john Schlesinger, la trilogie anglaise - Dossier

Transcription

john Schlesinger, la trilogie anglaise - Dossier
TAM AS A pr ésent e
TAMASA présente
JOHN SCHLESINGER
LA TRILOGIE ANGLAISE
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UN AMOUR PAS COMME LES AUTRES
[A Kind of Loving]
Inédit
Version restaurée
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Billy le menteur
[Billy Liar]
Version restaurée
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DARLING
Version restaurée
SORTIE LE 26 SEPTEMBRE 2012
« Avant d’être une quasi marque déposée, très politiquement
estampillée « made in France » par l’histoire, la Nouvelle Vague
semble plutôt avoir été un élan général qui dépasse largement les
frontières tricolores.
Largement méconnue chez nous, la nouvelle vague anglaise a
pourtant été un élan de premier ordre dont le poids se fait
toujours sentir dans le cinéma d’outre-Manche. John Schlesinger
en est l’un des plus éminents représentants : une production
vaste du drame intimiste en milieu ouvrier (Un Amour pas comme
les autres) à la grande fresque en costume (Far from the madding
crowd en 1967, adapté de Thomas Hardy), une reconnaissance
internationale en obtenant un Ours d’Or, plusieurs Oscars... et la
révélation d’une star, Julie Christie, dont Billy le menteur est un
des premiers films ».
Cette trilogie présente, en versions restaurées, les trois premiers
long-métrages anglais réalisés par John Schlesinger : A kind of
Loving (inédit), Billy Liar et Darling.
Un amour
pas comme les autres
Synopsis
Vic Brown fait «ce que l’on doit faire» et épouse sa petite amie Ingrid lorsqu’elle apprend qu’elle est enceinte,
bien qu’ils ne soient liés que par une attirance purement physique.
La vie commune devient de plus en plus lourde lorsque la mère d’Ingrid, une femme possessive et insupportable,
vient vivre avec eux, et s’acharne à provoquer des tensions entre les deux jeunes gens.
UN AMOUR PAS COMME LES AUTRES [A Kind of Loving]
UK - 1962 - 1h52 - noir et blanc - format 1,66 - VOSTF - DCP - visa
Ours d’Or - Festival de Berlin
Réalisation John Schlesinger
Scénario Willis Hall, Keith Waterhouse d’après la nouvelle de Stan Barstow
Photo Denys Coop
Musique Ron Grainer
Montage Roger Cherrill
Production Joseph Janni pour Vic Films Productions
Interprètes
Alan Bates (Victor Arthur ‘Vic’ Brown), June Ritchie (Ingrid Rothwell),
Thora Hird (Mrs. Rothwell), Bert Palmer (Mr. Geoffrey Brown), Pat Keen (Christine Harris),
James Bolam (Jeff), Jack Smethurst (Conroy), Gwen Nelson (Mrs. Brown), Davis Mahlowe (David Harris).
ª
A KIND OF LOVING vu par...
Le regard mouillé et le geste maladroit des amours débutantes. Le gant de la jeune fille qui tombe et les mains des amoureux qui se
mélangent pour le ramasser. Le jeune homme qui enlace et presse son oreiller en pensant à sa bien-aimée. L’amie bouffonne et pépiante
dont la présence gâte un rendez-vous... C’est tout ? Non. Il est encore mille notations de la même veine qui feraient reculer le scénariste
le moins audacieux composant la plus anodine des bluettes.
Alors, c’est donc à cela que se réduit ce cinéma anglais que pompeusement on nous annonce « régénéré par la colère » ? Pas tout à
fait car le jeune metteur en scène, John Schlesinger, a la colère sournoise. Non pas tellement parce qu’il fait pousser sa fleur bleue dans
le brouillard et la suie des banlieues industrielles, mais parce que à y regarder de plus près A kind of loving est absolument dépourvu de
cette « chaleur humaine » et de cette sympathie compréhensive et émue dont on enrobe complaisamment les pamphlets progressistes
dans un certain cinéma colérique ».
Rien, ni personne n’est ici épargné. Rien, c’est-à-dire ni cet univers populaire — les plaisanteries imbéciles du bureau, la télévision
stupide, les « pubs », le stade, etc. — ni ces sentiments fanés, avant même d’éclore, englués dans la convention, sans grâce et sans
passion. Personne, c’est-à-dire ni, bien sûr, les personnages caricaturaux — la mère de la jeune fille, le « copain » du bureau, etc. — ni
surtout, d’une manière plus insidieuse, le couple central. Pauvre couple avec cette jeune dactylo déjà rassise, à l’idéal petit et vieux et
ce jeune homme dont les derniers soubresauts ne peuvent en tout état de cause que le conduire du « living » conjugal aux gradins du
stade ou de sa chambre à coucher au comptoir du « pub » et qui, d’ailleurs, — cela parait inéluctable — jette ses derniers feux avant
l’engourdissement définitif.
A la dernière image, un vague soleil perce le brouillard. Vous voici libres d’y voir le symbolisme habituel d’une amorce de « happy end ».
Il nous semble préférable d’estimer que Schlesinger a été jusqu’au bout de son propos et que son point d’orgue est ironique.
II semble légitime que l’on soit agacé par le côté un peu bêlant et pesamment conventionnel de la plupart des péripéties imaginées par
les scénaristes Willis Hall et Keith Waterhouse, à partir du roman de Stan Barstow. Mais, en ce qui nous concerne, nous préférons y voir
une volonté délibérée de ne pas « faire vraisemblable » pour, à tout prix, « faire vrai ». C’est devenu un lieu commun que de constater
que les « conduites » cinématographiques influencent le comportement quotidien et que la plupart des amoureux, par exemple, ne peut
que malaisément échapper aux gestes et aux mots imposés par les représentations cinématographiques ou littéraires de l’amour.
Ce fut déjà, ici ou là, une des découvertes du « cinéma-vérité » que cette référence constante, dans le comportement de l’homme de la
rue, à des stéréotypes puisés dans le monde de la fiction. Et on sait qu’un des thèmes majeurs d’Antonioni est la prise de conscience de
l’aspect artificiel de ces attitudes mentales, de leur caractère déphasé par rapport aux sentiments réels, mais refusés. Pour Schlesinger,
et à partir du moment où il envisageait de faire un constat plus ou moins dénonciateur, il n’y avait guère d’autre voie que d’accentuer
encore la fausseté ostensible de toute cette armature sentimentale et psychologique et d’en montrer sans nuance la convention.
Le « cinéma de papa » ne semble donc exister ici qu’au premier degré. Et cela est confirmé par toute une série de notations qui sont
autant de ruptures de ton brutales et éclairantes. Le style des allusions à l’amour physique, par exemple, est tout a fait inhabituel et assez
brutalement démystifiant. Il achève de lever les derniers doutes quant aux intentions profondes de l’auteur.
Après certains de ses confrères, John Schlesinger fait la preuve qu’il existe en Grande-Bretagne une école qui, de même que certains
autres « jeunes cinémas » européens, secoue les vieux harnais. Mais ce n’est pas à la dynamite que travaille Schlesinger. C’est plutôt
à l’acide. A kind of loving est un film corrosif au sens premier du terme.
Yvon TOUSSAINT – Le Soir de Bruxelles
A king of Loving est le premier grand film de fiction réalisé par John Schlesinger. On n’en admire que davantage la parfaite sûreté de
son talent. Il disposait d’une anecdote dont il est évident qu’elle n’est qu’une trame. Une trame dérisoire, volontairement banale, comme
la médiocrité qui cerne de toutes parts les personnages de cette œuvre. Cette trame, il fallait l’habiller d’humanité, la faire vivre en renvoyant constamment aux sentiments secrets dont elle n’est pas la manifestation extérieure. Pour cela, il était requis d’user d’une subtilité
psychologique considérable. John Schlesinger n’y a pas manqué. Ses personnages sont suivis à la trace. Chacun de leurs gestes est
chargé de signification. Le moindre détail est mis en évidence parce qu’il exprime une réalité intérieure. A kind of Loving est, à cet égard,
une œuvre particulièrement fouillée : minutieuse, précise, dessinée d’un trait vif, et cependant directement vivante.
Mais John Schlesinger ne se révèle pas seulement comme un cinéaste habile et souple, il se manifeste aussi comme un remarquable
conducteur de comédiens. Entre ses mains, Alan Bates et June Ritchie notamment deviennent non plus des interprètes, mais des témoins immédiats, des incarnations indiscutables de leurs personnages.
Joseph Bertrand - La Lanterne.
Billy le menteur
Synopsis
Dans une ville de province du nord de l’Angleterre, Billy Fisher qui vit toujours chez ses parents,
est un employé de bureau dans une entreprise de pompes funèbres. Pour fuir cette morne existence,
il se réfugie dans ses rêves, s’inventant un pays dont il est le héros.
Il a de surcroît promis le mariage à plusieurs filles, se mettant ainsi dans des situations impossibles.
Seule, Liz le comprend et essaie de le sortir de son monde imaginaire en l’invitant à venir
avec elle à Londres.
BILLY LE MENTEUR [Billy Liar]
UK - 1963 - 1h38 - noir et blanc - Scope - VOSTF - DCP - visa 32365
Réalisation John Schlesinger
Scénario Willis Hall, Keith Waterhouse
Photo Denys Coop
Musique Richard Rodney Bennett
Montage Roger Cherrill
Production Joseph Janni pour Vic Films Productions
Interprètes
Tom Courtenay (Billy Fisher), Julie Christie (Liz),
Wilfred Pickles (Geoffrey Fisher), Mona Washbourne (Alice Fisher), Ethel Griffies (Grandma Florence),
Finlay Currie (Duxbury), Gwendolyn Watts (Rita), Helen Fraser (Barbara), George Innes (Stamp).
ª
BILLY LIAR vu par Mickaël Pierson
B
illy le menteur est un film double. Comme son personnage principal, le film est séducteur, un beau parleur qui nous accroche dans ses
filets pour mieux nous montrer le revers de la médaille. La magistrale séquence d’ouverture est ainsi le symbole du film... ... Ce sera un
balancement incessant entre des visions idéalisées et leur rencontre avec une réalité qui ne l’est pas en un contraste cinglant.
Les contrastes, c’est véritablement ce qui ordonne la vie de Billy, malicieusement incarné par Tom Courtenay. Fils de la classe moyenne,
modeste gratte-papier dans une entreprise de pompes-funèbres, il vit avec ses parents dans un pavillon tout confort. Son sort n’a rien de
sordide, il ne manque d’ailleurs pas grand-chose à Billy pour l’améliorer. Le bonhomme a des ambitions, des ambitions littéraires, même :
romancier ou scénariste, sa plume le titille. Mais plutôt que de noircir les pages blanches, Billy réfléchit à comment modifier son nom pour
le rendre plus chic ou à l’éventualité de recourir à un pseudonyme. Pourtant, de l’imagination, Billy n’en manque pas. Il fait appel à elle
dès que sa réalité lui déplaît, le plus souvent pour se débarrasser ou faire taire la contradiction : métamorphosé en bon soldat, à maintes
reprises il mitraille ses parents exaspérants, sa petite amie trop pressante ou un patron trop pénible. Mais ces fantasmes d’enfant ou
d’adolescent se doublent d’une véritable existence parallèle. Dès qu’une situation lui échappe, le désole, l’entrave dans son bien-être ou
son désir d’égoïsme, il la redessine complètement à son avantage, la transporte dans un autre temps et un autre lieu. Les parents, jugés
médiocres et pas assez compréhensifs, sont changés en de riches notables coulants et la fiancée pressante et coincée devient femme
fatale. Les fantasmes de Billy sont à la hauteur de sa mégalomanie et de son estime de soi, il s’y laisse aller à ses penchants égoïstes
et despotiques : héros de guerre, dictateur, serial lover, fils de bonne famille, premier ministre de sa propre utopie… Dans son Ambrosia
rêvée, Billy est le roi, légèrement tyrannique, à l’image de l’esthétique hitlérienne de certaines de ses visions. Si la réalité est traitée de
manière assez sobre par Schlesinger, les visions de son héros s’offrent dans la luxuriance et l’excentricité : amples mouvements de caméra,
plans d’ensemble en plongée, costumes et accents du terroir… Rien n’est trop beau pour Billy. Sa vie rêvée ne connaît pas de limites.
Malheureusement, on n’efface pas la réalité d’un coup d’imagination, aussi débordante soit-elle. Prenant ses rêves et ses désirs pour
des réalités, il se retrouve vite accollé au mur. Il prend une lettre type pour une promesse d’embauche, se fiance un peu trop vite et un
peu trop souvent, et remise ses problèmes encombrants dans son armoire. Pour Billy, il s’agit avant tout, aux yeux du monde comme des
siens, de faire comme si : comme si les choses existaient ou n’existaient pas selon ses besoins. Jusqu’au jour où la réalité le rattrape :
l’espoir d’embauche prestigieuse auprès d’un comique télé (nommé Danny Boon, ça ne s’invente pas !) s’envole, ne reste que la fanfaronnade auprès des collègues, déjà excédées par l’attente du mariage, les deux fiancées tombent nez à nez et plaquent le pauvre Billy
et les calendriers jamais livrés débordent de l’armoire et semblent impossible à faire disparaître. Si ces moments sont véritablement comiques, ils sont autant de gifles pour le jeune héros. Schlesinger insiste d’ailleurs sur l’écart entre Billy et la réalité des situations qu’il vit,
notamment via des décalages musicaux. Provenant souvent de l’intérieur même du cadre, elle s’offre comme une illustration parfaite des
apparences de la situation, mais est un contrepoint ironique aux sentiments de Billy : alors qu’il subit péniblement une énième discussion
sur le mariage avec sa fiancée au restaurant, un quatuor à corde débarque pour parfaire une ambiance tout sauf romantique. La scène
se poursuit par une balade romantique… dans un cimetière où – comble de l’ironie – Billy est obligé de fantasmer sur un futur cottage
douillet et une vie qu’il ne désire pas. Le seul moment de sa vie où le fantasme est autorisé et encouragé ne fait pour lui que reproduire
tout ce qu’il exècre dans son quotidien. Billy, déjà mort avant d’avoir vécu ?
Le divorce des temps
Anachronique, voilà ce qu’est le pauvre garçon. Coincé dans une époque qui l’est tout autant. Billy est le reflet d’une génération, celle née
pendant la guerre, grandissant avec les grands changements, leur étant parfaitement contemporains, mais pourtant élevée « à l’ancienne »,
dans l’optique d’un monde qui s’est effondré, qui n’existe plus vraiment. Billy est ainsi tiraillé entre un modèle familial qu’il rejette et des
aspirations de son temps qu’il est incapable d’assumer. Résultat, il s’évade. Mais ses fantasmes sont le reflet d’un même paradoxe :
un désir d’indépendance, mais qui prend forme sur un modèle éculé. Dans ses visions améliorées de lui-même, Billy se projette dans
l’ancien temps, dans la sécurité d’archétypes conventionnels : héros de guerre, riche héritier, grand dirigeant… Rien qui ne pourrait faire
plus plaisir à ses parents. L’émancipation ne trouve sa source que dans des désirs convenus et confortables. Billy et la jeunesse sont
tiraillés : il faut tuer le père certes, mais on récupèrerait bien sa place.
Cette inadaptation, cette incapacité à trouver sa place entre ancien et contemporain vient aussi s’incarner à l’écran dans les bouleversements du paysage britannique. La ville bouge, change, se modernise. Schlesinger la montre entre renaissance et champ de ruines : la
banlieue pavillonnaire paisible contraste avec les grands immeubles de la ville et la destruction des vieux quartiers. Littéralement, le vieux
monde s’effondre à l’écran, les vieux murs s’écroulent pour laisser place aux nouveaux standards. On sillonne cette ville : son trafic, ses
ponts, les vitrines des magasins qui renvoient notre reflet. Il y a une réelle volonté, de la même manière que chez les Français à la même
époque, de se retrouver à l’extérieur, au contact du monde par la mise en scène. La déambulation des personnages se fait alors visite,
pas nécessairement touristique mais au moins découverte de ce nouvel espace en mouvement en une sorte de réactualisation de la rencontre de l’Italie par les personnages d’Ingrid Bergman chez Rossellini (Stromboli et Voyage en Italie) ou de l’errance de ceux d’Antonioni
(Jeanne Moreau dans La Nuit ou Alain Delon et Monica Vitti dans L’Eclipse). Ces longues marches sont comme autant de tentatives de
faire corps avec le nouveau monde, de s’inscrire dans sa foule et son mouvement incessant. Si Billy s’y essaie mais en paraît incapable
– il esquissera même pour le plaisir un léger pas de danse déjà «old school» –, la belle Julie Christie, elle, semble tout à fait à son aise.
On la découvre d’ailleurs au hasard d’une balade. En contrepoint de Billy, elle représente cette jeunesse moderne, parfaitement adaptée
au changement, libre et émancipée, qui recherche même l’anonymat proposé par les villes et la modernité («What I’d like is to be invisible.»). Elle s’adapte et se fond parfaitement dans le paysage. Simple passante, elle devient vedette d’un instant repérée par le comédien
Danny Boon venu inaugurer un supermarché. Là où Billy échoue, elle réussit haut la main par sa simple présence solaire (littéralement,
la caméra semble happée par son visage, l’actrice dévore les plans dans ce film, les fait se dissoudre sur sa seule figure).
Leur rencontre et la possibilité d’une idylle entre les deux êtres semblerait être la porte de sortie pour Billy : un départ pour Londres,
l’abandon du foyer familial, la possibilité de réaliser ses ambitions… Prendre les rênes de son existence, vivre plutôt que rêver, accepter
la réalité et s’y engager : grandir. Le long du film, au fil des fantasmes et des mensonges, Billy apparaît de plus en plus comme un enfant,
largement choyé et assisté, qui a peur de la vie et de l’engagement. Il multiplie les fiancées mais redoute le mariage, est en rébellion
constante avec ses parents, mais jette l’éponge dès qu’une difficulté se présente… Quand Julie Christie évoque des rêves et fantasmes tout à fait réalisables, lui réplique par la description de son pays imaginaire. La discussion, qui pourrait d’ailleurs faire changer son
existence, se déroule de manière symptomatique dans un jardin d’enfant. Assis sur un banc près des jeux d’extérieur, ils envisagent leur
avenir. Reste à savoir si Billy voudra réellement quitter son jardin d’enfant. Un sursaut semble possible – qui ne suivrait d’ailleurs pas Julie
Christie n’importe où ? – mais le petit garçon aura besoin de son verre de lait avant de partir. Prétexte minable qui ne dupe personne.
Derrière une fougue toute juvénile et des dehors de fanfaron, Billy reste un enfant terrorisé par l’existence qui n’espère rien de mieux que
se cacher dans les jupes de sa mère. La dernière séquence du film est d’ailleurs sans appel : si notre Peter Pan fantasme, ses visions
ne trouvent plus le chemin de l’écran. Militaire aventureux, il marche au pas esseulé dans les rues de sa banlieue. Ambrosia, son pays
imaginaire, existe bel et bien : il ne s’agit de rien d’autre que de la rassurante maison familiale vers laquelle il se dirige joyeusement.
Mickaël Pierson pour iletaitunefoislecinema.com
darling
Synopsis
Diana Scott est une «enfant gâtée», consciente de sa beauté.
Elle a épousé, jeune, un candide jeune homme mais ce mariage est un échec.
Elle devient mannequin, lancée par Robert Gold, un reporter de télévision,
qui a quitté sa famille pour elle.
Mais Diana abandonne son amant pour un bel homme d’affaires puis pour un prince italien.
Elle prend peu à peu conscience du monde artificiel dans lequel elle vit...
DARLING
UK - 1965 - 2h08 - noir et blanc - format 1,66 - VOSTF - DCP - visa 32325
Oscar du Meilleur Rôle Féminin : Julie Christie - Oscar du Meilleur Scenario
Réalisation John Schlesinger
Scénario Frederic Raphael
Photo Kenneth Higgins
Musique John Dankworth
Montage Jim Clark
Production Joseph Janni pour Vic Films Productions, Embassy Pictures
Interprètes
Julie Christie (Liz), Dirk bogarde (Robert Gold), Laurence Harvey (Miles Brand),
Roland Curram (Malcom), José Luis de Vilallonga (Prince Cesare della Romita), Basil Henson (Alec),
Helen Lindsay (Felicity), Carlo Palmucci (Curzio), Dante Posani (Gino), Alex Scott (Sean Martin).
ª
DARLING vu par...
S
chlesinger, qui manie l’humour acide avec finesse et non sans de jolies trouvailles, ne manque pas d’épingler au passage un certain
nombre de snobismes ou de dégonfler quelques conventions. Une soi-disant enquête sociologique à la T.V. donne des échantillons du
public interrogé un tableau particulièrement affligeant. Les dignes capitalistes examinant le physique ou les photos du mannequin Diana
sont écœurants de vulgarité ; le film de terreur ou la bande publicitaire dont elle est la minable vedette ne valent pas mieux. Quant à la
religion, elle n’est guère mieux traitée. Un fonctionnaire pasteur ânonne ses patenôtres à l’enterrement du vieil écrivain. Un innocent
vicaire, consolateur des affligés, suscite, avec ses mines de saint Bernard, la discrète ironie du cinéaste, de même que la religiosité
italienne qui détonne dans l’île des plaisirs qu’est Capri. Ni le grand monde des princes romains, solennel et vide, ni le demi-monde
londonien et parisien, aux mœurs plus que douteuses, ne sont faits pour susciter la sympathie.
La dose de vinaigre est donc généreuse dans les
images soignées, incisives et souvent très belles du
film. Moins classique que chez Losey, le style en est
visiblement marqué par la fantaisie de la dernière
vague britannique. Mais malgré la substitution des
milieux bourgeois au cadre populaire, nous sommes
ici plus près du cinéma social du type Reisz ou
Anderson que des bouffonneries à la Richard Lester.
A chaque instant Schlesinger contrôle de très près
ce qu’il fait, ce qu’il examine. Il travaille sur épure.
John Schlesinger & Julie Christie
Comme Jean-Luc Godard, comme le Truffaut de
Jules et Jim, l’auteur est visiblement fasciné par le
personnage de la femme et sans trop d’illusions sur
ses capacités à donner le bonheur. Tel le chat, Diana
aime les gens et les choses pour son propre confort,
sans s’y attacher sérieusement. Et elle tue sans plus
de réflexion l’amour du seul homme qui tenait à elle,
ou la vie d’un bébé avorté en clinique, ou les poissons rouges en bocal qui, peu auparavant excitaient
sa sensiblerie. Son amoralisme lui vaudra la mort intérieure dans le triomphe social. L’égoïsme crée un
somptueux enfer. Le récit n’a besoin d’aucun coup
de pouce pour aboutir à cette morale arrière et bien
moderne.
Jean d’Yvoire - Télérama
E
ntre deux aventures amoureuses de « Darling », la caméra de John Schlesinger interroge les gens de la rue. Une pincée de cinémavérité au milieu d’une histoire romancée. Face au micro et à la caméra de l’enquêteur, les badauds hésitent, suggèrent et extrapolent.
Réponses hétéroclites et inattendues, mais toujours révélatrices. L’un d’eux met d’ailleurs en cause l’homosexualité, à laquelle, dit-il avec
candeur, « on finit par s’habituer ».
Et, de l’autre côté de la barrière sociale, voici les hauts dignitaires de cette société folle. Cette fois, la caméra n’interroge plus, elle
observe, remarque, se laisse aller volontiers à la caricature. John Schlesinger nous introduit dans ces réceptions dérisoires où l’hypocrisie spécifiquement britannique oublie son masque. La Charité... Chichis et minauderies de dames endimanchées. On organise, on se
montre, on se fait voir. On boit à la santé de ceux qui ont faim. Le pauvre ou le sous-développé deviennent une abstraction qui permet le
spectacle public des bonnes consciences. Regard critique qui recherche souvent l’image explosive. Imaginez Sa Très Gracieuse Majesté
figée dans un salut au passage d’un homosexuel qui convoite un négrillon décoratif.
Voilà le décor humain que Schlesinger donne à sa « Darling », une jeune femme qui a conscience de sa beauté, qui vit dans le présent,
beaucoup plus égoïste que libre (et en ce sens, toute référence à « Galia» me paraît un contresens). L’égoïsme devient donc le privilège
d’une femme qui ose se conduire comme un homme. Ce sera aussi son malheur. Non pas que Schlesinger porte un regard moral sur la
conduite de son personnage. Au contraire, on sent que toute sa sympathie, sa tendresse va vers cette « Darling », et nullement vers les
victimes de cette belle jeune femme, car, en fait, ils sont ses bourreaux.
L’égoïsme insouciant de « Darling » nous est présenté comme naturel. Si « Darling » est malheureuse, c’est que la société, bastion de
valeurs périmées et contraignantes, tisse autour d’elle un carcan douloureux. L’instabilité de « Darling » est un défi aux valeurs stables
qui enferment l’individu dans la cruauté du mot « toujours ». Vivre, c’est, pour elle, cueillir le plaisir du moment présent, avec la gourmandise de l’enfance et l’insouciance de celle qui fait souffrir les autres sans volonté mauvaise. Simplement parce qu’elle ne veut pas leur
appartenir, sentir le poids d’une jalousie (même si elle est également jalouse), ou assumer un ennui conforme aux règles de moralité.
Avec elle, rien ne dure. Elle quitte un mari ennuyeux pour un séduisant journaliste de la BBC qui lui portera un amour sans faille. Nous la
verrons mentir à son amant comme elle mentait à son mari. Folles nuits parisiennes, excentricités londoniennes, romances italiennes...
Désormais « Darling » veut vivre sa vie. Dans une liberté qui est plus proche de la spontanéité que de la provocation. Les séquences
réussies s’enchaînent avec un remarquable sens de l’ellipse. Jeu de la vérité, larcins dans un magasin devant le regard réprobateur de
vieilles dames absolument choquées, soûlerie devant le bocal de poissons, obsèques des malheureux poissons, bain de soleil des mâles
italiens, etc.. Pourtant, cette juxtaposition donne l’allure d’une narration à épisodes et impose une discutable impression de discontinuité.
Cette progression aboutit à un contexte « presse du cœur » (d’ailleurs avoué, voire même souligné). La petite bergère épouse l’argent
du prince charmant. Ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants, nés d’un premier mariage. L’argent et l’ennui. Et dans un magnifique
plan-séquence, Schlesinger nous donne l’un des plus beaux strip-teases du cinéma. La caméra suit « Darling » dans l’enfilade des
pièces traversées, alors qu’elle renverse des objets de luxe et quitte un à un bijoux et vêtements. A la fois une révolte et une prise de
conscience. Sa nudité est pour elle une libération et une invitation à rompre avec un milieu où elle s’ennuie de ne plus être regardée et
choyée. Pourquoi retourne-t-elle alors vers celui qui l’a vraiment aimée ? Par égoïsme blessé ? ...
Raymond Lefèvre, La Revue du cinéma
John Schlesinger
J
ohn Schlesinger est né à Londres en 1926. Il participe à des spectacles pour l’armée pendant la Seconde Guerre Mondiale.
Après des débuts comme acteur, notamment dans La Bataille du Rio de la Plata (1956) de Michael Powell et Emeric Pressburger.
Il entre en 1957 à la BBC-TV et réalise des documentaires.
La carrière cinématographique de John Schlesinger commence en 1961. Sur les principes du Free Cinema (Karel Reisz,
Tony Richardson, Lindsay Anderson), il met en scène un documentaire moyen métrage subversif sur la Waterloo Station de
Londres, Terminus. Le film reçoit le Lion d’Or au Festival de Venise. Son premier long métrage, Un amour pas comme les autres,
dans lequel il révèle Alan Bates, est couronné de l’Ours d’Or au Festival de Berlin. Schlesinger est perçu comme un metteur en
scène anticonformiste qui s’intéresse et s’attache aux personnages révoltés. Billy le menteur est le portrait d’un être ordinaire qui
se réfugie dans l’imaginaire pour fuir la vacuité de son quotidien morne. Darling a également pour cadre cette réalité quotidienne.
Schlesinger s’y livre à une caricature de la bourgeoisie, en s’attaquant au mariage, aux ventes de charité, aux visiteurs de galeries
d’art et au clergé. En 1967, il réalise Loin de la foule déchaînée, adapté d’une œuvre de l’écrivain Thomas Hardy. Schlesinger
remporte un succès international avec Macadam cowboy, tourné aux Etats-Unis. Le film développe le thème de l’homosexualité,
tout comme dans Darling et dans son film suivant, Un dimanche comme les autres. En 1976, Schlesinger connaît à nouveau le
succès avec Marathon man, un thriller sur d’anciens nazis vivant à New York. Dans Le Jeu du faucon Schlesinger s’inspire du
monde des services secrets. Dans Les Envoûtés, il allie thriller et film fantastique en décrivant un New York gangrené par une
secte vaudou. Toujours attaché au quotidien qui sombre dans l’angoisse, il réalise en 1990 Fenêtre sur Pacifique, l’histoire d’un
couple de propriétaires confrontés à un locataire machiavélique. Il réalise en 1995 Au-delà des lois et The Next best thing en 1999.
Parallèlement à ses œuvres de fiction, John Schlesinger tourne des documentaires,
notamment un épisode de Visions of eight intitulé The Longest (1973).
Il tourne également des fictions pour la télévision : Seperate tables (1983), An Englishman abroad (1983), Cold comfort farm (1995),
The Tale of Sweeney Todd (1998). Schlesinger s’est également essayé à la mise en scène d’opéra.
Filmographie
1961 Terminus - 1962 A kind of Loving - 1963 Billy le menteur - 1965 Darling - 1967 Loin de la foule déchaînée
1969 Macadam cowboy - 1971 Un dimanche comme les autres - 1975 Le jour du fléau - 1976 Marathon Man
1979 Yanks - 1981 Honkey Tonk Freeway - 1985 Le jeu du faucon - 1987 Les envoûtés - 1988 Madame Sousatzka
1990 Fenêtre sur le Pacifique - 1993 L’innocent - 1996 Au-delà des lois - 2000 Un couple presque parfait
Julie Christie
aJulie Christie dans Billy Liar
Sans doute la plus glamour, et l’une des plus intelligentes de toutes les comédiennes britanniques, Julie Christie a apporté une
bouffée d’air pur et de sensualité dans le cinéma anglais des années 60, dès son apparition insouciante dans Billy Liar.
Née en Inde, où son père possédait une plantation de thé, Julie Christie effectue sa scolarité en Angleterre et en France avant de
rejoindre la Central School of Music and Drama de Londres. Elle s’implique en 1957 dans une troupe de théâtre et fait une première
apparition à la télévision dans le rôle-titre de la série A for Andromeda, avant de débuter au cinéma dans deux comédies de Ken Annakin.
Le public la découvre dans deux films de John Schlesinger, Billy le menteur, et Darling qui lui vaut l’Oscar de la Meilleure Actrice.
Dans Darling, elle incarne un personnage superficiel, stupide et moralement usé, rôle devenu une référence de cette époque,
tout comme le sera le personnage de Bethsabée dans Loin de la foule déchaînée, autre film de John Schlesinger adapté du roman de
Thomas Hardy, et qui réunissait Terence Stamp et Alan Bates.
En 1966, elle illumine le film de David Lean, Docteur Jivago, dans le rôle de Lara. Elle continue sa carrière avec des films exigeants :
Le messager (1971) de Joseph Losey où, bourgeoise blasée, elle détruit la vie d’un jeune homme en l’impliquant dans ses amours
impossibles, Ne vous retournez pas (1973) de Nicolas Roeg et ses scènes d’amour avec Donald Sutherland, ainsi que ses 3 films
avec Warren Beatty : John Mc Cabe (1971) de Robert Altman, Shampoo (1975) de Hal Ashby et Le ciel peut attendre (1978).
Malgré son succès, elle devint plus sélective dans ses rôles et tandis que sa prise de conscience politique s’accroît, elle s’implique
dans des projets plus confidentiels tels que Memoirs of a survivor de David Gladwell (1980) ou The gold diggers (1984) de Sally Potter.
Toutefois, son talent et sa beauté restent intactes dans Hamlet (1996) de Kenneth Branagh où elle interprète Gertrude ainsi que dans
L’amour, et après d’Alan Rudolph (1997) pour lequel elle fut nommée au Oscars. En 1995, elle remonte sur les planches dans une
relecture de Old Times de Harold Pinter et ravit la critique.
Puis elle enchaîne de nombreux films dont Autour de Lucy, Troie et Harry Potter. En 2007, elle incarne avec beaucoup de finesse et
de délicatesse le rôle principal de Loin d’elle de Sarah Polley. En 2012, elle jouera Mimi Lurie dans le nouveau film de Robert Redford,
The Company you keep.
« John Schlesinger m’a donné mes plus grands rôles, ceux qui m’ont révélée, à commencer par Billy Liar qui ne m’était
pas initialement destiné ! J’ai ensuite eu la chance de travailler avec lui pour Darling et Far from the Madding Crowd.
Mais le plus important est qui est resté un grand ami. Il faisait partie de la bande de pionniers du cinéma britannique
des années 60, notre « nouvelle vague » et je suis très heureuse d’avoir participé à cela.
Julie Christie
»
A Kind of Loving
NOUVELLE VAGUE BRITANNIQUE ET FREE CINEMA
Les années 50, à l’instar de la Nouvelle Vague française ou du cinéma italien, ont vu le cinéma britannique
faire sa révolution.
Cette Nouvelle Vague britannique dépeint sans concession la réalité sociale et aborde des sujets jusqu’alors
restés tabous : lutte des classes, homosexualité et avortement. Tout en laissant la part belle à l’imagination, et en osant adopter des accents poétiques, les réalisateurs de la Nouvelle Vague britannique, parmi
lesquels Tony Richardson et Sydney Furie, revendiquent une indépendance artistique et un cinéma moins
attaché aux valeurs traditionnelles, plus sensible aux aspirations et aux problèmes de la vie quotidienne. Ils
sont fortement influencés par le Free Cinema de Karel Reisz et Lindsay Anderson.
Par cette vision sociale très critique de l’Angleterre contemporaine dans le cinéma, tous ces réalisateurs
ouvriront la voie à une nouvelle génération de réalisateurs, celle de Ken Loach, Stephen Frears et Mike
Leigh.
Parmi les films les plus marquants de la Nouvelle Vague britannique, on retiendra Room at the top de Jack
Clayton, Saturday Night and Sunday Morning de Karel Reisz, This Sporting Life de Lindsay Anderson, Look
Back in Anger adapté de la pièce de John Osborne et A Taste of Honey de Tony Richardson, ou encore A
Kind of Loving de John Schlesinger. Après l’immense succès de Tom Jones de Richardson, le groupe se
séparera, chacun voguant vers ses propres choix.
De nombreux comédiens seront révélés grâce aux films de cette révolution cinématographique : Alan
Bates, Albert Finney, Tom Courtenay, Richard Harris, June Ritchie et Julie Christie révélée en 1963 dans
Billy Liar.
LE FREE CINEMA par John Ellis
C
« es films sont libres en ce sens que leurs déclarations sont tout à fait personnelles. Bien que leurs humeurs et leurs sujets diffèrent,
la préoccupation de chacun d’eux est un aspect de la vie telle qu’elle est vécue dans ce pays aujourd’hui.»
«... Ces films, et ceux à suivre, sont un défi à l’orthodoxie. La plupart d’entre eux, jusqu’à présent, ont été produits hors du cadre de l’industrie cinématographique mais pas sans l’aide de l’industrie. Cela signifie que leurs réalisateurs ont pu exprimer leurs propres points de vue,
parfois insolites, sans obligation de souscrire aux conventions techniques ou sociales imposées dans les productions commerciales ».
« Pourquoi n’utilisons-nous pas le cinéma ? ... Pourquoi les intellectuels ne prennent-ils pas une part plus active dans un art si populaire ?
Et n’est-il pas temps que les artistes dont les convictions sont humanistes commencent à prendre un peu plus au sérieux leur relation
avec leur public, leur relation aux médias de masse, de sorte que leur art ne soit ni exclusif et snob, ni stéréotypé et propagandiste - mais
vital, éclairé, personnel et rafraîchissant ».
Ces citations sont extraites de l’introduction aux programmes du Free Cinema montrés au National Film Theatre entre 1956 et 1959.
Elles contiennent presque tous les germes qui composaient ce mouvement dès la première projection de trois films en Février 1956 - O
Dreamland, Momma Don’t Allow, and Together - sous le titre de Free Cinema. Ce programme avait été organisé par Lindsay Anderson,
Karel Reisz, John Fletcher et Walter Lassally, sous le nom «Comité pour le Free Cinema». «Libre» plutôt que «expérimental», ni introverti, ni ésotérique, sans se préoccuper de la technique. «Libre», a contrario du cinéma britannique d’alors : il s’agissait de s’opposer
aux conventions stylistiques et techniques de l’industrie – le choix du studio plutôt que du tournage en extérieurs, la préférence pour
une production de prestige plutôt que financer plusieurs films plus modestes. En opposition aussi au monopole de la distribution, et au
refus des producteurs et des distributeurs de considérer des films différents, controversés. C’est un manifeste radical pour un «cinéma
indépendant», qui utilise le 16 mm au lieu du 35 mm, mais aussi la volonté de montrer que les bons films sont tout aussi (sinon plus)
susceptibles d’être réalisés avec des petits budgets.
Il y avait une volonté de développer un autre type de films en Grande-Bretagne. Des articles dans Sequence et Sight & Sound ont mis en
évidence l’admiration et l’intérêt pour John Ford, Minnelli et d’autres réalisateurs Hollywoodiens, pour de nouveaux films européens, appelés la Nouvelle Vague, démarche à partir de laquelle Lindsay Anderson, Karel Reisz et Tony Richardson ont construit leurs films. Cette
démarche avait beaucoup de points communs avec des mouvements similaires de cinéastes et de critiques en France, Italie, Europe de
l’Est et en Amérique. Mais les films réalisés par ce groupe, et leur méthode de travail, étaient étonnamment différents : O Dreamland,
Momma Don’t Allow, Nice Time sont tous des documentaires, et pourtant ils sont en net contraste avec le travail des documentaristes
des années 1930, Grierson, etc, le film britannique d’avant-garde. Ce rejet avait une exception : Humphrey Jennings, personnage hors
normes dans le mouvement documentaire, et admiré pour son travail personnel et poétique, pour la vision qu’il exprimait dans ses films
en transformant des « classiques documentaires de guerre » en émouvantes allégories temporelles.
Le Free Cinema, essentiellement mouvement de réalisateurs de documentaires, n’est pas une simple question de tradition. Au contraire,
il affirme la conviction que le cinéma est un art, mais aussi un art qui serait trivial et insipide s’il n’avait pas de relation directe avec la
société. D’où la volonté «d’engagement» si fortement exprimé dans les manifestes. Cet engagement était à la fois pour le cinéma et
pour les gens. Le groupe avait de l’hostilité à l‘égard de la critique de l’époque, qui refusait de prendre le cinéma et la culture cinématographique au sérieux et qui, invariablement, renforçait le snobisme implicite et l’élitisme de la plupart des films britanniques, où « les
personnages issus de la classe ouvrière sont surtout comiques, quand ils ne sont pas exécrables. Ils font d’excellents serviteurs, de bons
commerçants, et de bons soldats » (Lindsay Anderson, Get Out et Push, Essai - 1958). Il y avait le souci de montrer de vraies personnes,
pour exprimer la vie contemporaine, pour exposer sa beauté et sa laideur; pour montrer les gens en tant qu’individus et en tant que membres d’une communauté, dans des situations réelles, de manière ni romantique ni snob. La politique derrière cet engagement n’étaient
pas particulièrement radicale, comme l’exprimait Lindsay Anderson : «Une chose est certaine : dans les valeurs de l’humanisme, et dans
leur application à notre société se trouve l’avenir. Tout ce que nous avons à faire est de croire en elles». Elle a conduit, cependant, à une
brève association du Free Cinema avec la Nouvelle Gauche, et avec la revue Universities and Left Review qui a pris fin dans la désillusion quand il est devenu clair que leurs intérêts pour le cinéma étaient fondamentalement différents. Peu intéressé par la réalisation de
films de propagande, le groupe Free Cinema voulait des films non seulement socialement engagés, mais aussi s’inscrivant dans l’art.
Le Free Cinema est libre des contraintes commerciales, mais aussi des contraintes artistiques. L’art est considéré comme une expression personnelle et les films sont des tentatives délibérées pour présenter la réalité pas seulement comme elle est, mais à travers la
vision du cinéaste, montrant la surface mais aussi la profondeur. Les films devraient apporter des interprétations personnelles de leurs
sujets, écartant l’objectivité, et donnant aux cinéastes la même responsabilité dans leurs propos qu’aux autres artistes.
En montant leurs films, les réalisateurs du Free Cinema souhaitaient aussi encourager d’autres jeunes cinéastes contemporains à en
réaliser.
Les films britanniques du Free Cinema, qui se voulaient « libres des contraintes et des conventions de la production commerciale »,
étaient très réussis. Leurs sujets étaient différents et ils ont été filmés sans les préjugés habituels, permettant aux images elles-mêmes
de parler. Il ya aussi une évidente proximité découlant de la volonté d’utiliser des gros plans et de filmer dans la foule, en s’immergeant
dans le sujet, ce qui était rendu possible grâce aux évolutions techniques et l’apparition d’un matériel plus léger et plus souple.
Les films adoptent un style de tournage proche du reportage, souvent en « son directe », intégrant des bribes de conversation ou de
bruit d’ambiance. La photographie était très importante, le choix des angles, le placement de la caméra. Mais le montage était tout aussi
essentiel, avec l’utilisation massive de techniques de montage et les différences entre le son et l’image. Grâce à cela, et en construisant
une dramatisation simple (ou, comme dans Together, en prenant une histoire et en la filmant comme un documentaire) les cinéastes
réalisent des films en montrant les choses «comme elles sont vraiment ».
Karel Reisz résume peut-être le mieux ce que le mouvement a été : « Le Free Cinema est une tentative de certains d’entre nous de
former un groupe, et de s’attaquer aux valeurs actuelles du cinéma anglais, non pas par des articles de journaux, mais par les films euxmêmes. .. mais la valeur de ces films, s’ils en ont une, réside dans le film et non dans le mouvement ».
Extraits tirés de John Ellis (éd.), 1951-1976, Productions BFI, Londres : BFI, 1977.
Sortie le 26 SEPTEMBRE 2012
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Remerciements
Nous remercions Julie Christie, Serge Toubiana et Florence Tissot (Cinémathèque Française),
Marie-Jeanne Gomet (Festival de Beauvais)
et Béatrice Valbin-Constant (Studiocanal), pour leur précieux soutien.
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