CLEMENT DELTENRE

Transcription

CLEMENT DELTENRE
CLEMENT DELTENRE
Rushes
Rushes
Je déteste les livres qui démarrent lentement par
une introduction fastidieuse. Prolégomènes insipides destinées à mettre en place le carcans étriqué
dans lequel va se dérouler la basique intrigue.
Lente mise en place de personnages, pseudo suspens, rarement vus tels que l’auteur l’aurait voulu,
soit parce qu’il ne les décrit pas comme il le faut
(incompétent), soit parce que le lecteur est trop limité pour y arriver ! Moi c’est clair, je vais vous
parler d’un salaud de la pire espèce et comme tous
les salauds il va arriver à vous séduire et finalement
c’est moi que vous condamnerez. Mais ce n’est pas
grave, le pus sera sorti du furoncle.
Ne prenez pas cet air courroucé, je vous vois froncer les sourcils et vous dire « encore un qui se victimise, le seul coupable est toujours soi même. » et
autres arguments psychologiquement admis et encouragés par les magazines féminins.
De toute façon à travers ce prisme du miroir qu’est
l’autre je solde inévitablement mes comptes avec
une partie de moi que je rejette.
J’hésite à appeler cet homme, car il s’agit d’un
homme, Alfred ou Léon, Léon c’est rond tandis
qu’Alfred ça fait majordome. Laissez moi réfléchir… Va pour Alfred ça correspond mieux à son
o b s é q u i o s i t é .
Ce cher Alfred est né au moment où il le fallait, durant la 2eme guerre mondiale. À croire que cette
inadmissible violence s’est naturellement instillée
dans son sang. Dans une famille bourgeoise catholique mais pas trop il a commencé par annexer le
lait rationné destiné à son petit frère et à monopoliser l’attention. Angoissant le bougre déjà bien replet pour son âge.
Alfred Qui es-tu petit morveux pour revendiquer
une place ? Il n’y a que moi qui compte, jamais les
parents ne te préfèreront, j’ai 3 ans et toi tu viens
juste de naître, je pourrais très bien t’étouffer avec
un coussin ou te faire tomber du berceau face contre terre… J’ai 3 ans et je ne formalise pas mais je
conceptualise ces idées. Je n’éprouve pas de sentiments à l’égard de ce minable petit être, ni des Géniteurs, ils sont là pour me nourrir et me servir. Ils
sont fonctionnels. Je réalise que lorsque je fais des
sourires ou je suis amical avec le morveux ils manifestent leur contentement. Quand ils me regardent
je caresse la joue du niard et dès qu’ils se retournent je lui fais une petite pichenette. Je suis le plus
fort. Je suis le meilleur. Il n’y a que moi qui compte
et le monde tournera toujours ainsi.
Le temps passe et Alfred grandit, son système de
pensées n’a pas évolué mais s’est affiné, les coupables de sa naissance ont plus de moyens financier.
Le père est un homme d’affaire important et la
mère une femme de maison on ne peut plus respectable. Alfred est destiné vivre comme un Prince.
À Suivre
1
“(…) Héritier naturel de Steve Rubell du Studio 54 de New
York, l’auto proclamé roi de la nuit n’a aucun rival dans le
monde, parce que chaque soirée organisée par Léo est incomparable. Unique. Féérique. Époustouflante. Pour les rares
profanes qui n’ont jamais entendu parlé des LPP (Léo Private Parties) le principal moyen d’accéder aux fêtes les plus
sélect de l’univers et les mots sont bien pesés, est de s’inscrire
sur le site dédié qui compte plusieurs centaines de milliers
d’inscrits, d’attendre patiemment la veille de l’événement
pour recevoir le précieux sésame. Un simple message de confirmation nominatif. Inutile de préciser que l’on vient de partout dans le monde pour assister à ces événements hors du
commun. Les critères de sélection ? Personne ne les connait,
mais le questionnaire à remplir avant de laisser son adresse
mail ou même un numéro de portable est d’une hallucinante
exhaustivité : 146 questions traduites en 5 langues. Les recalés peuvent malgré tout tenter leur chance jusqu’au bout. Un
véritable parcours du combattant. Patienter jusqu’à la mise
en ligne de l’adresse sur le site Internet quelques heures avant
le début de la fête, ce qui occasionne fréquemment des sautes
de serveur puis faire le pied de grue devant le lieu, toujours
insolite, choisi pour l’occasion. Mais que ne feraient-ils pas
pour faire partie des 10 élus systématiquement sélectionnés
dans la file d’attente ? Dans ces conditions, ne pas s’y rendre
lorsqu’on a été adoubé par le roi Léo, de mémoire de Clubbers on n’avait jamais vu ça ! s’apparenterait à un suicide jet
– sociétal.” A.R
BENJAMIN
Stanislas m’a appelé vers 11h00 du matin. Comme
d’habitude Stan la Loose n’a pas trop la pêche.
Heureusement, j’ai la solution pour le rebooster.
Ce soir, le Roi Léo célèbre sa première “Private
Party” de l’année. Marie (ma meilleure amie qui
est amoureuse de moi) ne cesse de me rabâcher les
oreilles avec cet événement auquel elle rêve d’assister. Franchement, toute cette agitation autour de
ces fêtes me semble pourtant exagérée. Je suis régulièrement invité dans les meilleurs plans de la capitale et c’est toujours la même rengaine: Alcool à
volonté. Filles superbes. Cadeaux. Banales mondanités. Mais pour leur faire plaisir à tous les deux,
j’adhère exceptionnellement au concept. Alex le
principal associé de Léo est un de mes meilleurs
amis d’enfance. Même si nous ne nous voyons plus
aussi régulièrement que dans nos jeunes années, je
lui ai quand même envoyé une petite requête par
mail. Vif comme l’éclair Alex m’a gentiment répondu que j’étais placé sur la A Guest List. V.I.P
en Full Access. Citron sur la tequila, c’est “open
friends” pour moi. Je peux inviter qui je veux. Je
ne me rend pas bien compte de la chance que j’ai,
si c’est une chance. Pour marquer le coup et parce
que j’aime ça, je lui ai proposé d’apporter ma petite touche “perso” pour que la soirée soit vraiment mortelle. Derrière le bar je suis l’empereur
du Shooter et comme j’ai récemment été intronisé
nouvelle sensation du petit écran, ma présence sera inattendue a cet endroit là. Cela ajoutera au
Buzz. Une idée de génie !
Alex n’y voit pas d’inconvénient. Sobre mais stylé.
Agaçant le bougre, mais je serais content de le revoir. On formait une pure équipe à l’époque avec
Louis (mon connard de frère), Marc (un gentil mec
qui craint un peu), Jerome (attend… il est dans la
com’ ? Jamais trop compris comment, hyper effacé
et pas très fun), Alex (Lui finalement il était cool) et
moi. Avec le recul j’étais quand même le plus mignon et le plus marrant de la bande. Mais tout ça
c’est du passé. Du super vintage !
En ce qui concerne mon pote du présent, Stan,
d’après Marie qui est très vis ma vie comme dans
Voici, Cassandre serait carrément partante pour
en faire son quatre heure… « s’il n’était pas si dépressif bien sûr ». En bon cupidon à barbe de trois
2
jours, j’ai tout de suite imaginé un certain nombres
d’arguments pour arranger le coup avec cette Messaline et métamorphoser l’autre naze en Stan la
Gagne.
J’envoie un ultime message à Alex pour valider
mes invités : Stan, Marie, Cassandre. C’est fait. Espérons que cette fameuse Private Party du Roi Léo
soit aussi cool qu’on le prétend. Tonight might gonna be the night !
Comme d’hab’ Pour démarrer cette journée dans
les meilleurs conditions, je me fais une petite revue
du web : Un tour sur le nec plus ultra des sites de
la nuit livenight me confirme une récente impression… Sans exagérer : Je suis au top !
Jeudi soir à l’Event Canal 17 entre Marie et Johanna, en T-Shirt Alexander Mcqueen painted skull
(Rest in Peace Alexander, tu es toujours dans mon
coeur). Jeans Diesel et Adidas Star Wars Storm
Troopers (une édition collector découverte sur un
site japonais. J’ai carrément trop flippé de ne jamais les recevoir).
Vendredi, inauguration d’un nouveau concept
store encore avec Marie, Xav’ (un gars de la nuit
sympa avec lequel j’accroche moyen mais qui connait des gens connus ce qui le rend intéressant) et
Marc (mon fameux pote d’enfance que je sors de
temps en temps de la naphtaline. Ingénieur coincé
du cul, ultra kiffant à débaucher).
Pour ce soir, j’hésite entre un sweat Rick Owens
«casual» mais très underground et une chemise Damir Doma basic plus straight. Finalement j’opte
pour la chemise. Le reste de la tenue est Armani, à
part les Weston aux pieds bien sûr. « Les basiques,
toujours les basiques ». Je me regarde dans le miroir avec un brin d’émotion. Irrésistible !
Tout est en ordre. Je me rends au studio pour quelques sessions de Charts, l’émission dont je suis le
présentateur vedette. Puis je rentre chez moi, en
pleine forme après un détour par la salle de sport.
Comme prévu, Stan débarque @ home, sans trop
connaître le programme de la soirée. Ce petit énergumène cyclothymique s’avère être un brillant critique gastronomique quand il se décide à écrire ses
articles, son problème c’est d’être une larve la majeure partie du temps. Mais bon, c’est comme ça,
tout le monde n’a pas la chance d’être moi.
Un coup de fil aux taxis G7 et 20 minutes plus tard
nous sommes en route pour une destination inconnue. Le message intitulé «RDV» reçu sur le téléphone portable ne contient que des coordonnées
gps que j’ai transmises au chauffeur.
D’après lui on va du côté de Versailles. Stan semble s’en foutre totalement, il se laisse gentiment guider.
Enfin arrivés. La voiture nous laisse devant une
massive grille en fer forgée. On se croirait dans
“eyes widget shut “. Il est tôt 22h30 comme
Alex me l’a stipulé dans son mail. Précaution indispensable pour éviter la foule.
Un physio en costard Bruce Field et oreillette BlueTooth nous accueille froidement, l’œil et la mine
féroce. J’hésite à lui dire fidelio mais devant l’aspect ogresque du personnage, je ne fais que lui tendre mon smartphone. Mâchoire serrée, il inspecte
le sms d’invitation. Un code à 6 chiffres personnalisé. La crème du filtrage mondain. Hulk check sa
liste et se détend un peu. Le molosse appelle au talkie un autre cerbère. La grille se déverrouille. Rendons au Roi Léo ce qui lui appartient, il n’y a rien
à dire, le maitre des lieux sait vraiment créer un climat. Epoustouflant, à défaut d’autre mot.
Une puissance festive quasi mystique se dégage et
pourtant ce n’est que le teaser de la soirée. Nous
ne voyons pas très bien parce qu’elle est dissimulée
par des arbres mais la maison semble être au
moins à 500 mètres, si tant est qu’on puisse appeler cela une maison, on dirait un hôtel ou un musée réaménagé, pourtant la musique, un remix précis de The XX – Shelter est parfaitement audible
grâce aux enceintes astucieusement disséminées un
peu partout. DisneyTeuf nous voici !
Pour parvenir jusqu’à la porte d’entrée de la majestueuse demeure, nous montons à bord d’une voiture de golf pilotée par un super beau gosse au
physique de tentateur de la télé réalité, qui arbore
fièrement un t-shirt et une casquette d’une marque
sponsor. Stan subjugué par le faste esquisse son célèbre demi-sourire. Signe qu’il est bien heureux
d’être là. Et encore, il ne sait pas tout… La petite
Cassandre qui doit nous rejoindre un peu plus tard
avec Marie. Surprise !
Une hôtesse évidemment ravissante nous accueille,
avec un regard sexuellement dégoulinant et deux
3
coupes de Krug, sur le perron où trainent quelques
fêtards de luxe. Clopes ou autres substances
fumables à la main pour certains. Champagne
pour tous. Sapés hype et glamour. La quintessence
de la branchitude. J’en reconnais quelques un(e)s.
La crème de la crème. No doubt. Une fois à l’intérieur c’est carrément la démesure, encore plus
énorme. La décoration, le style… Je m’éclate
comme une bête. Rrrrrrrr. Deux heures plus tard.
Stan est affalé sur un canapé rococo, juste derrière
moi, à moitié comateux, il discute avec le gourou,
un grand mec dégingandé qui a séduit le tout- paris avec sa philo de bazar et ses tatouages ésotériques. La douzaine de Shooters que je lui ai concocté depuis notre arrivée l’ayant, il faut bien le reconnaître, totalement fracassé. Ma prestation n’est
d’ailleurs pas passée inaperçue. Prêt pour un remake de Cocktail. Tom Cruise à côté de moi, c’est
une brelle. Two thumbs up, Fuckers !
La sublime Djette enchaine avec maestria l’excellente et intemporelle tuerie de MGMT Time to
Pretend avec le non moins bon Galvanize des Chemical Brothers feat Q. TIP. La piste de danse, une
véritable salle de bal irradie littéralement maintenant que tout le monde est là, plus de monde que
prévu, je m’interroge ? Ibiza. Marbella. Les fêtes
de Cannes. Tout ça c’est zéro, de la daube comparé à cette surkiffante soirée.
Léo suivi de près par Alex passent devant moi. Je
me plante face à eux histoire de taper la causette et
surtout de me rappeler aux meilleurs souvenirs de
mon pote, que je compte bien revoir beaucoup
plus souvent maintenant que j’ai capté ce qu’il fait
dans la vie. Ils filent, comme ça, sans même
m’adresser un regard. Hallucinant ! Je suis quand
même l’ami d’enfance d’Alex, peut être son
meilleur, mais aussi un personnage public. Merde
quoi ! Tant pis pour eux.
Exceptée cette péripétie, jusqu’ici tout va bien…
Tranquille et serein, j’esquisse quelques mouvements d’épaules destinés à montrer à la gent féminine que je suis bien dans le coup. Vodka Tonic à
la main, mais cette fois assis. Complicité avec
Stan… de circonstance.
Marie, robe créateur courtissime et sexy, enfin arrivée avec Cassandre, ce qui soit dit en passant a littéralement transporté de joie Stan, «Ah elle est là
elle aussi, cool !», danse, virevolte, me lance des
oeillades de braise que je fais mine d’ignorer. Elle
reste sous le coude, en ultime recours.
La soirée est comme sur des rails. Ce soir je vais
chopper grave. Avant ça je n’oublie pas mon rôle
d’entremetteur. Je prend le téléphone de «la loose»
qui baragouine un truc du genre « qu’est – ce que
tu fous ». Tel un Mac Gyver des temps modernes,
avec une meilleure coupe de cheveux, je remplace
mon nom dans son répertoire par celui de Jay – Z.
Plus c’est gros plus ça passe comme dirait Christophe Rocancourt ou Rocco, je ne sais plus !
A ma demande Cassandre se dirige vers nous. Stan
et moi on se lève, même si ce bouffon n’était pas
trop chaud au départ. D’emblée je lui demande de
garder la table qui est heureusement assez isolée de
la piste de danse, ainsi que le portable de Stan. Evidemment je n’oublie pas de lui mentionner que si
le téléphone sonne, il faut impérativement qu’elle
réponde car Stan, aussi incroyable que cela puisse
paraitre, attend un appel hyper important des States, rapport au business et que cette personne, de
notoriété internationale, ne doit en aucun cas tomber sur la boite vocale. Je donne un coup de coude
à l’animal qui tangue à côté de moi et d’un coup
nous faisons des signes à un gars invisible, prétexte
fumeux pour nous absenter. Cassandre est focalisée sur sa mission. Impressionnée par l’ambiance
et les gens, elle ne se méfie évidemment de rien.
Un peu à l’écart. J’appelle sur le portable de Stan.
Et là, Cassandre est sur le point de défaillir lorsqu’elle voit marquer en gros caractères le nom:
Jay-Z.
- Allo
- Who are you, where is this motherfuckin Stan
biatch ? on dirait une mauvaise parodie de De Niro mais Cassandre à fond dans le trip est persuadée d’être en ligne avec le vrai rappeur.
- Sorry he is not here for the moment, please wait,
he will be here soon
- Yo Girl you seem cool but don’t fuck with me this
is serious shit, i’ll give him an exclusive interview
and i hate to waste my time. French people are real
assholes. Suck my dick. Dick sucker !
J’envoie Stan reprendre la main. Il prend le téléphone me baratine 30 secondes en anglais. Raccro-
4
che. S’affale sur le canapé et comate. Ce con n’en
profite même pas !
Cassandre le regarde mi figue mi raisin. Part sur la
piste de danse, désabusée. Je retourne m’assoir dégouté, me sers un Perrier histoire de couper un
peu l’escalade dans la picole. Je zieute l’autre pourri: Natural Born Looser qui se lève chancelant. Probablement pour aller aux toilettes. Vomir alcool et
mal être.
Il doit être 23h57 en tout cas c’est ce qu’indique
ma Rolex et je n’ai pas le temps de réaliser ce qui
se passe. Comme victime d’une collision visuelle,
j’identifie Stan au milieu du dancefloor. Il exécute
une espèce de danse du scalp. Mélange surréaliste
de pas de danse improbables style batcave mâtinés
de saut de marsupilami surcoké. L’index en l’air, il
gueule des « wouh » « wouh » comme une hyène
enragée. Cassandre qui malheureusement est juste
à côté de lui et croit qu’il déconne, se fait gerber
dessus. Minuit : On a perdu Stan. Il est carrément
parti en vrille…
Je retourne très vite derrière le bar principal histoire de ne pas être de près ou de loin associé à cet
événement tragique. Marie passablement vénère
part s’occuper de sa copine traumatisée. Je réfléchis aux différentes solutions qui s’offrent à moi
pour me débarrasser définitivement de ce boulet.
Je pense à Alex. Lui au moins c’est un mec bien !
Hasard ou démente coïncidence Louis, mon frère,
est face à moi, à ses côtés Marc et Jérome.
- Putain les gars qu’est-ce que vous faites là ? Dis-je
incrédule
- On a tous reçu en début d’après-midi une invitation de la part d’Alex pour venir à cette soirée, ça
semblait important, il avait un truc à nous dire. Répond froidement Louis.
Marc et Jerome opinent du chef
- On ne s’attendait pas à se retrouver ensemble, on
est venu chacun de notre côté enchéri Marc.
Jerome ne cesse de regarder à droite et à gauche,
visiblement à l’affut. «Quelqu’un a vu Alex ?»
- Je l’ai croisé mais il ne s’est pas arrêté, il ne m’a
peut être pas reconnu ! Mon ton est involontairement acerbe ce qui donne à Louis l’occasion de
me provoquer.
- Ta tête a tellement enflée, tu m’étonnes, il a dû
avoir la trouille !
Mais quel connard celui là alors. Dommage que
nos parents soient morts, je les auraient bien poursuivis pour avoir mis au monde cette petite enflure.
Façon de parler bien entendu.
Je quitte le bar suivi de mes «amis» pour regagner
la table délaissée par Marie, Stan et Cassandre.
Nous échangeons quelques banalités d’usage tandis que nous remplissons nos verres de champagne
frappé. Stan ne revient toujours pas. Ca fait évidemment marrer Louis de me voir partir à sa recherche. Finalement après un petit moment d’investigation je le retrouve endormi par terre dans
les chiottes. Un brin ulcéré je lui mets quelques petits coups de pompe pour le réveiller.
Soudain, ça s’agite autour de nous, les beautiful
people se dirigent en masse vers l’entrée du bâtiment. Je tire Stan par la main qui se relève à moitié groggy, mais arrive tout de même à me suivre.
Attroupés dehors, je distingue Marie et Cassandre
qui sont assises sur les marches, à droite de la porte
d’entrée. Toutes les têtes sauf les leurs sont levées.
Au bord du toit à une quinzaine de mètres de hauteur, Alex et Leo exécutent une sorte de chorégraphie. En bas la peur s’accouple à l’excitation. Les
bras se tendent vers eux. Le public exulte. Jerome,
Marc et Louis se rapprochent de moi. Ils sont tendus, ne goutent pas comme les autres à ce spectacle, Conscience affective qu’un drame est en train
de se dérouler ?
Inévitable, prévisible, inéluctable, tous les qualificatifs sont justifiés mais aucun ne peut rendre compte
de l’horreur qui se produit lorsque Léo et Alex tombent du toit pour s’écraser en moins de 7 secondes
sous nos yeux hagards au bas des marches, produisant un double bruit sourd, mat, disloquant, lourd.
Juste à côté de Cassandre qui réalise après coup et
se met à hurler comme une damnée, suivie instantanément par Marie et la panique s’empare du
lieu. La DJette
s’arrête de jouer. Signe que la fête est finie. Les discussions s’animent, la rumeur gronde. L’agitation
est paroxysmique. Le roi Léo. Mort. Alex… aussi ?
Surréaliste. Les smartphones sont dégainés. Ca téléphone de partout. Il y en a qui filment. Prennent
des photos. Se dépêchent de publier des infos sur
les réseaux sociaux. Les plus braves forment un cor-
5
don autour des corps. Je ne crois pas qu’il y en ait
un seul ici qui pense à composer le 18.
Jerome, Marc, Louis et moi, nous sommes avec
Alex qui git inconscient dans une mare sanguinolente, peut être est-il encore en vie, mince espoir ?
Franchement on n’y connait rien. Jamais su prendre un pouls, la tension, ce genre de conneries. On
est pas dans un putain de film, c’est la maudite réalité qui nous attrape au collet et serre son étreinte.
Totalement déphasés nous voyons le personnel de
sécurité assister les secours (miracle ?) qui essaient
de faire leur travail, nous reculent du lieu du
drame. ce qui n’empêche pas les curieux de luxe
d’affluer pour se repaitre de la douleur et se gaver
de sensations fortes. Certains s’amusent, d’autres
sont subjugués, atterrés. Jerome chiale comme une
madeleine, Marc et Louis sont stoïques, tétanisés,
sous le choc.
Stan totalement débourré est avec le Gourou qui
psalmodie (à mon sens) un genre de mantra destiné plus à ses groupies qu’aux deux moribonds disloqués.
Finalement les corps sont chargés dans une ambulance. Au bout de combien de temps ? aucune
idée, j’ai l’impression que tout s’est déroulé dans
une microseconde d’éternité. Gyrophare et sirène
écartent les médias, les invités, le personnel, se
fraye un chemin à l’extérieur de la propriété à tout
jamais associée à cet événement. Une pensée terriblement cynique me traverse l’esprit, pour une fois
il n’y a pas eu de tromperie sur la marchandise,
une soirée de Léo on s’en souvient toute sa vie. Surtout quand c’est la dernière.
Dans le bras de Marie, mes forces m’abandonnent,
mes yeux s’embuent, mon esprit est à l’extérieur de
mon corps, j’ai l’impression de vivre une near
death experience. Je vois Cassandre couverte de
vomi, de sang et d’autre matière qui frissonne emmitouflée dans la veste que lui a prêté Louis. La petite chinoise est blême. Statique. Yeux rouges. Le
contraste des couleurs est saisissant. Mon frère est
en grande conversation avec une blonde de compète que je reconnais. Eglantine, je suis sorti avec
elle l’année dernière… Le salaud, il doit bien se régaler !
Marie venue avec sa mini propose de ramener
Eglantine et Cassandre, tandis que Jerome, Marc,
Louis et moi décidons de nous rendre à l’hôpital
où a été transporté Alex. Stan est parti avec son
nouveau pote le Gourou. Bon débarras.
6
STAN
Benjamin discute avec son frère et tout un tas de
gens que je ne connais pas. Drôle de soirée pour
notre nouvelle star du petit écran. Apparemment
ce sont aussi des amis d’enfance d’Alex, le mec qui
est tombé du toit en même temps que Léo ? Brrr
j’en tremble encore. Quand j’y repense c’est surtout con pour Cassandre. Elle a un bon petit cul.
Faudrait que je pense à la rappeler pour prendre
de ses nouvelles. J’ai envie d’une clope et d’une
bière. Ma boite mail doit déborder. J’ai une critique à rédiger pour demain, un resto thaï qui vient
d’ouvrir. Je crois que Léo a des parts dedans. Cool,
ça va faire un peu de buzz. Il y a aussi cette histoire avec « Le Gourou », encore un truc qui me
tombe dessus alors que j’ai rien demandé… Mais
c’est vraiment un bon plan. Moi, patron d’une
secte en Amérique du sud ! Putain de vie, je me dis
que parfois ça doit être cool d’avoir un petit taf salarié en Province… genre dans la banque ou un
truc comme ça. Benjamin lâche plus son téléphone. Il parle d’aller avec Louis et ses vieux amis
à l’hosto. Pratiques d’anciens combattants. Moi j’ai
d’autres choses plus importantes à faire, tiens je me
casse avec « Le Gourou ». Après tout, chacun son
destin.
LOUIS
Les filles sont parties, Eglantine est vraiment géniale, elle réconforte avec tellement de compassion
la pauvre Cassandre et Marie a l’air très chouette,
je me demande pourquoi elle s’intéresse à un connard comme Benjamin. Plus narcissique, plus
m’as-tu vu, c’est difficile de trouver. Maintenant
qu’il passe à la télé c’est encore pire. Fallait le voir
derrière le bar tout à l’heure à jouer au mec cool,
quel pitre. Et son faire valoir à deux balles de Stan
la loose, pas irrigué ce baltringue. Jamais pu le blairer. Mes pensées divergent un peu mais reviennent
toujours sur Alex. Mon Dieu, je t’invoque et pourtant je ne crois plus en toi depuis la mort de mes
parents, mais par quelle probabilité diabolique
avons nous été réunis, Marc, Jerome, Benjamin et
moi aujourd’hui pour assister au tragique accident
de notre ami d’enfance ?
Marc Premier arrivé il me semble. J’entre dans le
café. Celui qui fait l’angle. Juste à côté de l’hôpital
où nous avons décidé de nous retrouver. Il fait glauque. Autant dehors que dedans… Le froid me
glace les os et ce n’est pas j’en ai peur, le minable
brasero que j’aperçois au fond du bastringue qui
va atténuer cette sensation. La torpeur parisienne
me colle, si c’est possible, un peu plus le bourdon.
Je voudrais que cette nuit s’arrête. Je suis las et fatigué. Et pourtant, ce n’est pas fini. Je constate que
Jérôme a eu la même idée que moi. Mais après
tout, qu’a t-il à perdre ? il est toujours plus facile
de sacrifier sa solitude lorsqu’elle pèse, que sa compagnie lorsqu’elle est appréciée.
La fumée et la lumière tamisée du lieu éprouvent
mes yeux habitués aux néons. Deux tables sont occupées. L’une par un petit couple de jeunes qui se
pelotonnent sur la banquette, l’autre à l’opposé
près de la fenêtre par Jérôme. Avec le Barman
moustachu à tête de facho, nous sommes cinq à
peupler le ‘Balto’, qui n’a sans doute jamais vu autant de clients à cette heure-ci. En fait qu’est-ce
que j’en sais ? Peu importe, de toute façon je ne
suis pas là pour le plaisir. Jérôme et moi devons discuter en attendant les autres. Je veux comprendre
et lui aussi sans doute, ce qui est arrivé à celui qui
est, qui fut ? Notre ami.
- Salut, assied toi. Tu veux boire quelque chose ? –
Oui, merci. Je vais prendre une bière.
7
- O l a f : 2 d e m i s s ’ i l t e p l a i t .
- Tu connais son nom ?
- Je suis là depuis une demi-heure. J’ai eu le temps
de faire la causette…
- C o m m e n t t u t e s e n s ?
- Moi pas mal. Non en fait c’est des conneries. Ca
ne va pas si bien… – Moi non plus, je n’arrête pas
d’y penser. C’est dingue.
- Justement, si je voulais te voir c’était aussi pour
savoir. Comprendre. Reconstituer un peu les événements. Je me demande, comment il a pu en arriver
là, et…
Jérôme me regarde fixement. Un rictus au coin des
lèvres. Ses yeux sont rouges : La clope, les larmes,
les deux.
- Tu te souviens de la première fois que tu l’as rencontré ? Me demande Jérôme pour rompre ma réflexion.
Tu parles, ça remonte à la primaire.
- Moi à la troisième… Olaf pose devant nous nos
deux verres. Jérôme lève le sien :
- On trinque ? A la vie, à la mort !
A la vie…
Un spasme me parcoure. Tout à coup je réalise un
peu plus ce qui se passe. Nous buvons à la santé de
notre ami qui bientôt ne sera plus. Une part de
nous qui meure à chaque nouvelle gorgée. J’ai une
furieuse envie de cigarette. Un an que je n’ai pas
fumé mais cette fois ci je ne peux pas résister. La
nuit va être longue pour Jérôme et moi, mais peut
être courte pour Alex. Nous nous recueillons un
instant. Je prends la parole.
- Pour moi, tout à commencé quand Alex a fait la
connaissance de Léo, à Clarisse de Nazareth je
crois ?
A cette époque j’étais à Jules Ferry, toi à Montaigne et les deux frangins à Machiavelli, j’avais jamais remarqué mais on quadrillait la zone !
Jérôme opine du chef.
- Ouais ! Alex qui s’est vu condamné dès son plus
jeune âge par sa mère à cette boîte à bac bien pourrie.
- Tu te souviens comme moi à quel point il était à
l’affut de la moindre connerie… Bref.
- Mais au début, il était pas vraiment attiré pas
cette ambiance de fashion victims.
- Arrête ! Même les profs et les pions étaient dans
le trip. A tel point, qu’il croyait que c’était un uniforme. Bien sûr, il aimait ça les fringues, la mode,
mais ce n’était pas prioritaire pour lui, en tout cas
pas sur ses amis.
Jérôme, qui comme moi s’est laissé prendre au jeu
ne réagit pas trop. Je le vois jeter un coup d’oeil rapide à ses Onitsuka Tiger collectors neuves.
J’essaie désespérément de dissimuler mon bracelet
Dsquared sous mon pull Paul Smith mais rien n’y
fait. Ce soir, il faudra affronter la vérité.
- Tu sais Marc, me dit Jérôme en relevant la tête,
les yeux embués : Je crois que j’ai été jaloux de son
succès, de sa vie et même plus…
- Oui, sans doute un peu. C’est compréhensible.
Mais regarde où ça l’a mené. Putain, j’en étais où ?
Ah, oui, le bahut…
- Il a fait littéraire je crois, je me souviens en tout
cas qu’il était le seul garçon de sa classe pour une
dizaine de filles. Seul comme Ulysse au milieu des
sirènes, comme il le disait.
Jérôme décroche un sourire complice. Tu parles,
tout ce qu’on aurait donné pour être à sa place à
ce moment là.
- La première fois qu’il nous a parlé de Léo on
était ensemble tous les trois, on allait acheter des
disques vers Saint – Michel.
- Mais oui. Bien sur ! J’avais oublié. Nos fameux
après midi shopping. Disques, livres dvd, jeux-vidéos. On se faisait simplement plaisir. C’était cool,
pépère. C’est marrant que tu t’en souviennes si
bien.
- En fait, Je crois avoir compris ce jour là l’envie
qu’avait Alex d’autre chose, rien qu’à la façon dont
il en a parlé. Il s’emmerdait avec nous.
Jérôme commence à tirer la gueule et descend en
une gorgée la moitié de sa bière. Je n’ose pas le regarder. J’en profite cependant pour jeter un coup
d’oeil à ma droite, et je constate, sans être vraiment étonné, que le petit couple m’écoute. Ils attendent la suite de l’histoire, pour être sûrs qu’on
parle bien DU sujet à la mode… Même Olaf à
l’air intéressé. Lui en revanche, ça doit le changer
des histoires de tiercé et de complot international.
- Une autre bière Jérôme ? Question idiote, ça
tombe sous le sens.
8
- Olaf, deux bières s’il te plait et offre-toi une tournée ainsi qu’à ce charmant petit couple. Le téléphone portable posé sur la table est immobile. Pas
de message des frangins, pas de sonnerie. Pour l’instant, nous sommes tranquilles. Tout le monde fait
les remerciements d’usage. Je poursuis mon récit.
•
- Donc, nous étions attablés au Mc Do
quand Alex m’a demandé :
•
- Tu connais Léo ?
•
- Le mec qui fait les soirées, ben ouais
comme tout le monde de réputation. Il est
dans mon bahut.
•
- Alors il est comment ?
•
- Je sais pas, j’dirai bien que c’est un con,
mais il a une aura, un truc, tu verrais comment les meufs le matent…
- De quoi vous parlez ?
•
- De Léo, tu sais, les soirées Fissapapa, on a
jamais réussi à y aller, tu sais Jerome, à chaque fois on s’est fait jeter. Il est dans le bahut
d’Alex.
•
- Ah ouais, alors il est comment ?
•
- Et arrête avec les tu sais, c’est un tic de langage !
•
- Putain, mais t’es un boulet tu sais, t’as qu’à
écouter. Euh, j’ai l’impression qu’il est plus
sympa qu’on le dit, faut voir.
•
- T’as discuté avec lui ?
•
- Vite fait, tu sais, on a déconné ensemble en
cours et on s’est fait coller samedi après midi.
Ca va être l’occasion d’en savoir plus sur son
compte.
•
- Essaye de gratter des invits
•
- Putain, mais t’arrête jamais d’être con, toi.
»Jerome toussote à l’évocation de ce souvenir,
il enchaine sur ce dernier point :- Attends,
j’ai jamais demandé d’invits, t’invente, distorsion de réalité !Marc n’écoute pas, enchaine
:- C’est vrai, maintenant que tu le dis. Alex
avait sans doute une idée derrière la tête.
Après sa colle, il m’a appelé le samedi soir
pour savoir si je voulais sortir. Toi, t’étais en
week–end à la campagne. On a d’abord été
boire un verre dans un pub et vers minuit et
demi on y est allé. C’était dans une boite à
côté des Champs Elysées. Je me suis dit
comme d’hab on va se faire refouler : Vous
n’êtes pas accompagnés, soirée privée, pas de
baskets… En plus dehors, il y avait une foule,
on aurait dit que tous les jeunes de Paris
s’étaient donné rendez vous au même endroit, au même moment. J’avoue que j’avais
un peu la trouille, tu sais ce que c’est, se faire
jeter c’est une chose, mais devant tout le
monde c’en est une autre, surtout pour l’égo.
Alex m’a dit de ne pas m’en faire. Il s’est posté un peu en retrait du gros de la foule massée devant l’entrée, vers la droite, il a fixé un
des videur, il a claqué des doigts, gueulé : «
Deux » en montrant les doigts. Le videur
s’est activé, il a poussé les personnes qui
étaient devant et nous sommes entrés. J’ai halluciné. Je lui ai demandé : « Comment t’as
fait ? »
- Tu sais ce qu’il m’a répondu ?
- Ta gueule, souris !
- Ouais, euh t’as deviné tout seul ?
- Non il me l’a raconté après, il craignait que tu dises une connerie ! Remarque te connaissant…
- Arrête !
- J’ai été un peu choqué quand il me l’a raconté. Il
commençait à se prendre au sérieux, même si
t’avais dit la pire des conneries, quelle importance
?
- Pour lui ça en avait, il t’a raconté aussi que j’ai
passé la soirée tout seul au bar à attendre tandis
qu’il était à la table « V.I.P » de Léo ?
- Non
- Alors peut être qu’à cette époque, il lui restait encore un peu d’humanité. Au moins ce coup ci vous
ne vous êtes pas moqués de moi, à moins, pire qu’il
n’ait oublié ?
Ma question reste en suspend, je n’ai pas la force
d’y répondre. Je me plonge dans la contemplation
de mon verre. Jerome joue avec une clope. Olaf
récure son comptoir, une activité qu’il effectue mécaniquement, machinalement, il le fait sans plaisir,
sans envie, parce qu’il le doit. Le petit couple chuchote en me lançant de temps en temps des re-
9
gards. La fille a une bonne allure générale et un joli visage. Une vingtaine d’années, châtain clair, étudiante ? Son mec a le teint blanc typique du parisien. Barbe de 3 jours et coupe de rigueur. A mon
avis, ils sont en médecine. La fac est à côté. Elle se
lève et vient vers moi :
- Bonjour, je n’ai pas pu m’empêcher d’entendre
votre conversation. C’est affreux… ce qui s’est passé.
- Oui, dis je prudemment
Je baisse la tête. Jerome m’observe intensément. Il
se demande ce que je vais dire. Logiquement je
dois l’envoyer chier et lui dire que cela ne la regarde pas, mais je n’en ai pas le courage et puis,
pourquoi ne pas avoir des témoins, après tout ?
Olaf s’est redressé, il a dû lui aussi faire le rapprochement, mais il continue son boulot. Pro jusqu’au
bout de la nuit.
- En fait on aimerait se rapprocher, pour écouter la
suite ? Si ça ne vous dérange pas ?
- Perso, je m’en moque. Si Jérome est d’accord, ça
ne va pas changer la face du monde ?
Jérôme acquiesce sans plus de forme.
- Merci, je m’appelle Alice. Grégory et moi on va
s’installer juste là. Elle désigne la table accolée à la
nôtre. Son mec s’installe, elle farfouille dans son
sac, nous regarde. Prêt.
A l’extérieur de plus en plus de monde se presse
autour de l’hôpital. Des badauds à l’affût de célébrités, des journalistes du monde entier guettent la
mort, de simples curieux, Marc est sur le fil du rasoir. Il boit une longue gorgée de bière. Prend une
grande inspiration. Repose sans ménagement le
verre sur la table ce qui fait légèrement sursauter
Alice. Toujours aucune nouvelle de Benjamin ou
de Louis. Connards.
- Vous voulez savoir ce que j’en pense ? Jérôme
craint déjà le pire, Marc est quasi écarlate. En réalité il se sont suicidés, j’en suis persuadé. Mais pourquoi ? Qu’est-ce qui a bien pu les inciter à commettre l’irréparable. J’en ai aucune putain d’idée. Jerome retient ses larmes. Les deux frères font enfin
leur entrée dans le bar. Ce coup- ci le Balto change
de physionomie. Ressemble instantanément à l’annexe du Baron.
Cassandre
J’en ai marre. 2h00 du mat’ J’arrête pas de pleurer
comme une Madeleine. Un peu plus propre après
un bain moussant. Je ne sais toujours pas ce qui est
le pire, l’humiliation subie à cause de ce connard
de Stan ou d’avoir vu ces deux mecs s’exploser
comme des tomates mures. Qu’est ce qui lui a pris
de me gerber dessus, en plus une robe comme ça,
j’espère que le pressing va pouvoir me la récupérer.
Je vais appeler Marie, elle me dira ce que je dois
faire. En attendant je me roule un petit joint, laisse
fondre un lexomil sous la langue.
Marie J’ai l’impression que Benjamin m’a à peine
remarquée. Pourtant j’avais sorti le grand jeu. Au
moins il est resté clean ! Pauvre Cassandre,
d’un autre côté ça lui fait du bien de redescendre
un peu sur terre à celle là, toujours à minauder, se
poser des questions débiles. Elle me gonfle. Jamais
sûre d’elle alors qu’elle a tout pour plaire. Gamine
trop gâtée. Mon portable sonne, c’est elle, j’ai pas
envie de répondre, mais bon d’un autre côté.
- Allo
- Marie c’est Cassandre, je suis dans un tel état
c’est terrible, est-ce qu’on peut se voir ?
- Ouais, je sais pas, j’attend un coup de fil de Benjamin, il pourrait venir à la maison, pour que je le
réconforte.
- Allez, je t’en supplie. Je suis au bord de la dépression, tu peux pas me laisser comme ça.- OK, où ?
- T’as qu’à passer, j’ai pas le coeur à sortir maintenant. – Bon, très bien j’arrive, je viens en scoot’Super, t’es vraiment ma meilleure amie, je t’adore,
tiens je l’écris tout de suite sur mon mur facebook
que t’es la fille la plus géniale du monde !- Ouais,
c’est ça, à tout de suite ! Je suis vraiment trop
conne, à chaque fois je joue les mères Teresa.Le téléphone de Marie se met à vibrer, elle regarde énervée pensant que c’est encore Cassandre. Un sms
de Benjamin. « Je suis à l’hôpital, on peut se voir
après ? » Elle répond instantanément « Oui ». Elle
sourit. Enfin une bonne nouvelle.
Louis Le bar est vraiment moche. Ils sont au fond,
prévisible. Marc, Jérome et un couple que je n’identifie pas.
10
François
J’ai envoyé un message à Marie, avec tout ça je
n’ai pas tellement pensé à elle, c’est une meuf extra. Je ne sais pas si compromettre cette amitié est
une bonne chose. Cette tragédie me pousse à réfléchir, ce serait trop con de passer à côté de la vie et
de l’amour. C’est fou, tout ceci est si tristement banal, seul le contexte est extraordinaire mais hormis
ça ? On reste dans l’absurde, trop de série télé, de
violence gratuite, de banalisation, de starification.
Tous ces gens qui croient être arrivés, ils ne se rendent pas compte qu’on ne rigole pas avec eux mais
d’eux.
Des crétins adorateur du système qui les brise. Le
prix a payer est trop élevé pour tout. Alex est allé
au bout de sa logique. Il ne m’a même pas remarqué le soir du drame. Que lui est-il passé par la
tête ? Est-ce que j’aurai pu faire quelque chose
pour empêcher ça. Je commence à prendre conscience de la bêtise ambiante et de la mienne en
particulier.
Marc, Jerome, Louis on se fait un trip de morts vivants, nous ne sommes plus cette bande de copains
qui jouait aux meilleurs amis, prétendait que rien
ne nous séparerait. Sur l’échelle du temps il n’aura
pas fallut longtemps pour que notre amitié s’évapore. Louis a l’air en forme, plein d’assurance et
de confiance, il est venu plus par convention que
par envie. Et moi, que suis-je venu faire ici ?
Les deux frères marchent en direction de la table,
Marc et Jerome se lèvent. Ils se tombent dans les
bras, l’amitié les submerge, ce sentiment enfoui refait surface, les emplit à l’intérieur d’une douce chaleur, c’est cliché mais merde ça n’est pas descriptible autrement. Ce n’est pas de la joie qu’ils ressentent mais plutôt l’impression que c’est dans l’ordre
des choses. La fraternité dans sa plus simple expression.
Marc
Les deux gravures de mode arrivent, Jerome et
moi on va à leur rencontre et chacun de nous ressent l’alchimie, là dans ce lieu que nous n’aurions
jamais fréquenté dans d’autres circonstances, nous
savourons nos retrouvailles, l’enchantement de
l’amour (à défaut d’autre mot pour décrire cela).
Nous prenons place, à table et dans l’existence. Je
refais un topo sur notre échange précédent, Benjamin et Louis acquiescent. Eux aussi commandent
des bières. La nuit est noire. Le téléphone de Benjamin ne cesse pourtant de sonner, il s’absente un instant pour répondre. Il a un tournage demain. Il n’a
pas l’air plus soucieux que ça. Le privilège de ceux
qui sont libres financièrement, qui n’ont pas cette
pression du quotidien, des actes qui peuvent engendrer des conséquences et plonger dans la misère.
Pas de problèmes d’argent d’accord, mais orphelins. Peut être qu’avec cette histoire ils vont se retrouver, resserrer les liens familiaux. Pas mon problème, moi ce que je veux, c’est qu’on honore notre pote et qu’on lui transmette l’idée qu’on est
tous d’accord, il a merdé au delà du grave, mais on
est là, on sera toujours là, les uns pour les autres.
D’autres gens entrent dans le café. Des journalistes. Ils viennent voir Benji et le saluent, pas étonnés de le voir ici, pensant sans doute qu’il couvre
l’événement. Ils saluent aussi Alice et Gregory, j’ai
mal interprété leur présence, ce sont des journalistes. Ils nous jettent quelques coups d’oeil inquiets.
Pour ma part je continue de m’en foutre. Les autres n’ont pas l’air non plus particulièrement préoccupés par leur présence, il faut dire que c’est bière
sur bière et que ça commence à attaquer. Jerome
reprend.
11
JEROME
La mère d’Alex vient de laisser un message, elle
voudrait nous voir demain matin. Qui viendra ?
Jerome est partant, les deux frères ne semblent pas
sûr, puis finalement ils acceptent.
- On ira vers 10h30 ? Tout le monde est d’accord.
U n s i l e n c e s ’ i n s t a l l e
- Benjamin , alors comme ça, tu passes à la télé
maintenant ? Louis émet un petit rire hoquet. Ben
le fusille du regard.
- C’est arrivé un peu par hasard, en fait je suis arrivé pour un entretien avec une RH de Canal17 et à
la faveur d’un concours de circonstance, ils avaient
besoin de quelqu’un pour faire une balance micro.
J’ai commencé à délirer. Dans la foulée on m’a proposé un poste de présentateur pour l’émission
Charts.
- Du coup t’as du croiser Noémie ? demande Jerome intrigué.
- Pas encore, mais je n’ai pas spécialement envie de
la voir, tout ça c’est du passé.
Le ton est amer, on sent qu’il n’a pas envie d’en
dire plus sur le sujet.
- Ouais, un peu comme nous enchaine Jerome, ça
faisait combien de temps qu’on s’étaient pas retrouvés tous ensemble ? 5 ans, plus ?
On sent qu’à tout moment l’alcool ingurgité peut
faire dégénérer la conversation.
- C’est passé trop vite se dédouane Benjamin.
- Tu parles c’est surtout qu’on avait plus rien à se
dire ou à faire ensemble.
Jerome se recule dans son fauteuil satisfait d’en arriver là.
- Marc t’en penses quoi ?
- Jerome est un peu aigri parce qu’il a un sens aiguisé de l’amitié, d’un autre côté on a tous pris des
chemins différents qui n’empêchent cependant pas
qu’aujourd’hui on est heureux d’être ensemble
bien que les circonstances soient dramatiques.
- T’as jamais pensé à faire de la politique ? Louis
est impressionné par l’aisance verbale de son ami.
Un silence… Et tous partent dans un fou rire qui
fait du bien, aère le climat.
A l’extérieur le temps est lourd, le crachin parisien
heurte les vitres du bastringue. Les sirènes des camions de pompiers succèdent à celles des ambulances, on s’y est habitués au point qu’on ne prend
plus conscience de leur signification : souffrance,
mort, survie, réconfort, humanité, abnégation, sacerdoce..
Sortir, fumer une clope, histoire de se calmer un
peu. Les Wayfarers masquent les yeux, la première
bouffée exhale la pression. Des associés en amitié,
voilà ce qu’on est devenus. Le temps de la complicité est définitivement révolu, sauf peut être avec
Marc, mais il est tellement habile qu’on ne sait jamais vraiment ce qu’il pense. La dernière fois qu’il
avait eu Louis au téléphone ? C’était par erreur, il
cherchait à joindre un autre Jérôme. Les palabres
les plus plates avaient durées 3 minutes. Quelques
souvenirs, deux trois bons mots et pour finir des encouragements et une promesse, celle de se revoir
bientôt, pour un déjeuner, «ça me ferait tellement
plaisir.» Mon cul oui ! Entre 15 et 20 ans la vie est
compliquée sur des milliards de points, mais généralement on croit encore au concept d’amitié, on
s’éprend des mêmes passions, la musique, le cinema, les filles… ou dans certains cas les garçons
même si se l’avouer est toujours un combat comme
il le fut pour Alex et lui. Benjamin ? Un gars cool,
égoïste, simplement egocentré comme beaucoup
de congénères en humanité. Et pourtant, impossible de briser ces liens créés par des journées passées ensemble, des conversations fleuves. Les souvenirs qui colle à l’âme. Un jour, tout est derrière soi.
J’ai eu mon diplôme, un job, de nouvelles fréquentations, d’autres centres d’intérêts, même si finalement je suis resté bien seul, isolé dans mon psychodrame, refusant d’assumer ce que je suis depuis toujours.
12
Louis
J’ai réglé l’addition, il est temps de rentrer, Eglantine m’attend. Chacun va là où il le veut, va là où il
le peut. On se retrouvera demain.
Nuit de cinglés. Mal de crâne.
Louis prend son Cayenne pour nous y conduire.
Marguerite Delattre habite le Vésinet depuis une
quinzaine d’années, je m’en souviens parce
qu’avec Jérome on se moquaient d’Alex, à cause
de la série télé Maguy qui se déroulait là bas. Je
suis un peu dégouté. Je sais bien que Louis n’en
tire pas de gloire, mais j’avoue que sa voiture est
superbe.
En fond sonore du classique ce qui choque François qui se bat avec l’autoradio (si on peut appeler
ça un autoradio, plutôt une chaîne hifi de voiture)
pour trouver la fréquence de radio Nova. Avec Jérome à l’arrière on somnole un peu. C’est le seul
qui reste discret. En retrait. L’Iphone de Louis
sonne, apparaît à l’écran une bombe anatomique
en maillot de bain.
Wouha, c’est qui ce canon demande Francois ?
Louis lui répond avec dans la voix une bonne dose
de suffisance: – Églantine ma petite amie.
- Églantine. Eglantine Jablansky ? Ah, ouais ça
m’étonne, elle a meilleur goût d’ordinaire… Tu
sais qu’elle s’est faite ramonée la chatte par tout le
monde à Paris, tu mets des capotes j’espère sinon
tu vas nous ramener le hérisson…
La voiture manque de se retrouver dans le rail de
sécurité. Louis est suffoqué par l’attaque verbale de
son frère.
- Enfoiré, tu vas me le payer, putain on va descendre de la caisse et je vais te déboîter la gueule.
- Toujours pas d’humour. J’ai dis ça pour te faire
chier. – Comment t’as su pour le nom de famille ?
- T’es le seul à la connaitre peut être ? Après j’ai
mythoné, juste pour que tu t’énerves. Ben mon
con, ça a pas loupé.
Jérome qu’on avait oublié s’emporte :
- Mais vous êtes vraiment trop naze tous les deux.
La vie c’est pas Secret Story, alors maintenant c’est
bon. On a compris: Louis t’as de la thune, ta meuf
c’est un mannequin, ça va c’est cool. Francois ça
va pour toi aussi, la vie est belle.
Louis prend sur lui, mais il s’énerve, commence à
le regarder méchamment dans le rétro.
- Putain, qu’est ce que t’as le dépressif, si t’as une
vie de merde c’est pas notre faute, c’est quoi ton
problème ?
- Moi ! Vous comprenez rien. Je suis là pour
Alex… P..par..parce que… je l’aimais. Je l’aimais !
et Jerome commence à sangloter, respire avec difficulté.
Louis A ces mots nous réalisons que nous n’avons
rien vu de spécial dans le comportement de Jerome
ou d’Alex. Peut être que si après tout, mais nous
avons fermé les yeux, toujours prétendu qu’il ne se
passait rien qui puisse nuire a notre bande de potes, surtout pas une relation «particulière» ! à
moins que Jérome ne l’ait aimé que secrètement ?
mais peut être nous en dira t-il plus, lorsqu’il en aura envie.
T’as raison, je suis trop con, excuse moi mec !
J’avoue.
Ouais c’est le minimum ! Sinon t’as d’autres photos ? demande François par le cul alléché, elle est
splendide… Allez, raconte tu l’as payé pour sortir
avec toi, c’est pas possible ?
Nous nous marrons tous même Jérome, du coup
Francois enchaine connerie sur connerie, montre
son cul a la fenêtre du Cayenne, raconte des blagues à la con, fait le pitre jusqu’à notre arrivée devant la maison de madame Delattre. D’un coup les
sourires quittent nos visages. On se prépare à vivre
un très mauvais moment.
13
Marie
Rentrée de chez Cassandre, Quasiment pas dormi
de la nuit.
J’envoie un texto à François pour lui demander où
il en est. Il répond à la va vite qu’il est chez la mère
d’Alex. Je lui souhaite bon courage, mais j’espère
que ça ne va pas durer très longtemps, ça fait un
moment déjà que je n’ai pas fait l’amour et j’ai envie de tendresse. De douces caresses. Je suis sur
mon lit simplement habillée d’une culotte de chez
Maison-Close. Je prend une cigarette qui glisse entre les lèvres humides. Je l’allume, incandescence.
Je tire délicatement dessus, la fumée mortelle pénètre ma gorge, va virevolter dans mes poumons, revient pour être expulsée hors de ma bouche en cercles concentriques. Mon autre main libre va à la
rencontre de mon corps…
Je me consume dans l’absolu désir. Je pense à lui, à
nous, à son corps, au plaisir. Intense. Vrai. Tellement vivant.
Jérome J’ai craqué, de toute façon c’était inévitable. Alex, pourquoi
m’as tu laissé, je ne suis qu’une enveloppe vide
sans toi. Qu’ont-ils compris de notre relation ?
Rien sans doute. Nous n’étions que deux âmes souffrantes, cachées, sans présent ni futur, mais jamais
je n’aurai renoncé à ces moments passés en ta compagnie. La première fois que nos rapports ont dépassé le cadre de l’amitié c’était en été, nous étions
au bord de la piscine en Espagne, il faisait chaud
nous avions passé la semaine à fumer de la weed et
à boire des tequila sunrise ou des get27, les autres
dormaient. Tu étais seul, j’étais en couple avec Stéphanie. Je somnolais sur le transat tu t’es approché
de moi. Tu m’as regardé, tes yeux étaient mi clos,
ton doigt a parcouru mes lèvres je n’ai rien dit. Tu
t’es penché pour m’embrasser, je t’ai laissé faire et
pourtant j’avais peur, c’était une sensation étrange,
sans commune mesure avec ce que j’avais pu connaitre et puis tu m’as pris par la main et entrainé
dans un coin à l’abris des hypothétiques regards. Je
me souviens du plaisir que nous avons alors pris
ensemble. A cet instant précis nous nous aimions,
mais intuitivement nous savions que cet amour aurait remis en cause beaucoup trop de chose pour
être assumé alors nous avons continué, secrètement à vivre cette relation bancale. Je me suis ex-
clusivement consacré à toi, pendant ce temps là tu
t’affichais avec tes conquêtes de soirées, toujours
de très jolies filles bien comme il faut. Mais dans
tes yeux, moi ton plus fervent lecteur, je lisais les
tristes mots écrits par la bienséance et le qu’en dira
t-on. Nul présent, nul avenir, un passé vite refoulé
et pourtant nos moments d’extases furent si nombreux. Je t’écoutais, mais j’aurai du parler, peut
être serais tu encore là.
Des larmes irrattrapables s’échappent des yeux de
Jérome qui met ses lunettes noires comme un réflexe, pour continuer à dissimuler ce qui pour lui
n’a pas lieu d’être partagé. Personne n’en saura jamais rien.
Marc s’avance en premier, suivi de Louis, Francois,
Jérome ferme la marche, un peu en retrait, avec
ses wayfarer il allume une cigarette sur laquelle il
tire nerveusement. La petite maison de ville est
conforme à ce qu’on est en droit d’attendre dans
une banlieue résidentielle et calme. Marc appuie
sur la sonnette. Le geste coûte. La mère d’Alex ouvre la porte. Robe noire, un diamant discret autour
du cou, les yeux bouffis, les cheveux gris ramenés
en chignon. Sa main fine se tend devant Marc qui
s’en saisit, elle le regarde de ses yeux bleus clairs
embués et tente un léger sourire crispé. Les uns
après les autres, ils passent devant cette femme digne qui les salue et les accueille avec la familiarité
de celle qui les connait tous bien au delà des apparences qu’ils arborent aujourd’hui.
Dans les livres, les films, les chansons, ces moments
sont toujours admirablement décrits et l’on est toujours saisi par l’émotion de la transcription mais
quand c’est réel cela va bien plus loin. Brutal. Indécis. Pesant.
Le salon est désespérément immaculé comme si la
vie avait quitté cette pièce. Les amis d’Alex attendent le signal pour s’asseoir autour de la table
basse. La maitresse de maison entonne les sempiternelle banalité d’usage destinée à établir une relation sociale puis s’assoit dans son fauteuil, le rouge,
qu’ils connaissent si bien.
Marc est celui qui arrive le mieux à communiquer,
même François est inhibé. Florence Delattre propose des cafés qu’ils acceptent avec un peu trop
d’entrain pour être honnêtes. Jérôme et Marc l’ac-
14
compagne dans la cuisine. Les deux frères se lèvent
par mimétisme sans trop
savoir quoi faire, leurs regards parcourent la pièce,
s’arrêtent quasiment simultanément sur la grande
bibliothèque qui occupe un large pan du mur de
gauche, dans cette bibliothèque ils retrouvent des
incontournables de la littérature moderne mais également des livres plus anciens qu’ils reconnaissent
pour les avoir empruntés. C’est comme ça quand
on est amis. Et des cadres avec des photos et ces
photos ont unanimement pour seule thématique
Alex. Alex enfant, Alex adulte, Alex enfulte. Alex
au ski, Alex à la plage, Alex avec sa famille. Alex
avec eux. Ils étaient donc importants si pour lui ?
Cette femme seule avait cette présence éloignée
mais tangible pour compagnie, car elle pouvait
échanger avec lui sur ces moments vécus par procuration, par téléphone, par internet, lorsqu’il venait
diner ou déjeuner.
François et Louis réalisent sans mots dire l’immense vide que causera irrémédiablement la mort
de leur ami. Et l’immense vide dont ils sont eux
mêmes victimes privés de leurs parents. Les cafés
arrivent. Les nouvelles également. Comme l’avait
dit Marc seule la famille proche est autorisée dans
le service où se trouve Alex. A tout moment l’inéluctable peut arriver. C’est sans espoir. Aucune autre issue possible. La voix de la mère d’Alex est tendue comme le fil d’un funambule et ses mots en
équilibre peuvent flancher et mettre à terre toute
l’incroyable force engagée pour ne pas s’effondrer.
Têtes basses, les mains occupées à tripoter les tasses, ils font tout pour la laisser aller au bout de la
corde, au bout de cette torture verbale.
Florence Delattre
Mais surtout Alex vous a laissé une lettre commune ainsi qu’une clé usb. La lettre je l’ai lue mais
la clé je n’ai pas réussit à l’ouvrir, lorsque je la met
dans l’ordinateur, une demande de mot de passe
s’affiche et d’après ce qu’il dit il n’y a que vous qui
sachiez l’ouvrir. Elle reprend son souffle. Je veux
connaitre le contenu de cette clé usb. Je suis sa
mère, il est normal que je sache de quoi il s’agit.
Surtout aujourd’hui avec ce qui arrive. Vous devez
m’aider ! Une supplique. Son visage lifté se plisse
légèrement.
Marc jette un regard à Jerome qui reste impassible.
Les frangins ont tous deux le visage fermé. Ca semble clair. « Torture-nous la vieille, sauf ton respect
tu ne sauras rien. Si Alex a dit que c’était à nous et
à personne d’autre alors il en sera ainsi. »
15
Marc
Madame Delattre, soyez rassurée, nous entendons
votre douleur
et votre chagrin, en qualité d’amis mais également
d’adultes responsables nous allons faire notre possible pour vous aider. Puis – je commencer par lire
cette lettre qui nous est adressée ?
A contrecoeur la génitrice meurtrie se dessaisie de
la feuille de papier. Il n’y a pas de protestations qui
émane des autres pour la bonne et simple raison
qu’ils savent pertinemment que Marc ment.
C’était déjà comme ça avant : Je puis vous assurer
qu’Alex n’a jamais, au grand jamais fumé de cannabis que ce soit ici ou ailleurs. Bien sûr mes parents ne seront pas là pour le weekend mais ils ont
prévu de venir nous faire des visites inopinées pour
voir comment tout se déroule. En tant que délégué
inter établissements je dois vous prévenir que
Louis ne pourra pas venir en cours cet après-midi,
il a reçu une terrible nouvelle qui le tient malheureusement éloigné du lycée. Plus Marc est obséquieux, plus il pipote. On sent une certaine tension, elle ne
s’attendait pas à ce que cela se passe comme ça.
Marc prend la lettre et lit à haute voix:
« Marc, Jerome, Louis, François. ,Vous vous demandez sans doute à quoi rime cette lettre. Je vous
ai toujours considéré comme des frères plutôt que
comme des amis.
Comme des frères nous avons vécu l’éloignement
mais j’ai toujours pour vous une pensée dans les
bons comme dans les mauvais moments, j’espère
que c’est réciproque mais je n’en doute pas. C’est
pas facile d’écrire ça. Trouver les mots juste pour
se faire comprendre. Pour ceux qui s’interrogent
j’ai vécu dans l’ombre de Léo exprès pour me protéger, ne pas trop m’exposer, chacun son taf moi
c’était de faire fonctionner la machine à rêve et lui
de l’animer. Bien sur vous pouvez me reprocher
mon absence et moi je pourrai vous reprocher votre manque d’indulgence ou de patience mais aujourd’hui on s’en fout. Il est trop tard pour jouer à
qui a raison.
Je vous aime mes amis je regrette le temps que je
n’ai pas passé auprès de vous. Ma mère est merveilleuse et courageuse, si l’un d’entre vous pouvait
de temps en temps passer prendre de ses nouvelles,
venir la voir, je vous demande ça comme un ultime
service. J’ai aussi laissé cette clé usb qui contient
des séquences que je ne veux partager qu’avec
vous. Le mot de passe est celui du début. Je n’ai
plus vraiment d’inspiration, j’espère que vous lirez
cette lettre le plus tard possible, mais avec la vie
que je mène tout peut s’accélérer. Un accident est
malheureusement si vite arrivé. Je vous aime, de
tout mon coeur. » ALEX
La voix de Marc s’étrangle sur la fin. Prémonition,
coup monté, le doute est possible. Cette lettre est si
frustrante. La sonnette retentit, c’est l’oncle d’Alex
qui vient chercher sa soeur pour l’emmener à l’hôpital. L’occasion idéale pour prendre congés. François et Jerome ont l’air sonnés, Marc tient fermement la clé usb.
16
Louis
Chez qui irons-nous pour découvrir le secret de la
clé usb (on
se croirait dans le club des 5) ? Perso je m’en fous
mais Eglantine doit venir à la maison… Ai-je envie
de la présenter à mes amis, bien sûr, mais dans
dans d’autres conditions… Oh et puis merde on va
pas y passer quatre heures :
- Venez chez moi ce sera plus simple. Après on
mangera un morceau à la maison de l’Aubrac si
vous voulez ?
Les autres acquiescent. Francois est parti s’exiler
pour envoyer un message. Marc également. Jérome a les mains dans les poches, fouille à la recherche d’une cigarette. Eglantine passera vers minuit
et tout ira bien. Le retour se déroule dans le silence. Chacun est perdu dans ses pensées. Marc ne
sait pas trop comment aborder le problème du
code. Jérome aurait voulu se rendre à l’hôpital.
Louis pense à Eglantine et aux parties de jambes
en l’air qu’il manque. François voudrait bien clarifier la situation avec Marie. L’aime t-il ? En tout
cas pour l’instant c’est confus. Finalement Louis,
las de l’absence de paroles allume le poste de radio
:
« Actu people. Nous venons de l’apprendre. Le petit monde de la nuit pleure son Roi. Léo s’est finalement éteint à l’âge de 29 ans après deux nuits de
coma. D’après les éléments dont nous disposons,
lors de sa dernière et fatidique soirée, le jet-setteur
habitué des frasques avait voulu faire une entrée
spectaculaire et aurait glissé depuis le toit de sa
somptueuse propriété de l’ouest parisien. Malheureusement, il s’est s’écrasé sur le sol créant la stupéfaction chez les VIP présents pour l’événement. » «
Football. L’exploit du PSG qui est allé s’imposer à
Barcelone 2 à 0 en quart de finale aller de la champions League. Une performance saluée par l’entraineur des blaugrena qui a reconnu que le retour allait être très difficile pour eux. »
Francois et Louis n’en revenaient pas. Paris qui
réussissait l’exploit de battre le grand Barça en
Champions League ?! Marc et Jerome qui s’intéressent très peu au sport s’en fichent éperdument constatent amèrement que rien n’est dit sur Alex. Médias de merde… François en profite en revanche
pour placer une flopée d’anecdotes croustillantes
sur des joueurs célèbres pour leurs performances
sportives mais également pour leurs prouesses dans
d’autres domaines !
- Queue de béton c’est pas une légende, il a faillit
se taper la stagiaire du marketing de Canal 17, un
canon évidemment mais il parait qu’elle s’est barrée quand il a sortit son braquemard. Elle a eu
plus de chance que Daphné avec le brésilien et le
portugais dans le Jacuzzi !
Louis appuie sur la télécommande et ouvre la
porte du parking. Ferrari, Lamborghini, Mazerati
en première ligne, les allemandes derrière. Même
dans un parking la hiérarchie du prestige se vérifie.
Les anglaises Bentley, Rolls ou encore Aston Martin apanage des gens de goût sont dans des box et
recouvertes le plus souvent d’écrins de velours vert
ou mauve. Le Cayenne en deux temps trois mouvements prend sa place. Entre une Audi et un Hummer. Ils descendent du véhicule et empruntent l’ascenseur.
Un tour de clé et les amis se retrouvent au 3ème et
avant dernier étage de l’immeuble haussmanien
entièrement rénové.
François éprouve une pointe de spleen, l’immeuble
étant l’une des dernières acquisitions immobilière
de feu leur père. Louis le perçoit et lui adresse un
sourire complice. Il ouvre la porte. L’appartement
est clair. Style minimaliste. Contemporain. Chic. Il
figure dans le Elle spécial déco du mois de mai et
le salon a servi de décors pour l’émission Style de
l’année dernière. Bien sur Louis n’en parle pas. Sujet vulgaire et il s’en fout. La médiatisation de son
intérieur était l’oeuvre de Cristina, la
conceptrice qui avait besoin de se faire un peu
mousser. La rombière de quarante cinq berges
avait la carrière en dent de scie et l’appartement
de Louis lui donnait la juste occasion de redorer
un peu son blason.
Ils s’installent sur le canapé face à l’écran. Louis
part dans la cuisine chercher une bouteille de
blanc, le champagne ayant été ratiboisé par Eglantine. Pendant ce temps, Marc branche la clé USB
dans le Mac portable placé sur la table basse relié
en wi fi à l’écran. Il clique sur l’icône no name. Un
premier fichier mp4 Amis apparaît, suivi de 4 autres. Prefixe confidentiel destinataire : Jérome /
Marc / Francois / Louis. Naturellement Marc cli-
17
que sur Amis, les autres seront vus à l’appréciation
de chacun. Demande mot de passe. Louis sert les
verres. Les quatre amis suspendus devant la ligne
de texte vide.
- Qui shoote en premier demande Marc ? Jérome
se risque : « Machiavelli ? »
- Ouais pas con, un point commun incontestable.
Marc tape le texte avec sa dextérité d’ingénieur informaticien. La machine mouline un peu, sort un
message d’erreur pré écrit par Alex : « Désolé les
gars, pas pour cette fois ! »
Francois commence à s’intéresser au jeu: « les
points communs c’est la bonne voie. Sur la lettre il
était fait mention de la première fois je crois ? »
- O u i e t a l o r s f a i t J é r o m e ?
Tentative 2 / tentative 3. Deuxième bouteille. Soudain le flash.
- Jérome putain on en parlait tout à l’heure. La
boite ou vous êtes allé ensemble la première fois…
Le VIP ? Marc tape, l’ordi émet son son de silice
caractéristique et la vidéo se déclenche. Plein
grand écran. Alex.
Assis au milieu d’un canapé blanc crème. Bronzé.
Souriant. En pleine forme pour un mort.
ALEX
« Bonjour mes amis, j’espère que vous êtes tous présents et surtout en bonne santé. Pour ma part je
suis vraisemblablement mort ou en tout cas sur le
point de l’être, même si ça n’a pas l’air flagrant, je
suis d’accord ! » Sur l’écran le visage fin et les yeux
mi clos un peu rougis par des larmes coupées au
montage se figent un micro instant… Bien sûr la
lettre est adressée à ma mère pour la rassurer, lui
donner une raison de croire qu’il s’agissait bien
d’un accident. Mais pour vous mes 4 vrais et uniques amis je me dois de confesser la vérité. Le plan
était déjà échafaudé depuis un moment mais c’est
François qui en a permis l’exécution. » Alex ne
peut s’empêcher de réprimer un rire. « Désolé,
j’imagine ta tête et les autres autour qui te regardent comme un pestiféré. En fait, je savais qu’en
commettant cet acte le jour de la soirée où tu étais
présent j’avais plus de chances de vous réunir aujourd’hui. J’ai reçu ton mail et là je me suis dit que
c’était le bon moment. »
Le visage devient grave et la voix chavire un peu,
malgré la préparation et malgré l’envie d’en finir
avec cette explication, Alex a du mal à faire franchir aux mots la barrière du son.
Il est mort bien sûr, mais ça reste un calvaire d’aller au bout des choses. Ce sentiment de coupure.
Définitif. Le vide. L’anéantissement du rêve pour
la concrétisation du réel toujours moins fin, toujours moins grand, toujours moins beau.
« Je ne vais pas passer par quatre chemins, Léo et
moi avons contracté une maladie mortelle. Cela
remonte à quelques mois je crois. Une partouze
avec deux filles. Comment je le sais ? Juste avant
cela j’avais fait un check up et j’étais clean et dans
nos souvenirs brumeux c’est le dernier rapport non
protégé pour Léo comme pour moi. » Alex laisse
un silence, reprend péniblement. « Noémie. Désolé
François je connais ton attachement pour elle et
une autre fille… Eglantine je crois. »
De l’autre côté de l’écran les deux frères sont livides.
« Nous étions à l’hôtel après une de nos soirées, ça
a fini comme toujours avec de la coke, de l’ecsta,
tout ce qui pouvait nous permettre de croire un
peu plus longtemps que nous étions des Dieux, que
le monde était a nous et nous aimait sans aucune
18
mesure. Starfuckers. Bref, nous avons consommé
de tout plus que de raison. Peu de temps après je
me suis senti mal. Il y a eu les tests, je me suis rendu à l’hôpital, on m’a fait attendre un moment, un
médecin est venu me parler, il m’a expliqué que
j’avais contracté une forme particulière du virus
que nous redoutons tous. Un truc hyper insidieux
qui te règle irrémédiablement le compte en un rien
de temps, mais sans avoir vraiment d’échéance précise. J’en ai parlé à Léo, il est devenu fou, il a tout
explosé dans le bureau, au départ il ne voulait pas
savoir, on a discuté un moment, il l’a fait et puis le
verdict est tombé pour lui aussi. Pour les filles ont
ne sait pas si elle sont également plombées. On a
juste pris la décision de faire une dernière soirée.
Un trip ultime avec une fin mystérieuse. L’idée
c’était d’affoler une dernière fois les médias. Tout
pour le Show. »
Alex se promène dans le salon la webcam le suit,
fluide, compte tenu de ses révélations sa minceur
est flagrante, sa fatigue également. Il reprend son
laïus « donc c’est pour vous dire la stricte vérité
que j’ai fait la vidéo. Je regrette de ne pas avoir passé plus de temps avec chacun de vous. » Des larmes coulent doucement au coin de ses yeux.
« Putain les mecs je suis en route pour le grand
voyage. J’ai tout réglé au niveau du bisness, ça a
épaté le comptable mais tout roule. Bien sur j’ai
pensé encore une fois à vous, c’est pourquoi je vous
demanderais de regarder séparément les vidéos
qui vous concerne. J’ai été con, égoïste, focalisé sur
un seul objectif la réussite des soirées de ma créature. Léo n’était rien sans moi. Je détiens 95%
d’une société d’entertainment dont les bénéfices
font rougir les plus gros poissons du CAC 40. Je
suis donc fier de mon parcours professionnel. » Un
soupir. « Je n’en dirais pas autant sur le plan personnel. »
La confession d’Alex replonge dans un état de consternation Louis, Francois, Marc et Jérome.
Comme d’un fait entendu que seul la vie peut proposer, l’oncle d’Alex appelle Marc. C’est finit. On
s’attendrait presque à attendre un « Halleluia » de
Buckley, « Miss Blue » de filter, « Hurt » de NIN, «
All That i got is you » de Mary j blige avec ghostface killa, ou encore « Human Nature » de M.J.
Au commencement était le verbe à la fin il y a de
la musique…
Spontanément les 4 amis se lève et forment une
ronde. Geste primaire d’amitié. Il joignent leur
main en silence et oublie un instant leur existence
qu’ils jugent au dessus de tout mais qui au fond
n’est rien. J’oubliais « Ashes to ashes » de Bowie ça
colle très bien aussi. Marc éteint l’écran. Chacun
s’envoie sur sa boite mail la vidéo personnelle qui
le concerne. Elle sont effacée de la clé USB. Marc
recompile une vidéo visible pour la mère d’Alex
afin qu’elle maintienne amour et foi en son fils défunt. Louis accompagné de Francois partent dans
la cuisine officiellement pour renouveler les boissons officieusement pour se soutenir après les révélations d’Alex.
Noémie et Eglantine ? Louis est complètement flippé et Francois est de nouveau tourmenté. Louis ne
tient pas en place, prend son IPhone et appelle
Eglantine qui est aux anges de l’entendre.
- Louis mon chéri, je suis si heureuse de t’entendre.
- Eglantine j’ai besoin que tu répondes à une question qui peut être vitale. Est-ce que tu as, comment
dire, eu une relation avec Léo, Noémie et Alex ?
Silence aigre au téléphone
- Je ne sais pas. C’était quand, c’est très embarrassant et pourquoi tu me demandes ça ?
- Ecoute, j’ai appris quelque chose mais je ne peux
pas t’en parler au téléphone.
- Je n’aime pas le son de ta voix Louis, j’arrive.
Louis n’a pas le temps de parler.
Francois lui demande «Alors ?»
Il répond « je ne sais pas, elle n’a pas l’air de s’en
souvenir. Elle sera là d’un moment à l’autre.»
Et pour Noémie ?
Ça craint. Ça craint sérieusement.
Francois hausse les épaules et raconte à son frère
comment il a définitivement pourri la carrière de
Noémie.
- Si en plus elle est condamnée je vais avoir du mal
à m’en remettre.
- T’as son numéro ? Appelles Noémie, ce truc là tu
ne peux pas le garder pour toi.
- Putain, mais comment faire sans trahir Alex ?
- Imagine qu’elle soit atteinte et qu’elle continue
de propager le virus ? Tu deviens responsable moralement !
19
- Toi me parler de morale, c’est très bon ! Jamais là
quand on a besoin de lui aucune solidarité, de la
merde, juste un lien sanguin et quelques souvenirs
d’une époque ou ta tête enflée passait encore les
portes, une époque ou papa et maman étaient vivants.
Francois chiale, est pris par des spasmes.
Marc dans le salon bricole sur l’ordi, découvre une
vidéo perso de Louis et Eglantine qu’il trouve très
intéressante.
Jérome
Incapable d’attendre plus longtemps, je m’empresse de regarder ma vidéo sur mon Samsung. Il
est question d’amour impossible. De moi et rien
que moi. De j’aurai voulu que tout soit différent.
De leg (1 million d’euros et 1 maison en Provence).
De regrets, d’images à garder. De moments si bons
et si tristes. D’espoir et de désespoir. De mort et de
survie. Je blêmis, je manque de m’évanouir. Quel
avenir pour moi maintenant ?
- Les gars, dans le salon, vite, Jérome est pas bien.
Y a un truc qui cloche, moi aussi je suis triste mais
pas à me mettre dans cet état. Marc semble totalement perdu.
- C’est parce que c’était pas ton mec dit Francois
qui d’un coup pense avoir tout compris.
Les autres le regardent. Putain d’évidence. De retour dans le salon, ils tentent de consoler Jérome.
L’interphone retentit. Louis appuie sur le bouton.
Ouvre la porte. Eglantine entre. Belle, mine affectée, sobrement habillée, robe noire Zadig et Voltaire. Elle embrasse Louis. Amoureuse. Les autres
se présentent. Frémissement lorsqu’elle voit Francois, avec qui elle est sortie (et bien plus que ça). Il
se présente, donne l’impression de ne jamais l’avoir
vue ni rencontrer. C’est un peu forcé mais dans
cette atmosphère si spéciale ça passe. Marc qui
vient de voir Eglantine dans des positions non équivoques la salue avec plaisir, lui jette des regards
plein d’envie. Jérome hagard s’en préoccupe à
peine. Dans sa tête Eglantine se dit (après le frustré, pas de doute lui c’est le gay de la bande).
Eglantine est un peu déçue par les amis de Louis
(excepté son frère) mais après tout choisit on vraiment ses amis d’enfance ?
Louis l’entraîne dans la chambre. Une voix:
- On va resto vous nous rejoignez quand vous voulez. La porte claque. Louis de met à chialer.
- Qu’est ce qui se passe ? Tu m’inquiètes et je
n’aime pas ça du tout.
Louis explique. Eglantine s’assoit sur le lit. Placide
et tendre elle dit :
- Louis, tu connais un peu ma sulfureuse vie maintenant mais ne crois pas que je sois inconsciente.
Le soir où nous nous sommes rencontrés par exemple, tout le monde est clean parce que Maxence a
un très bon ami qui travaille dans un hôpital et qui
20
accepte contre une grasse rémunération de faire
des trods des tests rapides à partir d’éléments fournis par Maxence.
Il n’y a pas une fois où j’ai pris ce type de risques et
sache que je ne prend pas de drogues. M’enivrer
oui mais rien d’autre. Donc
manifestement ce n’est pas moi mais je connais
quelqu’un qui est toujours ravie de me faire du
tort, Eliza ma demi sœur. Une salope intégrale.
- J’ai eu si peur pour toi, pour nous, je conçois
l’avenir avec toi. Je crois t’aimer sincèrement sans
équivoque.
- Moi aussi mon chéri, j’ai juste envie de toi. Aujourd’hui maintenant, on verra pour demain. Ne
projetons rien, ne soyons pas comme tous ces gens
pour qui la vie se résume au passé ou à l’avenir,
consacrons nous entièrement au présent. Rejoignons tes amis ils ont besoin de toi. Je dois t’avouer
une dernière chose, je suis sorti avec Francois nous
avons flirté gentiment. Il n’y a rien eu d’autre.
(pourvu qu’il ne découvre pas la vérité) Son cœur
était pris justement par Noémie. Tu crains pour lui
?
- Aucun risque de ce coté là ils ne de sont même
pas embrassés, sans conteste le drame de sa vie,
mort de nos parents mis à part. (en revanche moi
je me souviens d’être sorti avec elle il y a bien longtemps).
Louis met son blouson en cuir prada par dessus
son t-shirt comme des garçons, se retourne et
prend Eglantine dans ses bras, ils s’embrassent
comme des damnés, il soulève sa jupe la caresse, il
l’allonge sur le sol, relève sa jupe, elle ne porte pas
de culotte c’est plus simple mais il a du mal à enlever son pantalon, il finit par y arriver, la pénètre
sans cérémonie et jouit de cette brève étreinte.
Au restaurant ils sont déjà tous bourrés. Francois
continue de faire comme si Eglantine lui était
étrangère, Louis le rassure et lui dit qu’il est au courant, que ça n’a pas d’importance. Ils sont en terrasse, plusieurs canons passent, se rendent dans les
clubs alentours regards
bienveillants pour Louis, Francois et Eglantine, méprisants pour Marc et Jérome qui pourtant font de
gros efforts vestimentaires pour être dans le coup.
Correspondre à ce monde qui les aimantent mais
se retourne et les dépolarise, les renvoie vers le
commun des mortels. La routine en somme.
Louis interroge Marc, ils iront avec Jérome auprès
de la mère d’Alex, ils le préviendront dès qu’il faudra être présent. L’enterrement est prévu pour le
mardi. Francois lui aussi ne sera pas disponible demain. Il doit aller au boulot et surtout voir Noémie.
Les rois de la Nuit ont sauté dans le vide, 10 mètres de chute, une agonie lente et affreuse. Voilà ce
qu’on pouvait lire et voir en une d’un magazine
people.
Le matin. Marc, Louis et François ont reçu ce
même message : « Je vous aime, il me manque
trop. Vie de merde. J’arrête là. » Marc a rapidement prévenu les pompiers qui ont défoncé la
porte de l’appartement de Jérôme. Il est allongé
par terre, blindé de cachets mais vivant il a écrit
une lettre :
« Ça brule à l’intérieur depuis que j’ai découvert
ce qui t’es arrivé. Je me sens souillé, j’ai l’impression de t’avoir partagé et que nos bons moments
ont été truqués par tes mensonges. Je cherche pour
comprendre et aussi pour te le mettre dans la
gueule une fois avec toi au ciel, pour que tu aies
aussi mal que moi, mon cœur serré, la gorge comprimée, les aigreurs d’estomac, ma difficulté a respirer, à penser sereinement. Mais tu es mort. Maintenant je souffre. Aujourd’hui je veux te rejoindre,
accepte moi, je t’en supplie. »
21
Marc
Son vœux n’est pas exaucé. Un lavage d’estomac
et le regard courroucé de ses proches c’est tout ce
qu’il a. J’ai pris la lettre, révélé le contenu qu’à
Louis et Francois. Un weekend prolongé c’est peut
être une bonne idée. Après tout Alex a légué à Jérome une maison au Brusc. Pourquoi ne pas en
profiter ? La vie ne vaut rien mais rien ne vaut la
vie ? Putain en vrai y a pas de Happy End, juste
des choix, encore et encore, qui bâtissent ou détruisent. Et parfois en faisant le bien on fait le mal, putain de dualité, en vérité on traine notre souffrance
jusqu’au bout, mais c’est tellement magique de sentir, de ressentir de partager et pourquoi pas de
transmettre ? Alex et Jérome c’est le malentendu
d’une époque prête pour accepter ce qui n’a pas
lieu d’être contesté mais que deux volontés ont jugé trop difficile à surmonter. Au delà des bâtisseurs
il y a les combattants ceux qui acceptent l’idée de
ne pas se résigner que les coups soient hauts, bas,
nobles ou détestables. Ils ont foi dans leur idéal ou
au moins dans leur rêve et ils vont au bout sans fléchir ou si c’est le cas sans renoncer. Vivre n’est pas
survivre et les survivants ne sont pas irrémédiablement des contemplatifs. Léo, Alex, Jérome et tant
d’autres victimes de l’amour superficiel mais si
creux dans leur cœur. Il n’en reste qu’un de vivant.
Prenons soin de lui.
Le weekend du 3 nous partons dans le midi. La
maison est géniale. Nous nous bourrons la gueule
d’entrée de jeu, sauf qu’il est à peine 10h00 du matin. Pour ma part, il me semble que nous retissons
des liens, enrichissons notre parc à souvenirs. Francois nous raconte pour Noémie, mais comme maintenant on se mêle à nouveau de sa vie on fait campagne pour Marie qu’on trouve tous jolie, sympa,
accessible, surtout Louis qui flippe un peu qu’il
aille compter fleurette à Eglantine. Le problème ne
se pose évidemment pas avec moi ! Il se laisse un
peu trop facilement convaincre, preuve que le
choix est souvent une illusion de l’ego. Bon évidemment ça potache à mort. Jérome a la tête rasée pendant la nuit. Louis s’est retrouvé en smoking +
nœud pap loué pour l’occasion au chinois buffet à
volonté suite à un partie de poker perdue.
Après une soirée champagne au karaoké énorme
esclandre car il n’y a pas de magnum de cristal ro-
sé. Quelques conneries, un peu de bateau, une soirée avec les copines de Cannes de Nice et
d’ailleurs, juste pour le plaisir… Le tout généreusement financé par les frères friqués.
Mardi : Enterrement d’Alex. Réunis devant
l’église. On attend. La veille Léo avait eu droit à
des funérailles dignes de Lady Di. Pour Alex on est
plus proche de la réunion de famille intimiste. Une
petite centaine de personnes sont présentes. Madame Delattre est soutenue par son frère ainsi que
par des cousins éloignés. Quelques rares habitués
de la nuit ont fait le déplacement, des connaissances que nous avons peut être déjà aperçu chez lui,
à l’époque où nous y allions encore.
22
Jérome
Mes wayfarers n’ont aucune autre nécessité en ce
temps maussade que de masquer mes yeux rougis
par les sanglots. C’est idiot mais c’est ainsi. Cigarette à la bouche. Costume noir Hugo Boss que
m’a prêté François (gratté sur un tournage) je me
tiens un peu à l’écart. M’en fout de ces hypocrites,
ma T.S s’est soldée par un échec je ne crois pas
qu’ils en aient eu quelque chose à foutre. Regarde
moi ça : Louis élégant as usual en noir avec son
pardessus comme des garçons tient la main de sa
compagne Eglantine, sobre en pantalon Vanessa
Bruno et veste Dior, carré Hermes en fichu sur la
tête et lunettes Thierry Lasry, un mélange de
Grace Kelly et de Jacky Onassis. Ses yeux bleus astucieusement dissimulés semblent pourtant jeter de
nombreux regards furtifs, discrets en direction de
François qui pianote sur son smartphone en Jeans
apc et veste de smoking, des Reppetos aux pieds.
Hommage décalé à Alex fan de Gainsbourg.
Marie, Cassandre et Stan sont également venus. Ils
sont en grande conversation sur le dernier restaurant chroniqué par Stan et qui devrait cartonner
pendant les 2 prochains mois.
Le petit couple de journalistes rencontré à l’hôpital
a lui aussi fait le déplacement. Ils saluent Marc en
costume gris un peu large pour lui qui n’a pas de
lunettes noires et dont le physique d’ordinaire débonnaire est sincèrement affecté. Il fait gris et sombre. Marc regarde sa montre, 11h00, il est le premier à entrer dans l’église.
Marc
J’entre. Le cercueil est en place devant l’autel. Jerome terriblement triste est derrière moi. Il s’installe au deuxième rang juste derrière la famille. Les
autres le rejoignent, Louis et Francois. Les filles se
sont installées au fond, les autres s’éparpillent dans
l’enceinte sacrée. Un cousin d’Alex lit un texte
parce que j’en suis incapable, aucun des frangins
ne s’est proposé. Connards. Le psaume choisit est
chargé d’émotion. L’atmosphère dans l’église est
pesante. Les silences s’entendent, pourtant ce n’est
sans doute pas ce que Alex aurait souhaité mais il
a déjà maitrisé sa manière de mourir, il ne peut
malheureusement pas en faire plus.
23
Jerome
Un fou rire me gagne, typique des situations tragiques, je m’imagine allant voir la mère d’Alex et lui
dire :
« Madame vous avez toujours cru que j’étais le
meilleur ami d’Alex, mais c’est faux en réalité je
suis son petit ami caché, pour vous en dire un peu
plus il baisait les filles sans conviction et m’enculait
avec passion… Mais ce n’est moi qui l’ai contaminé, moi je suis clean ! Un bisou belle-maman ?»
Francois
Black Out. Après l’enterrement nous avons participé aux repas, goûters et autres moments conviviaux mais je ne me souviens pas de grand chose,
un peu forcé sur le trio picole – lexo – seroplex. J’ai
rendez-vous avec Églantine. Je crois que je vais me
mettre dans une sacré merde, mais la raison du
cœur est toujours la meilleure, surtout si je peux
niquer Louis, le revoir aussi fréquemment ça m’a
juste renforcé dans mon sentiment de dégoût à son
égard.
24
Jérome
Depuis qu’Alex est parti j’ai pris l’habitude d’aller
régulièrement manger chez sa mère, quelques photos de moi viennent garnir les bibliothèques, je
crois qu’elle sait ce que j’éprouvais pour son fils,
bien que nous n’en parlions jamais, comme de la
lettre ou de la clé USB. Tout se limite à une période circonscrite de sa vie, 19 ans maximum, tant
qu’il vivait avec elle. Je me libère de carcans, la
honte n’est plus et la fréquentation assidue des
hauts lieux gays de Paris m’a permis de rencontrer
Michael un jeune médecin que j’adore. Nous
voyons l’avenir dans la même direction.
Marc
Samedi après – midi, j’ai rendez-vous avec Vanessa une nana levée sur Internet avec laquelle j’ai
bien sympathisé mais qui ne me donne pas suite,
pour changer. Je croise dans la rue de Passy un
jeune homme élégamment élégamment habillé,
souriant et parfaitement à l’aise au téléphone. Sans
les waifarers et la clope en main gauche, je n’aurais
sans doute jamais reconnu Jérôme !
A son initiative, nous proposons aux frères de nous
retrouver un peu plus tard pour fleurir ensemble la
tombe d’Alex, ensuite nous nous rendons dans un
café, parlons du présent, un peu du futur et beaucoup du passé. Je retourne plus triste que jamais à
mon activité d’ingénieur informaticien. Francois et
Louis me proposent d’investir dans une boite dont
ils seraient les patrons, l’un parce qu’il a lu les particules élémentaires de Houellebecq, l’autre est influencé par Steve Jobs. J’hésite. Les deux frères se
parlent à peine. L’ambiance est tendue entre eux.
Jérome qui est sur un nuage passe son temps à envoyer des SMS à Michael. Je tergiverse un peu
mais je suis finalement ok pour la boite. Finalement je n’ose pas en parler aux « investisseurs »
qui ne me relancent pas.
25
Epilogue
4 mois depuis la mort d’Alex. Les amis s’étaient revus sporadiquement. Une fois chez Louis. Une fois
au restaurant et François à la télé. Leur amitié retrouvée à l’occasion de la mort de leur ami avait
fini par réintégrer les limbes du passé dont elle
n’aurait peut être jamais dû s’échapper. Les points
récents qui avaient suturé leur relation n’existent
plus que dans leur histoire personnel, sous forme
d’anecdote. Jérome qui était le plus affecté par la
disparition d’Alex trépigne désormais, pressé de
retrouver son mignon petit médecin qui lui apporte tant de bonheur. Les deux frères sont désormais à couteaux tirés à cause d’Eglantine et Marc
s’enferre dans un quotidien monotone et usuellement gris. Il se suicide. Personne ne vient à son enterrement.
FIN 26
J’entre dans le café, celui qui fait l’angle, juste à côté de l’hôpital. Il fait glauque. Autant dehors que
dedans… Le froid de janvier me glace les os et ce
n’est pas j’en ai peur, le minable brasero que j’aperçois au fond du bastringue qui va atténuer cette
sensation. La torpeur parisienne de ce début de soirée me colle, si c’est possible, un peu plus le bourdon. Je voudrais que cette journée s’arrête. Je suis
las et fatigué. Et pourtant, ce n’est pas fini. J’ai rendez vous avec Jérôme, un des seuls comme moi, à
rester jusqu’au bout. Fidèle parmi les fidèles…
Mais après tout, qu’a t-il à perdre ? il est toujours
plus facile de sacrifier sa solitude lorsqu’elle pèse,
que sa compagnie lorsqu’elle est appréciée. La fumée et la lumière tamisée du lieu éprouvent mes
yeux habitués depuis ce matin aux néons. Deux tables du bar sont occupées. L’une par un petit couple de jeunes qui se pelotonnent sur la banquette,
l’autre à l’opposé près de la fenêtre par Jérôme.
Avec le Barman moustachu à tête de facho, nous
sommes cinq ce soir à peupler le ‘Balto’, qui n’a
peut être jamais vu autant de clients d’un seul
coup. Peu importe, je ne suis pas là pour le plaisir.
Jérôme et moi devons discuter. Je veux comprendre et lui aussi sans doute, ce qui est arrivé à celui
qui est, qui fut ? Notre ami.
- Salut, assied toi. Tu veux boire quelque chose ?
- Oui, merci. Je vais prendre une bière.
- Olaf : 2 demis s’il te plait.
- Tu connais son nom ?
- Je suis là depuis une heure. J’ai eu le temps de
faire la causette…
- Comment tu te sens ?
- Moi pas mal. Non en fait c’est des conneries. Ca
ne va pas si bien…
- Moi non plus, je n’arrête pas d’y penser. C’est dingue.
- Justement, si je voulais te voir c’était aussi pour
savoir. Comprendre. Reconstituer un peu les événements. Je me demande, comment il a pu en arriver
là, et…
- Et être sûr que ce n’est pas de ta faute ?
- Peut être. Tu sais je n’arrête pas de culpabiliser,
j’ai été dur avec lui.
Jérôme me regarde fixement. Un rictus au coin des
lèvres. Ses yeux sont rouges : La clope, les larmes,
les deux. Il sait comme moi que je ne pense pas ce
que je dis. Oui je culpabilise, mais non je n’ai pas
provoqué ce qui est arrivé.
- Tu te souviens de la première fois que tu l’as rencontré ? Me demande Jérôme pour rompre ma réflexion.
- Tu parles, ça remonte à la primaire.
- Moi à la troisième… Olaf pose devant nous nos
deux verres. Jérôme lève le sien :
- A la vie, à la mort !
- A la vie…
Un spasme vient me parcourir. Tout à coup je réalise un peu plus ce qui se passe. Nous trinquons à
la santé de notre ami qui bientôt ne sera plus. Une
part de nous qui se meure pendant que je bois une
nouvelle gorgée. J’ai une furieuse envie de cigarette. 1 an que je n’ai pas fumé mais cette fois ci je
ne peux pas résister. La nuit va être longue pour
Jérôme et moi, mais si courte pour Alex. Nous
nous recueillons un instant. Je prends la parole.
Pour moi, tout à commencé il y a 2 – 3 ans ou encore un peu avant, enfin, quand Alex est entré en
terminale au Lycée Nicolo Machiavelli de Neuilly
et qu’il y a fait la rencontre du ‘Roi Léon’ et de sa
cour…
- A cette époque j’étais à Jules Ferry et toi à Montaigne, je crois ?
Jérôme opine du chef. Alex en revanche, s’était vu
condamné par ses parents à la boîte à bac.
- Tu te souviens à quel point c’était un parfait glandeur ? Toujours à l’affut de la moindre connerie…
Bref.
- Au début, d’après ce qu’il m’a dit, il a halluciné.
Il n’ y avait que des fashions victims à Machiavelli.
Même les profs et les pions s’étaient mis au diapason des 11 – 25 ans, les ‘élèves’ de
l’établissement. A un point tel, qu’il croyait que
c’était l’uniforme. Bien sûr, il aimait ça les fringues,
la mode, mais ce n’était pas prioritaire pour lui, en
tout cas pas sur ses amis.
Jérôme, qui comme moi s’est laissé prendre au jeu
ne réagit pas trop. Je le vois jeter un coup d’oeil rapide à ses Onitsuka Tiger collectors neuves qu’il
arbore fièrement aux pieds. J’essaie désespérément
de dissimuler mon bracelet Dsquared sous mon
pull Paul Smith mais rien n’y fait. Ce soir, il faudra
affronter la vérité.
27
- Tu sais Marc, me dit Jérôme en relevant la tête,
les yeux embués : « je crois que j’ai été jaloux de
son succès, de sa vie et même plus »…
- Oui, sans doute un peu. C’est compréhensible.
Mais regarde où ça l’a mené. Putain, j’en étais où ?
Ah, oui, le bahut…
- Il a fait littéraire je crois, je me souviens en tout
cas qu’il était le seul garçon de sa classe pour une
dizaine de filles. Seul comme Ulysse au milieu des
sirènes, comme il le disait.
Jérôme décroche un sourire complice. Tu parles,
ce qu’on aurait donné pour être à sa place à ce moment là.
- La première fois qu’il nous a parlé de Léon on
était ensemble tous les trois, on allait échanger des
dvd vers Saint – Michel.
- Mais oui. Bien sur ! J’avais oublié. Nos fameux
samedi après midi shopping. Disques, livres dvd,
jeux-vidéos. On se faisait simplement plaisir.
C’était cool, pépére. C’est marrant que tu t’en souviennes si bien.
- En fait, Je crois avoir compris ce jour là l’envie
qu’avait Alex d’autre chose, rien qu’à la façon dont
il en a parlé. J’ai réalisé qu’il s’emmerdait avec
nous.
Jérôme commence à tirer la gueule et descend en
une gorgée la moitié de sa bière. Je n’ose pas le
regarder. J’en profite cependant pour jeter un coup
d’oeil à ma droite, et je constate, sans être vraiment étonné, que le petit couple m’écoute. Ils attendent la suite de l’histoire, pour être sûrs qu’on
parle bien DU sujet à la mode de ces derniers
jours… Même Olaf à l’air interessé. Lui en revanche, ça doit le changer des histoires de tiercé et de
complot international.
- Une autre bière Jérôme ? Il opine du chef.
Olaf, deux bières s’il te plait et offre-toi une tournée ainsi qu’à ce charmant petit couple. Le téléphone portable sur la table est immobile. Pas de
message, pas de sonnerie. Pour l’instant, il me
laisse tranquille. Tout le monde fait les remerciements d’usage. Je poursuis mon récit.
- Donc, nous étions attablés au Quick quand Alex
m’a demandé : « Tu connais Léon ? »
- Le mec qui fait les soirées, ben ouais comme tout
le monde de réputation.
- Il est dans mon bahut.
- Alors il est comment ?
- Je sais pas, j’dirai bien que c’est un con, mais il a
une aura, un truc, tu verrais comment les meufs le
matent…
- De quoi vous parlez ?
- De Léon, tu sais, les soirées Jet Society Paris, on a
jamais réussi à y aller Jerome, à chaque fois on s’est
fait jeter. Il est dans le bahut d’Alex.
- Ah ouais, alors il est comment ?
- Putain, mais t’es un boulet, t’as qu’à écouter. J’ai
l’impression qu’il est plus sympa qu’on le dit, faut
voir.
- T’as discuté avec lui ?
- Vite fais, on a déconné ensemble en cours et on
s’est fait coller samedi après midi. Ca va être l’occasion d’en savoir plus sur son compte.
- Essaye de gratter des invits
- Putain, mais t’arrete jamais d’être con, toi.
Jerome se marre comme un bossu à l’évocation de
ce souvenir, il enchaine sur ce dernier point : »J’ai
jamais demandé d’invits, t’invente…
- C’est vrai, maintenant que tu le dis. Alex avait
sans doute une idée derrière la tête. Après sa colle,
il m’a appelé le samedi soir pour savoir si je voulais
sortir. Toi, t’étais en week – end à la campagne.
On a d’abord été boire un verre dans un pub et
vers minuit et demi on y est allé. C’était dans une
boite à côté des Champs Elysées. Je me suis dit
comme d’hab on va se faire refouler : Vous n’êtes
pas accompagnés, soirée privée, pas de baskets… En plus dehors, il y avait une foule, on aurait dit que tous les jeunes de Paris s’étaient donné
rendez vous au même endroit, au même
moment. J’avoue que j’avais un peu la trouille, tu
sais ce que c’est, se faire jeter c’est une chose, mais
devant tout le monde c’en est une autre, surtout
pour l’égo. Alex m’a dit de ne pas m’en faire. Il
s’est posté un peu en retrait du gros de la foule massée devant l’entrée, vers la droite, il a fixé un des
videur, il a claqué des doigts, gueulé : « Deux » en
montrant les doigts. Le videur s’est activé, il a poussé les personnes qui étaient devant et nous sommes
entrés. J’ai halluciné. Je lui ai demandé :
- Comment t’as fait ? Tu sais ce qu’il m’a répondu
?
- Ta gueule, souris !
- Ouais, euh t’as deviné tout seul ?
28
- Non il me l’a raconté après, il craignait que tu dises une connerie, remarque te connaissant…
- Arrête !
- J’ai été un peu choqué quand il me l’a raconté. Il
commençait à se prendre au sérieux, même si
t’avais dit la pire des conneries, quelle importance
?
- Pour lui ça en avait, il t’a raconté aussi que j’ai
passé la soirée tout seul au bar à attendre tandis
qu’il était à la table « V.I.P » de Léon ?
- Non
- Alors peut être qu’à cette époque, il lui restait encore un peu d’humanité. Au moins ce coup ci vous
ne vous êtes pas moqués de moi, à moins, pire qu’il
ait oublié ?
Ma question reste en suspend, je n’ai pas la force
d’y répondre. Je me plonge dans la contemplation
de mon verre. Jerome allume une clope. Olaf récure son comptoir, une activité qu’il effectue mécaniquement, machinalement, il le fait sans plaisir,
sans envie, parce qu’il le doit. Le petit couple chuchotte en me lançant de temps en temps des regards. La fille a une bonne allure générale et un joli visage. Une vingtaine d’années, blonde, l’étudiante type. Son mec a le teint blanc typique du
parisien. Barbe de 3 jours et coupe de rigueur. Pas
de doute, ils sont en médecine. La fac est à
côté. Elle se lève et vient vers moi :
- Bonjour, je n’ai pas pu m’empecher d’entendre
votre conversation, vous parlez bien du Roi Léon
et de King Alex ?
- Oui
- C’est affreux, ce qui s’est passé
- Oui
Jerome m’observe intensément, il se demande ce
que je vais dire. Logiquement je dois l’envoyer
chier et lui dire que cela ne l’a regarde pas, mais je
n’en ai pas le courage et puis, pourquoi ne pas
avoir des témoins, après tout ? Olaf s’est redressé,
il a dû lui aussi faire le rapprochement mais il continue d’astiquer.
- Je peux écouter la suite de l’histoire ?
- Pourquoi pas, si Jérome est d’accord, ça ne va pas
changer la face du monde ?
- Je m’appelle Alice. Grégory et moi on va s’installer juste là
Elle désigne la table qui jouxte la notre. Son mec
s’installe, il fouille dans son sac, à mon avis il
éteind son portable pour ne pas en perdre une
miette… Le temps passe et on ne progresse pas il
est temps d’accélérer tout ça.
29
François–Kevin Kleinn’avait pas grand-chose
pour lui. Certains membres de sa famille pensaient
d’ailleurs qu’il fallait y voir le signe d’un lien direct
avec son bisaïeul Jean–Félix Klein, l’inventeur malheureux du doseur à bouteille d’alcool. Looser patenté et noceur en diable. Mais, même si François–Kevin dit « Frik » n’était, a priori, pas plus en
mesure d’espérer un succès dans le monde des affaires ou du Show Biz que le groupe Metallica dans
le Lyrique ou dans la biotechnologie, il était quand
même en train de réussir un coup génial, à l’américaine !
Tout a commencé un lundi matin, quand à 10h10
Frik fut tiré du lit par… le téléphone portable. En
général, aucun son ne filtrait de chez François-Kevin avant 11h30 voire 12h00, car celui-ci cultivait
la paresse comme son ami Félix le Shit, avec
amour et délectation et personne ne devait l’appeler ni le déranger le matin. C’était La Règle.
D’abord, il fut surpris par le vacarme: Les 4 saisons de Vivaldi version binaire lui vrillait la tête.
Son objectif était donc clair: faire taire l’importun
vecteur d’ondes négatives. La tête sous l’oreiller et
les mains épileptiques, Frik cherchait sans relâche
son Sagem 1ère génération. Il finit enfin par le
trouver, après une bataille acharnée. De nombreuses pertes furent malheureusement à déplorer lors
de ce combat : Un verre Pirex, une lampe de chevet Ikea et une télécommande Pro Line. Frik prit
mentalement la voix de Schwarzenegger et se dit :
« Dommages collatéraux », puis il ouvrit l’œil et
inspecta l’engin qu’il tenait dans sa main. Le
mobyle se remit à sonner de plus belle. Inutile de
résister plus longtemps. Le mal était fait. Frik était
réveillé.
- OUAICESTKI ? demanda t-il courageusement
au tueur de sommeil
- Bonjour monsieur répondit une voix fraîche et
sympathique de jeune fille, Aurore Dulac de Canal
17, la chaîne des jeunes, des moins jeunes et des
autres. Vous êtes bien monsieur Klein ?
- Oui c’est moi, CPOURKOI ? C’est pour l’émission duel de Kadors ? Dit il plein d’espoir de participer à l’un de ces Battle où l’objectif était de terrasser l’adversaire avec des vannes assassines et des
grimaces.
- Euh, non, non, Vous nous avez fait parvenir un
CV et après un examen attentif nous souhaiterions
vous rencontrer lors d’un entretien, vous êtes toujours disponible à l’heure actuelle ?
Les neurones de Frik s’agitèrent à plein régime, un
CV quel CV, il ne se souvenait pas d’avoir envoyé
le moindre document de ce genre à Canal 17. Il
réfléchit intensément, se caressa les tempes, se frotta le menton et fouilla sa mémoire…
« Wouch ! » : Tel un missile, le souvenir de la soirée de vendredi lui revint en tête. Il se rappela son
retour de l’AmnésiK (célèbre club privé de la capitale) à 4h00 du matin, bourré et dévoré par le remord d’être professionnellement inactif. Durant la
soirée, Hub et Michel n’avaient cessé de le culpabiliser. A la limite du harcèlement moral. A chaque
fois que Frik les voyait (le moins souvent possible),
ils usaient sur lui de leurs méthodes de
tortionnaires. First, ils se flattaient d’occuper des
postes à responsabilités, d’avoir des perspectives,
d’être des Winners. Then, ils s’étonnaient avec emphase de son manque de combativité. Lui reprochaient de gâcher un potentiel exceptionnel et enfin ils lui assénaient le coup de grâce : ‘De toute façon
tu n’en fais qu’à ta tête, ne compte pas sur nous plus tard
quand tu seras devenu SDF’. Si on avait posé la question à Frik, il aurait répondu avec conviction que
oui les homos sont évidemment des parents
comme les autres ! Comme à son habitude dans
ces moments là, il s’était installé, penaud et caramélisé, devant son ordinateur. Frik avait copié – collé
avec grand soin le mail standard qu’il envoyait aux
nombreuses entreprises susceptibles de l’accueillir.
Théoriquement, ce courriel devait parvenir à FTCOM, une société spécialisée dans le recrutement
de glandeurs dont on lui avait dit le plus grand
bien, mais au même moment, la chaîne Canal 17
diffusait le clip de ‘Prose Toujours’ [Sodom
Prod] le dernier single de M.C Goumi Snack, un
rappeur de L.A originaire du Mans que Frik appréciait tout particulièrement. Cette chanson, François–Kevin la connaissait par cœur :
’Pas b’soin de lutter kan tu sais pas naaager, donne toi du
mal et tauraaa keudalle, prose toujours tu m’intéresse resse
resse…’ [Copyright M.C Goumi Snack 2006].
Pour Frik, ces lyrics exprimait bien plus qu’un vulgaire ressentiment à l’encontre d’une société qui
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manifestement ne savait pas comment gérer une
jeunesse en instance de divorce avec les autorités.
Elles le touchaient profondément, d’autant plus
qu’il ne savait pas nager. A la fin de la vidéo, Noémie avait repris le micro et s’était livrée à son exercice favori, le flingage de clip façon pitbull enragé.
Noémie était l’animatrice vedette du show live : All
Night Long (0h00 – 6h00), sur Canal 17. Elle
s’était autoproclamée « présentatrice la plus ‘trash’
du PAF » misant beaucoup et bien plus encore, sur
sa plastique de rêve et sur son art de la vanne assassine. Grâce à sa farouche détermination et à ses décolletés indécents, son émission rassemblait en
moyenne deux millions de fans chaque vendredi.
- Wesh les gros, vous avez vu ça ? Ce clip, cette
bouse, c’est de la merde où je ne m’y connais pas !
Ce gros sac à foutre de , pardon, de Goumi, il me
casse les oreilles. A part une balle dans la tête je ne
vois pas ce qui va le faire passer à la postérité…
Tiens j’vais t’ faire une dédicace tête de pine : ‘A
tous les psycho devant votre poste, si vous croisez
Goumi, mettez lui une branlée. Dites lui que c’est
de la part de la reine de la télé. Noémie number
one qui pèse dans les téci. Le Rap ça doit rester
aux rappeurs, on a pas besoin d’amateurs. Yo’.
- Tout de suite pour vous les psychopathes de l’audimat, on retrouve Doktor Boumbakaï et son dernier morceau : ‘Si mon père c’est ton père, alors je suis ton
frère.’ [Deltaplane]. Canal 17, ne l’oubliez pas, c’est
la chaîne des jeunes, des moins jeunes et des autres.’ »
Le sang de Frik bouillonnait copieusement : ‘Putain qu’est ce qu’elle y connaît en Rap cette conne
?’
Il changea de chaîne, Canal 17 devint Toon14. Ca
lui convenait mieux. Il s’assit sur le canapé et se
planta devant un épisode du dessin animé Heckle
et Jeckle. Les deux corbeaux préparaient un coup
fumant tandis que Frik fulminait. Petite parvenue
de Neuilly se disait il… François–Kevin la connaissait si bien. Trois ans à jouer le rôle du confident et
de l’ami fidèle, ce n’était pas rien. Pour lui en tout
cas. De la troisième à la terminale. 3, 2, 1 : Fuck. A
l’époque, le collège – lycée Clarisses de Nazareth à
Neuilly sur Seine était l’archétype de la boite à
Bac. On y trouvait aussi bien les fils à papa merveilleusement nés que certains exclus du système
scolaire à la française. Une vraie cours des miracles. Contrairement à l’idée reçue, les établissements privés hors contrats sont à mille lieux d’être
un vivier de chochottes effrayées qui attendent sagement d’être dépouillés à la sortie par des racailles de bac à sable. Que nenni. On y croise plutôt des mafieux en culottes courtes, des futurs
Gecko, le héros salaud de Wall Street, ainsi que
des mademoiselles Claude…
Des communautés d’intérêts s’étaient forgées avec
le temps au sein de l’établissement. Les salles de
cours permettaient aux Entertainers de se réunir afin
d’établir les médias planning et autre plan de financement des soirées privées qu’ils organisaient le
week-end ou les mercredi après–midi dans des
lieux prestigieux de la capitale. Les biznessers préféraient s’entretenir dans la cours de récré car on
captait mieux avec le cellulaire. Il n’était pas rare
d’entendre des similis codes du style : Tu m’en
prends pour 40 ; Lâche la C pour le X ; Une fois,
un de ses potes, Urbain, avait demandé à l’un des
barons de la cour, en usant des codes, de lui en filer
pour 20. Sans le savoir il venait de se porter acquéreur de 20 kilos de jamaïcaine 100 % authentique.
Il en fut quitte pour une très grosse frayeur, mais il
n’y eut pas de représailles. Le fait d’être élève de
l’école accordait une certaine immunité… Frik s’entendait globalement bien avec tout le monde mais
il n’appartenait pas à un groupe particulier. Il faisait parti des bons potes, ceux qui écoutent beaucoup mais parlent rarement sauf pour déconner.
De son temps les bandes organisées de ‘Geek’ ou
de ‘Loosers’ n’existaient pas encore sinon, il aurait
peut être été chef de bande. Noémie pour sa part
avait papillonné de garçon en garçon au gré de ses
intérêts : Par exemple : Eric, 7 mois : Organisateur
des soirées FissaPapa, les plus courues du tout-Paris de moins de 20 ans. Jean–Luc, 4 mois : Z3 et
Carrera 4. Philipe, 2 mois : Chalet à Courchevel.
Isidore, 5 mois : Grosse queue… d’après certaines
sources. François–Kevin, 3 ans : Confident &
Meilleur ami. Cherchez le con… Attention, vous
avez droit à plusieurs réponses ! Tous ces souvenirs
qui remontaient à la surface… Ce fut à ce moment
là que l’envie d’écrire un mail rageur à cette mante
religieuse le submergea. A nouveau devant le PC,
il pointa la souris sur l’icône créer un nouveau mes-
31
sage d’Outlook Express qui était toujours ouvert et
rédigea son pamphlet. Au moment d’envoyer le
message, un doute l’assaillit sur l’adresse de sa correspondante, Il n’avait qu’à l’envoyer au Webmaster, après tout ça lui ferait les pieds à cette conne si
d’autres personnes accédaient au contenu du courriel. Un clic sur le bouton envoyé et les deux messages partirent en même temps mais n’arrivèrent apparemment pas au bon destinataire, il avait dû inverser les adresses.
La jolie voix au téléphone le ramena brusquement
à la réalité. « Nous sommes d’accord, demain à
14h00 au 36 rue des X quai de X. Bonne journée
monsieur Klein. »
- Mercivousaussi.
Il raccrocha et resta hébété pendant un instant.
L’un dans l’autre ce n’était pas si mal. Il se voyait
déjà bosser à la télé. Il imaginait la gueule de ses
potes ou celle de cette grognasse de Noémie. Il fallait préparer l’entretien… Il se saisit du téléphone
(décidément) et composa le numéro de Léo, son
Gimini Cricket qui n’en revint pas d’entendre la
voix de Frik à une heure aussi indue. Tout était calé : A 19h00 à l’Alcazar avec Léo, Urbain et Chloé
pour une séance de Job-Storming. A 15h30 avec
Hubert et Michel ses Coach Queers qui l’accompagneront pour un après–midi shopping. D’après
eux, un travail s’obtient au style, au look, au comportement, à l’attitude, ou à certaines mensurations… Les diplômes ? De vulgaires accessoires,
chéri ! Frik, tout heureux de cette nouvelle situation fila gaiement dans la salle de bain pour une
douche bien méritée. Il s’arrête devant la chaîne hi
fi, hésite un instant et programme sur son lecteur
mp3 une Playlist de feu pour prolonger le sentiment de plaisir qui l’envahit. ‘XXXXX’ de XXX
laissa la place à ‘XXX’ de XX et Frik, pendant ce
temps se demandait, si s’épiler le torse ou ne pas
s’épiler le torse, était ou n’était pas, une bonne
idée. Depuis la mort de ses parents survenue deux
années auparavant dans un accident de voiture, il
s’était laissé (trop souvent) gouverné par la futilité.
Ses amis les plus fidèles le couvaient et ses grands –
parents notamment ceux du côté Klein le gâtaient
au point de lui faire perdre le sens des réalités.
François – Kevin comptait sur ce coup de pouce
du destin pour enfin tenir la dragée haute à tous
ceux qui l’avaient méprisé, celle(s) qui l’avai(en)t
quitté. Il allait devenir le nouveau, le nouveau…
En fait, il ne savait même pas pour quel poste sa
candidature avait été retenue ! Le comble.
15h15 Hubert et Michel attablés, l’attendaient à la
terrasse du Georges. La météo qui promettait un
après–midi estivale ne s’était, une fois n’est pas coutume, pas trompée. Beau et chaud à en crever. Frik
réfléchit et opta finalement pour le métro. Il préférait habituellement le confort de sa voiture mais il
ne voulait pas se gâcher la vie dans des embouteillages sans fin ni s’égosiller sur les « connards de
prols. ». Tout en marchant vers la station de métro
la Défense, il constatait perplexe, le nombre toujours croissant de nouveaux bâtiments qui jalonnaient son chemin. François–Kevin s’était trouvé
un mot pour se définir : Parisard, mi parisien, mi
banlieusard. Pour rien au monde il n’aurait souhaité quitter la ville de Puteaux qu’il habitait depuis
dix ans, sans doute par peur d’intégrer la réalité de
Paris. Pourtant il adorait Paris. Il était même viscéralement attaché à cette ville dans laquelle il passait la majeure partie de son temps, mais la banlieue ouest d’après lui, c’était les avantages sans les
inconvénients. Il arriva enfin place Beaubourg très
agacé. En 25 minutes de trajet, il avait eu droit à
huit interprétations différentes d’el condor passa, toutes plus horribles les une que les autres, qui ont fini
par le dégoûter définitivement de cette musique
pour péruviens d’opérette.
Frik adorait le centre Georges Pompidou, le musée
d’art moderne en particulier. Il se sentait bien.
Apaisé, lorsqu’il se promenait seul dans les travée
du musée, ça lui faisait le même effet avec la chanson Go West des Pet Shop Boys. Il lui arrivait parfois de sentir les larmes lui picoter le coin des yeux
et une douce chaleur lui envahir le coeur. L’impression de ressentir une sorte de nostalgie de l’événement présent qui se déroule et se finit dans l’instant. Souvent aussi, il a une boule dans le ventre.
François – Kevin est un garçon angoissé. Le
meilleur moment pour visiter le musée selon lui
c’est plutôt en hiver et le soir à 20h00 car le musée
ferme ses portes vers 21h00. Frik souffla un bon
coup et se retrouva sur la terrasse du Georges en
un rien de temps. Hubert et Michel piaffèrent d’impatience en le voyant arriver :
32
- Toujours à la bourre toi, lui dis Michel en tapotant sur sa montre
- C’est vrai, et en plus tu nous dois deux conso,
pleurnicha Hubert
- Bon Ok, la prochaine, elle est pour moi risqua
François – Kevin sans grande conviction.
- Très bien, je vais prendre une coupe et toi Michel, un verre de vin blanc ?
- Oui, oui
- Mais on est en plein après-midi !
- Tu sais, on va passer la journée à te relooker… Il
va falloir prendre des forces. Dit férocement Hubert, ce qui fit glousser Michel.
Un silence agréable s’installa, et ils profitèrent un
moment d’une douce bise. Frik eut cependant de
nouveau droit aux regards courroucés des deux
compères car il commanda à la sublime jeune serveuse un Pastis. Hubert et Michel trouvaient que
c’était vraiment une boisson de beauf indigne de
ce lieu et qu’il était irrécupérable.
Frik, lui était content de son effet. Il aimait bien les
choquer, et puis il en était convaincu, ses potes aussi le prenaient pour une buse…
Stan se tenait bien droit, les mains le long du
corps. Il avait tout de même la désagréable impression d’être perché sur des échasses avec des talonnettes de neuf centimètre aux pieds, qui le faisait
culminer à 1m81. Habillé sobrement pour l’occasion d’un costume noir et d’une chemise blanche,
les deux sur-mesure, son corps musclé (douloureux) parfaitement mis en valeur. Son regard rendu intense notamment par des lentilles de couleur
bleue se fixa sur la caméra. Il en souffrait encore
un peu, mais ça allait le faire. Concentré, il attendit le signal, prit une inspiration qu’il aurait souhaité plus profonde et se lança.
« Le jour où tout a changé s’est déroulé ainsi. Je me promenais sans but, désœuvrée et fâché avec la vie, le long d’une
plage de sable blanc. Il faisait un temps extraordinaire, la
mer était bleue turquoise et d’un calme absolu, je m’en souviens si clairement. Comme si c’était hier. J’étais nu. Seul.
Le soleil irriguait ma peau et nourrissait d’une merveilleuse
énergie cosmique mes membres alors faiblement développés.
Pourtant je n’étais pas heureux, il me manquait quelque
chose, j’avais beau avoir beaucoup, il me fallait toujours
plus. Et là, d’un coup, Il m’est apparu, comme surgit de
nulle part. Beau. Fort. Souriant. Sûr de lui. Je sentais la
présence rassurante que seule peut apporter, un être de lumière. Il s’est approché de moi et m’a dit d’un ton clair et
posé : « Fils, tu es là aujourd’hui pour une seule et unique
raison. » Je restais interloqué. Attentif. Il repris : « Tu vas
recevoir mon enseignement et ce que tu vas découvrir tu devras à ton retour le transmettre et le partager. Mais uniquement avec des élus. Des être méritants choisis et reconnus
comme tels. Ils devront passer les épreuves et se montrer dignes de la voie tracée… par… euh « - Coupez ! Non mais c’est une blague, j’halllllucine. En vrai tu te fous de ma gueule c’est ça ?
Trois semaines à se cogner des heures de repet de
merde et toi tu me ruines le truc ? On la refera
cette aprèm. Là je suis super vénére, tu vas faire
quatre heures de sport et tu boufferas peut être
après si j’ai la force de te pardonner. N’oublie jamais que t’es juste un tocard que j’ai sorti du ruisseau, connard, pecno.
Le « gourou » claqua avec fracas la porte du studio, laissant Stan à son désœuvrement. Il avait chié
la présentation vidéo et ça c’était pas bon du tout.
Dans le dispositif, la vidéo était un élément essentiel. D’après la dernière étude menée par un
33
groupe de statisticiens indépendants mandatés par
l’organisation, les disciples adhéraient à plus de
85% au message transmis par ce biais. Le taux de
souscription à l’issue de la phase 1 était de l’ordre
de 81,7% un pourcentage de transfo à faire bander
la plupart des commerciaux du monde ! Il le savait
parce que le gourou le savait…
Il consulta sa montre avant de sortir du studio.
11:25, lundi 24 mai. Encore une donnée parfaitement mémorisée. 24.05= Jour du karma. Les
adeptes durant cette journée particulière ne devaient pas porter de vêtements, prendre des douches toutes les deux heures, répéter des mantras,
manger des fruits, boire de l’eau « purifiée » et assister à la grande cérémonie dès la tombée de la
nuit… Un rituel parfaitement huilé, rodé qui renforçait toujours un peu plus la ferveur des fidèles.
Dans la petite pièce attenante au studio d’enregistrement qui servait de loge, Stan se sentit subitement seul. Il appliqua docilement le coton imbibé
de démaquillant sur son visage. Son regard triste
sans lentilles dans le miroir lui renvoyait l’image
d’un homme perdu. Piégé comme un insecte.
Son mentor appliquait à la lettre et sans relâche, le
programme qui convenait le mieux pour lui permettre de devenir son alter ego. (Stan avait bien
trop peur du gourou pour ambitionner de le supplanter). De surcroit, l’enjeu était de taille. « Le retour de l’enfant prodigue » (nom de code de l’opération) devait se dérouler dans deux semaines sans
erreurs ni accrocs, il n’y avait aucune alternative
possible. Marche ou crève, telle était la devise du
patron. Le gourou s’était montré limpide à ce sujet
et certains en avaient fait l’amère expérience, Stan
en gardait un souvenir qui le fit frissonner. Stan
voulait réussir quoi qu’il en coûte, parce que le gourou le voulait. La tête basse, il entendit raisonner
les pas lourds de la maquilleuse qui ouvrit vigoureusement la porte. Une adepte de la première génération totalement acquise à la cause, qui effaça en
deux temps, trois mouvements son teint hâlé.
- Alors, comme ça, tu as réussi à mettre le Guide
en colère, le jour du karma en plus, je ne te félicite
pas ! Ses gros seins nus se ballottait en tous sens et
sa moue courroucée lui donnait un bel air de mérou.
Stan se redressa, reprit de l’assurance. Fixa le miroir et d’un regard noir et d’une voix profonde
s’adressa à la dévouée adepte:
- Vespal Felicité, ton rang t’offre la parole et j’apprécie la franchise avec laquelle tu t’adresses à
moi, mais n’oublie jamais d’en faire bon usage. Ce
que tu viens de dire est juste sur le plan strictement
empirique, mais que connais-tu des plans de notre
prophète ? Peut-être que ce que tu interprètes
comme un courroux, n’est qu’une illusion pour
nous mettre à l’épreuve et nous apprendre à connaître nos failles, lutter contre nos instincts primaires, comme parler à tort et à travers, ou juger avec
sévérité un être pourtant plus avancé dans la voie
de la Révélation que toi ? Qu’en penses-tu Vespal
?
La voix de Stan se fit plus doucereuse sur la fin, il
ne cessait de fixer sa proie l’œil venimeux et méprisant.
Félicité déglutit, déstabilisée, son gros corps nu absurde devint un fardeau, elle tenta vainement de
balbutier quelques mots, mais Stan sûr de son emprise, l’empêcha de parler, lui adressa un sourire
torve à travers le miroir et inclina la tête en direction de son sexe, il défit son peignoir, la Vespal
s’agenouilla prestement, soulagée d’accomplir son
acte de rédemption. Stan ferma les yeux et pensa à
autre chose qu’à la grosse bonne femme entre ses
jambes. La cloche du couvent réaménagée pour la
« congrégation des fidèles de Cassiopée » retentit.
Stan grommela un son digne d’accompagner sa piteuse jouissance, tandis que la Vespale Félicité se
retira en silence toute ragaillardit d’avoir bien accomplit sa pénitence.
Le Gourou avait patiemment expliqué à Stan que
le sexe était une des clés du dispositif. Stan s’était
alors très vite imaginé des scènes torrides à la eyes
wide shut avec des filles au physique de rêve complètement désinhibées par l’endoctrinement subit au
sein de la secte. Ses ardeurs furent vite calmée. Le
Gourou s’enorgueillissait d’une garde rapprochée
composée de 10 sublimes « amazones », d’authentiques bombes anatomiques qui faisaient bander
adeptes, futurs adeptes et quiconque côtoyait la
« congrégation des fidèles de Cassiopée » mais qui
ne fricotaient jamais avec aucun ni aucune fidèle,
même le Gourou n’y touchait pas. D’anciennes call
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girls victimes d’abus que le Gourou avait délivrées
d’un sort funeste… Ça c’était pour la version officielle. En réalité Le Gourou « veillait » sur les protégées de Zlatan, un souteneur ukrainien, emprisonné pour diverses infractions aussi variées que
braquage, trafic de drogue, proxénétisme aggravé,
meurtre. Notre avocat, un ponte lui laissait l’espoir
de sortir, en apparence, mais verrouillait en coulisse toute possibilité de recours. Zlatan allait pourrir en taule, car telle était la volonté du Gourou.
Donc le sexe au sein de la communauté se pratiquait entre gens au physique quelconque voire difficile, mais en grande quantité ce qui satisfaisait tout
le monde, sauf Stan qui n’avait pas signé pour ce
sordide scénario.
Pourquoi lui ? Cette question le taraudait depuis le
début. La « rencontre » remontait à 6 – 8 – 10
mois ? (Le temps passait si vite sans repères). Aucune idée précise, mais une forte présomption.
Eloïm le Gourou ou Guide de la congrégation des
fidèles de Cassiopée, coqueluche du Tout-Paris
s’était vraisemblablement entiché de Stan la Loose
parce que justement il incarnait l’immaculée déception. Transformer cet être sans grand intérêt en
personnage charismatique relevait de la gageure et
permettrait de développer une nouvelle communauté, une franchise en quelque sorte. Le « retour
de l’enfant prodigue » allait en ce sens, démontrer
à tous ces connards frimeurs pétés de thunes qui se
la racontaient en boite de nuit que lui Stan était
devenu un Apollon à l’aura quasi surnaturelle. Les
souscriptions pour intégrer l’ordre dépasseraient
les objectifs et ils auraient la mainmise sur cette population riche, influençable et docile. Le beurre,
l’argent du beurre et le cul de la crémière. Tel était
dans les grandes lignes le plan du Guide. Qu’adviendrait-il de Stan à l’issue de cette opération ? Il
préférait éluder la question.
Le Pitch : Stanislas Fillmore est né à Paris le 26
janvier 1982. Après de vagues études littéraires et
quelques jobs alimentaires, il a miraculeusement
réussi à se faire embaucher par une revue culinaire en ligne. Même si Stan travaille de chez lui,
son patron est tyrannique et l’exploite outrageusement. D’ordinaire c’est celui – ci qui se promène
de tables en tables pour déguster les meilleurs mets
de la planète et laisser à Stan la tache de synthétiser ses commentaires le plus souvent inexploitables.
Invité à passer quelques jours sur un yacht, il ordonne à Stan de se rendre à sa place pour tester undercover le dernier restaurant favori du Tout-Paris et
en faire la chronique. Or, un oncle de Stan inconnu de celui –ci, vient de trépasser et l’a désigné
comme seul héritier d’un manoir dans les Highlands. Incapable de demander un jour de congé à
son patron pour découvrir sa nouvelle propriété, il
prend le risque d’envoyer au restaurant sa demi–sœur accompagnée de son meilleur ami pendant que lui s’envole pour l’Ecosse…
ABEL
Stanislas m’a appelé vers 18h00, comme à son habitude « Stan la Loose » n’a pas trop la pêche. Heureusement le super pote Abel a LA Solution…
Une soirée de feu chez Marco, en tout cas c’est ainsi que Marie m’a vendu le truc. Evidemment en
tant qu’empereur du Shooter ma présence est bien
entendue indispensable à cet événement. Quant à
Stan, Marie me confie que Cassandra serait partante pour en faire son quatre heure « si il n’était pas
si fauché bien sûr ». En bon cupidon à barbe de trois
jours, j’ai tout de suite imaginé quelques arguments percutants à faire valoir auprès de cette Messaline pour arranger les choses de ce côté-là et permettre à Stan de se métamorphoser en « Stan la
Gagne ». « Tonight is gonna be the night ».
En tout cas en ce moment, moi, sans exagérer je
suis au top. Un tour sur livenight.fr me confirme
cette impression. Première photo, jeudi soir entre
Camille et Johanna, en T-Shirt Alexander Mcqueenpainted skull (Rest in Peace), Jeans Diesel et Adidas
Star Wars Storm Troopers. Vendredi soir avec Jerem’,
Xav’ et Marco, je suis à gauche sur la photo en veste Maison Martin Margiela, une coupe de champagne à la main. Pour ce soir, j’hésite entre un
sweat Rick Owens »casual » et une chemiseDamir Do-
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ma basic plus originale. Finalement j’opte pour la
chemise Damir Doma. Le reste de la tenue est Armani, à part les Weston aux pieds. « Les basiques, toujours les basiques ». Je me regarde dans le miroir
avec un brin d’émotion. Irrésistible !
21h00 Le taxi nous laisse devant la massive grille
en fer forgée qui protège la propriété de Marco des
intrus. Un physio en costard Bruce Field et oreille
BlueTooth nous accueille l’œil et la mine féroce. Je
lui tends mon portable pour lui montrer le sms d’invitation que m’a envoyé Camille. Il s’agit d’un
code à 6 chiffres personnalisé, le nec plus ultra du
filtrage mondain. A la vue du message, Hulk se détend un peu. Le molosse appelle au talkie un autre
cerbère. La grille se déverrouille. Rien à dire, Marco sait vraiment créer un climat. Ce soir c’est juste
énorme. La maison est au moins à 500 mètres et la
musique (le remix de The XX – Shelter) se fait clairement entendre. Stan commence à arborer son
célèbre demi-sourire, signe qu’il est bien heureux
d’être là. Et encore, il ne sait pas tout… Quelques
fêtards trainent dehors. Clopes ou autres substances fumables à la main pour certains, champagne
pour tous et toutes, sapés hype et glamour. Je glisse
une coupe à Stan glanée sur le chemin, remise par
une ravissante petite blondinette dont je note, pour
plus tard, la probable disponibilité compte tenu du
sourire sexuellement dégoulinant qu’elle m’a adressé…
Une fois à l’intérieur c’est carrément énorme. La
quintessence du style… Je m’éclate comme une
bête. Rrrrrrrr.
23h55 Stan est assis derrière moi, à moitié comateux, la douzaine de shooters qu’il a ingurgités depuis notre arrivée l’ayant, il faut bien le reconnaît r e , u n p e u f r a c a s s é .
23h56 La sublime Djette enchaine avec maestria
l’excellente et intemporelle tuerie de MGMT T i m e t o P r e t e n d
23h56 15 s Jusqu’ici tout va bien… Tranquille et
serein, j’esquisse quelques mouvements d’épaules
destinés à montrer à la gent féminine que je suis
bien dans le coup. Vodka tonic à la main. Demi –
sourire de circonstance. La soirée est sur les rails,
c e s o i r j e v a i s c h o p p e r s é v è r e .
23h57 Stan se lève, probablement pour aller aux
t o i l e t t e s v o m i r a l c o o l e t m a l ê t r e .
23h57, 35s. Je n’ai pas le temps de réaliser ce qui
se passe. Comme victime d’une collision visuelle,
j’identifie Stan au milieu du dancefloor improvisé.
Il exécute une espèce de danse du scalp. Mélange
surréaliste de pas de danse nazes style batcave mâtinés de saut de marsupilami défoncé au Mdma, l’index en l’air, gueulant des « wouh » « wouh »
c o m m e u n e h y è n e e n r a g é e .
2 3 h 5 9 J e s u i s c o n s t e r n é .
23h59 17s Cassandra qui malheureusement est
juste à côté de lui, se fait gerber dessus.
00h00 On a perdu Stan, il est carrément parti en
sucette…
Je le retrouve une demi – heure plus tard endormi
dans les chiottes par terre. Je lui mets quelques petits coups de pompe pour le réveiller. Tiens, apparemment il a mangé des pâtes à la sauce tomate
avant de venir, cet enfoiré aurait pu m’inviter, je
suis quand même son pote…
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