Le Livre de Poche a le plaisir de vous proposer le premier chapitre de

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Le Livre de Poche a le plaisir de vous proposer le premier chapitre de
LYNDA LA PLANTE
Le Dahlia rouge
TRADUIT DE L’ANGLAIS PAR NATHALIE MÈGE
ÉDITIONS DU MASQUE
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JOUR UN
C’était par l’une de ces aubes claires et toniques
où les habitants de Richmond, Surrey, se félicitent de
vivre loin des embouteillages de Londres. La Tamise
rutilait sous le soleil du petit matin. À six heures ou
presque, le calme régnait dans la rue principale. Pressé
d’atteindre sa descente pour se laisser filer en roue
libre jusqu’au bas de la butte, Danny Fowler dépassa
le Richmond Hotel d’un coup de pédale.
Plus que trois journaux à livrer. L’adolescent zigzagua dans la rue avec son adresse habituelle puis il
grimpa sur le trottoir, s’arrêtant le temps de plier un
exemplaire du Times et du Daily Mail. Après quoi,
une fois son vélo calé contre le mur, il se précipita
vers les maisons donnant sur le fleuve. Un Daily Telegraph et sa tournée quotidienne serait terminée. Il
avait hâte de rentrer prendre son petit déjeuner. Alors
qu’il regagnait sa bicyclette, une forme blanche attira
son attention. Il balança sa jambe par-dessus la barre
du vélo et courut de l’autre côté de la route pour scruter le bas de la berge.
Ça ressemblait à un mannequin ou à une poupée
gonflable. Une femme aux jambes écartées et aux bras
relevés au-dessus de la tête comme pour rameuter du
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monde. Quelque chose clochait dans sa position, mais
d’où il se trouvait, Danny n’arrivait pas bien à la distinguer. Il dévala le sentier étroit menant jusqu’au
fleuve pour mieux se rendre compte.
Ce qu’il découvrit alors allait le marquer jusqu’à la
fin de ses jours. Il décampa avec un hurlement, abandonnant son vélo où il était tombé. Le cadavre dénudé
avait été sectionné en deux à hauteur de la taille. Les
cheveux roux foncé s’étalaient derrière la tête. La peau
était si livide que le corps paraissait totalement vidé
de son sang. Sur le visage gonflé, les commissures
fendues des lèvres formaient comme une grimace. Un
sourire de clown.
Ralliant l’équipe de la Criminelle qui avait réquisitionné le parking du Richmond Hotel, l’inspecteur
Anna Travis se hâta de rejoindre son supérieur, Glen
Morgan. L’inspecteur principal était campé, un gobelet à la main, près de la cantine mobile qu’on surnommait la « Théière roulante ».
— Avalez quelque chose de chaud, on va sous la
tente. Et préparez-vous à avoir un choc, le spectacle
n’est pas beau à voir.
Anna commanda un café tandis que le restant de ses
collègues se rassemblait autour de Morgan.
— C’est un livreur de journaux qui est tombé dessus ce matin, expliqua ce dernier. Il est venu nous
trouver en compagnie de sa mère. Il a signé une déposition. Je l’ai laissé repartir, il était très secoué. Il n’a
que quatorze ans.
Il tourna la tête vers le fond du parking, où se garait
un deuxième fourgon blanc de techniciens de l’équipe
forensique, puis il considéra ses subordonnés.
— Je n’ai jamais rien vu de pareil, ajouta-t-il,
impassible.
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— C’est encore frais ? demanda un de ses hommes.
Morgan secoua la tête.
— Difficile à dire. Deux ou trois jours, à mon avis,
mais pure estimation. Les gars du labo nous préciseront ça.
Morgan était un bel homme aux cheveux bruns ras
et à la peau tannée par le soleil. Mordu de golf, il
passait la plupart de ses week-ends sur le parcours
local. Il froissa son gobelet de thé vide, qu’il jeta dans
une poubelle.
— Allez, en piste. Et accrochez-vous.
— C’est planant ? demanda un jeune enquêteur.
— Il n’y a pas d’odeur, mais le spectacle va vous
retourner l’estomac.
Ils gagnèrent la berge en descendant le sentier
emprunté plus tôt par Danny. Les techniciens vêtus
de combinaisons en papier avaient déjà dressé leur tente
blanche, ils arpentaient les alentours. Au-dehors, une
grande caisse de tenues supplémentaires, dont des
masques, des surchaussures et des gants en caoutchouc.
L’un des experts, Bill Smart, sortit de la tente et
contempla Morgan en secouant la tête.
— Je n’y crois pas, lança-t-il tout en ôtant ses
gants. Je n’avalerai rien au petit déjeuner ce matin et
je vous assure que c’est une première. Elle a été tuée
ailleurs, puis votre client l’a amenée ici pour effectuer cette mise en scène morbide qui nous a tous suffoqués... À première vue, on n’a guère d’éléments
matériels, je dirais. On en trouvera peut-être d’autres
au labo sur le corps.
Tandis que les enquêteurs de la Criminelle enfilaient leurs combis, Smart ôta la sienne, qu’il roula en
boule avant de la jeter dans la corbeille prévue à cet
effet. Au moment de se pencher pour ôter ses surchaussures, il dut s’arrêter pour respirer profondément.
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En trente ans de missions de ce genre, il n’était jamais
tombé sur quelque chose d’aussi monstrueux. Le sourire béant hideux du cadavre l’avait secoué. Le scénario allait se reproduire avec tous les policiers.
Tout en emboîtant le pas à Morgan qui entrait sous
la tente, Anna ajusta son masque. C’était là sa quatrième enquête criminelle. Elle avait fait beaucoup de
chemin depuis son malaise à la vue de son premier
macchabée. Elle n’avait jamais revu l’inspecteur
Langton avec lequel, alors simple sergent enquêteur,
elle avait travaillé sur l’affaire Alan Daniels, mais ses
exploits défrayaient souvent la chronique. Il n’avait
pas dû prêter attention à ceux d’Anna, ni à la promotion qui s’était ensuivie pour elle. Les dossiers qu’elle
s’était vu confier depuis leur collaboration étaient du
tout-venant, mais qu’elle se soit fait les dents sur un
tueur en série du calibre de Daniels avait suscité la
jalousie des autres enquêteurs débutants.
Les collègues d’Anna se tenaient derrière le ruban
délimitant le périmètre de scène de crime autour du
cadavre.
— Elle a été sectionnée en deux à hauteur de la
taille, énonça Morgan à voix basse. Les deux tronçons
se trouvent séparés d’environ trente centimètres. (Il
agita sa main gantée.) La bouche est fendue de chaque
côté. Difficile de dire à quoi cette femme ressemblait
avant qu’on lui fasse subir un tel traitement. Elle présente des lésions sur tout le corps.
Anna se rapprocha en baissant la tête vers la morte.
Du coin de l’œil, elle aperçut un bleu qui se détournait
pour se précipiter hors de la tente. Elle ne leva pas les
yeux. Elle savait exactement dans quel état était son
jeune collègue. Malgré le spectacle atroce, elle-même
demeura imperturbable.
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— On ne pourra rien tirer des vêtements, il n’y en
a pas. La priorité numéro un, c’est de l’identifier.
Morgan cilla : des éclairs de flash se déclenchaient,
on prenait le cadavre en photo sous tous les angles. Il
tourna la tête vers le médecin, un type replet affublé
d’épaisses lunettes, qui lui rendit son regard en plissant les paupières.
— Du boulot très propre, expliqua ce dernier. Celui
qui a procédé au découpage du corps connaissait son
affaire. Elle a été drainée de ses liquides corporels, ce
qui explique la lividité. La mort remonte à quarantehuit ou soixante-douze heures, je dirais.
Le médecin sortit de la tente, esquivant deux techniciens dans sa hâte. Morgan le suivit.
— Vous auriez quelques minutes supplémentaires
à m’accorder, toubib ?
— Dehors. Peux pas parler là-dedans.
Morgan et lui mirent une distance supplémentaire
entre eux et la tente.
— Bon Dieu, quelle bête sauvage a pu lui faire ça ?
— Vous pouvez me dire quelque chose de plus ?
— Non, on m’a juste appelé pour confirmer le
décès de votre victime. Je dois retourner en salle
d’opération.
— Vous avez affirmé que ça portait la marque d’un
professionnel, insista Morgan.
— Effectivement, ça m’en donne l’impression,
mais pour plus de détails, adressez-vous à l’anapat. La
bissection est très nette et ne présente aucune indentation. En ce qui concerne la bouche, la lame était fine.
À quel point, et longue de combien, ça, par contre, je
ne saurais le dire. Le visage présente d’autres entailles,
ainsi que le cou, les épaules et les jambes.
Morgan poussa un soupir. Il aurait voulu plus de
précisions. Il pivota pour contempler le rabat de la
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tente qui s’ouvrait. Hébétés, sous le choc, les membres
de son équipe émergèrent un par un au-dehors. Ils ôtèrent leurs combinaisons et leurs surchaussures. Anna
fut la dernière à sortir. Le temps qu’elle jette sa tenue,
ses collègues repartaient déjà vers le parking. Elle leva
la tête pour découvrir, en haut de la berge, un groupe
de curieux rassemblés sur la route. Le champ de vision
était ample et dégagé : à l’évidence, l’assassin voulait
qu’on découvre rapidement le cadavre. Peut-être les
observait-il en ce moment même... Cette pensée lui
glaça l’échine.
Le poste de police de Richmond n’étant qu’à dix
minutes en voiture de la scène de crime, on y avait
installé la salle des enquêteurs. L’équipe de la Criminelle s’y retrouva à onze heures et demie. On accrocha
un grand tableau blanc, tandis qu’arrivaient bureaux,
dessertes et ordinateurs afin que tous puissent se
mettre au travail. Alors qu’ils prenaient place, Morgan
vint se camper devant eux.
— Bien, commençons. (Il eut un renvoi, s’excusa
et déballa un comprimé contre l’acidité gastrique.)
Nous devons découvrir qui est la victime. Des photos
arriveront bientôt, mais en attendant l’identification et
les résultats du labo, on n’a pas grand-chose à se
mettre sous la dent. Selon le médecin, le découpage
du corps semble l’œuvre d’un professionnel. Il se
pourrait que notre suspect dispose d’une expérience en
matière médicale ou chirurgicale.
Anna leva la main.
— Étant donné la façon dont le cadavre était
exposé, visible depuis la route et donc destiné à ce
qu’on le découvre rapidement, croyez-vous que l’assassin soit du coin ?
— Possible, affirma Morgan tout en croquant son
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comprimé. (Il regarda dans le vague, comme pour y
discerner ce qu’il devait dire ensuite, puis il haussa les
épaules.) Commençons avec les disparitions signalées
dans le secteur.
À treize heures quinze, on glissait la victime dans
une housse mortuaire pour l’évacuer du site. Une
équipe de policiers en tenue avait déjà été affectée à
la recherche d’empreintes sur le périmètre voisin. La
météo ensoleillée et les gelées matinales avaient rendu
le sol compact. Les empreintes s’étaient révélées rares
et espacées.
Morgan avait également lancé une enquête au porteà-porte auprès des propriétés riveraines du fleuve. Le
meurtre avait été planifié avec soin, mais peut-être la
chance leur sourirait-elle en la personne d’un témoin
ayant remarqué au cours de la soirée ou de la nuit une
voiture sur les lieux, voire dans les environs.
En salle des enquêteurs, on épingla les clichés de la
victime au mur dans un silence gêné. Jusque-là, de
telles photos demeuraient dans les dossiers : un têteà-tête constant avec la mort pouvait se révéler trop
lourd au plan émotionnel pour les policiers chargés des
investigations. Sans compter le risque qu’un proche ou
qu’un quidam convoqué pour interrogatoire les voie.
Mais cette fois, Morgan avait tenu à ce que ces tirages
soient exposés. Chacun de ses hommes devait intégrer
la gravité de l’affaire. Ce meurtre allait déclencher
l’hystérie dans les médias. Tant que l’assassin courait
toujours, nul n’aurait plus le droit à ses week-ends.
À dix-huit heures ce soir-là, leur victime demeurait
encore anonyme.
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JOUR DEUX
Ayant fait chou blanc avec les listes de personnes
disparues du secteur de Richmond, on élargit le filet.
Aucun des riverains de la Tamise n’avait repéré quoi
que ce soit de louche, pas même un véhicule garé.
L’endroit péchait par son manque d’éclairage. L’assassin avait dû arriver et repartir de nuit sans qu’on le
voie. Néanmoins, on était parvenu à une certitude : à
deux heures du matin, un habitant qui promenait son
chien avait longé le lieu de la découverte du cadavre
sans rien remarquer. Le coupable avait dû déposer le
corps entre deux et six heures du matin.
JOUR TROIS
Les enquêteurs se retrouvèrent sur le pied de guerre
à la morgue. Morgan avait demandé à Anna et à un
de ses collègues de se joindre à lui pour le rapport
préliminaire. La mort remontait à trois jours avant la
découverte du corps, estimait-on à présent. On n’avait
pas pu prendre la température rectale car un objet
semblait bloquer le passage, mais on aurait plus de
précisions à l’issue de l’autopsie détaillée. L’anatomopathologiste avait également confirmé les suppositions
du médecin : les incisions étaient très professionnelles,
et l’on avait vidé le sang à l’issue de la bissection.
Il y avait quatre lésions, correspondant sans doute à
l’endroit où les drains avaient été insérés. La quantité
de sang avait dû être considérable. Le légiste suggéra
que leur tueur avait sûrement dû disposer d’un lieu
adapté afin de procéder à l’« opération ».
— On constate des ecchymoses violentes sur le
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dos, les fesses, les bras et les cuisses, imputables à des
coups nombreux assenés avec un instrument contondant. Les entailles de chaque côté de la bouche pourraient bien être dues à un scalpel. Elles sont profondes,
nettes et précises.
Anna tourna la tête vers l’endroit qu’indiquait le
médecin. Les joues de la victime béaient à présent,
exposant ses dents.
— Il me faudra beaucoup plus de temps, mais je
comprends votre besoin de disposer d’un maximum
d’éléments dès maintenant. Au cours de mes années
de pratique, je n’ai jamais vu autant de lésions atroces
sur un seul corps. La zone pubienne et les muqueuses
autour de la vulve ont été entaillées à de nombreuses
reprises. On distingue des incisions en forme de croix,
parfois profondes de dix centimètres.
Pendant que le rapport détaillé se poursuivait, Anna
prit de nombreuses notes, sans céder à la moindre
émotion. Le bruit de fond des comprimés croqués par
Morgan commençait toutefois à lui taper sur les nerfs
quand le médecin ôta son masque pour se frotter les
yeux.
— Elle a dû endurer une mort terriblement lente et
des souffrances épouvantables pendant qu’on lui infligeait ces blessures. Elle présente des marques aux poignets. Ça doit provenir d’une sorte de câble, sans
doute utilisé pour la maintenir pendant ce déploiement
de cruauté. Ces liens lui ont violemment entaillé la
peau du poignet droit.
Tout en se déplaçant autour du corps, il releva son
masque, puis rabattit en arrière avec douceur les épais
cheveux auburn. La main toujours sur le crâne du
cadavre, il se figea avant d’ajouter à voix basse :
— Ce n’est pas tout.
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