des revues sur ces sujets, voir [3,14,19,24,25]), ainsi que l’hérédité résultant de la transmission verticale des symbiontes transmis, processus bien décrit chez les insectes, dans l’hérédité inclusive [26,27]. L’originalité de la situation actuelle est dans l’avènement de développements technologiques majeurs permettant d’aborder des questions jusque-là inaccessibles. Il devient maintenant possible de distinguer l’information génétique (véhiculée dans la séquence de l’ADN) de l’’information épigénétique héritable (dont une partie est véhiculée dans les patrons de méthylation de l’ADN, l’état des histones et par les petits 84 ARN). De plus, la qualité des expériences faites pour étudier les processus fins d’hérédité (impliquant par exemple des adoptions croisées, ou des expériences fines de laboratoire comme l’évolution expérimentale) permet de distinguer des voies mécanistiques d’hérédité autrefois techniquement indiscernables, et d’étudier leurs interactions. De ce fait, le débat dans ce domaine s’amplifie au point que la publication récente par Russell Bonduriansky d’un article intitulé « Rethinking heredity, again » dans Trends in Ecology and Evolution a entraîné toute une discussion dans laquelle certains auteurs –tout en admettant l’existence de transfert d’information de nature non-génétique entre générations– concluent qu’in fine tout revient à de la génétique et qu’à long terme cela n’affecte pas l’évolution. Un des grands défis actuels des sciences de l’écologie et de l’évolution n’est donc pas tant d’accepter l’existence d’une part non-génétique à l’hérédité, mais plutôt de reconnaître que cela peut changer en profondeur les dynamiques écologiques et évolutives, au point que cela devrait nous conduire à élargir notre vision de l’hérédité et de l’évolution en une vision pluridimensionnelle. Une telle reconnaissance passera par une nécessaire étape de quantification de l’importance de la composante non-génétique de l’hérédité. Les écologistes de l’évolution ont une place importante à jouer dans la compréhension de ces processus. Il faut souligner ici que cela ne remet pas en cause la synthèse moderne mais l’élargit –ou la généralise– , un peu comme la relativité n’a pas contredit la théorie Newtonienne mais l’a largement généralisée de façon a intégrer des situations jusqu’alors non explicables. Il nous semble que l’Institut du CNRS INEE est à une place stratégique pour stimuler la participation des chercheurs français à ce type de recherche de front des sciences. La question de la composante nongénétique de l’hérédité se situe en effet au carrefour entre plusieurs domaines des Sciences Biologiques: génétique moléculaire et épigénétique, génétique quantitative et des populations, biologie du développement, écologie comportementale, sciences de l’évolution, neurosciences (cognition et apprentissage, culture animale), les Sciences médicales (médecine évolutionniste), et les Sciences humaines (comportement économique, culture humaine, psychologie, cognition). Conclusions de l’atelier Lignes de force Les discussions ont fait ressortir les lignes de force suivantes : • L’étude de l’hérédité non-génétique est une approche en pleine émergence au cœur de l’écologie et de l’évolution. D’autres ateliers ont d’ailleurs fait ressortir la nécessité d’intégrer l’épigénétique dans les recherches en écologie et évolution. • Il nous faut, en amont ou en parallèle à l’acquisition de nouvelles données, encore travailler à améliorer les concepts et faire régulièrement évoluer leurs contours en écho à l’évolution des connaissances. Le concept d’épigénétique par exemple recouvre des processus agissant à différents niveaux d’organisation. Même si la tendance actuelle est de mettre l’accent sur les mécanismes moléculaires, les facteurs environnementaux agissent à différents niveaux du phénotype avant de mettre en action les mécanismes à l’échelle de l’ADN et il est important d’intégrer tous ces processus dans les recherches sur le sujet. D’autres auteurs tendent à limiter le concept à la partie héritable de ces processus, ce qui serait par trop restrictif. • Il nous est apparu qu’une des difficultés pour appréhender l’impact de l’hérédité non-génétique réside dans le fait qu’au plan pratique, on ne sait en fait pas encore bien évaluer la part de l’hérédité qui est strictement génétique. • La question de l’adaptation demanderait que l’on soit capable d’estimer de manière précise le lien entre hérédité non-génétique et valeur sélective (fitness). Ce type d’approche sera très gourmand en données. Trois axes majeurs de recherche sont proposés 1 - Documentation de cas d’études L’objectif doit être d’augmenter le nombre de traits/espèces où l’hérédité aura été démontrée comme impliquant des processus génétiques et non-génétiques. Le développement d’espèces modèle doit aussi être envisagé en parallèle pour permettre l’étude approfondie des mécanismes d’hérédité nongénétique. Cela nécessitera une augmentation des capacités de génotypage et surtout de phénotypage haut débit, ainsi que la conception de nouvelles techniques permettant de capturer les composantes non-génétiques de l’hérédité. La question du phénotypage haut débit sera centrale dans les années à venir. Il est également souhaitable d’inclure dans ces approches des organismes non-modèles, notamment des espèces à large distribution géographique, ainsi que des espèces présentant naturellement une faible diversité génétique. Nous prédisons que, encore plus que par le passé récent, de nouveaux traits réputés comme transmis uniquement par voie génétique vont se révéler être transmis par une conjonction de différents processus en interaction. Identifier les différentes composantes de l’hérédité sera primordial pour la théorie dès lors que ces divers processus ont des propriétés de transmission très variables, tant en terme de pérennité des informations transmises (exacte ou partielle, identique entre les générations ou s’épuisant au fil des générations) qu’en terme de types de 85 prospectives d’avignon transmission (vertical versus horizontal ou toute combinaison des deux). L’accumulation de nouveaux cas qui en résultera permettra d’étudier le spectre de distribution de l’hérédité non-génétique tant au plan taxonomique qu’au niveau du type de trait concerné (morphologique, comportemental, etc). 2 - Investir dans la compréhension des mécanismes Ceci impliquera pour nos institutions d’accompagner l’étude à haut débit des génomes et des épigénomes (incluant l’étude des régions non codantes) et celles des transcriptomes (y compris des petits ARNs ) et de soutenir l’acquisition d’outils de phénotypage haut débit. D’autres défis résident dans le développement de nouveaux modèles d’analyse des données et dans l’amélioration de notre connaissance des mécanismes de transmission (différentes échelles de temps et types de transmission, horizontal versus verticale et oblique). Afin d’aller au-delà des études corrélatives il est indispensable de générer des collections « d’épimutants » et/ou d’établir des méthodes qui permettent d’introduire des épimutations de façon ciblée. L’impact de la composante nongénétique sur la génétique (via par exemple la libération d’éléments transposables) doit être systématiquement étudié. Enfin, chez les animaux où l’on observe de la transmission culturelle, les recherches en cognition animale nous permettront de faire le lien entre toutes ces approches. 3 - Investir dans la théorie Un enjeu majeur sera d’intégrer l’hérédité non-génétique dans nos modèles d’évolution pour répondre à diverses questions telles que : • De quelle manière et avec quelle ampleur les parts de l’hérédité génétique et non-génétique varient elles selon les traits/taxons ? • Quelles sont les conséquences de la prise en compte de l’hérédité non-génétique sur les dynamiques écologiques et évolutives ? • Est-ce que les trajectoires de ces dynamiques et/ou la nature des équilibres prédits par les modèles d’évolution incluant l’hérédité non-génétique diffèreront fondamentalement de ceux qui sont prédits par des modèles ne prenant en compte que l’hérédité génétique ? • Ces considérations théoriques doivent aboutir à des hypothèses qui devront être testées expérimentalement. Nous anticipons aussi d’importants défis de modélisation vu la complexité introduite par l’hérédité non-génétique. Cet objectif impliquera donc une démarche interdisciplinaire avec les mathématiques et l’informatique. Implications pour l’INEE Il nous est apparu que de toute évidence, l’INEE doit jouer un rôle central dans ce thème en émergence des sciences de l’écologie et de l’évolution. À ce stade précoce où nous en sommes, il nous paraît primordial que nos institutions investissent massivement dans la compréhension profonde des processus qui contribuent à la composante non-génétique de l’hérédité. Bien entendu, mieux comprendre ces processus devrait générer de nombreuses perspectives appliquées dans le futur, que ce soit en médecine ou en conservation. Toutefois, comme dans toute discipline scientifique, ces perspectives ne pourront devenir réalité que si un accent fort est mis au préalable sur la recherche fondamentale et sur la compréhension des processus et mécanismes sous-jacents. C’est pourquoi nous pensons que les efforts immédiats devront s’orienter vers des recherches plus fondamentales qu’appliqués. Ce n’est que dans un second temps que le transfert de recherche fondamentale vers la recherche appliqué (médecine, conservation etc.) pourra se faire. Dans le même ordre d’idée, il ne nous semble pas souhaitable de mettre l’accent sur l’humain car les besoins 86 d’expérimentation fortement intrusive ne peuvent pas s’appliquer sur l’humain. Cependant, l’originalité de l’espèce humaine peut être considérée pour certaines études spécifiques, en particulier pour l’étude de l’évolution culturelle où il ne fait aucun doute que l’espèce humaine constitue un modèle de choix. Au plan des modèles biologiques, il est nécessaire de développer des modèles animaux, végétaux et microbiens en fonction des besoins spécifiques des approches adoptées. Enfin, le développement de cette thématique nouvelle impliquera par nature de fortes transversalités tant au sein de l’INEE qu’avec d’autres instituts du CNRS comme par exemple l’INSB pour l’étude des mécanismes proximaux de l’hérédité non-génétique (épigénétique, cognition, neurosciences) ou bien l’IMSMI pour relever les défis de modélisation. Nous anticipons que de nombreux développements en écologie et évolution devraient émerger de l’ensemble de ces approches au cours de la décennie à venir. 87 prospective de l’institut ecologie et environnement du cnrs Références 1. Caroll SB (2008) Evo-Devo and an Expanding Evolutionary Synthesis: A Genetic Theory of Morphological Evolution. Cell 134: 25-36. 2. Pigliucci M, Muller GB (2010) Evolution, the extended synthesis. Cambridge, Massachusetts: MIT Press. 495 p. 3. 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SEXE ET éVOLUTION avignon Prospective Coordinateurs : Brigitte Crouau-Roy & Frédéric Veyrunes Contributeurs : Sylvain Glemin, Dominique Joly, Thomas Lenormand, Gabriel Marais, Sandrine Maurice, Denis Roze, Sylvain Charlat, Catherine Montchamp-Moreau Mots clés : Chromosomes sexuels, conflits génomiques, déterminisme du sexe, recombinaison, systèmes de reproduction L’évolution et le maintien du sexe reste une des grandes énigmes de la biologie évolutive. En effet, la reproduction sexuée est a priori une stratégie coûteuse (vs. asexualité) et très contrainte donc conservée; pourtant elle est extrêmement répandue dans le monde vivant (la très grande majorité des organismes eucaryotes) et très diversifiée. Plusieurs hypothèses ont été formulées pour expliquer ce paradoxe, mais les conditions d’apparition et du maintien du sexe au cours de l’évolution restent encore aujourd’hui vivement débattues. Le sexe a d’autant plus fasciné les scientifiques qu’il engendre des répercussions profondes sur les modalités de transmission de l’information génétique, élément central pour comprendre les mécanismes de l’adaptation. Enfin, l’avènement de nouveaux outils technologiques en génomique, transcriptomique et protéomique ainsi que méthodologiques ont permis des avancées considérables dans la compréhension des mécanismes de déterminisme et d’évolution du sexe. Pourtant de nombreuses questions restent en suspens et l’augmentation de l’incidence des pathologies associées à la différentiation sexuelle chez l’homme (liée aux quantités croissantes de perturbateurs endocriniens dans notre environnement) illustre la nécessité de mieux comprendre l’évolution des chromosomes sexuels mais aussi la complexe initiation du déterminisme du sexe. Loin de faire un état des lieux exhaustif de la question du « sexe et évolution » qui touche un champ de recherche très vaste, nous nous sommes intéressés à certains points particuliers. Evolution du sexe et recombinaison Contexte Le sexe est un des grands paradoxes darwiniens : comment une telle stratégie si coûteuse et instable (coût de la production de mâles) peut-elle apparaître et se maintenir face à des stratégies asexuées ? De nombreuses théories basées sur les effets de la recombinaison peuvent aujourd’hui expliquer le maintien du sexe, mais elles justifient encore mal son apparition. Des approches théoriques et expérimentales correspondantes restent donc à développer. Le sexe a des répercussions profondes sur l’évo- lution des espèces et des génomes. En effet, la sélection à l’échelle d’un génome opère différemment selon qu’il y ait plus ou moins d’associations génétiques intra- et inter-locus, c’est-à-dire selon qu’il y ait plus ou moins de « sexe ». Les théories pour rendre compte de l’évolution du sexe ont été particulièrement développées depuis une quinzaine d’années et testées par des approches d’évolution expérimentales depuis une dizaine d’années. Dans ce contexte, trois grands axes de recherche se dégagent aujourd’hui. 89 prospective de l’institut ecologie et environnement du cnrs prospectives d’avignon Enjeux • Considérer l’évolution du sexe comme l’évolution d’un syndrome plus global qui associe des coûts du sexe plus réalistes (conflits sexuels, conflits génétiques) et des adaptations liées au sexe de manière plus intégrée (cycles de vie, ploïdie, réparations de l’ADN). • Développer les théories de génétique des populations multilocus pour ajouter différentes sources de stochasticité, telles que la stochasticité mutationnelle et environnementale, à celle de la dérive qui reste jusqu’à présent centrale dans les théories les plus pointues. • Poursuivre le développement de modèles empiriques pouvant tester ces théories, par évolution expérimentale, par études de terrain (par ex. parthénogénèse géographique), ou par analyses comparatives de génomes sexués/asexués. L’évolution des génomes asexués (ou de portions de génome non recombinantes comme les chromosomes sexuels) avec les nouveaux outils de biologie moléculaire restent également un axe majeur pour mieux élucider l’impact de l’absence de recombinaison sur les génomes, ainsi que des conséquences évolutives du sexe. Sélection sexuelle L’apparition du sexe chez les organismes génère une nouvelle pression de sélection, la sélection sexuelle qui vient s’ajouter à la sélection naturelle. Contexte Basée sur l’anisogamie (différence d’investissement entre sexes pour les gamètes), la sélection sexuelle induit des pressions de sélection entre mâles pour l’accès aux femelles (en général le sexe limitant) – via la sélection intrasexuelle - et des pressions de sélection entre sexes dans le choix du partenaire sexuel – via la sélection intersexuelle. L’étude de ces processus a bénéficié de modèles et concepts théoriques qui ont permis de dynamiser la démarche expérimentale et renforcer nos connaissances sur l’évolution des caractères, leur diversification, et leur coévolution avec les « préférences » femelles . Plus récemment, le rôle de la sélection sexuelle comme forces d’adaptation écologique permettant l’exploration d’un large spectre d’espaces phénotypiques autour de l’optimum de viabilité a été souligné. Cette assise théorique a suscité un intérêt renouvelé pour des études expérimentales sur des organismes très variés, produisant ainsi un jeu de connaissances uniques en biologie. Récemment, le rôle de la sélection sexuelle a été considéré du point de vue de la différenciation des populations pouvant conduire à un isolement reproducteur et donc faciliter la spéciation. En effet, des espèces phylogénétiquement proches montrent souvent des déplacements de caractères reproducteurs, ces derniers évoluant généralement beaucoup plus rapidement que les autres caractères. Longtemps focalisées au niveau pré-copulatoire, les recherches de ces dernières décennies se sont tournées sur les mécanismes plus cryptiques (biochimiques et moléculaires) au niveau post-copulatoire. Le développement d’outils génétiques et plus récemment les méthodes en « omics » ont permis des avancées remarquables illustrant par exemple l’existence de coévolutions antagonistes entre sexes pouvant conduire à des processus de courses aux armements entre caractères de persistance chez le mâle et de résistance chez la femelle. Enjeux • Identifier les facteurs génétiques ou épigénétiques impliqués dans le choix pré- et post-copulatoire du partenaire susceptible d’influer les flux de gènes et donc les divergences entre populations. • Estimer les coûts et bénéfices des pressions de sélection dues aux interactions sexuelles. • Comprendre la coévolution entre signaux sexuels et récepteurs à l’origine de l’isolement 90 reproducteur. • Déterminer les incompatibilités gamétiques entre spermatozoïdes et ovocytes avant ou après fusions cellulaires. • Apprécier et quantifier les vitesses d’évolution des gènes liés à différents types de caractères reproducteurs comme les génitalias ou les protéines séminales • Déterminer les contraintes génétiques, développementales ou fonctionnelles qui limitent la diversification des caractères reproducteurs et diminuent leur vitesse d’évolution. • Multiplier les études d’évolution expérimentale pour discriminer les processus génétiques adaptatifs de la plasticité phénotypique. • Poursuivre l’effort de formulation d’un cadre théorique pour intégrer les aspects liés à la sélection sexuelle dans un contexte plus large de coévolution mâle-femelle (y compris pour le choix de partenaires sexuels dans l’espèce humaine). Sexe et conflits génomiques Contexte Le sexe crée un terrain fertile à l’émergence de conflits entre compartiments génomiques qui ne sont pas transmis d’une génération à la suivante selon les mêmes règles (génome nucléaire vs cytoplasmique par ex) ou causés par des éléments génomiques égoïstes qui modifient les règles de transmission à leur profit au détriment de leurs homologues (distorteurs de ségrégation méiotique par ex). Les conflits génomiques sont une force évolutive très puissante. Par exemple, les distorteurs de ségrégation liés aux chromosomes sexuels peuvent déséquilibrer le sexe-ratio au risque d’entrainer des extinctions de population, générant un conflit dans lequel distorteurs et suppresseurs de distorsion s’accumulent sur différents chromosomes (course aux armements). Cela peut influencer l’évolution de nombreux phénomènes tels que la régulation épigénétique (ex : gènes soumis à empreinte parentale), la distribution des gènes dans le génome, le déterminisme du sexe (gènes féminisants/masculinisants) et la spéciation (stérilité hybride). Enjeux • Identifier de nouveaux gènes distorteurs et leurs éventuels partenaires suppresseurs. • Améliorer la compréhension des mécanismes moléculaires et cellulaires sous-tendant la distorsion de ségrégation. • Améliorer notre connaissance des modalités d’évolution des conflits provoqués par les distorteurs de ségrégation dans la nature et de l’impact de ces conflits sur l’évolution des génomes et des espèces. Evolution des systèmes de reproduction Contexte La très grande diversité de systèmes de reproduction se traduit à la fois dans la répartition des sexes au sein et entre les individus, dans la part de la reproduction sexuée et asexuée, et dans les systèmes de croisements. Les systèmes de reproduction ont un fort impact sur le fonctionnement et l’évolution des populations, c’est pourquoi leur étude occupe une place importante dans de nombreuses thématiques en biologie évolutive et en écologie (maintien et structuration de la diversité génétique, mécanismes et dynamique de l’adaptation, évolution des génomes, mécanismes de diversification des espèces…). L’étude des systèmes de reproduction trouve des implications pra- tiques en biologie de la conservation en général et pour l’amélioration des plantes en particulier. Pour toutes ces raisons, l’évolution des systèmes de reproduction est, depuis longtemps, un thème de recherche central en biologie évolutive mais de nombreuses questions soulèvent encore des controverses et d’autres sont encore peu abordées. De nouveaux outils à la fois techniques (comme le séquençage haut débit) et méthodologiques (par exemple les méthodes phylogénétiques d’analyse d’évolution de traits) permettent maintenant d’aborder ces nouvelles questions ou de revisiter les anciennes. Dans ce domaine, le contexte scientifique fran91 prospectives d’avignon çais se caractérise par plusieurs points forts comme la modélisation de l’évolution des systèmes de reproduction, l’analyse détaillée et mécanistique de certains systèmes de reproduction caractéristiques (auto-incompatibilité ou déterminisme du sexe chez les plantes), ou l’utilisation de la génomique évolutive et de méthodes d’inférence statistique pour tester des hypothèses sur l’évolution et les conséquences des systèmes de reproduction (organismes principalement étudiés : plantes, mollusques, arthropodes, mammifères, champignons). Enjeux Patrons macroévolutifs liés à l’évolution des systèmes de reproduction Depuis longtemps, des scénarios d’évolution des systèmes de reproduction ont été proposés sur la base soit d’arguments théoriques, soit d’études comparatives. Grâce à la disponibilité de phylogénies moléculaires pour un nombre toujours croissant de groupes d’espèces et aux développements des méthodes de phylogénies, il devient possible de réévaluer de façon plus systématique et quantitative certaines questions. En particulier : quelles sont les voies préférentielles d’évolution d’un système de reproduction à un autre (ex : l’évolution de la dioécie à partir de l’hermaphrodisme passet-elle préférentiellement via la gynodioécie ou la monœcie) ? A quels taux se font les transitions et existe-t-il des variations entre groupes d’espèces ? Y a-t-il coévolution entre systèmes de reproduction et d’autres traits et quelles en sont les modalités (par exemple entre autofé- condation et annualité chez les plantes) ? Les systèmes de reproduction peuvent-ils impacter les patrons de diversification et certains systèmes sont-ils des culs de sac évolutifs ? • Caractériser les systèmes de reproduction chez un grand nombre d’espèces et obtenir des phylogénies correspondant aux groupes étudiés. • Mise en œuvre de stratégies d’inventaires et de compilation de ressources déjà disponibles et organisation sous forme de bases de données reliant traits, séquences et phylogénies. L’acquisition de ce type de données doit pouvoir être poursuivie sur du long terme, ce qui nécessite des échantillonnages sur le terrain (plantes, champignons, algues), des caractérisations morphologiques, et des analyses génétiques, ce qui ne peut s’envisager que sur des périodes de temps importantes (supérieures aux durées habituelles des projets). Dynamique et déterminisme des transitions de systèmes de reproduction • Il existe une longue tradition de développements théoriques pour prédire l’évolution des systèmes de reproduction. Cependant, la plupart du temps il s’agit de déterminer les stratégies évolutivement stables dans tel ou tel contexte écologique et/ou génétique. Les dynamiques de transition entre deux systèmes restent encore peu étudiées et un corpus théorique important reste encore à développer pour comprendre ces transitions : à quelle vitesse peuvent-elles avoir lieu ? Quelles en sont les bases génétiques les plus probables ? Comment prendre en compte le contexte démogra- phique et écologique ? Comment prendre en compte la co-évolution possible avec d’autres traits sous sélection ? • Le pendant d’approches théoriques est de développer des modèles biologiques pertinents pour étudier ces transitions en détail, à la fois les paramètres des populations naturelles (démographie, écologie), les évolutions phénotypiques associées (ex : syndrome d’autofécondation, dimorphisme sexuel chez les espèces dioïques), et les bases génétiques impliquées, allant jusqu’à l’identification des gènes impliqués et des pressions de sélection associées. Conséquences des systèmes de reproduction sur le fonctionnement et l’évolution des populations Ceci est un enjeu pour des questions de conservation, de réponses aux changements globaux, ou d’utilisation des ressources génétiques en amélioration des plantes. La génomique évolutive et la génomique des populations sont des outils pertinents pour évaluer 92 l’effet des systèmes de reproduction sur les patrons de diversité génétique, les pressions de sélection à l’œuvre (de quelle intensité et sur quels gènes ?), et à plus long terme, sur la structure des génomes (quel impact sur les gènes dupliqués ou les chromosomes sexuels par exemple) ou l’évolution d’autres systèmes génétiques (ex : recombinaison, taux de mutation). Grâce aux nouvelles technologies de séquençage, ces questions peuvent maintenant être posées sur des espèces non modèles. Une approche à développer est donc de comparer les patrons d’évolution moléculaire chez des espèces proches mais différents par leur système de reproduction (sexuées /asexuées, allogames / autogames, hermaphrodites / dioïques), et ce de façon répétée dans plusieurs groupes d’espèces. En complément, des prédictions théoriques restent encore à développer pour mieux comprendre l’effet des systèmes de reproduction sur l’évolution des génomes car la plupart des modèles de référence ont été développés pour des espèces sexuées allogames. Identification des gènes du déterminisme du sexe et évolution des régions génomiques concernées Contexte Le sexe est extrêmement répandu dans le monde vivant et présente une extraordinaire variabilité de mécanismes. Cette diversité est d’autant plus surprenante qu’intuitivement, on s’attendrait à ce que le sexe soit un processus très conservé, car soumis à de fortes contraintes sélectives. En fait, à l’exception de quelques groupes comme les mammifères (mais il existe aussi des exceptions), le déterminisme du sexe est extrêmement labile. Cette diversité s’exprime à toutes les échelles taxonomiques, même les plus fines. A titre d’exemples, on retrouve des espèces congénériques de reptiles et de poissons présentant des déterminismes du sexe influencés par des facteurs environnementaux (comme la température), génétiques (où le sexe du zygote est fixé lors de la fécondation par le génotype) avec des chromosomes sexuels XY (hétérogamétie mâle) ou ZW (hétérogamétie femelle), et même de l’hermaphrodisme. Cette diversité peut également s’exprimer à l’échelle intraspécifique. Le déterminisme du sexe le plus communément rencontré chez les eucaryotes est génétique. Mais sous ce terme se cache une multitude de systèmes divers. Le sexe peut être induit par exemples par des facteurs dominants mâles ou femelles (ex : gène SRY sur le chromosome Y des mammifères), une balance entre des facteurs sur le chromosome X et les autosomes (ex : drosophiles), par l’expression simultanée de plusieurs gènes (ex : systèmes polygéniques de certains poissons), ou par une différence de ploïdie entre sexes (systèmes haplodiploïdes des hyménoptères). Concomitant avec les progrès considérables de la biologie moléculaire, ce n’est qu’en 1990 que le gène SRY du déterminisme du sexe chez les mammifères a été identifié. L’avènement des méthodes de cytogénomiques à la fin des années 90 ont permis des comparaisons génomiques à grandes échelles taxonomiques (par ex : homme / rat / souris), ou entre lignées très divergentes de mammifères (marsupiaux / homme / ornithorynque) et même en incluant des taxa encore plus éloignés phylogénétiquement (poulet ou poissonzèbre). Cela a entrainé des avancées considérables dans la compréhension de l’évolution des chromosomes sexuels et dans l’origine des chromosomes sexuels humains en particulier. Il a notamment été montré que les chromosomes sexuels sont apparus indépendamment dans de nombreux groupes d’animaux et de plantes, suggérant que des forces évolutives comparables opèrent dans ces différentes lignées. Enfin, depuis une décennie, les Nouvelles Générations de Séquençage (NGS) ont révolutionné la discipline. De nouveaux systèmes de déterminisme du sexe ont ainsi été décrits et de nouveaux gènes identifiés. Cependant, malgré les avancées considérables dans le passé récent, beaucoup de questions restent en suspens. Enjeux • Comprendre pourquoi les déterminismes du sexe sont si diversifiés. Identifier les évènements de transition à l’aide cadres phylogénétiques bien définis. Déterminer les pressions de sélection (ex : conflits génomiques) par des approches moléculaires et théoriques. • Identifier les gènes du déterminisme du sexe. Depuis la découverte de SRY, seuls quatre autres déterminants sexuels ont été identifiés, DMRT1 chez les oiseaux, DMY chez le poisson médaka, DMW chez le xénope et très récemment celui de la truite (équipe française). 93 prospective de l’institut ecologie et environnement du cnrs prospectives d’avignon • La cascade du déterminisme du sexe des mammifères est de loin la plus connue, pourtant nous savons encore très peu sur le mode d’action et l’identité des gènes impliqués. L’étude de systèmes atypiques pourrait permettre de mieux comprendre le déterminisme du sexe classique des mammifères. • Génomique comparative dans différentes lignées présentant des traits d’histoire de vie différents et à toutes les échelles taxonomiques (puissance pour caractériser les microévolutions) : distinction des effets li- gnées-spécifiques, chromosome-spécifiques et gène-spécifiques. • Séquencer les chromosomes sexuels de lignées divergentes pour avoir accès aux gènes et pseudogènes et ainsi appréhender les vitesses d’évolution et les processus de dégénérescence des chromosomes Y. • Rechercher les signatures de sélection (approches statistiques et phylogénétiques et approches populationnelle et interspécifiques). • Etudier les facteurs influençant l’arrêt de la recombinaison des chromosomes sexuels. Perspectives : vieilles questions, nouvelles approches. Les contextes et enjeux, brièvement présentés ci-dessus, permettent d’identifier tout un champ thématique dans lequel un grand nombre de chercheurs de l’INEE sont impliqués et pour lequel le CNRS doit dès aujourd’hui investir. Il s’agit pour l’essentiel de questions anciennes qui restent encore sans réponse, mais pour lesquelles les nouvelles approches en « omique » apportent des nouvelles perspectives et vont conduire, dans un futur proche, à des avancées significatives. Nous devons mettre un effort particulier sur : • La description et l’analyse approfondie de la diversité des systèmes de reproduction aux échelles macro et microévolutives. Celles-ci nécessitent 1) l’inférence des systèmes de reproduction, à partir des données de (méta)génomiques, applicable à tout taxon et à étendre à une grande échelle évolutive et 2) leur interprétation dans un cadre phylogénétique pour déterminer des patrons macroévolutifs (traits, taux d’extinction, spéciation, ...). • L’identification des mécanismes moléculaires sous-tendant les déterminismes sexuels génétiques et environnementaux. De manière générale, nous connaissons encore peu de chose quant à l’identité et les modes d’action des gènes impliqués dans l’initiation et la cascade moléculaire des déterminismes du sexe. En particulier, il existe encore un manque notable de connaissance de notre déterminisme du sexe, celui des mammifères. • Le développement conjoint d’approches théoriques et d’évolution expérimentale pour déterminer les processus évolutifs favorisant 1) l’apparition du sexe, 2) son maintien et 3) les transitions de systèmes de reproduction. Quels sont les coûts et bénéfices? Les conflits génétiques rentrent-ils en jeu ? Quels sont les niveaux de sélection qui agissent sur l’évolution des systèmes de reproduction ? Ce sont autant de questionnements pour comprendre « the evolution of sex (...) the hardest problem in evolutionary biology » d’après John Maynard Smith. • La poursuite des études sur les conséquences évolutives du sexe en considérant des problématiques très diverses, comme la structure des génomes, les patrons macroévolutifs (spéciation, extinction), l’évolution moléculaire, les conflits génétiques, la sélection sexuelle, ... Besoins Depuis une dizaine d’années, les questions autour de l’évolution du sexe connaissent un essor remarquable et le CNRS doit ainsi poursuivre son rôle moteur dans la stratégie scientifique de cette thématique. Pour cela, l’INEE doit développer des interfaces avec d’autres instituts du CNRS tels que INSB et INSHS, que ce soit par la création de réseaux thématiques transversaux à l’interface entre Sciences Humaines et Biologie Santé ou par des appels à projets financés. En parallèle, nous assistons actuellement à une révolution technologique cruciale avec l’avènement des techniques en « omique ». Il y a là un enjeu majeur pour que la France puisse s’imposer en tant que leader. Le CNRS devrait donc faciliter l’accès à des plateformes NGS, ainsi que la gestion des données issues de ces NGS. Il sera également nécessaire d’encourager et de multiplier les recrutements de personnels techniques en bioinformatique. 94 éCOLOGIE, éVOLUTION, SANTé ET BIODIVERSITé avignon Prospective Coordinateurs : François Renaud & Frédéric Thomas Contributeurs : Jean-Baptiste Ferdy, Evelyne Heyer, Dominique Pontier et Lluis Quintana-Murci Mots clés : Pathogènes, Ecologie, Evolution, Santé Le monde fait actuellement face à des perturbations à une échelle et d’une vitesse sans précédents. Ces perturbations entraînent notamment deux crises majeures, une crise écologique marquée par une extinction massive de la biodiversité et une crise sanitaire marquée par l’émergence ou la ré-émergence de pathogènes. L’étude des liens étroits et complexes qui existent entre l’environnement, les écosystèmes et les agents étiologiques responsables de maladies dans les populations humaines, animales et végétales (HAV) est de ce fait un domaine de recherche en pleine émergence. Toute forme de gestion de milieu a pour conséquences, souhaitées ou non, d’être favorable à certaines espèces et défavorable ou neutres pour d’autres. Lorsque les espèces favorisées jouent un rôle prépondérant dans la réalisation du cycle de vie d’un pathogène, ce dernier se trouve directement avantagé par le mode de gestion. Il apparaît dans ce cadre nécessaire d’apporter des connaissances permettant la mise en place d’une gestion des écosystèmes favorable au maintien de la biodiversité tout en prenant en compte les risques de transmission de pathogènes aux populations HAV, et ce, dans le contexte des changements climatiques actuels. De telles recherches doivent être menées dans le cadre d’une collaboration étroite entre écologistes de la santé, biologistes de la conservation et les différents acteurs de la santé publique et vétérinaire. Par ailleurs, l’application des sciences de l’Ecologie et de l’Evolution aux problèmes de santé humaine va bien au-delà du contexte des maladies infectieuses et des écosystèmes, comme le montre l’essor actuel de la Médecine Evolutionniste. Passer de 7 milliards d’humains sur la planète à 9/10 milliards ou plus à la fin de ce XXIème siècle constitue le problème majeur de l’ensemble des sociétés et des politiques qui les dirigent. Quelles espèces et combien accompagneront l’Homme dans son nouvel écosystème? Ce qui est sûr, c’est que le monde des parasites (ou pathogènes) sera là ! Il l’a toujours été depuis l’aube de la vie sur notre planète. Pour exemple, les insectes étaient parasités par des virus voici plus de 300 millions d’années. Les parasites appartiennent, tout comme nous, au grand livre du vivant, et force est de constater qu’ils sont toujours présents. Sans se positionner dans un néodarwinisme rigide, il est indéniable que ce sont les meilleurs qui gagnent à un temps et dans un lieu donnés. Ainsi, la pathogénicité (ou virulence) est un phénotype qui confère un avantage dans un temps donné et dans un lieu donné (écosystème) à certains individus qui survivent et se reproduisent mieux que les autres. Néanmoins cette virulence a un revers, et heureusement pour nous, puisqu’un parasite qui élimine trop rapidement son hôte se suicide par voie de conséquence. La virulence est un trait phénotypique que l’on peut sélectionner, et donc contre-sélectionner. 95 35 prospective de l’institut ecologie et environnement du cnrs prospectives d’avignon Au cours de cet atelier, nous avons pu dégager trois grands axes qui nous semblent fondamentaux pour les prospectives de la discipline : 96 1) L’échelle des recherches doit se positionner sur les communautés de pathogènes qui vivent au sein d’une population, voire d’une espèce hôte ou d’une communauté d’hôtes. En effet, les agents infectieux comme les espèces hôtes sont organisés en assemblages communautaires dont il devient primordial d’analyser les niveaux de structuration. A l’échelle de l’hôte, cet ensemble définit les phénotypes responsables de la virulence, de la résistance et de la tolérance (VRT). Nous sommes dans des cas d’association de malfaiteurs qui coopèrent ou se combattent au sein d’un hôte. Des travaux théoriques et expérimentaux ont montré que les co-infections entre pathogènes peuvent conduire à une diminution ou à une augmentation de la virulence. Les notions de compétition et de coopération qui sont deux lois des sciences de l’écologie et de l’évolution devraient être bien plus exploitées dans les recherches futures. Tous les organismes qui vivent aux dépens de l’hôte n’ont pas le même rôle et donc le même impact sur les processus sélectifs sousjacents. Il devient de ce fait essentiel de différencier ce que nous appellerons les espèces pathogènes clés, directement impliquées dans les mécanismes de sélection des VRT. Nous pourrions résumer la situation ainsi : Qui est responsable de Quoi ? Un bon pathogène est-il un pathogène mort ? Les espèces hôtes ne peuvent, par ailleurs, vivre sans une communauté commensale, voire symbiotique, qui leur apporte les éléments indispensables au bon fonctionnement de leurs métabolismes. Pour exemple, le nombre de gènes constitutifs du génome humain se chiffre en 103, et celui de la communauté associée à 106. Quelles sont alors les interactions, conflits d’intérêt ou coopération entre communautés commensales et communautés pathogènes ? 2) Les changements environnementaux occasionnés par l’expansion démographique humaine, l’industrialisation et l’évolution climatique entraînent des modifications du mode de vie des organismes hôtes et pathogènes. Nous observons et observerons des processus de maladaptation suite à l’ensemble de ces perturbations. Quelles en sont les conséquences sanitaires ? Pour exemple, les pertes de la biodiversité hôte qui affecteront les écosystèmes auront des répercussions sur l’ensemble des pathogènes et commensaux qui circulent dans ces environnements dits modernes. Observerons-nous des transferts d’espèces de pathogènes sur de nouvelles espèces hôtes, ce qui caractérise l’émergence infectieuse? Où se produira-t-il une diminution des diversités de pathogènes et/ou de commensaux qui aura également des conséquences sur les dynamiques de transmission et d’évolution des pathogènes ? Quelles seront les nouvelles interactions phénotypes/génotypes ? L’urbanisation, les pollutions anthropiques et l’utilisation de plus en plus prépondérante de molécules médicamenteuses devront faire l’objet d’études particulières pour comprendre l’impact de ces processus sur les populations hôtes. En effet, sachons que nous sommes quelque part responsables des sélections de résistance, puisque l’utilisation systématique d’antibiotiques ou autres molécules de lutte anti-pathogènes dans les écosystèmes ne fait que favoriser ceux qui possèdent les caractéristiques de résistance. Mais nous devons soigner, et donc les utiliser. C’est une spirale dans laquelle l’issue positive est loin d’être évidente. 3) Il devient urgent de développer une interaction disciplinaire entre Ecologie/Evolution et Médecine humaine/vétérinaire. Un axe thématique Santé : Ecologie, Evolution (appelé aussi Médecine Evolutionniste) doit maintenant voir le jour et se développer. Ce nouvel axe devrait se définir à deux niveaux : Enseignement et Recherche. Il semble, en effet, fondamental d’introduire des enseignements en écologie et évolution dans la formation des médecins et des vétérinaires. De même, l’écologie et l’évolution pourraient être introduites dans les cursus d’infectiologie, et réciproquement, de manière à créer des synergies entre des communautés scientifiques qui historiquement se parlent peu. Dans cette perspective, il convient aussi d’explorer les conséquences sur notre santé du manque de correspondance entre l’environnement dans lequel nous vivons à l’heure actuelle et celui pour lequel nous avons été sélectionnés au cours de millions d’années. L’homme a modifié rapidement et radicalement son environnement, et s’est ainsi débarrassé des pressions sélectives qui ont façonné notre organisme (maladies, climats hostiles, grossesses fréquentes, durée de vie moyenne proche de la durée de l’aptitude à la reproduction). Parallèlement, il a créé de nouvelles pressions sélectives auxquelles nos génotypes ne sont pas forcément capables de répondre. La vitesse (à l’échelle de l’évolution) avec laquelle ce changement d’environnement a eu lieu a introduit une profonde discordance entre nos génotypes et les « conditions environnementales » dans lesquelles nous vivons. Ainsi, la prise en compte de mécanismes écologiques et évolutifs doit permettre de comprendre et de prédire des processus tels que : les maladies auto-immunes sont le reflet de l’évolution de la performance de notre système immunitaire qui devient moins sollicité dans certaines régions du globe. Des maladies comme la maladie de Crohn, par exemple, sont actuellement abordées par les praticiens hospitaliers sous un nouvel angle. En effet, la thérapie se base sur l’introduction de molé- cules provenant de pathogènes, comme les helminthes. Qu’en est-il pour d’autres aspects cliniques dus à ce type de dysfonctionnement ? De façon plus générale, la machine que constitue notre système immunitaire a été réglée par des millénaires d’évolution pour répondre de manière adaptée dans un environnement à fort taux de parasitisme. La diminution de la pression parasitaire du dernier siècle pourrait-elle être à l’origine du dérèglement du système immunitaire et expliquer ces nouvelles maladies ? Nous notons que l’augmentation de l’espérance de vie s’accompagne d’un accroissement de maladies comme les cancers. Existe-t-il des cortèges d’agents infectieux responsables de ou protecteurs contre le cancer? Quelle est la dynamique évolutive intrinsèque de la maladie? La médecine personnalisée ne pourra pas voir le jour, dans le domaine de l’infectiologie, sans la compréhension des processus dynamiques qui opèrent, au sein d’un hôte, sur les pathogènes. Dans le cas du VIH, il a été clairement montré que le système immunitaire de l’hôte et les thérapies effectuées agissent sur la sélection de virus 1) plus virulents pour échapper aux défenses hôtes et 2) plus résistants aux molécules médicamenteuses. De manière générale, les phylogénies intrahôtes des pathogènes ou des cellules cancéreuses deviennent des informations clefs pour comprendre les changements de virulence ou de résistance chez le pathogène ou la cellule cancéreuse, afin d’adapter les moyens thérapeutiques qui deviennent eux-mêmes évolutifs. C’est l’ensemble de ces axes qu’il devient important de développer dans les années futures. Comment les sciences de l’Ecologie et de l’Evolution peuvent/doivent-elles apporter des éléments essentiels d’information pour la santé humaine, animale et végétale en fonction des paramètres de l’écosystème dans lequel se développent les maladies? 97 prospectives d’avignon 98 & Homme, sociétés environnements introduction avignon Prospective Virginie Maris, Gilles Boetsch, Wolfgang Cramer Les travaux menés au sein de l’INEE sur les interactions entre les populations humaines et les milieux naturels relèvent de deux logiques interdépendantes : mieux comprendre les sociétés humaines et leurs rapports avec l’environnement d’une part ; développer une expertise et des outils susceptibles d’aider les individus et les sociétés à faire face à ce qui constitue aujourd’hui une véritable crise environnementale (érosion de la biodiversité, changements climatiques, pollution, etc.) d’autre part. Dans cette troisième partie de la prospective, ces deux dimensions d’une recherche à la fois fondamentale et appliquée sont considérées de front dans chacun des ateliers. Dans un premier temps, l’atelier « Evolution humaine biologique et culturelle » s’attache à identifier les grands enjeux de la recherche à venir au croisement de l’évolution humaine et de l’anthropologie biologique et culturelle. Il convient pour cela de considérer le temps long de l’évolution humaine, croisant les études paléontologiques avec les avancées récentes de la biochimie ou de la génétique d’une part, des sciences humaines et sociales d’autres part. Cet atelier montre l’intérêt qu’il peut y avoir à considérer les travaux sur les relations entre sociétés et environnements dans un cadre évolutionniste, ainsi que les implications pratiques qu’un tel cadrage peut offrir, notamment en termes d’applications médicales. La nécessité d’une approche diachronique est également mise en évidence dans l’atelier « Systèmes culturels, stratégies et pratiques d’exploitation, de contrôle et de gestion des environnements », qui interroge les relations complexes entre environnements et sociétés à travers le temps et l’espace, mettant en exergue l’influence réciproque entre les sociétés et l’environnement, les premières façonnant en partie celui-ci, et en retour le contexte et les changements environnementaux influençant les évolutions culturelles et sociales. A la confluence des différentes écoles de l’anthropologie, la mise en évidence et la modélisation des dimensions spatiales et temporelles du rapport entre sociétés et milieux représentent une voie fertile pour comprendre les enjeux environnementaux passés et présents, notamment en termes de dynamiques des pratiques et des usages liés à la biodiversité (migrations humaines, rapport aux ressources naturelles, histoire des techniques, régimes de représentations symboliques, etc.). Les nouvelles connaissances et les nouvelles technologies de marquage, de génomique et paléo-génomique, de morphologie géométrique invitent à développer une véritable interdisciplinarité entre sciences de la vie et sciences de la société afin de mieux comprendre le rapport des sociétés au temps et à l’espace. Une meilleure appréhension des représentations de la nature (ou du milieu, de l’espace, de l’environnement) par les différentes cultures est également souhaitable, afin de mettre en dialogue les transformations bio-physiques des milieux par les processus d’anthropisation et les transformations symboliques et culturelles qui les génèrent, les accompagnent, ou leur sont concomitantes (langues, modes de gouvernance, savoirs, etc.). 101 prospective de l’institut ecologie et environnement du cnrs L’atelier « Santé et société » insiste sur le développement d’une recherche devant porter sur les impacts environnementaux autour de la santé ; la première démarche est de mieux définir le concept d’écologie de la santé, en particulier dans les environnements contaminés (chimique, nucléaire…) ou dans le cadre d’une alimentation très industrialisée et mal maitrisée. Des thèmes comme la santé dans l’environnement de travail ou le vieillissement ouvrent des perspectives interdisciplinaires intéressantes avec des champs disciplinaires connexes à ceux de l’INEE. Pour le Sud, les travaux concernant les transitions démographiques, alimentaires et épidémiologiques, en particulier ceux mettant en avant des superpositions ou au contraire les décalages entre les transitions peuvent ouvrir de belles perspectives scientifiques. Les « services écosystémiques » sont les bénéfices que les êtres humains tirent du fonctionnement des écosystèmes, ce fonctionnement impactant par exemples la qualité de l’eau, de l’air ou du sol, la prévention des inondations et des sécheresses, la séquestration naturelle du carbone dans les forêts, les sols, les océans. Dans l’atelier « Services écosystémiques et représentations de la nature », deux démarches de recherche pour l’avenir ont été identifiées. D’une part, étant donné l’importance que prend l’approche par services dans la recherche comme dans la gouvernance, notamment à travers la création de nouveaux organes d’interface entre sciences et politiques comme l’IPBES, il est nécessaire de renforcer l’expertise française en termes d’évaluation de l’état des écosystèmes, de modélisation des dynamiques liées à la provision en services, d’économie environnementale et de scénarisation des évolutions à venir. Il est donc essentiel de renforcer la recherche en écologie intégrative pour mieux pouvoir contribuer à la construction d’expertise pour l’IPBES. D’autre part, la notion même de services écosystémiques, centrée sur les bénéfices que représente le fonctionnement des écosystèmes pour les êtres humains et les sociétés, est une notion de plus en plus vivement sujette à controverse, tant dans la qualification même de la notion de bénéfice que dans la réduction « instrumentaliste » inhérente à cette approche. Il est donc essentiel de développer une réflexion critique, empruntant tant à l’histoire, aux sciences économiques, à la philosophie morale et politique, à la sociologie, à la géographie politique ou encore à l’anthropologie. De tels travaux sont nécessaires à l’élaboration d’un cadre conceptuel riche qui permettra de faire évoluer ce nouveau paradigme susceptible d’avoir des impacts déterminants sur les représentations de la nature, la légitimité de la gouvernance environnementale, la justice entre individus, entre peuples et entre générations. Ces quatre ateliers illustrent parfaitement la façon dont les travaux menés à l’INEE sont des travaux d’interface entre l’étude des écosystèmes et l’étude des sociétés. Etant donné l’importance de l’influence des activités humaines sur les milieux naturels et la dépendance de ces sociétés vis-à-vis du fonctionnement des écosystèmes, il est plus que jamais indispensable de renforcer la dynamique d’interdisciplinarité déjà bien présente à l’INEE, afin de permettre qu’écologues, évolutionnistes, généticiens puissent intégrer dans leurs démarche de recherche des travaux issus des sciences humaines et sociales, comme l’anthropologie, la sociologie, la philosophie, la linguistique, l’histoire, la paléontologie, les sciences politiques, la géographie humaine, etc. Une autre dimension commune de ces ateliers est la nécessité d’adopter des cadres conceptuels larges et dynamiques, afin de comprendre, d’anticiper et éventuellement d’influencer les évolutions passées et à venir des relations entre sociétés et environnements à des échelles de temps et d’espaces variées. Enfin, le développement de nouveaux outils et de nouvelles capacités technologiques (marquage, séquençage, acquisition et stockage de grandes quantités de données, modélisation, etc.) invite à renouveler des travaux passés et à développer de nouveaux fronts de recherche sur les relations entre sociétés et environnements. 102 éVOLUTION HUMAINE BIOLOGIQUE ET CULTURELLE avignon Prospective Coordinateurs : Michel Raymond & Bruno Maureille Contributeurs : Jean-Philip Brugal, Enguerran Macia Mots clés : Hominoïdé, Hominidé, Homininé, Homme, Evolution, sélection naturelle, adaptation locale, Biologie, évolution culturelle, génétique, comportements, Paléo-anthropologie, Primate, Anthropologie biologique, Anthropologie du vivant, Taphonomie, Variabilité, Référenciel, Santé Introduction Bien qu’il existe une masse considérable de données sur les Hommes du passé et l’Homme actuel, sur leurs comportements, leurs productions culturelles, il reste de nombreux domaines où la connaissance reste très fragmentaire ou à acquérir à nouveau eut égard aux améliorations techniques, méthodologiques, analytiques que nous connaissons depuis, par exemple, la révolution du numérique ou le développement de la biochimie et de la génétique, complétés par les progrès dans les techniques de datation. Parmi les multiples raisons de cet état de connaissances partielles, signalons un découpage disciplinaire scientifiquement arbitraire (par exemple : Homme biologique = médecine, Homme culturel = Sciences hu- maines) associé à un certain cloisonnement institutionnel. Cela crée des difficultés réelles de voir exister au sein de mêmes structures de recherche des acteurs complémentaires mais ayant des itinéraires différents. Il ne suffit pas de vouloir l’interdisciplinarité pour l’avoir. Il faut aussi lui permettre d’exister et c’est grâce à cette dernière que l’on peut comprendre comment et pourquoi ce que l’Homme a été, est, et peut-être, comment il sera à même de mieux répondre - en tenant compte de sa propre histoire et du temps long qui caractérise son évolution - collectivement, culturellement, symboliquement, scientifiquement et écologiquement aux modifications environnementales que l’Humanité connaît à l’échelle de la planète. Réflexions, problématiques et enjeux L’Anthropologie biologique et culturelle est la Discipline qui a pour objet l’étude, dans le temps et dans l’espace, de la variabilité humaine actuelle et passé (depuis l’origine de la lignée) et des causes et des conséquences de ses interactions naturelles ou culturelles avec ses environnements sensu lato. L’Homme est un primate culturel et social. On ne peut envisager de l’étudier, de le comprendre si l’angle d’attaque se fait en ne privilégiant que l’une de ses caractéristiques… L’Anthropologie biologique et culturelle est donc de fait 1) diachronique car aucun de ses champs disciplinaires ne peut exister en coupant les racines qu’il partage avec les autres et 2) interdisciplinaire car ses sujets de recherche croisent ceux d’autres disciplines comme l’Ar- 103 prospective de l’institut ecologie et environnement du cnrs prospectives d’avignon chéologie, la Biochimie, l’Ecologie, l’Ethnologie, l’Ethologie, la Géographie, la Génétique, la Linguistique, la Médecine, la Paléontologie, la Primatologie, la Sociologie. Elle présente donc naturellement de très nombreuses interactions avec différents ateliers de la prospective INEE. Les approches anthropologiques ne peuvent se concevoir hors du cadre évolutionniste. Il est toujours nécessaire de replacer l’étude de l’homme dans son cadre environnemental. Sous ce terme nous désignons les facteurs physiques, chimiques, biologiques, géographiques et climatiques, ainsi que des facteurs sociaux. En effet, ces facteurs peuvent avoir un effet direct ou indirect, immédiat ou à terme, sur l’ensemble des êtres vivants et les activités sensu lato des groupes et sociétés humaines, dans un cadre chronologique précis (ici, l’échelle du Quaternaire, soit environ de -3 Millions d’années à l’Actuel). Les référentiels actualistes sont fondamentaux, comme par exemple l’étude des mammifères sociaux des carnivores aux Primates. Nous n’avons pas l’ambition ici d’être exhaustif. Les débats lors des journées de prospective d’Avignon ont démontré qu’il y avait en France au moins trois communautés de professionnels étudiant l’Homme, Primate social et culturel, qui ne se connaissaient pas assez bien, qui ne communiquaient pas dans les mêmes colloques, qui ne valorisaient pas leurs recherches dans les mêmes supports éditoriaux. Cela est d’autant plus dommage que les thèmes et champs de recherche que nous avons identifiés ci-dessous sont très riches en pistes de réflexions multiples. Ce texte est donc un compromis et tous les auteurs/contributeurs n’en cautionnent pas l’ensemble. Thèmes avec une large problématique Etude de l’Homme fossile (par exemple, Johanson et Blake, 1996) Devant toujours être replacé dans son contexte chronologique, paléo-environnemental et culturel dans le but d‘une reconstitution de son mode de vie et de ses comportements de subsistance, l‘homme fossile doit être étudié dans le cadre d‘une approche interdisciplinaire qui débute dès les terrains (qui doivent être redynamisés de la prospection à la production de la monographie). Sa relation à l‘environnement au cours du temps et la réponse qu‘il apporte suite à des conditions de stress et/ou changements climatiques, permet d‘approfondir nos connaissances concernant la variabilité anatomique humaine ; tant au cours de l‘évolution des homininés que sur les Homo sapiens fossiles. Les résultats pourront avoir des implications sur nos connaissances anatomiques de l‘homme actuel et avoir éventuellement des débouchés en ce qui concerne l‘ergonomie, la médecine, la diversité biologique… Dans le cadre des études comparatives en Paléoanthropologie, il est essentiel de travailler en fonction de référentiels. Pour les groupes fossiles appartenant au genre Homo, celui qui semble le plus pertinent peut être constitué par un échantillon – le plus représentatif possible en fonction des problématiques - basé sur la variabilité actuelle ou sub-contemporaine. Pour les groupes fossiles antérieurs au genre Homo, les collaborations avec les Primatologues sont incontournables. Dès lors des études paléoéthologiques peuvent aussi être envisagées avec la nécessite de réaliser des comparaisons analogiques avec les mammifères sociaux, les carnivores, les primates. Evolution culturelle (par exemple, Mesoudi, 2011) L’importance de la culture est la caractéristique de notre espèce. Les modalités dans la mise en place et l’évolution de celle-ci et ses interactions avec notre biologie restent mal comprises, malgré les impressions de chacun en tant qu’ac104 teur individuel. L’importance des stases culturelles (mais pas forcément comportementales), des innovations technologiques, l’origine et la diversification du langage, des systèmes symboliques (incluant les religions), sont des pans culturels majeurs qui restent des champs trop peu explorés, aussi bien dans leurs diversités actuelles que passées. L’évolution biologique n’est pas indépendante de l’évolution culturelle, les exemples d’interaction biologie-culture sont de plus en plus nombreux (exemple : caractéristiques de notre flore intestinale permettant la consommation de viande faisandée, cuisson des aliments ; tolérance au lactose ; ensemble des hypothèses sur les gènes ayant fait l‘objet d‘une sélection positive chez les Hommes modernes relativement aux dernières population d‘Homo sapiens archaïque), mais étant donné l’habitude de considérer nature et culture indépendamment, les avancées sont potentiellement considérables dans ce domaine. Conjointement, la relation biologie-fonction est certainement bien plus complexe qu‘actuellement envisagée et l‘étude sur le long terme au sein de notre espèce des relations entre variation biologique et culturelle apporteront des éclairages nouveaux sur ces questions. Enfin, il y a des recherches à mener sur les conditions et les déterminants de l’innovation et de la différenciation culturelle. Evolution des sociétés complexes (par exemple Carneiro, 1970) La plupart des sociétés humaines sont organisées de façon complexe, avec des castes, des classes sociales ou des groupes socialement marqués. Cette distinction sociale n’est pas indépendante des règles de répartition des ressources, des stratégies et des règles d‘union. Les conditions écologiques (même si la plupart des première grandes civilisations sont des sociétés où l‘eau et son contrôle semblent avoir joué des rôles prépondérants), démographiques ou autres, de l’apparition de ces sociétés com- plexes sont trop peu connues. De nombreuses règles culturelles ont évolué et évoluent dans ce type de société (comme les modalités de transmission des biens d’une génération à l’autre). Cela n‘a pas été et n’est pas indépendant d’une reproduction différentielle entre les individus et les classes, ainsi que des flux de gènes «interclasses». C’est là un vaste champ où anthropologie, archéologie, génétique des populations et biologie évolutive pourraient apporter un éclairage novateur. Variabilité biologique humaine (par exemple Guihard-Costa et al., 2007) Cette thématique de recherche doit être totalement réinvestie dans pratiquement tous les champs de l’Anthropologie biologique du vivant. Elle concerne aussi bien l’étude des causes environnementales (avec la prise en considération de l’histoire du peuplement ancien) que les grandes thématiques qui font l’objet de recherches ayant un fort impact sociétal comme par exemple la variabilité interindividuelle (le développement d’une approche globale et intégrative de la morphogenèse), la variabilité interpopulationnelle, la diversité et les modifications culturelles des pratiques alimentaires, l’auxologie (la croissance, le vieillissement qui est un phénomène nouveau dans l’histoire de l’Humanité en touchant de plus en plus de populations humaines), la démographie, les migrations, la génétique (l’étude des causes et des conséquences de la variabilité génétique humaine actuelle connaît un développement scientifique extraordinaire mais pas forcément en France), etc. Bien des connaissances qui seront ainsi acquises auront également des retombées appliquées par exemple en Médecine, en Médecine légale et impliquent de larges champs disciplinaires complémentaires comme la Sociologie, la Psychologie ou l’Ethnologie. Génétique et comportements (par exemple Jobling et al. 2004) L‘approche évolutionniste permet d‘expliquer des fonctionnements cognitifs, des comportements ou des traits culturels qui sont ou ont été sélectionnés pour l‘avantage qu‘ils procuraient. Elle permet aussi d‘identifier des molécules qui agissent sur les comportements, tels que des hormones, des neurotransmetteurs ou leurs récepteurs. La composition, la structure et la quantité de ces molécules est déterminée par des gènes, et donc varie en fonction des nombreuses possibilités alléliques. Les liens entre les variations des fréquences des différents 105 prospectives d’avignon allèles et les différences comportementales entre les populations humaines, mais aussi entre les individus dans une même société, en fonction de l‘environnement social par exemple doivent aussi faire l‘objet de recherche. L‘étude des traits cognitifs et culturels préalablement mis en relations avec certaines fréquences alléliques de gènes peut conduire à des avancées considérables, non seulement en génétique, en neurologie et en endocrinologie, mais aussi en psychologie, en sociologie, etc. Par ailleurs, les récents progrès en paléogénétique sont déterminants pour mieux comprendre les relations entre populations humaines du passé, à l‘échelle des différentes espèces mais aussi peut-être prochainement pour les migrations anciennes de notre espèce. Ces données devront être confrontées aux informations biologiques, pour être appréciées et totalement interprétées dans un cadre évolutif large et maîtrisé. De plus, elles offrent la possibilité d‘étudier l‘histoire des gènes, leur origine, leur apparition et leur évolution, pour ainsi mieux comprendre les modalités de leur expression. Coopération et Ethologie humaine (par exemple Candau, 2012) La coopération entre les individus d’une même famille est bien comprise au travers du principe de la sélection de parentèle. Par contre, la coopération à grande échelle, entre individus nonapparentés, comme on peut l’observer dans les sociétés humaines, reste profondément incomprise, car elle ne peut s’expliquer par les processus classiques de réciprocité. L’importance de la sélection de groupe ou de la sélection sociale reste une question ouverte, aucun consensus n’existant actuellement. Un renouveau interdisciplinaire (éthologie, primatologie, paléoanthropologie et préhistoire, économie, biologie) est certainement un pré-requis pour aborder cette question très débattue mais qui piétine. Plus généralement, les contextes, moteurs individuels et collectifs de la différenciation sociale et de la structuration politique, sont à aborder avec le même esprit, dans le cadre général d’une véritable éthologie humaine. Thèmes plus ciblés Médecine évolutionniste (par exemple Nesse & Williams, 1996) La médecine actuelle considère notre corps comme imparfait (vieillissement, fragilité aux pathogènes, etc.), alors que ce qui peut être considéré comme des «imperfections» sont le résultat de compromis évolutifs. Comprendre les sélections impliquées, les mécanismes mêmes qui ont façonné ces traits et les compromis en jeux, permet sans doute de mieux pouvoir agir sur certains traits (dont la longévité, ce qui est un des buts de la médecine actuelle). Une interaction forte entre biologie évolutionniste et médecine (ainsi que paléoanthropologie) pourrait apporter un renouveau dans de nombreuses facettes de la médecine, en particulier sur le cancer, la sénescence, l’allergie, la grossesse et l’accouchement, l’alimentation, la croissance, le développement psychomoteur ou encore sur les maladies mentales et les maladies infectieuses. Paradoxes darwiniens (par exemple Berman, 2003) Il y a de nombreux traits chez l‘Homme qui sont considérés comme des paradoxes, car ils sont héritables, associés à une plus faible fertilité et/ou longévité, et sont pourtant relativement fréquents. On peut citer : la ménopause (bien qu’il existe plusieurs hypothèses évolutives (dont l’effet grand-mère), elles possèdent toutes 106 des faiblesses et à l’heure actuelle, il n’existe pas de consensus au sein des spécialistes permettant de comprendre la ménopause dans un cadre évolutionniste) ; l’existence d’une préférence homosexuelle masculine (trait dont on ne connaît aucun facteur post-natal pouvant l’influencer, associé à une baisse du nombre de descendant, héritable, et en fréquence variable suivant les sociétés humaines) commence a être étudiée (par exemple avec l’hypothèse d’effets pléiotropiques et antagonistes suivant le sexe), mais il existe des hypothèses alternatives et aucune n’explique l’absence de ce trait dans les populations naturelles animales (où il existe des comportements homosexuels, mais pas de préférences homosexuelles); certaines maladies mentales (syndrome autistique, schizophrénie), etc. La réduction du nombre moyen d’enfants par femme, au cours de la transition démographique, reste également largement incomprise. Il y a là un défi scientifique qu’il semble indispensable de relever, car tous ces traits ont des implications démographiques, médicales ou sociétales. Différences hommes-femmes (par exemple Geary, 2003) C’est un domaine extrêmement controversé, débattu, du fait d’une interférence avec l’idéologie de la théorie du genre. La question est d’importance, car du fait de la volonté sociétale de construire une égalité homme-femme au niveau social et politique, est-il nécessaire de prendre en compte des différences biologiques incontournables (incluant des aspects cognitifs et psycho- logiques), si elles existent ? Sinon seule l’éducation serait responsable in fine des différences observées. Les différences mâles-femelles étant un sujet classique de la biologie évolutive, en particulier au travers de la sélection sexuelle, une approche (véritablement) interdisciplinaire pourrait amener un éclairage attendu et aux fortes implications politiques et sociales. Les outils L‘étude de l‘Homme ou de ses productions cognitives, culturelles, symboliques ne peut se faire sans des données de qualités. Il nous semble particulièrement important que l‘on puisse développer dans le futur des problématiques, des outils qui nous permettront de travailler sur des données de qualité et reconnues comme telles par tous (ou de façon largement consensuelle). Pour les périodes du passée, la compréhension de l‘histoire taphonomique de ce qui sert d‘objets, de collection d‘étude nous semble devenue une priorité, une urgence. Il en est de même avec l‘anatomie comparée, la biomécanique, le développement de nouveaux outils d’étude morphométrique de grands échantillons. Pour les périodes récentes, c‘est la constitution (et leur réalité, leur qualité) des cohortes analysées en fonction des problématiques qui doit faire l‘objet de toutes les attentions. Alors, la communauté scientifique pourra bénéficier de bases de données, certes qui devront évoluer, mais qui seront reconnues et qui pourront être largement mutualisées. Une autre urgence concerne la constitution, la gestion, la sauvegarde et la diffusion des bases de données en anthropologie au sens large. Les données devraient pouvoir bénéficier au plus grand nombre et le plus rapidement possible. Ce n‘est actuellement pas le cas. Leur traitement statistique, leur modélisation de qualité fait également souvent défaut et il est nécessaire que cette étape de l’exploitation des résultats soit intégrée en amont de tout projet générant beaucoup de données. Enfin, il faut également que la structuration des organismes de recherches permette de répondre aux opportunités. L‘étude de l‘évolution biologique et culturelle de l‘Homme se fait sur le terrain, des terrains que ce soit pour le passé ou le présent, pour lesquels souvent des opportunités se présentent. Les acteurs de la recherche doivent pouvoir y répondre positivement et rapidement… 107 prospective de l’institut ecologie et environnement du cnrs prospectives d’avignon Les équipements Une vraie réflexion doit être menée sur les équipements lourds, mi-lourds, les plateformes techniques (par exemple que ce soit en géochronologie ou en imagerie médicale, en génétique ou paléogénomique, en biostatistique, etc), la gestion et la sauvegarde sur le long terme des données. Bien souvent, les améliorations techniques des équipements se fait très rapidement (à une échelle internationale) et bien plus que les capacités qu‘ont les laboratoires français pour entretenir leurs équipements, former des étudiants futurs chercheurs, ingénieurs ou techniciens qui pourront les faire fonctionner. Il est donc très important pour notre communauté nationale de réfléchir à une meilleure ou plutôt une vraie mutualisation de tels équipements. Naturellement, il est dans un premier temps pertinent de former des réseaux, de fédérer des structures permettant à la communauté nationale afin de bénéficier d‘équipements modernes et de personnels formés et compétents. Il faut également développer les collaborations interlaboratoires (biologie / informatique, biologie / mathématique) comme cela se fait dans diverses Universités anglophones, redonner aux chercheurs une envie de curiosité dépassant le champ du cœur de leur propre discipline. Enfin, il nous semble également que le besoin en unités propres ou mixtes de service - débarrassés d’une évaluation par le biais d’une production écrite car malheureusement toujours corrélée à une compétition inter-équipe qui ne favorise pas une activité de service égalitaire à une échelle nationale – est une troisième voies, peut-être plus en adéquation avec l‘augmentation de nos ressources via des appels d‘offre). Conclusions Les différents thèmes ci-dessus ne sont pas indépendants. Au contraire, ils présentent de nombreuses connections. Par exemple, les adaptations locales sont au centre de la médecine évolutionniste, certains paradoxes darwiniens semblent liés au degré de stratification sociale, etc. Alors que l‘on pensait que nos connaissances sur la variabilité biologique humaine étaient acquises, de nouvelles pistes de recherche doivent être explorées afin de mieux comprendre cette dernière et les causes et conséquences des interactions entre l‘Homme et ses milieux (en ne négligeant pas la chronologie). Avec les nouveaux outils de la génomique, de la physiologie, de l‘imagerie, etc il est très important de reprendre des recherches sur cette variabilité qu‘elle soit physiologique, morphologique, psychologique, cognitive, démographique, etc des populations actuelles et aussi du passé et de comprendre comment les comportements, les pratiques, les sociétés ont influencé ces variabilités (de la conception à la mort des individus). Les terrains, le recueil de données sont des fondamentaux qui nécessitent des activités de long terme et des collectes pluridisciplinaires, 108 permettant l’obtention de résultats de qualités. Ils autorisent alors des modélisations, des théorisations, où l’interdisciplinarité de l’étude de l’homme n’est pas décontextualisée de ses environnements. Tout au long de l’évolution humaine, l’Homme a construit des niches (sensu écologiques), et a souvent modifié les milieux à son propre avantage. Cela s’est accompagné d’une modification de ses traits biologiques et culturels, de sa démographie et donc de son histoire du peuplement. Certains domaines à forts impacts sociétaux, comme la médecine, la théorie du genre, pourraient mieux intégrer les concepts et les connaissances de la biologie évolutionniste. L’intégration de l’approche culturelle et biologique, dans le cadre d’une dimension évolutionniste, permet en effet d’aborder les aspects les moins bien compris des comportements humains, par exemple de l’existence de paradoxes darwiniens (traits apparemment délétères, héritables et fréquents), jusqu’à l’apparition et l’évolution des sociétés complexes. De telles démarches nécessitent un croisement constant de compétences s’exprimant dans un véritable interdisciplinarité entre différents instituts dans le but de la mise en place de banques de données communes et fiables permettant à la fois d’harmoniser les registres analytiques et autorisant in fine une bonne compréhension de la variabilité et des mécanismes sous-jacents. Ces approches forment un gage d’interprétations scientifiques de qualité avec toutes les implications, notamment sociétales, qu’elles peuvent engendrer. Ainsi, il semble possible de concevoir une for- mation différente dans laquelle le partage des concepts, outils et méthodes de l’INEE, (qui s’expriment de l’INSB à l’INSHS), sera effectif et permettra une nouvelle interdisciplinarité. Cela œuvrerait à la naissance d’une véritable anthropologie bio-culturelle et conduirait de fait à un décloisonnement institutionnel qui permettrait de lui donner une dimension nouvelle répondant à des besoins sociétaux, et ainsi de lui donner la place qu’elle devrait avoir dans les connaissances de base, partagées par tous les citoyens. Remerciements Nous tenons à remercier tous les participants à l’atelier Evolution humaine, biologique et culturelle du colloque prospective INEE d’Avignon et plus particulièrement ceux qui l’ont activement animé : J.-Ch. Auffray, J.-J. Bahain, P. Bentoza, S. Blanc, J.-P. Bocquet-Appel, G. Boëtsch, J.-Ph . Brugal, E. Danchin, Ch. Falguères, C. Garcia, P. Gibert, D. Grimaud-Hervé, F. Guy, E. Heyer, M. Hossaert, M. Lebailly, E. Macia, Fr. Marchal, P. Sourrouille, B. Thierry. 109 Références • Berman, L. A. 2003. The puzzle. Exploring the evolutionary puzzle of male homosexuality. Godot, Wilmette, 583 pp. • Carneiro, R. L. (1970). A theory of the origin of the state. Science,169, 733-738. • Candau J., 2012. Pourquoi coopérer ? Terrain, 58, 4-25. • Geary, D.C. 2003. Hommes, femmes. L’évolution des différences sexuelles humaines. De Boeck, Bruxelles, 481 pp. • Guihard-Costa A.-M., Boëtsch G., Froment A., Guerci A., Robert-Lamblin J., 2007. L’homme et sa diversité. Perspectives et enjeux de l’anthropologie biologique, Paris, CNRS Editions, 171 p. • Jobling, M. A., Hurles, M. E., & Tyler-Smith, C. (2004). Human evolutionary genetics: Origins, peoples & disease. In.Pp. 522. Garland Science, New Delhi. • Johanson D., Blake Edgar, 1996. From Lucy to Language. New York, Simon & Schuster, 272 p. • Leroi-Gourhan A., 1964. Le geste et la parole. 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New York: Vintage books. 110 SYSTèMES CULTURELS, STRATéGIES ET PRATIQUES D’EXPLOITATION, DE CONTRôLE ET DE GESTION DES ENVIRONNEMENTS avignon Prospective Coordinateurs : Didier Binder & Yildiz Thomas Contributeurs: Sylvie Beyries, Jean-Pierre Bracco, Cécile Callou, Thomas Cucchi, Claire Delhon, Elise Demeulenaere, Catherine Dupont, Francesco d’Errico, Eric de Garine, Catherine Kuzucuoglu, Mathieu Langlais, Claire Manen, Martine Regert, Bruno Maureille et Jean-Denis Vigne Mots clés : Sociétés – Environnements – Systèmes techniques – Systèmes de mobilité – Systèmes de représentation – Peuplements – Pratiques, usages, symboles et transferts – Géo-ressources et bio-ressources – Territoires et réseaux – Adaptation / non-adaptation et résilience Résumé Plusieurs directions de recherche, avec des développements sans doute inégaux, ont été identifiées lors des prospectives d’Avignon avec l’ambition de contribuer à l’émergence de nouvelles questions, méthodes ou applications dans les champs croisés des sciences de l’Homme, de la société et de l’environnement. La principale orientation émergente concerne les possibilités de caractériser les formes sociales en termes de complexité, de variabilité et de dynamique, depuis la Préhistoire jusqu’à certains contextes préindustriels et actuels, à partir d’études croisées des empreintes spatiales et environnementales, ces dernières étant définies par des marqueurs bio-géo-chimiques, techniques ou symboliques. Dans cette perspective, les actions à conduire consisteraient notamment à tracer et géo-localiser les bio et géo-ressources afin de mieux caractériser les systèmes techniques et les modes de subsistance, les systèmes de mobilité et, lorsque cela est possible, les connaissances et les systèmes de représentation qui en constituent les fondements. Les études dédiées aux interactions hommesenvironnements actuelles permettent en outre d’approfondir notre appréhension des interactions entre systèmes de représentations et pratiques s’inscrivant dans la continuité des héritages de paysages et d’autres objets issus des interactions bio-culturelles sur le temps long. L’atelier a donc souligné l’importance cruciale des thématiques portant sur la diversité des espaces et leurs variabilités spatio-temporelles, ainsi que celles qui portent sur les héritages et les transformations (e.g. paysages, géo-systèmes, agrosystèmes), les seuils (e.g. processus, dynamiques de relais) ou les résiliences… Sur le plan opérationnel il conviendrait notamment : • d’articuler les régimes de preuve propres aux différents champs disciplinaires sollicités (e.g. mieux définir les conditions d’usage des chronomètres et d’intégration des proxys à différentes échelles; maîtriser les processus taphonomiques ; établir les relations entre savoirs, systèmes de représentations et pratiques…) ; • de développer les approches expérimentales (e.g. liaisons possibles entre systèmes anciens et systèmes récents et validité des comparaisons ; analyses régressives ; diversification des proxys…) • de construire et de partager des systèmes de bases de données robustes et certifiées, préalablement à toute modélisation avec un effort de réflexion, conceptuel et méthodologique, sur la mise en place de BDD associant données qualitatives et quantitatives. • de travailler à caractériser les limites de la comparaison des sociétés passées et actuelles. 111 prospective de l’institut ecologie et environnement du cnrs prospectives d’avignon • de promouvoir une interdisciplinarité active, par la pratique de recherches coopératives dans des observatoires, zones, sites d’étude ou ateliers adaptés à la résolution de problématiques culturelles et environnementales partagées. Argument Les prospectives de Rennes ont réaffirmé la place cruciale des Sciences de l’Homme et de la Société dans l’élaboration des objets de recherche, concepts et méthodes des Sciences de l’Environnement. Ce constat s’est traduit par l’affichage d’une thématique spécifique « Hommes et Milieux » à l’interface des SHS et des sciences de la nature (incluant comme il se doit la chimie et la physique) qui constitue avec l’Ecologie et l’Evolution un des piliers de l’INEE. Peut-on se départir de la dichotomie entre le passé et l’actuel pour interroger ces interactions complexes à différentes échelles de temps ? Les vastes corpus de données sur les sociétés actuelles et leurs environnements peuventils être mis en regard des données issues du passé lointain ? Comment mieux solliciter les recherches historiques et archéologiques afin d’établir des passerelles avec un présent en transformation ? S’il est inutile de rappeler ici que l’ensemble du globe a connu une anthropisation plus ou moins intense et ancienne, il importe en revanche de souligner que celle-ci résulte tout autant de processus culturels et sociaux s’exprimant à différentes échelles temporelles et spatiales que de la nature et des rythmes d’adaptation des sociétés à des environnements parfois changeants (e.g. épisodes de changement climatique). Ainsi les cultures humaines produisent de l’environnement depuis le Plio-pléistocène en « anthropisant » ou en « artificialisant » les milieux et les milieux ainsi transformés contribuent à produire de la société. Les concepts d’anthropo-écosystème et d’artificialisation, sans doute applicables à partir de l’Holocène, sont-ils pertinents pour les périodes plus anciennes et avec quelle acception ? L’intensité, la continuité temporelle, la réversibilité et l’échelle spatiale de ces transformations du milieu constituent des objets d’étude indissociables de celle des systèmes techniques et symboliques et de leurs interactions, des institutions et des conduites individuelles qui produisent de la culture matérielle. Ces systèmes culturels et leurs effets sont d’une complexité considérable : ils ne répondent pas à des lois universelles en ce qu’ils produisent de manière indémêlable du signe et du fonctionnement (GODELIER 1984, POLANYI 1977). Les disciplines de l’actuel (ethnologie, géographie, linguistique …) font cas d’une pluralité de stratégies et de transformations en cours. L’étude des capacités des sociétés à faire face aux changements représente un enjeu fondamental de notre compréhension des interactions hommes-milieu et de nos propres capacités à gérer les défis environnementaux présents et futurs. 112 L’approche sur le temps long est souvent perçue comme un creuset de la recherche interdisciplinaire à l’INEE, au même titre que les approches synchroniques en sciences humaines et sociales ou en écologie globale. Comment gérer, dans ce contexte, les changements d’échelle documentaire et analytique entre passé et présent ? Comment éviter que les démarches actualistes et expérimentales des archéologues et paléo-environnementalistes ne soient perçues par les ethnologues, anthropologues et géographes uniquement comme une instrumentalisation de l’actuel ? Symétriquement, comment éviter que l’apport des fragments de connaissance relatifs au passé ne soit mesuré qu’à l’aune des politiques publiques à visées utilitaristes ou de remédiation ? Comment anthropologues, ethnologues et géographes peuvent-ils établir des passerelles avec des disciplines travaillant sur le temps long tout en contribuant à la compréhension d’objets en transformation ? La caractérisation de patrons des formes sociales et culturelles du passé, tout comme celles des sociétés « traditionnelles », s’accommode assez mal aujourd’hui des catégorisations héritées du XIXème siècle (e.g. Paléolithique vs. Néolithique, nomades vs. sédentaires, cultures archéologiques, ethnies…). Ces catégories sont avant tout des conventions d’étiquetage, répondant à des terminologies d’attente, et leur déconstruction constitue un fort enjeu actuel de la recherche archéologique et ethnologique. L’analyse du rapport des sociétés à l’espace et au temps constitue une des voies possibles de déconstruction, et sans doute une des plus heuristiques en regard de ses capacités d’intégration interdisciplinaire. En effet, une entrée spatialisée dans une dynamique temporelle permet une approche multi-scalaire qui mobilise l’ensemble des connaissances sur les individus et les populations, les milieux, les dynamiques écologiques et les ressources, les représentations, les pratiques et les usages. Sur le plan théorique, la confrontation des concepts de l’anthropologie culturelle de l’école française (MAUSS 1923), de l’anthropologie de la nature (DESCOLA 2006) à ceux de l’anthropologie anglo-saxonne (BINFORD 1983, KELLY 1995, KREBS & DAVIES 1981), ou de recherches plus récentes de la Résilience Alliance qui interroge les dynamiques des systèmes socio-écologiques (BERKES & FOLKE 1994) s’avère extrêmement riche dans cette perspective. De l’échelle locale (habitat = oikos) à l’échelle globale (aire culturelle / économie-monde = koinè / oikouménè), cette question du rapport à l’espace et au temps subsume plusieurs problématiques cruciales dans le champ des interactions homme / milieu : mouvements migratoires et pressions démographiques, territorialité et fonctionnement des habitats, territoires et écoumènes, territorialisation, échanges et transferts à différentes échelles, utilisation, usage et appropriation de la biodiversité… Comment s’articulent ces différents processus, dont la compréhension dépend de disciplines et de champs épistémologiques différents ? Peuton modéliser ces dynamiques complexes ? Dynamiques et traçabilité des ressources, des pratiques et des usages De la Préhistoire aux Temps modernes, les Hommes ont recherché, dans le milieu, des ressources biologiques et géologiques différenciées en termes de distribution et d’accessibilité dans le temps et dans l’espace (prévisibles vs. aléatoires ; fixes vs. mobiles) et en ont parfois régi l’accès. Ils ont côtoyé, utilisé, transformé, nommé, classé selon différentes logiques d’ordonnancement du réel des milliers de géo-matériaux (roches, minéraux, fluides…) et de biomatériaux (végétaux et animaux, sauvages ou domestiques) impliqués dans un très grand nombre d’activités relevant tout autant de l’idéel que du matériel, et responsables de certaines transformations du milieu physique et de la biosphère à différentes échelles (ATRAN & MEDIN 2008). Ces activités, qui désignent l’humain depuis les origines, mettent en jeu des techniques organisées en méthodes, et des schémas d’intentions, du plus élémentaire au plus complexe, prenant la forme de chaînes opératoires diversifiées d’acquisition, de production et d’usage. Ces concepts et pratiques, enchâssés / encastrés dans la sphère symbolique et dans le tissu social, fondent le système technique, effecteur des relations hommes-milieux, et dont la caractérisation, qui inclut de fait une dimension cognitive, constitue un axe majeur pour caractériser les « cultures » ou les segments de sociétés et pour décrire les fonctionnements des anthropoécosystèmes. Le fonctionnement du système et le déroulement des chaînes opératoires sont segmentés dans le temps et généralement aussi dans l’espace. Les « cultures matérielles » perçues en un espace et un temps donnés apparaissent ainsi davantage comme des agrégats ou assemblages résultant de phénomènes polythétiques, superposant différents aspects de territorialisation. L’étude de cette segmentation / disjonction donne accès à la territorialité (échelle de l’habitat - oikos) et à la mobilité des groupes, et de fait à certains aspects des liens sociaux (répartition et transmission des savoir-faire, spécialisation artisanale, transferts de connaissances, échanges de biens). Cette approche contribue ainsi à la caractérisation des formes sociales et environnementales et à celle des interactions entre écoumènes / économies-monde. 113 prospectives d’avignon Déjà très ancrée au sein des unités de l’INEE et de l’INSHS dont les recherches concernent le passé, cette posture doit encore être confortée par le développement des référentiels et des méthodes de traçage des ressources, des techniques et des usages en croisant bio- et géochimie, écologie, sciences des matériaux et des procédés… Les études intégrées articulant les différents segments des processus sont encore trop rares en effet. L’étude, sous le même angle, des sociétés « traditionnelles » actuelles (e.g. peuples de chasseurs-cueilleurs, sociétés rurales préindustrielles) - dont on peut considérer qu’elle est très insuffisamment développée en regard des urgences patrimoniales liées à la globalisation - doit également permettre d’améliorer notre compréhension de la grande complexité des systèmes culturels, des transformations auxquelles elles font face (superposition des territoires coutumiers avec d’autres formes de territorialisation, menaces sur l’agro-biodiversité traditionnelle par les lobbies industriels et l’introduction d’espèces invasives, effondrement des systèmes symboliques …) et des manifestations matérielles de ces systèmes et de leurs transformations. Depuis plusieurs années des perspectives intéressantes se dessinent au niveau du traçage des individus, humains, animaux et végétaux, dont les tissus biologiques, à l’instar des espèces minérales, sont susceptibles d’enregistrer des signaux élémentaires, isotopiques ou moléculaires qui peuvent être considérés comme autant de marqueurs environnementaux et culturels fixés au cours du temps, à la faveur des changements de milieux physiques et/ou encore à la faveur de changements de pratiques sociales. Les acquis récents concernant la diète humaine, le nourrissage des animaux domestiques, les migrations des troupeaux sauvages, les migrations humaines, la remue et la transhumance du bétail, mettent bien en relief l’importance de ce champ de recherche pour la caractérisation des systèmes de mobilité à partir de l’étude des individus mobiles eux-mêmes en complément des données issues des modes d’exploitation des ressources fixes. Toutefois d’importants progrès sont néces114 saires en matière d’interprétation des réseaux trophiques, de maîtrise de la variabilité des marqueurs à l’échelle locale ou régionale ou de différenciation des processus d’enregistrement et de conservation des signatures biogéochimiques dans les tissus tout au long de la vie (e.g. remodelage osseux). Ces évolutions appellent des collaborations renouvelées entre bio- et géochimistes, éthologues et biologistes, anthropologues et bioarchéologues. Elles nécessiteront le recours à l’expérimentation dans des conditions conformes à l’éthique et sur des temps longs, contraints par la durée des phénomènes étudiés. Ce domaine de recherche requiert des projets de longue haleine (au-delà de la durée de la recherche sur contrat), et des observatoires spécifiques, qui peuvent être couplés ou non avec ceux déjà mis en place pour l’écologie. Ces recherches ont également vocation à alimenter les problématiques dans les champs croisés de la Santé et de l’Environnement. Par ailleurs, il y a grand intérêt à trouver des méthodes de pondération / quantification de la disponibilité des ressources, et notamment de la biomasse, afin de mieux appréhender les mécanismes des choix anthropiques et d’en inférer des hypothèses d’ordre paléo-démographique (Cf. Modèle écologique, RAMADE 2009). La génétique des populations actuelles et la paléo-génétique et plus récemment la génomique et la paléo-génomique, de plus en plus souvent couplées à des approches toujours plus performantes de morphométrie géométrique, ont permis de réaliser des progrès spectaculaires sur la connaissance des peuplements humains et des liens sociaux, des processus de spéciation et de domestication des plantes et des animaux ou encore des épidémies et épizooties. Ils ont fait l’objet d’ateliers spécifiques (génomique, domestication) lors des prospectives d’Avignon, aussi nous nous bornons ici à souligner l’importance de ces champs disciplinaires dans le cadre de l’analyse du rapport des sociétés à l’espace et renvoyons aux textes qui les concernent (Cf. supra p.69 et sq, p.103 et sq.; infra p.153 et sq.). Il conviendrait d’en discuter les propositions en lien avec les thématiques du présent atelier (e.g. corrélations entre haplogroupes, lignages et systèmes culturels, systèmes de parenté et territorialisation, etc.). Représentations et évolutions des anthropo-écosystèmes Les milieux naturels imposent des conditions climatiques, physiques et biotiques qui sont autant de contraintes et d’atouts avec lesquels les hommes ont dû s’accommoder pour construire des espaces, non seulement viables, mais au sein desquels puissent également s’exprimer les aspirations des sociétés à produire des conditions matérielles, sociales, culturelles, religieuses ou politiques propices. Les exemples des aménagements physiques de ces espaces sont nombreux : cultures en terrasses d’Asie, de Méditerranée, d’Amérique latine, cultures sur buttes d’Océanie, d’Amazonie, irrigation et gestion sociale de l’eau (systèmes oasiens, polders, marais salants…), etc. Ces systèmes intègrent les habitats, à la fois résidences, lieux de ressources, de production et de pouvoir (oikos), incluant les lieux de culte et les ensembles funéraires, et leur distribution dans l’espace ; ils prennent la forme de paysages culturels, formes de nature socialisées, pensées et reproductibles, interprétées, mythifiées. Ces constructions humaines ont également mis à profit l’hétérogénéité des milieux par la création de mosaïques reposant sur des mises en valeur différenciées sur les plans spatial et temporel. L’étude de ces mosaïques et des ressources biologiques qui leurs sont associées représente un exemple intéressant pour distinguer les transformations du milieu qui relèvent d’un dispositif technique et d’un projet explicite des acteurs, de ce qui est le fruit d’une anthropisation bien réelle, mais fortuite. Ainsi les systèmes agro-sylvo-pastoraux méditerranéens ou l’élevage des grands troupeaux dans les régions froides (Himalaya, Sibérie,…) sont des formes d’adaptation qui ont supposé une continuité des interactions sur la longue durée entre les sociétés et leur environnement. Les paysages actuels sont le fruit du fonctionnement des sociétés dans leurs contextes environnementaux ; leur étude peut donner lieu à des approches de modélisation régressive ou prospective. Cette continuité est en outre nourrie des systèmes de représentation illustrant / explicitant les schémas de pensée qui permettent la reproduction des systèmes culturels eux-mêmes (langues, textes, images…). Ainsi l’adaptation ne se mesure pas seulement à l’aune des changements techniques mais également à celle des systèmes symboliques qui situent / fondent / représentent une société dans un environnement donné (RICHERSON & BOYD 2005). Le traitement des données couvrant le champ des savoirs et savoir-faire, les modes d’apprentissage et le transfert des connaissances, la dialectique entre savoirs et pratiques, sont au cœur des interactions homme-milieu, y compris dans une dimension purement évolutive. Parmi les questions importantes qu’il conviendrait d’approfondir : • Quelles sont les modalités de la transmission des savoirs (pas toujours verbalisés) sur les phénomènes biologiques ? • En quoi la compréhension des modalités de la transmission de ces savoirs peut-elle nous permettre de mieux comprendre les transformations des systèmes de connaissance ? Des études articulant anthropologie et linguistique restent essentielles pour appréhender les liens signifiants entre discours, pratiques et usages. L’étymologie, l’étude des champs lexicaux, des catégories sémantiques et de leur distribution à une échelle régionale sont nécessaires pour apporter un éclairage important sur les transferts de savoirs, de ressources et d’usage entre différentes sphères d’échange. L’évolution des sociétés est souvent rythmée par des périodes de rupture et de crise liées à des changements environnementaux, sociaux et/ou politiques à différentes échelles et par des réactions sociales et politiques à différentes échelles ayant un fort impact sur la façon de penser, représenter, exploiter, gérer l’espace et les ressources biologiques. Ces impacts, loin d’être anodins peuvent donner lieu à des pratiques d’éviction, l’élaboration de règles restrictives d’accès aux ressources, faisant ainsi appel à des questions de recherche sur les relations entre savoirs et pouvoirs et sur les modes de gouvernance de l’environnement et des ressources. De nombreuses directions de recherche mériteraient de plus amples développements dans ce domaine : étude des représentations de la nature ou de l’homme dans/hors la nature in115 prospective de l’institut ecologie et environnement du cnrs prospectives d’avignon cluant celle des systèmes symboliques depuis le Paléolithique (art, gestes funéraires…) ; écarts de perception des changements selon qu’on les analyse à partir des faits ou des discours iconographiques ou littéraires ou encore à partir des discours populaires ; situations de déséquilibre entre société et changements environnementaux, résilience et capacités de réponse sociétale (fonction des capacités techniques, politiques, organisationnelles, économiques… face aux changements de contraintes sur les ressources); importance relative des différents facteurs climatiques et environnementaux selon l’échelle de temps ou d’espace à laquelle on envisage les phénomènes ; mise à profit des gradients altitudinaux, des alternances saisonnières de ressources, des complémentarités entre élevage et agriculture, de la diversité des milieux ou des ressources ; mise à profit de l’innovation technologique ou méthodologique, de l’exploitation des connaissances… autant de systèmes adaptatifs encore peu explorés à l’échelle du siècle ou du millénaire. La période actuelle offre d’importantes sources d’étude des capacités d’adaptation et des types de réponses, ainsi que des processus de mutation et de disparition, des sociétés traditionnelles qui doivent faire face à des changements d’une ampleur rarement égalée par le passé. Ces changements comportent notamment une composante temporelle avec une accélération des processus touchant toutes sortes de domaines : échanges et production de savoirs, de techniques et de ressources, résiliences et seuils, processus de transferts et de décision … Ces phénomènes d’accélération peuvent être perçus, compris et vécus de façon différenciée par les différents acteurs. Cette période est également propice à une réflexion sur les relations entre 1) les héritages des productions bio-culturelles du passé (paysage, agro-biodiversité…), 2) les nouveaux processus d’apprentissages techniques mis en œuvre mais également 3) le renouvellement des systèmes de représentation et 4) les causes de décalages entre réalités, interprétations et processus de décision… Les nouvelles relations de pouvoir induites par ces accélérations incitent donc à mener des études qui articuleraient des recherches en « political ecology » (relatives à la gouvernance environnementale et de ses effets), en anthropologie environnementale, en ethnobiologie... Que nous apprend l’Actuel, en dépit de la rapidité et de la spécificité des mutations contemporaines, sur la temporalité des processus qui serait susceptible d’éclairer les évolutions passées ? Référentiels et modélisation La construction des référentiels peut constituer un des lieux d’articulation privilégiée des recherches interdisciplinaires sur le temps long et sur l’actuel. La question des temporalités constitue un véritable verrou méthodologique. Pour les sociétés passées, il est fondamental comme préalable indispensable à la recherche des causalités, d’une part, de mettre en concordance les échelles temporelles des différentes disciplines impliquées dans la restitution des interactions Hommes/Milieux, d’autre part d’améliorer sensiblement l’appréhension des dynamiques temporelles des événements passés : affiner la résolution chronologique notamment au travers de programmes ambitieux de datation et de traitement de ces datations ; re116 cherche exploratoire de nouveaux outils d’analyse en chronométrie. La constitution, la conservation et la publication de référentiels (produits par des démarches actualistes, expérimentales, patrimoniales …) forment une tâche de fond dans tous les domaines qui nous préoccupent. Leur forme peut différer fortement selon les communautés (monographies vs. bases numériques de données, d’images, de sons etc.), expliquant par là même des différences importantes dans les modes de communication scientifique. Un enjeu d’importance concerne le statut de ces référentiels au sein des laboratoires et plus particulièrement lorsque ces derniers ne sont pas dans le giron d’une structure muséale, comme par exemple le Muséum National d’Histoire Naturelle. Pour les collections qui relèvent du Patrimoine archéologique et qui résultent d’opérations programmées ou préventives, il est souhaitable de développer des conventions avec le Ministère de la Culture et de la Communication et de pousser à une modification de la loi actuelle. Celle-ci en effet ne reconnaît à l’Etat qu’une propriété partielle du patrimoine enfoui, et ne confère pas la même valeur patrimoniale aux témoins bio-géologiques qu’aux objets façonnés. D’une manière générale, il est plus que souhaitable de donner un statut de collections publiques à l’ensemble de ces référentiels et de considérer les besoins des laboratoires ou groupes de laboratoires en équipements spécifiques et en personnels qualifiés (conservateurs). Cela est particulièrement vrai pour les collections de squelettes humains dont la gestion patrimoniale est à bâtir, alors que le dynamisme des recherches en Archéologie funéraire place la France en leader mondial. En effet, ces collections - archéologiques, biologiques, (paléo) environnementales, ethnographiques, expérimentales, géologiques, … - ne sont pas des objets d’étude à usage unique mais constituent un patrimoine scientifique susceptible d’être maintes fois réinvesti et qui doit donc être référencé et conservé selon les règles de l’art. La mise en bases des données référencées et spatialisées se répand rapidement pour les différents champs d’investigation portant sur le passé. En revanche, l’anthropologie et des disciplines associées portant spécifiquement sur les relations sociétés environnement telles que l’ethnobiologie, l’ethnoécologie commencent seulement à mettre en place différentes formes de bases de données et d’archivage de données qualitatives et souvent complexes qui sont en leur état actuel difficilement comparables à des séries de données générées par des approches plus quantitatives. Au-delà de leur aspect documentaire et souvent normatif, ces bases permettent de fonder des modèles numériques pour simuler des dynamiques spatio-temporelles à différentes échelles dans une perspective heuristique, sinon prédictive (e.g. Systèmes Multi-Agents, modélisation des niches éco-culturelles…). Le développement des systèmes de bases de données et des outils de modélisation a posé d’emblée la question de leur diffusion à l’intérieur d’une communauté spécialisée ou vers un public plus élargi, des moyens de calcul, d’archi- vage/sauvegarde et de propriété intellectuelle, question qui a fait l’objet d’une prise en considération à très haut niveau par l’INEE. En revanche, les questions liées 1) à la représentativité, 2) à la certification des données et 3) à la mise en cohérence de données qualitatives et quantitatives hétérogènes constituent de véritables problèmes. Pour les sociétés du passé, une difficulté majeure réside dans l’extrême fractionnement des données qui nous parviennent en regard des corpus d’origine supposés. Un des enjeux de la modélisation archéologique et paléo-environnementale consiste précisément à faire avec des données dont la représentativité n’est pas établie (et qui n’ont pas, de ce fait, valeur d’échantillon stricto sensu) et, en particulier, de gérer le problème des « données manquantes ». Les échantillons parfois opportunistes des anthropologues (à la différence de démarches plus systématiques de certains travaux de sociologie ou d’écologie comportementale humaine) présentent les mêmes enjeux quant à la représentativité des données. Ceci oblige symétriquement à développer une démarche-qualité pour la consolidation des données disponibles en termes de contexte spatiotemporel, résolution ou taphonomie pour les approches en archéologie et paléo-environnement, et en termes de représentativité des informateurs ou de degré de répétitivité des données recueillies pour l’anthropologie. Cette démarche est une véritable recherche, pourvoyeuse de résultats originaux. La développer est un enjeu majeur pour renforcer la qualité et surtout la validité des données issues des bases. Pour les sociétés actuelles, à l’inverse, l’image / la représentation des données, en d’autres termes « l’explicité », prennent généralement le pas sur la description détaillée des données elles-mêmes. Comment coder, stocker, rendre accessibles les données du discours ethnographique ou de description associées à des objets collectés ? La question des supports permettant le stockage des données doit être posée. Il s’agit non seulement de traiter les données vidéo, son, multimédia mais aussi d’identifier les appuis techniques nécessaires en amont pour que les chercheurs puissent apprendre à collecter divers types de données et les mettre en forme afin de les rendre accessibles. 117 prospectives d’avignon Dans ces différentes perspectives, la communauté scientifique pourra s’interroger sur l’intérêt d’un dispositif de certification des données (e.g. normes ISO déjà mises en œuvre dans différents champs : environnement, information géographique …). 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Ecologie fondamentale, Paris : Dunod, 2009 • Richerson P. & Boyd R. – Not By Genes Alone: How Culture Transformed Human Evolution, Chicago: University of Chicago Press, 2005 118 SANTé et SOCIéTé avignon Prospective Coordinateurs : Gilles Boëtsch & Anne-Marie Guihard-Costa Contributeurs : Bernard Andrieu, Anne Bargès, Philippe Casanova, Chantal Crenn, Eric Crubézy, Priscilla Duboz, Marie Gaille, Lamine Gueye, Yannick Jaffré, Enguerran Macia, Anne Marcellini, Véronique Pardo, Jean-Pierre Poulain , Federica Tamarozzi Mots clés : systèmes de santé, anthropologie de la santé, santé et bien-être, transmissible, épidémie, pathogènes, sélection, adaptabilité, maladies chroniques non-transmissibles, pollution, eau, risque, médecine environnementale, tradipraticiens, soins, alimentation, activité physique, vieillissement, insalubrité, handicap, travail, éco-épidémiologie, histoire des épidémies, paléo-parasitologie, géographie de la santé, écotoxicologie, alimentation humaine, pathologies émergentes Introduction Les relations entre environnement, santé et société ont toujours été complexes et plurielles. Elles ont varié en fonction du temps et se présentent très diversement selon les pressions environnementales et les réponses sociétales. De plus, de manière dynamique et sur le mode de boucles réflexives, celles-ci doivent intégrer les représentations culturelles de la maladie et du bien-être, les dimensions économiques et techniques et de vastes choix sociopolitiques. Sans être exhaustifs, ces rapports complexes entre santé et société peuvent être abordés selon deux approches : • Une approche écologique (écologie de la santé). Cette approche interdisciplinaire implique microbiologistes, parasitologues, climatologues, médecins infectiologues, épidémiologistes, écologues, mais aussi sociologues, anthropologues, historiens, géographes • La seconde approche se présente comme une socio-anthropologie de la santé (analyse des politiques publiques sanitaires, analyse de la qualité de l’offre de soins, pratiques populaires ayant un impact sur la santé, représentations individuelles et sociales de la maladie…) articulant des approches anthropologiques, statistiques, géographiques, cliniques, économiques… Dans une perspective d’écologie et/ou de changement global, il convient de focaliser les recherches autour du modèle de la transition : démographique, épidémiologique, nutritionnelle, écologique. 119 prospective de l’institut ecologie et environnement du cnrs prospectives d’avignon Positionnement du CNRS sur ces questions par rapport à d’autres organismes L’INSERM développe des recherches à finalité médicale, dans lesquelles les contextes environnementaux et sociétaux sont envisagés comme des éléments complémentaires des processus biologiques, permettant une meilleure compréhension de ces derniers. Le CNRS, par la diversité des disciplines qui y sont représentées, peut favoriser une approche plus interdisciplinaire et intégrative de l’étiologie des états de santé. Cette approche pluridisciplinaire est aussi celle de l’IRD, mais qui, pour des raisons historiques, la limite à des contextes écologiques plus spécifiques, principalement liés à des terrains d’étude situés dans des pays en voie de développement. Le CNRS possède donc des atouts certains pour développer des études interdisciplinaires dans ce domaine liant santé et sociétés. Positionnement de l’INEE dans le domaine santé-société Dès sa création, l’INEE a favorisé des thématiques de recherche aux frontières des sciences écologiques et des sciences humaines. La création d’un axe thématique « Hommes-Milieux » au sein de l’Institut doit plus encore inciter à d’autres recherches aux confins des sciences biomédicales (domaine de la santé), de l’écologie (milieu, environnement), et des sciences humaines et sociales (en particulier, anthropologiques, sociologiques, géographiques, économiques, juridiques…). Seule cette appréhension holistique de la réalité humaine et environnementale peut permettre de prendre en compte les interrelations entre les différents facteurs non seulement pour interpréter les données épidémiologiques et sanitaires mais aussi, et surtout, pour initier de nouvelles formes d’interventions au présent et de recherches préventives pour le futur. Force est de constater, cependant, que les recherches concernant les rapports entre santé et société ne se sont pas encore développées autant qu’on était en droit de l’espérer, sans doute en raison de la complexité des diverses approches méthodologiques (voir ci-dessus la diversité des disciplines impliquées). D’autre part, si le volet « écologie de la santé » dispose de moyens humains sinon suffisants, du moins potentiellement disponibles dans l’institut ou dans d’autres organismes (microbiologistes, parasitologues, climatologues, médecins infectiologues, épidémiolo- 120 gistes, écologues), le volet « anthropologie de la santé » est encore très peu développé, et le nombre de chercheurs qui s’y consacrent sont peu en relation avec le monde de la recherche médicale ou pharmacologique. D’une manière générale, il existe un déficit d’études pluridisciplinaires concernant les rapports entre état de santé et environnements culturel et social, la majorité des études se focalisant sur les relations entre climat et santé ou sur les rapports santé-environnement physique, et singulièrement sur l’environnement physique perturbé (écotoxicologie). Les thématiques majeures de recherche à développer à l’INEE Thématique 1 : Approche par les environnements naturels et anthropisés Une écologie de la santé La première approche peut se concevoir comme une écologie de la santé. On connait déjà des problématiques en écologie de la santé comme les corrélations entre changement climatique et maladies (ex méningites). Ainsi, un accroissement de la température, de l’humidité ou du vent (température et direction) auront des conséquences sur la structure des écosystèmes, en particulier au niveau des pathocénoses. Quelques degrés de variation de température peuvent provoquer des migrations importantes de pathogènes vers des régions qui en étaient exemptes. Ces variations environnementales, en terme climatique, manque de ressource ou pollution conduisent vers la mise en place de recherche autour d’une médecine environnementale actuellement en construction. S’intéresser à des niches de maladies liées aux changements environnementaux (comme zoonose) mais qui sont exclus des grandes campagnes de l’OMS, par exemple dans une perspective du temps long (Cf. Les OHM). Environnement contaminé et santé Il s’agit d’un sujet très sensible. Par exemple, les travaux menés dans le cadre de l’OHMI Estarreja ont mis en exergue la complexité des rapports entre environnement contaminé et santé humaine ou animale : • Il ne faut pas confondre contamination de l’environnement et bioaccessibilité des contaminants. Par exemple, la teneur en métaux lourds potentiellement toxiques, présents dans l’environnement, se retrouve à des concentrations variables dans les végétaux. La teneur en contaminants dépend non seulement de l’espèce végétale, mais également de la partie du végétal (racine, feuille). Ainsi la « bioaccessibilité » des contaminants potentiellement toxiques varie selon l’espèce et la partie de la plante consommée par les animaux et par l’homme. • Il faut prendre en compte les variations dans le temps des effets négatifs de l’environnement : extension ou rétraction des zones de contamination sur des périodes plus ou moins longues. Les effets de la contamination peuvent également varier en fonction de l’adaptation biologique des organismes. Les processus de remédia- tion (naturels ou anthropiques) sont également des facteurs très importants de diminution des effets de la pollution sur la santé (cf. la littérature extensive sur la phytoremédiation). • Différentes enquêtes sur la perception des « risques» en zone industriellement polluée montrent une certaine discordance entre la perception des risques environnementaux par la population et le risque réel encouru pour la santé. La perception de risques «visibles» (feux de forêt, inondations) est en moyenne plus importante que celle des risques «cachés» (contamination des eaux et des plantes). Ceci renvoie aussi à l’opposition entre perception individuelle et collective de la dangerosité ; c’est pourquoi les conduites à risque doivent être étudiées dans leurs contextes socioculturels. Sans oublier – en écotoxicologie – le problème des concentrations et des seuils de dangerosité. Comment sont-ils déterminés et qui les détermine ? 121 prospectives d’avignon Alimentation, santé et bien-être L’alimentation est une activité humaine, à l’évidence, nécessaire à son existence. Elle est à la jonction du biologique et du culturel. Mais l’aliment est aussi plus que cela car il rentre dans les stratégies individuelles comme collectives d’accès au bien-être dont fait partie la bonne santé. Ingéré et bénéficiant au corps, il se fait ainsi médicament. Dans un premier sens, l’alimentation peut contribuer au traitement d’une pathologie précise. Ici les conseils nutritionnels et un éventuel régime sont formulés par le médecin lui-même, dans le contexte d’une relation thérapeutique. Dans un sens complémentaire, que l’on pourrait qualifier de nutritionalisation, la nutrition est un des aspects du soin de soi qui passe par le respect des connaissances nutritionnelles transmises par différents vecteurs : les héritages familiaux et communautaires, la presse, la télévision, les campagnes d’éducation pour la santé… Dans ce cas, la médicalisation de l’alimentation s’opère hors du face à face médical et ne s’inscrit plus dans l’ordre de la thérapeutique mais plutôt dans celui de la prévention. Un levier puissant de la nutritionalisation est sans doute la pression des modèles d’esthétique corporelle et l’immensité du désir de mincir qui l’accompagne chez certaines catégories d’individus, mais ceci n’est pas le cas dans toutes les sociétés, seulement dans celles qui bénéficient de régimes alimentaires à ressources caloriques élevées. Les connaissances en nutrition évoluent, laissant prise à des controverses et à leur médiatisation. Ainsi, les médecins hospitalouniversitaires qui jouissent de la plus forte légitimité sont-ils concurrencés par différentes catégories de médecins… Les premiers, transformés pour raisons juridiques, en « experts en nutrition », surfant sur l’immensité du désir de minceur, recyclent sur Internet certaines recettes d’amaigrissement au succès relatif. Les autres, s’auto-désignant parfois « nutritionnistes », (ce qui est d’autant plus facile que la spécialité n’est que faiblement institutionnalisée) s’attaquent frontalement à la lecture dominante. Ils proposent souvent des réorganisations des régimes en supprimant telles ou telles catégories d’aliment ou en privilégiant certaines. Transformations présentées comme capables d’effet à «large spectre» pourrait-on dire : allergies, maux de ventre, troubles digestifs, articulaires, dépression, cancer... et dont la légitimité repose pour la plupart sur l’argument 122 d’une éventuelle collusion entre la science officielle et les industries alimentaires, des compléments alimentaires ou encore du médicament. Du coup la marginalité scientifique peut se poser en vertu... Ces postures ne sont pas nouvelles, il y a depuis longtemps des diététiques alternatives, mais elles connaissent simplement des formes de médiatisation inédites dans le sillage des crises alimentaires. Pour le profane doté d’une culture générale, la fluctuation des savoirs nutritionnels laisse le champ au doute et à des interprétations multiples. Ces controverses constituent un objet d’étude pour les sciences sociales. D’autant plus que les pratiques alimentaires ne sont pas seulement dictées par des raisons de disponibilité ou d’observance des prescriptions médicales mais aussi par des raisons culturelles et sociales. Elles sont donc soumises à des réajustements continus. La nutritionnalisation de l’alimentation même la plus respectueuse de la prudence scientifique, pousse la tendance à l’individualisation. Et nous ne sommes sans doute qu’au début d’un mouvement qui va aller crescendo. D’abord parce que la transition épidémiologique (et la montée en charge des maladies dégénérescentes qui l’accompagne : cancers, cardiopathies, maladie de dégénérescence, maladie d’Alzheimer...) mettent en avant les rôles possibles de l’alimentation tant dans la prévention que dans la prise en charge de la maladie. Ensuite parce que nous sommes sans doute à la veille d’une révolution paradigmatique dans le champ de la nutrition. Les avancées de la génétique aux trois niveaux que sont la nutri-génétique, la nutri-génomique et l’épigénétique vont changer la vision que l’on a de la nutrition, ouvrent de nouveaux espaces d’articulation et de nouvelles échelles temporelles d’articulation du social et de la génétique. Celui de la longue durée à l’échelle de la génétique des populations avec l’anthropologie et la sociologie de l’alimentation, celui des styles de vie au cours de la grossesse avec l’épigénétique et celui de l’interaction des modèles alimentaires génomique à l’échelle de la vie d’un individu. Trois nouveaux champs empiriques de nature à réorganiser en partie le dialogue entre les sciences humaines et sociales et la génétique. Le social perdant la caractéristique d’extérieur de la définition durkheimienne du fait social et entrant au cœur même du biologique. Les intuitions de Marcel Mauss avec le « fait so- cial total » et plus encore d’Edgar Morin avec le « fait total humain » retrouveront une actualité. Les connaissances acquises sur les modèles alimentaires et le fait alimentaire auront alors une double utilité pour la recherche et pour l’éducation alimentaire. Ceci doit rapidement déboucher sur des regards croisés sur la problématique alimentation/pathologies/santé trois exemples 1 - l’Alimentation de rue dans les pays du Sud Au niveau de l’évolution des normes d’hygiène, les restaurants dans les villes du Sud jouentils le rôle d’espace de « résistance » ou bien apparaissent-ils comme des espaces de diffusion de certaines normes alimentaires et nutritionnelles occidentales ou autres ? Il est important d’interroger les normes d’hygiène autant d’un point de vue nutritionniste que sociologique et anthropologique. Ce champ de recherche permettrait ainsi d’interroger les représentations de la santé et de la maladie en lien avec le fait de s’alimenter à l’extérieur du domicile. 2 - La circulation des normes alimentaires entre Nord et Sud et vice et versa Si l’on s’attarde sur l’exemple des diasporas africaines, il s’agirait de considérer la confrontation des individus les constituant à des modèles nutritifs nouveaux touchant non seulement les migrants eux-mêmes mais également l’ensemble de la parentèle résidant tant en France qu’au pays de départ via leurs déplacements, l’usage des médias etc. Ainsi serait-il intéressant de prendre en compte les effets, directs et indirects, au court et long terme sur les pratiques alimentaires mais également sur la santé et le corps, de la migration, de la mondialisation et de la globalisation ici et là-bas. 3 - L’adoption, par les pays du Nord, de pratiques alimentaires issues d’autres cultures pouvant d’effectuer de manière ponctuelle, récurrente, intensive ou exclusive. Thématique 2 : Approche par les pathologies Les pathologies sensibles à l’environnement Deux grands groupes de pathologies : transmissibles et chroniques non transmissibles. Pour ne prendre qu’un exemple concernant ce premier ensemble de pathologies, le paludisme reste une endémie majeure et une menace dans 106 pays du Monde. En 2010, bien qu’au cours des 10 dernières années la mortalité attribuable au paludisme aurait diminué de plus de 25%, il y aurait eu environ 216 millions de cas cliniques, dont 81% en Afrique et près de 655 000 personnes seraient mortes de paludisme. De plus, ces estimations sont probablement sous-évaluées car elles ne prennent en compte, pour l’essentiel, que la mortalité infantile. Par ailleurs, les modifications du niveau d’immunité acquise par les populations exposées au paludisme et les défaillances des stratégies de lutte sont responsables d’épidémies que l’on s’attend à voir de plus en plus nombreuses et importantes. Les mêmes complexités s’appliquent à d’autres pathologies transmissibles comme la tuberculose. L’ensemble de ces dimensions bio-médicales sont incluses dans des pratiques sociales et économiques constituant à la fois les déterminants épidémiologiques des maladies infectieuses et les contextes variables de leur possible prise en charge. C’est pourquoi on ne peut espérer « vaincre » ces maladies par une unique action médicale. L’approche doit être multisectorielle et doit notamment inclure une réflexion sur les questions 123 prospective de l’institut ecologie et environnement du cnrs prospectives d’avignon liées à l’eau, l’urbanisme, l’hygiène et l’assainissement notamment en milieux urbains. Comment construire une ville productrice de santé ? Par ailleurs, on ne pourra dialoguer efficacement avec les populations touchées par ces pathologies (et parallèlement par d’autres maladies) sans comprendre leurs logiques comportementales que ce soit en matière d’hygiène, de prévention, de soins et d’usage des propositions techniques qui leurs sont faites. Enfin, l’accès aux soins et la qualité de l’offre médicale sont essentiels à l’adoption de conduites préventives, de traitements cohérents et de leur observance. Pour une action de prévention du paludisme, une analyse multifactorielle est indispensable : analyse des politiques publiques (distribution de l’eau, élimination des eaux usées, types d’habitats), des divers contextes de traitements (automédication, « pharmacie par terre », secteurs médical « informel », cohérences des prescriptions des soignants), des usages des propositions préventives (types possibles de couchage, usage effectif des 100 moustiquaires), des programmes d’information et d’éducation. Divers travaux de sciences sociales ont abordé ces dimensions. Mais il importe de construire une approche cohérente et utile sur ces vastes questions sociales, économiques et écologiques. Selon l’OMS, le nombre de décès par maladies chroniques non transmissibles devrait doubler d’ici 2030, passant de 30 à 60 millions de cas par an. La prédominance de ces maladies non transmissibles (MNT) dans le total des décès caractérise la deuxième phase de la transition épidémiologique1. La prévalence des MNT étant liée à la structure de la population (les plus âgés en sont plus souvent atteints), la majorité des pays occidentaux se situe dans la deuxième phase de la transition épidémiologique (comme par exemple au Portugal et en France, comme le montre la figure 1). Ce n’est pas le cas des pays africains sub-sahariens qui, comme nous l’évoquions précédemment, pour la plupart, comptent encore un nombre plus important de décès liés à des maladies infectieuses et transmissibles. Maladies transmissibles 60 40 Portugal - France Sénégal 80 Figure 1 : Place du Sénégal, du Portugal et de la France dans la transition épidémiologique 20 0 Maladies non transmissibles Ainsi, comme le montre la figure 1, certains pays africains sub-sahariens comme le Sénégal se situent dans la première phase de la transition épidémiologique, alors que des pays européens comme le Portugal et la France se situent dans la seconde phase de cette transition. Par exemple, le Sénégal, qui connaît actuellement une augmentation drastique des maladies non transmissibles (hypertension, diabète…), devrait entrer dans les années à venir dans la deu- 124 xième phase de la transition épidémiologique. Cependant, comme le souligne l’OMS, « les maladies diarrhéiques, le paludisme ou la dengue, dépendent beaucoup des conditions météorologiques et l’on s’attend à une aggravation avec le changement climatique ». Ainsi, du fait du réchauffement climatique, il n’est pas certain que la prévalence des maladies transmissibles diminue au profit des maladies non transmissibles au Sénégal. Si ces prévisions se révé- 1 - Définie comme suit par Omran (1971) : « Au fur et à mesure de l’allongement de l’espérance de vie et du processus de développement, les causes de décès changent de nature (% dans la mortalité générale) : dans une première phase dominent les maladies infectieuses et parasitaires et les maladies de carence et dans une troisième les maladies chroniques et dégénératives (maladies circulatoires et cancers deviennent les premières causes de décès). Dans l’intervalle se déroule la phase de transition à proprement parler, durant laquelle on observe le cumul des deux types de pathologies. » - Omran, A.R (1971) « The epidemiological transition: A theory of the epidemiology of population change », The Milbank Memorial Fund Quarterly, 49 (4) : 509–538 laient exactes, la transition épidémiologique, initialement conçue comme universelle, ne serait plus valable au Sénégal, la deuxième phase de la transition ne pouvant être observée. Il est donc primordial de mettre la notion de transition épidémiologique à l’épreuve de la comparaison inter-populationnelle en développant une étude croisant les disciplines écologique, anthropologique, médicale et sociologique. Les maladies transmissibles comme les maladies chroniques non transmissibles dépendent des facteurs environnementaux mais ne sont pas générées par les mêmes facteurs de risque. On peut ainsi parler de « modalités pathologiques » car ce sont moins des états que des conjonctures qui peuvent devenir pathogènes, comme des « nouveaux » modes de pollution et d’intoxication environnementale à faible dose mais durables, chroniques, touchant de manière quotidienne et imperceptible des populations (à quel moment peut-on qualifier l’événement de « toxique », à quel seuil, etc…). Ceci génère des discours contradictoires de la part des autorités sanitaires et politiques, des crises de confiance entre populations atteintes, modes de gouvernance, politiques et acteurs de soins ; ces crises de confiance se concrétisent en des refus de prévention sanitaire. Ainsi, les polluants lourds, hydriques, passant par différentes pénétrations dans les circuits alimentaires (mercure, plomb, etc..) qui remettent en question les modes de vie et d’alimentation entrainent des mobilisations collectives autour des populations et des associations autochtones. Ces mouvements politiques sont importants en tant que réponse face aux phénomènes de pollution, de droits sur la nature, de gouvernance en général et plus particulièrement de politiques de santé (Amériques-France concernée en Guyane et ailleurs, Australie, Asie et Afrique en partie). 1. – Le paradoxe autour de l’eau est que l’eau est indispensable à la vie et à l’activité économique. Elle constitue à la fois une richesse et un danger potentiel élevé en fonction de la présence ou de l’absence de protection sanitaire (en particulier en matière d’assainissement). Les eaux stagnantes ou polluées sont hors des normes de sécurité à l’opposé des eaux traitées comme l’eau du robinet… L’eau stagnante, l’eau de boisson non traitée associée à des pratiques hy- giéniques défaillantes peuvent générer de nombreuses pathologies (paludisme, bilharziose, choléra, typhoïdes, helminthes et filarioses). Par contre, l’’eau des soins (hydrothérapie, thermalisme, SPA) qui est considérée désormais en Europe comme une « médecine de confort » destinée aux plus riches, constitue ailleurs un des recours thérapeutiques accessible aux plus démunis. Et partout, que ce soit chez les « heureux du monde » ou les « damnés de la terre », l’utilisation de l’eau implique la mobilisation d’un appareil complexe de croyances et d’a priori dont il est nécessaire de reconnaître l’importance et la complexité. A mi-chemin entre pratiques bio-médicales et médecines douces, l’hydrothérapie constitue un excellent terrain d’observation pour explorer les questions relatives à la place accordée dans la société par les différentes anomies corporelles. Parmi ces dernières, non seulement celles relatives à la maladie, mais aussi celles propres au passage du temps et à la chronicisation des irritations environnementales. Sans oublier que le manque d’eau génère d’autres pénuries (manque de ressources alimentaires, malnutrition femme enfant associée à la pauvreté). L’eau doit être saine car si elle est polluée elle devient insalubre, et les gastropathies vont toucher les enfants et les personnes âgées (diarrhées). Analyser ces politiques de l’eau implique à la fois de comprendre les choix politiques qui sont effectués (équipement des foyers vs usages de l’eau pour des sites touristiques consommateurs, équipement des habitations avec des circuits doubles…), mais aussi la chaîne de l’eau depuis son exhaure, son transport et sa consommation. 2. – Autres exemples : La pollution de l’air ou du sol Les facteurs abiotiques tels que température, pluviométrie, vent (poussières = asthme) influencent un certain nombre de pathologies telles les maladies respiratoires, les maladies de peau, les maladies ophtalmiques, les maladies liées au seuil de tolérance biologique ou d’acceptabilité par l’organisme (plomb, mercure, radiations, pesticides, silicose) ; celles-ci sont l’expression d’une série d’activités économiques (agriculture, extraction minière, énergie, liaison avec l’ensoleillement…) 125 prospectives d’avignon Pathologies liées à la migration et au comportement humain MST (SIDA, hépatites, gonocoxies), associées aux déplacements humains, à la prostitution et au manque d’éducation à la santé (études nombreuses sur le continent africain) Dans ces cas, les interrelations humaines concernent nécessairement l’organisation sociale, les formes de mobilité et d’utilisation environnementale... Certaines maladies transmissibles deviennent des pathologies durables dans le corps de l’individu et pour la société ; elles génèrent des prises en charge de rééducation, de prévention, d’aménagement du temps et de l’espace, de nouveaux rythmes de travail, une prise en compte d’une altérité qui pourrait s’estomper : le sida est un exemple. Mais d’autres maladies an- ciennes infectieuses (onchocercose, lèpre…) nous fournissent une longue bibliographie de modes d’adaptation sociétale, communautaire et institutionnelle. Avec le recul dont nous disposons sur ce qu’il faut faire ou non, cette connaissance de l’existant (représentations, politiques, institutions, pratiques individuelles et collectives) nous aiderait à réfléchir davantage à des moyens qui évitent de répéter les modes de ségrégation et d’exclusion. Maladies chroniques liées au changement d’environnement (ex : rural/urbain) En ville, on constate un changement important de type d’approvisionnement et de mode de vie par rapport au milieu rural. Le problème est alimentaire (boissons sucrées, disparition de certains produits, mondialisation de la consommation), mais aussi lié aux changements de l’environnement, en particulier dans les formes d’activité physique ou encore dans la gamme des problèmes de l’insalubrité urbaine qui peuvent entrainer des propagations plus rapides d’épidémies (comme choléra). En effet, après une période de 10 ans d’exposition à l’environnement urbain, les migrants d’origine rurale développent des maladies non transmissibles (comme le diabète de type II), ou des facteurs de risque associés à ces maladies (surpoids, obésité…). Par ailleurs, c’est en partie la migration vers la ville qui fait que les épidémies existantes à l’extérieur s’y retrouvent, compte tenu notamment du poids des « nouveaux quartiers » issus de l’urbanisation sauvage avec forte concentration populationnelle et très faible protection sanitaire et hygiénique. Ceci montre la nécessité d’étudier les pathocénoses dans une perspective d’écologie humaine car les activités économiques nécessitent des populations en bonne santé. Dans les pays du sud, les maladies ou la mauvaise santé sont les premiers facteurs du sous-développement ; dans les pays du nord, les maladies chroniques liées à l’urbanisation et à la sédentarité auront des conséquences économiques et sociales à très brèves échéances. La santé au travail Cet objet de recherche implique que les avancées techniques en écologie sont souvent présentées comme transformant de manière positive les modes de vie. Comme toute nouvelle technique, elle peut générer de nouvelles exigences pour les individus. Les recherches devront permettre d’anticiper ce qui peut contraindre l’individu et le groupe social. En croisant les transformations dans les organisations du travail, les pays dits « émergents » mais également les pays qui ne le seraient pas encore, montrent des pathologies et des souffrances au travail que rappellent les cadres de vie européens. Même si le physique continue à être malmené dans des milieux socioéconomiquement défavorisés, les pays sont tous concernés par la montée de troubles psychoso126 ciaux liés au travail, concomitants d’autres insuffisances perçues ou réelles dans le cadre de vie et accompagnés de plus grandes exigences de santé et bien-être. La notion de poste de travail est devenue obsolète dans les pays industrialisés. En effet, le travailleur est de plus en plus sous pression dans l’exécution de tâches qui se superposent en restreignant sa marge de manœuvre et sa possibilité de création individuelle. Ce travail « empêché », c’est à dire l’impossibilité de trouver une solution personnelle et originale pour passer du travail prescrit au travail réel, est à l’origine des risques psychosociaux. La médecine du travail qui se développe dans les pays émergents, dont le but premier devrait être d’éviter l’altération de la santé des travailleurs du fait de leur travail, doit répondre à ce défi qui est passé des risques physiques aux risques mentaux, sans pour autant en faire disparaître aucun puisqu’on observe le cumul des deux2. L’étude des représentations de la santé au tra- vail est fondamentale, car elle est à l’origine de la mise en place des systèmes de santé au travail qui ne seront que des moyens. Adapter le travail à l’homme... ou l’inverse, c’est là tout l’enjeu éthique de cette question. Thématique 3 : Approche par les changements démographiques Le vieillissement Le vieillissement des populations, que nous connaissons actuellement, constitue un phénomène sans précédent dans l’histoire de l’humanité. Si les pays dits « du Nord » semblent particulièrement inquiets face à cette situation, ceux du Sud doivent s’y préparer dès à présent car leur vieillissement sera beaucoup plus rapide. Ces considérations démographiques font du vieillissement une priorité scientifique dans le monde entier, sauf – force est malheureusement de le reconnaître – en France, où le déni n’a pas seulement touché les plus âgés lors de la canicule de 2003, mais affecte durablement la recherche sur cette thématique. Notre retard scientifique sur cette thématique peut cependant être compensé par une approche moins morcelée que ce qu’elle est dans les mondes anglo-saxon et asiatique, où les biologistes, sociologues et psychologues abordent un même objet d’étude sans dialoguer les uns avec les autres. Pourtant, tous s’accordent à dire que le vieillissement (humain) est un « processus physiologique vécu dans un contexte environnemental et social particulier ». Partant de cette définition, nous devons désormais chercher à comprendre comment interagissent les dimensions biologique, psychologique et sociale de ce processus, afin de contextualiser les savoirs particuliers et les rendre ainsi pertinents. En somme, le vieillissement est un processus complexe qu’il s’agit d’étudier dès à présent de manière interdisciplinaire pour rendre compte de la réalité du vieillir. C’est au prix de cet effort collaboratif entre scientifiques que notre pays pourra rattraper le retard qui est le sien face à ce défi scientifique du XXIe siècle. Le vieillissement est marqué par un plus grand aspect cumulatif et durable de pathologies ou déficiences. Les travaux devraient prendre en compte les études qui ne sont pas spécifiquement liées à l’âge mais qui explorent les possibles et les innovations émergeant de conditions handicapantes (en particulier liées à l’habitat, la mobilité, la technologie, le travail, les loisirs..). Tous les pays « nord » et « sud » sont concernés, les inventivités en termes de récupération par exemple, sont particulièrement nées de contextes de vie difficiles et viennent interagir avec la santé. D’autre part la manière de se dire vieux, de se sentir vieux varie en fonction du locuteur, du cadre social, des normes sociales et valeurs… avec des conséquences sur la motivation, l’énergie mobilisées pour prendre soin de soi. Thématique 4 : Approche par les dynamiques sociales mondialisées Par ailleurs les dimensions de la mondialisation (télévision, projets de développement, influence des diasporas…) construisent une modernité des conduites et des recours. Par exemple, au sujet des diasporas il s’agirait de considérer la confrontation des individus qui les constituent à des modèles nutritifs nouveaux en situation de migration. Ces modèles nutritifs touchent non seulement les migrants eux-mêmes mais également l’ensemble de leur parentèle résidant en France ou dans leur pays de départ via leurs déplacements, l’usage des médias. Ainsi seraitil intéressant de prendre en compte les effets, directs et indirects, au court et long terme sur 2 - Divers travaux, dont ceux de l’OMS prédisent que la prévalence des maladies mentales dans les pays industrialisées dépassera celle des maladies cardio-vasculaires et des cancers. Mais seulement 2% des budgets de recherche y sont consacrés contre 20% pour la recherche sur le cancer. prospective de l’institut ecologie et environnement du cnrs 127 prospectives d’avignon les pratiques alimentaires mais également sur la santé et le corps, de la migration, de la mondialisation et de la globalisation ici et là-bas. Pour saisir ces modifications les contextes socio-historiques des sociétés de départ doivent être étudiés par l’anthropologie. La FAO et l’OMS soulignaient dès 1992 la nécessité de se pencher sur le phénomène de « transition nutritionnelle » se développant en Afrique. En effet, alors que la malnutrition affecte encore une large partie de la population en Afrique de l’Ouest les maladies comme le diabète et l’hypertension sont également présentes. Dans le même temps selon certains épidémiologistes, il apparaîtrait que les migrants africains dans leur ensemble seraient concernés par les pathologies de surcharge : cette corrélation mériterait d’être interrogée. En effet l’anthropologie s’est révélée un outil précieux pour saisir les enjeux politiques de la santé. Elle permet de mieux saisir les liens unissant migration et santé. Plus encore, la démarche anthropologique pourrait apporter des pistes de réflexions sur les transformations (via la circulation des idées, des valeurs, des humains, des marchandises) que vivent les populations migrantes et leurs familles, sur l’influence de la migration du village vers la ville et la France et vice-versa sur les changements alimentaires, l’activité physique et leurs répercussions sur la santé. Progrès biomédical et impact environnemental Les progrès des interventions biomédicales et biotechnologiques sur l’humain mettent en scène pour la première fois un impact majeur de l’environnement humain (celui des sciences biologiques) sur l’évolution même de l’humain. Ce regard biologisant sur l’humain produit des transformations majeures dans les représentations de la maladie, du vieillissement et du contrôle des corps. Ainsi se conforte une croyance collective dans la capacité de maîtrise et de contrôle de l’homme sur son environnement et sur lui-même. Dans le même temps, les comportements (dits déviants) des individus sont désignés comme causalités d’une nouvelle forme de maladie, les maladies dites chroniques. Cette représentation appuie l’idée d’une responsabilité individuelle à l’égard de la santé et prône une attitude pro-active et interventionniste. Elle tend à évacuer les analyses complexes du comportement humain et en particulier à les dégager d’une détermination environnementale sociale ou sociétale, lecture significative d’une société individualiste. Ainsi, il conviendrait de s’interroger sur la transformation des systèmes de représentation de la santé et de la maladie et en particulier sur les processus parfois paradoxaux de biologisation / psychologisation des modèles étiologiques et de médicalisation / démédicalisation des prises en charge en particulier dans le champ des maladies dites chroniques. L’élargissement même de cette catégorie est également à questionner (maladies transmissibles et non transmissibles : diabète, obésité, 128 VIH, mais aussi maladie mentale etc.). L’autosanté est une écologie corporelle qui établit dans des réseaux de santé un partage de solution traditionnelle de bien-être et de guérison. Le recours aux médecines traditionnelles s’inscrit dans un entretien régulier et culturel de sa santé physique, morale et sociale en complément des médecines officielles. À travers l’analyse des recettes et pharmacies personnelles, la recherche peut porter sur le monde de santé d’une culture donnée qui se différencie des autres groupes en fonction des possibilités de l’écologie des milieux. Dans ces réseaux de santé, l’autosanté est une pratique partagée d’autorégulation opérée dans un métissage des savoirs locaux avec ceux de la médecine officielle. L’intérêt est de pouvoir dégager la singularité des parcours de santé et le syncrétisme des conceptions différentes selon les référentiels culturels. Conclusion Les champs à couvrir sont importants mais le fil conducteur doit être la relation entre les changements environnementaux et sociétaux et leur impact sur la santé. Les maladies sociétales ou chroniques non transmissible (HTA, diabète, maladies de dégénérescence….) par rapport aux maladies transmissibles vont construire, en particulier au sud, de nouvelles politiques de santé publique. Dans de nombreux pays du sud, les maladies transmissibles récurrentes étaient parmi les premiers facteurs du sous-développement. S’y ajoutent maintenant diverses maladies chroniques non transmissibles liées à l’urbanisation et à la sédentarité et qui auront des conséquences économiques et sociales importantes si la prévention ne vient pas compléter la thérapie. Dans bien des cas, ces questions de santé renvoient à des choix de développement et à des politiques publiques. Comment concilier une production agricole de proximité « rurbaine » et le développement de gîtes pour les moustiques, comment surveiller le marché informel des produits alimentaires dans des villes disjoignant les lieux de vie et de consommation, comment harmoniser des programmes de santé « découpant » leurs interventions selon des pathologies (choléra, diarrhée, paludisme) et non selon des causalités (gestion et hygiène de l’eau et des déchets) ? Une anthropologie de la santé implique la compréhension de la définition et des représentations de la maladie (et aussi de ce qui se rapporte à l’identification d’une vie bien portante), une analyse des liens entre des dynamiques sociales, économiques et diverses dimensions sanitaires. Les dispositifs de santé et les accès aux soins, les pratiques médicales, les changements de modes de vie, ainsi que les réponses socioculturelles autour de la maladie en réponse aux modifications des données environnementales (épidémies, pollution….) constituent des déterminants des états de santé. Elle renvoie en particulier aux façons dont les sociétés gèrent la maladie et dont les individus la vivent. Elle montre que si les connaissances des invariants biologiques du corps et de ses dysfonctionnements sont à la base d’une connaissance scientifique du corps, la connaissance selon les sociétés et leurs cultures, les frontières de la maladie et des autres malheurs doivent être pris en compte avec les autres champs de la vie sociale, en particulier le champ du religieux. La santé relève à l’évidence d’une anthropologie incluant une réflexion d’écologie politique. Recommandations Dans une perspective d’écologie et/ou de changement global, se focaliser sur les transitions : démographique, épidémiologique, écologique et alimentaire. S’intéresser à des niches de maladies liées aux changements environnementaux (comme les zoonoses) qui sont exclus des grandes campagnes de l’OMS, par ex. dans une perspective du temps long ou au processus du vieillissement (Cf. Les OHM). 129 Références • Addo J, Smeeth L, Leon DA., 2007 Hypertension in sub-Saharan Africa: a systematic review. 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L’une d’elles est centrée sur la notion de service éco-systémique et s’intéresse surtout aux problèmes épistémiques que pose sa mise en œuvre (échelle, quantification et plus généralement questions liées à l’évaluation économique, à la prise en compte politique et sociale, voire les conséquences morales ; démarches de scénarisation, dimension rétrospective de l’analyse, etc.), Une autre entend avant tout dans cet atelier questionner les fondements, le sens et les implications de la notion de service éco-systémique, sur un plan épistémique mais aussi politique, social, moral. Une telle perspective ouvre donc la porte à une éventuelle critique de cette notion, alors que dans la première démarche évoquée, il convient avant tout de se mobiliser pour résoudre les problèmes épistémiques que pose sa mise en œuvre et aller de l’avant. Cette dimension critique fait elle-même l’objet d’une discussion au sein des réflexions en sciences humaines et sociales, discussion qui trouve d’ailleurs un écho passionnel dans le débat politique. Certains rejettent la notion de service éco-systémique au nom du danger à envisager la nature comme un moyen et une ressource considérés à l’aune du seul profit que les sociétés humaines peuvent en tirer. Ils dénoncent l’hypocrisie qu’il y a prétendre protéger la nature en quantifiant les services d’ordre divers qu’elle rend aux hommes mieux qu’une vision « qualitative » de celle-ci. D’autres encore estiment que les problèmes de mesure sont insurmontables. D’autres considèrent l’élargissement de l’analyse des relations Sociétés-Biodiversité que permet la notion, les nouvelles perspectives sociales et politiques offertes. Enfin, certains se montrent, sur un mode prudent, plus ouverts à l’approche « économiste » de la nature souvent associée à la notion de service écosystémique, estimant qu’il ne faut pas la diaboliser a priori mais chercher à mieux la comprendre. Compte tenu de ce contexte extrêmement controversé, cet atelier constitue une chance de dialogue et d’échanges qu’il serait dommage de ne pas mettre à profit. Il est aussi une opportunité pour ne pas faire appel au dialogue interdisciplinaire sur un mode incantatoire, mais pour proposer, sur un objet spécifique, une discussion commune. 131 prospective de l’institut ecologie et environnement du cnrs prospectives d’avignon Première démarche 132 Sandra Lavorel a mis en avant les questions épistémiques et sur un autre plan, celles associées à la « gouvernance » qu’on rencontre en travaillant avec la notion de service éco-systémique. Elle propose une caractérisation de cette notion, et à partir de cette dernière, formule diverses problématiques de recherche présentées ci-dessous comme les éléments essentiels de la recherche à venir. Des demandes d’évaluation de services écosys- témiques de l’échelle locale, à l’échelle régionale / nationale et globale, sont faites chaque jour par des décideurs, des gestionnaires, ou des entrepreneurs. Ces demandes sont souvent traitées dans l’urgence, et selon un état de l’art insuffisant. La recherche doit donc continuer de contribuer à fonder les évaluations sur des bases conceptuelles et méthodologiques solides. Il en résulte différentes problématiques de recherche. - Mise en place de cadres conceptuels et méthodologiques pour quantifier les SE de manière plus fine que par fonction de transfert (ex. valeur unique par type de couverture des terres), et prendre en compte explicitement les effets de la biodiversité, en particulier fonctionnelle – sur les bases des avancées de compréhension fondamentale, mais en devant composer avec les limitations par la disponibilité des données. Une attention particulière devra être portée au développement de méthodes spatialement explicites, y compris à l’identification des échelles pertinentes. L’objectif ultime devrait être la standardisation des méthodes au travers de guides de bonnes pratiques et de boîtes à outils [Concernant le rapport à l’atelier Interactions et Rétroactions, J. Roy précise que cet atelier ce situe en amont du problème de quantification abordé ici ; par ailleurs, lien de cette problématique avec la partie Ecologie prédictive et changement planétaire]. biodiversité et différents services – et leur dépendances à différents facteurs (environnement ; humains). - Réaliser des analyses rétrospectives, si possible spatialement explicites, concernant le passé plus ou moins lointain, y compris par des approches d’écologie historique et la paléoécologie. Ces analyses permettront en particulier d’identifier les points de rupture, tels que : transitions systémiques, écroulement d’écosystèmes et de leurs services. Elles mettront également en évidence les échelles de temps des dynamiques des services écosystémiques, les différentes échelles associés à différents SE, et les processus de type effet retard. Leur reconnaissance permettra en particulier d’alimenter les démarches de scénarisation. - Développer et tester des méthodes robustes pour quantifier les interactions positives (synergies) ou négatives (arbitrages) entre services, ou entre services et biodiversité : 1) Points chauds / froids (Hot / cold spots) de SE et identification de leurs recouvrement avec les points chauds de biodiversité ; analyses des variables explicatives (facteurs environnementaux, gestion des terres, variables sociales) de ces points chauds / froids (ex. climat, sols, gestion). 2) Documenter les relations deux-à-deux ou multiples entre services ; ou entre la - Continuer de progresser dans les méthodes d’évaluation, économiques et non-économiques : 3) Identifier les bénéficiaires de différents services, et caractériser la diversité de leurs enjeux, intérêts et risques. 4) Lever les verrous conceptuels et méthodologiques de l’évaluation économique 5) Affiner les méthodes de quantification des valeurs non économiques, y compris pour prendre en compte la multiplicité des valeurs et les jeux entre valeurs et entre acteurs. 6) Quantifier la demande de SE, pour analyser la congruence entre l’offre par les écosystèmes (potentiel de fourniture) et les demandes. - Quantifier les flux de services, spatiaux à différentes échelles, voire temporels (cf. effets retard ci-dessus), et mettre en relation ces flux avec les flux monétaires, humains, d’énergie ou d’information. On pourra même réfléchir à incorporer explicitement les SE dans les approches de type Analyse de Cycle de Vie. Défis et points de blocage potentiels : 7) bases de données, en particulier spatialisées 8) connaissances (prédictives) approfondies des processus écosystémiques régulant les SE (Cf atelier Interactions et Rétroactions) 9) connaissances approfondies des systèmes socio-écologiques (futilité des approches simplifiées / simplificatrices !) 10) liens avec les questions de « Valeurs » Analyse des mécanismes liant biodiversité, fonctionnement des écosystèmes, et services écosystémiques La demande forte d’évaluation des services écosystémiques demande non seulement des efforts conceptuels et méthodologiques, mais de comprendre les processus sous-jacents aux patrons observés, et aux dynamiques passées et futures, ainsi qu’aux interactions spatiales ou entre acteurs. Il en résulte différentes problématiques de recherche. - Continuer de progresser dans la compréhension des relations entre biodiversité et fonctionnement des écosystèmes. Si des avancées certaines ont été faites sur ce sujet au cours de 20 dernières années, nombre de points restent à éclaircir, y compris : 11) Le rôle des différentes composantes de la biodiversité e.g. fonctionnelle, phylogénétique dans fonctionnement des écosystèmes et les mécanismes associés. Les mécanismes fonctionnels et évolutifs d’articulation mécaniste entre ces niveaux. 12) Le rôle de la diversité trophique sensu lato (types d’interaction, réseaux d’interaction, complexité trophique…) dans fonctionnement des écosystèmes. 13) Le rôle de différentes composantes de la biodiversité pour des fonctions multiples simultanées. 14) Le rôle de différentes composantes de la biodiversité pour le fonctionnement à long terme (stabilité, résilience) 15) Les échelles spatiales associées aux relations entre biodiversité et fonctionnement des écosystèmes, et les mécanismes d’articulation entre échelles multiples 16) Les discontinuités écologiques, les rétroactions positives et négatives, et les transitions critiques… - Comprendre les mécanismes écologiques (en particulier fonctionnels) sous-tendant les interactions entre services, et entre services et biodiversité – selon les échelles. L’enjeu ici est de traduire les connaissances sur les compromis / synergies / contraintes écologiques et évolutifs en hypothèses sur les compromis / synergies de services, et de tester ces hypothèses sur des jeux de données diversifiés en termes de modèles d’études et d’échelles spatiales et temporelles. Analyse des mécanismes de mise en œuvre sociale de la notion - Comprendre le rôle des services écosystémiques dans les processus de dynamique des systèmes couplés homme-environnement. Ce champ est un front de recherche nouveau, et comprend notamment : 17) La compréhension des articulations entre échelles biophysiques et échelles humaines, par ex. les niveaux de gouvernance. 18) La compréhension de la position des SE dans des cadres conceptuels dynamiques tels que les modèles de panarchie, ou plus généralement les modèles de résilience des systèmes couplés homme-environnement. 19) La compréhension de la place des services écosystémiques dans les décisions des acteurs parmi les différentes composantes des mécanismes de décision, et dans les jeux d’acteurs et de leurs valeurs (voir partie Valeurs). 20) L’identification des déterminants des flux de services, y compris leurs relations avec les autres flux : humains, capital, énergie… 133 prospectives d’avignon - Comprendre les modalités de mise en œuvre d’une approche de la gestion de l’environnement et du développement territorial incorporant les SE, par ex. 21) Intégrer les dimensions économiques, de gouvernance et sociales de paiements pour les SE 22) Analyser les différentes modalités possibles d’intensification écologique de l’agriculture, de la foresterie ou de l’aquaculture au travers de l’intégration des services écosystémiques dits ‘intrants’ et des externalités positives de la biodiversité et de ses effets sur le fonctionnement des écosystèmes dans les systèmes de production. 23) Raisonner les mécanismes de l’équivalence écologique et des actions de compensation 24) Analyser comment les politiques publiques doivent et peuvent prendre en compte les services écosystémiques pour la gestion du territoire, des activités de production primaire (agriculture, foresterie, pêche aquaculture) et pour la conservation de la nature. 25)Et pour toutes ces propositions, analyser les trois questions suivantes : • Les services écosystémiques sont-ils garants d’un « bon » fonctionnement de l’écosystème ? • Quels bénéfices réels / risques pour la biodiversité ? • Quels avantages / risques pour les acteurs locaux ? Seconde démarche Au regard de la démarche de recherche précédemment exposée, la seconde démarche identifiée dans la préparation de l’atelier qui entend avant tout questionner les fondements, le sens et les implications de la notion de service écosystémique, sur un plan épistémique mais aussi politique, social, moral prend un chemin différent et pose d’autres questions pour la recherche fondamentale des 10 ans à venir. Compte tenu de la dimension polémique du questionnement sur les services-écosystémiques, la première question de recherche consiste à revenir à la caractérisation de ces services, afin d’identifier : • l’orientation la plus pertinente pour les définir (construction d’un espace de controverse ou consistance conceptuelle), • les disciplines requises dans cet effort de définition, • le mode selon lequel ces différents regards disciplinaires doivent interagir. De ce point de vue, la place acquise par l’économie (en tant que discipline) dans l’approche des services écosystémiques et la mise en œuvre de cette notion semble devoir faire l’objet d’une interrogation particulière. Le cadre institutionnel de la prise en compte des services écosystémiques (par exemple d’éventuels paiements pour services écosystémiques) pourrait être d’une importance cruciale, déterminant les effets sociaux et poli134 tiques, voire éthiques, de mesures de types économiques. D’autres disciplines des sciences humaines et sociales s’intéressent de façon notable à l’environnement depuis quelques décennies (philosophie, anthropologie, sociologie). Mais ont-elles véritablement investi le sujet des services écosystémiques ? Et si oui, à quel titre ? Sont-elles porteuses d’un discours particulier à l’égard des services éco-systémiques ? Devraient-elles être plus présentes ? Toutes ces questions doivent orienter la recherche au sein de chacune de ces disciplines et les conduire à s’interroger sur les conditions de leur collaboration. Le premier objectif de la recherche est de faire un état des lieux de la situation puis, à la lumière de celui-ci, de : • proposer une définition de la notion de service éco-systémique à partir de laquelle les différentes communautés scientifiques mobilisées autour de cette notion puissent dialoguer, A cette fin, on s’intéressera notamment à : • histoire de la notion, • acteurs mobilisés dans son émergence et son élaboration, • concepts scientifiques associés, • problématiques écologiques soulevées, • mécanismes écologiques et évolutifs liés à la notion. • Typologie des bénéfices (notamment place et hiérarchie des bénéfices de type social ou culturel). D’autre part (2nd objectif), il convient de repérer quelle place occupe déjà la notion de service éco-systémique dans la recherche écologique, et de mettre en évidence les finalités qu’elle permet de poursuivre dans cette recherche. Plusieurs questions de recherche doivent être posées dans cette perspective : • Place dans l’analyse des problématiques environnementales, dans la gestion des écosystèmes. Conséquences, usages possibles, effets pervers éventuels, associés à sa mise en œuvre dans les politiques publiques. • Qu’apporte la notion de service éco-systémique quant aux représentations que les individus et les sociétés se font de « la nature », de « l’environnement » et des « écosystèmes » ? Systèmes socio-écologiques, écologie humaine, écologie politique, anthropologie de l’environnement, domaine de l’éthique… • Controverses, notamment liées aux différents usages possibles, épistémologiques, sociaux, politiques, de la notion (concept organisateur de connaissance, outil transdisciplinaire, moyen de déterminer les politiques publiques, etc). • En conclusion, à la lumière de ces éléments, la réflexion pourra évoluer vers une analyse des représentations de la nature qui lui sont associées. Est-elle en concurrence avec d’autres notions pour appréhender la relation entre les hommes et les écosystèmes ? Enfin, un 3e objectif peut être défini comme celui de l’analyse critique, qui ne signifie pas rejet, mais discussion, de la mise en œuvre sociale et des constructions scientifiques de la notion. La mise en œuvre de la notion rencontre plusieurs difficultés dont cette partie vise à rendre compte : a) Dimension épistémologique : de façon générale, que faut-il documenter ? Que faut-il comprendre ? Que faut-il modéliser ? Que faut-il mesurer ? Au regard de ces éléments, quelles sciences et quels point de vue faut-il mobiliser ? En outre, des difficultés épistémologiques particulières doivent être discutées de façon spécifique, notamment : 1) quels concepts et méthodes propres à l’évaluation économique des services éco- systémiques et de l’efficacité des mesures prises ? 2) comment intégrer l’existence de pointsseuil de basculement dans la gestion environnementale et la relative imprévisibilité des processus écologiques ? Quelles formalisations et quelles disciplines convoquer pour répondre à ces difficultés ? 3) Des questions d’échelle se posent-elles de façon particulière ? b) Dimension sociale : quels sont les acteurs de cette mise en œuvre ? Quels sont ses outils institutionnels, législatifs ? Quels sont les modes de décision employés pour la gestion environnementale fondée sur la notion de service éco-systémique ? c) Dimension politique : comment analyser et appréhender la diversité des représentations, la pluralité des acteurs et les conflits d’intérêt dans la gestion de l’environnement ? Les institutions existantes aux différentes échelles – régionales, nationales, internationales – sontelles appropriées pour faire face à ces questions ? Peut-on identifier des problèmes particuliers d’« acceptabilité sociale » et comment analyser ceux-ci ? En quoi la notion de service écosystémique renouvelle-t-elle l’analyse des conflits environnementaux ? Dans cette partie, il s’agit donc de discuter des implications normatives de la notion de service éco-systémique : que dit-elle et quelles sont ses relations avec des objectifs tels que la conservation de la biodiversité, la restauration, tant au regard d’une nature perçue comme emblématique (espèces menacées, patrimoniales et/ou charismatiques) que d’une nature envisagée comme ordinaire (y compris les communautés microbiennes, prépondérantes en biomasse, et essentielles dans le fonctionnement des écosystèmes) ? Il conviendra de discuter le rôle dévolu aux solutions de type économique, qui sont souvent associées à la notion de services éco-systémique (permis, taxes, évitement de subventions perverses, etc.) On pourra, dans cette discussion, interroger de façon particulière la distinction faite entre « économie de l’environnement » et « économie écologique », la deuxième se démarquant par l’intention de mieux prendre en compte que la première les contraintes écologiques. Cette discussion mise en place, on peut s’interroger sur les alternatives à cette situation. 135 prospective de l’institut ecologie et environnement du cnrs prospectives d’avignon Enfin, au regard de la question posée sur l’acceptabilité sociale de certaines mesures, on peut se demander jusqu’à quel point la gestion de l’environnement se doit de répondre aux « demandes sociétales » (et lesquelles), et dans quelle mesure la notion de service écosystémique intervient dans ce débat. Eu égard à toutes ces questions, la notion de service écosystémique permet d’éclairer une interrogation transversale qui doit être posée : certains acteurs comptent-ils plus que d’autres (scientifiques, politiques, experts, usagers, etc.), que ce soit pour fixer des objectifs ou proposer des représentations de la nature et de la relation des hommes et des sociétés à l’environnement ? Un des enjeux de la recherche à venir est également de déterminer quels types d’interactions ces démarches peuvent et, le cas échéant, doivent développer. Résultats de l’atelier Lors des Prospectives des 24 et 25 octobre 2012, l’atelier a été animé par D. Couvet et M. Gaille. Il a réuni 22 participants (sur les 66 inscrits), essentiellement issus du champ des sciences sociales et humaines (avec deux dominantes disciplinaires : philosophie et géographie) et de l’écologie. Les services écosystémiques ont constitué le cœur de la discussion, à partir du texte préparatoire qui avait circulé au préalable auprès de plusieurs participants. La notion de service éco-systémique est apparu dans le champ des sciences de la conservation. Elle a été mise en avant dans le travail du Millenium Ecosystem Assessment en 2005, qui identifie 24 services majeurs, classés en quatre catégories, selon 5 types de bénéfices apportés aux humains. Cette notion donne lieu à une grande diversité d’interprétations, issues de différentes disciplines ou de leur collaboration. Cette diversité est liée à une double catégorisation, des fonctions écosystémiques, et des bénéfices, donc des objectifs qui peuvent être poursuivis avec cet outil. Elle suscite par ailleurs de nombreuses controverses, moins liées au problème de sa définition qu’à son statut opératoire et à sa portée politique et économique. Cette notion a en effet une dimension normative : elle peut être conçue comme un moyen - expliciter les dépendances des sociétés vis-à-vis de la biodiversité- pour une fin, la préservation de la biodiversité. Mais comme elle constitue le socle d’une grille d’analyse de ces dépendances, et est donc, à ce titre, un outil de diagnostic écologique, elle est également suspectée d’orienter les perceptions et de conduire à de nombreux effets pervers. Le thème des « paiements pour services écosystémiques » rend bien compte de la richesse et des ambiguïtés de l’utilisation de ce concept. Trois questions de recherche majeures ont émergé des discussions. Question 1 : Approfondir la relation biodiversité-services écosystémiques Ces deux notions sont fortement associées dans les politiques environnementales - l’Union européenne associe la préservation des deux, de même que plusieurs conventions internationales (cf. l’Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services, l’IPBES). La thématique « services écosystémiques » peut cependant donner l’impression d’occulter progressivement la problématique de la biodiversité. L’atelier a rappelé l’importance de la complémentarité de ces 136 deux thématiques, qui ne devraient pas être en compétition, mais rechercher leurs articulations les plus fécondes. En termes de recherche, et notamment en lien avec la géographie, il s’agit d’aller au-delà des fonctions de transfert qui permettent de cartographier les services, avec une simplicité trompeuse, gommant de nombreuses problématiques concernant la biodiversité. Pour approfondir, il est nécessaire de mieux identifier la responsabilité des différents ni- veaux d’organisation biologique, populations, communautés, écosystèmes, paysages, le rôle de la diversité, taxonomique, phylogénétique, fonctionnelle, dans la fourniture de ces services. Ces causalités doivent être examinées selon différentes échelles d’espace et de temps. Il s’agit enfin et surtout d’affronter la problématique des oppositions et synergies entre services. Une raison majeure du développement de la notion, au sein des sciences de la conservation, réside dans l’hypothèse d’une complémen- tarité entre services, de multi-fonctionnalité, à rebours de l’idée d’un pilotage de quelques services, aux dépends des autres. La biodiversité a un rôle fondamental à jouer dans cette complémentarité. Un usage intéressant de la notion de service éco-systémique, de ce point de vue, réside dans la réflexion sur les concurrences entre services et sur les compromis à faire entre une pluralité de services (exemple : perpétuer la biodiversité d’un éco-système/aménager le paysage pour des touristes et des habitants/ développer l’agriculture). Question 2 : Approfondir la dimension sociale et culturelle du rapport à la nature Telle qu’elle est présentée par le Millenium Ecosystem Assessment en 2005, la notion de service éco-systémique se caractérise par la pauvreté de son élaboration du point de vue de sa dimension sociale, culturelle et politique. Le statut qui lui est conféré pourrait sembler de l’ordre du « résiduel » et la relation à la nature envisagée en 2005 est de l’ordre du « récréatif » au sens pauvre du terre. On pourrait vouloir pour cette raison en abandonner l’usage. Mais c’est compliqué puisque elle est déjà largement diffusée, y compris dans les codes juridiques environnementaux. Aussi faut-il peut-être substituer un paradigme à un autre et proposer une conception nourrie et centrale de cette dimension, au point d’en faire presque le cadre même de l’analyse des services éco-systémiques. On peut par ailleurs d’emblée mettre en évidence une faille de cette conception, de la pauvreté de la conceptualisation de la dimension sociale, culturelle et politique du rapport à la nature. Fait-on de cette dimension culturelle le résiduel ou le cadre d’analyse (dimension Europe latine vs Europe anglo-saxonne). La question clé à promouvoir est celle de la solidarité des individus entre eux face à l’objectif de préservation de la nature et du maintien de l’idée d’un « bien public » dans les relations que chacun entretient avec les services écoy-systémiques. Il faut se déprendre d’une vision centrée sur l’individu et les finalités individuelles et réinventer une vision « commune » et « collective » du rapport aux services éco-systémiques. Question 3 : Services éco-systémiques et justice environnementale Si l’on réduit l’approche de la nature à la notion de service éco-systémique, on risque de se fermer à l’idée que « la nature » est, par elle-même, indépendante de la finalité de la conservation que lui assignent les sociétés humaines et des services qu’elle est susceptible de leur rendre. D’ailleurs, au sens, littéral, l’expression est un non-sens : La nature ne rend pas de service ! Le danger inhérent à cette perspective est d’ailleurs patent dans le risque de ne chercher à conserver que ce qui sert à quelque chose et cela au détriment des fonctions redondantes (problèmes des analogies fonctionnelles ou de l’équivalence fonctionnelle). Il y a un véritable clivage entre la perspective centrée sur les services et celle qui refuse de s’y réduire. Afin de dépasser ce clivage, il faudrait utiliser la notion de manière réfléchie et critique. La notion est certes anthropocentrée, mais elle est aussi une porte ouverte à la question de la justice environnementale et de la distribution des responsabilités. Et précisément, elle oblige à examiner la relation entre hommes et nature. Elle peut conduire à monétariser la nature : on peut l’accuser à partir de là de contribuer à marchandiser la nature, mais en même temps, son usage signifie qu’on peut faire payer ceux à qui l’on attribue la cause de la dégradation de la nature. En outre, le problème n’est peutêtre pas la monétarisation, mais le fait que la nature soit appropriée. Une autre logique, par exemple, celle de la patrimonialité, pourrait 137 prospectives d’avignon être opposée à l’idée de marchandisation de la nature. Comme outil de débat et de controverse, la notion de service éco-systémique est donc, politiquement, à double tranchant. Elle a au moins le mérite d’orienter la réflexion 138 vers cette problématique de la justice environnementale et de nous inviter à réinterroger l’impact théorique et normatif de la discipline économique pour les sciences humaines et sociales et l’écologie. Les sciences de l’écologie et de l’environnement actrices du développement durable introduction avignon Prospective Jean-Denis Vigne, Nadine Le Bris, Jean-Pierre Feral, Joël Guiot Ce troisième volet de la prospective vise à relever deux défis majeurs : mieux appréhender la complexité extrême des interactions entre sociétés humaines et systèmes écologiques ; s’appuyer sur cette maîtrise de la complexité pour accroître le rôle du monde de la recherche dans la construction du développement durable. Relever le premier défi implique d’intégrer les diversités naturelles et culturelles impliquées respectivement dans les second et troisième volets de ces prospectives, dans des perspectives résolument multi- et interdisciplinaires. Pour l’écologie et les sciences de l’évolution, il s’agit d’une part d’intégrer sur des échelles spatiales et temporelles multiples, la connaissance du fonctionnement des systèmes écologiques et des leurs interfaces, afin notamment qu’elle soit accessible pour répondre aux enjeux sociétaux ; d’autre part d’intégrer l’homme non seulement en le considérant comme un acteur potentiel des dynamiques écologiques, mais aussi en prenant pleinement en compte la complexité, l’irrationalité et l’imprédictibilité des comportements sociaux et cela avec les outils propres aux sciences humaines et sociales. En contrepartie, le défi qui se pose aux sciences humaines et sociales consiste à élargir leur champ de vision aux questions historiques, économiques, juridiques et philosophiques que posent les interactions entre société, biodiversité et environnement, à déporter les centres de gravités de leur réflexion de telle sorte qu’ils incluent pleinement ces problématiques, et à inventer les outils intellectuels adaptés à cette interface sensible. La rencontre de ces deux mondes académiques dans le champ des sciences de l’écologie et de l’environnement est source de dynamisme et d’innovation scientifique. Elle est aussi la condition nécessaire à l’élaboration de nouveaux concepts partagés, à même de fonder l’existence d’une nouvelle communauté scientifique, et de lui permettre de jouer le rôle qui lui revient dans la construction du développement durable. Les ateliers du colloque d’Avignon ont mis l’accent sur différents éclairages qui, portés par des communautés particulièrement dynamiques, jouent le rôle d’incubateurs pour ces nouveaux concepts. Il faut souligner que plusieurs de ces ateliers ont mêlé des chercheurs issus de différentes institutions, tels, bien sûr, le CNRS, les universités et le Muséum national d’Histoire naturelle, mais aussi l’IRD, l’IFREMER, le CIRAD ou l’INRA. Cette pluralité est de bon augure lorsqu’il s’agit de souder une communauté scientifique autour du rôle qu’elle est appelée à jouer dans la société. 141 prospective de l’institut ecologie et environnement du cnrs L’atelier « Environnements quaternaires non anthropisés ou peu anthropisés ; interactions hommeclimat-environnement sur le long terme », enracine d’entrée cette réflexion dans le temps long. C’est en effet au prix d’approches multiscalaires, dans l’espace et le temps, qu’on pourra mieux maîtriser les questions qui se posent aux sciences de l’écologie et de l’environnement. C’est aussi en comprenant mieux le fonctionnement d’environnements peu anthropisés mais proches de ceux que nous connaissons aujourd’hui, qu’on construira les référentiels indispensables à l’élaboration d’un appareil interprétatif propre aux sciences de l’environnement qui prend en compte et intègre la complexité des interactions homme-milieu et organismes-environnement. Ce texte met en valeur le bénéfice que ces dernières peuvent tirer d’une communauté scientifique trop longtemps tenue aux marges des sciences de la terre, de la vie et de l’homme, mais qui a cependant su forger ses concepts et ses outils, et développer des recherches novatrices. En miroir par rapport au précédent, le texte produit par l’atelier « Changement global, organisme, écosystème, humain » pose les multiples questions auxquelles sont confrontées les sociétés modernes : changements climatiques, érosion de la biodiversité, invasions biologiques, dégradation des habitats... Cette problématique met en jeu une méthodologie basée à la fois sur l’expérimentation, la collecte de données de terrain, la modélisation des processus à différentes échelles de temps et d’espace. Les sciences participatives de plus en plus utilisées et prometteuses impliquent une validation appropriée. Les bases de données doivent être interopérables avec un effort particulier aux interfaces disciplinaires. Le temps long est également un aspect fondamental qui permet de travailler sur des processus lents, en particulier ceux qui déterminent la résilience de certains systèmes. L’interdisciplinarité nécessaire à l’appréhension des interactions homme-milieu, l’analyse multi-proxy, la mise au point d’indicateurs pour l’aide à la décision, la quantification des incertitudes sont autant de défis pour la communauté scientifique. Cela l’est d’autant plus que le temps du scientifique, celui du citoyen et du décideur sont différents. Un bon exemple de ce défi est la transition énergétique et les politiques climatiques qui nécessitent des décisions rapides pour enrayer des tendances sur le long terme. Le texte de « Prospective priorités en écotoxicologie » offre un complément aux prospectives sur le changement global, en même temps qu’une illustration particulièrement pertinente des différentes échelles (du nano au global) sur lesquelles se déclinent les interactions entre disciplines, de la chimie aux sciences sociales en passant par la physiologie et, bien sûr, l’écologie. Il rappelle la nécessaire complémentarité des études de terrain, des observatoires, de l’expérimentation et de la modélisation. Cet atelier centré sur la question des contaminants, de leur dynamique et de leurs effets toxiques sur les organismes et les écosystèmes, propose une démarche intégrative aux interfaces de plusieurs champs disciplinaires qui rejoignent différents Organismes de recherche et Instituts du CNRS. Les quatre textes suivants concernent des thématiques ou des objets pour lesquels les prochaines années s’annoncent particulièrement productives, en raison du renouvellement des questions de recherches par de nouvelles techniques, ou bien parce qu’elles concernent des champs particulièrement sensibles pour l’avenir des sociétés. Le domaine « Domestication, agrobiodiversité » réunit ces deux qualités non seulement parce que les recherches y connaissent un forte production de données nouvelles résultant du développement des outils biogéochimiques, morphométriques ou paléogénétiques, mais aussi parce qu’elles sont liées aux grandes questions concernant l’avenir de l’alimentation mondiale. C’est en outre un champ dans lequel les sciences historiques viennent épauler de façon de plus en plus pertinente les problématiques actuelles. Porté par une communauté d’identité forte mais fragmentée (entre différents biomes, entre régions marines et océaniques, ancrée dans la biologie des organismes, l’océanographie ou des sciences de l’évolution), l’atelier « Mer » propose une synthèse des questions prioritaires dans un domaine particulièrement sensible dans le champ du développement durable. Au cours des dernières décennies, l’emprise des activités humaine sur le milieu marin s’est accru exponentiellement, et même 142 les environnements marins éloignés des côtes jusqu’alors relativement peu impactés par l’homme sont aujourd’hui concernés. Cette composante majeure de la biosphère participe, par des effets de synergie ou de rétroaction, aux changements environnementaux planétaires. L’atelier d’Avignon faisait suite à la parution d’un document établissant le bilan des forces et thèmes majeurs de l’INEE dans ces domaines. Le texte ci-après le complète et l’oriente selon trois axes prospectifs majeurs : l’intégration terre-mer, les interactions du vivant avec l’environnement marin et la connectivité. L’objectif est de replacer la dimension biologique et la question des interactions au centre de l’étude du fonctionnement des écosystèmes marins pour mieux appréhender leurs capacités de réponse vis-à-vis des facteurs de perturbations tant locales (e.g. eutrophisation) que globales (e.g. fixation du CO2). L’atelier « Ecologie tropicale » analyse les grands enjeux d’un autre milieu particulièrement sensible pour les questions de développement durable, et dont la valeur heuristique s’affirme de plus en plus nettement. Les régions tropicales seront fortement affectées par les effets des changements globaux, et les conséquences de ces recompositions de communautés peuvent être particulièrement profondes dans les écosystèmes tropicaux. Pour la grande majorité d’espèces, nous manquons encore des données de base pour suivre les impacts sur des populations. A l’heure où plus de la moitié de la population mondiale vit en ville, les « Socio-écosystèmes urbains » sont des objets d’étude en même temps que des défis lancés aux sociétés. Au-delà des multiples questions écologiques et socio-environnementales qui s’y posent, il apparaît que l’un des enjeux majeurs de cette thématique est d’ordre épistémologique : la ville est le système par excellence qui permet de rompre avec le paradigme de la nature, et de refonder les recherches sur des bases plus pragmatiques qu’idéologiques. A ces quatre textes, il faut adjoindre les prospectives « Recherches polaires » qui ne figurent pas dans ce volume mais constituent, au même titre que les quatre autres, un champ d’intégration à la fois dynamique en termes de recherche et sensible pour aborder les défis liés au changement global. L’atelier intitulé « Pour une écologie globale » conclut ce quatrième volet de la prospective en revisitant en profondeur, moins de trois ans après les prospectives de Rennes, la trilogie fondatrice de l’INEE : Fonctionnement des écosystèmes, Evolution-biodiversité et Sociétés-territoires. A la lumière de ce texte, comme de ceux qui précèdent, ce concept fondateur reste certes d’actualité, mais il apparaît maintenant un peu simpliste, preuve du chemin parcouru depuis 2009. L’« Ecologie globale » laisse place à un ensemble intégré des sciences de l’écologie et de l’environnement que l’INEE continuera à enrichir et à renforcer pour mieux comprendre les dynamiques complexes des socio-écosystèmes et pour relever les grands défis actuels. Ecologie globale observer expérimenter Modéliser archiver fonctionnement des écosystèmes évolution et biodiversité Représentation schématique de l’Ecologie globale ». On est tenté de le faire évoluer maintenant vers une représentation en réseau, qui rendrait mieux compte de l’intensification des interactions entre les communautés disciplinaires, les échelles et les thématiques. sociétés et territoires 143 144 ENVIRONNEMENTS QUATERNAIRES NON ANTHROPISES OU PEU ANTHROPISES ; INTERACTIONS HOMME-CLIMAT-ENVIRONNEMENT SUR LE LONG TERME avignon Prospective Coordinateurs : Pierre Antoine, Jean-Jacques Bahain, Pascal Bertran Contributeurs : Marie-Françoise André, Valérie Andrieu-Ponel, Pierre Antoine, Jean-Jacques Bahain, Jean-François Berger, Pascal Bertran, Jean-Philip Brugal, Nicole Limondin-Lozouet, Michel Magny, Bruno Maureille, Olivier Moine, Nicolas Teyssandier Mots clés : Environnements continentaux, Quaternaire, forçages climatiques, changements rapides, héritages, dynamiques naturelles, enregistrements-réponses, haute-résolution, géochronologie, paléo-écosystèmes, paléo-biodiversité, référentiels pré-anthropisation, paléo-(bio)-géographie, (bio)(géo)-archéologie, dynamiques de peuplement humain, taphonomie, bases de données. Introduction, état des lieux Au sein de l’INEE, une importante communauté de recherche travaille sur la réponse des environnements continentaux et des populations humaines aux perturbations naturelles (en particulier climatiques) sur le long terme, soit au cours des deux derniers millions d’années environ. Par rapport aux recherches axées exclusivement sur les paléoclimats et leur modélisation menées au sein de l‘INSU, ou sur les comportements culturel et symbolique de l‘Homme conduites essentiellement au sein de l‘INSHS, l’originalité des thématiques développées au sein de l’INEE réside dans : 1) l’intégration permanente des « interactions Homme-climat-environnement sur le temps long » (des milieux non anthropisés pléistocènes aux prémices de l‘anthropisation au Néolithique), 2) la référence au monde vivant actuel (analogues), aux processus qui l’animent et à son fonctionnement, pour interpréter les données résultant de l‘étude des séquences anciennes (archives), 3) un engagement systématique dans les thématiques de l’archéologie et de la bio- et géo-archéologie, notamment en collaboration avec les différents acteurs de l’archéologie préventive (INRAP, collectivités territoriales, sociétés privées), le MAE et l’INSHS. Ces recherches, menées sur l’ensemble des écosystèmes continentaux et incluant les milieux extrêmes des hautes et basses latitudes, ont la capacité d’embrasser non seulement des échelles de temps et d’espace variées, mais aussi toute la diversité des écosystèmes, étape indispensable à la compréhension de leur fonctionnement dans le passé. Fondamentalement interdisciplinaires, ces recherches reposent sur l’étude des environnements, des archives sédimentaires continentales et des vestiges associés, qu’elles soient d’origine lacustre, fluviatile, éolienne, pédologique, karstique, glaciaire ou littorale, en contexte naturel ou archéologique (Photos 1 à 5). Elles intègrent à la fois les problématiques, les marqueurs et les techniques des biosciences, des géosciences de surface et de l’archéologie. Ces travaux s’insèrent dans les grands thèmes de recherche nationaux et internationaux concernant l’enregistrement des variations climatiques et la mise en évidence de leurs impacts sur les environnements continentaux et les populations humaines préhistoriques (adaptations culturelles et économiques liées aux changements environnementaux, migrations et dynamique de peuplements dans différentes régions du monde, paléogéographie et relations continent-péninsule-île ou archipel…). 145 prospective de l’institut ecologie et environnement du cnrs prospectives d’avignon Dans ce contexte, la prise en compte des héritages (morpho-sédimentaires, pédologiques, biologiques et écologiques) est fondamentale dans le développement des travaux axés sur le changement climatique actuel (variabilité de la vulnérabilité vis-à-vis des processus d‘érosion et d‘inondation, modification et disparition de biotopes…), et sur l’impact de l’action humaine sur les environnements. Par exemple, les études sur les épisodes de dégradation brutale du permafrost au cours du dernier glaciaire ou la modification des systèmes fluviatiles et littoraux au Tardiglaciaire, en relation avec des épisodes de réchauffement climatique rapide fournissent des référentiels uniques pour les recherches visant à évaluer et à modéliser l‘impact des modifications climatiques et environnementales actuelles, sujet qui focalise l’attention d’une large part de la 1 - Fouilles de sauvetage INRAP sur le site paléolithique en contexte loessique d’Etricourt (Somme / projet Canal Seine-Nord-Europe, collaboration INRAP-CNRS). communauté scientifique et en premier lieu celle de nombreux chercheurs de l’INEE. D’autres exemples significatifs concernent 1) les apports de la paléoécologie sur la compréhension de la composition et de la structuration du vivant dans les écosystèmes actuels ; 2) leurs relations avec les forçages climatiques quaternaires qui modifient l’architecture et le fonctionnement de ces écosystèmes. Ces analyses soulèvent des questions majeures telles que la signification de la biodiversité du monde vivant actuel alors que les écosystèmes ont été transformés très fortement par l’Homme depuis la fin de la dernière glaciation (soit depuis au moins 15 000 ans), en particulier dans les régions tempérées. 2 - Carottages dans les formations lacustres pléistocènes du Maar d’Alleret (collaboration CNRS - BRGM, Massif central). Enjeux et Problématiques D‘une manière générale, les thématiques que nous proposons de développer reposent sur une analyse diachronique et multiscalaire (temps et espace) des environnements quaternaires continentaux avec l’objectif de déboucher sur : 1) Une compréhension la plus fine possible des interactions Homme-climat-environnement sur le long terme. 2) La mise en place de référentiels pré-anthropisation1 nécessaires à une évaluation objective de l’impact des activités humaines sur les environnements physiques et biologiques actuels. Ces recherches sont au cœur d’interrogations qui animent la communauté scientifique inter146 nationale (cf. INTIMATE Working Group 4 « Impact » : impact des changements du climat sur l’environnement et les sociétés) et visent à caractériser le plus finement possible l’impact des changements climatiques quaternaires sur l’environnement au sens large, afin d’appréhender leurs conséquences sur les populations humaines depuis les débuts de l‘hominisation. Ces travaux reposent sur l’approche intégrée de nombreuses archives naturelles ou faiblement impactées par l’action de l’Homme qui amènent à documenter, à l’échelle régionale ou globale, les environnements continentaux tout au long du Quaternaire. Ils se fondent sur une démarche interdisciplinaire propre aux 1 - Avant que l’impact anthropique n’apparaisse significatif dans les enregistrements et archives étudiées (cf. la notion d’ « Anthropocène ». 3 - Sondage dans le remplissage de l’abris-sousroche de Gavsgheit (Mongolie), (collaboration CNRS, MAE, Mongolian Institut of Archaeology). équipes INEE, qui permet de renforcer les passerelles entre plusieurs champs disciplinaires comme l’écologie systémique, la géographie physique, la géologie, la pédologie, la biogéochimie, la paléontologie, la paléoanthropologie et l’archéologie. Enfin, pour parvenir à une information scientifique interprétable en terme anthropologique, une évaluation ou une réévaluation de la représentativité, de l’intégrité et de l‘homogénéité des assemblages archéologiques, fauniques 4 - Echantillonnage en continu à haute résolution dans la séquence de loess du pléistocène supérieur de Nussloch, Allemagne (programme ANR « ACTES »). et botaniques nécessite le développement des outils et des concepts de la taphonomie (de l’échelle du site à celle du paysage). C‘est là un pré-requis indispensable aux investigations concernant les archives anciennes. 5 - Fente en coin à remplissage de sable affectant une formation de terrasse fluviatile sablo-graveleuse de la Garonne à Cussac Ces objectifs impliquent la transmission et la mise à disposition de l’ensemble des résultats, via la création, la mise en réseau, et l’alimentation de bases de données multi-proxys associées à un cadre chronologique solide et pouvant servir de base à des modélisations. Compte tenu de l’état des lieux de la recherche au niveau de l’INEE, mais aussi des données qui proviennent des travaux menés sur ces thématiques au niveau international, un certain nombre de thématiques et de mots-clés semblent se dégager et représenter des directions de recherche à soutenir dans un futur proche : Mise en évidence de l’impact des variations climatiques quaternaires sur les environnements continentaux Cette thématique multiscalaire est développée à l’échelle des variations climatiques quaternaires, qu’il s‘agisse des grands cycles de type glaciaire-interglaciaire (ex. cycle de 100 ka pour le dernier million d’années) ou des événements climatiques millénaires du dernier glaciaire (cycles de Dansgaard-Oeschger, événements de Heinrich) et des oscillations séculaires au cours de l’Holocène. Elle concerne tous les types d‘environnements continentaux et doit privilégier les milieux qui sont susceptibles de fournir les enregistrements les plus fins et complets (haute résolution) mais aussi les plus contrastés : lacs (photo 2), systèmes fluviatiles, milieux arides et extrêmes (périglaciaire, photo 5), séquences lœssiques (photo 1 et 4)... L’acquisition de données de terrain (le cas échéant précédées par des études géophysiques) et la quantification de certains paramètres climatiques à l’échelle locale jouent un rôle fondamental comme élément de contrôle des simulations menées à des échelles plus globales. Certains modèles régionaux et globaux montrent notamment l’existence de connexions à grande distance et de zonages climatiques complexes à la surface de la planète, dont les variations dans le temps doivent encore être affinées. Parallèlement, il est nécessaire de renforcer l’étude interdisciplinaire des séquences sédimentaires associées aux sites archéologiques 147 prospectives d’avignon (géoarchéologie), car elles constituent les principales archives permettant de documenter : 1) L’impact des changements climatiques sur la constitution des sites et leur périphérie. 2) L’adaptation / résilience des populations humaines préhistoriques à ces variations climatiques. Enfin, la mise en évidence au sein de ces séquences de hiatus, d’épisodes de remaniements ou d’altération reste fondamentale afin d‘approcher les conditions de préservation des assemblages archéologiques et de développer une approche critique des séquences pédosédimentaires archéologiques (taphonomie) ; étape fondamentale pour les objectifs de datation et de reconstitution de l’environnement immédiat des occupations humaines. Dans ce contexte, la reconstitution des cadres successifs des occupations humaines doit s’appuyer sur l’analyse des paléodynamiques géomorphologiques. Mise en évidence des caractéristiques spécifiques de la biodiversité au Pléistocène La caractérisation de la biodiversité pléistocène, notamment aux cours des phases climatiques « extrêmes » (évènements de Heinrich, cycles de Dansgaard-Oeschger, optima interglaciaires ou maxima glaciaires), et sa comparaison avec la biodiversité de l’Holocène antérieure à l’anthropisation (référentiel pré-anthropisation) ainsi qu’avec celle de l’Holocène anthropisé est un axe de recherche fondamental. Un référentiel des différentes modalités d‘anthropisation des milieux pourrait aussi être constitué à l’échelle des grandes régions biogéographiques. L’acquisition de données biologiques associées à un cadre chronologique précis permettra de mieux comprendre la distribution géographique des taxons étudiés et de reconstituer les flux migratoires (dispersion) à l’origine de l’organisation actuelle des écosystèmes. Pour cela, il est nécessaire de s’appuyer sur des groupes dont la taxinomie, dans un cadre évolutif, est bien connue (rang spécifique et en deçà) faisant intervenir les analyses de morphologie et biométrie autant que l’apport 6 - Dégagement de restes de grand mammifère (rhinocéros) datés du dernier interglaciaire (Eemien), fouille archéologique de Caours (Somme) 148 de la paléogénomique. La profondeur temporelle qu‘offrent les études consacrées aux environnements quaternaires à la compréhension de la biodiversité actuelle reste irremplaçable. L’objectif est de restituer l’évolution de la biodiversité sur le temps long (photos 6 et 7) afin de répondre à diverses interrogations concernant : 1) L’impact des variations climatiques sur les biocénoses : l’enrichissement et (ou) l’appauvrissement de la diversité du vivant suivent-ils des tendances progressives ou des évolutions inégales ? Quel est le rôle des processus de co-évolution et de compétition, effets de seuil, tipping points, etc... 2) L’effet de l’anthropisation sur la richesse des écosystèmes par rapport aux référentiels des précédents interglaciaires et du début de l’Holocène. 7 - Coquille de Cepaea nemoralis espèce forestière parfaitement préservée dans des tufs calcaires interglaciaires (Eemien) de Caours (Somme). 3) La liaison avec la distribution géographique actuelle des êtres vivants qui découle de la cyclicité climatique quaternaire et se trouve aussi fortement influencée par l’impact anthropique croissant. Il est important de souligner que cette théma- tique s’inscrit pleinement dans le questionnement en cours au sein de la communauté internationale des paléo-écologistes. Les recherches menées par les quaternaristes français dans ce domaine représentent un potentiel important qui doit être valorisé et soutenu par les choix scientifiques de l’INEE. Analyse des interactions Homme-climat-environnement à différentes échelles de temps Cette analyse concerne des problématiques actuellement en plein développement et qui ont trait à la colonisation de la planète par l’Homme, comme : • L’émergence de la lignée humaine avec l’apparition du genre Homo en Afrique. • Les premiers peuplements de l’Eurasie et leurs relations avec les milieux physiques. • L’extinction des néandertaliens et l’émergence de l’Homme anatomiquement moderne en Europe ; • Les adaptations morphologiques, culturelles et socio-économiques des populations eurasiatiques et africaines au Pléistocène supérieur (derniers 150 000 ans). • Les modalités de la transition entre les derniers chasseurs-cueilleurs et les premiers producteurs (agropastoralisme) ; • Les questions de continuité-discontinuité des peuplements à différentes échelles de temps et selon les zones géographiques, incluant les milieux dits de contraintes (ex. zones d’altitudes, milieu insulaire). Elle concerne toutes les régions du monde, s’appuie en premier lieu sur le travail de terrain mené par de nombreuses équipes (prospections, fouilles, carottages) et possède une dimension temporelle très large, permettant d’appréhender aussi bien l’impact des grands cycles climatiques que celui les transitions rapides millénaires (entrées et sorties de glaciations, événements de Heinrich et interstades millénaires du dernier glaciaire) ou séculaires à annuelles pour l’Holocène. Un point-clef de ces études concerne l‘impact des changements paléogéographiques sur les peuplements humains et les écosystèmes (eustatisme, tectonique, extension des glaciers, volcanisme, mise en place de déserts…), à l’origine de barrières naturelles plus ou moins temporaires jouant un rôle crucial sur la spéciation, les migrations et l‘expansion des communautés vivantes et la biodiversité. In fine, il s‘agit de comprendre les conséquences de changements d‘ordre naturel sur les populations humaines à travers le temps. Analyse des interactions entre comportements humains et cadre écologique Cette thématique est abordée à travers à travers la gestion des ressources alimentaires ou l‘évolution des pratiques culturelles, notamment sur la base des approches de l’archéozoologie, de l’archéobotanique et de l’archéologie (i.e., techno-économie des cultures matérielles). Une démarche interdisciplinaire, mobilisant à la fois des connaissances sur les paléoclimats et les paléoenvironnements continentaux, mais aussi sur les stratégies d‘adaptation (sensu acquisition, consommation, transformation) des groupes humains, est indispensable pour aborder les questions de paléogéographie humaine pendant la préhistoire. Elles permettent notamment de dépasser la simple dichotomie nature versus culture avec d’un côté une vision fortement déterministe de l’évolution humaine établissant un parallèle direct entre les évolutions culturelles des sociétés humaines en réponse adaptative aux fluctuations du climat, et d‘autre part une vision strictement « culturelle » de l’Homme, dont l’histoire du peuplement serait uniquement régie par des facteurs démographiques, sociétaux ou technologiques. Elles passent par : 1) Le développement des études paléosocio-économiques « intrasites », dont la systématisation permettra de mieux identifier les changements dans l’alimentation (stratégies de subsistance) lors de stress climato-environnementaux. 149 prospective de l’institut ecologie et environnement du cnrs prospectives d’avignon 2) La mise en place concertée d’une démarche d’inventaire archéologique à des échelles locales à régionales (incluant la production de bases de données) pour mieux identifier les stratégies de redéploiement des sociétés au sein de l’espace géographique. Ces thématiques sont au cœur de grands débats dans la communauté internationale et sont principalement développées par des laboratoires affiliés à l’INEE. Grâce à sa longue tradition de recherche en archéologie préhistorique et par ses études des paléoenvironnements quaternaires, la France, zone de carrefour à l’extrémité occidentale de l’Europe, constitue en effet un laboratoire idéal pour analyser la paléogéographie humaine et les mécanismes qui la sous-tendent. C’est là une condition indispensable pour parvenir à des modélisations pondérées des dynamiques de peuplement des groupes et sociétés préhistoriques et protohistoriques. Développement des études axées sur la taphonomie des gisements et niveaux archéologiques Tous les sites archéologiques et paléontologiques ont subi, à des degrés divers, des transformations après leur abandon par l’Homme ou les animaux sous l’influence de processus biologiques, géomorphologiques et pédologiques. Pour accéder à une meilleure connaissance des sociétés préhistoriques et des paléoenvironnements dans lesquels elles ont évolué, l’enjeu d’une telle analyse est de déterminer quelles limites doivent être données à l’interprétation du matériel récolté, soit en raison de la perte d’intégrité des séries archéologiques et paléontologiques (problème de conservation/préservation, altération, tri hydraulique…), soit à cause du déplacement des vestiges ou de mélanges entre des séries différentes. L’analyse taphonomique, préalable essentiel à l’étude archéologique et paléobiologique d’un site, est garante du bien-fondé de l’interprétation palethnologique. Dans le cas de sites stratifiés, l’analyse taphonomique permet également de mettre en lumière les éventuels mélanges d’industries (étude de la distribution spatiale des vestiges) et, par là même, d’évaluer la pertinence des séries archéologiques utilisées pour répondre à des questions de définition ou d’évolution des cultures préhistoriques. Ce domaine de recherche, bien que répondant à des questionnements développés dans les années 80, reste à l’heure actuelle pour partie une spécificité française et apparaît novateur sur la scène internationale. Il permet d’établir une réelle interface entre (bio) géo-sciences et sciences des matériaux, avec un rôle fédérateur au niveau méthodologique, notamment à travers une démarche expérimentale. Outils et développements D’une manière générale, le soutien des recherches dans le domaine des paléo-environnements et des interactions Homme-climat-environnement pour les périodes anciennes de l’histoire humaine au sein de l’INEE est fondamental afin d‘assurer une contribution française significative sur ces questions au sein de la communauté internationale, et notamment européenne, où ces travaux sont actuellement en plein essor. Cela passe notamment par un soutien explicite de l’INEE aux programmes interdisciplinaires sur cette thématique, en particulier au travers d’appels à projets, d’écoles thématiques ou de 150 groupements de recherche associés au recrutement de jeunes chercheurs. Ces recherches doivent reposer sur le renforcement des collaborations entre spécialistes des dynamiques environnementales actuelles (photos 8 et 9) et passées, et de l’archéologie, ainsi que l’intensification des collaborations inter-instituts (INSU / INSHS). Le développement de ces thématiques de recherche doit s’appuyer de plus en plus sur la mise en place d‘une méthodologie d’analyses intégrées à haute résolution qui nécessitent un calage chronologique précis. Compte tenu de l’âge des séquences considérées, cette 8 - Processus périglaciaires actuels : solifluxion sur versant en Bolivie approche géochronologique implique le plus souvent l‘utilisation de méthodes autres que celle du radiocarbone. Il nous semble important à la fois de mettre en réseau les équipements analytiques (outils de caractérisation sédimentologique, micromorphologique, minéralogique et géochimique) mais aussi de développer de nouvelles ressources dans le domaine de la géochronologie (OSL, ESR, cosmonucléides), actuellement beaucoup trop limités au sein de la communauté nationale. La construction de bases de données impose des efforts de longue haleine en vue de la construction d‘un socle solide pour l’élaboration de modèles évolutifs sur les changements paléoenvironnementaux ; socle qui doit permettre le développement d’une analyse globale des interactions Hommes-Milieux, ainsi que le contrôle et la correction des modèles prédictifs. A ce sujet, un consensus se dégage sur la nécessité de renforcer le développement des moyens et plateaux analytiques adaptés au sein de l’Institut (géochronologie, sédimentologie, taphonomie,…). Enfin, un audit des équipements disponibles dans l’ensemble des laboratoires INEE constitue un préalable indispensable afin de faire remonter les besoins et définir les priorités. De la même façon, le développement des approches taphonomiques doit s’appuyer sur une démarche comparative (référentiels actualistes, photo 10) concernant l’action des différents processus biologiques et géomorphologiques. Sur bien des aspects, la taphonomie appliquée à l’étude des sites préhistoriques apparaît être encore à un stade exploratoire et de grands développements sont attendus avec la multiplication des expériences et des études de sites. 9 - Processus fluviatiles actuels : Oued marocain 10 - Processus actuels : carcasse de vache en cours de décomposition, Pyrennées L’acquisition de référentiels bien documentés doit rester une des priorités de ces travaux. Tous les champs disciplinaires sont concernés par cet impératif, biosciences, géosciences de surface et archéologie. 151 prospectives d’avignon Résumé des principaux points présentés lors du rendu des ateliers du 25 octobre (5mn) Introduction • Rappel du nombre de participants (34/45 inscrits) et de la richesse des débats • Positionnement de l’Atelier 19 : nécessité de « borner » l’atelier avant d’aborder la présentation des trois points principaux demandés dans le cadre de la restitution. • Résultante : structuration du rendu en 2 panneaux Panneau 1 : objectif 1 / Définition du périmètre de recherche Thème central : Réponse des environnements quaternaires continentaux (incluant les milieux naturels et faiblement anthropisés) et des populations humaines aux perturbations naturelles (en particulier les forçages climatiques) sur le long terme (deux derniers millions d’années environ). Originalité des thématiques développées au sein de l’INEE : • Intégration permanente des «interactions Homme-climat-environnement sur le temps long» (des milieux non anthropisés pléistocènes aux prémices de l’anthropisation au Néolithique). • Référence constante au monde vivant actuel (analogues), aux processus qui l’animent et à son fonctionnement, pour interpréter les données résultant de l’étude des séquences anciennes (archives paléo-environnementales). • Engagement systématique dans les thématiques de l’archéologie et de la géoarchéologie. Panneau 2 : Enjeux scientifiques identifiés par la communauté « Paléo » • Changements rapides dans les enregistrements quaternaires : archives, indicateurs, mécanismes, impacts, effets de seuil. • Validation des démarches comparatives passé - actuel (analogues) : conditions initiales, vitesse des processus, variabilités. • Modalités et dynamiques de dispersion des peuplements : contraintes environnementales, voies de migration, colonisation de la planète. Personnes ressources sollicitées (avant le colloque d’Avignon) Marie-Françoise André, Valérie Andrieu-Ponel, Fabien Arnaud, Jean-François Berger, José Braga, JeanPhilip Brugal, Cyril Castanet, Jean-Jacques Delannoy, Francesco D’Errico, Christophe Falguères, Didier Galop, David Lefèvre, Nicole Limondin-Lozouet, Michel Magny, Bruno Maureille, Norbert Mercier, Marylène Patou-Mathis, Jean-Luc Peiry, Isabelle Thery-Parisot, Nicolas Teyssandier. 152 Domestication agrobiodiversité avignon Prospective Coordinateurs : Jean-Denis Vigne & Jean-Frédéric Terral Contributeurs : Anne Augereau, Serge Bahuchet, Maxence Bailly, Guillaume Besnard, Didier Binder, Cécile Brun, Cécile Callou, Victoria de Casteja, Thomas Cucchi, Pierre-Michel Forget, Didier Galop, Eva-Maria Geigl, Sylvain Glémin, Lionel Gourichon, Finn Kjellberg, Mélanie Pruvost, Matthieu Le Bailly, Doyle McKey, Florent Maraux, Chloé Martin, Yanick Miras, Jean-Louis Nicolas, Christine Paillard, Anne-Caroline Prévost-Juliard, Benoit Pujol, Xavier Reboud, Martine Regert, Fabrice Roux, Marie-Pierre Ruas, Margareta Tengberg, Stéphanie Thiébault, Catherine Thèves, Yildiz Thomas, Michèle Tixier-Boichard, Anne Tresset, George Willcox Des micro-organismes aux plantes et aux vertébrés, l’étude de la domestication est, de longue date, un champ d’investigation fécond, tant pour les sciences de l’évolution que pour les sciences humaines et sociales. De par son positionnement d’interface disciplinaire, elle offre en effet des conditions particulièrement favorables pour comprendre certains mécanismes de l’évolution biologique (ex : adaptation, évolution des traits d’histoire de vie, processus de divergence des populations ou de coévolution, interaction entre démographie et sélection), et ce à différents niveaux d’organisation, du génome à son expression comportementale, structurale et morphologique. Les événements de domestication peuvent en effet être considérés comme des expériences d’évolution en temps réel, analysables à travers de multiples sources d’information (ex : rythmes temporels calés par les données archéologiques, connaissances des taxons ancêtres, identification des pressions de sélection). La répétition de ces expériences autorise l’approche comparative. La domestication joue par ailleurs un rôle central dans la compréhension des mécanismes d’émergence et d’évolution des sociétés passées et actuelles, de leur alimentation, de leur santé et de leur maîtrise des ressources. L’analyse de la domestication en tant que système et en tant que processus historique contribue à comprendre la façon dont les sociétés humaines s’organisent autour de ressources sélectionnées et transformées, et comment la transformation de la nature leur permet de construire leur histoire. Depuis quelques années, les sciences de l’environnement revisitent les problématiques liées à la domestication dans le cadre de l’anthropo-écosystème, l’envisagent comme un phénomène écologique et proposent de nouveaux concepts et de nouvelles pistes de recherche (Zeder 2006, McKey et al. 2010a, Vigne 2011). Cette évolution contribue à donner un nouvel élan à ce domaine de recherche, notamment parce qu’elle met l’accent sur l’interaction homme-plante/animal en tant que composante fondamentale de la domestication, et permet ainsi d’étendre le champ des études comparatives à des modèles marginaux, mais éclairants, que sont les adventices ou les commensaux. L’intérêt des sciences de l’environnement pour ces thématiques est renforcé par le rôle joué par la domestication sur la biodiversité, fortement impactée depuis plus de 10 000 ans par la « manipulation » du vivant (sélection de lignées, hybridation, transferts de taxons, invasions biologiques, OGM). En outre, la connaissance de l’agro-biodiversité et de son histoire s’affirme de plus en plus comme un enjeu majeur pour la maîtrise du développement durable. Cette thématique d’interface entre sciences de la vie et sciences de l’homme s’inscrit donc au cœur de l’écologie globale (sensu « écologie intégrative »). 153 prospective de l’institut ecologie et environnement du cnrs prospectives d’avignon La mobilisation d’une soixantaine de chercheurs issus de 25 laboratoires relevant de trois instituts du CNRS (INEE, INSHS, INSB) mais aussi de cinq autres institutions (MNHN, INRA, IFREMER, CIRAD, INRAP) autour de l’atelier « Domestication, agrobiodiversité » des journées de prospective d’Avignon témoigne du dynamisme et de la pluralité de la communauté scientifique concernée. Les discussions ont mis en évidence quatre grands champs prospectifs, portant : 1) sur les processus et rythmes, 2) sur les mécanismes biologiques, 3) sur les interactions avec la biodiversité et 4) sur les patrimoines phytoet zootechniques et leurs relations avec l’alimentation et la santé. Elles ont également dégagé un certain nombre de pistes concernant les outils, verrous méthodologiques et stratégies de recherche. Processus et rythmes L’analyse des processus historiques et rythmes d’intensification des interactions entre sociétés humaines et populations animales ou végétales, et la comparaison de la diversité des trajectoires aux différentes échelles spatio-temporelles visent à identifier et comprendre les mécanismes de co-évolution ou de co-développement. Cette recherche a, depuis peu, bénéficié de la multiplication des données archéologiques à haute résolution et du raffinement des techniques de l’archéozoologie et de l’archéobotanique (notamment la morphométrie et la paléogénétique), et de leur rencontre avec les progrès de la génétique des populations et des outils de modélisation (coalescence, inférences bayésiennes ; Zeder et al. 2006, Vigouroux et al. 2008, Tresset et al. 2009, Burger et al. 2011, Bollongino 2012, Larson et al. 2012). De nombreux travaux portant principalement sur la domestication des plantes annuelles, des fruitiers et des ongulés au ProcheOrient, en Chine ou en Amérique ont bénéficié de ces avancées (Bar Yosef & Price 2011, Willcox et al. 2012). Il convient d’accentuer cette intégration méthodologique, encore fort imparfaite (Larson 2011) en tirant le meilleur parti de l’émergence rapide des nouvelles technologies de séquençage et des techniques de modélisation, sans pour autant négliger la validation des échantillons par les techniques propres à l’archéologie et à la bioarchéologie. Cette recherche devrait s’attacher à tester les scénarios élaborés durant ces dix dernières années, notamment en ce qui concerne les dimensions des aires et rythmes de domestication initiale (Conolly et al. 2011, Fuller et al. 2011, 2012, Bollongino 2012). Une attention particulière devra être accordée à l’analyse des processus initiaux (agriculture pré-domestique, contrôle d’animaux sauvages, marronnages ; Vigne et al. 2011, Tano & Willcox 2012, Willcox 2012), aux ré154 servoirs potentiels de domestication secondaire que sont les anthropophiles, les commensaux ou les adventices (Cucchi et al. 2012, Ruas & ZechMatterne 2012), à la domestication des plantes pérennes, encore très mal connue (Kaniewski et al. 2012, Meyer et al. 2012). Les processus de domestication non aboutis, les échecs ou les retours au moins partiels à des systèmes non productifs chez les populations contemporaines comme en contexte archéologique, sont également des sources particulièrement éclairantes. Ces objectifs ne sauraient être atteints sans une meilleure connaissance de la biogéographie et de la diversité biologique des taxons qui sont à l’origine des lignées domestiques (Terral et al. 2012). De même, il faut d’urgence évaluer la part des lignées domestiques anciennes éteintes pour consolider les modélisations et prédictions fondées sur la génétique des populations actuelles. Pour cela, la balle est dans le camp de la paléogénétique (Larson et al. 2012), dont les interactions avec l’archéologie doivent impérativement se renforcer ; mais aussi dans celui de systèmes de modélisation tels la « modélisation de niche », capables d’inférer la dynamique de la distribution d’une espèce sauvage en intégrant les données fossiles (e. g. Besnard et al. 2013). A l’écart des « foyers » de néolithisation, les mêmes avancées techniques et conceptuelles sont de plus en plus souvent mobilisées dans une perspective phylogéographique pour identifier la ou les origines des lignées domestiques, la part prise par la biodiversité locale dans leur diversification, les voies, rythmes, conditions et causes de leur transfert à l’échelle continentale, ainsi que les savoirs et savoir-faire associés à ces transferts (Whittle & Cummings 2007, Tresset et al. 2009). Divers modèles de diversification dans des foyers secondaires laissent à penser que des vagues successives d’introduction de matériel d’origines multiples pourraient aussi avoir joué un rôle important dans les processus de diversification (manioc en Afrique, Delêtre et al. 2011 ; patate douce en Océanie, Roullier et al. 2013). Une connaissance fines des “scénarios de domestication” est un pré-requis à l’analyse des mécanismes biologiques impliqués (cf. 2) et doivent, aussi à ce titre, connaître un développement important dans les années à avenir. Il conviendra d’accentuer l’effort sur les régions du monde les moins explorées, sans délaisser cependant celles comme l’Europe ou le ProcheOrient, où la forte densité de données doit permettre d’affiner les analyses. Cette perspective devrait permettre d’étendre les recherches à des taxons encore peu explorés (par exemple, les essences forestières, dont le processus de domestication a été longtemps négligé), et d’enrichir la démarche comparative en multipliant les modèles. Elle reposera nécessairement sur l’émergence de communautés scientifiques interdisciplinaires formées à l’approche éco-anthropologique des dynamiques de domestication dans un certain nombre de pays émergents tels que le Brésil ou la Chine. La communauté scientifique nationale devrait s’impliquer plus encore dans ce passage de relais. Cet élargissement dans l’espace doit s’accompagner d’un élargissement du champ de recherches dans le temps, en continuité d’échelle avec les phénomènes de domestication en cours. Ainsi, il faudra faire un effort particulier pour se pen- cher sur des processus historiques récents, sans doute moins attractifs que les débuts de l’agriculture des céréales et, de ce fait, délaissés durant ces dernières années, mais pour lesquels les indices archéologiques s’enrichissent de ceux des textes (e. g. les petits fruits de jardins, Ruas 1992 ; le lapin, Callou 2003). Les deux derniers millénaires sont riches d’exemples non explorés, en Europe comme ailleurs, sur lesquels les approches textuelles, archéologiques, morphométriques et (paléo-)génétiques devraient converger. De même, il convient de tisser des liens entre les recherches visant les domestications anciennes et celles qui portent sur les phénomènes en cours, telles que la diversification des levures industrielles, la domestication des espèces aquatiques (poissons, coquillages), l’émergence des nouveaux animaux de compagnie ou des « nouvelles viandes » (ratites, cervidés…). De telles recherches permettront sans doute une meilleure prise en compte, dans les scénarios anciens, de facteurs que l’archéologie peine à percevoir (échecs, maladies…). Dans ces dernières approches, comme dans celles qui portent sur les périodes anciennes, l’analyse diachronique des pratiques sociales et techniques anciennes qui ont permis des domestications et de celles actuelles qui perdurent dans des poches peu perturbées par la modernisation agricole est une voie d’exploration du rôle de la domestication sur les sociétés qu’il ne faudra pas négliger. Changements biologiques ou comportementaux induits par la domestication Identifier et comprendre les déterminismes des changements biologiques ou comportementaux induits par la domestication à l’échelle des individus ou des populations domestiquées représentent, depuis Darwin, une contribution importante à la compréhension des sciences de l’évolution. A cet enjeu traditionnel, certes fortement renouvelé depuis peu par l’évo-dévo et la génomique, les approches éco-anthropologiques en ajoutent un second, qui consiste à comprendre les mécanismes co-évolutifs au sein du système homme-animaux-plantes-pathogènes. Dans ces deux domaines, les prospectives sont particulièrement riches, et sans doute plus étendues encore qu’on ne le prévoit, en raison même du renouvellement très rapide des techniques et des concepts. Les progrès de la (paléo)génétique, de la (paléo) génomique, de l’épigénétique, et leur couplage avec les approches développementales (évodévo) et de morphométrie (notamment géométrique) renouvellent depuis peu l’intérêt de l’étude de la domestication en tant que phénomène évolutif. L’effort engagé pour identifier les syndromes et les « gènes de la domestication » doit se poursuivre, afin de retracer leur histoire et de comprendre les mécanismes de leur expression et de leur évolution, entre adaptation 155 prospectives d’avignon et sélection. A titre d’exemple, l’exploration paléogénétique de la couleur des fruits (This et al. 2007), du changement de la biologie de la reproduction chez la vigne (Picq 2011), des couleurs du pelage des chevaux (Ludwig et al. 2009), des capacités olfactives des porcs (Greonen et al. 2012) ou de digestion de l’amidon par les chiens (Axelsson et al. 2013), ne sont que les premiers résultats d’une cohorte de recherches qui permettront la mise en évidence des cascades de gènes gouvernant la physiologie de caractères sous sélection tels que le rachis des céréales, les capacités laitières des bovins, l’aboiement ou la résistance aux stress. Les perspectives sont immenses, mais ne se limitent pas à l’approche génomique. Pour contribuer pleinement à la compréhension des conséquences biologiques de la domestication, cette dernière doit rejoindre un large cortège de recherches visant à identifier les syndromes de domestication par la morphologie géométrique, l’éco-physologie ou l’expérimentation. Nous sommes actuellement incapable de donner une liste exhaustive et cohérente des syndromes de domestication pour des plantes pérennes à propagation clonale aussi importantes sur le plan économique que l’olivier, la vigne, le palmier dattier (McKey et al., 2010c, Terral et al. 2010, 2012, Miller & Gross 2011, Meyer et al. 2012), encore moins pour de nombreux autres fruitiers. On ne sait pratiquement rien des syndromes liés aux adaptations édaphiques des plantes domestiques. Il en va de même pour de nombreuses espèces de mammifères dont on commence seulement à percevoir les syndromes cachés dans des traits morphométriques ténus (Cucchi et al. 2009) ou dans des comportements, notamment concernant l’agressivité (Albert et al. 2009). Des travaux en cours ouvrent par ailleurs la voie à la compréhension des différences embryologiques et ontogéniques qui distinguent le sauvage du domestique, et sont susceptibles d’expliquer les divergences morphologiques, physiologiques et comportementales. Dans ce domaine, de nombreuses hypothèses sont testables par l’expérimentation, pour peu qu’on soit en mesure d’engager des projets de recherche sur des durées adaptés aux temps de génération des taxons étudiés. Le renouvellement des connaissances dans ce domaine permet d’envisager à moyen terme une révision des syndromes de domestication propres à chaque espèce et une nouvelle perception des syndromes communs aux différents groupes de taxons. Par une confrontation avec les approches 156 génomiques, cette démarche devrait éclairer en retour les fonctions des gènes. Au-delà de l’étude des syndromes de domestication, celle des processus non-adaptatifs est encore limitée (e. g. Gu et al. 2005, Lu et al. 2006, Cruz et al. 2008, Glemin & Bataillon 2009). Certains scénarios démographiques comme les goulots d’étranglement induisent des phases de forte dérive génétique pouvant conduire à l’évolution de traits neutres ou (faiblement) délétères (e. g. Kirkpatrick & Jarne 2000, Garcia-Dorado 2012, Willi et al. 2012). De même la sélection des « gènes de domestication » peut induire la fixation de variants (faiblement) délétères en liaison génétique. Des traits phénotypiques peuvent aussi avoir évolué sans sélection directe si les « gènes de domestication » ont des effets pléiotropes. L’étude de ces « coûts » potentiels de la domestication devrait aussi être menée en vue d’une meilleure compréhension des populations actuelles, de leur conservation et de leur utilisation (cf. infra). La domestication est sans doute un champ privilégié pour analyser la part des réponses épigénétiques et physiologiques aux pressions environnementales. La « paléo-épigénétique » qui ciblerait préférentiellement le changement de méthylation de l’ADN apparaît techniquement à la portée des outils actuels de génomique même si cela nécessitera des études d’une ampleur encore plus grande que la « simple » analyse de génomes complets. Il devient donc envisageable d’explorer à terme la part de l’origine génétique ou épigénétique des syndromes de domestication (Hess et al. 2011). De même, de récents travaux ont montré que l’acclimatation des taxons domestiques à des environnements extrêmes est un domaine d’investigation particulièrement fécond, car il met en évidence le rôle de bien d’autres facteurs tels la composition de la flore du tube digestif chez les animaux (Balasse 2006). C’est encore un autre champ particulièrement fécond qui s’ouvre devant nous avec les progrès de la métagénomique, de la protéomique et de la paléo-parasitologie, que celui de l’analyse des co-évolutions au sein du système homme-animaux-plantes-pathogènes (Le Bailly et al. 2008 ; Guinane et al. 2010, Bos et al. 2011, Stukenbrock & Bataillon 2012). Ce domaine de recherche s’intéresse aux phénomènes de transmission de pathogènes lors des premières phases de domestication qui mettent l’organisme en interaction rapprochée avec l’homme, les carnivores, les ongulés, les micromammifères commensaux et des plantes, tous susceptibles de jouer le rôle de vecteurs directs de pathogènes ou bien de servir d’hôtes intermédiaires. Peu d’études sont actuellement menées sur les processus anciens, mais les données disponibles sur des populations humaines contemporaines et leurs acquisitions de pathogènes via des animaux sauvages ou domestiques permettent d’envisager des approches paléogénétiques fécondes, notamment pour mettre en place des outils de détection des pathogènes en contextes sédimentaires. Elles montrent en effet qu’après des transmissions inter-espèces, les pathogènes ont pu suivre des voies d’évolution différentes pour s’étendre aux populations humaines à travers des mécanismes biologiques distincts (Betsem et al. 2011, Mentabere et al. 2012, Kilpatrick & Randolph 2012). De tels mécanismes semblent bien compris et permettent d’accéder à un contrôle du risque. Cependant, la compréhension des étapes initiales de l’émergence de certains pathogènes et de leurs maladies associées reste très pauvre. La paléogénétique pourrait alors avoir sa place dans la compréhen- sion épidémiologique et microbiologique des interactions hommes-animaux-plantes afin d’acquérir des connaissances qui peuvent s’appliquer aux événements précoces des processus d’émergence ou de ré-émergence des maladies (Thèves et al. 2011, Biagini et al. 2012). Une autre dimension prospective concernant des co-évolutions mettant en jeu des microorganismes concerne les expériences anciennes de fermentation mises en œuvre dans le courant du Néolithique et de l’Âge du bronze, avec l’invention du vin (Valamoti 2007), de la bière (Bouby 2011) ou du fromage. Dans ce domaine, les recherches biogéochimiques commencent à révéler les périodes et régions d’usage précoce de la fermentation (Libkind et al. 2011, Sicard & Legras 2011, Salque et al. 2012). Il faut accentuer l’effort pour mieux identifier les conditions de naissance de ces interactions et coupler ces recherches avec des approches, ici encore, métagénomiques, susceptibles de documenter les mécanismes de sélection des micro-organismes domestiqués à ces époques, dont l’importance économique est aujourd’hui considérable. Impact de la domestication sur la biodiversité et l’environnement De nombreux travaux, y compris récents, suggèrent que l’impact de la domestication sur la biodiversité a été jusqu’à présent fortement sous-estimé, du moins pour certains groupes taxinomiques (micro-organismes, plantes à fleur, arbres, vertébrés supérieurs ; Pascal et al. 2005, Barbault 2006, Gepts et al. 2012). Certains évoquent même la perspective d’un renouvellement de la biodiversité à travers sa manipulation par l’homme (De Planhol 2004). Cela résulte en partie d’une méconnaissance des biodiversités et des scénarios anciens, de la faible visibilité archéobotanique ou archéozoologique des phénomènes de marronnage/ hybridation (y compris interspécifiques), et de l’insuffisante prise en compte des étapes initiales du «processus domesticatoire» : contrôle (ou « gestion ») et transfert de taxons sauvages, commensalisme (Vigne 2011). On peut attendre d’importantes avancées dans ce dernier domaine, tant en ce qui concerne les adventices des cultures que les faunes et flores rudérales des agglomérations rurales et urbaines. Les expériences récentes montrent que le développement de ces recherches est fortement dépendant de celui des bases de données diachroniques (Cucchi et al. 2005, Brun 2009), de l’élargissement du spectre taxinomique au-delà des espèces « modèles » qui ont monopolisé l’attention jusqu’à présent, et d’une interaction forte entre bioarchéologie, morphologie fonctionnelle, biogéographie, écologie et ethnologie (Cucchi et al. 2012, Terral et al. 2012). Il s’agit en effet de comprendre non seulement comment des taxons généralistes ou spécialistes s’adaptent à l’anthropo-écosystème et l’envahissent, mais aussi comment s’établissent les équilibres dynamiques entre taxons anthropophiles en fonction des environnements anthropisés, des pratiques et des capacités d’adaptation des taxons considérés. Concernant les adventices, la bonne compréhension des processus d’évolution de la biodiversité ne saurait se faire sans distinguer les espèces indigènes et étrangères parmi ces populations aux échelles géographiques considérées (par exemple une grande partie des adventices 157 prospective de l’institut ecologie et environnement du cnrs prospectives d’avignon européennes est d’origine proche-orientale ou méditerranéenne). Pour les espèces étrangères, l’étude des processus, rythmes et mécanismes de leur diffusion et diversification peut se faire de la même manière que pour les espèces domestiquées et avec les mêmes apports (cf. supra). La prise en compte du temps de résidence de ces taxons dans ces environnements est un des facteurs clés pour comprendre la mise en place et l’évolution de cette agrobiodiversité. Concernant les animaux commensaux, il convient d’élargir le spectre au-delà des modèles classiques, ce que le développement de l’archéo-entomologie et des bases de données sur les vertébrés devrait permettre d’engager dans un proche avenir. Dans tous les cas, un important effort doit être fait pour documenter les effets des espèces invasives sur leur écosystème d’accueil, les informations en la matière faisant cruellement défaut, même dans les régions les plus explorées (Pascal et al. 2006). De même, une attention particulière doit être accordée à l’incidence des taxons domestiques invasifs (Pascal et al. 2006). Il s’agit bien sûr de mieux connaître les phénomènes d’introgression des populations domestiques vers les populations sauvages autochtones taxinoniquement proches (porc-sanglier, ray grass-ivraie…), mais aussi d’explorer les transferts de pathogènes ayant suivi la même voie (e.g. varoa de l’abeille transmis aux bourdons). Cette recherche doit permettre de faire évoluer les critères de sélection de l’agrobiodiversité moderne pour limiter les impacts de l’introduction d’espèces domestiquées ou accroitre la durabilité de l’agriculture et de l’élevage. Ici encore, la clé du succès réside dans la prise en considération des systèmes anciens et contemporains, notamment en concentrant leurs efforts sur des socio-écosystèmes spécifiques comme le champ ou la ville, ou emblématiques en termes d’écologie et de conservation, de gouvernance, de services écosystémiques, (ex. de la cédraie ou de l’arganeraie marocaine). De même, l’interaction entre ces recherches et celles qui portent sur « société et santé » offrent des perspectives particulièrement fécondes. Il reste beaucoup à faire pour comprendre l’agriculture paysanne moderne ou récente et la sylviculture dans leurs aspects éco-anthropologiques. Ce vaste domaine de recherche se nour158 rit de l’analyse des systèmes agro-sylvo-pastoraux des périodes de l’histoire récente (Bouby et al. 2007, Ruas 2009) et des travaux descriptifs et comparatifs de l’éco-anthropologie, notamment sur des régions particulièrement sensibles ou posant des questions spécifiques comme les agrosystèmes tropicaux (Rival et McKey 2008 ; McKey et al. 2010b) ou la diversité offerte par l’arc antillais. Les recherches concernant la biodiversité, sa structuration et sa dynamique dans les espaces forestiers, sous différents climats, en rapport avec des temps et modalités d’exploitation longs, variés, voire polyphasés, sont en fort développement, sous l’impulsion des travaux d’eco-anthropologie et de ceux de l’archéobotanique, notamment à travers les nouvelles techniques d’analyse morphométrique des bois ou semences archéologiques (Dufraisse & Garcia-Martinez 2011, Paradis et al. in press). Un nouveau domaine d’investigation s’ouvre par ailleurs pour la compréhension des interactions entre les systèmes d’exploitation, la biodiversité et l’environnement, avec la ré-émergence du concept de « plantes de services », connu dès l’Antiquité notamment pour supporter les lianes de la vigne (Ruas 2013) et étendu aujourd’hui à de nouvelles pratiques agricoles permettant de réduire le labour ou les intrants. La perspective d’une approche comparative globale et multiscalaire, qui supposerait l’élaboration de grilles de variables communes à toutes ces recherches, semble cependant se heurter à la délicate question de la représentativité des sociétés modernes, y compris celles d’horticulteurs, par rapport aux sociétés historiques préindustrielles, a fortiori néolithiques. Patrimoines phyto- et zoo-techniques, alimentation et santé ; expertise et valorisation La connaissance et la compréhension de l’agrobiodiversité considérée comme un patrimoine naturel et culturel, et comme un facteur de développement durable forment un sujet de recherche dynamique, contribuant à la compréhension des interactions au sein de l’anthropoécosystème. En synergie avec certaines des thématiques développées dans le cadre de l’atelier « Systèmes culturels, stratégies et pratiques d’exploitation, de contrôle et de gestion des environnements », c’est aussi un chantier de valorisation des résultats réunis dans les trois axes de recherche précédents, au service de grandes questions sociétales. Comme pour la biodiversité, le premier enjeu des recherches sur l’agro-biodiversité consiste à inventorier, décrire et faire connaître la diversité phénotypique et génotypique des variétés domestiques. Ici aussi, la communauté scientifique mène une course de vitesse contre la disparition rapide des variétés anciennes, victimes des pressions économiques et de la mondialisation. Les enjeux de cette recherche sont en prise directe avec les grandes questions sociétales liées à l’alimentation et la santé : elles multiplient les possibilités de développer des solutions de développement durable adaptées à la diversité des conditions écologiques et culturelles locales ; elles sont un atout majeur de résilience des sociétés face au changement global. La compréhension de la mise en place des agrobiodiversités passe par une approche phylogéographique, ici encore fondée sur la double caractérisation morphologique et génétique d’une large gamme de taxons. Dans la continuité des investigations évoquées à l’axe 1, cette recherche connaît déjà un fort développement sur quelques taxons phares (gourdes, palmier dattier, piments, vigne, olivier, bovins, ovins, chiens ; cf. références supra). La connaissance d’un nombre croissant de génomes et le développement de méthodes de séquençage de nouvelle génération appliquées aux molécules anciennes ne laissent aucun doute quant au développement de ces recherches dans les années à venir. Ici encore, comme pour les questions d’émergence des lignées domestiques évoquées à l’axe 1 ou celles de l’impact de la domestication sur la biodiversité (axe 2), il faudra accorder une attention particulière à la contextualisation historique des échantillons archéologiques et des scénarios produits, condition nécessaire (et trop rarement réalisée) pour échapper aux interprétations mécanistes ou simplificatrices, voire erronées. C’est aussi en coordonnant les travaux menés sur les périodes contemporaines et anciennes que l’on identifiera les variétés réellement anciennes ou les taxons réellement invasifs sur un long pas de temps (Pascal et al. 2006), et qu’on pourra définir les stratégies de préservation et de conservation de ce patrimoine biologique. Ces recherches sont indissociables de celles, sans doute plus traditionnelles mais non moins actives au plan national et international, concernant l’histoire de l’alimentation des sociétés, et la maîtrise des systèmes de production passés, présents et futurs. En particulier, l’analyse des systèmes préindustriels de gestion des ressources domestiques ou en voie de domestication, et de leurs conséquences sur la santé des sociétés est à encourager, dans la perspective de contribuer au développement durable et à la lutte contre la pauvreté, préoccupations centrales dans le cadre du sommet de Rio de 2012. Dans le domaine de la santé et de l’étude des pathogènes anciens, les efforts réalisés ces dernières années doivent se poursuivre. De plus en plus d’équipes au sein des universités et des Organismes de recherche travaillent à l’étude de l’évolution des pathogènes, ainsi qu’à l’histoire des maladies, humaines, mais également animales (Brandt et al. 2007, Wirth et al. 2008). Ce champ disciplinaire se situe définitivement à l’interface de nombreuses problématiques abordées dans le cadre de cet atelier. Les impacts de la domestication sur les relations hôtes/pathogènes, l’histoire de l’alimentation et des infections acquises par voie orale, le rapport entre l’évolution des pathogènes et la nosologie, sont quelques pistes envisageables dans les années à venir. Les progrès réalisés dans le domaine de la biologie moléculaire seront une aide précieuse, d’une part pour la caractérisation des pathocénoses, mais également dans la compréhension de l’évolution et de l’adaptation écologique des pathogènes (Haensch et al. 2010, Bos et al. 2011). La plupart des sous-thèmes de cet atelier sont susceptibles de fournir les éléments de connaissance et de compréhension nécessaires aux prises de décision des sociétés modernes vis-àvis de leurs ressources biologiques, notamment de l’agro-biodiversité. Les connaissances fonda159 prospectives d’avignon mentales produites par la communauté scientifique dans ce domaine lui confèrent un rôle d’expert, aux côtés des grands organismes dont c’est la mission première. Il convient donc de prendre en compte, dans cette prospective, le développement de cette activité, sous la forme de mise en place de systèmes et de tâches d’observation, de scénarisation et de modélisation, et de recherches translationnelles impliquant fortement les sciences sociales et la société civile. Cette réflexion prospective sur la domestication devra donc être aussi orientée vers l’étude des interactions entre changements globaux, trajectoires sociologiques et dynamiques de l’agrobiodiversité, et vers l’action et le transfert. La prise en charge des problèmes environnementaux passe par le développement de travaux interdisciplinaires permettant une lecture d’ensemble de problèmes environnementaux qui mêlent de manière indissociable des aspects écologiques et sociétaux (connexion avec les ateliers « Ecologie globale et Changement global »). Un des enjeux est plus que jamais celui de la qualité, de la pertinence et de la « transférabilité » de la connaissance produite pour l’action, c’est-à-dire de sa capacité à préciser la nature des objectifs et les enjeux associés aux changements vers un meilleur accompagnement ou une prise en charge plus efficace des problèmes environnementaux, notamment agro-ecologiques ou d’agro-biodiversité. Pour y parvenir, les leviers d’action et les marges de manœuvre concrètes devront être identifiées d’où l’interaction indispensable de notre communauté scientifique avec des sociologues et des spécialistes en sciences politiques. Plus encore que dans les trois premiers axes développés ci-dessus, le potentiel de recherche fondamental réuni au CNRS et chez ses partenaires universitaires entre en complémentarité, voire en continuité, avec les recherches menées à l’INRA, à l’IFREMER, à AgroParisTechn, à l’IRD ou au CIRAD. Les premiers prennent en charge une large part de compréhension des processus de mise en place et de fluctuation de l’agrobiodiversité et des pratiques agro-sylvo-pastorales, notamment dans la profondeur historique. Ils contribuent à l’inventaire et à la description de l’agrobiodiversité moderne et construisent des scénarios intégrés qui entrent en complémentarité avec les productions des autres instituts. Ces derniers orientent plus souvent leur activité vers l’analyse de taxons ou lignées modèles. L’interdisciplinarité du CNRS, plus particulièrement de l’INEE, font de cet organisme et de ses partenaires universitaires (notamment le Muséum) des garants de l’intégration interdisciplinaire, et des spécialistes de l’approche spatio-temporelle multiscalaire, qualités qui renforcent la nécessité d’une mise en complémentarité avec les autres institutions citées ci-dessus. Outils, verrous méthodologiques et stratégies de recherche Les recherches évoquées dans les axes cidessus ont mis en évidence la nécessité de renforcer un certain nombre de compétences techniques et de développer certains outils, notamment dans le cadre de l’INEE. Il s’agit en premier lieu des bases de données, auxiliaires incontournables d’interaction entre les composantes multidisciplinaires de la communauté scientifique concernée, et outils d’inventaire, de partage et de mise à disposition de l’information. Les bases de données diachroniques, alliant informations passées et présentes, sont particulièrement utiles. Tant pour comprendre les mécanismes biologiques que pour raffiner ou produire les proxys bioarchéologiques, ou encore pour tester cer160 taines hypothèses évoquées plus haut, l’expérimentation fait cruellement défaut. Par exemple, en ce qui concerne l’axe 2, depuis vingt ans, le discours se fonde en grande partie sur les expériences, certes régulièrement renouvelées, réalisées en laboratoire, en champ expérimental ou en élevage intensif (Belyaev 1975, 1981), sans qu’il soit possible d’établir un lien entre ces observations et les premières domestications réalisées par les chasseurs-cueilleurs ou les sociétés pré-industrielles (Arbuckle 2005, Zeder 2012). Les projets d’expérimentation in natura peinent à émerger dans un contexte où dominent la programmation à court terme et la recherche du résultat immédiat. Une réflexion doit être menée dans le cadre des grands équi- pements d’écologie expérimentale gérés par l’INEE, ou des parcs et jardins dont les potentialités dans ce domaine sont sous-exploitées. Les sites d’étude en écologie globale et les zones ateliers sont des outils importants, dont il convient de pérenniser le financement sur de longues durées afin d’en tirer le meilleur bénéfice. Ce sont des lieux d’observation autant que des creusets d’interaction entre les disciplines et les institutions concernées. De façon générale, le développement des techniques analytiques liées à la génomique, à la protéomique, à la biogéochimie isotopique et à l’analyse des formes demande un effort soutenu des institutions, tant en termes de personnel technique que d’équipement. C’est un enjeu majeur de compétitivité pour les équipes engagées dans ces recherches. Les discussions ont par ailleurs permis d’identifier un certain nombre de verrous méthodologiques ou institutionnels qu’il conviendra de surmonter. - Le premier verrou, qu’il serait assez facile de débloquer, est celui de l’interaction entre les équipes dispersées entre trois instituts du CNRS trop étanches les uns aux autres, et entre des institutions qui ont à l’évidence beaucoup de complémentarités à partager, notamment le CNRS, le Muséum, l’INRA, l’IFREMER, l’IRD, le CIRAD et l’INRAP. Comme souvent lorsqu’il s’agit d’interdisciplinarité et d’inter-institutionnalité, le manque de standards, de définitions communes, de concepts partagés et d’harmonisation des protocoles se fait cruellement sentir. Il conviendra d’encourager les initiatives de colloques, écoles thématiques, tables rondes, mise en réseau qui émergeraient de la communauté suite aux prospectives d’Avignon. - Le second verrou concerne l’intégration passéprésent, enjeu majeur pour les quatre axes développés ci-dessus. Cette intégration ne va pas de soi, car la qualité et la structure des jeux de données réunis par les approches historiques sont rarement congruentes avec celles de la documentation moderne. Or, les premiers sont contraints par une perte d’information irrémédiable, alors que les seconds sont plus souples. Il est donc plus facile de les mettre en adéquation avec les premiers que l’inverse. Il semble donc que ce verrou ne pourra sauter que si la communauté des chercheurs travaillant sur le présent prend mieux conscience de l’importance d’intégrer des données anciennes, et fait l’effort de structurer ses propres données de telle sorte qu’elles entrent en résonance avec ces dernières. - Un troisième verrou réside dans la difficulté de contribuer à la formation de jeunes chercheurs de qualité avec les pays émergeants, dont on a vu plus haut l’importance dans le nécessaire élargissement géographique, taxinomique et thématique de plusieurs champs de recherche. Il convient de développer les financements permettant aux jeunes talents venus des pays émergents de se former dans nos universités non pas seulement à l’aide de bourses de thèse de 3 ans qui sont en général insuffisantes pour obtenir une formation interdisciplinaire dans ces domaines, mais avec des allocations d’au moins 5 ans, incluant les deux années de Master. - Un quatrième verrou a été identifié en ce qui concerne le potentiel d’innovation des équipes. Il est rendu insuffisant par le mode de financement de la recherche, par trop déséquilibré au profit de la recherche sur projet. Les soutiens de base des unités sont trop faibles pour financer les recherches à risque qui sont parfois sources d’échec, mais aussi souvent d’innovations non prédictibles. Concernant les stratégies de recherche, il convient de revaloriser les approches historiques aux yeux des jeunes chercheurs et de les rendre plus attractives en augmentant le recrutement dans ce domaine clé de la compréhension des phénomènes liés à la domestication et à l’agrobiodiversité. Les connaissances de base étant souvent déficitaires dans ces domaines, il faut faire un effort particulier pour soutenir les recherches visant à décrire les patrons spatiotemporels, certes moins faciles à valoriser par des publications dans des grandes revues. Une attention particulière doit être accordée à la production de scénarios variables, susceptibles d’être testés par des démarches comparatives ou expérimentales. Un tel objectif ne pourra être atteint, au CNRS, si les barrières qui ont été érigées entre les instituts ne s’amoindrissent pas de manière sensible et rapide. Enfin, les spécificités de chaque organisme doivent être entretenues et mises en complémentarité avec celles des autres organismes de recherche : approches interdisciplinaires et multiscalaires sur le temps long et sur de larges espace, diversités de taxons et de pratiques au CNRS et chez ses partenaires universitaires ; suivi de modèles plus ciblés dans les autres organismes. 161 prospective de l’institut ecologie et environnement du cnrs Références • Albert FW, Carlborg O, Plyusnina I, Besnier F, Hedwig D, Lautenschläger S, Lorenz D, McIntosh J, Neumann C, Richter H, Zeising C, Kozhemyakina R, Shchepina O, Kratzsch J, Trut L, Teupser D, Thiery J, Schöneberg T, Andersson L, Pääbo S. 2009. Genetic architecture of tameness in a rat model of animal domestication. Genetics 182, 2: 541-54. doi: 10.1534/ genetics.109.102186. Epub 2009 Apr 10. • Arbuckle B.S., 2005. Experimental animal domestication and its application to the study of animal exploitation in Prehistory, in: J.D. Vigne, D. 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Bradley, 2006. Documenting domestication : the intersection of genetics and archaeology. Trends in Genetics 22(3):119-182. 164 CHANGEMENT GLOBAL ORGANISME, éCOSYSTèME, HUMAIN avignon Prospective Coordinateurs : Joël Guiot, Alain Nadai, Josette Garnier, Isabelle Chuine, Bernard Reber Contributeurs : Sandrine Maljean-Dubois, Sophie Cornu, Alberte Bondeau, Emmanuèle Gautier, Bruna Grizzetti, Catherine Kuzucuoglu, Minh Ha Duong, Olivier Labussière, Viovy Nicolas, Richard Joffre Introduction Le changement global concerne l’empreinte humaine sur l’environnement qui se manifeste à une échelle planétaire. Il s’agit bien sûr du changement climatique, mais également de la dégradation des habitats, des changements d’occupation des terres, des invasions biologiques, de la perte de biodiversité … Il englobe un certain nombre de dimensions et concerne toutes les parties du globe mais interagit avec l’échelle locale. C’est une problématique intrinsèquement interdisciplinaire. La question qui est sous-jacente est comment prendre en compte la complexité du système. Les réponses passent par l’intégration des disciplines, des données, associant également les sciences humaines et sociales. Il ne s’agit pas ici d’aborder le changement global dans tous ses aspects. Nous nous focalisons sur les écosystèmes, les sociétés humaines et leurs interactions, aspects qui sont au centre des priorités de l’INEE. Les questions qui nous préoccupent sont : comment les écosystèmes naturels et construits par l’homme sont-ils perturbés par l’ensemble climat - action anthropique, comment peut-on atténuer ces changements et comment peut-on s’y adapter ? Cette transversalité nous oblige à clarifier un certain nombre de concepts issus à la fois de la climatologie et des sciences sociales. En particulier, les climatologues nous fournissent des simulations climatiques issues de scénarios liés aux choix politiques (accords internationaux, droit de l’Union Européenne...). Cela implique une vision claire des incertitudes liées aux scénarios et des changements d’échelle nécessaires pour travailler au niveau de l’écosystème. Le guide ISO 73 (2009) définit l’incertitude comme l’état, même partiel, de défaut d’information concernant la compréhension ou la connaissance d’un événement, de ses conséquences ou de sa vraisemblance. Il définit le risque comme l’effet de l’incertitude sur l’atteinte des objectifs. Cette approche dépasse l’ancienne définition du risque vu comme «la combinaison de la probabilité d’un évènement et de ses conséquences». De nombreuses formes d’incertitude ne sont pas probabilisables, comme par exemple celle concernant la trajectoire future des émissions de gaz à effet de serre. Et certaines incertitudes probabilisables ne le sont pas de façon précise, comme par exemple le paramètre de sensibilité climatique. La gestion des écosystèmes s’exerce donc dorénavant dans un contexte où on ne peut plus se fier uniquement aux fréquences passées pour évaluer l’aléa climatique comme le risque de gelées ou de sécheresse. Un autre concept fondamental est le changement d’échelle. Traditionnellement, la science a toujours essayé de simplifier en se focalisant sur une échelle. Cependant l’influence grandissante de l’homme sur la planète montre qu’il est nécessaire de traverser les échelles. Les processus qui émaillent ces échelles spatiales couvrent par exemple les processus rapides de la végétation dans l’écosystème et la production économique, ainsi que les processus lents comme ceux de la géomorphologie et le développement politique et culturel. Tous ces systèmes qui s’interpénètrent sont conceptualisés par la théorie de la Panarchie introduite par le botaniste Paul Emile de Puydt en 1860 et qui doit sa popularisation récente à Gunderson (voir le livre de Gunderson et Holling, Panarchy, Island Press, 2001). Les 165 prospective de l’institut ecologie et environnement du cnrs prospectives d’avignon propriétés des systèmes dans cette théorie sont au nombre de trois : le potentiel fixe les limites du possible, la connectivité détermine le degré qu’un système a de contrôler sa destinée, la résilience détermine sa vulnérabilité à des perturbations inattendues qui peuvent dépasser ou casser le contrôle. L’atténuation et l’adaptation au changement global devraient s’étudier en prenant en compte ce concept intégratif. Du point de vue des outils, le modèle mathématique, essayant de traduire en équations les concepts pertinents, est au cœur de la problématique du changement global, car il intègre les connaissances, il permet de théoriser les données, de projeter l’évolution des systèmes. Pour être vraiment utile, il doit intégrer à la fois les processus physiques et sociétaux et doit être bâti sur un socle solide de données, en particulier aux interfaces des compartiments étudiés. La modélisation prospective, alliant modèle et scénarios, constitue un champ de recherches méthodologiques à développer et renforcer dans la mesure où elle fournit un cadre robuste permettant de concilier les interactions hommes-milieux, à diverses échelles d’espace et de temps, tant dans le futur que dans le passé. La collecte de données L’utilisation des modèles, et notamment leur paramétrage, nécessite une masse considérable de données. Les chercheurs ont actuellement à leur disposition une panoplie importante de modèles qui pourraient déjà répondre à un grand nombre de questions posées par la société mais ils ne peuvent pas atteindre complètement leur objectif car les données nécessaires à leur paramétrage et leur validation n’existent pas ou sont très insuffisantes. Les chercheurs ont actuellement besoin de données biologiques, écologiques, physiques et de sciences humaines à haute résolution spatiale et temporelle. Il est donc actuellement absolument capital de porter les efforts sur la création de bases de données internationales inter-opérables et accessibles en ligne pour l’ensemble de la communauté scientifique. La tâche est énorme puisqu’il s’agit à la fois de mener des grandes campagnes de sauvetage de données (environmental data rescue), des grandes campagnes de collecte de données, et enfin d’avoir une cohérence au niveau de l’INEE mais aussi du CNRS dans son ensemble des bases de données et des systèmes d’informations. Les chercheurs portent beaucoup d’espoir en la nouvelle UMS 3468 BBEES qui a vocation à structurer et optimiser le travail autour des bases de données de recherche sur la Biodiversité naturelle et culturelle, actuelle et passée. Les bases de données créées doivent être interrogeables en ligne, libres d’accès et interopérables entre elles (au niveau international). Ces bases de données doivent être alimentées, ce qui implique un soutien fort à l’acquisition 166 sur le long terme de données de terrain, d’expérimentation, avec chaque fois le souci de rendre publiques ces données, comme l’impose la Directive Inspire. De nombreux observatoires, des suivis à long terme (dans le cadre de zones ateliers, des observatoires hommes-milieux) existent. Ils doivent être pérennisés. En parallèle, les sciences participatives sont une source irremplaçable de données, mais elles nécessitent des pratiques particulières et des moyens techniques d’acquisition et de validation que l’INEE pourrait aider à développer. Les données de télédétection permettent une couverture spatiale exhaustive d’un nombre assez réduit de paramètres. Le domaine est en pleine expansion avec l’émergence de nouveaux capteurs à très haute résolution spatiale et temporelle et ce type de données est souvent d’un usage commode pour les modélisateurs. L’essor cependant de la proxi-détection est aussi à soutenir car cela permet d’accéder également à une information parfois inaccessible depuis les satellites mais tout aussi intégrée dans l’espace et à des résolutions spatiales beaucoup plus fines. Elle est par conséquent plus intéressante pour la plupart des études qui concernent l’INEE. Le nombre très insuffisant, et toujours en baisse de personnels techniques, ne permet plus la collecte de données, qu’elles soient expérimentales ou de terrain. Cela explique peutêtre que nous en soyons parvenus à développer ou utiliser une palette toujours grandissante de modèles, mais très peu de données pour pouvoir les mettre en œuvre. Pour l’étude des phénomènes rares et pour la compréhension des forçages à grande constante de temps, la paléoécologie et la paléoclimatologie sont absolument irremplaçables. Mais la question clé est comment faire pour intégrer les connaissances du passé pour une meilleure anticipation du futur ? Il y a un « gap » entre données actuelles et données du passé tant au niveau de la couverture spatiale, de leur représentativité spatiale et de leur degré d’intégration. Comment coupler les données du passé avec le paysage, l’écosystème ? Les données archéologiques sont une source d’information socio-économique du passé. L’ensemble de ces données « archéologie - paleoenvironnements » fournit un moyen de travailler les interactions homme-milieu sur le long terme. Mais les besoins sont énormes ; ils concernent des aspects aussi divers que le niveau de technologie des sociétés, leur démographie, leur organisation politique, leur degré d’auto-suffisance, les échanges commerciaux... L’étude multi-proxy des sédiments à haute résolution avec à la fois les nouvelles techniques géochimiques de pointe (incluant la collecte d’un corpus de datations solides, les isotopes, les composés spécifiques, la paléogénétique...) et l’approche plus traditionnelle des assemblages de micro-organismes est plus que jamais précieuse pour reconstituer les paléoenvironnements (voir atelier « Environnement quaternaires non anthropisés ou peu anthropisés »). A des échelles de temps plus courtes, il est néces- saire d’étudier de manière plus systématique les informations contenues dans les documents écrits historiques sur l’évolution du climat, de l’agriculture et de l’industrie depuis les périodes pré-industrielles. Là aussi, il est donc nécessaire d’intensifier les relations entre sciences dures et sciences de la société. Il faut également développer les bases de données sur les interactions homme-milieu, avec une réflexion sur le codage des données symboliques et/ou qualitatives, et la collecte de métadonnées souvent hétérogènes. La carotte sédimentaire et les sites archéologiques permettent le recul temporel, mais au prix d’une représentation parcellaire. Par conséquent, il faut un nouveau paradigme de la complexité écologie-paléoécologie-archéologie. Pour répondre à la question « comment », des recherches méthodologiques doivent être engagées pour reconstituer finement, dans l’espace et dans le temps, les évolutions passées résultant des interactions entre les sociétés et leur environnement. Des approches couplant ces données hétérogènes, à l’aide de modèles de simulations et de scénarios (storytelling, foresight, rétro-prospective), doivent être explorées. L’évaluation du poids des actions anthropiques dans le changement global est conditionnée par 1) notre capacité à évaluer la plausibilité et le degré d’incertitude des résultats et 2) la disponibilité des données (écologiques, paléo-environnementales, archéologiques, géographiques, etc.) nécessaires à la calibration des modèles. La modélisation des impacts sur les écosystèmes Les modèles numériques sont devenus les outils privilégiés pour établir des projections de l’état du climat, des écosystèmes et de la biodiversité dans les décennies et siècles à venir. De nombreux modèles ont été développés ces deux dernières décennies dans cet objectif pour répondre à des questions particulières sur le devenir des systèmes naturels (telles que combattre l’eutrophisation des cours d’eau, etc.). Mais très peu d’entre eux sont actuellement capables d’apporter des réponses à des questions intégratives que se posent les aménageurs et les politiques (des populations au écosystèmes incluant les systèmes anthropo-construits sous l’emprise des changements globaux). La plupart du temps ces modèles traitent un système à une échelle donnée. Il est maintenant nécessaire d’interfacer les modèles, pour intégrer les systèmes et les échelles. Ce besoin provient des questions que pose la société désireuse de savoir comment les sociétés humaines pourront s’adapter à leur nouvel environnement pris dans sa globalité. Les questions qui se posent à l’heure actuelle sont donc : comment coupler les modèles ? Les modèles sont-ils capables de traiter le multi-échelles ou doivent-ils être spécifiques à une échelle et interfacés ? Il est à noter que l’intégration de ces modèles aux différentes échelles spatiales et temporelles nécessite des besoins en moyens de calcul équivalents à ceux 167 prospectives d’avignon de l’INSU que notre communauté n’a pas à sa disposition actuellement. Avant cette étape d’intégration, il est nécessaire de souligner qu’un travail important de validation des modèles doit être entrepris, ce qui nécessite des masses considérables de données. De la même manière un travail important sur l’estimation des incertitudes sur les projections de ces modèles est à entreprendre car c’est un point particulièrement important dans le dialogue des scientifiques avec la société sur ce sujet. Le niveau de complexité des modèles est également un point de débat. Est-ce que l’objectif de réalisme implique une complexification croissante ? Un modèle trop complexe risque de perdre son utilité. Jusqu’où doit-on aller ? Il est certain que des processus sont décrits de manière encore trop simpliste. Les sols sont encore pris en compte de manière grossière. A minima, la diversité, la distribution et les organisations spatiales du milieu physique devraient être prises en compte comme co-variable dans les interactions dynamiques climatagroécosystèmes. Quelles sont les boucles de rétroaction du milieu sur le climat ? Celles-ci peuvent être soit purement physiques (par exemple, écoulement et dynamique de l’eau), soit via les organismes du sol (émissions de gaz à effet de serre : CO2, CH4, N2O). Ces boucles de rétroactions devraient-elles être prises en compte dans tous les scénarios de modélisation ? Comment apporter des réponses rapidement pour les organismes à temps de génération longs tels que les arbres ou certains mammifères, qui impliquent des années d’expérimentation et de suivi incompatibles avec la vitesse à laquelle le changement climatique se produit ? L’analyse des changements globaux pose directement la question des ressources et des risques. Les changements globaux induisent des modifications du cycle de l’eau, des processus d’érosion (des sols en particulier), de la dynamique des communautés végétales et animales et du fonctionnement des écosystèmes et agrosystèmes. L’analyse de ces changements repose en premier lieu sur une analyse à échelle locale par la caractérisation à haute résolution spatiale et temporelle des processus physiques et biologiques, par exemple modes et rythmes de déglaciation, de fonte des pergélisols, de transfert de l’eau et des sédiments dans les lits fluviaux, modification de la répartition géographique des espèces et de leurs interactions etc, ainsi que leurs conséquences induites, par exemple sur les processus d’érosion des versants ; la modification de la répartition spatiale (à différentes échelles) des réserves d’eau, la modification de la saisonnalité des écoulements ; la répartition des espèces ; le stockage du carbone par les écosystèmes et la saisonnalité des flux entre végétation et atmosphère, etc. Mais force est de constater que l’effort de documentation à haute résolution spatiale et temporelle des impacts des changements globaux n’est pour l’instant pas à la mesure de la situation. Ces changements doivent être appréhendés tant à une échelle régionale que globale afin de mettre en évidence les invariants ou les réajustements propres à un système donné. Changement global et société Les villes consomment de grandes quantités de ressources naturelles. Elles sont connectées aux territoires ruraux qui leur fournissent nourriture et eau. Elles influencent par là le fonctionnement des territoires proches ou lointains (globalisation). D’une façon plus générale, la perturbation rapide des processus biogéochimiques et écologiques engendre de nouveaux risques et modifie la dynamique et la répartition des ressources existantes (eau, sol et plantes cultivées). La démarche doit alors englober une analyse des sociétés. Les ques168 tionnements doivent être d’abord centrés sur les savoirs locaux : quelle est la perception des populations locales des changements hydroclimatiques et environnementaux en cours ? Quelles stratégies adoptent ces populations vis-à-vis de la modification des ressources et de l’accroissement du risque ? L’approche doit être interdisciplinaire par la confrontation des résultats scientifiques (sciences de la terre, sciences du vivant et sciences sociales) et des observations des populations locales (anthropologie). Les changements globaux peuvent se décliner dans tous les compartiments des surfaces continentales et de ses interfaces. Les continuums aquatiques des têtes de bassins aux zones côtières nécessitent une vision coordonnée des systèmes terrestres (agro-alimentaire), des hydrosystèmes (rivières, réservoirs et aquifère) et des zones côtières en lien avec les activités humaines dans les territoires urbains et ruraux. Les cumuls des impacts et leur prise en compte dans les outils de modélisation sont les nouveaux verrous scientifiques. Les pratiques agricoles sont par exemple à l’origine d’une contamination nitrique qui détériore la qualité de l’eau, au point que la fabrication de l’eau potable est menacée. L’utilisation des sols agricoles pour/par la ville (habitations, infrastructures, etc.) présentent des risques pour l’environnement via l’imperméabilisation et la salinisation des sols, les pertes de biodiversités, l’organisation de l’alimentation en nourriture et en eau des villes et des territoires desquels elles dépendent. Les interactions entre les changements climatiques et la dynamique de la végétation (des cultures) restent des questions scientifiques majeures pour assurer la durabilité et l’acceptabilité sociale des nouveaux systèmes agricoles. Un regain d’intérêt s’est porté ces dernières années sur l’agroforesterie, pour laquelle les travaux de modélisation doivent permettent d’estimer les atouts (ou les risques) agronomiques, écologiques et économiques dans un contexte de changement climatique. Ce genre d’études est utile pour projeter des indicateurs de durabilité à long terme que l’on peut discuter avec les décideurs, qui vont choisir de mettre en avant tel ou tel service écosystémique (par exemple l’augmentation de la biodiversité). Appréhender les cumuls des changements globaux nécessite de décliner les observations à une échelle locale, via des réseaux d’observations (qu’il faut pérenniser) et de modélisation adaptés. Il existe actuellement des modélisations mécanistes qui peuvent être couplées off-line, les sorties d’un modèle constituant les entrées d’un autre. Mais il est important de développer des plateformes qui fassent dialoguer les modèles en tenant compte des rétroactions des milieux physiques, des activités humaines et du changement climatique. Les problématiques de la biodiversité doivent aussi entrer dans ces plateformes. Ces développements d’outils de modélisation des hydro-agroécosystèmes et leurs contraintes anthropiques doivent être menés en concertation avec des études socio-économiques afin de convaincre les pouvoirs publics et impliquer les décideurs politiques. Les interactions entre les scientifiques, les citoyens, les gestionnaires et les politiquesconstituent un défi car les « temps » de chacun sont différents, ce qui rend difficile la construction d’une vision d’avenir à long terme. De nouvelles méthodes de recherche, transdisciplinaires, transorganismes en lien avec les citoyens, les parties-prenantes et politiques et les scientifiques doivent désormais bousculer la recherche conventionnelle. De tels efforts requièrent des observations sur le terrain, l’analyse des données anciennes, voire des archives, et le développement d’outils de modélisation, notamment aux interfaces, tant des écosystèmes (les zones humides, les estuaires par exemple) que des disciplines (dialogues de modèles pour répondre aux questions relatives à l’écologie territoriale et des socio-écosystèmes). 169 prospective de l’institut ecologie et environnement du cnrs prospectives d’avignon Politiques climatiques et transition énergétique Sur le plan international, les scénarios tendanciels et d’adaptation au changement climatique sont multiples. Ils traduisent certaines tendances lourdes dans les visions de nos futurs énergétiques (nécessité d’une diversification du bouquet énergétique, maîtrise de la demande d’énergie) mais sont aussi débattus (logique productiviste, place du nucléaire, des ressources fossiles non conventionnelles, de la capture et du stockage géologique du dioxyde de carbone). Il s’agira d’interroger ces futurs à partir de quatre questions fondamentales. Visions et modélisations du futur Un couplage entre modélisation prospective et modélisation d’accompagnement est suggéré, ainsi qu’une analyse critique du contenu des scénarios et des visions du futur qui sont aujourd’hui proposés. La ligne de partage et de construction des faits (supposés objectifs) et des valeurs qui sont au cœur des scénarisations du futur devrait être explorée à partir de diverses entrées, telles que : 1) l’analyse des pratiques de modélisation (Comment fait-on exister un « fait » climatique ou un « futur énergétique » ? Selon quelles formalisations ? Quels réseaux sociaux portent les différentes modélisations et les différents intérêts ? Quels sont les plans d’épreuve et leur économie (cf. sociologie pragmatiste) 2) l’analyse comparée des scénarios au-delà de la quantification technologique (représentations de l’espace, de l’urbain, de la technologie, place conférée aux choix politiques, à la technologie…) ; 3) la mise en œuvre, sur plusieurs pas de temps d’expérimentations institutionnelles d’ouverture aux non-experts des visions du futur, allant du débat sur les visions actuelles à des modélisations participatives, impliquant des collectifs dans l’enquête et dans la construction de ces visions (modélisation, interprétation, valorisation), et faisant appel aux sciences et aux métiers de la participation (design institutionnel) ? Selon ces options, les recherches s’étendront sans doute au-delà de 12 ans, mais peut-être à 24 ans pour être capables d’atteindre une robustesse et une cohérence sur les plans épistémiques (relatifs aux sciences de la nature) et normatifs. On pourrait même vouloir viser 36 ans pour une approche qui intégrerait aussi les dimensions des technologies dites responsables pour reprendre les projets européens parlant « d’innovation responsable ». Processus de négociations internationales Afin de pouvoir réfléchir aux institutions à même de faire émerger un commun climatique, les succès et échecs des négociations climatiques appellent des analyses sur le rôle : des représentations du futur ; des controverses sur la « réalité » du changement climatique d’origine anthropique ; des décalages entre cycle scientifique et cycle de vie politique ; du resserrement progressif autour d’un cadrage exclusivement climatique et économique (coût / prix unique du carbone, « cap and trade ») ; des conflits notionnels (« legally binding commitment ») ou d’équité (« fair burden sharing » vs « equitable access to development »). Il s’agira aussi de réfléchir au possible rôle des grands acteurs émergents et des politiques d’aide au développement soutenable, ainsi qu’à l’articulation entre droits de l’homme et enjeux des changements globaux. Politiques climatiques, énergétiques, climat-énergie Le rôle des politiques climatiques, énergétiques et climat-énergie, au niveau national et supra-national, dans l’élaboration de réponses à ces enjeux, doit être analysé. Il s’agit, au-delà de la traditionnelle comparaison entre instru170 ments de politiques publiques, de s’interroger sur : les options technologiques en présence dans le domaine de l’énergie ; les collectifs et les coalitions qui les portent ; les jeux d’acteurs qui orientent ces options énergétiques et l’incidence des politiques, notamment européennes ; les gouvernances émergentes des énergies renouvelables et les enjeux qu’elles soulèvent en terme de développement soutenable (rôle des structures foncières héritées, relations nord-sud, reconfigurations géopolitiques de l’énergie, enjeux distributifs, accès à l’énergie et aux ressources, répartition des risques et des pouvoirs et déplacements de la relation homme-milieu). Articulation adaptation/atténuation, développement soutenable L’articulation entre adaptation et atténuation reste un enjeu insuffisamment analysé. Il s’agit notamment de s’interroger sur la manière dont les politiques énergétiques/climatiques prennent ou devraient prendre en compte : la résilience des systèmes biologiques et /ou anthropiques ; les enjeux de développement ; les temporalités multiples de processus hétérogènes (infrastructures [ponts /routes /transports /habitat], agriculture/qualité des sols) ; l’insuffisance des financements face à l’augmentation des risques naturels et au renchéris- sement possible des infrastructures. Les avantages et limites des stratégies de substitution environnementale (déplacement d’espèces, recréation d’habitats écologiques,…) de plus en plus considérés dans le cadre de stratégies de géo-ingénierie, devront notamment être interrogés. Enfin, au-delà d’une approche classique par zonage, il semble pertinent de s’interroger sur les nouvelles représentations, pensées stratégiques de l’espace, des paysages et des milieux géographiques que suscite la transition énergétique. Conclusion Le changement global est au coeur des thématiques de l’INEE et transcende les instituts et les organismes. Toutefois nous avons eu la participation de chercheurs de l’INRA, Ifremer, etc.., et il nous semble important de favoriser davantage ce type d’interactions. Les Fédérations de Recherche, de par leur interdisciplinarité, nous semblent être un bon outil pour impulser et développer ces interactions. L’INEE doit saisir la chance de sa position à l’interface de nombreuses disciplines pour réellement prendre en main le domaine du changement global : global au sens planétaire mais aussi global au sens intégratif. 171 prospectives d’avignon 172 avignon Prospective LA MER Coordinateurs : Denis Allemand, Bruno David, Sylvie Dufour, Jean-Pierre Féral, Nadine Le Bris, Marc Troussellier, Frédérique Viard Contributeurs : Sylvain Lamare, Guillaume Lecointre, David Mouillot, Nathalie Niquil, Eric Thiébaut et tous les participants de l’atelier « Mer » d’Avignon On a pu s’étonner d’un exercice de réflexion et de prospective dédié à la mer. En effet les concepts et cadres théoriques qui fondent les recherches en écologie, systématique, évolution et sciences de l’environnement sont les mêmes pour le domaine marin et le domaine continental. De surcroît, le cadre général (changement global) est similaire. Au-delà du fait que les agrosystèmes, les forêts, les montagnes, les zones tropicales bénéficient de réflexions individualisées, en France et à l’étranger, et que la mer ne doive pas faire exception, l’INEE bien qu’abritant un nombre significatif de laboratoires développant des recherches en mer doit encore consolider sa position. Il s’agissait donc de faire une synthèse des potentiels de l’institut et d’en évaluer le futur. L’intention n’était pas de distinguer les recherches d’écologie marine de celles menées sur les autres écosystèmes mais de donner l’occasion aux équipes « marines » de l’INEE de pouvoir faire connaître leurs priorités actuelles et à venir tel que le font les communautés des autres organismes de recherche travaillant dans le milieu marin. La richesse des compétences présentes dans les unités de l’INEE travaillant sur le domaine marin a conduit à identifier une grande diversité de problématiques et de pistes de recherche ayant trait aux écosystèmes marins, à leur connaissance et à leur devenir1. Le présent document a pour objectif de dégager quelques axes prospectifs synthétiques pour une vision à moyen terme (de l’ordre de cinq ans), qui pourra être prolongée si besoin est, mais ils ont vocation à être revisités régulièrement (tous les deux ou trois ans) pour s’ajuster aux avancées nouvelles et aux évolutions rapides du domaine, notamment celles liées aux technologies « omiques » et aux capteurs. Ce document de synthèse prospective condense des informations issues de plusieurs sources : les travaux menés par le groupe de réflexion « Mer » au cours de l’année 2012, les discussions qui ont eu lieu au sein de l’atelier « Mer » lors du colloque de prospective INEE en Avignon et les contributions du CSI de l’INEE. Les priorités exposées ici sont des indications résumées, elles ne prétendent pas être exhaustives et sont volontairement hétérogènes. Ainsi, soit ces axes mettent en avant des transversalités entre communautés et approches, soit ils sont centrés sur un objet d’intérêt. La liste aurait pu être beaucoup plus longue, mais elle aurait alors débordé du cadre de ce chapitre dont l’objectif est de mettre en avant quelques priorités. 1 - Un autre cahier de prospective de l’INEE est entièrement dédié à la mer. prospective de l’institut ecologie et environnement du cnrs 173 prospectives d’avignon Les trois axes mis en exergue lors des discussions d’Avignon sont les suivants : • l’intégration terre-mer, • les interactions du vivant avec l’environnement marin, • la connectivité. Les deux premiers sont typiquement marins et ont été discutés en priorité lors de l’atelier prospective d’Avignon. Les questions relatives à la connectivité prennent une résonnance particulière dans le milieu marin et ont également fait l’objet d’une discussion approfondie. Cette liste a été élargie à d’autres points d’intérêt, tout aussi importants, qui avaient été soulevés lors de la phase préparatoire aux prospectives, ou pro parte évoqués en Avignon, parmi lesquels : • les transitions d’échelle, • changement global et adaptations, • modéliser pour scénariser et prévoir, considérés comme transversaux, ont été traités en tant que tels dans d’autres ateliers de la prospective. Les besoins et les moyens requis, largement discutés, recoupent tous les axes et ils font l’objet d’une présentation distincte. L’intégration terre-mer La compréhension d’un grand nombre de crises environnementales, la prédiction du devenir des systèmes marins côtiers, la préservation de la biodiversité et des services rendus passent par une meilleure compréhension du fonctionnement du continuum terre-mer2 et de ses interfaces. Les très grands enjeux de différentes natures qui sont associés à ces écosystèmes d’interface sont reconnus, mais les connaissances en sont encore fragmentaires et ne sont pas toujours en mesure de fournir des aides satisfaisantes pour assurer leur durabilité en regard des pressions anthropiques subies et à venir. Ce besoin de recherches se confirme concernant un des « nouveaux biomes » déjà mis en exergue lors les prospectives de Rennes en 2009 : le littoral. Plusieurs unités de recherche ont été créées depuis, ou renforcées dans leurs activités et missions sur cette interface terre-mer (LIENs3 sur l’Atlantique, l’IMBE4 et ECOSYM5 sur la Méditerranée), d’autres explorent ces couplages en amont, des bassins versant aux estuaires (SISYPHE6), ou au-delà de la zone côtière, des marges continentales aux débris végétaux transportés vers le milieu abyssal (LECOB7, SAE8). En termes d’organisation de la science, il s’agit 174 d’encourager l’interdisciplinarité et d’accroître les interfaces avec les différents acteurs et usagers (société sensu lato qui est en attente de plus en plus pressante de réponses scientifiques). Au sein de l’INEE, ce sont l’ensemble des piliers de compétences (écologie, évolution, interactions hommes-milieux) qui vont contribuer à cette organisation. C’est aussi le lieu où l’un des objectifs de l’INEE, « rapprocher les connaissances de l’action », prend une résonance particulière car les questions de l’exploitation des ressources (aujourd’hui essentiellement les stocks sauvages et le pétrole, mais aussi de plus en plus de nouvelles ressources biotechnologiques et minières), du poids grandissant de l’aquaculture côtière dans la production de protéines, mais aussi de la production d’énergie impactent directement les écosystèmes marins et impliquent le développement de recherches en amont et en aval des procédés utilisés. Plus spécifiquement, une attention particulière devra être apportée aux items qui suivent : l Les spécificités biologiques et les capacités adaptatives des organismes, des populations et des communautés qui vivent aux 2 - Le domaine spatial considéré s’étend de la partie inférieure des bassins versants (grand fleuves) et les rivières côtières jusqu’à la zone d’influence directe des milieux terrestres en mer (e.g. ruissellements, aérosols), parfois matérialisée par le rebord du plateau continental. 3 - LIENSs : UMR 7226, Littoral, environnement et société, La Rochelle. 4 - IMBE : UMR 7263, Institut Méditerranéen de la Biodiversité et d’Ecologie marine et continentale, Marseille. 5 - ECOSYM :UMR 5119, Ecologie des systèmes marins côtiers. 6 - SISYPHE : UMR 7619, Structure et fonctionnement des systèmes hydriques continentaux, Paris. 7 - LECOB : UMR 8222, Laboratoire d’Ecogéochimie des Environnements Benthiques, Banyuls sur Mer. 8 - SAE; UMR 7138, Systématique, Adaptation, Evolution, Paris interfaces : quels en sont les mécanismes et les limites ? l Les réponses des composantes des systèmes écologiques à la multiplicité et l’ampleur des pressions d’origine locale et globale : comment l’écologie expérimentale peut-elle contribuer à déconvoluer et/ou reconstituer ces pressions multiples pour en comprendre les effets ? l Les conséquences de l’artificialisation (ports, aménagements littoraux, fermes et éoliennes offshores…) et des mesures de conservation ou de protection : comment évaluer les effets positifs comme négatifs de ces deux processus pour les articuler au mieux ? l Les rôles de l’hétérogénéité, de la variabilité, de la complexité des environnements littoraux dans les capacités de résistance et de résilience des systèmes biologiques et socioécologiques et de leurs composantes : quels sont les processus à l’œuvre et les modèles conceptuels/numériques sous-jacents ? l L’identification et l’étude des propriétés des systèmes fragiles (e.g. îles) et des systèmes plus résilients (e.g. lagunes) ou ceux dont la résilience est encore peu connues comme les écosystèmes profonds: quels indicateurs pertinents proposer ? l La qualification et surtout la quantification des interactions et rétroactions entre les systèmes continentaux, côtiers et hauturiers, tant benthiques que pélagiques : quelles sont les échelles pertinentes et les modèles associés à développer en priorité ? Ces points doivent aussi prendre en compte, pour y répondre, les recommandations européennes concernant les habitats, l’eau et le bon état écologique. Les laboratoires de l’INEE y sont naturellement impliqués. Les interactions du vivant avec l’environnement marin Les interactions et rétroactions biosphère – géosphère sont reconnues dans leurs grands principes depuis fort longtemps. Néanmoins, le développement de moyens techniques plus performants (notamment capteurs9) permet, depuis quelques années, de replacer les aspects biologiques au centre de la question des interactions entre l’océan, dans ses dimensions physico-chimiques, et le vivant. En effet, ce dernier impacte de façon très significative de nombreux processus et, globalement, il conditionne les capacités tampon de l’océan tant vis-à-vis des pressions locales (e.g. eutrophisation) que globales (e.g. fixation du CO2). La pluridisciplinarité est aussi à la base des avancées attendues dans la compréhension de ces interactions. Les biologistes sensu lato doivent s’associer plus particulièrement aux géologues et géochimistes dès lors que l’on considère le rôle des interfaces benthiques et pélagiques, aux atmosphériciens et hydrodynamiciens pour comprendre les mécanismes d’échanges entre atmosphère et océan, ou aux biogéochimistes pour comprendre le fonctionne- ment des cycles de la matière. Comme en écologie terrestre, ces compétences sont parfois rassemblées, au sein des unités notamment grâce à l’intégration de spécialistes en sciences de l’environnement (physique, chimie, géochimie), ou dans des structures et programmes à plus larges échelles (ZA10, OHM11, PIRE) favorisant le développement de ces interfaces. Parmi les questions scientifiques plus générales associées à la question des interactions, celle de la maîtrise des transferts d’échelle est centrale : comment passer du satellite et du global/régional à des échelles locales et comment passer de l’expérimental à échelle très réduite (e.g. microfluidique, approches à l’échelle cellulaire « single cell biology » ou de son expression moléculaire « protéomique/ métabolique ») aux assemblages complexes que forment les communautés et les écosystèmes ou métaécosystèmes ? Il s’agit aussi de pouvoir articuler dynamique du vivant et dynamique de l’environnement dans des modèles intégratifs. 9 - cf. JF Le Galliard, JM Guarini et F Gaill [eds] Sensors for ecology, towards integrated knowledge of ecosystems. 10 - cf. ZA Brest - Iroise, http://www-ieum.univ-brest.fr/zabri/fr et ZA Terres australes et antartiques, http://za-antartique.univ-rennes1.fr. 11 - cf. OHM littoral méditéranéen, http://www.ohm-inee.cnrs.fr/spip.php?rubrique115 175 prospectives d’avignon D’autres questions, plus spécifiques, doivent faire l’objet d’investigations soutenues : l Quels effets induits de l’évolution de la composition et de la structure des communautés (e.g. sur les cycles biogéochimiques) ? On pourra par exemple considérer ici les macro-organismes calcifiants et le cycle du carbone. Parmi les questions centrales : quelles sont les rétroactions majeures sur la pompe biologique à carbone induites par des modifications de la biodiversité planctonique, elles-mêmes provoquées par le réchauffement, l’acidification, la stratification ou l’oligotrophisation de l’océan ? Comment élargir cette approche de la question à d’autres orga- nismes qui peuplent également de vastes étendues, notamment le benthos côtier, en particulier les organismes contribuant à édifier des habitats (e.g. herbiers, coralligène, mangroves, récifs coralliens…) ? l Quelle est l’importance de la chimiosynthèse dans les cycles du carbone, de l’azote et d’autre processus de régulations majeurs des écosystèmes, comme lors de phénomène d’anoxie et d’eutrophisation ? Quels sont les traits de l’évolution et du fonctionnement des communautés qui dépendent de ce mode de fixation du carbone ? Quel rôle jouent les écosystèmes profonds chimiosynthétiques sur la biogéochimie de l’océan et les écosystèmes pélagiques ? La connectivité La connectivité cristallise des questionnements scientifiques à la confluence entre sciences fondamentales (e.g. paradoxe de l’adaptation dans des environnements diffusifs ou encore des réponses biologiques anisotropes dans un milieu isotrope) et sciences appliquées (e.g. schéma de mises en réserves et de protection des écosystèmes). Les questions de connectivité touchent également des aspects sociaux (e.g. partage de pratiques) comme économiques (e.g. transport maritime). De ce fait, le terme de connectivité utilisé dans différents contextes disciplinaires avec des sens divers mérite d’être clarifié pour éviter des incompréhensions entre les acteurs des différents domaines scientifiques qui utilisent ce terme. Pour dépasser les limites méthodologiques et conceptuelles propres à chacune des disciplines scientifiques, il sera nécessaire de soutenir des réseaux d’acteurs, par exemple par des programmes scientifiques dédiés (e.g. PEPS, ANR). De façon globale, les flux de gènes, d’individus et d’espèces qui définissent les échanges entre habitats et milieux se réalisent à différentes échelles spatiales et temporelles et ils ne peuvent être pleinement compris et pris en compte que par un couplage des modèles physiques et biologiques, mais aussi par d’autres approches transdisciplinaires, par exemple des approches bio-géo-chimiques. Les efforts 176 initiés dans ce domaine associant les compétences des équipes de l’INEE et des autres instituts/organismes devront être poursuivis. La plupart des recherches en macroécologie et notamment celles visant à anticiper les modifications de répartition des espèces sont dépendantes des progrès réalisés dans la compréhension et la prise en compte des mécanismes de connectivité y compris sur le temps court. Concernant les processus biologiques, les questions se posent en termes disciplinaires ou interdisciplinaires ou encore au titre d’organismes ou d’écosystèmes peu étudiés sous l’angle de la connectivité : l Le concept de connectivité prend en milieu marin des éclairages spécifiques selon les champs disciplinaires qui s’y intéressent (écologie, évolution, sciences sociales). Peut-on et comment réaliser une intégration disciplinaire autour de la connectivité ? Quels seraient les chantiers « idéaux » pour réaliser cette intégration ? l Quelle utilisation des concepts de la biologie évolutive, et notamment de la génétique et de la génomique, privilégier pour cerner les questions de connectivité dans tous les compartiments de la biodiversité marine du nano- au méga- et du pélagos au benthos ? Auparavant cette question de connectivité concernait surtout des espèces mobiles d’assez grande taille (notamment approchées par des techniques de Capture-Marquage-Recapture). La banalisation des outils génétiques et génomiques permet désormais une ouverture à toutes les espèces marines, y compris celles composant les communautés de microorganismes, et à toutes les questions liées à la connectivité. l Comment intégrer les connaissances obtenues dans le domaine de l’écophysiologie (ex. variation des traits d’histoire de vie en fonction des conditions du milieu) dans les modèles de dispersion, en particulier ceux intégrant les paramètres physiques (hydrologiques) ? l Comment mieux articuler les études fondamentales de la connectivité avec les problématiques de conservation (liens avec les AMPs, les invasions biologiques, la trame bleue, etc.), par exemple pour aller vers une génétique de la conservation en milieu marin. l Dans certains écosystèmes, comme ceux des grandes profondeurs, les questions de connectivité se posent avec une acuité particulière avec d’une part un environnement globalement stable et vaste, mais à relativement faible densité de peuplement et d’autre part avec des situations à forte instabilité temporelle et spatiale pour les communautés associées aux suintements hydrothermaux, aux carcasses de grands cétacés, ou aux bois coulés… Dans d’autres écosystèmes marins aux interfaces avec le continent, ce sont notamment les questions de l’impact plus ou moins simultané des aménagements et de l’artificialisation des littoraux, de l’exploitation des ressources ou de l’accroissement du trafic maritime sur les flux d’espèces qui doivent être analysés. Autres items d’intérêt Les interactions Elles sont à la base de la quasi-totalité des équilibres et sont de tous ordres : biologique-biologique, sociologique-sociologique, environnementales-environnementales ou croisées. Abordées au niveau strictement biologique les interactions ouvrent sur les questions de productivité, de réseaux trophiques, de symbioses, de relations hôtes pathogènes, etc., autant de sujets dont la connaissance en domaine marin est encore trop fragmentaire, notamment à l’échelle des microorganismes dont on commence à peine à percevoir la richesse et la complexité (entre autres grâce aux premiers résultats de l’expédition TARA). En général ces questions ouvrent naturellement sur les interactions organismesenvironnement, les adaptations ou associa- tions d’organismes reflétant généralement une réponse optimisée aux facteurs de stress ou ressources disponibles. Mais les interactions doivent aussi être déclinées dans d’autres domaines (e.g. conflits d’usages pour l’accès aux ressources) et surtout entre domaines: interactions entre milieu et biodiversité, entre usages anthropiques et biodiversité, etc. C’est avec ce type d’approche, intégrant écologie, biologie de l’évolution, sciences humaines et sociales, qualifiée d’écologie globale, que l’INEE apporte toute son originalité. L’identification de nouveaux Sites d’Etude en Ecologie Globale (SEEG), outil interdisciplinaire de l’institut, pourra être envisagée pour répondre à des questionnements propres à des systèmes marins ou littoraux. Changement global et adaptations du monde marin Le siècle dernier a vu s’accélérer des changements environnementaux sans précédents, notamment en relation avec l’accroissement de la démographie et des activités humaines (artificialisation des milieux, introductions d’espèces, pêche, changements climatiques, etc.). Ils modi- fient en profondeur l’ensemble du système mer dans ses composantes biotiques et abiotiques comme sociologiques ou économiques. Ceci pose la question de l’adaptation à différents niveaux d’intégration: organismes, espèces, systèmes écologiques et systèmes anthropiques à 177 prospective de l’institut ecologie et environnement du cnrs prospectives d’avignon des échelles de temps pertinentes. Des progrès importants sont ainsi attendus dans le domaine de la dynamique des génomes, des études des mécanismes de l’adaptation et de la physiologie des organismes qui sont des champs de connaissance fondamentaux à approfondir pour élaborer des scénarios pertinents. Quelles réponses et à quel rythme ? Comment apprécier et analyser la complexité de pressions anthropiques croisées, s’additionnant ou se contrariant ? Comment déconvoluer des signaux d’origines diverses ? Comment se structurent des circuits d’inter-relations entre systèmes naturels et anthropiques ? Quelle est leur dynamique ? La dynamique évolutive et la structure des génomes Les dix dernières années ont témoigné d’une accélération sans précédent de connaissances sur la structure et la diversité des génomes marins dans le cadre de programmes Nationaux et Européens (e.g. Marine Genomics Europe, Oceanomics) qu’il convient de pérenniser et pour laquelle une démocratisation des outils est encore nécessaire. Ces premiers résultats offrent des outils pour mieux décrire la diversité (e.g. meta-barco- ding) et pour aborder de nouvelles questions de recherche ou aborder différemment des questions encore mal élucidées dans le domaine marin. Il s’agit par exemple de la définition d’écotypes, de l’analyse des mécanismes d’isolement reproducteur ou encore de la relation phénotype-génotype. Ces recherches ouvrent également la voie vers une meilleure intégration des mécanismes épigénétiques dans les recherches éco-évolutives. Modéliser pour scénariser et prévoir ? Ce triptyque est désormais au centre de nombreuses approches que ce soit pour des systèmes à dominante naturelle et des questions fondamentales d’écologie, de phylogéographie ou d’écorégionalisation, comme pour des systèmes à dominante anthropiques et des questions d’impacts, de gestion des territoires… Les obstacles à surmonter sont du même ordre: quelles approches développer ? Comment intégrer le vivant et les processus associés dans les modèles globaux avec l’objectif d’accroître la fiabilité des prédictions ? Comment calibrer, transmettre et rendre acceptable l’incertitude ? Comment intégrer des paramètres sociaux et économiques aux bases biologiques et environnementales ? Les demandes qui émanent de la société via diverses instances européennes (e.g. Marine knowledge 2020), nationales (e.g. celles du MEDDE), locales, institutionnelles, comme citoyennes sont de plus en plus nombreuses, tout spécialement lorsqu’il s’agit d’entrevoir des évolutions à venir. Les scientifiques sont confrontés à une situation paradoxale: d’un côté des questions pressantes, en attente de réponses de plus en plus précises, de l’autre des systèmes hautement complexes requérant l’acquisition de connaissance fondamentales qui font largement défaut (e.g. dispersion larvaire pour de nombreuses espèces) et des analyses lourdes, souvent longues. Une collaboration est, entre autre, nécessaire avec des laboratoires de l’INSHS. Les transitions d’échelles Toutes les sciences pratiquées dans le cadre de l’institut INEE supposent de savoir basculer entre différentes échelles tout en maintenant une cohérence d’approche. En soi cette question est très vaste et elle n’est ni neuve, ni spécifique à la mer. Néanmoins, dans le monde marin où les interconnexions sont facilitées par la densité du milieu, comment se font les transitions d’échelle ? C’est-à-dire comment une 178 somme d’effets locaux parvient à un impact global ? Comment identifier des patrons macroécologiques qui signaleraient des systèmes perturbés à large échelle ? Quels mécanismes sont impliqués dans de telles transitions scalaires en domaine marin ? On aborde ici de plain-pied la problématique des effets de seuil. A noter que ceci suppose de disposer de séries temporelles bien documentées. Les indicateurs Dans le contexte de la mise en place de directives internationales, notamment Européennes (type DCH, DCE, DCSMM), de la montée en puissance de questionnements de la société civile et des collectivités sur l’état écologique, la restauration et l’ingénierie écologique associée, l’appréciation des compensations, les services écosystémiques… la nécessité de disposer d’indicateurs est cruciale. Il faut impérativement qu’ils soient forgés sur des bases scientifiques robustes et il est nécessaire et urgent d’avoir une recherche amont, expérimentale autant que théorique, qui fournisse ces bases. La validation de ces indicateurs passe pro parte par la mise en place d’expérimentations de grande ampleur en utilisant les installations des laboratoires marins (aquariums d’étude, viviers), des mésocosmes ou encore des aménagements que représentent les parcs nationaux, réserves, AMPs, etc. Entre généricité et spécificités En ce qui concerne les axes prioritaires moins spécifiquement marins évoqués ci-dessus (e.g. transferts d’échelle, réponses aux changements globaux, scénariser), il convient de souligner qu’il existe des spécificités à la fois dans les forçages que subissent les systèmes marins et dans leurs réponses aux changements globaux. Ainsi le déplacement des organismes marins par des voies naturelles ou artificielles (e.g. eaux de ballast) est plus facile qu’en milieu terrestre ce qui peut conduire à une homogénéisation biologique plus forte et plus rapide et à très grande échelle spatiale, les barrières naturelles originelles (e.g. équateur) devenant alors perméables. Les réponses des écosystèmes marins à l’accroissement des pressions anthropiques comme celle des flux de nutriments présentent des spécificités comme le développement de zones eutrophes ou anoxiques, ou le développement massif de microorganismes qui produisent des composés toxiques pour les espèces précédemment installées, et parfois aussi pour l’Homme. L’acidification des océans est également une réponse spécifique à l’accroissement de la pression partielle en CO2 dont on connaît encore très mal les conséquences sur le vivant, dans toute sa complexité écologique, c’est-à-dire en prenant en compte les mécanismes de régulation des organismes et associations d’organismes jusqu’aux écosystèmes. Une des pressions les plus spécifiques que subissent les écosystèmes marins est l’exploitation des ressources qui a concerné et concerne encore aujourd’hui des stocks d’organismes sauvages et qui sont pour beaucoup des prédateurs supérieurs. Enfin, le statut juridique des eaux marines (eaux internationales, domaine public maritime…) n’a pas d’équivalent continental et constitue un cadre particulièrement délicat pour assurer une durabilité des services écosystémiques, ce d’autant plus que l’exploitation des ressources en haute mer s’accélère et ne va aller qu’en s’accélérant (énergie, minerais). 179 prospectives d’avignon Les besoins et les moyens requis Inventaires De nombreuses thématiques portées au sein des laboratoires de l’INEE reposent sur la réalisation d’inventaires. Comment ? Pour quoi faire ? Par exemple, inventorier la biodiversité sous tous ses aspects (génétique, spécifique ou fonctionnelle) est une question qui se pose à nouveau de manière aigüe et totalement renouvelée à la lumière de deux changements récents : l La prise de conscience que, dans la classique distinction entre known, unknown et unknowable, la part estimée de l’inconnu est beaucoup plus vaste qu’envisagée, notamment dans le domaine des microorganismes. l Le développement accéléré des moyens d’investigation. Dans ce double cadre, la proportion du unknown s’accroit au fur et à mesure que, les techniques se développant, elles nous révèlent la diversité et la complexité de la vie marine, d’autant que s’y ajoute une érosion de l’expertise taxonomique dans les laboratoires. Paradoxalement, plus on découvre de nouvelles entités génétiques, spécifiques ou fonctionnelles, plus on réalise que nos connaissances sont lacunaires. La caractérisation moléculaire de la biodiversité marine est une voie privilégiée pour échapper à différents écueils méthodologiques d’estimation de la diversité du vivant à toutes les échelles. Cette caractérisation nécessite le maintien de moyens d’observation et d’accès aux écosystèmes marins (voir ci-dessous) et l’amélioration des infrastructures qui gèrent les référentiels de noms (les collections), la réorganisation des métiers et des infrastructures de séquençage massif face aux nouvelles technologies, en particulier en termes de capacités de calcul, et le soutien pérenne de la taxonomie et de l’anatomie qui donnent sens aux séquences produites (voir ci-dessous le paragraphe consacré à l’archivage). Suivis/observations Devant l’obligation de répondre aux recommandations et directives internationales (type DCH, DCE, DCSMM) et devant l’importance que prennent les séries d’observations pour répondre à des enjeux de recherche finalisée et fondamentale, comment mettre en place des moyens opérationnels permettant aussi bien des observations à court terme, mais à haute fréquence, que des suivis à long terme et comment apprécier l’efficacité des actions entreprises (suivis) ? Dans ces suivis, la place du biologique reste encore très limitée. Il est urgent que se mettent en place des observatoires de la diversité marine en s’appuyant notamment sur des protocoles dédiés aux observations éco-évolutives et pouvant en outre bénéficier de nouveaux outils omiques (e.g. méta-barcoding et méta-génomique environnementale) en étroite relation avec les stratégies expérimentales en écologie. Plus généralement, la question de l’archivage des données actuelles et anciennes et de leur valorisation doit être traitée sans délais et il faut se donner les moyens de surmonter la contradiction entre une politique de projets à court terme, et le besoin d’études à long terme, autant qu’anticiper l’intégration de données de différents domaines disciplinaires sur des échelles représentatives des systèmes écologiques pas toujours équivalentes à celles du suivi des masses d’eau. Ces observations et ces suivis des laboratoires marins adaptés aux problématiques de l’INEE sont nécessaires pour contribuer à la compréhension des effets du réchauffement global en cours, de l’acidification prévue des mers, des variations probables du niveau marin, de l’hypoxie et des changements de la biodiversité sur les écosystèmes. Ils permettent aussi de prendre des décisions concernant leur conservation et leur restauration, tout en permettant la valorisation des biens et services qui leur sont imputables. L’archivage La question de l’archivage est double. Elle concerne tout autant l’archivage in silico de bases 180 de données de tous ordres (concernant les habitats, taxons, actions anthropiques, impacts, indicateurs de vulnérabilité…) que l’archivage physique de spécimens sous différentes formes (types, tissus, ADN). Ce second aspect est souvent peu débattu en regard de l’archivage numérique des données mais est tout aussi important dans le cadre des études à base d’inventaire, de suivi ou rétrospectives où ces spécimens et échantillons servent de référence. Une difficulté attendue est celle des espaces dédiés au stockage, car la place est comptée et les besoins de stockage sont augmentés et diversifiés par des exigences nouvelles en termes de nombre et formes de spécimens à conserver. Contrairement à une première idée assez répandue, une collection n’est pas remplaçable : il ne suffit pas de retourner sur le terrain pour ramener ce qui a été perdu. Une collection est aussi un référentiel de temps : tel échantillon a été trouvé à tel endroit à tel moment. Et puis la variabilité des populations, des espèces, des habitats… est telle qu’on ne recapture jamais deux fois la « même » chose. Contrairement à une deuxième idée reçue, une collection ne doit pas être vue comme statique et improductive, une collection a une vie propre : il faut l’entretenir, l’incrémenter, organiser sa gestion. Ces activités demandent un certain degré d’expertise dans le champ des objets conservés et la description de ces archivages doit faire l’objet du même soin que celui apporté à la genèse des couches de métadonnées. Contrairement à une troisième idée reçue, spécifique à la biodiversité, l’identification moléculaire des organismes n’empêchera pas une érosion des connaissances liée à l’absence de systématiciens (même si des efforts de mise en commun internationale des compétences est un palliatif). Pour qu’un nom attaché à une séquence d’ADN ait une valeur, il faut que ce nom soit lui-même attaché à un spécimen-type validé par un taxonomiste. Il y a donc lieu de développer et de promouvoir l’interopérabilité et le libre-accès à l’abondance et à la variété de plus en plus grande de résultats d’observations et de données concernant les sciences de la mer. Le développement des laboratoires marins Bien que représentant une communauté très significative au sein de l’INEE, les unités marines doivent gagner en visibilité tout en développant les synergies nécessaires avec les autres instituts (INSHS, INSU, INSB, INC) / organismes (Ifremer, MNHN). Ces collaborations sont une réalité vécue et revendiquée par la très grande majorité des équipes travaillant sur des questions environnementales, mais qui ressentent sans les comprendre les rivalités pouvant exister entre organismes et/ou instituts. Des solutions devront être proposées et testées (e.g. programmes inter-organismes) pour optimiser du « bas en haut » de l’échelle les collaborations sur un mode gagnant-gagnant. Structurellement, si l’INSU a « ses » observatoires marins, qui intègrent souvent des unités INEE, l’INEE n’est l’institut de rattachement principal que d’un seul de ces ensembles. Les stations marines, quelles que soient leurs tutelles, souvent multiples, sont les grands équipements nécessaires à la recherche en écologie marine telle que souhaite le développer l’INEE. La question se pose de la création de nouvelles infrastructures dans ce paysage, mais il est évident que des outils mieux adaptés aux problématiques en écologie marine doivent être mis en place, sous la responsabilité de l’INEE ou en en partenariat avec d’autres instituts à l’instar de ce que propose EMBRC-France. Ainsi, les laboratoires marins d’écologie doivent maintenir des passerelles ouvertes vers les thématiques INSB, tant pour travailler sur des espèces (modèles) marines vivantes, à des fins de physiologie, de biologie cellulaire ou de biologie du développement que pour sensibiliser d’autres partenaires à des problématiques écologiques. Cette ouverture, les rendraient encore plus attractifs en les positionnant comme « centres de ressources ». Les moyens à la mer Au même titre que pour les communautés scientifiques des autres organismes, les équipes marines de l’INEE ont besoin de pouvoir disposer de moyens (personnels et équipements) d’accès aux écosystèmes marins (plongée scientifique, navires côtiers et hauturiers) et aux déve- loppements technologiques associés (e.g. ROV, capteurs, enregistreurs…). Les flottes océanographiques françaises hauturières et côtières sont d’ores et déjà largement sollicitées pour des campagnes impliquant des unités INEE. Cette pression devrait encore s’accroître no181 prospective de l’institut ecologie et environnement du cnrs prospectives d’avignon tamment pour des approches pluridisciplinaires permettant d’apporter simultanément des données sur les différentes composantes des systèmes marins et sur leur fonctionnement, mais aussi favorisant le développement de thématiques d’interface entre disciplines. Compte tenu des pressions croissantes sur les systèmes littoraux et côtiers, il est essentiel que la recherche en écologie bénéficie d’un accès élargi à ces moyens, indépendamment des missions purement océanographiques de la flotte côtière. La création de l’UMS Flotte Océanographique Française à laquelle l’INEE participe (comité de direction) aux cotés de l’Ifremer, de l’INSU, de l’IPEV et de l’IRD devrait favoriser cette évolution. Moyens expérimentaux La question du développement des moyens expérimentaux est récurrente. Les stations marines doivent être équipées de salles d’aquariums alimentées en eau de mer naturelle courante pour l’acclimatation comme pour l’expérimentation dans des conditions strictement contrôlées. Les besoins existent à différentes échelles, du micro au mésocosme, jusqu’aux sites d’expérimentation en écologie qui permettent de centraliser sur un ensemble d’écosystèmes interconnectés des approches expérimentales. Une seule des Stations d’Ecologie Expérimentale de l’institut est exclusivement dédiée à des écosystèmes marins. Elle intègre essentiellement des équipements permettant de traiter de questions relatives aux écosystèmes pélagiques côtiers. La plupart des infrastructures expérimentales en écologie benthique restent à développer, de même que les dispositifs entièrement régulés de type ECOTRON. Des équipements lourds permettant d’instrumenter des sites naturels, en zone littorale à l’interface terre-mer autant qu’en milieu profond sont plus que jamais indispensables pour étudier la réponse d’écosystèmes modèles aux perturbations. Les moyens les plus coûteux devront être partagés et être attractifs pour la communauté nationale et internationale. A côté de l’avantage de développer des liens interdisciplinaires (INEE, INSU, INSB), de faire croître la notoriété de ces laboratoires marins grâce à leur positionnement dans d’autres domaines que l’écologie et l’environnement, une telle situation de collaboration permet d’obtenir des matériels, au moins mi-lourds, que des activités exclusivement « écologiques » ne permettraient pas d’avoir. Ce serait aussi le moyen le plus sûr pour ces laboratoires de rejoindre des réseaux internationaux de type « centre de ressources » (Marine Biological Resource Centre), qui seront sollicités pour répondre à des requêtes comme celles qui émaneront de l’IPBES. Personnels Des personnels dédiés (observation, suivi et inventaires) sont indispensables. Ces tâches impliquent le maintien de professionnels détenant des capacités d’études sur le terrain ainsi que dans le domaine de l’expertise taxonomique. Elles impliquent aussi le soutien actif du CNRS à de grandes infrastructures comme les collections d’histoire naturelle et les stations marines, dont plusieurs demeurent 182 ou sont en passe de devenir orphelines d’experts en dépit de leur qualité internationale. Une solution ambitieuse serait de mettre en place, à l’instar de ce qui existe dans le domaine des sciences de l’univers avec le corps des astronomes et physiciens, un corps spécialement affecté aux questions de suivi de la biodiversité et des écosystèmes tant terrestres que marins. éCOLOGIE TROPICALE avignon Prospective Coordinateurs : Pierre-Michel Forget & Doyle McKey Contributeurs : Swanni Alvarado, Serge Bahuchet, Christopher Baraloto, Patricia Bentoza, Laurent Brémond, Thomas Changeux, Jérôme Chave, Anne Corval, Pierre Couteron, Charly Favier, Gaëlle Fornet, Olivier Hardy, Pierre-Yves Henry, Marta Irving, Didier Jouffre, Finn Kjellberg, Florent Maraux, Eric Marcon, Serge Planes, Nick Rowe, Thierry Tatoni Qu’est-ce que l’écologie tropicale au 21ème siècle ? Quels sont les défis pour le futur, compte tenu des pressions de plus en plus fortes de l’homme sur la nature et du changement climatique ? Pourquoi un atelier spécifique à l’écologie tropicale? Depuis Darwin, les organismes et écosystèmes de la région intertropicale ont servi de modèles idéaux pour l’étude des processus évolutifs et de la biodiversité qui en est le résultat. Les interactions biotiques sont particulièrement importantes comme sources de pressions de sélection sous les tropiques, donnant naissance à une coévolution plus intense entre espèces (Dobzhansky 1950 ; Schemske et al. 2009). Les tropiques fournissent aussi des exemples de choix pour l’étude de la diversification, à des échelles de temps allant de la microévolution suivie « en temps réel » à l’histoire des grandes innovations et radiations évolutives (Flenley 2011). Les grandes lignées d’organismes ont leur origine dans des milieux tropicaux, marins (Jablonski et al. 2006) comme terrestres (par exemple, mammifères et oiseaux : Weir & Schluter 2007 ; angiospermes : Donoghue 2008). Par leur grande biodiversité, les écosystèmes tropicaux offrent beaucoup plus d’envergure que les écosystèmes extratropicaux pour les tests d’hypothèses nécessitant la comparaison d’un grand échantillonnage de lignées. Les socio-écosystèmes des régions intertropicales renferment aussi une grande diversité humaine d’ordre culturelle et biologique, leur faisant des lieux privilégiés pour l’étude des interactions entre hommes et milieux. D’une façon différente de l’écologie de n’importe quelle autre région de la planète, « l’écologie tropicale » a des choses à nous apprendre sur l’évolution en général (Kricher 2011), et sur la place de l’Homme dans la biosphère. Cependant, les tropiques ne sont pas seulement un terrain de jeu idéal pour les naturalistes et pour la recherche fondamentale. Les spécificités des régions intertropicales quant à l’évolution et l’écologie leur donnent aussi une place particulière dans nos efforts pour résoudre l’un des défis fondamentaux auxquels les sociétés du 21ème siècle doivent faire face : la conciliation du bien-être humain et l’utilisation durable des ressources naturelles. Les écosystèmes tropicaux fournissent des services indispensables à la vie des hommes (climat, carbone, eau, diversité, ressources minières, bois, etc..) qu’il ne faut pas gaspiller, mais enfin partager. Les écosystèmes tropicaux comptent pour plus que la moitié des stocks de carbone dans les écosystèmes terrestres et jouent un rôle vital dans le fonctionnement de la planète toute entière ; ils constituent le plus gros réservoir d’eaux non salées sur la planète ; ils sont aussi 183 prospective de l’institut ecologie et environnement du cnrs prospectives d’avignon une zone critique pour l’émergence de nouvelles maladies infectieuses (Guernier et al. 2004). Pour toutes ces raisons, et d’autres encore, les écosystèmes tropicaux représentent de grands enjeux pour la conservation de la biodiversité, pour l’utilisation durable de la biosphère, et pour la réconciliation de la biodiversité et du développement durable (Palmer et al. 2005 ; Neff 2011). Pourtant, si l’essentiel de la diversité est localisée dans les régions tropicales, les moyens mis en œuvre pour l’écologie tropicale restent très déficitaires et en défaveur des régions DTOM et des pays en développement. Les activités humaines ont déjà provoqué d’importants changements environnementaux. Plus de 40% de la surface terrestre a déjà été transformé en paysages urbains et terrains agricoles, et les paysages « naturels » restants sont fortement fragmentés par des routes (Barnosky et al. 2012). A ces impacts directs s’ajoute l’impact des humains sur la composition de l’atmosphère et sur le changement climatique, changements planétaires affectant même les régions « naturelles » les plus reculées (Holtgrieve et al. 2011). Ces impacts directs et indirects de l’Homme conduisent à la perte de la biodiversité. Parce que la biodiversité contribue au fonctionnement des écosystèmes, la perte de la biodiversité fonctionnelle conduit à son tour à la diminution des services fournis par les écosystèmes aux humains. Tous ces problèmes sont exacerbés dans la région intertropicale, pour des raisons à la fois d’ordre biologique et social. Premièrement, les écosystèmes tropicaux sont plus complexes que ceux des régions extratropicales, notamment à cause de leur plus grande biodiversité à différentes échelles (par exemple, dans la diversité génétique inter-populationnelle [Eo et al. 2008], ainsi que dans la richesse spécifique) et à cause des liens d’interdépendance entre espèces plus forts et plus complexes que dans les régions extratropicales (Schemske et al. 2009). Pour cette raison et d’autres (voir ci-dessous), les écosystèmes tropicaux, et la biodiversité qui les compose et dont ils dépendent, sont plus vulnérables aux changements globaux que sont la plupart des écosystèmes et organismes des régions extratropicales. Par exemple, alors que les écosystèmes tropicaux furent longtemps considérés comme peu vulnérables aux effets des changements climatiques, on se rend compte aujourd’hui qu’ils sont peut-être même plus vulnérables que les écosystèmes des régions 184 extratropicales (Corlett 2012). Deuxièmement, les contextes économico-sociaux-culturels sont globalement très différents dans les pays de la ceinture intertropicale (pour la majorité, des pays du « Sud » en voie de développement) et les pays industrialisés (le « Nord ») des régions extratropicales. Le niveau de développement économique et social plus faible des pays tropicaux, ainsi que la forte croissance démographique attendue dans ces régions pour les prochaines décennies, auront comme résultat une forte augmentation des besoins humains, mettant en péril la capacité des écosystèmes tropicaux à fournir les services dont leurs populations humaines dépendent directement pour leur survie. De plus, les régions intertropicales ont gardé, plus que les pays industrialisés du Nord, une grande diversité culturelle. La diversité des contextes sociaux et culturels dans la ceinture intertropicale donne naissance à une diversité correspondante de socio-écosystèmes. Etudier le fonctionnement de ces systèmes demande la prise en compte de la diversité culturelle. Les écosystèmes tropicaux jouent aussi des rôles cruciaux et spécifiques dans la dynamique des changements climatiques et autres changements globaux. Les changements environnementaux dans les régions tropicales ont donc un fort impact sur la planète toute entière. Les écosystèmes tropicaux comptent pour plus que 50% des stocks de carbone dans la biosphère terrestre. Quel est l’avenir de ces stocks ? Pour une grande portion de la ceinture intertropicale, le climat permet le développement d’une végétation forestière ou de la savane, comme deux états stables alternatifs (Hirota et al. 2011 ; Staver et al. 2011). Le destin de ces régions—le stockage de grandes quantités de carbone dans la végétation et le sol des forêts, ou l’émission de grandes quantités de carbone par les incendies fréquents dans les savanes— a une énorme influence sur le cycle de carbone, et donc sur le climat, à l’échelle planétaire. Comprendre les écosystèmes tropicaux complexes, leurs interfaces avec la diversité humaine culturelle et biologique, et la dynamique des socio-écosystèmes face aux changements globaux, demande donc des compétences particulières. Dans la région intertropicale, les enjeux pour la conservation de la biodiversité, pour l’utilisation durable de la biosphère et pour la réconciliation de la biodiversité et du développement durable (Palmer et al. 2005 ; Neff 2011) nécessitent des axes de recherche spécifiques. Hiérarchiser les priorités Face aux enjeux, des urgences immédiates se dessinent en termes de recherche et en termes de politique scientifique. Les priorités peuvent être organisées en fonction de leur degré d’urgence. Les différents degrés d’urgence correspondent aussi plus ou moins aux différentes échelles de temps des processus considérés : Les actions les plus urgentes Evaluation rapide de la biodiversité et évaluation rapide des effets immédiats des impacts anthropiques actuels. Il s’agit de faire le bilan de l’impact de l’homme sur les écosystèmes tropicaux, après 50 ans d’usages intensifs des tropiques, usages qui ont profité aux uns, au détriment des autres ; et se munir des outils pour anticiper les conséquences, si possible en temps utile pour agir. Des méthodes existent pour l’évaluation rapide de la biodiversité, de nouvelles méthodes apparaissent. Les relevés acoustiques permettent l’évaluation rapide de certains groupes d’animaux à l’aide d’un microphone et un magnétoscope (Sueur et al. 2008). Ferrer-Paris et al. (2013) proposent le système NeoMaps comme modèle pour recenser la biodiversité au niveau d’un pays de façon plus rapide, plus fiable et plus efficace que par des méthodes existantes. A un autre niveau, le barcoding intègre l’ADN environnemental et évolue vers le « méta-barcoding » (Taberlet et al. 2012). La télédétection développe de nouvelles perspectives pour l’évaluation rapide de la biodiversité à des échelles spatiales très grandes (Asner et Martin 2009). Des méthodes pour l’évaluation rapide des impacts anthropiques sur les services écosystémiques restent largement à développer. La disponibilité croissante d’imagerie satellitaire de haute résolution par Google Earth permettra l’application de plus en plus large de la télédétection pour évaluer et suivre les impacts anthropiques (Dorais et Cardille 2011). A une échelle plus locale, des méthodes sont en cours de développement pour suivre l’impact de la fragmentation et la chasse sur des services écosystémiques tels que la dissémination des graines (Lermyte et Forget 2010). Des recherches doivent être financées pour favoriser la mise au point et l’usage plus large de méthodes innovantes d’inventaire et suivi de la biodiversité tropicale. Les actions à moyen terme En même temps que l’évaluation, il faut mettre en place des dispositifs pour le suivi de la biodiversité et des effets des impacts anthropiques sur la biodiversité et sur les services écosystémiques, dans le passé (avec l’étude d’archives paléoécologiques, bibliographiques, cartographiques, photographiques, herbiers et collections) ainsi que dans le présent et l’avenir. La première étape serait d’acquérir une profondeur historique dans notre compréhension de l’évolution des flores et des faunes des régions tropicales, en accélérant les recherches sur la phylogéographie des groupes d’organismes jouant des rôles clés (ou fournissant des modèles d’étude instructifs) et sur la paléoécologie des écosystèmes tropicaux. Comprendre la mise en place de la biodiversité tropicale et son histoire, notamment au cours du Quaternaire, nous donnera une « ligne de base ». Il faudra en même temps mettre en place des suivis pour comprendre les réponses des communautés et des écosystèmes aux changements actuels. En milieu marin, et dans les écosystèmes continentaux des régions tempérées, de tels suivis existent depuis 20-30 ans et leurs résultats démontrent aujourd’hui l’importance de suivis à long terme en relation avec le changement climatique (cf. atelier Pour une écologie globale p. 219). Il est crucial que le réseau de sites d’étude à long terme dans la ceinture intertropicale se densifie. Nos actions dans ce domaine doivent être en adéquation avec la réalisation croissante que nous approchons peut-être une phase où les forcings globaux peuvent conduire à une transition critique qui bouleversera l’état et le fonctionnement de la biosphère toute entière (Barnosky et al. 2012), affectant des aires beaucoup plus grandes que celles directement influencées par les impacts anthropiques. Comme des métapopulations qui s’effondrent brutalement suite à la « dette d’extinction » accumulée sur un temps long, les écosystèmes peuvent être conduits par des forçages à l’échelle globale à une transition 185 prospectives d’avignon critique après une période de relative stabilité. Il est donc urgent de renforcer les liens entre études à l’échelle locale et à l’échelle globale. D’un part, il faudrait renforcer l’échantillonnage à l’échelle locale de paramètres soumis à ces forcings globaux. Ceci est un défi particulièrement formidable dans les pays tropicaux avec un manque cruel d’infrastructures. D’autre part, il faudrait créer des réseaux, pour élargir l’échelle spatiale à laquelle nous sommes capables d’analyser nos données. Ceci implique plus d’entraide, de partage, et de mise en commun des moyens et des forces. Il faut s’investir dans le networking afin de synchroniser et de partager des données entre sites de recherche. Un effort devrait être fait pour saisir et publier les données non publiées (données brutes, données des collections non mises en ligne,…), ou publiées dans la littérature grise, et les intégrer dans de nouvelles analyses. La mise en commun de ces données et la construction de bases de données partagées nécessiteront la contribution de notre communauté à la mise en place de protocoles communs et standardisés, pour faciliter les comparaisons interrégionales et intercontinentales. Il faudrait chercher les moyens pour favoriser l’implication des réseaux participatifs (« citizen science ») pour multiplier notre impact. De nouveaux outils pour le suivi Les capteurs de nouvelle génération (« embedded sensors ») sont capables de fournir une quantité de données sur les habitats, ce qui était impensable il y a juste quelques années (Porter et al. 2009). L’utilisation de capteurs est particulièrement importante pour les régions tropicales, caractérisées par un réseau peu dense de stations météorologiques — et par une forte probabilité d’apparition de climats sans analogues contemporains (voir ci-dessous). Une piste susceptible de contribuer à combler le gros manque de données de monitoring environnemental en zone tropicale est de développer des partenariats avec les sociétés de téléphonie mobile, voire d’obtenir leur sponsoring, pour utiliser leurs réseaux d’antennes afin d’y installer des stations météorologiques automatiques (éventuellement d’autres capteurs environnementaux). Lorsque la densité du réseau dans des régions bien isolées le permet, ces antennes sont un des rares équipements presque toujours bien entretenus et protégés dans les pays les plus pauvres et il y aurait sans doute des solutions techniques simples pour transmettre les mesures en continu par téléphonie. De tels réseaux serviraient beaucoup les études écologiques et environnementales, tant pour le suivi des changements climatiques que pour établir une cartographie à bonne résolution des gradients climatiques. Il faut aussi modéliser les cycles de rétroactions, et les synergies entre processus auparavant considérés comme indépendants, pour comprendre comment ils peuvent interagir pour amplifier les conséquences des activités humaines sur la biodiversité et le fonctionnement des écosystèmes. Les modèles doivent prendre en compte 186 le fait que la dynamique temporelle des processus écologiques est souvent non-linéaire, et qu’il existe de multiples équilibres. Les recherches en écologie tropicale doivent concerner non seulement les écosystèmes forestiers mais aussi d’autres écosystèmes terrestres, notamment les savanes ; et non seulement les écosystèmes continentaux, mais aussi les écosystèmes tropicaux marins. Les gradients latitudinaux de richesse spécifique caractérisent les écosystèmes marins aussi bien que les écosystèmes terrestres (Roy et al. 1998), suggérant des causes évolutives communes aux deux domaines. L’écologie tropicale doit donc englober les deux domaines. Cependant, certaines hypothèses actuelles pour expliquer les gradients latitudinaux dans les deux domaines sont basées sur des raisonnements divergents, voire contradictoires (Huston et Wolverton 2009). Le rôle des interactions entre écosystèmes terrestres et marins est bien connu (par exemple, dans la dynamique de forêts des mangroves [Adame et al. 2010], les conséquences de la déforestation pour l’écologie des récifs coralliens au large [Lapointe et al. 2010]), mais de nouvelles hypothèses suggèrent que ces interactions ont une portée beaucoup plus importante que nous le pensions (Huston et Wolverton 2009). Comment favoriser l’intégration de deux communautés ayant des traditions de recherche très différentes, pour mieux étudier le rôle des interactions entre continents et océans dans l’écologie tropicale, et dans la macroécologie plus généralement ? La communauté INEE peut faire des contributions uniques à l’étude des liens marinsterrestres, liens jouant des rôles très importants dans le fonctionnement du système Terre. Les impacts du changement climatique des problématiques spécifiques aux écosystèmes tropicaux Les conséquences des changements climatiques sont beaucoup moins étudiées dans la région intertropicale qu’ailleurs, en partie parce que nous avons longtemps considéré — à tort — que les écosystèmes tropicaux seront peu affectés par le réchauffement. La réalisation que les effets du changement climatique peuvent agir aussi rapidement que ceux occasionnés par d’autres pressions telles que la déforestation est relativement récente (Corlett 2012). Les conséquences du changement climatique risquent d’être même plus dramatiques sous les tropiques car 1) la biodiversité y est fortement concentrée ; 2) les gammes de tolérance des organismes tropicaux par rapport à la température (et pour d’autres facteurs abiotiques comme la sécheresse) sont plus étroites que chez les organismes des régions tempérées ; 3) les populations humaines des pays tropicaux en voie de développement sont plus vulnérables aux conséquences des changements climatiques sur les services écosystémiques. Ils risquent de mettre plus de pression sur les écosystèmes déjà fragilisés par les changements climatiques. La problématique (globale) de l’impact du changement climatique sur la biodiversité a quelques autres spécificités tropicales. Premièrement, pour la grande majorité d’espèces, nous manquons les données de base pour suivre les impacts sur des populations. Les changements climatiques induisent des changements dans l’aire de répartition des espèces, mais peu d’études documentent de tels changements dans les régions intertropicales (Morley 2011 ; Mayle et al. 2004 ; Bush 2002 ; Feeley 2012 ; Feeley et al. 2011). Pour prévoir et gérer ces « shifts » dans l’aire de répartition, une approche est de modéliser la répartition actuelle de l’espèce, à partir d’observations sur sa distribution et de données sur les conditions environnementales dans cette zone, et sa répartition future, en fonction des changements climatiques. Cependant, à l’opposé des espèces des régions tempérées, pour la plupart des espèces tropicales nous ne disposons pas de suffisamment de données pour appliquer cette approche. Il y a peu de collectes (et de forts biais dans l’échantillonnage), et le peu de matériel qui est présent dans des collections est souvent invisible car pas informatisé (Hopkins 2007 ; Feeley & Silman 2011). De nouvelles collections, et la numérisation et mise en ligne des collections déjà existantes, sont requises. Deuxièmement, dans les prochaines décennies le réchauffement planétaire va résulter dans l’apparition de nouveaux climats, sans analogues actuels. Selon les prédictions, ces nouveaux climats sont surtout attendus dans les régions tropicales et subtropicales (Williams & Jackson 2007). Les conséquences écologiques de ces changements peuvent être profondes. Souvent les organismes des habitats insulaires de haute altitude sont considérés les plus vulnérables au réchauffement global. Cependant, si les habitats à basse altitude atteignent des températures hors l’expérience évolutive des espèces qui les habitent, ils peuvent perdre des espèces qui ne seront pas remplacées, des habitats sources plus chauds n’existant pas. Y aura-t-il une « biotic attrition » dans les écosystèmes de basse altitude (Colwell et al. 2008 ; Svenning & Condit 2008) ? En vue de l’apparition de ces nouveaux climats, il y a besoin urgent de tester la robustesse de modèles écologiques à des conditions climatiques hors notre expérience moderne (Diamond et al. 2012). Ceci nécessitera entre autres un gros effort dans l’écophysiologie des organismes tropicaux pour examiner leurs tolérances aux nouvelles conditions climatiques attendues. Troisièmement, à cause des réponses individuelles des différentes espèces, ces nouveaux climats vont donner naissance à de nouvelles communautés écologiques. Les associations entre espèces risquent d’être perturbées, voire rompues. Comme les interactions biotiques sont plus intenses, souvent plus spécifiques, et jouent des rôles plus importants sous les tropiques, les conséquences de ces recompositions de communautés peuvent être particulièrement profondes dans les écosystèmes tropicaux (Schweiger et al. 2008 ; Dunn et al. 2009 ; Lavergne et al. 2010 ; van der Putten et al. 2010 ; Traill et al. 2010 ; Sheldon et al. 2011). Va-t-on assister à des changements dans le fonctionnement des processus écosystémiques ? Quatrièmement, à cause d’une différence fondamentale dans la variation du régime thermique 187 prospective de l’institut ecologie et environnement du cnrs prospectives d’avignon dans l’espace, et pour chaque point de l’espace dans le temps (Janzen 1967), la dynamique de la biodiversité le long des gradients altitudinaux dans la région intertropicale est différente de celle dans les régions extratropicales. Par conséquent, l’impact des changements climatiques sur les organismes, les communautés et les écosystèmes distribués sur un gradient d’élévation sera différent que sur un gradient comparable en zone tempérée (Janzen 1967 ; Ghalambor et al. 2006 ; Colwell et al. 2008 ; Malhi et al. 2010 ; Sheldon et al. 2011). Ces considérations suggèrent qu’une grande priorité de recherche doit être la poursuite accélérée de l’intégration actuellement en cours entre l’écologie fonctionnelle et l’écologie évolutive. Il devient crucial de mieux comprendre l’écophysiologie de diverses lignées d’animaux et de végétaux tropicaux. Il faut mieux comprendre les liens entre les adaptations des organismes aux facteurs abiotiques et leurs adaptations au milieu biotique ; et de comprendre comment les organismes, les communautés et les écosystèmes répondent aux changements globaux. Dans les écosystèmes tropicaux hyperdivers, il est impossible d’étudier toutes les espèces, et l’utilité de quelques espèces comme modèles est bien restreinte. Une solution est d’essayer d’extrapoler des généralisations concernant les stratégies écologiques par rapport aux traits fonctionnels. Pour les nouveaux DGVM (Dynamic Global Vegetation Models) par exemple, on aimerait pouvoir traiter les espèces pas forcément en groupes fonctionnels mais en continu, avec la possibilité de les réduire en groupes s’ils se dessinent (par rapport à certains traits, ou pour certaines questions). L’approche de Fyllas et al. (2012) est intéressante dans cette perspective. Au lieu d’aller « à la pèche » en décrivant les stratégies fonctionnelles en mesurant une batterie de traits « mous » (soft traits), il faut commencer à construire des modèles mécanistes intégrant l’organisme dans son ensemble (whole plant/animal) et mesurer les traits qui pourrait y être inclus tant que paramètres. Sterck et al. (2011) offrent un exemple concret de cette approche. Questions autour des interactions Hommes/Environnements dans la région intertropicale Dans ce domaine aussi, une problématique globale a des déclinaisons spécifiquement tropicales. Tandis que de plus en plus d’attention est dévouée aux conséquences des changements climatiques pour les écosystèmes tropicaux (bien que des données solides soient encore rares), peu d’attention est consacrée aux synergies entre le changement climatique et l’utilisation des terres par les humains. Cependant, ces synergies sont responsables de la plupart des effets détrimentaux sur la biodiversité (Brodie et al. 2012). Comme indiqué ci-dessus, les populations humaines des pays tropicaux du Sud dépendent souvent directement des produits et services fournis par les écosystèmes. Leur utilisation des terres et les pressions exercées sur les ressources peuvent changer en réponse au changement climatique. Une priorité de recherche semble se dessiner : Comment les divers socio-écosystèmes qui caractérisent 188 la ceinture intertropicale vont-ils s’adapter au changement climatique, et quelles seront les conséquences pour la biodiversité et les services écosystèmiques ? Nous devons utiliser la diversité culturelle humaine de la ceinture intertropicale — qui, comme pour la biodiversité, donne aux études comparées une envergure inégalée ailleurs — pour construire un cadre conceptuel solide et synthétique intégrant la diversité humaine comme facteur explicatif dans l’analyse des systèmes socio-écologiques (Chapin et al. 2011 ; Collins et al. 2011). Comment le faire reste un grand défi. L’avenir de la biodiversité tropicale dépend en grande partie de l’avenir de l’agriculture tropicale. Un débat actuel concerne les mérites du « land-sharing » (ou « wildlife-friendly farming »), d’une côté, et du « land-sparing » (intensification de l’agriculture pour épargner la nature) comme stratégies pour la conservation de la biodiversité (Balmford et al. 2012 ; Edwards et Laurance 2012 ; Tscharntke et al. 2012). Les enjeux du débat entre « land-sharing » et « land-sparing » sont les plus importants dans les régions intertropicales. Une fois de plus, la grande diversité bioculturelle des socio-écosystèmes tropicaux peut être mise à service pour la définition de stratégies d’agriculture socialement et écologiquement durables. Les régions intertropicales hébergent la plus grande diversité encore existante de systèmes d’agriculture. Cette diversité peut fournir des pistes pour l’intensification écologique de l’agriculture, utilisant des pratiques, et du matériel végétal (variétés paysannes), uniques. Les agroécosystèmes, tout comme les écosystèmes « naturels », peuvent fournir des services écosystémiques. Le rôle de la « matrice agricole » (Perfecto et Vandermeer 2009) et de l’agroforestérie (Bhagwat et al. 2008) dans la conservation de la biodiversité est un sujet actuel de recherche. La faillite fréquente de la gestion centralisée des forêts tropicales (par exemple, par l’établissement d’aires protégées par le gouvernement national), ainsi que la réalisation que les terres utilisées par les populations locales à des fins agricoles et pour l’extraction de produits forestiers peuvent héberger une biodiversité considérable, a conduit les écologues tropicaux à former de nouvelles alliances avec les populations locales (Sheil et Lawrence 2004). La gestion communautaire de ressources a émergé comme une stratégie alternative à l’exclusion (Lele et al. 2010 ; Bawa et al. 2011 ; Porter-Bolland et al. 2012). Les chercheurs et les conservationnistes ont tout intérêt à former des alliances avec les populations locales, parce que ces dernières, s’ils ont gain de cause dans la lutte pour la justice sociale et pour leurs droits, peuvent être les meilleurs garants de la protection des forêts tropicales contre des agents destructeurs externes (Campos et Nepstad 2006). Ces agents destructeurs sont nombreux et ils sont puissants. Plus que par l’agriculture paysanne, les écosystèmes tropicaux sont menacés par l’agriculture industrielle et la mondialisation économique (Butler et Laurance 2008). De vastes étendues de forêts sont converties en plantations de palmier à huile pour la bioénergie (Fitzherbert et al. 2008 ; Koh et al. 2011), détruites et dégradées par l’extraction du bois et des minéraux et par l’industrie pétrolière (Butler et Laurance 2008). Les routes, les oléoducs et les corridors des lignes électriques fragmentent les morceaux qui restent (Laurance et al. 2009). Ces considérations posent la question plus générale, quelles stratégies faut-il adopter pour la conservation ? Bien que les inconvénients de l’approche des « aires protégées » classiques soient reconnus, dans certaines situations cette approche est efficace et semble incontournable (Bruner et al. 2001 ; Laurance et al. 2012) et a besoin d’être étendue dans sa couverture géographique (Rodrigues et al. 2004 ; Laurance et al. 2012). Cependant, les stratégies pour conserver la biodiversité ne peuvent pas reposer sur les seules aires protégées. Comme les agroforêts (Bhagwat et al. 2008), les grands étendus de forêts qui ont été perturbées par l’exploitation sélective peuvent servir à d’usages multiples, y compris la provision de services écosystémiques et le maintien d’une certaine biodiversité (Putz et al. 2012). Des sites observatoires en région tropicale ? Nos discussions sur les différents thèmes exposés ci-dessus convergent sur une constatation centrale : une condition indispensable à la poursuite d’études en écologie tropicale à long terme est de renforcer les plateformes de recherche sur des sites permanents, dans des régions politiquement stables. Nous manquons, dans les régions tropicales, de sites Observatoires, à l’instar des sites observatoires (SOERE) présents dans les régions tempérées. Les sites permanents doivent représenter non seulement les écosystèmes forestiers tropicaux, mais aussi les savanes, qui occupent une grande aire dans la ceinture intertropicale, hébergent une biodiversité particulière et contrastent fortement avec les écosystèmes forestiers dans leur fonctionnement. Les milieux tropicaux marins doivent aussi être représentés. Ces sites doivent constituer des nœuds dans le réseau international de chercheurs et autres acteurs qui tentent de faire face au défi énorme confrontant la biodiversité tropicale et son utilisation durable par les sociétés humaines. 189 prospectives d’avignon Départements et collectivités français d’outre-mer tropicaux et le reste du monde tropical Comment notre investissement doit-il être partagé entre les départements et collectivités français d’outre-mer tropicaux et les autres pays tropicaux ? Quelles synergies pouvonsnous exploiter, ou créer, entre la recherche française et la recherche internationale ? La France comporte plusieurs départements et collectivités d’outre-mer. La plupart de ces régions ultrapériphériques de l’Europe se trouvent sous les tropiques. La biodiversité de ces bastions tropicaux de l’Europe est un patrimoine biologique exceptionnel et mondialement reconnu. La protection de ce patrimoine est inscrite comme l’un des objectifs du Grenelle de l’Environnement. Ces régions sont autant de laboratoires vivants où l’état français, s’il en a la volonté, peut aussi jouer un rôle pionnier dans la recherche sur la biodiversité et le fonctionnement des écosystèmes tropicaux, et dans l’application de cette recherche au développement durable dans toute la ceinture intertropicale. Il faut constater qu’il existe un déficit de connaissances inquiétant qui concerne même les données les plus fondamentales sur les écosystèmes de nos départements et collectivités d’outre-mer : description de la biodiversité, de la phénologie et de la dynamique forestière ; inventaire des stocks de carbone. L’étude des écosystèmes de nos départements et collectivités d’outre-mer tropicaux est une responsabilité que nous sommes les seuls à pouvoir endosser; c’est clairement une priorité politique et scientifique. La création du Labex CEBA en Guyane est un premier pas vers cette démarche. En même temps, les chercheurs français ont aussi des relations privilégiées avec des partenaires dans de nombreux pays tropicaux, rela- tions qui se trouvent renforcées par plusieurs initiatives du gouvernement français. La gamme de dispositifs mis en place par le gouvernement français pour contribuer à la sauvegarde de la biodiversité des pays du Sud est impressionnante. Ces initiatives incluent le FFEM, des accords entre le Ministère de l’Ecologie et des organismes internationaux tels l’UICN et l’UNESCO, et des actions comme le FSP Sud Expert Plantes. Ces initiatives incluent aussi le Centre d’Echange Français (http://biodiv.mnhn. fr/information/outre_mer), géré par le Muséum national d’Histoire naturelle, qui centralise les informations sur la biodiversité en France métropolitaine et dans les collectivités d’outre-mer. La France contribue activement aussi aux activités de la GBIF (Global Biodiversity Information Facility) dans le monde tropical. Dans un contexte de crise économique et face au risque de saupoudrage de ressources limitées, comment peut-on concilier ces différentes responsabilités ? Comment peut-on favoriser l’intégration de chercheurs internationaux dans des partenariats de recherche dans les départements et collectivités d’outremer? Comment peut-on favoriser davantage l’intégration des projets de recherche français conduits dans les départements et collectivités d’outre-mer, dans des réseaux régionaux, continentaux et globaux ? Comment peut-on favoriser l’entraide, le partage, et la mise en commun des moyens et des forces ? La stratégie nationale pour la biodiversité existe (http://www.developpement-durable.gouv.fr/ IMG/pdf/SNB20112020engagement_etat.pdf). Une stratégie française pour la biodiversité tropicale reste à créer. Liens avec les autres ateliers L’écologie tropicale est aussi transversale, interdisciplinaire. Cet atelier doit donc nécessairement s’inspirer des réflexions et discussions des autres ateliers, en particulier les ateliers « Ecologie prédictive et changement planétaire », « Pour une écologie globale » et « Changement global - Organisme Ecosystème - Humain ». Qu’elle soit prédictive ou globale, l’écologie tropicale vise avant tout à décrire, donc à observer la diversité, et à comprendre, notamment en expérimentant, les processus écologiques permettant à cette extraordinaire diversité tropicale d’exister et de se maintenir à long terme. Enfin, l’écologie tropicale a aussi pour finalité de prédire et prévoir les réponses des écosystèmes aux changements globaux (cf. Atelier « Changement global - Organisme - Ecosystème - Humain »), et cela 190 implique de la modélisation. L’écologie tropicale doit ainsi être aujourd’hui au cœur de la réflexion sur l’impact des changements globaux, car la disparition ou la forte dégradation des écosystèmes tropicaux, aussi bien terrestres que marins (cf. Atelier « La mer »), affectera in fine l’ensemble des écosystèmes (cf. Atelier « Changement global - Organisme - Ecosystème - Humain ») et des services écosystémiques (cf. Atelier « Services écosystémiques, représentation de la nature et de l’environnement ») qu’ils offrent sur une large échelle, comme par exemple l’atténuation du réchauffement planétaire à travers les nombreuses interactions et rétroactions (cf. Atelier « Interactions et rétroactions, rôle de leur écologie et évolution dans le fonctionnement des écosystèmes ») existant au sein des réseaux trophiques complexes et diversifiés des écosystèmes tropicaux, dont on ignore encore trop souvent l’étendue et le niveau de diversité (cf. Atelier « Systématique, phylogénie »). Les écosystèmes tropicaux sont aussi des zones de vie pour des millions d’êtres humains qui en dépendent étroitement au quotidien pour s’alimenter, se soigner (cf. Atelier « Santé & Société ») et s’y abriter, et participent à la diversité des systèmes culturels de l’espèce humaine (cf. Atelier « Systèmes culturels »). La destruction des écosystèmes tropicaux est aussi synonyme d’appauvrissement culturel de l’humanité qu’il convient de freiner, voire de stopper sous peine de voir le monde et les habitats « naturels » s’uniformiser, les rendant encore plus vulnérables aux espèces invasives, animales, végétales ou microbiennes. Références • Adame MF, et al. (2010). Sedimentation within and among mangrove forests along a gradient of geomorphological settings. Estuarine, Coastal and Shelf Science 86: 21–30. • Asner GP, RE Martin (2009). Airborne spectranomics: mapping canopy chemical and taxonomic diversity in tropical forests. 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Elle est souvent ce contre quoi il faut faire face et agir. L’urbanisation est souvent opposée à la « nature » et constitue dans cette opposition un problème pour les sciences de l’environnement, pour l’écologie et souvent même pour les sciences de l’homme et de la société. Ce tropisme de la recherche constitue sans doute l’une des difficultés à penser l’urbanisation et les villes, les métropoles autrement que négativement comme ce qui attente à la nature, aux processus naturels. Ce tropisme est sans doute aussi l’une des difficultés à proposer des solutions urbaines à la hauteur des défis environnementaux et écologiques que les sociétés contemporaines se posent à travers de nombreuses institutions tant locales que nationales et internationales. Ces deux difficultés dans la production de connaissance et dans l’action peuvent à elles seules constituer un vaste programme de recherche et de prospective en environnement et en écologie centré sur la ville et l’urbain, sur l’urbanisation comme forme caractéristique de l’anthropisation contemporaine. En quelque sorte l’urbanisation globale qui guette l’avenir des sociétés humaines devrait être la préoccupation centrale des travaux conduits en environnement et en écologie : pourquoi donc l’urbanisation généralisée plutôt qu’un autre type de société ? Pourquoi une évolution urbaine et non pas une autre évolution ? Pourtant l’urbanisation est un fait. Elle est le fait d’une activité de transformation qui, productrice d’environnements, participe à rendre le monde habitable pour les humains. Elle effectue une possibilité d’aménagement ou de ménagement du monde, parmi d’autres possibles et d’autres voies parfois déjà explorées dans le temps long de l’histoire de l’humanisation. 193 prospective de l’institut ecologie et environnement du cnrs prospectives d’avignon L’écologie et l’environnement contre la ville, tout contre Entre 2005 et 20091, la majorité de la population mondiale est devenue urbaine. L’urbanisation constitue désormais une des principales formes d’anthropisation. Elle caractérise l’ensemble des sociétés contemporaines au point que nombreux sont les auteurs qui affirment que l’urbain est un mode de socialisation généralisé2. Déjà des auteurs comme Henri Lefebvre3 dans les années 1960 tenaient cette position, affirmant que le mode de vie urbain avait depuis longtemps passé les lignes des remparts urbains pour atteindre l’ensemble des sociétés4. Le mode de vie urbain affecte d’une manière ou d’une autre l’ensemble des sociétés. Cette généralisation à l’échelle mondiale semble consubstantielle à une autre, celle du capitalisme et de l’industrialisation comme forme économique de production et de consommation déterminant des formes particulières et généralisées de rapport au monde. Bernard Stiegler5, propose de parler de sociétés hyperindustrielles pour qualifier les sociétés contemporaines –en opposition avec l’idée de situation post-industrielle. L’émergence de ce type de société urbaine, sous l’effet de la dynamique capitaliste et industrielle, est aussi l’émergence de formes particulières d’environnements, de formes singulières d’anthropoconstruction. Si nous suivons la démonstration d’H. Lefebvre, l’urbain ne serait pas la conséquence indirecte de l’industrialisation et du capitalisme, ces mouvements sont nés de l’urbanisation. Ils l’ont sans doute renforcée et ont eu des effets de levier importants, mais ils en sont surtout totalement dépendants. Cependant ces formes particulières d’environnements qui se généralisent ont longtemps échappé aux recherches en écologie. L’étude d’Ellis & Ramankutty (20086) démontre que 75 % des terres émergées et libres de glace seraient sous l’effet direct ou indirect des activités humaines. Ce qui a conduit à proposer une nouvelle classification des biomes terrestres, en 18 194 « biomes anthropogéniques » ou « Anthromes » pour caractériser les interactions Hommes-écosystèmes. Les écologues se sont longtemps détournés de ces milieux. En effet, la grande majorité des études en écologie se concentre sur moins de 25 % de milieux « sauvages » restant (Seule 1 publication sur 6 traite des zones habitées7). Cette sur-représentation des études en milieux dits « naturels » ou « sauvages », outre qu’elle révèle de sévères jugements de valeur à l’encontre de l’urbanisation, démontre la difficulté à intégrer la composante humaine dans l’analyse et la compréhension des processus écologiques. Cette « indifférence » à la composante humaine tend à sortir les « humains » de la nature et à opposer les « humains » aux « non-humains » (chose, objet8, faune, flore) c’est-à-dire aussi à attribuer un statut « hors nature » aux humains. Cette attribution est souvent implicite et participe des impensées des paradigmes de recherche et d’action. Cependant il conviendrait de s’interroger sur la nature des humains opposables à la nature et tout particulièrement aussi, sur celle des observateurs de la nature. Bref, cette indifférence conduit à appréhender la formation des environnements sous le seul biais négatif de la contrainte, de la violence (faite à la nature), du forçage, de la dénaturation, de la pollution, de la dégradation, de l’épuisement, etc. Ceci en contestant, pour ainsi dire, le fait urbain, rattachant l’écologie à une longue tradition sociale et politique « anti-ville », renvoyant la ville à l’anti-nature et les humains au statut de fauteur de trouble dans l’ordonnancement naturel. Cependant l’urbanisation est un fait et un facteur décisif dans les conditions environnementales et écologiques ; tout le monde semble s’accorder sur ce rôle. Quand la question urbaine ne peut plus être esquivée, elle est traitée par le biais des « risques » (technologiques, pollutions massives, gestion des ressources en eau et énergie, etc.) 1 - les chiffres varient selon les sources (Banque Mondiale, OCDE par exemple), mais toutes les sources s’accordent pour affirmer qu’en 2009 la population mondiale est majoritairement urbanisée, l’année 2007 est le plus souvent retenue dans la littérature. 2 - sur cette question cf. les commentaires de Michel LUSSAULT ou Jacques LEVY : LUSSAULT M., 2009, « Urbain Mondialisé », in Traité sur la ville, JM. Stébé et H. Marchal (éd.), PUF, Paris, pp. 723-771 ; LEVY J., 2009, « Mondialisation des Villes », in Traité sur la ville, JM. Stébé et H. Marchal (éd.), PUF, Paris, pp. 667-721. 3 - LEFEBVRE Henri, e1972, Le droit à la ville, suivi de Espace et politique, Paris, Ed. Anthropos, 284 p. 4 - la discussion reprend ces dernières années, cf. Le traité sur la ville, sous la direction de Jean-Marc STEBE et Hervé MARCHAL (2009) notamment les textes le Jacques LEVY, « Mondialisation des villes », de Michel LUSSAULT, « Urbain Mondialisé ». 5 - STIEGLER Bernard, 2001, La technique et le temps. 3. Le temps du cinéma et la question du mal-être, éd. Galilée, Paris, 336 p. 6 - ELLIS&RAMANKUTTY 2008, « Putting people in the map : anthropogenic biomes of the world. Frontiers » in Ecology and the Environment, 6, 439-447. 7 - MARTIN L.J., ELLIS E. &BLOSSEY B., 2010, « Ecology: Not in our backyards », 95th ESA Annual Meeting(Ecological Society of America), Pittsburgh - Pennsylvania. 8 - parmi les non-humains sont comptés les objets « fabriqués de la main de l’homme » et objets techniques en sens. et par le biais des stratégies à mettre en œuvre pour changer les comportements des humains : réflexions sur les usages, les pratiques, sur la communication et les informations à mettre en œuvre pour produire des comportements vertueux pour « préserver », « sauver », « restaurer » la nature. Les perspectives plus positives et moins entachées de dualisme restent très marginales. Ces perspectives ne mobilisent pas ou peu la communauté scientifique attachée aux questions environnementales et écologiques. L’anthropisation, notamment par la systématisation de l’activité technique, peut aussi être pensée comme une modalité de transformation du monde et des hommes de manière à les approprier l’un à l’autre pour reprendre la formule d’Antoine Picon9. D’autres pistes encore marginales ont déjà été tracées pour penser l’environnement comme processus, comme conséquence de multiples processus de transformation, dont l’activité humaine. Les anthropologues montrent, semble-t-il assez facilement, que les milieux généralement qualifiés comme les plus « naturels » et les plus « primaires », c’est-àdire les plus proches d’un état de pré-anthropisation (avant l’ère des sociétés sédentaires et urbaines) sont eux aussi anthropisés parce que leurs évolutions comprennent, parmi d’autres incidences, les effets des activités humaines (Philippe Descola, 200510). Ainsi, en serait-il de même, par exemple, de l’Amazonie comme de beaucoup d’autres endroits réputés restés sauvages ou naturels (William Balée, 199411). De la même façon en écologie, il n’existe pratiquement plus d’écosystèmes « naturels » sans influences indirectes (réchauffement climatique, pollution atmosphérique…). De plus, penser en termes d’« d’état naturel » limite considérablement la portée des perspectives évolutionnistes. Les « états naturels » sont en transformations permanentes et les origines des transformations ne sont pas exclusivement anthropiques loin s’en faut –transformations permanentes qui ont conduit aussi à l’existence des humains et à leur évolution. De nombreuses nuances sont nécessaires, il est vrai, devant le type de transformation en cours, notamment par rapport aux pas de temps en lice avec les transformations humaines notamment à partir de l’avènement des sociétés industrielles et urbaines. De son côté, la perspective simondonnienne semble ouvrir des pistes de première utilité en pensant l’environnement comme milieu associé au processus d’individuation des sociétés et de leur économie (Gilbert Simondon12). Tout processus d’individuation conduit à l’existence d’un individu et de son milieu associé. Il ne peut y avoir d’individus, humains ou non-humains, sans milieu associé et que tout processus d’individuation est la double formation d’un individu et de son milieu associé. Sans doute pourraiton pousser cette coexistence individu/milieu associé à l’échelle des sociétés humaines pensée comme s’individuant en formant leur milieu associé ; l’environnement pourrait constituer ce milieu à la fois comme matériaux de l’individuation (pris comme processus) et comme ce qui résulte de ce processus. La dynamique de l’anthropisation ne serait plus perçue comme s’opposant à une nature et à un environnement, mais comme production d’environnement dans des processus d’individuation ; ces processus d’individuation interagissant les uns sur les autres, contraignants les uns et les autres, produiraient la complication environnementale. L’environnement comme ensemble d’humains et de non-humains (choses, objets fabriqués, faune et flore) formant des réseaux13 pourrait constituer un autre point de vue déjà exploré (Bruno Latour14 et le Centre de Sociologie de l’Innovation). L’environnement relève ainsi des modalités d’institution du monde : qu’est-ce qui fait partie de l’environnement, qu’est-ce qui doit en être rejeté ? Ce type de question taraude les implicites des discours sur la biodiversité et surtout de sa « restauration » : n’y a-t-il pas des organismes tout à fait naturels et naturellement proches dont il convient non seulement de préserver les humains mais également des 9 - PICON Antoine, 1994, « Le dynamisme des techniques », in ouvrage collectif, L’Empire des techniques, éd. Seuil, Paris, pp. 25-37. 10 - DESCOLA Philippe, 2005, Par-delà nature et culture, Coll. nrf, Ed. Gallimard, Paris, 624 p. 11 - BALÉE William, 1994, Footprints of the Forest : Ka’apor Ethnobotany, éd. Columbia University Press, New York. 12 - SIMONDON Gilbert, e2007, L’individuation psychique et collective, 1ère éd. 1989, Coll. Res-L’Invention Philosophique, Ed. Aubier, Paris, 298 p. 13 - dès lors que humains et non-humains ne sont pas opposés dans un paradigme dualiste, mais associés comme par exemple dans la théorie de l’acteur réseau (Actor-network theory –ANT–, Sociologie de l’acteur réseau –SAR–, les réseaux sociotechniques –cf. AKRICH Madeleine, CALLON Michel, LATOUR Bruno, 2006, Sociologie de la traduction. Textes fondateurs, Coll. Sciences Sociales, Ed. Ecole des Mines de Paris, Paris, 304 p.). 14 - LATOUR Bruno, e2004, Politiques de la nature. Comment faire entrer les sciences en démocratie, 1ère éd. 1999, Ed. La Découverte, Paris, 390 p. 195 prospectives d’avignon non-humains ? Contre lesquels il faut agir et dont la destruction voire la disparition peutêtre légitimement souhaitée ? Agir pour la biodiversité est souvent encouragé l’intervention anthropique au profit de quelques non-humains aux dépens d’autres jugés trop excessifs, trop envahissants, trop colonisateurs, trop agressifs, etc., Dans un tel cadre, qui est légitime à choisir, à décider et selon quelles règles ? L’environnement pourrait donc aussi être pensé de manière politique, comme construction (anthropoconstruction –Robert Chenorkian, INEE), c’est-à-dire comme projet, comme une volonté de façonner le monde pour s’assurer des conditions de son habitabilité. Cette dernière posture permettrait bien des espoirs si ce n’était le rejet systématique ou presque à la fois dans le champ scientifique et militant, de la maîtrise du monde et de ses lois. Cette posture habituelle dans le milieu de l’ingénierie, est contestée au nom des incertitudes et de l’incapacité des humains à s’assurer la maîtrise des conséquences de leurs actes consubstantielle aux limites des savoirs disponibles rapportés aux capacités (techniques et politiques) d’action (Hannah Arendt15 et surtout Hans Jonas16). C’est oublier ce faisant que dans la pratique, l’action et le projet sont aussi des anticipations du risque, qu’ils sont adossés à des calculs et des prévisions visant à s’assurer la pérennité du monde, à s’assurer aussi des conditions permettant d’assumer la responsabilité (sociale, politique et économique) des changements introduits par la praxis, bref, à faire en sorte de réaliser des possibles contre d’autres envisagés comme dangereux, terrifiants ou tout simplement indésirables (Jean-Pierre Dupuy 200217). Du reste, le développement des sciences de l’environnement est en partie lié à cette capacité de projection propre aux sociétés humaines, exacerbée dans les sociétés contemporaines industrielles, dont les acteurs économiques et politiques sont toujours à la recherche des meilleures assurances sur l’avenir. Ces différentes possibilités de penser la question environnementale sont aujourd’hui presque inaudibles, dans l’ombre des paradigmes de la nature et de sa restauration, dans l’ombre de 196 paradigmes substituant la nature aux politiques, la transcendance des forces cosmiques à l’institution des lois et règles humaines. La dualité « ville vs nature », et plus généralement la dualité « culture/anthropisation vs nature/évolution », demeure enracinée dans l’approche scientifique et technique des questions environnementales. Le rapport Brundtland18, pour ne retenir que lui, met en évidence l’importance de la question urbaine dans sa manière de poser le problème environnemental et dans la possibilité d’envisager un « développement soutenable ». Toutefois, l’urbanisation est posée dans le prolongement des paradigmes dualistes. L’urbanisation est un problème, au sens négatif du terme, à savoir un problème, une crise, une forme paroxysmique de la crise environnementale contemporaine. La ville peut alors prendre la forme d’une menace multiforme qui prend l’allure de prophéties eschatologiques (pollutions, épidémies, violences urbaines, hyperconcentration, etc.). Le diagnostic de crise en appelle à un renouvellement des formes de l’urbanisation, à une reconstruction urbaine, à la conception de nouvelles morphologies urbaines, de nouvelles architectures et plus généralement à une refonte des modes de gouvernance et de gestion de tous les flux (énergies, transports des gens et des marchandises, eau et assainissement, information, biologiques, etc.). Autrement dit, le règlement de la question environnementale nécessite de repenser la ville en reprenant au passage une vielle antienne, à savoir, « changer la ville pour changer la vie », à laquelle s’opposaient déjà, à l’aube du XXe siècle dans la Russie Révolutionnaire, les architectes constructivistes ou désurbanistes aux réformistes en posant la nécessité de « changer la vie pour changer la ville » (Anatole Kopp19). Autrement dit, dans les solutions et initiatives qui dominent en matière environnementale, c’est le cadre du développement qui est à transformer et non pas le développement lui-même –le passage de principes d’écodéveloppement20 aux principes du développement soutenable à la fin des années soixantedix atteste sans doute de ce mouvement et de son sens profond. 15 - ARENDT Hannah, 1963, Condition de l’homme moderne, éd. Calmann-Lévy, Paris, 406 p. ; 1972, La crise de la culture, huit exercices de pensée politique, éd. Gallimard, Paris, 380 p. 16 - JONAS Hans, e1990, Le principe responsabilité. Une éthique pour la civilisation technologique, 1ère éd. 1979, trad. de l’allemand par J. Greisch, Das Prinzip Verantwortung, Ed. Champs Flammarion, Paris, 480 p. 17 - DUPUY Jean-Pierre, 2002, Pour un catastrophisme éclairé. Quand l’impossible est certain, Coll. Points, Ed. du Seuil, Paris, 224 p. 18 - BRUNDTLAND Gro Harlem & alii, e1989, Notre avenir à tous. Rapport de la commission mondiale sur l’environnement et le développement, 1ère éd. 1988, trad. de l’anglais, Our commun future, Ed. Les Publications du Québec - ministère des Communication du Québec, Montréal, 438 p. 19 - KOPP Anatole, 1975, Changer la vie changer la ville, de la vie nouvelle aux problèmes urbains, URSS 1917-1932, éd. Union Générale d’Editions, Paris, 506 p. 20 - 1972, la Conférence des Nations Unies sur l’Environnement Humain à Stockholm (dite conférence de Stockholm), l’écodeveloppement est encore défendu en 1974 au symposium PNUE/CNUCED consacré aux modes de développement à Coyococ au Mexique. Changer la ville ou changer la vie pour de meilleurs environnements urbains ? Dans ce cadre, nombreux sont les textes qui suivent le rapport Brundtland et soutiennent une évolution de la fabrication urbaine et surtout des formes urbaines (y compris en architecture). Ces textes peuvent être classés selon trois grandes catégories : les accords internationaux, les textes professionnels et les textes législatifs : • Les accords internationaux lient des États ou des collectivités territoriales : la déclaration de Rio (1992), la convention des Agendas 21 (1992), la Charte d’Aalborg (1994), le protocole de Kyoto (1997), la déclaration de Johannesburg (2002), etc. • Les textes professionnels engagent des professions (notamment les architectes, les urbanistes et les ingénieurs du génie urbain ou civil). Ils se décomposent en chartes, normes et marques internationales et nationales : la Nouvelles Charte d’Athènes (200321), la Charte d’engagement des architectes en faveur du développement durable (200522) ou encore les marques comme HQE (Haute Qualité Environnementale® 1995), HPE (Haute Performance énergétique), BBC (Bâtiments basse consommation, inspiré du Passivhaus allemand et du Minergie Suisse), la norme ISO 14001 : 2004 (Environmental management systems) etc. • Les textes législatifs relèvent de la compétence des parlements et établissent généralement le cadre légal (le plus souvent national) de l’évolution des conditions de l’urbanisation : par exemple, en France, la loi Voynet (1999), la Charte de l’environnement (2005), les lois Grenelle 1 (2009) et Grenelle 2 (2012), ainsi qu’une multitude de règlements autour de l’eau, de l’assainissement des émissions diverses qui encadrent l’ensemble de la gestion urbaine. L’exemple français avec les Grenelle 1 et 2, montre les grandes difficultés à mettre en œuvre des solutions visant à transformer la ville pour y transformer la vie et l’organiser à la hauteur des défis identifiés et scientifiquement argumentés. Les lois Grenelles constituent un début de prise en compte des problématiques écologiques et de continuité. Mais un réel problème de mise en œuvre demeure. Les connaissances disponibles et opérationnalisables manquent cruellement. Les difficultés en cours avec la mise en œuvre des trames vertes et bleues en France attestent de ce manque. En effet, approcher la nature en ville n’a rien d’une évidence pour un écologue. Si en écologie la connaissance de la « nature », du fonctionnement des écosystèmes « naturels » est à peu près acquise, les humains sont bien souvent associés aux impacts négatifs et constituent un élément majeur de perturbations dont justement les écologues cherchent à s’affranchir. Toutefois, travailler sur la nature urbaine et tout particulièrement sur la biodiversité en ville constitue une approche nouvelle. Ces recherches ont nécessité du « courage » de la part de certains écologues pour appréhender la ville. En effet, les écologues, en général, se tournent vers les collines, la mer, les forêts ou l’homme est potentiellement exclu ; ils tendent à tourner le dos à la ville qui justement perturbe ce qu’ils considèrent comme nécessaire d’investiguer et de connaître. Il a donc fallu détourner le regard pour affronter les interactions Homme-Nature et observer les interrelations. Il a fallu également se tourner vers des pratiques pluridisciplinaires pour commencer à appréhender le fonctionnement de cet « écosystème ». Le premier mouvement a été de recenser ce qui existait en ville en dehors des activités humaines et des humains. Il a fallu se tourner vers des objets non identifiés par les écologues et les nommer. C’est ainsi que sont apparus les Espaces à Caractère Naturel23 (ECN). Ensuite il a fallu transposer certains concepts de l’écologie et de l’écologie du paysage à l’« écosystème urbain ». En France, les premiers travaux ont été initiés dans les années 1994-1995. Ils se sont concrétisés avec le programme européen ECORURB en 2001. Ce programme à long terme, très pluridisciplinaire a été administré par l’INRA, Ecobio et l’Université de Rennes 1, l’Institut d’horticulture d’Agrocampus Angers, par le laboratoire de recherches en sociologie de Rennes 2 et par le laboratoire du COSTEL. Ces recherches se sont poursuivies par des pro- 21 - European Council of Town Planners, Conseil Européen des Urbanistes, 2003, La Nouvelle Charte d’Athènes 2003. La Vision du Conseil Européen des Urbanistes sur Les Villes du 21ième siècle, Nouvelle Charte d’Athènes, version finale, juin 2003, disponible sur http://www.urbanistes.com/page-16.html (consulté le 29 août 2012). 22 - Disponible sur http://www.architectes.org/developpement-durable/publications/charte-d-engagement-des-architectes/ copy_of_charte-d-engagement-des-architectes-en-faveur-du-developpement-durable (consulté le 29 août 2012). 23 - Clergeau P, 2007, Une écologie du paysage urbain, Ed. Apogée, Rennes. prospective de l’institut ecologie et environnement du cnrs 197 prospectives d’avignon grammes comme l’ANR Trame Verte Urbaine24 qui regroupe 11 laboratoires de recherche avec comme villes pilotes Paris, Marseille et Angers ou encore le programme PIRVE25 qui a financé par exemple l’« Atlas analytique de la trame verte de Marseille26 ». Pourtant malgré ces avancées, la recherche apparaît souvent en décalage avec les injonctions de Grenelle tout comme leurs traductions concrètes et opérationnelles. Les collectivités territoriales et l’ensemble des acteurs mis en demeure de mettre en place des solutions environnementales, des politiques de développement durable se trouvent très démunis. Faute de scientifiques en mesure d’accéder à leur requête d’informations et de stratégies d’action, elles se sont tournées vers les bureaux d’études. Ceux-ci ont permis aux collectivités territoriales souvent désemparées devant la transcription locale des injonctions nationales27 de mettre en place des solutions dans l’urgence. Les mêmes situations s’observent dans le domaine de l’assainissement des systèmes intégrés impliquant des mesures en continu28 pour contribuer à l’amélioration et au maintien du bon état écologique des milieux récepteurs, et qui font l’objet aujourd’hui de recherches pour trouver des solutions pérennes. Les textes de lois, les opérations engagées et les initiatives relatives à la résolution des problèmes environnementaux apparaissent pour de nombreux observateurs politiques, militants, chercheurs, praticiens et publics, bien en deçà des solutions qu’il serait nécessaire de mettre en œuvre sur le court terme pour relever les défis environnementaux. En revanche leur efficacité semble tenir au processus d’homogénéisation et de standardisation des formes de gouvernements nationaux, métropolitains ou urbains, d’homogénéisation des productions et des procédés techniques restructurant de manière très dynamique les marchés des biens et des services sur l’ensemble de la planète, de standardisation aussi des processus d’évaluation et d’identification des problèmes environnemen- 198 taux. Typiquement l’émergence du concept de « gouvernance » depuis une vingtaine d’années en lieu et place des questions de gouvernement relève de ce long processus d’homogénéisation ou de standardisation des problèmes et des décisions, y compris en matière d’environnement et d’écologie. Le traitement de l’urbanisation et plus généralement le traitement de la problématique environnementale apparaissent toujours plus adossés à la mondialisation économique. D’une certaine manière les difficultés opérationnelles, la distance entre les discours et les actions, les lois, les règlements et les mises en œuvre concrètes accréditent toujours plus le soupçon d’une subordination de la question environnementale au développement économique et au défi de la croissance. Les nouvelles conditions de croissance en situation de contraintes environnementales semblent devenir le problème auquel concourent toutes les forces politiques, économiques, scientifiques, techniques. Les pratiques contemporaines d’aménagement urbain pourraient renseigner sur cette orientation des modalités de résolution des problèmes environnementaux : les changements sociaux en cours engagés à travers l’homogénéisation des standards de gouvernance, d’actions politique, sociale, économique, technique et scientifique concourent-ils à changer la vie et la ville en participant à la résolution des problèmes environnementaux et écologiques de l’urbanisation en cours ? Sciences et actions semblent aujourd’hui faire face à des verrous presque insurmontables pour relever les défis environnementaux que posent l’urbanisation et son développement sur tous les continents et dans des conditions de contrôle politique (notamment démocratique) qui ne lasse pas d’interroger. La question de la « gouvernance » atteste, s’il en était besoin, du déficit de ce contrôle politique (démocratique) dans la transformation du monde contemporain et son urbanisation croissante. L’urbanisation est sans doute l’expression critique de ces défis et des difficultés à les relever. 24 - ANR TVU «Evaluation des trames vertes urbaines et élaboration de référentiels : une infrastructure entre esthétique et écologie pour une nouvelle urbanité »codirigés par Nathalie BLANC et Philippe CLERGEAU (http://www.trameverteurbaine.com/). 25 - Le Programme Interdisciplinaire de Recherche Ville et Environnement (PIRVE) est un programme de recherche co-financé par le CNRS et le Ministère de l’Ecologie. Il soutient des projets de recherche innovants s’intéressant au croisement des problématiques urbaines et environnementales. 26 - http://lped.org/Atlas-analytique-de-la-trame-verte.html 27 - CONSALES JN, GOIFFON M, BARTHELEMY C., 2012, « Entre aménagement du paysage et ménagement de la nature à Marseille : la trame verte à l’épreuve du local », Développement durable et territoires, Vol3(2). 28 - Par exemple, l’ANR MENTOR (Méthodologie et outils opérationnels de conception et de qualification de sites de mesures en réseau d’assainissement) - Production durable et technologies de l’environnement– proposition lauréate du programme ECOTECH 2011. Projet coordonné par Frédérique LARRARTE (IFSTTAR). L’urbain et l’urbanisation comme objectifs prioritaires, pour une écologie urbaine L’urbanisation se généralise, se mondialise. Pour certains auteurs (J. Levy, 2009), l’urbanisation et la mondialisation relèveraient de processus similaires, il y aurait une « profonde connivence entre l’urbanité et la mondialité ». La ville se globalise. Les enjeux qui sont résumés ou projetés sous le terme « ville durable » impliquent de penser la ville et plus encore la ville du futur ou les futurs urbains, dans un environnement global. La ville ou l’urbain ne peuvent être opposés aux milieux « ruraux » ou aux milieux naturels (ou plutôt même semi-naturels) environnants. Ces milieux euxmêmes sont urbanisés au moins dans les modes de vie des habitants, mais aussi par les usages que ces milieux appellent dans les pratiques urbaines (« touristiques », de « loisirs », de « sport », de « récréation », de « culture », voire de « ressourcement » et « régénération » par des séjours dans « la nature ») participant à autant de processus de valuation urbaine par lesquelles ces milieux sont produits, « protégés » et qualifiés : d’une certaine manière l’idée même d’un milieu naturel qui ne serait pas spolié est une pensée profondément urbaine et elle participe de la « consommation » d’espaces de nature. Ils forment un tout urbanisé dont les fonctionnements sont intimement liés. La pluralité scientifique comme condition d’une écologie urbaine Depuis la montée en puissance de la « pensée environnementale », on observe de nouveaux modes d’aménagement du territoire au service de la conservation et de la biodiversité. Ainsi en est-il de l’institution par le Grenelle des Trames Vertes et Bleues. Ces dernières sont devenues des outils d’aménagement du territoire visant à reconstituer un réseau écologique cohérent pour enrayer la régression de la biodiversité. Mais ces outils d’aménagement sont perçus comme des contraintes supplémentaires par les collectivités territoriales qui se trouvent très démunies dans leurs mises en œuvre. En effet ces réseaux écologiques cohérents nécessitent des connaissances relativement précises en écologie, sur la répartition des espèces, des cartographies utilisables et, surtout, des connaissances sur les interactions entre tous les non-humains occupants ces territoires et les processus évolutifs à l’œuvre. Ces données n’existent pas toujours, elles sont souvent fragmentaires, voire manquantes et dans tous les cas elles peinent à suivre les évolutions des territoires. Leur centralisation n’est pas opérationnelle et les moyens requis pour assurer le suivi et l’actualisation des données ne sont pas toujours acquis. Ces données ne sont pas accessibles aux différentes échelles nécessaires. Le fonctionnement urbain n’est pas en reste et l’information dont on dispose sur les villes n’est pas toujours satisfaisante pour la penser, la gérer et la fabriquer dans le cadre des préceptes environnementaux et écologiques. Il apparaît donc indispensable de concevoir de nouveaux outils d’observation et de récolte de données sur le long terme afin de mettre en place les outils adaptés aux enjeux environnementaux que les sociétés urbaines se fixent aujourd’hui. Un travail de traduction des résultats scientifiques est souvent requis pour pouvoir les rendre opérationnels. Il manque souvent des modalités relais de « médiations et de diffusions » à l’interface entre production scientifique et opérationnalisation ; les structures de valorisations scientifiques actuellement mises en place et dont les priorités sont économiques (développement économiques, soutiens aux entreprises) n’assurent pas ou difficilement ce type de missions. Il est difficile de conduire de la recherche-action : entre le temps de la recherche, celui des attentes et des besoins des politiques publiques, les contraintes sont nombreuses et les temporalités bien souvent inconciliables. Se pose aussi la question du rôle des publics urbains, des praticiens (des entreprises et des collectivités territoriales) et des partis politiques et de leurs personnels et militants dans la production de connaissance et dans l’usage des connaissances produites. 199 prospectives d’avignon Les effets qui affectent les publics urbains tout comme les enjeux auxquels doivent faire face les praticiens et les politiques ont de multiples faces : ils apparaissent à la fois sous la forme d’effets et d’enjeux écologiques et environnementaux, sociologiques, politiques, techniques, économiques. Il est difficile de purifier les situations d’observation pour les scientifiques, qui se trouvent confrontés à des objets hybrides, compliqués, hétérogènes. La situation urbaine dans ses dimensions pluriscalaires et multitemporelles oblige à un dialogue entre les disciplines qui d’une manière ou d’une autre sont confrontées à l’objet urbain. L’un des objectifs primordiaux pour saisir la réalité urbaine et ses affects écologiques et environnementaux, consiste à produire de toute urgence les modalités d’une pluralité scientifique attachée à la compréhension de l’urbanisation comme fait anthropique caractéristique des sociétés contemporaines. Cette pluralité devrait se radicaliser29 avec l’intégration des praticiens, des entreprises, des collectivités territoriales et des publics urbains dont les actions ont, avec ou sans intentions particulières, de bien plus grandes répercussions sur la situation environnementales que celles des scientifiques avec toutes leurs connaissances accumulées autour des processus environnementaux. L’idée d’une « science participative » pourrait trouver là matière à s’élaborer. L’écologie et l’environnement s’urbanisent : l’urbain observé comme écosystème La nature en ville commence à être connue, les espaces à caractère naturel (ECN) font l’objet de description, le fonctionnement de cette nature fait l’objet d’investigations. Les travaux concordent pour montrer que l’augmentation de la densité de bâti sélectionne certaines espèces, végétale ou animale en fonction de leurs traits biologiques en favorisant les espèces généralistes, ubiquistes. Ceci entraîne une homogénéisation taxonomique et fonctionnelle des communautés présentes dans les écosystèmes urbains. On connaît également le rôle des pratiques de gestion des espaces sur les espèces. La mise en place de la gestion différenciée, des normes zéro-phyto, va dans ce sens. Des travaux sur les communautés de lépidoptères (Lizee et al, 201230) ont montré que si l’on explique relativement bien la répartition des espèces en fonction de la distance aux milieux sources environnants, les métriques caractérisant la matrice bâtie (surfaces imperméables) sont de meilleurs prédicteurs que les patchs d’habitats (végétation). Ces observations sont à mettre en relation avec les processus de colonisation et de dispersion des espèces qui nous obligent à intégrer cette composante bâtie et à 200 approfondir l’étude de la matrice urbaine de la morphologie urbaine et de sa relation avec la biodiversité. On montre également que, sur des villes comme Paris ou Marseille, l’espace privatif sur la surface de vert urbain est important et qu’en matière de mise en place de Trame verte les pouvoirs publics sont impuissants sur de tels espaces. On commence également à comprendre comment les habitants appréhendent ces espaces, à la fois paysage vert de la ville et composante de milieux de vie. L’existence de pratiques de cette nature urbaine que les initiatives locales ne manquent pas de valoriser apparaît à la claire conscience des acteurs. Ainsi, à Marseille, s’est mis en place le GR 2013 (dans le cadre de 2013 Marseille capitale de la culture) ou encore les balades urbaines fondées sur la récolte de plantes pour la cuisine initiées et organisées par le collectif SAFI31. On peut encore noter la création du Parc Urbain des Papillons (PUP32) espace à la fois de recherche et de diffusion des connaissances sur la biodiversité urbaine ou encore les sciences participatives avec le programme « sauvage de ma rue33 ». Ces actions pourraient être de bons relais pour toucher un plus grand nombre de per- 29 - cette radicalisation dans l’exercice de la pluralité scientifique est aujourd’hui engagée dans le cadre du labex « Intelligences des Mondes Urbains » (http://imu.universite-lyon.fr/) 30 -Lizee M.H., Manel S., Mauffrey J.F, Tatoni T., Deschamps-Cottin M. (2012) Matrix configuration and patch isolation influences override the species–area relationship for urban butterfly communities. Landscape Ecology 27:159-169. 31 - Barthélémy C., Consales J.N., à paraître 2013. Ré-enchanter le territoire à partir de la biodiversité ordinaire : l’artiste, la friche et le jardin à Marseille. Les jardins, espaces de vie, de connaissances et de biodiversité, XXIIème journée de la Société d’Ecologie Humaine, 2-4 juin 2012, Brest, Presses Universitaires de Nantes. 32 - http://lped.org/Parc-Urbain-de-Papillons-PUP.html 33 - http://sauvagesdemarue.mnhn.fr/ sonnes sur ces problématiques et en particulier dans les grandes agglomérations. Autrement dit, la morphologie urbaine et la typologie urbaine ont des effets directs sur la nature en ville, mais elles sont liées aux activités anthropiques qu’elles abritent. Autrement dit, c’est le changement de ces activités qui en impliquant des changements de la morphologie urbaine et des typologies de construction oriente la nature en ville. La connaissance de ces activités, leurs mobiles comme leurs résiliences (pour ne pas dire leurs résistances) sont de la plus haute importance pour disposer des leviers capables d’urbaniser en fonction des services attendus de la diversité biologique et plus généralement de la diversité des environnements. Porter l’action sur la seule forme urbaine, c’est prendre le risque d’opposer l’activité sociale quotidienne et la fabrication urbaine. L’établissement de la forme urbaine impliquerait alors un contrôle toujours plus grand des activités individuelles et collectives. L’innovation pourrait être beaucoup plus hardie, notamment sur les registres démocratiques en permettant aux publics de s’émanciper et de constituer les cri- tiques des conditions d’un monde non viable ou dont la viabilité se paie d’une forte aliénation par le contrôle de plus en plus restrictif et hétéronome des comportements individuels et collectifs ; contrôle de plus en plus impératif à mesure que se dégradant, l’environnement devient de plus en plus hostile et inhabitable. L’innovation politique, sociale, organisationnelle pourrait s’ouvrir avec la perspective de pouvoir discuter et raisonner publiquement (constitution de nouvelles arènes politiques) sur les mondes possibles en départageant ceux qui sont désirables de ceux qui ne le sont pas et notamment de discerner les mondes terrifiants, monstrueux et injustes de manière à opérer au présent pour ne jamais les effectuer. En fait, le véritable thème prospectif qui s’impose est l’urbain lui-même. En effet les connaissances sur ce champ sont peu et mal intégrées aux sciences de l’environnement et à l’écologie, elles sont partielles, parfois partiales et dans tous les cas très sectorisées. Le déficit d’intégration apparaît très grand et il conviendrait d’orienter le travail de recherche en ce sens. Enjeux et perspectives de recherche L’expérience urbaine, son extension sous les formes métropolitaines, l’avènement ces dernières années d’un urbain généralisé et, à termes d’un urbain global appellent l’écologie et les sciences de l’environnement à prendre en charge de nouveaux problèmes, de nouvelles questions scientifiques. Les défis écologiques et environnementaux soulevés par l’urbain généralisé ne peuvent être relevés par une unique discipline et une unique méthode. L’urbain engage à la pluralité scientifique bien plus encore qu’à la pluridisciplinarité. Il s’agit non seulement de produire des savoirs pour comprendre le monde, mais plus encore de réinterroger les savoirs existants et sonder les océans d’ignorance qui nous interdisent d’agir précisément en connaissance de cause. Le savoir est aujourd’hui disséminé dans les archipels disciplinaires, les mises en relations, les confrontations restent malheureusement encore difficiles à produire et ne permettent pas encore d’avancer sur le renouvellement des connaissances sans quoi il sera difficile d’imaginer les mondes possibles, vivables, désirables qui fonderont les projets politiques et économiques aptes à ménager l’environnement en s’appuyant sur les substrats écologiques de l’existence. Autrement dit, sans doute le premier enjeu de recherche est-il épistémologique : comment changer les conditions de la connaissance pour connaître mieux et plus justement en regard des défis à relever et l’urgence devant laquelle nous devons répondre. Les échelles d’approches participent également des difficultés à cerner des objets qui impliquent des approches holistes, tant les interactions sont multiscalaires et multitemporelles. La prospective et son opérationnalisation apparaissent une orientation urgente de l’activité de recherche sans quoi l’exploration des mondes possibles échoue sur les récifs idéologiques et les intérêts à court terme. Enfin, l’urbain devrait être rapidement transformé en laboratoire de recherche en écologie et en environnement. L’urbain devrait permettre d’ouvrir sur trois fronts de recherche pour les années à venir. 201 prospective de l’institut ecologie et environnement du cnrs prospectives d’avignon Enjeux épistémologiques La prise en compte de l’urbanisation et notamment de l’urbain généralisé devrait aider à rompre avec le paradigme de la nature. Ce paradigme tend à situer les humains hors nature dans le monde de l’artifice ce qui pose problème quant au statut des humains (essence divine ?). La praxis et toutes les transformations de l’existant propre aux nécessités humaines sont observées négativement comme facteur de désordre. Ce paradigme conduit à penser en termes de défense de la nature, de protection de la nature. De ce paradigme naissent le principe de précaution (Hans Jonas34) et sans doute le paradigme du risque (Ulrich Beck35). Dans ce cadre il est plus difficile de prendre en compte les formes de néguentropie liées à l’activité humaine. La capacité d’invention et surtout de création (nouveaux éléments, manipulations et bricolages génétiques, nouvelle capacité d’action, etc.) ne peut être réellement prise en charge par ce type de paradigme. Ces nouveautés y apparaissent comme des atteintes à un ordre immuable qu’il convient de ne pas provoquer. Il est impossible ainsi de percevoir les environnements comme des constructions, comme des productions, comme des enchaînements et des configurations d’humains et de non-humains en perpétuelles transformations. Les environnements ne peuvent pas être conçus comme relevant de « projets » (social, politique, économique, technique), comme « qualité d’existence ou qualité de vie » espérée, escomptée, attendue, projetée et enjeux de luttes politiques pour leurs définitions. Enfin le paradigme de la nature réintroduit clandestinement une transcendance par laquelle une série de valeurs vient qualifier l’analyse des faits et orienter les protocoles d’observation de l’existant : typiquement la recherche de référentiels naturels hors de tout artifice pour qualifier l’artifice, pour le naturel de l’artificiel, le sain du malsain, le bon du mauvais, ce qu’il faut protéger de ce que l’on peut profaner. L’introduction d’une épistémologie pragmatique (Alfred Schultz36, John Dewey37) permettrait de mieux maîtriser la circulation des faits et des valeurs dans les questions environnementales 202 et écologiques en produisant les conditions d’une valuation de la praxis organisée autour de la mobilisation des connaissances techniques et scientifiques dans l’action et l’activité anthropiques. Le processus de valuation38 se construit à partir des effets de la praxis sur les publics, à partir de la manière dont les publics sont affectés, la manière dont les humains et les non-humains sont affectés par les différentes activités et actions. L’affectation des publics humains et non-humains peut fonder les valeurs à partir desquelles s’oriente l’action et se légitime l’activité quotidienne. La prise en compte des modalités d’affectation des publics humains et nonhumains permet aussi de prendre en compte l’étendue de l’ignorance quant aux effets de l’action, du « faire », de la praxis. L’épistémologie pragmatique réintroduit des dynamiques démocratiques en associant les profanes aux experts, les gouvernés aux gouvernants, les savants et les ignorants dans un même destin, tout en accommodant les relations entre faits et valeurs sans sombrer dans le relativisme ou l’ultra monisme scientifique et technique. Le pragmatisme, en effet, limite la substantialisation des valeurs au profit d’un processus d’affectation de valeurs : jugements construits à partir des effets de l’action et non pas des jugements construits a priori et substantiels sur l’action. Il paraît nécessaire d’associer une épistémologie de la pluralité scientifique et technique au pragmatisme. La question environnementale et plus encore la question des environnements urbains ne peuvent relever d’une seule discipline scientifique. La pluridisciplinarité, l’interdisciplinarité, la transdisciplinarité sont souvent appelées au secours de la nature, mais généralement au prix d’un respect quasi religieux du monisme disciplinaires –selon la formule consacrée que seul un bon ancrage disciplinaire permet l’exercice de l’interdisciplinarité. Pourtant, il apparaît difficile de penser l’environnement sans interrogation plurielle, c’est-à-dire sans la capacité pour chaque discipline impliquée dans le champ de l’environnement de pouvoir interroger toutes les autres, de pouvoir critiquer le point de vue de chacune : ses perspectives 34 - JONAS Hans, e1990, Le principe responsabilité. Une éthique pour la civilisation technologique, 1ère éd. 1979, trad. de l’allemand par J. Greisch, Das Prinzip Verantwortung, Ed. Champs Flammarion, Paris, 480 p. 35 - Beck Ulrich, 2008, La société du risque : sur la voie d’une autre modernité, trad. de l’allemand par L. Bernardi, Risikogesellschaft : auf dem Weg in eine andere Moderne, Ed. Flammarion, Paris, 521 p 36 - SCHÜTZ Alfred, e2008, Le chercheur et le quotidien, 1ère éd. 1971, Ed. Klincksieck, Paris, 290 p. 37 - DEWEY John, 2011, La formation des valeurs, trad. de l’américain par Alexandra bidet, Louis Quéré et Gérôme Truc, Coll. Empêcheurs de penser en rond, Ed. La Découverte, Paris, 238 p. 38 - processus que l’on peut entendre comme processus de construction et d’adoption d’un régime axiologique : processus conduisant à la production d’un ensemble de valeurs constituant un système de valeur, à partir duquel peut être réalisé une évaluation, c’est-à-dire, un jugement de valeur, une appréciation à partir d’un système de valeur. épistémologiques, ses valeurs épistémiques, ses procédures, ses impensées. La pluralité scientifique et technique pourrait constituer une manière de déplacement des modes de formuler les problèmes de chaque discipline par toutes les autres et ainsi d’espérer renouveler les stratégies de recherche et de recherche de « solutions » (tant sur le registre des connaissances formelles, des solutions techniques que sur celui de la mesure de l’ignorance). Ces déplacements permettent d’ouvrir de nouvelles perspectives de recherche, de renouveler les cadres d’analyse, d’enrichir les méthodes d’enquête pour mieux appréhender les sujets familiers ou de nouveaux objets de recherche (Lerman, al., 200239, p. 72). La pluralité scientifique pourrait se radicaliser en associant à la production de connaissances, les savoirs de l’action et les savoirs profanes. La pluralité scientifique et technique ainsi radicalisée semble plus à même de résoudre les problèmes soulevés par l’urbanisation contemporaine dans ses dimensions métropolitaines et mondialisée, environnementales et écologiques. Elle recèle des potentialités démocratiques importantes. Elle pourrait relever d’une « science participative » réaliste et impliquant à parité toutes les valeurs épistémiques, y compris les croyances, les routines, les habitudes de penser et d’agir des uns et des autres, non pour les « respecter » ou les « tolérer » mais pour les discuter et les « raisonner ». En cela, la pluralité scientifique et technique renouerait avec l’exercice du raisonnement comme fondement d’un espace public politique pour définir raisonnablement les mondes désirables et attendus en enracinant l’activité prospective dans les faits plutôt que dans les idéologies. L’expérience urbaine, échelle et temporalité multiples La technique semble se situer au cœur de la praxis et des transformations qui produisent les environnements. Elle est sociale au sens où les activités humaines requièrent des objets et des dispositifs techniques qui constituent les ressources des organisations qui sont socialement légitimes à les fabriquer. Les préoccupations environnementales ne vont pas dans le sens d’une limitation de la technique bien au contraire. Les nouveaux objets dont l’existence participerait d’un environnement écologiquement viable sont extrêmement compliqués en s’approchant de fait des cycles « naturels » (des systèmes écologiques et écosystémiques, de la chimie « naturelle »). Ces approches introduisent la complexité du monde et implique l’association d’une multitude de registre de connaissances, de techniques et une pluralité de techniciens. Typiquement dans la gestion des eaux urbaines les techniques dites alternatives ou douces, requièrent une ingénierie plurielle appelant aussi bien la microbiologie, la génétique, la chimie, la mécanique des fluides, la géotechnique… l’urbanisme, la sociologie, la géographie, etc. La question technique devrait sans doute être intégrée dans la recherche écologique –en quelque sorte reprendre le fil d’une anthropologie développée par André LEROI-GOURHAN40 ou André Georges HAUDRICOURT41, repris aujourd’hui avec la mobilisation des objets fabriqués dans l’action (François Dagognet42, Bernard Conein, Laurent Thévenot, Nicolas Dodier43, Bruno Latour44, etc.45). La technique apparaît comme constitutive du vivant, systématisée par les humains dans leurs activités, nécessaire à leur existence. Sans doute faudrait-il aborder la 39 - LERMAN, N.E., MOHUN A.P., OLDENZIEL R. (2002). L’histoire des techniques et la question du genre : état des travaux et perspectives pour l’avenir. In :L’engendrement des choses. Des hommes, des femmes et des techniques, D. Chabaud-Rychter, D. Gardey (dir.), Ed. des archives contemporaines, coll. « Histoire des sciences, des techniques et de la médecine », Paris, 71-87. 40 - LEROI-GOURHAN André, e1995, Le geste et la parole. Technique et langage, tome 1, coll. Sciences d’aujourd’hui, éd. Albin Michel, Paris, 324 p. ; e1998, Le geste et la parole. La mémoire et les rythmes, tome 2, coll. Sciences d’aujourd’hui, éd. Albin Michel, Paris, 286 p. 41 - HAUDRICOURT André-Georges, e1987, La technologie science humaine. Recherches d’histoire et d’ethnologie des techniques, éd. Maison des Sciences de l’Homme, Paris, 344 p. 42 - DAGOGNET François, 1989, L’éloge de l’objet. Pour une philosophie de la marchandise, éd. Vrin, Paris, 232 p. 43 - CONEIN Bernard, DODIER Nicolas, THEVENOT Laurent, 1993, Les objets dans l’action. De la maison au laboratoire, éd. EHESS, Paris, 292 p. 44 - LATOUR Bruno, 1994, « Une sociologie sans objet ? Remarques sur l’interobjectivité », in Sociologie du travail, XXXVI 4/94, pp. 587-607. 45 - de manière plus modeste les travaux conduits à EVS-UMR 5600 par Sophie VAREILLES et Jean-Yves TOUSSAINT (« usage et technique » in Le traité sur la ville, sous la direction de Jean-Marc STEBE et Hervé MARCHAL (2009) ainsi que les contributions aux ANR MENTOR, CABRES, OMEGA et SEGTEUP autour des dispositifs techniques et spatiaux de la gestion des eaux pluviales urbaines. 203 prospectives d’avignon question à travers le développement « d’écotechnologie », c’est-à-dire la production d’objets différents, impliquant d’autres milieux associés (Gilbert Simondon, e200746), c’est-à-dire d’autres rapports sociaux, une autre économie, une autre politique (démocratie notamment) en rapport avec les environnements réfléchis par les connaissances et les pratiques écologiques. Il s’agirait alors de penser la technique non plus comme bras armé de l’économie et du développement, mais comme double appropriation qui fonderait une éco-technologie (ou technologie écologique et environnementale) à partir de la définition de la technique proposée par Antoine Picon : « La technique est ce qui transforme inlassablement le monde et l’homme afin de les approprier l’un à l’autre » (1994, p. 25). Ce qui implique de dépasser le cadre proposé par le « développement soutenable, durable » et ses avatars « agendas 21 », « Grenelle 1 » et « Grenelle 2 » qui, mésestimant, cette double appropriation (qui est une autre manière de poser le processus d’individuation comme double constitution d’un individu et d’un milieu associé), pensent pouvoir changer l’environnement sans changer le milieu social, politique, économique, technique, scientifique. Le dépassement des politiques actuelles implique de travailler sur ce double processus d’appropriation qui est également une autre façon de penser et d’agir dans le sens de « l’humanisation de la nature et la naturalisation de l’homme » (Etienne Balibar et al., p. 99547). Cette perspective de recherche permettrait aussi d’observer l’actualité de la convivialité développée dans les années 1970 par par Ivan Illich48 (1973). Cette perspective pourrait favoriser trois types d’approches : • multiscalaire, c’est-à-dire toutes les échelles d’action et de rétroaction (ou de réaction sur le plan humain) impliquant, la ville, l’urbain, les environnements locaux, régionaux, nationaux, internationaux, planétaires, mais aussi les découpages économiques, institutionnels ; • multitemporelle, les modalités par lesquelles les processus peuvent être simultanés et interagir dans le temps en impliquant le passé, le présent et les projets (avenirs désirés ou au contraires honnis) ; • multidisciplinaire, impliquant les données sociologiques, économiques, statistiques, techniques, écologiques, environnementales, chimiques, etc. Projections et prospective À moins de penser un destin, une détermination inexorable, l’avenir est hors de portée de toute prédiction. L’avenir en ce sens n’est jamais qu’une possibilité effectuée contre toutes les autres possibilités. L’avenir pourrait toujours être autre. Contingent, l’avenir relève de ce qui pourrait ressembler à une intentionnalité, non pas celle du destin qui s’impose aux humains et aux non-humains, mais de ce rapport à ce qui se réalise aujourd’hui en vue de tout à l’heure, de demain, d’après demain ou de l’année prochaine. Le projet, comme d’ailleurs l’art d’investir, relève de cette stratégie qui consiste à agir ici et maintenant pour effectuer un avenir contre tous les autres possibles. Selon Gilbert Simondon (1989), le projet est une forme de transduc- 204 tion, une modalité qui permet de chercher dans le virtuel, le moyen de contourner les difficultés, les obstacles dressés dans le présent devant l’action. La résolution des problèmes suppose la récurrence de l’avenir sur le présent, du virtuel sur l’actuel49, d’un état visé par rapport à un état existant. De manière générale, le projet serait la modalité d’expression de la faculté que possède le vivant de se modifier en fonction du potentiel que recèle le temps à venir (virtuel). Le projet serait donc un mode réflexif et pratique en rapport avec le temps et l’action. Il serait l’expression du sens du temps et notamment la seule rétroaction de l’avenir sur le présent si l’on reprend la démonstration de Jean-Pierre Dupuy (200250). L’avenir n’existe pas. Il est ce 46 - SIMONDON Gilbert, e2007, L’individuation psychique et collective, 1ère éd. 1989, Coll. Res-L’Invention Philosophique, Ed. Aubier, Paris, 298 p. 47 - BALIBAR Etienne, CASSIN Barbara, LAUGIER Sandra, 2004, « Praxis », in Vocabulaire Européen des philosophies, B. Cassin dir., éd. Seuil, Le Robert, Paris, pp. 990-1002. 48 - ILLICH Ivan, e1973, La convivialité, éd. du Seuil, Paris, 159 p. 49 - selon une interprétation du travail de G. Simondon (e1989, Du mode d’existence des objets techniques, 1ère éd. 1958, Coll. Res-L’Invention Philosophique, Ed. Aubier, Paris, 338p) sur la transduction (notamment p.143-144), le projet étant ici observé comme une modalité de la transduction, c’est-à-dire de la récurrence du virtuel sur l’actuel, de ce qui est à venir sur le présent 50 - Dupuy Jean-Pierre, 2002, Pour un catastrophisme éclairé. Quand l’impossible est certain, Coll. Points, Ed. du Seuil, Paris, 224 p. qui n’est pas et ne peut donc participer à l’action sauf si l’avenir devient une intention, une volonté, le vouloir un état d’un monde, une projection du monde. Le projet est alors l’ensemble des moyens mis en œuvre ici et maintenant pour atteindre cet état voulu du monde. C’est exactement l’expérience de l’architecte. Le projet en ce sens s’oppose à l’avenir conçu comme une tendance du passé, comme détermination ou destin. Le projet comme mode d’agir est ce qui rompt avec le destin en autorisant la reformulation des problèmes et donc des modalités de vouloir en modifiant les conditions de penser les solutions. Le projet est antinomique du destin. Si le destin est ce qui oriente l’action présente en fonction du passé, le projet est ce qui oriente l’action présente en fonction d’un à venir, c’est-àdire du repérage d’un potentiel actualisable, d’un état possible, virtuel, espéré, désiré d’un monde. L’expérience du projet en architecture, en urbanisme et en ingénierie est une expérience de cette actualisation d’un potentiel décelé et décelable. Les méthodes de prospectives devraient sans doute se rapprocher du mode projet et pourraient constituer une ouverture de recherche de premier ordre. Elle permettrait de penser les scénarios autrement que comme des fonctions de variables passées au profit de mondes voulus, désirés, réputés viables. La projection implique sans doute la formation d’arène où se discutent les mondes possibles, désirés, voulus. Elle relève d’une politique écologique et environnementale. Elle devrait s’appuyer sur la capacité d’exploration des mondes possibles que constitue aujourd’hui et plus encore demain, la géomatique et plus généralement la manipulation d’énormes masses de données devenues possible avec les outils STIC (SIG, spatialisation des données, mondes virtuels actualisables dans des scénarios, etc.). La prospective dans cette perspective et les modélisations qui la sous-tendent (projection notamment) apparaissent sur le plan méthodologique comme des facteurs de premier ordre pour intégrer des connaissances plurielles. Enfin, la prospective peut s’appuyer sur la modélisation qui constituerait autant d’objets intermédiaires (Dominique VINCK, 199951) manipulables par les publics, les chercheurs, les politiques et l’ensemble des acteurs sociaux, formant autant d’arènes possibles pour définir les mondes désirables et les mondes honnis. La prospective formant alors une modalité de sciences participatives et un véritable programme de recherche. 51 - Vinck Dominique, 1999, «Les objets intermédiaires dans les réseaux de coopération scientifique. Contribution à la prise en compte des objets dans les dynamiques sociales», revue française de sociologie, avril-juin —XL-2, éd. Ophrys, Paris, pp. 385-414. prospective de l’institut ecologie et environnement du cnrs 205 prospectives d’avignon 206 PROSPECTIVE PRIORITéS EN RECHERCHE EN éCOTOXICOLOGIE avignon Prospective Coordinateurs : Pascale Bauda & Laure Giamberini, Cécile Bernard Contributeurs : Sandrine Charles & Marie-Laure Dellignette-Muller, Arnaud Chaumot & Jeanne Garric, Eric Vindimian, Alain Devaux & Yves Perrodin, Jérôme Cachot & Pierre Labadie & Hélène Budzinski & Magalie Baudrimont & Jean-Charles Massabuau, Mélanie Auffan & Jérôme Rose & Armand Masion & Jérôme Labille & Jean-Yves Bottero, Jean Perrin, Catherine Mouneyrac, Michel Auffret & Fabrice Pernet & Philippe Soudant Hélène Hegaret, Claudia Wiegand & Françoise Binet & Cécile Sulmon, Bruno Combourieu & Elise Billoir, Christophe Minier, Paco Bustamante & Nicolas Bridiau, Elena Gomez, Clémentine Fritsch, Laffont-Schwob L’atelier Ecotoxicologie de la prospective INEE a identifié un certain nombre d’actions prioritaires dont les trois citées dans le tableau ci-après. Ces actions ont pour objectifs de renforcer l’Ecotoxicologie au sein de l’INEE tout en faisant valoir son rôle d’interface disciplinaire avec les autres instituts du CNRS. L’Ecotoxicologie au CNRS se doit d’avoir un rôle clé sur une démarche cognitive dans les mécanismes fondamentaux mis en jeu en Ecotoxicologie, en relation concertée et complémentaire avec les autres organismes de recherche, d’enseignement ou d’évaluation et gestion des risques. 207 prospective de l’institut ecologie et environnement du cnrs prospectives d’avignon 1 - Ecotoxicologie intégrative et réaliste : spéciation, exposition, impacts à toutes les échelles du vivant Prendre en compte les Interactions biotiques et abiotiques simultanément dans l’impact des contaminants et les hiérarchiser aux différentes échelles d’espace et de temps. 1.1 - Comprendre les mécanismes et la dynamique de spéciation et de réactivité des contaminants 1.2 - Comprendre l’écophysiologie d’organismes clés des écosystèmes, les effets des contaminants sur ces organismes et rétroactions des organismes sur les contaminants. 1.3 - Comprendre le rôle des contaminants dans le fonctionnement des écosystèmes et les réseaux d’interactions. Interfaces INSU, INC, INSB 2 - L’Ecotoxicologie et la modélisation Développer des modèles mathématiques et statistiques à visée cognitive et prédictive 2.1 - Couplage des modèles des processus aux niveaux sub-individuel et individuel à des modèles de dynamique de populations 2.2 - Interaction avec les modèles écologiques (fonctionnement & réseaux) Interfaces INSMI 3 - Ecotoxicologie et perceptions humaine et sociale Vision anthropocentrée de l’Ecotoxicologie. L’Homme acteur des causes, conséquences, cibles et décisions. 3.1 - Perception sociétale des contaminations et des contaminants 3.2 - Perception économique : coût de l’adaptation 3.3 - Actions : restauration, ingénierie écologique, … 3.4 - Ecotechnologie & Ecodesign & Chimie verte Interfaces SHS, INSU, INC, INSB 4 - Les outils - les grands instruments (p. ex. Equipex, plateformes expérimentales et techniques, Synchrotron, Rovaltain, …) - les programmes : définir des appels d’offres spécifiques et Interdisciplinaires (p. ex. EC2CO, ANR) - des chantiers inter- ou pluridisciplinaires ciblant des milieux (p. ex. Arctique, Ville, …), des activités (p. ex. activités minières) ou des contaminants (p. ex. le mercure, les toxines, les polluants « émergents », les nanoparticules) - les Zones ateliers, les OHM Nécessité d’un portail de communication sur leurs fonctions et leur fonctionnement 5 – Structuration de la communauté - la SEFA (Société d’Ecotoxicologie Fondamentale et Appliquée) et / ou une branche Française de la SETAC - une revue « Ecotoxicology Letters » ? - projet Ecotoxicologie pour la mission interdisciplinaire (p. ex. MISTRAL) - lieux d’échanges et de discussion : GDR, Atelier thématique, GIS, … 6 – Formation Masters avec enseignements en Ecotoxicologie (Univ. de Bordeaux, Grenoble, Caen, d’Angers, de Lorraine, du Mans, d’Orléans, Lyon, Bretagne, du Havre, de Franche-Comté & MNHN) 208 Texte de prospective Le texte de prospective a été construit à partir des documents suivants produits dans l’ordre chronologique : • L’atelier de prospective conjointe INSU-EDD (2006-2011) Ecodynamique des contaminants, écotoxicologie • Le compte-rendu du séminaire d’écotoxicologie INEE-INRA La Londe les Maures (septembre 2009) • Le rapport de conjoncture de la section 20 du CoNRS chapitre Ecotoxicologie, dynamique des éléments et des contaminants, physicochimie des interfaces, biogéochimie (2010) • Le rapport de la direction générale de la recherche et de l’innovation sur la stratégie nationale de recherche en toxicologie et écotoxicologie (mars 2010) • La prospective du groupe thématique 9 de l’alliance AllEnvi : Risques environnementaux, naturels et écotoxiques (2011) • La prospective écologie fonctionnelle réalisée par l’INEE, section écotoxicologie (2012) • L’article : Towards a renewed research agenda in ecotoxicology issu des travaux du workshop du réseau européen PEER64 en 2010 paru en 2012 dans le journal Environmental pollution. 160, 201-206. Signalons qu’un groupe de travail entre les alliances AllEnvi65 et Aviesan66 a permis une réflexion conjointe de la toxicologie et l’écotoxicologie. L’INEE est impliqué dans l’ensemble de ces textes, ainsi que l’INSU, l’INSB, l’INC, l’INSHS, ce qui a permis de positionner et défendre l’action du CNRS en écotoxicologie et ses actions interdisciplinaires. Définition et contours L’écotoxicologie est la science qui étudie la dynamique et les effets toxiques d’agents d’origine anthropique ou naturelle, sur les écosystèmes. Ce champ disciplinaire repose sur le fait que l’Homme modifie l’abondance et la répartition de ces agents dans les différents compartiments de la biosphère. Ainsi l’écotoxicologie s’intéresse aux effets de ces agents, en fonction de leur nature, de leur concentration dans les milieux et, de leur rémanence. L’écotoxicologie s’appuie sur des connaissances fondamentales issues de la toxicologie (impact des substances toxiques sur l’homme) et de l’écologie ; elle étudie les modifications et impacts d’agents toxiques aux différents niveaux d’organisation des systèmes vivants et à différentes échelles spatio-temporelles. Un tel objectif implique l’intégration de plusieurs disciplines, d’où l’émergence de la notion d’écotoxicologie intégrative (La Londe des Maures, 2009). Cette intégration des disciplines reste un objectif stratégique de la discipline, crucial pour satisfaire les enjeux sociétaux sous-jacents et renforcer la lisibilité française. La toxicologie et l’écotoxicologie partagent plusieurs éléments en commun dont celui des mécanismes : comprendre comment les substances chimiques présentes dans l’environnement interagissent avec le monde vivant. L’écotoxicologie est au cœur d’enjeux sociétaux importants en regard de l’impact croissant des activités humaines sur l’environnement et des conséquences directes ou indirectes sur la santé des écosystèmes et des populations humaines. Les règlementations nationales, européennes ou mondiales s’appuient sur des connaissances acquises dans le cadre de recherches fondamentales et appliquées en écotoxicologie. A ce titre, l’un des défis majeurs de l’écotoxicologie est de parvenir à une meilleure 64 - PEER : Public Employees for Environmental Responsibility. 65 - AllEnvi : Alliance nationale de recherche pour l’Environnement. 66 - Aviesan : Alliance nationale pour les sciences de la vie et de la santé 209 prospectives d’avignon compréhension et prédiction de la dynamique des contaminants et de leurs effets, en s’appuyant sur la modélisation des processus impliqués de l’échelle la plus fine à la plus large. On pourra alors parler d’écotoxicologie prédictive. Dans ce contexte général, deux grands types de questionnements concernent l’écotoxicologie : l la compréhension de la dynamique des toxiques et de leurs effets, leurs causes et leurs conséquences dans le cadre d’une démarche cognitive qui doit intégrer les composés toxiques comme l’une des pressions anthropiques s’appliquant aux systèmes vivants. l l’évaluation des risques environnementaux, qui est au cœur de la demande socié- tale et qui nécessite des développements : 1) méthodologiques relatifs à la mesure des concentrations des toxiques dans les différents compartiments des écosystèmes, 2) de la définition et la mise en œuvre de tests de toxicité, 3) de l’appréciation de l’exposition des organismes vivants et, 4) de l’estimation des interactions entre contaminants même pour les faibles doses. Le CNRS et tout particulièrement l’INEE s’inscrit dans le premier type de questionnement au titre des enjeux, des soutiens aux équipes de recherche et des projets. Ces derniers se positionnent clairement aux interfaces des disciplines. Positionnement du CNRS Le positionnement du CNRS de par son interdisciplinarité est essentiel sur les questions qui relèvent de la recherche académique alors que d’autres organismes sont plus impliqués sur les questions finalisées et ciblées au regard de leurs missions institutionnelles : l’INRA pour les sols et les milieux aquatiques, l’IRSTEA pour les milieux aquatiques et les enjeux sociaux associés, l’IFREMER pour le milieu marin, l’INERIS pour l’évaluation des risques pour l’Homme et les écosystèmes, les comités de normalisation pour le transfert des outils opérationnels vers les utilisateurs, l’ANSES pour les aspects relatifs à la santé environnementale, l’ONEMA pour la gestion des milieux aquatiques, le CEA et l’IRSN pour le risque nucléaire et l’INSERM pour la Santé Humaine. Quelques universités (Equipes d’Accueil) sont également actives dans la discipline (p ex. Le Havre, Reims, Angers, Nantes, …). L’Homme dans l’écosystème joue un rôle central au de la discipline, pris en compte, en tant qu’agent impactant la qualité et la vulnérabilité des milieux mais également en tant que cible et au cœur des questionnements sur les enjeux sociétaux. Positionnement de l’INEE Le CNRS doit clairement se positionner sur l’étude des mécanismes fondamentaux qui régissent la dynamique des contaminants, leurs effets et la complexité des interactions à différentes échelles d’organisation du vivant, d’espace et de temps. Toute connaissance fondamentale doit fournir des informations aux autres organismes de recherche ou opérationnels précités. Afin d’améliorer la visibilité du CNRS sur les problématiques relevant de l’écotoxicologie il est nécessaire de réaliser des recrutements de personnels sur des projets interdisciplinaires 210 (e.g. bio-physico-chimie, biogéochimie, physique-chimie des contaminants, physiologie, écologie, … modélisation mais aussi sciences sociales et humaines, …). Le CNRS doit être moteur dans la stratégie scientifique de cette thématique par des appels à projets financés sur ressources propres ou sur ressources inter-organismes ou encore être moteur au sein des organismes financeurs comme l’ANR et l’ANSES sur des questions scientifiques novatrices et fondamentales en y imposant des représentants parfaitement intégrés dans le tissu de la recherche française et internationale. Les priorités de recherche citées ci-dessus soulignent le rôle crucial du rapprochement disciplinaire que l’écotoxicologie peut jouer au sein de l’INEE, avec d’autres instituts du CNRS (INSU, INC, INSMI et INSHS) ou avec d’autres organismes. Développement instrumental Physiologie Biologie intégrative Génomique Nouveaux matériaux Nouveaux polluants INP INSB IN2P3 INSIS INSHS Perception des risques Aspects historiques Décision, législation, … INC Réactivité des polluants Analyse INEE (Bio) géochimie Dynamique des polluants INsu Outils mathématiques et informatiques INSMI INS2I Les forces et les faiblesses La prospective « écologie fonctionnelle » réalisée par l’INEE en 2012 a été établie sur une analyse bibliométrique et rend compte des avancées majeures de la décennie dans les différents champs de l’écologie fonctionnelle dont l’écotoxicologie. Cette analyse bibliométrique constitue une base de travail pour alimenter une réflexion prospective sur les enjeux actuels et futurs de cette discipline. (http://www.cnrs.fr/INEE/communication/actus/docs/Brochure_Prospective_Eco_Fonct.pdf) L’écotoxicologie est la seconde thématique en nombre de publications par année au niveau mondial, ce qui témoigne de la vitalité de cette discipline. La France occupe la 6ème position sur l’ensemble des pays publiant sur cette sous-thématique (probablement sous estimée par le choix des mots clés). Ce champ thématique comprend aussi bien des travaux fondamentaux que finalisés impliquant une grande diversité d’organismes institutionnels autres que le CNRS (p. ex. Universités, INRA, INERIS, IRSTEA, CEA, IFREMER, IRD, MNHN). La diversité et le nombre des organismes institutionnels publiant en écotoxicologie a probablement pour conséquence de « diluer » les travaux des unités et des chercheurs du CNRS. L’écotoxicologie est le seul champ thématique 211 prospective de l’institut ecologie et environnement du cnrs prospectives d’avignon pour lequel le CNRS est en dessous de la représentation médiane de 50% des articles publiés mais avec un facteur d’impact proche de la valeur mondiale (IFmoy = 3). Il est à noter que, pour cette discipline, le CNRS fait partie des organismes dont les unités/chercheurs publient dans les meilleures revues du domaine. Une première analyse de ces données met en cause dans l’ordre d’importance : • Le cloisonnement disciplinaire des formations et de la recherche en général (gestion des laboratoires, organismes, appels d’offres). Cette tendance a déjà été constatée par le passé et un certain nombre d’actions sont en cours pour décloisonner les disciplines et les faire converger sur des objets ou questions communs (programmes interdisciplinaires du CNRS, programmation EC2CO, programmation ANR, co-gestion de laboratoires CNRS par 2 instituts…). • La pluralité des organismes impliqués qui dilue les moyens. Les spécialisations des unités (sols, eaux, etc) semblent ne pas se recouvrir complètement ce qui relativise le diagnostic, d’autant que si l’écotoxicologie est bien la deuxième thématique en nombre de publications au niveau mondial, elle mérite probablement qu’une douzaine d’organismes et universités s’en saisissent. La création des alliances, et pour ce qui concerne l’écotoxicologie le groupe de travail inter-alliance AllEnvi et Aviesan, sont des initiatives qui devraient permettre une meilleure coordination et complémentarité de ces moyens. • La difficulté de structuration de la discipline. En effet, les initiatives structurantes récentes comme le séminaire de La Londe des Maures (2009), ou les exercices de prospectives divers restent des actions ponctuelles. Les GDR qui constituent des initiatives structurantes sont à peine plus pérennes. Ils ont des objectifs ciblés et sont actuellement très peu pourvus en moyens. Ils devraient être relayés par les dispositifs européens que sont les réseaux COST et Marie Curie. La Société d’Ecotoxicologie Fondamentale et Appliquée (SEFA), le réseau ou la création d’une section France de la SETAC pourraient jouer un rôle dynamique dans la structuration de la recherche en écotoxicologie. Les priorités INEE pour l’écotoxicologie Le CNRS peut avoir une action clef dans le renforcement des recherches et des questionnements aux interfaces de plusieurs disciplines. Ces priorités en Ecotoxicologie au sein de l’INEE s’articulent en cinq axes en réponses à un certain nombre de verrous : Axe 1 : Ecotoxicologie, géochimie et bio-physico-chimie dans un contexte écodynamique Verrous : • Hétérogénéité : différentes échelles d’observation, aspects spatio-temporels, interfaces entre milieux et complexité des situations réelles • Etudes des contaminations simples et multiples : ETM (Éléments Traces Métalliques), HAP (Hydrocarbures Aromatiques Polycycliques), nanoparticules, substances pharmaceutiques, perturbateurs endocriniens, métaux stratégiques (Li, Co, Ni, terres rares…), … et détermination de leur disponibilité • Difficulté de la prise en compte des produits de transformation, de leurs propriétés physicochimiques et de leurs activités biologiques par 212 rapport aux molécules initiales • Etudes des transferts des contaminants dans les chaines trophiques : localisation subcellulaires des éléments traces, organiques et minéraux (ex : composés pharmaceutiques, nanoparticules…), des radionucléides et capacités d’absorption/bioaccumulation par les niveaux supérieurs (relation spéciation intracellulaire et biodisponibilité). Priorités de recherche : L’élucidation des mécanismes réactionnels aux interfaces eau - sédiment/sol - organisme vivant doit être poursuivie. Pour étudier ces mécanismes, les notions de biodisponibilité et de spéciation s’avèrent essentielles dans un contexte de dynamique temporel de la spéciation et de la biodisponibilité des contaminants. Il est important d’approfondir la compréhension du rôle des processus abiotiques et biotiques dans cette dynamique pour ériger les bases d’une approche de modélisation. Les changements d’échelles restent un questionnement scientifique à approfondir. Interfaces et complémentarités avec les instituts du CNRS : INSU, INC : L’association bio–physico-chimie / écotoxicologie-biologie devient indispensable et va audelà du lien chimie-écotoxicologie. Il existe déjà des exemples de cette association que ce soit en interne au sein des organismes (IRSTEA, CNRS, INRA, …), ou grâce à des programmes comme PNETOX , PNRPE , PNR EST ou encore EC2CO mais l’effort doit se poursuivre, surtout dans le contexte de l’étude des multi-contaminations ou des facteurs de stress multiples (incluant les interactions entre contaminants et pathogènes ou contaminants et changements climatiques) en situations les plus proches de ce que l’on trouve dans l’environnement. Les interactions entre agents toxiques doivent également être maîtrisées pour comprendre les effets sur le vivant. Le rôle de l’INC avec les compétences des chimistes organiciens, des biochimistes et des physico-chimistes est tout à fait stratégique dans cet axe pour l’étude des mécanismes à l’échelle moléculaire. Axe 2 : Ecotoxicologie et physiologie Verrous : • Système biologique de référence : un manque de connaissances sur l’écophysiologie des organismes clés des écosystèmes est avéré. Doivent être pris en compte les systèmes immunitaires, endocriniens chez les métazoaires, de défense chez les plantes et, de reproduction. Priorités en recherches : Il est important d’acquérir des connaissances fines et de références sur la physiologie d’organismes clés des écosystèmes qui sont le plus souvent différents des organismes « modèles » de laboratoire. Ces connaissances s’appuient sur des approches classiques mais également sur les nouveaux outils de transcriptomique, protéomique et métabolomique afin de comprendre les effets des contaminants sur des organes cibles ou les individus, ainsi que les processus physiologiques (p. ex. excrétion, métabolisme, …). Les approches en épigénétique doivent aider à la compréhension des adaptations ou des perturbations du fonctionnement cellulaire qui ont des conséquences à l’échelle des organismes et leur descendance. Une bonne connaissance des mécanismes physiologiques mis en jeu lors d’exposition à des contaminants doit permettre de comprendre les effets sur les populations et les communautés dans un système d’interactions complexes. Le choix des organismes étudiés et leur multiplicité doit permettre 1) de reconstituer en conditions contrôlées des réseaux trophiques, 2) d’aborder des questions sur la généricité des réponses par comparaison des modèles biologiques et, 3) d’alimenter les bases de données pour modéliser les processus mis en jeu en écotoxicologie. Le rôle des rétroactions (effets de la physiologie des organismes) sur les contaminants et leur devenir devra être pris en compte. Interfaces et complémentarité : INSB La connaissance de la physiologie sensu lato des organismes modèles des écosystèmes doit s’appuyer sur celles des modèles de laboratoire avec un transfert de connaissances et de méthodologies maitrisées par la communauté scientifique de l’INSB. Le rôle des contaminants dans des processus d’adaptation des organismes s’appuyant sur des approches de biologie évolutive ou de génomique apparaissent pertinents à explorer. 213 prospectives d’avignon Axe 3 : Ecotoxicologie et écologie Verrous : Prendre en compte le rôle des contaminants : • dans le fonctionnement des écosystèmes et les réseaux d’interaction • au travers des différentes échelles de temps et d’espace (p. ex. Ecotoxicologie du paysage, adaptation évolutive) Priorités de recherche : Les effets des agents toxiques doivent être considérés comme une variable de forçage du fonctionnement des écosystèmes quelle que soit l’échelle d’observation considérée. Les communautés d’écotoxicologues et écologues doivent partager/confronter les concepts théoriques et les outils d’investigation. Un des points clés sera de passer d’une vision mondialisée où chaque substance chimique considérée seule est évaluée pour un écosystème standard sans réalité physique à une analyse territorialisée de la vulnérabilité des écosystèmes aux facteurs de stress multiples. Pour ce faire il est important de développer des approches top-down et multi-échelles, de prendre en compte les multi-contaminations à des niveaux et temporalités représentatifs des conditions réelles, d’étudier les relations entre les facteurs de stress (biotiques et abiotiques) et les contaminants. Des priorités de milieux-cibles peuvent être définies. L’étude des transferts et effets des contaminants aux interfaces entre milieux (terrestres/ aquatiques ou atmosphère/océanique, ou…) devraient également être évalués afin d’avoir une meilleure vision intégrée de la vulnérabilité des écosystèmes. Axe 4 : Ecotoxicologie et modélisation Verrous : • Identifier les niveaux d’organisation biologique auxquels doit être envisagée la réponse (réseaux métaboliques, traits d’histoire de vie...) aux contaminants • Etudier les conséquences (fonctionnelles et évolutives) de ces changements sur la dynamique des populations, des communautés et des écosystèmes Priorités de recherche : Il est nécessaire d’une part d’identifier les niveaux d’organisation biologique auxquels doit être envisagée la réponse (réseaux métaboliques, traits d’histoire de vie...) aux perturbations d’origine anthropique, et d’autre part d’étudier les conséquences (fonctionnelles et évolutives) de ces changements sur la dynamique des populations, des communautés et des écosystèmes ; cela implique le développement, par une approche interdisciplinaire et intégrée, de modèles mathématiques et statistiques à visée cognitive et prédictive, permettant de coupler des modèles d’effet fondés sur les processus au niveau sub-individuel et individuel à des modèles de dynamique de populations, de dynamique de communauté et de dynamique écosystémique. La modélisation doit permettre d’aborder la question du changement d’échelles biologiques, spatiales et temporelles. Les priorités concernent : 1) le développement de modèles mathématiques et statistiques à visée cognitive et prédictive, 2) le couplage de modèles des processus au niveau sub-individuel et individuel à des modèles de dynamique de populations, de communauté et écosystémique, 3) la prise en compte de la variabilité et de l’incertitude ou la définition d’indices de risque au niveau populationnel ou communautaire. Axe 5 : Ecotoxicologie et sciences sociales L’Homme en tant que causes (p. ex. production contaminants), conséquences (p. ex. effets sur la vulnérabilité des écosystèmes et leurs usages) et actions (p. ex. remédiation, législation) est au centre des problématiques de l’Ecotoxicologie. Verrous : • renforcer les collaborations destinées à comprendre l’évolution et la diversité des milieux, 214 sous forçages anthropique et climatique • intégrer les interactions homme-milieu à diverses échelles de temps et d’espace dans l’évolution des milieux actuels en référence à ceux du passé • déterminer les responsabilités et le rôle de l’Homme (du citoyen) dans la gestion des risques et des enjeux liés aux pollutions • intégrer les considérations sur la perception et l’acceptabilité des risques et améliorer la communication avec la société civile pour la transmission des connaissances Priorités de recherche : Dans les perspectives de recherche qui lient l’Ecotoxicologie aux Sciences Humaines et Sociales plusieurs priorités peuvent être définies autour de la problématique de la perception des risques liés aux contaminants sur les systèmes vivants (incluant l’Homme) et leur vulnérabilité. Dans la réflexion menée sur la perception doivent être incluse la perception économique (p. ex. coût lié au dysfonctionnement des écosystèmes, à la remédiation) mais également les coûts écosystémiques (p. ex. coûts adaptatifs des systèmes vivants) et les relations environnement-santé. Doivent également être considérées les actions de restauration, d’ingénierie écologique, … en relation avec l’écodynamique et l’écotoxicologie des contaminants. Une des conséquences de ces actions de l’Homme dans la restauration des systèmes vivants est la recherche de « molécules » ayant moins d’effets néfastes sur le vivant et dans la génération de modèles et pratiques différents conduisant à une réduction des rejets et dispersions. Ces problématiques d’Ecodesign, d’Ecotechnologies (en lien avec les industries) et de Chimie verte sont à réaliser dans le contexte de l’Axe 2 et sont largement discutées dans le groupe thématique 7 Ecotechnologies et Chimie durable de l’Alliance AllEnvi entre les différents organismes institutionnels. Interfaces et complémentarité : INSHS, INC, INSB Les approches L’adaptation à la réalité du terrain (Ecotoxicologie « réaliste ») nécessite d’utiliser des approches multi-échelles (spatiales, temporelles ainsi que les différents niveaux d’organisation du vivant) et multi-milieux pour lesquelles des développements méthodologiques sont à poursuivre durant les prochaines années. Ainsi sont utilisées : • Les approches top-down afin d’aborder l’écotoxicologie à larges échelles spatiales. • Les approches évolutives récentes qui, outre les connaissances fondamentales sur les mécanismes d’adaptation, permettent d’établir un lien entre la génétique des populations et les impacts au niveau populationnel. • Les approches omiques et en épigénétique qui, avec le développement technologique important de cette dernière décennie, constituent une opportunité de coupler différentes échelles en écotoxicologie et d’accroître considérablement la quantité d’information biologique disponible. • Les approches de modélisation, de l’exposition comme des effets, sont la clé pour la promotion d’une écotoxicologie prédictive, pertinente sur le plan écologique et évolutif et capable de s’adapter à plusieurs échelles. Les outils nécessaires Les capacités expérimentales permettent de mener des projets aux interfaces de l’écotoxicologie, de l’écologie (changement climatique, influence du compartiment biotique sur la réponse des organismes soumis à des xénobiotiques…), de l’écophysiologie et de la chimie environnementale à différentes échelles. • Les réseaux, systèmes d’observation (SOERE) (p. ex. INSU/RESOMAR : Capteurs « biologiques » pour l’environnement côtier) sont des sources de chroniques de données spatiales et temporelles à larges échelles qui, en complément de suivi de la dynamique des contaminants doivent permettre d’aborder des questions d’écotoxicologie à ces larges échelles. • Les grands instruments spécifiques à l’écologie fonctionnelle (les Ecotrons) ont été développés en France lors de cette décennie; ils sont toutefois peu adaptés à l’étude de facteurs de stress chimiques, ou à la manipulation de facteurs de stress multiples. • Le site de Rovaltain, plateforme accessible à l’ensemble de la communauté des 215 prospective de l’institut ecologie et environnement du cnrs prospectives d’avignon écotoxicologues, est une première tentative de création d’un grand instrument dédié à des questions d’écotoxicologie. Une équipe technique et scientifique réside sur site. • Le développement des approches synchrotron en écotoxicologie en particulier pour l’étude des pollutions métalliques et nanoparticulaires sont particulièrement performantes et sont à encourager par le biais d’actions incitatives et de formations. • Les plateformes issues des appels à projets d’Investissements d’avenir sont également des outils à partager, lieu de rencontres entre disciplines. • Les outils plus modestes (plateformes expérimentales locales) autour de questions ou d’objets ciblés, et/ou le développement d’outils complexes permettant la manipulation de facteurs de stress multiples sont à développer. Par exemple les mésocosmes en réseau permettant de faire des chaines trophiques longues et dans des milieux complexes (eaux douces vs milieux intertidaux et milieux marins). De la même manière les plateformes régionales et nationales d’expérimentation et instrumentales sont des outils utilisés par la communauté des Ecotoxicologues. La priorité pour l’ensemble de ces outils (existants ou à venir) est leur lisibilité en termes de fonctions et de fonctionnement. La priorité n’est sans doute pas de créer de nouveaux outils dédiés à l’Ecotoxicologie mais de créer un portail unique de communication sur les fonctions et le fonctionnement de chacun d’entre eux. Au développement de ces outils, il convient d’associer une réflexion sur l’optimisation des plans 216 d’expérience. Cette optimisation doit passer par une collecte des données guidée par la modélisation (i.e., en association avec le traitement statistique de ces données) pour aller vers des protocoles de validation et de calibration des modèles d’effet permettant d’asseoir la compréhension des mécanismes en jeu et d’autoriser leur extrapolation ultérieure dans des situations réalistes (in situ et sous l’hypothèse de scénarios et de cinétiques de contaminations multiples). La modélisation statistique doit prendre en compte les notions de variabilité expérimentale à toutes les échelles. Avec le développement d’approches intégratives, les bases de données vont être de taille croissante et regrouper des données disparates. L’enjeu consiste à rassembler de manière cohérente l’ensemble des données brutes issues d’un large éventail d’expérimentations dans le domaine de l’écotoxicologie, en conservant intactes les informations du contexte dans lequel elles ont été acquises (les métadonnées). En combinaison avec une base de connaissances et des outils web interfacés, cela permettra de faire avancer d’une part le partage des connaissances au sein du monde académique, et d’autre part la validation de procédures en routine pour les gestionnaires du risque environnemental. Le couplage des données de surveillance des contaminants dans l’environnement, de leur devenir et des connaissances géoréférencées sur la vulnérabilité des écosystèmes intégrés au sein de systèmes d’information spatiale multi échelles constitue la clé d’une gestion territoriale des facteurs de stress environnementaux dont les facteurs de stress toxiques. Les banques d’échantillons nécessaires pour gérer les échelles de temps sont à mettre en place et à gérer au moins au niveau national voire international. La structuration de la communauté La communauté des Ecotoxicologues au sein du CNRS se répartit à l’échelle nationale dans la plupart des UMRs (cf Liste des laboratoires). L’Ecotoxicologie est souvent une discipline d’interface au sein des UMRs (p. ex. Axe transverse). lille amiens Rouen metz - nancy caen strasbourg paris brest rennes orléans dijon nantes besançon vienne la rochelle clermontferrand lyon limoges grenoble valence avignon bordeaux pau aix montpellier marseille toulouse banuyls corse Cartographie des forces en Ecotoxicologie des UMRs du CNRS. ajaccio La complémentarité des missions des organismes de recherche, d’évaluation, d’enseignement, … (p. ex. CNRS, CEA, IRD, IFREMER, IRSTEA, ONEMA, Universités, ANSES,…) souligne l’importance du rôle d’Allenvi dans le dialogue de complémentarité entre ces organismes et leur coopération structurante vis-à-vis des futurs appels à projets (p. ex. ANR). La structuration de la communauté doit s’appuyer sur les réseaux thématiques inter-organismes tels que la SETAC (Society of Environmental Toxicology and Chemistry) et l’antenne France. D’autres formes de réseaux (p. ex. GDR, GIS, …) existent autour d’objets ou de lieux qui devraient être des lieux d’échanges et de discussions. Une fondation de coopération scientifique pourrait être crée dont la mission principale serait de soutenir la recherche en écotoxicologie et toxicologie environnementale. Cette fondation, dirigée majoritairement par des scientifiques de nos communautés (p.ex. écotoxicologue, écologues, modélisateurs, …), pourrait constituer un élément fortement structurant. 217 prospectives d’avignon 218 POUR UNE éCOLOGIE GLOBALE avignon Prospective Coordinateurs : Thierry Tatoni, Wolfgang Cramer, Hervé Piégay, Didier Galop Mots clés : écologie intégrative, sciences de l’environnement, multi-échelles, pluridisciplinarité, relation homme-environnement. En français, le mot « global » associé au mot « écologie » présente une ambiguïté qui invite au débat. L’objectif de ce document est de faire ressortir l’intérêt de l’écologie globale comme un nouveau concept fédérateur. En première intention, « globale » renvoie aux enjeux planétaires, perçus sur des échelles très vastes, mais ce terme peut aussi être interprété comme un synonyme d’« intégrée » ou d’ « intégrative », ce qui n’est pas le cas pour beaucoup d’autres langues. L’écologie globale recouvre les deux acceptions du terme, mais seule la langue française permet de traduire ceci en un seul terme. Fondamentalement, l’écologie globale, inscrite comme une science intégrative, ambitionne de prendre en compte, autour d’un noyau issu des enjeux de la relation homme-environnement, des aspects clefs des domaines comme l’écologie évolutive, l’écologie fonctionnelle, les sciences de la terre, les sciences de l’homme et de la société71. L’objectif de la recherche en écologie globale est une meilleure compréhension des processus environnementaux à partir d’approches multi-échelles, multi-sectorielles et pluri-disciplinaires, dans des contextes globaux, régionaux, voire locaux. L’écologie globale, comme champ scientifique partagé, amène à penser l’environnement de manière systémique, fonctionnelle, afin d’aborder les questions dans toute leur complexité, à différentes échelles de temps et d’espaces. Ceci est nécessaire pour éviter des visions trop sectorielles pouvant conduire à des perceptions faussées, ou du moins à des interprétations partielles des processus. L’écologie globale affiche aussi des objectifs opérationnels en proposant des résultats mobilisables, notamment dans l’aménagement du territoire ou de la gestion des ressources naturelles. L’homme fait intrinsèquement partie des écosystèmes en tant qu’agent modificateur, utilisateur et bénéficiaire. L’écologie globale vise à promouvoir un développement durable de la relation homme-environnement, pour prendre en compte les bénéfices fournis par l’écosystème pour l’homme ; c’est d’ailleurs pour cela que le débat science et société est si important dans cette démarche. La protection de la biodiversité est un aspect important du développement durable car il s’agit de nourrir et d’assurer le bien-être des hommes sur terre tout en reconnaissant la valeur intrinsèque de la nature et du vivant. L’écologie globale identifie l’ensemble des paramètres à même de poser les bases d’une gestion durable des ressources et des services que les systèmes socio-écologiques fournissent, de mieux appréhender et anticiper les risques et leurs conséquences, et de participer l’amélioration de la qualité de vie des sociétés. 71 - Mooney HA 1999 On the road to global ecology. Ann Rev Energy Environm 24 :1-31 prospective de l’institut ecologie et environnement du cnrs 219 prospectives d’avignon Pour ce faire, l’écologie globale repose sur des bases méthodologiques faisant appel à • l’observation (d’où l’initiation des Observatoires Homme-Milieu et l’intérêt des Zones Ateliers) et la rétro-observation ; • l’expérimentation (matérialisée notamment par la création d’écotrons, de plateformes in situ et le recours de plus en plus souvent à des structures de types mésocosmes et autres systèmes expérimentaux à des échelles très fines) ; • la modélisation permettant de faire des liens explicites entre observation et expérimentation, tout en proposant des possibilités de généralisation. Parallèlement, l’ensemble de la démarche nécessite une certaine pérennité dans la gestion et l’utilisation des données, c’est pourquoi la mise en place de systèmes d’archivage comme des bases de données relationnelles est un investissement incontournable. Deux ambitions fortes de l’écologie globale : s’appuyer sur l’interdisciplinarité pour comprendre, s’inscrire en interaction avec la société pour s’enrichir et transmettre L’écologie globale est porteuse de deux ambitions fortes : • Mieux comprendre les dynamiques environnementales en associant les disciplines scientifiques à un questionnement partagé. L’interdisciplinarité que l’INEE promeut grâce notamment aux OHM et aux ZA, doit permettre d’appréhender les changements environnementaux, les évolutions à toutes les échelles spatiales et temporelles, et de trouver les solutions d’un développement durable. • Inscrire la recherche en interactions avec la société afin que celle-ci questionne les scientifiques et induise une reformulation de ces questionnements, une co-construction, mais aussi que les connaissances nouvelles puissent plus rapidement se diffuser parmi les acteurs. L’écologie globale vise ainsi à tester, expérimenter, simuler des solutions permettant d’assurer le bien-être des populations humaines en s’appuyant sur la nature et non en la combattant. Il s’agit ainsi de produire des connaissances permettant d’assoir l’ingénierie écologique, de favoriser la gestion intégrée, la restauration, en un mot le développement durable. Dans ce cadre, l’écologie globale a besoin de s’alimenter de nombreux champs disciplinaires afin d’aborder la complexité environnementale : • les sciences de l’évolution afin de comprendre l’évolution du vivant, de la biodiversité, de l’homme et des sociétés dans leurs interactions avec le milieu ; 220 • les sciences systémiques afin de comprendre les dynamiques environnementales, la complexité du vivant, les pressions humaines intégrant l’ensemble des processus biophysiques, chimiques et sociétaux ; • les sciences sociales afin de comprendre les objets complexes que l’on aborde pour lesquels la question des valeurs, de la perception, de l’éthique ou encore de l’équité se pose avec acuité, faisant appel à la philosophie, la sociologie, le droit ou encore l’économie ; • les sciences de l’action, l’ingénierie écologique notamment, afin de promouvoir de nouveaux savoir-faire, de nouvelles techniques, de nouvelles pratiques pour assurer la sécurité des personnes face aux aléas naturels, exploiter et partager les ressources, réussir le développement durable. Il faut considérer aussi que l’écologie globale n’est pas une science exacte et que les systèmes de valeur des chercheurs eux-mêmes influencent leur production de connaissance, ce qui implique que les sciences intégratives doivent aussi s’appuyer sur la philosophie et l’épistémologie pour comprendre les systèmes de pensée qui sont à l’origine des concepts et des théories structurantes de ce champ disciplinaire. Il y a un problème sous-jacent de représentation de ce qu’est la nature et de la place de l’homme sur terre. Sans déconstruire ce paradigme, on ne pourra pas avancer. Les sciences de la nature ont construit leurs objets en dehors de la société pour objectiver leurs démarches et disposer de référentiels, valorisant (idéalisant) la nature. Ceci est prégnant dans certains discours scientifiques et les hypothèses formulées pour produire de la connaissance sont biaisées. En réintroduisant un débat avec la société dans ce cadre de l’écologie globale, le scientifique est confronté à ses ambigüités et doit redéfinir ses modes de production de connaissance. Le scientifique n’est plus seulement scientifique, il est devenu, plus ou moins malgré lui, acteur du débat. Ceci doit être accepté et il convient de mieux comprendre quelles en sont les conséquences pour la production de connaissances. Observer, expérimenter et modéliser le fonctionnement des systèmes socio-écologiques Dans l’étude scientifique de la structure et de la dynamique des systèmes socio-écologiques, il est important de se démarquer de la considération trop extrémiste de « l’écosystème originel dégradé », malgré l’amère réalité de cette situation dans de nombreux endroits de la planète. Fondamentalement, tous les écosystèmes actuels sont structurés par un environnement physico-chimique « naturel » et par des activités humaines qui souvent agissent depuis des millénaires. En outre, les conditions « naturelles » peuvent aussi grandement fluctuer et causer des changements locaux importants chez les populations ou communautés. Les chercheurs impliqués dans cette approche globale (l’ensemble des environnementalistes et particulièrement les écologues) doivent donc chercher à démêler ces différents forçages d’une manière impartiale, et ils peuvent le faire en utilisant toute une gamme de méthodes d’observations, d’expérimentations, et en s’appuyant aussi sur des processus modèles ; ces derniers imitent par exemple les traits fonctionnels des organismes et leur dépendance vis à vis de l’environnement ou leurs interactions les uns avec les autres. L’observation en écologie globale s’inscrit à différentes échelles spatiales, du local au global72 explorant le présent et le passé. Parmi les préoccupations globales, aussi bien fondamentales que méthodologiques, se pose le problème du recensement et de la hiérarchisation des facteurs qui influencent le fonctionnement des systèmes socio-écologiques. Quelques aspects sont particulièrement importants : les composantes physiques du climat, la chimie de l’atmosphère (notamment la concentration en CO2), les dépôts atmosphériques de nutriments et de polluants, les modes d’utilisation des terres et des ressources marines, les changements dans les modes d’occupation du sol, les aménagements résultant des politiques publiques, de l’histoire des pratiques etc… Tous ces facteurs interviennent souvent de manière parallèle, en causant des effets différenciés sur les organismes, les communautés, les écosystèmes et les sociétés. Au cours de ces dernières années, les capacités d’observation ont atteint un nouveau stade, non seulement grâce à une disponibilité accrue et une meilleure qualité des données satellitaires, mais aussi au développement de réseaux internationaux de scientifiques, bien souvent sous l’impulsion de grands programmes tels que l’Earth System Science Partnership (ESSP), et son successeur Future Earth, permettant de renforcer les observations à l’échelle globale. Ironiquement, les premiers indicateurs rendant véritablement compte des changements globaux dans le fonctionnement des écosystèmes proviennent des satellites météorologiques à partir desquels nous pouvons désormais faire de solides approximations de la quantité du rayonnement photosynthétique actif. Ces données globales sont disponibles avec une résolution quotidienne et une couverture temporelle de plus de vingt ans. Elles permettent ainsi de détecter des changements significatifs dans l’activité biologique, mais elles offrent aussi la possibilité d’améliorer les modèles de changements des écosystèmes qui sont ensuite utilisés pour des extrapolations prospectives. Toutefois, ce type de données ne satisfait pas les besoins en recadrage temporel plus vaste, ni en investigations véritablement paléo-environnementales afin d’établir des relations plus générales sur la structuration des écosystèmes et les changements dans les activités humaines. 72 - Cowling RM & Midgley JJ 1996 The influence of regional phenomena on an emerging global ecology. Gl Ecol and Biogeogr Lett 5(2) :63-65 221 prospectives d’avignon L’écologie globale doit donc se nourrir aussi des travaux relevant de la paléoécologie et de l’archéologie, mais aussi de l’histoire et de la géographie en ce qui concerne l’intégration temporelle sur des pas de temps long et la compréhension des dynamiques. Le recours au spatial paraît alors indispensable pour permettre le recoupement des informations d’origine diverses et comprendre la diversité des situations, d’où la nécessité de développer des plateformes interdisciplinaires telles que les Zones Ateliers ou les Observatoires Homme-Milieu, choisies minutieusement quant à leurs pertinences thématiques offrant la possibilité de combiner l’observation régionale avec l’interprétation globale, voire généralisable dans des contextes socioécologiques contrastés… L’expérimentation peut fournir des connaissances importantes sur les processus fondamentaux contrôlant les écosystèmes. Pour que les expérimentations soient pertinentes, elles doivent tester des facteurs environnementaux susceptibles de jouer un rôle important dans un avenir prévisible. Par exemple, la mise en place d’un réseau de stations expérimentales, in situ, visant à simuler les changements climatiques à venir, par des systèmes d’exclusion de pluie doivent permettre d’avoir des réponses anticipées sur le comportement des formations forestières et arbustives en cas de réduction significative des précipitations. Cependant, les résultats issus de ces expérimentations doivent être remis en perspective au regard de la composante humaine, en prenant soin de se dégager de l’acception caricaturale et obsolète d’une Nature agressée par un Homme systématiquement destructeur. L’approche globale doit aider à faire tomber le clivage Homme / Nature, sur la base d’arguments scientifiquement validés, en gardant l’objectif finalisé de proposer des pistes pour de nouvelles formes de développement. Le troisième pilier de l’écologie globale (avec l’observation et l’expérimentation) est le développement de modèles appropriés pour l’expérimentation numérique sans véritables manipulations des écosystèmes. Forcément, ces modèles sont des simplifications du monde réel, et l’un des aspects les plus délicats du travail est de définir le niveau de simplification lui-même. Actuellement, beaucoup de modélisations d’écosystèmes ont adopté le concept de « types fonctionnels » pour réduire la diversité des écosystèmes réels à un niveau qui permet de simuler des processus, et ce, même 222 dans des environnements qui ne sont pas très bien renseignés. Idéalement, ces types sont définis afin de rendre compte des caractéristiques les plus importantes de l’histoire de vie des espèces, et de généraliser la réponse des organismes, notamment dans des situations de changements climatiques ou d’augmentation de la teneur en CO2 atmosphérique. Les modèles écosystémiques continentaux ou marins sont de plus intégrés dans les modélisations du système Terre, ce qui permet d’étudier l’ensemble des rétroactions entre la dynamique globale du climat, le cycle du carbone et les activités humaines. Sur la base des informations validées, issues des observations de terrain, des expérimentations et de la modélisation, l’écologie globale interroge la stabilité et l’évolution des systèmes socio-écologiques de la planète, notamment à partir des scénarios établis ou de démarches prospectives au niveau régional. Il faut souligner que ces scénarios ne sont pas pris comme des prédictions sur le devenir le plus probable des conditions environnementales, mais ils fournissent des supports appropriés pour extrapoler certaines tendances. Par exemple, s’interroger si les potentialités alimentaires de la planète sont en adéquation avec l’ensemble des besoins de l’homme, tout en se préoccupant de la durabilité des ressources naturelles et de la stabilité du climat, est un questionnement qui relève de l’écologie globale. Même si, jusqu’ici aucune réponse satisfaisante n’a été fournie sur cette problématique, plusieurs études ont montré que l’approvisionnement alimentaire est moins une question de disponibilités de terres arables, de nutriments ou d’eau, qu’un problème de modulation de la demande. On sait aujourd’hui que les ressources naturelles s’épuiseront bien plus rapidement si la consommation de viande continue à augmenter fortement et que ça ne serait pas le cas si les populations humaines optaient majoritairement pour des régimes plutôt végétariens. Ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres, où l’écologie globale étend sa réflexion jusqu’au domaine des sciences humaines et sociales, y compris l’économie. Proposer des solutions aux grands défis environnementaux Le grand défi de l’écologie globale pourrait être résumé de la façon suivante : comment subvenir, de manière satisfaisante, aux besoins de sept milliards d’êtres humains sur une planète, tout en respectant l’intégrité fonctionnelle des écosystèmes et leurs capacités d’adaptationévolution ? Ces besoins s’expriment en termes d’alimentation, de bien-être et de sécurité… de développement durable. Depuis quelques années, le lien entre l’écologie globale et les sciences sociales s’est en effet considérablement développé en se focalisant sur les possibilités de quantifier la valeur économique des écosystèmes et de la biodiversité, notamment à travers la notion de services écosystémiques. À l’instar d’initiatives internationales comme le Millennium Ecosystem Assessment, les écologues et les économistes peuvent travailler ensemble pour faire ressortir l’importance du fonctionnement des écosystèmes sur le plan économique. Plus récemment, l’étude très remarquée TEEB (The Economics of Ecosystems and Biodiversity, www.teebweb.org) apporte des précisions explicites issues de l’écologie globale, et ce d’une façon tout à fait accessible pour les politiques et les décideurs. On peut bien sûr émettre de nombreuses réserves sur la monétarisation des écosystèmes, notamment car il subsiste encore beaucoup d’inconnues sur les organismes vivants, les écosystèmes et leur rôle pour l’humanité. Toutefois, en refusant de hiérarchiser les enjeux entre, par exemple, le développement industriel et la conservation des espaces naturels, on risque de nuire à la qualité des décisions qui sont prises et in fine, de faire régresser toujours plus les sociétés humaines dans leurs rapports avec les ressources naturelles, l’exploitation/l’utilisation de leur environnement, les choix en matière de sécurité des personnes. Ainsi, l’écologie globale se transpose aux niveaux local et régional : quasiment toutes les décisions sur les modes d’utilisation des terres sont prises au niveau local, basées sur des critères de positionnement régionaux et s’inscrivant dans des contextes socioenvironnementaux plus globaux. L’écologie globale vise à soutenir une telle prise de décision, en intégrant, de manière objective, les conflits d’usages, tout en considérant simultanément les changements globaux qui affectent l’ensemble des systèmes. À la lumière des concepts qui sous-tendent l’écologie globale et de ses champs d’application, nous sommes aussi amenés à reconsidérer les enjeux liés à la dynamique de la biodiversité. En intégrant la notion de services écosystémiques, d’intégrité des écosystèmes ou encore de fonctionnement écologique, ce sont toutes les espèces qui deviennent un objet de préoccupation en terme de conservation et non plus exclusivement les espèces rares et/ou endémiques. La biodiversité qualifiée « d’ordinaire » est en quelque sorte réhabilitée, car elle recoupe la grande majorité des espèces qui « rendent service » à l’humanité, tout en assurant la plupart du temps l’ossature fonctionnelle des écosystèmes. De plus, des hypothèses formulées dans le champ de l’écologie globale font état d’une plus grande vulnérabilité de la biodiversité « ordinaire » face aux changements globaux, en l’absence de mesures de protections adéquates ou de toute forme d’anticipation en matière de mesures de gestion. Ce champ réflexif ouvre également la voie à des enjeux appliqués autour de l’ingénierie environnementale ou écologique, ou encore de la gestion intégrée de l’environnement… afin de replacer les actions humaines dans une perspective plus durable. Même si nous ne sommes qu’au début du développement des recherches en écologie globale, les réflexions entamées et les premiers résultats obtenus ont déjà conduit à des applications importantes dans la planification écologique et l’aménagement du territoire. Tel est le cas en France à travers, par exemple, la mise en place des trames vertes et bleues (TVB), des schémas régionaux de cohérence écologique (SRCE) ou de la mise en place de la Directive Cadre sur l’Eau. Parallèlement, la biodiversité est pensée dans une acception de plus en plus large, en faisant une place significative à sa dimension socio-économique. Elle fait désormais l’objet de plans stratégiques visant à améliorer les connaissances et ses modes de conservation, en intégrant conjointement les aspects naturalistes, écologiques et humains. De manière exemplaire, et pour répondre le plus efficacement possible à tous les enjeux socio-environnementaux liés à la biodiversité, la région PACA a officiellement lancé, en 2010, sa Stratégie Globale de la Biodiversité. L’objectif d’une telle démarche s’inscrit parfaitement dans le courant de l’écologie globale, car il s’agit de montrer que la préoccupation « biodiver223 prospective de l’institut ecologie et environnement du cnrs prospectives d’avignon sité » doit être au cœur de toute forme de développement durable, l’approche globale permettant de faire ressortir tous les services, directs et indirects, rendus par la biodiversité à l’humanité. Cependant, comment envisager une gestion de la biodiversité, des ressources ou des risques environnementaux au niveau local et même régional, sans une intégration plus générale, aussi bien sur le plan des grands processus socio-économiques que des bouleversements environnementaux (i.e. les changements dans les facteurs de contrôle des équilibres physico-chimiques, biologiques ou sociétaux) ? En proposant des changements d’échelle systématiques, et en intégrant un grand nombre de catégories de facteurs structurants, l’écologie globale apparaît désormais comme un outil conceptuel et méthodologique approprié pour investiguer les problématiques environnementales majeures, comme les effets du changement climatique ou la dynamique de la biodiversité, avec une dimension politique assumée et volontariste. Au-delà des idées partagées par la communauté des scientifiques engagés à l’INEE pour réussir cette écologie globale, il est important de promouvoir le dialogue entre les disciplines et de clarifier l’objet commun. Le terme d’écologie associé à global fait ainsi débat dans les sciences physiques, chimiques et sociétales car l’INEE est porteur d’une réflexion plus large sur l’environnement que le terme proprement dit d’écologie globale n’exprime pas pleinement et qui peut être source de dissension disciplinaire, comme le débat l’a montré lors des journées de prospective. La réflexion sur le développement durable se pense d’abord en lien avec la notion d’environnement qui intègre les questions d’écologie mais pas uniquement. Le terme anglais d’ « integrated sciences » repris par exemple pour le récent colloque IsRivers (Integrated Sciences for Rivers) en juin 2012 est plus large dans sa définition et plus rassembleur pour le collectif INEE ; toutes les communautés scientifiques qui font l’INEE peuvent ainsi s’y retrouver dans un esprit d’équité. Pour réussir cette dynamique collective, plusieurs recommandations peuvent être formulées : • promouvoir un débat interdisciplinaire sur les grands enjeux de l’écologie globale au sein de l’INEE, et également avec des partenaires scientifiques au niveau national et international, afin de partager un langage commun ; • soutenir l’interdisciplinarité dans le domaine des sciences de l’environnement via la commission interdisciplinaire CID 52, les plateformes de production de connaissances interdisciplinaires (OHM, ZA…), le partage et la gestion des données ; • renforcer les interactions entre les instituts du CNRS sous l’impulsion de l’INEE pour engager des recherches sur l’environnement ambitieuses et innovantes (s’appuyer sur la Mission Interdisciplinaire du CNRS et renforcer le soutien financier et institutionnel des unités en rattachement secondaire à l’INEE fortement investies sur ces thématiques) ; • renforcer les interactions avec les acteurs publics et les autres organismes de recherche engagés dans la mise en œuvre du développement durable (ONEMA, Ministère de l’environnement, ONF, agences de l’eau, ADEME, Allenvi) ; • travailler avec l’ANR et les acteurs de la recherche pour initier des projets interdisciplinaires ambitieux afin de répondre aux questions environnementales ; • promouvoir des plateformes interdisciplinaires sur une large palette de biomes (ville, montagne, fleuve, zone agricole, littoraux, hautes latitudes, milieu marin…) afin de couvrir les principaux enjeux environnementaux ; • mettre en réseau les personnels techniques et réfléchir à une démarche nationale cohérente et coordonnée en matière de plateformes ; • communiquer auprès des acteurs de l’environnement et du grand public via notamment internet et la transmission d’informations visuelles et pédagogiques (développement par exemple de serveurs cartographiques sur les OHM et les ZA ou de courtes vidéos explicatives des actions en cours). 224 Outils en Ecologie outils en écologie avignon Prospective Coordinateur : Jacques Roy Contributeurs : Cécile Callou, Gudrun Bornette, Yvon Le Maho L’écologie a pour objectif de comprendre le fonctionnement des écosystèmes, objets par essence extrêmement diversifiés dont le fonctionnement est déterminé par des processus agissant à des échelles multiples. Cette compréhension passe par l’observation des patrons présents dans la nature, complétée par des études expérimentales destinées à identifier le poids et le mécanisme d’action des différents processus, voire à déceler de nouveaux déterminismes de la biodiversité. De tels objectifs nécessitent le recours à différents outils : • Des outils analytiques destinés à mesurer à différentes échelles, soit les paramètres physiques d’intérêt, soit la biodiversité ; • Des outils expérimentaux, destinés à simuler des processus écologiques dans des écosystèmes simplifiés ; • Des outils de bancarisation, destinés à organiser les données en ensembles structurés et interopérables ; • Des outils d’analyse, destinés à comprendre l’organisation, les liens de dépendance entre données ; • Des outils de modélisation, destinés à simuler les processus identifiés et à mesurer la réponse de ces processus à la variation de variables de contrôle. Le présent document fait la synthèse des éléments de prospectives qui mettent l’accent sur une partie de ces outils. Son contenu est par essence déséquilibré entre les différents outils, car certains domaines en émergence suscitent des réflexions de prospectives intenses, tandis que d’autres sont d’ores et déjà opérationnels, et ne font pas actuellement forcément l’objet de développements nouveaux. Se référer à la liste des ateliers page 240 pour avoir la correspondance numéros - noms d’ateliers. 227 prospective de l’institut ecologie et environnement du cnrs prospectives d’avignon Outils analytiques Les évolutions techniques des instruments sont telles que les laboratoires français, individuellement, ne peuvent pas acheter ou entretenir les nouveaux appareillages, et former les étudiants ou les ingénieurs devant les utiliser. Une mutualisation de ces instruments est donc indispensable et peut être faite en grande partie dans les infrastructures à vocation nationale. (Ateliers 5, 11). Un portail web d’information sur l’ensemble des dispositifs expérimentaux accessibles aux chercheurs de l’INEE est en cours de création à l’image du portail pour les bases de données (Ateliers 10, 22). Certaines approches, utilisées initialement par une communauté restreinte de chercheurs, sortent de leur cadre initial et connaissent un fort développement. Ainsi, l’approche stœchiométrique, développée depuis longtemps dans l’étude des milieux océaniques et dulçaquicoles, est étendue à l’étude des écosystèmes terrestres. Outre l’analyse des flux d’éléments à différentes échelles et leur réponse aux changements globaux, elle offre de fortes potentialités pour établir des liens entre les problématiques relevant de l’écologie des écosystèmes et de la biologie ou de l’écologie évolutive, mais également, pour appréhender des questions relatives à la théorie métabolique de l’écologie. Des capteurs avec des résolutions spatiales et spectrales de plus en plus poussées ou utilisant des nouvelles technologies (hyperspectral spectroradiometers, Infra Red Thermography, Light Detection and Ranging, Laser Induced Fluorescence Transient…) permettent d’analyser depuis le sol ou l’espace, certains dans l’eau, un nombre grandissant de paramètres de la structure des écosystèmes et de la biodiversité, ainsi que des paramètres décrivant les stocks des éléments et permettant d’estimer les processus biologiques. Les nouvelles technologies, comme la CRDS (Cavity Ring-Down Spectroscopy), la PTRMS (Proton Transfer Reaction Mass Spectrometry), la NanoSIMS (nano-scale secondary ion mass spectrometry) permettent respectivement l’analyse simultanée de plusieurs isotopes, l’analyse de plusieurs gaz, celle des composés organiques et des éléments et isotopes à l’état de traces en écologie chimique et dans d’autres études du fonctionnement des écosystèmes (e.g. biologie du sol, régulations et interactions entre fonctions, réseaux d’interactions, interactions durables). 228 Du fait de l’énorme potentialité qu’offre le couplage des différentes méthodologies (par exemple l’approche isotopique et la génomique environnementale pour identifier les taxons consommateurs), il parait indispensable que les différentes communautés mettent en commun, non seulement leurs dispositifs, mais aussi leurs expertises (Atelier 10). La biodiversité est une composante fonctionnelle majeure des écosystèmes et constitue de ce fait un enjeu en soi. Son étude requiert toute une gamme d’outils et de techniques, parfois anciennes (mais totalement rénovées dans leur appréhension), comme les collections, d’autres à la pointe de la technologie, comme celles relevant de la biologie moléculaire. Les relevés acoustiques permettent l’évaluation rapide de certains groupes d’animaux. Le système NeoMaps permet de recenser la biodiversité au niveau d’un pays de façon plus rapide, plus fiable et plus efficace. Le barcoding intègre l’ADN environnemental et évolue vers le « méta-barcoding ». La télédétection développe de nouvelles perspectives pour l’évaluation rapide de la biodiversité sur de très grandes étendues spatiales. Des méthodes innovantes sont nécessaires pour l’inventaire et le suivi de la biodiversité tropicale, où les stations météorologiques sont peu nombreuses et où l’apparition de climats sans analogues contemporains est fort probable. Une piste est le développement de partenariats avec des sociétés de téléphonie mobile (Atelier 14). Compte tenu de l’âge des séquences considérées, l’approche géochronologique implique le plus souvent l‘utilisation de méthodes autres que celle du radiocarbone. Il est donc nécessaire de mettre en réseau les équipements analytiques (outils de caractérisation sédimentologique, micromorphologique, minéralogique et géochimique) et de développer les nouvelles ressources (OSL, ESR, cosmonucléides), actuellement beaucoup trop limitées au sein de la communauté nationale. De même, le développement des approches taphonomiques doit s’appuyer sur une démarche comparative concernant l’action des différents processus biologiques et géomorphologiques. Les grandes avancées récentes de l’écophysiologie font suite à des développements technologiques (bio-logging, RadioFrequencyIDen- tification) et à l’endocrinologie intégrative. Le développement de ces axes doit être soutenu. Les progrès réalisés en micro-électronique permettent de développer des systèmes embarqués (bio-loggers) de plus en plus performants pour mesurer en conditions de vie libre de nombreuses fonctions biologiques face à divers gradients environnementaux. L’utilisation de la RFID permet à l’échelle populationnelle une identification et une pesée automatique, rendant ainsi possible un suivi individuel de la réponse physiologique et comportementale des animaux aux changements environnementaux. Mais la RFID permet aussi de suivre des animaux non perturbés (impact des bagues, de leur lecture, de loggers), et donc de réduire, ou d’évaluer les biais inhérents aux investigations. Parallèlement, la validation de marqueurs moléculaires intégratifs mais simples des régulations physiologiques (e.g. hormones du stress, biochimie plasmatique, ROS et télomères) et des contaminants nous permet d’obtenir de grandes tailles d’échantillons et d’aborder le rôle de la physiologie à des échelles supérieures à celles des individus, comme par exemple le rôle des polluants et du stress (physiologique) dans l’impact de l’urbanisation sur la dynamique des populations. Le suivi des déplacements des animaux a toujours été un défi important pour les scientifiques, les équipes de terrain ne parvenant pas à couvrir les échelles spatiales et temporelles des trajets. La poursuite de la miniaturisation des outils de géolocalisation, l’émergence de l’accélérométrie et les techniques de transmission de données à distance augmentent de manière exponentielle notre capacité à documenter la biologie dans l’espace d’animaux de plus en plus petits. Ce sont les plus nombreux et ils occupent une place centrale dans les écosystèmes (Atelier 21). Outils expérimentaux L’expérimentation est nécessaire pour identifier la manière dont chaque variable de forçage identifiée dans la nature agit sur les processus écologiques fondamentaux au sein des écosystèmes, des peuplements et des populations d’organismes. Même si des processus fondamentaux ont été identifiés comme structurant le fonctionnement des écosystèmes, les gammes de variations, seuils et niveaux de réponses, conditions d’expression de ces réponses, ne peuvent être appréhendées de manière précise in situ. Seule la modélisation, couplée à des approches expérimentales, permet de fournir une quantification de ces processus. L’expérimentation peut mettre en évidence le rôle d’un ou de quelques facteurs au sein d’un ensemble de forçages complexes en interaction. Elle permet de simuler des conditions environnementales particulières (du futur ou du passé par exemple) et ainsi de pouvoir extrapoler dans le temps les processus écosystémiques. L’expérimentation est aussi nécessaire pour le développement et paramétrage de modèles notamment mécanistes et elle forme un binôme puissant avec la théorie. (Cf Atelier 1, 3, 10 …). Par conséquent, un dispositif expérimental sur un seul type d’écosystème ne suffit pas à comprendre le fonctionnement d’écosystèmes par essence multiples, soumis à des variables de forçage différentes, tant en termes de nombre et d’intensité, et induisant des conséquences biologiques très contrastées. Par exemple, pour comprendre la manière dont les contraintes environnementales associées aux agrosystèmes prairiaux, (telles la géologie, le climat, le niveau de ressources, les prélèvements anthropiques, fauche, pâturage) vont structurer les réponses biologiques et écologiques, on aura besoin de structures expérimentales permettant de manipuler des monolithes de sols et d’en contrôler l’environnement. Ces structures seront très différentes de celles nécessaires pour comprendre le fonctionnement d’écosystèmes aquatiques dans lesquels les facteurs de contrôle seront de nature parfois très différente (caractéristiques physico-chimiques, dépendantes du contexte géologique, et trophiques de l’eau, profondeur, turbidité, courant, polluants). De telles infrastructures sont donc nécessaires pour différents types d’écosystèmes afin de pouvoir faire des prévisions réalistes des réponses de ces écosystèmes aux altérations environnementales. 229 prospectives d’avignon Face aux enjeux sociétaux liés à l’environnement, l’écologie est en train de devenir une « mégascience », et l’expérimentation qui y est associée est effectivement en pleine mutation. Du fait de la complexité des facteurs à analyser, de la nécessité de donner des réponses à différentes échelles spatiales et temporelles, du coût des dispositifs expérimentaux et des instruments pertinents, mais aussi de la nécessité d’agréger d’une manière flexible différentes compétences, on s’oriente vers de larges infrastructures expérimentales mutualisées et coordonnées entre elles au niveau national et international. L’INEE a initié cette mutation, en particulier avec les Ecotrons de Montpellier et Ile-de-France où les capacités de contrôle et de simulation des paramètres environnementaux, ainsi que les capacités de mesures des processus sont importantes. Une montée en puissance de dispositifs expérimentaux en milieu semi-contrôlé est en cours, par exemple le Métatron de Moulis, les mésocosmes aquatiques et mini-lacs du projet investissement d’avenir Planaqua ou l’outil Ecoaquatron Lyon-Rovaltain. Les dispositifs expérimentaux ou d’observation in situ pilotés par l’INEE ont ainsi été labellisés ou sont en cours de labellisation SOERE par ALLENVI (SOERE des Zones Ateliers, SOERE ReNSEE en cours de constitution). Une partie des dispositifs expérimentaux fait partie du projet d’investissement d’avenir AnaEE-Services (2012-2019) où l’INEE et l’INRA joignent leurs compétences pour poursuivre d’une façon coordonnée le développement et l’utilisation de ces dispositifs expérimentaux d’étude des écosystèmes terrestres et aquatiques, à l’échelle française, et participe à la construction d’un consortium européen de platesformes expérimentales (AnaEE Europe). Les outils mis en place par l’INEE à une échelle géographique plus grande et incorporant beaucoup plus directement les activités humaines, tels les Zones Ateliers, regroupées en SOERE, et représentant le volet français des LTER européens et internationaux, et les Observatoires Homme Milieu, regroupés au sein du LABEX DRIIHM, font des outils de l’INEE un ensemble pertinent et parfaitement ancré dans les priorités nationales et internationales en termes de recherche en écologie. Les moyens d’accès à la mer, au travers de l’UMS Flotte Océanographique Française, complète ce panorama (Cf entre autres Ateliers 1, 5, 10, 11, 17, 22). 230 Les dispositifs supplémentaires qu’il faudrait développer concernent : • Une ou des infrastructures de type mésocosmes pour les écosystèmes marins, notamment benthiques, et des salles d’aquarium d’eau de mer courante dans les stations marines (Atelier 11), en complément de la plate-forme MEDIMEER de Sète ; • Renforcer les stations expérimentales in situ manipulant les facteurs environnementaux à fort pouvoir de forçage (par exemple exclusion de pluies, Atelier 5, ou courant) ou permettant l’expérimentation à long terme sur les interactions hommes-milieux (par exemple sur la domestication, Atelier 17) ; • Compléter les sites observatoires instrumentés en particulier en milieu tropical (forêt, savane et milieu marin, Atelier 14), en zone littorale à l’interface terre-mer et en milieu marin profond (Atelier 11), mais également en milieu aquatique d’eau douce (systèmes lotiques), en s’appuyant sur le réseau des zones ateliers ; • Développer ou renforcer des plateformes spécifiques en géochronologie, imagerie, paléogénomique (Atelier 5), des mésocosmes interconnectés en réseaux pour simuler des chaînes trophiques longues, et dans des milieux complexes aux interfaces (Atelier 22). L’investissement important dans de grands dispositifs expérimentaux ou d’observation doit se poursuivre aussi du fait qu’ils constituent des creusets d’interactions entre les disciplines et entre les institutions (Ateliers 11, 17, 22). Ces grands dispositifs sont le moyen pour les équipes françaises de s’insérer dans les réseaux internationaux de recherche ou de ressources (le Marine Biological Resource Center par exemple) (Ateliers 11, 14). Ainsi la Commission Européenne incite fortement à ce qu’il y ait un lien fort entre la programmation de la recherche (Joint Programing Initiatives) et les infrastructures de recherche comme la dynamique ESFRI (« Analysis and Experimentation on Ecosystems » dans notre domaine). Dans ce contexte, il est important que l’INEE fasse reconnaître au niveau du CNRS et du ministère de la recherche la nécessité de plusieurs TGIR (ou IR) en écologie plutôt que de faire rentrer tous ses dispositifs dans une seule et unique IR. Outils de bancarisation La quantité de données naturalistes produites et mises à disposition de la communauté nationale ou internationale augmente de façon considérable, qu’elles soient issues de la recherche, des inventaires (nationaux, régionaux, thématiques), des collections ou encore des sciences participatives. « Explosion de données », « Datavalanche », « Révolution de l’information » sont des expressions qui illustrent bien le sentiment des chercheurs face au défi qu’il faut pourtant impérativement relever (Atelier 1). Ces données sont essentielles pour la connaissance. Il convient donc de coordonner leur collecte, de les organiser, de définir des standards pour favoriser les échanges entre bases de données (thésaurus et ontologies), de connaître les usages qui en seront faits (recherche, expertise, modélisation, gestion d’espèces ou d’espaces, etc.), de les documenter correctement (métadonnées et qualité des données), dans le respect de la propriété intellectuelle et des règles européennes (application de la directive INSPIRE et des normes ISO 19115 et 19139 pour les métadonnées, par exemple). Il convient également de penser leur stockage à court, moyen et long terme, et de faciliter leur partage par la mise en place de portails internet. Ces préoccupations sont apparues comme essentielles et prioritaires (Ateliers 1, 3, 5, 10, 14, 15, 17, 19 et 22). L’INEE a anticipé une partie de ces besoins par la création, avec le Muséum national d’Histoire naturelle, de l’unité de service BBEES « Bases de données sur la biodiversité, écologie, environnements et sociétés », dont un des objectifs est de mettre en réseau les bases de données de recherche au travers du portail http://www.bddinee.cnrs.fr/. Il s’agit également d’apporter un soutien technique et scientifique aux unités et chercheurs, souhaitant structurer, pérenniser et/ ou mutualiser des bases de données, en proposant des solutions déjà appliquées et validées. Le partage de l’expérience est le corollaire de cette action. La création en 2012 du réseau métier « Bases de données », en collaboration avec la Mission des ressources en compétences technologiques (MRCT) du CNRS, devrait là encore répondre à de nombreuses attentes : • Créer un réseau de communication, d’échanges et de projets permettant d’apporter une aide et une dynamique dans tous les domaines techniques nécessaires à la conception, à la réalisation, à l’exploitation ou à l’adaptation optimale des bases de données : veille technologique, entraide technique, prospectives techniques, offres d’emplois, etc. (Ateliers 1, 5, 10, 19) ; • Mettre en place des groupes de réflexions sur les dictionnaires de données (jeux de métadonnées et thésaurus) qui peuvent être utilisés pour la réalisation des bases de données et les mettre à la disposition de la communauté (Ateliers 1, 15, 19) ; • Harmoniser des actions autour des grands projets scientifiques multidisciplinaires dans lesquels une ou plusieurs bases de données jouent un rôle fondamental (Atelier 1) ; • Proposer et organiser des formations permettant à la communauté de maîtriser les meilleures innovations techniques adaptées au contexte de la recherche (Atelier 10) ; • Connaître les forces et les compétences des personnels (statutaires ou contractuels) en réalisant un état des lieux auprès des unités CNRS et proposer un annuaire des compétences au sein du réseau (Atelier 10) ; • Etc. Ce n’est qu’au prix d’une parfaite harmonisation des données, facilitant leur mutualisation et leur possible réutilisation que le travail de traitement, d’analyse (statistique, géomatique etc.) ou encore de modélisation sera rendu optimal. Malgré les avancées récentes, l’investissement de l’INEE dans le domaine des bases de données doit se poursuivre, notamment dans les solutions de stockages et d’archivages (moyens matériels et humains). Le paysage actuel parait en effet extrêmement sombre pour qui veut aujourd’hui trouver une solution claire et stable d’hébergement de sa base de données. L’aide à la mise en ligne des données est également un point fort à ne pas oublier. Il s’agit là d’un véritable enjeu à ne pas rater. 231 prospectives d’avignon Outils d’interactions institutionnelles et d’interdisciplinarité De nombreux ateliers ont exprimé le souhait de voir se développer des outils favorisant les interactions entre l’INEE et d’autres instituts du CNRS (INSB, INSU, INSHS) ou d’autres instituts français (Museum, INRA, IFREMER, IRD, CIRAD, IRSTEA, INRAP). Il s’agit de tirer parti des complémentarités en termes de compétences et d’infrastructures afin de pouvoir répondre d’une façon pertinente aux grands enjeux environnementaux. Il s’agit dans certains cas d’atteindre une masse critique dans certains domaines et souvent dans d’autres cas de développer l’interdisciplinarité. Plus fondamentalement, il faut aussi au travers de collaborations inter-laboratoires, redonner aux chercheurs une curiosité dépassant le champ de leur discipline. Les outils ou actions à mener qui ont été citées sont les suivants : • Soutenir les commissions interdisciplinaires (notamment la CID 52 Environnement et Sociétés) ; • Renforcer les plateformes de production de connaissances interdisciplinaires (Zones Ateliers, Observatoires Homme Milieu) ; • Compléter ces dispositifs sur les biomes les plus critiques vis-à-vis des enjeux environnementaux, et non encore pris en considération dans ces réseaux (ville, montagne, zones agricoles, littoraux, hautes latitudes, milieu marin, sites pollués) ; • Créer des réseaux thématiques transversaux par exemple à l’interface Sciences Humaines – Biologie Santé ; • Inciter à la mise en place entre disciplines de définitions communes, de concepts partagés, de standards et de protocoles harmonisés, • Encourager explicitement l’INEE à soutenir des programmes interdisciplinaires au travers d’appels à projets, écoles thématiques, groupement de recherche, recrutements. Conclusion Ces différents éléments n’ont pas pour objet de recouvrir de manière exhaustive les forces et les enjeux que doit relever l’INEE en termes d’outils. Ils soulignent cependant que l’écologie, « mégascience » en développement, doit avoir, eu égard aux enjeux sociétaux associés aux écosystèmes et à la biodiversité, les moyens de mettre en place ces outils et de recruter le personnel nécessaire. Certains ont comparé l’investissement nécessaire à l’écologie, notamment pour comprendre et maintenir les services écosystémiques, à l’investissement réalisé dans la médecine, l’exploration spatiale ou la défense. Une solution ambitieuse serait par conséquent de mettre en place, à l’instar de ce qui existe dans le domaine des sciences de l’univers avec le corps des astronomes et physiciens, un corps spécialement affecté aux questions de biodiversité et de fonctionnement des écosystèmes tant terrestres que marins. La dynamique engagée en termes d’infrastructures expérimentales et de LTER doit également être poursuivie et sanctuarisée. En effet, les matériaux et les équipements en cours d’acquisition ou programmés dans un futur proche doivent bénéficier d’une jouvence ad hoc pour être opérationnels, et bénéficier des avancées technologiques lorsqu’elles voient le jour. D’autre part, le suivi à long terme des écosystèmes, et la bancarisation performante des données et des échantillons collectés, est un préalable indispensable pour aborder les problématiques relatives au fonctionnement et à la dynamique des écosystèmes dans la durée, et répondre ainsi aux grands enjeux actuels de recherche en écologie. 232 Priorités en Recherche en Ecologie Enquête auprès des Directeurs d’Unité avignon Prospective Coordinateurs : Jérôme Casas & Franck Courchamp Un Institut tel que l’INEE se doit de développer une politique de recherche mêlant résolument les contributions « top-down » et « bottom-up » en matière de choix scientifiques. Ainsi les priorités de recherche peuvent être identifiées à partir d’une stratégie scientifique établie par la direction aussi bien que des besoins exprimés par les chercheurs eux-mêmes, les uns et les autres n’étant pas nécessairement identiques, et très probablement complémentaires. C’est en partant de ce constat qu’il est apparu pertinent de chercher à identifier un certain nombre de questions jugées comme des priorités actuelles pour la recherche en écologie et évolution pour les dix années à venir, telles que ressenties par la communauté des chercheurs de l’INEE. Dans le cadre de l’effort de réflexion sur les prospectives de l’INEE résumées dans le présent rapport, il est apparu opportun de lancer dans ce sens une démarche originale auprès des chercheurs. Fort des expériences acquises lors de plusieurs démarches visant à identifier les futures priorités en Recherches en Sciences de l’Environnement, le Prof. Sutherland (Université de Cambridge, GB) a développé un protocole, relativement simple, qui a été repris aux USA puis au Canada1. La démarche est participative et itérative, s’appuie sur un nombre relativement élevé de participants et permet de dégager un certain nombre de priorités faisant assez largement consensus dans la communauté. Nous nous sommes fortement inspirés de cette démarche afin de dégager un nombre particulièrement restreint de thématiques en recherches sur l’écologie, l’évolution, la biodiversité et les sciences de l’environnement, telles qu’envisagées par les laboratoires de l’INEE. Les exercices de prospective ne manquent pas, aussi bien à l’INEE que dans d’autres institutions. La FRB, par exemple, a mené un exercice semblable entre le colloque de prospective à Rennes et celui d’Avignon. INEE a mené récemment des prospectives plus ciblées, sur les instruments en écologie sur l’écologie chimique ou encore sur l’écologie fonctionnelle. Les rapports sont érudits, de belle facture, mais il est souvent difficile de dégager un petit nombre de thématiques d’un champ disciplinaire vaste, avec des niveaux de priorité. Il est cependant indéniable, à l’instar d’autres communautés scientifiques parfois bien plus larges (voir http://engineeringchallenges.org/), qu’un nombre restreint de priorités à mener de front est un atout. 1 - d’après Sutherland, W. J., M. J. Bailey, et al. (2008). «Future novel threats and opportunities facing UK biodiversity identified by horizon scanning.» Journal of Applied Ecology 45(3): 821-833, Pretty, J., W. J. Sutherland, et al. (2010). «The top 100 questions of importance to the future of global agriculture.» International Journal of Agricultural Sustainability 8(4): 219-236, Fleishman, E., D. E. Blockstein, et al. (2011). «Top 40 Priorities for Science to Inform US Conservation and Management Policy.» BioScience 61(4): 290-300, Rudd, M. A., K. F. Beazley, et al. (2011). «Generation of Priority Research Questions to Inform Conservation Policy and Management at a National Level / Generación de Preguntas de Investigación Prioritarias para Informar a las Políticas y Gestión de la Conservación a Nivel Nacional.» Conservation Biology 25(3): 476-484, Sutherland, W. J., S. Bardsley, et al. (2011). «Horizon scan of global conservation issues for 2011.» Trends in ecology & evolution (Personal edition) 26(1): 10-16, Sutherland, W. J., E. Fleishman, et al. (2011). «Methods for collaboratively identifying research priorities and emerging issues in science and policy.» Methods in Ecology and Evolution 2(3): 238-247. prospective de l’institut ecologie et environnement du cnrs 235 prospectives d’avignon La démarche qui a été suivie cette fois fut de demander aux participants à ce projet d’exprimer 3 priorités, sans ordre, sur un site web conçu à cet effet et financé par l’INEE (http://prospective-ecologie.fr/). Du fait de la structure de cette démarche, il n’était pas possible de prendre en compte l’avis de l’ensemble des acteurs de la recherche de l’INEE, ni même de se restreindre aux seuls chercheurs. Nous avons par conséquent sollicité tous les Directeurs d’Unités de INEE, l’ensemble des membres du Conseil Scientifique ainsi que les Directeurs Adjoints Scientifiques de l’INEE, soit un total de plus de 150 personnes. Pour des raisons de simplification de gestion et des délais impartis, il n’était pas souhaité que tous les chercheurs participent et l’adresse du site n’a pas été diffusée au-delà de cette liste initiale. Cependant, les Directeurs d’Unité étaient encouragés, s’ils le souhaitaient, à faire remonter des questions en provenance des membres de leur Unité, selon les modalités qui leurs conviendraient. Les questions se devaient d’être de préférence d’ordre hypothético-déductif et de respecter les six règles suivantes : 1. On doit pouvoir y répondre, au moins partiellement, grâce à des expérimentations/modélisations faisables. 2. Les questions permettent des réponses factuelles hors de tout jugement de valeur. 3. Elles ciblent des questions et domaines où la recherche doit être importante et le manque de savoir criant. 4. Elles concernent un domaine spatial et temporel permettant de les aborder par quelques équipes. 5. Les questions doivent être formulées de manière spécifique, en évitant le généralisme, comme par exemple « sauvegarder un maximum de biodiversité », et formulées en évitant que les réponses soient « ça dépend », « oui » et « non ». 6. Les questions doivent être suffisamment modernes et visionnaires pour qu’un esprit de « conquête ambitieuse » puisse émerger. Le taux de réponse de la part des personnes ciblées a été plus faible qu’attendu (41 personnes sur 155 sollicitées), ce qui a empêché le développement d’un processus itératif de sélection d’un nombre finalement restreint de questions faisant consensus dans la communauté. Les 124 questions obtenues ont cependant permis de dégager un certain nombre de points particulièrement intéressants, qui sont brièvement exposés ici. En premier lieu, il est important de souligner que les questions posées par les participants étaient généralement peu spécifiques, peu d’entre elles concernant des questions restreintes sur des problématiques précises. L’ensemble couvrait de plus un champ très vaste, avec relativement peu de sujets « à la mode », et avec beaucoup de diversité, tant thématique que de catégorielle (y compris au sein des trois questions de chaque participant). Quelques exemples typiques de ces questions ont été reportés dans la table ci-après. Ces exemples illustrent le fait que certaines de ces questions se portaient sur un plan de changement de paradigme, soulignant que la progression des connaissances s’accompagne souvent d’une évolution des points de vue, nécessitant parfois d’envisager une reconsidération de nos schémas de pensée. A l’autre extrême, des besoins se sont fait sentir sur des questions beaucoup plus pratiques, d’ordre organisationnel, propres ou non aux spécificités fonctionnelles des chercheurs du CNRS. Entre les deux, une majorité de questions de compréhension des systèmes écologiques et évolutifs, y compris en intégrant, probablement plus qu’il y a une décennie, les diverses dimensions humaines et sociétales. Au sein des questions portant sur la compréhension de nos objets d’étude, il ressort également de cet exercice 2012 une grande diversité de thématiques, comme illustré par le nombre important de mots clés utilisés le plus fréquemment (Figure 1). En particulier, un besoin s’est fait très clairement sentir sur les thématiques de la biodiversité (biologie de la conservation, notion d’anthropocène), de l’impact des changements globaux sur celle-ci (notamment des changements climatiques et des invasions biologiques), de son adaptation à ces changements (concepts de résilience, d’épigénétique, d’hérédité non-génétique, de plasticité phénotypique…) et sur les interactions entre la biodiversité et les activités humaines (écosystèmes urbains, écosystèmes et santé, agroécosystèmes et développement durable, sciences participatives…). A noter l’absence ou quasi-absence de mots- 236 clés jusqu’à récemment assez courant dans nos domaines, comme les termes en « –omique », le chaos, le sexe, pour n’en citer que trois à la mode dans les décennies passées. Peut-être ceux-ci ont été remplacés par les deux nouveaux venus que sont changement climatique et l’épigénétique ? Questions de paradigme Face aux récentes avancées notamment en épigénétique, faut-il reconsidérer notre vision «gène centré» de l’évolution ? L’étude de l’écologie peut-elle s’affranchir de celle des sociétés humaines ? Comment redéfinir une vision du monde commune aux sciences environnementales et sociales qui intègrent les modifications anthropiques actuelles des contextes évolutifs et écologiques? Questions de compréhension Quels sont les propriétés émergentes des systèmes éco-évolutifs? Quelles sont les conséquences écologiques et évolutives de l’érosion de la biodiversité? Comment évaluer et rendre compte des services rendus par la biodiversité et les écosystèmes, en dépassant toute forme de monétarisation ? En quoi la santé des écosystèmes détermine t-elle la santé humaine, en particulier dans les milieux riches en pathogènes? Quelles sont les limites de la capacité des organismes et des écosystèmes à l’adaptation aux changements globaux? Quelle est la nature et le poids des mécanismes épigénétiques participant à l’évolution adaptative? Comment les représentations que les sociétés se font de la biodiversité et de l’environnement permettent-elles de mettre en oeuvre des politiques de développement durable réalistes? Questions d’organisation Comment gérer et rendre accessibles et utilisables de très grands jeux de données hétérogènes comme il en existe en écologie ou dans le domaine de la biodiversité? Comment développer la nouvelle génération d’équipements et d’instruments pour mieux comprendre le fonctionnement des systèmes écologiques? Comment rendre compatible le financement de la recherche et la poursuite de projets ambitieux, à long terme et ou à grande échelle? Table I : exemples de questions clé en écologie proposées par les participants de l’INEE Figure 1 : principaux mots-clés utilisés dans les questions primordiales pour les dix prochaines années en écologie, telles que proposées par les participants de l’INEE. La disposition des mots est aléatoire et n’a aucune signification particulière, si ce n’est d’illustrer qu’elles se rapportent, globalement et collectivement, à une meilleure compréhension de la biosphère. La taille des mots clés est proportionnelle à leur fréquence d’utilisation dans l’ensemble des questions (mais est reprise de manière fractale, et les mots clés les plus fréquents se retrouvent donc également illustrés en petite taille). 237 prospectives d’avignon Après un agencement par niveaux de généralité, l’ensemble de ces propositions apparaît comme appartenir à six grandes thématiques de questionnements que l’on peut eux-mêmes regrouper dans trois catégories (Figure 2). La première se rapporte directement à la compréhension et l’identification de la biodiversité, aussi bien du point de vue taxonomique que du point de vue structurations spatiale et fonctionnelle ainsi qu’à à la complexité inhérente aux besoins d’intégrations de processus multi-échelles (spatial, temporel, structurels,…). Dans la seconde catégorie, de très nombreuses questions concernaient l’évaluation (et la valorisation, dans les deux sens du terme) de la biodiversité (sous ses différentes dimensions) et des écosystèmes qu’elle constitue, afin d’en optimiser la gestion (par l’exploitation, aussi bien que par la conservation). Pour ce faire, il semble essentiel, sous diverses formulations, d’être mieux en mesure de prédire l’impact des changements environnementaux globaux afin d’en mitiger l’impact sur la biodiversité, sur le fonctionnement des écosystèmes et sur les services qu’ils procurent aux sociétés humaines. Enfin, au sein d’un troisième grand type de questions, il a été maintes fois suggéré que l’étude de l’écologie peut aujourd’hui difficilement s’affranchir des composantes humaines et sociétales, à différents niveaux, et qu’il est par conséquent essentiel de mieux intégrer les études biologiques, écologiques et celles centrées sur les sciences humaines et sociales. De manière connexe, quelques questions se rapportaient aux moyens à mettre en œuvre pour adapter nos méthodes et outils de recherche à ces problématiques clairement en évolution. Figure 2 : Les six grands thèmes émergeants des 124 questions proposées par les participants, en trois grands volets qui sont (1) comprendre les processus écologiques et évolutifs et les éléments qui la composent, à différentes échelles, (2) construire des systèmes pour évaluer, valoriser, projeter et gérer le fonctionnement et les services des écosystèmes, notamment dans un contexte d’anthropisation exacerbée et (3) mieux intégrer la dimension humaine dans les recherches, en tant que facteur aussi bien qu’en tant qu’acteur. Bien qu’initialement programmé pour être un processus plus largement participatif et résolument itératif, l’évolution de la méthodologie de mise en lumière des questions clés, imposée par le nombre finalement limité de participants, a permis de faire émerger une vision dynamique et très diversifiée des questions qui importent à la communauté des chercheurs de l’INEE pour la prochaine décennie. Une analyse plus fine des résultats bute sur la trop faible participation, qui est une spécificité non retrouvée dans les exercices équivalents dans les autres pays. Nous retiendrons cependant que le caractère dynamique et diversifié est probablement l’un des atouts affiché de cet Institut au sein du CNRS, ce qui en fait actuellement sa richesse, et ce qui en fera à nouveau, espérons-le, le succès pour la décennie à venir. 238 liste des ateliers • éCOLOGIE PRéDICTIVE ET CHANGEMENT PLANéTAIRE (ATELIER 1 LA MODéLISATION DU CONCEPT A L’OPéRATIONNEL) • GéNOMIQUE (ATELIER 2) • POUR UNE éCOLOGIE GLOBALE (ATELIER 3) • CHANGEMENT GLOBAL - ORGANISME - éCOSYSTèME - HUMAIN (ATELIER 4) • éVOLUTION HUMAINE BIOLOGIQUE ET CULTURELLE (ATELIER 5) • HéRéDITé GéNéTIQUE ET NON GéNéTIQUE, VERS UNE GéNéRALISATION DE LA THéORIE DE L’éVOLUTION (ATELIER 6) • éCOLOGIE, éVOLUTION, SANTé ET BIODIVERSITé (ATELIER 7) • SANTé et SOCIETé (ATELIER 8) • SERVICES éCOSYSTéMIQUES, REPRéSENTATION DE LA NATURE ET DE L’ENVIRONNEMENT (ATELIER 9) • INTeRACTIONS ET RéTROACTIONS , RôLE DE LEUR éCOLOGIE ET éVOLUTION DANS LE FONCTIONNEMENT DES éCOSYSTèMES (ATELIER 10) • LA MER (ATELIER 11) • éCO-éVO-DéVO -PALéO (ATELIER 12) • SEXE ET éVOLUTION (ATELIER 13) • éCOLOGIE TROPICALE (ATELIER 14) • SYSTéMATIQUE, PHYLOGéNIE (ATELIER 15) • SYSTèMES CULTURELS, STRATéGIES ET PRATIQUES D’EXPLOITATION, DE CONTRôLE ET DE GESTION DES ENVIRONNEMENTS (ATELIER 16) • DOMESTICATION, AGROBIODIVERSITé (ATELIER 17) • SOCIO-éCOSYSTèMES URBAINS (ATELIER 18) • ENVIRONNEMENTS QUATERNAIRES NON ANTHROPISéS OU PEU ANTHROPISéS ; INTeRACTIONS HOMME-CLIMAT - ENVIRONNEMENT SUR LE LONG TERME (ATELIER 19) • PRIORITéS EN RECHERCHE EN éCOLOGIE (ATELIER 20) • PROSPECTIVE PRIORITéS EN RECHERCHE EN éCOPHYSIOLOGIE ANIMALE (ATELIER 21) • PROSPECTIVE PRIORITéS EN RECHERCHE EN éCOTOXICOLOGIE (ATELIER 22) 240 Mai 2013 Illustrations : Romuald Maurel - Crédit photos atelier 19 : P. Antoine - P. Bertran - A. Gauthier - N. Limondin-Lozouet