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n° 87 SYNDICATION La syndication : entre financement et partenariat Par Véronique Mas, Philippe Berthoux, Direction des Opérations Corporate du Crédit Foncier, Carine Maussion et Christophe Salmon, Direction Juridique du Crédit Foncier. La syndication vue par le banquier Par Alexis Rouëssé et Romain Andrieu-Guitrancourt, Direction Syndication Synergies et coverage, Crédit Foncier. l’observateur de l’ immobilier du crédit foncier – Nº 87 9 L’opération de syndication de l’îlot Panhard, une opération réussie Par Laurent Fléchet Président du Directoire, Primonial REIM. Cofinancements banque/assurance en dette immobilière commerciale : point de situation en France et en Europe Par Arthur Chabrol, Directeur FS Risk, Ernst & Young. 10 1 LA SYNDICATION : ENTRE FINANCEMENT ET PARTENARIAT Par Véronique Mas, Philippe Berthoux, Direction des Opérations Corporate du Crédit Foncier, Carine Maussion et Christophe Salmon, Direction Juridique du Crédit Foncier. Dans son acception la plus simple, une syndication peut être définie comme l’opération par laquelle un établissement de crédit propose à un tiers de participer à un financement. La conjonction d’éléments structurels (réformes des règles prudentielles – Bâle II, Bâle III…) et conjoncturels (crises financière et de liquidité…) a pour conséquence le développement des opérations syndiquées, faisant intervenir des cofinanceurs qui peuvent ne pas être des établissements de crédit. Après avoir rappelé les méthodes de syndication interbancaire (1), nous envisagerons les principales spécificités des syndications faisant intervenir des financeurs n’ayant pas la qualité d’établissement de crédit (2). 1.1 / LA SYNDICATION INTERBANCAIRE : DES MÉTHODES DIFFÉRENCIÉES L a syndication entre établissements de crédit se développe depuis une vingtaine d’années. On peut distinguer la syndication mise en place dès « l’origination » du dossier de celle réalisée postérieurement à la signature de la documentation de financement. Dans le premier cas, les banquiers prêteurs sont connus de l’emprunteur dès le début de la structuration du financement de l’opération. L’emprunteur peut donc les considérer comme de véritables partenaires. Dans le second cas, la syndication réalisée a posteriori peut ne pas être connue de l’emprunteur si la sous-participation est occulte. Par ailleurs, la syndication se différencie du « coprêtage », au travers duquel chaque banque gère, de manière indépendante, sa relation commerciale avec l’emprunteur et, en conséquence, sa quote-part de financement au sein d’une même opération. Le coprêtage se traduit juridiquement soit par la signature de documents de financement distincts, soit par une documentation contractuelle commune formalisant les modalités d’intervention de chacune des banques. Dans le cas du « coprêtage », les garanties sont constituées pari-passu. Pour leur bonne gestion, un agent des sûretés est désigné (cf. schéma 1), en particulier lorsque la principale sûreté est une cession Dailly. l’observateur de l’ immobilier du crédit foncier – Nº 87 11 syndication Schéma 1. Le coprêtage Chaque banque intervient selon ses modalités propres. Prêt 1Prêt 2 Prêt 3 Banque n° 1 Banque n° 2 Agent des sûretés Banque n° 3 Client Dans l’hypothèse d’une syndication à la signature ou primaire, la syndication intervient à la signature de la documentation de financement. La qualité des partenaires retenus pour la syndication sera un souci commun des autres prêteurs mais aussi du client, celui-ci voulant s’assurer de leur notation. La syndication primaire se matérialise par la régularisation d’un document de financement négocié par l’ensemble des banques. L’arrangeur aura la responsabilité de présenter à l’emprunteur le projet d’acte. La documentation organise les rapports avec l’emprunteur mais aussi ceux entre banques. Les droits et obligations respectifs des banques peuvent également faire l’objet d’une formalisation spécifique entre elles, dans un acte dénommé « convention inter-créanciers ». Dans tous les cas, il est désigné un agent du crédit et un agent des sûretés. Il est l’interlocuteur unique, tant des participants à la syndication que de l’emprunteur. L’agent du crédit (mandataire désigné des prêteurs) exerce un rôle de centralisateur des opérations. À ce titre, il s’assure du respect par le client de l’ensemble de ses obligations contractuelles. Il gère le crédit et transmet aux prêteurs les demandes d’adaptation du client (waivers) en vue de la décision du pool. L’agent du crédit a souvent la qualité d’agent des sûretés qui centralise la constitution, le suivi (et le renouvellement, le cas échéant) des sûretés et leur mise en œuvre en cas de défaillance de l’emprunteur. Les agents appliquent les décisions prises par les prêteurs, à l’unanimité, à la majorité qualifiée ou à la majorité simple, selon les stipulations contractuelles et la nature des décisions à prendre. Les agents ont une obligation de diligence et doivent prendre les mesures nécessaires pour sauvegarder les droits de l’ensemble des prêteurs. Qu’il s’agisse d’une syndication entre banques, avec des compagnies d’assurances ou avec d’autres entités habilitées, l’agent conserve la relation commerciale avec l’emprunteur et reste son partenaire privilégié, tant par sa position de prêteur, d’agent du crédit que d’agent des sûretés. La syndication primaire n’est pas exclusive d’une sous-participation ultérieure (cf. schéma 2). Schéma 2. La syndication primaire Les banques participantes sont à la signature du contrat de prêt. Prêt Banque n° 1 participante Banque n° 2 participante Agent Banque n° 3 participante Client Dans l’hypothèse d’une syndication post-signature ou secondaire, la ou les banque(s) initiale(s) ayant accordé un financement peut(vent) en transférer ultérieurement tout ou partie, à une autre banque ou à un autre partenaire habilité. Ce transfert peut intervenir selon différentes modalités. ◗C ession de créance de droit commun (art. 1690 du code civil) : le transfert est constaté soit par acte sous seing privé signifié par voie d’huissier, soit par acte authentique. Cette cession peut aussi prendre la forme d’un simple acte de transfert dont le modèle est annexé à l’acte de prêt. 12 entre financement et partenariat ◗ Endos d’une copie à ordre : il s’agit d’une pratique de transmission de créance au moyen d’un endos. Par cet endossement, la créance est transférée dans le patrimoine du nouveau créancier sans qu’il soit nécessaire d’accomplir les formalités prescrites par l’article 1690 du code civil. Il est à noter que seules les créances garanties par un privilège de prêteur de deniers et/ou une hypothèque conventionnelle peuvent donner lieu à cette pratique (loi n° 76.519 du 15 juin 1976, article 3). ◗ S ous-participation : les banques sous-participantes peuvent intervenir soit en risque et trésorerie, soit en risque seul, soit en trésorerie seule, par acte sous seing privé. Une sous-participation peut être révélée ou pas à l’emprunteur. Dans ce dernier cas, la terminologie de participation occulte est couramment utilisée. Sauf interdiction prévue à l’acte de prêt ou de sous-participation, tout participant peut lui-même céder une quotepart de sa participation à une autre banque. S’agissant des obligations respectives des parties, les banques sous-participantes n’ont de droits et obligations qu’envers la banque cédante. Cette dernière reste tenue de ses obligations à l’égard de l’emprunteur et à hauteur de sa quotité de financement initiale. Illustration / La Cour d’appel de Paris, dans ses attendus, précise que « le caractère occulte d’un contrat de participation a pour effet direct qu’aucun lien de droit n’est créé entre la banque sous-participante et les tiers, dont les emprunteurs, à qui la convention est inopposable ; que dès lors, la convention ne confère aucun droit de créance sur l’emprunteur à la banque sous-participante qui ne peut donc exercer aucune des prérogatives attachées à la qualité de prêteur ; que la banque chef de file peut donc céder sa créance, dont elle est restée seule titulaire » (cf. arrêt de la Cour d’appel de Paris, 15e chambre section B, 5 juillet 2002). Schéma 3. La syndication secondaire – sous-participation Une banque participante peut sous-syndiquer sa participation. Prêt Banque n° 1 participante Banque n° 2 participante Sousparticipation n° 1 Sousparticipation n° 2 Agent Client Les évolutions réglementaires et la nécessité de répondre aux besoins de financement de leurs clients conduisent les banques à rechercher des partenaires en dehors du secteur bancaire. Les dispositions du code monétaire et financier maintiennent le principe interdisant à toute personne autre qu’un établissement de crédit d’effectuer des opérations de banque à titre habituel. Elles permettent aux établissements de crédit de procéder à des syndications primaires et secondaires, auprès de partenaires ayant un statut différent, sous réserve du respect de certaines règles et de la prise en compte de certaines contraintes propres à leur absence de statut d’établissement de crédit. C’est donc tout naturellement que les banques se sont tournées vers de nouveaux acteurs. Les opérations de syndication font désormais intervenir des compagnies d’assurances, des mutuelles ou encore des fonds communs de titrisation (FCT). l’observateur de l’ immobilier du crédit foncier – Nº 87 13 syndication 1.2 / LA SYNDICATION AVEC DES PARTENAIRES AUTRES QUE DES ÉTABLISSEMENTS DE CRÉDIT Le recours aux FCT permet aux établissements de crédit en charge du financement de céder leurs créances à un véhicule dédié ou non, lui-même financé par des investisseurs pouvant être soumis aux interdictions liées au principe du monopole bancaire. À chaque étape du financement Selon la nature de la syndication, les conditions d’intervention des partenaires autres que des établissements de crédit seront plus ou moins contraintes. Syndication primaire Les entreprises régies par le code des assurances, les sociétés de réassurance, ainsi que les organismes agréés soumis aux dispositions du livre II du code de la mutualité seront des partenaires légitimes pour ces opérations en syndication primaire. Connues des emprunteurs, soumises pour certaines d’entre elles à une autorité de contrôle commune, ces entreprises pourront prendre part aux financements. Illustration / Le financement structuré, arrangé en septembre 2013 par le Crédit Foncier, a permis à une compagnie d’assurances de participer, en qualité de prêteur, à une opération immobilière d’envergure. Avantages / Avec le FTC, les entreprises d’assurances peuvent effectuer des placements répondant à certains impératifs de sécurité, de liquidité (nécessité de vendre rapidement et sans perte) et de rentabilité, impératifs différents de ceux qui président à une participation en direct aux opérations de financement. à cet égard, il convient de rappeler que ces dernières opérations ne peuvent être effectuées par les entreprises d’assurances que si elles demeurent d’importance limitée par rapport à l’ensemble des activités de l’entreprise (article L. 322-2-2 du code des assurances). L’interposition d’un FCT offre la possibilité aux emprunteurs, dans le cadre d’opérations d’envergure, de diversifier leurs sources de financement et à certaines entreprises d’assurances déjà exposées sur le marché des financements de poursuivre leur investissement dans ce domaine. Syndication secondaire La syndication d’un financement a longtemps fait l’objet d’un encadrement réglementaire reposant, notamment, sur le règlement CRBF n° 85-17 du 17 décembre 1985 relatif au marché interbancaire. Ce règlement restreignait les conditions dans lesquelles les établissements de crédit pouvaient se dessaisir de leurs créances de financement. Des partenariats L’évolution de la réglementation leur offre désormais la possibilité de céder leurs créances au profit d’autres partenaires comme les compagnies d’assurances, les mutuelles ou encore les fonds communs de titrisation, entités juridiques ad hoc faisant l’objet d’une réglementation spécifique. Cela tient notamment aux contraintes juridiques et réglementaires auxquelles sont soumis ces intervenants. Par ailleurs, dans le cadre des financements structurés, le rôle des établissements de crédit ne se limite pas à la seule mise à disposition des fonds. Si la relative souplesse de la réglementation et la volonté d’innover des intervenants permettent à une large palette d’investisseurs, réglementés ou non, de participer aux opérations de financement, ces intervenants n’ont toutefois pas vocation à supplanter purement et simplement les établissements de crédit. 14 entre financement et partenariat Les contraintes des partenaires Ces contraintes peuvent être spécifiques aux partenaires ou résulter de leur absence de statut d’établissement de crédit. Contraintes spécifiques / Qu’il s’agisse des entreprises régies par le code des assurances, des sociétés de réassurance ou des organismes agréés soumis aux dispositions du livre II du code de la mutualité, tous font l’objet d’une réglementation propre à leurs activités, cette réglementation leur interdisant d’avoir une activité de prêteur universel. Outre cette interdiction, leur participation à des opérations de financement est encadrée dans des limites bien définies. À titre d’illustration, s’agissant des prêts hypothécaires, ils doivent être garantis par une hypothèque de premier rang prise sur un immeuble situé sur le territoire de l’un des États membres de l’OCDE. L’ensemble des privilèges et hypothèques en premier rang ne doit pas excéder 65 % de la valeur vénale de l’immeuble constituant la garantie du prêt, estimée au jour de la conclusion du contrat – ratio LTV loan to value ratio, comme le stipule l’article R. 332-12 du code des assurances : « (…) l’ensemble des privilèges et hypothèques en premier rang ne doit pas excéder 65 % de la valeur vénale de l’immeuble (…) ». Les contraintes s’expriment tant au plan financier, par le biais d’un quantum limité de financement, qu’au plan des garanties, la garantie, en matière de prêts hypothécaires, devant être de premier rang. Contraintes induites / Les financements étant, par principe, octroyés par les établissements de crédit, le législateur leur a réservé le bénéfice de certaines sûretés, et notamment de la cession Dailly. L’article L. 313-23 du code monétaire et financier dispose ainsi que « tout crédit qu’un établissement de crédit consent à une personne morale de droit privé ou de droit public, ou à une personne physique dans l’exercice par celle-ci de son activité professionnelle, peut donner lieu au profit de cet établissement, par la seule remise d’un bordereau, à la cession ou au nantissement par le bénéficiaire du crédit, de toute créance que celui-ci peut détenir sur un tiers, personne Leur principal objectif est donc de structurer leurs financements de façon innovante. morale de droit public ou de droit privé ou personne physique dans l’exercice par celle-ci de son activité professionnelle ». Ces partenaires non-banquiers ne pourront donc pas bénéficier de la cession Dailly, simple et peu onéreuse. Le nantissement de créances (ou la délégation de paiement, souvent assimilée à une sûreté) pourra toutefois constituer une alternative, offrant une plus ou moins grande sécurité à leurs bénéficiaires, selon la nature des financements. L’objectif des établissements de crédit est de continuer à bénéficier de cette garantie très protectrice tout en associant de nouveaux partenaires non-banquiers au financement. Leur principal objectif est donc de structurer leurs financements de façon innovante, sans aggravation du risque tout en permettant aux partenaires d’intervenir à leurs côtés. La polyvalence des établissements de crédit Si les propos qui précèdent doivent être nuancés en matière de financement bilatéral, à savoir entre un emprunteur et un prêteur, ils prennent en revanche tout leur sens dans le cadre des financements structurés ou multilatéraux (pluralité d’emprunteurs et/ou de prêteurs). Ces opérations permettent aux établissements de crédit d’offrir une palette de services, distincts de la mission de prêteur et ce, au profit aussi bien des emprunteurs que des autres prêteurs. Au bénéfice des emprunteurs / Dans le cadre des financements à taux variable, les établissements de crédit peuvent l’observateur de l’ immobilier du crédit foncier – Nº 87 15 syndication également agir en qualité de contrepartie au titre de la couverture de taux. La connaissance du dossier, la prise des sûretés et les relations régulières au cours du montage de l’opération de financement favorisent l’établissement de crédit. Il est, en effet, davantage en mesure d’apprécier le risque de contrepartie. Il en est de même en matière d’activité de tenue de compte. Si elle n’est pas, de façon systématique, offerte par l’ensemble des établissements de crédit, la tenue de compte constitue un service appréciable. L’établissement de crédit y trouve également son intérêt au motif qu’il peut ainsi suivre, avec l’accord de son client, le déroulé de son financement et, le cas échéant, offrir un accompagnement spécifique à son client en cas d’imprévu. Outre les services précités, l’activité de prise ferme reste l’un des atouts des établissements de crédit, notamment dans le cadre d’un financement complexe ou syndiqué. Elle prend la forme d’une garantie offerte par un ou plusieurs établissements de crédit de financer l’ensemble de l’opération dans l’attente de sa syndication. Même si elle représente un coût, elle offre un confort incomparable à l’emprunteur, surtout en cas de forte volatilité, confort avec lequel les services offerts par les autres intervenants ne peuvent rivaliser sauf à être le seul prêteur de l’opération. Au bénéfice des autres prêteurs / Le recours aux établissements de crédit profite également aux autres prêteurs, tout au long de la vie des financements. Lors de la mise à disposition du financement, l’intervention d’un établissement de crédit permet de gérer non seulement les flux, mais aussi la prise des sûretés. Bien que ces missions ne soient pas exclusivement réservées aux établissements de crédit, leur organisation interne et leur intervention régulière sur le marché des financements font d’eux des interlocuteurs privilégiés des emprunteurs par rapport aux autres intervenants, lesquels apprécient que ces tâches soient accomplies pour leur compte. Il en est de même au cours de la vie du financement pendant laquelle l’établissement de crédit, en sa qualité d’agent, procède aux différents appels de fonds, à la collecte des intérêts et du principal et à la répartition de ces sommes entre les créanciers. Disposant d’une organisation appropriée, l’établissement de crédit reste généralement l’interlocuteur privilégié de l’emprunteur qui, de plus en plus, y trouve son intérêt, même en cas de difficultés. Le risque de conflit d’intérêts entre les prêteurs (certains intervenants pouvant avoir des intérêts divergents de ceux des établissements de crédit, dont la fonction essentielle est de prêter) a été dénoncé par certains emprunteurs qui ont, en contrepartie, souhaité encadrer les conditions de la syndication. Loin d’être un terrain de compétition entre les établissements de crédit et les autres intervenants, les financements en syndication constituent un nouveau domaine de coopération entre les acteurs traditionnels et de nouveaux acteurs, dans l’intérêt bien compris des emprunteurs. L’ensemble des intervenants et leurs conseils, avocats et notaires, sont invités à réfléchir à de nouveaux montages juridiques et financiers permettant à chaque intervenant d’agir en conciliant ses propres intérêts et contraintes avec ceux et celles de ses partenaires. La matière du financement offre ainsi à certaines institutions juridiques comme la fiducie une seconde chance, en gérant élégamment l’ensemble des partenaires et en proposant un interlocuteur unique à l’emprunteur, qu’il soit ou non établissement de crédit. 16 2 La syndication vue par le banquier Par Alexis Rouëssé, Directeur Syndication Synergies et Coverage et Romain Andrieu-Guitrancourt, Directeur de Clientèle Syndication Synergies et Coverage, Crédit Foncier. 2.1 / INTRODUCTION H istoriquement, en Europe, et particulièrement en France, l’un des rôles majeurs du banquier est de prêter aux acteurs économiques, publics ou privés, afin qu’ils puissent mener à bien des investissements ou pour financer leur fonctionnement, le besoin en fond de roulement des entreprises, par exemple. La banque le fait sur son bilan, c’est-à-dire en utilisant ses ressources, venant de ses fonds propres, des dépôts des épargnants, et des refinancements obtenus par la banque sur les marchés. Le rôle de la banque est (était ?) de transformer l’épargne de certains en prêts pour d’autres. C’est une économie de financement « intermédiée ». La banque transforme les caractéristiques de ses ressources pour les rendre compatibles avec les crédits octroyés. Cela induit la gestion de risques particuliers, comme le risque de transformation, puisque généralement les dépôts sont à court terme et les prêts sont à long terme. Le risque de liquidité, lui, est dû au fait que souvent (lorsque ce ne sont pas des comptes bloqués, comme les comptes à terme…), les Le rôle de la banque est (était ?) de transformer l’épargne de certains en prêts pour d’autres. épargnants peuvent retirer leur argent de la banque à tout moment, ce qui n’est pas faisable du côté des prêts : on ne peut pas demander un remboursement à tout moment des crédits octroyés. Enfin, le risque de crédit vient du fait que, lorsque la banque emprunte ou obtient des dépôts, elle doit dans tous les cas les rembourser, et qu’en revanche, les crédits octroyés ne sont pas dans tous les cas remboursés. Aujourd’hui, et plus particulièrement depuis la crise de 2007/2008, ce modèle est fortement remis en cause. En effet, les contraintes réglementaires limitent fortement la capacité à prêter des banques. Or, les acteurs économiques ont toujours besoin de financements. Apparaît donc un mouvement de l’observateur de l’ immobilier du crédit foncier – Nº 87 17 syndication « désintermédiation ». Les entités économiques épargnantes sont poussées à faire crédit plus directement aux entités économiques emprunteuses, sans passer par la machine à transformer l’épargne en crédit que sont les banques. L’enjeu actuel, pour les banques et pour les investisseurs, est donc de redéfinir leurs rôles respectifs dans un monde du financement qui est en transformation profonde. Nous aborderons donc les thèmes suivants : le changement de paradigme de l’activité de financement, le nouveau rôle des investisseurs en tant que « prêteurs », les outils qui sont disponibles ou en train de se développer et, enfin, le rôle des institutions bancaires à l’avenir. 2.2 / CHANGEMENT DE PARADIGME POUR L’ACTIVITÉ DE FINANCEMENT D’UNE BANQUE D epuis les années 80 et jusqu’à la crise de 2007/2008, les organismes bancaires européens ont été poussés à augmenter leur taille de bilan. En effet, les ratios Cooke et Mc Donough, qui rapportent le volume des prêts aux capitaux propres des banques, utilisent une pondération des actifs en fonction du risque estimé pour chaque contrepartie emprunteuse. À partir du moment où les contreparties emprunteuses d’une banque étaient de très bonne qualité, il n’y avait pratiquement plus de limite réglementaire à l’augmentation de la taille du bilan. D’autre part, les banques étaient considérées comme ne pouvant faire défaut. Les banques, directement ou via des véhicules de refinancement, pouvaient faire un appel quasi illimité au marché pour se refinancer. Ces éléments, en particulier, permettaient aux banques d’augmenter le volume de crédit, et donc de leur bilan, avec des contraintes relativement faibles. Elles ont ainsi répondu favorablement à la demande des acteurs économiques emprunteurs beaucoup plus facilement que lors de la période précédente du crédit réglementé. Les banques restreinteS dans leurs capacités à prêter Effets de la réglementation ratios de solvabilité et de liquidité La crise de 2007/2008 a radicalement changé cet état de fait. Les ratios réglementaires de fonds propres ont été violemment durcis (passage à 9 % en cinq ans pour le ratio de fonds propres, exclusion des fonds propres de certains titres hybrides qui augmentaient leur volume…). Un nouveau ratio ne prenant pas en compte la qualité des emprunteurs a été introduit (le ratio « d’effet de levier »), qui oblige à détenir un minimum de 3 % de fonds propres durs au regard de la taille du bilan. Enfin, de nouveaux ratios de liquidité ont été introduits et, eux, limitent la capacité des banques à transformer l’épargne courte en prêts longs. Restriction de la capacité à faire appel au marché Les marchés monétaires et de capitaux ont augmenté leur aversion au risque, et ont pris en compte le fait qu’une banque « peut dorénavant faire défaut ». Le guichet du refinancement s’est donc fortement fermé. Pour compenser cette restriction de l’offre de liquidité privée, la Banque Centrale Européenne (BCE) a ouvert des facilités importantes. Elle a élargi ses programmes de « repo », qui permettent à une banque d’emprunter auprès de la BCE ou de sa banque centrale à condition de déposer des titres de créances éligibles à celle-ci, un peu à la manière de l’affacturage. Ils sont ouverts, ou ont été ouverts à court (repo) ou moyen terme (le fameux LTRO). Les banques, ne pouvant estimer pérenne le refinancement de la Banque Centrale, ont lancé des programmes sévères de réduction d’appel au marché pour leur refinancement. Ainsi, le bilan des banques européennes est voué à diminuer tendanciellement comme l’indique l’étude de la Banque RBS : « Concernant la zone euro, l’établissement écossais estimait, en novembre 2011, que les banques se débarrasseraient de 5,100 Md€ s d’actifs au cours des trois à cinq années suivantes. RBS évalue à 2,900 Md€ la réduction des bilans (ou 18 la syndication vue par le banquier deleveraging) déjà effectuée depuis mai 2012. Reste encore à élaguer 3,200 Md€, selon leur nouvelle évaluation. » (1) Les investisseurs, prêteurs alternatifs que sont en particulier les organismes d’assuranceS, subissent, eux, un effet inverse Effet de la réglementation : « approcher la duration des actifs de celle des passifs » Les banques sont poussées à réduire la durée de leurs prêts (c’est-à-dire de leurs actifs à leur bilan). Elles doivent maintenant les mettre au regard de leur passif (les dépôts des clients, les emprunts sur le marché, etc.), tendanciellement court. Les organismes d’assurances, sont, eux, poussés par leur nouvelle réglementation « Solvabilité 2 » à allonger la durée de leurs placements car leurs passifs, c’est-à-dire leurs engagements à rembourser des assurés, sont à plus long terme que leurs actifs actuels. surances) octroie, sans le passage par le bilan d’une banque, un crédit à un emprunteur, et non plus exclusivement via un prêt à une banque qui, de son côté, octroie des prêts. 2.3 / LES NOUVEAUX RÔLES DE L’ORGANISME D’ASSURANCEs – PRÊTEUR ALTERNATIF C omment l’investisseur peut-il faire pour « placer » ses liquidités sur des crédits octroyés à l’économie sans s’exposer davantage aux banques ? Quels sont ses rôles et contraintes dans le nouveau paradigme ? Diminuer l’exposition au risque des banques, qui n’est plus « négligeable » depuis Lheman Brothers Les investisseurs institutionnels, représentés principalement par les organismes d’assurances, en France, sont déjà fortement exposés au risque bancaire. En effet, l’ACPR, organisme de surveillance des banques et des assurances, calcule qu’à fin 2012, sur les 1 970 Md€ d’actifs de ces organismes, plus de 825 Md€ sont constitués de titres de créances sur des organismes financiers (en France et dans le monde), qui sont en majeure partie des banques. Les organismes d’assurances sont déjà de très importants pourvoyeurs de financements pour l’économie réelle ! 74,8 % de leurs placements, qui se montent à 1 970 Md€, sont constitués de titres de créances. Ces titres, principalement des obligations cotées et notées, ont plusieurs caractéristiques notables : ils sont liquides, et la liquidité leur permet d’ajuster ces opérations à leur horizon de placement. Ils n’ont pas besoin de trouver l’emprunteur, il vient à eux via le marché, et ils sont notés, donc jugés par des organismes externes. Cette note n’est pas un jugement absolu de qualité de crédit, mais elle est prise en compte dans les différents ratios réglementaires des investisseurs. Enfin, ils ont une homogénéité qui leur permet d’amortir les investissements nécessaires en capacité d’estimation du couple rendement-risque. Convergence des intérêts Banques/ investisseurs En passant à l’octroi de crédit sous forme de prêt, l’investisseur doit faire face à de nouvelles problématiques. De ces différents éléments, entre autres choses, une première conclusion apparaît. Banques et organismes d’assurances ont un intérêt convergeant à la mise en place d’une certaine désintermédiation du crédit. Qu’est la désintermédiation ? C’est le fait qu’un « investisseur » (l’organisme d’as- Il faut : (1) qu’il trouve les entités souhaitant emprunter et à qui il souhaite prêter ; (2) qu’il fasse coïncider ses contraintes de placement (durée, type de taux, amortissement…) avec ceux de l’emprunteur ; (3) qu’il arrange financièrement et (1) AGEFI le 13/08/2013 pour L’AGEFI Quotidien – Édition de 7h. l’observateur de l’ immobilier du crédit foncier – Nº 87 19 syndication sont constitués d’immeubles qu’ils détiennent en propre, souvent sans effet de levier (à part via les outils de type OPCI…) et les gèrent fréquemment avec leurs équipes internes. Cela conduit donc naturellement ces investisseurs, lorsqu’ils étudient leurs possibilités d’investir sur des créances, à se tourner en second lieu vers les créances liées à l’immobilier (en premier lieu, les investisseurs se tournent vers des créances aux entreprises qu’ils connaissent déjà via les titres obligataires). Jusqu’à présent, ils ne le font qu’aux côtés de banques qui offrent les services qu’ils ne peuvent ou veulent fournir et qui découlent d’un prêt. 2.4 / LA SYNDICATION AUX PRÊTEURS ALTERNATIFS L juridiquement le crédit ; (4) qu’il ait une connaissance approfondie du risque de non remboursement de cette entité en considérant le projet financé ; (5) qu’il ait les compétences de gestion de la vie du crédit ; (6) qu’il maîtrise les moments de stress sur le crédit et les actions sur les sûretés qui en découlent ; (7) qu’il prenne en compte l’illiquidité relative par rapport aux titres de créances cotés. Concernant spécifiquement les crédits octroyés en vue d’opérations d’investissement immobilier, ces éléments sont exacerbés par la spécificité de chaque opération. L’actif financé change à chaque fois, souvent, le promoteur de l’opération, l’exploitant, le locataire et les typologies de garanties. Les organismes d’assurances connaissent, très bien en revanche, le secteur et le risque immobilier. Plus de 4 % de leurs actifs e principe est qu’une banque origine la créance (sous forme de prêt ou d’obligation) s’adjoigne la puissance de mise à disposition de fonds d’un prêteur alternatif, soit dès la mise en place du crédit (cofinancement, tous sont signataires de l’acte de prêt), soit a posteriori du closing (syndication à proprement parler, elle underwrite la totalité de l’opération seule et est seule signataire). Cette façon d’agir existe depuis de nombreuses années entre banques ; l’intervention d’un nouveau type d’acteur apporte des différences du point de vue tant de l’emprunteur que de la banque. La banque ainsi que tous les acteurs impliqués doivent prendre en compte le fait que ce sont de nouveaux actifs pour l’assureur, de nouveaux créanciers pour l’investisseur et de nouveaux partenaires pour elle-même. Cela nécessite un investissement non négligeable de la part de chacun pour apprendre à faire fonctionner ce nouvel attelage de manière optimale. C’est principalement pour cela que la plupart des opérations menées jusqu’à présent concernaient des refinancements d’actifs immobiliers qui donnent plus 20 la syndication vue par le banquier de temps pour le montage que des acquisitions soumises, elles, à la durée courte de l’exclusivité de l’option d’achat. Syndiquer, c’est partager Dans le cadre de la syndication de créances entre prêteurs, c’est spécifiquement partager la rentabilité d’un crédit, la gestion de celui-ci et les risques découlant de cet octroi. la réponse de l’organisme d’assurances PEUT être plus souple que celle d’un fonds de dette. Nouveautés pour l’emprunteur Un élément reste : la banque est l’agent du financement et généralement le seul interlocuteur direct de l’emprunteur. L’emprunteur bénéficie donc de la relation habituelle qu’il entretient avec son financeur qui le connaît et connait les problématiques et ses opérations. L’organisme d’assurances est, dans tous les cas vus jusqu’ici en France, un investisseur en immobilier au même titre que l’emprunteur sur cette opération. Ainsi, contrairement à une banque, l’institution d’assurances ne craint pas le cas où elle doit exercer la sûreté réelle, l’hypothèque sur l’actif, car elle sait gérer ce type d’actifs. L’a-priori des emprunteurs qui craignent que ces « financeurs » cherchent quelque raison que ce soit pour « saisir » l’actif doit être levé afin que la confiance entre partenaires puisse être assurée. Les directions immobilières des assureurs se prononcent sur la pertinence de l’opération à financer et de sa qualité ; en revanche, ce sont d’autres équipes, celles qui gèrent la partie obligataire (fixed income) qui ont la charge de la mise en place et du suivi de ces financements octroyés. Leur optique est donc purement de rendement sur l’actif qu’est pour elles ce prêt octroyé et non la saisie de l’immeuble en tant que telle. tels crédits. Le déroulement d’une opération hypothécaire est généralement moins un long fleuve tranquille que la vie d’une obligation corporate investment grade. Techniquement, la réponse de l’organisme d’assurances peut être plus souple que celle d’un fonds de dette, en particulier sur la prolongation, ou le refinancement d’un crédit existant. Un marché encore en apprentissage Bien que les prêteurs alternatifs, en France, soient souvent des prêteurs habituels dans les pays anglo-saxons, les autres acteurs sont toujours circonspects devant la mise en place d’une nouvelle méthode. Les estimations de risques induits par une telle coopération ne seront confirmées ou infirmées que lorsqu’adviendront des moments difficiles sur certains crédits. Cela explique pourquoi nous sommes encore dans la partie de la courbe d’apprentissage, où les opérations concernées par ce type d’action sont généralement des montages simples et sécurisés et plutôt sur des actifs core ou core+. Les acteurs privilégient les montages évitant les waterfalls de revenus complexes et les montages tranchés en typologie de risque. Le principe de pari-passu global de tous les intervenants nous semble pertinent pour que les bonnes relations existant au début de chaque opération soient maintenues. Impacts pour le Banquier En dehors des points purement juridiques à adapter (comme vu dans l’article précédent), la banque a aussi à gérer un risque de divergence d’intérêts avec son partenaire qu’est le prêteur alternatif. Elle ne sait comment ces nouveaux acteurs du financement vont se comporter lors de la levée de waivers, ou des ajustements nécessités par l’évolution de l’observateur de l’ immobilier du crédit foncier – Nº 87 21 syndication 2.5 / LES MODALITÉS POUR FAIRE PARTICIPER UN PRÊTEUR ALTERNATIF À UNE SYNDICATION P our atteindre les actifs que sont les créances immobilières, les investisseurs institutionnels ont le choix entre divers outils, qui sont plus ou moins « intermédiés ». Une banque qui origine et arrange un crédit en vue de le syndiquer à des prêteurs alternatifs peut le faire selon trois méthodes. Syndiquer la créance à un fonds spécialisé, la syndiquer via l’émission de titres de créances par la suite vendus à des investisseurs ou, plus simplement, la syndiquer à des investisseurs habilités à octroyer des crédits eux-mêmes. L’intérêt des parties pour l’une ou l’autre solution dépendra en particulier, pour l’emprunteur, de la relation souhaitée avec ses pourvoyeurs de fonds et de la souplesse nécessaire à ses opérations. Pour l’investisseur, le choix se fera sur sa volonté de sélectionner lui-même chaque opération, la proximité juridique souhaitée avec l’actif financé ou le débiteur, la taille et la granularité de chaque ligne dans ses comptes et, enfin, l’investissement en temps et en ressources dont il dispose. Pour la banque, si financièrement il n’y a pas de grande différence, le choix se fera en fonction de la typologie de cofinanceurs qu’elle souhaite avoir à ses côtés afin de sécuriser au mieux sa créance et de la façon dont elle perçoit qu’il est le plus opportun de maintenir sa relation avec l’emprunteur. Les financements directs Via la participation de l’organisme d’assurances à un crédit ou une obligation Cette forme d’intervention se rapproche le plus de ce que connaissent les emprunteurs. Le rôle de la banque originatrice et arrangeuse est le même que lorsqu’elle ne syndique le crédit qu’auprès d’autres banques. Pour l’organisme d’assurances, cela suppose la capacité à pouvoir prendre en compte dans ses chaînes de gestion le nouveau type d’actif qu’est le prêt. Via des titres de créances obligataires Transformer le crédit en format obligataire, comme l’ont prouvé les opérations récemment mises en place, a un faible impact sur les clauses et les covenants inclus dans le contrat. Un élément notable est qu’il ne peut y avoir de contraintes sur la cessibilité des titres représentant la créance. Il n’y aura, pour l’emprunteur, aucune garantie de se trouver face aux mêmes interlocuteurs, à part l’agent, tout au long de la vie de l’opération. Cette méthode permet surtout à l’acteur alternatif d’entrer plus facilement cet actif qu’est la créance dans ses comptes, ses systèmes de gestion et de notation interne. Via les fonds communs de titrisation (FCT) et autres véhicules ad hoc Ces fonds, souvent appelés « fonds de dette », regroupent, selon des critères prédéfinis par les investisseurs des créances immobilières. Ils sont actuellement largement promus par les sociétés de gestion et aussi par des acteurs assurantiels de premier rang, qui les ouvrent à d’autres investisseurs de même type. Leur avantage principal est d’être dédiés à une classe spécifique d’actifs et de mettre en commun des compétences spécifiques nécessaires à de tels investissements. Ces fonds ne peuvent pas être à l’origine de la créance ; ils doivent acquérir tout ou partie de la créance après constitution de celle-ci. Ils sont donc limités à de la syndication secondaire, et ces créances restent sous l’agence de la banque originatrice et arrangeuse. Les personnes qui gèrent ces fonds (en réalité, la gestion se concentre principalement dans le choix des créances, puis le suivi des différents crédits. Il n’y a pas de gestion active ou d’arbitrage comme dans des Sicav ou PCVM, par exemple) sont fréquemment d’anciens banquiers qui sont au fait des contraintes du métier de prêteur et qui connaissent bien les mécanismes de sûretés demandés par les banques. Ces fonds présentent des caractéristiques de durée assez communes, mais qui peuvent être contraignantes pour les emprunteurs ou pour les banques agents de la créance. En effet, typiquement, ils se décomposent en trois phases. Une 22 la syndication vue par le banquier première phase de ramp-up, qui correspond à la constitution du portefeuille de créances logées dans le fonds. Elle dure d’un à deux ans. Lui succède une phase pendant laquelle aucun nouvel actif n’entre dans le fonds, tous les fonds étant normalement investis. Il ne peut y avoir de nouvel appel de fonds auprès des investisseurs. Enfin, au bout de cinq à sept ans, les crédits sont normalement remboursés, et c’est la fin du fonds commun de titrisation. Cette fin, prévue contractuellement au lancement, implique que les prêts ne peuvent être renégociés et prolongés au-delà de cette date. Ce n’est pas un obstacle si tout se déroule « comme prévu » sur chaque actif. En revanche, si l’emprunteur a besoin de plus de temps, pour quelque raison que ce soit, le gestionnaire du fonds devra trouver une méthode pour obtenir le remboursement effectif de la créance afin de rembourser les porteurs de parts que sont les financeurs alternatifs. C’est une contrainte qui n’existe pas aussi fortement lorsqu’on emprunte auprès d’une banque ou même d’un organisme d’assurances en direct. Les autres méthodes pour s’exposer au risque de crédit hypothécaire sont les obligations sécurisées réglementées. Si les règles d’entrée des actifs sont très strictes et la solidité de ces véhicules éprouvée, l’investisseur ne peut intervenir sur le choix des actifs. Pour l’emprunteur, les cessions des banques à ces entités sont normalement transparentes. L’investisseur n’est pas exposé, en revanche, au risque bancaire en tant que tel, puisque ces émetteurs de dette survivent au défaut de leur sponsor bancaire. 2.6 / LE NOUVEAU RÔLE DE LA BANQUE QUI FINANCE EN FRANCE et en EUROPE teur de ce mouvement. En effet, en maintenant une capacité à prêter sur son propre bilan, en renforçant ses liens avec les potentiels emprunteurs, et en utilisant son réseau de prêteurs alternatifs qui sont le plus souvent déjà en relation avec le Crédit Foncier en particulier via la souscription d’obligations sécurisées de la Compagnie du Crédit Foncier, il est au cœur de la problématique. En tant que banque, sujette aux nouvelles contraintes réglementaires, une entité financière a le choix entre la restriction et la limitation de son activité découlant des limitations de la taille de son bilan ou, et c’est notre position, elle peut continuer à se développer en restant présente auprès de ses clients et en leur apportant les capacités complémentaires de financement des prêteurs alternatifs. Le rôle de la banque se recentre donc sur la sécurisation des différents intervenants. Son expertise en arrangement et sa gestion technique et relationnelle de la vie des crédits sécurisent chacun. En continuant à prêter, elle assure l’alignement des intérêts des intervenants. Enfin, certains rôles ne peuvent être pris en charge par d’autres intervenants que la banque comme le rôle d’agent, l’évaluation du risque au regard d’un historique et de la connaissance profonde du marché, la gestion des sûretés et le rôle de banque de couverture. Ce positionnement ne peut que se renforcer. La désintermédiation, perçue au départ comme une menace, se révèle être une formidable opportunité pour structurer le marché tout en assurant à l’économie réelle les financements nécessaires. Cela assure aussi aux acteurs en présence une solidité du système qui tient compte des objectifs et contraintes de chacun tout en plaçant le rôle du financeur au centre de la relation. L e Crédit Foncier, acteur de référence sur le marché du financement des investisseurs immobiliers en bureaux, commerces ou actifs d’exploitation, se positionne en promo- l’observateur de l’ immobilier du crédit foncier – Nº 87 les projets d’avenir ceux qui participent au développement des territoires, Crédits Photo : Plainpicture. ceux qui naissent de la volonté conjuguée des investisseurs, des acteurs de l’immobilier social et des collectivités territoriales. Ces projets se réalisent et le Crédit Foncier y prend part. Chaque jour, et depuis 160 ans. creditfoncier.fr Crédit Foncier de France - S.A. au capital de 1 331 400 718,80 € - RCS Paris n° 542 029 848 - Siège social : 19, rue des Capucines - 75001 Paris - Bureaux et correspondance : 4, quai de Bercy - 94224 Charenton Cedex - Intermédiaire d’assurance - Immatriculé à l’ORIAS sous le n° 07 023 327. 24 3 l’opération de syndication de l’îlOt panhard, une opération réussie Au 31/12/2013, Primonial Reim aura sous gestion plus de 3 Md€ d’actifs, dont 40 % détenus via des SCPI, 10 % Laurent Fléchet via l’offre SCI et 50 % en OPCI club deal. Président du Directoire, Primonial REIM. La collecte 2013 devrait s’élever à plus de 1 Md€, permettant l’acquisition de plus de 1,3 Md€ d’actifs (environ quarante opérations). Quelle est votre politique actuelle d’allocation d’actifs ? L. F. : Nous ne souhaitons investir que sur les classes d’actifs Pouvez-vous nous présenter en quelques chiffres et dans les marchés que nous maîtrisons parfaitement. Primonial REIM ? C’est la raison pour laquelle nous n’investissons aujourd’hui Laurent Fléchet : Primonial REIM a été créé en juin 2011 que sur le territoire français. avec comme objectif de constituer une offre de produits d’investissements immobiliers, innovante et complète, En bureaux, nous privilégions la région parisienne à la fois pour une clientèle de particuliers et pour (essentiellement Paris intra-muros et première couronne) ; une clientèle d’investisseurs institutionnels long terme. en commerce, nous sommes très vigilants quant aux mutations de consommation qui sont en train de transformer Cette gamme s’articule aujourd’hui autour : en profondeur nos modes de consommation, nous amenant – d’une offre SCPI, avec un fonds bureaux (SCPI Primopierre, à n’investir que sur le commerce de proximité. Nous avons environ 700 M€ de capitalisation), un fonds commerce une forte conviction sur notre fonds santé-éducation, (SCPI Patrimmo commerce, environ 140 M€ de capitalisation) avec des investissements immobiliers qui permettent et un fonds santé-éducation (SCPI Primovie, environ d’accompagner les différents âges de la vie ; nous avons 100 M€ de capitalisation, 11 mois après sa création) ; par exemple acquis plusieurs crèches, deux écoles, – d’une offre SCI, commercialisée uniquement en unités de compte par 7 assureurs-vie de la place dans leurs contrats ; –d ’une offre OPCI, essentiellement des club deals structurés une clinique, des EHPAD… Les besoins en immobilier de santé sont forts, et l’épargne publique doit pouvoir accompagner son développement. Cette classe d’actifs nécessite autour d’opérations d’investissement immobilier identifiées, une très bonne connaissance de ce secteur et de son mode et pour lesquels nous levons l’equity et nous assurons de fonctionnement. Cela reste, cependant, un marché plus l’asset et le portfolio management ; à titre d’exemple, étroit que celui de bureaux ou de commerce, et seuls on peut citer l’acquisition de la tour Adria, à La défense des fonds d’une taille significative pourront présenter (environ 50 000 m² de bureaux). une réelle dispersion du risque. l’observateur de l’ immobilier du crédit foncier – Nº 87 25 interview et des besoins de communication de plus en plus rapide, nous sommes convaincus que la conception des espaces de travail doit évoluer pour accompagner ce besoin de communication très fort. C’est la raison pour laquelle nous nous sommes intéressés très en amont à l’opération de l’îlot Panhard eu égard à : – sa très grande qualité architecturale ; – sa visibilité ; – sa situation géographique au pied des transports en commun (métro ligne 14, tramway, bus) et dans le prolongement naturel de la Zac Tolbiac-Masséna, avec un fort potentiel de développement de cette zone ; – son aménagement intérieur. Quels étaient, pour vous, les enjeux d’investissement sur cette opération ? L. F. : La structuration de cette opération a été relativement complexe : rachat d’une société concomitant à la livraison de l’immeuble, elle-même ayant acquis l’immeuble en VEFA (1), avec une partie des locaux en blanc (25 % des surfaces). Le financement bancaire est alors un peu plus complexe à mettre en place. Mais nous avons trouvé, au sein des équipes du Crédit Foncier, toute la réactivité nécessaire pour tenir nos délais. Pouvez-vous nous rappeler rapidement Pensez-vous que la syndication entre banquiers les caractéristiques de l’ensemble immobilier et non-banquiers est susceptible, dans les années ex-Panhard ? à venir, d’élargir l’offre de financements corporate ? L. F. : En immobilier tertiaire, nous nous efforçons d’anticiper L. F. : Nous le pensons sincèrement, et cette opération les évolutions des besoins des utilisateurs à moyen-long en est un bon exemple. Il est cependant important terme. Nous avons des convictions sur les zones tertiaires pour nous, en termes de gestion et de reporting, susceptibles de répondre aux demandes dans le futur de n’avoir qu’un seul chef de file. En l’état actuel du marché, des utilisateurs, que ce soit en matière d’accessibilité les banques allemandes restent très présentes, – transports en commun, de confort de vie ou et cette nouvelle offre doit permettre d’élargir le nombre de consommation énergétique. Par ailleurs, en matière de nos partenaires banquiers, surtout avec le niveau de de bureaux, avec l’explosion des réseaux sociaux LTV (2) que nous pratiquons (inférieur, en moyenne, à 40 %). (1) Vente en l’état futur d’achèvement. (2) LTV : loan to value – ratio de risque correspondant au rapport entre l’endettement et la valeur de marché du bien. 26 4 Cofinancements banque/assurance en dette immobilière commerciale : point de situation en France et en Europe Par Arthur Chabrol, Directeur FS Risk, Ernst & Young. 4.1 / INTRODUCTION A u cours de la période récente, le secteur de l’assurance est intervenu de plus en plus fréquemment dans le financement en dette de l’immobilier aux côtés des acteurs bancaires. Certains acteurs – et notamment les plus importants en termes de capitalisation dans la zone euro – ont d’ailleurs communiqué sur de très importants programmes d’investissement en immobilier commercial pour les prochaines années et participent déjà activement à la syndication aux côtés des banques. C’est aussi le cas de nombreux intervenants du secteur au Royaume-Uni. l’observateur de l’ immobilier du crédit foncier – Nº 87 27 syndication Tableau 1. Principaux acteurs de l’assurance ayant mis en place des programmes de financement en dette immobilière commerciale (Source : données publiques et INREV.) Société Type de financement Véhicules Marchés Volume indicatif AXA Dette senior Direct et fonds Zone euro et UK 2,5 Md€ ALLIANZ Dette senior Direct Zone euro et UK 3 Md€ GENERALI Dette senior Direct Zone euro 1 Md€ LEGAL & GENERAL Dette senior Direct UK 1,2 Md€ METLIFE Dette senior Direct UK NC AVIVA Dette senior Direct UK 1,2 Md€ AIG Dette senior Direct UK NC PRUDENTIAL Dette senior Direct et fonds Zone euro et UK NC 1 Md£ converti au cours du 21/10/2013 (1GBP =1,1827 EUR), soit 1 182 700 038 €. NC : non communiqué. La présentation ci-après vise à illustrer le contexte dans lequel s’inscrivent ces nouvelles orientations en termes de placement des sociétés d’assurances et les principaux enjeux auxquels doivent désormais faire face les acteurs du secteur. 4.2 / RENFORCEMENT DU RÔLE DES ASSUREURS EN MATIÈRE DE FINANCEMENT IMMOBILIER ET DE PARTICIPATION AUX OPÉRATONS DE SYNDICATION UN NOUVEAU CONTEXTE FINANCIER L’allocation stratégique d’actifs des sociétés d’assurances est généralement déterminée par les directions financières de ces dernières sur la base d’une approche quantitative et qualitative prenant en compte un ensemble de contraintes de nature économique, réglementaire et comptable. Dans un contexte historique de taux nominaux élevés en Europe, l’allocation d’actifs des sociétés d’assurances a ainsi longtemps consisté en : (I) des investissements dont la maturité était en ligne avec les flux de passifs projetés (règlement des sinistres en non-vie, liquidations et termes des contrats en assurance-vie) et (II) des placements privilégiant la liquidité, à l’image des obligations euro-souveraines. Le faible niveau des taux nominaux observé au cours des dernières années invite désormais les acteurs à diversifier leurs portefeuilles de créances tout en conservant une forte discipline actif/passif. Les financements d’actifs, notamment immobiliers, permettent ainsi tout à la fois de capter la prime de risque liée à la non-liquidité du sous-jacent et de bénéficier d’un niveau de risque restreint grâce aux garanties accompagnant le financement. Dans le cadre de la nouvelle réglementation européenne de l’assurance Solvabilité 2, le premier pilier définit les normes de calcul des fonds propres réglementaires. Le besoin en capital ou SCR (Solvency capital requirement) est calibré pour correspondre aux fonds propres nécessaires à l’assureur pour faire face à ses engagements à un horizon d’un an avec un intervalle de confiance de 99,5 %. L’EIOPA, autorité européenne de supervision des institutions d’assurances et de retraite, a proposé lors de ses mesures d’implémentation de niveau 2 une « formule standard » de calcul du SCR. Le besoin en capital du module « risque de marché » est calculé à partir de six sous-modules correspondant aux facteurs 28 cofinancements banque/assurance en dette… de risque de marché identifiés (taux, actions, immobilier, crédit, concentration, change). À chacun de ces modules correspond un choc, qui est appliqué à la fois aux actifs et aux passifs de l’institution concernée. Pour un actif représentatif d’un financement en dette hypothécaire, le choc simulé – et donc le besoin en capital estimé – est essentiellement lié à deux paramètres : sa maturité et sa notation. Pour un financement immobilier senior à sept ans, le besoin en capital sera ainsi compris entre 10 et 12 %, contre plus de 25 % pour un investissement en immobilier physique. UNE ÉVOLUTION DES RÉGLEMENTATIONS LOCALES En parallèle d’un contexte réglementaire européen tenant mieux compte du profil de risque de chacun des actifs présents au bilan, les régulateurs nationaux font aussi évoluer progressivement les réglementations locales afin de favoriser le financement de l’économie réelle par les acteurs de l’assurance. En France, le décret du 2 août dernier constitue une avancée importante. Pour mémoire, la réglementation des entreprises d’assurances détaille une liste limitative des actifs admis en couverture des engagements réglementés (1). Cette liste comprend ces catégories d’actifs : les valeurs mobilières et titres assimilés ; les actifs immobiliers ; les prêts et dépôts ; les créances garanties. Concernant les financements immobiliers en dette, les novations majeures du décret d’août 2013 sont les suivantes : ◗ la première consiste à considérer comme étant explicitement admissibles les droits émis par des véhicules d’investissement (fonds communs d’investissement ou de titrisation) détenant des financements hypothécaires déjà admissibles lorsqu’ils sont détenus en direct. Ce point est important, car il revient à introduire un principe de transparence dans les codes institutionnels ; ◗ la deuxième précise l’admissibilité des droits non éligibles à la nouvelle catégorie évoquée plus haut (exemple d’un fonds réalisant des financements hypothécaires avec un ratio LTV > 65 %). Ils sont désormais éligibles avec des limites quantitatives de détention adaptées. En synthèse : la recherche de diversification et de rendement et les évolutions réglementaires du secteur de l’assurance couplées à celle du secteur bancaire expliquent la montée en puissance des assureurs dans le financement immobilier. Leur participation à des opérations de syndication aux côtés des banques s’observe principalement au Royaume-Uni, en Allemagne et en France, et est pour l’instant concentrée sur les segments de dette senior les plus sécurisés (core/core+). 4.3 / LES ASSUREURS DOIVENT FAIRE FACE À DE NOUVEAUX ENJEUX L a principale difficulté, pour les assureurs souhaitant effectuer des financements immobiliers, est liée à l’appréciation des risques sous-jacents. Dans un financement, ils sont schématiquement de deux types. ◗ Risques liés au sous-jacent immobilier financé : localisation, état technique des biens, état locatif, etc. ◗ Risqués liés au financement lui-même : niveau d’endet tement, capacité de remboursement, sponsors de la transaction, etc. Une société d’assurances souhaitant effectuer en direct (sur son bilan) ce type de financements devra ainsi être en mesure d’évaluer ces risques afin de sélectionner ceux qui correspondent le mieux à sa stratégie d’investissement et permettent de rémunérer la marge de solvabilité. Les expertises nécessaires à la mise en place de tels financements ne s’arrêtent pas à l’évaluation du risque : il (1) Article R. 332-2 du code des assurances et équivalents dans les autres codes institutionnels. l’observateur de l’ immobilier du crédit foncier – Nº 87 29 syndication conviendra aussi d’analyser les documentations de prêt et les clauses (expertise juridique), de mettre en place les différents circuits opérationnels avec la banque ayant structuré l’opération (rôle d’agent, recouvrement des créances, etc.) et d’être en mesure d’alimenter les systèmes comptables et de conformité en interne. Tout cela implique le développement de nouveaux savoir-faire, la présence d’équipes expertes et un coût de mise en place relativement élevé. Les entités d’assurances peuvent dès lors privilégier la mise en place d’une délégation de la gestion financière auprès de gestionnaires d’actifs spécialisés, afin d’accélérer leur timeto-market et d’amorcer leur courbe d’apprentissage. Tableau 2. Principaux acteurs de la gestion d’actifs ayant mis en place des offres de financement en dette immobilière commerciale (Source : données publiques et INREV.) Société Type de financement Marchés Encours cible AXA REIM Dette senior France, Allemagne, R. U. 2 Md€ AEW Dette senior France, Allemagne, R. U. 0,5 Md€ Tous types France, Allemagne, R. U. 1 Md£ M&G RE ACOFI Dette senior France 0,5 Md€ LA FRANçAISE REM Dette senior Europe 0,5 Md€ LA BANQUE POSTALE AM Dette senior Europe 0,5 Md€ HENDERSON Dette senior France, Allemagne, R. U. 0,75 Md£ AMUNDI IMMOBILIER Dette senior France 0,5 Md€ LASALLE IM Mezzanine et junior Allemagne, R. U. 0,8 Md£ PRAMERICA Mezzanine et junior Europe 0,5 Md£ 4.4 / CONCLUSION L e développement important de la participation des assureurs aux opérations de financement et de syndication en immobilier commercial permet aux émetteurs de diversifier leurs sources de financement et de compter sur des acteurs dont l’horizon et les caractéristiques de placement diffèrent naturellement de ceux de leurs partenaires bancaires historiques. Les sociétés d’assurances souhaitant investir significativement doivent se doter de moyens et d’expertises nouvelles en interne. Elles devront aussi savoir nouer des relations de partenariat avec les banques ayant développé une connaissance fine des marchés immobiliers européens grâce à leur présence de longue date.