l` influence de la musique au cinema

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l` influence de la musique au cinema
L' INFLUENCE DE LA MUSIQUE AU CINEMA
Romain Coudert
3IS Section Son
2006/2007
Directrice de mémoire
Béatrice Thiriet
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Je tiens à remercier Phillippe d'Aram pour tout le soutien qu'il m'a apporté ainsi que la
documentation; Séverine Abhervé, coordinatrice de l'UCMF*; pour avoir répondu avec
courtoisie à mes questions et m'avoir invité à la conférence d'Antoine Duhamel; Antoine
Duhamel pour son accueil et son envie de partager son expérience ; et Béatrice Thiriet qui m'a
écouté et beaucoup éclairé. Merci beaucoup. Je souhaitais faire ce mémoire pour comprendre
la façon dont le compositeur apporte du sens au film, mettre en lumière le fait que c'est un
travail de l'esprit et du coeur qui est essentiel au plaisir du spectateur.
*Union des Compositeurs de Musique de Film
1 Utilisation de la musique au cinéma p7
3
A Qu'est-ce que la musique de film? p 7
Définition p 7
La musique de film est un procédé subliminal p 9
B Au début du cinéma p 10
le temps du muet p 10
l'arrivée du son p 12
Max Steiner et King Kong p 13
C Comment intégrer la musique au film p16
Le leitmotive p 17
Exemples d'intégration de la musique dans le cinéma de Stanley Kubrick p 18
L'utilisation du Leitmotiv dans "Dr Follamour " de Stanley Kubrick, 1963 p 19
Analyse détaillée de la place de la musique dans Eyes wide Shut ( 1999) p 22
2 Le processus de création p 27
avec l'aimable participation d'Antoine Duhamel
A Le dialogue avec le réalisateur p 27
"Pierrot le fou"1965. p 29
S'adapter aux situations et résoudre les problèmes p 31
B La thématique et le timbre p 32
"L'écriture dérivative" p 32
Que faire avec cela? p 34
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3 «Lady Chatterley » p 36
avec l'aimable participation de Béatrice Thiriet
A Une éclatante réussite p 38
B Comment avoir de la créativité sur tous les plan p 40
C Comment la musique trouve t elle sa place dans le récit ? p 41
D Quelle est l'évolution de la musique dans le récit? p 42
4 Les nouvelles possibilités techniques p 43
A MIDI et home studio p 44
B En quoi ce matériel est-il utile au compositeur de cinéma ? p 45
C Ordinateur et synthèse du son p 46
D Reason p 47
5 Travaux personnels
A "L'homme d'en face" p 50
B "Jeanne" p 53
Conclusion : p 55
"Le manuscrit trouvé à Saragosse » De Wojciech J. Has p 55
"Dead Man" Jim Jarmusch p 57
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1 Utilisation de la musique au cinéma
A Qu'est-ce que la musique de film?
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Définition
Cinéma:
1 procédé d'enregistrement et de projection de vues photographiques
animées.
2 Art de réaliser des films: spectacle que constitue la projection d'un
film.
Film
1 Pellicule, couche très mince d'une substance
2 Bande mince d'une matière souple (acétate de cellulose ou
polyester), recouverte d'une couche sensible, émulsion servant à fixer
des vues photographiques ou cinématographiques.
3 Par extension l'oeuvre cinématographique que l'on enregistre sur le
film.
Oeuvre:
[...]
1 Ce qui est fait, produit par quelque agent et qui subsiste après l'action
Ouvrage littéraire, production artistique.
Art :
1 Activité humaine qui tend à la création d'oeuvre exprimant un
idéal de beauté, d'harmonie. Les chef-d'oeuvre de l ' art. Spécial.
(excluant la production littéraire [...] Cinéma d'art et d'essai
2 Chacun des domaines dans lesquelles les facultés créatrices de
l'homme peuvent exprimer un idéal esthétique
Musique:
1 Art de combiner les sons selon certaines règles. [...]
5 Suite de sons qui produisent une impression agréable.
Récit :
1 Narration orale ou écrite de faits réels ou imaginaires
Action: I
1 Ce que fait une personne qui réalise une volonté, une pulsion. La
moindre de ses actions est guidé par le but qu'il s'est fixé.
2 Le fait d'agir ( par opposition à la parole, la pensée)
3 Affrontement, lutte. L'action s'engage.
1 Ce qui occasionne une transformation détermine un effet
quelconque. [...]
2 Déroulement des événements qui forment la trame d'une fiction.
II
III
Influence:
1 Action supposée des astres sur la destinée humaine.
2 Action exercée sur quelque chose ou quelqu'un.
(définitions extraites du dictionnaire Hachette ed.1989)
"La musique [...] n'est pas à proprement parler un art représentatif, ou une technique
de représentation ; sa valeur "représentative", et même sa valeur "expressive", sont
hautement conventionnelles, et dépendent strictement de considérations historiques
et culturelles incessamment variables."
Jacques Aumont / Michel Marie "L'Analyse des films" p.150
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B La musique de film est un procédé subliminal
Pierre Berthomieu commence son ouvrage « La musique de film » en évoquant les
correspondances entre l’océan et la musique, apparemment marqué par l’ouverture
des "Contrebandiers de Monfleet" de Fritz Lang, où les vagues viennent se briser
contre les rochers, alors qu’une ballade de Mikloz Rozsa illustre parfaitement ces
formes et ouvre la perception du spectateur à la dimension poétique de l’océan.
C’est une comparaison judicieuse car en approchant la musique de film de cette
manière on peut toucher au plus vrai de la cohésion entre la musique et le cinéma à
savoir le mariage de formes et de symboliques :
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« Musique et cinéma se retrouvent dans leur embrassement du temps, de la
mémoire et de l’éternité en un mariage du sensible et de l’impalpable. »
Pierre Berthomieu "La musique de film"p 16
D’une part il y a le mouvement des flots, calme et chaotique ; et la forme musicale,
en tant que cycle établi dans le temps s’y greffe et trouve par hasard des points de
synchronisme avec l’image cinématographique.
D’autre part il y a la signification plus profonde de ce que l’océan évoque chez nous,
le langage des peintres ou poètes est guidé par ces sensations, ainsi la musique en
tant que discours poétique peut être le moyen de transcender l’océan, de l’inclure au
récit et à la part d’imaginaire proposé au spectateur.
"La musique de film installe chez le spectateur un procédé plus subliminal que
conscient"
Pierre Berthomieu "La musique de film"p 39
La musique apparaît alors simplement comme un moyen de plus d’évoquer un
ressenti chez le spectateur de façon non consciente, au même titre que le jeu
d’acteur, l’éclairage, la composition. Le réalisateur peut s’en servir pour développer
une idée qui n’apparaît pas à l’écran, d’autant plus que la musique peut comme le
cinéma évoquer des sensations, jouer avec les symboles de l'image et créer une
intensité dramatique.
" Le mépris" Jean-Luc
Godard 1963
B au début du cinéma
Le temps du muet
Les premières projections des films des frères Lumières n'intègrent pas de musique.
Ce ne sont pas des séances commerciales, le spectateur sont admiratifs devant
"l'arrivée d'un train en gare de la Ciotat", "les baigneurs", "le déjeuner de bébé".
Attraction de foire, le cinématographe commence à captiver de ville en ville à son
apparition. La photographie animée suscite l’admiration, les scènes du quotidien
sorties de leur contexte et vues à travers l’objectif photographique prennent une
nouvelle dimension. On peut imaginer les réactions du public, interpellant l'image,
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marquant l'étonnement où la satisfaction, riant, un guide sonore amenait donc les
spectateurs à partager un moment de plaisir, de distraction.
Un pianiste apparaît vite pour peut-être masquer le bruit de l'appareil
cinématographique et canaliser l'attention du public, mais surtout car le cheminement
du procédé vers le spectacle est une évidence. Le cinéma prend place dans les
music-halls, café- concerts. Les artistes parfois même chantent, dansent devant les
images. Les productions sont nombreuses et créées pour coller aux désirs du
spectateur. La réalité saisie et retranscrite dans son immédiateté laisse place à la
réalité transformée pour devenir un récit fictionnel.
Le pianiste doit improviser, exposer des motifs appris au fil des projections en
glissant des clins d'oeil qui soulignent l'image (air populaire, par exemple marche
nuptiale).Le musicien est sans doute peu conscient du changement qu'il apporte à la
perception du film.
C'est ainsi qu'en 1909, les films Edison éditent "Suggestion for Music", un catalogue
dans lequel chaque action ou émotion est associée à une ou plusieurs mélodies
extraites du répertoire classique. De même, "Playing to Picture" ( W.T. George, 1912),
"Sam Fox Moving Picture Music Volumes" (J.S. Zamacki, 1913), "Motion Pictures
Moods for Pianists and Organists : A Rapid-Reference Collection of Selected Pieces"
(Ernö Rapee, 1924) sont des ouvrages musicaux qui classent minutieusement les
pièces classiques et les compositions originales.
Le pianiste de salle dispose donc d'un catalogue d' "incidentaux" qui lui permet
d'adapter l'accompagnement au registre du film. Etape décisive car c'est le début de
l'interactivité récit filmique / musique, de l'utilisation de la musique comme un langage
du film.
Exemple d'un sommaire de catalogue (dans "histoires des musiques du
cinéma français"Dans "les musiques du cinéma français" de Alain Lacombe et
François Porcile
1 – Ambiance
a - Catastrophe (Variétés diverses) ;
b- Très dramatique (agitato)
c- Atmosphère solennelle, mystère de la nature
2 – Action (misterioso)
a- Nuit, atmosphère sinistre
b- Nuit atmosphère menaçante
c- Folie (agitato)
d- Magie, apparition
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e- péripéties, "quelque chose va arriver"
3 – Action(agitato)
a- Poursuite, fuite, hâte
b- Lutte
c- Combat héroïque
d- Bataille
e- Trouble, inquiétude, terreur
f- Foule agitée, tumulte
g- Trouble de la nature : orage, tempête, feu
4 – Ambiance (appassionato)
a- Désespoir
b- Lamentation passionnée
c- Paroxysme de la passion
d- Euphorie
e- Triomphe
f- Bacchanale
C'est l'époque où la gestuelle doit être apparente en musique. L'interprète fait alors
des bruitages en rapport avec l'action, mime la musique du bal à l'écran, il peut
mélanger les sources d'inspirations du catalogue.
Les musiciens jouant pendant la projection d'un film sont exposés à de nombreux
problèmes : fluctuations dans la vitesse de déroulement des films, état des copies
qui se détériorent très vite, etc. Ceci oblige les musiciens à achever ou sauter
précipitamment un morceau. La synchronisation entre le son et les images est un
vrai problème au début du siècle.
L'arrivé du parlant
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En 1927 est arrivé le cinéma parlant avec le film "The Jazz Singer" de Alan
Crossland. Le son peut alors être enregistré en direct sur le plateau auquel cas il fait
bien partie de l'action. L a musique peut alors être enregistré sur une bande optique
collée à la pellicule. C'est la fin des problèmes de synchronisme du film avec
l'orchestre de salle, car c'est malheureusement la fin des orchestres de salles.
Le son est craint au début:
"L'apparition du son est pour le cinéma une véritable déchirure. Aucun art n'a jamais
subi une transformation aussi radicale à la suite d'une simple découverte technique.
C'est au moment où le muet culmine dans ses œuvres les plus abouties, où l'art neuf
du cinéma atteint un sommet, que le parlant s'impose comme une mauvaise
surprise. Le son paraît à beaucoup indésirable et incongru parce qu'il vient
désorganiser l'échange filmique, anéantir le travail du cinéaste ainsi que la lente
éducation du public."
Cinématographe 1979
Pourtant le cinéma s'accapare vite ce deuxième flux d'informations qui fait parler
l'image. Une forme de rapport de musique au film, qui sera à la base de toute la
musique de cinéma américain approche à pas de géant.
Max Steiner et King Kong
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Maximilian Raoul Walter Steiner plus connu sous le nom de Max Steiner (né le 10
mai et décédé le 28 décembre 1971) est un compositeur de musique de film austro
états-unien. Il naît à Vienne en Autriche dans une famille baignant dans le milieu
artistique, son père était ainsi directeur d'un théâtre et son parrain était Richard
Strauss. Très jeune il montre des talents de compositeur prodige. Il étudie la musique
et reçoit l'enseignement de Gustav Mahler et Johannes Brahms. A 16 ans il écrit une
opérette. Travaillant au Royaume Uni en 1914, il obtient malgré sa nationalité des
papiers pour partir aux Etats-Unis grâce au parrainage du duc de Westminster.
Pendant 15 ans il travaille à New York comme chef d'orchestre ou arrangeur à
Broadway.
En 1929 il rejoint Hollywood, initialement pour l'orchestration du film "Rio Rita" pour
la RKO Radio Pictures. Sa carrière est lancée par la bande originale de "King Kong"
en 1933. Il a composé pour des dizaines de films parmi lesquels "Casablanca",
"Arsenic et vieilles dentelles", "Le rebelle" ou "Autant en emporte le vent". Max
Steiner a été nominé 26 fois aux oscars, les recevant à trois reprises. Il a eu à titre
posthume son étoile sur le Walk of Fame (1551 Vine Street).
Hollywood est à l’origine d’une forme symphonique de la musique au cinéma qui
devient très répandue grâce à son efficacité alliée à l’ « entertainment »,
divertissement en anglais, principe sacré sur lequel est basée l’industrie
cinématographique outre-atlantique .
En effet, c’est une écriture nourrie par les post-romantiques européens, Richard
Strauss et Piotr Tchaïkovsky notamment. Un genre narratif et rhétorique avec un
goût prononcé pour la mélodie, élaboré par Max Steiner et les compositeurs qui lui
sont contemporains : Alfred Newman, Erich Wolfgang Korngold , Victor Young, Franz
Waxman, Mikloz Rosza, Dimitrei Tiomkin, Hugo Friedhofer. Bien que cette forme se
détache de l’évolution de la musique, c’est à dire le virage pris par la musique
contemporaine, l’impressionnisme, l’atonalité, le cinéma use largement de cette
forme au langage rassembleur, qui peut se mélanger aisément avec des styles
populaires ou folkloriques. On trouve des traces de l’impressionnisme à travers
Bernard Hermann, Roy Webb en 1930- 40 ; plus tard, de l ‘atonalité avec Jerry
Goldsmith par exemple.
La musique romantique hollywoodienne donne une marque de fabrique aux films de
l’époque dite classique du cinéma américain. La reprise du thème principal avec une
ouverture positive sur le « happy end » au moment du générique est par exemple
pour nous un moyen de reconnaissance de la catégorie et de l’époque du film, mais
surtout de l’esprit bon enfant des films grands publics de l’époque.
1933 est une date repère pour cette forme canonique de la musique de film, avec
« King Kong “ ( Merian Cooper ), un parfait exemple de ce que la musique apporte
au cinéma Hollywoodien de l'époque.
Alors que le film était déjà près des étapes de postproduction le président de la RKO
de l’époque B.B Kahane doutait de la réception du film par le public et ne souhaitait
pas investir beaucoup dans la musique. Il demanda alors à Max Steiner d’utiliser
d’anciennes productions. Le réalisateur était d’un autre avis, désirant au contraire
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s’appuyer fortement de ce renfort, le musicien eût son financement et ils travaillèrent
en étroite collaboration.
Cette musique est pleine de qualités. En effet elle tient solidement accrochée
l’attention du spectateur, humanise les personnages, dramatise et renforce l’action.
Elle s’illustre à travers des choix précis, comme celui de ne pas souligner le début du
film, c’est à dire la description du contexte de la dépression. Ni la séquence du long
voyage en bateau. Elle se présente lorsque la réalité bascule vers le fantastique. Au
moment où l’embarcation approche de l’île du crâne par exemple. L’équipage tente
d’apercevoir la côte à travers le brouillard, la musique apparaît naturellement
reflétant le mystère du récit et de l’image. Elle ajoute une atmosphère appropriée
grâce à une thématique légère et une cellule de développement courte.
Profitant de la présence d’une tribu sur l’île, les tam-tams apparaissent à l’intérieur
et autour de la musique. La couleur illustre le fantastique et la découverte d’une terre
vierge, les rythmes tribaux scandent la présence du danger sur l’île du crâne. Basé
sur des thématiques liés aux personnages et aux lieues comme dans l’opéra
Wagnérien, ici un thème pour Kong, un pour Ann Darow, un pour le capitaine et son
équipe. Ceux-ci sont invoqués de façon récurrente dans le film, plus ou moins
développés. Parfois même rapidement cités, les crescendo et decrescendo rapides
s’adaptent au montage et les séquences thématiques s’enchaînent, se déclinent
habilement suivant des variations de hauteurs et d’orchestration. Nous entraînant
dans une poursuite au rythme haletant, ponctuée de rugissement des cuivres, de
combat de géants illustrés à grands renforts de pics d’intensité dramatique ; soudain
la musique s’efface dans un lyrisme contenu pour regretter un personnage chutant
dans le vide, révélant alors le poids du silence, du déroulement du temps du récit.
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A d’autres instants du film, les chutes ( car on tombe beaucoup dans ce film) sont
soulignées par la musique, la technique dite du « mickey-mousing » consiste à
représenter par la musique les sonorités du monde. Son nom lui vient du dessin
animé et de la célèbre petite souris. Ainsi, les descentes d’escaliers se transforment
en descentes harmoniques et d’intensité ; l’arrivée de Kong devient une montée
inquiétante. L’utilisation de cette technique alliée à l'élégance des virages dans la
narration, l’imbrication d’éléments évocateurs dans la musique de Steiner permet de
coller avec virtuosité aux films. Exemple d’éléments évocateur, Kong est vaincu, on
passe de l’île du crâne à Broadway pour être témoins du triomphe de l’équipage sur
scène accompagné de la bête captive. La musique se teinte de sonorités
américaines de l’époque, rappelant les comédies musicales ce qui évoque le lieu
avant qu’on ait pu constater cette ellipse. Comme le thème et l’entrain de cette
séquence à la musique évoquent la gloire, nous sommes conscients immédiatement
de l’enjeu de la scène. D’autre part, le caractère paisible de ce moment ne trompe
personne, nous attendons dès lors le thème de Kong qui reviendra pour illustrer la
panique mais cette fois en plein théâtre, lieu de prestance et de tenue sociale, ce
que nous évoque également la musique à ce moment là.
Cette oeuvre est aujourd’hui l’une des préférés de Max Steiner qui l’apprécie pour
sa modernité.
Ce travail doit son efficacité à l’habileté du choix des points d’entrées et de sortie, au
synchronisme et à la richesse d’évocation des thèmes et couleurs.
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Comment intégrer la musique au film ?
Son diégétique et extra diégétique: le hors champs
on distingue :


Le son diégétique : son faisant partie de l'action, pouvant être entendu par les
personnages du film ;
le son extra diégétique : son ne faisant pas partie de l'action, comme la musique
"d'ambiance".
La mise en scène peut déterminer un point de vue sur le son. A travers la prise de
son et le mixage, les choix sont faits en accord avec la réalisation afin de lui attribuer
un intérêt narratif ou poétique.
Le son hors champs est un outil plus libre et flexible pour le réalisateur car il peut
être enregistré en différé, donc en dehors des contraintes de l'image. Puis monté
sans risque de perdre la synchronisation, contrairement aux sons directs,"in", surtout
s'ils contiennent des dialogues.
Le hors champs c'est surtout la possibilité pour le son de se décoller de l'image pour
avancer un autre discours. Par-là, le cinéma peut sortir de son modèle de
représentation immédiate de la réalité, pour affirmer la liberté de disposition du temps
et d'agencement des éléments qui dispose le récit. Par exemple, "Mystic River" de
Clint Eastwood commence avec un point de vue aérien sur un quartier résidentiel. Au
son, l'appel anonyme qui prévînt la police d'un meurtre, passé par des adolescents
sous le choc. Le son est ici utilisé comme élément narratif, code du récit policier en
nous faisant connaître les éléments de l'enquête, il accroche également le spectateur
en introduisant un élément qui semble authentique et provoque l'inquiétude.
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La voix-off est un élément extra diégétique, représente les pensées d'un personnage
au moment de l'action ou non. La forme narrative du flash-back utilise souvent ce
procédé, le personnage évoque un moment de sa vie et on le retrouve en situation.
La voice-over, c'est uniquement lorsqu'un personnage à l'image partage ses
pensées, formulées hors champs, avec le spectateur.
Passage diégétique -extra diégétique : on peut avoir une musique extra diégétique,
disons d'ambiance, qui devient diégétique lorsqu'on aperçoit l'appareil de
reproduction sonore (dont les propriétés viennent souvent s'ajouter à la musique,
grésillements ou défauts). Dans certains lieux de rencontre ou de divertissements :
Dancing, auto- radio , bar ; la musique est souvent présente et véhicule un contexte
socioculturel. Ce qui peut ajouter à l'authenticité d'un lieu.
La musique joue de cette idée de champs et hors champs, assume une multitude de
rôle dans le récit. Elle est présente dans le quotidien est à ce titre peut être un
élément de la réalité des personnages mis en scène par le cinéma. Elle peut être au
même instant un élément de décor réaliste, un indice sur un personnage, le principal
outil du suspens. Elle travaille à figurer dans le film et en dehors.
Le Leitmotiv
Un leitmotiv est une phrase, une formule qui revient à plusieurs reprises dans une
œuvre littéraire. Le mot vient de l'allemand, il est apparu au XIXe , d'abord appliqué
en musique pour désigner un motif musical conducteur dans une œuvre. Richard
Wagner en a beaucoup fait usage dans ses opéras, ainsi que Weber, Berlioz et Liszt.
L'inventeur du leitmotiv n'est pas Wagner contrairement à une idée répandue, ni
Giacomo Meyerbeer, compositeur allemand du XIXe qui participa considérablement
à l'enrichissement de la construction de l'opéra mais un critique nommé
VonWolzogen qui mis le doigt sur sa fonction structurelle. Passant outre cette mise
au point, le terme " Leitmotiv " figure dans le vocabulaire de la littérature, du cinéma
et en musique, reste profondément rattaché à l’opéra wagnérien. Pour la musique du
7ème art, l’expression désigne donc depuis longtemps un thème mélodique qui fait son
apparition avec tel personnage, objet, situation et l’accompagne fidèlement à
chacune de ces récurrences. Si Claude Debussy trouvait les leitmotivs Wagnériens
trop indicateur, ceux du cinéma le sont plus encore. S'il n'y a pas toujours beaucoup
d’invention musicale dans le traitement des leitmotivs cinématographiques, cela
n’empêche pas le procédé de fonctionner très bien pour un public qui n’a pas une
grande exigence d’autant que le cinéma n’a pas vocation de faire écouter de la
musique savamment construite.
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" Le système répétitif des Leitmotive construit une cohérence et une familiarité
auditive."
"Le retour des thèmes en correspondances avec les résolutions dramatiques et les
effets de conclusion, produit une sensation de clôture, une satisfaction de
cohérence"
Pierre Berthomieu p 41
Exemples d'intégration de la musique dans le cinéma de Stanley Kubrick
« Un film est – ou devrait être – beaucoup plus proche de
la musique que du roman. Il doit être une suite de
sentiments et d’atmosphères. Le thème et tout ce qui est à
l’arrière-plan des émotions qu’il charrie, la signification de
l’œuvre, tout cela doit venir plus tard. Vous quittez la salle
et, peut-être le lendemain, peut-être une semaine plus
tard, peut-être sans que vous vous en rendiez compte,
vous acquérez quelque chose qui est ce que le cinéaste
s’est efforcé de vous dire. »
Stanley Kubrick, Holiday, 1964
Stanley Kubrick se distingue par son utilisation des musiques préexistantes.
Il utilise également des bandes originales, par exemple celle de Jocelyn Pook
dans "Eyes Wide Shut", (1999).
Kubrick n'était pas très enclin à révéler la signification profonde de ses films. Il
ne supportait pas l'exercice de l'interview. Préférant laisser le spectateur
continuer d'explorer le film après visionnage, car il reste des questions sans
réponses, une part de mystère non éclaircie, d'importance négligeable qui
pourtant semble contenir une clé d'interprétation du récit. Par exemple la
présence inexplicable, surnaturel du personnage de Jack Nicholson dans "The
Shining" (1979 ) à un bal dans l'hôtel bien longtemps avant l'action.
Le cinéma de Stanley Kubrick revêt beaucoup de formes, il n'est pas
immédiatement identifiable à travers une signature bien définie. Ce n'est pas
un manque de personnalité de l'ensemble de ses films, peut-être que ce sont
les défis formels et les connexions entre les éléments qui figurent son monde
qui sont une marque de fabrique. De même qu'une grande inventivité de mise
en scène. Il y a chez Kubrick un goût de l'originalité, de la surprise, du
changement.
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Par-là il a une conscience du rôle de la musique pour le spectateur (exemple
diégétique ou non, populaire, grandiose) et le sens de tirer profit de l'impact
de la modernité. avec l'utilisation de la musique de Ligeti dans trois oeuvres
majeures ( "The Shining", "2001, L'odyssée de l'espace", "Eyes wide shut"
1999 ), de Krystof Pendercki dans "The Shining" également.
L'utilisation du Leitmotiv dans "Dr Follamour " de Stanley Kubrick, 1963
La seule comédie de Stanley Kubrick apparaît juste après la guerre froide.
L'humour est cinglant, le général semble complètement fou et donne l'ordre de
larguer une bombe nucléaire sur le territoire russe. Les pouvoirs publics sont
dans une position embarrassante.
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L’action se situe pendant la guerre froide. Paranoïaque et dépressif, le général
américain, Jack D. Ripper envoie ses B 52 atomiques bombarder l’URSS. Il
ne sait pas que les Russes ont mis au point un système automatique de
riposte, le " Jugement Dernier " et que si ce système entre en action, les
conséquences seront désastreuses. Le Pentagone et le Kremlin vont tout
mettre en œuvre pour stopper les bombardiers. Pourtant, l’un d’eux ne
recevra pas l’ordre de retour, échappera à toutes les poursuites, lâchera sa
bombe atomique et déclenchera ainsi la tragédie finale. Tout au long du film, le
spectateur va donc suivre les péripéties de ce bombardier.
Un Leitmotiv poursuit cet avion et son équipage. Il s'agit d'une mélodie
clairement mémorisable qui porte des caractères musicaux transférables à
l’objet narratif auquel elle se rapporte, qui peut se prêter à des variations. Son
utilisation en fait un élément narratif à part entière.
L’équipage du B 52 vient de recevoir l’ordre tant redouté de la guerre
atomique, quand apparaît pour la première fois ce motif qui s'apparente à une
musique militaire type western « When Johnny Comes Marching Home ».
Après confirmation de l’ordre, le commandant met en œuvre la procédure.
Roulements de tambours. Nous reconnaissons la mélodie arrangée de
différentes manières. Le point d'entrée du Leitmotiv est bien choisi, c'est le
moment où le Commandant tire d'un coffre-fort estampillé " top secret " un
chapeau sudiste. Vient ensuite rapidement, un thème mélodique, exposé à la
trompette, rappelant par-là le clairon associé à la guerre comme le tambour.
Ce Leitmotive semble être attaché à la fois aux personnages, à l'avion et à la
situation. Voyons comme les formes qu'il prend au fil du récit:
Lors de la lecture des consignes d’attaque le thème est chanté par un chœur
d’hommes, unité, esprit de corps anime cet équipage.
Le Commandant fait l’inventaire d'une trousse de secours. L'harmonica qui
expose ce thème semble jouer de l'archétype de l'américain, vue à travers les
objets qu'il énumère. Effet renforcé par son fort accent texan
Lorsque le carburant vient à manquer, le sol apparaît à l'image le thème est
repris au trombone, marquant la gravité de la situation.
Tout à coup, une attaque par un missile est annoncée. Aussitôt le Leitmotiv au
trombone disparaît. Il apparaît à ce moment que les chances d'honorer la
mission soit en péril. La reprise du Leitmotiv viendra confirmer le retour du B
52 dans sa marche vers sa cible.
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La musique semble donc simplement marquer un esprit cocasse dans le vol
de l'avion, elle apparaît lors de moment d'humour et à un rôle dans ses
mécanismes.
Lorsque le commandant décide de changer de cible, marquant la perte de
communication avec les ordres, donc l'errance, la possibilité d'être descendu
en vol par l'ennemi ou pour trahison: la musique est coupée "cut".
Cette rupture de contact trouve donc un écho dans la musique au travers de ce
procédé. Le contexte est différent dès lors et nécessite le passage au silence.
Les variations de ce motif s'accordent donc naturellement aux péripéties que
traversent l’avion et son équipage et à l'esprit ironique de l'oeuvre.
Analyse détaillée de la place de la musique dans Eyes wide Shut
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Jocelyn Pook, Gyorgy Ligeti, Chris Isaak, Dmitri Chostakovitch…
En 1994, Stanley Kubrick fait appel au romancier Frederic Raphael afin qu’il adapte
un roman psychanalytique de Schnitzler, « Traumnovelle ». Ce récit des fantasmes
d’un couple de la haute société autrichienne est transposé de nos jours, à New York,
pendant les fêtes de Noël.
Après une soirée mondaine un peu mouvementée, Alice avoue à son mari le Dr Bill
Bradford qu’elle a eu du désir pour un jeune officier de la marine alors qu’ils étaient
déjà mariés . Ce qui le perturbe beaucoup, il se sent trahi et va chercher à la tromper
mais quelque chose le retient toujours. Un ami pianiste lui indique le mot de passe
pour une soirée luxueuse qui s'avère être décadente et ritualisée : Fidelio.
EYES WIDE SHUT est souvent vu comme un testament filmique involontaire pour
Kubrick Son treizième film semble faire le point sur la façon dont il utilisa la musique
dans ses oeuvres.
Tous les genres présents dans ses films sont représentés :
Le jazz (« Strangers In The Night »), musique originale (Jocelyn Pook), le rock
(« Baby Did A Bad Thing » Chris Isaak ), musique contemporaine (« Musica
Ricercata » de Ligeti), la Valse (« Waltz II » de Chostakovitch), et indirectement la
23
musique classique (le mot de passe est « Fidelio », unique opéra du compositeur, et
la fille des Harford veut regarder « Casse Noisette »).
Diane Morel écrit que « Kubrick réduit les bruits de son univers filmique au strict
minimum » (3) et que la musique est du coup privilégiée par rapport aux bruitages.
"EYES WIDE SHUT", comme "2001, A SPACE ODYSSEY" illustre cette tendance.
Mais elle ajoute que « la musique ne fonctionne pas en relation avec un code narratif
établi à l’intérieur du film ou même selon un code préétabli, admis d’avance par le
spectateur. Elle est un élément sensoriel, et non rationnel » (4). Elle montre ainsi que
comme dans 2001 les moments calmes sont caractérisés par une valse viennoise et
les moments d’angoisse par une musique de Ligeti.
"Eyes wide shut ou l'étrange labyrinthe", Diane Morel, Etudes littéraires recto verso,
PUF,
Musique préexistante
La « Waltz II » de Chostakovitch introduit le film avec légèreté, semble nous
annoncer le bonheur du couple au quotidien mais le personnage de Bill éteint la
chaîne brusquement.
Le film se termine sur cette valse, le couple a alors surmonté leur problème,
bénéficie d'une nouvelle dynamique.
La musique jazz est synonyme de fête dans les films de Kubrick. Il évoque
également la dangereuse tentation. C’est un pianiste de jazz qui introduit Bill à la
soirée qui peut le perdre. En fond, on entend le morceau diégétique « Strangers In
The Night », chanté par Frank Sinatra. Une chanson jazzy qui, par ailleurs, appuie
sur le déguisement des convives nus et masqués (étrangers dans la nuit)
Une chanson pop-rock de Chris Isaak, « Baby Did a Bad Thing » intervient après la
réception lorsque le couple fait l'amour. Ici les paroles insistent sur la culpabilité
d'Alice qui s'est laissée aller au jeu de la séduction avec le Hongrois, le désir paraît
donc se traduire sur son mari, la scène devient un jeu dangereux. Bill peut
également se sentir coupable heureux d'être au bras de deux jolies femmes.
Evidemment, la musique à ce moment là participe très clairement à la dynamique
érotique de la scène.
Musique originale
La scène de jalousie qui suit à une importance fondamentale dans la suite de leur vie
de couple. Alice fait l'aveu de son fantasme.
La musique de Jocelyn Pook (« The Dream ») monte progressivement : une pédale
aux cordes dans l’aigu, participe à la dramatisation de. Cette texture tonale quasistatique introduit au drame qui doit se jouer. Il semble que la musique fasse le lien
entre l'aveu d'Alice et le fantasme de Bill. En effet, on entendra sa variation (« The
Naval Officer ») à chaque fois que Bill imagine sa femme avec l’officier (ralenti en
noir et blanc)..
24
Cette musique reprend lorsqu'Alice raconte son rêve à la fin du film. Rêve dans
lequel le même officier se moque d'elle puis lui fait l'amour.
Si la musique de Jocelyn Pook est utilisée pour les séquences érotiques révélant la
jalousie qui ronge le personnage de Bill, elle est également utilisée pour les scènes
au château. L’ouverture à la fête libertine où prend place la musique de Jocelyn Pook
est devenue célèbre : Elle dresse un impressionnant contraste entre la morale
religieuse et la débauche. Gestes lents, soutane, encens, nudité et masque
baroques vénitiens.
Jocelyn Pook a composé un hymne solennel, des litanies chantées dans une langue
qui nous est inconnue (un texte sacré hindou ce qui a provoqué l'indignation
d'ailleurs ! : « Pour la protection des vertueux, pour la destruction du mal et le solide
établissement du Dharma (la droiture), je nais et m’incarne dans la terre, d’âge en
âge »
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La musique contemporaine : le « Musica Ricercata N°2 » de Ligeti
Le « Musica Ricercata » de Ligeti a été écrit en 1950, alors que le compositeur était
en Hongrie. D'après le compositeur, Kubrick a parfaitement compris la dimension
dramatique de cette musique « interdite », semblable à un « cri », à un « couteau
dans le cœur de Staline ».
Cette musique apparaît dans la seconde moitié du film, Bill est alors en proie à une
peur paranoïaque.
Le « Musica Ricercata N°2 » Intervient lorsque Bill, intrus, est jugé par tous le
masques. D’abord, le thème inquiétant est entendu dans le grave, les martèlements
aigus paraissent le précipiter dehors.
Le sentiment de paranoïa est également représenté par la musique de Ligeti lorsqu'il
retourne au château et qu'on lui remet la lettre mystérieuse. Il se rend à la morgue
pour voir le corps d'une femme dont il pense qu'elle a été assassinée. Cette musique
apparaît, marquant le fait qu'il soit conforté dans cette idée lorsqu'il se penche sur le
corps. S'il a bel et bien raison, alors il y a des chances qu'il soit tué à son tour pour lui
éviter de parler, la peur augmente, la musique a donc une raison d'être, mieux, elle
participe à la mise en scène dans cette action de se pencher sur le corps. La
musique nous révèle ce qu'il a conclu, ce qui peut influer sur son action, elle fait donc
partie de la narration.
Lorsqu'il se retrouve auprès de sa femme, les martèlements aigus accompagnent la
présence d'un masque sur l'oreiller.
26
Stanley Kubrick utilise également ce morceau dans "The Shining" (1979) et "2001
"l'odyssée de l'espace" (1968) où elle semble représenter le mystérieux monolithe.
C'est une musique qui appelle au fantastique, à l'expression d'une hantise inconnue.
A travers sa place dans le récit, son genre ou plus naturellement son effet sensoriel
la musique peut alors donner du rythme et focaliser le spectateur sur des éléments
importants qui le maintiennent accroché à l’histoire ; c’est le coté spectacle,
nécessaire au cinéma. L’autre vision de la musique au cinéma, plus fine, est
d’apporter un propos qui n’est pas dans l’image mais qui la complète ; comme les
deux discours se mêlent et évoluent face au spectateur, si le choix de musique est
pertinent les personnages s’étoffent, le récit se couvre de mystère et de poésie, la
présence de musique distille l’attention du spectateur, nourrit son émotion.
La musique constitue d’ailleurs un outil de maîtrise du temps pour le cinéma, alliée
au montage elle s’approprie les coupes entre les plans, les affine. Joue avec les
silences, de sorte de hiérarchiser les évènements et écouter l’histoire.
La maîtrise de l’intensité dramatique, l’ajout d’évocations poétiques, la possibilité de
lier l’ensemble du film à travers une esthétique musicale pensée ; ces qualités font
de la musique un attribut essentiel de ce cinéma.
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2 Le processus de création
A Le dialogue avec le réalisateur
Le compositeur doit être clairvoyant et saisir l’esprit du film. Sur quelle base s’appuiet-il pour créer un univers qui va venir compléter l’œuvre ?
J’ai rencontré Antoine Duhamel afin de lui demander quelle était la place de la
musique dans les films auxquelles il a participé et de quelle façon il parvenait à
collaborer avec le réalisateur.
Antoine Duhamel est né le 30 juillet 1925 à Paris. Elevé dans un milieu artistique
(son père est Georges Duhamel). Il hésite dans le choix de son domaine, entre
peinture et musique. Ravel et Messiaen apparaissent alors comme une révélation. Il
fait des études musicales au conservatoire de Paris où il suit l'enseignement d'Olivier
Messiaen et René Leibowitz aux cotés de Pierre Henry ou Pierre Boulez. La musique
y est pensée comme en rupture avec l'école académique. La modernité apparaît
comme une conscience du discours, l'idéologie se radicalise et chacun suivra des
choix différents. Antoine Duhamel est enthousiaste face à la perspective de
composer pour le cinéma, certains de ses contemporains trouvent l'écriture pour le
film sans intérêt car soumise au propos d'un autre, sans engagement musical. Et de
plus elle est dénigrée, rabaissée au rang de simple travail d'artisan répondant à une
commande, autrement dit un travail alimentaire; au lieu de servir un dogme qui
l'intellectualise.
La première musique de film écrite par Antoine Duhamel est un projet en association
avec Alain Resnais un court métrage sur le peintre Hans Hartung. La finalisation du
film s'éternise et la pièce originale d'avant garde ne sera finalement pas utilisée pour
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le film, mais, plus tard dirigée par Jean Prodomidès au festival de Darmstadt en
1949.
Il compose pour la publicité (école de la précision et de l'efficacité), dessin animés,
séries télévisés, des oeuvres pour orchestre. Il signe les musiques des feuilletons de
Claude Barma: "Le Chevalier de la maison Rouge" et "Belphégor" par exemple.
Le noyau dure de sa collaboration avec le cinéma est pour lui sa rencontre avec ces
sept réalisateurs: Jean-Daniel Pollet, Jean-Luc Godard, Bertrand Tavernier, JeanFrançois Adam, Phillipe Condroyer, Patrice Leconte et Fernando Trueba
Il écrit pour "Méditerranée"de Jean Daniel Pollet une de ses oeuvres capitales. Un
film rapportant des images de méditerranée dans une logique avant-gardiste, sans
récit, où la musique à une place importante. Reflétant le poids du passé, la jeunesse
et la mort. Mélange de dodécaphonisme, de climat méditerranéen avec notamment
une ballade grecque au bouzouki amené par le réalisateur comme source
d'inspiration, adapté pour guitare électrique dans un élan de modernité
Il travaille ensuite pour Jean-Luc Godard avec "Pierrot le fou" et "Week-end",
François Truffaut avec "Baisers volés", La sirène du Mississipi", L' Enfant sauvage",
"Domicile conjugal", Bertrand Tavernier "Que la fête commence !", "La mort en
direct", "Daddy Nostalgie", Patrice Leconte "Ridicule".
En dehors du domaine cinématographique il écrit neuf opéras, musique de scènes,
de concerts par exemples concertos pour alto, violon, contrebasse, vibraphone. Il est
soucieux de la transmission et évoque volontiers son activité. Il anime pendant
plusieurs années un conservatoire à l'esprit ouvert à Villeurbanne.
Plus récemment, il compose la musique des Destinées sentimentales d'Olivier
Assayas qui ne sera pas utilisé pour ce film mais aura une seconde chance avec le
succès de "Depuis qu'Otar est parti" de Julie Bertucelli. Il signe également la
musique de "Laissez-passer" de Bertrand Tavernier.
Antoine Duhamel a exploré les domaines musicaux soucieux d'y apporter une
dimension moderne. Considéré comme un musicien populaire, sans mauvaise
connotation, il se revendique de la liberté.
Le film qui m'a le plus marqué comportant une musique d'Antoine Duhamel est
"Pierrot le fou"1965.
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"Au moment du pré montage il m'a simplement précisé : " Vous voyez, Antoine, Il me
faudrait deux ou trois thèmes dans le genre Schumann."Ce qui était assez troublant :
la dualité du personnage principal Ferdinand - Pierrot, correspondait parfaitement à
la schizophrénie de Schumann. J'ai donc bâti ma partition autour de cette idée de
dualité, Ferdinand et Pierrot, l'émotion et la violence. Pour la première fois de ma
carrière j'ai travaillé en toute liberté et sans aucun souci de minutage, totalement
affranchi du chronomètre. Derrière certaines pirouettes burlesques et provocations,
Pierrot le fou est un film d'amour et de mort. C'est de cette dimension dont j'ai voulu
parler."
Dans conversations avec Antoine Duhamel" de Stéphane Lerouge
Jean-Luc Godard semble utiliser le cinéma comme un moyen de penser. Selon Gilles
Deleuze, son apport au cinéma est de ne plus considérer le discours intérieur
comme guide de la mise en scène. La liberté semble être à l'origine de ce film, elle
se manifeste constamment à travers le ton de la voix de Jean Paul Belmondo qui
évoque la peinture, fait le pitre. La liberté de dresser des ponts entre la peinture et le
cinéma, de jouer sur les couleurs. La liberté de casser la cohérence du récit par
moments avec une séquence "comme dans un film noir" où la musique d'Antoine
Duhamel semble jouer le jeu. Mais ce n'est pas simplement un jeu de pitreries,
lorsque la musique révèle les personnages c'est l'ensemble des éléments qui est
imprimé car la ligne de conduite de cette liberté repose sur le maniement des outils
du cinéma. Jean Luc Godard aux commandes.
Extrait de la voix off dans "Pierrot le Fou" 1965
La traversée de la Durance
Lui "Chapitre huit:
Elle une saison en enfer
Lui
Chapitre huit
Elle nous traversâmes la France
Lui comme des apparences.
Elle comme un miroir "
Cette séquence devient pour moi une icône, j'ai l'impression que c'est un peu comme
les vagues de Monfleet, non seulement la forme des flots est habitée par la musique
mais l'eau en tant que symbole paraît également habiter la musique. La rivière
caractérise l'aventure, Ils marchent près l'un de l'autre, le cadre les suit de droite à
gauche. Leurs jambes s'enfonçant dans l'eau semblent les attirer dans une sorte de
rêve.
Un destin tragique ; la mort face à la liberté. Ils brûlent leurs traces, voiture et argent,
traversent la rivière.
Peu de temps après, le cinéaste se sert de la musique de façon très visible. Les
personnages se livrent à un jeu autour de la belle voiture américaine qui est
lentement soulevée mécaniquement, la musique faite d'attaques vives de cordes,
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marquant une intrigue soutenue représente le tour que les deux complices exercent
pour repartir en voiture. La musique s'arrête d'un coup marque un silence puis
reprend, rythmant ainsi la scène par cette utilisation, le rapport entre la gestuelle et la
musique est très étroit. La conscience des possibilités picturales du cinéma est aiguë
chez Godard, ici le contexte de la station service, l'automobile américaine qui
s'élèvent et brille, on dirait un jeu avec le pop art. Ce qui se ressent également avec
l'utilisation des images de bandes dessinées s'apparentant beaucoup aux tableaux
de Roy Liechtenstein, peintre américain, célèbre dans les années 60, connu pour
emprunter le style graphique de la bande dessinée.
Ce qui m'a intéressé ici c'est la fusion des deux écritures, le compositeur remarque
qu'il fût inspiré par une séquence du film pour écrire la musique, et qu'elle s'y
retrouva sans qu'ils en aient discuté au préalable. D'autre part, l'idée que le
compositeur soit libéré des contraintes de minutage, le pousse à s'exprimer plus sur
l'univers du film que sur l'utilisation de la musique comme liant de l'intensité
dramatique.
31
"Pierrot le fou" Jean-Luc
Godard 1965
Lorsque je demande à Antoine Duhamel ce qui lui plaît dans la composition de
musique de film, en plus de composer pour un sujet, un support il me répond que
c'est de s'adapter aux situations et résoudre les problèmes.
Deux exemples,
"L'acrobate" de Jean-Daniel Pollet
"Laissez-passer" de Bertrand Tavernier
"L'acrobate" de Jean-Daniel Pollet
Il y a dans ce film un concours de tango. Les acteurs ont bien - sûr dansés sur de la
musique. Mais il a fallu réécrire de nouveaux tangos et donc s'adapter à plusieurs
tempos pour reproduire des tangos de compétition. C'est un travail de documentation
sur un genre de musique.
"Laissez-passer" de Bertrand Tavernier
Pour la séquence du long parcours à vélo, Bertrand Tavernier souhaitait utiliser "les
chanteurs de perles" de Bizet interprété par Tino Rossi. Le morceau ne convenait
pas assez, il fallait pouvoir mieux en jouer, broder autour. Antoine Duhamel a écrit un
arrangement pour orchestre symphonique pour venir se fondre à la musique,
l'amener et accompagner sa fin. L'enregistrement se fit en donnant une oreillette au
chef d'orchestre pour contrôler la chanson en dirigeant au bon tempo.
B La thématique et le timbre
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Ces deux paramètres peuvent être des éléments déterminants de l'association de la
musique à des points importants de l'histoire (personnages, thème au sens de
pensée, lieu, souvenir).
Thématique : 1 Qui a rapport à un, à des thèmes musicaux [...]
2 Ensemble organisé de thèmes.
Thème :
1 Sujet, matière, proposition que l'on entreprend de traiter dans un
ouvrage.
2 Musique; mélodie, motif mélodique sur lequel on compose des
variations
Timbre :
1 Caractère, qualité spécifique sonore d'une voix, d'un instrument.
"L'écriture dérivative"
"Le processus de dérivation parie sur le réflexe de reconnaissance et construit ses
altérations d'un motif ou d'un type de son. Association nouvelle, son semblable mais
différent quelque chose d'un lieu passe dans une autre dimension du récit et de la
musique."
Pierre Berthier p45
Le réalisateur doit créer avec le compositeur un jeu de reconnaissance des
sensations avec le public. Les variations dans le récit se traduisent par des
altérations du postulat de départ, des connotations positives, négative. La perception
de l'aigu comme haut, du grave comme bas, rend possible l'idée de signifier des
sensations plus ou moins agréables selon les phrases ascendantes ou
descendantes, selon les intervalles de notes, les gammes proposés, les modes
(mineurs, majeurs).
Ce travail ne s'attache pas à décrire les lois de l'harmonie, la construction d'accords
ainsi nous resterons en marge de la véritable théorie musicale pour considérer la
musique de film encore comme sensitive, comme un moyen d'action discret sur le
film.
Le timbre c'est une sensation physique, concrète. Les propriétés spécifiques d'un
instrument, d'une voix, son âme se transmet au son. Si on peut relier une idée à une
autre en faisant apparaître un son au bon moment, peut-on être sûr que le bon
message va passer ? On a vu que l'expressivité et la valeur représentative d'un son
dépendaient de critères variables, historiques et culturelles. Si on ne peut donc pas
vérifier la réception parfaite du message, par contre on peut être sur que les vertus
sensitives de la musique servent au film, aussi bien grâce aux associations d'idées
liées au timbre qu'a l'organisation musicale, thématique. Par contre, nous sommes
plus ou moins réceptifs selon les individus, même selon l'humeur et la fatigue.
Le cinéma à su trouver dans la musique de film un intérêt pour la narration et
l'évocation.
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Dans l'histoire de la musique, les compositeurs quelles que soient leurs époques ont
naturellement étés conscients de leurs contextes, à l'écoute des oeuvres, du
message de ceux qui les ont précédés. L'idée même d'évolution de la musique se
construit grâce à l'écoute attentive des prédécesseurs; la connaissance des formes
musicales, de leurs propos, de leur pertinence.
Piochant dans l'univers de la musique, le compositeur de cinéma va devoir proposer
un schéma musical qui s'adapte à la narration d'un film. On a vu que le romantisme
ou post-romantisme et le poème symphonique avaient d'emblé occuper les salles de
cinéma muet à travers des catalogues de sensations. Que l'école de Steiner
associant la dramaturgie à un équivalent thématique ou orchestrale était devenue un
canon de musique de film. Ces réadaptations de forme musicales connues, remise
au goût du jour de l'héritage du passé se sont imposés naturellement car le cinéma
revendique son besoin de musique pour conduire l'intensité dramatique.
La problématique de raconter en sonorités n'est pas nouvelle, la voix est le premier
instrument. Imaginons les rites de peuplades primitives, les troubadours du moyen
âge, il y a la volonté de communication, de partage de sens et de symbolique: la
cohérence du ton et du propos est essentielle au "spectacle", ou à la transmission du
message. La recherche du ton approprié, à travers la culture et l'inconscient collectif
(cette part de symbolique que nous partageons) fait appel à une faculté de
transformation du ressentie en concret, sens de la poésie, état d'éveil artistique
adapté au moyen d'expression.
Le langage, lui-même, est vecteur de sens et d'émotion. A travers la construction de
nos phrases, les intonations de nos mots ( contenants sens et connotations) nous
racontons un peu de notre personnalité, de notre chemin de vie. Ces signaux arrivent
jusqu'a nos interlocuteurs sous forme d'impressions, modifiant le message original
de façon subliminal.
Le récepteur décodera ces signaux selon son propre vécu, chaque récepteur est
différent face au même message.
34
Que faire avec cela ?
Lié au sens à travers les textures proposées, les thèmes peuvent signifier ce que
sont en train de vivre les personnages. Les couleurs et les rythmes peuvent raconter
les lieux.
lié à la forme à travers les points d'entrées/sorties, l’accompagnement des
personnages dans l’action, les ouvertures de séquences. La musique sert de liant
entre les idées, ajoute la notion de durée sur l'image plane ; les deux médias sont
complémentaires le son au même titre que la musique.
La musique doit être un des rouages de la mise en scène. La possibilité de délivrer
les messages tour à tour par le jeu des comédiens, la composition, la lumière, le son,
la musique enrichit le cinéma par associations d’idées. C’est une sorte de vision
polyphonique du cinéma, qui emprunte à la richesse de ce qu’il rassemble pour
distribuer les sensations. Intégrée, la musique peut être efficace en évocation.
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Le cinéma étant lui-même un art de cadence, d'organisation de segment de
narration, ce qui inclut l’idée de déroulement du temps, et par-là, de construction.
La musique lui est complémentaire et donne l’illusion de la durée.
« Il manquait au film une sorte de battement qui eût permis de mesurer
intérieurement le temps psychologique du drame en le rapportant à la sensation
primaire du temps réel. » Pierre Berthomieu (p La musique de film )
3 «Lady Chatterley »
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Béatrice Thiriet est née à Paris le 4 mai 1960. Elle découvre sa vocation enfant.
Elle fait ses études au conservatoire de Versailles formé par Jean Aubain et Solange
Anconnat à la composition et l'analyse musicale. Sa formation de pianiste est dirigée
par Elena Varvarova et Mikhail Rudy.
C'est Pascale Ferran qui l'amène à écrire pour le cinéma en 1993 avec "Petits
arrangements avec les morts", puis "L'age des possibles" en 1994, aujourd'hui "Lady
Chatterley" sorti en salle en novembre 2006.
Elle participe à de nombreux projets dont des musiques pour films de télévision et
documentaires, oeuvres symphoniques, instrumentales, musiques de scène, un
opéra de chambre en 2001 " Nouvelles histoires d'elle" et un autre plus important en
préparation "Jours vénitiens".
Elle travaille avec de nombreux réalisateurs et réalisatrices, au cinéma et à la
télévision : Dominique Cabrera, Jacques Deschamps, Radu Miailheanu, Joêl Farges,
Marc Esposito, Pierre Javaux, Xavier Durringer, Eyal Sivan.
Musique de film
Longs métrages
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Le Cœur des hommes 2 Marc Esposito
Ceux qui restent Anne Le NY (2007)
Lady Chatterley Pascale Ferran (2006) FIPA d'or pour la meilleure musique de
fiction
Serko Joêl Farges (2006)
Ballade au Printemps Pierre Javaux (2005)
Toute la beauté du Monde Marc Esposito (2005)
Le Cœur des hommes Marc Esposito (2002)
La Fille de son père Jacques Deschamps (2001)
Méfie -toi de l'eau qui dort Jacques Deschamps (2000)
Le Lait de la tendresse humaine Dominique Cabrera (2001)
Nadia et les hippopotames Dominique Cabrera(1999)
La Voleuse de Saint-Lubin Claire Devers (1999)
L'Autre côté de la mer Dominique Cabrera (1996)
L'Age des possibles Pascale Ferran (1995)
Petits arrangements avec les morts Pascale Ferran (1993)
Documentaires, films TV
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Les Pygmées de Carlo Radu Mihaileanu (2002)
Les Oreilles sur le dos de Xavier Durringer (2001)
Un Spécialiste, portrait d'un criminel moderne (1999) Eyal Sivan et Rony
Braumann.
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Les Vilains : Xavier Durringer (1999), Prix de la meilleure fiction à Saint
Tropez.
Retiens la nuit : Dominique Cabrera (1998)
Long cours : Alain Tasma (1996)
Ricky : Philippe Setbon (1995)
Opéras
« Nouvelles Histoires d'Elle » (2001) Opéra de chambre (prix Nadia et Lili Boulanger
à l'Académie des beaux-arts).
Musique de scènes
"Lettres d'Algérie" (2000), oratorio pour soliste choeur et orchestre de chambre
Oeuvres Symphoniques
"L'invitation au voyage" mouvements pour orchestre.
« Vogel star » mélodie pour choeur et orchestre, sur un poème de W A Mozart
Oeuvres instrumentales
« Fortune Cookies » Quatre opus pour piano et Poésie Murmurée Interprétée par
Béatrice Thiriet
"Quatre opus pour piano et poésie murmurée"
Disques
Bandes Originales
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Lady Chatterley.
Petits arrangements avec les morts.
L'Age des possibles.
Air des Toiles.
Le Cœur des hommes.
L'autre côté de la mer.
Méfie-toi de l'eau qui dort.
Musique
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Fortune cookies.
Vogel star.
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A Une éclatante réussite
Qualifié par les cahiers du cinéma d’ « éclatante réussite », l’adaptation du roman de
David Herbert Lawrence « Lady Chatterley et l’homme des bois » est remplie d’une
tendresse émouvante par sa simplicité et sa douceur. La nature y est omniprésente,
sans exagération d’un côté bucolique fleur- bleue ; vue au contraire avec une poésie
sobre et élégante. La forêt participe donc au récit, au déroulement du temps par le
cycle des saisons, son autonomie. Permet aux personnages de vivre réellement,
visuellement, le goût de la découverte du plaisir, de l’autre. La mousse et les feuilles
mortes entourent les rencontres du garde-chasse Perkin et de Constance Chatterley.
Ses promenades permettent au spectateur de partager son regard sur le domaine,
calme et innocente, Constance semble apprécier avec sérénité.
L’écart entre leurs classes sociales respectives fait de leur rencontre une union
impossible mais le traitement évite au propos de se simplifier en mélodrame trop
évident. Les personnages prennent de l'ampleur, nous observons l’attention qui les
unis. Les signes de leurs classes sociales apparaissent à travers des hésitations
39
dans leurs conversations, marqués par le respect, pourtant assez tendues. Des
réactions premières, bourrues de Perkin sont contenues avec attendrissement, son
étonnement sincère face à l’intérêt qu’elle lui porte insiste sur la délicatesse avec
laquelle il la voit.
La cinéaste raconte autre chose que le désir brutal ou l’amour vu à travers un ancien
modèle qui ne parviendrait pas à rendre compte avec sincérité, justesse de la
tendresse de leur histoire.
B Comment avoir de la créativité sur tous les plans
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"On peut faire ce qu'on veut en musique, c'est à dire avoir de la créativité sur
tous les plans" me dit Béatrice Thiriet à propos du rapport entre la musique et le film.
Les choix rendent compte d'un point de vue, l'ensemble des choix n'est pas
véritablement perçu par le spectateur, il est guidé.
La compositeure à été entièrement conquise par le sujet et le film, il semble
qu'écrire une musique originale se fasse dans l'action, suite au choc éprouvé par le
film. L'image et le son, les acteurs, la mise en scène en général inspirent beaucoup.
Il semblerait que beaucoup de musiciens ( Georges Delerue par exemple )
revendiquent l'utilité de commencer à travailler à ce moment-là, et non au scénario. Il
est vrai que se tromper de ton doit arriver plus facilement sans avoir vu les images;
et encore une fois, visualiser les gestes et couleurs, le montage peut être capital
pour laisser libre cours à l'imagination.
Ici, il fallut environ deux mois pour concrétiser le dialogue entre la réalisatrice
et la musicienne. Pascale Ferran considère qu'il faut un rapport de confiance et de
grande compréhension avec le compositeur, pour que le travail soit fructueux.
Demander une musique originale c'est accepter de déléguer une part de l'écriture à
une autre individualité, d'où l'évidente nécessité qu'il y ait des atomes crochus.
41
La musique de ce film n'apparaît que lorsqu'elle est nécessaire, il ne fallait surtout
pas qu'elle soit subie. Le silence est d'ailleurs d'une grande qualité et accompagne
très bien le caractère sage et réfléchi de Constance.
42
Comment la musique trouve-t-elle sa place dans le récit ?
On l'observe cueillir des jonquilles, prêter attention à un écureuil, s'adosser contre un
arbre recouvert de mousse dans l'ambiance sonore d'une forêt reconstituée avec
beaucoup de détails. La musique trouve parfaitement sa place dans cet écosystème
sonore. Mieux, elle paraît s'en revendiquer. En effet, l'une des bases de la création
de cette musique est qu'elle incarne l'appel de la nature. Dans un respect du poème
symphonique, les pièces arythmiques ajoute de la vie aux plans d'inserts sur la
nature qui bénéficient par ailleurs d'une superbe photographie. Les points de
synchronismes sont légers et traités avec beaucoup de précision à l'écriture
( l'enregistrement de la musique se fait sans l'image) .
Lorsque les coups d'archers rythment la course de Constance pour se rendre à la
cabane, une note semble faire s'envoler son chapeau, provocant des rires dans la
salle. La musique ajoute donc une note d'humour à travers un point de synchronisme
marqué, comme un clin d'oeil à l'époque du muet où la gestuelle des personnages
était intégralement traduite en musique.
Chaque film doit résoudre de nouveaux problèmes. Ici le choix de s'écarter de la
musique anglaise était important pour libérer le potentiel de la musique, éviter de
tomber dans les codes du genre.
La musique paraît très proche de Constance. En effet son émotion est subtilement
contenue dans la musique, et trouve sa place dans la délicatesse du traitement de
l'ensemble. A un moment, Constance se réveille en sursaut d'un cauchemar. Elle se
lève pour prendre un verre d'eau et observe la lune à sa fenêtre, deux notes tenus de
violons viennent soulever l'émotion de la scène.
Selon Béatrice Thiriet, la musique apporte dans Lady Chatterley de la flexibilité et
ouvre des espaces temporels. Elle sort la bande son du principe de réalité qui la
gouverne pour s'attacher à une vision neuve, la découverte, la rareté.
La volonté de faire naître la musique des ambiances sonores de la forêt se retrouve
dans le choix des couleurs orchestrales, les notes arythmiques qui font échos aux
mouvements aléatoires de la nature.
Un des choix principaux, caractéristique du rapport entre le film et la musique est le
choix d'illustrer surtout les moments où ils se séparent. C'est une histoire dure, d'un
certain point de vue, ils sont voués à l'échec, se focaliser sur ces moments de
solitude permet de se rapprocher de la rareté de leur rencontre.
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D Quelle est l'évolution de la musique dans le récit?
"C'est difficile de répondre et le mot évolution ne semble pas convenir. Ce n'est pas
une organisation linéaire ! Et je parlerai plutôt de révolution ! la musique dans Lady
Chatterley exprime des sentiments et des émotions très diverses, comme si elle
explorait en toute innocence, les nouvelles affections de Constance. La musique est
toujours en mouvement. comme « elle » vers « lui », « lui » vers « elle »., et la nature
qui sans arrêt bouge au rythme des saisons. Tout ça est très actif et s'accélère. puis
explose avec le générique fin que j'ai appelé « ouverture ». Vous voyez, je vous
parlais de révolution."
Béatrice Thiriet
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4 Les nouvelles possibilités techniques
A MIDI et home studio
"Avec l'arrivée des instruments électroniques est née l'ère de la substitution, du
simili, du leurre. Considéré au départ comme renfort – notamment pour simuler la
présence d'une armée de cordes incompatible avec l'enveloppe budgétaire – le
synthétiseur est devenu l'instrument à tout faire. Il présente à la fois les avantages de
la commodité du travail et de l'économie de la réalisation. Que rêver de mieux ? Les
obstacles [...] d'incompréhension entre compositeur et metteur en scène sur les
questions d'instrumentation, timbres, volumes disparaissent grâce à ce clavier
miraculeux qui peut reproduire toutes les couleurs de l'orchestre, les enregistrer, les
superposer, les mixer, bref réduire à un seul interprète les opérations si onéreuses
de l'enregistrement d'une musique de film."
Alain Lacombe p 297 de "La musique de film" dans un article nommé "synthétiseur
cache misère".
Le Midi (Musical interface for digital instrument) offre de nombreuses possibilités
créatives pour les musiciens de scène ou de studio. C'est un signal codé qui circule
de façon numérique entre les différents appareils, partagé aussi bien par les
ordinateurs, que les boites à rythmes, synthétiseurs, expandeurs ( module sonore qui
conserve des formes d'ondes en mémoire )
Le MIDI en lui-même ne produit, ni ne contient aucun son, Le signal comprend des
paramètres de son comme le volume, le panoramique, l'aftertouch (fin d'utilisation
d'une touche) , la durée de la note et sa vélocité,. C'est un signal qui peut se répartir
sur plusieurs appareils en série pour les relier.
Il permet aujourd'hui grâce à un clavier maître de jouer de tout types d'instruments
en envoyant des signaux à un appareil multi- timbral de lui faire jouer simultanément
jusqu'à 16 instruments différents (suivant le modèle). IL ne reste plus qu'à récupérer
la sortie son de ce synthétiseur, et de l'enregistrer dans l'ordinateur via Protools ou
Cubase, c'est à dire via un séquenceur, logiciel qui mélange du son (audio) ou/et
midi sur une time line, frise temporelle.
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B En quoi ce matériel est-il utile au compositeur de cinéma ?
Le compositeur de cinéma a pour habitude de présenter des maquettes de la
musique pour la présenter au réalisateur, l'essayer sur les images. Le MIDI c'est la
possibilité de réaliser une maquette pour un orchestre symphonique dans un home
studio, l'accès à du matériel professionnel pour les particuliers.
La flexibilité du signal MIDI c'est de pouvoir changer d'instrument facilement et
proposer plusieurs textures pour le même thème par exemple. Il y a aussi les
éditeurs de partition qui sont configurés pour écrire les notes jouées sur le clavier
maître. Ce sont des moyens de faciliter la création.
Les possibilités de traitement de l'audio offertes par les plug-ins permettent par
ailleurs de bénéficier d'un mixage très correct en home studio également, sans
matériel très cher comme consoles, effets pour traiter les pistes. De plus, comme
l'effet est virtuel il peut se multiplier sur les pistes de la session de travail à la
différence de l'appareil physique.
Plug-in : un ajout à un logiciel totalement pris en charge par ce logiciel.
Les programmes s'adaptent à une plateforme centrale, il y a différentes familles de
plug-in, les Vst pour Cubase, logiciel de Steinberg; les TDM et RTAS pour Protools
de Digidesign.
Donc pour les maquettes par exemples, les possibilités offertes par le MIDI sont très
vastes.
L'utilisation des nouvelles technologies apporte tant de flexibilités que l'industrie
cinématographique, audiovisuelle, en profite pour faire des économies. A défaut
d'oeuvres réalisés par de vrais instruments dont les sonorités sont nettement plus
belles, les films se teintent de couleurs aseptisées. L'esthétique des films s'en trouve
amoindrie si les sonorités se ressemblent toutes et ne font que remplir leur rôle sans
éveiller quoi que ce soit par la qualité du timbre. L'utilisateur doit être conscient de la
froideur des sonorités du MIDI, donc se poser des questions sur le réalisme des
sons. Le MIDI peut - être utiliser comme renfort ou avec pertinence il peut en effet
offrir de nouveaux territoires musicaux à explorer. Proposer de nouvelles règles.
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B Ordinateur et synthèse du son
Un ordinateur est un équipement informatique permettant de traiter des informations
selon des séquences automatisées d'instructions ou programmes. Il interagit avec
l'environnement grâce à des périphériques (écran, clavier...).
Un outil pour le calcul, le traitement d'information, capable d'enregistrer et reproduire
du son grâce à l'échantillonnage.
C'est le processus de numérisation d'un signal acoustique; il s'apparente à un
prélèvement d'échantillons sonores dans le temps. La fréquence de prélèvement doit
être deux fois plus élevée que la note qui a la fréquence la plus haute. Comme
l'oreille entend les fréquences allant de 20 à 20000 Hertz environ la fréquence
d'échantillonnage (sample rate) doit être de 40000 Hertz au moins.
La résolution détermine le nombre de valeurs choisies donner le résultat d'une
mesure d'un échantillon. Par exemple, un codage 8 bits ne permet d'obtenir que 256
valeurs par échantillon, tandis qu'un codage 16 bits en autorise plus de 65 000.
Chaque bit supplémentaire améliore le système de 6 dB. Il faut donc une résolution
de 20 bits (plus d'un million de valeurs) pour coder le signal audio conformément aux
possibilités de l'oreille humaine, mais jusqu'ici, on s'est contenté généralement de 16
bits.
Un synthétiseur est un instrument de musique capable de générer et de manipuler
des sons électroniquement au moyen d'oscillateurs électroniques produisant des
formes d'ondes que l'on module à l'aide de techniques telles que la synthèse
additive, la synthèse soustractive, la synthèse FM, la modélisation physique ou la
modulation de phase.
Les sons peuvent être créés soit de manière analogique à l'aide de circuits
électriques ayant un comportement continu, soit de manière numérique à l'aide de
circuits modélisant numériquement les formes d'ondes analogiques, ou bien encore
de manière mixte en exploitant ces deux possibilités.
Un synthétiseur possède habituellement un clavier qui permet de jouer avec
l'instrument. Toutefois, l'interface d'un synthétiseur n'est pas forcément un clavier,
elle peut se présenter sous forme d'un ruban tactile ou même être la détection de la
position de la main du joueur dans l'espace. À l'inverse, un instrument électronique
muni d'un clavier n'est pas forcément un synthétiseur.
Les possibilités de créer de la musique à partir des paramètres qui composent un
son, émettre des fréquences pures... croisent le chemin de théories cybernétiques ,
l'intelligence artificielle. Les travaux d'Hiller et Isaacson s'élaborèrent selon un
modèle d'analyse / construction musicale venue de l'adaptation de deux traités du
contrepoint. Hiller appréhende la musique en scientifique, en chimiste l'analyse
comme décomposition le calcul comme composition. Les règles seules sauraient à
l'aide d'un simulateur de hasard (« Monte-Carlo ») pour risquer un peu de création,
invoquer le sentiment. Hiller dit que « la musique est un compromis entre la
monotonie et le chaos », le calcul peut-il faire ce compromis?
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D Reason
exemple de logiciel
Reason est un logiciel de MAO professionnel (Musique assistée par ordinateur). Il
est édité par la société suédoise Propellerhead Software. Il émule un rack, c'est à
dire un support pour machines ici virtuelles comprenant différents modules tels que
synthétiseurs, expandeurs , samplers, processeurs d'effets, séquenceur, et est
compatible MIDI. Il peut être utilisé en live, seul en tant que studio indépendant, avec
un séquenceur. Reason peut-être ouvert comme un plug-in en insert sur Protools
c'est à dire comme un effet inséré sur le chemin du signal d'une piste de la console,
qui est ici virtuelle.
Ce logiciel se présente comme un rack sur lequel on inclut une console de mixage,
deux synthétiseurs (nommés "Subtractor" et "Malstrom") dont l'un fonctionne en
synthèse soustractive, quatre types différents de samplers, de nombreux effets et
processeurs de signaux (distorsion, réverbération, chorus, vocodeur...). Il est équipé
d'un séquenceur.
L'originalité de ce programme est qu'il permet de voir la façade arrière du rack virtuel,
afin de réaliser soi même le câblage entre les différents modules. Ceci permet
notamment l'utilisation d'entrées/sorties de paramétrage (contrôle de voltage ou CV,
permettant entre autres choses le contrôle de la hauteur des sons, du volume de
sortie du module, etc).
Reason est compatible MIDI en tant que contrôleur et en tant qu'élément contrôlé. Il
ne supporte par contre pas la technologie VST, cependant les instruments qui le
composent sont capables de créer tous types de sons. La technologie ReWire lui
permet d'être commandé par des séquenceurs compatibles avec ce protocole tel que
Cubase, Digital Performer ou encore Rebirth, le produit précédent de Propellerhead,
et de router jusqu'à 64 sorties virtuelles vers la table de mixage de destination.
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5 Travaux personnels
Cette partie révèle mon intérêt pour la musique de film car j'ai eu l'occasion cette
année d'en créer sur deux fictions d'étudiants à IIIS . Il faut que je fasse brièvement
état de mon parcours musical pour pouvoir exposer mon approche. A l'heure actuelle
je peux difficilement me prétendre musicien. Je n'ai pas les connaissances
nécessaires en solfège ou dans la pratique d'un instrument pour cela; Je pratique
simplement la basse, le piano et Reason en amateur. Il faudra bien sûr, si je veux
faire autre chose que ces modestes essais reprendre tout à zéro. Néanmoins, je
pense que je n'oublierais pas la façon dont j'ai taché de comprendre la musique
d'une façon sensitive à travers ce travail, j'espère que mes réflexions sont apparues
comme pertinentes au lecteur même si l'écriture de la musique est survolée pour
plutôt parler de la place de la musique dans le film.
Les musiques que je présente ici ont toutes en commun la recherche d'une
simplicité, d'un message clair concentré dans une forme qui évolue en parallèle avec
le récit, tachant de donner une teinte émotionnelle juste, lié au ton du film. J'ai
essayé d'attirer l'attention sur un point de vue à chaque fois, en accord avec le
réalisateur. Comme le dit Béatrice Thiriet dans un état d'innocence par rapport au
résultat final, avec la conviction que "ça va marcher".
Je n' ai plus le regard objectif de celui qui se trouve confronté au film pour la
première fois. Ici je vais essayer d'avoir une vision claire de l'intérêt de ce travail, du
message réel de la musique par rapport à l'idée de départ. Les films sont bien sûr
mis à disposition du lecteur, Jeanne n'étant pas finie à l'heure du rendu ils figureront
dans le dossier après coup.
Films d'étudiants
A "L' Homme d'en face" de Samuel Fleury à IIIS en 2007
L'histoire
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Un homme, la trentaine, nommé Paul accepte un boulot de détective privé pour
lequel il doit rester planqué dans un appartement, seul à guetter quelqu'un dans
l'immeuble d'en face.
Il se renferme dans son univers car l'enquête est inexistante. Il observe simplement
un homme qui tape à la machine. On apprendra que celui-ci s'est joué de lui. C'est
un écrivain qui garde le sujet de son récit en captivité et l'observe à son insu. Paul à
perdu la femme qu'il aimait en disparaissant du déroulement de sa vie.
La musique se propose d'accompagner le regard plein regrets de Paul sur sa vie :
"Rien du tout .Voila ce que je ressens,ma vie réduite à rien du tout".
Nous dit la voix off de Paul au début du film alors que nous observons son visage
fermé, fatigué.
Ce regard sur soi semble également guider la structure du récit qui se joue du
déroulement chronologique des événements.
Le film n'a pas été accueilli avec beaucoup d'intérêt par le jury de l'école et le public.
Les choix de réalisation et de mise en scène n'ont pas été partagés par l'équipe
pédagogique. Du coup l'ensemble des éléments de la mise en scène ne paraissent
pas suffisamment étoffés pour appuyer le propos. Mais il me semble que le point de
vue que nous avons essayé de faire passer dans le rapport sons musicaux /image
fonctionne dans le dispositif.
Il y a trois choix musicaux dans ce film :
Un morceau de piano de Thélonious Monk, choix esthétique de Samuel. Il
intervient alors que Paul écoute de la musique chez lui, en off la conversation au
téléphone avec sa fiancée, il lui dit qu'ils ne vont pas pouvoir se voir pendant quelque
temps. Ce morceau semble s'être attaché au souvenir de cette conversation, de
cette période dans l' esprit de Paul.
Les deux autres sont originales :
L'une constituant une montée d'intensité dramatique dans le grave intervient à
la fin du film au moment où Paul entre enfin chez l'écrivain. Samuel souhaitait
quelque chose de confus qui remplisse la mission d'inspirer chez le spectateur de
l'adrénaline et un sentiment de crainte onirique, détaché de la réalité inspirée par
Lynch.
L'autre est composée de notes aiguës, tenus, espacés, marquant le repli sur
soi,. elle ajoute une part de mystère à la situation.
Ces deux musiques sont opposées, l'une naît de l'ennui de Paul, l'autre de son
excitation. Les deux sont encrés dans un malaise profond qui semble vouloir s'
exprimer lentement
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Le bouillonnement grave à été réalisé avec des résonances de piano montées au
mixage. Ces sons sont renversés, c'est à dire qu'ils commencent par la fin, le
chuintement finale de la sonorité et monte en intensité pour se chevaucher.
L'autre musique apparaît de manière récurrente dans le film.
La première fois, on voit Paul, les yeux cernés, fatigués, déchirer avec désinvolture
la photo de l'homme qu'il surveille. La musique à l'aide de l'action semble s'attacher à
décrire le repli sur soi, le regard désespéré sur la situation de Paul . La clarté du
timbre ajoute de l'innocence au personnage, les silences rendent le ton triste et
nostalgique, comme aborder un souvenir douloureux. Cette musique est intrigante,
suggère l'attente car on ne sait pas encore à quoi l'associer précisément.
Elle apparaît de plus en plus longtemps au cours du film.
La deuxième fois elle illustre l'arrivée de Paul dans l'appartement. Elle est
effectivement liée à ce lieu, qui a détaché Paul du cours de sa vie.
Sur le plan du synchronisme avec le récit ou l'image, il y a plusieurs moments où
nous avons essayé de lui trouver une place pertinente:
Après le flash-back de la conversation avec sa fiancée, la première note de cette
musique se fond dans le morceau de Thélonious Monk qui disparaît, elle trouve
ensuite sa place dans un plan du visage de Paul qui dit à ce moment en off :
"Je tenais tellement à toi, si j'avais su." On arrive sur un gros plan de Paul, toujours
visage fermé, pensif. Le rythme est lent ; les notes sont tenus longtemps. La
résonance de la note conserve l'idée de ce sentiment et aide à le transmettre au plan
suivant. Le tintement suivant apparaît lorsqu'il cligne de l'oeil.
Lorsque Paul revêt un bleu de travail pour se rendre chez l'écrivain sans être
reconnu la musique se développe et révèle une note tenue d'orgue électronique qui
annonce l'apparition de l'image de Paul dans le miroir, ce rapport du vu à l'entendu
semble apporter la possibilité de transmettre les propriétés sonores de l'orgue à la
destinée du personnage donc prépare à un événement dramatique sans qu'on y
prête attention. Il descend l'escalier. La musique s'arrête vite alors qu'il sort de
l'immeuble, elle n'a sa place que dans son univers.
D'ailleurs, elle semble appartenir à l'univers qu'il se crée lorsqu'il colle des photos
diverses, des invitations au voyage sur les murs de la chambre qu'il occupe. On
entend alors la musique se poser sur le montage de plans d'insert de ses photos, un
train à vapeur asiatique par exemple dont on entend la locomotive.
Cette musique n'apparaît que lorsqu'il est seul et dans un état de réflexion sur luimême, c'est le choix des moments à illustrer qui nous permet de lui attacher un sens.
Cette musique préexistait au film, elle a été refaite pour coller mieux au ton mais
l'écriture est la même. Cette musique seule me semble évoquer un mystère par sa
structure. L'attachement à quelque chose de perdu, un souvenir douloureux par la
tonalité et la clarté des sons.
Les notes ont comme du mal à s'émanciper, elles se font rares.
Au départ c'était un morceau composé de sonorités synthétiques choisies et
travaillées pour leurs brillances. Maintenant ces notes synthétiques se cachent dans
le timbre d'un piano, le tout ressemble à de petites cloches. Le parti pris de mettre
cette musique à un niveau faible à été pris dès l'écriture, Cette musique devait se
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deviner, être perçue plus qu'imposée. Ces sons clairs demeurent intelligibles si on
les cache dans la bande son.
B "Jeanne" de Laure Pradier à IIIS en 2007
A l'heure où je prépare ce travail,
le film est en fin de montage.
La ville. Une rencontre de voisinage.
C’est Etienne, il photographie des corps qui
s’aiment : Anne et Philippe, Valérie et Bruno,
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Roberto et Maria… il possède des albums
entiers de ces couples anonymes.
Et c’est Jeanne, pudique et instinctive, elle
sait toucher la terre mais pas le corps des
hommes.
Ebranlée par les photographies d’Etienne,
Jeanne devient voyeuse et femme.
Extrait du dossier de présentation du film.
Laure me dit avoir besoin d'une forme de son grave qui varie dans le temps pour
représenter les remous intérieurs des personnages à la manière de "Sexe,
Mensonges et Vidéos".
Pour moi, il y a alors un piège à ne pas éviter, celui de croire qu'une "nappe" comme
on dit servira au mieux le film sans qu'on l'accroche à une idée précise.
Pour Béatrice Thiriet, ce genre de chose c'est l'informe et l'occasion de mettre une
fausse tension et non du sens, de ne rien raconter.
A l'aide de Reason, qui émule comme on l'a dit des formes d'ondes à retravailler, je
cherche des sonorités qui soient vastes et sombres. Il y a dans l'histoire de cette
rencontre la question centrale du corps comme objet du désir. La peur d'être livré. Il y
a dans le calme de Jeanne une profondeur qui nous pousse à lui prêter des
sentiments.
La musique interviendra juste après que Jeanne ait vu les photos d'Etienne, la
laissant troublée, lors de la séquence où il prend des photos d'un couple en action.
La musique sur laquelle nous sommes tombés d'accord est très sombre et ainsi
correspond avec les photos que prend Etienne. La sonorité se rapproche d'un orgue,
de longs battements graves indiquent comme une idée noire persistante. Elle semble
montrer la présence d'un obstacle Cette musique évoque par moment un aspect
sacré, comme une prière. Laure me dit que sans la musique; la séquence paraissait
sèche; que la musique représente l'impact des photos, travaille dans le sens de la
projection de Jeanne vers l'univers d'Etienne.
La noirceur du développement alors qu'a l'image ont voit un couple qui s'aime le
rapproche de la mort et le met sur un piédestal, le temps est comme arrêté autour
d'eux. Je pense que cette musique se veut être une peur enfouie. Les sonorités
aiguës qui apparaissent lorsqu'elle l'embrasse intègre le flux musical dans le
déroulement du film, attache la musique au sens, nous pousse à faire un distinguo
très manichéen: l'aigu est une teinte d'espoir dans un univers noir.
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Conclusion :
Exemple de films qui m'ont incités à aborder ce sujet
"Dead Man" 1995 de Jim Jarmusch
"Le manuscrit trouvé à Saragosse" 1964 de Wolkje Haas
« Le manuscrit trouvé à Saragosse » De Wolkje Haas
"L’égal de Fellini par la luxuriance des images, de Tarkovski et Satyajit Ray par la
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densité de la réflexion."
Gilbert Guez, Le Figaro, 19 mai 1986.
"Le jeune Alfonse Van Worden, capitaine de la garde wallonne du roi d’Espagne,
traverse les montagnes sauvages de la Sierra Morena pour se rendre à Madrid. Il fait
la connaissance, dans l’auberge où il passe la nuit, de princesses maures qui lui
dévoilent un mystère: il accomplira de grands exploits mais auparavant, il lui faudra
prouver son courage."
(commentaire au dos du DVD)
Comparé à un film de Fellini pour la luxuriance des images, à Tarkovski pour la
densité de sa réflexion, ce film est qualifié d’œuvre fondamentale du cinéma
polonais.
J’ai choisi ce film pour son imaginaire mais surtout pour la musique de Krystof
Penderecki. L’histoire se passe en Espagne au XVIIe siècle, un gentilhomme, garde
Wallonien est séduit par deux princesses Mores puis se réveille près d’une potence
dans la sierra. L’esthétique de Western Baroque : duel de gentilshommes,
chevauchés dans la Sierra, pendus ; s’allie au caractère fantastique du récit, aux
gravures cabalistes pour dresser un tableau surprenant.
Le propos ajouté par la musique est d’une grande pertinence. Dès l’ouverture du film,
une scène de bataille dans un village espagnol, la musique semble opérer une
lecture au second degré. "L’hymne à la Joie" de Beethoven illustre un plan fixe ou
l’on voit les obus tomber dans le passage des soldats en pleine débandade. L’un
d’eux court au combat en appelant des renforts, peine inutile. La musique contribue
alors à la mise en scène pour poser un contexte, la bataille ne semble être qu’un
décor pour démarrer l’histoire, le déroulement de la bataille ne semble pas avoir tant
d’importance à l’image des soldats. Cette musique évoque plutôt le rang des
officiers, les rires de la cour.
La musique de Krystof Penderecki, est constitué d'oeuvres symphoniques tonale ,
de bruissement d'orchestres et de sonorités synthétiques surnaturels qui révèlent
l’omniprésence du diable dans ce lieu de perdition. Ce qui joue des tours aux
personnages. Les particularités des timbres, donnent une impression
d'anachronisme ou d'atemporalité du récit; par leurs modernités.
Fait de bruissements d’orchestres (cordes tirées, pincés, frottés), de résonances où
semblent tomber des notes, des attaques comme des gouttes au fond d’un puits,
longtemps réverbérés , curieusement. Le spectateur à des visions face à ce film. Ce
film conserve une allure étrange tout du long d'autant plus qu'il a la particularité
d'ouvrir des récits les uns dans les autres, sa structure le rapproche donc d'un
songe. C'est cette impression de rêve éveillé que transmet la musique par sa variété
de timbres et par la façon dont elle s'impose en terme de rythmes et de fréquence
dans une bande son cohérente très riche (ailes de corbeaux, éperons, chèvres,
cavaliers, hennissements).
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"Dead Man" 1995 de Jim Jarmusch. Avec Johnny Depp
Dead Man s'apparente à un western et au voyage initiatique dans l’ouest sauvage en
plein déclin de William Blake (Johnny Depp), homonyme du poète anglais, arrivant
dans une petite ville perdue pour y exercer le métier de comptable. Tout ne se passe
pas comme prévu et il se trouve blessé, perdu dans le désert et recherché par des
chasseurs de primes. Un indien nommé Nobody le rencontre et s'occupe de lui. Il le
prend pour le vrai William Blake et souhaite l'aider à retrouver le chemin de l'au-delà.
Jim Jarmusch justifie son choix d’avoir réaliser un western en disant que c’est un
genre ouvert à la métaphore. La rencontre d'une conception de la vie comme un
cycle comme celle que possède l'indien est un point d'appui
pour la
musique,composé par Neil Young principalement à la guitare électrique.
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Dans la séquence de début, le personnage semble naïf et fin, ce qui ne convient pas
avec son voyage à l'ouest. Le bruit des rails dans cette séquence, la conversation
avec un passager mécanicien, le moment où les passagers se mettent à tirer sur des
bisons, par plaisir. Tout participe à ce qu'on sache à quel point le personnage se sent
à l'écart, les premières notes se font entendre en même temps que le train, des
frottements de cordes avec un "Delay", retard, écho au son généré par un effet.
Dans ces deux films, je trouve que le traitement musical de l'étrange est très
intéressant. Les bruissements de cordes de guitare qui commencent " Dead Man"
curieusement se rapprochent de la recherche de timbre, d'impact et de durée de
Penderecki. Les deux films illustrent tous deux l'idée qu'a la frontière du bruit et des
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sons musicaux se trouve le rêve et que ces essais rendent une parfaite sensation de
fantastique. D'autre part, ces films confient à la musique le rôle de montrer le rapport
à la mort du personnage, sa solitude face au destin . La ressemblance entre ces
films est loin d'être flagrante, à part dans le noir et blanc. Mais ils ont tous deux un
autre sens de lecture et d'interprétation. C'est le caractère mystique et spontané de
la musique, à la fois instinctive et très recherchée qui le rend visible, réalisé des
deux côtés par une individualité musicale qui m'a poussé à appuyer ma conclusion
des ces deux films.
Le compositeur apparaît avant le film comme spectateur de l'univers du réalisateur
qui l'a choisi. La transmission de sensations spontanées à travers la musique de film
est décuplée si le compositeur, par le dialogue avec le réalisateur, pénètre le ton du
film et intériorise les sentiments qui naissent du récit. Pour moi, il doit se projeter
dans le personnage comme le ferait un acteur pour trouver le bon mode
d'expression. La cohérence des points d'entrées et de sortie et le niveau sonore sont
fondamentaux car c'est un art du dosage.
Bibliographie
Jacques Aumont et Michel Marie " L'analyse des films"
Pierre Berthomieu "La musique de film" ed. Klinsieck
Michel Ciment "Kubrick" ed. Calmann-Levy
Alain Lacombe et François Porcile "Les musiques du cinéma français" ed. Bordas
Stéphane Lerouge "Conversations avec Antoine Duhamel" ed.Textuel
John Pierce ed. Belin "Le son musical"
Gilles Mouëllic "La musique de film" ed. cahiers du cinéma
Audiofanzine.com
Cinempire.com
Cinezik.org
filmdeculte.com
Images.google.fr
Mac-music.org
Max-texier.ircam.fr
Michel-Chion.com
Malavidafilm.com
Samplecraze.com
Techno-id.com
Traxzone.org
Wikipédia.org
Liens internet
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Filmographie
"L'acrobate" 1975 de Jean-Daniel Pollet
"Dead Man" 1995 de Jim Jarmusch
"Dr Follamour" 1963 de Stanley Kubrick
"Eyes wide shut" 1999 de Stanley Kubrick
"Le Mépris" 1963 de Jean-Luc Godard
"Laissez-passer" 2001 de Bertrand Tavernier
"Mystic River" 2003Clint Eastwood
"Le manuscrit trouvé à Saragosse" 1964 de Wolkje Haas
"Pierrot le fou" 1965 de Jean-Luc Godard
"The shining" 1979 de Stanley Kubrick
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