L`avenir des structures de l`exploitation agricole A propos de la loi n
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L`avenir des structures de l`exploitation agricole A propos de la loi n
L’avenir des structures de l’exploitation agricole A propos de la loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014 Benoît Grimonprez Faculté de droit de Poitiers Institut de législation et d’économie rurale « Le commencement est plus que la moitié du tout ». Aristote, Ethique de Nicomaque L'avenir devant soi. Après de longs mois de gestation, la loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt est enfin parue au journal officiel, un beau matin d'automne, le 13 octobre 2014. Confectionné et discuté loin des cercles juridiques – c'est une mauvaise habitude -, le texte mérite à présent l'analyse froide, critique et méticuleuse de son contenu. Comme me l'ont demandé les gentils organisateurs de ce colloque, je m'intéresserai à l'aspect de la réforme intéressant les structures de l'exploitation agricole. Structuralisme. Je ne peux m'empêcher, en préambule, de formuler deux remarques terminologiques sur le sujet. La première est que le terme de « renforcement », ayant servi à intituler les commentaires des autres pans de la loi (le contrôle des structures, la SAFER...), a été ici soigneusement évité. Pour cause, ce n'est pas la force des dispositions nouvelles qui ébranle, mais plutôt leur faiblesse ! La seconde remarque concerne l'expression de « structures de l’exploitation ». Je citerai, parce qu'on est en terres toulousaines, l'éminent ruraliste Paul Ourliac qui disait que : « penser en terme de structure, c'est rompre avec l'apparence ou l'accidentel »1. Les structures sont les éléments tangibles et durables, tels les murs et les poutres, qui font tenir l'édifice debout. Juridiquement parlant, elles représentent les instruments grâce auxquels s'organisent les entreprises agricoles : on songe évidemment aux liens au foncier (baux), mais aussi aux habits que revêtissent les exploitations sous formes individuelles ou collectives (sociétés). La belle endormie. Hélas la lecture de la version finale de loi confirme l'impression initiale : l’exploitation agricole est la grande oubliée de nos planificateurs. La moisson très maigre et les textes de mauvaise qualité sont des signes qui ne trompent pas. La loi d'avenir gravite en permanence autour des unités de production (insistant sur la performance des filières (titre 1er), la protection des espaces (titre 2)), mais ne consacre que peu de développements à leur structure interne. Amer constat que de voir le cœur du droit rural resté si loin des yeux du législateur. Il est pourtant légitime de se demander s'il n’y avait pas matière à légiférer dans ce domaine. Les besoins sont-ils absents ? La mécanique du droit de l'exploitation parfaitement huilée et efficace ? Qu'il soit permis d'en douter. Loin de moi l'idée que c’est à la loi de tout régler 2, mais quitte à ce qu’elle s’occupe de la paille des mots, au moins pourrait-elle traiter du grain des choses. 1 P. Ourliac, « Le contrôle des structures » : RD rur. 1981, p. 229. 2 Je fais volontiers mienne la théorie du « non-droit » du Doyen Carbonnier. Exploitation agricole du passé. Le statut de l’exploitation agricole a été élaboré à partir d’une photographie prise au milieu du XXème siècle : l’exploitation agricole de type familial et productiviste. Ces deux caractères ont irrigué l’ensemble de la politique agricole actuelle et façonné les instruments juridiques en vigueur. Ces traits traditionnels ont peu à peu été gommés de la figure moderne de l’exploitation. La référence à la famille s’est diluée au fil du temps, pour presque disparaître, non pas du Code rural, mais des diverses réformes3. Même si l'exploitation continue à rester « une affaire de famille »4, cette composante sociologique n'est plus forcément la boussole orientant notre système juridique. Quant au productivisme, qui a longtemps conduit le développement des exploitations5, il est aujourd'hui remis en cause par les récentes réformes de la PAC et un droit environnemental en pleine croissance 6. Ainsi la logique voudrait-elle que les outils juridiques d’hier, forgés à partir de schémas dépassés, ne conviennent plus aux objectifs de demain. Exploitation agricole de demain. La réflexion est d'autant plus vraie que la loi d’avenir se vante d’opérer une véritable révolution de la politique agricole à qui elle assigne de nouvelles finalités (CRPM, art. L. 1, I et II) 7. Il s’agit d’abandonner l'ancien modèle pour lui substituer une référence nouvelle, placée sous le signe de l’agro-écologie. Pour les auteurs du texte, l’objectif n’est rien moins que de définir l’agriculture du XXIème siècle qui, dans leur vision, est celle alliant la triple performance, économique, écologique et sociale. La voie qui est tracée suppose, d'un côté, de préserver, voire d'améliorer la compétitivité des entreprises pour leur permettre de survivre sur un marché de plus en plus concurrentiel. De l'autre, les exploitations sont incitées, dans un monde fini, à prendre le chemin de la transition écologique, qui passe par une redéfinition des rapports de la culture à la nature. Enfin la dimension sociale de cette politique s'évertue à redonner aux hommes et aux territoires la place qu'ils doivent continuer à occuper. Après les deux tournants politiques majeurs des années 1880 et des années 1960 8, la conclusion d'un troisième pacte entre l'agriculture et la société se dessine à travers le projet agro-écologique. Contre-performances ? Si j'adhère pour ma part complètement aux orientations choisies, le sujet qui me préoccupe est de savoir si ce changement de paradigme s'est traduit, techniquement, au niveau des structures de l'exploitation agricole. Je pose la question qui fâche : a-t-on réformé le droit de l'exploitation rurale pour qu'elle devienne, à terme, véritablement agro-écologique ? Car le pari, ce me semble, en travaillant sur les structures juridiques est bien d'agir sur les structures mentales. 3 La préservation du caractère familial de l’agriculture est énoncée comme une finalité, parmi beaucoup d’autres, de la politique agricole (CRPM, art. L. 1, I, 3°). Cet aspect est d’ailleurs complètement occulté par le présent texte. 4 B. Hervieu et F. Purseigle, Sociologie des mondes agricoles, Armand Colin, 2013, p. 143. 5 Et une importante part de la population agricole hors des champs. 6 « Evaluation de la politique de développement agricole », Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux (CGAAER), Rapp. n° 13059, 15 mai 2014. 7 Dont, au passage, on peut souligner le caractère « fourre-tout » qui fait perdre de sa pertinence à ce livre Préliminaire. 8 B. Hervieu et J. Viard, L'archipel paysan. La fin de la république agricole, Ed. de l'Aube, 2011, p. 50 et s. Sans faire de mauvais esprit, j'ai voulu prendre le législateur au pied de la lettre. Comme on pouvait s'y attendre, les mesures prises sont loin de correspondre aux enjeux. Le législateur nous propose uniquement des retouches ponctuelles, largement anecdotiques. Toutefois, pour ne pas paraître trop injuste, j'insisterai plus sur les défauts de la loi – il y en a ! – que sur ce qui lui fait défaut. Conformément à la méthode esquissée, je vais reprendre une à une les mesures en essayant de les replacer dans le cadre de la triple performance : économique (I), environnementale (II) et sociale (III). I. La performance économique Les dispositions à tonalité économique sont les plus remarquables. Les modifications restent néanmoins modestes, sans rien comporter de révolutionnaire. Les GAEC devaient subir un toilettage pour sortir de l’ombre et officiellement entrer dans la transparence (A). Les baux ruraux sont également revisités par le législateur socialiste qui, au mieux améliore légèrement leur régime, au pire le détériore (B). A. Des GAEC plus transparents Transparence nationale. La France peut dire qu’elle a sauvé ses GAEC. Malgré leur lente érosion, ces formes sociétaires continuent de séduire de nombreux agriculteurs, surtout dans le domaine de l’élevage9. Sur arrière-fond de droit européen, le statut de ces sociétés d'exploitation évolue pour se mettre à la page des nouveaux critères de transparence, dont l’importance va redoubler avec l’allocation des aides de la PAC réformée10. Depuis leur création par la loi du 8 août 1962, les GAEC jouissent d’une faveur, dénommée principe de transparence, permettant à leurs associés de bénéficier des mêmes avantages juridiques, sociaux et fiscaux que les chefs d’exploitations individuels (CRPM, art. L. 323-13). Techniquement, les GAEC peuvent ainsi prétendre à une multiplication des seuils et des plafonds d’aides économiques par le nombre de leurs associés 11. En contrepartie de ces avantages, le Code rural soumet ces groupements à des contraintes spécifiques (obligation de travailler effectivement) et à un contrôle étroit (l’agrément) de la part de comités paritaires. Opacité européenne. Exclusivement édictée au plan national, la transparence a pendant longtemps été tolérée par la Commission européenne. Celle-ci acceptait de traiter comme des exploitants individuels les associés de GAEC dont les exploitations préexistantes avaient été regroupées. Un tel régime restait néanmoins dépourvu de base juridique au niveau de la politique agricole commune. Aussi dans un arrêt du 14 mars 2013, la Cour de justice de l’Union européenne a-t-elle déclaré illégale la tolérance française au motif 9 J.-L. Chandelier, « Les GAEC à un tournant ? », RD rur. 2008, dossier 29. On recensait, en 2013, 37 000 GAEC réunissant 85 000 associés. 10 Tout particulièrement, en ce qui concerne le « paiement redistributif » visant à soutenir les cinquantedeux premiers hectares. 11 Des « parts PAC » ont ainsi été octroyées aux associés, dans la limite du nombre d’exploitations préexistantes regroupées, avec un plafond de trois parts. qu'elle ne figurait pas dans les règlements 12. Pour les juges de l’Union, un groupement d’agriculteurs doit, au regard des dispositions de la PAC, être considéré comme un producteur unique. La décision a sonné, à l'époque, comme le glas du GAEC. Cependant la France a pesé de tout son poids politique sur la Commission pour conserver le principe de transparence, qui a fini par être officiellement inscrit dans les nouveaux textes de décembre 2013 réformant le régime des paiements directs aux agriculteurs. Ainsi le règlement (UE) n° 1307/2013 du Parlement et du Conseil du 17 décembre 2013 dispose désormais, en son article 8. 4, que « dans le cas d'une personne morale ou d'un groupement de personnes physiques ou morales, les États membres peuvent appliquer le taux d'ajustement visé au paragraphe 1 au niveau des membres de ces personnes morales ou groupements lorsque la législation nationale attribue aux membres individuels des droits et des obligations comparables à ceux des agriculteurs individuels qui ont le statut de chef d'exploitation, en particulier en ce qui concerne leur statut économique, social et fiscal, pour autant qu'ils aient contribué à renforcer les structures agricoles des personnes morales ou des groupements concernés ». La reconnaissance de la transparence a donc été obtenue au prix de certaines exigences nouvelles à traduire dans notre droit national. La loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014 transcrit, dans le Code rural, les évolutions de l’ordre juridique européen. D'emblée on remarque que le législateur a refusé d'étendre la transparence aux formes sociétaires autres que les GAEC. Ils sont les seuls à pouvoir profiter de la faveur. Tous les GAEC cependant n’y ont pas droit. Selon le nouvel article L. 323-13 du Code rural et de la pêche maritime, « ce principe ne s’applique qu’aux GAEC totaux et dès lors que les associés ont contribué, par leurs apports en nature, en numéraire ou en industrie, à renforcer la structure agricole du groupement dans des conditions définies par décret ». Apanage du GAEC total. Les GAEC éligibles à la transparence (économique et fiscale) sont uniquement les GAEC totaux. Le qualificatif de « total » s’applique aux groupements dans lesquels l’ensemble des activités agricoles des associés sont mises en commun13. A l’inverse, sont dits « partiels » les GAEC dans lesquels certaines activités des membres sont exercées à l’extérieur de la société14. Il a cependant fallu réécrire les articles du Code dans la mesure où le droit français n’a pas la même définition de l’activité agricole que le droit européen. Sur ce point névralgique en effet, la langue fourche toujours ; d’où certains débats ubuesques, comme celui sur les « agriculteurs actifs » (qui est un pléonasme en droit français !). Mais comment s'en offusquer quand on sait que le droit français lui-même n’est jamais arrivé à fusionner ses diverses conceptions de l'agriculture15 ! 12 CJUE, 14 mars 2013, aff. C-545 11, Agrargenossenschaft Neuzelle eG c/ Landrat des Landkreises OderSpree : RD rur. 2013, comm. 136, note D. Gadbin. 13 Par exception, le GAEC pouvait autrefois rester total même si les membres exerçaient en dehors du groupement des activités de préparation et d’entraînement des équidés domestiques en vue de leur exploitation (CRPM, art. L. 323-2, al. 2). La dérogation a été supprimée par la loi d’avenir. 14 Sachant qu’un même « GAEC ne saurait être total pour certains des associés et partiel pour d’autres » (CRPM, art. L. 323-2). 15 Entre la définition « rurale », celle fiscale, sociale, ou encore du droit de l’urbanisme… Très concrètement, l’article L. 311-1 du Code rural qualifie d'agricoles les actes relatifs à la maîtrise et l’exploitation d’un cycle biologique (agricoles par nature), mais aussi les activités se situant dans le prolongement de la production ou ayant pour support l’exploitation (agricoles par rattachement), sans oublier les cultures marines, et certaines activités équestres et énergétiques (méthanisation) (agricoles par détermination de la loi). Il n’en va pas de même dans le règlement européen n° 1307/2013 du 17 décembre 2013 qui, par « activité agricole », entend seulement les actes de production (élevage, récolte, traite…), ainsi que le maintien de surfaces agricoles en état de culture (art. 4, 1°, c). Il s’ensuit que des activités réputées agricoles en droit français, par accessoire ou détermination de la loi, ne le sont pas pour les textes européens16. Le législateur a dû, en conséquence, corriger la rédaction de l’article L. 323-2. Le texte précise maintenant, en son alinéa premier, que le GAEC total est celui dans lequel seules les activités agricoles de production des associés, ainsi que les cultures marines, sont accomplies intégralement au sein de la structure. La loi autorise néanmoins le GAEC à compléter, dans son objet, le partage d'activités agricoles par nature par la mise en commun d'autres activités agricoles, par relation ou détermination de la loi (CRPM, art L. 323-2, al. 2)17. Il est alors défendu, pour les associés d’un GAEC total, de se livrer, en dehors du groupement, à la moindre activité agricole par nature, ainsi qu'aux activités agricoles par rattachement pratiquées par la société. L'occasion a d'ailleurs été saisie pour supprimer la dérogation qui autorisait les associés d'un GAEC créé avant le 24 février 2005 à s’adonner, de leur côté, à des activités équestres. Dorénavant, les activités d'entraînement et de préparation des équidés développées par certains membres ne sont possibles à l'extérieur du GAEC que si le groupement ne s'y livre pas. En sus, et conformément à une demande de la profession, il est prévu qu’un GAEC total puisse, sans perdre sa qualité, participer à des unités de méthanisation agricole en tant qu'associé d’une autre société (CRPM, art L. 323-2, al. 5). La mesure conjure le risque qui existait de voir le groupement dégénérer en GAEC partiel au motif que ses membres participent, dans une autre structure, à une activité de méthanisation réputée agricole18. Contribution au renforcement économique de la société. La transparence du GAEC total est dorénavant conditionnée par la contribution au renforcement de la structure agricole, dont l’article L. 323-13 dit qu’elle peut prendre la forme d’apports en nature, en numéraire ou en industrie. L’accent mis sur la contribution de l’associé au renforcement du GAEC, s’il n’est pas d’emblée évident à comprendre, devrait quoi qu’il en soit grandement faciliter l'accès à la transparence. Il faut rappeler qu’autrefois la transparence était cantonnée aux hypothèses de regroupements d’exploitations autonomes préexistantes19 : l’attribution d’une part d’aide économique était subordonnée à l’apport 16 Et à l’inverse que des comportements passifs (comme la conservation de parcelles en état de culture), considérés comme agricoles par les règlements, n’ont pas droit à cette qualification en droit national. 17 Faculté qui n’est d’aucune façon une obligation. 18 En ce sens : Circ. DGPAAT/SDEA/C. 2011-3032, 27 avr. 2011. 19 Condition exigée jusque-là par la Commission européenne pour les GAEC constitués après le 1 er juillet 1992 pour leur appliquer la transparence économique. par l’associé d’une surface équivalente à au moins une SMI 20. Pour prendre un exemple, une EARL entre époux qui, après 2010, s’était transformée en GAEC sans augmenter son potentiel de production ne pouvait pas prétendre à autant de parts économiques que d’associés21. « GAEC pour tous ». La « contribution au renforcement de la structure » s’annonce comme beaucoup plus souple, pour prendre en compte la diversité des productions et tous les types d’apports : apport d’un bien ou d’une somme d’argent, voire d’une certaine quantité de travail (industrie) ayant permis une croissance de l'exploitation22. L’ensemble des exploitants actifs du GAEC, et notamment les couples, devraient donc enfin être officiellement reconnus23. On doit cependant se référer au décret d’application de la loi pour connaître, avec plus de précisions, les critères (fonciers, économiques, professionnels) retenus pour l’application de la transparence. Il est laissé un an, à compter de la publication de la loi, aux GAEC totaux déjà existants pour faire leur demande de réexamen du nombre de parts économiques qui leur ont été attribuées24. Sur la question de savoir si seront éligibles à la transparence les nouveaux GAEC nés de la transformation d’autres types de sociétés25 (EARL par exemple), la réponse semble positive. Rien dans les textes ne s'y oppose. L’administration, par la voix du ministre, a dit qu’elle y était également favorable, ce qui ne l’empêchera pas de vérifier la réalité de la contribution économique de chaque associé (à travers sa qualité de chef d’exploitation, l’effectivité de son travail et l’adéquation du nombre d’associés avec la taille de l’exploitation commune : CRPM, art. L. 323-11). Les procédures de transformation uniquement motivées par l’appât du gain devraient donc trouver des obstacles sur leur route. Agrément administratif. Une autre page se tourne également, celle des comités départementaux ou régionaux d’agrément jusqu’alors en charge de la reconnaissance des GAEC, des dérogations et dispenses de travail accordées aux associés. La réforme fusionne les deux procédures - de reconnaissance de la transparence économique et d’agrément du GAEC26 –, et en transfère la compétence à l’autorité administrative : c’est désormais le préfet qui se prononce après avis de la commission départementale d’orientation agricole (CDOA) (CRPM, art. L. 323-11). L’avantage est que la transparence de chaque apport découlera en principe automatiquement de l’agrément de la société. En revanche, les représentants des agriculteurs de groupe s'émeuvent déjà de 20 Circ. DEPSE/SDSA/C95, n° 7045 et Circ. DPE/SPM/C95 n° 4024, 29 déc. 1995. 21 Souvent la femme, arrivée dans la société de son mari sans exploitation préexistante, n’était pas censée avoir apporté quelque chose de plus à la structure et ne bénéficiait donc pas d’une part économique ! 22 Rép. min. n° 52510 : JOAN Q 20 mai 2014, p. 4031. 23 Rien ne justifie plus de toujours plafonner à trois associés le nombre de parts économiques. 24 L. n° 2014-1170, 13 oct. 2014, art. 93, XXII. Les GAEC existants situés en zone défavorisée font l'objet d'un réexamen systématique de leur situation par l'administration si le nombre de parts économiques pour l'accès aux aides PAC est inférieur au nombre de parts octroyés pour les indemnités compensatoires de handicaps naturels (ICHN). 25 Perspective qui a de quoi séduire les EARL entre époux. 26 CRPM, art. L. 323-11 : « Lorsqu'elle délivre un agrément, l'autorité administrative décide des modalités d'accès des membres du groupement aux aides de la politique agricole commune, en application de l'article L. 323-13 ». ce que les décisions ne relèvent plus d’un organisme paritaire ; ils craignent moins d’approfondissement de l’examen des dossiers et de prise en compte des réalités socioéconomiques. L'intervention décisive des CDOA, avec des sous-commissions spécialisées en leur sein27, devrait dissiper ces craintes. Toujours sur le front économique, la loi d'avenir tente, mais sans véritable « allure », d'améliorer les rapports locatifs. B. Des rapports locatifs revisités28 Indemnité due au preneur sortant. Deux modifications, qui ont leur importance pratique, portent sur le régime de l’indemnité due au preneur sortant qui a amélioré le fonds (CRPM, art. L. 411-71, 3°). Une première retouche concerne le délai pendant lequel le fermier peut faire valoir sa créance. Il n’existait pas, avant l’intervention de la loi du 13 octobre 2014, de prescription spécifique en la matière : d'où l’application du délai de 5 ans de droit commun à l’ancien fermier qui entreprend d’agir (C. civ., art. 2224, réd. L. n° 2008-561, 17 juin 2008). Or cette durée est apparue trop longue car source d'insécurité juridique pour les parties qui mettent fin à leur relation. Aussi la loi at-elle décidé d’enfermer l’action du preneur29 sortant dans un délai de douze mois à compter de la fin du bail, à peine de forclusion (CRPM, art. L. 411-69, al. 5) 30. Le temps semble raisonnable pour pouvoir estimer la nature et l’importance des améliorations réalisées. Une seconde disposition revient sur l'appréciation des améliorations, problème qui fait figure pour les plaideurs de « nœud gordien du procès »31. Il incombe au fermier d'apporter la preuve des améliorations (C. civ., art. 1315), en théorie par la comparaison de l’état des lieux d’entrée et de celui de sortie. Or il arrive souvent, qu’en dépit des prescriptions de la loi (CRPM, art. L. 411-4), aucun état des lieux précis n’ait été dressé au début de la jouissance. C'est la raison pour laquelle l'article R. 411-15 du Code rural et de la pêche maritime considère que la preuve des améliorations peut résulter de tout autre moyen de preuve admis par le droit commun. Apparemment mal aiguillé, le législateur a cru déceler dans la jurisprudence – des juges du fond – une remise en cause de la liberté de la preuve 32. D'où l'enrichissement de 27 Avec une moitié de professionnels agricoles et une autre de personnels de l’administration. 28 Sans développer, on précisera que la loi d’avenir ayant supprimé la surface minimum d’installation (SMI), la nouvelle référence à laquelle renvoient les articles L. 411-39, al. 3 (surfaces échangeables), L. 411-40 (baux annuels) et L. 412-5 (droit de préemption du fermier) est le seuil de surface agricole utile régionale moyenne prévu à l’article L. 312-1 du Code rural et de la pêche maritime. 29 Mais pas celle du bailleur qui réclamerait une indemnité pour dégradation du fonds (CRPM, art. L. 411-72). 30 Initialement de six mois, le délai a été allongé à douze mois. Un amendement avait même proposé de calquer le délai pour agir en indemnisation sur le délai d’un mois prescrit pour établir l’état des lieux d’entrée en jouissance (CRPM, art. L. 411-4). Beaucoup trop bref, ont estimé les parlementaires, pour pouvoir réellement apprécier les améliorations apportées au fonds (certains territoires pouvant, pendant cette courte période, être recouverts de neige !). 31 B. Mandeville et C. Varlet-Angove, « Une conception plus restrictive de l'indemnité au preneur sortant » : http://www.lmca-avocats.com/images/stories/publications/Intervention%20experts%20septembre %202010%20-%20Une%20conception%20plus%20restrictive.pdf 32 CA Amiens, 24 nov. 2009, RG n° 07/05277, Langlois de Septenville c. Deloraine. l'article L. 411-71 du Code rural qui précise désormais que « le montant de l'indemnité peut être fixé par comparaison entre l'état du fonds lors de l'entrée du preneur dans les lieux et cet état lors de sa sortie ou au moyen d'une expertise. En ce cas, l'expert peut utiliser toute méthode lui permettant d'évaluer, avec précision, le montant de l'indemnité due ». L’ajout de cette disposition appelle deux réserves. La première est que ces prescriptions ne sont d’aucune réelle utilité. Depuis 1982 en effet, la Cour de cassation accueille, à titre de preuve des améliorations, toutes sortes de méthodes d'évaluation, comme la comparaison entre les rendements et la qualité des sols des cinq premières années du bail et ceux des cinq dernières années33. A propos des fumures et arrièresfumures, la jurisprudence a même formellement validé la théorie dite des bilans 34, et ce encore dans un arrêt de principe du 17 décembre 201335. Rien en vérité n’obligeait la loi à se faire ici plus exhaustive. La seconde réserve est que le texte, par souci de précision, remet en cause le principe de liberté de la preuve ; car jusque-là, les juges appréciaient souverainement les éléments qui leur étaient soumis, sans être tenus d’ordonner une expertise36. La loi dit maintenant le contraire, restreignant à deux les moyens de prouver la plus-value apportée au fonds : à défaut de pouvoir comparer les états des lieux, l’expertise est de rigueur37. Pas-de-porte : répétition majorée d’un nouveau taux d’intérêt. La loi d’avenir amende très légèrement le régime des pas-de-porte illégalement versés à l’occasion d’un changement d’exploitant en faire valoir-indirect. On sait qu’outre des sanctions pénales, la pratique donne lieu à répétition des sommes perçues par le bailleur ou le preneur sortant (CRPM, art. L. 411-74). Le montant du remboursement est majoré d’un intérêt calculé à compter de son versement, et qui est désormais « égal au taux de l'intérêt légal mentionné à l'article L. 313-2 du code monétaire et financier (soit le taux de droit commun) majoré de trois points »38. Il faut se souvenir que la précédente version de l’article L. 411-74 mentionnait un intérêt « égal au taux pratiqué par la caisse régionale de crédit agricole pour les prêts à moyen terme », mais que la disposition avait été déclarée contraire à la Constitution comme portant atteinte au droit de propriété 39. Le vide qui existait sur ce point depuis le 1er janvier 201440 est à présent comblé. Doublement de la mise à disposition. Les opérations de mise à disposition voient leur 33Cass. 3e civ., 26 janv. 1982 : Rev. loyers 1982, p. 244 ; Gaz. Pal. 1983, 1, 220, note Le Petit et Challine ; JCP N 1982, II, p. 179, n° 5, obs. J.-P. Moreau ; Cass. 3e civ., 7 juill. 1993 : Bull. civ. 1993, III, n° 110 ; JCP G 1994, II, 22234, note P. Ourliac : comparaison des cheptels et techniques de production à l'entrée et à la sortie des lieux. Adde, Cass. 3ème civ., 24 nov. 2009, n° 08-21.449. 34 Cass. 3e civ., 6 déc. 1983 : D. 1985, inf. rap. p. 70, obs. E.-N. Martine ; RD rur. 1984, p. 415 ; Cass. 3E civ., 15 juin 1994, n° 92-10.507 ; Cass. 3e civ., 24 nov. 2009, préc. 35 Récemment : Cass. 3e civ., 17 déc. 2013, n° 12-23.862. 36 Cass. 3e civ., 12 juill. 2000, n° 98-20.048 : Dr. et Patr. n° 107, sept. 2002, obs. F. Roussel. 37 Avec la question de savoir qui est véritablement habilité à la réaliser (un professionnel de l’expertise ? un avocat ?) et comment (par voie extrajudiciaire ou judiciaire ?). 38 Afin de représenter une pénalité financière au moins équivalente au coût subi par l'agriculteur ayant supporté la charge. 39 Cons. Const. déc., 27 sept. 2013, n° 2013-343 QPC : JO, 1er oct. ; Cass. 3e civ. QPC, 9 juill. 2013, n° 1340.024. 40 L’abrogation avait été reportée au 1er janvier 2014 pour laisser le temps au législateur de corriger le dispositif. champ s’élargir au profit de structures collectives nouvelles, autres que les sociétés à objet agricole. Avant la réforme, l’article L. 411-37 du Code rural et de la pêche maritime se contentait d’autoriser le preneur, sous condition d’en aviser préalablement le bailleur, à mettre les biens loués à disposition d’une société à objet principalement agricole dont il est associé. La loi d’avenir ajoute à l’article un II qui accorde au preneur le droit de procéder à une telle mise à disposition au bénéfice de toute personne morale, du moment qu’elle a une vocation principalement agricole. Pour ces groupements-là, qui n’ont pas la qualité de sociétés à objet agricole, l’opération est soumise à l’accord préalable du bailleur, qui doit être sollicité au moins deux mois avant la date de la mise à disposition (CRPM, art. L. 411-37, II). Adoptée par voie d’amendement, la mesure reste énigmatique : elle est, comprend-on, destinée à permettre à de nouvelles formes de regroupement agricoles (type associations41, ou sociétés coopératives d'intérêt collectif...) de profiter du droit au bail rural dans le but d’assurer le portage d’opérations d’installation d’agriculteurs ! Outre que l’objectif visé est d'une sombre clarté, le terme de « personne morale à vocation principalement agricole » demeure vague : dans quelle mesure la vocation se différenciet-elle de l’objet social ? Surtout, on ne voit pas la raison qui fait que de telles mises à disposition, temporaires et ne modifiant pas les conditions du bail, devraient obéir au régime de l’autorisation préalable qui est normalement réservé aux cas de transferts du bail (apport du droit au bail ; cession à un membre de la famille). En quoi la forme de la personne morale promise à jouir des biens loués devrait-elle changer la procédure ? Par maladresse, la loi a hélas brisé la logique qui voulait, qu’à la différence d’une transmission du droit au bail, la mise à disposition obéit à une simple information du bailleur42. Bail cessible : reconduit pour neuf ans. Introduit dans la législation rurale par la loi du 5 janvier 2006, le bail cessible hors du cadre familial est resté boudé par le monde agricole. Des freins, à la fois économiques et psychologiques, empêchent sa diffusion43. On s’attendait donc, pour développer la performance économique des grandes exploitations, que la loi réforme certains points litigieux du dispositif 44. Or une seule petite correction est apportée à la durée du bail renouvelé. Jusqu’alors, l’article L. 418-3 du Code rural disposait qu’à défaut de congé dûment délivré, le bail est renouvelé pour une période de « cinq ans au moins ». Cependant le passage d’un bail initial de dix-huit ans à un bail renouvelé de cinq ans pouvait apparaître abrupt et échauder beaucoup de fermiers. Sans compter qu’il est plus simple, à l’instar des autres baux à long terme (CRPM, art. L. 416-1), que le bail cessible se reconduise par période de neuf ans. Certes la possibilité existait – cinq ans étant un minimum -, mais elle devait être convenue par les parties qui devaient donc tomber d’accord sur ce point. Avec clairvoyance cette fois, le législateur a rapproché le bail cessible du régime de droit commun (CRPM, art. L. 41141 La structure associative « Terre de liens » a été évoquée lors des débats. 42 G. Chesné et M. Hérail, « L’adhésion d’un fermier à une société d’exploitation », JCP éd. N, 1980, I, 59. 43 CGAAER n° 12064, « Evaluation des mesures prises dans le cadre de la loi d’orientation agricole du 5 janvier 2006 », mars 2013. 44 Le rapport d’évaluation du CGAAER pointant un défaut majeur du dispositif tenant à l’impossibilité d’évaluer l’indemnité d’éviction en cas de non-reconduction du bail au moment de l'arrivée du terme initialement convenu. 50) en portant automatiquement à 9 ans la durée du bail cessible reconduit 45. Relativement peu performante sur le plan économique, la loi d'avenir a dû revoir à la baisse ses ambitions écologiques. II. La performance écologique Généralisation du bail environnemental ? Le législateur a, en cours de chemin, perdu le fil d'Ariane de sa réforme agro-écologique46. On en veut pour illustration un symbole : le bail rural à clauses environnementales. Conformément à son projet agro-écologique, le gouvernement ambitionnait de banaliser les clauses environnementales dans le statut du fermage. Il a cependant dû reculer sous la pression des représentants des fermiers, farouchement hostiles à toute contrainte supplémentaire (A). La dernière version du texte, même édulcorée, contient néanmoins des avancées significatives (B). A. Un développement écologique freiné Instrument d'exception. Le bail à clauses environnementales, depuis sa création par la loi du 5 janvier 2006, a connu un franc succès. Il s'est montré particulièrement adapté à l’exploitation de certaines zones d’intérêt écologique, assurant dans le même temps à des opérateurs fonciers (collectivités, associations) une forme de maîtrise d'usage des terres. Le constat était cependant celui d’un dispositif rigide et trop restreint. Dans sa version originelle en effet, l’article L. 411-27 du Code rural et de la pêche maritime ne permet l’insertion dans le bail de clauses environnementales qu’à des conditions très strictes : il faut, soit que le bailleur présente certaines qualités (personne morale de droit public, association de protection de l’environnement, fondation reconnue d’utilité publique…) ; soit que les parcelles affermées soient situées dans les espaces faisant l’objet d’un dispositif de protection environnementale spécifique (réserve naturelle, parc national…). De plus, la liste des clauses pouvant être utilisées est fixée par voie réglementaire de façon limitative (CRPM, art. R. 411-9-11-1). Le résultat est que l’écart se creuse entre les territoires faisant l’objet d’une attention particulière (et pour lesquels le bail peut être « propre ») et ceux, banals, où il est impossible d'infléchir les méthodes d’exploitation intensive. Une écologisation voulue. Fallait-il alors desserrer les contraintes et permettre la généralisation du bail rural environnemental ? Le modèle agro-écologique promu par le législateur militait effectivement pour une telle évolution du statut du fermage. L’impossibilité d’agrémenter librement le bail rural de clauses environnementales appartient au modèle productiviste du milieu du XXème siècle. Dans la perspective agroécologique au contraire, les obligations environnementales ne sont plus perçues comme exogènes et attentatoires à la libre exploitation, mais bien comme inhérentes à la manière de cultiver raisonnablement le fonds (C. civ., art. 1766). Le respect de l’environnement faisant partie du régime primaire du bail, les clauses en ce sens n'ont pas besoin d'être justifiée par une « cause formelle ». Un simple impératif de cohérence du contenu du contrat de jouissance s'impose. On surenchérira en disant que l'instrument contractuel, 45 Il ne s’agit pas d’une durée minimum, mais d’une durée fixe, non aménageable. 46 C. Hermon, « L’environnement : fil rouge de la loi d’avenir », v. texte p. X. parce qu'il est négocié et accepté, devrait être la voie privilégiée à l'avenir pour élaborer la norme écologique. A l'heure où la réglementation se fait plus dure et tatillonne, la flexibilité et la plasticité du contrat représentent de véritables atouts. Une écologisation rejetée. L'opposition des syndicats d'exploitants a cependant réussi à freiner l'extension du bail environnemental. Plusieurs arguments sont revenus dans leur discours avec, au premier chef, l'alourdissement supplémentaire des contraintes. Ils ont également soulevé la crainte que des bailleurs mal intentionnés n’imposent, sans aucune justification, des clauses « vertes », partout et pour tout le monde, mais aussi que les fermiers titulaires de plusieurs baux ne puissent faire face à des engagements contradictoires. Ainsi pour la plupart des syndicats, la stipulation d’obligations environnementales devrait toujours s’appuyer sur un projet environnemental tenant, soit aux qualités du bailleur qui le porte, soit aux qualités du site. En dehors de cette configuration, devrait primer la jouissance culturale – sans entrave - du preneur. Sans être dénués de fondement, les risques avancés paraissent exagérés. Le spectre des clauses abusivement imposées par les propriétaires aurait pu être évité en jouant sur le montant des fermages47, voire si litige il y a en soumettant le contenu des obligations au contrôle de la commission consultative des baux ruraux ainsi que cela existe en matière de bail cessible hors du cadre familial. Mais la vérité est que le climat de défiance envers l'écologie n'était pas propice à de tels bouleversements. C'est pourquoi le législateur a maintenu, pour la stipulation de clauses environnementales, la référence aux types de bailleurs et de territoires. Presque rétabli tel quel, l'article L. 411-27 comporte néanmoins une ouverture, potentiellement considérable. B. Un développement écologique accéléré Continuités écologiques. D’abord, le nouvel article L. 411-27 du Code rural et de la pêche maritime ne précise plus le moment auquel ces clauses peuvent être insérées dans le bail ; elles peuvent donc l’être, à tous les stades, d’un commun accord des parties. Apparaît ensuite dans le texte la possibilité de stipuler des obligations de « maintien d’un taux minimal d’infrastructures écologiques » : il s’agit là des haies, des talus, des mares, des fossés, ou encore des bandes enherbées… Mais surtout, la loi fait de la garantie, sur les parcelles mises à bail, du maintien des pratiques écologiques ou des infrastructures un cas nouveau et spécifique d’ouverture du « bail environnemental ». Pareille clause peut donc être stipulée par n’importe quelles personnes, sur toutes les parties du territoire : la seule condition est que l’engagement succède à des pratiques ou infrastructures préexistantes. L'idée est de maintenir l'état environnemental du fonds, en pérennisant certains modes de culture par-delà le changement d’exploitant. L’exemple typique est celui d’un propriétaire qui récupère des terres auparavant exploitées en agrobiologie et qui va pouvoir imposer au nouveau fermier la poursuite des mêmes pratiques. Dans l'esprit du législateur, la poursuite des engagements antérieurs se justifie par le temps nécessaire à la mise en place de certaines méthodes (conversion à l’agriculture biologique) et par les subventions publiques dont elles font l'objet. 47 Les minima de l'arrêté préfectoral ne s'imposant plus en présence de clauses environnementales (CRPM; art. L. 411-11). Réification du bail rural. Si l'ouverture législative n’offre pas la possibilité de réorienter certaines terres vers une agriculture plus respectueuse de l’environnement, elle présente au moins l’avantage de permettre, au-delà des personnes, une continuité et une cohérence dans l’exploitation. Ainsi les parcelles cultivées de manière écologique – voire biologique - accèdent-elles à un statut particulier pouvant entraîner, pour les locataires (voire pour les propriétaires futurs)48, des obligations spécifiques. Cela revient quasiment à « réifier » le bail rural dans la mesure où son contenu va être en partie dicté par les qualités intrinsèques de la chose louée. En s’appuyant sur l'état du bien, la loi a trouvé un moyen, relativement subtil, de diffuser plus largement les clauses environnementales dans les baux. Clauses litigieuses. En pratique, l'interprétation de la notion de « maintien de pratiques ou d'infrastructures écologiques » risque de ne pas être aisée. Le bailleur devra prouver – mais comment ? - que les parcelles étaient, avant la conclusion du bail, cultivées d'une certaine manière qui respecte les éléments naturels du fonds. Mais ce n'est pas tout : ces pratiques devront-elles bénéficier d’un label ou d’une certification particulière ? La présence d’infrastructures écologiques, telles les haies ou les fossés, suffira-t-elle à justifier des obligations particulières, ou faudra-t-il, en plus, établir qu'elles étaient préservées de toute dégradation et pollution par l'ancien exploitant ? Sur toutes ces interrogations, les textes réglementaires, ou à défaut la jurisprudence, devront apporter des éclaircissements qui conditionneront les possibilités de verdir la plupart des baux ruraux. Si la performance écologique semble, en matière de statut du fermage, avoir marqué le pas, le législateur a donné quelques gages « socialistes » aux exploitants. III. La performance sociale Copreneurs actifs et passifs. D’autres dispositions du statut du fermage sont modifiées par la loi d’avenir dans le but d'assainir certaines situations personnelles ou familiales délicates. C’est en premier lieu le régime des copreneurs qui bouge (beaucoup) pour résoudre des difficultés pratiques récurrentes. Il n’est pas rare en effet que lorsqu’un bail est conclu au profit de deux époux, l’un d’eux cesse de se consacrer à l’exploitation : soit parce qu’il ne souhaite plus apparaître comme chef d’exploitation 49, soit à cause d’une maladie, ou d’une réorientation professionnelle, voire d’une rupture de la vie commune... Or certains bailleurs ont déjà tiré parti de la situation pour dénier aux preneurs certains droits, comme celui au renouvellement du bail50 ou celui de le transmettre à leur progéniture. Il 48 Dans le cas précis où la SAFER met en vente un terrain dont les productions relèvent de l’agriculture biologique, elle doit prioritairement le céder à un exploitant s’engageant à poursuivre ces mêmes méthodes de culture pendant 6 ans minimum (CRPM, art. L. 142-5-1). 49 Pour minorer par exemple les cotisations sociales. 50 Quand l'un part et l'autre reste : Cass. 3e civ., 27 févr. 1979 : JCP N 1980, prat. 7390, n° 6, p. 15, obs. J.-P. Moreau. ressort en effet de plusieurs décisions remarquées que des copreneurs qui ont mis les biens loués à disposition d’une société agricole, alors qu’ils n’étaient pas tous les deux associés, peuvent se voir interdire par le bailleur de céder le bail à leur descendant 51. Le retrait d'un des preneurs est donc de nature à faire obstacle à certains projets d'entreprise. Dans cette optique, la loi d’avenir a complété l’article L. 411-35 par une disposition étonnante et détonante. Ainsi lorsque l’un des copreneurs cesse de participer à l’exploitation du bien loué, celui qui poursuit l’activité doit, dans les trois mois de la cessation, demander au bailleur par lettre recommandée avec accusé de réception 52, que le bail se poursuive à son seul nom. Le propriétaire ne peut s’y opposer qu’en saisissant le tribunal paritaire53. Pour les défections antérieures à la publication de la présente loi, le copreneur toujours exploitant doit impérativement régulariser la situation locative auprès de son bailleur dans les trois mois (donc avant le 13 janvier 2015). Pris pour sécuriser les droits du locataire, le remède pourrait s’avérer pire que le mal à combattre. Il faut déjà dire que les litiges ne se présentent que lorsque les copreneurs décident de mettre le bien loué à disposition d’une société : c’est uniquement dans ce cas qu’est vérifié qu’ils se consacrent personnellement et effectivement aux travaux et ont la qualité d’associé du groupement bénéficiaire de l’opération 54. Or pour résoudre ce problème spécifique (non moins réel), la loi va jusqu'à instituer une faculté unilatérale de répudiation de l’une des parties au bail. En l'occurrence, non seulement le copreneur congédié n'a pas son mot à dire55, mais le bailleur non plus, qui doit autoriser la modification du rapport contractuel sauf à saisir le tribunal paritaire pour s'y opposer 56. Déjà curieux sur le principe, le dispositif pourrait s'avérer dangereux dans les cas où les copreneurs sont en instance de séparation : on peut ici craindre que l'un, resté actif sur l’exploitation, ne demande au bailleur de le débarrasser de l'autre, ayant eu le tort de s’éloigner un peu trop de la ferme familiale… La preuve de l’arrêt de la participation à l’exploitation pose encore un véritable problème : comment vérifier les allégations de la partie demanderesse et la date de la cessation d’activité57 ? Au surplus, la demande de Cass. 3e civ., 3 févr. 2010 : Bull. Civ. III, n° 29 ; Cass. 3e civ., 27 mars 2013, n° 12-15307 ; Cass. 3 e civ., 5 juin 2013 : RTDI/3, p. 26, obs. B. Grimonprez. 52 CRPM, art. L. 411-35, al. 4 : « A peine de nullité, la lettre recommandée doit, d'une part, reproduire intégralement les dispositions du troisième alinéa du présent article et, d'autre part, mentionner expressément les motifs allégués pour cette demande ainsi que la date de cessation de l'activité du copreneur ». 53 Le texte est applicable aux baux conclus depuis plus de trois ans, sauf si la cessation d'activité du copreneur est due à un cas de force majeure. 54 Il n’existe pas de décision affirmant nettement que le défaut d’exploitation effective par un des copreneurs les prive de la faculté de transmettre le bail dans le cadre familial. D’ailleurs, en l’absence de mise à disposition sociétaire, l’exécution correcte des obligations du bail par un seul des locataires exempte l’autre de tout reproche dans la mesure où le bail est indivisible. 55 Ni rien à faire : échappant par le simple fait de ne plus exploiter, comme par miracle, à ses obligations... 56 Sans les gardes fous prévus par l’article L. 411-46 du Code rural qui dispose qu’« en cas de départ de l'un des conjoints ou partenaires (...) copreneurs du bail, le conjoint ou le partenaire qui poursuit l'exploitation a droit au renouvellement du bail », à condition de réunir les mêmes conditions que celles exigées du bénéficiaire de la reprise. 57 D’autant qu’on parle de la « participation à l’exploitation » et pas d’exploitation en tant que telle, ce qui ne recouvre pas le même degré d’intensité et d’investissement. 51 modification du bail dans le délai de trois mois est posée comme une obligation à la charge du copreneur encore actif ; mais quelle en est la sanction ? Sans minimiser les problèmes qui touchent certains copreneurs, on peut néanmoins regretter que la loi ait choisi de fragiliser à ce point le lien contractuel. Bail rural : prolongation jusqu’aux arrêts de jeu ! D'autres dispositions intéressant les baux ruraux visent à améliorer la situation du preneur âgé confronté à la problématique du départ à la retraite. Il arrive en effet que l’exploitant perde son titre de jouissance sans avoir pu obtenir tous les trimestres lui permettant de pouvoir prétendre à la retraite à taux plein. Il faut savoir en effet que l’article L. 411-64 du Code rural permet au bailleur, soit de refuser le renouvellement du bail si le preneur a atteint l’âge légal de la retraite, soit de réduire la durée du bail jusqu'à la période triennale au cours de laquelle le preneur atteindra ledit âge. Nombre de fermiers partent alors avec une retraite amputée, ou doivent retrouver des parcelles à exploiter pour continuer à travailler. Le législateur a été sensible à la revendication des fermiers qui réclamaient de pouvoir continuer à jouir du bail jusqu’à ce qu’ils puissent effectivement arrêter leur activité et bénéficier de pensions complètes. Dans sa nouvelle version, l’article L. 411-64 dispose que lorsqu’il lui a été délivré un congé pour reprise, le preneur peut demander au bailleur le report de plein droit de la date d’effet du congé à la fin de l’année culturale où il pourra bénéficier du régime de la retraite à taux plein. Cet âge se situe aujourd’hui au plus tard à 67 ans, mais peut intervenir plus tôt si l’agriculteur a commencé le labeur jeune. Le report de la prise d’effet du congé n’est cela dit pas automatique et doit être sollicité par le preneur. L’article L. 411-58 est également modifié pour étendre la mesure à la prorogation du bail en faveur du preneur âgé. Selon ce texte, le preneur, ou l’un des copreneurs, qui se trouve à moins de cinq ans de l’âge légal de la retraite, peut obtenir le prolongement de la location pour une durée lui permettant d’atteindre l’âge de départ requis 58. La nouvelle mouture de l’article ajoute que peut aussi en profiter le preneur qui se situe « à moins de cinq ans de l'âge lui permettant de bénéficier de la retraite à taux plein ». Est également précisé qu’un « même bail ne peut être prorogé qu'une seule fois ». La jurisprudence avait déjà eu l’occasion de l’affirmer dans l’hypothèse des copreneurs : si l’un use de la faculté de prorogation, l’autre ne pourra à nouveau la réclamer 59. La loi dit maintenant clairement qu’il ne peut exister de prorogations successives, que ce soit sur le fondement de l’âge ou de la pluralité de preneurs. L’ensemble des dispositions prolongeant la durée du bail sont applicables aux contrats en cours dont la date de renouvellement est postérieure à la date d’entrée en vigueur de la loi60. Décès du preneur : résiliation du bail. De la retraite au décès, il n’y a souvent qu’un (faux) pas ! La loi s’emploie ici à corriger la manière d’exercer le droit de résiliation du bailleur en cas de décès du preneur. Rappelons que lorsque le fermier trépasse sans laisser de conjoint ou d’ayants droit privilégiés qui participent à l’exploitation, le propriétaire peut mettre fin au bail, auparavant dans le délai de six mois à compter du décès (CRPM, art. L. 411-34). En pratique toutefois, le bailleur n’était pas toujours 58 Mesure ne jouant pas dans le cadre d'un bail à long terme : CRPM, art. L. 416-8. 59 Cass. 3e civ., 21 janv. 1987 : Bull. civ. III, n° 9. 60 L. n° 2014-1170, 13 oct. 2014, art. 93, XVIII. prévenu de l’évènement (par les héritiers notamment) et pouvait ainsi facilement perdre sa faculté d’opposition à la poursuite du bail 61. Pour éviter cette anomalie, un amendement a été introduit en vue de corriger l’article L. 411-34 qui dispose désormais que le délai de six mois pendant lequel le bailleur peut mettre fin au bail commence à courir à partir du moment où le décès a été porté à sa connaissance. Il incombe par conséquent aux héritiers du preneur d'informer, le plus tôt possible, le bailleur afin de faire courir le délai de six mois. Incapacité du preneur : action en résiliation du bail. Pour finir, on évoquera l’hypothèse, moins fréquente, où c’est le preneur qui cherche à se libérer du lien contractuel. La faculté qu'il a de résilier le bail s’ouvre très légèrement, afin de tenir compte de certains évènements affectant son potentiel de production. Ainsi selon l’article L. 411-33 du Code rural et de la pêche maritime, le fermier peut demander l’interruption du bail dans plusieurs situations limitativement énumérées ; parmi elles, lorsque lui ou un des membres de sa famille indispensable sur l’exploitation est victime d’une grave incapacité au travail : il suffit désormais que l'invalidité soit supérieure à deux ans, là où l’ancienne version exigeait que l'empêchement soit permanent (CRPM, art. L. 411-33, al. 1er). Changement d'ère. Après cette première distillation du contenu de la loi apparaît que l’avenir de l'exploitation agricole est loin d’être complètement écrit. Il faudra encore beaucoup d’imagination et d’efforts pour changer en profondeur notre législation rurale et lui faire passer, après l'ère productiviste, le cap de l’agriculture durable. Sur chacun des pans de l’agro-écologie (économique, écologique et social), les concepts restent à penser et les mécanismes à inventer, loin des réflexes conditionnés du passé. Mais une telle transition - du droit rural au droit agro-écologique - ne se fera qu’en douceur et dans le temps, au rythme du monde agricole et des futures lois d’orientation, de modernisation…. Un mérite – et non des moindres – du présent ouvrage législatif est de jeter les bases du droit à venir. A nous, ruralistes et environnementalistes, de travailler à les consolider et non à les saper. 61 Peu importe que le bailleur n'ait pas été prévenu de l'évènement : Cass. 3e civ., 21 janv. 2009, n° 0721.272 : Bull. civ. III, n° 17.