Maison Hamel-Bruneau
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Maison Hamel-Bruneau
1 Le salon de la famille Bruneau. Collection Anne Bruneau. Recherche et rédaction Denyse Légaré et Paul Labrecque Conception graphique Laframboise Design Remerciements Anne Bruneau Société d’histoire de Sainte-Foy Réalisation et édition Division de la culture, du loisir et de la vie communautaire Arrondissement de Sainte-Foy-Sillery-Cap-Rouge Ville de Québec A3-016-2011 En couverture Map of Quebec and its Environs, from Actual & Original Survey (détail). John Adams, 1822. Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Centre d’archives de Québec, D-363-Québec-1822-26. Maison Hamel-Bruneau. Photo : Félix Genêt-Laframboise, 2010 Dépôt légal : 2011 Bibliothèque et Archives nationales du Québec Bibliothèque et Archives Canada ISBN 978-2-89552-066-5 2 Un cottage pittoresque Un site enchanteur...............................................................2 La terre ancestrale des Pelletier.........................................3 Anne Gasnier, baronne de Monceaux...............................4 Aux mains des Britanniques.................................................5 La famille Hamel.......................................................................6 René Stanislas-de-Koska Hamel........................................6 Michel Hamel père....................................................................7 Michel Hamel fils.......................................................................7 Des artistes dans la famille...................................................8 Un relais de campagne chez les Hamel.........................8 Le lotissement d’une terre agricole..................9 Kilgraston : un domaine, une ferme, une grève..........9 Hamelville......................................................................................9 La maison Hamel-Bruneau............................................10 Une résidence estivale d’inspiration britannique..... 10 Un cottage orné de style néoclassique.........................12 Les dépendances.....................................................................14 Le cottage et ses occupants.....................................15 En location durant l’été........................................................16 Enfin habité toute l’année..................................................18 De plus en plus confortable...............................................19 Les Bruneau, derniers résidants......................................20 Un centre d’exposition et de diffusion culturelle.........................................24 3 Un site enchanteur Essentiellement agricole sous le Régime français, le secteur de la maison Hamel-Bruneau s’ouvre à la villégiature au milieu du XIXe siècle. En 1929, l’inauguration d’une route carrossable sur le pont de Québec amorce une ère nouvelle. Le chemin Saint-Louis devient une voie de communication achalandée. Il est désormais possible d’habiter toute l’année des maisons qu’on louait autrefois pendant la saison estivale. La Maison Hamel-Bruneau vers 1985. Archives de la Ville de Québec, fonds Ville de Sainte-Foy. 4 La maison Hamel-Bruneau est représentative de cette évolution. Destinée à la villégiature, elle est louée pendant la belle saison, puis aménagée comme résidence principale et habitée à l’année. Ses occupants successifs ont su apprécier son environnement paisible et mettre en valeur son site enchanteur. La terre ancestrale des Pelletier 10 Des terres sont concédées à l’ouest de l’actuelle côte de Sillery à partir de 1637. La seigneurie de Sillery est érigée en 1651, puis l’arrière-fief de Monceaux en 1656. Les terres seigneuriales forment la côte Saint-François-Xavier, qui s’étend jusqu’à la seigneurie de Gaudarville (Cap-Rouge). 8 16 En 1645, le gouverneur Charles Huault de Montmagny avait concédé à Nicolas Pelletier une terre de 50 arpents sur la côte Saint-François-Xavier de Sillery. Le charpentier est arrivé à Québec en 1636 avec son épouse, Jeanne de Voisy, et leurs enfants, Jean et François. Tout en défrichant sa terre, Pelletier travaille sur des chantiers importants, notamment à l’église Notre-Dame-de-la-Paix et au château Saint-Louis en 1647 et 1648. 4 3 6 15 2 9 12 5 14 Vers 1660, Pelletier cesse d’exercer son métier et demeure à Sillery. Avec son fils François, il possède alors une centaine d’arpents, en plus d’une part de la commune de Saint-François-Xavier, établie en 1653 par les Jésuites. 1 Chemin qui conduit à Québec ou chemin de Cap-Rouge 2 Chemin qui conduit de Québec à Saint-Augustin 3 Chemin qui conduit de Sainte-Foy à Lorette 7 4 Chemin qui conduit de Lorette à Québec 5 Route Saint-Ignace (chemin de rang) 13 6 Route Saint-Michel (chemin de rang) 7 Grande Allée (extrémité des terres de la côte Saint-François) 8 Rivière Saint-Charles 1 1 11 9 Seigneurie de Gaudarville 10 Seigneurie Saint-Gabriel 11 Fief de Saint-Michel 12 Terres de Saint-François 13 Côte Saint-François 14 Côte Saint-Ignace 15 Côte Saint-Michel 16 Côte Saint-Pierre Seigneurie de Sillery. Plan de l’arpenteur Ignace Plamondon père, 13 mars 1754. Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Centre d’archives de Québec. 5 Anne Gasnier, baronne de Monceaux Armoiries des Ruette d’Auteuil L’écu est orné « d’azur au chevron d’or accompagné de deux étoiles à cinq rais d’argent en chef et d’une gerbe d’or en pointe »; le cimier montre un homme « habillé d’azur, colleté et ceinturé d’or, et tenant dans sa dextre (main droite) une étoile à cinq rais d’argent et dans sa senestre (main gauche) une gerbe d’or ». En 1640, les Hospitalières de l’Hôtel-Dieu font construire un hôpital à l’extrémité nord-est de l’anse de Sillery, entre la pointe Saint-Joseph et le ruisseau Saint-André (ou SaintLaurent). À cette terre de 16 arpents, Montmagny ajoute une étendue de 120 arpents sur le promontoire. En 1649, la terre est achetée par Anne Gasnier, veuve de Jean de Clément du Vuault, baron de Monceaux. Érigée en arrière-fief en 1656, la terre de Monceaux est affermée (louée à un fermier) par la propriétaire, qui en confie la gestion à son gendre. Source: Jacques Meurgey de Tupigny. Armorial de la généralité de Paris dressé par Charles d’Hozier en exécution de l’édit de novembre 1696... Mâcon, 1966. Les terres de François Pelletier, dit Antaya, et de Nicolas Pelletier sont achetées par Denis Joseph Ruette d’Auteuil en 1669 et 1673. Françoise, fille de Nicolas, et son époux, Sébastien Liénard, dit Durbois, conservent toutefois leur terre dans le voisinage. Ils rachètent sans doute des terres des Pelletier, puisque des Liénard et Dubois sont voisins du sieur d’Auteuil selon une carte de 1709. La terre ancestrale des Pelletier dans la seigneurie de Sillery, d’après la carte levée par Gédéon de Catalogne et dressée par Jean-Baptiste de Couagne en 1709. À cette époque, L. Liénard occupe la terre (censive colorée) où sera construite la maison Hamel-Bruneau. Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Centre d’archives de Québec. 1 Ancienne terre des Pelletier 2 Arrière-fief de Monceaux 7 3 6 2 4 5 Côte Saint-François 6 Côte Saint-Ignace 7 Côte Saint-Michel 5 6 3 Domaine de la seigneurie de Sillery 4 Grande Allée 1 A nne Gasnier, dévouée à la colonisation Anne Gasnier débarque au Canada avec sa fille, Claire Françoise, et son gendre, Denis Joseph Ruette d’Auteuil. En 1655, elle consent à un mariage blanc (sans relations sexuelles) avec Jean Bourdon, éminent ingénieur, arpenteur, cartographe, commerçant et explorateur, devenu veuf, père de sept jeunes enfants. En 1657, Claire Françoise de Clément du Vuault obtient la séparation de biens et rentre à Paris. Pendant la traversée, elle donne naissance à son fils, prénommé François M adeleine Fortuné. En 1661, après un séjour en France, Ruette d’Auteuil revient avec son fils à Québec, sans avoir convaincu son épouse de les accompagner. Aux mains des Britanniques George Ross achète le terrain à l’issue de la guerre de Sept Ans (1756-1763). En 1785, Murdoch Stuart, trésorier de l’armée britannique, acquiert l’ancienne terre des Pelletier et l’arrière-fief de Monceaux, reconstituant la propriété foncière de Ruette d’Auteuil. Héritière du domaine, sa fille Angelica épouse John McNider, originaire de Kilmarnock dans l’Ayrshire en Écosse. La villa imposante qu’ils font construire avant 1815 prend ainsi le nom de New Kilmarnock. Après la mort de Jean Bourdon en 1668, Anne Gasnier fait plusieurs voyages en France pour recruter des filles du roi. À leur arrivée à Québec, elle leur fournit le gîte et le couvert dans sa maison de la basse ville. Marie de l’Incarnation la décrit comme « la mère des misérables et l’exemple de toutes sortes de bonnes œuvres ». La maison Kilmarnock, jadis au cœur d’un grand domaine paysager. Photo : Les Alliés, 2007. Signatures au bas du contrat de mariage entre Guillaume Thibault et Madeleine François, dressé par le notaire Guillaume Audouart, dit SaintGermain, au fort Saint-Louis à Québec, le 16 novembre 1654. On reconnaît notamment les signatures du sieur de Lauson, Anne Gasnier, Ruette d’Auteuil, Claire Françoise de Clément du Vuault et Jean Bourdon. Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Centre d’archives de Québec. 7 La famille Hamel René Stanislas-de-Koska Hamel En 1793, Stuart conserve l’arrière-fief de Monceaux et vend la terre voisine à l’ouest au cultivateur René Stanislasde-Koska Hamel. Elle s’étend sur quatre arpents de front à partir du fleuve Saint-Laurent jusqu’au « trait-quarré », qui correspond à l’ancienne route Saint-Ignace (boulevard Laurier). La vente inclut une maison, deux granges et une étable construites en bois. Hamel et son épouse, Marie-Louise Sédillot, dit Montreuil, « se donnent » à leur fils aîné, Michel, le 18 mai 1800. Selon la coutume, celui-ci s’engage à les loger, nourrir, vêtir et soigner jusqu’à la fin de leur vie. H amel, de père en fils René Stanislas-de-Koska Hamel (né en 1737), marié en 1772 avec Marie-Louise Sédillot, dit Montreuil (en 2e noces). Ils ont cinq enfants : Michel, François-Xavier (né en 1786), Thomas, Marie et Marie-Louise. Michel Hamel (né en 1775), marié en 1800 avec Charlotte Élot, dit Julien. Ils ont trois enfants : Michel, Julie (qui épousera François-Xavier Gingras) et Louise. Première page de l’acte de vente d’une terre de Murdoch Stuart et son épouse Angélique Cartier à René Stanislas-de-Koska Hamel, le 21 octobre 1793, devant le notaire Pierre Louis Deschenaux. Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Centre d’archives de Québec. 8 Michel Hamel fils (né vers 1806), marié en 1832 avec Hortense Couture. Ils ont cinq enfants : Frédéric, Flore, Pierre Napoléon, Alex et Rodolphe. Frédéric Hamel (né vers 1833), marié en 1856 avec Marie Parent. Ils ont neuf enfants : Hortense Célestine, Stanislas, Flore, Virginie, Philias, Anna, Célina, Marie-Louise et Évariste. Michel Hamel père En 1830, Michel Hamel, cultivateur et capitaine de milice, et Charlotte Élot, dit Julien, donnent à leur fils Michel (né en 1806) leur terre, avec une maison de ferme en bois, les granges, les étables et les autres bâtiments qui y sont construits. La donation comprend aussi les meubles, les ustensiles de cuisine, l’argenterie, l’outillage agricole, les animaux et tous les autres actifs en leur possession. Selon le recensement de 1831, Michel Hamel (père), son épouse et leurs trois enfants (Michel, Julie et Louise) y habitent toujours. On dénombre aussi sept bêtes à cornes, trois chevaux et deux cochons. Michel Hamel fils Michel Hamel ne cultive pas la terre à la suite de son père. Entre 1842 et 1857, elle est louée successivement aux fermiers Raymond Goulet, James Walsh, Patrick M. Crossin et Henry Moss. En signant les baux, Hamel exige que le locataire tienne feu et lieu, c’est-à-dire qu’il vive et travaille sur la ferme sous peine d’annulation du bail. Selon les t ermes du bail signé en 1842, Hamel déclare exploiter une auberge dans la résidence familiale, se réservant « le droit de loger dans la petite maison (…) à chaque partie qui se donnerait soit de danse ou de réunions de clubs dans la grande maison ». Il porte aussi un intérêt particulier à l’embellissement de sa propriété, se réservant le droit de planter des arbres et conservant un jardin et un verger pour son usage personnel. La côte du Verger tire son nom de la plantation de Michel Hamel, située dans le voisinage. Michel Hamel participe au progrès de son époque en diversifiant ses activités. En 1846, il exploite une carrière de pierre. Le grès de Sillery et de Cap-Rouge est utilisé dans la construction des fortifications (enceinte et citadelle) de Québec et de résidences. En 1851, il est mesureur de bois dans les anses de Sillery. Il habite une maison en bois d’un étage et demi avec son épouse Hortense et leurs cinq enfants, ses père et mère, âgés respectivement de 76 et 71 ans, ainsi que deux serviteurs. Une autre maison est inhabitée sur leur terre. Propriétaire d’immeubles à Québec, Hamel devient juge de paix et fera partie du premier conseil municipal de S ainte-Foy en 1855. W. et F. Wilson, B. Conway et D. Corrigan, mesureurs de bois. Michel Hamel fut l’un des rares francophones à exercer ce métier au XIXe siècle. Archives de la Ville de Québec, fonds de la Ville de Sillery. 9 Un relais de campagne chez les Hamel Théophile Hamel (1817-1870), autoportrait, vers 1837. Séminaire de Québec. Quelques cultivateurs se font aubergistes pour offrir le gîte et le couvert aux voyageurs. On trouve ce type d’établissement aux environs de Québec. L’auberge Jolifou, peinte en une série de variantes par Cornelius Krieghoff, est particulièrement célèbre. On connaît aussi la Blue House sur le « chemin de la petite rivière Saint-Charles », la maison au pied du cône (pain de sucre) à Montmorency et celle de Déry à Lorette. La maison de « Koska Hamel », située à Cap-Rouge ou Carouge (à l’ouest de l’arrière-fief de Monceaux), sert également d’auberge. Le Driving Club, formé vers 1829 sous l’administration de sir James Kempt, en avait fait l’un de ses relais de campagne. Après une longue course au départ de la place d’Armes à Québec, la coutume voulait que les membres s’y arrêtent pour s’offrir une bonne rasade de mulled wine, un vin épicé appelé « sang gris » par nos ancêtres. Des artistes dans la famille Cousin germain de Michel Hamel fils, Théophile Hamel, fils de François-Xavier (né en 1786) et de Françoise Routhier, est un des peintres les plus renommés à Québec au XIXe siècle. Élève d’Antoine Plamondon, il aurait réalisé quelque 2 000 portraits. Son neveu, Eugène Hamel (18451932), est également un portraitiste reconnu. C haud ou froid, ce vin? Boisson très forte en usage dans les Antilles, le sang gris (prononcé « singri ») se fait traditionnellement avec du vin rouge, du sucre, du jus de citron, un peu de cannelle et de clou de girofle, beaucoup de muscade et une croûte de pain rôtie. Quand tous les ingrédients ont macéré, on passe la liqueur au linge fin. Contrairement aux Antilles, où cette boisson est considérée rafraîchissante, on sert ici le sang gris chaud pour se remettre d’une randonnée en hiver. 10 Cornelius Krieghoff (1815-1872), Early Canadian Homestead, Winter, 1859. Collection Sobey. Le lotissement d’une terre agricole Au milieu du XIXe siècle, la grande paroisse de Notre-Damede-Foy présente un caractère champêtre. Villas et cottages apparaissent graduellement sur les terres moins fertiles du coteau Sainte-Geneviève. Sur le « chemin de Québec au cap Rouge », qui prendra le nom de chemin Saint-Louis, on trouve Kilgraston (vers 1800), New Kilmarnock (avant 1815), Redcliffe (1820), Thornhill (1823), Sous-les-Bois (1830), Benmore (1834), Spencer Wood (1835), Bardfield (1838-1840), Woodfield (1842), Spencer Grange (1844), Bagatelle (ou Spencer Cottage) et Clermont (1848), Beauvoir (1849), ainsi que Cataraqui, Dornal Cottage et Kirk Ella (1850). Kilgraston : un domaine, une ferme, une grève En 1844, la terre agricole des Hamel porte le nom de Kilgraston Farm sur le bail du cultivateur James Walsh. Le marchand Henry Morgan aurait habité une villa appelée Kilgraston (aux environs de l’actuelle rue Morgan) au début du XIXe siècle. Vers 1850, cette résidence appartient à Narcisse Fortunat Belleau, maire de Québec de 1850 à 1853, membre du Conseil législatif de 1852 à 1867 et premier lieutenant-gouverneur du Québec de 1867 à 1873. En 1845, Michel Hamel cède ses droits sur environ six arpents et trois perches de grève en contrebas de Kilgraston aux marchands de bois Charles Ross et John Sharples. Hamel agit sans doute de bonne foi, mais les commissaires aux biens des Jésuites contestent cette entente, soutenant que toutes les grèves de Sillery appartiennent à la Couronne. En fait, la terre des Hamel est limitée au sud par l’escarpement, d’où l’on a extrait le grès pour construire la citadelle de Québec entre 1820 et 1830. Hamelville En 1848, Michel Hamel morcelle la partie sud de la vieille ferme de Kilgraston. La côte Ross (autrefois appelée Hamel ou Bridgewater) relie Hamelville, hameau toujours à l’état embryonnaire, au chemin du Foulon. Trois rues sont ouvertes, selon les plans d’assureurs. Toutefois, le ralentissement de l’industrie navale et du commerce du bois réduit le besoin d’habitations ouvrières. Selon toute vraisemblance, seulement cinq à dix maisons sont bâties à Hamelville sur un lotissement prévu pour une cinquantaine à l’origine. Il ne reste que quelques traces archéologiques de ce développement aux environs de la côte Ross. Les environs de la maison Hamel-Bruneau au XIX e siècle, d’après Contourned Plan of the Environs of Quebec – Canada East, de H. S. Sitwell et W. F. D. Jervois en 1866. Avant d’être morcelée, la terre des Hamel s’étendait du boulevard Laurier au sommet de l’escarpement, entre les côtes Ross et du Verger. Carte : Andrée Héroux, géographe historienne 11 La maison Hamel-Bruneau Alors que les villas et cottages se multiplient sur le chemin Saint-Louis, il n’est pas surprenant que Michel Hamel délimite un terrain pour bâtir une résidence saisonnière, qu’il pourra vendre ou louer. Sur un bail signé en novembre 1857, il est fait mention d’une « maison nouvellement construite, du côté nord du chemin Saint-Louis ». Selon toute vraisemblance, il s’agit de la maison Hamel-Bruneau, édifiée cette même année ou la précédente. Une résidence estivale d’inspiration britannique On admet généralement que le cottage est introduit dans l’architecture québécoise à la suite des villas, dont la première est construite en 1781 pour le gouverneur Haldimand, près de la chute Montmorency. Il accueille des invités ou abrite le gérant d’un domaine ou d’une entreprise. Inspiré du cottage britannique, conçu pour servir de résidence estivale au citadin désireux de fuir la promiscuité et la chaleur de la ville, ce type architectural présente deux variantes : le cottage rustique, proposant une version a méliorée de la maison de l’habitant, et le cottage orné, issu du mouvement pittoresque. L’architecte, s’il en est un, et le constructeur de la maison Hamel-Bruneau demeurent inconnus. En 1857, Michel Hamel est mesureur de bois. Cette activité saisonnière lui laisse passablement de temps pour vaquer à d’autres occupations. Il connaît bien le bois, matériau de base du bâtiment, et sa famille compte plusieurs menuisiers, notamment son cousin Samuel Hamel, qui avait appris son métier de son père Thomas, et son beau-frère François-Xavier Gingras. La Maison Hamel-Bruneau vers 1985. On aperçoit le poulailler, à l’arrière (dépendance basse, à droite). Ville de Québec. 12 Beauséjour, un cottage rustique aujourd’hui disparu. Il était situé sur le chemin Sainte-Foy, à l’ouest de l’église Notre-Dame-de-Foy. Dessin tiré de James MacPherson Le Moine, Maple Leaves. Canadian History and Quebec Scenery, IIIe série, 1865, p. 102. Vues de l’arrière de la maison. Ville de Québec. 13 Un cottage orné de style néoclassique La maison Hamel-Bruneau se dresse sur un vaste terrain. Le bâtiment construit en madriers posés sur le cant comporte un rez-de-chaussée à peine dégagé du sol, coiffé d’un toit en pavillon largement débordant, qui couvre la galerie courant sur trois côtés. Quatre fenêtres à battants sont réparties symétriquement de part et d’autre du portail central, inondant de lumière les deux plus grandes pièces situées à l’avant. En façade, la toiture est percée de trois lucarnes à croupe. Deux hautes cheminées, maçonnées au milieu des murs latéraux, d ominent l’édifice. Les quatre pièces du rez-de-chaussée se répartissent autour d’un hall central, où l’escalier tournant mène au comble. L’annexe arrière, perpendiculaire au corps principal selon son axe central, confère au plan la forme d’un T. Elle abrite la cuisine, signalée par la présence d’une troisième cheminée, ainsi qu’une salle de séjour, ajoutée au milieu du XXe siècle (partie couverte sur le plan). L’élégant portail de la maison. Ville de Québec. Plan axonométrique de la maison. Dessin : Éric J. Tanguay. 14 Du point de vue formel, la maison Hamel-Bruneau se r attache au cottage britannique de la fin du XVIIIe siècle. Plus qu’un style architectural, le mouvement pittoresque repose sur l’harmonie des interventions humaines dans l’environnement naturel. Le bâtiment principal et ses dépendances d oivent contribuer à la composition du paysage. Ils sont implantés le long d’allées sinueuses et ombragées, sur un vaste terrain agrémenté d’arbres, d’arbustes, de plates-bandes, d’un étang ou même d’un petit ruisseau. La galerie couverte par un toit débordant, le treillis décoratif pouvant supporter des plantes grimpantes et les grandes fenêtres favorisent la communion avec la nature pendant les belles journées d’été. Le cottage appartient aussi au style Regency popularisé en Angleterre pendant la régence du prince de Galles, futur roi George IV, à la fin du règne de George III, de 1811 à 1820. Son néoclassicisme, dérivé du style Adam simplifié, se c aractérise par la symétrie des composantes, la sobriété de l’ensemble et l’élégant portail central comportant des panneaux latéraux vitrés et une imposte. Au Québec, le cottage orné est parfois appelé cottage anglo-normand, puisqu’il synthétise les deux traditions ; chez nos voisins, il prend le nom d’Ontario Regency Cottage. En 2004, la maison dans son environnement naturel. Ville de Québec. 15 Les dépendances À l’origine, la propriété comprenait un hangar, des étables et d’autres bâtiments, dont un kiosque, favorisant le contact avec la nature. Ces dépendances ont été remplacées ou démolies au fil du temps. L’ancien poulailler et l’ancien puits vers 1986. Photo : Alain Côté. Société d’histoire de Sainte-Foy. L’ancienne grange-écurie vers 1986. Photo : Alain Côté. Société d’histoire de Sainte-Foy. 16 Le cottage au début des années 1980. Ville de Québec. Le cottage et ses occupants Comme ses enfants ne semblent pas intéressés aux travaux de ferme, Michel Hamel se départit graduellement de la terre familiale. Après avoir loti Hamelville et vendu Kilgraston en 1848, il construit le cottage dans le but évident d’en tirer des revenus de location ou de vendre une autre partie de sa propriété. Michel Hamel n’a jamais occupé le cottage. En 1861, il r éside à proximité, dans une maison en bois de deux é tages, avec son épouse, ses père et mère, ses fils Pierre Napoléon (Peter), commerçant, et Alex, apprenti, ainsi qu’une servante. Son fils aîné, Frédéric, mesureur de bois, habite une autre maison en bois d’un étage et demi (sans doute la résidence familiale en 1851) avec son épouse Marie et leurs trois enfants. Ils possèdent en outre deux chevaux, une vache et quatre voitures d’agrément. Sont également recensés sur la terre Henry (Honory) Moss, fermier, et sa famille, de même que William O’Brien, un serviteur, qui logent dans une autre maison en bois d’un étage et demi. La grange-écurie jouxtée à l’est par le poulailler. Archives de la Ville de Québec, fonds Ville de Sainte-Foy. 17 En location durant l’été Le 9 novembre 1859, Michel Hamel vend à John Flanagan, négociant en bois de Québec, la partie de sa ferme située au nord du chemin Saint-Louis, comprenant le cottage récemment construit et ses dépendances. La vente est faite pour 900 livres, dont 500 payables la première année et le solde avec intérêts trois ans plus tard. Flanagan s’engage à respecter le bail en cours avec Henry Moss pour l’exploitation de la terre. En 1861, John Flanagan habite le quartier Champlain, ce qui laisse supposer que l’achat du cottage lui permet de se rapprocher de son lieu de travail pendant l’été. Il meurt prématurément en 1864, à l’âge de 31 ans. Son épouse, Mary Philomene O’Connor, hérite de la propriété. En 1874, elle vend la terre au fermier Thomas Corrigan, mais conserve le cottage et ses dépendances, correspondant à l’emplacement de la maison Hamel-Bruneau. On ignore si elle a utilisé le cottage à des fins personnelles après la mort de son époux. Au moment de la vente, John Sharples junior habite la maison. Vue du côté est de la maison avec son annexe arrière. Ville de Québec. 18 J ohn Sharples junior (1848-1913) Fils d’un important marchand de bois et constructeur de navires, John Sharples et son frère William exploitent plusieurs anses de Sillery dans l’entreprise de leur père. Selon les bottins et annuaires, John loue le cottage au moins deux ans à partir de 1874. À la mort de son père en 1876, il forme avec son frère la compagnie W. & J. Sharples et devient propriétaire, entre autres, de l’anse Bridgewater au pied de l’ancien Kilgraston. Il demeure alors à Sillery Cove dans la résidence paternelle. John Sharples vers 1880. Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Centre d’archives de Québec. P560, S2, D1, P1256. En 1888, Mary Philomene donne sa propriété à son fils John Arthur, qui la cède à sa sœur Mary Helen l’année suivante. Les Flanagan continuent de louer le cottage. On y retrouve notamment Gaspard Huot, voyageur de commerce, en 1891 et Charles E. Joncas, courtier en douanes, de 1897 à 1900. En 1911, l’édifice est loué par la compagnie Transcontinental Railway pour y loger son ingénieur, Thomas L. Tremblay. Le bâtiment souffre sans doute d’un manque d’entretien, puisque l’occupant doit réparer la galerie et peindre le hall pendant son séjour. En 1915, le charpentier Joseph Vallier s’engage également à remettre la galerie en bon état durant son bail de six mois. U n bon vin maison On raconte que l’agronome Carl Jurak, qui était aussi chimiste, cultivait des champignons et produisait un e xcellent vin au grand bonheur de ses nombreux amis… Ce n’est pas la première fois qu’on trouve de l’alcool sur le site, puisqu’en 1647, Jeanne de Voisy, épouse de Nicolas Pelletier, était condamnée à payer 100 livres d’amende et la recette de ses ventes pour avoir fourni de l’eau-de-vie aux autochtones… Achetée en novembre 1915 par le peintre décorateur R. R. Marchant, la propriété est vendue à Patrick L. Collier en 1923. Dirigeant de la compagnie Gulf Pulp and Paper de Clarke City, près de Sept-Îles, il met le cottage en location au moins à partir de 1929. S’y succèdent notamment G. Hector Rioux en 1929-1930, l’abbé L. C. Bédard de 1931 à 1938 et Carl Jurak de 1939 à 1942. Le poulailler derrière le jardin potager, les framboisiers et les pommiers. Collection Anne Bruneau. Un lieu de détente à l’est de la maison, près du jardin potager et du verger. Collection Anne Bruneau. 19 Enfin habité toute l’année Edgar Morin, employé au ministère de l’Agriculture, et son épouse, Fernande Cloutier, achètent le cottage en 1943. Ils s’empressent de l’isoler afin de l’habiter à l’année. La maison est chauffée par les foyers, un poêle à bois et une fournaise à charbon alimentant des calorifères. Les Morin avec leurs deux enfants et les parents de madame Cloutier habitent ensemble la maison, qui comporte deux salons et deux salles à manger. Une première salle de bain est aménagée dans l’annexe arrière. L’allée, en forme de cœur, est bordée d’arbres. Des plates-bandes de fleurs égaient le pourtour de la galerie. Un kiosque, visible du chemin, permet de profiter des belles heures de l’été. Les Morin élèvent des pigeons blancs, des chapons et des oies destinés à la cuisine du Château Frontenac. La maison en hiver. Ville de Québec. 20 F ernande Cloutier raconte... L’hiver, il fallait pelleter jusqu’à la route. On faisait un seul côté, mais c’était dur. On n’avait pas de voiture en ce temps-là. On chauffait au buckwheat, du petit charbon noir qu’on mettait dans la grosse fournaise dans la cave. Entrevue accordée à Francine Chevrier, le 17 juin 1988, à Québec. Recherches archivistiques. Rapport final, I.M.I., août 1988. C harles A. Dionne raconte... Le salon était à droite, en entrant. En allant vers l’arrière, c’était la salle à dîner. À gauche, c’était la salle de séjour, un grand boudoir et, au fond, la salle à déjeuner. Dans la cuisine, un escalier descendait dans la cave et un autre montait dans l’ancienne chambre de bonne. Entrevue accordée à Francine Chevrier, le 27 juillet 1988. Recherches archivistiques. Rapport final, I.M.I., août 1988. De plus en plus confortable En 1945, la maison est vendue à Alice Guertin, épouse de l’avocat Charles A. Dionne. L’isolation est améliorée et une fournaise au mazout remplace celle au charbon. Une nouvelle salle de bain est aménagée au comble. On cesse de puiser l’eau en creusant un nouveau puits artésien avec une pompe (à bras) dans la cuisine. Inspirés par la forme du toit, les propriétaires surnomment leur maison le « pain de sucre ». Ils y résident avec leurs cinq enfants et une domestique. Les Dionne plantent une haie d’épinettes près de la maison, une épinette bleue, un orme et quelques autres arbres, abattus depuis. Des hydrangées entourent le kiosque de bois. Ils cultivent un potager et un jardin semé de glaïeuls, de pivoines, de phlox et de verveine. Le fond du jardin est occupé par des fraisiers et des framboisiers. On trouve aussi des pommiers Macintosh et Wealthy. De beaux arbres plantés par Charles A. Dionne. Ville de Québec. 21 Les Bruneau, derniers résidants En 1951, la maison est vendue au comptable Paul Bruneau, qui la conserve plus de 30 ans. Les boiseries extérieures et le toit passent du rouge au gris et noir. L’intérieur est r énové par le décorateur Roger Dussault. Un foyer et des armoires sont ajoutés dans la cuisine (à l’arrière). Danielle Glen, petite-fille de Paul Bruneau et Mary Jane Morin, devant l’ancienne grange-écurie. Collection Anne Bruneau. Le parterre devant la maison Hamel-Bruneau est en forme de cœur. Ville de Québec. 22 La bibliothèque de Paul Bruneau. Collection Anne Bruneau. La chambre des maîtres. Collection Anne Bruneau. La bibliothèque de Paul Bruneau. Collection Anne Bruneau. La salle à déjeuner. Collection Anne Bruneau. 23 L’escalier vu d’en haut. Ville de Québec. Paul Bruneau et son épouse, Mary Jane Morin, continuent de s’occuper de l’aménagement paysager. Cinq pruniers sont plantés au verger ; certains arbres sont remplacés. Trois conifères proviennent de l’Île-du-Prince-Édouard. L’ancien poulailler sert de remise pour le bois de chauffage et les outils. L’escalier dans le hall. Les poteaux sont sculptés avec élégance. Ville de Québec. Fermé par un treillis à l’arrière, le kiosque (disparu) présente un plan hexagonal. Des bancs sont disposés, à l’intérieur, le long de son périmètre. Le champ derrière la maison sert de pâturage aux chevaux de la ferme des Corrigan. L’escalier est réalisé et installé par l’atelier du sculpteur Lauréat Vallière de Saint-Romuald. Le bois de la rampe est trempé pendant plusieurs semaines dans l’eau du puits afin de lui donner sa courbe. Une pompe à eau plus puissante remplace la précédente. L’électricité et la plomberie sont refaites. Le verger et le jardin potager à l’est de la maison. Collection Anne Bruneau. 24 M ary Jane Morin raconte... La maison ressemblait à celle de mes parents. C’est pourquoi j’ai décidé de l’acheter… Quand je suis entrée, elle était peinte en blanc avec une porte rouge. La galerie et les boiseries étaient de couleur verte. Nous avons changé pour la maison en gris et une galerie blanche. À l’étage, il y avait trois chambres à l’origine, plus la chambre des domestiques, au-dessus de la cuisine. Entrevue réalisée aussi avec deux de ses filles, Suzanne et Louise Bruneau, le 12 juillet 1986. Recherches archivistiques. Rapport final, I.M.I., août 1988. Fête de Noël au salon. Les petites-filles de Paul Bruneau et Mary Jane Morin, Danielle Glen (fille d’Anne Bruneau) et Patricia Kerfoot (fille de Pauline Bruneau), déballent leurs cadeaux. Collection Anne Bruneau. La salle à dîner. Collection Anne Bruneau. Le salon. Collection Anne Bruneau. 25 Un centre d’exposition et de diffusion culturelle La maison est classée monument historique par le gouvernement du Québec en 1978. Selon la coutume à l’époque, elle porte d’abord le nom du propriétaire au moment du classement, auquel on a apposé celui du propriétaire de l’emplacement lors de la construction de la maison. Acquise par la Ville de Sainte-Foy en 1984, la maison est restaurée et convertie en un centre d’exposition et de diffusion des arts et des sciences, ouvert depuis 1987. Les divisions intérieures, l’escalier central, les foyers (avec les manteaux des deux cheminées principales) et les boiseries ont été conservés. La dépendance arrière (ancienne grange-écurie) a été refaite d’après le modèle initial. Maison Hamel-Bruneau 2608, chemin Saint-Louis Québec (Québec) G1V 4E1 Renseignements et réservations : 418 641-6280 26 Exposition Raoul Hunter, sculpteur d’identité, 2010. Photo : Félix Genêt-Laframboise. Exposition Photographes rebelles à l’époque de la Grande Noirceur, 2011. Photo : Ville de Québec. Les publications de la collection Itinéraires histoire et patrimoine proposent des guides de découverte de l’histoire et des richesses patrimoniales qui caractérisent un territoire ou encore un de ses éléments distinctifs. Cette collection est une initiative du réseau Villes et villages d’art et de patrimoine (www.vvap.ulaval.ca), qui a pour mission de promouvoir et mettre en valeur les arts, la culture et le patrimoine dans une optique de développement du tourisme culturel dans toutes les régions du Québec. Également disponibles dans la série Histoire de raconter : › L’arrondissement historique de Sillery › La Maison des Jésuites de Sillery › La Villa Bagatelle › Le site historique de La Visitation › Sainte-Foy › Cap-Rouge › La paroisse de Saint-Félix de Cap-Rouge, 1859-2009 www.ville.quebec.qc.ca www.paricilavisite.qc.ca La girouette dominant la dépendance. Ville de Québec. La Maison Hamel-Bruneau Bâtie vers 1857, la Maison Hamel-Bruneau est un cottage orné de style néoclassique inspiré du mouvement pittoresque, d’origine britannique. L’histoire du site remonte à la concession initiale de la terre en 1645, puis retrace un demi-siècle d’occupation par la famille Hamel. D’abord résidence d’été, le cottage est habité en permanence à partir de 1943. Les Morin, Dionne et Bruneau s’y succèdent. Ces derniers y demeurent plus de 30 ans, jusqu’à l’acquisition de la propriété par la Ville de Sainte-Foy en 1984.