chapitre 1 - Student Positive Awards
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chapitre 1 - Student Positive Awards
Haute Ecole Groupe ICHEC - ISC St-Louis - ISFSC Enseignement supérieur de type long de niveau universitaire Potentiel de développement d’Aj Quen, une fédération d’artisans guatémaltèques partenaire d’Oxfam-en-Belgique. Vers un commerce équitable Sud-Sud ? Mémoire présenté par : Laurie EDELBERG Pour l'obtention du diplôme de Master en Gestion d’Entreprises Année académique 2010 - 2011 Promoteur : Madame Françoise FONTEYNE Boulevard Brand Whitlock 2 - 1150 Bruxelles Tout d’abord, je voudrais adresser mes sincères remerciements à ma promotrice, Madame Françoise Fonteyne, pour m’avoir suivie depuis le début de ce projet et qui m’a soutenue tout au long de sa réalisation. Ses conseils judicieux, son aide précieuse, son écoute attentive et sa sympathie m’ont permis d’évoluer dans ma démarche et de l’améliorer grandement. Je tiens également à remercier mon maître de stage, Monsieur Thomas Vercruysse, Gestionnaire de programme Guatemala-Nicaragua d’Oxfam-Solidarité, qui m’a permis d’effectuer un stage très enrichissant et concret à l’étranger. Je lui exprime ma gratitude pour sa confiance, sa disponibilité, sa gentillesse et son énergie déployée afin que mon séjour au Guatemala soit le plus satisfaisant possible. Tous mes remerciements s’adressent également à Patricia Vergara, Valérie Vandervecken, François Graas, Marie Dekeuleneer et toute l’équipe d’Oxfam-Magasins du monde pour leur accueil au sein de l’organisation et pour leur intérêt dans mon travail. Je tiens également à témoigner ma reconnaissance à Monsieur José Victor Pop Bol, Coordinateur exécutif d’Aj Quen, ainsi qu’à tous les membres du personnel de l’association pour m’avoir accueillie chaleureusement au Guatemala et pour leurs conseils afin de mieux comprendre la culture du pays. Merci aussi au corps enseignant de l’ICHEC, et plus particulièrement à Monsieur Laurent Lahaye pour son accompagnement, à Madame Gauthy et à Monsieur Pirard pour le savoir qu’ils m’ont permis d’acquérir quant aux études de marché. Je formule également mes remerciements à toutes les personnes interviewées au Guatemala pour le temps qu’elles ont passé à répondre à mes questions, et plus spécialement à Ivette, qui a également relu mon résumé en espagnol, Ivan et Elmer. Je suis profondément reconnaissante envers les relecteurs de ce mémoire : Stéphanie, Béatrice, Laurent et Christian, ainsi qu’envers Jean, Julien et Delphine pour leurs encouragements et leur aide précieuse. Enfin, je remercie chaleureusement ma famille et mes amis qui m’ont encouragée et entourée tout au long de mes études. À tous, Merci beaucoup ! Présentation synthétique L’objectif général de ce mémoire est d’examiner dans quelle mesure le commerce équitable Sud-Sud contribuerait au développement local d’une fédération d’artisans basée au Guatemala. Je tenterai de détecter si un commerce équitable, sans intermédiaires du Nord, serait réalisable et utile pour les producteurs d’un pays en développement du Sud. Mon mémoire consiste donc à étudier la possibilité et la pertinence de développer le commerce équitable Sud-Sud, et de vérifier les conditions d’une plus grande « indépendance » des acteurs du Sud, ainsi que de l’avenir d’une application plus ou moins large d’un modèle équitable et durable du commerce. Mon projet est réalisé en collaboration avec Oxfam-en-Belgique. Le partenaire guatémaltèque d’Oxfam étudié, Aj Quen, est situé au Guatemala et plus précisément à Chimaltenango. Cette fédération d’artisans regroupe essentiellement des femmes qui réalisent tout type d’accessoires en tissu. Les produits conçus dans des conditions « fair trade » sont ensuite vendus par Aj Quen, soit localement (environ 20 % de ses ventes s’écoulent sur le marché local), soit en exportant dans les pays du Nord. Ce groupe possède déjà un récent magasin à Chimaltenango et aimerait en ouvrir d’autres à Antigua, Quetzaltenango et Panajachel, trois villes touristiques. C’est la pertinence de cette extension que j’ai notamment étudiée lors de mon stage au siège d’Aj Quen. Étant donné la crise économique que nous traversons, la demande d’artisanat équitable, en particulier, connait un recul dans les pays du Nord. Afin d’écouler l’offre dans ce domaine, quelques acteurs du commerce équitable semblent s’intéresser à une nouvelle solution : ouvrir le commerce équitable venant du Sud au Sud. Ma question de départ est donc la suivante : « Potentiel de développement d’Aj Quen, une fédération d’artisans guatémaltèques partenaire d’Oxfam-en-Belgique. Vers un commerce équitable Sud-Sud ? » Afin d’y répondre, je me suis rendue sur place dans le but d’étudier le marché local d’Aj Quen. J’y ai sondé un segment de la population, à savoir, un public aisé et des touristes, i afin d’observer leur réactivité au commerce équitable. Je me suis également entretenue avec différents acteurs du commerce équitable et avec des concurrents directs d’Aj Quen afin de discerner l’offre dans le domaine de l’artisanat équitable guatémaltèque. J’ai fait le choix d’un projet dans un pays du Sud, car je voulais acquérir une autre vision du monde de la gestion et du commerce équitable. En effet, je suis en faveur de cette alternative commerciale qui pourrait assurer un mieux-être dans nos sociétés du Nord — plus sensibles aux problèmes de l’autre hémisphère — comme du Sud. Cependant, dans un monde de plus en plus globalisé, où la domination du Nord oblige certains pays du Sud à se soumettre à des règles qui ne leur sont pas toujours adaptées, échanger entre pays du Sud pourrait s’avérer bénéfique au développement de ces nations plutôt que de négocier avec le Nord. Ce travail se construira à la fois sur des développements théoriques et des faits empiriques afin de répondre à la question initiale. Le projet comprend une étude de marché, de filière et de faisabilité ; l’observation (en Belgique et au Guatemala) ; la constitution de tableaux ; la réflexion ; l’analyse critique et la prise de recul, etc. Les principales démarches sur lesquelles porte mon projet seront de comprendre l’entreprise Aj Quen et le secteur dans lequel l’association opère ; d’analyser la filière de cette association, des matières premières à la vente ; d’identifier les partenaires du projet d’Aj Quen ; d’effectuer une étude de marché afin de sonder l’opinion d’une partie de la population ; d’analyser les caractéristiques du marché en termes d’offre et de demande ; de mettre en avant les impacts que le commerce équitable aurait sur la population locale ; et enfin, d’analyser les enjeux et obstacles d’une activité artisanale et de ses produits transformés de manière artisanale par des coopératives d’Amérique latine dans le secteur du commerce équitable. Tout ce parcours satisfait à la fois des objectifs personnels et ceux de deux entreprises particulières à savoir Oxfam-en-Belgique et Aj Quen au Guatemala. Cette thématique suit une logique dans mon parcours académique et prend également ses sources dans la réalité actuelle des relations internationales et du poids des acteurs. ii TABLE DES MATIÈRES Présentation synthétique........................................................................................... i Table des illustrations.............................................................................................. vi Liste des principaux sigles utilisés ........................................................................... vii Introduction générale ............................................................................................... 1 1. Question de départ.................................................................................................. 1 2. Pourquoi avoir choisi ce sujet ? ................................................................................ 2 3. Méthodologie.......................................................................................................... 4 Chapitre 1 : L’entreprise Aj Quen à Chimaltenango ................................................... 7 1. Création .................................................................................................................. 7 2. Objectifs et fonctionnement .................................................................................... 9 2.1. Les groupes d’artisans ........................................................................................................ 10 2.2. Modèle de gouvernance ..................................................................................................... 12 3. Filière de l’artisanat et rôle d’Aj Quen .................................................................... 18 4. Marchés actuels .................................................................................................... 25 4.1. Ventes sur les marchés internationaux .............................................................................. 25 4.2. Ventes sur les marchés locaux ............................................................................................ 27 5. Le financement et les revenus d’Aj Quen ................................................................ 29 6. Conclusion : Stratégie de développement............................................................... 34 Chapitre 2 : Environnement général au Guatemala ................................................. 37 1. Indice de développement humain (IDH) et modèle économique ............................. 37 2. Système politique .................................................................................................. 39 3. Exclusion sociale .................................................................................................... 41 4. Religion ................................................................................................................. 43 iii 5. Langues ................................................................................................................. 43 6. Migration .............................................................................................................. 44 7. Les secteurs d’emplois ........................................................................................... 44 8. Commerce extérieur .............................................................................................. 45 8.1. Exportations........................................................................................................................ 45 8.2. Importations ....................................................................................................................... 46 8.3. Répartition géographique des échanges ............................................................................ 47 8.4. Balance commerciale .......................................................................................................... 47 Chapitre 3 : Analyse du marché de l’artisanat équitable guatémaltèque ................. 48 1. Artisanat et « artisanat équitable» ......................................................................... 48 2. Analyse des caractéristiques du marché artisanal textile équitable ......................... 52 2.1. Profil du marché guatémaltèque artisanal et équitable ..................................................... 53 2.1.1. Chaîne de valeur et caractéristiques de l’artisanat textile équitable et conventionnel 53 2.1.2. Quelques chiffres sur l’artisanat textile et l’artisanat équitable ................................... 62 2.1.3. Législation pour les associations similaires à Aj Quen ................................................... 65 2.1.4. Initiatives et réseaux locaux et internationaux de commerce équitable en artisanat textile ............................................................................................................................. 67 2.1.5. 2.2. Caractéristiques d’Aj Quen sur ce marché ..................................................................... 70 Offre.................................................................................................................................... 72 2.2.1. Méthodologie : entretiens structurés et observations .................................................. 72 2.2.2. La concurrence dans le secteur de l’artisanat équitable ............................................... 75 2.2.3. Positionnement d’Aj Quen par rapport à la concurrence dans le secteur de l’artisanat textile équitable ............................................................................................................. 82 2.3. 2.3.1. Demande ............................................................................................................................ 84 Méthodologie : étude des perceptions et comportements d’achat de produits équitables ....................................................................................................................... 84 2.3.1. 2.4. Le marché potentiel et les caractéristiques de cette demande..................................... 88 Mise en perspective de ces données par rapport à la consommation locale et l’offre dans d’autres pays ...................................................................................................................... 95 3. Conclusion : Place de l’artisanat équitable et d’Aj Quen sur le marché guatémaltèque 99 iv Chapitre 4 : Vers un commerce équitable Sud-Sud ................................................. 102 1. Les échanges commerciaux Sud-Sud ..................................................................... 102 2. Pourquoi un commerce équitable Sud-Sud ? ........................................................ 104 3. Développement local et théorie du site ................................................................ 106 4. Principaux impacts économiques et sociaux d’un commerce équitable et recentré 108 5. 6. 4.1. Emploi et conditions de travail ......................................................................................... 108 4.2. Investissements et contribution à la croissance ............................................................... 109 4.3. Infrastructures collectives ................................................................................................ 109 4.4. Émancipation des femmes ............................................................................................... 110 4.5. Développement des communautés rurales ..................................................................... 111 4.6. Indépendance des petits producteurs .............................................................................. 112 4.7. Perpétuation de l’identité culturelle ................................................................................ 112 4.8. La promotion du changement et le renforcement des capacités .................................... 112 4.9. Éducation .......................................................................................................................... 113 Les initiatives actuelles ........................................................................................ 114 5.1. Amérique latine ................................................................................................................ 114 5.2. Afrique .............................................................................................................................. 120 5.3. Asie ................................................................................................................................... 123 Conclusion........................................................................................................... 127 Chapitre 5 : Recommandations pour un commerce équitable Sud-Sud et une plus grande indépendance de ses acteurs..................................................................... 129 1. Au Sud ................................................................................................................ 130 2. Au Guatemala ..................................................................................................... 131 3. Aj Quen ............................................................................................................... 134 4. Une nouvelle dénomination pour le commerce équitable au Guatemala et au Sud ?142 Conclusion générale ............................................................................................. 143 Bibliographie ........................................................................................................ 146 v TABLE DES ILLUSTRATIONS Chapitre 1 Figure 1.1 Organigramme d’Aj Quen: p.13 Figure 1.2 Filière de l’artisanat d’Aj Quen: p.19 Figure 1.3 Revenus d’Aj Quen : p.31 Figure 1.4 Ventes d’artisanat d’Aj Quen : p.32 Tableau 1.1 – Liste des clients internationaux d’Aj Quen par pays : p.26 Chapitre 3 Figure 3.1 Chaîne de valeur de l’artisanat textile au Guatemala : p.55 Figure 3.2 Traitement des questionnaires : p.93 Tableau 3.1 Prix des produits d’Aj Quen par rapport au marché conventionnel : p.72 Tableau 3.2 Acteurs de l’artisanat conventionnel et équitable interviewés : vi p.75 LISTE DES PRINCIPAUX SIGLES UTILISÉS Agexport : Agence d’exportation guatémaltèque APESA : Association de la Plate-forme Stratégique du Secteur artisanale de l’Altiplano ASBL : Association sans But Lucratif CCI : Centre de Commerce International CICJS : Commission Interinstitutionnelle de Commerce Équitable CJM : Comercio Justo México CLAC : Coordination latino-américaine des Caraïbes de petits producteurs du commerce équitable CNUCED : Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement COCODES : Conseil Communautaire de Développement COMUDES : Conseil Municipal de Développement CRECER : Association pour la promotion du commerce équitable en Amérique centrale, au Mexique et aux Caraïbes DGD : Direction Générale de la Coopération au Développement DR-CAFTA: Dominican Republic – Central America Free Trade Agreement EFTA: European Fair Trade Association FINE: Fair Trade Labelling Organization- International Federation for Alternative Trade- Network European Worldshops- European Fair Trade Association FLO INTERNATIONAL: Fair Trade Labelling Organization FTF : Fédération du commerce équitable IDH : Indicateur de Développement Humain IFAT: International Federation for Alternative Trade INGUAT : Institut Guatémaltèque du Tourisme MSE : Micro et Petites Entreprises. NEWS: Network European Worldshops OCDE : Organisation de Coopération et de Développement Économique OIT : Organisation Internationale du Travail OMC : Organisation Mondiale du Commerce vii ONG : Organisation Non Gouvernementale PIB : Produit Intérieur Brut PNUD : Programme des Nations Unies pour le Développement RAIS : Réseau Alternatif d’Echange Solidaire RELAT : Réseau Latino-Américain de Magasins d’Économie Solidaire SNCJS : Commission Nationale du Commerce Éthique et Solidaire USAID: United States Agency for International Development WFTO: World Fair Trade Organization viii Introduction générale INTRODUCTION GÉNÉRALE Le commerce équitable… Joli nom pour effectuer nos achats en bonne conscience. Mais les clients de ce type de commerce savent-ils réellement ce qui se cache derrière ce terme ? Si dans les pays développés du Nord1, les valeurs du commerce équitable commencent à être connues d’un nombre de plus en plus élevé de personnes, peut-on en dire autant du Sud ? Ont-ils jamais entendu parler de ce terme ? Les populations des pays moins développés seraient-elles capables de déployer leur propre commerce équitable, sans plus passer par le Nord ? Et, faudra-t-il encore désigner ce type de commerce « équitable » ? C’est ce que je tenterai de vous faire découvrir tout au long de cette étude. En effet, bien qu’au départ, le commerce équitable Nord-Sud semble être une bonne alternative au commerce traditionnel, il connait également certaines dérives. Développer un commerce équitable Sud-Sud, apporterait peut-être une solution à ces problèmes. Mais pourquoi les pays développés du Nord s’intéressent-ils au commerce équitable Sud-Sud, que cela pourrait-il apporter aux Organisations Non Gouvernementales (ONG) du Nord collaborant actuellement avec le Sud ? Encore une interrogation que je tenterai d’élucider. Étant donné la crise économique que nous traversons, la demande d’artisanat équitable connait un recul dans les pays du Nord. Afin d’écouler l’offre dans ce domaine, quelques acteurs du commerce équitable semblent s’intéresser à une nouvelle solution : ouvrir le commerce équitable venant du Sud au Sud. 1 Lorsque j’évoque le « Nord », je me réfère aux « pays occidentaux, au sens géopolitique et non géographique (USA-Canada, Europe de l’Ouest, Australie, Nouvelle-Zélande, Japon), ainsi que des pays émergents comme la Corée du Sud ou Taïwan (…). Les pays en développement (…) forment le tiersmonde (…) composé de la grande majorité des pays de la planète, la plupart sous les tropiques et au sud des pays riches. » Source : BRASSEUL, J., Introduction à l’économie du développement, 3e éd., Paris, Armand Colin, 2010, p.1. 1 Introduction générale Ma question de départ est donc la suivante : « Potentiel de développement d’Aj Quen, une fédération d’artisans guatémaltèques partenaire d’Oxfam-en-Belgique. Vers un commerce équitable Sud-Sud ? » Pour y répondre, je me baserai sur le cas particulier d’Aj Quen, un partenaire guatémaltèque d’Oxfam-Solidarité et Oxfam-Magasins du monde que j’ai pu étudier lors de mon stage au Guatemala. Cette fédération d’artisans travaille en collaboration étroite avec Oxfam-en-Belgique depuis plus de 20 ans et a toujours pratiqué le commerce équitable. Aj Quen est maintenant désireux de se développer plus localement, cependant l’association dépend encore fortement d’une aide étrangère, et ce processus doit se réaliser progressivement. L’objectif de ce mémoire sera donc d’étudier les moyens dont disposent les pays du Sud pour développer un commerce équitable Sud-Sud et découvrir si ce type de négoce sans intermédiaire du Nord serait réalisable et intéressant pour eux. Ce travail de fin d’études consiste donc d’une part, à démontrer la possibilité et la pertinence de développer le commerce équitable Sud-Sud, et d’autre part, de vérifier les conditions d’une plus grande « indépendance » des acteurs du Sud. Il vise aussi à examiner l’avenir d’une application plus ou moins large d’un modèle équitable et durable du commerce. Le parcours suivi durant mes études à l’ICHEC a éveillé mon intérêt pour les pays en développement. En deuxième année de Baccalauréat, j’ai eu l’opportunité de devenir membre de l’association Oikos2 sensible aux questions de développement durable et de commerce équitable. Durant la même année, j’ai eu la chance de participer au Housing Project3 en Inde. Par la suite, j’ai voulu approfondir davantage ce champ 2 Oikos est une organisation internationale d’étudiants prônant l’économie et la gestion durables. L’organisation est représentée en Belgique par Oikos Brussels sur le campus de l’ICHEC. 3 Le Housing Project est un projet humanitaire de construction de maisons. Il est proposé par l’ICHEC et a notamment pour but d’offrir un toit à des familles défavorisées vivant dans un pays en développement. 2 Introduction générale « international ». C’est pourquoi j’ai suivi l’option Management International. Enfin, grâce à la mineure des « Pays en Développement », j’ai pu acquérir et développer des savoirs spécifiques à ces pays. Tout cela m’a fourni une ouverture sur l’actualité et la complexité internationales au niveau commercial, culturel, organisationnel et financier des pays développés et émergents. J’en retire également une première approche théorique quant à la gestion au-delà des frontières, et ce, tant au niveau des opérations commerciales qu’au niveau de l’analyse des comportements des agents internationaux et à la façon de les aborder. Dans un monde de plus en plus globalisé où la domination du Nord oblige certains pays du Sud à se soumettre à des règles qui ne leur sont pas toujours adaptées, des échanges entre pays du Sud pourraient s’avérer bénéfiques au développement de ces nations. Comme mentionné précédemment, la crise économique affecte beaucoup les ventes en biens accessoires, comme l’artisanat textile. De plus, ces dernières années, différentes catastrophes naturelles ont endommagé les plantations de coton, les habitations des artisans, les routes… Ces phénomènes naturels rendent les populations des pays en développement plus vulnérables. D’un point de vue personnel, je ne peux rester indifférente à ces situations. Bien qu’on ne puisse changer le monde, je tenais à profiter de mon investigation de fin d’études pour me concentrer sur un des sujets qui me tient à cœur et qui est le commerce équitable. En effet, face à la surconsommation actuelle de notre société capitaliste, j’essaye d’agir de façon responsable pour tenter de combler, à mon niveau, les lacunes économiques, sociales et environnementales de notre mode de vie. Lorsque consommer local n’est pas possible ou peu éthique, je me tourne alors vers les produits équitables, découverts surtout lors d’un événement organisé par Oikos, l’association de développement durable dont je fais partie. Dans un document de travail rédigé en 2009, S. Poos4 reprend la définition du commerce équitable selon la formulation de FINE5 : « Le Commerce équitable est un 4 POOS, S., Le commerce équitable en 2009, in Trade for Development Centre, Site de la Coopération Technique Belge, 2009, p.7, adresse URL : http://www.befair.be/fr/articles/www-befair-be/2ressources/ressources.cfm (page consultée le 24 octobre 2010). 3 Introduction générale partenariat commercial, fondé sur le dialogue, la transparence et le respect, dont l’objectif est de parvenir à une plus grande équité dans le commerce mondial. Il contribue au développement durable en offrant de meilleures conditions commerciales et en garantissant les droits des producteurs et des travailleurs marginalisés, tout particulièrement au Sud de la planète. Les organisations du Commerce équitable (soutenues par les consommateurs) s’engagent activement à soutenir les producteurs, à sensibiliser l’opinion et à mener campagne en faveur de changements dans les règles et pratiques du commerce international conventionnel.» L’achat de ces denrées équitables issues essentiellement du Sud et qui rentre de plus en plus dans nos mœurs, a suscité un questionnement personnel : «dans quelle mesure acheter équitable signifie participer à l’augmentation des revenus pour les producteurs du Sud? Comment puis-je vraiment contribuer à augmenter les revenus des producteurs au Sud ? » Cependant jusqu’à ce travail de fin d’études, je ne me basais que sur ce qui est véhiculé dans la presse et dans les entreprises de type Oxfam ou Max Havelaar. D’où mon envie de vérifier sur le terrain si les principes du commerce équitable sont bien ceux diffusés au Nord et de constater si, réellement, le commerce équitable contribue au développement des petits producteurs. C’est pourquoi j’ai décidé d’effectuer un stage au Guatemala. Mon objectif personnel est d’arriver à faire des choix appropriés qui prennent en compte la société et les générations futures. De plus, une aventure de ce genre dans un pays du Sud est une expérience humaine qui vaut la peine d’être vécue, selon moi. En juillet 2010, j’ai effectué un stage d’un mois au sein d’Oxfam-en-Belgique. C’est ainsi que j’ai appris à connaitre Aj Quen au travers d’Oxfam-Solidarité et OxfamMagasins du monde. Après cette première expérience dans une ONG, je me suis davantage documentée sur le commerce équitable. Pour ma deuxième période de stage, 5 FINE regroupe les organisations faîtières suivantes du commerce équitable : FLO INTERNATIONAL (Fair Trade Labelling Organization, Max Havelaar International), IFAT (International Federation for Alternative Trade), NEWS (Network European Worldshops), EFTA (European Fair Trade Association). 4 Introduction générale je me suis rendue au Guatemala chez Aj Quen, le partenaire d’Oxfam étudié. Sur place, j’ai réalisé une étude de marché à l’aide de sondages. J’ai ainsi questionné 263 nationaux et étrangers. J’ai limité mon champ d’action à Chimaltenango, la ville du siège et du magasin actuel de l’association, ainsi qu’à trois villes touristiques où Aj Quen désirerait s’implanter : Antigua, Panajachel et Quetzaltenango6. J’ai également interrogé un maximum d’acteurs du commerce équitable dans la région centrale du Guatemala. Ce faisant, j’ai pu rassembler et documenter les informations nécessaires afin de répondre à la question de départ de mon mémoire. Celui-ci renferme cinq parties. Tout d’abord, il s’agira d’observer et de comprendre le fonctionnement de l’entreprise Aj Quen. Dans ce premier chapitre, je passerai notamment en revue la filière choisie par l’organisation, des matières premières à la vente. Ensuite, le deuxième chapitre plantera le décor général du Guatemala afin de prendre connaissance du contexte dans lequel l’association évolue. Cela permettra de mieux comprendre les réalités auxquelles est confrontée Aj Quen. Dans le troisième chapitre, j’analyserai les caractéristiques générales du marché de l’artisanat équitable dans le pays étudié. C’est notamment au travers des études de marché que l’offre et la demande de ce secteur seront étudiées et que le positionnement d’Aj Quen sur ce marché sera défini. Un des objectifs fondamentaux de cette étude sera de cadrer la place de l’artisanat équitable sur le marché guatémaltèque, ses défis et ses enjeux. Ces trois premiers chapitres mèneront à s’interroger quant au potentiel d’un commerce équitable recentré dans le secteur de l’artisanat textile dans le Sud. Je verrai dans quelles mesures ce commerce équitable contribue au développement des populations du Sud. 6 Cf. Annexe A : Cartes du Guatemala. 5 Introduction générale L’aboutissement de ce travail sera de déterminer sous quelles conditions et sous quels modèles l’artisanat équitable pourrait se développer localement, régionalement et dans le Sud. Également, je tenterai de discerner si le marché local contribue à un développement durable d’Aj Quen. Dans ce dernier chapitre, je tenterai de fonder les choix stratégiques que l’association devrait opérer afin de conquérir les marchés visés et de s’y développer à long terme. Cette prise de recul lancera des pistes de réflexion pour l’avenir et me sera utile dans la détermination des enjeux et obstacles d’un tel commerce. 6 Chapitre 1: L’entreprise Aj Quen à Chimaltenango CHAPITRE 1 : L’ENTREPRISE AJ QUEN À CHIMALTENANGO Je débuterai cette étude par situer l’association Aj Quen dans son environnement microéconomique. Tout d’abord, je décrirai les grandes étapes de sa création. Ensuite, j’aborderai les objectifs qu’elle poursuit ainsi que la manière dont elle fonctionne. Après cela, je me concentrerai sur la filière adoptée par l’association des matières premières à la vente, ainsi que sur le rôle qu’elle y tient. J’analyserai par la suite les marchés actuels sur lesquels elle écoule ses produits et aborderai ultérieurement les revenus qui lui permettent de fonctionner. Finalement, je listerai ses actions actuelles et futures qui contribueraient à un développement plus recentré de l’association. Cela fait maintenant 22 ans que l’association d’artisans Aj Quen a vu le jour. Elle fut créée en février 1989 par des petits groupes organisés d’artisans et artisanes de différentes régions du Guatemala. Cette population a été très affectée par le conflit armé qu’a connu le pays de 1960 à 19968. Suite à cette terrible guerre civile, les femmes se sont retrouvées veuves. Pour satisfaire leurs besoins et ceux de leurs enfants, elles ont eu l’idée de commercialiser leurs produits artisanaux sur le marché extérieur. Aujourd’hui, ces différents groupes d’artisans membres d’Aj Quen ont réussi à se développer, tant au niveau familial que communautaire, grâce au soutien productif, technique, éducatif, financier et logistique de l’organisation. C’est ainsi que l’association contribue à ce que ces artisans deviennent protagonistes de leur propre développement, afin que les producteurs atteignent un niveau d’indépendance à long terme. 7 Le contenu de cette section est notamment inspiré du rapport d’AJ QUEN, Memoria de Labores, Chimaltenango, AJ QUEN, document interne, 2010, p.1-8. 8 Durant ces 36 années, des groupes civils armés se sont organisés afin de renverser le gouvernement militaire et dictatorial du pays. Source : Entretien avec Madame Ivette ALDANA, Gérante, CASA DE CERVANTES, le 5 mars 2011. 7 Chapitre 1: L’entreprise Aj Quen à Chimaltenango Avant de s’associer à Aj Quen, différents groupes d’artisans indigènes des départements de Chimaltenango, Sololá, Quezaltenango, Totonicapán et Alta Verapaz9 consacraient la majeure partie de leurs activités au travail domestique et à l’agriculture. Durant leurs temps libres, les femmes mayas tissaient des produits comme le traditionnel « huipil10 », des ceintures ou des sets de table pour leur usage personnel ou parfois, pour leurs voisins. Ces derniers les chargeaient de tisser certains produits en échange d’une rémunération. Cependant, cette activité restait à petite échelle et les artisanes ne s’organisaient pas en groupes. Elles avaient peur de s’aventurer en dehors de leur village et éprouvaient des difficultés à communiquer, par timidité et par méconnaissance de l’espagnol11. Durant ses 22 années, Aj Quen, qui signifie « Tisser ensemble » en Cakchiquel (dialecte maya), a été dirigé par différents représentants communautaires qui ont présidé le conseil d’administration. Ceux-ci ont conduit les activités de production et de commercialisation des produits artisanaux sur les marchés locaux et extérieurs. En outre, ils ont contribué au développement des différents groupes d’artisans au niveau social, politique et économique. Tout au long de son histoire, Aj Quen a connu différentes phases de développement. Tout d’abord, l’association a acquis la personnalité juridique d’Association Sans But Lucratif (ASBL) comprenant une entité commerciale afin de pouvoir effectuer ses activités en toute légalité 12. Elle a ensuite découvert les marchés européens et collaboré avec Oxfam-Solidarité en Belgique pour un projet d’éducation notamment. Un centre de formation constitué de différentes salles de réunion, d’une cantine et de chambres a également été construit au siège de l’association grâce au soutien de l’ambassade du Canada, de l’organisation italienne Cooperazione Terzo Mondo Altromercato (CTM Altromercato) et d’Oxfam-Solidarité. Dernièrement, un magasin local et une cafétéria ont été inaugurés… 9 Cf. Annexe A : Cartes du Guatemala. Blouse maya (souvent en coton, brodée et tissée à la main) portée par les femmes indigènes dont les dessins représentés varient en fonction des régions. 11 La majorité des artisans parle un dialecte maya, cf. chapitre 2.5. Langues. 12 Je reviendrai sur ce point au chapitre 3, au point 2.1.3. Législation pour les associations similaires à Aj Quen. 10 8 Chapitre 1: L’entreprise Aj Quen à Chimaltenango Aj Quen est aujourd’hui une association d’artisans vendant ses produits sur le marché international et local. Elle propose également des services de logement et de repas dans son centre de formation ouvert au public depuis 200713. Aussi, depuis 2009, l’entreprise accueille ses clients dans un magasin-cafétéria culturel14. Comme je l’ai explicité précédemment, l’objectif de l’association est de coopérer au développement des groupes d’artisans en les soutenant principalement dans des activités commerciales d’artisanat et dans la diffusion de leur expression ethnique et culturelle. Les artisans attachent une grande importance à la promotion et à la diffusion de leur expression culturelle au travers de l’art textile. Celui-ci évoque en effet l’identité des communautés qu’il représente, et ce, grâce aux dessins et au savoir-faire à valeur symbolique. Pour Aj Quen, la culture du pays est un actif difficilement reproductible par d’autres. En pratique, dans tous les produits élaborés, on peut distinguer la culture maya exprimée au travers des motifs et dans les techniques d’élaboration. Aj Quen adhère également aux principes du commerce équitable15. La vision d’Aj Quen est d’« être une institution reconnue pour sa capacité à développer la production artisanale de qualité au moyen de stratégies solides. Ces stratégies définissent également les mécanismes de commercialisation, de participation 13 Aj Quen ne donne pas les formations, mais se charge de louer les locaux. Une pièce du magasin a pris la forme d’un petit musée retraçant l’histoire des tisserands guatémaltèques. 15 Les principes suivis par l’association sont ceux de la World Fair Trade Organisation (WFTO) et sont repris dans l’Annexe B : Les 10 standards du commerce équitable. 14 9 Chapitre 1: L’entreprise Aj Quen à Chimaltenango citoyenne de ses membres ainsi que leur accès aux sources de financement, aux ressources techniques et aux marchés »16. Sa mission est « qu’au moyen de la promotion de ventes des produits, de formations et d’assistance, les membres connaissent une amélioration au niveau technique, productif, socioéconomique et culturel »17. Actuellement, Aj Quen regroupe 25 communautés d’artisans. Cela représente 800 travailleurs dont 770 sont des femmes (soit 96 %). Ces 25 groupes se répartissent trois types d’activité : le tissage (13 groupes), la couture (5 groupes) et le crochet19 (7 groupes). Chaque communauté se dédie à l’un de ces trois secteurs et se spécialise. Grâce au soutien d’autres organisations, Aj Quen a pu leur fournir des machines à coudre domestiques ainsi que des métiers à tisser (appelés également « métiers à cadres »), indispensables à la production20. Plusieurs membres sont analphabètes. Cependant, cela n’a pas empêché les communautés de se développer. En effet, divers éléments les font aller de l’avant. Tout d’abord, la solidarité entre les affiliés est importante pour assurer leur développement. Ensuite, les membres participent activement aux différentes formations données par Aj Quen. Les groupes acceptent les conseils qui leur sont délivrés ainsi que l’accompagnement technique qui leur est proposé. Enfin, la volonté des femmes cherchant à acquérir davantage de connaissances intellectuelles et techniques est cruciale dans ce processus. Aujourd’hui, ce développement peut se vérifier par divers 16 Rapport d’AJ QUEN, 2010, op. cit., p.20. La traduction est de l’auteur. Ibid., p.20. La traduction est de l’auteur. 18 Le contenu de cette section est inspiré du rapport d’AJ QUEN, 2010, op. cit., p.11-14. 19 Le crochet est une technique requérant simplement une grosse aiguille possédant une encoche pour y passer le fil. Grâce à cette technique, les artisanes réalisent des balles antistress. Cf. Annexe C : Quelques produits d’Aj Quen. 20 Artexco de Quetzaltenango a fourni six machines à coudre à l’association ; Idex des États-Unis leur en a acheté 12 ; le Fonds de Développement Indigène Guatémaltèque (FODIGUA) a aidé financièrement l’association dans le but d’acquérir des machines supplémentaires ; après la tempête Stan de 2005 qui détruisit plusieurs métiers à tisser, Oxfam-Solidarité a financé l’achat de six nouveaux métiers à cadres. 17 10 Chapitre 1: L’entreprise Aj Quen à Chimaltenango aspects : les femmes achètent des terrains destinés à l’installation de métiers à tisser ; elles gèrent leurs propres revenus qui complètent ceux de leur époux pour payer l’éducation des enfants ; elles s’intègrent dans la société, dans la vie de leur communauté et parfois, dirigent un groupe d’artisanes ; elles osent participer activement à la reconnaissance des femmes au sein de leur département, etc. Cela signifie que la marginalisation et l’exclusion qui les affectaient auparavant ne sont bien souvent plus d’actualité. Elles se sont émancipées. Elles ont également développé une certaine culture d’entreprise, comme le fait de remettre les produits à temps, de fournir des articles de qualité, de les vendre sur le marché local avec une certaine assurance en établissant elles-mêmes les prix de vente, etc. Dans certains groupes, pendant qu’elles travaillent, les femmes peuvent laisser leurs enfants dans une garderie où l’on s’occupera d’eux (nourriture, surveillance, etc). En plus de travailler avec Aj Quen pour exporter leurs produits, certains groupes se sont associés, de leur propre initiative, à des organisations similaires afin d’augmenter leurs ventes. Quelques groupes deviennent indépendants, comme celui de Sololá, par exemple, qui s’est converti en 2009 en « Association intégrale de femmes artisanes », une association reconnue juridiquement.21 « Pour devenir membre », le Coordinateur exécutif insiste sur les « quelques conditions « éthiques à remplir »22. Citons les principales, comme le fait de suivre des principes solidaires, de travailler en groupe de minimum huit personnes, d’être le producteur direct et non pas un intermédiaire commercial... De plus, un processus spécifique est à suivre : les candidats postulants doivent se montrer actifs et participer aux réunions, formations, assemblées qui leur sont proposées par Aj Quen. Ensuite, ils doivent payer une cotisation symbolique annuelle de Q20 par personne23. Après, la demande d’adhésion est examinée en réunion du conseil d’administration. Une visite est 21 Les impacts économiques et sociaux seront abordés plus en détail dans le chapitre 4.3. Principaux impacts économiques et sociaux d’un commerce équitable recentré. 22 Entretien avec Monsieur José Victor POP BOL, Coordinateur exécutif, AJ QUEN, le 2 mars 2011. 23 Un euro = 10,7860 Quetzales : Moyenne des six derniers mois datant du 13 avril 2010 (du 15 octobre 2010 au 12 avril 2011). Source: EXCHANGE-RATES. ORG, Site d’Exchange-rates.org : world currency exchange rate and currency exchange rate history, adresse URL : http://fr.exchangerates.org/history/GTQ/EUR/G (page consultée le 13 avril 2011). 11 Chapitre 1: L’entreprise Aj Quen à Chimaltenango organisée auprès du groupe candidat afin de s’assurer de la qualité de son travail. Il est observé durant un an avant de devenir membre, pour s’assurer que tous les critères soient remplis. Après cette année d’essai, le conseil d’administration se réunit à nouveau avec le Coordinateur exécutif qui rendra sa décision finale. Toutes ces communautés d’artisans sont parties prenantes au sein de la fédération et les contacts sont permanents avec le siège. L’association Aj Quen est actuellement composée de 25 communautés d’artisans. Chaque groupe doit se doter de deux représentants. Ceux-ci sont toujours convoqués aux réunions trimestrielles des représentants afin de notamment faire le point sur la production. Aussi, chaque année en mars, tous ces représentants sont conviés à l’assemblée générale afin de prendre des décisions telles que l’approbation des comptes, du plan d’action, etc. 25 24 Cette section est inspirée des divers entretiens réalisés avec le personnel technique d’AJ QUEN à Chimaltenango entre le 31 janvier 2011 et le 2 février 2011. 25 Quelques groupes (les plus autonomes) ont constitué un conseil d’administration au sein de leur communauté. 12 Chapitre 1: L’entreprise Aj Quen à Chimaltenango Figure1.1 Organigramme d’Aj Quen Source : réalisation personnelle sur base du rapport Memoría de Labores Actuellement, 12 personnes composent le personnel technique (cinq femmes et sept hommes). Elles sont engagées par le conseil d’administration et par le Coordinateur exécutif. Le personnel technique participe à la prise de décision dans les réunions hebdomadaires. Lorsque les sujets sont de plus grande importance, le conseil d’administration se regroupe afin de débattre sur ceux-ci. En tous les cas, deux fois par mois au siège, les sept femmes qui le composent se réunissent dans le but de discuter des sujets divers (l’administration, la situation financière, les projets de production, la situation des groupes d’artisans, etc.). Le fait d’être membre de cette équipe confère une certaine valeur aux artisanes qui se sentent davantage impliquées. 13 Chapitre 1: L’entreprise Aj Quen à Chimaltenango Le Coordinateur exécutif (José Victor POP BOL) dirige et gère les actions de la fédération au quotidien. Il coordonne la gestion interne, externe (les relations avec les entreprises, la société civile, l’État) et les ressources afin que les artisans jouissent de l’infrastructure nécessaire pour atteindre les objectifs de production. Il définit des stratégies, notamment pour la promotion de l’image d’Aj Quen et du commerce équitable. Le département administratif est composé du Comptable et de la Secrétaire. Le premier, Adolfo Simon SIRIN, est responsable du contrôle financier et de toutes les ressources de l’organisation. Pour le contrôle des revenus et des dépenses, il met en pratique un système de comptabilité complète, autorisé selon la loi en vigueur au Guatemala. Le comptable centralise aussi l’information financière. Il gère le compte en banque, la caisse, les inventaires et les journaux comptables. Il conseille les autres départements sur le budget, les prix de vente et les coûts d’achat. En plus de son rôle de comptable, le responsable de cette section assiste le coordinateur exécutif dans ses diverses tâches. Étant détenteur d’un permis de conduire, il assure également les divers déplacements et l’achat de matériels. Quant à la Secrétaire (Brenda Elizabeth ROMERO), elle se charge de réceptionner les appels, le courrier, de traduire certains documents en anglais, d’envoyer les factures aux clients internationaux et de dresser la liste des empaquetages. Le département de production est constitué d’un Responsable (Carlos Manuel GARCIA), de son assistante (Nancy Mariana SALAZAR), et de Victor Ramon ORDOÑEZ. Ce dernier se charge de concevoir les tissus servant d’échantillons pour les nouveaux modèles. Le Responsable de ce département et son assistante exécutent le contrôle qualité des produits artisanaux pour les marchés internes et externes. Ils se chargent aussi de la conception26 et de la finition des produits. Ils mettent tout en œuvre pour que les artisans augmentent leur rendement productif. Ils supervisent aussi le bon 26 20 % des nouveaux modèles sont conçus par ce département. Les 80 % restants proviennent en général des clients dont, majoritairement, de CTM Altromercato en Italie. 14 Chapitre 1: L’entreprise Aj Quen à Chimaltenango fonctionnement du processus productif dans les communautés. Enfin, ils se chargent de la réception et de l’envoi des commandes. Le département éducation est formé par Lorenzo MUXTAY AJCIVINAC et son assistante Miriam Leticia MUX. Ensemble, ils promeuvent, coordonnent et organisent la formation des groupes d’artisans (au niveau politique, culturel, social et économique) en fonction des finances de l’entreprise. Ils prévoient des séminaires pour la production (utilisation des machines par exemple), la commercialisation et la formation citoyenne. Ces formations sont données par des spécialistes extérieurs à l’entreprise, sachant parler le Cakchiquel (langage prédominant dans les groupes d’artisans). Chaque équipe d’artisans reçoit approximativement 10 formations par an. Environ trois personnes de chaque groupe sont invitées à participer à une formation. Lors de la suivante, ce seront trois autres personnes du groupe qui y participeront et ainsi de suite. De plus, les responsables de ce département offrent un accompagnement aux communautés afin d’aider les membres à faire face à leurs problèmes. Les deux personnes en charge de l’éducation des artisans définissent également des stratégies pour soutenir l’éducation des enfants des familles membres. Enfin, ils se chargent de rédiger les rapports d’évaluation destinés à Oxfam-Solidarité. Le problème actuel est que Lorenzo, le Responsable de ce département, doit également s’occuper de l’administration du centre de formation. Cette fonction lui prend beaucoup de temps sur son activité première. Le Consultant en commercialisation (Marví HERNANDEZ) est engagé pour cinq mois, de février à juin 2011. Durant son mandat, il est chargé de trouver des pistes pour favoriser la commercialisation de la production artisanale. De plus, il encourage Aj Quen à prendre part à des événements nationaux et internationaux (expositions, salons, etc.). Le Consultant identifie également les acheteurs et fournisseurs potentiels et scrute les prix des matières premières et les prix de vente. Il établit un système de promotion des ventes, notamment au travers de catalogues et d’Internet. Il recherche également à créer un département commercial au sein d’Aj Quen, pour continuer dans cette voie une fois son mandat terminé. Le centre de formation comporte 11 chambres (soit 35 lits) pour les clients qui restent loger le temps de leur formation. Nicolas TACAXOY, le Concierge, se charge de la 15 Chapitre 1: L’entreprise Aj Quen à Chimaltenango réception des utilisateurs de ces services, mais aussi de la maintenance du centre et des chambres. Une cantine (dont la Responsable est Mayra Candelaria QUIEJ CANU) est également mise à leur disposition (moyennant payement). À l’heure actuelle, ce centre constitue une importante source de revenus pour l’entreprise. Le magasin-cafétéria culturel est tenu par la Vendeuse (Lorena Amarilis ORREGO BATRES) qui se charge de recevoir les clients. Elle collecte l’argent du magasin et de la cafétéria et gère le stock de ceux-ci. Elle s’occupe également de la commercialisation locale : elle appelle les clients, leur montre les échantillons de produits et réceptionne leurs commandes. Dans certains cas, lorsque les employés sont surchargés, l’entreprise fait appel à sa réserve de personnel temporaire représentée par des personnes extérieures à l’entreprise. C’est le cas notamment en cuisine, lorsqu’un grand nombre de personnes réserve un repas, ou encore, dans l’atelier de confection, lorsqu’il y a trop de commandes à gérer. Plusieurs stagiaires et volontaires étrangers travaillent également dans les différents départements d’Aj Quen afin d’y acquérir une expérience professionnelle. Leur expertise et investigation, ainsi que certains audits internes et externes, permettent à l’entreprise de bénéficier de conseils sur des sujets spécifiques. Étant donné qu’il n’existe pas de description des différents postes au sein de la fédération, la répartition de certaines tâches n’est pas claire et l’organisation paraît parfois chaotique. En raison de la taille réduite de l’équipe, les membres du personnel doivent parfois assumer des responsabilités qui vont au-delà de leur fonction. Ainsi, il n’est pas rare de voir la vendeuse rester tard le soir pour préparer les commandes à l’envoi, alors que le département production en serait responsable. La principale limitation de l’organisation est le manque de ressources pour embaucher du personnel (et pour payer les employés actuels). Qui plus est, aucun d’entre eux ne sait parler l’anglais couramment, ce qui limite les négociations avec les clients internationaux. Cet ensemble de facteurs allonge le temps de réaction en cas d’imprévus et empêche 16 Chapitre 1: L’entreprise Aj Quen à Chimaltenango parfois les membres du personnel de déterminer la direction que doit prendre l’association et les objectifs qu’elle doit se fixer. Au niveau du personnel, la culture de l’entreprise instaure un climat agréable et correspond aux principes promus par la WFTO. Depuis peu, les réunions entre le personnel technique permettent à chacun de s’exprimer et d’avoir la parole lors de la prise de décision. Cependant, la relation de pouvoir et la culture machiste sont également bien présentes. En conséquence, certains n’osent pas marquer leur opposition sur divers sujets et se plient à l’autorité exercée principalement par le Coordinateur exécutif, le Comptable et le Responsable du département éducation. Les heures de travail promues par l’Organisation Internationale du Travail (OIT) ne sont pas respectées27. En effet, le Concierge et la Cuisinière par exemple, sont souvent amenés à travailler dès cinq heures du matin jusqu’à neuf heures du soir (et durant la nuit pour le concierge afin d’ouvrir la porte aux personnes logeant sur place). De plus, l’OIT prévoit une pause de travail d’au moins 24 heures ininterrompues par semaine, ce qui n’est parfois pas le cas (surtout entre mars et septembre lorsque le centre est fort visité). Par ailleurs, le salaire mensuel pour les employés devrait s’élever à au moins Q1937,5428 (179,63 €), ce qui n’est pas le cas pour certains d’entre eux. Aussi, l’information véhiculée dans l’entreprise par rapport au commerce équitable n’est pas toujours optimale et certains membres du personnel ne savent pas vraiment dans quels mouvements l’association s’inscrit. Quant aux artisans, leur avis est toujours pris en compte. Dès qu’ils éprouvent des difficultés au sein de leur communauté, ils n’hésitent pas à en parler à un membre du personnel d’Aj Quen qui fera son possible pour y remédier au plus vite. La relation 27 OFICINA REGIONAL AMÉRICA LATINA Y EL CARIBE, C106 Convenio sobre el descanso semanal (comercio y oficinas), 1957, in Organización Internacional del Trabajo, Site de l’Organisation internationale du Travail, adresse URL: http://www.ilo.org/ilolex/cgi-lex/convds.pl?C106 (page consultée le 12 mai 2011). 28 POLITICA DE GUATEMALA, Salario Minimo 2011 Acuerdo Gubernativo No. 388-2010, In Politica de Guatemala, Site des politiques du Guatemala, adresse URL: http://www.politicagt.com/salariominimo-2011-acuerdo-gubernativo-no-388-2010/ (page consultée le 4 février 2011). 17 Chapitre 1: L’entreprise Aj Quen à Chimaltenango entre les artisans et l’association est une relation de confiance, d’écoute et de respect. Néanmoins, la communication est parfois plus difficile avec les communautés vivant à de longues distances du siège de la fédération29. La filière « permet de décrire, de l’amont vers l’aval, l’enchaînement des opérations de production, de transformation et de commercialisation qui valorisent les ressources d’un pays et d’identifier l’ensemble des agents économiques impliqués dans l’élaboration d’un bien30.» 29 Aujourd’hui, cette communication est facilitée grâce aux téléphones portables que pratiquement tous les artisans utilisent. 30 FONTEYNE, F., Introduction aux relations Nord/Sud, Bruxelles, syllabus, ICHEC, 2007-2008, p.25. 18 Chapitre 1: L’entreprise Aj Quen à Chimaltenango Figure1.2 Filière de l’artisanat d’Aj Quen 19 Source : réalisation personnelle Chapitre 1: L’entreprise Aj Quen à Chimaltenango Afin d’établir une description concrète de la filière et du rôle d’Aj Quen dans celle-ci, je décris également le processus des commandes ainsi que les phases de transition entre les procédures de production et de distribution L’organisation travaille à partir de commandes sûres, selon le processus ci-après. Tout d’abord, le client envoie une demande écrite sous forme de document commercial reprenant la photo du produit qu’il désire, accompagnée d’une brève description de l’article, de son code de couleurs, de la quantité souhaitée ainsi que du délai de réception souhaité. La Vendeuse du magasin, Lorena A. ORREGO, réceptionne la commande, l’analyse et l’adresse à la personne adéquate, en général, le Responsable de la production (Carlos M. GARCIA). Plus de la moitié (62 %) des clients internationaux actuels d’Aj Quen travaillent avec celle-ci depuis plus de 20 ans. Ils savent donc les types de produits que la fédération est capable de fabriquer. La question est de savoir comment concilier mode et culture ancestrale maya. Les clients discutent donc des nouveaux produits avec le Responsable de la production. D’un côté, les clients apportent leur connaissance sur la mode et les tendances dans leurs pays ; de l’autre, Aj Quen connait les éléments de la culture ethnique à conserver. Après cette négociation, Carlos, le chargé de production, vérifie la possibilité de production dans les délais impartis avec les couleurs désirées et selon le modèle dessiné. Une fois la commande acceptée, ce responsable transmet la liste des coûts qui serviront à couvrir les besoins en matières premières, en matériel et en capacité productive au Comptable. Ce dernier élabore une facture pro forma au partenaire qui confirmera l’acceptation de sa commande en envoyant un acompte de 50 % à Aj Quen. Le comptable, Adolfo S. SIRIN, se charge alors de l’achat de tout le matériel nécessaire à l’élaboration de la commande en fonction des stocks disponibles. Ces arrhes permettront notamment à l’entreprise de payer les fournisseurs de matériaux nécessaires à l’élaboration de la commande. À ce propos, il est important de souligner le problème que rencontre Aj Quen dans son approvisionnement en coton actuellement. L’association se procure des fils de coton teints chez Rio Blanco. Ce fournisseur guatémaltèque, situé à proximité de la capitale 20 Chapitre 1: L’entreprise Aj Quen à Chimaltenango du pays, est le seul au Guatemala qui possède une certification pour les teintures sans métaux lourds (« AZO free »). Les marchés d’exportation, et plus particulièrement l’Europe, sont des marchés stricts en matière de qualité. Rio Blanco est donc l’unique fournisseur d’Aj Quen possédant la certification lui permettant d’exporter. Cette dernière est extrêmement couteuse. C’est pourquoi Artexco et Mish, deux autres fournisseurs guatémaltèques de fils de coton teints, ne possèdent pas cette certification, bien qu’ils utilisent également des teintures sans métaux lourds. Cependant, la qualité de leurs produits est moyenne, alors que Rio Blanco fournit des produits de qualité élevée. Le monopole de ce dernier lui permet donc de fixer sa propre politique et des prix élevés sur ses produits de qualité. Parfois, Aj Quen éprouve des difficultés à collecter en une fois toutes les variantes de couleurs nécessaires à sa production. Cela retarde évidemment le processus. De plus, Aj Quen ne fait pas le poids face aux grandes entreprises qui ont une marge de négociation plus importante31. À l’heure actuelle, une pénurie de coton se fait ressentir au niveau mondial et affecte la commercialisation de l’artisanat textile, tant sur le marché guatémaltèque qu’à l’étranger. En effet, l’offre de coton a diminué suite aux inondations qui ont eu lieu en Asie. Les spéculateurs de la banque de New York se sont alors emparés de cet or blanc. Ces derniers mois, le prix du coton a connu une hausse de 40 %32. Cette hausse de prix touche davantage les pays moins développés que les puissances mondiales qui bénéficient d’aides étatiques. En ce qui concerne le Guatemala, l’État ne manifeste aucune volonté politique de soutenir son secteur artisanal. Pourtant, ce dernier emploierait plus d’un million de Guatémaltèques33. 31 Le contenu de ce paragraphe est inspiré de l’entretien avec Adolfo Simon SIRIN, Comptable, AJ QUEN, le 3 février 2011. 32 Entretien avec Mirian OTZÍN, Gérante, MAYA WORKS GUATEMALA, le 25 février 2011. 33 Cette donnée est difficile à chiffrer étant donné que la majorité des artisans n’est pas contrôlée ni enregistrée au Registre du commerce et des sociétés. Source : OPORTUNIDADES DE NEGOCIOS, Artesanías Textiles, In Red de Cajas de Herramientas MIPYME, Site du réseau des boîtes à outils des Petites et Moyennes entreprises du Gouvernement guatémaltèque, adresse URL : http://www.negociosgt.com/main.php?id=201&show_item=1&id_area=144 (page consultée le 5 mai 2011). 21 Chapitre 1: L’entreprise Aj Quen à Chimaltenango Face à ces coûts élevés, Aj Quen recherche d’autres fournisseurs possédant la certification « AZO free ». L’idéal serait d’en trouver un (ou des) autre (s) au niveau national. En effet, cela éviterait les coûts liés à l’importation. L’association pourrait penser aussi à chercher un fournisseur dans les pays voisins de la région centreaméricaine en profitant des traités de libre commerce. Les États-Unis par exemple sont producteurs de coton. Le DR-CAFTA (Dominican Republic – Central America Free Trade Agreement) est un accord34 de libre-échange permettant, entre autres, une ouverture vers des marchés étrangers. Néanmoins, Oxfam International évoquait dans un de ses rapports le fait que ce traité pourrait favoriser les intérêts des grandes compagnies35. En effet, sans politique de régulation de la concurrence, les producteurs à petite échelle (dont les moyens de vie dépendent de l’agriculture et qui vivent en conditions de pauvreté) courent un risque en voyant leurs prix tirés à la baisse face aux produits subsidiés des États-Unis. De plus, les avantages de ce genre d’accords ne se font pas ressentir à cause de l’importante bureaucratie que les exportateurs ne gèrent pas toujours. En outre, il n’existe actuellement pas de traité avec la majorité des pays producteurs de fils teints en Amérique latine36. D’autres fournisseurs de coton se situent en Asie ou Afrique, mais le prix après importation s’avèrerait trop élevé, et la logistique difficile à gérer. Une autre solution serait d’acheter le coton brut et de le teindre au sein même de l’association. Cependant, cela signifierait un investissement important en équipement, en formations, en teintures, en temps... La situation est d’autant plus critique qu’Aj Quen ne peut stocker beaucoup de produits, vu les changements rapides dans la mode 34 Accord entre le Costa Rica, le Nicaragua, le Guatemala, le Honduras, le Salvador, la République Dominicaine et les Etats-Unis (en vigueur depuis 2006 pour la plupart de ces pays). Source : OFFICE OF THE UNITED STATES REPRESENTATIVE, CAFTA-DR (Dominican Republic-Central America FTA), in Executive Office of the President of the United States, The United States Trade Representative, adresse URL: http://www.ustr.gov/trade-agreements/free-trade-agreements/cafta-dr-dominican-republiccentral-america-fta (page consultée le 20 avril 2011). 35 AMAT, P., et al., Make Trade Fair for the Americas, in Oxfam International, Site d’Oxfam International, adresse URL: http://www.oxfam.org/fr/node/766 (page consultée le 5 novembre 2010). 36 En plus du DR-CAFTA, le Guatemala a conclu des traités commerciaux avec le Mexique, le Chili, la Colombie et l’Équateur. Par contre, le Guatemala n’a pas d’accord avec le Brésil ni avec l’Argentine, deux pays producteurs de coton. 22 Chapitre 1: L’entreprise Aj Quen à Chimaltenango et les couleurs. En effet, les articles fabriqués sont généralement adaptés à la vie quotidienne des étrangers étant donné notamment que ce sont les partenaires internationaux qui conçoivent les designs pour 80% des nouveaux modèles. Aussi, « dans une optique commerciale, les couleurs et les motifs typiques des communautés guatémaltèques ont été adaptés à toute sorte de produits destinés aux … occidentaux : porte-monnaie, hamacs, sacs à dos… »37. Pour les améliorer, des changements sont opérés dans les couleurs, les textures (l’espace entre les fils) et les modèles en réponse aux nouvelles tendances dans les goûts et la mode. En outre, d’autres changements peuvent également avoir lieu au moment de l’assemblage du produit fini comme par exemple, pour les sacs pour les femmes en combinant divers accessoires comme les boutons, tirettes, etc. Cependant, tous les produits sont élaborés à partir de la technique ancestrale de tissage maya et le même type de fils est utilisé. Aj Quen doit donc concilier les nouvelles tendances dans la mode avec la tradition maya. La fédération produit par exemple : des housses d’ordinateurs portables ou d’appareils photo noires mais qui sont élaborées à la main et qui possède le sigle Ajpu du calendrier maya ; des chemins de table tissés à la main affichant l’arbre sacré maya (la ceiba) ; des sacs à bandoulière élaborés selon le savoirfaire de tissage du pays possédant une ligne caractéristique des tissus guatémaltèques. De plus, Aj Quen propose une gamme de produits (« Second Life ») fabriqués à partir d’anciens huipils de femmes mayas provenant de différentes régions du pays. Revenons à présent à la filière d’Aj Quen. Le Comptable s’est chargé de l’achat du matériel grâce, notamment, au préfinancement du client. Une fois en possession de l’équipement nécessaire à l’élaboration de la commande, le département de production confectionnera alors quelques échantillons qui serviront de modèles. Le Responsable de ce département prépare ensuite la feuille des commandes à distribuer aux groupes et transmet les commandes aux artisans en leur expliquant la manière de procéder. Les 37 AUZIAS, D., LABOURDETTE, J-P., Le petit futé Guatemala 2008, 4e édition, France, Nouvelles éditions de l’université, 2008, p. 45. 23 Chapitre 1: L’entreprise Aj Quen à Chimaltenango groupes de tisserandes transforment les fils en tissu. Cela prend environ deux semaines pour tisser les fils et superviser la fabrication. Ensuite, le Responsable du département de production et son assistante réceptionnent les tissus au siège, en estiment la qualité, les comparent avec le modèle, évaluent leur texture, leur découpe, etc. Les produits simples (comme les foulards) sont alors directement exportés. Pour les produits plus élaborés (les sacs par exemple), une fois que la coupe a été effectuée au siège de l’entreprise, le département de la production livre les commandes aux couturières. Préalablement, le Responsable aura préparé la feuille des commandes ainsi que les matériaux (étiquettes, boutons…). Ces couturières utilisent des machines à coudre. Une supervision est assurée par le département de production d’Aj Quen afin de s’assurer de la bonne confection des produits. Si la tâche s’avère compliquée pour ces femmes, elles pourront bénéficier d’une formation. Avec le temps, la fédération connait la spécialité de chaque groupe et envoie ses commandes en fonction de ce critère. Ce processus requiert deux semaines de travail supplémentaires. Après cela, les produits passent une nouvelle fois par le siège afin que leur qualité soit contrôlée une dernière fois. Finalement, l’article sera envoyé au client international selon un prix FOB38. L’entreprise recevra les 50 % manquant sur la commande une fois que le client l’aura réceptionnée. Aj Quen est donc le lien entre toutes ces phases. En cas de retard, la priorité est de le communiquer au client, car dans certains cas, il exigera une ristourne, si le délai de retard dépasse un mois. Ce n’est donc évidemment pas dans l’intérêt de l’association d’être en retard, car les conséquences peuvent s’avérer importantes39. Le processus, depuis la commande jusqu’à l’envoi de celle-ci, dure généralement trois mois : un mois pour recevoir le fil avec les couleurs demandées, deux semaines pour 38 Les Incoterms (International Commercial Terms) sont des standards commerciaux utilisés dans les contrats de ventes internationales. Ils déterminent les responsabilités des parties contractantes pour le transport, la douane, les risques et les coûts. Les initiales FOB signifient Free On Board, c’est-à-dire que le vendeur est responsable de sa marchandise jusqu’au chargement de celles-ci sur le moyen de transport principal. En d’autres termes, Aj Quen se décharge de sa responsabilité une fois la marchandise à bord du bateau. Source: GOBBER, A., RINNEN, A., Financial Aspects of International Operations, Bruxelles, ICHEC, syllabus, 2009-2010, p.17-18. 39 Le marketing et les canaux de distribution sont expliqués infra chapitre1.4. Marchés actuels. 24 Chapitre 1: L’entreprise Aj Quen à Chimaltenango les tisser, deux semaines pour les coudre, et environ un mois pour la supervision, la formation si nécessaire et l’envoi. De cette chaîne de valeur ressortent des produits variés et de bonne qualité aussi bien en accessoires textiles (bracelets, ceintures, bonnets, sacs, foulards, portefeuilles, portedocuments, sacs à dos, porte CD, sacs d’ordinateurs, etc.) qu’en décoration d’intérieur (rideaux, couvre-lits, coussins, tapisseries, cadres photos, etc.), ou encore en vêtements (chemises, blouses, cravates, robes, jupes, bermudas, foulards, etc.)40. L’association d’artisans opère sur le marché international et sur le marché local. Bien qu’elles aient fortement diminué en 2009, les ventes extérieures en artisanat textile constituent plus de la moitié des ventes totales de l’association (52%). Au total, Aj Quen compte 16 clients étrangers provenant du Nord dont 15 sont des organisations de commerce équitable et une (Overstock) est une organisation faisant partie du commerce conventionnel41. Le client principal de l’association est CTM Altromercato. 40 41 Cf. Annexe C : Quelques produits Aj Quen. POP BOL, J. V., 2011, op. cit., p.7. 25 Chapitre 1: L’entreprise Aj Quen à Chimaltenango Tableau 1.1 – Liste des clients internationaux d’Aj Quen par pays Pays Organisations Début du partenariat GEPA- The Fair Trade Company 1989 Asociación VAMOS 1998 Oxfam Trading PTY LTD 1992 EZA Fair Handel GmbH 2010 Oxfam-Magasins du Monde 1989 Ten Thousand Villages 1989 Kalalin Poor 2009 Solidaridad Internacional de Galicia 2009 Ten Thousand Villages 1989 Peacecraft 1992 Global Goods Partners New York 2010 Overstock 2010 Finlande Turun 1989 Italie CTM Altromercato 1989 Suède House of Fair Trade 1989 Suisse CLARO Fair Trade 1989 Allemagne Australie Belgique Canada Espagne États-Unis Source : réalisation personnelle à partir des données EFTA Depuis presque 20 ans, la majorité de ces clients promeuvent l’amélioration de la situation politique, économique, sociale et culturelle des différents groupes d’artisans en commercialisant les produits d’Aj Quen dans leur pays. Ces organisations sont donc devenues des partenaires importants pour l’association. Qui plus est, connaissant les objectifs et pratiques de l’association, ces organismes sont disposés à payer un prix plus élevé que dans le marché conventionnel. Le directeur d’Aj Quen insiste42 tout de même sur la longue collaboration avec OxfamSolidarité, Oxfam-Magasins du monde et CTM Altromercato. Ces trois organisations 42 Entretien avec Monsieur José Victor POP BOL, Coordinateur exécutif, AJ QUEN, 2 mars 2011. 26 Chapitre 1: L’entreprise Aj Quen à Chimaltenango ont toujours cru en Aj Quen et leur relation est devenue une relation de confiance dont chaque partenaire tire une égale satisfaction. Par exemple, Oxfam-Solidarité a aidé Aj Quen à construire l’identité de l’association, à définir des stratégies (sociale et économique), à établir des mécanismes et instruments de travail afin que l’association soit plus opérationnelle… L’accompagnement technique récurrent d’Oxfam-Solidarité permet aussi à l’ONG belge de s’assurer de l’investissement approprié des fonds reçus (en formation, en création d’emplois, etc.). Au niveau local, l’association fait face à quatre types de clients : des organisations de développement à caractère social, des entreprises conventionnelles, des particuliers et des chaînes de magasins. Les principaux clients de la fédération sont des associations locales de développement avec lesquelles Aj Quen collabore. Par exemple, l’association fait partie d’un Réseau Alternatif d’Echange Solidaire (RAIS) dont les membres s’échangent leurs produits. Ainsi, Aj Quen vend des articles d’autres organisations appartenant à ce mouvement, et en échange, les produits de l’association sont exposés dans les points de vente des autres membres (après que ceux-ci les aient achetés à Aj Quen). Ces points de vente sont toutefois encore peu nombreux dans le pays. Certaines entreprises conventionnelles, des hôtels et des restaurants achètent également des produits d’Aj Quen. Comme les partenaires internationaux, les clients locaux connaissent les objectifs de l’association et payent donc un prix équitable sans négocier. Cependant, en général, leurs commandes sont sporadiques : ces organisations exigent des produits exclusifs pour des événements spécifiques. Aj Quen possède aussi un point de vente propre depuis 2009. Encore peu achalandé, ce magasin ne génère pas encore beaucoup de recettes. Enfin, l’association paye une cotisation trimestrielle de 100 € à l’Agence d’exportation guatémaltèque, Agexport. Le but premier de cette agence est de mettre ses membres en rapport avec de nouveaux clients internationaux, mais aussi nationaux. Ainsi, deux fois 27 Chapitre 1: L’entreprise Aj Quen à Chimaltenango par an, en juin et en septembre, les produits de l’association sont exposés dans les rayons des hypermarchés de Cemaco43 et de Walmart44 de la région lors de leurs foires artisanales. Ces deux grandes chaînes de distribution sont importantes et populaires au Guatemala. En retour de cette cotisation, Aj Quen bénéficie aussi de formations, de mise à disposition de consultants45, de créateurs de page web, de conseils pour trouver de nouveaux clients, d’inscriptions à des salons internationaux, etc. Bien que cette association soit plus orientée sur la vente internationale que sur l’aspect équitable, et qu’elle n’hésite pas à toucher des commissions sur certaines ventes de l’association 46. Agexport constitue indéniablement, grâce aux services qu’elle fournit un soutien non négligeable et elle permet un renforcement d’Aj Qen sur le marché local. Le système de vente le plus courant au Guatemala est la vente en consignation, appelé plus communément le dépôt-vente. Les produits sont alors proposés dans les magasins partenaires. Le vendeur fixe ses propres prix de vente et ne payera l’association qu’une fois les produits réellement vendus. Les invendus seront repris par l’association. Cela pose parfois problème lorsque le client (la grande distribution par exemple) a vu grand dans ses commandes. Aj Quen se retrouve alors avec un large stock à entreposer. Afin de trouver de nouveaux clients et dans le but de promouvoir ses ventes, l’association prend part à différents salons, à des fêtes locales, à des échanges de produits au sein de réseaux d’économie solidaire47 comme RAIS, etc. Son site Internet 43 Cemaco est une entreprise guatémaltèque de meubles principalement. Elle opère sous différentes formes: Cemaco Home Center (mobilier et articles ménagers), Cemaco Express (plus petits magasins de meubles et d’articles ménagers), Construcentro (centre de matériaux de construction) y Juguetón (magasin de jouets). Source : CEMACO, Nuestra Empresa, in Cemaco, Site de Cemaco, adresse URL : http://www.cemaco.com/seg.asp?id=1&tp=11 (page consultée le 20 mai 2011). 44 Walmart est une société américaine spécialisée dans la grande distribution. Aujourd’hui, elle possède 9029 points de vente dans 15 pays différents, employant 2,1 millions de personnes. Cela fait de cette multinationale la plus grande au niveau mondial. Source : WALMART CORPORATE, About us, in Walmart Corporate, Site de la société Walmart, adresse URL: http://walmartstores.com/AboutUs/ (page consultée le 20 mai 2011). 45 Le consultant actuel, Marví HERNANDEZ, a été engagé par l’Agexport. 46 Aj Quen doit remettre une commission de 2,5% sur les ventes opérées avec les clients mis en relation avec l’association grâce à l’Agexport. 47 Le commerce équitable est perçu au Guatemala comme une stratégie de ventes à l’extérieur du pays au travers de magasins dont l’objectif, en plus de la vente, est d’augmenter le revenu du petit producteur. L’économie solidaire est un concept plus étendu, se rapportant à l’échange local dépassant autant que 28 Chapitre 1: L’entreprise Aj Quen à Chimaltenango et des catalogues permettent à l’entreprise de présenter ses produits. La promotion des ventes sur place, dans le magasin de l’association ne semble pas faire l’objet d’une attention suffisante. Ceci est peut-être dû au manque de temps, d’argent et de personnel. De plus, le commerce équitable n’est pas un atout mis en avant par l’association. Les explications ne rendent pas le magasin voyant qui pourrait attirer davantage de personnes si le public se sentait invité, attiré. Par ailleurs, le centre de formation accueille pratiquement tous les jours des organisations de différents horizons, dont des organisations de développement. Celles-ci louent les salles de réunion et y passent au minimum une journée. Fréquemment, les groupes restent loger sur place. Cela représente donc un potentiel important en nouveaux clients pour Aj Quen. Une réflexion est pour moi à mener sur la promotion des ventes en magasin, à partir par exemple des initiatives des volontaires étrangers (annonce à la radio, dépliants…). L’association Aj Quen génère des revenus grâce à la vente d’artisanat et grâce au centre de formation. Cependant, les comptes de l’organisation ont toujours été en équilibre, sans perte ni bénéfice, et cela pour deux raisons. La première est que les profits engendrés par les ventes des produits sont directement intégrés aux revenus des artisans48. En effet, après avoir déduit les coûts liés à l’achat des matériaux nécessaires à l’élaboration du produit (environ 30 % du prix de vente), Aj Quen utilise 25 à 30 % pour couvrir les charges opérationnelles (les frais administratifs, les ristournes accordées aux clients en cas de retard dans les délais, le transport, etc.), et le reste possible l’intervention financière. Il aspire à une consommation responsable des petits producteurs afin qu’ils consomment ce qui est produit localement. Source: ALVARADO CANO, E., Evaluación Externa del Paternariado de Oxfam-Solidaridad con Aj Quen, Guatemala, Oxfam-Solidarité, document interne, 2010, p.13. 48 Selon un consultant en commerce équitable, les artisans recevraient un salaire 4,5 fois plus élevé que dans le commerce conventionnel. Source : Entretien avec Monsieur Elmer ALVARADO CANO, Économiste, Consultant indépendant pour le DÉVELOPEMENT COMMUNAUTAIRE ET PATRONAL, 19 mars 2011. 29 Chapitre 1: L’entreprise Aj Quen à Chimaltenango (environ 45 %) est destiné aux producteurs49. La deuxième raison de cet équilibre est qu’Aj Quen a toujours reçu des aides financières provenant de la coopération étrangère, et principalement de CTM Altromercato et d’Oxfam-Solidarité. Actuellement, la fédération génère 55 % des revenus nécessaires à sa durabilité économique50. Dans le cas de l’ONG belge, Aj Quen reçoit chaque année un subside d’environ 55.000 € répartis en tranches trimestrielles51. Cette somme est destinée à couvrir une partie des frais structurels de l’association, comme les salaires du personnel technique, ou les formations pour les artisans par exemple. Grâce à cet apport, Oxfam-Solidarité permet à l’association d’être en équilibre financièrement. Le Guatemala ne fait pas partie de la liste des pays bénéficiant directement de la coopération gouvernementale belge. Cependant, au travers du soutien d’OxfamSolidarité, ce pays peut profiter d’une aide bilatérale indirecte. En effet, l’ONG bénéficie notamment de cofinancements52 publics provenant de bailleurs de fonds institutionnels. Ce système de cofinancement permet, entre autres via la Direction Générale de la Coopération au Développement (DGD)53 et l’Union européenne, de multiplier le montant des ressources d’Oxfam-Solidarité. D’une manière indirecte, la 49 POP BOL, J. V., Formulario de información de EFTA, Guatemala, Aj Quen, document interne, 2011, p.13. 50 ALVARADO CANO, E., Evaluación Externa del Partenariado de Oxfam-Solidaridad con Aj Quen, Guatemala, Oxfam-Solidarité, document interne, 2010, p.16. 51 OXFAM-SOLIDARITÉ, Rapport financier - Modèle 7c - Relevé des transferts par Objectif spécifique et par partenaire, Bruxelles, Oxfam-Solidarité, document interne, 2010, p.2. 52 Les besoins des pays en développement sont considérables. Afin d’accroitre les flux de capitaux vers ces pays, le financement de l’ONG par plusieurs parties permet une forme d'aides non négligeables et surtout, non remboursables. Cependant, afin de l’obtenir, certaines conditions sont à remplir : « Toute action bénéficiant du cofinancement… doit être durable, avoir une définition précise, assurer un suivi des objectifs, prévoir des indicateurs de réalisation des projets et être cohérente avec d'autres actions dans le domaine ». Source : EUROPA, Cofinancement avec les organisations non gouvernementales de développement, In Europa : Synthèses de la législation de l’UE, Site du portail de l’Union Européenne, adresse URL : http://europa.eu/legislation_summaries/other/r12500_fr.htm (page consultée le 6 janvier 2010). 53 La DGD (coopération fédérale belge) était anciennement désignée par l’abréviation DGCI (Direction Générale de la Coopération Internationale) puis DGCD (Direction Générale de la Coopération au Développement). Source : SERVICE PUBLIC FEDERAL AFFAIRES ETRANGERES, Direction Générale de la Coopération au Développement, In SPF Affaires Etrangères, Site des Affaires Etrangères, Commerce Extérieur et Coopération au Développement, adresse URL : http://diplomatie.belgium.be/fr/sur_lorganisation/organigramme_et_structure/dgd/ (page consultée le 6 janvier 2010). 30 Chapitre 1: L’entreprise Aj Quen à Chimaltenango Belgique aide donc le Guatemala à lutter contre la pauvreté et contribue au développement de ce pays. Actuellement, la dépendance d’Aj Quen par rapport à cette aide internationale diminue grâce au succès rencontré par le centre de formation. Ce dernier, comme évoqué précédemment, met notamment à la disposition du public (entreprises, ONG, etc.), des salles de réunion à louer. Depuis la fin de la construction de ce centre en 2007, Aj Quen augmente son chiffre d’affaires d’année en année grâce à ce centre. C’est surtout entre 2009 et 2010 qu’il a connu une forte croissance (130 %, soit Q.683.076,90 en 2010). En 2008, il procurait 19 % du total des rentrées, alors qu’en 2010, cette contribution s’élevait à 38 %54. Figure 1.3 Revenus d’Aj Quen Source : Réalisation personnelle sur base des comptes financiers d’Aj Quen En ce qui concerne l’artisanat textile, il représente la plus grande source de revenus pour Aj Quen. Toutefois, au fil des années, sa contribution aux revenus totaux a diminué : en 2008, l’artisanat représentait 81 % des ventes totales alors qu’en 2010, il 54 Cf. Annexe D: Informations comptables d’Aj Quen en 2010. Je n’ai pu obtenir les chiffres des revenus totaux d’Aj Quen avant 2008. En conséquence, je ne peux tirer des conclusions pertinentes quant à la viabilité de l’association. 31 Chapitre 1: L’entreprise Aj Quen à Chimaltenango constituait 62 %. De ce pourcentage, 16 % se sont écoulés localement en 2010, soit Q.175.412,53. Ce chiffre est en baisse par rapport à l’année 2009 : les ventes locales ont chuté de 7 % entre 2009 et 2010 et ne représentaient que 16 % des ventes totales en 2010, alors que le magasin local d’Aj Quen a été inauguré à la fin de l’année 2009. C’est en 2003 que le rapport des ventes locales par rapport aux ventes totales a atteint un sommet : 28 % des ventes d’artisanat étaient vendus sur le marché interne. Il semble que cette année ait été la plus favorable aux ventes locales de textiles pour Aj Quen, car depuis lors, le rapport des ventes locales par rapport aux ventes totales était compris entre 9 % et 16 %. Il n’y a qu’en 2009 que celui-ci est monté jusqu’à 19 %. Sur les 7 dernières années (entre 2003 et 2010), les ventes locales dans le secteur textile ont fluctué, ne dépassant pas toutefois Q.280.870,67, le chiffre le plus important, enregistré en 2007. Figure 1.4 Ventes d’artisanat d’Aj Quen Source : Réalisation personnelle sur base des comptes financiers d’Aj Quen À cause de la crise financière mondiale, les ventes extérieures dans le secteur de l’artisanat textile équitable ont diminué. Cette tendance se remarque sur le graphique. Les chiffres de 2010 se sont redressés de 18 % par rapport à 2009, mais malgré cela, 32 Chapitre 1: L’entreprise Aj Quen à Chimaltenango l’association n’a pu récupérer les ventes perdues depuis l’année 2008 (- 39% par rapport à 2007), et encore moins depuis 2005 où les ventes extérieures s’élevaient à Q.1.605.918,04. Étant donné que l’offre d’Aj Quen se limite à la capacité productive des groupes, il est logique d’observer qu’entre 2003 et 2007, lorsque les ventes extérieures augmentaient, les ventes locales se réduisaient et vice versa. Aujourd’hui, le nombre de membres au sein des groupes a augmenté, mais, les artisans ont également d’autres partenaires qu’Aj Quen pour écouler leurs produits Il faut cependant faire la distinction entre les ventes effectuées directement par les artisans, et les ventes réalisées par l’association Aj Quen. En effet, les ventes directes des artisans sont en augmentation et ce, notamment, grâce au projet d’ « accès aux marchés locaux » d’Oxfam-Solidarité. Ce programme stimule la commercialisation directe au Guatemala par un soutien économique et social (formations…). Ainsi, en 2010, les 25 groupes d’artisans ont écoulé directement 40 % de leurs ventes totales sur le marché national (magasins touristiques, restaurants, communautés...) ce qui équivaut à au moins 65.000 €55. L’entreprise se rend compte des nombreux avantages à exporter vers les pays développés, mais réalise également les inconvénients que cela comporte en temps de crise. Pour cette raison, l’association compte renforcer les ventes sur les marchés locaux, régionaux et chercher de nouvelles stratégies qui se déclinent en différents projets56. 55 Étant donné que 2010 est la première année au cours de laquelle ont été comptabilisées les ventes locales des artisans, je ne peux comparer ce chiffre avec les années antérieures. Néanmoins, d’après T. VERCRUYSSE, ce pourcentage est en augmentation. Source : OXFAM-SOLIDARITÉ, Tablas de bitácora – para el monitoreo de actividades, resultados y objetivos, Bruxelles, Oxfam-Solidarité, document interne, 2010, p.1 ; entretien avec Monsieur Thomas VERCRUYSSE, Gestionnaire de programme Guatemala-Nicaragua, OXFAM-SOLIDARITÉ, 10 mai 2011. 56 Ses projets au niveau local sont exposés dans le point suivant. Quant aux stratégies régionales, elles seront abordées au chapitre 5. 33 Chapitre 1: L’entreprise Aj Quen à Chimaltenango À partir du modèle de gouvernance d’Aj Quen, de sa filière, de ses marchés et de ses ressources, j’analyserai ci-dessous les stratégies de l’association, orientées vers le marché interne. Comme il a été analysé, Aj Quen dépend principalement du Nord pour la commercialisation de ses produits. En ce qui concerne son approvisionnement en fils de coton teints, l’association est sous la dépendance de son fournisseur actuel, Rio Blanco. C’est pourquoi aujourd’hui, Aj Quen recherche les moyens les plus efficaces afin d’être moins tributaire de ces partenaires et dans le but de se renforcer sur le marché interne. Son plan d’action s’opère en collaboration avec différents organismes locaux, afin de construire ensemble un projet équitable plus recentré. En juillet 2010, la fédération a organisé en son siège le premier « salon national de commerce équitable ». Cet événement a été réalisé grâce à la collaboration entre la fédération, la CICJS, la Casa de Cervantes, Oxfam-Solidarité, etc. L’objectif de cet événement était de faire connaître le commerce équitable au public, et en particulier le magasin d’Aj Quen qu’elle a lancé elle-même, ainsi que son initiative auprès des producteursquant à leur éducation et leur formation. En plus, les participants ont bénéficié notamment de conférences et de débats sur le commerce équitable. Au total, 46 stands exposant des produits issus du commerce équitable (certifiés ou non) étaient présents, mais malheureusement, les visiteurs étaient peu nombreux. Par ailleurs, Aj Quen participe à différents événements institutionnels au travers des réseaux dont l’organisation fait partie : l’Association de la Plate-forme Stratégique du Secteur artisanale de l’Altiplano57 (APESA), Agexport, le Réseau alternatif d’échange solidaire (RAIS)58, etc. Ces relations ont montré des résultats satisfaisants. Par exemple, l’association participe aux foires locales d’économie solidaire organisées par RAIS dans différentes régions du pays. 57 58 Région occidentale du Guatemala. Nous reviendrons plus tard sur ces institutions. 34 Chapitre 1: L’entreprise Aj Quen à Chimaltenango À côté des ventes, Aj Quen réalise également d’autres activités avec les artisans telles que l’accompagnement dans la production et la commercialisation, des formations sociales et techniques, d’autres présentant les avantages et enjeux à vendre sur le marché local, etc. Cela permet aux artisans de se rendre compte des réalités et des défis qu’ils doivent affronter sur ce marché. D’ailleurs, ces formations ont porté leurs fruits car certains groupes écoulent actuellement leurs produits de leur propre initiative et avec leurs propres moyens sur les marchés locaux, et ne dépendent plus uniquement des exportations d’Aj Quen. D’autres groupes d’artisans ont également obtenu le soutien de leurs autorités municipales pour distribuer leurs produits. En outre, ces communautés de producteurs font commerce avec les magasins d’articles typiques à Panajachel, Sololá et dans d’autres villages circonvoisins. Aussi, ils vendent directement aux touristes dans des endroits stratégiques comme le lac Atitlán (Panajachel). D’autres encore écoulent leurs produits auprès d’ONG nationales. Ainsi, les partenaires producteurs d’Aj Quen deviennent de plus en plus indépendants59. Quant aux projets futurs qu’Aj Quen aimerait mettre en place pour stimuler ses ventes dans son environnement immédiat, ils sont nombreux60. Premièrement, la fédération a l’intention d’ouvrir un deuxième magasin. Celui-ci serait situé à Antigua, ville beaucoup plus touristique que Chimaltenango. Cependant, les baux commerciaux dans cette agglomération sont élevés et Aj Quen ne possède pas cet argent. CTM leur a donc envoyé des fonds pour cette ouverture, mais l’argent serait bloqué à la banque pour des problèmes administratifs. Après cela, Aj Quen a l’intention de rechercher davantage de financements afin d’ouvrir de nouveaux magasins à Panajachel, Quetzaltenango, Chichicastenango, etc. Toutefois, l’entreprise n’a encore effectué aucune étude de marché à ce sujet afin de voir si ces points de vente seraient rentables. Un autre projet est de développer le tourisme responsable dans les communautés. D’ailleurs, une stagiaire y consacre en ce moment une étude. Aussi, Aj Quen aimerait collaborer avec des agences de voyages afin que, sur leur chemin vers Panajachel, les 59 60 Le contenu de cette section est inspiré du rapport d’AJ QUEN, 2010, op. cit., p.10 et p.19. Ils seront plus détaillés au chapitre 5. 35 Chapitre 1: L’entreprise Aj Quen à Chimaltenango touristes s’arrêtent au magasin de Chimaltenango. Ainsi, l’association exposerait l’histoire des artisans, en mettant l’accent sur leur apport culturel et économique. Par ailleurs, le Coordinateur exécutif a émis l’idée d’organiser un séminaire de trois jours avec les artisans, pour pouvoir notamment aborder le problème de la pénurie de coton auquel ils sont actuellement confrontés. Cet événement devrait s’organiser en partenariat avec APESA. Aujourd’hui, les représentants de cette plate-forme stratégique du secteur artisanal tentent d’améliorer et de réviser les politiques liées au développement de l’artisanat du pays en collaborant notamment avec Aj Quen. Une Loi sur la Protection et le Développement artisanal au Guatemala existe, mais elle n’est pas appliquée61. La lutte actuelle du secteur de l’artisanat est donc d’élaborer une nouvelle loi qui protègerait réellement le secteur artisanal et qui l’encouragerait à se développer (par exemple, au moyen de réelles exonérations d’impôts). En ce qui concerne le salon national du commerce équitable, la deuxième édition cette année aura lieu à Antigua, au mois d’août 2011. Cette location stratégiquedans une ville touristiqueapporte l’espoir d’attirer davantage de monde. Enfin, demander des espaces de ventes dans des hôtels et restaurants, trouver des distributeurs au niveau national, organiser un petit déjeuner équitable en même temps qu’Oxfam-en-Belgique, vendre par catalogues, acheter un ancien bus, le peindre et l’amener dans des endroits stratégiques, etc., l’association ne manque pas d’idées, et c’est un bon signe, même si toutes ne peuvent être mises à exécution. 61 Cf. infra, chapitre 3.2. Législation. 36 Chapitre 2 : Environnement général au Guatemala CHAPITRE 2 : ENVIRONNEMENT GÉNÉRAL AU GUATEMALA Je citerai ici les quelques caractéristiques principales du Guatemala d’un point de vue économique, social, politique et culturel qui nous aideront à comprendre la situation des artisans dans ce pays62. Le développement humain « suppose l’expression de la liberté des personnes de vivre une vie saine, prolongée et créative ; de poursuivre des objectifs qu’elles considèrent importants ; et de participer activement au développement durable et équitable de la planète qu’elles partagent. Ces personnes sont les bénéficiaires et stimulatrices du développement humain, que ce soit en tant qu’individu ou groupe. »63 Pour mesurer le niveau de développement humain des pays, le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) a créé un indice de développement humain composé de trois dimensions : la santé, l’éducation et le niveau de vie d’un pays. Durant les dernières décennies, le Guatemala a vu son IDH s’élever graduellement, passant de 0,55 en 1990 à 0,634 en 2000 pour atteindre 0,704 en 2010 64. C’est surtout en ce qui concerne l’éducation que l’avancée a été significative à partir de la fin du conflit armé en 1996. En effet, l’indice mesurant le niveau d’éducation au Guatemala s’élevait à 0,45 en 1990 et à 0,723 en 2010. Une telle augmentation de l’IDH nous aide à positiver quant à la situation du pays. Toutefois, cette évolution est encore insuffisante pour améliorer la position du pays par rapport au reste du monde. En effet, selon les dernières estimations du PNUD, le Guatemala se classerait dans les pays au développement humain moyen, placé 122e sur 182 pays évalués65. 62 Le contenu de cette section est inspiré du PNUD GUATEMALA, Guatemala : hacia un Estado para el desarrollo humano: Informe nacional de desarrollo humano 2009-2010, Guatemala, Éditions du PNUD, 2010, p.45-48. La traduction est de l’auteur 63 PNUD GUATEMALA, 2010, op. cit., p.45. La traduction est de l’auteur. 64 Cf. Annexe E : IDH au Guatemala. 65 Le Guatemala se place dans la catégorie de l’IDH moyen tout comme le Honduras, le Nicaragua, le Congo, l’Inde, le Vietnam… La région de l’Amérique latine et des Caraïbes est aussi répertoriée dans 37 Chapitre 2 : Environnement général au Guatemala Le modèle économique adopté dans les années 1980, basé sur la dérégulation du marché, l’ouverture commerciale et la réduction de la participation de l’État dans l’économie a permis une certaine stabilité macroéconomique. Malheureusement, il n’est pas parvenu à élever la croissance à des niveaux espérés, ni à résoudre la situation de profonde pauvreté et d’inégalité. En effet, le coefficient de Gini équivaut à 0,53766 selon le PNUD, ce qui fait du Guatemala un des pays les plus inégaux du monde avec une classe moyenne très petite. Le modèle économique néolibéral en vigueur au Guatemala est basé sur l’exportation de biens du secteur primaire, sur la concentration des terres (8 % des propriétaires possèdent 57 % des terres) et sur l’inégale répartition des revenus (le quintile des plus pauvres reçoit 2.9 % des revenus ; le quintile des plus riches en reçoivent 60.2 %)67. La vision économique de ce modèle néolibéral est également basée sur la concurrence dans le marché international à l’aide d’une maind’œuvre peu couteuse (maquila68), sur le tourisme et sur l’exploitation des biens naturels (monoculture). La paupérisation croissante du secteur de l’artisanat est en partie due à ce modèle de croissance figé par une élite d’entreprises agraires et financières qui exclut les petits producteurs, les femmes et les peuples indigènes. En 2006, 51 % de la population guatémaltèque vivait sous le seuil de pauvreté et 15,2 % en situation d’extrême pauvreté69. Enfin, la malnutrition chronique affecte 50 % de la population70. cette catégorie. Source: KLUGMAN J., La verdadera riqueza de las naciones: Caminos al desarrollo humano, Mexique, Mundi-Prensa, 2010, p.170. 66 Ce coefficient mesure les inégalités dans les revenus au sein d’une nation. Plus il est proche de 1 et plus la société est inégalitaire. D’autres pays sont encore plus inégalitaires que le Guatemala, c’est le cas notamment du Brésil, de l’Équateur, de la Bolivie, du Belize, de la Colombie, du Paraguay, de l’Afrique du Sud, d’Haïti, de l’Union des Comores et de la Namibie, le pays le plus inégalitaire au monde (0,743). Source: KLUGMAN, J., 2010, op. cit., p. 172-175. 67 OXFAM INTERNATIONAL, Propuesta Estratégica para Guatemala, Guatemala, Oxfam International, document interne, 2010, p. 5. 68 Entreprises sud-coréennes ou nord-américaines de sous-traitance qui exportent 90 % de leur production vers les États-Unis et qui bénéficient de faveurs des autorités nationales. La main-d’œuvre y est bon marché, exploitée, peu qualifiée. 69 PNUD GUATEMALA, 2010, op. cit., p.163 et 317. 70 MCBAIN-HAAS, B., La crisis alimentaria y el Derecho a la Alimentación en Guatemala, in Tierra Nueva, 2010, numéro 22, p.49-53. 38 Chapitre 2 : Environnement général au Guatemala Le Guatemala est une république présidentielle multipartite de 14 400 000 habitants, indépendante depuis le 15 septembre 1821. Le chef de l'État est le socialiste Álvaro Colom Caballeros (Unité nationale de l’espoir), élu par suffrage universel pour 4 ans (2007-2011). Les prochaines élections auront donc lieu cette année, en août. En 1985, la nouvelle constitution politique de la république a vu le jour. Celle-ci a permis un retour à la démocratie ainsi que des changements socioéconomiques et politiques profonds. En 1996, les accords de paix mettant fin au long conflit armé ont été signés. À cela s’ajoutent la création d’institutions, la promulgation de lois, l’implémentation et la réorientation des politiques publiques, etc., qui ont favorisé les développements économiques et humains. Toutefois, la globalisation et la crise mondiale ont affaibli ces efforts. Pour promouvoir le développement humain, le peuple a besoin d’un État fort se caractérisant comme un État de droit, efficace, légitime, transparent, indépendant des intérêts corporatistes et possédant une capacité financière. C’est loin d’être le cas de l’État guatémaltèque qui est influencé par quelques familles qui détiennent le pouvoir économique et, qui favorisent souvent leurs intérêts au détriment de l’intérêt public. Certes, l’État guatémaltèque a augmenté ses services de santé et d’éducation, mais leur qualité laisse à désirer. Bien qu’il y ait eu des efforts institutionnels, toute la population ne jouit pas encore des services de base. Malgré une réforme sectorielle, la justice est lente et opère avec peu d’efficacité. Les personnes qui travaillent pour l’État devraient normalement constituer la garantie de sa force. Cependant, la corruption est plus que présente au sein de l’État. Par exemple, pour maintenir l’ordre public (fonction principale de l’État), la sanction devrait être de rigueur. Cependant, l’impunité règne sur ce pays et conséquemment, encourage à l’irrespect de la loi et aux règlements de compte personnels. 71 Cette partie est inspirée de BANGUAT, Guatemala, in Politica de Guatemala : Noticias, Leyes, Eventos de Guatemala, Site de la Politique du Guatemala, adresse URL: http://www.politicagt.com/guatemala/ (page consultée le 21 avril 2011). 39 Chapitre 2 : Environnement général au Guatemala L’État se dit « démocratique » et promet des tas de choses comme l’aide aux plus pauvres par exemple. Dans son programme présidentiel, Álvaro Colom Caballeros a lancé différentes stratégies. Mi Familia Progresa, par exemple, est un programme qui consiste à transférer un peu d’argent aux familles vivant dans la pauvreté ou dans l’extrême pauvreté pour permettre ainsi aux enfants d’avoir accès à la scolarité ou aux soins de santé. Cependant, dans bien des familles, l’argent ne sert pas à cette fin. Les « sacs solidaires » sont destinés à ces mêmes familles et sont composés d’aliments de base destinés à nourrir les enfants et les mères enceintes ou allaitant72. La stratégie utilisée est de donner un peu aux pauvres (via certains programmes sociaux), de telle sorte qu’ils soient reconnaissants envers le Président, tout en s’assurant de limiter le pouvoir de cette population. L’État providence n’a, de fait, jamais existé au Guatemala. Le développement humain ne peut s’exercer dans une société qui se veut libre, mais où les espaces de liberté sont réduits. Qui plus est, les élites jouissent d’une force telle qu’elles empêchent la population d’exercer ses droits. Pour être légitime, la démocratie devrait organiser une participation populaire, et pour ce faire, il faudrait changer le système de prise de décisions qui est actuellement entre les mains de peu d’acteurs. À ce sujet, récemment, des systèmes de représentation locale ont été mis au point afin d’offrir un service public plus direct. Trois nouvelles lois ont été promulguées en 2002. Elles définissent des espaces de participation communautaire (COCODES : Conseil Communautaire de Développement), municipale (COMUDES : Conseil Municipal de Développement), et départementale (COCODES : Conseil Départemental de Développement) à partir de commissions en établissant les responsabilités dans différents thèmes. À la différence des partis politiques de dimension nationale, ces comités sont les moteurs de la participation locale et communautaire. 72 HERRERA SANTOS, K., BOLAÑOS, S., Tercer año cumpliendo, Guatemala, Secretaría de Planificación y Programación de la Presidencia, 2011, adresse URL: http://www.guatemala.gob.gt/docs/1265.pdf (page consultée le 15 mars 2011). 40 Chapitre 2 : Environnement général au Guatemala Afin d’augmenter davantage le niveau de développement humain au Guatemala, il faudrait aussi réduire l’écart entre les différentes couches de la population. L’État devrait également stimuler des politiques qui confèreraient des chances égales aux citoyens. Cela bénéficierait surtout aux peuples indigènes discriminés, subordonnées et exploités depuis l’époque coloniale. Les artisans vivent essentiellement dans les campagnes. En 1991, la population rurale s’élevait à 59 % de la population totale. En 2010, elle était d’environ 54 %74. L’exode rural a donc augmenté ces dernières années. Parmi cette population de pauvres (75 % des ruraux sont pauvres), la population indigène maya est largement représentée (surtout dans la région nord-occidentale), et est exclue du partage des richesses. Selon l’Institut national des Statistiques75, la population indigène constitue 40 % de la population totale (bien que d’après certaines organisations indigènes, ce pourcentage dépasse 60%76). Les peuples indigènes doivent affronter la discrimination, l’exclusion et la marginalisation. La discrimination est quadruple : entre les hommes et les femmes ; entre les Indigènes et les Ladinos ; entre les riches et les pauvres ; entre les urbains et les ruraux. Être une femme pauvre indigène et rurale est la pire situation qu’un Guatémaltèque puisse vivre. La discrimination au niveau du genre prend ses racines dans le système traditionnel de pouvoir de la société guatémaltèque qui est machiste et patriarcal. La femme est vue 73 Cette section est notamment inspirée d’OXFAM INTERNATIONAL, 2010, op. cit., p.3,5, 8. LEON, C., Guatemala: Country Brief, in The World Bank, Site de la Banque Mondiale, adresse URL: http://web.worldbank.org/WBSITE/EXTERNAL/COUNTRIES/LACEXT/GUATEMALAEXTN/ (page consultée le 21 avril 2011). 75 Cité par PNUD GUATEMALA, 2010, op. cit., p.121. 76 Cité par OFICINA TÉCNICA DE COOPERACIÓN DE GUATEMALA, Proyecto de Pueblos Indígenas, in Agencia Española de Cooperación Internacional para el Desarrollo (AECID), Site de la Agence espagnole de coopération internationale pour le développement, adresse URL: http://www.aecid.org.gt/aecid/index.php?option=com_content&view=article&id=21&Itemid=37 (page consultée le 5 mai 2011). 74 41 Chapitre 2 : Environnement général au Guatemala comme un être inintelligent, sans éducation, qui sert uniquement aux tâches reproductives et ménagères. Son rôle est de servir l’homme qui bien souvent, bat sa femme. En outre, la plupart des femmes indigènes sont analphabètes. Elles n’ont pas de travail formel et dépendent d’activités informelles pour survivre, ce qui les rend d’autant plus dépendantes de leur époux. Quant à la discrimination de classe et celle que les citadins expriment envers les ruraux, elles se ressentent dans la vie quotidienne, dans la rue, dans le bus, etc., par des regards qui en disent long. Cette discrimination qui considère les populations les plus démunies et les petits paysans comme des êtres inférieurs, accélère malheureusement le processus de disparition de l’identité culturelle de ceux-ci. Enfin, la discrimination sur laquelle nous nous attarderons le plus est celle qui existe entre les peuples indigènes et les Ladinos. Le racisme est un problème historique qui prend sa source dans le colonialisme et l’esclavagisme et qui engendre toujours actuellement de la violence dans le pays. Ce phénomène menace les peuples indigènes dans tous les aspects de leur vie individuelle et collective, dans leur manière d’interpréter le monde, dans leur forme d’organisation et dans leurs valeurs culturelles, spirituelles et traditionnelles. Il existe une énorme brèche économique générée par le racisme entre la population indigène (qui se distingue par son uniforme typique) et non indigène. La liste des exemples de discrimination envers les Indigènes est longue. Nous n’en reprendrons ici que quelques-uns. Tout d’abord, les travailleurs indigènes touchent un salaire jusqu’à 50 % moins élevé que les employés non indigènes (cela favorise également le secteur informel). Ensuite, en 2008, seulement 5 % de la population indigène avait accès à l’éducation universitaire, et 62 % des enfants indigènes étaient exclus du système primaire. La discrimination envers les Indigènes se manifeste à travers des actes de génocide, d’ethnocide et d’écocide. La non-reconnaissance de leurs droits sur leurs ressources naturelles, économiques, sociales, politiques et culturelles se traduit par des pratiques de dépossession, d’expropriation, de confiscation, d’usurpation et de domination de leurs ressources. Par exemple, en mars dernier, 2500 paysans indigènes se sont retrouvés sans abris après avoir été violemment expulsés de leurs terres par les autorités nationales suite à un litige concernant la propriété des terres. 42 Chapitre 2 : Environnement général au Guatemala Dans les écoles, les enfants n’apprennent pas à être fiers de leur culture pourtant si riche. On leur apprend plutôt à suivre l’exemple américain et à « s’occidentaliser ». C’est aussi une forme de dévalorisation de leurs pratiques culturelles qui favorise la discrimination des peuples indigènes. Citons aussi le manque d’accès aux services de base (santé, éducation et logement). En bref, l’exclusion est politique, économique et culturelle. Aujourd’hui, de plus en plus de mouvements sociaux s’insurgent contre cette situation. Mais il est fréquent que leurs leaders se fassent assassiner s’ils sont trop virulents. L’État se rend tout de même compte de la nécessité d’agir contre cette discrimination. Par exemple, une commission présidentielle contre la discrimination et le racisme a été créée en 2000 pour tenter d’insérer davantage la population indigène à la société guatémaltèque. Cette commission a pour but de développer des politiques publiques visant à éradiquer la discrimination raciale. Son programme de 2006 pour l’élimination du racisme et de la discrimination raciale tarde cependant à porter ses fruits77. Dans le pays, le mélange des croyances ancestrales mayas et du catholicisme importé est omniprésent. Aujourd’hui, les protestants se sont également implantés dans le pays. Au Guatemala, la religion est très populaire (il suffit de voir le nombre important de pratiquants dans les églises). Au Guatemala, on compte 25 langues différentes au total : 22 langues mayas, le xinca, garifona et l’espagnol. Ce dernier est la langue officielle du pays et est parlé par 77 Cette politique envisage 120 actions (légalisation et reconnaissance des terres et des ressources communautaires, le respect des cultures, l’harmonisation de la législation du travail éliminant la discrimination salariale, etc.) réparties en six axes : socioéconomique, environnemental, culturel, politique et juridique, formation citoyenne, égalité dans l’accès aux servies de l’État. 43 Chapitre 2 : Environnement général au Guatemala environ 60 % de la population. Les 24 autres dialectes sont également reconnus officiellement. Ils sont surtout parlés par les Indigènes. Dans les années 1980, les flux migratoires étaient la conséquence des problèmes politiques générés par le conflit armé. La spirale de violence qu’a connue le pays a obligé des milliers de Guatémaltèques à migrer vers le Mexique et les États-Unis (dont des artisans). À partir des années 1990, les Guatémaltèques ont migré afin de rejoindre leur famille et de trouver un emploi. Les catastrophes naturelles amplifient ce phénomène. Cependant, il est difficile d’en mesurer exactement les proportions. Par ailleurs, le Guatemala n’est pas un grand pays récepteur de migrants. Étant donné sa situation géographique, il est plutôt un pays de transit pour les personnes qui tentent d’entrer aux États-Unis. L’emploi dans le secteur de l’agriculture a chuté. En effet, il s’élevait à 49,9 % du total de l’emploi au Guatemala en 1989, et a baissé à 39,4 % en 2000 et jusqu’à 33,2 % en 2010. Le phénomène inverse s’est produit pour les services qui représentaient 32 % du total des emplois en 1989 et 43,8 % en 2010. En ce qui concerne l’industrie, le pourcentage se maintient à 23 % sur les 20 dernières années. Par ailleurs, le secteur informel est assez important dans l’économie du Guatemala ce qui pose un problème de ressources pour l’État. En 2000, ce secteur fournissait environ 75 % des emplois au Guatemala. En 2006, ce chiffre aurait diminué à 71,3 %. Un des grands problèmes du pays est l’incapacité à générer suffisamment d’emplois pour les nouveaux travailleurs. Bien que ces derniers cherchent à avoir un emploi formel, et 78 Cette section est inspirée de LEON, C., Guatemala: Country Brief, In The World Bank, Site de la Banque Mondiale, adresse URL: http://web.worldbank.org/WBSITE/EXTERNAL/COUNTRIES/LACEXT/GUATEMALAEXTN/(page consultée le 21 avril 2011). 44 Chapitre 2 : Environnement général au Guatemala ainsi accéder aux bénéfices de sécurité sociale et à d’autres prestations, le manque d’opportunités les en empêche. En conséquence, sur les cinq millions de travailleurs de la population active, au moins 3,75 millions de Guatémaltèques font partie du secteur informel. Ce type d’économie représenterait 51,4 % du Produit Intérieur Brut (PIB)79. Cela fait du Guatemala le pays au secteur informel le plus important d’Amérique Centrale. L’économie du Guatemala est considérée par l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC)81 comme étant ouverte et surtout tournée vers les exportations. En 2009, le commerce extérieur du pays représentait 56,5 % de son PIB. Les importations et exportations se sont considérablement développées au cours de la période 2003-2008 avant de chuter en 200982. « La stratégie commerciale du Guatemala s'inscrit dans un programme de développement économique dont l'objet est de renforcer tous les mécanismes du marché et de stimuler la compétitivité» 83. Les exportations de biens et services représentaient 23,4 % du PIB en 2009, soit 8,620 milliards de dollars. Elles ont connu une augmentation constante jusqu’en 2008, avant de baisser de 6% en 2009. Les produits primaires représentent un peu plus de la moitié de ces exportations. Dans cette catégorie, les biens alimentaires prédominent, avec en particulier le café (représentant 8,1 % des exportations totales), le sucre (7 %) et la 79 Le PIB du Guatemala en 2009 s’élevait à 37,66 milliards de dollars. En 20 ans, il a quadruplé. Cependant, la crise économique a fait baisser ce dernier de 3% en 2008 et en 2009. 80 Cf. Annexe F : Commerce extérieur du Guatemala. 81 Le contenu de cette section est inspiré du Moniteur du Commerce international, Fiche Pays : Guatemala, in LEMOCI, Site du Moniteur du Commerce International, adresse URL : http://www.lemoci.com/Guatemala/14-Indicateurs-economiques.htm (page consultée le 18 mai 2011) et d’ORGANE D’EXAMEN DES POLITIQUES COMMERCIALES, Examen des politiques commerciales : Rapport du Secrétariat Guatemala, 2e éd., Guatemala, Organisation mondiale du Commerce, 2009, p.10-17,18, 22. Cette étude est la dernière en date effectuée par l’OMC. 82 La période considérée pour cette section s’étend de 2003 à 2009. 83 ORGANE D’EXAMEN DES POLITIQUES COMMERCIALES, 2009, op. cit., p.18. 45 Chapitre 2 : Environnement général au Guatemala banane (6,1 %). En 2007, le Guatemala était le sixième producteur mondial de café. Cette activité constitue l’un des piliers fondamentaux de son économie. Cependant, en 2000-2001, la surproduction mondiale de cette denrée a fait chuter les prix. À cela s’ajoutent les sécheresses successives et les catastrophes naturelles qui n’aident pas le pays à sortir de ce marasme. Une autre catégorie importante dans les exportations du Guatemala est celle des vêtements. En 2009, les chemisiers, blouses, etc. représentaient 6,5 % du total des exportations. Par contre, le secteur textile ne représente que 3 % du total des exportations, envoyé principalement vers les États-Unis. Les importations de biens et services représentaient 33,1 % du PIB en 2009, soit 13,388 milliards de dollars. Elles étaient également en croissance jusqu’en 2008 puis elles ont chuté de près de 10 % en 2009. Au cours de la période considérée, la composition totale des importations est restée relativement stable. Cependant, dans les produits primaires, la part des biens alimentaires a reculé alors que le phénomène inverse s’est produit pour les combustibles, en raison principalement de la hausse des prix du pétrole. Par ailleurs, le pays concentre majoritairement ses importations sur les huiles de pétrole qui affichent un pourcentage de 17,3 sur le total des importations en 2009. En ce qui concerne les médicaments, ils sont importés à mesure de 3 % de ce total. Les fils de coton étaient en 2009 le cinquième produit le plus importé du pays avec 1,6 % des importations totales. Les régions côtières du Guatemala produisaient auparavant ce produit, mais sa culture a été substituée par celle des fruits et légumes destinés à l’exportation. Par conséquent, le Guatemala doit maintenant importer cette matière dont il a besoin pour sa production textile. Le coton a donc été victime de la stratégie commerciale du pays. 46 Chapitre 2 : Environnement général au Guatemala La majeure partie des échanges du Guatemala se déroule avec des pays géographiquement proches, et également partenaires des accords de libre-échange84. Les États-Unis restent le principal débouché des exportations guatémaltèques avec 41 % du total en 2009. Son deuxième marché est l'Amérique centrale qui, dans son ensemble, est intervenue pour 27,5 % sur la même année. Les clients principaux des exportations guatémaltèques dans cette région sont le Salvador (11,3 %) et le Honduras (8,4 %). Les pays géographiquement proches du Guatemala sont également ses principaux fournisseurs. Les États-Unis ont contribué pour 36,2 % dans ses importations totales en 2009, et le Mexique pour 10,4 %. De plus, les produits asiatiques envahissent actuellement le marché guatémaltèque (9 % des importations proviennent de la Chine et 2,9 % de la Corée du Sud). En raison du déséquilibre de ces échanges, la balance commerciale du Guatemala est constamment déficitaire. En 2009, ce déficit s’est tout de même réduit, passant de 5,575 milliards de dollars en 2008 à -3,301 milliards de dollars l’année suivante85. 84 « En 2007, les exportations vers les partenaires avec lesquels le Guatemala a des accords préférentiels en vigueur représentaient 77,2 % de ses exportations totales; la part était de 61,7 % [pour les] importations ». Source : ORGANE D’EXAMEN DES POLITIQUES COMMERCIALES, 2009, op. cit., p.22. 85 « Le grave déficit de la balance commerciale a été compensé en grande partie par l'importance des transferts. Ceux-ci sont essentiellement constitués des envois de fonds, qui, en 2007, se sont chiffrés à 4 112 millions de dollars, soit 12,3 pour cent du PIB guatémaltèque ». Source : d’ORGANE D’EXAMEN DES POLITIQUES COMMERCIALES, 2009, op. cit., p.10. 47 Chapitre 3 : Analyse du marché de l’artisanat équitable guatémaltèque CHAPITRE 3 : ANALYSE DU MARCHÉ DE L’ARTISANAT ÉQUITABLE GUATÉMALTÈQUE Maintenant que les environnements microéconomique et macroéconomique généraux dans lesquels évolue Aj Quen ont été étudiés, il s’avère intéressant de s’arrêter sur le secteur d’activités de l’association. Un des objectifs fondamentaux de ce chapitre sera de cerner la place de l’artisanat textile équitable sur le marché guatémaltèque, ses défis et ses enjeux. Dans ce chapitre, je clarifierai tout d’abord les concepts d’ « artisanat » et d’ « équitable ». En effet, cette distinction nous aidera par la suite à mieux comprendre la situation du commerce équitable au Guatemala. J’examinerai ensuite les caractéristiques de ce marché artisanal. Grâce aux enquêtes effectuées sur le terrain, enrichies d’informations bibliographiques, je dresserai le panorama général du marché de l’artisanat équitable guatémaltèque, tant du côté de l’offre que de la demande. Ensuite, je mettrai ces informations en perspective avec d’autres pays producteurs d’artisanat textile. 86 Ces deux concepts ne sont pas inconnus, mais serait-il aisé de clairement les définir ? Selon le Petit Larousse87, l’artisanat est un «métier, [une] technique de l’artisan » et l’artisan est un « professionnel qui exerce à son compte un métier manuel, souvent à caractère traditionnel ». Le Centre de Commerce International des Nations Unies (CCI)88 définit l’artisanat comme « un groupe de produits élaborés avec les matériaux 86 Le contenu de cette section est en partie inspiré de FUNDACIÓN ESPAÑOLA PARA LA INNOVAVACIÓN DE LA ARTESANÍA, Guía de Comercio Justo para artesanos y artesanas de América Latina, Madrid, Cooperación española, 2007, p. 19, 21-22, 25-26, 43. 87 JEUGE-MAYNART, I., Dictionnaire Le Petit Larousse 2008, France, Éditions Le Petit Larousse Illustré, 2007, p.70. 88 Dans le but de réglementer le commerce dans le monde, l’Organisation des Nations unies a créé le CCI en 1964. L’objectif de cet organisme est d’ « œuvrer au développement du commerce pour les économies en développement et en transition ». Concrètement, le CCI leur apporte une assistance technique en matière commerciale. « Conformément au mandat qui nous est donné par l’Organisation mondiale du commerce et les Nations Unies par le biais de la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le 48 Chapitre 3 : Analyse du marché de l’artisanat équitable guatémaltèque suivants : cuir, métal, céramique, textile, bois, vannerie, verre, cire et fibres végétales »89. Aj Quen centre ses objectifs sur un artisanat de type textile. L’organisme des Nations Unies pour l’Éducation, la Science et la Culture (UNESCO) insère quant à lui l’artisanat dans une perspective plus globale90 : « Les produits artisanaux sont produits par les artisans, totalement à la main ou avec l’aide d’outils manuels ou mécaniques, mais la contribution manuelle directe de l’artisan reste le composant le plus important du produit fini... La nature spéciale des produits artisanaux se base sur ses caractéristiques distinctes, qui peuvent être utilitaires, esthétiques, artistiques, créatives, liées à la culture, décoratives, fonctionnelles, traditionnelles, symboliques et significatives d’un point de vue social ou religieux.» De par sa nature (à faible technologie, travail traditionnel), l’artisanat est, dans les pays du Sud, un secteur d’activité principalement occupé par les classes sociales les plus défavorisées. Dans ces communautés pauvres, les producteurs manquent des capacités entrepreneuriales nécessaires pour initier ou amplifier une activité formelle. Les besoins en formation et en personnes ressources sont criants. C’est ici que la dimension équitable entre en jeu. Apparu vers les années 1950, la raison d’être du commerce équitable est de venir en aide à ces producteurs en situation de vulnérabilité. Dans un document de travail rédigé en 2009, S. Poos91 reprend la définition du commerce équitable selon la formulation de développement (CNUCED), nous appuyons les stratégies réglementaires, de recherche et de politique générale de nos organisations mères ». La CNUCED quant à elle, « vise à intégrer les pays en développement dans l´économie mondiale de façon à favoriser leur essor. Elle est devenue progressivement une institution compétente, fondée sur le savoir, dont les travaux visent à orienter le débat et la réflexion actuels sur la politique générale du développement, en s´attachant tout particulièrement à faire en sorte que les politiques nationales et l´action internationale concourent ensemble à faire naître le développement durable ». Source : CENTRE DU COMMERCE INTERNATIONAL, Rôle de l’ITC au sein de l’ONU et de l’OMC, in CCI, Site du Centre de Commerce international, adresse URL : http://www.intracen.org/a-propos/role-de-l-itc-au-sein-de-l-onu-et-de-lomc/ (page consultée le 20 mai 2011). 89 Cité par INFOARTESANIAS, Site de infoartesanias.com du Ministère de l’Économie guatémaltèque, adresse URL : http://infoartesanias.com/ (page consultée le 26 avril 2011). La traduction est de l’auteur. 90 Cité par FUNDACIÓN ESPAÑOLA PARA LA INNOVAVACIÓN DE LA ARTESANÍA, 2007, op.cit., p.19. La traduction est de l’auteur. 91 Cité par POOS, S., Le commerce équitable en 2009, in Trade for Development Center, Site de la coopération technique belge, 2009, p.7, adresse URL : http://www.befair.be/fr/articles/www-befair-be/2- 49 Chapitre 3 : Analyse du marché de l’artisanat équitable guatémaltèque FINE : «Le commerce équitable est un partenariat commercial, fondé sur le dialogue, la transparence et le respect, dont l’objectif est de parvenir à une plus grande équité dans le commerce mondial. Il contribue au développement durable en offrant de meilleures conditions commerciales et en garantissant les droits des producteurs et des travailleurs marginalisés, tout particulièrement au Sud de la planète. Les organisations du Commerce équitable (soutenues par les consommateurs) s’engagent activement à soutenir les producteurs, à sensibiliser l’opinion et à mener campagne en faveur de changements dans les règles et pratiques du commerce international conventionnel. L’essence du Commerce équitable est de : travailler délibérément avec des producteurs et des travailleurs marginalisés afin de les aider à passer d’une position de vulnérabilité à la sécurité et à l’autosuffisance économique ; donner plus de poids aux producteurs et aux travailleurs en tant que parties prenantes de leurs organisations ; jouer activement un plus grand rôle dans l’arène mondiale pour parvenir à une plus grande équité dans le commerce mondial.» Ainsi, le commerce équitable est un mouvement international formé par des organisations du Sud et du Nord, avec le double objectif d’améliorer l’accès au marché des producteurs défavorisés et de changer les règles injustes du commerce international. Grâce au commerce équitable, les producteurs des pays en développement peuvent accéder aux marchés du Nord en établissant des relations commerciales stables et transparentes, dans lesquelles sont réduits au maximum les intermédiaires inutiles et où les producteurs ont la garantie d’un salaire décent. Par ailleurs, le modèle équitable envisage ces relations comme un processus à long terme où les aspects sociaux et environnementaux sont pris en compte (au même titre que les critères économiques). Dans les années 1960-1970, deux types de marchés se sont développés : le marché des produits alimentaires et de l’artisanat. Les producteurs du Sud ont alors été sollicités par les importateurs du Nord ainsi que par les organisations de solidarité internationale. ressources/ressources.cfm (page consultée le 24 octobre 2010). 50 Chapitre 3 : Analyse du marché de l’artisanat équitable guatémaltèque Traditionnellement, le marché du commerce équitable se structure en filières intégrées92 où les producteurs sont en relation directe avec des importateurs spécialisés. Les communautés de producteurs, comme par exemple des artisans, représentent le premier maillon du commerce équitable, et le fruit de leur travail résulte en un grand nombre de produits artisanaux pour lesquels les travailleurs reçoivent un salaire décent. Notons tout de même que par rapport au marché mondial, le commerce équitable reste marginal : il représentait moins de 1 % du commerce mondial en 2010 selon l’Organisation de Coopération et de Développement Économique (OCDE)93, soit un montant d’un peu plus de 4 milliards d’euros. Chaque année, ce chiffre est en augmentation94. Produire de l’artisanat équitable implique de se conformer à des principes. La WFTO les a formalisés en une série de standards vérifiables. À la lecture de ces critères, il semble évident que le commerce équitable défend des valeurs qui vont bien au-delà du seul objectif lucratif. Il s’agit de développer le potentiel humain des communautés (renforcement des capacités techniques), d’établir un climat de collaboration entre les producteurs et les acheteurs (par le préfinancement par exemple), et de manière 92 « La filière intégrée ou spécialisée est la forme historique du commerce équitable. Elle est constituée de réseaux de PME, de coopératives et d’associations assurant ensemble ou séparément de multiples fonctions : importation des produits, distribution, sensibilisation, plaidoyer. Proche des principes de l’économie solidaire, la fonction d’éducation au développement, le contact humain, l’approche institutionnelle priment sur la performance commerciale. Le modèle de la filière labellisée… est fondé sur le respect de termes de référence (reprenant les critères du CE) par un opérateur conventionnel… que ce soit un importateur ou un transformateur.» Source : HABBARD, P., Le commerce équitable : filière intégrée, filière labellisée, in RURALINFOS : Le service d’informations rurales, Site de Ruralinfos, adresse URL : http://www.ruralinfos.org/ (page consultée le 12 décembre 2010). En d’autres mots, « la filière intégrée, plus adaptée à des modes de productions artisanaux, se préoccupe de la garantie des modes de production sur l'ensemble de la filière du producteur au consommateur... La filière labellisée concerne essentiellement les produits agricoles …c’est en effet la matière première qui est ici garantie, achetée selon les critères de commerce équitable ». Source : PFCE, Les filières et produits, in Plate-forme pour commerce équitable, Site de la plate-forme pour le commerce équitable, adresse URL : http://www.commercequitable.org/lecommerceequitable/les-filieres-et-produits.html (page consultée le 18 mai 2011). 93 Cité lors de mon entretien avec Madame Christine ENGLEBERT, Responsable du marché des boissons chaudes et international, MAX HAVELAAR, le 5 avril 2011. 94 Ce chiffre ne reprend que les ventes des produits labellisés de la Fairtrade Labelling Organization (FLO), l’organisation qui coordonne la labellisation du commerce équitable surtout les aliments au niveau international. 51 Chapitre 3 : Analyse du marché de l’artisanat équitable guatémaltèque générale, de leur assurer un développement durable toujours dans le respect de l’environnement. Les thèmes abordés sont les suivants : créer des opportunités pour les travailleurs défavorisés ; la transparence et la responsabilité ; les pratiques commerciales équitables ; le payement d’un prix juste ; le travail des enfants et le travail forcé ; la non-discrimination, l’égalité des sexes et la liberté d’association ; les conditions de travail ; le développement des compétences ; la promotion du commerce équitable ; l’environnement95. Au contraire de l’artisanat conventionnel, l’artisanat équitable répond à ces caractéristiques du commerce équitable. Bien entendu, ce dernier n’est pas sans lacune : un des principaux inconvénients de l’artisanat équitable est que, pour être certifiées, les organisations doivent s’acquitter chaque année d’une somme considérable pour la cotisation et les frais de suivi.96 Après avoir défini le commerce équitable, je vais à présent m’attacher à définir les caractéristiques du marché artisanal textile équitable. Pour cela, je dresserai d’abord le profil du dit marché. Ensuite, j’en analyserai l’offre et la demande. Enfin, je mettrai ces données en perspective avec d’autres pays produisant de l’artisanat textile équitable afin de déterminer la place de cette activité sur le marché guatémaltèque. 95 Cf. Annexe B : Les 10 standards du commerce équitable. Source : OXFAM-MAGASINS DU MONDE, WFTO – Les 10 Standards du Commerce Equitable, approuvés par l’Assemblée générale, Blanckenberge, Oxfam-Magasins du monde, document interne, mai 2007, 5p. 96 La cotisation annuelle est fonction du chiffre d’affaires et du type d’adhésion (organisations de commerce équitable, réseaux de commerce équitable, etc.). Celle-ci s’élève à minimum 250 € et maximum 1500 € pour les membres d’Amérique latine. Les frais de suivi varient entre 25 € et 1000 € en fonction du chiffre d’affaires. Source : World Fair Trade Organization, Cotisations à partir de janvier 2008, in World Fair Trade Organization, Site de l’Organisation mondiale du Commerce équitable, adresse URL : http://www.wfto.com/index.php?option=com_content&task=view&id=155&Itemid=187 (page consultée le 13 mai 2011). 52 Chapitre 3 : Analyse du marché de l’artisanat équitable guatémaltèque Dans cette partie, j’étudierai la réalité et les défis de l’artisanat équitable à partir de l’application à la filière d’Aj Quen. Chaîne de valeur En général, les produits d’artisanat textile, qu’ils soient équitables ou conventionnels, suivent ce schéma. 97 Cette section est notamment inspirée de DUNN, E., et al., Research Protocol for the Guatemala Country Study AMAP BDS Component A: Clients and Markets Accelerated Micro Enterprise Advancement Project, in United States Agency International Development (USAID), Site de l’Agence des États-Unis pour le Développement International, p.3-6, adresse URL: http://pdf.usaid.gov/pdf_docs/PNADI914.pdf (page consultée le 14 mai 2011). L’objectif poursuivi par cet organisme est d’améliorer les conditions de vie dans les pays en développement au travers de la démocratie et du libre marché. USAID procure notamment une assistance technique au Guatemala. Pour décrire la chaîne de valeur, USAID a réalisé une étude impliquant 390 répondants pour les quatre niveaux de la chaîne, dans les départements de Sacatepéquez, Chimaltenango et Sololá. 53 Chapitre 3 : Analyse du marché de l’artisanat équitable guatémaltèque Figure3.1 : Chaîne de valeur de l’artisanat textile au Guatemala Source : United States Agency for International Development (USAID) Cette chaîne de valeur indique quatre niveaux de base: l’approvisionnement en intrants, la production, la vente en gros et la vente au détail. La chaîne débute avec l’approvisionnement en matières premières telles que les accessoires servant à la confection, les métiers à tisser, le matériel nécessaire à l’emballage ainsi que les fils de coton teints ou à teindre. En effet, certains producteurs achètent du coton brut et se procurent eux-mêmes les colorants désirés : naturels (à base de substances végétales et animales), sans métaux lourds, etc. Dans le secteur de l’artisanat, les producteurs sont généralement des femmes indigènes tisserandes vivant dans le milieu rural (bien que certains hommes tissent également). Elles s’organisent couramment en « micro et petites entreprises » (MSE). Celles-ci désignent les firmes comportant moins de 25 employés à temps plein ou partiel.98 98 USAID estime qu’entre 700 000 et 900 000 producteurs s’organisant en micro et petites entreprises. Les cases bleues du schéma représentent la prédominance de ce type d’organisations au Guatemala. Pour la plupart des producteurs, des intermédiaires ainsi que beaucoup de revendeurs sur les marchés 54 Chapitre 3 : Analyse du marché de l’artisanat équitable guatémaltèque Afin de commercialiser les produits au niveau du commerce de détail, la chaîne de valeur présente les trois canaux de distribution principaux: les magasins exclusifs d’artisanat (concentrés surtout à Antigua), les marchés touristiques et populaires ainsi que l’artisanat exporté et revendu au détail dans des marchés internationaux. Les deux premières catégories se concentrent surtout dans les zones principales de transit touristique, dans des centres commerciaux, et dans les marchés les plus importants du pays (comme le marché central et le marché d’artisanat de la capitale, à Antigua, à Panajachel, à Quetzaltenanago, à Chichicastenago, etc.). Les magasins exclusifs offrent des produits de qualité, souvent basés sur des modèles créés personnellement par le propriétaire du magasin. Les principaux clients de ces boutiques font partie des classes moyennes et élevées de la population guatémaltèque, mais aussi d’Amérique centrale, des États-Unis, d’Europe et du Japon. La catégorie des marchés touristiques et populaires inclut les marchés traditionnels, mais aussi les petites échoppes d’artisanat et les vendeurs ambulants. Ces milliers de points de vente sont généralement rassemblés sur des marchés d’artisanat (non équitable). Dans certains cas, les artisans vendent exclusivement leurs produits, dans d’autres cas, ils vendent des articles achetés à différents producteurs en plus de leurs produits afin de proposer un plus large choix aux clients. Toutefois, bien souvent, des revendeurs se fournissent des produits achetés sur les marchés d’artisanat de la capitale et se font passer pour les producteurs afin de duper les touristes. Ces marchés populaires sont aussi le lieu où les autochtones se procurent leur tenue traditionnelle. Ces endroits véhiculent l’image du pays et de son artisanat coloré. Cependant, les prix sont marchandés, souvent très bas, et la qualité est médiocre. De plus, la concurrence est agressive et on peut retrouver de l’artisanat venant d’Asie (se faisant passer pour de l’artisanat guatémaltèque). Enfin, l’offre est massive, et il est parfois difficile de s’y retrouver. populaires et touristiques se dotent d’une pareille structure. Elle peut prendre la forme d'ateliers familiaux, d’organisations collectives de production ou d’ateliers intégrés aux organisations d’exportation par exemple. 55 Chapitre 3 : Analyse du marché de l’artisanat équitable guatémaltèque Dans le troisième canal de distribution de la vente au détail, l’artisanat textile est exporté et vendu au travers de points de vente internationaux. Il existe deux types d’exportateurs. D’une part, ceux qui se dédient à plein temps à cette activité, résident au Guatemala et vendent leurs produits à des importateurs étrangers. D’autre part, le second type est représenté par l’ « exportateur-voyageur ». Celui-ci vit en dehors du pays et s’y rend une ou plusieurs fois par an afin d’acquérir des produits de l’artisanat textile et les ramener dans son pays. Il les revend alors dans son propre magasin ou à d’autres points de vente. Le flux d’informations est plus important dans ce canal de distribution. Les importateurs communiquent à leur exportateur exactement ce qu’ils veulent, parfois en envoyant leurs propres modèles comme je l’ai décrit précédemment pour la filière d’Aj Quen. En effet, la plupart des organisations exportatrices suivent le même modèle que la fédération (contrôles de qualité, élaborations de patrons, achat des matières premières à répartir dans les groupes, acompte de 50% sur la valeur de la commande, etc.). Afin de réduire le nombre d’intermédiaires entre les niveaux de la production et ceux de la vente au détail, certains exportateurs et commerçants domestiques achètent directement les produits aux artisans. Cependant, lorsque de grands volumes sont impliqués, ces exportateurs et commerçants préfèrent généralement travailler avec des intermédiaires de la vente en gros, soit des organismes extérieurs à la production d’artisanat qui rassemblent les produits de différents groupes d’artisans (c’est le cas d’Aj Quen) 99, soit les leaders d’un groupe de producteurs représentant leurs membres. Beaucoup de producteurs ne suivent pas qu’un seul canal de distribution, mais bien plusieurs afin de tirer le plus d’avantages possibles de chaque canal. Par exemple, le prix à l’unité est plus élevé et plus prévisible dans la chaîne populaire, mais le volume des ventes peut être plus élevé à l’exportation. 99 Les « Artisan-Broker » dans le schéma représentent ces intermédiaires qui opèrent au niveau de la vente en gros de la chaîne de l’artisanat textile. Souvent, l’intermédiaire est propriétaire d’une très petite ou petite entreprise et possède des connaissances techniques de tissage. Il coordonne le travail de différents tisserands afin de satisfaire les commandes d’une personne ou organisation tierce. Cet intermédiaire peut également gérer un magasin ou une échoppe sur les marchés populaires et touristiques. 56 Chapitre 3 : Analyse du marché de l’artisanat équitable guatémaltèque L’artisanat équitable peut se trouver à chaque étape de la chaîne de valeur, excepté sur les marchés populaires et touristiques, mais il n’est pas encore très fréquent. Artisanat textile général Au Guatemala, l’artisanat constitue une partie fondamentale de la culture, et ce, depuis des siècles. Les artisans attachent une grande importance à la promotion et à la diffusion de l’expression culturelle via l’art textile. À l’étranger, c’est surtout cet artisanat textile qui est connu. Il évoque l’identité des communautés grâce aux dessins et aux couleurs possédant une valeur symbolique. Cependant, ces dernières années, les produits ont dû s’adapter à la mode afin de se vendre comme je l’ai préalablement évoqué. Dans de nombreux guides touristiques comme le Routard 100 ou ceux disponibles à l’ambassade du Guatemala, les textiles sont recommandés dans les achats. « Le Guatemala est le pays des tissus colorés, des étoffes brodées à la main, des cotonnades à rayures multicolores, des merveilleux tissages aux motifs mayas. Les Indiennes guatémaltèques excellent en ce domaine. Il suffit d’observer leurs vêtements pour s’en convaincre… Les Indiens débordent d’imagination même si les motifs que l’on trouve sur les marchés touristiques tendent à se standardiser. Vous trouverez ces textiles traditionnels sur les marchés de l’Altiplano et dans les villages du lac Atitlán [Panajachel], ainsi que sur les marchés d’artisanat d’Antigua et de Ciudad de Guatemala. » 100 JOSSE, P., et al., Le Guide du Routard : Guatemala, Yucután, Belize, France, Editions Hachette, 2007, p.39-40. 57 Chapitre 3 : Analyse du marché de l’artisanat équitable guatémaltèque La production artisanale se développe dans pratiquement toutes les régions du pays. En ce qui concerne les textiles, la production se concentre dans la partie Ouest du Guatemala, où les Indigènes conservent une grande partie de leur savoir-faire préhispanique. Dans la plupart des cas, les méthodes de fabrication préhispaniques utilisent le métier à tisser « à la ceinture » et le métier à tisser à pédales ou « à cadres »101. Le premier s’attache d’un côté à un support fixe (comme à un arbre par exemple) et de l’autre, à la taille grâce à une ceinture en tissus. La largeur du métier à tisser peut varier allant de quelques centimètres jusqu’à un mètre. Au Guatemala, cet outil est utilisé par les femmes. Cependant, il requiert un travail plus long que pour le métier à tisser à cadres. Celui-ci est composé d’une structure en bois (parfois en métal) d’environ deux mètres de large, et de pédales utilisées afin de monter et descendre mécaniquement les fils. Cette machine est utilisée autant par les hommes que par les femmes. Le métier « à cadres » permet de tisser plus rapidement des tissus plus larges, mais ne permet pas de travailler des motifs aussi élaborés qu’avec la technique à la ceinture. De plus, ce métier à tisser représente un investissement assez important et un outil encombrant, difficile à déplacer. Au Guatemala, l’artisanat est généralement une affaire de femmes, car il représente leur seul moyen pour sortir de la pauvreté, ou du moins pour obtenir des revenus complémentaires102. En effet, en plus de leurs tâches domestiques, les femmes (principales productrices) s’adonnent au tissage. L’artisanat se présente donc comme une activité complémentaire. En outre, la production artisanale guatémaltèque est très souvent réalisée dans des ateliers familiaux où toute la famille est impliquée dans ce 101 Cf. Annexe G : Métiers à tisser. Ce paragraphe et les suivants sont en partie inspirés de VALENCIA SÁNCHEZ, C. S., Comercialización de productos artesanales, Guatemala, Universidad de San Carlos de Guatemala, mémoire, 2005, p.4-9 ; et de AJ QUEN, Analisis de la situación de las artesanías en Guatemala, Chimaltenango, Aj Quen, rapport général de l’assemblée ordinaire, 2011, p.7-8. 102 58 Chapitre 3 : Analyse du marché de l’artisanat équitable guatémaltèque travail manuel. Cependant, l’occupation principale de ces familles est l’agriculture. Durant les mois de récoltes, les artisans émigrent un certain temps vers les exploitations agricoles, abandonnant temporairement leurs activités de tissage. En vue de cela, bien que temporaire et complémentaire, l’artisanat reste, d’un point de vue économique, une activité à maintenir. Malheureusement, l’actuel processus de globalisation, poussant à la mécanisation notamment, porte préjudice à l’activité artisanale. D’autres difficultés sont également observées. Tout d’abord, jusqu’ici, ce champ d’activités ne bénéficie pas d’appui de l’État ni de la capacité d’influencer dans les politiques. De plus, ce marché doit faire face à la concurrence agressive des pays asiatiques qui, au contraire des artisans guatémaltèques, bénéficient d’une grande capacité productive qui leur permet une économie d’échelle. En outre, ces pays possèdent des matières premières et de la main-d’œuvre bon marché. Une contrainte importante à la compétitivité guatémaltèque dans ce secteur est le taux faible de production par personne étant donné que le processus requiert beaucoup de main-d’œuvre. Pour l’augmenter, les artisans peuvent passer du métier à tisser à la ceinture au métier à pédales, ou ils peuvent diminuer la complexité du tissage. De plus, le marché est irrégulier, la demande n’est pas constante, donc la production variable. Les artisans ne peuvent se permettre de produire de nouvelles commandes tant que la majorité de leurs produits n’est pas vendue. Bien évidemment, cela ralentit davantage le processus. Les catastrophes naturelles constituent également un frein à l’artisanat. Non seulement, les routes sont dégradées et rendent les déplacements difficiles, mais en plus, les ateliers de tissage et les maisons sont détruits, ainsi que tout le matériel nécessaire à l’élaboration de l’artisanat textile. Un autre problème remarqué est la peur des artisans de sortir de leur communauté face à l’insécurité nationale. Il n’est pas rare que sur son chemin, l’artisan livrant ses marchandises se fasse agresser et piller. Cela peut contraindre le producteur à vendre son artisanat uniquement dans sa communauté, où la demande est faible. 59 Chapitre 3 : Analyse du marché de l’artisanat équitable guatémaltèque Artisanat textile équitable Par rapport à l’artisanat textile conventionnel, l’artisanat équitable présente trois avantages principaux. Tout d’abord, dans le commerce conventionnel, bien que les textiles guatémaltèques soient attrayants, les finitions ne sont pas toujours très soignées et la durabilité n’est pas garantie. De plus, les matières premières utilisées sont de qualité médiocre étant donné leur coût élevé. Ainsi, généralement, les couleurs déteignent et les fils se décousent. Les produits du marché interne ne sont en effet pas soumis à un contrôle qualité aussi exigeant que celui appliqué aux produits destinés à l’exportation. Ensuite, les artisans en commerce équitable accèdent à des formations qui les aident à s’émanciper grâce au soutien d’institutions (gouvernementales, de coopération, etc.). En outre, ils sont amenés à adopter des pratiques éthiques qui les guident vers un développement intégral. Un autre avantage de l’artisanat équitable est la relation plus directe entre les artisans et les vendeurs. En général, dans l’artisanat textile conventionnel, la chaîne est plus longue vu les «bandes» de revendeurs qui s’octroient la grande partie des gains. Toutefois, l’artisanat équitable doit faire face à quelques obstacles (en plus de ceux évoqués pour l’artisanat en général): l’approvisionnement en fils de coton teints sans métaux lourds, un manque de connaissance et un manque de confiance. Premièrement, en respectant les critères équitables, l’artisanat équitable prend notamment en considération l’environnement. Ainsi, il est important de travailler avec des fils de coton teints qui ne contiennent pas de métaux lourds. Cependant, l’approvisionnement actuel de ces fils met les artisans en situation de pénurie. Deuxièmement, les artisans ne possèdent pas les connaissances suffisantes pour pénétrer un marché et ils éprouvent de nombreuses difficultés organisationnelles. Ce phénomène est en partie dû au manque de scolarisation des artisans. Cela les empêche souvent de penser de meilleures méthodes de travail, de faire des études de rentabilité, etc. De plus, sans aide extérieure, il est complexe pour les artisans guatémaltèques de créer des designs novateurs (surtout ceux qui répondent à la demande touristique). 60 Chapitre 3 : Analyse du marché de l’artisanat équitable guatémaltèque Une troisième difficulté est la méfiance des artisans qui les rend hésitants lorsqu’il s’agit de rejoindre un groupe. Celle-ci prend ses sources dans diverses raisons. Tout d’abord, il est très fréquent que les producteurs se copient entre eux, et donc, ils préfèrent rester isolés. Ensuite, cet isolement ferait partie de leur culture. Enfin, la méfiance est aussi le résultat de mauvaises expériences qui leur ont fait perdre leur confiance aux structures collectives. Par exemple, certains leaders de groupes cachent l’information sur les commandes aux autres membres et engagent des tisserands d’autres communautés. De cette manière, ils perçoivent les gains financiers en jouant le rôle d’intermédiaire. D’autres représentants de groupes reçoivent par exemple le payement de la commande en dollars, et gardent la différence du taux de change sans le dire aux autres. Ou encore, certains leaders empochent les fonds normalement destinés aux investissements communautaires. Tous ces éléments expliquent le manque de confiance des artisans dans les structures collectives. Pourtant, l’appartenance à un groupement de producteurs renferme de multiples avantages, comme le fait d’être représenté par un leader possédant des compétences en terme d’alphabétisation, de calculs et de langues (sachant s’exprimer en espagnol et pas seulement dans un dialecte maya). Qui plus est, un groupe peut plus facilement répondre aux grandes commandes. Cela permet donc de collaborer avec des exportateurs qui ne travailleraient pas avec des producteurs isolés. Enfin, en faisant partie d’une communauté, l’artisan peut bénéficier de formations, de conseils techniques et d’autres services offerts par des ONG qui soutiennent le secteur artisanal. Le peu de ventes sur les marchés locaux est un aspect typique de cette activité équitable. D’ailleurs, à l’heure actuelle, 70 % des produits de commerce équitable sont exportés103. En conséquence, le commerce équitable n’est pas connu au Guatemala et ne vise qu’une petite niche de la population. Cela étant, le manque de contrôle et de certification visible encourage des organisations à communiquer qu’elles sont 103 PICADO, C. L., Oferta disponible por parte de las asociaciones productoras guatemaltecas en áreas geográficas determinadas para productos seleccionados con el propósito de determinar su potencial en el mercado del Comercio Justo y Solidario en Guatemala, Guatemala, Everlife, 2008, p. 83. 61 Chapitre 3 : Analyse du marché de l’artisanat équitable guatémaltèque équitables alors qu’elles ne le sont pas. Cela peut porter préjudice à l’image qu’essaye de se forger l’artisanat équitable au Guatemala. Dans son plan stratégique, la Commission interinstitutionnelle de Commerce équitable et solidaire104 nous dresse un panorama de la situation de l’artisanat équitable au Guatemala à l’aide d’une grille SWOT105. Ce tableau reprend les forces, faiblesses, menaces et opportunités de cette activité dans le pays et résume ces informations106. Vu le manque d’informations statistiques, il est difficile d’obtenir des données claires sur l’évolution du volume d’achat de l’artisanat textile sur le marché local. Les uniques informations récentes que j’ai pu obtenir concernent l’artisanat en général et les textiles d’exportation (conventionnels et équitables mélangés). D’après les codes d’exportations utilisés pour les produits d’Aj Quen107, la catégorie d’artisanat à laquelle il faut se référer est celle des textiles, car il n’existe pas de catégorie spécifique pour leurs produits. À l’égard de l’artisanat en général108, entre 2006 et 2010, ses exportations sont passées de 10,9 millions de dollars à 26,8 millions de dollars. Ce secteur a donc plus que 104 COMISION INTERINSTITUCIONAL DE COMERCIO JUSTO Y SOLIDARIO, Plan Estratégico 2009-2013 para impulsar el Comercio Justo y la Economía Solidaria, Guatemala, Eva Sazo de Méndez, 2009, p.51. 105 «L'analyse SWOT (Strengths - Weaknesses - Opportunities - Threats) est un outil d'analyse stratégique. Il combine l’étude des forces et des faiblesses d'une organisation, d'un territoire, d'un secteur, etc. avec celle des opportunités et des menaces de son environnement, afin d'aider à la définition d'une stratégie de développement. Le but de l'approche est de prendre en compte dans la stratégie, à la fois les facteurs internes et externes, en maximisant les potentiels des forces et des opportunités et en minimisant les effets des faiblesses et des menaces.» Source : EUROPAID, Qu’est-ce qu’une analyse SWOT , in EuropeAid, Site de EuropAid, adresse URL : http://ec.europa.eu/europeaid/evaluation/methodology/tools/too_swo_def_fr.htm (page consultée le 12 décembre 2010). 106 Cf. Annexe H : Grille SWOT. 107 Sacs: 42022900, écharpes: 62149000, petites pochettes : 95030021, cadres photos : 42021200… 108 MINECO, Guatemala: Comercio exterior, In MINECO, Site du Ministère de l’Économie au Guatemala, adresse URL : http://www.mineco.gob.gt/Presentacion/Estadisticas.aspx (page consultée le 18 mai 2011). 62 Chapitre 3 : Analyse du marché de l’artisanat équitable guatémaltèque doublé en 4 ans. Selon l’Agexport, une hausse jusqu’à 31 millions de dollars est attendue pour 2011.109 Quant aux exportations des textiles guatémaltèques globales, elles ont augmenté de près de 40 %, passant de 132.793.200 $ en 2006 à 182.898.600 $ en 2010. Cependant, l’année 2009 a été marquée par une baisse dans ce secteur, comme Aj Quen l’a ressenti d’ailleurs. Ces données sont très générales. Si l’on analyse les catégories plus spécifiques pour les foulards et les accessoires vêtements110, on peut retrouver cette même tendance. Quant à l’artisanat équitable, les chiffres les plus récents que nous pouvons exploiter proviennent d’une étude réalisée pour le Ministère de l’Économie au Guatemala111. Ces données montrent qu’une fois que les organisations d’artisans ont adopté le schéma du commerce équitable, leurs ventes à l’extérieur du pays ont augmenté. Selon certaines données collectées, la moyenne des ventes en artisanat par association était de Q100.000 (9.271 €) par an avant de s’inscrire en tant qu’association équitable, et fin 2008 de Q1,10 millions (101.984 €) représentant une augmentation des ventes à l’étranger de plus de 10 fois supérieure112. Le fait de commercialiser selon ce schéma leur a donc été bénéfique. Les États-Unis représentent le principal marché d’exportation pour l’artisanat équitable. Dans l’ensemble, entre 2006 et 2009, les exportations guatémaltèques en commerce équitable et solidaire ont augmenté, mais l’artisanat ne représentait que 3 % de ces ventes (92 % concernaient le café et 5 % concernaient le miel). 109 Cité par OPORTUNIDADES DE NEGOCIOS, Artesanías Textiles, In Red de Cajas de Herramientas MIPYME, Site du réseau des boîtes à outils des Petites et Moyennes entreprises du Gouvernement guatémaltèque, adresse URL : http://www.negociosgt.com/main.php?id=201&show_item=1&id_area=144 (page consultée le 5 mai 2011). Cf. Annexe I : Exportations d’artisanat. 110 Cette catégorie concerne les produits au code d’exportation débutant par 42, la seule que j’ai pu trouver. 111 LINARES GARCIA, H. E., Elaboración de un diagnostico y capacitaciones dirigidas a las asociaciones certificadas bajo el esquema de comercio justo, Guatemala, Ministère de l’Économie du Guatemala, 2009, rapport, p.32-33. 112 Cf. Annexe J: Moyennes des ventes annuelles d’artisanat équitable par association. 63 Chapitre 3 : Analyse du marché de l’artisanat équitable guatémaltèque La crise économique mondiale n’a pas épargné les activités commerciales des associations équitables d’artisans. Selon un sondage113, 40 % des associations affirment avoir surtout été affectées par l’augmentation des coûts de transport ; 35 % par la diminution des commandes des clients internationaux ; 15 % par la diminution du nombre d’employés ; 10 % par la diminution du nombre d’artisans membres de l’organisation. Ces dernières années, le marché interne de l’artisanat s’est limité pratiquement à la demande touristique internationale. Le riche patrimoine culturel et le cadre naturel du Guatemala constituent des atouts pour attirer les touristes dans le pays. Cependant, l’insécurité, le narcotrafic, les catastrophes naturelles114 et la criminalité freinent ces derniers au moment de choisir leur destination. En 2009, cet ensemble de facteurs a eu un impact négatif sur l’apport de devises touristiques qui enregistraient alors une baisse de 9,6 %115. Malgré ces éléments adverses, et malgré la crise économique mondiale, le flux de voyageurs se rendant au Guatemala n’a pas cessé d’augmenter ces 7 dernières années. Selon l’Institut Guatémaltèque du Tourisme (INGUAT)116, le pays a attiré 1.875.777 visiteurs étrangers en 2010, soit 5,6 % de plus qu’en 2009. Une augmentation du même ordre a été observée pour les dépenses touristes (6,2 %), affichant un total de 1,378 millions $. Cette augmentation constante dans le flux touristique laisse supposer un potentiel de croissance pour les produits destinés aux touristes, comme l’artisanat textile par exemple. À dire vrai, lors de leur premier voyage au Guatemala, les visiteurs aiment revenir avec de petits souvenirs tels que des produits de l’artisanat équitable. Cependant, ils ne sont pas toujours éduqués à 113 LINARES GARCIA, H. E., 2009, op. cit., p. 33. Rien qu’en 2010, le pays a subi l’éruption du volcan Pacaya, quelques jours plus tard, la tempête Agatha ainsi que d’abondantes pluies diluviennes. 115 DE BONILLA, M. A ., et al., Guatemala en Cifras, in MINECO, Site du Ministère de l’Économie au Guatemala, p.74-75, adresse URL : http://www.mineco.gob.gt/Presentacion/AnalisisEconomico.aspx?indice=Documentos%20de%20Inter% E9s (page consultée le 18 mais 2011). 116 INGUAT, Flash Report Diciembre 2010, in INGUAT, Site de l’Institut guatémaltèque du Tourisme, adresse URL : http://www.visitguatemala.com/web/documentos/estadisticas/FLASH_REPORT_DICIEMBRE_2010.pd f (page consultée le 18 mai 2011). 114 64 Chapitre 3 : Analyse du marché de l’artisanat équitable guatémaltèque distinguer les produits faits à la main et ceux fabriqués industriellement en série. De plus, il leur est difficile de faire la différence entre les produits guatémaltèques et ceux importés. La population nationale, quant à elle, n’estime pas toujours la valeur des produits artisanaux, qui sont de plus en plus substitués par les produits synthétiques. De plus, la capacité d’achat limitée de beaucoup de Guatémaltèques ne leur permet pas de s’offrir des produits de l’artisanat équitable. Ce peu de visibilité de l’artisanat dans les statistiques commerciales ne correspond pas à la réalité et à l’importance que représente ce secteur pour des milliers de producteurs guatémaltèques, ni à sa signification dans la conservation des cultures et traditions ancestrales transmises de génération en génération. Comme je l’ai mentionné précédemment, Aj Quen est une ASBL. La fédération y concentre toutes ses activités de soutien aux membres telles que la formation sociale, culturelle, économique et politique. Cependant, une ASBL ne peut exercer d’activité économique au Guatemala. Pour cette raison, Aj Quen a créé une entité commerciale dénommée ―projet éducatif de production pour la commercialisation d’artisanat textile‖. Cette partie est considérée comme une entreprise privée devant la loi. Ainsi, Aj Quen est soumise aux mêmes règles que toute entreprise privée (administration, payement des taxes, brevet commercial, déclaration fiscale, etc.) 117. En plus de ces obligations, Aj Quen, pour pouvoir exporter, doit certifier que les matières premières utilisées ne contiennent pas de métaux lourds. La personne qui représente cette entreprise est l’ancien président du conseil d’administration, Leonzo PILO HOM qui, à l’aide d’un acte sous sein privé, transfère tous ses droits à l’ASBL. Au travers de cette entreprise privée, Aj Quen peut opérer toutes les activités commerciales tant au niveau 117 Pour davantage de détails sur ces aspects, cf. Annexe K : Législation commerciale au Guatemala. 65 Chapitre 3 : Analyse du marché de l’artisanat équitable guatémaltèque local qu’international. Au final, tout se réalise au travers d’Aj Quen. Ce n’est que d’un point de vue administratif et fiscal que la division s’opère.118 En ce qui concerne le secteur de l’artisanat, une loi existe sur la Protection et le développement artisanal au Guatemala119. Elle promet notamment des exonérations de taxes à l’exportation aux artisans ayant un statut défini par la loi, mais elle n’est pas appliquée. À ce sujet, le Coordinateur exécutif d’Aj Quen120 évoque l’importance que pourrait avoir une loi effective dans le secteur artisanal. En effet, elle pourrait orienter les pratiques et processus de production et de commercialisation. Enfin, notons que le salaire minimum approuvé pour 2011 est de Q63,70 par jour, soit 5,905 €. Aj Quen respecte ce critère pour ses producteurs qui sont payés jusqu’à quatre fois plus que dans le marché conventionnel121. Par contre, le salaire mensuel pour ses employés devrait s’élever à au moins Q1.937,54122 (179,63 €), ce qui n’est pas le cas pour certains d’entre eux. Quant à la concurrence, « le Guatemala ne dispose encore d'aucune loi générale sur la politique en matière de concurrence… Les autorités reconnaissent que le marché intérieur comporte des monopoles, des oligopoles et des cartels en raison de la taille modeste de l'économie et des nombreuses réglementations existantes. Le renforcement de la concurrence constitue par conséquent l'un des plus grands défis de la politique économique du Guatemala »123. Au niveau du marché extérieur, des dispositions 118 Entretien avec Monsieur José Victor POP BOL, Coordinateur exécutif, AJ QUEN, le 18 mai 2011. Il s’agit du ―Decreto No. 141-96 DECRETO NUMERO 141-96‖. Source : INFOARTESANIAS, Site de infoartesanias.com du Ministère de l’Économie guatémaltèque, adresse URL : http://infoartesanias.com/ (page consultée le 26 avril 2011). 120 Entretien avec Monsieur José Victor POP BOL, Coordinateur exécutif, AJ QUEN, le 2 mars 2011. 121 Entretien avec Monsieur Alvarado Cano Elmer, Économiste, Consultant indépendant pour le DÉVELOPEMENT COMMUNAUTAIRE ET PATRONAL, le 19 mars 2011. 122 POLITICA DE GUATEMALA, Salario Minimo 2011 Acuerdo Gubernativo No. 388-2010, In Politica de Guatemala, Site des politiques du Guatemala, adresse URL: http://www.politicagt.com/salario-minimo-2011-acuerdo-gubernativo-no-388-2010/ (page consultée le 4 février 2011). 123 ORGANE D’EXAMEN DES POLITIQUES COMMERCIALES, 2009, op. cit., p.27. 119 66 Chapitre 3 : Analyse du marché de l’artisanat équitable guatémaltèque juridiques relatives à l’antidumping sont reprises dans les accords de libre-échange que le pays a conclus avec certaines nations124. En sus de la législation à laquelle doit répondre Aj Quen, l’association se conforme, sur base volontaire, aux valeurs propres à celles du commerce équitable. De cette manière, elle étend ses responsabilités purement légales au respect de l’être humain et de son environnement. De plus en plus de magasins spécialisés dans la vente de produits issus du commerce équitable émergent dans différentes villes du pays. C’est le cas de la Casa de Cervantes, Chikach, Sueños de café y más, Al Natur, etc. qui rassemblent les produits de différentes organisations du commerce équitable réparties dans différentes régions du Guatemala. Ces initiatives de commerce équitable domestique se développent parallèlement à des réseaux ou plates-formes nationaux de commerce équitable et d’économie solidaire. Cependant, au Guatemala, le commerce équitable reste encore peu connu. Quelques initiatives surgissent tout de même, que ce soit au niveau gouvernemental ou non gouvernemental. C’est notamment le cas de la Commission interinstitutionnelle de Commerce équitable et solidaire au sein du Ministère de l’Économie du gouvernement guatémaltèque. En 2009, cette commission a lancé un plan stratégique quinquennal couvrant la période de 2009 à 2013. La mission de ce plan stratégique est de développer une économie équitable, solidaire et durable où les petits producteurs occupent le rôle principal. Son but est de les intégrer dans une plate forme regroupant différents acteurs qui génèrent ce type d’économie. Soulignons tout de même que cette commission est en stand-by pour le moment. Juste après avoir élaboré le plan 124 Cf. annexe K : Législation commerciale au Guatemala. Nous ne verrons que les organisations principales. Cf. Annexe L : Liste des institutions qui soutiennent le commerce équitable au Guatemala. 125 67 Chapitre 3 : Analyse du marché de l’artisanat équitable guatémaltèque stratégique, le Ministère de l’Économie est entré dans un processus de restructuration. En conséquence, certains départements ont disparu, d’autres ont été consolidés et, depuis lors, la Commission ne sait pas si elle sera rattachée à l’un ou l’autre département. Pour le moment, elle fait partie du département du commerce extérieur, mais elle se verra peut-être rattachée au département des petites et moyennes entreprises. Selon son dirigeant126, ce flou institutionnel bloque les opérations de la Commission. Par ailleurs, une autre initiative, non gouvernementale cette fois, est née en 2004 à l’instigation de deux bénévoles américaines de Rights Action127. Elles ont invité des groupes de petits producteurs provenant de différentes régions du Guatemala à réfléchir sur les conditions d’amélioration de la production et de la commercialisation de leurs produits. Ils ont ensemble comparé les apports du commerce équitable d’exportation et d’un échange solidaire au niveau local. Ils en ont conclu qu’il était nécessaire de conscientiser les consommateurs à l’achat des produits locaux dans le but de soutenir les petits producteurs de leur pays et ont créé RAIS. Depuis lors, ils organisent une « foire d’économie solidaire » une fois par an. Durant cet événement, les 28 membres de RAIS exposent leurs produits biologiques et artisanaux (cela va du savon au chocolat en passant par le textile). En outre, ils échangent leurs biens entre eux. Ainsi, les affiliés peuvent vendre et faire la promotion d’autres articles dans leur magasin. La Coordination latino-américaine des Caraïbes de petits Producteurs du Commerce équitable (CLAC) a également vu le jour en 2004. Elle réunit environ 300 petits producteurs de 21 pays de la région, offrant ainsi une large gamme de produits alimentaires comme du café, du miel, des bananes, du cacao, des fruits… Des bureaux régionaux sont implantés dans différents pays du continent128. 126 Entretien avec Monsieur Iván García, Conseiller en promotion commerciale, MINECO (Ministère de l’Économie du Guatemala), le 25 février 2011. 127 Rights Action est une association sans but lucratif installée au Canada et aux États-Unis. Elle finance divers projets de développement au Guatemala, au Honduras et au Mexique. 128 COORDINADORA LATINOAMERICANA Y DEL CARIBE DE PEQUEÑOS PRODUCTORES DE COMERCIO JUSTO (CLAC), Quiénes somos ?, In CLAC-Comercio Justo, Site de la Coordination latino-américaine des Caraïbes de petits producteurs du commerce équitable, adresse URL: http://clac- 68 Chapitre 3 : Analyse du marché de l’artisanat équitable guatémaltèque Enfin, l’Association pour la Promotion du Commerce équitable en Amérique centrale, au Mexique et aux Caraïbes129 (CRECER) est une association civile qui vise à contribuer à l’amélioration de la situation économique et sociale des petits producteurs organisés, en les soutenant de manière durable dans le renforcement de leur capacité économique et entrepreneuriale. CRECER a été créée en 1997. Cette organisation a pour but principal d’augmenter la compétitivité des petits producteurs et des organisations locales situées en Amérique centrale et au Mexique en faveur d’une distribution plus juste des revenus. Pour ce faire, elle envoie des consultants chez ces petits producteurs. Au niveau international, l’Organisation Mondiale du Commerce Équitable (WFTO, dont nous avons préalablement cité les standards) est un réseau mondial regroupant 400 organisations de commerce équitable de 73 pays différents (surtout au Sud de la planète). Depuis 20 ans, elle offre des conseils en développement de produits, en commercialisation, en accès au financement et à la formation technique. Son but est notamment d’éradiquer la pauvreté au travers d’un développement économique durable des artisans, fermiers, et producteurs des communautés les plus marginalisées130. Dans les pays européens, l’Association européenne de Commerce équitable (EFTA) est une association de 10 importateurs de commerce équitable (CTM Altromercato, Oxfam-Magasins du Monde, Gepa, Claro…) répartis dans neuf pays. EFTA a été établi en 1987 par des importateurs. Son but est de soutenir les membres dans leur travail et de les encourager à coopérer. EFTA facilite l’échange d’informations, élabore des conditions pour la division du travail, identifie et développe des projets communs, etc., en organisant par exemple, des réunions thématiques de membres, en leur fournissant de l’information sur les fournisseurs et leurs produits, etc. comerciojusto.org/quienes-somos (page consultée le 3 mai 2011). 129 CRECER, Acerca de CRECER, In CRECER, Site de CRECER, adresse URL: http://www.crecer.org.gt/index.php?showPage=6&cache=1 (page consultée le 3 mai 2011). 130 The World Fair Trade Organization, Who we are ?, In World Fair Trade Organization, Site de l’organisation mondiale de commerce equitable, adresse URL: http://www.wfto.com/index.php?option=com_content&task=view&id=890&Itemid=292 (page consultée le 3 mai 2011). 69 Chapitre 3 : Analyse du marché de l’artisanat équitable guatémaltèque En ce qui concerne l’Amérique du Nord, la Fédération du Commerce équitable (FTF) renforce et promeut les entreprises nord-américaines équitables. Elle existe depuis la fin des années 1970, mais est connue sous son nom actuel depuis 1994. Cette fédération est un membre actif de la WFTO. Il est intéressant d’observer les caractéristiques propres à Aj Quen au travers de ce qui vient d’être développé dans ce profil du marché guatémaltèque. Tout d’abord, en ce qui concerne la chaîne de valeur, le schéma décrit correspond en grande partie aux opérations d’Aj Quen comme il a été démontré dans la filière de l’association. Cependant, le schéma ne renseigne pas la logistique interne développée pour obtenir les intrants nécessaires. De plus, les groupes de producteurs ne sont pas uniquement des communautés de tisserands, mais également des groupes de confection et de crochet. Enfin, le schéma ne montre pas les flux concernant la confection du produit (les designs, le marketing) ainsi que la logistique interne de marketing au moment des ventes. Par ailleurs, la relation directe entre l’association et l’importateur n’est pas non plus reprise dans le schéma. Cette dernière joue le rôle d’interface entre les producteurs d’une part, et les importateurs et commerçants d’autre part. Elle facilite la communication et renforce les relations commerciales entre des personnes issues de différentes classes sociales, de différents milieux, aux cultures, langages et niveaux d’éducation différents. Aj Quen écoule des produits dans la grande distribution au travers de Cemaco et de Walmart, comme il a été mentionné précédemment. Parfois aussi, l’association participe à des salons commerciaux d’artisanat ou de commerce équitable, internationaux ou nationaux. Cela peut également lui ouvrir de nombreuses portes. Enfin, les groupes d’artisans vendent également leurs produits directement sur les marchés populaires et touristiques. 70 Chapitre 3 : Analyse du marché de l’artisanat équitable guatémaltèque Dans le tableau d’ensemble des caractéristiques de l’artisanat textile, Aj Quen bénéficie de quelques avantages : étant donné que l’organisation est dirigée par des Indigènes, ils sont valorisés et entendus. En outre, sa structure d’organisation au niveau interne (avec l’assemblée générale et le conseil d’administration) lui confère une certaine stabilité, où les artisans membres sont représentés. De plus, Aj Quen bénéficie d’une certaine expérience en commercialisation au travers de circuits de commerce équitable au Nord, et au travers de la vente directe aux touristes et aux consommateurs guatémaltèques plus riches au Sud. Aussi, la capacité productive de l’association est honorable vu qu’elle travaille avec 25 groupes d’artisans. Cependant, le partage des commandes n’est pas toujours très équilibré entre les groupes et cela crée des tensions. Sur son marché local, Aj Quen propose des produits de qualité par rapport à l’artisanat conventionnel qui a souvent recours à des intrants de qualité moindre et fait intervenir beaucoup d’intermédiaires. Le tableau suivant compare cinq produits principaux d’Aj Quen avec la concurrence locale. Tableau3.1. : Prix des produits d’Aj Quen par rapport au marché conventionnel Lieux Produits Prix en Q. Panajachel Set de table de 6 Pièces Q 120,00 Chemin de table Q 280,00 Coussins Q 95,00 Sacs Q 150,00 Châles Q 75,00 Set de table de 6 Pièces Q 50,00 Chemin de table Q 125,00 Coussins Q 75,00 Sacs Q 60,00 Châles Q 113,00 Set de table de 6 Pièces Q 130,00 Chemin de table Q 150,00 Coussins Q 80,00 Sacs Q 75,00 Châles Q 90,00 Set de table de 6 Pièces Q 150,00 Chemin de table Q 130,00 Coussins Q 125,00 Sacs Q 125,00 Châles Q 85,00 Quetzaltenango Antigua Aj Quen Source : Marví Hernandez, consultant pour Aj Quen 71 Chapitre 3 : Analyse du marché de l’artisanat équitable guatémaltèque Ces données montrent que même en utilisant des matières premières de meilleure qualité, Aj Quen n’est pas forcément la plus chère. En effet, certains revendeurs conventionnels n’hésitent pas à gonfler leurs prix lorsqu’ils se trouvent dans des endroits touristiques. Enfin, Aj Quen offre des produits travaillés et parfois selon des modèles exclusifs, ce qui les différencie des produits importés chinois. Il s’agira ici de discerner les acteurs principaux du marché de l’artisanat textile et textile équitable. Avant d’entrer dans le vif du sujet, je commencerai par définir la méthodologie utilisée pour cette analyse. Pour analyser le système concurrentiel, je me suis d’abord intéressée à l’entreprise Aj Quen afin de bien comprendre les enjeux de son environnement. Ensuite, sur le terrain, j’ai pris contact avec les différents concurrents de la fédération et me suis entretenue avec la plupart d’entre eux. Seuls quelques-uns n’ont pas accepté de coopérer. Les guides d’entretien utilisés ont été préparés durant mon premier stage132 chez OxfamMagasins du monde. À mon arrivée au Guatemala, je les ai revus et complétés avec le Coordinateur exécutif d’Aj Quen. Une fois mes guides d’entretien finalisés, j’ai tenté d’identifier les concurrents en interviewant les membres du personnel d’Aj Quen et ce, dans le but de connaitre les règles, les difficultés et les potentialités de ce marché. Lors de chacune de mes interviews, je suivais ce guide d’entretien afin d’obtenir l’information la plus structurée et rigoureuse possible. Dans la plupart des cas, j’envoyais mes questionnaires à l’avance afin que l’interlocuteur puisse se préparer. Avant de débuter l’entretien, je ne manquais pas de 131 HAUZEUR, S., Séminaire d’initiation à la démarche scientifique, Bruxelles, ICHEC, syllabus, 20062007, p.9-10. 132 Cf. Annexe M : Guide d’entretiens. 72 Chapitre 3 : Analyse du marché de l’artisanat équitable guatémaltèque me présenter, d’exposer les objectifs de l’étude ainsi que mes attentes par rapport à celle-ci, et de garantir un traitement confidentiel des données reçues133. Je m’arrangeais pour que mon entretien ne paraisse pas comme un interrogatoire, mais plutôt comme une discussion. De plus, la plupart des questions étaient ouvertes. Ainsi, au fur et à mesure de l’entretien, j’évaluais les questions qu’il s’avérait encore utile de poser par rapport à ce qui avait déjà été révélé au préalable. Cela, dans le but de ne pas poser des questions qui auraient déjà trouvé réponse, ou pour ne pas sortir d’un contexte et y revenir par la suite. J’essayais d’être la plus claire possible. Toutefois, lorsque cela s’avérait nécessaire, j’approfondissais certains points afin de bien me faire comprendre et pour que la personne interrogée puisse « exprimer sa réalité avec son langage et ses concepts »134. De même, si un point restait flou pour moi, je n’hésitais pas à demander des explications à la personne interrogée. J’essayais d’être à l’écoute et attentive durant toute la durée de l’entretien. Parfois, je devais recentrer l’interview lorsque l’interlocuteur se révélait trop bavard. Enfin, je prenais congé de l’interviewé en demandant sa carte de visite et en lui proposant de rester en contact afin de donner suite à l’entretien si nécessaire. De cette manière, j’ai pu réclamer des documents qui n’avaient pas encore été envoyés et transmettre un courriel de remerciements à toutes les personnes ayant participé à ces entretiens. Au total, j’ai pu interroger cinq associations d’artisanat équitable certifiées pour l’exportation ; six associations d’artisanat textile qui, selon moi, respectent des critères éthiques, mais qui ne possèdent aucune certification ; plusieurs marchands d’artisanat conventionnel sur les marchés typiques ; quatre magasins d’artisanat textile conventionnel ; deux magasins proposant de l’artisanat textile conventionnel et équitable ; et enfin, six magasins équitables proposant des aliments et de l’artisanat. 133 134 Parfois, étant donné les longues distances, nous communiquions par courriel, et non en face à face. HAUZEUR, S., 2006-2007, op. cit., p.9. 73 Chapitre 3 : Analyse du marché de l’artisanat équitable guatémaltèque J’ai concentré ces entretiens dans les villes de Chimaltenango, Antigua, Ciudad de Guatemala, Panajachel et Quetzaltenango. Tableau 3.2 : Acteurs de l’artisanat conventionnel et équitable interviewés Chimaltenango Associations d’artisanat équitable certifiées pour l’exportation (5) Associations d’artisanat respectant les critères éthiques mais sans certification (6) Magasins équitables (6) Magasins d’artisanat textile conventionnel et équitable (2) Magasins d’artisanat textile conventionnel (4) Marchands d’artisanat conventionnel sur des marchés typiques (+/- 15) Total (38) Antigua Panajachel Aj Quen Maya Works Mujeres en acción Quetzaltenango Trece hilos De la Selva Ajachel Novedades Marlena Ciudad de Guatemala UPAVIM Courriel Cojolya Trama Textiles Yabal Al-Natur Kuchubal Centro de comercio alternativo Sueños de café y más Casa de Cervantes Chikach N’MPOT La Casa de los Gigantes Novedades Milena 4 Momosteca 7 8 14 9 Tipica San Juanerita Mayan Pacific 6 4 1 Source : réalisation personnelle De manière générale, le contact est très bien passé avec toutes ces personnes. Elles m’accueillaient à bras ouverts et se montraient compréhensives et coopératives. 74 Chapitre 3 : Analyse du marché de l’artisanat équitable guatémaltèque L’analyse de la concurrence sera structurée en fonction des trois types de compétiteurs présents sur le marché guatémaltèque. Selon le recensement du commerce équitable et solidaire au Guatemala135, cinq associations de petits producteurs d’artisanat textile équitable certifiées commercialisent leurs produits en Amérique du Nord en tant que membre de la FTF, et une seule adhère à la WFTO. Cependant, l’acronyme de ces organisations ne signifie presque rien sur le marché local : ils sont essentiellement reconnus dans les pays importateurs. Pour les producteurs, il y a de nombreux avantages à être certifiés : prix de vente plus élevés que dans le commerce conventionnel, accès à de nouveaux marchés et anticipation financière sur la commande. Ces associations exportent une grande partie de leur production, mais il arrive que des clients du marché conventionnel passent également commande. Ces commandes se font aux mêmes conditions (préfinancement) même si les produits ne sont pas vendus sous le label équitable par la suite. Il est intéressant aussi d’analyser les associations locales appliquant des critères éthiques proches de ceux du commerce équitable, mais ne possédant pas de labels. Celles-ci sont beaucoup plus nombreuses que les associations certifiées. En effet, au cours de mes interviews, je me suis rendu compte que plusieurs organisations, similaires à Aj Quen, manquaient d’opportunités ou d’argent pour obtenir une certification « équitable » reconnue. Souvent, ces associations s’organisent de la même façon qu’Aj Quen : elles travaillent essentiellement avec des femmes rurales affectées par le conflit armé ou par les catastrophes naturelles successives, et proposent des services supplémentaires comme des formations dans leur centre, ou la construction d’infrastructures communautaires. Bien entendu, je n’ai pu effectuer un audit pour 135 Il s’agit des associations suivantes : FTF: Mayan Hands, Mayaworks, UPAVIM, Samajel B’atz’, Asociación Cojolya; WFTO: CRECER. Source: ANONYME, Mapeo del Comercio Justo y Solidario, Guatemala, MINECO, document interne, 2008, p. 25. 75 Chapitre 3 : Analyse du marché de l’artisanat équitable guatémaltèque m’assurer du respect des critères équitables, mais les projets sociaux qu’elles mènent pour améliorer la situation des femmes les distinguent des vendeurs d’artisanat textile conventionnel. Ces deux premiers types d’organisations offrent des produits qui se différencient de l’artisanat textile typique. Généralement, à l’aide de bénévoles étrangers, elles adaptent leurs produits à la demande internationale en modifiant peu à peu les modèles, mais tout en conservant les caractéristiques intrinsèques de l’artisanat traditionnel. Chacune d’elles essaye de lancer de nouveaux produits au moins une fois par an afin de satisfaire principalement la clientèle étrangère. Dans les endroits touristiques, les produits sont plus adaptés à l’utilisation quotidienne pour les populations des pays développés, comme des pochettes pour téléphones portables, des porte-documents, des sacs à dos, etc., sans toutefois perdre les caractéristiques du tissage et les symboles de la culture maya. Aujourd’hui, ces organisations cherchent à se différencier également au travers d’activités parallèles comme en proposant des cours de tissage aux touristes, ou encore, en organisant des visites dans les communautés. 90 % de ces entreprises dépendent donc de la vente aux touristes (qui proviennent majoritairement des pays développés du Nord). Ce qui, à terme, pourrait s’avérer dangereux si les catastrophes naturelles et l’insécurité du pays augmentent. En outre, 90 % de ces entreprises également reçoivent de l’aide extérieure, tout comme Aj Quen. En ce qui concerne la qualité de la production, plus de la moitié de ces organisations éthiques (De la Selva, Ajachel, Novedades Marlena et Yabal) se procurent les matières premières auprès de Rio Blanco et utilisent donc des fils de qualité. Par contre, Trama Textiles et Mujeres en Acción se procurent des fils de moindre qualité chez des fournisseurs moins chers (Artexco et Mish). Les produits d’artisanat textile équitable les plus vendus sont les foulards, les sets de table, les sacs, les châles et les chemins de table. Toutefois, la production s’opère à petite échelle et par conséquent, ces entreprises ne savent pas toujours répondre aux commandes plus conséquentes dans des délais courts. 76 Chapitre 3 : Analyse du marché de l’artisanat équitable guatémaltèque J’ajouterai également que toutes ces organisations interrogées sont membre de l’Agexport afin d’obtenir un numéro d’exportateur, et ainsi s’assurer un volume considérable de commandes. Actuellement, leurs activités d’exportation sont plus importantes que leurs ventes locales. Toutefois, 90 % de ces acteurs ont vu leurs ventes diminuer avec la crise économique mondiale. Certains se rendent compte de la nécessité de proposer leurs produits sur le marché local. D’autres essayent tant bien que mal de se tourner vers des produits recyclés ou d’utiliser des colorants naturels, car c’est la tendance aux États-Unis, et parce qu’ils ne visent qu’à exporter. En effet, 30 % des personnes admettent avoir peur de tenter les copieurs en vendant localement. Toutefois, vendre sur le marché local n’est pas simple. 64 % des associations interrogées possèdent une boutique ouverte depuis peu au Guatemala et 55 % mettent leurs produits en vente dans d’autres magasins, selon le système de la vente en consignation. À ce sujet, il est important de vendre dans un magasin et non sur un marché car les prix y sont fixes et empêchent les clients de marchander. En effet, dès leur arrivée au Guatemala, les touristes sont avertis des prix élevés qui vont leur être demandés lors de leurs achats sur les échoppes des marchés guatémaltèques (par rapport aux prix pour les locaux). Si bien que ces voyageurs marchandent plus que les autochtones et exigent des prix indécents. Cependant, que ce soit sur les marchés ou en magasins, les gens recherchent le moins cher (même ceux qui en ont la capacité économique). D’où, l’importance de conscientiser la population afin de différencier l’équitable du conventionnel. Une autre de mes questions également était de savoir si ces organisations travaillaient avec des bénévoles, afin d’analyser si le modèle d’Oxfam pouvait se transposer à ces organisations guatémaltèques. Il s’avère que ce n’est pas dans la culture guatémaltèque de donner son temps libre comme volontaire. La majorité des bénévoles sont étrangers mais, il arrive que des stagiaires guatémaltèques viennent apporter leurs connaissances (gratuitement) afin d’obtenir leur diplôme. 77 Chapitre 3 : Analyse du marché de l’artisanat équitable guatémaltèque Je n’ai pu m’entretenir avec Chilam-Balám, le deuxième partenaire guatémaltèque d’Oxfam-Magasins du monde car il semblerait qu’ils soient en cours de faillite136. Leur site internet ne fonctionne pas. Quant enfin, j’ai eu une réponse par courriel me promettant une rencontre, je me suis empressée d’y répondre, mais depuis, plus rien, ni par courriel, ni par téléphone. Je me suis alors rendue au siège de l’association lors de mon passage à Quetzaltenango, mais il n’y avait aucune trace de celle-ci. Nous baserons donc nos informations sur un document interne d’Oxfam-Magasins du monde137. Chilam-Balám était une fédération d’artisans comme Aj Quen dont la spécialité était le textile tissé à la main. Chilam gérait la production au Guatemala et Balám se chargeait de l’exportation et de la commercialisation en Belgique. Tout comme Aj Quen, l’association a formé ses artisans à produire des articles de qualité et avait pour but d’augmenter le niveau de vie des plus marginalisés. À ce titre, elle bénéficiait d'aide financière étrangère. Par contre, à la différence d’Aj Quen, Chilam achetait son coton brut venant d’Inde à un distributeur guatémaltèque, et la teinture en Europe. Aujourd’hui, cette organisation est en faillite. D’après P. Vergara138, Oxfam-Magasins du monde était son seul client étranger. Ces derniers mois, la Coordinatrice de Chilam ne donnait plus de nouvelles. Oxfam-Magasins du monde tentait d’entrer en contact avec elle, en vain. Jusqu’au jour où la Coordinatrice demanda à l’entreprise belge de racheter une partie de son stock car Chilam-Balám était en cours de faillite. Après avoir répondu positivement à cette demande, Oxfam-Magasins du monde n’a plus jamais entendu parler de cette association… Les causes de cette faillite sont inconnues. Seraitce le fait d’avoir utilisé une filière plus intégrée que celle d’Aj Quen ? Ou serait-ce dû à un manque de transparence vis-à-vis d’Oxfam-Magasins du monde qui aurait pu soutenir l’organisation ? 136 Entretien avec Madame Valérie VANDERVECKEN, Responsable partenariat Sud, OXFAMMAGASINS DU MONDE, le 5 mai 2011. 137 POROT, V., Chilam-Balám Guatemala 2008, Wavre, Oxfam-Magasins du Monde, document interne, 2008, p.1-2. 138 Entretien avec Madame Patricia VERGARA, Responsable produits, OXFAM-MAGASINS DU MONDE, le 18 mai 2011. 78 Chapitre 3 : Analyse du marché de l’artisanat équitable guatémaltèque En conclusion, la concurrence en artisanat textile équitable augmente d’année en année. De plus en plus d’organisations de ce type de produits et de commerces voient le jour. Cela signifie qu’il y a une certaine demande. Cependant, ces organisations ont conscience que ce marché reste encore fort méconnu de la population locale et que les endroits stratégiques pour écouler leurs ventes sont les lieux touristiques. Bien que je le considère comme un marché équitable, aucune certification ne confirme que les principes soient respectés. Cependant, les membres de la FTF ne sont pas toujours soumis à des contrôles très stricts… En conséquence, les organisations éthiques non certifiées sont peut-être aussi équitables, voire plus. En tous les cas, les concurrents interrogés reconnaissent qu’un label pourrait faciliter, voire augmenter leurs ventes à certaines entreprises et à l’exportation. Les labels existants sur les marchés internationaux sont trop coûteux et trop contraignants. À ce sujet, un des interlocuteurs préfère investir la même somme d’argent (1300 €) dans des projets sociaux plutôt que de payer une cotisation à une organisation de commerce équitable139. Un éventuel label national pourrait remédier à cela. Afin d’investiguer l’artisanat textile conventionnel, je me suis rendue sur les marchés de la rue Santander à Panajachel, sur le marché d’artisanat d’Antigua, dans des magasins à Chimaltenango, à Antigua, et à Quetzaltenango. Sur les marchés, les vendeurs ne connaissent pas le commerce équitable. Ils sont tous d’accord avec le fait que le commerce a besoin de plus d’équité, surtout face aux produits chinois bon marché. Toutefois, ils évoquent trois obstacles qui les rendent réticents à s’intégrer dans un groupe. Tout d’abord, ils craignent de perdre le contrôle en incluant davantage d’intermédiaires. Ensuite, une des vendeuses sur un marché d’artisanat m’a également fait part de sa mauvaise expérience avec des coopératives et ne désire donc plus collaborer. En effet, le manque de transparence de certains associés s’emparant des bénéfices à l’insu des autres ne l’encourage pas à coopérer. Enfin, deux 139 En plus, de cette manière, il est certain que l’argent de la vente est investi pour la communauté et qu’il ne sert pas l’intérêt des représentants des groupes, ou des chefs de famille qui, au lieu de payer l’éducation de leurs enfants, remboursent des dettes ou s’achètent de l’alcool, etc. 79 Chapitre 3 : Analyse du marché de l’artisanat équitable guatémaltèque gérants de magasins d’artisanat m’ont fait savoir qu’ils s’insèreraient bien dans le commerce équitable, mais qu’ils n’en connaissent pas les possibilités. Ils manquent d’opportunités. J’ai pu observer cinq caractéristiques générales de ce secteur conventionnel. Premièrement, le vendeur en magasin ou sur les marchés n’est pas la personne qui fabrique le produit ou qui les achète directement au producteur. En conséquence, le vendeur ne sait pas toujours très bien expliquer ce qu’il a en magasin à ses clients. En outre, pour appâter le touriste, beaucoup disent que toute leur production est familiale, alors que leur approvisionnement principal se fait sur le marché d’artisanat de la capitale. Deuxièmement, les vendeurs travaillent généralement avec des artisans ou des intermédiaires qui se déplacent jusqu’à leur échoppe. Les producteurs ou les intermédiaires leur déposent la marchandise en consignation et reçoivent l’argent une fois la vente réalisée. Parfois même, les revendeurs leur demandent de leur faire crédit et remboursent ultérieurement. La situation est donc difficile pour ces artisans (et intermédiaires), qui n’ont aucune garantie de vente. De plus, lors de ces livraisons, les pillages sont fréquents. Il est aussi fréquent d’avoir affaire à des bandes organisées de revendeurs qui monopolisent les marchés populaires et touristiques. Sur ceux-ci, certains commerçants possèdent plusieurs échoppes et se mettent d’accord sur les prix de vente. Un autre fait marquant de l’artisanat textile est la vente ambulante. Il est d’ailleurs fréquent de se faire aborder par ces marchands dans les endroits touristiques. Ceux-ci sont de tout âge : des enfants, des adolescents, des adultes, des personnes âgées. La police ne semble pas concernée par cette activité illégale. Finalement, ce marché est caractérisé par des produits très semblables dans lequel les modèles sont calqués sur ceux des concurrents. En effet, comme peu de produits sont brevetés (brevets coûteux, nombreuses démarches administratives complexes et ne garantissant pas réellement de protection) rien n’empêche de les copier. De plus, le 80 Chapitre 3 : Analyse du marché de l’artisanat équitable guatémaltèque bagout de certains vendeurs rajoute au fait qu’il est difficile de distinguer les différents produits équitables des autres. On se laisserait facilement duper. Ces trois types de concurrents ont la caractéristique commune de ne pouvoir rivaliser face aux tonnes de produits importés et moins chers provenant d’Inde et de Chine. Ces pays possèdent des matières premières et de la main-d’œuvre bon marché ainsi qu’une grande capacité productive qui leur permet une économie d’échelle. Ainsi, un foulard chinois coûtera Q30 et une écharpe tissée à la main au Guatemala se vend à Q60. Cependant, le textile guatémaltèque est caractérisé par des pièces plus élaborées que celles des Asiatiques. C'est pourquoi il est nécessaire de mettre en avant cet avantage compétitif de taille. La stratégie des Chinois en particulier, est d’acheter un article anonymement et peu de temps après, des milliers de produits semblables se vendent sur le marché guatémaltèque. Les touristes croient acheter localement et directement aux producteurs, alors qu’ils achètent des produits asiatiques sans le savoir. La distinction n’est pas évidente à opérer. Certains revendeurs justifient que la présence de produits chinois leur permet de proposer une offre diversifiée car, selon eux, « il faut avoir un peu de tout ». Cette concurrence agressive oblige les artisans à chercher de nouvelles tendances dans la mode, de nouvelles techniques de promotion et de vente, et veiller à la qualité des produits finis. En somme, nous constatons que l’artisanat textile au Guatemala est un secteur très concurrentiel. Ce phénomène est renforcé par les produits importés bon marché qui se vendent bien dans un pays où la population recherche le moins cher. À l’heure actuelle, il n’existe pas beaucoup d’organisations proposant ces produits en version « équitable ». Toutefois, nous pouvons ressentir une certaine volonté d’aspirer vers plus d’équité commerciale dans le pays, au travers d’organisations militantes qui ne se dédiaient auparavant qu’aux marchés étrangers et qui, aujourd’hui, se tournent vers les marchés locaux. 81 Chapitre 3 : Analyse du marché de l’artisanat équitable guatémaltèque Afin de positionner Aj Quen par rapport à ses concurrents, je me concentrerai sur cinq variables concurrentielles : le prix, les matières premières, les produits, les alliances stratégiques et les standards équitables. Les prix des produits d’Aj Quen sont plus ou moins similaires sur le marché local par rapport aux organisations d’artisanat textile équitables: des sacs entre Q65 et Q95, des chemins de table entre Q130 et Q250, des sets de table de six pièces entre Q120 et Q170, des foulards entre Q50 et Q75 et enfin des châles entre Q75 et Q95. Quant aux fils utilisés par Aj Quen, ils proviennent du même fournisseur que pour la plupart des organisations de ce secteur. Cependant, certains de ses concurrents achètent du coton brut et utilisent des colorants naturels pour le teindre. Cela leur confère donc un argument supplémentaire par rapport à Aj Quen. L’association n’a pas recours à ce type de colorants parce qu’ils ne permettent pas d’obtenir exactement les mêmes couleurs à chaque utilisation. Étant donné que l’activité principale de la fédération est l’exportation, elle doit répondre exactement aux commandes des clients et utiliser les mêmes couleurs pour des grands volumes. Par contre, les organisations d’artisanat textile équitable se dédiant uniquement à la vente en magasin et ne fonctionnant pas sur de grands volumes commandés peuvent exposer les couleurs dont elles disposent et permettre au client de choisir parmi ces couleurs.140 Tout comme les autres organisations d’artisanat textile équitable, Aj Quen propose des produits diversifiés allant des foulards au chemin de table en passant par des coussins. Les magasins et fabriques que j’ai pu visiter présentaient généralement les mêmes types de produits. Aj Quen et les organisations similaires concurrentes ont l’avantage de jouir d’alliances stratégiques à l’extérieur du pays (principalement avec l’Amérique du Nord et 140 Dans le cas d’Aj Quen, le stock du magasin est rempli avec les invendus des exportations. 82 Chapitre 3 : Analyse du marché de l’artisanat équitable guatémaltèque l’Europe) afin d’écouler d’importants volumes. Cela leur permet de rester à jour dans les tendances de mode et des styles de vie des touristes. Enfin, il est important de souligner que, bien qu’Aj Quen applique les standards de la WFTO, elle n’en fait plus partie. L’association a décidé de se retirer à cause d’une incapacité financière à payer les cotisations et frais annuels élevés à la WFTO. Le Coordinateur exécutif141 témoigne du fait que ces frais portent préjudice aux revenus des artisans. Il est bien conscient que la WFTO joue un rôle important au niveau politique dans la défense de ses membres, mais que cet organisme doit aussi revoir ses tarifs afin d’en proposer de plus équitables. En discutant avec d’autres membres de la WFTO, José Victor s’est rendu compte que le rapport entre les bénéfices et les frais à payer n’en valait pas la peine. Par conséquent, afin de contrôler que l’association applique réellement des pratiques équitables, une fois par an, CTM Altromercato se rend sur place afin d’effectuer un contrôle. De plus, Oxfam-Magasins du monde est membre de l’EFTA. Cet organisme doit s’assurer que les fournisseurs des membres respectent les principes et valeurs du commerce équitable. En conséquence, Aj Quen doit compléter annuellement un formulaire permettant de vérifier ces derniers. La filière du commerce équitable ne se limite pas à un partenariat commercial entre les acteurs de la chaîne. C’est une collaboration dont l’objectif est collectif et qui ne vise pas seulement les aspects commerciaux. Ce mouvement est animé par des considérations qui la distinguent de la filière conventionnelle. Il a encore du chemin à parcourir dans les pays du Sud comme le Guatemala où les intérêts personnels sont prépondérants. 141 POP BOL, J. V., 2011, op. cit., p.6. 83 Chapitre 3 : Analyse du marché de l’artisanat équitable guatémaltèque Maintenant que les caractéristiques principales de l’offre en artisanat textile équitable ont été analysées, et que l’environnement concurrentiel dans lequel il s’inscrit a été parcouru, je vais étudier la demande dans ce même secteur. La partie suivante fournira donc des données plus précises quant à la réactivité de la population ciblée par rapport à l’artisanat textile équitable. D’abord, je définirai la méthodologie appliquée à cette étude. Ensuite, j’évaluerai les résultats obtenus quant à l’existence d’un marché potentiel dans le secteur de l’artisanat équitable. Afin de confronter l’entreprise Aj Quen avec le marché réel et avec son environnement, j’ai réalisé des études de marché qualitatives sur le terrain143. Pour évaluer le potentiel de développement d’un commerce équitable au Guatemala même, j’ai réalisé diverses études de marché (sur le terrain). Mon étude s’est faite principalement à l’aide de questionnaires permettant d’évaluer la demande locale en commerce équitable144. Le but de ceux-ci était de vérifier si ce négoce avait un avenir prometteur au Guatemala, grâce à une enquête sur les comportements d’achat des clients actuels et potentiels du commerce équitable. Dans une perspective du développement du commerce Sud-Sud pour Aj Quen au Guatemala, il était important de savoir si l’ouverture d’autres magasins dans des villes touristiques s’avérait pertinente. Les enquêtes ont été réalisées dans les rues les plus fréquentées d’Antigua, Panajachel, Quetzaltenango (aussi appelée Xela) et Chimaltenango. En concertation avec le 142 Cf. Annexe O : Traitement des résultats de la demande. Cette section s’inspire de GAUTHY-SINECHAL, M., VANDERCAMMEN, M., Etudes de Marché: Méthodes et outils, 2e éd., De Boeck Université, Bruxelles, 2008, et de PIRARD, P., Marketing Internationally, ICHEC, Bruxelles, 2009-2010. 144 Afin de les construire, je me suis basée sur un modèle d’Oxfam-Magasins du monde. Cf. Annexe P : Questionnaires. 143 84 Chapitre 3 : Analyse du marché de l’artisanat équitable guatémaltèque Coordinateur exécutif d’Aj Quen et Oxfam-Solidarité, je n’avais au départ retenu que les villes d’Antigua, Panajachel et Chimaltenango. À mon arrivée, le Coordinateur exécutif d’Aj Quen m’a cependant fait savoir qu’il aimerait ajouter Quetzaltenango à la liste. Ces quatre villes ne sont pas choisies au hasard. En effet, c’est à Chimaltenango que se trouve le siège d’Aj Quen et où la fédération a récemment ouvert un magasin d’artisanat équitable. Antigua est la prochaine ville visée par l’association pour installer une boutique. C’est une des villes les plus touristiques du Guatemala qui est réputée pour son artisanat. Panajachel est un autre lieu touristique, proche des deux autres villes et où la fédération aimerait être présente afin d’écouler sa production. Enfin, Quetzaltenango est un peu moins touristique, mais elle constitue le siège de différentes associations de commerce équitable et d’écoles d’espagnol pour les étrangers. La cible de mon questionnaire était constituée des clients actuels d’artisanat équitable et des prospects, âgés de plus de 18 ans. Je visais une population aisée, guatémaltèque et étrangère, passant dans les rues de ces villes. Je posais moi-même les questions en « face-to-face » avec les répondants, en anglais, en espagnol et en français. Chaque questionnaire était constitué de 24 questions. Le libellé des questions a été vérifié par Pierre Pirard et Martine Gauthytous deux anciens professeurs de Marketing à l’ICHECafin que chaque thème abordé soit bien compris par la personne interrogée. Aussi, j’ai testé mon questionnaire auprès de Guatémaltèques 145 afin d’en vérifier la pertinence et de m’assurer de ne pas poser des questions déplacées. En règle générale, je parvenais à interroger environ six personnes par heure. Mais l’entretien pouvait aussi durer davantage de temps lorsque je tombais sur des personnes plus loquaces (ce qui était également très intéressant). 145 Entretiens avec Messieurs Davila Luis et de León López Javier, Guatémaltèques, le 19 octobre 2010. 85 Chapitre 3 : Analyse du marché de l’artisanat équitable guatémaltèque La taille de l’échantillon s’élève à 263 répondants (ce qui se rapproche de la pertinence statistique qui est de 300 personnes minimum pour une population prise au hasard146). Le but était d’interroger 75 répondants dans chaque ville. Lorsque je le pouvais, je sondais les personnes auprès de magasins ou de stands de commerce équitable ou d’artisanat. C’est la méthodologie qui a été employée à Panajachel et Antigua. À Chimaltenango, vu l’affluence du centre commercial et du parc central le dimanche, j’ai préféré ces endroits. J’en ai également profité pour distribuer des flyers promouvant l’association. Chimaltenango n'étant pas une ville touristique, les répondants étaient tous Guatémaltèques. Cependant, tout au long de mon stage et dès que je le pouvais, j’interrogeais les clients du magasin au siège d’Aj Quenmême s’ils étaient peu nombreux. Quant à la dernière ville, Quetzaltenango, étant donné que je m’y sentais moins en sécurité et que je ne parvenais pas à trouver d’endroit typiquement touristique, j’ai décidé de distribuer mes questionnaires dans six écoles d’espagnol pour les étrangers (provenant principalement des pays du Nord). L’avantage de cette formule était que les élèves de ces écoles étaient tous des touristes, donc j’étais assurée d’atteindre directement mon public cible. Mais d'un autre côté, je ne pouvais pas perturber les cours (qui ne se donnent pas dans une seule et même classe, mais où chaque étudiant est assis en face d’un professeur dans différents endroits de l’école). J’ai donc tenté de distribuer mes questionnaires à l’heure de pause, mais la plupart n’étaient pas intéresséspréférant profiter de leur pauseet d’autres ne comprenaient pas toutes les questions. La méthode avait donc clairement ses désavantages. Je n’ai pu récolter qu’une vingtaine de questionnaires complétés. Cependant, cette ville compte un nombre assez élevé de magasins et d’associations appartenant au mouvement « équitable », surtout pour une ville guatémaltèque. Je me suis donc davantage entretenue avec ces associations. Le sondage est une pratique qui nécessite des précautions méthodologiques pour établir un contact de qualité et réaliser une enquête valable. Sur le terrain, j’abordais les 146 Entretien avec Madame Martine Gauthy, Responsable service Communication, ICHEC, 1er décembre 2010. 86 Chapitre 3 : Analyse du marché de l’artisanat équitable guatémaltèque personneschoisies de manière aléatoireen me présentant, puis en leur définissant l’objet de mon enquête. Après cette première prise de contact et une fois que l’interviewé était un peu plus en confiance, j’abordais les thématiques de l’artisanat et du commerce équitable. Pour conclure l’entretien, je demandais à l’interviewé de préciser quelques données sociodémographiques le concernant. Je prenais congé de la personne en la remerciant chaleureusement pour le temps qu’elle m’avait accordé. Tout au long de l’entretien, je tentais de faire preuve d’empathie, d’écoute, de neutralité et de respect. Étant donné la différence linguistique, je devais davantage prêter attention à la compréhension des questions par les personnes interrogées. En outre, je devais m’assurer d’avoir bien compris leurs réponses. Au total, j’ai consacré huit jours de mon stage à ces sondages. L’avantage d’une telle enquête est l’échange direct d’informations. Cela me permettait aussi de voir la réaction des gens, leur langage corporel, et d’éclaircir certains points du questionnaire qui posaient des problèmes de compréhension. Mais le système comporte aussi des inconvénients. Comme je choisissais les sondés au hasard, j’interpellais parfois des personnes ayant des problèmes d’élocution ou de surdité. À certains moments, je me rendais compte aussi que le concept de commerce équitable n’était pas bien compris. Certaines personnes le confondaient avec d’autres concepts ou affirmaient connaître le sujet, mais je réalisais au fil de l’entretien que ce n’était pas le cas. Cela m’a fait prendre conscience que tout le monde réfléchit différemment et a suscité des interrogations, des réflexions auxquelles je n’avais pas songé en préparant le questionnaire. Pour conclure, je voudrais préciser que, vu la taille et la sélection de l’échantillon, les résultats de cette enquête doivent être analysés avec précaution. 87 Chapitre 3 : Analyse du marché de l’artisanat équitable guatémaltèque L’étude de marché réalisée fournit les paramètres essentiels du comportement économique des clients de l’artisanat équitable. Le but est de distinguer le potentiel de ce type de produits dans le marché national. Cette demande interne concerne toute vente d’artisanat qui se réalise à l’intérieur du territoire guatémaltèque, que ce soit l’achat que réalisent les touristes ou l’achat que réalisent les habitants du pays pour leur usage propre ou pour offrir. Examinons maintenant les tendances générales que j’ai pu dégager des réponses des 263 personnes interrogées. 72 % des sondés étaient de passage dans la ville où je menais mon enquête. De ce pourcentage, 29 % étaient des résidents guatémaltèques. Quant aux autres voyageurs, ils provenaient principalement d’Amérique du Nord (surtout le Canada et les ÉtatsUnis, étant donné la proximité avec le Guatemala) et dans une moindre mesure d’Europe. On peut donc en déduire que 49 % de l’échantillon est constitué de personnes originaires du Sud et 51 % de personnes originaires du Nord147. La raison première de leur séjour est le tourisme. Sur ces 72 % de visiteurs, 60 % sont des voyageurs plus ou moins réguliers (ils effectuent un à trois voyages par an). En ce qui concerne le profil des répondants, ce sont en majorité des femmes qui ont répondu (63 %). En effet, lorsque j’expliquais l’objet de mon enquête, les hommes me renvoyaient souvent à leur compagne car « c’est elle qui fait les courses et qui connait ces choses-là ». Les catégories d’âge les plus représentatives de cet échantillon sont celles entre 18 et 25 ans, entre 26 et 35 ans ainsi que les personnes de plus de 56 ans. Généralement, les Guatémaltèques étaient des jeunes adultes, et les touristes étaient souvent âgés de moins de 35 ans ou pensionnés. Le nombre de personnes vivant dans leur foyer était globalement compris entre deux et cinq. 147 28% de résidents interrogés dans leur ville + 29% Guatémaltèques des 72 % de passage dans une ville guatémaltèque= 28%+21% = 49%. La population du Sud = 125 Guatémaltèques, 1 Péruvien, 1 Chilien, 1 Nicaraguayen, 1 Salvadorien. C’est pourquoi je les ai regroupés avec les Guatémaltèques. 88 Chapitre 3 : Analyse du marché de l’artisanat équitable guatémaltèque En ce qui concerne l’artisanat en général, 45 % des gens affirment en acheter pour eux-mêmes, 26 % se procurent de l’artisanat pour utiliser dans leur ménage (pour leur famille), et 29 % en acquièrent dans le but de l’offrir. Un peu plus de la moitié de ces acheteurs en achète une à trois fois par an, alors qu’un quart font des achats équitables entre quatre et six fois par an. Les Guatémaltèques achètent plus souvent de l’artisanat sur une année que les touristes du Nord : 31 % de nationaux acquièrent de l’artisanat entre quatre et six fois par an ; 13 % se consacrent à cet achat plus de 10 fois par an (contre respectivement 20 % et 7 % pour le Nord). Cette tendance s’explique sans doute par l’usage fréquent de l’artisanat dans la vie quotidienne de certains Guatémaltèques (costumes typiques, larges tissus pour porter les enfants, etc.). Ils en font l’acquisition principalement au Guatemala tandis que les gens du Nord achètent de l’artisanat plutôt lors de leurs voyages. Quant aux montants dépensés pour ce type d’achat, ils varient suivant le profil de l’acheteur. 62 % des personnes interrogées ne déboursent pas plus de 50 € par an en produits équitables : c’est le cas pour 72 % de Guatémaltèques et 53 % d’étrangers. La dépense moyenne des nationaux est de 65 €. Celle des populations du Nord s’élève à environ 100 € par an. Cependant, certaines personnes interrogées achètent de l’artisanat pour le revendre, ce qui explique les sommes importantes payées148. En ce qui concerne la connaissance du concept de commerce équitable, 72 % des personnes interrogées déclaraient avoir déjà entendu parler de ce concept. Cependant, je tiens à préciser à nouveau qu’au fur et à mesure de l’enquête, je me rendais compte que nous ne parlions pas de la même chose. Soit les sondés ne savaient pas ce que signifiait le terme « équitable », soit ils pensaient aux accords de libre-échange (« free trade », « libre comercio »). D’autres encore l’assimilaient à l’économie solidaire et pensaient alors au programme gouvernemental « Temps de solidarité » (au travers duquel sont distribués les sacs solidaires notamment) ou encore au Secrétariat d’œuvres C’est le cas aussi bien des étrangers qui viennent spécialement au Guatemala se procurer de la marchandise afin de la revendre dans leur pays que des Guatémaltèques qui jouent le rôle d’intermédiaires. 148 89 Chapitre 3 : Analyse du marché de l’artisanat équitable guatémaltèque sociales de l’ex-épouse du Président (SOSEP)149. Parfois sans doute, certaines personnes n’osaient pas dire n’avoir jamais entendu parler de commerce équitable, soit car elles voulaient à tout prix m’aider, soit par peur de se rendre ridicule. Quoi qu’il en soit, il est clair que c’est dans les pays du Nord que le concept est le plus connu : 95 % des Occidentaux interrogés avaient entendu parler du commerce équitable alors que 62 % des personnes venant du Sud n’avaient jamais été confrontés à ce terme. C’est surtout à Quetzaltenango que le commerce équitable est connu (avec 84 % des personnes sondées affirmant savoir de quoi il s’agissait), suivi par Antigua et Panajachel (76 %). Par contre, à Chimaltenango, j’ai interrogé 25 personnes dans la rue et 14 au magasin. Sur les 25 répondants du centre commercial et du parc de Chimaltenango, une seulement connaissait le commerce équitable, car elle est ellemême une artisane ayant essayé de faire partie de ce mouvement. Pour les 24 autres répondants, les réponses étaient similaires : les femmes indigènes n’achètent pas de produits artisanaux car elles en fabriquent elles-mêmes et n’ont jamais entendu parler du commerce équitable. J’ai donc décidé d’arrêter mes sondages dans cette ville étant donné que je pouvais tirer des tendances et qu’elle n’était pas touristique. Bien que peu de personnes connaissent le concept de commerce équitable, certaines connaissaient cependant Aj Quen, non pour son artisanat équitable, mais pour son centre de formation et d’hébergement. En outre, j’ai pu interroger 14 personnes au magasin d’Aj Quen. J’aurais voulu en sonder davantage, mais il ne reçoit pas beaucoup de clientèle et certains acheteurs manquaient de temps pour prendre part à cette enquête. De plus, je n’étais pas toujours présente au siège d’Aj Quen . C’est essentiellement à travers les médias que le commerce équitable est connu des personnes originaires du Nord (journaux, radio, télévision). Un certain nombre (21 %) le connaissent également grâce à leur communauté chrétienne, leur école ou université, leur travail ou un proche œuvrant dans ce domaine. Parfois c’est grâce à leur marque de 149 L’objectif du SOSEP est d’implémenter des programmes à caractère social qui bénéficient aux familles, aux enfants et aux communautés rurales. Cependant, c’est une aide peu ambitieuse et qui ne permet pas aux Guatémaltèques d’améliorer significativement leur niveau de vie. 90 Chapitre 3 : Analyse du marché de l’artisanat équitable guatémaltèque café et plus spécialement grâce à Starbucks150. Un autre 21 % connait le commerce équitable grâce aux « magasins du monde » dans leur pays. Quant aux Guatémaltèques qui déclarent avoir entendu parler du commerce équitable, plusieurs m’affirmaient le connaitre par l’université, avant que je ne me rende compte que nous ne parlions pas de la même chose. À Quetzaltenango, un quart de la population interrogée connait le commerce équitable grâce aux nombreux magasins proposant des produits issus de ce marché. En effet, diverses boutiques et des cafétérias vendent de l’artisanat ainsi que de la nourriture équitable et locale. Les produits équitables les plus achetés par les répondants sont les denrées alimentaires, surtout le café. En effet, 59 % des personnes achetant des produits issus du commerce équitable se procurent de la nourriture, alors que l’artisanat est acquis par 28 % de l’échantillon. Néanmoins, la différence est considérable entre les étrangers et les locaux, dont 56 % achètent de l’artisanat équitable. Aussi, à Quetzaltenango, 56 % de la population interrogée achètent de l’artisanat au moins une fois par mois, alors que dans les autres villes, la majorité acquiert ces produits au moins une fois par an. Les accessoires vestimentaires comme les châles, les sacs, les foulards, etc. sont les plus appréciés en artisanat. Les populations du Nord se tournent davantage vers la nourriture équitable (66 %). Cela démontre qu’au Nord, les produits les plus accessibles et les plus populaires en commerce équitable sont les aliments. Je tiens à mentionner que certaines personnes interrogées considèrent comme équitables les produits qu’ils achètent directement au producteur. J’ai reçu des réponses très variées quant à la différence que les répondants perçoivent entre l’artisanat équitable par rapport à l’artisanat traditionnel. Majoritairement, 30 % déclarent qu’une rémunération plus juste caractérise l’équitable, 14 % considèrent qu’il prend en compte l’aspect social et l’être humain et 13% associent le commerce 150 Starbucks est la plus grande multinationale de coffeeshop avec plus de 17 000 magasins répartis dans 50 pays. En plus de sa propre marque de café, Starbucks vend également du café issu du commerce équitable. Source : STARBUCKS, Starbucks Company Profile, in Starbucks, Site de Starbucks, adresse URL: http://assets.starbucks.com/assets/aboutuscompanyprofileq12011final13111.pdf (page consultée le 19 mai 2011). 91 Chapitre 3 : Analyse du marché de l’artisanat équitable guatémaltèque 92 Source : Réalisation personnelle Figure 3.2. Traitement des questionnaires équitable à la qualité. Cette tendance vaut aussi bien pour les nationaux que les étrangers. Chapitre 3 : Analyse du marché de l’artisanat équitable guatémaltèque Les achats de 42 % de la population interrogée s’effectuent dans des boutiques de types « magasins du monde » dans leur pays. 32 % des personnes (Guatémaltèques comme étrangers) qui achètent de l’artisanat équitable déclarent l’acquérir sur les marchés. Or, sur ces lieux de vente (et spécialement au Guatemala), il n’y a pas de stand de commerce équitable. En fait, les gens pensent acheter équitable lorsqu’ils se procurent des articles d’un Indigène, comme je l’ai évoqué précédemment. Toutefois, très souvent, ces vendeurs indigènes ne sont autres que des revendeurs exploités… Pour ce qui est de la satisfaction des clients d’artisanat équitable, 78 % s’avèrent très satisfaits, tout d’abord des coloris et des produits, mais aussi de la qualité et de l’aspect «symbole de l’identité culturelle de la région ». Certains sont moyennement satisfaits, par contre, du personnel vendant cet artisanat, de la disposition dans les magasins ainsi que des prix. En effet, ils connaissent la raison pour laquelle les coûts sont plus élevés, mais parfois ils trouvent que c’est un peu trop cher. À ce sujet, les répondants achèteraient davantage de produits d’artisanat équitable si les prix diminuaient et s’il y avait plus de points de vente où se les procurer. Par ailleurs, les Guatémaltèques réalisent qu’ils ont besoin d’être mieux informés sur le commerce équitable. Étant donné que la population recherche plus de garanties, un label pourrait l’aider à déterminer ses comportements d’achat. Cependant, à l’heure actuelle, ce concept de label est encore méconnu pour une partie de la population qui ne peut l’associer à un élément concret. En conclusion, l’étude de marché réalisée nous permet d’avancer que les acheteurs d’artisanat sont principalement des femmes touristes venant du Nord, âgées de moins de 35 ans ou de plus de 56 ans. Le commerce équitable est surtout connu au Nord de la planète, mais une confusion règne dans cette dénomination, surtout au niveau du Guatemala. Le produit phare de ce commerce équitable pour la population interrogée est le café, et de manière générale les produits alimentaires plutôt que l’artisanat. Cependant, les acheteurs d’artisanat se tournent davantage vers les produits textiles comme en fabrique Aj Quen (et pas vers la céramique ou le bois, par exemple). D’ailleurs, ils préfèrent les petites choses faciles à transporter. Selon moi, l’artisanat textile équitable pourrait donc avoir du potentiel de développement au niveau national. 93 Chapitre 3 : Analyse du marché de l’artisanat équitable guatémaltèque Cependant, il est fondamental d’informer les clients sur les caractéristiques du commerce équitable et d’ouvrir davantage de points de vente afin d’éduquer les gens à rechercher des valeurs éthiques151 plutôt que des bas prix. Pour ces raisons, il semble que, dans un premier temps, Aj Quen devrait ouvrir un magasin à Quetzaltenango. Bien que l’échantillon soit très petit, j’ai senti dans cette ville, en parlant avec différents acteurs du commerce équitable, un esprit ouvert aux questions de développement. De plus, elle est le siège de plusieurs ONG et associations de commerce équitable (qui pourraient éventuellement s’allier pour organiser des événements en commun ou des campagnes de sensibilisation). Des foires de commerce équitable ou sur la consommation locale y sont parfois organisées. Au contraire de Chimaltenango, 84 % de la population de Quetzaltenango connaissent le commerce équitable et 56 % achètent de l’artisanat équitable au moins une fois par mois. Divers facteurs expliquent ce phénomène. Premièrement, Quetzaltenango est la deuxième plus grande ville du Guatemala, après la capitale. Ensuite, elle possède un bagage historique différent des autres qui a donné lieu à un développement particulier 152. De plus, le département de Quetzaltenango, constitué de plusieurs municipalités, accueille de nombreuses communautés mayas. Celles-ci sont appréciées des touristes qui, entre deux visites culturelles de sites mayas, séjournent à Quetzaltenango. En effet, étant la capitale du département, Quetzaltenango constitue un point central entre ces différentes 151 Valeurs de responsabilité et de durabilité, tant dans leurs dimensions humaines et sociales qu’environnementales. 152 Durant une courte durée, la ville a été la capitale de l’ancien État de Los Altos, le sixième État qui jadis, intégrait les Provinces unies d’Amérique centrale. Une fois que cette République fédérale a été morcelée, Quetzaltenango a été rattachée au Guatemala. S’en suivit une lutte contre la capitale du pays afin de revendiquer une autonomie régionale pour la municipalité de Quetzaltenango, tant sur le plan politique qu’administratif. Au 18e siècle, la région s’est développée économiquement (trains, banque, café…), démographiquement et politiquement et est devenue un centre important. Beaucoup de familles nanties et éduquées y résidaient. Cela explique aussi son développement culturel différent. En conséquence, la ville a développé un sentiment d’appartenance régionale, bien que son action séparatiste n’ait pas fonctionné. Source : TARACENA ARRIOLA, A., Invención criolla, sueño ladino, pesadilla indígena. Los Altos de Guatemala: de región a estado, 1740-1850., in Asociación para el Fomento de los Estudios Históricos en Centroamérica, Site de l’Association pour le Eéveloppement des Études historiques en Amérique centrale, adresse URL: http://afehc-historiacentroamericana.org/index.php?action=fi_aff&id=1248 (page consultée le 19 mai 2011). 94 Chapitre 3 : Analyse du marché de l’artisanat équitable guatémaltèque communautés. Par ailleurs, depuis trois décennies, beaucoup de jeunes s’y rendent afin d’y étudier car Quetzaltenango est la deuxième ville guatémaltèque offrant le plus large choix de formations. À l’université, les jeunes bénéficient d’une formation culturelle et académique qui les initie au commerce équitable. Enfin, un bon mélange entre la population locale et touristique (venant principalement pour y apprendre l’espagnol) caractérise la ville. Tous ces éléments me permettent d’affirmer que cette ville serait un environnement favorable pour qu’Aj Quen fasse ses débuts en commerce équitable Sud-Sud. Cependant, l’association devra trouver un moyen de différencier ses produits par rapport à la concurrence et devra aussi veiller à ne pas se placer à côté de concurrents directs d’artisanat équitable. Je reviendrai sur ce point dans le chapitre 5. D’une manière générale, le commerce d’artisanat textile en coton est localisé à proximité des lieux de culture du coton. C’est le cas du sud de l’Amérique latine, de l’Asie et de l’Afrique. Cependant, sur ce dernier continent, les symboles et designs sont assez différents de ce qui est produit au sein d’Aj Quen. Par contre, des articles similaires à ceux de la fédération étudiée sont fabriqués dans certains autres endroits d’Asie et d’Amérique latine. C’est pourquoi nous analyserons l’artisanat sur ces deux continents. En Amérique latine, dans l’ensemble, le secteur artisanal se caractérise par une production à petite échelle réalisée au sein des cercles familiaux ou dans de petites entreprises. Celle-ci ne requiert pas de grands investissements de capitaux ou de maind’œuvre intensive. Sa commercialisation se réalise au travers des petits producteurs ou d’intermédiaires. Cette activité est aussi très souvent effectuée à temps partiel dans le secteur informel, l’autre partie du temps étant consacrée à l’agriculture. Les connaissances techniques sont basiques, traditionnelles et souvent transmises de génération en génération. Comme au Guatemala, l’activité artisanale est essentiellement importante pour la femme car elle trouve dans ce secteur une source de 95 Chapitre 3 : Analyse du marché de l’artisanat équitable guatémaltèque revenus propres, élément fondamental pour sortir de la pauvreté mais aussi pour améliorer l’estime de soi et gagner plus d’indépendance. 153 Ce secteur artisanal latino-américain est tout de même fragmenté et varie de pays en pays. En effet, certains se spécialisent dans le textile en laine, en nylon, en fibres synthétiques, en fibres végétales, etc. D’autres utilisent le coton comme Aj Quen. C’est donc sur ces derniers que nous nous concentrerons. En Amérique latine, l’artisanat textile de coton est réputé154 principalement en Colombie, au Mexique, au Panama, en Équateur, en Bolivie, au Nicaragua et au Salvador155. Dans ces pays, les femmes indigènes conçoivent des tissus selon des techniques anciennes de tissage utilisant le métier à cadres. L’artisanat y est une pratique culturelle ancestrale et les produits qui en résultent sont constitués de motifs colorés. Actuellement, les artisans ont développé et professionnalisé des techniques et des formes afin de s’adapter à la demande internationale, tout en conservant les caractéristiques intrinsèques des régions. Ainsi, les tissus témoignent toujours d’un symbole de tradition et d’enracinement culturel. Les tissus ne sont pas seulement destinés aux touristes mais sont aussi utilisés par les autochtones afin d’honorer leur culte, pour les tâches ménagères, ou encore en décoration. 153 Ce paragraphe est inspiré de FUNDACIÓN ESPAÑOLA PARA LA INNOVAVACIÓN DE LA ARTESANÍA, op. cit., p.20-21. La traduction est de l’auteur. 154 Cette section est inspirée de VALENCIA SÁNCHEZ, C. S., op. cit., p.58-65 ; ainsi que des guides touristiques suivants : EASYVOYAGE, Tout savoir pour mieux voyager, adresse URL : http://www.easyvoyage.com/ (page consultée le 4 mai 2011) ; LE ROUTARD, Tout pour préparer son voyage, adresse URL : http://www.routard.com/ (page consultée le 4 avril 2011) ; COLOMBIA TRAVEL, L’Artisanat Colombien, In Colombie Travel, Site officiel du tourisme en Colombie, adresse URL : http://www.colombia.travel/fr/touriste/circuit-et-voyage-quoi-faire/histoire-et-tradition/lartisanat (page consultée le 4 mai 2011) ; TERRA ANDINA BOLIVIE, Atisanat, In Terra Andina Bolivie, Site de l’agence de voyage Terra Andina en Bolivie, adresse URL : http://www.voyage-bolivie.com/infos (page consultée le 4 mai2011) ; ARTESANÍAS DE COLOMBIA, Algodón,In Artesanías de Colombia, Site de l’artisanat de Colombie, adresse URL : http://www.artesaniasdecolombia.com.co/PortalAC/General/sectorPublicacion.jsf?publicacion=181 (page consultée le 4 mai 2011). 155 Cf. Annexe Q : Artisanat textile concurrent. 96 Chapitre 3 : Analyse du marché de l’artisanat équitable guatémaltèque D’ailleurs, au Mexique, les femmes indigènes portent le « huipil ». En outre, tout comme au Guatemala, les Indigènes utilisent de grands tissus afin de porter leur enfant sur le dos et afin de transporter leurs objets personnels (téléphone portable, argent…).156 Au Panama, le costume traditionnel est fabriqué en coton, comme c’est le cas au Guatemala. De plus, le souvenir que les voyageurs aiment ramener de leur séjour dans ce pays est la « mola ». C’est une blouse représentant un important symbole des Indigènes du pays. Celle-ci mélange leur culture et les influences modernes. Afin de l’élaborer, plusieurs heures de travail manuel sont nécessaires. Les motifs de cette blouse se déclinent aujourd’hui sous différentes formes (couvre-lit, décoration murale, etc.). 157 Dans tous ces pays existent également des magasins de commerce équitable et solidaire proposant de l’artisanat textile. En outre, certains magasins organisent aussi des événements culturels ou possèdent une cafétéria. C’est le cas de Camari et Sinchi Sacha en Équateur, Pro-Ecosol au Pérou, etc. En outre, des salons commerciaux spécifiques à l’artisanat ou au commerce équitable sont organisés.158 D’autres pays, en Asie, sont également développés dans la commercialisation d’artisanat textile de coton : le Vietnam, le Népal, l’Inde, le Sri Lanka, la Thaïlande. Leur artisanat est varié, de bonne qualité et requérant des coûts très bas. Ils utilisent les mêmes techniques de tissage qu’au Guatemala. Dans ces pays, l’artisanat varie aussi en fonction des régions et les techniques de fabrication se transmettent de génération en génération159. 156 Ce paragraphe est inspiré de RÊVE MEXICAIN, Art et Artisanat, In Rêve mexicain, Site du rêve mexicain, adresse URL : http://www.revemexicain.com/art_et_artisanat_mexique.php (page consultée le 4 mai 2011). 157 PANART, About Molas, In Indegenous Art from Panamá, Site de l’artisanat indigene au Panama, adresse URL: http://www.panart.com/molainfo.htm (page consultée le 4 mai 2011). 158 Ce paragraphe est inspiré de GUERRA, P., Abriendo puertas: sistematización, Paraguay, Red de tiendas de economía solidaria y de comercio justo en latinoamérica, compte-rendu de la première rencontre, 2008, p.7-12. 159 JOHNSON, P.W., Investigación y propuesta sobre formas de mercados solidarios en Guatemala,Guatemala, PNUD, p. 47. 97 Chapitre 3 : Analyse du marché de l’artisanat équitable guatémaltèque À présent je vais m’intéresser à la concurrence d’Aj Quen sur le marché international. Je me baserai sur les importations d’artisanat provenant du Sud que réalisent d’OxfamMagasins du monde160 en Belgique, CTM Altromercato en Italie et d’Artisans du Monde en France161, deux autres grands importateurs de ces produits. Je commencerai par aborder le cas de l’Asie. L’artisanat est une source considérable de revenus pour l’Inde. Il existe différentes organisations d’artisans de commerce équitable faisant partie de la WFTO. C’est le cas de Sasha162, EMA163, Pushpanjali164 et Co-optex165. Ces organisations exportent beaucoup, mais sont également impliquées localement : en plus de la vente, elles militent au niveau national et régional afin de promouvoir le commerce équitable et sensibilisent la population locale à ce commerce via divers événements dans les écoles, les universités,…166 Au Vietnam, Craft Link aussi vend 21 % de ses produits artisanaux sur le marché local. Au Sri Lanka, les tisserands de Selyn travaillent le coton et tentent de faire face aux importations massives de produits industriels bon marché d’Inde en exportant leurs produits, de même que ACP au Népal.167 Artisans du Monde travaille également avec la TTcraft en Thaïlande168 (mais son coton tissé à la main est mélangé avec des fibres synthétiques). 160 OXFAM-MAGASINS DU MONDE, Produits, In Oxfam-Magasins du Monde, Site d’OxfamMagasins du Monde, adresse URL : http://www.oxfammagasinsdumonde.be/produits/ (page consultée le 4 mai 2011). 161 ARTISANS DU MONDE, Artisanat, In Artisans du Monde, Site d’Artisans du Monde, adresse URL : http://www.artisansdumonde.org/produits-commerce-equitable.html (page consultée le 5 mai 2011). 162 SACHA, Site de Sacha, adresse URL: http://www.sashaworld.com/ (page consultée le 4 mai 2011). 163 EQUITABLE MARKETING ASSOCIATION, Site de EMA : l’association de marketing équitable, adresse URL : http://www.emaindia.org/ (page consultée le 4 mai 2011). 164 PUSHPANJALI, Site de Pushpanjali : une organisation de commerce équitable, adresse URL : http://www.pushpanjali.in (page consultée le 5 mai 2011). 165 CO-OPTEX, Site de Co-optex, adresse URL: http://www.cooptex.com/cot.html (page consultée le 4 mai 2011). 166 OXFAM-MAGASINS DU MONDE, Producteurs : Pushpanjali, In Oxfam-Magasins du Monde, Site d’Oxfam-Magasins du Monde, adresse URL : http://www.oxfammagasinsdumonde.be/2010/09/pushpanjali/ (page consultée le 4 mai 2011). 167 OXFAM-MAGASINS DU MONDE, Producteurs : Pushpanjali, In Oxfam-Magasins du Monde, Site d’Oxfam-Magasins du Monde, adresse URL : http://www.oxfammagasinsdumonde.be/2010/09/pushpanjali/ (page consultée le 4 mai 2011). 168 THAI TRIBAL CRAFT FAIR TRADE, Site de Thai Tribal Craft Fair Trade, adresse URL: 98 Chapitre 3 : Analyse du marché de l’artisanat équitable guatémaltèque Nous pouvons donc constater que globalement, les pays du Sud utilisent les mêmes techniques en artisanat textile. Celui-ci représente la culture de ces pays, qui développent le commerce équitable à des degrés divers. Cette analyse nous permet de tirer diverses conclusions. D’une part, les articles tissés à la main, 100 % coton et similaires à ceux que fabrique Aj Quen, peuvent s’acheter en Asie et en Amérique latine principalement. Cependant, ces produits sont de plus en plus substitués par des matières synthétiques. Parmi les pays reconnus pour leur artisanat textile de coton, le Guatemala détient un beau titre au niveau mondial. Néanmoins, l’Asie, et en particulier l’Inde, utilisant des techniques de production semblables, lui fait directement concurrence en fixant des prix de vente moins élevés. D’ailleurs, Oxfam et Artisans du Monde s’approvisionnent principalement en Inde. Mais la réputation de l’artisanat guatémaltèque est propre aux tissus de coton, alors qu’en Inde, d’autres matériaux sont recommandés (céramique, bois, soie, etc.). Cela confère à Aj Quen une opportunité dans la promotion de ses produits représentant un bien culturel national. De plus, comme ses articles sont commercialisés sous la dénomination « équitable », Aj Quen se différencie de la concurrence du commerce conventionnel par sa qualité. D’autre part, au niveau du commerce équitable local, les deux continents voient de nouvelles dynamiques se mettre en place. Cependant les organisations indiennes semblent déjà bien ancrées dans ce système alors qu’en Amérique du Sud, le phénomène est plus récent169. En dépit de cela, la position du Guatemala et sa capacité productive en Amérique centrale donnent au pays un potentiel de développement important pour un commerce interrégional respectant les valeurs, principes et critères d’un commerce équitable et solidaire. http://www.ttcrafts.co.th/ (page consultée le 5 mai 2011). 169 Je reviendrai sur ce point dans le chapitre suivant. 99 Chapitre 3 : Analyse du marché de l’artisanat équitable guatémaltèque Malgré cette notoriété dont bénéficie l’artisanat textile équitable au Guatemala, ils restent des défis à relever. En effet, les obstacles rencontrés par le commerce équitable local paraissent plus importants que pour le commerce équitable d’exportation en dehors de la région d’Amérique centrale. En effet, au Guatemala, l’offre de cet artisanat textile équitable (bien qu’elle ne soit pas élevée sur le marché national) est supérieure à la demande, ce qui peut s’expliquer par différents facteurs. Tout d’abord, les prix des produits d’artisanat équitable sont plus élevés par rapport aux prix du marché conventionnel, principalement parce que les coûts de production sont plus élevés (main-d’œuvre, matières premières, etc.). Plusieurs vendeurs de produits équitables témoignent aussi que certains clients entrent dans leur magasin et en ressortent séduits par cette alternative éthique, mais ne peuvent se permettre financièrement de s’en procurer, leur pouvoir d’achat étant limité. C'est pourquoi il est nécessaire de conscientiser la population disposant d’un pouvoir d’achat plus grand (résidant ou visitant le Guatemala) à faire la différence entre ces produits, à ne pas seulement regarder les prix, et à effectuer des achats plus solidaires. Il s’avère que mener une campagne de sensibilisation sans l’aide de l’État n’est pas simple. En effet, comme je l’ai évoqué précédemment, ce secteur manque cruellement de soutien étatique, et la commission mise en place au niveau national pour le commerce équitable ne prend pas beaucoup d’initiatives. De plus, celle-ci est limitée financièrement. Les gérants des magasins de commerce équitable interrogés évoquent donc la nécessité et les avantages d’une union entre eux pour mener une campagne. Toutefois, la peur du copiage des concurrents sur leurs propres produits ou celle de devoir répartir les bénéfices ralentit certaines associations dans leurs démarches de coopération. Cette campagne serait pourtant utile face au manque d’information de la population sur ce thème. Ajoutons que cette sensibilisation devrait à la fois viser les producteurs et les consommateurs. Ensuite, les associations d’artisanat équitable doivent commercer sur un marché dominé par quelques grands producteurs, exportateurs ou distributeurs. A ce propos, la Chine se présente comme concurrente du Guatemala, non pour son artisanat à valeur culturelle, ni pour son savoir-faire technique comme en Inde, mais par sa grande 100 Chapitre 3 : Analyse du marché de l’artisanat équitable guatémaltèque capacité à copier en un temps record. Conséquemment, des produits massivement importés de Chine envahissent le marché artisanal guatémaltèque à bas prix. Par ailleurs, les ventes d’artisanat équitable au Guatemala dépendent fortement des saisons touristiques (des vacances, des événements culturels et politiques, de l’insécurité, du gouvernement, de la crise mondiale, etc.). Également, les démarches dans ce secteur restent ardues étant donné la compréhension floue de ce terme «équitable». En effet, de manière générale, les vendeurs dans le marché conventionnel pensent qu’ils obtiendront un meilleur prix s’ils se réclament du commerce équitable. Du côté des consommateurs, nous avons remarqué qu’ils assimilent le terme « commerce équitable » à bien d’autres concepts sans lien avec ce dernier. Je pense donc que pour qu’un commerce plus juste puisse se développer au Guatemala, il est impératif d’adapter sa dénomination à la culture locale170. En conclusion, l’artisanat équitable jouit d’une bonne réputation au Guatemala ainsi que dans le monde. La concurrence de l’Asie est cependant considérable, car à moindre coût. Une mise en valeur de l’artisanat équitable est nécessaire pour assurer son avenir. Cela ne pourra se faire qu’avec une coopération entre les associations civiles nationales, ainsi qu’avec le soutien de l’État. Malgré les problèmes structurels du pays (violence, insécurité, catastrophes naturelles, etc.), les gérants des magasins affirment que leurs ventes générales en commerce équitable ont légèrement augmenté. De plus, un projet pour renforcer le commerce équitable au niveau des politiques gouvernementales est en cours. Cela nous permet d’espérer de meilleures conditions commerciales dans l’avenir du Guatemala. 170 Je reviendrai sur ce point dans le chapitre 5.4. Nouvelle dénomination du commerce équitable. 101 Chapitre 4 : Vers un commerce équitable Sud-Sud CHAPITRE 4 : VERS UN COMMERCE ÉQUITABLE SUD-SUD L’analyse de l’artisanat équitable au Guatemala nous a permis de le situer dans le contexte socio-économique national et par rapport à ses concurrents dans le monde. Bien que chaque pays possède ses propres caractéristiques et que certains soient plus avancés que d’autres en termes de commerce équitable, la situation de ce secteur peut être généralisée, sur base de ce qui a été développé précédemment. Je décrirai ci-après sous quelles conditions et sous quels modèles un marché équitable domestique et entre les pays sud-américains pourrait fonctionner. Je m’intéresserai d'abord aux échanges commerciaux entre le Sud de manière générale. J’aborderai ensuite les raisons de l’émergence d’un commerce équitable Sud-Sud, avant de me concentrer sur la théorie du site et le concept de développement local. Les impacts économiques et sociaux seront abordés par la suite. Enfin, je dresserai une liste non exhaustive des initiatives de commerce équitable dans différents pays du Sud. Dans le marché conventionnel, les échanges entre pays du Sud sont en progression. En ce qui concerne les marchandises, la CNUCED171 affirme que les échanges dans ce domaine ont « plus que triplé en à peine plus de dix ans, passant de 577 milliards de dollars en 1995 à plus de 2 000 milliards de dollars en 2006. En 2006, les échanges Sud-Sud représentaient 17 % du commerce mondial et 46 % du commerce total de marchandises des pays en développement ». À la source de ces échanges, la CNUCED observe un Sud dynamique représenté par la Chine172, Hong Kong (Chine), la République de Corée, le Mexique, la province chinoise de Taiwan, Singapour, la Malaisie, la Thaïlande, l’Indonésie, le Brésil173, 171 CNUCED, Émergence d’un nouveau Sud et rôle des échanges Sud-Sud comme moyen d’intégration régionale et interrégionale en vue du développement, Ghana, United Nations Conference on Trade and Development, note du secrétariat de la CNUCED, 2008, p. 2. 172 La Chine est le centre d’activité dans le secteur manufacturier. 173 Le Brésil est le centre d’activité dans les secteurs de l’agriculture et de la transformation des produits 102 Chapitre 4 : Vers un commerce équitable Sud-Sud l’Inde174, les Philippines et l’Afrique du Sud. « La part des exportations en provenance des pays en développement les plus dynamiques est passée de 13 % des échanges mondiaux en 1985 à 20 % en 1995 et à 26 % en 2006, avec un taux moyen annuel de croissance de 3,5 % entre 1990 et 2006 ».175 Selon ce rapport, l’Asie représente le centre de gravité de ces échanges commerciaux. En effet, en 2006, ce continent exportait 86 % du total des échanges Sud-Sud, dont 78 % s’effectuait à l’intérieur du continent. « Par ailleurs…, l’Asie absorbe plus de la moitié des exportations Sud-Sud en provenance d’Afrique et environ un tiers des exportations en provenance des pays en développement d’Amérique »176. D’autre part, ces dernières années ont été marquées par davantage d’importations asiatiques provenant d’Afrique, dues essentiellement à une augmentation de la demande d’énergie et de matières premières industrielles. En ce qui concerne les échanges ente l’Afrique et l’Amérique, ils sont également en croissance, mais sont plus limités qu’avec le continent asiatique.177 En plus de ce commerce Sud-Sud intercontinental, il existe d’autres types d’échanges entre pays du Sud. Tout d’abord, ces échanges peuvent se produire entre les pays à l’intérieur d’un continent. Ensuite, les ventes Sud-Sud concernent aussi celles effectuées entre pays voisins. Enfin, la vente aux touristes provenant du Sud sur le marché local est aussi une forme d’échanges dans ce secteur. Cependant, les organisations n’ont aucune prise sur ce facteur et dépendent cruellement du flux touristique.178 agricoles. 174 L’Inde est le centre d’activité dans le secteur des services. 175 CNUCED, 2008, op. cit., p.6. 176 Ibid, p.6. 177 Ibid, p.4. 178 GRAAS, F., Vendre des produits issus du commerce équitable dans le Sud : étude du cas d’Aj Quen, au Guatemala, Wavre, Oxfam-Magasins du monde, 2011, p. 13. 103 Chapitre 4 : Vers un commerce équitable Sud-Sud En économie, la théorie néo-classique suppose une situation de concurrence parfaite. Or, celle-ci n’existe pas, car l’économie mondiale actuelle est régie par des rapports de force où les prix sont imposés aux acteurs dominés. C'est pourquoi le commerce équitable est apparu, proposant une alternative à cette économie mondiale inégale. Cependant, il n’est pas un modèle parfait. Il ne peut régler les injustices du commerce conventionnel à lui seul. « Comme toute activité sociale ou économique confrontée au système capitaliste, le Commerce Equitable rencontre des obstacles, connaît des limites, et souffre de contradictions. Comme tout phénomène qui gagne du terrain, il a ses détracteurs et ses débats internes. Certains tentent de se l’approprier quitte à se dévoyer… Cette économie alternative peut abandonner ses valeurs et ses principes initiaux dans le dur rapport de force qui l’oppose et l’attire vers le monde capitaliste »180. Le commerce équitable développe des contradictions (une répartition inégale des revenus subsiste toujours entre le Nord et le Sud) et se heurte à des obstacles (comme le fait que le Sud ne possède pas toujours de capacité de transformation et dépend donc du Nord). Quant aux critiques adressées au commerce équitable Nord-Sud, elles sont nombreuses. C'est pourquoi je ne reprendrai ici que les principales. Tout d’abord, le transport sur de longues distances est contraire aux principes du développement durable. Ensuite, ce commerce encourage les produits d’exportation (aux goûts du Nord) au détriment de l’agriculture vivrière ou de la production locale. Nous pouvons encore citer les taxes à l’importation qui gonflent les prix. Bref, en ne citant que ces quelques inconvénients au commerce équitable, une solution pour les populations du Sud (afin qu’elles deviennent davantage indépendantes) serait de se développer localement et de générer leurs propres revenus sans s'adresser à des clients du Nord. Un exemple concret à tout cela est celui d’Aj Quen, dépendant financièrement d’Oxfam-en-Belgique, mais qui, suite à 179 Cf. Annexe Q : Article sur le commerce équitable Sud-Sud. MAYER, S., CALDIER, J-P., Le guide de l’économie équitable, France, Fondation Gabriel Peri, 2007, p. 25 et 315. 180 104 Chapitre 4 : Vers un commerce équitable Sud-Sud la chute des ventes d’artisanat au Nord, aimerait accroître son volume de ventes locales. Dans ce sens, un commerce équitable Sud-Sud en circuit court, permettrait de limiter les exportations lointaines, les relations de pouvoir Nord-Sud, et ferait apparaître une catégorie de consommateurs responsables dans la classe moyenne des grandes villes et qui valoriseraient la production locale. «Devant un marché limité par l’exportation de produits équitables vers le Nord, il y a une émergence de réflexions sur le commerce équitable régional entre les pays du Sud et l’idée d’appliquer ses principes à la commercialisation locale, devenue le commerce équitable domestique» 181. C’est pourquoi, dans le point suivant, je m’attarderai sur le développement local. C’est entre autres dans cette démarche que s’inscrivait le Forum Social Mondial qui s’est tenu cette annéeen févrierà Dakar. Il avait pour thématique ce commerce équitable Sud-Sud justement. Lors de celui-ci, les participants se sont accordés sur la définition suivante : « Le Commerce Equitable Sud/Sud consiste à : développer des filières complètes au Sud (par des partenariats Sud/Sud, des modes de labellisation adaptés) afin de développer l'emploi et l'économie locale tout en proposant des produits à la portée des populations du sud (en complément à l'exportation); informer les citoyens et les pouvoirs publics aux enjeux et défis de cette économie alternative et solidaire au service des populations du Sud et qui respecte l'environnement et les ressources naturelles; faire pression collectivement sur les instances internationales pour stopper les dégâts issus de l'organisation actuelle du commerce basée sur une économie « libérale » destructrice; imposer le paradigme du bien vivre par l'exemple, démontrant que d'autres pratiques économiques existent aujourd'hui, assurant un développement respectueux de l'humain tout en préservant les générations futures.»182 181 LEMAY, J-F., FAVREAU, L., MALDIDIER, C., Commerce équitable: les défis de la solidarité dans les échanges internationaux, Canada, Presses de l’Université du Québec, Collection Initiatives, 2010, p.92. 182 SERVAIRE, C., Rapport du séminaire et de l’atelier sur le Commerce Equitable Sud/Sud, Dakar, Cofta, 2011, p.7. 105 Chapitre 4 : Vers un commerce équitable Sud-Sud Bien entendu, les contextes sont différents d’un continent à l’autre, et même d’un pays à l’autre. Cependant, une réflexion générale est nécessaire sur un modèle économique plus équitable, basé sur des échanges recentrés localement et puis, régionalement. Il ne s’agit pas de transposer les mêmes modèles appliqués au Nord pour les implanter à tous les pays du Sud, mais bien de voir comment chaque pays du Sud peut contribuer à son propre développement par le biais de ce commerce recentré, adapté aux situations locales. Dans son cahier de recherche, P. Prévost183 nous dit qu’« il n’y a pas de modèle unique de développement local ». Selon lui, le « développement local comporte une dimension territoriale… s’appuie sur une force endogène… fait appel à une volonté de concertation et la mise en place de mécanismes de partenariat et de réseaux… intègre des dimensions sociales aussi bien qu’économiques, implique aussi une stratégie participative et une responsabilisation des citoyens envers la collectivité ». Tandis que l’OCDE [Organisation de coopération et de développement économiques] définit le niveau local en ces termes : « Le niveau local est l'environnement immédiat dans lequel la plupart des entreprises - et en particulier les petites - se créent et se développent, trouvent des services et des ressources, dont dépend leur dynamisme et dans lequel elles se raccordent à des réseaux d'échange d'information et de relations techniques ou commerciales... Le niveau local, c'est-à-dire une communauté d'acteurs publics et privés, offre un potentiel de ressources humaines, financières et physiques, d'infrastructures éducatives et institutionnelles dont la mobilisation et la valorisation engendrent des idées et des projets de développement.» En effet, « le développement ne se décrète pas » comme le mentionne Zaoual H.184 dans son syllabus d’Économie du Développement. Il est nécessaire d’adopter un regard 183 PREVOST, P., Le développement local : Contexte et définition, Québec, Institut de recherche et d’enseignement pour les coopératives de l'Université de Sherbrooke (IRECUS), cahiers de recherche, 2003, p. 15-18. 184 Ce paragraphe et les suivants sont inspirés de ZAOUAL, H., Économie du développement, Bruxelles, 106 Chapitre 4 : Vers un commerce équitable Sud-Sud nouveau en raison de la variété d’espaces d’application, il faut relire en fonction du contexte. Ce regard est rendu possible par la théorie des sites. Les sites sont des univers à la fois singuliers et ouverts sur l’évolution de l’environnement local, national et international. En somme, ce sont des mondes à la fois singuliers et imbriqués dans des environnements globaux et dynamiques, donc indéterminés quant à leur évolution. Les sites sont hybrides et caractérisés par une hétérogénéité de valeurs et de pratiques. Chaque site a ses valeurs et ses règles locales de comportements. Ces dernières portent à la fois l’empreinte du passé et du changement. Les sites sont également caractérisés par l’interculturalité et l’interdisciplinarité afin de fuir le réductionnisme scientifique. Ils sont entachés d’influences extérieures et tendent à reproduire leur identité en s’adaptant à de nouvelles contingences introduites sous la pression de l’environnement. L’homo situs se reporte à plusieurs références et son site est un espace riche, irréductible, éthique, qui incite les acteurs à se coordonner au-delà du marché. L’homo situs possède une rationalité située. Son appréhension du contexte est plus large et plus souple que celle de l’homo œconomicus, car il vise à appréhender l’homme concret dans sa diversité et ses singularités. « L’homo situs est varié (diversité dans l’espace), variable (diversité dans le temps) et doué d’une autonomie relative dans ses formes d’existence »185. Il s’autoreproduit autour d’un sens que lui confère momentanément le site car « l’homme a besoin de sens et de direction »186, c’est une donnée capitale en termes de développement économique. À partir de ce site, il prend ses décisions. Toute initiative occidentale de commerce équitable au Sud semble donc outrepasser cette exigence de respecter les propriétés des sites. Chacun d’eux connaît des situations qui lui sont propres et, pour que son développement soit optimal, un projet économique doit venir de sa population. C’est dans cette perspective que se profile la question d’un commerce équitable, domestique, régional, Sud-Sud. ICHEC, syllabus, 2010-2011, p. 54-56. 185 ZAOUAL, H., 2010-2011, op. cit., p. 55. 186 Ibid., p.55. 107 Chapitre 4 : Vers un commerce équitable Sud-Sud Cette section clarifiera les impacts économiques et sociaux qu’un commerce recentré peut apporter aux petits producteurs, à leur communauté et au-delà. Ainsi, je verrai dans quelles mesures l'activité des producteurs dans le marché local leur est bénéfique, en me basant sur le cas d’Aj Quen. Aj Quen travaille avec 25 groupes d’artisans. Cela équivaut à environ 800 personnes. En vendant leurs produits sur le marché local, ces 800 artisans peuvent toucher une rémunération et en faire profiter leur famille. De plus, certains groupes ont commencé avec 8 personnes et actuellement, 25 femmes indigènes le composent. Cela prouve que, de plus en plus, les artisans recherchent à travailler en groupe et collaborent. En outre, au Guatemala, l’offre de main-d’œuvre est plus grande que la demande. Grâce au secteur artisanal, une partie de cette main-d’œuvre est absorbée et son niveau de vie est amélioré au moyen des revenus engendrés par cette activité. Qui plus est, le commerce équitable offre à ces artisans une opportunité d’emplois mieux rémunérés que dans le commerce conventionnel. Enfin, lorsque les artisans parviennent à vendre directement sur le marché local, non seulement le consommateur y gagne en payant moins cher que le prix de vente à l’étranger, mais le producteur reçoit plus également. Cependant, bien qu’ils se rendent compte de la diminution des commandes internationales, les artisans préfèrent fabriquer des produits destinés à l’exportation, 187 Le contenu de cette section est inspiré du rapport d’AJ QUEN, op. cit., 2010, p.9-18 ; de celui d’ALVARADO CANO, E., 2010, op. cit., p.13-17.; et de l’entretien avec Monsieur José Victor POP BOL, Coordinateur exécutif, AJ QUEN, le 2 mars 2011. 108 Chapitre 4 : Vers un commerce équitable Sud-Sud plutôt qu’au marché local car, selon eux, le marché international offre plus d’argent pour leurs achats. En ce qui concerne les conditions de travail, les membres de l’association bénéficient de meilleures situations que dans des groupes non organisés. Les bénéfices leur permettent d’investir dans des infrastructures communautaires et Aj Quen leur fournit (grâce aux donations étrangères) l’équipement nécessaire pour produire. Aussi, la formation technique donnée par Aj Quen permet aux artisans de trouver des opportunités d’emploi mieux rémunéré. Grâce aux bénéfices engendrés, les groupes peuvent investir dans des ressources locales et contribuer ainsi à la prospérité du pays. Qui plus est, les formations ont notamment permis aux femmes d’ouvrir de nouveaux espaces dans la dynamique économique locale et régionale (par exemple, en ouvrant une petite échoppe servant de magasin communautaire). Ces espaces leur permettent d’augmenter leurs revenus et donc, d’améliorer le niveau de leur consommation, leur santé et l’éducation de la famille. Aussi, en se renforçant économiquement sur le marché local, et en tentant de réactiver l’économie après la crise188, les producteurs sont amenés à se distinguer des autres concurrents vendant sur le même marché, et notamment face à la concurrence chinoise. Les bénéfices sont utilisés dans des investissements collectifs répondant à des besoins fondamentaux (alimentation, alphabétisation, formation). Ainsi, des écoles sont construites dans les communautés afin d’éduquer les enfants, mais aussi des garderies afin de pouvoir les occuper lorsque les artisans travaillent, des centres de formation à 188 Les chiffres qui témoignent de la baisse d’activités ont été analysés au chapitre 1.5. Le financement et les revenus d’Aj Quen. 109 Chapitre 4 : Vers un commerce équitable Sud-Sud l’intérieur des communautés, des habitats plus adaptés aux conditions climatiques du pays pour les artisans, des ateliers de production… Tout cela permet de produire des articles de qualité dans de meilleures conditions et, surtout, instaure les bases d'une société plus agréable. Aj Quen offre diverses formations aux tisserands tant au niveau technique, que social, environnemental, politique et dans le domaine de la santé. D’un point de vue social, les formations portent sur l’équité du genre, le pouvoir local, la participation citoyenne, la culture démocratique, l’alphabétisation, les bourses d’études pour les enfants, etc. Tout cela aide surtout les femmes à s’émanciper, à s’intégrer dans la société et dans la vie politique. Nicolasa Raxtun, une Indigène maya de 30 ans raconte : «Avant de faire partie de la fédération, nous étions enfermées dans nos maisons. Maintenant, nous avons réussi à vaincre la peur de sortir de chez nous. Les femmes assistent aussi aux activités sociales proposées par Aj Quen. De plus, nous rapportons de l’argent à la maison.»189 Une femme indigène de plus de 30 ans déclare ne jamais être sortie de son petit village avant de prendre l’autobus pour la première fois de sa vie dans le but de livrer des marchandises au siège d’Aj Quen à Chimaltenango.190 Aj Quen crée les conditions socio-économiques qui permettent une émancipation décisionnelle des femmes. D’ailleurs, 96 % des artisans de la fédération sont des femmes. En outre, elles dirigent le conseil d’administration, ce qui leur confère un pouvoir de décision. Elles se sentent ainsi valorisées. 189 EDELBERG, L., Aj Quen : fiche d’information partenaire, Wavre, Oxfam-Magasins du Monde, document interne, 2010, p.4. Cf. Annexe R : Fiche d’information Aj Quen. 190 Ibid., p.4. 110 Chapitre 4 : Vers un commerce équitable Sud-Sud Chaque communauté d’artisans possède deux représentants à l'assemblée générale d'Aj Quen. Cette mise en place de la démocratie interne leur permet d’apprendre à s’organiser. Un des objectifs de l’association est d'aider les femmes mayas à atteindre un développement personnel et communautaire. On constate aujourd’hui que les artisanes assistent aux réunions et elles comprennent mieux leur rôle dans la société. Grâce aux formations dispensées par Aj Quen, les artisanes comprennent notamment les réalités nationales. Elles peuvent ainsi revendiquer leurs droits et connaître les obligations qu’elles se doivent de remplir vis-à-vis de l’État. Bien que le panorama sociopolitique au Guatemala ne favorise pas la participation politique des groupes, certains artisans (surtout les femmes) ont rejoint des réseaux et d’autres expressions sociales de leur communauté. Beaucoup d’entre eux participent au Conseil Communautaire de Développement (COCODES). Au travers de ces organisations, les artisans présentent leurs demandes aux autorités locales et aux Conseils de développement. Par exemple, les femmes cakchiquels de Sololá intègrent désormais la Commission de la Femme du Conseil municipal de Développement (COMUDE). Cette participation est un long processus qui requiert d’abord une formation théorique, et une fois que les groupes se la sont appropriée, ils la mettent en pratique. Cela leur est bien entendu bénéfique. À Sololá toujours, la municipalité leur a fourni un lieu d'exposition pour leurs produits. Qui plus est, chaque communauté jouit d’un conseil et apprend à concevoir des modèles seule. Les femmes ont donc acquis une certaine rigueur de travail et d’organisation. En outre, lorsqu’elles participent à des formations dispensées par Aj Quen, elles les partagent avec les autres membres de la communauté. Et, petit à petit, elles améliorent leur lieu de travail ainsi que leurs conditions d’existence. 111 Chapitre 4 : Vers un commerce équitable Sud-Sud On observe une autonomie grandissante des groupes vis-à-vis de la fédération Aj Quen. En effet, certains groupes cherchent du soutien au travers d'autres organisations. Par exemple, pour leur gestion quotidienne, les groupes reçoivent un appui technique et des équipements au travers d’Aj Quen, mais également au travers d’autres programmes du gouvernement ou d’initiatives privées. Actuellement, certaines communautés contractent des emprunts, fixent leurs prix, tiennent un stand au salon international organisé par l’Agexport, aux foires artisanales de Quetzaltenango, de Chimaltenango, de Panajachel et de Sololá, au marché local de leur municipalité, etc. L’objectif d’Aj Quen est alors atteint. Leur autonomie se traduit également par la construction spontanée de centres de formation et de production, par exemple, au sein de leur communauté. En bref, elles sont maintenant capables de produire, commercialiser et vendre leurs articles de leur propre initiative et estimer les risques, alors qu’auparavant, elles ne savaient même pas fixer un prix de vente leur permettant de réaliser un profit. Les artisans attachent une grande importance à la promotion et à la diffusion d’une expression culturelle via l’art textile évoquant l’identité des communautés qu’ils représentent grâce aux techniques et aux couleurs à valeur symbolique. Aj Quen encourage la valorisation des savoir-faire locaux, particulièrement le tissage à la main, mis en péril par la concurrence des produits chinois importés. De cette manière, les artisans participent activement à la diffusion de cette identité culturelle. Le commerce équitable constitue une base fondamentale à la promotion du changement vers un système de distribution des revenus plus juste et dans le renforcement des connaissances des artisans sur les axes politiques, économiques et culturels. Cette alternative commerciale se traduit aujourd’hui par un développement personnel et communautaire pour les artisans. Oxfam-Solidarité organise pour Aj Quen de nombreuses formations et discussions afin que ses membres se rendent compte de 112 Chapitre 4 : Vers un commerce équitable Sud-Sud l’importance de faire partie d’une organisation de commerce équitable. Ils s’approprient au fur et à mesure les concepts de commerce équitable, de marché solidaire, de consommation responsable, de marchés alternatifs, etc. Le commerce équitable permet aussi aux artisans de se professionnaliser. Dans certaines régions, les gens s’étonnaient de constater le succès de l’organisation et se sont intéressés à leur travail, au commerce équitable, à l’association, ce qui leur a permis, aujourd’hui, d’écouler leurs produits sur le marché local. Ce type de marché a démontré, de nombreuses fois, être une alternative capable de rendre des producteurs et entrepreneurs mieux organisés et plus efficaces. En déployant des initiatives indépendantes qui génèrent des revenus et élèvent le faible niveau de la qualité de vie, cette alternative commerciale pourrait être à la source d’une réinsertion sociale et de progrès. En bref, cette forme d’organisation économique juste et humaine permet aux petits producteurs, aux femmes et aux familles de relever de nouveaux défis, de participer davantage dans les décisions, de contribuer à l’équité des genres, de faire évoluer la société. Auparavant, les enfants participaient à la production de l’artisanat. Aujourd’hui, ils vont à l’école grâce aux revenus générés par les ventes locales à un meilleur prix. Cela influe de manière directe sur l’éducation des enfants, leur habillement, leur alimentation et la santé de la famille en général. Tout ceci est bénéfique au renforcement et à l’enrichissement du secteur artisanal au Guatemala. Ajoutons que 60 % des artisans savent lire et écrire. Parmi eux, 70 % ont obtenu le diplôme du niveau primaire et 20 % du niveau secondaire. Il est important que les artisans se rendent compte du rôle que peuvent jouer les institutions publiques dans l’artisanat, du soutien potentiel important des autorités politiques locales dans l’entrepreneuriat, dans la promotion de l’équité et dans la 113 Chapitre 4 : Vers un commerce équitable Sud-Sud participation civique. Le travail de l’association avec les groupes locaux, via l’encadrement, les formations et la participation directe au fonctionnement de l’organisation, va dans ce sens. Au sein de l’association, il n’y a pas de discrimination, mais parfois, de la jalousie entre les groupes. En effet, étant donné que la demande a diminué, certaines communautés se voient attribuer moins de commandes que d’autres. Cela crée des petites tensions entre les groupes que, comme dans toute organisation humaine, chacun doit apprendre à dépasser. Plusieurs initiatives en faveur de ce commerce équitable Sud-Sud existent dans les trois continents visés (Amérique latine, Afrique et Asie). Bien qu’elles ne soient pas encore majoritaires par rapport au commerce conventionnel, elles sont déjà nombreuses. C'est pourquoi je ne pourrai toutes les aborder. J’ai donc décidé de me concentrer sur les initiatives principales dans les différents continents du Sud. L’Amérique latine est bien avancée dans les initiatives de commerce équitable SudSud, et en particulier le Brésil et le Mexique. D’autres pays également ont réussi à développer un marché interne contribuant à améliorer les conditions de vie de leurs petits producteurs. Aussi, le fait d’avoir effectué mon stage dans cette région m’a ouvert les yeux sur plusieurs actions dans ce domaine. Brésil191 La fédération Faces do Brasil est apparue en 2001 dans ce pays grâce à l’initiative de la société civile. Il regroupe des ONG, plus de mille organisations de producteurs, des syndicats ainsi que des organisations de commerce 191 Le contenu de cette section est inspiré de FACES DO BRASIL, Site de Faces do Brasil, adresse URL : http://www.facesdobrasil.org.br/ (page consultée le 15 mai 2011). 114 Chapitre 4 : Vers un commerce équitable Sud-Sud équitable. Tous ces groupements ont montré un intérêt dans la construction commune de principes et procédures garantissant un commerce équitable, en particulier dans une perspective de développement des marchés locaux. Le commerce équitable brésilien se développe autour de trois dimensions : l'économie, l'éducation et la politique. D’un point de vue économique, le but du commerce équitable est de fournir un salaire décent aux producteurs marginalisés. Au regard de l’éducation, ce type de négoce cible des actions de promotion et de sensibilisation au concept de commerce équitable, aussi bien du côté des producteurs que des consommateurs et des commerçants. Quant au niveau politique, il a pour but de promouvoir la justice sociale et l'équité. À partir de cette charte créée par la société civile, la Commission Nationale du Commerce Éthique et Solidaire (SNCJS) a vu le jour et a rédigé un document de référence sur le commerce équitable au Brésil. Depuis 2008, celui-ci est diffusé par le Comité juridique du Ministère du Travail qui l’a adopté. Grâce à l’engagement de partenaires gouvernementaux (le Ministère de la Solidarité nationale de l’Économie du Travail et de l’Emploi, le Secrétariat pour l’Agriculture familiale du Ministère du Développement agraire, etc.), le commerce équitable est devenu une réalité connue au Brésil. En outre, cette initiative a porté ses fruits car elle a donné lieu à un décret présidentiel signé en 2010 par le Président Luiz Inacio da Silva 192. Ce décret institue et reconnaît le système brésilien de commerce équitable et solidaire. La SNCJS délivre notamment la qualification d’ « Organisation Seal » permettant aux entreprises de production et de commercialisation d’utiliser ce cachet sur tous leurs supports. Celui-ci garantit que l’entreprise respecte les critères du commerce équitable brésilien (comme la démocratie, le respect dans les relations au travail, la transparence, etc.). De plus, cette commission a mis au point un label pour les produits et services certifiant le respect des critères équitables. Avant d’apposer ce label sur les étiquettes et sur les emballages, les entreprises sont soumises à des contrôles annuels par des organismes indépendants et externes à la SNCJS, à toutes les étapes de la chaîne de production. 192 GRAAS, F., 2011, op. cit., p.13. 115 Chapitre 4 : Vers un commerce équitable Sud-Sud Suite à la marginalisation que subissent les producteurs face au système néolibéral, les Brésiliens ont décidé de se baser sur le modèle du commerce équitable Nord-Sud et de l’adapter à leur commerce domestique. Ce système de développement du commerce équitable contribue notamment à rendre des produits locaux accessibles aux autochtones. Cette initiative n’est pas négligeable, surtout pour une des puissances économiques importantes du Sud dans lequel la population totale s’élève à 203 429 773 habitants193 dont 47 % sont pauvres.194 Par ailleurs, le Programme pour l’Acquisition d’Aliments (PAA) vise à garantir des conditions de vente équitables pour les agriculteurs familiaux et à contribuer à la sécurité alimentaire du peuple brésilien. Par exemple, les écoles doivent acheter au moins 30 % de leur consommation alimentaire à de petits exploitants. Le bénéfice de ce programme est double : le petit producteur est soutenu et le peuple brésilien améliore son apport nutritionnel. Mexique195 Déjà en 1998, l’association Comercio Justo México (CJM) débutait son processus de labellisation nationale de commerce équitable. Cette association civile mexicaine régit et promeut les produits équitables des petits producteurs. CJM est un organisme qui construit un modèle différent de développement en impulsant un marché basé sur la justice, la solidarité, et la durabilité et dans lequel les producteurs bénéficient d’un épanouissement social et économique. Les principales motivations à l’origine de cette action étaient de créer un marché domestique pour les petits producteurs organisés du pays, notamment suite aux failles 193 CIA, The World Factbook : Brazil, in Central Intelligence Agency, Site de la CIA, adresse URL: https://www.cia.gov/library/publications/the-world-factbook/geos/br.html (page consultée le 15 mai 2011). 194 Source : SERVAIRE, C., 2011, op. cit., p. 8. 195 Cette section est inspirée de COMERCIO JUSTO MÉXICO, Site du commerce équitable au Mexique, adresse URL : http://www.comerciojusto.com.mx/ (page consultée le 16 mai 2011). 116 Chapitre 4 : Vers un commerce équitable Sud-Sud de l’Accord de Libre-Échange de l’Espace Nord-Américain (ALENA)196. En ce sens, CJM a voulu fonder un marché de commerce équitable au Mexique, ressemblant aux marchés de commerce équitable dans les autres pays. CJM agit sur plusieurs fronts : il fournit un accompagnement aux organisations de petits producteurs dans leur intégration au commerce équitable ; il respecte les processus internes, démocratiques et autogérés des organisations ; il participe aux campagnes, événements et forums de diffusion et de sensibilisation ; il collabore aux activités éducatives et promeut des actions qui sont en relation directe avec le commerce équitable. Qui plus est, CJM entreprend des actions qui informent le consommateur des avantages à acheter des produits équitables possédant le label de garantie afin de construire un Mexique meilleur. Le logo de CJM apparaît sur l’emballage des produits certifiés qui remplissent les conditions de commerce équitable et proviennent des petits producteurs organisés. Il garantit la qualité, la justice (le petit producteur reçoit un revenu décent et stable qui favorise son propre développement social, économique et culturel) et le respect de l’environnement. CJM est donc responsable de créer une norme nationale relative au commerce équitable. La certification de ces normes est réalisée par Certimex, une agence de certification biologique à la base, mais qui prend maintenant en charge les inspections et certifications des organisations équitables de producteurs. Agromercados est une coopérative de distribution gérée par des petits producteurs depuis 2000 et qui leur permet de commercialiser leurs produits197. Avec un système adapté aux spécificités locales, prenant en compte l’opinion des producteurs mexicains, CJM participe à un développement recentré sur le marché local. 196 Le Mexique a été intégré à l’espace nord-américain de l’ALENA en 1994. Depuis lors, le secteur rural subit un exode de sa population car les cultures vivrières sont remplacées par des cultures destinées à l’exportation. 197 GUERRA, D., LAPOINTE, A., OTERO, A.I., Les pratiques du commerce équitable : le cas du Mexique, in Gestion, 2008, vol. 33, n°1, p. 70. 117 Chapitre 4 : Vers un commerce équitable Sud-Sud Autres initiatives198 En Argentine, Otro Mercado del sur est une association civile sans but lucratif fondée en 2004 qui a notamment pour but de promouvoir et sensibiliser au commerce équitable en Argentine et en Amérique latine. Elle recherche l’élimination des déséquilibres engendrés par les modèles socio-économiques dominants. Son travail se centre sur le développement du projet Cadena Textil Solidaria en coordonnant le développement, la formation et la production à toutes les étapes de la chaîne. Cette filière textile intégrée produit du coton biologique avec des petits producteurs, transforme (tissage, teinture, coupe et confection) le coton avec des coopératives urbaines et se charge de la promotion des consommateurs à la consommation responsable.199 REDES est un programme de coopération qui vise à lutter contre la pauvreté et les inégalités dans les revenus en Amérique latine en renforçant les 40 micros, petites et moyennes entreprises de producteurs marginalisés qui participent à ce programme. Les coordinateurs de ce projet (CTM Altromercato) cherchent à développer un réseau SudSud d’économie solidaire et de commerce équitable en diffusant de l’information sur ce sujet. Conjointement, les différentes organisations de commerce équitable peuvent contribuer au développement de ce réseau en partageant leurs expériences et leurs bonnes pratiques. Cette initiative n’en est qu’à ses débuts. Elle a fixé des conditions préalables pour les bénéficiaires des activités du programme : posséder une structure productive, formelle et légale, respecter les critères de commerce équitable reconnus par la WFTO, prendre part aux activités proposées, décrire ses expériences aux autres dans un esprit d’amélioration mutuelle.200 198 La CLAC a déjà été présentée cf. supra chapitre 3.2 : Initiatives et réseaux locaux et internationaux de commerce équitable en artisanat textile. 199 Ce paragraphe est inspiré de OTRO MERCADO, Site de Otro Mercado, adresse URL: http://www.otromercado.org.ar/ (page consultée le 16 mai 2011). 200 Ce paragraphe est inspiré de BOCCAGNI, L., Programma de cooperación : REDES de Economía Solidaria en América Latina, Bolzano, CTM Altromercato, document interne, 2008, p.1-3 et de GRAAS, F., op. cit., 2011, p. 25. 118 Chapitre 4 : Vers un commerce équitable Sud-Sud Espacio MERCOSUR Solidario est une plate-forme d’organisations de la société civile actuellement composée de 17 ONG d’Argentine, du Brésil, du Chili et du Paraguay. Elle concentre ses actions de sensibilisation à plus de 150 organisations et mouvements sociaux de base (de jeunes, de femmes, de paysans, de villageois) de la région du MERCOSUR201. Depuis 2003, cette plate-forme développe des stratégies à trois niveaux (local, national et régional) afin de revendiquer les droits politiques, économiques et sociaux des secteurs exclus par le MERCOSUR. Cet espace réunit également les réseaux d’économie solidaire du Sud de l’Amérique latine. Il a pour but de coordonner les actions de ces pays dans ce secteur, mais aussi de commencer un échange de biens sous les conditions du commerce équitable.202 RELAT (Réseau Latino-américain de Magasins d’Économie Solidaire) permet de commercialiser les produits issus du commerce équitable et solidaire en Amérique latine. Ces boutiques ont pour but d’initier les échanges entre les différents pays du continent, mais en plus, de participer aux campagnes de sensibilisation pour le commerce équitable et la consommation locale. Ces magasins sont encore peu nombreux aujourd’hui (17).203 RELACC (Réseau Latino-américain de Commercialisation Communautaire) d’Amérique Centrale Unie et Solidaire (CAUSA) est une association d’organisations de petits producteurs. Elle cherche à contribuer au renforcement de l’économie communautaire au travers de canaux de distribution équitables entre consommateurs et producteurs. Pour ce faire, ils stimulent l’intégration centre-américaine en tentant de transformer les politiques publiques existantes afin qu’elles bénéficient davantage aux communautés de producteurs. Ce réseau est actuellement composé de cinq entités privées dans cinq pays d’Amérique centrale : Guatemala, Honduras, El Salvador, Nicaragua et Panama. Le Réseau Maya de Commercialisation Communautaire 201 Les pays membres de ce marché commun du Sud (MERCOSUR) sont l’Argentine, le Brésil, le Paraguay et l’Uruguay. 202 Ce paragraphe est inspiré de MERCOSUR SOLIDARIO, Site du Programme MERCOSUR Social et Solidaire, adresse URL : http://mercosursocialsolidario.org/ (page consultée le 16 mai 2011). 203 Ce paragraphe est inspiré de SOSA, C., El papel de una tienda de Comercio Justo en países de América Latina, in Mercado Justo, 2008, vol. 3, n°6, p. 7-8. 119 Chapitre 4 : Vers un commerce équitable Sud-Sud (REMACC) est le réseau national au Guatemala. Les organisations affiliées au REMACC participent à des salons pour les petits producteurs et à des échanges d’expériences. INTER-REDES est un nouvel espace (datant de 2009) qui cherche à renforcer l’économie solidaire et le commerce équitable en Amérique latine en articulant les mouvements sociaux dans ce secteur. C’est un mécanisme de coordination de la WFTO-LA, la branche latino-américaine de la WFTO qui réunit RELACC, Espacio Mercosur Solidario, RELAT, CLAC. C’est donc un espace de dialogue entre ces différents réseaux afin de contribuer à la lutte contre la pauvreté et les meilleures conditions de vie.204 Les artisans africains luttent pour protéger leur part du marché face à la concurrence des autres régions du Sud et face à l’économie globalisée. Les petits producteurs moins organisés, basés dans les zones rurales et marginalisés, opèrent souvent dans l'économie informelle où les salaires et les revenus sont bas et où les conditions de travail sont difficiles. Les mouvements de commerce équitable tentent de renverser cette situation. La Coopération pour le Commerce Équitable en Afrique (COFTA) est un réseau d’organisations impliquées dans le commerce équitable et qui collaborent avec les producteurs africains défavorisés afin d’éliminer la pauvreté à l’aide du commerce équitable. Sa mission est d’améliorer les conditions de vie des producteurs africains au travers des associations qui défendent le commerce équitable.205 En 2004, COFTA a vu le jour grâce à l’initiative des producteurs africains. Concrètement, COFTA les aide à renforcer leurs capacités afin que les plus 204 Ce paragraphe est inspiré de FRERS, G., INTER-REDES: Promoción del Comercio Justo en y desde América Latina Propuesta de Estrategia Regional(draft), Quito, WFTO, document interne, 2010, p. 1. 205 Ce projet est financé par la Coopération Technique Belge (CTB). 120 Chapitre 4 : Vers un commerce équitable Sud-Sud marginalisés puissent accéder aux marchés en les assistant dans la commercialisation de leurs produits et en leur apprenant à devenir organisés, actifs et autonomes. COFTA est aussi la branche régionale de la WFTO et constitue le réseau des Organisations du Commerce Équitable (FTO) africaines. Aujourd’hui, COFTA est formé de 70 organisations membres réparties dans 20 pays du continent. Celles-ci fabriquent principalement des objets artisanaux, mais aussi du thé, du café, de la vanille, du miel, des fruits séchés, du jus, etc. Les Africains se rendent compte que les produits portant un label se vendent mieux. C'est pourquoi COFTA vise à en développer un pour ses organisations membres. En 2007, la WFTO a lancé une nouvelle certification appelée le « Sustainable Fair Trade Management System » (SFTMS). Celle-ci intéresserait COFTA. Par conséquent, afin d’aider ses organisations membres, COFTA a développé un projet de «certification et SFTMS», mais il n’y a encore rien de concret.206 Kenya207 La Fédération Kenyane pour le Commerce Alternatif (KEFAT) est un réseau d’organisations de commerce équitable. Elle a commencé ses activités en 2000 afin d’établir une plate-forme nationale dans laquelle les parties prenantes du commerce équitable peuvent collectivement échanger leurs expériences. Son principal objectif est d’améliorer les conditions de vie et le bien-être des producteurs marginalisés en liant et en renforçant les pratiques de commerce équitable, ainsi que de renforcer la position du pays au niveau régional et international sur les marchés de commerce équitable. KEFAT fournit des points de vente locaux aux artisans et paysans marginalisés au travers du développement des marchés locaux, mais aussi au travers d’associations stratégiques. 206 Le contenu des paragraphes ci-dessus est inspiré de COFTA, Site de la Coopération pour le Commerce équitable en Afrique, adresse URL : http://www.cofta.org/ (page consultée le 16 mai 2011). 207 Le contenu de cette section est inspiré de COFTA, Site de la Coopération pour le Commerce équitable en Afrique, adresse URL : http://www.cofta.org/en/en/countrynetworks.asp?countrynetworkid=1 (page consultée le 16 mai 2011). 121 Chapitre 4 : Vers un commerce équitable Sud-Sud KEFAT est le plus grand sous-réseau de la Coopération pour le Commerce Équitable en Afrique (COFTA) et compte 34 groupes de petits producteurs. Au sein de KEFAT on retrouve des organisations civiles qui sont surtout impliquées dans la promotion et la sensibilisation au commerce équitable. D’autres plates-formes de ce type existent dans différents pays africains : Association of Fair Trade in Zimbabwe, COFTA South Africa, Rwanda Forum for Alternative Trade, Swaziland International Fair Trade Association, Tanzania Network for Fair Trade, Uganda Federation for Alternative Trade. Sénégal208 Environnement et Développement du Tiers Monde (ENDA-TM) est une association sénégalaise qui a été créée en 1972 conjointement par le Programme des Nations unies pour l'Environnement, l'Institut africain de Développement économique et de planification et l'Organisation suédoise pour le Développement international. ENDA s'investit avec les groupes de producteurs dans la recherche et la mise en œuvre d'un développement alternatif local. Cet engagement se traduit notamment par leur prise en considération au moment des décisions. L’objectif principal est la lutte contre la pauvreté. D'une manière générale, ENDA cherche à valoriser les connaissances et les instruments du développement local en travaillant avec des initiatives populaires individuelles et collectives et avec des mouvements associatifs ruraux et urbains. Les activités d'ENDA sont aussi bien des actions directes sur le terrain (santé, agriculture, assainissement, éducation alternative, soutien aux jeunes travailleurs, etc.) que des recherches, des conseils, des formations, des publications, etc. 208 Le contenu de cette section est inspiré de BAILLY, O., POOS, S., Le Commerce équitable Sud-Sud, Bruxelles, CTB Agence Belge de Développement, 2010, p.19. 122 Chapitre 4 : Vers un commerce équitable Sud-Sud Aujourd’hui, ENDA est en train d’élaborer un système local de certification. À l’avenir, elle aimerait développer une plate-forme similaire au Burkina Faso, au Mali, au Togo et au Bénin. Ndem, une association de villageois artisans a été créée en 1985 d’une initiative locale afin de lutter contre l’exode rural en se basant sur le développement communautaire durable. En partenariat avec une organisation de commerce équitable italienne (Chico Mendes), Ndem a créé un espace de commerce équitable à Dakar. Son but est de développer la commercialisation locale, afin de diminuer la dépendance à l’exportation de l’association. Dans ce lieu, les Sénégalais retrouvent des produits artisanaux et maraîchers de Ndem ainsi que d’autres organisations sénégalaises. En outre, cet espace permet de sensibiliser les consommateurs au commerce équitable. Ce projet intègre les questions économiques, sociales et environnementales et répond aux problématiques locales de création de richesse.209 Inde210 Depuis presque 40 ans, l’Inde exporte des produits équitables vers le Nord. Cependant, les perspectives de vente de ces produits sur le marché national sont considérables vu l’énorme population de consommateurs (1 189 172 906 habitants211). Le potentiel pour le marché du commerce équitable est donc grand, surtout que la classe moyenne s’agrandit et que la conscientisation face aux problèmes nationaux212 et à l’apparition du commerce équitable augmente. 209 Ce paragraphe est inspiré de SERVAIRE, C., 2011, op. cit ., p. 21. Le contenu de cette section est inspiré de BAILLY, O., POOS, S., 2010, p.19 et de SHOP FOR CHANGE, Site de Shop for Change Fair Trade, adresse URL : http://www.shopforchange.in/Aboutus_3.htm (page consultée le 16 mai 2011). 211 CIA, The World Factbook : India, in Central Intelligence Agency, Site de la CIA, adresse URL: https://www.cia.gov/library/publications/the-world-factbook/geos/in.html (page consultée le 15 mai 2011). 212 La situation des producteurs marginalisés qui se suicident est de plus en plus alarmante. 210 123 Chapitre 4 : Vers un commerce équitable Sud-Sud Le projet IRFT (International Resources for Fairer Trade) mis en œuvre en 1995, tente de réduire la pauvreté en proposant des débouchés équitables aux petits producteurs sur le marché national. Ceci permet de créer de nouveaux emplois pour la population indienne, et d’améliorer les conditions des petits producteurs. En outre, ce projet vise à augmenter la notoriété et la compréhension du commerce équitable pour la population indienne, mais aussi à développer des règles adaptées au contexte local, ainsi qu’un système de certification du commerce équitable (Shop for Change) propre au marché indien. Son projet Promoting Fair Trade in India (PROFIT) promeut le concept de commerce équitable auprès des consommateurs et des décideurs du pays afin de développer des règles et des critères pour le commerce équitable adaptés au contexte local, ainsi qu’un système de certification et de suivi. Shop for Change Fair Trade est la branche de IRFT qui se charge de cette certification. Shop for Change établit des standards sociaux et environnementaux et visent surtout les petits paysans. C’est une marque qui assure un accès aux marchés équitables à ces producteurs marginalisés. Elle les aide notamment en leur garantissant un salaire décent, en leur proposant des formations basées sur les pratiques de culture plus écologiques, en leur assurant des environnements de travail sains, non discriminatoires et sans danger. Actuellement, Shop for Change travaille avec 5 300 petits producteurs dans différentes régions de l’Inde. Shop for Change a quatre fonctions principales : la certification, le service aux entreprises, le service aux producteurs et la sensibilisation. Le label Shop for Change certifie que les produits achetés aident directement les producteurs indiens à augmenter leurs revenus tout en prenant soin de l’environnement. Pour obtenir ce label, les organisations doivent respecter les standards équitables établis par Shop for Change en collaboration avec des entreprises, des organisations de fermiers et d’artisans et des consommateurs. L'objectif est de mettre au point des standards adaptés aux défis des petits producteurs. Afin de vérifier que les paysans, les 124 Chapitre 4 : Vers un commerce équitable Sud-Sud artisans et les entreprises respectent ces standards, des audits sont effectués annuellement par des organismes extérieurs. En 2010, Shop for Change Fair Trade a lancé le coton certifié équitable afin de soutenir les fermiers dans ce secteur. Bientôt, Shop for Change espère lancer de nouvelles gammes de produits certifiés et inclure plus de fermiers marginalisés dans le système. Ils travaillent également sur les standards pour l’artisanat afin d’inclure davantage de producteurs pauvres. Philippines213 L’Association of Partners for Fairer Trade (APFTI) ou «Advocate of Philippine Fair Trade Inc» a été créée en 2001. Cette association est membre de la WFTO. Elle sensibilise les producteurs et les consommateurs au commerce équitable et cherche à ouvrir le marché local aux produits équitables philippins. En 2009, le premier Fair Trade Shop a été ouvert dans le pays, suivi d’un deuxième en octobre. Ces magasins offrent les créations de 32 producteurs locaux (pâtisseries, thé, café, confiture, accessoires de mode, décoration d’intérieur, produits de beauté, etc.). Dans un futur proche, l’organisation a l’intention de promulguer des indicateurs et standards de certifications spécifiques au commerce équitable philippin pour lancer un label propre sur le marché local. Avec l’aide de la Commission européenne, elle a lancé l'initiative MaDe for Fair Trade (Marketing Development for Fair Trade). Autres initiatives International Market Development and Investment (MDI) est une entreprise vietnamienne spécialisée dans le commerce équitable et la consultance en agriculture et en artisanat. Elle vise à développer le secteur rural vietnamien. Elle a lancé Betterday, la première marque certifiée équitable au Vietnam et dans d’autres pays asiatiques qui 213 Le contenu de cette section est inspiré de Advocate of Philippine Fair Trade Inc, Site des défenseurs du commerce équitable aux Philippines,adresse URL : http://www.apfti.org.ph/ (page consultée le 16 mai 2011). 125 Chapitre 4 : Vers un commerce équitable Sud-Sud veut montrer que les consommateurs de produits équitables ne se situent pas seulement au Nord de la planète. Sasha en Inde (partenaire d’Oxfam-Magasins du monde) a été créé en 1978 dans le but de soutenir le développement des tisserands. À l’heure actuelle, l’organisation compte plus de 5000 artisans, dont au moins 70 % sont des femmes. Dans les années 1980, Sasha ouvrait sa première boutique sur le marché local, à Calcutta. Aujourd’hui, en plus de commercialiser ses produits sur le territoire national, le magasin propose d’autres produits de commerce équitable venant d’Asie (Bangladesh, Vietnam, Thaïlande, Indonésie) et d’Afrique (Ghana, Kenya et Tanzanie). Ce résultat est le fruit de nombreux événements de promotion du commerce équitable organisés par Sasha afin de sensibiliser les consommateurs indiens comme je l’ai mentionné précédemment214. Ces événements prenaient la forme d’expositions thématiques dans le magasin, de partage d’informations sur Internet et sur des dépliants, des sessions de sensibilisation dans les écoles et les universités, la participation à des foires locales, etc. En somme, l’Amérique latine dispose de beaucoup d’initiatives dans le développement d’un commerce équitable intracontinental et intrarégional. Ce commerce équitable est davantage perçu comme un plaidoyer : il est une source de revenus pour les Indigènes, mais aussi un argument de défense de ces peuples. Ce qu’il manque est le soutien d’autres États afin de renforcer et de reconnaître le commerce équitable comme moteur de changement. En ce sens, le cas du Brésil constitue un bon exemple pour le reste du monde : la participation des entités publiques et privées ; une meilleure concertation entre production, consommation et commercialisation, tant au niveau local que national ; une préoccupation pour les producteurs ; etc. En Afrique, le commerce équitable Sud-Sud commence à gagner du terrain, mais manque encore de dynamisme. Cependant, lentement, les énergies se rassemblent et la volonté de créer des garanties locales est bien présente. 214 Cf. supra chapitre 3.2: Mise en perspective de ces données par rapport à la consommation locale et l’offre dans d’autres pays. 126 Chapitre 4 : Vers un commerce équitable Sud-Sud En Asie, le commerce équitable local recherche surtout à améliorer les conditions de vie des petits producteurs. En outre, de plus en plus d’entreprises prennent les aspects sociaux en considération. Le commerce équitable est un moyen d’octroyer plus de place aux producteurs dans le marché local.215 À l’heure actuelle, les échanges en commerce équitable Sud-Sud se concentrent cependant à l’intérieur d’un même continent plutôt qu’entre ceux-ci. Quatre caractéristiques sont communes aux initiatives locales du Sud. En premier lieu, toutes poursuivent les mêmes objectifs économiques, sociaux et humains, politiques et environnementaux au travers d’un développement plus recentré. Ensuite, les acteurs de ces initiatives expriment leur volonté de créer des partenariats, d’établir des réseaux afin de consolider ce commerce recentré et d’accroître les débouchés locaux. Par ailleurs, ces initiatives développent un label qui se veut local, propre à leur marché spécifique, au contraire des certifications initiées au Nord. Enfin, bien qu’en Inde et en Afrique quelques initiatives datent des années 1970-1980, la poussée et le dynamisme du commerce équitable recentré est relativement jeune, car la majorité des mouvements a été initiée récemment. Ce commerce équitable domestique est une forme de réappropriation par les acteurs du Sud d’une pratique qui s’est généralement définie au Nord. Cette demande constitue tout à la fois une stratégie pour contourner le problème de la demande insuffisante au Nord et une manière de faire évoluer les filières de production et de commercialisation sectorielles traditionnelles vers le remplacement des acteurs les plus faibles et vers un meilleur équilibre des relations internes et internationales entre acteurs. Avec ce modèle de commerce recentré, on pourrait dépasser les limites du commerce équitable Nord-Sud en améliorant le cadre de vie d’une population au niveau local, grâce à ses retombées économiques et sociales positives. En effet, un commerce plus 215 BAILLY, O., POOS, S., 2010, op. cit., p.33. 127 Chapitre 4 : Vers un commerce équitable Sud-Sud recentré s’avère pertinent afin de mobiliser et d’influencer les instances ou les décideurs politiques, d’améliorer les capacités, l’autonomie et le niveau de vie des membres, qui jouissent d’un développement social et culturel. En privilégiant le local, on répond également à l’appel d’un développement plus durable. 128 Chapitre 5 : Recommandations pour un commerce équitable Sud-Sud et une plus grande indépendance de ses acteurs CHAPITRE 5 : RECOMMANDATIONS POUR UN COMMERCE ÉQUITABLE SUD-SUD ET UNE PLUS GRANDE INDÉPENDANCE DE SES ACTEURS Bien que les produits du commerce équitable aient toujours été originaires du Sud, la population du Sud est la moins conscientisée à ce concept. En illustrant ses principes, son fonctionnement et ses impacts de manière simple et concrète, la sensibilisation au commerce équitable pourrait avoir des retombées positives. Elle doit viser : les producteurs qui font face à un manque d’information sur ce type de commerce ; les consommateurs qui doivent savoir comment agir de façon responsable ; les commerçants qui pourraient proposer davantage de produits équitables sur leurs étagères tout en sachant vanter les vertus de ceux-ci ; les entrepreneurs, les autorités publiques, etc. Ce ne sera que lorsque le commerce équitable et ses avantages seront ancrés dans les mentalités que l’on pourra observer un changement dans les comportements. L'éducation est donc incontournable. Pour le moment, le manque de capacités de transformation et donc de valorisation des produits au Sud est un frein au développement des populations du Sud, qui dépendent alors du Nord. Un véritable commerce équitable sera possible lorsque l’essentiel de la valeur ajoutée d’un produit fini sera créé au Sud. Dans certains pays, le développement de filières intégrées voit le jour. Cependant, cela reste très complexe pour d’autres, par exemple pour le textile, car la filière de transformation est longue. Pour y parvenir, il faudrait ici aussi poursuivre un important effort de formations pour faciliter aux producteurs du Sud l’accès aux technologies. Afin d’accorder plus de poids au commerce équitable et pour que les populations puissent défendre leurs intérêts, il serait bon de cadrer et réglementer ce type de commerce. Ces efforts en faveur de la promotion du commerce équitable et d’une plus grande indépendance des acteurs du Sud ne pourraient se développer efficacement que s’ils sont soutenus, voire stimulés, par des politiques publiques. De plus, les États sont en mesure de prendre des dispositions simples pour le développement d’un commerce local équitable. Par exemple en approvisionnant les administrations publiques en 129 Chapitre 5 : Recommandations pour un commerce équitable Sud-Sud et une plus grande indépendance de ses acteurs produits équitables, comme le démontre le cas du Brésil. Cela permettrait de vendre davantage de produits au niveau local. Par conséquent, plus d’emplois pourraient être créés, et les producteurs augmenteraient leurs revenus et leurs conditions de vie. Davantage de personnes pourraient bénéficier d’une meilleure scolarité, donc, à terme, cela pourrait augmenter les niveaux de productivité du pays qui aurait plus de ressources pour effectuer des investissements publics. Et le cercle vertueux serait peutêtre enclenché. Voyons maintenant, au service de ces dynamiques essentielles, quelques accents plus spécifiques à déployer dans les pays du Sud, au Guatemala en particulier, et au sein d’Aj Quen. Au Sud, l’intérêt des citoyens pour la consommation locale et responsable ou encore pour les produits biologiques et naturels émerge, particulièrement au sein de la classe moyenne grandissante. Ces niches de marché, composées de consommateurs nantis et désireux d’adopter une alternative économique, constituent un potentiel important pour le développement du commerce équitable. Les différents réseaux équitables actuels répartis dans les trois continents analysés témoignent de cet intérêt croissant. Certaines alliances ont d’ailleurs déjà été créées et ouvrent la voie vers la coopération entre les pays du Sud. Les critères, principes et exigences du commerce équitable doivent être repensés et assumés par un maximum d’acteurs afin, notamment, de garantir une logique dans les actions des organisations équitables. Ils doivent être adaptés à leurs réalités. Dans ce sens, le partage d’expériences est utile au développement de partenariats et dans la mise en place de projets communs216. Les réalités sont différentes dans chaque pays. C’est pourquoi, les quelques initiatives sont toutes marquées par des spécificités locales. Cependant, leur objectif est commun : recentrer le commerce équitable. 216 Un exemple récent qui s’inscrit dans cette démarche est le Forum Social de Dakar qui avait pour thème, en février dernier, le commerce équitable Sud-Sud. 130 Chapitre 5 : Recommandations pour un commerce équitable Sud-Sud et une plus grande indépendance de ses acteurs Comme le soulignent les initiatives analysées plus haut, le modèle économique dominant, basé sur le capitalisme et la globalisation, exclut des milliers de personnes du système. Paradoxalement, les crises financières et économiques se présentent donc comme de grandes opportunités pour le développement d’un commerce équitable SudSud. En effet, elles mettent en question le système néolibéral. Elles amènent à un retour aux principes d’échanges et de solidarité. Certains gouvernements sont ainsi amenés à questionner leur modèle économique. À l’aide d’une relocalisation du commerce équitable, où les échanges locaux et régionaux ont la priorité sur les exportations vers le Nord, la parole est donnée aux populations du Sud qui détiennent le rôle principal pour contribuer à leur propre développement. Au Guatemala, les acteurs du commerce équitable sont essentiellement sous l’influence des expériences brésilienne et mexicaine217. D’ailleurs, la CICJS a trouvé son inspiration dans son équivalent brésilien et l’expérience mexicaine a fait l’objet d’une étude pour le Guatemala218. Aujourd’hui, le sort de la CICJS est encore incertain. Elle tarde à concrétiser des actions en faveur du commerce équitable. Cependant, la société civile est motivée pour prendre les choses en main, avec ou sans agent étatique. Bien sûr, la présence de l’autorité publique est précieuse dans un processus de reconnaissance du commerce équitable, mais la société civile veut voir des changements plus rapides et plus efficaces. La pression qu’elle exerce est importante afin d’assurer la pérennité du projet de commerce équitable au Guatemala et d’éviter de le faire dépendre exclusivement du gouvernement en place. En effet, pour les associations d’artisanat du commerce équitable comme pour les artisans traditionnels, le changement de Président et les mutations de personnel au sein des ministères rendent difficile l’implémentation de 217 GRAAS, F., 2011, op. cit., p. 27. Entretien avec Madame Ana Verónica AGUIRRE, Coordinatrice nationale de Développement économique, VISIÓN MUNDIAL, le 18 mars 2011. 218 131 Chapitre 5 : Recommandations pour un commerce équitable Sud-Sud et une plus grande indépendance de ses acteurs politiques stables et continues. Dans ce contexte, des membres actifs du commerce équitable au Guatemala envisagent de créer une association de la société civile. De plus, un membre du gouvernement que j’ai interrogé219 déclare que cette association civile pourrait être soutenue par le Secrétariat pour la Sécurité alimentaire, à condition de se réunir pour établir clairement les principes et critères du commerce équitable et mettre au point un plan d’action des engagements futurs qu’elle souhaite réaliser. En plus de cette stratégie, cette association de la société civile devrait monter son projet avec des produits de qualité représentant l’image du commerce équitable qu’elle veut véhiculer. En outre, elle devrait définir exactement le type de soutien qu’elle attend afin d’adresser ses attentes aux personnes adéquates. Cela pourrait l’aider à trouver un appui étatique plus réel que celui de la CICJS. Aujourd’hui, le responsable de la CICJS a plusieurs casquettes et, dans les faits, il se consacre davantage aux activités de commerce extérieur que de commerce équitable. L’idéal serait de bénéficier d’un fonctionnaire salarié se dédiant exclusivement à cette activité. En plus de personnes convaincues par le commerce équitable, le Guatemala a besoin de soutien financier (fonds publics ou privés). Dans un premier temps, l’aide étrangère sera toujours utile, surtout tant que l’État ne se décidera pas à apporter un soutien plus concret. L’idéal cependant serait de se baser sur des ressources nationales. S’il est intégré au secteur de la sécurité alimentaire, le commerce équitable pourrait bénéficier d’une partie du budget de l’État. Le problème est que les ressources financières de l’État guatémaltèque sont utilisées pour servir d’autres intérêts. Plusieurs réseaux de commerce équitable existent, que ce soit au niveau national, régional ou international. Un travail sérieux au niveau du pays devrait être entamé avec ces réseaux et la peur de s’associer devrait être dépassée. Cette collaboration pourrait mener des actions qui auraient un impact plus grand au moment de sensibiliser la population. 219 Entretien avec Monsieur Elmer ALVARADO CANO, Économiste, SECRÉTARIAT POUR LA SECURITÉ ALIMENTAIRE, 19 mars 2011. 132 Chapitre 5 : Recommandations pour un commerce équitable Sud-Sud et une plus grande indépendance de ses acteurs Ensuite, une étude des possibilités de développer un label national comme au Mexique pourrait mettre en avant les avantages et les inconvénients d’une telle reconnaissance. Cette garantie pourrait donner plus de visibilité au commerce équitable et les consommateurs seraient guidés dans leurs choix responsables. À l’heure actuelle, les certifications internationales (de la WFTO par exemple) représentent un coût trop élevé pour les petits producteurs marginalisés et pour les associations comme Aj Quen. Pourtant, plusieurs organisations, non certifiées mais appliquant des principes équitables, mériteraient une reconnaissance. Peut-être serait-il intéressant de créer un label sur base de fonds (publics ou privés, locaux ou internationaux) qui permettraient de rendre le label accessible à tous, tout en demandant une cotisation symbolique aux membres ainsi que d’autres engagements non financiers (participation à des événements par exemple)220? Quelques symboles commencent à apparaître au niveau national, mais ils n’ont rien d’officiel et se concentrent sur des petits volumes. C’est le cas, par exemple, du réseau de petits producteurs Kuchubal ou de la marque Chikach, membre de RAIS. Les Coordinateurs de ces organisations équitables déclarent que les consommateurs commencent à associer leur logo au commerce équitable.221 Comme je l’ai développé précédemment, l’intérêt pour des produits équitables existe au Guatemala, même s’il reste marginal. S’il était plus connu, le commerce équitable pourrait profiter d’un plus large succès. Certes, beaucoup de Guatémaltèques, au pouvoir d’achat limité, ne peuvent acquérir des produits issus de ce commerce, mais 220 Un label pour les petits producteurs a fait son apparition. Celui-ci, désigné el ―Símbolo de Pequeños Productores‖ (le symbole des petits producteurs) a été lancé en 2006 par la CLAC. Afin de garantir l’usage approprié de ce symbole, la Fondation des Petits Producteurs Organisés (FUNDEPPO) travaille avec des organismes externes (comme pour le cas de Comercio Justo México). Ce symbole n’est pas encore très connu et certifie principalement les produits alimentaires. Il est ouvert aux pays d’Amérique latine, des Caraïbes, et depuis peu, aux pays en voie de développement d’Asie et d’Afrique. Toutefois, à l’heure actuelle, seulement 10 organisations possèdent ce symbole. Elles proviennent du Guatemala, du Pérou, du Mexique, du Honduras et de la République dominicaine. L’inscription coûte au minimum $300 et les évaluations annuelles également. Ce symbole aurait pu être une ouverture vers un label national, mais en fait, il vise surtout de « grandes organisations » de petits producteurs. Source : TÚ SÍMBOLO, Site de Tú Símbolo Pequeños Productores, adresse URL : http://www.tusimbolo.org/ (page consultée le 17 mai 2011). 221 Entretien avec Madame Harriet GOTTLOB, Gérante, CHIKACH, le 18 mars 2011 et avec Monsieur José Luis AGUILAR, Coordinateur, RED KUCHUBAL, le 14 février 2011. 133 Chapitre 5 : Recommandations pour un commerce équitable Sud-Sud et une plus grande indépendance de ses acteurs une minorité, essentiellement urbaine, dispose des moyens nécessaires et constitue la cible première du système. Quant à l’offre sur le marché du commerce équitable, elle existe également. D’ailleurs, de plus en plus d’organisations de ce type apparaissent. Aussi, j’ai été étonnée par la variété des produits qu’offre le Guatemala, autant au niveau alimentaire qu’artisanal. Selon moi, ce pays jouit d’opportunités qu’il faudrait saisir pour favoriser le développement local. Le Guatemala est ainsi réputé mondialement pour ses produits textiles colorés, mais tous les Guatémaltèques n’en sont pas conscients. La culture et la manière d’interpréter le monde dans la vision maya constituent également des atouts de ce pays. Ils devraient être mis en avant, notamment auprès des touristes, mais aussi auprès de la population locale. Cela aiderait les producteurs à affronter la concurrence des produits semblables qui laissent la part belle aux intermédiaires et aux fournisseurs de matières premières. Bien que le marché intérieur soit relativement petit et que le pouvoir d’achat local faible, le commerce équitable s’inscrit comme étant une alternative au système de production caractérisé par de mauvaises conditions de travail. Le premier chapitre de cette étude a permis de prendre notamment connaissance du modèle de gouvernance d’Aj Quen, de sa filière, de ses marchés et de ses ressources. À partir de cette analyse, le bilan des actions concrètes qu’elle réalise au niveau local a pu être dressé. Mais, la motivation de la fédération et de ses membres d’étendre leurs activités ne s’arrête pas au marché local : ils visent également les marchés qui leur sont plus proches géographiquement et culturellement au niveau régional et intracontinental.222 222 Bien que le commerce équitable Sud-Sud pour Aj Quen se limite actuellement à l’Amérique latine, et de manière relativement marginale du point de vue de ses ventes. Ses projets ne s’étendent pas à l’Afrique ni à l’Asie. 134 Chapitre 5 : Recommandations pour un commerce équitable Sud-Sud et une plus grande indépendance de ses acteurs Dans ce contexte, Aj Quen a participé à un salon au Mexique ainsi qu’à un séminaire sur la propriété intellectuelle dans le secteur de l’artisanat et en a profité pour observer les marchés d’artisanat locaux et les magasins. De plus, la fédération a participé à des salons et à des réunions au Honduras et au Nicaragua portant sur la promotion et la diffusion de l’économie solidaire. Qui plus est, grâce à Oxfam-Solidarité, un échange d’expériences a eu lieu avec les producteurs agricoles du Nicaragua. Aj Quen prend également part au Réseau Latino-américain de Commercialisation Communautaire223 au travers de la REMACC, le réseau national au Guatemala. Même si ce dernier est resté inactif ces derniers temps, Aj Quen cherche à y créer des alliances avec les producteurs d’Amérique centrale pour commercialiser ses produits.224 Au travers de REDES, Aj Quen a la possibilité d’échanger ses expériences avec différentes organisations équitables d’autres pays sud-américains. Le but poursuivi est de constituer un système de commercialisation plus important au niveau du continent. En effet, au-delà de l’Amérique centrale, Aj Quen aimerait introduire ses produits dans les marchés des pays du Sud (Chili, Équateur, Pérou, Argentine, Bolivie et Colombie). C’est par le biais de tous ces réseaux225 qu’Aj Quen voudrait développer sa connaissance et son accès aux pays d’Amérique du Sud. Ces échanges d’expériences et de bonnes pratiques au travers de réseaux collaboratifs montrent que, au-delà de l’homo œconomicus, c’est une vision globale de l’individu dans son milieu et dans ses dimensions culturelle, sociale, et pas seulement économique, qui est mise au centre des préoccupations du commerce équitable. Toute importante que soit cette vision de la société et des échanges, il faut aussi s’assurer que ces lieux de rencontre soient porteurs de résultats concrets, et que les organisations soient viables dans la durée. 223 Cf. supra chapitre 4.5. Les initiatives actuelles. Ce paragraphe est inspiré de CAUSA RELACC, Site du Réseau latino-américain de commercialisation communautaire d’Amérique centrale unie et solidaire, adresse URL : http://www.causarelacc.org/index.html (page consultée le 8 mai 2011). 225 Cf. supra, chapitre 4.5. Les initiatives actuelles. 224 135 Chapitre 5 : Recommandations pour un commerce équitable Sud-Sud et une plus grande indépendance de ses acteurs Après avoir analysé le contexte dans lequel Aj Quen évolue et après avoir collecté toutes ces informations sur le terrain, je suggèrerais à Aj Quen de suivre plusieurs pistes, quelles que soient la réalité et la rapidité des progrès qui doivent prendre place au niveau national. Avant de conquérir de nouveaux marchés, un effort promotionnel est à fournir pour attirer les visiteurs de son centre de formation jusqu’à son magasin, situé à côté. Cela pourrait simplement se réaliser par un écriteau en espagnol apposé sur la façade du magasin, ou par des affiches publicitaires collées aux portes des salles de réunion, des sanitaires, des chambres, etc. Cette action ne requiert pas d’investissements coûteux. Ensuite, l’avantage compétitif de l’association est qu’elle applique des principes équitables. Néanmoins, au niveau local, ce sont ceux qu’elle omet de présenter. Par exemple, dans son magasin, les clients ne reçoivent pas d’informations sur l’histoire que renferment les produits. C’est une lacune qui ne serait pas difficile à combler. Par ailleurs, je lui conseillerais de profiter de ce qui existe déjà. En effet, au cours de mes recherches, j’ai plusieurs fois retrouvé des documents intéressants, des études, des rapports, qui, une fois terminés, ne sont pas exploités. Ils pourraient pourtant servir de base pour démarrer des négociations ou des initiatives communes. Afin de se faire connaitre et de faire connaitre le commerce équitable, Aj Quen (en partenariat avec d’autres organisations) devrait mener une importante campagne de sensibilisation, comme expliqué précédemment. Cependant, celle-ci, pour informer les gens, pourrait se réaliser également au travers d’activités plus « sociabilisantes » qu’une simple vente. Comme évoqué plus haut, Aj Quen a le projet d’organiser un déjeuner équitable en même temps qu’Oxfam en exposant ses produits ainsi que ceux d’organisations membres de RAIS. Bien sûr, les initiatives du Nord peuvent servir de base au développement d’un commerce recentré, mais il ne faut pas oublier de les adapter au contexte local avant de les lancer. Aj Quen devrait centrer ses actions de sensibilisation dans les endroits stratégiques, populaires, rassemblant un grand nombre de personnes (les locaux comme les touristes) : les marchés, les centres commerciaux, etc. 136 Chapitre 5 : Recommandations pour un commerce équitable Sud-Sud et une plus grande indépendance de ses acteurs Selon moi, elle devrait aussi profiter des journées internationales de commerce équitable pour organiser des événements en commun avec d’autres associations. Cela parait simple, mais le fait de se grouper n’est pas courant au Guatemala et les organisations agissent souvent de manière isolée, alors qu’elles revendiquent les mêmes choses et qu’elles pourraient avoir plus de poids ensemble. En outre, j’ai constaté que de plus en plus de foires locales (d’artisanat, de tourisme responsable, de consommation responsable, etc.) s’organisent dans différentes régions du pays. Ces événements sont une occasion pour Aj Quen de défendre sa cause et de gagner de la notoriété. Ensuite, Aj Quen ne doit pas hésiter à frapper à la porte des autorités locales, comme le bourgmestre de la ville de Chimaltenango, par exemple. Celui-ci m’a reçue avec enthousiasme et semble prêt à collaborer226. Bien sûr, ce n’est pas après un bref entretien que je peux dire qu’il tiendra parole, mais au moins, je n’ai pas reçu de réponse négative. Cela constitue donc une piste à exploiter, comme pour bénéficier d’espaces publics par exemple. De plus, de nouvelles structures locales (COCODES) permettent aux populations de se faire entendre. Certains groupes d’artisans utilisent déjà ce canal. Il faudrait encourager davantage les autres membres à s’impliquer dans ces institutions. Cela pourrait les aider à bénéficier d’infrastructures locales, d’espaces de vente, etc. J’ai également pu remarquer que les églises au Guatemala étaient généralement bondées. Selon moi, cela représente un potentiel non négligeable. C’est pourquoi, je me suis entretenue avec le curé de la paroisse de Chimaltenango227. Selon lui, les rassemblements de jeunes, les réunions de catéchisme, les communautés d’adultes notamment pourraient être un public ouvert au message du commerce équitable. En plus, cela représente un nombre important de clients potentiels pour Aj Quen. À titre d’illustration, tous les samedis, environ 200 adultes se réunissent pour débattre de sujets divers en rapport avec le catholicisme. Je ne prétends pas lier le commerce 226 Entretien avec Monsieur Belarmino MONTUFAR, Bourgmestre, ville de CHIMALTENANGO, le 11 mars 2011. 227 Entretien avec Monsieur X, Curé, paroisse de CHIMALTENANGO, le 11 mars 2011. 137 Chapitre 5 : Recommandations pour un commerce équitable Sud-Sud et une plus grande indépendance de ses acteurs équitable à la religion. Mais, selon moi, cette population serait encline à recevoir le message du commerce équitable local, car elle partage les valeurs éthiques, de solidarité, etc. De plus, la journée diocésaine de la jeunesse rassemble 5000 jeunes dans un même endroit du pays, une fois par an. Cette journée, en plus d’un service religieux, propose des activités diverses comme des concerts par exemple. D’après le prêtre de la paroisse, un stand de sensibilisation au commerce équitable cadrerait bien dans ce type d’événements. Avant de développer un commerce intracontinental, les efforts se concentrent sur la région centre-américaine. Pour Aj Quen, cela se traduit par des échanges d’expériences, par la participation à des salons commerciaux, à des réseaux régionaux, etc. Le but poursuivi est de conquérir de nouveaux points de vente et de proposer de nouvelles gammes de produits de cette région dans leur magasin. En établissant un premier contact avec des acteurs du commerce équitable dans les pays voisins, Aj Quen réalise que ceux-ci sont également désireux de s’ouvrir davantage au niveau régional. Par exemple, bien que les pays soient proches, ils ne possèdent pas tous les mêmes ressources. Un des projets d’Aj Quen consiste à échanger de l’artisanat textile contre des produits alimentaires du Nicaragua ou du Honduras. Toutefois, le passage de frontières implique des contrôles et de la bureaucratie. Dans ce sens, des formations seront certainement nécessaires afin que l’entreprise sache comment aborder ces problèmes. En ce qui concerne l’opportunité d’ouvrir un magasin, projet qui devrait augmenter quasi automatiquement les ventes et la couverture locale d’Aj Quen, voilà comment se présentent les choses. Chimaltenango, là où se situe le premier et unique magasin d’Aj Quen, n’est pas une ville touristique. L’association se trouve sur le bord de la route principale (la Panaméricaine), qui est le chemin de passage des touristes se rendant à la capitale ou à Panajachel. Cependant, rien ne les invite à s’arrêter. D’où le besoin de collaborer avec des agences de voyages qui conseilleraient à leurs touristes de s’arrêter au magasin de l’association. Un membre du personnel pourrait alors leur exposer les caractéristiques principales que possèdent les produits Aj Quen. 138 Chapitre 5 : Recommandations pour un commerce équitable Sud-Sud et une plus grande indépendance de ses acteurs La prochaine boutique qu’Aj Quen comptait ouvrir était prévue à Antigua pour la fin du mois de mars 2011. Cet événement a été déplacé au mois de juin de cette même année pour des raisons administratives et bancaires. Selon moi, Aj Quen, avant de s’installer dans une ville, devrait effectuer une phase préparatoire à ce projet au travers d’une étude de marché approfondie, afin de s’informer sur la concurrence, sur l’emplacement, sur le budget nécessaire, sur les ventes minimales à réaliser, etc. Car, posséder un local à Antigua représente un coût considérable (environ 1500 € par mois). De plus, certaines restrictions sont d’application dans cette ville classée au patrimoine mondial de l’UNESCO. Aj Quen devrait s’en informer également. Cela concerne par exemple les plaques affichant le nom du magasin : elles ne peuvent être perpendiculaires à la façade. Les sanctions sont assez lourdes en cas de non-respect de ces mesures. Enfin, la concurrence y est très forte au niveau de l’artisanat : les produits proposés sont pratiquement tous similaires d’une échoppe à l’autre. Non seulement cette petite ville renferme des marchés permanents et de nombreux magasins d’artisanat, mais en plus, une nouvelle boutique d’artisanat équitable a été inauguré en février dernier. Les produits qui y sont proposés à la vente sont élaborés selon les mêmes techniques que celles pratiquées par les groupes d’Aj Quen, mais en utilisant des colorants naturels, ce qui constitue un atout supplémentaire. Selon moi, les touristes dans cette ville sont disposés à acheter de l’artisanat équitable, car ils savent plus ou moins ce que cela représente. Cependant, si Aj Quen ne fait pas clairement valoir que les produits qu’elle propose sont issus du commerce équitable, les touristes ne feront pas la différence avec l’artisanat conventionnel. Durant mon stage sur le terrain, j’ai frappé à la porte de l’Institut Guatémaltèque de Tourisme (INGUAT), promoteur du tourisme au Guatemala. Lors d’une réunion entre les comités d’autogestion touristique des municipalités de Sacatepéquez, Escuintla et Chimaltenango à laquelle j’ai pu participer, le tourisme responsable était à l’ordre du jour. La volonté de développer cette activité est commune. À ce niveau, des alliances pourraient se créer avec Aj Quen. Par exemple, l’INGUAT de Sacatepéquez, à Antigua, offre la possibilité aux artisans et aux organisations d’artisans d’exposer gratuitement leurs produits durant une période de minimum 15 jours et de maximum un mois. L’endroit proposé se situe à Antigua, 139 Chapitre 5 : Recommandations pour un commerce équitable Sud-Sud et une plus grande indépendance de ses acteurs non loin du centre, dans la cour intérieure d’un charmant bâtiment. De plus, l’INGUAT prend en charge la promotion (à la radio, sur des dépliants, etc.) 228. Cela permettrait à Aj Quen de tester ses ventes dans la ville avant de s’y implanter. J’ai relayé l’information au Coordinateur exécutif, José Victor. Les cartes sont donc maintenant dans leurs mains. Quant à Panajachel, la ville est également un endroit où les produits d’artisanat textile sont similaires et vendus les uns à côté des autres. Une seule grande rue est touristique et déjà deux magasins de commerce équitable s’y sont établis. Je conseillerai donc à l’association de plutôt viser les hôtels et les restaurants populaires de la ville. Il serait utile de négocier avec leurs exploitants pour obtenir une vitrine d’exposition. Enfin, selon moi, Quetzaltenango est la ville la plus propice à l’ouverture du prochain magasin Aj Quen. L’impression que j’ai ressentie en quittant cette ville était que les autochtones étaient plus ouverts aux questions de développement et de consommation locale que dans les populations touristiques de Panajachel et Antigua. Comme je l’ai évoqué précédemment229, la ville possède différents atouts : elle est la deuxième plus grande ville du pays ; son bagage historique différent des autres villes a donné lieu à un développement particulier ; elle est située au cœur de nombreuses communautés mayas ; elle rassemble un bon mélange d’étrangers et de locaux ; les universités initient les jeunes au commerce équitable. Plusieurs magasins de commerce équitable y sont localisés, mais ce sont surtout des cafétérias vendant des produits alimentaires. En conséquence, l’artisanat d’Aj Quen pourrait entrer sur le marché de la ville, bien que Yabal, un concurrent direct de la fédération, et Trama Textiles écoulent déjà leurs produits sur ce marché. Au moment d’organiser des campagnes de sensibilisation, ces associations équitables pourraient sans doute collaborer. En ce qui concerne l’ouverture de nouvelles surfaces de vente comme moyen d’accéder à une plus grande indépendance vis-à-vis du Nord, je proposerais donc un scénario plus 228 Entretien avec Madame Cindy PADILLA, Assistante, Bureau régional INGUAT Sacatepéquez, le 23 mars 2011. 229 Cf. supra chapitre 3.2. Le marché potentiel et les caractéristiques de cette demande. 140 Chapitre 5 : Recommandations pour un commerce équitable Sud-Sud et une plus grande indépendance de ses acteurs progressif, qui donnerait par ailleurs, davantage de temps à la fédération pour étudier les différentes options et évaluer les risques d’un tel investissement. L’avantage des pistes proposées est qu’elles sont moins gourmandes en ressources financières et humaines, deux des enjeux importants des acteurs micro-économiques du marché équitable. Un problème dans le financement de la production au Sud subsiste, en effet. Les petits producteurs en particulier, manquent de capital économique et n’ont pas facilement accès aux crédits. À ce niveau, ils dépendent beaucoup de l’aide financière locale ou extérieure, de même que les associations. Ensuite, les producteurs devront adapter leurs produits équitables aux attentes des consommateurs locaux et d’autres marchés du Sud. Ils devront identifier les endroits les plus stratégiques pour viser la population des classes moyennes et élevées, et ainsi développer de nouveaux points de distribution. Ces démarches nécessitent un renforcement des capacités en gestion. En bref, le potentiel pour encourager le commerce équitable Sud-Sud pour Aj Quen existe. Il est important de rester ouvert à ces opportunités, de se baser sur les échecs et les réussites pour s’en inspirer et aller de l’avant. En profitant du travail déjà accompli au niveau du commerce équitable au Guatemala, Aj Quen pourrait mettre en place des actions réfléchies et sensées sans tout recommencer à zéro. Les échanges commerciaux avec le Sud ne deviendront pas équitables du jour au lendemain, mais avec de la volonté et des actions ciblées, la population guatémaltèque et les groupes d’artisans membres d’Aj Quen en particulier, pourraient se développer et aller de l’avant. Après tout : « Si vous avez l'impression d’être trop petit pour pouvoir changer quelque chose, essayez donc de dormir avec un moustique… et vous verrez lequel des deux empêche l'autre de dormir. » (Le Dalaï Lama). 141 Chapitre 5 : Recommandations pour un commerce équitable Sud-Sud et une plus grande indépendance de ses acteurs Économie solidaire, économie populaire, économie populaire solidaire, commerce de justice, marché alternatif, marché solidaire… Le commerce équitable est mis à toutes les sauces. Il est source d’incompréhension et de confusion (avec les programmes étatiques, avec les accords de libre-échange, avec le commerce équitable Nord-Sud, etc.). C’est pourquoi, je pense que le commerce équitable ne doit pas se dénommer de la sorte au Guatemala. Afin qu’un mouvement basé sur les mêmes principes et valeurs que le commerce équitable se répande dans le pays, il est important de trouver un terme qui « parle » aux autochtones. Les Guatémaltèques devraient directement comprendre ce dont il est question. Cette nouvelle dénomination, seuls les nationaux peuvent la trouver. Connaissant le contexte local, ils sont les mieux placés pour savoir qu’elle pourrait être l’appellation la plus adaptée et la mieux comprise par tous. Selon moi, elle doit mettre davantage l’accent sur « petits producteurs » que sur « commerce équitable ». Seules les populations du Sud sont en mesure de nous le dire… 142 Conclusion générale CONCLUSION GÉNÉRALE Le commerce équitable trouve sa raison d'être dans un système commercial conventionnel inégalitaire et il serait souhaitable de réformer ce dernier. Au contraire du système capitaliste, les objectifs du commerce équitable Sud-Sud apportent une dimension de collaboration, de partage des objectifs vers une cible commune : une relation équilibrée et enrichissante entre un producteur et un consommateur. En partant du cas d’Aj Quen, en étudiant ses objectifs, les marchés sur lesquels elle évolue, les ressources dont elle dispose, ses actuelles et futures actions concrètes au niveau local, nous avons pu voir comment une initiative locale du Sud traduit concrètement des valeurs d’équité et de solidarité au-delà de la dimension purement économique. Cependant, ne pas uniquement penser à vendre mais bien à valoriser la main-d'œuvre, la culture, la participation des producteurs et leur accompagnement, peut aussi entrainer une dépendance à des subsides extérieurs. Le cas étudié indique de nombreux bénéfices sociaux, mais d’un point de vue économique, il y a une crainte que le modèle ne soit pas viable. En effet, les avantages soulignés semblent logés dans d'autres sphères d'activité que l'économique: l'accès des enfants à l'éducation, le traitement équitable des sexes, etc. Le commerce équitable témoigne du fait qu’un paradigme du mieux-vivre peut être poursuivi, démontrant que d'autres pratiques économiques existent aujourd'hui, assurant un développement respectueux de l'humain tout en préservant les générations futures. Cette étude nous apprend que le dynamisme de certains acteurs sur les différents continents du Sud promet des jours heureux au commerce équitable Sud-Sud. Certes, ce concept de commerce équitable est moins connu qu’au Nord de la planète, mais de plus en plus d’acteurs du Sud commencent à s’y intéresser. Les échanges en commerce équitable Sud-Sud se limitent cependant pour l’instant aux niveaux local et intrarégional. Les initiatives en faveur d’un commerce équitable ciblant les pays moins développés permettent aux populations du Sud d’être responsables de leur propre développement. Toutefois, une collaboration avec le Nord 143 Conclusion générale est encore nécessaire car le modèle actuel ne permet pas aux organisations équitables du Sud d’être viables. Par ailleurs, si l’on adapte le commerce équitable aux niveaux local et intrarégional, il faudra sans doute en changer l’appellation pour s’assurer de la compréhension du nouveau concept par les acteurs locaux. Cette étude semble indiquer qu'il faut laisser le local, le Sud, gérer lui-même ses projets de production. Mais, cette notion de "commerce équitable Sud-Sud" n'est-elle pas appelée à disparaître au profit d'une activité locale alignée sur la demande locale comme cela fonctionnait auparavant...? Ce serait, entre autres, un moyen de lutter contre la mondialisation, comprise comme un nivellement à l’échelle mondiale des modes de vie, de production et de consommation. En collaborant avec Aj Quen pour développer un commerce équitable plus recentré, Oxfam-en-Belgique rencontre ces objectifs, à savoir, rendre les partenaires plus autonomes et maîtres de leur développement. Tout cela ne nécessiterait-il pas un changement dans les mentalités, pour s’écarter du « tout-économique » tant au niveau du Sud que du monde en général ? Les études de marché révèlent que l’offre et la demande dans le secteur de l’artisanat textile équitable présentent un potentiel et des opportunités grandissantes pour une association d’artisans telle Aj Quen. Pour positionner sa marque, l’ouverture de magasins est un bon moyen, mais il faut également profiter des espaces stratégiques gratuits et des réseaux, comme en apparaissent dans plusieurs pays du Sud. Cette façon d’agir pourrait changer certains aspects du commerce équitable Nord-Sud actuel, et amener les populations à initier des actions collectivement. Au sein des filières intégrées, les acteurs du Sud doivent devenir des agents de développement dans leur société. Cela leur permettrait d’assurer une fonction de gouvernance locale et un développement communautaire. Aj Quen, le partenaire étudié, a déjà mis sur pieds différentes initiatives renforçant son développement local. Cela se concrétise par ses parts de marché au niveau interne, mais 144 Conclusion générale aussi par les actions initiées par les groupes d’artisans eux-mêmes. Une approche rigoureuse de la gestion, dans ce contexte sociétal propre du commerce respectueux de l’homme, reste d’application : qualité, respect des produits, des délais, innovations, diversification, doivent être abordés avec méthode et professionnalisme. Dans ce sens, tout comme le prône l’économiste indien Amartya Sen 230, les logiques développées dans ce mémoire s’orientent vers un système économique plus attentif au développement humain durable, dans lequel les « capabilités » des individus et des communautés sont mises en valeur et renforcées, afin qu’eux-mêmes deviennent les acteurs de leur propre développement. C’est justement de tout cela dont ce mémoire témoigne, le développement de coopération à tout point de vue : des réseaux, du soutien micro-économique d’une entreprise, d’une fédération d’artisans, … En relocalisant les échanges, les capacités et les choix de vie des producteurs sont durablement augmentés. Comme le disait Cristina, une artisane d’Aj Quen: « faire partie d’une association nous motive et nous encourage à nous mobiliser ensemble… pour notre propre cause… Nous sommes enfin entendues et osons prendre des initiatives.» 230 Prix Nobel d’économie en 1998. 145 Bibliographie BIBLIOGRAPHIE Ouvrages AUZIAS, D., LABOURDETTE, J-P., Le petit futé Guatemala 2008, 4e édition, France, Nouvelles éditions de l’université, 2008, 456 p. BRASSEUL, J., Introduction à l’économie du développement, 3e éd., Paris, Armand Colin, 2010, 372 p. FUNDACIÓN ESPAÑOLA PARA LA INNOVAVACIÓN DE LA ARTESANÍA, Guía de Comercio Justo para artesanos y artesanas de América Latina, Madrid, Cooperación española, 2007, 79 p. GAUTHY-SINECHAL, M., VANDERCAMMEN, M., Etudes de Marché: Méthodes et outils, 2e éd., De Boeck Université, Bruxelles, 2008, 456 p. JEUGE-MAYNART, I., Dictionnaire Le Petit Larousse 2008, France, Éditions Le Petit Larousse Illustré, 2007, 1811p. 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