les lucciardi - Médiathèque Culturelle de la Corse et des Corses

Transcription

les lucciardi - Médiathèque Culturelle de la Corse et des Corses
Une famille corse
de poètes et
d’instituteurs
Eugène F.-X. GHERARDI
LES
LUCCIARDI
Bibliothèque
d’histoire de la Corse
25 €
UMR CNRS
LISA 6240
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LES
LUCCIARDI
Une famille corse
de poètes et d’instituteurs
Eugène F.-X. Gherardi
978-2-84698-384-6
Bibliothèque
d’histoire de la Corse
Eugène F.-X. Gherardi
LES
LUCCIARDI
Instituteurs et poètes, les Lucciardi partagent, à deux
générations de distance, un parcours similaire.
L’un et l’autre ont en effet marqué la mémoire
familiale et villageoise et, au-delà, la culture insulaire
de leur temps.
L’oubli qui recouvre peu à peu d’un voile opaque
les vies, puis les œuvres, a rendu la présente
recherche ardue. L’éparpillement des textes et
des renseignements biographiques dans les revues
ainsi que la dispersion des lieux d’archives furent
les obstacles majeurs à surmonter.
Les écrits connus ou parfois inédits
d’Anton-Francesco au XVIIIe et Jean-Pierre au XIXe siècle
sont ici repris et replacés dans le contexte historique
de leur production, mais aussi rapprochés d’éléments
biographiques qui souvent les éclairent
d’un jour particulier.
Les conditions générales – historiques et
idéologiques – sont celles d’une rupture politique,
culturelle et linguistique majeure qui bouleverse la
société insulaire en l’espace de deux ou
trois générations et donne par ailleurs à la pratique
du métier d’instituteur une importance considérable.
La vie à Santo Pietro di Tenda venant en toile de
fond égayer et mettre en couleurs et en perspective
les grandes questions qui se posent dans l’intérieur
de l’île avec autant d’acuité qu’à Bastia ou Paris,
le présent ouvrage est aussi une invitation à la
découverte d’une poésie populaire dont la vivacité
n’avait d’égale que la grande richesse.
Maître de conférences à
l’université de Corse PasqualePaoli, responsable du
département des sciences de
l’éducation, membre de l’UMRCNRS 6240 Lisa (Lieux Identités
eSpaces Activités), Eugène
F.-X. Gherardi travaille à mieux
appréhender l’histoire culturelle
et éducative de la Corse moderne
et contemporaine.
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Une famille corse
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Bibliothèque
d’histoire de la Corse
Collection dirigée par Antoine Laurent Serpentini
Déjà parus
L’Imprimerie en Corse des origines à 1914
Aspects idéologiques, économiques et culturels
Vanessa Alberti, 2009
Esprit corse et romantisme
Notes et jalons pour une histoire culturelle
Eugène Gherardi, 2004
Histoire de l’École en Corse
Ouvrage collectif dirigé par Jacques Fusina, 2003
L’âme des pierres
Sculpture et architecture, deux composantes de l’art préhistorique
de la Corse
François de Lanfranchi, 2002
La coltivatione
Gênes et la mise en valeur agricole de la Corse au XVIe siècle
Antoine Laurent Serpentini, 1999
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Eugène F.-X. Gherardi
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Remerciements
Je tiens à exprimer ma gratitude profonde à ceux qui ont aidé à l’élaboration de
cet ouvrage par le débat qu’ils ont bien voulu engager au sujet des pistes et
des propositions qui y sont contenues.
Je salue la mémoire de M. Jacques Lucciardi, qui a été le premier à s’intéresser
à mon projet et à l’encourager. Il fut pour moi un conseiller attentif et un
témoin irremplaçable. Son souvenir est présent.
Mes remerciements vont également à son petit-fils, M. Jean-Baptiste Lucciardi.
Je tiens à remercier toute la famille Lucciardi.
Mes plus sincères remerciements vont à mes collègues de l’université de Corse
Pasquale-Paoli, pour l’appui indéfectible qu’ils m’ont témoigné au fil de ma
rédaction. Je remercie Jean-Marie Comiti, Alain Di Meglio,
Pascal Ottavi, Marie-Michèle Venturini, Francis Pallenti.
Je remercie spécialement Dominique Verdoni, professeur, et
Didier Rey, maître de conférences, pour leur soutien, leurs précieux conseils
et la pertinence de leurs observations.
Du fond du cœur, je remercie le professeur Antoine Laurent Serpentini,
directeur de la collection « Bibliothèque d’histoire de la Corse ».
Je suis également reconnaissant envers Johanna Casanova et
Marie-Françoise Saliceti, qui tout au long de cette aventure ont été
des collaboratrices précieuses.
Mes remerciements s’adressent aussi aux directeurs et aux personnels des
Archives départementales de la Corse-du-Sud et de la Haute-Corse.
Pour leur appui constant et leur dévouement, je remercie le personnel de
la Bibliothèque patrimoniale Prelà (Bastia). Je voudrais surtout redire ma
gratitude à Linda Piazza, Christian Peri et Marc-André Turchini.
Je ne peux terminer cette liste sans remercier mes parents et toute ma famille.
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À Paulu,
Petru, Lucia è Mattea
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Avant-propos
Un laboureur debout est plus grand qu’un gentilhomme à genoux.
Benjamin Franklin
On n’habite pas un pays, on habite une langue.
Une patrie, c’est cela et rien d’autre.
Emil Michel Cioran
Cet ouvrage est l’aboutissement d’une longue et patiente recherche sur
l’histoire éducative et culturelle de la Corse.
Force est de reconnaître que l’Histoire de l’école en Corse1 qui reste notre
fil rouge a permis de faire un bilan encore partiel, mais déjà significatif d’une
histoire qui reste encore à découvrir dans de nombreux replis du passé. L’aventure
de l’Histoire de l’école en Corse a été pour moi comme la « découverte » d’un
archipel dont je m’efforce d’arpenter ici une infime partie.
Par ailleurs, les archives ayant trait à l’éducation sont souvent menacées dans
leur intégrité physique. Si une part importante des ensembles documentaires est
conservée de manière satisfaisante dans les archives publiques et privées, les
dispersions, les prélèvements et le ravage des destructions obligent à la conservation et à l’inventaire des fonds et aux versements. Je n’insiste pas sur les lacunes qui ne permettent pas de documenter convenablement mes investigations sur
l’histoire de l’éducation en Corse sous la Troisième République. Que sont devenues les archives des Écoles normales d’Ajaccio ? Quel est le sort des archives
de nos écoles de villages ? Où sont cahiers, carnets, correspondance, papiers des
instituteurs corses de la Troisième République ?
La documentation reste souvent lacunaire ou difficile à repérer. C’est là une
des plus grandes difficultés que rencontre toute étude scientifique de l’histoire
éducative de la Corse. Des efforts persévérants de jeunes historiens se sont
heurtés et se heurtent à cet obstacle qui, toutefois, n’est pas insurmontable.
Comme l’indique Michel de Certeau, « en histoire, tout commence avec le
geste de mettre à part, de rassembler, de muer ainsi en “documents” certains
1. Fusina Jacques [dir.], Histoire de l’École en Corse, Ajaccio, Albiana, coll. Bibliothèque
d’Histoire de la Corse, 2003, 626 pages.
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objets répartis autrement2 ». C’est pourquoi, sans prétention aucune, nous nous
efforçons de stimuler les travaux des étudiants en histoire de l’éducation. À défaut
de pouvoir toujours produire les archives du passé, explique Jacques Julliard, il
faut préparer hic et nunc les archives du futur, en suscitant sur les événements
présents ou récents, des enquêtes et des témoignages qui seront autant de matériaux précieux pour l’historien de demain3. Pour Guy Thuillier et Jean Tulard,
il faut créer des archives destinées à l’historien futur, sauvegarder un capital
de mémoire qui autrement disparaîtra à jamais. On ne sait comment raisonnera
l’historien de 2050, mais on doit lui procurer des matériaux neufs, dont on ne
peut savoir – avec le recul qu’il possédera – ce qui lui sera le plus utile4. C’est ce
que nous nous efforçons de promouvoir humblement.
Pour toutes ces raisons, il est indispensable de retourner aux sources et de
recenser l’intégralité des textes produits par les sous-préfets. Il fallait donc
impérativement redéfinir l’objet, c’est-à-dire étudier ces textes en eux-mêmes.
Comme le précise Daniel Hameline au sujet du XIXe siècle : « Nous appartenons encore globalement à cette période de l’histoire où les sociétés s’organisent
dans la recherche d’une rationalité jusque-là inconnue, en véritables sociétés
éducatives, sous le signe d’une scolarisation progressivement généralisée et irréversible5 ». Si le XIXe siècle occupe une aussi vaste place dans cet ouvrage, c’est
que – comme le relève Jürgen Habermas – « parmi les historiens qui acceptent
encore de concevoir des unités de grandes dimensions, un consensus existe sur
le fait qu’au « long » XIXe siècle (1789-1914) a succédé un « court » XXe siècle
(1914-1989)6 ». Si le XIXe siècle est par excellence le « siècle éducateur7 », encore
doit-on préciser que l’héritage des Lumières reste prégnant.
Au XIXe siècle, de façon schématique, trois autorités se partagent et se disputent la surveillance de l’école primaire en France : l’Église, les notables et
l’État.
En Corse, l’action des congrégations sur le terrain de l’éducation mérite
un regard particulier. Guy Avanzini note que l’investissement des Églises
sur le plan social et éducatif « est partiellement enfoui, fréquemment ignoré,
volontiers oublié, souvent négligé, voire méprisé, et parfois par les chrétiens
2. Certeau Michel (de), « L’opération historique », dans Le Goff Jacques et Nora Pierre [dir.],
Faire de l’histoire. Nouveaux problèmes, Paris, éditions Gallimard, coll. Bibliothèques des
histoires, 1974, p. 20.
3. Julliard Jacques, « La politique », dans Le Goff Jacques et Nora Pierre [dir.], Faire de l’histoire. Nouvelles approches, Paris, éditions Gallimard, coll. Bibliothèques des histoires, 1974,
p. 243.
4. Thuillier Guy, Tulard Jean, La morale de l’historien, Paris, Economica, 1995, p. 73.
5. Hameline Daniel, Courants et contre-courants dans la pédagogie contemporaine, Issy-lesMoulineaux, ESF éditeur, coll. Pédagogies, 2000, p. 20.
6. Habermas Jürgen, Après l’État-nation. Une nouvelle constellation politique, Paris, Fayard,
2000, p. 19.
7. Ibid., p. 20.
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AVANT-PROPOS
eux-mêmes8 ». La question historique de la laïcité dans ses répercussions
historiques corses mériterait une analyse solide et apaisée. Beaucoup a déjà
été écrit sur les liens entre l’Église et la culture des Corses. Le catholicisme,
surtout dans sa tradition romaine, l’imprègne encore de ses valeurs.
Il suffit de lire les textes des « pères fondateurs » et les témoignages des
instituteurs de la Troisième République pour voir combien pouvait être vigoureuse la confiance dans la dimension agrégative de l’école laïque. Sur ce point,
Ferdinand Buisson écrit :
« C’est l’institution à la fois la plus hardie et la plus libérale : elle innove
profondément, mais elle peut le faire parce que, en s’imposant à la raison de
tous, elle ne blesse la conscience de personne. C’est une maison d’éducation
commune qui a pour premier caractère de n’être pas, de ne pouvoir pas être
une école de combat. Par définition, il faut qu’elle soit l’école mutuelle de la
tolérance, sous peine de se démentir elle-même. Elle n’est, elle ne peut être ni
la servante ni l’ennemie d’aucune croyance, d’aucune église, d’aucun parti. Elle
respecte toutes les formes de la liberté de la pensée et de la liberté des consciences. Elle fait plus : elle s’applique à pénétrer de ce respect, dès le premier âge,
tous les enfants qui lui sont confiés, les préparant ainsi à leur futur rôle de
citoyens libres dans un pays libre9. »
Celle-ci devait arracher les enfants aux particularismes et aux vieilles
croyances pour en faire des citoyens éclairés10. Elle apparaît comme porteuse
d’une identité compacte et universaliste. La greffe identitaire est rendue possible par « la centralisation qui est un trait si enraciné dans la tradition française qu’il est indispensable d’en tenir compte dans l’analyse des pratiques
des acteurs de la scolarisation à tous les niveaux11 ». Par ailleurs, si la politique
de francisation a connu de fortes impulsions sous la Révolution française et
sous la Troisième République, elle n’est pas absente des autres régimes, si
nombreux au XIXe siècle. Mais les faits ne sont pas aussi simples et que préfets,
sous-préfets, inspecteurs ne sont pas tous des ennemis forcenés des cultures
régionales. Force est de reconnaître qu’un nombre non négligeable de représentants du pouvoir en Corse sous la Restauration et sous la monarchie de
Juillet est issu de régions que constituent de fortes identités. C’est notamment
le cas du sous-préfet d’Alexandre Arman et de l’inspecteur Louis Dufilhol
8. Cité par Audic Anne-Marie, « Éducation chrétienne, histoire des réalisations et des idées
pédagogiques », Regards croisés sur l’éducation. Hommage au Professeur Guy Avanzini,
Paris, L’Harmattan, 2002, p. 149-157.
9. Buisson Ferdinand, « Note préliminaire », [Paris, 31 décembre 1911], La Foi laïque. Extraits
de discours et d’écrits (1878-1911). Préface de Raymond Poincaré, de l’Académie française,
troisième édition, Paris, Librairie Hachette, 1918, p. 12-13.
10. Dubet François, « École : la question du sens », Éduquer et former. Les connaissances et les
débats en éducation et en formation, coordonné par Jean-Claude Ruano-Borbalan, 2e édition
refondue et actualisée, Auxerre, Éditions Sciences humaines, 2001, p. 327-328.
11. Duru-Bellat Marie, Van Zanten Agnès, op. cit., p. 24.
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qui se penchent sur la culture populaire avant que le Barza-Breiz de Téodore
Hersart de La Villemarqué ne soit publié12. À la même époque, Lepasquier,
préfet du Finistère en 1833, apprend le breton et « s’adressait en cette langue
aux jeunes paysans des conseils de révision13 ».
L’école de Jules Ferry imprègne la mémoire française et apparaît pour
beaucoup comme l’héritage d’une école simple et authentique à réanimer.
Fort justement, Mona Ozouf explique que « dans le corbillon de souvenirs
que leur lègue l’école laïque, les Français trouvent donc de quoi alimenter un
sentiment patriotique d’une exceptionnelle bonne conscience14 ». La « bonne
conscience » de la mémoire s’est accrue lors des émeutes des banlieues à
l’automne 2005. Pourtant, comme l’écrivent Fodé Sylla et Francis Terquem,
il faudra bien un jour, objectivement, dresser le bilan de la République, et pas
seulement de la Ve ; du comportement de sa diplomatie, de ses armées, de ses
élites et de ses corps intermédiaires ; […] et de sa fâcheuse habitude d’asservir
les peuples au mépris des grands principes universels qu’elle prétend promouvoir15. Cette construction idéalisante, presque magique et proche de la caricature, est considérée comme un modèle pour les théoriciens et les acteurs de
la vie politique qui considèrent l’école contemporaine comme « dévoyée par
l’individualisme hédoniste des années soixante-dix16 ». Le salut ne viendrait
que d’une fuite en arrière.
12. « En Bretagne même, on s’intéresse aux poésies populaires. La Revue de Bretagne se félicite,
en avril 1834, de l’initiative prise l’année précédente par Louis Dufilhol d’illustrer ses Études
sur la Bretagne par des chansons populaires : “Personne, y écrit-on, qui n’ait applaudi avec joie
et enthousiasme à cette heureuse idée de recueillir scrupuleusement çà et là, et de reproduire,
dans les pages de la Revue de Bretagne, nos chants vraiment nationaux, qui vont chaque jour
s’effaçant et se perdent dans la mémoire de nos populations de Basse-Bretagne ; nos vieilles
ballades si naïves et si franches ; nos ballades populaires, pleines de drame, de poésie, d’originalité, non moins que les ballades allemandes ou écossaises”. Tanguy Bernard, “Des celtomanes aux bretonistes : les idées et les hommes”, dans Balcou Jean & Le Gallo Yves [dir.],
Histoire littéraire et culturelle de la Bretagne. Vol. II : Romantisme et littératures populaires.
De la Révolution de 1789 à la IIIe République, Paris, Éditions Champion, 1997, p. 299. “Cinq
ans plus tard, c’est un Lorientais, Louis Dufilhol (1791-1864), proviseur du lycée de Rennes et
futur recteur de l’Académie, qui publie dans la Revue de Bretagne (janvier 1833-mai 1834) une
série d’articles illustrés de six chansons en breton de Vannes, avec leur traduction, qu’il avait
reçues de divers collaborateurs”. Laurent Donatien, “Le temps des précurseurs (1815-1870)”,
Ibid., p. 341. »
13. Ibid., p. 166.
14. Ozouf Mona, « Le thème du patriotisme dans les manuels primaires », L’école de la France.
Essais sur la Révolution, l’utopie et l’enseignement, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des
histoires », 1984, p. 195.
15. Sylla Fodé, Terquem Francis, « La République blanche, c’est fini ! », Le Monde, 20 décembre
2005, p. 22.
16. Ohayon Annick, Ottavi Dominique, Savoye Antoine, « Introduction », L’Éducation nouvelle,
histoire, présence et devenir, Berne, Peter Lang, coll. Exploration ; Éducation : Histoire et
pensée, p. 2.
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AVANT-PROPOS
Dans un court et bel article, Alain Houchot et Aline Safra notent :
L’échec dans la maîtrise des apprentissages fondamentaux étant surreprésenté
dans la catégorie des enfants issus des milieux les plus socialement défavorisés,
l’école primaire de la fin du vingtième siècle aurait cessé de servir correctement les
idéaux posés dans le passé, ceux que l’école de la IIIe République, avec une référence permanente à Jules Ferry, aurait atteints. On pare ainsi de toutes les vertus un
passé que l’on oppose volontiers à la « faillite » de l’école d’aujourd’hui17.
Comme le souligne Jean-Michel Barreau, le souvenir se meut en tentations réactionnaires. Dans le débat d’idées, cette fascination prend souvent
la forme de « regards nostalgiques sur le passé, prolongés de soupirs mélancoliques, pour faire de l’ancien et du jadis les références indépassables d’un
présent qui n’aurait pas su les conserver et qui devrait être puni de cette faute
de lèse-majesté en “traditions” et autres “mémoires”, au mauvais sens du
terme18 ». Hervé Terral juge que « L’expression d’école de la République est
devenue aujourd’hui un quasi-slogan, dont l’usage officiel, politique ou polémique, semble devoir être requis en toutes circonstances dès lors qu’on entend
parler de l’école tout court et, plus généralement, du système éducatif, de ses
succès comme de ses échecs19 ». Par ailleurs, si elle n’est pas entièrement erronée, cette vision féerique, généreuse et rassurante de l’école de la Troisième
République confirme ce vague à l’âme de la société.
Dans un pays de vieille tradition rurale comme la Corse, l’instituteur, salarié
et socialement reconnu, ne laisse personne indifférent. A-t-on mesuré l’impact
de la vocation enseignante sur des élèves qui auront pour la plupart une autre
relation avec les choses et les hommes et qui construiront quelque chose avec
leurs mains ? Cette étude pose cependant un certain nombre de problèmes d’ordre méthodologique, qu’à défaut de pouvoir résoudre ici, nous souhaiterions au
moins soulever en préalable à une première tentative d’analyse. Ces difficultés
ne sont pas tant liées à l’impact du métier d’enseignant comme source historique,
qu’à la nécessité dans laquelle se trouve l’historien de saisir cet impact, phénomène par nature fluide et dynamique, par le biais de l’archive, qui n’en restitue
qu’un aspect partiel et qu’une représentation statique.
Comme l’indique Laurence Loeffel, de préjudiciables insuffisances sont aussi
repérables à l’échelle nationale20. Volens nolens, le sort réservé à la langue corse
17. Houchot Alain, Safra Martine, « L’école primaire française et le mythe de l’égalité », Revue
internationale d’éducation, Centre international d’études pédagogiques (Sèvres), n° 41,
avril 2006, p. 42.
18. Barreau Jean-Michel, L’école et les tentations réactionnaires. Réformes et contre-réformes
dans la France d’aujourd’hui, Paris, éditions de l’aube, 2005, p. 13.
19. Terral Hervé, L’école de la République. Une anthologie (1878-1940) ; Textes présentés par
Hervé Terral, Paris, Centre national de documentation pédagogique, 1999, p. 28.
20. « La période de la Troisième République est une période récente de notre histoire. On pourrait
s’attendre, notamment à la bibliothèque de l’I.N.R.P., à trouver facilement les ouvrages des
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dans le système éducatif, illustre assez bien cette idée de l’universel comme
totalité et unicité. Comme le souligne Hervé Terral : « Il importe de reconnaître,
en effet, que l’école construite par la République est extrêmement normative21 ».
En 1923, le poète et instituteur Jean-Pierre Lucciardi de Santo-Pietro-di-Tenda
propose de faire appel à la connaissance de la langue corse pour optimiser l’apprentissage scolaire de la langue française. Pour parvenir à ses fins, Lucciardi
reproduit la logique argumentative sur l’utilité d’une solidarité linguistique entre
petite patrie et grande patrie. Son autorité est d’autant plus légitime qu’elle est
portée par un statut dont le pouvoir scientifique est reconnu par la société. Dans
un climat exacerbé de tension entre vision uniformisatrice et vision différenciatrice, la suggestion ne reçoit pas l’approbation des autorités. Avec tant d’autres
signes de mauvaise volonté émis par l’administration centrale, ce refus ne
creuse pourtant pas un profond fossé d’incompréhension entre la société corse
et Paris. Si le syndrome du monolinguisme n’a pas totalement disparu, force est
de reconnaître qu’il est aujourd’hui désavoué en haut lieu : Ne pas connaître
d’autres langues que la sienne est à n’en pas douter un handicap : « Un monolingue, c’est comme un unijambiste22 » ; « Langue de la République, ciment de
la citoyenneté, le français n’est pas pour autant la seule langue parlée sur notre
territoire. Les langues régionales ont droit à une reconnaissance légitime comme
éléments de notre patrimoine et vecteurs de création23 ». Toutefois, le monolinguisme n’est point encore terrassé et, comme l’indique Philippe Martel : « Il va
falloir guérir de cette vieille maladie si agréable, le francocentrisme naïf. Dans
cette cure inévitable et souhaitable, le traitement des langues de France pourra
constituer un bon entraînement24 ».
21.
22.
23.
24.
philosophes, pédagogues, doctrinaires, hommes politiques de la fin du XIXe siècle. Or, il n’en est
rien. J’ai connu des déconvenues dans toutes les bibliothèques parisiennes où j’étais inscrite,
et la Bibliothèque nationale ne fait pas exception. Entre les ouvrages attribués à tort, ceux qui,
bien que figurant dans le fichier, sont pilonnés depuis quarante ans, ou encore, ceux qui ont
probablement été tellement lus (ou pas assez !) qu’ils ne sont consultables que sur microfiches
ou microfilms, je ne pouvais m’empêcher de penser que c’est aussi l’histoire de la République
qui se fait et se défait à travers ces difficultés à en conserver la mémoire ». Loeffel Laurence,
« La question du fondement de la morale laïque sous la Troisième République : une quête des
origines à la frontière des genres », Perspectives documentaires en éducation, 2000, n° 49,
p. 95-96.
Terral, op. cit., p. 16.
Legendre Jacques (Sénateur), Rapport d’information fait au nom de la commission des
Affaires culturelles sur l’enseignement des langues étrangères en France, n° 63, Annexe au
procès-verbal de la séance du 12 novembre 2003, p. 5.
Aillagon Jean-Jacques (ministre de la Culture et de la Communication), « Avant-propos »,
Rapport au Parlement sur l’emploi de la langue française, Paris, ministère de la Culture et de
la Communication, Délégation générale à la langue française et aux langues de France, 2003,
p. 7.
Martel Philippe, « Les langues de France et l’Europe », Revue internationale d’éducation
(revue du Centre international d’études pédagogiques, Sèvres), n° 3, septembre 1994, p. 74.
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AVANT-PROPOS
La littérature corse fournit également un matériau précieux pour la compréhension de l’histoire de l’école. La littérature est ici un miroir, rarement un
artefact. Dans l’île, comme dans d’autres régions où le quotidien se décline
en alsacien, basque, breton, catalan, franco-provençal, picard, occitan, l’apprentissage de la langue française fait l’objet de multiples évocations. L’École
y apparaît fréquemment comme un espace-temps auquel il faut s’acclimater.
C’est ce que démontre Pierre Sansot dans les pages autobiographiques de
La France sensible : « Ainsi on m’a enseigné une République, une France idéales, trop belles pour être vraies et, avec un peu plus de lumière et d’esprit critique, j’aurais pu “retoucher” ce qui m’avait été transmis. […] Le pays d’où je
viens aura donc été une langue que j’ai eue à apprendre et mon pays natal, une
école où il fallut me rendre. Des doctes instruits par l’histoire ont prétendu,
documents à l’appui, que la langue française s’est imposée au détriment des
parlers régionaux et qu’elle avait obtenu ce résultat non sans violence, non sans
calcul et perfidie, grâce à la complicité de l’École et de ses instituteurs. Il est
vrai que nous parlions deux langues mais nous n’avions pas conscience d’être
déchirés et d’avoir à choisir. Quand nous quittions l’école, nous parlions tantôt
dans notre patois local, tantôt dans la langue de notre maître. Les circonstances
suscitaient la parole la plus convenable. Si, dans la cour de l’école, un camarade
nous brutalisait ou nous taquinait, nous l’injurions prestement avec les mots
de la ferme. Quand nous arrivions, le matin, à l’école, tout aussi spontanément, nous reprenions l’usage de la langue française. D’ailleurs, ce changement
dialectal se situait dans une autre aventure, plus bouleversante. Même si nous
venions d’une ferme voisine, même si notre parcours n’excédait pas un ou deux
kilomètres, ce qui en ce temps-là était peu de chose, nous nous expatriions
de notre terre originelle, de nos bois, de nos bêtes, surtout de nos vaches, aux
beaux noms fleuris, qui servaient aux labours et pour lesquelles nous avions de
l’amitié. Certains petits camarades souffraient de cet exil qui durerait toute la
journée. D’autres s’étaient accoutumés à ce voyage et ils le considéraient avec
quelque curiosité. C’était comme si nous étions allés à la ville25 ».
À présent, revenons en Corse. Dans sa belle étude universitaire consacrée
à Jean-Pierre Lucciardi, Maria Cicilia Querci écrit en conclusion : « Stu primu
studiu, nant’à u pueta di Santu Petru di Tenda, ne chjama forse d’altri, perchè
tuttu ùn hè micca statu trovu sopr’à st’autore. Ci sò sempre numerose è varie
opere da scopre26 ». C’est pour répondre à cet appel que nous avons entrepris de
rouvrir un dossier riche de sa complexité.
Chez les Lucciardi, deux personnages dominent la mémoire familiale. Anton
Sebastiano et Jean-Pierre, l’Ancien et le Jeune, ont des vies parallèles. Certaines
25. Sansot Pierre, La France sensible, Seyssel, Éditions du Champ Vallon, 1985, p. 22-23.
26. Querci Maria Cicilia, Ghjuvan Petru Lucciardi (1862-1928). Vita è Opera. Maestria di lingua
è civilisazione corse, sottu à a direzzione di Ghjacumu Fusina. Memoriu di maestria in studii
corsi, Corti, Università di Corsica, 1995, p. 97.
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LES LUCCIARDI – UNE FAMILLE CORSE DE POÈTES ET D’INSTITUTEURS
époques donnent l’impression que l’Histoire s’est arrêtée. D’autres sont agitées
de convulsions qui ébranlent la société dans toutes ses dimensions.
Cette étude s’efforce d’éclairer leurs parcours dans une Corse – celle des
XVIIIe et XIXe siècle – qui connaît une rupture politique, culturelle et linguistique
majeure.
Le parti pris des textes comme boussole anime cette étude. Par certains
aspects, cet ouvrage apparaîtra comme une anthologie. Le travail d’inventaire et
de recensement n’a pas été chose facile. En quête du moindre indice, j’ai brassé
journaux, feuilles, bulletins et revues. Dans la mesure du possible, j’ai souhaité
que l’analyse ne vienne pas éclipser ou écraser les textes du temps auxquels je
me réfère. C’est un parti pris que j’assume totalement. Le lecteur ne doit pas
y voir la marque d’une paresse intellectuelle désinvolte mais plutôt la volonté
résolue de mettre en lumière des textes oubliés. J’espère que rien d’important
n’a échappé à mon humble sagacité.
Le recueil des textes est guidé par le souci de rendre la documentation
accessible au grand public. Nous avons opté pour une restitution scrupuleuse
de la graphie des textes originaux, quelqu’étrange qu’elle puisse nous paraître
aujourd’hui et même quelque fautive qu’elle soit : variations et lapsus calami
témoignent des habitudes d’une époque et de la liberté d’écriture de l’auteur.
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Ad patres
Les vivants ne peuvent rien apprendre aux morts ;
les morts, au contraire, instruisent les vivants.
Chateaubriand
Jean-Pierre Lucciardi souffre depuis quelques années d’un cancer du rein et
subit pour cela un traitement lourd et qui ne parvient guère à ralentir la progression de la maladie. Son fils médecin, le fait venir auprès de lui à Paris. Mais à
l’issue d’un examen médical approfondi, les pires craintes ne tardent pas à se
confirmer. Hélas, rien ne pourra arrêter le mal.
Jacques Lucciardi, son petit-fils, garde le souvenir de la dernière fois où il a
vu son grand-père vivant. Il avait quitté son domicile en taxi et, le teint pâle et
la mine triste, devait gagner le port de Bastia où il devait s’embarquer. C’est au
domicile de son fils médecin1, au 2 rue Ambroise Paré, dans le 10e arrondissement de Paris, que la mort fauche Jean-Pierre Lucciardi. À son chevet, son fils ne
peut rien. Le cœur de Jean-Pierre cesse de battre le 5 août 1928 à quatre heures
trente. Ses dernières pensées sont pour sa famille et pour Santo-Pietro-di-Tenda,
le village natal qu’il a aimé éperdument.
Pendant de nombreuses années, on dissimule la mort de Jean-Pierre Lucciardi
à ses petits-enfants qui le réclament. « Induve hè babbone ? Hè in Parigi. » (Où
est grand-père ? Il est à Paris).
Quelques jours plus tard, c’est donc un cercueil qui revint de Paris. La
dépouille de l’instituteur-poète sera ramenée en Corse et inhumée le 13 août dans
son village natal de Santo-Pietro-di-Tenda. La famille, les cousins, le village
ainsi que quelques personnalités du monde intellectuel insulaire sont présents.
Pour A Muvra, Alessiu Marchetti, son ancien élève de l’école de San-Nicolaodi-Moriani, prononce quelques mots en guise d’adieu.
L’avis de décès, publié dans Le Petit Bastiais2 fait également mémoire de la
disparition de Fleur-d’Épine Lucciardi, sœur de Jean-Pierre, décédée à SantoPietro quelques jours auparavant, le 25 juillet à l’âge de 70 ans. Au village, dans
le Nebbio comme dans les milieux intellectuels, la disparition de Lucciardi à
l’âge de soixante-cinq ans soulève une vague d’émotion. Les journaux et les
revues donnent la mesure de l’hommage rendu : « A Corsica é in dolu, u pueta
1. Docteur Pierre-Jean Lucciardi, spécialiste pneumo-phtisiologue qualifié, membre de la Société
française de la tuberculose, membre de la Société française de pathologie respiratoire, 3, Place
Violet, Paris (XVe).
2. Le Petit Bastiais, samedi 11 août 1928, n° 190.
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LES LUCCIARDI – UNE FAMILLE CORSE DE POÈTES ET D’INSTITUTEURS
Juvan Petru Lucciardi, u geniale autore di Maria Jentile, U Martiriu di Santa
Divota, Canti Corsi, Cose Andate e tante belle opere, è mortu. A salma di u
caru cumpagnu e maestru è stata salutata in lingua materna da u nostru Alessiu
Marchetti. U dialettu corsu, oramai maravigliosamente risortu, deve assai a u
pueta di Santu Petru di Tenda. Cu dulore dicemu addiu a quellu chi fù cu noscu
a Pontenovu. I cursisti facenu l’inchinu natu a tomba di Juvan Petru Lucciardi
e indirizzanu a’ famiglia i so miglior pinseri di cunfortu. »3
Sous la plume de Paul Arrighi, théoricien du cyrnéisme, L’Annu Corsu rend à
son tour un bel hommage à l’instituteur-poète disparu : « Le jour où l’on voudra
écrire l’histoire du félibrige corse, une place de tout premier plan reviendra au
poète éminent trop tôt enlevé à notre amitié et aux lettres insulaires. Car il est
un de ceux qui ont le plus fait pour maintenir notre conscience félibréenne, pour
affirmer la valeur d’expression de notre langue, pour cultiver par cela même
l’esprit corse dans ce qu’il a de meilleur. »4
Mais le plus poignant des hommages lui est adressé en vers par son ami, le
poète Paoli di Taglio qui, le 10 octobre 1928, publie un sonnet « A u rimpiantu
Lucciardi » (Au regretté Lucciardi) dans le journal A Muvra. Entre Lucciardi et
Paoli di Taglio, l’amitié était solide.
Eri di un bel giardinu un fior’ muschente
Chi tuttu imbalzamava in ogni latu,
Un pueta distintu e rinomatu,
Un astru luminosu e rilucente.
Amasti a Cirnu d’un amor’ brillante,
Cantasti li so’ monti e li so piani,
Amasti a lingua e i so’ costumi strani,
E macchie ombrose, e profumate piante.
E avà tutt’è finitu. Oh ! tista sorte !
(Solu, l’oere toie un mureranu)
D’Elicona so chiose ormai le porte !
Ti salutu cun core e cu la manu ;
Dormi contentu in bracciu di la morte,
Chi u tempu, in terra, un lu passaste in vanu5.
3. « La Corse est en deuil, le poète Juvan Petru Lucciardi, le génial auteur de Maria Jentile,
U Martiriu di Santa Divota, Canti Corsi, Cose Andate et de tant de belles œuvres, est mort ».
C’est ainsi que rédaction du journal autonomiste A Muvra informe ses lecteurs dans la livraison
du 5 septembre 1928.
4. Arrighi Paul, « Hommage à J.-P. Lucciardi », L’Annu corsu di u 1929, 1928, p. 104..
5. « Tu étais une fleur parfumée dans un beau jardin, Embaumant toute chose, Un poète distingué
et de renom, Un astre lumineux et étincelant./ Tu aimas Cyrnos d’un amour limpide, Tu chantas
ses montagnes et ses plaines, Tu aimas sa langue et ses curieuses traditions, Le maquis luxuriant,
les plantes parfumées./ À présent, tout est fini. Oh ! triste sort ! (Tes œuvres ne mourront pas)
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AD PATRES
La revue U Lariciu, salue également la mémoire du poète disparu en publiant
les quatrains d’« E mortu un Russignolu »6. Dans sa rubrique « L’Attualità
Cursista », l’Almanaccu di A Muvra per 1929 évoque « un gran dolu », un grand
deuil. Plus loin dans le volume, Minicale fait part de son chagrin et adresse ses
condoléances « A’ Famiglia Lucciardi », à la famille Lucciardi.
Un sentite la nutizia
Ci corre per ogni latu ?
È stramurtitu lu fiore
Cusì bellu e cultivatu :
U pueta di lu Nebbiu
Oghj’è struttu e cunghielatu.
Lucciardi, lu gran cullega,
È cadutu in bracci’a’ morte.
A sorte si mostra ingrata
E ci chiude a noi le porte :
Un ci vale inde stu mondu
D’esse attalentatu e forte.
Per ripiglià la salute,
In Parigi fù purtatu ;
Da la so’ cara famiglia
Assistitu e ben curatu ;
Ma un ci valse bon duttori
Par stu pegnu dilicatu ;
E fubbe un tristu ritornu,
Chi era spenta la vita.
A la chiama di la morte,
L’anima n’era smarrita
Per andà in l’altu celu
A truvà pace infinita.
Oh ! quantu scrisse per Cirnu
Da pueta superiore !
Scritti degni d’ellu stessu,
Da maestru prufessore.
E per questi, la so morte
Ci porta grande rumore.
Les portes de l’Hélicon sont fermées désormais !/ Je te salue avec mon cœur et avec mes mains ;
Dors comblé dans les bras de la mort, Car le temps, sur terre, tu ne le passas pas en vain ».
6. L’Aciartula, « In memoria di u pueta J.-P. Lucciardi. E mortu un Russignolu… », U Lariciu,
rivista trimestriale di litteratura e arti regionalisti corsi, 4u trimestru 1928, n° 10, p. 2.
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LES LUCCIARDI – UNE FAMILLE CORSE DE POÈTES ET D’INSTITUTEURS
Ha cumpostu lu Martiriu
D’una vergine divina :
Quellu di Santa Divota
Ch’è una vera duttrina,
E pò serve di prighera
A i Corsi, sera e matina.
Ogn’unu ne apprezza e loda
U pueta rinumatu,
Riflettendu in lu prisente
Quant’ell’avia miritatu
Dendu a la lingua di Cirnu,
Di a so arte, lu gran fiatu.
Quì si ferma cu gran dolu
Ogni pueta cullega.
Pè lu so’ eternu riposu,
Cun angoscia piegn’e prega,
Riflettendu a l’avenire
Chi lu secretu ci nega.
Ma, stu Corsu di valore
Unn’ha vissutu abbastanza !…
A la so’ famiglia in dolu,
In sta trista circustanza,
Mandu ste povare rime
D’affettu e di cunduglianza7.
Puis les décennies s’écoulent et, à l’exception notable de sa famille et des
habitants de Santo-Pietro-di-Tenda, l’œuvre de Jean-Pierre Lucciardi tombe peu
à peu dans les oubliettes de la littérature corse. L’oubli est long mais provisoire. Le souvenir de Lucciardi est ravivé par l’association « Parlemu Corsu »
qui souhaite lui rendre hommage. L’édition corse du quotidien Nice-Matin du
vendredi 27 août 1971 annonce la journée d’hommage consacrée au poète.
« Un talent dont la Corse fut si fière et qu’il fallait, pour les jeunes générations,
tirer de l’oubli en organisant autour de la mémoire de Ghiuvan-Petru Lucciardi
une cérémonie destinée à perpétuer son œuvre et son nom. C’est l’association
“Parlemu Corsu” qui a pris l’initiative de l’événement. Quittant leur “paisolo”
de Cinarca, MM. Albertini et Papadacci, animateurs de “Parlemu Corsu” seront
demain à Santo-Pietro. Et avec eux tous les Corses 1ui veulent voir dans cette
cérémonie se ranimer la flamme de la Corse qui ne veut pas mourir. »8
7. Minicale, « A’ famiglia Lucciardi », Almanaccu di A Muvra per 1929, 1928, p. 51-52.
8. Nice-Matin Corse, vendredi 27 août 1971, page A.
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AD PATRES
Le journal dévoile le programme des manifestations qui débutent à dix heures
avec une messe célébrée en langue corse par le vicaire général Ange Giudicelli
et par les prêtres du Nebbiu. La messe sera chantée par la chorale de Rusio avec
le concours de Charles Rocchi. Le 29 août, le quotidien rend longuement compte
des cérémonies de Santo-Pietro.
« Ce fut une très belle fête que celle organisée samedi dernier par l’Association
Parlemu Corsu à Santo-Pietro-di-Tenda, en l’honneur de l’écrivain corse, enfant
de ce pays, Ghiuvan Petru Lucciardi. Un temps magnifique avait succédé à la
journée vendeuse de la veille et le soleil flamboyait sur ces paysages tout en
contrastes du haut Nebbio où, accrochés aux rocailles traversées d’érosions
éoliennes, s’agrippent chênes verts et oliviers. Dès 10 heures, une foule
importante, parmi laquelle de nombreuses personnalités locales, s’étaient réunies
sur la place de la vaste église où un clergé nombreux se préparait à célébrer la
messe. C’est Mgr Ange Giudicelli, vicaire général du diocèse qui devait célébrer
celle-ci, assisté du chanoine Stefanopoli de Commene, curé de Saint-Florent,
et de l’abbé Miniconi, curé de Santo-Pietro-di-Tenda. Assistaient également à
la célébration le chanoine Pergola, curé d’Oletta, le doyen Clementi, curé de
Murato, et l’abbé Pietrotti, curé de Sorio. Au premier rang de la nombreuse
assistance avaient pris place, à gauche, le Dr Lucciardi, fils de l’écrivain, et
sa famille, notamment ses enfants Charles et Jacques Lucciardi. À droite, les
personnalités, au premier rang desquelles le Dr Giacomi, député de la Corse ;
Mme Mattei-Pietrera, maire de Santo-Pietro ; le Dr Bonavita, conseiller général
du canton ; MM. Elia Papadacci et Yvia-Croce, hommes de lettres de Parlemu
Corsu et organisateurs de la journée ; Mme Petru Rocca, veuve de l’écrivain ;
M. François Guarnieri, chef de l’agence Nice Matin de Bastia ; Me Jean-Baptiste
Biaggi, maire de Cagnano ; M. Antoine Trojani, directeur d’école et homme
de lettres ; le chansonnier bastiais Vincent Orsini ; le chanteur corse Charles
Rocchi ; les membres du conseil municipal, etc. Messe profondément originale
et émouvante car elle fut célébrée en latin tandis que les textes liturgiques
étaient lus en dialecte corse par MM. Papadacci, Yvia-Croce et par le chanoine
Giudicelli. Il en fut de même pour le prône prononcé par le prélat qui, partant de
l’exemple de Babel et de la confusion des langues, exalta la vocation unificatrice
du latin, langue de la chrétienté et à l’échelon local celle du corse qui en est
directement issu et représente toutes les valeurs de notre passé. L’orateur sacré
a ensuite rendu un fervent hommage à l’écrivain Lucciardi. Le concours de
La paghjella de Rusio qui a chanté entièrement l’office All’Antica, a apporté
une dimension supplémentaire à ce caractère typiquement corse qu’aurait aimé
celui en l’honneur de qui était organisée cette journée. L’hommage à Ghiuvan
Petru Lucciardi intimement lié à celui de la langue corse, allait se répercuter
comme un écho tout au long des manifestations de la matinée et de l’après-midi.
Après la messe, l’assistance se dirigeait vers le petit cimetière où une gerbe
était déposée sur la tombe de l’écrivain. Puis chacun gravissait sous le soleil
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la pente menant à la maison de J.-P. Lucciardi juchée tout en haut du village
où une plaque commémorative allait être dévoilée. Des discours de MM. Elia
Papadacci, Yvia-Croce et de Mme Mattei-Pietrera, maire de Santo-Pietro, ont à
nouveau exalté les vertus et le talent de l’auteur de “Maria Gentile”, “A vendetta
di Lilla” et “U martiriu di Santa Divota.”9 »
9. « Hier, à Santo-Pietro-di-Tenda : Messe corse et jeux floraux à la mémoire de l’écrivain
J.-P. Lucciardi », Nice-Matin Corse, dimanche 29 août 1971.
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Anton Sebastiano
Lucciardi versus Prete
Biasgiu
Ce que tu as reçu de tes ancêtres, acquiers-le,
pour le posséder.
Goethe
La maison Lucciardi domine le village de Santo-Pietro-di-Tenda. Le village
domine les flancs ouest du Nebbiu. C’est un pays stable et fertile. Le rythme
tranquille de la vie quotidienne ne s’y trouve rompu que par les intempéries,
la sécheresse, la guerre ou l’épidémie. Le village, perché à 360 mètres d’altitude, se situe à seize kilomètres de la mer. Dans son Dialogo nominato Corsica,
monseigneur Agostino Giustiniani (1470-1536), évêque génois du Nebbio,
savant de renom européen, polyglotte, spécialiste de langue hébraïque, recruté
par François Ier pour donner des cours à Paris dans le cadre d’un « séminaire des
savants » qui préfigure le Collège de France, décrit de façon lapidaire la pieve
di Santo Pietro, située dans le paese di Nebio, le pays de Nebbio. Écoutons-le :
« On trouve ensuite Rapale, formé de plusieurs petits villages, puis Sorio, puis
le village de San Gavino et celui de Santo Pietro, vulgairement appelé Poggio di
Casta. Dans la réalité, Casta ne se trouve pas là, parce que Casta est un endroit
ruiné, à Campo Castinco, à proximité d’une église ruinée dédiée à San Salvatore,
et on y voit encore les vestiges et les ruines du pays de Casta, d’où sont issus
les Caporali Castinchi, peu de temps avant notre siècle d’un certain Judato da
Casta qui fut, à ce que l’on dit, le premier qui vint habiter à Santo Pietro. Il
eut deux fils, Luciano et Bernabò. De ces deux frères proviennent les factions,
les partis et les divisions, qui s’étendent presque à toute l’île, particulièrement
dans le Deçà-des-Monts. Les adhérents et descendants de Bernabò s’appellent à
présent Vincentelleschi et les adhérents de Luciano s’appellent Lucianeschi ou
Terameschi1. »
Après la conquête française de la Corse, la pieve de Tenda compte trois
communautés : Sorio, San-Gavino et Santo-Pietro. Une bonne partie des terres
de la pieve était alors en culture. Ces terres sont surtout affectées aux céréales
(froment, orge, blé de Turquie), aux vignes et aux oliviers. Les géomètres du
1. Giustiniani Agostino, Description de la Corse. Préface, notes et traduction de Antoine-Marie
Graziani, Ajaccio, éditions Alain Piazzola, 1993, p. 61.
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LES LUCCIARDI – UNE FAMILLE CORSE DE POÈTES ET D’INSTITUTEURS
Plan terrier de la Corse notent que le village de Santo-Pietro dispose d’un
territoire d’une communauté non habitée en permanence, mais qui sert à la
pâture, celle des Agriate.
La possession de ce vaste territoire permet en partie de subvenir aux besoins
alimentaires des habitants du village, communauté qui avoisinait le millier de
personnes à la fin du XVIIIe siècle. « Le premier coup d’œil nous apprend que la
profession la plus largement représentée est celle du laboureur, suivie des gens
qui piochent et des bergers. Au demeurant, la désignation ambiguë des laboureurs englobe plus du tiers des chefs de ménage2 », note Janine Pasqualini.
Dans sa thèse complémentaire présentée à la Sorbonne, Antoine Albitreccia
souligne que « la grande solitude a gagné les Agriate, parce que les 81 fontaines
dont parle le Terrier étaient déjà signalées comme faibles et intermittentes, et que
les ruisseaux y étaient déjà à sec durant de longs mois3 ». L’analyse d’Albitreccia
est battue en brèche par Antoine Pieretti : « Serait-ce, dans l’île la plus arrosée
de la Méditerranée, un Sahara aride et sableux ? Il faut prendre évidemment le
mot désert dans un sens plus large, qui est son sens étymologique : un pays vide
d’hommes. […] En résumé, il semble qu’il ne faille pas penser à un fait isolé, à
une incursion ou série d’incursions qui aurait, à un moment donné, révolutionné
et l’habitat et l’économie du pays, mais à une insécurité chronique et millénaire
qui a perpétué là, et aggravé, des modes d’occupation et d’exploitation du sol
rudimentaire, et qui a maintenu ces territoires dans la dépendance des villages
de l’arrière-pays4 ».
La maison Lucciardi est une bâtisse discrète, meublée dans le style bourgeois de la fin du XIXe siècle. Sur les murs, les portraits de famille, des gravures
représentant les héros de l’histoire insulaire. On reconnaît les portraits de Paoli
et de Sampiero Corso par Novellini, professeur libre de dessin et de peinture.
Jean-Pierre Lucciardi apprécie les œuvres du peintre Paul-Mathieu Novellini
(1831-1921) qui immortalisent les grandes figures de l’histoire de la Corse.
En septembre 1909, le peintre écrit au préfet et aux membres du Conseil général afin que le budget départemental inscrive la somme nécessaire à l’acquisition
de ses Illustrations de la Corse pour toutes les écoles de l’île. L’artiste justifiait
sa demande en s’appuyant sur un vœu de l’Amicale des instituteurs de la Corse
et surtout sur une circulaire du ministre de l’Instruction publique qui recommandait « la décoration des établissements scolaires à l’aide d’œuvres artistiques
2. Pasqualini Jeanine, La population de Santo-Pietro-di-Tenda et l’espace familial au XVIIIe siècle.
Mémoire de maîtrise sous la direction de M. le Professeur José Gentil Da Silva, U.E.R. Lettres
et sciences humaines, Université de Nice, juin 1987, 91 pages.
3. Albitreccia Antoine, Le Plan Terrier de la Corse au XVIIIe siècle, Paris, Puf, 1942, p. 174.
4. Pieretti Antoine, « En Corse : le désert des Agriates. Contribution à l’étude des rapports de
l’homme et du sol dans les régions côtières méditerranéennes », Revue de géographie de Lyon,
Année 1951, vol. 26, n° 2, p. 155-162.
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ANTON SEBASTIANO LUCCIARDI VERSUS PRETE BIASGIU
représentant les gloires nationales du département5. » Lucciardi est sensible à la
portée pédagogique des gravures de Sambucuccio, Sampiero, Paoli et Napoléon
par Novellini. Dans les colonnes du Colombo, l’instituteur vole au secours du
peintre qui est plongé dans un quasi état de misère.
À Santo-Pietro-di-Tenda, plusieurs familles Lucciardi coexistent dans ce
village et semblent provenir toutes d’une souche commune. Au XXe siècle, la
figure dominante est le « sgiò Pittu », Joseph Louis Lucciardi, médecin-major
de marine. Une tradition généalogique invérifiable indique que les Lucciardi ou
Luxiardi de Corse sont originaires d’une noble famille issue de Val di Taro, dans
la province de Parme. Inscrite au Livre d’Or de la noblesse génoise en 1393, la
famille Lucciardi est agrégée à l’albergo de Franchi. En 1576, les membres de
cette famille renoncent au nom de Franchi pour conserver celui de Lucciardi.
De nombreux personnages issus de cette famille Lucciardo de Franchi se font
un nom dans l’histoire de Corse. Nous l’avons déjà dit : tous sont génois. Citons
Carlo, lieutenant du gouverneur Battistino Doria au XVe siècle ; Damiano, administrateur génois qui supervise les travaux réalisés à Ajaccio en 1492 ; Domenico,
nommé trésorier de la Corse par l’Office de Saint-Georges en 1509 ; Battista,
promu podestat et trésorier en Corse par l’Office de Saint-Georges en 1558 ;
Giovan Battista, surintendant du gouvernement civil de Bastia en 1559. Mais,
de toute évidence, deux personnages se détachent. Le premier est un ecclésiastique qui connaît un destin tragique : Gabriele Lucciardo de Franchi, théologien, évêque d’Ajaccio qui meurt empoisonné en 1493. Le second est Francesco
Lucciardo de Franchi, gouverneur génois de la Corse, de 1536 et 1540. C’est
semble-t-il la descendance de ce gouverneur qui s’établit et fait souche à SantoPietro-di-Tenda. Autre personnage digne d’intérêt, un colonel Lucciardi qui offrit
à l’église de Santo-Pietro, son village natal, une déposition de Croix de bonne
facture. Il en va de même des Lucciardi d’Antisanti qui par une solide tradition
familiale proviendraient de Casta et auraient quitté Santo-Pietro en raison d’une
vendetta ou d’une sombre querelle familiale. De cette branche établie sur les
renforts de la plaine orientale, est issu Ange-François Lucciardi, né à Antisanti
en 1864, militaire qui après avoir combattu au Tonkin en 1884 et en Cochinchine
en 1886, est promu lieutenant au Régiment des Tirailleurs sénégalais. Chevalier
de la Légion d’honneur en 1890, capitaine en 1891, chef de bataillon en 1899, il
devient le plus jeune lieutenant-colonel de l’armée française en 1903, année où
la maladie l’emporte à Madagascar.
Tous les Lucciardi de Corse, ceux de Santo-Pietro-di-Tenda et ceux
d’Antisanti, partagent les mêmes armoiries accompagnées de la devise Lux
Ardens.
5. Lettre de P. Novellini en date d’Ajaccio, 19 septembre 1909, adressée « À M. le Préfet et à
MM. Les membres du Conseil général de la Corse ». Le Petit Bastiais, mercredi 29 septembre
1909.
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LES LUCCIARDI – UNE FAMILLE CORSE DE POÈTES ET D’INSTITUTEURS
En cette fin de XIXe siècle et en ce début de XXe siècle, un personnage domine
le passé des Lucciardi de Santo-Pietro. Plus que tout autre personnage de l’entourage familial, le souvenir d’Anton Sebastiano, figure tutélaire, imprègne
presque naturellement l’enfance de Jean-Pierre Lucciardi. Anton Sebastiano a le
monopole sur l’imaginaire familial.
Anton Sebastiano Lucciardi, voit le jour en avril 1771, quelques années
après la conquête française de la Corse. Fils de Domenico Maria Lucciardi et
de Maria Rosa Castagno, Anton Sebastiano est porté sur les fonts baptismaux le
14 avril 1771. Le surnom de Prete Biasgiu lui colle à la peau. Pour les habitants
de Santo-Pietro, Anton Sebastiano c’est Prete Biasgiu. Dès sa prime enfance,
sur les conseils de son oncle germain, le père Paolo Maria Lucciardi6, Anton
Sebastiano souhaite s’engager dans la carrière ecclésiastique. Pour des motifs
restés obscurs, le jeune homme renonce finalement au sacerdoce pour fonder un
foyer. Mais, sa vie durant, Anton Sebastiano, conservera son surnom qui rappelait ses premiers élans. S’il renonce donc à revêtir la soutane, Prete Biasgiu reste
un catholique pratiquant qui assiste à la messe quotidiennement. Ayant adhéré
de bon cœur à la Révolution française et à ses principes, il dispose semble-t-il
d’une bonne connaissance du français. Connaître la langue française n’est pas
une compétence courante dans la Corse de la fin du XVIIIe siècle. Chez les Corses,
à l’exception notable des élites, la pratique du français reste inhabituelle.
Un instituteur corse sous le Directoire
Nommé instituteur le 9 octobre 1799, Anton Sebastiano Lucciardi appartient,
d’une certaine manière, à l’avant-garde enseignante voulue par la Révolution.
Dans ses Memorie, témoignage irremplaçable sur la Corse au XIXe siècle,
Francesco Ottaviano Renucci revient brièvement sur le recrutement des instituteurs du département du Golo par un jury composé de notables acquis aux
idéaux de la Révolution. Écoutons-le : « Je m’occupai avec sollicitude de
l’organisation des écoles primaires cantonales. Je pris mes renseignements
et recueillis des informations sur les personnes qui, selon la loi, devaient
composer le jury d’instruction publique, puis je présentai à l’administration
un rapport accompagné d’une proposition de délibération et d’un règlement.
Dans ce document, je désignais comme membres du jury les personnes les plus
instruites et les plus connues du pays. Je ne m’étais pas limité aux seuls chefs6. Né le 26 juin 1736 à Santo-Pietro-di-Tenda par Felice Pinelli, piévan. Après avoir effectué sa
formation auprès de Felice Pinelli, piévan de Santo-Pietro, au couvent des pères capucins de
Santo-Pietro-di-Tenda, Paolo Maria Lucciardi, fils de Domitilla et de Gio. Bernardo Lucciardi,
fils d’Anton Bastiano Lucciardi, est ordonné prêtre le 25 mars 1763 au couvent de Caccia
par Monseigneur Cesare Crescenzio de Angelis, évêque de Segni, visiteur apostolique. À la
même époque, la famille Lucciardi donne d’autres prêtres à l’Église. C’est notamment le cas de
Giovan Pietro Lucciardi, tonsuré est reçu aux quatre ordres mineurs en 1780.
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lieux des trois arrondissements et, pour rendre plus efficace la surveillance
des écoles, j’avais créé un jury dans chacun des six anciens districts du Deçàdes-Monts, c’est-à-dire Bastia, Corti, L’Isula, Cervioni, A Porta et Oletta.
L’administration approuva la délibération et le règlement, et les fit imprimer
et brocher, le 31 juillet 1797, avec en guise d’introduction un discours adressé
aux citoyens du département. Vous en trouverez quelques exemplaires dans
mes papiers. Puis on procéda à la nomination des instituteurs qui devaient
passer un examen et posséder une attestation du jury. L’administration fournissait à l’instituteur cantonal la maison et un jardin. Selon l’avis du jury, les presbytères et les couvents qui n’avaient pas encore été vendus furent employés à
cette destination. La commune devait payer à l’instituteur une petite rétribution
fixée par délibération de l’administration municipale, dispositions conformes à
la loi du 3 brumaire an IV (25 octobre 1795)7 ».
Si l’État peut encourager la création d’écoles primaires, il se doit d’en confier
le contrôle et la surveillance quotidienne aux notables locaux. Le recrutement
reçoit l’assentiment des administrateurs centraux du département qui valident
et paraphent les arrêtés de nomination des instituteurs. Mentionnons Francesco
Antonio Arena, Giacinto Arrighi, Jean Quilico Benedetti, Gian Tommaso
Casale, Paolo Felice Graziani, Nicolao Olivetti, Francesco Ottaviano Renucci,
Giuseppe Salvini.
Les membres du jury sont proposés à l’administration centrale par les administrations cantonales sur lesquelles il faut s’arrêter un instant. Il n’est pas aisé
d’atteindre la réalité d’une institution et de rendre compte de son fonctionnement. Le district, structure voulue par la Terreur en l’an II, est remplacé par les
municipalités cantonales. Pour faire obstacle à l’esprit jacobin, la Constitution
de l’an III établit une municipalité cantonale composée d’un président, élu par
l’assemblée primaire du canton, et des agents municipaux des communes. Un
commissaire du Directoire siège auprès de chaque municipalité communale. Les
municipalités communales évoluent mal8. Nulle part, ou presque, elles ne fonctionnent conformément à l’organisation initialement prévue9.
En outre, les connaissances des membres des municipalités cantonales en
matière de langue française sont souvent fragiles et posent problème. C’est ce
qui ressort de nombreux éléments de la correspondance adressée par les municipalités cantonales à l’administration centrale du département du Golo. Comment
évaluer chez un candidat les compétences dans une langue que les examinateurs
7. Renucci Francesco Ottaviano, Memorie 1767-1842. Introduction, traduction et notes de
Jacques Thiers, Ajaccio, Éditions Alain Piazzola, 1997, p. 210.
8. Godechot Jacques, Les institutions de la France sous la Révolution et l’Empire, Paris, P.U.F.,
1989 (1951), p. 474-476.
9. Morange Jean, « Les municipalités de canton », Les communes et le pouvoir de 1789 à nos
jours, sous la dir. de Louis Fougère, Jean-Pierre Machelon et François Monnier, Paris, P.U.F.,
2002, p. 140.
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eux-mêmes possèdent assez péniblement ? En Corse comme à travers tout le
pays, le style qui fait la part belle à la rhétorique révolutionnaire ne parvient pas
à camoufler les difficultés élocutoires. « Au-dessous du français des porte-parole
de la révolution “bourgeoise” qui s’installe sur le théâtre du pouvoir (avec sa
palette de styles oratoires, techniques, littéraires, adaptée à la recherche des effets
politiques), nous avons ainsi le français besogneux des citoyens “actifs” qui font
la force expressive du nouveau régime. Ce français des bas degrés des appareils, imitant des modèles venus d’en haut sous la brusque pression des événements, nous paraît aujourd’hui relativement maladroit, ou “incorrect” (F. Brunot
va jusqu’à parler de “français écorché”), tandis que certains des modèles nous
paraissent d’un pédantisme désuet10 ».
Notoriété et fortune sont en correspondance. Pour la plupart, il s’agit donc de
notables acquis aux idéaux de la Révolution.
Sur fond de tensions avec l’Église, le choix des instituteurs se porte prioritairement sur l’adhésion aux principes révolutionnaires. Il s’agit de moraliser
en s’instruisant. La morale vise à modeler l’homo novus de la Révolution. Cette
éducation associe deux éléments complémentaires qui s’enrichissent mutuellement : une formation à la civilité, une éducation à l’intérêt général. Une société
n’est pas simplement une juxtaposition d’intérêts d’hommes et de femmes ;
c’est aussi un groupe dont l’intérêt général est supérieur à la somme des intérêts
particuliers.
Cependant, il faut souligner le nombre important de prêtres et de moines
défroqués qui postulent aux fonctions d’instituteur. Dès 1798, les écoles tenues
par les prêtres constitutionnels reçoivent la faveur des familles. Cette situation
marque « le début de la lutte qui allait opposer l’école des fils de Voltaire à celle
des fils de croisés11 ». Par ailleurs, il est également laborieux d’évaluer la loyauté
d’instituteurs, républicains engagés12. D’une manière plus générale, on doit
souligner que le recrutement social des instituteurs est relativement diversifié et
se fait dans le clergé, dans les sphères de la bourgeoisie urbaine mais aussi dans
le monde de la petite notabilité rurale. Le salaire reste fort modeste. L’instituteur
se voit confier un logement et doit se tenir dans la « juste » distance en matière
de relations sociales. Il assume le rôle d’intermédiaire, de médiateur entre le
monde des élites et du pouvoir et le peuple. De façon manifeste, l’instituteur ne
10. Balibar Renée, L’institution du français. Essai sur le colinguisme des Carolingiens à la
République, Paris, P.U.F., 1985, p. 146.
11. Dufraisse Roger, « L’éducation durant la période révolutionnaire 1789-1815 », Histoire
mondiale de l’éducation, sous la dir. de Gaston Mialaret et Jean Vial, Paris, P.U.F., vol. 2,
p. 321.
12. Harten Hans-Christian, « Mobilisation culturelle et disparités régionales. Écoles, alphabétisation et processus culturel pendant la Révolution », Histoire de l’éducation, n° 42, mai 1989,
p. 111-137.
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parvient pas complètement à remplir sa mission et peine à s’exhausser au-dessus
des contingences matérielles qui, souvent, l’écrasent.
De toute évidence, il est extrêmement difficile de saisir les aspects de la
sociologie du personnel enseignant.
« Par quels moyens l’État peut-il donc se procurer les meilleurs éducateurs pour
sa jeunesse ? Tous les auteurs aussi bien de l’Ancien Régime que de la période
révolutionnaire se rejoignent pour considérer comme un préalable nécessaire la
réévaluation de la fonction enseignante dans l’échelle de l’estime sociale13 ».
Les instituteurs du Golo appartiennent grosso modo aux mondes des petits
notables, suffisamment instruits pour prétendre à une carrière enseignante, mais
pas assez prospères pour exercer des fonctions plus lucratives. Ni cohérence, ni
prestige, ni forte identité ne structurent ce groupe contraint à une vie en demiteinte. La première caractéristique du métier d’instituteur étant en effet que, si
l’on met à part quelques érudits, nul ne saurait pour l’heure en faire une occupation principale. Il est également difficile de saisir les raisons qui conduisent
à entamer une carrière enseignante si peu attractive. La chose est connue, les
instituteurs « étaient mal payés et ne jouissaient que d’une faible considération.
C’est pourquoi ceux qui embrassaient cette profession le faisaient parce qu’ils
avaient échoué ailleurs14 ».
Certes Renucci comme d’autres, sont conscients que tant qu’un corps d’instituteurs convenablement formés et normalement rémunérés n’aura pu être constitué,
l’instruction publique n’accomplira que de maigres progrès. Comme le rappelle
justement Françoise Mayeur : « La Révolution française a beaucoup pensé sur
l’éducation future des Français. Elle y voyait le moyen de forger l’unité des
citoyens autour des grands principes de liberté, d’égalité politique et de fraternité
au-delà de toutes les barrières sociales et matérielles qui pouvaient subsister15 ».
Toutefois, les grands principes scolaires de la Révolution apparaissent comme des
anticipations qui ne sont pas toutes immédiatement suivies d’effet.
« En somme, l’œuvre de la Révolution a été dans l’ordre scolaire, ce qu’elle
a été dans l’ordre des choses sociales et politiques. L’effervescence révolutionnaire a été éminemment créatrice d’idées neuves ; mais, pour ces idées, la
Révolution n’a pas su créer d’organes qui les fassent vivre, d’institutions qui
les réalisent. Soit parce que ses conceptions étaient souvent démesurées, soit
parce que les institutions ne s’improvisent pas, ne se tirent pas du néant, et que,
celles de l’Ancien Régime étant abattues, les matériaux indispensables pour
13. Julia Dominique, Les trois couleurs du tableau noir. La Révolution, Paris, Belin, 1981,
p. 139.
14. De Vroede Maurice, « La formation des maîtres en Europe jusqu’en 1914 », Histoire de
l’éducation, n° 6, avril 1980, p. 41.
15. Mayeur Françoise, Histoire générale de l’enseignement et de l’éducation en France, sous la
dir. de Louis Henri Parias, Paris, Nouvelle Librairie de France, 1981, tome III, p. 25..
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les reconstructions nécessaires faisaient défaut, soit plutôt pour l’une et l’autre
raison à la fois, la Révolution a proclamé des principes théoriques plus qu’elle
n’en a fait des réalités16 ».
Le calcul, la morale républicaine, la langue française perçue comme un
instrument civilisateur, constituent le socle de l’enseignement. Il n’est pas aisé
d’isoler les distorsions entre la pratique quotidienne de la classe et le tableau
qu’en donne le discours officiel. Mais, tout compte fait, rares sont les instituteurs
chevronnés et exercés à avoir une posture d’ingénieur capable, face à des situations nouvelles, de structurer ses propres cours et ses propres méthodes.
La méconnaissance du français conduit à évincer bon nombre de candidats
jugés inaptes à l’enseignement. L’on ne fait pas entrer un jeune corse de la fin
du XVIIIe siècle par loi et décret dans la Révolution, faisant fi de l’ensemble de
ses adhérences linguistiques, culturelles et religieuses, psychologiques et sociales au moment où il pousse la porte de l’école. Si toute formation est aussi un
peu une déformation, l’éducateur doit désormais travailler sans repères établis.
L’apprentissage de la langue française constitue donc le cœur de la mission
scolaire, une priorité, le cœur du modèle culturel auquel il importe de se conformer. Mona Ozouf indique : « Le sentiment des différences régionales ne s’est
donc pas atténué dans l’aventure révolutionnaire. Au moment même où les
hommes de la Révolution s’attellent à la fabrication d’une mémoire collective
unifiée et d’un esprit public homogène, ils doivent admettre la tenace singularité des régions17 ».
Pourtant, les réalités culturelles et linguistiques sont têtues et ne s’estompent pas
facilement. Il faut encore plus d’un siècle pour que « le français des instituteurs »
apparaisse comme « une innovation tout aussi radicale en son genre que l’avait
été le français des carolingiens »18. La pénétration effective du français en Corse
rencontre de nombreux obstacles. Vite résumé, à l’exception de quelques élites, la
population corse saisit assez mal l’italien, n’entend pas le français et ne parle que
le corse. Mais la propagation du français reste obsessionnelle. Le 27 janvier 1794,
Barrère présente au nom du Comité de Salut public un Rapport sur les moyens
de propager la langue française à l’intérieur de la République, qui insiste sur la
nécessité d’éliminer les langues régionales : « Parmi les idiomes anciens, velches,
gascons, celtiques, visigoths, phocéens ou orientaux, qui forment quelques nuances dans les communications des divers citoyens, et des pays formant le territoire
de la République, nous avons observé, et les rapports des représentants se réunissent sur ce point avec ceux des divers agents envoyés dans les départements, que
l’idiome appelé bas-breton, l’idiome basque, les langues allemande et italienne
16. Durkheim Émile, L’évolution pédagogique en France, Paris, P.U.F., coll. Quadrige, 1999
(1938), p. 349.
17. Ozouf Mona, L’école de la France. Essais sur la Révolution, l’utopie et l’enseignement, Paris,
Gallimard, coll. Bibliothèque des Histoires, 1984, p. 53.
18. Balibar Renée, op. cit., p. 150.
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ont perpétué le règne du fanatisme et de la superstition, assuré la domination des
prêtres, des nobles et des praticiens, empêché la révolution de pénétrer dans neuf
départements importants, et peuvent favoriser les ennemis de la France. […] Un
autre département mérite d’attirer vos regards ; c’est le département de la Corse.
Amis ardens de la liberté quand un parti et des administrateurs fédéralistes ligués
avec des prêtres ne les égarent pas, les Corses sont des citoyens français ; mais
depuis quatre ans de révolution ils ignorent nos lois ; ils ne connaissent pas les
événements et les crises de notre liberté. Trop voisins de l’Italie, que pouvaient-ils
en recevoir ? Des prêtres, des indulgences, des adresses séditieuses, des mouvements fanatiques. Pascal Paoli, anglais par reconnaissance, dissimulé par habitude,
faible par son âge, italien par principe, sacerdotal par besoin, se sert puissamment
de la langue italienne pour pervertir l’esprit public, pour égarer le peuple, pour
grossir son parti ; il se sert surtout de l’ignorance des habitants de Corse, qui ne
soupçonnent pas même l’existence des lois françaises, parce qu’elles sont dans
une langue qu’ils n’entendent pas. Il est vrai qu’on traduit depuis quelques mois
notre législation en italien, mais ne vaut-il pas mieux y établir des instituteurs de
notre langue que des traducteurs d’une langue étrangère19 ? »
En conséquence de quoi, le même jour, le décret du 27 janvier 1794 précise
qu’« Il sera établi un instituteur de langue française dans chaque commune des
campagnes des départements du Morbihan, du Finistère, des Côtes-du-Nord, et
dans la partie de la Loire-Inférieure, dont les habitants parlent l’idiome appelé
bas-breton. Il sera procédé à la même nomination d’un instituteur de langue française dans les communes des campagnes des départements du Haut et Bas-Rhin,
dans le département de la Corse, dans la partie du département de la Moselle, du
département du Nord et des Basses-Pyrénées, dont les habitants parlent des idiomes étrangers. Ces instituteurs recevront du trésor public un traitement de 1 500 fr.
par an20 ».
Par la force des choses, la mesure reste inappliquée.
Dès le 13 août 1790, l’abbé Jean-Baptiste Grégoire lance un vaste Questionnaire
relatif aux patois et aux mœurs des gens de campagnes. Les contributions reçues
convergent toutes pour indiquer que la langue française n’est parlée et comprise
que dans les grands centres urbains et le long des axes majeurs de communication. En outre, les réponses font apparaître que la langue nationale n’est en situation dominante que dans 16 des 89 départements qui constituent alors la France.
Le 28 mai 1794, devant le comité d’Instruction publique, l’abbé Grégoire tire les
conclusions de son enquête dans son Rapport sur la nécessité d’anéantir les patois
et d’universaliser l’usage de la langue française. Grégoire, « pourfendeur des
19. Cité dans Choix de rapports, opinions et discours prononcés à la Tribune Nationale depuis
1789 jusqu’à ce jour, Paris, A. Eymery libraire, 1821, Tome XV (année 1794-1795), p. 250.
20. Cité par Rendu Ambroise, Code universitaire, ou lois, statuts et règlements de l’Université
royale de France, Paris, Hachette, 1835, p. 212.
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patois », est convaincu que l’accession de tous au français est la condition sine qua
non de l’égalité entre les citoyens. Pour Grégoire, il faut éradiquer les « patois »
et refuser l’usage du bilinguisme, répandre l’usage du français à coups de décrets
et de mesures coercitives. En définitive, l’abbé Grégoire inscrit sa réflexion sous
« une épaisse chape d’idéologie unitaire et centralisatrice qui peut parfois confiner au délire universaliste21 ». Il s’agit de fondre tous les particularismes dans le
« tout », le « grand tout », le « tout national22 ».
Dans le décret du 17 novembre 1794, le français est la langue d’enseignement
tout en admettant que « l’idiome du pays ne pourra être employé que comme
un moyen auxiliaire » de l’enseignement. Renée Balibar et Dominique Laporte
indiquent que : « La politique linguistique scolaire de la Révolution bourgeoise
resta donc à l’état utopique. Entendons par là qu’elle ne réalisa nulle part la pratique scolaire du français qu’elle préconisa ; et, par conséquent, que les réalisations
scolaires ultérieures ne prirent pas directement la suite des siennes. Mais l’utopie
remplit effectivement son rôle idéologique en donnant à tous les Français des buts
unitaires sans lesquels la nation ne pouvait ni se créer ni vivre23 ».
La maîtrise du français fait donc partie d’enjeux identitaires forts. Les dimensions économique et politico-institutionnelle sont capitales : le français devient la
« langue du pain ». Investi par la République d’une action civilisatrice, l’instituteur doit mener à bien son action sans être absorbé par le milieu qu’il a la tâche
d’éduquer et dont il est socialement, culturellement et linguistiquement proche.
Cette pratique d’enseignement n’est pas sans difficultés et comme toute pratique
pédagogique, elle soulève de nombreuses questions : comment faire travailler un
élève dans une langue qui a priori n’est pas la sienne ?
Les lieux communs ont la vie dure. Et, au fil du XIXe siècle, la Corse traîne
toujours l’image d’une terre où la civilisation et l’école sont récentes. Les exemples
sont légion. Dans son Histoire générale de la Corse, Joseph-Marie Jacobi note :
« Au milieu de l’anarchie et sans direction déterminée, l’instruction nationale ne
pouvait qu’être extrêmement négligée. L’enseignement, tel quel, était purement
local : le ministre de l’autel était le seul instituteur de la communauté. Par lui on
recevait l’initiation religieuse, et par lui aussi on avait accès aux connaissances
humaines. La mission du prêtre insulaire était, comme on le voit, belle et large ;
21. Gardy Philippe, « Henri Grégoire, les patois et nous… Quelques réflexions », Rapport sur la
nécessité et les moyens d’anéantir les patois et d’universaliser l’usage de la langue française,
par l’abbé Henri Grégoire, Nîmes, Lacour, 1995, p. 16.
22. Rosanvallon Pierre, Le modèle politique français. La société civile contre le jacobinisme de
1789 à nos jours, Paris, Seuil, coll. L’univers historique, p. 37
23. Balibar Renée, Laporte Dominique, Le français national. Politique et pratique de la langue
nationale sous la Révolution, Paris, Hachette, 1974, p. 125-126.
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mais il n’est pas besoin de dire qu’à peine lui était-il possible d’en remplir une
partie. Ignorant lui-même, que pouvait-il enseigner aux autres24 ? »
Former de bons citoyens, de bons républicains. Tout l’esprit de l’éducation
révolutionnaire tend vers cet objectif.
« Mais la “mémoire” française est tout particulièrement schizophrénique, le
recours à l’histoire, à la tradition, dans les langages politiques, est particulièrement
contradictoire. […] L’invocation de l’unité, dans un tel contexte, ne pouvant être
que celle d’une unité de combat, imposée à l’autre et en quelque sorte confisquée25 ».
« Car plus la Révolution avance, plus se multiplient les exemples de ses
mécomptes éducatifs, et plus elle investit sur la formation d’un homme renouvelé
par l’instruction et rendu en conséquence patriote et républicain. Dans un premier
temps, elle a pu croire qu’en dehors d’une poignée de malfaisants à exclure, les
individus rendus à leur bonté naturelle par la Révolution s’intégreraient spontanément au collectif. Dans un second temps, devenue méfiante, elle doit enregistrer
la force des résistances, la multiplication des hommes à exclure, la prolifération
des événements discordants. Mais ce lui est une raison de plus pour mettre tout
ce qui lui reste de foi dans l’éducation, et celle-ci, passé le moment où la Terreur
ne remplit plus son office simplificateur, reste le seul remède imaginable, le seul
moyen de redresser et de guérir l’inégalité, de réduire les résistances, d’apaiser la
sourde inquiétude des acteurs, de faire un peuple un. Ainsi s’explique l’extraordinaire continuité du rêve pédagogique révolutionnaire26 ».
Si « la Révolution ouvre réellement le champ des possibles27 » et fait de
l’école l’emblème d’une société nouvelle, le pouvoir peine à combiner réflexion
théorique et instrumentation pratique. Dans le questionnaire préfectoral de l’an X
(1801-1802), la municipalité de Santo-Pietro-di-Tenda, représentée par Francesco
Lucciardi, Gio Geronimo Cristofari et Luca Giovanni Massiani, précise que le
village dispose de quatre maîtres d’école. Anton Sebastiano Lucciardi appartient
à ce petit groupe d’enseignants enthousiastes et dévoués à l’idéal révolutionnaire.
En soi, le métier d’enseignant n’a pas une forte visibilité sociale. Conséquence
logique d’une condition enseignante socialement fragile, la faiblesse et la précarité
de la rétribution perçue n’attirent guère les candidats au métier d’instituteur. À
Santo-Pietro, le salaire du maître d’école est constitué pour tout ou partie de blé28.
24. Jacobi Joseph-Marie, Histoire générale de la Corse, Paris, Bellizard, 1835, tome premier,
p. 305.
25. Nicolet Claude, L’idée républicaine en France. Essai d’histoire critique, Paris, Gallimard,
coll. Bibliothèque des Histoires, 1982, p. 15.
26. Ozouf Mona, L’homme régénéré. Essais sur la Révolution française, Paris, Gallimard,
coll. Bibliothèque des Histoires, 1989, p. 11-12.
27. Lelièvre Claude, Histoire des Institutions scolaires (1789-1989), Paris, Nathan, 1990, p. 11.
28. Gherardi Eugène F.-X., « Les écoles du Golo dans le questionnaire de l’an X, problèmes,
enjeux et résonances », Bulletin de la société des sciences historiques et naturelles de la Corse,
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Dans la plupart des cas, le montant de l’écolage est proportionné au niveau et à la
classe suivie par l’enfant : « Per i primi principianti due bacini di grano, per quelli
che leggono trè, per quelli che scrivono quattro, e per i gramatici dodici bacini29 ».
Les réponses de Santo-Pietro au questionnaire de l’an X se penchent également sur
les moyens d’encourager une bonne éducation : « Il farli studiare da piccoli da
buoni maestri di scuola capaci e di un buon carattere che permanesserò nella
comunità con un conveniente salario30 ». Par ailleurs, si l’école ne constitue pas un
« fait nouveau » à Santo-Pietro, il semble que la grande majorité des habitants s’en
méfient et essayent de garder leurs enfants à distance.
Bien plus qu’un rimailleur de village…
Les espoirs nés de la Révolution ne tardent pas à disparaître et Prete Biasgiu
est contraint à renoncer à l’enseignement. Toutefois, il n’abandonne pas totalement le monde de l’écrit et des lettres. Honnête homme au sens du XVIIIe siècle,
cultivé, avide de connaissances, Anton Sebastiano Lucciardi fait œuvre littéraire.
Son terrain de prédilection : la littérature « bernesca » ou « giocosa ». En Corse,
elle aura fait des adeptes31. Cet amour de la veine burlesque traduit bien la culture
populaire de la Corse traditionnelle. Loin des vanités, la plupart des poètes de
village sont des rimailleurs féconds. Leur terrain de prédilection : l’humour.
Nombre de nos poètes écrivent ou improvisent sub tegmine fagi, à l’ombre du
hêtre ou du grand chêne à l’épais feuillage. Ils restent en marge des courants littéraires à la mode et leurs productions n’ont que rarement les faveurs de l’imprimerie comme le souligne Jean-Pierre Lucciardi, son arrière-petit-fils. « Ses poésies
étaient variées et roulaient sur les menus faits du jour : mort d’un coq, d’un chien ;
testaments imaginaires ; abus du tabac à priser ; contestations ou dialogues, etc.
Elles n’étaient pas imprimées ni même pas copiées par son auteur, qui les retenait
par cœur, car sa mémoire était des plus heureuses32. »
Même s’ils n’appartiennent pas tous à la même génération, Guglielmo
Guglielmi de Piazzole d’Orezza, Ugo Peretti de Levie, Lisandru Ambrosi de
Castineta, Anton Leonardo Massiani de Novella, Don Giuseppe Straforelli de
fasc. n° 720-721, 2007, p. 22-25.
29. Pour les débutants, les parents donnent deux boisseaux de blé ; pour les élèves qui lisent, trois
boisseaux ; pour ceux qui écrivent, quatre boisseaux ; pour les élèves du cours de grammaire,
douze boisseaux.
30. Dès leur plus jeune âge, les enfants doivent apprendre sous la conduite de bons maîtres d’école,
doués et imprégnés de bons principes. Ces maîtres doivent vivre au village et jouir d’un salaire
convenable.
31. Fusina Jacques, « Les leçons de Guglielmu », Études corses, études littéraires. Mélanges
offerts au Doyen François Pitti-Ferrandi, Paris, Cerf, p. 83.
32. Lucciardi Jean-Pierre, « Introduction », manuscrit de Voceri e Canzone, archives de la famille
Lucciardi.
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Bastia, Alessandro Petrignani de Venzolasca et Anton Sebastiano Lucciardi sont
animés du même élan.
En règle générale, la littérature populaire corse peut encore réserver de belles
trouvailles comme le souligne Jacques Fusina : « Il y a là cependant un inépuisable
chantier de recherche, à condition d’explorer toutes les sources encore possibles,
celles de la mémoire villageoise où l’on peut faire encore des découvertes, autant
que celles des manuscrits ou des pièces imprimées dont on est loin d’avoir épuisé
toutes les richesses33 ».
L’essentiel de l’œuvre de Prete Biasgiu est voué à la satire et au divertissement.
On dit de lui qu’il parle sans peine le français, qu’il a une excellente connaissance
du latin, et qu’il s’exprime aussi bien en italien qu’en corse, sa langue maternelle.
Comme tout bon poète populaire, il sait saisir les petits travers de ses contemporains et ses satires le faisaient craindre car il avait, semble-t-il, un tour particulièrement mordant, facétieux, agaçant certes, sans pour autant jamais offenser
quiconque. Prete Biasgiu fait feu de tout bois, in tenui labor, at tenuis non gloria.
Une infime partie de sa production est publiée dans l’Almanacco del pescator del
Chiaravalle, almanach bastiais. Il semble tout aussi intéressant d’indiquer qu’Anton Sebastiano Lucciardi s’essaie aussi à la rédaction de courtes pièces théâtrales. En 1821, c’est au hameau de Campiendi qu’est représentée la pièce Mamma
Sò. Pour les besoins du spectacle, le tribunal de Bastia prête gracieusement les
robes qui habillaient les acteurs ! La pièce constituée d’un acte unique se déroule
au tribunal qui arbitre un conflit familial, simple et loufoque, entre Criccona, la
belle-mère, et Cricchetta, la belle-fille. Le désaccord est total. La première accuse
la seconde de duplicité, d’être peu expérimentée, peu instruite et peu croyante.
Les engueulades provoquent le rire du public. Criccona reproche également à
Cricchetta de l’avoir rudoyée. Cricchetta réfute les accusations et le président du
tribunal fait appel à un témoin unique qui se montre assez peu convaincant. Un
expert de grand renom, venu d’Asie orientale où il aurait guéri un roi, le docteur
Stroppiasani (littéralement : qui estropie les personnes valides) est appelé à la
barre mais ne parvient guère à éclairer le jury. Dans l’affaire, Cricchinu, fils de
Criccona et époux de Cricchetta, apparaît comme la victime principale du conflit.
Après maintes péripéties et de multiples rebondissements, le conflit s’éteint et la
réconciliation intervient entre les protagonistes.
Avec Mamma Sò, Anton Sebastiano Lucciardi semble avoir transmis l’amour
du théâtre à la population de Santo-Pietro-di-Tenda.
Ce goût pour les planches et les tréteaux, tout sauf ordinaire dans un village
corse, se maintient au début du XXe siècle. À la fin du mois d’août 1904, la jeunesse
de Santo-Pietro monte sur les planches pour jouer L’anarchiste malgré lui, comédie en un acte de Charles Marion. La presse bastiaise relate l’événement. « À
33. Fusina Jacques, « Études littéraires et socio-littéraires en domaine corse. État de la recherche »,
P.U.L.A. (Publication universitaire en linguistique et anthropologie), n° 6, 1997, p. 116.
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Santo-Pietro, la jeunesse travaille au relèvement moral de notre commune. Les
amusements y sont rares, comme d’ailleurs dans la presque totalité de nos villages. Pour remédier à cet inconvénient, nos braves jeunes gens n’ont trouvé rien de
meilleur que de constituer une société dont le but est de donner quelques représentations gratuites à la population et aux nombreux étrangers qui, cette année, sont
venus passer l’été en cette commune. […] Le rideau se leva de nouveau pour la
petite pièce très comique : “L’Anarchiste malgré lui”. Dans son rôle de commissaire, M. A. Piras déploya un véritable talent d’artiste. M. P.-J. Lucciardi faisait
pouffer de rire tous les assistants en représentant le brigadier Poilpoil. Le jeune
J. Millelli (l’anarchiste malgré lui), aurait attiré et retenu l’attention du plus fin
magistrat, tant sa tenue et son langage le changeaient en véritable petit “anarco”.
Le rôle d’“Auvergnat de Chaint-Flour” a été rempli avec succès par M. P. Antoni.
Enfin, qu’il nous suffise de dire que cette petite pièce fut frénétiquement applaudie
par notre public santopiétrais. MM. J. Pinelli et J.-B. Venturini jouèrent à ravir leur
petite pièce comique : “La Coquille34”. »
Plus tard, fort probablement à la fin de son existence, Jean-Pierre Lucciardi
mobilisera la mémoire familiale pour fixer pieusement dans l’écriture la vie et
l’œuvre d’Anton Sebastiano Lucciardi, son cher trisaïeul. Tant de choses rapprochent Jean-Pierre d’Anton Sebastiano. N’avaient-ils pas été tous deux instituteurs et poètes ? En 1927, taraudé déjà par la maladie qui devait l’emporter,
Jean-Pierre s’attelle donc à la tâche. Jean-Pierre Lucciardi se hâte de rédiger,
currente calamo, et en guise d’introduction au recueil une brève notice biographique consacrée à la vie et à l’œuvre de Prete Biasgiu. Ces notes rendent un son
authentique. Si Jean-Pierre Lucciardi reconnaît n’avoir presque aucune lettre de
la main de son arrière-grand-père, presqu’aucun document susceptible de jeter
quelque lumière sur sa personnalité, la mémoire familiale et villageoise vint à
la rescousse. À force de patience, Jean-Pierre dépeint tous les aspects de son
caractère, s’intéressant aussi bien au père de famille, à l’instituteur, au poète et
au patriarche qui veille sur sa famille.
Jean-Pierre Lucciardi ne se montre guère satisfait de la première mouture
d’une notice biographique qu’il juge insatisfaisante. En août 1927, un an avant
sa mort, il publie en corse dans la revue U Fucone une notice bien plus dense.
On ne dira jamais assez combien les almanachs ont été essentiels dans les
pratiques culturelles de la Corse dans la seconde moitié du XIXe siècle. La place,
le rôle et la fonction des almanachs corses sont grosso modo comparables à
ceux observés dans le Midi de la France : « Au tournant du siècle, quand l’école
devient une institution installée au cœur des communautés et au cœur des stratégies familiales, l’almanach est aussi un livre de lecture “malgré lui”. Écrit
disponible, souvent le seul, il permet d’acquérir ou de parfaire un apprentissage
34. « Santo-Pietro-di-Tenda : une représentation champêtre », Le Petit Bastiais, samedi
4 septembre 1909.
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ANTON SEBASTIANO LUCCIARDI VERSUS PRETE BIASGIU
de la lecture hors de l’école. L’intérêt de cette situation est double. D’une part, il
apparaît que cet apprentissage ou cette pratique continuée a lieu dans la langue
chassée de l’école, dans une notation de l’oral sans codification uniforme et
explicite ; en second lieu, il semble qu’elle emprunte à l’école ses protocoles
de lecture : apprentissage “par cœur” et référence au texte comme production
empruntée à l’œuvre d’un auteur. Ce processus complexe ouvre des perspectives à l’analyse du passage de l’oral à l’écrit qui ne peut se contenter de décrire
l’affrontement d’une culture orale autochtone et d’une culture écrite étrangère
imposée par l’école avec les instruments de sa compréhension. À la différence
des recueils de textes scolaires, l’almanach est un écrit partagé, non seulement
par une appropriation collective, mais aussi grâce au rapport étroit que son
contenu entretient, moyennant transformation comme nous l’avons montré, avec
la tradition orale35 ».
Jean-Pierre Lucciardi rassemble, corrige, annote et commente quelques
pièces éparses, déjà publiées dans les almanachs bastiais et recueille auprès
de vieillards du Nebbiu quelques poésies inédites que la population attribue à
Anton Sebastiano.
Le recueil inédit des Voceri e Canzone d’Anton Sebastiano Lucciardi débute
par les dix-neuf sizains du « Lamento di Togliaccia » où le poète déplore sur ton
guilleret la mort de Duminichinu, riche berger des montagnes de Santo-Pietro.
Exploitant la même veine burlesque, les dix-sept sizains dédiés « A i cantarini
vezzolesi », décrivent les veillées musicales du hameau de Vezzi. Avec les dix-neuf
sizains de « La vietola di prete Vincenzo36 », Lucciardi reprend un grand classique
de la littérature populaire corse : la déploration faisant suite à un petit larcin. Ici
c’est don Vincenzo Cava, prêtre de son état, qui voit disparaître un pied de blette
du seuil de sa maison. Le maraudage peut paraître anodin, presque insignifiant.
Toutefois, sous la plume de Prete Biasgiu, le détournement d’une plante potagère
suscite des réactions exagérées de colère qui étonnent et font sourire. Dans les
quatre strophes d’« A calunniatrice », Lucciardi brosse le portrait d’une femme
médisante. Tout comme le sonnet intitulé « E Mode », les dix-huit sizains de « Pe
a Traversa (In Bastia) » constitue une composition harmonieuse où le poète décrit
les passantes du boulevard Paoli, principale artère commerçante de Bastia. À la
manière d’un entomologiste à l’affût d’un insecte inconnu, Anton Sebastiano pose
sur les jeunes filles issues de la bonne société bastiaise de la première moitié du
XIXe siècle, un regard attentif et curieux. Le « Lamentu sopra a morte di u gallu
di Vecchiolu » narre en vingt-deux octaves la mort du coq de Vecchiolu dévoré
par le renard. Pleuré comme un fils, le volatile est assimilé à un humain et est
35. Blanc Dominique, « Lecture, écriture et identité locale. Les almanachs patois en pays d’oc
(1970-1940) », Terrain, revue d’ethnologie de l’Europe, n° 5, octobre 1985, 22 pages, [consulté
en ligne le 9 décembre 2005]. Disponible sur : http://terrain.revues.org/document2880.html.
36. Cette composition est reproduite dans la rubrique « Vecchj Scritti » (Vieux textes), de
l’Almanaccu di A Muvra per 1929, 1928, p. 141-143.
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LES LUCCIARDI – UNE FAMILLE CORSE DE POÈTES ET D’INSTITUTEURS
enterré dignement au pied d’un arbuste, dans le jardin de son propriétaire. Dans
le même registre, les vingt-cinq sizains du « Lamentu sopr’a morte di u cane
di Masgiolu », décrivent le chagrin que suscite la mort de Moru, chien paré de
vertus presque humaines. Le constat est le même pour les vingt et un sizains du
« Lamentu di Custantinu, u cane di Peppinellu ». Ici le coq et le chien sont à
rapprocher de Spanettu de Santu Casanova. Fernand Ettori retient que « les très
nombreux lamenti d’animaux domestiques, chiens, ânes, mulets, etc…, même
s’ils ont pu avoir une très lointaine origine rituelle, ils sont tous délibérément
parodiques, qu’ils appartiennent au répertoire de la littérature populaire ou qu’ils
soient des œuvres d’auteur, comme Morte e funerali di Spanettu qui fut en 1892
le premier succès de Santu Casanova37 ». Néanmoins, Ghjermana de Zerbi souligne que nombre de « lamenti d’animaux » expriment de la douleur et une affliction bien réelle38. Les quarante-sept sizains du « Vocero e Testamento di Mamma
Mozza » sont à rapprocher du « Testamentu di Mamma Catalina » composé au
début du XIXe siècle par Alessandro Petrignani de Venzolasca. Composés en italien,
les vingt-huit octaves de la « Canzone d’i San Gavinacci » raillent la population du
village voisin de San-Gavino-di-Tenda. Sur un ton « persifleur », « E tabaccone »,
pièce constituée de douze sizains, Lucciardi décrit en italien les traits peu flatteurs
et la saleté des filles du hameau de Corsu.
En somme, les textes de Prete Biasgiu gardent intact leur fraîcheur. Même si
on ne se souvient ni des acteurs ni des protagonistes des historiettes versifiées, le
poète brosse leurs portraits et ce faisant les ressuscite. Son œuvre est un véritable
enchantement.
Anton Sebastiano Lucciardi ferme les yeux à la vie à l’âge de quatre-vingtdix ans à Santo-Pietro-di-Tenda, le 14 décembre 1860. On l’imagine sans peine :
la mort de Prete Biasgiu laisse un grand vide chez les Lucciardi.
Tout au long de sa vie, Jean-Pierre Lucciardi, son arrière-petit-fils, n’aura
de cesse de vénérer la mémoire de l’aïeul. Dans L’Annu Corsu 1927, Lucciardi
publie les vingt et un sizains de « Sunniendu » où l’auteur rencontre dans un rêve
tous les poètes corses et, bien entendu, Prete Biasgiu :
– Mi, quessa sô d’i Corsi i capi-schiera :
Petru Cirneu, Carbuccia, e Filippini ;
Giubeca, Raffaelli, e Pasqualini,
Cun Grimaldi, Guglielmi e Vinciguerra ;
Petrignani, e Peretti, cun Biadelli,
Multedu, cun Viale, e Straforelli.
37. Ettori Fernand, « Introduction à l’étude du vocero », Pieve e Paesi. Communautés rurales
corses, Paris, éditions du CNRS, 1978, p. 254.
38. Zerbi Ghjermana de, « I lamenti pè a morte di l’animali : scherzu o crepacore ? », Morte e
Funarali di Spanettu da Santu Casanova. Opara tradutta in francesu, Aiacciu, Falce edizioni,
2005, p. 31-35.
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ANTON SEBASTIANO LUCCIARDI VERSUS PRETE BIASGIU
– S’ella fussi permessa, vuleria
Vede ancu quelli chi cun tanta fama,
Parlendu a lingua di la nostra mamma,
Cantatu hanu cun estru e leggiadria,
E nostre glorie, i custumi, e l’usanze,
E di la Patria Corsa le speranze.
– Milli quassu, mudesti e numerosi,
A voce stesa cantanu in currente.
Guarda, quanti pueti stanu à sente
Si canti cusì dolci e armuniosi.
C’è Vattelapesca, Pieri, e Maschetti…
E tant’altri pueti Corsi schetti.
– Vi vurria dumandà se voi pudete,
Ad’unu ad’unu, mustramili à parte.
Postu chi a puesia anch’ella è un’arte,
Speru chi à cuntentammi tenerete.
Unu ne sô chi mi stà caru au core,
E bramaria sapè s’ell’ha st’onore.
– Cume voli che faccia per truvallu,
Si l’azzerdu nun mi vene in ajutu.
Quessu da me, per certu, è cunusciutu,
Ma difficile m’è d’induvinallu.
Dimmi u so’ nome, eppoi abbia pazienza,
Chi u ti vogliu purtà prestu in presenza.
– Ghjè lu so nome : Anton Sebastianu
Lucciardi, prete Biasgiu cugnumatu,
Di me, l’arcicaccaru veneratu…
Mi si lampa à lu collu e, pianu pianu,
Dice : « Sô eju ! » U stringu à lu mio pettu…
Ma tandu mi discetu e… ghjera in lettu. 39
Une petite partie de l’œuvre de Prete Biasgiu fut sauvée de l’oubli, recueillie,
reconstituée et publiée dans les almanachs bastiais puis republiée dans les revues
de l’entre-deux-guerres comme L’Annu Corsu et l’Almanaccu di A Muvra, beaucoup restait encore à tirer de l’oubli40.
Beaucoup fut perdu et le petit recueil qui devait servir à l’édition de l’œuvre
de Prete Biasgiu resta à l’état de manuscrit.
39. Lucciardi Ghjuvan Petru, « Sunniendu », « Un fiore », L’Annu Corsu 1927, 1926, p. 52-56.
40. Voir Gherardi Eugène F.-X., Esprit corse et romantisme. Notes et jalons pour une histoire
culturelle, Ajaccio, Albiana, coll. Bibliothèque d’Histoire de la Corse, 2004, p. 193.
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Jean-Pierre Lucciardi :
Un hussard noir
de la République
Pour les petits enfants, l’éducation, c’est le maître d’école ;
pour les jeunes gens, c’est le poète.
Aristophane
L’école c’est notre Église laïque à nous.
Paul Bert
Une famille corse
Jean-Pierre Lucciardi voit le jour à Santo-Pietro-di-Tenda le 20 décembre
1862. Sa mère, Lauda Maria Querci, surnommée « Cipressa » (Cyprès) car
d’une taille jugée exceptionnelle pour une femme corse de son temps, fille de
Giovan Pietro Querci et de Virginia Casta1, est issue d’une famille de petits
notables ruraux originaires de Santo-Pietro-di-Tenda. Cipressa avait vu le jour
le 20 septembre 1833. Tout comme sa mère, son père, Carlo Maria Lucciardi
dit « Carlone », fils de Jean-Philippe, appartient lui aussi à une vieille lignée
disposant à Santo-Pietro de revenus réguliers assurés par l’exploitation de
l’oliveraie et de la vigne2, notamment dans les Agriate.
1. Fille de Don Paul Casta, mort à Santo-Pietro le 17 février 1843.
2. Sur un acte établi le 28 janvier 1866 à Sorio, canto de Santo-Pietro-di-Tenda, par le notaire
Pierre-Mathieu Mariani, Carlo Maria Lucciardi est mentionné comme « laboureur » et son
épouse comme « ménagère ». A.D.H.C., 3E13/11. Par ailleurs, par acte notarié du 16 décembre
1869, les maires de Santo-Pietro (Guillaume Alessandri) et de San-Gavino (Jacques-Toussaint
Casta) cèdent et vendent à Carlo Maria Lucciardi « la coupe actuelle de bois et makis desséchés
par l’incendie, existant dans les bois communaux de Vallo nero. […] Cette vente est faite
moyenant le prix et somme de mille et trente francs, ainsi fixé de gré à gré entre les parties,
par suite des informations prises des gens de l’art ». A.D.H.C., 3E13/11. Dans un autre acte
notarié du 12 mai 1875, Antoine-Sébastien Lucciardi, berger « délaisse à titre d’échange, et
avec toutes les garanties, au Sieur Lucciardi Charles-Marie, son frère qui accepte, l’immeuble
suivant, c’est-à-dire toute sa portion du bien consistant en terres labourables et arbres d’oliviers
y existant, et pailler, dénommé Tichiella, territoire de Santo Pietro. […] Et en contre change
le Sieur Lucciardi Charles-Marie, et sa femme Lauda Marie qu’il autorise comme dit est,
délaissent au même titre d’échanges, et avec les mêmes garanties au dit Lucciardi AntoineSébastien qui l’accepte, toute leur portion de maison d’habitation située à Campiendi de Santo
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Dans son recueil Cose Andate, Jean-Pierre Lucciardi brosse en vers sa
biographie :
« Fu lu vinti di dicembre
Di l’annu mille ottu centu
Sessantadui, che so natu
Un sabatu di l’Aventu,
A duie ore di mattina
Cume a stella mattutina.
Forse culpitu da u frettu,
Ne tirai tamantu stritu
Chi cuncorse u vicinatu.
Mi ne stava incicciulitu,
Stessu nant’un cuscinellu,
Turzunendu, u curciarellu. »
Comme le souligne Jeanine Pasqualini : « La plus grande distinction reconnue
après la noblesse se situait entre ceux qui cultivaient leurs propres champs ou qui
gardaient leurs troupeaux et ceux qui étaient au service des autres et gardaient
les troupeaux d’autrui ; mais la fortune de chacun est discutable et notamment
des nobles eux-mêmes. Cette fortune, quoi qu’on en dise est très variable, d’une
pauvreté manifeste à une richesse réelle et surtout foncière3 ».
De toute évidence, les Lucciardi appartiennent au monde de la petite notabilité rurale. À cette époque, et pour longtemps encore, la famille a une certaine
importance dans le petit monde qui l’entoure. Pour comprendre Jean-Pierre
Lucciardi et sa passion pour Santo-Pietro, il faut garder à l’esprit la quête obstinée de respectabilité de sa tribu et le souci de celle-ci d’accroître son patrimoine
de terres et de maisons. Comme leurs ancêtres, Jean-Pierre, ses frères et ses
sœurs, maintiennent les traditions qu’ils avaient reçues ; l’unité de la famille,
parfois menacée par l’éloignement et la dispersion, n’en fut pas moins sauvegardée de génération en génération.
Jean-Pierre Lucciardi grandit avec deux frères plus âgés que lui. Antoine
dit Tattone décroche à Paris un diplôme d’ingénieur des arts et métiers et
s’établit dans le quartier de Denfert-Rochereau. Tattone meurt à Paris en
octobre 1922. Il n’avait que quarante-cinq ans. Le Bastia-Journal rend
compte de cette disparition survenue après une maladie courte et implacable :
« Le défunt était fils de ses œuvres. Tout jeune encore il manifestait un goût
Pietro, consistant en le premier étage qui est composé de deux pièces, ainsi que deux caves,
dont une sert de pressoir à huile, avec les sites attenants ». A.D.H.C., 3E13/12.
3. Pasqualini Jeanine, La population de Santo-Pietro-di-Tenda et l’espace familial au XVIIIe siècle.
Mémoire de maîtrise sous la direction de M. le Professeur José Gentil Da Silva, U.E.R. Lettres
et sciences humaines, Université de Nice, juin 1987, p. 37.
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JEAN-PIERRE LUCCIARDI : UN HUSSARD NOIR DE LA RÉPUBLIQUE
très vif pour la mécanique et la construction. Déjà sa vocation se dessinait. Il
la suivit avec le violent désir de réussir. À 16 ans, il entrait à l’école des arts
et métiers d’où il sortit quelques années plus tard muni du diplôme d’ingénieur. Après une vie toute de travail, de lutte et d’efforts sa volonté triompha,
il vainquit et maintenant il pouvait regarder avec fierté l’œuvre réalisée par
son intelligence et sa ténacité. Ingénieur-directeur d’une société de constructions métallurgiques il voyait chaque jour ses usines s’agrandir. Son jeune fils,
admissible à l’école centrale des arts et manufactures, pourrait dans quelques
années lui succéder et M. Lucciardi entrevoyait déjà la possibilité de goûter
un repos bien gagné lorsqu’il fut atteint par le mal qui devait l’emporter. Les
soins empressés de sa famille, la science médicale de son neveu, le docteur
Pierre Lucciardi, furent impuissants à arrêter la marche du mal et le 6 octobre
dernier il rendit le dernier soupir. Ses obsèques ont eu lieu à l’Église SaintDominique au milieu d’une affluence considérable d’amis et de personnalités
de la colonie corse de Paris et du monde industriel où il était très connu et très
estimé. L’ingénieur Lucciardi était le frère de M. Jean-Pierre Lucciardi, directeur d’école à Santo-Pietro-di-Tenda, le délicat poète insulaire4 ».
Le fils de Tattone, Charles-Marie, connaît un destin brillant mais tout aussi
cruel et tragique que celui de son père. Une fois encore, le sort s’acharne sur les
Lucciardi. Après avoir fait l’École des mines de Nancy, il devient ingénieur des
ponts et chaussées, puis se prend de passion pour l’aviation dont il fut, d’une
certaine manière, un pionnier. Il accomplit de nombreuses missions pour réaliser
des relevés géographiques en Afrique subsaharienne. Pilote d’essai, il trouve la
mort lors d’un essai.
Le deuxième frère de Jean-Pierre Lucciardi, Jean-Philippe, ne quitte pas le
village, s’employant à l’entretien des propriétés agricoles que la famille détient.
Trois sœurs sont également présentes sous le toit paternel : Élisabeth qui épouse
Joseph Marie Signanini de Sorio ; Fleur-d’Épine qui demeure célibataire sa vie
durant et ne quitte jamais le toit paternel ; Virginie qui prend le voile et devient
en religion Sœur Saint-François-Régis. Virginie qui arrime sa vie à l’Église
et à ses dogmes, exerce comme professeur dans une institution religieuse à
Ajaccio.
Jean-Pierre Lucciardi se montre, semble-t-il, d’une intelligence précoce,
porteuse de grandes espérances. Ses parents attachent à l’éducation des enfants
une grande importance. Il fréquente activement l’école du village où le maître
dispense quelques leçons de français, de latin et d’italien, d’arithmétique. Aucun
élément documentaire relatif à l’école du village de cette période, de source
publique ou privée, ne permet d’éclairer les premières années de formation.
Devenu adulte, Jean-Pierre Lucciardi épouse Marie-Louise Bonelli (18681948), native elle aussi de Santo-Pietro-di-Tenda. Femme discrète, épouse et
4. Nécrologie de M. Antoine Lucciardi, Bastia Journal, samedi 28 octobre 1922.
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LES LUCCIARDI – UNE FAMILLE CORSE DE POÈTES ET D’INSTITUTEURS
mère attentive, Marie-Louise correspond à « la femme de l’instituteur » que
dessine Léon Chauvin, directeur d’école normale, dans L’éducation de l’instituteur, ouvrage destiné à la formation des maîtres, paru vers 1890. Écoutons-le :
« La femme de l’instituteur ne sera pas seulement discrète en ce qui concerne la
charge de son mari ; elle le sera aussi dans ses relations particulières. D’abord,
elle se plaira dans son intérieur et n’éprouvera guère le besoin de se répandre au
dehors. Dans ses rapports obligés avec le monde, elle ne prendra aucune part aux
commérages, aux dissensions féminines, si vivaces dans les petites localités5 ».
De cette union, trois enfants voient le jour : Charles-Marie, né en 1888, mort
de la tuberculose à la fleur de l’âge ; Pierre-Jean et Sébastien, né en 1897, qui
deviendra ingénieur des travaux publics6.
La distribution des prix au lycée de Bastia
Sur les traces de son frère disparu, Pierre-Jean, né en 1891, se distingue
au lycée de Bastia. En 1909, il remporte le prix d’honneur de philosophie. Le
mercredi 28 juillet 1909, la distribution des prix se déroule dans la cour du lycée.
Le compte rendu de la manifestation occupe presque deux pleines pages dans
Le Petit Bastiais : « La grande cour de l’établissement était toute pavoisée et
enguirlandée : drapeaux, écussons, bordures et bouquets de verdure avaient été
disposés avec le meilleur goût. Dès sept heures et demie, la cour commence à
se remplir de dames élégantes qui sont reçues et accompagnées jusqu’à leur
place par les grands, qui s’acquittent de cet agréable devoir avec la plus parfaite
courtoisie. Lorsque huit heures sonnent à l’horloge du lycée, le cortège officiel
quitte les salons de réception et pénètre dans la cour, salué par la Marseillaise.
Un allegro est admirablement enlevé par l’excellente musique du 163e d’infanterie, pendant que l’on se place sur l’estrade. Autour de M. le Sous-Préfet,
ont pris place les membres du Conseil d’administration, M. le Proviseur, M. le
Censeur, M. l’Économe, MM. Les professeurs, ainsi que les autorités militaires
et civiles7 ». M. Cornuel, professeur d’anglais qui s’apprête à quitter la Corse,
prend la parole : « Vous aussi, mes chers amis, pendant ces vacances que je
vous souhaite très bonnes, faites provision de soleil ; je veux dire de joie et de
5. Cité par Terral Hervé, L’école de la République. Une anthologie (1878-1940) ; Textes présentés
par Hervé Terral, Paris, Centre national de documentation pédagogique, 1999, p. 141.
6. Dans « A mio biografia », inséré dans le recueil Cose Andate, Jean-Pierre Lucciardi évoque
brièvement ses trois fils : « Aghju avutu tre figlioli :/A vint’anni, u primu è mortu./L’altri dui,
grazia a Diu,/Credu un si faranu tortu./Un Duttore e un Ingegneru,/So cuntentu, e ne so fieru ».
« J’ai eu trois enfants :/À vingt ans, le premier est mort./Les deux autres, grâce à Dieu,/Je crois
qu’ils ne connaîtront pas d’embarras./Un médecin et un ingénieur,/Je suis content et j’en suis
fier ». Lucciardi Ghjuvan Petru, Cose andate : a lumera ; a deda ; a rocca ; u fornu ; u stacciu ;
a chiccara ; a falletta ; a baretta misgia ; a cherchera ; u pilone ; u mandile di capu ; u zenu e
u fiaschettu…, 1924.
7. « La distribution des prix au lycée », Le Petit Bastiais, jeudi 29 juillet 1909, n° 207.
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JEAN-PIERRE LUCCIARDI : UN HUSSARD NOIR DE LA RÉPUBLIQUE
confiance en l’avenir. J’ai cherché un conseil à vous donner, car il est de tradition
qu’on ne vous laisse passer le seuil du lycée que munis de sages avis. […] Faites
chaque jour votre obscur devoir. Quand vous regarderez ensuite, par-dessus
votre épaule, le chemin parcouru, l’œuvre accomplie aura une grandeur que vous
ne lui soupçonnez pas. On vous a accusés, ces derniers temps, de vous laisser
entraîner par je ne sais quel désespoir, je ne sais quel manque de foi dans votre
œuvre et dans la vie. À vous de prouver que la France n’a rien à craindre lorsque, considérant l’avenir, elle fonde ses plus chères espérances sur la jeunesse
de ses lycées8 ». Après M. Cornuel, c’est M. Bordeaux-Desbarres, sous-préfet
de Bastia qui prononce quelques mots. La cérémonie s’achève par la lecture du
palmarès et la remise des distinctions.
La distribution des prix est un événement de première importance dans le
Bastia de la Belle Époque.
Comme le souligne Viviane Isambert-Jamati, les cérémonies rituelles que
constituent les distributions des prix des lycées peuvent être un riche terrain
d’analyse : « Leur signification, on le sait, dépasse de beaucoup la simple remise
des récompenses ; elles célèbrent le culte de l’enseignement secondaire. Le
personnel du lycée est là au grand complet ; les parents d’élèves sont invités,
ainsi que les notables de la ville (maire, ou préfet, parlementaires, présidents
d’associations diverses). Le fait même que la réunion des professeurs, des parents
et des élèves soit seulement annuelle lui confère ce caractère solennel. Au cours
de cette cérémonie, le discours, généralement prononcé par un professeur, porte
le plus souvent sur l’enseignement lui-même et tente d’en dégager les objectifs
sous la forme d’un plaidoyer, d’une exhortation, ou même d’une sorte de leçon
de pédagogie9 ». À Bastia, c’est l’évidence même, la cérémonie de distribution
des prix qui constitue le point d’orgue de l’année scolaire trouve son origine
dans l’histoire du collège jésuite. En partie, les éléments des célébrations sont
déjà en place dès le XVIIe siècle.
Consignée dans la Ratio studiorum, sorte de charte de la pédagogie jésuite
applicable dans tous les établissements à travers le monde, la distribution des
prix fait l’objet de quelques développements dans la partie consacrée aux Leges
praemiorum, normes de récompenses. Ainsi, la Ratio énonce les modalités et
critères du concours, les règles d’évaluation des devoirs, ainsi que le nombre de
prix. « En rhétorique, on proposera huit prix : deux pour la prose latine, deux
pour les vers latins, deux pour la prose grecque, deux pour les vers grecs. Six,
de même et dans le même ordre, pour la classe d’humanités et la plus haute
classe de grammaire, en omettant les vers grecs, qui ne sont généralement pas en
usage en dessous de la rhétorique. Quatre ensuite, dans toutes les autres classes
8. Ibidem.
9. Isambert-Jamati Viviane, « La rigidité d’une institution : structure scolaire et systèmes de
valeurs », Revue de sociologie française, 1966, vol. 7, n° 3, p. 317.
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inférieures, en omettant de même les vers latins. En outre, dans chaque classe
on donnera un ou deux prix à qui aura le mieux récité la doctrine chrétienne.
On pourra cependant, donner un plus ou moins grand nombre de prix là où le
nombre des élèves est élevé ou réduit, pourvu que l’on donne toujours la préférence à la prose latine10 ».
La Ratio prévoit également le déroulement de la distribution des prix.
« Solennité des prix. Enfin, le jour fixé, on proclamera publiquement le nom
des vainqueurs, avec la plus grande solennité possible et devant la plus grande
assistance possible ; les vainqueurs s’avanceront au milieu de l’assemblée et
on distribuera dignement les prix à chacun. Si l’un d’entre eux n’est pas là, à
moins qu’il n’en ait reçu la permission du préfet pour de justes raisons, et avec
l’approbation du recteur, il perdra son prix, même s’il lui était dû tout à fait
légitimement. Distribution. Le héraut appellera chaque vainqueur à peu près
en ces termes : « Pour le bonheur et la prospérité de la culture littéraire et de
tous les élèves de notre établissement, N… a mérité et obtenu le premier… le
second… le troisième prix, de prose latine, de prose grecque, de vers latins,
de vers grecs ». Il remettra le prix au vainqueur, non sans ajouter quelque bref
poème de circonstance, qui aussitôt, si cela peut se faire aisément, sera repris par
les chanteurs. À la fin, le même héraut appellera ceux qui suivent immédiatement les vainqueurs, et on aura le droit de leur remettre aussi quelque chose en
guise de récompense11 ».
Au XVIIe siècle, les élèves du collège jésuite sont souvent présents dans les
manifestations publiques, spécialement religieuses, de la vie bastiaise. Dans sa
Prattica manuale, Pietro Morati décrit le déroulement de la procession baroque
du Vendredi saint qui sortait de l’église Saint-Ignace, chapelle du collège de la
Compagnie de Jésus. Au nombre des participants, les élèves du collège jésuite
ferment le long cortège baroque12.
Témoignage autobiographique précieux sur le XIXe siècle corse, les Memorie
de Francesco Ottaviano Renucci traduisent l’impact de la distribution des prix
sur la vie bastiaise. Tour à tour professeur de droit public à l’École centrale du
Golo, professeur d’éloquence au collège de Bastia en 1803, directeur du collège
jusqu’en 1827, Renucci relate avec une grande minutie une distribution des prix
10. Ratio studiorum. Plan raisonné et institution des études dans la Compagnie de Jésus. Édition
bilingue latin-français. Présentée par Adrien Demoustier et Dominique Julia, traduite par
Léone Albrieux et Dolorès Pralon-Julia, annotée et commentée par Marie-Madeleine Compère,
Paris, Belin, coll. Histoire de l’éducation, 1997, p. 149.
11. Ibid., p. 151.
12. « Seguitavano li Scolari delle scole de’ Gesuiti, tutti con torcie in mano, cantando il Stabat
Mater in contrapunto, e in mezzo di quelli la Beatissima Vergine Addolorata, e fra detti Scolari
alcuni con piccole bandiere nere strascinanti per terra ». Morati Pietro, Prattica manuale del
dottor Pietro Morati di Muro. Première partie. Texte revu par M. de Caraffa, conseiller, Bulletin
de la société des sciences historiques et naturelles de la Corse, fasc.54-57, 1885, p. 350.
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sous l’Empire : « Auparavant, les examens et les distributions des prix s’étaient
déroulés dans la plus grande solennité. Tout Bastia y prenait part. Pour tous les
habitants, le jour de la distribution des couronnes était une vraie fête de famille.
Que de fois, en cette circonstance, ai-je vu des hommes et des femmes de toutes
les classes de la société verser des larmes d’émotion ! En 1809, si je m’abuse,
l’examen public et la distribution des prix eurent lieu, en des jours différents,
dans l’oratoire d’A Cuncezziò et en présence du sénateur Casabianca, du préfet
et des autres personnalités civiles et militaires du premier rang du département. Selon mon habitude, je prononçai un discours approprié au sujet. Vous
trouverez ces discours transcrits sur deux registres, au milieu des autres livres
de ma petite bibliothèque. Comme toute l’assistance, le sénateur Casabianca
se déclara enchanté des réponses des élèves et il honora d’une invitation à un
somptueux dîner tous les lauréats de la classe d’éloquence accompagnés de tous
leurs professeurs. Il n’y eut pas d’attention délicate que les gracieuses filles du
sénateur, qui s’étaient réparties régulièrement au milieu des jeunes convives, ne
témoignèrent envers cette jeunesse gaie et candide. Après s’être un peu fait prier,
les élèves commencèrent à déclamer, qui un extrait de Corneille, qui de Racine,
qui enfin de Voltaire. La Henriade surtout. Elles leur réclamèrent des morceaux
de poésie italienne et ils récitèrent les plus beaux passages de la Basvilliana, de
la Mascheroniana et des Visioni de Monti, ainsi que des extraits de la chanson de
Pétrarque à l’Italie et de celle de Filicaja sur la victoire de Vienne en l’honneur
du roi de Pologne Jean III. Enfin elles demandèrent deux morceaux de prose,
l’un en italien et l’autre en français. Un élève déclama l’extrait d’Andogène sur
le tremblement de terre de Rhodes traduit par Cesarotti, puis un autre le passage
de Marmontel sur les figures où cet auteur philosophe, pour faire comprendre
que les figures de langue ou de pensée sont naturelles et communes à l’homme
instruit et à l’homme ignorant, les réunit toutes dans un petit discours que tient
un homme du peuple irrité contre sa femme. Oh comme les jeunes filles ont
ri et comme elles ont applaudi ce discours si naturellement et si agréablement
arrangé ! Elles avaient déjà beaucoup apprécié les récitations précédentes13. »
L’organisation de la distribution des prix n’est pas l’apanage du lycée. Toutes
les écoles de la ville distribuent des prix. Mentionnons la relation de distribution
des prix aux élèves des écoles chrétiennes en 1872 : « Samedi dernier nous avons
assisté à cette solennité modeste et touchante, à la fois, dans laquelle les élèves
des écoles chrétiennes de la ville se partagent, en présence de leurs mères émues,
le prix que leur a mérité une année de travaux et d’études. Les larmes de joie
qui coulent de leurs yeux attendris sont le seul encouragement qu’ils semblent
ambitionner, la plus belle de toutes les récompenses. Enfants du peuple, c’est
des magistrats sortis des élections populaires qu’ils reçoivent les couronnes dont
13. Renucci Francesco Ottaviano, op. cit., p. 272-273.
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ils parent un instant leurs jeunes têtes. La présence des parents en double le
prix14. »
Quelques années plus tard, l’association des anciens élèves des Frères des
écoles chrétiennes prend en charge l’organisation d’une cérémonie annuelle à
laquelle assistent « plus de deux mille personnes parmi lesquelles figurait l’élite
de la population bastiaise15. »
Le règlement du lycée, adopté le 5 juillet 1890, précise les modalités de la
distribution des prix. « Article 22. Les prix et accessits seront décernés d’après
le total des notes obtenues par tous les élèves dans les compositions, les compositions finales ayant un coefficient double. Selon le travail des élèves et la
valeur des compositions, il pourra n’être attribué aucun prix, ou, au contraire,
en être attribué plus de deux dans une faculté donnée. Tous les élèves ayant
bien travaillé et convenablement réussi pourront être nommés à la distribution
des prix, à condition d’avoir atteint une moyenne déterminée. Article 23. Le
nom de Prix d’excellence est réservé à des prix d’ensemble décernés aux élèves
qui, dans chaque classe et chaque division, auront le mieux satisfait à tous leurs
devoirs. Le Prix d’excellence sera décerné par un vote de l’ensemble des maîtres
de chaque classe et de chaque division. Les notes obtenues dans les exercices
physiques entrent en ligne de compte pour le Prix d’excellence. Il pourra y avoir
un prix distinct pour les externes ».
À Bastia comme partout ailleurs, les récompenses sont pour l’essentiel des
livres de prix soigneusement reliés, d’autres se voient remettre une médaille
en argent portant « sur le revers le nom du lauréat dans une couronne de chêne
autour de laquelle se trouve l’inscription : Association des anciens élèves du
lycée, et le millésime16 ». L’obtention d’un prix est vivement ressentie par toute
la famille de l’élève. La littérature a fait ses choux gras de l’image de l’élève
couronné félicité par son père17. Les exemples sont légion. Dans sa correspondance, Diderot se remémore un de ces rares instants où le fils qu’il fut s’est senti
pénétré de l’estime paternelle : « Un des moments les plus doux de ma vie, ce
fut il y a plus de trente ans, et je m’en souviens comme d’hier, lorsque mon père
me vit arriver du collège les bras chargés des prix que j’avais remportés et les
épaules chargées des couronnes qu’on m’avait données et qui, trop larges pour
mon front, avaient laissé passer ma tête. Du plus loin qu’il m’aperçut, il laissa
14. « Distribution des prix aux élèves des écoles chrétiennes », L’Observateur de la Corse, vendredi
16 août 1872.
15. « Association amicale des anciens élèves des Frères », Le Petit Bastiais, mercredi 5 août
1891.
16. « La distribution des prix au lycée », Le Petit Bastiais, vendredi 27 juillet 1890.
17. Tison Guillemette, Le roman de l’école au XIXe siècle, Paris, Belin, coll. Histoire de l’éducation,
2004, p. 117-121.
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son ouvrage, il s’avança sur sa porte, et se mit à pleurer. C’est une belle chose
qu’un homme de bien et sévère qui pleure18 ! »
Même en plein cœur du XIXe siècle, la pédagogie jésuite irrigue encore
profondément la vie du lycée de Bastia. La distribution des prix se prépare dès
la rentrée. « Par décision de M. le Recteur de l’Académie d’Aix, la rentrée des
classes est fixée au mardi 30 septembre. Les internes doivent être, ce jour-là,
rendus au Lycée à 8 heures du soir, au plus tard. Le lendemain, à 8 heures, Messe
du St Esprit. Le soir, dans toutes les classes, composition comptant pour le prix
d’excellence19. »
Émile Durkheim souligne avec force détails tout ce que la pédagogie active
doit aux jésuites. Écoutons-le : « Mais, pour entraîner les élèves à un travail formel
intense, mais assez vide de matière, il ne suffisait pas de les entourer, de les envelopper de près avec une sollicitude vigilante ; il ne suffisait pas d’être toujours
attentif à les contenir et à les soutenir, il fallait aussi les stimuler. L’aiguillon dont
se servaient les jésuites, c’était exclusivement l’émulation. Non seulement ils
furent les premiers à organiser dans les collèges le système de l’émulation, mais
ils le portèrent d’emblée à un degré de développement qu’il ne devait plus revoir.
[…] En dehors de ces moyens chroniques d’émulation, il y en avait d’intermittents, trop nombreux pour qu’il soit possible de les énumérer. Périodiquement,
les meilleures copies étaient affichées aux portes des classes ; les plus remarquables étaient lues publiquement soit au réfectoire, soit à la salle des Actes. Sans
parler des distributions de prix annuelles, qui avaient lieu solennellement au son
des trompettes, des prix étaient distribués d’une manière intermittente au cours
de l’année pour une déclamation bien faite, pour une œuvre littéraire de mérite,
pour une danse bien exécutée, etc. À partir de la seconde, il y avait dans chaque
classe une Académie dont seuls les meilleurs élèves faisaient partie. Ensuite,
toutes sortes de réunions publiques avaient lieu où l’on produisait les élèves les
plus brillants, où les familles venaient les écouter et les applaudir20. »
La distribution des prix est un véritable événement dans la ville, un rendezvous annuel où la société bastiaise se donne à voir et à entendre. Le decorum, la
musique militaire ou la fanfare de la ville, les poèmes, les pièces de théâtre et les
discours, la proclamation du palmarès, les applaudissements, les livres de prix et
les couronnes de laurier font forte impression. Signalons que les élèves prennent
une part active à l’organisation de la cérémonie annuelle avec la désignation
d’élèves commissaires dont la presse retient trop rarement le nom. En 1897,
18. Cité par compère Marie-Madeleine, Du collège au lycée (1500-1850). Généalogie de l’enseignement secondaire français, Gallimard/Julliard, coll. archives, 1985, p. 229.
19. Distribution solennelle des prix, 30 juillet 1879, sous la présidence de M. Limperani, Procureurgénéral près la Cour d’Appel de Bastia, Bastia, imprimerie Veuve Eugène Ollagnier, 1879,
p. 74.
20. Durkheim Émile, L’évolution pédagogique en France, Paris, P.U.F., coll. Quadrige, 1999
(1938), p. 298-300.
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les élèves commissaires sont Jean Cesari, Michel Ciavatti, Toussaint Palmieri,
Félix Poli, Valery21.
Pour que tout se déroule comme prévu, c’est par courrier aux familles mais
aussi par voie de presse que l’administration du lycée communique la date,
l’heure et les informations pratiques pour assurer le bon déroulement de l’événement annuel. « Le Proviseur du Lycée a l’honneur de prier les familles des élèves
qui, par erreur ou par oubli, n’auraient pas reçu de lettre les invitant à assister
à la distribution des prix, de vouloir bien considérer le présent avis comme en
tenant lieu. L’entrée des familles et des invités se fera par la porte du boulevard
du Palais, qui sera ouverte à partir de 7 heures et demie. Les élèves, internes
et externes, entreront par la porte de la rue de la Miséricorde de 7 heures ¼ à
7 heures ¾ 22. »
Au fil des ans, la presse, spécialement Le Petit Bastiais, rend compte de la
distribution des prix et corrobore son caractère rituel et protocolaire.
Par ailleurs, en France comme à travers toute la France, de nombreuses voix
s’élèvent et s’opposent au classement des lycéens et à la distribution des prix.
Le linguiste Michel Bréal, professeur au Collège de France, prône une réforme
profonde de l’Instruction publique et réclame la suppression du palmarès et de la
distribution des prix. « Pour exciter nos collégiens à bien faire, on n’a rien trouvé
de mieux que de les classer et de les reclasser sans fin : places, notes, tableau
d’honneur, l’amour-propre est le grand levier. Mais il n’est pas difficile de voir
que ce levier n’a rien qui le rattache spécialement à l’étude : ces moyens d’émulation pourraient être appliqués à obtenir des enfants un tout autre emploi de leur
zèle et de leurs facultés. De même que nos méthodes latines semblent faites pour
produire des devoirs avec le moins d’effort possible et en réduisant la réflexion
à un minimum, nos récompenses sont des moyens extérieurs qui supposent
chez l’enfant, non l’amour de l’étude, mais seulement le désir de se distinguer.
Amener les enfants à faire avec passion des exercices qui ne les intéressent point
par eux-mêmes, c’est la gageure que les Pères Jésuites paraissent s’être donnée
et qu’ils ont transmise à l’Université. L’enfant s’habitue de la sorte à chercher
la récompense de ses actes en dehors des actes eux-mêmes. […] On comprend
dès lors pourquoi le lycée peut contenir beaucoup de jeunes gens qui font avec
entrain et ardeur des vers et des discours latins, sans aimer le latin, et pourquoi ce goût apparent de l’antiquité s’évanouit d’ordinaire au sortir du collège
en même temps que les derniers applaudissements du concours. Aucun autre
système d’éducation n’a fait une telle part à l’amour-propre. […] D’honnêtes et
dignes proviseurs, d’excellents professeurs se rendent complices de ce système,
en exprimant naïvement leur admiration pour un discours bien composé, pour
des vers imités avec art. “L’admiration gâte tout dès l’enfance”, dit avec amer21. « La distribution des prix aux élèves du lycée », Le Petit Bastiais, lundi 2 et mardi 3 août
1897.
22. Le Petit Bastiais, lundi 29 juillet 1907.
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tume l’auteur des Provinciales. Ces brillants élèves du lycée entrent dans la
société déjà surchargés d’honneurs. Que peut leur offrir la vie pour répondre à
de tels débuts ? La fausse idée que les hommes ont droit à être classés d’après
leur valeur personnelle, comme si la société était la continuation du collège, leur
prépare de nombreuses déceptions23 ».
À la fin du XIXe siècle, la distribution des prix ne fait plus l’unanimité. Le
choix d’une date jugée tardive, la longueur de la cérémonie et la longueur des
discours suscitent à Bastia quelque lassitude. La presse en fait largement état.
En 1894, Le Petit Bastiais pose la question : « Ne serait-il pas possible à M. le
Recteur d’avancer d’un jour la distribution ; elle aurait lieu le lundi matin et les
intéressés partiraient le même jour à une heure ! La mesure contenterait tout le
monde. Il est à remarquer d’ailleurs que les lycées d’Algérie sont en vacances
vers le 25 juillet et que le lycée d’Aix a sa distribution fixée au samedi 28 juillet.
Ne pourrait-on pas traiter le lycée de Bastia comme le lycée d’Aix24 ? »
Vernier, professeur de l’enseignement moderne, donne la mesure de la lassitude qui semble gagner le public : « On a tant médit du discours d’usage que
j’éprouve une sorte de remords en présence de toutes ces feuilles que j’ai apportées. Le moyen d’avoir foi en une tradition que de graves esprits ont condamnée ! Au surplus, j’imagine que, si je vous avais consultés sur l’opportunité d’un
discours, il y aurait une belle majorité en faveur de sa suppression25 ».
En 1896, un article publié en première page du Petit Bastiais se montre critique et réclame des modifications dans la conception et le déroulement d’une
cérémonie perçue comme un rite immuable et désuet. « Toutefois, il serait bon
de renfermer les distributions des prix dans des limites raisonnables. Quand la
cérémonie se prolonge trop longtemps, la lassitude envahit les spectateurs, et
rien n’est piteux comme une réunion de ce genre, quand l’ennui et la fatigue se
peignent sur tous les visages. Les allocutions devraient être aussi courtes que
vigoureusement enlevées ; les orateurs qui font une dissertation en quatre points
ne se rendent compte ni de la nature de leurs auditeurs, ni des convenances du
moment. Les parents qui assistent à la distribution ont hâte de voir couronner leurs
enfants, ceux-ci ont hâte d’être couronnés, enfin les fonctionnaires qui, suivant
l’expression consacrée, honorent de leur présence, ne sont pas fâchés d’être bientôt délivrés. […] Ici chaque détail a son importance ; le chef de musique n’a pas
à fournir de la musique savante : des notes brèves, éclatantes, quelques mesures
d’un pas redoublé entraînant sont les intermèdes indiqués26. »
23. Bréal Michel, Quelques mots sur l’Instruction publique en France, Paris, Librairie Hachette,
1886 (1873), p. 318-321.
24. « La distribution des prix au lycée de Bastia », Le Petit Bastiais, mercredi 25 juillet 1894.
25. « Discours de M. Vernier, professeur de l’enseignement moderne », Le Petit Bastiais, mercredi
1er août 1894.
26. « Les distributions de prix », article signé « Z. », Le Petit Bastiais, samedi 25 juillet 1896.
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Quoique contestée avec ses mondanités figées en ennuyeux échanges entre
gens de bonne et de même compagnie, avec sa tradition rigidifiée et son ordre
établi, la distribution des prix reste donc un rite bien ancré, une « fête oratoire »
dans la sociabilité éducative et culturelle bastiaise.
Le Bastia de la seconde moitié du XIXe siècle est encore plein de signes, de
traces culturelles et d’un art de vivre. Les sources de l’intelligence ne sont pas
taries, et les effets d’un grand passé comme une lumière rasante venue d’Italie,
caressent encore la ville. À la fin du XIXe siècle, cette lumière vacille et s’éteint.
Pierre-Jean effectue ses études de médecine à Paris. Pendant les grandes
vacances, le jeune homme retourne chez les siens à Santo-Pietro. Au village,
il prodigue soins et conseils avisés aux malades, traite les urgences. En
septembre 1911, il se porte au secours de deux ouvriers. Le Petit Bastiais relate
les faits : « Hier soir, un épouvantable malheur vint jeter la consternation dans
notre village. Les ouvriers, occupés à extraire la pierre pour la construction du
groupe scolaire de notre commune, chargeaient une mine, au lieu-dit Pedimari,
lorsqu’une formidable détonation retentit, projetant à quelques mètres, les
deux infortunés Chiaramonti Noël et son neveu Biaggioli Gaylard, un jeune
homme d’une vingtaine d’années. Aux cris poussés par leurs camarades,
toute la population accourut et, en moins de dix minutes, se trouva sur les
lieux de la catastrophe, où l’attendait un douloureux spectacle : Chiaramonti
Noël avait une main flagellée, la figure toute noire et en partie brûlée et une
grave blessure au crâne ; le jeune Biaggioli avait des blessures à la tête, des
brûlures à la figure et sur le corps, et des dents cassées. Le jeune Lucciardi
Pierre-Jean, étudiant en médecine, fut le premier à arriver auprès des blessés
et leur prodigua des soins aussi intelligents qu’empressés. Il fit des ligatures
au bras blessé, lava les blessures, etc. Il fut secondé par Mme Piras, arrivée
une des premières sur les lieux de la catastrophe, et portant dans sa sacoche,
compresses, coton hydrophile, eau oxygénée, etc., etc. Les blessés ont été
ensuite transportés sur des matelas à leur domicile. Les deux victimes de cet
accident de travail ont été dirigées sur l’hôpital civil de Bastia, où elles ont été
admises d’urgence27. »
Devenu médecin, spécialisé en pneumologie, versé dans la recherche, il
accomplit quelques solides travaux de recherche sur le bacille de la tuberculose,
résultats d’observations et d’analyses rigoureuses. Le choix de la pneumologie
ne doit rien ni au hasard ni même à une quelconque opportunité. Faut-il y voir
une façon de conjurer le mauvais sort, une revanche sur la maladie qui avait
emporté son frère aîné ? Cela paraît probable. Membre de la Société française de
Pathologie respiratoire, membre de la Société française de la tuberculose, PierreJean Lucciardi est un médecin généreux et attentif. Il prend part à la Grande
27. « Santo-Pietro-di-Tenda. Terrible accident : deux ouvriers blessés », Le Petit Bastiais,
dimanche 3 septembre 1911.
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Guerre et reçoit plusieurs décorations : chevalier de la Légion d’honneur, Croix
de guerre 14-18, chevalier de l’Ordre de la Santé publique.
Un instituteur corse sous la Troisième République
C’est au cours de l’enfance que Jean-Pierre Lucciardi se détermine pour
la vie d’instituteur. Il entre dans la profession par la voie royale que constitue
l’École normale, fondée officiellement à Ajaccio le 13 juin 1829. À l’époque
de sa création, il n’existe que quatre autres écoles normales à travers la France.
Toutefois, l’école normale ne connaît une réelle et pleine existence qu’à partir de
1833. « Ordonnés autour du discours de l’État, les écoles normales sont d’abord
des lieux de conformisme28. »
Les jeunes normaliens reçoivent une formation morale, intellectuelle et
pédagogique, et doivent devenir les archétypes des valeurs de la République.
C’est dans cette École normale que, volontairement éloignés du monde et des
opinions considérées comme possiblement subversives, sont formées les élites
enseignantes.
Dès les débuts de la Troisième République, l’École normale d’Ajaccio
accueille des éléments, issus pour l’essentiel, de la notabilité et des classes
moyennes. Les recrutements se font dans un pays profondément rural. Pour
Ferry, comme l’écrit Claude Lelièvre, c’est la paysannerie qui doit et peut être
le centre de gravité de la Troisième République29. La carrière enseignante attire
et laisse entrevoir une vie meilleure et une promotion sociale, culturelle et financière. Xavier Darcos assure que « tous les témoignages et toutes les enquêtes le
confirment : les futurs instituteurs embrassent la carrière pour “gravir un échelon
dans la société30” ». Dorénavant, « c’en est fini des instituteurs qui attiraient tour
à tour la pitié ou l’indignation par leur grossièreté et leurs vices. Le niveau intellectuel et moral du personnel s’est nettement amélioré31 ».
Comment devient-on maître d’école ? Quel est le quotidien des normaliens ?
Quels sont les rituels observés par l’élite de la nation au cours de sa formation ?
Quels rapports entretiennent « Fepeu » (« Formation professionnelle », élèves
de dernière année) et jeunes nouveaux ? Pour devenir instituteur, il faut avoir
dix-huit ans accomplis et vingt-deux ans au plus, accepter de recevoir une formation dans ce couvent laïc qu’est l’école normale, se plier à une discipline de fer.
28. Develay Michel, Propos sur les sciences de l’éducation. Réflexions épistémologiques, Issyles-Moulineaux, ESF éditeur, coll. Pratiques et enjeux pédagogiques, éd. or. 2001, rééd. 2004,
p. 20.
29. Lelièvre Claude, Jules Ferry. La République éducatrice, Paris, Hachette éducation,
coll. Portraits d’éducateurs, 1999, p. 16.
30. Darcos Xavier, L’école de Jules Ferry 1880-1905, Paris, Hachette Littératures, 2005, p. 49.
31. Prost Antoine, Histoire de l’enseignement en France 1800-1967, Paris, éd. or. 1968, rééd. 1983,
p. 142.
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Hélas, de larges zones de la vie des écoles normales restent dans l’obscurité32.
Toutefois, le Règlement33 de l’École normale d’Ajaccio élaboré en 1851, nous
livre de précieux détails. « Les deux premières années, on s’occupera de l’instruction morale ou religieuse, de la lecture, de l’écriture, des éléments de la langue
française, des instructions élémentaires sur l’agriculture ou l’hygiène, du calcul
et du système légal des poids et mesures, de l’arithmétique appliquée aux opérations pratiques, du chant religieux et de la gymnastique. On s’occupera aussi,
mais dans la 2e année seulement, des éléments d’histoire et de géographie. La
3e année, on verra la suite des mêmes matières et en outre des notions des sciences
physiques et de l’histoire naturelle applicables aux usages de la vie, l’arpentage,
le nivellement, le dessin linéaire, des notions sur l’industrie et la pratique des
méthodes (article 2). L’enseignement de la langue française, si importante dans
tout le pays, l’est plus en Corse que partout ailleurs (sic). L’étude d’une langue
est le meilleur moyen de familiariser sans effort l’esprit d’un homme avec les
abstractions, et de développer à la fois toutes ses facultés. C’est aussi le moyen
le plus efficace d’élever une société au niveau d’une autre, comme l’histoire en
fait foi, en versant dans son sein une multitude d’idées. Il importe donc par des
théories habilement graduées et entremêlées d’exercices, ainsi que par l’interdiction absolue de l’idiome local, d’inculquer profondément aux élèves le génie de
la langue française, avec le génie même de la France (art.5). Les élèves songeront
sans cesse qu’ils sont destinés à former l’avant-garde de la civilisation et s’efforceront tous les jours de se façonner à l’esprit de bienveillance et à la gravité
des mœurs qu’exige leur noble mission (art.29). Chaque soir et chaque matin, ils
feront un examen de conscience à la suite de la prière et de la lecture de piété. Le
soir, ils passeront en revue leur actions et leurs sentiments de la journée, pleins de
défiance contre cet amour-propre qui fait croire à chacun de nous qu’il a toujours
raison, pendant que la moitié et quelquefois même la totalité des torts, sont
réellement de son côté. Ils se diront que l’indulgence pour autrui et la sévérité
pour nous-mêmes résument presque tous nos devoirs et ne s’endormiront jamais
32. « Le microcosme ainsi créé à l’intérieur des murs a surtout intéressé les observateurs des
collèges, des universités et des grandes écoles, ces institutions de formation de l’élite sociale,
au détriment de celles qui ont pour but avoué la formation des formateurs de la grande
masse des citoyens. Depuis plus d’un siècle cependant, l’école normale primaire remplit ce
rôle sans qu’historiens et sociologues aient tenté d’aller au-delà d’un éternel débat sur les
splendeurs et les misères de la formation des maîtres, si ce n’est par l’illustration répétitive
d’un lieu commun : “le séminaire laïque”. […] C’est dire combien ce terrain reste inexploré.
Il faut sans doute voir là la rançon dune vision stéréotypée des rapports liant l’école à son
environnement. L’ethnographie de l’école normale primaire est à faire ». Blanc Dominique,
« Numéros d’hommes. Rituels d’entrée à l’école normale d’instituteurs », Terrain, revue
d’ethnologie de l’Europe, n° 8, Rituels contemporains, avril 1987, 23 pages, [consulté en
ligne le 3 janvier 2006]. Disponible sur : http://terrain.revues.org/document3153.html
33. Palissard Michel, Histoire des écoles normales d’Ajaccio au XIXe siècle. Thèse de doctorat en
sciences de l’éducation sous la direction de M. le professeur Jacques Fusina, Corte, Université
de Corse, p. 347-360.
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sur un sentiment de haine (art.30). Les élèves se demanderont souvent s’ils ont
cet amour de l’étude, ce caractère paisible, ces mœurs pures sans lesquelles ils ne
sauraient remplir convenablement leur sainte mission. S’ils ne se sentent point ces
précieuses qualités, ils devront renoncer à une carrière pour laquelle ils ne sont pas
faits et choisir une profession moins grave et plus conforme à leurs goûts (art.31).
Les livres étrangers à l’enseignement donné à l’école normale sont interdits. Les
élèves éviteront surtout ces lectures qui, en corrompant les mœurs, énervent le
corps, abâtardissent le caractère et abrutissent l’esprit (art.32). Il est défendu aux
élèves du même arrondissement, du même canton, de la même commune, d’être
constamment ensemble. Cette habitude engendre l’esprit de clocher et cause des
divisions entre eux (art.33). Tous les jeux de hasard sont interdits. Il importe que
les élèves ne s’y accoutument point et s’habituent à trouver leurs délassements
dans la variété de leurs études (art.34). Il est expressément défendu aux élèves de
parler l’idiome du pays (art.35). Ils donneront tous les jours un grand soin à leur
toilette et notamment les jours de promenade. Ils se laveront tous les matins en se
levant (art.40). Les élèves auront la précaution d’enfermer leurs chaussures dans
leur table de nuit en se couchant (art.42). En été, à la nuit tombante, les élèves
prendront des bains de mer après avis du médecin. Nul n’entrera dans l’eau sans
caleçon. Nul ne s’éloignera du rivage de plus de dix mètres (art.43). Le plus grand
ordre et la plus grande propreté règneront dans les repas. Tous les jours, excepté le
jeudi, on fera une lecture pendant le dîner et le souper. À la fin du repas les maîtres
interrogeront quelquefois les élèves sur ce qui aura été lu (art.47). Durant les
récréations les élèves pourront, après en avoir demandé la permission au maître
de service, recevoir des visites de leurs parents, jusqu’au degré de cousin germain
inclusivement. Le Directeur pourra permettre ou défendre d’autres visites, selon
qu’il le jugera à propos. Ils ne pourront introduire dans l’établissement, ni tabac,
ni cigares, ni poudre, ni armes d’aucune sorte (art.51) ».
À l’École normale, les repas sont équilibrés mais sans opulence comme
le démontre le menu d’une semaine du mois d’octobre 187934. Au petitdéjeuner : café noir, lait, pain à volonté, confitures, bouillie de châtaignes au lait.
Dimanche : déjeuner : bœuf bouilli, riz au gras ; souper : saucisses, fromage.
Lundi : déjeuner : côtelettes, châtaignes ; souper : poisson, brocciu. Mardi :
déjeuner : bœuf bouilli, pommes ; souper : ragoût, fromages. Mercredi : déjeuner :
bœuf en daube, châtaignes ; souper : pommes de terre frites, confiture. Jeudi :
déjeuner : bœuf bouilli, maïs ; souper : saucisses, fromage. Vendredi : déjeuner :
poisson, fromage ; souper : pommes de terre, brocciu. Samedi : déjeuner : omelette,
macaronis ; souper : poisson, châtaignes.
De toute évidence, Jean-Pierre Lucciardi est un pur produit de l’École
normale d’Ajaccio. Sur ce point, il est pleinement représentatif de la promotion
par l’instruction qui caractérise la politique de l’État-nation sous la Troisième
34. Ibid., p. 257.
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République. À cette époque, souligne Jürgen Habermas, l’État territorial, la
nation et l’économie politique constituée dans des frontières nationales ont
formé une constellation historique dans laquelle le processus démocratique a
pu donner lieu à une configuration institutionnelle plus ou moins convaincante.
Jusqu’ici, poursuit Habermas, l’idée qu’une partie d’une société démocratique
puisse agir d’une manière réflexive sur cette société dans son ensemble n’a pu se
traduire dans la pratique que dans le cadre de l’État-nation35.
Lucciardi appartient à la première génération des « hussards noirs36 » pour
reprendre la formule bien connue de Charles Péguy, « borne milliaire sur le
chemin français, gallo-romain »37. Dans sa bibliothèque, Hugo et Lamartine
règnent en maîtres. On y trouve aussi les revues pédagogiques qui forgent
« les premiers traits d’une mentalité collective, d’une idéologie commune,
qui constituent les instituteurs en un corps solidaire38 ». C’est peu dire que
Lucciardi prend à cœur son métier. Bibliophile averti, amoureux de beaux
ouvrages et de belles reliures, fin lettré, le souvenir de Jean-Pierre Lucciardi
reste attaché aux livres et à la lecture. Jacques Lucciardi, son petit-fils, garde
de lui l’image d’un homme portant ses bras croisés et repliés sur la poitrine
pour mieux porter ses livres. « E bracce pieni di libri », les bras chargés de
livres, se souvient-il.
Toute la carrière de Jean-Pierre Lucciardi laisse apparaître la culture d’un
indéfectible attachement aux missions fondatrices assignées à l’école laïque.
L’école est le berceau de la République. Sa pensée pédagogique exhale les
livres des maîtres de son temps où dominent des notations régionales qui loin
d’écraser l’idée nationale l’enrichissent. Au premier duquel, le Dictionnaire
de pédagogie et d’instruction primaire de Ferdinand Buisson que Lucciardi
consulte régulièrement pour bâtir et documenter ses leçons. Comme le souligne
fort justement Pierre Nora, « le Dictionnaire est donc un recueil destiné à servir
de guide théorique et pratique à tous ceux qui s’occupent d’enseignement
primaire, public et privé. En fait, comme le montre assez la liste des mille cinq
cents souscripteurs, l’entreprise a été soutenue majoritairement par les membres
de l’enseignement public et elle s’adresse prioritairement à l’élite enseignante,
35. Habermas, op. cit., p. 46.
36. « Nos jeunes maîtres étaient beaux comme des hussards noirs. Sveltes, sévères, sanglés, sérieux
et un peu tremblants de leur précoce, de leur soudaine omnipotence. Un long pantalon noir,
mais je pense avec un liseré violet… Un gilet noir. Une longue redingote noire, bien droite,
bien tombante, mais deux croisements de palmes violettes au revers. Une casquette plate, noire
mais un croisement de palmes violettes au-dessus du front. Cet uniforme civil était une sorte
d’uniforme militaire encore plus sévère, encore plus militaire, étant un uniforme civique, quelque chose, je pense, comme le fameux cadre noir de Saumur ». Péguy Charles, « L’argent »,
6e Cahier de la Quinzaine, 14e série, 1913. Cité par Cellier-Gelly et Torreilles (2004 : 87-88).
37. Porché (1962 : IX).
38. Prost, éd. or. 1968, rééd. 1983, op. cit., p. 145.
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directeurs d’écoles ou élèves des écoles normales39 ». Pour lui, l’école primaire,
laïque, gratuite et obligatoire définit le modèle « acculturatif » français. Les
enseignants vont jouer un rôle considérable dans le développement de ce modèle.
Enseigner est donc un métier aussi essentiel que complexe. Essentiel, car il
revient à l’enseignant de faire devenir l’humanité dans l’homme. La dignité de
l’enseignant est là : dans sa volonté inébranlable d’instruire tous les élèves.
De rares clichés photographiques réalisés dans la fleur de l’âge nous en
dévoilent les traits. Grand, brun, cheveux courts, le teint diaphane, une moustache finement taillée, le regard acéré et ténébreux, une allure élégante dans des
costumes stricts, Jean-Pierre Lucciardi donne l’image de l’exemplarité et évoque
l’élégance austère d’un instituteur parfaitement dans la norme de son temps.
Incontestablement, il est bien un hussard noir de la République, mais un
hussard corse. Sa carrière se déroule sans obstacles. Ainsi le retrouve-t-on instituteur à Fozzano, berceau de Colomba, village aux belles maisons qui impressionnaient tant son épouse qui en gardait un bon souvenir ; Calasima où il fallait
gagner Albertacce en carru, avant de rejoindre Calasima avec lits et bagages. JeanPierre en gardera un souvenir ému et évoquera fréquemment son séjour dans le
Niolu auprès de ses enfants et petits-enfants. Il exerce également à Farinole. Par
la suite, il rejoint San-Nicolao-di-Moriani où il assure pendant seize ans la direction de l’école. Après son long séjour à Moriani, il gagne Bastia où sa carrière
se poursuit pendant onze années à l’école de la place Saint-Nicolas, puis chez
les Ignurantini, strada di Cardu. Le long périple à travers la Corse s’achève en
1916. Retour au bercail ! Lucciardi retrouve son village pour y diriger l’école et y
terminer sa carrière. C’est là qu’il avait grandi, qu’il avait formé ses goûts. C’est
là qu’il souhaite finir sa vie. À présent, c’est là qu’il consacrera une bonne partie
de son temps à méditer, à écrire, à passer en revue les événements de son passé. Il
remerciait Dieu de lui permettre de vivre auprès de son épouse qui, il l’espérait, lui
fermerait les yeux quand le temps viendrait pour lui de s’en aller et de l’attendre
dans l’Éternité. Revenu à Santo-Pietro, Jean-Pierre Lucciardi est dans un premier
temps absorbé par les réparations et la rénovation de la demeure familiale.
Si les conditions de travail des instituteurs dans les écoles de la Troisième
République s’améliorent, beaucoup reste encore à accomplir. De manière
fréquente, chroniqueurs et instituteurs fulminent dans les journaux. En juin 1904,
Léon Maestrati brosse un portrait peu flatteur des écoles insulaires : « Croyezvous que les municipalités, lorsqu’elles ont à faire choix d’un local scolaire,
se préoccupent de son exposition, de son aération, de son étendue en raison du
nombre d’élèves, etc. Point ! Ce qui les intéresse, c’est le propriétaire du local,
ou plutôt ses opinions. Croyez-vous aussi que dès qu’il y a des fonds disponibles,
39. Nora Pierre, « Le Dictionnaire de pédagogie de Ferdinand Buisson. Cathédrale de l’école
primaire », dans Nora Pierre [dir.], Les lieux de mémoire, I. La République, Paris, Gallimard,
coll. Bibliothèque des histoires, 1984, p. 357.
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par grand hasard, ils soient employés en partie à améliorer le matériel, à aider
les enfants pauvres, ou encore à payer une balayeuse ? Et qu’est-ce que vous
voulez que çà (sic) leur fasse, si des élèves de huit ans, par exemple, sont assis
sur des bancs qui non seulement datent tout au moins de la Restauration, mais
encore sont trop grands pour leur âge, ce qui fait qu’ils travaillent les jambes
pendantes, la poitrine solidement appuyée au bord et la tête fortement penchée
en avant ? Ils sont souvent douze, quinze, là où ils devraient être cinq ou six ;
ils balaient quotidiennement la classe et nageant ainsi dans de véritables nuages
de poussière, ils risquent d’attraper les germes de la tuberculose déposés par des
camarades déjà phtisiques et dont le mal a pu passer tout d’abord inaperçu40. »
En septembre 1909, un maître d’école qui reste dans l’anonymat et signe Antone
del Mucchio évoque le délabrement de beaucoup d’écoles insulaires et le peu
d’intérêt manifesté par les municipalités. « S’il est vrai que c’est l’instituteur qui
façonne les jeunes intelligences et prépare ainsi les générations de demain, il est
essentiel que cet homme reçoive des pouvoirs publics les moyens nécessaires
pour mener sa tâche à bonne fin. Or, nos instituteurs et nos institutrices sont la
plupart du temps livrés à eux-mêmes et à leurs propres ressources quand ils ne
se butent pas à l’apathie coupable des pères de famille ou à l’hostilité sourde
des municipalités. Les municipalités ! Ah ! Parlons-en des municipalités qui,
pour des raisons de politique ou d’intérêt de parti, installent les écoles primaires
dans les bouges – le mot n’est pas trop fort – étroits et mal éclairés, lorsqu’ils ne
sont pas humides ! À côté, des maisons qui se prêteraient admirablement pour
y installer l’école, restent inutilisées au grand détriment de l’hygiène des petits
élèves. Et dire, M. le Préfet, que c’est dans de pareils locaux que des cinquantaines de marmots sont pressées, presque en paquets, pendant six heures par jour.
Beaucoup d’écoles n’ont pas de bancs ; toutes ou presque toutes n’en ont pas
assez. Ce qui est lamentable et pénible à dire, c’est qu’aucune école n’est chauffée pendant l’hiver, même à l’époque des froids les plus rigoureux. Parfois les
cartes géographiques font totalement défaut ; les tableaux noirs, dans beaucoup
de classes, ne sont qu’un assemblage de planches mal rabotées – quand toutefois
ils existent. Maintenant parlons un peu des bibliothèques scolaires si riches dans
les moindres villages du continent. En Corse, les bibliothèques scolaires sont
pauvres, d’une pauvreté lamentable et honteuse pour les pouvoirs publics qui, si
généreusement, dotent les colonies et leurs écoles de tant de livres41 ! »
Comme cela a été souvent souligné, la démonstration de l’élévation sociale
des instituteurs français à la fin du XIXe siècle n’est plus à faire. La précarité
n’est plus de mise. Les raisons sont bien connues : « Stables dans leurs postes
jusqu’à faire toute leur carrière dans le même village, maîtres d’une situation
sociale importante grâce à leur culture qui leur permet de tenir conversation avec
40. Maestrati Léon, « L’école et le foyer », Le Petit Bastiais, jeudi 9 juin 1904.
41. Mucchio Antone del, « Pour nos écoles communales », Le Petit Bastiais, jeudi 30 septembre
1909, n° 269.
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le médecin, le juge de paix, l’agent voyer, grâce aussi au secrétariat de mairie,
qui leur est si souvent dévolu, les instituteurs ont réussi, et l’école primaire est
devenue sous la République le premier personnage du village français42 ». Les
témoignages révèlent une fibre humaniste et confirment des initiatives pédagogiques souvent couronnées de succès. C’est que comme le relève Ferdinand
Buisson à maintes occasions et notamment dans La Foi laïque, recueil dédié
« aux instituteurs et aux institutrices de France », la condition de maître réclame
un investissement absolu : « Mais, dans l’instruction publique, la direction peut
bien venir d’en haut, l’inspiration vient toujours d’en bas. À chaque instant du
jour l’instituteur doit puiser dans son propre fonds : il n’y a d’impulsion sûre,
efficace et durable que celle qui lui vient de lui-même. […] L’instituteur, sans
doute, comme le soldat, doit savoir obéir ; mais s’il ne sait qu’obéir, il ne sait
pas son métier, ce n’est pas un instituteur43. » L’instituteur tente d’évincer le père
de famille et l’école la famille. « Il n’existe pas d’autres pays que la France qui
ait construit son système scolaire, à ce point, contre le système familial. Avant
même la Révolution, Turgot, ministre de Louis XVI, préfigure, dans un mémoire
de 1782, ce mouvement puissant qui trouvera son apogée avec Jules Ferry et
pour lequel “seul l’État a le droit d’éduquer”. Car, dans la tradition française,
l’État, c’est la raison, et la famille, la superstition ; l’État, c’est la science, et
la famille, la religion ; l’État, c’est la langue nationale, et la famille, le patois ;
l’État, c’est l’égalité des chances, et la famille, l’hérédité des privilèges. Donc
l’État, dans sa prétention à l’universel, a seul le droit à dispenser une éducation ;
l’arrachement de l’enfant à sa famille est ainsi tenu pour une libération des entraves du local – ce local toujours suspecté d’enfermer l’enfant dans ses racines,
dans le patois et les inégalités, suspecté de le séparer des autres44. »
Comme instituteur, Lucciardi sait qu’il détient en grande partie les clés de la
promotion des élèves de sa classe. Ainsi, affiche-t-il une grande satisfaction de
voir ses écoliers décrocher les diplômes convoités. Les témoignages d’anciens
élèves de Jean-Pierre Lucciardi patiemment rassemblés par Marie-Cécile Querci
laissent apparaître un homme attentif à la réussite de chacun.
La préparation de l’examen du certificat d’études occupe les esprits. Le
diplôme délivré à des enfants ou à des adolescents par la « République certificatrice » signifiait à la fois l’accomplissement de leur contrat, et leur congé,
42. Duby G., Mandrou R., Histoire de la civilisation française, XVIIe-XXe siècle, Paris, Armand
Colin, 1976, p. 252.
43. « Allocution pour la réception des membres du premier congrès pédagogique des instituteurs et
institutrices de France, [Sorbonne, 19 avril 1881] ». Buisson, op. cit., éd. or. 1912, rééd. 1918,
p. 13-14.
44. Meirieu Philippe, « Vers un nouveau contrat parents-enseignants ? », dans Dubet François
[dir.], École, familles : le malentendu, Paris, Les éditions Textuel, coll. Le penser-vivre, 1997,
p. 79-80.
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devant la porte ouverte sur la vie45. Si les premiers certificats départementaux
sont créés dans les Vosges en 1866, ils ne le seront qu’en 1880 en Corse46.
C’est-à-dire l’année même où un arrêté pris par Jules Ferry et son directeur
de l’enseignement primaire, Ferdinand Buisson, instaurent une réglementation
nationale uniforme.
Jean-Pierre Lucciardi apporte donc une attention toute particulière aux
candidats présentés au certificat d’études. Ainsi, en 1898, trois des élèves qu’il
présente décrochent le diplôme convoité. Leurs noms : Pascal Paoli, NobleAlexis Marchetti et Antoine-Louis Marchetti47.
Consciencieux, soucieux de la réussite de ses élèves, attaché au calcul, à
l’histoire et à l’orthographe, Lucciardi est aussi un maître qui, pour faire plier
les plus récalcitrants, a recours à la férule. L’instituteur est habité par l’idéal
d’autorité. Celui-ci vient de loin, même si les enseignants n’ont généralement
pas conscience des modèles qui en sont la source. Ces modèles, ce sont le Prêtre
et l’Officier48. Lucciardi semble habité par l’idée fort répandue selon laquelle
« la discipline ne naît pas de la sanction, qui peut tout au plus la restaurer ; la
discipline est transmise directement par l’exemple du maître qui l’incarne et crée
chez ses élèves une foi collective analogue à la sienne49 ».
Régulièrement, dans son école de San-Nicolao, Jean-Pierre Lucciardi déploie
une intense activité pédagogique en direction des adultes. En 1896 et en 1898,
son nom apparaît dans la liste des instituteurs et institutrices du département de
la Corse récompensés à cet effet par le ministre de l’Instruction publique50.
L’instruction civique et spécialement le patriotisme occupent aussi une place
importante dans le temps scolaire. En 1908, dans École et Patrie, Georges
Duruy, professeur d’histoire et de littérature à l’École polytechnique, fils du
ministre Victor Duruy explique : « Entre l’instituteur et le pays, il existe donc
un contrat. Ce contrat est violé par le premier si de ce droit d’enseigner au nom
de la communauté, qu’un privilège spécial lui confère, il use pour enseigner des
doctrines qui – de quelque hypocrite atténuation qu’on les édulcore – n’en sont
pas moins la négation de la patrie. Cette patrie l’emploie et le salarie pour être
servie par lui, non pas pour être desservie, reniée, outragée. Libre à l’instituteur
d’être pacifiste, antimilitariste, antipatriote – mais non pas à l’école ! S’il veut
45. Cabanel Patrick, La République du certificat d’études. Histoire et anthropologie d’un examen
(XIX-XXe siècles), Paris, Belin, coll. Histoire de l’éducation, 2002, p. 11.
46. Ibidem, p. 26-27.
47. Le Petit Bastiais, lundi 27 et mardi 28 juin 1898.
48. Flahault François, « Sisyphe professeur », Communications, revue du Centre d’études transdisciplinaires (sociologie, anthropologie, histoire), École des hautes études en sciences sociales,
n° 72, L’idéal éducatif, numéro dirigé par François Flahault et Jean-Marie Schaeffer, p. 44.
49. Reboul Olivier, Les valeurs de l’éducation, Paris, Presses Universitaires de France, coll. Premier
Cycle, 1992, p. 121.
50. Le Petit Bastiais, dimanche 26 juillet 1896 ; mercredi 31 août 1898.
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l’être, qu’il la quitte. Le journal, la réunion publique, la propagande sous toutes
les formes lui restent51. »
À travers la lecture et l’analyse d’« anecdotes moralisantes, si répandues,
où, en obéissant à leurs parents, en travaillant à l’école, en respectant leurs instituteurs – devoir essentiel – les enfants se montrent patriotes sans le savoir52 ».
Lucciardi estime qu’il faut garder une cohérence entre ce que l’on croit, sa vie
privée, et la profession que l’on exerce. En apparence, le « catéchisme » des
instituteurs de la Troisième République est assimilé.
À la maison, il se montre digne de l’art d’être grand-père. S’il s’adresse
toujours à eux en corse, langue qui domine à la maison, il dirige les devoirs de
vacances. La maison est le refuge de la corsophonie. Le vouvoiement est de
rigueur. Les petits-enfants vouvoient le grand-père et la grand-mère, ainsi que
les oncles et les tantes.
Pour Jean-Pierre Lucciardi, profession enseignante et vie privée se confondent
donc. La séparation entre dimension affective et dimension technique est difficile
à établir. Guy Avanzini affirme que les multiples courants de pensée « s’attachent
à établir que, plus qu’entre les esprits, l’éducation est une communication entre les
personnes » et que « ce qui importe, pour eux, c’est cette capacité de l’adulte, son
intuition, son sens de l’autre, sa chaleur personnelle, la séduction qui émane de sa
personnalité, le climat qu’il instaure, la qualité de son entente avec chacun, bien
plus que des techniques anonymes qu’il appliquerait sans s’y impliquer53 ». Rien
d’étonnant à voir ses élèves considérer l’instituteur dans une relation duale comme
une figure exemplaire conforme aux préceptes de Jules Ferry : « Les populations
mêmes dont on a cherché à exciter les inquiétudes ne résisteront pas longtemps
à l’expérience qui se fera sous leurs yeux. Quand elles vous auront vu à l’œuvre, quand elles reconnaîtront que vous n’avez d’autre arrière-pensée que de leur
rendre leurs enfants plus instruits et meilleurs, quand elles remarqueront que vos
leçons de morale commencent à produire de l’effet, que leurs enfants rapportent
de votre classe de meilleures habitudes, des manières plus douces et plus respectueuses, plus de droiture, plus d’obéissance, plus de goût pour le travail, plus de
soumission au devoir, enfin tous les signes d’une incessante amélioration morale,
alors la cause de l’école laïque sera gagnée : le bon sens du père et le cœur de
la mère ne s’y tromperont pas, et ils n’auront pas besoin qu’on leur apprenne ce
qu’ils vous doivent d’estime, de confiance et de gratitude54. »
Discret et courtois, attentif et obstiné, tel le décrivent les témoins, ajoutant
presque tous qu’il n’était pas dépourvu d’ironie ni d’humour, Lucciardi est
51. Duruy George, École et Patrie, Paris, 1908, deuxième édition, librairie Hachette, p. 35.
52. Ozouf, op. cit., 1984, p. 211.
53. Avanzini Guy, L’École, d’hier à aujourd’hui. Des illusions d’une politique à la politique des
illusions, Toulouse, éditions Érès, 1991, p. 138.
54. Ferry Jules, « Lettre adressée aux instituteurs » (17 novembre 1883). Cité par Terral, op. cit.,
p. 35.
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un maître dont beaucoup d’écoliers gardent vive mémoire. Francescu Antone
Campretti de Santo-Pietro-di-Tenda se souvient : « Era un omu straurdinariu
chì ci amparava assai cose, per esempiu ci vulia à cunnosce a Storia per core.
In ortografia ci vulia à esse eccellenti. E quandu ùn ci ricurdavamu micca di
qualcosa ellu ci dicia : « Dilla in corsu, è dopu viderai chì a trovi ». Aduprava
assai u corsu. Sò sicuru chì mentre ch’omu studiavamu ellu scrivia e so puesie,
perchè si vidia ch’ellu era sempre occupatu. Quand’ellu leticava un zitellu a facia
sempre in lingua corsa. Ma u più chì mi vene à mente quandu pensu à Ghjuvan
Petru Lucciardi ghjè chì ghjera un omu chì vulia chì ognunu travaglessi : ci
vulia à cunnosce tuttu a storia di Francia è a geografia, tutti i dipartimenti, e
prefetture ecc55. »
Les autorités reconnaissent enfin son investissement pédagogique, son
désintéressement. Ainsi le 20 juillet 1921, Léon Bérard, béarnais, ami de
l’Action française, ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts, le
nomme officier d’académie.
Mais le personnage est bien plus complexe et profond qu’il n’y paraît.
55. « C’était un homme extraordinaire qui nous apprenait beaucoup de choses, par exemple il
fallait connaître l’histoire par cœur. En orthographe, il fallait être excellent. Et lorsque nous ne
souvenions pas de quelque chose, il nous disait : “Dis-le en corse, et tu trouveras”. Il recourrait
beaucoup au corse. Je suis sûr que pendant que nous étudions à l’étude, il écrivait ses poésies,
parce qu’on voyait qu’il était toujours occupé. Lorsqu’il grondait un enfant, il le faisait toujours
en corse. Mais ce qui est le plus marquant lorsque je songe à Jean-Pierre Lucciardi c’est qu’il
voulait que chacun de nous travaille : il fallait connaître toute l’histoire de France et la géographie, l’ensemble des départements, les préfectures etc. ». Querci, op. cit., p. 19.
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Une orientation
chrétienne, socialisante
et radicale
C’est en allant vers la mer que le fleuve reste fidèle à sa source.
Jean Jaurès
Comme un grand nombre d’instituteurs, Lucciardi côtoie les idées socialistes et une morale laïque identifiées à l’anticléricalisme. L’opinion catholique accueille avec une opposition virulente la loi Ferry de 1880, notamment
dans son article 7 qui stipule que « nul n’est admis à diriger un établissement
d’enseignement public ou privé, de quelque ordre qu’il soit, ni à y donner l’enseignement, s’il appartient à une congrégation religieuse non autorisée ». Le
sénateur Laboulaye critique vertement la loi et écrit : « Ce sont donc environ
1 500 prêtres, tous français de naissance, tous citoyens, électeurs et éligibles, qui
ont fait le vœu de pauvreté mais non pas de mourir de faim, ce sont ces citoyens
dont la loi va faire des parias1. »
Le principe de laïcité et de neutralité religieuse, instrument d’édification de
la communauté nationale, a été introduit dans les programmes de l’enseignement
primaire par l’article premier de la loi du 28 mars 1882 qui a substitué
« l’instruction morale et civique » à la « morale religieuse ». Comme le souligne
un récent Rapport […] relatif à l’application du principe de laïcité dans les
écoles, collèges et lycées publics : « Dans la conception française, la laïcité n’est
pas un simple “garde frontière” qui se limiterait à faire respecter la séparation
entre l’État et les cultes, entre la politique et la sphère spirituelle et religieuse2 ».
Si la laïcité affecte prioritairement le système éducatif, cela n’est pas surprenant :
« Elle s’explique, d’abord, par une raison d’ordre idéologique. Comme on le
sait, pour les Pères du nouveau régime, “la démocratie est démopédie”. Fondée
sur la souveraineté du peuple, la République ne peut fonctionner, disent-ils,
que si chacun acquiert les outils indispensables à l’exercice de la citoyenneté.
C’est le sens de la formule de Jean Macé, fondateur en 1866 de la Ligue de
1. Laboulaye Édouard (Sénateur), La liberté d’enseignement et les projets de lois de M. Jules
Ferry, Paris, L. Larose, 1880, p. 13.
2. Clément Pascal (Député), Rapport fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de
la législation et de l’administration générale de la République sur le projet de loi (n° 1378)
relatif à l’application du principe de laïcité dans les écoles, collèges et lycées publics, n° 1381,
Paris, Assemblée nationale, 2004, p. 15.
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LES LUCCIARDI – UNE FAMILLE CORSE DE POÈTES ET D’INSTITUTEURS
l’Enseignement : « Le suffrage universel implique l’instruction publique». Le
second motif est, quant à lui, plus conjoncturel. Le secteur de l’enseignement
est, avec celui de l’assistance, la place forte de l’Église dans la société française
de l’époque3. »
Si la Grande Guerre éteindra cette querelle pour unir dans les tranchées
laïques et croyants, le débat fait rage jusqu’en 1914. Chez Lucciardi, la foi est
adhésion familiale et personnelle. Il n’a probablement jamais essayé de s’en
affranchir. Comment Jean-Pierre Lucciardi combine sa fidélité familiale et individuelle à l’Église et son adhésion à l’enseignement moral laïque obligatoire,
« clé de voûte du dispositif républicain4 » ? En 1882, le pape Léon XIII stigmatise « l’École sans Dieu » et met à l’index les manuels républicains d’instruction
civique et morale, dont l’inspiration est jugée « naturaliste5 ».
Quelles formes de compromis, de stratégies d’évitement ou de contournement a-t-il mis en œuvre ? Tout comme Ferdinand Buisson, Jean-Pierre
Lucciardi voue un profond respect à l’œuvre accomplie par les congrégations
enseignantes6. Comme Buisson, Lucciardi regarde-t-il le socialisme comme
une « extension hardie du christianisme7 » ? Doit-il faire le grand écart entre
ce à quoi son cœur aspire, et le discours de l’institution scolaire ? Toutes ces
questions restent posées.
Sur fond de choc des idées, l’époque autorise l’entretien des controverses.
Nous ignorons s’il prit publiquement position lors du combat pour la laïcité,
s’il plaida pour la loi de séparation de l’Église et de l’État (nous pourrions presque dire de L’Église et de l’École8), s’il manifesta publiquement une opinion
3. Portier Philippe, Église et politique en France au XXe siècle, Paris, Montchrestien, coll. Clefs
politique, 1993, p. 19.
4. Loeffel Laurence, La question du fondement de la morale laïque sous la IIIe République (18701914), Paris, Presses universitaires de France, 2000, p. 15.
5. Portier, op. cit., p. 56.
6. « Ne croyez pas en particulier que nous soyons tentés de dénigrer les communautés vouées à
l’enseignement populaire, et que nous ayons quelque secret plaisir à méconnaître les dévouements qui s’y sont cachés, à en rabaisser le mérite, à discuter le prix de leurs services passés et
présents ! Non certes, nous n’oublierons pas, filles de saint Vincent de Paul ou frères de JeanBaptiste de La Salle, religieux et religieuses de toute robe et de tout nom, nous n’oublierons
pas que pendant deux ou trois siècles vous avez été presque seuls à vous occuper des enfants
du peuple, et nous ne nous étonnons pas que le peuple s’en souvienne et vous aime. Non, nous
ne sommes pas, nous ne serons jamais ingrats envers vous. Mais nous ne voulons pas non plus
être ingrats et infidèles à la mémoire de nos pères, qui, il y a tout à l’heure cent ans, nous ont,
au prix de leur sang, conquis des droits et légué des devoirs jusque-là inconnus ». « Discours
prononcé à l’inauguration des écoles de Fontenay-le-comte (Vendée), [juillet 1887] ». Buisson,
op. cit., p. 43-45.
7. Buisson Ferdinand, L’Avenir du sentiment religieux (1923). Cité par Loeffel, op. cit., p. 194.
8. « En 1882, alors qu’il dirige au Sénat l’opposition républicaine contre la politique de laïcisation
de Jules Ferry, Jules Simon fait observer que “depuis la fondation de l’Université impériale, qui
était, dans la pensée de son auteur, une sorte d’Église laïque, toutes les questions religieuses ont
pris la forme d’une discussion sur l’enseignement” ». Chanet Jean-François, “La loi du 15 mars
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UNE ORIENTATION CHRÉTIENNE, SOCIALISANTE ET RADICALE
lors de l’affaire Dreyfus, s’il exprima un avis sur la montée des revendications
socialistes et syndicales ? Sans risquer une fausse interprétation, son loyalisme
à l’égard des autorités républicaines ne s’accompagne d’aucun reniement de
la foi catholique. Lucciardi est fasciné par le catholicisme social étayé par le
Sillon de Marc Sangnier qui, pourtant, était vigoureusement opposé à la séparation de l’Église et de l’État, la considérant comme « une erreur, une lâcheté,
une duperie9. »
De manière incontestable, l’œuvre littéraire de Jean-Pierre Lucciardi porte
témoignage d’un réel attachement à l’Église de Rome qui se considère comme
mater et magistra, « mère et maîtresse ». Cette fonction d’enseignement dévolue au sein du monde catholique au centre d’unité d’une Église qui se veut
« universelle ». Publié en 1922, U Martiriu di Santa Divota, sorte de drame
sacré relatant le martyre en Corse de sainte Dévote, témoigne de cette source
d’inspiration religieuse. Plus loin, nous retrouverons U Martiriu.
D’autres textes de moindre ampleur, comme les vingt-deux sizains
d’« A Campana10 », poésie dédiée à l’abbé Rasuri et inspirée en juillet 1922 par
le baptême d’une cloche à San-Gavino-di-Tenda, rappellent cet attachement :
Cullatela in campanile,
Bicinu all’anghiuli e’santi.
A stu sonu ognunu canti
Cu a so voce piu ghientile,
E lode di lu Signore :
Allelluia ! a tutte l’ore.11
Si cette adhésion familiale et personnelle à la foi catholique imprègne une
part importante de l’œuvre littéraire de Jean-Pierre Lucciardi, elle ne se traduit
pas par un engagement fort sur le terrain idéologique. Certes, il lui arrive de
publier quelque acrostiche dans Le Sillon de la Corse, hebdomadaire bastiais
qui se veut l’« Organe des intérêts catholiques de la Corse ». C’est notamment le cas en 1911 lorsque l’instituteur-poète salue la venue au monde de
Jean Poletti. Toutefois, Lucciardi se garde bien de partager les opinions et les
idées que Le Sillon de la Corse diffuse chaque semaine. Dans l’hebdomadaire
catholique, la question de l’école publique est quasi obsessionnelle. Il ne se
passe une semaine sans que Le Sillon tire à boulets rouges sur l’école publique
1850, du comte de Falloux aux mécomptes de François Bayrou”, Vingtième siècle, revue d’histoire, n° 87, juillet-septembre 2005, p. 23. »
9. Cité par Lalouette Jacqueline, La séparation des Églises et de l’État. Genèse et développement
d’une idée 1789-1905, Paris, Éditions du Seuil, coll. L’univers historique, 2005, p. 360.
10. Lucciardi J.-P., A Campana (All’occasione di u battesimu di a campana « Saint-Gabriel » di
San-Gavino-di-Tenda), Bastia, impr. J. Santi, 1922, 6 pages.
11. Hissez-la dans le clocher, près des anges et des saints. Qu’en entendant ce son, chacun chante,
D’une voix pure, Les louanges du Seigneur : Allelluia ! à chaque instant.
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et n’aborde le problème sur un ton abrupt, violent et xénophobe qui rappelle
les inflexions du journal La Croix. Le message est clair et tient en quelques
mots : l’école publique est responsable de tous les maux. De larges extraits
d’un article non signé publié en janvier 1912 suffisent à démontrer la brutalité du propos : « L’enseignement laïque commence à porter ses fruits. Il faut
reconnaître qu’ils sont bien amers. Les élèves qui sortent de nos écoles publiques ignorent les principes de la plus élémentaire morale. C’est chez eux que
se recrute en très grande partie la formidable armée du crime. Les statistiques
que publie le ministère de la Justice ne nous laissent à ce sujet aucun doute.
La morale indépendante est parvenue au point où elle devait infailliblement
parvenir : à la suppression de toute morale. […] Un autre résultat a causé dans
le clan laïque une bien grande surprise. Les défenseurs du manuel d’enseignement voulaient supprimer les moineries, les patenôtres, expulser de l’intelligence de l’enfant toute croyance religieuse pour mieux y loger la science
pure. Les prêtres, les moines et les religieuses étaient absolument incapables
d’accomplir une pareille mission, imbus de préjugés, élevés dans l’esprit
de l’Église l’éternelle ennemie de la science, ils ne pouvaient pas former de
vrais savants. Seuls les professeurs, les maîtres d’école de l’État se trouvaient
en mesure de communiquer aux autres les éléments de la science. Munis de
nombreux parchemins, pourvus de diplômes les plus authentiques et les plus
osés, passés maîtres en fourberie, en impiété et en athéisme, ils ont seuls le
pouvoir de fabriquer de vrais savants. […] La faillite intellectuelle après la
faillite morale, voilà ce que nous ont octroyé la franc-maçonnerie, la juiverie et
le protestantisme. La France dans très peu de temps sera une nation d’apaches
et d’illettrés12. » On comprend aisément les raisons qui poussent Jean-Pierre
Lucciardi à ne point trop s’engager dans Le Sillon.
À la Belle Époque, les instituteurs de la Troisième République partagent un
certain idéal de la République : laïque, libérale, réformiste, vertueuse, attachée à
la justice et à la défense des libertés individuelles, favorisant la promotion sociale.
S’il n’est pas un « bouffeur de curé » comme beaucoup de ses confrères, jamais
sa loyauté à l’égard de la République n’est prise en défaut. Comme la plupart des
instituteurs corses de sa génération, il défend le principe d’une culture commune
et le mythe d’une acculturation généreuse et civilisatrice conforme aux idéaux
hérités de la Révolution française.
Ses opinions politiques le portent à sympathiser avec le corps de doctrine
du radicalisme tel que peut l’exposer Ferdinand Buisson sur la question éducative : « L’État éducateur, l’État formant la jeunesse, la France d’aujourd’hui
élevant la France de demain, ce n’est pas une conception autoritaire et traditionaliste, c’est au contraire la notion démocratique par excellence. Telle est
la thèse si mal nommée “monopole de l’enseignement”. Ce mot monopole est
12. « La faillite laïque », Le Sillon de la Corse, dimanche 14 janvier 1912, n° 2.
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un archaïsme qui semble un contresens. Il faudrait le remplacer par service
public. On n’appelle pas monopole la défense nationale, ou la justice, ou la
police, ou les travaux publics : on les appelle services publics, charges d’État.
Ainsi en doit-il être de l’instruction publique13. »
Cette force politique, parti très influent des classes moyennes de la Troisième
République, paraît le satisfaire. Tous les radicaux « rejettent la vision marxiste
d’une “prolétarisation” inéluctable, d’une société divisée en classes dont l’antagonisme ne pourrait se résoudre que par un changement complet de mode de
production. À leurs yeux, l’ordre social issu de la Révolution française permet,
moyennant des aménagements graduels, non seulement la promotion par l’instruction, le travail et l’épargne, mais la résorption progressive du salariat ; ce
sont les classes moyennes, diverses et ouvertes, qui représentent l’avenir14. »
Ainsi, en 1909 dans Le Petit Bastiais, Jean-Pierre Lucciardi rend hommage à
Léon Bourgeois, « dignitaire » de la franc-maçonnerie, théoricien du radicalisme et du solidarisme, ancien président de la Ligue de l’enseignement, ancien
président du conseil des ministres, ministre d’État, président de la Chambre des
députés, président du Sénat, prix Nobel de la paix en 1920. Entre 1888 et 1917,
Bourgeois fut douze fois ministre dont trois fois à l’Instruction publique :
La Corse vous salue, ô noble caractère
Et vous dit, de grand cœur : « Soyez le bienvenu »
On vous aime partout et votre estime entière
Nous l’aurons pour toujours, puisque l’on s’est connu
Bonheur, paix et santé, c’est ce qu’on vous désire
Oh ! puisse se calmer la poignante douleur…
Une telle douleur, hélas ! c’est le martyre
Rempli de souvenirs… ces diamants du cœur,
Gloire, honneur et respect au généreux Français
Ennemi de la Haine ainsi que de la Guerre
Oui grâce à vous, un jour les peuples de la terre
Invoquant votre nom dans un hymne de paix,
Salueront de leurs chants le règne du Progrès. 15
De toute évidence, Lucciardi apprécie également Clemenceau qui s’est penché
sur le sort de la Corse en 1908. Le 30 août 1921, il lui adresse un hommage
poétique constitué de vingt sizains :
13. Buisson, op. cit., p. 195-196.
14. Lévêque Pierre, Histoire des forces politiques en France, 1880-1940, Paris, Armand Colin,
coll. U-science politique, 1994, tome II, p. 118.
15. Lucciardi J.-P., « Hommage de respectueuse admiration à M. Léon Bourgeois, ancien Président
du Conseil des Ministres. Acrostiche », Le Petit Bastiais, vendredi 5 février 1909, n° 36.
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Clemenceau, bi salutemu
Cun rispettu e cun delizia
E di la vostra amicizia
Simu fieri… e bi cuntemu
Fra i piu illustri ammiratori
Di l’Isula di Dulori. […]
Clemenceau, voi chi mettiste
A nudu li nostri guai
– E bi cummossenu assai ! –
Dite, un so pô cose triste,
Di vede ch’è abbandunata
Sta mammuccia tantu amata ?
Purtantu, vene un mumentu
Chi un n’è di u so sangue avara :
A Francia è sempre piu cara,
Quandu è chiappa a tradimentu
Da u nimicu usurpatore :
Cirnu, tandu, è u primu a corre.
Allora perchè un trattacci
Cun riguerdi pô ancu a noi.
Giacchè simu di li soi
E incapaci di piettacci.
Or dunque cume spiegà
Contru noi stu lascia-andà.
Voi, ch’avete presiditu
A i destini di la Francia,
Possate dacci la mancia
Chi u nostru votu è aggraditu,
E ch’in altu, d’ora in poi,
Penseranu un pocu a noi.
Speru, pudemu cuntà
Sopr’a vostra prutezzione ;
Saperete in st’occasione
Chi tasti ciole a tuccà…
Tandu si, Cirnu, sarai
Gueritu di li to guai.
Clemenceau, grati e sinceri,
Bi ringraziemu di core
Ci fate tamantu onore !
D’acclamabbi simu fieri,
E un ci scurdemu di a gloria
Chi ci deste cu a Vittoria.16
S’il se montre très proche des radicaux, Lucciardi paraît avoir éprouvé un
peu plus que de la sympathie pour les courants socialistes dont le militantisme
16. Lucciardi J.-P., À M. Clemenceau, à l’occasion de son voyage en Corse, Bastia, Joseph Santi,
1921, p. 3-6. Clemenceau, nous vous saluons, Avec respect et avec joie, Et de votre amitié,
Nous sommes fiers… et nous vous comptons, Parmi les plus illustres admirateurs de l’Île des
Douleurs./ Clemenceau, vous qui avez mis, À nu nos misères, – Elles vous ont ému beaucoup ! –, Dites, ne sont ce pas des choses tristes, De voir qu’elle est abandonnée, Cette petite
maman tant aimée !/ Pourtant, il vient un moment, Où elle n’est pas de son sang avare : La
France est toujours plus chère, Quand elle est attaquée traitreusement (sic), Par l’ennemi usurpateur. Cyrnos, en ce cas, est la première à accourir./ Alors, pourquoi ne pas nous traiter, Avec
des égards nous aussi, Puisque nous sommes des siens, Et que nous sommes incapables de nous
dérober ? Comment donc expliquer, Contre nous ce laisser-aller ?/ Vous, qui avez présidé, Aux
destinées de la France, Puissiez-vous nous apporter la nouvelle, Que nos vœux sont agréés,
Et, qu’en haut lieu, désormais, On pensera un peu à nous./ Nous espérons que nous pourrons
compter, Sur votre protection., Vous saurez, en cette occasion, Quelles fibres il faut toucher…
Alors, Corse, tu seras, Guérie de tes maux./ Clemenceau, reconnaissants et sincères, Nous vous
remercions de tout notre cœur. Vous nous faites si grand honneur ! De vous acclamer nous
sommes fiers, Et nous n’oublions pas la gloire, Que vous nous avez donnée avec la Victoire
(Traduction de J.-P. Lucciardi).
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rongeait fréquemment la carrière des instituteurs avant 191417. En avril 1922,
Lucciardi compose les vingt-sept strophes d’un poème intitulé « A u scio
Millerand », pour saluer la venue dans l’île du président Alexandre Millerand :
5
D’a Giraglia a Bonifaziu
Si sonanu le campane ;
Si grida : Viva la Francia !
E si sbattenu le mane,
E so apparu li cantoni
Tutt’in festa, in canti e in soni.
6
D’ogni pettu, cun delizia,
Stu gridu sorte di core :
« Eviva u sciò Millerand ! »
O chi ommu di valore,
Corsi, chi a Francia c’invia :
Qui, lu benbenutu sia.
20
Eppò chi la lingua corsa
– L’enima di stu paese –
S’impari in tutte le scole
Cume s’impara u frencese.
Ghiè spressiva e naturale,
Lusinghera, e piena a sale.
7
Cun antusiasmu e cun gioia
Ghiè acclamatu cu a so scorta,
Ben che nò un sappiamu ancu
Chi prumesse Ellu ci porta.
Nunda che la so presenza
Sà inspiracci cunfidenza.
25
Perchè piu cultivaremu
A lingua di l’antenati,
Più ci vidarete a tutti
Pe la Patria passiunati.
E per Patria un cunuscimu
Che la Francia, e la servimu.
8
Speremu ch’Ell’un farà
Cumell’hanu fattu tutti :
Ci hanu cupertu di fiori…
Ma fiori chi un danu frutti.
Di u Prugressu e di abundanza
Un portanu che a speranza. […]
26
E bulemu ch’Ella sia
Sempre a prima Nazione,
A dà a i populi u benessere
Cu a civilisazione.
Bidaranu di lu Corsu
Quante vale lu cuncorsu.
17. « Premier auditoire des “grands” intellectuels socialistes, premiers médiateurs de leur alchimie
idéologique, les instituteurs socialistes demeuraient néanmoins confinés dans une situation de
dominés ». Prochasson Christophe, Les intellectuels, le socialisme et la guerre, 1900-1938.
Préface de Madeleine Rebérioux, Paris, Seuil, coll. L’univers historique, 1993, p. 101.
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27
Avale, sciò Millerand,
Ch’è fatta la cunuscenza,
Simu a pregabbi salute,
Pace, e longa presidenza.
E cu a Francia, di u Destinu,
Seguitaremu u camminu.18
En retour, la présidence de la République lui adresse ses plus vives
félicitations.
18. « De la Giraglia à Bonifacio, on sonne les cloches ; on crie : Vive la France ! et l’on applaudit,
et tous les cantons sont à la fête./Chaque poitrine avec ferveur laisse échapper ce cri : “Vive
Monsieur Millerand !”. C’est un homme de valeur que la France nous envoie : Qu’il soit le
bienvenu chez nous./Avec enthousiasme et joie, il est acclamé ainsi que son escorte, acclamé,
bien que nous ne connaissions encore les promesses qu’il nous apporte. Sa seule présence suffit
à nous donner confiance./Nous espérons qu’il ne fera pas comme tous ont fait avant lui : ils
nous ont couvert de fleurs… Du Progrès et de l’abondance, il ne porte que l’espérance./[…]
Le poème de Lucciardi est précédé d’une lettre de Paul Arrighi adressée au chef de l’État :
« Maître modeste et dévoué qui n’a cessé depuis près de quarante ans d’enseigner à ses élèves
le culte de tout ce qui est français, J.-P. Lucciardi par ses œuvres nombreuses et remarquables
est aussi l’un de ceux qui nous ont le mieux inspiré à tous l’amour de notre belle Corse, de son
passé, de ses traditions, de sa langue, “l’âme de notre pays” ». Lucciardi J.-P., À M. Millerand,
Président de la République française, à l’occasion de son voyage en Corse. A u scio Millerand,
Bastia, C. Piaggi, 1922.
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Sociabilités culturelles
et enseignantes
Les mots justes trouvés au bon moment sont de l’action.
Hannah Arendt
Au cours de sa longue et belle carrière, Jean-Pierre Lucciardi s’investit dans
nombre d’associations culturelles bastiaises. Bastia dispose en effet d’une vieille
et solide tradition de sociabilité savante et lettrée avec les empreintes laissées par
l’Accademia dei Vagabondi et les Sociétés d’instruction publique actives au tout
début du XIXe siècle1.
Ainsi, fait-il ses premières armes avec A Cirnea, académie littéraire à mi-chemin
entre le salon mondain et l’association caritative fondée en 1904. De manière
évidente, la Cirnea ou Société cyrnéenne, fondée en 1904, apparaît comme l’ancêtre de l’école régionaliste, félibréenne et cyrnéiste qui se développera en Corse
pendant l’entre-deux-guerres avec Antoine Bonifacio et Paul Arrighi.
Jean-Pierre Lucciardi semble avoir pris une part active aux activités d’une
société qui doit tout à Pietro Lucciana dit Vattelapesca. Mince, portant bouc bien
taillé et moustache noire, à la fois professeur et homme de lettres, Vattelapesca
est la figure intellectuelle dominante de la société bastiaise de la Belle Époque.
Du reste, il n’existe alors en ville aucune autre personnalité capable d’incarner
de manière aussi évidente, aussi tangible, aussi directe, l’esprit bastiais.
Plusieurs soirs par mois, Lucciardi prend part aux travaux du cercle littéraire
de la Cirnea.
C’est au contact de Vattelapesca que Jean-Pierre Lucciardi voit grandir son
intérêt pour la vie culturelle bastiaise. Pour Lucciardi, Vattelapesca est plus
qu’un modèle, il est un maître. En communiquant à Lucciana ses compositions
au fur et à mesure de leur achèvement et en discutant de son travail avec lui,
Lucciardi engage avec ce dernier un commerce intellectuel analogue à celui que
Francesco Ottaviano Renucci avait entretenu avec Salvatore Viale.
Pour la Cirnea, tout commence en février 1904. C’est pour les pauvres qu’un
concert de charité est offert dans le péristyle du théâtre. E Curnacchie, la petite
comédie de Vattelapesca y est représentée par une troupe d’amateurs constituée
l’année précédente par Thérèse de Chevarrier de Carbuccia. Dans Le Petit Bastiais,
1. Voir : Gherardi Eugène F.-X., « En marge de l’instruction publique : formes et figures de la
sociabilité littéraire et scientifique en Corse (XVIIe-XIXe siècle) », Histoire de l’école en Corse,
sous la dir. de Jacques Fusina, Ajaccio, Albiana, coll. Bibliothèque d’histoire de la Corse, 2003,
p. 259-337.
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LES LUCCIARDI – UNE FAMILLE CORSE DE POÈTES ET D’INSTITUTEURS
René Sangy rend compte de la manifestation dont la recette est offerte « à tous
ceux qui n’ont pas de pain 2 ». Sangy se montre enthousiaste : « Cette œuvre est
une étude approfondie de caractères. Actualité, couleur locale, mouvement, tout
est mis en relief dans E Curnacchie ».
À l’issue des représentations d’E Curnacchie, une première réunion a lieu chez
Thérèse de Chevarrier de Carbuccia en présence de Pietro Lucciana et des membres
de la troupe de théâtre guidée par Vattelapesca. La Cirnea ou Société cyrnéenne
voit le jour et un bureau est constitué. Pietro Lucciana est promu président d’honneur ; Madame de Chevarrier de Carbuccia est portée à la présidence et est assistée par deux vice-présidentes, Mesdemoiselles Diane de Zerbi et Marie Vannucci.
Mademoiselle Eugénie Seatelli est secrétaire. Des femmes sont aux commandes de la société. Ernest Romani est nommé trésorier. Par ailleurs, un comité de
lecture est constitué de Madame Augustin Lazarotti, le chanoine Letteron, Émile
Lucciana, l’avocat Ernest Lota, les professeurs Giacomoni et Antoine Bonifacio,
Santu Casanova, directeur de la Tramuntana, Vannucci, Casabianca, Giovannelli.
René Sangy précise les objectifs de la Cirnea à la une du Petit Bastiais : « Ce
comité de lecture est appelé à rendre de très grands services ; par lui, nous apprendrons à connaître des œuvres aujourd’hui dédaigneusement oubliées. On encouragera, on primera les nouvelles productions. Les Voceri, les Paghielle, les Lamenti,
qui ont un caractère si primitif et qui donnent une idée si juste du sens lyrique de
la poésie corse, seront réunis et étudiés de façon à les faire connaître au public.
Le désir de la Société est de se mettre en rapport avec l’intérieur de l’île, afin de
profiter des richesses qui sont accumulées dans certains coins retirés. […] Nous
faisons un chaleureux appel à tous ceux qui aiment leur île aux traditions superbes. Si la cendre des morts créa la patrie, l’étude laborieuse du passé contribue à
donner une vie nouvelle aux belles légendes d’autrefois. Deux noms, ceux de M.
Pierre Lucciana et de Mme de Chevarrier de Carbuccia, doivent rallier toutes les
bonnes volontés, tous les suffrages. Nous avons un écrivain vénéré, psychologue
pénétrant, penseur profond, qui par sa plume vaillante et son esprit si souple, crée,
chaque jour, des types de notre race originale et fière. Nous avons une femme
qui, dans un dolce far niente, pourrait se contenter d’accepter les hommages que
provoquent sa belle intelligence, son exquis sourire, – mais qui connaît la joie du
travail, et apporte aux choses concernant Cyrnos la verte, tout son zèle et toute son
âme. […] Parler le langage de nos aïeux, le propager, le conserver intact et pur,
c’est s’acquitter d’une dette de reconnaissance envers les hommes qui nous ont
transmis leur héritage, et dont l’âme, malgré les siècles défunts, vibre encore dans
leur poussière sacrée3 ! »
Un peu plus tard, le frère de Vattelapesca, Émile Lucciana qui signe « Émile
de Monserrato », donne un long article en première page du Petit Bastiais. Sous
2. Sangy René, « E Curnacchie », Le Petit Bastiais, samedi 13 février 1904.
3. Sangy René, « Société cyrnéenne », Le Petit Bastiais, jeudi 31 mars 1904.
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SOCIABILITÉS CULTURELLES ET ENSEIGNANTES
la forme du manifeste, Lucciana développe les objectifs et les intentions régionalistes et félibréens de la Cirnea. Il s’agit avant tout d’entamer une croisade pour le
« purisme », contre l’altération de la langue corse : « La France est notre grande
patrie et nous l’aimons, c’est incontestable ; mais il ne l’est pas moins, on en
conviendra, que la Corse est notre petite patrie, et nous lui devons aussi notre
amour. Or, le respect, le culte de la langue que nos pères ont parlée est une des
manifestations les plus naturelles de cet amour filial, étendu au-delà du cercle
étroit de la famille où l’on est né. […] Impossible à détruire, un dialecte peut
cependant s’altérer, se corrompre par l’invasion d’éléments étrangers. Y a-t-il
rien de plus choquant que d’entendre dans nos rues des bribes de phrases comme
celles-ci : Ci simu amusati ; andemu a pruminà ; passemu u tempu a bavardà ; a
avuatu u so crimine ; mi so fattu tirà u mo purtrè, et tant d’autres encore dont nos
oreilles sont chaque jour affligées. C’est dans le but de conserver notre dialecte
toute sa pureté et aussi pour favoriser l’expansion d’une littérature insulaire que
la Société Cyrnéenne a été fondée à Bastia par la troupe Vattelapesca, sous la
patriotique impulsion d’une dame du monde, absolument remarquable par les
qualités du cœur et de l’esprit. Avons-nous besoin de la nommer ? Cette société
n’ayant aucun caractère politique, tous nos compatriotes peuvent en faire partie,
quelles que soient leurs opinions et leurs doctrines, et l’on ne saurait lui imputer
des tendances séparatistes sans que cette absurde accusation ne puisse atteindre
toutes les sociétés similaires que la mère-patrie a vu naître un peu partout pour
“résister à la centralisation à outrance, à l’effacement des caractères particuliers et
des tempéraments divers de la race française.” La Cyrnéenne, si elle était soutenue
par de nombreuses adhésions, rendrait sans doute à notre dialecte, dont le théâtre
de Vattelapesca nous a révélé toute la richesse et toute la saveur, les mêmes services qu’a rendus le Félibrige au dialecte provençal. […] La voie est ouverte. Que
nos compatriotes s’y engagent hardiment. Le terrain est presque vierge et promet
d’amples moissons. […] Dès que la situation financière le permettra, un bulletin
semestriel vulgarisera leurs œuvres en prose et en vers, comme l’Armana provençau a vulgarisé celles des écrivains de langue d’oc. Que notre vitalité s’affirme par
des œuvres sincères, faites de notre chair et de notre sang. Et qu’avons-nous besoin
d’aller chercher nos inspirations ailleurs que chez nous ? Les tableaux de la vie
française seront toujours forcément des reproductions, et les copies ne sauraient
avoir le charme de l’original. Décrivons donc ce qui est sous nos yeux, notre terre
et notre ciel, dessinons les figures qui nous sont familières, peignons les caractères que nous coudoyons dans nos villes et dans nos villages. […] Courage et au
travail ! Que de tous les coins les plus reculés de notre chère Cyrnos les légendes
se lèvent, rayonnantes ou sombres, que les voceri gémissent, que les berceuses
fassent entendre leurs lentes mélopées, que de nos plaines, de nos vallées et de
nos montagnes essaiment et prennent leur vol dans l’espace ouvert devant eux les
chants de guerre et d’amour de nos Tyrtées et de nos Anacréons4 ! »
4. Émile de Monserrato, « La Cyrnéenne », Le Petit Bastiais, mercredi 13 avril 1904.
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LES LUCCIARDI – UNE FAMILLE CORSE DE POÈTES ET D’INSTITUTEURS
La société publie la revue Cirno, rivista letteraria côrsa (1905-1908) qui est
distribuée aux adhérents. Le premier numéro de la revue qui sort des presses de
l’imprimerie Piaggi en janvier 1905 dévoile les quinze articles qui composent
les statuts de la Cirnea, rédigés en corse par Vattelapesca, président d’honneur,
et adoptés par l’assemblée générale le 30 juin 19045.
Les demandes d’adhésion sont reçues aux bureaux du Petit Bastiais, de la
Tramuntana ou adressées directement à Madame Thérèse de Chevarrier, présidente de la société. Les cotisations sont versées à l’avocat François Lazarotti,
trésorier de la société et les textes proposés à la publication sont adressés à
Antoine Bonifacio, professeur d’italien au lycée de Bastia.
D’emblée, la presse bastiaise rend régulièrement compte des activités de
la société. Le 23 avril 1904, René Sangy fait une conférence à Luri. Devant
une salle de mairie comble, le conférencier présente la Cirnea. Sont présents :
Vattelapesca, Thérèse de Chevarrier de Carbuccia. La presse évoque le bel
accueil reçu par le conférencier : « Son discours bref, substantiel et clair est
vigoureusement applaudi. C’est un vrai succès, les adhésions sont nombreuses :
plus de 37. […] Bravo les souscripteurs ! Cap-Corsins, il faut adhérer en masse à
l’impulsion donnée ; notre dialecte est l’un des plus purs de la Corse, c’est celui
qui approche le plus de la belle langue de Dante ; gardons-nous d’y introduire
des éléments qui le dépareraient et le défigureraient complètement, parlons la
langue de nos pères et faisons-nous honneur de faire partie de la Société qui veut
garder intact leur héritage sacré6 ! »
En effet, les adhésions affluent de toutes parts.
5. « 1. Si forma in Bastia, sott’u nome di Cirnea, una sucietà letteraria per a difesa d’a lingua
côrsa contru l’invasione d’ogni elementu stranieru, e a publicazione di scritti chi rispecchianu
a fisionomia d’u paese. 2. U nummaru d’i sôci è illimitatu. 3. È amministrata da un Presidente,
un Vicipresidente, un Segretariu e un Tesurieru, eletti per tre anni, e sempre reeliggibili, â
maggiorità d’i membri presenti â riunione. 4. L’elezione si facenu direttamente dai sôci, e a u
scrutinu segretu. 5. Se i voti si dividenu in perte eguale, u Presidente decide d’a maggiorità.
6. Pe fa perte d’a sucietà, bisogna esse presentatu da dui sôci e graditu pôi d’a maggiorità
dill’assemblea. 7. Ogni sôciu versa anticipatamente tre franchi all’annu in manu d’u Tesurieru,
chi li ne dà una ricevuta. 8. Quellu chi ricusassi pagà â fine d’u primu trimestru sera cunsideratu
cume demissiunariu. 9. Dôpu saldate e spese d’amministrazione, e somme dispunibile serveranu
a fundà premi d’incuraggimentu ai giovani per opare scritte in lingua côrsa. 10. E reunione
si feranu, a epuche indeterminate, in casa particulare, dietru a cunvucazione d’u Presidente
o â dumanda di dece sôci almenu ; e averanu esclusa ogni discussione pulitica o religiosa.
11. I manuscritti seranu diretti â Presidenza, e da questa sottumessi a u judiziu d’un cumitatu
di dece membri eletti dall’assemblea. 12. Si organizzeranu feste, rappresentazione e cunferenze
pubbliche a scopu di carità o di u prugressu d’a Cirnea. 13. In casu di sciuglimentu d’a
sucietà, e somme rimaste in cascia seranu distribuite ai povari per cura d’un cumitatu elettu
dall’assemblea. 14. U Presidente è di dirittu membru di tutt’e cummissione. 15. I presenti
statuti un puderanu esse mudificati che d’a maggiorità d’i sôci riuniti in assemblea generale ».
« Sucietà Cirnea. Statuti », Cirno, rivista letteraria côrsa, annu 1, n° 1, ghiennaghiu 1905.
6. « La conférence sur la Cyrnéenne à Luri », Le Petit Bastiais, vendredi 29 avril 1904.
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SOCIABILITÉS CULTURELLES ET ENSEIGNANTES
Nous sommes en mai 1904. Achevant un voyage d’agrément dans l’île, le
comte Eugenio Martinengo-Cesaresco et son épouse la comtesse, née Evelyn
Lilian Hazeldine Carrington (1852-1931), dînent dans un restaurant bastiais. La
comtesse est une femme de lettres, auteur de plusieurs ouvrages consacrés à
la littérature populaire et au Risorgimento : Essays in the study of folk-songs
(1888), Italian characters in the epoch of unification (1890), Cavour (1898),
The Liberation of Italy, 1815-1870 (1894), Lombard Studies (1902). À Bastia,
la comtesse Martinengo-Cesaresco fait la connaissance de René Sangy qui lui
parle de la Cirnea. Séduits par le projet exposé par leur convive, la comtesse
remet un louis d’or en guise d’adhésion à la Cirnea. Le Petit Bastiais relate les
mots d’encouragement que la comtesse adresse à René Sangy : « Je m’intéresse
à tous les dialectes, s’écria la comtesse. Je suis l’auteur d’un ouvrage sur les
chansons populaires de quelques pays, et mon mari a fait paraître un petit traité
sur l’Art de monter à cheval… Nous aimons à instruire et nous instruire. […]
Nous avons maintes fois entendu parler de Mistral ; c’est un grand poète qui
honore la Provence. Il est certain que si Vattelapesca eût été provençal, on le
connaîtrait mieux7 ».
En juin 1904, la Cirnea prend part aux manifestations organisées pour
accueillir une délégation de 400 Elbois à Bastia. Le 17 juin, Auguste Gaudin,
le maire de Bastia, invite ses concitoyens à pavoiser fenêtres et à les illuminer
le soir venu. À cette occasion, la Cirnea « rappelle à ses adhérents qu’un lunch
auquel ils sont tous priés d’assister sera offert aux Elbois, le dimanche 19 juin, à
dix heures et demie du matin, dans son local sis maison Romieu. Pour éviter tout
encombrement, les adhérents sont priés de ne pas y amener les petits enfants8 ».
Le jour venu, le dimanche 19 juin 1904, le Petit Bastiais titre sur cinq colonnes
« Salut aux Elbois ! » En première page, au nom de la Cirnea, Vattelapesca
accueille en vers et en italien la délégation elboise. Madame de Chevarrier de
Carbuccia accueille à la Cirnea le maire de Porto Ferrajo : « La Cyrnéenne vous
souhaite la bienvenue ainsi qu’à vos compagnons de voyage, et vous remercie
d’avoir bien voulu lui accorder quelques instants d’une journée trop courte pour
les Bastiais impatients de vous fêter. Notre Société naissante a des titres à votre
sympathie. Son but principal est de protéger le dialecte corse, un des plus purs
de votre belle langue italienne, d’après l’illustre Tommaseo, jadis notre hôte et
l’ami de notre poète national Pierre Vattelapesca. Un heureux événement nous
permet aujourd’hui d’inaugurer la Cyrnéenne en ayant l’honneur de vous recevoir. C’est presque la mettre sous vos auspices, vous lui porterez bonheur. Et
nous, les yeux fixés sur votre belle Île, horizon de la nôtre, nous nous efforcerons
de conserver à notre chère Corse a lingua d’a so mamma9. »
7. Sangy René, « Deux noms », Le Petit Bastiais, jeudi 12 mai 1904.
8. Le Petit Bastiais, samedi 18 juin 1904.
9. Le Petit Bastiais, mercredi 22 juin 1904.
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LES LUCCIARDI – UNE FAMILLE CORSE DE POÈTES ET D’INSTITUTEURS
Le 10 juillet 1904, René Sangy fait, à Cervione, dans la salle comble de la
justice de paix, une conférence sur les activités de la Cirnea. En l’absence de
M. Astima, maire, la présidence est confiée à M. le capitaine Pasqualini, doyen
du Conseil municipal. René Sangy présente les objectifs de la société. La presse
en rend compte : « À Cervione, la Cirnea ne peut qu’être bien accueillie, car les
braves cœurs de cette coquette cité ne demandent qu’à servir la petite patrie. Le
succès que M. René Sangy obtint pour la Cirnea, après sa conférence, vaut à lui
seul les éloges les mieux sentis. Nombreuses furent les adhésions, et grand, très
grand fut l’enthousiasme10. »
Il n’est sans doute pas inutile de se pencher sur la personnalité de Thérèse
de Carbuccia, épouse d’Achille Constant Ernest de Chevarrier. Madame de
Chevarrier est l’âme de la Cirnea. Sa disparition, survenue à la fin du mois de
novembre 1909, marque profondément les membres de la Société et le Bastia de
la Belle Époque. La presse bastiaise fait longuement état du vide laissé par cette
disparition. « Elle avait l’Esprit, et jamais ce mot ne signifia plus de finesse, plus
de grâce. Mais elle avait par-dessus tout ce qui est la plus belle manifestation
de Dieu sur terre : l’Intelligence et la Bonté. On la sentait planer au-dessus des
mesquineries humaines. Sans cesse occupée à de nobles choses, elle ne voyait
pas ce qui rampe, ne voulait pas croire à l’envie, au Mal. Pour elle, il fallait
que tout fût beau, que tout fût grand, car elle ne regardait la vie qu’à travers sa
lumineuse intelligence. […] Son érudition était inépuisable. S’intéressant à tout,
elle avait une connaissance approfondie du passé, suivait l’évolution actuelle
et saluait les progrès de l’avenir. Sa haute culture intellectuelle lui permettait
de prendre goût aux choses arides de la science comme d’admirer vivement les
merveilleuses manifestations de l’art. Elle avait tout vu, tout lu, tout compris.
Alors, comment dépeindre le charme de ces réunions intimes dans ce boudoir
aujourd’hui fermé où résonne encore l’écho de cette voix qui disait des choses
précieuses et qu’on écoutait11 ? » Les obsèques, suivies par toute la population
bastiaise, donnent lieu à des articles dithyrambiques pour la défunte présidente
de la Cirnea. « Dans la maison que jadis elle quitta pleine de force et de vie, tous
les flambeaux sont allumés. Sous un grand dôme de verdure encadrant le poële
(sic) noir le cercueil repose. Il est venu du château lointain où la morte a vécu
cet automne. Toute la nuit la mer et le vent l’ont bercé, triste voyage, dernière et
suprême traversée vers le pays natal ! Dans la maison que jadis elle quitta, rien
n’a changé de tout ce qui faisait sa vie. Le salon où, dans sa grâce souveraine,
elle accueillait ses amis, semble l’attendre comme aux jours heureux. Des livres,
des revues, sont jetés sur son bureau ouvert. Par les portières demi-baissées où
passent les rayons des lumières, la foule des amis revint sans cesse… On n’en10. « Autour de la Cirnea : à Cervione », Le Petit Bastiais, dimanche 17 juillet 1904.
11. « 30 novembre : Madame de Chevarrier », Le Petit Bastiais, mercredi 1er décembre 1909.
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SOCIABILITÉS CULTURELLES ET ENSEIGNANTES
tend partout que des sanglots12 ! » La presse reproduit également le discours
que Fernand Mattei, membre de la Cirnea devait prononcer sur la tombe de
Thérèse de Chevarrier de Carbuccia si les conditions climatiques avaient été
plus clémentes. « Nous pleurions, il n’y a pas bien longtemps, la disparition
de notre vieux maître le poète corse, Pierre Lucciana, de glorieuse mémoire,
président d’honneur de la Cirnea. Aujourd’hui c’est notre respectée Présidente,
Mme de Chevarrier, qu’une mort brutale a frappé au cours de sa villégiature
annuelle, alors que quelques jours à peine la séparaient du retour au cher pays
bastiais, où notre Cirnea allait s’ouvrir pour de nouvelles réunions, pour des
initiatives d’une portée toujours plus haute. […] Depuis quelques années les
contrées de France s’éveillaient au souffle renouvelé du régionalisme. On sentait
s’épanouir l’âme des vieux terroirs. Des dialectes déchus refleurissaient. En
Provence, en Bretagne, le cœur du peuple palpitait à la voix des poètes qui lui
chantaient sa propre chanson. Ce réveil du sentiment provincial réunissait, sans
distinctions politiques, tous les enthousiasmes, toutes les affections. Mme de
Chevarrier voulut que son pays participât de cette renaissance. Elle fonda la
Cirnea. Sauvegarder l’héritage spirituel de la patrie corse ; faire valoir, par la
brochure, par le théâtre, la bonhomie, la souplesse, toute la fraîche saveur du
lointain des âges, révèlent un peuple à lui-même et lui font mieux comprendre
le passé, tel était le but de la Cirnea. Tous les Corses qui portent aux choses de
leur race une sollicitude attendrie vinrent tout de suite à nous. Et ce fut un petit
cénacle qui grandit, se développa, accueillant toutes volontés sincères – ouaté
d’une intimité familiale – comme une manière de foyer charmant13… »
Si les membres de la Cirnea sont majoritairement issus de la bonne société
bastiaise, d’autres viennent de tous les villages de l’île et des continents français
et italien.
Le premier numéro de la revue Cirno, donne une première liste de sociétaires.
On y rencontre Signore, Signorine et Signori14. En janvier 1906 et en janvier 1907,
la revue donne la liste de nouveaux adhérents qui rejoignent les rangs de la
Cirnea15.
Jean-Pierre Lucciardi prend une part active à la création de la société A Lingua
Corsa qui reprend le flambeau de la Cirnea. La société est portée sur les fonts
baptismaux lors d’une assemblée générale tenue à Bastia le 11 novembre 1921.
Le jour même, l’assemblée élit un conseil de direction où domine enseignants et
ecclésiastiques. On relève les noms suivants : Ambroise Ambrosi-R., Antonini,
Paul Arrighi, Santu Casanova, Grimaldi, l’abbé Giamarchi, Girolami, Leoni,
12. « Dernier souvenir ! À la mémoire de Madame de Chevarrier de Carbuccia », Le Petit Bastiais,
dimanche 5 décembre 1909.
13. « Cirnea », Le Petit Bastiais, lundi 6 décembre 1909.
14. « Sôcii d’A Cirnea », Cirno, rivista letteraria côrsa, annu 1, n° 1, ghiennaghiu 1905.
15. « Muvimentu di Sôci d’a Cirnea », Cirno, rivista letteraria côrsa, annu III, n° 1, ghiennaghiu
1907.
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LES LUCCIARDI – UNE FAMILLE CORSE DE POÈTES ET D’INSTITUTEURS
Lucciardi, Don Pierre de Mari, Mondielli, R. P. Paolini, abbé Ponzevera, Ricci,
Santoni, Fortuné Thiers, Vecchini. Le comité d’administration est composé du
président Santu Casanova, de l’abbé Giamarchi et de Jean-Pierre Lucciardi, viceprésidents ; Vecchini, secrétaire ; Fortuné Thiers, trésorier ; l’historien Ambroise
Ambrosi-R., archiviste.
Le premier numéro de la revue livre les trente-deux articles des statuts de la
société consignés le 20 février 1922 et soumis à l’approbation de l’autorité administrative. L’article I annonce qu’« il est fondé à Bastia une Société sous le nom
de : A Lingua Corsa ». L’article II précise que « cette Société a pour but l’étude
des dialectes corses ». L’article III indique naturellement que « sont admis à faire
partie de la Société toutes les personnes qui s’intéressent à l’objet de ses études ».
La société veut éviter toute polémique et l’article IX affirme que « toute discussion
politique, religieuse, de nature à froisser un membre de l’Assemblée ou étrangère
au but scientifique de la Société est expressément interdite ». L’article XXVIII
informe que « la Société publiera un Bulletin semestriel et s’il est possible trimestriel ; il pourra contenir des études sur le dialecte corse, des compositions poétiques et en prose mais en dialecte corse, d’auteurs contemporains ou disparus, un
vocabulaire corse ». L’article XXIX avertit que « l’usage de la langue française
sera admis dans le Bulletin comme celui de la langue corse pour la rédaction des
articles à caractère scientifique ». L’article XXX précise que « tout article de nature
à provoquer des polémiques, à froisser le patriotisme français des membres de la
Société sera ipso facto exclu ».
En septembre 1922, à la une du Bastia-Journal, l’historien Ambroise Ambrosi-R.
revient longuement sur la fondation et sur les objectifs de « A lingua corsa ».
« La Société de la langue corse est une conséquence historique de la Grande
Guerre, qui restera un des faits les plus importants de l’histoire de l’humanité. Quand
les Corses se trouvèrent à côté de leurs frères du continent, quand, prisonniers, ils se
concertèrent pour résister aux sévices allemands, ils sentirent que leur langue était
l’instrument de cohésion et de résistance, le moyen sûr d’exprimer leurs pensées,
d’attester leur personnalité, d’adoucir leurs souffrances, de communiquer avec
leurs proches, de diminuer la distance qui les séparait d’eux. À la veille de mourir,
on se souvient avec tendresse du langage de l’enfance dont les anciens usaient, et,
comme le dit J.-P. Lucciardi, des mots affectueux qu’échangent au premier âge
les enfants avec leur mère. Ainsi les dialectes corses se trouvèrent rajeunis, prirent
une vigueur nouvelle. La fausse honte qui semblait acheminer les Corses vers un
oubli total de la langue historique et vers l’usage exclusif de la langue française,
s’atténua, disparut. Le courage qu’avaient eu les Santu Casanova, les Lucciardi,
leurs émules, de rédiger en “Corse” au début du XXe siècle, devint commun à tous.
Subitement chacun crut facile d’imiter ces vieux littérateurs. Le moment était donc
opportun pour tenter un appel en faveur d’un instrument littéraire, digne de durer.
Les Corses avaient repris l’outil abandonné, mais en usaient gauchement ; il fallait
leur en apprendre le maniement délicat. En d’autres termes l’urgence d’études
scientifiques sur les dialectes corses était incontestable. Elles prouveraient d’abord
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SOCIABILITÉS CULTURELLES ET ENSEIGNANTES
que la langue insulaire est sœur de l’italienne, comme de la française, qu’elle ne
résulte pas d’une importation récente des dialectes de la péninsule voisine que la
bouche insulaire aurait ensuite déformés, pervertis disent certains, mais qu’elle
tire ses origines de la langue latine, qui fut le plus bel instrument de civilisation
antique. Elles montreraient ensuite que la langue du vainqueur n’a pas banni les
termes antérieurs, sans doute préhistoriques, qui étonnaient Sénèque, et qu’ils ont
subsisté habillés à la romaine et formant le substratum des couches linguistiques
qui se superposèrent dans notre île si convoitée. Elles montreraient enfin que des
apports historiques, depuis le Xe siècle, berbères et toscans, romains et génois,
espagnols et français, voire même germaniques, ont fait de notre Corse un creuset
linguistique, d’où sortit un parler riche de formes et d’expressions ; que des règles
communes et presque instinctives existent enfin, que les mots ont leur orthographe
digne d’être fixée ; qu’en un mot la langue corse, formée de dialectes, doit être
l’objet d’une étude suivie, d’un accord unanime, si nous voulons qu’elle reste la
langue de nos fils, l’expression de notre race, l’affirmation de notre personnalité,
la sœur enfin des langues plus heureuses et plus fières qui naquirent en France,
en Espagne, en Italie. C’est en ces termes que j’exprimais ma foi dans l’avenir
du “corse” un jour que je causais avec deux amis, qui partageaient mes goûts,
MM. Lucciardi et Ricci. Et c’est poussé par eux que je conviais les membres de
la Société des sciences historiques et naturelles de la Corse, c’est-à-dire une partie
de notre élite intellectuelle, à dire si ce travail historique, philologique et grammatical ne méritait pas d’être fait. Le Bulletin 409-412 de cette société, qui parut en
1920, contenait, en effet, un appel dans ce sens, rédigé en vingt lignes. Elles furent
l’objet de commentaires divers dont l’écho me parvint. Ils prouvaient que l’idée
d’une société d’études rencontrerait de chaudes sympathies le jour où l’on voudrait
passer à la réalisation. Et voici comment après quelques mois d’attente, employés
en consultations auprès de ceux qui, dans l’île ou sur le Continent, pouvaient être
les premiers ouvriers du monument à construire, je lançai l’invitation suivante :
Mon cher compatriote, L’intérêt que vous portez à l’avenir de nos dialectes corses
m’autorise à vous envoyer cette convocation pour la réunion que quelques-uns de
nos compatriotes ont décidé de tenir mercredi prochain, 2 novembre, à 4 heures,
dans la salle des séances du Conseil Municipal. Ordre du jour : Des moyens à
employer pour empêcher la mort des dialectes corses ; société littéraire à fonder ;
revue régionaliste à créer ; dictionnaire à envisager. Permettez-moi au nom de
tous de compter sur votre présence qui nous réjouira et veuillez croire, mon cher
compatriote à mes meilleurs sentiments.
Le 2 novembre en effet tous ceux qui avaient été convoqués se trouvaient
réunis, ou avaient envoyé leur adhésion préalable. Nous citerons entre autres :
l’abbé Giamarchi, aumônier de l’hospice civil ; l’abbé Ponzevera ; le R.P. Paolini ;
MM. Santu Casanova ; le substitut de Mari ; Thiers, ancien président du tribunal de
commerce ; Giovannoli, Vecchini, hommes de lettres ; les instituteurs Lucciardi,
Antonini, Leoni, Ricci, Martini, Grimaldi ; les professeurs Girolami, Mondielli,
Santoni, etc… J’ai le plaisir à signaler parmi les lettres les plus chaleureuses
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LES LUCCIARDI – UNE FAMILLE CORSE DE POÈTES ET D’INSTITUTEURS
qui me furent envoyées celles de MM. Franceschi (Luri), Poletti (Campitello),
Guelfucci (Corte), Paoli (Taglio), Arrighi (Bourg), Carabin (Paris). Dire ce que fut
cette réunion que j’avais l’honneur de présider provisoirement serait trop long. Il
suffira de savoir que mes arguments pour une société d’études des dialectes corses
furent accueillis avec la plus grande faveur et que les discussions eurent plutôt
pour but de modérer l’enthousiasme des amants de ces dialectes que d’emporter
leur conviction sur la nécessité de la tâche à accomplir. Dès ce premier jour, le
comité de direction était élu, les principes votés, la publication d’un organe, plus
scientifique que littéraire, décidée.
J’ajouterai que par la suite le comité tint à nouveau plusieurs séances, dans
lesquelles le travail d’élaboration fut lent parce que sérieux. Toutes les difficultés
furent envisagées et surmontées, les conditions du travail débattues, la méthode de
publication réglée. […] Qu’il me soit permis en terminant de souhaiter longue vie
et grande prospérité à une Société qui émet la prétention de réunir les matériaux,
aujourd’hui dispersés et informes, avec lesquels les descendants construiront ce
monument grandiose qu’est une langue nationale, pourvu d’un droit de cité, capable d’exprimer toutes les formes de la pensée, de créer, en un mot, une littérature,
miroir de la vie d’un peuple16 ».
Le premier numéro de A Lingua Corsa qui porte le sous-titre de « Rivista di
letteratura e di studi corsi » et est publié par l’imprimerie Piaggi, contient de
nombreux textes qui proclament et revendiquent à la manière de manifestes. Santu
Casanova qui a endossé l’habit du « poète bâtisseur de la littérature corse » et
donne le ton du combat qui s’engage et rend un hommage appuyé à Ambroise
Ambrosi, historien, professeur agrégé d’histoire au lycée de Bastia, ancien président de la Société des sciences historiques et naturelles de la Corse. Quelques
années plus tard, Ambroise Ambrosi sera dénoncé comme un « Vittolo » (traître du
nom d’un de ceux qui trahirent Sampiero Corso) de la cause corse.
Dans le texte « Un prugressu », Jean-Pierre Lucciardi présente la création de la
société et de son bulletin comme une grande avancée pour la défense et la promotion de la langue corse. Lucciardi appelle de ses vœux l’enseignement dans toutes
les écoles de l’île du corse à parité avec le français. Avec « Lingua corsa in bocca
corsa », Paul Arrighi, professeur agrégé d’italien, donne toute son épaisseur au
combat en faveur de la langue. Adoptant un ton revendicatif et presque tribunicien
qui sera par la suite inhabituel sous sa plume, celui qui deviendra la figure de
proue et le chef de file des régionalistes-cyrnéistes appelle les Corses au sursaut et
à l’usage exclusif de la langue corse.
« In li seicent’anni ch’ella mitti a cunquistalla cumpletamente, Roma li dede
a so’ civilisazione e a so’ lingua, imbece di u parlatu salbaticinu chi l’Isula avia
prima. Questu fu unu di i piu belli rigali chi i Rumani ci fecenu. U so ‘mperu è
16. Ambrosi-R. Ambroise, « A lingua corsa. Historique de la fondation de la société », BastiaJournal, jeudi 21 septembre 1922.
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statu disdruttu, centu guverni ebbe l’Italia, centu padroni a Corsica ma lingua
corsa è ghjunta sin’ad oghje senza more. Dipoi tanti seculi i Corsi so’ stati sempre
fieri di parlà ‘sa lingua, figliola lighjttima di quella chi si parlava in la capitale
di u mondu latinu. Inde noi si so’ trovi tutti i populi : so binuti i Morri e Jenuvesi,
i Tuscani e l’Alimani, l’Inglesi e i Francesi ; a guerra un piantava mai, da la
Giraglia a Bonifaziu : tutt’issi frusteri so’ ghiunti e partuti ma a lingua corsa è
firmata. Semu Francesi dipoi centucinquant’anni, ma a lingua ch’elli parlavanu
lu fronte i nostri centumila suldati, i nostri quarantamila Corsi morti di palle
prussiane era quella chi l’antichi parlavanu a mezze cannunate francese a PonteNovu, a mezze palle jenuvese a Calinzana. […] Certi un bolenu parlà ‘sa lingua
par un fa bede ch’elli so Corsi. « Parenu, dice Lucciardi in li so Canti, ghjente
chi dopu essesi imparintati cu qualchi famiglia di sgiò, si vargognanu di a so’
nascita ». O cum’elli miretanu e sarate trimende di Maistrale ! Ch’elli vaganu
a fassi leghje in francese, diciaria ziu Trinnighinu. E Dante avaria dettu : Non
ragionam di lor. Un ne parlemu, d’issi rinigati. Altri un la facenu manc’apposta.
Bivendu fora, si scordanu senza abbèdesine di a lingua ch’elli parlavanu a lu
fucone quand’ell’eranu zitelli. […]
Salbendu a nostra lingua salbaremu all’istessu tempu a nostra razza.
« A lingua, cum’ellu scrivia Saveriu Paoli in la Cispra, è ancu piu mamma ca
figliola di a razza ». E Lucciardi ha dettu : « Si a lingua corsa un n’esistia, mancu
avaia pussutu esiste u populu corsu ». Chi piccatu chi i nostri antichi un sapissinu
scrive, e fussinu troppu occupati cu a vanga e l’arcusgiu ! Sinnò, avariamune
pochi documenti da sbuciardà a quelli chi pratendenu chi i Corsi un n’anu
imparatu a parlà a so’ lingua ca a la scola di i Tuscani. Sapemu vè ch’uni pochi, nè
capisciaranu, nè forse appruvaranu u nostru prugettu. Certi ci trattaranu magaru
di siparatisti. Mi facenu pinsà à una cumidiola di P. Lucciana. Dui parsunaghji
dicenu d’un terzu : « Li piace a musica taliana ? – E poi ? – Li piacenu i tagliarini
– E poi ? – I mustaccioli, a torta – E poi ? E poi ? – Comu ? un ci n’è abbastanza
par fallu passà par siparatista ? » A noi ci piace a lingua corsa ; c’è male ?
Altri, ch’anu pigliatu u bachelier, cum’elli dicenu, pensanu ridignulendu :
« O li tosi, scrivenu in corsu ; soga un sanu scrive in francese ! » E bè, cusì sarà.
Senza stà a sente tutte ‘se malacelle, faremu ciò chi u nostru core di Corsi ci dice
di fà. Aiuti a chi bole, e pace e salute all’altri. Un n’accorre ca una cosa : avè
fede in la lingua corsa.
– Ma, mi rivatte Zirighellu, e regule, a grammatica, u diziunariu d’issa
lingua, induva so’ ? Pacenza disse u merulu, u von sensu di i nostri antichi vi
risponde : un bale ad esse lestu a ch’un sa corre. Quessa un n’è forse micca
vera, ma è bera chi a pratica ci aiutarà a fà a grammatica. Aiutateci ancu voi
pratichendu a nostra lingua. A vulemu spuriccià e risciacquà sin’a ch’ella sia
pulita cume a tela vianca di a nostra vandera a testa di Morru. Ancu ch’ella ci
aghja da passà tutta l’acqua di Golu e di Tavignanu, ci vole chi i francisismi e
altri frustirumi vaganu a fondu !
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LES LUCCIARDI – UNE FAMILLE CORSE DE POÈTES ET D’INSTITUTEURS
Par quessa l’unione è necessaria. Si no’ ci sparruccemu un femu nulla.
E’ megliu un carnavalone ca centu carnavalelli dicia un me’ cumpare. U vecchju
Catone, ch’ellu parlassi d’eroi rumani o di fichi pisciatini, dicia sempre a la
fine di u so’ discorsu : Sogna a distrughje a Cartagine ». Ed eiu, ch’un b’aghju
parlatu d’altru, bi diciaraghju dino’ centu volte s’ell’accorre : Ci vole ch’ell’un
si senti piu in la vocca di i Corsi ca a lingua corsa17 ! »
A Lingua Corsa publie les textes des auteurs contemporains mais envisage
également de tirer de l’ombre des poètes oubliés. Le numéro 2 de la revue précise
que le comité de direction de la société « invite instamment ses membres correspondants à rechercher autour d’eux, et particulièrement dans les villages, les
compositions en dialecte corse du temps présent, et surtout du temps passé, pour
les communiquer à l’archiviste, 19 boulevard Paoli ». La revue ajoute que « c’est
par ce seul moyen que la Société méritera son nom de “Società di litteratura e
di studj corsi”, et qu’elle pourra remplir la mission qu’elle s’est imposée avant
toute autre : elle consiste à recueillir les mots et les expressions de chaque région,
afin de les placer sous les yeux des linguistes, d’en rechercher l’étymologie et
par là de mieux approfondir les origines d’une langue dont la richesse verbale
étonnera peut-être un jour les profanes18 ». S’efforçant de montrer l’exemple,
Ambroise Ambrosi-R. évoque la vie et l’œuvre poétique de son aïeul Lisandru
Ambrosi de Castineta19.
Toutefois, A Lingua Corsa connaît une existence bien éphémère. Son projet
est repris avec les mêmes ambitions mais sans plus de succès par la Salvator-Viale
et son bulletin sorti des presses de l’imprimerie Piaggi : la revue U Fucone, revue
de littérature et d’études corses. Le rédacteur en chef du Bastia-Journal, Pierre
Guitet-Vauquelin, revient sur les objectifs de la Salvator-Viale : « J’ai beaucoup
songé à ces vieilles chroniques, quand j’ai reçu, ce matin, le premier numéro
d’une jeune et pourtant, d’ores et déjà, majeure revue Corse U Fucone, bulletin
de la Salvator Viale, société littéraire régionaliste ayant pour but : l’étude du
dialecte, de la poésie populaire, du folklore Corses ; la mise en lumière des
anciennes illustrations littéraires et morales ainsi que des figures et des faits
glorieux de l’histoire de notre île ; la défense des traditions, des coutumes, des
monuments, des objets rappelant la vieille vie familiale ou nationale insulaire
et, enfin, l’encouragement aux lettres, aux sciences, aux arts, à toutes les hautes
manifestations actuelles de l’âme Corse20 ».
17. Arrighi Paul, « Lingua corsa in bocca corsa », A Lingua Corsa, rivista di letteratura e di studi
corsi, ghiugnu 1922, n° 1, p. 8-9.
18. Comité de direction de A Lingua Corsa, « Communications », A Lingua Corsa, rivista di
litteratura e di studj côrsi, Natale 1922, n° 2, p. 27.
19. Ambrosi-R. Ambroise, « Un poète paysan », A Lingua Corsa, rivista di litteratura e di studj
côrsi, Pasqua 1923, n° 3, p. 10-15.
20. Guitet-Vauquelin Pierre, « Pour la conservation et l’essor des lettres corses. La Salvator Viale
et Santu Casanova », U Fucone, revue de littérature et d’études corses, 20 février 1927, n° 2,
p. 21.
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SOCIABILITÉS CULTURELLES ET ENSEIGNANTES
Jean-Pierre Lucciardi s’associe aussi à la démarche de la revue félibréenne
U Lariciu, rivista trimestriale di litteratura e arti regionalisti corsi que dirige
Carulu Giovoni depuis Marseille.
Le Petit Bastiais du mercredi 27 janvier 1909 annonce que « La Cirnea a
fermé ses salons pendant le mois de janvier en signe de deuil, pour la mort de son
vénéré Président Vattelapesca, d’illustre et inoubliable mémoire ».
Comme sociétaire, Jean-Pierre Lucciardi prend part aux activités de la Cirnea.
Il se mêle ainsi à la bonne société bastiaise et se lie d’amitié avec Pietro Lucciana,
Vattelapesca pour la littérature. Lorsque Vattelapesca disparaît, Lucciardi prend
la plume pour lui rendre hommage.
A Madama de Chevarrier de Carbuccia
Presidente di a Cirnea
ACROSTICO
Cum’è, Cirnea cara, cos’è tuttu stu dòlu ?
I to saloni chiosi e tutti i lumi spenti ?
Restu cume sturditu. Saraghiu fòrse u solu ?
N’ebbera ? a ignurà perche, tu, ti lamenti ? –
E cume ? un sai chi Vattelapesca è mòrtu ?
A Corsica intiera u pienghie en un ha tòrtu.21
Vattelapesca è mòrtu. U dialettu còrsu
Avà cumu farà senza u so vabarellu ?
Temu chi tutt’ognunu, è cun pocu rimòrsu,
Tenga à un bulè piu avè che frencese in cerbellu
E cumu si faria si e nostre mammarelle,
Le zie e le caccarepudessinu turnà ?
Allora le scialate !… E care curciarelle
Pònu junghie : nisunu piu le capisciarà.
E purtantu un trimate, o muntagnòli cari,
Sappiate chi lu còrsu si parlarà in eternu,
Chi u sciò Vattelapesca – riposi in sempiternu ! –
A fattu in di sa lingua memorie e libri rari. 22
21. Ghiuvan-Petru di Campiendi (J.-P. Lucciardi), « A Madama de Chevarrier de Carbuccia »,
Le Petit Bastiais, mercredi 10 février 1909, n° 41.
22. Ghiuvan-Petru di Campiendi (J.-P. Lucciardi), « Acrostico », Le Petit Bastiais, dimanche
14 février 1909, n° 45.
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Le poète
La poésie, c’est un des plus vrais,
un des plus utiles surnoms de la vie.
Jacques Prévert
Comme tout bon instituteur, Jean-Pierre Lucciardi dispose d’une solide culture
littéraire française et ses auteurs de prédilection sont Alphonse de Lamartine, les
poètes parnassiens et surtout Victor Hugo. C’est donc en français qu’il s’essaie à
la littérature. Il est d’ailleurs l’auteur d’un recueil inédit intitulé Miettes du cœur.
En 1895, Le Petit Bastiais reproduit « La veillée d’hiver », poème écrit par un
jeune instituteur de trente-trois ans.
Un grand manteau de neige a recouvert la plaine !
Il neige, il neige encore… Et moi, l’âme sereine,
Assis près d’un bon feu qui flambe en pétillant,
Je suis d’un air distrait les jeux de mon enfant
Qui s’avance en vainqueur pour attraper son ombre…
Mais qui revient bientôt en montrant d’un air sombre
Le monstre affreux et noir qui court et le poursuit,
Et semble mordre aux pieds de l’enfant qui s’enfuit.
J’attise les charbons que la flamme consume,
Je vais moucher la lampe éteinte, et je l’allume.
Ma femme à mes côtés prend l’enfant dans ses bras,
Le berce lentement, mais il ne s’endort pas ;
Il se lève, au contraire, et va chercher un livre,
Et m’oblige à l’ouvrir afin qu’il puisse suivre
Et caresser du doigt, les superbes guerriers
Qui, tous bardés de fer comme leurs beaux coursiers,
Vont, les cheveux au vent, le front brillant de gloire
Chercher dans les combats la mort ou la victoire.
L’enfant reprend le livre, et d’un air satisfait
Contemple gravement les images ; il fait
Des questions et dit à sa mère attendrie :
– Pourquoi ce beau garçon est à genoux ? – Il prie
Pour ses parents que Dieu comblera de faveurs.
– Que fait ce bon vieillard ? – Sans doute des malheurs
Accablent ses vieux jours ; il a l’air misérable,
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LES LUCCIARDI – UNE FAMILLE CORSE DE POÈTES ET D’INSTITUTEURS
Et tend sa main maigrie à l’enfant charitable.
– Et que fait cet enfant, son cartable à la main ?
– Il se rend à l’école… – Et moi, calme et serein,
J’embrasse tour à tour et l’enfant et la mère,
L’enfant qui dans mes bras vient fermer sa paupière.
Il neige, il neige encore, et froide est cette nuit,
Ma femme et mon enfant reposent dans leur lit
Faisant les rêves d’or que l’on fait à leur âge :
Un sourire innocent erre sur leur visage.
Et moi, seul, près du feu, j’écris et rêve aussi,
J’écris et rêve à toi, toi, mon meilleur ami.
Je pense aux jours heureux, envolés comme un songe,
Mais songe bien charmant que l’absence prolonge ;
Je pense à ce vieux temps de nos courses sans fin,
Aux intimes dîners arrosés de bon vin
De ton oncle Istria : mais ce temps agréable
S’est enfui pour toujours dans la nuit insondable
Du passé. Pour nos sens, notre âme et nos désirs,
Pour nos cœurs, maintenant il est d’autres plaisirs.
Notre amour étendra ses racines profondes
Sur le sein maternel et sur les têtes blondes
Qui viennent en riant folâtrer près de nous :
Voilà nos seuls plaisirs, et nos plaisirs plus doux.
Au dehors, le vent souffle ; il neige encore…
Je couvre les charbons que la flamme dévore,
Et vais chercher au lit un repos mérité.
A toi, cher Dominique, à toi, dont la bonté
A su gagner mon cœur et captiver mon âme,
A toi, ces vers dictés par la brûlante flamme
D’un cœur affectueux ; à toi, tout mon amour
Et les vœux qu’au Seigneur j’adresse chaque jour.
Partout où je serai, n’importe sous quel ciel,
Mon cœur battra pour toi d’un amour fraternel.1
C’est en langue française, avec le recueil poétique inédit intitulé Les miettes
du cœur, qu’il entame son œuvre littéraire. Ainsi, Lucciardi recommencet-il à écrire en touchant tous les genres. Les mots et les phrases auront coulé
de sa plume, tantôt dévote, tantôt tendre ou ironique. Lucciardi prend soin
d’entrecroiser une part importante des marqueurs de l’identité corse.
La conversion à la littérature corse n’intervient que plus tard et c’est un
événement douloureux qui agit comme un déclencheur.
1. Lucciardi J.-P., « La veillée d’hiver », Le Petit Bastiais, dimanche 24 mars 1895.
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LE POÈTE
Le jour de Noël 1907, dans la maison de Santo-Pietro, Jean-Pierre Lucciardi
voit disparaître son fils Charles-Marie, âgé de vingt ans. Le jour suivant, à onze
heures, les obsèques se déroulent en l’église paroissiale, puis le jeune homme est
porté en terre par les siens et une assistance nombreuse composée de parents et
d’amis. Le 27 décembre, Le Petit Bastiais et Bastia Journal font paraître l’avis
de décès de Charles-Marie Lucciardi. Pour seul titre, les avis de décès indiquent : « élève du lycée de Bastia ». Ce rappel peut paraître anodin. Toutefois,
il l’est moins lorsque l’on découvre que Charles-Marie est l’un des meilleurs
éléments du lycée de Bastia et que l’établissement est un lieu d’excellence depuis
sa fondation par les Jésuites au XVIIe siècle, une sorte de petite Sorbonne de la
Corse. Au lycée de Bastia, la mort du jeune homme fait l’effet d’une bombe.
Cette triste nouvelle entraîne tristesse et désarroi chez ses camarades de classe
comme chez ses professeurs. Le Petit Bastiais se fait l’écho de cette intense et
inguérissable tristesse en retranscrivant les discours prononcés lors des obsèques
de Charles-Marie Lucciardi. Joseph Pinelli, élève de seconde au lycée, prend le
premier la parole pour retracer la courte vie de son cher camarade.
« Mesdames, Messieurs, Permettez qu’avant de le laisser aller dans la tombe,
je dise un dernier adieu à l’ami dévoué qui va reposer en paix pour toujours.
Lucciardi Charles n’est plus ; il a disparu à jamais, le camarade, l’ami dont les
lèvres étaient toujours empreintes d’un sourire de bonté, l’ami dont les mains
étaient si cordialement tendues vers vous lorsqu’il vous rencontrait. Que de fois
ne vous a-t-il pas égayé par le récit animé et pittoresque des plus petits incidents
de sa vie de collégien ! Que de fois ne vous a-t-il pas fait rire par ses plaisanteries si spirituelles et cependant tout à fait inoffensives ! Mais nous étions si
accoutumés à le voir et à l’entendre que nous ne pouvions nous persuader qu’il
allait nous quitter quelque jour ; cependant nous le savions miné par un mal que
jusqu’ici, on n’est pas encore parvenu à guérir ; mais nous avions confiance et
dans les soins intelligents dont il était entouré et dans son application à suivre les
prescriptions médicales. Si bien que lorsque la nouvelle se répandit qu’il était à
toute extrémité elle nous arracha cette exclamation de surprise : Est-ce possible !
Charles tenait à la vie, et la vie était pour lui pleine de promesses. Entré au Lycée
de Bastia à l’âge de onze ans, il se fait remarquer dès la première année par son
intelligence et son travail. Il ne tarde pas à occuper la tête de sa classe. Charles
était soutenu dans son travail par la douce pensée qu’il deviendrait un jour l’orgueil de ses parents qui s’imposaient pour lui de si grands sacrifices. Et l’étude
n’était pas pour lui une servitude, au contraire, c’était un plaisir parce qu’il y
voyait l’accomplissement d’un devoir filial. Ainsi, par son travail, Charles honorait le Lycée de Bastia, ainsi il honorait ses parents qui étaient fiers d’avoir un tel
fils, ainsi il honorait ses professeurs qui étaient fiers de l’avoir pour élève. Déjà ils
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LES LUCCIARDI – UNE FAMILLE CORSE DE POÈTES ET D’INSTITUTEURS
voyaient dans ce jeune candidat au baccalauréat un futur élève des hautes écoles
du gouvernement. Hélas ! Il n’a pas eu le temps de réaliser de si beaux rêves !
Il est mort à dix-neuf ans, printemps de la vie ! Mais non ! Charles ne meurt
pas tout entier, il laisse après lui, en même temps que le souvenir de sa bonté,
l’exemple de la persévérance dans le travail. Ses deux frères sont aussi bien
doués que lui sous le rapport du caractère et de l’intelligence ; ils reprendront et
continueront la voie que Charles leur a tracée, et mèneront sans doute à bonne
fin la tâche qu’il avait entreprise. C’est là la meilleure des consolations que nous
puissions aujourd’hui offrir à ses parents éplorés. Adieu Charles ! Au nom de
tous tes camarades affligés du Lycée de Bastia, je te dis adieu ! Adieu ! »2
Après Joseph Pinelli, c’est un ami de la famille, Monsieur Vitali, qui lui
succède et qui prononce quelques mots d’hommage pour le jeune disparu et de
réconfort pour la famille éplorée.
« Mesdames, Messieurs, Avant de laisser se fermer cette tombe prématurément ouverte, je crois qu’à titre d’ancien élève du Lycée de Bastia et en qualité
de voisin et d’ami de l’infortuné jeune homme que nous pleurons aujourd’hui,
il est de mon devoir de lui adresser quelques paroles de suprême adieu. Étant
donné son jeune âge, Charles Lucciardi n’avait certes pu rendre de grands services publics. Néanmoins je suis persuadé que tous ceux qui l’ont connu, l’ont
aimé et regrettent bien vivement sa perte. Notre cher disparu possédait en effet le
meilleur caractère du monde. Il était toujours doux, souriant et affable, jamais on
ne lui a entendu dire un mot dur à qui que ce soit. Charles Lucciardi était en outre
travailleur sérieux dans toute l’acception du mot ; tant que ses forces le lui ont
permis, il fut, d’après les dires mêmes de ses professeurs, un élève laborieux et
accompli en tous points. Aussi ses parents ne l’en aimaient que plus et fondaient
sur lui les plus justes et légitimes espérances, lorsqu’une maladie impitoyable,
qui fait à elle seule plus de victimes que les plus grands fléaux de la terre, est
venue l’atteindre et le terrasser, au moment où il allait achever brillamment ses
études et combler ses parents de bonheur. Et voilà que malgré les soins les plus
assidus, aussi tendres que dévoués, cette sympathique figure vient de s’éteindre
à la fleur de l’âge, à 20 ans… à ce moment de l’existence humaine où l’on ne
devine pas encore les mille difficultés de la lutte pour la vie. On forme alors
mille projets d’avenir plus beaux les uns que les autres. Mais la mort cruelle est
venue tout briser, anéantir tous ses rêves et jeter ses parents, père, mère, oncles
et tantes, dans le plus morne désespoir. Aussi devant l’immensité du malheur
qui les frappe, nous ne pouvons que les exhorter à être patients et courageux.
Vous devez, Mme et M. Lucciardi réagir contre le sort qui vous frappe pour vous
conserver à l’affection des vôtres, vous pourrez reporter aussi sur vos deux plus
jeunes enfants toute l’affection que vous aviez pour Charles. Adieu donc, cher
et pauvre ami ! ton existence quoique courte n’aura pas été inutile, car tu sus par
2. Le Petit Bastiais, n° 362, mardi 31 décembre 1907.
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LE POÈTE
tes nobles qualités inspirer le meilleur exemple à tes jeunes frères aussi bien qu’à
tes amis ! Va, repose en paix au sein de cette terre corse que tu aimais tant ; tu ne
disparais pas tout entier puisque ton souvenir vivra toujours parmi nous »3.
Naturellement, Jean-Pierre Lucciardi vit cette disparition comme un drame,
une déchirure profonde, une blessure incurable. Une épreuve qui atteint la chair
de leur chair, contre l’ordre chronologique du temps et des générations. Cet
événement douloureux le laisse désemparé. Il constitue un tournant dans sa vie.
Comment pourrait-il en être autrement ? Ce malheur-là parle de lui-même. Point
n’est besoin de l’interroger. Cette perte du fils aîné ayant succombé à la phtisie à l’âge de vingt ans s’accompagne d’une crise profonde sur le sens même
de l’existence. Jean-Pierre Lucciardi traverse une période d’anéantissement.
Il s’isole et s’autosanctionne en se refusant au monde. « Rien ne nous rend si
grands, qu’une grande douleur » souligne Alfred de Musset.
Il tente de panser ses plaies en renouant donc avec la littérature. « C’est ce
cri sincère du cœur qui m’a révélé un peu poète », admet Jean-Pierre Lucciardi4.
C’est ce que note Paul Arrighi en brossant le portrait de l’instituteur-poète :
« Lucciardi a fait ses débuts comme poète corse par le Vocero déchirant sur la
mort de son fils Charles, et ce voile originel de tristesse s’est répandu sur presque
toute son œuvre, de même qu’il troublait le regard profond de ses yeux5. »
Dès lors, Lucciardi pose un regard sans concession sur la vie. Le poète, ab
imo pectore, compose un « Voceru » poignant. Les trente-quatre sizains de cette
composition traduisent la douleur immense d’un homme et d’une famille.
Signant de son nom ou adoptant divers pseudonymes comme
« U Muntagnolu », « U Paisanu », « Ghiuvan Petru di Campiendi » et « Populo »,
Lucciardi se manifeste dans les journaux et dans les revues, et devient, comme le
souligne Jacques Fusina, une sorte de « poète officiel » du régionalisme6. Citons
pour mémoire et de manière non exhaustive : L’Altagna, L’Annu corsu, l’Artigiano, Bastia-Journal, Il Cirneo, La Corse nouvelle, U Fucone, A Lingua corsa,
A Muvra, Le Petit Bastiais7, la Renaissance de la Corse, Le Sillon de la Corse,
3. Ibidem.
4. Lucciardi J.-P., Canti Còrsi (Chants corses). Traduction française en regard, Castelnaudary,
Société d’édition occitane, 1921, p. 121.
5. Arrighi Paul, « Hommage à Jean-Pierre Lucciardi », L’Annu Corsu di u 1929, 1928, p. 105.
6. Fusina Jacques, « Repères pour une approche de la littérature corse », Europæa, VI-1/2,
Bruxelles, Société des Européanistes, 2000, p. 11.
7. Dans Le Petit Bastiais du 9 mai 1909, il publie un conte intitulé « La Signora de MonteGenova ». Le conte est publié sous le pseudonyme de « J.-P. de Campiendi ». C’est également
dans les colonnes du même journal que Lucciardi publie un hommage en vers adressé à Léon
Bourgeois, ancien président du Conseil : « La Corse vous salue, o noble caractère/Et vous
dit, de grand cœur : « Soyez le bienvenu »/On vous aime partout et votre estime entière/Nous
l’aurons pour toujours, puisque l’on s’est connu/Bonheur, paix et santé, c’est ce qu’on vous
désire/Oh ! puisse se calmer la poignante douleur…/Une telle douleur, hélas ! c’est le martyre/
Rempli de souvenirs… ces diamants du cœur,/Gloire, honneur et respect au généreux français/
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LES LUCCIARDI – UNE FAMILLE CORSE DE POÈTES ET D’INSTITUTEURS
et A Tramuntana8, premier journal en langue corse, fondé en octobre 1896 par
Santu Casanova.
Si l’instituteur-poète écrit désormais le plus souvent en langue corse, il ne
renonce pas complètement au français. Ainsi, se fondant sur une légende de
son Nebbiu natal, il publie en 1909 une sorte de petit conte avec « La Signora
de Monte-Genova »9. Pour Jean-Pierre Lucciardi, la montagne apparaît comme
un refuge contre les bassesses et les turpitudes de la société bourgeoise, terre de
liberté et de mystères.
Le nom de Jean-Pierre Lucciardi n’apparaît dans les colonnes de la
Tramuntana qu’en 1910. Le 9 juillet, il publie « A Calunniatrice »10, poème
constitué de vingt sizains où le poète décrit le portrait d’une femme médisante.
En décembre 1911, l’instituteur publie les quinze sizains de « A una tortora
smarrita »11. En décembre 1913, il publie le sonnet « A Funtana all’Olmu »12. En
avril 1914, Lucciardi annonce la sortie de A Cispra, revue publiée par « dui omi
di core, dui patriotti sinceri, chi un si vargognanu di u cusi energicu parlatu, d’i
so antichi13 ». Lucciardi a participé activement à la réalisation de la revue qui
porte le nom de l’ancien fusil à silex des milices de Pascal Paoli. Publiée quelques mois avant le déclenchement de la Première Guerre mondiale, A Cispra n’a
eu qu’un seul numéro. Fondée par deux instituteurs, Saveriu Paoli et Ghjacumu
Santu Versini, deux frères en poésie, la revue adopte une ligne éditoriale socialisante et autonomiste. Sur le plan linguistique, A Cispra préconise un bilinguisme
corso-français.
En mai 1914, Jean-Pierre Lucciardi publie un long article intitulé « Pe i Morti
di Ponte-Novu ». L’instituteur relaie l’appel de Joseph Ferrandi, lancé le 2 avril
précédent dans La Renaissance de la Corse. Ferrandi réclame l’érection d’un
monument aux morts de Pontenovu, lieu où les Corses défaits perdirent leur
indépendance.
8.
9.
10.
11.
12.
13.
Ennemi de la haine ainsi que de la guerre/Oui grâce à vous, un jour les peuples de la terre/
Invoquant votre nom dans un hymne de paix/Salueront de leurs chants le règne du progrès ».
Cité par Querci, op. cit., p. 12.
C’est ce que révèle Biscottini dans L’anima della Corsica, sorte d’anthologie d’inspiration
irrédentiste de la littérature insulaire d’expression italienne et corse. « Ha collaborato
assiduamente a Tramuntana ed a varii altri giornali sotto diversi pseudonimi ». Biscottini
Umberto, L’anima della Corsica. Volume secondo, Bologna, Nicola Zanichelli, 1928, vol. II,
p. 290.
Campiendi J.-P. de (J.-P. Lucciardi), « Légende corse : La Signora de Monte-Genova », Le Petit
Bastiais, dimanche 9 mai 1909, n° 128.
A Tramuntana, sabatu 9 luglio 1910, n° 550.
A Tramuntana, sabatu 2 dicembre 1911, n° 560.
A Tramuntana, sabatu 13 dicembre 1913, n° 651.
A Tramuntana, 11 aprile 1914, n° 668. « Par deux hommes au grand cœur, deux patriotes
sincères qui n’ont pas honte du vigoureux parler de leurs ancêtres ».
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LE POÈTE
« Un omu di core, u sciò Ghiaseppu Ferrandi, un Corsu propriu sciappatu,
cume duvariamu esse tutti, è andatu mesi passati a Pontenovu e ghiè
rincrisciutu di vede chi mancu una croce era stata piantata nantu su ponte, pe
rammintacci l’ultimu sforzu chi fecenu i nostri antichi per vulè restà povari si,
ma indipendenti14 ».
Lucciardi n’en reste pas là et publie de nouveaux articles aux accents régionalistes sur le sujet afin de sensibiliser ses compatriotes.
« Cosa avemu fattu per perpetuà a memoria di sti martiri, cascati cusi
gluriosamente à Ponte-Novu ? Nunda. « Mancu una croce ! » ci dice singhiuzzendu
e pienghiendu u sciô Ferrandi. Si, mancu una croce un n’è stata piantata nantu
su ponte, tomba di a nostra indipendenza, pe rammintacci u patriuttisimu, u
curaggiu e a stumachiccia d’i nostri antichi ; per fà bede di cosa eranu capaci
i Corsi quandu s’agia di difende a terra di Cirnu, a patria di Sambucucciu e di
Sampieru Corsu. E un n’arrussimu mancu ! E una manu di ferru un ci spreme u
core quandu videmu tanta ingratitutine d’a nostra parte ! Cosa penseranu di noi
quelli guerrieri in barretta migia e a cispra manu chi so cascati gridendu : Eviva
i Corsi ! cuntenti e fieri di more per un Idea, e per difende babbu e mamma,
fratelli e surelle, moglie e figlioli ! Cume li rincriscerà d’avè fattu un sacrifiziu
tamantu e cusi ludevule, videndu ch’i so discendenti duvianu fanne cusi pocu
casu15 ! »
La chose est entendue. La ligne éditoriale de la Tramuntana est aux antipodes de l’idéal voulu par la Troisième République. Pour le journal, la République
spolie la Corse. En adoptant un ton offensif et marqué par un surcroît de crispation, Casanova aiguillonne la droite insulaire et stigmatise les responsables politiques ayant adhéré au régime impie comme apostats. Spéculant sur le sentiment
exarcébé d’appartenance à la communauté et sur la valeur sécurisante du terroir,
la Tramuntana est le produit composite d’un réflexe de révolte et de frustration devant une modernité ressentie comme une agression, une réaction de repli
devant une situation d’abandon, vécue d’autant plus douloureusement qu’elle est
jugée à l’aune d’un passé en partie fantasmé. Toutefois, les tensions sont beaucoup moins vives en Corse qu’en Bretagne où « combisme anti-bretonnant » et
« anticléricalisme linguistique » passent de la condescendance au mépris puis à
la haine ouverte16.
14. A Tramuntana, sabatu 9 maggio 1914, n° 673. « Un homme au grand cœur, Monsieur
Ghiaseppu Ferrandi, un Corse vraiment pur comme nous devrions tous l’être, s’est rendu il y
a quelques mois à Pontenovu. Il a été affligé qu’aucune croix du souvenir n’est érigée sur le
pont afin de nous rappeler l’effort ultime que firent nos ancêtres pour demeurer coûte que coûte
indépendants bien que pauvres ».
15. Lucciardi J.-P., « Pe u monumentu di Pontenovu », 1914. Archives de la famille Lucciardi.
16. Dans la Lanterne du 12 novembre 1902, on en trouve la traduction de ce dédain : « La
Bretagne cléricale prétend se mettre au-dessus des lois et braver la France républicaine.
Existe-t-il dans l’administration, un préfet à poigne, capable de mater des brutes fanatisées
par les prêtres ? Existe-t-il dans la magistrature quelques hommes résolus, républicains
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Avec Santu Casanova, la Corse avait, aussi, son Mistral17. Par ailleurs, si à la
manière d’un Paul Déroulède, Casanova affiche son opposition à la République,
son régionalisme n’impliquait pas toutefois un rejet du sentiment national. S’il
rejette la République parlementaire, il ne rejette pas la France. Au contraire,
c’était par l’usage des langues régionales qu’il convenait d’affirmer la ferveur
patriotique. En Provence, Mistral et Mistral neveu reprennent cette idée :
« Lorsqu’on a toute sa vie travaillé pour élever le sentiment de la patrie, il est un
peu singulier de se voir accusé de trahison à la patrie. Comme si notre France
pouvait voir à regret l’exaltation de sa Provence ! Comme si la mère pouvait être
jalouse de voir grandir sa fille18 ! »
« L’enseignement n’est pas national qui nous convie à bannir de bonne
heure l’usage du dialecte local. Il est antinational pour la bonne raison qu’il
coupe net, qu’il sectionne tout ce qui rattache un enfant à l’idée de Patrie […].
Celui qui bannit de bonne heure son dialecte natal nous savons ce qu’il est :
un dévoyé souvent, parfois un anarchiste, un internationaliste, un antipatriote
toujours19. »
À maintes reprises, la Tramuntana cloue au pilori la politique générale
suivie par la France sous la Troisième République. Car Casanova, quand
il prend la plume, ne la plonge pas dans l’encre mais dans le feu sacré de
l’indignation. Il rompt des lances avec tous les endormis, tous ceux qui
renoncent à défendre le faible, la veuve, l’orphelin, l’opprimé, la victime d’une
injustice. C’est un justicier qui passe de la joute littéraire au combat social
et politique. On s’indigne, on frémit avec lui et souvent aussi on rit car ce
polémiste sait manier l’ironie à la perfection. Et pourtant la plus grande partie
de ses textes appartiennent à ce genre tant décrié sur le plan littéraire qu’est le
journalisme. Ainsi, sous la plume même de Santu Casanova qui signe l’article
et en première page, le samedi 27 avril 1907, le directeur écrit dans un article
intitulé « Tristi pronostichi ! » : « Da duva vene u male ? Vene da a gattiva
educazione chi i zitelli ricevenu in casa e da l’istruzzione chi l’è data in le
scole senza ombra di principï religgiosi. St’accriscimentu spevintevule di i
sûrs, capables d’assumer la tâche d’appliquer avec sévérité les lois républicaines ? Le
gouvernement a-t-il à sa disposition quelques commissaires de police courageux ? […]
Si rares que soient les préfets, les magistrats, les fonctionnaires républicains, il doit s’en
trouver assez pour entreprendre la colonisation de la Bretagne ». Cité par Le Gallo Yves,
« La Bretagne bretonnante », dans Balcou Jean & Le Gallo Yves [dir.], Histoire littéraire et
culturelle de la Bretagne. Vol. III : L’invasion profane. De la IIIe à la Ve République, Paris,
Éditions Champion, 1997, p. 17-18.
17. Gherardi Eugène F.-X., « Autour de Spanettu », Morte è Funarali di Spanettu (Santu Casanova),
Ajaccio, Falce edizioni, 2005, p. 16.
18. Cité par Saumade Frédéric, « Race régionale, identité nationale. Pour une ethnologie des
comportements électoraux », Terrain, revue d’ethnologie de l’Europe, n° 27, 25 pages,
[consulté en ligne le 9 décembre 2005]. Disponible sur : http://terrain.revues.org/revues.org/
document3398.html.
19. Ibid.
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LE POÈTE
dilitti cumessi st’ultimi anni cumbina cu i cambiamenti fatti in l’insignamentu
publicu. A cosa è tantu chiara chi i nimici stessi di a religgione so ubligati di
ricunnosce che u rilasciamentu e a curruzzione di i custumi so a cunsequenza
diretta dell’insignamentu ateiu, datu in le scole di u Statu, duva u zitellu sente
jurnalmente dì da u so maestru che u Signore un n’essiste ; che un c’è vita
futura ne anima da salvà, ne celu da guadagnà, ne infernu, da teme, che i
preti so tanti impustori è e pratiche di a riliggione so superstizioni ridicule.
[…] Da a scola senza Diu, e sopr’attuttu da a scola contru Diu, liberatici, o
Signore20 ! »
S’il écrit dans la Tramuntana, Lucciardi n’y laisse rien transparaître de ses
options idéologiques et n’affiche aucun signe d’adhésion à une ligne éditoriale
droitière et souvent pousse-au-crime. Sur ce point, Eric Hobsbawm affirme :
« Il n’est guère surprenant que le nationalisme ait si rapidement gagné du
terrain entre 1870 et 1914. C’était le fait des changements aussi bien sociaux
que politiques, pour ne rien dire de la situation internationale, que de fournir
toutes sortes de patères où accrocher des manifestes d’hostilité vis-à-vis des
étrangers21. »
Dans un contexte de polarisation, Lucciardi se montre toujours très nuancé.
Son enfance se déroule avec la défaite de Sedan et la perte de l’Alsace-Lorraine
en toile de fond. Comme le souligne Mona Ozouf, c’est « avec une surprise
scandalisée qu’on se demandait alors, devant les soldats qui battaient en retraite,
quels instituteurs avaient pu les former22 ». De toute évidence, c’était l’instituteur
prussien qui avait gagné la guerre. À présent, on construirait l’école républicaine
et laïque, l’œil humide et fixé sur la ligne bleue des Vosges23. En Corse comme
partout en France, la déroute française fait le lit à droite comme à gauche d’un
nationalisme antisémite et de repli. La Tramuntana agite un « nationalisme des
petits », développe une longue litanie anti-intellectualiste, voue aux gémonies
un régime républicain impie dominé par le « juif fonctionnaire » et crie « Mort
aux juifs, mort à Zola, mort à Dreyfus ». De toute évidence et à quelques
20. « D’où vient le mal ? Il est produit par la mauvaise éducation que les enfants reçoivent à la
maison et par l’instruction reçue à l’école sans le soutien des principes religieux. Cet accroissement épouvantable des délits commis au cours des dernières années vient s’ajouter aux changements effectués dans l’enseignement public. Les choses sont si évidentes que les ennemis
de la religion sont obligés de reconnaître que le laisser-aller et la corruption des principes sont
la conséquence directe de l’enseignement athée, donné dans les écoles de l’État, où l’enfant
entend chaque jour le maître affirmer que le Seigneur n’existe pas ; qu’il n’y a ni vie après la
mort, ni âme à sauver, ni paradis à espérer, ni enfer à redouter ; que les prêtres sont des imposteurs et que les pratiques de la religion sont des superstitions ridicules. […] De l’école sans
Dieu, et surtout de l’école contre Dieu, libérez-nous, Seigneur ! »
21. Hobsbawm Eric, Nations et nationalismes depuis 1870, Paris, Gallimard, coll. Bibliothèque
des Histoires, 1990, p. 140-141.
22. Ozouf, op. cit., 1984, p. 185.
23. Hameline Daniel, Courants et contre-courants dans la pédagogie contemporaine, Issy-lesMoulineaux, ESF éditeur, coll. Pédagogies, 2000, p. 54.
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nuances près, la Tramuntana diffuse dans l’espace médiatique insulaire un
ratio-traditionalisme d’inspiration maurrassienne qui s’oppose aux valeurs
démocratiques. Le principe en est simple : le catholicisme ultramontain comme
réponse à la question métaphysique, le nationalisme comme réponse à la question
politique, l’antisémitisme comme réponse à la question sociale24. Lucciardi ne
sombre jamais dans l’impasse antiparlementaire qui resurgira au moment de la
Grande Guerre.
« La société française perdait toute estime pour la vie paysanne, ses valeurs
et ses besoins. On était convaincu, dans les campagnes, que l’école, le cinéma,
la littérature et la presse n’avaient qu’un but : insuffler aux enfants des campagnes le mépris de la vie aux champs, attirer à la ville les meilleurs éléments de la
jeunesse paysanne, vider les villages en un “exode rural” qui brisait le cœur25. »
L’instituteur-poète qui a toujours tenu en haute estime le mode de vie traditionnel observe avec amertume et un brin de nostalgie le déclin du monde paysan.
« La conscience d’assister à une naissance, la soumission aux enchantements
du futur, la séduction des promesses d’avènement et des songes de rupture, le
sentiment de vivre un siècle en attente de temps nouveaux ne délivrent pas la
hantise de la perte, de la fascination des origines, de la certitude de la richesse
des retrouvailles, de la présence insidieuse de nostalgies infinies26. »
Toutefois, la tristesse de Lucciardi ne se traduit par aucune manifestation
idéologique contre le régime républicain.
En 1909, Jean-Pierre Lucciardi compose et édite en volume unique, chez
Piaggi à Bastia, deux petites comédies rustiques : I Galli Rivali et A greva di e
Giuvanotte. La presse bastiaise salue la publication « qui est en vente dans toutes
les librairies de Bastia, au prix bien modique de 25 centimes » et prédit un beau
succès à une « petite œuvre, qui deviendra populaire en Corse, où elle fera les
délices du plus fruste paysan comme du plus fin lettré27 ».
On le constate sans peine, le poète puise son inspiration dans le vieux registre de la « poesia giocosa » dont l’arrière-arrière-grand-père avait été l’un des
maîtres incontestés. En soixante-quatre quatrains, Lucciardi narre le combat de
deux coqs rivaux. Le duel se solde par la mort d’un des deux belligérants. Peinée
par la mort du volatile, sa propriétaire, Chilina, accuse Miola, la propriétaire du
coq victorieux. Chilina porte l’affaire devant le tribunal de Bastia.
24. Ory Pascal, Sirinelli Jean-François, Les intellectuels en France. De l’affaire Dreyfus à nos
jours, Paris, Armand Colin, coll. U-Histoire, éd. or. 1987, rééd. 2002, p. 38.
25. Paxton Robert O., Le temps des chemises vertes. Révoltes paysannes et fascisme rural (19291939), Paris, éditions du Seuil, 1996, coll. « L’Univers historique », p. 23.
26. Corbin Alain, « Le XIXe siècle ou la nécessité de l’assemblage », L’Invention du XIXe siècle.
Le XIXe siècle par lui-même (littérature, histoire, société). Textes réunis et publiés par Alain
Corbin, Pierre Georgel, Stéphane Guégan, Stéphane Michaud, Max Milner et Nicole Savy,
Paris, Klincksieck, Presses de la Sorbonne nouvelle, 1999, p. 157.
27. Ajicé, « Un poète corse », Le Petit Bastiais, lundi 2 août 1909, n° 211.
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LE POÈTE
Tenia pe u chernevale,
Un gallu cusi arditu,
Ch’era mustratu a ditu
In d’u paese.
Avia le so difese,
E ghiera cresti doppiu ;
Un c’era per fa u coppiu
In tutta a Francia.
Pudia avè la mancia
Quand’ella mi paria ;
Ancu Nunzia-Maria
U si cumprava.
Trenta franchi mi dava,
O tredeci galline ;
E m’ha offertu per fine,
In piu, un caprettu. […]
Quand’andava per l’òrte,
Cu e miò vinti galline,
E quelle di e vicine,
A ruspulà.
Se si mettia a cantà,
Benianu currendu,
E ognuna crucculendu,
U fidighiava.
Ellu le… carizzava
Tre o quattru vòlte u jornu :
In l’òrtu, sottu au fornu,
In casa è fòra.
A mane di von’ora,
Prima ch’escissi u sole,
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Facia vatte le sòle
A l’altri galli.
Era lestu a caccialli,
Di tutte e curtaline ;
E pòi tutte e galline
Si chiamava.
In tòrtu, ellu guerdava,
I galli di u vicinu ;
E ne facia un sterminu
A pizzicate.
Cusi passò un estate,
Allegru e capi rittu,
Paria un Pascià d’Egittu,
O un gran Sultanu.
Era un beru suvranu,
Ed eo n’era fiera,
Quandu, mattina e sera,
Ellu cantava.
Béna, pò un li ne dava ;
Ma granu e pivarone,
Astricule e granone,
In abbundanza.
Avia vella prestanza,
E ghiera sgualtru e prontu…
Altru nunda un bi contu,
E qui m’arrestu.
Solu v’aghiungu questu,
Chi un ghiornu d’auturnu,
Divenne tagiturnu
E s’ammalò.28
Après avoir entendu Chilina et Miola, le président du tribunal rend aussitôt son
jugement :
Dunque, le miò signore,
Bisogna a perdunà
28. Lucciardi J.-P., I Galli Rivali. A greva di e giuvanotte, Bastia, Stamperia C. Piaggi, 1909, p. 7-10.
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LES LUCCIARDI – UNE FAMILLE CORSE DE POÈTES ET D’INSTITUTEURS
E poi diminticà
S’ellu c’è affronti.
Per regulà li conti,
E strigne l’amicizia
Bi dice la justizia
Di fà festa,
Cu lu gallu chi resta :
Fatta la lasagnata,
Fatevi una risata.
E state allegre.29
Dans les quatorze sizains de « A greva di e giuvanotte », Jean-Pierre Lucciardi
fait parler une jeune fille de Santo-Pietro qui propose d’entamer une grève pour
dénoncer l’attitude des fiancés et des maris qui se détournent de la vie familiale
et sombrent dans la politique et l’alcool.
Or cumu s’ata da fane,
Chi li tempi sò cambiati.
L’òmmi un sò cume una volta
Pe le donne traspurtati,
Scusendu l’ispressione
Parenu… piuli vagnati.
Maladì bògliu li tempi
Di lu seculu chi corre.
A donna e menu apprezzata
Che un bicchieru di licore.
E l’òmmi un pònu piu crede
Chi per elli si pò mòre.
Sò sempre pe li caffè
A parlà di lu partitu ;
Quandu pensanu au pernò
Li scrucculla lu so ficu.
E nisunu in di l’amore
Ne jè’a : « carissimu amicu ».
Ci vurebbe a caccighialli
Cume li vecchi cignali ;
Perche forse un n’hanu piu
Sentimenti naturali.
Maladettu sia l’assentu
Causa di tanti mali.30
C’est dans ce recueil qu’apparaît le sonnet « A lingua corsa », dédié à sa sœur
Fiordispina. Le poète y déclare son amour pour le corse, langue de son enfance,
langue du cœur.
Di u còrsu, sempre, é mi ne restu in brama,
E u parlaria per tuttu, ancu in Parigi ;
Perche sa lingua, a m’ha imparata mamma,
Senza tante fatighe ne artifici.
29. Ibidem, p. 18.
30. Ibid., p. 20.
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LE POÈTE
Mi rammenta i parenti e pò l’amici,
I jòchi di i cumpagni, e cosa s’ama
Quand’ellu s’è zitelli – chi un si trama
Di fà male a nisunu – e s’è felici.
Quandu u parlu mi vene tuttu in còre ;
I vecchi, i genitori, i miò fratelli,
I vicini, e pò e case, e pò i stradelli…
E u lòcu induve si và quandu si mòre.
Pensu c’un gran dilettu a la jesòla…
E a la campana chi sunava a scòla.31
En 1911, Lucciardi compose A Vindetta di Lilla, pièce en quatre actes,
jouée au théâtre de Bastia en novembre de la même année. Les décors sont
confectionnés par M. Pekle, et son collaborateur, M. Franceschi. Le succès
est au rendez-vous et la presse s’en fait largement l’écho. Le Petit Bastiais du
samedi 25 novembre 1911 annonce une « Grande Représentation de Gala du
25 novembre 1911 au profit de la Croix-Rouge, de l’Assistance Publique et des
Victimes de la « Liberté ». Sous la présidence de M. le commandant Loquente
et le haut patronage de MM. le Maire ; le Premier Président ; le Sous-Préfet ;
le Gouverneur Militaire de la Corse, présidents d’honneur. En première partie,
« La Lyre Bastiaise accompagne Sigurd, grand air d’opéra pour ténor, par
M. Micheletti, accompagné par M. L. Botta ; puis divers morceaux de musique classique : Rhapsodie hongroise pour violon et piano (Hauser) ; Tanhauser,
Romance à l’étoile (Wagner) ; Deux danses hongroises, 2 violons, violoncelle et
piano (Brochins). En deuxième partie, “A Vindetta di Lilla, drame en 4 actes et 5
tableaux par M. J.-P. Lucciardi”. L’article précise que le prix des places « est le
prix ordinaire et que la location se fait chez M. Poggi, coiffeur ».
Le Petit Bastiais ne tarde pas à rendre compte du divertissement. Le jour
suivant, le dimanche 26 novembre 1911, le journal rend compte de manière
élogieuse de la soirée de gala et de A Vindetta di Lilla : « À l’instar des grands
théâtres européens, notre établissement municipal a tenu à rouvrir ses portes
sur une première. A Vindetta di Lilla, drame en quatre actes et en vers du poète
corse J.-P. Lucciardi, voyait hier soir, pour la première fois, les feux de la rampe.
Disons tout de suite que ce fut un immense succès pour l’auteur et ses interprètes.
31. Ibid., p. 4. « Toujours et partout je parlerai le corse, et je le parlerais même à Paris, car ma mère
m’a appris cette langue sans aucune fatigue et sans artifice./ Elle me rappelle la famille, les
amis, les jeux des camarades et tout ce qu’on aime quand on est enfant, alors qu’on ne songe
à faire aucun mal et que l’on est heureux./ Lorsque je la parle, les souvenirs abondent en mon
cœur : je revois les vieux, mes parents, mes frères, les voisins, les maisons, les rues du village,/
Et le lieu de repos où l’on va quand on meurt… Avec un doux émoi je songe à la petite chapelle
et à la cloche qui sonnait l’heure de la classe ».
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LES LUCCIARDI – UNE FAMILLE CORSE DE POÈTES ET D’INSTITUTEURS
Qu’ils soient tous remerciés sans retard pour le très sain et réconfortant spectacle
auquel il nous a été donné d’assister. En faisant représenter cette pièce qui déjà
nous avait charmés à la lecture, M. Lucciardi s’est acquis de durables titres à la
reconnaissance de ses compatriotes. Il est, grâce à lui, démontré désormais, que
le dialecte corse peut facilement devenir, comme le pensait Tommaseo, entre
les mains d’habiles ouvriers, un instrument d’expression de premier ordre, une
langue des plus souples et des plus littéraires. Et M. Lucciardi a de plus fait
œuvre utile en dressant devant la trop connue Colomba une figure de femme
vraiment Corse, parce que sachant haïr, elle sait aussi pardonner. Après cinq
ans de recherches acharnées à travers le maquis, Lilla peut enfin savourer sa
vengeance. Elle tient au bout de son fusil le meurtrier de son frère, celui qu’elle
s’est juré d’exterminer ! Il est là, la figure ravagée, les vêtements en lambeaux,
écroulé et sanglotant sur la tombe de sa victime. Quelle magnifique occasion de
l’immoler aux mânes du mort. Et comme froidement elle l’eût abattu, malgré
vif son repentir (sic), sur ce tertre profané, si elle eût été du même pays et de
la même race que la farouche héroïne du roman, que la femme sans pitié et
sans entrailles qui, après s’être plongée dans le sang de deux jeunes hommes,
commet l’inexpiable cruauté de s’en aller poursuivre de ses sarcasmes dans
la campagne italienne, où il s’est retiré, le pauvre vieux père infirme à demi
privé de raison. Mais non, Lilla est Corse, et elle pardonne, comme toujours,
les véritables Corses ont pardonné dans les mêmes cas de faiblesse et de
contrition. […] Tel est, dans ses grandes lignes, ce magnifique drame que M.
Lucciardi se doit à lui-même de faire suivre par d’autres. Nous l’espérons du
moins pour notre langue et aussi pour notre littérature qui ne tarderait pas à
sortir de son état embryonnaire si d’autres chefs d’œuvres venaient s’ajouter à
des passages d’ores et déjà promis aux anthologies de l’avenir comme ceux de
Lidia confectionnant le fangotto, du vocero de Lilla, de la rencontre du berger
et du bandit et cette superbe scène finale du pardon ».
Le même numéro du Petit Bastiais annonce qu’en raison du succès remporté
par le spectacle, « et à la demande générale, cette pièce sera donnée aujourd’hui,
à 2 heures et demie, en matinée à prix réduits ». Quelques jours plus tard,
Le Petit Bastiais du vendredi 1er décembre 1911, rend un hommage appuyé aux
acteurs d’une pièce « merveilleusement interprétée par des artistes qui ont su
mettre dans leurs rôles toute leur âme de Corses, et de Corses fiers et généreux ».
L’article précise encore que « tous les artistes ont recueilli une ample moisson
d’applaudissements ».
À son tour, Lucciardi encense l’œuvre de Santu Casanova. En rendant compte
de la pièce dans les colonnes de A Tramuntana, Casanova ne peut contenir sa
satisfaction : « E poi chi no parlemu di mudestia, dicemu di Lucciardi è ancu
piu mudestu che e palmule accademiche, ch’un li so mai state offerte pe a sola
raghione ch’ellu e merita troppu ! Par apprezzà stu corsu di core e di carattare
bisogna à parlacci da vicinu, quand’ellu vi guarda francamente in faccia.
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LE POÈTE
Lasciatelu passà quandell’è solu chi marchia à capu bassu, e guarda sempre in
tarra cume unu ch’ha persu a so cultella. Allora diciariste ch’ell’è assallitu da
pinzeri neri ! Invece ellu è sempre par si monti d’Elicona à stinzà l’arecchie à le
Muse ! […] Si vò lighjte a so « Lilla » a vi magnate cume un aranciu succhiosu,
ingullendu bucchia e niciole32 ! »
Les compliments n’en restent pas là. Pour A Vindetta di Lilla, Jean-Pierre
Lucciardi reçoit également les compliments de Frédéric Mistral. La lettre, écrite
à Maillane le 28 novembre 1912, est publiée dans la presse : « Cher Poète, J’ai lu
avec un vif plaisir A Vindetta di Lilla et je vous félicite pour les nobles sentiments
qui animent ce drame et pour le patriotisme qui vous l’a fait écrire en vibrante
langue corse. Votre race est assez glorieuse pour avoir le droit de conserver son
idiome de famille et de tradition. Je vous serre cordialement la main »33.
Jean-Pierre Lucciardi ne peut être que ravi d’avoir reçu les compliments
du Prix Nobel de littérature 1904. Jamais, l’instituteur n’oubliera cette marque
d’amitié du père du Félibrige. Affecté par la disparition de Mistral, Lucciardi
prend la plume et compose un sonnet pour rendre hommage au poète de
Maillane. Le sonnet « Pe a morte di Mistral » est composé à Bastia le 26 mars
1914. Il est publié une première fois dans Le Petit Bastiais le 29 mars 1914,
puis une seconde fois dans le recueil des Canti Corsi. Le poème est traduit en
occitan par Miquèu de Camelat34. Michel Camelat (1871-1962) semble avoir
joué un rôle déterminant dans les liens que Jean-Pierre Lucciardi tissent avec
l’Occitanie et le Félibrige. En 1893, Camelat avait fondé l’Armanac Gascoun,
anthologie annuelle de littérature gascone. Par la suite, entre 1910 et 1914, il
dirige le bimensuel gascon Les Bouts de la Terre, revue qui prône l’autonomie
de l’Occitanie.
Oghie la Francia tutta è in piantu e in dolu
Pe u nostru gran pueta Pruvenzale ;
Soprattuttu a tristezza è senza uguale
In Maiano, chi perde u so figliolu.
Era di u mondu intieru forse u solu
Per fà risorge u parlatu lucale,
32. Casanova Santu, « A Vindetta di Lilla », A Tramuntana, sabatu 2 dicembre 1911, n° 560.
« Si nous parlons de modestie, nous disons que Lucciardi est bien plus modeste que les palmes
académiques qu’il n’a pas obtenues parce qu’il les méritait trop ! Pour apprécier à sa juste
valeur ce Corse de caractère, de cœur et au regard franc, il faut parler avec lui pour bien le
connaître. Quand il marche seul et la tête baissée, les yeux tournés vers le sol comme quelqu’un
qui aurait perdu son canif, laissez-le passer. Vous pourriez imaginer qu’il est assailli par des
idées noires ! Alors qu’il est toujours sur les monts de l’Hélicon où il écoute les Muses ! […]
Si vous lisez sa “Lilla”, vous la dégusteriez comme une orange savoureuse ! »
33. La lettre de Frédéric Mistral est reproduite dans Le Petit Bastiais, dimanche 29 mars 1914.
34. Lucciardi J.-P., « Permou de la mourt de F. Mistrau », U Lariciu. Rivista trimestriale di litteratura e arti regionalisti corsi, Marseglia, n° 22, 1u trimestru 1933, p. 23.
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Cun tuttu lu so pevaru e u so sale,
Ma dolce cume un cantu d’usignolu.
Federiccu Mistral, tu ch’ogni core
Tuccasti cun Mirèio sventurata,
Un senti sti singhiozzi ? O chi dulore !
E la Corsica anch’ella è addulurata :
Vecchj e zitelli tutti ti pienghjmu,
Tu, chi onorasti a Francia quante u primu.35
En juillet 1920, le quotidien Bastia-Journal reproduit en première page
l’intégralité d’un article publié quelques mois plus tôt dans Lo Gai Saber,
revue félibréenne de Toulouse. Après avoir lu A Vindetta di Lilla et Maria
Jentile, Prosper Estieu (1860-1939) fait l’éloge enthousiaste de l’œuvre littéraire de Lucciardi. Le charisme de Prosper Estieu est grand sur le terrain des
lettres occitanes. Issu d’une famille d’humbles paysans, instituteur fortement
imprégné par les idées laïques et républicaines, poète et prosateur de langue
d’oc, lié à l’Académie des jeux floraux de Toulouse, Estieu avait fondé en
1919 la revue Lo Gai Saber. Avec Antonin Perbosc36, il jette les bases de la
rénovation de l’orthographe occitane. On l’aura compris, les mots de Prosper
Estieu ont pour Lucciardi valeur d’adoubement.
« N’est-il pas étrange que, à une époque où le régionalisme est à l’ordre
du jour, l’antique Cyrnée ne fasse pas entendre sa voix dans le concert
retentissant des revendications provinciales ? Il semble, vraiment, qu’une
fatalité pèse sur cette île, si française de cœur, qui fut le berceau du plus
grand génie militaire des temps modernes, de médecins, de généraux, de
cardinaux, de diplomates fameux, mais qui ne produisit jamais ni grands
artistes, ni grands poètes. Ouvrez, en effet, une Anthologie. Vous n’y trouverez aucun représentant de la littérature corse. Bien plus, vous vous apercevrez que la Corse elle-même n’y est jamais citée, comme si elle était
encore sous le joug de Pise ou de Gênes. Et ce n’est pas d’aujourd’hui
qu’elle n’est guère en faveur. Rappelez-vous ce vers de Virgile :
Sic tua Cyrneas fugiant examina taxos !
35. La mort de notre grand poète national a mis aujourd’hui la France entière en pleurs et en deuil.
La tristesse est surtout profonde à Maillane, qui perd le meilleur de ses enfants./ Il n’y avait
pas son pareil au monde, pour faire revivre une langue régionale avec toutes ses beautés et ses
belles expressions aussi douces que le chant du rossignol./ Frédéric Mistral ! toi, qui as touché
chaque cœur avec ton infortunée Mireille, n’entends-tu pas ces sanglots ? Oh ! quelle douleur !/
La Corse tout entière est dans la tristesse : les vieux et les jeunes te pleurent, toi, qui fais si
grand honneur à la France ! Lucciardi J.-P., Canti Còrsi, Castelnaudary, 1921, p. 84-85.
36. Terral Hervé, Antonin Perbosc. Les langues de France à l’école et quelques autres textes sur la
question, Canet, Trabucaire, 2006, 214 pages.
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LE POÈTE
Eh bien ! les temps sont révolus. Maintenant les abeilles font en Corse un
miel aussi doux qu’ailleurs, la Corse a enfin son poète, et ce poète est un
grand félibre. Il s’appelle Lucciardi.
J.-P. Lucciardi chante dans sa langue maternelle, comme chanta Mistral,
comme chantent les Félibres. Sous sa plume, son dialecte s’est révélé un
instrument d’expression de premier ordre, un idiome des plus souples et
des plus littéraires. Quelle a été ma surprise, quand j’ai pu constater que
cet idiome est un rameau vigoureux de notre langue d’oc ! Je l’avoue à ma
honte : j’avais cru, jusqu’ici, – avec beaucoup de mes contemporains – que
la langue ethnique de la Corse ne pouvait être qu’un patois italien. Je dois à
un excellent patriote corse, M. Bernamonti, inspecteur de l’Enseignement
primaire, la bonne fortune d’avoir pu lire quelques œuvres de Lucciardi, et
cette lecture m’a vite démontré que j’étais dans l’erreur. […]
Lucciardi, ce dramaturge de race, est aussi un conteur savoureux et pittoresque, un humoriste très goûté, un lyrique d’une belle envergure. On s’en
apercevra, dès qu’il aura publié les recueils de récits et de poèmes qu’il
nous annonce.
Certes, quand un pays possède un poète de cette valeur, il a le droit d’en
être fier ; mais l’œuvre de Lucciardi est de celles qui méritent mieux
qu’une célébrité locale, et j’ai la conviction qu’un jour elle sera connue
ailleurs qu’à Bastia. En attendant, ne laissons point aux Italiens le soin
de revendiquer un écrivain qui, par son idiome, se rattache directement
à l’Occitanie, en qui revit la vieille âme de sa fière race et qui a fait une
langue littéraire de son inculte parler maternel ! […]
Félibres, mes amis, ne pensez-vous pas que, le jour où le Consistoire du
Félibrige épinglerait la Cigale d’Or au chapeau de Lucciardi, il ferait une
œuvre à la fois juste et nécessaire ? Juste, parce que Lucciardi est un
grand félibre ; nécessaire, parce qu’il est temps que le ciel de la Corse soit
enfin éclairé par l’Étoile aux sept rayons37. »
Seule fausse note, Anton Francesco Filippini relèvera « qualche francesimo
– resignatu, pressatu – ancorchè facilmente evitabile38 ».
En 1912, Jean-Pierre Lucciardi récidive et publie Maria Jentile. La publication est dédiée aux frères et aux sœurs du poète. Rarement une œuvre littéraire
corse se trouve habitée et à un degré tel par cette adhésion à la France. Dans
l’adresse aux lecteurs de Maria Jentile, Lucciardi écrit : « E in Maria-Jentile
vurria chi s’amassi un pocu di piu a Corsica, per pudè amà megliu a Francia,
37. Estieu Prosper, « Un grand félibre corse : J.-P. Lucciardi », Bastia-Journal, dimanche 25 juillet
1920.
38. Filippini Anton Francesco, « Considerazioni sull’arte di G.P. Lucciardi (1862-1928) », Corsica
Antica e Moderna, XI, 2, mars-avril 1933, p. 59.
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â quale duvemu cunsacrà tutte e nostre forze e u nostru amore, per fanne a piu
grande, a piu generosa e a piu valurosa nazione di u mondu39 ».
En trois actes, le texte raconte l’histoire bien réelle d’une « Antigone corse »
à l’époque de la conquête française de la Corse. Même si pour nourrir son
drame historique, Lucciardi lit Girolami-Cortona, l’abbé Germanes, Renucci et
Gregorovius, l’instituteur-poète connaît l’histoire de Maria Jentile depuis la plus
tendre enfance. « A prima volta ch’aghiu intesu parlà di l’attu cusì eroicu di
Maria Jentile, è statu d’â miò mamma, quandu avia appena cinque o sei anni.
Fussi perchè cosa dicenu e so mamme è sempre pigliatu per parolla di Vangelu,
o fussi veramente ch’ell’avessi sappiutu truvà l’ispressione chi banu diritte a u
core, u fattu è, chi su racontu m’è restatu talmente impressu, chi un n’aghiu mai
intesu parlà d’i paesi d’Oletta e di Poghiu d’Oletta, senza chi Maria Jentile e u
so prumessu sposu, un mi sianu venuti in mente40 ».
Le tragique épisode connu sous le nom de « Conspiration d’Oletta » se déroule
en 1769 dans un village occupé par une garnison française de 1500 hommes.
Pasquale Paoli organise la riposte. Toutefois, la trahison plane et de nombreux
soldats corses tombent dans le piège tendu par les troupes royalistes du général
d’Arcambal. Les condamnations à mort ne tardent pas à tomber et sont mises
à exécution le 25 septembre 1769. Un arrêté du général français interdit aux
familles de donner une sépulture aux suppliciés. Maria Jentile, fiancée de l’un
des malheureux condamnés, s’oppose, seule, à cette décision. Comme Antigone,
fille d’Œdipe, roi de Thèbes, Maria Jentile se réclame de la loi divine qui est
au-dessus de celle des hommes. En 1914, Jean-Pierre Lucciardi manifeste une
nouvelle fois son intérêt pour cette page tragique de l’histoire de Corse en adressant une lettre au maire de Poggio-d’Oletta pour que l’on appose sur la maison
de Maria Jentile une plaque commémorative.
« Messieurs, Maria Gentile Guidoni, dénommée à si juste titre par
F. Gregorovius “l’Antigone corse”, a donné le plus bel exemple d’amour, de
courage civique, et de foi dans les croyances de ses aïeux, en inhumant, malgré
la défense des autorités militaires, le corps de son fiancé Bernardo Leccia. Par ce
noble trait qui mérite d’être transmis à la postérité, Maria Gentile a illustré non
seulement le village qui l’a vu naître, mais aussi la Corse tout entière, se montrant
ainsi la digne et fière émule des anciennes héroïnes de Sparte, d’Athènes et de
Rome. Même de nos jours, nombreux sont encore les étrangers qui viennent,
comme en un pieux pèlerinage, visiter les lieux où s’est accompli un acte si
sublime dans sa simplicité même. Et puisqu’on montre encore à Poggiod’Oletta, au petit hameau de Monticello, la vieille maison où Maria Gentile est
39. « Et à travers Maria Jentile je voudrais que l’on aima un peu plus la Corse » souhaite Lucciardi
J.-P., Maria Jentile. Drammu istoricu in tre atti, Bastia, imprimerie J.-B. Ollagnier, 1912,
p. 11.
40. Ibidem, p. 9.
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LE POÈTE
née, je prends la respectueuse liberté de vous demander, Monsieur le Maire et
Messieurs les Conseillers municipaux, de vouloir bien voter, par délibération,
une petite somme avec laquelle on pourrait faire sceller sur la façade de cette
maison désormais historique, une planche en marbre – d’Oletta si possible –
portant l’inscription commémorative suivante :
CASA
DUV’È NATA
MARIA GENTILE GUIDONI
Hommage rendu à la mémoire vénérée de notre héroïne insulaire, mais aussi la
preuve que les Corses qui ont toujours eu le culte de toutes les vertus, n’oublient
jamais ceux qui les ont honorés. Dans l’espoir que vous réserverez le meilleur
accueil à ma patriotique démarche, veuillez agréer, Monsieur le Maire et Messieurs
les Conseillers municipaux, mes civilités les plus empressées. J.-P. Lucciardi, instituteur. Bastia, le 25 mars 191441 ».
De tous les textes écrits par Jean-Pierre Lucciardi, Maria Jentile est celui
qui est le plus sujet à caution. L’orientation idéologique de l’ouvrage fait débat.
L’orientation générale du texte ne passe pas inaperçue aux yeux de la critique
littéraire. Ainsi, un rien agacé mais peu étonné, Anton Francesco Filippini note :
« Funzionario governativo ; ligio per lunga abitudine di pensiero all’idea
francese, il Lucciardi ha avuto cura di protestare in piu luoghi, e segnatamente
nella prefazione di Maria Jentile, del suo lealismo42 ».
Dans le livre d’entretiens avec Rinatu Coti, Vincent Stagnara s’interroge sur
l’« assaut de francophilie, quelque peu béate », à l’issue du drame de Lucciardi.
Rinatu Coti « considère que Lucciardi, en l’occurrence, embrasse le manche du
fouet qui le frappe »43. Est-ce à dire que l’esclave est devenu amoureux de sa
chaîne ? Il faut sans doute y déceler une forme de schizophrénie qui désoriente des
vies écartelées entre attachement à la Corse et adhésion à la France républicaine.
Le 16 juillet 1920, Lucciardi adresse une lettre au directeur du journal La Corse
Nouvelle pour y défendre les droits de la langue corse et se déclarer favorable à
l’autonomie de l’île : « Infatti, un giurnale indipendente mancava à i Corsi, e
credu chi li faranu l’onori ch’ellu merta, se bo restate, benintesu, nant’u terrenu
che bo avete sceltu : luntanu da tutti i « clans » pulitichi, un n’avendu altru in bista
che u rilevu di a Corsica. St’amore e sta passione d’ajutà a u rilevu di u nostru
paese, so chi l’avete in core, e l’avete messi esclusivamente a u serviziu di l’isula
di belleza, ch’è stata finu a oghie, l’isula abbandunata. […] Ma per me stu rilevu
un lu credu pussibile, fintantu ch’un s’è datu a la nostra lingua tutta l’impurtanza
41. Une copie de cette lettre se trouve dans les archives de la famille Lucciardi.
42. Filippini, art. cit., p. 60.
43. Coti Rinatu, Trà Locu è Populu. Dialogue avec Vincent Stagnara sur quarante ans d’écriture,
Paris, L’Harmattan, 2001, p. 122-123.
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LES LUCCIARDI – UNE FAMILLE CORSE DE POÈTES ET D’INSTITUTEURS
e tutta a cunsiderazione a e quale ell’ha dirittu. Un mi stanccaraghiu mai di ripete
ciocche un autore italianu ha dettu : « Un populu chi un parla piu a so lingua,
ghiè un populu maturu pè a schiavitù ». Or dunque, u populu corsu, un deve ne
bole more. All’esempiu di tutti l’altri populi, e di e principale regione frencese, e
ghielosu di a so lingua e a bole cunservà. Sarà u solu mezzu per pude rivindicà a u
mumentu datu – e stu jornu junghierà infaglibilmente – a so autonomia44 ».
En 1921, Jean-Pierre Lucciardi publie un recueil bilingue corse-français intitulé
Canti Còrsi. L’ouvrage est édité par la Société d’édition occitane à Castelnaudary,
commune de l’Aude, dans l’ancienne province du Lauragais, berceau du catharisme. Tout un symbole ! Le choix de la maison d’édition témoigne des liens tissés
entre l’instituteur-poète corse et le Midi de la France45. L’ouvrage présente toutes
les caractéristiques d’une anthologie poétique. Pour l’essentiel, les compositions
poétiques sélectionnées par l’auteur lui-même sont connues du public. Ainsi,
retrouve-t-on dans les Canti Còrsi : « U mio paese », sonnet où le poète redit son
amour pour le village natal.
O caru, Santu Petru, quant’è bellu !
È spergugliatu e ascostu a tramuntana
Si diceria chi perte in caravana…
A u mondu un si ne trova cum’ed ellu.
È di u Nebbiu lu specchiu e lu giuiellu,
Cun dodeci paesi per cullana ;
Si stà cuntentu, espostu a la sulana,
E accoglie a breccie aperte a questu e a quellu.
Quand’u vecu mi ride da luntanu
Cume una mamma a li so figliulelli ;
Eju, allegru, l’inviu un basciamanu,
E corru a salutà becchj e zitelli ;
E case, e piezze, e le stradelle appese…
L’amu piu che a me stessu, u mio paese46 !
44. Cité par Querci, op. cit., p. 24-25.
45. Liée au félibrige, la société d’édition occitane semble active pendant l’entre-deux-guerres.
Parmi les ouvrages publiés, on notera : Mittou G., [Le] Félibre Achille Mir, conférence faite
aux élèves du Petit Séminaire de Carcassonne le 19 novembre 1922 [à l’occasion du centenaire
du Félibre], Castelnaudary, Société d’édition occitane, 1923, 41 pages. Salvat Joseph, Auguste
Fourès, sa vie et son œuvre, [suivies de] Choix de poésies, Castelnaudary, Société d’édition
occitane, 1927, 122 pages. Salvat Joseph, Mort et obsèques du Baron Desazars de Montgailhard,
Castelnaudary, Société d’édition occitane, 1927, 38 pages.
46. Lucciardi J.-P., Canti Còrsi (Chants corses). Traduction française en regard, Castelnaudary,
Société d’édition occitane, 1921, p. 28-29. « Mon cher, qu’il est beau, Santo-Pietro ! À l’abri
du vent du nord, il est éparpillé et l’on dirait une caravane. Il n’est pas au monde de village si
beau./ Il est le joyau de la région de Nebbio, et douze villages à l’entour lui font comme un
collier. Heureux, il se repose au soleil, accueillant ses amis à bras ouverts./ Quand je le vois
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LE POÈTE
Dans un ensemble intitulé « Cose Andate », le poète évoque de façon mélancolique et touchante des objets usuels que les progrès techniques, la mode et la « fin
des terroirs »47 menacent de disparition. Lucciardi placent ces objets qui incarnent
physiquement un pays à demi disparu dans une sorte de « musée personnel ». Le
poète, laudator temporis acti, raconte la Corse de la seconde moitié du XIXe siècle :
on se déplace à pied ou à dos d’âne, on s’éclaire à la lampe à huile, on parle corse,
la dentelle court entre les doigts à la veillée… Dans « Cose Andate », le lecteur
re-découvre : « a lumera », la lampe à huile ; « a deda », la torche de bois résineux ; « a rocca », la quenouille ; « u fornu zappatu », le four démoli ; « u stacciu », le tamis ; « a chiccara », la cafetière ; « a falletta », la mantille ; « a baretta
misgia », le bonnet corse ; « a cherchera », la cartouchière ; « u pilone », le grand
manteau tissé en poil de chèvre.
Les vingt-deux octaves du « Lamentu di a Corsica » apparaissent comme une
sorte de métaphore de la Corse délaissée par ses enfants infidèles. C’est là un thème
récurrent que la poésie traditionnelle de la première moitié du XXe siècle exploite
ad nauseam. D’une certaine manière, le « Lamentu di a Corsica » rappelle « U
lamentu di u castagnu à u Corsu », joyau de la littérature corse composé par Anton
Battista Paoli (1858-1931), plus connu sous le nom de Paoli di Taglio.
Dans le « Lamentu di a Corsica », le clanisme, pourvoyeur d’emplois est
clairement identifié comme l’adversaire, l’obstacle majeur. Lucciardi condamne
durement l’attitude des élus qui pour étendre clientèle électorale et pouvoir
ouvrent grandes les portes de la fonction publique, distribuent prébendes et
places aux protégés et affidés48. Dans L’Annu corsu, il publie dès la première
livraison. Dans l’édition pour 1923, il est présenté dans une courte notice
bio-bibliographique par Paul Arrighi comme « unu di li nostri pueti i piu
raprisuntativi di a letteratura attuale, pa a quantità e a diversità di e so opare,
quant’è pa a qualità di i sintimenti e di u stile ». Dans cette même livraison,
Lucciardi publie les vingt sizains de « Un Pelegrinaggiu a Merusaglia », les
vingt sizains de « U mandile di capu », un extrait du Martiriu di Santa Divota, et
un portrait peu flatteur de « L’omu puliticu »49. Lucciardi dénonce vertement la
« pulitichella », les combinaisons politiques et le clientélisme.
de loin, il me sourit comme une mère à ses enfants. Et moi, joyeux, je lui envoie, du bout des
doigts, un baiser./ Et j’ai hâte de voir les vieillards et les jeunes gens, les maisons, les places et
les ruelles en pente… Je l’aime plus que moi-même, mon village ! »
47. Pour reprendre l’expression d’Eugen Weber qui donne son titre à son ouvrage : La France de
nos aïeux : La fin des terroirs. La modernisation de la France rurale 1870-1914 ; Les imaginaires et la politique au XIXe siècle, Paris, Fayard, éd. or. 1983, 1991, rééd. 2005, 857 pages.
48. Pomponi Francis, « À la recherche d’un “invariant” historique : la structure clanique dans la
société corse », Pieve e Paesi. Communautés rurales corses, Paris, éditions du CNRS, 1978,
p. 7-30.
49. Lucciardi Ghjuvan Petru, « Un pelegrinaggiu a Merusaglia », « U mandile di capu », « Ultima
prighera di Divota », « L’omu puliticu », L’Annu Corsu 1923, 1922, p. 118-132.
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LES LUCCIARDI – UNE FAMILLE CORSE DE POÈTES ET D’INSTITUTEURS
A un altru puntu di vista, per omu puliticu s’intende un omu accortu e abile
perf à i so’ affari, cume per sapè prufittà di l’ignurenza, a credulità, o a bona
fede di u so prossimu ; un omu insinuente, capace e adattu a cumbince cu i
so discursetti sempre interessati e pieni di prumesse e di lusinghe, o cu e so
manere affettate e calculate per anticipazione. […] Quandu venerà ‘su tempu
chi l’elettori un saranu piu purtati a berbetta, all’urna, cume tanti muntoni ?
Quandu a justizia sarà uguale per tutti, e chi l’impieghi un saranu piu dati a i
favori nè all’intrighi, ma saranu dati a u mertu cridemuci, o Côrsi, in ste cose,
ma un speremu po’ di vedele sti dui jorni, no, perchè
So’ di Corsica l’affari
Imbrugliati piu che mai ;
E pertuttu un c’è che guai
E sciaure, e doli amari,
E sti malanni so’ tutti
Di a Pulitica li frutti.50
Cette critique du clientélisme est constante. Ainsi, en juillet 1925, il donne au
journal A Muvra une poésie de quatorze sizains intitulée « Manna Eletturale ».
Appena l’elezzione
Di li merri, so finite
– En un simu senza lite –
Chi digià pe’gni cantone,
Si face cun gran furore
Cacciamossa all’elettore.
E pè u dicenove
Cume porta lu decretu,
Chi si scigliarà in secretu,
Mezzu a tuttu stu cispugliu
Di candidati loquaci,
I piu attivi, e i piu capaci.
I Cunsiglieri surtenti
So tutti sopra li ranghi.
Giovani, furbi, e valenti.
Ci n’è ignuranti e struiti,
Ci n’è zotachi, e capiti. […]
Ci n’avemu li merracchioli,
I preti e l’istitutori ;
Cittadini, e campagnoli.
C’è ancu – s’ell’un vi dispiace –
Qualchi ghiudice di Pace.
Tutti appressu a lu granone
Vanu cume disperati ;
Ma cun poca istruzzione.
Più so insipidi, o’gnuranti,
Più so fieri e so arruganti.
In casa di l’elettore
Si prisentanu all’assaltu,
In barretta, o in cappell’altu,
Notte e ghiornu, a tutte l’ore :
Abbraccendu, st’amicacci,
Omi, donne, e zitellacci.
Picchianu nantu le spalle
Quandu mancu omu s’aspetta.
E si mettenu abbraccetta
A le jente per ludalle,
E suffiallili, a parecchie,
Tutte ste cose in l’arecchie :
50. Lucciardi G.P., « L’omu puliticu », L’Annu Corsu 1923, p. 130-132.
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LE POÈTE
Vulete esse cantuneru,
O giandarme, o apparitore ;
Guardiacampestra, o latore,
Guardiasciurma, o duganeru ?
V’assicuru chi sarete
Tuttu ciocche bo’ vulete. […]
Eccu cos’ellu si sente,
Oghie, per ogni paese ;
Pronte, amabile, e curtese,
Parenu tutte ste jente.
Ma penseri, altri, po un hanu,
Che a’ngannatti, o paisanu.51
Dans cette vieille opposition entre « spirito di partito » (esprit partisan) et
« spirito publico » (esprit public), Jean-Pierre Lucciardi ne tergiverse jamais.
Les quatorze sizains de « Mamapiera e a Pulitica » (la famine et la politique)
exprime nettement mais de façon un peu simpliste ce dégoût pour la politique politicienne qui conduit à la misère par une « industrie des places » dévoyée. À la manière
du poète Juvénal brûlant d’écrire contre la corruption des mœurs de son temps, Facit
indignatio versum !, Lucciardi condamne le favoritisme qui règne en maître sur les
nominations administratives. En bon « hussard noir », Lucciardi rejette le modèle
nobiliaire, fondé sur la naissance. Il n’aime pas plus le modèle bourgeois qui repose
sur la fortune. Il reste attaché au principe du mérite qu’assure un concours sincère. Par
ailleurs, il n’hésite pas à se montrer sceptique et vigilant sur la sincérité des concours
et redoute qu’ils puissent servir de simples habillages à l’un des modèles antérieurs.
Ma lu piu chi mi cumbene
E a pulitica d’inganni ;
Ella un n’orde che malanni…
E succhia u sangue in d’e vene
A li ricchi e i puvarelli,
Tantu vecchj che zitelli.
Eccu cum’ella cantava
Mamapiera ad alta voce ;
Odiu, fame, e guerre atroce
A le jente li pregava.
E i so ministri piu boni
So i nostri puliticoni.
Eppò mi cuntenta appienu
Al di là di le mio voglie ;
Porta l’odiu e in piu racoglie
Una pesta di velenu
Ch’ella lampa cume focu
Pe i paesi, pocu a pocu.
E tu, o populu un la credi
Chè a pulitica mischina
E fatta pe a to ruvina…
Ma t’acceca e un ti n’abbedi.
Cambia, o sempre biverai
In l’angoscia e in di li guai.
Un si vede dapertuttu
Che miseria scatinata ;
Sta pulitica arabbiata
U benessere ha distruttu.
E si sente mane e sera
Gridà : « Eviva Mamapiera ! »
Manda a leghie a lu mumentu
Tutti li capipartiti ;
So curcioni impultruniti,
So zani pieni di ventu.
Ma che in di u travagliu spera
Per dà un calciu a Mamapiera.52
51. Lucciardi G.P., « Manna eletturale », A Muvra, 20 juillet 1925.
52. Lucciardi J.-P., « Mamapiera e a Pulitica », Il Cirneo. Almanacco corso popolare per l’anno
1917, Bastia, Stamperia a vapore Giuseppe Santi, 1916, p. 37-38.
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LES LUCCIARDI – UNE FAMILLE CORSE DE POÈTES ET D’INSTITUTEURS
S’il ne verse jamais dans l’antiparlementarisme, s’il ne se lance pas dans toutes
les batailles de son temps comme Santu Casanova, Lucciardi ne s’enferme pas
dans sa tour d’ivoire pour y cultiver un peu égoïstement les fleurs de rhétorique.
Povara me,
Abandunata e sola ;
A mezzu mare
Cu la mio famigliola ;
Cun affettu amu la Francia,
Cume l’ama una figliola.
Ma sa mamma, in d’i mio dòli,
Micca sempre mi cunsola.
I mio figlioli
So sempre a leticassi :
Cun tradimentu
Cercanu a bindicassi ;
Si danu colpi murtali
E un pònu junghie a sfugassi,
Perchè impussibile è
L’uni e l’altri ad accurdassi. […]
Quandu cridia
Ogni pena cessata,
Perch’era, infine,
Frencese diventata,
Fu per me piu gran curdogliu
Di vedemi assediata
D’a miseria e da li guai,
Povera disgraziata !
D’i mio figlioli
Ne so fiera e orgogliosa ;
Perchè fu Roma
Di Cirnu imbidiosa
E la città di Cartago
Anch’ella ne fu ghielosa.
A lutta chi si sustenne
Fu una lutta gluriosa.
Qual’è ch’è causa,
O Dio ! di tantu male ;
Si tu, Pulitica,
Nimicu capitale ;
Chi cun te porti ogni viziu
L’Imbidia e l’Odiu murtale.
Oghie la curruzzione
– Per to colpa – è generale. […]
Un Còrsu caru,
Pertuttu rinumatu,
Purtò di a Francia
U nome in ogni latu.
Fu in Egittu vitturiosu
E in Europa in ogni statu.
Fece legge, e cu lu Papa
Signonu lu Cuncurdatu.
Avia avutu
Altri figlioli cari ;
Di Sambucucciu
A vita ognunu impari ;
E Sampieru cun de Paoli
Chi so forse senza pari.
Molti e tanti di l’esiliu
Cunuscinu i frutti amari.
Eppò tant’altri
Chi si fecenu onore,
In di la lutta
Contr’u vile oppressore,
L’odiosu Jenuvese
Chi, ancu avà sentu lu core
Chi mi strughie e strappa in pettu…
Tantu fu forte u dulore53.
53. Ibidem, p. 30-45. « Hélas ! je suis seule et abandonnée au milieu de la mer, avec ma petite
famille. Affectueusement j’aime la France, je l’aime autant qu’un fils peut aimer sa mère ;
mais cette mère ne me console pas toujours dans mes deuils./ Lorsque je croyais que toute
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LE POÈTE
Appartenant à la même génération, issu d’un même monde de la notabilité
rurale, Paoli di Taglio se lie d’amitié avec Lucciardi. Les deux poètes partagent
la même vision de la Corse, vision qui entremêle obsession passéiste et appel
au sursaut. Jean-Pierre Lucciardi aime la Castagniccia. Il ne manque jamais de
l’écrire comme il ne manque jamais de prendre des nouvelles de son ami Paoli di
Taglio. L’automne venu, le poète de Tavagna est occupé à la récolte des châtaignes et doit abandonner temporairement la plume pour la « ruspaghjola » (petite
fourche destinée au ramassage des châtaignes). Paoli di Taglio doit donc adresser ses excuses à Lucciardi. Pour se faire, il compose quatorze sizains.
Cu la manu maltrattata
Da ghicci, filette e cardi,
Vi spediscu, o sgio Lucciardi,
Una lettera pressata
Nun ci è tempu, or’ chi vulete ?
Speru chi mi scuserete.
Scrivu a lume di lumera,
A la mgliu leghierete
Speru chi pardunerete
Le mio « effe » e le mio « zete »
Mal’acconccie, or chi vulete ?
Sgio Lucciardi scuserete. […]
Simu in tempu di ballotte,
Sempre errenti a la campagna,
Per racoglie ste castagne
Si travaglia ghiornu e notte,
Sempre in aria, or chi vulete ?
Sgio Lucciardi scuserete.
Lessi e vostre tre operette,
Fatte da capu maestru ;
Chi talentu ! chi bell’estru !
Già tre volte l’aghiu lette ;
Ne sò scemu, or chi vulete ?
Sgio Lucciardi scuserete.
Ci’ole a dassi di rimenu
Per fà onore a lu curpacciu,
Fà balla nu a media u stacciu
E stà sempre a zanu pienu ;
Mai si posa, or chi vulete ?
Sgio Lucciardi, scuserete.
Nacquì piscador’ di luna,
Cusi fù lu mio destinu,
Amai sempre u mio vicinu,
Dendu un calciu a la Futuna,
Fui barroccu, or chi vulete ?
Sgio Lucciardi scuserete.
douleur cesserait parce qu’enfin j’étais devenue Française, ce fut pour moi un bien grand
chagrin de me voir assiégée par la misère et les malheurs… Pauvre infortunée !/ Quelle est,
ô mon Dieu, la cause de tant de maux ? C’est toi, Politique, mon ennemie mortelle, car avec
toi tu portes tous les maux, et l’envie, et la haine ! Maintenant, par ta faute, ici la corruption
est générale./ […] Mes enfants se combattent sans trêve. Perfidement, ils s’acharnent à la
vengeance. Ils se donnent des coups mortels, leur haine n’est jamais satisfaite et il leur est
impossible de faire régner l’harmonie parmi eux./[…] Je suis fière de mes enfants, parce
que Rome même fut jalouse de Cyrnos et que Carthage en fut jalouse aussi. Et la résistance
qu’elle leur opposa fut une résistance héroïque./ Un Corse célèbre, universellement fameux,
a fait connaître dans le monde le nom de la France. Il fut victorieux en Égypte et dans toute
l’Europe. Il fit de bonnes lois et fit régner enfin la Concorde entre le Pape et Lui./ J’avais eu
d’autres fils bien chers. Chacun connaît la vie de Sambocuccio (sic), de Sampiero, de Pascal
Paoli, qui sont peut-être sans pareils, et de beaucoup d’autres, qui ont connu la vie amère de
l’exil !/ Et combien encore qui se sont signalés dans la lutte contre le Génois, ce vil oppresseur ! Je sens que mon cœur est encore tout endolori, tant le mal fut grand ».
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LES LUCCIARDI – UNE FAMILLE CORSE DE POÈTES ET D’INSTITUTEURS
Siate u nostru Mistrale
Perchè sit’un omu di talia
Nun sarà focu di paglia,
‘ete in testa moltu sale
Son’ cunvintu, or chi vulete ?
Sgio Lucciardi scuserete.
Vi salutu e state sanu
En un resti mai cunfusa
Notte è di la vostra Musa
Sempre cull’armi a la manu
Battagliate, or chi vulete ?
Sgio Lucciardi scuserete.54
Revenons aux Canti Còrsi. C’est la même inspiration qui produit les treize
sizains de « U fornu zappatu ». En vain, la Corse appelle ses fils infidèles à la
rescousse.
Le volume des Canti Còrsi revêt aussi une portée testamentaire évidente.
Jean-Pierre le dédie à son petit-fils Charles Lucciardi. « C’est à toi, qui viens à
peine de naître, que je dédie ces Chants Corses. Sans doute, ton père et ta mère
t’apprendront à parler le corse en même temps que le français ; mais je voudrais
que tu eusses pour la langue de tes aïeux une préférence toute marquée. Et si je
te dédie ces poésies, c’est pour que tu les apprennes, quand tu seras grand, et
pour que tu les fasses apprendre à tes enfants et à tes petits-enfants, plus tard.
Tu leur diras que mon bisaïeul, Antoine-Sébastien Lucciardi, décédé en 1860, à
l’âge de 90 ans, a taquiné, lui aussi, la Muse corse et qu’il a laissé des poésies
bien meilleures que les miennes. Tu pourras les leur faire apprendre, car tu en
trouveras quelques-unes que je garde pour toi. Mon plus grand désir serait de
voir tous les enfants de la Corse parler notre langue avec élégance et l’écrire
couramment ; car un écrivain a dit : “Un peuple qui ne parle plus sa langue, est
un peuple mûr pour l’esclavage.” […] Quant à toi, j’espère que tu la parleras et
l’écriras, ne fût-ce qu’en souvenir de ton grand-père, en pensant à tout le plaisir
que tu lui feras, quand il dormira dans le cimetière… J.-P. L. Santo-Pietro-diTenda, 21 avril 1920 ».
Pour les Canti Còrsi, Lucciardi se voit décerner en mars 1921 le prix de
l’églantine par l’Académie des jeux floraux de Toulouse. Dans les Canti Còrsi, le
poète renouvelle sa déclaration de fidélité à la France ainsi que son attachement
à la langue corse. Conscient du danger qui pèse sur la langue, il écrit : « Et on
se rend surtout ridicule, quand on rougit de parler corse. Alors, on a réellement
l’air de pauvres gens qui, après s’être alliés à une famille aisée, ont honte de leur
origine. Les parents éloignés de leur femme sont beaucoup plus considérés que
leurs parents les plus rapprochés, dont ils ne font plus cas. Et pourtant, on a plus
de mérite à montrer à côté de son grand-père, même habillé en drap corse, que
si l’on est à côté d’un beau-père en gibus et en redingote. Les voilà bien, ceux
qui ne veulent pas parler corse ! “Mais… nous l’avons oublié”, vous disent-ils
sérieusement, comme si on pouvait oublier le nom de sa mère et les égards et
l’amour que nos chères aïeules ont toujours eus pour nous. Eh bien ! Corse
54. Paoli di Taglio, « Lettera di scusa », Nozze e doli, Cervioni, Adecec, 1990, p. 18-19.
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LE POÈTE
chérie, tes enfants sont dans ce cas. Ils croiraient s’humilier, s’ils parlaient la
même langue que parlaient Sambocuccio, Sampiero Corso et le vieux Cardone
d’Alando. Leur seule excuse, c’est que nous sommes Français et que nous ne
devons parler d’autre langue que le français. Ils ne savent pas que, si nos aïeux
avaient oublié aussi facilement leur dialecte, pour parler la langue de ceux qui
les gouvernaient, – par la force, bien entendu – aujourd’hui peut-être nous ne
serions pas Français. Et puis, ne pouvons-nous pas être Français et parler en
même temps notre dialecte corse ? Avons-nous jamais entendu dire que Mistral
et les Provençaux, les Bretons, etc., ne sont pas Français55 ? »
Sans mettre en doute la sincérité du propos de Lucciardi, force est de constater
que les démonstrations d’amour et de patriotisme sans faille pour la France sont
si récurrentes à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle qu’elles ne manquent
d’interroger l’historien : « Il y a quelque chose d’étrange dans tous ces propos
sur le fait d’être Français, qui abondent à la fin du siècle dernier et continuent
à proliférer jusqu’à aujourd’hui. Si les Français étaient (sont ?) aussi Français
qu’on nous a appris à le croire, pourquoi tant de questions ? En fait, les Français
ne font autant de bruit autour de la nation que parce qu’il s’agit d’un problème
réel, ou plutôt parce que cela est devenu un problème quand on a érigé la nation
en idéal et quand on s’est aperçu que cet idéal ne pouvait être atteint56. »
En 1921, dans Il Cirneo, il publie « Buletemi per maritu ? », un poème satirique de dix-huit strophes où le poète narre la quête d’un quadragénaire dans
sa quête de l’âme sœur. La même année, dans un autre almanach bastiais,
L’Artigiano, Lucciardi publie « U Calu », un texte en prose où sur un ton plaisant les progrès du féminisme.
En 1922, grâce à une large souscription publique, Jean-Pierre Lucciardi
publie U Martiriu di Santa Divota avec le texte original en corse et la traduction
française de Joseph Carabin en regard. Le texte est dédié aux sœurs du poète
« in ricunuscenza di a so grande affezzione », en reconnaissance de leur grande
affection. Sur un mode hiératique, l’auteur présente la vie de sainte Dévote,
patronne de la Corse. Il s’agit d’une pièce en quatre actes qui ne sera jamais
portée à la scène. Dans une adresse aux lecteurs, Lucciardi explique comment
l’idée d’écrire sur sainte Dévote a germé de manière toute poétique et s’est
concrétisée en mai 1920. Il y a quelques mois, un de mes amis, mon ancien
élève et mon filleul, qui aime passionnément la langue corse et notre histoire,
m’écrivait entre autres choses : « Vous savez, mon parrain, combien j’admire
A Vindetta di Lilla et Maria Jentile… Eh bien, je voudrais que vous écriviez
Le Martyre de Sainte Dévote, sujet difficile pour tout autre que pour vous. C’est
en vers qu’il doit être écrit. Mettez-vous à l’œuvre et vous n’aurez pas à vous
55. Ibid., p. 13-23.
56. Weber Eugen, La France de nos aïeux : La fin des terroirs. La modernisation de la France
rurale 1870-1914 ; Les imaginaires et la politique au XIXe siècle, Paris, Fayard, éd. or. 1983,
1991, rééd. 2005, p. 144.
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LES LUCCIARDI – UNE FAMILLE CORSE DE POÈTES ET D’INSTITUTEURS
en repentir… […] Cependant l’idée de son martyre devait me trotter par la tête,
car un soir du mois de mai passé – le neuf – ayant rencontré et salué deux jeunes
filles qui se promenaient au clair de lune, sainte Dévote me revint à la mémoire.
Je me la représentai, belle et jeune, en promenade, dans la plaine de Mariana. En
rentrant chez moi, j’écrivis les cent premiers vers du drame. Et je n’ai plus eu de
repos tant que le dernier vers ne fut pas terminé, le neuf juin »57.
L’instituteur-poète réclame le retour en Corse des « ossements saints et vénérés » de sainte Dévote. Dans sa préface, J. Carabin écrit : « L’auteur de Maria
Jentile, de la Vindetta di Lilla et des Canti Corsi couronnés par les félibres de
langue d’oc, évoque à la fin de son œuvre émouvante, l’âme de la Sainte Martyre
et lui fait annoncer que ses restes, un jour, reposeront dans une église chrétienne
de son pays et qu’alors la Corse connaîtra enfin le bonheur et la prospérité »58.
La scène se déroule dans la ville de Mariana, puis à Monaco, en l’an
303, sous le règne de Dioclétien. Une quinzaine de personnages est présent :
Dévote, jeune fille de famille noble de Mariana ; Eutychius, sénateur romain
de Mariana ; Bennatus et Appolinaire, religieux chrétiens ; le préfet de la ville
de Mariana ; Barbarus, gouverneur de la Corse ; Ponzianus, sénateur et renégat
corse ; Centurion, sicaire à la solde des Romains ; Julie, l’institutrice et l’amie
de Dévote ; les compagnes de Dévote ; Gratien, un pêcheur corse ; les sbires,
soldats des milices romaines ; la haute aristocratie de Mariana ; le peuple qui
assiste au sacrifice.
Avant que le rideau ne tombe sur la scène, le drame se termine par une invocation à sainte Dévote.
Di la so Corsica cara
Divota un si scurdarà ;
Ella sempre pe li Corsi
U Signore pregherà,
Ch’Ellu i franchi da i tiranni,
Da li guai e da l’affanni.
Ind’i seculi futuri,
Quandu cambiaranu e cose,
Dumandu chi le mio osse,
Ma da mane assai pietose,
Sianu interrate in Mariana
In d’una chiesa cristiana.
Sopratuttu pregherà
Ch’elli restinu sinceri
A la duttrina di u Cristu,
A i so dogmi, a i so misteri ;
Pratichendu i sacramenti
Sempre di piu in piu cuntenti.
Tandu si chi bidarete
A Corsica imbiliata,
Perchè a notra religione
Sola, sarà praticata.
E pertuttu regnerà
A piu gran prusperità.
57. Lucciardi J.-P., U Martiriu di Santa Divota (Le Martyre de Sainte Dévote). Traduction
française en regard, Paris, Société parisienne d’imprimerie, 1922, p. 15.
58. Ibidem, p. 19.
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LE POÈTE
Intantu preghemu tutti
Cun curaggiu e cun fervore,
Chi Gesù sempre ci dia
Pace, saviezza… e l’onore
Di martà, quantu ha decisu,
A la morte, u paradisu.59
En avril 1922, le Martiriu di Santa Divota est présenté au concours de poésie
en langue d’oc. Bien accueilli par le jury, l’ouvrage est primé par l’Académie des
jeux floraux de Toulouse. En quête de reconnaissance, Lucciardi avait adressé deux
exemplaires de son ouvrage à caractère religieux au pape qui le remercia par l’entremise du cardinal et secrétaire d’État Pietro Gasparri60, protagoniste des accords du
Latran entre le Saint-Siège et le royaume d’Italie. Toutefois, l’accueil du Martiriu
di Santa Divota n’est pas si enthousiaste que l’auteur aurait pu l’imaginer. Dans un
long article publié dans la revue irrédentiste Corsica Antica e Moderna, le poète
Anton Francesco Filippini compare le Martiriu di Santa Divota au Polyeucte écrit
par Pierre Corneille, le « Père de la Tragédie ». À bien y regarder, il y a quelque
chose de cornélien dans l’œuvre dramatique de Lucciardi : la volonté et l’héroïsme,
la grandeur d’âme et la plénitude des sentiments, une rupture irréductible entre
deux points de vue.
Une fois encore, Anton Francescu Filippini fait montre de sévérité et trouve
l’ensemble du texte décevant : « Forma e sostanza d’altronde si valgono in questo
tristo compimento, che ci si è voluto presentare col nome di dramma. Se arte significa innanzi tutto originale produzione di sintesi, dobbiamo purtroppo riconoscere
che le capacità creative del poeta invecchiato erano lungi dal trovarsi all’altezza del
difficile compito. Non abbiamo dunque paura di preferire a questo mancato lavoro,
scadente in ogni sua parte e in ogni suo elemento, il delicato dramma popolaresco
che s’intitola A Vindetta di Lilla61 ».
En 1924, Jean-Pierre Lucciardi publie ses Cose Andate. Il s’agit d’un recueil
que Petru Rocca décrit comme une « touchante manifestation de piété filiale62 ».
Grosso modo, Lucciardi reprend les textes en vers et en prose publiés quelques
59. Ibid., p. 272-275. De sa Corse chérie, Dévote ne perdra jamais le souvenir. Et pour les Corses,
toujours, elle priera le Seigneur, pour qu’il la délivre des tyrans, (et lui épargne) les maux et
les tourments./ Elle priera surtout, pour qu’ils restent sincèrement attachés, à la doctrine du
Christ, à ses dogmes et à ses mystères, en fréquentant les sacrements, toujours de plus en plus
contents./ C’est alors que vous verrez, la Corse enviée (de tous), parce que notre religion, y
sera, seule, pratiquée. Et régnera partout, la plus grande prospérité./ En attendant, demandons
tous, avec courage et ferveur, que Jésus nous donne toujours, Paix, Sagesse… et l’honneur de
mériter (ainsi qu’il en a décidé), après notre mort, le Paradis.
60. Voir Annexe 8. Les deux exemplaires adressés au Vatican sont conservés à la Bibliothèque
apostolique sous les cotes suivantes : MAG/STAMPATI/R.G.Lett. Est. IV.1153 ; MAG/
STAMPATI/R.G.Lett. Est. IV.621.
61. Filippini, art. cit., p. 55.
62. Rocca Pierre, Connais-tu la Corse ?, Paris, Agence parisienne de distribution, 1965, p. 187.
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LES LUCCIARDI – UNE FAMILLE CORSE DE POÈTES ET D’INSTITUTEURS
années auparavant dans les Canti Còrsi. On note cependant quelques ajouts comme
les poèmes « U mandile di capu », « A mio biografia » qui sert d’introduction au
recueil. Un texte en prose est publié : « U Zenu e u Fiaschettu ». Le nouveau recueil
est salué par la critique et l’abbé Carlotti, Appinzapalu pour la littérature d’expression corse, lui consacre d’élogieuses remarques dans le journal autonomiste A
Muvra au mois de mars 1925. Lisons plutôt : « A Musa di Juvan Petru Lucciardi,
dipoi una vintina d’anni, empie a Corsica di strofe alate e di prose chiare, armoniosu tesoru chi va criscendu ogn’annu e face e delizie di u populu chi sà leghie
e, forse ancu piu, di quellu chi un sapendu leghie ritene, a memoria, cio ch’ellu
sente. Ricca e preziosa è l’opera di u nostru amicu ! Si appresenta cume e so belle
macchie chi verdieghianu, a u sole veranincu, mustrendu sopra e vecchie e cacciate
nove stellate di fiurucci diversi, occhi di latte e d’oru chi s’aprenu mudesti e casti
tra e palpebre lustrate di a fronda63. »
Jean-Pierre Lucciardi entretient de bonnes et cordiales relations avec l’équipe
du journal A Muvra qui en gage de reconnaissance ouvre ses publications aux
contributions du poète-instituteur. Par ailleurs, gage de reconnaissance supplémentaire, la « Libraria di A Muvra », librairie installée au 38 Cours Grandval à Ajaccio,
commercialise quelques-uns des ouvrages et recueils de Lucciardi. En 1926, on y
vend les Canti Corsi et U Martiriu di Santa Divota au prix respectif de dix francs ;
Maria Jentile, A Vindetta di Lilla et Cose Andate au prix de quatre francs ; I galli
rivali pour la modique somme d’un franc.
Si Lucciardi reste indéfectiblement attaché à la France, la voisine Italie ne lui
est pas inconnue. La propagande irrédentiste tente vainement de l’enrôler sous son
drapeau. Dans les colonnes de L’Idea Nazionale, Oreste F. Tencajoli ne dissimule
son intérêt pour Lucciardi : « Il Lucciardi conosce e dama l’Italia ove non mancano
estimatori dell’opera sua : la nostra letteratura classica antica e moderna gli è
famigliare, ed allorchè anni sono, per deliberazione, credo, del Ministro della
Pubblica Istruzione, venne tradotto nei varii dialetti italiani, l’episodio delle noci dei
Promessi Sposi, fu egli ad essere incaricato di volgerlo nel vernacolo corso64. »
Plus tard, peu avant de mourir, Lucciardi lorgnera du côté de la Sardaigne voisine
et adresse ses publications à Grazia Deledda (1871-1936) qui en rendra compte
dans la revue Mediterranea. En retour, le prix Nobel de littérature de l’année 1926
l’invite à mieux faire connaître la littérature corse au public italien65. L’instituteur63. Carlotti Dumenicu, « Cose Andate di Juvan Petru Lucciardi », A Muvra, marzu 1925.
64. Tencajoli Oreste F., « Giovan-Pietro Lucciardi », L’Idea Nazionale, sabato 5 luglio 1924.
65. « Egregio Signore, La ringrazio vivamente per l’omaggio delle sue pubblicazioni, di cui sarà
fatta recensione in Mediterranea. S’ella, come molti scrittori còrsi hanno fatto o promesso,
vorrà essere tra i nostri collaboratori, ci farà cosa gratissima e contribuirà a far conoscere in
Italia la letteratura corsa dialettale. Si scriva pure in dialetto. Non c’è nessuno in Sardegna
che non lo comprenda. Li invierò qualche pubblicazione sarda. Saluti cordiali, G. Deledda ».
Lettre sur papier à en-tête « Mediterranea, rivista mensile di coltura – la redazione » adressée
par Grazia Deledda à Jean-Pierre Lucciardi. Voir Annexe 7.
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LE POÈTE
poète apprécie les ouvrages où Grazia Deledda décrit l’univers agropastoral de la
Sardaigne.
Dans l’œuvre de Lucciardi, la femme qu’elle soit mère, épouse ou sœur occupe
un espace important. Au soir de sa vie, gagné par la nostalgie, Jean-Pierre Lucciardi
dresse un tableau un peu naïf de la vie quotidienne dans le Santo-Pietro-di-Tenda
de son enfance, sans doute quelque peu idyllique, d’un foyer où la mère est une
vraie femme au foyer, sans cesse soucieuse de sa famille, tenant une maison où
tout est paisible. Leur nourriture sobre, leur propreté, la simplicité de leurs mœurs,
leurs habitudes, leur vie même contribuent à la santé et à la robustesse des enfants.
La mère est notamment chargée de la transmission de la langue.
Sur le terrain des imaginaires linguistiques, les femmes corses se voient attribuer le mérite de conserver la pureté de la langue.
Dans L’Annu Corsu 1924, il publie les trente-trois sizains de « Glorie Corse »,
un sonnet intitulé « U Jornu d’i Morti » mis en musique par E. Biaggini, dix-huit
sizains consacrés à « Napulione », vingt-huit sizains dédiés à « Pontenovu66 ! ».
Le 24 août 1924, Jean-Pierre Lucciardi prend part à la première « Mirindella
d’i pueti corsi in Vizzavona », rencontre des poètes corses à Vizzavona. Les clichés
reproduits dans la presse corsiste montrent un banquet présidé par Santu Casanova
qui fait figure de patriarche et de père de la littérature corse. Il ne manquera jamais de
voir en lui le rénovateur de la langue et de l’esprit corses. Jean-Pierre Lucciardi qui
est assis à ses côtés aura toujours un respect immense pour le patriarche des lettres
corses et lui dédie de nombreux sizains. En février 1927, Lucciardi participe à la
souscription publique lancée pour la publication des œuvres de Santu Casanova.
Pour l’occasion, le poète « U Strampalatu » adresse à tous les poètes réunis un
salut composé de huit sizains. Dans le salut, Lucciardi est associé à Casanova.
Di li cursist’unit’evviva i capi,
Anfarti vecchj ma sempre gagliardi,
D’i letterati corsi evviva i bapi,
Evviva Casanova cun Lucciardi,
Cun elli evviva lu Saviu Marchetti
Chi palesa di a lingua li difetti.67
À son tour, Lucciardi répond par un salut constitué de vingt sizains adressés à
tous les poètes réunis sur les sommets. L’Almanaccu di A Muvra per 1925 publie
les quinze sizains déclamés par Lucciardi lors d’une « Merendella ». Le poète
appelle de ses vœux l’enseignement de la langue corse.
Bisogn’a fà una chiama generale,
66. Lucciardi Ghjuvan Petru, « Glorie Corse », « U Jornu d’i Morti », « Napulione », « Pontenovu ! »,
L’Annu Corsu 1924, 1923, p. 164-176.
67. U Sampetracciu (Ghjanettu Notini), « Prima merendella di i pueti », U librone di A Muvra per
1937, 1936, p. 24.
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LES LUCCIARDI – UNE FAMILLE CORSE DE POÈTES ET D’INSTITUTEURS
Sinnò la lingua corsa un si ripiglia,
Ci vole a ragiunà tutt’in famiglia,
Or tandu un sarà piu straordinariu
Di fà grammatica e diziunariu. […]
Ajò, pueta Corsi, e voi scrittori ;
Femu pe a Lingua Corsa una cruciata.
Ci vòle ch’in d’e scole sia imparata
A li sculari, da li prufessori.
Ma chi si faccia fatti e non parole…
A dicila un altr’annu, si Diu vole.68
Le 3 août 1925, le monument aux morts de Pontenovu est dévoilé. Pour
la circonstance, Lucciardi compose vingt-deux sizains qui sont déclamés en
public69. L’Almanaccu di A Muvra per 1926 rend longuement compte de la
manifestation sur les berges du Golo. Après l’allocution de Santu Casanova,
Lucciardi monte à la tribune. « U gran pueta di San Petru di Tenda, Ghiuvan Petru
Lucciardi è annunciatu e face sciuchittà e sciaccamanate70 » écrit l’Almanaccu
avant de reproduire le long poème. Après Lucciardi, Maistrale monte à son
tour à la tribune. L’Almanaccu di A Muvra per 1926, rend également compte
de « A Siconda Mirindella d’i pueta Corsi » qui se déroule à Santo-Pietro-diVenaco, le 1er août 1925. Santu Casanova préside et arbitre les joutes poétiques.
Jean-Pierre Lucciardi est à ses côtés. Casanova prend la parole pour saluer ses
frères en poésie et en premier lieu les premiers collaborateurs de A Tramuntana :
Anton Marcu Peretti (1861-1942), maire de Pianello, dit Pincu ; Maistrale ;
Dominique Andreotti (1868-1963) dit Minicale, poète d’Evisa ; Jean-Pierre
Lucciardi est le premier à être salué : « Lucciardi ch’ha betu dipoi a zitillina a le
funtane di e muse e ha scrittu cu tanta poesia i pezzi piu scelti chi tutti lighiemu
e rilighiemu sempre piu vulinteri71 ». Lors de cette rencontre, Lucciardi déclame
dix-sept sizains d’une belle poésie :
Eccuci ritti, e pronti pè a Cruciata
In favore di a lingua dolce e chiara,
68. Lucciardi Juvan Petru, « O cari cunfratelli, vi salutu », Almanaccu di A Muvra per 1925, 1924,
p. 53-54.
69. Lucciardi J.-P., A i morti di Pontenòvu per l’inaugurazione di u Monumentu cumemorativu di
u 9 maghiu 1769 (3 agostu 1925), Aiacciu, Stamparia di A Muvra, 1925, 4 pages.
70. « Le grand poète de Santo-Pietro-di-Tenda est annoncé et est accueilli par des applaudissements ». « Sulenne inaugurazione di a Croce di u Ricordu in Pontenòvu, u 3 agostu 1925 »,
Almanaccu di A Muvra per 1926, 1925, p. 23-29.
71. « Lucciardi qui a bu depuis l’enfance à la fontaine des muses et a écrit avec tant de poésie des
morceaux choisis que nous lisons et relisons tous volontiers ». « A Siconda Mirindella d’i pueti
Corsi, data in San Petru di Venacu u 1 agostu 1925. » « Inaugurazione di u Teatru corsu di
A Muvra », Almanaccu di A Muvra per 1926, 1925, p. 68.
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LE POÈTE
Chi nantu e so dinocchie a ci ha imparata
A nostra mammarella cusì cara,
Cun raconti, preghere, e duttrinella,
Cu a so voce amurosa e cusì bella.
U còrsu parlaremu in casa e in chiesa ;
P’e piazze, in d’i pretorj, in tutte e scòle ;
Per chi sta chiama in Cirnu sia intesa
Da e mamme, incuraggite cu e figliòle,
A preferenza, saranu impiegati
I termini puliti piu sinnati.
Cusì u nostru parlatu piacerà
Ancu a la jente piu capìta.
Di a nostra lingua un c’emu da scurdà,
Altrimente per sempre c’è nebbìta
A piu cara di e suddisfazione :
D’avè una Patria a se, d’avè un fucone.72
Le 15 avril 1928, Lucciardi publie dans les pages du Petit-Bastiais une « cumediola » intitulée « In piezza a paese ». L’auteur narre la conversation qui se noue
entre Marcucciu, le maire d’un village imaginaire qui peut être n’importe quel
village de Corse, et Lellu, le berger. La discussion évoque la politique, le combat
électoral entre Moro-Giafferi, « u primu avucatu di Francia e d’Auropa », et
Pierangeli, l’ingérence du clergé dans les affaires politiques73. De toute évidence,
c’est le dernier article publié par Jean-Pierre Lucciardi dans la presse insulaire.
Conscient de la dispersion de son œuvre dans les journaux et dans les revues,
Jean-Pierre Lucciardi songera à publier un recueil intitulé Canti, Sunetti e Prose.
Paul Arrighi avait rédigé la préface de ce qui devait être un gros volume qui resta
malheureusement inédit. Sur ce point, la revue U Lariciu précise que l’auteur
« a un manuscrit prêt à paraître qui comprendra une quarantaine de chansons ou
poèmes, quinze à vingt sonnets et une vingtaine d’articles en prose, mais les prix
d’imprimerie sont en ce moment inabordables74 ».
72. « Nous voilà debouts et prêts pour la croisade en faveur de la langue douce et claire apprise de
notre petite mère chérie avec des contes, des prières prononcés d’une voix affectueuse et belle.
Nous parlerons corse à la maison et à l’église, sur nos places, dans les tribunaux et dans toutes
les écoles. Pour que cet appel soit entendu dans toute la Corse, par les mères encouragées et
par leurs filles, nous emploierons les mots les plus purs et les mieux appropriés. Ainsi notre
langue sera appréciée même par les personnes les plus cultivées. Nous n’oublierons pas notre
langue…
73. Lucciardi J.-P., « In piezza a paese », Le Petit Bastiais, 15 avril 1928.
74. U Lariciu, « Biographies régionalistes : J.-P. Lucciardi », U Lariciu, rivista trimestriale di
litteratura e arti regionalisti corsi, Uttobre 1926, n° 1, p. 5-6.
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La Grande Guerre
L’intelligence ne vaut qu’au service de l’amour.
Antoine de Saint-Exupéry
De manière lancinante, l’œuvre de Jean-Pierre Lucciardi reprend l’antienne
du patriotisme national et du patriotisme local. L’instituteur a cinquante-deux
ans lorsque la Première Guerre mondiale débute. Dès lors, la Grande Guerre qui
explose à son regard occupe une part considérable dans son œuvre. Le conflit et
ses répercussions insulaires maculent ses pensées de boue et de sang et ne font
qu’accroître le sentiment de communion nationale.
En août 1914, quelques jours après le début des hostilités, Lucciardi publie
un sonnet en première page du Petit Bastiais. Pour lui, l’heure de la revanche est
venue. Il faut venger Sedan, reprendre l’Alsace-Lorraine. Il faut porter le fer en
Prusse et en exterminer la population ! Le ton est donné. On ne fait plus dans la
dentelle. Ce patriotisme exacerbé, hargneux et violent qui domine dans la société
française, est également partagé par nombre d’intellectuels et d’instituteurs.
Eviva ! È puru juntu lu mumentu
Di a Rivincita santa e benedetta !
So quaranta quattr’anni chi s’aspetta
Per andà in Prussia a purtà lu spaventu.
Si parli tutti, lesti cume u ventu,
A sterminà sa razza maladetta ;
Cu piombu e focu, per nostra vindetta,
Su populu dev’esse struttu e spentu.
Allegri ! U mondu interu face festa :
Per ogni locu luce un sole chiaru,
E per sempre calmate è la tempesta.
O Corsi, chiughi o grandi, tutti apparu,
Currimu a strigne forte, cun dilettu,
A Lorena e l’Alsazia, a u nostru pettu.1
Par la plume ou les armes à la main, les instituteurs prennent une part active au
combat qui s’engage. Le 10 septembre 1914, Le Petit Bastiais titre « Le premier
instituteur corse mort à l’ennemi ». Le quotidien annonce que « Gino Giagnoni,
1. Lucciardi J.-P., « A Rivincita », Le Petit Bastiais, n° 228, jeudi 20 août 1914.
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LES LUCCIARDI – UNE FAMILLE CORSE DE POÈTES ET D’INSTITUTEURS
sorti de l’École normale d’Ajaccio, était instituteur à Olmeta-de-Nonza. Fiancé
à une excellente jeune fille de Bastia, il devait célébrer son mariage le 7 août.
Il est le premier instituteur Corse mort à l’ennemi, laissant ainsi à ses élèves et
à ses collègues un bel exemple de courage et de patriotisme, et à sa famille, à
sa fiancée, éplorées, le souvenir d’une vie pleine d’espérances fauchées par une
mort dont elles sont en droit d’être fières »2.
En Corse aussi, l’Allemand cristallise toutes les haines. Le 6 octobre 1914, le
Petit Bastiais entame la publication du feuilleton L’Ogre des casques à pointe.
Drame vécu des Jours Noirs de 1870-71, par Armand de Lanrose.
Le système éducatif participe à renforcer le sentiment patriotique. Le
31 octobre 1914, Le Petit Bastiais publie une longue lettre circulaire où
A. Thalamas, vice-recteur de la Corse, demande aux maîtres de consacrer à
une leçon patriotique dès les premiers jours de novembre, au lendemain de la
fête des morts3. Le 3 novembre 1914, en présence du vice-recteur et devant
500 élèves, Dominique Fumaroli (1856-1936) fait une leçon de rentrée au
Théâtre municipal de Bastia. Jean-Pierre Lucciardi est présent. Le conférencier n’est pas un inconnu. Originaire d’Eccica-Suarella, Fumaroli est directeur
d’école à Bastia. Il est également l’auteur de compositions littéraires et de
petites études à caractère historique qu’il signe souvent de son nom d’emprunt : « Ceppo d’Ogliastro ». Fumaroli sait haranguer son jeune auditoire.
Fumaroli convoque les grandes figures de l’Histoire de France : Roland et son
cor, Jeanne d’Arc, Bonaparte à Toulon, à Lodi, à Arcole… Fumaroli redouble
de patriotisme : « Cette union de tous les Français qui s’est faite instantanément, n’est pas la moins remarquable des belles choses qui se sont produites
depuis l’ouverture des hostilités. Pour nous Corses, la France sera toujours
la grande patrie, celle que nos pères ont aimée et servie fidèlement depuis
Charlemagne. Elle doit être contente puisque 40 000 des nôtres sont à la frontière et s’y conduisent en vaillants. Nos aïeux ont combattu, un contre dix ; que
sert le nombre pour qui défend ses droits, son foyer ? Le patriote ne le craint
pas ; il sent ses forces redoubler, son amour s’accroître, car la mort est une vie
nouvelle et rien n’est plus beau que de se sentir les coudes dans le repos des
siècles »4.
Comme tous les villages de Corse, Santo-Pietro-di-Tenda subit de plein fouet
les lourdes conséquences du conflit. Le Livre d’Or des Corses tombés au Champ
d’honneur égrène l’interminable et macabre litanie des noms, prénoms et grades
2. « Le premier instituteur corse mort à l’ennemi », Le Petit Bastiais, n° 248, jeudi 10 septembre
1914.
3. Thalamas A., « Leçon patriotique de rentrée », Le Petit Bastiais, n° 300, samedi 31 octobre
1914.
4. « Leçon de rentrée faite au théâtre municipal, le 3 novembre 1914, par M. Fumaroli », Le Petit
Bastiais, n° 304, mercredi 4 novembre 1914.
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LA GRANDE GUERRE
des poilus insulaires classés par commune. Pour Santo-Pietro, les pertes sont
sévères : soixante-cinq enfants sont morts lors des combats5.
À maintes reprises et dès le mois d’août 1914, le poète-instituteur loue dans
la presse locale le sacrifice des soldats et officiers corses qui sont engagés dans
le conflit. Lucciardi exalte le lieutenant Cesari qui en découd dans les airs6.
L’instituteur-poète ne manque pas non plus de vilipender Guillaume II, comparé
à Attila, à Néron ou à un monstre sanguinaire.
Un si passa, o Gugliè ? Joffre s’oppone
U regnu di lu reo un po durà ;
A Justizia, u Dirittu e a Libertà,
Incatenanu e to prutensione.
Un ci vale la spada ne u cannone,
Ne di e to truppe vile a crudeltà.
Dinenzu a Francia ti devi inchinà,
E abbassà di l’orgogliu u paviglione.
Cridia propriu chi u to cerbellu,
Di Napulione avessi lu talentu ?…
Mi vergognu a paragunatti ad Ellu,
O nerpia, piena di fele e di ventu,
Cun Attila e Nerone, site i soli,
A scannà i vecchj, e mamme e li figlioli.
Bastia, 26 ferraghiu 1916.7
Si Guglielmu ci stendissi la manu,
Sputà, li vuleria, a prima, annantu. »
Oh chi nobile orgogliu ! oh ch’odiu santu !
Ste parullucce d’oru a noi ci danu.
E nostre donne, anch’elle, buleranu
Piglia da voi un esempiu tamantu,
Bravissima Signora ! E lu so piantu
In gride di indetta sfogaranu.
5. Livre d’Or des Corses tombés au Champ d’honneur, promus dans la Légion d’honneur ou cités
à l’ordre de l’armée pendant la guerre de 1914-1918, Paris, Draeger imp., 1925, p. 75-76.
6. Lucciardi J.-P., « A u tenente Cesari, sunettu », Le Petit Bastiais, mercredi 26 août 1914.
7. Lucciardi J.-P., « Un si passa. Sunettu », Le Petit Bastiais, mardi 29 février 1916. « On ne passe
pas, Guillaume ? Joffre s’y oppose/Le règne du criminel ne peut durer/La justice, le droit et la
Liberté/Entraveront tes prétentions ».
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LES LUCCIARDI – UNE FAMILLE CORSE DE POÈTES ET D’INSTITUTEURS
U nimicu crudele, furbu e indegnu,
Dev’esse sempre da noi abburritu,
Fin chi ci resterà, di fiatu, un segnu.
Possamu, prestu, vedelu avilitu,
Murendusi di sete, pocu a pocu,
Senza truvà ricattu in nisun locu.
Bastia, 4 marzu 1916.8
Un sonnet appelle à venger les plus de 500 victimes du navire « Balkan »,
navire torpillé au large de Calvi par les Allemands.
Chi l’Alemagna
Un desertu diventi ;
« E lu Francese
Pe i so divertimenti,
Possa spellà donne e ommi
E lascialli esposti a i venti,
E a lu freddu piu crudele,
Unti d’acetu e di fele (« Lamento sopr’a tragedia di u “Balkan” »)9.
Lucciardi écrit un « Cantu corsu », une sorte d’hymne ou de chant de marche
qu’il destine « A i Corsi chi so nant’a fruntiera », aux Poilus corses qui sont sur
la frontière.
Ajò, Corsi ! lu cornu sfiamazza
E rimbomba per ogni cuntrata ;
Cispra cinta e cherchera imbuffata
Currimu prestu, tutti a la guerra.
Ricòcca lu cornu
E strepita e rughia,
E quand’ellu mughia
All’erme ci chiama.
Scòte lu sangue u sonu d’u cornu,
Face d’un Corsu un beru guerrieru,
Ognunu si lampi, arditu e fieru,
Imbalestrtu nantu a fruntiera.
Ricòcca lu cornu…
8. Lucciardi J.-P., « A la Signora Marie-Emilie Réallon. Sunettu », Le Petit Bastiais, lundi 6 mars
1916.
9. Lucciardi J.-P., Lamento sopr’a tragedia di u « Balkan », s.l., s.e., 1918, p. 12. Que l’Allemagne/
devienne un désert ;/Et que le Français/puisse pour son plaisir,/écorcher les femmes et les
hommes/Puis les exposer à tous les vents,/Et au froid le plus cruel,/Oints de vinaigre et de fiel.
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LA GRANDE GUERRE
Ajò, Corsi lascemu a pulitica ;
A Francia è cara cume una mamma
A populu fattu, a la so chiama
Ci’òle a difende la so bandera.
Ricòcca lu cornu…
Un bile nimicu preputente
E sanguinariu piu che Nerone,
Bòle ch’in Francia, in ogni fucone
S’annidi la Morte e Mammapiera.
Ricòcca lu cornu…
Ghietta pertuttu focu e spaventu
Per ogni locu sumena dòlu ;
A corcia vecchia pienghie u figliolu,
A tinta giovana s’addispera.
Ricòcca lu cornu…
Quante jente ammantate di neru !
L’Alemanacciu face spavecchiu.
Di u nostru sangue giovanu e becchiu,
Sempre ne sperghie, matina e sera.10
Dans « Roròsa 11 », « Lauretta 12 » et « A Staffetta », courts tableaux en prose
composés et publiés avec l’assentiment de la censure, Lucciardi exalte une fois
10. « Allons, Corses, le colombo fait rage et retentit partout. Fusil à l’épaule et cartouchière bien
garnie, vite courons tous à la frontière !/ Le son du colombo éclate, crépite et rugit. Ses mugissements sont des appels aux armes !/ Le son du colombo agite le sang et fit d’un Corse un vrai
guerrier. Que chacun, hardi, fier et bien armé, vole aussitôt à la frontière !/ Le son du colombo
éclate…/ Allons, Corses, plus de politique ! La France est aussi chère qu’une mère. Courrons
à son appel ; il faut défendre son drapeau./Le son du colombo éclate…/Un vil ennemi, tout
puissant et plus sanguinaire que Néron, répand la désolation et la misère dans chaque ménage
de France./Le son du colombo éclate…/ Il jette partout l’épouvante et l’horreur, par le fer et par
le feu, il sème les deuils : la pauvre vieille pleure son enfant ; la jeune fille, son fiancé./Le son
du colombo éclate…/ Que de femmes habillées de noir ! Le boche fait partout des ravages. Nuit
et jour, il répand notre sang généreux. Le son du colombo éclate… ». Lucciardi, Canti Corsi,
1921, p. 88-91.
11. Lucciardi J.-P., « Lauretta », L’Artigiano, Lunario corso popolare per l’anno 1918, Bastia,
Stamperia e libreria Ollagnier, 1917, p. 37-41.
12. « Lauretta avait dix-huit ans, quand vint la mobilisation, et son fiancé, Anton-Petru, en avait
dix-neuf. Quelques jours après la déclaration de guerre à l’Allemagne, Lauretta lui disait en
sanglotant : – Pourquoi, Anton-Petru, n’as-tu pas encore devancé l’appel pour voler au secours
de la France ? – Tu sais, Lauretta, à quel point je suis patriote et combien j’aime la France,
répondit Anton-Petru. Mais je t’aime plus que tout, et je ne peux te quitter. Je mourrai de
douleur si je devais vivre loin de toi. – Je n’ai jamais mis en doute l’amour que tu me portes,
parce que je sais combien je t’aime aussi, mais nous savons que la France doit passer avant les
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LES LUCCIARDI – UNE FAMILLE CORSE DE POÈTES ET D’INSTITUTEURS
encore le sacrifice des soldats corses versant leur sang pour la France et magnifie
l’abnégation des mères, des épouses et des filles.
On comprend pour quel motif, Lucciardi affiche avec une infinie précaution
des sentiments d’attachement à l’unité nationale. « L’Alemanacciu » (l’allemand
infâme, le boche), responsable de la guerre, devient en Corse comme partout
en France l’auteur de toutes les cruautés. La représentation de l’adversaire,
l’Allemand, ou plutot le Prussien, mériterait une étude. Certains livres d’histoire
présentent, par exemple, des récits d’atrocités allemandes commises en 187013.
Olivier Loubes explique qu’à l’école de la guerre, la nation comme l’éducation
refont leurs armes, retrempèrent leurs âmes, dans l’expérience de la meurtrissure
et de la disparition des corps comme des idéaux. L’exaltation patriotique y fut
portée à l’incandescence, les écoles, publiques ou privées, étant devenues parties
prenantes d’une culture de guerre qui mobilisa la jeunesse française, convaincue
de la nécessité de la destruction de l’ennemi14.
La fin des hostilités et la victoire de la France est célébrée par Lucciardi dans
le poème « Allelluja ! Allelluja ! », composé à Santo-Pietro le 1er décembre 1918
et publié dans L’Artigiano de 191915.
En 1924, saisissant l’occasion de l’inauguration du monument aux morts,
Lucciardi salue en dix-neuf sizains le sacrifice des soldats de son village natal,
morts « per a patria, u dirittu e a liberta16 ».
5
O quantu ch’eranu allegri e cuntenti
A sera di a mubilisazione !
Per elli era, lu rughiu di u cannone,
A voce cummuvente d’i lamenti
D’una mamma ferita, ma ch’aspetta
I figlioli, per fà la so vindetta.
6
A vindetta di e piaghe di u Settanta,
Sempre aperte, a lu core insanguinatu.
E’ l’istessu nimicu, piu adiratu.
Chi ci assalta cun crudeltà tamanta.
13.
14.
15.
16.
fiancées et avant les mères, parce qu’elle est la mère de tous, et aussi des orphelins ». Lucciardi
J.-P., « Lauretta », l’Artigiano per l’anno 1918, Bastia, imprimerie Ollagnier, 1917, p. 37-41.
Prost Antoine, « Les représentations de la guerre dans la culture française de l’entre-deuxguerres », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, 1994, n° 41, p. 24.
Loubes Olivier, L’école et la patrie. Histoire d’un désenchantement 1914-1940, Paris, Belin,
coll. Histoire de l’éducation, 2001, p. 19-20.
Lucciardi J.-P., « Allelluja ! Allelluja ! », L’Artigiano, Lunario corso popolare per l’anno 1919,
Bastia, Stamperia e libreria Ollagnier, 1918, p. 48.
« Pour la patrie, le droit et la liberté ».
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LA GRANDE GUERRE
Ciocchi spiega perchè partinu apparu.
Espunendusi ognun senza risparu.
7
Uni pochi un si sà duve casconu,
Ma contru lu nimicu, pettu a pettu,
Salutenduti, o Cirnu, cun rispettu.
Di la so vita t’hanu fattu un donu.
Per impedi chi un fussi viulatu
A libertà ne u Dirittu sacratu.
8
Per tutte le fruntiere n’emu avutu :
In Belgica, in Salonica, in Italia ;
In Francia, mai c’è statu una battaglia
Duve pagatu un n’abbiamu u tributu,
C’u sangue ch’offri, vuluntariamente,
Qualcunu di st’Eroi, prontu e valente.
9
E per quessa ne simu tutti fieri
Ch’elli ci faccianu tamantu onore,
Cu a so cundotta e cu lu so valore,
Surpassendu in prudigi, i gran guerrieri,
Ch’emu vulutu alzà stu monumentu
Per serve a tanta gloria d’ornamentu.
10
Per noi, avà, ste petre so sacrate.
E u Pilutu chi casca cu a bandera,
In st’attitudine nobile e fiera.
Quantu ci dà a pensà, v’imaginate.
Per sapè cumu casconu ste jente
L’idea ci travaglia sempre in mente.17
Juste après le premier conflit mondial, l’absence de sentiments patriotiques
aurait entamé son crédit auprès des autorités académiques. Comme le souligne
Maurice Agulhon « la force du patriotisme français en 1914-1918 demeure
incomparable si l’on songe à 1815, à 1940, ou même à 187018 ». Le paysage
politique français connaît de grands bouleversements.
17. Lucciardi J.-P., Per l’inaugurazione di u Monumentu di Sullati di Santu Petru di Tenda, morti per
difende a Patria, u Dirittu, e a Libertà, 1914-1918, Bastia, impr. Cordier & Fils, 1924, p. 2-3.
18. Agulhon Maurice, « Conscience nationale et conscience régionale en France de 1815 à nos
jours », Histoire vagabonde II. Idéologies et politique dans la France du XIXe siècle, Paris,
Gallimard, 1988, p. 149.
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L’histoire scolaire
L’histoire est la philosophie enseignée par l’exemple.
Denys d’Halicarnasse
En 1925, Jean-Pierre Lucciardi édite le Manualettu di a Storia di a Corsica
chez l’imprimerie Cordier et Fils. En exergue, sur la première de couverture,
Lucciardi annonce clairement ses intentions : « O Còrsi, cunsarvamu a nostra
lingua, e imparemu a nostra Storia, se no’ vulemu chi a Corsica possa dà torna omi
cume’ Sambucucciu d’Alandu, Sampieru Còrsu, Pasquale Paoli, e Napulione »1.
L’avant-propos, placé sous les auspices de « la giuventu corsa », la jeunesse corse,
précise les contours de l’entreprise : « Rammintatevi, giovani Còrsi, chi prima di
fà perte di a nazione francese, a nostra patria, a Corsica, è stata calpighiata piu
e piu volte, e imposta a tributu da tutti i populi, antichi e muderni, chi currianu
pe u Mediterraneu, in cerca di preda e di cunquiste. A so situazione, u so clima, i
so prudotti, piacianu a tutti, e ognunu ha circatu di prufittanne a e nostre spese.
Sulamente, nisun populu si pò vantà – nenzu a Francia – d’avè mai pussedutu u
core d’i Corsi, perchè hanu sempre vulutu cunservallu intattu pe a so mamma, a
Corsica, ch’elli vulianu libara, indipendente, e prospera. A nostra storia è una
lutta d’ogni jornu, una rivolta cuntinua contru i tiranni e l’oppressori di a Patria,
e sempre in favore di a santa Libertà e di l’Indipendenza. Dopu tanti seculi di
duminazione oppressiva e sprezzante, Pasquale Paoli avia riuscitu a ricustituì
a Patria, a dalli una Custituzione liberale e democratica, e un guvernu justu e
integru. E’ a storia di st’isuluccia cusi cara, o giovani Còrsi, che vi presentemu
qui, tuttaffattu in ristrettu – un vidarete che le so cime splendurente, ma ancu assai
piu belle truvarete e valle e le campagne di stu reghione, si a curiosità vi decidissi
a visitallu –, per dabbi un’idea di cos’ella fu ind’i tempi passati, prima ch’ella
fessi parte integrante di a Francia. Vidarete quantu pudete esse fieri d’esse nati
in stu paese. A nostra piu bella ricumpensa saria chi a lettura di stu libricciolu,
vi dessi u gustu e a passione di vulè circà a cunosce in detagliu, i fatti eroichi, e
le vicende ancu dulurose di a storia còrsa ; ch’ella vi fessi amà cun piu ardore
– s’ell’è pussibile – quelli vecchj ch’hanu suffertu tantu pe a libertà, e chi so morti
per vulè cunservà a so indipendenza, lascenduci un riccu patrimoniu di gloria, e
1. « Corses, conservons notre langue et apprenons notre Histoire, si nous voulons que la Corse
donne encore des hommes dignes de Sambucucciu d’Alandu, Sampieru Corsu, Pasquale Paoli
et Napoléon ». Lucciardi Jean-Pierre, Manualettu di a storia di Corsica, Bastia, impr. Cordier
& Fils, 1925, couverture.
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di virtu civiche ; infine, ch’ella cuntribuissi a fabili ammirà, e sopratuttu a esse di
jornu in ghiornu piu fieri d’elli, cunservendu sempre in core u so piu caru e dolce
ricordiu »2.
Premier manuel composé en langue corse, le Manualettu apparaît comme un
compendium de l’histoire insulaire à destination de « grands élèves du primaire
mais plus sûrement à ceux du primaire supérieur »3. Tout dans le Manualettu
traduit une inclination pour l’histoire, goût que l’instituteur avait manifesté à
maintes reprises dans son œuvre en vers. Les exemples abondent. Le 9 avril
1911, Le Petit Bastiais publie un acrostiche que Lucciardi a composé à la gloire
de Pascal Paoli4. C’est le cas des vingt sizains inédits de « Cristofanu Culombu »,
poème composé en septembre 1922 et dédié « A u sciò Petru Capifali » pour
célébrer les présumées origines calvaises du découvreur du Nouveau Monde5.
C’est aussi le cas des dix-huit sizains de « Napulione » publiés dans L’Annu
Corsu di 1924. C’est encore les vingt-deux strophes de Sambucucciu d’Alandu,
dédiées à Alexis Marchetti, son ancien élève.
2. « Jeunes Corses, n’oubliez pas qu’avant de faire partie de la nation française, notre patrie,
la Corse, a été écrasée plus d’une fois et soumise au tribut de tous les peuples, antiques et
modernes, qui sillonnaient la Méditerranée en quête de proies et de conquêtes. Sa localisation, son climat, ses produits étaient appréciés de ceux qui s’en emparaient à nos dépens. Par
ailleurs, avant la France aucun peuple ne peut se vanter d’avoir possédé le cœur des Corses
qui voulait conserver intact leur amour pour la mère Corse qu’ils voulaient libre, indépendante et prospère. Notre histoire est une lutte de chaque instant, une révolte perpétuelle
contre les tyrans et les oppresseurs de la Patrie, un combat en faveur de la sainte Liberté et
de l’Indépendance. Après tant de siècles de domination oppressive et méprisante, Pasquale
Paoli avait réussi à reconstruire la Patrie, à lui donner une Constitution libérale et démocratique, et un gouvernement juste et intègre. Jeunes Corses, c’est l’histoire de cette petite
île si chère à nos cœurs que nous vous présentons ici en résumé. Vous n’observerez ici que
ses splendides sommets et si la curiosité vous entraîne dans les recoins et les champs de ce
pays avant qu’il ne fasse partie intégrante de la France, vous serez sous le charme de cette
histoire. Vous verrez combien vous pouvez être fiers d’être nés dans ce pays. Notre plus
grande récompense serait que la lecture de ce petit livre, vous donne le goût et la passion de
vouloir connaître dans les moindres détails, les faits héroïques et les événements même tragiques de l’histoire corse. Que cet ouvrage puisse vous faire aimer avec plus d’ardeur – si cela
est possible – les vieillards qui ont tant souffert pour la liberté et qui sont morts pour vouloir
conserver l’indépendance, laissant un riche patrimoine de gloire et d’esprit citoyen ; enfin,
qu’il contribue à vous les faire aimer et à en conserver toujours le doux et cher souvenir ».
Lucciardi, op. cit., p. 3.
3. Ottavi Pascal, Le bilinguisme dans l’école de la République. Thèse de doctorat sous la dir. de
Jacques Fusina, Corti, Université de Corse Pasquale-Paoli, 2003, p. 137.
4. Campiendi J.-P. de, (Lucciardi J.-P.) « À Pascal Paoli », Le Petit Bastiais, dimanche 9 avril
1911.
5. Lucciardi J.-P., « Cristofanu Culombu », Santu Petru di Tenda, 25.09.1922, 8 pages manuscrites.
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L’HISTOIRE SCOLAIRE
Mentre u mondu era inciuffatu
In l’ombre di l’Ignurenza,
Sambucucciu dete a i Corsi,
U primu, l’Indipendenza.
L’hanu avuta a so cumandu
D’Aleria, Balagna e Brandu.
Sambucucciu ! A lu to nome
Ci salta lu core in pettu.
Ogni Corsu lu prununcia
Cun orgogliu e cun rispettu.
Perchè ci festi gustà
I frutti di a Libertà.
Ell’è natu in di lu Boziu,
Duve lu terrenu è ingratu.
Ma disfidu di truvà
Populu piu passiunatu
Pe i so loghi, i so antenati,
E li vecchj usi passati
Fusti u primu patriottu
Corsu, a cosa dice a Storia.
O chi lezzione istrutive
Ci lascio la to memoria.
Sempre ci ne inspiraremu
Si Corsi, restà bulemu.6
Versu lu tredeci centu,
Quandu a schiavitù regnava,
Di Sambucucciu, u culombu,
Pe sti monti ricuccava ;
Chiamendu cusi, a luttà
Pe la santa Libertà. […]
Cet amour pour l’histoire de Corse apparaît dans les trente-trois sizains de
« Glorie Corse » où Lucciardi illustre et idéalise, un peu à la manière de la
Franciade de Ronsard et des Lusiades de Camões, l’histoire de la Corse à travers
ses grands personnages. Il n’est pas inutile de signaler que le poème « Glorie
Corse » est publié dans L’Annu Corsu, revue qui manifeste le souci constant de
faire « œuvre corse de bons français ».
Historia magistra vitæ et paradigme lavissien
Il convient donc de s’interroger sur la place, l’orientation et les formes que
l’histoire prend sous la Troisième République triomphante. Incarnée par la
« maîtresse de vie » de Cicéron, l’histoire semble retrouver une de ses fonctions les plus classiques : une morale en action. L’histoire ne se confond plus
seulement avec l’histoire diplomatique, la relation détaillée des guerres et des
batailles, le récit des actes mémorables des « grands », la narration érudite des
faits.
De toute évidence, la responsabilité de la direction des consciences est attribuée à l’école et à ses nouveaux clercs, les enseignants, avec une hiérarchie qui
de la communale au Collège de France, n’est pas sans rappeler celle de l’Église
catholique elle-même.
6. Cité par Querci, op. cit., p. 272-277.
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Avec l’Histoire de France élaborée par Ernest Lavisse, la Troisième
République fait de l’histoire ad usum delphini une sorte de propédeutique du
civisme républicain. Pour se faire, les programmes voulus par Lavisse font de
l’histoire enseignée dans les écoles un moyen d’exaltation patriotique et un
élément essentiel du corps de doctrine de la République. Car tout au long du siècle,
l’histoire reçoit une mission primordiale : celle de révéler la nation et de souder
l’identité du pays. La nation est une idée qu’il faut faire pénétrer dans les campagnes avec notamment la langue française et les manuels d’histoire. Eugen Weber
rappelle que, « jusqu’au Second Empire, certaines communes, trop pauvres pour
s’acheter un drapeau, étaient dépourvues de ce symbole fondamental de l’Étatnation7 ». Sur le plan pédagogique, le récit lavissien qui domine l’enseignement
pendant plus d’un demi-siècle et constitue le paradigme du manuel d’histoire.
Observant les programmes de 1882, Ernest Lavisse, historien de l’école positiviste, professeur à la Sorbonne, compose un manuel d’histoire qui connaît dès
sa première parution en 1884 un succès qui ne se démentira jamais. À travers la
France, des millions d’écoliers assimilent le « Petit Lavisse », devenu une sorte
d’« évangile de la République ». Pierre Nora souligne que le manuel lavissien
est « l’histoire d’une France autant qu’un récit de cette histoire8 ». Si Fustel
de Coulanges proclame que « le patriotisme est une vertu, l’histoire est une
science » et que par conséquent « il ne faut pas les confondre », Sedan et la
défaite de la France en 1870 hantent les esprits. C’est au nom du relèvement du
pays, des principes républicains et des valeurs laïques que les historiens mêlent
histoire et science. Dans la salle de classe, l’histoire se meut en « obsession
de la patrie qui ne peut être aimée et défendue que si ses fils ont appris, dès le
plus jeune âge, à la connaître9 ! » L’histoire lavissienne marque durablement des
générations entières d’écoliers qui intériorisent ce que le système propose, en
somme son contenu idéologique. Sur ce point, les témoignages ne manquent pas.
En 1899, Charles Péguy évoque les livres de son enfance :
« Parmi ces livres, un des plus intéressants était la petite histoire de France de
M. Lavisse, où il y avait des images, des récits, et un texte. Je pris là de la France
et de son histoire une idée commode que tout mon travail a consisté depuis à
essayer de remplacer par l’incommode image exacte10. »
7. Weber Eugen, La France de nos aïeux. La fin des terroirs. Les imaginaires et la politique au
XIXe siècle, Paris, Fayard, 2005 (1976), p. 142.
8. Nora Pierre, « Lavisse, instituteur national. Le “Petit Lavisse”, évangile de la République »,
Les lieux de mémoire, sous la dir. de P. Nora, I. La République, Paris, Gallimard, 1984,
p. 265.
9. Amalvi Christian, « Les manuels d’histoire et leur illustration », Histoire de l’édition française,
sous la dir. de Henri-Jean Martin et Roger Chartier, Paris, Promodis, 1985, tome III, p. 437.
10. Péguy Charles, Œuvres en prose complètes. Édition présentée, établie et annotée par Robert
Burac, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1987, vol. 1, p. 273.
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L’HISTOIRE SCOLAIRE
Il n’est sans doute pas vain de procéder à une relecture des manuels en usage
en Corse avant 1914 et d’en sonder par exemple les répercussions psychologiques chez un futur poilu de la Grande Guerre.
Histoire locale et histoire nationale
Ce n’est pas ici le lieu de faire l’histoire de l’obsession française de centralisation étatique qui, comme Tocqueville l’a éclairé parmi les premiers, enjambe
la Révolution de 1789, fait un pont résistant entre l’Ancien Régime et la période
contemporaine. Comme les autres États-nations, la France achève à la fin du
XIXe siècle l’écriture de son roman national. S’interrogeant sur l’idée de nation
dans les manuels, Patrick Cabanel écrit :
« Une nation est d’abord une “fabrique”, une fiction, un récit que certains
racontent inlassablement et que d’autres s’émerveillent à entendre, à lire, à
chanter, à apprendre par cœur, à répéter sous toutes les formes. Fiction au sens
de la fable ou de mythe fondateur (toute nation est une Genèse, une Iliade,
une Odyssée) et au sens de texte et de livre : les deux aspects, du reste, se
confondant, comme toujours aux origines des cultures, la juive, la grecque, la
française… Si bien qu’il ne paraît pas faux d’avancer qu’une nation n’est autre
chose, au moins au départ, qu’un puissant texte, plus ou moins cohérent, plus
ou moins composite, dont les auteurs ne sont pas nécessairement anonymes,
collectifs et immémoriaux11. »
À son tour, Marc Ferro note qu’« à travers le temps et les cultures, domine
le foyer de l’histoire institutionnelle, parce qu’elle incarne et légitime un régime
par l’histoire que ce foyer produit12 ». Toutefois, sur le plan pédagogique, cet
effort combine astucieusement histoire locale et histoire nationale. Anne-Marie
Thiesse explique que :
« L’accent mis sur la connaissance du local comme préalable à la véritable
connaissance du national, au sein de l’institution scolaire, est en effet en relation avec la nouvelle définition de l’identité française élaborée dès les débuts
de la Troisième République et abondamment vulgarisée dans les décennies
suivantes13. »
Cette tension entre l’un et le multiple, entre unité et diversité, reste encore
très active comme le rapporte Fernand Braudel dans L’identité de la France :
« Lucien Febvre répétait, et il faut répéter après lui, “que la France se nomme
diversité”. J’aimerais presque mieux dire, bien que ce soit plus plat, “est diver11. Cabanel Patrick, « La nation est un livre. Les tours de la nation par le manuel dans l’Europe du
XIXe siècle », Les manuels scolaires, miroirs de la nation ?, Paris, L’Harmattan, 2007, p. 14.
12. Ferro Marc, L’histoire sous surveillance. Science et conscience de l’histoire, Paris, folio
histoire, 1987 (1985), p. 19.
13. Thiesse Anne-Marie, Ils apprenaient la France. L’exaltation des régions dans le discours
patriotique, Paris, Éditions de la Maison des sciences et de l’homme, 1997, p. 3.
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sité”, car ce n’est pas seulement une apparence, une appellation, mais la réalité
concrète, le triomphe éclatant du pluriel, de l’hétérogène, de jamais tout à fait
semblable, du jamais tout à fait vu ailleurs. […] Mais si géographes, historiens,
économistes, sociologues, essayistes, anthropologues, politologues s’accordent
à constater la diversité française, s’ils le font même avec une sorte de plaisir et
d’appétit, c’est, une fois cette révérence faite, pour tourner aussitôt les talons et
ne plus s’intéresser qu’à la France une14. »
L’histoire se constitue en récit régional qui, le moment venu, rejoint la grande
fresque nationale comme le ruisseau se jette dans la rivière. Thiesse souligne que
l’histoire et la géographie du terroir n’ont d’autre mode d’existence que celui de
l’intégration dans le national :
« L’histoire de la petite patrie est donnée comme quintessence de l’histoire
de France. Le principe de construction de la nation en poupées-gigognes fait de
chaque petite patrie l’idéale miniature de la France, des origines à nos jours15. »
La République maintient intacte la centralisation de l’État, mais autorise
parallèlement un régionalisme officiel16. À maintes reprises, l’enseignement de
la géographie et de l’histoire locales bénéficie des encouragements officiels. En
1872, Michel Bréal, professeur au Collège de France, se fait l’avocat de l’histoire régionale à l’école :
« Il faut que l’histoire, à ses premières pages, nous prenne par nos sentiments
intimes. Parlez à l’enfant de ses ancêtres et de la contrée qu’il habite ; faites-lui
voir de vieux édifices, d’anciennes églises, les restes des châteaux d’autrefois.
[…] Élevons donc des Français qui sachent l’histoire de leurs foyers, et qui
soient fiers de leurs héros domestiques17. »
S’adressant aux élèves des classes de son village natal de Nouvion-enThiérache, Ernest Lavisse montre comment l’étude de l’histoire locale sert l’histoire nationale qui l’englobe et la dépasse.
« La connaissance de l’histoire éclaire l’amour de la patrie. La patrie, le lieu
de l’humanité où nous sommes nés, est distinguée des autres patries par la nature
et plus encore par l’histoire, c’est-à-dire par un ensemble d’actions et d’idées
successives qui ont composé notre destinée. Vous n’avez pas le droit d’ignorer
comment la France est devenue une des plus grandes parmi les nations. Pour être
Français, il ne suffit pas de se donner la peine de naître en France, ainsi que font
nos peupliers et nos saules18. »
14. Braudel Fernand, L’identité de la France. Espace et histoire, Paris, Arthaud-Flammarion, 1986,
p. 29-30.
15. Thiesse Anne-Marie, op. cit., p. 60.
16. Gasnier Thierry, « Le local. Une et divisible », Les lieux de mémoire, sous la dir. de Pierre Nora,
III. Les France, 2. Traditions, Paris, Gallimard, 1992, p. 463-525.
17. Cité par Thiesse Anne-Marie, op. cit., p. 64.
18. Lavisse Ernest, Discours aux enfants, Paris, A. Colin, 1907, p. 27-28.
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L’HISTOIRE SCOLAIRE
En 1911, Maurice Faure, ministre de l’Instruction publique, adresse une
circulaire aux recteurs pour les inciter à promouvoir l’enseignement de l’histoire
et de la géographie du terroir :
« C’est un fait malheureusement trop certain que la plupart des élèves et un
trop grand nombre de Français ignorent presque entièrement tout ce qui a trait
à la géographie et à l’histoire de la commune, du département où ils sont nés et
de l’ancienne province dont ce département faisait partie avant la Révolution.
Il y aurait cependant le plus sérieux avantage à ce que tous connussent bien
la physionomie particulière de la terre natale, ses ressources, les coutumes et
les mœurs de ses habitants, leurs traditions, contes, proverbes, légendes, le rôle
qu’elle a joué dans le passé, les citoyens éminents qu’elle a enfantés19. »
Toutefois, la prise en compte de la dimension « locale » dans les curricula
scolaires connaît une restriction importante. Les programmes écartent les langues
régionales.
« On connaît l’histoire des petits Bretons, des petits Alsaciens, des petits
Occitans, qu’une punition spécifique venait réprimer chaque fois qu’ils utilisaient dans la cour de récréation leur dialecte familial, au lieu du langage d’oïl,
enseigné dans l’école primaire, laïque et obligatoire qu’avait implantée Jules
Ferry. L’instituteur fouetteur était, du reste, lui aussi, le plus souvent, un Breton,
un Occitan ou un Alsacien20. »
Or, ce qui frappe c’est cette contradiction majeure entre le traitement des langues
de France d’une part, de l’histoire et de la géographie locales d’autre part.
Chez Jean-Pierre Lucciardi, ce goût prononcé pour l’histoire, et pour l’activité érudite, se traduit à maintes reprises à travers travaux, articles de journaux
et poèmes. Il ne faut pas omettre une collaboration au Bulletin de la Société des
sciences historiques et naturelles de la Corse avec une étude fort bien documentée sur « Les prêtres romains déportés en Corse (l’évasion de l’archevêque
d’Arezzo)21 » sur ordre de Napoléon 1er. Cette étude est d’abord publiée dans
Le Petit Bastiais22, puis reprise quelques années plus tard dans le Bulletin. JeanPierre Lucciardi apparaît dans la liste des membres de la Société des sciences
historiques et naturelles de la Corse au 1er janvier 191323. La Société est présidée
par son fondateur, l’abbé Letteron. Les formes de l’érudition et de la sociabilité
19. Thiesse Anne-Marie, op. cit., p. 9.
20. Le Roy Ladurie Emmanuel, Le territoire de l’historien, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque
des histoires », 1978, vol. II, p. 426.
21. Lucciardi Jean-Pierre, « Les prêtres romains déportés en Corse (l’évasion de l’archevêque
d’Arezzo) », Bulletin de la société des sciences historiques et naturelles de la Corse, n° 346-348,
1912, p. 259-288.
22. J.-P. de Campiendi (Lucciardi Jean-Pierre), « Les prêtres romains déportés en Corse », Le Petit
Bastiais, samedi 20 mars 1909, n° 79 ; vendredi 26 mars 1909, n° 85 ; mercredi 31 mars 1909,
n° 90; lundi 5 avril 1909, n° 95.
23. « Liste des membres de la Société au 1er janvier 1913 », Bulletin de la société des sciences
historiques et naturelles de la Corse, n° 352-353-354, 2e trimestre 1913, p. 15-21.
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LES LUCCIARDI – UNE FAMILLE CORSE DE POÈTES ET D’INSTITUTEURS
propres au monde des « sociétés savantes » ont fait l’objet de nombreux travaux.
Toutefois, il n’est pas vain de se pencher sur la façon dont le passé et son récit
sous forme d’histoire sont mobilisés comme un recours dans les processus de
construction des identités individuelles et communautaires. De manière évidente,
parler du passé, c’est aussi deviser du présent. Autrement dit, le récit historique
tend à fonctionner comme un mythe, non pas au sens où il relèverait de l’ordre
de l’imaginaire, mais dans la mesure où si une histoire est racontée, c’est que la
mobilisation du passé véhicule un sens pour le présent. Le récit historique peut
donc être examiné dans ce qu’il dévoile sur les dispositions d’une personne ou
d’un groupe dans un espace social. La profession d’instituteur confère donc à
Jean-Pierre Lucciardi le statut d’érudit local, d’historien amateur.
Dans le fil des travaux d’érudition réalisés par les prêtres et les instituteurs français, Lucciardi divulgue le fruit de ses investigations dans la presse.
En octobre 1908, Lucciardi publie dans Le Petit Bastiais « Une excursion dans le
Haut-Nebbio. De Biguglia à Santo-Pietro-di-Tenda par Murato ». En janvier 1909,
les colonnes du journal bastiais s’ouvrent au texte « Une excursion à Casta » que
l’instituteur-poète signe « Populo » ! Lucciardi revient longuement et avec une
infinie précision sur le passé lointain et récent, sur les ressources économiques,
sur la population du hameau de Casta qui appartenant à la commune de SantoPietro-di-Tenda, constitue la porte d’accès au désert des Agriate. Dans sa longue
étude consacrée à la fin de sa vie aux « Capurali Castinchi », Lucciardi révèle
d’authentiques talents de conteur. Sous sa plume, l’histoire revit, les personnages
s’animent, les rebondissements se multiplient. Son récit fourmille de superlatifs.
Si tant d’emphase finit par être dérangeante, il est intéressant de voir comment
l’auteur crée les personnages, et les personnages créent l’intrigue.
Lucciardi aurait pu s’approprier les pensées de Jean Jaurès pour qui
« le passé d’une nation ne reste pas improductif : il est comme la couche
profonde d’une terre labourable ; et les moissons nouvelles sont nourries à la
fois par le soleil du jour et par les réserves anciennes du sol24 ». Chez Lucciardi,
l’objet géographique n’est jamais compris comme une catégorie scientifique
hors du temps, hors des lieux et hors de la société qui le constitue.
Le manuel découpe le passé en vingt-trois tableaux25. L’Antiquité fait l’objet de brèves et évasives observations : « A nostr’isula cusi verde e profumata,
tutt’accinta da un mare sempre turchinu, a perla incumparabile di l’isule di u
24. Jaurès Jean, Conférence prononcée à Albi pour l’Alliance Française (1884).
25. I. A Corsica in l’Antichità ; II. I Rumani in Corsica ; III. U cristianesimu in Corsica ; IV. I Corsi
sottu Carlumagna – A feodalità ; V. A Corsica sottu i papa e sottu i Pisani ; VI. Terre del
Comune ; VII. I Caporali corsi ; VIII. L’Aragunesi in Corsica ; IX. A duminazione jenuvese ;
X. Sampieru Corsu ; XI. Assassinamentu di Sampieru Corsu ; XII. Tempi bughj di a Corsica ;
XIII. A guerra di l’indipendenza ; XIV. Teodoru I, rè di Corsica ; XV. Ghjenua dumanda
l’ajutu d’i Francesi ; XVI. Pasquale Paoli : a so amministrazione ; XVII. A nazione corsa ;
XVIII. A Corsica ceduta a i Francesi ; XIX. Resistenza d’i Corsi ; XX. A disfatta di Pontenovu ;
XXI. A Corsica francese ; XXII. L’Inglesi in Corsica ; XXIII. Corsica e Francia.
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L’HISTOIRE SCOLAIRE
Mediterraneu, chiamata da i Greci Cirnu, e da i Rumani Corsica, fu abitata
– dappressu i monumenti megalitichi chi ci si trovanu – fin da i primi tempi di a
piu luntana antichità. (A Corsica in l’Antichità)26. »
« Più tardi, volse impadrunissi di a Corsica, ancu u populu gigante d’i Rumani,
tantu per levalla a i so nimichi, i Cartaginesi, chi occupavanu certi posti marittimi, che per prufittà di l’abundenti e preziosi rivenuti in cera, pesci, e ligname,
ch’elli ci cacciavanu. […] I Còrsi vinduti cume schiavi nantu i mercati di Roma,
finianu per stancà, cu la so inerzia e la so indifferenza, ancu i padroni piu indulgenti e piu boni, i quali finianu per maladì i pochi solli chi l’eranu custati : Un
Còrsu more piuttostu che vive schiavu. » (II. I Rumani in Corsica)27.
La venue du christianisme constitue un épisode capital de l’histoire insulaire.
Sous la plume de Lucciardi, il apparaît comme dominant de l’identité corse.
« U cristianesimu ebbe una bona influenza sopra u carattere e i custumi un
pocu barbari d’i nostri antichi. Fu predicatu in Corsica, si crede, fin da u primu
seculu di a nostr’era. U populu accettò cun entusiasmu a nova religione, e in
l’anu 303, durente e persecuzione, e sottu Dioclezianu, a nostra cumpatriotta
santa Divota, fu martirizzata, a Mariana. Più tardi, a Cartaginese, o siasi a
Rumana, santa Julia, riceverà a palma di u martiriu, a Nonza. » (U cristianesimu
in Corsica)28.
« Cu a nova amministrazione, a feodalità piglia pede in Corsica, e ci si
mantenerà putente, autoritaria, e guasi sempre oppressiva. Unu d’i piu spietati di
si Signori, fu Orsu Alamannu di Frettu, regione a poca distanza di Portuvecchiu
e di Bonifaziu. Impose a la pupulazione legge crudele e abuminevule, fra e quale
quella di un dirittu diabolicu sopra u matrimoniu. Ma un giovanu, curaggiosu e
sgualtru, Piobbeta, strangulò stu mostru, c’un lacciu di funa, e cusi liberò a so
26. « Notre île si verte et parfumée, entourée d’une mer toujours bleue, la perle incomparable de la
Méditerranée, appellée par les Grecs Cyrnos et Corsica par les Romains, fut habitée – d’après
les monuments mégalithiques qui s’y trouvent – depuis les premiers temps de la plus lointaine
Antiquité. (La Corse dans l’Antiquité) ». Lucciardi, op. cit., 1925, p. 5.
27. « Plus tard, le peuple géant des Romains, voulut s’approprier de la Corse tant pour la confisquer aux ennemis Carthaginois qui occupaient certaines positions maritimes que pour profiter
des abondants et précieux revenus en cire, poissons et bois que ceux-ci retiraient de l’île. […]
Vendus comme esclaves sur les marchés de Rome, l’inertie des Corses irritait jusqu’aux maîtres
les plus attentionnés et les plus indulgents qui finissaient par maudire les quelques sous que
l’achat avait coûté : Un Corse meurt plutôt que de vivre esclave. (II. Les Romains en Corse) ».
Ibidem, p. 6.
28. « Le christianisme exerça une influence positive sur le caractère et les usages un peu barbares
de nos ancêtres. Le christianisme fut prêché en Corse, croit-on, depuis le premier siècle de
notre ère. Le peuple accepta avec enthousiasme la nouvelle religion, et au cours de l’année 303,
pendant les persécutions, sous Dioclétien, notre compatriote Dévote fut martyrisée à Mariana.
Plus tard, sainte Julie originaire de Carthage ou de Rome, reçoit à Nonza la palme du martyre.
(Le christianisme en Corse) ». Ibid., p. 7.
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innamurata, e tutte l’altre giovine, da un usu barbaru e vergugnosu. » (I Corsi
sottu Carlumagnu – A feodalità)29.
« Formosu, originariu di Vivariu, cinse a tiara papale in 892, e prima
cume dopu, i papa vurranu dispone a so modu di a Corsica, pretendendu chi
Carlumagna e u so babbu Peppinu, l’avianu cedutu i so diritti di cunquista. […]
Sottu u guvernu pisanu a pace regnò, e a Corsica cunobbe un pocu di benessere
e di tranquillità. » (A Corsica sottu i papa e sottu i Pisani)30.
Sous la plume de Lucciardi, la présence de Pise en Corse est, si l’on peut dire,
constructive.
« A setta pulitica-religiosa d’i Giovannali (1354), chi vulia mette tuttu in
cumunu, ghiente e roba, fu scumunicata da u papa Nucenziu VI, perseguitata cun
accanimentu cume eretica, e distrutta spietatamente in di a pieve d’Alisgiani, in
1361. […] Sambucucciu d’Alandu, numinatu Tenente-Generale di a nazione,
obligò u Conte di Cinarca a rientre in di e so terre, e organizzò sottu u nome di
Terre del Comune, u territoriu di u di quà da i Monti, compresu fra Aleria, Calvi
e Brandu. […] Fu pe a Corsica un’era di tranquillità e di bundenza, e pare un
miraculu di vede chi a justizia fussi cusi ben’accolta in st’isula, in quelli tempi di
torbidi e di prufonda ignuranza pertuttu. U nome di Sambucucciu sarà sempre
caru a i Corsi, pe i quali è un simbulu di libertà e d’indipendenza. » (VI. Terre
del Comune)31.
« Ogni pieve, per difendesi contru l’esigenze d’i Signori, scelse unu fra i
piu putenti e li dete u nome di Caporale. Ma questu, piu tardi, invece di sustene
l’interessi di u populu, cum’era u so duvere, circò a impone a so duminazione,
29. « Avec la nouvelle administration, la féodalité s’implante en Corse et y restera puissante,
autoritaire et presque toujours oppressive. Originaire de Frettu, région proche de Porto-Vecchio
et de Bonifacio, Orsu Alamannu apparaît comme l’un des seigneurs les plus cruels. Il imposa
à la population des lois diaboliques et abominables comme celle du droit de cuissage. Mais
Piobbeta, jeune homme courageux et habile, étrangla ce monstre avec un lacet et il put libérer
sa fiancée et toutes les autres demoiselles de l’emprise d’une coutume barbare et honteuse.
(Les Corses sous Charlemagne – La féodalité) ». Ibid., p. 8.
30. « Originaire de Vivario, Formose reçoit la tiare papale en 892. Avant comme après son pontificat, les papes voudront exercer leur autorité sur l’île. Ils prétendaient avoir reçu les droits de
conquête sur la Corse de Charlemagne et son père Pépin. […] Sous la domination pisane, la
paix régna sur une île qui connut un peu de bien-être et de sérénité. (La Corse sous la domination des papes et de Pise) ». Ibid., p. 9.
31. « La secte politico-religieuse des Giovannali (1354) qui voulait mettre tout en commun, les
personnes et les marchandises, fut excommuniée par le pape Innocent VI qui la jugeait hérétique. Pourchassés sans pitié, les Giovannali furent exterminés dans la pieve d’Alesani, en
1361. […] Promu lieutenant-général de la nation, Sambucucciu d’Alandu contraignit le comte
de Cinarca à ne point sortir de ses terres et organisa dans le nord de l’île, un territoire connu
sous le nom de Terre du Commun, compris entre Aleria, Calvi et Brando. […] Pour la Corse,
cette période fut un moment de tranquillité et de prospérité. À une époque où les troubles et
l’ignorance dominaient partout, la justice fut accueillie de façon presque miraculeuse dans l’île.
Le nom de Sambucucciu, synonyme de liberté et d’indépendance, sera toujours vénéré par les
Corses. (VI. Terre du Commun) ». Ibid., p. 9-10.
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L’HISTOIRE SCOLAIRE
e fu guasi sempre in guerra contru i so vicini e ancu cu i membri stessi di a
so famiglia. Fu pe a Corsica, un flagellu di piu chi s’agghiunse a tant’altri. »
(VII. I Caporali corsi)32.
« Allora principionu pe a Corsica e lutte gigantesche e a resistenza accanita.
Ne l’oru di a Banca di San-Ghiorghiu, ne l’esiliu, ne l’assassinamenti, o n’importa
a crudeltà d’i mezzi impiegati da i Jenuvesi, nunda pobbe furzà o cunvince i
Corsi a una suttumissione vuluntaria. » (IX. A duminazione jenuvese)33.
Poursuivant son tour d’horizon historique, l’instituteur décrit la geste
de Sampiero Corso. Il reprend la légende blanche et noire qui voit dans ce
condottiere un « Paoli-avant-l’heure » soucieux du destin de la Corse en un
temps où les Corses n’en avaient cure.
« Quandu ogni speranza paria persa pe i Corsi, eccu chi sorte Sampieru
Còrsu, nativu di Bastelica. Su nome ch’era u terrore d’i Jenuvesi, ci scalla
sempre u pettu d’amor patriu quandu ci pensemu. U sangue ci corre allora piu
bullente p’è vene, ingunfiendu di fiertà, d’amore, e di speranza, u nostru core. »
(X. Sampieru Còrsu)34.
L’image du Génois que présente le Manualettu est très claire. Ses caractéristiques sont nettement définies et ne se prêtent à aucune interprétation. C’est
l’image prototype du Génois qui exploite économiquement la terre et asservit
les hommes.
« Durente 160 anni, i Jenuvesi funu padroni assoluti di a nostr’isula. Un
Còrsu un pudia piu esse ne ghiudice, ne nutaru, ne officiale, e un pudia riempie
nisuna funzione elettiva in di u so paese. Ghjenua esultava… e inviava, guasi
sempre, tutti i so nobili piu scanati e piu misteriosi, a rifassi in d’i nostri loghi,
spulpenduci finu all’ossu. » (XII. Tempi bughj di a Corsica)35.
32. « Pour faire obstacle aux exigences des seigneurs, chaque pieve choisit comme leader un
personnage puissant et influent en lui donnant le nom de caporal. Plus tard, au lieu de soutenir
comme convenu les intérêts du peuple, les caporaux cherchèrent d’imposer leur autorité par
la containte. Ils étaient presque toujours en guerre contre les voisins et les membres de leurs
propres familles. Cette situation fut pour la Corse un fléau qui s’ajoutait à beaucoup d’autres.
(VII. Les caporaux corses) ». Ibid., p. 10.
33. « Animée par un fort esprit de résistance, la Corse livra alors une lutte gigantesque. Ni l’or de
la Banque de Saint-Georges, ni l’exil, ni les assassinats et les autres vils procédés employés par
les Génois ne parvinrent à faire plier les Corses. (IX. La domination génoise) ». Ibid., p. 12.
34. « Quand tout espoir semblait perdu pour les Corses, Sampiero Corso, natif de Bastelica, surgit
sur la scène de l’histoire. Le simple énoncé de ce nom qui faisait trembler les Génois, attise
aujourd’hui encore la fierté et le patriotisme des Corses. Le souvenir de Sampiero réchauffe le
cœur des Corses et nous redonne fierté et espoir. (X. Sampiero Corso) ». Ibid., p. 12-13.
35. « Pendant 160 ans, les Génois furent les maîtres absolus de notre île. Les Corses ne pouvaient
plus accéder aux fonctions de juge, de notaire, d’officier. Ils ne pouvaient plus exercer aucun
mandat électif dans leur pays. Gênes exultait… et nous envoyait, presque toujours, des petits
nobles extravagants et mystérieux qui vivaient à nos dépens. (XII. Temps obscurs de la Corse) ».
Ibid., p. 14.
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Le moment de l’insurrection : « In 1729, u bacinu essendu colmu, sbucciò.
A la voce di u vecchiu Lanfranchi, dettu Cardone, di Boziu, u populu si rivultò e
ricusò di pagà l’impositi a Ghjenua. » (XIII. A guerra di l’indipendenza)36.
Le roi Théodore trouve grâce aux yeux de Lucciardi : « U so regnu d’ottu
mesi fu pe a Corsica cume un splendore d’alba chiara chi prumettia una
bella jurnata, dopu tante nuttate cusi tenebrose chi Ghjenua facia pisà sopr’à
sfurtunata Corsica. Benchè u gestu di u re Teodoru fussi interessatu, e malgradu
a so vita cusi turmintata e piena d’aventure d’ogni sorte, i Corsi cunserveranu
sempre d’ellu piuttostu un bon ricordiu : A nazione corsa s’era pussuta affirmà
all’occhj d’un’Auropa piu indifferente, forse, ch’egoista. » (XIV. Teodoru I, rè
di Corsica)37.
Sans faire de la France un portrait sombre, Lucciardi montre les contradictions insulaires.
« Ma l’officiali francesi chi sbarcanu in Corsica circaranu piuttostu a rendesi
simpatichi e utili a i patriotti, accurdenduli favori, e denduli spessu ragiò contru
i so nimichi. Era per fà vede quantu a Francia tenia a la justizia, e quantu
amava e stimava u populu còrsu. I Còrsi luttaranu allora cun onore ma cun
poca speranza di successu, benchè u generale marchese de Cursay, sia accusatu
– a tortu – di tradimentu da u guvernatore jenuvese. De Cursay amava i Corsi
p’e so bone qualità e pe i sentimenti nobili chi li ricunuscia. […] E’pruvata
ch’ellu nutria a speranza d’esse un ghiornu re di a Corsica. » (XV. Ghjenua
dumanda l’ajutu d’i Francesi)38.
Dans le Manualettu, le XVIIIe siècle apparaît comme le point d’orgue du grand
récit national insulaire. Le statut iconique de Pasquale Paoli et des Révolutions
de Corse apparaît clairement. Lucciardi le réinvente, nous y plonge, avec un
entrain, une vitesse de plume et une forme d’érudition scolaire parfaitement
accordés à son sujet ou mieux, à sa mythologie. « Paoli fundò l’Università di
Corti, e altre scòle ; organizzò a justizia, castigò severamente i culpevuli, dete
36. « En 1729, la coupe d’amertume était pleine. À l’appel du vieux Lanfranchi de Bozio,
connu sous le nom de Cardone, le peuple s’insurgea et refusa de payer l’impôt aux Génois.
(XIII. La guerre pour l’indépendance) ». Ibid., p. 15.
37. « Son règne de huit mois fut pour la Corse comme une aube claire et splendide qui annonçait
une belle journée, après la longue nuit noire dans laquelle Gênes avait plongé la malheureuse
Corse. Bien que l’attrait de Théodore pour la Corse ne fût pas désintéressé, malgré une vie
agitée et aventureuse, les Corses conservèrent finalement un bon souvenir du roi Théodore. La
nation corse avait pu s’affirmer aux yeux d’une Europe qui lui témoignait plus d’indifférence
que d’égoïsme. (XIV. Teodoru I, rè di Corsica) ». Ibid., p. 16.
38. « Mais les officiers français qui débarquent en Corse chercheront plutôt à se rendre agréables
et utiles aux patriotes. Ils octroieront des faveurs et leur donneront souvent raison contre les
Génois. Il s’agissait de montrer une France juste qui aimait et estimait les Corses. Bien que le
général marquis de Cursay fut accusé à tort de trahison par les Génois, les Corses luttèrent alors
avec honneur mais aussi avec peu d’espoir de gagner. De Cursay aimait sincèrement les grandes qualités et les nobles sentiments des Corses qui l’aimaient en retour. […] Preuves à l’appui,
on a montré que Cursay caressait l’espoir d’être un jour couronné roi de Corse. (XV. Gênes
demande l’aide des Français) ». Ibid., p. 17.
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L’HISTOIRE SCOLAIRE
una custituzione ammirevule e liberale a i Còrsi, fundò una Zecca a Muratu,
una stamperia naziunale a Oletta, eppò a Campuloru e a Corti ; rinfurzì e so
milizie, dete una forte impulsione a u cumerciu e all’industria, e rese a justizia a
tutti pari : a justizia paolina, severa si, ma imparziale e incorruttibile. L’ordine
fu ristabilitu, a cunfidanza rivenne, e l’isula diventata una republica libera e
putente, prusperò. » (XVI. Pasquale Paoli : a so amministrazione)39.
« I Còrsi eranu felici sottu un guvernu cusi pupulare. U murale di a cuscenza
publica s’alzò – s’ell’un lu superò – a u nivellu di quellu di e nazione piu
civilizzate. […] U populu còrsu, ricunuscente di tantu bè fattu a u so paese, e
di l’alta riputazione ch’ell’avia acquistatu in Auropa, dete a Paoli u nome cusi
bellu di : Babbu di a patria. » (XVII. A nazione corsa)40.
« Cume si vedenu i topi e i gatti abandunà un bastimentu quand’è per
affundassi ; i rospi, e bucertule, e altri animaluzzi, fughie di e so tane e di e
pardine, quandu si prepara un terramotu, o s’annuncia un gran tempurale,
cusi s’è vistu uni pochi di Còrsi, abandunà babbi, fratelli e parenti – a patria
infine –, e andassine cun l’aversari, pretestendu a piu vulgaria di e scuse :
chi a resistenza era impussibile contru una nazione cusi ricca e cusi putente.
Ma furtunamente chi, pe u decoru di u patriuttisimu còrsu, quessi un funu che
un’infima minorità. » (XVIII. A Corsica ceduta a i Francesi)41.
« Malgradu un curaggiu di leoni, i patriotti funu schecciati da truppe assai piu
agguerrite, piu disciplinate, e piu volte superiore a le soie. Circa sei centu cadaveri
restonu ammassati nantu quellu ponte ormai fatale, o funu trescinati in l’acque
scumacciulose, e rosse a sangue, di u Golu. L’indipendenza còrsa s’affugò cun
s’Eroi, e Pasquale Paoli, per disparmià altri desastri a u so paese – a resistenza
era diventata impussibile – s’imbarcò u 13 jugnu, a Portuvecchiu, cun tre centu
passati d’i so piu fidati partigiani. » (XX. A disfatta di Pontenovu)42.
39. « Paoli fonda l’Université de Corte et bien d’autres écoles ; il organisa la justice, poursuivit
sévèrement les coupables, donna aux insulaires une constitution admirable et libérale, créa un
hôtel des monnaies à Murato, installa une imprimerie nationale d’abord à Oletta, puis à Campoloro et à Corte ; il consolida les milices, encouragea le commerce et l’industrie, organisa une
justice égale pour tous : la justice paoline, sévère mais impartiale et irréprochable. L’ordre fut
rétabli, la confiance revint. Devenue une république libre et puissante, l’île connut la prospérité.
(XVI. Pasquale Paoli : a so amministrazione) ». Ibid., p. 17-18.
40. « Les Corses étaient heureux sous un gouvernement très populaire. La conscience publique
éleva la Corse au niveau des nations les plus civilisées. […] Reconnaissant son action bienfaisante et observant le renom qu’il avait acquis à travers l’Europe, le peuple corse donna à Paoli
le nom si doux de “Père de la patrie”. (XVII. La nation corse) ». Ibid., p. 18-19.
41. « Comme les souris et les chats quittent le navire qui coule ; comme les crapauds, les lézards
et les autres bestioles déguerpissent à l’approche d’un tremblement de terre ou d’une grande
tempête, ainsi a-t-on vu quelques Corses abandonner pères, frères, familles et patrie, pour
rejoindre le camp adverse en alléguant de façon répugnante qu’il n’était pas possible de résister
à une nation si riche et si puissante. Mais heureusement pour l’honneur des Corses, ils ne furent
qu’une infime minorité. (XVIII. La Corse cédée à la France) ». Ibid., p. 20.
42. « Malgré un grand courage, les patriotes furent délogés par des troupes bien plus aguerries,
disciplinées et supérieures en nombre. Près de six cents cadavres s’amassèrent sur le pont fatal
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LES LUCCIARDI – UNE FAMILLE CORSE DE POÈTES ET D’INSTITUTEURS
« A Francia cerca a cuntentà i capazzoni còrsi, denduli impieghi, avantaggi,
e onori, e accettendu i so figlioli in di e scòle di u guvernu. A De Vaux succede
u Conte de Marbeuf chi guverna cun prudenza, benchè sia accusatu un pocu
di parzialità. Riesce a fà amà a Francia, circhendu a fà sallà u piu prestu e
piaghe, e a calmà certe scuntentezze ch’avia furzatamente lasciatu appressu
ad’ella, a guerra di cunquista. […] U 30 novembre 1789, a la dumanda di a
raprisentazione còrsa, e all’applausi di l’Assemblea Naziunale Custituente, a
l’unanimità, a nostr’isula è dichiarata e ricunusciuta cume parte integrante di a
Francia. » (XXI. A Corsica francese)43.
« Sottu u guvernu rivuluziunariu di u Terrore, Paoli, invidiatu, e accusatu a
tortu di tradimentu, chiama l’Inglesi in Corsica, piuttostu che andà a sustene
a so innucenza davanti a Cunvenzione. […] Per testamentu, Paoli ha lasciatu
tuttu ciocch’ellu pussedia a la Corsica. U so nome è, e sarà sempre pupulare
in stu paese. E in di e capanne piu tenue, cume in di e case piu ricche, si
racuntarà sempre, a sera, in di e veghie d’invernu, e lutte ch’ell’ha sustenutu per
l’indipendenza di a so patria, e si rammintarà tuttu u bè ch’ell’ha fattu, e a gloria
e u benessere ch’ell’ha datu a u so paese. » (XXII. L’Inglesi in Corsica)44.
« E’ piu di un seculu e mezzu chi a storia di a Corsica si cunfonde cun quella
di a Francia. Per cunsequenza u nostru travagliu finisce, e qui ci arrestemu.
Un fu l’attu di cessione chi ci fece Francesi. No. Ma e simpatie chi ci hanu
sempre attiratu versu su populu eroicu e generosu ; e forse, ancu, pe a piu gran
parte, a gloria cusi splendurente chi li dete unu d’i nostri : Napulione ! St’omu
straordinariu, assai piu grande che Annibale, Cesare, e Alessandru u Grande,
è natu in Ajacciu u 15 agostu 1769, tre mesi dopu chi st’isula era francese. A so
storia – ch’ogni Còrsu deve cunosce – pare fabulosa a forza d’esse grande ; e u
so nome risona dapertuttu sempre piu forte, a misura chi u tempu l’alluntana da
noi… U pattu cu a Francia, i Corsi l’hanu suggillatu piu volte, cun tantu sangue
ou furent emportés par les eaux du Golo, bouillonnantes et rouges de sang. L’indépendance
corse disparut avec la mort de ses héros. La résistance était devenue inenvisageable. Pour épargner de plus grands malheurs à son pays, Pasquale Paoli et trois cents de ses fidèles partisans
s’embarquèrent le 13 juin, à Porto-Vecchio. (XX. La défaite de Ponte-Novu) ». Ibid., p. 21.
43. « La France s’efforce d’assouvir les exigences d’emplois, d’avantages et de distinctions des
dirigeants corses en acceptant leurs enfants dans les écoles du gouvernement. Après De Vaux,
le comte de Marbeuf gouverne l’île avec sagesse même s’il est souvent accusé d’arbitraire. Il
parvient à faire aimer la France en pansant rapidement les plaies et en apaisant les désagréments hérités de la guerre de conquête. […] Le 30 novembre 1789, à la demande des représentants corses et avec le consentement unanime de l’Assemblée Nationale Constituante, notre île
fut déclarée partie intégrante de la France. (XXI. La Corse française) ». Ibid., p. 22.
44. « Sous le gouvernement révolutionnaire de la Terreur, Paoli, jalousé et injustement accusé de
trahison, fait appel aux Anglais plutôt que de défendre son innocence devant la Convention.
[…] Par testament, Paoli a légué tout ce qu’il possédait à la Corse. Son nom est et sera toujours
populaire dans ce pays. Dans les humbles demeures comme dans les maisons les plus riches, on
racontera toujours lors des veillées hivernales, les luttes qu’il a entreprises pour l’indépendance
de sa patrie. On se souviendra toujours de tout le bien qu’il a fait ainsi que de la gloire et du
bien-être qu’il a donné à son pays. (XXII. Les Anglais en Corse) ». Ibid., p. 22-23.
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L’HISTOIRE SCOLAIRE
generosu versatu vuluntariamente in cumunu, sempre pe u Dirittu, l’Onore, e
la Justizia. E millaje di Còrsi si so illustrati, e s’illustranu anch’oghie, in tutte
l’amministrazione : in l’ermata, l’insignamentu, a magistratura, ecc… e perfinu
ancu fra i membri stessi di u guvernu. A lingua corsa – l’anima di u nostru
paese – averà sempre a piazza d’onore in d’i nostri reghioni. E speremu chi
prestu sarà imparata in di e nostre scòle, accantu a la lingua francese. I martiri
di Pontenovu riposanu ormai in pace, perchè hanu vistu alzà, accantu a su
ponte, a croce di u ricordiu : u 3 agostu 1925. A Francia un pò vede che cun
piacè a manifestazione di sti sentimenti cusi ludevuli, chi c’ingonfianu di un
nobile orgogliu u nostru core, e so a piu bella prova d’attaccamentu, di valore,
e di patriuttisimu, chi li possamu dà. A chi onora i so Morti, s’anubilisce. »
(XXIII. Corsica e Francia)45.
Dans le Manualettu, l’histoire apparaît sous des allures nobles d’époques et
d’amples périodes et se donne des airs d’immensité glorieuse et tragique. Les
épisodes des Révolutions de Corse et plus encore ceux de la Révolution française font l’objet d’un traitement conforme au récit historiographique à caractère
didactique, fonction première du manuel scolaire. Marc Deleplace souligne que
« l’émeute révolutionnaire occupe, dans les manuels de la Troisième République,
une place à la fois centrale et ambigüe. Centrale parce qu’on lui reconnaît, que ce
soit pour communier dans la célébration ou pour s’en désoler, la valeur d’un acte
fondateur du nouvel ordre des choses46. » Dans le Manualettu, les visées pédagogiques sont clairement affichées. Non sans un certain talent, Lucciardi stimule
l’amour de la petite et de la grande patrie. Comme le souligne Mona Ozouf, la
période est propice à la publication d’ouvrages répondant aux critères du patriotisme « local » et « national » : « Pays de mesure, la France est aussi, détail non
45. « Il y a plus d’un siècle et demi que l’histoire de la Corse se confond avec l’histoire de France.
Par conséquent, notre travail s’arrête ici. Ce ne fut pas la cession de la Corse qui fit de nous des
Français. Non ! Mais les sympathies qui nous ont toujours attirées vers ce peuple héroïque et
généreux ; et sans doute plus encore même, la gloire si rayonnante d’un des nôtres : Napoléon !
Cet homme extraordinaire, bien plus grand qu’Annibal, César et Alexandre le Grand, est né à
Ajaccio le 15 août 1769, trois mois après que la Corse soit devenue française. Son histoire – que
chaque Corse connaît – est si grande qu’elle semble imaginaire. Même si le temps nous éloigne
de lui, son nom ne cesse de résonner… Plus d’une fois, les Corses ont scellé le pacte avec la
France avec le sang versé généreusement pour le droit, l’honneur et la justice. Des milliers de
Corses se sont illustrés et s’illustrent encore aujourd’hui dans toutes les administrations : dans
l’armée, l’enseignement, la magistrature, etc. et jusque dans les rangs mêmes du gouvernement. La langue corse – l’âme de notre pays – occupera toujours une place essentielle dans
nos régions. Nous espérons qu’elle sera vite enseignée aux côtés du français dans nos écoles.
À présent, les martyrs de Ponte Novu reposent en paix car ils ont pu voir se dresser la croix du
souvenir près du pont : le 3 août 1925. La France ne peut constater qu’avec plaisir la manifestation de sentiments si louables qui remplissent le cœur de fierté et sont la marque la plus évidente
d’attachement et de patriotisme pour elle. Celui qui honore ses morts, s’anoblit. (XXIII. Corse
et France) ». Ibid., p. 23-24.
46. Deleplace Marc, « L’émeute révolutionnaire au travers de manuels de la Troisième République »,
Mots. Les langages du politique, n° 69, juillet 2002, p. 47.
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LES LUCCIARDI – UNE FAMILLE CORSE DE POÈTES ET D’INSTITUTEURS
négligeable, un pays resté rural ; et en choisissant de décrire avec prédilection les
aspects de cette France terrienne, les manuels mettent dans un relief particulier le
thème de l’attachement au sol de la patrie : la France, pour eux, c’est la somme de
tous ces villages où se déroulent, au rythme des saisons, les histoires des livres de
lectures, les anecdotes des livres de morale47. »
Le Manualettu n’apparaît pas sui generis. Il appartient à l’histoire-récit dans
la mesure où le narrateur s’absente au profit de personnages facilement identifiables, d’une intrigue et d’une temporalité. Lucciardi met le passé en ordre pour le
rendre intelligible. Le Manualettu crée une logique temporelle où l’après émane
de l’avant, post hoc ergo propter hoc. Il répond assez bien à l’esprit des travaux
d’érudition, monographies communales ou régionales, mémoires et essais, études
et recherches de nature géographique, historique, linguistique, démographique,
statistique et scolaire, réalisés, humblement et avec amour, par les instituteurs
français entre le dernier quart du XIXe siècle et la première moitié du siècle suivant.
C’est aux instituteurs, ayant ainsi succédé aux curés comme historiens quasi officiels des villages, qu’il appartient de recueillir les matériaux de l’histoire locale.
Le mouvement, impulsé par les sociétés savantes et par le ministère de l’Instruction publique, trouvera son point d’orgue à l’occasion des expositions de l’enseignement primaire public aux expositions universelles de 1889 et de 1900. Comme
l’indique Anne-Marie Thiesse, la circulaire adressée en 1911 par le ministre de
l’Instruction publique Maurice Faure aux recteurs d’Académie pour les inciter à
faire enseigner l’histoire et la géographie locales développe ainsi longuement les
nécessités conjuguées de la connaissance et de l’attachement affectif à la petite
patrie : « On est d’autant plus attaché à son pays qu’on a de plus nombreuses
raisons de l’aimer, de s’y sentir en quelque sorte solidaire des générations disparues, et l’amour du sol natal, comme je le disais à la Chambre des députés, est le
plus solide fondement de l’amour de la patrie48. »
Il semble en effet que ces réalisations, largement répandues dans un grand
nombre de départements français, aient été largement absentes du département de
la Corse. Les Archives départementales de Haute-Corse et de Corse-du-Sud, les
bibliothèques publiques sollicitées sur ce sujet n’ont livré aucune donnée. Si une
partie de ces monographies sont perdues, d’autres sont dispersées dans des fonds
non encore inventoriés, d’autres se conservent probablement dans les archives
privées et constitueront d’intéressantes trouvailles. Toutefois, il n’est pas inutile
de sonder les raisons profondes du très petit nombre de réalisations insulaires,
documents souvent hésitants et inaboutis. Si les initiatives bénéficiaient d’un réel
cadrage pédagogique à travers des instructions ministérielles, l’incitation gouver47. Ozouf Mona, L’école de la France. Essais sur la Révolution, l’utopie et l’enseignement, Paris,
Gallimard, coll. Bibliothèque des histoires, 1984, p. 187.
48. Thiesse Anne-Marie, Ils apprenaient la France. L’exaltation des régions dans le discours
patriotique, Paris, éditions de la Maison des sciences de l’homme, coll. Ethnologie de la
France, 1997, p. 9.
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L’HISTOIRE SCOLAIRE
nementale aurait été plus ou moins freinée sur le terrain par le contrôle excessif
d’inspecteurs d’académie. L’anomalie mérite réflexion.
Toutefois, dans ce sillon de l’érudition scolaire et des monographies, Lucciardi
ne reste pas inactif.
Cependant, il faut souligner que l’intérêt pour l’« histoire locale » des instituteurs corses ne se démentira pas. Ainsi, le syndicat de l’enseignement laïc de la
Corse, section départementale du Syndicat national des instituteurs, entame en
1932 la publication de fiches d’histoire locale49.
On ne sait quel accueil les maîtres réservèrent au Manualettu mais il fut probablement limité si l’on en juge le peu d’exemplaires repérés dans les bibliothèques
publiques et privées. La parution de l’ouvrage devait presque paraître inaperçue
dans la presse à l’exception de Jean Vinciguerra qui, dans les colonnes du PetitBastiais en septembre 1925, flatte l’auteur du Manualettu : « Toutes les tombes
et leurs cippes de nos cimetières se sont levées à l’évocation des souvenirs corses
que M. Lucciardi a servis. J’ai vu le labeur énergique de nos ancêtres, jeunes puissances hardiment groupées autour des anciennes en âge : marche en avant pour la
Paix et la Liberté50 ».
Le Manualettu, marqué par le positivisme, est assez proche dans sa forme du
manuel primaire, « évangile républicain51 » composé par Ernest Lavisse (18421922). Comme l’indiquent André Burguière et Jacques Revel dans la « Préface » de
l’Histoire de la France, « la France entretient avec son passé d’étranges rapports,
tout à la fois impérieux et inquiets. Depuis le Moyen Âge, le roman de la nation
49. Cette information apparaît en 1946 dans un article anonyme du Bulletin du Syndicat de l’Enseignement Laïc de la Corse. Nous en donnons ci-dessous de larges extraits. « L’histoire locale
– pour nous si particulière – ne sert qu’à surcharger le programme quand elle est enseignée à
part. Notre tâche est donc de synchroniser histoire nationale et histoire locale. Cela est possible
car il n’y a guère d’événement européen – donc français – qui n’ait eu d’écho ou de conséquence en Corse. […] Quand nous écrivons « histoire locale » l’épithète est impropre, car
il signifie dans notre esprit « Corse » et la Corse est plutôt une région, une région dont les
habitants – et à plus forte raison les enfants – s’ignorent beaucoup pour ne pas dire totalement.
Mais ne serait-il pas présomptueux de vouloir étoffer une chronologie s’étendant sur plusieurs
siècles avec des documents puisés sur place, dans le village où le « pays » que nous habitons ?
Il faut donc étendre le « sens » de « locale » à toute la Corse. Et nous avons pour compenser
ce dépaysement, un lien solide : le dialecte. […] Le Syndicat de l’Enseignement laïc de la
Corse s’honorerait en reprenant l’édition (commencée en 1932 et interrompue faute d’argent)
de fiches d’histoire locale dont le besoin se fait sentir, car les manuels (Ambrosi, Albitreccia)
sont chichement illustrés ». « Histoire nationale et Histoire locale », Bulletin du Syndicat de
l’Enseignement Laïc de la Corse (Section départementale du Syndicat National des instituteurs), C.G.T., n° 7, janvier 1946, Ajaccio, S.A. d’imprimerie et d’édition du Front national.
50. Vinciguerra J., « Le Manuel d’Histoire de la Corse de J.-P. Lucciardi », Le Petit Bastiais, 21 au
21 octobre 1925.
51. Nora Pierre, « Lavisse, instituteur national. Le “Petit Lavisse”, évangile de la République »,
dans Nora Pierre [dir.], Les lieux de mémoire, I. La République, Paris, Gallimard, coll. Bibliothèque des histoires, 1984, p. 247.
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assume une triple fonction : il affirme une identité ; il garantit une continuité ; il
conforte une communauté de destins52. »
Par ailleurs, l’ouvrage s’inscrit dans le mode de valorisation des grands
hommes et reflète aussi l’articulation entre le local et le national, suivant la logique de l’étagement des appartenances et la progressivité propre à la pédagogie
républicaine53.
Dans La France sensible, Pierre Sansot trouve les mots appropriés pour évoquer
le climat dans lequel l’École française baigne sous la Troisième République :
« En un sens on transmettait une culture et parfois la plus artificielle qui soit.
Le village était bien oublié, semble-t-il, quand on traçait en ce lieu des lignes
idéales qui jamais ne se rencontrent en ce monde ou quand on racontait une
histoire de France avec ses chevaliers, ses rois qui avait peu de rapports avec les
histoires de voisinage. Mais, en même temps, c’était tous les enfants du village
qui étaient rassemblés en cette unique école et souvent leurs pères avaient été
déjà compagnons de classe avec une ribambelle de frères, de cousins. On les avait
tous jetés, arbitrairement, dans cet univers factice, incroyable, fait de problèmes
d’arithmétique composite et de dictées conventionnelles. Cependant ce voyage en
commun dans la fantaisie qui leur était imposée, auquel nul, de mémoire d’homme
(sauf les nomades, les inhumains), ne s’était soustrait, ne pouvait que les unir et les
constituer enfants de ce village. C’était bien là une forme achevée de la culture :
non point augmenter le savoir mais imprimer une marque commune à une certaine
catégorie d’individus »54.
De toute évidence, les populations concernées par l’équation simpliste « école
= français » acceptent tacitement la nouvelle donne scolaire de l’exclusion des
langues régionales. Se penchant sur le sort du breton sous la Troisième République,
Francis Favereau affirme que « la réaction de la population est bien difficile à
sonder un siècle plus tard, même si l’on admet qu’elle adhéra à l’idéologie du
“progrès” de la République sociale, tout en conservant sa langue, dans un premier
temps, peut-être plus grâce à sa force d’inertie, que par choix délibéré »55. Il serait
erroné de vouloir réduire l’école républicaine à la seule image d’une puissante
machine idéologique destinée à broyer les particularismes. Un examen attentif des
Instructions officielles montre que celles-ci ont oscillé entre l’apologie de l’universel et du national et l’incitation à tenir compte du « local » pour faciliter les
acquisitions. Certes, soulignent Marie Duru-Bellat et Agnès Van Zanten, on peut
52. Burguière André, Revel Jacques [dir.], Histoire de la France. L’espace français, Paris, Éditions
du Seuil, 1989, p. 10.
53. Chanet Jean-François, « La fabrique des héros. Pédagogie républicaine et culte des grands
hommes, de Sedan à Vichy », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, 2000, n° 65, p. 22.
54. Sansot, op. cit., p. 197.
55. Favereau Francis, « Langue bretonne, nation française, République jacobine et perspective
européenne », Revue internationale d’éducation (revue du Centre international d’études pédagogiques, Sèvres), n° 3, septembre 1994, p. 79.
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L’HISTOIRE SCOLAIRE
ne voir dans ces démarches qu’un détour stratégique, l’adaptation locale étant un
moyen et non pas une fin en soi56.
La classe de Lucciardi est « un lieu institutionnel »57 où Anatole France et
Le Tour de la France par deux enfants sont au programme. Comme le soulignent
Jacques et Mona Ozouf « le chauvinisme local ne se nourrit que des bienfaits
rendus à la collectivité nationale par un tempérament particulier et dans une contribution originale »58.
L’approche et l’interprétation historiques qui animent Lucciardi s’inspirent
clairement de l’empreinte de Lavisse telle qu’elle se donne à lire dans l’avantpropos des Questions d’enseignement national et dans « L’Histoire à l’École »,
discours prononcé le 15 août 1904 : « …il y a dans ce monde aujourd’hui si actif
de l’école populaire, une grande vertu : on a le courage d’y être bon Français et de
le dire. Vous n’y rencontrerez pas cette détestable crainte du ridicule, qui nous fait
hésiter devant les grands mots qui expriment les grands sentiments. On prononcera
le mot patriotisme avec quelque emphase, mais cela ne vaut-il pas mieux que de le
dire tout bas, avec une hésitation de la langue, comme si on voulait se faire pardonner cette hardiesse à offenser le bon goût ? Je dirai plus encore. J’ai peur que ce ne
soit pas seulement l’expression qui manque au sentiment dans une certaine partie
de la nation, mais que le sentiment même n’y ait pas cette vigueur qu’il lui faut
pour posséder les âmes »59.
« La connaissance de l’histoire éclaire l’amour de la patrie. La patrie, le lieu
de l’humanité où nous sommes nés, est distinguée des autres patries par la nature
et plus encore par l’histoire, c’est-à-dire par un ensemble d’actions et d’idées
successives qui ont composé notre destinée. Vous n’avez pas le droit d’ignorer
comment la France est devenue une des plus grandes parmi les nations. Pour être
Français, il ne suffit pas de se donner la peine de naître en France, ainsi que font
nos peupliers et nos saules. Enfin, c’est l’histoire qui, nous apprenant l’œuvre faite
par nos devanciers, nous enseigne l’œuvre à faire »60.
Comme le souligne fort justement Pierre Nora, « Lavisse aurait, d’après son
propre témoignage, voulu transformer l’éducation personnelle à laquelle il fut
réduit en un système moderne d’éducation collective inspirée par une grande idée
nationale »61. Le Manualettu est conforme au modèle de cette histoire de France,
« genre canonique qui, pendant des siècles, a eu pour rôle de garantir la continuité
de l’existence nationale dans la plus longue durée possible et sur un mode quasi
56. Duru-Bellat, Van Zanten, op. cit., p. 93-94.
57. Ardoino Jacques, Éducation et politique, Paris, Anthropos, éd. or. 1977, rééd. 1999, p. 13.
58. Ozouf Jacques et Mona, « Le Tour de France par deux enfants. Le petit livre rouge de
la République », dans Nora Pierre [dir.], Les lieux de mémoire, I. La République, Paris,
Gallimard, coll. Bibliothèque des histoires, 1984, p. 296.
59. Lavisse Ernest, Questions d’enseignement national, Paris, Librairie classique Armand Colin,
1885, p. XXV.
60. Lavisse Ernest, Discours à des enfants, Paris, librairie Armand Colin, 1907, p. 27-28.
61. Lavisse, op. cit., 1907, p. 249.
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LES LUCCIARDI – UNE FAMILLE CORSE DE POÈTES ET D’INSTITUTEURS
biologique ; de fonder une communauté de destins ; de démontrer l’exemplarité du
destin français »62. Au-delà de tout effet de palabre, Lucciardi propose une lecture
très scolaire et synthétique du passé insulaire. Comme le signifie Antoine Prost,
à l’école primaire, l’histoire était une éducation du patriotisme par la sensibilité.
L’histoire savante et scientifique était bonne pour les élites, non pour le peuple.
Pour le peuple, poursuit Antoine Prost, il suffisait, mais il était indispensable, de
façonner une sorte de légendaire porteur d’identité63.
L’histoire occupe une place centrale dans l’école de la Troisième République.
Comme le note Philippe Joutard : « Traiter de l’enseignement de l’histoire à l’école
en France n’est pas un sujet neutre. On sait en effet le rôle joué par la mémoire
historique dans la constitution de l’identité nationale, plus que dans aucune autre
nation, et cela dès l’époque médiévale. Siècle après siècle se constitue une mythologie historique fondée sur quelques principes simples : ancienneté de la France,
dont l’origine se confond avec l’origine de l’humanité ; permanence à travers les
siècles, mais faite de catastrophes épouvantables suivies de redressements spectaculaires ; pour tout dire, destin providentiel avec une mission universelle »64.
La géographie et l’histoire nourrissent le sentiment national. L’histoire scolaire
s’apparente à une sorte d’album de famille où Vercingétorix, Clovis, Charlemagne,
Saint Louis, Bayard, Jeanne d’Arc, la fête de la fédération, Napoléon et la formation des frontières de la France occupent les esprits.
Comme le souligne Pierre-Yves Bourdil, l’histoire « fabrique des citoyens »,
des individus conscients du caractère mutuel de leurs devoirs. Elle ne cache pas
son ambition délibérée d’attribuer à tous les citoyens un passé constitué de la
même façon. Bretons, Basques, Savoyards, poursuit Bourdil, par vertu historienne
et républicaine, deviennent français65.
Après la publication en 1925 du Manualettu di a storia di a Corsica, JeanPierre Lucciardi compose en langue corse une Geografia di a Corsica, petit autre
ouvrage didactique destiné à compléter l’enseignement d’histoire-géographie. Le
projet était bien avancé et la revue U Lariciu donne en 1926 quelques extraits d’un
manuel qui ne sera jamais publié66.
62. Hartog François, Revel Jacques, « Note de conjoncture historiographique », dans Hartog
François et Revel Jacques [dir.], Les usages politiques du passé, Paris, Éditions de l’École des
hautes études en sciences sociales, 2001, p. 14-15.
63. Prost Antoine, « Peut-on faire l’éducation politique des élèves aujourd’hui comme hier ? »,
Questions pour l’éducation civique. Former des citoyens, Paris, Hachette Éducation, 2000,
p. 68.
64. Joutard Philippe, « L’enseignement de l’histoire », dans Bédarida François [dir.], L’histoire
et le métier d’historien en France 1945-1995, Paris, Éditions de la Maison des sciences de
l’homme, 1997, p. 45.
65. Bourdil Pierre-Yves, La mise en scène de l’histoire. L’invention de l’homme laïc, Paris,
Flammarion, 1998, p. 29.
66. U Lariciu, « Biographies régionalistes : J.-P. Lucciardi », U Lariciu, rivista trimestriale di
litteratura e arti regionalisti corsi, Uttobre 1926, n° 1, p. 5-6.
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La langue corse à l’école
Le plus grand des crimes, c’est de tuer la langue d’une nation
avec tout ce qu’elle renferme d’espérance et de genre.
Charles Nodier
Pendant les grandes vacances de 1923, l’épisode est bien connu, alors que sa
carrière professionnelle touche à sa fin et qu’il dirige l’école de son village natal,
Jean-Pierre Lucciardi prend la plume pour répondre à une demande de l’inspecteur primaire de Calvi. L’instituteur rédige un Rapport1 sur l’intérêt à ne point
exclure le corse des classes afin de consolider le bon apprentissage de la langue
française. Dans son exposé, Lucciardi note la résistance de la langue corse à la
pression de la norme scolaire en français et propose d’introduire une dimension
comparative en utilisant les interactions langagières. Ainsi, le Rapport vise à
mettre en lumière fonctionnements et dysfonctionnements spécifiques, de façon
à accroître la qualité de l’enseignement dispensé et doit permettre une objectivation de l’acquisition des compétences en langue française. À l’activation du
voisinage linguistique du corse, l’apprentissage du français peut être favorisé.
Selon Lucciardi, le bilinguisme des élèves et plus largement de la société corse
est marqué par une diglossie importante. D’une part, les écoliers étudient méthodiquement le français, s’imprègnent du vocabulaire et apprennent les règles de
grammaire. D’autre part, la langue corse, langue première, sert de point d’appui
à l’apprentissage du français et est entièrement tendue vers cet objectif. Le français et le corse entrent dans une relation de complémentarité qui est tout sauf
réciproque puisque le corse n’est pas érigé en objet d’enseignement et encore
moins en langue de scolarisation.
En octobre 1923, Le Rapport est publié dans l’édition corse du PetitMarseillais. Les lecteurs trouvent ainsi une contribution originale qui interpelle et invite à la réflexion l’ensemble des acteurs concernés : maîtres, parents
d’élèves, curieux, intellectuels… Selon Lucciardi, la langue corse ne constitue
pas une menace pour la langue française mais bien une source d’enrichissement et une aubaine pédagogique. L’instituteur-poète est conscient de la fracture
linguistique qui menace la société corse. Pour les écoliers, la langue des textes
qu’on leur demande d’étudier est étrangère à celle qu’ils utilisent au quotidien.
Il n’est pas inutile de signaler que l’instituteur et littérateur développent cette
idée comme président-fondateur de la « Sucietà di a Lingua corsa », association
créée en 1922 pour assurer la défense et la promotion de la langue corse dans la
1. Conservé dans les archives familiales et reproduit par Maria Cicilia Querci, le texte original du
Rapport porte la date suivante : « Santo-Pietro-di-Tenda, le 20 juillet 1923 ».
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LES LUCCIARDI – UNE FAMILLE CORSE DE POÈTES ET D’INSTITUTEURS
société insulaire. Dans le premier numéro du bulletin de l’association, Lucciardi
écrit : « Bulemu sperà chi prestu sta lingua sarà insignata accantu a u frencese,
in tutte e nostre scòle di Corsica2 ».
Cette question de l’imposition de la « langue scolaire » a fait l’objet d’une
analyse sans fard de la part de Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron dans
La Reproduction : « Si le rapport laborieux au langage où perce l’anxiété d’imposer et de s’imposer est inconsciemment catalogué comme aisance du pauvre
ou, ce qui revient au même, ostentation de nouveau riche, c’est qu’il laisse trop
clairement transparaître sa fonction de faire-valoir pour ne pas être suspect de
vulgarité intéressée aux yeux d’enseignants attachés à la fiction prestigieuse d’un
échange qui, même à l’examen, resterait à lui-même sa fin. L’opposition entre
ces deux types de rapport au langage renvoie à l’opposition entre deux modes
d’acquisition exclusivement scolaire qui voue à un rapport “scolaire” à la langue
scolaire et le mode d’acquisition par familiarisation insensible, seul capable de
produire complètement la maîtrise pratique de la langue et de la culture autorisant
les allusions et les complicités cultivées. Tout oppose l’expérience de l’univers
scolaire que prépare une enfance passée dans un univers familial où les mots
définissent la réalité des choses à l’expérience d’irréalité que procure aux enfants
des classes populaires l’acquisition scolaire d’un langage bien fait pour déréaliser tout ce dont il parle parce qu’il en fait toute la réalité : le langage “châtié”
et “correct”, c’est-à-dire “corrigé”, de la salle de classe s’oppose au langage
que les annotations marginales désignent comme “familier” ou “vulgaire” et,
plus encore, à l’anti-langage de l’internat où les enfants originaires des régions
rurales, affrontés à l’expérience simultanée de l’acculturation forcée et de la
contre-acculturation souterraine n’ont de choix qu’entre le dédoublement et la
résignation à l’exclusion3. »
C’est sur la base des éléments proposés par Lucciardi, que Monsieur Biron,
inspecteur à Bastia, jette les bases d’une enquête sur « l’utilisation du dialecte
corse à l’école primaire » en 1924. Toutefois, l’inspection juge inappropriée la
défense du corse à l’école et rejette les innovations proposées par l’instituteur de
Santo-Pietro-di-Tenda. À l’exception d’une poignée d’intellectuels, de militants
régionalistes regroupés autour de la revue annuelle L’Annu Corsu, d’autonomistes rassemblés autour du journal A Muvra, la société corse de l’entre-deuxguerres ne se mobilise guère pour la défense et la promotion de la langue corse
sur le terrain scolaire. Les parents des milieux populaires se montrant souvent
réticents devant la possibilité d’enseigner le corse. Cette prudence s’explique par
2. « Nous voulons espérer que cette langue sera enseignée rapidement et dans toutes nos écoles de
Corse avec le français ». Lucciardi J.-P., « Un prugressu », A Lingua corsa. Rivista di litteratura
é di studii corsi, n° 1, 1922, p. 7.
3. Bourdieu Pierre, Passeron Jean-Claude, La reproduction. Éléments pour une théorie du système
d’enseignement, Paris, les éditions de Minuit, coll. Le sens commun, éd. or.1970, rééd. 1999,
p. 150-151.
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LA LANGUE CORSE À L’ÉCOLE
le fait qu’il s’agit à leurs yeux d’une langue n’ayant que peu d’utilité scolaire et
n’offrant qu’une faible valorisation.
Le 14 août 1925, Anatole de Monzie, ministre de l’Instruction publique et des
Beaux-Arts, répond par circulaire à la demande de la Fédération Régionaliste
Française pour proscrire de façon irrévocable l’enseignement du « patois » à
l’école : « Enfin j’observe qu’il n’est pas nécessaire de pratiquer le langage local
pour pratiquer tous les devoirs du régionalisme, pour s’employer à la sauvegarde
des chers monuments du passé, pour prendre un rôle dans cette reconstitution
méthodique des histoires locales à laquelle se passionnent les régimes les plus
subversifs4. »
Pour Anatole de Monzie, « l’École laïque, pas plus que l’Église concordataire, ne saurait abriter des parlers concurrents d’une langue française dont le
culte jaloux n’aura jamais assez d’autels ». Par conséquent, les recommandations de Lucciardi, qualifiées d’« intelligente initiative5 » par Paul Arrighi, ne
seront pas mises au banc d’essai. C’est que l’école de la Troisième République
se montre pointilleuse de la place hégémonique du français : « Outre l’idéal
unilingue, cette école diffusera quelques solides croyances devenues ainsi, elles
aussi, constitutives de l’idéologie linguistique française : qu’il n’y a de vraie
langue qu’écrite et que la moindre modification de l’orthographe met en péril
l’unité de la nation6 ». Le combat pour la reconnaissance de la langue corse c’est
un peu la lutte du pot de terre contre le pot de fer.
Nonobstant, l’inspecteur Biron ne lâche pas prise et ne renonce pas à défendre
la présence des langues régionales à l’école. Quelques semaines avant la mort de
Jean-Pierre Lucciardi, Biron publie dans U Fucone une contribution intitulée « La
classe en dialecte ». À quelques années de distance, le texte fait écho au Rapport de
Lucciardi. Même s’il ne ferme pas la porte aux langues régionales, Biron ne prône
qu’un entrebâillement et un emploi pédagogique bien timoré. Il nous a semblé utile
de reproduire de larges extraits de ce point de vue.
« On sait que les extrêmistes du régionalisme n’aiment pas beaucoup la langue
française, je veux dire la langue française enseignée aux petits bergers, aux fils de
paysans et à tous les enfants de la campagne. Le pédantisme de nos écoles les fait
sourire. Ils reprochent à la pédagogie moderne de mépriser les habitudes du terroir,
d’avoir une prédilection coupable pour la fausse science et le beau langage, bref de
donner dans le ridicule de Trissotin et de Philaminte. Aussi voudraient-ils, à l’imitation du bon Pantagruel, infliger quelque “tour de pigne” aux gosses de la primaire
qui s’appliquent à “contrefaire” le français au lieu de parler naturellement…
4. Giroussens Philippe, « L’occitan est-il une discipline ? », Lengas, revue de sociolinguistique,
n° 46, 1999, p. 17.
5.
Arrighi Paul, « La vie littéraire et intellectuelle de la Corse », Villat F., Ambrosi C., Arrighi P.,
Guelfi J.-D. [dir.], Visages de la Corse, Paris, éditions des horizons de France, coll. « provinciales »,
1951, p. 118.
6. Encrevé Pierre, « La langue de la République », Pouvoirs, revue française d’études constitutionnelles et politiques, n° 100, Paris, Seuil, janvier 2002, p. 131.
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LES LUCCIARDI – UNE FAMILLE CORSE DE POÈTES ET D’INSTITUTEURS
Certes le remède est un peu brutal, mais ils n’en aiment point d’autres. N’essayez
pas de leur dire : “Nous ne proscrivons pas absolument le dialecte et nous souhaitons qu’on l’utilise pour faciliter l’apprentissage de la langue nationale.” Ils ne vous
écouteraient pas : les demi-mesures n’ont rien qui les tente et toute pédagogie leur est
sacrilège qui condamne l’idiome du cru à servir “d’escabeau”, ou – comme ils disent
encore – à “cirer les bottes” du français !
Osons le reconnaître : il y a du vrai dans leurs doléances et tout d’abord ceci que
des leçons faites dans la langue du terroir seraient certainement plus claires, plus
attrayantes, plus efficaces. Chez nous, il est particulièrement facile de s’en rendre
compte. Délaissons la région du Cap où le marin, qui a vu du pays, parle une sorte de
sabir qu’il prend pour du français ; pénétrons à l’intérieur de l’île, en plein maquis,
et accédons par quelque sentier de chèvre dans un de ces villages haut perchés qui
se tiennent à distance de la route, agent de civilisation et de progrès. Aux premiers
contacts, nous nous apercevrons que le dialecte est ici la seule langue vivante. C’est
en corse qu’on bavarde et qu’on s’interpelle. C’est en corse que le conseil municipal
délibère. C’est en corse que le curé prêche et confesse. Naturellement, les enfants
jouent ou se disputent en corse. Quel entrain dans leurs ébats. Et quelle volubilité
dans leurs discussions !
En classe, le tableau change. C’est le français qui crée l’atmosphère, mais un
français imposé et pour tout dire une langue étrangère. Aussi quelle contrainte et
parfois quel ennui ! Les petits se renferment dans une sorte de timidité sauvage et
c’est à peine s’ils répètent les phrases que l’institutrice articule avec une sage lenteur.
Les “moyens” un peu plus spontanés, témoignent cependant d’une élocution qui
rappelle le parler nègre. Quant aux grands, ils jettent mécaniquement leurs réponses
dans le moule fourni par les questions. Chez tous, les facultés semblent paralysées,
en proie qu’elles sont au “mal scolaire.”
Aussi, quels dangers à prévoir ! L’interdiction qui lui est faite de s’exprimer en
dialecte décourage l’élève de penser à voix haute. Cesse-t-il de comprendre ? La
maîtresse n’en sait rien et la leçon poursuit quand même son ronron monotone. A-t-il
besoin d’être grondé ou consolé. La langue du berceau est seule capable de l’émouvoir et on a l’air de la mépriser. Déconcerté et dépaysé, voilà donc notre petit paysan
presque incapable de suivre attentivement les exercices scolaires, de sympathiser
avec l’institutrice et de sentir la pointe de ses conseils. Comme l’idiome local éclairerait ici les moindres choses et mettrait les âmes à l’unisson !
Peut-être faut-il aller plus loin. Peut-être faut-il dire que la langue du cru
apporte avec elle une tradition orale où les enfants trouvent de quoi satisfaire
les besoins de leur esprit et de leur cœur. S’exprimer en provençal ou en corse,
n’est-ce pas se donner la chance d’évoquer les aphorismes, les dictons, les
proverbes corses ou provençaux ? N’est-ce pas remuer un monde d’idées ? […]
On a dit à ce propos que les idiomes du terroir n’expriment bien que des idées
vieillies et, comme il fallait s’y attendre, on les a accusés d’être les conservatoires
de toutes les traditions “réactionnaires”. Cela n’est pas et cela ne peut pas être
toujours vrai. […]
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LA LANGUE CORSE À L’ÉCOLE
Pourtant, il y a des idées et des sentiments qui ne gagneraient rien à emprunter
les formules du terroir. Même quand il s’agit d’exprimer les détails de la vie
matérielle, le dialecte est parfois trop court. Son vocabulaire concret s’étend à
peine jusqu’aux limites de la civilisation du pays. En certains villages corses, par
exemple, l’automobile, la bicyclette, la voiture, la brouette… sont inconnues :
autant de mots qui manquent en même temps que les choses. D’ailleurs, beaucoup
d’objets, de machines, de plantes même n’ont pas une appellation spéciale dans
la langue indigène et ce sont des mots étrangers plus ou moins “corsisés” qui
désignent tout ce qu’on a importé : le cric, le rouleau, le train, l’eucalyptus…
Certes, appliqué aux faits, aux idées et aux sentiments de la petite patrie,
l’idiome local conserve toute sa valeur expressive. Mais l’enfant doit-il être confiné
dans le cercle étroit de la civilisation du terroir ? Et si on désire qu’il dépasse l’horizon trop borné de son village, comment se contenter, pour lui, du dialecte ? Sa
langue maternelle, trop pauvre en abstractions, ne pourrait pas le doter d’une véritable culture. […] Les élèves de l’École normale d’Ajaccio employaient autrefois
l’idiome du cru pour bavarder entre eux de leurs leçons. Hélas, la géométrie et
bien d’autres disciplines se prêtaient mal à cet exercice et, à tout bout de champ, il
fallait introduire dans la conversation des termes français afin de combler les lacunes du vocabulaire local. À l’École primaire, où les abstractions sont pourtant plus
rares, les instituteurs font souvent des remarques analogues et, pour eux, l’emploi
de la langue nationale est indispensable dès qu’on dépasse les idées relativement
simples qui étoffent les légendes, les contes et les traditions du pays. […]
Certes, ces paroles cruellement ironiques grossissent et dramatisent un peu trop
les inconvénients qui résultent d’un emploi exclusif du dialecte. Mais que conclure
de nos remarques sinon que l’idiome local, moyen d’enseignement attrayant, pénétrant et facile, doit cependant être considéré comme un outil pédagogique tantôt
excellent, tantôt inutile et tantôt mauvais ?
C’est parce qu’il est insuffisant ou dangereux que la classe en français s’impose. Mais comme il est parfois utile, pourquoi n’en ferait-on pas un auxiliaire
intermittent de l’éducation ? Cela ne suffirait peut-être pas à faire entrer la joie
dans nos écoles de village, car une proscription même atténuée de la langue maternelle oblige les enfants à juxtaposer à leur vie ordinaire une vie plus artificielle,
capable d’engendrer l’équivoque, le verbalisme et l’ennui. Mais cela contribuerait
à faciliter la tâche de nos maîtres en les rapprochant un peu plus de leurs élèves. Et
cet avantage a bien son prix »7.
L’idéologie linguistique française, de l’abbé Grégoire à nos jours, ignore que
le plurilinguisme est la chose du monde la mieux partagée. C’est qu’en France, la
langue – élevée au rang de religion d’État – conditionne l’existence de la nation.
Que la francisation soit un bienfait est un credo commun pour les instituteurs8.
7. Biron, « La classe en dialecte », U Fucone, revue de littérature et d’études corses, juin 1928,
n° 4, p. 5-10.
8. Ozouf, op. cit., 1984, p. 408.
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Dans son Tableau de la France publié en 1833 et réédité en 1875, ouvrage qui soit
dit au passage ignore superbement la Corse, Michelet soutient que « L’histoire de la
France commence avec la langue française. La langue est le signe principal d’une
nationalité »9. Porter atteinte au français reviendrait donc à disloquer la nation et à
porter atteinte à l’indivisibilité de la République. Dans son Tableau, Michelet écrit
que « L’Angleterre est un empire, l’Allemagne un pays, une race ; la France est
une personne »10. Plus loin encore, l’historien décrit la construction de la nation
française de la manière suivante : « Cette unification de la France, cet anéantissement de l’esprit provincial est considéré fréquemment comme le simple résultat
de la conquête des provinces. La conquête peut attacher ensemble, enchaîner des
parties hostiles, mais jamais les unir. La conquête et la guerre n’ont fait qu’ouvrir les
provinces aux provinces, elles ont donné aux populations isolées l’occasion de se
connaître ; la vive et rapide sympathie du génie gallique, son instinct social ont fait
le reste. Chose bizarre ! ces provinces, diverses de climats, de mœurs et de langage,
se sont comprises, se sont aimées ; toutes se sont senties solidaires. Le Gascon s’est
inquiété de la Flandre, le Bourguignon a joui ou souffert de ce qui se faisait aux
Pyrénées ; le Breton, assis au rivage de l’Océan, a senti les coups qui se donnaient
sur le Rhin. Ainsi s’est formé l’esprit général, universel de la contrée. L’esprit local
a disparu chaque jour ; l’influence du sol, du climat, de la race, a cédé à l’action
sociale et politique. La fatalité des lieux a été vaincue, l’homme a échappé à la
tyrannie des circonstances matérielles. Le Français du Nord a goûté le Midi, s’est
animé à son soleil, le Méridional a pris quelque chose de la ténacité, du sérieux,
de la réflexion du Nord. La société, la liberté, ont dompté la nature, l’histoire a
effacé la géographie. Dans cette transformation merveilleuse, l’esprit a triomphé
de la matière, le général du particulier, et l’idée du réel. L’homme individuel est
matérialiste, il s’attache volontiers à l’intérêt local et privé ; la société humaine est
spiritualiste, elle tend à s’affranchir sans cesse des misères de l’existence locale, à
atteindre la haute et abstraite unité de la patrie11. »
Il convient de noter que ces diverses figures ont toutes une historicité particulière. Mais, elles ont en commun de construire une représentation de l’ennemi qui se
déplace de l’extérieur vers l’intérieur. Cet adversaire intérieur infiltré et silencieux
participe d’une sorte de cinquième colonne qui met en danger le corps social. Pour
la Révolution française, la diversité linguistique assiste la trahison et entrave le
progrès. Imprégné par la lecture de la Bible, l’abbé Grégoire écrit dans son Rapport :
« Ainsi, avec trente patois différents, nous sommes encore, pour le langage, à la tour
de Babel, tandis que, pour la liberté, nous formons l’avant-garde des nations12 ».
9. Michelet Jules, Tableau de la France. Géographie physique, politique et morale, Paris,
Librairie internationale A. Lacroix et Cie, éd. or. 1833, rééd. 1875, p. 1.
10. Ibidem, p. 80.
11. Ibid., p. 82.
12. Cité par Certeau Michel (de), Julia Dominique, Revel Jacques, Une politique de la langue. La Révolution française et les patois, Paris, Gallimard, coll. Bibliothèques des histoires, 1975, p. 302.
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Sur ce point, Mona Ozouf écrit des pages définitives : « Pour comprendre le climat
dans lequel s’établit en France le débat régionaliste, il faut se souvenir que c’est
la centralisation qui a longtemps défini aux yeux des Français l’excellence nationale et nourri le chauvinisme. On le vérifierait aisément dans ces textes normatifs
et élémentaires que sont les manuels scolaires. C’est dire la difficulté particulière
de la France à penser les différences régionales. Elle a été encore aggravée par la
liaison nouée sous la Révolution entre la nation française et les valeurs universelles ; les particularités apparaissent dès lors non seulement comme des entraves à
l’esprit national, mais comme des obstacles à la constitution d’un homme universel
et générique. On comprend mieux dans ces conditions le mouvement qui renvoie
si souvent la description des particularités régionales au lointain passé du pays. La
bigarrure régionale est comme une enfance de la nation française. S’y attarder est
dans le meilleur des cas un archaïsme esthétique et, dans le pire, une régression
volontaire, un séparatisme criminel13. »
Pierre Bourdieu explique : « La langue officielle a partie liée avec l’État. Et
cela tant dans sa genèse que dans ses usages sociaux. C’est dans le processus de
constitution de l’État que se créent les conditions de la constitution d’un marché
linguistique unifié et dominé par la langue officielle : obligatoire dans les occasions officielles et dans les espaces officiels (école, administrations publiques,
institutions politiques, etc.), cette langue d’État devient la norme théorique à
laquelle toutes les pratiques linguistiques sont objectivement mesurées. Nul n’est
censé ignorer la loi linguistique qui a son corps de juristes, les grammairiens, et
ses agents d’imposition et de contrôle, les maîtres de l’enseignement, investis du
pouvoir de soumettre universellement à l’examen et à la sanction juridique du
titre scolaire la performance linguistique des sujets parlants14. »
Les deux documents ont été retranscrits in extenso par Jacques Fusina.
Comme le souligne fort justement Alain di Meglio, – qui tente un essai de
relecture critique du rapport –, « l’école n’ouvre alors qu’une seule brèche pour
y faire entrer le dialecte : celle de servir de tremplin à l’acquisition du français ».
Il ne s’agit donc pas de réclamer un processus d’institutionnalisation de la langue
corse. Les orientations de Jean-Pierre Lucciardi s’amarrent à la méthode intuitive
si chère à Ferdinand Buisson15. Elles sont également proches de celles exprimées
13. Ozouf, op. cit., 1984, p. 27.
14. Bourdieu Pierre, Ce que parler veut dire. L’économie des échanges linguistiques, Paris, Fayard,
1982, p. 27.
15. « Il faut distinguer sous le terme d’intuition deux idées que les maîtres confondent parfois :
la méthode et les procédés. Les procédés sont plus généralement connus et admis que la
méthode, et cependant ils ne valent que par elle. Ce qu’on appelle dans les programmes allemands exercices d’intuition, ce que les Américains ont nommé leçons de choses, ce que nous
avons inauguré en France sous le nom d’enseignement par les yeux, tout ceci n’est qu’une
application – la première, il est vrai, dans l’ordre des études mais aussi la moins importante –
de la méthode intuitive prise au sens général. Ces divers procédés élémentaires rendent de
réels services aux débuts de l’enseignement, aussi prennent-ils une extension croissante, et à
Vienne, des collections nombreuses d’appareils “d’intuition” et d’images de toute sorte attes-
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dès 1872 par Michel Bréal (1832-1915), professeur de grammaire comparée au
Collège de France : « Améliorons les méthodes, éveillons l’esprit engourdi de
nos petits paysans, formons le bon sens de nos enfants des villes, habituons-les
tous à observer et à penser. Ce sera là, du même coup, le seul remède possible
à la scission dont nous parlions tout à l’heure. […] Il semble, d’après cela, qu’il
ne puisse y avoir d’enseignement plus attrayant et plus substantiel que la leçon
de grammaire française. D’où vient cependant qu’elle est la plus vide et la plus
rebutante de toutes ? Si nous consultons nos souvenirs, nous nous rappellerons
que la grammaire française était pour nous une source d’ennuis et de dégoûts, et si
nos maîtres veulent être sincères, ils conviendront que c’est cette leçon qui, dès les
premiers pas, détourne pour toujours de l’école ou décourage de tout effort sérieux
une quantité de nos enfants. Deux grandes erreurs pèsent sur l’enseignement de la
langue française. D’un côté on suppose que le français doit être appris par règles,
comme une langue morte, et d’autre part on fait prédominer l’enseignement de la
langue écrite sur celui de la langue parlée. […] Mais à peine sont-ils assis sur les
bancs de la classe, que ces avocats si diserts sont traités comme s’ils avaient le
français à apprendre et comme s’ils avaient été sourds et muets jusqu’au jour de
leur entrée à l’école16. »
Les prises de position de Bréal sont connues de Frédéric Mistral qui cite des
extraits significatifs de Quelques mots sur l’instruction publique en France dans
« Lou prouvençau a l’escolo. Discours prounoucia en Bartalasso (13 d’avoust
1888) » : « L’élève qui arrive à l’école parlant son patois est traité comme s’il n’apportait rien avec lui ; souvent même on lui fait un reproche de ce qu’il apporte, et
on aimerait mieux la table rase que ce parler illicite dont il a l’habitude. Rien n’est
plus fâcheux et plus erroné que cette manière de traiter les dialectes. Loin de nuire
à l’étude du français, le patois en est le plus utile auxiliaire. On ne connaît bien une
langue que quand on la rapproche d’une autre de même origine… Introduisez le
français, tout en respectant le dialecte natal… L’enfant se sentira fier de sa province
et n’en aimera que mieux la France17. »
Mistral explique : « Lou vesès dounc, Messiés, la pretencioun qu’avèn de faire
respeta lou prouvençau dins lis escolo, n’es pas, comme volon dire lis enemi dóu
Felibrige, uno idèio arreirado nimai antifranceso, es au countràri lou soulet biais
de counservo e d’espandi, pèr tout caire e cantoun de la terro de Franço, aquel
estacamen, aquel afougamen prouvinciau e coumunau, que soulet pòu adurre la
vido à la prouvinço, coume aduguè, antan, la liberta à la Souïssa, l’independènci
taient la faveur qui les accueille ». Buisson Ferdinand, Rapport sur l’instruction primaire
à l’Exposition universelle de Vienne, en 1873, Paris, Imprimerie nationale, 1875. Cité par
Terral, op. cit., p. 63.
16. Bréal Michel, Quelques mots sur l’instruction publique en France, Paris, Librairie Hachette,
1872, p. 24-33.
17. Cité par Mistral Frédéric, Discours e Dicho, Avignoun, Publicacioun dóu flourege prouvençau,
1906, p. 70.
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LA LANGUE CORSE À L’ÉCOLE
à l’Americo, la Reneissènço à l’Itàli, e lou pountificat de touto glòri umano à la
meravihouso Grèço18 ! »
Une nouvelle fois dans un texte, Mistral défend le principe de l’enseignement
du provençal à l’école. Dans « Lou prouvençau dins lis escolo », publié dans le
numéro 261 de l’Aiòli, le poète de Maillane s’oppose aux conclusions contenues
dans l’étude De l’utilité des idiomes du Midi pour l’enseignement de la langue
française (1898), par Henri Oddo19, félibre et bibliothécaire-adjoint à la Chambre
des députés. Oddo écrit : « C’est un véritable malentendu qui a fait supposer que
le Félibrige de Paris avait eu l’arrière-pensée d’arriver à demander l’enseignement
officiel du provençal dans les écoles du Midi. Jamais et à aucun moment il n’en a
été question. Ce qui est vrai et ce qui a pu amener une confusion dans l’esprit de
ceux qui se sont plu à répandre ce bruit, c’est que nous avons bien souvent exprimé
le vœu que, dans les écoles fréquentées par des enfants parlant surtout l’idiome
local, les professeurs fussent pris dans la région. Et cela pour cette seule raison
que, possédant comme leurs élèves la connaissance de cet idiome, ils puissent se
faire mieux comprendre, obtenir des résultats meilleurs et utiliser les dialectes de
la langue d’oc, comme une sorte de bas-latin, pour l’enseignement de la langue
nationale, suivant les doctes conseils de Michel Bréal20. »
Mistral rétorque : « Talo declaracioun n’es pas sènso nous estouna. Coume,
diàussi ! Messiés li Felibre de Paris (aquéli dóu cafè Voltaire), que tóuti lis
an, semoundon de pres is escoulan de tóuti lis escolo pèr ié taire tradurre en
lengo prouvençalo de tros de latin, de tros de francés, sarien adounc countràri à
l’ensignanço óuficialo dóu prouvençau dins lis escolo ! Coume ! quand s’autouriso
au coustat dóu francés, l’ensignamen de l’alemand, de l’anglés, de l’italian, de
l’espagnòu e de l’aràbi, la lenga d’O de Franço sarié soulo prouscricho dis escolo
dóu poble, sarié souspèto meme i Felibre de Paris ! Anen, anen ! Moussu Oddo,
cressèn que vous aventuras. E nous farés jamai encrèire que nòsti sòci de Paris se
refuson à vèire un magistre d’escolo aprene nòsti drole à legi lou prouvençau21. »
Michel Bréal reprend et précise les contours de son propos dans un discours
aux instituteurs réunis à Paris en août 1878 à l’occasion de l’Exposition universelle : « Je ne demande pas que vous enseigniez le patois à l’école. Vous continuez l’œuvre de nos grands monarques, de nos grands ministres, de Richelieu ;
vous continuez l’œuvre de la Convention, vous êtes les représentants de l’unité
française dans ce qu’elle a de meilleur ; mais cette œuvre d’assimilation est
18. Ibidem, p. 70.
19. Henri Oddo est l’auteur d’ouvrages à caractère linguistique et historique sur la Provence
comme : De l’utilité des idiomes du Midi pour l’enseignement de la langue française (Paris,
Le Soudier, 1898) ; Provence : usages, coutumes, idiomes, depuis les origines ; le félibrige
et son action sur la langue provençale, avec une grammaire provençale abrégée… (Paris,
Le Soudier, 1902).
20. Mistral, op. cit., p. 123.
21. Ibidem, p. 123-124.
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aujourd’hui assez avancée pour qu’on puisse faire grâce à ce qui reste de diversités régionales. Laissez donc les patois vivre à côté de l’école22. »
Plaidoyer rigoureux, persuasif et opportun, modeste et pourtant ambitieux,
composé sous l’œil bienveillant de l’inspection primaire, le Rapport composé
par Lucciardi avance des arguments « techniques », fruit de longues observations
didactiques et d’une pratique pédagogique solide. Lucciardi veille à émailler son
propos d’exemples concrets. Argument massue, le corse serait une sorte de « latin
du pauvre ». Comme le souligne fort justement Pascal Marchetti, « Jean-Pierre
Lucciardi s’est vu placé dans une position peu confortable, dont il a cherché à
faire pardonner la non-orthodoxie en multipliant les protestations appuyées de
loyalisme23 ». En somme, Lucciardi se soumet de son plein gré à une sorte de
test de loyauté. On perçoit la grande pression qui pèse sur les instituteurs des
départements frontaliers qui doivent plus que tous les autres faire preuve de leur
adhésion à la République. Une exception ? Tant s’en faut. À la même époque en
terre occitane des voix s’élèvent pour réclamer un droit de cité pour les langues
et les cultures locales. La référence au félibrige, association fondée en mai 1854,
est constante. Comme en Occitanie, il est symptomatique de voir apparaître le
souci de préserver la langue régionale sous la plume de locuteurs ayant une bonne
connaissance du français : « Ce sont les jeunes Méridionaux les mieux au fait de
l’évolution culturelle nationale, les plus francisés, donc, qui vont faire le travail.
C’est l’enseignement du français, en français, qui forme ceux qui vont mettre en
cause un de ses dogmes les plus fondamentaux, celui du monolinguisme et de la
guerre aux patois24. »
À maintes reprises, Mistral qui « garde de sa jeunesse républicaine le respect
de la Nation française comme porteuse de liberté universelle »25 peut avancer ce
qui constitue la grande revendication du Félibrige, à savoir une petite place pour la
langue d’oc à l’école : « O France, mère France, laisse-lui donc, à ta Provence, à ton
joli Midi, la langue si douce dans laquelle elle te dit : “ma mère !” Et puis, à notre
langue, qu’ont parlée de nos aïeux, que parlent là-bas tes paysans et tes marins, tes
soldats et tes félibres, à notre langue de famille, fais-lui dans tes écoles une petite
place à côté du français ». (Discours de la Santo Estello, Sceaux, 1884)26.
« La prétention que nous avons de faire respecter le provençal dans les écoles
n’est pas, comme veulent le dire les ennemis du Félibrige, une idée rétrograde ni
anti-française. C’est au contraire le seul moyen de conserver et de répandre, par
22. Cité par Di Meglio Alain, « L’avènement de l’enseignement du corse », dans Fusina Jacques
[dir.], Histoire de l’école en Corse, Ajaccio, Albiana, coll. Bibliothèque d’histoire de la Corse,
2003, p. 511.
23. Marchetti Pascal, La corsophonie, un idiome à la mer, Paris, Albatros, 1989, p. 142.
24. Martel Philippe, « Le Félibrige », dans Nora Pierre [dir.], Les lieux de mémoire, III. Les France,
2. Traditions, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des histoires », 1992, p. 573-574.
25. Martel Philippe, « Le Félibrige : un incertain nationalisme linguistique », Mots. Les langages
du politique, n° 74, mars 2004, p. 55.
26. Ibidem, p. 53.
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tous les coins et recoins de la terre de France, cet attachement, cet enthousiasme
provincial et communal, qui seul peut donner vie à la province, comme il donna
jadis la liberté à la Suisse, l’indépendance à l’Amérique, la Renaissance à l’Italie,
et le pontificat de toute gloire humaine à la merveilleuse Grèce ! » (Discours de la
Santo Estello, 1888)27.
Lucciardi tente donc vainement d’orienter la communauté intellectuelle corse
sur le sillon du félibrige qui en terre d’Oc promeut l’idée d’une France girondine
et gagnée au fédéralisme. Contrairement à l’idée reçue, les félibres ne sont pas
tous des notables conservateurs, légitimistes et cléricaux28. Ils appartiennent à
toutes les familles de pensée29.
Toutefois, la forme du félibrige ne favorise pas l’implantation du modèle en
Corse. L’académisme apparaît lorsque les enjeux que défend une institution ne
sont plus l’objectif recherché et la justification de son existence, mais lorsque
c’est sa propre existence qui devient l’enjeu de son activité.
Pour lever tous les malentendus de séparatisme, il manifeste ostensiblement
ses sentiments nationaux. L’œuvre poétique de Lucciardi offre un champ d’investigation privilégié, susceptible de fournir des éléments de réflexion.
Comme le souligne Michel de Certeau : « En face d’une politique de la raison,
le pluriel apparaît “criminel” ; il figure le retour du multiple, de l’historique et
de l’anti-raison30 ». On sait aujourd’hui, comme le note Georges Lüdi, « que le
locuteur-auditeur “idéal”, locuteur natif d’une langue standard parlée par une
27. Ibid.
28. « Grande serait votre erreur, Messieurs, si vous alliez vous figurer qu’il s’agit ici d’une nouvelle
sorte de franc-maçonnerie, de quelque nouveau carbonarisme recruté d’ennemis de l’Église
et de révolutionnaires : le Félibrige est du parti conservateur, et après la vieille Provence,
sa véritable idole, ce qu’il chérit le plus, c’est le trône, c’est l’autel ; il est ce qu’on appelle
légitimiste et clérical ». Durand (de Gros) Joseph-Pierre, Le Félibrige. Rapport présenté à la
Société des lettres, sciences et arts de l’Aveyron sur les « fêtes latines » de Montpellier, Rodez,
imp. Carrère, 1900, p. 3.
29. « La revendication d’une culture “occitane” ou d’une autonomie du Midi a commencé, on
le sait, plutôt à gauche. Le félibrige est lié, dans ses débuts, à la révolution de 1848 et à ses
espoirs démocratiques, dont fait partie l’idée d’une renaissance des parlers populaires. Ce n’est
qu’après le 2 décembre que Frédéric Mistral va se replier sur la littérature pure. Mais l’alliance
de l’esprit félibre et du progressisme humanitaire n’en est pas pour autant rompue. Un homme
comme Xavier de Ricard a été un des promoteurs du fédéralisme, en 1870-1871, au moment
où la Ligue du Midi rêve, avec le soutien de Bakounine et un œil sur la République espagnole,
à une large autonomie des provinces “languedociennes”, comme on disait alors. Ricard s’est
réclamé de Proudhon et a entretenu des contacts avec le célèbre autonomiste catalan Pi y
Margall. Il est de ceux qui ont tenu la dragée haute à certains qui, dans la tradition du Midi
“blanc” de 1790 ou de 1815, voulaient tirer la renaissance provençale dans le sens monarchique
ou clérical : “Pour faire contrepoids au félibrige réactionnaire qui provençalisait et papifiait
en Avignon, nous nous affirmâmes, non sans quelque rudesse, libres-penseurs, républicains,
et languedociens” ». Lindenberg Daniel, « Le mirage “provençal” de Charles Maurras », La
pensée de midi, n° 1, printemps 2000, p. 54.
30. Certeau (de), Julia, Revel, op. cit., p. 83.
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communauté absolument homogène, est une construction des linguistes, utile,
certes, mais sans existence réelle31. »
Lucciardi n’est pas seul à être confronté aux clichés de l’idéal monolingue et
des mythes nationaux. Son discours parvient à se réarmer intellectuellement et à
présenter des analogies intéressantes avec d’autres textes de même nature. Ainsi, il
ressemble à s’y méprendre à celui que l’on trouve chez Lakanal32 et, bien plus tard,
chez Bréal. Pour Lucciardi, il s’agit de faire preuve de réalisme sans jamais remettre en cause que « L’enseignement de la langue nationale est évidemment l’œuvre
capitale de l’école primaire33 ». Le ton est donné. L’utilisation des trésors linguistiques régionaux est habilement convoquée au service de l’apprentissage de la langue
nationale. Le programme ne recèle donc rien de révolutionnaire. Tout au plus, une
tolérance contenue. L’époque est toujours au combat pour l’éradication de langues
régionales considérées comme des entraves au progrès et à la pédagogie.
Comme le rappelle son petit-fils, Jacques Lucciardi, Jean-Pierre Lucciardi
vit très mal l’interdiction faite aux élèves de parler corse non seulement dans la
salle de classe mais également dans la cour. Ainsi et de façon ironique, n’est-il
pas rare de l’entendre apostropher ses élèves d’un « Parlez français, mansa di
porchi ! (bande de cochons !) »
Mais l’apprentissage du français se fait souvent au forceps. Sur ce point,
la littérature d’expression corse ne se montre pas avare. S’essayant à l’écriture
autobiographique, Ignaziu Colombani et Ghjiseppu Maria Bonavita témoignent
dans leurs ouvrages respectifs du « dressage » et de l’« embrigadement » qui
règne dans les écoles en Corse au début du XXe siècle.
Le problème de la langue est présent dans le dialogue qu’échangent dans la
Drôme les jeunes héros de l’irremplaçable Tour de France par deux enfants :
« Pourquoi donc tous les gens de ce pays-ci ne parlent-ils pas le français ? C’est
que tous n’ont pu aller à l’école. Mais dans un certain nombre d’années il n’en
sera plus ainsi et par toute la France on saura parler la langue de la patrie34 ».
31. Lüdi Georges, Py Bernard, Être bilingue, Berne, Peter Lang, 1986, p. 11.
32. « Il est impossible, dans l’état actuel des choses, d’enseigner exclusivement dans la langue
française. Il faut d’abord se faire entendre des élèves, qui, dans les pays d’idiome, arriveront aux écoles à six ou sept ans, n’entendant, n’ayant parlé que cet idiome. Il faut encore
qu’ils puissent eux-mêmes être entendus des autres citoyens ; autrement vous en feriez des
petits êtres isolés, très malheureux. Au surplus, le Comité d’instruction publique n’a point
perdu de vue la nécessité de rendre la langue française dominante… Il n’a voulu, en laissant
subsister les idiomes dans l’enseignement, s’en servir que comme d’un véhicule qui fît mieux
comprendre la langue française », Lakanal lors de la séance de la Convention du 27 brumaire
an III (17 novembre 1794). Cité par Certeau, Julia, Revel, op. cit., p. 226.
33. Buisson Ferdinand, « Langue maternelle », Dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire,
sous la dir. de F. Buisson, Paris, Librairie Hachette, 1888, p. 1499.
34. Cité par Barral Pierre, « Depuis quand les paysans se sentent-ils français ? », Ruralia, 1998,
12 pages, [consulté en ligne le 9 décembre 2005]. Disponible sur : http://ruralia.revues.org/
document53.html.
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À la lumière d’une abondante documentation, Jean-François Chanet défend
dans L’école républicaine et les petites patries la thèse selon laquelle les instituteurs
de la Troisième République ne furent pas aussi féroces et répressifs à l’endroit des
langues et des cultures régionales. Toutefois, si la caricature du maître taraudé par
le souci obsessionnel d’éliminer les « patois » ne paraît plus guère convaincante,
l’image n’est pas celle d’une concession trop généreuse au local. L’apprentissage
limité de quelques proverbes ou de quelques airs locaux suffit-il à conclure à une
grande tolérance ? Les sources autobiographiques ainsi que les témoignages des
écoliers sont également à prendre en considération. Ne sont-ils point crédibles ?
S’agit-il de représentations irréelles ? Par ailleurs, comme l’indique Mona Ozouf,
le silence des textes officiels sur la question des langues régionales n’est pas de
l’indifférence : « Il est remarquable de ne trouver dans l’océan des interventions
de Ferry aucune allusion à ces parlers régionaux dont l’école obligatoire et gratuite
devrait théoriquement triompher, dont elle a, si on en croit aujourd’hui les champions de la revendication bretonne ou occitane, lugubrement triomphé. […] Les
silences de Ferry sur son entreprise colonisatrice – celle de l’intérieur comme celle
de l’extérieur – sont, disent-ils volontiers, précisément révélateurs d’une obsession : si Ferry n’en parle jamais, c’est qu’il y pense toujours35. »
De toute évidence, il faut se garder de conclusion hâtive. Toutefois, écarter
les témoignages au motif que les décrets et circulaires ne l’évoquent pas revient à
raisonner par l’absurde. « Si l’école est à ce point aveugle aux singularités, c’est
que leur reconnaissance menacerait son credo central, celui de l’égalité. […]
L’égalité scolaire, en réalité, était une égalité meurtrière, puisqu’elle dissimulait
un génocide culturel ; une égalité mensongère, puisqu’elle véhiculait sans le dire
les inégalités héritées36. »
L’attitude est à la suspicion et aux critiques adressées à l’école républicaine,
accusée de « déraciner, de remplacer l’attachement élémentaire, pieux, charnel, au
sol natal, par une identité nationale uniforme, abstraite, désincarnée37 ». Les accusations émanent à ses débuts des rangs de la droite catholique. Par conséquent,
comme le souligne J.-F. Chanet, « le souhait de l’adaptation des programmes au
milieu était sans aucun doute partagé par Barrès et Méline comme par Jaurès et
M.-T. Laurin. Mais où les premiers ne cherchaient que le moyen de maintenir
l’ordre existant, les seconds espéraient promouvoir un mouvement social qui s’appuyât sur l’ouverture et l’extension de la culture populaire38 ». Cet objectif est
clairement affiché par Jean Jaurès qui baigne dans un univers bilingue dès les
premières années de son existence tarnaise39. En août, puis en octobre 1911, Jaurès
35. Ozouf, op. cit., 1984, p. 407.
36. Ibidem, p. 20-21.
37. Chanet Jean-François, L’École républicaine et les petites patries. Préface de Mona Ozouf,
Paris, Aubier, 1996, p. 26.
38. Ibidem, p. 118.
39. « Ses parents, sa famille, ses maîtres avaient une trop claire conscience de leur rang et un trop
fort désir d’ascension sociale pour parler ordinairement entre eux dans la langue des humbles
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précise le rôle et la fonction qu’il assigne à la langue occitane : « Pourquoi ne
pas profiter de ce que la plupart des enfants de nos écoles connaissent et parlent
encore ce qu’on appelle d’un nom grossier “le patois” ? Ce ne serait pas négliger le
français : ce serait le mieux apprendre, au contraire, que de le comparer familièrement, dans son vocabulaire, dans sa syntaxe, dans ses moyens d’expression, avec
le languedocien et le provençal. Ce serait, pour le peuple de la France du Midi, le
sujet de l’étude linguistique la plus vivante, la plus familière, la plus féconde pour
l’esprit. Par là serait exercée cette faculté de comparaison et de discernement, cette
habitude de saisir, entre deux objets voisins, les ressemblances et les différences,
qui est le fond même de l’intelligence40. »
« J’ai été frappé de voir, au cours de mon voyage à travers les pays latins, que, en
combinant le français et le languedocien, et par une certaine habitude des analogies,
je comprenais en très peu de jours le portugais et l’espagnol. J’ai pu lire, comprendre
et admirer au bout d’une semaine les grands poètes portugais. Dans les rues de
Lisbonne, en entendant causer les passants, en lisant les enseignes, il me semblait
être à Albi ou à Toulouse. Si, par la comparaison du français et du languedocien, ou
du provençal, les enfants du peuple, dans tout le Midi de la France, apprenaient à
retrouver le même mot sous deux formes un peu différentes, ils auraient bientôt en
main la clef qui leur ouvrirait, sans grands efforts, l’italien, le catalan, l’espagnol,
le portugais. Et ils se sentiraient en harmonie naturelle, en communication aisée
avec ce vaste monde des races latines, qui aujourd’hui, dans l’Europe méridionale
et dans l’Amérique du Sud, développe tant de forces et d’audacieuses espérances.
Pour l’expansion économique comme pour l’agrandissement intellectuel de la
France du Midi, il y a là un problème de la plus haute importance, et sur lequel je
me permets d’appeler l’attention des instituteurs41. »
Si de toute évidence le propos de Jean Jaurès est influencé par Bréal, il serait
erroné de conjecturer sur la conversion plus ou moins tardive du parlementaire
socialiste au discours régionaliste et aux « patois ». La Lettre aux instituteurs,
publiée dans La Dépêche de Toulouse du 15 janvier 1888 ne change rien au
constat42.
et des illettrés. Ils n’en usaient à l’extérieur que pour les besoins du travail et, à la maison, dans
de rares moments d’émotion ou de colère ou, même, quand ils voulaient et croyaient ne pas être
compris par les enfants. C’est donc en français, le plus pur et le plus agile, celui des Lumières,
trempé d’humanités grecques et latines, que Jaurès a grandi en famille puis a cultivé sa pensée
et son verbe au collège. Il reste qu’il est bilingue d’instinct et de raison, par fidélité aux vents et
aux clartés du Tarn, par familiarité avec ceux qu’il croise ou avec lesquels il bavarde de plainpied, librement, en ville comme aux champs ». Rioux Jean-Pierre, Jean Jaurès, Paris, Perrin,
2005, p. 26-27.
40. Jaurès Jean, « L’éducation populaire et les patois », La Dépêche de Toulouse, 15 août 1911. Cité
par Rioux, op. cit., p. 29-30.
41. Jaurès Jean, Revue de l’Enseignement primaire, 15 octobre 1911.
42. « La pensée de Jaurès, fortement inspirée ici de Bréal mais aussi sensibilisée par le discours
régionaliste a beaucoup évolué : dans un article du même journal, il avait adressé une Lettre
aux instituteurs (15 janvier 1888) dans laquelle il défendait les principes de l’école laïque et les
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Pour singulier qu’il soit en Corse, le parcours professionnel et intellectuel
de Jean-Pierre Lucciardi n’est pas unique à l’échelle de la France. Antonin
Perbosc (1861-1944) et Prosper Estieu, instituteurs languedociens, membres
de la Fédération Régionaliste Française, incarnent le combat pour la défense
de la langue et de la culture occitanes en cette fin du XIXe siècle. Anticlérical,
républicain, mainteneur du Félibrige (1891), Perbosc effectue sa formation à
l’École normale de Montauban entre 1878 et 188143. En 1886, il se prononce
dans la Tribune des Instituteurs et Institutrices de France pour l’enseignement
des patois. En 1890, il élabore le mot d’Occitanie et est rappelé à l’ordre par
son inspecteur pour avoir donné droit de cité au « patois ». En 1891, À la
même époque, Prosper Estieu (1860-1939) est sanctionné pour ses plaidoyers
en faveur de l’occitan dans les conférences pédagogiques d’instituteurs et la
revue Mont-segur44.
Comme l’indique Jean-François Chanet dans L’École républicaine et les
petites patries, le débat sur les distinctions nécessaires entre utilisation de la
langue locale dans l’enseignement du français, enseignement de la langue locale
elle-même, ou dans la langue locale – ces querelles de mots agitaient beaucoup
les esprits –, fut vivement relancé au lendemain de la guerre.
Léon Gistucci, inspecteur d’académie à Saint-Brieuc, puis du Var à partir
de 1919, est de ceux qui ont adopté la position la plus avancée. Chanet poursuit
en indiquant que dès son premier rapport annuel, Gistucci s’attache à réduire
les préventions des maîtres et à leur rappeler que leur idiome régional ne doit
pas être qualifié de patois45. Sans doute faudrait-il se pencher sur la personnalité de Gistucci pour mieux en saisir l’originalité en matière pédagogique. Issu
d’une famille de petits notables ruraux du village de Bastelica46, Léon Gistucci
est corse et corsophone. Conseiller général de Bastelica élu en 1910, membre
43.
44.
45.
46.
savoirs scolaires dans leur plus grande généralité : “…lorsque d’une part vous aurez appris aux
enfants à lire à fond, et lorsque d’autre part, en quelques causeries familières et graves, vous
leur aurez parlé des grandes choses qui intéressent la pensée et la conscience humaine, vous
aurez fait sans peine, en quelques années, œuvre complète d’éducateurs…”. Il propose donc
d’ouvrir désormais l’espace scolaire à l’accueil des idiomes locaux, mais en associant les enseignants dans une démarche horizontale d’élaboration collective progressive. Certes sa position
demeure prudente et très adossée à celle de Bréal, mais elle a le mérite d’exister et de résonner
dans le paysage politique national ». Ottavi, op. cit., p. 219-220.
Terral Hervé, « Comment A. Perbosc, instituteur laïque et félibre fédéraliste, s’efforça de faire
construire par ses élèves une mémoire identitaire occitane », La science politique, n° 2. Disponible sur : http://www.la-science-politique.com/revue/revue2/papier3.htm [consulté en ligne le
3 octobre 2006].
Ottavi, op. cit., p. 218-219.
Chanet, op. cit., p. 246.
Gistucci Sampiero, Les bleues. Un officier corse à la guerre de 1914-1918, témoignage.
Textes transcrits et présentés par Marie-Gracieuse Martin-Gistucci, Ajaccio, la marge édition,
1989, p. 8. Léon Gistucci est né le 17 août 1862 à Bastelica. Adolphe Landry, dans Le Petit
Bastiais du lundi 6 février 1933, lui rendra hommage : « un homme vient de mourir qui a fait
honneur à la Corse et l’a utilement servie. Il appartenait à cette université de France où il y a
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résidant de l’Académie du Var depuis 1899, président de la même académie en
1901, il collabore à de nombreux journaux insulaires comme La jeune Corse
et est l’auteur d’un petit essai sur Le Pessimisme de Maupassant (Lyon, 1909).
C’est en lisant la presse bastiaise que Léon Gistucci avait découvert en partie
l’œuvre littéraire de Jean-Pierre Lucciardi. Gistucci avait apprécié les dix-huit
sizains de « A lumera »47 publiés dans Le Petit Bastiais en janvier 1916. Le
poème avait réveillé bien des souvenirs. Enthousiaste, l’inspecteur transmet à
l’instituteur une lettre dithyrambique que le journal ne manque pas de publier.
« À dire vrai, je ne connais qu’un homme qui vous vaille “en patois” –
autant qu’un prosateur peut valoir un poète – c’est ce Santu Casanova de la
défunte Tramuntana. Toujours ingénieux, mordant, spirituel, Santu Casanova
est notre Minutu Grossu moderne. Vous êtes, vous, un peu notre Viale, non
le Viale de la Dionomachia, tout italienne, mais le chantre de la célèbre sérénate à Filignocca, un pur chef-d’œuvre. […] Vous restez toujours le poète de
Lilla et de Maria Gentile, dont certaines parties sont si fortes, d’autres d’une
délicatesse et d’une sentimentalité si touchantes. Vous êtes un poète de chez
nous. Voilà pourquoi je goûte vos inspirations, tout en regrettant qu’on ne leur
fasse pas plus d’honneur… Pour en revenir à votre Lumera, qui est délicieuse
laissez-moi vous dire que je suis fanatique des choses de la vieille Corse. Et,
à ce propos, permettez-moi d’évoquer ici un souvenir personnel, qui vaudrait
pour moi la peine d’être mis en vers – si je savais. J’étais un écolier de dix ans
et venais de la ville à la montagne passer mes vacances de Noël au village.
Une vieille tante, très simple, “allevata all’anticogna” m’hébergeait. Je me la
rappelle encore avec ses mèches grises couvrant ses tempes ridées, son grand
nez plein de tabac, son “fazzulettu” blanc, bien tiré, son buste droit, emprisonné dans un corselet de velours noir. Le soir, à la veillée, j’aimais lire auprès
d’elle, qui ne savait pas lire, les Aventures de Télémaque, dans un vieil exemplaire, découvert au grenier, et qui avait dû appartenir à mon grand-père, né
sous la Révolution. J’avais bien à ma disposition une modeste lampe à huile
“una lumera”. Mais à la chambre froide, où l’on eut voulu m’isoler pour mes
études, combien je préférais “a ziglia”, la grand’salle noire, dont les poutres
luisantes de suie supportaient la richesse de la récolte de châtaignes de l’année et où pendaient les jambons à la chair onctueuse, les figatelli parfumés !
[…] Foin de la lampe ! On s’éclairait “cu a deda” coupée en larges échardes embaumant la résine, à la flamme roussâtre et fuligineuse, que ma vieille
bonne tante “accatizzava” de temps en temps, tenant la torche levée, pendant
que je lisais et que mon imagination vagabondait à la suite du fils de l’ingénieux Ulysse… Tableau naïf ? Oui, intéressant surtout pour nous, les vieux
Corses, qui, sans dédaigner les luxes nouveaux, nous nous reportons avec une
tant de savoir, tant de vertus aussi, dont les membres mènent dans des conditions qui commandent l’estime et le respect, une vie modeste, toute de désintéressement et de dévouement ».
47. Lucciardi J.-P., « Vecchj custumi corsi. A lumera », Le Petit Bastiais, lundi 24 janvier 1916.
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âme attendrie vers nos honorables antiquités… […] Cordialement à vous, mon
cher M. Lucciardi, et en communion d’amour pour la Corse et ses us d’autrefois, que votre poésie a fait revivre »48.
Jean-Pierre Lucciardi fut un veilleur courageux, un pédagogue émérite,
un pionnier de l’enseignement du corse, et l’auteur d’une œuvre qui illumine
l’intelligence et la foi.
48. Lettre de Léon Gistucci datée de « St-Brieuc, le 30 janvier 1916 », adressée « À M. J.-P. Lucciardi,
instituteur et poète corse, à Bastia », reproduite dans Le Petit Bastiais, mercredi 23 février
1916.
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DOCUMENT I
Voceri e Canzone*
Anton Sebastiano Lucciardi
Anton-Sebastiano Lucciardi, dit prete Biaggio est né à Santo-Pietro-diTenda, avril 1771 (son acte de baptême est du 14 avril 1771.), lorsque la Corse
formait une nation libre sous le gouvernement démocratique du « Padre della
Patria », le général Pasquale Paoli. Il est mort en décembre 1860, son acte de
décès portant âgé de 90 ans mais l’année même de sa mort, il disait lui-même
être entré dans sa 96e année. C’était un homme affable, poli, de manières distinguées, et d’une grande serviabilité. Sa taille était élevée, son corps bien proportionné. Au physique : un vieillard vénérable, aux yeux bleus. Il avait été blond ;
sa chevelure blanche, abondante, lui formait comme une auréole autour de sa
tête ; sa voix quoique forte, était douce et caressante ; il s’exprimait facilement
avec aisance et force gestes. Sa conversation, toujours intéressante, était très
recherchée. Les personnes aisées du Nebbio et d’autres villages, venaient le voir
à Santo-Pietro, et l’invitaient souvent chez eux. Il avait le don de l’improvisation. Quand il allait chez un ami, la maison s’emplissait de monde à la veillée,
et on ne se lassait jamais de l’entendre causer, ou chanter ou improviser. Préparé
à la prêtrise par les soins de son oncle germain Paul-Marie Lucciardi, d’abord
vicaire à Santo-Pietro (celui-là même qui le baptisa), curé de Farinole, puis et
archiprêtre de Murato, puis il renonça au dernier moment. C’est ce qui explique
la bonne instruction qu’il avait reçue dans ces temps où elle était peu en honneur,
même parmi les personnes aisées ; ce qui explique aussi le surnom de : prete
Biaggio. Ses ancêtres, disait-il, avaient rempli plusieurs fois les hautes charges
municipales. Le tableau : une descente de Croix, qui se trouve dans la chapelle
*
Extrait de : Lucciardi Anton Sebastiano, Voceri e Canzone. Recueil manuscrit et inédit composé
en vue d’une publication par Jean-Pierre Lucciardi. Ce petit livret (16X12cm) est conservé
dans les archives privées de la famille Lucciardi.
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des Filles de Marie de l’église de Santo-Pietro, est un don d’un de ses grands
oncles, le colonel Lucciardi, qui avait servi dans les armées italiennes, État de
l’Église ou république de Venise, on ne sait pas. De son mariage avec Marie-Rose
Castagno, ils eurent un garçon et une fille. Cette dernière est morte célibataire,
en 1869, mais son fils Jean-Philippe, mort en 1855, laissa de son mariage avec
Maria Fiordispina Pierrini, quatre garçons et deux filles, dont presque tous ont
eu une nombreuse famille. Il fut maître d’école dans son village, avant la loi de
1833 sur l’enseignement primaire. J’ai connu beaucoup de vieillards qui avaient
été leurs élèves, et ils Tous ses élèves en disaient le plus grand bien. C’était un
bon poète populaire, écrivant en italien ou en dialecte. Chez lui l’inspiration
est toujours fertile et heureuse, le vers clair et lumineux, la rime riche et étincelante. Sa petite comédie en acte, Mamma-Sò, fut jouée sur la place publique de
Campiendi, à Santo-Pietro, le mardi de Carnaval 1821, en présence de nombreux
amateurs accourus de tous les villages du Nebbio, et même de Bastia, où le
tribunal avait prêté les costumes pour le théâtre improvisé. Ses poésies étaient
variées et roulaient sur les menus faits du jour : mort d’un coq, d’un chien ; testaments imaginaires ; abus du tabac à priser ; contestations ou dialogues, etc. Elles
n’étaient pas imprimées ni même pas copiées par son auteur, qui les retenait par
mémoire par cœur, car sa mémoire était des plus heureuses. Son arrière-petit-fils,
le poète J.-P. Lucciardi s’est fait un pieux devoir de les tirer de l’oubli quelquesunes de ces poésies, en mettant à profit la mémoire des vieux de son village qui
se les rappelaient encore plus ou moins exactement par fragments. Il a pu ainsi,
non sans peine, les reconstituer et il les a publiées dans l’Artigiano popolare
corso, édité par la librairie Ollagnier ou dans les autres almanachs paraissant à
Bastia de 1909 à 1920. Nous avons ainsi une dizaine de ces poésies qui nous font
encore plus regretter celles qu’on n’a pas pu sauver, car « les meilleures, et elles
étaient nombreuses, ont été perdues », disait le petit-neveu d’Anton Sebastiano
Lucciardi, l’archiprêtre de Sainte-Marie de Bastia, le chanoine Casta, élève du
Collège Pio de Rome, décédé en 1909. Anton Sebastiano Lucciardi était en même
temps un bon agriculteur. Ses descendants possèdent encore un champ d’oliviers
appelé « Tichiella », en grande partie plantés et greffés par lui-même. Comme
le bon laboureur du bon fabuliste La Fontaine, il ne cessait de recommander à
ses petits-fils de ne pas vendre ce champ, quelles que fussent les circonstances
ou affaires de famille. « Vendez plutôt la maison, disait-il, vous pourrez en faire
construire une autre, mais ne vendez pas la “Tichiella” car jamais vous ne la
remplaceriez ». Cet homme ne fut jamais malade. Il conserva jusqu’à la fin de
ses jours une humeur toujours gaie et une grande lucidité d’esprit. Il s’éteignit
comme une lampe faute d’huile. Nous remercions J.-P. Lucciardi de nous avoir
conservé quelques-unes de ses poésies, et nous emettons le vœu qu’une plus
grande publicité soit donnée aux œuvres de son ancêtre, en les faisant paraître
en volume… ».
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Atto di battezzimo
Mille sette cento settanta uno, li quatordeci del mese d’aprile, giorno di
Domenica, è stato battezzato nella chiesa di S. Giovanni Evangelista di S.to
Pietro, Anton Bastiano, nato di leggittimo matrimonio da Domenico Maria
Lucciardi e da Maria Rosa Castagno. Egli ha avuto per padrini il Sig.r Gio :
Lorenzo Casta, e la Sig.a Maria Lodovica Casta, ambedue di buona casa, i quali
hanno sottoscritto con noi, Paolo Maria Lucciardi sacerdote, sottoscritto e col
padre del fanciullo, eccettuata la madrina, la quale ha dichiarato non saper
scrivere, e perciò noi abbiamo sottoscritto ch’è tanto Giovan Lorenzo Casta,
Dom.co Maria Lucciardi.
Paolo Maria Lucciardi, sacerdote.
Un poeta corsu
Ci facciamo un dovere di non publicare nel nostro almanacco, quanto è
possibile, che poesie inedite, e di preferenza quelle di antichi poeti còrsi, benchè
ignorati dalla piu gran parte del publico.
Quest’anno presentiamo a i nostri lettori, che ci ne avranno grato, qualche
poesia inedite del fu Anton-Sebastiano Lucciardi, detto prete Biaggio, di SantoPietro-di-Tenda, morto nel 1860 all’età di anni 96.
Era questo un vero poeta popolare, ma troppo modesto per dar voga alle sue
opere ; la sua rima era ricchissima ; il suo verso era luminoso e facile, e i suoi
suggetti eran presi nei fatti curiosi e familiari che accadevano nel suo paese1.
Molte delle sue opere, e delle migliore, son perdute, ed altre non si hanno che in
parte. Ma pure, fra quelle son rimaste vi n’è ancora abbastanza per formare una
bella raccolta di poesie giocose e dilettevole.
E, dunque, con molto piacere che presentiamo le quattro poesie seguenti a i
nostri lettori, che veranno come i nostri trappassati sapevano burlare sopra ogni
cosa senza che ci rimanesse fra essi nessuna animosità ne gattivezza. Era assai
megliore che in tempi nostri che non si fà piu satere, è vero ma molta maldicenza
velenosa e insinuazione perfide.
1. Contrasti di donne, voceri di galli, topi, cani ; canzone di pidocchj, cummediole, ecc. Ecc.
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Poesie inedite del fu Anto-Sebastiano Lucciardi,
detto prete Biaggio di Santo-Pietro di Tenda
Lamento di Togliaccia
Stamane da San Crespinu
Aghiu intesu le campane
E mi so detta in me stessa
Oh ! chi ci sarà stamane.
Ma un sapendu cosa fussi
Mi so messa a fà lu pane 1.
Era un gran tempu ch’ad ellu
A Morte lu cuttighiava :
Mancuna di le tre Parche
Per ellu piu nun filava.
Da u jornu chi fu allesitu
A so vita si n’andava.
Dopu a u focu ne curria
A nova per San Gavinu
Hanu dettu : « In Santu Petru
È mortu Duminichinu ».
Mi so subitu appruntata
Ed eccumi a boi vicinu.
O Dumè la vostra vòrsa
Era tamante un bacinu ;
Chi l’avia piena di fighi
Pudia fà lu San-Martinu
Si pudia empie di granu
E purtallu a lu mulinu.
O chi perdita tamanta
Ch’ha fattu lu parentatu ;
Si perde lu capitale
E un c’è fondu riservatu
Ellu facia li guadagni
Più che quelli di un curatu.
Si ne pudià fanne un otre
Perchè avia la so cannella ;
Chi l’avia piena d’oliu
Più che soma tenia quella
Era insomma fra le vòrse
La piu rara e la piu bella.
Cum’ed ellu capicocchia
Un ne nasce piu in paese ;
Facia brocciu e casgiu bonu
Ancu piu che lu francese
Pigliava sempre lu premiu
Avanti lu Venachese.
Pudia serve a li ferali
Per buttacciu di stazzona ;
Perchè avia la so occhiera
Chi era sempre vella e bòna.
Boi, in somma, fra i sfundati
Purtavate la curona.
1. Les deux derniers vers de cette strophe ne sont pas ceux figurant dans la publication réalisée
par le Chiaravalle. Jean-Pierre Lucciardi biffe donc les vers suivants : « Ma non so puduta
vene,/ Perchè avia da fà lu pane ». Par ailleurs, les quatre sizains suivants ne figurent pas dans
le Chiaravalle et sont insérés par Jean-Pierre Lucciardi.
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DOCUMENTS
Si ne pudia fà una nerpia
Per metteci la farina ;
Tenesila riservata,
Empiela di pisticcina.
Perchè avia la pella dura
Cume la salvaticina.
Facenu tamanti morsi
Chi parenu avelenate ;
Moltu piu le femminelle
Chi avà so tutte figliate.
U mio poveru maritu
Ha le so coste manghiate.
O peccatu chi sta vòrsa,
Abbia da esse interrata ;
Se si purtassi in Bastia,
E che fosse ben cunciata,
Ci escierianu li scarpi
Chi durarianu l’annata.
Prete Biaggio, u nostru amicu
Credu chi sarà ancu vivu,
Ci ha insignatu chi la notte
Li dessimu un lavativu
Ma le soïe le paròlle
Ne le credu, ne le scrivu.
O chi era cusì manescu,
Sabbia chirchià li tinelli ;
Facia li capestri all’eghj,
E sabbia castrà l’agnelli
Era insomma lu decoru
Di tutti li pasturelli.
C’insignò un altru secretu,
Quellu si, credu sia veru ;
D’impastughialli la notte
Cu le pastoghie di ferru
Chi ellu per San Crespinacci
Fu sempre di cuor sinceru.
Era tutto carità,
Avia il cuor pienu di zelu ;
Ellu un si lavava mai
Se un era acqua di lu celu.
Chi manghiava lu so latte,
Facia per tre ghiorni pelu.
O chi òmmu di talentu,
Chi òmmu d’istruzione ;
Noi altri San Crespinacci,
I l’emu tant’obligazione ;
Sulamente sti secreti
Chi balenu un milione.
Avà mi ne vògliu andà,
Nun possu piu stabbi attornu,
Mi ha dettu lu miò maritu
Ch’io fessi prestu ritornu,
Chi aghiu da junghie a purtà
Li so panni in di lu fornu.
Dunque a bedeci o Dumè.
E vi pregu un bon riposu.
Boi pregherete per me
Per tutti e pe lu miò sposu,
Ch’ellu nun si mostri piu
Bersu me cusi ghielosu.
Perchè simu turmintati
Noi, da bestie maladette ;
S’elle junghienu a le cherne
Parenu tante sanguette ;
Quand’un’ hanu da manghià
Urlanu cume saette 1.
1. Ce sizain ainsi que le suivant ne figurent pas dans l’édition du Chiaravalle.
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LES LUCCIARDI – UNE FAMILLE CORSE DE POÈTES ET D’INSTITUTEURS
A i cantarini vezzolesi
O fratelli nun s’apprezzi
Ne piu roba ne quattrini ;
L’altra sera in de li Vezzi,
Ceranu li cantarini
Tutto in piezza di Sceghjnu
Si cuncòlse lu vicinu.
La so moglie pianu, pianu,
Disse : O fratellu un cantà,
Chi pudaresti sfundà,
Ci vogliu mette la manu
S’elli falanu i pisoni,
I cantàri un so piu boni.
Poi c’era la so penale,
Chi un cantava le canzone :
Si pagava un buttiglione
Paria fussi Carnevale.
Perchè quist’annu lu vinu
Nun s’apprezza in quel vicinu.
Dici lu veru, o surella
S’ellu accadissi ancu questu ;
Ti lu circaresti in prestu
Perchè sei alquanto bella
Per fatti le frizzione,
Ci saria lu Padre Antone.
C’era ancu Juvan Paulellu
Cu la so cetera a tripa,
Avia in bocca la so pipa,
E sunava lu saltarellu
E ghieranu le cantine
Di seddule cavalline.
O culombu li to detti
Chi nun pensi che a te stessu ;
Quattru o cinque giuvinetti
Io li portu sempre appressu.
S’ellu un fussi perch’io peccu,
Avresti e còrne di un beccu.
Quand’ellu cantò Sceghjnu
Si svegliò tutta la villa,
Avia tamanta la squilla
Si sentia da San Crespinu,
E le donne imbarrazzate
Si funu tutte scunciate.
Or dicenu or quà, or là,
O perdiu li mio… aricchioni.
Dicenu chi un sà cantà,
Ma cum’ella copre i soni.
Di notte pare una stella,
E di jornu è ancu piu bella1.
1. Ce sizain et le suivant ne figurent pas dans l’édition du Chiaravalle et ont été intercalés par
Jean-Pierre Lucciardi.
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Mi facia li cincinelli
Cun zuccaru e finucchiettu ;
Parlu chiaru e parlu schiettu
Chi un ci n’era cume quelli.
Si manghiavanu a lu fornu,
Parianu fatti a lu tornu.
Una veduva incanita
Numinata Gnagliulella,
Si vòlse fa sente anch’ella :
La sua voce fu gradita.
Benchè un n’essi a voce piena
Cantò cume una sirena.
Cu la so voce latina
Cantò ancu Paulu Pietru ;
La so moglie Pettisgina
I li stava sempre al dietru.
Dal piacere e dalla risa
Si pisciò in di la camiscia.
Il suo canto v’innamora.
Il suo viso cosi ameno,
Il suo delicato seno
Caru ! Chi bella signora.
Io non ci faria in vero
Un peccato di pensiero.
Ghiùvan Chilgu lu scherparu
Cantò anch’ellu una canzona ;
Ma un n’avia la voce bona
Perchè avia preso il cataru
E mentre ch’ellu cantava
Savelletta lu ludava.
E per l’ultimu cantò
Il bello Giovanni Ancredo,
Più bel giovine non so,
Più bel giovine non vedo
Al suo viso mascherato
Pare un suaru brusgiato.
O caru chi bella voce,
Ellu e il fior di la famiglia ;
Ellu canta in Santa-Croce,
Ellu canta in pedeniglia
E canta a boce distesa
Pe li nostri mòrti in chiesa.
Risvegliò tutti li porci
Chi eran sottu a lu fornu ;
E l’andavanu all’intornu,
Grugnulendulu, li corci.
Paria che in quella sera
Fussinu tutti in ghiandera.
Lu vellu di Salvadore
Figliòlu di Sciuscia-ventu ;
Ne restai moltu cuntentu
E si fece un grande onore.
Quandu la madre lu intese
Disse : E il fior di lu paese.
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LES LUCCIARDI – UNE FAMILLE CORSE DE POÈTES ET D’INSTITUTEURS
La vietola di prete Vincenso
Prete don Vincenso Cava,
Tenea nel suo terrazzino,
Un piede di vietolino,
Ogni giorno lo guardava
Mentre fu sceso alla chiesa
La sua vietola fu presa.
O fratello zittu stà.
Pare che tu un li cunosca,
Un suffrarianu una mosca,
Privi son di umanità.
Piuttosto che darmi ajuto.
Ch’io morrissi avren voluto.
Ne arrivò tutto sdegnato,
Tutto pieno di furore ;
Non sapendo il depressore,
O quale ciò fosse stato
E li fu fatta la spia
E stata Ghiulia Maria.
Ecco che arriva Perfetto :
Buzarata pacchïcchïna,
Ti piacea la vietolina,
Non e questo pò, un difetto
Ma ti fossi, tu, ajutata,
Cun oliu e cun cennarata.
Mattea, la miò nipote,
Baitine piatta, piatta,
A guardar nella pignatta,
O pure sotto le rote.
Se la tròvi, io li prometto,
Li vòglio troncare il petto.
A me si chi certe jente
Mi danu di nasu in c…
E prezzu quantu u miò mulu,
Posto chi a volenu sente.
Ponu fà li fatti soi
Senza vene a circà a noi.
Mattea, pronta e veloce,
Fece una ricerca esatta.
Disse : O zi, nella pignatta
La nostra vietola còce.
E che ci ha fatto la spia,
Non ha detto la bugia.
Gridò Mòma da lu forno :
Era vòna a vietolina ?
Meglio era, o poverina,
Ch’essi fatto con un còrno
Ti pudia esse sciarata,
Senza avè sta rinfacciata.
Don Vincenso in piazza sòrte,
Facendune fuoco e fiara.
Disse : O Julia Mari, cara,
Que un la soffro, è troppo fòrte
Come ? ci vuole allevatti
Ad erbigli e buoni piatti ?
Se voi foste nel mio caso
Un diciareste cosi.
Che forse lu vostro naso
Mi lu ficcareste quì.
Siete lingua senza frutto
Che volete entrar per tutto.
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Ecco arriva Simon Pietro,
Dicendo : Prete Vincenso,
Avete perduto il senso,
O risa di Santo Pietro.
State zitti e state chieti,
Non convien fra donne e preti
Se prete Biaggio la stima,
Ne staremo a qual che face ;
Viveremo sempre in pace,
Sempre cari come prima
Ma a Sajàbico un l’accetto
Chi un l’aghiu tanto in concetto
Or acchietati o Rampi
Chi si frizzulo abbastanza ;
T’imparava la crianza
Se noi un ghieramu qui
E sta zittu e qui ti vasti
Senza circare altri tasti.
Dunque siamo tutti cari,
Tutti parenti e vicini,
Io la sò cinque quattrini
O pure cinque danari.
Di piu, credo che non vaglia,
Terminemo sta vattaglia.
Prete Biaggio fu chiamato
Per trattar l’arrangiamento
Disse : Per render contento
E tranquillo il vicinato,
Il danno che fa il losero
Sia pagato tutto intiero.
Giacchè li fatti eran serii,
Disse il prete, io chiedo scusa ;
Perche fra vicini si usa
Di passarsi li rimedii.
E quattrini un si ne accetta
Meglio è pace che vendetta.
Sajabico cosi parla :
Il stimatore son’io,
E la vietola par dio
Ti conviene di pagarla.
Tutto quel ch’io posso dire,
Valea piu che sei lire.
Corse tutto il vicinato,
Abbracciare il preterello,
E in trionfo, il poverello,
In casa sua fu portato
Ed io ne scrissi la storia
Per guardarne la memoria.
Ella rispose : O Sajà,
Con un aria signorile ;
Boi andarete a stimà
Li pidocchi di Gentile.
Di le vostre stimazione
Ne fanno conversazione.
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LES LUCCIARDI – UNE FAMILLE CORSE DE POÈTES ET D’INSTITUTEURS
A i lettori del Chiaravalle
Le poesie corse del fu Anton-Sebastiano Lucciardi, che abbiamo publicato
l’anno scorso nel nostro almanacco, hanno ottenuto presso del publico un vero
e legitimo successo.
Quest’anno siamo felici di poter servire ai nostri lettori, Mamma Sò,
commediola in un atto dello stesso autore, rapresentata per la prima e unica volta
in Santo-Pietro-di-Tenda nel carnavale del 1821.
Dobbiamo questo regalo al pronipote dell’autore, il signor J.-P. Lucciardi,
che ha poduto ricostituire in intiero questa commediola ricorrendo alla memoria
dei vecchi del paese, che si ricordavano le strofe e i tratti principali.
Lo ringrasiamo della tanto divertole quanto morale commediola che ci ha
conservato.
Mamma Sò
(cummediòla in un atto)
Di Anton-Sebastiano Lucciardi
1821
Personaggi :
– Criccona, madre di Cricchinu.
– Cricchinu, Figlio di Criccona.
– Cricchetta, moglia di Cricchinu.
– Il Presidente di u tribunale.
– Un testimone, chi un spiega niente.
– Il Dottore, stroppiasani
(A scena si passa in d’un tribunale a u paese)
IL PRESIDENTE
(A u publicu)
Un caso delicato,
Molto grave e importante,
Dev’essere all’istante
Giudicato.
(A Criccona)
Dunque sentiamo un puoco,
Parlate, voi, Criccona,
E da onesta persona
Racontate,
Perciò ognuno è pregato
In silenzio ascoltare ;
Difeso è di parlare
In questo luoco.
Come si son passate
Fra voi queste vicende.
Ognun pò si difende
A sua manera.
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CRICCONA
Eo so franca e sincera,
O signor Presidente :
Al publico presente
Chiedo scusa.
E so tutta confusa
Di vedermi obligata,
A di a sta scellerata
E so malfatte.
Bi dicu e cose esatte
E cosa ell’è accadutu :
In some un s’è vissutu
In pace un ora.
Ma damine un tantiro,
Un sia disgraziata ;
Risponde infuriata
Lupa in corpu.
Ha tombu lu so porcu
A tutti li n’ha datu ;
A me mi n’ha nigatu
Un pezzerellu.
Li chersi un sanguinellu
Per fà lu carnavale ;
Un pezzu di… l’ucchiale
Ella mi dà.
IL PRESIDENTE
Ch’ella vada in malora…
Quandu jeramu sole.
Ammacchiava lu sole
Cu i so detti.
Ha l’estri maladetti ;
Un tira che ghiesteme,
E scumettu chi un teme
Manc’u tonu.
U maritu ch’è bonu,
Crede cos’ella dice ;
Ed eo l’infelice
Soffru, e zitta.
Ella la capiritta
D’ogni male è capace
A me pò mi ne face
D’ogni sorte.
Mi serra ancu le porte,
E si ne dà lu vantu ;
Gira per ogni cantu
E tuttu annasa.
Se ghiunghie jente in casa
E pronta e paladina,
E scende a la cantina
A prende il vino.
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Ma questo non bastava,
Per mancar di prudenza,
E di benevolenza
Per Cricchetta.
CRICCONA
Ch’ella sia maladetta,
Pe u male che li vògliu,
Nunda che per orgogliu
Eo un mi lagnava.
Ne mancu a stuzzicava,
So bella paziente ;
Ma mi rudia lu dente.
O Dio ! chi pena.
Questa è una brutta scena ;
Vedere e non toccare,
E non poter gustare
Cosa alcuna.
Cambia cume la luna,
E ghiè sempre arabbiata ;
A crede abbelenata
A chi la sente.
O signor presidente ;
Avia un caciu vecchiu,
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LES LUCCIARDI – UNE FAMILLE CORSE DE POÈTES ET D’INSTITUTEURS
U tenia cume un specchiu
In di la cascia.
Or ella la bagascia,
Si n’ha tagliatu un taccu.
Dissi : per diu baccu
Chi manera ?
Ci avia in d’una panera
Un pocu d’uva secca
Cricchetta, tocca e tocca e lecca
Di cuntinu.
Ci avia un fiascu di vinu,
U tenia pe i frusteri :
A bicchieri, a bicchieri
Fu per ella.
A soia la cannella
Ghiè dolce e saurita,
Li venga una ferita
A mezzu còre.
Un si ne pò discore
Di tutte e so malfatte ;
Ghiè una scuzza pignatte
E di quel modo.
IL PRESIDENTE
Or via, sciogliete il nodo,
Cosa rimproverate
E di cosa accusate
Vostra nuora ?
Non ete detto ancora
S’ed ella vi ha picchiato
Ne s’ella vi ha mancato
Gravamente.
CRICCONA
A dicu e qui c’è ghiente :
Ghiè una pocu di vonu,
Ha lu talentu e u donu
Di fà u male.
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Sentite ? In carnavale,
Pigliai un pignattinu,
Oliu e risu marinu
Ci lampai.
E poi dopu circai
Un pò di pivarone
Cume manghia Ciattone,
In San Crespinu.
Era per me un festinu…
Ma ella tròva u piattu,
E si manghia all’appiattu,
U preperatu
Dopu a colpa ha lampatu
Adossu a Mascarone ;
E colpi di bastone
A u corciu cane.
Gridava : un c’è piu pane,
Chi s’ala da manghià ?
Oghiè ch’un c’è da fà
Mancu pulenda.
Cusi la mio merenda
M’è restata ingurgata ;
E a causa n’è stata
Sta inghiultrona.
Ghiè pronta a di so bona.
So di razza jentile.
E sentimentu vile
Un n’aghiu in còre.
Ringraziu lu Signore,
Sia sempre benedettu ;
M’ha datu l’intellettu
E la prudenza.
Un n’ha che maldicenza,
E poca istruzione ;
E un n’ha divuzione
In Dio ne in Santi.
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Eo mi strughiu in pianti,
Ed ella si ne vuffa ;
Simu sempre in baruffa,
Notte e ghiornu.
E boi, cosa circate ?
Mi ha risposto Cricchetta
Dicendu schietta, schietta
Un pò di… l’emme ?
M’ha chiappatu in d’un scornu
L’altr’eri a tradimentu,
E m’ha rottu u … strumentu
E la nasera.
– Cosa vi pono preme
A bo’ li nostri affari,
Mi disse, in detti chiari
A vecchierella.
CRICCHETTA
Quessa no ch’un n’è bera ?
Un n’accettu st’insulti,
Bògliu chi si cunsulti
Un bon duttore.
IL PRESIDENTE
Calmiam questo furore,
Il medico è arrivato,
E sarà consultato
In brevi istanti.
Ma che si udisca avanti,
Come n’è la ragione,
L’unico testimone
Che qui aspetta.
IL TESTIMONE
Vidi questa vecchietta,
Un giorno al suo balcone,
E come un fier leone
Essa gridava.
Io già da me pensava,
Che l’ultima partita
Or fosse, di sua vita,
In quel momento.
Allor ne corsi attento
Col ferro nelle mani,
Gridando : fieri cani,
Cosa fate ?
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Risposi : Or questa è bella ;
Buon prò ch’ella mi faccia
Non le guardai piu in faccia,
E mi n’andai.
Sole mi le lasciai,
Pareano contente…
A dir non ho piu niente.
Ecco lo giuro.
IL PRESIDENTE
Lo credo per sicuro ;
Adesso, a voi Dottor,
Magnanimo signor
Tanto onorato.
Vi hanno ricommandato
Come uomo d’onore.
Celebre professore
E gran sapiente,
Che ha fatto in Oriente
Cure maravigliose,
E tante belle cose
Con talento.
(al publico)
Un esempio fra cento :
In un Stato lontano,
Era morto un sovrano
E l’ha guarito
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LES LUCCIARDI – UNE FAMILLE CORSE DE POÈTES ET D’INSTITUTEURS
IL DOTTORE
Per lettara d’invito
Del signor presidente,
Eccomi ubbidiente
A i cenni suoi.
Che da i sublimi eroi,
Io gli ordini ubbidisco
E a tutti riverisco
In generale.
Dall’Asia Orientale
Subito io son partito,
Appena che l’invito
A me fu dato.
Per cosa sia chiamata
Io non so la cagione :
Per qualche cuntusione
O pur criterio.
Tengo un medicamento
Di arsenico il piu fine,
Che fino alle stintine
Fà sortire.
Se alcun non puòle uddire,
Ho meco un truellino,
Che gli passa per fino
Alle cervelle.
Son far le fontanelle,
Son far li cauterj
Ed ho molti rimedj
Al mio potere.
Se alcun non può vedere,
O soffre mal di trista,
Io gli levo la vista
Col spinzone.
Io sono un dottor serio,
Non ho tante parole,
S’io parlo non son fole
O paisani.
Ego non sum buffone,
Loquetur sum in arte,
Come nelle mie carte
Voi vedrete.
Il dottor Stroppiasani,
Vi parla e non son pazzo,
Son piu quelli che amazzo
Che guarisco.
Se qualche frate o prete
Soffre di mal di urina,
Tengo nella sportina
Un bel coltello.
Subito io li finisco
Senza provar tormenti ;
Tengo certi strumenti
Fatti in Roma.
Mi parve sia un flagello
Di male in quello luoco ;
Spero che puoco a puoco
Guariranno.
Sono un dottore insomma
Per gli mali incurabili,
Rimedj irreparabili
Gli dò.
Nel decorso di un anno,
Mi segno e sottoscrivo,
Non vi ne sarà un vivo
Per contarla.
Se qualche d’un non può
Dal corpo evacuare,
Io lo faccio « andare »
In un momento.
Cosi il dottor vi parla
Di un modo venietur,
Torquentes cantinetur
Propter nostram.
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CRICCONA
Ricuso scenza vostram
Che se i morti guarite,
I vivi seppellite
A parer meo.
Di male un c’è piu un neo ;
Mi sentu risanata
Tutta fresca e sciurata
A miò persona.
IL PRESIDENTE
Questo è male, o Criccona,
Di darvi la disdetta.
Adesso, pò Cricchetta
Ha la parola.
CRICCHETTA
Capiscu chi so sola
A spiegà le faccende
E u miò onore a difende
In faccia a e jente.
O signor Presidente
Vi giuro e vi prometto,
Di tutto quel che ha detto
Nulla è vero.
Io so di cuor sincero,
E non so dir buggie ;
Nemeno faccio spie
Cum’ella face.
Un si pò avè piu pace
In tutta la famiglia,
Si u dimoniu un la piglia
Prestu, prestu.
Anch’eo mi prutestu,
S’ella venissi a mòrte,
Tra me e lu miò cunsorte
Si fà festa.
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Ghiè una fiera tempesta,
Ghiè una cagna murdace,
U piu chi mi dispiace,
Ch’è buggiarda.
E poi sempre mi guarda
Tutti li miò andamenti,
Per fanne l’argumenti
A u miò maritu.
Ellu è di u miò partitu.
Un la crede un cè accore,
Cricchinu per me more
Ed eo per ellu.
A so chi lu miò agnellu,
Quandu pensa a Cricchetta,
Sia sempre benedetta
La jurnata.
Criccona è una sfacciata ;
Eo un ci possu fa bita,
Megliu è che sia finita
Ora per ora.
CRICCONA
Mi vole vede fora,
Ma un li riesce micca,
Chi Cricchinu un si spicca
D’à so mamma.
IL PRESIDENTE
Or nessuno lo brama ;
Perchè cosi parlare,
E non lasciar spiegare
Vostra nuora.
CRICCHETTA
Eo so una gran signora,
Di casa principale ;
So sempre a carnavale
C’un sa infama.
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LES LUCCIARDI – UNE FAMILLE CORSE DE POÈTES ET D’INSTITUTEURS
Mi toglie ancu la fama
L’indegna e scellerata ;
O ch’ella sia appiccata
Cume fera.
Ogni sabatu sera
Li fornu li so panni,
E per me so malanni
Di cuntinu.
Pare di San Crespinu
Per mette li pidocchi ;
Chi li caccinu l’occhi
Ch’ella un beca.
O morte senza còre,
Pigli tante pietà,
E lasci prusperà
Tante briccone.
CRICCONA
A sò ch’ell’è un buccone
Che tu nun poi ingolle.
Ma senti ? ste parolle…
O Dio !… u prete…
(Casca svanita)
CRICCHINU
Or ch’ella sia cieca,
Saria una furtuna ;
Li ne faria qualcuna
Bella gricia.
O mamma ! cosa avete ?
Signore !… è già ghiacciata !
E a cagione si stata
Tu, Cricchetta
Li scallu la camicia
Tutte le mane a u focu ;
E questu vi par pocu,
O miei signori ?
Quest’è la to vindetta ;
Chi so già parecchi anni,
Che tu pianti malanni
In casa mea.
Dopu tanti favori
Qual’è la ricumpensa ?
Ghiè ch’ella posa e pensa
A dinne male.
Eo po n’avia l’idea :
Ma mamma a si pensava,
E sola s’accusava
A puvaretta.
Se crede u tribunale
Tutte le so buggie
Inutile le mie,
Ch’io vi narri.
Mi dicia : Cricchetta
E brava e di bon còre,
Ha per te tantu amore
E affezione.
Da ella ognuno impari,
A dir la verità,
Ch’un sà mancu in de stà
D’abitazione.
Or, eo cunsulazione
Ne possu piu truvà ?
Se bo un mi dite, o Mà,
Si, ti perdonu.
O chi tribulazione !
O Dio ! chi tristu fattu !
Chi bellu vuciaratu
S’ella mòre.
O se n’essi lu donu,
Cume n’aghiu la vrama,
Mi n’andaria cun mamma
In sepultura.
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IL DOTTORE
Povera creatura !
Piangi tu madre amata.
E la sola ammalata
Che un spedisco.
Ma per quant’io capisco
L’arte voglio lasciar,
Perchè po diventar
Pericolosa.
CRICCHETTA
O morte cusi ritrosa
Dimmi cosa tu facia,
Forse tu t’era imbercata
O veramente durmia.
M’à la fine l’hai trova
Quella chi facia la spia.
U diaule di casa
Credu si ne sarà uscitu,
Dopu di tante preghere
La morte m’ha esauditu.
Avà saraghiu cuntenta
Sola cu lu miò maritu.
Di la morte di Criccona
Un ne vogliu senta pena ;
Fussi puru mòrta prima,
Quandu la cunobbi appena,
Perchè un ci aghiu mai passatu
Cun ella una bella cena.
Di la morte di Criccona
Un ne vogliu fa piu dolu,
Fussi puru morta avanti
Che spusassi lu figliôlu,
Chi mi ne sarebbe stata
Cu lu miò vabbu ch’è solu.
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CRICCHINU
Or fuss’ella puru stata
Che un t’essi mai cunusciutu,
Oghie un pruvarebbe micca
Un rimorsu cusi acutu ;
E l’affettu di a miò mamma
Sempre l’avarebbe avutu.
CRICCHETTA
Ma un cridete e miò parolle
Chi nun partenu da u còre ;
Di la morte di Criccona
Eo ne sentu un gran dulore,
E li dumandu perdonu
Cu a Madonna e lu Signore.
Ricunoscu li miò torti
Chi so anch’eo cristiana ;
Sò riempie li duveri
Chi un so micca donna vana ;
Aghiu lu timor di Dio
E u core in pianta di mana.
Cosa penserà di me
Lu miò povaru maritu ;
Sa bè che lu tengu caru
E chi un l’aghiu mai traditu
Se aghiu mancatu a la mamma
Lu mio còre n’è pentitu.
Una voce in d’u mio còre
Or sentu ch’ella mi chiama,
Dice : di lu to Cricchinu
Forse un ne senti piu brama ?
Se tu teni a cuntentallu
Perchè un pienghie la so mamma ?
Cricchinu di la surella
Lascia ch’io ti venga accantu,
Per dà pace a lu miò core
Ciole che mi sfoghi in piantu.
Piengu cun te la to mamma
Chi ci aspetta in locu santu.
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LES LUCCIARDI – UNE FAMILLE CORSE DE POÈTES ET D’INSTITUTEURS
CRICCHINU
Or nun sentite sta voce
Cusi pietosa e languente ;
Chi bi dumanda perdonu
O Mà, in faccia a tante jente.
Speru che bo un resterete
A stu piantu, indifferente.
Eo ci aghiu sempre cridutu
In l’amore di Cricchetta ;
Moltu piu sopra a l’onore
Un m’è stata mai suspetta
E avà becu ch’ella agisce
Da figliòla benedetta.
Beni qui lo miò cunsorte
Unimu li nostri pienti :
Pienghieremu la miò mamma
Cun tutti l’altri parenti,
E speremu sempre in Dio
Finu all’ultimi mumenti.
IL PRESIDENTE
Trovandosi in presenza
Di una sorte imprevista ;
I sensi e il cuore attrista
Il dispiacere.
Ed io mi fò un dovere
Di levar la seduta,
Come stima dovuta
A i duoli amari.
CRICCONA
(ripigliendo i so sensi e alzendusi)
O Signore, ste parolle
Mi danu cunfortu e lena ;
Giacchè Cricchetta è pentita
Perdunata è senza pena,
Cricchinu, chi a vostra vita
Sia di cuntentezza piena.
CRICCHINU
(avanzendusi versu a so mamma)
O mamma, chi gran sullevu
Che n’aghiu, lu puvarettu,
Vurria pudebbi pruvà
Per cent’anni lu miò affettu.
Da l’amore e da la gioia
Mi gonfia lu còre in pettu.
CRICCHETTA
(abbracciandu a Criccona)
Mamma Sò, mille perdoni,
Eccumi qui rispettosa ;
Vi prumettu d’ora in poi
Di mustrami affettuosa
E vi juru chi saraghju
Versu voi sempre amurosa.
CRICCONA
In quanto pò all’affari
Lo riconosce ognuno,
Che colpa per nessuno
Non si trova.
E la piu bella prova
E, che il mondo desia,
Che a Cricchetta si dia
– Adesso come prima –
La so stima.
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(abbracciando a Cricchinu e a
Cricchetta)
Venite li miò figlioli
Chi vi stringa a lu miò senu
Maladimu la Discordia
Che fra noi messe velenu,
Cessemu la malintesa
E siamu cuntenti appienu.
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CRICCHINU, CRICCHETTA E CRICCONA
(abbracciandosi)
Oghie pròvu di a miò vita
U mumentu piu beatu.
Cricchetta
Ghiè a la pace e a l’unione
Chi ci vole avvene gratu.
Criccona
E ringrazià lu Signore
Chi lu còre ci ha tuccatu.
(Fala u tendone).
A calunniatrice
U so mustacciu, o Dio, è tantu bruttu
Chi mancu un cane vecchiu u liccheria ;
Li puzza cume un erca a … galeria,
E a casa e u vicinatu impesta tuttu.
Inquantu a u cannellare pò l’ha asciuttu,
Benchè pienu di fele e purcheria ;
Perchè u so cibu un n’è che la buggia,
Di la calunnia u vile e falzu fruttu
Da tutti è vilipesa e cianterata,
A e jente oneste li mette u terrore,
Cu a so linguaccia chi ghiè abbelenata.
Ha persu ogni crianza, ogni pudore ;
È a risa e la vergogna di un cantone…
E anch’ella… imbronca e sprona un… cappellone.
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LES LUCCIARDI – UNE FAMILLE CORSE DE POÈTES ET D’INSTITUTEURS
Pe a Traversa
(in Bastia)
Pe a Traversa, l’altru jornu,
Passighiava a capu bassu,
Senza sente lu fracassu
Chi facianu all’intornu
Frù-frù di robe stirate,
Ciarle, rise e scaccanate.
– Sì un zitellu, mi n’abecu,
A un bede che le virtù,
E nantu i so vizi, tu,
Passi sopra cume un cecu.
Sappia chi la donna e un tomu
Datu per turmentu all’omu
E purtantu un mi mancava
Colpi di pedi e di spalle,
Calci secchi cume palle
Ch’ogni persona mi dava,
E in l’occhj colpi di piume
Chi facianu lu fume.
– O cume tu si ghielosa
Di lu sessu calunniatu,
Fattu pe rende beatu
L’omu sempre, o bella cosa !
Di la donna avia decisu
Dio, a fanne un paradisu.
A mio Musa cun ragione
M’inghiagarò apertamente,
E mi disse : « Francamente
Si propriu un beru… pultrone,
Per soffre tutti sti fatti
Senza mancu rivultatti. »
– Paradisu di un mumentu,
Ma infernu di eternità ;
Avà si, becu, o cumpà,
Che t’hai pocu sentimentu.
Prima di dalli stu vantu
Almenu pensaci nantu.
– Ma cosa vuresti falli
A ste femine jentile,
Cusì gherbate e civile,
Buresti forse minalli ?
Eju, nenzu vurria more
Che minà, fussi c’un fiore.
Guerda cume và bestita
All’incontru di un bon sensu ;
A mio idea, cume pensu,
È di fà l’ingrillizzita
E per quessa cun dilettu
Mostra nudu lu so pettu.
– Se care le teni tutte
– E un n’è segnu di cerbellu –
Cerca almenu, o curciarellu,
Tantu a e belle cume a e brutte
Di fallili rimercà
Ch’un s’è micca in chernevà.
Per daretu le so spalle
Scopre piu che a mezzu spinu,
Acciòcchè lu so vicinu
Possa cun piecè guerdalle,
Ad altru ella pò un s’adopra
Che a fà bede sottu e sopra.
– Un possu sente di male
Di le donne, o Musa cara,
A femina è cosa rara
Di bellezza e d’ideale ;
Fatta è da lu Creatore
Colma di virtù e d’onore.
Porta le scherpine basse
E le calze riccamate ;
E rôte strette e serrate
A la vita, cume nasse
U corset, per fà risorte
E so spalle se so torte ;
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Eppò in capu li si vede
Campi di fiori e di rose,
Frutti, acelli ed altre cose…
Ch’ella mai piu pò crede
Chi piu si pregia, la tinta,
Più ghiè brutta e men distinta ;
– Un credu piu li to detti
Chi so troppu passiunati ;
Si vede chi un l’hai pruvati
Di la donna, tu, l’affetti ;
Sappia ch’ella è piu amurosa,
Tantu è piu vaga e bizzosa.
Porta le breccie scuperte
Cume per luttà in l’arena ;
Quantu ch’ella si dà pena !
Tuttu adopra : astuzia ed erte,
Ma un tuccà pò, ti cunsigliu,
E so labbre di vermigliu.
Eju daria lu paradisu
Per dui occhj neri, neri,
Chi cun elli : addiu penseri !…
Se t’un sì di lu mio avisu,
A ti dicu senza scuse :
Preferiscu a donna a e Muse.
Dunque la donna un pò esse
L’opera di lu Signore,
Ella ha un… core traditore
Tuttu trama, e orde, e tesse,
Per mette cume, tu sai,
L’omu, sempre, in di li guai.
E cusì cuntinuai
Pe a Traversa a fala e colla,
Senza dì piu una parolla…
Ma le zanche mi grattai,
Chi nisunu mi guerdava ?
E ognunu mi calpighiava.
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LES LUCCIARDI – UNE FAMILLE CORSE DE POÈTES ET D’INSTITUTEURS
Lamentu
Sopra a morte di u Gallu di Vecchiolu
(Da cantassi sopra l’eria di e Sette Galere)
Ohimè ! chi pena,
O Dio ! chi tristu dolu ;
Piengu la morte
Di u gallu di Vecchiolu ;
U tenia tantu caru
Chi paria u so figliolu,
U l’ha scannatu la volpe
E un n’avia che quellu solu.
A mezzanotte
S’intese un gran scunquassu,
In di u pullaghiu,
Paria chi satanassu
Essi propriu scatinatu
L’infernu da altu a bassu,
Mentre un n’era che la volpe
Chi facia su fracassu.
Pietra, la moglie,
E Fiore, la cugnata,
Una in camicia,
E l’altra era spugliata ;
Stedenu a accurrà la volpe
Tutta quanta la nuttata,
Ma lu gallu era già mortu
E la volpe era scappata.
Ghilorma, accorta,
Bà da maestru Natale,
Disse : Currite,
Boi chi site ferrale,
Aprite prestu la porta
E impedite tantu male,
Chi lu gallu di Vecchiolu
Stamane un sbatte piu l’ale.
Un si truvava
Vecchiolu a su scumpientu ;
Ch’era pertitu
Tuttu allegru e cuntentu,
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Me li mandonu un espressu,
A chiamallu a lu mumentu.
Cusì pronta ebbe la nova
Di lu tristu evinimentu.
Quandu, a lu lampu,
In casa fu arrivatu,
Ne tirò un mughiu,
Dicendu : O disgraziatu !
Era megliu chi la volpe
A me s’avessi pigliatu.
Avà senza lu mio gallu,
O Signore, so smembratu.
E Maddalena
S’arrizza a su rumore ;
Impallidita
E li trema lu core,
Disse : Què ghiè una disgrazia
Chi ci manda lu Signore.
Avà le nostre galline
Si le manghierà l’altore.
Corse Musinu
A u fucile incrucchiatu ;
Oh ! per mio santu,
Se mi c’era infattatu,
Bulia fà chi a ladra volpe
Ci lasciassi lu so fiatu,
E lu gallu di Vecchiolu
L’averebbe liberatu.
Ghiunsenu tutte
E donne di u vicinu ;
Messenu u gallu
Nantu un gran tavulinu,
E s’intesenu le mughie
Da piu in là che San Gavinu,
Mentre u poveru Vecchiolu
Singhiuzzava a capu chinu.
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Apparu, apparu
Pienghienu in ogni latu,
E ghiè pertuttu
Un beru jubilatu.
Quante legrime e suspiri
Per su gallu s’è bersatu,
Quandu la trista nutizia
In paese ha circulatu.
Ognunu piense…
E la Signora Chiara,
Chi di Vecchiolu
Era la so piu cara,
Circava di cunsulallu
Di sa pena pena tantu amara ;
Ma una perdita tamanta
Cusì prestu un si ripara.
Zia Catalina,
Cun gran sincerità,
Disse : Di grazia
Buletemi ascultà,
Per l’enima di lu gallu
Un n’avemu da pregà,
Ma d’amantacci di neru
Quessa la pudemu fà.
A bella Elisa
Parlò franca e leale,
Disse : O surelle,
Què un n’è un colpu fatale ;
Era un gallu di dece anni
E un n’è statu tantu male.
S’ellu la sà prete Biaggio
Sentite lu chernevale.
Era un giuiellu
Preziosu stu gallu,
Cu li so occhj
Chiari cume un cristallu ;
A u sguerdu e a l’impugnatura
Paria propriu un maresciallu,
Quandu a u capu d’un ermata
Passa lu primu a cavallu.
Maria Diana,
A moglie di Marcellu,
Disse : O surelle,
Questu un n’è gran flagellu ;
Ma lasciate pienghie a me
Chi a lu core aghiu un cultellu.
U mio maritu è ghielosu
E hà già persu lu cerbellu.
A se parolle
Un pocu singulare,
Bersanu a fiumi,
Tutte, legrime amare
Quandu junse di Vecchiolu,
Mergherita, la cumare,
Dicendu : Chi san Mertinu,
Ha stamane u mio cumpare.
Dicia Vecchiolu :
Avia u mio cumpane
Chi lu mio gallu,
Fidatu cume un cane,
Facia in di la mio baretta
Duie ove tutte le mane.
Avale, lu tintarellu,
Manghieraghiu pane e pane.
E so figliole,
Una, Anghiula si chiama,
E Maria Antonia,
Di rinumata fama ;
Tantu belle e graziose
Chi ponu purtà la palma,
Pienghienu dirottamente
Cume sia morta la mamma.
Cu la so coda,
Rasembrava un paone,
Cu la so cresta,
Sembrava un barittone ;
Cu li so sproni a li pedi
Ne impunia piu che un leone,
E facia batte a la ronda
Tutt’i galli di u cantone.
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LES LUCCIARDI – UNE FAMILLE CORSE DE POÈTES ET D’INSTITUTEURS
Bogliu interrà
U mio gallu in giardinu ;
E in di la fossa
Pientacci un erburinu ;
Eppò scrive st’epitafiu
Nantu lu marmu piu finu :
« Qui riposanu e speranze
Di Vecchiolu lu mischinu. »
Chi belle piume !
Parianu indurate ;
E le galline
N’eranu innamurate.
Insomma era lu guerrieru
Di l’imbernu e di l’estate,
Perchè un bulianu esse
D’altri galli accumpagnate.
Ringraziu tantu
L’amici e li parenti,
Chi tutti apparu
Cun dulurosi accenti,
Facenu in st’occasione
Tanti strepiti e scumpienti,
Sopratuttu li vicini
So cusì mesti e dulenti
Sunettu
E mode
Andate pe a Traversa, o voi, asgiati,
Se sapete osservà da jente accorte,
Senza vede pertuttu cose torte,
Chi b’ete da restà tutti incantati.
E donne hanu cappelli smisurati
Cun piumacciuli e piume d’ogni sorte,
Chi un ponu mancu entrà per tutte e porte,
Ne per certi purtoni spalancati.
Hanu purtatu traccòlle e spallette,
Bérets, scuffiotti e fiocchi propriu rari
E avale hanu pastoghie strette strette.
Dumane ci sarà piu belli affari :
Purteranu scherpine a dui tacchi
E fune per ligà l’omi in… d’i sacchi.
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Lamentu
Sopr’a morte di u cane di Masgiòlu
Tuttu quantu lu paese
Era in gran dolu stamane ;
Ch’a lu povaru Masgiòlu
L’hanu tombu lu so cane
Ellu vulia andà a la chiesa
A sunalli le campane.
A le strite e a li sfiamazzi,
Corsu, era lu vicinatu ;
Ognunu li dumandava
O Masgiò, cosa c’è statu,
Ellu un rispundia a nimu
Pienghîa cume un disperatu.
Chiamatu aghiu lu duttore
Disse a tallu visità ;
E lu judice di pace
Ch’hanu da verbalizà.
Si l’assassinu si scopre,
In galera u femu andà.
Nulla un n’avaria curatu
Per fà onore a lu mio cane ;
Ma m’è mancatu lu tempu,
Chi l’hanu tombu stamane
Appena s’aghiu pussutu
Suppellillu da e mio mane.
Versu di li Pedimari
Pianu, pianu lu purtai ;
Cun tutta l’attenzione,
E culà l’apparichiai
Quand’io lu vidi distesu
Quante lagrime versai.
I li cuprii le vergogne
Eo’ cu lu mio fazzulettu ;
E li ligai li pedi
E la bocca c’un friscettu
Dal dolore cosi rio
Mi sentia crepà lu pettu.
Cane cume lu mio Moru
In Francia nun ci ne era ;
Per batte sempre la ronda
Notte e ghiornu, mane e sera
Un meritava di fà
Una morte cusì nera.
Per tre volte lu baciai
Eppoi dissi : « O Moru, addio ! »
Un ci pò esse un dolore
Oghie simile a lu mio
E prima di abandunallu
Ne versai di pianti un rio.
Vulia falli fà la cascia
Ma qui nun c’è bancalari ;
A quelli di lu paese
Eo, nun ci spendu danari
Chi per fà la cascia a Moru
Un ci òle òmmi di si pari,
Tre some di granu à colmu
Più volte l’ho ricusate ;
En un dava lu mio cane
Per tre bacche vitellate ;
Chi ghiera l’onor di casa,
E ghieranu le mio entrate.
Si meritava una tomba
Fatta da lu scarpellinu ;
Tutta di un bloccu massivu
Di lu porfiru piu finu
Cume a vulia Pepinellu
Pe u so cane Costantinu
Ne truvai un altru prezzu
Se vulia vende lu cane
Mi n’offrinu centu scudi,
Per manghià centu semane
Signor no, gli dissi, voglio
Ch’ellu morga a le mio mane.
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Vecchiolo disse : « O Masgiò »
Piangu anch’eo lu mio gallu ;
L’infamu di prete Biagio
Ha volutu vocerallu.
Ma mi vogliu vindicà
Quandu more a apparichiallu.
Disse Paolo Vitali :
O Masgiò, tantu addisperu ;
Pare ch’abbiate perdutu
A curona di un imperu.
Ma la perdita a la fine
E stata di un cane neru.
Se voi parlate cusì
Ghiè ch’un ci avete intaressu
Eju, mi guastu lu mio sangue
Quandu un lu mi vecu appressu.
Caru, a perde lu mio cane
Aghiu persu lu mio ingressu.
Eccu chi arriva Marcellu
Cu la so pipa infiarata ;
O Masgiò, per lu mio santu,
Hai guadantu l’annata.
Megliu era chi fussi morta
A to moglie figliulata.
Eju vurria chi la mio moglie
Un n’avessi mai male ;
Ma s’ella venissi a more
U dulore saria uguale.
Tenia caru lu mio cane
Più che un cuginu carnale.
Nesa, Julia e Risavetta,
Maria e Paulu Maria ;
Andonu per cunsulallu
Tutte inseme in cumpagnia ;
E li dissenu : « O Masgiò,
A pienghie jè una pazzia ».
Donne care, eo vi ringraziu
Di la vostra attenzione ;
Moru, di a nostra famiglia
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Era la cunsulazione
Avà lu nostru ferame
Sarà tuttu in dispersione.
Quandu avia lu mio cane
E girava li paesi ;
Li facia vede le cagne,
Guadagnava li mio mesi.
Tutti ne vulianu a razza
I Corsi cu li Francesi.
E li facia lu so lettu
C’u so bellu strapuntinu ;
E li mettia per guanciale
Di piume pienu un cuscinu
E sottu lu letticiolu
Ci tenia lu so catinu.
Un ci avemu mai truvatu
Una pucia in quellu lettu ;
E lenzole eranu bianche,
Sempre era pulitu e nettu.
S’ella ci stava una donna
Un n’era senza difettu.
Un n’è anc’ora di finilla ?
Gridò un vecchiu di un vicinu ;
E vergugnosa di pienghie,
Di fà strepitu e sterminu,
Pe un cane corciu e manghieghiu
Ch’un surtia di lu caminu.
– Or fussi cum’ellu fussi,
Cosa vi pò riguardà :
Lasciatemi pienghie o ride ;
Tandu mi vogliu sfugà.
Vogliu pianghie lu mio cane ;
Per me ghiè una gran pietà.
– U cane, era una bestia
Ma tu si, un gran bestione,
Quandu voli assumiglià
E bestie cu le persone
Un ci vogliu parla piu,
Vai, vai, chi si un caprone.
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Vocero e Testamento di Mamma Mozza
O peccatu, ô Mamma Cà
Che vo’ siate morta avale ;
Un pudiate aspettà
A more di carnavale,
Invece vi site morta
Tre ghiorni dopu Natale.
Ma stamane i l’è passata,
A voglia d’ogni pietanza ;
Un lu sentite chi pienghie,
E singhiozza qui in di stanza
L’amurosu di la casa,
U mio colmu di crianza.
Si l’avia sappiuta avanti
U mio fratellu Tittinu,
Vi avaria fattu la cascia
Di lu marmaru piu finu ;
Perchè a le so mane d’oru,
Ghiè un superbu scarpellinu.
Andà vogliu a la Bastia
A cumpranne l’addisperu ;
Pigliaraghiu li cappelli
Chi ci sia lu dolu in veru ;
E le robe in marinossu
Cuparte di crespu neru.
Ellu sà leghie in francese,
E riceve le gazette ;
E s’ell’ha una bella bomba
Face cusi belle fette
Ne mancu ne dà a nisunu
Chi sà duve le si mette.
A lu mio fratellu e a ziu
Di cumpralli nulla un vale,
Parenu sempre currotti
Chi so neri naturale.
Facenu la so figura
Quando vene carnavale.
Quand’ellu era chiucucciu
Fu allevatu dilicatu ;
Sempre a fideletti fini,
Sempre a pane inzuccaratu,
Ma aval Dio lu benedica
Manghia anc’u pane infungatu
A babu li cumpraremu
Un cappellu a li tre venti,
A bunnella e li calzoni
Cu i scarpi novi framenti
Chi si babu è ben vestitu
Face onore a li parenti.
Ma qual’è chi un lu cunosce
Ch’ell’è di manghia suprana ;
Quand’ellu sorte a lu zanu
Ci spula la tramuntana.
Manghia piu ellu in d’un pastu
Che no’ in d’una settimana.
A u mio cuginu Natale
Ch’è u megliu d’u parentatu,
Cumprà li vogliu un vestitu
Biancu, rossu e raccamatu,
Cu li pantaloni gialli,
E un cappellu impiumacciatu.
Ch’ellu ha sempre u so appitittu
Ancu voi la sapete
Manghia quante in cotta e in stola
Ne pò benedisce un prete.
E di vinu si ne beie
Una zucca senza sete.
Ha cusi bella statura,
Ha cusi bella purtata ;
A so faccia s’assumiglia
A una cagna catellata
Ancu la natura stessa
Si vergogna e ghiè sdignata.
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LES LUCCIARDI – UNE FAMILLE CORSE DE POÈTES ET D’INSTITUTEURS
A partanza di Caccara
Ha messu in dolu un cantone ;
Ghiunghienu d’ogni paese
E schiere in prucessione.
O peccatu chi la morte
Si pigli certe persone.
Quandu junghiaranu a babu
Da Francia le so rimesse ;
Vi faremu celebrane
Tutti l’anni centu messe ;
Senza cuntà le preghere
Chi faremu da noi stesse.
So ghiunti li furesteri,
L’amici cu li parenti ;
Oghie sì, ch’in San Ghiuvanni1
Nasciaranu li scumpienti
Per purtà li pendelocchi
Ci sarà molti scuntenti.
Resta intattu u testamentu
Duve fate parte e prese :
Centu scudi li lasciate
A i malati di u paese,
E li vostri pannamenti
A le donne vezzulese.
Ghiè fattu lu catafalcu
Chi tocca li scurnigioni ;
Adurnatu è di cipressu,
Bussu, morta e gunfaloni ;
Ghiè ziffittatu di torchie,
Di candele e di cironi.
Avà sì, ponu sbaccà
Or, le donne vezzulese ;
Centu pare di lenzole
Tutte di tela francese ;
Venti materazzi e piu
Pien di lana berberese.
Emu invitatu li preti
Di Canale e di Bigornu ;
Per candela bianca, in manu,
Noi li daremu un cornu ;
E per sua grata marcede :
Ben venuti e bon ritornu.
L’oru l’avete lasciatu
A la vostra Visideria ;
Cusì pò tene la serva
E stassine sempre in sedia ;
E la sera dopu pranzu
Andassine a la cummedia.
Emu invitatu a Bughellu
E a Buccale per cantori ;
Cun Vecchiolu di Campiendi,
Perch’è razza di signori.
Tutti quanti raduniti
Vi faranu molti onori.
Ete lasciatu lu vallu,
Cun tuttu lu Castagnetu,
A le donne di lu Poghiu,
C’u casale di Jiretu ;
Chi ghiè tuttu attu a giardini,
E c’è un famosu alivetu.
Ghiè preparata la tomba,
Ch’è custata bella cara ;
In granitu di Tallanu,
E pò in marmu di Carrara ;
In porfiru d’u Pagl’Orba
Ch’è la petra la piu rara.
U vostru chiosu in Bonace,
Pienu d’alive rumane,
U daremu a la raccolta
A le donne Cursulane.
E megliu sempre ajutà
Caccà, le so paisane.
1. Chiese parocchiale di Santo-Pietro.
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Ete lasciatu un giardinu,
Pienu di fiori e di rose,
A le donne di Campiendi
Chi so belle e preziose.
Purtaranu i fiori in pettu
Quand’elle saranu spose.
E donne di le Terrazze
A so bella parte l’hanu,
Perchè i l’avete lasciatu
In Buverga un bellu pianu
Credu ch’ellu rendi ogn’annu
Centu e piu some di granu.
Ete lasciatu li frutti
Di le vostre pecurelle,
E tuttu lu bestiame
A le donne di e Petrelle.
Ponu fà d’ogni stagione
Cleme, fiadoni e frittelle.
A le donne di u Poghiolu
I li basta la metà
Di le rendite francese
Chi si restanu a tuccà.
Elle si, chi lu Signore,
Per voi possonu pregà.
A quelle di lu Pianellu
Li lasciate le darrate
Cun tutti li rivenuti
Di Saleccia e d’Agriate
Ponu avè servi e vassalli
E piglià le so scialate.
Di le donne di u Castagnu
Un vi ne site scurdata ;
I l’ete lasciatu a tutte
A so data preparata,
Di cinquanta mila franchi
Tutti in muneta friegiata.
E donne di Lavandaghiu
Un so state e piu mischine ;
Hanu avutu le pusate
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Quelle di l’oru piu fine
E stuvigli in purzzellana
Più di tre centu duzine.
Avà le donne di Casta
Si ponu caccià la noja,
E passà le so jurnate
Sempre in festa e sempre in gioja
Perchè i l’avete lasciatu
A banca di u scogliu à Roja.
E pienu lu magazinu
Tuttu a granu maremiese ;
Centu some di fasgioli
L’ete avute in Niulese,
Baccalà, rumi e licori
Sciacchi puru ogni paese.
Centu pare di bottine
L’ete date a li scarpari ;
Senza cuntà le babucce
E i cotturni li piu rari.
Calculendu i vecchi e i novi
C’è da facci li so affari.
Ete lasciatu a la chiesa
I vostri guadri di Holanda ;
Quelli di Francia e d’Italia
Chi so una grossa cumanda.
Di tant’altre tele a l’oliu
Ci n’è per chi ne dumanda.
Un n’ete lasciatu nulla
Dicenu a San Bastianu ;
Ma sò ch’i l’ete lasciatu
Un tappè di u vostru pianu
U jornu di la so festa
In tre doppi u metteranu.
Ancu u judice di pace
Centu codici l’ha avuti ;
Altrettanti commentari
Fatti da li piu sappiuti.
Stacchittarà le sentenze
Chi un l’attacchi mancu pluti.
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Tutta a vostra biblioteca
L’ete data a la cumuna,
Ci so i libri d’ogni lingua
Chi valenu una furtuna ;
Ci n’è d’ogni nazione
Senza eccettuanne una.
A lu merre, ete lasciatu
A vostra roba di e feste ;
Ci pò fà dodeci scerpe,
Cu la fodera e le seste ;
E di cos’ellu ci avanza
Cinque donne ne pò veste.
Ete datu a li giandarmi,
I fucili e le fianchine ;
I cultelli e li stiletti
E le sciabule piu fine,
Cu la vostra pulbarera
Ch’avete in Sante Cristine.
A tutte l’ete dutate,
Caccà, le vostre figliole ;
I l’ete lasciatu a sparte
E terre ch’avete a u sole
E tutti li vostri solli
So pe i maschi e a chi ne vole
I l’ete lasciatu in piu
A vostra casa majò,
Quella chi lu vostru babu
A voi sputica lasciò
Ci ponu luggià un armata
E in fondu facci e prigiò.
So tutti qui a dumandami
Duve avete sta furtuna :
Una parte è nantu i nuli
E quill’altra in di la luna.
Per piglialla, i vostri eredi
Purtaranu scala e funa.
A lu nostru istitutore
Li lasciaste un calamaru,
Tuttu interziatu di perle
E pò un portapiuma raru.
Vi farà un cupunimentu
Oghie ch’è lu vostru intarru.
Eju sola, aghiu ragione
Stamane di lamintami ;
Almenu la vostra rocca
Or pudiate lasciami
Un fussi chè un fusu solu
Bastava per cuntentami.
Tre botte di cinque some
Tutte piene di muscatu,
E quattru centu buttiglie
Piene di vinu furzatu.
Cun tre zucche di zampinu
E lasciate a u sciò curatu.
Ma purtantu un vi ne vogliu
Si n’ete dimenticatu ;
Mi bastanu li cunsigli
Chi m’avete sempre datu
Dio vi dia un bon riposu
Cessu lu mio voceratu.
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Canzone d’i San Gavinacci
Popol di San Gavino empio e fellone,
Un delitto si enorme ove s’intese
Ad una penitente processione
Affrontarlo nel tuo proprio paese.
Il vessillo di Cristo in devozione
Portavan mano con le torchie accese ;
E tu per assaltarla in quel momento
Ti servisti del liquido elemento.
Vendica mio Dio onnipotente
Perchè sotto al tuo impero è il mondo tutto.
A guisa degli Ebrei l’iniqua gente
Disperdi, e quel paese sia distrutto.
Degli castighi tuoi nessuno esente
Della loro impietà paghino il frutto.
Che non resti vestigia in quello luoco,
Fà che piovi dal ciel fulmini e fuoco.
Ma no, mio Dio ! Suspendi su di quelli,
Il mal desiderare non si può,
Perchè esenti non son dei tuoi flagelli,
E’ abbastanza che restin in stato quò.
Son della povertà figli e fratelli,
E uguagliarli a nessuno io qui no sò
Soffron tormenti, e pene le piu amare
Da quella malattia pedicolare.
Di due generi sono ricchi, e vero,
Ben lontano negar la verità.
Orgoglio e fame, è il suo potente impero,
Di questo ognuno abonda in quantità ;
Mostrano un viso bellicoso e fiero,
Ma, a contemplarli, o Dio ! fanno pietà.
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Se vanno fuori qualche volta al mese
Negano il nome del nativo paese.
Gli vestimenti che portan sul dorso
Gli hanno per carità dagli ospedali ;
Io gl’incontrai l’anno ch’è trascorso,
E mi parean truppe nazionali.
Gridai : « Che vi ? » con frettoloso corso,
E in me stesso dicea : « Son Provenzali ».
A dir la verità ebbi paura.
Ma li conobbi alla pettinatura.
Il suo degno curato, prete Santo,
Celebrando la messa parocchiale,
Disse : « Fratelli miei, or qui frattanto
Vi devo palesare un grave male ;
Io mi arrossisco di posarci accanto,
Vedendovi scomposti in guisa tale ;
Conosco l’indigenza e il vostro stato,
Ma almen, ciascun di voi sia pettinato.
Mentre venite in chiesa ad affrontare
La Maestà di Dio, la Gloria stessa,
A me non regge il cuor di celebrare
Il sacrifizio della santa messa.
Perdonate, fratelli, il mio parlare,
E’ nell’autorità che mi è concessa.
Quand’io mi volto a dire : « Orate frate »
Tanti becchi e capron, voi mi sembrate.
Ho letto un certo passo di scrittura,
Nel Deuteronomio, ed ecco è questo :
Che impone agli fedeli una gran cura
Di entrar nel tempio accomodato e onesto.
Nella Cantica poi maggior premura ;
Per brevità del tempo io lascio il testo.
Dilettissimi miei sono a pregarvi,
Almen tre volte all’anno a pettinarvi ».
Un tal sermone al mer gli punse il cuore,
E convocò il Consiglio il giorno stesso,
Disse : Fratelli miei, tanto rossore
Io non posso soffrire, ed è un eccesso.
Bisogna rimediare un tale orrore,
Senza piu prolongarlo, adesso, adesso.
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E comprar venti pettini in Bastia
Che sian depositati alla merria.
« Non è d’uopo servirsene ogni giorno,
Perchè cosi facendo finiranno ;
Ma basterà di comparire adorno
Le quattro feste mobile dell’anno ;
Vi consumate gli abiti nel forno,
Questo, fratelli miei, è maggior danno.
Finiranno una volta le morsate
Che pareano tante sciabolate.
« Di ebano noi faremo una gran cassa,
E dentro interziata di cotone ;
Eppoi la deporemo colà in massa,
Con tutta l’avertanza e devozione.
E faremo nel popolo una tassa
Quante son le famiglie e le persone ;
E ripartito che sarà il montente,
Ognuno pagherà il suo tangente.
Una lapida ancor di marmo fino
Che abbia cento metri di larghezza.
Acciocchè gli abitanti in San Gavino
Possano pettinarsi in aggiatezza.
Vi prevengo non star tanto vicino
Che le reclude son come una frezza ;
Volano come gli uccelli del cielo
E le punture son dardi di delo.
Di bronzo ancora un concavo ustensilio
Che il sangue scolerà come un torrente ;
Sangue degli avi nostri : padre e figlio,
Sangue del nostro sangue anche innocente.
Un istrumento a ferro io vi consiglio
Tener pronto alla destra in quell’istante.
Poi con la mano bellicosa e presta,
Tanti ne cade troncargli la testa ».
Un consiglio piu dotto e piu sovrano,
Disse : « Quessa è una spesa troppo forte ;
D’ogni famiglia e d’ogni paesano
Voi conoscete l’infelice sorte ;
Bisogna fare il passo un poco piano,
E caminare per le vie piu corte ;
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Ora che siamo in mezzo al vecchio e al nuovo
Un centimo in paese io non ci trovo ».
Il vecchio Monti disse : « E’ troppo assai ;
Ho conosciuto tutti i trapassati,
Posso giurar non ho veduto mai
Che fossi uno di loro pettinati ;
Avean allora le miserie e i guai,
Senza rossor andan dai magistrati ;
Si presentavan tutti in tal maniera
Buon giorno, buona notte, e buona sera ».
Disse San Domenico, il piu erudito :
Mia vecchia nonna m’insegno un secreto,
Mi disse : « Figlio mio, io te lo addito,
Ma di non palesarlo io tel decreto.
Mostrati sempre valoroso e ardito
Non temer quest’insetti, vivi cheto ;
Ma se senti morsura in qualchi luoco,
Subitamente di attaccarci il fuoco ».
Disse un altro consiglio : « E’ ad osservare
Che dalla chiesa in giù han piu dolcezza ;
Sia che divenga dal raggio solare,
O che al sangue succhiar trovino asprezza
Ma dalla chiesa in su, son cose rare,
Hanno piu crudeltà e piu fierezza ;
Ci sono rossi, gialli, bianchi e neri,
E son tutti maligni e tutti fieri ».
Parlò Sagrino e fece un gran discorso,
Disse senza rossore : « Io son sfondato,
E posso dir che fu un maligno morso
Di un animale ch’era avelenato.
Lo presi in mano, mi parea un orso
Dissi : « Son vecchio, e tanti n’ho ammazzato
Ma un serpente cosi maligno e fiero
Che ad ammazzarlo fatigai davero.
Fuoco pe i denti come un Mongibello
Urlava a guisa di un cignal ferito ;
Io l’afferrai con un crudel coltello,
Morto non già, ma parve impaurito.
Fu la cruda tenson come un duello,
Ma da un gran colpo ne restai assalito.
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Mi ferì con il piede il destro lato,
Cado per terra, e mi vien meno il fiato.
Dopo ripresa la mia antica forza
Gli scaglio un calcio sulla dura testa ;
La sua ferocità par che si smorza,
Ad alquanto a morir par che si appresta.
L’ingegno, l’arte, non valea una scorza,
Se il tagliente pugnale non l’arresta ;
Ma quel gran colpo mi lasciò imperfetto,
E infermo ne restai tre lustri in letto ».
Disse quel Venerdì : « Veduto avea
Del fu mio padre, nel sole in leone,
Che dal solo nativo egli coglie
Una certa erba con divozione.
Ai rigori del sole l’esponea ;
Del nome pò non ho cognizione,
Ma sono ben che le reclude tutte
Intieramento restevan distrutte ».
Nicodemo il piu dotto e il piu capace
Di quanti vi ne sono in San Gavino :
« Vogliam godere la tranquilla pace ?
Che sia castrato il sesso mascolino.
Ed un altro rimedio allor si face :
Levar le luce al sesso femminino,
E la notte annodarli in duri ceppi
Se questo allor non vale, altro non seppi ».
Disse Filippo Casta : « Signor Mer,
Io conosco che questa è cosa buona.
Je suis été à l’école de mon père,
E guasi che fui dottore in Sorbona.
Se date la gerenza a me, mon cher,
Io renderò contenta ogni persona.
Sia liquis loquatur, contra me,
Je lui dirai :…Mais…gent foutre, e perchè ? »
Giacchè siam tutti radunati qui,
La deliberazion bisogna a fare.
Signor Casta, à voi ? Rispose : « Oui,
Io lo farò in latino o in volgare ».
– Conoscete il latino ? – Signor si.
– Ma come ! Siete un uomo singolare.
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– Dieci anni ho studiato, or che regea
L’antico seminario di Catrea.
Era quel seminario frequentato
Dagli avi nostri in modo il piu perfetto ;
Era dal naturale fabricato.
Colà vivean sotto il celeste tetto ;
All’altre nazion era vietato,
Solo per San Gavino era l’oggetto.
Ogni arte, ogni scuola, ed ogni scenza,
Di tutto s’imparò fuor che crianza ».
Disse un vecchio dei vecchj il piu maturo :
« E’ impossibile a voi d’annientarli ;
N’è pieno ogni cantone ed ogni muro,
Non si trovò mai mezzo di stirparli.
Questo con verità, io ve lo giuro,
E’ il vero mezzo di moltiplicarli.
S’è fatto forno, unguento e medecina,
Morti la sera, e vivi la mattina ».
Ad unanimità tutto il consiglio ;
« A che servono al fine tante spese.
E’ ver che siamo in gattivo periglio,
Ma ognuno resterà sulle difese.
Difenderà la madre, il caro figlio,
E di arme s’armerà tutto il paese.
I nostri trapassati ci lasciorno
La gran’ risorsa dell’ardente forno ».
Pieno di rabbia e di furore acceso,
Il mer gli disse : « O gente senza onore,
Un popol si schernito e vilipeso.
E non vi cuopre il volto di rossore ?
Io sono dalle traccie intatto e illeso,
Ma di voi tutto il mondo ne discorre ».
Cosi finì la dolorosa storia,
E Santo Pietro ne eternò memoria.
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Sonetto
Micaele per voi son mezzo matto.
– Ditemi Antonio mio, qual’è il motivo.
– Il motivo è ch’io vedo il mio ritratto
In San Sebastiano quasi al vivo.
– Si, è vero, lo confesso, ero distratto
E d’imaginazion fui fatto privo.
Tenea il pinnello in man tutto ad un tratto
Vi presentaste a me lieto e giolivo.
Fissai lo sguardo, e vi contemplo e miro
E un vidi un viso si proporzionato
Ne faccia tal per pittorare un sbiro.
– Dunque sbiro son’io, per dio sacrato,
Già perdo la ragion, fremo e deliro,
– Si, sbiro baricel, sei pittorato.
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LES LUCCIARDI – UNE FAMILLE CORSE DE POÈTES ET D’INSTITUTEURS
Lamentu di Custantinu, u cane di Peppinellu
O chi maladetta sorte,
O chi perfidu destinu,
Abbicinatevi, o mà,
Eppò chiamate a Chilginu
Perchè becu chi stà male
U mio cane Custantinu.
Ellu lu si strinse a u senu ;
E dopu avemu abbrecciatu,
L’apparighiò cun gran pompa
In salottu ottangulatu,
Sopra un tappettu celeste
Di u descu marmurizatu.
Circhemu di dalli ajutu,
Ch’ha una trista malatia,
E un si currinu le spese
Di duttori e speziaria ;
S’ell’un c’è rimedj qui,
Ch’ellu si vada in Bastia.
Si vultò subitamente
Versu u figliolu Chilghinu,
Disse : « Fà che un senti piu
Ne pianforte ne biulinu,
Vogliu ch’ognunu, pe un annu,
Faccia u dolu a Custantinu.
Eccu chi a tantu rumore
Per casu passa Masgiolu ;
S’incamina a quelle strite
Per calmà tuttu su dolu ;
Ordinò chi si frittassi
Di balzamu e bitriolu.
Quandu pensu a i so custumi,
Ch’era si ben educatu,
A le scòle di Saint-Cyr
Paria chi fussi allevatu ;
Capia lu frencese e u corsu
Cume tu l’essi parlatu.
Eppò scrive una ricetta
Di licor di longavita,
E le spedisce in Bastia
Per persona assai spedita.
Ma lu mio caru Custante
Un dà piu segnu di vita.
Versu le ottu partia,
A mezziornu arrivava ;
Ne ad umbria ne a sulana
Bucertule un si francava.
Era insoma un gran guerrieru
Cume un campione di prova
Eccu, all’ultime buccate
Chi ghiunghie ancu Peppinellu ;
Tirò tamante le strite
Ch’intesenu da u Pianellu.
Paria ch’ellu avessi leccu
In di u core di cultellu.
Si per sorte s’incuntrava
All’innastu d’altri cani,
Si ne fughja in cameretta
A mezzu a tredeci zani,
E culà si stava giattu
Finchè un’eranu luntani.
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Era fieru pe la piuma,
Pe lu cerviu e lu cignale,
E lu si vulia cumprà
U sciò Ettore a Rapale ;
Mi ne vulia dà tre capre
C’un bellissimu majale.
Ma lu piu chi l’ebbe a pena
Fu lu povaru Biasginu,
Chi duvia avè per dota
U famosu Custantinu ;
Avale li basterà
A ferrera e lu mulinu.
Altrimente vulia dammi
Quattru some di bon vinu,
Se li facia rigalu
Di u mio cane Custantinu.
Era per mandallu a Nizza
A u prefettu so cuginu1.
Don Anghiulo Fraticelli
Ci truvò moltu dulore,
Ma disse : « Fratelli cari,
Un b’affannate lu core,
Bisogna accettà in pazienza
Cosa face lu Signore ».
Quantu chi m’è statu appressu
U sciò de Morlas d’Oletta,
Bulia dammi un portavista
C’una famosa schiuppetta,
E un paru di guanti bianchi
Che fessi la mio tuletta.
Gridò allora Mergherita :
« O chi sorte maladetta ;
Un sapete chi Custante
Era di nobile setta
U sustegnu di la casa,
U fidatu di Cimetta.
Ancu lu sciò Carlu Casta
M’avia offertu u so giardinu,
Per legumi ed alimeie
Numinatu San Mertinu
Dissi : « No, nun c’è valore
Per pagà u mio Custantinu ».
Tranquillatevi, o surelle,
Disse infine Ghjuvan Chilghinu,
Vogliu chi si compri un vasu
Di cristallu sopraffinu,
E dentru metteci l’osse
Di lu nostru Custantinu ».
A tutti quelli lamenti,
E u tumultu di su dolu,
Eccu chi arriva la nova
A lu povaru Vecchiolu ;
Parti subitu a gran corsu
Cume un acula a lu volu.
E cusi lu mio Custante,
In d’un locu ben serratu
Da dodeci damigelle
Terra terra fu purtatu,
E in d’una pulita tomba
Fu rinchiusu e cullucatu.
Mentre arriva, indebolisce,
E sciuppa in piantu all’istante,
Rammintendusi e carezze
Di lu so caru Custante.
Un si pò piu reghie in pede
E divenne trimulante.
1. Dionisi Gavini, prefettu di Nizza sottu u guvernu di Napulione III.
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E tabaccone
Lascia, o Musa di Elicona
Le fiorite, e amene sponde
E da me piu non t’asconde,
Veni e canta una canzona.
Poi che sia di loda e vanto
Mentre dò principio al canto.
Parlo di Angela Maria
Che in bellezze è guasi rara ;
Si assomiglia alla caccara,
Cento libre ne vurria.
Per questo la giovinetta
Non va mai pulita e netta.
Vieni, o Musa, al mio soccorso
Ch’io ti voglio racontare
Cose curiose e rare
Delle giovane del Corso
Sono tante tabaccone
Che dan noia alle persone.
Dirò di Angela Felice,
Che trastaglia nel parlare,
Quando pensa a tabaccare
Si crede di esser felice.
Per tabacco, poverina,
Vende in fino alla farina.
Sono belle e graziose
Sono amabile e gentile,
Come un fior di un vago aprile,
Tinte di color di rose.
Son tutte di verde età
Pien di onore e castità.
Di Mastr’Angelo, la figlia,
Che lo porta in un bel corno,
Ci ne vurria un franco al giorno,
Che alla madre si assomiglia.
Se l’hanno senza disparo
Si ne sciusciano un cantaro.
Incomincio da Santola
Ch’è una giovine compita,
Ma non è tanto pulita
Perchè il naso sempre scola.
A una giovine da bene
Questa cosa non conviene.
Chi lo porta in un stuccetto
Chi lo porta in un papere,
Chi lo porta in un cornetto
Ch’in un piè di candelere ;
L’hanno in diversa maniera
Tutte la so tabacchiera.
Passemo a Chiara Maria,
Bella giovine di aspetto,
Porta sempre il fazzoletto
Carrigo di porcheria.
Al tabacco è molto avezza,
Ed ognuno la disprezza.
Qui principio e qui finisco,
Resta Paola Maria
Chi da la mane a la sera
Sempre sempre sciusciaria.
Ma lo sciuscia un poco ascosa
Che si trova vergognosa.
Ghjaia, ancora è viziosetta
Ma va presendo in ascolto,
E lo compra a grave costo
Benchè sia giovinetta ;
Per tabacco vende il pane
Tutte quante le semane.
Giovinette io vi consiglio
Questo vizio abandonare.
E lasciar di tabaccare
Perchè siete in gran periglio.
S’io prendo la penna in mano
S’en parla dal monte al piano.
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DOCUMENT II
Voceru sopra mio figliol Charles*
(1907)
Jean-Pierre Lucciardi
*
Lasciatemi abbicinane
Ancu a me un pocu a la tola ;
Perchè a pienghie sempre solu
U mio core un si cunsola.
Un pienghieraghiu mai tantu
Lu miò tesoru tamantu !
Quandu la Vergine santa
Cu la so curona in manu
Ghiunse per incurunane
Lu figliol di Dio suvranu
Tutti fecenu allegria
Dicendu : Salve Maria !
Eri mane c’era in celu
Un imbitu generale
Chi s’avia da celebrane
Lu santissimu Natale,
Nascita di lu bambinu,
Omu santu e Re divinu.
Tutt’ognunu al tron di Dio
Purtò allora un bel giuiellu ;
Ma Dio Grande Onnipotente
Disse : « Lu fiore piu bellu
Un n’è ghiuntu e il Figliu amatu
Un pò esse incurunatu.
Dio Grande stava in tronu
Cu lu Spirtu Santu a latu ;
Bulia chi lu re di u Celu
Fussi da tutti onoratu ;
E per questu fu decisu
Grande imbitu in Paradisu.
Mi ci vòle un innucente
Chi sia puru cume un gigliu
Perchè ne possa adurnane
A curona di u mio figliu.
Chi si trovi in Celu o in terra,
Mi ci vòle qui sta sera. »
C’eranu tutti l’arcanghiuli,
Li prufeti cu li santi ;
E virginelle e li martiri
Si fecenu tutti avanti,
I rimiti, e munachelle,
I povari e l’urfanelle.
Disse l’Anghiulu Custode :
– Ne cunoscu, a la Suarella
Unu pien di qualitane
E puru piu che una stella ;
Risplendente è lu so visu
Cume un fior di Paradisu.
Extrait de : Lucciardi Jean-Pierre, Canti Còrsi (Chants Corses). Traduction française en regard,
Castelnaudary, Société d’édition occitane, 1921, p. 120-137.
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– Subitu vai a pigliallu,
Intantu femu allegria ;
Ma li pienti di la mamma,
Nè quelli di la to zia,
Un t’abbianu a scuraggì ;
Bai, fà prestu, e torna qui.
– Ecculu juntu, o Signore,
Lu fiore di tutti i fiori ;
Ma stasera a la Suarella
So singhiozzi e crepa cori.
U dulore è tantu amaru
Chi u paese pienghie apparu.
– Purtatelu qui in trionfu,
E fateli tutti onore ;
Perchè di lu Paradisu
Ellu è lu piu bellu fiore.
Per sempre la so persona
Adurnarà sta curona.
Cusi è statu cullucatu,
Or, Charles, lu nostru pegnu,
L’hà bulutu lu Signore,
Chi stu mondu un n’era degnu.
E noi sempre penseremu
A te, o Charles, e pienghieremu.
E lergu lu parentatu,
E u dulore è troppu forte ;
Tutt’ognunu pienghie e dice :
O la scellerata morte,
Si benuta a tradimentu
A mette tantu scumpientu.
Lu so babbu, e la so mamma
Versanu legrime amare ;
I so fratelli e li zii,
E le zie tantu care,
Verseranu a tutte l’ore,
Legrime da lu so core.
Sentu pienghie a la dirotta
A Pierre-Jean lu so fratellu,
Pienghie ancu Sébastien,
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Lu so caru e lu so bellu.
Di pienghie n’hanu ragione,
Troppu amaru è lu buccone.
Ellu li servia d’esempiu,
Era la stella pulare ;
Avà pe li so fratelli
Tempestosu sarà u mare
Ma un n’hanu che a seguità
E so belle qualità.
Elli nantu a le so traccie
Merchjnu senza timore ;
Truvaranu la saviezza
Ed ogni puntu d’onore.
D’amor propriu ell’era pienu
En un cunuscia velenu.
La so zia Fiordispina
Lu tenia cume una mamma
E lu ziu Ghiuvan Filippu
Chi ne era sempre in brama.
Cume farà lu so core
A suppurtà su dulore ?
In Parigi, u ziu Tattone,
Quandu avarà lu dispacciu,
Pienghierà dirottamente
Cume Virginie in Ajacciu
Diciaranu : « U nostru fiore
Hà bint’anni e si ne more. »
La soia Elisabetta
Corse subitu la sera,
Per curà lu so culombu
Ma rimediu piu nun c’era :
U Signore u si vulia
In Celu per cumpagnia.
Pienghienu le so cugine,
Sopratuttu Catalina ;
Pienghienu li so cumpagni
Pienghie la so zia Ghjina.
Elle l’hanu ben curatu.
Quand’ellu era malatu.
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DOCUMENTS
Pienghienu li so parenti,
Furesteri e paisani ;
Pienghienu vecchj e zitelli,
Li vicini e li luntani,
Ognun chi l’ha cunusciutu
A u pientu paga un tributu.
Tutti li so prufessori
Sempre eranu a dumandà,
S’ellu sarebbe gueritu
Per pudè cuntinuà
Li so studii, chi le scenze
Eranu e so preferenze.
Nun c’è balutu duttori,
Nè medicine, nè scenza ;
L’emu tutti cunsultati
Da Bastia, Pisa e Fiurenza.
Ma un n’hanu trôvu riparu
Per te, o Charles, lu mio caru.
Avà so tutti truncati
Li to prugetti e dissegni ;
Nunda è piu l’istruzzione
Nè li to belli cumbegni.
Era tu cusi cumpitu
E in tuttu cusi capitu.
Di te un ci resta piu nunda :
Ma, caru, lu to sembiente,
E li to belli custumi
L’avaremu sempre in mente.
Notte e ghiornu a tutte l’ore,
Sempre t’avaremu in core.
Eju, un burria piu pienghie,
Ma lu core è troppu tristu.
Una pietà cusi grande
Un si ne sarà mai vistu.
Mancu un core di balena
Pò resiste a tanta pena.
A lu son di le campane.
Forse nisunu pensemu
Chi mai piu ci vidaremu.
Intantu saluta a tutti
Cume tu ci l’hai prumessu.
Ci ne truvarai un stôlu
Chi ne perte bellu spessu.
Saranu tutti cuntenti,
Mamma e babbu e li parenti.
Dilli chi qui un ci scurdemu
Di li nostri trapassati ;
E li so belli cunsigli
L’emu sempre seguitati.
Ch’elli preghinu di core
Per noi sempre a lu Signore.
Ancu tu prega per noi
Chi pregheremu per te.
Chi lu Signore ci dia
Mai male, e sempre bè,
E ci dia forza abbastanza
Di suppurtà la staccanza.
Soprattuttu pregherai
Pe i to fratelli amurosi ;
Chi lu Signore li faccia
Savii, onesti e rispettosi,
E ch’elli un provinu mai
In stu mondu, angoscie o guai.
Or nun pôssu pienghie piune
Chi mi sentu vene menu ;
Mi sentu ghieccià lu sangue
E strappà lu core in senu.
Già chi a perte si’ decisu :
Addio, o Charles, in Paradisu.
Charles, tamantu curaggiu
Ch’emu tutti qui stamane,
Di vuletti lascià perte
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DOCUMENT III
Le courrier postal du Nebbio*
(1908)
Jean-Pierre Lucciardi
Nous ne nous trompons pas quand, il y a quelques semaines, nous terminions
notre article intitulé : « Le service postal dans le Nebbio », par cette réflexion :
« C’est parce que c’est trop simple à faire que le courrier postal de Santo-Pietro
continuera toujours à partir à midi quarante de la gare de Biguglia. »
Pourtant, M. le Directeur des postes, à Ajaccio, a trouvé que les doléances des
populations du Nebbio, dont le Petit Bastiais s’était fait l’écho, étaient fondées,
et il a adressé une note circulaire à tous les maires des trois cantons du haut
Nebbio, les invitant à lui transmettre d’urgence l’avis des Conseils municipaux
de leurs communes, sur cette question.
Nous croyons savoir que c’est à la presque unanimité que les Conseils municipaux ont demandé à ce que le courrier postal partît de la gare de Biguglia
aussitôt après l’arrivée du train Corte-Calvi, c’est-à-dire, vers 10 heures 12 du
matin.
L’entrepreneur du service lui-même a envoyé une déclaration légalisée, qu’il
acceptait de prendre le courrier postal en gare de Biguglia, à 10 heures ½ du
matin.
Aussi nous ne nous expliquons pas les lenteurs de l’administration des postes,
à faire droit aux légitimes doléances de toute une population.
Il pourrait se faire que quelque maire ne fût pas d’accord avec la presque
unanimité de ses collègues, ne fût-ce que pour ne pas être du même avis qu’eux,
ou voyant que sa commune n’a présentement rien à gagner (elle n’a pas non
plus dans tous les cas rien à perdre) à ce changement de départ du courrier de
Biguglia.
Dans ce cas, nous n’hésitons pas à le dire bien haut, M. le Directeur des
postes ne doit pas hésiter à se ranger du côté de l’avis de la grande majorité.
*
Extrait de : J.-P. de Campiendi, « Le courrier postal du Nebbio », Le Petit Bastiais, lundi
27 janvier 1908.
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DOCUMENTS
Si, d’après son aveu même, il trouve qu’il y a urgence à changer l’heure du
départ, dans le service postal du Nebbio, pourquoi alors ces lenteurs, ces atermoiements, ces hésitations ?
On nous dit pourtant le plus grand bien de lui : on rend hommage à sa bienveillante sollicitude envers ses subordonnés de toutes sortes ; à l’énergique activité qu’il déploie pour que le service postal ne soit en souffrance nulle part ;
à l’examen consciencieux, prompt et approfondi des questions qui lui sont
soumises ; enfin à l’empressement qu’il met à apporter des améliorations dans
le service, toujours bien entendu dans l’intérêt des populations, et d’après leurs
vœux.
Il ne faudrait pas que cette bonne volonté s’arrêtât, ou fut paralysée quand il
s’agit du service postal du Nebbio.
La commune de Santo-Pietro reçoit toujours son courrier après six heures et
demie du soir en temps normal, et, pendant les mauvais temps, quand des retards
se produisent, (et cela n’arrive que trop souvent pendant la mauvaise saison), la
distribution ne peut avoir lieu que le lendemain.
Comme on le voit, cette vallée du Nebbio, qui est enserrée de toutes parts de
hautes montagnes, est assez mal partagée en fait de service postal.
Il faut reconnaître que c’est la nature elle-même qui l’a rendue d’un accès
déjà assez difficile aux voitures, et à plus forte raison aux automobiles, quoique,
même celles-ci puissent y circuler assez facilement si la route était mieux entretenue et un peu élargie et rectifiée dans quelques endroits seulement. Quant à la
locomotive, jamais peut-être nous n’aurons le plaisir de voir son panache gris
s’évaporer en volutes légères et argentées au fond de nos admirables vallons.
Nous devons donc nous contenter de ces moyens de locomotion un peu rudimentaires, mais il faudrait saisir, au moins, toutes les occasions favorables qui se
présentent pour apporter quelques améliorations dans notre service postal.
Quand un pays reçoit un peu plus tôt sa correspondance, c’était un petit
progrès réalisé, et il en résulte un peu plus de bonheur dont profitera toujours
la société.
C’est pourquoi nous ne voulons pas terminer cet article par une réflexion
pessimiste et nous voulons croire que M. le Directeur des postes apportera dans
cette question, et avec toute la diligence dont il est capable, une prompte solution, tout à fait conforme aux desiderata de la grande majorité des populations
intéressées.
J.-P. de Campiendi.
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DOCUMENT IV
Une excursion dans le Haut-Nebbio.
De Biguglia à Santo-Pietro-di-Tenda
par Murato*
(1908)
Jean-Pierre Lucciardi
J’ai fait, il n’y a pas longtemps, une rapide excursion dans le haut Nebbio,
et j’ai été on ne peut plus enchanté de cette agréable aussi qu’intéressante
promenade.
Parti avec le train de Bastia, j’ai pris, à Biguglia, le courrier postal et nous
avons monté cahin-caha la longue et poussiéreuse route du Lancone que le
roulage des lourdes charrettes transportant du bois de châtaignier ou du minerai
de cuivre a rendu presque impraticable. Cela nous a pourtant permis d’admirer
tout à loisir ces fameux sites agrestes où roulent sur des précipices, en cascades
vaporeuses, les eaux limpides et cristallines, et tant poissonneuses, du Bevinco.
C’est au milieu de ces gorges profondes, et à une assez grande altitude, que l’on
remarque le barrage de la canalisation des eaux qui alimentent en partie la ville
de Bastia.
Au col de San-Stefano on fait une petite halte pour permettre d’échanger
les sacs de dépêches avec le courrier d’Oletta. J’en profite pour aller jouir à
quelques pas plus loin d’un superbe spectacle : le golfe de Saint-Florent d’un
côté, la mer de Bastia de l’autre ; puis le beau village de Rutali dont les maisons
toutes blanches, piquant sur un fond de verdures, ressemblent à de grandes voiles
blanches émergeant d’un lac d’azur ; de nombreuses collines joliment étagées,
au-dessus desquelles se dressent majestueusement les sommets du massif de
Tenda dont le pic le plus élevé, le mont Asto, s’élève à quinze cent trente-cinq
mètres au-dessus du niveau de la mer.
Nous grimpons ensuite, c’est le mot, sur la route de Murato. Arrivé au-dessus
du hameau de Prunete, commune de Vallecale, on jouit du plus merveilleux
*
Extrait de : Populo, [Lucciardi Jean-Pierre], « Une excursion dans le Haut-Nebbio. De Biguglia
à Santo-Pietro-di-Tenda par Murato », Populo Le Petit Bastiais, vendredi 9 octobre 1908,
dimanche 11 octobre 1908.
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coup d’œil qu’il puisse être donné de voir. La riche vallée du Nebbio avec ses
immenses forêts d’oliviers et ses vastes champs où réussissent on ne peut mieux
les céréales, l’arboriculture et la vigne, offre le plus admirable des panoramas.
Le féerique golfe de St-Florent et la coquette ville qui, toute fraîche et pimpante,
semble sortir des flots, attire et retient les regards ; Olmeta, une vraie perle qui
semble se pelotonner, telle une violette, pour se dérober aux regards curieux des
profanes ; la luxueuse Oletta, avec ses éclatantes maisons se confondant avec
celles du coquet village de Poggio-d’Oletta, et, tout au fond, dans une belle
vallée riche en vignobles, Patrimonio, Barbaggio et Farinole si connus par leurs
vins blancs et rosés. On reste en admiration devant ce tableau vivant de la nature
et c’est avec un mélancolique regret que l’on se voit obligé de continuer son
chemin.
Un peu plus loin, comme en sentinelle sur un petit col, se trouve la petite
église de Saint-Michel. Je ne décrirai pas cette merveille de l’art pisan, classée parmi les monuments historiques et entretenue par conséquent aux frais du
ministère de l’Instruction publique, car je n’y réussirais qu’imparfaitement, et la
description en a déjà été maintes fois, et si savamment, faite par des amateurs
distingués ou des archéologues de grand mérite. En face de l’église, et de l’autre
côté de la route, on remarque le tombeau du vaillant Achille Murati, le héros qui,
à la tête d’une poignée de braves insulaires, s’immortalisa dans l’expédition et la
conquête de l’île de Capraja.
Nous voici à Murato. C’est un gros bourg nonchalamment assis dans une
petite vallée un peu trop étroite et dont la vue est de toutes parts très limitée.
C’est là, au couvent, que le général de Paoli avait établi son quartier général et
faisait battre monnaie, lors de la glorieuse mais inutile guerre de l’indépendance
et c’est de là qu’il recula pour aller trouver presque ses Thermopyles dans les
gorges du Golo, à Pontenovo.
Le temps de déposer encore des sacs de dépêches et de changer de cabriolet, puis, après être retourné un peu sur nos pas, nous traversons, au trot allègre
d’un petit cheval qu’on vient de prendre tout frais au relais, le beau village de
Rapale, un vrai nid de fraîcheur placé presque au centre du Nebbio, et qui est
appelé, dans un avenir qui n’est pas lointain, à être avec Rutali le rendez-vous
des habitants de la ville pendant les mois épuisants des fortes chaleurs. Vient
ensuite le village de Pieve bâti en amphithéâtre, telle une citadelle inabordable,
sur les flancs d’une colline en pente très raide, et renommé pour l’abondance et
la fraîcheur de ses sources d’eau.
Dix minutes après, voilà Sorio avec ses vieilles maisons posées comme des
nids d’aigles sur des rochers à pic. Son clocher, construit avec beaucoup d’élégance et de goût, serait une petite merveille si l’on avait procédé à sa toilette
extérieure. Le difficile passage des Godroni est simplement admirable, sa
cascade et sa route en corniche sont à voir, cet endroit donne un avant-goût des
fameuses Calanche de Piana ou des pittoresques gorges de Santa-Regina. La
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petite rivière qui serpente dans ces gouffres contient des truites et des anguilles
très appréciées des fins gourmets.
Un peu plus loin, San-Gavino-di-Tenda étale ses antiques tours de défense
ou de guet, et son élégant groupe scolaire dominant toute la vallée du Nebbio :
le passé et le présent. Le village est à la file indienne sur un mamelon de
rochers, et chaque maison a son jardin et sa verdure, grâce à une source très
abondante que l’on a captée dans un des contreforts des monts de Tenda. Cette
source est l’arrière qui donne à cette contrée, avec la vie, un pittoresque aspect
de coquetterie.
À quelque deux cents mètres du village, au nord-est, sur un splendide plateau,
se trouve l’oratoire de l’Annonciation, où accourent, le 25 mars, le jour de la
fête, de nombreux pèlerins venant de toutes les communes du Nebbio.
À deux kilomètres de San-Gavino, est Santo-Pietro où l’on arrive après avoir
passé le rocher du Lontro qui surplombe sur le chemin d’une hauteur de près
de cent cinquante mètres, et après avoir traversé le pont du Paradis, un site à
l’aspect sauvage mais plein de cascatelles, d’ombre et de verdure. À dix mètres
environ du pont, au-dessus et au-dessous de la route, on remarque une minuscule
chapelle et une jolie maisonnette, aux jalousies vertes et aux tuiles rouges, qu’un
excellent et digne abbé, dont je tairai le nom pour ne pas blesser sa modestie, ami
des frais bocages et de la solitude, a fait construire pour venir y passer les mois
de l’été, et s’y livrer, loin de tout bruit, aux pieuses méditations et aux exercices
sacrés de son ministère. C’est vraiment un lieu de recueillement et de prières où
l’âme aussi bien que le corps trouvent le calme et le repos.
Le village de Santo-Pietro (361 mètres d’altitude), formé d’une dizaine de
hameaux, un peu trop éparpillés, mais faisant tout face à l’est et au midi, est bâti,
ou plutôt, à dessein, agréablement disséminé sur une petite éminence et sur le
penchant d’un joli coteau, sur une étendue de plus d’un kilomètre. Les hameaux
supérieurs sont à une altitude de cent mètres des hameaux inférieurs. Les alentours et les courtils sont d’une grande fertilité sur le versant de San-Gavino, mais
tout à fait arides et formés uniquement de roches – excellentes pour les bâtisses –
du côté opposé. Des maquis, aux arbustes rabougris, séparent, sur une dizaine de
kilomètres, la partie cultivée du village de la fertile région de Casta. Plus loin,
d’autres maquis plus rabougris encore, et la région presque déserte des Agriate,
s’étendent jusqu’à la mer et font limites avec le territoire d’Ostriconi.
Pendant la récolte des olives et un peu pendant la moisson, la population
de Santo-Pietro émigre en partie à Casta où se trouvent plus des trois quarts
des belles forêts d’oliviers qui constituent avec les céréales et l’élevage des
bestiaux, les principales ressources du village. Cela fait que, en général, les gens
comme tous ceux des villages n’ont pas ce cachet qui distingue les habitants de
la ville, mais leurs manières quoique un peu rustiques révèlent un fond de bonté
et de franchise. Dans cette rudesse qui n’est que superficielle, on découvre les
meilleurs sentiments du cœur, surtout quand on a accepté la large et cordiale
hospitalité qu’ils s’empressent de vous offrir avec une si délicate bienveillance.
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Tous les hameaux, et presque chaque maison, sont reliés entre eux par des
routes carrossables, larges et commodes, entretenues aux frais de la commune.
L’on voit rarement dans les villages des promenades ou des places publiques
aussi belles que celles de Campiendi à Pianello ou du Corso. C’est le village
le plus riche et le plus peuplé (1 200 habitants) du Nebbio, et il serait aussi
le plus prospère et le plus agréable à habiter en toute saison si ses « édiles »
y amenaient, comme ils y paraissent disposés, un abondant filet d’eau qu’ils
pourraient facilement avoir en opérant divers captages en différents endroits de
la montagne. Et puisqu’on est décidé – me dit-on – à faire moins de politique et
à se consacrer exclusivement à tout ce qui peut contribuer au relèvement matériel et moral de la commune, on n’aurait qu’à continuer la route de Pianello, au
moins jusqu’au Castagneto, pour que ce village devienne aussitôt, pendant l’été,
le rendez-vous des amateurs de sites poétiques et de splendides promenades, de
délicieuses sources d’eau légère, limpide et rafraîchissante, et de châtaigneraies
aux ombrages profonds et touffus et aux brises suaves et parfumées… C’est au
Castagneto, sur le flanc de hautes montagnes, et à moins d’un demi-kilomètre
du hameau de Pianello, que les personnes anémiques, comme celles dont la
santé est florissante, seront sûres de trouver tout cela, c’est-à-dire air pur, eau
délicieuse et frais ombrage.
L’église, dédiée à Saint Jean l’Évangéliste, est monumentale et forme avec la
Sainte Croix et le clocher une masse imposante avec une grande place ombragée
d’ormes plus que séculaires. L’intérieur est grandiose et assez bien entretenu.
Une chapelle surtout, celle de la Congrégation des Filles de Marie, est décorée avec richesse et goût. On y remarque particulièrement un admirable tableau
représentant une Descente de Croix.
Un prince de la famille Bonaparte, archéologue distingué, en aurait offert,
me dit-on, plus de cinquante mille francs, le même prix qu’il aurait offert pour
le tableau Madeleine Repentie, attribué au célèbre peintre Le Titien, et dont un
ancien tribun de la puissante République de Venise, Romano Murati, le glorieux
ancêtre de la célèbre famille des Murati, aurait fait don à l’église paroissiale
de Murato, vers la fin du seizième siècle. Ces deux tableaux seraient, d’après
l’archéologue cité plus haut, de la même école sinon du même peintre. En effet,
d’après les intéressants et précis renseignements qu’on m’a fournis à ce sujet, le
tableau qui se trouve dans l’église de Santo-Pietro proviendrait d’un don fait par
un colonel Lucciardi qui servait, il y a près de deux cents ans, en Grèce. Cette
famille est plusieurs fois centenaire dans le village. Et une personne très digne
de foi, un descendant en ligne maternelle, m’a affirmé qu’une de ses tantes lui
avait maintes fois dit avoir été en possession de parchemins, écrits en langue
grecque, et mentionnant l’offre et les états de services de son ancêtre l’officier.
Un petit-neveu de ce colonel, Paul-Marie Lucciardi, fut archiprêtre de Murato
avant la Révolution. C’est ce qui explique pourquoi ces deux tableaux peuvent
être de la même école et peuvent être du même peintre : l’archiprêtre voulant
faire bénéficier l’église de son village natal, Santo-Pietro, des libéralités de son
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oncle, lui aurait fait acheter un tableau de la même école que celui qu’il se plaisait à admirer dans l’église de Murato ; ou bien, le colonel Lucciardi étant allé
visiter Venise, qui était le berceau de la famille de ses ancêtres, aura voulu en
rapporter un précieux souvenir dont il fit don à l’église de son village…
L’autel et la balustrade de la dite chapelle sont en marbre blanc de Carrare
portant les initiales L. D. C’est un don fait, il n’y a pas longtemps, par Monsignor
Lucciardi Dominique, ancien secrétaire de Nonciature à Munich, à Paris et à
Bruxelles, et décédé à Rome, il y a à peine une vingtaine d’années. Cette autre
famille Lucciardi, dont l’origine est plus récente dans la commune, ne doit avoir
rien de commun, au moins que l’on sache, avec le généreux donateur du célèbre
tableau Descente de Croix. C’est néanmoins une des familles les plus marquantes du Nebbio, comptant même actuellement parmi ses membres des officiers de
marine, des chirurgiens distingués et le maire de la commune.
D’autres familles ont concouru à l’embellissement de cette église où l’on
remarque un bel orgue, don des frères Grimaldi, et plusieurs statues, dont
quelques-unes d’une réelle valeur, toutes dues à la générosité de personnes
pieuses.
À un kilomètre nord-est du village se trouve un ancien couvent de Franciscains,
appartenant maintenant à des particuliers, et qui d’après les colossales proportions du bâtiment, devait être un des plus peuplés et des plus prospères de l’île.
Dans les environs de Casta se trouvent, paraît-il, des dolmens et des menhirs.
Le temps m’ayant fait défaut pour aller les visiter, je me vois obligé de renvoyer
à une date, qui pourrait être un peu lointaine, le plaisir d’aller faire connaissance
avec ces vieux témoins d’une civilisation encore dans l’enfance, ce qui me fait
beaucoup regretter de ne pouvoir dès maintenant en présenter la description aux
aimables lecteurs du « Petit Bastiais ».
Populo
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DOCUMENTS
DOCUMENT V
Pour la commune
de Santo-Pietro-di-Tenda*
(1908)
Jean-Pierre Lucciardi
Il est du devoir, non seulement de tous ceux qui remplissent un mandat électif
ou une fonction administrative dans l’île, mais aussi celui de tout Corse soucieux
des intérêts et du relèvement de son pays, de chercher à éclairer MM. les membres
de la Commission d’enquête par tous les moyens possibles, en leur indiquant le
malaise dont souffre telle ou telle contrée, et ce qu’il serait le plus urgent de faire
pour remédier au moins en partie au mal signalé, afin d’apporter un peu plus de
bien-être et de prospérité sur un point quelconque de notre chère Corse.
C’est pour remplir ce que nous croyons être un impérieux devoir, que
nous leur présentons aujourd’hui, par l’organe du Petit Bastiais, les réflexions
suivantes :
L’homme d’affaires comme le touriste est particulièrement attristé, en traversant pendant la saison des fortes chaleurs l’immense territoire de la commune de
Santo-Pietro-di-Tenda, de constater l’état de délaissement et de quasi-abandon où
se trouve la plus grande partie des terres cultivables de cette importante contrée.
Cet état lamentable n’est dû, disons-le tout de suite à l’honneur de cette laborieuse
population, qu’au manque presque absolu d’eau dans la région.
En effet, sur la route de Santo-Pietro à l’Ostriconi, on ne trouve, en été,
sur une distance de 48 kilomètres, qu’une seule fontaine débitant quelque peu
d’eau, à Baccialu, en plein désert des Agriate, où le voyageur assoiffé puisse se
désaltérer. Et dans toute l’étendue de la commune, les sources sont tellement
rares et leur débit si peu considérable, qu’elles suffisent à peine aux premiers
besoins de la population. Ce qui fait que les travaux agricoles, et spécialement
l’horticulture, sont généralement abandonnés chez nous.
Pourtant, dans les flancs de nos hautes collines, il y a plusieurs petites
sources dont le captage, habilement fait, serait pour les habitants de la commune
le commencement d’une ère de prospérité et de vraie richesse.
*
Extrait de : Lucciardi J.-P., « Pour la commune de Santo-Pietro-di-Tenda », Le Petit Bastiais,
mardi 27 octobre 1908.
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Et puis, dans les creux de nos vallons comme sur les croupes de nos coteaux,
il est impossible qu’il n’existe pas des couches d’eau à quelques mètres de
profondeur seulement de la surface du sol.
C’est pourquoi nous appelons l’attention des membres de cette Commission
en les priant de vouloir bien s’intéresser à l’avenir d’une région si importante par
son étendue. Nous demandons à ce que l’Administration fasse faire une étude
très approfondie de notre sous-sol, et puis qu’elle s’occupe sérieusement :
1. À savoir s’il n’est pas possible d’augmenter le débit des sources déjà
existantes ;
2. À faire bien préciser les endroits où, par des sondages intelligemment
exécutés, on pourrait obtenir de nouvelles sources ;
3. À faire dresser un plan détaillé du tracé que devraient suivre les conduites
d’eau pour aboutir soit à de grands réservoirs ou à des bornes-fontaines, soit
dans les champs où l’irrigation serait possible.
C’est alors que la commune qui ne recule devant aucune dépense quand il
s’agit d’augmenter un peu plus le bien-être général de ses habitants, s’imposerait
volontiers les plus lourds sacrifices pour prendre la plus large part dans tous ces
travaux que l’État ferait exécuter sous l’habile et intelligente direction et sous la
surveillance des hommes de l’art.
Aussi, nous sommes convaincu qu’il aura suffi d’avoir signalé les causes du
marasme où se débat dans l’impuissance toute une population, et d’avoir indiqué à grands traits les principaux remèdes à employer, pour être sûr que tous les
membres de cette Commission se feront un devoir de plaider en haut lieu une
cause si juste et si légitime.
Et, fort d’un si précieux et puissant appui, nous remercions d’avance tous
les braves cœurs qui s’intéresseront au relèvement matériel et moral de notre
commune.
J.-P. Lucciardi.
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DOCUMENT VI
Une excursion à Casta*
(1909)
Jean-Pierre Lucciardi
Je viens compléter mon « Excursion dans le haut Nebbio », publiée par le
Petit Bastiais, dans ses numéros des 9 et 11 octobre dernier, par une description
très succincte de la région de Casta, les Bagnadoni ou bains de Campocardeto et
le mont Brumica qu’on appelle improprement Prunica. J’y joins en même temps
quelques notes très brèves sur la vieille famille des « Caporali di Casta », qui
ont possédé autrefois toute cette contrée et qui ont laissé leur nom à cette région
si fertile.
Parti de Santo-Pietro au lever du soleil, je parcours les quatre premiers kilomètres presque toujours à travers l’immense bois d’oliviers qui se trouve au
nord-est du village. La route dévale ensuite au milieu de maquis verts et parfumés, et passe à côté de la verdoyante mais minuscule oasis des « Salti », où les
arbres fruitiers, la vigne et les cédratiers poussent à merveille.
Du pont de « Poraja » on monte toujours, jusqu’à l’embranchement de
« Morello ». Puis, suivant, à gauche, la route nationale, on arrive quinze cents
mètres plus loin, à « Porette ». C’est là que se trouve le champ de manœuvres,
immense plateau un peu bosselé, tout rempli de bruyères, de myrtes et de romarins, où nos braves soldats viennent effectuer des tirs de combat, deux ou trois
fois par an.
À quelques centaines de mètres plus loin, à gauche, sur le col de « Pifanosa »,
en face du mont « Gupio », se trouve un « tumulo » où, dit-on, a été enterré le
« Lurco » (l’Ogre) ou « Turco », espèce de géant à demi sauvage, détrousseur
de grands chemins, celui-là même qui aurait appris aux bergers de la localité à
fabriquer un broccio délicieux comme on ne peut en faire nulle part. C’est dans
ce « tumolo », croit-on, « qu’a été trouvée une hache en bronze qui devait se
rapporter à l’époque du bronze fondu, et qui se trouve maintenant entre les mains
*
Extrait de : Populo [Lucciardi Jean-Pierre], « Une excursion à Casta », Le Petit Bastiais,
mercredi 13 janvier 1909, vendredi 15 janvier 1909, mercredi 20 janvier 1909, dimanche
24 janvier 1909, mercredi 27 janvier 1909.
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LES LUCCIARDI – UNE FAMILLE CORSE DE POÈTES ET D’INSTITUTEURS
d’un certain M. Marchesi. » Il existe de nombreuses légendes sur le compte de
ce « Lurco », mais le cadre est trop restreint ici pour que je puisse songer à en
mettre, n’en fût-ce qu’une seule, sous les yeux des lecteurs de ce journal.
Je laisse la route nationale et je m’engage, à droite, dans un chemin étroit, tout
bordé de myrtes fleuris, qui embaument l’air de senteurs fortes et pénétrantes.
J’arrive, vingt minutes après, au pied du « dolmen » ou « stazzona » de Monte
Revinco ou Rivinco. Sur une petite esplanade, le long d’une légère éminence,
s’élève cette « stazzona » ou plutôt ce « casaron », ainsi que l’appellent les
bergers qui fréquentent en cet endroit. Il est formé de trois grandes pierres à peu
près de même hauteur, dressées debout sur le sol et recouvertes d’un énorme
bloc mesurant 2 mètres 70 de long sur 2 mètres 05 de large et 0 mètre 37
d’épaisseur. La pierre qui fait face au nord-est a trois mètres de long, celle du
nord-ouest 2 mètres 10 et celle du sud-ouest devait en avoir autant. Toutes les
trois ont en moyenne une épaisseur de 0 mètre 20 à 0 mètre 25, et une hauteur
de 1 mètre 65. Ces pierres ne joignent pas dans toutes leurs parties : elles sont,
par endroits, usées par les rigueurs du temps. Les dimensions intérieures de
ce « casarone » se trouvent être 3 mètres de long, sur 1 mètre 45 de large et
1 mètre 70 de hauteur, le sol ayant été un peu défoncé.
Plus de la moitié de la pierre du sud-ouest a été emportée par deux boulets
de canon que des soldats (comment ! il y a encore des vandales au vingtième
siècle !) se sont amusés à pointer au cours des combats de tir, il y a de cela quelques années. Il faut espérer qu’on leur défendra à l’avenir de chercher à détruire,
en quelques secondes, ce que la main des hommes et les intempéries du temps
respectent depuis des milliers d’années.
Un peu plus loin, vers le sud-est, à quatre cents mètres environ, et à l’endroit appelé « Pied’Arbuccio », se trouve un autre « dolmen » presque en tout
semblable au premier, dont les pierres ont les dimensions suivantes : celle qui
fait face au nord, mesure 1 mètre 90 de long sur 0 mètre 12 d’épaisseur, celle du
sud, 1 mètre 90 de long sur 0 mètre 18 d’épaisseur, et celle de l’ouest 1 mètre
10 de long sur 0 mètre 07 d’épaisseur. Elles ont toutes un mètre de hauteur. La
pierre qui les recouvre a 2 mètres 33 de long sur 1 m 75 de large et une épaisseur moyenne de 0 m 25. Tout autour de ce dolmen est adossé un grand amas de
pierres, ce qui fait qu’on le découvre difficilement si on ne le voit pas du côté
de l’ouverture, à l’est. Le bloc du dessus émerge pourtant de 0 m 30 environ.
La pierre du nord et celle du sud se sont un peu inclinées vers le nord, cédant
sous le poids du bloc qui leur sert de couverture. C’est probablement pour les
empêcher de tomber qu’on les a flanquées tout autour de grosses pierres. On
constate facilement que des fouilles toutes récentes ont été faites, à l’intérieur,
dans le sol, dans l’espoir de trouver de l’argent ou des objets de valeur.
Entre ces deux dolmens sur un petit plateau appelé Punta all’Arbuccio, se
trouve un terrain rectangulaire de huit mètres de long sur cinq mètres de large,
bordé par des pierres de taille joignant les unes aux autres. Était-ce le terrain
neutre où pouvaient se rencontrer les druides qui venaient sacrifier sur ces deux
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dolmens ou bien était-ce le terrain sacré où on habillait les victimes avant de les
offrir en holocauste ?
À l’ouest du premier dolmen, à quelque cent mètres environ en contrebas, il
y a une pierre mesurant 2 mètres 75 de long sur 0 mètre 50 de large et 0 mètre
25 d’épaisseur. Elle est couchée, mais l’on voit bien qu’elle a été façonnée par la
main des hommes. C’est un menhir tombé sur le côté. Une autre pierre, presque
semblable à celle-là, se trouve à « Porette » près de la route nationale, à trois
kilomètres environ de la première.
On m’a dit – mais je n’ai pas eu le temps de le contrôler – que d’autres
menhirs, ou stantare, placés de distance en distance, sont comme alignés « Pile
a i fonti » (bassin aux fontaines), pour continuer à travers les « Agriate » jusqu’à
la mer. Quelle peut être la signification de ces blocs, tous à peu près de même
dimension, et qui se trouvent quelquefois à des distances de plusieurs kilomètres
les uns des autres, presque toujours sur des tertres ou sur des cols ? Sont-ils les
jalons plusieurs fois millénaires d’une route tracée par les Celtes, les Ibères ou
d’autres peuples qui peuvent les avoir précédés ? Indiquent-ils le tombeau de
quelque vaillant, tombé là, en brave, alors qu’il opposait son corps, comme un
rempart vivant, pour protéger la retraite de ses fiers mais malheureux camarades
poursuivis par des hordes farouches et sanguinaires ? Ou bien rappellent-ils des
faits mémorables qui se seraient passés en ces endroits, dans les temps préhistoriques, alors qu’en Europe la civilisation était encore dans sa première enfance ?
Mystère…
De Monte-Revinco ou Rivinco, je suis un chemin de traverse par Campo
di Morte (champ de la mort) et me voilà quelques instants après à « Casta ».
On désigne ainsi une immense, région complantée en oliviers, avec quelques
vignes et des terres de labour, située à quinze kilomètres de Santo Pietro et à
dix de Saint-Florent. Les oliviers sont la principale richesse de la contrée et
produisent près de deux cent mille kilos d’huile, même lorsque la récolte est
seulement passable. Dans certains endroits, dans les gorges de « Pinnella » ou de
« Palazzaccio », par exemple, ces arbres sont tellement énormes et touffus qu’ils
justifient avantageusement que c’est avec raison que l’olivier mérite bien d’avoir
été considéré, dès la plus haute antiquité, comme l’emblème de la paix, de la
sagesse, de la gloire et du triomphe. Les Spartes le préféraient au laurier et au
chêne et ils en tressaient des couronnes pour leurs généraux et pour Thémistocle
revenant victorieux. La légende nous rapporte que Minerve, déesse de la sagesse,
produisit l’olivier en frappant la terre de sa lance. Enfin, c’est Hercule, qui, après
ses travaux, le planta sur le mont Olympe.
Le blé qui y vient très bien est d’excellente qualité et donne un pain très
estimé. Les productions des Agriate sont très savoureuses, dit l’historien
Filippini, le blé, la viande, les poissons même sont les plus exquis de toute
la Corse. Le gros bétail s’en va par bandes errer à l’abandon à travers les
Agriate et les maquis environnants, et même, hélas ! un peu trop souvent
dans les propriétés cultivées. Des troupeaux de brebis et de chèvres sont aussi
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nombreux, ce qui permet aux propriétaires de louer à un prix très rémunérateur leurs pâturages. La laiterie qu’on a installée depuis quelques années déjà
à « Vitrigione » – (le point le plus central de Casta) – et qui est dirigée avec
autant d’activité que d’intelligence par M. Margotti Dominique, n’emploie que
du lait de brebis et envoie tous les ans dans les caves ou grottes de Roquefort,
plus de trente-cinq mille kilos d’un fromage qui est très recherché, parce qu’il
est supérieur comme qualité aux produits similaires qui se fabriquent en Corse
et même ailleurs. On prétend – et peut-être avec raison – que c’est ce fromage
qui a fait placer la maison Rigal de Roquefort « Hors concours » dans toutes
les Expositions. Et l’on écoule dans le commerce, surtout aux colonies, une
espèce de « Roquefort » portant sur l’enveloppe la mention « Santo-Pietro »
qui sert à désigner le lieu de provenance.
Une quarantaine de maisons se trouvent presque toutes échelonnées le long
de la grand-route, et la population qui se fixe définitivement à Casta devient plus
nombreuse d’année en année.
Le service postal est assuré tous les jours par un facteur rural qui a son bureau
d’attache et sa résidence à Saint-Florent. La distribution des lettres est faite à
toutes les maisons et même aux cabanes qui se trouvent près de la route nationale. La levée de l’unique boîte aux lettres (pourquoi ne pas mettre des boîtes
aux lettres à Tetola, Ogio, Vitrigione ou Osteria et à Piano à Leccia ? c’est-à-dire
au moins tous les deux kilomètres environ, aux maisons bordant la grand-route)
a lieu entre huit et neuf heures du matin, immédiatement après la distribution du
courrier.
Une école laïque, mixte, dirigée par une institutrice libre – laquelle a bien
droit à la reconnaissance de toute la population et même à celle de l’administration académique – fonctionne depuis une quinzaine d’années déjà, et compte,
en temps ordinaire, plus de vingt élèves des deux sexes, d’âge scolaire. On ne
comprend pas les lenteurs de l’administration qui devrait proposer « même
d’office » la création d’une école publique à Casta. Et les pauvres pères de
famille, qui ne peuvent pas toujours supporter les frais d’une rétribution
scolaire, si minimes soient-ils, réclament vainement pour leurs enfants le droit
qu’ont tous les Français à l’instruction gratuite.
Mais les enfants de Casta auront bien le temps d’attendre la création de leur
école gratuite et obligatoire, comme d’ailleurs les 120 ou 130 garçons – et autant
de filles – d’âge scolaire, qui se pressent, serrés, dans les salles de classe de
Santo-Pietro, attendront longtemps encore la création d’un second poste d’adjoint et d’adjointe, ou au moins celle d’une école enfantine, poste qui a été
supprimé (on n’a jamais su pourquoi) il y a une vingtaine d’années.
Cette fertile région de Casta, une des plus belles et des plus riches de la
Corse, est traversée dans toute sa largeur, sur un parcours de près de huit kilomètres, par la route nationale qui va de Saint-Florent à Île-Rousse. Elle est
limitée par les Porette à l’est, les Agriate à l’ouest, Teti au nord et les contreforts du plateau de Campocastinco au sud. Ce nom lui vient, ainsi que nous le
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disons plus haut, de la famille des Caporali di Casta, qui ont joué un si grand
rôle – bien que quelquefois néfaste – dans nos annales insulaires, spécialement du quatorzième siècle jusqu’au commencement du dix-septième. Voici
ce qu’on lit à la page 224, tome Ier, de l’Histoire de la Corse, par Filippini,
traduction française de M. l’abbé Letteron : « Les Casta descendaient d’un
certain vieillard de San Salvatore qui habitait l’Agriata dans un endroit appelé
Casta. C’était un homme riche en biens, tant ecclésiastiques que séculiers ;
ses descendants allèrent se fixer plus tard à Poggio di Santo-Pietro, dans le
Nebbio. Ils ne voulurent point pour cela abandonner leur nom ou leur surnom
de Casta ; au contraire, ils l’ont toujours conservé, et cette famille a été de tout
temps aussi distinguée qu’aucune autre famille de la Corse… »
Voulant visiter le berceau de la famille des Caporali Castinchi, je me rends
à San Salvatore qui se trouve à l’extrémité de Casta, du côté de la Balagne. Le
village n’existe plus, le nom seul de San Salvatore est resté à la « presa ». On peut
voir cependant les vestiges des fondements de l’ancienne église ou chapelle, et il
y a encore un ou deux enclos à cet endroit qui portent le nom de « Chiesa ».
De Piano à Leccia, je quitte la grand-route à gauche, et je grimpe environ deux
kilomètres plus haut visiter les ruines de l’ancien château féodal des Caporali di
Casta, sur le mont dénommé même actuellement : « Casa à Casta ».
Des restes et des vestiges de quelques murailles, des débris de briques et
un amas considérable de pierres jetées pêle-mêle, voilà tout ce qui reste de ce
fameux château féodal dont les seigneurs ont compté parmi les plus intrigants,
les plus audacieux et même, à certain moment, parmi les plus puissants de la
Corse. En effet, on lit dans Filippini, livre déjà cité, à la page 350 : « Carlo da
Casta, qui était lui-même le caporal le plus considérable qu’il y eût dans l’île et
le plus en faveur auprès du duc de Milan, en même temps qu’il était renommé
par sa justice rigoureuse… » Ces Caporali n’ont jamais possédé de titre de
noblesse, la famille ayant cessé de jouer un rôle politique prépondérant à partir
du dix-septième siècle, mais ils n’en ont pas moins été puissants pour cela, et
ils ont même souvent donné à réfléchir à la puissante république de Gênes qui
leur faisait toujours toutes sortes de concessions et leur accordait des faveurs
spéciales pour pouvoir compter sur leur précieux appui. Quelquefois ces
Caporali ont même entraîné tout le pays derrière eux, lorsque les exigences
des oppresseurs leur semblaient trop injustes ou trop exagérées. Et maintenant, cette vieille famille, qui est allée comme tant d’autres en décadence,
se trouve être presque la seule des Caporali en Corse dont les descendants
n’aient conservé ni manuscrits, ni titres, ni aucun papier de famille. Cependant
les ruines de ce château indiquent à celui qui cherche à vouloir comprendre
quelque chose dans ce désordre, que la bâtisse comprenait au moins trois corps
de bâtiment, ce qui était considérable pour l’époque ; et l’on distingue encore
très bien les restes du grand et vieil escalier qui conduisait à la tour laquelle se
trouvait placée, comme un nid d’épervier, sur ce rocher abrupt et à pic qu’on
nomme la « Casa à Casta ».
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Du milieu de ces ruines, quelquefois entre quatre murs, s’élèvent déjà quelques chênes verts, au tronc noueux et à la végétation puissante, symbolisant la
force de la nature, contraste frappant avec le travail éphémère des hommes…
Cela me porte à faire quelques réflexions sur la fragilité et le néant des choses
en pensant à cette puissante famille de Casta sur laquelle M. l’abbé GirolamiCortona, à la page 231 de sa Géographie générale de la Corse (après avoir dit :
« Giovanni de San Pietro, compagnon de Christophe Colomb dans la découverte
de l’Amérique »), s’exprime ainsi : « Cette famille de Caporali a fourni des officiers généraux à Venise, des prélats à l’Église et des patriotes à la Corse. »
Cependant il existe encore à Santo Pietro – il y en a même ailleurs – un grand
nombre de descendants et héritiers des Caporali Castinchi. Quoique plusieurs
ne portent plus le nom de Casta – les femmes perdant leur nom de famille en
se mariant – presque tous ont joui jusque vers 1880 des droits que ces Caporali
avaient sur une partie des Agriate depuis plusieurs siècles, c’est-à-dire depuis
que ces terres avaient été données à titre de bénéfices à Deodato de Casta, celui-là
même qui vint le premier s’établir à Poggio di Santo-Pietro, à la fin du treizième
siècle ou au commencement du quatorzième. Si, depuis 1880, ces droits ont été
abandonnés ou plutôt négligés, c’est que les cultivateurs aux Agriate se sont faits
de jour en jour plus rares, et les demandes des Caporali sont devenues de plus en
plus nombreuses. On en compte actuellement, une centaine à Santo Pietro.
Du haut de ce mont de la Casa à Casta, le coup d’œil est vraiment magnifique : on domine le mont Genova qui s’étale majestueux, pareil à une matrone
romaine, et qui est renommé dans toute la contrée par les touchantes légendes
auxquelles il a donné naissance ; puis, tout le Campocastinco, un petit coin de la
riche Balagne, toute la région des Agriate, celle de Casta, Teti et Saleccia, et l’on
découvre la plus grande partie du Nebbio – « cette charmante conque de Nebbio
si verte », dit M. Ardouin Dumazet – avec le beau golfe de Saint-Florent et la
haute mer, ainsi que tout le versant occidental du Cap Corse que font ressortir
si bien la frange argentée qui caresse ses côtes et les coquets et blancs villages
piqués, comme des perles, sur ses pentes abruptes.
Assis sur une pierre qui a été peut-être témoin des luttes et des combats
d’antan, je me reporte par la pensée à quatre ou cinq cents ans en arrière.
La condition des Corses à cette époque était des plus lamentable ; presque
toujours en guerre contre les Génois, les Aragonais et les Pisans, ils étaient
encore obligés de se mettre en garde contre les incursions quasi périodiques
des pirates tunisiens, algériens ou marocains et contre les attaques soudaines
et imprévues des seigneurs voisins. C’est pourquoi ces redoutables Caporali
avaient choisi ce lieu, escarpé de toutes parts, du haut duquel ils pouvaient non
seulement dominer leur immense domaine du Campocastinco, de Casta et des
Agriate, mais d’où ils pouvaient encore surveiller les terres de leurs puissants
adversaires de Nonza et du Nebbio, et se rendre compte qu’aucune attaque ne
se préparait contre eux de ces côtés-là.
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Et pendant les longues soirées d’hiver, dans la grande salle de leur château,
faiblement éclairée par quelques lampes fumeuses à la lueur blafarde, ou par la
lueur vacillante que projetait la cheminée où brûlaient des bûches énormes, je me
figure ces fiers batailleurs au milieu de leurs nombreux domestiques ou hommes
de guerre, occupés à fourbir leurs armes homicides, inventant des moyens
terribles et souvent criminels – car ils étaient implacables dans leurs haines –
pour nuire et faire le plus de mal possible à leurs ennemis qui se trouvaient être
le plus souvent leurs voisins ou même leurs parents les plus rapprochés. Leur
travail est parfois interrompu par l’arrivée de quelque domestique ou de quelque sicaire venant prendre des ordres de leurs maîtres ou leur rendre compte de
quelque délicate et périlleuse mission qu’ils viennent de remplir. Ils ne devaient
jamais aller se coucher, ces Caporali, avant d’avoir visité le chenil et donné la
pâtée aux chiens, ni s’être assurés si les râteliers de leurs chevaux étaient bien
garnis. Aussi étaient-ils toujours sur pied et prêts à partir à la moindre alerte.
Je quitte comme à regret ce poste d’observation de la « Casa à Casta » et
je traverse le Campocastinco, magnifique plateau situé à plus de quatre cents
mètres d’altitude, formant presque un carré de deux ou trois kilomètres de côté,
adossé au sud et à l’ouest de la crête qui sépare le territoire de la commune de
Santo-Pietro de celui de la commune d’Urtaca. Les pâturages y sont excellents
et abondants et les céréales y viennent bien. Je monte ensuite la côte à travers le
maquis – « le maquis odorant du Nebbio » dit encore M. Ardouin Dumazet – et
me voilà aux Bagnadori ou bains de Campocardeto, d’où l’on découvre un vaste
et merveilleux horizon, et dont les eaux, autrefois si renommées, sont encore
maintenant d’une grande efficacité pour les maladies cutanées, et surtout pour
les rhumatismes.
D’après A. Giustiniani, « ces eaux doivent leurs propriétés à des gisements
d’alun ». Il y a deux ou trois petites sources mais leur débit n’est pas bien considérable en été, ce qui, ajouté aux petites difficultés du chemin, fait que les bains
sont très peu fréquentés, bien que quelques rares malades y viennent encore, tous
les ans, demander à ces eaux bienfaisantes souvent la guérison et un soulagement à leurs souffrances toujours.
Cette station balnéaire ne comprend que deux baignoires et sept ou huit
chambres non meublées que les propriétaires ont toujours mises gratuitement à
la disposition des baigneurs.
M. l’abbé Girolami-Cortona est dans l’erreur quand il écrit, en un renvoi, à la
page 63 de son livre déjà cité : « Filippini cite les eaux du Nebbio, de Campitello
et de Mariana (Merenzana ou Marmorana) qui n’existent plus ». Comme on
le voit les eaux du Nebbio existent toujours, et, si elles sont peu fréquentées,
c’est un peu à cause de leur éloignement de la route nationale (cinq ou six kilomètres) et surtout à cause du manque d’hôtels et de confortable.
Voici d’ailleurs ce que dit A. Giustiniani, au sujet de ces eaux, à la page 68
tome Ier de l’histoire : « Le quatrième endroit du Deçà-des-Monts où l’on trouve
des eaux minérales est Campocardeto, village peu connu dans le Nebbio. On a
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reconnu que ces eaux opéraient des guérisons surprenantes. Elles sont froides
et ont besoin d’être chauffées, comme d’ailleurs celles de Morazzani. Quelques
gens du pays, parfaitement dignes de foi, racontent entre autres cures nombreuses et étonnantes, qu’un malade du Nebbio, étant allé à ces eaux, prit un bain,
puis se couche au soleil et se couvrit d’un manteau de laine à la manière des
Corses. Au bout d’une demi-heure, d’après ce qu’il raconte, il lui sortit du corps,
ou bien il se forma à l’endroit de la ceinture plus de dix mille vers, blancs et
gros comme des pignons. Il se trouva ainsi débarrassé des douleurs cuisantes
qu’il avait éprouvées jusqu’alors. On raconte encore qu’on y porta un autre
homme tellement courbé qu’il ne pouvait marcher sans s’aider de ses mains
qu’il appuyait à terre. Au bout de trois jours, il était débarrassé de cette infirmité,
son corps s’était redressé et il marchait droit… »
Après avoir visité l’endroit où l’on remarque encore les traces des travaux
que les Romains avaient exécutés pour faciliter la canalisation de ces eaux, je
pars de Campocardeto pour rentrer à Santo-Pietro en suivant la route muletière
qui passe par Perchia, Forcioni et Leccia Torta.
Arrivé à peu près à un kilomètre au-dessus de Santo-Pietro, au col de San
Bernardino, où se trouvent encore les fondements d’une ancienne chapelle, je
pousse jusqu’au mont Brumica ou Prunica qui se trouve à huit cents mètres
environ du col. C’est un mont de forme conique, fortement enraciné sur Leccia
Torta et les Cappellaccie, et s’élevant fièrement à 646 mètres d’altitude. Sur le
flanc et presque sur le sommet de ce mont, on distingue encore quelques restes
des vieilles murailles du château des anciens seigneurs de Brumica. Ces rustiques châtelains étaient les alliés et les parents des vieux Caporali Castinchi
qui correspondaient avec eux par des feux et des signaux convenus, comme
d’ailleurs ces mêmes Caporali correspondaient, à l’opposé, dans les Agriate, et
par les mêmes moyens, avec leurs alliés et parents les seigneurs de l’Ortela.
On conserve encore à Santo-Pietro quelques vieux souvenirs ou objets provenant de ce château ou de l’ancien village de Gireto ou Ghireto, qui se trouvait,
en face, au sud-ouest, adossé au flanc de la montagne, et dont il ne reste plus que
les vestiges de quelques maisons. Ce sont des crémaillères, ainsi que d’autres
objets, tels que bergères en bois, crédences, etc., mais ces dernières tombent de
vétusté et ne peuvent plus servir à aucun usage.
M. Grimaldi Ambroise, décédé il y a quelques années, aurait fait don à la
Société des Sciences historiques de la Corse dont il faisait parti, d’une hache en
silex qui avait été trouvée dans les décombres de l’ancien château de Brumica.
Une autre hache, presque semblable à la première et de la même provenance,
a été donnée par le gendre de celui-ci, à M. le commandant Ferton, de Bonifacio,
archéologue distingué et collectionneur émérite.
M. Vitali Mathieu, neveu de M. Grimaldi, m’affirme avoir trouvé deux haches
en silex, en faisant déraciner un plant d’olivier dans sa propriété de Fiorentino,
située à quatre kilomètres nord-est de Santo-Pietro. Aussi, il prétend que les
haches données par la famille Grimaldi ne sont pas celles qui ont été trouvées
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à Brumica, mais bien celles qu’il a trouvées à Brumica et que son oncle en
avait fait cadeau à M. le docteur Perelli. Ce dernier renseignement m’est aussi
confirmé par M. Bonelli Simon, de Santo-Pietro, et par d’autres.
Dans l’église actuelle de Santo-Pietro, il y a un tableau représentant l’apôtre
Saint-Jean, assis sur un rocher de l’île de Patmos, dans l’extase d’une révélation
céleste, tenant une plume d’oie à la main, et en train de composer son Apocalypse.
C’était le tableau qui se trouvait au-dessus du maître-autel de l’église dédiée
à San Giovanni, du village de Ghireto et de Brumica. Ce qui explique pourquoi l’église paroissiale de Santo-Pietro porte le nom de Saint-Jean, alors que le
village a reçu celui de Santo-Pietro, qu’il tient d’un vieux couvent qui se trouvait
dans les environs, et dont on voit encore les ruines.
Bien avant d’avoir appartenu aux Caporali Castinchi ou à leurs alliés, le
château de Brumica avait appartenu à Orlando de Pietr’all’Arretta, ainsi que
l’affirme Filippini quand il écrit : « Tous les seigneurs du Nebbio eurent pour
chef Orlando de Pietr’all’Arretta, homme fort important pour cette époque ».
Cet Orlando fut lâchement assassiné par les partisans des Bagnaninchi, à
la Canonica, alors qu’il était allé loyalement et sans défiance aucune, signer
un traité de paix avec ses adversaires. Il fut vengé d’une façon terrible par son
frère Giovanninello de Pietr’all’Arretta. Mais celui-ci se montra aussi cruel avec
les siens et s’empara aussitôt de tous les biens de son frère au détriment de
ses propres neveux qu’il tua, à l’exception du plus jeune, Rolanduccello, qui se
sauva, sous un déguisement, à Pise. Giovanninello, alors maître absolu de tous
ces biens, céda le château de Brumica avec tous les autres châteaux du Nebbio,
aux Génois, par acte passé à Gênes par son procurateur Emanuele Da Mare,
par-devant Giacomo Bannesia, notaire, le vendredi 1er août 1289. Il fut obligé
de faire cela pour mieux resserrer les liens d’amitié qui l’unissaient au gouvernement génois, lequel venait de signer un traité de paix avec Giudice della
Rocca, adversaire et ennemi irréconciliable de Giovanninello. Le gouvernement
génois touché de cet acte de soumission volontaire, admit alors Giovanninello au
nombre des citoyens de Gênes, puis il lui laissa tous ces châteaux à titre de fief
de noblesse (d’après Filippini).
En face et à l’est du mont Brumica, à quelque six cents mètres, environ, à
une altitude de 568 mètres, se dresse le mont Assedio ou Lucerlo comme on
l’appelle improprement, maintenant, lequel a été plusieurs fois témoin des luttes
terribles et fratricides que se livraient entre eux les trop belliqueux seigneurs des
environs. Ce mont Assedio, un peu incliné à gauche, ressemble à ces vaillants
et glorieux combattants qui, blessés au flanc et perdant leur sang en abondance,
tombent sur un genou, mais gardent une attitude noble et fière – ce qui les rend
admirables aux yeux de leurs victorieux adversaires eux-mêmes – et continuent
le combat jusqu’à ce que leurs forces ne les trahissent tout à fait.
Ces deux monts m’apparaissent par cette froide soirée de janvier drapés
dans un manteau de brume. Ils semblent être placés là, non plus pour se défier
comme autrefois, mais comme les gardiens fidèles des valeureux combattants
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qui dorment leur dernier sommeil sur ce petit plateau, où ils sont tombés, victimes le plus souvent des haines sourdes enfantées par les préjugés inhérents à
l’ignorance de cette époque.
On dirait que ces monts portent encore le deuil de ces temps de désolation
et de ruine, car, sur leurs flancs dénudés – où venaient autrefois d’abondantes
moissons – ne poussent plus que des asphodèles (la fleur de deuil chez les
Grecs), des genêts épineux, quelques rares genévriers et des ronces, ce qui
explique pourquoi les contemporains ont remplacé le nom de Brumica (brume)
en celui de Prunica (pruni, épines).
Et, soit ironie, ou soit tout simplement un caprice ou un effet du hasard, un
sauvageon d’olivier a pris naissance dans une anfractuosité de rocher, presque au
sommet du mont Brumica. Et là, à plus de 640 mètres au-dessus du niveau de la
mer, dominant un vaste et incomparable panorama, se défendant difficilement et
contre la dent de la chèvre et contre les rigueurs du froid, perpétuellement agité
par la brise d’été qui le berce et le caresse, et par les vents glacials d’hiver qui
le tordent et le tourmentent, il semble, pas ces mouvements rythmés, bénir cette
superbe et grandiose vallée du Nebbio et appeler sur ces vaillants et laborieuses
populations la paix et la sagesse dont l’olivier est, ainsi qu’on l’a dit plus haut,
le doux et glorieux emblème…
Tiré de la douce rêverie où j’étais plongé par la voix pressée d’un pâtre qui
pousse devant lui son troupeau de chèvres, je me hâte de rentrer à Santo-Pietro
où j’arrive à la nuit tombante, un peu fatigué, c’est vrai, mais ravi et émerveillé
de l’admirable excursion que je viens de faire.
(J.-P. Lucciardi)
Populo
Santo-Pietro-di-Tenda, le 2 janvier 1909.
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DOCUMENT VII
Une fête à Casta*
(1910)
Jean-Pierre Lucciardi
Toutes les fois que j’ai poussé une petite excursion jusqu’à la belle contrée de
Casta, j’ai toujours eu le doux plaisir de constater que les travaux d’agriculture
y sont plus en progrès de jour en jour, et que l’activité déployée par cette laborieuse population est beaucoup plus sensible pendant les années où la récolte des
olives est plus abondante et d’un rendement plus élevé.
Ce travail et cette activité sont encore encouragés et soutenus cette année par
la présence de nombreux négociants qui viennent sur place se disputer l’huile
ou de préférence les olives qu’ils payent actuellement un peu plus de 4 fr. le
décalitre.
Mais l’influence des étrangers a été spécialement considérable le 12 mai, jour
où l’on célébrait pour la première fois, à Casta, la fête de la Saint-Pancrace.
Dans l’étroit portail d’une maison, à l’endroit dénommé Oggio, on avait
improvisé un autel, et le curé de Santo-Pietro officiait en la circonstance. Un peu
plus de mille personnes, tête nue, et en plein air, suivaient la cérémonie avec le
plus grand recueillement.
Après la messe eurent lieu le baptême de la statue du Saint, puis la
procession.
« Comment ! disait un étranger, qui se trouvait par hasard à cette fête, alors
que partout ailleurs on devient plutôt indifférent aux choses de la religion, ici
l’on songe à construire une église ou une chapelle, car je pense qu’on ne voudra
pas laisser cette statue dans un réduit aussi minuscule et si peu en rapport avec
la destination qu’on voudrait lui donner ».
C’est vrai ; et l’idée de construire une chapelle à Casta ne date pas seulement
d’aujourd’hui. Il y a une quarantaine d’années environ, alors que Casta, quoiqu’elle
fût aussi peuplée, ne comprenait que quelques maisons, et que presque tout le
monde se logeait dans les pagliari, Mgr de Cuttoli vint à traverser cette contrée
en compagnie de Mgr de Gaffory, alors supérieur du Petit Séminaire, mais déjà
chanoine et vicaire général. Le conducteur de la voiture épiscopale s’étant arrêté
pour faire souffler ses chevaux, une trentaine de personnes se portèrent au-devant
*
Extrait de : J.-P. de Campiendi, « Une fête à Casta », Le Petit Bastiais, mercredi 22 juin 1910.
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de Mgr de Cuttoli pour le saluer et lui présenter leurs hommages. Ils profitèrent
de l’occasion pour lui demander la création d’une paroisse à Casta, faisant valoir
avec raison que cette localité se trouve à une vingtaine de kilomètres de distance
du chef-lieu de la commune.
De retour à Ajaccio, l’évêque ne perdit pas la chose de vue, et il chargea
un jeune abbé de Santo-Pietro, alors professeur de rhétorique au Séminaire, de
profiter de ses prochaines grandes vacances pour faire auprès de ses compatriotes les démarches voulues afin de les engager à se cotiser, et à réunir la
somme nécessaire à la construction d’une chapelle à Casta.
Le digne et zélé abbé ne manqua pas une si belle occasion, car on allait
réellement au-devant de ses désirs, et, un beau dimanche du mois d’août, avec
le consentement ou plutôt l’ordre de son évêque et la permission du curé de la
paroisse, il monta en chaire et plaida si chaleureusement la bonne cause, qu’en
partant de l’église, encouragé et accompagné par quelques personnes honorables de la commune, il ouvrit aussitôt une liste de souscription. Avant d’avoir
parcouru la moitié du village, on avait déjà souscrit pour une somme dépassant trois mille francs, et les frères Grimaldi avaient offert gratis, au lieu-dit
Vattrigione, l’emplacement nécessaire pour bâtir une chapelle avec tous les sites
et dépendances qu’elle pouvait comporter.
Mais, ô ironie des choses d’ici-bas ! le propriétaire d’alors de la maison
où l’on a provisoirement installé la statue de Saint Pancrace, (c’est sa nièce
Mlle Blasini, qui a mis gracieusement sa maison de Casta à la disposition du
public), un médecin, vieillard vénérable entre tous – et il faut tout de suite dire
à sa louange qu’il était réellement de bonne foi – avait commencé, par l’autre
bout du village, à demander dans chaque maison, des signatures de protestation
contre l’idée de construire une chapelle à Casta. C’était mettre la division et le
désarroi dans le village, disait-il.
« Les Caporali Castinchi, ajoutait-il, ont quitté Casta, et délaissé leur chapelle
de laquelle on voit encore quelques ruines maintenant, pour venir s’établir à
Poggio de Santo-Pietro ; et nous autres, ferons-nous maintenant, le contraire ?
Nous ne le ferons pas, car on a beau dire, mais si une chapelle est bâtie à Casta,
une bonne moitié de la population ne viendra plus que très rarement à SantoPietro, et le dédoublement de la commune ne saurait tarder à s’imposer… »
L’argument n’était pas solide, comme on le voit, mais il rallia néanmoins
beaucoup de partisans.
De sorte que lorsque souscripteurs et protestataires se rencontrèrent au
milieu du village, ils ne purent se mettre d’accord – chacun croyant avoir
raison, puisque des deux côtés on était de bonne foi – et l’abbé ne voulant
pas donner lieu à des mécontentements et encore moins exciter la population,
abandonna son projet, se proposant de le reprendre en des temps meilleurs,
c’est-à-dire lorsque l’accord aurait été complet. Comme l’on dit au palais,
l’affaire fut alors classée…
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Quoique lentement, ainsi qu’on le voit, l’idée pourtant fait son chemin, et,
dans un an ou deux, Casta aura sa chapelle, grâce au zèle et au désintéressement.
Cette contrée, qui possède déjà une institutrice libre et un facteur des postes,
aura bientôt son prêtre, ce qui engagera encore plus les Santo-Pietrois à y séjourner plus longtemps et à y poursuivre avec plus de persévérance et d’assiduité
leurs travaux agricoles ou industriels.
Ce qu’il faudrait maintenant – et la municipalité aura à cœur de faire le
nécessaire, car ce sera du relèvement économique et moral bien organisé –
ce serait la création d’une foire dans cette belle contrée. Elle s’y tiendrait le
12 mai et y serait sûrement fréquentée par toute la population de la vallée du
Nebbio et celle des cantons de Nonza et de Lama et de toute la Balagne, sans
compter les amateurs qui ne regardent pas à la distance quand ils sont sûrs de
trouver tout ce qui peut leur être utile.
Il est incontestable que Casta est très bien située, au milieu d’une région
assez riche, et elle paraît toute désignée pour devenir le lieu de réunion d’une
foire annuelle. On y arrive par de belles routes tant du côté de Saint-Florent que
de celui de la Balagne. On organiserait toute sorte d’amusements, des courses
de chevaux, et surtout, puisque la commune est riche en bétail, on y tiendrait un
marché, où les amateurs, ainsi que les porchers et les laboureurs, viendraient
s’approvisionner, car il ne manque pas à Casta de brebis et de chèvres. L’élevage
de la race chevaline même y est en honneur.
Cette foire ne serait peut-être pas assez connue pendant les deux ou trois
premières années, mais une fois qu’elle sera bien connue, et cela, grâce à la
persévérance et à l’intelligente initiative de nos édiles, elle obtiendra un succès
réel, à cause de sa situation géographique exceptionnelle, de ses produits variés
et de son nombreux bétail.
Sans doute, ce n’est qu’un vœu que je formule ici, mais je veux bien croire à
sa réalisation prochaine, puisque l’ère des luttes stériles et de la politique locale
semble avoir fait son temps partout, pour faire place à une politique d’affaires,
d’apaisement, de justice et de progrès.
Et je sais qu’à Santo-Pietro plus qu’ailleurs, les gens sont en état de se
comprendre et de faire fi de tout faux amour-propre, pour marcher la main dans
la main, sans calculs ni arrière-pensées, toutes les fois que l’intérêt général est
en jeu ou qu’il doit en résulter pour leur commune un peu plus de bien-être et
plus de bonheur.
J.-P. de Campiendi
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DOCUMENT VIII
A Lumera*
(1916)
Jean-Pierre Lucciardi
A u sciò G. Ferrandi
*
Ogni tuvone di casa,
Avà, di lumi n’è pienu ;
Eletricità, o petroliu,
Gasu, o lume acetilenu,
Allumineghia ogni scornu
Cume in pienu meziornu.
A mio lumeruccia all’oliu
Quantu chi la tengu cara !
A fà divorziu cun ella
O quantu m’è stata amara,
Quante veghie a u rinserratu,
Nasu a nasu, emu passatu !
Tutti quanti, chiuchi e grandi
– Ancu piu che un serpu, ingrati, –
Di la lumeruccia all’oliu
Ci simu prestu scurdati :
L’emu lampata in l’anghione
D’un armediu bughjcone.
O quanti belli ricordi
Ch’emu di sta lumerella ;
Ricordi di zitellina
Di la nostra età piu bella.
A lettu ci accumpagnava
Zitta zitta, e ci annannava :
E purtantu ci n’ha resu,
Servizi, sta lumerella ;
Da la camara a u fucone…
È tuccatu sempre ad ella
A corre, la puvarina,
Da u granaghiu a la cantina.
Era semplice e mudesta,
Tutta in ramu di lu giallu :
Strufinata la mattina
Lucia chi paria un cristallu.
Oliu e bambace, ogni sera,
Dumandava sta lumera.
Extrait de : Lucciardi Jean-Pierre, « Vecchj custumi corsi. A lumera », Le Petit Bastiais, lundi
24 janvier 1916.
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U so manicu ad ancinu
A un bultoghiu era attaccatu ;
Per ficcallu in d’a muraglia
Cume un chiodu era appinzatu.
In ogni modu e manera
S’appiccava sta lumera.
A li doli aghiu assistitu ;
A le feste, a e canzunette ;
A quelli jochi ‘nnucenti,
A i rusarj, a le fulette…
E quantu n’aghiu francatu,
Giovane, da lu peccatu.
Una sera di st’imbernu
Sentu pienghie : è bughiu pagnu.
M’abbicingu in timiconi
Per sapè cos’è stu lagnu ;
In mezzu a suspiri e pienti
Pobbi coglie sti lamenti :
È bera chi mi pigliava
Per nimicu u’nnamuratu ;
E scapocchj a la mutesca
Quanti chi mi n’hanu datu !
Un dicu altru, o donne ingrate…
È cusi chi mi pagate ?
« Cosa v’aghiu fattu, o donne,
Per trattami di sta sorte ;
A lu bughiu imprigiunata,
Cundannata piu che a morte.
Fors’è perchè cunuscia
Più che boi l’ecunumia ?
Qual’è chi a u vostru scularu
Li tenia cumpagnia ?
Quand’ellu mi smucculava,
Subitu, eju, li ridia ;
Ed ellu in quellu mumentu
Studiava piu cuntentu.
Un credu ne truvarete
Cume mè, cusi fidate ;
Sempre a li vostri cumandi,
Quantu chi ci aghiu nuttate,
A curabbi li figlioli
Dentru li so letticcioli.
A i mio tempi un si truvava
Tanti zitelli scerpati ;
E u mio lume cusi dolce
Un fatigava i malati.
Avà un c’è piu che occhj stretti
E nasi cu li specchietti.
Sempre utile so stata :
Appiccata a la catena,
Filavate a vostra rocca
Appruntendu a vostra cena ;
E u zitellu, a duttrinella,
Imparava cu a surella.
Per me un c’è piu piezza in locu,
In ste case insignurite ;
E donne nun so piu quelle…
U lussu l’ha scimunite :
Hanu cacciatu a lumera
Per fà piezza a… Mamapiera. »
Mi ficcavate in d’un cantu
Pe impezzà li panni vecchj ;
Quantu v’aghiu sparmiatu
Sullacchioli… ben parecchj.
E per quessa, avale, o ingrate !
Cusi pocu m’apprezzate.
Sola sola, a la bughiesca.
A lumera si fugava ;
Una a una e so ragione,
In me stessu l’appruvava…
Qui, un ricordiu lascià, bogliu,
Di la mio lumera all’oliu.
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DOCUMENT IX
Pe un guastà l’otre*
(1916)
Jean-Pierre Lucciardi
L’Agriate so un territoriu immensu di u circulu di Santu-Petru-di-Tenda.
Cunfina a pocu pressu cun l’Aliso, u mare, e l’Ostriconi, e ghiè sempre statu
in d’i tempi antichi u granaghiu di u Nebbiu e d’i paesi accantu. « I prudotti
di l’Agriate so sapuritissimi, dice l’isturianu Filippini, e u granu, a cherne, e u
pesciu stessu, so i piu squisiti di tutta a Corsica ».
Avale se terre so inculte e rilasciate, ciocchi face chi un si dice piu che :
« U desertu di l’Agriate ».
Ma fin’a trenta o quarant’anni fà, i zappaghioli d’i cantoni di San-Fiurenzu
e di Nonza sopratuttu, andavanu tutti l’anni a suminà granu e orzu per si loghi.
Facianu, per se prese, terre, debbiu e macchiucastru, e ottenianu divizie guasi
miraculose. I diritti di u terraticu eranu d’i piu tenui : appena s’ellu si dava u
vintesimu o u trentesimu di a racolta, all’eredi di a vecchia famiglia Casta, chi
hanu sempre terraticu finu all’annu 1880, circa.
In l’ultimi anni chi Nunzinchi andavanu a mette u lavoru per l’Agriate, uni
pochi eranu partiti a bordu d’un schifu per andà bersu a punta di Malfalcu.
Appena junti in altu mare si mosse una tempesta spaventosa, e u schifone ch’i
purtava, bazziculava cume un chioppulu di nocia, e ghiera diventatu un ghioculu
d’i marosuli. Petracchiolu, Stifanicchiu, Ghiacumellu e Luigettu, eranu a chi a le
reme, a chi a la vela, a chi a lu timone, e sudavanu cume funtane perchè ci avianu
a pelliccia di punta a salvà.
Tutti, a mezzu a paternostri, atti di cuntrizione, pienti e singhiozzi, circavanu
di ricumandassi a la megliu a u signore e a tutti i santi, e s’aspettavanu da un
mumentu all’altru a insulcà, all’appiccu, l’onde amare e dulurose.
In quellu mentre bidenu chi Tittinu Ballantrè, ghiecia a ghiacara tecchia
nantu u tavulatu, appuppatu a una zucca intriscata, cun dui o tre altri fiaschi a
lampione, accantu.
*
Extrait de : Lucciardi J.-P., « Per un guastà l’otre », Il Cirneo. Almanacco corso popolare per
l’anno 1917, Bastia, Stamperia a vapore Giuseppe Santi, 1916, p. 39-41.
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Cosa faci tu, custi, per lu santu sternu, gridò Petracchiolu, lascenduli
corre un colpu di remu a mezza ventrera. – Un la videte cosa facciu, rispose
sbavacciulendu e suffiendu, Tittinu Ballantrè ; empiu l’otre di vinu, perchè un
l’aghiu mai scequatu d’acqua dolce in d’a mio vita e un buleria imbruttallu cun
l’acqua salita se venissi a more.
– Tu scià sprufundatu ! tu scià abbuglittinatu ! gridonu tutti a tempu i so
cumpagni ; mancu la morte ti face peura !
– E perch’ella mi face peura chi cercu di piglià e mio precauzione…
Schiattonu tutti a ride, lascendu corre reme, vela e timone a la bon di Dio… e
si spanzavanu cume scemmi, videndu a Ballantrè imbreccicatu a quella zucca e
a quelli fiaschi secchi in candella chi paria ch’elli venissinu da Pinetu in ghiorni
di tribbiere.
In quellu mentre a tempesta cuminciò a calmassi pianu pianu, e i nostri
Nunzinchi ne funu patti e chiti pe una speuracchia chi li fece trimà per parecchj
jorni u pappatoghiu, e li facia incrispà i capelli quandu si discitavanu in cor di a
mezanotte.
Ma per un bellu pucone, in paese, un si parlò d’altru che di e precauzione chi
Tittinu Ballantrè pigliò contru a peura di more…
Eccu cosa cuntava u vecchiu Ceccè d’Olmeta, agghiunghiendu : « Ognunu
difende a so pelliccia a so manera ».
J.-P. di Campiendi
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DOCUMENT X
Passighiate d’Auturnu*
(1916)
Jean-Pierre Lucciardi
In Primavera e d’estate, a campagna è biva, ridente e specchiulia. E passighiate
fatte in cumpagnia, o puru soli, so tantu agradevule ch’ingonfianu u core
d’acuntentezza, e spannanu u capu, ingumbratu da i penseri o d’a malincunia.
Un c’è dapertuttu che fiori e birdura chi ghiettanu profumi deliziosi e incantanu
l’occhj cun tutti si culori chi lucenu cume u sole.
A vegetazione cu a so ombra pagna dà un frescu salutiferu e deliziosu ; e
l’acelli, cuntenti cume battisti, a si salticchieghianu da un ramicellu all’altru,
imbitendu a tutti a u travagliu, canticchiulendu e ciacianendu cume beri
innamurati.
I campi so pieni a granu, a orzu, e a fienu ; e l’enimali a si ruzanu per si piani,
lisci e tondi cume mele…
In auturnu, a campagna ha cambiatu d’aspettu e ha pigliatu un’eria di
cunvalescente. U sole è piu pallidu e menu callu ; e fronde ingialliscenu ; l’eria è
piu fresca ; i giorni so piu corti. Purtantu a campagna un n’è mai stata cusi bella,
e ci piece un si pò di di piu. E fighe, i peri e i persichi offrenu a tutti i so frutti
inzuccarati, e p’e vigne, cume pe i palmenti, è una vera festa. Tuttu u mondu
travaglia juchendusi, e caratelli e botte, s’empienu di mustone.
Si u mese d’ottobre è u mese di e vindemie, quellu di novembre è chiamatu u
mese di l’oru. I lavuratori e i zappaghioli streccianu a terra e li cunfidanu u pane
pe i so figlioli. I pastori principianu a sbatte l’agnelli e i capretti, e bendenu u
latte, o facenu casciu e brocciu.
In piu, a racolta di e castagne è in piu bella favondia, e so cuntenti i zitelli
chi s’imburascanu di ballotte e di sbucchiate, aspettendu chi si pesti per andà a u
mulinu e pudè fà brilluli e pulenda. Intantu i grataghj a si sfumicheghianu cume
bapori in altu mare. Anch’elli – i grataghj – si trovanu in d’un mare di virdura in
l’estate ; e d’imbernu, parenu in d’un portu ziffittatu d’erburi di bastimenti chi
si stanu all’ancura.
*
Extrait de : Lucciardi J.-P., « Passighiate d’Auturnu », Il Cirneo. Almanacco corso popolare
per l’anno 1917, Bastia, Stamperia a vapore Giuseppe Santi, 1916, p. 43-45.
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A chi un n’ha fattu una passighiata pe i nostri castagneti a u mese di novembre,
un pò sapè quantu a campagna è bella, e quantu dà sensazione deliziose a quellu
chi sà leghie cun l’occhj e c’u core in d’u libru maravigliosu di a natura.
Ancu da luntanu si sentenu e rise e i canti d’i cuglidori cume si chiamanu in
Castagniccia quelli chi facenu a racolta di e castagne. E donne a si jocanu a chi
prima empie u spurtellu, o a chi prima colla a manesca ; l’ommi a chi pò insumà
a saccata piu grande.
E un piecè di passà nantu a quelle fronde secche – cuscogliule – chi bi
strizineghianu e strunchizzuleghianu sottu i pedi, e giranu in tondu, cume enime
innafantate, streziate e sbattute da u ventu. Da nantu a quell’erburi chi toccanu u
celu, e castagne s’affaccanu cume in timiconi, in bocca a i ghicci, e bi guerdanu
ridacchiulendu maliziosamente. Tuttu in un trattu bi saltanu all’affucata nantu a
chiocca o a zibaghia di collu, e ci lascianu un stampu rossu chi pare fattu da una
buccuccia di giuvinotta, o piuttostu da un pizzicu tortu, datuvi in burlasconi…
Per quelli cipponi si vede in quà e in là una sfiastarata chi a si sfumicheghia
schiuppittendu cume un focu d’artifiziu. A brusta chi resterà, cuperta cu a so
cennara, ghiuvarà per facci e imbrustulate, chi facenu sempre a delizia d’i
cuglidori.
A sera, rientrendu in paese, un c’è giuvinotta chi un la ficchi ancu a la
mamma, trasgendulendusi o allunghendu u passu, per esse all’ora justa, a u puntu
cunvenutu c’u so innamuratu. Cusi, si ne rientreranu in paese, chiacchiarendu di
mille cose, e dendusi l’arrestu a passà a veghia in d’u so grataghiu…
Quandu si vedenu si juchetti e si muttetti un c’è che a pensa a i so vint’anni e
inghiottesi a saliva… ma ci vole a ricunosce chi nunda ci dà piu dilettu che una
passighiata in d’un castagnetu, c’una bella jurnata di u mese di nuvembre.
J.-P. Lucciardi
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DOCUMENT XI
A Staffetta*
(1918)
Jean-Pierre Lucciardi
In memoria di un giovanu sullatu di a classa 20
U 19 lugliu 1918, u Kronprinz avia cappiatu tutte e so truppe cun tutte e
so riserve in d’un assaltu spaventevule. S’agià di sburdà u fronte frencese per
apresi a strada di Parigi. Focu, mitraglia e gasi asfizianti, tuttu era messu in
ballu. U terrenu, lavuratu da e bombe e da e balle di e mitragliose, trimava sottu
i pedi. I sullati frencesi, unu contru quattru, luttavanu cun ferocità, oppunendu
una resistenza di e piu eroiche.
U mumentu era d’i piu critichi e u destinu di a Francia era in ghiocu.
U generale Foch, chi seguitava cun ansietà e angoscia a fase di sta terribile
battaglia, impallidì bidendu una manuvra ingegnosa d’i nimici. Nantu e so
dinocchie scrive subitu un ordine ispiratu d’a situazione critica, e, lampendusi
a mezzu a i sullati, dumanda un omu purtatu di bona vuluntà per purtallu a u
generale Pétain.
Binti o trent’ommi si prisentanu vuluntari.
– U messaggiu è d’i piu impurtanti, dice u generale Foch. Si Pétain un n’ha
sti rinsignamenti e st’ordini prima d’un ora, i bosci ci sbordanu e chi sà s’elli si
pudarianu piu parà. U mio duvere è di dibbi chi a missione è di e piu periculose.
Quellu chi andarà, farà nenzu u sacrifiziu di a so vita. Un pò esse che un miraculu
chi u possa salvà. Per cunsequenza schertu subitu i babbi di famiglia, e un sarà
che un celibatariu che accetteraghiu.
I babbi di famiglia, e i timidi chi un n’avianu cridutu a tantu periculu, si ritironu
e restò dui giuvanetti, dui Corsi – a dimu cun orgogliu – unu di vinticinque anni e
l’altru di diciottu appena, chi si disputavanu l’onore di purtà l’ordini chi duvianu
salvà a Francia in d’u mumentu piu criticu di a so storia.
– A quale ci hai lasciatu in casa ? disse u generale Foch a u sullatu di
25 anni.
*
Extrait de : Lucciardi J.-P., « A Staffetta », L’Artigiano, Lunario corso popolare per l’anno
1919, Bastia, Stamperia e libreria Ollagnier, 1918, p. 33-36.
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– Un ci aghiu che a mio mamma ch’ha 70 anni ; ha piu pocu tempu a bive, e
murarà cuntenta s’ella sà chi ghiè pe a Francia chi u so figliolu ha bersatu u so
sangue.
– Eju un n’aghiu piu ne babbu ne mamma, disse u giovanu di diciott’anni ; un
n’aghiu che duie surelle e mi ne vurrebbenu s’elle sapessinu ch’aghiu esitatu, un
fussi che un minutu solu, a fà u mio duvere in sta guerra. Eppò, una è maritata,
e l’altra un n’ha bisognu di me per bive, in casu chi a furtuna mi fussi cuntraria ;
per cunsequenza ghiè a me che bò duvete fà l’onore di cunfidà u piegu chi c’è
da rimette.
– No ghiè a me chi bene st’onore, perchè so piu becchiu che ellu, sciò
generale.
– Ghiè perchè so piu zitellu, chi stu favore mi dev’esse accurdatu.
– No, ghiè a me, perchè aghiu piu sperienza, e possu riesce megliu in sta
missione.
– E’ bera, un n’aghiu che diciott’anni – a mio classa un n’è ancu stata
chiamata – ma so diciottu mesi che mi so ingagiatu vuluntariu, e ghiè piu d’un
annu che battaglieghiu da Belgica a Verdun, cunuscendu tutte e malizie di a
guerra e i ripieghi di u terrenu. Per cunsequenza ghiè a me’ giovanu e buluntariu,
chi duvete fà u favore e l’onore di cunfidà sta missione, sì periculosa quantu li
pare.
U generale Foch l’abbreccia pienghiendu, e li dà u piegu dicenduli : « Ci òle
a rimettelu in proprie mane a u generale Pétain. S’ella ti riesce a Francia intiera
ti ne sarà ricunuscente ». E u giovanu Corsu, grande, ben fattu, bellu chi si
sarebbe betu in d’un bicchieru d’acqua, smarisce in d’un amme, tuttu pumposu
e cuntentu, in d’a furnace infernale di a battaglia. U generale Foch, chi l’avia
seguitatu un mumentu cun l’occhj, disse fra denti : « Cun sullati simili a Francia
un pò more. »
I bosci facenu prugressi maravigliosi. U Kronprinz spedisce un dispacciu a u
babbu dicenduli « A strada di Parigi è aperta. T’aspettu cun tutta a famiglia a fà
cullazione a l’Eliseo u jornu di Santa Maria. »
Mezz’ora dopu chi a staffetta era partita, u generale Pétain riceve l’ordini di
Foch. In d’un lampu l’esequisce, e in pocu tempu e gride d’allegria e di trionfu
d’i bosci si cambianu in urle di tristezza e d’addisperazione.
I sullati francesi sottu u cumandamentu d’una manuvra ben ispirata, e c’una
furia chi un s’era mai vistu, nun sulamentu paralizeghianu e arrestanu l’assaltu
d’i bosci chi s’avanzavanu vitturiosi, ma i rispignenu, i demuralizeghianu e i
mettenu in dirotta. A perte da su jornu Parigi è salvu, e i Frencesi avanzanu
curaggiosamente, fendu una gran strage fra e truppe alemane chi rinculanu
sempre. U Dirittu ha pigliatu u passu sopr’a Forza, e a Civilisazione sopr’a
Barbarità. E u mondu intieru ammira e onora a Francia !
A staffetta ebbe a surmuntà e piu gran difficultà. Feritu parecchie volte,
matraversatu di balle, insanguinendu u terrenu dund’ellu passava, perdendu e
so forze di seconda in seconda, pubbe infine junghie a rimette u piegu manu a u
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generale Pétain, e li casca mortu a i pedi. Questu l’abbreccia, l’attacca in pettu a
so propria croce d’onore, e corre subitu a fà u so duvere…
E surelle di u giovanu Corsu pienghienu a la dirotta. Ma di tantu in tantu una
voce in d’u so core li dice : « Ghiè pe a Francia ch’ell’è mortu… » E a su ricordu,
l’imagine di u so fratellu l’apparisce in mente, grande, bella e surridente, in d’un
splendore di gloria e di felicità.
J.-P. Lucciardi
Santu-Petru-di-Tenda, u 6 settembre 1918.
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DOCUMENT XII
Notre dialecte*
(1921)
Jean-Pierre Lucciardi
Il faut être courageux pour vouloir écrire en corse, alors que notre dialecte est
négligé et délaissé par tous.
Encore si on parlait un pur français ! Mais, lorsqu’on dit pruminà pour
promener ; caschetta pour casquette, attendimi pour attends-moi, etc., on tombe
dans le ridicule.
Et on se rend surtout ridicule, quand on rougit de parler corse. Alors, on a
réellement l’air de pauvres gens qui, après s’être alliés à une famille aisée, ont
honte de leur origine. Les parents éloignés de leur femme sont beaucoup plus
considérés que leurs parents les plus rapprochés, dont ils ne font plus cas. Et
pourtant, on a plus de mérite à se montrer à côté de son grand-père, même habillé
en drap corse, que si l’on est à côté d’un beau-père en gibus et en redingote.
Les voilà bien, ceux qui ne veulent pas parler corse ! « Mais… nous l’avons
oublié », vous disent-ils sérieusement, comme si on pouvait oublier le nom de sa
mère et les égards et l’amour que nos chères aïeules ont toujours eus pour nous.
Eh bien ! Corse chérie, tes enfants sont dans ce cas. Ils croiraient s’humilier,
s’ils parlaient la même langue que parlaient Sambocuccio, Sampiero Corso et le
vieux Cardone d’Alando.
Leur seule excuse, c’est que nous sommes Français et que nous ne devons
parler d’autre langue que le français.
Ils ne savent pas que, si nos aïeux avaient oublié aussi facilement leur dialecte,
pour parler la langue de ceux qui les gouvernaient – par la force, bien entendu –,
aujourd’hui peut-être nous ne serions pas Français.
Et puis, ne pouvons-nous pas être Français et parler en même temps notre
dialecte corse ?
Avons-nous jamais entendu dire que Mistral et les Provençaux, les Bretons,
etc., ne sont pas Français ?
*
Extrait de : Lucciardi Jean-Pierre, Canti Còrsi (Chants Corses). Traduction française en regard,
Castelnaudary, Société d’édition occitane, 1921, p. 12-25.
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Nous avons donné et nous donnons tous les jours assez de preuves de notre
patriotisme et de notre amour pour la France, pour que nul ne puisse soupçonner
notre sincérité et notre attachement à la grande Patrie.
Et qui donc nous soupçonne ?
Personne. C’est nous-mêmes qui, sans motif, craignons cette suspicion. Voilà
peut-être l’effet du grand amour que nous avons pour la France. Si une femme
disait, matin et soir, à son mari : « O mon chéri, comme je t’aime ! Je n’aime que
toi ! Quel immense amour j’ai pour toi ! », le mari finirait par dresser l’oreille et
avoir quelque doute sur la sincérité de sa femme.
Ainsi pourrait faire la France. Si nous disions à chaque instant : « Nous
sommes Français d’âme et de cœur ; nous sommes des patriotes sincères ! »,
elle pourrait croire que notre amour, notre patriotisme et notre attachement pour
elle ne sont que de vains mots. Les Lyonnais, les Basques, les Normands et tutti
quanti ne disent pas à chaque bout de phrase qu’ils sont Français de cœur et
patriotes sincères. Tout le monde le sait et personne ne se préoccupe de savoir
s’ils parlent entre eux leur dialecte ou non. Au contraire, ils y sont encouragés.
C’est ainsi que nous ferons. Maintenant que le vent tourne au régionalisme,
nous devons, non seulement parler notre dialecte entre nous, mais encore l’écrire
et faire un recueil de nos vieux chants et de nos voceri.
Notre langue est plus riche qu’on ne croit, et on ne sera pas en peine de faire
un bon choix de vieilles poésies instructives et intéressantes.
Chacun doit se mettre à l’œuvre et apporter autant que possible sa petite
pierre à l’édifice que nous voulons élever à notre littérature corse.
Il sera des plus modestes, cet édifice, mais ceux qui y auront participé n’en
auront que plus de mérite et plus de droits à la reconnaissance des générations
futures.
Notre dialecte est si harmonieux et si expressif qu’il me semble même
plus clair et plus pur que les eaux cristallines des ruisseaux et des lacs de nos
montagnes. Celui qui saura le manier avec goût et passion le rendra doux et
harmonieux, et les tons qu’il en tirera enchanteront l’oreille et plairont au
cœur. Certaines expressions sont pleines de feu, comme nulle autre langue n’en
possède. La preuve en est que tous ceux qui n’en veulent parler que le français
ne peuvent tenir une conversation suivie sans l’agrémenter de temps en temps
d’un mot ou d’une expression corse. Nos avocats – même ceux d’entre eux qui
se feraient écouter à Paris – en savent quelque chose.
Qui ne reste pas en extase et bouche bée, lorsque dans une oliveraie ou une
châtaigneraie on entend une douce et timide voix entonner un de nos chants gais
ou plaintifs ?
Ceux-là même qui ne comprennent pas le corse sont pénétrés de joie ou de
tristesse, en entendant soit une chansonnette, soit un vocero.
Et vous voudriez qu’un dialecte qui laisse au cœur des impressions aussi
magiques qu’agréables ne soit plus usité ? C’est impossible, car ce serait un trop
grand crime et un mal trop irréparable.
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DOCUMENTS
À l’exemple des Provençaux et des fils de toutes les provinces de France, les
Corses parleront et écriront la langue qu’ont toujours parlée leurs mères et leurs
aïeux !
Nous n’avons pas besoin de l’apprendre, cette langue. Nous n’avons qu’à
laisser aller notre cœur et qu’à parler sans avoir l’air de chercher des expressions
choisies : celles qui nous viendront à l’esprit tout naturellement seront toujours
les meilleures, parce qu’elles seront vraies, simples et sincères. C’est ainsi que je
fais et que j’ai toujours fait. C’est peut-être pour cela que quelques amis et même
des gens qui me sont inconnus m’ont prié de réunir en un volume les articles en
prose ou les poésies en dialecte corse que j’ai publiés dans la Renaissance de la
Corse, la Tramuntana et les deux quotidiens de Bastia.
J’ai hésité pendant un certain temps, parce que, comme je l’ai déjà dit, il faut
être bien courageux pour vouloir écrire en corse, alors que notre dialecte est
généralement négligé.
Mais, après mûre réflexion, j’ai pensé que la peur de la critique ne devait
pas me retenir, et encore moins l’indifférence que la plupart des Corses ont pour
notre dialecte.
C’est, au contraire, ce qui doit m’encourager, parce qu’il faut croire que le
plus grand nombre de Corses ne sont indifférents que par la seule raison qu’ils
ignorent les beautés de notre langue et qu’ils croient qu’elle ne peut pas exprimer avec énergie, clarté et enthousiasme les plus forts comme les plus doux
sentiments de l’âme. Ils pensent que notre dialecte est pauvre, alors qu’il est
riche et puissant ; ils le croient rude, alors qu’il est simple, harmonieux et doux
comme un velours soyeux.
Ce ne sera qu’en le lisant, d’abord timidement, puis avec plus de plaisir,
qu’ils l’aimeront passionnément et lui découvriront une à une toutes les qualités qu’il possède. Alors ils ne se contenteront plus de le lire à haute voix ou de
l’expliquer en famille – plusieurs m’ont dit cela à propos de A Vindetta di Lilla
ou de Maria Jentile – mais ils voudront apprendre à le parler, à le comprendre
et à l’écrire.
Ils sont déjà assez nombreux, ceux qui écrivent en corse. Et quel corse ! Vous
le mangeriez des yeux, tant vous avez plaisir à le lire et à le relire… Essayez
de lire une lettre de Mari, de Santu Casanova, de Maistrale ou de Pincu, etc.,
et vous m’en direz des nouvelles ! Certainement, vous trouverez que c’est plus
qu’un crime de ne pas cultiver une langue aussi belle, aussi expressive et aussi
plastique.
Je sais que je ne l’écrirai jamais aussi bien et que je n’ai pas assez de talent
pour trouver des expressions aussi choisies que douces, pour charmer le lecteur
et lui faire admirer les beautés et le génie si simple et si naturel du parler corse.
Mais, je tiens à le redire, ce que j’écris aura jailli de mon cœur tout naturellement, et ce que l’on dit simplement et sans acrimonie ne peut que plaire à tous.
Et puis, je crois pouvoir compter un peu sur l’indulgence des lecteurs, qui
me sauront gré des efforts que je fais pour vulgariser notre dialecte, car celui qui
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le connaît et le comprend ne peut s’empêcher de l’aimer et de le faire connaître
aux autres.
Comme notre dialecte peut s’écrire et se prononcer de différentes manières,
ce qui arrive souvent d’un canton à l’autre, je crois qu’on ne me blâmera pas
d’écrire le dialecte du Nebbio, qui est le mien.
J’avais décidé de publier sous le titre : Proses et Poésies Corses un volume
devant comprendre plus de 50 chansons, une trentaine de sonnets et une trentaine d’articles en prose ; mais je me vois forcé de me restreindre, à cause de la
cherté du papier et de la main-d’œuvre.
Pour que notre langue puisse être mieux comprise de nos frères du continent,
j’en donne la traduction en français : je dois bien cela à mes confrères du Félibrige
qui m’ont fait l’honneur de m’accueillir dans leur célèbre Compagnie.
Bien entendu, qui dit traducteur dit traître, et il me sera difficile de faire
ressortir certaines beautés de notre langue, impossibles à rendre. C’est pourquoi j’ai besoin de toute l’indulgence des lecteurs : j’espère qu’elle ne me
manquera pas.
J.-P. L.
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DOCUMENT XIII
U fornu zappatu*
(1921)
Jean-Pierre Lucciardi
Cosa t’è pigliatu, o Còrsu,
Per esse cusi abbendatu ;
Hai zappatu lu to fornu
E a maceghia l’hai turnatu
Di tanti servizi resi
Perchè ti ne si scurdatu ?
Ogni sabatu a to mamma
Ci ha còttu sempre lu pane,
Ci ha fattu li canistrelli
Guasi tutte le semane.
Mentre avà nun pò più serve
Mancu per teneci un cane.
E petre ne so spaperse,
E la terra n’è spulata ;
Un si face più levame
In sa casa abandunata,
So inchiudate le purtelle
E la porta è stanghittata.
Hai vindutu le cunceghie :
Coppie, arati e buccatelli ;
Hanu purtatu a u macellu
*
I boi cu li vitelli
E perfine t’hai impignatu
Mulu bastiu e palmulelli.
O Còrsu, lu bramarai
Quellu pane scambuffatu,
Chi facia lu to fornu
Biancu, còttu e trapanatu.
Sciaccava sottu li denti
Chi paria inzuccaratu.
Per un impiegarellu in Francia
Ti lasci lu to paese ;
Perti a figliulucci in collu
Insumatu da le spese.
Per tuccà una pensiunella
A la fine di lu mese.
Andarai a la buttega
Cumprarai lu panone ;
U ti pisaranu schersu
Nantu un toccu dì chertone ;
E sarà pasta malcotta
Di più dura che un mattone.
Extrait de : Lucciardi Jean-Pierre, Canti Còrsi (Chants Corses). Traduction française en regard,
Castelnaudary, Société d’édition occitane, 1921, p. 172-179.
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Biderai i to figlioli
Cume turnaranu gialli gialli ;
Cu le schinche sialine
E l’occhj a cresta di galli,
Accantu a li paisani
Faranu pietà a guerdalli.
Tandu, Còrsu, a u to paese
Pensaci la notte e u jornu,
E ditti : « O casa paterna,
A te bògliu fà ritornu.
Bògliu zappà le mio terre
E rifà novu lu fornu.
E to figliole e a to moglie
Purtaranu lu cappellu.
Pareranu signurone
Allevate in d’un castellu.
Ma biotu cume la ciuta
Sarà lu so ventricellu.
« Bògliu andà duve so morti
U mio babbu e u mio caccaru
Duve u pane chi si stanta
Un si trova mai amaru.
O quantu chi mi si caru ! »
Purtarai u cappell’altu,
Code a rondine e flacchine ;
Ti salutaranu tutti
Ommi, donne e signurine,
Ma, corciu, sempre averai
Biote, biote le stintine.
Cusi cantava lu fornu
Dopu ch’ellu fu zappatu ;
Avia cummòssu lu core
A tuttu lu vicinatu
Ma un ti pudarà cummòve
A te, o Còrsu, cusi ingratu !
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DOCUMENT XIV
Cristofanu Culombu*
(1922)
Jean-Pierre Lucciardi
A u scio Petru Capifali
*
A voi chi la verità
A scuprite duv’ell’è,
Accio chi lu gran Culombu
A so Patria possa avè,
So fieru se bo accetate
Ste canzone cun piecè.
Cu a so bella intelligenza
Piena a so perspicacità
U so geniu scuprerà,
Grazia po a la Pruvidenza,
Un mondu novu abitatu,
In tutt’i tempi ignuratu.
Calvi, nidu d’Eroi,
Ti salutu cun rispettu,
E burrebbe cun dilettu
Canta unu di li toi,
Quellu d’u quale la Storia
Porta intatta la memoria.
O chi paradisu in terra !
Ma un c’era fra l’abitenti,
Tutti barbari e ignurenti,
Che rapina e gattivera.
Un c’è clima cusi amenu
Ne piu fertile terrenu.
Di Cristofanu Culombu
Nimu si ne scurderà,
E lu so nome avera
In’gni locu un gran ribombu.
Li saranu i Cuntinenti
Di piu in piu ricunuscenti.
Era un depositu immensu
Di prudotti d’ogni sorte.
Fu la castigliana Corte
Prestu ricca in ogni sensu :
Terreni, derrate e oru,
Mai ci fu piu gran tesoru.
Extrait de : Lucciardi Jean-Pierre, « Cristofanu Culombu », Bastia-Journal, jeudi 26 octobre
1922.
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Corse l’Europa intiera
A purtalli a profusione,
A civilisazione.
Ma per me u so scopu un n’era
– E sta cridanza è cummuna –
Che per facci una furtuna.
Ognunu ci s’è arricchitu,
Cristofanu eccettuatu
In Castiglia, incatinatu,
Riturno cume un banditu,
In mezzu a disprezzu e pene,
Strettu cun grosse catene.
U Re, mal ricunuscente,
Li rese la Libertà,
Ma senza perseguità
Quelle infame e falze jente,
Chi, vilmente, calunnionu
Un sant’omu, cusi bonu.
Ellu dopu avè dutatu,
Cusi bè, l’umanità,
Da l’onori e dignità
Bolse vive ritiratu.
E morse pienu di stima
Ma piu povaru che prima.
Un bolse mai fà cunosce
Ch’ell’era natu Calvese ;
Perchè tandu u so paese
U vidia in di l’angosce
Imputente a parà sanna
A Ghjenua, la tiranna.
Cusi, un duvere sacratu,
A li Corsi oghie s’impone,
Più che un’obligazione :
Ghiè di di duv’ell’è natu.
E un stancassi d’affirmà
Ciocch’è a pura verità.
Purtantu, certi scrivani
Corsi, facenu u cuntrariu.
Un n’è po straordinariu
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Di zirbassi cume cani
A le zanche d’a so mamma ?
A chi a morde, mancu l’ama.
A tirannia jenuvese
C’è stata cusi fatale ;
Ma per me, lu piu gran male
Ch’ella fece a stu paese,
Fu di ruballi la gloria
A piu pura di a so storia.
U nostru navigatore
Si, ghiè in Calvi ch’ell’è natu.
D’i Corsi un s’è bergugnatu,
E fu lu so prutettore.
Amici e parenti avia
Cun ellu, per cumpagnia.
Di Corsica si purtava
Ancu li cani mastini,
Assai piu di l’altri fini :
U so contu ci truvava,
Chi guerdia cusi sincera
Cume quella nun ci n’era.
Eppo nomi Corsi ha datu
Ai loghi ch’ell’ha scupertu.
O Cirnu ! quant’hai suffertu,
Di vede chi t’ha pigliatu
Ghjenua, degna di morte,
Un eroe di sa sorte.
Ma nun teme ch’oghie sona
L’ora di la verità,
E si sente pruclamà
Pertuttu, d’ogni persona
Chi lu gran Navigatore
Natu è in Calvi. Si, signore !
Un balenu i testamenti
Chi Ghjenua ha fabricatu.
E ch’ell’ha falzificatu,
Cun tant’altri documenti.
Pe schiari tamantu bughiu
Basta, o Calvi, u to cherrughiu.
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Eppo sapienti e scrivani
So qui per fanne la prova :
Peretti cun Casanova,
E Paulu Graziani ;
E voi, o scio Capifali,
Cun tant’altri ommi legali.
O Calvesi, femu festa
Chi a Justizia è puru nata :
Ghjenua, la scellerata,
E smarrita in d’a tempesta.
Ava, o Corsi, tocca a noi.
A fà onore a i nostri Eroi.
J.-P. Lucciardi
Santu-Petru di Tenda, 25.10.22.
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DOCUMENT XV
Un prugressu*
(1922)
Jean-Pierre Lucciardi
Dece anni fà, quandu circavamu l’amatori per ghiucà a u teatru di Bastia,
A Vindetta di Lilla, eramu guasi sempre ricevuti, tantu da maschi che da femmine,
cun ste parolle : « S’ell’era in frencese, stu drammu, l’avariamu jucatu bulinteri ;
ma in corsu, un pudemu, perchè un lu capimu e un lu sapemu prununzià bè ;
eppò u palatu corsu è troppu rozzu e un piace a nisunu. Per cunsequenza un
pudariamu che ghiucacci a la risa… »
Ci volse persone energiche e perseverente, cume J.M. Pekle, Ristorucci, u
vecchiu Franceschi ecc…, ammiratori passiunati di a lingua corsa, per avè a
furtuna di pudè truvà quelli e quelle chi un solu capianu u corsu e u parlavanu a
la perfezzione, ma chi seppenu ancu interpretà u drammu, cume becchj artisti di
prufessione teatrale.
U successu fu grande. E per tre bolte, A Vindetta di Lilla, fece e delizie, un
sulamente d’i Bastiacciu, ma ancu, e sopratuttu, d’i cuntinentali. E sarebbe stata
applaudita spessu, si tutti l’attori eranu pussuti stà sempre in Bastia…
Tandu eramu già cunvinti chi a nostra lingua un pudia smarrì, perchè u
populu corsu è troppu attaccatu a u so paese, e ghiè troppu fieru d’i so vecchj, per
ch’ellu si pudessi scurdà cusi facilmente di a lingua cusi dolce e cusi espressiva
ch’ell’hanu sempre parlatu.
E c’è statu uni pochi di scrittori in corsu, chi stimulati e incuraggiti da u
direttore di A Tramuntana, Santu Casanova, si so messi a facci cunosce e amà e
bellezze di a nostra lingua.
Avale, un s’è piu in pena di truvà attori passiunati per dà rapprisentazione
in corsu. Ognunu si face un duvere, e un piacè, di dà a preferenza a la nostra
lingua ; e u populu applaudisce sempre cun piu antusiasmu, e cummediole e i
drammi scritti in lingua corsa. N’avemu avutu abbastanza prove quist’annu.
*
Extrait de : Lucciardi Jean-Pierre, « Un prugressu », A Lingua Corsa, Rivista di letteratura e di
studi côrsi, ghiugnu 1922, n° 1, p. 7.
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Stu parlatu chi paria cusi rozzu perchè un si ne cunuscia micca u valore nè
a bellezza, è ghiuntu a piaceci, e ha finitu per passiunacci a tutti, ancu a quelli
chi un parlavanu sempre che in frencese in famiglia, per finu a cu i so gatti…
Bulemu sperà chi prestu sta lingua sarà insignata accantu a u frencese, in tutte e
nostre scole di a Corsica.
Un omu dottu, P. Arrighi, prufessore agregatu a u Liceo di Bourg, ci ha pruvatu,
mettendu i punti sopra l’i, chi a nostra lingua un n’è micca un dialettu vulgare
cume vurrebbenu pretende uni pochi, ma un ramu direttu di a madre lingua latina,
cume u talianu, u frencese e u spagnolu, chi sarebbenu i nostri cugini chernali.
U ringraziemu d’avecci fattu sapè che noi un semu micca bastardi, e d’aveci
datu un statu civile. Per cunsequenza, un dev’esse nè dimenticata nè rilasciata,
e avemu u duvere e l’obligu murale di mantene a purezza, e di cultivalla, per
trasmettela intatta a i nostri discendenti.
Ghiè cosa hanu capitu i Corsi. E ghiè per quessa ch’uni pochi di passiunati pe
a nostra lingua, benenu di fundà a Sucietà di a Lingua Corsa, chi ha per scopu di
prutegge e di mantene a nostra lingua, e di fà rivive i vecchj custumi e l’antiche
usanze corse.
Sta Sucietà è lergamente aperta a tutti quelli – Corsi o fresteri – chi
s’occuperanu di u rillevu di u nostru paese, e di a cunservazione di a nostra
lingua.
Cusi, e nostre caccare pianghieranu di cuntentezza, bidendu che nò un ci
scurdemu nè d’elle nè di a lingua ch’elle parlonu. E si c’è un locu, cume si crede,
duve ci truvaremu tutti un ghiornu, un saremu micca in pena d’esse capiti da elle,
e di capì tuttu cos’elle ci diciaranu. Un bi pare nunda quessa ?
E stu giurnale che nò benimu di fundà, A Lingua Corsa, serverà d’intermediariu
per intrattene in tutti i cori, l’amore e u cultu di a nostra lingua e d’i nostri antichi,
e per fà cunosce a tutti l’opere d’i nostri vecchj autori, e l’opere di tutti quelli chi
scriveranu in corsu, i quali meritanu d’esse appreziati e incuraggiti.
Dunque, cari cumpatriotti, salutemu A Lingua Corsa, e preghemuli longa vita
e gran successu. L’avenire e a prusperità di l’Isula cara so in ghiocu.
J.-P. Lucciardi (di Nebbio).
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DOCUMENT XVI
Rapport sur l’utilisation du corse
dans l’enseignement du français*
(1923)
Jean-Pierre Lucciardi
Monsieur l’Inspecteur,
Il est de bon ton de faire la guerre au corse dans les journaux de l’île. Certains
de nos compatriotes croiraient se déshonorer en parlant une langue que parla leur
mère et que Paoli ne dédaigna point ; d’autres – un peu moins excessifs dans leur
mépris des traditions – professent je ne sais quel dédain supérieur ou distingué
pour la langue du terroir. Sur les autres causes de ce dédain il y aurait bien des
choses à dire… et des plus affligeantes. Mais ce serait examiner la question de
haut, du point de vue moral ou social… Or, je ne veux pas oublier que vous m’avez
demandé de me cantonner dans le domaine de la pédagogie, et que vous vous êtes
adressé plus encore à l’instituteur qu’au régionaliste, quand vous m’avez chargé
de vous fournir un rapport sur « l’utilisation de la langue corse dans l’enseignement du français ».
Je me propose donc simplement de dénombrer les inconvénients et les avantages que peut présenter, pour les enfants de nos écoles, la connaissance du corse
et d’indiquer, chemin faisant, le pacte que les maîtres devraient tirer de cette
connaissance.
Je reconnais que l’usage habituel de la langue indigène peut à certains égards
être un obstacle à l’apprentissage du français. Il nuit légèrement à la prononciation. Toutefois notre accent, pour être un peu dur, n’est pas, vous en conviendrez, plus mauvais que l’accent des habitants du Midi de la France, ou celui des
Alsaciens, des Auvergnats, voire même des gens du Nord.
Donc, de ce côté le mal n’est pas grave, mais il y a des corsicismes et Dieu sait si
on en relève dans les copies de nos élèves ! formage pour fromage, moulinier pour
meunier, brave pour bon, etc. ou des expressions corses traduites littéralement : il
faudrait qu’il aurait, pour qu’il eût ; je me suis fumé une cigarette, pour j’ai fumé ;
je lui ai mené un coup de pied, pour je lui ai donné ; j’ai travaillé pour maintenir
*
Source : Archives de la famille Lucciardi.
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ma famille, pour nourrir, élever ; il a le prêtre dessus, pour dire : il est à l’agonie,
le prêtre lui recommande son âme à Dieu. En Corse on dit : « Hà u prete sopra ».
Ces corsicismes – dont on nous a souvent raillé, quelquefois avec esprit –
doivent-ils faire condamner le parler de chez nous ?
On ne voit pas qu’ils fassent sérieusement obstacle à l’acquisition d’un français correct. Un Corse parle et écrit aussi convenablement français qu’un continental de même culture. Beaucoup d’inspecteurs primaires continentaux nous
ont affirmé que les copies rédigées ici par les candidats au C.E.P. et au B.E. ne
sont pas inférieures à celles du continent. Il faut donc croire que les corsicismes sont rapidement éliminés par la pratique des exercices scolaires qui relèvent
de l’enseignement du français et par l’usage tant soit peu prolongé de la langue
nationale. Ajoutons qu’ils disparaîtraient encore plus vite si, dans nos écoles, on
avait recours, pour les corriger, à des exercices spéciaux (traduction correcte des
formules qui appellent le corsicisme, réponse de vive voix ou par écrit à des questions qui engagent l’élève à employer la tournure française, etc.)
Comment ce menu préjudice, si vite réparé, pourrait-il nous faire négliger
d’entretenir les pieux sentiments qui nous inclinent à maintenir avec un attachement filial, la langue de nos ancêtres, la langue que nos mères nous ont apprise
avec tant d’amour et de sollicitude quand elles nous nourrissaient du lait de leur
sein ? Comment cet inconvénient, dérisoire, après tout, nous obligerait-il à fermer
les yeux sur cette vérité que la langue locale a son génie propre, fait à la mesure de
son esprit, en harmonie avec ses mœurs, et que l’abandonner c’est abandonner un
précieux instrument de culture intellectuelle et morale que les générations antécédentes ont façonné pour nous ? Pour cette question, la leçon nous vient de haut.
Il s’est trouvé des présidents du Conseil, des ministres, des parlementaires, pour
proclamer la valeur du régionalisme et, particulièrement, de l’attachement à la
langue de la petite patrie, et on peut résumer leurs déclarations dans cette formule
familière qui a été accueillie naguère par les applaudissements des membres de
la Chambre :
« L’homme a le droit de parler la langue de son “patelin”, et c’est excellent
pour sa formation intellectuelle… »
Non seulement le corse ne contrarie pas, ou contrarie très peu l’enseignement
du français, mais encore on doit soutenir – si paradoxal que cela paraisse d’abord
– qu’il peut faciliter l’apprentissage de la langue nationale.
Le corse comme l’italien, dérive assez directement du latin. Il peut donc dans
une certaine mesure suppléer ce dernier dans l’étude du français. Tout le monde
admet aujourd’hui que la connaissance du latin est indispensable à la bonne
compréhension de la langue française ; la dernière réforme des études secondaires est là pour nous le prouver. Ce n’est donc pas aux Corses qui ont la bonne
fortune d’avoir une langue constituant en quelque sorte un succédané de latin,
qu’il faut interdire l’usage de leur langue. Nous devons, au contraire, dans l’enseignement du français, savoir nous servir et tirer parti de cet auxiliaire précieux
qu’est le parler corse.
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Un élève corse peut, plus facilement qu’un élève breton, normand, même
parisien ou tourangeau, deviner ou découvrir la signification de certains mots
nouveaux pour lui, et cela, en faisant un appel judicieux à sa connaissance du
corse.
Même s’il ne les a jamais vus, même quand le contexte manque pour en éclairer le sens, un élève de nos cours supérieurs comprendra par exemple, les mots
bayer, badauderie, en se rapportant au mot corse badare qui signifie regarder,
faire attention. Nous nous souvenons parfaitement que, dans notre enfance, nous
pûmes deviner le sens du mot insolite, en nous aidant du mot corse solitu (en latin
solitus) qui veut dire habituel.
Voici quelques exemples pris au hasard où le corse permet à l’élève de saisir
l’étymologie d’un mot français, et par la suite de mieux en comprendre le sens :
strangulation est plus près de strangulà (corse) que d’étrangler (français) ; aquilin
est plus près de aquila (corse) que d’aigle (français) ; anxiété a son correspondant
anxia ; corroder n’est pas de rode (corse), etc.
On trouverait facilement des centaines de noms ou d’adjectifs faisant partie
du vocabulaire d’un élève des cours moyen et supérieur, et qui n’ont pas de liens
apparents avec d’autres noms ou adjectifs français, mais qui ont un air de famille
très marqué avec des mots corses.
Par suite, on peut se servir du dialecte corse pour expliquer les textes. Voyez
La Fontaine : Le galant avait un brouet… Un Corse comprendra de suite que
brouet a la même signification que brudettu (corse), etc.
Ensuite et surtout les mots de la même famille deviennent plus faciles à découvrir. Tout terme français qui provient du latin, a, le plus souvent, son correspondant corse :
Par exemple pour boire. Les Sartenais disent encore bibere. Nous avons :
biberon, bibition, imbiber, etc. pain (corse, pane), paneterie, panification, panade,
latin panis ; canine, caniche, canicule, latin canis ; cheval (corse, cavallu) cavalerie, cavalier, cavalcade, latin caballus ; poule (corse, gallina) gallinacée, latin
gallina ; main (corse, manu) manier, manufacture, manuscrit, latin manus ; pied
(corse, pede) pédestre, pédicure, pédoncule, latin pedis ; foin (corse, fenu) fenil,
fenaison, latin, fenum.
En ce qui concerne l’orthographe :
On peut utiliser la connaissance de l’étymologie comme on a déjà pu le voir.
Pour savoir si un mot prend un s ou un c, il n’y a qu’à traduire le mot en
corse : si à la traduction on prononce l’s il faut un s. Exemples : sein (senu),
serein (serenu), serf (servu), etc. mais si à la traduction on prononce tch, il faut
un c. Exemples : centuple (tchentula), cerf (tcherviu), prince (printchipe), cens
(tchensu), etc.
Remarque analogue pour l’s supprimé, remplacé par un accent circonflexe et
qui se prononce presque toujours dans le mot corse : exemples : pâte (pasta), fenêtre (finestra), tête (testa), apôtre (apostulu), âne (asinu), croître (cresce), connaître
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(cunnosce), etc. Les élèves de notre pays comprendront beaucoup plus facilement
que ceux du continent, que ces mots prennent en français un accent circonflexe.
Ils apprendront aussi sans difficulté qu’il faut un s ou un t, dans certains mots
français. Il faut un s toutes les fois qu’à la traduction du mot on prononce l’s.
Exemples : passion (passione), pension (pensione), émulsion (emulsione), appréhension (apprensione), répulsion (repulsione), etc. Il faut un t lorsque, en traduisant le mot en corse on prononce comme s’il y avait un z. Exemples : émotion
(emuzione), nation (nazione), ambition (ambizione), population (pupulazione),
etc.
Il est aussi très facile de savoir si le mot prend en ou an. On mettra en, si le
mot correspondant corse se prononce ein. Exemples : monument (monumentu),
dent (dente), Pentecôte (Pentecoste), parent (parente), excellent (eccellente), etc.
On mettra an, si le mot correspondant en corse se prononce an. Exemples : panse
(panza), demande (dumanda), commander (cumandà), chanter (cantà), etc.
On peut aussi quelquefois recourir au corse pour connaître la lettre finale d’un
mot. Ainsi, on apprendra à un élève que dent se termine par un t, parce qu’en corse
on dit : dente ; cours se termine par un s, parce qu’on dit : corsu ; court, adjectif,
se termine par un t, parce qu’on dit : cortu ; camp, par un p, parce qu’on dit :
campu ; port par un t parce qu’on dit : portu ; paysan, par un n, parce qu’on dit :
fine ; rang, sang, étang, par g parce qu’on dit : rangu, sangue, stagnu, etc.
Il existe en français plusieurs formes de è (ai, et, es) et de in (ain, aim, in,
ein). En langue corse toutes les voyelles se prononcent, donc si on traduit tel mot
français où entre l’une des formes de è ou de in, on en trouvera aisément l’orthographe. Il faut ai, lorsque en corse on prononce a. Exemples : laine (lana), sain
(sanu), vain (vanu), pain (pane), saint (santu), etc. Il faut ei, lorsqu’on prononce
è. Exemples : veine (vena), peine (pena), reine (regina), sein (senu), etc. Il faut in
lorsqu’on prononce i. Exemples : fin (fine), crin (crinu), vin (vinu), pin (pinu), lin
(linu).
Nous croyons inutile de continuer cette énumération d’exemples pour montrer
que le corse peut être d’une grande utilité pour du vocabulaire et de l’orthographe.
Nous préférons ajouter qu’il peut contribuer comme toute langue à la formation
du style, en enrichissant l’esprit d’images que l’élève pourra évoquer au besoin.
De même la traduction du corse en français, et inversement, est loin d’être un
travail inutile pour la formation intellectuelle. Seul le bon corse doit être conservé
et cultivé. De même qu’il faut combattre l’envahissement de la langue française
par l’argot, de même il faut éviter le mauvais corse.
En résumé voici comment selon nous, on pourrait se servir du corse dans nos
écoles.
N’avoir que très discrètement recours au dialecte quand il est difficile d’apparenter des mots nouveaux français à des mots corses déjà connus de l’élève.
Remonter quand la chose est possible du français au corse (comme ce mot
corse sera souvent un mot latin, on fera ainsi – à son insu – du latin même dans
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les classes élémentaires, comme le demandaient quelques félibres mais selon une
autre méthode, et dans un autre but).
Pratiquer l’exercice inverse : un mot corse donné, choisir parmi ceux qui sont
presque latins – il y en a plus de mille – et chercher le mot français où se reconnaît
la même origine. Il serait nécessaire, dans ce cas, d’avoir un bon guide fait par un
spécialiste connaissant à fond le latin et le corse.
En employant ces modestes procédés, je crois que nous ferions œuvre de bon
ouvrier et que nous travaillerions à la fois pour le corse et pour la France.
Nous savons que pour certains esprits étroits – en Corse surtout – régionalisme
est synonyme de séparatisme. Comme les félibres continentaux nous faisons fi de
ces malveillantes insinuations, et nous tenons à affirmer que le plus grand affront
qu’on puisse faire à un Corse, c’est de l’accuser de séparatisme. Cependant,
comme les autres provinces françaises, et pour les mêmes motifs, nous avons le
droit de conserver, de cultiver et de répandre notre langue, et nous sommes avec
le baron Desazars de Montgailhard, majoral du félibrige et capiscol de l’Escola
Occitana, lorsqu’il dit :
« La France est la belle enchanteresse qu’on chérit pour son existence même,
avec laquelle le cœur ni ne discute ni ne compte, à laquelle il se donne tout entier
parce qu’elle lui plaît plus que tout autre sur la terre. Mais dans la France chérie
qui est la « patrie », il y a la France adorée qui est la « matrie » ; et cette France
adorée est celle de la maison familiale, où l’on est né, du berceau où l’on a dormi
enfant, du clocher qui a sonné toutes les joies et les douleurs de l’âme, de la terre
qui a gardé l’empreinte de la race avec sa langue indigène et ses traditions ethniques. On ne doit pas s’étonner que nous voulions célébrer nos fêtes provinciales
avec la même ferveur que nos fêtes nationales… » (Discours prononcé au banquet
de l’Escola Occitana, le 2 mai à Toulouse).
C’est pourquoi, en attendant qu’une loi vienne autoriser l’enseignement de
la langue corse à côté de l’enseignement du français, nous pensons qu’on pourrait déjà en tolérer ou plutôt en conseiller l’usage modéré et intelligent dans nos
écoles, dans l’intérêt même de la langue française.
Pour un avenir qui ne peut plus être lointain, de plus grands espoirs encore
nous sont permis. Les félibres provençaux et languedociens, ont déjà obtenu des
Pouvoirs publics le droit d’enseigner leur langue dans les lycées de Marseille, Aix,
Toulouse et Toulon ; nous autres félibres Corses, nous nourrissons l’espérance
que nos professeurs, nos instituteurs et nos institutrices seront un jour autorisés à
enseigner la nôtre à côté du français, dans toutes nos écoles primaires, et dans tous
nos établissements d’enseignement secondaire, car plus on connaît la Corse, son
histoire, sa langue, ses traditions, ses mœurs et ses coutumes, c’est-à-dire plus on
sera Corse, mieux on remplira ses devoirs de Français.
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DOCUMENT XVII
Un pocu di Regiunalisimu*
(1924)
Jean-Pierre Lucciardi
« Une langue qui meurt est un foyer qui s’éteint ; c’est une âme abandonnant
son destin qui est de traduire les vibrations les plus intimes, les plus profondes,
les plus secrètes de tout un peuple ; c’est un enrichissement du cœur et de l’esprit
qui disparaît.
Nous n’avons pas le droit de porter atteinte à une langue quelle qu’elle soit. Si
c’est la nôtre dont il s’agit, l’indifférence devant sa détresse devient un crime… »
Eccu cosa dice ind’u so primu numaru di u 27 jennaghiu scorsu, u giornale
Oc, stampatu a Tolusa.
Cioch’è bera pe a lingua oc, dev’esse, a piu forte ragione per noi Corsi,
vera pe a lingua corsa. Lascialla more, sarebbe a piu grande di l’infamie, e
u piu mostruosu d’i delitti. Infatti, tralascià a nostra lingua saria cume se no’
strangulassimu a nostra mamma ; cume se no’ rinunciassimu a i nostri antichi, e
a tuttu un passatu di glorie e di ricordj ; saria, infine, cume si no’ incatinassimu
e streziassimu l’anima corsa.
U jornu chi un parlarà piu sta lingua, u populu corsu un n’esisterà piu ; o
piuttostu, esisterà, ma senza l’energia, l’ideale e le qualità superiore, ch’hanu
inspiratu e resu celebri l’ommi cume Sampieru Corsu, Pasquale Paoli, Pozzu di
Borgu, Napulione, e… tant’altri.
In tutt’e parte di a Francia – e di u mondu – si cerca a parlà e a cultivà u so
parlatu nativu, e si face ogni sorte di sforzu per cunservallu intattu o amegliurallu :
Accademie, Sucietà, Scole, ecc… I scrittori regiunalisti so incuraggiti in tutte
manere. Si vede prufessori, litteratori, avucati, membri di l’Accademia francese,
e per finu a i Ministri, chi si facenu un onore di parlà e di scrive in d’a lingua di a
so pruvincia, e presentanu opare in d’i cuncorsi di e sucietà di lingua pruvinciale,
cuntenti e fieri quandu ottenenu qualchi premiu.
*
Extrait de : Lucciardi Jean-Pierre, « Un pocu di Regiunalisimu », A Muvra, 17 ferraghiu 1924,
n° 141.
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Ognunu è sempre prontu a mette a so influenza e u so valore intelelletuale
a u serviziu di a lingua chi l’imparonu e so mamme. E in d’i giurnali pulitichi ;
a la Camera di Deputati e dapertuttu, si dumanda chi ste lingue sianu imparate
in de scole – primarie, secundarie, superiore – accantu a la lingua francese.
E ragione ch’elli danu saltanu troppu all’occhj, e so tantu leghjttime, chi ste jente
hanu digià ricevutu un principiu di suddisfazione, e a speranu prestu tuttaffattu
cumpletta, grazia a tanta attività, a tanta unione, a tanta perseverenza, e a tanta
fede e passione in d’a so « lingua di sangue e di latte ».
Un n’è che in Corsica ch’i prugressi so guasi nulli, malgradu u zelu e l’energia
di certi regiunalisti. Da cosa dipenderà ? Un pocu dev’esse da l’indifferenza
– per un di u disprezzu – ch’i nostri letterati hanu sempre avutu pe a so lingua
nativa. A parlanu, qualchi bolta, è bera – a natura riclama i so diritti – ma un c’è
penseru ch’elli a scrivinu mai. A u cuntrariu, hanu l’aia di vulenne guasi a quelli
chi ne so cusi passiunati…
Avale chi tutti hanu apertu l’occhj cu a struzzione, aspettemu chi a lingua
corsa anch’ella, sorti di a so solitudine per vene occupà a piazza d’onore chi l’è
duvuta, in d’u Tempiu gliurosu chi a Litteratura ha alzatu a e lingue cunnusciute.
E si qualchidunu avessi l’ardire di vulella cuntrarià o cumbatte, u populu côrsu
all’unanimità, saperà mettelu a so piazza : quandu un’idea cammina, nunda pò
piu paralla.
L’ora di u risorgimentu di a nostra lingua è ghiunta. I differenti parlati, da
Bonifaziu a u Capu Côrsu, so in traccia di mettesi d’accordu per avè un solu
parlatu. Un sarà difficile, si tuttu u mondu cun sincerità e senza falzu amorpropriu,
ci mette un pocu di passione e assai bona vuluntà.
Speremu chi e Sucietà di lingua côrsa un staranu piu in l’aspettativa, ma si
daranu di rimenu per facilità stu travagliu, e per fà amà a nostra lingua, fendune
cunnosce e bellezze, c’una propaganda abile e intelligente.
Un ci vôle a perde di vista ch’i resultati un saranu decisivi fintantu chi
l’elementu feminile un venerà a u nostru succorsu cu a so intelligenza luminosa,
a so grazia, e u so cusi dolce surrisu. E per avè cun noi moglie, figliole e surelle,
ci vole a sapelle interessà e cummove c’una puesia pura e ideale, e cun raonti
pieni a sale, si, ma sempre scritti cun eleganza e bon sensu, e d’una muralità sana
e istruttiva.
U jornu chi a donna truvarà dilettu a leghie in d’a so lingua nativa, u so
cuncorsu l’avaremu, e a causa di u regiunalisimu côrsu sarà guadanta.
Ma micca prima.
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DOCUMENT XVIII
U jornu di a Merendella
in San Petru di Venacu*
(1925)
Jean-Pierre Lucciardi
U mio primu salutu è per Pinelli,
A le Muse rapitu a vintun’annu.
Salutu i so parenti… e tutti quelli
A quale lu Destinu fu tirannu.
E li pueta chi hanu avutu doli
Saperanu chi a pienghie un funu soli.
Qui, Santu Casanova, è veneratu.
Li facciu cun rispettu un
cumplimentu.
Colmu d’onori e da tutti stimatu,
Anni, ch’ellu ne campi piu che centu.
Cu la stessa balla e cun piu estru,
Puetà possa sempre da Maestru.
E vi salutu a voi, anfarti Corsi
Chi A Muvra, in Foce, avia riunitu.
Stringu la manu all’altri chi so corsi,
Cuntenti di risponde a u nostru invitu,
Per onorà cun poma e passione
A lingua di le nostre arci-mamone.
Ste dame, e damicelle, salutemu.
D’esse junte qui, cusi numerose,
Tutti di core vi ringraziemu,
*
O specchj di virtù, caste, e vizzose.
Cuntemu sopra lu vostru cuncorsu
Per scrive e per parlà sempre lu corsu.
Di stu bellu paese chi m’è a core,
Salutu apparu la pupulazione.
Grazie, di st’accuglianza, e di st’onore
Ma’ piu si pò pattà st’obligazione.
Furtuna chi qui l’usu è chi si deve
Ad altri rende u bè chi si riceve.
Felicitu, e salutu li scrittori
Chi ci hanu datu, st’annu, opere rare.
Hanu crisciutu, a Cirnu, ammiratori.
E ste terre, per noi, so ancu piu care.
A grammatica corsa sparghie l’ale
Grazia, à Tiziu, Carlotti, e Maistrale.
Che un m’abbia da scurdà di a
Mufrarella,
Ne di lu so distintu Direttore
Chi ha datu lu so core a Cursichella.
Ammiru l’energia e lu calore
Ch’ellu mette, a difendu in sti
reghioni,
A lingua di li nostri caccaroni.
Extrait de : Lucciardi Jean-Pierre, « U jornu di a Merendella in San Petru di Venacu », Le Petit
Bastiais, vendredi 21 août 1925.
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LES LUCCIARDI – UNE FAMILLE CORSE DE POÈTES ET D’INSTITUTEURS
Eppò salutu a perte, u sciò
Ghiannettu,
Di lu Teatru Corsu fundatore.
A sta lingua s’è datu cun dilettu,
E secundatu è d’omi di valore.
Ancun fra u gentil sessu ha sceltu a
prese,
Quelle piu intelligente e piu curtese.
Artisti Sampetracci ! vi preghemu
Prusperità, successi, e longa vita.
Cun voi per ogni pieve passaremu
A vede a lingua corsa applaudita.
Cusi smariscerà la malattia
Di stu parlatu ch’era all’agunia.
Andate pe i paesi e le città,
E piaghie, le campagne, e’ gni
quartieru ;
E mai un vi stancate di parlà
A lingua chi parlò sempre Sampieru.
A sola da Sambucucciu impiegata
Pe a Terra del Comune emancipata.
Pertuttu, di l’antichi esaltarete
U meritu, u curaggiu, e lu valore,
Di tutte e so virtù voi parlarete :
Di la so fedeltà, di u so fervore ;
E quantu cu l’amici e cu i fresteri
Eranu rispettosi, e ‘spitalieri.
Quantu la so parola era sacrata,
E cum’eranu schiavi di l’onore ;
Quantu a donna adultera fu esecrata,
E cum’era abburritu u traditore.
L’impustori quant’eranu odiati,
E i vigliacchi aviliti e disprezzati.
Eppoi insisterete a fà risorte
L’affettu ch’elle avianu pe i soi.
Amor un ci pò esse di piu forte,
Fora di l’amor patriu. E fra l’Eroi,
Qual’è piu che lu Corsu passiunatu
Pe i loghi duve lu so babbu è natu ?
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Quandu s’agiscerà di la « Vindetta »,
Quant’è pussibile, li scusarete.
Perchè st’usanza trista, e maladetta,
Da Jenua è venuta, la sapete.
Su populu crudel, furbu, e rapace,
Di prutegge a justizia era incapace.
Nantu la vostra scena prisentate
E cose le piu nobile e sublime
Ch’in Cirnu so accadute. Eppò cantate
Quelle canzone in cusi ricche rime
Chi toccanu e cummovenu lu core,
Siasi da l’allegria, o da u dulore.
Eccuci ritti, e pronti pe a Cruciata
In favore di a lingua dolce e chiara
Chi nantu e so dinocchie a ci ha
imparata
Cun raconti, preghere, e duttrinella,
Cu a so voce amurosa e cusi bella.
U corsu u parlaremu in casa e in
chiesa ;
P’e piazze, in d’i pretorj, in tutte e
scole.
Per chi sta chiama in Cirnu sia intesa
Da e mamme, incuraggite cu e figliole
A preferanza, saranu impiegati
I termini puliti e piu sinnati.
Cusi u nostru parlatu piacerà
Ancu a la jente culta piu capita.
Di a nostra lingua un c’emu da
scurdà,
Altrimente per sempre c’è nebbita
A piu cara di e suddisfazione :
D’avè una Patria a se, d’avè un
fucone.
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DOCUMENT XIX
U castagnu*
(1925)
Jean-Pierre Lucciardi
Fin chi u Côrsu ha tenutu contu di e risorse ch’elli l’hanu lasciatu i so antichi,
un c’è statu tantu male. Ma dopu ch’ell’ha intimatu guerra a u castagnu, e cose
hanu cambiatu d’aspettu ; l’avenire di a Corsica si presenta tantu tristu, chi un
ghietta che fretu e spaventu in core : e campagne so abandunate, e l’emigrazione
d’i Côrsi diventa un flagellu pè stu paese.
Si i nostri antichi hanu pudutu tene per tant’anni fronte a i Ienuvesi, è statu
grazia a u castagnu. Ellu, cun pocu travagliu ci dà in bundanza u so fruttu
inzuccaratu, chi si pò manghià crudu, còttu e in farina ; e in ogni modu è sanu e
nutritivu.
Quant’era dilettevule, trent’anni fà, una passighiata pè a Castagniccia, in
d’i mesi d’ottobre e di novembre. Tutti quelli castagneti eranu pieni di iente
in traccia di coglie castagne, ômi e donne, chiughi e grandi partianu a matina,
nanzu iornu e un rientravanu che a sera a notte, perchè ognunu tenia a finì, a u
piu prestu, a so raccolta.
Quanti canti e quante chiaccherate si sentia per quelli castagneti ! E, a sera,
chi beghie cusì cuntente e agradevule si passava in quelli grataghi, inchirchiati
dinenzu a quelle frissughiate di fagiole, e, accantu, buttiglioni di vinu bianculellu
o chiaraginu ! Quanti stalvatoghi, quanti ioghi innucenti, e quante paghielle
intornu a quelli fochi imburrati cume furnace.
Ma cume i tempi sò cambiati ! Pè i castagneti un si sentenu piu quelle voce
fresche e latine, ne quelle risate di côre ; si sentenu i colpi secchi di l’accetta,
seguitati, di tantu in tantu, da un rumore strepitosu – un veru gridu di spaventu e
di morte – di l’arburu tagliatu chi casca. U rughiu bordu e rantanosu di u sigone
v’acchiuva u côre… I mulatteri si ioganu a chi piu pò mette i piu belli sunagliuli a
*
Extrait de : Lucciardi Jean-Pierre, « U Castagnu », L’Altagna, rivista litteraria bismetrinca,
sittembre-uttobre 1925, p. 14-15.
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LES LUCCIARDI – UNE FAMILLE CORSE DE POÈTES ET D’INSTITUTEURS
i cavizzoni di e so mule. E u sonu di se squille pare u murtoriu pietosu chi si sona
a u castagnu, tagliatu, cascatu, e tazzatu prestu in scandule, da i lignaghioli.
E sucietà di u cumerciu di a tinta, s’ingrassanu a e spalle di i Côrsi chi, un
sapendu piu mustrà i denti, mostranu e coste nude.
Quantu durerà a cecaghina di i Côrsi ? Quantu durerà st’accanimentu contru
l’arburu chi ci dà u frescu d’estate, a legna per l’invernu, e a pruvista per
l’annata ?
A tutti l’ômi di côre – sò sempre abbastanza numerosi in Corsica – di fà vede
e tuccà, chi taliendu i so castagni, u Côrsu zappa a so indipendenza e a so libertà,
e face a so ruvina e quelle di l’isula profumata.
A un male cusi grande, a una piaga cusi prufonda, ci vole un rimediu prontu,
energicu, e efficace. Quale sarà u primu chi averà u curaggiu d’insignaccilu ?
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DOCUMENTS
DOCUMENT XX
A Santu Casanova*
(1927)
Jean-Pierre Lucciardi
Erisera, un rimprovaru tamantu
Mi venne da un pueta di Bastia :
« Chi diancine ti piglia, mi dicia,
Di cessà li ricocchi di u to cantu,
E d’esse cun noi altri sordu e mutu,
Senza risponde piu a nisun salutu.
« Piglia sa cetra, e c’una penna nova,
In l’acque d’Ipocrene stimparata,
Accorda la to piu bella sunata,
In onore di Santu Casanova.
E sappia chi Bastia li prepara
Una festa sulenne, augusta e rara.
Tutti apparu, i pueti rinumati,
E li scrittori Corsi piu distinti,
Di u mertu di ziu Santu so cunvinti,
E d’esse i so sculari so’ onorati.
Sanu chi ha datu a Cirnu cun fervore,
U so tempu, a so scenza e lu so core.
« Ha trovu a lingua corsa abandunata,
Cherca a musinu, e’gnuratu da tutti.
Un erburu spugliatu, e senza frutti,
Cu le vergogne nude, a sciaurata.
E scalza, e scapigliata, sa nucente !
Pe li reghioni corsi, sempre errente.
*
Extrait de : Lucciardi Jean-Pierre, « A Santu Casanova » Le Petit Bastiais, jeudi 17 juin 1926.
Lucciardi J.-P., « A Santu Casanova », U Fucone, revue de littérature et d’études corses,
20 février 1927, n° 2, p. 29-31.
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« A si riguara cume una figliola ;
Ma pocu fiatu avia, a curciarella.
A trovu dilicata, bianca e snella,
A si strigne a lu core, e la cunsola.
A lava, a veste, spiglia i so capelli,
E adorna lu so fronte di giuielli.
Eppò la fissa. E cume accadì a Dante,
Quand’ebbe rincuntratu a Beatrice,
Di servela in dinocchie, ell’è felice…
E diventò all’istante lu so amante.
Sacrificatu li ha lu so riposu,
Ma puru essendu schiavu, un fu ghielosu.
Avale a Lingua Corsa è una signora !
Amata, rispettata e riverita.
Un si trova una lingua piu cumpita,
Più linda, piu suave, e piu sonora.
Dapertuttu ha pigliatu la so losa,
Da tantu ch’è fiurita e armuniosa.
A deve pò a Ziu Santu : li s’inchina,
A veste cu le sete piu opulente ;
Cu so parlatu chiaru incanta e jente,
E n’ha fattu di e lingue, la Regina,
L’ha messa in d’una casa ariosa e sana,
Ch’ognunu ha vistu e amatu : A Tramuntana.
Eppò ha scrittu in sa lingua opare rare :
Testamenti, canzone, e serinati ;
Ricurdanze, o raconti imaginati
Pieni a muralità, instruttive e chiare.
Puemi piu sublimi mai si vide :
Si qualchi volta pienghie, spessu ride.
« Un credu pò chi Cirnu, cun decoru,
Possa pagà su debitu tamantu.
E bera, ch’un s’aspetta da ziu Santu
Dumande di favori, e menu d’oru.
A sola ricumpensa ch’ellu brama,
E chi s’abbia piu amore per sta Mamma.
« U Corsu ha i so difetti, ma un’è ingratu :
E ricunosce a chi li face onore,
Ognunu si farà un duvere a corre
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A la chiama di u nostru Cumitatu
Per festighià ziu Santu ci vurria
Chi Cirnu, a schiere, scalassi in Bastia.
« Nisunu mancherà, speru a la chiama
Ch’hanu fattu Franceschi, cun de Mari,
E Vecchini, e Guitet… ed’altri cari,
Ferventi di u parlà di a nostra Mamma.
Tutti ci junghiaranu, e tu Lucciardi.
Cum’è chi trichi tantu… dopu è tardi »
Spintu da lu to amore, o Lingua Corsa,
E per l’affettu che portu a ziu Santu,
Aghiu accupiattu in freccia lu mio cantu,
Ed’eccumi in Bastia in d’una corsa ;
Cuntentu di purtà una petricella,
A u tempiu di a to lingua, o Cursichella !
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LES LUCCIARDI – UNE FAMILLE CORSE DE POÈTES ET D’INSTITUTEURS
DOCUMENT XXI
Anton Sebastianu Lucciardi
dettu Prete Biasgiu. (Note biografiche)*
(1927)
Jean-Pierre Lucciardi
Anton-Sebastianu Lucciardi, dettu prete Biasgiu, è natu a Santu-Petru-diTenda in 1771 – u so attu di battezzimu è di u 14 aprile – figliolu di DumenicuMaria Lucciardi, e di Maria-Rosa nata Castagno. Era l’ultimu natu di una
numerosa famiglia. E mortu a Santu-Petru-di-Tenda u 14 decembre 1860, all’età
di novant’anni.
Era un omu avenente e a la manu cun tutti. Grande di taglia, ben prupurziunatu,
l’occhj vivi e neri, avia un’eria patriarcale cu a so capillera bianca e abundente chi
l’inguadrava a so faccia cume un’aureola.
A so voce benchè forte, era dolce e carizzente, c’una gran facilità di parolla,
accumpagnata da gesti assai espressivi. A so cunversazione, istruttiva e agradevule,
fu sempre ricircata, ancu da e persone benistente di u Nebbiu, e d’altri paesi, chi
ghiunghianu spessu a truvallu. Dund’ellu andassi, a casa s’empia prestu di mondu,
e u jornu, o a sera a beghia, om’un si stancava mai di senteli diclamà canzone, o
racuntà stalvatoghj.
Da ch’ell’era ancu chiucucciu, u so ziu chernale Paulu-Maria Lucciardi, quellu
stessu chi u battizzò – u quale dopu esse statu viceparocu in Santu-Petru, fu curatu
in Farinole, eppò arciprete di Muratu – u si purtò cun ellu per fanne un prete. Ma,
Anton-Sebastianu, dopu avè già pigliatu l’abitu, ci rinunciò malgradu e preghere
di u so ziu, e l’insistenza di tutti i so parenti. Cusi si spiega a bona istruzzione
ch’ell’avia ricevutu in quelli tempi duve e persone culte eranu piuttostu rare, e u
cugnome chi li detenu di prete Biasgiu.
Purtantu, tenutu in altu stima da i sacerdoti, d’i quali era sempre l’amicu,
prete Biasgiu un cessò mai di frequentà a chiesa, e ajutava, c’u so cantu e c’u so
cuncorsu, in tutt’e feste, a sulennizzà messe e uffizi.
*
Extrait de : Lucciardi Jean-Pierre, « Anton Sebastianu Lucciardi dettu Prete Biasgiu (Note
biografiche) », U Fucone, revue de littérature et d’études corses, août 1927, p. 25-33.
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DOCUMENTS
I so antichi avianu occupatu in Santu-Petru, l’alte cherghe municipale. U guadru
principale – una Discesa di a Croce – chi trova in di a cappella di e Figlie di Maria
di a chiesa parucchiale, è statu rigalatu da un so zione, u culunnellu Lucciardi.
Questu avia servitu in Italia o in Grecia, un si sà a u sicuru, perchè i so tituli scritti
nantu cherta pecura – in lingua greca si crede – cunfidati versu 1850, a un prete di
Santu-Pedru – un omonimu chi facia i so studj a Roma – per ch’ellu ne fessi fà a
traduzione e avenne spiegazione, so stati persi, almenu chi un sianu stati messi in
locu sicuru, cume certuni pretendenu, ma cosa noi esitemu a crede.
Di u so matrimoniu cun Maria-Stella Alessandri, prete Biasgiu ci avebbe un
mascu e una femmina. St’ultima, Maria Elisabetta (Risavetta), morse celibataria in
1868 ; ma u so mascu, Juvan-Filippu, mortu in 1852, lasciò quattru maschi e duie
femmine, chi avebbenu guasi tutti una famiglia abbastanza numerosa.
Anton-Sebastianu Lucciardi fu maestru di scola in di u so paese, prima di a
legge di 1833, sopra l’insignamentu primariu. I so sculari ne eranu assai cuntenti,
e quelli chi avemu cunusciutu ne faciamu sempre i piu grandi elogi. Facia scola
in di a cappella di San-Bastianu, santu spessu invucatu, pe u quale c’è a piu gran
divuzione in stu paese.
Era un bon pueta pupulare. Scrivia u corsu e u talianu cu a stessa facilità e
c’un’inspirazione entusiasta.
U so versu è chiaru e luminosu, a so rima ricca e spinpillente. Parlava e scrivia
curettamente ancu a lingua frencese – fu sargente di l’ermate di a Prima Republica
– ma à nostra cunuscenza, un l’ha mai impiegata in di e so puesie.
I suggetti ch’ellu trattava eranu pigliati fra i fatti diversi chi accadianu in
paese, o in di e vicinanze : morte di cani, di galli, lamenti e voceri faceti, cuntrasti
di donne, ecc… E canzone San-Gavinacce rispondenu a un scherzu fattu a una
prucessione di Santu-Petru, a sera di u vennari santu.
In nisuna di e so puesie – tutte piene di sincerità e di decenza – un ci ha messu
odiu ne gattivera, ma un spirtu assai piecevule, sempre ispiratu da un estru pueticu
d’i piu ludevuli. Cosa face chi e so canzone so sempre in voga pe u Nebbiu, e so
cantate ancu da i discendenti stessi di e persone messe in causa.
In tempu di cugliera d’alive, e di racolta di granu, si sente spessu pe i nostri
campi una voce fresca e chiara chi sorte cun qualchi strofa di se canzone, a laquale
risponde guasi sempre un’altra voce cristallina e allegra cu a strofa chi seguita.
A so cummediola « Mamma-Sò » fu raprisentata pè a prima volta in piezza a
Campiendi u Merti-Grassu di chernevale di l’annu 1821, in presenza di numerosi
amatori, ghiunti da tutti i paesi di u Nebbiu, e da Bastia. I magistrati di sa città
ci assistinu guasi tutti, e avianu prestatu e so toghe e altri pannamenti per dà piu
spiccu a la raprisentazione data in su teatru impruvisatu. U successu fu un si pò piu
grande. E grande fu a voga di u testamentu di Mamma-Mozza, quellu di u lamentu
di u cane di Vecchiolu, di a Vietulina, di E tabaccone… e di tutte e so puesie. E piu
pupulare so u Lamentu di Togliaccia, e quellu di U gallu di Vecchiolu.
Un ne fece mai stampà una di e so canzone, ne mancu e scrivia, perchè e tenia
tutte ammente, avendu una memoria di e piu felice.
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Purtantu so state tutte cupiate – dittate da ellu stessu – da l’abbate Carlu Paulu
Casta, un so niputinu – anticu scularu di u cullegiu Pio a Roma – mortu in 1920,
arciprete di Santa-Maria di Bastia. Su preziosu manuscrittu chi l’arciprete prestò a
un amicu un li fu mai resu, e avale è persa a speranza di ritruvallu.
Pocu tempu nenzu a so morte, l’arciprete Casta ci dicia : « E piu belle puesie
di ziu prete Biasgiu so state perse ; e quelle chi avete pussutu riunì un raprisentanu
mancu a quinta perte di quelle ch’ell’ha cumpostu : A bucertula a duie code,
L’Angoscie d’una topa, Cunfidenze d’un pastore… e tant’altre eranu cuncetti
sublimi, d’una semplicità rara, e d’una dilicatezza squisita e cumuvente ».
I puemi chi prisentemu qui, a u publicu, so stati tutti stampati in l’Almanacchi
o buggerdelli – l’Artigiano, Il Cirneo o Il pescator di Chiaravalle – di Bastia,
da 1910 a 1915. Avemu pussutu ricustituilli guasi intieramente, ringraziendu a
memoria e a bona vuluntà d’i vecchj di u paese, chi ci riuscinu, ajutendusi unu cu
l’altru.
Citaremu i fatti seguenti per dà un’idea di u carattere di stu scrittore corsu.
Quandu u marchese De Riviere junse in casa de Petriconi, a Santu-Petru, in
1815, prete Biasgiu l’inviò una puesia chi li piacì assai. De Riviere u face chiamà
e dice : – Dumandatemi qualunque sia impiegu, for che quellu di Pricurator
generale ch’è già prumessa ». – Numinatemi purtieru a San-Fiurenzu », rispose
prete Biasgiu. De Riviere vultendusi versu u prefettu de Petriconi, dice : « St’omu
un’è l’autore di a bella puesia ch’aghiu ricevutu, o allora è scemmu ».
– Pè i tempi chi correnu, e sopratuttu a la mio età, nenzu che accettà impieghi,
è ancu megliu a pientà ogliastre, o sciò marchese », disse prete Biasgiu.
De Rivière, trinnichendu u capu murmurò fra denti : « O scemmu ligatoghiu, o
troppu astutu » (ou fou à lier, ou trop sage).- 3 Chi libaru po stà nun s’incateni »,
conclude cun stu pruverbiu u nostru pueta, chi preferia a vita rustica, ma libara, di
u paisanu, a quella piu sfaccendata, è bera, ma suttumessa, di l’impiegatu.
Una volta, rientrendu da Campu-Castincu in Santu-Petru, prete Biasgiu
rincuntrò dui giuvanotti d’un paese vicinu, chi andavanu a travaglià in pieghia
di l’Agriate. Videndu chi un lu cunuscianu micca, li dumandò : « Cum’è chi bi
n’andate in pieghia c’una jurnata simile. – E percosa, c’è forse qualcosa di novu ?
– Un la sapete micca. E mortu prete Biasgiu, e s’interra dumane ». I dui giuvanotti
senza piu riflette, voltanu addaretu di tutta corsa. Ghiunti in paese, ne sperghienu
a nutizia, e tutta a pupulazione si riunisce in piezza di a chiesa per rallegrassi in
cumunu.
U so prete corre anch’ellu, e dumanda a chi onore è tamanta cuntentezza. « E
mortu prete Biasgiu, chi ci ha tantu satiratu, li dicenu. – E cume a sapete ? – Portanu
a nutizia sti dui giuvanotti chi ghiughienu avale da Santu-Petru. – Campane a
murtoriu n’avete intesu sunà, à Santu-Petru ? » Si guerdonu tutti cume imbisistiti… eppò stipasi rabbiosi a i dui pullastroni, chi pobbenu ringrazià a lestessa di e
so gambe, s’elli un’ebbenu e coste tronche e peste da e rastulate.
Un ghiornu, un giuvanottu di Rutali junghie in casa di prete Biasgiu, e dice
ch’era venutu apposta per ch’ellu li fessi una canzona. – Una canzona ? face
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questu. Credi forse ch’elle si tenganu a parastasgi pieni, imbucinate in d’e scatule,
cume l’acciole di u filu casanu ? – Riditevine puru, un face nunda, ma sappiate
che so persu per una giuvinotta, e un vole a nisun contu accunsente a maritassi
cun me. – Allora credi ch possa scunvincela eju, senza mancu cunoscela ! –
Per appuntu. C’una canzona ben fatta, pudereste truvà i tasti piu sensibili chi li
tocchinu u core. A vi dumandu per piecè, fatemila che a possa cantà sottu e so
purtelle, perchè finisciarà per fà qualchi scimmità se un la spusassi. Si a canzona li
piece, so cunvintu ch’ella un ricusa micca… » Tanta semplicità e tamanta passione
piecinu a prete Biasgiu. Si rinsignò un pocu sopra a zitella, eppò disse : « Avà,
femu cullazione, dopu averai a to canzona. »
Un si passò mancu un mese ch’ebbe locu u matrimoniu.
Duie o tre semane dopu, eccuti u giuvanottu chi ghiunse a ringrazià u pueta,
e dumandò quantu li duvia. – Canzone un si ne vende, disse prete Biasgiu, e mi
maravigliu assai d’i to discorsi. Meriteresti che ne fessi una per chi a to moglie
ti lasciassi. – Innò, bidè, sciò prete Biasgiu, un fate quessa, tumbatemi piuttostu,
disse u giuvanottu… Prete Biasgiu si fece una risata.
Pocu tempu dopu truvò, a mattina, nantu u so purtellu, una bellissima tabacchera
nova framente piena a tabaccu in presa di u piu bonu.
A figliola di prete Biasgiu, Risavetta, un pudia soffre chi u babbu avessi ricusatu
l’impiegu chi li fu offertu. E tutte le volte ch’ellu parlava di gattiva annata o di
carestia, un mancava mai di dilli : « Almenu statevi zittu, o bà. Avareste pussutu
assicurà u benistà di a vostra famiglia, e allevalla tutta in signuria, ma un sapeste
prufittà di a furtuna quand’ella vi s’incorse appressu ». – A credu, rispundia prete
Biasgiu, fendusi una scaccanata, vulie purtà u cappellettu, nè, o Risavè ? Or bai a
coglie l’alive, s’ell’un ti dispiece. Un sai chi u lussu e l’orgogliu so a ruvina di e
case… »
Un certu Paul’Orsinu, di un paese vicinu a Santu-Petru, sapendu chi prete
Biasgiu preparava canzone satiriche contru uni pocchi d’i so paisani, purtò un
bellu caprittone a u pueta, e li dumandò per favore, ch’ell’un parlassi d’ellu in se
canzone.
Prete Biasgiu li prumisse di un dinne nisun male, e infatti, un lu tuccò che cu
a strofa seguente :
Di Paul’Orsino poi non parlo male
Ma un imprestitu sol vurria da ello :
Per poter presentarmi al Generale,
Vurria li scarpi fini del fratello.
Or si truvava chi su giovanu chi avia già piu di vint’anni, un’avia mai purtatu
scherpi ne zocculi e andava sempre, cume si dice, a zampe pullitrine : Inde iræ.
Un genderme in residenza a Santu-Petru, avia dumandatu in matrimoniu a
figliola di prete Biasgiu. Ma questa un tenia a maritassi, perchè s’era affeziunata
pe i so niputucci, chi a morte prematura di u so fratellu avia lasciatu orfanelli.
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Qualchi tempu dopu stu genderme fu cambiatu e invitatu in Calacuccia. Si
prete Biasgiu vulia fà spazientà a so figliola, bastava ch’ellu li dicessi : « Senti
qui sta bella canona, o Risavè, e dimmi s’ella ti piece ;
Quandu trinnegu l’ancuccia
Mi la possu trinnigà ;
U mio amicu è in Calacuccia
Chi sà quandu turnarà…
– Avete l’asgiu, vidè, li rispundia a figliola, e l’oziu è maggior di tutt’i vizi…
E qualchi bolta stava ancu a belle ore sane senza piu parlalli, fenduli un palmu
e piu di musu.
Anton-Sebastianu Lucciardi s’occupava d’agricultura. I so discendenti
pussedenu anch’oghie, un chiosu d’alive, a Tighiella, ch’ell’avia in gran perte
pientatu o insitatu da per ellu.
Cume u lavuratore di fabulista, un si stancava mai di ripete a i so figliulini
– i figlioli di u so figliolu – e a ricumandassi chi un ci vulia micca a vende su locu
– riundu d’i so sudori – quale fussinu e circunstanze, o i bisogni di a famiglia.
« Vindite piuttostu a vostra casa, li dicia, ne pudareste fà un’altra ; ma un tuccate
all’alive chi un le rimpiezzereste forse piu. » E cusi fecenu : Vindinu a casa, ma
tensenu l’alive…
Pudariamu allungà a ‘infilarata d’i tratti caratteristichi, duve u bon sensu,
l’estru pueticu, o a curiosità di st’omu si so dati libaru corsu, ma qui ci restemu,
sperendu chi u lettore ci scusarà.
Prete Biasgiu era cunusciutu e rinumatu pe u so spitu prontu, e p’e so risposte
sempre piene a sale. E tanti e tanti, ommi e donne, pisavanu e so parolle prima
di parlà, per chi un li fussinu rapurtate, e pudè serve di tema a una canona
umoristica, o a qualchi stalvatoghiu ch’ellu avarebbe abbellitu, e per sicuru,
cunditu cun spezie rare e savurite.
Cume l’avemu detta principiendu, Anton-Sebastianu morse all’età di
novant’anni. Un fu mai malatu, e a so faccia, bianca e tennericciata, paria u
ritrattu di a salute.
Sempre di bon umore e a boccarisa, cunservò finu all’ultimu mumentu tutta a
so sensibilità e a so lucidità di spirtu. U jornu di a so morte, a mattina, un s’alzò
micca di lettu, perchè « si sentia un pocu stancu e cume infrebbicciatu », disse
cu a figliola.
Versu ondeci ore, mentre ch’ellu dicia cosa l’avianu da preparà pe a cullazione,
senza fà una scossa, ne tirà un lagnu, si spense cume una lumera chi un ha piu
oliu.
Ebbe a suddisfazione di pudè azzicà in di u so veculu i figlioli d’i so figliulini.
J.-P. Lucciardi
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DOCUMENT XXII
I Capurali Castinchi.
Spigulature storiche*
(1928)
Jean-Pierre Lucciardi
Di tutte l’antiche famiglie istoriche di a Corsica, quella d’i Casta o
« Castinchi », è forse a sola chi un’abbia lasciatu nisun scrittu o documentu
cuncernendula, ne nisuna discendenza diretta chi a raprisenti : tutti quelli chi
portanu su nome, si ne ponu prevale, cridemu, a l’istessu titulu.
Siasi chi sta famiglia cusi prulifica abbia persu a so influenza e u so putere,
a misura chi e so richezze si sbrisgiulavanu fra i so numerosi eredi, o siasi chi
fendu una guerra tantu accanita fra elli parenti, si sianu cumplettamente ruvinati
in se lutte, u fattu è chi a nostra storia un ne face piu menzione a perte da u principiu di u XVIIe seculu.
« I Casta, dice l’istoricu corsu Filippini, discendianu di un certu vecchiu di
San-Salvadore chi abitava l’Agriate a u locu dettu Casta. Era un omu assai riccu
tantu in bene ecclesiastichi che seculari. I so discendenti andetenu a stabilissi
piu terdi a Poghiu di Santu-Petru, in di u Nebbiu. Un volsenu lascià u so nome o
sopranome di Casta, enzi l’hanu cunservatu, e sa famiglia è stata distinta in tutti
i tempi, cume n’importa chi famiglia di a Corsica.
U primu chi andete a stabilissi a Santu-Petru fu Deodatu Casta. Avebbe dui
figlioli : Lucianu e Barnabò. Da si dui fratelli vennenu e discordie e le disunione
chi si stesenu guasi in l’isula intiera, sopratuttu in di u di quà da i Monti. Di sa
famiglia so surtiti i Capurali Castinchi… »
Deodatu Casta avia spusatu una figliola di Rinucciu Cortinchi, e a caccara di
Giovanni della Grossa era una Casta.
Mgr Girolami Cortona, a la pagina 231 di a so « Géographie générale de la
Corse » dice, ma purtantu senza precisà : « Sta famiglia di Capurali ha datu
Officiali Generali a Venezia, prelati a la Chiesa e patriotti à la Corsica. »
*
Extrait de : Lucciardi Jean-Pierre, « I Capurali Castinchi. Spigulature storiche », U Fucone.
Revue de littérature et d’études corses, juin 1928, n° 4, p. 25-4.
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LES LUCCIARDI – UNE FAMILLE CORSE DE POÈTES ET D’INSTITUTEURS
U so putere si stendia in d’una patita di u Nebbiu e in l’Agriate. Pussedianu a torra
di l’Ortela in l’Agriate ; quelle di a Casa a Casta, di Brumica, di Pietra all’Errata,
senza cuntà altri punti furtificati per tene in rispettu i so nimici. Da se torre pudianu
cumunica fra elli cun signali, u jornu, e cun fochi, a notte. E pupulazione l’eranu
suttumesse e fidate, perchè eranu prutette da elli in tutte e circustanze, e prufittavanu
lergamente di e prede o depretazione ch’elli fecianu tantu spessu.
Sti Capurali eranu fra i piu turbulenti di a Corsica, e passavanu facilmente
da un partitu all’altru, o da una Famiglia all’altra, nun sulamente guidati da i so
interessi o da i so capricci, ma sopratuttu per pudè noce piu crudelmente a i so
nimici, fra i quali ci si truvava sempre assai d’i so parenti.
E bera ch’in si tempi – u XIVu e u XVu seculu – e jente un’eranu guidate ne
da i sentimenti di u core, ne da l’amore di u prossimu, e in Corsica piu che altrò,
e nimicizie fra e famiglie, eranu sempre azzizzate e intrattenute cun perfidia e
crudeltà da i guvernenti chi ci vidianu u mezzu radicale, e forse unicu, di pudè
dumà una razza cusi passiunata pe a libertà, e avida d’indipendenza.
In di a lutta fra i Casgiunacci e i Ristagnacci, duve fu mischiata a Corsica sana,
i Castinchi funu pe i Ristagnacci, e Dodatu Casta accumpagnava u guvernatore
Tridanu, a Venzulasca, quandu nascì un azzuffu in su locu, e chi Tridanu fu tombu.
Lucianu Casta figliolu di Deodatu, fu unu d’i primi Capurali numinati, e fu
accoltu cun riguerdi da u Re d’Aragona, Alfonso V dettu u Saviu o u Magnanimu,
u quale accordò tituli di nubiltà a Carlu Casta, figliolu di Lucianu prenuminatu.
Ma quessa un n’impedì a Carlu d’andà piu terdi in di u dilà da i Monti, a fa a
guerra a u Conte Vincentellu d’Istria, raprisentente d’Alfonsu, e durente qualchi
tempu, vici-Rè di a Corsica.
Lucianu e u so fratellu Barnabò, Capurale anch’ellu, appughionu a Simone
da Mare, eppò si messenu cun Janus di Campofregoso, contru Rinucciu di Leca,
u quale fu vintu. Ma cume Rinucciu era parente d’i Casta e d’i Cortinchi, un fu
micca fattu prigiuneru. Janus ne fu assai scuntentu, e fece imprigiunà a Biguglia,
Lucianu di Casta e l’altri Capurali. L’avarebbe ancu fatti tumbà tutti s’ell’un
timia e cunsequenze d’un attu cusi arbitrariu e cusi temerariu.
In prigione Lucianu da Casta fu autorizzatu a parlà, in presenza di guerdiani,
a un d’i so dumestichi chi duvia andà a Poghiu di Casta, e li disse (eramu in
tempu di sumente) : « Diciarai a u mio figliolu Ghiuvanninellu, ch’ellu si spicci
pe i lavori, perchè u tempu è avanzatu e pò minaccia. E per fà piu prestu, ch’ellu
incoppj inseme i dui boi piu grandi ch’ell’ha… »
Ghiuvanninellu capi chi un si trattava micca di lavoro, ma di guerra ; Un
perde tempu. Si lampa in Cinarca e si mette d’accordu c’u Conte Polu della
Rocca, e cun Rinucciu di Leca. Janus mette subitu tutti i prigiuneri in libertà.
Lucianu morse in 1450. I so figlioli e i so figliulini, cume puru quelli di
Bernabò, cuntinuanu a lutta cu a stessa incustanza che i so vecchj. Eranu diventati
assai putenti, e s’eranu imparentati cu e principale famiglie di Corsica : Leca,
Omessa, Cortinchi, Istria, ecc.
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Calu e Rinucciu di Casta, un pobbenu difende Biguglia assediata da u
guvernatore Tommasino di Campofregoso, e per cunservà u castellu di Nonza
funu custretti a mettesi d’accordu cun ellu.
Carlu di Casta, u Capurale piu putente chi ci fussi in l’isula, in quelli tempi, e u
piu tenutu e simatu da u duca di Milanu, rinumatu pe a so justizia assai rigurosa, fu
sceltu da u populu corsu per rivindicà i so diritti non ricunusciuti. Percorse tutta a
Corsica c’un gran seguaggiu, parlendu in patrone assolutu, e cunvucò una veduta
a Biguglia. Fu un veru miraculu di pudè evità chi a sanguiniccia un currissi a fiumi
fra i dui partiti, cusi mal disposti unu contru l’altru, e Carlu pobbe restà padrone
di a situazione.
Da Casinca, Carlu passò in Nebbiu, e u so cuginu, Ghiuvanni di Casta, chi
vulia impedillu, si fece tumbà in d’u primu azzuffu (1475).
Ghjenua toglie a Carlu Casta i castelli di Nonza e di Canari, ch’ellu amministrava
a nome d’i nipoti (1483).
I discendenti di Barnabò e di Lucianu di Casta, sempre di piu in piu nimichi
ebbenu un azzuffu fra elli in d’a muntana, mezzu a Biguglia e Oletta, e ci fu morti
da una parte e da l’altra.
A Corsica intiera si passiunò per unu o per l’altru, e sta lutta fratricida un
cunuscì piu nisuna misure.
Orlandu di Casta, figliolu di Teramu, fu tombu in d’un’imbuscata sott’u Poghiu
d’Oletta. Teramu fece tumbà a Giocante di Casta, figliolu di Vincentellu.
Pocu tempu dopu, Teramu fu brusgiatu in d’una torra vicinu a Poghiu d’Oletta,
cun dui d’i so figlioli e vinticinque persone, tutte so parenti o partigiani.
A sterminazione di se famiglie sarebbe stata cumpletta, si u Guvernatore un ci
avia messu rimediu, esiliendu a perpetuità un gran numaru d’i pincipali agressori di
e duie famiglie. Ci vole chi e cose fussinu veramente spaventevule, per chi Ghjenua
si risulvissi a piglià una misura cusi radicale. U core si spezza e si rivolta davanti a
tanti omicidj e tanta crudeltà, e l’omu si dumanda quale so i piu culpevuli : l’autori
di tanti delitti, o l’instigatori perfidi e ipocriti, ci sumenanu pertuttu odiu, zizanie e
calunnie mettendu sempre a so rispunsabilità a cupertu ? A nostra indulgenza è per
sa giuventù mal diretta, e sempre sacrificata a passione egoiste ; e ancu un pocu
per si povari vecchj chi un so, a u fondu, che vittime di l’opinione pupulare, di
l’errori, e di e triste usanze di quelli tempi. Ma scusa un ci ne pò esse pe i guverni
chi preparavanu e incuraggianu se cose da longa manu a sangue freddu. U sangue
cusi valurosu, u sangue ardente e puru di a giuventù corsa, meritava d’esse versatu
per un scopu piu utile, e una causa piu nobile.
Si e nimicizie annientinu quasi a famiglia di Teramu di Casta, quella di
Vincentellu di Casta era sempre abbastanza numerosa e impurtante sottu u guvernu
di Matteu Trucco. Tristanu di Casta spusò a cugina, figliola di Carlu di Casta, e
avebbe a signuria di Nonza.
I discendenti di Grimaldu e di Raffaellu di Casta, contanu sempre fra i primi
Capurali e persunaggi di l’iula (1510).
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Ghiudicellu, figliolu di Grimaldu di Casta, fu chiamatu cun altri guerrieri, a
difende a cittadella di Bastia.
Ma pocu tempu dopu, i Capurali Castinchi so dinò contru i Jenuvesi. Grimaldu
di Casta fu dichiaratu ribellu cume Sampieru Corsu, Altobello Gentile di Brando,
ecc… pe i quale c’era un taglione piu o menu forte (1535).
Ghiudicellu e Raffaellu di Casta si distinguenu contru i Jenuvesi i quali eranu
messi spessu in dirotta, perchè dece Corsi valianu quante cinquanta Jenuvesi.
Bernardinu di Casta fu tombu in d’unu di s’azzuffi.
Qualchi tempu dopu, versu 1556, a discordia è piu terribile che mai fra i
Castinchi. Ghiudicellu di Casta fu tombu da Raffaellu di Casta. Eranu tremindui
Capitani in di e truppe frencese, quandu de Thermes occupava quasi tutta a Corsica
a nome di u Re di Francia. L’annu dopu fu tombu ancu Raffaellu.
Ste nimicizie funu arrestate un mumentu da una tregua ottenuta da Sampieru
Corsu.
Durente a guerra cusi accanita chi stu gran Capitano cundusse c’un odiu feroce
e una custanze instancabile, alfine di rompe e catene centenare chi Ghienua strignia
a i pedi e a la gola di a Corsica agunizzente, si truvava Capurali Castinchi cu i
Jenuvesi, ma piu ci ne era accantu a Sampieru Corsu, u prode piu energicu e piu
valoroso ch’abbia mai prudotta a razza corsa.
Ludovicu, Pier’Antoniu, Ghiuvan-Francescu, e Ghjiseppu, tutti di a famiglia
Casta, funu traspurtati ind’u cuntinente talianu, per avè ricusatu di pagà e tasse a
i Jenuvesi. A moglie di Pier’Antoniu fu tenuta in ostaggiu in Bastia, fintantu chi u
so maritu un si fu imbercatu.
U pievanu, Deodatu di Casta, chi avia cumandatu u forte di San-Fiurenzu, timia
anch’ellu pe a so libertà e ancu pe a so vita, perchè l’annu nenzu, avia assistita, in
cumpagnia di l’altri Capurali di u Nebbiu, a una riunione tenuta a u cunventu di S.
Francescu d’Oletta, e avia incuraggitu, in secretu, e pupulazione a ricusà e tasse a
i Jenuvesi.
Essendu andatu in Bastia per affari, u guvernatore u fece subitu imprigiunà,
aspettendu nove istruzzione da l’Offiziu. U pievanu dumandò d’andà a Ghjenua
per ghiustificassi davanti a u Senatu, cosa li fu accurdatu facilmente. Ma juntu a
Livornu, si fece sbercà, pretestendu un’indispusizione eppò ricusa di cuntinuà u
so viaghiu, e s’unisce a uni pochi di Corsi, esiliati da i Jenuvesi. Quelli chi avianu
rispostu per ellu in Bastia, funu obligati di pagà i mille scudi di a cauzione esigita
da u guvernatore.
U pievanu, avendu u so figliolu a Piombinu li scrisse ch’ellu venissi a
ragiungelu a Livornu, e inseme, andetenu a truvà u ducca di Firenze. Questu li
fece una pensione cunvenevule, a quale li fu suppressa pochi mesi dopu.
Pier’Andrea di Casta fu numinatu, da u guvernatore Fornari, maestru di campu
di e truppe jenuvese. All’azzuffu di Vescuvatu contru Sampieru Corsu, Pier’Andrea
attaccò cun viulenza da l’altu di a Paratella, chi domina Vescuvatu. E truppe di
Sampieru sarebbenu state distrutte, s’i fratelli Ghiudice e Ludovico di Casta, un
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l’eranu corsi in ajutu. A lutta fu sanguinosa. Pier’Andrea fu fattu prigiuneru cun
altri persunaggi di cundizione, e ci fu fra i Jenuvesi, circa trecentu morti.
Ludovicu di Casta, e Antoniu di San-Fiurenzu, sapendu chi D’Oria era juntu
a Borgo, restonu per difende Vescuvatu, e andetenu a u so incontru. A i primi
azzuffi, Ludovicu ricevì una frezza in di u nasu. A lutta era talmente ardente e
vigurosa, chi u obligatu di battesi piu d’una mezz’ora, prima di pudè avè u tempu
di cacciassila.
Pier’Andrea di Casta si truvò all’azzuffu di Lentu e di Bigornu e riuscì, in
cumpagnia d’Achille di Campucassu, e di a pupulazione di si paesi, a rispigne cun
perdita, i Jenuvesi. Fu numinatu Cummissariu – cun sett’altri – per fà rientre e
decime e altre tasse ch’eranu in riterdu.
Pier’Antoniu di Casta fu inchergatu anch’ellu a fà rientre l’impositi di u Nebbiu.
Cum’ellu riempì un si pò megliu a so missione, fu numinatu Capitanu.
Ludovico di Casta ebbe u cumandu d’una cumpagnia di vinticinque cavalieri,
e fu inviatu in Balagna a scaramuccià contru i Jenuvesi chi prumessenu una forte
soma a chi u li purtava vivu o morte.
Sampieru Corsu junse a visità e pieve di u Nebbiu, e fu spessu, a Santu-Petru,
accoltu in d’a famiglia Casta, cun tutt’i riguardi e l’onori ch’ellu meritava. E sti
Capurali guadagnonu a esse cunusciuti da vicinu da st’Eroe chi li dete a so stima
e a so amicizia.
Qualchi tempu dopu, truvendusi in di dilà da i Monti, fece vene a Ludovicu di
Casta, e li dete u cumandu di novanta-cinque cavalieri, e trecentu archibusgeri, per
tende un’imbuscata contru a cavalleria jenuvese chi duvia sorte d’Ajacciu.
Più tardi, Ludovicu fu tombu in d’un azzuffu cu i Jenuvesi in Balagna, e fu
pientu da tutti i Corsi e da Sampieru, perchè era unu d’i piu valurosi omi di guerra
chi ci fussi.
Cun l’erme vile d’un sicariu, Ghjenua si sbarrazzò di Sampieru, chi fu
assassinatu u 17 jennaghiu 1567.
U so figliolu Alfonsu d’Ornanu chi avia appena 19 anni, cuntinua a lutta contru
i Jenuvesi.
Pier’Antoniu di Casta li resta fidatu. U so valore e u so sangue freddu all’azzuffu
di a chiesa di Sant’Antone di Vicu, u fecenu numinà d’i Dodici a la veduta tenuta
in Orezza.
Alfonsu d’Ornanu riunì a Poghiu di Venacu tutti i Capitani numinati da u so
babbu. I cunfirmò in di e so cherghe, eppò ne numinò ellu stessu dui altri a si
gradu : Risturcellu di Casta e Petru-Paulu di Ciamanacce.
Pier’Andrea di Casta riturnò cu i Jenuvesi. Fu inviatu a Vescuvatu a u succorsu
di Cristofaru di Negri, chi ricevi ancu l’ajutu di Pier’Antoniu e Giovanninellu di
Casta, i quale s’eranu anch’elli rallegrati a u pertitu jenuvese.
Ettore di Casta fu inchergatu da Luziu a difende, cun vinticinque
archibusgeri, u forte di a Casabianca.
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U pertitu d’Alfonsu d’Ornanu si riduce a pocu a pocu. I so amici u cunsiglianu
d’accettà da i Jenuvesi, chi l’offrenu, una pace onurevule per ellu e pe i so partigiani.
Cusi fece…
Dopu a partanza d’Alfonsu e di u so seguaggiu, u guvernatore di a Corsica,
D’Oria, tenne una veduta a Bastia, e accurdò u perdonu generale a tutti quelli chi
si suttumessenu a u so guvernu.
Pier’Antoniu di Casta era fra i quatordeci ambasciatori chi andetenu a Ghjenua
a ricunosce u novu statu di e cose, e a ringrazià, a nome d’i Corsi, u Senatu, pe u
perdonu e a clemenza ch’ell’avia accurdatu a tutti ; e a pregallu di piglià e misure
piu necessarie chi l’interessu e u benessere di a Corsica dumandavanu.
Pier’Andrea Casta fu numinatu sargente maggiore di e cumpagnie corse.
Sti fatti si so passati versu 1575, e, dopu Filippini, nisunu parla piu di a famiglia
d’i Castinchi in di a nostra storia.
Senza dubbiu, sti Capurali avaranu cuntinuatu, almenu per un certu tempu, a
occupà un rangu onurevule fra i principali di a Corsica.
In l’archivi di Jenua, deve esiste numerose traccie d’elli, e avale chi c’è un
risvegliu e un rinascimentu di cosa cuncerna a storia di l’Isula di Bellezza, vulemu
sperà chi si truvarà istorichi passiunati e cuscenziosi chi vurranu caccià sti vecchj
Capurali Castinchi di l’ubliu o di u riposu, duve l’ha lasciati u XVIIu seculu, chi
fu chiamatu, forse cun esagerazione, u seculu di ferru di a Corsica, ma chi fu per
sicuru, u seculu di e tenebre di e cose di Corsica.
Dopu l’annessione di a nostr’isula a la Francia, si ripiglianu in d’i registri
parucchiali, e in d’i registri di u statu-civile di a nostra cumuna, e traccie d’i
discendenti di a famiglia Casta, ma un’occupanu piu a situazione opulente d’i so
antichi : so guasi tutti pastore o lavuratori. Uni pochi d’elli, ancu di quelli chi un
portanu piu u nome Casta – e donne perdenu u so nome di famiglia maritendusi –
hanu benefiziatu finu a l’annu 1880 circa, d’i diritti chi sa famiglia ha cunservatu
e percepitu, sopra i rivenuti d’una partita di l’Agriate. Se terre funu date a titulu di
benefiziu a l’antenati di Deodatu di Casta, u primu chi andete a stablissi a Poghiu
di Santu-Petru.
Sti diritti un so stati abandunati, o piuttostu negligentati, che dopu ch’i
zappaghioli Capicursini hanu rilasciatu a strada petricosa di l’Agriate, per quelle
piu lucrative di Marseglia o di l’America. Sò già una cinquantina d’anni chi nisunu
va piu a fà debbj e lavori in di e terre castinche di l’Agriate.
L’ultimi rivenuti percepiti e spertiti fra i numerosi eredi di Paulu-Juvanni e di
Carl’Andria Casta, funu nove decalitri d’orzu e cinque di granu, mancu un mezzu
decalitru per famiglia, senza cuntà chi a quelli chi andavanu a riguaralli, li davanu pe
a so pena, secondu l’impurtenza di a racolta, un quertu o un quintu di u ricuperu…
Avale, per sicuru, sti diritti so cascati per sempre in disusu, perchè i discendenti
di sta famiglia, pigliati individualmente, un’hanu piu che un dirittu insignificante
per pudelli ghiustamente rivindicà.
J.-P. Lucciardi.
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ANNEXES
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Documents familiaux
Acte de baptême d’Anton Sebastiano Lucciardi.
Recueil des Voceri e Canzone. Archives famille Lucciardi
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LES LUCCIARDI – UNE FAMILLE CORSE DE POÈTES ET D’INSTITUTEURS
Attestation d’ordination de Paolo Maria Lucciardi. ADHC, 4G192
Signature Anton Sebastianu lucciardi. ADHC, 4U4 1-50.
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ANNEXES
281
Nécrologie d’Antoine Lucciardi. Bastia-Journal, 28 octobre 1922.
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282
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Jean-Pierre Lucciardi, Officier d’Académie, 20 juillet 1921.
Arch. famille Lucciardi.
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ANNEXES
283
Avis de décès de J.-P. Lucciardi. Le Petit Bastiais, samedi 11 août 1928.
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Lettre de Grazia Deledda, femme de lettres sarde,
prix Nobel de littérature 1926, à J.-P. Lucciardi. Arch. famille Lucciardi.
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ANNEXES
285
Lettre de remerciement de la secrétairerie d’État à J.-P. Lucciardi
pour l’envoi au pape de U Martiriu di Santa Divota.
Arch. famille Lucciardi
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Lettre de remerciement de la présidence de la République à J.-P. Lucciardi
pour l’envoi de U Martiriu di Santa Divota.
Arch. famille Lucciardi
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ANNEXES
287
Documents autographes
Premières pages du manuscrit de Maria Gentile, par J.-P. Lucciardi.
Bibl. patrimoniale Prelà, Bastia.
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LES LUCCIARDI – UNE FAMILLE CORSE DE POÈTES ET D’INSTITUTEURS
U mio paese, par J.-P. Lucciardi, janvier 1913
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ANNEXES
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Couverture des Voceri e Canzone par Anton Sebastiano Lucciardi.
Archives famille Lucciardi.
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LES LUCCIARDI – UNE FAMILLE CORSE DE POÈTES ET D’INSTITUTEURS
U rilogiu di Messè, prestatu all’istitutrice, par J.-P. Lucciardi. Bibl. patrimoniale
Prelà, Bastia
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ANNEXES
309
Publications
À M. Léon Bourgeois, par J.-P. Lucciardi.
Le Petit Bastiais, 5 février 1909.
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310
LES LUCCIARDI – UNE FAMILLE CORSE DE POÈTES ET D’INSTITUTEURS
A Madama de Chevarrier de Carbuccia, par J.-P. Lucciardi.
Le Petit Bastiais, 10 février 1909.
À Pascal Paoli, par J.-P. Lucciardi.
Le Petit Bastiais, 9 avril 1911.
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ANNEXES
311
Souhaits, par J.-P. Lucciardi.
Le Sillon de la Corse, 26 juin 1911.
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LES LUCCIARDI – UNE FAMILLE CORSE DE POÈTES ET D’INSTITUTEURS
A u tenente Cesari, par J.-P. Lucciardi.
Le Petit Bastiais, 26 août 1914.
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ANNEXES
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Allelluja_Allelluja.
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Bastia-Journal, 26 octobre 1922.
LES LUCCIARDI – UNE FAMILLE CORSE DE POÈTES ET D’INSTITUTEURS
Cristofanu Culombu par J.-P. Lucciardi.
314
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ANNEXES
315
Le Petit Bastiais, 5 août 1914.
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LES LUCCIARDI – UNE FAMILLE CORSE DE POÈTES ET D’INSTITUTEURS
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ANNEXES
317
Couverture de Maria Jentile, 1912.
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LES LUCCIARDI – UNE FAMILLE CORSE DE POÈTES ET D’INSTITUTEURS
Couverture de U Martiriu di Santa Divota, 1922.
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L’Artigiano
Bastia-Journal
A Muvra
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Nice-Matin Corse
Le Petit Bastiais
A Tramuntana
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Série P : Cadastre
Commune de Santo-Pietro-di-Tenda,
Matrice des propriétés foncières, avec
récapitulation générale par types de terres
et cultures, tableau des augmentations
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Table des matières
Avant-propos ...............................................................................................
9
Ad patres ......................................................................................................
17
Anton Sebastiano Lucciardi versus Prete Biasgiu ...................................
Un instituteur corse sous le Directoire ....................................................
Bien plus qu’un rimailleur de village… ..................................................
23
26
34
Jean-Pierre Lucciardi : Un hussard noir de la République ....................
Une famille corse .....................................................................................
La distribution des prix au lycée de Bastia ..............................................
Un instituteur corse sous la Troisième République .................................
41
41
44
53
Une orientation chrétienne, socialisante et radicale ................................
63
Sociabilités culturelles et enseignantes ......................................................
71
Le poète ........................................................................................................
85
La Grande Guerre ...................................................................................... 119
L’histoire scolaire ........................................................................................ 127
Historia magistra vitæ et paradigme lavissien ........................................ 129
Histoire locale et histoire nationale ......................................................... 131
La langue corse à l’école ............................................................................. 147
DOCUMENTS
Document I
Voceri e Canzone........................................................................................... 167
Atto di battezzimo ................................................................................... 169
Un poeta corsu ......................................................................................... 169
Poesie inedite del fu Anto-Sebastiano Lucciardi,
detto prete Biaggio di Santo-Pietro di Tenda
Lamento di Togliaccia .............................................................................
A i cantarini vezzolesi .............................................................................
La vietola di prete Vincenso ....................................................................
A i lettori del Chiaravalle ........................................................................
Mamma Sò (cummediòla in un atto) .......................................................
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170
172
174
176
176
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332
LES LUCCIARDI – UNE FAMILLE CORSE DE POÈTES ET D’INSTITUTEURS
A calunniatrice .........................................................................................
Pe a Traversa (in Bastia) ..........................................................................
Lamentu / Sopra a morte di u Gallu di Vecchiolu
(Da cantassi sopra l’eria di e Sette Galere)..............................................
Sunettu / E mode .....................................................................................
Lamentu / Sopr’a morte di u cane di MasgiòluTuttu quantu lu paese.....
Vocero e Testamento di Mamma Mozza .................................................
Canzone d’i San Gavinacci .....................................................................
Sonetto .....................................................................................................
Lamentu di Custantinu, u cane di Peppinellu ..........................................
E tabaccone ..............................................................................................
185
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187
190
191
193
197
203
204
206
Document II
Voceru sopra mio figliol Charles (1907)....................................................... 207
Document III
Le courrier postal du Nebbio (1908) ............................................................ 210
Document IV
Une excursion dans le Haut-Nebbio.
De Biguglia à Santo-Pietro-di-Tenda par Murato (1908) ............................ 212
Document V
Pour la commune de Santo-Pietro-di-Tenda (1908) ..................................... 217
Document VI
Une excursion à Casta (1909) ...................................................................... 219
Document VII
Une fête à Casta (1910) ................................................................................ 229
Document VIII
A Lumera (1916) ........................................................................................... 232
Document IX
Pe un guastà l’otre (1916) ............................................................................ 234
Document X
Passighiate d’Auturnu (1916) ....................................................................... 236
Document XI
A Staffetta (1918) .......................................................................................... 238
Document XII
Notre dialecte (1921) .................................................................................... 241
Document XIII
U fornu zappatu(1921) .................................................................................. 245
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TABLE DES MATIÈRES
Document XIV
Cristofanu Culombu (1922) .......................................................................... 247
Document XV
Un prugressu (1922) ..................................................................................... 250
Document XVI
Rapport sur l’utilisation du corse
dans l’enseignement du français (1923) ....................................................... 252
Document XVII
Un pocu di Regiunalisimu (1924) ................................................................. 257
Document XVIII
U jornu di a Merendella in San Petru di Venacu (1925) .............................. 259
Document XIX
U castagnu (1925)......................................................................................... 261
Document XX
A Santu Casanova (1927) ............................................................................. 263
Document XXI
Anton Sebastianu Lucciardi dettu Prete Biasgiu
(Note biografiche) (1927) ............................................................................. 266
Document XXIII
Capurali Castinchi. Spigulature storiche (1928) .......................................... 271
ANNEXES
Documents familiaux .................................................................................... 279
Documents autographes ................................................................................ 287
Publications ................................................................................................... 309
Sources et bibliographie ............................................................................. 319
Table des matières ....................................................................................... 331
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Achevé d’imprimer en novembre 2010
sur les presses du Groupe Horizon
200 avenue de Coulin 13420 Gémenos-F
Dépôt légal : novembre 2010
Imprimé en France
ISBN : 978-2-84698-384-6
Maquette et mise en page : Atelier Graphite
Albiana – 4, rue Emmanuel-Arène – 20000 Ajaccio
Tél. : 04 95 50 03 00 – Fax : 04 95 50 03 01
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