Français-Anglais - Art Nouveau Network
Transcription
Français-Anglais - Art Nouveau Network
Un monde étrange / A strange world www.artnouveau-net.eu This project has been funded with support from the European Commission. This publication (communication) reflects the view only of the author and the commission cannot be held responsible for any use which may be made of the information contained therein. Un monde étrange Métamorphose et Hybridation dans l’Art nouveau A strange world Metamorphosis and Hybridation in Art Nouveau Retrouvez toutes les informations sur le réseau et nos activités sur All the information about the Réseau and our activities may be found at Initié en 1998 par la Région de Bruxelles-Capitale et réuni en association (asbl) depuis 2007, le Réseau Art Nouveau Network étudie, défend et promeut le patrimoine Art nouveau en Europe à travers de nombreuses activités. www.artnouveau-net.eu Villes membres de l’asbl / asbl Member cities: Subventionné à quatre reprises par la Commission européenne (Phase de lancement 1999-2000 ; Art nouveau en projet 20012004 ; Art nouveau et société 2005-2008 ; Art nouveau & écologie 2010-2015), le réseau organise des colloques, des expositions itinérantes pour le grand public et des échanges professionnels pour les institutions partenaires. Il propose également des publications et un site Internet destinés tant aux adultes qu’aux enfants, aux néophytes qu’aux professionnels. Cet ouvrage a été réalisé dans le cadre du projet Art nouveau & écologie, qui, à travers ses activités (exposition, colloques, échanges professionnels, outils éducatifs et virtuels), vise à démontrer le lien entre l’Art nouveau et la nature et à comprendre le rapport qu’entretenaient les artistes de l’époque avec leur environnement. The Réseau Art Nouveau Network was established by the Brussels-Capital Region in 1998, becoming a non-profit organisation in 2007. Through a host of initiatives, the Réseau raises awareness of Art Nouveau, examining and protecting its legacy in Europe. The European Commission has sponsored the Réseau on four occasions (the launch phase, 1999-2000; the programmes Art Nouveau in Progress, 2001-2004, Art Nouveau and Society, 2005-2008 and Art Nouveau and Ecology, 2010-2015). The association organises seminars, travelling exhibitions open to the general public and professional exchanges for partner institutions. It has also produced various publications and has a website for adults and children, new enthusiasts and professionals alike. This catalogue is intended to accompany the project Art Nouveau and Ecology. The aim of the project is to highlight links between Art Nouveau and nature, and explore the relationship between artists of the period with their environment through various activities (exhibitions, seminars, professional exchanges, and educational and virtual tools). Ålesund (NO), Aveiro (PT), Bad Nauheim (DE), Barcelona (ES), Bruxelles-Brussel (BE), Budapest (HU), Darmstadt (DE), Glasgow (UK), Helsinki (FI), La Chaux-de-Fonds (CH), La Habana (Cuba), Ljubljana (SI), Melilla (ES), Nancy (FR), Oradea (RO), Palermo (IT), Provincia di Varese (IT), Regione Lombardia (IT), Rīga (LV), Subotica (RS), Terrassa (ES), Wien (AT). cover image / cover image: Koloman Moser, Loïe Fuller dansant “l’Archange” (1902), encre et aquarelle sur papier quadrillé © Albertina, Vienna Koloman Moser, Loïe Fuller in the dance “The archangel” (1902), ink and watercolours on squared paper, © Albertina, Vienna image p. 6: Photograph of Epidendrum prismatocarpum, from the work by Frederik Sander: “Reichenbachia. Orchids Illustrated and Described”, volume 2, 1890. Photographic plate from the Emile Gallé Collection. School of Nancy Museum, inv. 2012-2-5-107 Photograph of Epidendrum prismatocarpum, from the work by Frederik Sander: “Reichenbachia. Orchids Illustrated and Described”, volume 2, 1890. Photographic plate from the Emile Gallé Collection. School of Nancy Museum, inv. 2012-2-5-107 image p. 7: Atelier Gallé, Cicades, Plaque photographique, Musée de l’Ecole de Nancy, inv. 2012-2-5-96, © Nancy, musée de l’Ecole de Nancy Atelier Gallé, Cicadas, Photographic plate from the Emile Gallé Collection. School of Nancy Museum, inv. 2012-2-5-96 image p. 24: Atelier Gallé, Libellule, Plaque photographique, Musée de l’Ecole de Nancy, inv. 2012.2.5.93, © Nancy, musée de l’Ecole de Nancy Editeur responsable EN Arlette Verkruyssen General Director Ministry of the Brussels Capital Region Department of Spatial Planning and Housing Rue du Progrès 80 b 1 1035 Brussels - Belgium FR Arlette VERKRUYSSEN Directeur général Ministère de la Région de Bruxelles-Capitale Administration de l’Aménagement du Territoire et du Logement CCN - Rue du Progrès, 80/1 1035 BRUXELLES Atelier Gallé, Dragonfly, Photographic plate from the School of Nancy Museum, inv. 2012.2.5.93, © Nancy, School of Nancy Museum image p. 138/144: Henry Bergé, Observational drawing (plant), study of various leaves, detail. School of Nancy Museum, inv.988-2-60, photo Damien Boyer Henry Bergé, Observational drawing (plant), study of various leaves, detail. School of Nancy Museum, inv.988-2-60, photo Damien Boyer Ce projet a été financé avec le soutien de la Commission européenne. Cette communication n’engage que ses auteurs et la Commission n’est pas responsable de l’usage qui pourrait être fait des informations qui y sont contenues. This project has been funded with the support from the European Commission. This communication reflects the views only of the authors, and the Commission cannot be held responsible for any use which may be made of the information contained therein. Un monde étrange Hybridation dans l’Art nouveau et le Symbolisme A strange world Hybridisation in Art Nouveau and Symbolism 1 Préface p. 4 Note d’intention p. 8 Introduction Preface p. 6 The Aim Behind the Project p. 10 p. 12 Introduction p. 14 Photographies de Vincent Munier p. 16 Photographs by Vincent Munier p. 18 Avant-propos p. 24 Foreword p. 24 Études de cas p. 27 Case studies p. 27 Bibliographie p. 139 Bibliography p. 139 Colophon p. 142 Colophon p. 142 Rudi Vervoort, Ministre-Président du Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale en charge des Monuments et Sites Teresa-M. Sala, Teresa-M. Sala, professeur d’histoire de l’art à l’Universitat de Barcelona. Commissaire de l’exposition « Natures de l’Art nouveau » Hélène Guéné, professeur émérite d’histoire de l’art contemporain à l’Université Lumière, Lyon 2 Rudi Vervoort, Minister-Président of the Government of the Brussels-Capital Region Teresa-M. Sala, Professor of Art History at the Universitat de Barcelona. Curator of the exhibition “The Nature of Art Nouveau” Hélène Guéné, Professor Emerita of Contemporary Art History at the Université Lumière, Lyon 2 Le Réseau européen de l’Art nouveau (RANN), fondé en 1998, est un ambitieux projet initié par la Région de Bruxelles-Capitale. Il rassemble aujourd’hui 23 villes européennes qui protègent, étudient et valorisent un patrimoine majeur. Organisée dans le cadre du 4ème programme Art nouveau et écologie du Réseau, l’exposition itinérante « Natures de l’Art nouveau » à laquelle est consacré ce catalogue offre, grâce à une iconographie riche et variée, un regard original sur l’étroite relation qui lie l’Art nouveau à la Nature. Founded in 1998, the European Réseau Art Nouveau Network (RANN) is an ambitious project initiated by the Brussels-Capital Region. Today it comprises 23 European cities, all committed to protecting, studying and raising awareness of a remarkable heritage. Elle s’inscrit dans l’engouement sans cesse croissant pour l’Art nouveau, courant qui a révolutionné l’architecture et le design dans l’histoire européenne et qui bénéficie aujourd’hui d’une reconnaissance européenne et internationale ! Ceci me tient d’autant plus à cœur que Bruxelles fut le berceau de l’Art nouveau, tout comme elle fut l’un des piliers de la construction européenne. The exhibition has been organised at a time when enthusiasm for Art Nouveau continues to increase. The style had brought about a revolution in the history of European architecture and design - it is now enjoying a renaissance in Europe and beyond! I find this particularly gratifying as Brussels was the birthplace of Art Nouveau and also played a key role in the creation of the European Union. L’Art nouveau marque une rupture dans l’histoire de l’art européen. Rompant avec le vocabulaire architectural du XIXe siècle, il incarne tout à la fois une fascination pour la nature dont nous sommes issus et une foi dans l’avenir, la science et la technique. Exaltant la première, il n’a cependant vu le jour que grâce aux matériaux que l’industrie, soutenue par l’innovation technologique, pouvait désormais produire en masse. Il porte en lui cette dualité. Art Nouveau constitutes a watershed in the history of European art. Breaking away from the architectural vocabulary of the 19th century, it reflected both a fascination with nature, our source of life, and a faith in the future, in science and technology. Whilst it celebrated the former, the movement owed its existence to the materials that could now be mass-produced through industrial processes supported by technical innovation. This duality is one of Art Nouveau’s inherent characteristics. Modernité mais aussi volonté d’esthétique, de raffinement, de perfection du travail artisanal ont ainsi animé une pléiade d’artistes à travers l’Europe. Victor Horta ou Paul Hankar à Bruxelles, Hector Guimard à Paris, Antoni Gaudí à Barcelone, Charles Rennie Mackintosh à Glasgow, Josef Hoffmann en Autriche, … Tous ont œuvré, en s’inspirant de Dame Nature à l’embellissement de nos décors et plus largement à celui de nos villes. Artists throughout Europe were inspired by the concept of modernity, but this was accompanied by a desire to produce aesthetically pleasing creations, displaying refinement and perfect craftsmanship. Victor Horta and Paul Hankar in Brussels, Hector Guimard in Paris, Antoni Gaudí in Barcelona, Charles Rennie Mackintosh in Glasgow and Josef Hoffmann in Austria all took their inspiration from Mother Nature as they applied themselves to creating beautiful interior designs and, on a broader scale, to enhancing our cities. Soucieux de promouvoir les valeurs culturelles et la dimension européenne de ce patrimoine si proche de nous, je vous souhaite une visite des plus « naturelles » et « enrichissantes » ! Rudi Vervoort, Ministre-Président du Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale en charge des Monuments et Sites 4 This catalogue accompanies the travelling exhibition entitled “The Nature of Art Nouveau”, which forms part of the Réseau’s fourth programme, Art Nouveau and Ecology. With its rich and varied iconography, the exhibition offers a unique insight into the close connections between Art Nouveau and nature. I am keen to raise awareness of the cultural significance and European dimension of this heritage, with which we are so closely connected. In this spirit, I wish you a “naturally” enjoyable and enriching visit! Rudi Vervoort, Minister-President of the Government of the Brussels-Capital Region 5 6 7 Note d’intention « Il se produit une immense tristesse de penser que la nature parle tandis que le genre humain ne l’écoute pas » Victor Hugo La nature, ainsi évoquée dans le passé, explique le présent et renvoie aux origines de notre situation présente. Alors que les poètes romantiques reconnaissaient dans la nature un espace où la totalité pouvait être intégrée dans la multiplicité de ses connexions intimes, les perspectives actuelles sont fort menaçantes. Physis pour les Grecs et natura pour les Latins sont des mots qui renvoient aux phénomènes du monde physique, au cours des choses, au mouvement de la vie en général. C’est pourquoi l’architecte Antoni Gaudí a dit qu’être original, c’est revenir aux origines, c’est-à-dire, à la nature. Les métamorphoses créatives de l’Art nouveau -mouvement paneuropéen d’une grande diversité - se basent sur l’étude et l’observation des formes naturelles, ce qui donne la possibilité aux créateurs de formuler un langage libéré de l’historicisme. Ainsi, analyser la relation de l’Art nouveau avec la nature nous renvoie à l’origine même de la création. Les créateurs de l’Art nouveau évoquent et interprètent les symboles du temple de la nature, expression poétique d’un concept de la nature saisie comme une unité. On trouve celle-ci formulée de manière prémonitoire dans la pensée esthétique de Charles Baudelaire qui, dans son sonnet Correspondances, permet au lecteur de percevoir une image de la nature palpitante de vie car le monde naturel est compris comme un seul organisme. Le lan- 8 gage des correspondances suggère le mystère que les poètes et les artistes savent reconnaître : « nos racines se trouvent au fond des bois, entre les mousses, autour des sources », disait Émile Gallé. De fait, voilà le rêve créateur de l’époque propice à l’émergence de différentes interprétations des Natures de l’Art nouveau qui affirment les particularités de chaque créateur et de chaque lieu. L’œil de l’époque Les façons dont on observe le monde aux différentes époques ont initié un processus qui entraîne la formation d’un champ de vision commun. À la fin du XIXe siècle, les expériences visuelles s’étaient élargies grâce aux nouveaux instruments d’optique, comme l’appareil photo ou le microscope, qui permettaient de découvrir des éléments de la nature jusqu’alors invisibles à l’œil nu. Bientôt, des dictionnaires ou des albums rassemblent plantes et animaux publiés sous forme de planches. Ces ouvrages bénéficièrent d’une importante diffusion et constituèrent de nouveaux répertoires ornementaux utiles aux artistesdécorateurs. L’influence du Japon fut un autre facteur de renouvellement artistique, où l’étude précise de la faune et de la flore développe un nouveau sens de l’observation et de l’interprétation de la nature. Aussi, la représentation graphique d’images de la nature servit de modèle aux artistes de l’Art nouveau. L’atelier de la nature L’atelier est l’espace physique ou mental où a lieu le processus de création. Il existe une série de préoccupations communes aux créateurs qui sont relatives à la théorisation et l’expérimentation: les possibilités de la ligne, l’application des ornements et des structures, les mo- dèles formels et symboliques, la connaissance des métiers, des matières et des processus techniques ainsi que l’imagination qui transforme, fusionne et réinterprète les formes naturelles et culturelles. L’ouverture sur un monde nouveau inspiré par la nature suppose une analyse qui permet d’extraire des solutions logiques et structurelles, qui sont à la base d’une méthode propre à concevoir un bâtiment ou un objet de petite taille. Ainsi, les racines de l’architecture organique se trouvent dans le grand livre qu’est la nature. La création de paysages artificiels Un paysage est un fragment de nature qui se transforme en métaphore dans les réalisations de l’Art nouveau. Les principes vitaux qui portent les sens à jouir des natures artificielles, recomposées à partir des œuvres choisies pour l’exposition, sont les quatre éléments (la terre, l’eau, le feu et l’air). Le flux continu de l’existence est représenté symboliquement par la puissance de germination de la nature au printemps, moment où débute le cycle des saisons. À l’époque de l’Art nouveau, l’utilisation des nouvelles énergies et l’apparition de l’électricité changent les modes de production et la conception du temps. L’industrie transforme la physionomie des paysages, la nature est représentée de manière idéalisée pour symboliser le progrès. Les paysages de l’Art nouveau sont des jardins où l’intervention de l’homme a modifié la nature pour créer un spectacle stimulant dans lequel « les sons, les parfums et les couleurs se répondent ». Teresa-M. Sala Professeur d’histoire de l’art à l’Universitat de Barcelona. Commissaire de l’exposition « Natures de l’Art nouveau » 9 Natures de l’Art nouveau The Aim Behind the Project “It is immensely saddening to think that nature speaks and mankind does not listen” Victor Hugo “Our roots are in the heart of the forest, among the mosses, on the banks of the streams”. In this way, the creative dream that emerged during this period gave rise to different interpretations of the diverse “natures” of Art Nouveau, highlighting the individuality of each artist and se location. produit une immense tristesse de penser of“Il each Through this reference, made in a former era, Nature elucidates the present and reflects the origins of our situation today. Whereas the Romantic poets recognised in nature a world whose totality could be integrated into its profusion of intimate connections, our modern attitude gives great cause for concern. The Greek word physis and the Latin natura are terms that refer to phenomena in the physical world, to the natural course of things, and to the rhythm of life in general. As the architect Antoni Gaudí put it: “to be original involves revisiting our origins”, in other words, nature. The creative metamorphoses brought about by Art Nouveau –a richly diverse Pan-European movement - are based on the study and observation of natural forms, which enabled its creators to formulate a language free from historical precedent. In this way, by analysing the relationship between Art Nouveau and nature, we are returning to the very origins of creation. Art Nouveau creators evoked and interpreted the symbols of “Nature’s temple”, a poetic expression describing nature grasped as a totality. In prophetic fashion, Charles Baudelaire gave aesthetic voice to this notion; his sonnet Correspondances presents the reader with the image of nature, conceived as a single organism, pulsating with life. The language used evokes its mystery, recognised by poets and artists, and expressed here by Émile Gallé : 10 la nature parle tandis que le genre humain ne The EyeHugo) of an Era Victor Different periods have observed the world in their own ways, thereby generating a process that has brought about the creation of common visual fields. In the late 19th century, the scope of visual experience had been broadened through the invention of new optical instruments such as the camera and the microscope. These had brought to light elements of the natural world previously invisible to the naked eye ; this soon led to the publication of dictionaries and albums illustrated with plates depicting plants and animals. These books enjoyed a wide circulation and provided useful new decorative repertoires for artist-designers. An additional source of artistic regeneration was the influence of Japan, where the meticulous study of flora and fauna inspired a new approach to observing and interpreting nature. Pictorial representations of nature also served as models for Art Nouveau artists. Nature’s Studio Here, the term “studio” denotes the physical or intellectual space where the creative process develops. A series of preoccupations relating to theory and experimentation has commonly engaged creative minds: the possibilities afforded by line, the treatment of decoration and structures, the models to be used for form and symbolism, to- gether with knowledge of crafts, materials and technical processes. Imagination also plays its part, transforming, merging and re-interpreting natural and cultural forms. The discovery of a new world inspired by nature necessitated an analysis from which logical, structural soluquetions could be obtained. These constitute the basis of a method to the design of a building or a small l’écoute pasapplicable ” object. We see organic architecture, therefore, rooted in the vast book of nature. The Creation of Artificial Landscapes A landscape is a fragment of the natural world transformed into a metaphor through Art Nouveau creations. The four vital elements (earth, water, fire and air) stimulate our sensory pleasure in the artificial landscapes, re-composed using works selected for the exhibition as a basis. The continual flow of life is symbolically represented by the powerful germinating force of nature in spring, when the cycle of the seasons begins. During the Art Nouveau period, the use of new forms of energy and the advent of electricity changed production methods and altered our conception of time. Industry transformed the physiognomy of landscapes, with nature being depicted in an idealised manner to symbolise progress. Art Nouveau landscapes are gardens, where human intervention has reconfigured the natural world to create a spectacle that stimulates our senses, and where we find “commingled perfumes, sounds and hues”. Teresa Sala Professor of Art History at the Universitat de Barcelona. Curator of the exhibition “The Nature of Art Nouveau” 11 Introduction Jusque dans les années 1880, des compositions décoratives, surtout destinées aux besoins des manufactures, empruntaient au répertoire ornemental du passé. Au lendemain de la première Exposition Universelle de Londres de 1851, furent ainsi publiés en trois langues des ouvrages accumulant la production artistique de l’humanité depuis l’origine des temps (Owen Jones, 1855 ; Auguste Racinet, 1869...). Dans cet historicisme « encyclopédique », chacun puisait à sa guise, qu’il respecte le motif à la lettre ou qu’il l’interprète. Mais l’époque réclamait une esthétique nouvelle, dégagée du rapport à l’histoire. L’observation de la flore ou de la faune offrait une alternative riche de possibilités. L’étude documentaire d’un Gérard van Spaendonck puis d’un Pierre-Joseph Redouté recherchait la précision « anatomique », un genre qui devait beaucoup à l’esprit des Lumières et qui fut vite supplanté par la photographie. De la soif de changement qui caractérise l’Art nouveau viendra un autre regard, celui posé sur les études scientifiques de l’anatomie et de l’organographie de la plante comme celles de E. Le Maout, en 1846 et de P. Duchartre en 1877, renvoyant au débat les théories opposées de G. Cuvier, de J.B. de Lamark puis de Ch. Darwin). Dès lors, on comprend qu’une vision organiciste qui mettait l’accent sur la nature comprise comme un tout, observée chez Pierre-Victor Galland, Emile Gallé et Antoni Gaudí, ait pu naître. En élargissant considérablement les points de vue, les éléments constitutifs de la plante (tissus cellulaires, ra- 12 cines, tiges, feuilles, fleurs, bourgeons, inflorescences, ramifications, etc.) associés aux règles de la composition décorative, devenaient source d’interprétation à l’infini. Photographies en vue rapprochée et observations au microscope appartiennent aussi à ce monde que concrétisent les publications de Karl Blossfeldt et d’Ernst Haeckel – puis, dans sa mouvance, celles d’Henri Sullivan ou de René Binet. Á ces nouvelles postures s’ajoutait la découverte des arts orientaux, en particulier ceux du Japon dont les objets furent présentés dans les Expositions universelles - à Londres dès 1862... Pour un occidental, se révélait l’étonnante efficacité plastique des estampes : des compositions asymétriques, des formes synthétiques et stylisées, des graphismes à la liberté contrôlée, des couleurs étonnantes, souvent en aplat, créant rythme et espace jusqu’à l’abstraction... Ces leçons plastiques combinées à l’usage inédit de matériaux et à de nouvelles sources d’inspiration exprimaient parfaitement l’esprit créatif du moment. Tous les arts visuels en seront tributaires – y compris l’architecture et les arts décoratifs, qu’il s’agisse des meubles, des textiles, de la porcelaine, de la verrerie, du vitrail, de la ferronnerie, des bijoux, etc... En témoignent nombre de publications, la plupart du temps à but pédagogique quand elles ne sont pas au service du monde commercial (F. S. Meyer, 1889 ; A.E.V. Lilley et W. Midgley, 1895 ; Eugène Grasset, 1896 ; Walter Crane, 1900…) Quant au goût formel de la ligne pour ellemême, il émerge particulièrement dans le monde de l’architecture en flattant simultanément la géométrie orthogonale (P. Hankar, O. Wagner, C.R. Mackintosh…) et curviligne (V. Horta, H. Guimard, H. Van de Velde…). Cette dichotomie n’est pas contradictoire. Au contraire, elle montre combien les registres ne sont pas clos : de la nature réelle (ou réinventée par une imagination fantasmatique), leur ouverture à l’univers dans son entier s’étend depuis les animaux les plus insignifiants – les insectes ou le monde aquatique – jusqu’à des bêtes extraordinaires : dragon, chimère, centaure… On ne peut expliquer autrement l’engouement pour un symbolisme inspiré par les textes sacrés et la métaphysique. Issu du monde pictural, il touche aussi bien le corps idéalisé de la femme, le cycle des saisons, les éléments naturels des paysages inventés ou bien réels (comme ceux bouleversés par l’industrie). Dès avant la Grande Guerre, l’intérêt se déplaça vers les cultures extra-européennes ou primitives venues d’Afrique ou d’Océanie. On en vantait la vie simple et libre au sein de la nature, sorte d’Eden à la Gauguin - à l’inverse des sociétés européennes sophistiquées du siècle finissant. Parce qu’elles ignoraient les canons de l’art académique, ces peuplades primitives véhiculaient un exotisme que l’on jugea authentique, expressif... Il n’y avait pas loin du primitivisme au régionalisme. Tous deux partagent un fort goût pour l’expressivité. Miroir de la culture nordique, le pavillon de la Finlande, à l’Exposition Universelle de Paris en 1900, remporta un franc succès. La nouveauté y prenait un caractère universel : s’associaient modestie et fraîcheur, passé et présent, nation et culture au service d’un idéal poétique. C.R. Mackintosh en Écosse et L. Domenech i Montaner en Catalogne puiseront aux mêmes sources. Outre les volumétries complexes des toitures à la manière des Arts and Crafts anglais, d’autres artistes retiendront des éléments de l’architecture vernaculaire comme la demi-croupe ou le pignon - détails parfaitement ordinaires dont le caractère rural devenait signifiant (L. Bonnier à Ambleteuse, C. Voysey à Oxshott, J.M. Olbrich à Darmstadt, H. Sauvage à Nancy, C. L’Eplattenier à la Chaux-deFonds, etc.). En se distinguant d’une culture dominante que l’on souhaitait voir effacée, le « régionalisme », véhiculait des archétypes propres à tous les hommes et à tous les temps. Quand le « mouvement nouveau de l’Art décoratif » (comme on le désignait à l’époque) gagna toute l’Europe et plus loin encore, naquit de la nature comme source d’inspiration primordiale, un vocable décoratif à la fantaisie sans limite. Dans les années 1890, mais pour un temps seulement, l’ornementation dont cette inspiration découlait faisait corps symbiotiquement avec son support et son environnement. Une nouvelle exigence allait s’imposer dès la première Exposition des arts décoratifs modernes de Turin en 1902, à laquelle participaient tous les pays où l’Art nouveau s’était développé : elle réclamait le contrôle de la volubilité décorative, qui fut le talon d’Achille de l’Art nouveau. Le modernisme, tel qu’il se déclinera après 1900, imposera simplification des formes et purification du langage. Hélène Guéné Professeur émérite d’histoire de l’art contemporain à l’Université Lumière, Lyon 2 13 Introduction Prior to the 1880s, decorative compositions, which were mainly intended to meet the needs of factory production, drew on the ornamental repertoire of the past. In this way, books detailing mankind’s artistic output from the dawn of time were published in three languages following the Great Exhibition held in London in 1851, examples being Owen Jones in 1855 and Auguste Racinet in 1869. This “encyclopaedic” historical panorama provided inspiration for all, and designs might be faithfully replicated or given an original interpretation. However, the period called for a new aesthetic principle free from historical tradition, and the observation of flora and fauna offered an alternative rich in possibilities. The accurate studies of Gérard van Spaendonck and later those of Pierre-Joseph Redouté reflected a quest for “anatomical” precision, an approach which owed much to the spirit of the Enlightenment and was to be rapidly supplanted by photography. The thirst for change which characterises Art Nouveau introduced another perspective in the focus on scientific studies of the anatomy and organography of plants. Examples include the works by Emmanuel Le Maout (1846) and Pierre Duchartre (1877), which reflected the debate over the conflicting theories of Georges Cuvier, Jean-Baptiste de Lamark and later, of Charles Darwin. This enables us to understand the emergence of organicist vision, which emphasised the concept of nature as a single entity, as perceived by Pierre-Victor Galland, Emile Gallé and Antoni Gaudí. Used in conjunction with the rules of decorative composi- 14 tion, the constituent elements of plants (cell tissue, roots, stems, leaves, flowers, buds, blossoms, branches and so on) greatly broadened artistic perspectives, becoming a source of interpretation offering endless possibilities. Magnified photographs and observations through a microscope also form part of this world, brought to life in the publications of Karl Blossfeldt and Ernst Haeckel, which in turn influenced those of Henry Sullivan and René Binet. These new approaches were accompanied by the discovery of Oriental arts, in particular those of Japan; Japanese objects were shown at the World Exhibitions, the first occasion being in London in 1862. Westerners were astonished by the remarkable quality of plasticity displayed by the prints, with their asymmetrical compositions, synthetic, stylised forms, the controlled freedom of their draughtsmanship and their breathtaking colours, often flat tints, which created an impression of rhythm and space verging on abstraction. These lessons in plasticity, combined with novel ways of using materials and with fresh sources of inspiration, perfectly expressed the creative spirit of the time. The influences extended to all the visual arts, including architecture and the decorative arts, and applied to objects such as furniture, textiles, porcelain, glassware, stained glass, ironwork, jewellery and so forth. This is reflected by a number of publications, mostly intended for educational or commercial purposes. Examples include works by F. S. Meyer, 1889; A.E.V. Lilley and W. Midgley, 1895; Eugène Grasset, 1896 and Walter Crane, 1900. Appreciation of line for its own sake became particularly apparent in the world of architecture, where orthogonal geometry (Paul Hankar, Otto Wagner and Charles Rennie Mackintosh) and curvilinear forms (Victor Horta, Hector Guimard and Henry Van de Velde) were equally favoured. This dichotomy is far from contradictory. Indeed, it demonstrates the lack of boundaries between categories; originating from nature itself (or nature as reinvented by a fantastical imagination), they encompassed the entire universe, from the most insignificant creatures –insects or aquatic life-forms– to mythological beasts such as dragons, chimeras and centaurs. This must surely explain the enormous enthusiasm for symbolism inspired by sacred texts and the realm of metaphysics. Generated by the pictorial world, it was used for the idealised depiction of the female body, the cycle of the seasons and the natural elements of landscapes both invented and real, such as those defaced by industry. Before the First World War, interest had shifted beyond Europe’s borders to indigenous cultures originating from Africa and Oceania. There was praise for the freedom and simplicity of life spent in the heart of nature, seen as comparable to a Garden of Eden reminiscent of Gaugin’s paintings - the antithesis of the sophisticated societies of late 19 th century Europe. Unaware of the canons of academic art, these native tribes conveyed a notion of exoticism seen as authentic and expressive – and from Primitivism to Regionalism there was but a small step. Both movements shared a strong predilection for expressivity. The Finnish pavillion, a reflection of Nordic culture, met with resounding success at the Paris World Exhibition of 1900. Its novelty took on a universal character, as it combined modesty and freshness, past and present, and nation and culture in the service of a poetic ideal. Charles Rennie Mackintosh in Scotland and Lluís Domènech i Montaner in Catalonia were to draw inspiration from the same sources. In addition to the complex volumetry of roof-structures characteristic of the English Arts and Crafts movement, other artists were to retain elements of vernacular architecture such as the half-hip or the gable, quite ordinary details whose rural character was becoming an important feature (for example Louis Bonnier at Ambleteuse, Charles Voysey at Oxshott, Joseph Maria Olbrich at Darmstadt, Henri Sauvage at Nancy and Charles L’Eplattenier at La Chaux-de-Fonds, among others). Setting itself apart from a dominant culture which it hoped to see eclipsed, the « Regionalist » movement provided archetypes suitable for all humankind and all eras. The “new decorative arts movement” (as it was known at the time) spread throughout Europe and beyond; taking nature as its primal source of inspiration, it generated a decorative vocabulary offering boundless imaginative possibilities. For just a short time during the 1890s, the ornamentation created from this source of inspiration was perfectly at one with its medium and its environment. A new requirement was to be imposed following the first International Exhibition of Modern Decorative Arts held in Turin in 1902, in which all the countries where Art Nouveau had developed participated. It called for restraint with regard to decorative excess, which was Art Nouveau’s Achilles’ heel. As Modernism developed after 1900, it brought about a simplification of form and a purity of language Hélène Guéné Professor Emerita of Contemporary Art History at the Université Lumière, Lyon 2. 15 Vincent Munier Originaire de Lorraine, le photographe français Vincent Munier est un fervent défenseur de la nature. Suivant les traces de son père, Michel Munier, lui-même photographe animalier, il s’inspire également de photographes japonais comme Michio Hoshino et américains comme Jim Brandenburg. Ses images, qui rappellent subtilement les estampes japonaises, célèbrent la beauté de la nature mais également sa fragilité, sensibilisant ainsi les lecteurs aux dangers qui la guettent. Lauréat à trois reprises du BBC Wildlife Photographer of the Year Award et cité parmi les photographes de légende de la société Nikon Corporation au Japon, il est aujourd’hui considéré comme l’un des photographes professionnels les plus talentueux de sa génération et multiplie les collaborations avec de prestigieux magazines français et internationaux tels que National Geographic World, BBC Wildlife Magazine, Terre Sauvage ou Geo. Photo © Vincent Munier 16 17 Vincent Munier A native of Lorraine, the French photographer Vincent Munier is passionate about protecting nature. Following in the footseps of his father Michel Munier (also a wildlife photographer), he draws inspiration from both Japanese and American photographers such as Michio Hoshino and Jim Brandenburg. His images, subtly reminiscent of Japanese prints, celebrate the fragility as well as the beauty of nature, alerting readers to the dangers that threaten it. A three-time winner of the BBC Wildlife Photographer of the Year Award and listed in the ranks of legendary photographers compiled by the Japanese-based Nikon Corporation, he is considered to be one of the most talented professional photographers of his generation. He has collaborated on several occasions with prestigious French and international magazines such as National Geographic World, BBC Wildlife Magazine, Terre Sauvage and Geo. Photo © Vincent Munier 18 19 Photo © Vincent Munier 20 21 Photo © Vincent Munier 22 23 « Le monde de l’art n’est pas celui de l’immortalité, c’est celui de la métamorphose. » “The world of art is not a world of immortality but of metamorphosis.” André Malraux En puisant leur inspiration dans la nature, les artistes de l’Art nouveau n’ont pas figé celle-ci, mais l’ont stylisée et sublimée par la maîtrise des techniques artisanales et la richesse des matériaux, dépeignant tour à tour sa variété, sa majesté, ses secrets que seul le microscope pouvait dévoiler ou encore sa permanente renaissance. Cette idée de transformation évoquée dans l’exposition « Natures de l’Art nouveau » est abordée dans cet ouvrage sous ses multiples aspects, à travers les cycles de la vie, du temps et des saisons et les créatures chimériques nées des vagabondages de l’imagination que l’on retrouve dans l’architecture, le mobilier et le répertoire décoratif Art nouveau de quatorze villes européennes. In taking their inspiration from nature, Art Nouveau artists did not reproduce it as a frozen mirror-image; instead they stylised and enhanced it through their mastery of artisanal techniques and the richness of their materials, depicting its variety, its majesty, its secrets - revealed only through the microscope - and its continual regeneration. This publication explores the many and varied aspects of that concept of transformation, which is presented in the exhibition “The Nature of Art Nouveau” through life cycles, the weather, the seasons and extraordinary creatures born of fanciful imagination. These are to be found in the architecture, furniture and decorative repertoire of Art Nouveau in fourteen European cities. 24 25 Le Jugendstil norvégien ou l’émergence d’une nouvelle architecture nationale Au tournant du siècle, les Norvégiens souhaitent insuffler un caractère national à leur architecture, c’est pourquoi l’Art nouveau s’est directement inspiré de l’architecture médiévale et du style « dragon ». La ville côtière d’Alesund, principalement constituée de maisons en bois, brûla entièrement en 1904. Pour la reconstruire, on se tourna vers les nouvelles technologies et un style moderne. De nouveaux édifices en brique furent dotés de murs creux pour s’adapter à l’humidité élevée et aux fortes précipitations en permettant un séchage plus rapide. De nombreux bâtiments disposent de clapets d’aération sur les façades et les conduits d’air respectent l’alignement des poutres de soutènement pour une bonne ventilation des appartements. Durant tout le XIXe siècle, la théorie des miasmes soutenait que les maladies étaient provoquées par un air contaminé. Les arguments du début du XXe siècle en faveur de systèmes de ventilation sont donc techniques et sanitaires. À Alesund, les motifs ornementaux de l’Art nouveau sont souvent issus de la mer, comme les nœuds marins ou la vague, mais de nombreux édifices ont reçu une décoration composée de fruits, de fleurs et d’insectes. Un des architectes les plus significatifs de 26 Alesund ce mouvement fut Hagbarth Schytte-Berg (18601944), qui utilisa des motifs issus des églises en bois norvégiennes, des légendes et des contes aussi bien pour des villas que pour des bâtiments commerciaux. Son chef-d’œuvre, la Pharmacie du Cygne (1907), possède un toit d’ardoises, des tours d’angle et une façade faite de mœllons bruts. À l’intérieur, on trouve nombre de serpents en émail guilloché s’inspirant de ceux des églises médiévales en bois. Le serpent est considéré comme un symbole d’éternité et de fertilité, un symbole phallique également, que seuls les démons peuvent anéantir. Dans la pharmacie, on trouve aussi beaucoup de chouettes évoquant la sagesse. Les vitraux de la cage d’escalier sont décorés de fleurs et de paysages côtiers. Le granit brut des pierres de la façade, solide et résistant, peut être interprété comme un élément national. (p. 26) Hagbart Schytte-Berg, façade de la Pharmacie du Cygne (Alesund 1907). Photo: Jugendstilsenteret. (p. 29) Hagbart Schytte-Berg, Pharmacie du Cygne, détail d’une porte en bois sculpté (Alesund 1907). Photo: Jugendstilsenteret. 27 The Norwegian Jugendstil or the emergence of a new national architecture At the turn of the century, Norwegians were keen to infuse their buildings with national character, which explains the roles of Medieval architecture and the “dragon” style as direct sources of inspiration for Art Nouveau. noteworthy exponents of this trend was the architect Hagbarth Schytte-Berg (1860-1944), who used motifs sourced from Norwegian wooden churches, legends and stories for private villas as well as commercial buildings. The coastal town of Alesund, which mainly comprised houses made of wood, burnt to the ground in 1904. Its reconstruction was based on the adoption of new technology and a modern style. His masterpiece, the Swan Pharmacy Building (1907), has a slate roof, corner towers and a façade made of untreated rubblestone. The interior contains a number of serpents in guilloche enamel inspired by those in the medieval wooden churches. The serpent denotes eternity and fertility and is also a phallic symbol, which can only be destroyed by demons. The interior of the Pharmacy also contains several owls, suggestive of wisdom. The stained glass in the stairwell is decorated with a design of flowers and coastal landscapes. The untreated granite on the façade, solid and resistant, may be construed as a national feature. New brick buildings were given hollow walls to enable them to adapt to higher humidity levels and heavy rain, facilitating a speedier drying process. Several buildings featured ventilation flaps on their façades and the air conduits followed the alignments of the support beams, ensuring that the apartments were well ventilated. The miasma theory, according to which diseases were caused by contaminated air, persisted throughout the 19th century. The early 20th century arguments in favour of ventilation systems were therefore based on technical and sanitary considerations. Ornamental Art Nouveau motifs in Alesund are often inspired by the sea, such as knots and waves, but many buildings were given decorative designs composed of fruits, flowers and insects. One of the most 28 (p. 26) Hagbart Schytte-Berg, façade of the Swan Pharmacy (Alesund 1907). Photo: Jugendstilsenteret. Alesund (p. 29) Hagbart Schytte-Berg, Swan Pharmacy, detail of a carved wooden door (Alesund 1907). Photo: Jugendstilsenteret. 29 Le sombre mirage de Theodor Kittelsen Peintre et concepteur de mobilier, Theodor Kittelsen (1857-1914) s’investissait dans la littérature, la publicité et l’illustration. La cœxistence de l’Homme avec la nature était le fil conducteur de toute son œuvre et de sa vie personnelle. Les métamorphoses étaient sa raison d’être. Ainsi, la montagne avec ses sommets, ses gorges et ses forêts devenait le grand troll Montagne ; un rocher sur la rive se changeait en Draugen, un vieil homme sans tête au corps couvert d’algues. Si quelqu’un venait à sombrer en mer, Draugen hurlait. Kittelsen emporta aussi bien les adultes que les enfants norvégiens dans un monde fantastique de contes de fées, devenant ainsi l’un des artistes norvégiens les plus appréciés. L’illustration Mirage, qui date de 1888, a été réalisée pour son livre Depuis Lofoten. De 1887 à 1889, Kittelsen vécut aux Lofoten, un archipel du nord de la Norvège dont le rude climat et la nature devinrent une source d’inspiration pour le reste de ses jours. Mirage est décliné dans différentes tonalités de gris. Au premier plan se trouve la mer sombre. Alors que le soleil de minuit rentre dans l’océan, il semble qu’un nouveau soleil elliptique s’élève par-dessus. Le phénomène sous ces latitudes crée de singulières 30 Alesund illusions d’optique. Des créatures indistinctes ressemblant à des sommets montagneux émergent de l’océan. L’apparent brouillard crée une tension entre le réel et l’irréel, pareille à un mirage. Kittelsen écrivit lui-même : « Il semble que les sommets montent et descendent. (…) Les châteaux et la Tour de Babel sortent de terre et s’écroulent comme la plus misérable et rustique des cabanes. » Le ciel confère un côté dramatique à la scène. Une nuée d’oiseaux noirs volant vers des régions plus chaudes s’y déploie jusque sous l’horizon. La composition paraît équilibrée mais, quand le spectateur l’examine avec attention, il se passe quelque chose. Des nuages, surgit un ange avec un masque noir. À l’aide d’une faucille, celui-ci divise la masse des oiseaux et de là naît le chaos. On peut presque entendre leur cri d’effroi. La scène a pour référence le Livre de la Révélation, et apparaît comme un portrait dramatique de la vie humaine. La juste colère de Dieu, et l’homme minuscule dans une nature majestueuse. (p. 30) Theodor Kittelsen, Mirage (1888), illustration de son ouvrage Fra Lofoten, dessin au lavis, crayon et plume, 27,5 x 47 cm. Photo : Jugendstilsenteret. (p. 33) Theodor Kittelsen, détail de l’illustration Mirage 31 The sombre mirage of Theodor Kittelsen A painter and furniture designer, Theodor Kittelsen (1857-1914) devoted himself to literature, publicity images and illustration. Man’s co-existence with nature formed the central theme of his work and personal life. Metamorphosis was his abiding passion. In this way, mountains with their peaks, gorges and forests became the great Mountain Troll; a rock on the river-bank was transformed into a headless old man known as Draugen, whose body was covered with algae and who would howl in the event of someone drowning at sea. Kittelsen transported Norwegian adults and children alike into a fantastical, fairy-tale world, becoming one of Norway’s most popular artists. The illustration entitled Mirage, which dates from 1888, was created for his book Lofoten. From 1887 to 1889 Kittelsen lived in Lofoten, an archipelago in northern Norway; its natural environment and harsh climate remained a source of inspiration for him to the end of his days. Mirage is executed in different tones of grey. The sombre sea lies in the foreground, and as the midnight sun dips back into the ocean, a new, elliptical sun appears to rise above it; the phenomenon creates unique optical illusions in these latitudes. Indistinct 32 creatures resembling mountain peaks emerge from the ocean and an apparent fog creates a tension between the real and the unreal, akin to a mirage. Kittelsen himself wrote: “summits seem to rise and descend (…) Castles and the Tower of Babel are born of the earth and collapse just like the most wretched and rustic of huts.” The sky imparts a dramatic aspect to the scene. Spreading over it, a flock of black birds flying to warmer regions extends below the horizon. Although the composition appears balanced, on closer scrutiny the spectator becomes aware of something happening. An angel wearing a black mask is looming out of the clouds. Using a sickle, this figure cuts through the mass of birds, thereby generating chaos. Their terrified screeches are almost audible. The scene is based on the Book of Revelations and presents a dramatic portrayal of human existence – the righteous wrath of God, with man dwarfed by the majesty of nature. Alesund (p. 30) Theodor Kittelsen, Mirage (1888), illustration from his book Fra Lofoten, pen, pencil and wash, 27.5 x 47 cm. Photo: Jugendstilsenteret. (p. 33) Theodor Kittelsen, detail of the illustrationn Mirage 33 La maison Belmonte, un hymne à la nature devenu Musée La demeure de Mário Belmonte Pessoa fut édifiée entre 1907 et 1909. À l’heure actuelle, elle sert de cadre au Musée Art nouveau de la ville d’Aveiro. Le bâtiment attira d’emblée l’attention quand il fut construit et des articles furent publiés dans la presse de l’époque, vantant sa beauté et sa modernité. Aujourd’hui encore, il stimule l’imagination des visiteurs qui, très souvent, avouent qu’ils seraient très heureux d’y vivre. En fait, on peut penser que l’objectif de cette maison était véritablement le bonheur et le bien-être de ses habitants. Plusieurs éléments contribuèrent à atteindre ce but : les couleurs claires de l’intérieur, les carrelages aux motifs floraux et animaliers qui embellissent le premier étage, les fenêtres cintrées qui laissent abondamment entrer la lumière, le patio avec son sol en pierre au travail foisonnant... De nos jours encore, le sentiment éprouvé est celui de l’harmonie avec la nature. Au premier regard, la prépondérance d’une décoration mettant en scène animaux et plantes apparaît comme une évidence tant au niveau de la façade avant que de la façade arrière, une emphase caractéristique de l’Art nouveau local qui semble être au service de l’ostentation sociale de la réussite économique. Toutefois, la présence de motifs naturels ne sert pas uniquement 34 Aveiro de décoration ; elle exprime aussi le souhait de reproduire un jardin en pleine ville dans une période d’industrialisation et de construction intenses, grâce à l’exubérance des façades certes, mais également grâce à l’atmosphère plus contenue de l’intérieur de l’édifice. Si un jardin pouvait être transformé, voire métamorphosé, en maison, c’est cet aspect qu’il aurait ! (p. 38) Francisco Silva Rocha, façade de l’ancienne résidence Mário Pessoa, actuel Musée Art nouveau d’Aveiro (Aveiro 1907-1909) © Municipalité d’Aveiro, photo : Gustavo Ramos (p. 41) Francisco Silva Rocha, détail de la façade de l’ancienne résidence Mário Pessoa, actuel Musée Art nouveau d’Aveiro (Aveiro 1907-1909) © Municipalité d’Aveiro, photo : Gustavo Ramos 35 The Belmonte house, a hymn to nature transformed into a Museum Built from 1907 to 1909, the home formerly owned by Mário Belmonte Pessoa now houses the city of Aveiro’s Art Nouveau museum. The building attracted attention from the outset, inspiring articles in the contemporary press extolling its beauty and modernity. It still arouses enthusiasm among today’s visitors, many of whom admit they would be only too happy to make it their home. The house certainly appears to have been designed with the comfort and well-being of its inhabitants foremost in mind. Several features help to achieve this purpose: the light colours in the interior, the tiling with its floral and animal motifs adorning the first storey, the arched windows enabling light to flood in, and the patio with its richly worked stone floor. The impression of harmony with nature still remains today. At first sight, the dominance of decoration featuring animals and plants on both the front and rear façades seems reflect an extravagance characteristic of the local Art Nouveau, which appeared to serve as a vehicle for social ostentation and economic success. However, the nature-themed motifs fulfill more than a purely decorative aim; they reflect the desire to recreate a garden in the very heart of the city during a period of intensive industrialisation and construction. This is certainly achieved through 36 the exuberantly adorned façades, but also through the more restrained atmosphere in the interior of the building. If a garden could be transformed, or even metamorphosed, into a house, it would look exactly like this! (p. 38) Francisco Silva Rocha, façade of the former home of Mário Pessoa, now the Aveiro Art Nouveau Museum(Aveiro 1907-1909) © Municipality of Aveiro, photo : Gustavo Ramos Aveiro (p. 41) Francisco Silva Rocha, detail of the façade of the former home of Mário Pessoa, now the Aveiro Art Nouveau Museum (Aveiro 1907- 1909) © Municipality of Aveiro, photo : Gustavo Ramos 37 Le dernier espoir d’Artur Pratt Dans la ville d’Aveiro, le style Art nouveau apparaît dans la conception de plusieurs tombes du cimetière central. La plus connue est sans doute le mausolée réalisé pour la famille Barbosa de Magalhães. Conçu par Ernesto Korrodi, il adopte les mêmes lignes et le même type de décoration profuse qui caractérisent les maisons Art nouveau de l’époque. Dans ce cas, la demeure des vivants ne semble pas très différente de celle des morts, excepté peut-être au niveau des fenêtres qui, dans le cas du mausolée, se résument à d’étroites fentes alors que les architectes ont opté dans les maisons ordinaires pour de vastes baies vitrées, propices à faire entrer la lumière naturelle. Dans ce même cimetière central, il faut également signaler une crypte Art nouveau très particulière qui véhicule un message très différent. La tombe n’est pas une maison pour le corps mais l’expression finale de l’âme. Cette crypte qui fut bâtie en 1914 appartient à la famille de l’artiste Artur Pratt et possède un remarquable groupe sculpté en bronze baptisé l’Ultimo Alento, ou le « dernier espoir » par l’artiste lui-même. La statue en bronze figure la Mort vêtue d’une ample cape plissée, la tête couverte par un capuchon qui ne cache pas tout à fait le crâne. En fait, le spectateur l’imagine, le perçoit davantage qu’il ne le voit réellement. Le corps de la jeune 38 Aveiro femme, très sensuel, clairement visible à travers le tissu très fin, presque transparent, de la robe, exprime à la fois l’abandon à la mort et l’espoir symbolisé par une main posée sur la poitrine. Sur d’anciennes représentations, on peut voir que la Mort tient dans la main un sablier symbolisant la fin du temps passé chez les vivants. La jeune femme porte une torche qui peut aussi bien signifier la lumière éternelle que la disparition de la lumière et l’entrée dans les ténèbres. (p. 38) Artur Pratt, Le Dernier Espoir, groupe sculpté en bronze (Aveiro 1914) © Municipalité d’Aveiro, photo : Gustavo Ramos (p. 41) Artur Pratt, Le Dernier Espoir, détail du groupe sculpté en bronze (Aveiro 1914) © Municipalité d’Aveiro, photo : Gustavo Ramos 39 The Last Hope, by Artur Pratt The Art Nouveau style appears in the design of several tombs in the main cemetery of the city of Aveiro. The most famous of these is probably the mausoleum created for the Barbosa de Magalhães family. Designed by Ernesto Korrodi, it displays the same lines and the same type of abundant decoration characterising Art Nouveau houses from that period. In this instance, the abode of the living does not appear to differ greatly from that of the deceased, except perhaps for the windows; in the case of the mausoleum, these are reduced to narrow slits, whereas architects endowed ordinary houses with vast bay windows to let in plenty of natural light. The main cemetery also contains a noteworthy and completely unique Art Nouveau crypt, which conveys a very different message. This tomb is not primarily a resting place for the body, but represents the final expression of the soul. Built in 1914, the crypt belongs to the family of the artist Artur Pratt, and includes a remarkable group sculpted in bronze made by the artist himself and entitled Ultimo Alento, or « last hope ». The bronze statue represents Death, clad in a voluminous, pleated cloak, his head covered by a hood that does not entirely conceal his skull. This is in fact imagined by the spectator, who senses it rather than seeing it. The highly sensual body of 40 the young woman is clearly visible through the very thin, almost transparent material of her dress, and although it expresses a yielding to death there is also hope, denoted by her hand placed on her breast. In early images, Death can be seen holding an hourglass to symbolise the end of time spent among the living. The young woman carries a torch, which may represent either eternal light or the disappearance of light and the entry into darkness. (p. 38) Artur Pratt, The Last Hope, group sculpted in bronze (Aveiro 1914) © Municipality of Aveiro, photo : Gustavo Ramos Aveiro (p. 41) Artur Pratt, The Last Hope, detail of group sculpted in bronze (Aveiro 1914) © Municipality of Aveiro, photo : Gustavo Ramos 41 Les Enfants papillons Friedrich Wilhelm Kleukens (1878-1956) apprit l’art du dessin dans la fabrique d’argenterie “Wilkens & Son” et à l’École des arts appliqués de Berlin (Kunstgewerbeschule). Avec des amis, il fonda un atelier artisanal à Berlin-Steglitz et se spécialisa très vite dans le graphisme et la typographie, devenant professeur à l’Académie d’arts graphiques (Akademie für Graphische Künste) de Leipzig. Il intégra en 1906 la colonie d’artistes de Darmstadt sous le patronage du Grand-Duc Ernst Ludwig de Hesse et du Rhin. Avec son frère Christian Heinrich Kleukens, il fonda la Ernst-Ludwig-Presse en 1907 à la demande du souverain. Dans ce cadre, ils réalisèrent des éditions de très haute qualité, imaginant polices, initiales et illustrations. Friedrich Wilhelm Kleukens était avant tout un typographe et a su développer de nouveaux concepts, devenant célèbre pour ses annonces humoristiques et ses illustrations animalières qui avaient un grand succès. Également peintre, il fut à l’origine de remarquables compositions à Darmstadt. À Bad Nauheim, il conçut la peinture plafonnante de la maison de bains n°2 mais aussi, pour le même bâtiment, les attrayants couples de paons des grandes fenêtres. Cependant, les cinq peintures à l’huile figurant des enfants dotés d’ailes de papillon et de 42 libellule, symbolisant les saisons, sont uniques. Nous ignorons quand elles furent exécutées et pourquoi ces thèmes furent choisis car ils ne sont évoqués nulle part ailleurs dans son œuvre. Elles s’inspirent probablement de cette attirance pour les personnages hybrides qui apparaissent dans de nombreuses œuvres d’art de l’époque. Pensons notamment aux sculptures ou aux bijoux présentant des femmesinsectes en vogue chez Lalique ou Wolfers. Sur le document en page 42, on peut voir une jeune fille avec des ailes de papillon, tenant un bouquet de fleurs. En page 45, un garçon occupe le centre d’une guirlande florale circulaire soutenue par deux pélicans. Sur une carte postale envoyée à un ami, il a appelé ces peintures « Mes enfants ailés ». Les cinq compositions qui montrent un sujet similaire traité différemment ont été placées dans le salon du théâtre Art nouveau de Bad Nauheim. (p. 42) Friedrich Wilhelm Kleukens, Les Enfants papillons (c. 1910), peinture à l’huile, 1,20 x 1,75 m © Photo : Hiltrud Hölzinger Bad Nauheim (p. 45) Friedrich Wilhelm Kleukens, Les Enfants papillons (c. 1910), peinture à l’huile, 1,20 x 1,75 m © Photo : Hiltrud Hölzinger 43 The Butterfly Children Friedrich Wilhelm Kleukens (1878-1956) learnt the art of drawing in the silverware manufactory “Wilkens & Son” and at the school of Applied Arts in Berlin (Kunstgewerbeschule). Together with a group of friends, he established an artisans’ studio at Berlin-Steglitz; he very soon specialised in graphics and typography, becoming a teacher at the Academy of Graphic Arts (Akademie für Graphische Künste) in Leipzig. In 1906 he joined the Darmstadt Artists’ Colony, which was under the patronage of Ernst Ludwig, Grand Duke of Hesse and by Rhine. In 1907, at the sovereign’s behest, he and his brother Christian Heinrich Kleukens founded the Ernst Ludwig Presse, for which he produced editions of great quality, creating fonts, initials and illustrations. Primarily a typographer, Friedrich Wilhelm Kleukens developed new designs and achieved fame for his humorous advertising images and illustrations of animals, which met with great success. He was also a painter, and created remarkable compositions at Darmstadt. At Bad Nauheim he designed not only the paintings on the ceilings of bath-house n°2, but also the attractive pairs of peacocks decorating the large windows of the same building. However, the five oil paintings depicting children with butterfly and dragonfly wings, symbolising the seasons, are unique. We do 44 not know when they were painted or why these themes were chosen, but they do not appear anywhere else in his body of work. They were probably inspired by the penchant for those hybrid figures that appear in several artistic creations during this period, prominent examples being the sculptures and jewellery featuring the “insect-women” favoured by Lalique and Wolfers. A young girl with butterfly wings holding a bouquet of flowers is depicted on page 42 of this catalogue. On page 45 there is an image showing a young boy in the centre of a garland of flowers supported by two pelicans. On a postcard to a friend, Kleukens referred to these paintings as “My winged children”. The five compositions which show a similar subject given a different treatment have been placed in the lounge at Bad Nauheim’s Art Nouveau theatre. Bad Nauheim (p. 42) Friedrich Wilhelm Kleukens, Butterfly Children (c. 1910), oil painting, 1.20 x 1.75 m © Photo : Hiltrud Hölzinger (p. 45) Friedrich Wilhelm Kleukens, Butterfly Children (c. 1910), oil painting, 1.20 x 1.75 m © Photo : Hiltrud Hölzinger 45 Les centaures-gardiens des sources du Sprudelhof Heinrich Jobst (1874-1943) étudia la sculpture à l’Académie des beaux-arts de Munich et travailla ensuite comme professeur à l’École des arts décoratifs, également à Munich. En 1906, il devint l’un des membres de la colonie d’artistes de Darmstadt œuvrant sous le patronage du Grand-Duc Ernst-Ludwig de Hesse et du Rhin. À Bad Nauheim, il fut à l’origine de la plupart des sculptures du Sprudelhof. Les imposants bassins destinés à accueillir l’eau thermale, au centre de la cour du complexe, furent construits en 1911 et constituent assurément sa contribution la plus significative. Deux volées de marches mènent, à droite comme à gauche, à deux larges bassins aux sources écumantes. Deux centaures-gardiens, l’un femelle, l’autre mâle, terminent les parapets de ces mêmes bassins. Leurs bustes, d’aspect humain, se prolongent en pattes de cheval et en queue d’animal marin. Leurs têtes supportent des corbeilles remplies de fruits. Ces figures qui se font face reçoivent les visiteurs avec calme et dignité. Sculptées dans le calcaire coquillier, elles peuvent être considérées comme les symboles de l’harmonie existant entre l’homme et la nature, de la richesse de la flore et de la faune combinée au mystère des éléments qui comptait parmi les idéaux des protagonistes de l’Art nouveau. La figure féminine tient une rose à la main, un autre symbole très prisé par les artistes du mouvement. (p. 46) Heinrich Jobst, Vue générale des bassins gardés par les centaures de pierre sculptés (Bad Nauheim 1911) © Photo : Hiltrud Hölzinger Bad Nauheim Les centaures gardent l’un des lieux les plus importants du Sprudelhof, les sources curatives venues des profondeurs, qui apportèrent une renommée internationale à la ville 46 de Bad Nauheim. De nos jours, les visiteurs continuent à apprécier le Sprudelhof, ses eaux jaillissantes et son complexe thermal, le plus vaste d’Europe, placé sous la garde de ces deux sculptures fantastiques. (p. 49) Heinrich Jobst, Le centaure femelle (Bad Nauheim 1911) © Photo : Hiltrud Hölzinger 47 The centaurs guarding the Sprudelhof springs Heinrich Jobst (1874-1943) studied sculpture at the Munich Academy of Fine Arts and later taught at the School of Decorative Arts, also in Munich. In 1906 he became a member of the Darmstadt Artists’ Colony, whose patron was Ernst Ludwig, Grand Duke of Hesse and by Rhine. continues to attract visitors today; its gushing waters and spa complex, the largest in Europe, are secure under the guard of these two extraordinary sculptures. Jobst was responsible for most of the sculptures in the Sprudelhof spa complex at Bad Nauheim. The imposing basins in the centre of the courtyard, designed to contain the thermal water, were built in 1911 and are certainly his most significant contribution. Two flights of steps to the right and left lead up to two wide basins with foaming spring water. Two guardian-centaurs, one female, the other male, form each end of the parapets around the basins. Their upper bodies are human in appearance, extending into horses’ hooves and sea-creatures’ tails. On their heads are baskets filled with fruit. These figures are placed opposite each other and receive visitors with a calm and dignified demeanour. Sculpted in shell limestone, they may be seen as symbols of the harmony between man and nature and of the abundance of flora and fauna which, combined with the mystery of the elements, formed one of the ideals that inspired Art Nouveau creators. The female figure holds a rose, another symbol beloved by artists within the movement. The centaurs guard the healing springs whose sources lie deep within the ground; these count among the most important areas in the Sprudelhof and have brought international renown to the city of Bad Nauheim. The Sprudelhof 48 Bad Nauheim (p. 46) Heinrich Jobst, General view of the basins guarded by the sculpted stone centaurs (Bad Nauheim 1911) © Photo : Hiltrud Hölzinger (p. 49) Heinrich Jobst, The female centaur (Bad Nauheim 1911) © Photo : Hiltrud Hölzinger 49 Les mûriers blancs de la Casa Antònia Burés Le paysage urbain barcelonais changea progressivement de physionomie durant l’époque du Modernisme, avec ses façades ornementales singulières qui transformèrent les constructions en autant de joyaux. Dans le quartier Dreta de l’Eixample, les arbres de la Casa Antònia Burés s’enracinent dans le sol de la rue d’Ausiàs Marc, tout en flanquant la porte principale où se trouve un blason portant les initiales de la propriétaire Antònia Burés. Celle-ci épousa Llogari Torrents, membre d’une famille de Manresa qui se consacrait à l’industrie textile. En 1903, il commanda sa maison de Barcelone à l’architecte Juli Batllevell i Arús (1864-1928), de Sabadell, qui fut disciple de Lluís Domènech i Montaner et collaborateur d’Antoni Gaudí. Pour ce qui est des arbres qui décorent l’extérieur du bâtiment, certains auteurs ont affirmé qu’il s’agissait de pins (faisant allusion au constructeur Enric Pi), mais ce sont bien des mûriers blancs comme l’a toujours soutenu la famille Burés, ce qui n’a rien d’étrange car au XVIIIe siècle, la soie faisait vivre la moitié de la ville de Manresa. L’amidon de la feuille de mûrier était l’aliment du ver à soie qui, suivant le cycle vital de métamorphose des chenilles en chrysalides, brise le cocon lorsque le papillon éclôt grâce à une sécrétion acide qui sépare les fils de soie. 50 Barcelone Les piliers de pierre en forme de mûriers de la Casa Burés délimitent et créent une hiérarchie entre les zones d’accès. Ils indiquent les axes des tribunes de l’étage principal et organisent les plans du premier niveau constructif. L’élément de soutien et le linteau se transforment en tronc et en feuilles, motif végétal où l’on découvre, respectivement à droite et à gauche, un oiseau et un écureuil. L’arbre est toujours le symbole de vie, lié au cycle des saisons et de l’existence, un des symboles essentiels de différentes traditions avec trois niveaux de signification: les racines (l’origine), le tronc (terre-substance) et la cime (air-ciel). Ici, la présence de deux arbres frères, celui de la vérité et celui de la vie (références à « l’être » et au « connaître ») inquiète et soulève des questions. (p. 50) Juli Batllevell i Arús, Un des deux arbres qui décorent la façade de la Casa Antònia Burés, 46 rue d’Ausiàs Marc (Barcelone 1903-1906), photo : Xavier Bolao © IMPUQV (p. 53) Juli Batllevell i Arús, Un des deux arbres qui décorent la façade de la Casa Antònia Burés, 46 rue d’Ausiàs Marc (Barcelone 1903-1906), détail, photo : Xavier Bolao © IMPUQV 51 The white mulberry trees of the Casa Antònia Burés The physiognomy of Barcelona’s urban landscape gradually changed during the Moderniste period, with its remarkable ornamental façades that transformed buildings into jewels. The trees forming part of the Casa Antònia Burés, situated in the Dreta de l’Eixample district, rise from their roots in the Carrer d’Ausiàs Marc to flank the main door, which bears a shield with the initials of the owner, Antònia Burés. She was the wife of Llogari Torrents, who belonged to a family from Manresa involved in the textile industry. In 1903, he commissioned Juli Batllevell i Arús (1864-1928) to design his home in Barcelona. The architect, who originated from Sabadell, was a disciple of Lluís Domènech i Montaner and collaborated with Antoni Gaudí. Although some authors have maintained that the trees decorating the exterior of the building are pines (an allusion to the master builder Enric Pi), they are actually white mulberry trees, as has always been asserted by the Burés family. This is not surprising, given that in the 18th century half the population of the town of Manresa made a living from silk. Starch from the mulberry leaf provided food for silkworms; these follow the life cycle of catepillars, which change into chrysalises and break open their cocoons when the butterfly hatches by means of an 52 acid secretion that separates the silk threads. The pillars formed by the stone mulberry trees of the Casa Burés establish a boundary, creating a hierarchy among points of access. They are placed in line with the balcony on the main storey and structure the layout of the ground floor. The supporting element and the lintel have been transformed into the plant motifs of tree trunks and leaves; a bird and a squirrel may be found on the right and left hand tree respectively. The tree remains the symbol of life, linked to the cycle of the seasons and of existence. One of the essential symbols shared by various traditions, it contains three levels of meaning: roots (origins), trunk (earth-matter) and summit (air-sky). Here, the presence of two brother-trees, those of truth and life (references to “being” and “knowing“) raises questions and provides food for thought. (p. 50) Juli Batllevell i Arús, One of the two trees decorating the façade of the Casa Antònia Burés, 46 Carrer d’Ausiàs Marc (Barcelona 1903-1906), photo : Xavier Bolao © IMPUQV Barcelona (p. 53) Juli Batllevell i Arús, Detail of one of the two trees decorating the façade of the Casa Antònia Burés, 46 Carrer d’Ausiàs Marc (Barcelonea 1903-1906), photo : Xavier Bolao © IMPUQV 53 Liliana, le papillon-âme 54 Liliana est le chef-d’œuvre d’Apel·les Mestres (Barcelone, 1854-1936), écrivain, dessinateur, musicien, jardinier et collectionneur. Achevé en 1906, le poème fut imprimé en 1907 par Oliva de Vilanova dans une édition de bibliophile. C’est un poème à la forme libre, synthèse dans laquelle Mestres médite de manière poétique sur la relation entre l’homme et la nature. Dans le prologue, le poète regrette le paradis perdu, la nature primordiale où la forêt est une sorte de cathédrale sacrée. C’est là que vivent trois gnomes immortels Flok, Mik et Puk, qui en sont les gardiens. Comme une révélation, dans le gouffre des naïades, apparaît une belle femme mystérieuse surgie « du fonds des eaux les plus profondes » qui s’appelle Liliana. Elle naît là où la vie est engendrée et elle incarne le pouvoir transformateur de l’amour et de la beauté qui, en un beau matin d’avril, habille son corps d’une tunique de pétales de lin dont Mik lui a fait cadeau. Et, après avoir contemplé son image dans l’eau transparente, elle s’embellit encore grâce aux ailes radieuses d’un papillon que Flok a capturé. Ainsi, elle s’enveloppe de l’innocence et de la majesté du lin, qui se conjugue avec les ailes déployées de la représentation de la psyché, mot qui en grec veut dire âme et aussi papillon. Dans l’Antiquité, le papillon-âme pouvait préfigurer la mort, la résurrection et le salut qui deviennent ceux du poète-artiste. Barcelone À la différence d’autres naïades, Liliana n’est pas méchante mais innocente, d’une beauté pure qui charme les gnomes qui en oublient leurs obligations envers la nature. Pendant ce temps, Fleur de lin, le sylphe venu de la plaine, l’enlève sur ses ailes. Les gnomes, lorsqu’ils s’en rendent compte, sont abattus et ne réagissent pas jusqu’au moment où, aidés par les abeilles (représentant le peuple), ils boutent hors de la forêt un braconnier qui s’y trouvait. Dans la dernière strophe du livre, Liliana meurt pendant l’hiver tandis qu’une jonquille fleurit en son souvenir. Et, en silence, les esprits qui gardent la nature, revenus dans le bois où tout est vivant, écrivent la chronique des faits dans le livre de la forêt. (p. 54) Apel·les Mestres, Révélation, Illustration du livre Liliana (1905), dessin à la plume et à l’encre de chine, 32,4x22 cm, collection privée (p. 57) Apel·les Mestres, L’Intrus, Illustration du livre Liliana (1905), dessin à la plume et à l’encre de chine, 32,4x22 cm, collection privée 55 Liliana, the butterfly-soul Liliana is the masterpiece written and illustrated by Apel·les Mestres (Barcelona, 1854-1936), a writer, illustrator, musician, gardener and collector. Completed in 1906, the poem was published in a collectors’ edition in 1907 by Oliva de Vilanova. This free-form poem presents a far-reaching panorama in which Mestres meditates in lyrical manner on the relationship between man and nature. In the prologue, the poet expresses regret for paradise lost, the primordial world of nature where the forest may be compared to a sacred cathedral. Here live its guardians, three immortal gnomes, Flok, Mik and Puk. A beautiful, mysterious woman named Liliana appears in the water-nymphs’ chasm, emerging like a revelation « from the fathomless depths of the waters ». Born at the source of life itself, she embodies the transformational power of love and beauty, and is clothed in this way in a tunic of flax-flower petals, a gift from Mik on a lovely April morning. After she has gazed at her image in the transparent water, her beauty is enhanced by the radiant wings of a butterfly captured by Flok. She is therefore swathed in the purity and majesty of linen, coupled with the outspread wings that represent the psyche, a word meaning both soul and butterfly in Greek. In Antiquity, the butterfly-soul could be a presage of the death, resurrection and salvation that await the poet-artist. 56 Unlike other water-nymphs, Liliana is not mischevious but innocent; her pure beauty captivates the gnomes and causes them to forget their duties towards nature. During this time, she is borne away on the wings of Flor-de-Lli, the sylph of the plains. Distraught at this discovery, the gnomes remain inactive until, helped by bees (representing humankind), they drive a poacher whom they discover out of the forest. In the final strophe of the work, Liliana dies during the winter, and a daffodil flowers in her memory. The spirits guarding nature, having returned to the wood where life is flourishing, silently write the chronicle of events in the book of the forest. Barcelona (p. 54) Apel·les Mestres, Revelation, IIllustration from the book Liliana (1905), drawing in pen and Indian ink, 32,4x22 cm, private collection (p. 57) Apel·les Mestres, The Intruder, Illustration from the book Liliana (1905), drawing in pen and Indian ink, 32,4x22 cm, private collection 57 Civilisation et barbarie L’étonnant porte-documents en ivoire, argent et onyx de style Art nouveau baptisé « Civilisation et barbarie » fut conçu par Philippe Wolfers (1858-1929) en 1897. Cet objet prestigieux fut offert à Edmond van Eetvelde, secrétaire d’État de l’État indépendant du Congo, lors d’une fête donnée en son honneur au Cinquantenaire. Pas moins de 800 invités furent conviés au banquet organisé à cette occasion. Ce sont les industriels coloniaux belges, séduits par l’art de Wolfers présenté durant l’Exposition internationale de Bruxelles de 1897, qui furent à la base de cette commande très particulière. Une souscription permit de récolter les 3 000 francs belges de l’époque nécessaires pour acquérir le porte-documents. D’une haute qualité d’exécution, cette œuvre d’art peut être considérée comme le couronnement de l’initiative prise par les autorités pour introduire l’ivoire congolais sur la scène artistique belge. La défense d’éléphant, présentant une fleur de lys sculptée, sert de boîtier à un parchemin qui résume l’histoire du Congo. Narratif et romantique à la fois, le porte-documents véhicule également un langage allégorique que l’on peut décrypter comme suit : le cygne symbolise la race européenne et la civilisation mais aussi le progrès généré par elles tandis que le dragon qui apparaît sous la forme d’un ser- 58 Bruxelles pent avec des ailes de chauve-souris symboliserait les Africains et l’ignorance, la cruauté, la barbarie et l’obscurantisme. Stylistiquement, ce dragon s’inspire du « Calvaire » du sculpteur Henri Boncquet (18681908) mais on perçoit également l’influence prégnante du sculpteur Isidore De Rudder (1855-1943) qui travailla pour Wolfers à cette époque. Techniquement, l’artiste a adapté la patine de l’argent au caractère symbolique des figures présentes, et ce pour en accentuer l’expressivité. Ainsi, l’argent du cygne est traité de façon plus lumineuse alors que celui du dragon est recouvert d’une patine sombre. Le porte-documents est la propriété de la Fondation Roi Baudouin. De nos jours, il est exposé en dépôt aux Musées royaux d’Art et d’Histoire. (p. 58) Philippe Wolfers, Civilisation et barbarie (1897), Coll. Fondation Roi Baudouin © Hugues Dubois (p. 61) Philippe Wolfers, Civilisation et barbarie (1897), détail Coll. Fondation Roi Baudouin © Hugues Dubois 59 Civilisation and Barbarism The remarkable Art Nouveau style document-holder in ivory, silver and onyx known as « Civilisation and Barbarism » was designed by Philippe Wolfers (1858-1929) in 1897. The prestigious object was presented to Edmond van Eetvelde, Secretary of State for the Independent State of Congo, at a celebration held in his honour at the Parc du Cinquantenaire. No fewer than 800 guests were invited to the banquet organised for this occasion. The Belgian colonial industrialists were responsible for this highly original commission, having been captivated by Wolfers’ art when it was exhibited at the Brussels World Exhibition in 1897. Through a subscription, they were able to raise the 3 000 Belgian francs then needed to acquire the document-holder. This admirably crafted work of art may be seen as the crowning achievement of the authoritites’ initiative to introduce Congolese ivory onto the Belgian artistic scene. The elephant’s tusk, which is carved with a lily-flower, serves as a container for a parchment summarising the history of the Congo. Both narrative and Romantic in character, the documentholder also conveys an allegorical language, which may be deciphered as follows: the swan symbolises the European peoples, their civilisation and the progress they have achieved, whereas the dragon, por- 60 trayed as a serpent with the wings of a bat, could represent Africans, ignorance, cruelty, barbarism and obscurantism. Although the style of the dragon was inspired by « Calvary », the work of the sculptor Henri Boncquet (1868-1908), the important influence of Isidore De Rudder (1855-1943), a sculptor working for Wolfers at that time, is also apparent. The artist used the technique of adapting the silver patina according to the symbolic significance of the figures in order to accentuate their expressivity. The silver swan is therefore given a more luminous hue, while the dragon is covered with a sombre patina. The document-case is the property of the King Baudouin Foundation and is now included among the collections at the Musées royaux d’Art et d’Histoire. Brussels (p. 58) Philippe Wolfers, Civilisation and Barbarism (1897), King Baudouin Foundation Coll. © Hugues Dubois (p. 61) Philippe Wolfers, Detail of Civilisation and Barbarism (1897), King Baudouin Foundation Coll. © Hugues Dubois 61 Quand le Congo inspire Victor Horta Lorsque Horta crée l’hôtel Tassel (1893), il accomplit sa recherche d’un style nouveau basé sur des combinaisons d’arabesques qui exaltent les qualités de souplesse du fer et les complexités de modelage qu’offre la fonte. Il se refuse à transcrire littéralement les formes de la nature et aurait lancé, selon la Revue des Arts Décoratifs en 1899, cette phrase restée célèbre : « Ce n’est pas la fleur, moi, que j’aime à prendre comme élément de décor : c’est la tige. » Pourtant animaux et fleurs ne sont pas absents de ses compositions. Dans la salle à manger de l’hôtel van Eetvelde (av. Palmerston n° 4 à Bruxelles, 1897), construit pour le secrétaire de l’Etat indépendant du Congo, la flore et la faune de la colonie africaine sont présentes à peine identifiables dans les vitraux et les peintures murales. Dans les angles, au-dessus du lambris, on discerne un profil d’éléphant pourvu de deux défenses très reconnaissables sur un fond de végétation aux frondes entrelacées, un motif repris dans la menuiserie d’acajou. Au-dessus du buffet et encadrant la cheminée sont peintes de souples tiges portant des fleurs-papillons (des orchidées ?) que l’on retrouve dans les vitraux. L’une d’elles porte une étoile en son centre, motif qui symbolise l’Etat indépendant du Congo. Horta maîtrise à la perfection la création d’un univers qui suggère la nature 62 Bruxelles sans pastiche, où les formes se font écho, leur dessin se complétant sans respecter la frontière des matériaux, tous animés d’une vie frémissante. (p. 62) Victor Horta, salle à manger de l’Hôtel van Eetvelde © Photo Bastin & Evrard – Sofam (p. 65) Victor Horta, salle à manger de l’Hôtel van Eetvelde © Photo Bastin & Evrard – Sofam 63 When the Congo inspired Victor Horta In creating the Hôtel Tassel (1893) Horta achieved his quest for a new style based on combinations of arabesque lines, which celebrate the supple qualities of iron and the possibilities for complex moulding afforded by smelting. He shunned the literal representation of natural forms, and in 1899, acccording to the Revue des Arts Décoratifs, made the statement which is still famous today: “I discard the flower as a decorative element; but I keep the stalk.” His compositions do contain animals and flowers, however. The dining room in the Hôtel van Eetvelde, (n° 4 av. Palmerston, Brussels), built in 1897 for the Secretary of State of the Independent State of Congo, includes images of the flora and fauna of the African colony, barely identifiable in the stained glass windows and mural paintings. The outline of an elephant with clearly recognisable tusks may be seen above the panelling in the corner, against a background of vegetation with inter-twining fronds. This motif also occurs in the mahogany fittings. Above the sideboard and framing the fireplace, there are paintings of supple stalks bearing butterfly-flowers (possibly orchids) which may also be found on the stained glass. One has a star in its centre, a motif symbolising the Independent State of Congo. Hor- 64 ta perfected the art of creating a world that evoked nature with no hint of pastiche, where forms recur, designs complement each other regardless of their different material, and everything pulsates with life. Brussels (p. 62) Victor Horta, dining room in the van Eetvelde Mansion © Photo Bastin & Evrard – Sofam (p. 65) Victor Horta, dining room in the the van Eetvelde Mansion © Photo Bastin & Evrard – Sofam 65 La Maison Millar & Lang, emblème du Glasgow Style L’ancien siège de l’éditeur Millar & Lang à Glasgow renferme ce qui peut être considéré comme le plus saisissant intérieur Art nouveau d’Écosse. Les silhouettes ondoyantes des sirènes, des nymphes marines et des dragons y content les histoires du passé. Une palette de couleurs délicates avec des motifs tirés de la nature et de la mythologie ainsi qu’une parenté évidente avec l’avant-garde européenne et le Stile Liberty, le Jugendstil et le Sezessionstil peuvent définir le Glasgow Style, l’Art nouveau tel qu’il fut baptisé ici. Alors que son plus célèbre représentant n’est autre que Charles Rennie Mackintosh, on peut trouver, à travers toute la ville, nombre d’intérieurs et de façades appartenant à ce style mais dues à d’autres artistes. L’immeuble de Millar and Lang, conçu en 1902 par D.B. Dobson de Gordon & Dobson, est un très bel exemple du Glasgow Style présentant un remarquable décor extérieur. Alors que le tuyau d’évacuation affecte la forme d’un dragon et que l’entrée présente une élégante architrave courbée, une jolie sirène supporte l’oriel de la façade. Minerve, quant à elle, apparaît, perchée sur le toit en déesse des arts. Glasgow À l’intérieur, des vitraux à l’effet dramatique, dessinés par W.G. Morton, recréent un univers peuplé de 66 figures imaginaires allant de Neptune à Mère Nature elle-même, de déesses à d’énormes baleines. Outre les vitraux, les carreaux de céramique, les sols et les murs couverts de mosaïques figurant des nymphes nues et des sirènes, les éléments en laiton des portes, qu’il s’agisse des poignées ou des plaques de propreté (différentes pour chaque porte), montrent toute l’influence de l’Art nouveau avec ses formes naturelles fortement stylisées. Dans le hall principal, la sculpture en marbre d’un féroce dragon juché, par-dessus les portes du bureau, contrôle les allées et venues de ses yeux illuminés par la lumière électrique. Les histoires racontées au fil de l’intérieur et sur la façade de l’immeuble évoquent la Naissance de Vénus, le Temps, Noël, la Mère et l’Enfant, la Mort. Ces thèmes font référence aux cartes postales produites par Millar and Lang entre 1903 et 1941. (p. 66) WG Morton, Maison d’édition Millar and Lang: des scènes nautiques décorent un panneau de verre spectaculaire dans le hall principal (Glasgow 1902) © Neale Smith. (p. 69) WG Morton, Maison d’édition Millar and Lang: les portes intérieures conservent leurs éléments en laiton si étroitement liés au style Art nouveau (Glasgow 1902) © Neale Smith. 67 The Millar & Lang House, an emblem of Glasgow Style A former art publishers in Glasgow contains what is often referred to as Scotland’s most striking Art Nouveau interior, where sinuous figures of mermaids, sea nymphs and dragons recount stories from the past. Glasgow style, as Art Nouveau is referred to locally, is defined by a delicate colour palette with motifs drawn from nature and mythology, and its close links with the European Avant-Garde, the Liberty Style, the Jugendstil and the Sezessionstil. Although its most famous exponent is Charles Rennie Mackintosh, other interiors and façades harnessing the style created by other artists can be found throughout the city. The Millar and Lang building, designed in 1902 by D.B. Dobson of Gordon and Dobson, is a beautiful example of Glasgow Style with exterior detailing including a dragon-shaped downpipe, a mermaid supporting the oriel bay, Minerva goddess of the arts perched on the roof and the sinuous curved architrave above the doorway. Inside, dramatic stained glass by W.G. Morton depicts a diverse collection of natural figures, from Neptune to Mother Nature herself, and from goddesses 68 to enormous whales. In addition to the windows, the ceramic tiles, the floors and walls covered with mosaics depicting naked nymphs and mermaids, the brass door furniture, whether handles or finger plates (different for each door), all show the full influence of Art Nouveau, with its highly stylised natural forms. In the main hall, a ferocious dragon sculpted in marble perches above the office doors, its eyes illuminated with electric light. The stories told throughout the interior and on the façade of the building relate to the Birth of Venus, Time, Christmas, Mother and Child, and Death, themes reflecting the postcards produced by Millar and Lang between 1903 and 1941. (p. 66) WG Morton, Millar and Lang publishing house: nautical scenes decorate a dramatic glass panel in the main hallway (Glasgow 1902) © Neale Smith. Glasgow (p. 69) WG Morton, Millar and Lang publishing house: the interior doors still feature the brass elements so closely associated with the Art Nouveau styl (Glasgow 1902) © Neale Smith 69 Les aquarelles symbolistes de la Spook School Bien qu’il soit surtout connu comme architecte et décorateur novateurs, la carrière initiale de Charles Rennie Mackintosh fut pourtant dominée par son travail raffiné d’artiste illustrateur. Il avait fréquenté les cours du soir de la Glasgow School of Art dans les années 1880, un établissement pour lequel il allait concevoir un nouveau bâtiment qui serait considéré comme une sorte de testament artistique. Toutefois, au début des années 1890, il collabore avec une vingtaine d’amis et de collègues artistes (qui incluait son épouse Margaret Macdonald et sa belle-sœur Frances) à la réalisation de quatre magazines pour étudiants (1893-96). Ceux-ci regorgeaient d’aquarelles, d’esquisses au crayon, d’illustrations à la plume et à l’encre, de photographies et de photogravures enrichies de poèmes et de textes littéraires reflétant le ressenti des artistes sur la vie, l’amour, la fantaisie et même la mort. Les dessins les plus frappants de ces magazines étaient ceux de Mackintosh et des sœurs Macdonald. Ils soulignaient leur fascination grandissante pour le symbolisme, créant des sujets de plus en plus étranges mais tirés de la nature, une nature très loin de celle qu’on enseignait à l’école, où la copie fidèle des animaux, des humains et des plantes incarnait l’approche classique de l’enseignement d’alors. 70 Glasgow Au lieu de cela, des œuvres telles que L’Arbre de l’effort personnel, L’Etang ou Les Choux dans un potager dépeignent des figures fantomatiques, des plantes stylisées, souvent situées dans un paysage inconnu, des dessins abstraits qui valurent à leurs auteurs le sobriquet de Spook School. Plus tard, Mackintosh revint aux formes naturelles abstraites dans son travail comme décorateur « tridimensionnel », créateur de pièces de mobilier, d’objets en verre et en métal décorés de plantes, de fleurs et d’animaux stylisés. En 1902, pour un exposé public intitulé Seemliness (Bienséance), Mackintosh évoqua l’importance de la nature pour tous les artistes en remarquant : « L’art est la fleur – La vie, la feuille verte. Laissez les artistes s’efforcer de faire de cette fleur une belle chose vivante... des fleurs joliment colorées – des fleurs qui croissent à partir et au-dessus de la feuille verte. » (p. 70) Frances Macdonald, Un étang, (Glasgow 1894) Crayon et aquarelle sur papier, Collection: Glasgow School of Art (p. 73) Charles Rennie Mackintosh, L’Arbre de l’Effort personnel, (Glasgow 1895) Crayon et aquarelle sur papier, Collection: Glasgow School of Art 71 The Symbolist watercolours of « the Spook School » Although he is chiefly known as an innovative architect and designer, the early career of Charles Rennie Mackintosh was characterised by his refined work as an artist and illustrator. During the 1880s he had attended evening classes at the Glasgow School of Art, for which he was to design a new building that would be seen as something of an artistic legacy. In the early 1890s, however, he produced student magazines in collaboration with about 20 artist friends and colleagues, including his wife Margaret Macdonald and his sister-in-law Frances. These publications, which ran from 1893 to 1896, abounded in watercolours, pencil sketches, pen and ink illustrations, photographs and photo engravings enhanced by poems and literary texts reflecting the artists’ feelings on life, love, fantasy and even death. The most striking drawings in the magazine were those by Mackintosh and the Macdonald sisters, which highlighted their growing fascination with symbolism. The themes they created grew ever stranger; although all were drawn from nature, this was far removed from the nature they had studied at school, where the requisite life-like depiction of animals, humans and plants characterised the classical approach to teaching at that time. 72 Instead, works such as The Tree of Personal Effort, The Pond or Cabbages in an Orchard show phantom-like figures and stylised plants, often set in an unknown landscape, abstract works that earned their artists the sobriquet « Spook School ». Later, Mackintosh returned to natural abstract forms in his « three-dimensional » decorative work, creating furniture and objects in glass and metal adorned with stylised plants, flowers and animals. At a public exhibition entitled « Seemliness » held in 1902, Mackintosh spoke of the importance of nature for all artists, remarking: « Art is the flower. Life is the green leaf. Let every artist strive to make his flower a beautiful living thing […] beautifully coloured flowers –flowers that grow from but above the green leaf. » Glasgow (p. 70) Frances Macdonald, A Pond, (Glasgow 1894) Pencil and watercolour on paper: the Glasgow School of Art Collection (p. 73) Charles Rennie Mackintosh, The Tree of Personal Effort, (Glasgow 1895) Pencil and watercolour on paper: the Glasgow School of Art Collection 73 La Masia L’Ampurdá, une retraite fleurie 74 La Masia L’Ampurdá (1919) répond à la typologie des maisons de plaisance ou résidences secondaires qui, depuis la fin du XIXe siècle, apparaissaient dans les nouvelles urbanisations du sud de La Havane. De même, le vocable masia, utilisé en Catalogne pour désigner les grandes métairies campagnardes, renforce cette idée. D’ailleurs, sa conception ne renie pas cette région d’Europe dont elle tire ses références, ayant été construite par l’un des plus prestigieux maîtres d´œuvre catalan venu à La Havane, Mario Rotllant i Folcará. La masia havanaise est une résidence de deux étages édifiée en brique avec une conception architecturale imaginative et une décoration soignée. On observe une structure asymétrique présentant de grands contrastes de volumes, avec entrées, sorties, surfaces convexes, parapets échelonnés, cassés et droits. Les portes et fenêtres semblent composer une gamme très variée de formes aux lignes courbes. La maison possède de larges terrasses aux deux étages et un jardin qui a dû donner du charme à cet immeuble où la nature est omniprésente. d´entrée ornées de fleurs ondulent comme de fines branches tandis que la surface brute des murs ressemble à de la roche. De tous les types, les fleurs ont envahi les bordures en céramique vernissée, embellissant intérieurs comme extérieurs. On les retrouve dans les vitraux avec des paons, sur les cadrans solaires, les chapiteaux, les fontaines en céramique comme sur les rosaces et les moulures en plâtre des plafonds de chaque pièce. Les coquillages marins ornant les plinthes intérieures en céramique semblent avoir été d’autres éléments de prédilection pour le parti décoratif. La masia dispose de quatre cadrans solaires, sur la tour et sur la porte arrière, qui sont comme un clin d´œil au passé, rappelant l´étroite relation qui, par l´observation, existait avec la nature et ses composantes fondamentales. Depuis 1949, ses troisièmes propriétaires, la famille González Lines, l’ont convertie en une école privée. Nationalisée en 1960, elle porte ensuite le nom d´école primaire Andrés González Lines. À l’époque, la demeure apparaît comme une structure spontanée qui, située au-dessus du quartier Sevillano, s’intègre de façon cohérente dans son environnement suburbain. Comme tant d’œuvres de ce style, L’Ampurdá respire l’Art nouveau. Ses grilles (p. 74) Mario Rotllant i Folcarà et Ignacio Vega Ramonteau, Masia L´Ampurdá, maison du catalan Joaquim Barceló (La Havane 1918-1919) © Archives Nationales de Cuba La Havane (p. 77) Mario Rotllant i Folcarà et Ignacio Vega Ramonteau, Masia L´Ampurdá, maison du catalan Joaquim Barceló (La Havane 1918-1919) © Archives Nationales de Cuba 75 La Masia L’Ampurdá : a flowery haven La Masia L’Ampurdá (1919) reflects the style of the retirement homes or secondary residences which appeared in the new city developments in the southern part of Havana at the end of the 19th century. This image is further reinforced by the Catalan meaning of the term masia, which denotes a large country farmstead. Its design does indeed reflect that region of Europe from where it draws its references, as it was constructed by Mario Rotllant i Folcará, one of the most prestigious Catalan architects to come to Havana. The masia in Havana is a two storey brick residence displaying an imaginative architectural design and carefully executed decoration. Asymmetrical in structure, the building presents great contrasts in volume, its entrances, exits and surfaces being convex and its regularly spaced parapets straight and unconnected. The doors and windows seem to form a highly varied composition of curvilinear shapes. Each of the two floors has a wide veranda and there is a garden, which certainly made an attractive addition to this building where nature’s presence is everywhere to be seen. In its day, the house appeared as a spontaneous structure, blending harmoniously into its suburban environment north of the Sevillano district. Like so many creations of similar appearance, L’Ampurdá is 76 infused with the Art Nouveau style. At its entrance, railings decorated with flowers undulate like slender branches, while the untreated surfaces of the walls resemble rock. Flowers of all kinds have invaded the glazed ceramic borders, embellishing inside and outside alike. They are also to be found, together with peacocks, on the stained glass windows, the sundials, capitals and ceramic fountains, as well as on the rosettes and plaster mouldings on the ceilings of each room. The sea-shells decorating the ceramic skirting boards in the interior seem to have been another favoured ornamental element. The masia has four sundials, located on the tower and the back entrance; in a nod to the past, they recall the close relationship between nature and its fundamental components, brought to light through observation. Its third owners, the González Lines family, converted it into a private school in 1949. Nationalised in 1960, it became the Andrés González Lines primary school. (p. 74) Mario Rotllant i Folcarà and Ignacio Vega Ramonteau, Masia L´Ampurdá, home of Joaquim Barceló, from Catalonia (Havana 1918-1919) © National Archives of Cuba Havana (p. 77) Mario Rotllant i Folcarà and Ignacio Vega Ramonteau, Masia L´Ampurdá, home of Joaquim Barceló, from Catalonia (Havana 1918-1919) © National Archives of Cuba 77 Les Jardins de La Tropical ou l’Art nouveau façon nature Les Jardins de La Tropical sont un bel exemple d´intégration réussie de la nature dans l´Art nouveau. Le dessin des salons de danse, très coquet avec ses formes végétales, fusionne avec l´espace naturel environnant, connu auparavant comme la Vallée de San Geronimo, au bord du fleuve Almendares. Inauguré en 1904 comme parc récréatif, le bâtiment possédait à ses débuts trois salons de réunion et de bal imaginés par le maître d´œuvre catalan Ramon Magriñá, sur commande des propriétaires de la fabrique de bière La Tropical. Ces structures furent réalisées en béton armé, faisant de ce jardin la première œuvre architecturale Art nouveau documentée de l´île et une œuvre pionnière pour l´utilisation de ce matériau dans la capitale havanaise. Dans ce parc, le ciment s’est converti en un matériau de sculpture recréant aussi bien les gros troncs d´arbres séculaires, les rochers que les branches les plus fines. La texture rude et la couleur grise du matériau ont été laissées apparentes afin d’atteindre une intégration majeure avec les plantes qui entourent les salons. Le dessin paysager inclut des plantes grimpantes sur les colonnes et les toits des salons dans une danse végétale brisant la frontière entre nature et artifice. Le maître d´œuvre de La Tropical était responsable tant du projet architectural et des éléments décoratifs que de l´aménagement du parc paysager. 78 La Havane Après sa construction, il y vécut quelques années, continuant à l´agrandir et à l´embellir tout en gardant l’inspiration végétale première. Sa passion pour le jardinage l´avait amené à administrer des commerces de fleurs ; « Jardin La Tropical » en 1918, et « Magriñá » en 1924, tous deux dans la vieille ville de La Havane. Il fut aussi membre de la Society of American Florist and Ornamental Horticulturist, et de la Florist´s Telegraph Delivery. Cet artiste aujourd´hui inconnu a joué au Créateur avec le ciment dans les jardins de La Tropical, improvisant accidents naturels, paysages, chemins, éléments végétaux et animaux avec une maestria remarquable et un sens du détail extrême. De façon modeste et admirative, son œuvre fait référence à la vie et à la nature, sentiment exprimé dans la strophe d´un poème de Ramón Magriñá consacré à un quenetier centenaire des Jardins de La Tropical : « Là-bas nous avons admiré La grandeur de la mère nature La petitesse de la créature Blessée de vanité. » (p. 78) Ramón Magriñá, Salon Rêverie aux Jardins de La Tropical (La Havane 1904) © Archives nationales de Cuba (p. 81) Ramón Magriñá, Salon Rêverie aux Jardins de La Tropical, détail (La Havane 1904) © Archives nationales de Cuba 79 The gardens of “La Tropical”, or Art Nouveau goes back to nature The gardens of La Tropical provide a fine example of how nature could be successfully integrated into Art Nouveau. The dance floors, with their very stylish design of plant-forms, blend in with the surrounding natural space, which was formerly known as the San Geronimo Valley and is situated on the banks of the Almendares river. Inaugurated in 1904 as part of a recreation park, the building originally contained three rooms for assemblies and balls designed by the Catalan architect Ramon Magriñá at the request of the owners of the La Tropical beer factory. These structures were built of reinforced concrete, making this the island’s first documented example of Art Nouveau architecture and featuring the pioneering use of this material in the Cuban capital. The cement used in this park has been transformed into a sculpting material, re-creating rocks, the thick trunks of ancient trees and the slenderest of branches alike. The rough texture and the grey colour of the material have been left visible so that it merges perfectly with the plants surrounding the halls. Climbing plants on the pillars and roofs of the halls are included in the natural décor, the greenery forming a graceful configuration that breaks the barrier between nature and artifice. The architect responsible for La Tropical designed the building and the decorative elements as well as the layout of the landscaped park. He lived 80 there for a few years after its construction, continuing to enlarge and enhance it, with natural vegetation remaining as the focus of his vision. With his passion for gardening, he ran the floristry businesses “Jardín La Tropical” in 1918, and “Magriñá” in 1924, both located in the old city of Havana. He was also a member of the Society of American Florists and Ornamental Horticulturists, and of the Florists´ Telegraph Delivery. This now forgotten artist took the role of Creator in the La Tropical Garden, using cement to contrive natural occurrences, landscapes, pathways and elements of flora and fauna with remarkable mastery and an exceptional sense of detail. Ramón Magriñá’s work forms a modest, admiring reference to life and nature, a sentiment expressed in the lines of his poem dedicated to a century-old Spanish Lime tree in the Gardens of La Tropical : « There, we admired The grandeur of Mother Nature The insignificance of mortals Wounded in their pride » Havana (p. 78) Ramón Magriñá, El Salon de los Sueños at the Jardínes de La Tropical (Havana 1904) © National Archives of Cuba (p. 81) Ramón Magriñá, A sky with starfishes (Havana, 1904), photo: Yaneli Leal del Ojo de la Cruz 81 Les bijoux naturalistes d’Eric Ehrström La joaillerie a joué un rôle important dans la carrière d’Ehrström. Grâce à lui, le bijou finnois s’est libéré de la tradition et connut une renaissance influencée par les idéaux de l’Art nouveau. L’artiste dessina des fibules, des broches, des colliers, des épingles, des ornements pour cheveux, des bracelets, des bagues, des boucles d’oreilles, des épingles à chapeaux. Vers 1906, Ehrström introduisit l’émail dans la conception de petits objets, le combinant ensuite avec le cuivre et l’argent. Il eut même l’opportunité de dessiner une couronne pour le roi de Finlande car le pays, indépendant depuis 1917, oscillait encore entre le choix d’une monarchie et d’une république. Ehrström fut professeur à l’École centrale des arts appliqués enseignant la ciselure et l’embossage. Enseignant charismatique, il était toujours entouré d’un groupe d’étudiants enthousiastes, impatients de produire, comme leur mentor, des objets différents tant au niveau du style que de la technique. Ehrström partageait ainsi ses connaissances en tant qu’enseignant mais aussi à travers une publication sur l’Art et l’Artisanat qui parut en 1924. L’art du métal et du bijou illustre son intérêt et sa connaissance de la faune et de la flore finnoises. La façon dont il étudia la nature équivaut aux Scien- 82 Helsinki ces naturelles. L’idée était de révéler les secrets de la nature et d’étudier la structure des plantes. Les nouvelles inventions du XIXe siècle, comme le microscope, permettaient de percer le secret de ces mêmes végétaux. Les découvertes ont progressivement été diffusées via les journaux et les livres qui, pour l’occasion, étaient enrichis d’illustrations de la faune et de la flore. À l’époque, la science et le nationalisme étaient très étroitement liés. L’amour de la nature était considéré comme une vertu morale et nationale et la science donna à l’artisanat et au langage décoratif une valeur ajoutée. Ehrström a étudié le phénomène naturel avec son propre microscope. Il décryptait aussi bien les ailes de la libellule que la finesse d’une toile d’araignée. Les différentes pierres symbolisent les éléments naturels, comme l’héliotrope suggère la mousse et la pierre de lune, les gouttes de rosée. Sa connaissance et l’intérêt qu’il éprouve pour les phénomènes naturels constituent les bases de son travail artistique. (p. 82) Eric O.W. Ehrström, bouteille et boîtes en cuivre avec couvercle émaillé (1906), photo : Rauno Träskelin 2013, Helsinki Design museum (p. 85) Eric O.W. Ehrström, bouteille en cuivre, détail (1906), photo : Rauno Träskelin 2013, Helsinki Design museum 83 Eric Ehrström’s naturalistic jewellery Jewellery played an important part in Ehrström’s career. Through him, Finnish jewellery was freed from tradition and enjoyed a renaissance influenced by Art Nouveau ideals. The artist designed fibulae, brooches, necklaces, pins, hair ornaments, bracelets, rings, earrings and hatpins. Ehrström introduced enamel into his designs of small objects in about 1906, later combining it with copper and silver. He even had the opportunity to design a crown for the King of Finland as the country, which had been independent from 1917, was hesitating between the choice of a monarchy or republic. Ehrström taught the techniques of chasing and embossing at the Central School of Applied Arts. A charismatic teacher, he was always surrounded by groups of enthusiastic students eager to produce objects that were original in both style and technique, like those of their mentor. Ehrström therefore shared his knowledge through teaching, but he also published a work on Art and the Crafts, which came out in 1924. The art of metalwork and jewellery-making demonstrated his knowledge of Finnish flora and fauna. He studied nature in the manner of a natural scientist, with a view to revealing its secrets and examining 84 plant structures. New inventions of the 19th century, such as the microscope, brought the mysteries of the plant world to light, and the discoveries were gradually circulated through periodicals and books adorned with illustrations of flora and fauna to mark the occasion. At that time, science and nationalism were very closely linked. The love of nature was seen as a moral and national virtue, and science enhanced the value of arts, crafts and decorative language. Ehrström studied natural phenomena with his own microscope, analysing dragonfly wings and delicate cobwebs alike. He used different stones to symbolise natural elements, with the bloodstone and moonstone, for example, representing moss and dewdrops respectively. His knowledge and his interest in natural phenomena formed the basis of his artistic work. Helsinki (p. 82) Eric O.W. Ehrström, A copper bottle and boxes with enamelled lids (1906), photo : Rauno Träskelin 2013, Helsinki Design museum (p. 85) Eric O.W. Ehrström, detail of a copper bottle with enamelled lids (1906), photo : Rauno Träskelin 2013, Helsinki Design museum 85 L’immeuble Pohjola, quand l’architecture rencontre la mythologie La compagnie d’assurance incendie Pohjola fut créée en 1891 et baptisée d’après un lieu tiré de la mythologie finnoise, cité dans le Kalevala, le grand poème épique national. À cette époque, le Pohjola désigne une sorte de grand Nord et le choix de ce terme suscita la confiance des gens du pays. Au printemps 1899, la compagnie organisa un concours pour moderniser les façades de son siège avec comme contrainte l’utilisation du granit ou de toute autre pierre finnoise. Quand le bâtiment fut terminé, son côté massif et sa décoration extravagante furent l’objet d’une vive attention : ce qui n’était qu’une modeste entreprise aboutit à l’une des réussites majeures du bureau d’architectes Gesellius, Lindgren et Saarinen. Une façade en pierre naturelle dotée d’une décoration basée sur un thème national constituait un exemple inédit. Les architectes Gesellius-Saarinen-Lindgren ont employé le même vocabulaire ornemental que pour la construction de leur pavillon à l’Exposition universelle de Paris : des plantes et des animaux issus de la faune et de la flore finnoises. De part et d’autre de la porte centrale, deux mascarons grimaçants supportent un cartel accueillant l’un Pohjola et l’autre Kullervo. De ces cartels fusent deux colonnes en troncs de pins dont la frondaison soutient des ours eux-mêmes surmontés d’un autre ours armé d’une torche. Ce dernier est le symbole de la compagnie, ce portail peut donc apparaître comme une sorte de publicité. 86 Helsinki L’ornementation de la Maison Pohjola découlerait du Kalevala et les pommes de pin et les écureuils évoquent le mouvement nationaliste finlandais. Comme la nouvelle architecture européenne emploie aussi la nature organique en ornementation, le décor de la Maison Pohjola est à la fois moderne et nationaliste. L’entrée principale montre un portail en stéatite richement ornementé. La porte décorée d’un oiseau de cuivre en relief est précédée d’une allée d’accès extérieure. Elle fut conçue par Eric O.W. Ehrström, maître finlandais des arts appliqués du début du XXe siècle. Le trio Gesellius-Lindgren-Saarinen s’intéressa d’emblée à ses talents graphiques et manuels. Les portes en bronze constituent son travail monumental le plus significatif mais sa production a constamment oscillé entre les grandes pièces décoratives et les petits objets en métal, à la fois ornementaux et utilitaires, montrant parfois l’usage de pierres. (p. 86) Gesellius, Lindgren et Saarinen, façade et entrée principale de la Maison Pohjola, (Helsinki 1899), photo: Helsinki City Museum 2012 (p. 89) Eric O.W. Ehrström, entrée principale de la Maison Pohjola, décor en cuivre, (Helsinki 1899), photo: Helsinki City Museum 2012 87 The Pohjola building - when architecture meets mythology Established in 1891, the Pohjola fire insurance company was named after a location in Finnish mythology which appears in the Kalevala, the great epic national poem. At that time, Pohjola conveyed the idea of a far north, and the chosen name inspired the Finnish nation with confidence. In the spring of 1899 the company launched a competition to modernise the façades of its headquarters, the material being restricted to granite or any other stone native to Finland. When the building was completed, its solid appearance and extravagant decoration aroused lively interest: a modest undertaking had resulted in one of the greatest successes achieved by the architects Gesellius, Lindgren and Saarinen. The instance of a natural stone façade displaying decoration based on a national theme was unprecedented. The architects Gesellius, Lindgren and Saarinen used the same ornamental vocabulary as for their pavillion at the Paris World Exhibition: examples of native Finnish species of flora and fauna. Two grimacing mascarons on either side of the main door support a plaque, one bearing the name Pohjola, the other Kullervo. Two columns in the form of pine-tree trunks rise up from the plaques; their foliage serves as a support for figures of bears, which are themselves surmounted by another bear holding a torch. Since the latter was the company symbol, this doorway may appear to serve a promotional purpose. The ornamental features on the Pohjola Building originate 88 from the Kalevala, the pine-cones and squirrels recalling the Finnish nationalist movement. As the new European architecture also featured the use of organic natural forms as adornment, the ornamentation on the Pohjola Building is both modern and nationalist. The main entrance features a richly decorated soapstone portal. A pathway leads up to the door, which is embellished with copper birds portrayed in relief. It was designed by Eric O.W. Ehrström, a Finnish master of the applied arts in the early 20th century. Gesellius, Lindgren and Saarinen had been interested in his talents in the graphic and manual arts from the outset. The bronze doors are his most important monumental work, but his output constantly oscillated between large decorative pieces and small objects crafted in metal, both ornamental and utilitarian, some of which featured the use of gemstones. (p. 86) Gesellius, Lindgren et Saarinen, façade and main entrance of the Pohjola Building, (Helsinki 1899), photo: Helsinki City Museum 2012 Helsinki (p. 89) Eric O.W. Ehrström, main entrance of the Pohjola Building, with copper décor, (Helsinki 1899), photo: Helsinki City Museum 2012 89 L’âme transcendée selon Charles l’Eplattenier La métamorphose de l’être physique qui devient être spirituel… Dans le feu magmatique de la terre, l’âme se détache de la matière et prend son envol vers la Lumière. La vie est un instant, la mort une éternité. L’œuvre l’explique, l’artiste magnifie cette transformation inéluctable. À la suite des Lumières, le romantisme s’émancipe des dogmes chrétiens. Dans ce contexte spiritualiste, la crémation, rite antique interdit en Occident par Charlemagne, apparaît comme un moyen de libérer l’âme de sa chrysalide charnelle. Répondant également à des préoccupations hygiénistes, l’incinération devient dans la seconde moitié du XIXe siècle une solution pragmatique à l’encombrement des cimetières urbains. Les promoteurs du mouvement crématiste, en marge de la société conservatrice, se retrouvent souvent liés aux avant-gardes artistiques. Ce n’est donc pas un hasard si le concept artistico-symbolique du Crématoire de La Chaux-de-Fonds est confié à Charles L’Eplattenier et à ses élèves de l’École d’art, eux qui sont les fers de lance enthousiastes du style « sapin ». (p. 90) Charles L’Eplattenier, crématoire de La Chaux-de-Fonds, La Purification (La Chaux-de-Fonds 1912), peinture murale à l’huile sur un enduit de plâtre (8,87 m / 2,02 m) © Ville de La Chaux-de-Fonds, A. Henchoz La Chaux-de-fonds Dans ce véritable Gesamtkunstwerk, au sens wagnérien, qu’est le Crématoire de la Métropole horlo- 90 gère, La Purification, œuvre due à L’Eplattenier en personne, occupe une place essentielle. Surmontant l’unique porte d’accès à la salle de cérémonie, elle donne la clé de la symbolique de l’instant. Au cœur des obsèques, le cercueil descend par un savant système dans le sous-sol où se trouve le four crématoire. La purification par le feu se déroule sous les pieds de l’assistance, l’âme s’élevant vers le firmament par deux canaux de fumée qui enveloppent latéralement l’espace. Ce mouvement se retrouve dans la cambrure des corps évanescents, s’élevant vers cette lumière si pudiquement évoquée. Les tons froids mettent une distance infinie entre le feu libérateur et la chaleur de l’éternité. La composition joue ainsi de la dualité, dans sa symétrie, dans les couples hommes-femmes, dans les couleurs. L’œuvre se veut mouvement, évocation d’une transformation : la purification de l’âme. (p. 93) Charles L’Eplattenier, crématoire de La Chaux-de-Fonds, La Purification, détail, (La Chaux-de-Fonds 1912), peinture murale à l’huile sur un enduit de plâtre (8,87 m / 2,02 m) © Ville de La Chaux-de-Fonds, A. Henchoz 91 The transcendent soul as conceived by Charles l’Eplattenier Metamorphosis from the physical to the spiritual being…the soul detaches itself from the material world in the earth’s magmatic fire, winging its way towards the Light. Life lasts but a moment, death an eternity. This inescapable transformation has been interpreted and idealised by the artist. Romanticism freed itself of Christian dogma in the wake of the Enlightenment. Within this spiritualistic context the ancient rite of cremation, forbidden in the West by Charlemagne, appears as a means of liberating the soul from its human chrysallis. As well as responding to hygiene-related concerns, incineration became a practical solution to overcrowding in urban cemeteries in the latter half of the 20th century. The supporters of the cremation movement were in the margins of conservative society and often found themselves linked to members of the artistic avantgarde. It is therefore no coincidence that the artistic, symbolic design of the Crematorium at La Chauxde-Fonds was entrusted to Charles L’Eplattenier and his students at the School of Art, all enthusiastic champions of the “Pine Tree Style”. (p. 90) Charles L’Eplattenier, crematorium at La Chaux-de-Fonds, Purification (La Chaux-de-Fonds 1912), mural painting in oil on plaster (8.87 m / 2.02 m) © Ville de La Chaux-de-Fonds, A. Henchoz La Chaux-de-fonds The Crematorium of the Swiss city and watchmaking centre is a true Gesamtkunstwerk in the Wagnerian sense, where Purification, a work by 92 L’Eplattenier himself, occupies a place of honour. In its position above the only door leading into the main chamber of ceremonies, it provides the key to the symbolic significance of the moment: marking the crucial point of the funeral ceremony, the coffin is lowered by means of a clever mechanism to the underground crematorium oven. The process of purification by fire takes place under the feet of those present, as souls rise towards the firmament borne on two columns of smoke extending laterally outwards into the sky. This movement is mirrored by the curve of the evanescent bodies as they ascend towards the very discreetly depicted light. The cold tones indicate an infinite distance between the liberating fire and the warmth of eternity. In this way, the composition plays on the concept of duality, through its symmetry, its male-female couples, and its colours. The work was intended to express movement and transformation: the purification of the soul. (p. 93) Charles L’Eplattenier, crematorium at La Chaux-de-Fonds, Purification (La Chaux-de-Fonds 1912), detail of the mural painting in oil on plaster (8.87 m / 2.02 m) © Ville de La Chauxde-Fonds, A. Henchoz 93 La villa Fallet, porte-drapeau du style «sapin» Charles L’Eplattenier aimait emmener ses élèves dans la nature observer la faune, la flore, les paysages sobres des hautes vallées du Jura. Apôtre de l’Art nouveau en Suisse, il ne cessa sa vie durant d’être fasciné par une nature sauvage, rude, mais aux reflets saisonniers si riches. Professeur à l’École d’art de La Chaux-de-Fonds, il n’hésitait jamais à chausser ses gros souliers, à s’équiper lourdement, et, accompagné de ses jeunes disciples, à arpenter les pâturages, les forêts, s’essoufflant sur les crêtes, flirtant avec le vide des gorges, s’abritant dans les combes. À mille mètres d’altitude, rares sont les feuillus. Les conifères, et plus particulièrement les sapins, règnent en maître absolu. Pas étonnant donc que l’Art nouveau local ait pris l’appellation de style « sapin ». De fait, les paysages varient au fil des jours, passant des verts tendres printaniers aux nuances saturées de l’été avant de céder aux rouges et aux ocres de l’automne bientôt effacés par l’immaculée blancheur de la neige. Toutefois, les conifères semblent immuables dans leur robe d’un vert profond. Alors que tout change sans cesse, les sapins sont comme suspendus dans un espace temps figé. (p. 94) Œuvre collective des élèves du Cours supérieur de L’École d’art de La Chaux-de-Fonds sous la direction de Charles L’Eplattenier et René Chapallaz, Villa Fallet (La Chaux-de-Fonds 1906) © Ville de La Chaux-de-Fonds, A. Henchoz La Chaux-de-fonds Lorsque Louis Fallet (1879-1956), patron d’une entreprise active dans l’horlogerie, confie à Charles 94 L’Eplattenier et à ses élèves du Cours supérieur d’art et de décoration la construction d’une villa sur les hauteurs de La Chaux-de-Fonds, il ne s’imagine sans doute pas que ce sera un véritable manifeste du style « sapin ». Selon certains, Charles-Edouard Jeanneret (le futur Le Corbusier) s’essaie ici à l’architecture pour la première fois. Comme lui, ses camarades trouvent un terrain idéal pour mettre leur créativité au service d’une œuvre complexe. Si la composition du pignon de cette villa est particulièrement élaborée, le décor qui l’orne est d’une richesse surprenante. Empruntant au sgraffite, les élèves élaborent dans une forme épurée, stylisée et géométrique, une forêt à l’automne. Les tons chauds, ocres, dominent mais observez les triangles pers rythmer l’harmonie de ce paysage... Ce sont bien des sapins au vert éternel ! (p. 97) Œuvre collective des élèves du Cours supérieur de L’École d’art de La Chaux-de-Fonds sous la direction de Charles L’Eplattenier et René Chapallaz, Villa Fallet détail de la façade (La Chaux-de-Fonds 1906) © Ville de La Chaux-de-Fonds, A. Henchoz 95 The Villa Fallet, flagship of the “Pine Tree” style Charles L’Eplattenier liked to take his students into the countryside to observe the fauna, flora and austere landscapes in the high valleys of the Jura. A champion of Swiss Art Nouveau, he had a lifelong fascination with the natural environment - untamed, rugged, and yet so rich with seasonal tints. A teacher at the Art School in La Chaux-de-Fonds, he was always ready to put on his sturdy shoes and, heavily equipped, stride through the pastures and forests with his young disciples, standing breathless on mountain ridges, dicing with danger on the brink of gorges, taking shelter in the valleys. At an altitude of one thousand metres, deciduous trees are rare. Conifers, pine trees in particular, reign supreme, so it comes as no surprise to learn that the local form of Art Nouveau was known as the “Pine Tree” style. The landscapes do indeed vary as the days pass. The soft greens of spring turn into the resplendent tones of summer before giving way to the reds and ochres of autumn, which are soon enshrouded in immaculately white snow. The conifers, however, appear immutable in their deep green robes. While everything is constantly changing, the pine trees seem suspended in a fixed time and space. (p. 94) Collaborative work by the students of the Cours supérieur at the School of Art, La Chaux-de-Fonds, under the supervision of Char les L’Eplattenier and René Chapallaz, Villa Fallet (La Chaux de-Fonds 1906) © City of La Chaux-de-Fonds, A. Henchoz (p. 97) Collaborative work by the students of the Cours supérieur at the School of Art, La Chaux-de-Fonds, under the supervision of Charles L’Eplattenier and René Chapallaz, Villa Fallet, detail of the façade (La Chaux-de-Fonds 1906) © Ville de La Chaux-de-Fonds, A. Henchoz La Chaux-de-fonds When Louis Fallet (1879-1956), the head of a clockmaking business, commissioned Charles L’Eplattenier 96 and his students at the Cours supérieur d’art et de décoration to build him a villa high above La Chauxde-Fonds, he probably had no idea that it would turn out to be a true emblem of the “Pine Tree” style. Charles-Edouard Jeanneret (later known as Le Corbusier) is said to have carried out his first architectural work here. His colleagues also found this the perfect opportunity to put their creativity at the service of a complex project. The composition of the gable on the villa is particularly elaborate and the decoration adorning it surprisingly rich. Borrowing from the sgraffito technique, the students created an autumnal forest displaying a pared-down, stylised and geometric form. Warm, ochre tones predominate, yet the blue-green triangles rhythmically punctuating this harmonious landscape are none other than those eternally verdant pines! 97 La villa Langer, vision aboutie du style Sécession Architecte, décorateur et urbaniste, Jože Plečnik (1872-1957) est né dans une famille d’ébénistes de Ljubljana. Il devait reprendre l’entreprise familiale et, afin de le former, son père l’envoya à l’Ecole des métiers de Graz, en Autriche. À la mort de ce dernier, en 1894, Jože Plečnik intégra l’atelier de Wagner à l’Académie des beaux-arts de Vienne et en devint l’un des plus brillants élèves. En 1900, il se lança dans une carrière d’architecte dans cette même ville. Étroitement lié au mouvement de la Sécession, il rejoignit l’Association Sécession l’année suivante. Il collabora à de nombreux projets au sein de ce groupe, surtout après 1905, quand sa position se renforça suite au départ de Klimt. Il participa aux expositions du mouvement en tant qu’architecte et décorateur, mais aussi comme organisateur et concepteur de plusieurs expositions. La résidence de l’architecte Karl Langer (1900-1901) fut la première commande qu’il reçut. Les fondations de la Villa existant déjà, Plečnik dut se concentrer sur le projet de la façade. Il y exprime sa volonté de s’affranchir de l’influence de Wagner et d’explorer de nouveaux moyens d’expression. En introduisant un mouvement ondulatoire dans la façade grâce au balcon d’angle et aux bow windows, qui 98 Ljubljana reflètent l’organisation et l’importance des espaces intérieurs de la villa, il s’inspirait ouvertement du style Art nouveau en vogue à cette période en France et en Belgique. La représentation d’une tête d’oie sculptée, qui sort littéralement de la façade, apparaît comme un clin d’œil manifeste à l’hippocampe en métal de la façade du Castel Béranger à Paris (Hector Guimard, 1895-1898) que Plečnik avait visité l’année précédente. Le dessin de la tête d’oie illustre la grande maîtrise graphique de l’artiste qui influença plusieurs générations d’architectes slovènes. Un tapis floral composé de roses habille la façade. Ces roses rappellent l’œuvre de Charles Rennie Mackintosh et des artistes de Glasgow qui exposèrent à Vienne lors de la huitième édition de la Sécession en 1900, mais ce motif était déjà populaire dans les illustrations du magazine Ver Sacrum. La villa Langer est l’œuvre de style Sécession la plus importante de la carrière de Plečnik. (p. 98) Jože Plečnik, Villa Langer, façade à rue (Vienne 1900-1901) © Photo: Damjan Prelovšek (p. 101) Jože Plečnik, détail de la tête d’oie en haut-relief se détachant de la façade (Vienne 1900-1901) © Photo : Damjan Prelovšek 99 The Villa Langer, a fulfillment of Secessionist vision An architect, designer and city planner, Jože Plečnik (1872-1957) was born into a family of cabinet-makers from Ljubljana. He was expected to go into the family business and his father sent him to train at the vocational school at Graz in Austria. Following his father’s death in 1894, Jože Plečnik entered Wagner’s school of architecture at the Academy of Fine Arts in Vienna, becoming one of its most outstanding students. In 1900, he launched his career as an architect in the same city. He had close ties with the Secessionist movement and joined the Secessionist Association in the following year. He was involved in a number of projects within this group, especially after 1905, when his status was consolidated by Klimt’s departure. In his capacity as an architect and designer he participated in exhibitions given by the movement, but on several of these occasions he also took on an organisational and creative role. The home of the architect Karl Langer (built from 1900-1901) was his first commission. As the Villa already had foundations, Plečnik was to concentrate on the project for the façade. His work there indicated his desire to break free from Wagner’s influence and explore new modes of expression. The corner balcony and bow windows introduce an undulatory 100 movement into the façade, reflecting the layout and size of the villa’s rooms and clearly showing his predilection for the Art Nouveau style fashionable in France and Belgium during this period. The sculpted goose’s head literally emerging from the façade appears to be an obvious nod to the metal seahorse on the façade of the Castel Béranger in Paris (Hector Guimard, 1895-1898), which Plečnik had seen during his visit the previous year. A master of the graphic arts, as demonstrated by the design of the goose’s head, he influenced several generations of Slovene architects. A floral covering of roses decorates the façade. These reflect the work of Charles Rennie Mackintosh and the Glasgow school, whose art was presented in Vienna at the Secession’s eighth exhibition in 1900. The motif was already popular, however, having appeared in illustrations in the magazine Ver Sacrum. The Villa Langer is the most important example of the Secession style in Plečnik’s career. (p. 98) Jože Plečnik, Villa Langer, front façade (Vienna 1900-1901) © Photo: Damjan Prelovšek Ljubljana (p. 101) Jože Plečnik, detail of the head of a goose in high relief emerging from the façade (Vienna 1900-1901) © Photo : Damjan Prelovšek 101 Les poésies de Dragotin Kette, chef-d’œuvre de la bibliophilie slovène (1907) Vers 1900, l’édition était l’un des secteurs les plus dynamiques de l’époque Art nouveau. Les ouvrages offraient des réalisations abouties mariant beaux-arts et poésie. Jamais auparavant, autant de livres pour bibliophiles n’avaient été publiés. Une attention particulière était accordée à la couverture, à la reliure, aux ex-libris, aux frontispices et aux illustrations. Grâce à l’éditeur Lavoslav Schwentner, la qualité du livre slovène atteignit un très haut niveau. Certains lui donnèrent même le surnom d’˝éditeur de la Cour du modernisme slovène˝ à cause de son soutien inconditionnel aux jeunes auteurs modernistes comme Ivan Cankar, Oton Župančič, Josip Murn Aleksandrov et Dragotin Kette. Il accordait une attention toute spéciale à la forme et à l’aspect de ses publications, faisant appel à de nombreux jeunes artistes qui avaient étudié à Vienne à l’apogée du mouvement de la Sécession. Ceux-ci introduisirent ainsi l’iconographie de ce nouveau courant inspiré par la nature, le folklore et la mythologie qu’ils combinaient à des formes stylisées et à cette dynamique ligne ondulante typique de la Sécession. L’un des premiers livres slovènes qui allie poésie et interprétations artistiques pour créer un tout harmonieux, une œuvre d’art totale, est l’ouvrage de poésie de Dragotin Kette (1876-1899). Pour sa seconde édition en 1907, Oton Gaspari a créé cinq pleines pages d’illustrations et neuf vignettes dans le style Sécession typique. 102 Ljubljana L’illustration du frontispice de Poésies, marquée par une composition géométrique en forme de croix, montre une jeune femme avec une fleur dans les cheveux portant une longue robe transparente sur le montant transversal gauche. Sur le droit, la Mort a revêtu une tenue noire. Leurs mains qui se rencontrent jouent d’une harpe dessinée sur le montant vertical de la croix, au milieu de la page. La page de titre de Sonnets présente une femme ailée, élégante et de haute taille, tenant dans sa main droite une guirlande avec le titre « Sonnets ». En bas, sur la gauche, on aperçoit la silhouette d’un couple formé par un poète et par la mort dotée d’une faux et d’un sablier. Les deux images expriment très clairement l’esprit de cette période qui souleva les questions de l’existence et de la non-existence, de la vie et de la mort, d’Eros et de Thanatos, autant de thèmes qui tourmentaient le jeune poète sensible. (p. 102) Makso Gaspari, Frontispice de Poésies, (Ljubljana 1907), encre, papier, 38,1x 25,7 cm © Narodna galerija [Galerie nationale], inv. št. NG G 1118 (p. 105) Makso Gaspari, Frontispice de Sonnets, (Ljubljana 1907), encre, papier, 38,1 x 25,7 cm © Narodna galerija [Galerie nationale], inv. št. NG G 1119 103 The poems of Dragotin Kette, a treasure among Slovene collectors’ editions (1907) Publishing was one of the most dynamic sectors of the Art Nouveau movement around the year 1900. The books presented a complete work in themselves, marrying the fine arts with poetry. Never before had so many collectors’ editions been published. Particular attention was paid to the covers, the binding, bookplates, frontispiece and illustrations. The publisher Lavoslav Schwentner was responsible for raising the quality of Slovene books to a very high standard. Some even gave him the nickname « Slovene Modernism’s court publisher » on account of his unfailing support for young Modernist authors like Ivan Cankar, Oton Župančič, Josip Murn Aleksandrov and Dragotin Kette. He paid special attention to the form and appearance of his publications, commissioning several young artists who had studied in Vienna at the height of the Secession movement. They introduced the iconography of that new trend, which drew its inspiration from nature, folklore and mythology, combining it with stylised forms and the dynamic, undulating line typical of the Secession style. One of the first books in Slovenia combining poetry with pictorial interpretations to create a harmonious, integral work of art was the volume of poems by Dragotin Kette (1876-1899). For the second edition, published in 1907, Oton Gaspari created five full pages illustrations and nine vignettes in the typical Secession style. 104 The illustration for the frontispiece of Poems takes the form of a geometric composition in the shape of a cross; a young woman with a flower in her hair and wearing a long, transparent dress is portrayed on the left arm of the cross, with Death, clad in black, on the right. Their hands meet as they play a harp depicted on the vertical post of the cross, in the centre of the page. The title page of Sonnets shows a tall, elegant winged woman holding a garland in her hand bearing the name « Sonnets ». Below, on the left hand side, is a silhouette showing a poet accompanied by Death, who is carrying a scythe and an hour-glass. The two images very clearly express the spirit of that period, which was preoccupied by questions of existence and non-existence, life and death, Eros and Thanatos, all themes which tormented the sensitive young poet. (p. 102) Makso Gaspari, Title page of Poems , (Ljubljana 1907), ink, paper, 38.1x 25.7 cm © Narodna galerija [National Gallery], inv. št. NG G 1118 Ljubljana (p. 105) Makso Gaspari, Title page of Sonnets , (1907), ink, paper, 38.1x 25.7 cm © Narodna galerija [National Gallery], inv. št. NG G 1119 105 Un meuble végétal: le guéridon aux nénuphars de Majorelle L’ébéniste, décorateur et ferronnier d’art nancéien, Louis Majorelle, présente en 1900 à l’Exposition universelle de Paris un tout nouvel ensemble de mobilier de bureau (fauteuil, bureau et bibliothèque) basé sur des lignes organiques et dynamiques inspirées du nénuphar jaune. Cette même inspiration le guide deux ans plus tard lorsqu’il compose ce guéridon en bois précieux orné de bronzes dorés. Sans pour autant délaisser la sculpture sur bois et les décors de marqueterie florale présents sur une large partie de sa production, Majorelle apporte, dans la série de meubles aux nénuphars, sa propre réflexion sur le mobilier moderne construit et orné d’après la nature. C’est en effet le nénuphar jaune – ses feuilles, ses fleurs, ses tiges, mais aussi son modèle de croissance – qui inspire à Majorelle l’architecture et le décor de ce meuble végétal. Si le travail d’ébénisterie confirme l’appartenance de ce guéridon au registre et aux formes Art nouveau, ce sont les éléments en bronze qui lui donnent sa dimension naturaliste et symbolique. Le nénuphar prend racine à la base des pieds en bronze : son rhizome, émergeant du sol, forme le renflement central à partir duquel partent les longues tiges, tandis que ses fins rhizoïdes enveloppent les flancs et l’arrière du pied. Des feuilles recroquevillées terminent le décor de la base. Les tiges, qui épousent la courbe du bois, semblent porter le pla- 106 Nancy teau supérieur dont la forme trilobée et les rebords incurvés rappellent les feuilles de nénuphar. Quant à la fleur, elle s’épanouit dans la partie haute du meuble, posée sur les larges feuilles au centre de chaque lobe du plateau. Œuvrant tout autant comme ébéniste que comme bronzier, Majorelle crée un style nouveau qu’il développe par la suite dans ses ensembles de chambre à coucher aux nénuphars et de bureau aux orchidées dont le style unique et identifiable le différencie nettement des recherches de ses confrères nancéiens, parmi lesquels Émile Gallé et Eugène Vallin. (p. 106) Louis Majorelle, guéridon aux nénuphars (1902), amarante, placage de bois serpent, bronze doré et ciselé 90,5 x 96 x 96 cm © Musée de l’École de Nancy, photo Claude Philippot (p. 109) Louis Majorelle, guéridon aux nénuphars (1902), détail, amarante, placage de bois serpent, bronze doré et ciselé 90,5 x 96 x 96 cm © Musée de l’École de Nancy, photo Claude Philippot 107 Furniture as vegetation: Majorelle’s waterlily pedestal table At the 1900 Paris World Exhibition, the cabinet-maker, designer and wrought-iron craftsman Louis Majorelle presented an entirely new set of office furniture (an armchair, desk and bookcase) based on organic, vigorous lines inspired by the yellow water-lily. That same influence was his guide two years later, when he created this pedestal table made of precious wood ornamented with gilded bronze. While he did not abandon the wood carving and ornamental floral marquetry that features in much of his work, Majorelle’s series of pieces based on the theme of the water lily reflects his personal vision of modern furnishings inspired by nature in their construction and decoration. It was in fact the yellow water lily that provided Majorelle with his ideas for the structure and ornamentation of this plant-like furniture – not simply for its leaves, flowers and stalks, but also for its mode of development. Although the characteristic register and forms of Art Nouveau are evident in the cabinetwork, it is the table’s bronze elements that endow it with a naturalistic and symbolic dimension. The water lily takes root at the base of the bronze feet: its rhizome emanates from the ground to form the central tier from which the long stems emerge, while its slender rhizoids envelop the sides and backs of the table’s feet. Withered leaves complete the ornamentation on the lower section. The 108 stems are moulded to the curve of the wood and appear to support the upper tier, the trilobate forms and curved edges of which suggest water lily leaves. The flower itself appears in bloom on the upper section of the furniture, set on wide leaves in the centre of each lobe forming the tier. Both through his work as a cabinet-maker and as a bronze craftsman, Majorelle created a new style, which he subsequently developed in his sets of bedroom furniture inspired by water lilies and his office ensembles based on orchid designs. Their unique, recognisable style sets him clearly apart from his colleagues within the Ecole de Nancy, among them Émile Gallé and Eugène Vallin. (p. 106) Louis Majorelle, water lily pedestal table (1902), amaranth, snakewood inlay, carved and gilded bronze, 90.5 x 96 x 96 cm © Musée de l’Ecole de Nancy, photo Claude Philippot (p. 109) Nancy Louis Majorelle, water lily pedestal table (1902), detail, amaranth, snakewood inlay, carved and gilded bronze, 90.5 x 96 x 96 cm © Musée de l’Ecole de Nancy, photo Claude Philippot 109 La coupe Roses de France d’Emile Gallé À la fin du XIXe siècle, Nancy devint l’une des capitales de l’horticulture grâce aux talents conjugués de Victor Lemoine, de Félix Crousse et de leurs confrères. Ces derniers avaient conçu, par hybridation, de nouvelles variétés végétales qui suscitèrent l’intérêt des artistes pour la nature et pour la flore en particulier. Ce contexte favorisera la création, en 1877, de la Société centrale d’horticulture de Nancy, à l’origine de la commande de cette importante coupe offerte, en 1901, à Léon Simon, son premier président honoraire. Issu d’une ancienne famille de jardiniers messins, ce pépiniériste était un spécialiste des roses. Ce n’est donc pas un hasard si cette fleur a été choisie comme unique sujet de décor de la coupe. En plus de son aspect décoratif, c’est également pour sa valeur allégorique et symbolique qu’elle a été retenue : l’une des variétés représentées est la rosa gallica devenue, à cette époque, un symbole de la ville de Metz et de son lien avec la France. Selon une tradition locale, cette fleur ne pousserait que sur le mont Saint-Quentin. Du haut de ce belvédère qui domine la cité, elle se moquerait de la nouvelle frontière imposée par l’Allemagne, suite à la guerre franco-prussienne de 1870. 110 Nancy Réalisée en deux parties, la coupe propose des tonalités délicates imitant celles des roses qu’Émile Gallé a rehaussées d’inclusions de poudre, d’applications et de motifs en marqueterie de verre. En fait, il emploie souvent les fleurs pour exprimer des idées. Outre l’allusion à la situation politique liée à l’annexion allemande de 1870, cette pièce évoque aussi les différents « âges de la vie » puisque les roses, gravées ou en application, sont représentées à différents stades de floraison : en bouton, à peine écloses, épanouies ou commençant à se faner. L’artiste n’hésite pas à figurer les étapes successives de la croissance, depuis l’éclosion jusqu’à la décrépitude des végétaux. Ainsi, la rose ornant le vaisseau, motif central de cette coupe, est-elle en train de se flétrir. Ses pétales commencent à se détacher. Certains volent déjà au vent. On peut ainsi constater que la nature en majesté, dans toute sa plénitude, n’est pas la seule à inspirer Gallé. Il s’intéresse également aux plantes qui présentent des anomalies, qui sont malades ou en pleine dégénérescence, autant d’étapes qui rappellent la brièveté et la fragilité de la vie. (p. 110) Émile Gallé, Coupe Simon ou Roses de France (Nancy 1901) Cristal, H. 44,7 ; D. 31 cm © Musée de l’École de Nancy, photo : Gilbert Mangin (p. 111) Émile Gallé, Coupe Simon ou Roses de France, détail (Nancy 1901) cristal, H. 44,7 ; D. 31 cm © Musée de l’École de Nancy, photo : Gilbert Mangin 111 Emile Gallé’s rose bowl Nancy became a centre of horticulture in the late 19th century, thanks to the combined talents of Victor Lemoine, Félix Crousse and their colleagues. The new plant species created by Lemoine and Crousse through hybridisation kindled artists’ interest in nature, particularly flora. These circumstances favoured the establishment of the Société centrale d’horticulture de Nancy in 1877. This was the source of the commission for this impressive bowl, which was presented to its first honorary president Léon Simon in 1901. yering and motifs in glass marquetry to produce their raised effect. He often expressed his ideas through flowers. Besides the allusion to the political situation relating to the German annexation of 1870, this piece also recalls the different « ages of life » since the roses, engraved or applied, are shown at different stages in their flowering: as buds, just opening, in full bloom and starting to fade. The artist did not shrink from depicting different stages in the growth of plant life, from their flowering to their death. In this way, the rose which forms the central motif decorating the bowl is beginning to wilt. Its petals are starting to detach themselves, with some already floating in the wind. It is clear that Gallé was not inspired by nature only when in the fullness of its majesty. He was also interested in plants that presented anomalies, which were diseased or completely degenerating, all the stages that recall the brevity and fragility of life. This nurseryman, born into an ancient family of gardeners from Metz, was a rose specialist, so it is no coincidence that the flower was chosen as the sole motif adorning the bowl. It was selected as much for its symbolic and allegorical value as for its decorative appearance: one of the varieties represented is the rosa gallica, which at that time had become a symbol of the town of Metz and of its link with France. According to local tradition, this flower would only grow on the Mont Saint-Quentin. From this vantage-point dominating the city, it would cock a snook at the new frontier imposed by Germany after the Franco-Prussian war of 1870. (p. 110) Émile Gallé, Coupe Simon or Roses de France (Nancy 1901) Cristal, H. 44.7 ; D. 31 cm © Musée de l’Ecole de Nancy, photo : Gilbert Mangin Created in two sections, the bowl’s delicate tones echo those of the roses; Émile Gallé used powder, la- (p. 111) Émile Gallé, Coupe Simon or Roses de France, detail (Nancy 1901) Cristal, H. 44.7 ; D. 31 cm © Musée de l’Ecole de Nancy, photo : Gilbert Mangin 112 Nancy 113 Alessandro Mazzucotelli et la légèreté du fer « Car la matière d’un art n’est pas une donnée fixe, acquise pour toujours: dès ses débuts, elle est transformation et nouveauté, puisque l’art, comme une opération chimique, élabore, mais elle continue à se métamorphoser » (H. Focillon) Considéré comme un maître de la ferronnerie, Alessandro Mazzucotelli (1865-1938) participe à l’expérience Liberty grâce à ses inventions formelles, riches et raffinées et collabore avec les plus importants architectes lombards, notamment G. Sommaruga et A. Campanini, en réalisant les ferronneries décoratives de leurs bâtiments. Il combine éléments floraux, zoomorphes et structures abstraites pour créer des formes ayant la logique et la caractéristique spatiale de modèles architecturaux. Les travaux de Mazzucotelli se caractérisent par le lien étroit entre l’ingénuité de l’artiste et la dextérité de l’artisan, offrant ainsi à l’immense collection de plantes et d’animaux représentés une sensibilité plastique rare. Le sujet acquiert donc une grande puissance expressive, animée par la composition de pleins et de vides, par les irrégularités et les symétries offrant des contrastes saisissants entre l’espace au sens strict et le monde naturel : chaque élément de la composition prend vie, après un travail précis 114 de la forge, produisant des formes fluides, libres et dynamiques. Après les premières grandes réalisations comme le bâtiment de la nouvelle Bourse de Milan, la villa Ottolini à Busto Arsizio, les villas Fabbro et Antonini à Trévise, ses recherches évoluent vers une stylisation progressive dans la période tardive de l’Art nouveau. Son œuvre comporte des thèmes inspirés du monde végétal, mais également de l’animal, dont la représentation évolue avec le temps, passant d’un effet de simplification formelle à un effet d’immédiateté considérablement expressive. La perception de la relation étroite entre le fer et l’architecture ne vient que plus tard, lorsque Mazzucotelli donne une dimension architecturale à ses travaux, comme dans le cas emblématique des lampadaires de la Piazza Duomo à Milan, conçus en lien étroit avec le paysage urbain et les clochers des églises. Regione Lombardia (p. 114) Alfredo Campanini, Casa Campanini (Milan 1906) © Alessandro Morelli (p. 117) Alessandro Mazzucotelli, détail de ferronnerie de la porte d’entrée de la Casa Campanini (Milan 1906) © Alessandro Morelli 115 Alessandro Mazzucotelli and the airy qualities of iron “For the material from which a piece of art is formed is not a set feature, established for all time. From its inception, it can become transformed and renewed, as artistic creation is like a chemical process: it elaborates matter while continuing to achieve metamorphosis”. (H. Focillon) Considered to be a master iron-worker, Alessandro Mazzucotelli (1865-1938) contributed to the Liberty Style with his rich and refined innovations of form. He collaborated with the most renowned architects in Lombardy, most notably Giuseppe Sommaruga and Alfredo Campanini, by producing the decorative wrought iron elements on their buildings. Combining floral, zoomorphic and abstract structures, he created forms reflecting the spatial logic and character of architectural models. Mazzucotelli’s work typically displays a close link between the ingenuity of the artist and the dexterity of the craftsman, endowing the immense collection of plants and animals represented there with a rare quality of plasticity. In this way, the subject is invested with considerable expressive power, which is enlivened by the composition with its full and empty spaces, its irregularities and symmetries offering striking contrasts between space in the strict sense 116 and the natural world. Each element of the composition comes to life through the precision of the ironwork, which produces fluid, free and dynamic forms. After his first major projects, such as the new Stock Exchange in Milan, the villa Ottolini at Busto Arsizio and the Fabbro and Antonini villas at Treviso, his explorations resulted in the gradual development of more stylised forms during the late Art Nouveau period. His work includes themes inspired by vegetation and the animal kingdom alike, his portrayals evolving over time from a simplification of form to a highly expressive impression of immediacy. The close relationship between iron and architecture only becomes evident at a later date, when Mazzucotelli gave his work an architectural dimension. This is the case with the emblematic street lamps in Milan’s Piazza Duomo, designed to create a close link with with the urban landscape and the church bell towers. Regione Lombardia (p. 114) Alfredo Campanini, Casa Campanini (Milan 1906) © Alessandro Morelli (p. 117) Alessandro Mazzucotelli, detail of the wrought iron gate of Casa Campanini (Milan 1906) © Alessandro Morelli 117 De l’objet sans vie à l’objet d’art En 1901, Giuseppe Sommaruga (1867-1917) construisit le Palazzo Castiglioni, et trois ans plus tard, Alfredo Campanini (1873-1926) construisait sa propre maison dans la rue Bellini. Ces deux constructions sont deux des plus célèbres bâtiments Art nouveau de Milan pour lesquelles les architectes ont fait face aux défis de la technologie et des nouveaux matériaux. Dans le travail des deux architectes, la recherche de la cohérence entre la fonction et la forme selon de nouvelles règles s’accomplit à travers l’utilisation de matériaux tels que le verre, le fer et le ciment qui, en tentant d’imiter la nature, gagnent une importante valeur plastique. Le fer, le verre et le béton sont disponibles grâce au développement des productions de masse et, au XIXe siècle, ils s’imposeront aux artisans et fabricants les plus motivés qui rechercheront leur utilisation artistique. Dans les travaux de Sommaruga, Campanini et d’autres artistes du Liberty lombard, le matériau subit un processus de métamorphose, se libérant de son état brut et de sa condition mécanique, pour devenir hautement expressif. Se démarquant des expériences sur le fer en Europe du Nord tout en se rapprochant des techniques employées par le Modernisme catalan, les architec- 118 tes lombards choisissent le béton pour sa faculté de donner vie à la fois à des formes strictement géométriques et à des formes plastiques libres. Dans le Palazzo Castiglioni et la maison Campanini, de multiples facettes du ciment sont exploitées par les deux architectes : la structure, la texture, le matériau décoratif et sculptural. Combinées suivant des formes à la fois géométriques et organiques, celles-ci s’associent à des matériaux historiquement nobles, provoquant ainsi les anciennes figures néoclassiques, tout en contribuant à donner à la ville une nouvelle dimension, en équilibre entre tradition et innovation. Probablement pour le plaisir sensuel de jouer avec le matériau, quel qu’il soit. (p. 118) Alessandro Mazzucotelli, verrière et lampes en fer forgé © Alessandro Morelli Regione Lombardia (p. 121) Alessandro Mazzucotelli, détail de verrière en fer forgé © Alessandro Morelli 119 From lifeless object to objet d’art Giuseppe Sommaruga (1867-1917) built the Palazzo Castiglioni in 1901, and three years later Alfredo Campanini (1873-1926) built his own house in the Via Bellini. The architects undertook the challenges presented by technology and new materials to create these constructions, which are two of the most famous Art Nouveau buildings in Milan. In the work of both architects, the quest to achieve coherence between form and function in accordance with new principles was fulfilled through materials such as glass, iron and cement; these gained a significant quality of plasticity in the endeavour to imitate nature. The development of mass production ensured the availability of iron, glass and concrete. These were essential materials for the most ambitious 19th century craftsmen and manufacturers, who sought to put them to artistic use. In the work of Sommaruga, Campanini and other Liberty Style artists of Lombardy, the material underwent a process of metamorphosis as it was freed from its untreated state and mechanical properties, becoming highly expressive. With the Palazzo Castiglioni and the Campanini house, the two architects made use of many different aspects of cement: its structure, texture and qualities as a decorative and sculptural material. These combine to produce forms which are both geometric and organic; used in conjunction with material that has noble, historic connotations, they challenge ancient neo-Classical figures, while playing their part in giving the city a new dimension balancing tradition with innovation. Manipulating the material, whatever it might be, was surely a pleasurable experience for the senses. (p. 118) Alessandro Mazzucotelli, window and wrought iron lamps © Alessandro Morelli Regione Lombardia The Lombard architects were not associated with the experimental use of iron as practised in Nor- 120 thern Europe, instead using techniques similar to those of Catalan Modernisme. They chose concrete for its ability to breathe life into purely geometric shapes and free, plastic art forms alike. (p. 121) Alessandro Mazzucotelli, detail of a wrought iron window © Alessandro Morelli 121 Le masque de la femme mystérieuse La résidence située au numéro 8 de la rue Smilšu, à Riga, fut construite en 1902 d’après le projet des architectes Heinrich Scheel (1829-1909) et Friedrich Scheefel (1865-1913). Scheel fit ses études à SaintPétersbourg où il obtint le titre d’académicien. Une trentaine d’immeubles en pierre furent construits à Riga d’après ses projets. Scheefel suivit un cursus en Allemagne, puis travailla dans le bureau de Heinrich Scheel avant de devenir indépendant. Il est à l’origine de la construction d’environ 35 immeubles résidentiels et publics. De style Art nouveau éclectique et décoratif, l’immeuble de la rue Smilšu appartenait à I. Bobrov. Ses façades donnant sur deux rues sont rehaussées de balcons aux splendides ferronneries et d’un décor ornemental à la symbolique affirmée réalisé par les sculpteurs Sigismund Otto et Osvalds Vasils. Ainsi, les deux personnages de femmes tenant dans leurs bras une couronne évoquent la beauté et l’harmonie. D’une étrange beauté, le mascaron expressif figurant une tête féminine agrémente le portail d’entrée et symbolise le Temps. Alors que les traits paisibles et les yeux fermés font allusion à la nuit, des étoiles qui suggèrent l’ordre cosmique parsèment la chevelure bouclée. Le visage masculin en demi-lune situé au- 122 Riga dessus du mascaron représente quant à lui la force masculine. En effet, contrairement au folklore des autres peuples européens, la Lune, dans le folklore letton, est plutôt liée à la vigueur de l’homme. D’ailleurs, les chansons populaires lettones honorent la double nature de la Lune (nom masculin en langue lettone) – tantôt jeune, tantôt vieille. Pourtant, l’astre nocturne est bel et bien le symbole du secret féminin et de la création. Les cheveux cachant la Lune sont parcourus d’un ruban décoratif timbré du signe d’Auseklis, l’étoile du matin qui, pour les Lettons, symbolise l’éveil, l’aube et le jour nouveau. Il faut souligner que de nombreux bâtiments de style Art nouveau à Riga conservent des sculptures dont le décor fait référence à la mythologie et au folklore letton. (p. 122) H.Scheel, F.Scheffel, 8 rue Smilšu, façade de l’immeuble à appartements (Riga 1906), Riga Art Nouveau Centre, photo: R. Salcevics (p. 125) H.Scheel, F.Scheffel, 8 rue Smilšu, le mascaron sur la façade de l’immeuble à appartements (Riga 1902), Riga Art Nouveau Centre, photo: R.Salcevics 123 The mask of the mysterious female The residential building situated at number 8 Smilšu iela, Riga, was constructed in 1902 from plans created by the architects Heinrich Scheel (1829-1909) and Friedrich Scheefel (1865-1913). Scheel studied at Saint Petersburg, where he achieved the status of academician. Around thirty stone buildings were constructed in Riga based on his designs. Scheefel pursued his university studies in Germany and afterwards worked in Heinrich Scheel’s practice before becoming independent. He was responsible for the construction of around 35 residential and public buildings. The building in Smilšu iela, which was owned by I. Bobrov, is an example of the eclectic decorative Art Nouveau style. Its front façades are enhanced by balconies displaying splendid wrought ironwork and distinctly symbolic ornamentation created by the sculptors Sigismund Otto and Osvalds Vasils. In this way, the two female figures holding a garland aloft suggest beauty and harmony, while the strangely lovely, expressive mascaron in the form of a female head that adorns the main entrance symbolises Time. Her tranquil features and closed eyes form an allusion to the night, and the stars strewn among the curls of her hair suggest the order of the cosmos. The 124 half-moon masculine face placed above the mascaron represents male strength. In contrast to the folklore of other European nations, in Latvia the Moon is in fact more associated with male vigour. Latvian folk songs honour the dual nature of the moon (a masculine noun in Latvian) – now young, now old. The evening star, on the other hand, unquestionably symbolises the mystery of woman and creation. The hair concealing the Moon is threaded with a decorative ribbon bearing the sign of Auseklis, the morning star, which for Latvians symbolises awakening, the dawn and the new day. It is important to note that several Art Nouveau style buildings in Riga carry decorative sculptures referring to Latvian mythology and folklore. (p. 122) H.Scheel, F.Scheffel, 8 rue Smilšu, Apartment house with shops (Riga 1902), Riga Art Nouveau Centre, photo: R.Salcevics Riga (p. 125) H.Scheel, F.Scheffel, 8 rue Smilšu, the mascaron of a woman on the façade of the apartment house (Riga 1902), Riga Art Nouveau Centre, photo: R.Salcevics 125 L’immeuble aux sphinx L’un des derniers immeubles Art nouveau éclectique et décoratif construit à Riga est la résidence de V. Boguslavski, située au numéro 2a de la rue Alberta. Il fut érigé en 1906 d’après les plans de l’ingénieur en bâtiment Mikhaïl Eizenstein (1867-1921) qui débuta sa carrière d’architecte dans cette même ville. Près de vingt immeubles résidentiels en pierre y furent d’ailleurs édifiés d’après ses projets. Notons que celui de la rue Alberta abrita un temps le grand philosophe britannique Isaiah Berlin qui y passa son enfance, entre 1909 et 1915. Les façades de l’immeuble ont été dotées d’un décor composé de motifs géométriques et d’ornements stylisés. De part et d’autre du portail et des halls d’entrée, deux femmes sculptées brandissent des torches. Tandis qu’une frise décorative verticale en carreaux rouges vernis accentue la partie centrale de la façade, l’attique dont les ouvertures pareilles à des fenêtres ouvertes laissent apparaître le ciel, attire indubitablement toute l’attention. Couronné de mascarons et de motifs géométriques, il apporte à la façade expressivité et dynamisme. Les sculptures de sphinx situées devant l’immeuble constituent elles aussi une autre particularité de l’ensemble. Le sculpteur, probablement Vasaks, les a toutes deux 126 Riga conçues comme des œuvres indépendantes, présentées sur de petits socles-podiums individuels. Une poitrine idéale et des ailes aux lignes élégantes complètent le corps gracieux des sphinx à pattes de lion dont la tête monumentale et les visages aux traits mystérieux ne manquent pas d’interpeller les passants. Cet être mythique – mi - homme, mi - animal – symbolise les quatre éléments : la terre, l’air, l’eau et le feu. Si l’Égypte ancienne fit du sphinx le symbole du pouvoir, de la justice et du soleil, il évoque davantage la sagesse et la fertilité dans la Grèce antique. Les sphinx de la rue Alberta font plutôt référence à cette dernière et posent des questions sans réponse sur le mystère de la fertilité. Cette utilisation décorative du sphinx apparaî comme l’exemple le plus réussi dans l’architecture Art nouveau de Riga. Aujourd’hui encore, ces figures légendaires montent la garde de cette demeure, invitant les passants à deviner leurs secrets. (p. 126) Mikhail Eisenstein, façade de l’immeuble à appartements (Riga 1906), Riga Art Nouveau Centre, photo: R.Salcevics (p. 129) Mikhail Eisenstein, les sphinx devant l’immeuble à appartements (Riga 1906), Riga Art Nouveau Centre, photo: R.Salcevics 127 The sphinx building One of the last eclectic and decorative Art Nouveau buildings to be constructed in Riga was the home of V. Boguslavski, at number 2a, Alberta iela. It was erected in 1906 from plans drawn up by the civil engineer Mikhail Eisenstein (1867-1921), who began his career as an architect in Riga. Almost twenty stone residential buildings were constructed there from his designs. A notable resident of Alberta iela was the great British philosopher Isaiah Berlin, who spent part of his childhood there, between 1909 and 1915. The building’s façades were given a decoration composed of geometric patterns and stylised ornamental elements. On either side of the doorway and entrance halls, two sculpted female figures brandish torches. A decorative vertical frieze in polished red tiling accentuates the upper section, yet it is unquestionably the very top of the edifice that draws all eyes, with its window-like apertures open to the sky. Surmounted by mascarons and geometric patterns, it brings expressivity and dynamism to the façade. The sculptures of sphinxes placed in front of the building are an additional distinctive feature of the construction. The sculptor, probably Vasaks, conceived them both as independent works, setting them on small, individual pedestals. Perfect breasts and wings with elegant lines complete the graceful bo- 128 dies of the sphinxes, which have lion’s paws. Their monumental heads and mysterious facial features never fail to attract the attention of passers-by. This mythical creature – half-man, half-animal – symbolises the four elements : earth, air, water and fire. In ancient Egypt the sphinx was the symbol of power, justice and the sun, but to the ancient Greeks it had stronger associations with wisdom and fertility. The sphinxes in Alberta iela refer more to the latter interpretation, suggesting unanswered questions on the mystery of fertility. This use of the sphinx as a decorative feature is the most successful example in Riga’s Art Nouveau architecture. These legendary figures still mount guard outside the residence today, inviting passers-by to guess their secrets. Riga (p. 126) Mikhail Eisenstein, Façade of apartment house (Riga 1906) Riga Art Nouveau Centre, photo: R.Salcevics (p. 129) Mikhail Eisenstein, The sphinxes in front of the apartment house (Riga 1906), Riga Art Nouveau Centre, photo: R.Salcevics 129 Le décor à la rose à l’époque moderniste Les arts appliqués modernistes comportent de nombreux éléments naturels et symboliques qui ont été transformés, voire métamorphosés, puis intégrés à l’architecture. Parmi ceux-ci, la rose est, à n’en point douter, le motif végétal le plus représenté dans les bâtiments de cette époque à Terrassa. Cette fleur, très présente dans la culture occidentale qui en fait un usage décoratif et médicinal, jouit d’une symbolique particulièrement forte. En Catalogne, on l’associe au jour de la Sant Jordi, quand les hommes offrent une rose rouge à l’élue de leur cœur, et de manière plus générale à l’amour, à la beauté et à d’autres sentiments en fonction de sa couleur. Si l’on sait que les senteurs florales et les parfums revêtent une importance majeure à cette époque, elle définit merveilleusement le Modernisme catalan en unissant l’aspect olfactif à l’iconographie et au vocabulaire décoratif. Les différences de représentation semblent être liées au matériau employé. Ainsi, le motif de la rose apparaît plus réaliste dans la pierre ou le métal, devenant plus abstrait dans la céramique, les vitraux et le trencadís, un type de mosaïque créé à partir d’éclats de carreaux de céramique. Généralement, la tige et les feuilles sont dessinées de façon similaire. Par contre, 130 Terrassa la fleur elle-même varie à l’infini. Il est vrai aussi que la création artistique est un autre élément à prendre en compte. La grille du jardin de la Casa Alegre de l’architecte Joaquim de Sagrera, les chapiteaux en pierre et les ornements en plâtre du Théâtre principal comme les peintures de guirlandes de roses de la confiserie Vídua Carné de le peintre Joaquim Vancells offrent les représentations les plus réalistes tandis que les dallages en mosaïque du Théâtre principal, la lampe de la Casa Barata comme les vitraux de la confiserie Vídua Carné montrent une abstraction métamorphique du motif original. Enfin, elle apparaît fortement stylisée dans les balustrades en céramique et mosaïque de la Casa Alegre. (p. 130) Salvador Soteras i Taberner, ancien Banc de Terrassa. Terrassa, Museu de Terrassa, photo: Domènec Ferran (p. 134) Melcior Vinyals, Casa Alegre de Sagrera. Terrassa, 1911, Museu de Terrassa, photo: Marta de Juan 131 The rose decoration of the Moderniste period Moderniste applied arts include a number of natural and symbolic elements which have been transformed, even metamorphosed, and then integrated into architectural constructions. Among these, the rose is certainly the most frequently represented plant motif on buildings in Terrassa dating from this period. This flower features prominently in western culture, where it has been used for decorative and medicinal purposes alike, and it carries particularly strong symbolic connotations. In Catalonia, it is associated with Sant Jordi’s day, when men give a red rose to their chosen inamorata. In a broader sense, it is linked to love, beauty and other sentiments according to its colour. Given that floral fragrances and perfumes were greatly favoured during this period, the rose was the ideal emblem for Catalan Modernisme, combining the aromatic aspect with iconography and decorative vocabulary. The different ways in which the rose is represented seem to be linked to the material that is used. In this way, the rose motif appears more realistic in stone or metal, becoming more abstract when represented in ceramics, stained glass and trencadís, a type of mosaic created with fragments of ceramic tiles. 132 Although the stem and leaves are generally depicted in a similar fashion, the flower itself is the subject of infinite variations, artistic creativity being an additional contributory factor. The most realistic representations may be found on the garden railings of the Casa Alegre, created by the architect Joaquim de Sagrera, the stone capitals and plaster ornamentation on the Teatre Principal, and the paintings of rose garlands on the Vídua Carné confectionary shop, designed by the painter Joaquim Vancells. By contrast, in the mosaic paving at the Teatre Principal, the lamp at the Casa Barata and the stained glass windows of the Vídua Carné confectionary shop, the original motif has metamorphosed into an abstract shape. And finally, it appears in a highly stylised form in the ceramic and mosaic balustrades of the Casa Alegre. Terrassa (p. 130) Salvador Soteras i Taberner, old Banc de Terrassa. Terrassa, Museu de Terrassa, photo: Domènec Ferran (p. 134) Melcior Vinyals, Casa Alegre de Sagrera. Terrassa, 1911, Museu de Terrassa, photo: Marta de Juan 133 Les toitures aériennes de Lluís Muncunill Lluís Muncunill, l’architecte le plus prolifique du patrimoine industriel et moderniste de Terrassa, considérait l’architecture comme un reflet de la création. Les édifices étaient pour lui des organismes vivants combinant harmonieusement la structure et l’esthétique. C’est selon ce concept de la théorie organique qu’il a conçu la plupart de ses édifices modernistes. Ce mariage de l’architecture et de la nature comme éléments structurels et esthétiques a généré la recréation de lignes sinueuses et ondoyantes, ce que nous pourrions définir comme une « nature ondulée ». Muncunill a progressivement épuré cette esthétique jusqu’à la simplicité la plus extrême quant à l’ornementation des édifices. Cette ligne ondulante résulte d’une conception libre et abstraite des modèles directement inspirés de la nature et constitue son langage moderniste le plus représentatif. La récupération de la tradition catalane de la construction en brique, aussi bien pour les toitures que pour les murs, constitue un autre élément important de son œuvre. En effet, le Modernisme catalan en général et Muncunill, dans le cas particulier de Terrassa, ont revisité et amélioré le couvrement en brique plate, dit «à la catalane», autant au niveau du système constructif qu’au niveau des lignes et des formes s’inspirant de la nature, en démultipliant les 134 Terrassa possibilités d’expression ou d’abstraction. Il aboutit à une voûte légère, de construction économique et rapide, qui peut s’adapter à toutes les formes capricieuses grâce à une simple structure en bois. De plus, elle peut couvrir de grandes surfaces, ce qui la rendit idéale pour les bâtiments d’industrie textile de Terrassa. Ainsi, des nefs ont été construites avec des voûtes à génératrice, des voûtes à génératrice et directrice en demi-cercle formant des travées, comme dans l’édifice de la Société générale d’électricité, dans l’usine Font Batallé et à l’Electra, et des voûtes à directrice sinueuse et génératrice en demi-cercle, beaucoup plus complexes, comme on peut le voir au Vapor Aymerich, Amat i Jover. (p. 134) Lluís Muncunill, Vapor Aymerich, Amat i Jover. Terrassa, 1907-1909, photo: Teresa Llordés (p. 137) Lluís Muncunill, Vapor Aymerich, Amat i Jover, détail. Terrassa, 1907-1909., photo: Teresa Llordés 135 The aerial roofs of Lluís Muncunill Lluís Muncunill, the most prolific architect of Terrassa’s industrial and Moderniste heritage, saw architecture as a reflection of creation. Buildings to him were living organisms harmoniously combining structure and aesthetics. Most of his plans for Moderniste constructions were based on this concept of organic theory. This marriage of architecture and nature as both structural and aesthetic elements resulted in the sinuous, flowing lines that recreated a “natural world” of undulating forms. With regard to the decorative features of his buildings, Muncunill gradually pared down this aesthetic to the utmost simplicity. Originating from a free, abstract conception of forms directly inspired by nature, this undulating line is the most representative example of his Moderniste language. Another important element in his work was the revival of the Catalan tradition of building both roofs and walls in brick. Indeed, Catalan Modernisme and Muncunill, in the particular case of Terrassa, revisited and improved the system known as the “Catalan style”, involving a covering of flat bricks. Used both for constructional purposes and for creating the lines and forms inspired by nature, this technique afforded considerable opportunities for expressivity or abstraction. 136 The gentle arch produced in this way is economical and quick to construct, adapting itself to all manner of imaginative forms by means of a simple wooden structure. Moreover, it can cover large surfaces, which made it ideal for the buildings connected with Terrassa’s textile industry. A series of vaults constructed along a generatrix line comprised the central section, with vaults following semi-circular generatrix and directrix lines forming bays. This system was used for the Societat General d’Electricitat building, and the Font i Batallé and Electra factories. A much more complex arrangement, featuring vaults with a sinuous directrix and semi-circular generatrix, may be seen in the Vapor Aymerich, Amat i Jover. (p. 134) Lluís Muncunill, Vapor Aymerich, Amat i Jover Terrassa, 1907-1909, photo: Teresa Llordés Terrassa (p. 137) Lluís Muncunill, Detail of the Vapor Aymerich, Amat i Jover. Terrassa, 1907-1909., photo: Teresa Llordés 137 Bibliographies Ålesund KITTELSEN T., Fra Lofoten. Billeder og Tekst af Th. Kittelsen, Kristiania, publishing house, 1890. KOFŒD H./ØKLAND E., Th. Kittelsen. Kjente og ukjente sider ved kunstneren, Oslo, J.M Stenersens Forlag As, 1999. SANDVED D. A./ HALVORSEN A.-K. K., Th. Kittelsen Trollbundet av landskapet, City?, Blaafarveværket, 2007. The Bible, the Book of Revelation, 14. Aveiro Aveiro – Cidade Arte Nova, Aveiro, Câmara Municipal de Aveiro, 2005. DIAS M. S., O mistério da Casa Major Pessoa, Aveiro, Câmara Municipal de Aveiro, 2006. FERNANDES M. J., Arquitecto Francisco Silva Rocha – Arquitectura Arte Nova – Uma Primavera Eterna, Aveiro, Câmara Municipal de Aveiro, 2008. NEVES A., A “Arte Nova” em Aveiro e seu Distrito, Aveiro, Câmara Municipal de Aveiro, 1997. Bad Nauheim Ernst Ludwig Presse / [von F. W. Kleukens und C. H. Kleukens gedr. und hrsg.]. Darmstadt : Kleukens Grimm Jakob und Wilhelm, Das Wettlaufen zwischen dem Hasen und Swinegel. Oldenburg, Stalling, 1926, Nürnberger Bilderbücher, p. 45. Kleukens F. W. , Ratio-Latein, halbfette Ratio-Latein, kursive Ratio-Latein, gezeichnet von F. W. Kleukens, Frankfurt a.M. [u.a.], Schriftgiesserei D. Stempel, 1920. 138 Sale, de la A., Die Fünfzehn Freuden der Ehe. Ratio-Presse, mit Zeichnungen von F.W. Kleukens, Darmstadt, Ernst Ludwig Presse, 1924. Vesper W., Die Historie von Reineke dem Fuchs : nach dem niederdeutschen Epos von 1498, neuerzählt von Will Vesper, Einbandzeichn. und Zeichn. der farb, Vollbilder von F. W. Kleukens, Oldenburg i.O., Stalling, 1928. Barcelona CASAMARTINA J., Juli Batllevell, un gaudinià oblidat, Sabadell, Museu del Gas, 2012. El Quadrat d’Or. 150 cases al centre de la Barcelona modernista, Guia, Olímpiada Cultural-Ajuntament de Barcelona, 1990. JOVÉ X., Apel·les Mestres i Oñós. Biografia, www. Gaudiallgaudi.com Liliana. El món fantàstic d’Apel·les Mestres, Barcelona, MNAC, 2005. MASFERRER S., Apel·les Mestres, Barcelona, La Nostra Gent, Col. Quaderns Blaus, Llibreria Catalònia, 1927. Bruxelles-Brussel ADRIAENSSENS W., STEEL R., La dynastie Wolfers, Anvers, éd. Pandora, 2006, p. 74 et 76-78. AUBRY F., Horta ou la passion de l’architecture, Gand, Ludion, 2005. CHAMPIER V., interview de Hector Guimard dans la Revue des Arts Décoratifs, n° 19, Paris, 1899, p. 8-10. DULIÈRE C., Victor Horta. Mémoires, Bruxelles ?, éd. par. 139 Ministère de la Communauté française de Belgique, 1985, p. 47. GOSLAR M., Victor Horta 1861-1947. L’homme – L’architecte – L’Art Nouveau, Bruxelles, Fondation Lahaut, Fonds Mercator, 2012. MAUS O., Les industries d’Art au Salon de La Libre Esthétique, dans Art et Décoration, Paris, 1897, p. 44. Glasgow BILLCLIFFE R., Mackintosh Watercolours, London, John Murray, 1984. GLENDENNING, MACINNES, MACKENCHNIE, A History of Scottish Architecture, Edinburgh University Press, 1996. Eric O.W. Ehrström 1881-1934, Kustannus W. Hagelstam, 1998. PRELOVŠEK D., Jože Plečnik (1872-1957) : architect in Ljubljana, Prague and Vienna, exhibition catalogue, Skopje: Museum of Contemporary Art, 2010. Rīga La Chaux-de-Fonds PRELOVŠEK D., Josef Plečnik: Wiener Arbeiten von 1896 bis 1914, Wien, Tusch, 1979 KRASTIŅŠ J., Jūgendstils Rīgas arhitektūrā, Rīga, Zinātne, 1980, p. 223. SIMONČIČ A., Knjižna ilustracija v letih 1890 do 1920, in Slovenski impresionisti in njihov čas, Ljubljana, Narodna galerija, 2008. BARONS K., Latvju Dainas, Rīga, Liesma, 1985, p. 40. Lielā simbolu enciklopēdija, Rīga, Jumava, 2000, p. 647. HELLMANN A., Charles L’Eplattenier, Hauterive, édition Attinger, 2011. Une expérience Art nouveau, le Style Sapin à La Chaux-deFonds, collectif, sous la direction de Helen Bieri Thomson, La Chaux-de-Fonds, Editions d’Art Somogy, 2006. La Chaux-de-Fonds / Le Locle, urbanisme horloger, collectif, sous la direction de J-D. Jeanneret, Le Locle, édition G d’Encre, 2009. Nancy BOUVIER R., Majorelle. Une aventure moderne, Metz, Serpenoise, Paris, La Bibliothèque des Arts, 1991. La HaBANA BOUVIER R. et al, Majorelle. Un art de vivre moderne, Nancy, Ville de Nancy, Paris, Nicolas Chaudun, 2009. NEAT T., Part Seen, Part Imagined: Meaning and Symbolism in the Work of Charles Rennie Mackintosh and Margaret Macdonald, Edinburgh, Canongate, 1994. CABRÉ T., Catalunya a Cuba, Un amor que fa història, Barcelona, Edicions 62 S.A., 2004. THOMAS V. et al., L’École de Nancy. Fleurs et ornements, Paris, RMN, 1999. MAGRIÑÁ R., “Al Mamoncillo de La Tropical”, La Nova Catalunya n°116(5), city?, 1912 THOMAS V. et al., Album du musée de l’Ecole de Nancy, Paris, RMN, 2001. Helsinki RODRÍGUEZ E-L., La Habana, Arquitectura del siglo XX, Barcelona, Art Blume S.L., 1998. THOMAS V. et al., Le Musée de l’Ecole de Nancy, œuvres choisies, Paris, Somogy Editions d’art, 2009. GOMME & WALKER, Architecture of Glasgow, London, Lund Humphries, 1968. Otava, 2010.AAV M., AMBERG A.-L., FAGERSTRÖM R., TILLANDER-GODENHIELM U., Koru Suomessa (Finnish jewellery), Designmuseo 2012. HÄMÄLÄINEN P., Jugend Suomessa (Jugend in Finland), Otava, 2010. KORVENMAA P., Taide ja teollisuus. Johdatus suomalaisen muotoilun historiaan (Art and Industry. Introduction to the history of Finnish Design), Helsinki, Taideteollinen korkeakoulu (University of Art and Design Helsinki), 2009. SAARINEN E., Suomen Aika, Eliel Saarinen - Projects 18961923, Helsinki, Museum of Finnish Architecture, 1990. 140 “Jardines de la Cervecería La Tropical”, Carteles 30 (31), 1938 El Libro de Cuba, La Habana, 1925, s.n. Regione Lombardia Ljubljana BOSSAGLIA R., HAMMACHER A., Mazzucotelli: l’artista italiano del ferro battuto liberty, Milano, Il polifilo editore, 1971, (Multilingual edition: Italian, English,German) Kette D., (1907) Poezije, (Ljubljana: L. Schwentner) BOSSAGLIA R., TERRAROLI V., Il liberty a Milano, Milano, Skira, KREČIČ P., Joze Plecnik, New York, Whitney Library of Design, 1993; Jože Plečnik, Ljubljana, Državna založba Slovenije, 1992. KRASTIŅŠ J., Rīgas jūgendstila ēkas, Rīga, ADD Projekts, 2012, p. 407. RAŠA S., Mihails Eizenšteins. Tēmas un simboli Rīgas jūgendstila arhitektūrā, Rīga, Neputns, 2003, p. 103. Terrassa FREIXA M., LLORDÉS T., Lluis Muncunill ( 1868-1931) arquitecte, Terrassa, Lunwerg Editores, 1996. FERRAN D., PEREGRINA N., Patrimoni Industrial, Terrassa, Museu de Terrassa, Ajuntament de Terrassa, 1999. El Modernisme a Terrassa, Terrassa, Lunwerg Editores, Ajuntament de Terrassa, 2002. FONTBONA F. ( ed. ), El Modernisme a l’entorn de la arquitectura, Barcelona, L´Isard, 2002, vol. II. Les arts aplicades modernistes a Terrassa. Catàlegs del Museu número 7. Museu de Terrassa, Ajuntament de Terrassa, 2000. FOCILLON H., Vie des formes, Quadrige, Paris, Presses Universitaires de France, 1934. MIKUŽ S., Maksim Gaspari, Ljubljana, Mladinska knjiga, 1978. 141 Le Réseau Art Nouveau Network souhaite remercier tout particulièrement les personnes et les institutions qui ont contribué à la réalisation de cet ouvrage : The Réseau Art Nouveau Network would like to extend particular thanks to the following individuals and institutions for their contributions to this publication: Commissaire de l’exposition / Exhibition Curator Teresa-M. Sala, Universitat de Barcelona Conception graphique / Graphic Design Fargas-Garau S.L. Coordinateur du projet / Project Coordination Bruxelles-Brussel: Philippe Thiéry, directeur de la Direction administrative et financière (AATL), Ministère de la Région de Bruxelles-Capitale, coordinateur du projet Art nouveau & écologie Manoëlle Wasseige, Relations extérieures de la Région de Bruxelles-Capitale, coordinateur faisant fonction du projet Art nouveau & écologie Remerciements à / Our thanks to Nathalie Bourdon Yves Cabuy, MRBC Augusta Dörr Elisabeth Horth Pascale Ingelaere Cabinet du Ministre-Président Ålesund – Jugendstilsenteret Partenaires / Partners: Nils Anker & IngvilGrimstad Remerciements à / Our thanks to : Jugendstilsenteret The descendants of goldsmith Gustav Gaudernack The Foundation Kjell Holm The County of Møre og Romsdal The Municipality of Ålesund The Norwegian Ministry of Culture Photos: Jugendstilsenteret Aveiro – Câmara Municipal de Aveiro Partenaires / Partners: Ana Gomez & Andreia Lourenço 142 Photos: Gustavo Ramos Bad Nauheim – Jugendstilverein Partenaires / Partners: Gisela Christiansen & Andreas Hilge Photos: Hiltrud Hölzinger Barcelone - IMPUQV Partenaires / Partners : Xavier Olivella Echevarne, Lluis Bosch Pascual & Inma Pascual Esteve Remerciements à / Our thanks to Teresa-M. Sala Bruxelles-Brussel – Direction des Monuments et des Sites de la Région de Bruxelles-Capitale Directie Monumenten en Landschappen van het Brussels Hoofdstedelijk Gewest Partenaire / Partners: Guy Condé-Reis Remerciements à / Our thanks to Adriaenssens Werner, MRAH Philippe Charlier, Centre de documentation AATL-MRBC Julie Coppens, Centre de documentation AATL-MRBC Astrid Fobelets, Fondation Roi Baudouin Murielle Gosselin, AATL Ode Goossens, Direction des Monuments et Sites Sam Plompen, Direction des Monuments et Sites Photos : Carpentier Isabelle, Fondation Roi Baudouin Les Musées royaux d’Art et d’Histoire Bruxelles-Brussel – Musée Horta - Hortamuseum Partenaire / Partner: Françoise Aubry Remerciements à / Our thanks to Figaz, Bruxelles Photos: Evrard et Bastin Glasgow – Mackintosh Heritage Group Partenaires / Partners: Helen Kendrick - Peter Trowles Remerciements à / Our thanks to Ian Elder, The Lighthouse Helsinki – Helsingin kaupunginmuseo Partenaire / Partner : Sari Saresto Remerciements à / Our thanks to Gösta Serlachiuksen taidesäätiö, Mänttä Suvi Leukumaavaara, Helsinki Photos: Design Museum, Helsinki + copyrights of the photo Helsinki City Museum + copyrights of the photos La Chaux-de-Fonds – Ville de La Chaux-de-Fonds Partenaires / Partners: Anouk Hellmann & Jean-Daniel Jeanneret Photos : Aline Henchoz La Habana – Oficina del Historiador Partenaires / Partners : Claudia Castillo & Orlando Inclan Castaneda Remerciements à / Our thanks to Kenia Díaz Santos, Oficina del Historiador de La Habana Nelys García Blanco, Oficina del Historiador de La Habana Eusebio Leal Spengler, Oficina del Historiador de La Habana Yanelis Leal del Ojo, Oficina del Historiador de La Habana Marina Ogier, Ambassade de Belgique à Cuba Ljubljana – UIRS Partenaire / Partner: Breda Mihelic Photos: Damjan Prelovšek (images villa Langer) Galerie nationale de Slovénie, dir. Barbara Jaki (images Gaspari) Nancy – Ville de Nancy Partenaires / Partners : Musée de l’Ecole de Nancy et Villa Majorelle, Jérôme Perrin & Valérie Thomas Remerciements à / Our thanks to L’équipe du musée de l’Ecole de Nancy, Véronique Baudoüin, Damien Boyer, Felipe Domingues, Emmanuelle Guiotat, Hélène Maherault, Jean-Yves Nancey, Blandine Otter, François Parmantier, Dominique Wilmet, Marie Ostrowski, le Service des Publics des Musées de Nancy, et les guides conférenciers, Roselyne Bouvier, Historienne de l’Art, Francine Roze, Conservateur en Chef, Lisa Laborie, Conservateur et l’équipe du Musée Lorrain Les descendants d’Emile Gallé (Pour les visuels des plaques photographiques qui ont été données en 2012 par les descendants) Regione Lombardia - D.G. Istruzione, formazione e cultura Partenaire / Partner : Giuseppe Speranza & Maurizio Monoli Remerciements à / Our thanks to Maria Rabita Rīga – Rīgas pašvaldības kultūras iestāžu apvienība Partenaires / Partners: Zanda Kergalve, Iveta Sproge & AgritaTipane Remerciements à / Our thanks to Dr. arch. Jānis Krastiņš Terrassa – Museu de Terrassa Partenaires / Partners : Domènec Ferran i Gómez & Marta De Juan i Castella Remerciements à / Our thanks to Institut Industrial de Terrassa Centre de Documentació i Museu Tèxtil de Terrassa Rafel Comes i Ezequiel Photos: Montserrat Fontich, Quico Ortega Comité éditorial / Editorial Committee : Anne-Lise Alleaume, Françoise Aubry, Guy Condé-Reis, Breda Mihelic, Jérôme Perrin, Anne-Sophie Riffaud-Buffat, Valérie Thomas, Manoëlle Wasseige. Rédacteurs / Editors: Nils Anker, Françoise Aubry, Aurélie Autenne, Gisela Christiansen, Hélène Guéné, Ingvil Grimstad, Jean-Daniel Jeanneret, Helen Kendrick, Yaneli Leal del Ojo de la Cruz , Andreia Lourenço, Breda Mihelic, Jérôme Perrin, Sonia Pistidda, Anne-Sophie Riffaud-Buffat, Teresa-M. Sala, Saresto Sari, Valérie Thomas, Agrita Tipane, Peter Trowles, Christophe Vachaudez, Domènec Ferran i Gómez Cette publication a été éditée à l’occasion de l’exposition « Natures de l’Art nouveau » dans le cadre du projet européen Art nouveau & écologie soutenu par le programme Culture 2007-2013 de l’Union européenne. This project has been funded with support from the European Commission. This publication reflects the views only of the author, and the Commission cannot be held responsible for any use which may be made of the information contained therein. 143 144 Colophon (En)