le cinéma indien - Festival International du Film d`Histoire de Pessac
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le cinéma indien - Festival International du Film d`Histoire de Pessac
LE CINÉMA INDIEN : 100 ANS DE MULTITUDES Avec la participation de l’Ambassade de l’Inde Lagaan de Ashutosh Gowariker (2001). Pendant longtemps, c’est Satyajit Ray qui a représenté, presque à lui seul, le cinéma indien – ou plutôt l’idée que s’en forgeait le public occidental. Indépendamment de ses immenses qualités et de la variété de ses films, qui ne se caractérisent pas tous, loin s’en faut, par le tempo « contemplatif » auquel Ray est généralement associé, le cinéaste bengali a accaparé l’attention à son corps défendant, laissant les miettes du festin critique à une poignée d’autres grands noms : Ritwik Ghatak, Mrinal Sen ou Guru Dutt… Au-delà des personnalités elles-mêmes, c’est une identité fuyante que Sayajit Ray laissait dans l’ombre. Fuyante parce qu’elle procède d’une mosaïque de langues, d’ethnies et d’États très variés, et que la production indienne (environ 900 films par an à l’heure actuelle) se répartit sur plusieurs aires géographiques. On réalise des films aussi bien à Mumbai (Bombay), à Kalkotta (Calcutta), à Chennai (Madras), à Pune, à Thiruvananthapuram (Trivandrum) ou Hyderabad. En d’autres termes, il est à peu près impossible de faire l’histoire du cinéma indien et Yves Thoraval dans son ouvrage (cf. bibliographie) comme Hubert Niogret dans son film (Les cinémas de l’Inde du Nord au Sud), évoquent plus justement les cinémas de l’Inde. Mais ce qui rassemble des publics et des œuvres qui obéissent à une certaine logique du cloisonnement, c’est la ferveur jamais démentie des Indiens pour le cinéma. 62 films - l’inde et la chine LES NAISSANCES DU CINÉMA INDIEN Dès le début, en effet, c’est d’un engouement massif qu’il faut parler, conduisant le public à plébisciter les productions locales au détriment des films occidentaux qui ont, ici comme ailleurs, amorcé le mouvement. Ils sont même très présents (le pays est très ouvert aux réalisateurs étrangers), mais 1913 voit la sortie du premier long métrage de fiction indien, Raja Harichandra, inspiré par le Mahabhâratâ. La mythologie occupe une place prépondérante dans la production indienne, dès ses débuts, et les épopées fondatrices de la culture indienne (le Mahabhâratâ, donc, mais aussi le Ramayana)vont constituer un réservoir inépuisable d’histoires déclinées à l’infini. Film mythologique et film religieux (des vies de saints qui peuvent également être poètes ou philosophes) dominent la production. Celle-ci se voit pourtant timidement contrebalancée par une orientation réaliste à partir du milieu des années 1920. Savkari Pash (1925) de Manilal Joshi et Baburao Painter est le représentant le plus en vue de ce courant, opposant, un peu à la manière de L’Aurore de Murnau (États-Unis, 1927) la tentation corruptrice de la ville à la pureté de la campagne. Autre élément déterminant : l’exotisme et les « fééries orientales » se multiplient et, en se combinant à la veine mythologique, préparent le cinéma indien à la révolution du parlant et à ce qui s’affirmera, L’INDE AU CINÉMA dès 1931, comme une forme canonique (une « formule ») qui prédominera sous une forme ou sous une autre, jusqu’à aujourd’hui. Première conséquence du parlant : les langues « régionales » font leur apparition dans la production indienne et à l’hindi, dominant jusqu’alors, viennent s’ajouter les premiers films en bengali, en tamoul et en telugu. Deuxième conséquence : les danses et les chants occupent désormais une place centrale. Les années 1930 sont à la fois l’épine dorsale et l’épicentre du cinéma indien. Enfin, c’est l’époque où les studios se développent et affermissent leur assise. Bombay occupe très vite une position dominante et devient la capitale du cinéma indien. Devdas, récit appelé à connaître une fortune considérable à l’écran, est adapté une première fois en 1935. Les sujets dits « sociaux », ne faiblissent pas pour autant. Si le déferlement du parlant était une révolution, l’accession à l’indépendance et la partition avec le Pakistan en 1947, représentent un véritable traumatisme pour la société indienne, dont l’onde de choc se répercute bien entendu sur la production. Des créateurs comme Ritwik Ghatak, qui vont émerger au tournant des années 50 / 60, seront durablement marqués par la partition, au point d’en faire leur sujet de prédilection. Comme le souligne André Z. Labarrère, « la guerre a une incidence imprévue. Les fortunes que certains amassent sont investies, à la fin des hostilités, dans l’industrie cinématographique. D’entreprenants producteurs indépendants mettent à mal les grandes firmes de Bombay et de Calcutta. Au cours des années 1950, ils auront raison de la plupart d’entre elles. » En 1948, la sortie de Chandralekha de S. S. Vasan marque un tournant : c’est la première production « bilingue » (le film est tourné à la fois en hindi et en tamoul) du cinéma indien. Son succès nous renseigne sur le déplacement du centre de gravité de la production de Bombay vers Madras. C’est paradoxalement l’époque où le réalisme effectue une percée significative du côté de Bombay, avec les œuvres de K. A. Abbas (Les Enfants de la terre) et de Chetan Anand (La Ville basse). En 1952, le premier Festival international du film de l’Inde va également servir d’accélérateur à la tendance réaliste : le public découvre les œuvres des réalisateurs phares du néoréalisme (Vittorio De Sica, Roberto BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE – François Gautier, 100 ans de cinéma indien, Paris, L’Harmattan, 2012. – Emmanuel Grimaud et Kirstie Gormley (dir.), Le cinéma indien, Lyon, Asiexpo, 2008. – Emmanuel Grimaud, Bollywood Film Studio : ou comment les films se font à Bombay, Paris, CNRS, 2003. – André Z. Labarrère, Atlas du cinéma, Paris, Le Livre de Poche, 2002. Le cinéma indien : pp. 366-381. – Jean-Loup Passek (dir.), Le cinéma indien, Paris, L’équerre/Centre Pompidou, coll. « Cinéma pluriel », 1983. – Pierre Polomé et Virginie Broquet, Bollywood : dans les coulisses des « Film cities », Rodez, Le Rouergue, 2005. – Charles Tesson, Satyajit Ray, Paris, Cahiers du Cinéma, coll. « Auteurs », 1992. – Yves Thoraval, Les cinémas de l’Inde, Paris, L’Harmattan, coll. « Images plurielles », 2000. Rossellini, notamment) et cette prise de conscience aura une influence durable sur des créateurs tels que Satyajit Ray ou Mrinal Sen. Ray tourne son premier long métrage au milieu des années 1950 : La Complainte du sentier / Pather Panchali, dont le sujet (la pauvreté et les souffrances des populations rurales) et le mode de production (très modeste) vont faire école. C’est un triomphe critique. Pas de chants, pas de danses, un ton très sobre, voire austère. L’Inde se découvre une capacité à produire et concevoir des films autrement. Avec Satyajit Ray, c’est toute la production bengalie qui se trouve propulsée sur le devant de la scène. Des cinéastes qui s’affirment comme d’authentiques créateurs et des intellectuels raffinés, des lettrés, se créent un espace et un écosystème dans lequel ils vont s’épanouir. Durablement pour Ray, dont la production s’échelonne jusqu’à sa disparition en 1992. Brièvement, mais de manière fulgurante, pour Ritwik Ghatak avec des œuvres telles que L’Étoile cachée (1960), étape intermédiaire d’une trilogie essentielle sur la partition. DES GRANDS MAÎTRES À BOLLYWOOD Si, en Inde, la production s’est évidemment développée à partir d’initiatives privées, l’État va entrer dans le jeu au début des années 1960, et fonder des structures propices à l’épanouissement de créateurs « exigeants ». Le National Film Department (FFC, puis NFDC), des écoles de cinéma comme celle de Poona (Pune) ou la Cinémathèque indienne, viennent structurer une alternative à l’industrie des studios, engagés dans une lutte d’influence de grande magnitude entre cinémas hindi et tamoul. Ray et Ghatak ne se contentent pas de réaliser, mais aussi de transmettre leur savoir : les films de Mani Kaul (Le Pain quotidien, 1969) ou de Mrinal Sen (Bhuvan Shome, 1969 également) témoignent de l’influence directe des grands créateurs bengalis. On peut parler de « nouvelle vague » du cinéma indien, qui n’est à l’évidence pas une translation directe du modèle français sur le modèle indien, mais relève d’un processus voisin de contrepied de la production mainstream. Les stars, qui ont très tôt formé, sur le modèle hollywoodien, le socle du cinéma indien et de son attraction auprès du public – les stars sont remarquablement absentes des productions qui se tournent à l’époque sur la côte Est du pays. La dimension politique est également omniprésente, de même que des préoccupations formelles très affirmées. Les années 1970 voient le triomphe de l’ancrage réaliste et de ce qu’on va appeler indifféremment « Nouveau cinéma » ou « Parallel Cinema », qui profite de l’essor des cinémas kannada et malayalam. L’État du Kerala lui aussi fonde sa propre industrie du film, ce dont témoignent l’émergence d’Adoor Gopalakrishnan et Govindan Aravindan. Cinéaste le plus représenté de notre sélection avec Satyajit Ray, Gopalakrishnan, comme Shyam Benegal, est une personnalité marquante de la production indienne contemporaine : l’engagement politique, l’attention aux plus humbles, l’âpreté réaliste qui caractérise son approche visuelle, en font un héritier direct de Satyajit Ray. La première vague du « Nouveau Cinéma », qui s’affirme durant la décennie 70, est suivie d’une seconde à partir de 1980. Le Bengale, comme dans les années 1950 / 60, y est particulièrement représenté, sans rejeter dans l’ombre les créateurs issus d’autres aires géographiques. Par ailleurs, des cinéastes comme Goutam Ghose tournent aussi bien en hindi, en bengali ou en telugu, et contournent la l’inde et la chine - films 63 L’INDE AU CINÉMA segmentation des publics inhérente à la disparité des langues régionales. Toutefois, le cinéma indien n’en finit plus de manifester sa souplesse et, à partir de l’opposition binaire film populaire / film d’auteur, définit dès les années 70 les modalités d’une synthèse féconde. Au sein de la production dominante (tamoul et hindi), le cinéma commercial a de toute façon pris l’habitude, depuis une quarantaine d’années, d’apparier les genres : le film musical, le mélodrame, le polar, le film d’aventure se recoupent et se réinventent sans cesse. Des cinéastes tels que Yash Chopra (qui vient de disparaître en 2012 à 83 ans, après le tournage de Jusqu’à mon dernier souffle, conçu dès le départ comme son ultime opus) travaillent à redéfinir et enrichir la formule magique du cinéma indien, définie dès les années 30. En Inde, les stars n’ont jamais baissé pavillon, et aujourd’hui moins que jamais. L’emprise du mythe et le processus d’identification à des vedettes comme Shah Rukh Khan, font de ces dernières les égales de dieux auxquels des temples sont parfois dédiés ! La frontière entre le réel et la dimension mythique et romanesque est naturellement estompée en Inde. En 1957, Mother India de Mehboob Khan refondait dans l’espace indien le modèle d’Autant en emporte le vent. Cycliquement – et conjointement au « Nouveau Cinéma » – cette influence dominante a pu décliner passagèrement, mais sans être jamais menacée de disparition. L’appellation « Bollywood », abusive au regard de la richesse et de la variété des centres de production, de leur disparité aussi, est aujourd’hui la marque de fabrique d’une cinématographie qui s’est ménagée une place enviable à l’exportation. Les œuvres populaires auprès des diasporas indiennes disséminées à travers le monde (Salaam Bombay ! de Mira Nair, 1988, par ailleurs inscrit dans une tradition ; Jouelà comme Beckham de Gurinder Chadha,2002) ont précédé, depuis une dizaine d’années, un échantillon limité mais représentatif des productions « Bollywood ». Lagaan (Ashutosh Gowariker, 2001) ou Devdas (Sanjay Leela Bhansali, 2002) ont bénéficié d’un accueil enthousiaste de la part du public occidental. Le film musical indien s’est signalé depuis 75 ans par son vivier de compositeurs, de paroliers et de chorégraphes, sans parler des chanteurs qui doublent les stars – et qui sont souvent, eux-mêmes, des vedettes de premier plan dont le nom est guetté avec avidité par le public indien. La tradition de cet artisanat élevé aux dimensions d’une industrie est aujourd’hui plus vigoureuse que jamais. Elle innerve un flot de productions-fleuves (la durée : l’une des éléments majeurs du cinéma indien, qui renvoie à une conception du temps très éloignée de la nôtre) dont nous avons du mal à prendre la mesure. Celle d’une cinématographie conforme à la nature protéiforme de l’Inde, et qui possède la vastitude d’un continent. De gauche à droite : Satyajit Ray, Yash Chopra, Shyam Benegal, Guru Dutt, Adoor Gopalakrishnan et Ashutosh Gowariker. 64 films - l’inde et la chine L’INDE AU CINÉMA L’Adversaire L’Assoiffé Satyajit Ray – Inde, 1970, 110 mn, NB Guru Dutt – Inde, 1957, 146 mn, NB À la mort de son père, Siddharta est contraint d’arrêter ses études et de chercher du travail. Calcutta est alors en proie à une intense agitation politique qui complique ses démarches, les soubresauts de la société indienne faisant écho aux propres doutes du jeune homme… Le cœur de Vijay, poète tourmenté dont les écrits sont refusés partout, hésite entre deux femmes : Gulab, une prostituée qui connaît et admire son œuvre, et Meena, un amour de jeunesse dont le mari, éditeur, vient d’engager Vijay… Depuis Pather Panchali, son premier film, tourné quinze ans auparavant, Satyajit Ray avait privilégié l’intimisme, même lorsque le parcours de ses personnages croisait l’agitation de la grande ville (les deux derniers volets de la trilogie d’Apu). Dans L’Adversaire, il s’ouvre à l’agitation du monde, une agitation essentiellement politique, synchrone avec les grands mouvements contestataires de la fin des années 1960. Il le fait à l’aide de dispositifs formels qui l’éloignent radicalement de la langueur étudiée du Salon de musique : la caméra portée et le montage parfois heurté, qui offrent le portrait d’une ville grouillante, saturée de circulation et de bruit ; mais aussi de surprenants effets de solarisation (comme celui qui ouvre le film) et des flashes-back qui viennent brutalement rompre le cours du récit. Une syntaxe largement dissonante qui tranche avec le registre habituel de Ray et assure à L’Adversaire un statut assez isolé dans sa filmographie. Siddartha est bien en quête d’une sérénité perdue, matérialisée par le chant de l’oiseau, mais c’est dans le pandémonium urbain que le jeune homme va se perdre et éventuellement tenter de préserver cette harmonie qui demeure sa véritable raison d’être. Comme son alter ego Ritwik Ghatak, Guru Dutt fait figure de cinéaste maudit et accouchera lui aussi d’une filmographie hélas restreinte, prématurément interrompue par sa mort à l’âge de 39 ans. Sa biographie se confond d’ailleurs de manière troublante avec celle de Vijay, le héros de L’Assoiffé, qui pose sans détours la question de l’artiste dans la société. Tout au long des années 1950, notamment à travers des films policiers qui ont obtenu un certain succès, Dutt avait peaufiné son style, reconnaissable à l’usage de gros plans en longue focale (travaillés avec un objectif de 100 mm) et à l’intégration accrue des chansons et de la musique à la narration. C’est avec ce bagage en poche qu’il signe L’Assoiffé en 1957, synthèse de ses recherches, dont l’atmosphère s’avère nettement influencée par le film noir hollywoodien (l’usage des clairs obscurs). Dès les premiers plans, le film impressionne par son élégance formelle et d’envoûtants mouvements de caméra, qui font contre-point à l’acerbe vision du monde de Vijay. À travers son tragique destin, Guru Dutt (qui était aussi danseur, musicien et dramaturge, bref un artiste complet à la manière de Satyajit Ray) nous livre un saisissant aperçu d’une immense carrière interrompue en plein essor. [PRATIDWANDI] Sortie française 14 avril 1993 Distributeur Les Films sans Frontières Format 35 mm – 1.37 : 1 Cie de production Priya Films Producteurs Nepal Dutta, Asim Dutta Scénario Satyajit Ray, d’après le roman Pratiwandi de Sunil Ganguli Image Soumendu Roy, Purnendu Bose Son J.D. Irani, Durgadas Mitra Montage Dulal Dutta Musique originale Satyajit Ray – Avec Dhritiman Chatterjee (Siddharta Chowdhury), Indira Devi (Sarojini), Debraj Roy (Tunu), Khrishna Bose (Sutapa), Kalyan Chowdhury (Siben)… [PYAASA] Sortie française 5 juin 1985 Distributeur Les Films sans Frontières Format 35 mm – 1.37 : 1 Cie de production Guru Dutt Films Private Ltd. Producteur Guru Dutt Scénario Guru Dutt, Abrar Alvi Image V. K. Murthy Montage Y. G. Chawhan Musique originale Sachin Dev Burman – Avec Guru Dutt (Vijay), Mala Sinha (Meena), Waheeda Rehman (Gulab), Johnny Walker (Abdul Sattar), Kum Kum (Juhi)… l’inde et la chine - films 65 L’INDE AU CINÉMA Bose, le héros oublié Charulata Shyam Benegal – Inde, 2005, 208 mn, coul Satyajit Ray – Inde, 1964, 117 mn, NB Deuxième Guerre mondiale. Bose, leader indépendantiste arrêté par les Britanniques à Calcutta, parvient à s’évader et à fuir le pays. Il se réfugie en Allemagne, où il met sur pied l’Armée Nationale Indienne, forte de 80 000 hommes, afin de délivrer l’Inde de la présence anglaise… 1879. Charulata se sent seule, son mari Bhupati se dévouant corps et âme au journal qu’il a fondé, La Sentinelle. Sur l’initiative de Bhupati, persuadé des talents littéraires de Charulata, son cousin Amal, un fin lettré, vient habiter chez eux. Une tendre complicité l’unit bientôt à la jeune femme… Shyam Benegal est aujourd’hui l’un des cinéastes indiens les plus en vue. Au sein de la production hindie, il est parvenu, en quarante ans de carrière, à concilier une production exigeante avec un certain attrait commercial, dû parfois à d’audacieux modes de financement lui ayant permis, dans les années 1970 et 80, de prolonger une œuvre entravée par la crise conjoncturelle du cinéma indien. Tout au long de sa carrière, Shyam Benegal s’est penché sur des figures emblématiques de l’histoire indienne (Gandhi dans The Making of the Mahatma, 1996, ou Nehru dans la série télévisée Discovery of India, 1988). Il paraissait presque naturel qu’il s’attachât au parcours de Netaji Bose, opposant bengali aux Britanniques dont les orientations politiques et les méthodes sont à l’exact opposé de celles de Gandhi. Bose est un personnage à l’indéniable relief romanesque. La mise sur pied de l’INA (Armée Nationale Indienne), après un incroyable périple qui le mène de l’Afghanistan à l’Allemagne en passant par l’Asie centrale et la Russie, relève de la geste épique. Épique comme la production de ce film, l’un des plus coûteux jamais réalisés en Inde, et dont la mise en scène saisit le feu intérieur et les contradictions d’un héros sinon oublié, du moins controversé. Charulata est la troisième incursion de Satyajit Ray dans l’univers de Rabindranath Tagore, après Trois femmes et le documentaire qu’il a consacré à l’écrivain, en 1961. Bien avant La Maison et le monde, Charulata évoque une femme partagée entre son mari (Bhupati) et un nouveau venu (Amal) qui sème progressivement le trouble en elle. Mais à la différence du personnage de Sandip dans La Maison et le monde, les motivations d’Amal sont nobles et désintéressées. Quant à Bhupati, il semble avoir dédié sa vie à la politique et à la gestion de son journal. Charulata s’étiole donc dans sa condition de recluse, condamnée à observer le monde de sa fenêtre et arpenter la cage dorée qu’est devenue sa maison – décor splendidement exploité dès les premiers plans par la caméra fluide et serpentine de Subrata Mitra, l’habituel chef opérateur de Ray. Dans le même temps, Charulata s’éveille à la création littéraire et permet au cinéaste de cerner le principal enjeu du film : quel regard sur le monde, et à quelle distance se situer ? Entre le retrait relatif de Charulata et l’activisme de Bhupati, qui s’y brûlera les ailes, Satyajit Ray met en perspective, à partir d’une intrigue d’une grande pureté narrative, l’amour, l’idéalisme et les illusions perdues. Inédit en France – Provenance de la copie Ambassade de l’Inde Format 35 mm – 2.35 : 1 Cies de production Sahara India Media Communication/Shyam Benegal Sahayadri Films Producteurs Raj Pius, Barbara von Wrangell Scénario Atul Tiwari, Shama Zaidi Image Rajan Kothari Son Ashwyn Balsaver Montage Aseem Sinha Musique originale A.R. Rahman – Avec Sachin Khedekar (Subhas Chandra Bose), Kulbhushan Kharbanda (Uttamchand Malhotra), Rajit Kapoor (Abid Hasan), Divya Dutta (Ila Bose), Arif Zakaria… Sortie française 17 juin 1981 Distributeur Les Acacias Format DCP – 1.37 : 1 Cie de production R.D.Bansal Productions Producteur Satyajit Ray Scénario Satyajit Ray, d’après la nouvelle Nastanirh (The Broken Nest) de Rabindranath Tagore Image Subrata Mitra Son Nripen Paul, Atul Chatterjee, Sujit Sarkar Montage Dulal Dutta Musique originale Satyajit Ray – Avec Soumitra Chatterjee (Amal), Madhabi Mukherjee (Charulata), Sailen Mukherjee (Bhupati), Syamal Ghosal (Umapada), Gitali Roy (Mandakini)… [NETAJI SUBHAS CHANDRA BOSE : THE FORGOTTEN HERO] 66 films - l’inde et la chine L’INDE AU CINÉMA Chatrak Les Cinémas indiens du Nord au Sud Vimukthi Jayasundara – France/Inde, 2011, 90 mn, coul Hubert Niogret – France, 2008, 167 mn (53, 56 et 58 mn), doc Dans une forêt bordant la frontière, un jeune Bengali qui vit en ermite et un soldat européen sont amenés à se côtoyer. Au même moment à Calcutta, Rahul, un architecte, renoue avec son amie Paoli. Il part avec elle à la recherche de son frère disparu, qui semble avoir sombré dans la folie… Comment définir une cinématographie organisée autour de grands bassins linguistiques, avec leur histoire, leurs cultures, et leurs structures sociales propres ? Un état des lieux « des » cinémas indiens et de leurs créateurs essentiels, des années 1950 à aujourd’hui… « Chatrak ne relève en rien d’un manichéisme naïf qui opposerait le méchant promoteur aux gentils illuminés fusionnant avec les arbres. Les uns n’ont guère plus raison que l’autre, car toute rationalité est évacuée par une forme de folie. D’un côté, l’onirisme perce dans la forêt des brèches mystiques. De l’autre, la folie des grandeurs érige des gratte-ciels comme autant de chimères enfantées par le monstre Dubaï. Chatrak circule entre deux paysages mentaux où le refuge délirant et le cauchemar entêtant se superposent à la réalité d’un pays en proie aux défigurations de la mondialisation. L’un est gagné par l’hallucination que diffusent, peut-être, ces champignons avalés par les deux vagabonds, saisis de rires hystériques et emportés par une étrange et absurde chorégraphie. L’autre est la projection fantasmatique d’une capitale contaminée par d’illusoires sophistications, où les immeubles poussent comme des champignons. Pour que se concrétise cette frénésie architecturale normative, la population est déplacée. Intrinsèquement, le film de Jayasundara pose une question essentielle : qu’habitons-nous vraiment dans ce décor de la mondialisation ? Qu’est-ce qu’être-au-monde quand ne foisonne plus que l’immonde ? » – Estelle Bayon, Critikat. 1 : LES GÉNÉRATIONS DU CINÉMA BENGALI ; 2 : LES HÉROS DU CINÉMA HINDI ; 3 : LES CINÉMAS DANS LES ÉTATS DU SUD. Sortie française 6 février 2013 Distributeur Équation Distribution Format DCP – 1.85 : 1 Cies de production Vandana Trading Company, Les Films de l’étranger, Wallpaper Productions, Bear Called Dog Producteurs Stéphane Lehembre, Philippe Avril, Yov Moor, Francisco Villa-Lobos, Michel Klein Producteur exécutif Bappaditya Bandopadhyay Producteur délégué Vinod Lahoti Scénario Vimukthi Jayasundara Image Channa Deshapriya Son Dana Farzanehpour, Franck Desmoulins, Roman Dymny Montage Julie Béziau Musique originale Roman Dymny – Avec Paoli Dam (Paoli), Sudip Mukherjee (Rahul), Tómas Lemarquis (un soldat étranger), Sumeet Thakur (le frère de Rahul)... Comme l’affirme Krishnan Hariharan, directeur de l’école de cinéma de Chennai, « le cinéma indien est l’unique moyen de donner à cette population d’un milliard d’âmes une identité nationale. Selon moi, l’identité nationale se construit sur trois éléments : une langue commune, une religion commune, et un leader politique. Nous n’avons aucun des trois. Nous sommes tous différents, ici. Quoi d’autre que le cinéma pour nous réunir ? ». Ce préambule livre un indice de la complexité à laquelle se confronte le documentaire d’Hubert Niogret, qui embrasse la production bengalie et la tradition impulsée par Satyajit Ray, Ritwik Ghatak ou Mrinal Sen ; la production hindie, rassemblée – à tort – sous le terme générique de « Bollywood », inapte à cerner ses composantes auteuristes, à commencer par ce Parallel Cinema dont Shyam Benegal est le représentant le plus connu ; la production des États du Sud, enfin, qu’elle soit en langue malayalam, tamil ou telugu : déclinant à leur manière le modèle hindi, ou développant au contraire une tradition réaliste, ces centres de production distincts participent tous à cette mosaïque cinématographique, véritable manteau d’Harlequin jeté sur les épaules du sous-continent indien. Première projection télévisée novembre 2008 Provenance de la copie Les Films du Tamarin Format Béta numérique – 1.85 : 1 Cies de production Les Films du Tamarin/Filmoblic Producteurs Yann Brolli, Hubert Niogret Conception et entretiens Hubert Niogret Image Juan Pablo Siquot Ferré Son Sabu Subramanian, Ayan Bhattacharya, Hari Kumar, E. P. Deepak, Indrajit Neogi, V. Badri Montage Nguyen Minh-Tâm l’inde et la chine - films 67 L’INDE AU CINÉMA La Déesse L’Étoile cachée Satyajit Ray – Inde, 1960, 93 mn, NB Ritwik Ghatak – Inde, 1960, 120 mn, NB 1860. Kalikinkar Roy, un propriétaire terrien, est un homme très pieux. Une nuit, sa belle-fille Doya lui apparaît en rêve sous les traits de la déesse Kali – vision dont le vieil homme fait état en public. Après la miraculeuse guérison d’un enfant, un véritable culte se développe autour de Doya… Les années 1950. Une famille de réfugiés venus s’installer à Calcutta après la partition survit misérablement, portée à bout de bras par l’abnégation de Nita, la fille aînée. Prisonnière de ce quotidien sordide, celle-ci rêve de retourner vivre dans les montagnes… « C’est un euphémisme de dire que le film, très controversé, a été mal accueilli par la critique et le public bengalis. Tout le monde y a vu une attaque en règle contre la religion hindoue, un film violemment iconoclaste alors que Ray parle de son côté de simple mise en garde contre le dogmatisme religieux (la distinction entre la croyance et l’institution, son pouvoir, sujet qu’il retrouvera dans Ganashatru, 1989, qui sera l’objet du même procès). Ray n’est pas religieux mais s’intéresse intellectuellement à la religion hindoue (« les conteurs, ce sont eux ») et le malentendu autour de La Déesse tient au fait que Ray est lié à une religion, le « Brahmo Samaj ». On retrouve d’ailleurs dans le film, par son cadre historique et son sujet (le conflit entre l’accès à une culture occidentale, liée à la ville, qui se heurte à un obscurantisme religieux, féodal et rural), des idées explicitement liées à la Renaissance bengalie. La nuance, c’est qu’à cette opposition visible entre savoir et croyance, Ray découvre pour la première fois un autre monde, celui des femmes, là où son cinéma, va rendre ses accents les plus beaux et les plus profonds. » – Charles Tesson, Satyajit Ray, Cahiers du Cinéma, 1992, p. 59. Ritwik Ghatak est avec Guru Dutt l’un des cinéastes maudits de l’Inde. C’est pourtant l’un des trois « grands » de la production bengalie avec Satyajit Ray et Mrinal Sen, mais ses films ne rencontreront pas la moindre estime de son vivant (il meurt en 1976, à l’âge de 50 ans). Avant de passer derrière la caméra, Ghatak avait déjà une longue carrière de dramaturge et de scénariste. Pilier du parti communiste indien, traducteur de Brecht, critique, il laisse huit films qui ont largement contribué au développement d’un cinéma d’auteur au Bengale et en Inde. L’Étoile cachée est le premier opus d’une trilogie consacrée au drame de la Partition, à travers l’exil d’une famille qui envisage le passé comme un paradis perdu. C’est particulièrement vrai de Nita et de son frère Shankar. La misère et le sentiment de perte auront travaillé à briser, sans succès, ces deux êtres, dont la nature réelle perce parfois devant la caméra de Ghatak. Comme dans cette séquence où Shankar, ayant subtilisé une lettre d’amour destinée à sa sœur, peut y lire ces mots : « À première vue, je ne pouvais pas te distinguer. Je te croyais ordinaire. Mais je comprends que tu es une étoile. La pression des circonstances et le ciel nuageux ont voilé tes rayons. » Sortie française 19 février 1960 Distributeur Les Films sans Frontières Format DVD – 1.37 : 1 Cie de production Satyajit Ray Productions Producteur Satyajit Ray Scénario Satyajit Ray, d’après la nouvelle Devi de Prabhat Kumar Mukherjee, sur un sujet de Rabindranath Tagore Image Subrata Mitra Son Durgadas Mitra Montage Dulal Dutta Musique originale Ali Akbar Khan – Avec Sharmila Tagore (Doyamoyee), Soumitra Chatterjee (Umaprasad), Chhabi Biswas (Kalikinkar Roy), Karuna Bannerjee (Harasundari), Purnendu Mukherjee (Taraprasad)… Sortie française 17 octobre 1990 Distributeur Les Films sans Frontières Format 35 mm – 1.37 : 1 Cie de production Chitrakalpa Producteur Ritwik Ghatak Scénario Ritwik Ghatak, Samiran Dutta, d’après une histoire de Shaktipada Rajguru Image Dinen Gupta Son Abani Chattopadhyay, Mrinal Guhathakurta Montage Ramesh Joshi Musique originale Jyotirinda Moitra – Avec Supriya Chowdhury (Nita), Anil Chatterjee (Shankar), Gyanesh Mukherjee (Banshi Dutta), Bijon Bhattacharya (Taran Master), Gita Dey (la mère)… [DEVI] 68 films - l’inde et la chine [MEGHE DHAKA TARA] L’INDE AU CINÉMA Le Fleuve Gandhi Jean Renoir – États-Unis, 1951, 99 mn, coul Richard Attenborough – Grande-Bretagne/Inde, 1982, 189 mn, coul Aux environs de Calcutta, dans l’État du Bengale. Trois jeunes filles dont les familles expatriées vivent le long du fleuve, tombent amoureuses du même homme, un capitaine de l’armée américaine blessé durant la guerre… Le 30 janvier 1948, le Mahatma Gandhi est assassiné par un brahmane à New Delhi. Retour sur la vie du « père de la nation indienne », qui conduira le pays vers l’indépendance en 1947… La genèse du Fleuve n’est pas banale : son producteur, Kenneth McEldowney, est un fleuriste ayant servi en Inde durant la Seconde Guerre mondiale et qui souhaite, par le biais du cinéma, rendre justice à la splendeur du pays et à sa culture. C’est le roman de Rumer Godden (l’auteure du Narcisse noir) qui va pousser McEldowney à fonder sa propre compagnie de production, Oriental-International Films, dont ce sera le premier et unique opus. Jean Renoir, qui avait acquis les droits du livre à la fin des années 1940, est quant à lui rapidement convaincu de la nécessité de tourner sur place, décision qui n’est pas sans conséquences pour l’histoire du cinéma : elle va susciter, chez des cinéastes aussi divers que Roberto Rossellini, Louis Malle ou Alain Corneau, le désir de se confronter à la réalité et à la mystique indienne. Le Fleuve a acquis au fil du temps son statut de classique par son empathie – mais aussi sa distance assumée – avec l’environnement indien, dénué ici de l’exotisme des films d’aventures ; par l’audacieux mélange d’une distribution associant comédiens confirmés et non-professionnels ; par son usage dionysiaque du Technicolor, qui n’est pas pour rien dans la vibration unique qui résonne de ce « rendez-vous en terre inconnue ». Ce film, Richard Attenborough en a rêvé pendant 20 ans, avant même de s’affirmer comme metteur en scène à la fin des années 1970. D’autant qu’il n’allait pas de soi qu’un biopic consacré à Gandhi soit signé par un Britannique. Sans même parler des choix narratifs et formels du cinéaste, qui viennent nuancer la dimension ouvertement didactique du projet. Gandhi (le film) s’ouvre sur l’assassinat du Mahatma, parce que Richard Attenborough a pris la mesure de son caractère traumatisant pour la nation indienne. À peine l’indépendance conquise, le pays semblait prêt à sombrer dans le chaos. Le film déroule ensuite linéairement, en un long flashback, la vie et l’évolution de la pensée gandhienne, parallèlement aux étapes clés de l’indépendance. Mais en l’absence de cartons qui datent précisément le cours des événements, le film instaure au temps un rapport flottant dont l’évolution physique et vestimentaire de Gandhi (Ben Kingsley, endossant le rôle de sa vie) est d’une certaine manière l’unique repère. Difficile de réaliser un film sur une pensée à l’œuvre ; et difficile de l’inscrire dans la réalité politique et l’environnement bigarré d’un pays aussi immense. Un double pari magnifiquement relevé, et couronné d’un succès mondial. Sortie française 19 décembre 1951 Distributeur Carlotta Films Format DCP – 1.37 : 1 Cie de production Oriental International Films Producteur Kenneth McEldowney Scénario Rumer Godden, Jean Renoir d’après le roman The River de Rumer Godden Image Claude Renoir Son Charles Poulton, Charles Knott Montage George Gale Musique originale M.A. Partha Sarathy – Avec Nora Swinburne (la mère), Esmond Knight (le père), Patricia Walters (Harriet), Adrienne Corri (Valerie), Thomas E. Breen (Capt. John), Radha Shri Ram (Melanie)… Sortie française 23 mars 1983 Provenance de la copie Swank Films Format Blu-Ray – 2.35 : 1 Cie de production Columbia Pictures/International Film Investors/NFDC of India/Goldcrest Films International/Indo-British Films Producteur Richard Attenborough Scénario John Briley Image Billy Williams, Ronnie Taylor Son Simon Kaye Montage John Bloom Musique originale Ravi Shankar – Avec Ben Kingsley (le Mahatma Gandhi), Candice Bergen (Margaret Bourke-White), Edward Fox (le général Dyer), John Gielgud (Lord Irwin), Trevor Howard (le juge Broomfield)… [THE RIVER] l’inde et la chine - films 69 L’INDE AU CINÉMA Gangs of Wasseypur L’Homme [THE MAN WHO WOULD BE KING] qui voulut être roi Anurag Kashyap – Inde, 2011, 320 mn (2 x 160 mn), coul John Huston – États-Unis/Grande-Bretagne, 1975, 129 mn, coul Des années 1940 à aujourd’hui, dans la ville de Wasseypur. L’affrontement de deux clans de gangsters, celui de Sardhar Khan et celui de Ramadhir Singh, sur plusieurs générations, entre luttes de pouvoir et revanches musclées… Dravot et Carnehan, deux anciens soldats britanniques, se rendent au Kafiristan pour y faire fortune. Ayant soutenu un chef de village dans sa lutte contre une cité voisine, ils jouissent bientôt d’un prestige tel, que Dravot, considéré comme immortel, est adulé tel un dieu par les autochtones… D’abord scénariste prolifique, Anurag Kashyap s’est révélé comme cinéaste avec Black Friday (2004, présenté au Festival de Pessac), film coup de poing consacré aux attentats perpétrés à Bombay en mars 1993 et à leurs conséquences. Gangs of Wasseypur prolonge ce film fondateur, mais opère également un net changement de registre. Comme le reconnaît Kashyap, « il n’y avait que deux façons de concevoir Gangs of Wasseypur : soit à la manière de Black Friday, en m’en tenant strictement aux faits réels, aussi banals et ennuyeux soient-ils, totalement dénués d’héroïsme, et alors je prenais le risque de l’interdiction et des procès, le risque que le film n’aboutisse jamais, ou alors je devais prendre l’option de travestir, modifier, tricher un peu, pour être sûr qu’il puisse aboutir. » De ces accommodements est pourtant né un film très ambitieux, que sa durée hors norme a contraint à une exploitation en deux parties. Ambitieux non seulement parce qu’il embrasse cinquante ans de l’histoire de l’Inde, mais aussi parce qu’il entend, avec une trame narrative et des choix esthétiques obéissant aux canons du film criminel (l’influence Scorsese), brosser l’emprise d’une mafia omniprésente en Inde. Ce n’est pas sur les lieux de l’action (le Nuristan, ex-Kafiristan, et la ville de Lahore, désormais au Pakistan) que John Huston est allé chercher ses paysages indiens – la zone étant alors inaccessible aux étrangers – mais au Maroc ! La quête du cinéaste pouvait paraître démodée, en ces années 1970 qui ne prisaient guère le cinéma d’aventure. Mais Huston aspirait malgré tout à une fresque épique, à la grandeur intimidante des montagnes désertiques, à la dimension picaresque logée dans la prose de Kipling. Avec son chef opérateur Oswald Morris (cf. l’admirable photographie de Moby Dick) et le compositeur Maurice Jarre (les fresques de David Lean, notamment), il redonne des couleurs à l’aventure et lance deux sympathiques fripouilles à l’assaut de la Khyber Pass. Dravot et Carnehan condensent l’ironie de Kipling, sa compréhension de la grandeur et de la petitesse humaine et, comme l’avoue le cinéaste, « tiennent le dialogue qu’un homme peut avoir avec lui-même… La moitié de «lui» est en proie à cette maladie qui nous gagne lorsque nous accédons aux plus hauts postes, la «folie des grandeurs». Nous pensons être plus que ce que nous sommes : des dieux. L’autre moitié est celle qui nous réprimande, et nous répète que nous sommes absurdes. » Sortie française 25 juillet et 26 décembre 2012 Distributeur Happiness Distribution Format DCP – 2.35 : 1 Cies de production AKFPL/Tipping Point Films/Viacom18 Motion Pictures/Jar Pictures Producteurs Sunil Bohra, Anurag Kashyap, Guneet Monga Coproducteur Ajay Rai Producteur associé Jay G. Rain Producteur exécutif Rakesh Bhagwani, Prasanth Kumar Scénario Zeishan Quadri, Akhilesh Jaiswal, Sachin Ladia, Anurag Kashyap, Rutvik Oza Image Rajeev Ravi Son Kunal Sharma Montage Shweta Venkat Mathew Musique originale Sneha Khanwalkar, G. V. Prakash Kumar – Avec Manoj Bajpai (Sardhar Khan), Richa Chadda (Nagma Khatoon), Nawazuddin Siddiqui (Faizal Khan), Tigmanshu Dhulia (Ramadhir Singh)… 70 films - l’inde et la chine Sortie française 21 avril 1976 Distributeur Carlotta Films Format 35 mm – 2.35 : 1 Cie de production Allied Artists Pictures/Devon/Persky-Bright/Columbia Pictures Producteur John Foreman Scénario John Huston, Gladys Hill, d’après la nouvelle The Man Who Would Be King de Rudyard Kipling Image Oswald Morris Son Basil Fenton-Smith, Gordon K. McCallum Montage Russell Lloyd Musique originale Maurice Jarre – Avec Sean Connery (Daniel Dravot), Michael Caine (Peachy Carnehan), Christopher Plummer (Rudyard Kipling), Saeed Jaffrey (Billy Fish), Doghmi Larbi (Ootah)… L’INDE AU CINÉMA Inde, terre mère L’Invaincu Roberto Rossellini – France/Italie, 1958, 95 mn, coul Satyajit Ray – Inde, 1956, 127 mn, NB Quatre histoires dressent un panorama de la vie des habitants de l’Inde : les amours et le mariage d’un conducteur d’éléphant ; un ouvrier travaillant à l’édification d’un barrage ; un couple de vieillards absorbé dans la contemplation du présent ; un singe se réfugiant en ville après la mort de son maître… 1920. La famille d’Apu, un petit garçon de dix ans, s’est installée à Bénarès, où elle vit misérablement. Mais lorsque le père meurt, c’est le retour vers le village natal. Apu, qui n’a pas la vocation religieuse que sa mère envisage pour lui, est décidé à aller étudier à Calcutta… « Je suis allé en Inde en 1957 », racontait Roberto Rossellini. « Il me semblait nécessaire que l’Occident se donne les moyens de connaître ces pays du Tiers Monde, que par pure hypocrisie nous avons baptisés « en voie de développement», alors qu’ils en sont souvent à essayer de ne pas mourir de faim. La découverte que j’ai faite de l’Inde est un bon exemple de ce que peut être une approche démythificatrice de la réalité, quand nous voulons bien nous donner les moyens de la connaître – c’està-dire en enlevant les œillères que la tradition place sur nos yeux. » Rossellini prolonge avec India les recherches sur la structure et la liberté formelle entamées avec Païsa (1946). India brouille encore davantage les frontières entre fiction et documentaire et infléchit le travail du cinéaste vers le « didactisme » revendiqué qui imprègnera ses dernières œuvres. Y sont appréhendées avec une simplicité et (parfois) une aridité déconcertantes plusieurs des lignes de force qui travaillent le pays : une sensation d’harmonie et d’équilibre avec la nature (les éléphants, la vie dédiée à la contemplation) contrebalancées par les grandes mutations structurelles (le barrage) qui travaillent à domestiquer la sereine vastitude des paysages. Second volet de la trilogie d’Apu, entamée l’année précédente avec Pather Panchali, premier long métrage de Satyajit Ray, L’Invaincu creuse le même sillon, celui d’un naturalisme inspiré de Renoir, de Vittorio De Sica (Le Voleur de bicyclette a été pour Ray un énorme choc esthétique) et de l’école néoréaliste en général. « Aucun cinéaste digne de ce nom », affirmait-il, « conscient de ses responsabilités envers le public, ne saurait accepter de s’évader longtemps de la réalité. Il doit accepter le défi du monde contemporain, examiner les faits, les jauger, les passer au crible et choisir ceux qui peuvent former la matière première d’un film. » Malgré le Lion d’or glané à Venise en 1957, L’Invaincu est mal accueilli à sa sortie au Bengale, au point que Ray envisage brièvement d’abandonner le cinéma. On lui reproche les modifications apportées au roman très populaire de Bibhutibhusan Banerjee, et le public des campagnes juge sévèrement le choix d’Apu, qui préfère quitter la campagne pour aller étudier en ville. Comme Pather Panchali, L’Invaincu pointe la fugacité du bonheur et la souffrance liée à la perte des proches, ce qui n’empêche pas le rayonnant Apu de tracer sa route avec une sereine obstination. Sortie française 20 janvier 1999 Distributeur Les Films sans Frontières Format DVD – 1.37 : 1 Cies de production Anieme Film/Union Générale Cinématographique Scénario Roberto Rossellini, Sonali Senroy Das Gupta, Ferydoun Hoveida Commentaire conçu par Vincenzo Talarico Image Aldo Tonti Montage Cesare Cavagna Musique originale Philippe Arthuys Supervision des musiques indiennes Alain Danielou – Les comédiens, anonymes, sont tous non-professionnels… Sortie française 11 décembre 1957 Distributeur Les Films sans Frontières Format DVD – 1.37 : 1 Cie de production Epic Films Producteur Satyajit Ray Scénario Satyajit Ray, d’après le roman Aparajito de Bibhutibhusan Banerjee Image Subrata Mitra Son Durgadas Mitra Montage Dulal Dutta Musique originale Ravi Shankar – Avec Kanu Banerjee (Harihar), Karuna Banerjee (Sarbajaya), Pinaki Sen Gupta (Apu enfant), Smaran Ghosal (Apu adolescent), Santi Gupta (Madame Lahiri)… [INDIA, MATRI BHUMI] [APARAJITO] l’inde et la chine - films 71 L’INDE AU CINÉMA Les Joueurs d’échecs Jusqu’à [JAB TAK HAI JAAN] mon dernier souffle Satyajit Ray – Inde, 1977, 120 mn, coul Yash Chopra – Inde, 2012, 176 mn, coul En 1856, à Lucknow. Alors que se joue le destin du royaume musulman d’Oudh, convoité par les Britanniques, deux notables indifférents au climat politique qui perturbe la ville, Mirza et Meer, négligent leur proches et s’affrontent au cours d’interminables parties d’échecs… Brisé par son échec amoureux avec Meera, Samar Anand s’engage dans l’armée indienne, où il joue avec la mort en déminant des bombes. Alors qu’une jeune reportrice, Akira, s’éprend de lui, Samar est ramené des années en arrière, vers Meera et la promesse faite de ne jamais la revoir… Premier film de Satyajit Ray tourné en hindi (les autres, jusque là présent, ayant été conçus en bengali), Les Joueurs d’échecs brosse le portrait d’un Orient pré-colonial sur le point de succomber à la domination britannique. Le film a beaucoup en commun avec Le Salon de musique, à commencer par la description, contemplative et raffinée, d’une civilisation au bord de l’extinction. Mirza et Meer ont fait une croix sur le monde extérieur, et leur acharnement aux échecs est une forme d’aveuglement assumé devant les événements en cours, doublé d’une fuite plus large devant le réel. Car ce ne sont pas seulement les enjeux politiques que les deux hommes se refusent à considérer, mais aussi leurs proches et, par extension, tout leur environnement. Repliés dans un salon à l’atmosphère feutrée (doublement repliés, d’ailleurs par leur position face à l’échiquier), les deux hommes font pendant à Wazed Ali Shah, ce roi qui considère ses sujets avec un détachement mortifère et n’attend que l’heure d’une soumission annoncée. Ray enserre cet univers figé dans une scénographie théâtrale. Aucun souffle d’air ne viendra aérer l’atmosphère pesante et raréfiée d’un palais qui guette, dans un émollient vertige, les signes avant-coureurs de sa chute. Dans l’Hexagone, le nom de Yash Chopra n’est guère évocateur ; en Inde, il en va tout autrement ! Prolifique réalisateur d’une cinquantaine de films, Yash Chopra a contribué depuis quarante ans à redéfinir les contours du film musical hindi, non seulement en tant que cinéaste, mais aussi par ses activités de producteur, de distributeur et d’éditeur musical. Proclamé « roi de la romance », porté par tempérament sur les intrigues à fort potentiel lacrymal (ses films recyclent en cascade des intrigues dérivées de Roméo et Juliette), il s’est spécialisé dans d’ébouriffants climax scénographiques et musicaux qui donnent à son œuvre une vibrante tonicité. Jusqu’à mon dernier souffle est une variation non déguisée de son précédent Veer Zaara, déjà interprété par la star masculine Shahrukh Khan (Devdas). De Londres au Cachemire, l’intrigue assume son invraisemblance, au bénéfice d’un total et contagieux abandon aux codes romanesques made in Bollywood. Yash Chopra n’aura pourtant pas eu le temps de récolter les lauriers de cette production conçue, dès le départ, comme son ultime opus. Il est décédé à lâge de 83 ans, le 21 octobre 2012, d’une forte fièvre liée à la contraction de la dengue : le cinéma jusqu’à son dernier souffle, oui. Sortie française 5 octobre 1983 Distributeur Les Films sans Frontières Format DVD – 1.37 : 1 Cie de production Devki Chitra Productions Producteur Suresh Jindal Scénario Satyajit Ray, d’après la nouvelle Shantranj ke Khilari de Munshi Prem Chand Image Soumendu Roy Son Narinder Singh, Samir Majumdar Montage Dulal Dutta Musique originale Satyajit Ray – Avec Sanjeev Kumar (Mirza Sajjad Ali), Saeed Jaffrey (Mir Roshan Ali), Amjad Khan (Wajid Ali Shah), Richard Attenborough (le général Outram), Shabana Azmi (Khurshid)… Première sortie française 21 novembre 2012 Distributeur Aanna Films Format DCP – 2.35 : 1 Cie de production Yash Raj Films Producteur Aditya Chopra Producteur exécutif Aashish Singh Scénario Devika Bhagat, Aditya Chopra Image Anil Mehta Son Dileep Subramanian Montage Namrata Rao Musique originale A.R. Rahman – Avec Shah Rukh Khan (Samar Anand), Katrina Kaif (Meera Thapar), Anushka Sharma (Akira Rai), Anupam Kher (le père de Meera), Rishi Kapoor (Imran)… [SHANTRANJ KE KHILARI] 72 films - l’inde et la chine L’INDE AU CINÉMA Kathapurushan [KATHAPURUSHAN] L’Homme de l’Histoire Khamosh Pani Adoor Gopalakrishnan –Inde, 1995, 107 mn, coul Sabiha Sumar – Pakistan, 1977, 120 mn, coul Influencé par les idées politiques de son oncle, un ancien disciple de Gandhi, Kunjunni embrasse l’idéologie communiste, qu’il voit comme la seule réponse aux inégalités sociales. De la ferveur aux désillusions, il va tout connaître du cheminement, parfois amer, vers l’idéal révolutionnaire… 1979. Une famille pakistanaise est déchirée par des tensions religieuses nées de la partition avec l’Inde en 1947. Le fils, Salim, est endoctriné par des intégristes musulmans qui prônent le djihad, tandis que la mère, Ayesha, tente de préserver son indépendance… Pionnier du Nouveau cinéma indien, Adoor Gopalakrishnan a marqué les esprits dès son premier long métrage, Swayamvaram, film fondateur de la production kéralaise. Le cinéaste est même perçu, dès les années 1970, comme le digne successeur de Satyajit Ray (cinéaste bengali, rappelons-le), et s’inscrit clairement dans son sillage. Diplômé de l’école de Pune, l’un des nombreux centres névralgiques de la production indienne, Gopalakrishnan a obtenu en 2004 le Dadasaheb Phalke Award (du nom du réalisateur du premier long métrage de fiction, réalisé il y a tout juste cent ans), un accomplissement en soi. Kathapurushan est une ambitieuse fresque historique conçue selon le modèle, éprouvé mais efficace, du destin individuel sur fond de « grande histoire ». Bien que le récit suive une courbe linéaire, il est traversé d’ellipses temporelles parfois brutales qui donnent au film de la densité romanesque et mettent en perspective l’histoire indienne contemporaine. Pour Gopalakrishnan, l’individuel et le politique sont constamment mêlés : le cheminement personnel de Kunjunni en vient à incarner à lui seul l’évolution politique du mouvement de gauche – évolution qui a un coût, mais dont l’individu, malgré les épreuves, sort fortifié et grandi. Jeune et encore modeste sur le plan cinématographique (surtout comparé à son immense voisin), le Pakistan, né de la partition avec l’Inde en août 1947, a produit avec Khamosh Pani une œuvre unanimement plébiscitée. Le film témoigne des blessures toujours vives héritées de la partition et des traces qu’elles laissent subsister dans l’actuel système politique. « Sabiha Sumar montre le mécanisme de l’islamisation par les intégristes, par exemple quand Salim dit à sa mère qu’il « est maintenant quelqu’un » ou quand son ami le met en garde contre les mariages d’amour (il faut que le mari « soit respecté »). Plus brutales encore sont les pressions exercées par les « barbus » sur l’homme de la rue, la surélévation des murs de l’école des filles, l’injonction à la prière, l’ostracisme contre les sikhs… La cinéaste relie enfin toute cette histoire à la situation actuelle. Avec sensibilité et justesse, elle nous fait ressentir à quel point les vies ont été gâchées par le fanatisme qui refuse l’amour et le bon sens tel que l’enseignait Ayesha à ses petites voisines. Avec un style classique, d’une grande tenue, elle montre qu’une femme est tributaire du jugement de sa communauté. » – Michel Berjon, L’Annuel du Cinéma 2005. Sortie française 12 novembre 2004 Provenance de la copie Ambassade de l’Inde Format 35 mm Cie de production NHK Producteurs Darsanam, Adoor Gopalakrishnan Scénario Adoor Gopalakrishnan Image Ravi Varnam Son Harikumar Montage M. Mani Musique originale Vijaya Bhaskar – Avec Wisvanathan (Kunjunni), Mini Nair (Meenakshi), Aranmulla Ponnamma (Muthassi), Urmila Unni (la mère de Kunjunni), Narendra Prasad (Vasu)… Sortie française 25 février 2004 Provenance de la copie Sabiha Sumar Format DVD – 1.85 : 1 Cie de production Vidhi Films/Unlimited Productions/Flying Moon Filmproduktion Coproduction Arte/ZDF/Das Kleine Fernsehspiel Producteurs Claudia Tronnier, Sachithanandam Sathananthan, Helge Albers, Philippe Avril Coproducteur Rani Dubé Scénario Sabiha Sumar, Paromita Vohra, d’après une histoire de Sabiha Sumar Image Ralph Netzer Son Uwe Haussig Montage Bettina Böhler Musique originale Madan Gopal Singh, Arshad Mahmud – Avec Kiron Kher (Ayesha/Veero), Aamir Ali Malik (Salim), Arshad Mahmud (Mehboub)… l’inde et la chine - films 73 L’INDE AU CINÉMA Komal Gandhar Lagaan Ritwik Ghatak – Inde, 1961, 134 mn, NB Ashutosh Gowariker – Inde, 2001, 224 mn, coul Les conséquences de la partition de l’Inde, à travers le parcours d’Anusuya, un leader de l’IPTA (Indian People’s Theatre Association). Idéalisme, corruption, vie et vocation artistique mêlées, amour : autant de sources d’accomplissement, mais aussi d’obstacles, qu’Anusuya va croiser sur sa route… En Inde, à la fin du XIXe siècle. Ne pouvant payer un impôt inique, le lagaan, aux armées coloniales anglaises, un village indien relève un impossible défi : l’emporter sur les Anglais au cours d’un match de cricket… Comme dans L’Étoile cachée et La Rivière Subarnarekha (1962), la Partition de l’Inde et ses conséquences, thème central du cinéma de Ritwik Ghatak, dicte aux personnages leur destin. Scission qui s’impose à tous niveaux dans Komal Gandhar, non seulement au pays, mais aussi au couple comme à la troupe de théâtre. Le sujet du film puise d’ailleurs largement dans l’expérience du cinéaste qui avait rejoint, comme de nombreux jeunes gens de sa génération, l’IPTA, la branche culturelle du parti communiste indien. Celle-ci joua notamment un rôle important dans le combat contre la famine dévastatrice (cinq millions de morts) qui frappa le Bengale en 1943. Fermement implantée dans les petits villages du Bengale – et pas seulement à Calcutta – l’IPTA travailla, comme le suggère le film, à l’affermissement d’un imaginaire ancré dans le réel et compatible avec l’engagement politique. « Le film interroge avec sensibilité le développement des idéaux et des réalités du Bengale dans les années 1950. La forme narrative épique explorée par Ritwik Ghatak, la portée mélodramatique du film soutenue par l’usage original de la bande sonore font de Komal Gandhar une œuvre puissante et émouvante. » – Festival L’été indien 2013, Musée Guimet, p. 30. Lagaan livre une interprétation romanesque de l’adoption du cricket, sport éminemment anglais, par les Indiens. Le cricket, c’est une conception du monde. Le déploiement dans l’espace, le rituel et les gestes structurent une liturgie sportive dont les règles renvoient clairement à une dimension plus vaste, de l’ordre du symbolique et du spirituel. Ashutosh Gowariker évoque le rôle social du cricket pour la colonie anglaise, symbole d’une appartenance à un ordre supérieur, à une civilisation raffinée. Intégrer et s’approprier ces règles revêt donc pour les villageois indiens un sens qui excède de loin l’enjeu financier du pari (l’exemption de taxes pour trois ans en cas de victoire ; le triplement de ces taxes en cas de défaite). Mais ce qui est immédiatement séduisant dans Lagaan, c’est le dynamisme et le chatoiement d’une mise en scène qui fait de la danse, des voix, de la dilatation de l’espace par les mouvements de caméra, un spectacle dont la tonicité ne se dément pas en dépit de la durée du film. Comme en témoignent les chorégraphies ultra-spectaculaires de ce qui s’avère moins une œuvre politique qu’un film de genre conforme aux canons narratifs de la fiction sportive et, bien enendu, du film musical conçu par Bollywood. Inédit en France – Provenance de la copie Ambassade de l’Inde Format 35 mm – 1.37 : 1 Cie de production Chitrakalpa Producteur Ritwik Ghatak Producteur associé Ajit Lahiri Scénario Ritwik Ghatak Image Dilip Ranjan Mukhopadhyay Son Debesh Ghosh, Mrinal Guhathakurta, Sujit Sarkar Montage Ramesh Joshi Musique originale Jyotirindra Moitra Paroles des chansons Rabindranath Tagore – Avec Anil Chatterjee (Rishi), Supriya Choudhury (Anusuya), Bijon Bhattacharya (Gagan), Gyanesh Mukherjee (Debu Bose), Abanish Banerjee (Bhrigu)… Sortie française 26 juin 2002 Distributeur Rezo Films Format 35 mm – 2.35 : 1 Cie de production Aamir Khan Productions Producteur Aamir Khan Scénario Ashutosh Gowariker, Kumar Dave, Sanjay Dayma, d’après une idée originale de Ashutosh Gowariker Image Anil Mehta Son Nakul Kamte Montage Ballu Saluja Musique originale A. R. Rahman – Avec Aamir Khan (Bhuvan), Gracy Singh (Gauri), Rachel Shelley (Elizabeth Russel), Paul Blackthorne (le capitaine Russel), Kulbhushan Kharbanda (le Rajah Puran Singh)… 74 films - l’inde et la chine [LAGAAN : ONCE UPON A TIME IN INDIA] L’INDE AU CINÉMA La Lutte des castes Le Mahâbhârata Florence Martin-Kessler – France, 2008, 52 mn, doc Peter Brook – Grande-Bretagne/France, 1990, 170 mn, coul L’Inde, dont la société repose sur le principe des castes depuis 5 000 ans, se lance dans une ambitieuse politique d’égalité des chances. La position sociale de chacun fait l’objet d’une évaluation, alors que la caste Gujjar manifeste pour mieux bénéficier des quotas de la discrimination positive… Aux origines de l’humanité, la guerre de deux familles, les Kauravas et les Pandavas, dont la rivalité va provoquer une guerre atroce à laquelle se trouvent mêlés les Dieux. À commencer par Lord Khrishna, incarnation du dieu Vishnu, qui met sa puissance au service des Pandavas… Conscients du problème que l’existence des castes faisait peser sur le pays à l’heure de son accession à l’Indépendance, les pères de la nation indienne (Ambedkar, le principal rédacteur de la constitution, mais aussi Gandhi) se sont prononcé pour la mise en œuvre, à terme, d’une discrimination positive dont l’État ne s’est finalement saisi que quarante ans plus tard, à l’aube des années 1990. Paradoxe : comment concevoir une politique de promotion sociale fondée sur un système par essence inégalitaire ? C’est cet étrange pari dont la documentariste Florence MartinKessler détaille le processus, qui suscite beaucoup de résistance au sein de la société indienne. Le film donne la mesure du titanesque travail administratif que suppose la discrimination positive : le parcours du juge Chopra en est l’éloquent exemple. Dans une société où l’on recense plus de 4500 castes, où l’inégalité s’étend également aux relations hommes-femmes ou à l’exploitation de la terre, les idéaux démocratiques se heurtent forcément à des traditions fort anciennes (encore accusées par la colonisation anglaise) et fermement ancrées à tous niveaux des échanges entre individus. Cette source de tension et de violence, La Lutte des castes s’en fait le pertinent témoin. Première diffusion française 22 novembre 2008 Provenance de la copie Quark Productions Format Beta SP – 1.85 : 1 Cies de production ARTE France/Quark Productions Producteurs Patrick Winocour, Juliette Guigon, Thierry Garrel, Pierette Ominetti Image Rajan Palit Son Asheesh Pandya Montage Françoise Bernard [THE MAHABHARATA] Le talent protéiforme de Peter Brook et de Jean-Claude Carrière éclate dans cette adaptation du Mahâbhârata, immense épopée d’environ 100 000 vers qui demeure l’un des textes fondateurs de la culture indienne. Spectacle protéiforme d’abord conçu pour la scène, puis pour la télévision, sous forme d’une mini-série de six heures, et enfin condensé pour sa sortie sur grand écran. Le « sujet » du Mahâbhârata, comme toute pierre angulaire des fondements mythiques d’une nation, n’est rien moins que la création du monde et l’origine de l’humanité. Le texte dialogue donc avec les Dieux et les concepts métaphysiques, incarnés dans des personnages et une intrigue foisonnants, et pourtant hautement symboliques. Le cinéaste et son scénariste ont opté pour une approche très abstraite du jeu, de la mise en scène et du travail sur les décors. Ces derniers, soutenus par une gamme d’éclairages complexes et des comédiens de tous horizons enchâssent le texte dans un creuset d’influences qui en cerne bien la spécificité sans faire l’impasse sur sa dimension universelle. Ce n’est donc pas seulement la culture indienne que l’on croise ici, mais aussi Shakespeare, les contes africains et la tragédie grecque. Sortie française 6 juillet 1991 Distributeur Ciné Classic Format 35 mm – 1.37 : 1 Cie de production BAM/Channel Four/Les Productions du 3ème Etage/Mahabharata Limited Producteurs Michel Propper, Karen Brooks Hopkins, Ronald E. Feiner, Abigail Franklin, Nina Steiner Producteurs délégués Edward Myerson, Micheline Rozan, Rachel Tabori, William Wilkinson Scénario JeanClaude Carrière Image William Lubtchansky Son Daniel Brisseau, Dominique Dalmasso Montage Nicolas Gaster Musique originale Toshi Tsuchitori – Avec Sotigui Kouyaté (Bhisma), Jean-Paul Denizon (Nakula), Mamadou Dioumé (Bhima), Miriam Goldschmidt (Kunti), Robert Langdon Lloyd (Vyasa)… l’inde et la chine - films 75 L’INDE AU CINÉMA La Maison et le Monde The Making of the Mahatma Satyajit Ray – Inde, 1984, 140 mn, coul Shyam Benegal – Inde, 1996, 144 mn, coul 1905. Les Anglais soutiennent la sécession du Bengale afin d’aviver l’antagonisme entre hindous et musulmans. Dans ce contexte troublé, Sandip et Bimala, un couple de la bourgeoisie, reçoit Nikhil, un leader nationaliste dont les prises de position vont peu à peu séduire Bimala… Après avoir étudié le droit en Angleterre, Gandhi se rend en Afrique du Sud, alors sous domination britannique. Il s’oppose à l’injustice et au racisme, se forgeant les armes de la désobéissance et de la non-violence. À l’aube de sa carrière, Satyajit Ray avait déjà envisagé d’adapter le roman de Tagore, l’une de ses grandes sources d’inspiration. Il mènera ce projet à terme seulement 30 ans plus tard. Film de la maturité, La Maison et le monde est centré sur le mouvement swadeshi, concept nationaliste apparu au tournant du XXe siècle, passant notamment par l’utilisation de produits exclusivement indiens afin de faire échec aux importations britanniques. Le film oppose deux conceptions antagonistes du nationalisme, l’une fondée sur la non-violence, l’autre sur l’action armée. Comme l’affirme Youssef Ishagpour dans son essai Satyajit Ray. L’orient et l’Occident (La Différence, 2002), si l’action se déroule « dans l’ensemble, à l’intérieur de la « maison », on entrevoit aussi l’extérieur – le bleu du Gange, les rouges du feu – par les portes et fenêtres entrouvertes, et surtout dans quelques scènes concises et rapides. Du monde parviennent dans la maison des bruits et des images d’une crise qui en ébranlent les fondations. La Maison et le monde est l’histoire d’un échec grandiose : peut-être celui de la Renaissance bengali, au fond, et des espoirs d’une synthèse pacifique entre l’Orient et l’occident. » Le Gandhi que nous présente ici Shyam Benegal est très éloigné du saint homme passé à la postérité. C’est au contraire un jeune avocat maladivement timide, luttant pour formuler ses idées et se forger une pensée dirigée vers l’action. Adapté de l’ouvrage Apprenticeship of a Mahatma de Fatima Meer, le film de Shyam Benegal est une coproduction entre l’Inde et l’Afrique du Sud qui fait volontairement l’impasse sur le ton épique du Gandhi de Richard Attenborough. « C’est avant tout une histoire intime », souligne le cinéaste, « qui met l’accent sur la prise de conscience du racisme et de l’ostracisme dont sont victimes les Indiens en Afrique du Sud. » Dans le rôle du futur Mahatma, Rajit Kapur, un comédien de cinéma et de théâtre de Mumbay (ex-Bombay) ; dans celui de son épouse, Pallavi Joshi, une comédienne venue de la télévision qui livre une interprétation à l’opposé de l’image soumise et effacée généralement associée à Kasturba. « Les gens avaient l’impression que Kasturba était absolument transparente », précise Benegal, « mais elle était très forte en réalité, elle avait une volonté de fer. C’est elle qui a amené Gandhi à modifier son point de vue sur ses modalités d’action, notamment sur l’émancipation des femmes. » Sortie française 13 août 2008 Distributeur Les Films sans Frontières Format 35 mm – 1.37 : 1 Cie de production NFDC of India Scénario Satyajit Ray, d’après le roman La Maison et le Monde de Rabindranath Tagore Image Soumendu Roy Son Robin Sen Gupta, Jyoti Chatterjee, Anup Mukherjee Montage Dulal Dutta Musique originale Satyajit Ray – Avec Soumitra Chatterjee (Sandip), Victor Banerjee (Nikhil), Swatilekha Chatterjee (Bimala), Jennifer Kapoor (Miss Gilby), Manoj Mitra (le directeur de l’école)… Inédit en France – Distributeur Ambassade de l’Inde Format 35 mm – 1.66 : 1 Cie de production Prime Time Television Scénario Fatima Meer, d’après son ouvrage Apprenticeship of a Mahatma Image Ashok Mehta Son Colin McFarlane Montage Avril Beukes Musique originale Satyajit Ray – Avec Rajit Kapoor (Mohandas Karamchand Gandhi), Pallavi Joshi (Kasturba Gandhi), Paul Slabolepszy (JC Smuts), Sean Cameron Michael, Keith Stevenson… [GHARE BAIRE] 76 films - l’inde et la chine L’INDE AU CINÉMA Le Monde d’Apu Mukhamukham Satyajit Ray – Inde, 1959, 117 mn, NB Adoor Gopalakrishnan – Inde, 1984, 107 mn, coul 1930, à Calcutta. Sans argent, Apu doit renoncer à ses études et chercher du travail – sans succès. Il se lance dans un roman autobiographique qui doit, pense-t-il, lui assurer le succès. Au cours d’un séjour à la campagne, il rencontre et épouse Aparna, dans des circonstances rocambolesques… Sreedharan, un charismatique syndicaliste, est le plus ferme soutien d’ouvriers engagés dans une grève de longue haleine au sein d’une tuilerie. Quand le propriétaire de l’usine est tué, Sreedharan devient le principal suspect. Recherché par la police, il disparaît… « À chaque étape de sa vie, Apu a dû perdre ou quitter ce qu’il chérissait le plus au monde. Ces épreuves, qui font de la trilogie une saga lyrique de la souffrance et de la frustration, ont pu souvent désespérer Apu. Elles ne l’ont jamais transformé en un être complètement amer. Elles lui ont enseigné les vérités fondamentales de la vie et, lorsque nous le quittons, il est à peu près réconcilié avec lui-même et avec le monde. Le style de Satyajit Ray tend à accorder le plus de prix possible à chacun des instants, des décors, des paysages, des rencontres qui ont jalonné l’itinéraire et l’apprentissage du héros. Il est étonnant de constater avec quelle économie de moyens Satyajit Ray réussit à rendre attachants ses personnages et, par exemple, celui d’Aparna, l’épouse d’Apu. Les secrets de l’art de Satyajit Ray sont plus simples à énumérer qu’à utiliser : la contemplation, l’attention passionnée aux êtres, la lenteur du rythme – qui n’empêche pas l’arrivée de beaucoup d’événements. Ainsi la présence d’Aparna est-elle prolongée dans le récit par sa lecture en voix off de la lettre qu’elle a écrite à Apu et que celui-ci relit au bureau, dans l’autobus et sur le chemin de la maison. » – Jacques Lourcelles, Dictionnaire des films, 1992. « Perçu à sa sortie comme anti-communiste, Mukhamukham n’est pas un manifeste contre le progressisme, mais plutôt une parabole complexe sur les errements de l’engagement, quel qu’il soit. Sreedharan est un leader si charismatique que sa disparition laisse ses compagnons totalement désemparés. Au lieu de poursuivre le mouvement qu’il avait impulsé, ils se sont résignés à ne rien faire d’autre qu’espérer son retour, ou voir émerger une autre figure providentielle capable de donner sens à leur action. Au retour de Sreedharan, désormais un alcoolique invétéré qui s’avère incapable de tenir un discours politique un tant soit peu construit, ses camarades ont toujours l’espoir de le voir restaurer l’unité de leur mouvement. Adoor Gopalakrishnan fait jouer pleinement sa capacité à brosser des individualités fortes, même avec des moyens dramatiques minimaux. L’aphasie de Sreedharan est comme un support vierge sur lequel ses compagnons projettent ce qu’ils voudraient qu’il soit, oubliant dans l’intervalle ce qu’il est devenu. Bien qu’il soit ancré dans une période politique bien particulière, Mukhamukham est surtout centré sur les responsabilités du pouvoir politique. » – d’après le texte (traduit de l’anglais) de Tom Vick. Sortie française 15 novembre 1963 Distributeur Les Films sans Frontières Format DVD – 1.37 : 1 Cie de production Satyajit Ray productions Producteur Satyajit Ray Scénario Satyajit Ray, d’après le roman Aparajito de Bibhutibhusan Banerjee Image Subrata Mitra Son Durgadas Mitra Montage Dulal Dutta Musique originale Ravi Shankar – Avec Soumitra Chatterjee (Apu), Sharmila Tagore (Aparna), Alok Chakravarty (Kajal), Swapan Mukherjee (Pulu), Dhiresh Majumdar (Sashinarayan)… Inédit en France – Provenance de la copie Ambassade de l’Inde Format 35 mm – 1.37 : 1 Cie de production General Pictures Producteur Ravi Scénario Adoor Gopalakrishnan Image Mankada Ravi Varma Musique originale M. B. Srinivasan – Avec P. Ganga (Sridharan), Asokan (Sudhakaran), Kaviyoor Ponnamma, Karamana Janardanan, Thilakan… [APUR SANSAR] l’inde et la chine - films 77 L’INDE AU CINÉMA Le Narcisse noir Paar / La Traversée [PAAR] Michael Powell et Emeric Pressburger – GB, 1947, 100 mn, coul Goutam Ghose – Inde, 1984, 141 mn, coul Des religieuses se voient confier la fondation d’un couvent en plein Himalaya. Elles se font une place dans cet environnement inhospitalier, mais l’atmosphère du lieu – un ancien palais réservé aux courtisanes – et les relations imprévisibles avec les autochtones entament peu à peu leur volontarisme… Un village de dalits, des Intouchables, politisés sous l’influence d’un nouvel instituteur, entre en conflit avec un propriétaire terrien. Du meurtre de l’instituteur aux représailles des dalits, menés par Naurangia, la violence s’abat sur le village, qui est incendié… Lorsque ses collaborateurs interrogent Michael Powell sur les sites indiens retenus pour le nouveau projet des Archers, la société de production qu’il a créé avec le scénariste Emeric Pressburger, Powell leur répond d’un ton péremptoire que toutes les prises de vues seront réalisées… en studio, en Angleterre ! Powell est pourtant, à sa manière, un cinéaste-aventurier. Mais sur ce projet, qu’il envisage comme une nouvelle étape vers le « cinéma total » qu’il s’est fixé comme objectif, la volonté de contrôle du moindre aspect de la mise en scène l’oriente vers ce défi relevé avec panache par les toiles peintes d’Alfred Junge et la rutilante photographie de Jack Cardiff. Le palais de Mopu et ses environs y gagnent une dimension onirique en harmonie avec le trouble existentiel qui envahit peu à peu les religieuses. Cet insidieux « choc des civilisations » réside dans une beauté souveraine, mais infiniment troublante, qui ramène les religieuses à la période d’avant leurs vœux, à des tentations bien plus liées à leur féminité qu’à leur condition présente. Dans Le Narcisse noir, Michael Powell filme la lutte inégale d’une communauté qui n’y était pas préparée avec l’envoûtante séduction d’une culture aux racines immémoriales. Figure phare du « Nouveau cinéma » indien (Parallel Cinema) des années 1970 et 80, Goutam Ghose signe avec Paar une farce tragique qui préfigure à sa manière Le Trône de la mort de Murali Nair. Alors que la première partie du film offre un commentaire quasi-sociologique sur l’enchaînement de circonstances qui précipite l’exil du village et la disgrâce du couple Naurangia/ Rama, la seconde partie les confronte de manière abrupte à la sordide réalité de Calcutta. De rurale, la misère est devenue urbaine (et le film est aussi un commentaire sur l’exode rural qui caractérise, de longue date, la société indienne), le couple se voyant alors proposer l’improbable marché qui donne son titre au film : convoyer un troupeau de cochons par-delà le fleuve. L’image pathétique de Naurangia et Rama, enceinte, tentant de surnager tout en poussant devant eux la masse indisciplinée des cochons offre un saisissant raccourci de l’absurdité de leur condition. Ghose filme avec une fébrile intensité la détermination du couple à s’en sortir, et leur combat devient évidemment le nôtre. Paar s’affirme ainsi comme l’un des films clés du Parallel Cinema, et Goutam Ghose se hisse ici au niveau des autres maîtres du mouvement, Shyam Benegal ou Aparna Sen. Première sortie française 20 juillet 1949 Distributeur Carlotta Films Format DCP – 1.37 : 1 Cie de production The Archers/ Independant Producers Producteurs Michael Powell, Emeric Pressburger Producteur associé George R. Busby Scénario Michael Powell, Emeric Pressburger, d’après le roman de Rumer Godden Image Jack Cardiff Son Stanley Lambourne Montage Reginald Mills Musique originale Brian Easdale – Avec Deborah Kerr (Sister Clodagh), Sabu (le jeune général Dilip Rai), David Farrar (Mr. Dean), Esmond Knight (le vieux général Toda Rai), Kathleen Byron (Sister Ruth)… Inédit en France – Provenance de la copie Ambassade de l’Inde Format 35 mm – 1.37 : 1 Cie de production Orchid Films Producteur Swapan Sarkar Scénario Partha Banerjee, Goutam Ghose, d’après la nouvelle Paarhi de Samaresh Bose Image Goutam Ghose Son M. Sheikh, B. Chaturvedi, Jyoti Chatterjee, Anup Mukherjee, Robin Sengupta Montage Prasanta Dey Musique originale Goutam Ghose – Avec Naseeruddin Shah (Naurangia), Shabana Azmi (Rama), Utpal Dutt (le propriétaire), Om Puri (Ram Naresh), Mohan Agashe (Hari Singh)… [BLACK NARCISSUS] 78 films - l’inde et la chine L’INDE AU CINÉMA Le Petit Peintre du Rajasthan [DARPAN KE PEECHHE] Ram ke Naam / In the Name of God Rajkumar Bhan – Inde/France, 2005, 88 mn, coul Anand Patwardhan – Inde, 1991, 76 mn, coul, doc Anirudh vient vivre chez sa grand-mère paternelle, qui habite Shekhawati, cité désertique du Rajasthan réputée pour ses splendides fresques traditionnelles. Fasciné par ce lieu à la beauté hors du temps, le petit garçon se découvre une véritable vocation pour l’art des peintres-bâtisseurs d’antan… Depuis l’indépendance, l’Inde est un État laïque. Mais le fondamentalisme religieux ne décline pas, bien au contraire. Comme le démontre la campagne menée en 1991 par l’organisation Vishwa Hindu Parishad, visant à détruire une mosquée du XVIe, considérée comme lieu de naissance du Dieu hindou Ram… En Inde, il y a une vie en dehors des mégalopoles qui concentrent une part toujours croissante de l’activité du pays. Alors que la présence de la nature et l’empreinte du monde rural ont longtemps rythmé les films des « auteurs » du cinéma indien (Ray, Ghatak ou, plus récemment, Benegal), le cinéma contemporain s’est emparé de l’environnement urbain et de sa cinégénie propre (Salaam Bombay de Mira Nair). Le Petit Peintre… opère un retour vers les paysages, le rythme et l’imaginaire rural, qui ouvrent le jeune Aniket à une sérénité et une culture (à travers les havelis, ces splendides résidences ornées de fresques murales) et qui favorisent l’épanouissement individuel et la spiritualité. Des valeurs progressivement délaissées par Aniruh, le père de l’enfant. Deux visions antagonistes très fécondes sur le plan dramatique, bien que selon ses propres mots, l’intention première de Rajkumar Bhan n’était pas « de condamner la vie urbaine par opposition au monde rural. Je m’inspire seulement d’un fait nouveau, inconnu en Inde il y a seulement quelques années. Mon film, à travers un enfant victime de la déchirure d’un pays en route vers la modernité, traite de la survivance des valeurs ancestrales, de leur transmission, mais aussi de leur perte. » Le film d’Anand Patwardhan revient sur un moment clé de l’évolution récente de l’hindouisme, envisagé comme pouvoir spirituel et politique. Des figures essentielles comme Raja Ram Mohan Roy et Swami Vivekananda sont toujours, et à juste titre, louées pour leur vision progressiste et empreinte de tolérance – mais qu’en reste-t-il aujourd’hui ? Est-ce le même hindouisme qui fait désormais la une des journaux indiens ? Vivekananda, ne déclarait-il pas en 1893 : « Nous croyons non seulement en la tolérance universelle, mais nous acceptons par ailleurs toutes les religions comme recevables » ? Ram ke Naam démontre à l’évidence qu’une rhétorique de la haine s’est substituée à celle autrefois soutenue par les figures tutélaires de l’hindouisme. Anand Patwardhan tente de cerner comment hindous et musulmans délimitent la religion, la politique, et leur équilibre respectif dans l’Inde actuelle. On y voit notamment des musulmans sans recours lorsque le gouvernement indien tombe aux mains de l’aile droite hindoue. Ram ke Naam place ces derniers devant leurs responsabilités, puisqu’elles représentent une majorité redevable à l’ensemble du pays des valeurs de tolérance et de pluralisme incarnées au XXe siècle par Gandhi comme par Nehru. Sortie française 10 janvier 2007 Distributeur Eurozoom Format 35 mm – 1.85 : 1 Cies de production Mille et Une Productions/Raj Movies International Coproduction RMI Productions Producteurs Marc Irmer, Rajkumar Bhan Scénario Rajkumar Bhan Image Joginder Panda Son Manas Choudhury Montage Aseem Sinha Musique originale Sanjeev Kohli – Avec Sulabha Deshpande (la grand-mère), Omkar Lele (Anirudh), Nandu Madhav (Aniketh), Seetharam Panchal (le peintre), Maithili Zaokar (Malati)… Inédit en France – Provenance de la copie Anand Patwardhan Format DVD – 1.37 : 1 Producteur Anand Patwardhan Producteurs associés Paromita Vohra, Pervez Merwanji Commentaire Apurwa Yagnik, Paromita Vohra, Atul Tiwari, Anwar Jamal, Shoba Sadgopan Image Anand Patwardhan, Satish Narayan Son Pervez Merwanji Montage Anand Patwardhan Musique originale Neela Bhagwat – Avec les voix de Apurwa Yagnik, Sushmita Mukherjee l’inde et la chine - films 79 L’INDE AU CINÉMA Salaam Bombay ! Le Salon de musique Mira Nair – Inde/Grande-Bretagne/France, 1988, 113 mn, coul Satyajit Ray – Inde, 1958, 100 mn, NB Krishna, 10 ans, est abandonné par le cirque qui l’employait. Il tente sa chance à Bombay, afin d’économiser l’argent qui lui permettra de regagner son village natal. Livreur de thé dans un quartier populaire, Khrishna a ses entrées partout et peut ainsi tout voir, pour le meilleur et pour le pire… Biswambhar Roy, un aristocrate désargenté, est ulcéré par la fortune de l’usurier Ganguli Mahim, son voisin. Il s’obstine à rivaliser avec lui en donnant de somptueuses réceptions, sans se douter de leurs tragiques conséquences sur sa propre famille… « Salaam Bombay » : c’est la formule rituelle prononcée par les milliers d’immigrants qui débarquent chaque jour dans cette gigantesque métropole de quinze millions d’habitants, qui est aussi le poumon économique de l’Inde. Ils viennent pour trouver un emploi, échapper à la misère ou devenir – qui sait ? – des stars de cinéma. Ce sont ces laissés pour compte, et en particulier les enfants, que Mira Nair a pris pour sujet, en élaborant au fur et à mesure un scénario né de son immersion dans les quartiers déshérités de la ville. « On nous avait dit qu’il était impossible de tourner en son direct avec des acteurs en plein quartier chaud ; on nous avait dit qu’il était impossible de tourner dans les gares de Bombay, qu’il était impossible de tourner tout un film avec des enfants des rues illettrés. Impossible, ce mot je l’ai entendu bien trop souvent cet été-là à Bombay. » Même si Mira Nair n’avait jusqu’alors réalisé que des documentaires, son film n’est pourtant pas ce que l’on appelle « une tranche de vie ». Mais elle a filmé avec une grande justesse le quotidien de ces enfants prématurément vieillis et confrontés à un monde sans pitié. Caméra d’or au Festival de Cannes, Salaam Bombay a remporté un triomphe critique. Le Salon de musique est le film par lequel le public français a véritablement (re)découvert le cinéma de Satyajit Ray à la fin des années 1970. Comme le rappelle Sylvain Coumoul (Le Monde) « la vision de ce film funèbre laisse mal imaginer qu’à l’origine de son scénario, Satyajit Ray nourrissait le projet d’un divertissement, susceptible de satisfaire le goût du public indien pour les œuvres chantées et dansées. «Ensuite», dira-t-il dans un entretien à Positif, «cela devint une étude très sérieuse et très grave sur la fin symbolique du monde féodal» ». La mort et le sentiment de finitude des choses imprègnent donc l’ensemble du film, y compris dans la lenteur étudiée de la caméra, le raffinement étouffant du décor ou l’emploi de la musique, dans laquelle se perd le zamindar incarné par Chhabi Biswas. Musique qui trouve, dès Le Salon de musique, sa place dans la palette de Ray, lui qui composera, à partir des années 1960, la partition de ses films. Très éloigné du naturalisme de Pather Panchali, Le Salon de musique s’immerge dans une époque révolue que la mise en scène de Ray nous rend familière. Mais le hiératisme du noir et blanc et le rituel fervent auquel se soumet le zamindar s’abandonnent, pour leur part, à l’éternité. Sortie française 24 août 1988 Distributeur Tamasa Format DCP – 1.85 : 1 Cies de production Cadrage/Channel Four Films/ Doordarshan/La Sept Cinéma/Mirabai Films Coproduction Forum Films Producteurs Mira Nair, Gabriel Auer Coproducteur Mitch Epstein Producteurs exécutifs Michael Nozik, Cherie Rodgers, Anil Tejani Productrice associée Jane Balfour Scénario Mira Nair, Sooni Taraporevala Image Sandi Sissel Son Neal Gettinger, Margaret Crimmins Montage Barry Alexander Brown Musique originale L. Subramaniam – Avec Shafiq Syed (Krishna/Chaipau), Hansa Vithal (Manju Golub), Chanda Sharma (Sola Saal), Raghuvir Yadav (Chillum), Anita Kanwar (Rekha Golub)… Sortie française 18 février 1981 Distributeur Les Films sans Frontières Format 35 mm – 1.37 : 1 Cie de production Satyajit Ray Productions Producteur Satyajit Ray Scénario Satyajit Ray, d’après la nouvelle Jalsaghar de Tarashankar Banerjee Image Subrata Mitra Son Durgadas Mitra Montage Dulal Dutta Musique originale Ustad Vilayat Khan – Avec Chhabi Biswas (Biswambhar Roy), Padma Devi (Mahamaya), Pinaki Sen Gupta (Khoka), Gangapada Bose (Mahim Ganguli), Tulsi Lahiri (Taraprasanna)… 80 films - l’inde et la chine [JALSAGHAR] L’INDE AU CINÉMA Slumdog Millionaire Le Tigre du Bengale / Le Tombeau Hindou Danny Boyle – Grande-Bretagne/États-Unis, 2009, 120 mn, coul Fritz Lang – RFA/France/Italie, 1958, 97 mn et 101 mn, coul Par amour pour Latika, Jamal Malik participe à la version indienne de « Qui veut gagner des millions ? ». Bien que pauvre et sans instruction, il livre toutes les bonnes réponses. Accusé de tricherie, il explique que chaque réponse lui a été dictée par un épisode spécifique de sa tragique existence… Ed Hutcheson, rédacteur en chef du Day, charge un de ses reporters d’enquêter sur les activités du gangster Rienzi, qu’une récente commission sénatoriale n’est pas parvenue à inculper… Le scénariste de Slumdog Millionaire, Simon Beaufoy, s’est fait connaître en 1997 avec The Full Monty. Même s’il ne tenait pas particulièrement à réaliser un film centré sur le jeu « Qui veut gagner des millions ? », le cinéaste Danny Boyle (Trainspotting) est intrigué par le nouveau script de Beaufoy. Ce dernier est l’adaptation d’un roman de Vikas Swarup – en réalité une suite de nouvelles réunies en un seul recueil à l’architecture très lâche. Beaufoy a traité Slumdog Millionaire comme une nouvelle success story, où un déclassé va s’affranchir des barrières sociales à la fois symboliques et concrètes qui structurent la société indienne. Danny Boyle, quant à lui, s’empare de cette histoire et l’annexe à son spectaculaire univers visuel, mais ses recherches et le tournage sur place vont aller dans le sens d’une immersion concrète dans l’univers des déshérités de Bombay. Sur le modèle du Salaam Bombay ! de Mira Nair, mais aussi de Satya (1998) et Company (2002), deux incursions radicales dans la violence urbaine indienne. Démarche couronnée d’un succès à peu près planétaire, à l’exception… du public indien, percevant dans le film une représentation trop « occidentalisée ». Le Tigre du Bengale et Le Tombeau Hindou sont pour Fritz Lang le moyen de boucler la boucle et de revenir, en fin de carrière, vers l’Allemagne et ses débuts dans le cinéma. En 1919, il avait en effet adapté avec sa femme, Thea von Harbou, le roman de cette dernière ; mais c’est finalement au producteur Joe May que le projet est confié. Une seconde version est tournée en 1938, à nouveau en noir et blanc. En 1957, Lang ne manque pas l’opportunité d’un nouveau remake, tourné pour un budget colossal dans de rutilantes couleurs. Ce dyptique va permettre au cinéaste de réinvestir la logique du film à épisodes, qui lui convient particulièrement bien (les Mabuse) mais avec le sens de l’abstraction, le symbolisme et la sensualité morbide qui le caractérisent. Jacques Lourcelles, d’une formule inspirée, a cerné le faisceau de contradictions sur lesquelles sont fondés Le Tigre… et Le Tombeau… : « épure obtenue à partir d’une extraordinaire richesse de moyens et d’un foisonnement de péripéties ; dynamisme perpétuel résultant d’une quasi immobilité de la caméra ; message philosophique délivré à l’aide d’une trame de bande dessinée. » Avec ce dyptique, Fritz Lang résorbait le fossé entre exotisme et intime vérité de l’être, entre archaïsme et modernité. Sortie française 14 janvier 2009 Distributeur Pathé Distribution Format 35 mm – 2.35 : 1 Cies de production Pathé Pictures International/Celador Films/FilmFour Producteur Christian Colson Coproducteur Paul Ritchie Producteur délégué Tabrez Noorani Producteurs délégués Paul Smith, Tessa Ross, Cameron McCracken Productrice associée Ivana MacKinnon Scénario Simon Beaufoy, d’après le roman Les Fabuleuses aventures d’un Indien malchanceux qui devint milliardaire de Vikas Swarup Image Anthony Dod Mantle Son Glenn Freemantle, Tom Sayers Montage Chris Dickens Musique originale A.R. Rahman – Avec Dev Patel (Jamal), Anil Kapoor (Prem), Irrfan Khan (l’inspecteur), Madhur Mittal (Salim), Freida Pinto (Latika)… Sortie française 1er avril 2009 Distributeur StudioCanal Distribution Format 35 mm – 2.35 : 1 Cies de production Universal Pictures/Imagine Entertainment/Working Title Films/ StudioCanal/Relativity Media Producteurs Ron Howard, Tim Bevan, Eric Fellner et Brian Grazer Scénario Peter Morgan, d’après sa pièce Image Salvatore Totino Son Daniel Pagan, Tim Webb, Peter J. Devlin et Anthony J. Ciccolini III Montage Daniel P. Hanley, Mike Hill et Robert Komatsu Musique originale Hans Zimmer – Avec Frank Langella (Richard Nixon), Michael Sheen (David Frost), Sam Rockwell (James Reston, Jr.), Kevin Bacon (Jack Brennan), Oliver Platt (Bob Zelnick)… l’inde et la chine - films 81 L’INDE AU CINÉMA Tonnerres lointains Train to Pakistan Satyajit Ray – Inde, 1973, 101 mn, coul Pamela Rooks – Grande-Bretagne/Inde, 1998, 111 mn, coul 1942. Gangacharan, un brahmane, vient s’installer avec sa femme dans un petit village du Bengale exposé à la misère et aux privations. Alors que le riz est rationné, les privilèges dont bénéficie le couple sont violemment remis en cause par les villageois… 1947. La partition entre l’Inde et le Pakistan est presque effective. La rumeur parvient aux Sikhs vivant sur la frontière de massacres orchestrés par les Musulmans à l’encontre des leurs. Décidés à se venger, ils projettent de faire exploser un pont que doit traverser un train bondé de Musulmans… Tonnerres lointains est le second film tourné en couleurs par Satyajit Ray après Kanchenjunga en 1962. C’est aussi l’un de ses moins connus, bien qu’il soit fermement relié à son œuvre antérieure. Il y a ce village d’abord, et la nature que Ray filme avec beaucoup de sensualité. Il y a ensuite le personnage d’Ananga, dont le portrait possède la délicatesse de trait de Charulata ou de Doya (La Déesse). Pourtant, Tonnerres lointains est une œuvre amère et cruelle dans laquelle Ray filme les échos et les conséquences de la guerre – ses répercussions sur le village, le cortège de grandeur et (surtout) de souffrances et de petitesse qu’elle active. Avec Gangacharan le brahmane (Soumitra Chatterjee, l’un des comédiens fétiches du cinéaste), Ray s’interroge non seulement sur le système des castes, mais aussi sur l’égoïsme : Gangacharan est un profiteur, au cœur d’un système qui tire parti de la crédulité et de la détresse des « inférieurs ». Contrairement à des œuvres à la tonalité incertaine, Tonnerres lointains est donc plus dramatisé que les films-références tournés par Ray dans les années 1960 (la tentative de viol sur Ananga). Et la couleur, opulente, infléchit son propos vers des contrastes nettement plus marqués. Plusieurs fois envisagée, cette adaptation du roman le plus acclamé de Khushwant Singh a été, à sa sortie, l’un des films les plus attendus jamais tournés en Inde. C’est à dix-sept ans que Pamela Rooks découvre le roman, et envisage même, à l’époque, de postuler pour le rôle de Nooran dans une adaptation produite par Ismail Merchant (collaborateur de James Ivory). Celle-ci ne verra jamais le jour, mais la fascination de Pamela Rooks pour le roman perdure au point qu’elle parvient, malgré une expérience limitée derrière la caméra (Train to Pakistan est seulement son second film) à convaincre les ayant droits. Symboliquement, le tournage débute presque cinquante ans jour pour jour après la Partition. Le film aura de nombreux démêlés avec la censure, et devant le refus de la cinéaste de procéder aux coupes demandées, l’affaire sera finalement tranchée, à son bénéfice, devant les tribunaux. Quant aux multiples difficultés matérielles qu’elle a rencontrées, Pamela Rooks convenait rétrospectivement qu’il « est impossible de concevoir un film épique avec un budget réduit, et je ne pense pas qu’on aurait pu faire mieux. Le seul avis qui m’importait était celui de Khushwant Singh, et il a adoré le film. » [ASHANI SANKET] Sortie française 1er mai 2002 Distributeur Les Films sans Frontières Format DVD – 1.37 : 1 Cie de production Balaka Movies Producteur Sharbani Bhattacharya Scénario Satyajit Ray, d’après le roman Ashani Sanket de Bibhutibhusan Banerjee Image Soumendu Roy Son J.D. Irani, Durgadas Mitra Montage Dulal Dutta Musique originale Satyajit Ray – Avec Soumitra Chatterjee (Gangacharan Chakravarty), Babita (Ananga), Ramesh Mukherjee (Biswas), Chitra Banerjee (Moti), Govinda Chakravarty (Dinabandhu)… 82 films - l’inde et la chine Sortie française 7 novembre 2007 Provenance de la copie Ambassade de l’Inde Format 35 mm – 1.85 : 1 Cies de production Channel Four Films/Kaleidoscope Entertainment/ National Film Development Corporation of India (NFDC)/Pan/ Rooks A.V. Producteurs R. V. Pandit, Ravi Gupta, Pamela Rooks, Bobby Bedi Producteur exécutif Varsha Bedi Producteur associé Sudesh Syal Scénario Pamela Rooks, d’après le roman Train to Pakistan de Khushwant Singh Image Sunny Joseph Son Baylon Fonseca Montage A.V. Narayan, Sujata Narula Musique originale Piyush Kanojia, Taufiq Qureshi, Kuldeep Singh – Avec Mohan Agashe (Hukum Shand), Nirmal Pandey (Juggut Singh), Rajit Kapoor (Iqbal), Smriti Mishra, Divya Dutta… L’INDE AU CINÉMA Le Trône de la mort Vidheyan – L’Homme servile [VIDHEYAN] Murali Nair – Inde, 1999, 61 mn, coul Adoor Gopalakrishnan – Inde, 1993, 112 mn, coul Dans une petite île du Kerala, Krishnan, un ouvrier agricole, est arrêté pour vol de noix de coco. Également accusé d’un meurtre non élucidé, il est condamné à mort – peine théoriquement atténuée par une chaise électrique importée des États-Unis, lui garantissant une mort indolore et « extatique »… Thomma, un ouvrier agricole du Kerala, est sous la coupe d’un propriétaire tyrannique, Bhaskara Pattelar. Ce-dernier abuse sexuellement de la femme de Thomma, et oblige l’ouvrier à tuer sa propre femme, Saroja. Mais le propriétaire est rattrapé par les conséquences de sa malhonnêteté et de ses turpitudes… « Quand on me demande pourquoi je joue entre les codes de la fiction et du documentaire, c’est très simple pour moi. La situation politique, au Kerala comme ailleurs, est une telle bouffonnerie qu’on nage en pleine fiction. Il n’y plus qu’à la filmer telle qu’elle est, une folie, malheureusement bien réelle. Stylistiquement, la première partie de mon film contient une part critique : elle rejoint un cinéma de la contemplation qui est peut-être, consciemment ou non, un cinéma de la résignation. Cette position ne me suffit pas, notamment politiquement. J’ai besoin d’épuiser ce cinéma pour vouloir ensuite le renverser par un grand fou rire, choisir des plans plus larges pour voir peut-être des relations se former, une résistance. Oui, j’ai conscience d’avoir réalisé deux films en un, sinon opposés, du moins séparés par une fracture. C’est un schéma que j’affectionne : faire monter une histoire et la retourner ensuite, la briser. Il ne faut influencer personne. C’est pour cela que je filme souvent en gros plan. Il me faut ouvrir un film sur une approche physique, placer le spectateur du côté des personnages. Ensuite, les choix peuvent venir plus facilement. Ils découleront toujours de cette compréhension. » – Murali Nair, interviewé dans Libération. La prédilection d’Adoor Gopalakrishnan pour un cinéma impliqué socialement, sensible à la souffrance des humbles, ne se dément pas avec Vidheyan. Ce conte cruel, centré sur la relation ambiguë d’un propriétaire qui abuse de son pouvoir sur l’un de ses ouvriers agricoles, soumis à une totale et humiliante servitude, s’interroge précisément sur la nature de ce lien, trouble à l’occasion. Vidheyan va d’ailleurs très loin dans cette fascination (cette dévotion, presque) de Thomma pour son tortionnaire, jusqu’à un final qui résonne comme une ode enivrante à la liberté. C’est ici la seconde fois que Adoor Gopalakrishnan emploie le comédien vedette Mammootty (déjà 350 films !), plus habitué au registre commercial qu’à la production vériste incarnée par le cinéaste kéralais. Qui ne tarit pas d’éloge sur lui : « C’est un comédien très ambitieux. Habituellement, une star préfère s’engager dans des films qui consolident son statut, ou ne risquent pas de l’affaiblir. Ce n’est pas le genre de Mammootty. Prenez Vidheyan : s’il s’était vraiment préoccupé de sa célébrité, il ne l’aurait pas fait – il incarne un personnage très sombre, et je me suis attaché à lui donner une apparence repoussante, conforme à ce personnage si détestable. » Sortie française 15 décembre 1999 Distributeur Floris Films Format 35 mm – 1.37 : 1 Cie de production Flying Elephant Films Producteur Preeya Nai Producteur exécutif Rajan Sithara Scénario Bharatham Narakkal Image M. J. Radhakrishnan Son Krishna Kumar Montage Lalitha Krishna Musique originale Madhu Apsara – Avec Vishwas Njarakkal (Krishnan), Lakshmi Raman (l’épouse), Suhas Thayat (le politicien), Jeevan Mitva (l’enfant)… Inédit en France – Provenance de la copie Ambassade de l’Inde Format 35 mm – 1.85 : 1 Producteur K. Raveendran Nairl Scénario Adoor Gopalakrishnan, d’après le roman Bhaskara Pattelarum Ente Jeevithavum de Paul Zacharia Image S. Ravi Verrman Son Devadas, Krishnanunni Montage M. S. Mani Musique originale Vijaya Bhaskar, Devadas, Krishnanunnu – Avec M.R. Gopakumar (Thomma), Mammootty (Bhaskara Pattelar), Sabitha Anand (Omana), Tanvi Azmi (Saroja), Babu Nampoothiri (Yusuf Picha)… [MARANA SIMHASANAM] l’inde et la chine - films 83 L’INDE AU CINÉMA Water Deepa Mehta – Inde, 2005, 117 mn, coul 1938. Chuyia, 7 ans, perd son mari et se voit placée dans une maison où les veuves hindoues vivent recluses. L’arrivée de cette enfant curieuse et innocente va affecter la vie des autres résidentes. Et notamment celle de Kalyani, une belle veuve amoureuse de Narayan, jeune disciple de Gandhi… Deepa Mehta s’était fait connaître avec Fire, stigmatisé par les intégristes hindous en raison de son sujet, l’homosexualité féminine. Avec Water, dernier opus d’une trilogie des éléments, les choses ont empiré et la production a été émaillée de reports intempestifs (des autorisations retirées au dernier moment) et du saccage des plateaux de tournage – tournage qui sera finalement délocalisé au Sri Lanka. Cette genèse à rebondissements, Water la doit à son exploration, très controversée, du statut des femmes, en particulier des veuves. En Inde, l’émancipation féminine a connu depuis 200 ans plusieurs vagues de mobilisation, dont celle qui a accompagné, dès ses débuts, le grand mouvement vers l’indépendance. Mais s’il y eut au fil du temps de vrais succès (la présence des femmes en politique, portée par une politique des quotas, est une réalité), d’immenses progrès restent à accomplir. En situant son film à la fin des années 1930, Deepa Mehta heurte néanmoins de front un conservatisme enraciné dans les croyances religieuses et l’organisation sociale du pays. Volontiers esthétisant, Water est une leçon de courage, une virulente incitation à ne pas se laisser enfermer, au propre comme au figuré, dans un statut « d’inférieur », quel qu’il soit. Sortie française 6 septembre 2006 Distributeur Les Films sans Frontières Format DVD – 2.35 : 1 Cie de production HamiltonMehta Productions Coproduction Téléfilm Canada/Noble Nomad Pictures/Echo Lake Productions Producteur David Hamilton Producteurs exécutifs Mark Burton, Ajay Virmani, Doug Mankoff Producteurs associés Dilip Mehta, Marek Posival Scénario Deepa Mehta Image Giles Nuttgens Son S. Sivakumar, H. Sridhar Montage Colin Monie Musique originale Mychael Danna – Avec Sarala Kariyawasam (Chuyia), Seema Biswas (Shakuntala), Lisa Ray (Kalyani), John Abraham (Narayan), Kulbhushan Kharbanda (Sadananda)… 84 films - l’inde et la chine