éducateur - La vie au grand air
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éducateur - La vie au grand air
F O N D AT I O N N° 55 Juillet 2006 L A V I E AU GRAND AIR Profession : éducateur Être éducateur aujourd’hui : un métier en évolution Le métier d’éducateur : origines et perspectives professionnelles Jean René LOUBAT Comment et pourquoi la formation des éducateurs a évolué ? Joëlle DUTRUILH Témoignages des éducateurs de la Fondation 40 rue Liancourt, 75014 PARIS • Tél. : 01 53 91 23 23 - Fax : 01 43 20 40 73 Sommaire 3 Éditorial Dossier spécial : profession éducateur : Être éducateur aujourd’hui : un métier en évolution 4 Le métier d’éducateur : origines et perspectives professionnelles, Jean-René LOUBAT 10 Comment et pourquoi la formation des éducateurs a évolué ? Joëlle DUTRUILH 14 L’analyse de Pierre ROBICHON, Directeur des Accueils Éducatifs en Sénonais 16 Interview des chefs de service éducatif des Accueils Éducatifs du Pays Haut, Sandrine SARTORI et Geneviève OSTERTAG Témoignages d’éducs 2 19 Réintroduire la place des parents, Accueils Éducatifs d’Étampes 25 Être éducateur en internat, c’est être l’éducateur « du quotidien au quotidien », Accueils Éducatifs du Jura 26 Ma propre adaptation et l’adaptation permanente d’un éducateur dans une maison de l’enfance, Accueils Éducatifs de Montargis 28 Être éducateur dans un service d’accueil de jour, c’est être créatifs et réactifs, Accueils Éducatifs en Eure-et-Loir 29 Les jeunes éducatrices des Accueils Éducatifs de l’Oise s’interrogent sur la fonction d’éducateur en internat 30 Éducateurs d’hier et d’aujourd’hui, Accueils Éducatifs du Pays Haut 31 Bibliographie LA VIE AU GRAND AIR, N°55 - juillet 2006 Éditorial Jérôme SALTET Président de la Fondation LA VIE AU GRAND AIR LA VIE AU GRAND AIR, N°55 - juillet 2006 3 Profession : éducateur L’évolution du métier d’éducateur Le métier d’éducateur : origines et perspectives professionnelles Jean-René LOUBAT est psychosociologue, docteur en sciences humaines, consultant libéral auprès des établissements sanitaires, sociaux et médico-sociaux ; il est l’auteur de divers ouvrages dont Résoudre les conflits dans les établissements sanitaires et sociaux, (1999) et Instaurer la relation de service en action sociale et médico-sociale (2002). Son dernier ouvrage intitulé Penser le management en action sociale et médico-sociale est sorti chez Dunod en 2006. L’éducateur et les travaux d’Hercule Depuis quelques décennies, la fonction d’éducateur fait partie du paysage des établissements et services sociaux et médico-sociaux, et pourtant… par-delà les pseudo-évidences, cette fonction estelle suffisamment cernée ? Est-elle utile et indispensable ? Voire même, possède-t-elle un avenir dans le futur contexte de l’action sociale et médico-sociale qui se dessine ? Aussi gênantes soient-elles pour les défenseurs d’un ordre corporatiste ou d’un idéal professionnel, ces questions méritent pourtant d’être posées sans crispation aucune. Sans nous revendiquer particulièrement d’une lecture psychanalytique, nous adhérons néanmoins à la célèbre formulation freudienne selon laquelle l’éducation ferait partie de ces quelques « métiers impossibles ». Nous pouvons noter que si le vocable d’éducateur est largement utilisé, voire revendiqué comme totem identitaire, dans les établissements et services de l’action sociale et médico-sociale, le concept d’éducation est de plus en plus absent et de moins en moins usité (on lui préfère souvent le concept plus soft, mais qui signifie tout autre chose, d’accompagnement). Or, peut-on définir la fonction d’éducateur sans référence précise à l’éducation ? C’est bien là que se situe le problème : ainsi a-t-on pu repérer plus d’une vingtaine de conditions d’exercice du métier d‘éducateur spécialisé… Comment peut-on soutenir aujourd’hui l’idée qu’un même professionnel puisse être l’homme de la situation auprès d’enfants avec autisme, de personnes âgées dépendantes, d’adultes déficients intellectuels, puisse mener des actions en milieu ouvert, assurer de la prévention, une aide à l’insertion professionnelle en entreprise, une aide au logement, exercer en Unité d’éducation renforcée ou bien gérer des tutelles et curatelles ? Une telle polyvalence, relevant des Travaux d’Hercule, n’est plus guère crédible tant les compétences exigées sont devenues précises. D’autre part, il est clair que ces populations les plus diverses ne relèvent pas toutes à proprement parler d’une « action éducative », tant s’en faut, ou bien alors le terme n’a plus aucun contenu identifiable. De la Révolution industrielle à 68, en passant par Vichy L’histoire des secteurs qui nous intéressent explique cela : les premières écoles d’éducateurs font référence à une posture charismatique et un idéal philosophique et moral (chargées d’arrières-pensées politiques, diront les pourfendeurs du travail social). Elles sont nées de « l’invention de l’enfant » au XIXe, comme l’évoque P. Ariès, et par conséquent de la pédagogie comme outil orthopédique1. L’éducateur est issu de la vision d’un parent idéal, nourrie des encyclopédistes, de l’Émile de Rousseau, et de tous les religieux pédagogues qui ont parsemé ce XIXe. Nombre d’écoles de travail 4 LA VIE AU GRAND AIR, N°55 - juillet 2006 social furent fondées au début du XXe siècle par des religieux ou des militants religieux, comme l’École pratique de formation sociale, l’École libre d’assistance privée (fondée par l’abbé Viollet), l’École normale sociale ; les protestants ne devaient pas être en reste, fondant par exemple l’École pratique de service social en 1913. En 1942, l’abbé Plaquevent crée la première école d’éducateurs : l’Institut pédotechnique de Toulouse (aujourd’hui l’IRFCES Saint-Simon) dans le sillon de son ouvrage, Pour l’essor du catholicisme en France (nous sommes sous le régime de Vichy). Il fondera d’ailleurs une association intitulée sans surprise L’Essor. Les premières écoles d’éducateurs sont des internats qui tiennent du camp scout et du séminaire ; elles font obligation d’une vie communautaire où l’on partage tout : on partage le gîte avec le directeur et l’on mange tous à la même table avec les enfants. Le métier est alors une vocation, un engagement personnel, un don de soi. Ce mode de fonctionnement laissera durant longtemps des traces dans les écoles de travailleurs sociaux, curieusement relayé par le communautarisme baba-cool ou les utopies autogestionnaires. Nombreuses sont celles qui mettront en place des camps ou des stages ressemblant à s’y méprendre à cette philosophie de départ. Le fonctionnement de divers lieux de vie ou communautés éducatives reproduit encore intégralement une telle optique. Pourquoi pas. Simplement, il faut bien convenir que nous avons alors affaire à une posture militante et non à une « activité professionnelle » manifestant un service public. La professionnalisation de l’éducateur interviendra plus tard, par commodité historique, parce qu’il fallait remplacer les acteurs des congrégations par des laïques (autant pour des raisons pratiques : la diminution des vocations, la difficulté économique pour les congrégations d’entretenir les établissements, que pour des raisons administratives et idéologiques : remplacer les œuvres religieuses par un corps franc, plus ancré dans la société civile et la laïcité républicaine, sur lequel l’administration avait plus de prise). 1 Cette vision apparaît très forte dans des mouvements chrétiens éclairés qui voient dans l’éducation un moyen d’améliorer la société et l’homme, et d’extraire les populations ouvrières de la dualité de l’avilissement industriel (décrit par Engels, Dickens ou Zola) et de l’alternative socialiste anticléricale. L’évolution rapide des politiques en matière d’action sociale et médico-sociale au cours de l’aprèsguerre, en relation avec une évolution sociétale non moins véloce, amène l’émergence incessante de nouveaux dispositifs, de nouveaux établissements, de conventions, de formations, de syndicats employeurs, de diplômes (comme celui d’éducateur spécialisé en 1967), de franges toujours plus importantes de bénéficiaires. Toujours par commodité, l’éducateur est mis à toutes les sauces : l’éducateur n’exerce alors plus en référence avec le concept d’éducation, mais est devenu un polyvalent de l’action sociale et médico-sociale, un « technicien de la relation » ; cette polyvalence même programme sa fin. Soyons clairs, il ne s’agit en rien de la « fin professionnelle » des personnes qui exercent en qualité d’éducateurs ! Ils mettront leurs compétences et leur expérience au service d’autres appellations… Nous parlons de la fin probable d’un mode d’exercice, d’une conception de l’intervention sociale qui devra nécessairement se reformater. > LA VIE AU GRAND AIR, N°55 - juillet 2006 5 Profession : éducateur > > Le métier d’éducateur : origines et perspectives professionnelles Une évolution vers de futurs métiers Les perspectives professionnelles qui se dessinent pour les décennies à venir sont, une nouvelle fois encore, en prise sur de grandes lignes d’évolutions sociétales qui touchent l’ensemble des pays développés. Par exemple, la loi du 11 février 2005 ne fait que s’inspirer des modèles de pays plus avancés2 (Canada, pays scandinaves). Nous pouvons tracer quelques grands traits de cette évolution, la détotalisation, l’approche écologique, la relation de service, la socio-diversité, la promotion sociale : modes d’intervention se feront de manière privilégiée au domicile ou dans l’environnement de la personne (les modes d’institutionnalisation plus ou moins forcés, qui ont été le lot de populations en situation de handicap, seront considérées comme culturellement révoltants dans quelques années… !) ; • troisièmement, les interventions se feront en fonction de besoins et d’attentes et non plus de labels défectologiques (déficients, autistes, psychotiques, cas sociaux, etc.). Les relations entre personnes obéiront aux critères et aux modalités habituelles des relations de service ; • quatrièmement, elles devront s’adapter à une diversité croissante de besoins, de situations, d’âges et de populations (ce que nous appelons la socio-diversité) ; • cinquièmement, leur contenu et leur projet devront évoluer vers de nouveaux concepts comme la participation sociale, le développement personnel, bref, s’attacher à la promotion des personnes. Quels pourront être les futurs cadres d’exercice de l’ex-éducateur ? • premièrement, l’intervention sociale et médicosociale est en train de se « détotaliser », comprendre qu’elle ne proposera plus un mode totalisant de prise en charge, issu historiquement de l’internement psychiatrique et du modèle communautaire, mais une pluralité d’offres de service conjoncturelles adaptées à des réalités extrêmement diverses ; • deuxièmement (dans la suite logique du point précédant), nous assistons à un transfert écologique du tout institutionnel au tout à domicile, comprendre que l’institution apparaîtra de moins en moins comme une solution enviable, et que les D’une part la fonction « d’accompagnateur d’adultes en situation de handicap » va progressivement devenir un mode d’exercice à part entière, sans lien avec la notion d’éducation, s’inscrivant dans un ensemble massif de services rendus à la personne (la principale source d’emplois dans les dix ans à venir, selon les sources du Commissariat au plan). D’autre part, concernant les enfants en situation de handicap, l’éducateur devra œuvrer de plus en plus en complète concertation avec les parents (les seuls véritables éducateurs) et deviendra de facto un conseiller ou un assistant éducatif (avec de fortes connaissances en psychologie, pédagogie, développement cognitif de l’enfant) ou un animateur (concernant les loisirs). D’une manière générale, nous verrons émerger des agents de promotion, d’ambiance ou de développement personnel, des conseillers éducatifs, des médiateurs, des facilitateurs, etc., c’est-à-dire une diversification d’intervenants beaucoup plus ciblés dans leurs perspectives. 2 Inversement, les pays les moins avancés rattrapent leur retard. La Roumanie, par exemple, vient de se doter de lois très proches des lois françaises du 2 janvier 2002 et du 11 février 2005, afin de rentrer dans l’Europe. L’harmonisation européenne est en marche. 6 LA VIE AU GRAND AIR, N°55 - juillet 2006 Jean-René LOUBAT L’action sociale politicosensible Les cas de l’action sociale et médico-sociale sont foncièrement différents : l’action médico-sociale est en prise directe sur le développement économique d’une société ; plus une société est riche plus elle met en place des services médico-sociaux. En France, l’émergence des associations et des établissements médico-sociaux riment avec la croissance (la fin des années cinquante et le début des années soixante). D’autre part, elle s’adresse à des bénéficiaires ou clients, c’est-à-dire des personnes demandeuses de services. L’action sociale, quant à elle, a partie liée avec l’idéologique : elle résulte de positions politiques, comme « l’ordonnance 45 » par exemple, qui est un produit mixte de Révolution nationale et de France libérée… réconciliation oblige. Elle ne s’adresse pas nécessairement à des demandeurs de services, elle s’inscrit même fréquemment dans des dispositifs contraignants. Dans le domaine de l’action sociale (d’où sont issus historiquement les éducateurs et qui constituent le principal domaine où ils sont encore légitimes), on peut donc se demander quelle sera l’évolution des dispositifs. Pour les raisons que nous venons d’indiquer, cette dernière s’avère beaucoup moins lisible que pour l’action médico-sociale (qui va s’aligner sans doute aucun sur le mainstreaming européen), puisqu’elle va dépendre étroitement d’une conjoncture socio-politique et donc d’une certaine lecture des besoins de la société et des populations, et non pas seulement de seules considérations culturelles, morales et psychosociologiques. Cela dit, quelques soient les visions idéologiques, les faits sociétaux finissent par avoir le dernier mot et nous pouvons néanmoins dresser quelques constats et nous risquer à quelques hypothèses : nos dispositifs craquent de toutes parts parce qu’ils n’ont pas tenus compte de l’évolution socio- > LA VIE AU GRAND AIR, N°55 - juillet 2006 7 Profession : éducateur > > Le métier d’éducateur : origines et perspectives professionnelles culturelle de nos sociétés depuis la seconde guerre mondiale, qu’ils n’ont pas voulu voir émerger des phénomènes sociologiques pourtant massifs (révolution dans le monde du travail, chômage important, immigration, dissolution de la famille, affaissement moral, avènement de la société de consommation, importance des médias, etc.), parce qu’ils ont mélangé les besoins, les situations et les problématiques de populations fort différentes à cause de concepts faux-fuyants comme « l’enfance en danger, les cas sociaux ou les adolescents en difficultés »… Il faudra désormais : • dissocier les populations selon leurs besoins, spécialiser les interventions et ne plus confondre des jeunes en difficultés psychologiques pour des raisons familiales, des délinquants chevronnés, des 8 LA VIE AU GRAND AIR, N°55 - juillet 2006 jeunes marginaux en plein éclatement social, voire présentant des troubles psychiatriques, etc. Il faudra nécessairement revoir les dispositifs afin de les adapter sérieusement ; • intervenir beaucoup plus tôt, dès la petite enfance, et faire réellement de la prévention primaire3 là où les choses se passent, c’est-à-dire dans les familles ; 3 Le rapport Dupont-Fauville de 1972 distingue divers niveaux de prévention qui ne se sont pas inscrits dans la réalité, allant rejoindre la longue liste des rapports sans suite dont l’administration française s’est fait une spécialité… Jean-René Loubat • contractualiser des modes d’interventions afin que des assistances éducatives puissent véritablement se faire auprès des parents selon des modalités plus innovantes, mais aussi plus pragmatiques et plus fortes, et non plus sur le modèle périmé de l’AEMO telle qu’on la connaît. de résultats. Cette notion de résultat, que l’éducateur des années soixante-dix - attendant l’émergence du désir – avait banni définitivement de son action, risque fort d’être la pierre angulaire de la future action sociale… Les établissements n’ont-ils plus d’avenir pour autant ? Soyons prudents, tout courant crée toujours des contre-courants. Nous dirons que les établissements ne sont pas des solutions pour toutes les populations, et que ce fut là une grave erreur de le croire. Cependant, l’établissement, en tant qu’il instaure une coupure avec certains environnements négatifs, qu’il permet un recadrage de comportements, qu’il fait découvrir un nouveau mode relationnel, conserve son utilité pour certaines populations, et l’on pourrait même assister à un retour en vogue des internats (comme c’est le cas en milieu scolaire où les demandes sont supérieures à l’offre !). Mais il convient de revoir sérieusement la vocation exacte et le fonctionnement de ce genre d’établissements : possédons-nous le cadre légal, les formations, les techniques, l’état d’esprit nécessaire pour un tel fonctionnement ? Jean-René LOUBAT Psychosociologue-Consultant Formation-Conseil en Ressources Humaines L a boutade qui faisait beaucoup rire, il n’y a pas si longtemps, était la suivante : « éducateur spécialisé… mais spécialisé en quoi ? Silence ». Bien entendu, c’est l’éducation qui est spéciale ou spécialisée et non l’éducateur en soi. Mais la boutade contient sa part de bon-sens : l’éducateur spécialisé est paradoxalement un généraliste à l’intérieur de l’éducation spéciale. Ce « généralisme » aurait pu être un plus si l’éducateur spécialisé avait su toujours occuper une fonction de technicien supérieur en travail social. Entre Supernany et Men in black Parallèlement, une espèce de hiérarchie s’est instaurée implicitement : les éducateurs spécialisés de plus haute volée se dirigeraient vers l’AEMO, le travail auprès des Né d’un parent idéal, l’éducateur s’est affirmé comme un substitut parental, puis comme un suppléant quand les parents se trouvaient en situation d’incapacité parentale, puis est devenu de fait un auxiliaire, il deviendra probablement un conseiller ou un coach pour certaines situations et populations ; il devra se ressourcer (ou disparaître) face à des populations autres qui ont besoin de profils plus caractérisés, quelque part entre Supernany et Men in black – c’est une boutade bien sûr, mais qui exprime de façon caricaturale deux modes d’intervention : celui du conseil à domicile et celui de l’intervention plus musclée, distinction prévention/répression qui va, selon nous, s’imposer inéluctablement dans les décennies à venir. Le temps de « l’éducateur redresseur de torts », jouant sur plusieurs tableaux à la fois, est révolu ; il lui faudra opter pour des voies fort différentes, voilà ce que nous voulons dire. Enfin, le coaching4, représente pour nous une des voies les plus intéressantes à explorer. Terme mode certes, recoupant un grand nombre de domaines et de modalités d’intervention, il exprime l’idée de prendre fait et cause pour les attentes et les intérêts des personnes bénéficiaires, de s’engager de manière pragmatique dans la voie du conseil et de la méthode, mais aussi de s’engager à l’obtention enfants et adolescents en difficulté, constituant une aristocratie dans le cadre d’un exercice quasi libéral, tandis qu’à l’autre extrémité, les éducateurs en internats représenteraient un lumpenprolétariat de l’éducation spéciale. Même si ces représentations ne sont qu’approximatives et en partie fausses, force est de constater que dans nombre d’établissements, les éducateurs se sont retrouvés davantage en position d’exécutants que de techniciens supérieurs. Une certaine confusion ou superposition de rôles s’est installée entre éducateur spécialisé, moniteur-éducateur, aide médico-psychologique, voire conseillère en économie sociale et familiale, éducateur de jeunes enfants, élève éducateur ou même emploi jeune. 4 Pour en savoir plus, se reporter à notre article : in Lien social N° 735, 2005. LA VIE AU GRAND AIR, N°55 - juillet 2006 9 Profession : éducateur Comment et pourquoi la formation des éducateurs a évolué ? Interview de Joëlle DUTRUILH, responsable du pôle éducateurs spécialisée de l’IRTS Montrouge/ Neuilly-surMarne Joëlle DUTRUILH est responsable du pôle éducateur spécialisé de Institut Régional de Travail Social Ile-de-France Montrouge/Neuilly-sur-Marne. Cette formation de niveau 3 rassemble sur les deux sites environ 600 étudiants éducateurs spécialisés : Elle dure 3 ans pour les étudiants rentrant en voie directe, 4 ans pour les étudiants « en cours d’emploi » (bénéficiant d’une convention avec leur employeur) et 2 ans pour les ex-étudiants moniteurs éducateurs désirant devenir éducateurs spécialisés. Sont également en formation les personnes qui se sont présentées à la Validation des Acquis de l’Expérience (VAE) n’ayant pas obtenu la validation de toutes les fonctions de compétence nécessaires à l’obtention du diplôme d’état d’éducateur spécialisé (DEES) et venant faire un complément de formation. Les éducateurs venant suivre une formation ont-ils les même motivations qu’avant ? Ce sont de nouvelles générations qui ont et auront à s’adapter dans un contexte social qui a évolué et évolue rapidement. Leurs motivations profondes me semblent les mêmes que celles des générations qui les ont précédé : un sens de l’altérité, de la générosité, de l’empathie à l’égard des personnes les plus vulnérables de notre société et une aspiration à les accompagner professionnellement. Les étudiants sont cependant conscients que c’est un secteur où il y a des emplois. Cela les rassure dans leurs perspectives de travail. Au niveau de la formation, nous devons non seulement former dans l’immédiateté des problématiques sociales et éducatives existantes et nous avons aussi un devoir d’anticipation quant aux phénomènes émergeants . En quoi la formation des éducateurs a changé ? Le décret de 1967 a mis en place le premier diplôme d’état d’éducateur spécialisé (DEES). Ce diplôme relève de plusieurs ministères : éducation nationale, justice, affaires sociales, jeunesse et sport, alors que les diplômes d’assistants sociaux et d’éducateurs de jeunes enfants dépendent uniquement du ministère des affaires sociales. C’est une donnée intéressante pour réfléchir à ce qu’on attend du métier d’éducateur spécialisé. Ce métier s’est développé après la guerre et dans les années qui suivirent et a bénéficié d’une période de croissance économique. Le diplôme a permis d’encadrer et d’harmoniser des contenus et des pratiques de formation mis en œuvre dans des écoles ayant un statut privé. 10 LA VIE AU GRAND AIR, N°55 - juillet 2006 Le 2ème tournant de la formation se situe en 1990 : on restructure et organise un cadre, un contenu et des exigences de formation qui vont être acquis en alternance dans les centres de formation et les terrains de stage. 2006 est une période de transition car il y a la perspective d’une nouvelle réforme du diplôme d’état des éducateurs spécialisés. Celle-ci va suivre les réformes actuelles qui viennent d’avoir lieu concernant les assistants sociaux, les éducateurs de jeunes enfants, les moniteurs éducateurs, les éducateurs techniques spécialisés et les aides médico psychologiques. Ce qui va changer : la formation est pensée non seulement en termes de savoirs, de connaissances et d’expériences qui seront mises en perspective dans une optique de professionnalisation des étudiants mais aussi ayant comme enjeu l’accès à des compétences déterminées au préalable comme spécifiques à ce métier. Ces 4 grandes compétences à acquérir servent de référence dans le cadre de la VAE et pour l’élaboration du prochain référentiel de formation (élaboration actuellement en cours). Elles sont les suivantes : 1) L’établissement d’une relation, le diagnostic éducatif L’éducateur s’approprie et analyse les informations concernant la commande sociale et la situation de la personne. Il établit une relation éducative avec la personne, sa famille. Il élabore un diagnostic éducatif, une hypothèse d’intervention socio-éducative et il préfigure un projet individuel adapté à la situation en cohérence avec le projet institutionnel ou le mandat. 2) L’accompagnement éducatif de la personne L’éducateur mobilise les ressources de la personne et de son environnement et développe ses capacités. Il exerce une fonction symbolique permettant la distinction des rôles et des places dans une société. Il se met dans la position de rappeler les lois et les règles sociales permettant à la personne de s’y inscrire en tant que citoyen. Il accompagne la personne dans la construction de son identité et de sa singularité dans le respect le plus large possible de ses choix et de son intimité. 3) La conception et la conduite d’une action socio-éducative au sein d’une équipe Si l’évolution envisagée est voisine de celle qui a été mise en place pour le diplôme des assistants sociaux, on constate une évolution notable. Celleci concernera aussi les relations avec les terrains de stages à partir de la notion de sites qualifiants (sur le modèle des assistants sociaux). Elle renforcera aussi l’idée de la « transversalité » des compétences et des pratiques entre les métiers de l’éducation spécialisée et du social. Cette transition est devenue nécessaire du fait d’un manque de professionnels qualifiés sur les terrains aussi bien par rapport aux éducateurs de base, à l’encadrement des équipes qu’à la recherche en éducation spécialisée/ travail social. > L’éducateur co-construit une intervention adaptée aux attentes et aux besoins de la personne en cohérence avec la commande sociale et le projet institutionnel. Il réalise et ajuste des projets sociaux et éducatifs dans un système d’acteurs multiples. Il intervient en qualité de référent auprès de la personne vis-à-vis de l’institution dans un rôle de régulation. Il contribue à la mise en œuvre du projet : gestion logistique et financière d’activités de nature socio-éducative. Il évalue les actions menées dans le cadre du projet social ou éducatif ou de mesures individuelles. 4) La construction d’un cadre d’analyse et d’une expertise des pratiques éducatives et sociales L’éducateur s’implique dans une structure sociale ou au sein d’une équipe éducative et dans un travail pluridisciplinaire et coopératif de personnes relevant de professionnalités différentes. Il échange les informations nécessaires aux besoins d’un milieu professionnel au sein duquel la communication est à la fois institutionnelle et informelle. Il veille et est attentif en permanence à l’évolution des connaissance techniques et théoriques du champ social et éducatif afin de maintenir une pratique adaptée à ses évolutions. Il capitalise en permanence les acquis de l’expérience individuelle et collective, en vue de faire progresser et de partager son propre savoir professionnel. Il va donc être demandé aux étudiants de faire la preuve de ces 4 compétences à travers de nouvelles épreuves du DEES. Celles-ci font l’objet de réflexions dans le cadre d’une commission du Ministère des affaires sociales à laquelle participent des représentants de deux réseaux des centres de formation (du GNI et de l’AFORTS) . LA VIE AU GRAND AIR, N°55 - juillet 2006 11 Profession : éducateur > > Comment et pourquoi la formation des éducateurs a évolué ? En France, il n’y a que le CNAM qui a une chaire de travail social avec Brigitte BOUQUET. Elle est en train d’ouvrir une brèche car le modèle universitaire français est essentiellement établi par champ disciplinaire (droit, psychologie, sociologie, etc) contrairement à la plupart des pays européens (notamment avec les pédagogues sociaux formés à l’Université par exemple comme en Allemagne et aux Pays-Bas ou les psychopédagogues et assistants sociaux au Québec…) - de nouveaux agréments ont été donnés depuis 1990 à des centres monofilières. L’éclosion des centres de formation multifilières en Ile de France a abouti à ce que cette année 998 candidats se sont présentés au diplôme d’état d’éducateur spécialisé. Cela montre l’effort réalisé pour accroître le nombre d’éducateurs sur le marché du travail. Au fil du temps, les écarts de niveau de formation se sont réduits entre les écoles et le niveau d’exigence qualitatif a monté. Qu’est ce que la transversalité dans la formation ? Indépendamment de ces prochains changements : - un certain nombre d’écoles et d’IRTS ont obtenu pour leurs formations des crédits européens au titre de l’enseignement supérieur. Ainsi notre IRTS (les formations initiales de niveau III du site de Montrouge bénéficient d’une convention avec l’université d’Evry tandis que celles du site de Neuilly-sur-Marne avec Paris XIII Villetaneuse. Mais d’autres centres de formation ayant un statut d’enseignement supérieur ont été agréés pour bénéficier de crédits européens. 12 LA VIE AU GRAND AIR, N°55 - juillet 2006 A l’intérieur des centres de formation multifilières comme celui de l’IRTS île de France Montrouge et de Neuilly-sur-Marne, la formation des travailleurs sociaux est pensée avec la perspective de la « transversalité » de la formation et des compétences entre les métiers. La formation des éducateurs spécialisés ne doit pas être isolée des autres professions sociales. Il faut la penser avec ce qui est semblable et différent des autres métiers du secteur social et médico socio éducatif. A Institut de Montrouge et de Neuilly-sur-Marne, les enseignements dans les matières fondamentales se réalisent pour les trois filières : éducateurs spécialisés, assistantes sociales, éducateurs de jeunes enfants ; les cours magistraux se réalisent les trois promotions ensemble en amphithéâtre, les travaux dirigés en sous-groupes sont toujours transversaux. Seuls certains TD spécifiques ou des ateliers à finalité professionnelle sont organisés au sein de la filière, soit pour toute la promotion ou par petits groupes (groupes d’analyse de la pratique, atelier de découverte métier, préparation aux épreuves du DEES …) L’ossature du dispositif pédagogique au niveau des étudiants est le groupe d’évaluation pédagogique (GEP). Chacun des GEP réunit un groupe d’étudiants et un formateur pour la durée de leur formation. Actuellement, ils sont composés de 50% d’éducateurs spécialisés avec soit des assistantes sociales, soit des éducateurs de jeunes enfants pour la seconde moitié. Quel est le contenu de votre formation ? Malgré toutes ces évolutions et tous ces changements, nous devons garder en tête que la formation doit préparer les étudiants à des rencontres humaines et à des interventions professionnelles avec des personnes et des groupes dans le cadre de missions définies des services et d’établissements. Les éducateurs spécialisés ont des responsabilités vis-à-vis des publics et des institutions. Pour cela, ils doivent être «outillés» au niveau conceptuel pour pouvoir comprendre et élaborer leurs positionnements professionnels dans notre société en prenant en compte le monde dans lequel on vit. En effet il s’agit aussi, pour chacun, de penser son expérience individuelle, collective et institutionnelle : - en s’aidant des champs disciplinaires et d’une approche de la transversalité des métiers du social en alternance entre les espaces de formation que sont le centre de formation et les terrains de stage. - en élaborant un double mouvement qui part de soi et revient vers soi par les expériences et les acquis de connaissances pour pouvoir élaborer sa propre réflexion professionnelle. - en développant des capacités pour partager ses réflexions avec d’autres, pour les écrire en fonction des enjeux et des destinataires Actuellement, nous repensons la notion de qualité : avant 1990, la transmission des acquis d’une génération à l’autre était un gage de qualité pour acquérir compétences, savoir-faire et attitudes professionnelles adaptées (je dirai sur le modèle du compagnonnage).Tout ceci se passait dans une société qui malgré certains mouvements (mai 1968, la décolonisation, les chocs pétroliers) était globalement prévisible et dans laquelle, les politiques sociales évoluaient lentement. Globalement, les professionnels ont pu développer une certaine créativité et s’adapter aux nouveaux défis qui ont été les leurs. L’histoire de l’éducation spécialisée témoigne de cette dynamique. Depuis, un mouvement d’accélération s’est instauré faisant que les contenus des connaissances dans les Sciences humaines, sociales, juridiques doivent être réactualisés constamment pour les formateurs(ices) dans les domaines qui sont les leurs afin d’être au fait des enjeux et des problématiques existant dans notre société. Comme pour les générations précédentes la fonction de transmission/médiation des savoirs (connaissances et expériences) est complémentaire de celle de l’accompagnement d’adultes en train d’élaborer une démarche avec plusieurs facettes : maturation personnelle, professionnalisation et identité professionnelle. Il nous faut contri- buer à ce que chaque génération puisse être en mesure de faire ses « gammes » par elle-même et trouver sa « propre musique en fonction des défis qu’elle rencontrera tout au long de son parcours professionnel. En effet, les phénomènes de masse : la précarité, la pauvreté, la santé mentale font que, même si le fond du métier est identique, on est obligé de tenir compte des nouvelles donnes liées à un accroissement de la complexité de la société et des situations auxquelles les éducateurs spécialisés sont confrontées. Il faut que nous soyons continuellement en lien avec les terrains. Cela va être un de nos objectifs prioritaires pour le pôle « éducation spécialisée » de l’IRTS Ile-de-France Montrouge/Neuilly-sur-Marne, pour l’année à venir. LA VIE AU GRAND AIR, N°55 - juillet 2006 13 Profession : éducateur L’analyse de Pierre ROBICHON sur l’évolution du métier d’éducateur Les éducateurs spécialisés, moniteurs éducateurs, éducateurs de jeunes enfants, aides médico psychologiques, éducateurs techniques spécialisés exercent-ils leur métier en 2006 comme quelques années auparavant ? Pierre ROBICHON, directeur des Accueils Éducatifs en Sénonais Cette question m’est venue de par les interrogations de cadres, de professionnels de terrain, sur les prérequis nécessaires à l’embauche aux Accueils Éducatifs en Sénonais de collaborateurs ou de collègues. Ces questionnements ne concernaient pas la validité du diplôme, mais portaient sur la formation délivrée dans les écoles d’éducateurs. Je ne pense pas que cela soit la vraie problématique, mais l’interrogation doit se poser autour de cette question : « quelles doivent être en 2006 les compétences des personnels éducatifs au regard des populations accueillies et du travail demandé pour répondre aux besoins ? » Cette question de compétence renvoie à la façon d’exercer son métier. Faisons-nous le même métier qu’il y a 5 ou 10 ans ? Qu’est-ce qui est différent ? Comment faire autrement ? Pourquoi ? J’ai à travers les Accueils Éducatifs en Sénonais examiné sur 15 ans les changements notoires : • Durée de séjour des mineurs passée de 7 ans en 1991 à 12 mois en 2005 • Accueils immédiats et accueils d’urgence • Multiplication des contacts avec les familles • Accélération des écrits • Problématiques différentes des mineurs En effet, ces constats méritent une réflexion sur certains axes de travail : 1) Le temps Comment ne pas s’interroger sur le travail à effectuer quand ce qui se faisait en 5 ou 6 ans doit se faire en moins de 2 ans. Cela nécessite d’emblée une analyse pointue de la situation, une élaboration de conduites éducatives, une acuité particulière de l’observation, une analyse pertinente, une capacité d’action immédiate. Réactivité, dynamisme, élaboration doivent se conjuguer avec réflexion, analyse, stratégie. 14 LA VIE AU GRAND AIR, N°55 - juillet 2006 2) La souplesse Quelle richesse, mais quelle difficulté d’accueillir dans l’instant un jeune en grande souffrance ! Il faut avoir improviser, écouter, consoler, contenir en quelques minutes, tout en acceptant que son cadre de travail soit bousculé. Réciproquement, nous devons faire face à cette nécessité incontournable de relations d’aide aux personnels confrontés en permanence à de nouveaux drames et qui ne peuvent exercer leur métier que grâce au travail d’équipe et à une analyse de la pratique, voire une supervision. 3) La polyvalence Entre le travail avec les familles d’il y a 15 ans (ce que bien sûr tout le monde revendiquait) et le développement des pratiques liées à la loi 2002-2, le contexte d’intervention des éducateurs est aussi modifié. Quelle est leur place, quels sont leurs droits, quel est le domaine d’exercice et la légitimité de leur intervention ? Comment vivre au quotidien avec un mineur, participer aux réunions de projet avec lui et ses parents, comment organiser les rencontres, les week-ends et les vacances en conformité avec les décisions, comment accompagner les parents à l’école ou à l’hôpital, rédiger les rapports, remplir le DIPEC ? Comment faire tout cela en gardant une juste place, une juste distance, une cohérence éducative avec la mission première : accueillir et accompagner un enfant qui ne peut temporairement rester dans sa famille ? 4) Le rapport à l’écrit De la note de synthèse semestrielle ou annuelle d’il y a 15 ans, aux multiples demandes actuelles (rapports d’observations, projets individualisés, DIPEC, courriers aux parents, etc) l’éducateur se doit non seulement de pouvoir écrire mais de construire un écrit réfléchi, clair, précis, adapté, reflétant la position commune d’une équipe éducative. De la qualité de cet écrit, ne l’oublions pas, dépend l’avenir d’un mineur car notre expertise professionnelle doit éclairer les décideurs (juges des enfants, cadres Enfance). Je ne développerai pas les moyens internes (cahier de liaison, fiche d’observations). 5) L’adaptation aux problématiques Entre les indications posées par les magistrats il y a 15 ans, et celles d’aujourd’hui, un certain nombre de nouveaux symptômes se sont développés : • Difficultés psychologiques ou psychiatriques : comment faire, avec qui, obligation de travailler avec les réseaux de soins • Difficultés scolaires : absentéismes voire plus souvent exclusions de plus en plus jeunes. Sommes-nous en capacité de prendre en charge ces jeunes exclus et comment ? Il nous faut réinterroger nos organisations. Je ne sais donc pas si nous faisons encore le même métier que celui que j’ai appris au début des années 70, mais en tout état de cause, nous ne le faisons plus du tout de la même façon. A l’heure où les référentiels métiers se mettent en place pour la validation des acquis de l’expérience, où les terminologies des métiers avec les compétences se renégocient au niveau conventionnel, je crois qu’il serait tout à fait judicieux d’ouvrir un chantier sur l’exercice de nos métiers. Les quelques réflexions ci-dessus ne sont qu’une infime partie des constats que chacun peut faire. • Addictologie et violence : quels sont les personnels formés à ces problèmes ? Comment aider un travailleur social à mieux prendre en compte ces troubles pour agir au plus juste ? Et surtout • Abus sexuels et maltraitance : peu d’Instituts préparent les personnels à accompagner des enfants qui ont vécu l’impensable. Comment peut-on résister à l’insoutenable, le dépasser et devenir acteur et « soignant » ? Là aussi, les personnels, même s’ils disent « on n’est pas là par hasard », sont bousculés dans le plus profond d’eux-mêmes. LA VIE AU GRAND AIR, N°55 - juillet 2006 15 Profession : éducateur Interview des chefs de service éducatif des Accueils Éducatifs de Pays Haut Sandrine SARTORI et Geneviève OSTERTAG sont chefs de service éducatif aux Accueils Éducatifs du Pays Haut. Sandrine SARTORI était auparavant éducatrice dans l’établissement depuis sa création. Geneviève OSTERTAG est devenue chef de service des Accueils Éducatifs du Pays Haut récemment, grâce à l’obtention d’un second poste de chef de service. C’est aussi grâce à une rencontre : à l’époque avec la directrice, Marlyse RESLINGER et le chef de service éducatif, Jamel KHADA. Ils m’ont donné envie d’aller plus loin. Devenir chef de service c’est avoir envie de mener ses projets plus loin. Être chef de service dans l’établissement dans lequel on a été éducateur, comment le vit-on ? Qu’est ce qui vous a donné envie de passer d’éducateur à chef de service éducatif ? Geneviève OSTEZRTAG (GO) et Sandrine SARTORI (SS) : C’est l’impression que dans notre rôle d’éducateur, nous étions à l’étroit mais c’est aussi l’intérêt du travail avec l’enfant, l’idée d’ouverture sur l’extérieur, l’esprit de progrès et de projet professionnel. Nous avions le sentiment de mettre à profit notre pratique professionnelle d’éducatrices et d’aller à l’étage au dessus en nous situant plus dans la conception. L’envie de devenir chef de service n’a jamais été un plan de carrière. Cela nous est venu plus tard car nous nous sommes rendu compte que pour poser des projets, notre seule force de conviction ne suffisait pas à elle seule. Elle devait reposer sur un statut reconnu pour cette fonction. SS : J’ai avant tout eu envie de devenir chef de service car j’aimais mon établissement, ici à Briey. 16 LA VIE AU GRAND AIR, N°55 - juillet 2006 SS : Ce n’est pas évident de devenir chef de service éducatif dans un établissement dans lequel on a été éducateur. C’est bien, car on connaît les gens et l’établissement mais on a beaucoup de choses à prouver. Au départ, on a l’impression de sonner faux. Mon envie de devenir chef de service est née de mes convictions, du désir d’aider les jeunes. Mais quelle légitimité avais-je pour être chef de service par rapport à d’autres ? Le fait d’être déjà responsable du service des Assistantes familiales m’a un peu aidé dans l’idée que les autres puissent trouver cela légitime que ce soit moi qui prenne de nouvelles responsabilités. Je savais également que nous allions être deux pour remplacer Jamel KHADA, l’ancien chef de service éducatif. Ma nomination ne prenait alors pas l’allure d’une substitution de l’ancien chef de service par le nouveau mais bien d’une réorganisation autour des deux chefs de service. Comment se déroule la formation d’un éducateur voulant devenir chef de service éducatif ? SS : Je dois bientôt commencer la formation pour faire valider ma nouvelle fonction. Pour l’instant, tout ce qui est management, je le découvre et c’est la formation en gestion du personnel qui me manque le plus. GO : Moi, j’ai déjà fait cette formation. Elle comprend du droit, de la gestion et du management. Il y a également des stages hors du milieu social. Dans cette formation, le coté juridique est très important : le code du travail, la réforme de la protection de l’enfance. La formation sur le budget nous apporte aussi beaucoup. Il est courant d’entendre que le chef de service n’a pas un positionnement facile à tenir vis-àvis de son directeur et vis-à-vis des équipes, qu’en est-il ? Etes-vous l’intermédiaire entre l’éducateur et le directeur ? Nous sommes dans une position où l’on est toujours en équilibre. Mais nous ne le vivons pas difficilement car nous nous retrouvons dans les décisions du directeur. Ces décisions sont prises en commun ; nous les comprenons et nous savons les expliquer. Nous avons sentiment d’être l’intermédiaire entre le directeur et les équipes mais nous soutenons la position du directeur quelle qu’elle soit. Nous concevons ce rôle d’intermédiaire comme mettant du liant, comme étant un trait d’union. Nous faisons remonter les angoisses des équipes. Nous nous sentons proches de ce que vivent les éducateurs au quotidien mais nous devons faire en sorte que chacun soit à sa place. Comment gérer des positions éducatives divergentes entre éducateurs ? En général, nous recherchons l’adhésion de tous sur un projet. Il faut que les différentes positions puissent s’exprimer et c’est le chef de service qui tranche. Pour cela, nous devons pouvoir nous appuyer sur des outils d’évaluation et chercher la négociation. Quand des positions divergent, il faut se recentrer sur le projet et les outils d’évaluation et surtout laisser le moins de place possible à la subjectivité. Le rôle du chef de service éducatif est notamment de souligner quand on se situe trop dans le subjectif, le ressenti et de recadrer autour de bases objectives : le projet de l’enfant et les outils d’évaluation. La psychologue est aussi là pour donner un autre éclairage. L’important est que de 2 opinions, on s’accorde sur une 3ème qui soit un mixte des 2. Il est important de donner aux éducateurs des outils d’évaluation et d’observation. Ces outils leur permettent de mettre une distance et d’arriver à dépassionner les choses. Pour cela, il faut cheminer ensemble pour que les positions soient communes, acceptées et comprises par tous. > Quelles qualités doit avoir un éducateur pour devenir chef de service éducatif ? Quels défauts ne doit-il pas avoir ? Qualités Défauts Devoir de formation continue Capacité relationnelle Empathie Capacité de réflexion Capacité de remise en question personnelle Reconnaître les qualités des gens Humanisme Savoir développer des attitudes réalistes Être attentif et reconnaître le travail des autres Montrer aux gens qu’on voit ce qu’ils font Être solide Être une force de proposition, de projet Savoir débattre Avoir de la technique Avoir de l’humour Être un recours Être disponible Aimer aller à la rencontre des autres Arriver à se maîtriser, être maître de ses émotions Être désorganisé Être trop rigide Être renfermé Ne pas être sur de soi, être hésitant Être paniquant pour les autres Être fragile LA VIE AU GRAND AIR, N°55 - juillet 2006 17 Profession : éducateur > En quelques mots les éducateurs de notre service : motivés engagés disponibles enthousiastes complémentaires inquiets préoccupés > Interview des chefs de service éducatif des Accueils Éducatifs de Pays Haut En devenant chef de service éducatif ne perdon pas ce lien direct avec l’enfant ? Oui, on le perd un peu. Mais, on veille à l’application du projet pour l’enfant. On garde un lien avec l’enfant mais de façon plus ponctuelle. En devenant chef de service, le regard de l’enfant sur nous est différent. Nous sommes obligés de perdre ce lien direct car quand nous avons des mises au point et des recadrages à faire et il est nécessaire d’avoir cette distance. Nous ne vivons pas cela comme une frustration car nous avons un lien différent avec l’enfant, pas moins fort car vis-à-vis de nous, il y a aussi une attente de l’enfant. Il nous met à une autre place et attend beaucoup de nos réponses : nous sommes autrement importants. Que signifie pour vous manager et soutenir l’équipe éducative ? Pour bien manager une équipe éducative, il faut continuer à se former car il est nécessaire de se doter d’outils de management qui nous permettent de prendre de la distance. Le chef de service doit pouvoir faire preuve d’une certaine solidité, notamment dans l’assurance qu’il a de ses convictions. Pour nous, soutenir les équipes éducatives, c’est surtout être présents et être disponibles. C’est aussi savoir les écouter, reconnaître leur travail et pouvoir également les accompagner quand ils en ont besoin ou quand ils le demandent. Vis-à-vis des éducateurs, il est très important d’être fiable, franc et sincère. Il faut être au rendez-vous de leurs attentes, de leurs problèmes et de leurs projets. Ce qui est dit doit être fait et ce qui est pensé doit être posé. Enfin, soutenir les équipes éducatives, c’est faire passer leurs inquiétudes auprès de la direction. Comment choisissez-vous le référent éducatif de l’enfant ? C’est nous qui le choisissons. Quelque fois, c’est la logique. C’est celui qui n’a pas beaucoup d’enfants. Nous ne fonctionnons pas au feeling pour désigner le référent éducatif. Nous le choisissons en fonction de la problématique du jeune et du projet que nous avons mis en place avec lui et pour lui. L’éducateur doit être le garant de tout ce qui est mis en place pour l’enfant. Il se crée un lien particulier entre le jeune et son référent : le jeune s’identifie à lui. « C’est mon référent » entend-on souvent. Comme si le jeune voulait nous dire : c’est ma référence. 18 LA VIE AU GRAND AIR, N°55 - juillet 2006 Nous choisissons aussi le référent de l’enfant en fonction de l’expérience et des qualités de l’éducateur. Tel éducateur sera plus à même de faire un travail plus précis avec la famille. Tel autre pourra faire un travail plus cadrant avec un jeune difficile. Il y a la personnalité de l’enfant et celle de l’éducateur à mettre en équation. Comment maintenez-vous les éducateurs mobilisés autour des projets d’établissement et de service ? Ce qui nous a aidées pour les intéresser et les encourager à travailler sur le projet d’établissement, ce sont les fameuses prestations. L’intérêt était de définir ce que l’on faisait et ce que l’on ne faisait pas. Répertorier les prestations que nous faisions déjà mais sans forcément les avoir formalisées, nous a donné envie d’aller plus loin, de faire de nouveaux projets pour les enfants. En quoi le rôle éducatif des chefs de service et des éducateurs a t’il évolué ces dernières années ? Ce rôle a évolué car nous travaillons plus avec les parents et les partenaires extérieurs. Notre rôle a également changé car la fonction du directeur a aussi évolué. On lui demande un plus grand investissement à l’extérieur. En tant que chef de service, nous devons donc être très investies dans notre travail auprès des équipes mais aussi dans le relationnel que nous entretenons avec les parents et nos partenaires. Notre travail requiert également plus de technicité car notre offre de service pour l’enfant est devenue plus diversifiée. Nous nous sentons moins dans le quotidien et plus dans la coordination de projet, moins des parents de substitution mais plus les porteurs d’un projet pour l’enfant. Quelle est pour vous la mission d’un éducateur ? L’éducateur est confronté aux réalités de vie qu’il partage avec les enfants pour rendre les expériences vécues aussi positives que possible. L’idée forte est de cheminer ensemble tout en favorisant l’épanouissement et le développement de l’enfant et des relations avec les parents. Finalement, pour définir la mission d’un éducateur, on peut reprendre les articles de la charte de la Fondation. L’éducateur est également un agent de changement, un ouvreur de perspectives. Il ouvre l’enfant sur des univers auxquels il n’avait pas accès. Réintroduire la place des parents Accueils Éducatifs d’Étampes ai passé mon diplôme d’éducateur spécialisé en juin 2003 après avoir exercé pendant 10 ans dans le cadre de la protection de l’enfance avec un diplôme d’éducatrice de jeunes enfants. Ma formation initiale n’était pas un choix de départ. Compte tenu de mon âge, il ne m’était pas encore possible d’accéder à la formation d’éducateur spécialisé. « Trop jeune, pas assez d’expérience » me renvoyait-on. J’ai donc décidé de prendre un chemin détourné afin d’obtenir une qualification susceptible de m’aider à postuler dans le secteur spécialisé auquel je me prédestinais. Au final, je ne le regrette en rien. Malgré certains manques que j’ai comblés par la suite en demandant des formations individuelles. La formation, très axée sur le champ psychanalytique m’a donnée les outils nécessaires pour me sentir à l’aise en travaillant auprès d’enfants plus âgés dans un premier temps, puis avec l’expérience et les formations, de répondre de manière plus professionnelle aux besoins des adolescents puis à ceux des parents. J’ Témoignages d’éducs firmer la légitimité de leur place, l’expérience m’a démontré qu’elle ne peut réellement exister qu’au travers des valeurs portées et mises en œuvre par une institution et les professionnels qui y travaillent. Ce qui est le cas dans le service où j’exerce actuellement. Après deux ans de pratiques en Maison d’Enfants à Caractère Social, j’ai eu l’opportunité d’intégrer une équipe qui se constituait pour réaliser la mise en œuvre d’un projet innovant sur le département : l’ouverture d’une structure permettant l’accueil de 15 enfants âgés de 6 à 18 ans en Maison d’enfants ainsi que l’accueil de 55 enfants chez des assistantes familiales. . Soutenir les Assistantes familiales Le travail était de soutenir les assistantes familiales dans ce qu’elles vivaient au quotidien avec l’enfant. Nous étions tenus de les rencontrer tous les quinze jours afin de faire le point avec et/ou sans la présence des enfants. Malgré certains échecs, cette collaboration étroite avait des effets certains sur l’évolution des enfants et dans leur projet. Nous avions constaté que l’implication des parents, très peu développée à l’époque, avait pourtant des conséquences importantes pour l’équilibre de l’enfant. La place des parents n’était pas autant respectée qu’elle ne l’est aujourd’hui. Si la loi est venue réaf- C’est ainsi, qu’à l’époque, malgré un discours éducatif « bien intentionné » et l’assurance donné aux parents que nous ne prenions pas leur place, nos actes allaient à l’encontre de nos paroles. Nous avons été amenés à signer des documents (cahiers et bulletins scolaires, orientations, inscriptions pour des séjours de vacances ou des clubs de loisirs,) en prenant soin d’écrire au préalable « l’éducateur » ou « l’assistante familiale ». Certaines > LA VIE AU GRAND AIR, N°55 - juillet 2006 19 Témoignages d’éducs > > Réintroduire la place des parents Accueils Éducatifs d’Étampes autorisations (coiffeur, départ avec les assistantes maternelles) n’étaient jamais demandées, et sauf exception, lorsque les intervenants extérieurs le demandaient, les parents n’étaient jamais conviés aux rendez-vous dans les écoles ou structures de soins. Chaque éducateur référent se mettait en relation avec les écoles, et toutes les structures étant amenées à travailler avec l’enfant (CMPP, IME, ITEP etc…). Nous rendions compte de l’évolution de la situation au travailleur social de la Maison des solidarités, à l’inspecteur et au juge pour enfant au moment des audiences. Aux yeux de l’extérieur, l’éducateur référent représentait l’interlocuteur privilégié, sans qui, il devenait difficile de poursuivre le travail. Dans le service où je travaille aujourd’hui, l’éducateur a toujours ce rôle. Par contre, chaque professionnel de ce service (nous sommes trois) peut être amené à intervenir dans toute situation, et répondre à n’importe quelle assistante familiale, soit parce que le coordinateur de projet est absent, soit parce qu’il a été estimé en équipe qu’un éducateur a sa place dans une intervention précise. Ce qui permet de sortir du registre de la toute-puissance et surtout de la culpabilité. La nécessité pour le travailleur social de se situer au cœur des relations parents-enfants Lorsque j’ai démarré en placement familial, j’ai demandé une formation avec le GRAPE sur le thème « enfant placé, enfant déplacé » afin d’avoir une idée plus précise sur le travail à effectuer. Non seulement, cette formation a répondu à certaines questions que je me posais sur la place que j’occupais mais elle a ouvert une dimension que nous ne prenions pas suffisamment en considération : la place des parents et la nécessité pour le travailleur social de se situer au cœur des relations parentsenfants afin de restaurer le lien qui les unit. L’objectif étant de permettre à l’enfant de retrouver une place auprès de sa famille même lorsqu’un retour au domicile n’est pas envisageable. Ma fonction a alors pris un autre sens pour moi. Suite à cette formation, avec l’expérience et les questions amenées par les enfants sur le mode verbal et comportemental, les mêmes questions surgissaient : En effet, comment est-il possible d’imaginer qu’un enfant puisse avancer et se construire sans prendre en compte la dimension familiale ? Si séparer physiquement un enfant pour le protéger de situations graves de maltraitance semble tout à fait indiqué, est-ce que cela permet pour autant un travail de séparation psychique ? Est-ce que séparer signifie tenir à distance au point de ne plus transmettre d’information pour garantir le « bienêtre » de l’enfant ? Quelle reconstruction possible pour l’ensemble de la famille ? Un parent m’a dit un jour : « plus le temps passe, moins j’ai l’impression de connaître mon enfant. Je ne sais plus ce qu’il aime, ce qu’il fait, de toutes façons, il ne me dit rien ». 20 LA VIE AU GRAND AIR, N°55 - juillet 2006 La tendance était de ramener systématiquement la souffrance de l’enfant aux motifs qui l’avaient conduit à être séparé de ses parents. Chaque symptôme, chaque manifestation étaient la plupart du temps associés aux défaillances du parent. Ce qui amenait à faire l’économie de se poser une autre question : Et si l’enfant, malgré une histoire douloureuse, chaotique, violente, abandonnique, éprouvait aussi de la souffrance à être séparé de son milieu d’origine ? Mais alors, comment permettre une évolution globale, quand il est impossible pour la famille d’avancer au même rythme que l’enfant puisqu’elle n’est ni écoutée, ni concertée ou très peu par le service qui accueille l’enfant ? Il y avait donc, de fait, une évolution à deux vitesses. Ce qui a conduit à des placements qui ont été pérennisés jusqu’à la majorité de l’enfant, voire au-delà. Mon expérience dans une IMPRO de déficients visuels Après sept ans en placement familial, j’ai ressenti le besoin de pouvoir travailler avec des adultes. Mon diplôme ne me permettant pas de postuler auprès de tout public, j’ai décidé de reprendre une formation d’éducateur spécialisé. Nous sommes en 2001, à l’aube de la réforme de la loi de 1975 garantissant les droits des personnes. La formation d’éducateur spécialisé m’a ouvert d’autres horizons que je ne connaissais pas, tant sur le plan théorique (droit, sociologie, anthropologie), que sur le plan pratique et professionnel dans le secteur du handicap. J’ai bénéficié d’une réduction de temps de formation sur deux ans dont un an de stage que j’ai effectué dans un IMPRO de déficients visuels avec handicaps associés. Ouvrir l’espace donné aux parents Progressivement, j’ai essayé avec plusieurs de mes collègues d’ouvrir l’espace donné aux parents. Nous donnions davantage d’informations, nous consacrions plus de temps avant et après les visites. Nous avons même organisés des entretiens en présence des travailleurs sociaux. Dans certaines situations, nous assurions des accompagnements au domicile. Sur le plan administratif (signatures, autorisations, projets), nous agissions toujours de la même manière. Si je commençais à percevoir la nécessité de réintroduire la place des parents en les impliquant davantage dans la vie de leur enfant, nous n’étions pas autorisés à ouvrir davantage cet espace réservé au travailleur social de la Maison des solidarités, qui ne disposait pas du même temps pour effectuer ce travail. Aujourd’hui, ce travail fait partie intégrante de notre champ d’interventions, d’où une plus grande responsabilisation vis-à-vis des travailleurs sociaux de l’Aide sociale à l’enfance, puisque nous sommes dans des entretiens réguliers permettant une évaluation plus fine de l’évolution du parent sur le plan personnel et relationnel avec son enfant. Du coup, lorsque le parent adresse une demande au travailleur social, il n’est pas rare que celui-ci nous interpelle pour connaître notre avis et savoir si la demande est en adéquation avec la situation du moment. > Je ne travaillais plus dans le cadre de la protection de l’enfance, et pourtant je retrouvais un fonctionnement que je connaissais bien, encore plus installé dans le clivage ! Les adolescents vivaient la semaine à l’internat et rentraient chez eux le vendredi soir en taxi ou par leurs propres moyens. Les parents étaient totalement évincés de la vie de leur enfant. Les parents étaient informés des sorties ou des activités organisées, mais ils n’étaient informés en rien des difficultés, de l’évolution ou de l’état psychologique de leur enfant. Ils étaient reçus deux fois par an, souvent par l’assistante sociale. Certains adolescents luttaient contre leur handicap parce que leurs parents, rongés par la souffrance, restaient figés dans le déni de la perte visuelle déjà installée ou en cours d’évolution. Certains adolescents ne pouvaient pas se saisir des techniques proposées par l’équipe (aide à la vie journalière, techniques de locomotion, apprentissage du braille) parce qu’ils ressentaient une immense culpabilité à l’égard de leurs parents. Rien n’était travaillé pour soutenir les parents dans leur souffrance et les aider à accompagner leur enfant par rapport au handicap, que ce soit sur le plan pratique ou dans la relation. LA VIE AU GRAND AIR, N°55 - juillet 2006 21 Témoignages d’éducs > > Réintroduire la place des parents Accueils Éducatifs d’Étampes Au Service d’Accueil en Famille des Accueils Éducatifs d’Étampes : travailler au cœur du projet de l’enfant En sortant de ma formation d’éducatrice spécialisée, j’envisageais de m’orienter vers un public adulte. Pourtant j’ai saisi l’opportunité de retourner travailler dans un service d’accueil en famille de la Vie Au Grand Air. En effet, j’avais entendu parler des valeurs fondamentales de la fondation concernant la place donnée aux enfants et à leur famille dans le respect des droits qui sont les leurs. La loi 2002-2 réaffirmant les droits des personnes venait apporter un cadre précis auquel allait devoir se conformer chaque structure. Je pensais donc que j’allais pouvoir accomplir un travail correspondant à mon éthique professionnelle. Si la mission première de l’accueil en famille est de proposer un hébergement, il en découle plusieurs axes de travail que l’éducateur se doit de mener en parallèle afin de ne pas créer un fossé entre l’évolution de l’enfant et celle de sa famille. Je trouve cela assez nouveau dans la pratique professionnelle, même si j’en suis convaincue depuis fort longtemps. L’éducateur est celui qui va articuler les relations parents-enfant, enfant-famille d’accueil, parents-famille d’accueil. Il se trouve au cœur du projet de l’enfant se doit d’en être garant. 22 LA VIE AU GRAND AIR, N°55 - juillet 2006 Tout d’abord, il s’agit de permettre à l’enfant de continuer à grandir dans une famille assurant un relais au quotidien en lui proposant un projet adapté à ses besoins et à ses attentes, que ce soit au niveau de ses loisirs, de sa scolarité, de ses difficultés personnelles et familiales. Ce projet se travaille en concertation avec l’enfant, ses parents, l’assistante familiale, l’équipe éducative, et le psychologue. Il est fondamental de pouvoir entendre les parents sur ce qu’ils ont à transmettre sur leur enfant et sur ce qu’ils souhaitent pour lui. Un enfant ne peut pas se construire lorsqu’il pense que ses parents ne sont pas concernés et concertés sur les décisions à prendre pour lui. L’éducateur doit recueillir leurs attentes pour les transmettre à l’enfant afin de lui montrer que ses parents restent impliqués dans sa vie même si ce n’est pas au quotidien. Le quotidien est délégué à la famille d’accueil que l’éducateur rencontre en entretien avec ou sans l’enfant. Elle peut interpeller le service en cas de problème ou de nécessité. Lorsque je reçois un enfant pour parler des difficultés et tenter de les dépasser, je ne me situe jamais dans un registre autoritaire afin de ne pas discréditer l’assistante familiale qui repart avec lui. Je tente de comprendre, de mettre du sens à ce qu’il se passe afin de désamorcer la crise. Ensemble, avec l’enfant et l’assistante familiale, nous essayons alors de trouver des solutions. Restaurer le lien parent-enfant Lorsque le problème se situe dans la relation parent-enfant, je prends du temps au moment des rencontres au service pour proposer un temps d’échange avec les parents et l’enfant, (parfois sans lui dans un premier temps), pour tenter de les sensibiliser au mal-être existant et amener de la communication entre eux. Afin de restaurer le lien, il est important pour l’enfant de vérifier que les manques ressentis ne sont pas toujours en lien avec un désintérêt de sa personne, mais avec des difficultés et une souffrance qui est propre à ses parents. Ce chemin est le plus difficile à faire pour un enfant. En effet, il faut du temps pour que l’enfant puisse faire cohabiter en lui l’idée d’aimer une personne en acceptant de composer avec certaines failles qui, peut-être resteront présentes. Par expérience, j’ai pu constaté que cette prise de conscience arrive souvent au moment de l’adolescence, quand l’enfant se pose à nouveau des questions sur ses origines tout en prenant de la distance vis-à-vis de ses parents. Les temps de visite sont des moments précieux d’évaluation de la relation parent-enfant. Nous assurons l’accueil, et proposons des supports (bain, repas confectionnés ou non par les parents, activités manuelles, jeux) en fonction de l’évolution que nous ressentons en essayant d’ouvrir au maximum des possibilités de chacun. Ce travail peut se faire avec l’accompagnement de la TISF du service. Nous ne restons pas présents durant le déroulement de la visite, sauf lorsque le parent nous sollicite, ou que l’enfant en manifeste le besoin sur un moment précis. C’est ainsi qu’il y a trois ans, nous avons commencé un travail avec une jeune mère qui était dans l’impossibilité de s’adresser à son enfant, ni même à le nommer. Les visites duraient 20 minutes durant lesquelles l’enfant hurlait. A force d’encouragement et de revalorisation, la mère a pu après de nombreuses visites lui dire « bonjour ». Progressivement, toujours en notre présence, des moments de jeux ont pu s’instaurer entre eux. L’enfant pleurait beaucoup moins et acceptait les élans de sa mère vers lui. Jusqu’au jour nous avons pu le laisser seul avec elle. Nous avons proposé des temps de goûter, puis de repas. Les rencontres étaient de plus en plus étendues dans le temps. La mère est devenue capable de gérer entièrement les visites en posant un cadre et des limites claires à son enfant. Après plusieurs mois, elle a demandé au magistrat l’autorisation de l’emmener au domi- cile en présence de la TISF. Un travail a été élaboré autour de l’aménagement de l’espace, des repas et des jeux qu’elle pouvait proposer à son enfant. Aujourd’hui, l’enfant est en attente de retrouver sa mère et manifeste du plaisir à la voir. Ce qu’elle lui rend bien. Installer une relation de confiance avec la famille Tout ce travail avec l’enfant ne peut pas se faire sans une collaboration étroite avec la famille. La relation de confiance s’établit progressivement au travers de vérifications concrètes, comme la signature des documents (bulletins scolaires, autorisations de sortie, de vacances, inscriptions aux séjours, pour le coiffeur etc…) ces actes représentent la garantie que personne ne prend leur place et qu’ils conservent l’autorité parentale. Ce qui > LA VIE AU GRAND AIR, N°55 - juillet 2006 23 Témoignages d’éducs > Réintroduire la place des parents Accueils Éducatifs d’Étampes sance leur permet de s’ouvrir et de nous surprendre dans bien des situations. Parce que les familles ne sentent pas jugées, il est beaucoup plus aisé de faire émerger une parole vraie permettant d’imaginer des projets à la hauteur des possibilités de chacun, même lorsque celles-ci sont très limitées. Aujourd’hui, la tendance vise aussi à ouvrir toute possibilité de retour vers la famille élargie C’est ainsi que certains projets ont pu voir le jour et se concrétiser, permettant à l’enfant de retourner vivre parmi les siens, là où est sa place. Entendre le parent sur ce qu’il vit et ce qu’il ressent > apaise certaines angoisses. Un jour, un père dont l’enfant arrivait au service m’a demandé : « je voudrais savoir si j’ai toujours l’autorité parentale puisque mon fils va vivre dans une autre famille ». Dans la durée, il est essentiel d’impliquer les familles dans tout ce que l’enfant vit à l’extérieur de la famille d’accueil : rendez-vous aux écoles, chez le médecin, fêtes des écoles, spectacles, clubs de loisirs etc…) ainsi le parent reste présent dans la vie de son enfant et suit son évolution. Un accueil en famille ne va jamais de soi pour un parent même lorsque celui-ci se dit dans l’adhésion au projet. Le sentiment de rivalité existe à l’égard de la famille d’accueil mais il s’atténue avec le temps lorsque le parent comprend que rien n’est mis en place sans son autorisation. Reste la dimension affective, parfois compliquée à gérer pour le parent quand il s’aperçoit de l’attachement que son enfant porte à la famille d’accueil. Dans les fonctions que j’occupe aujourd’hui, l’enfant reste au cœur des préoccupations, mais j’ai le sentiment que l’éducateur a recentré sa position entre l’enfant et sa famille, alors qu’auparavant il se situait exclusivement du côté de l’enfant, pensant et agissant à la place du parent. Dans l’accompagnement proposé au service, le caractère humain prédomine dans toute forme de relations aux enfants et à leur famille. Ils sont entendus, reconnus et respectés pour ce qu’ils sont dans leur personne et au niveau de leurs droits. Cette reconnais- 24 LA VIE AU GRAND AIR, N°55 - juillet 2006 Au fil des entretiens avec les familles, j’ai réalisé que je ne pouvais pas faire l’économie d’un travail incontournable et essentiel : entendre le parent sur ce qu’il vit et ressent en tant que personne. Si on ne prend pas en considération la souffrance du parent pour ce qu’elle est, au travers de son histoire, alors le parent reste dans l’incapacité de se décentrer pour entendre celle de son enfant. Parce que dans ce service, nous sommes autorisés à penser, voire à innover, certaines questions ont émergé et m’ont donné envie d’imaginer un projet. En effet, dans le cadre de la protection de l’enfance, le travailleur social intervient pour l’enfant, le service également, même si la dimension parentale est prise en considération. Mais qui se dit présent pour le parent et uniquement pour lui ? Ne serait-il pas intéressant dans un même service de leur donner une place à part entière avec des intervenants qui ne seraient là que pour eux et d’autres pour leur enfant ? Ainsi l’éducateur ne serait pas mis en place d’avoir à s’identifier à la souffrance de tous et un réel travail d’équipe sur l’ensemble des situations pourrait voir le jour pour aider parent et enfant à mieux se retrouver… Pascale JAMMOT Éducatrice aux Accueils Éducatifs d’Étampes Témoignages d’éducs Être éducateur en internat, c’est être l'éducateur "du quotidien au quotidien" Être éducateur en internat aujourd'hui, c'est être l'éducateur "du quotidien au quotidien". Il s’agit donc de prendre en charge des enfants et ou des adolescents en dehors de leur temps scolaire afin de leur donner des repères, de structurer leurs journées et de les accompagner dans leurs projets, leur apporter un soutien et réussir à mettre en place une relation, point d'ancrage de la réussite d'un placement souvent considéré par l'enfant comme injuste et empreint de souffrance. Une durée de placement plus courte qu’avant Le métier d'éducateur évolue du fait même des placements. En effet, s'il y a encore quelques années, les enfants étaient pris en charge dans les institutions à long terme, il n'en est plus de même à présent. La durée moyenne des placements s'élève à environ 2 ans. L'éducateur doit par conséquent adapter sa pratique à cette donnée temporelle. Si deux ans de placement dans la tête d'un enfant et de sa famille est un temps long, il s'avère que ce temps peut paraître court pour l'éducateur qui doit mettre en place un projet solide, œuvrer pour que le jeune puisse rentrer dans sa famille de manière définitive ou sortir du milieu institutionnel en ayant acquis une autonomie le lui permettant. L'éducateur devra alors apprendre à concilier le facteur temps évoqué plus haut et le fait que l'internat rime avec groupe. En effet, dans l'idéal, l'éducateur projette d'accorder des temps individuels aux jeunes accueillis, temps privilégiés où ce dernier peut évoquer son placement, ses besoins, ses envies, ses difficultés, mais aussi ses joies et ses réussites. Ces moments sont hélas épisodiques car le groupe et le quotidien prennent le pas de façon insidieuse et ne permettent que trop rarement, même avec la meilleure volonté, de mettre en place ces relations duelles. L’éducateur doit s’adapter aux évolutions Il revient à l'éducateur qui travaille en internat de s'adapter à ces évolutions, de prendre position afin de mener à bien les projets des jeunes qui sont accueillis, de préserver leur individualité tout en veillant à leur intégration au sein du groupe, ceci dans le temps imparti par le placement. C'est à l'institution, à l'équipe éducative, porteuse et garante d'un cadre de vie et de règles communes de néanmoins s'adapter aux situations des jeunes et non l'inverse. Si la tendance actuelle est non seulement de voire se réduire la durée des placements mais aussi de s’orienter vers de nouvelles modalités d’accueil dont les accueils séquentiels, il ne faudrait pas que cette évolution devienne un handicap dans le travail éducatif : cela implique nécessairement une adaptation des équipes à la prise en charge des jeunes en internat, la mise en place de moyens supplémentaires et plus appropriés afin de permettre la réussite du placement. Passer d’une logique de placement à une logique de service, c’est assurer une qualité optimum des prestations quelles qu’elles soient dans un espace temps de plus en plus compressé ; mais, c’est avant tout savoir assurer une permanence du lien en diversifiant ses modes d’interventions et ses outils pédagogiques pour les adapter au mieux des besoins du jeune accueilli. Elodie CAILLAUX Éducatrice spécialisée aux Accueils Éducatifs du Jura LA VIE AU GRAND AIR, N°55 - juillet 2006 25 Témoignages d’éducs Ma propre adaptation et l’adaptation permanente de l’éducateur dans une maison de l’enfance faire partie de ces personnes réunies pour préparer, en 3 semaines de formation, l’ouverture d’un nouvel établissement de la Fondation : les Accueils Éducatifs de Montargis. 3 semaines également pour que ce groupe de personnes commence à se transformer en équipe, pour accueillir au mieux les premiers enfants, avec pour missions : l’accueil d’urgence et l’observation de ses enfants et de leur situation. Cela fait maintenant 7 mois que nous avons accueillis ces premiers enfants. I l est 9h et je m’approche de la maison de l’enfance de Montargis. Petits picotements au creux du ventre. Pas seulement pour mon bébé, que je laisse pour la première fois chez sa nounou, mais également pour ce qui va suivre. Ce jour là, 12 septembre 2005, je vais commencer ma première journée comme éducatrice spécialisée à la maison de l’enfance de Montargis. Je me dirige vers un lieu où je ne m’imaginais pas travailler un jour. Je pensais mon parcours professionnel déjà tout tracé : le monde du handicap mental m’avait ouvert les bras au cours de séjours d’été adaptés. J’en étais ressorti enjouée et décidée : je deviendrais éducatrice spécialisée… dans le domaine du handicap. Et jusqu'à ce fameux 12 septembre, à part un stage, un peu laborieux, en club de prévention spécialisé, j’avais suivi ma route, de foyer d’hébergement pour adultes travaillant en CAT en Maisons d’Accueil Spécialisé. Après m’être répété qu’après tout, j’étais diplômé et donc potentiellement capable de travailler dans un autre domaine, je me suis lancée. J’ai postulé, puis accepté le poste qui m’a été proposé par la Fondation. Toute éducatrice spécialisée diplômée que je suis, je me suis sentie comme une débutante ce matin là, devant tant de nouveautés. Mais également fière de 26 LA VIE AU GRAND AIR, N°55 - juillet 2006 Les débuts ont été difficiles. J’ai reçu l’agressivité, la violence verbale et certaines fois physique des premiers enfants accueillis comme une claque. Je me suis sentie démunie. J’ai longtemps tâtonné, mis du temps à m’affirmer et je me suis trouvée dans l’incapacité de mettre en pratique, ce que je faisais pourtant instinctivement, à la maison, avec mon propre enfant : combiner attention et affection à une juste autorité. Comme quoi, être parent, même si cela peut représenter une qualité supplémentaire, ne fait pas l’éducateur. J’ai observé mes collègues dans leur travail, leurs interventions, mais également les réactions des enfants face à moi, face aux autres adultes. J’ai réfléchi sur les propos et les échanges au cours de la formation. Et petit à petit j’ai avancé pour enfin m’affirmer et trouver ma place. Aujourd’hui, après ces 7 mois, j’offre aux enfants ce que je pense être un accueil chaleureux, teinté d’affection et d’autorité. En tant que professionnel, je prends le recul nécessaire dans les situations difficiles ou conflictuelles, et j’accepte de recevoir de la part de ces enfants ce qui ne m’est pas forcément destiné. Je deviens alors le réceptacle de leurs colères, leurs chagrins, leurs déceptions. Je travaille cependant avec ce que je suis en tant que personne et je peux malgré tout me mettre en colère quand mes limites sont franchis. Mais toujours en expliquant à l’enfant le pourquoi des choses. Je contribue à leur construire un environnement sécurisant en veillant à être juste envers eux, en les respectant avant tout. Je les accompagne dans leur joie et leur peine : à un moment, on joue et rie avec un enfant, l’instant d’après, on peut aussi avoir à gérer une crise et contenir ce même enfant. Quand certains me disent, « tu n’es pas ma mère », je leur réponds : « Non, c’est vrai, je ne suis pas ta mère, c’est pourquoi je n’agirais pas comme telle. Cependant, je suis là pour prendre soin de toi et t’accompagner un petit bout de chemin. » Je ne suis pas là pour reproduire leur milieu familial. Ce petit bout de chemin, se résume à 3 mois, car les enfants sont accueillis pour une courte durée. Il faut là encore prendre le recul nécessaire pour gérer au mieux la séparation d’avec un enfant qui nous quitte, et qui va mieux, pour en accueillir un qui va moins bien. C’est une adaptation permanente, aux différents enfants qui passent. En plus de l’accueil, je suis là auprès d’eux pour les observer et ainsi rendre compte de leur situation, pour qu’ensuite, nos observations et nos rapports servent de supports à l’Aide sociale à l’enfance en vue de leur orientation quelle qu’elle soit. Ne rien laisser passer, tout noter. Aucun détail n’est anodin et ne doit être négligé. Et comme seule, je serais bien en peine d’effectuer un travail efficace à 100%, c’est tout une équipe éducative qui accompagne ces enfants. Et comme je l’ai entendu en formation, une équipe ne fonctionne pas correctement seulement parce que ses membres s’aiment bien. Ils doivent partager les même idées, les même valeurs et se respecter, savoir où il vont et pourquoi. Je pense que nous y sommes arrivés. L’équipe m’a permis d’avancer. Je me suis inspirée de certains de mes collègues pour affiner mes interventions. Je suis en confiance. Je suis satisfaite d’avoir franchi le cap et d’être là aujourd’hui. J’ai encore beaucoup de choses à apprendre et à découvrir de la part de tous : collègues, mais également enfants. Je compte bien continuer sur cette voie encore un certain temps. Angélique POTHIER Éducatrice Spécialisée aux Accueils Educatifs de Montargis LA VIE AU GRAND AIR, N°55 - juillet 2006 27 Témoignages d’éducs Être éducateur dans un service d’accueil de jour, c’est être créatifs et réactifs Le travail des éducateurs a complètement évolué. Nous sommes passés de l’éducateur soixante-huitard, baba cool, qui avait la gestion complète du groupe, voire de la structure, et qui n’avait pas de comptes à rendre aux instances, à l’éducateur d’aujourd’hui, soumis à des règles rigoureuses de transparence et à des moyens financiers stricts. Aujourd’hui, nous sommes obligés de travailler sous le regard des différents partenaires et nous n’avons pas trop le droit à l’erreur, de plus, nous sommes soumis à une « obligation de résultats ». Nous payons peut-être les erreurs de nos « aînés » car trop d’abus ont été commis. Malgré tout, aux Accueils Éducatifs en Eure-et-Loir nous ne som- Pour ce faire, nous disposons d’outils déjà existants, tels le livret d’accueil, le projet personnalisé, les entretiens familiaux… Nous en créons d’autres lorsque cela nous semble nécessaire. Cela nous oblige à être continuellement une force de propositions, mais aussi à être créatifs et réactifs. Une grille d’évolution permettant la construction du projet individualisé est d’ailleurs en cours d’élaboration à la Maison de Voisinage. Des familles avec des problématiques très complexes Aujourd’hui, il devient de plus en plus difficile de mettre de la distance avec les parents que nous accompagnons. En effet, il nous arrive de rencontrer des familles avec des problématiques tellement complexes, que nous nous retrouvons parfois « phagocytés ». Certains, en rupture sociale et par manque d’écoute nous prennent à tout moment comme réceptacle de leurs souffrances. Nous aurions besoin pour gérer ces situations que des relais soient installés pour écouter les familles. La nécessité de travailler en équipe Le travail d’équipe est alors indispensable pour ne pas sombrer dans la toute puissance éducative, ce qui nous mènerait à des blocages pour travailler avec les familles. Les différentes instances d’expression et de réflexion Dans notre institution, nous avons la chance de bénéficier d’instances telles que les réunions d’équipes, les réunions institutionnelles, les temps d’analyse des pratiques (avec un tiers extérieur), qui nous permettent d’exprimer librement nos difficultés du quotidien. Nos questions pour l’avenir : - Quel sera le statut de l’éducateur de demain ? VRP, Maman ou Papa de substitution, plombier relationnel, psychologue… ? L’équipe éducative des Accueils Educatifs de Dreux mes pas obligatoirement soumis à une telle pression car il nous avons la liberté de mettre en application de nouveaux projets collectifs et individuels. Nous sommes éducateurs au sein d’un service d’accueil de jour accueillant douze enfants de 3 à 12 ans. Notre travail au quotidien est d’accompagner ces enfants ainsi que leur famille vers une réflexion sur la relation parents/enfants, de permettre aux enfants d’acquérir de l’autonomie, de leur offrir un lieu où ils peuvent déposer leurs difficultés et/ou leurs souffrances. 28 LA VIE AU GRAND AIR, N°55 - juillet 2006 Témoignages d’éducs Les jeunes éducatrices des Accueils Éducatifs de l’Oise s’interrogent sur la fonction d’éducateur en internat. La richesse des missions de l’éducateur Elles ont dégagé diverses missions parmi lesquelles : - L’accueil et la protection des enfants confiés à l’institution. - La clarification des raisons du placement : ce qui a été dit ou non dit à l’enfant et à sa famille, et la compréhension qu’ils en ont. - La recherche avec l’enfant d’un projet individualisé. - La recherche et la négociation d’une « autre place » de l’enfant dans sa famille et son environnement social. Les éducateurs, à la maison d’enfants partagent le quotidien et assurent le suivi des enfants en étant référent. L’éducateur référent, en accord avec le chef de service et après discussion avec l’équipe s’occupe de tout ce qui concerne l’enfant : - De sa scolarité (en relation avec l’éducateur scolaire). - Des prises en charges extérieures (médicales, psychologiques et orthophoniques). - De la relation avec la famille (implication dans le quotidien de l’enfant, dans son projet individualisé, renseignement et orientation au sujet de leurs droits et devoirs, accompagnement lors de démarches telles que des points sur la scolarité de leur enfant ou des prises en charges médicales et psychologiques). - Des rapports avec les partenaires (judiciaires, sociaux et associatifs). « Le référent » est aussi pour l’enfant l’adulte repère qui connaît les échéances (audience au Tribunal pour enfants, week-ends en famille) et qui gère le placement de façon plus individuelle. Par ailleurs, les Accueils Éducatifs de l’Oise ne disposent que d’un poste de psychologue à quart temps sur l’établissement. Or, les difficultés rencontrées auprès des jeunes et au sein de l’équipe nécessiteraient des rencontres plus régulières pour un meilleur soutien des professionnels. A ce titre, la réunion d’analyse des pratiques pourrait avoir lieu plus souvent. La prise en compte de ces difficultés permettrait une meilleure qualité de l’aide proposée aux enfants, aux familles et aux partenaires. Cécile BOURGUIGNON, éducatrice spécialisée et Séverine PROTHAIS, monitrice éducatrice. Aux Accueils Éducatifs de l’Oise Les références sont discutées chaque début d’année scolaire en équipe grâce : - aux réunions une fois par semaine : réunions d’équipe et réunions institutionnelles (avec tout le personnel ou seulement avec le personnel éducatif). - à l’analyse des pratiques une fois par mois. Ces temps représentent une part importante de notre travail auprès des enfants. Ils nous permettent de réfléchir et d’échanger sur les problématiques rencontrées, d’organiser la vie du groupe et de questionner nos pratiques afin de les harmoniser. Les difficultés de leur fonction Lors des réunions, l’équipe éducative est rarement présente au complet en raison du respect des amplitudes liées aux 35H. Cela peut laisser le sentiment de perte d’informations, d’une réflexion moins riche sur l’accompagnement des jeunes et d’une unité de groupe quelque peu dissoute. LA VIE AU GRAND AIR, N°55 - juillet 2006 29 Témoignages d’éducs Èducateurs d’hier et d’aujourd’hui Deux éducatrices des Accueils Éducatifs du Pays Haut, Marie-Laure MOREAU, éducatrice de jeunes enfants, aux AEPH depuis la création de la MECS et Emilie TOUSSAINT, éducatrice en formation, effectuant des remplacements depuis 2 ans témoignent sur leur expérience d’éducatrice. Une éducatrice qui revient au métier après 20 ans : Marie-Laure MOREAU « J’ai commencé mon métier d’éducatrice de jeunes enfants il y a 30 ans, dans une halte garderie du bassin houiller. La façon de travailler était alors assez différente tant dans les rapports avec les enfants que dans ceux entretenus avec les parents. J’avais le sentiment de travailler dans un climat de confiance. Les circonstances de la vie ont fait que j’ai quitté l’éducation spécialisée pendant 20 ans. Je gardais néanmoins toujours des relations avec des jeunes apprentis que j’employais et formais à leur futur métier. Revenue à ma profession initiale, en 1998 aux Accueils Éducatifs du Pays Haut depuis, j’exerce mon métier comme avant avec cependant certaines inquiétudes dues à la mise en place des horaires travail imposés par l’application de la loi sur les 35H. Ce qui diffère également, ce sont les modalités de travail avec les parents qui impliquent plus de cadres et démarches administratives et une réflexion sur la relation parents/professionnels. Cela dit, notre métier reste tourné principalement vers les enfants, c’est pour eux que nous sommes présents. L’élan et les liens que nous tissons, le fait de leur apporter toujours quelque chose, font que nous sommes continuellement motivés et disponibles pour eux. Le reste est effacé par la satisfaction de les accompagner au mieux dans leur future vie d’adulte responsable. » Une éducatrice en formation : Émilie TOUSSAINT « Grâce à une rencontre avec un professionnel de l’éducation spécialisée, m’ayant fait partager sa passion et l’amour de son métier, je me suis dirigée vers la profession d’éducateur spécialisé. De ce fait, j’ai effectué un stage de découverte en lieu de vie, auprès d’adolescents âgés de 14 à 18 ans en rupture sociale. Après cette expérience concluante, je me suis orientée vers des établissements dont les Accueils Éducatifs du Pays Haut. Depuis novembre 2003, j’effectue des remplacements dans les structures de Briey et Jarny, et, depuis un peu plus d’un an un remplacement à la Farandole. Lors de mes premiers remplacements de courte durée, j’ai regretté de ne pas être référente d’un enfant en particulier car cela m’a manqué de ne pouvoir prendre en charge globalement un enfant. Un autre sujet me pose question. J’ai une impression de « consommation » des activités que nous proposons. Cela peut fausser la réalité de la vie quotidienne. En clair, il est choquant d’entendre des enfants dire au moment de partir en hébergement chez leurs parents pour le week-end qu’ils préféreraient rester avec nous pour aller au cinéma, à la piscine etc… Enfin, ce métier me permet une constante remise en question, tant au niveau professionnel que personnel. Chaque jour après mon service, je me demande : ai-je été une bonne éducatrice aujourd’hui ? Et la journée défile et je m’interroge à nouveau sur ce que j’ai fait, comment je l’ai fait, ce que je devrais refaire ou non. Mais ma plus grande joie, je la retrouve avec un dessin qu’un enfant me réalise pour moi, parce que ce jour là, j’aurais compté pour lui et mon travail aura permis à l’enfant de faire un pas de plus vers sa vie d’adulte et bien entendu vers un retour à son domicile. » 30 LA VIE AU GRAND AIR, N°55 - juillet 2006 Bibliographie EDUCATION SPECIALISEE Mille et un jours d’un éducateur Francis Alfoldi Dunod, 2002 Les professions sociales et éducatives comportent plus de 150000 personnes. Paradoxalement, la réalité de leur pratique quotidienne est ignorée ou caricaturée. D’où le projet de cet ouvrage : retracer à travers douze récits le vécu d’un éducateur spécialisé intervenant à domicile dans le contexte de la protection de l’enfance. De l’éducation spécialisée Maurice Capul, Michel Lemay ERES, 1996 Cet important volume constitue la première étude consacrée à une réflexion d’ensemble sur le travail de l’éducateur. A partir d’un regard critique sur un demi-siècle d’éducation spécialisée, le propos de cet ouvrage est de chercher à relier dans une même perspective, tradition et modernité, pour dresser un panorama assez large des pratiques éducatives. Cahier du soir d’un éducateur Jean Cartry Dunod, 2004 Ouvert chaque semaine, ce cahier du soir contient des moments éducatifs, arrêts sur image d’un vécu partagé, éclairés de nombreuses lectures crépitant comme des flashs au long du texte. Faufilée dans la trame du texte comme un fil rouge, apparaît une réflexion sur l’état et l’avenir d’une profession menacée par l’idéologie du lien, de la distance et du management libéral. Récits d’éduc Jacques Loubet ERES,-2005 Dans la vérité de partage d’un moment de vie, on peut aider un adolescent à se situer par rapport au groupe mais également par rapport à lui-même. A travers des liens et des lieux se tisse la rencontre dans ce mouvement qui consiste à porter son humanité vers autrui et à apprendre de l’autre. Tels sont l’essence et le sens de ces portraits éducatifs tirés, pour l’essentiel, de l’expérience en internat de l’auteur. Pourquoi le travail éducatif, dans son haut degré d’exigence, doit-il rester éminemment créatif ? Le travail d’éducateur spécialisé Joseph Rouzel Dunod, 2002 S’appuyant sur sa triple expérience d’éducateur, de formateur et de psychanalyste, l’auteur propose une approche originale de l’action éducative à partir de la psychanalyse parce que celle-ci, comme l’éducation spécialisée, fonde sa pratique sur la relation et la parole. Il formalise ici ce qu’est une pratique spécifique d’aide et d’accompagnement à l’insertion à travers les notions de relation, de projet, de médiation. A partir d’exemples vécus, il propose de construire les fondements éthiques et cliniques de la profession et trace ainsi le chemin d’un retour au véritable sens de l’action éducative. La présente édition a été revue et actualisée. Elle s’enrichit de deux nouveaux chapitres sur la fonction de l’écoute, le déclin du père et la question du quotidien dans la pratique éducative. Guide de l’éducation spécialisée Guy Dréano Dunod, 2002 Réédition prévue septembre 2006 Cet ouvrage constitue une synthèse didactique de l’ensemble du corpus de savoir-faire d’une profession centrale dans le secteur social. Y est détaillé, commenté et illustré l’ensemble des pratiques et des contenus professionnels de manière à constituer un véritable vade-mecum des éducateurs. Cette nouvelle édition intègre tous les remaniements liés à la loi du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale. Fondation LA VIE AU GRAND AIR Les corridors du quotidien Paul fustier Presses Universitaires de Lyon, 1996 Collection L’autre et la différence Paul Fustier a su déplier le banal, la vie ordinaire et se constituer un objet d’étude original. Sa question centrale est la manière dont les personnes amenées à fréquenter une institution d’hébergement, utilisent le dispositif institutionnel pour le mettre au service de leur problématique subjective. Conception graphique : Hubert Bézu Creative Design www.lavieaugrandair.fr Président de la Fondation : Jérôme SALTET Directeur général : Didier WALLACE Responsable de la communication : Aude CHARPY Directeur de la publication : Jérôme SALTET Secrétaire de rédaction : Brigitte CHOJNACKI Impression : Imprimerie de Pithiviers, juillet 2006 Merci à tous ceux qui ont participé au Comité de rédaction. LA VIE AU GRAND AIR, N°55 - juillet 2006 31 FONDATION LA VIE AU GRAND AIR AU SERVICE DES ENFANTS EN DIFFICULTÉ ET DE LEUR FAMILLE Depuis 1927, la Fondation LA VIE AU GRAND AIR, reconnue d’utilité publique accueille des enfants et des adolescents en difficulté. Aujourd’hui, ils sont 1 000 à bénéficier de l’action éducative de professionnels qualifiés dans 14 établissements répartis sur toute la France. • Des enfants et des jeunes âgés de moins de 21 ans confiés par les services de l’Aide sociale à l’enfance ou les juges des enfants en raison des difficultés que rencontre leur famille. La vie ne leur a pas toujours souri : nous faisons en sorte de leur apporter de nouvelles chances. • Notre mission est de protéger les enfants, de les guider, de les éduquer, de les aider à devenir adultes. • Nous veillons à leur offrir des lieux d’accueil où ils puissent trouver la stabilité et la sécurité indispensables à leur épanouissement. • Les parents sont associés aux décisions, orientations, choix faits pour leur enfant et participent au fonctionnement de l’institution. ! AUJOURD’HUI, FAISONS ENSEMBLE LE MONDE DE DEMAIN r OUI, je soutiens les actions de la FONDATION LA VIE AU GRAND AIR. r Je fais un don par chèque bancaire ou postal à l’ordre de la FONDATION LA VIE AU GRAND AIR d’un montant de ............. € Mes coordonnées : Nom : .................................................... Prénom : .................................................... ........................................................................................................................................ Code postal : ................................ Ville : ................................................................. Vous avez droit à une réduction d’impôt égale à 75 % du montant du don, dans la limite de 470 € pour l’année 2005. Au-delà, la réduction est de 66 % dans la limite de 20 % du revenu imposable. Pour bénéficier de cette réduction, vous devez joindre le reçu que nous vous enverrons à votre déclaration de revenus. Les entreprises peuvent également déduire leur don de leur chiffre d’affaires dans la limite de 5 ‰ de celui-ci. Retournez ce bon* à notre siège social FONDATION LA VIE AU GRAND AIR 40 rue Liancourt, 75014 PARIS www.lavieaugrandair.fr Tél. : 01 53 91 23 23 - Fax : 01 43 20 40 73 - e-mail : [email protected] * Ce bon peut être recopié ou photocopié. 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