Portfolio Julien Prévieux

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Portfolio Julien Prévieux
Julien Prévieux
Portfolio
Atelier / Studio : 13 passage Savart 75020 Paris
Email: [email protected]
www.previeux.net
Le travail, le management, l’économie, la politique,
les dispositifs de contrôle, les technologies de pointe,
l’industrie culturelle sont autant de « mondes » dans
lesquels s’immisce la pratique de Julien Prévieux. A
l’instar des Lettres de non-motivation qu’il adresse
régulièrement depuis 2000 à des employeurs en réponse
à des annonces consultées dans la presse, détaillant les
motivations qui le poussent à ne pas postuler, ses œuvres
s’approprient souvent le vocabulaire, les mécanismes
et modes opératoires des secteurs d’activité qu’elles
investissent pour mieux en mettre à jour les dogmes,
les dérives et, in fine, la vacuité. Adoptant sciemment
la posture de l’individu confronté à des pans entiers
de la société qui, à bien des égards, se retrouvent
déshumanisés, Julien Prévieux développe une stratégie
de la contre- productivité, ou de ce que le philosophe Elie
During nommait, dans un récent texte sur sa pratique, le
« contre-emploi ».
Christophe Gallois
Work, management, economics, politics, control systems, stateof-the‑art technologies and the culture industry are the many
‘worlds’ that Julien Prévieux’s activities involve. As in the Lettres
de non-motivation (Letters of Non-Application) that he has been
sending out to employers regularly since 2004 – in which he
responds to newspaper advertisements and details his reasons for
not applying for the jobs in question – his work often appropriates
the vocabulary, mechanisms and modus operandi of the sectors
by which it is informed, the better to highlight their dogmas,
excesses and, when all is said and done, their vacuousness.
By shrewdly adopting the stance of an individual facing whole
swathes of society that are, in many respects, dehumanised,
Prévieux develops a strategy of counterproductivity, or what the
philosopher Elie During called, in a recent essay about the artist’s
praxis, ‘counter-employment’.
Christophe Gallois
ŒUVRES (sélection)
ARTWORKS (selection)
Patterns of Life
Vidéo HD / 2K, son, 15’30’’, 2015
HD/2K video, sound, 15’30’’, 2015
http://www.previeux.net/html/videos/Patterns.html
Patterns of Life recompose une histoire de la capture
des mouvements. De l’enregistrement des marches
pathologiques par Georges Demenÿ à la fin du 19e siècle
jusqu’au « renseignement fondé sur l’activité » de la
National Geospatial-Intelligence Agency (Département
de la Défense des États-Unis), le film revient sur la
généalogie de la quantification et de la visualisation
des mouvements et sur les différentes façons de donner
sens aux enregistrements des déplacements des corps.
Plusieurs personnages, interprétés par des danseurs de
l’Opéra de Paris, traversent six expériences exemplaires
de la mesure du mouvement, en interprétant protocoles
et résultats scientifiques comme autant d’instructions
chorégraphiques. Les six scènes se déroulent dans autant
de décors spécifiques réunis dans un même lieu pour
affirmer leurs liens. Le film éclaire les implications
politiques, économiques ou militaires de ces différentes
expériences.
Patterns of Life presents a history of movement analysis. From
Georges Demenÿ’s chrono-photography of faulty gait in the late
19th century to the “activity-based intelligence” generated by
the US National Geospatial-Intelligence Agency, the film traces
the genealogy of the quantification and visualisation of bodily
movement and the various ways of making sense of it. The
characters played by dancers from the Opéra de Paris recreate
key experiments in the measurement and analysis of movement,
giving choreographic expression to protocols and results. The
six scenes take place in different sets in the same location,
underlining their connection, while a voice-over highlights their
political, economic or military implications.
Pickpocket
Aluminium brossé, médium, placage chêne, h: 250cm, Ø: 150cm, 2015
Brushed aluminum, MDF, oak veneer, h: 250cm, Ø: 150cm, 2015
Les enregistrements des gestes et des mouvements
que l’industrie, le commerce, la police ou l’armée
ont mis au point depuis la fin du 19e siècle, diffusent
une esthétique parente des recherches formelles des
modernités artistiques. Jouant de cette proximité, Julien
Prévieux transforme ces enregistrements, inspirés à
l’origine par des objectifs de productivité, de rentabilité
ou de surveillance, en pures formes. Ici, les déplacements
d’un pickpocket donnent naissance à une authentique
sculpture abstraite en aluminium brossé, s’offrant à la
contemplation d’un regard désintéressé. Pickpocket à
sa façon, Prévieux vole des formes pour les soustraire à
leurs finalités initiales.
The methods of recording movement and gesture developed in
industry, commerce, police and army over the last century and
a half led to aesthetic results that recall the formal explorations
of modernist art. Playing on this resemblance, Julien Prévieux
transforms these records – originally produced for the sake of
productivity, profit or surveillance – into pure form. Here the
movements of a pickpocket generate a perfectlyproper abstract
sculpture in brushed aluminium that invites disinterested,
aesthetic contemplation. A pickpocket in his own way, Prévieux
steals forms, “liberating” them from their original purpose.
What Shall We Do Next?
On connaît la célèbre formule de William Gibson : « Le
futur est déjà là – simplement, il n’est pas distribué de
façon homogène ». Régulièrement des gestes sont déposés auprès de l’administration américaine USPTO. On
peut faire l’hypothèse suivante : ces brevets définissent
une gestuelle que nous serons amenés à exécuter dans
quelques années quand les outils seront commercialisés.
What Shall We Do Next? prend comme point de départ
une archive de ces brevets constituée depuis 2006.
L’œuvre se déploie sous la forme d’un film d’animation
en 3D, d’un film et d’un ensemble de performances
réalisés avec des danseurs dans lesquels les schémas des
brevets sont considérés comme autant de partitions chorégraphiques qui, lorsqu’elles sont incarnées, pourraient
bien donner à voir nos comportements à venir.
“The future is already here — it’s just not very evenly distributed”
says Wiliam Gibson. The gestures to activate a new device are
patented. For example the “slide-to-unlock” movement has been
patented by Apple several years ago. Julien Prévieux started to
collect these specific movements in 2006. His assumption was
that the gestures patented today are the movements we may all
have to do in the near future: patents as an archive of gestures
to come.
Sequence #1 is the archive of gestures shown as a 3D animated
short film.
Sequence #2 is a video made with 6 performers. They perform
the diagrams found in the patents, considering patents as dance
scores.
Sequence #3 is a set of performances questioning differently the
property of gestures. The artist worked with facts coming from
the copyright history and most notably the Martha Graham case.
In 1997, a judge ruled that the dances belonged to the center, as
Graham was in effect an employee of her own company. As such
she did not retain the rights herself. The legal case as a metadance performance.
What Shall We Do Next? (Sequence #1)
Rétroprojecteur, écran LCD transparent, animation 3D, 3’54”, 2007-2011
Overhead projector, LCD trasnparent screen, animated film, 3’54, 2007-2011
http://www.previeux.net/html/videos/Next.html
What Shall We Do Next? (Sequence #2)
Vidéo HD / 2K, son, 16’47”, 2014
HD / 2K Video, sound, 16’47”, 2014
http://www.previeux.net/html/videos/Next02.html
What Shall We Do Next? (Sequence #3)
Performance, 3 modules d’environ 5 minutes chacun, 2014-2016
Performance, 3 modules of approximately 5 minutes each, 2014-2016
Atelier de dessin - B.A.C. du 14e arrondissement de Paris
[Drawing workshop - B.A.C. of 14th district of Paris]
Dessins réalisés par les policiers Stéphane Dupont, Benjamin Ferran, Gérald Fidalgo, Mickaël Malvaud et Blaise Thomas
Voronoï : encre sur papier calque, 65x50 cm / Heatmaps : peinture acrylique sur papier, 90x75 cm, 2011-2015
Drawings by police officers Stéphane Dupont, Benjamin Ferran, Gérald Fidalgo, Mickaël Malvaud et Blaise Thomas
Voronoï : ink on tracing paper, 65x50 cm / Heatmaps : acrylic paint on paper, 90x75 cm, 2011-2015
En 2011 puis 2015, Julien Prévieux met en place un
atelier de dessin avec des policiers parisiens. Il s’agit, à
partir de cartes recensant des délits, d’apprendre à tracer
manuellement des diagrammes de visualisation des
crimes et délits habituellement réalisés instantanément
par ordinateur. Avec cette technique traditionnelle de
dessin, l’outil d’aide à la décision se trouve dépossédé
de sa fonction première, car les résultats arrivent toujours
trop tard. Mais ce qui est perdu sur un plan est gagné
sur un autre : apprentissage du dessin, réflexion sur
les transformations de la police et l’implantation de
nouvelles méthodes de management, et production
d’oeuvres graphiques abstraites très réussies.
In 2011 and 2015, Julien Prévieux organised drawing workshops
with Paris police officers to make them learn to draw crimes maps
and visualization diagrams by hand rather than instantaneously by
computer. Using the “old-fashioned” technique of drawing meant
that these decision-making tools lost their primary function,
because the results would always be finished too late. But loss
at one level brought gains at others: the development of drawing
skills, an opportunity to reflect on changes in policing and on new
methods of management… and the production of some very fine
abstract drawings.
Atelier de dessin - B.A.C. du 14e arrondissement de Paris (Cambriolages, octobre et novembre 2010, Paris 75014)
Encre sur papier calque, 65 x 50 cm, dessin réalisé par l’officier de police Benjamin Ferran
Drawing workshop - B.A.C. of 14th district of Paris (Burglaries, October and November 2010, Paris 75014)
Ink on tracing paper, 65 x 50 cm, drawing by police officer Benjamin Ferran
Atelier de dessin - B.A.C. du 14e arrondissement de Paris (DAB et roulotte, Avril 2011, Paris 75014)
Encre sur papier calque, 65 x 50 cm, dessin réalisé par l’officier de police Mickaël Malvaud, 2011
Drawing workshop - B.A.C. of 14th district of Paris (Theft from cars, April 2011, Paris 75014)
Ink on tracing paper, 65 x 50 cm, drawing by police officer Mickaël Malvaud, 2011
Atelier de dessin - B.A.C. du 14e arrondissement de Paris (Vols avec effraction, mai 2015, Paris 75014)
Peinture acrylique sur papier, 90 x 75 cm, peinture réalisée à l’aérographe par l’officier de police Benjamin Ferran, 2015
Drawing workshop - B.A.C. of 14th district of Paris (Breaking and Entering, May 2015, Paris 75014)
Acrylic paint on paper, 90 x 75 cm, airbrush painting by police officer Benjamin Ferran, 2015
Atelier de dessin - B.A.C. du 14e arrondissement de Paris (Cambriolages et tentatives de cambriolage, Paris 75010)
Peinture acrylique sur papier, 90 x 75 cm, peinture réalisée à l’aérographe par l’officier de police Stéphane Dupont, 2015
Drawing workshop - B.A.C. of 14th district of Paris (Burglaries and Burglary attempts, Paris 75010)
Acrylic paint on paper, 90 x 75 cm, airbrush painting by police officer Stéphane Dupont, 2015
Today is Great
Série de 10 dessins, Encre de Chine sur papier, 40 x 56 cm, 2014
10 drawings, Indian ink on paper, 40 x 56 cm, 2014
En juin 2014, Julien Prévieux photographie au téléobjectif
les bureaux de Google, à Los Angeles. C’est le tableau
blanc dans le couloir au deuxième étage du Binoculars
Building de Frank Gehry qui retient son attention. On y
voit les notes laissées par les employés, leurs dernières
idées, des fragments d’algorithmes, des schémas ou des
dessins humoristiques. L’artiste a réalisé une série de
dessins à l’encre de Chine à partir des détails prélevés
dans cette image. Pour Prévieux, il s’agit d’inverser les
rôles : si les géants du web capturent nos données, il ne
tient qu’à nous de reprendre la main sur nos informations,
voire de traquer le traqueur.
In 2014, Julien Prévieux used a telephoto lens to photograph
Google’s Los Angeles offices. The whiteboard in the corridor on
the second floor of Frank Gehry’s Binoculars Building caught
his attention. On it were notes left by Google staff: latest ideas,
fragments of algorithms, diagrams, funny drawings. The artist
produced this series of Indian ink drawings from details in the
photograph. For Prévieux, it was a question of role-reversal: if the
giants of the web capture our data, it is up to us to retake control
of our information, indeed to track the trackers.
Bureaux de Google situés dans le « Binoculars Building » de Frank Gehry à Venice, LA
Google office located in Frank Gehry’s “Binocular’s Building” in Venice, LA
À la recherche du miracle économique
[In Search of the Economic Miracle]
Encre et impression sur papier, dimensions variables, 2006-2009
Ink and inkjet print on paper, variable dimensions, 2006-2009
Dans cette série de dessins, les grands textes de la pensée
économique moderne (Karl Marx, Adam Smith,
David Ricardo…) sont utilisés comme des supports
de prédiction. La méthode de décryptage employée est
connue sous le nom de « code de la Bible », un code
appliqué par les moines au Moyen Âge pour découvrir
des significations cachées dans les textes sacrés. Dans
les marges du Capital ou de La Richesse des nations se
déploie ainsi une nébuleuse de mots-clés (dates, faits,
personnalités) reliés par des flèches qui matérialisent des
rapports d’appartenance ou de cause à effet. Au terme
d’un fastidieux travail de déchiffrage, l’artiste dresse le
portrait d’une réalité obscure et chaotique, égrenant scandales financiers et crises économiques en lieu et place du
miracle attendu.
In this series of drawings the iconic texts of modern economic
thinking - Karl Marx, Adam Smith, David Ricardo, et al. - are used
to predict the future. The chosen mode of decipherment is known
as the Bible Code and was used by medieval monks to extract
hidden meanings from scripture. Thus the artist fills the margins
of Capital and The Wealth of Nations with a diffuse mass of dates,
facts and names of personalities linked by arrows pointing up
kinships and cause and effect relationships; and the result, at
the end of a tedious process of decipherment, is images of an
obscure, chaotic reality, a succession of financial scandals and
economic crises instead of the hoped-for miracle.
La totalité des propositions vraies (avant)
[The Totality of True Propositions (Before)]
Livres, bibliothèque en métal et bois, lustre et impressions jet d’encre, dimensions variables, 2008-2009
Books, bookcase, chandelier, inkjet printings, variable dimensions, 2008-2009
Témoignant de l’intérêt de l’artiste pour l’organisation des savoirs et l’accumulation des connaissances,
cette œuvre que Julien Prévieux a montrée notamment
à la Synagogue de Delme et à la Force de l’Art 02 est
une installation composée d’une bibliothèque circulaire
présentant un ensemble d’ouvrages obsolètes et d’un
ensemble de grands diagrammes. Issue d’un long travail
de collecte dans les fonds des bibliothèques publiques
et privées, cette collection de livres dépassés rassemble
des manuels en tout genre, des livres techniques (au sens
large) dont le contenu n’a pas survécu au passage du
temps. Oubliés, méprisés, en marge des savoirs à la pointe,
ces livres, une fois réorganisés dans cette bibliothèque de
rebus linguistiques, techniques et historiques, continuent
à faire sens. Prévieux bloque le savoir dans une temporalité circulaire dans laquelle le spectateur se trouve lié.
L’inertie provoquée permet au spectateur de prendre
le temps de méditer sur la signification de ces savoirs
désuets et de s’interroger sur la pertinence de ses propres
connaissances. Sur les murs se déploient d’étranges
diagrammes qui, conçus au moyen d’un programme
d’aide à la décision permettant d’analyser les textes de
ces livres, transforme les thèmes de ces ouvrages en un
ensemble d’oracles délirants. Telle une cartographie, ils
dessinent les contours d’un futur parallèle complètement
uchronique qui ne manque pas d’humour.
Illustrating the artist’s interest in the organization of know-how and
the accumulation of knowledge, this work is a bookcase holding
numerous books on historically outmoded subjects that are
nowadays obsolete. This collection, resulting from a lengthy task
of information gathering in public and private library collections,
brings together manuals and handbooks, whose ideas have not
survived the inexorable passage of time. Overlooked, scorned,
on the sidelines of state of-the-art knowledge, these books, once
reorganized in this library of linguistic, technical and historical
puzzles, still make sense. Prévieux freezes the knowledge in a
circular temporality in which the viewer is entailed. This inertia
allows the viewer to take time to meditate on the meaning of
these obsolete knowledge and to question the relevance of its
own expertise. Accompanying the bookcase on the surrounding
walls, strange diagrams devised by means of a data mining
tool, transform the contents of these books into a set of crazy
oracles. Like a cartographic exercise, they trace the outlines of a
completely uchronic parallel future, not without wit.
Petite anthologie de la triche
[Short Anthology of Cheating]
Matériaux divers, son, éclairage programmé, L: 570 cm, h: 150 cm, 2015
Various materials, sound, programmed lighting, L: 570 cm, h: 150 cm, 2015
Cette installation met en scène un véritable « musée de
la triche » dans le domaine du sport. Elle présente une
collection d’accessoires de sport destinés à contourner ou
devancer les règlements établis, et prend la forme d’un
gradin théâtral sur lequel sont exposés ces objets insolites.
Ces objets sont successivement mis en lumière, tandis
qu’une voix-off égrène leurs histoires. Au jeu se mêlent
des inventions techniques et des histoires individuelles
qui sont autant d’occasions pour l’artiste de présenter une
histoire parallèle du sport et de ses artefacts : des balles de
golf Polara, une raquette de tennis à double cordage, une
batte de baseball au cœur en liège, des baskets à ressorts
ou une combinaison de natation high-tech composent une
anthologie d’objets atypiques interdits en compétition.
Julien Prévieux has turned himself into a collector of strange tools
to be used for avoiding or getting ahead of the established rules.
The objects are presented on white wooden bleachers and they
are lit up one after another, while a background voice explains
their history. This intentionally theatrical installation is the scene
of a veritable “museum of cheating” in sport. These technical
inventions presents a parallel history of sport and its artefacts –
Polara golf balls, a double-strung tennis racket, a baseball bat
with a cork core, spring heeled basketball shoes, and a high-tech
swimming costume; an anthology of unusual objects that are
banned in competitions.
Forget the Money
Bibliothèque personnelle de Bernard Madoff, dimensions variables, 2011
Bernard Madoff’s personal library, variable dimensions, 2011
Forget the Money est une installation réalisée à partir
de la bibliothèque située dans l’appartement newyorkais de Bernard Madoff, célèbre homme d’affaire
américain, responsable de l’escroquerie du siècle,
estimée à 65 milliards de dollars US et révélée suite à
la crise financière de 2008. Il présente une centaine de
livres, principalement des thrillers et des best‑sellers,
ayant appartenu à Madoff et rachetés lors des ventes
aux enchères après la saisie de ses biens par le FBI. Ces
ouvrages aux titres prémonitoires (End in tears, No second
chance, The world is made of glass, The investigation,
White shark, K is for killer,…) semblent fonctionner
comme des reliques, empruntes d’un fétichisme ambigu,
reposant bien évidemment moins sur leur qualité que sur
le destin de leur propriétaire. Il y a dans ces livres un petit
bout d’histoire érigé en monument absurde, qui aborde le
scandale par ses à-côtés, ses détails mineurs dans lesquels
on ne peut s’empêcher d’essayer de décrypter les signes
annonciateurs du drame.
Forget the Money, an installation made on the basis of the
bookshelves in the New York apartment of the (in)famous
American businessman Bernard Madoff, responsible for the
swindle of the century, estimated at $65 billion, which came to
light in the wake of the financial crisis in 2008. Prévieux presents
us with a hundred or so books, mainly thrillers and bestsellers,
which once belonged to Madoff, and were bought during an
auction after his belongings were seized by the FBI. These books
with their premonitory titles (End in Tears, No Second Chance, The
World is Made of Glass, The Investigation, White Shark, K is for
Killer,…) seem to work like relics, borrowings from an ambiguous
fetishism, based, obviously enough, less on their quality than on
the fate of their owner. These books are a little snippet of history
erected as an absurd monument, which broaches the scandal
from the wings, its lesser details which you cannot help trying to
decipher harbingers of the drama.
Lettres de non-motivation
[Non-motivation Letters]
Petites annonces, lettres, réponses, 65 x 21 cm chaque ensemble, 2000-2007
Job offers, letters and replies, 65 x 21 cm each set, 2000-2007
Avec cette entreprise menée sans relâche durant
plusieurs années, Julien Prévieux répond par la négative
à des offres d’emploi récoltées dans la presse. L’absence
de motivation, quotidiennement réaffirmée, devient
dès lors un travail à temps plein. Chaque missive est
prétexte à un exercice de style différent qui stigmatise
l’absurdité inhérente à ce type de rituel. De Bartleby
au retraité, du paranoïaque au « surbooké », l’auteur
endosse une multitude de rôles pour multiplier, avec
véhémence, les arguments de son refus. Les réponses des
entreprises, automatiques ou personnalisées, alimentent
un dialogue de sourds, un délire verbal à travers lequel
c’est l’ensemble du système d’embauche qui se trouve
pris en défaut.
Tirelessly pursued for several years, this project shows Julien
Prévieux saying no to job offers found in the newspapers. Restated
day after day, his absence of motivation becomes a full-time
job, with each letter an excuse for a different stylistic exercise
attacking the inherent absurdity of this kind of ritual. Bartleby, a
pensioner, a paranoiac, a workaholic: the artist / author assumes
a host of roles allowing for endlessly vehement reasons for turning
down the job in question. The replies sent back by the companies
- sometimes automatic, sometimes personal - fuel a dialogue of
the deaf, a verbal delirium in which the entire recruitment system
is revealed as defective.
You are 26. And you are keen to... SUCCEED...
After obtaining a six- or nine-month Qualification Contract (paid at 65% of the minimum guaranteed
wage in all cases) at one of our training centres, we can offer you a job in the greater region of your
choice.
CHOOSE YOUR PROFESSION, WE’LL PROVIDE YOUR TRAINING
You are at least 26, with BAC to BAC+2, so will quickly find a post
IN CHARGE OF DIY INSTRUCTION
IN CHARGE OF THE FOOD SECTOR (FUTURE DIRECTORS)
IN CHARGE OF CHECKOUT/PRODUCT DATASHEETS
AS ACCOUNTS MANAGER
To apply, please send us your candidate’s dossier (CV + letter of motivation + photo) to
EFFCAD - 50 avenue Georges Boillot - 91310 Linas
Tel: 01 69 80 33 07
e-mail: [email protected]
Julien Prévieux
11 avenue Gambetta
75020 Paris
EFFCAD
Les Mousquetaires
Train to Win
50, avenue Georges Boillot
91310 Linas
Re: Job application
14 March 2004
Dear Sir, Madam
I am writing to you in response to your advertisement in “Le marché du travail” [The Job Market].
I am under the impression that you have made a mistake in the wording of your job offer:
“And you are keen to...succeed”, you will be paid 65% of the minimum guaranteed wage for a
six- or nine-month period. I fail to see the cause-and-effect connection between an apparently
enthusiastic desire to succeed and such low pay. A typing error must have ill-advisedly crept into
your advertisement, unless such a tiny salary per se prompts a desire to succeed which entails
immediately quitting the job. In this instance, it would seem that the potential candidate would prefer
to elect to go and see your competitors prior to making further contact with your company. This is
a glaring paradox, which I shall let you attempt to unravel. For my part, I shall turn down your offer,
and ask you in future to avoid this kind of gaffe.
I look forward to hearing from you, and remain,
Yours faithfully
Julien Prévieux
Les Mousquetaires
Train to Win
Julien Prévieux
11 avenue Gambetta
75020 Paris
Montlhéry, 19 March 2004
Dear Sir
Thank you for having so attentively read our job offer which appeared in “Le marché du travail”.
I have a feeling that you have failed to comprehend our advertisement’s goal and target public.
Our advertisement does not in fact encourage persons currently in work to resign; rather, it targets
young people who are today seeking a job with little or no experience. These young jobseekers will
be able to gain access to a profession with a permanent employment contract [CDI = contrat à durée
indéterminée], by way of a short-term qualification contract for six to nine months (instead of 1-2
years).
One thing is certain: these potential candidates are free to check the situation with our competitors;
they will not obtain a higher salary, 65% of the minimum guaranteed wage being a rate of pay set
down by the state at the time when a qualification contract is drawn up.
The advantage of coming to us is that successful applicants will be paid 65% for a maximum of nine
months, whereas elsewhere the period will be for a minimum of one year.
I have duly noted that you will not be taking up this job offer, and regret to have to inform you that
you will be reading this same type of advertisement in the future.
In the hope that these explanations answer your question, I remain,
Yours faithfully,
Sandrine Lince
Deputy Director
EFFCAD
50 avenue Georges Boillot - 91310 Linas
Tel: 01 69 80 32 97 - Fax: 01 69 80 32 96
Siret: 379 400 773 000 30 - Code APE 804 C
Anomalies construites
[Constructed Anomalies]
Vidéo HD, son, 7’41’’, 2011
HD video, sound, English subtitles, 7’41’’, 2011
http://www.previeux.net/html/videos/AnomaliesFr.html
La vidéo Anomalies construites est constituée d’une série
de lents travellings sur les écrans d’une salle d’ordinateur. En voix-off, deux utilisateurs du logiciel gratuit de
modélisation Google SketchUp, qui permet notamment
de réaliser des monuments en 3D dans Google Earth,
témoignent l’un d’une approche de passionné tirant
satisfaction de la reconnaissance de son talent par le
géant de l’informatique, l’autre, plus critique, décelant
une forme de travail déguisé : « Je crois que cette fois
on s’est vraiment bien fait avoir. Tout était tellement
bien foutu, c’est ça, tellement bien foutu, qu’on ne
savait même plus qu’on travaillait quand on travaillait. »
Ce film est un essai décrivant un état du monde du travail contemporain permis par les technologies actuelles
et dans lequel les grands groupes informatiques se
branchent en dérivation sur des hobbys a priori anodins.
The video Anomalies construites [Constructed Anomaly] consists
of a séries of slow tracking shots on the screens of a computer room. In voice-over, one of the two people using Google
SketchUp free modelling software, which, in particular, helps to
make 3D monuments in Google Earth, illustrates an enthusiast’s
approach deriving satisfaction from the recognition of his talent by
the computer giant, while the other, more critical, reveals a form
of disguised work: “I think this time we really have been conned.
Everything was so clever, that was it, so clever, that we didn’t
even know we were working anymore.”
This film is an essay describing a contemporary state of the labor
system fueled by current technologies in which major IT groups
take over banal innocent hobbies.
Le lotissement
[The Housing Estate]
Version impression 3D : Polyamide blanc, environ 20 x 25 x 15 cm chaque maquette, projet en cours depuis 2010
3D printed version: White polyamide, each model approximately 20 x 25 x 15 cm, ongoing project since 2010
Version en bois: médium, acrylique environ 250 x 200 x 150 cm chaque construction, projet en cours depuis 2008
Wood version: MDF, acrylic, approximately 98,4 x 78,7 x 59 inches, ongoing project since 2008
Le lotissement propose une modélisation d’espaces en
creux que furent laboratoire, bureau, atelier de personages
aussi illustres que Gustav Mahler, Ludwig Wittgenstein,
Alexander Graham Bell ou Virginia Woolf. Si la
cohabitation de plusieurs architectures engendre ce qu’il
convient de dénommer l’aménagement du territoire, la
dimension des « cabanes » de Julien Prévieux entretient
une ambiguïté entre mobilier et immobilier, entre sphère
privée et façade publique, entre l’intériorité du retrait et
l’extériorité de l’extrait. Il ne s’agit pas tant d’architectures
remarquables, d’habitations principales mais plutôt de
lieux annexes, là où habiter n’est pas la préoccupation,
là où il est possible d’échapper à la cohabitation. Ce sont
les lieux du retrait où la pensée se met en acte, desquels
est livrée l’enveloppe, l’image d’une pensée mise en
musique, en texte ou en objet. Le lotissement serait
l’interface entre le retrait et l’extrait. Rassembler ces
architectures serait penser un aménagement du territoire
de la pensée, autrement dit penser une politique publique
de l’engagement personnel.
The Housing Estate offers a modelling of spaces that served as
laboratory, office or workshop for such celebrated figures as
Gustav Mahler, Ludwig Wittgenstein, Alexander Graham Bell and
Virginia Woolf. If the coexistence of different kinds of buildings
is the basis of what we agree to call territorial planning, the size
of Julien Prévieux’s “cabins” maintains an ambiguity between
furniture and real estate, private sphere and public facade, the
inwardness of withdrawal and the outwardness of extrication.
These are not so much outstanding buildings or main homes
as annexes, places for which residing is not the concern,
places where one can escape from coexistence. These are the
withdrawal places in which thought becomes deed, from which
is delivered the envelope, the image of a thought transformed
into music, text or object. The Housing Estate can be seen as the
interface between withdrawal and extrication. Bringing these
buildings together can be seen as thinking out the territorial
planning of thought; in other words, of thinking out a public
policy of personal commitment.
Version impression 3D avec les constructions de Georges Bernard Shaw, Charles Dickens, Steve Jobs, Henry David Thoreau
3D printed version with “cabins” of Georges Bernard Shaw, Charles Dickens, Steve Jobs, Henry David Thoreau
Premier plan : Le lotissement (Alexander Graham Bell), 2008
Arrière-plan : Le lotissement (Virginia Woolf), 2008
Foreground: The Housing Estate (Alexander Graham Bell), 2008
Background: he Housing Estate (Virginia Woolf), 2008
Premier plan : Le lotissement (Gustav Mahler), 2008
Arrière-plan : Le lotissement (Ludwig Wittgenstein), 2008
Foreground: The Housing Estate (Gustav Mahler), 2008
Background: The Housing Estate (Ludwig Wittgenstein), 2008
Have a Rest
Sycomore, hêtre, cuir, médium, 350 x 300 x 180 cm, 2007
Sycamore, beech tree, leather, MDF, 137.8 x 118.1 x 70.9 inches, 2007
Cette sculpture est une réplique du premier superordinateur imaginé par Seymour Cray en 1977 pour la NSA
(National Security Agency - l’agence de sécurité nationale
américaine responsable de la collecte et de l’analyse des
communications). À l’époque, sa phénoménale capacité
de traitement des informations de même que son design
coloré et ergonomique en font un symbole d’utopie
scientifique et l’instrument clé d’une volonté de contrôle.
L’artiste s’attaque à ce monstre technologique pour en
offrir une version artisanale, décolorée et vidée de son
contenu. Cette machine fantôme apparaît à la fois comme
une ruine, un totem, et un simple meuble sur lequel les
visiteurs peuvent venir se reposer.
This sculpture is a copy of the first supercomputer designed by
Seymour Cray in 1977 for the NSA, (National Security Agency)
America’s national agency for the collection and analysis of
transmitted information. At the time its phenomenal information
processing capacity, together with its brightly coloured, userfriendly design, made it a symbol of the scientific utopia and
the key tool of the will to control. The artist’s version of this
technological monster comes in homemade form, discoloured and
emptied of its content. This ghost-machine looks simultaneously
like a ruin, a totem and a simple piece of furniture on which
visitors can have a rest.
MENACE 2
Chêne, contreplaqué, métal, toile et billes en terre, 200 x 180 x 70 cm, 2010
Oak, plywood, metal, canvas and clay marbles, 78,7 x 70,9 x 27,5 inches, 2010
Les algorithmes sont parmi nous. Mais où ? Cette œuvre
permet de leur mettre la main dessus – littéralement.
Menace 2 (Machine Educable Noughts and Crosses
Engine) est un meuble qui apprend à jouer au morpion.
Il s’agit d’une réplique pérenne de l’une des premières
machines capable d’apprendre. Elle a été créée en
1961 par Donald Michie à l’aide de boîtes d’allumettes
pour implémenter un algorithme d’apprentissage
par renforcement. L’apprentissage par renforcement
consiste à « apprendre » les meilleurs choix possibles
dans une situation donnée à partir d’essais et d’erreurs.
Les meilleures décisions voient leurs probabilités
d’apparition augmenter tandis que les plus mauvaises
ont progressivement moins de chance d’apparaître. Cet
algorithme est à l’œuvre de manière invisible dans nos
machines actuelles mais ce dispositif à tiroirs permet
d’en saisir les principes en l’exécutant « physiquement ».
The algorithms are among us. But where? This sculpture enables
us to get our hands on them - literally. Menace 2 (Machine
Educable Noughts and Crosses Engine) is a piece of furniture
that learns how to play Tic-Tac-Toe. It is a durable replica of
one of the first machines able to learn. It was created in 1961
by Donald Michie using matchboxes to implement an algorithm
known as reinforcement learning. Reinforcement learning is a
way to remember the best possible choice in a situation based
on trials and errors. The probabilities of the best decisions are
increased while the worst are progressively less likely to appear.
This algorithm is at work invisibly in our current computers and
smartphones but this device with 304 drawers allows us to
understand its principles in executing it ‘physically’.
Post-Post-Production
Vidéo SD, son, 120’, 2004
SD video, sound, 120’, 2004
http://previeux.net/html/videos/PostPostProd.html
Parce que Le monde ne suffit pas, Julien Prévieux retruque
intégralement l’épisode éponyme de la série des « James
Bond » : chaque plan est agrémenté d’effets spéciaux
supplémentaires comprenant explosions, incendies,
déferlantes d’eau ou avalanches… Ainsi augmenté, le
film est ramené à une surface – un écran de fumée d’où
émergent ici et là quelques bribes d’action. L’accumulation
d’effets visuels crée un nouveau rythme qui se substitue
à celui de la narration. Adoptant une posture faussement
mimétique, l’artiste prolonge la chaîne de production et
propose spontanément des « améliorations ». Répondant
à une logique de surproduction économique plus qu’à
une tentation de remake, il surenchérit ad nauseam sur la
débauche d’effets propres à l’industrie hollywoodienne
pour l’amener à son point d’implosion.
Because The World is Not Enough, Julien Prévieux reworks in its
entirety the James Bond film of the same name, supplementing
each shot with additional special effects that include explosions,
fires, giant waves and avalanches. Boosted in this way, the film
becomes a kind of surface, a smokescreen from which emerge
random scraps of action. The accumulation of visual effects
creates a new rhythm which supplants that of the narrative as the
artist, pretending to imitate the original, expands the production
process with spontaneously suggested “improvements”. Reacting
more to a rationale of economic overproduction than to the
temptation of a remake, he heaps on the Hollywood effects ad
nauseam until the method reaches its point of implosion.
Roulades
[Rolls]
Vidéo SD, 5’40’’, 1998
SD video, 5’40’’, 1998
http://previeux.net/html/videos/Roulades.html
Un individu sort de son lit, tombe dans les escaliers, roule
toute la journée dans divers lieux publics avant de rentrer
chez lui, le soir, par le même moyen. Si cette journée
« ordinaire » est indéfiniment répétée, la traversée de
la ville (rues, parking, centre commercial...) se fait, elle
aussi, dans un mouvement continu. La mise en boucle et
la bande-son répétitive viennent renforcer le geste simple
et radical, conférant à l’ensemble une dimension hypnotique. La performance physique, difficile mais surmontée,
répond moins à une interrogation sur les limites du corps
qu’à la nécessité d’inventer de nouveaux comportements
et de les inscrire dans une réalité quotidienne.
A person gets out of bed, falls down the stairs, rolls around all day
long in various public places, before returning home, in the evening, the same way. If this “ordinary” day is endlessly repeated,
the route across the city (streets, carparks, shopping centre...) is
enacted, likewise, in a continuous movement. The loop and the
repetitive soundtrack bolster the simple, radical gesture, lending
the whole a hypnotic dimension. The physical performance, which
is difficult but overcome, responds less to a question about the
limits of the body than to the need to invent new patterns of
behaviour and include them in an everyday reality.
Julien Prévieux ou la reconnaissance des formes
par Elie During
Depuis la vidéo Roulades (1998) jusqu’aux projets plus récents liés à l’élaboration d’une vaste
« archive des gestes à venir », le travail de Julien Prévieux trouve sa matière première dans ce qu’on
pourrait appeler les formes comportementales réglées du quotidien. Ses interventions dans le champ
des pratiques sociales – du monde de l’entreprise à l’espace urbain en passant par les technologies
de l’information, les sciences cognitives ou les industries culturelles – portent sur des attitudes et
des gestes normalisés (ceux que prescrivent les interfaces utilisateurs, par exemple, et qui peuvent
faire l’objet d’un brevet), sur des opérations obéissant à des codes, des règlements ou des protocoles,
mais aussi sur des instruments d’analyse des phénomènes humains (les statistiques) ou encore sur
des modes d’organisation du savoir (la bibliothèque). Traversant une multiplicité de médias et de
pratiques (dessin, peinture, vidéo, performance, écriture…), l’artiste emprunte volontiers les voies
du contre-emploi – en entendant par ce terme une mise en œuvre combinée du contournement (de la
règle) et du mésusage (des instruments).
Les Lettres de non-motivation envoyées en réponse à des offres d’emploi, et qui ont fourni la matière
d’un livre et de plusieurs expositions, illustrent bien le caractère à la fois facétieux et systématique
de cette démarche qui s’apparente à première vue à une version ludique de la critique sociale. Mais
la catégorie du jeu est encore trop large pour cerner une forme d’activisme qui ne se réduit pas
à d’ironiques pieds-de-nez aux idéologies dominantes. S’infiltrer dans un dispositif, le retourner
contre lui-même et affoler sa logique : rien de tel pour vider un discours de sa substance ou révéler
l’envers déshumanisé des appareils de contrôle social. S’il est question de se fabriquer des armes,
encore faut-il s’approprier tout cela, l’emporter ailleurs avec soi.
Ainsi l’application aveugle d’un procédé algorithmique de décryptage à des classiques de l’économie politique, de même que l’utilisation d’un logiciel d’aide à la décision pour des synopsis
de films catastrophe hollywoodiens, finissent par brouiller le message (À la recherche du miracle
économique, 2006-2007, La somme de toutes les peurs, 2007), mais l’essentiel se joue ailleurs.
L’artiste atteint son but lorsque le dérèglement du régime sémiotique ordinaire finit par engendrer
des formes et des textures nouvelles, susceptibles de suggérer des usages inouïs. Diagrammatisé sur
l’espace de la page, réduit à un vaste rébus, le texte fait image, le discours devient tableau : on peut
littéralement accrocher Marx au mur, et le faire résonner avec la reproduction en grand format, à
la peinture acrylique, de couvertures de manuels d’économie des années 1960. De même, lorsque
Julien Prévieux organise en 2011 un atelier de dessin avec des policiers de la BAC formés à une
technique d’analyse utilisant les « diagrammes de Voronoï », il ne s’agit pas seulement de détourner
un procédé ou de susciter chez les agents de l’ordre des vocations incongrues, mais de déployer véritablement et de rendre sensible un nouvel espace où se raccordent et communiquent des pratiques et
des imaginaires sociaux qu’on pouvait croire déconnectés.
En généralisant cet exemple, on comprend que travailler en artiste sur des formes comportementales
signifie avant tout révéler le comportement – aussi normé soit-il – comme une production continuée
de formes et de formats. En intensifiant les lignes d’invention qui traversent sourdement le champ
social, Julien Prévieux donne une visibilité à des formes en latence qui sont aussi des modes d’existence possibles. C’est le nerf du projet développé dans le sillage de What Shall We Do Next ? (20062011) avec des acteurs et des danseurs professionnels : les gestes du futur sont déjà virtuellement
disponibles, même si leurs usages et les contextes de leur mise en œuvre restent à inventer. L’artiste
est un logiciel vivant de reconnaissance des formes.
Julien Prévieux or the recognition of forms
by Elie During
Since the video Roulades (1998) up to the more recent projects dealing with the elaboration of a vast “archive of
gestures to come”, Julien Prévieux’s work finds its raw material in what we might call the forms of normalized
behaviour. His interventions in the field of social practices – from the world of business to urban space via the
technologies of information, the cognitive sciences or the cultural industries – are about standardized attitudes
and gestures (those conceived for user interfaces, for instance, and which might be patented), about operations
conforming to codes, rules or protocols, but also about instruments analysing human phenomena (statistics) or
even about modes of organizing knowledge (the library). Traversing a multiplicity of media and practices (drawing,
painting, video, performance, writing…), the artist deliberately takes the path of “wilful misuse” - this term being
understood as implementation combined with circumvention (of the rule) and misuse (of the instruments).
The Lettres de non-motivation sent in response to offers of employment – which have provided the material for
a book and several exhibitions – well illustrate both the mischievous and systematic character of this approach,
similar at first view to a playful version of social criticism. But the category of “play” is still too wide to capture
the meaning of a form of activism that cannot be reduced to ironic nose-thumbing at the dominant ideologies.
Infiltrating a device, turning it against itself and throwing its logic into panic: there is nothing like it for emptying a
discourse of its substance or revealing the dehumanized reverse side of the apparatuses of social control. But when
it comes to making weapons, it is even better to appropriate these forms and take them elsewhere.
Thus, the blind application of an algorithmic process of deciphering the classics of political economy, as well as
the use of an advisory software program for the synopses of Hollywood disaster movies, end up scrambling the
message (À la recherche du miracle économique, 2006-2007, La somme de toutes les peurs, 2007), but the best is
still to come. The artist reaches his goal when the malfunctioning of the ordinary semiotic system ends up spawning
new forms and textures, likely to suggest unfamiliar uses. In the form of a diagram on the space of the page,
downsized to a vast rebus, text becomes image, discourse is turned into painting. We can literally hang Marx on the
wall, and make it resonate with the large format reproduction in acrylic paint of the cover of economy manuals from
the 1960s. In the same way, in 2011 when Julien Prévieux organized a drawing workshop with policemen from the
French Anti-Crime Squad trained with a data mining technique using “Voronoi diagrams”, it wasn’t just a question
of distorting a procedure or encouraging officers of the law to take up incongruous vocations, but of truly unfolding
a new and sensitive space where the social imaginings and practices we might believe to be disconnected can
cross-connect and communicate.
By generalizing this example, we understand that working as an artist on behavioural forms means above all
revealing the behaviour – as normalized as it might be – as a continuous production of forms and formats. By
intensifying the lines of invention which discretely traverse the social field, Julien Prévieux gives visibility to latent
forms which are also possible modes of existence. This is what is at stake in the project developed in the wake of
What Shall We Do Next? (2006-2011) with professional actors and dancers: the gestures of the future are already
virtually available, even if their uses and the contexts of their implementation are yet to be invented. The artist is a
living software program for the recognition of forms.
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View of “Julien Prévieux,” 2015–16. Photo: Hervé Véronèse.
Julien Prévieux, winner of the 2014 Marcel Duchamp prize, here discusses his current solo exhibition at
Espace 315 at the Centre Pompidou in the context of the recent terrorist attacks in Paris. Focusing on a
particular body of work included in the show, “Atelier de dessin ­ B.A.C. du 14e arrondissement de Paris”
(Drawing Workshop: Anti­crime Police Officers from Paris’s Fourteenth Arrondissement), 2011–, a
collaboration with Parisian police officers, Prévieux addresses the unintended political implications of this
series. The exhibition is on view through February 1, 2016.
AMONG MY WORKS currently on view at the Pompidou is a series of drawings by Parisian police officers,
an ongoing project I began in 2011. These pieces are the result of a workshop I set up with four officers in the
anti­crime division of the police precinct in Paris’s fourteenth arrondissement. I gave these officers an
assignment: to draw, by hand, Voronoi diagrams and heat maps, which are typically generated very rapidly
using cartographic computer software. The diagrams and maps are important police tools—they detect crime
patterns and indicate where forces should be deployed. But they also measure the officers’ own activity in the
field, which creates an atmosphere of competition and intense pressure.
By collaborating with people who use these diagrams and maps vocationally, I wanted explore the efficacy of
these tools and find new meaning in the resulting images. I went to police officers’ homes in Paris to work
with them on the Voronoi drawings, which are quite complicated to plot and construct by hand. For the heat
maps, the police officers learned to paint with an airbrush at my studio. Aesthetically, the results are quite
beautiful: Voronoi diagrams look like geometric, irregular spiderwebs, and the heat maps are colorful
biomorphic shapes. Over the course of many sessions, the officers learned new drawing techniques and new
ways of looking.
To be valuable crime­fighting tools, Voronoi diagrams and heat maps must be generated very quickly. The
hand­drawn versions, therefore, are technically useless because they take so long to create. Crimes used to
be discrete dots scattered across a map, but thanks to algorithms the police can more easily spot patterns
and trends. By contrast, the drawings, which no longer function as effective tools, are like ghosts: They offer
a disturbing detachment between form and function.
I also did this exercise with police officers in Houston last month. That was a very different experience; the
climate was quite hostile toward the police. There had recently been numerous unwarranted shootings and
arrests throughout the US. In that environment, I got the feeling some people interpreted my workshop and
the resulting drawings as some kind of propolice political statement.
After the recent terrorist attacks in Paris, the drawings take on yet another unexpected dimension; they raise
the issue of whether these visualization and data­mining tools are efficient and effective. As the French
government has declared a state of emergency for three months, we have new laws and less freedom:
Demonstrations are forbidden and the police are everywhere, even in my drawings! What began as a
commentary on how technology changes police work and public services now appears as a portrait of a city
caught between its fear of terrorism and its loss of freedom: Paris under siege.
— Translated from French and as told to Mara Hoberman
PERMALINK
Nari Ward
11.30.15
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Libération, 28 février 2011
Libération, February 28th, 2011
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