l`europe, nouvelle frontiere pour la francophonie

Transcription

l`europe, nouvelle frontiere pour la francophonie
L’EUROPE, NOUVELLE FRONTIERE
POUR LA FRANCOPHONIE
XI
e
BUCAREST,
SOMMET DE LA FRANCOPHONIE
28 ET 29 SEPTEMBRE 2006
Dossier réalisé par mfi médias france in te rcon ti ne n ts
l'agence multimédia de radio france internationale
en partenariat avec l'organisation internationale de la francophonie
XIe Conférence des chefs d’Etat et de gouvernement
ayant le français en partage
Bucarest, 28-29 septembre 2006
EUROPE : NOUVELLE FRONTIERE POUR LA FRANCOPHONIE
• Le nouveau visage de l’Organisation internationale de la francophonie
• Ouverture à l’Est : les enjeux pour la solidarité francophone
• Droits de l’homme et démocratie : des valeurs communes
• Promotion de la diversité culturelle : Europe et Francophonie, même combat !
• Le français dans les pays d’Europe centrale et orientale
STRATEGIES FRANCOPHONES DE SOUTIEN AU FRANÇAIS EN EUROPE
• Au sein de l’Union européenne
• Dans le monde universitaire
• Dans le monde des affaires
LA VIE DU FRANÇAIS EN EUROPE
• Roumanie : une francophonie à la fois historique et d’avenir
• Pologne, Lituanie, Slovénie : une francophonie en ébullition
• République Tchèque, Slovaquie : l’attrait grandissant de la langue
• Italie, Portugal : comment la francophonie résiste
• Allemagne, Royaume-Uni, Suède : la force des échanges
•
•
•
La Francophonie a-t-elle une vocation européenne ? Cinq personnalités du monde des lettres
se prononcent
Demain, un réseau des bibliothèques numériques francophones
Politiques migratoires : la Francophonie, laboratoire d’idées
Fiche : Le français en Europe
Fiche : Les dix premiers sommets francophones
Dossier coordonné par Ariane Poissonnier
Avec le concours d’Arlette Cirencien
N° 500
06.08.16
Le nouveau visage de l’Organisation internationale de la Francophonie
(MFI) Vingt ans après le premier sommet réuni à Versailles, la XIe Conférence
des chefs d’État et de gouvernement des pays ayant le français en partage a lieu à
Bucarest, en Roumanie. Un pays qui entra en contact avec la langue française voici
deux siècles, et qui fut le premier des treize pays d’Europe centrale et orientale
admis au sein de la Francophonie. Le fait que l’OIF se réunisse pour la première fois
de son histoire dans une capitale d’Europe de l’Est met en lumière le nouveau visage
d’une organisation qui a profondément évolué, du point de vue de sa composition
comme de ses ambitions.
« La Roumanie est le premier pays de l’Europe centrale et orientale à avoir été choisi comme hôte
d’un Sommet des chefs d’Etat et de gouvernement ayant le français en partage. Avec sa spécificité de pays à
la fois membre de l’OIF et de pays qui obtiendra, le 1er janvier 2007, le statut de membre de l’UE, la
Roumanie entend jouer un rôle de pilier régional dans la structure des pays francophones européens. » En
quelques mots, le président roumain Traian Bãsescu, en page d’accueil du site (1) que la Roumanie consacre
au Sommet de Bucarest des 28 et 29 septembre 2006, met l’accent sur le message essentiel de la Conférence,
au-delà de son thème Technologies de l’information dans l’éducation : la Francophonie se vit aussi à l’est de
l’Europe, et cette réalité européenne peut, du fait de la double appartenance à l’Organisation internationale de
la Francophonie (OIF) et à l’Union européenne (UE) de certains des nouveaux membres, se révéler un atout
majeur pour renforcer l’influence francophone.
En effet, l’événement de la XIe Conférence des chefs d’État et de gouvernement des pays ayant le
français en partage, c’est sa localisation : vingt ans après le premier sommet à Versailles (1986), le fait que
les francophones se retrouvent dans une capitale d’Europe de l’Est met en lumière le nouveau visage d’une
organisation qui a profondément évolué, du point de vue de ses membres comme de ses ambitions.
Francophonie post-coloniale et francophonie post-soviétique
Forte à sa naissance, en 1970, de 21 membres dont 13 africains – le continent de trois des cinq pères
fondateurs, le Sénégalais L.S. Senghor, le Tunisien H. Bourguiba et le Nigérien H. Diori étant son berceau
historique –, la Francophonie a d’abord largement recruté au sud : au 1er janvier 1990, elle comptait
39 membres dont 25 africains. La dernière décennie du XXe siècle marque un tournant pour l’organisation,
qui séduit alors bien au-delà de son bassin d’origine : elle accueille désormais 63 membres, dont 29 sont
africains. La Francophonie des années soixante-dix, souligne un expert de l’organisation, était « postcoloniale » au sens où elle réunissait, pas uniquement mais principalement, d’anciens colonisateurs (France
et Belgique) et d’anciens colonisés, pour la plupart africains. Pendant vingt-cinq ans, la Francophonie a vécu
un fait culturel – le partage de la langue française – comme un atout pour mieux coopérer, pour mieux
développer les pays membres du Sud.
En 1989, la chute du Mur de Berlin suivie de la disparition de l’URSS ouvre la voie à une
francophonie « post-soviétique » : les pays d’Europe de l’Est et centrale, libérés de la tutelle communiste et
soucieux de se désenclaver, cherchent de nouvelles portes d’entrée pour agir à l’international. Des
24 nouveaux membres accueillis par l’OIF entre 1990 et 2005, 13 sont issus de cet espace européen où la
langue française porta longtemps les valeurs humanistes. Parallèlement, le sommet de Hanoï, en 1997, en
créant un secrétariat général particulièrement chargé d’affirmer la présence francophone sur la scène
internationale et en le confiant à l’ancien secrétaire général des Nations unies, l’Egyptien Boutros BoutrosGhali, marque le passage d’une Francophonie culturelle et de développement à une Francophonie politique,
3
une Francophonie d’influence. Dans une même logique de rationalisation des structures et de renforcement
de la visibilité internationale, la nouvelle Charte adoptée en novembre 2005 à Tananarive fait de l’OIF
l’organisation intergouvernementale unique de la Francophonie.
L’OIF, un acteur politique reconnu et sollicité
Aujourd’hui, nul ne songe à contester que l’OIF est désormais un acteur politique reconnu et sollicité,
particulièrement après le rôle joué dans deux épisodes récents de la vie internationale. En 2003, lors du
déclenchement de la guerre en Irak tout d’abord : c’est confortée par les francophones que la France put
empêcher que le recours à la force soit autorisé par le Conseil de sécurité des Nations unies. En 2005, lors de
la bataille autour de la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles,
à l’Unesco, ensuite : c’est en grande partie grâce à une mobilisation francophone de longue haleine que le
texte fut enfin adopté. Une action qui s’inscrit particulièrement dans le projet francophone : « Face à une
mondialisation protéiforme et déshumanisée qui anesthésie nos espérances, soulignait à Genève en février
2006 l’actuel secrétaire général, Abdou Diouf, le projet de « civilisation de l’universel » construit par
Léopold Sedar Senghor, dont nous fêtons en cette année 2006 le centième anniversaire de la naissance,
reprend tout son sens, sa pertinence, son actualité. Il n’est plus seulement séduisant, il est devenu
nécessaire.(…) Des enceintes telles que la Francophonie peuvent être le lieu où recréer un multilatéralisme
positif, suscitant des coopérations et des coordinations plutôt que des antagonismes. En effet, les problèmes
peuvent s’y débattre sans faire intervenir d’emblée des relations de pouvoir et de domination. »
Les membres européens de l’OIF peuvent accroître sa capacité d’influence
Si les nouveaux entrants trouvent ainsi dans la Francophonie une enceinte plus démocratique que
l’actuel système international, l’organisation peut en retour, grâce à ces nouveaux membres, accroître sa
capacité d’influence. « Nous avons besoin, affirmait Abdou Diouf le 20 mars 2006 à Bucarest, d’une entrée
réussie et fructueuse de votre pays dans l’Union européenne. Nous avons besoin d’une Roumanie vivante,
active, créative et militante de la Francophonie dans l’Union européenne. (…) L’OIF compte actuellement
11 Etats membres de l’Union européenne (2), et bientôt 13, et pas moins de 21 membres de l’Organisation
pour la sécurité et la coopération en Europe. Avec la Roumanie et ses voisins membres de notre
organisation, membres ou proches de l’Union européenne, on mesure l’importance de la dimension
européenne de la Francophonie. » Lucide sur ses moyens somme toute limités, l’OIF – et avec elle ses
membres les moins développés – a tout à gagner à peser davantage au sein de l’Union européenne,
notamment parce que celle-ci est le premier bailleur de fonds mondial. Mais aussi parce que l’avenir du
français comme langue internationale se joue en partie au sein de l’Union.
Une promesse et un défi pour l’organisation elle-même
L’élargissement européen de la Francophonie est en outre, pour l’organisation elle-même, à la fois une
promesse et un défi. Une promesse car le probable rattrapage économique des nouveaux membres devrait en
faire, demain, des contributeurs conséquents au budget de l’OIF, une assise budgétaire élargie étant le gage
d’une autonomie accrue. Un défi car l’OIF doit, sous peine de devenir une organisation à deux vitesses,
réussir la symbiose entre francophonie post-coloniale et francophonie post-soviétique : pour l’instant, les
pays du Sud sont majoritairement membres de plein droit, tandis que ceux d’Europe centrale et de l’Est ne
sont pour la plupart qu’associés ou observateurs. En réfléchissant aux moyens de mieux intégrer ces derniers,
de développer une cohésion accrue entre ses membres qui se connaissent peu ou mal, la Francophonie sera
fidèle à son ambition, celle qu’Abdou Diouf définissait ainsi à Genève : « La Francophonie apporte, à
l’universel abstrait de la norme et du droit, la richesse d’un universel concret, celui de l’échange dans le
respect de l’Autre, afin que vivent et se déploient les cultures multiples de notre Humanité. »
Ariane Poissonnier
(1) http://www.sommet-francophonie.org/pag.php
(2) Onze des 25 Etats de l’Union sont membres de l’OIF ; la Roumanie et la Bulgarie doivent entrer dans l’UE au 1er janvier 2007
(décision de la Commission en octobre 2006) ; la Croatie, membre observateur de l’OIF, attend que soit fixée la date d’ouverture
des négociations d’adhésion; la Macédoine, membre associé de l’OIF, a été reconnue candidate le 15 décembre 2005 et l’Albanie,
également membre associé de l’OIF, vient d’achever la négociation d’un accord de stabilisation et d’association, première étape de
la procédure d’adhésion à l’UE. Source : Rapport d’information n°3133, Assemblée nationale française, 7 juin 2006.
4
N° 501
06.08.16
Ouverture à l’Est : les enjeux pour la solidarité francophone
(MFI) L’arrivée au sein de la Francophonie de nouveaux pays, en particulier
d’Europe centrale et orientale (PECO), ne manque pas de susciter des interrogations
parmi ses membres traditionnels du Sud, notamment africains, qui redoutent,
comme au moment de l’élargissement à 25 de l’Union européenne, une désaffection
de leurs bailleurs de fonds. Mais l’ouverture à l’Est augure davantage d’un
renforcement de la capacité de négociation internationale d’un ensemble
francophone qui conserve, au cœur de sa stratégie, la solidarité et le développement.
L’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), qui compte 53 Etats et gouvernements
membres et 10 observateurs, est sollicitée par de nouveaux candidats comme la Thaïlande, l’Ukraine,
la Serbie, Chypre, l’ordre de Malte et même le Soudan : candidatures en tant qu’observateurs qui
seront examinées à son XI sommet, à Bucarest en Roumanie, les 28 et 29 septembre 2006. « Nous
sommes inquiets, mais en même temps fiers de constater que la Francophonie attire de plus en plus
de monde, ce qui renforce notre capacité de négociation dans les instances internationales, politiques
et économiques, souligne un haut fonctionnaire africain… A condition de mieux nous coordonner et
de mieux nous connaître. »
Conscients des questions qui se posent, même si elles ne sont pas ouvertement formulées en
public ni en privé, les responsables francophones promettent une « meilleure information » et une
« meilleure intégration des nouveaux venus ». A ceux qui se demandent si véritablement le français
est largement parlé dans ces pays, ils rappellent la tradition francophone des élites européennes
depuis le XVIIIe siècle et le fait qu’en Afrique francophone même, tout le monde ne maîtrise pas
forcément la langue officielle du pays.
Certains responsables soulignent aussi que la Francophonie constitue une alternative à
l’hégémonie américaine et au libéralisme à tout crin qui l’accompagne, puisque la solidarité et le
développement restent au centre de la stratégie de l’OIF. D’autant que certains pays d’Europe de
l’Est, qui connaissent une forte croissance économique, peuvent à terme devenir des bailleurs de
fonds potentiels pour les plus pauvres et qu’ils ont déjà coopéré avec certains pays du continent
africain au moment de la guerre froide, en tant que « pays frères » du Pacte de Varsovie.
e
Les Européens, « agents d’influence pour les pays du Sud »
« Le rapprochement avec l’Union européenne et celui avec la Francophonie vont de pair et
sont l’une de nos priorités », souligne Youri Pyvovarov, chargé d’affaires ukrainien à Paris. Il évoque
la tradition francophone des élites de son pays et la progression de la langue française dans
l’enseignement supérieur. Pour lui, l’entrée à l’OIF présente des avantages culturels, politiques et
économiques. Lui aussi estime que les PECO peuvent jouer un rôle important au sein de l’Union
européenne, premier bailleur de fonds des pays en développement, au même titre que d’autres
nouveaux venus à l’OIF comme la Grèce, qui a demandé à passer du statut d’associé à celui de
membre à part entière. « Les Européens peuvent être des agents d’influence pour les pays du Sud »,
souligne un responsable de l’OIF qui rappelle que la nouvelle représentante de l’organisation auprès
de l’UE, à Bruxelles, est la Roumaine Maria Niculescu.
5
Les Africains maintiennent toutefois la pression pour qu’on ne les oublie pas. Ainsi, le président
du Burkina Faso Blaise Compaoré, qui avait accueilli le précédent sommet en 2004, a proposé que le
Mozambique et le Ghana puissent avoir leur place auprès de la Francophonie. Le chef d’Etat
mozambicain, Armando Guebuza, a d’ailleurs évoqué le sujet en juillet à Paris avec le secrétaire
général de l’OIF.
Abdou Diouf est conscient des enjeux et des défis auxquels doit faire face l’OIF qui a décidé
d’adopter une plus grande visibilité et des stratégies agressives sur tous les fronts, à la mesure
toutefois de ses moyens, qui restent limités. « C’est au cœur de l’Europe (…) que la Roumanie va
accueillir notre XI Sommet. Ce sera un moment important qui montrera combien compte pour nous
ce bassin historique de la Francophonie, combien la Roumanie peut y jouer un rôle majeur, combien
toute notre communauté, rassemblée autour d’elle sait manifester son sens de la solidarité, la valeur
de son action », a-t-il déclaré le 20 mars 2006 à Bucarest. A Genève, dans un autre discours consacré
aux nouvelles ambitions de la Francophonie, il avait évoqué la voie alternative que celle-ci
représente : « Dans ce nouveau monde s’affiche certes un renouveau de la revendication
démocratique, mais la pauvreté y progresse, les inégalités s’y accroissent, les identités, surtout
quand elles sont minoritaires, sont malmenées. La montée en puissance du terrorisme et les nouvelles
formes de croisade qu’il engendre attisent les haines et les divisions, le repli sur soi. C’est dans ce
contexte, où l’on oppose courageusement le multilatéralisme à l’hégémonisme, le dialogue des
civilisations au choc des civilisations, la diversité culturelle et linguistique au repli identitaire, le
partage maîtrisé et régulé des richesses à la loi pure et dure du marché et du profit, qu’on
redécouvre aujourd’hui le discours et les valeurs des pères fondateurs de la Francophonie. »
è
Une coopération multi-directionnelle
Depuis 2002, l’OIF, qui regroupe pays riches et pays pauvres, insiste sur l’intégration des pays
francophones en développement à l’économie mondiale, l’accès aux financements internationaux et
une utilisation plus efficace des aides publiques au développement, et enfin le financement des
industries culturelles. Elle a aussi multiplié la coopération non seulement avec l’Union européenne et
les Nations unies mais aussi les organisations financières internationales comme le FMI et la Banque
mondiale. Elle agit aussi auprès de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) où les pays
africains francophones ont réussi à faire avancer le dossier sur le coton.
Evoquant, en juillet dernier, devant les parlementaires francophones, les réformes en cours,
Abdou Diouf s’est voulu optimiste mais réaliste. « Tout cela est en train de contribuer fortement au
renforcement de la nouvelle OIF, de l’installer solidement sur la scène internationale comme un
acteur qui compte, qui est écouté, dont on reconnaît l’apport spécifique et original, comme un
partenaire crédible. L’élan est donné, nous ne relâcherons pas nos efforts pour que ce travail
produise des résultats tangibles en faveur de la langue que nous avons en partage, en faveur de
l’énorme enjeu que constitue la diversité culturelle, en faveur enfin de nos valeurs démocratiques, de
paix et de justice économique et sociale. »
Marie Joannidis
6
N° 502
06.08.17
Droits de l’homme et démocratie : des valeurs communes
(MFI) La Francophonie a tissé en Europe des liens substantiels autour du
combat pour la défense et la promotion de la paix, de la démocratie et des droits de
l’homme. Mais elle cherche encore ses marques pour appuyer la démocratisation en
cours des pays postcommunistes.
L’ouverture sur le monde des pays d’Europe centrale et orientale (PECO) s’est d’abord traduite
par une volonté d’intégration à l’Union européenne et à l’OTAN. Nombre d’entre eux ont également
choisi d’adhérer* à la Francophonie, entre 1993 et 2004, pour des raisons avant tout culturelles. Ces
pays, qui ont toujours lutté pour sauvegarder leurs cultures nationales face aux empires germanique,
ottoman, russe puis soviétique, et porteurs du lourd héritage des démocraties populaires, apprécient la
mission de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) de promotion du pluralisme
culturel et linguistique dans le respect de la souveraineté des États et des valeurs de liberté et de
tolérance. Les critères d’adhésion à la Francophonie, moins contraignants que ceux de l’Europe
(Copenhague, 1993), évaluent d’ailleurs le degré « d’attachement aux valeurs communes » en
matière de démocratisation, de respect des droits humains ou d’exception culturelle (Sommet de
Cotonou, 1995).
Intégration aux réseaux francophones par les instituts de formation et les clubs de réflexion
Compte tenu de la multiplicité des organismes internationaux ou européens d’appui à la
démocratisation en cours des PECO, « la Francophonie cherche encore ses marques », reconnaît
Christine Desouches, déléguée à la paix, à la démocratie et aux droits de l’homme (DDHDP) de
l’OIF. Elle dispose, parmi nombre de réseaux spécialisés (cours de cassation, cours des comptes et
hautes juridictions, médiateurs ou instances de régulation, etc.), d’un outil précieux, le Réseau des
instituts francophones des droits de l’homme, de la démocratie et de la paix, qui regroupe plus d’une
trentaine d’instituts universitaires ou de formation des barreaux. Dans le cadre de la Déclaration de
Bamako, ce réseau favorise la mise en place du dispositif d’observation et d’évaluation permanentes
des pratiques de la démocratie, des droits et des libertés. Membre du réseau dès sa création à
Beyrouth en 2002, l’Institut roumain pour les droits de l’homme (IRDO) de Bucarest, dirigé par Irina
Zlatescu, a obtenu en 1993 le statut de bibliothèque dépositaire du Conseil de l’Europe, l’organisation
la plus ancienne du continent. Première étape de l’intégration des démocraties postcommunistes, le
Conseil a en effet accueilli 18 PECO depuis 1990, apportant son assistance en matière
constitutionnelle et de droit électoral, en vue d’un alignement sur les standards européens.
L’intégration aux réseaux francophones concerne également les élites culturelles qui ont pris
position publiquement pour la Francophonie. Ce réflexe francophone existe par exemple au sein du
Club politique des Balkans, ONG de haut niveau qui réunit les dirigeants démocrates de la région,
grâce notamment à son directeur exécutif, Siméon Anguelov, délégué permanent de la Bulgarie
auprès de l’Unesco. Il organise une conférence sur la démocratie en septembre 2006 à laquelle des
représentants de l’OIF sont conviés. Symbolique mais significative également, la mise en valeur de
7
l’action francophone par la Roumanie lors de la 61e session de la Commission des droits de l’homme
de l’Onu à Genève : « Au sein de la Francophonie, nous avons aussi étudié les moyens de
promouvoir d’une manière encore plus active la démocratie et les droits de l’homme », a souligné
l’ambassadeur auprès des Nations unies, Doru Costea, dont l’intervention a permis de faire figurer la
Déclaration de Bamako dans la Résolution Démocratie et Etat de droit.
Vers un projet d’instrument international sur les droits et devoirs des observateurs ?
Outre l’appui aux centres de formation aux droits de l’homme, la Francophonie est présente à
travers ses missions d’observation électorale, qu’elle réalise à la demande des pays concernés
(Albanie, Macédoine, Moldavie), en collaboration avec l’Organisation pour la sécurité et la
coopération en Europe (OSCE). Elle envoie ses experts des PECO, notamment Pandeli Varfi,
membre de la Commission centrale électorale en Albanie, Stefan Tafrov, l’ancien Délégué permanent
de Bulgarie auprès de l’Onu (2001-2006) qui a assuré la présidence tournante du Conseil de Sécurité
en 2004, ou encore l’ambassadeur albanais Luan Rama. Ce dernier, en novembre 2000, estimait que
« la philosophie du travail dans le cadre régional, à l’intérieur de la Francophonie » doit surtout être
comprise comme un « échange d’expériences ». Exemplaire à cet égard, la mission en Moldavie
(législatives, mars 2005) dirigée par Yarga Larba, président de la Haute Cour de justice du Burkina
Faso. Composée d’experts albanais, belge, bulgare, canadien, congolais et français, elle a préconisé
dans son rapport que la DDHDP « élabore d’urgence un projet d’instrument international sur les
droits et devoirs des observateurs, projet que le Secrétaire général pourrait soumettre aux autres
organisations internationales engagées dans l’observation des élections ».
Au sommet de Bucarest, la DDHDP, par la voix de Christine Desouches, devrait proposer aux
PECO de renouer les liens anciens avec les pays africains proches du modèle communiste et des
mouvements de libération nationale, avec lesquels il existait toutes sortes de coopération, pour ouvrir
des perspectives dans le cadre francophone. « Si l’ancien président béninois, Mathieu Kérékou, a
renoncé au marxisme en novembre 1989 et s’est lancé dans la Conférence nationale souveraine en
1990, c’est qu’il avait vu Ceaucescu tué avec sa femme en Roumanie, et aussi la chute du mur de
Berlin », rappelle la Déléguée, mettant l’accent sur cette interactivité historique. Si la volonté des
PECO existe de prendre place dans l’espace mondial et solidaire qu’est la Francophonie, il reste à
explorer le champ des actions à mener pour construire un échange bénéfique pour le Nord comme
pour le Sud.
Antoinette Delafin
* En tant que membres à part entière (Bulgarie, Moldavie, Roumanie), membres associés (Albanie, Macédoine) ou
encore observateurs aux sommets (Croatie, Hongrie, Lituanie, Pologne, République tchèque, Slovaquie, Slovénie).
8
N° 503
06.08.14
Promotion de la diversité culturelle : Europe et Francophonie, même combat !
(MFI) L’adoption par 148 pays, le 25 octobre 2005, d’une convention sur la
diversité des expressions culturelles est un véritable manifeste en faveur d’une
mondialisation qui refuse l’uniformisation. Cette victoire est le fruit, au sein de
l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco),
d’une longue bataille politique marquée par les efforts conjoints de la Francophonie
et de l’Union européenne et une forte mobilisation des pays d’Europe centrale et
orientale. Le défi est désormais de convaincre le plus grand nombre d’Etats de
ratifier au plus vite la convention.
La Francophonie a joué un rôle précurseur dans le combat pour affranchir la culture des règles
du commerce international. Dès 2002, au sommet de Beyrouth, elle préconise l’adoption d’un
instrument juridique international sur la diversité culturelle. En amont des travaux à l’Unesco, elle
entreprend tout un travail de sensibilisation des pays francophones avec le soutien actif de la France et
du Canada. Elle défend les enjeux de la diversité culturelle dans les sphères économiques, au plus haut
niveau diplomatique et au sein de la société civile, soutenant l’émergence de coalitions nationales
réunissant associations et artistes. Véritable moteur pendant les travaux de préparation de la
convention, la Francophonie met des experts juridiques à disposition des délégations francophones à
l’Unesco et veille à encourager une coopération active avec les autres aires linguistiques
hispanophones, lusophones et arabophones.
L’Union européenne (UE), autre pôle d’influence dans les négociations, réussit à rallier la
Grande-Bretagne et s’exprime d’une seule voix en faveur de la diversité culturelle. « Beaucoup
d’enthousiasme et de volonté se sont dégagés de ce travail dans le cadre de la préparation d’une
position commune », se souvient Irena Moozova, délégué permanent de la République tchèque à
l’Unesco. Et c’est vrai qu’il a fallu faire bloc avec ténacité pour que la Commission européenne puisse
obtenir, le temps de ces négociations, un rôle plus actif que celui de simple observateur.
Un enjeu majeur pour l’équilibre des PECO
Pour que la convention entre en vigueur, il faut maintenant que 30 pays au moins la ratifient.
Trois pays membres de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) ont, au 1er août 2006,
fait aboutir le processus : le Canada, l’île Maurice et la Roumanie. La Croatie, Djibouti, le Burkina
Faso, le Mali et le Cambodge ont ratifié la convention mais n’ont pas encore déposé les instruments de
ratification à l’Unesco. Le processus devrait aboutir prochainement dans d’autres pays d’Europe
centrale et orientale (PECO), notamment en Bulgarie. Pour les pays membres de l’Union européenne,
l’idée initialement envisagée d’un dépôt simultané des instruments de ratification semble difficilement
réalisable. La France, qui a déjà fait aboutir son processus interne de ratification, hésite entre un dépôt
avant le sommet de Bucarest et la solidarité européenne. D’autant que le processus est plus long dans
d’autres pays de l’UE comme la Belgique, qui compte plusieurs parlements. L’essentiel reste
cependant de faire vite afin d’éviter que les Etats-Unis, opposés à la convention, ne signent davantage
d’accords bilatéraux neutralisant le texte.
L’enjeu pour les PECO est majeur, compte tenu de l’expérience historique de ces pays et face à
l’invasion culturelle américaine menaçant leurs marchés. « La convention peut nous aider à
9
promouvoir des produits culturels de qualité, à trouver un équilibre entre une culture subventionnée à
100% par "l’Etat miracle" et une culture entièrement liée à l’économie de marché », affirme Andrei
Magheru, ambassadeur de Roumanie à l’Unesco, président du groupe des ambassadeurs
francophones. Dans les Balkans, soutenir la diversité culturelle est également fondamental pour
promouvoir une culture de paix. « Il est important que la diversité culturelle apparaisse au grand jour
et qu’un travail de catharsis de la guerre et des massacres soit fait en favorisant les rencontres entre
artistes », plaide Nicolas Petrovitch, directeur de l’association éditrice du Courrier des Balkans.
Le plurilinguisme, passeport pour l’autre
Reconnue dans la convention comme « élément fondamental de la diversité culturelle », la
diversité linguistique est inscrite au cœur des politiques de l’Union Européenne et de l’OIF. Depuis
l’élargissement du 1er mai 2004, l’UE compte 20 langues officielles ; or c’est la seule organisation au
monde où s’applique le principe d’égalité des langues. Selon le traité d’Amsterdam (1997), tout
citoyen peut s’adresser aux institutions de l’Union dans sa propre langue et recevoir une réponse dans
la même langue. Les services de traduction doivent gérer plus de 400 combinaisons linguistiques.
Comment travailler ensemble dans ces conditions ? Le règlement du Conseil du 15 avril 1958, qui
pose l’égalité des langues officielles et de travail sans établir de distinction entre les deux catégories,
confie à chaque institution le soin de prévoir les modalités de mise en œuvre du principe d’égalité.
La Commission et le Parlement ont généralisé le recours à trois langues de travail : le français,
l’anglais et l’allemand. Le Conseil assure une traduction dans les 20 langues officielles pour les
réunions politiques, favorise l’utilisation de « langues relais » – le français et l’anglais – pour les
réunions de travail, et a également mis en place un système de traductions "à la demande", laissant à
chaque pays le soin d’établir ses priorités de traduction dans la limite d’une enveloppe financière égale
pour tous. Dans la pratique, l’anglais s’impose souvent comme l’unique langue de communication.
Face à ce constat, la Francophonie s’est engagée activement dans l’application d’un plan pluriannuel
en faveur du français au sein des institutions européennes, signé le 11 janvier 2002 (voir article n°505).
Au sein de l’espace francophone, la défense du plurilinguisme est également devenue depuis
quelques années une priorité. En Afrique où le français cohabite avec de nombreuses autres langues
maternelles, promouvoir le français à l’école sans s’appuyer sur une alphabétisation dans les langues
nationales utilisées à la maison a finalement paru non seulement incohérent mais aussi inefficace.
Depuis 1994, une expérimentation d’écoles bilingues français-langue nationale conduite au Burkina
Faso s’est ainsi avérée très heureuse en termes de réussite scolaire. La Francophonie se range
également de plus en plus à l’idée que le plurilinguisme est une clé d’accès à un meilleur
développement aussi bien économique que démocratique.
Ce combat pour le respect de la diversité mené par la Francophonie comme par l’Union
européenne parle à tous les hommes. Ce que l’écrivain Edouard Glissant souligne ainsi : « Le divers
du monde a besoin des langues du monde. »*
Laetitia Lefaure
* In Traité du Tout-Monde, Paris, Gallimard, 1997, p.121.
10
N° 504
06.08.14
Le français dans les pays d’Europe centrale et orientale
(MFI) Depuis l’effondrement des régimes communistes, le russe a perdu son
statut de langue première et obligatoire de la fin du primaire à l’université. L’offre
linguistique en Europe centrale et orientale s’est donc libéralisée. Le français – qui a
marqué l’histoire du continent – tire son épingle du jeu notamment grâce à la
mobilisation des enseignants, des autorités qui ont lancé un Plan pluriannuel d’action
et aux actions de coopération décentralisée.
Près de 10 % des 55 millions d’apprenants du français (hors de France) résident dans les pays
d’Europe centrale et orientale (PECO). Le français se maintient dans ses bastions traditionnels
(Roumanie, Moldavie) et se développe dans des pays où il était moins implanté (Hongrie, Pologne,
République tchèque). En Roumanie, où la tradition du français est partie intégrante du patrimoine
culturel, on compte ainsi près de 8 % de francophones et 20 % de francophone partiels. En Bulgarie,
où son apprentissage est en baisse, un quart des lycéens tout de même apprennent le français. Dans les
pays de l’ex-Yougoslavie, le français était peu parlé. Comme en République tchèque, dont l’histoire
reste liée à celle de l’Autriche-Hongrie, mais où le nombre de lycéens qui apprennent le français a
triplé entre 1990 et 2000. Dans les autres pays, sa place est plus modeste. Mais leur entrée dans
l’Union ou sa perspective « a puissamment stimulé leur intérêt pour la Francophonie », estime le
rapport Turpin (Sénat, 2000). Le phénomène tient sans doute au statut de langue de travail du français
au sein des institutions européennes, mais il procède aussi d’une aspiration à s’ouvrir sur le monde et
sur les valeurs véhiculées par la Francophonie. On observe enfin un intérêt croissant pour la
production culturelle francophone.
Toutefois, ces bonnes dispositions se heurtent à des difficultés du fait de l’évolution
préoccupante de la place du français dans l’Union européenne. Lors des négociations relatives à
l’élargissement (effectif le 1er mai 2004), les représentants des PECO s’exprimaient en quasi totalité en
anglais. Et ce malgré le programme de formation au français en direction des fonctionnaires,
traducteurs et interprètes des instances européennes et des administrations centrales des pays candidats
que la France avait lancé lors de sa présidence de 1995. En 2002, la politique de promotion du français
devient multilatérale avec la signature d’un Plan pluriannuel d’action pour le français dans l’UE
adopté par la France, le Luxembourg, la Belgique et la Francophonie (voir article suivant).
La diversité de l’enseignement bilingue francophone
De nombreux pays d’Europe de l’Est comme de l’Ouest ont mis en place un cursus bilingue
francophone : au total, plus de 400 sections bilingues soit près de 60 000 élèves apprennant le français.
L’enseignement est dispensé en deux langues, langue locale et français. Ces filières d’excellence
présentent une grande diversité selon les pays. Une, voire deux « années zéro » permettent aux élèves
d’acquérir un niveau de français suffisant pour entamer un cursus dans les disciplines non
linguistiques (DNL) – six ans en République tchèque, cinq ans en Hongrie tandis que la Croatie et la
Macédoine n’ont pas intégré ce système dans leur structure éducative. La République tchèque ou
encore l’Albanie proposent des sections bilingues francophones à dominante scientifique (physique,
chimie et mathématiques). La Biélorussie mise plutôt sur l’enseignement des sciences économiques et
sociales, la Lituanie sur la musique et l’éducation physique et sportive ; la Roumanie sur la
géographie, l’histoire et la civilisation française. En règle générale, histoire et géographie sont au
11
programme dans toutes les sections bilingues. En Bulgarie, des sections se développent aussi dans
l’enseignement professionnel.
Les pays et les instances multilatérales francophones fournissent un effort important pour la
promotion du français dans les PECO par le biais des jumelages, de la coopération décentralisée ou de
la coopération scolaire et universitaire. Les jumelages s’étaient développés durant la période
communiste avec certains pays de l’Est (Pologne, Roumanie) dans le cadre d’échanges culturels puis,
à partir de 1990, d’actions à caractère économique. Le soutien à la francophonie par le biais d’actions
éducatives constitue toujours l’un des moteurs des nouveaux jumelages. La coopération décentralisée
a été le fait d’associations comme Initiatives France-Hongrie, la Fondation France-Pologne ou Eurom
avec la Roumanie. Dans le budget français, les PECO représentaient, en 2000, 27 % des crédits
consacrés par le ministère des Affaires étrangères à la coopération décentralisée (Pologne et
Roumanie, environ 7 % chacun, République tchèque, Hongrie, Slovaquie).
« Les enseignants de français se mobilisent aussi pour assurer la promotion en Europe de cette
langue qu’ils enseignent et chérissent », se plaît à répéter Janina Zielinska. Cette Polonaise, directrice
du Collège de formation des professeurs de français à l’université de Varsovie, est la vice-présidente
de la Fédération internationale des professeurs de français*, qui compte plus de 70 000 professeurs sur
les cinq continents et organise, du 2 au 5 novembre 2006, son premier Congrès européen à Vienne
(Autriche). Ce congrès servira de tribune aux associations d’enseignants qui débattront de la place du
français, de ses particularités et de ses enjeux, en termes de pédagogie mais aussi de politique de
promotion de la langue française en Europe. Pour Janina Zielinska, il faut insister sur la nécessaire
synergie entre les différents partenaires impliqués dans cette promotion sur le terrain.
Antoinette Delafin
* La FIPF organise un colloque international annuel, un congrès mondial tous les trois ans, et publie la revue Le français
dans le monde. www.fipf.org ; www.francparler.org ; www.vienne2006.org
Le français dans l’histoire européenne
(MFI) Au Moyen Age, le français voyage déjà quand Guillaume le Conquérant, duc de Normandie, est
sacré roi d’Angleterre en 1066. Il passe pour une langue de prestige à Venise à la fin du XIIIe siècle, quand
Marco Polo dicte en français le récit de ses aventures en Extrême-Orient, Le livre des merveilles. A partir du
XVIe siècle, la prééminence de la France joue un rôle important dans la diffusion du français en Europe. Il
remplace le latin, langue « internationale », dans les domaines de la philosophie, de la médecine, de la banque
et du grand commerce. Langue de la diplomatie, le français est utilisé dans les traités internationaux de 1714 –
un an avant la mort de Louis XIV – jusqu’à la fin de la Première Guerre mondiale.
Les mariages entre familles royales et aristocratiques en font une langue parlée dans toutes les Cours :
près de vingt-cinq au total, de l’actuelle Turquie au Portugal en passant par la Russie, la Norvège, la Pologne
et l’Angleterre. Exemple parmi tant d’autres, le mariage de Louis XV en 1725, à l’âge de quinze ans, avec
Marie Leszczynska. Son père, Stanislas Leszczynski, ancien roi de Pologne devenu Duc de Lorraine en
1737, fait construire à Nancy une place destinée à glorifier son gendre.
Au siècle des Lumières, où le français est reconnu comme langue universelle, la mode saisit l’Europe
aristocratique au point que ses souverains font venir à leur Cour des écrivains français, Descartes auprès de
Christine de Suède, Voltaire chez Frédéric de Prusse. A Saint-Pétersbourg ou à Moscou, un aristocrate qui se
respecte se doit de parler le français. En Roumanie, la diffusion de la langue française date aussi de cette
époque, quand les principautés de Valachie et de Moldavie étaient sous domination ottomane et que les fils
des grandes familles venaient étudier à Paris. Sous l’Empire napoléonien, les Slovènes, comme les Croates et
les Dalmates, ont gardé un souvenir très positif de l’influence française. Mais les campagnes napoléoniennes
ont aussi froissé bon nombre de sensibilités dans d’autres parties de l’Europe. Quoi qu’il en soit,
l’affaiblissement de la monarchie marque la fin de la suprématie française en Europe, avec le début de la
prépondérance anglaise, tandis que les idées révolutionnaires favorisent l’émergence des langues nationales.
A. D.
12
N° 505
06.08.16
Stratégies francophones de soutien au français en Europe (1)
Au sein de l’Union européenne
(MFI) Face au recul, au profit de l’anglais, du français au sein des instances de
l’Union européenne, l’Organisation internationale de la Francophonie a lancé un
Plan pluriannuel d’action multiforme, destiné à favoriser sa relance auprès des
fonctionnaires européens principalement. Et mobilise notamment les pays d’Europe
orientale et centrale, nouveaux venus aussi bien au sein de l’UE que de l’OIF.
Depuis 2002, l’OIF qui regroupe 63 Etats et gouvernements dont 11 sont membres de l’Union
européenne, a fait de l’usage du français dans l’Union européenne un de ses champs d’activités
prioritaires. Un plan pluriannuel d’action pour le français dans l’Union européenne, lancé par un
accord entre la France, principal bailleur de fonds de la Francophonie, la Communauté française de
Belgique (CFB) et le Luxembourg, et mis en œuvre par l’OIF à partir de 2003-2004, organise la
concertation et l’articulation des politiques entre les quatre partenaires et les pays coopérants.
Il propose principalement des formations à la langue française aux diplomates et fonctionnaires,
en particulier des nouveaux pays membres de l’Union ou candidats à l’adhésion, ainsi qu’au
personnel des institutions européennes, interprètes et traducteurs du français et en français, aux
journalistes et aux juristes. A la fois politique et technique, ce plan s’appuie sur les nouvelles
technologies de l’information (site Internet : www.parlez-francais.com, logiciel correcteur
d’orthographe) et sur une campagne promotionnelle (presse, affichage, Internet) déjà menée dans
plusieurs pays.
Plus de 10 000 fonctionnaires formés chaque année
« Le cœur de frappe de la francophonie en Europe, c’est l’action à destination des diplomates
et des fonctionnaires », souligne Stéphane Lopez, responsable des relations avec l’Union européenne
au sein de la direction de la langue française, de la diversité culturelle et linguistique de l’OIF. Il
précise que le Plan, doté d’un budget de 2,5 millions d’euros en 2006, concerne cette année
10 500 fonctionnaires dont 2 000 personnes à Bruxelles et 8 500 dans différentes capitales. L’OIF a
choisi de travailler en amont des institutions, avec les instances gouvernementales qui ont le pouvoir
politique, à Bruxelles auprès des ambassades et des missions des membres (25 pays) mais aussi des
candidats (4), et dans les différents Etats partenaires, touchant 22 pays aussi bien de l’Europe de
l’Ouest que de l’Est. La Francophonie agit aussi à Strasbourg auprès du Parlement européen et du
Conseil de l’Europe. Elle forme chaque année des conseillers politiques et des conseillers techniques
à travers des sessions trimestrielles, cherchant là où c’est possible des co-financements avec les Etats
concernés.
Pour donner les cours de français, l’OIF fait appel aux Alliances françaises et aux instituts
français, d’où l’importance du partenariat avec la France, la Belgique et le Luxembourg qui mettent à
sa disposition un certain nombre de services, de moyens et relais d’influence. Il ne s’agit évidemment
pas d’enseigner le français littéraire mais le français des relations européennes pour pouvoir se
débrouiller dans des situations très précises : comprendre ou présider une réunion, défendre une
position ou présenter le point de vue de son pays, faire une note de synthèse, une lecture de document
13
avant une réunion, répondre à un courrier sur internet ou au téléphone. Le taux de réinscription des
« élèves » est très important, de l’ordre de 50 à 60 %. L’OIF aide également à la préparation de
concours européens et organise des séminaires permettant des échanges d’expérience sur les affaires
européennes.
Quand la compétence francophone compte dans la promotion des fonctionnaires
La Francophonie est allée plus loin sur le plan politique en concluant depuis quelques mois avec
les pays des accords de renforcement des compétences de travail en français de leurs diplomates et
fonctionnaires en charge du suivi des questions européennes. « Nous avons déjà signé avec huit pays
– Roumanie, Hongrie, Slovénie, Bulgarie, Lituanie, Slovaquie, Croatie et République Tchèque – et
nous devons le faire avec l’Autriche et l’Estonie », indique Stéphane Lopez. Par ces accords l’Etat en
question, l’OIF et ses trois pays partenaires (France, Belgique, Luxembourg) réaffirment la place
qu’ils veulent accorder au français. L’Etat s’engage à former un certain nombre de fonctionnaires
pendant les trois prochaines années et la majorité des signataires ont accepté de mentionner que la
compétence francophone de ces fonctionnaires sera prise en considération dans leur affectation et leur
promotion.
La Francophonie propose également à des personnalités politiques, ministres et ambassadeurs
par exemple, de venir en France ou en Belgique pour des séjours d’immersion linguistique. Elle signe
aussi des contrats de coopération pour le renforcement de l’enseignement, de l’usage et de la visibilité
du français avec des écoles nationales d’administration en Pologne, en Roumanie, ou en Bulgarie,
avec l’Académie diplomatique de Vienne ou encore l’Institut européen d’administration de
Maastricht…
Dernière initiative en date, la signature en mai 2006 par Abdou Diouf, le secrétaire général de la
Francophonie, et les maires de Bruxelles, Luxembourg et Strasbourg d’une déclaration solennelle en
faveur de l’usage de la langue française, visant à établir un réseau francophone des trois capitales
européennes. « C’est à Bruxelles, à Luxembourg et à Strasbourg que se fait et se fera l’Union
européenne. Il convient que la politique des trois capitales soit pensée avec à l’esprit ce qui peut être
fait pour la promotion du français et que leur francophonie soit le lien logique qui les réunisse en un
réseau pour se concerter autour des questions de leurs identités à la fois locale et européenne, et des
défis à relever pour améliorer l’intégration des institutions qu’elles accueillent », a déclaré Abdou
Diouf au moment de la signature.
Marie Joannidis
14
N° 506
06.08.16
Stratégies francophones de soutien au français en Europe (2)
Dans le monde universitaire
(MFI) L’Agence universitaire de la francophonie (AUF) a multiplié, depuis
2001, les partenariats avec les universités et centres d’enseignement supérieurs, y
compris dans des pays non francophones.
« L’élargissement de la Francophonie me semble un bon point parce qu’il prouve qu’elle
présente un pôle d’attractivité qui coïncide avec l’aspiration de pays en développement, par exemple
en Europe de l’Est, à intégrer l’Europe de l’Union », souligne Michèle Gendreau-Massaloux, recteur
de l’AUF. Pour elle, cet élargissement coïncide aussi avec le souhait de voir se développer la
démocratie (qui est une des priorités de la francophonie politique), l’Etat de droit et la réduction de la
fracture entre les pays du Nord et les pays du Sud, en Afrique mais aussi en Europe de l’Est, au
Moyen-Orient et dans les Caraïbes.
Depuis 2001, avec le vote de nouveaux statuts à Québec, l’AUF qui se veut à la fois opérateur
de la Francophonie et réseau associatif, a décidé d’ouvrir ses portes et d’admettre des universités de
pays très différents si elles répondent à certains critères, comme l’octroi de diplômes en langue
française, la présence de professeurs de français et d’étudiants qui parlent français. Ainsi, elle a admis
des universités de la République dominicaine et de Cuba dans les Caraïbes, ainsi que d’Indonésie, et
aucun universitaire des pays arabes ne s’est opposé à l’entrée comme membre titulaire de l’AUF de
l’université de Tel Aviv. « Bien que récent, le mouvement a déjà donné des résultats remarquables.
Quand je suis arrivée en 2002, le nombre de membres avoisinait les 250. Nous sommes aujourd’hui
plus de 600, précise Michèle Gendreau-Massaloux. Cela nous a permis de faire rayonner la langue
française à l’université dans les pays traditionnels de la Francophonie mais aussi dans d’autres tels
que l’Albanie, la Serbie, la Macédoine, l’Espagne et l’Italie, et nous souhaitons faire de même en
Grande-Bretagne et en Allemagne où des dossiers se constituent en ce sens. »
Privilégier la nécessaire relation entre savoir et création d’emploi
En Europe centrale et orientale, l’AUF compte 69 membres dans 16 pays différents : Albanie,
Arménie, Biélorussie, Bulgarie, Géorgie, Hongrie, Lituanie, Macédoine, Moldavie, Pologne,
Roumanie, Russie, Serbie-Monténegro (séparée depuis en deux pays), Slovaquie, Ukraine ainsi que
Turquie. Il est d’ailleurs intéressant de noter que la responsable de l’AUF pour ces pays, basée à
Bucarest, docteur d’une université roumaine et parlant parfaitement le roumain, est la Malgache
Liliane Ramarosoa, ancien vice-recteur de l’université d’Antananarivo.
L’AUF a trouvé dans ces pays un terrain favorable en raison du prestige traditionnel dont les
universités bénéficient mais aussi du souhait de lier enseignement supérieur et création d’emplois.
Car l’enseignement en français a deux volets, l’un culturel et l’autre menant au monde de l’industrie
et des affaires, en liaison notamment avec les chambres de commerce. Pour les responsables de
l’Agence, la nécessaire relation entre savoir et création d’emploi est déjà prise en compte par les
PECO. On a par exemple à Sofia l’Institut francophone d’administration et de santé. Dans les pays de
l’Est, précise la responsable de l’AUF, « on développe des filières de français comme la gestion des
15
affaires à l’Académie des sciences économiques de Bucarest, parce que vous avez tout un
développement de moyennes et petites entreprises qui exigent des masters de gestion en français ;
beaucoup d’étudiants de la région y participent ». Autres exemples d’enseignement de français
professionnalisant : une filière de gestion d’entreprises publiques à l’université de Moldova avec,
comme à Bucarest, des cours en français ; des filières sur les relations économiques internationales,
ou encore sur les technologies alimentaires ; l’agro-alimentaire, la médecine et la pharmacie ou le
génie civil sont en effet autant de secteurs professionnalisants à développer en français.
Enseignement à distance grâce aux campus numériques
Michèle Gendreau-Massaloux met aussi l’accent sur l’enseignement à distance grâce à Internet.
« Nous voulons faire en sorte que partout dans le monde où des étudiants de pays en développement
parlent français, ils puissent accéder à un diplôme reconnu. Pour nous, le vecteur prioritaire, c’est
l’enseignement en ligne à travers notamment des campus numériques. Aujourd’hui, ajoute par
ailleurs le recteur de l’AUF, une seule langue comme l’anglais ne suffit pas, y compris en Europe de
l’Est. Il faut des langues qui permettent aux étudiants d’entrer dans de nouveaux marchés car nous
sommes dans un monde concurrentiel. »
Depuis 2005, l’AUF dispose d’un budget de 45 millions d’euros par an largement financé par la
France – ce que déplorent les responsables francophones qui souhaitent un meilleur équilibre dans les
financements, en particulier de la part du Canada. « Par rapport à la demande et à la qualité de la
demande, ce qui est un point nouveau, il est vrai que notre budget est faible. On pourrait facilement
multiplier par quatre ou cinq le budget que nous avons sans cesser de rester une agence associative
et humaine et en répondant mieux aux demandes réelles que nous avons », admet la responsable de
l’AUF. Pour le moment, seule une demande sur six est satisfaite.
Marie Joannidis
16
N° 507
06.08.14
Stratégies francophones de soutien au français en Europe (3)
Dans le monde des affaires
(MFI) Une langue plus précise que le « global english », qui permet de mieux
communiquer entre un siège et ses filiales, de mieux partager une même culture
d’entreprise et de fidéliser les salariés étrangers… Les entreprises francophones
prennent peu à peu conscience de l’importance qu’il y a à développer des relations
d’affaires en français et du rôle qu’elles peuvent jouer en matière de francophilie, à
terme bénéfique pour l’accueil de leurs produits. Le Forum francophone des affaires,
qui les rassemble à travers le monde, appuie par exemple l’initiative « Oui, je parle
français » lancée par le ministère français des Affaires étrangères.
« Les chefs d’entreprise sont généralement convaincus de la nécessité de défendre une vie
économique en français, affirme Steve Gentili, président du Forum francophone des affaires (FFA) et
président de la Bred-Banque Populaire. Ce sont des pragmatiques et ils constatent par exemple qu’il
est plus facile de négocier dans sa propre langue, en recourant à des concepts que l’on maîtrise, que
dans la langue de l’interlocuteur dans laquelle on est en position de faiblesse et de surcroît avec un
référentiel que l’on possède insuffisamment. » Steve Gentili sait de quoi il parle. Créé en 1987 au
Sommet de Québec (Canada), le FFA est auprès du Sommet des chefs d’Etat et de gouvernement
ayant le français en partage le porte-parole du secteur privé. Il est composé de comités
nationaux – une quinzaine en Europe – qui regroupent les acteurs économiques de tous les secteurs,
et d’organisations professionnelles, comme par exemple la Fondation internationale francophone
finance-assurances-banques (FIFFAB).
Jusqu’à présent, on ne savait pas grand chose des pratiques des entreprises dans leur rapport au
français. Pour en savoir davantage, la Sous-direction du français du ministère des Affaires étrangères
a réalisé, en mars 2006, une enquête auprès de 78 filiales d’entreprises françaises diverses (transports,
énergie, finances, tourisme, agro-alimentaire et bâtiment), implantées dans 33 pays sur les cinq
continents, avec une forte représentation de l’Europe, de l’Asie et du Moyen Orient.
Air France en République tchèque : une prime mensuelle de langue française
Il en ressort que les entreprises exigent de leur personnel local une compréhension du français
lorsque celui-ci est la langue du siège – ce qui est le cas de la moitié d’entre elles. La culture
d’entreprise étant plus facile à appréhender pour le personnel lorsqu’il parle le français, sa maîtrise
« entre en ligne de compte » pour 41 % des filiales interrogées lors du recrutement des salariés
locaux. Elle en est même une condition expresse dans 24 % des cas. En outre, 53 % des filiales
interrogées reconnaissent que la pratique du français est « un plus » pour la mobilité géographique et
fonctionnelle, quand elle n’en est pas le préalable obligatoire (19 % des cas).
Si la pratique du français est ainsi un atout prouvé pour le salarié dans sa carrière, elle est
également un avantage pour l’employeur francophone. Lorsque le personnel local maîtrise le
français, il devient plus « performant », comme le rappelle l’expérience vécue en 2001 par le groupe
Renault : lors de sa fusion avec Nissan, l’usage de l’anglais comme langue de l’alliance avec le
17
groupe japonais a provoqué un rendement réduit de part et d’autre. En outre, 32 % des filiales
constatent une meilleure fidélisation de leur personnel francophone. Ce qui explique pourquoi
certaines, comme celle de PSA en Slovaquie, ont fait de l’apprentissage de la langue une condition
d’embauche et offrent (55 %) des cours intensifs à leurs salariés ; 5 % d’entre elles rendent même ces
cours obligatoires. La filiale d’Air France en République tchèque, elle, préfère le registre incitatif : la
première année de stage de français est offerte et, une fois le niveau minimum atteint et le test de
connaissances passé, une prime mensuelle est versée.
Former les cadres étrangers à la langue et la culture françaises
L’étude de mars 2006 visait également à mesurer si ces entreprises – qui pensent pour 99 %
d’entre elles avoir « un rôle à jouer dans le rayonnement de la France » – perçoivent leur identité
française ou francophone comme un atout dans la compétition mondiale. Les résultats sont
complexes. Certes, 50 % d’entre elles pensent que les enjeux de la francophonie et de la francophilie
sont liés et qu’ils ont un impact sur la création de marchés pour des produits français, mais seules
42 % d’entre elles mettent leur origine française en avant dans leur communication grand public.
Cet avantage concurrentiel est ainsi quelque peu négligé, à de notables exceptions près, comme
celle du groupe LVMH, qui s’appuie sur l’image de la culture française dans le monde du luxe : les
produits vendus à l’étranger gardent leur appellation française et le centre de formation du groupe,
basé à Londres, forme les cadres étrangers à la connaissance de la langue et de la culture françaises.
Un travail que la fondation Renault, créée en 1999, effectue en direction des étudiants des pays où le
constructeur automobile est implanté.
L’initiative « Oui, je parle français »
C’est forts des résultats de cette enquête et pour encourager les entreprises à porter haut les
couleurs francophones que le ministère français des Affaires étrangères (Sous-direction du français),
l’Alliance française, la Chambre de commerce et d’industrie de Paris et le Forum francophone des
affaires ont lancé l’initiative « Oui, je parle français » le 26 avril 2006. Elle repose sur l’idée que les
pouvoirs publics et les entreprises françaises ont un rôle complémentaire à jouer dans le rayonnement
de la francophonie et de la francophilie à l’étranger et se présente, concrètement, sous la forme d’une
pochette rassemblant l’offre de formation linguistique et les certifications existantes pour évaluer le
niveau en français des personnels. Les entreprises françaises sont invitées à rejoindre l’initiative en
faisant de « Oui, je parle français » un véritable label.
Pour autant, s’exclame Steve Gentili, « il ne s’agit pas de ne faire des affaires qu’en français !
Il s’agit plutôt de prendre conscience que derrière la langue, il y a des conceptions, des visions du
monde et si nous ne voulons pas que la vision anglo-saxonne domine et régisse sans partage la vie
économique, il nous revient d’en défendre la diversité, la pluralité des approches. Le FFA promeut
une vision et une pratique des relations économiques dans lesquelles se reconnaît le monde latin
notamment. Ce mouvement est ouvert. » Il n’y a pas, précise un haut fonctionnaire de l’OIF, de
modèle économique francophone à proprement parler, mais « une double conception : celle de la
prééminence de l’économie de marché, liée au modèle des sociétés ouvertes et démocratiques ; celle
de la nécessité de régulations multilatérales visant à corriger les déséquilibres historiques entre pays
et les asymétries systémiques nées de leur absence ». Une vision mesurée qui devrait séduire de plus
en plus d’entrepreneurs.
Ariane Poissonnier
Pour en savoir davantage :
• Forum francophone des Affaires : http://www.ffa-int.org/
• « Oui,
je parle français » : http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/actions-france_830/francophonie-languefrancaise_1040/langue-francaise_3094/promouvoir-francais_11827/les-actions-globales_11828/initiativeoui-je-parle-francais-dans-les-entreprises_34699.html
18
N° 508
06.08.10
La vie du français en Europe (1)
Roumanie : une francophonie à la fois historique et d’avenir
(MFI) Près de deux millions d’élèves apprennent le français de la bouche de
14 000 professeurs… Mais l’anglais vient de prendre la place de première langue
étrangère enseignée. Les liens forgés par l’histoire entre la Roumanie et la France,
s’ils se sont quelque peu distendus, pourraient cependant être re-tissés par un
partenariat économique en pleine effervescence.
Le français, une langue réservée a l’élite ? Pas si sûr… Les chiffres publiés par le ministère
roumain de l’Education contredisent cette idée reçue. Actuellement, près de 2 millions d’élèves, soit
42 % de la population scolaire, apprennent le français à l’école. Et le nombre de professeurs de
français dans le pays est de 14 000 – de quoi remplir un stade de taille moyenne. Alors, pourquoi la
presse « élitiste » déplore-t-elle régulièrement « ’américanisation » de la jeunesse roumaine et la perte
de vitesse du français ? En regardant la même étude, on relève tout de même des motifs
d’inquiétude : le français était, jusqu’à il y a quelques années, la première langue enseignée en
Roumanie. Depuis 2001, il a été doublé par l’anglais. De même, on observe un vieillissement du
corps professoral de français : 60 % de celui-ci est âgé de plus de 45 ans, tandis que le pourcentage
pour son homologue de la langue anglaise n’est « que » de 38 %…
Pour Cristian Preda, le secrétaire d’Etat chargé de la Francophonie, il n’y a pas lieu de
désespérer. « La sensibilité francophone de la Roumanie est toujours présente, et il ne serait pas
possible d’effacer l’importance que le français a eu pour la Roumanie. La langue est l’outil premier
de transmission d’une culture et plus de deux siècles et demi d’utilisation, de lecture et de modelage
des institutions roumaines sur des modèles français et belge ont laissé des traces ineffaçables. »
Des liens forts et anciens entre Paris et Bucarest
En effet, la Roumanie est de longue date attachée à la France et à la francophonie. Dès le
début du XIXè siècle, pendant les guerres russo-turques qui se déroulaient sur le territoire de la
future Roumanie, l’aristocratie locale entre en contact, par le biais des Russes, avec la langue et la
culture françaises. Puis l’éveil de la conscience nationale roumaine, qui fait suite au mouvement des
Lumières français, se traduit notamment par deux poussées indépendantistes, vers 1820 puis vers
1848. C’est finalement avec l’appui de Napoléon III, qui intervient en ce sens lors du traité de Paris
de 1856, que la Moldavie et la Valachie obtiennent la reconnaissance de leur union en un État
unique, la Roumanie. Le nouvel État est officiellement reconnu en 1861 par les puissances
européennes et les Ottomans, l’indépendance étant formellement proclamée le 10 mai 1877. De
même, pendant la Première guerre mondiale, c’est un général français, Henri Berthelot, qui contribue
de manière décisive à la reconstruction de l’armée roumaine.
Ce compagnonnage franco-roumain se poursuit au siècle suivant : ainsi, la constitution
roumaine de 1923 est largement inspirée du modèle français et le célèbre écrivain et diplomate Paul
Morand constate, en évoquant la même époque : « On parlait français dans les familles
aristocratiques, on connaissait l’histoire et la littérature de la France, on lisait les journaux
19
français, on pouvait acheter les dernières parutions littéraires mêmes dans les librairies des villes
de province. » Bucarest était devenu le petit Paris !
Puis, pendant les longues années de dictature communiste, le français représente une forme
de résistance intellectuelle dont l’Institut français de Bucarest est l’un des bastions. Dans son
ouvrage consacré à l’histoire de l’institution, l’historien André Godin témoigne notamment :
« Lorsqu’il y avait des revues litigieuses pour le régime, on les cachait, mais elles circulaient
quand même… »
En entreprise, la plupart des réunions de direction se font en français
Aujourd’hui, plus question de censure. Les médias francophones sont présents en Roumanie,
que ce soit avec TV5Monde (regardée par un million de personnes au moins une fois par semaine),
RFI-Roumanie (qui émet en français et en roumain à Bucarest et dans d’autres grandes villes du
pays) ou encore Regard, mensuel francophone d’actualités. « La Roumanie, dont le français n’est
pas la langue maternelle, est l’un des pays où la francophonie est fortement représentée, avance
Jean-Francois Peres, rédacteur en chef de la publication. Quand on se promène en Roumanie, on se
rend vite compte que la francophonie n’est pas seulement une affaire linguistique, mais aussi
historique, architecturale et, de façon croissante, économique. »
En effet, la France est l’un des principaux partenaires économiques de la Roumanie, avec plus
de 325 millions d’euros investis depuis le début de l’année 2006 ; 50 000 Roumains travaillent
actuellement dans des entreprises françaises. Le français est d’ailleurs un atout sur un curriculum
vitae, comme le laisse entendre Patrick Gelin, PDG de la Banque roumaine pour le développement
(groupe Société Générale), deuxième banque du pays : « Au niveau des cadres, en particulier ceux
qui veulent faire carrière, la pratique du français est incontournable. La plupart des réunions de
direction se font d’ailleurs en français. » L’Ambassadeur de France en Roumanie, Hervé Bolot,
précise : « On constate que la France demeure la première destination des étudiants roumains de
troisième cycle. Cela est à l’image de la dynamique économique, industrielle et commerciale des
entreprises françaises dans le pays. »
Les 28 et 29 septembre 2006, Bucarest sera la première capitale européenne, hormis Paris, à
accueillir un sommet de la Francophonie. Le thème de ce XIe sommet est « Les technologies de
l’information dans l’éducation ». Parmi les enjeux, l’annonce possible de la création d’une
université francophone dans la capitale roumaine.
Luca Niculescu
20
N° 509
06.08.17
La vie du français en Europe (2)
Pologne, Lituanie, Slovénie : une francophonie en ébullition
(MFI) Dans ces trois pays membres de l’OIF, les initiatives foisonnent. Focus
sur le projet de classes francophones en Silésie, les cartes postales chorégraphiques
de Vilnius et la préparation de la présidence européenne de la Slovénie…
Pologne : classes francophones en Silésie
Le projet « Classes francophones en Silésie » a pris forme. Cinquante professeurs de français
ont introduit un programme pilote dans leurs écoles respectives depuis décembre 2005. Le français a
toujours été étudié par un grand nombre d’élèves en Silésie, où son apprentissage se maintient en
3e position après celui de l’anglais et de l’allemand, devançant le russe, tandis qu’il est passé au
4e rang dans la plupart des autres régions de la Pologne en 2005. D’une durée de trois ans, ce projet
est destiné à tous les collèges, lycées et écoles professionnelles.
Son programme de français renforcé (minimum 4 h/semaine) permet de préparer le baccalauréat
élargi de français en vue de poursuivre des études à l’étranger dans le cadre des programmes
européens. Ses élèves doivent organiser la Journée internationale de la Francophonie, chaque année,
le 20 mars, coopérer avec les clubs européens et encore participer au volontariat européen en tant que
francophones. Ils sont en contact avec des écoles d’autres pays francophones à travers le monde, ce
qui favorise leur correspondance en français. « Les élèves deviennent ainsi les ambassadeurs de la
Pologne dans le monde francophone », explique-t-on à la Délégation Wallonie Bruxelles à Varsovie,
inspiratrice du projet. Les enseignants, quant à eux, profitent d’une offre de formation continue très
vaste. Ils échangent leurs expériences avec des collègues, créent leurs propres bases de données...
Cette plate-forme entre enseignants de tous niveaux éducatifs est censée augmenter leur efficacité…
et donc le nombre d’apprenants et de diplômés au niveau international.
Dans le cadre de la coopération décentralisée, les contacts indirects entre communautés locales
en Silésie et dans d’autres pays francophones sont aussi facilités. Coordonnatrice du projet, la
directrice adjointe du Collège de formation des maîtres en langues vivantes de Jastrzębie Zdrój,
Renata Klimek-Kowalska, avait présenté celui-ci au Commissariat général aux Relations
internationales de la Communauté française de Belgique, en février 2006, à Bruxelles, qui depuis a
mis à disposition un conseiller pédagogique pour former les enseignants du réseau, élaborer le
programme et assister les professeurs. Le tout dans un esprit d’ouverture à la francophonie, mettant
l’accent sur les spécificités de la culture belge francophone et la promotion des relations belgopolonaises. Co-auteure du projet et directrice de l’Alliance française de Rybnik, Elzbieta Paniczek
assurera pour sa part la formation des professeurs chargés de préparer les élèves aux certifications
internationales.
Lituanie : cartes postales chorégraphiques de Vilnius
Dans ce pays observateur de l’OIF où le nombre de locuteurs en français est estimé à 67 520, il
n’existait jusqu’à présent qu’un modeste festival de théâtre francophone destiné aux scolaires et aux
universitaires. Outre un club de débats, l’ambassade de France et le Centre culturel français de
Vilnius, la capitale, viennent de lancer un projet d’éducation artistique original, créé en France sur
une idée de la chorégraphe Dominique Hervieu pour le festival Francofffonies ! Selon des règles du
21
jeu à la fois chorégraphiques, musicales et filmiques communes à tous, il sera proposé à des enfants,
avec leurs professeurs de danse, ainsi qu’à des danseurs, de créer des duos intégrant des éléments des
danses traditionnelles lituaniennes à ceux d’une création contemporaine. En 2007, certains duos
seront filmés dans des lieux de rencontre de Vilnius – places, rues, musées, ponts – puis envoyés avec
les commentaires des danseurs, tels des « cartes postales » audiovisuelles, sur un site Internet ouvert
aux autres participants du projet disséminés aux quatre coins du monde : Mali, Cambodge, Tunisie,
France… La lecture croisée de ces cartes postales tissera un « art de la rencontre », fondé sur un acte
de tolérance esthétique fait de découverte et de partage, dans une authentique expérience de création,
mettant en évidence similitudes et différences culturelles entre les duos du monde.
Slovénie: le Plan Présidence pour le français, sans tapage ni prétention
Une longue tradition francophile a permis à la langue française de rester présente dans les
milieux culturels et politiques de Slovénie, devenue membre observateur de l’OIF en 1999. En avril
2005, elle a demandé le soutien de la France pour la préparation de sa haute administration à la
Présidence européenne de 2008 – dont elle entend piloter les rencontres dans toutes les langues de
l’UE, y compris le français. « La France s’est félicitée de l’ampleur de cette demande sans précédent
historique », commente Dominique Geslin, directeur du Service de coopération et d’action culturelle
à Ljubljana, la capitale de la Slovénie. L’ambassadrice de France en Slovénie, Dominique Gazuy, a
sollicité l’appui du Secrétaire général de l’OIF, Abdou Diouf, qui s’est réjouit du fait que la langue
française puisse « affirmer sa présence, sa modernité, son importance géopolitique » dans cette
région de l’Europe. C’est ainsi que le 15 novembre 2005, un Memorandum intitulé « Plan Présidence
pour le Français » a été signé entre la Slovénie, la Communauté française de Belgique et la France.
L’accord prévoit des stages intensifs et extensifs d’ici 2008, ainsi que des sessions d’immersion en
France, en Belgique ou au Luxembourg, ainsi que des simulations de conférences en langue
française, à Ljubljana, dès le printemps 2006, pour quelque 600 fonctionnaires – dont près de 180 ont
déjà été formés par l’ambassade de France et l’Institut français après l’adhésion de la Slovénie à
l’Union européenne (mars 2003).
Depuis janvier 2006, les opérations de formation linguistique extensive (cours collectifs et
individuels) ont déjà permis de former en français environ 350 fonctionnaires slovènes. Près de
1 300 heures ont été effectuées sur un volume global de 3 000 heures réparties sur toute l’année. Un
séminaire de préparation se tient à Paris du 25 au 30 septembre 2006 avec les futurs partenaires
français et portugais, auxquels une douzaine de fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères et
du Bureau des Affaires européennes slovènes participeront. Par ailleurs, l’ambassade de France en
Slovénie organise à Ljubljana, à l’automne 2006, un atelier de simulation de la Présidence. Le plan
OIF a attribué une subvention d’environ 60 000 euros pour ce projet, tandis que les Slovènes le
financent à hauteur de 50 %.
« La langue française en Slovénie, sans tapage ni prétention, se porte plutôt bien et des
promesses de développement sont là, présentes et dynamisantes ! », estime Dominique Geslin.
D’autant que ce nouvel élan francophone ne se réduit pas au seul niveau européen. En amont, une
politique linguistique sur la durée, en partenariat entre les deux pays, a pris appui sur la réforme du
système éducatif. C’est ainsi qu’en 2005, la France a engagé en Slovénie 113 016 euros pour la
coopération éducative, 180 395 euros pour la coopération universitaire, 97 240 euros pour la
coopération technique et européenne et 67 004 euros pour la coopération culturelle.
Antoinette Delafin
22
N° 510
06.08.17
La vie du français en Europe (3)
République Tchèque, Slovaquie : l’attrait grandissant de la langue
(MFI) Dans ces deux pays voisins qui ne faisaient qu’un jusqu’en 1993,
membres de l’OIF, l’envie de français se développe et les motivations en sont aussi
bien culturelles qu’économiques.
République tchèque : Brezen 2006, Frankofonni turné
« C’est la première fois que les Tchèques participent aussi activement à l’organisation de la
tournée de la chanson francophone, tant financièrement qu’en termes de mobilisation », raconte
Olivier Gillet, le délégué de la Communauté française de Belgique et de la Région wallonne en
République tchèque. Il attribue le succès de la session de mars 2006 au concours actif de Pavel
Svoboda, le vice-ministre des Affaires étrangères, soulignant que ce dernier a récemment suivi des
cours de français.
Depuis six ans, les partenaires institutionnels et culturels francophones se regroupent pour
organiser les Journées de la Francophonie en République tchèque, une manifestation qui se déroule
sur l’ensemble du mois de mars. « Initiative unique et aventure collective, elle reflète bien et confirme
l’attrait grandissant pour la langue et la culture francophone dans ce pays. » Manifestations
littéraires, cinématographiques, plastiques et musicales ont lieu dans tout le pays, organisées en
région par les Alliances françaises de Brno, de Bohême du Sud – Ceské Budejovice, de Liberec,
d’Ostrava et de Pzlen, par le Centre français d’Olomouc, par les clubs franco-tchèques de Hradec
Kralové, de Kladno, de Pribram et de Zlin, et par l’université de Hradec Kralové…
Cette année, le ministère tchèque des Affaires étrangères, la Ville de Prague, les ambassades de
Canada et de Suisse, la Délégation Wallonie-Bruxelles, la Maison de Bourgogne et l’Institut français
de Prague ont organisé une tournée de la chanson francophone. Des artistes de tous horizons ont
conjugué les styles sur près de quinze scènes – chansons à textes, rock, pop, hip-hop –, notamment le
Suisse Michel Bülher, la Canadienne Fabiola Toupin, la Belge Karin Clerq, le groupe français Lool,
la formation tchèque Prago Union ou encore le rappeur sénégalais Awadi, Prix RFI Musiques du
Monde 2003. Une brochure attrayante, tirée à 15 000 exemplaires, témoigne de la richesse de la
programmation : certaines manifestations étaient organisées par le festival Afrique en créations,
d’autres soutenues par les ambassades de Roumanie, d’Albanie, de Bulgarie... Un rendez-vous qui
pourrait bien devenir incontournable.
Slovaquie : quand l’économie fait apprendre le français
« Depuis son entrée dans l’Union européenne, environ 70 entreprises françaises se sont
implantées en Slovaquie, ce qui porte leur nombre à 310 aujourd’hui. » Edouard Meyer, de la
mission économique française de Bratislava, énumère les noms des sociétés dont la plupart semble
avoir suivi l’installation de l’unité Peugeot PSA dans la ville de Tmava. « La réputation de
l’ancienne Tchécoslovaquie s’est construite sur son industrie métallurgique. Après sa scission avec
la République tchèque en 1993, la Slovaquie avait beaucoup à offrir à l’Ouest. » Concrètement, il
s’agissait de transformer les usines d’armement en chaînes de production automobile ou de nouvelles
23
technologies. La politique libérale « à la Tony Blair » menée jusqu’à présent par le gouvernement
slovaque lui permet d’afficher un taux de croissance annuel de 6 %.
L’arrivée des entreprises européennes a réveillé le goût des langues des jeunes Slovaques qui y
ont vu des opportunités d’emploi plus avantageuses, et pouvant à terme les emmener à la découverte
de l’Ouest. « Jusqu’à la chute du Mur de Berlin, la langue russe était obligatoire dans le cursus de
l’Education nationale, l’allemand était toléré, du fait de la proximité de l’Autriche et de l’Allemagne,
explique l’un des responsables de l’Institut français de Bratislava. Aujourd’hui, l’anglais tient la pôleposition. Mais de nouveaux cours de langues sont apparus : italien, espagnol, polonais, ukrainien. »
Désormais, le français talonne le russe en nombre d’étudiants, et pourrait même le dépasser grâce à
l’apport des entrepreneurs francophones.
« Peugeot PSA a un programme de formation initiale et permanente incluant des cours de
français, ouvert à tous ses employés, du technicien au cadre, soit environ 2 500 personnes, précise
Catherine Walterski, secrétaire générale de l’Institut et du service de coopération et d’action culturelle
de l’ambassade de France ; et comme le constructeur automobile a entraîné dans son sillage des
sociétés sous-traitantes françaises, comme Faurecia ou Gefco, leurs employés sont venus grossir les
rangs des étudiants. » La petite école primaire française de Bratislava, qui ne comptait que 9 élèves il
y a trois ans, compte aujourd’hui 89 enfants de parents francophones, venus avec leurs employeurs.
Un niveau collège en relation avec le Centre national de l’enseignement à distance (CNED) sera
inauguré à la rentrée scolaire 2006.
Témoin vivant de ce nouveau type d’échange, Lubomir Jancok (« celui qui embrasse la paix »
en slovaque), étudiant en sciences politiques et fondateur de l’association Pont Francophone : « En
neuf mois, nous avons organisé une trentaine d’évènements. Nous nous sommes rendus au Parlement
européen à Strasbourg et avons établi des relations avec l’Ecole nationale d’administration. »
Interprète occasionnel pour la Société des Amis de Talleyrand (le ministre de Napoléon a séjourné à
Presbourg – ancien nom de Bratislava – avant d’y signer le traité de paix éponyme), le jeune homme
exerce aujourd’hui ses talents auprès du sidérurgiste Arcelor.
Antoinette Delafin et Marion Urban
24
N° 511
06.08.17
La vie du français en Europe (4)
Italie, Portugal : comment la francophonie résiste
(MFI) L’Italie comme le Portugal ne sont pas membres de l’OIF, mais ils ont une
tradition ancienne de pratique du français et restent attachés à la culture française.
Les deux pays ont connu un recul sensible de l’apprentissage de la langue française
chez les jeunes, au profit de l’anglais. Les dispositions européennes favorables à
l’acquisition de plusieurs langues doivent permettre d’enrayer ce déclin.
Italie : un saut de génération
Valentina parle, avec application, un français presque parfait. Cette jeune Italienne lit beaucoup
de littérature en français, connaît Michel Houellebecq, s’intéresse aussi aux littératures francophones
et déclare avoir été très impressionnée par la lecture de Murambi, de l’écrivain Boubacar Boris Diop,
roman (publié en 2004 en italien) sur le génocide rwandais. Valentina est le portrait-type de ces
happy few d’Italie pour lesquels la francophonie revêt une signification plus ou moins précise.
Heureux élus qui se recrutent presque exclusivement dans les milieux universitaires et aisés, qui
voyagent volontiers et ont séjourné ou vécu à Paris, ont une relation presque spontanée avec la France
et la culture française, et qui commencent à s’ouvrir à d’autres réalités culturelles, notamment
africaines. Pour ceux-là, l’année francophone a pu être perçue avec un certain intérêt, grâce à l’effort
consenti par le réseau culturel français (cinq instituts culturels – Florence, Milan, Naples, Palerme,
Turin – et deux « délégations » culturelles à Bologne et Venise, ainsi que 54 Alliances françaises)
pour promouvoir l’idée de francophonie au plan culturel.
Toutefois, à l’exemple de la seule enclave officiellement francophone en territoire italien, le Val
d’Aoste où le français est langue officielle, on a en Italie avant tout une perception linguistique de la
réalité francophone. De ce point de vue, la situation paraît à la fois satisfaisante et fragile. En raison
des liens historiques et culturels très riches entre la France et l’Italie, la langue française est en bonne
position parmi les langues internationales pratiquées dans le pays : on estime que l’Italie comprend
19 % de francophones (la communauté française s’élèverait à quelque 58 000 personnes), et le
français est la deuxième langue vivante étudiée, en particulier dans l’enseignement secondaire où l’on
compte 735 000 élèves au lycée (soit 21 % du total) en classes de français. Si l’on ne dispose pas de
statistiques récentes pour le supérieur, de nombreux universitaires et intellectuels italiens pratiquent le
français, ou du moins en ont acquis des rudiments.
Reste que tout le monde témoigne d’un recul du français, et d’un saut de génération constaté
comme partout ailleurs en Europe : alors que la génération des plus de quarante ans montre une
familiarité plus ou moins grande avec la langue française, les jeunes, eux, ont visiblement
« décroché ». Les espoirs fondés sur la loi Moratti – effective depuis la rentrée 2005, elle rend
obligatoire l’apprentissage de deux langues vivantes européennes –, dont on espère qu’elle
consolidera la position de seconde langue du français, demandent à être confirmés. Des observateurs
ne cachent pas un certain scepticisme, d’autres notent, toutefois, que le français résiste assez bien face
à une poussée de l’anglais qui fut encouragée très officiellement par l’ancien gouvernement de Silvio
Berlusconi.
25
Portugal : le français, langue « chic »… mais difficile et démodée
De « en passant » à « soi-disant », de « mon ami » à « tout court », les expressions françaises
abondent dans les pages des journaux de référence portugais. Le discours direct est souvent truffé de
ces petits mots prononcés avec délice, car ils marquent l’appartenance à l’élite intellectuelle.
Lorsqu’il paraît en couverture d’un magazine d’information réputé, un chef de gouvernement le fait
lisant Le Monde, gage de crédibilité… Du côté des manifestations publiques, les commémorations
(de Jean-Paul Sartre à Jules Verne et Georges Sand) mobilisent les foules pour des débats enflammés
et des rendez-vous comme la Fête du cinéma et la Fête de la musique sont devenus incontournables.
Mais tous ces indices positifs ont leur contrepartie : on déplore alors la disparition de chaînes
françaises sur le réseau câblé, la diminution des films français, la rareté des concerts d’interprètes
contemporains, ou la baisse du nombre d’étudiants en français dans le supérieur. Et bien sûr le
Portugal n’échappe pas à l’engouement pour l’anglais « utilitaire » au détriment d’un français
autrefois dominant.
Au XIXe siècle, la bourgeoisie portugaise choisit d’adopter les us et coutumes de la noblesse, et
donc apprend le français, signe d’élégance et de raffinement. La tradition perdure, et à partir de 1947,
alors que l’enseignement se démocratise, le français est étudié durant sept ans au collège, et l’anglais
trois ans. Vingt ans après, une première réforme accorde un statut d’égalité aux deux langues. En
1989, il n’y a plus de langue obligatoire, et les élèves ont le choix entre quatre langues : le français,
l’anglais, l’allemand et l’espagnol. L’anglais est aujourd’hui la langue étrangère la plus enseignée,
avec 89,8 % des élèves. Le français arrive en seconde position, avec 54,4 %, caractéristique partagée
dans l’Union par l’Espagne et l’Italie.
Des 30 000 diplômés de l’université qui veulent enseigner, 8 000 sont des professeurs de langue
(portugais plus une langue), dont la moitié des enseignants de portugais-français. Une situation qui
résulte de la chute démographique, du manque d’intérêt des étudiants pour les sciences humaines et
de la perte d’aura du français. « Désormais c’est l’anglais qui s’enseigne durant la quasi totalité de la
scolarité. Le français et les profs de français se sentent un peu abandonnés », reconnaît Zelia
Sampaio, présidente de l’Association portugaise des professeurs de français, l’APPF. Dans la réalité,
il y a presque rupture générationnelle : si l’anglais est incontournable, le français est désormais perçu
comme une langue difficile et démodée. Et le Portugal n’a pas les moyens d’offrir un choix équitable
entre les 4 langues étrangères enseignées. L’option retenue de donner un caractère obligatoire à deux
langues pendant la scolarité y est cependant conforme aux objectifs fixés par l’Union européenne.
Thierry Perret et Marie-Line Darcy
26
N° 512
06.08.17
La vie du français en Europe (5)
Allemagne, Royaume-Uni, Suède : la force des échanges
(MFI) Bien que l’Allemagne, le Royaume-Uni et la Suède ne soient pas
membres de l’OIF, des initiatives visant à promouvoir la culture francophone ont été
lancées avec succès dans ces pays. Focus sur le projet France Mobil en Allemagne,
sur un programme de formation croisée des professeurs d’anglais et de français et
sur le festival du film français de Stockholm.
Allemagne : quand les jeunes parlent aux jeunes
L’idée de France Mobil est simple : sensibiliser à la langue française les jeunes Allemands au
sein de leurs écoles, grâce à de jeunes Français passionnés par l’Allemagne et bilingues. A bord de
véhicules contenant des jeux, des vidéos, des cd-roms, des livres et des revues pour la jeunesse, ainsi
que des brochures touristiques, douze jeunes Français sillonnent depuis septembre 2004 les seize
Länder allemands en se rendant dans des établissements scolaires intéressés, de l’école élémentaire à
la classe terminale. Ce projet a été lancé à l’initiative de l’ambassade de France en Allemagne et de la
fondation Robert Bosch, qui œuvre pour l’amitié franco-allemande. Cette dernière finance les bourses
des intervenants et prend en charge les frais inhérents aux tournées. L’ambassade de France en
Allemagne forme pour sa part les intervenants et établit avec les ministres de l’éducation des seize
Länder les priorités des France Mobil.
Renault Nissan Allemagne et le Conseil général de Moselle apportent leur soutien logistique en
mettant à disposition les douze véhicules France Mobil et en finançant les assurances et l’entretien
des véhicules. Des maisons d’édition françaises et allemandes sont également partenaires de
l’opération telles Klett et Pons du côté allemand ou Bayard Jeunesse et l’Ecole des loisirs du côté
français. Mais pour les promoteurs du projet, ce qui est vraiment encourageant est l’intérêt croissant
des régions françaises et des Länder allemands. Des partenariats ont été ainsi conclus entre la Hesse
et la région Aquitaine et les villes de Hambourg et de Marseille. L’initiative de Hambourg a permis
de lancer un nouveau type de France Mobil, consacré aux établissements professionnels.
Le même genre d’opération existe aussi depuis 2000 pour promouvoir l’allemand en France
avec les DeutschMobil. Et lorsqu’on fait le bilan de ces actions, on constate que le nombre d’élèves
dans les établissements qui ont reçu la visite d’un France Mobil ou d’un DeutschMobil ayant choisi le
français ou l’allemand en première ou deuxième langue a augmenté de façon significative (entre 25 à
30 %). Il est important de sensibiliser la jeune génération et c’est pour continuer sur cette lancée qu’a
été créé, en octobre 2004, le Prix des lycéens allemands, inspiré du prix Goncourt des Lycéens.
L’idée est de faire attribuer un prix littéraire lors de la Foire du livre de Leipzig par des élèves
allemands qui apprennent le français dans les lycées. Le roman de Marie-Aude Murail, intitulé
Simple, est le lauréat 2006.
Royaume-Uni : des échanges de professeurs
Développer les échanges entre enseignants est aussi un bon moyen de faire progresser la
francophonie. C’est ce qui a été réalisé entre la France et le Royaume-Uni. A l’origine, il y a les
« accords du Touquet », signés en février 2003 entre les gouvernements français et britannique, et qui
permettent chaque année à 400 enseignants stagiaires français du premier degré et à autant
27
d’enseignants anglais de suivre un stage pratique de quatre semaines dans le pays partenaire. Ces
accords ont été prolongés et développés par un nouvel « arrangement administratif » conclu en juin
2006 lors du 28e Sommet franco-britannique. Ce texte, qui servira de cadre à la coopération éducative
entre les deux pays pendant les quatre années à venir, a pour ambition de développer les échanges
dans toutes les voies de l’enseignement scolaire et supérieur. Trois domaines seront privilégiés : la
formation des enseignants et des personnels d’encadrement, les partenariats scolaires et universitaires
et les échanges sur des thèmes d’intérêt commun, notamment dans le cadre de visioconférences
appelées « café éducation », à raison de trois ou quatre fois par an.
Il reste que la Fédération internationale des professeurs de français a tiré la sonnette d’alarme
quant à la situation de l’enseignement de cette langue dans les écoles britanniques. Depuis que le
gouvernement anglais a décidé en 2003 de rendre l’étude des langues étrangères facultative à partir
de la classe de troisième, on a déjà pu remarquer en 2004 un taux d’abandon important entre la
première et la terminale, les effectifs passant de plus de 20 000 à environ 15 000 élèves.
Suède : le cinéma, vecteur de francophonie
Il existe nombre de vecteurs pour le développement de la francophonie, notamment dans le
domaine artistique, comme le cinéma. C’est le cas avec le Festival du film français de Stockholm,
dont la huitième édition a eu lieu en juin 2006. Pendant cinq semaines, la capitale suédoise vit à
l’heure francophone et parvient à séduire un public de plus en plus large – même s’il reste encore très
modeste (8 000 entrées en 2005). Ce festival est organisé par trois partenaires privés suédois : un
producteur (DFM Fiktion), un distributeur de films (Triangel Film, l’un des plus gros acheteurs de
films français en Suède) et un cinéma (Sture) avec le soutien de l’ambassade de France et de la
Cinémathèque suédoise.
Au programme de l’édition 2006 : une invitée d’honneur, Carole Bouquet, une carte blanche
proposée à Arte pour sélectionner des films que la chaîne franco-allemande a co-produit et des
soirées suisse et canadienne. La programmation du festival est assez éclectique et comprend des films
qui se veulent différents et vont au-delà de la propagande pour la culture française, explique son
directeur, Olivier Guerpillon. Se côtoient ainsi à l’affiche des films marocains, canadiens, belges,
suisses, tunisiens, thaïlandais, taïwanais, etc. En 2006, le festival s’est étendu également dans trois
autres villes : Göteborg, Lund et Malmö.
Isabelle Verdier
28
N° 513
06.08.10
La Francophonie a-t-elle une vocation européenne ?
(MFI) La tenue du XIe Sommet de la Francophonie à Bucarest est l’occasion de
s’interroger sur la situation de la langue française et l’imaginaire qu’elle véhicule en
Europe. Cinq personnalités du monde des lettres réagissent.
Sophie Képès, écrivain, traductrice : « Une alternative à la domination d’une seule langue »
De langue maternelle française, j’ai commencé mon parcours d’écrivain avant de devenir
traductrice de hongrois, ma langue paternelle. Puis j’ai découvert les littératures d’Europe centrale et
balkanique, et leur fréquentation a imprégné et remodelé mon rapport à la langue française et ma
poétique romanesque. A tel point qu’aujourd’hui, je me considère comme un « auteur francophone de
littérature centre-européenne ».
Pendant des siècles, la Hongrie a subi le joug politique et culturel de ses puissants voisins
germanique et russe. Pour échapper à leur influence et se revendiquer européens avant tout, les
Occidentalistes (fin XIXe - début XXe) se sont tournés vers la France. Ecrivains, peintres, musiciens
puis photographes étaient francophiles, souvent francophones. Depuis la chute du communisme, et
plus encore depuis l’entrée dans l’Union européenne, la francophonie se renforce en Hongrie. Elle
représente à nouveau une alternative à la domination d’une seule langue, et à ce titre, elle a un rôle
immense à jouer. A l’inverse, n’oublions jamais que la langue et surtout la littérature françaises ont
grand besoin de se frotter aux autres !
Jean-Marie Klinkenberg, professeur à l’université de Liège, membre du Haut conseil de
la Francophonie : « La conjoncture permet au français d’être la langue de la diversité »
L’Europe ne serait pas elle-même si elle ne respectait pas la diversité dont elle a fait une de ses
valeurs. Si le français y a une mission à remplir, c’est celle-là : contribuer à faire contrepoids à la
massification mondiale. Certes, il n’est pas dans l’essence du français d’être la seule langue à pouvoir
endosser ce rôle, parce qu’elle serait naturellement non alignée, ou qu’elle serait « la langue des droits
de l’homme ». Non seulement aucune collectivité n’est investie d’une mission messianique, mais le
passé de la langue française la prépare peu à être la langue de la diversité. Il se fait toutefois qu’elle
est dans une position conjoncturelle qui lui permet de l’être en ce début de millénaire : d’une part elle
permet l’expression de la modernité, et d’autre part, assez forte pour être fédératrice et assez faible
pour ne pas être universellement dominatrice, elle occupe une position tactique qui lui permet de
mener le combat contre les hégémonies mortifères. Mais ce combat, elle ne pourra le gagner qu’en
nouant des alliances tactiques avec les autres langues qui sont dans la même position : l’allemand,
l’espagnol, le russe…
Sonia Ristic, écrivain croate : « Le français des Lumières pour tenter de consoler
l’inconsolable »
Quand j’entends francophonie, je pense Afrique. Peut-être parce que le français, qui est depuis
quinze ans ma langue d’exil et surtout d’écriture, c’est au coeur de l’Afrique que je l’ai rencontré, à
l’âge de six ans. Mais qui peut nier que la francophonie est également européenne ? En digne fille
d’une diplomate yougoslave, je pense qu’aujourd’hui, alors que l’anglais reste profondément marqué
29
par la logique de l’hyper-puissance, la francophonie peut servir l’idéal du non-alignement dans une
Europe encore très polarisée. C’est pourquoi quand on me demande si la francophonie a une vocation
européenne, pendant un instant au moins, j’ai envie de dire oui et d’y croire.
J’ai envie de me souvenir que le français fut la langue des Lumières, qu’il fit rêver de mondes
meilleurs en mettant fin à un régime d’injustices, qu’il y a deux siècles il propagea ces idées à travers
l’Europe et qu’il écrivit la Déclaration des droits de l’homme. J’ai envie de croire qu’il peut être à
nouveau la langue du progrès et de l’universel. J’ai envie de rêver d’une Europe qui choisirait le
français des Lumières pour tenter de consoler l’inconsolable, pour faire taire les bombes à Beyrouth,
à Grozny, à Bagdad.
J’ai envie de rêver d’une francophonie qui ne serait plus le cousin pauvre, mais notre mère à
tous, une mère accueillante, protectrice, généreuse. Oui, je rêve. Mais qui sait ? Peut-être n’est-ce pas
un rêve si fou ? Peut-être... En français, il y a un si joli mot pour « peut-être », c’est Inch’Allah.
Boniface Mongo-Mboussa, critique littéraire : « Le procès de la face diurne du
colonialisme »
La Francophonie peut jouer en Europe un rôle très important : devenir un espace d’échange
littéraire et intellectuel fécond, un espace de convivialité et de dialogue. Je travaille actuellement avec
Lakis Prodiguis, un grand critique grec francophone : nous méditons sur la nécessité de maintenir une
francophonie littéraire et intellectuelle dans un monde marqué par le communautarisme et les
revendications identitaires exacerbées.
Comme l’écrit si bien l’auteur grec Théodoropoulos, « la francophonie littéraire n’est pas un
projet politique, c’est, avant tout, la marque d’une attitude intellectuelle ». C’est au nom de cette
attitude intellectuelle que Diderot a séduit Catherine, impératrice de Russie. C’est au nom de cet
humanisme universel des Lumières que Mongo Beti, Césaire ou Senghor ont instruit le procès de la
face diurne du colonialisme, prolongeant ainsi le travail de Montesquieu, de Diderot, de Voltaire ou
de l’abbé Grégoire. Une telle francophonie a encore toute sa place en Europe.
Timur Muhidine, traducteur de turc : « Une francophonie thérapeutique ? »
A Istanbul, à Izmir ou à Salonique autour de 1900, on parlait certainement plus français que
turc ! De nos jours, la francophonie se traduit par une présence forte du français dans l’enseignement
secondaire et par un goût répandu pour les émissions de TV5.
La Turquie d’aujourd’hui connaît aussi une francophilie active dans le domaine des sciences
humaines : les traductions de Braudel, Foucault, Deleuze et Derrida occupent le devant de la scène
intellectuelle... La psychanalyse a aussi fait son entrée en Turquie sur la base du français : les
psychanalystes turcs sont encore largement formés à Paris et l’Ecole freudienne française domine.
Cette francophonie-là serait-elle thérapeutique ?
A défaut de la langue française, les Turcs ont peut-être besoin d’un modèle français puisque
leur inconscient porte encore la trace de l’esprit des Lumières et de la Révolution française. Mais
cette idée-là de la France pourrait, à l’image du kémalisme qui s’en est beaucoup inspiré, être mise à
mal... Il est à craindre que le renouveau nationaliste mâtiné d’un islam pas toujours modéré que
connaît la Turquie aujourd’hui soit moins propice à la diffusion de la francophonie.
Propos recueillis par Tirthankar Chanda
30
N° 514
06.08.16
Demain, un réseau des bibliothèques numériques francophones
(MFI) Annoncée à l’occasion de la fête de la Francophonie, en mars 2006, la
création d’un réseau des bibliothèques numériques francophones soulève de
nombreuses questions dont le transfert de technologie n’est qu’un aspect.
« Ce n’est pas par arrogance que nous avons débuté par une réunion des bibliothèques
nationales du Canada, du Québec, de Belgique, du Luxembourg, de la France et de la Suisse », se
défend Jean-Noël Jeanneney, lorsque, le 8 juin 2006, on l’interroge sur l’absence des pays nonoccidentaux du projet de bibliothèque numérique francophone, lancé trois mois plutôt. Le directeur de
la Bibliothèque nationale de France participe ce jour-là à un débat organisé autour de la Table à
palabres de l’OIF. « A ce stade, précise-t-il, il s’agit de commencer à travailler avec les pays les plus
avancés dans la numérisation ; notre priorité est le transfert de technologie, et la bibliothèque
d’Alexandrie, qui vient de nous rejoindre dans cette initiative et avec qui nous travaillons depuis
quelques années dans le cadre de la BNF, constituera notre projet-pilote. »
Pour l’instant, le propos s’arrête là. Car une multitude de questions se posent dès lors que l’on
évoque les bibliothèques du Maghreb, d’Asie ou d’Afrique francophones : quels formats choisir pour
la mise en ligne, qui les contrôlera ; quels contenus retenir (les plus fragiles ou les plus importants) ;
les documents francophones seront-ils les seuls sélectionnés ou bien y ajoutera-t-on des documents en
langues nationales (et donc jusqu’où va le respect de la diversité culturelle) ; comment constituer les
collections, numériser les cultures orales, s’acquitter des droits d’auteurs ; qui financera ce réseau
compte tenu du manque de moyens des bibliothèques « du Sud », etc., etc. Une réunion est prévue au
début de l’année 2007 pour essayer d’y voir plus clair. Quoiqu’il en soit, la constitution de ce réseau
bénéficiera de l’expérience de la Bibliothèque numérique européenne. Jean-Noël Jeanneney le définit
déjà comme un « complément naturel » de celle-ci.
La numérisation est moins complexe que la construction du réseau
Entamée dans la plupart des pays développés au début des années quatre-vingt-dix, la
numérisation des livres dans les bibliothèques nationales et universitaires répondait avant tout aux
problèmes de conservation, liés aux attaques du temps accentuées par les multiples manipulations des
consultants. La lecture sur écran d’ordinateur se substituait progressivement aux parfums des reliures,
mais les programmes informatiques et CD-ROMS offraient également un plus large accès au savoir et
non pas seulement aux chercheurs oeuvrant à sa construction. « Rétrospectivement, je dirais que la
numérisation n’est pas la phase la plus complexe », explique Lise Bissonnette, l’actuelle directrice de
Bibliothèque et Archives nationales du Québec, dont les nouveaux locaux ont été inaugurés en 2005 à
Montréal. « La construction d’un réseau est autrement plus longue et tortueuse. Et nous devons agir
vite. »
L’idée de dépasser les murs de la bibliothèque et de se raccorder à d’autres centres de ressources
était inhérente à la numérisation des livres. Les premiers à s’organiser furent les centres de recherches
et les bibliothèques universitaires. Cependant, la mise à disposition en ligne gratuite de textes dits
31
« classiques » ou « fondamentaux » par les bibliothèques nationales, conjointement au développement
vertigineux de la toile, eut tôt fait d’attirer les convoitises des marchands. En octobre 2004, la société
Google (moteur de recherche de internet) annonce ainsi son intention de mettre en ligne gratuitement
15 millions de livres issus de cinq bibliothèques anglo-saxonnes, parmi les plus prestigieuses, ainsi
que des extraits des livres d’auteurs contemporains, en accord avec les éditeurs.
BNUE, TEL : l’Europe contre-attaque
La riposte a été rapide : non seulement du fait des concurrents de Google, mais aussi des Etats.
« Partout dans le monde, on a accéléré la numérisation. » La main sur le cœur, Lise Bissonnette
assure que les bibliothèques nationales le font dans un « esprit d’enrichissement culturel ». Dès janvier
2005, Jean-Noël Jeanneney analysait cependant le défi de Google comme celui de « la domination
écrasante de l’Amérique dans la définition de l’idée que les prochaines générations se feront du
monde ».
La bibliothèque numérique européenne (Bnue) est aujourd’hui en marche. Quarante-cinq
bibliothèques, réparties dans les 25 pays de l’Union européenne ont adhéré au projet. Beaucoup
d’entre elles vont reverser au fonds commun des ouvrages déjà numérisés. Mais, dorénavant, on
travaille en sélectionnant des livres et images qui peuvent présenter un intérêt pour l’ensemble de
l’Europe. La décision de créer un portail spécifique Bnue n’a pas encore été prise ; pour l’heure,
chaque bibliothèque propose les « classiques » sur son propre site. Suivront les dictionnaires et les
ouvrages scientifiques, avant d’en arriver aux collections de journaux européens. Mais la Commission
européenne souhaiterait que le projet soit plus identifiable, en utilisant le site de « The European
Library » (TEL), déjà existant.
La France contribuera à hauteur de 200 000 ouvrages. En 2006, environ 30 000 ouvrages de la
bibliothèque numérique française Gallica ont été « OCRisés »*, et en 2007, un budget de 10 millions
d’euros sera consacré à la numérisation d’environ 120 000 ouvrages. Chaque pays européen gère ses
financements de façon indépendante. Des mécènes privés y participent. Actuellement, le rythme de
numérisation de l’ensemble de la BNUE est d’environ 400 000 ouvrages par an.
Marion Urban
A consulter :
- La fourniture de services de bibliothèque à l’ère numérique : opportunités et menaces pour les bibliothèques d’Afrique.
Kgomotso Mohai. Août 2003, http://www.ifla.org/IV/ifla69/papers/097f_trans-Moahi.pdf
- www.theeuropeanlibrary.org
- www.booksgoogle.com
* OCR signifie Optical Character Recognition, reconnaissance optique de caractères. OCRiser signifie traiter un
document préalablement numérisé avec un logiciel permettant d’obtenir sa version textuelle et non pas seulement son
image. Le taux de reconnaissance est variable en fonction de l’original, mais dans tous les cas insuffisant ; il faut donc
ensuite faire vérifier l’ensemble du texte obtenu par un œil humain.
32
N° 515
06.08.10
Politiques migratoires : la Francophonie, laboratoire d’idées
(MFI) De par la diversité de ses membres, l’ensemble francophone peut constituer
un véritable laboratoire d’idées sur le phénomène migratoire. Les principaux pays
d’accueil tels que la France, le Canada, la Belgique ou la Suisse mènent leurs propres
politiques avec cependant des axes communs, tandis que les pays francophones
d’Afrique et d’Europe de l’Est, eux, sont confrontés au départ ou au transit des
candidats à l’émigration.
Alors que la conférence euro-africaine de Rabat sur l’immigration et le développement des 10 et
11 juillet 2006 (1) instaurait une coopération accrue entre pays d’origine, de transit et de destination, la
Francophonie, qui réunit ces trois types de pays, constitue un cadre idéal d’échanges d’expériences et
d’idées.
On retrouve certaines constantes dans la politique migratoire des principaux pays d’accueil
francophones (Belgique, Canada, France, Suisse). Ainsi, l’idée de la sélection des candidats à
l’immigration, déjà largement pratiquée. Au Canada, les ministres territoriaux, provinciaux et fédéral
chargés des questions d’immigration ont, en novembre 2005, placé parmi leurs cinq priorités-clés une
meilleure sélection des immigrants avec la création d’une nouvelle catégorie économique destinée à
retenir les personnes qui possèdent une expérience de travail ou qui ont reçu une formation au Canada.
En France, la deuxième (après celle de novembre 2003) loi sur l’immigration présentée par le
ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy, adoptée le 21 juillet 2006, prévoit une carte de séjour
" Compétences et Talents " destinée à attirer, entre autres, des chercheurs et des étudiants. Cette loi
prévoit également de nouvelles restrictions pour les migrations familiales, au contraire du Canada qui,
lui, a investi en 2005 dans un programme de deux ans destiné à accélérer le traitement des demandes
de parents et des grands-parents au titre du regroupement familial.
Autre constante des pays d’accueil francophones : une politique contraignante d’intégration. La
Suisse a ainsi adopté fin 2005 une loi qui prévoit des « cours d’intégration » obligatoires pour
l’immigrant. Selon ce texte, les autorités devront prendre en compte le degré d’intégration du
demandeur pour prolonger ou accorder les permis de séjour. La même politique est suivie par la
France avec la mise en place, depuis janvier 2004, des Contrats d’accueil et d’intégration (CAI). Pour
sa part, la Belgique a accordé en 2004 un droit de vote aux élections communales aux étrangers non
européens établis sur le territoire belge depuis cinq ans au moins.
En Europe de l’Est, de nouveaux équilibres se forment
Du côté des pays francophones d’origine de l’immigration, deux grands champs géographiques
existent : l’Afrique (avec comme principaux pays émetteurs le Maroc, les deux Congo, le Mali et le
Sénégal) et l’Europe de l’Est. Dans cette dernière zone, de nouveaux équilibres migratoires
apparaissent à la suite de l’intégration, en 2004, de huit nouveaux pays au sein de l’Union européenne,
dont six sont également membres observateurs (*) de la Francophonie : Estonie, Hongrie*, Lettonie,
Lituanie*, Pologne*, République tchèque*, Slovaquie* et Slovénie*. L’intégration prochaine au sein
33
de l’Europe de la Bulgarie et de la Roumanie, membres à part entière de l’OIF et grands pourvoyeurs
de main d’œuvre en Europe (majoritairement en Espagne et en Grèce pour la Bulgarie et en
Allemagne et en Italie pour la Roumanie), devrait bouleverser un peu plus la donne. La Bulgarie
comme la Roumanie se préparent en effet à devenir les nouvelles frontières de l’Europe et adoptent
des procédures beaucoup plus strictes de contrôle des flux migratoires.
Quant aux pays de transit de l’immigration, ils sont de plus en plus nombreux, étant bien souvent
également pays d’origine. C’est d’ailleurs parce qu’il était confronté à cette double réalité que le
Maroc a été à l’initiative de la conférence euro-africaine de Rabat. Pour pallier la fuite des cerveaux
africains vers l’Europe, les participants à cette conférence ont prôné, entre autres, une intensification
des échanges entre universitaires du Nord et du Sud ainsi qu’une plus grande facilité de circulation des
étudiants et des hommes d’affaires : des actions déjà entreprises par les structures francophones. Les
nombreuses discussions en cours au sein de l’OIF sur ces thèmes – qui sont au cœur de l’actualité
internationale, comme l’illustre le Dialogue de haut niveau sur les migrations internationales et le
développement des 14 et 15 septembre 2006 à l’assemblée générale des Nations unies – ne peuvent
qu’être amenées à se formaliser.
Isabelle Verdier
(1) Conférence organisée à l’initiative du Maroc, de l’Espagne et de la France, avec la participation de l’Union
européenne et de l’Union africaine.
Les flux migratoires dans les pays francophones
(MFI) A la lecture du dernier rapport* de l’OCDE sur les migrations, on constate que dans les
principaux pays d’accueil francophones, les flux migratoires sont économiques avant d’être
linguistiques. Pays d’immigration par excellence, le Canada accueille ainsi en majorité des étrangers
originaires d’Asie : sur un total de 236 000 entrées étrangères en 2004, on comptait ainsi
36 000 Chinois, 26 000 Indiens et seulement 6 000 Roumains et 5 000 Français. De même, les liens
linguistiques ne jouent pas pour l’immigration vers la Suisse : ce sont les Allemands et les Portugais
qui arrivent en tête des entrées avec respectivement 18 000 et 14 000 ressortissants sur un total de
96 000 en 2004.
Le critère de la langue française et les liens historiques ont malgré tout une influence pour la
France et la Belgique. Sur un total de 134 000 entrées d’étrangers en France en 2004, les Algériens
(27 000) et les Marocains (22 000) arrivent ainsi largement en tête. On retrouve ensuite les
ressortissants de Tunisie, du Congo-Brazzaville, d’Haïti, du Sénégal, du Mali et de la Roumanie.
Enfin, en Belgique, qui n’a comptabilisé que 72 000 entrées d’étrangers en 2004, les Français et les
Marocains font partie du trio de tête avec respectivement 9 500 et 8 000 personnes. Viennent ensuite
dans une proportion moindre les ressortissants de Pologne, de Roumanie et de la République
démocratique du Congo.
* Perspectives des migrations internationales, Organisation de coopération et de développement économiques,
Sopemi 2006.
34
B 5617
(MFI) Le nombre de francophones
diminue sur le vieux continent. Au banc
des accusés : la facilité du « tout-anglais »,
le déclin des langues vivantes dans les
différents systèmes scolaires, mais aussi la
moindre place de la France en Europe.
Maîtriser le français constitue pourtant
un atout professionnel et l’attrait culturel
de l’Hexagone reste vif.
« Qu’est-ce qui fait du français la
langue universelle de l’Europe ? » Telle
était la question posée au concours d’entrée
à l’Académie diplomatique de Berlin… en
1784. Il serait aujourd’hui présomptueux de
proposer le même sujet d’examen aux futurs
ambassadeurs allemands. Mieux vaudrait les
faire réfléchir à la seconde question posée au
même concours : « Peut-on présumer que la
langue
française
conservera
cette
suprématie ? » Aujourd’hui, la réponse est
facile : elle est négative. Selon le Haut
Conseil de la Francophonie en effet, ces
trois dernières années un quart des élèves
apprenant le français en Europe ont disparu,
passant de 36 à 28 millions.
Un constat suffisamment inquiétant pour
que la Fédération internationale des
professeurs de français décide de consacrer
un congrès à ce sujet, en novembre prochain
à Vienne. Comme l’explique sa secrétaire
générale, Martine Defontaine : « Dans la
plupart des pays européens, on assiste à une
baisse du nombre d’heures dévolues à
l’enseignement du français, à une réduction
des budgets pour la création de filières
spécialisées, à la suppression de postes de
professeurs. Une logique utilitaire favorise
le tout-anglais. » Au-delà du seul cas du
français, le problème est celui du statut des
langues étrangères dans l’enseignement.
Tous
les
pays
n’imposent
pas
l’apprentissage de deux langues vivantes à
l’école. Souvent la deuxième langue n’est
qu’une option qui se retrouve en
concurrence avec l’informatique, le théâtre
ou les arts plastiques. Lorsque deux langues
sont obligatoires, le français défend
généralement sa place, devant l’allemand et
l’espagnol. Mais lorsque les élèves n’ont
qu’une seule langue à choisir, c’est presque
toujours l’anglais – perçu avec raison
comme la langue de communication
internationale – qui a leur préférence.
D’autant que – impératif budgétaire ou
choix pédagogique – de nombreuses écoles
à travers le vieux continent n’offrent pas
d’autres possibilités.
Apprendre obligatoirement deux
langues européennes
Pourtant en mars 2000, réunis à
Barcelone, les chefs d’Etat et de
gouvernement de ce qui était alors l’Europe
des Quinze avaient approuvé l’obligation
d’apprendre dans le secondaire au moins
deux idiomes européens en plus de la langue
maternelle. Cela afin d’encourager les
échanges
culturels,
la
mobilité
professionnelle et l’intégration régionale. Six
LE FRANÇAIS EN EUROPE
ans après, force est de déchanter. La seconde
langue vivante est devenue optionnelle en
Grèce, au Danemark, en Autriche, en Italie,
dans plusieurs provinces espagnoles… Sans
compter les pays où elle l’était déjà
(Norvège, Irlande, Hongrie…) A chaque
fois, le français en pâtit. En outre, appliquer
trop strictement la déclaration de Barcelone
n’a pas toujours favorisé la langue de
Molière. Ainsi le gouvernement autonome
de Catalogne avait décidé que les deux
langues européennes obligatoires seraient
l’anglais et l’espagnol, les élèves suivant
leurs cours en catalan. Il a depuis assoupli sa
position. Mais la revendication croissante
d’une Europe des régions verra le problème
se reposer à terme. L’Italie a aussi joué les
trublions. Le précédent Premier ministre,
Silvio Berlusconi, avait imposé un décret
– le décret 25 – instituant la possibilité pour
les écoles de remplacer la seconde langue
par des heures supplémentaires d’anglais
afin qu’au terme de leur scolarité, les enfants
« parlent aussi bien anglais qu’italien » pour
reprendre les termes du Cavaliere. Les
protestations tant des enseignants, des
parents d’élèves que des ambassades de
pays francophones, ont contraint les
autorités transalpines à abroger ce décret en
janvier 2006. Quant au Royaume-Uni,
même la première langue vivante n’est
obligatoire que les deux premières années
du secondaire. Le français est certes le
premier choix, mais est vite abandonné.
Le français, deuxième langue
maternelle dans l’Union européenne
après l’allemand
Souvent peu encourageant, le panorama
du français en Europe mérite cependant
d’être affiné. Tout n’est pas sombre
évidemment. Le français reste, totalement
ou pour partie, la langue maternelle de cinq
pays européens : la France, la Belgique, la
Suisse, le Luxembourg et Monaco, auquel
s’ajoute le cas particulier d’Andorre. Soit
environ 70 millions de personnes. Le
français est ainsi la deuxième langue
maternelle dans l’Union européenne, après
l’allemand (92 millions de locuteurs), mais
devant l’anglais (64 millions). Par contre, à
en croire l’office statistique de l’UE, en
additionnant langue maternelle et langue
étrangère, l’anglais est parlé (plus ou moins
bien) par 56,4 % des Européens, l’allemand
par 32 %, le français par 28 %, l’italien par
18 % et l’espagnol par 15 %. Certains se
réjouiront aussi que l’enseignement du
français est obligatoire dans plusieurs pays :
la partie flamande de la Belgique (alors que
le néerlandais n’est pas obligatoire en
Wallonie), la Roumanie, l’Albanie, Jersey,
quelques länder allemands… « Il ne s’agit
parfois qu’une heure ou deux par semaine,
notamment en primaire. C’est satisfaisant,
mais pas synonyme d’un effort à long terme
en faveur du français », avertit-on au
ministère français des Affaires étrangères.
Enfin, à la question « Quelles sont les deux
langues les plus utiles en dehors de votre
langue
maternelle ? »,
69 %
des
2006.08.10
ressortissants de l’Union européenne
répondent l’anglais, 37 % le français et 26 %
l’allemand. Le français est presque toujours
la deuxième langue étrangère enseignée
après l’anglais dans l’UE ; en moyenne,
32 % des élèves l’apprennent.
Des pays encore très francophones…
Pour les défenseurs de la francophonie,
les motifs de satisfaction existent donc. En la
matière, le bon élève toujours cité est la
Roumanie. On y compte 1,7 million de
francophones – soit 8 % de la population –
et 4,4 millions de personnes pouvant se
« débrouiller » dans la langue. Record
d’Europe ! Près de deux millions d’élèves
apprennent le français au collège et au lycée.
Soixante établissements proposent des
sections bilingues et trente universités des
filières francophones. La Roumanie est l’un
des rares pays européens où le français peut
être choisi comme première langue vivante à
l’école. « Evidemment, l’anglais prend une
importance croissante, surtout en ville. Mais
le niveau des élèves en français reste
excellent car ils commencent à l’étudier dès
l’âge de 10 ans », se félicite Mariana
Perisanu, professeur à l’Institut français de
Bucarest.
Autre pays source de satisfaction : la
Moldavie, où le quart des 4,5 millions
d’habitants se déclarent francophones. Du
primaire à l’université, 400 000 étudiants
apprennent le français (72 % des collégiens).
Dans l’ensemble du pays, 113 écoles
proposent des sections de « français
renforcé » avec au moins cinq heures de
cours par semaine. Comme en Roumanie,
c’est la tradition historique et le fait que la
langue nationale soit d’origine latine qui
expliquent ce succès du français.
On peut encore citer dans le peloton de
tête européen de la langue française
l’Albanie, la Macédoine et la Bulgarie qui,
tous trois, revendiquent 10 % de
francophones. Plus au nord, 3 % des
Polonais – soit 1,2 million de personnes – se
disent aussi totalement ou partiellement à
l’aise en français. Mais dans ce dernier pays,
l’effondrement du russe depuis 1989 a
surtout profité à l’anglais et à l’allemand
(2,3 millions
d’enfants
apprennent
l’allemand contre 300 000 seulement le
français).
Les esprits chagrins noteront que,
Pologne excepté, ces pays francophiles ne
sont pas de grands bassins de population, ni
des sphères d’influence politique et
économique déterminantes.
La deuxième langue étrangère étudiée
après l’anglais
Ailleurs en Europe, le français est
quasiment partout la deuxième langue
étrangère étudiée après l’anglais. Mais il doit
faire face à la forte concurrence de
l’allemand en Europe de l’Est (République
tchèque, Hongrie) et aux Pays-Bas. Certes,
certains chiffres sont impressionnants,
comme ces 2 millions d’élèves au
Royaume-Uni et en Allemagne, 1,6 million
35
en Italie et en Espagne, plus d’1 million en
Russie. Mais cela n’est pas synonyme
d’études tout au long de la scolarité ni de
nombre d’heures de cours conséquent.
Quant
à
devenir
parfaitement
francophones… Ainsi 77 % des petits Grecs
apprennent le français au collège, mais à
peine 15 % au lycée. Même la Suisse – dont
20 % de la population a le français pour
langue maternelle – fait de la résistance ; les
cantons de Zurich et d’Appenzell ont décidé
que, des deux langues non-maternelles
enseignées en primaire, l’anglais serait
prioritaire sur le français.
L’ouverture sur le monde de la Russie et
de ses ex-satellites après 1989 n’a guère
profité à la francophonie. Au contraire.
L’anglais n’est plus la langue de l’ennemi,
mais celle de la communication, des
voyages et des affaires. L’allemand
bénéficie d’une proximité historique et
géographique, et de son image de langue des
investisseurs. En comparaison, l’aura
culturelle et artistique du français semble
insuffisante à rétablir l’équilibre. On est loin
de l’époque où, en Russie, il était de bon ton
dans la haute société de ne parler qu’en
français, même en famille et surtout pour
déclarer son amour. Dans Guerre et Paix de
Léon Tolstoï, un personnage affirme que
« même étant né en Russie, je pense en
français ». Plusieurs grands écrivains
moscovites ont d’ailleurs écrit leur œuvre
parallèlement en russe et en français. Cette
époque est révolue. Aujourd’hui, malgré
9000 professeurs d’un excellent niveau,
seuls 4,9 % des collégiens et lycéens
apprennent le français, contre 74,4 %
l’anglais et 20,1 % l’allemand. Il existe
cependant en Russie une centaine d’écoles
secondaires à horaire renforcé de français,
accueillant 29 000 élèves. Ce phénomène de
transfert du français vers l’anglais se
constate aussi en Lituanie, en Lettonie, en
Estonie, en Ukraine, en Croatie, en Slovénie,
en Hongrie… Mais c’est en Scandinavie
que le français est le plus mal loti. En Suède,
Finlande, Danemark et Norvège, la
deuxième langue enseignée – quant elle
existe – après l’anglais est généralement un
autre idiome scandinave. Le français est
lingua incognita.
L’Union européenne, mauvais élève
de la francophonie
La situation de la langue française reflète
– plus ou moins fidèlement – la place de la
France en Europe. Le « non » au référendum
sur la constitution, en mai 2005, n’a pas aidé
les zélateurs de la francophonie. « Difficile
de dire non à l’Europe, puis d’exiger des
Européens qu’ils apprennent votre langue »,
souligne un observateur. Lorsque la
Communauté économique européenne voit
le jour en 1957, trois des six pays fondateurs
partagent le français comme langue
maternelle. Mais à chaque élargissement, la
langue
de
l’Hexagone
perd
proportionnellement de l’influence. Une
étude de mai 2004 a montré que seuls 4 %
des décideurs (fonctionnaires, chefs
d’entreprises, journalistes) des dix nouveaux
Etats membres parlaient français, mais 14 %
allemand et 82 % anglais. Certes le français
est, avec l’anglais et l’allemand, la langue de
travail de la Commission de Bruxelles. Mais
en
1996,
44 %
des
documents
communautaires étaient rédigés directement
en anglais et 38 % en français ; dix ans plus
tard, ces pourcentages sont respectivement
de 58 % et 28 %. Dans les couloirs de
Bruxelles ou Strasbourg, on parle anglais et
les réunions sont conduites dans la même
langue. « C’est plus simple pour tout le
monde. En 1957, la Cee avait quatre
langues officielles ; aujourd’hui, l’Union
européenne en compte vingt, soit 421
combinaisons de traduction. Aller trouver
un interprète maltais-finnois ou polonaissuédois. Passer par l’anglais est un gain de
temps et d’argent. Le multilinguisme est un
beau projet, mais il se heurte au principe de
réalité », insiste un haut fonctionnaire
européen. Sur certains sites Internet des
institutions européennes, les informations ne
sont publiées qu’en anglais ; c’est
notamment le cas des pages de la Banque
centrale européenne. « Lorsque des émeutes
éclatent dans les banlieues, que les gens
affichent leur morosité et les élus leur
euroscepticisme, la langue française perd
des points. Par contre, lorsque l’équipe de
France arrive en finale de la coupe du
monde, qu’Airbus gagne des parts des
marché, que des films comme Le fabuleux
destin d’Amélie Poulain attirent des millions
de spectateurs, alors le français séduit à
nouveau », souligne le même fonctionnaire.
Défendre
systématiquement
le
multilinguisme
Face à ce déclin du français en Europe –
déclin accentué par la faible natalité dans la
région – les réactions sont multiples. Pour le
député Michel Herbillon, auteur en juin
2005 d’un rapport parlementaire intitulé Les
langues dans l’Union européenne : pour
une Europe en VO, « le combat frontal du
français contre l’anglais est inutile ; il est
déjà perdu. Le déclin du français n’est pas
une fatalité cependant ; il ne faut pas lutter
contre l’anglais, mais promouvoir le
français ». Et le député de préconiser un
respect strict des règles du multilinguisme
parmi les 25 en s’opposant à toute réunion
sans traduction, à toute publication de
documents officiels en une seule langue, en
incitant les pays membres à rendre
obligatoire l’apprentissage de deux langues
étrangères. « Il faut dire non aux dérives, ne
pas accepter la disparition progressive du
français dans les institutions européennes
au nom de la facilité logistique et de
l’efficacité financière », plaide Michel
Herbillon. La technique serait donc celle de
la vigilance et du harcèlement : ne rien céder
du peu de terrain qu’il reste au français,
surveiller la moindre entorse, exiger toujours
la présence du français quand elle est de
droit et d’une manière générale le respect du
plurilinguisme au sein des instances
communautaires.
« On demande aussi aux pays d’Europe
orientale membres de l’OIF, comme la
Roumanie ou la Bulgarie, où l’intérêt pour
le français est réel, de ne pas utiliser
systématiquement l’anglais à l’Onu », sourit
un cadre du Quai d’Orsay. De leur côté, les
maires de Bruxelles, Strasbourg et
Luxembourg – toutes trois capitales
européennes et toutes trois francophones –
ont signé, le 24 mai 2006, une déclaration
solennelle dans laquelle ils s’engagent à
promouvoir l’usage du français dans leur
ville, en particulier au sein des organismes
européens. Comme l’avait alors déclaré
Fabienne Keller, maire de Strasbourg : « La
plupart des arrêts de la Cour européenne
des droits de l’Homme sont rédigés en
français. Il faut faire un effort de lobbying
(sic) pour le respect de cette belle tradition
juridique. Ce serait un comble que le
français ne soit pas défendu en Europe alors
que l’Union se construit dans des villes
francophones. » En la matière, un incident
est resté célèbre. Le 23 mars 2006, lors
d’une réunion du Conseil européen à
Bruxelles,
Jacques
Chirac
quitte
brusquement la salle lorsque, à la tribune,
Antoine-Ernest Sellière, président de
l’Union des industries de la Communauté
européenne, prononce son discours en
anglais. « La langue de l’entreprise »,
justifie l’ancien président du Medef. « C’est
une question politique, de respect de la
diversité linguistique », réplique l’entourage
du chef de l’Etat. La presse internationale a
abondamment ironisé sur l’affaire. Mais
selon les observateurs, cette histoire a
constitué un formidable encouragement
pour les professeurs de français qui, isolés
dans des bourgades de Croatie, de Grèce ou
d’Estonie, luttent au quotidien pour leurs
heures de cours.
Un nouveau plan de promotion du
français
Au plan gouvernemental, Philippe
Douste-Blazy, le ministre français des
Affaires étrangères, a annoncé le 15 mai
2006 un vaste plan de promotion de la
langue française qui prévoit notamment la
rénovation ou la construction de plusieurs
lycées français (Le Caire, Madrid, Londres,
Tokyo, Moscou), un renforcement des
échanges culturels entre l’Hexagone et les
autres capitales, et un budget de 50 millions
d’euros pour la formation sur trois ans de
10 000 professeurs, recrutés pour moitié en
Asie et pour moitié au Maghreb. A en croire
la sous-direction du français au ministère des
Affaires étrangères, en Europe c’est sur la
Russie que portera l’essentiel de l’effort
financier. Parallèlement, un
« Plan
pluriannuel d’action pour le français dans
l’Union européenne » a été adopté en 2002
par la France, le Luxembourg, la Belgique et
l’Organisation
internationale
de
la
Francophonie (OIF). Doté d’un budget
annuel de 2,5 millions d’euros, il vise à
former des fonctionnaires, diplomates et
interprètes de l’UE, ainsi que des
journalistes des pays membres. 8900
sessions ont ainsi été assurées en 2005,
contre 7200 en 2004, notamment au sein des
Alliances françaises. Enfin des nouvelles
méthodes pédagogiques sont encouragées,
utilisant le jeu, l’informatique, Internet…
Bref un nouveau « marketing » du français.
Les autorités françaises mettent aussi
l’accent sur les filières bilingues dès le
collège : 450 de ces filières accueillent, à
36
travers trente pays européens, plus de
50 000 élèves. C’est deux fois plus qu’il y a
dix ans. En septembre 2006, de nouvelles
sections devaient voir le jour en Espagne, en
Bulgarie, en Russie et en Slovaquie. Ces
filières bilingues bénéficient d’une
réputation d’excellence dans toutes les
matières, accueillant souvent les meilleurs
élèves. Si elles favorisent la francophonie
(voire la francophilie), elles restent
évidemment minoritaires par rapport au
nombre total des écoles d’un pays et se
voient parfois taxées d’élitisme.
Enfin, dotés d’un budget de 1,8 milliard
d’euros, les programmes de coopération de
l’Union européenne – Comenius pour le
niveau
scolaire,
Erasmus
pour
l’universitaire – permettent à des étudiants
étrangers de poursuivre leurs cursus en
France ou en Belgique. C’est le cas de 4000
Espagnols, 600 Tchèques, 900 Néerlandais,
650 Autrichiens…
Langue de la culture mais aussi
langue des affaires
La Fédération internationale des
professeurs de français (FIPF) s’inquiète
donc du désamour progressif de l’Europe
pour la langue française. Certains de ses
membres soulignent amèrement le décalage
qui existerait entre un optimisme forcé des
autorités françaises, leur goût pour les
actions d’éclat, et ce que vivent les
enseignants à l’étranger, confrontés à des
réductions budgétaires, la fermeture
d’instituts, le manque de moyens
pédagogiques, les emplois du temps en
berne… Un décalage notamment mis sur le
compte du nombre d’acteurs qui
interviennent sur la francophonie : OIF,
Agence pour l’enseignement français à
l’étranger, Agence universitaire de la
francophonie, ministères des Affaires
étrangères, de la Culture, de l’Education…
Chacun jugeant son action positive sans voir
les trous dans les mailles du filet.
« Le point encourageant est la facilité à
mobiliser les professeurs, le succès du
moindre festival de cinéma, des concerts
même d’artistes peu connus. Cela prouve un
intérêt constant pour le français », constate
Raymond Gevaert, maître de conférence à
l’université de Leuven et président de la
commission Europe de l’Ouest à la FIPF. Et
d’ajouter : « Si l’anglais est la langue de
communication internationale, la maîtrise
du français est un outil de promotion
sociale. C’est un « plus » incontestable dans
un CV. C’est pourquoi, à côté du français
langue de la culture et des arts, il faut
défendre le français, langue des affaires, du
tourisme, des sciences. Parler français
lorsqu’on veut investir à Paris ou qu’on
travaille dans la filiale d’une firme
hexagonale à l’étranger constitue un
énorme avantage. » Avec le soutien de la
Chambre de commerce et d’industrie de
Paris et le Forum francophone des affaires,
l’Alliance française propose d’ailleurs des
modules spécialement destinés aux cadres
des firmes françaises à l’étranger. Plusieurs
universités européennes – à commencer,
sans surprise, par celles de Roumanie – ont
également ouvert des départements de
français juridique, de français des affaires,
de français de gestion hôtelière…
Le français insuffisamment enseigné
dans les systèmes publics
De son côté, le réseau des Alliances
françaises
en
Europe
accueillait
84 409 étudiants en 2005. Un chiffre en
progression constante. On compte ainsi plus
de 8 000 inscrits en Espagne, 5 200 au
Royaume-Uni, 4 660 en Pologne, plus de
4 000 en Russie et en Irlande… Le succès
est aussi au rendez-vous dans de plus petits
pays : 1 450 étudiants en Albanie, 1 270 en
Ukraine, 1 500 en Croatie, 2 420 en
République tchèque… Pour Martine
Defontaine, secrétaire générale de la FIPF,
« ces résultats prouvent une demande pour
le français. Notre langue n’est pas vue
uniquement comme la vieille langue de
Voltaire, belle à écouter, mais difficile à
apprendre et peu utile professionnellement ;
la langue du parfum, des arts, de la bonne
chair, des intellectuels exigeants. Une image
que certains professeurs entretiennent peutêtre avec un soupçon de fierté. Mais elle est
aussi vue comme une langue valorisante
humainement et professionnellement. Elle
constitue évidemment un atout pour réussir
dans le monde francophone, en Afrique ou
au
Moyen-Orient.
Cependant,
ces
statistiques des Alliances prouvent aussi que
le français n’est pas suffisamment enseigné
dans les systèmes publics d’éducation ».
Estimation du nombre de francophones dans les PECO
Population
en 2002
Francophones
nombre
Albanie
Bulgarie
Lituanie
Macédoine
Moldavie
Pologne
Roumanie
Slovaquie
Slovénie
Tchèque (République)
3 100 000
8 000 000
3 500 000
2 000 000
4 300 000
36 600 000
22 400 000
5 400 000
2 000 000
10 200 000
310 000
800 000
35 000
200 000
1 075 000
1 158 000
1 792 000
162 000
80 000
204 000
Francophones
% par rapport
à la population
10,0
1,0
8,0
2,0
Francophones
partiels
nombre
10,0
175 000
10,0
25,0
3,0
4 480 000
3,0
4,0
816 000
Francophones
partiels
% par rapport
à la population
5,0
20,0
8,0
Source : La Francophonie dans le monde (2004-2005), Larousse
L’influence des média francophones
La présence de média francophones
représente aussi un moyen de défendre la
langue. Ainsi, outre sa diffusion en ondes
courtes, sur le câble et par satellite, Radio
France Internationale dispose de fréquences
FM à Berlin, Dresde, Leipzig, Prague,
Budapest, Craiova, Bucarest, Sofia, Tirana,
Bakou, Pristina, Skopje, Barcelone et
Lisbonne.
Des
radios
partenaires
retransmettent également ses émissions
quelques heures par jour. Si le nombre
d’auditeurs n’est pas connu avec certitude,
RFI dispose en tout cas de moyens
croissants pour émettre en Europe. Les
radios suisses et belges francophones
bénéficient de confortables parts de marché
dans leur pays respectif. Par contre au
Danemark, Radio Kultur – qui diffusait
vingt heures de programmes en français par
semaine – a dû cesser d’émettre en 2003,
faute de moyens financiers. Idem pour
Campus FM à Malte.
Côté télévision, TV5 – seule chaîne
généraliste internationale en français – est
reçue par 88 millions de foyers en Europe de
l’Ouest (dont 8 millions au Royaume-Uni,
6 millions en Italie et 3 millions en Espagne)
et 12 millions en Europe centrale et orientale
(dont 6 millions en Pologne et 2 millions en
Roumanie). Pour sa part, Arte est captée non
seulement en France et en Allemagne, mais
aussi (via le câble ou le satellite) en
Belgique, en Suisse, en Finlande, en
Autriche, aux Pays-Bas et en Espagne. Ses
programmes sont aussi repris sur les réseaux
câblés roumain, polonais, estonien, hongrois
et slovaque. Enfin Canal France
International (CFI) fournit gratuitement des
émissions clés en main à plusieurs chaînes
en Croatie, Biélorussie, Albanie et
Macédoine notamment. En attendant la
future chaîne d’information continue, France
24, qui devrait commencer à émettre à la fin
de l’année 2006.
37
Dur combat pour la presse écrite
La presse écrite connaît les mêmes
difficultés en Europe que la langue
française. Les titres de l’Hexagone ont
enregistré un chiffre d’affaires de
10,5 milliards d’euros à l’exportation en
2004, mais leur diffusion a chuté de 10,3 %
par rapport à l’année précédente dans
l’Union européenne. C’est en Allemagne, au
Portugal et au Royaume-Uni que les baisses
ont été les plus sensibles (respectivement 31,9 %, - 27,3 % et - 21,4 %). Par contre,
les titres français se vendent mieux en Grèce
(+ 14,6 %) et en Espagne (+ 2,9 %). Le
Monde diplomatique est édité, outre en
français, en seize langues dont, pour
l’Europe, l’anglais, l’allemand, le catalan, le
croate, l’espagnol, l’italien, le norvégien, le
polonais, le portugais et le russe. Il est
généralement disponible sous forme de
supplément à des titres locaux. A noter, pour
la presse écrite, la concurrence d’Internet :
l’abonnement mensuel au Monde sur la toile
coûte 5 euros, soit le prix de 4 numéros
papier, et la disponibilité est immédiate d’un
bout à l’autre du vieux continent.
Selon Luan Rama, membre du Haut
Conseil de la Francophonie, « la presse
francophone dans les pays d’Europe
centrale et orientale est dans une situation
catastrophique.
En
quinze
ans,
progressivement et insensiblement, les
revues françaises ont disparu les unes après
les autres, sans bruit, laissant place aux
publications anglophones ». Certes les
journaux français importés – Le Monde, Le
Figaro, Paris-Match, L’Express…– voient
leurs ventes augmenter de 37,4 % en
Bulgarie, de 27,1 % en Slovaquie, de 15,3 %
en Pologne, de 11,4 % en Roumanie… Mais
les titres édités localement n’intéressent plus
qu’un public confidentiel. Ainsi la
Roumanie comptait autrefois vingt journaux
en français ; il n’en existe plus que quatre. Et
encore, hormis l’hebdomadaire Bucarest
Hebdo (7 000 exemplaires, successeur de
feu le quotidien Bucarest Matin), les trois
autres sont-ils publiés de manière
sporadique. En Pologne, les Echos de
Pologne, mensuel tiré à 3 000 exemplaires,
ont remplacé le Courrier de Varsovie,
également mensuel. La Bulgarie et
l’Albanie, autrefois réputés pour la diversité
et la qualité de leurs revues en français, n’en
ont plus vraiment. Quant à la Nouvelle
Gazette de Hongrie, elle n’est distribué qu’à
3 000 exemplaires dans un cercle restreint
d’intellectuels à Budapest. Partout le constat
est le même : peu de lecteurs, pas de recettes
publicitaires. Par contre, toutes les capitales
est-européennes comptent aujourd’hui
plusieurs journaux en anglais. Signe
encourageant cependant : la création en
2004 de L’Europe nouvelle, à l’initiative de
la journaliste Cécile Vrain. Un mensuel
édité à Budapest et consacré à la
« nouvelle » Europe de l’Est.
La « promotion permanente d’un
environnement francophone »
L’Europe compte 47 pays, 37 langues
officielles, 726 millions d’habitants, et la
seule Union européenne plus de
230 régions. Face à de telles dimensions, et
à une époque où l’anglais s’impose comme
la langue de communication obligée, le
français ne peut défendre son rang que par la
« promotion permanente d’un environnement francophone », pour reprendre les
termes du rapport du Haut Conseil de la
Francophonie. Il s’agit autant de manifestations culturelles que de présence
médiatique, de soutien aux réseaux
associatifs que de développement de
l’enseignement, de notoriété de biens de
consommation que de succès des entreprises
françaises. La francophonie ne se décrète
pas. Elle dépend de l’influence de la France
en Europe, et de l’intérêt, du plaisir et des
possibilités qu’auront les Européens à
apprendre la langue.
Jean Piel
Les 21 membres européens de l’OIF
Pays
Statut à l’OIF
Date d’adhésion à
l’OIF
Albanie
associé
novembre 1999
Andorre
Autriche
Belgique
associé
observateur
membre
novembre 2004
novembre 2004
mars 1970
Statut à l’Union
européenne
Vocation à devenir
membre reconnue
par l’UE
–
membre
membre fondateur
Bulgarie
membre
1991 (obs.) ; 1993
candidat
Communauté
française de
Belgique
membre
mars 1980
–
–
Croatie
observateur
novembre 2004
candidat
négociations d’adhésion en
cours depuis le 3 octobre 2005
associé
février 2001
candidat
en attente de la décision
d’ouverture des négociations
membre
associé
observateur
observateur
membre
membre
membre
observateur
observateur
mars 1970
novembre 2004
novembre 2004
octobre 1999
mars 1970
février 1996
mars 1970
octobre 1997
octobre 1999
membre fondateur
membre
membre
membre
membre fondateur
–
–
membre
membre
Roumanie
membre
1991 (obs.) ; 1993
candidat
Slovaquie
Slovénie
Suisse
observateur
observateur
membre
octobre 2002
octobre 1999
février 1996
membre
membre
–
Ex-République
yougoslave de
Macédoine
France
Grèce
Hongrie
Lituanie
Luxembourg
Moldavie
Monaco
Pologne
République Tchèque
Date d’entrée dans l’UE
–
–
1995
–
Adhésion prévue au 1er janvier
2007
–
1981
1er mai 2004
1er mai 2004
–
–
–
1er mai 2004
1er mai 2004
Adhésion prévue au 1er janvier
2007
1er mai 2004
1er mai 2004
–
38
FRANCOPHONIE
B 5612
(MAJ. 08.2006)
LES DIX PREMIERS SOMMETS DE LA FRANCOPHONIE
1er Sommet de la Francophonie :
Versailles 17/19 février 1986
Vers un Commonwealth à la française ?
. Les 42 participants
16 chefs d’Etat
Burundi : Jean-Baptiste Bagaza
Centrafrique : André Kolingba
Comores : Ahmed Abdallah Abderemane
Côte d’Ivoire : Félix Houphouët-Boigny
Djibouti : Hassan Gouled Aptidon
France : François Mitterrand
Gabon : Omar Bongo
Guinée-Bissau : Joao Bernardo Vieira
Liban : Amine Gemayel
Madagascar : Didier Ratsiraka
Mali : Moussa Traoré
Mauritanie : Maaouya Ould Sid’Ahmed Taya
Rwanda : Juvénal Habyarimana
Sénégal : Abdou Diouf
Togo : Gnassingbé Eyadéma
Zaïre : Mobutu Sese Seko
10 chefs de gouvernement
Belgique : Wilfried Martens
Canada : Brian Mulroney
Luxembourg : Jacques Santer
Monaco : Jean Ausseil
Niger : Hamid Algabid
Nouveau-Brunswick : Richard Hatfield
Québec : Robert Bourassa
Sainte-Lucie : John Compton
Tunisie : Mohamed Mzali
Vanuatu : Walter Lini
16 autres chefs de délégation
Belgique : Philippe Monfils, ministre - président
de la Communauté française
Bénin :
Girigissou Gado, ministre
de
l’Equipement et des transports
Burkina Faso : Henri Zongo, ministre de la
Promotion économique
Congo : Antoine Ndinga-Oba, ministre des
Affaires étrangères
Dominique : Eugénia Charles
Egypte : Boutros Boutros-Ghali, ministre des
Affaires étrangères
Guinée : Jean Traoré, ministre des Affaires
étrangères
Haïti : Rosny Desroches, ministre de l’Education
nationale
Laos : Thongsay Bodhisane, ambassadeur en
France
Louisiane : Darrel Hunt, commissaire adjoint au
Budget
Maroc : Abdellatif Filali, ministre des Affaires
étrangères
Maurice : Gaétan Duval, vice-Premier ministre
Seychelles : Jacques Hodoul
Suisse : Edouard Brenner, secrétaire d’Etat aux
Affaires étrangères
Tchad : Gouara Lassou, ministre des Affaires
étrangères
Vietnam : Cu Huy Can, ministre délégué
. La conférence
Pour sa première édition, c’est dans les décors
somptueux du château de Versailles que s’est
ouvert le Sommet des pays ayant en commun
l’usage du français - communément baptisé
Sommet de la Francophonie - que ses initiateurs,
tel Léopold Sédar Senghor, prévoyaient comme
une sorte de Commonwealth à la française.
"La Francophonie est une communauté désireuse
de compter ses forces pour affirmer ses ambitions"
a, alors, déclaré le président François Mitterrand,
en ouvrant les travaux de ce premier Sommet. Le
chef de l’État français a, ensuite, fait valoir que la
communauté francophone, "dont l’identité est
menacée", se devait d’avoir "un réflexe vital
contre la mortelle abolition des différences", sous
peine d’"être très souvent condamnée à un rôle de
sous-traitant, de traducteur ou d’interprète... Nous
sommes là autour d’une langue porteuse d’une
culture, d’une civilisation à laquelle chacun ajoute
son propre apport..." Et d’appeler les participants à
la conférence "à collaborer, coopérer, co-produire
et à rendre plus fertile un patrimoine commun
dont nous savons que la diversité est la première
richesse... Nous sommes au commencement d’une
oeuvre durable qui s’inscrira dans les temps qui
viennent, car, au travers d’une langue commune,
c’est un mouvement de la pensée, c’est toute une
action qui se dessine..."
Pour le Premier ministre canadien, Brian
Mulroney, un des promoteurs de ce Sommet,
depuis qu’il a réglé le vieux différend qui opposait
le Canada et le Québec sur le niveau de la
représentation : "Pour ne pas décevoir, ce Sommet
doit imprimer un second souffle à la
Francophonie, l’engager dans les voies de l’avenir
et déboucher sur des résultats visibles et
palpables..." En soulignant que son pays pensait
particulièrement à l’informatique, aux banques de
données linguistiques et à la traduction
automatique.
Entre autres intervenants, le Premier ministre
tunisien, Mohamed Mzaki, a, quant à lui, rappelé
que "nos cultures sont en péril" et qu’il est "vital
de constituer un rassemblement économique,
scientifique et technologique qui puisse, en
l’absence d’un véritable dialogue Nord-Sud,
établir une solidarité concrète entre pays riches et
pays démunis... Dans la concertation, nous
pensons pouvoir établir un front contre la
pauvreté".
Pour sa part, le Premier ministre québécois,
Robert Bourassa, propose d’examiner, d’une
manière approfondie, la possibilité d’établir "un
nouveau Plan Marshall" qui permettrait le transfert
des surplus alimentaires accumulés à grands frais
par les pays riches aux pays du Tiers-monde qui
en ont besoin".
Dans un message adressé au Sommet par le chef
de l’Etat burkinabé - représenté par son ministre
de la Promotion économique - le capitaine
Thomas Sankara souligne que la langue française
a d’abord été celle du colonisateur, et
qu’aujourd’hui, son pays l’utilise "non plus
comme le vecteur d’une quelconque aliénation
culturelle, mais comme un moyen de
communication avec les autres peuples". La
langue française, doit, selon lui, "accepter les
autres langues comme expressions de la sensibilité
des autres peuples". Et de conclure en affirmant
que son pays "attend beaucoup de la culture des
autres pour s’enrichir davantage..."
Bien évidemment, des sujets plus politiques et
économiques ont également été abordés. Ainsi, le
président sénégalais, Abdou Diouf, président en
exercice de l’OUA, a demandé "l’application
effective et immédiate des sanctions économiques
contre l’Afrique du Sud", seul moyen de "mettre
rapidement fin à l’apartheid", et proposé la tenue
d’une conférence internationale sur l’Afrique du
Sud le 16 juin 1986, date du dixième anniversaire
du soulèvement de Soweto.
Abordant, ensuite, le problème de la dette
africaine, le chef de l’Etat sénégalais a mis, une
nouvelle fois, en avant l’idée d’une taxation des
activités d’armement, qui serait redistribuée au
profit du développement.
Le président malgache, Didier Ratsiraka, a, quant
à lui, rappelé la proposition d’une conférence
internationale sur la dette africaine, dont le
principe avait été retenu lors du dernier Sommet
franco-africain en décembre 1985.
. Les décisions pratiques
Voici le résumé des principales "décisions
pratiques" – vingt-huit au total – du Sommet
francophone, annoncées par M. Mitterrand
mercredi 19 février. Un "comité du suivi" a été
constitué pour surveiller l’application de ces
mesures : il comprend la Communauté française
(Bruxelles-Wallonie) de Belgique, le Burundi, le
Canada, les Comores, la France, le Liban, le
Maroc, le Québec, le Sénégal et le Zaïre.
- Création d’une "agence internationale
francophone
d’images
de
télévision"
(actuellement 98 % d’entre elles sont fournies par
des agences anglo-saxonnes). Financement,
16 millions de FF par an, dont 5 millions fournis
par la France ;
- la télévision par câble TV5 (France, Belgique,
Suisse romande, Canada et Québec) verra son
champ de diffusion étendu à l’Amérique du Nord,
la Méditerranée et l’Afrique (le Maroc peut déjà la
capter).
Mise
française
supplémentaire :
29 millions de FF ;
- à partir de 1987, la France ouvrira à des
"programmes francophones" l’un des quatre
canaux disponibles sur le futur satellite de
télévision directe TDF 1 ;
- constitution d’un groupe de travail qui remettra
en 1986 son rapport sur l’extension au monde
francophone des banques de données linguistiques
par vidéotexte ;
- étude de l’utilisation du vidéodisque par
l’enseignement médical dans dix facultés
francophones, à partir de l’expérience de l’hôpital
parisien de la Salpêtrière ;
- tenue à Paris, tous les deux ans, en même temps
que le Salon du livre, d’un "Salon du livre
francophone" sur 400 mètres carrés. Coût :
3 millions de FF fournis par la France ;
- lancement, à la demande expresse du Vietnam,
d’une collection populaire de cent titres d’auteurs
de graphie française :
- réalisation d’une "maquette de fonctionnement
de la langue" pour le traitement automatique des
textes. Coût : 20 millions de FF dont la moitié
fournie par Paris. Création d’un prix international
d’innovation linguistique (part de la France :
100 000 F) ;
39
- appui financier au "programme photovoltaïque"
des pays du Sahel africain en faveur de la maîtrise
des petites techniques énergétiques. Coût : 5 à
10 millions de FF par an ;
- institution d’un baccalauréat francophone
international ;
- création de "centres de formation d’agronomes
en milieu rural" (participation française :
8 millions de FF en quatre ans), et, sur demande
tunisienne, de "centres de formation artisanale"
(participation française: 15 millions de FF sur cinq
ans) ;
- renforcement de la concertation entre délégations
francophones au sein du système des Nations
unies.
2ème Sommet de la Francophonie
Québec 2/4 septembre 1987
Vers une "institutionnalisation" de la
Francophonie
. Les 41 participants
16 chefs d’État
Bénin : Mathieu Kérékou
Burundi : Jean-Baptiste Bagaza
Comores : Ahmed Abdallah Abderemane
Djibouti : Hassan Gouled Aptidon
France : François Mitterrand
Gabon : Omar Bongo
Guinée : Lansana Conté
Guinée-Bissau : Joao Bernardo Vieira
Liban : Amine Gemayel
Madagascar : Didier Ratsiraka
Mali : Moussa Traoré
Mauritanie : Maaouya Ould Sid’Ahmed Taya
Rwanda : Juvénal Habyarimana
Sénégal : Abdou Diouf
Togo : Gnassingbé Eyadéma
Zaïre : Mobutu Sese Seko
10 chefs de gouvernement
Belgique : Wilfried Martens
Canada : Brian Mulroney
Dominique : Maria Eugenia Charles
France : Jacques Chirac
Luxembourg : Jacques Santer
Monaco : Jean Ausseil
Niger : Hamid Algabid
Nouveau-Brunswick : Richard Hatfield
Québec : Robert Bourassa
Sainte-Lucie : John Compton
15 autres chefs de délégation
Belgique : Philippe Monfils, ministre-président de
la Communauté française
Burkina Faso : Djibrima Barry, ambassadeur en
France
Centrafrique : Jean-Louis Psimhis, ministre des
Affaires étrangères
Congo : Antoine Ndinga-Oba, ministre des
Affaires étrangères
Côte d’Ivoire : Siméon Aké, ministre des Affaires
étrangères
Egypte : Boutros Boutros-Ghali, ministre des
Affaires étrangères
Haïti : Luc Hector, membre du Conseil national de
gouvernement
Laos : Kithong Vougsay, ambassadeur à l’ONU
Maroc : Abdellatif Filali, ministre des Affaires
étrangères
Maurice : Chitmansing Jesseramsing, hautcommissaire au Canada
Seychelles : Danielle de Saint-Jorre, secrétaire
d’Etat
Suisse : Edouard Brenner, secrétaire d’État aux
Affaires étrangères
Tchad : Hissein Grinky, ministre de la Culture
Tunisie : Hedi Mabrouk, ministre des Affaires
étrangères
Vietnam : Nguyen Huu Tho, vice-président du
Conseil d’Etat
l’île, mais s’attache aux problèmes de reboisement
du pays.
Au premier Sommet de Paris, les
francophones avaient été nettement moins
ambitieux, se contentant d’une seule résolution,
sur l’Afrique du Sud. Celles de Québec prouvent
que si, en raison de la diversité des régimes qui
composent le mouvement, ils ne peuvent avoir de
position très tranchée, ils n’hésitent plus à débattre
des grands problèmes mondiaux.
. Les décisions pratiques
. La conférence
Le Sommet de Québec a adopté, dès le
premier jour, une série de neuf résolutions sur la
politique internationale, qui, certes, apportent peu
de nouveautés sur le plan diplomatique, mais
témoignent de la vigueur du jeune mouvement
francophone et de sa volonté de s’affirmer comme
forum international. Ces résolutions portent sur le
Tchad, le Liban, l’Afrique du Sud, la situation
économique internationale, Haïti, la politique
agricole, l’environnement, la guerre Iran-Irak et le
Moyen-Orient. Sur ce dernier point, le Canada a
fait bande à part, en émettant des réserves sur la
reconnaissance du "droit des Palestiniens à
l’autodétermination", expression qu’il souhaitait
voir remplacer par la notion de "foyer national".
Sur le Tchad, les participants ont évité toute
allusion à la situation politique et militaire, se
bornant à créer un fonds pour l’éducation, qui est
laissé à la générosité des pays. Le Canada a
annoncé qu’il doterait ce fonds d’un million de
dollars canadiens (4,60 millions de FF).
Une formule similaire a été retenue pour le
Liban.
Les participants demandent à l’Iran et à l’Irak
l’application "sans délai" de la résolution adoptée
le 20 juillet dernier par le Conseil de sécurité de
l’ONU appelant à un cessez-le-feu immédiat.
L’Afrique du Sud est condamnée pour sa politique
d’apartheid et les francophones demandent à
Pretoria d’ouvrir, sans attendre, des négociations
avec la majorité noire. Les pays francophones
"s’engagent à maintenir les pressions
économiques et politiques sur le gouvernement
d’Afrique du Sud", précise la résolution qui
demande aux autorités de Pretoria d’entamer "des
négociations avec les représentants authentiques
de la majorité noire et les autres composantes de la
société sud-africaine".
"Le gouvernement d’Afrique du Sud doit
clairement déclarer son intention de démanteler
l’apartheid, mettre fin à l’état d’urgence, libérer
tous les prisonniers politiques (y compris Nelson
Mandela) et lever l’interdit frappant le Congrès
national africain (ANC) et d’autres organisations
politiques anti-apartheid", déclarent encore les
participants au Sommet francophone.
Sur ce dossier de l’apartheid, une mesure
concrète a été décidée par les francophones, qui
consiste à mettre en place un système de "bourses
d’études pour venir en aide aux victimes de
l’apartheid".
Le Canada a offert 260 000 dollars pour
participer à cette action de "solidarité".
La situation économique mondiale et la dette
sont abordées en termes très généraux, les
participants estimant que cette dernière pose des
"problèmes extrêmement difficiles et nécessite un
traitement spécial".
Les participants ont, enfin, adopté deux
résolutions sur la lutte contre la désertification et
les calamités naturelles. La résolution sur Haïti ne
dit pas un mot de la difficile situation politique de
Contrairement au Sommet de Paris, en février
1986, où les "bonnes" résolutions des participants
à la première "Conférence des chefs d’Etat et de
gouvernement ayant en commun l’usage du
français", étaient, de l’avis général, trop
nombreuses, à Québec, les dirigeants
francophones se sont attachés à mettre sur pied des
projets concrets et réalisables à court terme.
Preuve de cet effort : alors qu’en deux ans (19861987), 270 millions de FF (46 millions de dollars)
ont été dépensés pour la Francophonie, c’est un
montant sensiblement égal qui sera affecté à des
programmes pour la seule année 1988, la France
et le Canada ayant décidé de doubler leur mise.
Cinq secteurs d’activité "porteurs d’avenir"
ont été retenus : l’agriculture, l’énergie, la culture
et les communications, l’information scientifique
et le développement technologique, ainsi que les
industries de la langue (technologies appliquées au
français). L’accent a été surtout mis sur la
formation, l’audiovisuel, les banques de données,
et, d’une manière générale, toute l’informatique.
Par ailleurs, les institutions multilatérales de la
Francophonie
demeurent
pratiquement
inchangées. Ainsi, le Sommet a décidé de
"maintenir l’existence et les fonctions d’un
Comité du suivi chargé expressément de
"transmettre systématiquement les comptes rendus
des séances à l’ensemble des membres du
Sommet, afin qu’ils puissent exprimer des
suggestions et observations".
Comme prévu depuis la réunion ministérielle
de Bujumbura, en juillet 1987, un Comité
consultatif conjoint sera créé, comprenant le
Comité du suivi assisté des chefs de réseau et le
Secrétaire général de l’Agence de coopération
culturelle et technique (ACCT) assisté de ses
directeurs généraux et du contrôleur financier.
Ce Comité consultatif sera chargé de donner
des avis sur la programmation des décisions du
Sommet et d’établir les modalités d’un appui
technique de l’ACCT au Comité du suivi.
L’ACCT est chargée de l’exécution des
actions décidées par le Sommet, soit sur son
budget ordinaire, soit grâce à un financement
complémentaire. Les Etats contributeurs pourront
créditer soit directement leurs comptes, soit des
comptes spéciaux créés auprès de l’ACCT, la
préférence allant à la deuxième solution.
Le Comité du suivi est chargé, pour sa part,
d’examiner avant le Sommet de Dakar, en 1989,
les rôles respectifs de l’ACCT, des réseaux et des
autres organismes de la Francophonie et d’étudier,
notamment, la possibilité d’intégrer les réseaux à
l’ACCT. Les travaux du Comité du suivi seront
présidés par le Canada jusqu’au prochain
Sommet, la France et le Sénégal assurant la viceprésidence.
Le Canada a aussi profité de la tribune du
Sommet pour annoncer spectaculairement qu’il
effaçait la totalité de la dette publique de sept pays
de l’Afrique francophone sub-saharienne. Cette
mesure, qui représente 246 millions de dollars
américains, touche même le Cameroun qui n’est
40
pas membre du mouvement, mais où les
investissements canadiens sont très importants.
Les autres pays sont le Sénégal, le Zaïre,
Madagascar, le Congo, la Côte d’Ivoire et le
Gabon.
Enfin, la Francophonie s’est dotée d’une
"Déclaration de solidarité francophone", mise au
point par le Canada et le Québec. Cette charte de
la Francophonie affirme les grands principes de
solidarité et de compréhension mutuelle entre tous
les pays membres, et leur volonté de relever les
défis qui s’imposent aux francophones, s’ils
veulent que leur seul lien, le français, continue de
jouer son rôle de deuxième langue de
communication mondiale.
Avec la fixation des Sommets à un rythme
désormais régulier - tous les deux ans - la
Francophonie s’est, en quelque sorte,
institutionnalisée. Si elle n’a pas encore d’hymne
officiel, elle a désormais un drapeau. En effet, sur
proposition du Niger, le Sommet a adopté, comme
couleurs permanentes du mouvement, l’emblème
de la conférence de Québec, formé, sur fond
blanc, d’un cercle composé de parties rouge, bleu,
jaune, vert et violet, symbolisant les cinq
continents.
3ème Sommet de la Francophonie
Dakar 24/26 mai 1989
L’enracinement en terre africaine
. Les 41 participants
17 chefs d’Etat
Bénin : Mathieu Kérékou
Burkina Faso : Blaise Compaoré
Burundi : Pierre Buyoya
Comores : Ahmed Abdallah Abderemane
Côte d’Ivoire : Félix Houphouët-Boigny
Djibouti : Hassan Gouled Aptidon
France : François Mitterrand
Gabon : Omar Bongo
Guinée : Lansana Conté
Guinée-Bissau : Joao Bernardo Vieira
Guinée équatoriale : Obiang Nguema Mbansogo
Mali : Moussa Traoré
Niger : Ali Saïbou
Rwanda : Juvénal Habyarimana
Sénégal : Abdou Diouf
Togo : Gnassingbé Eyadéma
Zaïre : Mobutu Sese Seko
9 chefs de gouvernement
Belgique : Wilfried Martens
Belgique : Valmy Feaux, ministre-président de la
Communauté française
Canada : Brian Mulroney
Dominique : Maria Eugenia Charles
Maroc : Azzedine Laraki
Monaco : Jean Ausseil
Nouveau-Brunswick : Franck McKenna
Québec : Robert Bourassa
Tunisie : Hedi Baccouche
15 autres chefs de délégation
Cameroun : Luc Ayang, président du Conseil
économique et social
Cap-Vert : H. Almada, ministre de la Formation,
de la Culture et des Sports
Centrafrique : Jean-Louis Psimhis, ministre des
Affaires étrangères
Congo : Jean-Baptiste Tati-Loutard, ministre de la
Culture et des Arts
Egypte : Boutros Boutros-Ghali, ministre d’État
aux Affaires étrangères
Haïti : Yvon Perrier, ministre des Affaires
étrangères
Laos : Soubanh Srithirath, vice-ministre des
Affaires étrangères
Liban : Abel Ismail, ambassadeur auprès de
l’UNESCO
Luxembourg : Robert Krieps, ministre des
Affaires culturelles et de la Justice
Madagascar : Jean Bémananjara, ministre des
Affaires étrangères
Maurice : Satcam Boolell, vice-Premier ministre
Seychelles : Danielle de Saint-Jorre, secrétaire
d’Etat aux Affaires étrangères
Suisse : Klaus Jacobi, secrétaire d’Etat aux
Affaires extérieures
Tchad : Ibn Oumar Acheik, ministre des Relations
extérieures
Vietnam : Nguyen Huu Tho, vice-président du
Conseil d’Etat
. La conférence
Le Sommet de Dakar, le premier en terre
africaine, entend ancrer plus fortement la
Francophonie dans le Sud pour illustrer sa
diversité linguistique et culturelle. Pour le chef de
l’Etat sénégalais, président du pays-hôte, ce
Sommet est celui "de la consolidation, de
l’élargissement, de la maturité et de
l’enracinement en terre africaine".
Le président Mitterrand a créé l’événement,
dès le premier jour du Sommet, en se proposant
d’effacer la dette publique - quelque 16 milliards
de FF - qui est due à la France par 35 pays
africains les plus pauvres. Pour le chef de l’Etat
français, "la France fait ce qu’elle peut dans son
domaine, mais il y a d’autres initiatives à prendre
entre pays riches pour attaquer le mal à la racine et
aller à la source des difficultés des pays en
développement... Il faut également que les pays du
Sud veillent à ne pas retomber dans le cycle
infernal de l’endettement, ils en ont conscience..."
Le Premier ministre canadien, Brian
Mulroney a, lui aussi, longuement insisté sur le
nécessaire élargissement du dialogue Nord-Sud
pour une solution du problème de l’endettement et
la promotion de la protection de l’environnement.
Le chef de l’État malien, Moussa Traoré,
président en exercice de l’OUA, a, pour sa part,
insisté sur les zones de conflit, qu’elles se situent
en Afrique australe ou au Proche-Orient.
En ce qui concerne la crise entre le Sénégal et
la Mauritanie - dont la chaise est restée vide
pendant les trois jours du Sommet - le président
Abdou Diouf a fait preuve d’esprit de conciliation,
en affirmant fortement qu’il faut négocier, et que
son pays "ne veut pas la guerre". Le président
Mitterrand - dont le ministre des Affaires
étrangères, Roland Dumas, a rencontré le
président mauritanien à Nouakchott, le 25 mai - a
appelé, lui aussi, à la négociation entre les deux
pays, sous l’égide de l’OUA, et assuré que "la
France ferait tout pour faire avancer les choses..."
Dans une longue intervention consacrée à
l’économie, le président ivoirien, Félix
Houphouët-Boigny, a notamment traité de la
baisse des prix des matières premières et des
préoccupations des Etats africains à ce propos. Un
sujet qui, avec l’endettement et les problèmes
d’environnement, a occupé la majeure partie des
débats.
La condamnation de l’apartheid, le maintien
en détention de nombreux prisonniers politiques,
notamment Nelson Mandela, le droit à
l’indépendance de la Namibie et à
l’autodétermination du peuple palestinien, la
nécessité urgente de rétablir la paix au Liban, le
cessez-le-feu intervenu le 20 août 1988 entre l’Iran
et l’Irak ont également fait l’objet de résolutions
du Sommet, tout comme l’utilisation du français
dans les organisations internationales et la défense
de l’environnement.
Après Paris et Québec, Dakar a
incontestablement constitué un tournant : la
Francophonie n’est plus ce cénacle préposé à la
défense et à l’illustration de la langue française.
Elle est devenue une force publique et
économique qui entend désormais peser sur la
balance des relations internationales.
. Les décisions pratiques
Le Sommet a décidé, sur proposition du
Canada, la création d’un fonds spécial pour la
protection de l’environnement. En outre, le
Canada, par le biais de l’Agence canadienne de
développement international, annonce qu’il
consacrera 5,5 millions de dollars à la mise sur
pied d’un réseau agro-forestier destiné à appuyer
les services nationaux du Sénégal, du Mali, du
Burkina Faso et du Niger.
Les autres domaines essentiels d’action
retenus par le Sommet de Dakar concernent la
formation, la communication, avec, notamment,
l’extension de TV5 en Afrique et la diffusion de
Canal France International, une banque de
programmes française dans laquelle les télévisions
des différents États peuvent choisir ce qui les
intéresse.
Outre la remise des dettes publiques de 35
pays africains les moins avancés - quelque
16 milliards de FF - la France a décidé de porter sa
contribution totale, pour le suivi du Sommet de
Dakar, à 237 millions de FF par an, soit le double
de la contribution du Canada qui est de
280 millions de FF pour deux ans et demi.
Le Sommet de Dakar s’est également attaché
à institutionnaliser les instances du mouvement
francophone :
Le Comité international du suivi (CIS) :
. il est maintenu dans l’intégralité de ses fonctions
et de ses pouvoirs : assume son rôle d’arbitrage et
d’évaluation des actions confiées aux opérateurs
directs du Suivi du Sommet et fait rapport aux
chefs d’Etat et de gouvernement ;
. il demeure l’instance finale de coordination et de
décision, sous l’autorité des chefs d’Etat et de
gouvernement, approuve les projets et affecte les
budgets. En conséquence, l’ACCT et les autres
opérateurs directs, s’agissant des fonds du
Sommet, doivent lui soumettre leurs propositions ;
. il reflète la diversité de l’espace francophone, et
assure une rotation suffisante, tout en garantissant
la continuité des travaux.
Le Comité international de préparation (CIP):
. il constitue l’instance finale de préparation des
propositions de programmation et d’affectation
budgétaire à présenter aux Sommets. L’ACCT et
les autres opérateurs directs lui proposent les
différents projets. Tous les pays participant aux
Sommets en sont membres.
L’Agence de coopération culturelle et technique
(ACCT) :
. elle constitue, par sa qualité d’unique
organisation
intergouvernementale
de
la
Francophonie découlant d’une convention, une
garantie institutionnelle pour la dimension
multilatérale devant présider à la conception et à la
41
mise en oeuvre des projets découlant des décisions
des chefs d’État et de gouvernement ;
. elle continue d’exercer les rôles d’animation, de
consultation et de concertation du monde
francophone, tels que prévus à sa charte ;
. elle doit enrichir sa mission actuelle par
l’intégration, en son sein, du rôle et de la fonction
des réseaux du CIS. Il est entendu que la
participation à ces réseaux demeure ouverte, sans
restriction aucune, à l’ensemble des Etats et
gouvernements présents aux Sommets ;
. elle se voit, en conséquence, investie du mandat
de proposition, de programmation et de suggestion
d’affectation
budgétaire ; propositions et
suggestions à être soumises au CIS et au CIP
selon le cas. En vertu de ce mandat, le secrétaire
général de l’ACCT participe, de plein droit, aux
séances du CIS, du CIP et au volet Coopération
des Conférences ministérielles préparatoires ;
. elle accueille et gère, dans une perspective de
multilatéralisme et de simplification budgétaire,
un fonds multilatéral unique destiné au
financement des actions engagées par les
Sommets. Ce fonds est distinct de son budget
régulier.
Les Conférences ministérielles
L’ACCT assume la responsabilité de la
préparation et du Suivi de toutes les Conférences
ministérielles sectorielles convoquées dans le
cadre des Sommets. Les Conférences
ministérielles permanentes (CONFEJES –
Conférence des ministres de la Jeunesse et des
Sports des pays d’expression française, et
CONFEMEN – Conférence des ministres de
l’Education des pays ayant en commun l’usage du
français), tout en conservant leur autonomie, sont
invitées à collaborer étroitement avec l’ACCT
dans le cas de Conférences élargies aux autres
membres de l’Agence qui ne font pas partie de ces
deux Conférences permanentes.
Les organes subsidiaires
Lorsque la mise en oeuvre de projets à long terme
nécessite la création d’une structure spécialisée
dotée d’une personnalité juridique, l’ACCT est
invitée à examiner l’opportunité de créer des
organes subsidiaires ouverts à l’adhésion de
l’ensemble des participants du Sommet, comme
elle l’a fait pour l’Institut de l’énergie.
Les autres opérateurs
Lorsque la mise en oeuvre des projets à long terme
nécessite le choix d’opérateurs à mission
spécialisée, le Sommet en décide, à l’exemple de
ce qui a été fait à Paris et à Québec dans le cas de
l’Association des Universités partiellement ou
entièrement de langue française (AUPELF), de
TV5 et du Centre d’échanges multilatéraux
d’actualités francophones (CEMAF).
Le mandat spécifique confié à l’AUPELF lui
confère la qualité d’opérateur multilatéral
privilégié du programme majeur UREF
(Université des réseaux d’expression française)
concernant la recherche universitaire et
l’enseignement supérieur. Il en va de même pour
TV5 et le CEMAF dans les domaines spécifiques
de leur compétence.
Le Comité consultatif conjoint (CCC)
Créé au Sommet de Québec et réunissant le CIS et
l’ACCT, le CCC est élargi aux autres opérateurs
directs, afin de favoriser la concertation et
l’information réciproques une fois l’an.
Le monde associatif
Les chefs d’État et de gouvernement
reconnaissent la contribution du monde associatif
multilatéral francophone. Ils estiment qu’il doit
être renforcé dans son rôle de relais. A cet effet,
une réunion d’information annuelle avec le CIS lui
sera réservée. De plus, le Sommet francophone
souhaite que les instances de l’ACCT procèdent à
l’examen d’une réforme du Conseil consultatif de
l’Agence, réforme faisant de cet organe le lieu
fonctionnel de rencontres et d’échanges des
associations francophones multilatérales et
l’instrument de coordination entre elles. Cette
réforme devrait tenir compte des rôles divers de
chaque catégorie d’association. Elle pourrait être
complétée par la création d’un poste permanent
d’agent de liaison chargé des associations, auprès
du secrétaire général de l’ACCT.
L’Association internationale des parlementaires
de langue française (AIPLF)
Le Sommet francophone tient à reconnaître le rôle
éminent que l’AIPLF, seule organisation
interparlementaire des pays francophones, joue
dans la construction et le développement de la
Francophonie. La représentation des Parlements
qu’elle constitue, l’influence qu’elle exerce sur
l’opinion, ainsi que les actions de coopération
qu’elle a menées, sont un élément important de
stimulation pour le succès des projets décidés par
les Sommets. Aussi, demande-il au CIS
d’organiser la consultation et l’information
réciproques.
Enfin, il est décidé que le prochain Sommet se
tiendra, en 1991, au Zaïre.
4ème Sommet de la Francophonie
Chaillot (Paris) 19/21 novembre 1991
"Elargissement et maturité"
. Les 45 participants
21 chefs d’Etat
Bénin : Nicéphore Soglo
Bulgarie : Jeliou Jelev
Burkina Faso : Blaise Compaoré
Burundi : Pierre Buyoya
Cameroun : Paul Biya
Centrafrique : André Kolingba
Comores : Saïd Mohamed Djohar
Côte d’Ivoire : Félix Houphouët-Boigny
France : François Mitterrand
Gabon : Omar Bongo
Guinée-Bissau : Joao Bernardo Vieira
Haïti : Jean-Bertrand Aristide
Laos : Kaysone Phomvihane
Liban : Elias Hraoui
Mali : Amadou Toumani Touré
Mauritanie : Maaouya Ould Sid’Ahmed Taya
Roumanie : Ion Iliescu
Rwanda : Juvénal Habyarimana
Sénégal : Abdou Diouf
Suisse : René Felber
Tchad : Idriss Déby
13 chefs de gouvernement
Belgique : Wilfried Martens
Belgique (Communauté française) : Valmy Feaux
Canada : Brian Mulroney
Congo : André Milongo
Luxembourg : Jacques Santer
Maurice : Aneerood Jugnauth
Niger : Amadou Cheiffou
Nouveau-Brunswick : Franck McKenna
Québec : Robert Bourassa
Togo : Kokou Joseph Koffigoh
Tunisie : Hamed Karaoui
Val d’Aoste : Gianni Bondaz
Vanuatu : Donald Kalpokas
11 autres chefs de délégation
Cambodge : Khek Sysoda, membre du Cabinet du
président du Conseil national suprême
Djibouti : Moumin Bahdou Farah, ministre des
Affaires étrangères
Egypte : Boutros Boutros-Ghali, vice-Premier
ministre pour les Relations étrangères
Guinée équatoriale : Isidoro Eyi Monsuy Andémé,
vice-Premier ministre
Louisiane : Allan Barres, sénateur, ancien
président du Sénat
Madagascar : Honoré Rakotomanana, président de
la Cour constitutionnelle
Maroc : Mohammed Benaïssa, ministre des
Affaires culturelles
Monaco : René Novella, ambassadeur en Italie
Nouvelle-Angleterre : Paul Laflamme, président
de l’Action pour les Franco-Américains du NordEst (ACTFANE)
Seychelles : Danielle de Saint-Jorre, ministre des
Relations extérieures
Vietnam : Nguyen Huu Tho, vice-président du
Conseil d’Etat
Zaïre : Buketi Bukayi, ministre des Relations
extérieures
. La conférence
A Dakar, le Sommet de la Francophonie s’était
donné rendez-vous au Zaïre pour sa 4ème réunion.
Le rendez-vous zaïrois n’aura pas lieu : accusées,
notamment, par la Belgique, la France et le
Canada, de bafouer les Droits de l’homme, les
autorités zaïroises ont dû déclarer forfait. Le relais
fut passé à la France, et c’est au palais de Chaillot,
à Paris, que s’ouvre le 19 novembre 1991, le 4ème
Sommet de la Francophonie.
Soulignant que ce Sommet est celui de
"l’élargissement et de la maturité", le président
Mitterrand constate : "L’espace francophone se
déploie sur tous les continents, retrouve des
solidarités anciennes, appelle des amitiés, marque
le sentiment qu’un destin se partage aussi...A l’est
de l’Europe, la liberté a repris ses droits avec
vigueur, les nations vivent leur indépendance. Des
minorités s’expriment, des peuples souvent
chargés d’histoire veulent compter à leur tour, et
parfois de nouveau... Tout au long des années de
plomb, ils ont gardé en secret cette passion de la
langue française. Sorte d’espérance à tenir, de
liberté à préserver, avec le sentiment tenace qu’un
jour, ils retrouveraient les nations libres qui parlent
la même langue. Tel est le sens, je pense, de
l’arrivée, parmi nous, de la Bulgarie et de la
Roumanie..." Et de saluer également la présence
du Cambodge (en soulignant "le rôle du prince
Sihanouk qui était déjà, il y a trente ans, au côté
des présidents Senghor et Diori Hamani pour
souhaiter la création d’une Communauté
d’expression française"), celle du Cameroun et du
Laos "hier observateurs", ainsi que la présence du
président Hraoui qui "signifie que le Liban en
marche vers la réconciliation de ses citoyens,
retrouve la place qui lui est due dans la reconquête
de sa souveraineté..."
Le Premier ministre canadien, Brian
Mulroney, affirmait, pour sa part : "La France, qui
nous accueille, est le berceau de la liberté, la mèrepatrie des droits de la personne. Et, ce retour aux
sources devrait nous être d’autant plus salutaire
que nous prenons de plus en plus conscience que,
sans démocratie véritable, il ne peut y avoir de
développement
durable,
et
que,
sans
développement soutenu, il ne peut y avoir de
42
démocratie solide. Notre hôte à Dakar, le président
Diouf, avait d’ailleurs évoqué "ce ressourcement
aux idéaux les plus élevés de liberté et de justice,
véhiculés par le français". Le rappel de ces paroles
donne un sens singulier à la participation à cette
conférence du père Jean-Bertrand Aristide, le
président démocratiquement élu d’Haïti "qui
témoigne, avec dignité et courage, des dangers que
la démocratie court encore. C’est dire que le
monde a changé depuis le Sommet de Dakar, qu’il
a changé rapidement et profondément, qu’il
continue de changer vite et beaucoup".
Entre-temps, le président Diouf, puis le
président Soglo avaient affirmé leur foi dans la
démocratie en Afrique. Le chef de l’État
sénégalais avait salué dans le Bénin le pays grâce
auquel la démocratie était revenue en Afrique.
C’est pourquoi, s’exprimant à son tour, pour la
première fois devant un Sommet francophone, le
président béninois devait conseiller à l’Afrique de
suivre l’exemple de son pays : "Sans doute ne
saurions-nous prétendre, dit-il, qu’il existe un
modèle imposable à tous, quelque chose comme
un prêt-à-porter démocratique. Nous n’en restons
pas moins persuadés au Bénin que, si le courage,
la dignité et l’esprit de responsabilité sont au
rendez-vous, la conférence nationale est un cadre
approprié pour opérer des mutations décisives et
pacifiques dans une société en quête d’un souffle
nouveau. Car elle reste à nos yeux l’alternative
aux affrontements meurtriers et à la guerre civile.
Telle est du moins la conviction des Béninois qui,
depuis février 1990, s’efforcent patiemment de
construire le renouveau démocratique. C’est le
lieu pour moi d’adresser ma profonde gratitude
aux pays membres de la Francophonie qui nous
ont apporté, et continuent de nous apporter leur
soutien dans cette difficile entreprise, de même
qu’à ceux qui suivent avec tant de sympathie le
processus de consolidation de la démocratie au
Bénin".
Le 4ème Sommet de la Francophonie a
adopté un certain nombre de résolutions de
politique internationale :
- Sécurité internationale : les pays du Sommet
"s’engagent à se joindre à tous les membres de la
communauté internationale pour condamner la
prolifération des armes de destruction massive et
renforcer les instruments pour combattre
efficacement la prolifération des armes nucléaires
chimiques et biologiques ainsi que des systèmes
balistiques".
Ils s’engagent également à "promouvoir une
plus grande prudence dans le transfert des armes
conventionnelles qui permettra l’affectation du
plus grand nombre de ressources possible au
développement social et économique de leurs
pays".
Ils apportent par ailleurs "leur appui entier à
l’affermissement du rôle et de l’autorité du
secrétaire général" de l’ONU dont ils entendent
"soutenir activement l’action" en faveur de la paix
"tout en exhortant les peuples des régions en crise
à résoudre leurs conflits par des moyens
pacifiques".
Le mouvement francophone s’engage "à
travailler au renforcement de la capacité de l’ONU
à agir de manière préventive pour maintenir la
paix et la sécurité".
Il s’engage enfin à "améliorer les mécanismes
de coordination et d’intervention des agences
humanitaires de l’ONU et au soutien d’autres
organisations multilatérales tel le CICR, afin de
rendre plus efficaces les actions de secours aux
populations affligées".
- Conflit israélo-arabe : ils "apportent leur
soutien aux efforts engagés par les Etats-Unis,
l’Union soviétique, les pays de la CEE et d’autres
pays concernés et intéressés, invitent les parties à
faire preuve de l’esprit constructif qui permettra de
saisir cette occasion historique de parvenir à un
règlement juste et durable du conflit israélo-arabe
et du conflit palestinien".
Ils "les invitent à adopter les mesures de
confiance équilibrées et réciproques qui
permettraient de créer un climat favorable à la
négociation, en particulier, la cessation de la
politique d’implantation de colonies israéliennes
dans les territoires occupés et du boycott arabe".
Ils "se déclarent prêts, dans la mesure de leurs
moyens, à contribuer au développement de la
coopération régionale qui suivra le retour de la
paix".
- Haïti : "constatant le renversement du
gouvernement démocratiquement élu d’Haïti, le
Sommet
"condamne
énergiquement
ce
renversement violent et illégal qui prive le peuple
haïtien du libre exercice de ses droits
démocratiques".
La résolution exige également "le
rétablissement de l’État de droit et de l’ordre
constitutionnel ainsi que la restauration du
président légitime dans ses fonctions".
Elle prévoit "la suspension, jusqu’au
rétablissement de l’ordre constitutionnel, de la
mise en oeuvre des accords entre Haïti et l’Agence
de coopération culturelle et technique".
Les pays francophones, qui "appuient les
efforts déployés par l’OEA, l’ONU et d’autres
instances pour restaurer et renforcer la démocratie
dans ce pays", s’engagent à "respecter ou à
recommander l’application des sanctions
économiques arrêtées par l’OEA".
Ils affirment enfin "leur volonté, une fois
l’ordre constitutionnel rétabli en Haïti, de
consolider la coopération économique et
financière avec ce pays, afin de soutenir son
développement
économique,
social
et
démocratique".
- Afrique : les dirigeants du Sommet
francophone "se réjouissent du processus de
démocratisation en cours en Afrique, expriment
leur soutien aux pays africains engagés dans les
réformes politiques et économiques". Ils
demandent "instamment à la communauté
internationale de les soutenir" et s’engagent à
"oeuvrer pour la prise en compte, dans les
instances internationales, des besoins du continent
africain".
- Corne de l’Afrique : le Sommet francophone
appuie les efforts de plusieurs pays "et notamment
de la République de Djibouti", en faveur du
rétablissement de la paix en Somalie et appelle les
acteurs des conflits à entamer ou poursuivre des
négociations pour la paix dans la région.
- Liban : la résolution enregistre "avec
satisfaction les progrès réalisés tant sur le plan
politique que sur le plan de la sécurité depuis la
mise en oeuvre par le gouvernement libanais des
accords de Taëf et notamment pour ce qui a trait à
la dissolution des milices et à l’extension de la
zone contrôlée par l’armée légale".
Elle exprime son "appui au gouvernement
libanais dans la poursuite de l’application stricte et
complète des accords de Taëf en vue de
consolider la réconciliation nationale, de renforcer
la sécurité, de rétablir la légalité sur tout le
territoire national en y déployant l’armée
libanaise, et de restaurer la souveraineté pleine et
entière du Liban".
La résolution décide "la reconduction du
fonds de solidarité créé par le Sommet de Québec
(1987) pour la reconstruction des institutions
culturelles, éducatives, techniques et hospitalières
du Liban" et appelle "les Etats membres à
renouveler le financement de ce fonds".
- L’usage du français dans les organisations
internationales : la résolution invite les
gouvernements francophones à "une action
inlassable et concertée" en vue de permettre
l’adoption, dans les organisations où elles font
encore défaut, de résolutions linguistiques à
l’exemple des résolutions de l’ONU et d’assurer le
recrutement
optimum
de
fonctionnaires
internationaux francophones".
Elle appelle "à la création de groupes
francophones
dans
les
organisations
internationales", souligne "la nécessité de favoriser
par tous les moyens et notamment par la
formation de spécialistes, la qualité de la
traduction et de l’interprétation".
Elle demande "la mise en place d’un réseau
informatique de détection et de diffusion des
termes posant un problème de définition et de
traduction en français", et souligne "l’importance
de la présence des livres et documents français
dans les bibliothèques et centres de documentation
internationaux".
Elle souhaite que le français conserve sa place
de "première langue olympique" et demande
"qu’une concertation régulière entre francophones
s’élabore auprès des grandes organisations
internationales".
. Les décisions pratiques
Le 4ème Sommet de la Francophonie s’est
attaché à peaufiner la réforme de ses institutions
commencée à Dakar.
Le Sommet demeure l’instance suprême au
niveau politique, mais une Conférence
ministérielle se réunira, désormais, à mi-chemin
entre deux Sommets.
D’autre part, un Conseil permanent de la
Francophonie, composé des représentants
spéciaux des chefs d’Etat et de gouvernement (les
"sherpas"), doit être créé. Il comprendra
15 membres
(France,
Canada,
Québec,
Communauté française de Belgique, Sénégal,
Maurice, Côte d’Ivoire, Bénin, Togo, Gabon,
Zaïre, Maroc, Madagascar, Liban, Vietnam) et
regroupera trois des structures actuelles : le CIS, le
CIP et le bureau élargi de l’ACCT.
L’ACCT devrait obtenir un rôle technique de
secrétariat de la Francophonie qui reste à définir
dans le détail. Elle aura à sa disposition, pour
appuyer ses actions de coopération, 9 comités de
programmes composés d’experts gouvernementaux. Les représentants d’organisations nongouvernementales (ONG) pourront également être
appelés à y participer.
Il a été d’autre part décidé l’extension de la chaîne
de télévision cablée TV5 (reçue déjà en Europe et
en Amérique du Nord) en Afrique et le soutien à
la production d’images du Sud en renforçant
l’action de l’ACCT. La France a décidé de
doubler sa contribution à ce fonds - qui est de
30 millions de francs français au total - de 1,5 à
3 millions.
Sur proposition du Canada, il a été décidé la mise
sur pied d’un "réseau-pilote" de cliniques
juridiques, pour répondre aux besoins des femmes
dans les pays membres de l’espace francophone.
Ces cliniques auraient pour mission "des tâches de
vulgarisation, d’aide juridique, d’information et
d’actions pédagogiques pour contribuer à une
43
meilleure connaissance des codes de la famille et
des codes pénaux en vigueur". Le mandat définitif
de ces cliniques juridiques sera précisé lors de la
tenue ultérieure, en Afrique, d’un séminaire
international de juristes. Le gouvernement
canadien consacrera environ 3 millions de FF
(600 000 dollars canadiens) à la création de ce
réseau "qui sera appelé à s’étendre si l’expérience
s’avère concluante".
Le Canada a par ailleurs annoncé la poursuite de
son programme de bourses de la Francophonie créé lors du premier Sommet en 1986 - auquel
seront affectés près de 50 millions de FF
(10 millions de dollars canadiens) par an au cours
des cinq prochaines années. Ce programme, qui
s’adresse aux étudiants des pays en
développement membres du mouvement
francophone, devrait permettre, chaque année à
350 d’entre eux (dont 50 % de femmes), de
poursuivre leurs études dans des universités
canadiennes.
Enfin, le Sommet a décidé la tenue de sa
5ème réunion à l’île Maurice, en 1993.
5ème Sommet de la Francophonie :
Grand Baie(Maurice)6/18 octobre 1993
"L’unité dans la diversité"
. Les 47 participants
19 chefs d’État
Bénin : Nicéphore Soglo
Bulgarie : Jeliou Jelev
Burkina Faso : Blaise Compaoré
Burundi : Melchior Ndadaye
Cameroun : Paul Biya
Comores : Saïd Mohamed Djohar
Congo : Pascal Lissouba
France : François Mitterrand
Guinée Bissau : Vasco Cabral
Laos : Nouhak Phoumsavanh
Mali : Alpha Oumar Konaré
Niger : Mahamane Ousmane
Roumanie : Ion Illiescu
Rwanda : Juvénal Habyarimana
Seychelles : France Albert René
Suisse : Adolf Ogi
Tchad : Idriss Deby
Vietnam : Nguyen Thi Binh
Zaïre : Mobutu Sese Seko
13 chefs de gouvernement
Belgique : Jean-Luc Dehaene
Cambodge : prince Sdech Krom Luong Norodom
Ranariddh
Canada/Nouveau Brunswick : Frank McKenna
Canada/Québec : Lise Bacon
Dominique : Mary Eugenia Charles
Gabon : Casimir Oye Mba
Luxembourg : Jacques Santer
Madagascar : Francisque Ravony
Mauritanie : Sidi Mohamed Ould Boubacar
Monaco : Jacques Dupont
Togo : Kokou Joseph Koffigoh
Tunisie : Hamed Karoui
Vanuatu : Maxime Carlot Korman
15 autres chefs de délégation
Canada : Benoît Bouchard, ambassadeur à Paris,
représentant personnel du premier ministre
Cap-Vert : Manuel de Jesus Chantre, ministre des
Affaires étrangères
Centrafrique : Jean-Marie Bassia, ministre des
Affaires étrangères
Communauté française de Belgique : Laurette
Onkelinx, ministre-présidente chargée de la Santé,
des Affaires sociales et du Tourisme
Côte d’Ivoire : Amara Essy, ministre des Affaires
étrangères
Djibouti : Abdou Bolok Abdou, ministre des
Affaires étrangères
Egypte :
Samir
Safouat,
ambassadeur,
représentant personnel du président Hosny
Moubarak
Guinée : Ibrahima Sylla, ministre des Affaires
étrangères et de la Coopération
Guinée équatoriale : Augustin Nse Nfumu,
ministre délégué chargé de la Francophonie
Haïti : Claudette Werleigh, ministre des Affaires
étrangères et des cultes
Liban : Farès Boueiz, ministre des Affaires
étrangères
Maroc : Mohamed Allal Sinaceur, ministre des
Affaires culturelles
Maurice : Ahmud Swalay Kasenally, ministre des
Affaires étrangères
Sainte-Lucie : Louis George, ministre de
l’Education, de la Culture et du Travail
Sénégal : Moustapha Niasse, ministre d’État,
ministre des Affaires étrangères et des Sénégalais
de l’extérieur
4 invités spéciaux
Moldavie : Ntau, ministre des Affaires étrangères
Nouvelle-Angleterre : Paul Laflamme, président
de l’Action pour les Franco-Américains du NordEst
Val d’Aoste : Dino Vierin, président du
gouvernement régional
ONU : Boutros Boutros-Ghali, secrétaire général
. La Conférence
Le 5e sommet de la Francophonie à Maurice
a consacré l’usage d’un nouvel intitulé. Il est
devenu celui des chefs d’État et de gouvernement
des pays "ayant le français en partage", une
formule plus conviviale que celle qui avait prévalu
jusqu’alors : "ayant en commun l’usage du
français". La communauté francophone a accueilli
à cette occasion de nouveaux participants. Le
Cambodge, la Bulgarie, la Roumanie sont
devenus membres à part entière. En tout 47
délégations (soit 2 de plus qu’à Chaillot en 1991)
étaient présentes et 4 invités spéciaux (Moldavie,
Nouvelle-Angleterre, Val d’Aoste, Organisation
des Nations unies). Cette conférence a été
marquée par l’absence d’un certain nombre de
chefs d’État africains de premier plan. Ainsi, le
président de Côte d’Ivoire Félix HouphouëtBoigny, hospitalisé, n’a pu faire le voyage, le
président sénégalais Abdou Diouf a été retenu à
Dakar. Quant au président du Gabon, Omar
Bongo, il se trouvait en pleine campagne
électorale. Le Canada, lui aussi, n’a été représenté
que par son ambassadeur à Paris et non plus,
comme auparavant, par son premier ministre. Un
élément significatif de la crise des relations francocanadiennes lors de la préparation de la
conférence. Et enfin, le Sommet de Maurice a été
la dernière réunion de chefs d’États francophones
à laquelle le président François Mitterrand, alors
en fin de mandat, participait.
A Maurice, les grands thèmes abordés lors des
précédents sommets de la Francophonie et
notamment celui de Chaillot, démocratie, droits de
l’homme, sécurité, développement, solidarité
Nord/Sud, ont tout naturellement été abordés et
ont fait l’objet d’une mention dans le texte de la
déclaration finale et de l’adoption de nouvelles
résolutions. Après les avancées significatives vers
la démocratie réalisées en trois ans dans les pays
d’Afrique, le temps était venu, pour François
Mitterrand, de "la consolidation". "La démocratie
n’est pas une rente, il faut en consolider
inlassablement les acquis tout en retrouvant la
voie d’une croissance durable de vos économies".
La problématique démocratie/dévelop-pement
durable est encore dominante à Maurice car dans
le domaine économique, les résultats enregistrés
depuis le sommet de Chaillot n’ont pas été aussi
encourageants que sur le plan politique. Et si, pour
les protagonistes, ce sommet, placé sous le thème
proposé par la République de Maurice de "l’unité
dans la diversité", a été celui de "l’engagement
politique", c’est notamment parce qu’il a permis
d’approfondir la réflexion sur la présence de la
communauté francophone en tant qu’entité sur
"l’échiquier mondial" (déjà esquissée lors de la
préparation de la conférence internationale de
Vienne sur les droits de l’homme où la
concertation avait permis aux francophones de
parler d’une seule voix) en élargissant le rôle
politique d’outils comme le Conseil permanent de
la Francophonie, créé à Chaillot.
Le débat engagé lors du sommet, autour de la
notion
d’exception
culturelle,
défendue
ardemment par la France lors des négociations du
GATT et pour la défense de laquelle François
Mitterrand souhaitait obtenir le soutien de la
"famille francophone", va dans ce sens puisque
l’accord intervenu a donné à la Francophonie la
dimension d’un bloc uni pour défendre des
convictions communes sur la scène internationale.
Dans son discours prononcé au cours de la
séance solennelle d’ouverture, le Président
français s’est ainsi exprimé sur les risques
d’uniformisation culturelle sur un modèle unique
venu d’Outre-Atlantique : "Je pense qu’il serait
désastreux d’aider à la généralisation d’un
modèle unique et il faut y prendre garde. Ce que
les régimes totalitaires n’ont pas réussi à faire, les
lois de l’argent alliées aux forces techniques vontelles y parvenir ? ... Ce qui est en jeu, et donc en
péril, je le dis aux francophones ici rassemblés,
dans les négociations en cours, c’est le droit de
chaque pays à forger son imaginaire, à
transmettre aux générations futures la
représentation de sa propre identité". Pour
François Mitterrand, la France est "menacée". Et
la solidarité dont elle a fait, et fera preuve, dans
l’aide aux pays du Sud, majoritaires au sein de la
Francophonie - "La France est le pays qui
accorde le plus fort pourcentage à l’aide au
développement" -, implique une réciprocité de la
part des bénéficiaires. La France "doit préserver
ses intérêts, pas au détriment des vôtres, mais elle
est en droit de demander que ses intérêts soient
aussi protégés par vous".
Ce message très clair a été entendu par les
représentants des Etats francophones. Une
résolution sur "l"exception culturelle au GATT" a
été finalement adoptée.
. Les résolutions
Les 47 chefs d’Etat, de gouvernement et de
délégation réunis à Maurice ont adopté
21 résolutions. Elles portent sur de nombreux
domaines, notamment :
- Maintien de la paix et sécurité
internationale: les pays francophones se "félicitent
du rôle accru des Nations unies", sont "désireux de
soutenir activement l’action de l’ONU", se
"déclarent prêts à s’associer selon leurs possibilités
aux opérations de maintien de la paix ou
humanitaires décidées par le système des Nations
44
unies", acceptent de contribuer au renforcement de
la
diplomatie
préventive",
"condamnent
vigoureusement les attaques dirigées contre le
personnel des Nations unies chargé du maintien de
la paix et contre le personnel humanitaire".
- Afrique : les pays ayant le français en partage
"notent avec satisfaction la poursuite du processus
de démocratisation, condition nécessaire au
développement", "considèrent que les difficultés
financières auxquelles sont confrontés les pays
africains nécessitent une solidarité internationale
accrue, notamment de la part de la communauté
francophone", "appuient les efforts d’intégration
régionale", demandent à la communauté
internationale de poursuivre ses efforts sur les
plans politique, économique et financier afin de
contribuer au développement de manière à
garantir la réussite du processus de
démocratisation et de redressement économique et
financier", s’engagent à oeuvrer au sein des
organisations
internationales
pour
l’assouplissement des conditions d’octroi de l’aide
au développement".
- Exception culturelle au GATT : ils "conviennent
d’adopter ensemble, au sein du GATT, la même
exception culturelle pour toutes les industries
culturelles".
- Liban : ils "décident la reconduction du fonds de
solidarité créé par le sommet de Québec pour la
reconstruction des institutions culturelles,
éducatives, techniques et hospitalières du Liban et
appellent les États membres à renouveler le
financement de ce fonds".
- Rwanda : ils "lancent un appel à la communauté
internationale, et particulièrement aux pays
francophones, afin qu’ils poursuivent et
augmentent leur assistance au peuple rwandais
dans son effort de reconstruction nationale".
- Haïti : ils "renouvellent leur appui au
gouvernement légitime de Haïti incarné par son
président Jean-Bertrand Aristide".
- L’unité dans la diversité : ils "déclarent que les
atteintes aux droits de l’homme et aux libertés
fondamentales constituent un sujet de
préoccupation direct et légitime, pour la
communauté internationale", "décident de prendre
toute mesure de nature à faciliter la pleine
participation de personnes appartenant à des
minorités nationales à tous les aspects de la vie
politique".
- La Francophonie et les relations
internationales : ils "donnent mandat au Conseil
permanent de la Francophonie de continuer à
oeuvrer concrètement pour renforcer la
représentation des pays de l’espace francophone
dans les institutions internationales... et s’engagent
à le doter des moyens nécessaires pour lui
permettre de remplir sa mission", "rappellent le
mandat de l’ACCT aux fins de poursuivre et
intensifier la coopération avec les organisations
internationales", "invitent au strict respect du statut
des différentes langues officielles ou de travail
dans le système des Nations unies", affirment leur
soutien aux actions visant à assurer une présence
dynamique de la communauté francophone sur la
scène internationale".
- Le français dans les organisations
internationales : ils "appellent à la création de
groupes francophones dans les organisations
internationales qui n’en sont pas encore dotées".
- L’économie mondiale : ils "appellent la
communauté internationale à soutenir les efforts
des pays en développement en vue de leur
participation à un système commercial mondial
stable, ouvert et équitable", "s’engagent à
participer activement à la réflexion menée dans le
cadre des Nations unies en vue de l’adoption d’un
programme d’action pour le développement".
- La coopération économique francophone :
ils "conviennent de développer entre eux une
étroite concertation lors des différentes
négociations multilatérales, notamment au sein du
GATT ou des organismes régionaux".
- Le programme d’action des Nations unies
pour le Développement : ils "s’engagent à
contribuer activement à sa définition et à sa mise
en oeuvre", "mandatent le Conseil permanent de la
Francophonie afin de préciser la contribution
spécifique que les pays francophones pourraient
apporter à la mise en oeuvre du programme".
- La programmation : cette résolution
"souligne la nécessité de mobiliser des crédits
accrus au profit du fonds multilatéral unique". Elle
définit les grands domaines d’intervention de la
Francophonie dans les années à venir : promotion
de l’utilisation du français au sein des
organisations internationales, appui à des
programmes de développement du français dans
les sciences, coopération juridique, financière,
interparlementaire, dans le domaine de la
communication, aide à l’ancrage africain de TV5
et poursuite des études sur l’extension à l’Asie,
soutien au Forum francophone des affaires pour
développer le partenariat économique, mise en
place de programmes mobilisateurs dans le
domaine de l’enseignement du français et de
l’alphabétisation, coopération scientifique et
soutien à la relance de la recherche au Sud.
. Les décisions pratiques
Sur le plan institutionnel, le sommet de Maurice a
pris un certain nombre de décisions destinées à
permettre un renforcement du rôle politique de la
francophonie sur la scène internationale. Les
travaux
préparatoires
des
conférences
ministérielles qui se sont tenues en décembre
1992, à Paris, et en octobre 1993, à Grand Baie, et
le rapport présenté par le Conseil permanent de la
Francophonie, ont dans ce domaine joué un rôle
important en indiquant la direction à suivre. Le
CPF, organe permanent de la Francophonie, doit
développer sa capacité de rayonnement au plan
international. La création d’un comité de réflexion
pour le renforcement de la francophonie proposée
par les ministres et adoptée à Maurice par le biais
d’une résolution, va dans ce sens. Ce comité est
composé de 11 représentants désignés sur une
base géographique par la Conférence ministérielle
de la Francophonie (Burkina-Faso, Canada,
Canada/Qué-bec, communauté française de
Belgique, France, Gabon, Maroc, Maurice,
Roumanie, Sénégal, Vietnam).
Sa mission est : "de proposer les moyens
d’assurer la réalisation des ambitions de la
Francophonie sous le contrôle du CPF et sous
l’autorité de la conférence ministérielle". La
première tâche fixée au comité de réflexion était
de présenter un rapport d’étape à la conférence
ministérielle de Bamako en décembre 1993. Ses
propositions finales doivent être soumises au 6e
sommet de Cotonou en décembre 1995.
Depuis le Sommet de Chaillot en 1991, le débat
sur l’évolution institutionnelle de la francophonie
s’est poursuivi activement. N’ayant pu être
définitivement réglé à Maurice, comme prévu, le
dispositif défini en 1991 a continué de prévaloir
selon la hiérarchie suivante : le Sommet, la
conférence ministérielle de la francophonie
(CMF), le Conseil permanent de la francophonie
(CPF), le secrétariat des instances assuré par
l’ACCT,
l’ACCT,
unique
organisation
intergouvernementale de la Francophonie et son
opérateur principal, enfin les autres opérateurs.
Créé à Maurice, un comité de réflexion sur les
perspectives institutionnelles a présenté une série
de propositions qui ont fait l’objet d’âpres
discussions lors des Conférences ministérielles, de
Ouagadougou en décembre 1994, puis à Paris en
mars 1995.
Enfin, un autre comité créé à Maurice et
chargé de réfléchir sur les programmes
mobilisateurs a suggéré de regrouper les axes de
l’action de la Francophonie autour de quatre
thèmes (un espace de savoir et de progrès : un
espace de culture et de communication ; un espace
de liberté, de démocratie et de développement ; la
Francophonie dans le monde), afin de donner plus
de cohérence et de force à la coopération
multilatérale francophone qui souffre d’une
dispersion de ses secteurs d’intervention (les cinq
définis à Paris en 1986 – agriculture, énergie,
industries de la culture et de la communication,
industries de la langue et information scientifique,
développement tech-nologique – et les trois autres
rajoutés à Dakar en 1989 – éducation et formation,
environnement, démocratie et Etat de droit).
6ème Sommet de la Francophonie :
Cotonou (Bénin) 2/4 décembre 1995
- La conférence
Le dossier le plus important qui devait être
examiné par les Chefs d’État francophones
(49 participants) réunis à Cotonou devait être celui
de la réforme institutionnelle lancée lors du
Sommet de Chaillot en 1991 et développée lors du
Sommet de Maurice en 1993. Une réforme qui
commençait à traîner en longueur et qui devait
impérativement aboutir à Cotonou. De grandes
décisions de principe ont, de fait, été prises :
création d’un secrétariat général de la
francophonie, nomination par le Sommet d’un
secrétaire général, porte-parole politique et
représentant officiel de la francophonie au niveau
international, création d’un poste d’administrateur
de l’Agence de coopération culturelle et
technique, qui devient l’Agence de la
francophonie.
Ces décisions de principe ont, après le Sommet,
été réexaminées en détail lors de la Conférence
ministérielle de la francophonie réunie à
Marrakech les 17 et 18 décembre 1996, au cours
de laquelle a été adopté un projet de Charte de la
francophonie, établissant le nouveau dispositif
institutionnel. L’ensemble du dossier, non
définitivement bouclé est renvoyé au Sommet de
Hanoï en novembre 1997, au cours duquel doit
être effectivement élu le nouveau secrétaire
général de la francophonie.
L’importance de cette réforme institutionnelle est
liée à l’ambition maintes fois répétée de donner à
la francophonie une visibilité et un impact
politique beaucoup plus significatifs, jugés
nécessaires dans le nouveau contexte de l’après45
guerre froide. Même si, et on a bien pu le mesurer
à Cotonou, cette ambition paraît avoir des limites
certaines. Ainsi, sur les dossiers africains, en
particulier le Rwanda, le Nigeria ou l’Algérie, les
Chefs d’État ont eu quelques difficultés, non
seulement à mettre en oeuvre des initiatives
diplomatiques, mais aussi à prendre des positions
communes. Le Canada, le Mali ou le Burkina
Faso souhaitaient une condamnation du régime
militaire nigérian, mais le Bénin, le Togo, le Niger
et le Tchad s’y sont opposés, n’acceptant qu’« un
appel aux autorités nigérianes pour oeuvrer à
l’établissement de l’état de droit et de la
démocratie ». Plusieurs autres résolutions ont été
adoptées sur l’Afrique, le maintien de la paix, le
Burundi, le Liban qui sont restés de timides
compromis.
Dans le domaine de la coopération juridique et
judiciaire, les Chefs d’État ont adopté le plan
d’action préparé lors de la réunion ministérielle du
Caire du 30 octobre au 1er novembre 1995 et axé
sur quatre thèmes : l’indépendance de la
magistrature ; une justice efficace garante de l’Etat
de droit ; le respect des droits de l’homme et des
libertés fondamentales ; une justice facteur de
développement.
L’appel de Cotonou
« Aujourd’hui, 90 % des informations qui
transitent par Internet sont émises en langue
anglaise, parce que les outils et les serveurs sont
dédiés à l’usage exclusif de cette langue. L’enjeu
est clair : si dans les nouveaux médias, notre
langue, nos programmes, nos créations ne sont pas
fortement présents, nos futures générations seront
économiquement et culturellement marginalisées.
Sachons demain offrir à la jeunesse du monde des
rêves francophones, exprimés dans des films, des
feuilletons et valorisant la richesse culturelle et la
créativité de chacun de nos peuples. Il faut
produire et diffuser en français. C’est une question
de survie. Il faut unir nos efforts. Les pays du Sud
peuvent et doivent participer à ce combat, qui
n’est pas seulement celui de la francophonie. Les
hispanophones et les arabophones, tous ceux qui
s’expriment en hindi ou en russe, en chinois ou en
japonais sont confrontés à la même menace que
nous. J’appelle la francophonie à prendre la tête
d’une vaste campagne pour le pluralisme
linguistique et la diversité culturelle sur les
inforoutes de demain. Je souhaite que cet appel de
Cotonou marque fortement cette ambition et soit
entendu et compris dans le monde entier ». Cette
déclaration du président de la République
française, Jacques Chirac, baptisée depuis
l’« appel de Cotonou », aura été l’une des plus
marquantes du Sommet. C’est en tout cas à
Cotonou pour la première fois que les
francophones ont pris la mesure de l’importance
pour leur avenir des nouvelles technologies de
l’information et de la communication et qu’ils ont
décidé d’y accorder dans leurs activités une place
prioritaire. Dans la résolution N° 18 du Sommet
sur la société de l’information, les Chefs d’Etat,
« conscients du défi que pose le développement
très rapide de la société de l’information et des
enjeux économiques, technologiques et culturels
qui en découlent », décident d’organiser une
mobilisation rapide du dispositif francophone dans
ce domaine. Il faudra quand même attendre mai
1997 pour qu’une réunion ministérielle se tienne
sur ce sujet à Montréal et produise un plan
d’action, proposé aux Chefs d’Etat à Hanoï et axé
sur la création d’un fonds francophone destiné à
soutenir la production de contenus francophones
multimédia. De fait, il restera à prouver que cette
prise de conscience de Cotonou sera suivie enfin
d’effets après Hanoï.
7ème Conférence des chefs d’Etat et de
gouvernement des pays ayant le français en
partage : Hanoï (Vietnam)
14/16 novembre 1997
- La Conférence
Le Sommet de Hanoï (51 participants) restera une
étape importante dans l’évolution de la
Francophonie institutionnelle. Engagée depuis
plusieurs années, difficile à définir et à finaliser, la
réforme de l’organisation générale du dispositif a
finalement abouti à Hanoï. Le point essentiel
concerne la création d’un secrétariat général de la
Francophonie qui supervise l’ensemble des
activités des opérateurs, y compris l’Agence de la
francophonie, et prend en charge tout
particulièrement la promotion de la Francophonie
politique, nouveau volet essentiel qui doit
permettre à la communauté de s’affirmer
davantage et de manière plus visible sur la scène
internationale.
Désormais, le secrétaire général de la
Francophonie, désigné par les chefs d’Etat et de
gouvernement pour une durée de quatre ans,
préside le Conseil permanent de la francophonie
(CPF), composé de représentants directs des chefs
d’Etat, le CPF prenant lui-même le rôle de conseil
d’administration de l’agence. Le CPF qui, avant
Hanoï, était composé de 18 membres, est élargi
aux représentants de tous les membres à part
entière de la francophonie. Le secrétaire général
de la Francophonie, installé à Paris avec son
équipe restreinte de conseillers, dispose de
pouvoirs importants, mais de moyens humains et
financiers propres qui ont été volontairement
limités. L’Observatoire de la Paix, de la
démocratie et des droits de l’homme, lui, est
directement rattaché pour le pilotage des activités
politiques, juridiques et judiciaires. L’Agence,
dans cette nouvelle configuration, est dirigée par
un Administrateur général. C’est le Belge Roger
Dehaybe, 55 ans, commissaire général aux
Relations internationales de la communauté
française de Belgique qui a été désigné par la
conférence ministérielle à ce nouveau poste pour
diriger l’agence avec un assez large consensus.
Roger Dehaybe s’était précédemment distingué en
dirigeant le comité de réflexion chargé d’élaborer
la réforme institutionnelle et la nouvelle charte de
la Francophonie adoptée lors de ce septième
sommet.
Par contre, au cours des semaines qui ont
précédé le Sommet, l’élection du nouveau
secrétaire général a fait l’objet d’une controverse
significative entre pays membres. Si la France et le
Canada, avec Jacques Chirac et Jean Chrétien, se
sont fortement engagés en faveur du candidat
égyptien Boutros Boutros-Ghali, ancien secrétaire
général des Nations unies et non reconduit dans
ses fonctions en raison de l’hostilité américaine, de
nombreux États d’Afrique au sud du Sahara ont
ouvertement manifesté leur mauvaise humeur visà-vis de cette candidature, estimant que le poste
devait revenir à l’un des leurs, en l’occurrence le
Béninois Emile Derlin Zinsou ou le Congolais
Henri Lopes. Critiquant Boutros-Ghali et insistant
sur son âge (75 ans), ils ont même laissé planer sur
le sommet l’idée d’un « demi-mandat » de deux
ans, à l’issue duquel le poste devrait revenir à leur
candidat. L’insistance active des Français et des
Canadiens a finalement abouti, à la fin de ce
sommet animé, à l’élection, à l’unanimité, de
Boutros Boutros-Ghali au nouveau poste de
secrétaire général de la Francophonie pour quatre
ans, avec la mission d’utiliser sa notoriété et son
expérience diplomatique pour lancer la
dynamique de la francophonie politique.
« L’après-sommet, expliquait alors Jacques
Chirac à RFI, ce sera la mise en place de nos
structures, le soutien à l’action du secrétaire
général et la participation, chaque fois que
nécessaire, à la demande des États et sans faire
naturellement aucune ingérence à l’intérieur des
États de la francophonie, à tout ce qui peut
renforcer l’État de droit, la lutte contre les
tensions, les difficultés, voire les conflits,
l’organisation des élections. C’est un peu cela
l’aspect politique de la francophonie ».
A Hanoï, a été décidé que deux pays, SaintThomas et Prince et la Moldavie passeraient du
statut d’observateur à celui de membres à part
entière. Tandis que la Pologne, l’Albanie et la
Macédoine pourront participer au 8ème sommet de
Moncton en tant qu’observateurs.
Un plan d’action pour le prochain biennum a
également été adopté par les chefs d’État, articulé
en cinq grands points : espace de liberté et de
démocratie, espace de culture et de
communication, espace de savoir et de progrès,
espace économique et de développement, et,
enfin, la francophonie dans le monde (en
particulier la relance de l’usage du français dans
les organisations internationales).
Deux décisions concrètes ont été prises
relatives à la mise en œuvre de ce plan. La
première concerne la création, dès 1998, d’un
Fonds francophone des inforoutes destiné à
promouvoir l’internet francophone, dont un
premier bilan d’activité devra être dressé lors du
8ème sommet. La réunion en 1999 d’un sommet
des ministres de l’Economie des pays
francophones destiné à définir plus précisément
les missions et les objectifs de la francophonie
économique. Dans leur déclaration finale, les
chefs d’Etat et de gouvernement ont insisté sur le
fait que « le Sommet de Hanoï marque une étape
importante dans l’évolution des institutions de la
francophonie, par la mise en œuvre de la Charte
révisée et l’élection du secrétaire général de la
francophonie, qui renforcent la stature
internationale de la francophonie ». Un défi qui, à
Hanoï, paraissait encore difficile à relever. Les
fortes appréhensions manifestées à cause de
l’absence de Laurent-Désiré Kabila, président du
pays francophone le plus peuplé d’Afrique, et ses
déclarations ambiguës contre la francophonie
illustraient ces difficultés. Depuis Hanoï, en se
mobilisant pour le règlement politique de plusieurs
conflits, dont celui qui sévit en République
démocratique du Congo, la francophonie politique
a commencé à montrer qu’elle comptait bien faire
ses preuves.
8ème Conférence des chefs d’État et de
gouvernement des pays ayant le français en
partage : Moncton (Nouveau-Brunswick), du 3
au 5 septembre 1999
- La Conférence
Si le thème choisi pour la Conférence de
Moncton est celui de la jeunesse, c’est sur d’autres
dossiers "chauds" que les participants ont eu à se
prononcer. Il a fallu notamment confirmer
46
l’émergence, encore controversée, d’une
francophonie politique, et sur ce point Moncton
aura permis aux chefs d’État et de gouvernement
de réaffirmer et d’amplifier le rôle politique de
l’organisation. Le secrétaire général Boutros
Boutros-Ghali, confirmé dans ses fonctions de
porte-parole politique et diplomatique de l’espace
francophone, reçoit à cette occasion un mandat
explicite pour poursuivre ses actions en faveur du
maintien de la paix. Signe indéniable que la
Francophonie est bien devenue une instance
politique, la situation dans la région africaine des
Grands Lacs a fait une irruption remarquée lors
des débats, souvent houleux, sur la question.
En matière de démocratie et de droits de
l’homme, thèmes récurrents à chaque rencontre
des chefs d’État de la francophonie, des échanges
vifs ont eu lieu, mais permettent d’avancer sur la
proposition (française) de création d’un
Observatoire de la démocratie. Cependant celle-ci,
par souci de réalisme, et en tenant compte des
réticences, va se faire par étapes. Le souci de
développer tout un processus d’appui francophone
aux processus de démocratisation va ainsi pouvoir
trouver une traduction concrète avec le lancement,
après Moncton, du grand chantier de l’évaluation
des transitions démocratiques, expérimentées avec
des fortunes diverses depuis une décennie par une
partie importante des États membres ; évaluation
qui doit donner lieu à une série de conférences et
d’ateliers (préparatoires au symposium, en
novembre 2000, de Bamako sur les pratiques de la
démocratie et du droit en Francophonie). A
Bamako, en préfiguration de Beyrouth, une
déclaration solennelle et un plan d’action seront
adoptés.
Cap sur la diversité culturelle
Les États francophones, afin de préserver
l’exception culturelle et défendre leurs intérêts
décident également à l’issue du sommet de se
concerter pour dégager des positions communes
dans les organisations et
conférences
internationales, avec un premier rendez-vous :
l’ouverture du nouveau cycle de négociations dans
le cadre de l’Organisation mondiale du commerce,
en novembre 1999 à Seattle. La défense de la
"diversité culturelle" devient ainsi un thème
privilégié pour la Francophonie. Nouvelle
formulation du combat pour "l’exception
culturelle", lancé lors du sommet de Maurice en
1993, la bataille pour la défense de la diversité des
cultures est prônée avec une particulière insistance
par la délégation française à Moncton.
Pour y parvenir, une série de mesures ont été
annoncées lors de ce 8e sommet : tout d’abord,
valoriser la pluralité des langues mais surtout la
diversité des cultures qui constituent une valeur de
la Francophonie. Face à l’hégémonie croissante de
l’anglais, la promotion et la diffusion de la langue
française seront soutenues plus encore que par le
passé, de même que les autres cultures et les
langues mondiales de communication. En ce sens,
les pays membres apporteront leur concours à la
formation des diplomates en langue française, afin
de promouvoir l’usage du français dans les
organisations et les enceintes internationales. Le
plan d’urgence de défense du français, mis en
place à Hanoï, et qui a produit des résultats
insuffisants, doit être renforcé. Les chefs d’État
ont réitéré leur souci d’encourager davantage les
échanges linguistiques et la formation à distance
ainsi que le recours massif aux nouvelles
technologies de la communication et de
l’information. L’internet, en français, sera l’une
des priorités des programmes de coopération
francophone
menés
par
l’Organisation
internationale de la francophonie, au travers
notamment du Fonds francophone des inforoutes,
qualifié de succès par les chefs d’État.
Face à la mondialisation, les pays
francophones se réservent aussi le droit de définir
librement leur politique culturelle et les
instruments qui y concourent, de favoriser
l’émergence d’un rassemblement le plus large
possible à l’appui de cette diversité et d’œuvrer à
la mobilisation de l’ensemble des gouvernements
en sa faveur. Ils ont tenu à souligner que ces biens
culturels, y compris audiovisuels, reflets des
identités nationales et régionales, ne devaient pas
être traités comme de simples marchandises,
notamment dans le cadre des négociations
commerciales multilatérales.
Dans le but de promouvoir le dialogue entre
les cultures (thème du futur sommet de Beyrouth),
les chefs d’État et de gouvernements de la
Francophonie ont également pris des mesures afin
d’encourager les échanges entre artistes et entre
industries culturelles pour faciliter la circulation
des œuvres. Ils entendent également aider
davantage au financement de manifestations
contribuant au rayonnement de la création
culturelle, et poursuivre leurs actions engagées
grâce au Fonds de soutien à la production du Sud
(Masa et Fespaco). Le soutien au développement
et à la diffusion de la presse écrite francophone est
aussi réaffirmé.
Un autre dossier sensible examiné et avalisé à
Moncton est celui de la réforme en profondeur de
l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF).
L’Agence, outil de la coopération francophone
dans le secteur de l’enseignement supérieur, avait
fait l’objet de deux rapports d’évaluation mettant
en cause le fonctionnement de cette institution,
tant au niveau de la gestion qu’à celui des
performances et de l’efficacité. Les chefs d’État et
de gouvernement ont donc donné mandat au
secrétaire général de la Francophonie de préparer
rapidement la réforme de cette institution afin que,
adoptée en novembre 99 par la Conférence
ministérielle de la francophonie, elle s’applique
dès l’année 2000.
La jeunesse, thème consensuel de Moncton,
est désormais un sujet de préoccupation
permanent pour la francophonie. Les programmes
de coopération comprendront systématiquement
un volet consacré aux jeunes et le dialogue avec
eux sera institutionnalisé.
Enfin, l’Organisation internationale de la
Francophonie a accueilli deux nouveaux
membres : l’Albanie et la Macédoine, pour des
raisons plus politiques, liées à la situation dans les
Balkans, que strictement linguistiques. La
Lituanie, la République Tchèque et la Slovénie
sont, au sommet de Moncton devenus membres
observateurs.
9ème Conférence des chefs d’Etat et de
gouvernement ayant le français en partage :
Beyrouth (Liban),
du 18 au 20 octobre 2002
- La Conférence
Initialement prévu en octobre 2001, le
sommet de Beyrouth s’est finalement tenu en
octobre 2002 à la suite de son report au lendemain
des attentats du 11 septembre 2001.
Ce sommet a été marquant à plus d’un titre.
Pour la première fois, les chefs d’États et de
gouvernement ayant le français en partage se sont
réunis dans un État du monde arabe. Autre
événement historique : la présence du président
algérien Abdelaziz Bouteflika, « en qualité
d’invité personnel du président libanais Emile
Lahoud ». L’Algérie a ainsi participé pour la
première fois à un sommet francophone alors
qu’elle n’a ni le statut de membre ni celui
d’observateur. Après confirmation de la venue du
président Bouteflika, quelques jours avant
l’ouverture du sommet, le président de la
République française Jacques Chirac a déclaré :
« L’Algérie est chez elle dans la francophonie
même si elle n’a pas rejoint l’organisation. »
Le thème choisi pour cette 9è Conférence, en
l’occurrence le Dialogue des cultures, fut décliné
sous trois angles différents dans la Déclaration de
Beyrouth : politique d’abord (la première partie de
la Déclaration étant consacrée au « dialogue des
cultures (comme) instrument de la paix, de la
démocratie et des droits de l’homme »), culturel
ensuite, en attribuant à la Francophonie un rôle de
« forum de dialogue des cultures » ; et enfin sous
l’angle socio-économique, avec le souhait formulé
par les chefs d’État et de gouvernement d’ « une
Francophonie plus solidaire au service d’un
développement économique et social durable ».
Beyrouth fut aussi l’occasion de confirmer
l’orientation plus politique donnée à la
Francophonie. La conjoncture internationale a, en
effet, permis aux 55 chefs d’Etat et de
gouvernement présents de se prononcer sur des
questions d’ordre purement politique. A ce sujet,
une innovation a été apportée avec une séance de
débats à huis clos consacrée à la situation
internationale.
La Déclaration de Beyrouth, adoptée à l’issue
du sommet, a fait état des positions pour lesquelles
un consensus a été trouvé. S’agissant de la
situation au Moyen-Orient, les dirigeants
francophones ont apporté leur soutien à l’initiative
pour la paix du prince héritier Abdallah d’Arabie
Saoudite, adoptée lors du Sommet de la Ligue
arabe à Beyrouth en mars 2002. Quant à la crise
irakienne, ils se sont rangés derrière la position
prônée par Jacques Chirac, à savoir « la primauté
du droit international et le rôle primordial de
l’Onu ». Beyrouth a en outre été l’occasion
d’aborder la crise en Côte d’Ivoire et de
condamner ainsi « la tentative de prise de pouvoir
par la force et la remise en cause de l’ordre
constitutionnel ». En outre, fut réaffirmé
l’attachement de la Francophonie à la démocratie
ainsi qu’aux droits de l’homme, les chefs d’Etat et
de gouvernement s’engageant « à lutter contre
l’impunité des auteurs des violations des droits de
l’homme ».
Quant à l’aspect purement culturel du
dialogue des cultures, le sommet de Beyrouth
confirme
l’importance
donnée
par
la
Francophonie à la notion de diversité culturelle,
notamment par la volonté affichée de concourir à
la concrétisation du projet d’élaboration d’une
convention internationale en la matière, dans le
cadre de l’Unesco. Enfin, pour ce qui a trait au
volet socio-économique de la Déclaration de
Beyrouth, les chefs d’État réaffirment leur volonté
de lutter contre « la pauvreté, l’analphabétisme,
les pandémies (…), l’insécurité et le crime (…) qui
maintiennent les pays et les populations les plus
vulnérables à l’écart du développement ». Ils ont
aussi souhaité saluer la mise en œuvre du
Nouveau partenariat pour le développement de
l’Afrique (Nepad), et ont voulu apporter leur
soutien aux programmes engagés dans le cadre
des objectifs fixés par la Déclaration du Millénaire
des Nations unies.
47
Les chefs d’État et de gouvernement réunis à
Beyrouth devaient par ailleurs désigner le
successeur de Boutros Boutros-Ghali, au poste de
secrétaire général de l’Organisation internationale
de la Francophonie. Peu avant le Sommet, deux
candidats étaient encore en lice : l’ancien président
du Sénégal, Abdou Diouf, et l’ambassadeur du
Congo-Brazzaville en France, Henri Lopes. Le
premier, soutenu notamment par Jacques Chirac,
fut longtemps confronté au « veto » de son
successeur à la présidence du Sénégal, Abdoulaye
Wade, qui refusait de le présenter au nom du
Sénégal. Quant à Henri Lopes, déjà candidat à
Hanoï en 1997 et à l’époque évincé au profit de
Boutros Boutros-Ghali (au terme d’âpres
négociations), il bénéficiait du soutien du
président congolais Denis Sassou Nguesso, de
celui du président gabonais Omar Bongo et de
nombreux chefs d’État africains. S’imposant
progressivement comme le candidat favori,
Abdou Diouf fut finalement élu à l’unanimité le
20 octobre 2002 après le retrait d’Henri Lopes. Il a
officiellement pris ses fonctions le 2 janvier 2003.
Parallèlement, un nouveau Plan d’action a été
adopté lors de ce sommet. Celui-ci reprend les
quatre grands axes développés dans la
programmation de la Francophonie multilatérale
pour le biennum 2002-2003 : paix, démocratie,
droits de l’homme ; promotion de la langue
française et de la diversité culturelle et
linguistique ; éducation de base, formation
professionnelle et technique, enseignement
supérieur et recherche ; coopération économique
et sociale au service du développement durable et
de la solidarité. Cette programmation a été adoptée
en janvier 2002 lors de la Conférence ministérielle
de la Francophonie. Ce plan entérine également
l’adoption d’une programmation quadriennale et
non plus biennale, tout en évoquant la nécessaire
mise en place d’un cadre stratégique décennal qui
devrait être arrêté en novembre 2004 à
Ouagadougou lors de la prochaine Conférence des
chefs d’État et de gouvernements des pays ayant
le français en partage.
Enfin, les chefs d’État et de gouvernement ont
entériné l’admission de la Slovaquie au sein
de l’Organisation
internationale
de
la
Francophonie avec le statut d’observateur, ce qui
porte à 56 le nombre d’États et de gouvernements
membres ou observateurs.
10ème Conférence des chefs d’Etat et de
gouvernement ayant le français en partage :
Ouagadougou (Burkina Faso)
du 26 au 27 novembre 2004
- La Conférence
Le sommet de Ouagadougou, ayant pour
thème La Francophonie, espace solidaire pour un
développement durable, a permis de mettre
l’accent sur les engagements pris à Johannesburg,
lors du Sommet mondial sur le développement
durable de 2002, d’identifier les difficultés et de
définir les politiques et les actions solidaires
permettant d’atteindre les objectifs du
développement durable. Il s’est aussi penché sur
les crises en Afrique et dans le monde, réaffirmant
l’attachement du mouvement pour la paix, le
développement
solidaire,
les
valeurs
démocratiques et le respect de la diversité
culturelle.
L’Organisation
internationale
de
la
Francophonie (OIF) a été rejointe à Ouagadougou
par deux nouveaux membres associés – Grèce et
Andorre – et cinq observateurs – Arménie,
Autriche, Croatie, Géorgie et Hongrie. Elle
compte désormais 53 Etats et gouvernements
membres et 10 pays observateurs, illustration du
succès que connaît depuis quelques années la
Francophonie à travers le monde. On a noté, pour
la deuxième fois, la présence du président algérien
Abdelaziz Bouteflika à un sommet francophone.
- Les résolutions
La Déclaration de Ouagadougou rappelle
l’importance attachée par la Francophonie à une
vision globale du développement durable. Les
dirigeants francophones estiment que « le
développement sera durable s’il repose sur cinq
piliers, à savoir la gestion maîtrisée et saine des
ressources naturelles, un progrès économique
inclusif et continu, un développement social
équitable faisant appel à la tolérance et
s’appuyant sur l’éducation et la formation, des
garanties de démocratie et d’Etat de droit à tous
les citoyens et une large ouverture à la diversité
culturelle et linguistique ».
Le sommet a aussi défini un Cadre stratégique
décennal destiné à faciliter la définition d’objectifs
à long terme pour la Francophonie afin de la
rendre plus efficace sur le terrain. Il est organisé
autour de quatre missions : promouvoir la langue
française et la diversité culturelle et linguistique ;
promouvoir la paix, la démocratie et les droits de
l’homme ; appuyer l’éducation, la formation,
l’enseignement supérieur et la recherche ;
développer la coopération au service du
développement durable et de la solidarité.
Il a également donné mandat au secrétaire
général pour réformer l’organisation et mettre à
jour la Charte, support juridique de l’ensemble du
cadre institutionnel francophone ; elle définit
notamment le rôle et les missions de l’OIF (la
nouvelle charte sera adoptée par la Conférence
ministérielle à Antananarivo, le 23 novembre
2005).
La crise en Côte d’Ivoire, Etat francophone et
pays voisin du Burkina Faso, dont le président
Laurent Gbagbo était absent du sommet, a
également mobilisé les participants qui ont
« fermement condamné » dans une résolution « les
attaques meurtrières provoquées par les FANCI
[forces gouvernementales] au nord de la Côte
d’Ivoire, y compris celles contre la force Licorne
(forces françaises) agissant sous mandat des
Nations unies en faveur de la paix en Côte
d’Ivoire » (le sommet s’est tenu moins d’un mois
après le bombardement d’une position de Licorne
par l’armée loyaliste ivoirienne). En outre, ils ont
réaffirmé « leur conviction que les engagements
consignés dans les Accords de Linas Marcoussis
et d’Accra III constituent la seule voie pour une
réconciliation durable en Côte d’Ivoire et exigent
leur stricte application ».
Le sommet a également adopté une résolution
sur le Proche-Orient et a exprimé la profonde
sympathie de l’OIF au peuple palestinien à la suite
du décès de Yasser Arafat et a appelé la
communauté internationale à se mobiliser, afin de
faciliter la tenue d’élections démocratiques
auxquelles tous les Palestiniens, y compris ceux de
Jérusalem-Est, pourront participer.
Pour d’autres crises ou conflits comme ceux
en Irak, à Haïti, en République démocratique du
Congo, au Darfour ou en Somalie ont été
invoquées à Ouagadougou des solutions
politiques, respectant la souveraineté des Etats et
les droits de l’homme.
Le sommet, qui a permis à la communauté
francophone de renouveler sa solidarité avec le
continent africain, a insisté sur l’urgence de la
mise en œuvre d’un consensus visant « un
financement
largement
amélioré
du
développement ». « Nous réaffirmons que la
pauvreté, source inévitable de conflits, doit être au
cœur des préoccupations des Etats et
gouvernements. Nous sommes convaincus que
notre monde possède aujourd’hui les moyens et
les ressources nécessaires pour l’éliminer »,
souligne la déclaration.
Elle appelle à un changement d’attitude et à la
définition de nouvelles priorités tant au Sud qu’au
Nord pour atteindre les objectifs du Millénaire, à
travers notamment « un partenariat global visant
à une mondialisation équitable et à un
développement durable, à tous les niveaux :
international, régional, national et local ».
« Nous constatons que la mondialisation a
creusé les écarts économiques et sociaux entre les
pays et en leur sein, et que les moins avancés
peinent à profiter de la croissance mondiale et des
nouvelles technologies. La Francophonie doit, à
cet égard, participer de façon toujours plus forte
et plus cohérente à l’effort général visant à créer
les conditions qui donneront aux pays les plus
pauvres et à leurs populations les moyens d’une
insertion réussie dans le système économique
mondial », ont souligné les participants. Ils ont
aussi réaffirmé leur attachement à la recherche,
d’un partenariat accru public-privé et d’un soutien
à la microfinance, en liaison avec l’Onu et les
institutions financières internationales.
Point important, puisque le sommet de
Ouagadougou a également adopté une résolution
sur le coton, les participants ont invité les
responsables gouvernementaux francophones à
témoigner réciproquement d’une solidarité plus
concrète à l’occasion des négociations
commerciales internationales pour diminuer la
vulnérabilité des producteurs du Sud sur les
marchés mondiaux.
Ils ont par ailleurs beaucoup insisté sur
l’émergence d’une véritable culture des droits de
l’Homme dans l’espace francophone, adoptant
même un texte sur la liberté de la presse.
Se déclarant convaincus du rôle primordial de
l’enseignement supérieur dans la construction des
sociétés, ils se sont engagés à poursuivre leur
coopération en vue de généraliser l’usage des
nouvelles technologies, de faciliter la mobilité des
universitaires et des étudiants, de développer
l’enseignement à distance et de contribuer à
l’émergence de pôles d’excellence scientifiques et
technologiques. « Nous sommes décidés à ce que
nos sociétés progressent dans l’édification d’une
société de l’information visant à privilégier la
construction des savoirs et le partage des
connaissances ainsi que l’appropriation des
Technologies de l’Information et de la
Communication (TIC) de manière à réduire la
fracture numérique », ont-ils déclaré.
Figure également dans les préoccupations la
promotion de la langue française, s’adossant au
développement des langues partenaires et dans le
respect de la diversité culturelle.
Les chefs d’Etat et de gouvernement
francophones, dont une grande partie sont
africains, ont enfin affirmé leur soutien unanime
au Fonds mondial de lutte contre le VIH/sida, la
tuberculose et le paludisme, dont la création a été
décidée par l’Assemblée générale des Nations
unies.
48