CLEMENT DELTENRE
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CLEMENT DELTENRE
CLEMENT DELTENRE Rushes Rushes Je déteste les livres qui démarrent lentement par une introduction fastidieuse. Prolégomènes insipides destinées à mettre en place le carcans étriqué dans lequel va se dérouler la basique intrigue. Lente mise en place de personnages, pseudo suspens, rarement vus tels que l’auteur l’aurait voulu, soit parce qu’il ne les décrit pas comme il le faut (incompétent), soit parce que le lecteur est trop limité pour y arriver ! Moi c’est clair, je vais vous parler d’un salaud de la pire espèce et comme tous les salauds il va arriver à vous séduire et finalement c’est moi que vous condamnerez. Mais ce n’est pas grave, le pus sera sorti du furoncle. Ne prenez pas cet air courroucé, je vous vois froncer les sourcils et vous dire « encore un qui se victimise, le seul coupable est toujours soi même. » et autres arguments psychologiquement admis et encouragés par les magazines féminins. De toute façon à travers ce prisme du miroir qu’est l’autre je solde inévitablement mes comptes avec une partie de moi que je rejette. J’hésite à appeler cet homme, car il s’agit d’un homme, Alfred ou Léon, Léon c’est rond tandis qu’Alfred ça fait majordome. Laissez moi réfléchir… Va pour Alfred ça correspond mieux à son o b s é q u i o s i t é . Ce cher Alfred est né au moment où il le fallait, durant la 2eme guerre mondiale. À croire que cette inadmissible violence s’est naturellement instillée dans son sang. Dans une famille bourgeoise catholique mais pas trop il a commencé par annexer le lait rationné destiné à son petit frère et à monopoliser l’attention. Angoissant le bougre déjà bien replet pour son âge. Alfred Qui es-tu petit morveux pour revendiquer une place ? Il n’y a que moi qui compte, jamais les parents ne te préfèreront, j’ai 3 ans et toi tu viens juste de naître, je pourrais très bien t’étouffer avec un coussin ou te faire tomber du berceau face contre terre… J’ai 3 ans et je ne formalise pas mais je conceptualise ces idées. Je n’éprouve pas de sentiments à l’égard de ce minable petit être, ni des Géniteurs, ils sont là pour me nourrir et me servir. Ils sont fonctionnels. Je réalise que lorsque je fais des sourires ou je suis amical avec le morveux ils manifestent leur contentement. Quand ils me regardent je caresse la joue du niard et dès qu’ils se retournent je lui fais une petite pichenette. Je suis le plus fort. Je suis le meilleur. Il n’y a que moi qui compte et le monde tournera toujours ainsi. Le temps passe et Alfred grandit, son système de pensées n’a pas évolué mais s’est affiné, les coupables de sa naissance ont plus de moyens financier. Le père est un homme d’affaire important et la mère une femme de maison on ne peut plus respectable. Alfred est destiné vivre comme un Prince. À Suivre 1 “(…) Héritier naturel de Steve Rubell du Studio 54 de New York, l’auto proclamé roi de la nuit n’a aucun rival dans le monde, parce que chaque soirée organisée par Léo est incomparable. Unique. Féérique. Époustouflante. Pour les rares profanes qui n’ont jamais entendu parlé des LPP (Léo Private Parties) le principal moyen d’accéder aux fêtes les plus sélect de l’univers et les mots sont bien pesés, est de s’inscrire sur le site dédié qui compte plusieurs centaines de milliers d’inscrits, d’attendre patiemment la veille de l’événement pour recevoir le précieux sésame. Un simple message de confirmation nominatif. Inutile de préciser que l’on vient de partout dans le monde pour assister à ces événements hors du commun. Les critères de sélection ? Personne ne les connait, mais le questionnaire à remplir avant de laisser son adresse mail ou même un numéro de portable est d’une hallucinante exhaustivité : 146 questions traduites en 5 langues. Les recalés peuvent malgré tout tenter leur chance jusqu’au bout. Un véritable parcours du combattant. Patienter jusqu’à la mise en ligne de l’adresse sur le site Internet quelques heures avant le début de la fête, ce qui occasionne fréquemment des sautes de serveur puis faire le pied de grue devant le lieu, toujours insolite, choisi pour l’occasion. Mais que ne feraient-ils pas pour faire partie des 10 élus systématiquement sélectionnés dans la file d’attente ? Dans ces conditions, ne pas s’y rendre lorsqu’on a été adoubé par le roi Léo, de mémoire de Clubbers on n’avait jamais vu ça ! s’apparenterait à un suicide jet – sociétal.” A.R BENJAMIN Stanislas m’a appelé vers 11h00 du matin. Comme d’habitude Stan la Loose n’a pas trop la pêche. Heureusement, j’ai la solution pour le rebooster. Ce soir, le Roi Léo célèbre sa première “Private Party” de l’année. Marie (ma meilleure amie qui est amoureuse de moi) ne cesse de me rabâcher les oreilles avec cet événement auquel elle rêve d’assister. Franchement, toute cette agitation autour de ces fêtes me semble pourtant exagérée. Je suis régulièrement invité dans les meilleurs plans de la capitale et c’est toujours la même rengaine: Alcool à volonté. Filles superbes. Cadeaux. Banales mondanités. Mais pour leur faire plaisir à tous les deux, j’adhère exceptionnellement au concept. Alex le principal associé de Léo est un de mes meilleurs amis d’enfance. Même si nous ne nous voyons plus aussi régulièrement que dans nos jeunes années, je lui ai quand même envoyé une petite requête par mail. Vif comme l’éclair Alex m’a gentiment répondu que j’étais placé sur la A Guest List. V.I.P en Full Access. Citron sur la tequila, c’est “open friends” pour moi. Je peux inviter qui je veux. Je ne me rend pas bien compte de la chance que j’ai, si c’est une chance. Pour marquer le coup et parce que j’aime ça, je lui ai proposé d’apporter ma petite touche “perso” pour que la soirée soit vraiment mortelle. Derrière le bar je suis l’empereur du Shooter et comme j’ai récemment été intronisé nouvelle sensation du petit écran, ma présence sera inattendue a cet endroit là. Cela ajoutera au Buzz. Une idée de génie ! Alex n’y voit pas d’inconvénient. Sobre mais stylé. Agaçant le bougre, mais je serais content de le revoir. On formait une pure équipe à l’époque avec Louis (mon connard de frère), Marc (un gentil mec qui craint un peu), Jerome (attend… il est dans la com’ ? Jamais trop compris comment, hyper effacé et pas très fun), Alex (Lui finalement il était cool) et moi. Avec le recul j’étais quand même le plus mignon et le plus marrant de la bande. Mais tout ça c’est du passé. Du super vintage ! En ce qui concerne mon pote du présent, Stan, d’après Marie qui est très vis ma vie comme dans Voici, Cassandre serait carrément partante pour en faire son quatre heure… « s’il n’était pas si dépressif bien sûr ». En bon cupidon à barbe de trois 2 jours, j’ai tout de suite imaginé un certain nombres d’arguments pour arranger le coup avec cette Messaline et métamorphoser l’autre naze en Stan la Gagne. J’envoie un ultime message à Alex pour valider mes invités : Stan, Marie, Cassandre. C’est fait. Espérons que cette fameuse Private Party du Roi Léo soit aussi cool qu’on le prétend. Tonight might gonna be the night ! Comme d’hab’ Pour démarrer cette journée dans les meilleurs conditions, je me fais une petite revue du web : Un tour sur le nec plus ultra des sites de la nuit livenight me confirme une récente impression… Sans exagérer : Je suis au top ! Jeudi soir à l’Event Canal 17 entre Marie et Johanna, en T-Shirt Alexander Mcqueen painted skull (Rest in Peace Alexander, tu es toujours dans mon coeur). Jeans Diesel et Adidas Star Wars Storm Troopers (une édition collector découverte sur un site japonais. J’ai carrément trop flippé de ne jamais les recevoir). Vendredi, inauguration d’un nouveau concept store encore avec Marie, Xav’ (un gars de la nuit sympa avec lequel j’accroche moyen mais qui connait des gens connus ce qui le rend intéressant) et Marc (mon fameux pote d’enfance que je sors de temps en temps de la naphtaline. Ingénieur coincé du cul, ultra kiffant à débaucher). Pour ce soir, j’hésite entre un sweat Rick Owens «casual» mais très underground et une chemise Damir Doma basic plus straight. Finalement j’opte pour la chemise. Le reste de la tenue est Armani, à part les Weston aux pieds bien sûr. « Les basiques, toujours les basiques ». Je me regarde dans le miroir avec un brin d’émotion. Irrésistible ! Tout est en ordre. Je me rends au studio pour quelques sessions de Charts, l’émission dont je suis le présentateur vedette. Puis je rentre chez moi, en pleine forme après un détour par la salle de sport. Comme prévu, Stan débarque @ home, sans trop connaître le programme de la soirée. Ce petit énergumène cyclothymique s’avère être un brillant critique gastronomique quand il se décide à écrire ses articles, son problème c’est d’être une larve la majeure partie du temps. Mais bon, c’est comme ça, tout le monde n’a pas la chance d’être moi. Un coup de fil aux taxis G7 et 20 minutes plus tard nous sommes en route pour une destination inconnue. Le message intitulé «RDV» reçu sur le téléphone portable ne contient que des coordonnées gps que j’ai transmises au chauffeur. D’après lui on va du côté de Versailles. Stan semble s’en foutre totalement, il se laisse gentiment guider. Enfin arrivés. La voiture nous laisse devant une massive grille en fer forgée. On se croirait dans “eyes widget shut “. Il est tôt 22h30 comme Alex me l’a stipulé dans son mail. Précaution indispensable pour éviter la foule. Un physio en costard Bruce Field et oreillette BlueTooth nous accueille froidement, l’œil et la mine féroce. J’hésite à lui dire fidelio mais devant l’aspect ogresque du personnage, je ne fais que lui tendre mon smartphone. Mâchoire serrée, il inspecte le sms d’invitation. Un code à 6 chiffres personnalisé. La crème du filtrage mondain. Hulk check sa liste et se détend un peu. Le molosse appelle au talkie un autre cerbère. La grille se déverrouille. Rendons au Roi Léo ce qui lui appartient, il n’y a rien à dire, le maitre des lieux sait vraiment créer un climat. Epoustouflant, à défaut d’autre mot. Une puissance festive quasi mystique se dégage et pourtant ce n’est que le teaser de la soirée. Nous ne voyons pas très bien parce qu’elle est dissimulée par des arbres mais la maison semble être au moins à 500 mètres, si tant est qu’on puisse appeler cela une maison, on dirait un hôtel ou un musée réaménagé, pourtant la musique, un remix précis de The XX – Shelter est parfaitement audible grâce aux enceintes astucieusement disséminées un peu partout. DisneyTeuf nous voici ! Pour parvenir jusqu’à la porte d’entrée de la majestueuse demeure, nous montons à bord d’une voiture de golf pilotée par un super beau gosse au physique de tentateur de la télé réalité, qui arbore fièrement un t-shirt et une casquette d’une marque sponsor. Stan subjugué par le faste esquisse son célèbre demi-sourire. Signe qu’il est bien heureux d’être là. Et encore, il ne sait pas tout… La petite Cassandre qui doit nous rejoindre un peu plus tard avec Marie. Surprise ! Une hôtesse évidemment ravissante nous accueille, avec un regard sexuellement dégoulinant et deux 3 coupes de Krug, sur le perron où trainent quelques fêtards de luxe. Clopes ou autres substances fumables à la main pour certains. Champagne pour tous. Sapés hype et glamour. La quintessence de la branchitude. J’en reconnais quelques un(e)s. La crème de la crème. No doubt. Une fois à l’intérieur c’est carrément la démesure, encore plus énorme. La décoration, le style… Je m’éclate comme une bête. Rrrrrrrr. Deux heures plus tard. Stan est affalé sur un canapé rococo, juste derrière moi, à moitié comateux, il discute avec le gourou, un grand mec dégingandé qui a séduit le tout- paris avec sa philo de bazar et ses tatouages ésotériques. La douzaine de Shooters que je lui ai concocté depuis notre arrivée l’ayant, il faut bien le reconnaître, totalement fracassé. Ma prestation n’est d’ailleurs pas passée inaperçue. Prêt pour un remake de Cocktail. Tom Cruise à côté de moi, c’est une brelle. Two thumbs up, Fuckers ! La sublime Djette enchaine avec maestria l’excellente et intemporelle tuerie de MGMT Time to Pretend avec le non moins bon Galvanize des Chemical Brothers feat Q. TIP. La piste de danse, une véritable salle de bal irradie littéralement maintenant que tout le monde est là, plus de monde que prévu, je m’interroge ? Ibiza. Marbella. Les fêtes de Cannes. Tout ça c’est zéro, de la daube comparé à cette surkiffante soirée. Léo suivi de près par Alex passent devant moi. Je me plante face à eux histoire de taper la causette et surtout de me rappeler aux meilleurs souvenirs de mon pote, que je compte bien revoir beaucoup plus souvent maintenant que j’ai capté ce qu’il fait dans la vie. Ils filent, comme ça, sans même m’adresser un regard. Hallucinant ! Je suis quand même l’ami d’enfance d’Alex, peut être son meilleur, mais aussi un personnage public. Merde quoi ! Tant pis pour eux. Exceptée cette péripétie, jusqu’ici tout va bien… Tranquille et serein, j’esquisse quelques mouvements d’épaules destinés à montrer à la gent féminine que je suis bien dans le coup. Vodka Tonic à la main, mais cette fois assis. Complicité avec Stan… de circonstance. Marie, robe créateur courtissime et sexy, enfin arrivée avec Cassandre, ce qui soit dit en passant a littéralement transporté de joie Stan, «Ah elle est là elle aussi, cool !», danse, virevolte, me lance des oeillades de braise que je fais mine d’ignorer. Elle reste sous le coude, en ultime recours. La soirée est comme sur des rails. Ce soir je vais chopper grave. Avant ça je n’oublie pas mon rôle d’entremetteur. Je prend le téléphone de «la loose» qui baragouine un truc du genre « qu’est – ce que tu fous ». Tel un Mac Gyver des temps modernes, avec une meilleure coupe de cheveux, je remplace mon nom dans son répertoire par celui de Jay – Z. Plus c’est gros plus ça passe comme dirait Christophe Rocancourt ou Rocco, je ne sais plus ! A ma demande Cassandre se dirige vers nous. Stan et moi on se lève, même si ce bouffon n’était pas trop chaud au départ. D’emblée je lui demande de garder la table qui est heureusement assez isolée de la piste de danse, ainsi que le portable de Stan. Evidemment je n’oublie pas de lui mentionner que si le téléphone sonne, il faut impérativement qu’elle réponde car Stan, aussi incroyable que cela puisse paraitre, attend un appel hyper important des States, rapport au business et que cette personne, de notoriété internationale, ne doit en aucun cas tomber sur la boite vocale. Je donne un coup de coude à l’animal qui tangue à côté de moi et d’un coup nous faisons des signes à un gars invisible, prétexte fumeux pour nous absenter. Cassandre est focalisée sur sa mission. Impressionnée par l’ambiance et les gens, elle ne se méfie évidemment de rien. Un peu à l’écart. J’appelle sur le portable de Stan. Et là, Cassandre est sur le point de défaillir lorsqu’elle voit marquer en gros caractères le nom: Jay-Z. - Allo - Who are you, where is this motherfuckin Stan biatch ? on dirait une mauvaise parodie de De Niro mais Cassandre à fond dans le trip est persuadée d’être en ligne avec le vrai rappeur. - Sorry he is not here for the moment, please wait, he will be here soon - Yo Girl you seem cool but don’t fuck with me this is serious shit, i’ll give him an exclusive interview and i hate to waste my time. French people are real assholes. Suck my dick. Dick sucker ! J’envoie Stan reprendre la main. Il prend le téléphone me baratine 30 secondes en anglais. Raccro- 4 che. S’affale sur le canapé et comate. Ce con n’en profite même pas ! Cassandre le regarde mi figue mi raisin. Part sur la piste de danse, désabusée. Je retourne m’assoir dégouté, me sers un Perrier histoire de couper un peu l’escalade dans la picole. Je zieute l’autre pourri: Natural Born Looser qui se lève chancelant. Probablement pour aller aux toilettes. Vomir alcool et mal être. Il doit être 23h57 en tout cas c’est ce qu’indique ma Rolex et je n’ai pas le temps de réaliser ce qui se passe. Comme victime d’une collision visuelle, j’identifie Stan au milieu du dancefloor. Il exécute une espèce de danse du scalp. Mélange surréaliste de pas de danse improbables style batcave mâtinés de saut de marsupilami surcoké. L’index en l’air, il gueule des « wouh » « wouh » comme une hyène enragée. Cassandre qui malheureusement est juste à côté de lui et croit qu’il déconne, se fait gerber dessus. Minuit : On a perdu Stan. Il est carrément parti en vrille… Je retourne très vite derrière le bar principal histoire de ne pas être de près ou de loin associé à cet événement tragique. Marie passablement vénère part s’occuper de sa copine traumatisée. Je réfléchis aux différentes solutions qui s’offrent à moi pour me débarrasser définitivement de ce boulet. Je pense à Alex. Lui au moins c’est un mec bien ! Hasard ou démente coïncidence Louis, mon frère, est face à moi, à ses côtés Marc et Jérome. - Putain les gars qu’est-ce que vous faites là ? Dis-je incrédule - On a tous reçu en début d’après-midi une invitation de la part d’Alex pour venir à cette soirée, ça semblait important, il avait un truc à nous dire. Répond froidement Louis. Marc et Jerome opinent du chef - On ne s’attendait pas à se retrouver ensemble, on est venu chacun de notre côté enchéri Marc. Jerome ne cesse de regarder à droite et à gauche, visiblement à l’affut. «Quelqu’un a vu Alex ?» - Je l’ai croisé mais il ne s’est pas arrêté, il ne m’a peut être pas reconnu ! Mon ton est involontairement acerbe ce qui donne à Louis l’occasion de me provoquer. - Ta tête a tellement enflée, tu m’étonnes, il a dû avoir la trouille ! Mais quel connard celui là alors. Dommage que nos parents soient morts, je les auraient bien poursuivis pour avoir mis au monde cette petite enflure. Façon de parler bien entendu. Je quitte le bar suivi de mes «amis» pour regagner la table délaissée par Marie, Stan et Cassandre. Nous échangeons quelques banalités d’usage tandis que nous remplissons nos verres de champagne frappé. Stan ne revient toujours pas. Ca fait évidemment marrer Louis de me voir partir à sa recherche. Finalement après un petit moment d’investigation je le retrouve endormi par terre dans les chiottes. Un brin ulcéré je lui mets quelques petits coups de pompe pour le réveiller. Soudain, ça s’agite autour de nous, les beautiful people se dirigent en masse vers l’entrée du bâtiment. Je tire Stan par la main qui se relève à moitié groggy, mais arrive tout de même à me suivre. Attroupés dehors, je distingue Marie et Cassandre qui sont assises sur les marches, à droite de la porte d’entrée. Toutes les têtes sauf les leurs sont levées. Au bord du toit à une quinzaine de mètres de hauteur, Alex et Leo exécutent une sorte de chorégraphie. En bas la peur s’accouple à l’excitation. Les bras se tendent vers eux. Le public exulte. Jerome, Marc et Louis se rapprochent de moi. Ils sont tendus, ne goutent pas comme les autres à ce spectacle, Conscience affective qu’un drame est en train de se dérouler ? Inévitable, prévisible, inéluctable, tous les qualificatifs sont justifiés mais aucun ne peut rendre compte de l’horreur qui se produit lorsque Léo et Alex tombent du toit pour s’écraser en moins de 7 secondes sous nos yeux hagards au bas des marches, produisant un double bruit sourd, mat, disloquant, lourd. Juste à côté de Cassandre qui réalise après coup et se met à hurler comme une damnée, suivie instantanément par Marie et la panique s’empare du lieu. La DJette s’arrête de jouer. Signe que la fête est finie. Les discussions s’animent, la rumeur gronde. L’agitation est paroxysmique. Le roi Léo. Mort. Alex… aussi ? Surréaliste. Les smartphones sont dégainés. Ca téléphone de partout. Il y en a qui filment. Prennent des photos. Se dépêchent de publier des infos sur les réseaux sociaux. Les plus braves forment un cor- 5 don autour des corps. Je ne crois pas qu’il y en ait un seul ici qui pense à composer le 18. Jerome, Marc, Louis et moi, nous sommes avec Alex qui git inconscient dans une mare sanguinolente, peut être est-il encore en vie, mince espoir ? Franchement on n’y connait rien. Jamais su prendre un pouls, la tension, ce genre de conneries. On est pas dans un putain de film, c’est la maudite réalité qui nous attrape au collet et serre son étreinte. Totalement déphasés nous voyons le personnel de sécurité assister les secours (miracle ?) qui essaient de faire leur travail, nous reculent du lieu du drame. ce qui n’empêche pas les curieux de luxe d’affluer pour se repaitre de la douleur et se gaver de sensations fortes. Certains s’amusent, d’autres sont subjugués, atterrés. Jerome chiale comme une madeleine, Marc et Louis sont stoïques, tétanisés, sous le choc. Stan totalement débourré est avec le Gourou qui psalmodie (à mon sens) un genre de mantra destiné plus à ses groupies qu’aux deux moribonds disloqués. Finalement les corps sont chargés dans une ambulance. Au bout de combien de temps ? aucune idée, j’ai l’impression que tout s’est déroulé dans une microseconde d’éternité. Gyrophare et sirène écartent les médias, les invités, le personnel, se fraye un chemin à l’extérieur de la propriété à tout jamais associée à cet événement. Une pensée terriblement cynique me traverse l’esprit, pour une fois il n’y a pas eu de tromperie sur la marchandise, une soirée de Léo on s’en souvient toute sa vie. Surtout quand c’est la dernière. Dans le bras de Marie, mes forces m’abandonnent, mes yeux s’embuent, mon esprit est à l’extérieur de mon corps, j’ai l’impression de vivre une near death experience. Je vois Cassandre couverte de vomi, de sang et d’autre matière qui frissonne emmitouflée dans la veste que lui a prêté Louis. La petite chinoise est blême. Statique. Yeux rouges. Le contraste des couleurs est saisissant. Mon frère est en grande conversation avec une blonde de compète que je reconnais. Eglantine, je suis sorti avec elle l’année dernière… Le salaud, il doit bien se régaler ! Marie venue avec sa mini propose de ramener Eglantine et Cassandre, tandis que Jerome, Marc, Louis et moi décidons de nous rendre à l’hôpital où a été transporté Alex. Stan est parti avec son nouveau pote le Gourou. Bon débarras. 6 STAN Benjamin discute avec son frère et tout un tas de gens que je ne connais pas. Drôle de soirée pour notre nouvelle star du petit écran. Apparemment ce sont aussi des amis d’enfance d’Alex, le mec qui est tombé du toit en même temps que Léo ? Brrr j’en tremble encore. Quand j’y repense c’est surtout con pour Cassandre. Elle a un bon petit cul. Faudrait que je pense à la rappeler pour prendre de ses nouvelles. J’ai envie d’une clope et d’une bière. Ma boite mail doit déborder. J’ai une critique à rédiger pour demain, un resto thaï qui vient d’ouvrir. Je crois que Léo a des parts dedans. Cool, ça va faire un peu de buzz. Il y a aussi cette histoire avec « Le Gourou », encore un truc qui me tombe dessus alors que j’ai rien demandé… Mais c’est vraiment un bon plan. Moi, patron d’une secte en Amérique du sud ! Putain de vie, je me dis que parfois ça doit être cool d’avoir un petit taf salarié en Province… genre dans la banque ou un truc comme ça. Benjamin lâche plus son téléphone. Il parle d’aller avec Louis et ses vieux amis à l’hosto. Pratiques d’anciens combattants. Moi j’ai d’autres choses plus importantes à faire, tiens je me casse avec « Le Gourou ». Après tout, chacun son destin. LOUIS Les filles sont parties, Eglantine est vraiment géniale, elle réconforte avec tellement de compassion la pauvre Cassandre et Marie a l’air très chouette, je me demande pourquoi elle s’intéresse à un connard comme Benjamin. Plus narcissique, plus m’as-tu vu, c’est difficile de trouver. Maintenant qu’il passe à la télé c’est encore pire. Fallait le voir derrière le bar tout à l’heure à jouer au mec cool, quel pitre. Et son faire valoir à deux balles de Stan la loose, pas irrigué ce baltringue. Jamais pu le blairer. Mes pensées divergent un peu mais reviennent toujours sur Alex. Mon Dieu, je t’invoque et pourtant je ne crois plus en toi depuis la mort de mes parents, mais par quelle probabilité diabolique avons nous été réunis, Marc, Jerome, Benjamin et moi aujourd’hui pour assister au tragique accident de notre ami d’enfance ? Marc Premier arrivé il me semble. J’entre dans le café. Celui qui fait l’angle. Juste à côté de l’hôpital où nous avons décidé de nous retrouver. Il fait glauque. Autant dehors que dedans… Le froid me glace les os et ce n’est pas j’en ai peur, le minable brasero que j’aperçois au fond du bastringue qui va atténuer cette sensation. La torpeur parisienne me colle, si c’est possible, un peu plus le bourdon. Je voudrais que cette nuit s’arrête. Je suis las et fatigué. Et pourtant, ce n’est pas fini. Je constate que Jérôme a eu la même idée que moi. Mais après tout, qu’a t-il à perdre ? il est toujours plus facile de sacrifier sa solitude lorsqu’elle pèse, que sa compagnie lorsqu’elle est appréciée. La fumée et la lumière tamisée du lieu éprouvent mes yeux habitués aux néons. Deux tables sont occupées. L’une par un petit couple de jeunes qui se pelotonnent sur la banquette, l’autre à l’opposé près de la fenêtre par Jérôme. Avec le Barman moustachu à tête de facho, nous sommes cinq à peupler le ‘Balto’, qui n’a sans doute jamais vu autant de clients à cette heure-ci. En fait qu’est-ce que j’en sais ? Peu importe, de toute façon je ne suis pas là pour le plaisir. Jérôme et moi devons discuter en attendant les autres. Je veux comprendre et lui aussi sans doute, ce qui est arrivé à celui qui est, qui fut ? Notre ami. - Salut, assied toi. Tu veux boire quelque chose ? – Oui, merci. Je vais prendre une bière. 7 - O l a f : 2 d e m i s s ’ i l t e p l a i t . - Tu connais son nom ? - Je suis là depuis une demi-heure. J’ai eu le temps de faire la causette… - C o m m e n t t u t e s e n s ? - Moi pas mal. Non en fait c’est des conneries. Ca ne va pas si bien… – Moi non plus, je n’arrête pas d’y penser. C’est dingue. - Justement, si je voulais te voir c’était aussi pour savoir. Comprendre. Reconstituer un peu les événements. Je me demande, comment il a pu en arriver là, et… Jérôme me regarde fixement. Un rictus au coin des lèvres. Ses yeux sont rouges : La clope, les larmes, les deux. - Tu te souviens de la première fois que tu l’as rencontré ? Me demande Jérôme pour rompre ma réflexion. Tu parles, ça remonte à la primaire. - Moi à la troisième… Olaf pose devant nous nos deux verres. Jérôme lève le sien : - On trinque ? A la vie, à la mort ! A la vie… Un spasme me parcoure. Tout à coup je réalise un peu plus ce qui se passe. Nous buvons à la santé de notre ami qui bientôt ne sera plus. Une part de nous qui meure à chaque nouvelle gorgée. J’ai une furieuse envie de cigarette. Un an que je n’ai pas fumé mais cette fois ci je ne peux pas résister. La nuit va être longue pour Jérôme et moi, mais peut être courte pour Alex. Nous nous recueillons un instant. Je prends la parole. - Pour moi, tout à commencé quand Alex a fait la connaissance de Léo, à Clarisse de Nazareth je crois ? A cette époque j’étais à Jules Ferry, toi à Montaigne et les deux frangins à Machiavelli, j’avais jamais remarqué mais on quadrillait la zone ! Jérôme opine du chef. - Ouais ! Alex qui s’est vu condamné dès son plus jeune âge par sa mère à cette boîte à bac bien pourrie. - Tu te souviens comme moi à quel point il était à l’affut de la moindre connerie… Bref. - Mais au début, il était pas vraiment attiré pas cette ambiance de fashion victims. - Arrête ! Même les profs et les pions étaient dans le trip. A tel point, qu’il croyait que c’était un uniforme. Bien sûr, il aimait ça les fringues, la mode, mais ce n’était pas prioritaire pour lui, en tout cas pas sur ses amis. Jérôme, qui comme moi s’est laissé prendre au jeu ne réagit pas trop. Je le vois jeter un coup d’oeil rapide à ses Onitsuka Tiger collectors neuves. J’essaie désespérément de dissimuler mon bracelet Dsquared sous mon pull Paul Smith mais rien n’y fait. Ce soir, il faudra affronter la vérité. - Tu sais Marc, me dit Jérôme en relevant la tête, les yeux embués : Je crois que j’ai été jaloux de son succès, de sa vie et même plus… - Oui, sans doute un peu. C’est compréhensible. Mais regarde où ça l’a mené. Putain, j’en étais où ? Ah, oui, le bahut… - Il a fait littéraire je crois, je me souviens en tout cas qu’il était le seul garçon de sa classe pour une dizaine de filles. Seul comme Ulysse au milieu des sirènes, comme il le disait. Jérôme décroche un sourire complice. Tu parles, tout ce qu’on aurait donné pour être à sa place à ce moment là. - La première fois qu’il nous a parlé de Léo on était ensemble tous les trois, on allait acheter des disques vers Saint – Michel. - Mais oui. Bien sur ! J’avais oublié. Nos fameux après midi shopping. Disques, livres dvd, jeux-vidéos. On se faisait simplement plaisir. C’était cool, pépère. C’est marrant que tu t’en souviennes si bien. - En fait, Je crois avoir compris ce jour là l’envie qu’avait Alex d’autre chose, rien qu’à la façon dont il en a parlé. Il s’emmerdait avec nous. Jérôme commence à tirer la gueule et descend en une gorgée la moitié de sa bière. Je n’ose pas le regarder. J’en profite cependant pour jeter un coup d’oeil à ma droite, et je constate, sans être vraiment étonné, que le petit couple m’écoute. Ils attendent la suite de l’histoire, pour être sûrs qu’on parle bien DU sujet à la mode… Même Olaf à l’air intéressé. Lui en revanche, ça doit le changer des histoires de tiercé et de complot international. - Une autre bière Jérôme ? Question idiote, ça tombe sous le sens. 8 - Olaf, deux bières s’il te plait et offre-toi une tournée ainsi qu’à ce charmant petit couple. Le téléphone portable posé sur la table est immobile. Pas de message des frangins, pas de sonnerie. Pour l’instant, nous sommes tranquilles. Tout le monde fait les remerciements d’usage. Je poursuis mon récit. • - Donc, nous étions attablés au Mc Do quand Alex m’a demandé : • - Tu connais Léo ? • - Le mec qui fait les soirées, ben ouais comme tout le monde de réputation. Il est dans mon bahut. • - Alors il est comment ? • - Je sais pas, j’dirai bien que c’est un con, mais il a une aura, un truc, tu verrais comment les meufs le matent… - De quoi vous parlez ? • - De Léo, tu sais, les soirées Fissapapa, on a jamais réussi à y aller, tu sais Jerome, à chaque fois on s’est fait jeter. Il est dans le bahut d’Alex. • - Ah ouais, alors il est comment ? • - Et arrête avec les tu sais, c’est un tic de langage ! • - Putain, mais t’es un boulet tu sais, t’as qu’à écouter. Euh, j’ai l’impression qu’il est plus sympa qu’on le dit, faut voir. • - T’as discuté avec lui ? • - Vite fait, tu sais, on a déconné ensemble en cours et on s’est fait coller samedi après midi. Ca va être l’occasion d’en savoir plus sur son compte. • - Essaye de gratter des invits • - Putain, mais t’arrête jamais d’être con, toi. »Jerome toussote à l’évocation de ce souvenir, il enchaine sur ce dernier point :- Attends, j’ai jamais demandé d’invits, t’invente, distorsion de réalité !Marc n’écoute pas, enchaine :- C’est vrai, maintenant que tu le dis. Alex avait sans doute une idée derrière la tête. Après sa colle, il m’a appelé le samedi soir pour savoir si je voulais sortir. Toi, t’étais en week–end à la campagne. On a d’abord été boire un verre dans un pub et vers minuit et demi on y est allé. C’était dans une boite à côté des Champs Elysées. Je me suis dit comme d’hab on va se faire refouler : Vous n’êtes pas accompagnés, soirée privée, pas de baskets… En plus dehors, il y avait une foule, on aurait dit que tous les jeunes de Paris s’étaient donné rendez vous au même endroit, au même moment. J’avoue que j’avais un peu la trouille, tu sais ce que c’est, se faire jeter c’est une chose, mais devant tout le monde c’en est une autre, surtout pour l’égo. Alex m’a dit de ne pas m’en faire. Il s’est posté un peu en retrait du gros de la foule massée devant l’entrée, vers la droite, il a fixé un des videur, il a claqué des doigts, gueulé : « Deux » en montrant les doigts. Le videur s’est activé, il a poussé les personnes qui étaient devant et nous sommes entrés. J’ai halluciné. Je lui ai demandé : « Comment t’as fait ? » - Tu sais ce qu’il m’a répondu ? - Ta gueule, souris ! - Ouais, euh t’as deviné tout seul ? - Non il me l’a raconté après, il craignait que tu dises une connerie ! Remarque te connaissant… - Arrête ! - J’ai été un peu choqué quand il me l’a raconté. Il commençait à se prendre au sérieux, même si t’avais dit la pire des conneries, quelle importance ? - Pour lui ça en avait, il t’a raconté aussi que j’ai passé la soirée tout seul au bar à attendre tandis qu’il était à la table « V.I.P » de Léo ? - Non - Alors peut être qu’à cette époque, il lui restait encore un peu d’humanité. Au moins ce coup ci vous ne vous êtes pas moqués de moi, à moins, pire qu’il n’ait oublié ? Ma question reste en suspend, je n’ai pas la force d’y répondre. Je me plonge dans la contemplation de mon verre. Jerome joue avec une clope. Olaf récure son comptoir, une activité qu’il effectue mécaniquement, machinalement, il le fait sans plaisir, sans envie, parce qu’il le doit. Le petit couple chuchote en me lançant de temps en temps des re- 9 gards. La fille a une bonne allure générale et un joli visage. Une vingtaine d’années, châtain clair, étudiante ? Son mec a le teint blanc typique du parisien. Barbe de 3 jours et coupe de rigueur. A mon avis, ils sont en médecine. La fac est à côté. Elle se lève et vient vers moi : - Bonjour, je n’ai pas pu m’empêcher d’entendre votre conversation. C’est affreux… ce qui s’est passé. - Oui, dis je prudemment Je baisse la tête. Jerome m’observe intensément. Il se demande ce que je vais dire. Logiquement je dois l’envoyer chier et lui dire que cela ne la regarde pas, mais je n’en ai pas le courage et puis, pourquoi ne pas avoir des témoins, après tout ? Olaf s’est redressé, il a dû lui aussi faire le rapprochement, mais il continue son boulot. Pro jusqu’au bout de la nuit. - En fait on aimerait se rapprocher, pour écouter la suite ? Si ça ne vous dérange pas ? - Perso, je m’en moque. Si Jérome est d’accord, ça ne va pas changer la face du monde ? Jérôme acquiesce sans plus de forme. - Merci, je m’appelle Alice. Grégory et moi on va s’installer juste là. Elle désigne la table accolée à la nôtre. Son mec s’installe, elle farfouille dans son sac, nous regarde. Prêt. A l’extérieur de plus en plus de monde se presse autour de l’hôpital. Des badauds à l’affût de célébrités, des journalistes du monde entier guettent la mort, de simples curieux, Marc est sur le fil du rasoir. Il boit une longue gorgée de bière. Prend une grande inspiration. Repose sans ménagement le verre sur la table ce qui fait légèrement sursauter Alice. Toujours aucune nouvelle de Benjamin ou de Louis. Connards. - Vous voulez savoir ce que j’en pense ? Jérôme craint déjà le pire, Marc est quasi écarlate. En réalité il se sont suicidés, j’en suis persuadé. Mais pourquoi ? Qu’est-ce qui a bien pu les inciter à commettre l’irréparable. J’en ai aucune putain d’idée. Jerome retient ses larmes. Les deux frères font enfin leur entrée dans le bar. Ce coup- ci le Balto change de physionomie. Ressemble instantanément à l’annexe du Baron. Cassandre J’en ai marre. 2h00 du mat’ J’arrête pas de pleurer comme une Madeleine. Un peu plus propre après un bain moussant. Je ne sais toujours pas ce qui est le pire, l’humiliation subie à cause de ce connard de Stan ou d’avoir vu ces deux mecs s’exploser comme des tomates mures. Qu’est ce qui lui a pris de me gerber dessus, en plus une robe comme ça, j’espère que le pressing va pouvoir me la récupérer. Je vais appeler Marie, elle me dira ce que je dois faire. En attendant je me roule un petit joint, laisse fondre un lexomil sous la langue. Marie J’ai l’impression que Benjamin m’a à peine remarquée. Pourtant j’avais sorti le grand jeu. Au moins il est resté clean ! Pauvre Cassandre, d’un autre côté ça lui fait du bien de redescendre un peu sur terre à celle là, toujours à minauder, se poser des questions débiles. Elle me gonfle. Jamais sûre d’elle alors qu’elle a tout pour plaire. Gamine trop gâtée. Mon portable sonne, c’est elle, j’ai pas envie de répondre, mais bon d’un autre côté. - Allo - Marie c’est Cassandre, je suis dans un tel état c’est terrible, est-ce qu’on peut se voir ? - Ouais, je sais pas, j’attend un coup de fil de Benjamin, il pourrait venir à la maison, pour que je le réconforte. - Allez, je t’en supplie. Je suis au bord de la dépression, tu peux pas me laisser comme ça.- OK, où ? - T’as qu’à passer, j’ai pas le coeur à sortir maintenant. – Bon, très bien j’arrive, je viens en scoot’Super, t’es vraiment ma meilleure amie, je t’adore, tiens je l’écris tout de suite sur mon mur facebook que t’es la fille la plus géniale du monde !- Ouais, c’est ça, à tout de suite ! Je suis vraiment trop conne, à chaque fois je joue les mères Teresa.Le téléphone de Marie se met à vibrer, elle regarde énervée pensant que c’est encore Cassandre. Un sms de Benjamin. « Je suis à l’hôpital, on peut se voir après ? » Elle répond instantanément « Oui ». Elle sourit. Enfin une bonne nouvelle. Louis Le bar est vraiment moche. Ils sont au fond, prévisible. Marc, Jérome et un couple que je n’identifie pas. 10 François J’ai envoyé un message à Marie, avec tout ça je n’ai pas tellement pensé à elle, c’est une meuf extra. Je ne sais pas si compromettre cette amitié est une bonne chose. Cette tragédie me pousse à réfléchir, ce serait trop con de passer à côté de la vie et de l’amour. C’est fou, tout ceci est si tristement banal, seul le contexte est extraordinaire mais hormis ça ? On reste dans l’absurde, trop de série télé, de violence gratuite, de banalisation, de starification. Tous ces gens qui croient être arrivés, ils ne se rendent pas compte qu’on ne rigole pas avec eux mais d’eux. Des crétins adorateur du système qui les brise. Le prix a payer est trop élevé pour tout. Alex est allé au bout de sa logique. Il ne m’a même pas remarqué le soir du drame. Que lui est-il passé par la tête ? Est-ce que j’aurai pu faire quelque chose pour empêcher ça. Je commence à prendre conscience de la bêtise ambiante et de la mienne en particulier. Marc, Jerome, Louis on se fait un trip de morts vivants, nous ne sommes plus cette bande de copains qui jouait aux meilleurs amis, prétendait que rien ne nous séparerait. Sur l’échelle du temps il n’aura pas fallut longtemps pour que notre amitié s’évapore. Louis a l’air en forme, plein d’assurance et de confiance, il est venu plus par convention que par envie. Et moi, que suis-je venu faire ici ? Les deux frères marchent en direction de la table, Marc et Jerome se lèvent. Ils se tombent dans les bras, l’amitié les submerge, ce sentiment enfoui refait surface, les emplit à l’intérieur d’une douce chaleur, c’est cliché mais merde ça n’est pas descriptible autrement. Ce n’est pas de la joie qu’ils ressentent mais plutôt l’impression que c’est dans l’ordre des choses. La fraternité dans sa plus simple expression. Marc Les deux gravures de mode arrivent, Jerome et moi on va à leur rencontre et chacun de nous ressent l’alchimie, là dans ce lieu que nous n’aurions jamais fréquenté dans d’autres circonstances, nous savourons nos retrouvailles, l’enchantement de l’amour (à défaut d’autre mot pour décrire cela). Nous prenons place, à table et dans l’existence. Je refais un topo sur notre échange précédent, Benjamin et Louis acquiescent. Eux aussi commandent des bières. La nuit est noire. Le téléphone de Benjamin ne cesse pourtant de sonner, il s’absente un instant pour répondre. Il a un tournage demain. Il n’a pas l’air plus soucieux que ça. Le privilège de ceux qui sont libres financièrement, qui n’ont pas cette pression du quotidien, des actes qui peuvent engendrer des conséquences et plonger dans la misère. Pas de problèmes d’argent d’accord, mais orphelins. Peut être qu’avec cette histoire ils vont se retrouver, resserrer les liens familiaux. Pas mon problème, moi ce que je veux, c’est qu’on honore notre pote et qu’on lui transmette l’idée qu’on est tous d’accord, il a merdé au delà du grave, mais on est là, on sera toujours là, les uns pour les autres. D’autres gens entrent dans le café. Des journalistes. Ils viennent voir Benji et le saluent, pas étonnés de le voir ici, pensant sans doute qu’il couvre l’événement. Ils saluent aussi Alice et Gregory, j’ai mal interprété leur présence, ce sont des journalistes. Ils nous jettent quelques coups d’oeil inquiets. Pour ma part je continue de m’en foutre. Les autres n’ont pas l’air non plus particulièrement préoccupés par leur présence, il faut dire que c’est bière sur bière et que ça commence à attaquer. Jerome reprend. 11 JEROME La mère d’Alex vient de laisser un message, elle voudrait nous voir demain matin. Qui viendra ? Jerome est partant, les deux frères ne semblent pas sûr, puis finalement ils acceptent. - On ira vers 10h30 ? Tout le monde est d’accord. U n s i l e n c e s ’ i n s t a l l e - Benjamin , alors comme ça, tu passes à la télé maintenant ? Louis émet un petit rire hoquet. Ben le fusille du regard. - C’est arrivé un peu par hasard, en fait je suis arrivé pour un entretien avec une RH de Canal17 et à la faveur d’un concours de circonstance, ils avaient besoin de quelqu’un pour faire une balance micro. J’ai commencé à délirer. Dans la foulée on m’a proposé un poste de présentateur pour l’émission Charts. - Du coup t’as du croiser Noémie ? demande Jerome intrigué. - Pas encore, mais je n’ai pas spécialement envie de la voir, tout ça c’est du passé. Le ton est amer, on sent qu’il n’a pas envie d’en dire plus sur le sujet. - Ouais, un peu comme nous enchaine Jerome, ça faisait combien de temps qu’on s’étaient pas retrouvés tous ensemble ? 5 ans, plus ? On sent qu’à tout moment l’alcool ingurgité peut faire dégénérer la conversation. - C’est passé trop vite se dédouane Benjamin. - Tu parles c’est surtout qu’on avait plus rien à se dire ou à faire ensemble. Jerome se recule dans son fauteuil satisfait d’en arriver là. - Marc t’en penses quoi ? - Jerome est un peu aigri parce qu’il a un sens aiguisé de l’amitié, d’un autre côté on a tous pris des chemins différents qui n’empêchent cependant pas qu’aujourd’hui on est heureux d’être ensemble bien que les circonstances soient dramatiques. - T’as jamais pensé à faire de la politique ? Louis est impressionné par l’aisance verbale de son ami. Un silence… Et tous partent dans un fou rire qui fait du bien, aère le climat. A l’extérieur le temps est lourd, le crachin parisien heurte les vitres du bastringue. Les sirènes des camions de pompiers succèdent à celles des ambulances, on s’y est habitués au point qu’on ne prend plus conscience de leur signification : souffrance, mort, survie, réconfort, humanité, abnégation, sacerdoce.. Sortir, fumer une clope, histoire de se calmer un peu. Les Wayfarers masquent les yeux, la première bouffée exhale la pression. Des associés en amitié, voilà ce qu’on est devenus. Le temps de la complicité est définitivement révolu, sauf peut être avec Marc, mais il est tellement habile qu’on ne sait jamais vraiment ce qu’il pense. La dernière fois qu’il avait eu Louis au téléphone ? C’était par erreur, il cherchait à joindre un autre Jérôme. Les palabres les plus plates avaient durées 3 minutes. Quelques souvenirs, deux trois bons mots et pour finir des encouragements et une promesse, celle de se revoir bientôt, pour un déjeuner, «ça me ferait tellement plaisir.» Mon cul oui ! Entre 15 et 20 ans la vie est compliquée sur des milliards de points, mais généralement on croit encore au concept d’amitié, on s’éprend des mêmes passions, la musique, le cinema, les filles… ou dans certains cas les garçons même si se l’avouer est toujours un combat comme il le fut pour Alex et lui. Benjamin ? Un gars cool, égoïste, simplement egocentré comme beaucoup de congénères en humanité. Et pourtant, impossible de briser ces liens créés par des journées passées ensemble, des conversations fleuves. Les souvenirs qui colle à l’âme. Un jour, tout est derrière soi. J’ai eu mon diplôme, un job, de nouvelles fréquentations, d’autres centres d’intérêts, même si finalement je suis resté bien seul, isolé dans mon psychodrame, refusant d’assumer ce que je suis depuis toujours. 12 Louis J’ai réglé l’addition, il est temps de rentrer, Eglantine m’attend. Chacun va là où il le veut, va là où il le peut. On se retrouvera demain. Nuit de cinglés. Mal de crâne. Louis prend son Cayenne pour nous y conduire. Marguerite Delattre habite le Vésinet depuis une quinzaine d’années, je m’en souviens parce qu’avec Jérome on se moquaient d’Alex, à cause de la série télé Maguy qui se déroulait là bas. Je suis un peu dégouté. Je sais bien que Louis n’en tire pas de gloire, mais j’avoue que sa voiture est superbe. En fond sonore du classique ce qui choque François qui se bat avec l’autoradio (si on peut appeler ça un autoradio, plutôt une chaîne hifi de voiture) pour trouver la fréquence de radio Nova. Avec Jérome à l’arrière on somnole un peu. C’est le seul qui reste discret. En retrait. L’Iphone de Louis sonne, apparaît à l’écran une bombe anatomique en maillot de bain. Wouha, c’est qui ce canon demande Francois ? Louis lui répond avec dans la voix une bonne dose de suffisance: – Églantine ma petite amie. - Églantine. Eglantine Jablansky ? Ah, ouais ça m’étonne, elle a meilleur goût d’ordinaire… Tu sais qu’elle s’est faite ramonée la chatte par tout le monde à Paris, tu mets des capotes j’espère sinon tu vas nous ramener le hérisson… La voiture manque de se retrouver dans le rail de sécurité. Louis est suffoqué par l’attaque verbale de son frère. - Enfoiré, tu vas me le payer, putain on va descendre de la caisse et je vais te déboîter la gueule. - Toujours pas d’humour. J’ai dis ça pour te faire chier. – Comment t’as su pour le nom de famille ? - T’es le seul à la connaitre peut être ? Après j’ai mythoné, juste pour que tu t’énerves. Ben mon con, ça a pas loupé. Jérome qu’on avait oublié s’emporte : - Mais vous êtes vraiment trop naze tous les deux. La vie c’est pas Secret Story, alors maintenant c’est bon. On a compris: Louis t’as de la thune, ta meuf c’est un mannequin, ça va c’est cool. Francois ça va pour toi aussi, la vie est belle. Louis prend sur lui, mais il s’énerve, commence à le regarder méchamment dans le rétro. - Putain, qu’est ce que t’as le dépressif, si t’as une vie de merde c’est pas notre faute, c’est quoi ton problème ? - Moi ! Vous comprenez rien. Je suis là pour Alex… P..par..parce que… je l’aimais. Je l’aimais ! et Jerome commence à sangloter, respire avec difficulté. Louis A ces mots nous réalisons que nous n’avons rien vu de spécial dans le comportement de Jerome ou d’Alex. Peut être que si après tout, mais nous avons fermé les yeux, toujours prétendu qu’il ne se passait rien qui puisse nuire a notre bande de potes, surtout pas une relation «particulière» ! à moins que Jérome ne l’ait aimé que secrètement ? mais peut être nous en dira t-il plus, lorsqu’il en aura envie. T’as raison, je suis trop con, excuse moi mec ! J’avoue. Ouais c’est le minimum ! Sinon t’as d’autres photos ? demande François par le cul alléché, elle est splendide… Allez, raconte tu l’as payé pour sortir avec toi, c’est pas possible ? Nous nous marrons tous même Jérome, du coup Francois enchaine connerie sur connerie, montre son cul a la fenêtre du Cayenne, raconte des blagues à la con, fait le pitre jusqu’à notre arrivée devant la maison de madame Delattre. D’un coup les sourires quittent nos visages. On se prépare à vivre un très mauvais moment. 13 Marie Rentrée de chez Cassandre, Quasiment pas dormi de la nuit. J’envoie un texto à François pour lui demander où il en est. Il répond à la va vite qu’il est chez la mère d’Alex. Je lui souhaite bon courage, mais j’espère que ça ne va pas durer très longtemps, ça fait un moment déjà que je n’ai pas fait l’amour et j’ai envie de tendresse. De douces caresses. Je suis sur mon lit simplement habillée d’une culotte de chez Maison-Close. Je prend une cigarette qui glisse entre les lèvres humides. Je l’allume, incandescence. Je tire délicatement dessus, la fumée mortelle pénètre ma gorge, va virevolter dans mes poumons, revient pour être expulsée hors de ma bouche en cercles concentriques. Mon autre main libre va à la rencontre de mon corps… Je me consume dans l’absolu désir. Je pense à lui, à nous, à son corps, au plaisir. Intense. Vrai. Tellement vivant. Jérome J’ai craqué, de toute façon c’était inévitable. Alex, pourquoi m’as tu laissé, je ne suis qu’une enveloppe vide sans toi. Qu’ont-ils compris de notre relation ? Rien sans doute. Nous n’étions que deux âmes souffrantes, cachées, sans présent ni futur, mais jamais je n’aurai renoncé à ces moments passés en ta compagnie. La première fois que nos rapports ont dépassé le cadre de l’amitié c’était en été, nous étions au bord de la piscine en Espagne, il faisait chaud nous avions passé la semaine à fumer de la weed et à boire des tequila sunrise ou des get27, les autres dormaient. Tu étais seul, j’étais en couple avec Stéphanie. Je somnolais sur le transat tu t’es approché de moi. Tu m’as regardé, tes yeux étaient mi clos, ton doigt a parcouru mes lèvres je n’ai rien dit. Tu t’es penché pour m’embrasser, je t’ai laissé faire et pourtant j’avais peur, c’était une sensation étrange, sans commune mesure avec ce que j’avais pu connaitre et puis tu m’as pris par la main et entrainé dans un coin à l’abris des hypothétiques regards. Je me souviens du plaisir que nous avons alors pris ensemble. A cet instant précis nous nous aimions, mais intuitivement nous savions que cet amour aurait remis en cause beaucoup trop de chose pour être assumé alors nous avons continué, secrètement à vivre cette relation bancale. Je me suis ex- clusivement consacré à toi, pendant ce temps là tu t’affichais avec tes conquêtes de soirées, toujours de très jolies filles bien comme il faut. Mais dans tes yeux, moi ton plus fervent lecteur, je lisais les tristes mots écrits par la bienséance et le qu’en dira t-on. Nul présent, nul avenir, un passé vite refoulé et pourtant nos moments d’extases furent si nombreux. Je t’écoutais, mais j’aurai du parler, peut être serais tu encore là. Des larmes irrattrapables s’échappent des yeux de Jérome qui met ses lunettes noires comme un réflexe, pour continuer à dissimuler ce qui pour lui n’a pas lieu d’être partagé. Personne n’en saura jamais rien. Marc s’avance en premier, suivi de Louis, Francois, Jérome ferme la marche, un peu en retrait, avec ses wayfarer il allume une cigarette sur laquelle il tire nerveusement. La petite maison de ville est conforme à ce qu’on est en droit d’attendre dans une banlieue résidentielle et calme. Marc appuie sur la sonnette. Le geste coûte. La mère d’Alex ouvre la porte. Robe noire, un diamant discret autour du cou, les yeux bouffis, les cheveux gris ramenés en chignon. Sa main fine se tend devant Marc qui s’en saisit, elle le regarde de ses yeux bleus clairs embués et tente un léger sourire crispé. Les uns après les autres, ils passent devant cette femme digne qui les salue et les accueille avec la familiarité de celle qui les connait tous bien au delà des apparences qu’ils arborent aujourd’hui. Dans les livres, les films, les chansons, ces moments sont toujours admirablement décrits et l’on est toujours saisi par l’émotion de la transcription mais quand c’est réel cela va bien plus loin. Brutal. Indécis. Pesant. Le salon est désespérément immaculé comme si la vie avait quitté cette pièce. Les amis d’Alex attendent le signal pour s’asseoir autour de la table basse. La maitresse de maison entonne les sempiternelle banalité d’usage destinée à établir une relation sociale puis s’assoit dans son fauteuil, le rouge, qu’ils connaissent si bien. Marc est celui qui arrive le mieux à communiquer, même François est inhibé. Florence Delattre propose des cafés qu’ils acceptent avec un peu trop d’entrain pour être honnêtes. Jérôme et Marc l’ac- 14 compagne dans la cuisine. Les deux frères se lèvent par mimétisme sans trop savoir quoi faire, leurs regards parcourent la pièce, s’arrêtent quasiment simultanément sur la grande bibliothèque qui occupe un large pan du mur de gauche, dans cette bibliothèque ils retrouvent des incontournables de la littérature moderne mais également des livres plus anciens qu’ils reconnaissent pour les avoir empruntés. C’est comme ça quand on est amis. Et des cadres avec des photos et ces photos ont unanimement pour seule thématique Alex. Alex enfant, Alex adulte, Alex enfulte. Alex au ski, Alex à la plage, Alex avec sa famille. Alex avec eux. Ils étaient donc importants si pour lui ? Cette femme seule avait cette présence éloignée mais tangible pour compagnie, car elle pouvait échanger avec lui sur ces moments vécus par procuration, par téléphone, par internet, lorsqu’il venait diner ou déjeuner. François et Louis réalisent sans mots dire l’immense vide que causera irrémédiablement la mort de leur ami. Et l’immense vide dont ils sont eux mêmes victimes privés de leurs parents. Les cafés arrivent. Les nouvelles également. Comme l’avait dit Marc seule la famille proche est autorisée dans le service où se trouve Alex. A tout moment l’inéluctable peut arriver. C’est sans espoir. Aucune autre issue possible. La voix de la mère d’Alex est tendue comme le fil d’un funambule et ses mots en équilibre peuvent flancher et mettre à terre toute l’incroyable force engagée pour ne pas s’effondrer. Têtes basses, les mains occupées à tripoter les tasses, ils font tout pour la laisser aller au bout de la corde, au bout de cette torture verbale. Florence Delattre Mais surtout Alex vous a laissé une lettre commune ainsi qu’une clé usb. La lettre je l’ai lue mais la clé je n’ai pas réussit à l’ouvrir, lorsque je la met dans l’ordinateur, une demande de mot de passe s’affiche et d’après ce qu’il dit il n’y a que vous qui sachiez l’ouvrir. Elle reprend son souffle. Je veux connaitre le contenu de cette clé usb. Je suis sa mère, il est normal que je sache de quoi il s’agit. Surtout aujourd’hui avec ce qui arrive. Vous devez m’aider ! Une supplique. Son visage lifté se plisse légèrement. Marc jette un regard à Jerome qui reste impassible. Les frangins ont tous deux le visage fermé. Ca semble clair. « Torture-nous la vieille, sauf ton respect tu ne sauras rien. Si Alex a dit que c’était à nous et à personne d’autre alors il en sera ainsi. » 15 Marc Madame Delattre, soyez rassurée, nous entendons votre douleur et votre chagrin, en qualité d’amis mais également d’adultes responsables nous allons faire notre possible pour vous aider. Puis – je commencer par lire cette lettre qui nous est adressée ? A contrecoeur la génitrice meurtrie se dessaisie de la feuille de papier. Il n’y a pas de protestations qui émane des autres pour la bonne et simple raison qu’ils savent pertinemment que Marc ment. C’était déjà comme ça avant : Je puis vous assurer qu’Alex n’a jamais, au grand jamais fumé de cannabis que ce soit ici ou ailleurs. Bien sûr mes parents ne seront pas là pour le weekend mais ils ont prévu de venir nous faire des visites inopinées pour voir comment tout se déroule. En tant que délégué inter établissements je dois vous prévenir que Louis ne pourra pas venir en cours cet après-midi, il a reçu une terrible nouvelle qui le tient malheureusement éloigné du lycée. Plus Marc est obséquieux, plus il pipote. On sent une certaine tension, elle ne s’attendait pas à ce que cela se passe comme ça. Marc prend la lettre et lit à haute voix: « Marc, Jerome, Louis, François. ,Vous vous demandez sans doute à quoi rime cette lettre. Je vous ai toujours considéré comme des frères plutôt que comme des amis. Comme des frères nous avons vécu l’éloignement mais j’ai toujours pour vous une pensée dans les bons comme dans les mauvais moments, j’espère que c’est réciproque mais je n’en doute pas. C’est pas facile d’écrire ça. Trouver les mots juste pour se faire comprendre. Pour ceux qui s’interrogent j’ai vécu dans l’ombre de Léo exprès pour me protéger, ne pas trop m’exposer, chacun son taf moi c’était de faire fonctionner la machine à rêve et lui de l’animer. Bien sur vous pouvez me reprocher mon absence et moi je pourrai vous reprocher votre manque d’indulgence ou de patience mais aujourd’hui on s’en fout. Il est trop tard pour jouer à qui a raison. Je vous aime mes amis je regrette le temps que je n’ai pas passé auprès de vous. Ma mère est merveilleuse et courageuse, si l’un d’entre vous pouvait de temps en temps passer prendre de ses nouvelles, venir la voir, je vous demande ça comme un ultime service. J’ai aussi laissé cette clé usb qui contient des séquences que je ne veux partager qu’avec vous. Le mot de passe est celui du début. Je n’ai plus vraiment d’inspiration, j’espère que vous lirez cette lettre le plus tard possible, mais avec la vie que je mène tout peut s’accélérer. Un accident est malheureusement si vite arrivé. Je vous aime, de tout mon coeur. » ALEX La voix de Marc s’étrangle sur la fin. Prémonition, coup monté, le doute est possible. Cette lettre est si frustrante. La sonnette retentit, c’est l’oncle d’Alex qui vient chercher sa soeur pour l’emmener à l’hôpital. L’occasion idéale pour prendre congés. François et Jerome ont l’air sonnés, Marc tient fermement la clé usb. 16 Louis Chez qui irons-nous pour découvrir le secret de la clé usb (on se croirait dans le club des 5) ? Perso je m’en fous mais Eglantine doit venir à la maison… Ai-je envie de la présenter à mes amis, bien sûr, mais dans dans d’autres conditions… Oh et puis merde on va pas y passer quatre heures : - Venez chez moi ce sera plus simple. Après on mangera un morceau à la maison de l’Aubrac si vous voulez ? Les autres acquiescent. Francois est parti s’exiler pour envoyer un message. Marc également. Jérome a les mains dans les poches, fouille à la recherche d’une cigarette. Eglantine passera vers minuit et tout ira bien. Le retour se déroule dans le silence. Chacun est perdu dans ses pensées. Marc ne sait pas trop comment aborder le problème du code. Jérome aurait voulu se rendre à l’hôpital. Louis pense à Eglantine et aux parties de jambes en l’air qu’il manque. François voudrait bien clarifier la situation avec Marie. L’aime t-il ? En tout cas pour l’instant c’est confus. Finalement Louis, las de l’absence de paroles allume le poste de radio : « Actu people. Nous venons de l’apprendre. Le petit monde de la nuit pleure son Roi. Léo s’est finalement éteint à l’âge de 29 ans après deux nuits de coma. D’après les éléments dont nous disposons, lors de sa dernière et fatidique soirée, le jet-setteur habitué des frasques avait voulu faire une entrée spectaculaire et aurait glissé depuis le toit de sa somptueuse propriété de l’ouest parisien. Malheureusement, il s’est s’écrasé sur le sol créant la stupéfaction chez les VIP présents pour l’événement. » « Football. L’exploit du PSG qui est allé s’imposer à Barcelone 2 à 0 en quart de finale aller de la champions League. Une performance saluée par l’entraineur des blaugrena qui a reconnu que le retour allait être très difficile pour eux. » Francois et Louis n’en revenaient pas. Paris qui réussissait l’exploit de battre le grand Barça en Champions League ?! Marc et Jerome qui s’intéressent très peu au sport s’en fichent éperdument constatent amèrement que rien n’est dit sur Alex. Médias de merde… François en profite en revanche pour placer une flopée d’anecdotes croustillantes sur des joueurs célèbres pour leurs performances sportives mais également pour leurs prouesses dans d’autres domaines ! - Queue de béton c’est pas une légende, il a faillit se taper la stagiaire du marketing de Canal 17, un canon évidemment mais il parait qu’elle s’est barrée quand il a sortit son braquemard. Elle a eu plus de chance que Daphné avec le brésilien et le portugais dans le Jacuzzi ! Louis appuie sur la télécommande et ouvre la porte du parking. Ferrari, Lamborghini, Mazerati en première ligne, les allemandes derrière. Même dans un parking la hiérarchie du prestige se vérifie. Les anglaises Bentley, Rolls ou encore Aston Martin apanage des gens de goût sont dans des box et recouvertes le plus souvent d’écrins de velours vert ou mauve. Le Cayenne en deux temps trois mouvements prend sa place. Entre une Audi et un Hummer. Ils descendent du véhicule et empruntent l’ascenseur. Un tour de clé et les amis se retrouvent au 3ème et avant dernier étage de l’immeuble haussmanien entièrement rénové. François éprouve une pointe de spleen, l’immeuble étant l’une des dernières acquisitions immobilière de feu leur père. Louis le perçoit et lui adresse un sourire complice. Il ouvre la porte. L’appartement est clair. Style minimaliste. Contemporain. Chic. Il figure dans le Elle spécial déco du mois de mai et le salon a servi de décors pour l’émission Style de l’année dernière. Bien sur Louis n’en parle pas. Sujet vulgaire et il s’en fout. La médiatisation de son intérieur était l’oeuvre de Cristina, la conceptrice qui avait besoin de se faire un peu mousser. La rombière de quarante cinq berges avait la carrière en dent de scie et l’appartement de Louis lui donnait la juste occasion de redorer un peu son blason. Ils s’installent sur le canapé face à l’écran. Louis part dans la cuisine chercher une bouteille de blanc, le champagne ayant été ratiboisé par Eglantine. Pendant ce temps, Marc branche la clé USB dans le Mac portable placé sur la table basse relié en wi fi à l’écran. Il clique sur l’icône no name. Un premier fichier mp4 Amis apparaît, suivi de 4 autres. Prefixe confidentiel destinataire : Jérome / Marc / Francois / Louis. Naturellement Marc cli- 17 que sur Amis, les autres seront vus à l’appréciation de chacun. Demande mot de passe. Louis sert les verres. Les quatre amis suspendus devant la ligne de texte vide. - Qui shoote en premier demande Marc ? Jérome se risque : « Machiavelli ? » - Ouais pas con, un point commun incontestable. Marc tape le texte avec sa dextérité d’ingénieur informaticien. La machine mouline un peu, sort un message d’erreur pré écrit par Alex : « Désolé les gars, pas pour cette fois ! » Francois commence à s’intéresser au jeu: « les points communs c’est la bonne voie. Sur la lettre il était fait mention de la première fois je crois ? » - O u i e t a l o r s f a i t J é r o m e ? Tentative 2 / tentative 3. Deuxième bouteille. Soudain le flash. - Jérome putain on en parlait tout à l’heure. La boite ou vous êtes allé ensemble la première fois… Le VIP ? Marc tape, l’ordi émet son son de silice caractéristique et la vidéo se déclenche. Plein grand écran. Alex. Assis au milieu d’un canapé blanc crème. Bronzé. Souriant. En pleine forme pour un mort. ALEX « Bonjour mes amis, j’espère que vous êtes tous présents et surtout en bonne santé. Pour ma part je suis vraisemblablement mort ou en tout cas sur le point de l’être, même si ça n’a pas l’air flagrant, je suis d’accord ! » Sur l’écran le visage fin et les yeux mi clos un peu rougis par des larmes coupées au montage se figent un micro instant… Bien sûr la lettre est adressée à ma mère pour la rassurer, lui donner une raison de croire qu’il s’agissait bien d’un accident. Mais pour vous mes 4 vrais et uniques amis je me dois de confesser la vérité. Le plan était déjà échafaudé depuis un moment mais c’est François qui en a permis l’exécution. » Alex ne peut s’empêcher de réprimer un rire. « Désolé, j’imagine ta tête et les autres autour qui te regardent comme un pestiféré. En fait, je savais qu’en commettant cet acte le jour de la soirée où tu étais présent j’avais plus de chances de vous réunir aujourd’hui. J’ai reçu ton mail et là je me suis dit que c’était le bon moment. » Le visage devient grave et la voix chavire un peu, malgré la préparation et malgré l’envie d’en finir avec cette explication, Alex a du mal à faire franchir aux mots la barrière du son. Il est mort bien sûr, mais ça reste un calvaire d’aller au bout des choses. Ce sentiment de coupure. Définitif. Le vide. L’anéantissement du rêve pour la concrétisation du réel toujours moins fin, toujours moins grand, toujours moins beau. « Je ne vais pas passer par quatre chemins, Léo et moi avons contracté une maladie mortelle. Cela remonte à quelques mois je crois. Une partouze avec deux filles. Comment je le sais ? Juste avant cela j’avais fait un check up et j’étais clean et dans nos souvenirs brumeux c’est le dernier rapport non protégé pour Léo comme pour moi. » Alex laisse un silence, reprend péniblement. « Noémie. Désolé François je connais ton attachement pour elle et une autre fille… Eglantine je crois. » De l’autre côté de l’écran les deux frères sont livides. « Nous étions à l’hôtel après une de nos soirées, ça a fini comme toujours avec de la coke, de l’ecsta, tout ce qui pouvait nous permettre de croire un peu plus longtemps que nous étions des Dieux, que le monde était a nous et nous aimait sans aucune 18 mesure. Starfuckers. Bref, nous avons consommé de tout plus que de raison. Peu de temps après je me suis senti mal. Il y a eu les tests, je me suis rendu à l’hôpital, on m’a fait attendre un moment, un médecin est venu me parler, il m’a expliqué que j’avais contracté une forme particulière du virus que nous redoutons tous. Un truc hyper insidieux qui te règle irrémédiablement le compte en un rien de temps, mais sans avoir vraiment d’échéance précise. J’en ai parlé à Léo, il est devenu fou, il a tout explosé dans le bureau, au départ il ne voulait pas savoir, on a discuté un moment, il l’a fait et puis le verdict est tombé pour lui aussi. Pour les filles ont ne sait pas si elle sont également plombées. On a juste pris la décision de faire une dernière soirée. Un trip ultime avec une fin mystérieuse. L’idée c’était d’affoler une dernière fois les médias. Tout pour le Show. » Alex se promène dans le salon la webcam le suit, fluide, compte tenu de ses révélations sa minceur est flagrante, sa fatigue également. Il reprend son laïus « donc c’est pour vous dire la stricte vérité que j’ai fait la vidéo. Je regrette de ne pas avoir passé plus de temps avec chacun de vous. » Des larmes coulent doucement au coin de ses yeux. « Putain les mecs je suis en route pour le grand voyage. J’ai tout réglé au niveau du bisness, ça a épaté le comptable mais tout roule. Bien sur j’ai pensé encore une fois à vous, c’est pourquoi je vous demanderais de regarder séparément les vidéos qui vous concerne. J’ai été con, égoïste, focalisé sur un seul objectif la réussite des soirées de ma créature. Léo n’était rien sans moi. Je détiens 95% d’une société d’entertainment dont les bénéfices font rougir les plus gros poissons du CAC 40. Je suis donc fier de mon parcours professionnel. » Un soupir. « Je n’en dirais pas autant sur le plan personnel. » La confession d’Alex replonge dans un état de consternation Louis, Francois, Marc et Jérome. Comme d’un fait entendu que seul la vie peut proposer, l’oncle d’Alex appelle Marc. C’est finit. On s’attendrait presque à attendre un « Halleluia » de Buckley, « Miss Blue » de filter, « Hurt » de NIN, « All That i got is you » de Mary j blige avec ghostface killa, ou encore « Human Nature » de M.J. Au commencement était le verbe à la fin il y a de la musique… Spontanément les 4 amis se lève et forment une ronde. Geste primaire d’amitié. Il joignent leur main en silence et oublie un instant leur existence qu’ils jugent au dessus de tout mais qui au fond n’est rien. J’oubliais « Ashes to ashes » de Bowie ça colle très bien aussi. Marc éteint l’écran. Chacun s’envoie sur sa boite mail la vidéo personnelle qui le concerne. Elle sont effacée de la clé USB. Marc recompile une vidéo visible pour la mère d’Alex afin qu’elle maintienne amour et foi en son fils défunt. Louis accompagné de Francois partent dans la cuisine officiellement pour renouveler les boissons officieusement pour se soutenir après les révélations d’Alex. Noémie et Eglantine ? Louis est complètement flippé et Francois est de nouveau tourmenté. Louis ne tient pas en place, prend son IPhone et appelle Eglantine qui est aux anges de l’entendre. - Louis mon chéri, je suis si heureuse de t’entendre. - Eglantine j’ai besoin que tu répondes à une question qui peut être vitale. Est-ce que tu as, comment dire, eu une relation avec Léo, Noémie et Alex ? Silence aigre au téléphone - Je ne sais pas. C’était quand, c’est très embarrassant et pourquoi tu me demandes ça ? - Ecoute, j’ai appris quelque chose mais je ne peux pas t’en parler au téléphone. - Je n’aime pas le son de ta voix Louis, j’arrive. Louis n’a pas le temps de parler. Francois lui demande «Alors ?» Il répond « je ne sais pas, elle n’a pas l’air de s’en souvenir. Elle sera là d’un moment à l’autre.» Et pour Noémie ? Ça craint. Ça craint sérieusement. Francois hausse les épaules et raconte à son frère comment il a définitivement pourri la carrière de Noémie. - Si en plus elle est condamnée je vais avoir du mal à m’en remettre. - T’as son numéro ? Appelles Noémie, ce truc là tu ne peux pas le garder pour toi. - Putain, mais comment faire sans trahir Alex ? - Imagine qu’elle soit atteinte et qu’elle continue de propager le virus ? Tu deviens responsable moralement ! 19 - Toi me parler de morale, c’est très bon ! Jamais là quand on a besoin de lui aucune solidarité, de la merde, juste un lien sanguin et quelques souvenirs d’une époque ou ta tête enflée passait encore les portes, une époque ou papa et maman étaient vivants. Francois chiale, est pris par des spasmes. Marc dans le salon bricole sur l’ordi, découvre une vidéo perso de Louis et Eglantine qu’il trouve très intéressante. Jérome Incapable d’attendre plus longtemps, je m’empresse de regarder ma vidéo sur mon Samsung. Il est question d’amour impossible. De moi et rien que moi. De j’aurai voulu que tout soit différent. De leg (1 million d’euros et 1 maison en Provence). De regrets, d’images à garder. De moments si bons et si tristes. D’espoir et de désespoir. De mort et de survie. Je blêmis, je manque de m’évanouir. Quel avenir pour moi maintenant ? - Les gars, dans le salon, vite, Jérome est pas bien. Y a un truc qui cloche, moi aussi je suis triste mais pas à me mettre dans cet état. Marc semble totalement perdu. - C’est parce que c’était pas ton mec dit Francois qui d’un coup pense avoir tout compris. Les autres le regardent. Putain d’évidence. De retour dans le salon, ils tentent de consoler Jérome. L’interphone retentit. Louis appuie sur le bouton. Ouvre la porte. Eglantine entre. Belle, mine affectée, sobrement habillée, robe noire Zadig et Voltaire. Elle embrasse Louis. Amoureuse. Les autres se présentent. Frémissement lorsqu’elle voit Francois, avec qui elle est sortie (et bien plus que ça). Il se présente, donne l’impression de ne jamais l’avoir vue ni rencontrer. C’est un peu forcé mais dans cette atmosphère si spéciale ça passe. Marc qui vient de voir Eglantine dans des positions non équivoques la salue avec plaisir, lui jette des regards plein d’envie. Jérome hagard s’en préoccupe à peine. Dans sa tête Eglantine se dit (après le frustré, pas de doute lui c’est le gay de la bande). Eglantine est un peu déçue par les amis de Louis (excepté son frère) mais après tout choisit on vraiment ses amis d’enfance ? Louis l’entraîne dans la chambre. Une voix: - On va resto vous nous rejoignez quand vous voulez. La porte claque. Louis de met à chialer. - Qu’est ce qui se passe ? Tu m’inquiètes et je n’aime pas ça du tout. Louis explique. Eglantine s’assoit sur le lit. Placide et tendre elle dit : - Louis, tu connais un peu ma sulfureuse vie maintenant mais ne crois pas que je sois inconsciente. Le soir où nous nous sommes rencontrés par exemple, tout le monde est clean parce que Maxence a un très bon ami qui travaille dans un hôpital et qui 20 accepte contre une grasse rémunération de faire des trods des tests rapides à partir d’éléments fournis par Maxence. Il n’y a pas une fois où j’ai pris ce type de risques et sache que je ne prend pas de drogues. M’enivrer oui mais rien d’autre. Donc manifestement ce n’est pas moi mais je connais quelqu’un qui est toujours ravie de me faire du tort, Eliza ma demi sœur. Une salope intégrale. - J’ai eu si peur pour toi, pour nous, je conçois l’avenir avec toi. Je crois t’aimer sincèrement sans équivoque. - Moi aussi mon chéri, j’ai juste envie de toi. Aujourd’hui maintenant, on verra pour demain. Ne projetons rien, ne soyons pas comme tous ces gens pour qui la vie se résume au passé ou à l’avenir, consacrons nous entièrement au présent. Rejoignons tes amis ils ont besoin de toi. Je dois t’avouer une dernière chose, je suis sorti avec Francois nous avons flirté gentiment. Il n’y a rien eu d’autre. (pourvu qu’il ne découvre pas la vérité) Son cœur était pris justement par Noémie. Tu crains pour lui ? - Aucun risque de ce coté là ils ne de sont même pas embrassés, sans conteste le drame de sa vie, mort de nos parents mis à part. (en revanche moi je me souviens d’être sorti avec elle il y a bien longtemps). Louis met son blouson en cuir prada par dessus son t-shirt comme des garçons, se retourne et prend Eglantine dans ses bras, ils s’embrassent comme des damnés, il soulève sa jupe la caresse, il l’allonge sur le sol, relève sa jupe, elle ne porte pas de culotte c’est plus simple mais il a du mal à enlever son pantalon, il finit par y arriver, la pénètre sans cérémonie et jouit de cette brève étreinte. Au restaurant ils sont déjà tous bourrés. Francois continue de faire comme si Eglantine lui était étrangère, Louis le rassure et lui dit qu’il est au courant, que ça n’a pas d’importance. Ils sont en terrasse, plusieurs canons passent, se rendent dans les clubs alentours regards bienveillants pour Louis, Francois et Eglantine, méprisants pour Marc et Jérome qui pourtant font de gros efforts vestimentaires pour être dans le coup. Correspondre à ce monde qui les aimantent mais se retourne et les dépolarise, les renvoie vers le commun des mortels. La routine en somme. Louis interroge Marc, ils iront avec Jérome auprès de la mère d’Alex, ils le préviendront dès qu’il faudra être présent. L’enterrement est prévu pour le mardi. Francois lui aussi ne sera pas disponible demain. Il doit aller au boulot et surtout voir Noémie. Les rois de la Nuit ont sauté dans le vide, 10 mètres de chute, une agonie lente et affreuse. Voilà ce qu’on pouvait lire et voir en une d’un magazine people. Le matin. Marc, Louis et François ont reçu ce même message : « Je vous aime, il me manque trop. Vie de merde. J’arrête là. » Marc a rapidement prévenu les pompiers qui ont défoncé la porte de l’appartement de Jérôme. Il est allongé par terre, blindé de cachets mais vivant il a écrit une lettre : « Ça brule à l’intérieur depuis que j’ai découvert ce qui t’es arrivé. Je me sens souillé, j’ai l’impression de t’avoir partagé et que nos bons moments ont été truqués par tes mensonges. Je cherche pour comprendre et aussi pour te le mettre dans la gueule une fois avec toi au ciel, pour que tu aies aussi mal que moi, mon cœur serré, la gorge comprimée, les aigreurs d’estomac, ma difficulté a respirer, à penser sereinement. Mais tu es mort. Maintenant je souffre. Aujourd’hui je veux te rejoindre, accepte moi, je t’en supplie. » 21 Marc Son vœux n’est pas exaucé. Un lavage d’estomac et le regard courroucé de ses proches c’est tout ce qu’il a. J’ai pris la lettre, révélé le contenu qu’à Louis et Francois. Un weekend prolongé c’est peut être une bonne idée. Après tout Alex a légué à Jérome une maison au Brusc. Pourquoi ne pas en profiter ? La vie ne vaut rien mais rien ne vaut la vie ? Putain en vrai y a pas de Happy End, juste des choix, encore et encore, qui bâtissent ou détruisent. Et parfois en faisant le bien on fait le mal, putain de dualité, en vérité on traine notre souffrance jusqu’au bout, mais c’est tellement magique de sentir, de ressentir de partager et pourquoi pas de transmettre ? Alex et Jérome c’est le malentendu d’une époque prête pour accepter ce qui n’a pas lieu d’être contesté mais que deux volontés ont jugé trop difficile à surmonter. Au delà des bâtisseurs il y a les combattants ceux qui acceptent l’idée de ne pas se résigner que les coups soient hauts, bas, nobles ou détestables. Ils ont foi dans leur idéal ou au moins dans leur rêve et ils vont au bout sans fléchir ou si c’est le cas sans renoncer. Vivre n’est pas survivre et les survivants ne sont pas irrémédiablement des contemplatifs. Léo, Alex, Jérome et tant d’autres victimes de l’amour superficiel mais si creux dans leur cœur. Il n’en reste qu’un de vivant. Prenons soin de lui. Le weekend du 3 nous partons dans le midi. La maison est géniale. Nous nous bourrons la gueule d’entrée de jeu, sauf qu’il est à peine 10h00 du matin. Pour ma part, il me semble que nous retissons des liens, enrichissons notre parc à souvenirs. Francois nous raconte pour Noémie, mais comme maintenant on se mêle à nouveau de sa vie on fait campagne pour Marie qu’on trouve tous jolie, sympa, accessible, surtout Louis qui flippe un peu qu’il aille compter fleurette à Eglantine. Le problème ne se pose évidemment pas avec moi ! Il se laisse un peu trop facilement convaincre, preuve que le choix est souvent une illusion de l’ego. Bon évidemment ça potache à mort. Jérome a la tête rasée pendant la nuit. Louis s’est retrouvé en smoking + nœud pap loué pour l’occasion au chinois buffet à volonté suite à un partie de poker perdue. Après une soirée champagne au karaoké énorme esclandre car il n’y a pas de magnum de cristal ro- sé. Quelques conneries, un peu de bateau, une soirée avec les copines de Cannes de Nice et d’ailleurs, juste pour le plaisir… Le tout généreusement financé par les frères friqués. Mardi : Enterrement d’Alex. Réunis devant l’église. On attend. La veille Léo avait eu droit à des funérailles dignes de Lady Di. Pour Alex on est plus proche de la réunion de famille intimiste. Une petite centaine de personnes sont présentes. Madame Delattre est soutenue par son frère ainsi que par des cousins éloignés. Quelques rares habitués de la nuit ont fait le déplacement, des connaissances que nous avons peut être déjà aperçu chez lui, à l’époque où nous y allions encore. 22 Jérome Mes wayfarers n’ont aucune autre nécessité en ce temps maussade que de masquer mes yeux rougis par les sanglots. C’est idiot mais c’est ainsi. Cigarette à la bouche. Costume noir Hugo Boss que m’a prêté François (gratté sur un tournage) je me tiens un peu à l’écart. M’en fout de ces hypocrites, ma T.S s’est soldée par un échec je ne crois pas qu’ils en aient eu quelque chose à foutre. Regarde moi ça : Louis élégant as usual en noir avec son pardessus comme des garçons tient la main de sa compagne Eglantine, sobre en pantalon Vanessa Bruno et veste Dior, carré Hermes en fichu sur la tête et lunettes Thierry Lasry, un mélange de Grace Kelly et de Jacky Onassis. Ses yeux bleus astucieusement dissimulés semblent pourtant jeter de nombreux regards furtifs, discrets en direction de François qui pianote sur son smartphone en Jeans apc et veste de smoking, des Reppetos aux pieds. Hommage décalé à Alex fan de Gainsbourg. Marie, Cassandre et Stan sont également venus. Ils sont en grande conversation sur le dernier restaurant chroniqué par Stan et qui devrait cartonner pendant les 2 prochains mois. Le petit couple de journalistes rencontré à l’hôpital a lui aussi fait le déplacement. Ils saluent Marc en costume gris un peu large pour lui qui n’a pas de lunettes noires et dont le physique d’ordinaire débonnaire est sincèrement affecté. Il fait gris et sombre. Marc regarde sa montre, 11h00, il est le premier à entrer dans l’église. Marc J’entre. Le cercueil est en place devant l’autel. Jerome terriblement triste est derrière moi. Il s’installe au deuxième rang juste derrière la famille. Les autres le rejoignent, Louis et Francois. Les filles se sont installées au fond, les autres s’éparpillent dans l’enceinte sacrée. Un cousin d’Alex lit un texte parce que j’en suis incapable, aucun des frangins ne s’est proposé. Connards. Le psaume choisit est chargé d’émotion. L’atmosphère dans l’église est pesante. Les silences s’entendent, pourtant ce n’est sans doute pas ce que Alex aurait souhaité mais il a déjà maitrisé sa manière de mourir, il ne peut malheureusement pas en faire plus. 23 Jerome Un fou rire me gagne, typique des situations tragiques, je m’imagine allant voir la mère d’Alex et lui dire : « Madame vous avez toujours cru que j’étais le meilleur ami d’Alex, mais c’est faux en réalité je suis son petit ami caché, pour vous en dire un peu plus il baisait les filles sans conviction et m’enculait avec passion… Mais ce n’est moi qui l’ai contaminé, moi je suis clean ! Un bisou belle-maman ?» Francois Black Out. Après l’enterrement nous avons participé aux repas, goûters et autres moments conviviaux mais je ne me souviens pas de grand chose, un peu forcé sur le trio picole – lexo – seroplex. J’ai rendez-vous avec Églantine. Je crois que je vais me mettre dans une sacré merde, mais la raison du cœur est toujours la meilleure, surtout si je peux niquer Louis, le revoir aussi fréquemment ça m’a juste renforcé dans mon sentiment de dégoût à son égard. 24 Jérome Depuis qu’Alex est parti j’ai pris l’habitude d’aller régulièrement manger chez sa mère, quelques photos de moi viennent garnir les bibliothèques, je crois qu’elle sait ce que j’éprouvais pour son fils, bien que nous n’en parlions jamais, comme de la lettre ou de la clé USB. Tout se limite à une période circonscrite de sa vie, 19 ans maximum, tant qu’il vivait avec elle. Je me libère de carcans, la honte n’est plus et la fréquentation assidue des hauts lieux gays de Paris m’a permis de rencontrer Michael un jeune médecin que j’adore. Nous voyons l’avenir dans la même direction. Marc Samedi après – midi, j’ai rendez-vous avec Vanessa une nana levée sur Internet avec laquelle j’ai bien sympathisé mais qui ne me donne pas suite, pour changer. Je croise dans la rue de Passy un jeune homme élégamment élégamment habillé, souriant et parfaitement à l’aise au téléphone. Sans les waifarers et la clope en main gauche, je n’aurais sans doute jamais reconnu Jérôme ! A son initiative, nous proposons aux frères de nous retrouver un peu plus tard pour fleurir ensemble la tombe d’Alex, ensuite nous nous rendons dans un café, parlons du présent, un peu du futur et beaucoup du passé. Je retourne plus triste que jamais à mon activité d’ingénieur informaticien. Francois et Louis me proposent d’investir dans une boite dont ils seraient les patrons, l’un parce qu’il a lu les particules élémentaires de Houellebecq, l’autre est influencé par Steve Jobs. J’hésite. Les deux frères se parlent à peine. L’ambiance est tendue entre eux. Jérome qui est sur un nuage passe son temps à envoyer des SMS à Michael. Je tergiverse un peu mais je suis finalement ok pour la boite. Finalement je n’ose pas en parler aux « investisseurs » qui ne me relancent pas. 25 Epilogue 4 mois depuis la mort d’Alex. Les amis s’étaient revus sporadiquement. Une fois chez Louis. Une fois au restaurant et François à la télé. Leur amitié retrouvée à l’occasion de la mort de leur ami avait fini par réintégrer les limbes du passé dont elle n’aurait peut être jamais dû s’échapper. Les points récents qui avaient suturé leur relation n’existent plus que dans leur histoire personnel, sous forme d’anecdote. Jérome qui était le plus affecté par la disparition d’Alex trépigne désormais, pressé de retrouver son mignon petit médecin qui lui apporte tant de bonheur. Les deux frères sont désormais à couteaux tirés à cause d’Eglantine et Marc s’enferre dans un quotidien monotone et usuellement gris. Il se suicide. Personne ne vient à son enterrement. FIN 26 J’entre dans le café, celui qui fait l’angle, juste à côté de l’hôpital. Il fait glauque. Autant dehors que dedans… Le froid de janvier me glace les os et ce n’est pas j’en ai peur, le minable brasero que j’aperçois au fond du bastringue qui va atténuer cette sensation. La torpeur parisienne de ce début de soirée me colle, si c’est possible, un peu plus le bourdon. Je voudrais que cette journée s’arrête. Je suis las et fatigué. Et pourtant, ce n’est pas fini. J’ai rendez vous avec Jérôme, un des seuls comme moi, à rester jusqu’au bout. Fidèle parmi les fidèles… Mais après tout, qu’a t-il à perdre ? il est toujours plus facile de sacrifier sa solitude lorsqu’elle pèse, que sa compagnie lorsqu’elle est appréciée. La fumée et la lumière tamisée du lieu éprouvent mes yeux habitués depuis ce matin aux néons. Deux tables du bar sont occupées. L’une par un petit couple de jeunes qui se pelotonnent sur la banquette, l’autre à l’opposé près de la fenêtre par Jérôme. Avec le Barman moustachu à tête de facho, nous sommes cinq ce soir à peupler le ‘Balto’, qui n’a peut être jamais vu autant de clients d’un seul coup. Peu importe, je ne suis pas là pour le plaisir. Jérôme et moi devons discuter. Je veux comprendre et lui aussi sans doute, ce qui est arrivé à celui qui est, qui fut ? Notre ami. - Salut, assied toi. Tu veux boire quelque chose ? - Oui, merci. Je vais prendre une bière. - Olaf : 2 demis s’il te plait. - Tu connais son nom ? - Je suis là depuis une heure. J’ai eu le temps de faire la causette… - Comment tu te sens ? - Moi pas mal. Non en fait c’est des conneries. Ca ne va pas si bien… - Moi non plus, je n’arrête pas d’y penser. C’est dingue. - Justement, si je voulais te voir c’était aussi pour savoir. Comprendre. Reconstituer un peu les événements. Je me demande, comment il a pu en arriver là, et… - Et être sûr que ce n’est pas de ta faute ? - Peut être. Tu sais je n’arrête pas de culpabiliser, j’ai été dur avec lui. Jérôme me regarde fixement. Un rictus au coin des lèvres. Ses yeux sont rouges : La clope, les larmes, les deux. Il sait comme moi que je ne pense pas ce que je dis. Oui je culpabilise, mais non je n’ai pas provoqué ce qui est arrivé. - Tu te souviens de la première fois que tu l’as rencontré ? Me demande Jérôme pour rompre ma réflexion. - Tu parles, ça remonte à la primaire. - Moi à la troisième… Olaf pose devant nous nos deux verres. Jérôme lève le sien : - A la vie, à la mort ! - A la vie… Un spasme vient me parcourir. Tout à coup je réalise un peu plus ce qui se passe. Nous trinquons à la santé de notre ami qui bientôt ne sera plus. Une part de nous qui se meure pendant que je bois une nouvelle gorgée. J’ai une furieuse envie de cigarette. 1 an que je n’ai pas fumé mais cette fois ci je ne peux pas résister. La nuit va être longue pour Jérôme et moi, mais si courte pour Alex. Nous nous recueillons un instant. Je prends la parole. Pour moi, tout à commencé il y a 2 – 3 ans ou encore un peu avant, enfin, quand Alex est entré en terminale au Lycée Nicolo Machiavelli de Neuilly et qu’il y a fait la rencontre du ‘Roi Léon’ et de sa cour… - A cette époque j’étais à Jules Ferry et toi à Montaigne, je crois ? Jérôme opine du chef. Alex en revanche, s’était vu condamné par ses parents à la boîte à bac. - Tu te souviens à quel point c’était un parfait glandeur ? Toujours à l’affut de la moindre connerie… Bref. - Au début, d’après ce qu’il m’a dit, il a halluciné. Il n’ y avait que des fashions victims à Machiavelli. Même les profs et les pions s’étaient mis au diapason des 11 – 25 ans, les ‘élèves’ de l’établissement. A un point tel, qu’il croyait que c’était l’uniforme. Bien sûr, il aimait ça les fringues, la mode, mais ce n’était pas prioritaire pour lui, en tout cas pas sur ses amis. Jérôme, qui comme moi s’est laissé prendre au jeu ne réagit pas trop. Je le vois jeter un coup d’oeil rapide à ses Onitsuka Tiger collectors neuves qu’il arbore fièrement aux pieds. J’essaie désespérément de dissimuler mon bracelet Dsquared sous mon pull Paul Smith mais rien n’y fait. Ce soir, il faudra affronter la vérité. 27 - Tu sais Marc, me dit Jérôme en relevant la tête, les yeux embués : « je crois que j’ai été jaloux de son succès, de sa vie et même plus »… - Oui, sans doute un peu. C’est compréhensible. Mais regarde où ça l’a mené. Putain, j’en étais où ? Ah, oui, le bahut… - Il a fait littéraire je crois, je me souviens en tout cas qu’il était le seul garçon de sa classe pour une dizaine de filles. Seul comme Ulysse au milieu des sirènes, comme il le disait. Jérôme décroche un sourire complice. Tu parles, ce qu’on aurait donné pour être à sa place à ce moment là. - La première fois qu’il nous a parlé de Léon on était ensemble tous les trois, on allait échanger des dvd vers Saint – Michel. - Mais oui. Bien sur ! J’avais oublié. Nos fameux samedi après midi shopping. Disques, livres dvd, jeux-vidéos. On se faisait simplement plaisir. C’était cool, pépére. C’est marrant que tu t’en souviennes si bien. - En fait, Je crois avoir compris ce jour là l’envie qu’avait Alex d’autre chose, rien qu’à la façon dont il en a parlé. J’ai réalisé qu’il s’emmerdait avec nous. Jérôme commence à tirer la gueule et descend en une gorgée la moitié de sa bière. Je n’ose pas le regarder. J’en profite cependant pour jeter un coup d’oeil à ma droite, et je constate, sans être vraiment étonné, que le petit couple m’écoute. Ils attendent la suite de l’histoire, pour être sûrs qu’on parle bien DU sujet à la mode de ces derniers jours… Même Olaf à l’air interessé. Lui en revanche, ça doit le changer des histoires de tiercé et de complot international. - Une autre bière Jérôme ? Il opine du chef. Olaf, deux bières s’il te plait et offre-toi une tournée ainsi qu’à ce charmant petit couple. Le téléphone portable sur la table est immobile. Pas de message, pas de sonnerie. Pour l’instant, il me laisse tranquille. Tout le monde fait les remerciements d’usage. Je poursuis mon récit. - Donc, nous étions attablés au Quick quand Alex m’a demandé : « Tu connais Léon ? » - Le mec qui fait les soirées, ben ouais comme tout le monde de réputation. - Il est dans mon bahut. - Alors il est comment ? - Je sais pas, j’dirai bien que c’est un con, mais il a une aura, un truc, tu verrais comment les meufs le matent… - De quoi vous parlez ? - De Léon, tu sais, les soirées Jet Society Paris, on a jamais réussi à y aller Jerome, à chaque fois on s’est fait jeter. Il est dans le bahut d’Alex. - Ah ouais, alors il est comment ? - Putain, mais t’es un boulet, t’as qu’à écouter. J’ai l’impression qu’il est plus sympa qu’on le dit, faut voir. - T’as discuté avec lui ? - Vite fais, on a déconné ensemble en cours et on s’est fait coller samedi après midi. Ca va être l’occasion d’en savoir plus sur son compte. - Essaye de gratter des invits - Putain, mais t’arrete jamais d’être con, toi. Jerome se marre comme un bossu à l’évocation de ce souvenir, il enchaine sur ce dernier point : »J’ai jamais demandé d’invits, t’invente… - C’est vrai, maintenant que tu le dis. Alex avait sans doute une idée derrière la tête. Après sa colle, il m’a appelé le samedi soir pour savoir si je voulais sortir. Toi, t’étais en week – end à la campagne. On a d’abord été boire un verre dans un pub et vers minuit et demi on y est allé. C’était dans une boite à côté des Champs Elysées. Je me suis dit comme d’hab on va se faire refouler : Vous n’êtes pas accompagnés, soirée privée, pas de baskets… En plus dehors, il y avait une foule, on aurait dit que tous les jeunes de Paris s’étaient donné rendez vous au même endroit, au même moment. J’avoue que j’avais un peu la trouille, tu sais ce que c’est, se faire jeter c’est une chose, mais devant tout le monde c’en est une autre, surtout pour l’égo. Alex m’a dit de ne pas m’en faire. Il s’est posté un peu en retrait du gros de la foule massée devant l’entrée, vers la droite, il a fixé un des videur, il a claqué des doigts, gueulé : « Deux » en montrant les doigts. Le videur s’est activé, il a poussé les personnes qui étaient devant et nous sommes entrés. J’ai halluciné. Je lui ai demandé : - Comment t’as fait ? Tu sais ce qu’il m’a répondu ? - Ta gueule, souris ! - Ouais, euh t’as deviné tout seul ? 28 - Non il me l’a raconté après, il craignait que tu dises une connerie, remarque te connaissant… - Arrête ! - J’ai été un peu choqué quand il me l’a raconté. Il commençait à se prendre au sérieux, même si t’avais dit la pire des conneries, quelle importance ? - Pour lui ça en avait, il t’a raconté aussi que j’ai passé la soirée tout seul au bar à attendre tandis qu’il était à la table « V.I.P » de Léon ? - Non - Alors peut être qu’à cette époque, il lui restait encore un peu d’humanité. Au moins ce coup ci vous ne vous êtes pas moqués de moi, à moins, pire qu’il ait oublié ? Ma question reste en suspend, je n’ai pas la force d’y répondre. Je me plonge dans la contemplation de mon verre. Jerome allume une clope. Olaf récure son comptoir, une activité qu’il effectue mécaniquement, machinalement, il le fait sans plaisir, sans envie, parce qu’il le doit. Le petit couple chuchotte en me lançant de temps en temps des regards. La fille a une bonne allure générale et un joli visage. Une vingtaine d’années, blonde, l’étudiante type. Son mec a le teint blanc typique du parisien. Barbe de 3 jours et coupe de rigueur. Pas de doute, ils sont en médecine. La fac est à côté. Elle se lève et vient vers moi : - Bonjour, je n’ai pas pu m’empecher d’entendre votre conversation, vous parlez bien du Roi Léon et de King Alex ? - Oui - C’est affreux, ce qui s’est passé - Oui Jerome m’observe intensément, il se demande ce que je vais dire. Logiquement je dois l’envoyer chier et lui dire que cela ne l’a regarde pas, mais je n’en ai pas le courage et puis, pourquoi ne pas avoir des témoins, après tout ? Olaf s’est redressé, il a dû lui aussi faire le rapprochement mais il continue d’astiquer. - Je peux écouter la suite de l’histoire ? - Pourquoi pas, si Jérome est d’accord, ça ne va pas changer la face du monde ? - Je m’appelle Alice. Grégory et moi on va s’installer juste là Elle désigne la table qui jouxte la notre. Son mec s’installe, il fouille dans son sac, à mon avis il éteind son portable pour ne pas en perdre une miette… Le temps passe et on ne progresse pas il est temps d’accélérer tout ça. 29 François–Kevin Kleinn’avait pas grand-chose pour lui. Certains membres de sa famille pensaient d’ailleurs qu’il fallait y voir le signe d’un lien direct avec son bisaïeul Jean–Félix Klein, l’inventeur malheureux du doseur à bouteille d’alcool. Looser patenté et noceur en diable. Mais, même si François–Kevin dit « Frik » n’était, a priori, pas plus en mesure d’espérer un succès dans le monde des affaires ou du Show Biz que le groupe Metallica dans le Lyrique ou dans la biotechnologie, il était quand même en train de réussir un coup génial, à l’américaine ! Tout a commencé un lundi matin, quand à 10h10 Frik fut tiré du lit par… le téléphone portable. En général, aucun son ne filtrait de chez François-Kevin avant 11h30 voire 12h00, car celui-ci cultivait la paresse comme son ami Félix le Shit, avec amour et délectation et personne ne devait l’appeler ni le déranger le matin. C’était La Règle. D’abord, il fut surpris par le vacarme: Les 4 saisons de Vivaldi version binaire lui vrillait la tête. Son objectif était donc clair: faire taire l’importun vecteur d’ondes négatives. La tête sous l’oreiller et les mains épileptiques, Frik cherchait sans relâche son Sagem 1ère génération. Il finit enfin par le trouver, après une bataille acharnée. De nombreuses pertes furent malheureusement à déplorer lors de ce combat : Un verre Pirex, une lampe de chevet Ikea et une télécommande Pro Line. Frik prit mentalement la voix de Schwarzenegger et se dit : « Dommages collatéraux », puis il ouvrit l’œil et inspecta l’engin qu’il tenait dans sa main. Le mobyle se remit à sonner de plus belle. Inutile de résister plus longtemps. Le mal était fait. Frik était réveillé. - OUAICESTKI ? demanda t-il courageusement au tueur de sommeil - Bonjour monsieur répondit une voix fraîche et sympathique de jeune fille, Aurore Dulac de Canal 17, la chaîne des jeunes, des moins jeunes et des autres. Vous êtes bien monsieur Klein ? - Oui c’est moi, CPOURKOI ? C’est pour l’émission duel de Kadors ? Dit il plein d’espoir de participer à l’un de ces Battle où l’objectif était de terrasser l’adversaire avec des vannes assassines et des grimaces. - Euh, non, non, Vous nous avez fait parvenir un CV et après un examen attentif nous souhaiterions vous rencontrer lors d’un entretien, vous êtes toujours disponible à l’heure actuelle ? Les neurones de Frik s’agitèrent à plein régime, un CV quel CV, il ne se souvenait pas d’avoir envoyé le moindre document de ce genre à Canal 17. Il réfléchit intensément, se caressa les tempes, se frotta le menton et fouilla sa mémoire… « Wouch ! » : Tel un missile, le souvenir de la soirée de vendredi lui revint en tête. Il se rappela son retour de l’AmnésiK (célèbre club privé de la capitale) à 4h00 du matin, bourré et dévoré par le remord d’être professionnellement inactif. Durant la soirée, Hub et Michel n’avaient cessé de le culpabiliser. A la limite du harcèlement moral. A chaque fois que Frik les voyait (le moins souvent possible), ils usaient sur lui de leurs méthodes de tortionnaires. First, ils se flattaient d’occuper des postes à responsabilités, d’avoir des perspectives, d’être des Winners. Then, ils s’étonnaient avec emphase de son manque de combativité. Lui reprochaient de gâcher un potentiel exceptionnel et enfin ils lui assénaient le coup de grâce : ‘De toute façon tu n’en fais qu’à ta tête, ne compte pas sur nous plus tard quand tu seras devenu SDF’. Si on avait posé la question à Frik, il aurait répondu avec conviction que oui les homos sont évidemment des parents comme les autres ! Comme à son habitude dans ces moments là, il s’était installé, penaud et caramélisé, devant son ordinateur. Frik avait copié – collé avec grand soin le mail standard qu’il envoyait aux nombreuses entreprises susceptibles de l’accueillir. Théoriquement, ce courriel devait parvenir à FTCOM, une société spécialisée dans le recrutement de glandeurs dont on lui avait dit le plus grand bien, mais au même moment, la chaîne Canal 17 diffusait le clip de ‘Prose Toujours’ [Sodom Prod] le dernier single de M.C Goumi Snack, un rappeur de L.A originaire du Mans que Frik appréciait tout particulièrement. Cette chanson, François–Kevin la connaissait par cœur : ’Pas b’soin de lutter kan tu sais pas naaager, donne toi du mal et tauraaa keudalle, prose toujours tu m’intéresse resse resse…’ [Copyright M.C Goumi Snack 2006]. Pour Frik, ces lyrics exprimait bien plus qu’un vulgaire ressentiment à l’encontre d’une société qui 30 manifestement ne savait pas comment gérer une jeunesse en instance de divorce avec les autorités. Elles le touchaient profondément, d’autant plus qu’il ne savait pas nager. A la fin de la vidéo, Noémie avait repris le micro et s’était livrée à son exercice favori, le flingage de clip façon pitbull enragé. Noémie était l’animatrice vedette du show live : All Night Long (0h00 – 6h00), sur Canal 17. Elle s’était autoproclamée « présentatrice la plus ‘trash’ du PAF » misant beaucoup et bien plus encore, sur sa plastique de rêve et sur son art de la vanne assassine. Grâce à sa farouche détermination et à ses décolletés indécents, son émission rassemblait en moyenne deux millions de fans chaque vendredi. - Wesh les gros, vous avez vu ça ? Ce clip, cette bouse, c’est de la merde où je ne m’y connais pas ! Ce gros sac à foutre de , pardon, de Goumi, il me casse les oreilles. A part une balle dans la tête je ne vois pas ce qui va le faire passer à la postérité… Tiens j’vais t’ faire une dédicace tête de pine : ‘A tous les psycho devant votre poste, si vous croisez Goumi, mettez lui une branlée. Dites lui que c’est de la part de la reine de la télé. Noémie number one qui pèse dans les téci. Le Rap ça doit rester aux rappeurs, on a pas besoin d’amateurs. Yo’. - Tout de suite pour vous les psychopathes de l’audimat, on retrouve Doktor Boumbakaï et son dernier morceau : ‘Si mon père c’est ton père, alors je suis ton frère.’ [Deltaplane]. Canal 17, ne l’oubliez pas, c’est la chaîne des jeunes, des moins jeunes et des autres.’ » Le sang de Frik bouillonnait copieusement : ‘Putain qu’est ce qu’elle y connaît en Rap cette conne ?’ Il changea de chaîne, Canal 17 devint Toon14. Ca lui convenait mieux. Il s’assit sur le canapé et se planta devant un épisode du dessin animé Heckle et Jeckle. Les deux corbeaux préparaient un coup fumant tandis que Frik fulminait. Petite parvenue de Neuilly se disait il… François–Kevin la connaissait si bien. Trois ans à jouer le rôle du confident et de l’ami fidèle, ce n’était pas rien. Pour lui en tout cas. De la troisième à la terminale. 3, 2, 1 : Fuck. A l’époque, le collège – lycée Clarisses de Nazareth à Neuilly sur Seine était l’archétype de la boite à Bac. On y trouvait aussi bien les fils à papa merveilleusement nés que certains exclus du système scolaire à la française. Une vraie cours des miracles. Contrairement à l’idée reçue, les établissements privés hors contrats sont à mille lieux d’être un vivier de chochottes effrayées qui attendent sagement d’être dépouillés à la sortie par des racailles de bac à sable. Que nenni. On y croise plutôt des mafieux en culottes courtes, des futurs Gecko, le héros salaud de Wall Street, ainsi que des mademoiselles Claude… Des communautés d’intérêts s’étaient forgées avec le temps au sein de l’établissement. Les salles de cours permettaient aux Entertainers de se réunir afin d’établir les médias planning et autre plan de financement des soirées privées qu’ils organisaient le week-end ou les mercredi après–midi dans des lieux prestigieux de la capitale. Les biznessers préféraient s’entretenir dans la cours de récré car on captait mieux avec le cellulaire. Il n’était pas rare d’entendre des similis codes du style : Tu m’en prends pour 40 ; Lâche la C pour le X ; Une fois, un de ses potes, Urbain, avait demandé à l’un des barons de la cour, en usant des codes, de lui en filer pour 20. Sans le savoir il venait de se porter acquéreur de 20 kilos de jamaïcaine 100 % authentique. Il en fut quitte pour une très grosse frayeur, mais il n’y eut pas de représailles. Le fait d’être élève de l’école accordait une certaine immunité… Frik s’entendait globalement bien avec tout le monde mais il n’appartenait pas à un groupe particulier. Il faisait parti des bons potes, ceux qui écoutent beaucoup mais parlent rarement sauf pour déconner. De son temps les bandes organisées de ‘Geek’ ou de ‘Loosers’ n’existaient pas encore sinon, il aurait peut être été chef de bande. Noémie pour sa part avait papillonné de garçon en garçon au gré de ses intérêts : Par exemple : Eric, 7 mois : Organisateur des soirées FissaPapa, les plus courues du tout-Paris de moins de 20 ans. Jean–Luc, 4 mois : Z3 et Carrera 4. Philipe, 2 mois : Chalet à Courchevel. Isidore, 5 mois : Grosse queue… d’après certaines sources. François–Kevin, 3 ans : Confident & Meilleur ami. Cherchez le con… Attention, vous avez droit à plusieurs réponses ! Tous ces souvenirs qui remontaient à la surface… Ce fut à ce moment là que l’envie d’écrire un mail rageur à cette mante religieuse le submergea. A nouveau devant le PC, il pointa la souris sur l’icône créer un nouveau mes- 31 sage d’Outlook Express qui était toujours ouvert et rédigea son pamphlet. Au moment d’envoyer le message, un doute l’assaillit sur l’adresse de sa correspondante, Il n’avait qu’à l’envoyer au Webmaster, après tout ça lui ferait les pieds à cette conne si d’autres personnes accédaient au contenu du courriel. Un clic sur le bouton envoyé et les deux messages partirent en même temps mais n’arrivèrent apparemment pas au bon destinataire, il avait dû inverser les adresses. La jolie voix au téléphone le ramena brusquement à la réalité. « Nous sommes d’accord, demain à 14h00 au 36 rue des X quai de X. Bonne journée monsieur Klein. » - Mercivousaussi. Il raccrocha et resta hébété pendant un instant. L’un dans l’autre ce n’était pas si mal. Il se voyait déjà bosser à la télé. Il imaginait la gueule de ses potes ou celle de cette grognasse de Noémie. Il fallait préparer l’entretien… Il se saisit du téléphone (décidément) et composa le numéro de Léo, son Gimini Cricket qui n’en revint pas d’entendre la voix de Frik à une heure aussi indue. Tout était calé : A 19h00 à l’Alcazar avec Léo, Urbain et Chloé pour une séance de Job-Storming. A 15h30 avec Hubert et Michel ses Coach Queers qui l’accompagneront pour un après–midi shopping. D’après eux, un travail s’obtient au style, au look, au comportement, à l’attitude, ou à certaines mensurations… Les diplômes ? De vulgaires accessoires, chéri ! Frik, tout heureux de cette nouvelle situation fila gaiement dans la salle de bain pour une douche bien méritée. Il s’arrête devant la chaîne hi fi, hésite un instant et programme sur son lecteur mp3 une Playlist de feu pour prolonger le sentiment de plaisir qui l’envahit. ‘XXXXX’ de XXX laissa la place à ‘XXX’ de XX et Frik, pendant ce temps se demandait, si s’épiler le torse ou ne pas s’épiler le torse, était ou n’était pas, une bonne idée. Depuis la mort de ses parents survenue deux années auparavant dans un accident de voiture, il s’était laissé (trop souvent) gouverné par la futilité. Ses amis les plus fidèles le couvaient et ses grands – parents notamment ceux du côté Klein le gâtaient au point de lui faire perdre le sens des réalités. François – Kevin comptait sur ce coup de pouce du destin pour enfin tenir la dragée haute à tous ceux qui l’avaient méprisé, celle(s) qui l’avai(en)t quitté. Il allait devenir le nouveau, le nouveau… En fait, il ne savait même pas pour quel poste sa candidature avait été retenue ! Le comble. 15h15 Hubert et Michel attablés, l’attendaient à la terrasse du Georges. La météo qui promettait un après–midi estivale ne s’était, une fois n’est pas coutume, pas trompée. Beau et chaud à en crever. Frik réfléchit et opta finalement pour le métro. Il préférait habituellement le confort de sa voiture mais il ne voulait pas se gâcher la vie dans des embouteillages sans fin ni s’égosiller sur les « connards de prols. ». Tout en marchant vers la station de métro la Défense, il constatait perplexe, le nombre toujours croissant de nouveaux bâtiments qui jalonnaient son chemin. François–Kevin s’était trouvé un mot pour se définir : Parisard, mi parisien, mi banlieusard. Pour rien au monde il n’aurait souhaité quitter la ville de Puteaux qu’il habitait depuis dix ans, sans doute par peur d’intégrer la réalité de Paris. Pourtant il adorait Paris. Il était même viscéralement attaché à cette ville dans laquelle il passait la majeure partie de son temps, mais la banlieue ouest d’après lui, c’était les avantages sans les inconvénients. Il arriva enfin place Beaubourg très agacé. En 25 minutes de trajet, il avait eu droit à huit interprétations différentes d’el condor passa, toutes plus horribles les une que les autres, qui ont fini par le dégoûter définitivement de cette musique pour péruviens d’opérette. Frik adorait le centre Georges Pompidou, le musée d’art moderne en particulier. Il se sentait bien. Apaisé, lorsqu’il se promenait seul dans les travée du musée, ça lui faisait le même effet avec la chanson Go West des Pet Shop Boys. Il lui arrivait parfois de sentir les larmes lui picoter le coin des yeux et une douce chaleur lui envahir le coeur. L’impression de ressentir une sorte de nostalgie de l’événement présent qui se déroule et se finit dans l’instant. Souvent aussi, il a une boule dans le ventre. François – Kevin est un garçon angoissé. Le meilleur moment pour visiter le musée selon lui c’est plutôt en hiver et le soir à 20h00 car le musée ferme ses portes vers 21h00. Frik souffla un bon coup et se retrouva sur la terrasse du Georges en un rien de temps. Hubert et Michel piaffèrent d’impatience en le voyant arriver : 32 - Toujours à la bourre toi, lui dis Michel en tapotant sur sa montre - C’est vrai, et en plus tu nous dois deux conso, pleurnicha Hubert - Bon Ok, la prochaine, elle est pour moi risqua François – Kevin sans grande conviction. - Très bien, je vais prendre une coupe et toi Michel, un verre de vin blanc ? - Oui, oui - Mais on est en plein après-midi ! - Tu sais, on va passer la journée à te relooker… Il va falloir prendre des forces. Dit férocement Hubert, ce qui fit glousser Michel. Un silence agréable s’installa, et ils profitèrent un moment d’une douce bise. Frik eut cependant de nouveau droit aux regards courroucés des deux compères car il commanda à la sublime jeune serveuse un Pastis. Hubert et Michel trouvaient que c’était vraiment une boisson de beauf indigne de ce lieu et qu’il était irrécupérable. Frik, lui était content de son effet. Il aimait bien les choquer, et puis il en était convaincu, ses potes aussi le prenaient pour une buse… Stan se tenait bien droit, les mains le long du corps. Il avait tout de même la désagréable impression d’être perché sur des échasses avec des talonnettes de neuf centimètre aux pieds, qui le faisait culminer à 1m81. Habillé sobrement pour l’occasion d’un costume noir et d’une chemise blanche, les deux sur-mesure, son corps musclé (douloureux) parfaitement mis en valeur. Son regard rendu intense notamment par des lentilles de couleur bleue se fixa sur la caméra. Il en souffrait encore un peu, mais ça allait le faire. Concentré, il attendit le signal, prit une inspiration qu’il aurait souhaité plus profonde et se lança. « Le jour où tout a changé s’est déroulé ainsi. Je me promenais sans but, désœuvrée et fâché avec la vie, le long d’une plage de sable blanc. Il faisait un temps extraordinaire, la mer était bleue turquoise et d’un calme absolu, je m’en souviens si clairement. Comme si c’était hier. J’étais nu. Seul. Le soleil irriguait ma peau et nourrissait d’une merveilleuse énergie cosmique mes membres alors faiblement développés. Pourtant je n’étais pas heureux, il me manquait quelque chose, j’avais beau avoir beaucoup, il me fallait toujours plus. Et là, d’un coup, Il m’est apparu, comme surgit de nulle part. Beau. Fort. Souriant. Sûr de lui. Je sentais la présence rassurante que seule peut apporter, un être de lumière. Il s’est approché de moi et m’a dit d’un ton clair et posé : « Fils, tu es là aujourd’hui pour une seule et unique raison. » Je restais interloqué. Attentif. Il repris : « Tu vas recevoir mon enseignement et ce que tu vas découvrir tu devras à ton retour le transmettre et le partager. Mais uniquement avec des élus. Des être méritants choisis et reconnus comme tels. Ils devront passer les épreuves et se montrer dignes de la voie tracée… par… euh « - Coupez ! Non mais c’est une blague, j’halllllucine. En vrai tu te fous de ma gueule c’est ça ? Trois semaines à se cogner des heures de repet de merde et toi tu me ruines le truc ? On la refera cette aprèm. Là je suis super vénére, tu vas faire quatre heures de sport et tu boufferas peut être après si j’ai la force de te pardonner. N’oublie jamais que t’es juste un tocard que j’ai sorti du ruisseau, connard, pecno. Le « gourou » claqua avec fracas la porte du studio, laissant Stan à son désœuvrement. Il avait chié la présentation vidéo et ça c’était pas bon du tout. Dans le dispositif, la vidéo était un élément essentiel. D’après la dernière étude menée par un 33 groupe de statisticiens indépendants mandatés par l’organisation, les disciples adhéraient à plus de 85% au message transmis par ce biais. Le taux de souscription à l’issue de la phase 1 était de l’ordre de 81,7% un pourcentage de transfo à faire bander la plupart des commerciaux du monde ! Il le savait parce que le gourou le savait… Il consulta sa montre avant de sortir du studio. 11:25, lundi 24 mai. Encore une donnée parfaitement mémorisée. 24.05= Jour du karma. Les adeptes durant cette journée particulière ne devaient pas porter de vêtements, prendre des douches toutes les deux heures, répéter des mantras, manger des fruits, boire de l’eau « purifiée » et assister à la grande cérémonie dès la tombée de la nuit… Un rituel parfaitement huilé, rodé qui renforçait toujours un peu plus la ferveur des fidèles. Dans la petite pièce attenante au studio d’enregistrement qui servait de loge, Stan se sentit subitement seul. Il appliqua docilement le coton imbibé de démaquillant sur son visage. Son regard triste sans lentilles dans le miroir lui renvoyait l’image d’un homme perdu. Piégé comme un insecte. Son mentor appliquait à la lettre et sans relâche, le programme qui convenait le mieux pour lui permettre de devenir son alter ego. (Stan avait bien trop peur du gourou pour ambitionner de le supplanter). De surcroit, l’enjeu était de taille. « Le retour de l’enfant prodigue » (nom de code de l’opération) devait se dérouler dans deux semaines sans erreurs ni accrocs, il n’y avait aucune alternative possible. Marche ou crève, telle était la devise du patron. Le gourou s’était montré limpide à ce sujet et certains en avaient fait l’amère expérience, Stan en gardait un souvenir qui le fit frissonner. Stan voulait réussir quoi qu’il en coûte, parce que le gourou le voulait. La tête basse, il entendit raisonner les pas lourds de la maquilleuse qui ouvrit vigoureusement la porte. Une adepte de la première génération totalement acquise à la cause, qui effaça en deux temps, trois mouvements son teint hâlé. - Alors, comme ça, tu as réussi à mettre le Guide en colère, le jour du karma en plus, je ne te félicite pas ! Ses gros seins nus se ballottait en tous sens et sa moue courroucée lui donnait un bel air de mérou. Stan se redressa, reprit de l’assurance. Fixa le miroir et d’un regard noir et d’une voix profonde s’adressa à la dévouée adepte: - Vespal Felicité, ton rang t’offre la parole et j’apprécie la franchise avec laquelle tu t’adresses à moi, mais n’oublie jamais d’en faire bon usage. Ce que tu viens de dire est juste sur le plan strictement empirique, mais que connais-tu des plans de notre prophète ? Peut-être que ce que tu interprètes comme un courroux, n’est qu’une illusion pour nous mettre à l’épreuve et nous apprendre à connaître nos failles, lutter contre nos instincts primaires, comme parler à tort et à travers, ou juger avec sévérité un être pourtant plus avancé dans la voie de la Révélation que toi ? Qu’en penses-tu Vespal ? La voix de Stan se fit plus doucereuse sur la fin, il ne cessait de fixer sa proie l’œil venimeux et méprisant. Félicité déglutit, déstabilisée, son gros corps nu absurde devint un fardeau, elle tenta vainement de balbutier quelques mots, mais Stan sûr de son emprise, l’empêcha de parler, lui adressa un sourire torve à travers le miroir et inclina la tête en direction de son sexe, il défit son peignoir, la Vespal s’agenouilla prestement, soulagée d’accomplir son acte de rédemption. Stan ferma les yeux et pensa à autre chose qu’à la grosse bonne femme entre ses jambes. La cloche du couvent réaménagée pour la « congrégation des fidèles de Cassiopée » retentit. Stan grommela un son digne d’accompagner sa piteuse jouissance, tandis que la Vespale Félicité se retira en silence toute ragaillardit d’avoir bien accomplit sa pénitence. Le Gourou avait patiemment expliqué à Stan que le sexe était une des clés du dispositif. Stan s’était alors très vite imaginé des scènes torrides à la eyes wide shut avec des filles au physique de rêve complètement désinhibées par l’endoctrinement subit au sein de la secte. Ses ardeurs furent vite calmée. Le Gourou s’enorgueillissait d’une garde rapprochée composée de 10 sublimes « amazones », d’authentiques bombes anatomiques qui faisaient bander adeptes, futurs adeptes et quiconque côtoyait la « congrégation des fidèles de Cassiopée » mais qui ne fricotaient jamais avec aucun ni aucune fidèle, même le Gourou n’y touchait pas. D’anciennes call 34 girls victimes d’abus que le Gourou avait délivrées d’un sort funeste… Ça c’était pour la version officielle. En réalité Le Gourou « veillait » sur les protégées de Zlatan, un souteneur ukrainien, emprisonné pour diverses infractions aussi variées que braquage, trafic de drogue, proxénétisme aggravé, meurtre. Notre avocat, un ponte lui laissait l’espoir de sortir, en apparence, mais verrouillait en coulisse toute possibilité de recours. Zlatan allait pourrir en taule, car telle était la volonté du Gourou. Donc le sexe au sein de la communauté se pratiquait entre gens au physique quelconque voire difficile, mais en grande quantité ce qui satisfaisait tout le monde, sauf Stan qui n’avait pas signé pour ce sordide scénario. Pourquoi lui ? Cette question le taraudait depuis le début. La « rencontre » remontait à 6 – 8 – 10 mois ? (Le temps passait si vite sans repères). Aucune idée précise, mais une forte présomption. Eloïm le Gourou ou Guide de la congrégation des fidèles de Cassiopée, coqueluche du Tout-Paris s’était vraisemblablement entiché de Stan la Loose parce que justement il incarnait l’immaculée déception. Transformer cet être sans grand intérêt en personnage charismatique relevait de la gageure et permettrait de développer une nouvelle communauté, une franchise en quelque sorte. Le « retour de l’enfant prodigue » allait en ce sens, démontrer à tous ces connards frimeurs pétés de thunes qui se la racontaient en boite de nuit que lui Stan était devenu un Apollon à l’aura quasi surnaturelle. Les souscriptions pour intégrer l’ordre dépasseraient les objectifs et ils auraient la mainmise sur cette population riche, influençable et docile. Le beurre, l’argent du beurre et le cul de la crémière. Tel était dans les grandes lignes le plan du Guide. Qu’adviendrait-il de Stan à l’issue de cette opération ? Il préférait éluder la question. Le Pitch : Stanislas Fillmore est né à Paris le 26 janvier 1982. Après de vagues études littéraires et quelques jobs alimentaires, il a miraculeusement réussi à se faire embaucher par une revue culinaire en ligne. Même si Stan travaille de chez lui, son patron est tyrannique et l’exploite outrageusement. D’ordinaire c’est celui – ci qui se promène de tables en tables pour déguster les meilleurs mets de la planète et laisser à Stan la tache de synthétiser ses commentaires le plus souvent inexploitables. Invité à passer quelques jours sur un yacht, il ordonne à Stan de se rendre à sa place pour tester undercover le dernier restaurant favori du Tout-Paris et en faire la chronique. Or, un oncle de Stan inconnu de celui –ci, vient de trépasser et l’a désigné comme seul héritier d’un manoir dans les Highlands. Incapable de demander un jour de congé à son patron pour découvrir sa nouvelle propriété, il prend le risque d’envoyer au restaurant sa demi–sœur accompagnée de son meilleur ami pendant que lui s’envole pour l’Ecosse… ABEL Stanislas m’a appelé vers 18h00, comme à son habitude « Stan la Loose » n’a pas trop la pêche. Heureusement le super pote Abel a LA Solution… Une soirée de feu chez Marco, en tout cas c’est ainsi que Marie m’a vendu le truc. Evidemment en tant qu’empereur du Shooter ma présence est bien entendue indispensable à cet événement. Quant à Stan, Marie me confie que Cassandra serait partante pour en faire son quatre heure « si il n’était pas si fauché bien sûr ». En bon cupidon à barbe de trois jours, j’ai tout de suite imaginé quelques arguments percutants à faire valoir auprès de cette Messaline pour arranger les choses de ce côté-là et permettre à Stan de se métamorphoser en « Stan la Gagne ». « Tonight is gonna be the night ». En tout cas en ce moment, moi, sans exagérer je suis au top. Un tour sur livenight.fr me confirme cette impression. Première photo, jeudi soir entre Camille et Johanna, en T-Shirt Alexander Mcqueenpainted skull (Rest in Peace), Jeans Diesel et Adidas Star Wars Storm Troopers. Vendredi soir avec Jerem’, Xav’ et Marco, je suis à gauche sur la photo en veste Maison Martin Margiela, une coupe de champagne à la main. Pour ce soir, j’hésite entre un sweat Rick Owens »casual » et une chemiseDamir Do- 35 ma basic plus originale. Finalement j’opte pour la chemise Damir Doma. Le reste de la tenue est Armani, à part les Weston aux pieds. « Les basiques, toujours les basiques ». Je me regarde dans le miroir avec un brin d’émotion. Irrésistible ! 21h00 Le taxi nous laisse devant la massive grille en fer forgée qui protège la propriété de Marco des intrus. Un physio en costard Bruce Field et oreille BlueTooth nous accueille l’œil et la mine féroce. Je lui tends mon portable pour lui montrer le sms d’invitation que m’a envoyé Camille. Il s’agit d’un code à 6 chiffres personnalisé, le nec plus ultra du filtrage mondain. A la vue du message, Hulk se détend un peu. Le molosse appelle au talkie un autre cerbère. La grille se déverrouille. Rien à dire, Marco sait vraiment créer un climat. Ce soir c’est juste énorme. La maison est au moins à 500 mètres et la musique (le remix de The XX – Shelter) se fait clairement entendre. Stan commence à arborer son célèbre demi-sourire, signe qu’il est bien heureux d’être là. Et encore, il ne sait pas tout… Quelques fêtards trainent dehors. Clopes ou autres substances fumables à la main pour certains, champagne pour tous et toutes, sapés hype et glamour. Je glisse une coupe à Stan glanée sur le chemin, remise par une ravissante petite blondinette dont je note, pour plus tard, la probable disponibilité compte tenu du sourire sexuellement dégoulinant qu’elle m’a adressé… Une fois à l’intérieur c’est carrément énorme. La quintessence du style… Je m’éclate comme une bête. Rrrrrrrr. 23h55 Stan est assis derrière moi, à moitié comateux, la douzaine de shooters qu’il a ingurgités depuis notre arrivée l’ayant, il faut bien le reconnaît r e , u n p e u f r a c a s s é . 23h56 La sublime Djette enchaine avec maestria l’excellente et intemporelle tuerie de MGMT T i m e t o P r e t e n d 23h56 15 s Jusqu’ici tout va bien… Tranquille et serein, j’esquisse quelques mouvements d’épaules destinés à montrer à la gent féminine que je suis bien dans le coup. Vodka tonic à la main. Demi – sourire de circonstance. La soirée est sur les rails, c e s o i r j e v a i s c h o p p e r s é v è r e . 23h57 Stan se lève, probablement pour aller aux t o i l e t t e s v o m i r a l c o o l e t m a l ê t r e . 23h57, 35s. Je n’ai pas le temps de réaliser ce qui se passe. Comme victime d’une collision visuelle, j’identifie Stan au milieu du dancefloor improvisé. Il exécute une espèce de danse du scalp. Mélange surréaliste de pas de danse nazes style batcave mâtinés de saut de marsupilami défoncé au Mdma, l’index en l’air, gueulant des « wouh » « wouh » c o m m e u n e h y è n e e n r a g é e . 2 3 h 5 9 J e s u i s c o n s t e r n é . 23h59 17s Cassandra qui malheureusement est juste à côté de lui, se fait gerber dessus. 00h00 On a perdu Stan, il est carrément parti en sucette… Je le retrouve une demi – heure plus tard endormi dans les chiottes par terre. Je lui mets quelques petits coups de pompe pour le réveiller. Tiens, apparemment il a mangé des pâtes à la sauce tomate avant de venir, cet enfoiré aurait pu m’inviter, je suis quand même son pote… 36