Créance d`honoraires d`avocat et liquidation judiciaire

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Créance d`honoraires d`avocat et liquidation judiciaire
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Lexbase La lettre juridique n˚609 du 16 avril 2015
[Avocats/Honoraires] Jurisprudence
Créance d'honoraires d'avocat et liquidation judiciaire
N° Lexbase : N6970BUP
par Bastien Brignon, Maître de conférences HDR à l'Université d'AixMarseille, Membre du Centre de droit économique (EA 4224), de l'Institut de droit des affaires et du Centre d'étude du droit de l'insolvabilité
Réf. : Cass. com., 24 mars 2015, n˚ 14-15.139, FS-P+B (N° Lexbase : A6709NE9)
L'arrêt rendu le 24 mars 2015 par la Chambre commerciale de la Cour de cassation répond à une très bonne
question : celle de savoir à quelle date prend naissance la créance d'honoraires d'un avocat. La réponse est
d'importance au regard du traitement dont ladite créance va faire l'objet en cas de procédure collective du
client de l'avocat. Soit elle est antérieure, et alors elle devra être déclarée à la procédure, sous peine d'être
inopposable au passif du débiteur, sauf à être relevée de la forclusion (avec la possibilité désormais pour le
débiteur de déposer une liste de créances valant déclaration pour le compte du créancier). Une fois admise
après vérification, elle a peu de chances d'être honorée. Soit elle est postérieure : elle sera dispensée de
déclaration, et pourra même être payée à son échéance, sous réserve d'être utile.
Avant même d'étudier les faits, on serait tenté de penser que la créance d'honoraires d'avocat naît au fur et à mesure
de sa construction, au fil de l'eau, en fonction des diligences accomplies par l'avocat. Un tel raisonnement conduit
à voir la prestation d'avocat comme un contrat d'entreprise, et sur le terrain des procédures collectives, comme un
contrat à exécution successive. Le risque est alors d'avoir une partie de la créance antérieure et l'autre, postérieure.
Le système des provisions corrobore cette analyse : la créance naîtrait au fur et à mesure de la facturation, après
chaque étape des diligences faites.
Mais si la créance d'honoraires est de résultat, quel en est le fait générateur ? On le sait, les avocats peuvent
facturer des honoraires de résultat, dans la limite du quota litis (sauf peut-être lorsqu'ils interviennent en tant que
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mandataire immobilier ou mandataire sportif) et sous réserve que le client ne soit pas à l'aide juridictionnelle totale.
Même si le travail de l'avocat est nécessairement fractionné dans le temps, et que ce travail peut donner lieu au
paiement de provisions, ces dernières, en général, ne couvrent pas l'honoraire escompté, si bien que l'honoraire de
résultat naîtra au jour du dénouement définitif de l'affaire, par exemple au jour d'une décision de justice irrévocable
(et l'exigibilité ne sera pas nécessairement concomitante : paiement à trente jours ou plus en pratique).
C'est la solution retenue par la Cour de cassation qu'elle formule en ces termes : "la créance d'honoraires de résultat
naît à la date de l'exécution de la prestation caractéristique".
En l'espèce, par convention du 19 octobre 2006, une société a confié à une SCP d'avocats la défense de ses
intérêts dans un litige l'opposant à un tiers. Un honoraire de résultat était prévu, le résultat ne devant être réputé
obtenu qu'une fois rendue une décision définitive. La société a été mise en redressement judiciaire le 14 mars
2011, puis en liquidation judiciaire le 10 septembre 2012. La SCP a demandé le paiement de l'honoraire de résultat,
après qu'eut été rendu, le 15 janvier 2013, par la cour d'appel de Lyon (CA Lyon, 15 janvier 2013, n˚ 12/02 438
N° Lexbase : A1479I38) désignée comme cour d'appel de renvoi après cassation (Cass. com., 5 avril 2011, n˚ 1014.080 N° Lexbase : A3488HNI), un arrêt allouant une indemnité au liquidateur ès qualités. Le liquidateur a alors
formé un pourvoi contre l'ordonnance l'ayant condamné à payer à la SCP une somme à titre d'honoraires.
Le mandataire liquidateur soulevait trois points. D'abord, sur le terrain des contrats en cours. Il estimait ainsi que,
dans la mesure où "la décision du mandataire judiciaire de mettre fin à un contrat en cours ne nécessite aucun
formalisme particulier", il avait fait le choix en sa qualité de liquidateur d'un autre conseil pour la représenter, ès
qualités, devant la cour d'appel de Lyon, d'où il résultait nécessairement qu'il avait été mis fin au contrat du 19 octobre
2006. En estimant au contraire qu'il avait "expressément entériné", après le jugement d'ouverture en date du 14 mars
2011, la convention conclue le 19 octobre 2006, la cour d'appel n'avait pas selon lui tiré les conséquences légales de
ses constatations et avait violé les articles L. 641-10 (N° Lexbase : L7330IZI) et L. 641-11-1 (N° Lexbase : L3298IC7)
du Code de commerce, textes relatifs aux contrats en cours spécifiquement en cas de liquidation judiciaire, pour le
second, et à la poursuite d'activité en liquidation judiciaire, pour le premier.
Après les contrats en cours, le liquidateur se plaçait sur le terrain du dessaisissement. Il soutenait ainsi que le
débiteur se trouvant dessaisi à compter du jugement d'ouverture (de liquidation judiciaire), les juges du fond, en
considérant que le contrat dont était titulaire la SCP d'avocats avait pu se poursuivre après l'ouverture d'une procédure collective à l'égard du débiteur, et cela par la seule volonté de cette société qui souhaitait se faire représenter
personnellement devant la cour d'appel de Lyon dans le cadre de son litige, alors qu'en principe par l'effet du jugement d'ouverture, cette société se trouvait dessaisie et ne pouvait figurer à titre personnel à cette instance, avaient
violé l'article L. 641-9 du Code de commerce (N° Lexbase : L7329IZH) qui pose le ledit principe du dessaisissement.
Enfin, le liquidateur rappelait "que la date du fait générateur d'une créance d'honoraire de résultat ne se confond pas
avec la date de son exigibilité". Or, en faisant droit à la demande en paiement d'un honoraire de résultat présenté par
la SCP bien que celle-ci n'ait pas déclaré cette créance au passif de la procédure, au motif que "le fait générateur
de la créance d'honoraires de résultat est constitué non par la convention [du 19 octobre 2006], dès lors qu'à cette
date elle revêtait un caractère hypothétique, mais par l'arrêt définitif de la cour d'appel de Lyon du 15 janvier 2013
qui a seul défini les contours précis de leur assiette mais surtout le principe même de leur exigibilité", quand la date
à laquelle la décision de la cour d'appel de Lyon a été rendue ne correspond qu'à la date d'exigibilité de l'honoraire
de résultat et non à la date du fait générateur de la créance de l'avocat, qui remonte à la date où l'honoraire de
résultat a été convenu, la cour d'appel avait méconnu le principe susvisé et a violé l'article L. 622-24 du Code de
commerce (N° Lexbase : L7290IZZ).
Mais la Cour de cassation rejette ces trois arguments.
En premier lieu, la Cour de cassation relève qu'ayant constaté que la SCP avait poursuivi l'exécution de sa prestation après le redressement puis la liquidation judiciaires et retenu que, s'il avait choisi un autre avocat pour le
représenter devant la cour d'appel de Lyon, le liquidateur s'était borné, sans les reproduire, ni les modifier, à s'associer aux conclusions de la société débitrice établies par la SCP, auteur exclusif de l'argumentation qui avait
déterminé la condamnation, le premier président a ainsi fait ressortir que la SCP avait assisté, avec son accord, le
liquidateur et que celui-ci avait opté pour la continuation des relations contractuelles liant la SCP à la débitrice.
En second lieu, la Cour de cassation énonce que la créance d'honoraires de résultat naît à la date de l'exécution
de la prestation caractéristique. Ainsi, en relevant que la SCP était l'auteur exclusif de l'argumentation juridique
retenue par la cour d'appel de Lyon pour faire droit à la demande de la débitrice, le premier président a fait ressortir
que c'est dans le cadre de la procédure de renvoi après cassation que la prestation donnant naissance à sa créance
d'honoraires de résultat avait été exécutée, de sorte que la cour d'appel a légalement justifié sa décision.
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La solution n'est pas nouvelle. La Cour de cassation a déjà considéré que la date d'exigibilité de la commission ne
se confond pas avec la date du fait générateur de la créance, en conséquence de quoi, la créance d'honoraires
de résultat ne naît pas à la date du paiement mais à celle de l'exécution de la prestation caractéristique et ce, à
propos d'un mandataire chargé d'une mission d'optimisation fiscale (Cass. com., 27 septembre 2011, n˚ 10-21.277,
FS-P+B N° Lexbase : A1221HYU, Bull. civ. IV, n˚ 142 ; D. actu., 5 octobre 2011, obs. A. Lienhard ; D., 2012, Pan. p.
1573, obs. P. Crocq ; Rev. Sociétés, 2011, p. 730, obs. Ph. Roussel Galle).
Elle s'autorise d'une conception matérialiste ou économique (en ce sens : A. Lienhard, D. actu., 7 avril 2015) s'agissant de déterminer le fait générateur d'une créance résultant d'un contrat à exécution successive conclu avant
l'ouverture de la procédure et poursuivi au-delà de ce dernier, en l'occurrence une créance d'honoraires de résultat
trouvant sa cause dans un contrat de mandat.
Personne ne contestera que la date de naissance de la créance, autrement dit le fait générateur, ne signifie pas sa
date d'exigibilité (E. Putman, La formation des créances, thèse Aix-Marseille III, 1987). La cause semble également
entendue sur le fait que la créance d'honoraires de résultat naît à la date de l'exécution de la prestation caractéristique, et non à la date de conclusion du contrat (rejet de la thèse volontariste. En faveur de cette thèse : P. —
E. Audit, La "naissance" des créances. Approche critique du conceptualisme juridique, Dalloz, 2015, n˚ 184 et s.).
Toutefois, une fois dégagé et retenu le critère de l'exécution de la prestation caractéristique (V. encore Cass. com.,
12 janvier 2010, n˚ 08-21.456, FS-P+B N° Lexbase : A3015EQQ, D., 2010, p. 203, obs. A. Lienhard ; D., 2010, p.
1820, obs. P. — M. Le Corre), le problème n'est pas pour autant réglé car la question reste entière de sa mise en
œuvre.
En effet, tout en affirmant la primauté de l'exécution de la prestation caractéristique pour retenir le fait générateur de
la créance, le jour de conclusion du contrat peut toujours être retenu pour fixer ledit fait générateur. C'est d'ailleurs en
ce sens que dans l'arrêt de 2011 la Cour de cassation avait approuvé les juges du fond d'avoir fixé le fait générateur
à la conclusion du mandat, position qui au demeurant n'est pas nouvelle (Cass. com., 17 février 1998, n˚ 95-15.409
N° Lexbase : A2373ACU, Bull. civ. IV, n˚ 81 ; RTDCom., 1998, p. 938, obs. A. Martin-Serf ; Cass. com., 16 octobre
2007, n˚ 06-11.102, F-D N° Lexbase : A8035DYA, Gaz. Pal., 23-24 janvier 2008, p. 44, obs. L. — C. Henry).
Ce qui compte en réalité c'est que la prestation du mandataire, ou de l'avocat, se poursuive après l'ouverture de la
procédure collective, et aucunement, bien entendu, de retenir que la date de naissance de la créance est la date de
paiement de la commission ou des honoraires, ce à quoi la Cour de cassation se refuse. C'est tout le principe de la
thèse matérialiste ou du critère de la prestation caractéristique : cette thèse signifie que les créances du mandataire
naissent au fur et à mesure de l'accomplissement de sa prestation de mandataire (P. — M. Le Corre, Continuation
des contrats en cours, date de naissance des créances et mandat, D., 2009, Chron., p. 2172).
Or autant dans l'arrêt de 2011 cela était discutable, d'où une certaine ambigüité quant à sa portée. Autant dans
l'arrêt sous commentaire la solution est claire, donc d'une portée importante.
La créance d'honoraires de résultat de l'avocat naît à la date de l'exécution de la prestation caractéristique. Ainsi,
le fait générateur de la créance d'honoraires de résultat est constitué par l'arrêt d'appel rendu après cassation qui,
pour faire droit à la demande de la débitrice, a retenu l'argumentation développée par l'avocat. Cet arrêt ayant été
rendu après l'ouverture de la procédure collective du client, la créance d'honoraires de résultat est une créance
postérieure (cf. l'Encyclopédie "Entreprise en difficultés" N° Lexbase : E0334EUW).
La vraie question était donc de savoir si le contrat conclu avec le débiteur était toujours un contrat en cours. Oui il
l'était. Le liquidateur le contestait, notamment sur le terrain de l'article L. 641-11-1 du Code de commerce. Il aurait
même pu tenter d'invoquer les trois cas de résiliation de plein droit du III de l'article précité, cela n'aurait rien changé.
Même si un autre avocat était intervenu (et précisément un autre avocat était intervenu), il n'en demeure pas moins
que le premier avocat a accompli des diligences après l'ouverture de la procédure collective, matérialisées ici par
des écritures complètement et entièrement reprises par le liquidateur devant la cour d'appel de renvoi. Le liquidateur
aurait donc dû, d'une part, notifier à la SCP la non-continuation du contrat en cours conformément à l'article L. 64111-1 du Code de commerce, d'autre part, surtout ne pas utiliser les conclusions du premier avocat. Le fait d'être
représenté par un nouvel avocat est insuffisant pour valoir rupture du contrat en cours, la créance d'honoraires
étant née très exactement dans le cadre de la procédure de renvoi (et non à la date de l'arrêt de la cour d'appel de
renvoi).
La solution de l'arrêt sous commentaire est indiscutable. Cependant, on remarquera que les écritures utilisées devant la cour de renvoi avaient été prises avant, un peu par anticipation, si bien que l'on pourrait se demander si
cette anticipation n'est pas une forme d'antériorité car de fait l'avocat n'avait plus vraiment accompli de diligences
postérieurement. D'autre part, l'honoraire de résultat devait intervenir à la suite d'une décision définitive : la procédure de renvoi après cassation est-elle vraiment définitive quand on sait qu'il reste encore l'Assemblée Plénière de
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la Cour de cassation...
Ces détails précisés, reste tout de même un point important : la créance est postérieure certes, mais est-elle utile ?
La Cour de cassation ne le dit pas expressément mais en reconnaissant qu'elle n'avait pas être déclarée, et qu'elle
devait être réglée à son échéance, elle considère implicitement qu'elle était "née pour les besoins du déroulement
de la procédure", au sens des articles L. 622-17 (N° Lexbase : L8102IZ4) ou L. 641-13 (N° Lexbase : L8595IZD) du
Code de commerce. Cela signifie qu'elle accède au rang privilégié de créance de la procédure, conséquence qui
s'avère ici contenue en filigrane dans le principe même de sa naissance. Il faut prendre pour acquis que le résultat
obtenu impliquait nécessairement l'utilité pour le débiteur, partant pour la procédure, ce qui paraît peu contestable puisque l'argumentation juridique victorieuse de l'avocat créancier avait fondé la condamnation à paiement
de l'indemnité prononcée au bénéfice de la société en liquidation judiciaire. Les frais de dépens engagés sont ainsi
présumés utiles (Cass. com., 15 octobre 2013, n˚ 12-23.830, F-P+B N° Lexbase : A1003KNH, Bull. civ. IV, n˚ 152 ;
D. actu., 25 octobre 2013, obs. A. Lienhard ; Rev. Sociétés, 2013, p. 728, obs. Ph. Roussel Galle). La présomption
pourrait être renversée en cas de défaite lors du procès, délibéré qui par définition ne peut être connu à l'avance.
De sorte que la créance postérieure pourrait être après coup une créance postérieure non utile, c'est-à-dire non
privilégiée, c'est-à-dire soumise à déclaration à compter de sa date d'exigibilité.
Deux remarques en conclusion : la solution de l'arrêt ne vaut nous semble-t-il que pour les honoraires de résultat,
aucunement pour ceux qui n'en sont pas. De plus, la créance d'honoraire, de résultat ou pas, nous paraît pouvoir
bénéficier du privilège des frais de justice, qui n'était pas invoqué ici car cela n'était pas nécessaire.
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