Le peuplement humain en Eurasie : l`Asie centrale montagneuse et

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L’anthropologie xxx (2008) xxx–xxx
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Article original
Le peuplement humain en Eurasie :
l’Asie centrale montagneuse et les piémonts
sous-himalayens du Plio-Pléistocène à
l’Holocène, origines, évolution
humaine et migrations
The human settlement in Eurasia: The mountainous
Central Asia and the Sub-Himalayan piedmonts
from Pliopleistocene to Holocene, origins,
human evolution and migrations
Anne Dambricourt Malassé
UMR 5198 CNRS, département de Préhistoire du Muséum national d’histoire naturelle,
institut de paléontologie humaine, 1, rue René-Panhard, 75013 Paris, France
Résumé
En 1996 et 1997, une équipe du laboratoire de Préhistoire du Muséum national d’histoire naturelle
engage des prospections dans le nord de l’Hindou Kouch (district de Chitral), en coopération avec le
département d’Archéologie et des Musées du gouvernement de Karachi ainsi qu’avec le département
d’Archéologie de l’université de Peshawar. Le but de ces missions vise à établir une étude des connections
entre l’Asie centrale et l’Inde du Nord-Ouest (Potwar, Punjab) dès le Pléistocène inférieur (Soanien) et à
comprendre l’origine des chasseurs-cueilleurs épipaléolithiques/néolithiques héritiers du Soanien, disparus
au cours de l’âge du bronze. L’approche paléoanthropologique soulève des questions qui mettent en cause le
paradigme des origines africaines de l’Homo sapiens asiatique. Depuis 2003, l’équipe poursuit ses
investigations dans l’Inde du Nord-Ouest (chaîne frontale des Siwaliks, État du Punjab) en coopération
avec le département des Affaires culturelles, d’Archéologie et des Musées du Punjab pour tenter de
comprendre les origines du Soanien (Mode 1) et les modalités de son évolution jusqu’à l’Holocène.
# 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
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doi:10.1016/j.anthro.2008.04.008
Pour citer cet article : Dambricourt Malassé, A., Le peuplement humain en Eurasie : l’Asie centrale
montagneuse et les piémonts sous-himalayens du Plio-Pléistocène à l’Holocène, origines, évolution
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Abstract
During the years 1996 and 1997, a team of the Laboratory of Prehistory, National Museum of Natural
History, Paris, and of the Departments of Archaeology, Karachi and Peshawar University, Pakistan, leads the
first prehistoric field investigation in the District of Chitral, Hindu Kush, close to the Wakhan Corridor (the
Amu Daria course in the Pamir). Problematics are the origins and the becoming of the Epipaleolithic/
Neolithic hunters-gatherers known in the Pamir Plateau and the Gissar Range, the lithics tradition of which
share common roots with the Sub-Himalayan Soanian tradition (Mode 1). A second field investigation has
been conduced in the North West India, where Soan developed from Early Pleistocene, in the Frontal Range
of the Siwaliks and Himachal Pradesh during the years 2003, 2005 and 2006 in cooperation with the
Department of Archaeology and Museums of Punjab, India. New discoveries in both countries support new
hypothesis for the understanding of human evolution in Asia and Homo sapiens origins.
# 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Mots clés : Hindou Kouch ; Inde ; Asie centrale ; Pamir ; Haute Asie ; Punjab ; Plio-Pléistocène ; Holocène ; Soanien ;
Épipaléolithique ; Homo erectus ; Homo sapiens
Keywords: Hindu Kush; India; Central Asia; Pamir; Punjab; High Asia; Plio-Pleistocene; Holocene; Soanian;
Epipaleolithic; Homo erectus; Homo sapiens
1. Introduction
Dans l’une de ses synthèses majeures, le préhistorien tadjik Vadim Ranov (1972) concluait :
« Grâce à nos travaux (1956–1960), c’est au Pamir occidental que les étapes du peuplement de
régions aussi inhospitalières pour l’homme ont été le mieux étudiées (. . .). Les hautes montagnes
de l’Asie centrale sont entourées de tous côtés par des pays où l’occupation paléolithique est
attestée. Les sites de l’Ordos, des nouveaux gisements de Mongolie, de l’Alashan, du Se Tchouen
et surtout de l’Inde nous indiquent des voies de pénétration possibles vers les hauts plateaux du
Thibet et les massifs montagneux du Kouen-Lun. L’Himalaya et l’Indou Kouch peuvent avoir été
peuplés par le Sud. Ils correspondent aux deux premières zones que nous avons définies. Il semble
que la zone alpine, entaillée de profondes vallées ne soient finalement pratiquement pas
explorée ».
Ces zones inexplorées correspondent aux écosystèmes les plus élevés classés comme zone 4
par Vadim Ranov, ce sont les hauts massifs et hautes vallées de l’Hindou Kouch. En 1995, une
équipe du laboratoire de Préhistoire du Muséum national d’histoire naturelle s’est engagée dans
l’étude du peuplement préhistorique et protohistorique de cette région encore inexplorée de
l’Asie centrale. L’origine de cette recherche remonte à la découverte de pétroglyphes observés
dans les hauts massifs de l’Hindou Kouch en 1988, par un linguiste, Erik L’Homme (1999) et un
naturaliste attaché au laboratoire des Reptiles et Amphibiens du Muséum, Jorge Magraner
(Dambricourt Malassé et Gaillard, 2002).
Ces pétroglyphes se situent à près de 4000 m d’altitude, dans le haut massif de la Shah Jinali
(« plateau noir » en khowar), dans la province des Frontières Nord-Ouest du Pakistan au nord du
district de Chitral (Fig. 1). Ces chaînes bordent le couloir du Wakhan, le cours supérieur de l’Amu
Daria, un diverticule de l’Afghanistan séparant le Pakistan du Tadjikistan.
Ces régions les plus septentrionales de l’Hindou Kouch étaient encore vierges de prospection.
La voie d’accès naturelle est la vallée de la Kunar en Afghanistan, un affluent de la rivière Kaboul
qui rejoint l’Indus à l’est de Peshawar au Pakistan. En remontant vers le nord-est, la Kunar se
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montagneuse et les piémonts sous-himalayens du Plio-Pléistocène à l’Holocène, origines, évolution
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Fig. 1. Localisation du district de Chitral (Hindou Kouch, Pakistan).
Fig. 1. Localisation of Chitral District (Hindu Kush, Pakistan).
retrouve au Pakistan et prend le nom de Chitral, puis elle devient la Yarkhun dans son lit supérieur
où elle se rapproche des hauts massifs de la Shah Jinali, ainsi que du Pamir. La puissante rivière
glaciaire Chitral s’inscrit donc dans le réseau des grandes rivières qui alimentent l’Indus, lequel
creuse son lit dans l’épais plateau lœssique du Potwar après avoir traversé les Siwaliks, les
piémonts himalayens riches en faunes continentales miocènes.
Au nord de la Shah Jinali s’étendent les hauts plateaux du Pamir et au-delà, les chaînes
kirghizes de l’Alaï et du Tien Shan (Fig. 2), de vastes territoires montagneux explorés depuis la
fin des années 1950 par Vadim Ranov. Les campagnes de prospections ont inventorié de
nombreux pétroglyphes découverts entre 3000 et 3300 m d’altitude dans le Badakhshan, à
Ljangar-Kisht, une région de l’Hindou Kouch proche de la Shah Jinali (Ranov, 1960), ainsi qu’à
3500 m dans un ravin situé à Vybist-Dara (Ranov, 1976). Les scènes de ces trois localités ainsi
que leurs patines sont comparables, elles reprennent des thèmes similaires dont les plus
anciennes sont rapportées à l’âge du bronze.
Vadim Ranov découvrit également dans les gorges de Kurteke à 4200 m d’altitude des
peintures rupestres sur les parois d’une cavité, située à une quarantaine de kilomètres au sudouest de Murghab, dans le Pamir, la grotte Shakhti (Ranov, 1961). Ces fresques seraient l’œuvre
de chasseurs mésolithiques, voire du début du Néolithique (Gupta, 1979). Les thèmes sont des
scènes de chasse illustrant de grands mammifères tels que des ours ou des yacks blessés par des
flèches (Bar Yosef et al., 1984).
Les quelques pétroglyphes de la Shah Djinali s’ajoutent à ce corpus déjà considérable et d’une
grande richesse iconographique. Les scènes représentent en l’occurrence un canidé en présence
des bovidés aux contours frustres, tandis qu’ailleurs ce sont des gravures plus élaborées, d’une
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montagneuse et les piémonts sous-himalayens du Plio-Pléistocène à l’Holocène, origines, évolution
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Fig. 2. Vue satellite de l’Asie centrale, de l’Inde du Nord-Ouest et de la Haute Asie, avec les bassins de l’Amu Daria
(dépression Afghano-tadjike, lœss au sud de la chaîne de Gissar), le Pamir (Markansou, Murghab), Chitral (mission 1996–
1997, Hindou Kouch, la haute vallée de la Yarkhun), le Tien Shan, le bassin de l’Indus (Plateau du Potwar, Salt Range,
Pabbi Hills, Sohan Valley), l’Inde du Nord-Ouest, (Punjab, Himachal Pradesh et chaîne frontale des Siwaliks mission
2003, 2005–2007).
Fig. 2. Satellite view of Central Asia, North Western India and High Asia, Amu Daria (Afghano-tadjike depression, Gissar
Range), Pamir (Markansou, Murghab), Chitral (mission 1996–1997, Hindu Kush, Yarkhun Valley), Tien Shan, Indus
(Potwar Plateau, Salt Range, Pabbi Hills, Sohan Valley, North Western India (Punjab, Himachal Pradesh, Siwaliks Frontal
Range, mission 2003, 2005–2007).
facture plus fraîche, figurant des hommes en armes montés sur des chevaux. La présence de ces
pétroglyphes, dans un environnement peu accessible et peu fréquenté, suggère que l’on
s’intéresse au peuplement humain de ces hauts massifs plutôt qu’aux hautes vallées, en replaçant
l’Asie centrale montagneuse dans l’histoire géologique et climatique continentale qui la
caractérise.
Les pétroglyphes s’observent sur l’ensemble des territoires de l’Asie centrale et de la Haute
Asie, depuis les hautes vallées et hauts massifs de l’Hindou Kouch jusqu’aux grandes plaines
kazakhes (Francfort, 1986, 1999 ; Francfort et Jacobson, 2004). En 1978, A.H. Dani de
l’université Quaid-i-Azam à Islamabad et Karl Jettmar ont inventorié un millier de pétroglyphes
dans la haute vallée de l’Indus (Jettmar, 1979, 1989 ; Hallier, 1991). Celle-ci constitue la voie de
communication la plus directe entre le sous-continent indien et le bassin du Tarim qui donne
accès à la Chine du Nord, à l’Altaï, à la Mongolie et, au-delà, aux grandes plaines de Sibérie. Les
hautes vallées sont encaissées mais certains cols ( pass) restent accessibles. Les difficultés de
pénétration sont l’altitude à plus de 4000 m, la forte déclivité des pentes et les conditions
climatiques selon les glaciations, mais ces contraintes géomorphologiques et physiologiques
n’ont jamais empêché les êtres humains non seulement de s’y aventurer, mais également de s’y
implanter, en petit nombre, chasseurs-cueilleurs ou pasteurs-nomades.
Vadim Ranov subdivisa donc la Haute Asie en quatre zones géographiques ; les plaines, les
vallées de moyennes montagnes, la zone de relief alpin (par exemple la gorge Darya où fut
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découverte la grotte de Teshik Tash [Zautolosh] dans la chaîne de Gissar [Baisun Tau] à 1500 m
d’altitude) et les hautes vallées « vallées ‘‘proluvio-alluviales’’ entre les montagnes du Pamir et
les syrtes du Tien-Chan. Avec le Thibet, c’est la zone d’occupation humaine la plus élevée ».
On doit également à Gupta (1979) l’ouvrage qui fut longtemps la référence sur l’étude des
relations entre l’Asie centrale et l’Inde du Nord-Ouest, Archaeology of Soviet Central Asia and
the Indian Bordelands. L’auteur développe en détail les différentes traditions culturelles.
Particulièrement exhaustif et sans équivalent depuis 30 ans, nous complèterons cette synthèse des
principales découvertes acquises depuis, afin de mieux situer les résultats des campagnes de
prospections poursuivies dans le Chitral entre 1996 et 1997, puis dans le Punjab entre 2003 et
2007. L’intérêt de ces recherches demeure le même, quel que soit le regard porté sur la
problématique sous-continentale, qu’il s’agisse de considérer la Haute Asie comme une région
géographique particulièrement étendue, traversée des voies de pénétration depuis la grande
plaine indo-gangétique, ou bien, comme une immense biozone malgré tout habitable, et
reconnaissable à la durée des implantations traditionnelles depuis le début du Pléistocène
inférieur, fluctuant entre ses piémonts et ses hauts plateaux, au gré de l’extension des glaciers
dont l’influence est capitale.
De récentes recherches consacrées aux glaciers de Nanga Parbat, situés au nord-est du
Pakistan, ont permis d’identifier les périodes de leur extension maximale et d’observer des
asynchronismes avec les phases glaciaires arctiques (William et al., 2000 ; Kuhle, 2001, 2005). Si
l’Asie centrale montagneuse fait figure d’un troisième pôle glaciaire, elle ne s’en situe pas moins
à une latitude équivalente au nord du Maroc, ce qui en fait une région de l’Eurasie tout à fait
singulière en période interglaciaire. Le Nanga Parbat est l’un des huit plus hauts sommets de la
chaîne himalayenne, il n’existe pas de dénivellation aussi importante ailleurs dans le monde ;
entre les fonds de vallée et les cimes, la paroi sud s’élève sur 4500 m. Situé à une limite
thermique, le massif montagneux enregistre donc les variations climatiques du sud soumis aux
moussons subtropicales et celle du nord soumis au climat continental. Les périodes d’intense
accumulation de glace correspondent aux phases interglaciaires, car l’Asie du Sud-Ouest est
alors dominée par un climat chaud et humide qui se traduit par des fortes moussons se déversant
sur les reliefs ; la chute des températures englace ainsi les hautes vallées. En période de moindre
pluviosité, l’air étant trop sec, le volume d’eau glacée ne peut être maintenu, de sorte que le front
des langues glacières recule.
Une phase d’extension s’est produite au Pléistocène supérieur entre 60 000 et 30 000 ans, puis
au stade isotopique 2, entre 24 000 et 11 000 ans. On peut donc supposer qu’entre 30 et 24 ka, la
faune était davantage représentative d’un environnement clément et qu’il n’était pas difficile pour
les tribus de chasseurs-cueilleurs vivant sur les piémonts de communiquer par les cols des hautes
vallées et de se déplacer entre les réseaux hydrographiques des bassins supérieurs de l’Indus et de
l’Amu Daria. Il se produisit une dernière extension des glaciers dès le début de l’Holocène, vers
9000 ans BP, achevée vers 5500 ans BP. Les études ont montré qu’une baisse brutale de
température survenue vers 8400 à 8000 ans BP en serait la cause, suivie d’une augmentation des
précipitations hivernales entre 7000 à 5500 ans BP.
Un asynchronisme s’observe donc entre les périodes interglaciaires continentales et
l’englacement des hautes vallées. Ces asynchronismes constituent des conditions d’isolement
rapide et durable pour les populations humaines comme pour les espèces animales et végétales,
qui contribuent à la compréhension de leur évolution biologique et comportementale. Or dès le
Mésolithique, un petit nombre d’entre elles occupaient déjà les hautes vallées ainsi que les hauts
plateaux du Pamir, laissant des sols d’occupation caractéristiques d’une tradition de chasseurscueilleurs se rapportant au Mode 1 qui se suit jusqu’à l’arrivée de pasteurs-nomades de l’âge du
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bronze. Cet isolat géographique coïncide avec la dernière période glaciaire identifiée entre 8400
et 5500 ans BP. Ces asynchronismes climatiques furent très probablement à l’origine de la
raréfaction de la circulation entre les hauts plateaux, les hautes vallées et les piémonts, ils
favorisèrent les isolements génétiques des populations préhistoriques adaptées aux conditions de
vie en altitude. Leur origine et leur évolution biologique restent à découvrir car les restes humains
sont rares, quatre squelettes d’adultes et d’enfants découverts au Tadjikistan sur le site
montagnard de Tutkaul permettent d’en connaître véritablement l’identité.
2. Les premiers peuplements de l’Asie centrale et de la Haute Asie montagneuses
Les traces d’occupation humaine en altitude datées du Pléistocène sont très rares. Certains
sites pamiriens dans la région de Murghab et de Karasu sont associés à des formations
pléistocènes (Ranov et Sidorovo, 1979) ; elles sont également attestées dans le Tien Shan à
2000 m par quelques industries sur galets découvertes en contexte géologique (On Archa,
Kirghizstan). Ces artéfacts forment un assemblage rapporté au Paléolithique inférieur composé
de galets aménagés, d’éclats et de très rares bifaces (de longs galets sont parfois considérés
comme des nucléus bifaciaux de grande taille avec une surface corticale).
Ce type d’assemblage s’observe également au Kazakhstan, à Borykazgan au pied des collines
de Karatau (Little Karatau). Cette industrie peu différenciée, des chopper-chopping tools, flaketools, amorphous cores (Gupta, 1979), est considérée comme la plus ancienne d’Asie centrale,
datée entre 900 et 800 ka (Ranov, 1989).
Les découvertes favorables à un peuplement humain perceptible dès la fin du Pliocène se
situent dans le Potwar, le « coin » au nord-ouest de la péninsule indienne où les deux plaques
indiennes et eurasiennes s’affrontent le plus activement depuis 50 millions d’années (Fig. 2). La
rareté des sites pléistocènes en Haute Asie montagneuse ne signifie donc pas une absence de
peuplement au Pléistocène inférieur ; cette dynamique a certainement été très lente, les traces
d’occupation ont aussi bien pu disparaître sous l’effet de la double érosion due à la surrection des
chaînes et aux langues glaciaires. Au début du Pléistocène, les piémonts himalayens formaient
des collines de faible altitude (500 m) ; en deux millions d’années, les paysages, les reliefs et la
faune se sont considérablement modifiés. La surrection himalayenne a non seulement surélevé
les piémonts, elle a également provoqué la formation des plaines colluviales sur de très grandes
surfaces, recouvrant les prairies et les mares et provoquant ainsi l’extinction ou la migration de
nombreux troupeaux (Gaur, 1987). Ainsi, les voies de pénétration du sous-continent indien vers
la Haute Asie ou la Chine occidentale étaient moins accidentées qu’à la fin du Pléistocène. À la
suite de l’orogenèse, les piémonts de l’Asie centrale se couvrent de lœss au Tien Shan ainsi que
dans les dépressions du Ferghana et de l’Amu Daria, au sud de l’Hindou Kouch et du Cachemire
bordés par le plateau du Potwar (Dodonov, 1991).
Les plus anciens artéfacts ont été découverts dans les ravinements de ces lœss, dès 1935, dans
les anciennes terrasses de la rivière Soan (actuel Pakistan) et plus récemment à Riwat, une
localité située au sud d’Islamabad où quelques éclats en quartzite ont été relevés en contexte
stratigraphique et datés de 1,9 Ma (Dennell et al., 1989 ; Rendell et al., 1987, 1989 ; Larick et
Ciochon, 1996). Jusqu’à cette découverte, les plus anciennes industries étaient constituées de
bifaces, d’une part, et des galets aménagés et éclats roulés, d’autre part, qualifiés de Soanien
(Gaillard et Mohapatra, 1988 ; Gaillard, 1995, 1996). Le Soanien est caractéristique des terrasses
fluviatiles de l’Inde du Nord-Ouest, qu’il s’agisse des piémonts ou de la grande plaine du Punjab.
Son origine est encore mal comprise d’autant que cette tradition s’est maintenue jusqu’à
l’Holocène (Dambricourt Malassé, 2008 ; Gaillard et al., en préparation), tandis que l’Acheuléen
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y est rare et n’a pas duré. Il n’est donc pas impossible que l’industrie sur galet soit la
plus ancienne comme l’attesteraient des artéfacts récoltés de l’autre côté de la frontière au
Pakistan.
Au nord de l’Hindou Kouch, les lœss ont formé les piémonts de la dépression Afghano-tadjike
où ceux-ci peuvent atteindre une puissance de deux cents mètres de hauteur. Les plus anciens
paléosols sont datés de deux millions d’années, mais les premières industries connues sont plus
tardives. Découvertes à Kouldoura, elles se suivent selon une succession de paléosols datés de
850–800 à 200 ka. Les artéfacts sont des galets aménagés majoritairement dans des roches
éruptives, les bifaces y sont absents (Ranov, 1993). Les industries du Pléistocène moyen
s’observent au site de Kouldoura, certaines d’entre elles sont la continuité du Paléolithique
inférieur comme à Karataou, daté de 250 ka, où certains éléments se rapprochent du Soanien,
montrant une grande ressemblance avec les artéfacts des régions lœssiques de la Chine.
« L’industrie de la culture de Karatau se caractérise par une technique de taille des galets (non
laminaires) et par une typologie propre aux cultures des galets en Asie centrale, en Chine du
Nord et en Asie du Sud-Est » (Vinogradov et Ranov, 1988).
Les conclusions de Gupta (1979) se sont orientées vers une origine indienne en référence aux
artéfacts découverts sur les anciennes terrasses piémontaises de la Beas et la Sutlej situées dans
l’Himachal Pradesh (nord-ouest de l’Inde) : « It is probable that the Soan culture, originating in
the Beas-Sutlej basin moved westward in the Soan Region, crossed the Himalaya and then
reached the Pamir-Alai system of mountains at a very early stage, somewhere during the uppermost Middle Pleistocene period ».
Cette hypothèse peut se défendre, compte tenu de l’ancienneté de la présence humaine dans
le bassin supérieur de l’Indus et à la condition de conserver le paradigme des origines
africaines de la lignée humaine, alors que de nouveaux éléments l’ont fragilisé depuis la
découverte des quatre crânes de Dmanissi datés de 1,77 Ma définis comme Homo georgicus,
anatomiquement proches d’Homo ergaster (de Lumley et al., 2004). Toutefois, l’ensemble des
fossiles illustrant la plus vieille espèce du genre Homo montre une telle dispersion
géographique entre l’Asie du Sud (Modjokerto), l’Afrique de l’Est et l’Eurasie, alliée à une
telle diversité anatomique d’un même patron craniofacial (Spoor et al., 2007), qu’il est devenu
nécessaire de repousser l’âge géologique de l’apparition de la lignée humaine à 3 Ma (Boëda,
2005). La très grande ancienneté du genre est confortée par celle d’artéfacts récoltés au nord du
Rift israélien à Yiron avec quelques éclats plus vieux de 2,4 Ma, ainsi qu’en France à SaintElbe avec une industrie datée entre 2,4 et 2,2 Ma, de même qu’en Afrique, dans la vallée de
l’Omo (2,5 Ma) et à Kada Gona et Ounda Gona (2,6–2,5 Ma). Pour autant, il conviendrait de se
faire une représentation des origines de l’homme cohérente avec ses origines animales, dans le
sens où les premières populations adoptaient le mode de vie des grands anthropoïdes ;
l’invention de la taille des galets pour la production d’éclats a, de notre point de vue, été plus
tardive que l’émergence biologique du genre Homo. La recherche des plus vieux fossiles
humains peut se fonder sur d’autres arguments, comme la compréhension des processus à
l’origine de leur émergence.
En Asie orientale, la présence humaine s’observerait en Chine vers 2 à 2,4 Ma selon l’étude
d’une faune associée à de l’industrie lithique découverte dans la grotte de Renzidong, pour
laquelle un quart des restes appartient à des espèces pliocènes (Jin et al., 2000 ; Huang et Zhang,
2007). Plusieurs localités du bassin lœssique de Nihewan ont également livré des sols
d’occupation humaine dont la plus ancienne date de 1,6 Ma (Zhu et al., 2004). À ces sites s’ajoute
la grotte de Longgupo (Wanpo et al., 1995) si les âges de 1,4 à 1,8 Ma se confirment pour les
artéfacts et la faune (Boëda, 2005). Un fragment de corps mandibulaire gauche comprenant une
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prémolaire et deux molaires avait été attribué à un hominien, mais il s’est avéré appartenir à une
espèce de grand anthropoïde asiatique proche de Lufengpithecus, tandis qu’une incisive serait
celle d’un homme moderne (Etler et Guoxing, 1998 ; Etler et al., 2001 ; Wu, 2002).
L’origine du peuplement de l’Asie centrale peut donc aussi bien provenir du sous-continent
indien par le sud, que de l’Asie orientale, selon que la lignée humaine se sera dégagée des espèces
de grands anthropoïdes africains ou asiatiques. En effet, le modèle d’une parenté avec les
Australopithécinés n’a jamais véritablement emporté le consensus depuis les expertises du
paléontologue Pierre Teilhard de Chardin pour le compte de la Wenner-Gren Foundation. Cette
dichotomie est confortée par l’étude du squelette podal (Deloison, 2004) et soutenue, par ailleurs,
par la découverte du type des mutations génétiques à l’origine des deux lignées. Dans les deux
cas, elles affectent les mêmes gènes précoces du développement embryonnaire commun aux
espèces asiatiques et africaines de grands anthropoïdes, sans lien causal avec une adaptation
nécessaire à l’extension de la savane (Dambricourt Malassé, 1988, 2006 ; Dambricourt Malassé
et al., 1998 ; Chaline et al., 1996, 1999, 2000).
Le bassin de l’Indus, voire celui du Gange qu’il rejoint à proximité de Chandigarh, sera vu
différemment selon l’une ou l’autre des hypothèses, celle d’une origine africaine, ou celle d’une
parenté avec les grands anthropoïdes miocènes découverts dans les piémonts himalayens et les
karts de la province du Yunnan en Chine. Dans tous les cas de figure, ces grands réseaux
hydrographiques sont des voies de communication entre la Haute Asie, l’Asie du Sud et du SudEst et la plaque continentale arabo-africaine. Les eaux glaciaires himalayennes qui alimentent
l’Indus se jettent dans l’océan Indien sans qu’aucune barrière naturelle ne vienne dévier leurs
cours, à l’exception de la Sutlej (Himachal Pradesh) suite à la récente formation d’une petite
chaîne frontale dans la grande plaine du Punjab. Le delta de l’Indus, géographiquement proche du
littoral de la péninsule arabique, constitue ainsi la plus ancienne voie de communication entre
l’Asie continentale et la corne africaine.
Si les populations porteuses de la tradition soanienne ont migré vers l’Asie centrale
montagneuse au début du Pléistocène inférieur, et si aucune civilisation véritablement
acheuléenne ne s’y observe avant le Pléistocène moyen, le Soanien au sens large (Mode 1, quelle
que soit la taille des galets et des éclats) peut être considéré comme la plus ancienne technologie
lithique parvenue aux piémonts de l’Hindou Kouch et de l’Himalaya. Sa pérennisation dans
l’Inde du Nord-Ouest ainsi qu’en Asie centrale montagneuse, résulterait alors de l’implantation
des populations adaptées à ces biotopes montagneux et leurs périphéries immédiates. Les
populations héritières de la tradition acheuléenne, provenant du sous-continent, seraient
parvenues jusqu’aux piémonts sans que l’on sache encore expliquer l’origine de leur disparition,
alors que le Soanien semble perdurer jusqu’à l’Holocène (Dambricourt Malassé, 2007 ; Gaillard
et Dambricourt Malassé, 2008 ; Gaillard et al., en préparation).
3. Les données paléoanthropologiques dans leur contexte archéologique
Les plus anciens fossiles humains connus en Asie centrale ont été découverts au Kirghizstan
dans la grotte de Sel’-Ungur (Ferghana), située à 2000 m d’altitude dans la vallée de Sokh (Davis et
Ranov, 1999). Ces restes sont constitués des dents et de quelques éléments du squelette postcrânien
attribués à Homo erectus (Islamov, 1990), associés aux premières industries acheuléennes
clairement identifiées. Le site daterait de 650 à 600 ka. L’Acheuléen apparaît également à
Yangadazha et Koulboulak dans la région de Tachkent. De l’avis des préhistoriens, ces assemblages
correspondent à une migration depuis les régions du sud de la mer Caspienne (Iran). L’origine
phylétique de ces fossiles humains serait donc à rechercher vers le Proche-Orient.
Pour citer cet article : Dambricourt Malassé, A., Le peuplement humain en Eurasie : l’Asie centrale
montagneuse et les piémonts sous-himalayens du Plio-Pléistocène à l’Holocène, origines, évolution
humaine et migrations, L’Anthropologie (2008), doi:10.1016/j.anthro.2008.04.008
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Les fossiles humains deviennent plus fréquents à partir du Pléistocène supérieur. En
Ouzbékistan, un fragment d’épiphyse fémorale a été découvert dans la grotte d’Aman Kutan (sud
de la région de Samarcande) en association avec une industrie moustérienne datée de 100 à 40 ka
(Ranov et al., 1979). Il s’agirait d’un Néandertalien. Mais c’est surtout le site de Teshik Tash qui a
livré le plus de données paléoanthropologiques avec le crâne complet et quelques éléments du
squelette postcrânien d’un adolescent néandertalien. La datation reste cependant imprécise. Les
espèces animales et la végétation trouvées en association dans le sol d’habitat sont récentes et
s’observent encore dans l’environnement immédiat de la grotte et à la même altitude : cheval,
daim, ours, léopard, ainsi que différentes espèces de rongeurs et d’oiseaux. Les préhistoriens ont
conclu que le site était encore occupé à la phase la plus tardive du Pléistocène supérieur : « It may
suggest that the Middle Palaeolithic people lived here during the interpluvial or interglacial
times of the last few stages of the Pleistocene period » (Gupta, 1979). La disparition des dernières
populations néandertaliennes eurasiennes serait bien plus tardive en Asie qu’en Europe et au
Proche-Orient, à l’instar des dernières lignées asiatiques non sapiens représentées par les fossiles
d’Homo floresiensis en Asie du Sud-Est.
Des restes humains fossiles ont été découverts plus récemment dans la grotte Obi-Rahmat au
nord-est de Tachkent, ainsi que dans la grotte d’Anghilak (Glantz et al., 2003). Les fossiles
d’Obi-Rahmat, datés entre 90 et 40 ka, correspondent à un minimum de deux enfants attribuables
à Homo sapiens. Le faciès de l’industrie lithique fait l’objet de discussion, son appartenance au
groupe Levallois-Moustérien ne serait pas probante, il pourrait s’agir d’un faciès MoustérienSoanien, d’origine locale en continuité avec les populations du Paléolithique moyen (Gupta,
1979). Le faciès soanien dit aussi « asiatique » s’observe au site de Kara Bura.
Le Paléolithique supérieur est rare en Asie centrale (Vishnyatsky, 1999), deux sites de plein air
sont connus en deux localités majeures, au Tadjikistan avec le site de Shugnou à 2000 m
d’altitude sur une ancienne terrasse de la rivière Iakhsou dans la région de Khovaling et en
Ouzbekistan à Samarcande. Les sols d’occupation humaine de Shugnou s’étagent entre 20 et
10,7 ka, l’industrie correspondrait à une évolution locale du Moustérien marquée par l’apparition
du débitage laminaire. En revanche, l’industrie lithique de Samarcande, qui se situerait entre
15 ka et un maximum de 20 ka (Gupta, 1979), a conservé la tradition du galet aménagé (Mode 1)
qui se retrouve en Sibérie, en Mongolie et Inde du Nord-Ouest. Ces deux localités n’ont pas livré
de fossiles humains.
En revanche, en Afghanistan, sur les versants nord de l’Hindou Kouch qui bordent la
dépression Afghano-tadjike au Badakhshan, la grotte de Darri-i-kur, proche du village de Baba
Darwesh, a livré une industrie moustérienne ainsi qu’un fragment de temporal comprenant le
rocher. Celui-ci est daté entre 50 et 30 ka et correspond à un Homo sapiens caractérisé par une
hypertrophie vasculaire significative d’une adaptation à la vie en altitude (Angel, 1972 ; Gaillard
et Dambricourt Malassé, 2008).
Dès le début de l’Holocène, les sites se multiplient en haute altitude et perdurent jusqu’à
l’apparition des populations porteuses de l’âge du bronze. Le Mésolithique et le Néolithique ont
été particulièrement étudiés dans les hauts plateaux du Pamir, ainsi que dans la chaîne de Gissar
(versant nord du bassin supérieur de l’Amu Daria) où depuis les premières recherches engagées
dans les années 1960, 300 sites ont été répertoriés entre 800 et 1700 m d’altitude. Il en ressort une
unité historique et culturelle étroitement liée au contexte géomorphologique, basée sur la
conservation de la tradition du galet aménagé (Mode 1).
Au Pamir, parmi les sites les mieux étudiés, figure Osh Khona (Markansou) découvert dans
une dépression des hauts plateaux à 4200 m d’altitude, proche de la limite frontalière avec le
Kirghizstan. L’occupation humaine y est observée depuis 9500 ans BP pendant deux millénaires
Pour citer cet article : Dambricourt Malassé, A., Le peuplement humain en Eurasie : l’Asie centrale
montagneuse et les piémonts sous-himalayens du Plio-Pléistocène à l’Holocène, origines, évolution
humaine et migrations, L’Anthropologie (2008), doi:10.1016/j.anthro.2008.04.008
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mais de façon discontinue. Il n’apparaît aucune trace d’agriculture, ni trace probante de
domestication, la mauvaise conservation des restes des capridés, au milieu d’une faune sauvage,
n’autorise pas la détermination précise des espèces (Ranov et Sidorovo, 1979).
Dans la chaîne de Gissar qui prolonge le Pamir au nord de l’Amu Daria (Fig. 2), la localité
tadjike de Tutkaul située à près de 2000 m fut occupée, elle aussi, depuis la période mésolithique
et se développa pendant toute la période néolithique, en quatre sites différents. Le second horizon
daté entre 10 020 ! 170 ans BP et 9100 ! 140 ans BP a livré quatre squelettes d’Homo sapiens
comprenant deux adultes et deux enfants (Kiyatkina et Ranov, 1971). Un crâne néolithique est
également connu dans le premier horizon du site Sai-Saied.
Enfin, de nouveau à Darra-i-Kur, sur les reliefs bordant le sud de la dépression occupée par
l’Amu Daria, un horizon plus tardif, daté de 4000 ans BP a livré trois sépultures de chèvres
domestiques, dont une contenant des fragments de deux ou trois crânes d’enfant, l’industrie
rapportée à cet horizon reste proche des traditions sibériennes ou du nord-ouest de l’Inde.
Les deux localités d’Osh Khona (Markansou) et de Tutkaul illustrent un ensemble de sites
caractéristiques d’une économie de prédation et de cueillette où n’apparaissent ni poterie, ni
aucun type d’industrie témoignant d’un abandon de la chasse. On constate au contraire une
production intensive d’éclats à partir des galets aménagés trouvés le plus souvent à l’état
d’ébauche. Le support des industries de la période néolithique de Gissar est très varié : pierres
siliceuses à gros grain, roches magmatiques, blocs de calcaire siliceux, schistes, silex mais de
mauvaise qualité. Les sites sont proches d’affleurements d’anciennes alluvions et ont été choisis
en fonction de l’approvisionnement, le but étant une production importante d’éclats. En effet,
tous ne sont pas retouchés à l’inverse des rares silex. De rares microlithes géométriques ont été
récoltés aux différents horizons de Tutkaul et ne permettent pas de conclure à un mode de vie
passé maître de la culture des graminées.
La faune et les assemblages lithiques montrent que les populations implantées dans les hautes
vallées et les hauts plateaux de l’Asie centrale étaient des chasseurs-cueilleurs et non des
agriculteurs ou des éleveurs. Le plus intéressant fut de constater l’originalité des industries
lithiques avec la fréquence élevée des galets taillés et des éclats de type Soanien et la pauvreté en
silex comme en débitage laminaire. Cette association est plus proche des industries du
Pléistocène inférieur de Mode 1 récoltées sur les terrasses du nord-ouest du sous-continent indien
que de toute autre tradition plus récente (Acheuléen, Moustérien, Paléolithique supérieur
laminaire). L’origine culturelle et anthropologique de ces chasseurs-cueilleurs néolithiques reste
méconnue, la thèse défendue par Vadim Ranov est celle d’un enracinement géographique.
Les études comparatives ont naturellement pris en considération la possibilité d’influences
technologiques provoquées par l’arrivée de différents peuplements successifs (Masson, 1988 ;
Ranov et al., 1995) et elles se poursuivent (Brunet, 2002). Toutefois après 40 années de
recherche, Vadim Ranov et son école ont conclu qu’un Épipaléolithique autochtone s’est
maintenu jusqu’à l’âge du bronze, ce ne sont donc pas les Homo sapiens d’Europe et du ProcheOrient qui ont peuplé les hauts plateaux du Pamir et les versants nord de l’Hindou Kouch. Les
moyennes et hautes vallées du Tadjikistan correspondent aux limites de l’aire d’extension de
chasseurs-cueilleurs adaptés aux milieux montagnards, que ce soient les vallées étroites et
encaissées couvertes de forêts giboyeuses, les hauts plateaux ou leurs piémonts.
Ces populations forment ce que Ranov a choisi d’appeler les « civilisations de Gissar »
(Guissar ou encore Hissar) et de Markansou : « Dans l’ensemble, la technique qui domine au
Pamir est proche de celle des industries à galets aménagés, analogues à la Civilisation de
Guissar » (Ranov, 1972). Il les considère comme des implantations des tribus d’origine asiatique,
se déplaçant aussi bien dans les piémonts himalayens que dans les hautes vallées du Tien Shan et
Pour citer cet article : Dambricourt Malassé, A., Le peuplement humain en Eurasie : l’Asie centrale
montagneuse et les piémonts sous-himalayens du Plio-Pléistocène à l’Holocène, origines, évolution
humaine et migrations, L’Anthropologie (2008), doi:10.1016/j.anthro.2008.04.008
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de l’Alaï, voire dans l’Altaï et la Mongolie (Gupta, 1979). Il conclut ainsi : « La ressemblance
entre les civilisations de Karataou et Hissar est fondée sur le large développement de la taille du
galet, et le caractère identique des outils en galets (choppers, choppings), de la typologie instable
des nucléi, et des outils. Il existe des données qui permettent d’affirmer que l’industrie du galet ne
disparaît même pas au Paléolithique moyen ni au Mésolithique, existant soit comme partie
intégrale des nouvelles cultures à industries lamellaires, soit indépendamment, comme ligne
parallèle de développement (. . .). En partant des dernières découvertes d’industries sur galets du
Paléolithique inférieur au Tadjikistan (Karatoau, Lakhouti I), on peut parler de ses origines
autochtones locales » (Ranov, 1972).
L’origine des chasseurs-cueilleurs de Markansou, de Gissar et en particulier ceux de Tutkaul
connus par les quatre squelettes, ainsi que les motifs de leur implantation à des altitudes aussi
élevées, constituent l’une des questions les plus intéressantes du peuplement humain d’Asie
centrale. De mêmes, les causes de leur disparition du Pamir et des chaînes de Gissar demeurent
non résolues (Amosova et al., 1993). Si la néolithisation le long des oasis de l’Amu Daria apporte
quelques explications à des traces d’influence locales, l’implantation de petites exploitations ne
semble pas avoir dépassé les moyennes vallées. Aujourd’hui encore, ce sont des familles de
pasteurs pratiquant la transhumance qui se rencontrent dans ces hauts massifs ; l’explication est
donc ailleurs. Quand on compare l’actuelle désertification des hauts plateaux en lieu et place du
site de Markansou, c’est d’avantage vers un brutal déséquilibre écologique que se trouveront des
éléments de réponse, lié aux fluctuations glaciaires holocènes.
L’âge du bronze marque une nouvelle phase de pénétration facilitée par la régression des
glaciers, mais il est peu probable que dans une telle immensité l’arrivée de quelques nouvelles tribus
de pasteurs-nomades, comme les Sakas en provenance de la Haute Asie, ait provoqué l’abandon des
habitations de chasseurs-cueilleurs. Il est plus vraisemblable de considérer les effets du
réchauffement climatique modifiant non seulement la géographie des paysages, mais aussi
l’étagement des niches écologiques. Les espaces giboyeux, comme les forêts primaires qui couvrent
encore les pentes raides du Chitral, gagnent les massifs de l’Hindou Kouch et de l’Himalaya, tandis
que la plaine de l’Amu Daria devient l’une des zones les plus désertiques de l’Asie centrale. Les
populations ont donc très probablement migré vers le sud du Pamir, à partir de 5500 ans BP,
notamment vers la vallée de la Yarkhun ; l’occupation des sites épipaléolithiques et néolithiques par
des populations de l’âge du bronze peut dès lors aussi bien refléter des convergences de choix
d’implantation (exposition, proximité de cours d’eau), ces localités étant abandonnées. La
perspective de découvrir des haltes de chasse ou des sites contemporains du Chalcolithique, voire de
l’âge du bronze, dans la vallée de Chitral et de la Yarkhun, était donc fondée.
Les hautes vallées de Gissar ainsi que les hauts plateaux du Pamir ont été peuplés par les
derniers chasseurs-cueilleurs montagnards épipaléolithiques/néolithiques de l’Asie centrale.
L’originalité de ces populations tient à la parenté asiatique de leur technique de débitage qui se
rapproche des industries lithiques tardives de Chine, de Sibérie, mais aussi de Birmanie et de
Thaïlande. Leur origine semble provenir du Soanien découvert en bordure sud de l’Hindou
Kouch et de l’extrémité occidentale de la chaîne himalayenne. Rapporté au Pléistocène inférieur
et moyen, le Soanien est probablement hérité des plus anciennes techniques de débitage apparues
en Inde vers deux millions d’années et visibles, elles aussi, en bordure sud de l’Hindou Kouch.
4. La problématique des paléopeuplements
Les tribus de chasseurs-cueilleurs de Gissar et Markansou constituent un thème de recherche
paléoanthropologique inexploré. Si la pérennisation d’une technique de débitage remontant au
Pour citer cet article : Dambricourt Malassé, A., Le peuplement humain en Eurasie : l’Asie centrale
montagneuse et les piémonts sous-himalayens du Plio-Pléistocène à l’Holocène, origines, évolution
humaine et migrations, L’Anthropologie (2008), doi:10.1016/j.anthro.2008.04.008
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Paléolithique inférieur indien interpelle les préhistoriens, c’est en raison d’une problématique
paléoanthropologique qui concerne leur origine géographique, d’une part, et l’origine
phylogénétique de leurs ancêtres, d’autre part.
L’Hindou Kouch n’est pas une réelle barrière naturelle, ses massifs n’ont plutôt jamais été
favorables au développement de l’agriculture sinon dans ses fonds de vallées qui forment
d’authentiques oasis, tandis que les pentes d’une importante déclivité permettent essentiellement
le pâturage. En revanche, les forêts primaires à plus de 3000 m d’altitude sont giboyeuses et ont
aussi bien pu attirer les chasseurs-cueilleurs en période interglaciaire, qu’ils proviennent des
piémonts sud de l’Hindou Kouch dès le Pléistocène inférieur, ou du Pamir depuis le
réchauffement de l’Holocène. La recherche des origines des chasseurs de Markansou et de Gissar
en relation avec des Homo sapiens de l’Inde du Nord-Ouest rejoint ainsi les conclusions de
Ranov et de Gupta : « In the Himalayan foothills, the Siwaliks formations, traversed by the Indus
system, from Peshawar valley in Pakistan to the Kangra Valley in India, formed the original
habitat of the Palaeolithic men in northern India. Located in the low range of the Pamir-Alaï
system (the Gissar, Baba Tag (. . .) traversed by the Amu and Syr and their tributaries) the region
from southern Kazakhstan to Tajikistan formed the original habitat of Palaeolithic men of
Central Asia. Geographically, these two areas are contiguous (. . .). We are now in a position to
visualize not only a parallel and similar development of the Palaeolithic cultures in India and
Soviet Central Asia, but also their occasional contacts » (Gupta, 1979).
Observer ces contacts consistait à organiser des campagnes de prospection dans l’une des
régions de l’Hindou Kouch les plus difficiles d’accès, ainsi que dans les piémonts himalayens de
l’Himachal Pradesh et les anciennes terrasses des puissantes rivières himalayennes comme la
Sutlej (Dambricourt Malassé, 2008). Les missions du laboratoire de Préhistoire du Muséum
national d’histoire naturelle seront ainsi les premières à s’engager dans l’étude du peuplement
humain aux limites du Pamir et de l’Hindou Kouch en remontant le cours supérieur des rivières
dont les eaux glaciaires rejoignent celles de l’Indus (Fig. 2).
5. La mission Hindou Kouch 1996 et 1997
Deux premières missions financées par le ministère des Affaires étrangères se sont déroulées
en 1996 et 1997 dans le district de Chitral. Ces régions particulièrement sauvages sont
accessibles par des sentiers de chèvres. L’un des objectifs étant la découverte des restes humains
en contexte archéologique, la mission consista dans un premier temps à prospecter dans les
massifs calcaires du sud du district de Chitral, à hauteur de quelques grottes ou abris (Fig. 3), dans
une vallée adjacente à la Yarkhun, la Chitral Gol (Gaillard et al., 2002 ; Gaillard et Dambricourt
Malassé, 2002, 2008).
Ces grottes sont particulièrement difficiles d’accès, compte tenu de la déclivité des pentes, la
découverte d’un sol archéologique aurait nécessité une infrastructure adaptée, toutefois la plus
importante d’entre elles fut sondée en raison de l’importance de son remplissage. Il s’agit d’une
vaste caverne, dont l’accès est protégé par une haute paroi. Le sondage permit de constater la
présence des foyers associés à de la poterie datant des périodes historiques. Il est fort probable
que le remplissage contienne également des niveaux mésolithiques ou épipaléolithiques, car
quelques outils sur galets en calcaire tendre ont été collectés aux alentours de la grotte. Dans un
second temps, les prospections se sont concentrées au nord du district de Chitral sur les anciennes
terrasses de la Yarkhun en limite des frontières afghanes et chinoises (Figs. 2 et 4).
Plusieurs assemblages de galets aménagés relativement en place furent découverts à 3400 m
d’altitude sur un ancien lit de la rivière, notamment au lieu-dit Zesht-Zo-Goush et Lasht Salvalior
Pour citer cet article : Dambricourt Malassé, A., Le peuplement humain en Eurasie : l’Asie centrale
montagneuse et les piémonts sous-himalayens du Plio-Pléistocène à l’Holocène, origines, évolution
humaine et migrations, L’Anthropologie (2008), doi:10.1016/j.anthro.2008.04.008
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Fig. 3. Massif calcaire de Chitral Gol, grande infractuosité rocheuse visible de loin avec une très forte déclivité (cliché A.
Dambricourt Malassé).
Fig. 3. The large Cave of Chitral Gol (picture A. Dambricourt Malassé).
(Fig. 5). Au total quatre sites ont été repérés. La mission de 1997 poursuivit les prospections à des
altitudes plus élevées jusqu’à la pass de Boroghol qui permet la communication entre la Yarkhun
et le cours supérieur de l’Amu Daria. Quelques artéfacts allochtones ont été récoltés à proximité
d’une mare saisonnière et du col ; ils attestent d’un apport exogène incontestable. Les deux
missions totalisent six sites répartis le long d’anciennes terrasses de la Yarkhun et de colluvions.
Fig. 4. La Yarkhun et le Pamir en arrière plan (cliché A. Dambricourt Malassé).
Fig. 4. Yarkhun River and in background, the Pamir mountains (picture A. Dambricourt Malassé).
Pour citer cet article : Dambricourt Malassé, A., Le peuplement humain en Eurasie : l’Asie centrale
montagneuse et les piémonts sous-himalayens du Plio-Pléistocène à l’Holocène, origines, évolution
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Fig. 5. Industrie de Lasht Savalior – mission 1996 (cliché A. Dambricourt Malassé).
Fig. 5. Lasht Savalior artefacts – expedition 1996 (picture A. Dambricourt Malassé).
Les localités de Lasht Savalior et Zesht-Zo-Gousht sont les plus riches. Le site de Lasht
semble correspondre à une halte de chasse établie sur une ancienne terrasse à 400 m du cours
actuel de la Yarkhun et à une quinzaine de mètres au dessus du niveau de la rivière. La terrasse est
formée des galets roulés de grande taille, notamment de blocs de gneiss. Les artéfacts sont
dispersés sur une surface d’environ 150 m2, fabriqués dans un même type de roche dure
métamorphique, l’amphibolite. La typologie des outils se rapproche des artéfacts découverts
dans le Cachemire et correspond à des galets choisis pour leur forme, souvent triangulaire et
plane, avec un aménagement des bords. Ce sont des choppers. Les éclats sont rares mais cette
absence peut s’expliquer par l’enfouissement des pièces plus petites.
Une datation indirecte est possible. Les parois rocheuses et les gros blocs des hautes vallées
sont patinés d’un brun très sombre que l’on retrouve sous forme de gros blocs roulés dans une des
terrasses de la Yarkhun. Cette patine est caractéristique de la dernière phase glaciaire pléistocène.
Le démantèlement des blocs patinés remonte à une activation de l’érosion qui entraîna un
surcreusement du lit de la Yarkun et la formation de nouvelles terrasses constituées en majorité de
ces blocs sombres, elles sont datées de 8000 ans BP. Une nouvelle phase est identifiée vers 5000
ans BP avec la formation de nouvelles terrasses. Les industries lithiques se trouvent en surface sur
les terrasses les plus récentes, elles ne seraient donc pas plus anciennes que 5000 ans BP, un âge
plus jeune que celui des sites du Pamir et de Gissar.
Les deux missions ont donné des résultats concluants, la lacune des connaissances entre
les deux grands réseaux hydrographiques de l’Amu Daria et de l’Indus est donc comblée
par la découverte d’un type d’industrie lithique caractéristique des hautes vallées
himalayennes (Cachemire). Les sites de la Yarkun attestent de la présence des tribus de
chasseurs-cueilleurs à l’âge Chalcolithique, alors que ceux-ci ont disparu de Gissar et du
Pamir. Ces sols d’occupation confirment la possibilité d’un déplacement des chasseurs de la
civilisation de Markansou vers les vallées du sud de l’Hindou Kouch, très probablement à
partir de 5500 ans BP après l’épisode glaciaire qui caractérise l’Holocène de l’Asie centrale
montagneuse.
Pour citer cet article : Dambricourt Malassé, A., Le peuplement humain en Eurasie : l’Asie centrale
montagneuse et les piémonts sous-himalayens du Plio-Pléistocène à l’Holocène, origines, évolution
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6. La mission « Siwaliks », Inde du Nord-Ouest
6.1. Le contexte historique
La première expédition engagée dans le Cachemire, le Potwar et les Siwaliks date de 1935.
Dirigée par le géologue allemand Helmut de Terra pour le compte de la « Yale Cambridge India
Expedition », l’équipe comprenait le géologue et paléontologue français Pierre Teilhard de
Chardin, conseiller de la « Geological Survey of China » et un jeune archéologue Thomas
Thomson Paterson (de Terra et al., 1934, 1936 ; Teilhard de Chardin, 1935 ; de Terra et Teilhard
de Chardin, 1936 ; de Terra et Paterson, 1939). Les géologues prospecteront le Cachemire puis le
Potwar où ils découvriront le Soanien. Descendant la plaine fluviale de l’Indus, ils gagnent le
Baluchistan récoltant différentes espèces fossiles, puis prospectent la vallée de la Narmada où
Teilhard repère les premiers artéfacts et s’attend à trouver des fossiles humains, avant de
poursuivre leur prospection jusqu’à Madras. Ils réunissent ainsi de nombreux artéfacts et relèvent
plusieurs coupes stratigraphiques qui permirent de dresser un premier aperçu des origines du
peuplement humain sur le sous-continent indien.
Les prospections les plus prometteuses débutent dans la Salt Range (actuel Pakistan), des
collines formant la bordure occidentale du Potwar, faisant face à la grande plaine alluviale de la
Jhelum laquelle se prolonge vers le Punjab indien (Fig. 6). Les premiers artéfacts sont prélevés
dans des colluvions, ou d’anciennes terrasses de la Soan (Sohan) qui donnera son nom à ce faciès.
Une trentaine de pièces en quartzite roulé évoquent le « chelléen » découvert antérieurement à
Madras (sud-est de l’Inde), en même temps que des « galets appointés, non roulés, la Sohan
Industry. Ma conviction s’affirme que les gens de la Sohan Industry se sont installés sur des
graviers contenant déjà les bifaces (peut-être déjà roulés) » (Teilhard de Chardin, 1935). Les
Fig. 6. Localisation des sites paléolithiques dans le nord-ouest du sous-continent indien : 1 : rivière Soan (plateau du
Potwar) ; 2 : Pabbi Hills ; 3 : Frontal Range et Hoshiarpur ; 4 : Bilaspur (piémonts himalayens) ; 5 : Ropar (cité
harappéenne) ; 6 : Jandhian, placés sur la carte de Sankalia (1974).
Fig. 6. Localisation of palaeolithic sites in the north-western Indian Peninsule: 1: Sohan River (Potwar Plateau); 2: Pabbi
Hills; 3: Frontal Range and Hoshiarpur; 4: Bilsapur (Himalayan Piedmonts); 5: Ropar (harappan city); 6: Jandhian
(original map in Sankalia, 1974).
Pour citer cet article : Dambricourt Malassé, A., Le peuplement humain en Eurasie : l’Asie centrale
montagneuse et les piémonts sous-himalayens du Plio-Pléistocène à l’Holocène, origines, évolution
humaine et migrations, L’Anthropologie (2008), doi:10.1016/j.anthro.2008.04.008
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relevés des coupes stratigraphiques et la patine des bifaces permettent au préhistorien d’envisager
la présence de deux traditions distinctes, l’Acheuléen et le Soanien, mais dans un ordre
chronologique inverse de celui attendu : « l’existence d’une industrie plus ancienne (biface) se
confirme. Les pièces se trouvent sensiblement à la même place que la Sohan Industry mais jamais
dans la base des limons eux-mêmes, uniquement dans le gravier de base, et elles sont d’ordinaire,
très roulées » (Teilhard de Chardin, 1935). Dès lors, la problématique du peuplement humain
subhimalayen est posée.
Explorant la Chine, l’Inde, la Birmanie et l’Indonésie, mais aussi l’Afrique de l’Est, Pierre
Teilhard de Chardin est alors le paléontologue de loin le plus expérimenté parmi les préhistoriens
de la première moitié du XXe siècle (Dambricourt Malassé, 2004). Cette expérience lui permettra
de développer une synthèse sur les origines de l’homme dans une vaste perspective
intercontinentale et pluridisciplinaire. En tant que paléontologue de terrain, spécialiste de
l’évolution des mammifères, il adoptera pour les origines de l’homme les méthodes de la
paléontologie animale et de l’anatomie comparée. Il développera la notion de phylum,
distinguant, de cette façon, la diversification géographique – ou « buissonnement »
(Sinanthropus, Pithecanthropus) – de l’apparition du morphotype originel (le « verticille »
ou la « tige »), départ d’un nouveau buissonnement. Cette notion prendra toute son acuité dans les
années 1950 avec la découverte en Afrique du Sud des premiers australopithèques ; considérant
qu’ils formaient une lignée à part déjà bien différenciée et appliquant le principe d’une
dichotomie buissonnante, Teilhard de Chardin situera l’émergence de l’homme en amont de
Paranthropus robustus et d’Australopithecus africanus. Il repoussera l’apparition des deux
groupes zoologiques à un âge géologique bien plus ancien que le Pléistocène et localisera
géographiquement ce point d’émergence dans le nord de l’Afrique de l’Est, sur la base de
nouvelles industries lithiques. Ces déductions ont été confortées en raison des nombreuses
missions organisées en Afrique de l’Est ; en revanche, son interprétation de deux lignées
distinctes a donc rarement été suivie. Il n’est pas impossible qu’elle fut une appréciation correcte.
La découverte des artéfacts du Potwar présageait de la grande ancienneté de l’homme, la
datation des niveaux prospectés se précisera 40 ans plus tard lorsqu’en 1979, Ishtiaq Khan,
directeur général d’Archéologie et des Musées du gouvernement du Pakistan, reprend l’étude
géochronologique dans le cadre d’une coopération poursuivie avec l’université de Cambridge
(Allchin, 1995). Les séquences stratigraphiques suivaient jusqu’alors la distinction des quatre
glaciations européennes, sans prise en considération des phénomènes tectoniques liés à la
surrection de la chaîne himalayenne. La chronostratigraphie nécessita une réactualisation.
L’université de Peshawar, en coopération avec Robin Dennell de l’université Sheffield et
Helen Rendell, reprend ainsi l’étude du peuplement humain. Les nouvelles prospections de la
Soan Valley permettent de découvrir entre 1981 et 1985 les nouveaux artéfacts de Riwat, en deux
localités distinctes (Hurcombe, 2004). L’une est un sol daté de 1,9 Ma, la seconde de 45 ka, il
s’agit d’un assemblage de nucléus et d’éclats avec un remontage. La plus ancienne des deux
localités a livré un petit nombre d’éclats en quartzite typiquement anthropiques (enlèvements
corticaux et éclats retouchés) avec un éclat cortical en place. De 1986 à 1990, les recherches se
poursuivent sur l’autre rive de la Jelhum, dans les Pabbi Hills, un anticlinal de formations
continentales observables sur deux millions d’années (2,5–0,5 Ma) ; 40 000 fossiles seront
récoltés ainsi que 350 artéfacts dispersés en surface, correspondant à des nucléus et des éclats
(Hurcombe et Dennell, 1992). Une dernière mission est organisée en 1999 (Dennell et al., 2005,
2006).
Après le Potwar, les plus anciennes traces d’occupation humaine en Inde se rapportent à une
culture acheuléenne découverte à Isampur, dans l’État du Karnataka, où des restes fauniques ont
Pour citer cet article : Dambricourt Malassé, A., Le peuplement humain en Eurasie : l’Asie centrale
montagneuse et les piémonts sous-himalayens du Plio-Pléistocène à l’Holocène, origines, évolution
humaine et migrations, L’Anthropologie (2008), doi:10.1016/j.anthro.2008.04.008
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été datés d’environ un million d’années (Blackwell et al., 2001 ; Paddayya et al., 2002). Les
traces d’activités humaines, en revanche, demeurent inconnues sur les berges occidentales de la
vallée de l’Indus (Sankalia, 1974). Les recherches se concentrent alors sur les périodes
néolithiques et sur la phase de transition avec la civilisation de l’Indus (Harappa, Mohendjo
Daro), montrant quelle pouvait être l’étendue des peuplements protohistoriques de l’Indus. Les
piémonts tadjiks ont livré en effet les vestiges d’une colonie harappéenne à Shortugaï (Francfort
et Pottier, 1978). Depuis la fin du Pliocène, le peuplement humain n’a donc jamais cessé de suivre
ce cheminement naturel de l’Indus à l’Amu Daria.
La « Yale Cambridge Expedition » a donc permis de définir les grandes lignes du premier
peuplement humain connu sur le sous-continent indien. Suite à la partition entre l’Inde et le
Pakistan (1947–1948), les prospections s’intensifient dans le Punjab indien. La chronologie du
peuplement se révèle complexe en raison des multiples facteurs climatiques et tectoniques qui
ont transformé la topologie des paysages et bouleversé les repères chronostratigraphiques. Cette
chronologie s’observe sur la base d’une stratigraphie composée de conglomérats observés en
discordance sur les derniers niveaux du Pliocène, nommé Pinjore et Tatrot.
Dans le Potwar, le plus ancien conglomérat, ou boulder conglomerate, s’observe à partir de
deux millions d’années en discordance sur un synclinal dont les formations continentales datent
du Tertiaire et du Secondaire. Ce synclinal résulte de la collision du plateau continental indien
avec la plaque eurasienne. Ses formations sont particulièrement riches en espèces fossiles, les
plus anciennes, donc les plus profondes, se retrouvant émergées dans les piémonts himalayens.
C’est dans ce contexte géomorphologique qu’Helmut de Terra, Teilhard de Chardin et Peterson
traversant les Siwaliks depuis le Cachemire ont pu recueillir les fossiles de grands anthropoïdes
(Ramapithecus, Sivapithecus, 12–15 Ma).
Au cours du Quaternaire, les formations continentales de l’Inde péninsulaire ont continué de
subir des plissements de terrains, tandis que suite à une intensification de l’orogenèse,
d’importants dépôts de colluvions himalayennes ont commencé à recouvrir la pénéplaine,
formant des cônes de déjection qui marquent la fin du Siwalik Supérieur (Pléistocène supérieur).
Ces anciennes colluvions ont été plissées à leur tour au cours du Pléistocène final, voire au début
de l’Holocène, formant la petite chaîne frontale des Siwaliks.
La datation des localités archéologiques observées sur ces colluvions est établie sur la base de
la succession des terrasses de rivières himalayennes sectionnant les piémonts, la Beas et la
Banganga (Sankalia, 1974). Le Soanien apparaît en surface sur des colluvions du Pléistocène
inférieur et se retrouve sur des terrasses plus récentes. Les préhistoriens distinguent alors une
graduation dans les assemblages : le Early Soanian, formé de choppers de grandes tailles, roulés,
émoussés comme Graziosi (1964) en a récoltés dans la vallée de la Sohan en 1960, le Late
Soanian et l’Evolved Soanian. Il s’agit de choppers, de discoïdes, de racloirs, de nucléus et de
nombreux éclats, montrant une tendance générale à une réduction des proportions.
Un rappel des différentes étapes de la recherche préhistorique permet de mieux cerner les
unités de temps et d’espace de la problématique soanienne et de son évolution locale.
En 1953, l’Archaeological Survey of India organise de nouvelles prospections dans la vallée
de la Beas et de Banganga (Fig. 7) situées à l’est des Pabbi Hills (Krishnaswami, 1953), ces
formations fossilifères prospectées dans le cadre des récents programmes pakistanais. En 1954,
les recherches se déportent à l’est de la Beas et gagnent les terrasses d’un affluent de la puissante
rivière himalayenne Sutlej. Cet affluent (le dun Sohan à ne pas confondre avec la vallée Sohan du
Potwar) sépare les piémonts himalayens de la chaîne frontale des Siwaliks. En 1955 et 1956 les
prospections s’étendent davantage encore vers l’est, sur les terrasses d’un second affluent de la
Sutlej, le dun de Pinjore Nalagahr ou vallée de la Sarsaqui sépare également les piémonts de la
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Fig. 7. Chronologie des phases tectoniques et des formations géologiques des Siwaliks, nord-ouest du sous-continent
indien (extrait de Gaillard et Mishra, 2001).
Fig. 7. North-Western Siwaliks: chronology of tectonic phases and geological deposits (in Gaillard and Mishra, 2001).
chaîne frontale. Toutes ces campagnes qui sillonnent les terrasses subhimalayennes au nord de la
chaîne frontale, récoltent des artéfacts caractéristiques du Soanien.
À partir de 1960 et jusqu’en 1974, les recherches s’intensifient vers le nord-ouest de l’Inde,
dans le Jammu et le Cachemire et permettent de découvrir de l’Acheuléen. À partir de 1979
apparaissent les premières synthèses (Mohapatra et Singh, 1979a, 1979b). Il s’en dégage une vue
d’ensemble montrant un gradiant géographique dans la répartition des industries soaniennes, les
plus anciennes se trouvant vers le Pakistan.
La présence d’industries acheuléennes du côté indien commence également à se préciser dans
le sens perçu par Pierre Teilhard de Chardin, en position stratigraphique sous-jacente au Soanien
connu jusqu’alors sur les terrasses plus récentes. Quelques bifaces et hachereaux sont récoltés au
pied du versant sud de la petite chaîne frontale des Siwaliks (Mohapatra, 1981, 1990), autrement
dit dans les niveaux inférieurs, mais remontés en surface par suite d’un jeu de failles parallèles à
l’axe de la chaîne himalayenne. À partir des années 1990 commencent les études comparatives
entre le Soanien et l’Acheuléen pour tenter d’en comprendre d’éventuelles relations (Gaillard et
Mohapatra, 1988 ; Gaillard, 1995) tandis qu’aucun de ces assemblages n’était associé à un
contexte fossilifère pour espérer trouver des restes fauniques, voire humains. Ce n’est qu’en
2002, qu’une équipe de géologues met à jour dans la vallée de Srinagar, au Cachemire, une
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industrie lithique en association avec un crâne de proboscidien de taille exceptionnelle. Le
paléosol est recouvert par un horizon pléistocène (Srivastava et al., 2002). Une nouvelle synthèse
tente de faire le point des connaissances depuis (Chauhan et Gill, 2002).
Alors que la mission prévue dans l’Hindou Kouch se met en place, Mukesh Singh (1993, souspresse) engage des prospections dans les piémonts de l’Himachal Pradesh. En 2002, un projet de
coopération se structure entre le laboratoire de Préhistoire du Muséum et le département
d’Archéologie et des Musées de Chandigarh (Punjab, Inde). Les prospections se développent
depuis 2003, avec une première fouille poursuivie en automne 2006 sur le versant nord de la
chaîne frontale des Siwaliks.
Les premières prospections se sont déroulées sur près de 1300 km à travers cinq districts :
Roupnagar (Ropar), Nangal, Hoshiarpur, Hamilpur et Bilaspur (Fig. 6). Elles couvrent une
totalité de 13 localités réparties entre les piémonts de l’Himachal Pradesh (abri et grottes), et la
chaîne frontale des Siwaliks, tant sur les versants nord et sud qu’à l’intérieur même de cette petite
chaîne particulièrement éventrée par des jeux de failles et de très nombreux ravins (ou choes). La
plus intéressante des localités correspond à un site connu depuis 1970, riche en petits choppers et
nombreux éclats en « quartier d’orange ». Il s’agit d’un site soanien de plein air, en position
primaire, proche du village de Jandhian, en bordure nord de la chaîne frontale des Siwaliks.
6.2. Résultats préliminaires
6.2.1. Le site soanien de Jandhian
Le site domine le dun Sohan, bien circonscrit sur d’anciennes colluvions érodées de la Sutlej,
déposées directement sur les formations tertiaires du Pinjore. Ce site occupe la partie basse d’une
sorte de cuvette avec une extension sur l’un de ses flans (Fig. 8). Connu pour ses choppers, il s’est
avéré riche en nombreux éclats corticaux de facture fraîche, non émoussés, deux éclats trouvés en
sondage étaient encore en connexion. Ce site est exceptionnel par la quantité de matériel lithique
récolté, il permet, pour la première fois, la reconstitution des chaînes opératoires du Soanien,
alors que jusqu’à présent, les artéfacts étaient majoritairement ramassés hors contexte
archéologique. Ce site présente donc le double intérêt d’apporter notamment :
" une connaissance plus précise du Soanien compte tenu de ses assemblages : choppers, nucléus,
de nombreux éclats avec surface corticale, d’autres plus rares sans cortex et retouchés ;
" un âge approximé.
L’étude consiste en sondage, carroyage, ramassage des artéfacts en surface et analyse du
contexte chronostratigraphique. La topographie accidentée résulte du plissement holocène des
terrains plio-pléistocènes. Ce Soanien est de facture fraîche et la dimension des pièces lithiques
est plutôt de petite taille, les nucléus sur galets font une quinzaine de centimètres dans leur plus
grande longueur, les éclats plus petits varient entre l’esquille et les « quartiers d’orange »
typiques. L’industrie se rapporterait donc au Soanien final et correspondrait à un Épipaléolithique
(Fig. 9). L’étude détaillée de l’industrie lithique est en cours (Gaillard et al., en préparation). La
concentration des artéfacts en partie basse, leur raréfaction vers les pentes les plus raides, l’aspect
frais, non patiné des éclates et de choppers, permet de penser que l’occupation est probablement
postérieure à la tectonique dite postsiwalik, même si la datation des colluvions reste imprécise.
Cette conclusion qui ferait de ce site, un habitat des périodes néolithiques, est aussi celle soutenue
par le géomorphologue Karir (1985). Il n’est pas impossible que le site ait subi également de
légères secousses depuis son occupation.
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Fig. 8. Site de Jandhian vu en direction du sud-est, depuis le point culminant. 1 : colluvions, partie basse du site ; 2 :
formations tertiaires sur lesquelles reposent les colluvions ; 3 : colluvions sur la partie haute du site. Au fond la plaine
alluviale de la Sutlej (cliché A. Dambricourt Malassé).
Fig. 8. Jandhian: 1: colluvions with artefacts in the low part; 2: Pliocene deposits; 3: colluvions in the upper part (picture
A. Dambricourt Malassé).
6.2.2. Les niveaux plio-pléistocènes de la chaîne frontale des Siwaliks
À l’intérieur même de la chaîne frontale, de nombreuses cuvettes et ravins laissent apparaître
des formations fossilifères continentales datant du Pliocène (Pinjore) ainsi que des niveaux à gros
galets (colluvions) en partie supérieure d’âge pléistocène. Un éclat en quartzite émoussé de
grande taille a été récolté dans l’une de ces anciennes terrasses, il n’entre pas dans les
assemblages connus du Soanien plus récent (Gaillard et al., en préparation). Les prospections de
2007 ont confirmé la présence d’artéfacts en place dans ces colluvions pléistocène, proches de
niveaux fossilifères. Leur identification est en cours.
Les niveaux les plus anciens apparaissent également au pied des versants sud de la chaîne
frontale, la localité d’Atbarapur (district de Hoshiarpur) est connue pour la fréquence des bifaces
(Kumar et Rishi, 1986 ; Rishi, 1989). Un hachereau et deux bifaces ont été récoltés en 2003, un
âge pléistocène supérieur peut être avancé.
Les prochaines missions continueront de prospecter les formations plio-pléistocènes
affleurant dans la chaîne frontale des Siwaliks, riches en niveaux fossilifères et en artéfacts,
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Fig. 9. Artéfacts de Jandhian : nucléus sur galet, choppers, éclats corticaux et éclats retouchés (cliché A. Dambricourt
Malassé).
Fig. 9. Jandhian assemblage: core-flakes, choppers, cortical flakes and retouched flake (picture A. Dambricourt Malassé).
notamment dans la région de Chandigarh qui réunit les meilleures conditions de fossilisation
d’hominidés pléistocènes. Ces recherches ont également pour but de découvrir les premières
traces d’industries sur galet (Mode 1) pour les situer par rapport à l’Acheuléen.
En résumé, l’Inde du Nord-Ouest s’est imposée comme une biozone plio-pléistocène
particulièrement favorable à la découverte des plus anciennes espèces du genre Homo ; les
derniers niveaux pliocènes se suivent depuis plus de deux millions d’années et sont
particulièrement fossilifères. Sur ces formations tertiaires se sont accumulés à partir du
Pléistocène, des dépôts de lœss et des colluvions qui ont subi des déformations au cours du
Quaternaire et à des rythmes différents selon les localisations, alors que des populations
humaines occupaient déjà les bords des rivières himalayennes. Les industries se retrouvent
dans ces dépôts quaternaires depuis le Pléistocène inférieur avec deux traditions lithiques,
soanienne et acheuléenne. Le Soanien est une industrie sur galet comportant de nombreux
éclats peu différenciés, il s’inscrit dans la tradition des choppers et chopping-tools (Mode 1) et
perdure jusqu’à l’Holocène. L’Acheuléen est plus élaboré avec des bifaces et des hachereaux
(Mode 2), mais il s’observe de façon plus sporadique et reste encore relativement rare. Les
relations entre l’Acheuléen et le Soanien ne sont pas encore éludées (Gaillard et Mishra, 2001).
De notre point de vue, elles ne peuvent faire l’économie d’une étude plus générale, non
seulement portant sur celle des différents peuplements humains mais aussi, et surtout, celle
d’une problématique paléoanthropologique clairement posée depuis l’origine des premiers
hommes.
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7. La problématique paléoanthropologique
La problématique paléoanthropologique est triple, elle se pose à différents niveaux avec pour
l’Asie centrale montagneuse :
" l’adaptation physiologique à la haute altitude ;
" l’origine phylogénétique des Homo sapiens.
Les différents peuplements du nord-ouest du sous-continent indien soulèvent la question de
l’origine des Homo sapiens asiatiques et celles du genre Homo en Asie.
7.1. L’adaptation à l’altitude
L’adaptation physiologique est induite par la raréfaction de l’oxygène due à la baisse de la
pression atmosphérique. Le développement fœtal est directement affecté par ces conditions, il s’en
trouve ralenti. On conçoit difficilement qu’aucune transformation physiologique ne se soit produite
pour les populations du Pamir pendant 2000 ans, vivant à plus de 4000 m d’altitude. Cela est plus
qu’une hypothèse, le rocher de Darra-i-kur trouvé au nord de l’Hindou Kouch présente des
particularités anatomiques spectaculaires, comme une hypertrophie des canaux vasculaires et un
diamètre du méat acoustique interne trois fois plus large que la moyenne actuelle (Angel, 1972).
Ces caractéristiques signifient la nécessité pour l’organisme de compenser la raréfaction du taux en
oxygène par une augmentation du volume de sang par unité de temps. Une microévolution de cette
nature, très précoce dans le développement de l’organisme, liée à une succession d’isolements
génétiques est donc vraisemblable et probable. Quant à l’homme de Darra-i-kur, l’altitude
relativement basse de la grotte où son fragment de temporal a été recueilli, seul reste squelletique
retrouvé sans contexte sépulcral, n’est probablement pas représentative de ses conditions de vie
(Gaillard et Dambricourt Malassé, 2008).
Cet exemple observé au Pléistocène supérieur reflète vraisemblablement le type d’évolution
biologique le plus fréquent que l’on puisse rencontrer en Asie centrale montagneuse depuis le
Pléistocène inférieur. Toutefois, compte tenu de l’échelle de temps, il est nécessaire de commencer
par distinguer l’unité morphogénétique en présence, autrement dit l’organogenèse qui précède le
développement fœtal, ou encore les huit semaines du développement embryonnaire depuis la
fécondation. En effet, la biologie du développement intra-utérin aussi bien que post-natale ne sera
pas la même selon que l’on considère celle de la plus vieille espèce du genre Homo, ou celle de
l’Homo sapiens. Cette distinction entre organogenèses ne ressort pas de la nomenclature linnéenne
(Dambricourt Malassé, 1992), or l’espèce sapiens forme à elle seule une unité de plan
morphogénétique embryonnaire, qui correspond à l’évolution de celle apparue avec le genre Homo
(Dambricourt Malassé, 1988). Le terme de sapiens équivaut donc à celui de Homo, sans rapport
aucun avec les concepts d’espèce et de genre ; l’organogenèse sapiens est biologiquement
l’équivalente de celle commune aux erectus, habilis, ergaster, georgicus, neanderthalensis, autant
d’espèces ou de sous-espèces ou encore de chrono-espèces, qui partagent la même organogenèse
embryonnaire depuis l’apparition de ce qu’il est convenu de nommer Homo, par distinction entre un
grand singe fossile et un Australopithéciné. Cette unité de plan organogénétique renvoie à celle plus
commune de patron, ou de pattern, employé pour les formes finales adultes.
La distinction est établie sur la conformation des anciens tissus cartilagineux cranio-faciaux
acquise entre la septième et la huitième semaine post-ovulatoire, en particulier la position de la loge
cérébelleuse et le prognathisme de l’étage moyen et inférieur de la face (Dambricourt Malassé,
Pour citer cet article : Dambricourt Malassé, A., Le peuplement humain en Eurasie : l’Asie centrale
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2006). La voûte est induite par la formation tardive des hémisphères cérébraux, c’est à dire au cours
de la période fœtale, elle n’est donc pas nécessairement significative de l’identité sapiens, même si
la néocorticalisation s’observe de façon évidente avec les formes évoluées tardives d’Homo en
Afrique, en Europe et en Asie du Sud-Est. L’évolution du crâne cérébral concerne l’intégralité du
système nerveux central, aussi bien le tronc cérébral et le cervelet dont les positions sont fixées
précisément au terme de la période embryonnaire, avant l’encéphalisation fœtale. L’élévation de la
voûte liée à la complexité croissante des hémisphères cérébraux s’observe depuis Homo georgicus
jusqu’aux Homo erectus indiens comme le crâne d’Hathnora (de Lumley et Arun Sonakia, 1985 ;
Sonakia et Biswas, 1998), mais il en va différemment de la position de leur loge cérébelleuse qui
reste inchangée après deux millions d’années, fixée avant la formation de la voûte et son
enroulement antéro-postérieur (Dambricourt Malassé, 2008).
7.2. Homo sapiens et Homo erectus sensu largo
L’Asie centrale s’inscrit parmi les grands complexes géomorphologiques asiatiques
favorables à l’isolat des populations dérivées de la plus vieille espèce du genre Homo, comme
ce fut le cas sur l’île de Florès avec le nanisme d’Homo floresiensis dont les restes fossiles ont été
datés entre 18 et 12 ka. La grande proximité anatomique avec les Homo erectus asiatiques
confirme la stabilité génétique de leur organogenèse différente de celle de sapiens. Cette stabilité
est révélée par la position de la loge cérébelleuse et le moulage endocrânien du lobe temporal,
celui-ci n’est pas plus basculé vers l’avant et le bas qu’Homo georgicus, ce qui est cohérent avec
le prognathisme ou l’angle ouvert de la symphyse mandibulaire. Si ce fossile était un sapiens, les
deux arcades alvéolodentaires seraient en retrait relativement aux bases osseuses, la mandibule
montrerait un mentum osseum et la paroi antéro-postérieure de la loge cérébelleuse serait donc
plus développée vers l’avant et sous l’apophyse mastoïde (Dambricourt Malassé, 2008).
Ces différences trouvent leur origine dans les contraintes de développement qui apparaissent
au terme de la période embryonnaire et elles ne s’observent donc pas sur Homo floresiensis. Cette
parenté avec une espèce non sapiens a été confirmée, précisément sur la base de semblables
considérations, avec l’étude des osselets du poignet. Leur embryogenèse ne correspond pas à
celle de sapiens, mais à celle d’une espèce de l’organogenèse Homo ayant vécu avant 200 ka
(Tocheri et al., 2007). La distinction entre les deux embryogenèses est donc claire, les difficultés
évoquées tiennent au paradigme d’une évolution graduelle et progressive d’où sont absents les
notions de plan d’organisation (pattern), les stases et les équilibres ponctués fréquents en
paléontologie animale (Gould et Eldredge, 1977 ; Dambricourt Malassé, 1993 ; Chaline et al.,
1996, 1999, 2000 ; Dambricourt Malassé et al., 1998).
Des populations d’Homo erectus asiatiques ont donc vécu jusqu’à la fin du Pléistocène supérieur
grâce à un isolement reproductif. Cet endémisme a favorisé l’expression d’une plasticité génétique
commune à différentes espèces de mammifères, le nanisme. Au regard des travaux de Ranov qui ont
bien démontré l’indépendance des scénarios évolutifs entre l’Asie centrale et l’Europe ou le
Proche-Orient, le cas de Florès n’est pas surprenant. Concernant l’industrie lithique, celle
inventoriée dans le même niveau stratigraphique s’apparente à des artéfacts découverts dans une
autre grotte de l’île et datée de 880 à 800 ka, en sorte qu’Homo floresiensis peut être l’héritier de
cette tradition (Brumm et al., 2006). Le débat portant sur la capacité des hommes de Florès à
produire des éclats laminaires repose sur un a priori sans fondement biologique, à savoir que la taille
des hémisphères cérébraux limiterait les capacités cognitives. L’encéphalisation de la lignée
humaine est un processus de complexification par émergence de réseaux de neurones entre les aires
corticales et sous-corticales, concomitante d’une vascularisation plus étendue avec, d’une part, la
Pour citer cet article : Dambricourt Malassé, A., Le peuplement humain en Eurasie : l’Asie centrale
montagneuse et les piémonts sous-himalayens du Plio-Pléistocène à l’Holocène, origines, évolution
humaine et migrations, L’Anthropologie (2008), doi:10.1016/j.anthro.2008.04.008
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néoformation d’anastomoses au niveau des méninges et, d’autre part, de capillaires sanguins en
contact avec des synapses. Ce processus a été graduel jusqu’aux Homo erectus les plus tardifs. La
vascularisation du cerveau de Florès est de ce fait plus significative que la réduction de son volume,
elle reflète la complexité des connections établies entre les zones corticales et sous-corticales
productrices d’hormones, nécessaires à la création d’outils élaborés, qualifiés de contrefactuels en
neurosémantique (Aït Hamou, 2005).
7.3. Les mécanismes génétiques de transition entre Homo erectus et Homo sapiens
Le squelette d’Homo floresiensis confirme les conclusions concernant l’existence d’une unité
de plan d’organisation anatomique qui se maintient au-delà de la variabilité et des
microévolutions pendant de longues périodes géologiques. Celles-ci ont atteint 20 millions
d’années pour l’organisation anatomique des grands singes, puisque suffisamment d’espèces ont
survécu au-delà de la crise miocène, trois millions d’années pour les Australopithécinés, mais
cette organogenèse a disparu alors que celle du genre Homo était déjà dispersée en Eurasie et en
Afrique. En fin de compte, l’existence d’une variété d’Homo erectus après deux millions
d’années de dérives génétiques, de microévolutions et d’adaptations est la norme. De même,
l’absence de formes transitoires est conforme aux modalités des mécanismes génétiques propres
à la régulation de l’embryogenèse.
La difficulté réside dans la double nécessité de rendre compte de l’extinction d’une
organogenèse qui peuplait deux continents, l’Afrique et l’Eurasie, d’une part, et de l’apparition
d’une nouvelle organogenèse, celle des sapiens, d’autre part, car non seulement toutes deux
relèvent de la régulation ou dérégulation des processus qui prévalent au développement de
l’embryon, mais aussi et surtout, elles sont indissociables de modalités qui ne sont perceptibles
qu’entre les stases. En d’autres termes, les mutations qui affectent la régulation de l’organogène
du genre Homo sont elles-mêmes liées aux mutations à l’origine de cette organogenèse. Ces
mécanismes n’excluent pas l’adaptation à des conditions de vie écologique favorables, elles sont
évidentes, mais sans ce déterminisme phylogénétique très probablement couplé à des
phénomènes de dérégulation abortifs, l’apparition des sapiens serait impossible. La sélection
naturelle agit ici de façon drastique et non pas cumulative.
Les paramètres pour comprendre les origines de l’Homo sapiens en Asie sont multiples entre :
" la stabilité ontogénétique de la charpente craniosacrée et appendiculaire commune aux
populations vivant en Afrique et en Eurasie ;
" les différents processus de néocorticalisation et de néovascularisation multirégionaux d’origine
fœtale ;
" les conditions environnementales, climatiques et géomorphologiques.
La haute altitude agira donc sur la plasticité de la période fœtale de l’une ou l’autre des deux
organogenèses, comme le nanisme aura été une adaptation à des conditions de vie insulaire, mais
le facteur de la transformation organogénétique d’Homo en sapiens est interne. Où et dans
quelles circonstances cette mutagenèse a-t-elle eu lieu, est-il possible que des foyers soient
apparus en Asie ?
Le peuplement de l’Asie centrale montagneuse et des piémonts himalayens révèle la
pérennisation de l’industrie sur galet jusqu’aux périodes néolithiques de l’Holocène, caractérisée
par la production élevée d’éclats toujours plus diversifiés, ce qui suppose un isolement culturel
vis-à-vis des populations porteuses de traditions plus récentes. Il n’apparaît pas de Paléolithique
Pour citer cet article : Dambricourt Malassé, A., Le peuplement humain en Eurasie : l’Asie centrale
montagneuse et les piémonts sous-himalayens du Plio-Pléistocène à l’Holocène, origines, évolution
humaine et migrations, L’Anthropologie (2008), doi:10.1016/j.anthro.2008.04.008
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supérieur, ni de Mésolithique dans le Nord-Ouest de l’Inde, les industries sont épipaléolithiques.
Une telle pérennisation sur près de deux millions d’années soulève une question
paléoanthropologique majeure ; les hominidés ayant vécu à Riwat vers 1,9 Ma étaient proches
d’Homo georgicus ou des Homo erectus de Mojokerto. Mais qui étaient les chasseurs-cueilleurs
auteurs du Soanien à la fin du Pléistocène, étaient-ce des Homo erectus tardifs comme Homo
floresiensis ou des Homo sapiens comme à Darra-i-kur ?
Le hiatus est celui d’une cartographie paléoanthropologique continentale considérable qui
s’étend du delta de l’Indus jusqu’à la Haute Asie et la Chine occidentale. Si les chasseurs
épipaléolithiques/néolithiques de l’Asie centrale montagneuse sont des Homo sapiens ayant
migré vers 9000 ans BP depuis les piémonts himalayens, il est impossible de dire quand leurs
ancêtres Homo sapiens sont apparus dans l’Inde du Nord-Ouest. La continuité soanienne soushimalayenne peut cacher une discontinuité dans le peuplement, avec l’arrivée des hommes
anatomiquement moderne n’ayant jamais connu d’autres traditions que celle de la production
d’éclats sur galet. Mais cette hypothèse n’évacue pas celle nécessaire pour la cohérence des
données historiques, d’une évolution d’Homo erectus asiatiques selon les modalités définies
précédemment, c’est-à-dire de nature saltationniste.
8. Les données anthropologiques méso-néolithiques du nord de l’Hindou Kouch et de
l’Inde
L’horizon 2 de Tutkaul, situé à 2000 m d’altitude sur une surface de plus de 2500 m2, a été
occupé pendant près 1000 années. Les fouilles ont dégagé quatre squelettes peu connus. Un seul
article leur est consacré, limité à une étude générale des crânes. Les restes humains se trouvaient
dans la couche culturelle, sans aucune trace de fosses et de rituels, le site atteignant jusqu’à deux
mètres d’épaisseur de limons argileux d’origine alluviale. De nombreux foyers se superposent
tandis que par endroit le sol est stabilisé sur de petites surfaces (4 m2) par un dallage de pierre. Le
mieux conservé des squelettes est celui d’un adulte (401) qui avait été déposé dans une légère
dénivellation du sol d’occupation atteignant un cailloutis sous-jacent, puis recouvert du limon
riche de déchets lithiques. Les deux mains étaient glissées sous la tête, les jambes fortement
repliées en décubitus. Les enfants (402 et 403) moins bien conservés formaient une sépulture
double, couchés sur le côté, tandis que le quatrième individu (404) avait la disposition du corps et
des membres du premier squelette, mais moins bien conservé. Le crâne 401 est décrit de la façon
suivante : « Le crâne est massif, les os sont épais, la protubérance occipitale bien développée, les
apophyses mastoïdes assez puissantes, sont fortes mais brèves. Le front est fuyant, la glabelle est
boursouflée, les arcades sourcilières sont fortement développées dans leur premier tiers. Les
bosses frontales sont fortement exprimées, l’occipital n’est pas déformé et fortement saillant, la
protubérance est bien développée. Les dents du maxillaire inférieur se sont toutes conservées,
elles sont en parfait état, l’émail dentaire est usé, la seconde molaire est plus petite que la
première, les sutures ne sont pas synostosées. Une déformation postmortem comprime le crâne
latéralement. On notera un puissant mésognathisme du squelette facial, les orbites sont très
basses, de forme rectangulaire en surplomb ». La denture maxillaire est manquante, mais l’os
alvéolaire porte les marques d’une cicatrisation. Concernant le sexe de l’individu, les auteurs sont
hésitants et ne font pas référence au bassin, à cette époque seul le crâne avait été prélevé pour
étude. Le second crâne adulte est partiellement conservé « non déformé, dolichocéphale, un front
fuyant avec de faibles bosses frontales, la suture coronale n’est pas synostosée, l’occipital est
saillant, la crête d’insertion des muscles est bien développée ». Les deux enfants ont entre cinq et
six ans (A 402) et quatre ans (A 403). Ils sont dolicocéphales avec un occipital « fortement
Pour citer cet article : Dambricourt Malassé, A., Le peuplement humain en Eurasie : l’Asie centrale
montagneuse et les piémonts sous-himalayens du Plio-Pléistocène à l’Holocène, origines, évolution
humaine et migrations, L’Anthropologie (2008), doi:10.1016/j.anthro.2008.04.008
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Tableau 1
Dispersion du torus angularis en Eurasie et en Afrique au cours du Pléistocène
Table 1
Dispersal of the torus angularis in Eurasia and Africa during the Pleistocene
Afrique
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
12
13
14
ER 1470
ER 1813
ER 3883
ER 3733
OH 2
OH 4
LH 18
KNM WT 15 000
Ndutu
Bouri
Atlanthrope 4
Bodo
Djebel Irhoud 2
Kabwe
Torus angularis
Non
Non
Non
Non
–
Pseudotorus
Non
Non
Non
Non
Non
–
Non
Oui
Proche-Orient
15
16
17
Shanidar
Amud
Tabun
Non
Non
Non
Europe
18
19
20
21
22
23
24
25
26
27
28
29
30
31
32
33
34
35
36
37
38
Dmanissi D 2700
Dmanissi D 2280
Dmanissi D 2282
Dmanissi D 3444
Atapuerca 5
Ceprano
Tautavel
Castel di Guido
Reilingen
Saccopastore 2
Steinheim
Petralona
Gibraltar
Mont Circée
Neanderthal
La Quina
Spy
Krapina
Cova Negra
La Ferrassie
La Chapelle-aux-St
Non
Non
Oui
Non
Non
Oui
Oui
Oui
Oui
Non
Non
Non
Non
Non
Non
Non
Non
Non
Non
Non
Non
Asie
39
40
41
42
43
44
45
46
Ngandong 3
Ngandong 5
Ngandong 6
Ngandong 7
Ngandong 8
Sangiran 17
Ngawi
Sambugmachan 1
Non
Oui
Oui
Non
–
Oui
Oui
Oui
Pour citer cet article : Dambricourt Malassé, A., Le peuplement humain en Eurasie : l’Asie centrale
montagneuse et les piémonts sous-himalayens du Plio-Pléistocène à l’Holocène, origines, évolution
humaine et migrations, L’Anthropologie (2008), doi:10.1016/j.anthro.2008.04.008
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Tableau 1 (Suite )
47
48
49
50
51
52
53
54
Grogol Wetan
Narmada-Hathnora
Mapa
Dali
Lantian
Yunxian EV 1901
Yunxian EV 1902
Hexian
Oui
Oui
–
Oui
–
Non
Non
Oui
saillant ». Les auteurs concluent « L’association de caractères cromagnons et équatoriaux
(crâne 401) dénonce l’existence d’un type anthropologique non encore différencié ».
Ces squelettes font l’objet d’un programme d’étude en cours. L’hypothèse d’une origine
orientale, tournée vers le bassin du Tarim n’est pas à exclure non plus selon ce que révèleront les
futures découvertes, comme celle d’une calotte d’Homo sapiens en Mongolie orientale décrite
par Fabrice Demeter (Coppens et al., 2008) associée à une faune pléistocène. Le frontal présente
des caractères plésiomorphes et atteste de l’existence de populations sapiens robustes dans ces
régions montagneuses qui s’étendent de l’Asie centrale à la Mongolie.
Le bassin supérieur de l’Indus n’a pas encore livré de restes humains datant des périodes
préhistoriques permettant des comparaisons avec Tutkaul ; de la grande plaine du Punjab, on ne
connait que des populations harappéennes. L’Inde centrale est mieux documentée avec des
squelettes mésolithiques et néolithiques (Kennedy, 1999 ; Kennedy et al., 1991, 1992 ; Kennedy et
Elgart, 1998 ; Walimbe, 1990 ; Walimbe et Tavares, 1996 ; Walimbe et Paddaya, 1998 ; Walimbe
et al., 2001). L’observation de ces crânes entreposés au Deccan College (Pune) a permis de constater
sur un crâne néolithique du site de Tekka Lakota (État du Karnataka) la présence du torus angularis
bien différencié. Ce caractère anatomique a son importance. Cet épaississement de la table corticale
externe de l’os pariétal, situé à hauteur de l’astérion, est un caractère discret d’Homo erectus,
quasiment absent chez Homo sapiens qui, quand il existe, est peu marqué et circonscrit à l’Asie.
La comparaison de 54 crânes non sapiens montre une répartition et une fixation géographique du
torus angularis au cours du Pléistocène tout à fait significative (Tableau 1). Cet épaississement est
visible depuis les plus vieilles espèces connues, mais uniquement en Eurasie ; il est présent en effet
sur l’un des quatre crânes d’Homo georgicus. Sur un total de 20 crânes européens incluant les
Néandertaliens, il ne s’observe que sur les plus anciennes populations avec Ceprano, Arago, Castel
di Gudo et Reilingen. Il n’apparaît plus sur les crânes d’Atapuerca, il ne se voit sur aucun
Néandertalien, d’Europe ou d’Orient, il est absent des plus vieux fossiles Homo sapiens (Omo 1,
Herto, Qafzeh). Quant aux populations africaines, sur les 12 crânes considérés, il en est absent
depuis les premiers fossiles contemporains de Dmanissi. Le crâne OH 4 ne présente pas de torus
angularis au sens ostéologique, la suture ptériaque est déprimée donnant l’impression d’un relief,
mais il ne s’agit pas d’un épaississement de l’os cortical. De tous les crânes ou pariétaux
suffisamment bien conservés, seul le crâne tardif de Kabwe (Rhodésie, 200 ka) présente ce relief.
En revanche, en Asie sa fréquence est proportionnellement incomparablement plus élevée : le torus
angularis apparaît sur neuf fossiles pour un total de 13 crânes avec Sangiran 17, Sambungmachan 1,
Ngandong 5, Ngandong 6, Ngawi et Grogol Wetan en Indonésie, Dali et Hexian en Chine, Hathnora
en Inde. Son développement varie en fonction du sexe (Widianto et Grimaud Hervé, 2000).
Face à une telle dispersion dans le temps et l’espace, la présence du torus angularis sur des
crânes néolithiques indiens peut difficilement s’expliquer autrement que par une parenté
génétique avec des Homo erectus indiens. Une origine asiatique de l’Homo sapiens (Pope,
1992) est tout à fait vraisemblable. Cette étude devrait se compléter de la comparaison des
Pour citer cet article : Dambricourt Malassé, A., Le peuplement humain en Eurasie : l’Asie centrale
montagneuse et les piémonts sous-himalayens du Plio-Pléistocène à l’Holocène, origines, évolution
humaine et migrations, L’Anthropologie (2008), doi:10.1016/j.anthro.2008.04.008
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populations harappéennes entreposées à Calcutta (civilisation chalcolithique de l’Indus). Il
serait intéressant de vérifier si le torus angularis est également présent sur les crânes
néolithiques de Merghar (Pakistan) et sur le crâne de Pahiyangala découvert dans une grotte au
Sri Lanka et daté de 37 000 ans.
9. Conclusion
Quelle que soit l’origine des relations génétiques et/ou phylogénétiques entre des populations
indiennes d’Homo erectus et d’Homo sapiens de l’Asie centrale et du nord-ouest de l’Inde, on
comprend que ces populations se sont satisfaites d’une technique de débitage de galet, simple et
efficace. Depuis les colluvions formant les pénéplaines sous-himalayennes jusqu’aux hautes
moraines des massifs pamiriens, ces populations n’ont jamais manqué de matière première, les
cônes de déjection, les terrasses des puissantes rivières himalayennes n’ont jamais cessé d’offrir
un choix de matière première parmi les plus dures. Il leur suffisait de remonter les terrasses des
rivières à la faveur des périodes de réchauffement pour se fournir en galets.
La difficulté se pose en termes de paléoanthropologie. Les chasseurs-cueilleurs du nord-ouest
de l’Inde, héritiers du Soanien, et ayant vécu à la fin du Pléistocène, étaient contemporains
d’Homo floresiensis. Étaient-ce des Homo sapiens ou des formes évoluées tardives d’Homo
erectus indiens ? Si les industries soaniennes inventoriées dans les anciennes terrasses des
rivières himalayennes comme le Sutlej ont perduré jusqu’aux périodes néolithiques, doit-on
considérer leurs auteurs comme des Homo sapiens semblables aux chasseurs-cueilleurs de
Tutkaul ? Dans cette perspective, comment peut-on expliquer le continuum de la tradition du
Mode 1 sans poser l’hypothèse d’une évolution biologique des Homo erectus asiatiques en
Sapiens ? Peut-on raisonnablement exclure cette hypothèse devant la fréquence d’un caractère
comme le torus angularis fixé génétiquement en Asie et absent des plus vieux Homo sapiens
africains ? De toute évidence, sa formation ne dépend pas de la position de la loge cérébelleuse,
autrement dit, de la position des muscles de la nuque. Il s’agit d’un caractère discret fixé
génétiquement et indépendant de la différenciation du morphotype.
Des gènes d’Homo erectus asiatiques vieux d’au moins 800 ka étaient manifestement présents
dans l’ADN des populations néolithiques vivant en Inde centrale. Leur parenté avec les Homo
erectus vivant à Hathnora est logique, tandis que leur ascendance directe avec les plus vieux
Homo sapiens d’origine africaine devient moins évidente.
L’apparition d’Homo sapiens dépend des mutations intéressant l’intégralité de l’organogenèse, du pôle céphalique au bassin, avec des effets épigénétiques sur l’ontogenèse de
l’organisme, ces modalités évolutives ne sont ni graduelles, ni cumulatives. De ce fait, il est
impossible de distinguer sur la seule base des données morphologiques et métriques, laquelle des
populations tardives d’Homo erectus africaines ou asiatiques, serait l’ancêtre des Homo sapiens
asiatiques. Ce sont donc bien des caractères discrets qui autorisent la reconnaissance des liens des
parentés comme le torus angularis.
La somme des données archéologiques, anthropologiques et mésologiques montre donc que
l’ont peut difficilement se satisfaire du modèle s’appuyant sur la thèse d’une lignée d’Homo
sapiens quittant l’Afrique vers 160 000 ans, se substituant aux formes tardives d’Homo erectus
asiatiques promises à l’extinction. La thèse d’une assimilation génétique est encore plus difficile
à défendre et les raisons sont de deux ordres. Elle pose la difficulté de l’interfécondité entre
populations issues de la même souche africaine après deux millions d’années de séparation, la
viabilité des hybrides n’est pas évidente. La question abordée par Daniel Garrigan et Sarah
Kingan parvient à des conclusions similaires (Garrigan et Kingan, 2007). En admettant le modèle
Pour citer cet article : Dambricourt Malassé, A., Le peuplement humain en Eurasie : l’Asie centrale
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des flux géniques continus accompagnés de migrations dans les deux sens Asie/Afrique à la
faveur de passages possibles entre les détroits d’Ormuz et de Bab el Mandeb, il n’en demeure pas
moins une difficulté majeure. Ce modèle d’un « croissant fertile » explique la présence d’un torus
angularis sur Kabwe, mais il s’agit d’un Homo erectus tardif, au même titre que son
contemporain indien Hathnora. Ce modèle gradualiste n’est plus valable dès que l’on considère
Sapiens : il ne s’agit pas de l’hybridation entre deux sous-espèces de la même organogenèse, mais
de deux embryogenèses séparées par une évolution saltationniste qui a modifié le développement
céphalocaudal de l’embryon. Comment deux embryogénèses aussi différentes auraient-elles pu
n’en former qu’une seule ? Quand bien même y aurait-il eu des croisements, les embryons ne
pouvaient pas être viables. La barrière génétique est inhérente au processus mutagène.
La question n’est pas résolue et en soulève une tout aussi complexe, celle de foyers isolés en
Asie du Sud et en Afrique de l’Est, mais convergents. En quoi cette hypothèse ne serait-elle pas
recevable lorsque ces convergences finissent par apparaître comme une caractéristique de
l’évolution des hominidés ? Des convergences procédant par gradualisme se sont produites tout
au long du Pléistocène avec l’encéphalisation dans des régions géographiques diamétralement
opposées comme en Europe occidentale et en Asie du Sud-Est sans avoir reçu d’explication
satisfaisante.
Les convergences sont plus significatives encore avec l’apparition des Australopithécinés et
du genre Homo ; ce sont deux organogenèses montrant les mêmes tendances embryonnaires, avec
un squelette axial qui se verticalise jusque dans l’endocrâne, là où la chorde dorsale se prolonge
jusqu’au postsphénoïde (Dambricourt Malassé, 2006). La proximité des caractères craniofaciaux
est telle, que les paléoanthropologues font désormais appel à des critères anatomiques d’origine
embryonnaire, comme les trois canaux semi-circulaires de l’oreille interne, pour établir la
distinction entre les deux taxons. L’organisation des canaux dans les trois plans de l’espace
permet au cerveau de contrôler la posture, elle est acquise au cours de la formation de l’embryon.
Celle-ci est restée inchangée entre les Australopithécinés et les grands singes actuels d’Afrique
(gorille, chimpanzé) et d’Asie (orang-outan), alors que la verticalisation du postsphénoïde est
acquise. En revanche, avec le genre Homo, elle diffère par un écartement entre le canal latéral et
le canal postérieur probablement en relation avec la dynamique d’inflexion du post-sphénoïde et
des rochers, différente de l’Australopithéciné (Dambricourt Malassé et al., 2000). C’est sur ce
critère que deux fossiles sud-africains, SK847 et STW53, ont pu être distingués (Spoor et al.,
2007), le premier est un Homo habilis, le second est un Australopithèque.
Avec le recul d’un âge géologique de 3 Ma et l’évidence des mutations génétiques très proches
de celles à l’origine des Australopithécinés, il paraît tout à fait plausible d’envisager un
enracinement de la lignée humaine dans une population de grands anthropoïdes. Et puisque ces
mutations concernent l’organogenèse commune aux paninés et aux ponginés, on ne voit plus
pour quelles raisons ce type de mutations n’aurait pu se produire dans le génome de grands
anthropoïdes asiatiques. De nombreuses espèces vivaient en Chine sous les latitudes
subtropicales ainsi que dans les plaines arborées qui bordaient une chaîne himalayenne moins
accidentée qu’au Pléistocène. La plupart se sont éteintes avec la crise miocène, à laquelle
n’auraient échappé que les ancêtres des orangs-outans et les Gigantopithèques. Toutefois, les
fossiles pléistocènes de ces deux genres sont extrêmement rares, le Gigantopithèque n’est connu
que par quatre corps mandibulaires. Si des hominidés (au sens d’un équilibre bipède permanent)
sont apparus en Afrique orientale en milieu arboré, vers 4,4 Ma (le fragment de base crânienne
d’Ardipithecus ramidus), des convergences génétiques ont aussi bien se produire dans des
populations de grands anthropoïdes d’Asie du Sud, permettant de poser l’hypothèse d’une
origine asiatique du genre Homo. Dans cette perspective, les fossiles seraient associés aux
Pour citer cet article : Dambricourt Malassé, A., Le peuplement humain en Eurasie : l’Asie centrale
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Gigantopithèques ainsi qu’aux autres espèces de mammifères pour les mêmes raisons
écologiques qui les auront guidés à survivre dans leur environnement de prédilection.
Ces mécanismes de convergence existent dans d’autres phylums, ils pourraient également se
produire à différentes échelles de l’organisation de la mémoire génétique du développement,
graduelle et microévolutive comme avec l’encéphalisation, mais aussi saltationniste et
macroévolutive. La prise en considération des caractéristiques saltationnistes qui ont prévalu
à l’apparition de l’organogenèse Homo, permettra peut-être d’apporter des éléments
d’explication à l’apparition de foyers d’Homo sapiens convergents. La question reste toujours
posée de comprendre pourquoi des chasseurs-cueilleurs néolithiques, ayant vécu dans les
piémonts de l’Himalaya et du Pamir, ont hérité d’une tradition soanienne qui ne semble pas avoir
connu d’autres techniques de débitage que celle du galet taillé, présente en Asie centrale et en
Inde du Nord-Ouest, depuis au moins 800 000 ans.
Remerciements
Je tiens à remercier Ivana Pranic et Marie-Jeanne Koffmann pour la traduction du texte de
Kitkna et Ranov sur les squelettes de Tutkaul, ainsi qu’Erik L’Homme pour l’iconographie sur les
pétroglyphes de la Shah Jinali, en hommage à Vadim Alexandrovith Ranov (1925–2006) et Jorge
Magraner (1958–2002).
Références
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British Archaeological Mission to Pakistan (1981–1991). In: Wadia, S., Korisettar, R., Kale, V.S. (Eds.), Quaternary
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