Vintage - FINAL

Transcription

Vintage - FINAL
Dossier d’accompagnement
de la conférence / concert
du vendredi 7 décembre 2012
en co-production
avec les Champs Libres
dans le cadre du
Programme d’éducation artistique et culturelle de l’ATM.
Conférence-concert
LE “VINTAGE” ENTRE GLAMOUR ET NOSTALGIE
Conférence de Jérôme Rousseaux
Concert de Nick Waterhouse
Dans le domaine musical, le terme “vintage” désigne un phénomène qui va en
s’amplifiant, et qui décrit autant une couleur sonore authentique - pouvant
remonter parfois jusqu’au premier quart du vingtième siècle -, que sa
reproduction par des artistes plus jeunes.
Au fil de cette conférence, nous verrons que cette approche se retrouve dans
beaucoup de genres musicaux, du blues au rap en passant par la chanson, le
rhythm’n’blues, la soul, sans oublier le rock, ses sous-familles et ses marges
expérimentales. Puis, nous constaterons que le “vintage” a aussi à voir avec
des époques précises, le plus souvent celles des pionniers de telle ou telle
esthétique, et la recherche d’un style et d’un son particulier.
En croisant des créateurs qui sont souvent des revivalistes, nous dégagerons
des grandes tendances, comme la fascination pour les musiques noires ou le
modèle que représentent toujours les crooners. Enfin, grâce à des exemples
multiples comme la soul blanche, nous montrerons qu’au-delà des modes, des
influences, et des syndromes d’identification, le “vintage” s’inscrit dans
l’évolution naturelle des musiques d’aujourd’hui et participe à leur perpétuel
renouvellement..
Afin de compléter la lecture de ce
dossier, n'hésitez pas à consulter
les dossiers d’accompagnement
des précédentes conférencesconcerts ainsi que les “Bases de
données” consacrées aux éditions
2005, 2006, 2007, 2008, 2009,
2010, 2011 et 2012 des Trans,
tous en téléchargement gratuit sur
www.jeudelouie.com
“Une source d’informations qui fixe les connaissances
et doit permettre au lecteur mélomane de reprendre
le fil de la recherche si il le désire”
Dossier réalisé en novembre 2012 par Pascal Bussy et Jérôme Rousseaux
(Atelier des Musiques Actuelles).
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1 - Vintage et Rétro
Le mot “vintage” vient de l’œnologie où il désigne en anglais un vin millésimé.
Le terme rétro, de son côté, serait entré dans le langage courant dans les
années soixante et viendrait de “rétropropulsion”, un terme utilisé quant à lui
dans le domaine spatial.
Le fait est que, si dans le domaine de la mode, les deux mots recouvrent des
aspects différents (voir ci-après en 1.1), en musique ils sont souvent
interchangeables. On notera toutefois que le terme “vintage” :
- s’applique plus volontiers aux musiques anglo-saxonnes (en particuliers afroaméricaines), alors que “rétro” sera préféré pour les esthétiques “francofrançaises” ;
Il existe un “Salon du vintage” qui se
tient chaque automne à Paris ; sa
dernière édition s’est déroulée du 28
au 30 septembre 2012.
- se réfère à des esthétiques plutôt récentes, notamment celles des années
cinquante, soixante et soixante-dix, le terme “rétro” étant alors réservé aux
esthétiques d’avant-guerre.
On rencontre également le terme “revival” (et ses dérivés revivaliste et
revivalisme) qui, en anglais, signifie “renaissance”, “résurrection”. Le revivaliste
cherche à faire revivre une esthétique du passé.
Si le vintage touche de nombreux domaines aujourd'hui (musique, mode,
décoration, design, cinéma...), c’est bien la mode qui a été la première
concernée par le phénomène.
1.1 - La mode, les modes
De nombreux spécialistes s’accordent pour désigner 1965 comme une année
charnière, apogée de la domination de la “nouveauté” avec des créateurs
comme André Courrèges, Pierre Cardin et Paco Rabanne. C’est l’époque de la
mini-jupe, mais aussi des vêtements futuristes inspirés de la conquête spatiale
et utilisant tous les nouveaux matériaux dérivés de l’industrie pétrochimique qui
sont mis au point à cette époque. À partir de 1965, en réaction à cette
domination, la mode commence à s’orienter dans deux directions : le “pas de
côté” avec des inspirations exotiques (Inde, Afrique, Moyen-Orient…), et le “pas
en arrière” avec des inspirations passéistes (les années vingt et trente mais
aussi le dix-neuvième siècle). On peut d’ores et déjà relever que l’on constatera
le même phénomène dans la musique, mais un peu plus tard.
Dans le domaine de la mode, rétro et vintage ne sont pas interchangeables. Le
terme rétro s’applique aux vêtements neufs inspirés de modèles anciens, tandis
que le vintage porte sur le commerce des vêtements d’époque. Mais les deux
tendances apparaissent simultanément quand, dans les années soixante, la
génération hippie et du flower power commence à porter des vêtements
d’occasion, une pratique jusque-là réservée aux classes défavorisées. Ce sont
eux aussi, bien entendu, qui introduisent l’exotisme dans l’habillement - et dans
la musique.
1.2 - La nostalgie est éternelle
Le renouveau des esthétiques passées a toujours existé, dans tous les
domaines artistiques et à toutes les époques. En architecture, par exemple, la
période néoclassique (fin du dix-huitième et début du dix-neuvième) remet au
goût du jour le style gréco-romain.
En musique, certains puristes estiment que la musique populaire a commencé à
se dégrader dans les années trente avec le développement de la radio et du
phonographe, les intérêts commerciaux commençant alors à guider les choix
artistiques. Dans l’après-guerre, une vague revivaliste baptisé “trad-jazz”
dénonçait la “mollesse” du jazz cool et des big bands, ainsi que l’aspect
intellectuel du be-bop. Des musiciens essayaient alors de retrouver la
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spontanéité du jazz des origines tel qu’il était joué à La Nouvelle-Orléans.
D’ailleurs, cherchant dans une sincérité naïve à être le plus proche possible de
ce jazz originel, les musiciens “trad-jazz” reproduisaient fidèlement les timbres
et tonalités déformées par la mauvaise qualité des enregistrements de
l’époque !
D’après Simon Reynolds, auteur de “Retromania”, la musique pop a commencé
à recycler son passé dès la fin des années soixante, et si on pense au
phénomène garage cela a peut-être même débuté dès le début de la
décennie… Il relève ainsi diverses périodes de pénuries créatives (début des
années soixante-dix, début des années quatre-vingt...), périodes pendant
lesquelles des artistes commencent à revisiter les idées d’esthétiques passées.
Lester Bangs, le célèbre journaliste et chroniqueur américain, a affirmé de son
côté dans le magazine Rolling Stone en 1969 que le “mouvement de retour aux
racines” avait été lancé par l’album “The Beatles” (le “double blanc”) en 1968.
Effectivement, les Beatles y tournent le dos aux expériences psychédéliques de
“Sgt. Pepper’s” pour retrouver une forme de simplicité dans un patchwork
musical qui inclut rock’n’roll, rock expérimental, ballade folk, ragtime, blues...
C’est d’ailleurs aussi à cette époque que les Rolling Stones (le groupe)
reviennent au fondamentaux du blues avec leur album “Beggars Banquet”
après une escapade psychédélique qui avait alors désorienté les fans du
groupe. Après la séparation des Beatles, John Lennon enfoncera le clou avec
son album de reprises “Rock’n’Roll”, et même avant avec des morceaux très
“bruts” comme “Cold Turkey” et “Instant Karma !”.
On est parti des grandes références
du cinéma hollywoodien et même si le
film se déroule au début des années
1930, on a étalé nos choix sur une
période beaucoup plus longue. On a
écouté beaucoup de choses - de
Chaplin, Max Steiner et Franz
Waxman, jusqu'à Bernard Herrmann,
et j'en passe... On a écouté et analysé
tous ces trésors, on est revenu aux
sources aussi, aux compositeurs
romantiques du dix-neuvième siècle...
En même temps, ça reste un
hommage, une déclaration d'amour
aux grands compositeurs du grand
cinéma hollywoodien.
Ludovic Bource, arrangeur et compositeur
français (et notamment de la B.O. du film
“The Artist”), né en 1970 à Loudéac.
(parfois sous ses deux formes), le rap, le
reggae et certaines musiques
traditionnelles comme le musette.
1.3 - Ce qui est vintage
Par rapport au culte de “l’Histoire” ou à la nostalgie, voici les caractéristiques du
vintage :
- il concerne un passé relativement récent ;
- il implique une disponibilité relativement abondante des objets et des
symboles de l’époque ;
- il s’applique à des cultures populaires ;
- il tend vers le divertissement et la séduction.
Nous l’avons déjà dit, le vintage s’applique essentiellement aux années
cinquante, soixante et soixante-dix. Si s’offrir une guitare Gibson ou Telecaster
de 1958 n’est pas à la portée de toutes les bourses, le fan curieux et patient
finira toujours par trouver un 45 tours, une affiche ou une revue d’époque qui lui
permettra de posséder, cinquante ans plus tard, un petit morceau de rêve…
Comme nous le détaillerons plus loin, le vintage touche principalement le rock
et les musiques noires américaines. Mais si ces musiques ont véhiculé à leur
époque des messages de rébellion, de contestation et de défense des droits
civiques, la plupart des artistes qui se réapproprient ces esthétiques n’en ont
gardé que le verni : l’énergie, le son chaleureux, les attitudes et les images
glamour.
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2 - L’engouement vintage
La tendance vintage a pris d’importantes proportions depuis le début de notre
siècle.
Les principales raisons de cet engouement sont :
- artistiques : un certain problème de renouvellement,
- culturelles : une plus grande revendication des racines,
- économiques : rééditions, contexte de crise,
- techniques : internet, numérisation…,
- démographiques : un public qui vieillit.
2.1 - Le manque de renouvellement
Jusqu’aux années quatre-vingt, on accordait encore une grande importance à la
notion de précurseur, à l’idée d’”avant-garde”. Aujourd’hui, qui sont les artistes
d’“avant-garde” ? Christian Marclay et ses disques piétinés par le public ?
Martin Messier et son orchestre de machines à coudre ? Le Vegetable
Orchestra et ses instruments fabriqués avec des légumes ? Des artistes
proches du “happening” et inconnus du grand public.
Il est clair que de nombreuses esthétiques comme le rock, le jazz, la chanson
ou les musiques électroniques ont déjà été largement visitées et n’offrent plus
guère de place à la surprise. Le free jazz a poussé l’improvisation dans ses
retranchements, le punk et certaines formes de “metal” sont allés au terme
d’une certaine violence et d’une provocation propres au rock, la techno
hardcore a touché l’absolu de la “rigueur” électronique, etc. Finalement, le
dernier grand mouvement musical qui a entraîné toute une jeunesse dans une
nouvelle attitude (danse, vêtements, comportement...) a été le mouvement
techno et ses grandes raves du début des années quatre-vingt-dix.
Aussi, être novateur en 2000 est bien plus compliqué qu’en 1960. Et en
musique comme dans d’autres domaines artistiques (peinture, littérature, bande
dessinée...), notre nouveau siècle n’a vu apparaître que des épiphénomènes,
dont la seule originalité est de marier des styles qui jusque-là s’ignoraient. On
voit également des journalistes littéralement “inventer” des mouvements pour
qualifier tel ou tel groupe à la mode (la “new rave” ou “nu-rave” par exemple
avec The Klaxons). Le vingt-et-unième siècle a, bien sûr, vu émerger
d’intéressantes personnalités ou groupes comme les White Stripes, James
Blake, James Murphy de LCD Soundsystem, Animal Collective, Vampire
Weekend, MGMT, Hot Chip, Juana Molina, Arctic Monkeys... Mais toutes ces
musiques, lorsqu’on les écoute, évoquent le plus souvent des musiques que
l’on connaît déjà…
Le rock’n’roll est une pièce de
musée... Ils ne font que recycler de
vieilles idées. Ils miment les fantômes
du passé - les Who, le punk, les Sex
Pistols, etc. Tout a déjà été fait. La
révolte est terminée.
Sufjan Stevens, chanteur et auteurcompositeur américain né en 1975 à
Détroit.
Finalement, c’est sans doute du côté des musiques de monde que les
évolutions ont été les plus importantes avec les nombreux mariages entre
musique électronique et musiques de danse d’Afrique, des Caraïbes ou
d’Amérique du Sud (coupé-décalé, ndombolo, dancehall, electro cumbia, baile
funk ...). Mais il s’agit souvent d’adaptations électroniques de stylés
préexistants.
On peut alors s’interroger si cette absence de grand mouvement artistique est
due à une panne d’inspiration des artistes ou à un manque de curiosité du
public. Il y a encore, et c’est heureux, de nombreux artistes inspirés et un public
curieux. C’est sûr, également, que le vintage est plus visible quand il n’y a pas
de nouveau mouvement pour lui faire de l’ombre. C’est vrai aussi que son côté
“glamour” plaît aux médias et sera plus “agréable” à mettre en avant que les
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expériences aventureuses des artistes qui cherchent de nouveaux chemins de
création. Mais ces derniers existent bien, et ils sont aujourd’hui “éparpillés” dans
la multitude de styles que connaissent aujourd’hui les musiques actuelles et ne
se rassemblent pas, comme auparavant, dans un seul et même mouvement
esthétique.
2.2 - Des artistes sous influence
Avant de devenir des créateurs, les artistes ont tous été des consommateurs de
musique. Mais jusqu’à il y a encore peu, ils “cachaient” leurs influences ou du
moins les minimisaient, ils refusaient les étiquettes en s’estimant “uniques” et
“originaux” et ils n’aimaient pas que les journalistes évoquent des
ressemblances (pourtant souvent évidentes…) avec certains de leurs pairs.
Aujourd’hui, c’est beaucoup moins le cas. Bon nombre de jeunes créateurs
expriment clairement que s’ils montent sur scène ou enregistrent des albums,
c’est pour faire revivre l’esprit de tel ou tel musicien qui les a fait vibrer.
Il y a toujours eu des groupes clairement inspirés d’esthétiques passées, mais
ils étaient au “second plan”. À partir des années quatre-vingt-dix, ils deviennent
des emblèmes de leur époque : Oasis, Daft Punk, The White Stripes, The
Strokes... En poussant à l'extrême, on pourrait dire que le rock, par exemple,
est passé du statut de “révolutionnaire”, de ce désir de changer la société en
critiquant l’ordre établi, à celui d’un genre conservateur voulant perpétuer la
tradition.
2.3 - L’abondance de compilations et de rééditions
Le première grande vague de rééditions d’albums date des années soixante,
avec le label Times Square qui s’était spécialisé dans le doo-wop. Depuis, les
labels n’ont jamais cessé de proposer non seulement des rééditions mais des
compilations et anthologies (par artiste, par esthétique, par époque, par ville...).
En effet, plus les années passent et plus l’histoire des “musiques actuelles”
grandit…
L’artiste contemporain perpétue un
vaste corpus de présuppositions
culturelles et stylistiques, il réévalue et
réintroduit certaines idées qui n’ont
plus cours. L’innovation en tant que
telle ne survient qu’en second lieu.
Brian Eno, auteur compositeur, chanteur,
chercheur et vidéaste anglais né en 1948 à
Woodbridge.
Je suis terrifiée par les gens qui n’ont
pas le sens de l’histoire.
Kim Gordon, bassiste et chanteuse
américaine, membre de Sonic Youth, née
en 1953 à Rochester.
Je voulais qu’on retrouve sur mon
disque les même émotions que j’ai pu
avoir en écoutant les Beach Boys,
Bowie ou encore John Lennon. En
musique, on ne révolutionne rien, à
part une sincérité.
Timothée Régnier alias Rover, chanteur
auteur-compositeur français né en 1979 à
Paris.
Les labels ont également réalisé un passionnant travail de découverte d’artistes
négligés à leur époque, soit parce qu’ils étaient à la marge, soit parce qu’ils
étaient isolés géographiquement ou mal entourés professionnellement.
La découverte de Nick Drake, par exemple, magnifique auteur-compositeurinterprète folk anglais à la carrière très courte (de 1969 à 1972), a été un
véritable choc pour de nombreux musiciens. Il est devenu une référence
abondamment citée par les artistes et les journalistes.
Les nombreuses compilations de musique africaine des années soixante,
notamment la très belle série “Éthiopiques”, ont mis en relief une production
abondante et originale, totalement ignorée en Occident pendant son existence.
Ces “résurrections artistiques” ont deux effets : elles détournent les acheteurs
de musique des nouveautés, et elles influencent les artistes qui vont puiser
dans ce riche passé une inspiration nouvelle. C’est le cas, par exemple, de la
scène “afro pop”, avec des groupes comme Vampire Weekend et Fool’s Gold.
2.4 - Les retombées de la crise
Il est étonnant de voir à quel point la vision du futur s’est totalement transformée
en deux générations. Pendant les “trente glorieuses” de l’après-guerre, en
occident, l’avenir s’annonçait radieux. Les progrès de la science allaient
permettre à chacun de manger à sa faim, de vivre longtemps, de se déplacer
dans de petits vaisseaux aériens forts pratiques et de passer d’exotiques
vacances sur la lune ou au fond des océans... Aujourd’hui, les visions du futur
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nous présentent une planète surpeuplée, surchauffée, polluée, ravagée par les
cyclones...
La notion de crise est assez subjective. On peut considérer que depuis le
premier choc pétrolier, l’Occident est en crise. Dans une perspective plus
récente, la dernière crise financière démarrée en 2007 cause de nombreuses
pertes d’emplois et met en difficulté des familles et des entreprises, des villes et
des pays. Phénomène unique dans l’histoire de l’humanité, les adultes
d’aujourd’hui considèrent que leurs enfants risquent d’avoir des vies plus
difficiles qu’eux.
Face à ces tristes prévisions, comment ne pas voir dans ces trente glorieuses”
une période rose, bercée d'insouciance, dont il fait bon réécouter la bande son.
Toute période de crise entraîne un repli sur soi collectif (qui a à voir avec la
nation et l’identité) aussi bien qu’individuel (” moi”, “ma” famille). Les valeurs
sûres ont le vent en poupe, qu’il s’agisse d’acheter une voiture ou une place de
concert. Pour ne pas prendre de risque, bon nombre de consommateurs vont
vers ce qu’ils connaissent déjà, vers ce qui rassure.
C’est un fait humain ; face à une
menace, le groupe va réagir en se
serrant les coudes et ses membres
vont renforcer leur fierté d’appartenir à
leur groupe. On affiche alors les
symboles et on souligne tout ce qui fait
l’identité du groupe.
Marc Jacquemain, sociologue et
responsable du service des identités
contemporaines à l’Université de Liège, né
en 1954 à Charleroi.
2.5 - Internet, accès sans limites
Quand on interroge des professionnels de la musique sur ce qui a marqué les
années 2000, ils sont unanimes pour dire : internet et le mp3 ! Une révolutions
technologique, donc, et non pas esthétique.
Internet est à la fois :
- l’étape ultime de la désacralisation de la musique ;
- la possibilité infinie de se plonger dans le son et les images d’un passé
magnifié.
Dans son ouvrage “L’œuvre d’art à l’époque de sa reproduction
technique” (1935), le philosophe et historien d’art allemand Walter Benjamin
considère que la valeur singulière de l’œuvre d’art authentique trouve son
fondement dans le rituel, au sein duquel elle puisait sa valeur d’usage originelle
et première. L’ère de la reproductibilité technique a déraciné l’art de son
fondement culturel. Si cela était vrai en 1935 à l’époque du 78 tours, cela l’est
encore plus à l’heure des fichiers mp3 reproductibles à l’infini.
Avec les possibilités de téléchargement, qu’il soit légal ou pas, les
collectionneurs ont commencé à emmagasiner plus de musique qu’ils ne
peuvent en écouter. Avec le “streaming” (l’écoute en flux continu), c’est une
grande partie du patrimoine musical de l’humanité qui est disponible
gratuitement, à tout instant, d’un simple clic ! La limite n’est plus le budget ou la
place, mais le temps disponible pour écouter. Le mode de choix s’est déplacé
et, en cent ans, la musique est passée du statut d’un instant rare à la dimension
sociale forte, à celui de plaisir infini (à moins qu’il ne s’agisse d’un puits sans
fonds dans une approche plus négative). En d’autres termes, la musique a
perdu de son côté “magique” et risque de devenir un simple objet de
consommation courante et bon marché.
Avec plus de deux milliards de visionnages quotidiens, YouTube est devenu une
magnifique machine à fabriquer de la nostalgie. Il y a dix ans, pour voir la
“magie” du jeu de jambes de James Brown dans les années soixante, il fallait
acheter un DVD ; il y a trente-cinq ans, il fallait guetter le programme des rares
émissions télévisées susceptibles de diffuser ce genre d’archive... Un vrai
parcours du combattant ! Et ces images de vieilles émissions télévisées ont un
charme, une ... “magie” justement que n’ont pas celles d’aujourd’hui avec leur
surenchère d’effets de lumière et de caméras tournantes. Ces images d’époque
exercent donc une fascination que les groupes actuels ont bien du mal à
concurrencer.
ll s’agit de plonger à travers les choses
d’une façon différente... Il n’y a ni
début ni fin, et le récit ainsi obtenu
n’en est que le cheminement
transversal qui nous y a conduit.
Nico Muhly, compositeur américain de
musique contemporaine né en 1981 dans le
Vermont. Il utilise internet comme champ
d’inspiration et il a collaboré notamment
avec Philip Glass, Björk et Grizzly Bear.
Au-delà du piratage et de la gratuité de
la musique, il y a beaucoup plus
grave : c’est la désaffection des gens
pour la musique, les mecs se sont mis
à télécharger du soir au matin et se
sont retrouvés avec des gigas et des
gigas de mp3 qui ne répondent à
aucun besoin. C’est déjà compliqué de
faire le tour d’un ou deux disques en
une semaine. Tous ces gens se sont
auto-écœurés, ont fait une grosse
crise de foie de la musique tant et si
bien que la musique est simplement
sortie de leur vie, n’existe plus. Leur
rapport à la musique c’est juste la
radio qui tourne dans la bagnole
quand ils sont dans les bouchons.
L’envie se nourrit de rareté, de la
préciosité des choses.
JB Wizz, fondateur du label Born Bad.
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2.6 - La recherche d'authenticité
Comme on l’a vu avec les fans de jazz “new Orleans” d’après-guerre, la
recherche d’authenticité occupe l’esprit des amateurs de musique depuis très
longtemps.
Deux phénomènes poussent de plus en plus ces derniers à la méfiance vis à
vis des nouveaux artistes :
- les nouveaux outils numériques d’enregistrement permettent de corriger les
défauts des musiciens : faussetés, jeu “à côté”, orchestres et instruments
modélisés sur ordinateur...
- depuis les années quatre-vingt-dix, le marketing a pris le pas sur l’artistique
dans la plupart des majors du disque et une grande partie du public le sait.
Parallèlement, la chaîne du tout numérique avec, en bout de course, un fichier
mp3 “rogné”, a provoqué une certaine frustration chez les amoureux du son. Il
faut dire que les studios ont de plus en plus tendance à abuser des différents
effets dont ils disposent (compression et “auto-tune” notamment), l’objectif étant
d’impressionner l’auditeur et d’offrir un rendement maximal à l’écoute sur des
petits haut-parleurs (branchés sur ordinateur ou sur téléphone, en voiture...). En
comparaison, un vinyle du label Stax qui aura été enregistré “live” avec des
micros et une console “à lampes” aura une “chaleur” et un “grain” inimitable.
A u t r e é l é m e n t à n e p a s n é g l i g e r, l a p r é s e n c e d e n o m b r e u x
“samples” (échantillons) de musique vintage dans le rap qui ont poussé les
amateurs de cette musique à “remonter les pistes”.
Les fans d’esthétiques vintages marquent souvent par leur choix une hostilité
au temps présent. À la fois d’un point de vue esthétique (la musique est jugée
pauvre) et commercial (musique formatée par les majors du disque pour plaire
aux radios et donc au plus grand nombre). Mais, à partir de ce constat, on peut
relever deux contradictions :
- qu’en est-il quand le vintage devient à son tour une “mode” ?
- bon nombre de chansons vintage aujourd’hui totalement glamour étaient, à la
base, des chansons formatées pour plaire aux radios, comme, par exemple, la
plupart des titres sortis de la Motown !
Par ailleurs, pour les artistes “revivalistes”, la question de l’authenticité est
compliquée. Ils mettent souvent en avant leur passion sincère pour l’esthétique
qu’ils reprennent, mais comment la prouver ? Redonner vie à une esthétique
passée demande à l’analyser, voire la “décortiquer”. Quand l’artiste est dans
l’imitation, n’est-il pas en permanence dans une “pose” esthétique finalement
superficielle sans apport personnel ? Comment concilier alors cette démarche
avec de la sincérité ? Quand l’artiste s’approprie un style qu’il adapte, qu’il
transforme, n’est-il pas alors une sorte de vampire qui se nourrit du sang de ses
illustres prédécesseurs… ? Mais, en même temps, qui peut aujourd’hui
prétendre ne pas se nourrir de ses prédécesseurs ? Et ça n’est pas parce qu’un
artiste utilise une vieille guitare ou un synthétiseur analogique qu’il cherche à
copier les anciens ! Il peut simplement chercher une “osmose avec un
instrument spécifique pour qu’ensemble, ils explorent de nouveaux chemins ! Et
si un artiste décide d’enregistrer en live”, c’est aussi pour dire à son public : “je
ne triche pas, ce que vous entendez, c’est ce qui a été vraiment joué !”.
En confrontant les références
communes aux trois chanteuses,
certaines se distinguèrent avec une
nette évidence : les mythiques labels
Tamla Motown et Stax, les teams
d'auteurs Holland-Dozier-Holland,
Bacharach-David ou Leiber-Stoller, le
génie créatif de Phil Spector ou Jack
Nitzsche… Au final, douze titres
enregistrés en cinq jours, en formule
complètement live avec l'ensemble
des instruments dans une seule pièce,
sans aucun overdub, pour répondre
aux mêmes contraintes techniques
qu'à l'époque.
Extrait du dossier de présentation du projet
The Lightnin 3 des trois chanteuses Brisa
Roché, Rosemary Standley (en congé du
groupe Moriarty) et Ndidi Onukwulu, les
deux premières étant américaines et la
troisième Canadienne d’origine nigérienne
2.7 - Des musiques adultes
Le rock’n’roll, le hard rock, le punk, la techno, le rap... Toutes ces musiques ont
touché en priorité un public jeune.
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Longtemps, les jeunes ont été les moteurs de la consommation de musique. Ils
dessinaient les tendances, s’identifiaient aux idoles et s’appropriaient les modes
avec aisance et insouciance. Dans les années soixante, ils dépensaient une
part importante de leur argent en 45 tours et revues musicales. Aujourd’hui,
après avoir été les plus prompts à pirater la musique, ils ont de plus en plus
tendance à l’écouter en continu et à garder leur budget pour leur téléphone
portable et les autres loisirs… payants (cinéma, concerts, bars, restaurants...).
Bien sûr, les succès discographiques d’Adele ou de Sexion d’Assaut sont portés
par les jeunes, mais ceux de Francis Cabrel reprenant Bob Dylan ou de Lou
Doillon le sont plus par un public adulte. Un public qui pèse de plus en plus
lourd dans les tendances. Plus conscient de la responsabilité de chacun vis à
vis du piratage, davantage attaché à l’objet et ayant bien sûr un pouvoir d’achat
plus important, le public adulte, qui a connu ses premiers émois musicaux
principalement sur le rock, continue d’acheter des CDs et d’aller aux concerts.
Le spécialiste canadien des neurosciences Daniel Levitin explique dans son
livre “De la note au cerveau” que la musique est un vecteur qui mobilise les
structures les plus profondes et les plus anciennes de notre cerveau. Il souligne
que ce dernier a tendance à conserver les souvenirs qui possèdent une charge
émotionnelle, et que celle-ci est plus forte encore lorsqu'ils remontent à
l'adolescence, période au cours de laquelle l'individu forge ses goûts musicaux.
Il est clair que beaucoup d’adultes ont un attachement très fort aux groupes
qu’ils écoutaient dans leur adolescence. Le constat se vérifie très facilement en
allant aux concerts de musiciens qui ont connu leurs heures de gloire dans le
passé. Le public y est majoritairement constitué d’adultes (parfois accompagnés
de leurs enfants !) et il n’est pas rare d’y trouver rassemblées, quand il s’agit
d’un Bob Dylan ou d’un Bruce Springsteen, jusqu’à trois générations… On peut
noter alors un décalage, comme si ces jeunes cherchaient à revivre une révolte
mais en en gardant que les apparats. Car, les jeunes qui ont vécu l’émergence
du rock étaient tout sauf nostalgiques et ne pensaient qu’à brûler les icônes du
passé et aller de l’avant, “ici et maintenant” !
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3 - Les principaux domaines vintage
Le terme vintage peut qualifier la vente de produits d’époque (disques, affiches,
revues, instruments...) ou des rééditions à l’identique. Concernant les artistes
contemporains, le vintage qualifie toutes les nuances possibles entre ces deux
extrêmes :
- restituer au plus proche une esthétique passée : composition, chant,
arrangements, instruments, moyens d’enregistrement, visuels (pochettes,
affiches, photos...), look général (costumes, coiffures, objets
d’accompagnement...) ;
- se baser sur l’essentiel d’une esthétique en modernisant certains de ses
aspects : la production, la composition, le chant...
Certaines productions actuelles collent tellement à “l’original” qu’il est difficile de
les situer dans le temps ; d’autres se situent de toute évidence dans le temps
présent.
3.1 - Du blues à la soul music
Il est sans doute logique que, le blues, la plus ancienne des musiques noires
américaines, ait autant fasciné par son côté “premier” (et non pas “primitif”) des
générations de musiciens. Mais après avoir successivement inspiré le “british
blues boom” anglais (John Mayall, les Rolling Stones…), le “white blues” ou
“blues blanc” américain (Mike Bloomfield, Janis Joplin…), provoqué de
nouvelles vocations (de Taj Mahal le gardien du temple aux revivalistes tels
Robert Cray et Lucky Peterson), et suscité l’apparition de labels à vocation
historique et pédagogique (Fat Possum et Music Maker), le son du blues
intéresse des créateurs venus d’autres horizons, parfois lointains.
En 1995, Ludovic Navarre alias St Germain a été le premier représentant de la
scène électronique à injecter dans sa musique un échantillon de blues vintage
(il s’agissait de Lightnin’ Hopkins) ; le résultat fut “Alabama Blues”, un morceau
mutant qui donnera des idées à toute une génération. Quelques années plus
tard, et avec la même recette, Moby allait rencontrer un grand succès (album
“Play”). Aujourd’hui, deux exemples, français eux aussi, montrent combien le
blues des origines et ce son qu’il transporte, minimaliste et à très forte charge
émotionnelle, est présent dans de nouvelles créations. C2C (autrefois les
Coups de Cross), un quatuor de deejays de Nantes, l’utilisent dans leurs
performances de “turntablism” d’un nouveau genre. Quant à Nicolas Repac, à
l’origine un guitariste plutôt jazz et complice régulier d’Arthur H, il suit dans son
projet “Black Box” (2012) la route du musicologue Alan Lomax, mélangeant des
extraits de ses collectages à des collages et à de l’électronique, faisant revivre
des artistes comme Blind Willie Johnson, John Lee Hooker, mais aussi un
groupe de prisonniers et une bande de forçats, tous deux anonymes, au cœur
d’une création à l’intensité rare, ultra-contemporaine mais qui utilise ce grain
vocal qui semble venu du fonds des âges comme l’un de ses matériaux de
base.
Quant au rhythm’n’blues et à la soul, l’engouement qui les entoure n’est pas
nouveau. L’Angleterre, notamment dans le nord du pays, a connu dès la fin des
années soixante le mouvement “Northern soul”, l’expression signifiant “la
musique soul américaine qu’on écoutait dans le nord de l’Angleterre”, qui a
durablement influencé des créateurs allant de la scène de Manchester (comme
A Certain Ratio) à Paul Weller. Plus tard, des films comme “The Blues Brothers”
et des artistes tels Jamiroquai (dont le modèle est clairement Stevie Wonder),
ont entretenu cette fibre. En effet, la musique noire américaine des années
cinquante, soixante et soixante-dix a toujours fasciné la jeunesse blanche,
qu’elle soit européenne ou américaine. Rythmique et sensuelle, elle très bien
produite et ses ambassadeurs sont des personnalités aux qualités vocales
exceptionnelles.
9
En Europe, de nombreux collectionneurs de cette musique sont apparus et les
disques de ces artistes ont été rapidement réédités car les originaux étaient
difficiles à trouver. Deux raisons à cela : d’une part les grands labels retiraient
de la vente les disques de ces artistes plus rapidement que ceux des artistes
blancs, d’autre part les artistes noirs signés sur des petits labels ont souvent eu
à faire à des hommes d’affaires peu scrupuleux dont les entreprises ont eu des
vies mouvementées. Il faut se rappeler que ces musiques sont apparues aux
États-Unis en pleine période de lutte contre la ségrégation raciale et que les
musiciens noirs étaient de toute évidence moins bien traités que leurs
homologues blancs.
Les référents dans cette musique ne manquent pas : Aretha Franklin et son
timbre chaud et généreux, Marvin Gaye avec son album référence “What’s
Going On”, Curtis Mayfield et son inimitable falsetto, Donny Hathaway et son
emblématique “The Ghetto”, Otis Redding et sa sensibilité à fleur de peau, Ray
Charles, Sam and Dave... sans oublier James Brown qui, s’il est surtout connu
pour son funk ravageur, a aussi chanté la soul et le rhythm’n’blues.
Parmi les nombreux artistes qui aujourd’hui reproduisent cette musique de
manière très proche des originaux, on peut mentionner Sharon Jones and the
Dap Kings, Michael Kiwanuka, Fitz & The Tantrums, Hawa, Georgia Anne
Muldrow et Gregory Porter. Le cas de Nicole Willis & The Soul Investigators est
assez particulier car si elle est Américaine, l’album “Keep reachin’up” qui l’a fait
connaître a été écrit et entièrement joué par des musiciens finlandais !
Quant à ceux qui symbolisent aujourd’hui le mieux la vague vintage, deux
d’entre eux ont eu un parcours tout à fait original. Raphael Saadiq gère
parfaitement une double carrière de réalisateur et d’auteur-compositeurinterprète. Il s’est distingué comme réalisateur d’albums à succès notamment
dans le r’n’b et la new soul avec des artistes comme D’Angelo, Bilal, Whitney
Houston, Macy Gray ou Joss Stone. Côté artiste, après avoir collaboré à
différents groupes, il lance sa carrière solo et sort en 2002 son premier album
“Instant vintage” qui rencontre un grand succès critique, même s’il n’est pas à
proprement parler vintage, mais plutôt néo-soul. Et ce sont bien ses deux
derniers recueils, “The Way I See You” et “Stone Rollin’”, publiés
respectivement en 2008 et 2011, qui symbolisent parfaitement cette grande
vague “revival” où l’on enregistre dans l’esprit de l’époque, avec micros,
instruments, et aussi… coupes de cheveux et costumes tout aussi connotés
que la musique elle-même. Un “respect” des anciens tellement poussé que
l’album “Stone Rollin’” donne parfois l’impression d’écouter une compilation
d’inédits de Sam & Dave, Ray Charles et Otis Redding.
De son côté, Cody Chesnutt a marqué les esprit en 2002 avec un double-album
“lo-fi” et très “roots”, enregistré dans sa chambre sur une console quatre pistes,
“The Headphone Masterpiece”. C’est un coup de maître dans lequel il revisite
toute l’histoire de la musique noire américaine avec une grande aisance. Il est
alors “adoubé” par de nombreux artistes respectés comme The Roots, Mos Def
et Björk, puis, étourdi par un succès foudroyant et des sollicitations incessantes,
il part à la recherche d’un nouvel équilibre et disparaît pendant de longues
années. Il ne sort son second album, “Landing on a Hundred”, que dix ans plus
tard, renouant avec la plus pure tradition soul et rhythm’n’blues. Le disque est
porté par sa foi et suit les traces de ses modèles, certains de ses morceaux
allant jusqu’à évoquer le “What’s Going On” de Marvin Gaye.
Il suffit de jeter un coup d’œil aux
charts des dernières années pour
constater l’ampleur du mouvement. En
se hissant au sommet des ventes,
Aloe Blacc, Raphael Saadiq, Mayer
Hawthorne, Plan B ou Cee Lo Green
ont replacé la soul au cœur de la
cartographie musicale mondiale. Après
des années marquées par l’électro et
les samples de feulements et de
breaks empruntés à la soul, on est
ainsi revenu à la maison mère, à
l’authenticité, voire au rétrovisionnage.
On préfère soudain Otis Redding et
Aretha Franklin à l’autotune et au
vocoder.
Johanna Seban, journaliste, in Les
Inrockuptibles, avril 2012.
Dans une récente au mensuel Vibrations, il explique pourquoi il a décidé de
tourner avec des musiciens de sa région plutôt que d’aller chercher des
“pointures” à Los Angeles : J’ai été inspiré par l’histoire d’Aretha Franklin
lorsqu’elle a enregistré aux célèbres studios Muscle Shoals en Alabama. Aretha
et son producteur n’arrivaient pas à obtenir le son qu’ils souhaitaient. Elle avait
tout appris à l’église, en chantant du gospel, et il fallait un son qui ne trahisse
pas cet héritage. Donc, ils ont embauché des musiciens locaux, des musiciens
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qui jouaient pendant les messes, et ce sont eux qui ont finalement conçu les
chansons ayant révélé Aretha Franklin. Cody Chesnutt donne plus tard d’autres
clefs : J’ai beaucoup évolué spirituellement... Je dois rester sincère dans ma
musique ; puis : Stevie Wonder, Marvin Gaye, Curtis Mayfield... En grandissant,
j’apprécie de plus en plus l’honnêteté de leurs chansons. Ils chantaient pour
l’élévation de l’espèce humaine. Voilà une démarche typique d’un artiste
d’aujourd’hui qui cherche à montrer, à travers le respect des “anciens”, la
sincérité de sa démarche.
En France, le succès rencontré par Ben l’Oncle Soul est symptomatique du
vintage : en costume et noeud papillon, les tatouages de Motown et Stax sur
chaque poignet, Benjamin Duterde de son vrai nom a lancé sa carrière avec
une reprise façon soul (et aussi une pointe de rock steady) du tube des White
Stripes “Seven Nation Army”.
Nombreux sont ceux qui ont plus ou moins modernisé ces musiques et obtenu
de grands succès populaires. Il y a bien entendu la scène R’N’B qui, elle, est
finalement plus proche de la variété internationale que de la soul et du
rhythm’n’blues originels. À l’inverse, avec des artistes comme Eryka Badu ou
Bilal, la scène “neo soul” (ou new soul) est davantage respectueuse des figures
des années soixante, même si l’influence hip-hop est évidente. Ce mélange de
“respect des anciens” et de production moderne caractérise également
l’approche artistique des 2 personnalités marquantes que sont Amy Winehouse
et Adele (voir chapitre 5). Mais la part de modernité est très variable chez ces
artistes, selon les chansons. La tendance forte du moment, sur les traces de
Raphael Saadiq et de quelques autres, étant bien de faire des albums de soul
“à l’ancienne”.
Pour finir, on peut noter que de plus en plus de rappeurs puisent leur inspiration
dans la soul et le rhythm’n’blues : Mark Ronson, Beat Assaillant, Lupe Fiasco...
Certains vont même jusqu’à se transformer en chanteurs, c’est le cas par
exemple de Plan B, ou d’Aloe Blacc qui s’est fait connaître par son tube “I need
a dollar” et qui a sorti un album de reprises en collaboration avec le trio français
Roseaux.
3.2 - Les crooners
Apparus dans les années trente, les crooners ont porté le premier style de
musique populaire qui a émergé grâce au développement du microphone et de
ses deux grands utilisateurs à l’époque : la radio et le disque.
Le style est très en vogue dans les années trente et quarante, et sa référence
ultime est Frank Sinatra. Moins connu de ce côté-ci de l’Atlantique, des artistes
comme Bing Crosby, Dean Martin, Sammy Davis Junior et Johnny Mathis sont
alors les grandes vedettes de l’époque.
Voix de velours, accompagné par un orchestre à cordes (tendance fleur bleue)
ou à base de cuivres (tendance swing), costume ample et grand sourire de
rigueur, le crooner charme par son aisance physique et vocale. Figure centrale
de l’époque de l’ “entertainment” (littéralement : “les distractions”), il est
ringardisé par l’arrivée du rock’n’roll mais aura finalement toujours quelques
dignes représentants qui feront se continuer la légende, tels Harry Connick
Junior ou, dans une version plus moderne, le Britannique Jamie Cullum. En fait
les “crooners” n’ont jamais vraiment disparu. Même dans les tourmentes punk
et new wave, des chanteurs anglais comme Barry Manilow ou Engelbert
Humperdinck ont vendu des dizaines de millions d’albums et chanté dans le
monde entier... sauf en France où ils n’ont jamais percé ! Les Français préfèrent
sans doute la tonicité d’un Tom Jones ou, tout simplement, les crooners
français. Quand on exprime les sentiments, la compréhension du texte est
importante. Ainsi, sur les traces de Jean Sablon, le premier crooner hexagonal,
Mes idoles à moi, c’est Charles Trenet,
Perez Prado et les crooners ... C’est
tellement mieux que ce qui existe
actuellement.
Dany Brillant, chanteur et acteur français né
à Tunis en 1965.
11
on peut citer Guy Marchand, Sacha Distel, Eddy Mitchell, Dany Brillant et Henri
Salvador.
Le terme “crooner” est toujours régulièrement utilisé par les médias pour
qualifier des chanteurs au grain soyeux ou ténébreux, même si leur
accompagnement musical tire vers le rock ou l’électro comme Timber Timbre,
Jens Lekman ou Richard Hawley. Notons enfin les escapades dans le genre
d’artistes connus qui, en général pour se faire plaisir, ont enregistré des albums
“façon crooner” : Bryan Ferry, Elvis Costello, Robert Palmer, Robbie Williams,
jusqu’à Iggy Pop, sans oublier Ringo Starr qui en 1971 avait enregistré
“Sentimental Journey”, un album de reprises avec des qualités vocales très...
personnelles mais des arrangements au-dessus de tout soupçon signés
notamment par George Martin et Quincy Jones !
3.3 - Le jazz
Dans le domaine du jazz, le vintage concerne plusieurs de ses époques, à
commencer par ses origines. Le style New Orleans, très populaire dans les
vingt premières années du vingtième siècle, connaît sa première période
“revival” (on ne disait pas encore vintage à l’époque) dans la décennie 1940, à
travers la démarche de Louis Armstrong. Originaire lui-même de la plus grande
ville de Louisiane qui a donné son nom à ce style, il veut revenir aux sources du
“vrai” jazz, celui des origines. Un demi-siècle plus tard, Wynton Marsalis, qui y
est né également, avait décidé lui aussi de rejouer cette même musique en en
modernisant les couleurs, et une partie de la critique jazz l’avait alors taxé
d’intégrisme…
Cependant, les deux mines d’or les plus exploitées chez les tenants du vintage
restent les années de la révolution be-bop, dans les décennies quarante et
cinquante, et le soul jazz des sixties.
Dans la première, des musiciens d’aujourd’hui comme les saxophonistes
Joshua Redman ou James Carter se réfèrent aux prophètes que furent des
chefs de file comme Charlie Parker et Dizzy Gillespie pour insuffler de la liberté
et un son puissant à leur jazz. Dans la seconde, nombre de créateurs
contemporains viennent capturer un style qui passe par un piano très rythmique
(le modèle en est Bobby Timmons), souvent un orgue électrique aux couleurs
“churchy” (comme le montre un Jimmy Smith), un saxophone qui sonne très
“groove” (voir Eddie Harris), un batteur qui pulse (tel Art Blakey), voire une
présence accrue de la guitare électrique (notamment chez Wes Montgomery).
Mais au-delà de ces styles, il y a le son de ces styles, qui passe par un art de
l’enregistrement, celui-ci étant le plus souvent associé à l’ingénieur Rudy Van
Gelder qui a littéralement forgé la couleur sonore de ces périodes phares du
jazz (il a plus de 2.000 albums à son actif !), privilégiant la prise directe et un
son brut. C’est aussi cet art de la prise de son qui fascine des artistes actuels
comme le trompettiste Erik Truffaz ou le pianiste Éric Legnini, deux des
innovateurs de la scène jazz francophone qui vont d’ailleurs chercher un esprit
vintage jusque dans leur pochettes de disques, directement inspirées de la
grande époque des catalogues Blue Note (Truffaz y est d’ailleurs signé),
Prestige ou Atlantic.
Le jazz éthiopien ou “éthio-jazz”, né en
Éthiopie à la fin des années cinquante,
se caractérise ainsi : c’est un jazz
m ê l é d ’ i n fl u e n c e s d e m u s i q u e
traditionnelle mais aussi de fanfares
militaires et de musique populaire. Ses
principaux représentants sont
l’arrangeur Mulatu Astatke, le
saxophoniste Getatchew Mekurya et le
chanteur Mahmoud Ahmed. Le genre
a été remis au goût du jour grâce au
travail de Francis Falceto et de sa
collection “Éthiopiques”, ainsi que
grâce au film “Broken Flowers” de Jim
Jarmusch, en 2005, qui lui faisait la
part belle dans sa bande originale.
Aujourd’hui, animées par une
approche vintage inattendue, plusieurs
formations non éthiopiennes font
revivre cette musique… parfois très
loin de l’Éthiopie ; citons le Either /
Orchestra aux États-Unis, l’Imperial
Tiger Orchestra en Suisse et le
B a d u m e ’s B a n d c h e z n o u s e n
Bretagne.
Cette fascination pour ce jazz historique et son environnement touche aussi
l’école des musiciens électroniques, voir le travail d’un Ludovic Navarre alias St
Germain qui, en signant lui aussi chez Blue Note pour son album
“Tourist” (2000), obtient non seulement le droit de puiser dans le patrimoine de
la maison pour colorer ses morceaux avec des échantillons 100 %
authentiques, mais aussi celui de placer le célèbre logo sur sa pochette, celle-ci
étant un écho direct aux albums des plus grands musiciens américains de
l’après-guerre…
12
Tout récemment, il faut noter le travail du trompettiste franco-libanais Ibrahim
Maalouf, avec son album “Wind” (2012), une commande de la Cinémathèque
Française pour une musique d’un film muet de René Clair, où le musicien
revendique clairement l’inspiration de la bande-son d’ “Ascenseur pour
l’échafaud” de Louis Malle, composée en deux heures et demie devant les
images du film par Miles Davis et son groupe plus de cinquante ans
auparavant. Ce faisant, il s’approprie une démarche et une couleur sonore,
devenant utilisateur et donc vecteur de vintage…
À travers plusieurs de ses différentes périodes de création, Miles Davis est
d’ailleurs le jazzman qui provoque le plus de fantasmes vintage. Sa période
cool (dont “Ascenseur” fait partie) fait rêver par la rondeur de son beau son ;
ses albums électriques au premier rang desquels “In A Silent Way” et “Bitches
Brew” (deux disques pionniers qui datent de 1969) ont été maintes fois imités et
jamais égalés ; quant à l‘orientation pop de ses derniers albums, “Tutu” (1986)
en tête, elle est devenue grâce à la sonorité de sa trompette mais aussi à la
production du bassiste Marcus Miller une référence du jazz moderne. Qu’il
s’agisse du guitariste Ronny Jordan qui a fait rentrer le thème “So What” (extrait
de l’album “Kind Of Blue”, 1959) sur les dance floors au début des années
quatre-vingt dix en pleine vague “acid jazz”, des trompettistes scandinaves
Goran Kajfes et Nils Petter Molvaer qui évoluent aux confins du jazz et de l’
“ambiant”, de leur compatriote le pianiste Bugge Wesseltoft qui prêche pour une
“nouvelle conception du jazz”, ou encore de son collègue français Laurent de
Wilde en France qui est aussi à l’aise dans le post be-bop que dans une
musique qui fait la part belle aux machines, tous sont fascinés par la couleur du
son de Miles Davis. Elle vient de sa trompette, tantôt bouchée tantôt trafiquée
par une pédale wah wah, des pianos électriques mis au point par Harold
Rhodes et Leo Fender, et de tout un art de la prise de son réalisée par les
équipes autour de lui, producteurs et ingénieurs du son. Dans tous ces
courants, qui peuvent aller jusqu’à célébrer les noces du swing et de
l’électronique, le vintage est à la fois une source et un moteur de créations
nouvelles.
J'ai voulu trouver le son parfait, celui
du gospel et du blues, et j'y ai ajouté
une dose de boogaloo et de funk,
notamment pour les pièces jouées au
Fender Rhodes. Je suis fou des
Meters, ce groupe de funk de La
Nouvelle-Orléans. J'y ai versé une
dose de folk, notamment dans le
rapport entre la mélodie et l'harmonie.
Au risque de choquer ceux qui
attendent d'un pianiste qu'il ne joue
que du Ray Bryant, j'adore Radiohead.
Dans les influences, pour la cohérence
de mes formations, je m'inspire tout de
même de deux formations maîtresses
du jazz : le quintet de Miles Davis avec
Herbie Hancock, et le quartet de John
Coltrane avec McCoy Tyner. Quant au
jeu de piano, deux Américains qui sont
deux individualités majeures m'ont
indiqué la voie car la richesse de leur
jeu ne quitte pas mon esprit : Art Tatum
p o u r l a p u i s s a n c e e t P h i n e a s
Newborn pour la finesse rythmique.
Éric Legnini, pianiste belge né en 1970 à
Huy, dans les notes de pochette de son
album Trippin’, 2009.
Les chanteurs jazz regardent aussi avec envie vers le passé. Pour son dernier
album “Glad Rad Doll”, la chanteuse et pianiste canadienne Diana Krall puise à
sa manière dans le vintage. Avec l’aide du producteur américain T-Bone Burnett
qui est à la base un guitariste de rock et qui a réalisé nombre d’albums pour ses
pairs et non des moindres (citons Roy Orbison, Peter Case et Elvis Costello),
elle a tenu à enregistrer sur une bande magnétique analogique (une tendance
qui revient en force alors que tout se fait aujourd’hui en numérique) et son
instrument dans le studio était, vintage oblige, un piano droit Streinway des
années 1890…
3.4 - Rock (‘N’Roll)
La période dorée du rock’n’roll, que l’on situe généralement entre 1954 (le
premier enregistrement d’Elvis Presley) et 1958 (moment de son départ à
l’armée), n’a jamais cessé de faire rêver bon nombre de rockers. C’est le désir
de retrouver cette pulsion originelle qui a été le fondement de la scène garage
dans les années soixante (des Sonics jusqu’aux Monks), puis celle du pub-rock
dans les années soixante-dix (Dr. Feelgood, Eddie and the Hot Rods…). John
Lennon lui-même avouait volontiers que c’était à Hambourg, quand ils jouaient
du pur rock’n’roll, que le Beatles étaient les meilleurs !
Au début de cette décennies en Angleterre, les “Teddy Boys” s’habillent comme
leurs aînés le faisaient vingt ans plus tôt dans les années cinquante cinquante
et ils ont pour idoles Eddy Cochran et l’Elvis des débuts. Ils s’affrontent
régulièrement avec les mods, puis avec les punks !
Je n’essaye pas de sonner
authentique ou vintage, je ne veux pas
respecter les règles, je préfère foutre
le bordel.
Hanni El Khatib, chanteur, guitariste et
auteur-compositeur américain né en 1981 à
San Francisco.
Au début des années quatre-vingt, face au punk déclinant, le “power trio” The
Stray Cats donne naissance à une nouvelle vague rockabilly. Leur succès sera
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bref mais ils auront posé, avec The Meteors et The Cramps, la première pierre
du mouvement psychobilly.
Aujourd’hui, le rock’n’roll continue de vivre et de provoquer l’émotion des jeunes
(et des moins jeunes) fans. Parmi les groupes fidèles à l’esprit du rockabilly, on
peut citer The Hillbilly Moon Explosion et The Blues Cats. Aux États-Unis, la
“Kustom Kulture” glorifie les symboles les plus forts des années cinquante :
musique, voitures customisées (“Hot Rods”), vêtements... Le garage, bien
entendu, a connu un formidable renouveau dans les années 2000 avec entre
autres groupes The White Stripes, The Hives, The Black Keys et Yeah Yeah
Yeahs. D’autres, enfin, arrivent à sortir du lot grâce à une personnalité vocale
et / ou physique originale, comme Willy Moon (un jeune Néo-Zélandais
abordant le rock’n’roll avec une production très moderne), Hanni El Khatib ou
Sallie Ford & The Sound Outside.
3.5 - Quelques autres styles
Blues, soul, jazz, rock, le vintage est partout. Enfin, presque partout, car on a du
mal à l’imaginer dans le fado portugais des années trente ou dans la pop
thaïlandaise ou péruvienne des seventies ; ce sont des musiques que l’on
écoute bien sûr, mais plus par curiosité ou pour leur intérêt documentaire que
pour leur aspect vintage proprement dit ; et surtout on ne cherche pas à les
reproduire. Dans ce sous-chapitre, nous évoquons quelques autres esthétiques
qui sont quant à elles des sources de fascination vintage et par conséquent de
recréations par des musiciens d’aujourd’hui. Il nous est impossible d’être
exhaustif ; par exemple, nous aurions pu parler également de la fascination
vintage pour les musiques de films (et notamment celles de l’Anglais John Barry
compositeur de la quasi-totalité de la série des “James Bond”), pour la pop
française d’un Gainsbourg (des années Gall et Bardot à “Histoire de Melody
Nelson”) pour le rock allemand des années soixante-dix (Faust, Can, Neu !,
etc.), et aussi pour nombre de musiques du monde comme le calypso, le
reggae, la bossa nova brésilienne, l’afrobeat, la liste est quasiment sans fin…
Pour obtenir un son vintage qui sera
une garantie de qualité, un groupe
peut aussi faire appel à tel ou tel
réalisateur artistique de renom qui a
autrefois signé des grands
“classiques”. C’est ainsi que les
Californiens Band Of Horses, dont le
style oscille entre néo country et indie
folk, ont demandé à l’Anglais Glyn
Johns de produire, d’enregistrer et de
mixer leur tout récent album “Mirage
Rock” (2012). Âgé de 70 ans, celui qui
a autrefois notamment travaillé avec
les Rolling Stones (pour “Get Yer Ya
Ya’s Out”, 1970) et les Who (pour
“Who’s Next”, 1971) a apporté au
groupe un son dense et ouvert, où les
voix, les guitares et la rythmique se
combinent dans un parfait équilibre.
LE SON DES ANNÉES QUATRE-VINGT
C’est une évidence, il revient en force. Un retour qui a démarré, en fait, dès la
fin des années quatre-vingt dix avec la scène “Electroclash” qui a vu des
groupes comme Fischerspooner ou Chicks on Speed s’inspirer de l’esthétique
synthé-pop (Depeche Mode, Gary Numan, New Order...). Puis Daft Punk,
Madonna et d’autres comme LCD Soundsystem ont mis du disco et de la newwave dans leur musique. Ces dernières années, la référence eighties étaient
très claire avec des artistes comme La Roux, Lady Gaga ou Metronomy. Un
mouvement qualifié parfois d’électro-pop car il teinte la new-wave de sons
résolument électro. En France, The Juveniles et Lescop qui s’inspire à la fois
d’Étienne Daho et de Taxi Girl sont les fers de lance de ce renouveau newwave.
La plupart des styles musicaux
connaissent des résurrections.
Récemment, ce fut le cas du rock
psychédélique, de la “power pop”,
sans oublier de mentionner ces
groupes toujours plus nombreux qui
mélangent plusieurs périodes vintage
comme Alabama Shakes et The
BellRays qui marient rock et soul.
LE RAP “OLD SCHOOL”
Le rap n’est plus, lui non plus, une esthétique récente, et des groupes qualifiés
aujourd’hui de “old school” (ou “old skool”) se réfèrent à ce qui a été la période
faste du rap aux États-Unis entre 1987 et 1991 (en France, l’âge d’or du rap de
cette musique se situe un peu plus tard). Citons quelques artistes actuels ou
récents ayant enregistré des titres dans cet esprit : Outkast, Kanye West,
Jurassic 5, 2 Pac, 1995...
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LA CHANSON
Pour la chanson, on parle plutôt de “chanson rétro”, un terme qui, comme pour
le vintage, peut qualifier deux approches :
- une approche “classique” de l’écriture de chanson,
- la reprise du vieux répertoire.
Mais comme on l’a constaté avec le rock’n’roll ou la soul, l’écriture “classique”
de chanson a toujours existé, qu’elle soit réaliste ou littéraire. Renaud, par
exemple, avait ce côté rétro, même chose pour le mouvement alternatif (les
Têtes Raides, la Tordue…) et un artiste actuel comme Yves Jamait.
Côté “reprise du répertoire”, on ne compte plus les interprètes connus (Patrick
Bruel, Patricia Kass, Bernard Lavilliers…) ou moins connu (Marcel Kanche) qui
créent des spectacles ou enregistrent des albums hommages aux grands de la
chanson.
LA MUSIQUE ÉLECTRONIQUE
Un dossier entier ne suffirait pas à énumérer les noms des prophètes de la
musique électronique dont les instrumentaux et les sonorités constituent depuis
maintenant au moins quinze ans une mine vintage. On y trouve les créateurs de
la musique concrète française (Pierre Henry et sa fameuse “Messe pour le
temps présent” de 1967 écrite avec Michel Colombier), les illustrateurs sonores
dont l’un des pères est l’Américain Raymond Scott adepte de la “cartoon
music” (”musique pour dessins animés”), et divers pionniers aux allures
d’outsiders. Citons le Français Jean-Jacques Perrey, l’Anglais Joe Meek
producteur du titre culte “Telstar” gravé par les Tornadoes en 1962, l’Américain
d’origine allemande Gershon Kingsley (”Pop corn”, le premier “tube” mondial de
musique électronique en 1972, c’est lui…) et le Français François de Roubaix
qui fut l’un des premiers à intégrer l’électronique dans ses musiques de films et
de séries télévisées.
En 2000, les “jerks électroniques” de la
“Messe pour le temps présent” de
Pierre Henry et Michel Colombier,
comme le fameux “Psyché rock”, sont
retravaillés et remixés par de jeunes
artistes électro, notamment par
l’Anglais Fatboy Slim alias Norman
Cook et le Français Dimitri Yerasimos
alias Dimitri from Paris, deux grands
amateurs de sonorités vintage qui
travaillent d’ailleurs souvent avec des
instruments “millésimés” datant des
années soixante et soixante-dix.
Tous ces créateurs dont on a quelquefois qualifié les œuvres d’ “easy listening”,
de “cocktail music” ou de “lounge”, sont souvent aussi des inventeurs
d’instruments et des chercheurs de sons. Par leurs bricolages artistiques et leur
science souvent très intuitive du climat sonore, ils ont beaucoup influencé les
musiciens électroniques d’aujourd’hui, au premier rang desquels la scène dite
de la “French touch”, voir le groupe Air qui y a beaucoup puisé de ses idées
musicales et de ses “mises en sons”.
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4 - La force de l’interprète
On peut bien sûr tenter d’imiter Aretha Franklin, elle n’en restera pas moins
unique.
C’est grâce à sa personnalité vocale qu’un interprète d’aujourd’hui peut dans
une esthétique vintage se démarquer de ses modèles et affirmer sa différence.
On notera d’ailleurs qu’il s’agit rarement de groupes, mais plutôt de chanteuses
ou de chanteurs, éventuellement accompagnés par un groupe régulier.
D’ailleurs, la présence d’un nom de groupe accolé au nom de l’interprète est en
soi une référence vintage (Sharon Jones and the Dap Kings, Fitz & The
Tantrums, Nicole Willis & The Soul Investigators...), cela rappelle Bill Haley and
the Comets ou Diana Ross & The Supremes…
Amy Winehouse, par exemple, a su imposer une voix et une qualité
d’interprétation. Sa gouaille malicieuse très expressive sur son tube “Rehab” lui
permet de marquer fortement de son empreinte un morceau qui, chanté par
Aretha Franklin, serait du Aretha Franklin ! Les riffs de cuivres, le piano
électrique, les choeurs, les “chimes” (cloches) et les nappes de violons en
contrechant..., tout évoque les années de gloire du rhythm’n’blues. Même si
seule une oreille aguerrie entend la modernité du traitement du son, c’est du
Amy Winehouse.
Adele de son côté, est davantage dans son époque avec une production plus
contemporaine. Mais là aussi, ce sont ses extraordinaires qualités vocales qui
font la différence avec toutes ses concurrentes.
Bobby Womack a cette voix qui fait
que tout ce qu’il dit est convaincant. Il
a une telle expérience de la vie qu’il
peut toucher les gens de manière
universelle.
Damon Albarn, artiste et producteur anglais
né en 1969, parle du chanteur américain
Bobby Womack né en 1944 et dont il vient
de produire le dernier album “The Bravest
Man In The Universe” (2012).
La chanteuse américaine Charlyn Marshall alias Cat Power fait partie de ces
artistes qui regardent dans le passé pour y rechercher un certain son doublé
d’une atmosphère pour enregistrer leurs productions. Pour son album “The
Greatest” (2006), elle a voulu travailler à Memphis, ville-source de bien des
musiques d’aujourd’hui, avec les musiciens d’Al Green. Et deux ans plus tard,
elle mettait en boîte “Jukebox”, un disque de reprises qui marquait en quelque
sorte les points cardinaux de sa propre géographie vintage : Hank Williams,
James Brown, Bob Dylan, Joni Mitchell, Nick Cave...
Parmi les chanteurs et chanteuses qui se sont fait remarquer récemment par
leurs qualités vocales et d’interprétation, on relève les noms de Lana Del Rey
avec sa gouaille proche de Amy Winehouse mais dans un accompagnement
moins “black”, Michael Kiwanuka et sa très belle soul acoustique, et l’étonnant
norvégien Bernhoft dont il est impossible à l’écoute de deviner les origines
nordiques. Mais ce qui est frappant avec des artistes comme Amy Winehouse,
Adele ou Bernhoft, c’est qu’à l’oreille et sans savoir qui ils y sont, on pense que
ce sont des chanteurs noirs.
On peut estimer que le fantasme du “blanc qui chante comme un noir” existe
aux États-Unis depuis la fin du dix-neuvième siècle. Il y a eu tout d’abord le
“blackface”, mais dans ces spectacles, les chanteurs blancs grimés “singeaient”
les anciens esclaves avec une connotation raciste évidente. Par contre, les
chanteurs folk (les “songsters”) noirs et blancs, avant la ségrégation raciale, se
côtoyaient et s’observaient mutuellement. Les premiers rencontrant un certain
succès, ils étaient copiés par les seconds, à la fois dans leur approche du chant
et dans leur jeu de guitare. Bon nombre de grands chanteurs “hillbilly” et
country de l’entre-deux-guerres (notamment Jimmy Rodgers et Hank Williams)
ont d’ailleurs appris la musique auprès de musiciens noirs.
J’écoute des groupes de filles des
années soixante, la plupart signés
chez Motown. Je n’ai fait aucune
recherche. Ce n’est pas prémédité, je
n’ai même pas essayé de faire un
album comme ça, je n’écoute pas de
nouvelle musique, juste les vieux
trucs. J’ai essayé de faire quelque
chose qui ressemble à ce que j’écoute.
Amy Winehouse, chanteuse et auteure
compositrice anglaise, né en 1983 et morte
en 2011 à Londres.
Mais c’est bien sûr avec Elvis Presley et le rock’n’roll, cette version blanche du
rhythm’n’blues, que les chanteurs blancs vont s’inspirer de leurs homologues de
couleur, et la liste ne cessera de s’allonger : Mick Jagger, Eric Burdon, Van
Morisson, Rod Stewart...
On peut noter que l’inverse est rare. Sans tomber dans la caricature, des
interprètes noirs essayant de chanter comme des blancs ne sont pas légions !
Dans le chant classique, on trouve certes Jessye Norman et Barbara
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Hendricks ; et chez les crooners, on peut citer Nat King Cole et Sammy Davis
Jr. Mais s’il y a eu des chanteurs noirs dans des groupes de rock, ils
n’essayaient en rien de chanter “comme des blancs” !
Ces échanges esthétiques amènent du nouveau et surtout ils nous rappellent
que chaque artiste est unique.
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5 - Le business du rétro
Aujourd’hui, le vintage touche à la fois ceux qui ont vécu l’époque qui est remise
au goût du jour et ceux qui fantasment sur cette même époque… En peu de
temps, cette activité est passée d’un marché de niche à un véritable eldorado.
5.1 - Les concerts
En plus des tournées des artistes déjà mentionnés, on ne compte plus les
évènements qui jouent sur la nostalgie pour attirer un public adulte avide de
revivre les aventures musicales qui l’ont fait vibrer dans sa jeunesse.
D’horizons et de styles divers, le Steve Miller Band, Joe Jackson, Alvin Lee,
Johnny Winter et bien d’autres se produisent par exemple plus ou moins
régulièrement dans des salles comme l’Olympia à Paris avec des prix de billets
qui vont de 50 à 90 euros…
La grande tendance de ces dernières années consistait à restituer sur scène un
album historique. Le phénomène aurait commencé avec Cheap Trick qui a
rejoué en 1998 l’intégralité de quatre de leurs albums pour fêter leurs rééditions.
Beaucoup se sont prêtés au jeu : Lou Reed avec “Berlin”, Van Morisson avec
“Astral Weeks”, John Cale avec “Paris 1919”, Brian Wilson avec “Smiley Smile”,
Jethro Tull avec “Thick as a brick”, les exemples sont légion et non des
moindres, le phénomène permettant aux fans de revivre en “live” un moment
d’histoire.
On ne compte pas non plus les reformations qui permettent aux amateurs
d’aujourd’hui de revoir ou de “voir enfin” les groupes qu’ils vénèrent : The
Police, The Stooges, Dinosaur Jr., The Pixies, Rage Against the Machine,
aucune génération du rock et de la pop n’est laissée de côté... Et puis, il y a les
“coups commerciaux” comme les plateaux de type “Salut les copains” (ciblé sur
les années soixante) ou “RFM Party” (pour les années quatre-vingt) où les
idoles de plus en plus vieillissantes viennent chanter quelques tubes pour un
public en mal de souvenirs.
Les “tribute bands” se multiplient également. Le filon a commencé à prendre de
l’ampleur dans le rock dans les années quatre-vingt-dix aux États-Unis avec
plusieurs “groupes clones” de Kiss qui tournaient en même temps - le fan club
du groupe en comptabilise aujourd’hui une soixantaine dans le monde entier...
The Australian Pink Floyd Show a de son côté vendu depuis sa création en
1988 plus de 3 millions de places de concerts dans le monde. Et parmi ceux
qui jouent de façon régulière, citons The Rabeats (qui jouent les Beatles), LetzZep (Led Zeppelin), Queen of Fire (Queen), Bjorn Again et Abba Mania (ABBA).
.
Ces groupes aux musiciens anonymes et qui jouent un peu “par procuration”
peuvent faire sourire, mais ils symbolisent parfaitement ce passage à l’âge
adulte d’une esthétique comme le rock, qui devient aussi avec ce phénomène
une musique de répertoire. Car rejouer les œuvres du passé, n’est-ce pas
finalement ce que font les musiciens classiques depuis toujours ?
5.2 - La musique enregistrée
Le marché des collectionneurs de disques existe depuis l’entre-deux-guerres. Il
se faisait traditionnellement dans des petites boutiques spécialisées ou lors de
“réunions” ou “conventions”, quelquefois dans des salons et des festivals, mais
aujourd’hui, la recherche de vinyles (et aussi de disques compacts) rares est
nettement facilitée par internet. Certains disques atteignent des sommes
importantes. Dans leurs versions originales, le premier 45 tours d’Elvis Presley,
“That’s All Right Mama” est évalué à 158.000 euros, celui de “That’ll Be The
Day” des Quarrymen (les futurs Beatles) à 144.000 euros... Mais le passetemps favori du collectionneur reste bien de traîner dans les brocantes et les
boutiques d’occasion en espérant tomber sur une “perle” à un prix dérisoire…
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Abandonné par la plupart des gros labels au début des années quatre-vingt-dix,
le marché du vinyle est en pleine croissance. Il s’en est vendu par exemple aux
États-Unis quatre millions d’unités en 2010 (tous formats confondus), soit une
augmentation de 25 % en un an. Un phénomène qu’il faut toutefois relativiser
puisqu’on est loin des 344 millions de 1977 et, au final, ce marché a retrouvé
son niveau de 1998. Ce qui montre aussi qu’il n’avait jamais disparu et reste,
finalement, ce qu’il est depuis vingt ans : un marché de niche - de plus en plus
petite d’ailleurs.
Avec la mode du vintage, les majors du disque ont bien compris qu’elles
disposaient d’un solide atout : leur fonds de catalogue. C’est-à-dire tous ces
albums, mythiques ou non, dont la réédition ne coûte pas cher à mettre sur le
marché puisqu’il n’y a quasiment aucun frais d’enregistrement et de conception
de pochette, ces coûts ayant été amortis depuis longtemps. Quant aux
compilations, elles représentent aussi un risque commercial très limité. En
2008, les ventes “catalogue” représentaient, toujours aux États-Unis, 41,7 %
des ventes totales de disques, contre 34,4 % en 2000. Sur internet, le
pourcentage monte à 64,3 % !
En 2008, Universal a ainsi réédité 130 références de son catalogue en 33 tours
“180 grammes” (la norme de la “vintage reissue” telle qu’elle a été établie par
les grands labels de rééditions type Rhino en Californie) pour fêter les soixante
ans de ce format, ce même format que la major avait totalement abandonné en
1995, après avoir délibérément décider de le remiser lors de l’avènement du CD
quinze ans plus tôt…
Autre manne pour les labels les mieux outillés, le placement de ces musiques
(la “synchro”) comme bande-son dans des secteurs bien ciblés : cinéma (longs
métrages et documentaires), publicités, voire jeux vidéos. Les bandes originales
des films de Quentin Tarentino, par exemple, sont des exemples parfaits
d’approche vintage intelligente et ciblée. Sur celle de “Jackie Brown” (1997), on
trouve Bobby Womack, Bill Withers, The Delfonics et Minnie Riperton, et dans
les deux parties de “Kill Bill” (2003 et 2004) Nancy Sinatra, Charlie Feathers,
Isaac Hayes, Quincy Jones, Johnny Cash, Shivaree, sans oublier le groupe
allemand Neu ! Tous ces choix musicaux, effectués avec la caution du cinéaste
américain, ne doivent rien au hasard, et s’ils cultivent la rareté et un aspect
“collector” plutôt que le tout-venant, ils participent à la couleur des films et à leur
dramaturgie, faisant du même coups de leurs bandes-son des grands vecteurs
de vintage.
Au-delà de la musique qui figure sur
un disque, la pochette qui l’enrobe est
aussi une marque de désir de vintage
et d’appropriation d’un univers. Deux
exemples en pop : Joe Jackson qui
pour son album “Body and
Soul” (1984) copie purement et
simplement le visuel du “Sonny
Rollins, volume 2” sorti en 1957 sur le
légendaire label américain Blue Note ;
et Elvis Costello, pour “My Flame
Burns Blue (Live With the Metropole
Orkest)” (2006) qui effectue un plagiat
de la pochette de “Anatomy Of A
Murder” (1959), la musique composée
par Duke Ellington pour le film d’Otto
Preminger et publiée chez Columbia.
Des exemples semblables existent en
rap, en funk, et dans la new soul, la
source principale d’inspiration étant
souvent le jazz, une musique qui a
toujours été particulièrement exigeante
pour la qualité des pochettes.
Certains labels se sont spécialisés dans la réédition d’albums (vinyles avec
pochettes à l’identique...) et les compilations de raretés : Soul Jazz Records,
Numero Group, Cherrystones, Finders Keepers, Soundway, Sofrito... Certains
d’entre eux vont jusqu’à “inventer” des esthétiques pour des anthologies où se
côtoient des groupes oubliés ; Cherrystones a ainsi proposé des compilations
labellisées “Drunk Rock” ou “Ted Beat”.
Le tandem iPod / iTunes a révolutionné l’approche du collectionneur. Les
avantages du téléchargement sont certains : disposition immédiate, facilité des
classements dans l’organisation de ses playlists, moindre encombrement, coût
réduit… Bien sûr, les puristes chérissent avant tout l’objet disque, mais ils sont
aujourd’hui minoritaires. Comme on l’a vu, l’essentiel des téléchargements porte
sur le “fonds de catalogue”.
Parallèlement à la vente de musique enregistrée, le marché de l’enregistrement
de la musique évolue lui aussi. Garantie d’une forme d’”honnêteté” et d’un
“grain” chaleureux, le fait d’enregistrer dans un studio vintage devient un
argument marketing. Un label comme Daptone Records à New York possède
son propre studio à l’acoustique résolument “sixties” avec magnétophones à
bandes analogiques ainsi que son “groupe maison” (The Dap-Kings), comme
c’était l’usage à l’époque avec les “house bands” chez Motown et Stax. C’est
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dans ce studio d’ailleurs qu’a été enregistré (pour moitié avec The Dap-Kings)
le “Back to Black” d’Amy Winehouse. Acheter un album Daptone, c’est la
garantie d’acheter non seulement la musique d’un groupe ou d’un artiste, mais
aussi un style et d’un son.
C’est une logique similaire qui a poussé Jack White (l’ancien co-leader des
White Stripes) à créer un grand complexe réunissant notamment studio vintage
et salle de concert à Nashville en 2009. Les albums de son label qu’il a intitulé
Third Man Records paraissent très souvent en vinyle avec plusieurs tirages
limités en deux ou trois couleurs.
5.3 - Les lieux de mémoire
Partout en Europe et aux États-Unis se montent des musées et s’organisent
des expositions liées aux “musiques actuelles”. Le British Music Experience,
inspiré du Experience Music Project de Seattle, expose classiquement des
objets liés à la “mythologie” du rock (instruments, pochettes, costumes de
scène...) ; il intègre aussi des équipements permettant à tout visiteur de jouer
de la guitare, du piano ou de la batterie, mais aussi d’enregistrer sa voix comme
en studio. Le Musée du rock à Barcelone, ouvert en mars 2012, rassemble de
son côté cinq mille objets et un million de documents numériques (texte, audio,
vidéo) !
Les Trans Musicales de Rennes ont
lancé en décembre 2010 le site
« Mémoires de Trans (www.memoiresde-trans.com), un site régulièrement
enrichi d’images d’archives liées au
festival.
À Paris, la Cité de la Musique a organisé depuis une dizaine d’années de
nombreuses expositions, les dernières ayant été consacrées à Miles Davis,
Serge Gainsbourg, George Brasse, Bob Dylan et Django Reinhardt.
À côté de ces lieux physiques, internet a vu se multiplier les sites et les blogs de
fans et de connaisseurs de musique. Et bien entendu, les pages dédiées aux
esthétiques vintage ne manquent pas. En Angleterre, on appelle ce genre de
site un “sharity”, soit une contraction de share (partager), charity (charité) et
rarity (raretés). Les passionnés qui les alimentent redoublent alors d’efforts pour
faire ressurgir du passé des sons et des images parfois étonnantes, qui vont du
très touchant au…très kitch !
5.4 - Les objets vintage
Guitares, synthétiseurs analogiques, grooveboxes, claviers électriques,
batteries... Certaines marques d’instruments anciens ont une grosse côte. Cela
n’est pas vrai de tous les instruments, mais les guitares électriques, par
exemple, et spécialement celles fabriquées entre les années cinquante et le
début des années soixante-dix, étaient de qualité exceptionnelle. De fabrication
artisanale, leurs bois étaient de qualité, ils séchaient longtemps et
naturellement, donnant à l’instrument un son inimitable et le rendant de plus fort
agréable à jouer. Mais bien entendu elles se raréfient et sont très recherchées.
Pour s’offrir une Gibson LesPaul des années soixante il faut compter entre
5.000 et 10.000 euros, mais pour une Telecaster de 1960, le prix monte dans
les 20.000 euros...
À côté des instruments, des disques, sans oublier les platines vinyles qui
redeviennent à la mode au moment où les lecteurs de CDs qui les avaient
détrônées disparaissent..., et il faudrait parler aussi des amplis, des hautparleurs, des micros…, les collectionneurs recherchent aussi des affiches, des
photographies, des revues, des vêtements, des accessoires, etc. Les pochettes
d’albums 33 tours, même lorsque les disques qu’elles contiennent ne sont pas
écoutés, connaissent une seconde vie inattendue en devenant des signes
identitaires que l’on va mettre sous cadre et accrocher dans sa chambre ou son
salon... Et la plupart de ces objets, bien sûr, peuvent être dédicacés, ce qui leur
confère une plus-value affective et financière à la fois.
Qu’il s’agisse d’un exemplaire que je
convoitais depuis une éternité ou
d’une bizarrerie dont je ne
soupçonnais même pas l’existence, j’ai
moins l’impression d’acquérir des
marchandises que des capsules de
possibilité.
Simon Reynolds, in Retromania, Le Mot et
Le Reste, 2012.
Le slogan de Third Man Record le
label de Jack White : Your turntable’s
not dead, soit Votre platine n’est pas
morte.
Quand un musicien “est vintage”, cela
va souvent jusqu’à ses instruments.
L’Anglais Richard Hawley possède par
exemple “une petite centaine de
guitares”, parmi lesquelles deux
douzaines de Gretsch (plusieurs
provenant de la mythique série 6120
Chet Atkins de 1955, des douze
cordes, des White Falcon), la Gibson
ES-335, la “baritone guitar” de
Danelectro, une Eko Barracuda
italienne, des Rickenbacker… 20
6 - Conclusion
Pour certains, le vintage symbolise une régression, un bégaiement qui
symbolise le refus du présent et la peur du futur. Pour d’autres, c’est le retour
d’une musique authentique et chaleureuse après les excès du marketing et du
tout-électronique. Comme toujours quand une tendance se dessine, de grands
artistes généreux y côtoient des opportunistes. Mais parmi les artistes qui
représentent le vintage, bon nombre ont du talent. Ils ont des voix, des
personnalités, et l’humilité avec laquelle ils rendent hommage aux anciens est
apprécié par un public de plus en plus lassé des artistes prétentieux et qui lui
aussi recherche l’authenticité, ou tout du moins… une image d’authenticité.
On peut toutefois s’interroger sur une société qui laisserait sur le côté les
artistes novateurs, ceux qui dérangent et qui font peur. Une société qui
s’inquiète de l’avenir et qui préfère le confort du connu à l’esprit d’aventure.
N’est-elle pas condamnée à la stagnation, et à tourner en rond ? Il faut alors se
demander à quoi ressemblera la musique de demain. Est-ce que tout a été
vraiment dit ? Les esthétiques musicales, après avoir été des formes d’art et de
rébellion, ne sont-elles plus que des identifiants culturels, des marqueurs
permettant simplement à l’individu d’affirmer qui il est ?
Révélateurs de notre époque, deux albums sortent quasiment au même
moment, cet automne 2012, avec deux titres hautement symboliques qui
sonnent comme deux clins d’œil à notre propos. D’un côté, le musicien
américain Jesse Fischer et son groupe le bien nommé Soul Cycle propose son
“Retro Future”, avec un “sound design” très vintage qui inclue piano Rhodes,
vocoder, synthétiseurs analogiques, échantillons de films, sons de jeux vidéo et
pads électroniques ondoyants (sic !), avec un répertoire où ses originaux
côtoient une reprise du “Electric Ladyland” de Jimi Hendrix et une du thème
“Aquarius” de la comédie musicale “Hair”… De l’autre, non sans humour, le
chanteur belge Arno intitule son dernier album “Future Vintage”, en
l’agrémentant d’une pochette qui offre une vision surréaliste d’un tournedisques Teppaz des années soixante... Oui, évidemment, toute production
actuelle est du vintage en devenir ! Mais quand, dans les années 2040, des
artistes voudront s’inspirer des années 2010, qu’en retiendront-ils ? Si la
tendance la plus forte d’aujourd’hui est le vintage, quelle musique inventerontils ? Du retro vintage… ?
Si le vintage semble s’encrer fortement dans la musique d’aujourd’hui, il n’en
est qu’une des nombreuses tendances. Une tendance sans doute accentuée
par l’effet grossissant des médias et d’internet. Mais qui sait si, en écoutant les
disques d’aujourd’hui, les artistes de demain ne découvriront pas des musiciens
particulièrement talentueux que nous négligeons, les médias étant prompt à
trouver le nouveau / la nouvelle... un(e)tel(le) plutôt que de prendre le nouveau
venu pour ce qu'il est en propre et le juger sur son simple talent. N’y a t’il pas
des Nick Drake à découvrir avant qu’ils ne disparaissent ?
Sans doute que les musiques d'aujourd'hui connaissent moins de
renouvellement ou d'apparition d'un mouvement majeur que dans certaines
périodes précédentes...
Mais le rock dont on a peut-être voulu croire qu'il aurait la jeunesse éternelle ne
connait-il pas ce phénomène que toutes les formes artistiques ont connu avant
lui (innovation vs académisme, retours aux sources...) sans disparaître ou
perdre de leur portée artistique pour autant...
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7 - Le concert : Nick Waterhouse
Agé de 26 ans, Nick Waterhouse appartient à cette génération de jeunes Blancs
américains fascinés par la musique vintage. Il passe son enfance en Californie
et, quand ses camarades adolescents écoutent Green Day, il se tourne plutôt
vers John Lee Hooker et Van Morrison. Il joue de la guitare dans différents
groupes et, poursuivant ses études à San Francisco, traîne souvent dans un
magasin spécialisé en vinyle, Rooky Rocardo’s Records, où il finit par travailler
occasionnellement et y fera d’utiles rencontres (des responsables de labels et
de clubs).
Il se lance ensuite dans une carrière solo et enregistre en 2010 son premier
single “Some Place” en analogique. Poussant très loin le culte du vintage, il
auto-produit un 45 tours dont les exemplaires seront pressés à la main,
l’étiquette étant également imprimée “à l’ancienne”. Pour le lancement de ce
premier single réalisé sans intervention de l’ordinateur et de l’informatique, il
monte un groupe, The Tarots, augmenté d’un trio de chanteuses, The
Naturelles. Il est ensuite signé par Innovative Leisure, label de Hanni El Khatib,
et sort son premier album “Time’s all gone” en mai 2012.
Fanatique du rhythm’n’blues des
années cinquante, il propose un
rock’n’roll enjoué, avec des cuivres à
la Ray Charles, des choeurs à la
Ikettes. Il enregistre sur des machines
vintage, en mono, comme Phil
Spector. C’est efficace et, si l’on en
croit la rumeur, promis à un beau
succès.
Jonathan Gourmet, in Vibrations, mai 2012.
Avec ses saxophones aux riffs ravageurs, ses choeurs doo-wop, ses batteries
musclées et sa voix tonique qui est très présente et “en avant”, il s’agit d’un
album à la couleur rhythm’n’blues évidente. Quand on lui demande quel est son
style de prédilection, Nick Waterhouse répond tout simplement : la musique
américaine. Il ajoute comme pour s’excusant : je sais que c’est très général,
mais c’est la vérité. Oui, sans doute, mais peut-être pas toutes les musiques
américaines, tout de même...
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8 - Repères bibliographiques
Cette bibliographie est sélective et ne contient que des ouvrages édités en France.
Lester Bang : Fêtes sanglantes et mauvais goût, Tristram, 2005
Walter Benjamin : L’oeuvre d’art à l’époque de sa reproduction technique, Allia,
2012
Nick Cohn : A wop bop a loo bop a lop bam boom, Éditions Allia, 1999
Sébastien Danchin : Elvis ou la revanche du Sud, Fayard, 2004
Sebastian Danchin : Encyclopédie du rhythm'n'blues et de la soul, Fayard, 2002
Nicolas Dupuy : Les 100 meilleurs albums de rock, Éditions Générales First,
2010
Robert Dimery (direction) : Les 1001 albums qu'il faut avoir écouté dans sa vie,
Flammarion, 2006
Peter Guralnik : Sweet soul music : rhythm'n'blues et rêve sudiste de liberté
Laurent Journo : Vintage passion, Editions de la Martinière, 2012
Florent Mazzoleni : L’Odyssée du rock, 1954 - 2004, Éditions Hors Collection,
2004
Florent Mazzoleni : James Brown : l'Amérique noire, la soul, le funk, Éditions
Hors Collection, 2005
Florent Mazzoleni : Memphis aux racines du rock et de la soul, Le Castor Astral,
2006
Simon Reynolds : Rétromania, Attitudes/Le mot et le reste, 2012
Philippe Robert : Great Black Music - Funk, soul, rap, reggae, Le mot et le
reste, 2008
Denis Roulleau : Culture Rock, Flammarion, 2011
Eileen Southern : Histoire de la musique noire américaine, Buchet-Chastel,
1992
Jean-Baptiste Tuzet : Les crooners, Hors Collection Editions, 2004
OUVRAGES COLLECTIFS
Sous la direction de Mishka Assayas : Dictionnaire du rock, Robert Laffont,
collection Bouquins, 2002
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9 - Repères discographiques
Lorsque deux dates apparaissent, celle qui suit le titre de l’album est celle de l’enregistrement, celle qui suit
le nom du label est celle de la dernière publication.
Adele : 21, XL Recordings, 2011
Ben l’Oncle Soul : Ben l’Oncle Soul, Meercury/Universal, 2010
Bernhoft : Solidarity Breaks, Kikitepe Cassette/Polydor/Universal, 2012
James Brown : Live at the Apollo (1963), Polydor / Universal, 1999
Ray Charles : The Definitive Ray Charles, Rhino / Warner Music, 2001
Cody Chesnutt : Landing on a hundred, Polydor, 2012
Nat "King" Cole : The Very Best Of Nat King Cole, E.M.I., 2006
Sam Cooke : Portrait Of A Legend 1951-1964, UMTV, 2003 (import)
The Cramps : Psychedelic Jungle (1981), Capitol / E.M.I. Music, 1998
Jamie Cullum : Twenty Something, Polydor, 2004
D'Angelo : Voodoo (2000), Cooltempo / E.M.I.
Lana Del Rey : Born to die, Polydor/Universal, 2012
Hanni El Khatib : Will The Guns Come Out (2010), Innovative Leisure / Because
Aretha Franklin : Lady Soul (1968), Atlantic - Rhino / Warner Music, 1995
Marvin Gaye : What's Going On (1971), Motown / Universal, 2000
Al Green : compilation Definitive Greatest Hits, Capitol / E.M.I., 2007 (import)
Donny Hathaway : Live (1972), Atco / Warner Music, 1993
Diana Krall : Glad rag doll, Universal Music Division Classic Jazz, 2012
The Lightnin 3 : Morning noon & night, Idol, 2012
Ibrahim Maalouf, Larry Grenadier, ClarencePenn : Wind, Mister Production,
2012
Curtis Mayfield : Superfly, Rhino / Warner Music, 1999
Nico Muhly : Speaks Volume, Bedroom Community, 2009 (import)
Elvis Presley : 30 # 1 Hits, RCA, Sony Music, 2002
Otis Redding : Pain In My Heart (1964), Atco - Rhino / Warner Music, 1992
Rover : Rover, Cinq 7, 2012
Raphael Saadiq : Stone rollin’, Columbia, 2011
Nick Waterhouse : Time’s all gone, Innovative Leisure, 2012
Nicole Willis & The Soul Investigators : Keep reachin’ up, Differ-ant, 2006
Amy Winehouse : Back To Black (2007), A.Z. / Universal
Stevie Wonder : Innervisions (1973), Motown / Universal, 2000
Willy Moon : I wanna be your man EP, Luv Luv Luv / Universal, 2012
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10 - Quelques journaux spécialisés et sites Internet
Les Inrockuptibles, hebdomadaire
www.lesinrocks.com
Jukebox Magazine, mensuel
www.jukeboxmag.com
Vibrations, mensuel
www.vibrations.ch
Volume, la revue des musiques populaires
http://www.volume.revues.org
On peut également consulter sur le site du Jeu de l’Ouïe www.jeudelouie.com
les dossiers d’accompagnement des conférences-concerts suivantes :
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