La course longue du sport féminin
Transcription
La course longue du sport féminin
Bruno Bade / Regards du Sport dossier Amélie Mauresmo, figure de proue du tennis français. La course longue du sport féminin Marathon, saut à la perche, sabre, lancer du marteau… Un à un, les derniers bastions du sport masculin cèdent devant ces femmes que Pierre de Coubertin souhaitait cantonner à la remise de gerbes de fleurs aux « héros sportifs masculins ». Mais si, en France, 48 % des sportifs sont des sportives, seulement un tiers des licenciés sont des licenciées tandis que les fonctions dirigeantes et l’encadrement demeurent la chasse gardée des hommes. Septembre 2005 en jeu une autre idée du sport n°391 11 M ALGRÉ LA FÉMINISATION DES PRATIQUES SPORTIVES La parité est un sport de combat Représentées par des championnes charismatiques et choyées par les équipementiers, les femmes s’imposent dans le paysage sportif. Mais la parité reste une lutte de chaque instant. es femmes sont aujourd’hui bel et bien présentes dans le sport. En France, nombre d’entre elles ont même été élevées au rang de portedrapeau. Imaginerait-on par exemple la natation sans Laure Manaudou, l’escrime sans Laura Flessel, le tennis sans Amélie Mauresmo et l’athlétisme sans les gazelles du sprint? Quel vide! D’autant plus que, victoires et titres à l’appui, les handballeuses et les basketteuses françaises ont également introduit davantage de mixité dans le traitement journalistique des sports d’équipe. L Qu’il est loin le temps où, dans les années 1920, Alice Milliat, pionnière du sport féminin, devait batailler ferme pour créer des championnats du monde féminins parce que le baron de Coubertin ne voulait pas entendre parler de femmes dans «ses» Jeux olympiques! C’est même une femme, la Marocaine Nawal El Moutawakel, qui présidait la commission d’attribution des Jeux de 2012. Un symbole d’autant plus fort que celle-ci, première championne olympique africaine (à Los Angeles 1984), vient d’un continent où, à la différence de l’Europe du nord, les femmes sont encore largement exclues de la pratique sportive. Pour illustrer la place de premier choix occupée par les femmes dans le sport de haut niveau, on rappellera également que nos représentantes ont ramené 48 % des médailles françaises à Athènes alors qu’elles ne constituaient que 36% de la délégation officielle. S’appuyant sur ces statistiques irréfutables, le comité olympique français (CNOSF) et le ministère des Sports n’ont d’ailleurs pas manqué de souligner dans leur bilan des Jeux que «certaines fédérations sportives pourraient privilégier des stratégies Qui connaît Alice Milliat ? Cette institutrice née en 1884 à Nantes a pourtant révolutionné le sport. En effet, si faute DR ALICE MILLIAT, PIONNIÈRE ET PASIONARIA d’archives la concernant sa vie personnelle demeure assez secrète, son omniprésence dans le monde sportif du début du XXème siècle en a fait la grande actrice, mieux, la combattante du développement du sport féminin en France. Présidente de Fémina-Sport, l’un des clubs pionniers du sport féminin, elle organise en avril 1918 le tout premier cross féminin avec l’appui de la jeune Fédération des sociétés féminines sportives de France. Trésorière puis présidente de cette fédération, Alice Milliat obtient la reconnaissance du Ministère de la guerre, qui gérait la pratique sportive à cette époque. Elle est ensuite à l’initiative de la création en 1921 de la fédération féminine internationale (FSFI) – dont elle deviendra la présidente – et des premiers Jeux mondiaux féminins, en 1922 à Paris. Des jeux auréolés d’un réel succès populaire malgré l’hostilité d’un comité national olympique dirigé par Pierre de Coubertin. L’expérience sera d’ailleurs reconduite jusqu’à l’intégration des femmes dans le programme officiel des JO à travers cinq disciplines athlétiques, en 1928 à Amsterdam. Et si, après Paris et Göteborg, Prague et Londres accueillent encore en 1930 et 1934 les Jeux mondiaux féminins, en 1936 la FSFI décline et la Fédération internationale d’athlétisme prend la direction de l’athlétisme féminin. Alice Milliat se battra aussi pour que l’éducation physique concerne les jeunes filles à l’école. Elle décèdera en 1957, dans l’anonymat, alors qu’elle est aujourd’hui considérée comme «la figure la plus marquante du sport féminin français et mondial de l’entre-deux-guerres» dans la biographie qui vient enfin de lui être consacrée (1). ● A.J. (1) Alice Milliat, la pasionaria du sport féminin, par André Drevon, Vuibert. 12 Octobre 2005 en jeu une autre idée du sport n°392 Gérard Vandystadt / Regards du sport La course longue du sport féminin Lise Legrand, médaille d’argent en lutte féminine à Athènes : « Ce qui nous tue, ce sont les a priori ». qui fixeraient des objectifs forts dans le secteur féminin ». Des stratégies déjà intégrées par d’autres pays puisque la proportion des femmes était de 40% à Athènes 2004 (contre 20% à Montréal 1976) et que les délégations des six premières nations au hit-parade des médailles dépassaient ce pourcentage… DU MARATHON AU TRIATHLON L’une des premières batailles du sport féminin fut d’obtenir le droit de pratiquer des disciplines jusqu’alors réservées aux hommes. «Notre message est clair: on est là, on existe, on veut faire partie de votre monde » assène Lise Legrand, vice-championne olympique de lutte, une discipline féminine depuis Athènes. Le marathon, conçu à l’origine comme l’épreuve suprême, voire surhumaine, est à cet égard la discipline la plus emblématique de cette irrésistible évolution. Pour les représentantes du «sexe faible», l’épreuve n’est en effet devenue olympique qu’en 1984. Depuis, l’écart des performances entre hommes et femmes ne cesse de se réduire: à peine dix minutes depuis qu’en 2003 l’Anglaise Paula Radcliffe a couru les 42,195 km en 2 h 15, soit dix minutes de moins qu’Alain Mimoun aux JO de 1956! Dans la foulée, le saut à la perche et le taekwondo (depuis Sydney 2000), puis le sabre, le lancer de marteau et la lutte (depuis Athènes 2004) se sont également féminisés. « Cela cor- respond à une volonté du CIO, explique Dominique Petit, du comité national olympique français (CNOSF). Et, depuis Atlanta, les nouveaux sports intégrés dans le programme des JO doivent comprendre des épreuves masculines et féminines». Ce fut le cas du triathlon, nouveauté de Sydney 2000 pour les garçons et pour les filles. Celles-ci doivent néanmoins faire leurs preuves avant d’être invitées sur la scène olympique. « Les femmes doivent pousser la porte très fort pour qu’on les laisse entrer» souligne Marie Collonvillé, détentrice du tout premier record du monde du décathlon féminin. Malgré ce record, la discipline n’est pas inscrite au programme des championnats du monde et encore moins à celui des JO, où l’heptathlon (sept épreuves au lieu de dix) reste la référence pour les femmes. «Le problème, c’est qu’on pense pour nous, en croyant que nous ne sommes pas capables » conclut l’athlète française avec son franc parlé. FÉMINITÉ ET VISIBILITÉ La visibilité médiatique est donc un enjeu primordial pour le sport féminin. À première vue, cette médiatisation semble largement acquise. Pourtant, hormis le cas particulier des Jeux olympiques, le sport montré à la télé demeure principalement masculin. «Il faut les chercher, les footballeuses à la télé!, s’exclame la sociologue Catherine Louveau. Pourtant, il est essen- Octobre 2005 tiel de montrer des femmes sportives. Il faut qu’il existe des modèles qui montrent que c’est possible». Comme leurs homologues masculins, les sportives de haut niveau jouent ce rôle. L’escrime serait-elle aussi féminisée sans les performances passées de Laura Flessel? Et l’athlétisme sans celles de Marie-Jo Pérec, d’Eunice Barber ou des filles du 4 x 100m? «Une fille comme Muriel Hurtis véhicule l’image d’une belle femme sportive et ça marche auprès des jeunes», explique Jean-Michel Charbonnel, directeur du développement à la Fédération française d’athlétisme. La médiatisation rend les choses plus faciles et surtout plus acceptables. «J’ai ressenti un changement très fort après les Jeux d’Athènes, pendant lesquels on a pu voir de la lutte féminine à la télé, analyse Lise Legrand, rassérénée par sa médaille d’argent. Avant, on me demandait pourquoi j’avais choisi un sport masculin. Après, la question ne se posait plus. Ce qui nous tue, ce sont les a priori. Quand on nous connaît, c’est gagné!» Pour exister médiatiquement (et pour décrocher des contrats publicitaires avec des équipementiers qui misent aujourd’hui sur le marché féminin pour développer leur chiffre d’affaires), nombre de grandes sportives utilisent toutefois un argument à double tranchant: leur charme. La sprinteuse Gail Devers aux ongles légen- en jeu une autre idée du sport n°392 13 à destination du plus grand nombre. Car si, selon les critères très larges de l’enquête Insee menée en 2000, 48% des pratiquants de sport en France sont des femmes, celles-ci ne représentent qu’un tiers des licenciés sportifs (1). Les femmes apprécient l’exercice physique, mais elles préfèrent visiblement pratiquer en dehors des clubs. Parce que ceux-ci misent encore trop sur la compétition, au détriment du sport loisir et du sport bien-être? Telle est la problématique à laquelle se heurtent de nombreuses fédérations. Autre constat, celui de la déperdition de licenciées enregistrée à l’adolescence. Dès la classe de 6ème, un écart apparaît entre la pratique des filles (43%) et celle des garçons (57%). «L’écart se creuse à l’adolescence, une période délicate pour ces filles qui cherchent avant tout à se conformer aux canons de la féminité et délaissent des activités sportives. Résultat, au lycée, les filles font deux fois moins de sport que les garçons », souligne Catherine Louveau. «Rien ne peut se faire sans l’école, insiste Chantal Amade-Escot, enseignante et présidente de l’association Femmes, Sport et Mixité (Femix). C’est là que tout se joue. L’éducation physique doit rester une des priorités de l’éducation nationale». Le sport scolaire, tout particulièrement l’Usep, offre également les conditions de la mixité et de la parité, avec le souci de voir cette dernière se prolonger dans l’adolescence et la vie adulte. Pour des raisons sociales et culturelles, le problème de l’abandon du sport chez les adolescentes apparaît de façon encore plus aigue pour les jeunes filles issues de l’immigration. Avec daires, la nageuse Inge De Bryun au maquillage waterproof, les athlètes scandinaves taille mannequin ou les très sexy tenniswomen russes Sharapova et consorts ont bien compris que leur féminité, leur beauté étaient des atouts. Même les disciplines les plus connotées comme masculines n’y échappent pas. «On a montré qu’on pouvait faire de la lutte tout en étant belles et souriantes. Et c’est encore mieux si on a aussi un peu de conversation», ironise Lise Legrand. Idem pour le ballon rond. «Avant, on pensait que pour qu’une fille fasse du foot il fallait qu’elle soit un garçon manqué. Aujourd’hui, grâce à des joueuses jolies et féminines les choses évoluent, le regard sur notre sport aussi, constate l’entraîneur de l’équipe de France, Elisabeth Loisel. C’est pourquoi nous allons essayer de valoriser le foot féminin en jouant de leur image». Faut-il voir là une réponse directe aux souhaits formulés l’an passé dans un journal suisse par le président de la Fifa Sepp Blatter, qui estimait que le football féminin devait chercher à attirer des sponsors «au moyen de tenues plus féminines », « des shorts moulants par exemple», comme au volley-ball? Des footeuses oui, mais sexy... « Il ne suffit pas d’être une sportive de haut niveau pour exister dans les médias, il faut aussi être belle ! », résume Catherine Louveau. LES CLUBS SONT-ILS FAITS POUR ELLES ? La féminité, et plus largement la question de genre se retrouvent également au cœur de la problématique de l’offre sportive des fédérations Pour toutes celles qui ne trouvaient pas courses à leurs pieds, Patrice Aknin a eu l’idée de créer du sur mesure. Dès 1998, il La Toulousaine VIVE LES COURSES ENTRE FILLES ! Ces courses 100 % féminines jouent aussi la carte du fitness. a lancé la mode des courses exclusivement réservées aux femmes avec La Parisienne, épreuve conviviale à la distance très accessible : 6 km. D’emblée, cette course a intégré des animations diverses (stretching, fitness) proposées par son partenaire Toulousaine, Les Filles de la Rochelle ou Reebok. La clientèle de ces courses – des Les Déesses de Lille. « Dans une course femmes soucieuses de leur forme et de leur classique, les filles sont noyées dans la entretien physique sans toutefois être des masse, explique Laurence Mingaud orga- sportives de haut niveau – correspond en nisatrice de la Toulousaine. Chez nous, effet parfaitement à la cible visée par les on ne peut pas leur voler la vedette ! ». Une équipementiers. Depuis La Parisienne, bonne intention, même si ces courses d’autres courses ont ainsi vu le jour dans sont aussi un excellent produit marke- de grandes villes de province : La ting. ● V.S 14 Octobre 2005 en jeu une autre idée du sport n°392 l’accès des femmes aux fonctions dirigeantes, c’est d’ailleurs l’un des deux principaux axes du rapport présenté en 2004 au ministre des Sports par l’ancienne judoka Brigitte Deydier, récemment nommée DTN de sa fédération (lire interview). Les diverses initiatives qui voient aujourd’hui le jour pour tenter d’enrayer ce phénomène sont ainsi prioritairement soutenues. PRIORITÉ MINISTÉRIELLE Concernant l’action du gouvernement pour la promotion de la pratique féminine, la dynamique « femmes et sport» avait été enclenchée par Marie-George Buffet, active ministre de la Jeunesse et des Sports de 1998 à 2002. Une période de calme plat avait suivi, son successeur Jean-François Lamour étant au départ peu convaincu de l’intérêt d’une politique volontariste en la matière. Mais le ministre a vite révisé son jugement et, à l’occasion de la 6ème conférence européenne Femmes et sport organisée en avril 2004 à Paris, le dossier a été relancé par les travaux du groupe de travail présidé par Brigitte Deydier. Un concours national et régional a notamment été lancé au printemps 2005 par le ministère pour récompenser les meilleures initiatives en matière de sport au féminin (les lauréats seront connus ce mois-ci). «La question des femmes et du sport a été prise au sérieux en France, mais il y a encore beaucoup à faire», estime toutefois Chantal AmadeEscot. «Le sport s’est construit pour et par les hommes avec leurs réseaux de cooptation» rappelle Dominique Petit, l’une des rares femmes – et la seule chef de service – travaillant au sein du CNOSF. «C’est un monde encore très masculin, confirme l’ancienne présidente de la fédération de gymnastique volontaire, Nicole Dechavanne. Et les résistances y sont terribles ». À l’heure où les fédérations se disputent âprement les licenciés, certaines d’entre elles ont toutefois compris que les femmes constituaient pour elles un potentiel de développement. Parallèlement, le ministère les encourage à mettre en place une véritable politique en direction des femmes, via notamment la création de commissions féminines. « C’est un travail de longue haleine car il implique un changement de mentalité», observe Béatrice Palierne, directrice technique nationale (DTN) à la fédération de tennis de table. La bonne volonté ne suffit d’ailleurs pas toujours: « Nous ouvrir à un public féminin était l’un des objectifs définis à notre assemblée générale 2003, témoigne Jean-Michel Charbonnel à la fédération d’athlétisme (FFA). Aussi, nous avons créé des licences loisirs pour attirer les femmes de 30 à 45 ans. Mais on est aujourd’hui bien loin du compte. Pour séduire ce public, il faut proposer des activités et des créneaux horaires adaptés. Et nous nous heurtons là à un vrai problème: nous sommes encore trop marqués par nos origines, avec comme objectif le haut niveau à tout prix ». Le manque de créneaux horaires disponibles est également un frein. C’est celui auquel doit faire face la Fédération française de rugby, malgré la volonté affichée de développer la pratique féminine. «Bien souvent, les clubs n’ont pas assez de créneaux, alors à tous les coups c’est celui des filles qui passe à la trappe», explique Franck Leclerc, conseiller technique de rugby pour le comité du Val-de-Marne. Le caractère principalement masculin de l’encadrement sportif constitue aussi un handicap. Seulement 10 % des entraîneurs nationaux sont des femmes. « Et pourtant, une pédagogie féminine est nécessaire. Les filles ne réagissent pas de la même façon et les entraîneurs masculins ne savent pas forcément en tenir compte », souligne Odile Lesage, ancienne athlète aujourd’hui chargée de communication à la FFA. « Elles ont besoin d’adhérer pour se donner à fond », ajoute Brigitte Deydier. « Souvent, les clubs de foot ne savent pas trop comment s’y prendre avec les filles. Il faudrait qu’ils mettent en place une vraie politique pour les accueillir, ce qui est rarement le cas », constate Elisabeth Loisel, entraîneur national. DES FÉDÉRATIONS IMAGINATIVES Pour attirer les femmes dans des clubs, il faudrait peut-être leur proposer des activités qui répondent à leurs attentes (bien-être, recherche de convivialité), et des créneaux horaires qui collent à leurs emplois du temps compliqués, avec des entraîneurs à l’écoute acceptant l’idée que la performance à tout prix ne les intéresse pas forcément. Une véritable gageure dans des fédérations construites sur des valeurs de compétition et où la souffrance dans l’effort fait parfois partie des fondamentaux... Rien n’est pourtant impossible, à l’image de l’innovation récemment introduite par le club de Thierry Deketelaere La course longue du sport féminin À côté des compétitions, la fédération française de triathlon propose des épreuves « découverte » afin d’attirer les pratiquantes. tennis de table d’Obernai, en Alsace, en proposant des séances avec au programme des étirements et des assouplissements en plus du tennis de table. «Et ça marche, puisqu’une cinquantaine de femmes se sont inscrites à ces séances cette année» explique la DTN Béatrice Palierne. Dans des fédérations plus « jeunes », l’intégration des femmes semble également se faire plus naturellement. Ainsi, la fédé de badminton, crée en 1978 et qui ces dernières années a multiplié le nombre de ses licenciés, compte 41 % de femmes dans ses rangs. L’activité en elle-même n’y est pas pour rien : « On peut très vite s’amuser et l’aspect loisir y est très présent » analyse Isabelle Chusseau, responsable de la commission féminine, qui voit un autre atout dans « l’absence d’un champion hyper médiatisé. C’est un sport au genre encore assez neutre dans son image, cela doit aussi jouer ». En revanche, tout comme les autres fédérations, le badminton peine à attirer des filles vers le haut niveau. Autre exemple, le triathlon. Ce sport récent, mais qui possède une image très masculine en raison de son caractère très exigeant physi- quement, organise depuis l’année dernière, sous l’impulsion de sa DTN Patricia Constantini et de sa conseillère technique Carole Péon, les « Journées du triathlon au féminin ». Au total, une quinzaine d’épreuves « découverte » (courtes distances) sont ainsi proposées dans toute la France pour faire connaître cette discipline : des journées qui ont permis à près de 300 femmes de s’y initier. Parallèlement, la FFtri, qui compte encore seulement 19 % de licenciées femmes, n’hésite pas à utiliser sur son site Internet des arguments très « féminins », du type : « Le triathlon contribue à vous sculpter un corps équilibré et harmonieux. C’est un sport d’endurance dont la pratique permet l’utilisation préférentielle des graisses. » On voit mal certaines fédérations plus installées oser ce type de discours... Et pourtant. Pour féminiser davantage le sport et ses structures, il faut aussi faire preuve d’un peu d’audace. ● VALÉRIE SARRE (1) De même, les femmes ne représentent que 30 % des sportifs de haut niveau. UNE ÉQUIPE AU FÉMININ Tout arrive ! L’Équipe grand quotidien sportif au lectorat essen- le sport de la même façon que pour les hommes. Les résultats ne tiellement masculin, s’intéresse aujourd’hui aux femmes. Le 15 nous intéressent guère. En revanche, nous mettrons l’accent sur octobre paraîtra le premier numéro de L’Équipe féminine, un des histoires, des reportages, des activités sportives, avec des bancs magazine de 130 pages vendu avec le quotidien et son maga- d’essai et des cahiers pratiques. Notre souci est d’établir des zine du samedi, à condition toutefois de payer un peu plus. Ce ponts entre les préoccupations des femmes et le sport » explique supplément réalisé en association avec le magazine Elle, incar- la rédactrice en chef, Virginie Sainte-Rose, elle-même issue de nation de la féminité et d’un certain féminisme, vise les com- la rédaction du quotidien. On imagine que ce numéro ramas- pagnes des lecteurs du quotidien sportif. « Nous n’abordons pas sera également pas mal de pages de publicité… ● V.S Octobre 2005 en jeu une autre idée du sport n°392 15 Ça manque de dirigeantes ! L LA PROPORTIONNELLE OU 20 % ? C’est pourquoi Fémix préfère apporter son soutien à la position du Comité international Olympique (CIO), qui préconise un objectif minimum de 20% de femmes dans les instances dirigeantes. Mais on est encore très loin du compte puisque plus des deux tiers des fédérations ne respectent pas cet objectif de 20%. Le Comité national olympique français fait luimême figure de mauvais élève puisque sur les 45 membres du conseil d’administration 4 seulement sont des femmes, aucune d’entre elles ne siégeant au bureau. Pire, deux postes qui étaient réservées à des femmes n’ont pas été pourvus puisque les fédérations n’ont pas jugé utile d’en présenter… «Les hommes se serrent les coudes, et on voit entrer d’un mauvais œil une femme qui va prendre la place d’un homme» constate Monique 16 Octobre 2005 FFEPGV a faible présence – c’est un euphémisme – des femmes dans les instances dirigeantes des fédérations est le reflet du caractère très masculin du mouvement sportif. C’est aussi un frein à la féminisation des pratiques. Avant les dernières élections de la saison 2004-2005, les femmes ne représentaient que 3,7 % des présidents de fédérations (4 sur 108). Le renouvellement post-olympique n’a pas modifié la donne même si l’on est passé à 5,9% (7 sur 117). On notera qu’aucune fédération olympique ne possède une femme à sa tête (1). Pour amorcer un changement de fond, le ministère des Sports a publié en janvier 2004 un décret obligeant d’ici 2008 les fédérations à intégrer dans leurs structures dirigeantes un pourcentage de femmes égal à celui des femmes licenciées dans leur fédération. Des sanctions financières telles qu’une diminution des subventions ministérielles sont même prévues. Ce texte est le fruit de longues tractations, notamment avec le Comité national olympique et sportif français (CNOSF). Certes, ce n’est pas la parité que Marie-George Buffet voulait initialement imposer. Mais la mesure est positive, même si elle pose quelques soucis dans les fédérations où les femmes pèsent très peu, comme le football par exemple. «Comment peuton parler de parité quand il n’y a que 2% de femmes dans un comité directeur, s’interroge Chantal Amade-Escot, présidente de Femix. La parité, c’est la mixité, alors avec 2%…» FFEPMM Sports pour tous La féminisation du sport est liée à celle des dirigeants de fédérations. Oui, mais comment faire ? Françoise Got (FFEPMM Sports pour tous) et Jeannine Faivre (gymnastique volontaire) sont deux des rares femmes présidentes de fédération. Berlioux, ancienne championne de natation et ex-élue française au comité international olympique. Une analyse partagée par Patricia Constantini, qui fut longtemps, au sein de la fédération de triathlon, la seule femme DTN (directrice nationale technique) d’une fédération olympique: «À ce niveau, on a affaire aux présidents de fédérations. Là, c’est le pouvoir absolu et ce pouvoir-là ne se partage pas.» (2) Pas facile en effet de franchir le pas et de se présenter dans un monde d’hommes. Beaucoup de femmes hésitent. Caroline Chimot, ancienne sportive de haut niveau qui prépare aujourd’hui une thèse de sociologie sur le sujet, avance une explication: «Après avoir interviewé 26 femmes dirigeantes, il ressort que la majorité d’entre elles ont été soutenues par leur famille dans leur projet professionnel ou associatif. Elles ont généralement été initiées à la pratique sportive par des hommes et, notamment dans les milieux favorisés, elles ont des mères qui sortent un peu du commun, avec par exemple un statut de cadre supérieur. Ces femmes n’ont pas hésité à s’engager dans des parcours atypiques car elles étaient déjà héritières de mères qui avaient elles-mêmes transgressé les normes de genre.» N’est-ce pas aussi aux dirigeants de savoir tendre la perche? «Le fait d’être sollicitée vous permet de franchir le pas, confie Béatrice Palierne, DTN de la Fédération française de tennis de table. Si le président de l’époque, Bernard Jeu, n’était pas venu me chercher en 1987, je n’aurai peut-être pas eu ce parcours-là.» en jeu une autre idée du sport n°392 Certaines fédérations encouragent ainsi la formation de cadres féminins. «Cela progresse lentement mais cela progresse, confie Patricia Constantini. Il y a dix ans, ajoute-t-elle, je n’aurai jamais imaginé une femme DTN au judo!» La force de l’exemplarité pourrait jouer son rôle. «Il faut qu’on arrive à prendre notre place », résume Patricia Constantini. Une place de femmes dans un monde d’hommes. ● V.S. (1) Les sept femmes présidentes de fédérations sportives (ou considérées comme telles) sont: Jeannine Faivre (FFEPGV, gymnastique volontaire), Françoise Got (FFEPMM Sports pour tous), Noune Marty (Fédération française de danse), Marie-France Charles (course d’orientation), Anne Bossy (UCPA), Isabelle Malaurie (sourds de France) et Christine Fourichon (centre nautique des Glénans). Par ailleurs, l’Ufolep et l’Usep n’ont jamais porté une femme à leur tête et la parité est encore loin d’être la règle parmi les comités directeurs: on compte 9 femmes sur 30 en Ufolep, et seulement 4 sur 28 en Usep. (2) 4,3% des DTN sont aujourd’hui des femmes, ainsi que 10,2% des entraîneurs nationaux et 13,7 % des CTS (conseillers techniques sportifs). Mais aucune DRJS (direction régionale Jeunesse et Sports) n’est dirigée par une femme. « Femme-sport, la relève du dirigeant » : c’est le thème du colloque organisé samedi 19 novembre au CNOSF par le comité Île-de-France de la fédération de gymnastique volontaire. Avec Lucie Guitard (FFEPGV), Danielle Salva (MJSVA), Chantal Amade-Escot (Fémix) et Maïté Piva (Université de Besançon). Contact: [email protected] La course longue du sport féminin DR Brigitte Deydier : « Nous ne sommes pas plus mauvaises que les hommes ! » Ex-présidente du groupe de travail Femmes et sport, la triple championne du monde de judo Brigitte Deydier vient d’être nommée DTN de la Fédération française de judo. rigitte Deydier, quel est votre parcours au sein de la fédération de judo? J’ai toujours eu un pied dans le judo, que ce soit sur le tatami ou à la fédération. De 1978 à 1989, j’ai été athlète de haut niveau tout en étant élue au comité directeur. Parallèlement, j’ai fait l’école supérieure de commerce de Toulouse et travaillé dans diverses entreprises. En 1999, j’ai été nommée directrice de la communication de la FFJDA, puis vice-présidente en 2001. Je n’ai jamais été très loin… B Comment a été accueillie votre nomination au sein de la fédération ? Les gens ont été très surpris que le nouveau président, Jean-Luc Rougé, ose mettre une femme à ce poste. Maintenant, ils attendent de voir et seront peut-être moins indulgents parce que je suis une femme… Que retenez-vous des travaux du groupe de travail Femmes et Sport que vous présidiez? La conclusion générale peut paraître une évidence mais elle est essentielle: pour entrer dans la hiérarchie des clubs ou des fédérations, il faut être dans la place. Dans la plupart des cas, il faut d’abord être pratiquante: c’est ce qui vous amène ensuite à prendre des responsabilités. Je pense aussi qu’il faut saisir les opportunités, oser y aller. Ensuite c’est une affaire de bon sens et de partage d’expérience: ce n’est pas si sorcier que ça! Il faut surtout arrêter de croire qu’on est plus mauvaises que les hommes! Plus il y aura de femmes à des postes de responsabilité, plus les autres se diront que c’est possible. Et comment développer la pratique féminine sportive ? On souffre encore d’un vrai problème de média- tisation. À part l’athlétisme et le tennis, on voit peu le sport féminin à la télévision. Je suis convaincue aussi qu’il faut mettre l’accent sur la mixité. Hommes et femmes sont complémentaires dans le travail des élus. Il faut donc mettre les femmes à tous les niveaux, c’est-àdire chez les dirigeants mais aussi dans l’encadrement technique, qui demeure encore trop masculin. Il faut valoriser le rôle de la femme et arrêter de brandir la maternité comme contre argument. Il y a une vie avant et après les enfants… Vous parlez des cadres : il n’y a pas d’entraîneurs nationaux femmes en judo… C’est vrai, mais nous avons quand même trois femmes entraîneurs en pôles espoir. On peut raisonnablement espérer qu’il y aura rapidement des filles dans l’encadrement. Elles existent, on peut en trouver…● RECUEILLI PAR VALÉRIE SARRE DU RUGBY POUR LES FILLES DES CITÉS « Favoriser la pratique des jeunes filles et des femmes dans les quar- manque, mais aussi pour permettre de découvrir le ballon ovale, tiers urbains sensibles»: c’est une des priorités dégagées par le rap- un créneau d’entraînement a été réservé aux adolescentes, tous les port Femmes et sport de 2004. L’exemple de deux projets développés quinze jours à Choisy le Roi. « On accueille des filles des banlieues en Île-de-France. de Vitry, Bonneuil-sur-Marne et Sucy-en-Brie. » Pour les jeunes filles issues de l’immigration, le sport est un parcours Mais le rugby, dont la sagesse populaire veut qu’il soit tout sauf un sport d’obstacles. Faute de moyens, de créneaux horaires, de véritable volonté de fillettes, est-il le sport le mieux choisi? Oui, répond l’éducateur, « parce des clubs, mais aussi faute de culture sportive pour les filles dans de que le rugby étant une activité peu connue dans les banlieues, les filles nombreuses familles issues de l’immigration, beaucoup d’entre elles peuvent plus facilement y trouver leur place qu’au football ». Résultat: ne pratiquent aucune activité. Alarmé par le constat dressé par le rap- des filles d’origine maghrébine ou africaine s’y adonnent sans risquer port Deydier, le ministère de la Jeunesse et des Sports favorise aujour- la comparaison ou la concurrence de leurs frères. d’hui toutes les initiatives lancées pour les faire venir sur les terrains Par ailleurs, le Comité régional olympique d’Île-de-France (Crosif) de sport. Même ceux de rugby, comme l’illustre l’initiative du comité organise depuis huit ans une opération «Sports en filles» sur l’en- du Val-de-Marne à destination des filles de 15 à 17 ans, récompensée semble de la région. Le principe : permettre à des filles des ban- par le concours Femmes et sport pour l’Île-de-France. lieues de découvrir des sports différents sur une journée. Cette année, «Nous avons des filles dans les écoles de rugby, explique Franck Leclerc, 450 d’entre elles ont découvert la boxe, le taekwondo, le foot, le rugby conseiller technique départemental, mais à partir de 15 ans nous ou d’autres sports collectifs. Elles se sont vues remettre à l’issue de n’avons plus de structures pour les accueillir. Elles pourront reprendre la journée les coordonnées des clubs de leur ville et des coupons en senior à 18 ans, mais entre temps, fini le rugby ». Pour palier ce sport pour les encourager à pratiquer dès la rentrée. ● V.S Octobre 2005 en jeu une autre idée du sport n°392 17 La course longue du sport féminin L’Ufolep sensibilise son réseau e groupe national « femmes et sport » de l’Ufolep continue à travailler à la nécessaire prise en compte de cette problématique par tous les acteurs de notre fédération. Les deux principaux axes de travail sont « la prise de responsabilités dirigeantes» et « le développement de la pratique sportive féminine ». Concernant le premier axe, sur le plan de nos statuts nationaux l’avancée la plus significative a été l’adoption en assemblée générale, en décembre 2004, du principe de la représentation proportionnelle. Ceci alors que l’Ufolep compte 37 % de licenciées. Très symboliquement, lors de cette même AG, cinq femmes ont été élues aux cinq sièges vacants du comité directeur. Dans le même esprit, l’Ufolep organisera du 10 au 13 novembre la troisième édition de son stage pour développer l’accès des femmes aux responsabilités. Enfin, notre fédération a récemment diffusé gratuitement auprès de nos délégations régionales des exemplaires de l’exposition réalisée en 2004 sur l’histoire de l’engagement des femmes dans la société et dans le sport. Une initiative très bien accueillie dans notre réseau et saluée par le mouvement sportif. L L’ENJEU DES PRATIQUES Concernant la pratique sportive, de nombreuses commissions nationales envisagent des projets dans le cadre de leurs plans quadriennaux. Déjà, les CNS récemment renouvelées comptent en leur sein plus de femmes qu’auparavant. Mais l’étude des statistiques nationales montrent que le contraste demeure entre des disciplines très féminisées (la gymnastique sous toutes ses formes) et d’autres très masculinisés. Un contraste qui se retrouve également dans l’encadrement. Les stéréotypes ont donc la vie dure, mais l’offre de pratiques doit continuer à s’élargir et se diversifier. À ce titre, le travail envisagé par certaines CNS autour de la pratique sportive en famille rejaillira très certainement sur la pratique des femmes. La programmation, à tous les échelons, de rencontres sportives « multiactivités » devrait rendre plus « accessibles » de nom- 18 Octobre 2005 Philippe Brenot L’accès aux responsabilités, la féminisation des pratiques et la santé sont les trois axes privilégiés par le groupe de travail Femmes et sport. Pour la troisième année, l’Ufolep organise en novembre un stage pour développer l’accès des femmes aux responsabilités. breuses activités et favoriser le mélange des publics. Enfin, l’effort de formation des adultes et des cadres est essentiel. Proposer aux femmes, comme aux hommes, des stages de formation de dirigeants, d’animateurs ou de formateurs, c’est les inciter à prendre des fonctions au sein des clubs et des autres structures. On peut espérer que l’évolution vers la mixité des cadres induira de nouveaux comportements et renverra une autre image des pratiques sportives aux enfants et aux jeunes. L’ACCROCHE SANTÉ Le point fort de la saison 2005-2006 consistera par ailleurs en l’édition d’un recueil de témoignage et d’expériences sur la santé des sportives (1). C’est sur cette dimension « santé » que le groupe de travail souhaite aujourd’hui insister, bien conscient que la recherche du bien-être et de l’équilibre personnel est souvent l’une des principales motivations de la pratique sportive féminine. Des questionnaires ont déjà été distribués à tous les échelons de notre fédération, questionnaires dont le groupe de travail Femmes et sport tirera cet automne une synthèse d’une trentaine de pages. Le recueil sera ensuite distribué au en jeu une autre idée du sport n°392 sein de notre réseau et en externe (ministères, mouvement sportif, etc.). Il devrait se présenter sous la forme de questions posées par des femmes à d’autres femmes : licenciées Ufolep, médecins, sociologues, universitaires... Les réponses seront complétées et illustrées par des témoignages de licenciées sur leur pratique et ses bienfaits. Différents chapitres insisteront sur les principales étapes de la vie de la femme : l’enfance, l’adolescence, la grossesse, le rôle de mère, la ménopause, le troisième âge. La conclusion pourrait être qu’une pratique sportive adaptée, tout au long de la vie, est bénéfique pour les femmes… comme pour les hommes. Enfin, la cassette vidéo « Sport, les mots qu’elles disent », recueil de témoignage réalisé en 2002, est toujours disponible, tandis que chacun pourra trouver sur www.ufolep.org la présentation des actions déjà menées sur la thématique « femmes et sport ». ● ARNAUD JEAN (1) Ce projet national a été déposé par l’Ufolep pour le 1er concours Femmes et sport organisé par le ministère de la Jeunesse et des Sports.