1997 - Accueil
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*Titre : *Journal de l'année (Paris. 1967) *Titre : *Journal de l'année *Éditeur : *Larousse (Paris) *Date d'édition : *1967-2004 *Type : *texte,publication en série imprimée *Langue : * Français *Format : *application/pdf *Identifiant : * ark:/12148/cb34382722t/date </ark:/12148/cb34382722t/date> *Identifiant : *ISSN 04494733 *Source : *Larousse, 2012-129536 *Relation : * http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb34382722t *Provenance : *bnf.fr Le texte affiché comporte un certain nombre d'erreurs. En effet, le mode texte de ce document a été généré de façon automatique par un programme de reconnaissance optique de caractères (OCR). Le taux de reconnaissance obtenu pour ce document est de 100 %. downloadModeText.vue.download 1 sur 361 Cet ouvrage est paru à l’origine aux Editions Larousse en 1998 ; sa numérisation a été réalisée avec le soutien du CNL. Cette édition numérique a été spécialement recomposée par les Editions Larousse dans le cadre d’une collaboration avec la BnF pour la bibliothèque numérique Gallica. downloadModeText.vue.download 2 sur 361 downloadModeText.vue.download 3 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 2 Le nouveau monde de 1997 En politique étrangère, ce fut l’année de tous les retournements. En 1997, les peuples du monde ont vu tomber bien des mythes et surgir beaucoup de nouveaux chefs. Mais, en dépit d’une violence chronique, il reste ce constat positif. Depuis la chute du mur de Berlin qui marque la fin de la menace soviétique, l’humanité vit moins dangereusement. Première légende écornée : celle de l’Amérique impériale. Pour Bill Clinton, décembre a trahi janvier. Au début de l’année, ce dernier avait entamé un second mandat qui, après sa réélection triomphale en novembre 1996, semblait annoncer une nouvelle série de succès diplomatiques. Mais la superpuissance unique que devint l’Amérique après la disparition de l’URSS découvre ses limites. Au Proche-Orient, Clinton, qui avait pourtant parrainé les accords d’Oslo signés par Yitzhak Rabin et Shimon Peres, ne réussit pas à convaincre Benyamin Netanyahou de relancer le processus de paix avec les Palestiniens de Yasser Arafat. Le Premier ministre israélien a tenu la parole de l’État hébreu en ordonnant, en janvier, l’évacuation partielle de Hébron, en Cisjordanie. Mais Jérusalem se refuse à aller plus loin. Il est vrai que les islamistes du Hamas, poursuivant leur stratégie de sabotage, se révèlent une fois de plus les alliés objectifs de Netanyahou. Juste ayant l’arrivée de Madeleine Albright, la secrétaire d’État américaine qui veut faire redémarrer la négociation, un attentat suicide fait cinq morts à Jérusalem le 4 septembre. C’est le meilleur argument pour le veto d’Israël à des concessions. Washington échoue aussi sur les autres fronts de la région. Rebelles à l’embargo des États-Unis contre l’Iran, les Européens maintiennent leur « dialogue critique » avec Téhéran. Et lorsque Total, la compagnie française, signe un contrat d’exploitation pétrolière en Iran, le gouvernement américain doit renoncer, en octobre, à appliquer les sanctions que le sénateur d’Amato a pourtant fait voter par le Congrès. C’est avec l’Irak que Bill Clinton connaît son revers le plus grave. Quand Saddam Hussein ordonne le 13 novembre l’expulsion des experts américains qui, conformément aux résolutions de l’ONU, recherchaient armes chimiques et biologiques, le président américain se retrouve confronté à une alternative impossible. S’il ordonne à son aviation de bombarder, ses alliés de la guerre du Golfe ne le suivront pas : ni les Arabes, déçus par l’indulgence américaine envers Israël, ni les Européens qui jugent que l’Irak a été assez puni. S’il frappe seul, le Pentagone risque de relancer la croisade islamiste contre l’Occident. Autre mythe bousculé : celui de l’exception asiatique. Début août, la chute de la monnaie thaïlandaise va entraîner tous les autres dragons. La Corée, qui s’était hissée dans le peloton de tête des nations industrielles, en est réduite à quémander auprès du FMI un prêt de 57 milliards de dollars. Mythes et tabous ébranlés Les « valeurs asiatiques », proclamées supérieures face à une Europe prise dans l’engrenage de la décadence, n’auraient donc été qu’un alibi. En prônant l’obéissance des foules, au nom de Confucius, les élites voulaient seulement s’enrichir sans être contestées. Cet écroulement des dominos du Pacifique démontre les limites du capitalisme sauvage. Sans réglementation de la Bourse, sans garantie de la concurrence, les bulles spéculatives finissent toujours par exploser. Pour que la prospérité dure, il faut que l’économie de marché soit encadrée par la démocratie. Au Mexique, l’Histoire est également réécrite. Le Parti révolutionnaire institutionnel, qui se voulait une forteresse éternelle, apprend, lors des élections de juillet, qu’il est mortel. Pour la première fois depuis soixante-quinze ans, il perd une des downloadModeText.vue.download 4 sur 361 LE BILAN MONDIAL 3 deux chambres du Parlement. Ce n’est qu’un début : les prochaines élections devraient le priver du Sénat en 1998 et de la présidence en 2000. Que de tabous qui ont disparu ! La France se résigne à reconnaître combien sa politique africaine est démodée. À partir de février, Laurent-Désiré Kabila, conseillé par Washington, renforcé militairement par les armées tutsies du Rwanda et de l’Uganda, avance irrésistiblement dans les jungles du Zaïre. Mais Paris continue de prétendre que Mobutu est incontournable. En mai, c’est Kabila qui gagne. Jacques Foccart, le maître des réseaux africains de la France depuis le général de Gaulle, est mort deux mois plus tôt. Cette disparition symbolise la fin d’une époque. Conséquence du passage de l’armée de métier, Paris réduit sa présence militaire sur le continent noir. Jacques Chirac déclare que la France renonce désormais aux « interventions unilatérales ». En août, il refuse d’envoyer des troupes pour séparer les milices qui se disputent Brazzaville à coups de mortier : les Ninjas de Pascal Lissouba, président démocratiquement élu, et les Cobras de Denis Sassou-Nguesso, l’ancien dictateur qui finit par l’emporter. Lionel Jospin, le nouveau Premier ministre socialiste, confirme cette ligne. À l’issue d’une tournée qui le conduit, en décembre, au Maroc, au Sénégal et au Mali, il souligne que les anciennes colonies doivent accepter d’être traitées en États majeurs. De paternelles, les relations de la France avec ces pays vont devenir « fraternelles ». Mais si le « néocolonialisme » est condamné, voici que le « colonialisme » retrouve des adeptes. Dans l’archipel des Comores, l’île d’Anjouan, qui avait voté pour l’indépendance il y a vingt-trois ans, réclame, en juillet, son rattachement à la France. La prospérité de l’île voisine de Mayotte, restée française, explique cette requête. Paris dit non. La bousculade des idées reçues ne connaît pas de frontières. Reçu à Paris en octobre, le président tunisien, Ben Ali, vante les bienfaits du despotisme éclairé. Mobilisant les énergies pour accélérer le développement, cet autocrate affirme détenir le vaccin contre la contamination islamiste. Il doit y avoir du vrai : après avoir tant dénoncé les méthodes dictatoriales de Hassan II, les socialistes français font amende honorable. À Rabat, en, décembre, Lionel Jospin salue « l’approfondissement de la démocratie au Maroc ». Le monde ne cesse de se réinventer. Hongkong, qui avait été britannique pendant cent cinquantequatre ans, redevient chinoise le 1er juillet. Mais, pour savoir si l’ancienne colonie convertira la Chine à la démocratie ou si, au contraire, elle perdra ses atouts économiques sous l’influence communiste, il faudra attendre. Le gouvernement de Pékin n’a-t-il pas promis de maintenir le système capitaliste de Hongkong pendant cinquante ans ? De nouvelles réalités s’enracinent. Plus personne ne doute de l’entrée en vigueur de la monnaie unique européenne. La décision d’Helmut Kohl, en avril, de briguer encore un mandat ne traduit pas seulement la volonté du chancelier de battre le record de longévité de Bismarck. Il veut rendre irréversible la construction de l’euro. Si l’Allemagne accepte de sacrifier le mark, les autres pays membres de l’Union ne pourront plus reculer. Les nouvelles donnes Même constat pour l’élargissement de l’Europe, dont le principe est fixé en décembre à Luxembourg. Avec l’arrivée des pays de l’ancien bloc socialiste, les Quinze achèveront d’effacer les dernières conséquences des totalitarismes nazi et communiste. L’Europe est réconciliée avec elle-même. Ce que confirme, aussi en décembre, l’ouverture de l’OTAN aux Polonais, aux Tchèques et aux Hongrois. Même la Russie approuve. Bien sûr, ce nouveau monde en train d’émerger coexiste avec des horreurs immuables. Le 17 novembre, la tuerie de Louxor qui se solde par la mort d’une soixantaine de touristes étrangers, en est un rappel sanglant. De même pour la prise d’otages du Pérou. Occupée par les guérilleros du mouvement Tupac Amaru, l’ambassade du Japon à Lima sera délivrée par la force : en avril, et après cinq mois de siège. L’Algérie continue aussi de saigner. La libération d’Abassi Madani, en juillet, n’arrête pas cette terdownloadModeText.vue.download 5 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 4 rible hémorragie. Ni les élections municipales du 23 octobre qui, après un scrutin présidentiel et des législatives, complètent l’édifice institutionnel mis en place par l’armée. Et puis les hommes passent. Deng Xiaoping meurt le 19 février : vingt ans après avoir engagé la Chine sur le chemin de la réforme. Le pouvoir politique est resté communiste mais l’économie obéit aux règles du marché. Jiang Zemin, le successeur, ne change pas de cap. C’est surtout l’arrivée au pouvoir de Tony Blair qui frappe les imaginations. La victoire des travaillistes aux élections britanniques, le 1er mai, met un terme à quinze ans de règne tory et donne un coup de jeune à l’Angleterre. Retour sur image : à Sarajevo, où avait été tiré le premier coup de feu des affrontements de 14-18, les membres de l’OTAN se sont entendus pour préserver le calme. Et, contrairement aux idéologies totalitaires du passé, la violence islamiste n’a pas déclenché d’incendie général. Aujourd’hui, il n’y a plus de conflits que limités. Le XXe siècle semble se terminer mieux qu’il n’a commencé. CHARLES LAMBROSCHINI RÉDACTEUR EN CHEF AU Figaro downloadModeText.vue.download 6 sur 361 LE BILAN MONDIAL 5 L’euphorie boursière Malgré quelques replis occasionnels, Wall Street n’a cessé de battre des records depuis une dizaine d’années. Le Dow Jones, l’indice qui mesure l’évolution des cours boursiers, n’a pas arrêté de monter : de 1 000 points en 1982 et 3 000 en 1992, il est passé à la fin juin 1997 à 7 500 points. De telles performances sont appréciées très diversement. Ainsi, pour le président de la Réserve fédérale américaine, il s’agit d’une « exubérance irrationnelle » qui peut annoncer un krach ; pour les analystes boursiers, il faut se montrer optimiste, voire euphorique, car ce n’est pas seulement Wall Street qui réagit à la hausse ; les grandes places boursières internationales sont également gagnées par cette euphorie. Àl ’issue du premier semestre 1997, la plupart des grandes places boursières mondiales ont atteint de nouveaux sommets historiques. Le 20 juin 1997, par exemple, l’indice Dow Jones des trente valeurs vedettes s’est hissé à 7 796,51 points, soit un gain de 0,19 % par rapport à la clôture du 13 juin. Il s’agit du sixième record consécutif. Depuis le début de l’année, la Bourse américaine est montée de 19,59 % après une progression de 26,01 % en 1996. Quelque peu déconcertés au départ par la persistance de cette euphorie, les analystes boursiers américains n’en ont pas moins reconnu qu’il ne s’était pas produit depuis longtemps une convergence absolue et univoque de facteurs aussi favorables : dollar fort, taux d’intérêt bas, absence de tensions inflationnistes, baisse du taux de chômage (au niveau le plus bas depuis octobre 1975), performances remarquables des entreprises (entre la réduction des coûts et les gains de productivité) et surtout abondance des liquidités (donc d’argent frais). Si depuis 1991 Wall Street a battu continuellement des records, c’est parce que les ménages américains ont investi toutes leurs liquidités disponibles. Ils ont ainsi préféré aux placements traditionnels (immobilier, assurance-vie, produits monétaires) les achats d’actions en Bourse sous le couvert de fonds communs de placement, acteurs désormais incontournables du système financier, et se sont même endettés à court terme. Enfin, Wall Street a également bénéficié d’un afflux de capitaux extérieurs provoqué par les conditions de financement avantageuses offertes aux investisseurs internationaux. À Paris comme à New York Comme les autres places financières internationales ont également connu la fièvre tout au long du premier semestre 1997, les analystes financiers ont estimé que la hausse boursière américaine s’était transmise aux Bourses européennes. Pour sa part, la place de Paris a suivi les traces des autres avec retard ; en approchant le seuil des 3 000 points, l’indice CAC 40 a battu un nouveau record historique ; les valeurs françaises ont progressé de 50 % entre septembre 1996 et juillet 1997. Cette euphorie persistante n’a pas été jugée tellement surprenante, car elle obéit à un scénario similaire à celle de Wall Street : reprise prévisible de la croissance sans inflation, amélioration de la rentabilité des entreprises en voie de restructuration dans de nombreux secteurs d’activité, attrait grandissant des investisseurs nationaux et internationaux pour les actions. Elle laisse tout de même un goût amer à tous ceux qui voient leur emploi menacé alors que la cote de leur entreprise ne cesse de monter. G.R. downloadModeText.vue.download 7 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 6 PROFESSION : GOUROU À la différence des places boursières européennes ou asiatiques, la Bourse de New York est dominée par deux sortes d’acteurs, souvent désignés du terme générique de « gourous ». Ceux-ci jouent le rôle d’oracle sur le marché des actions. La première génération des gourous regroupe des analystes boursiers attachés à de grandes maisons de courtage comme Merril Lynch, Solomon Brothers, Morgan Stanley ou Goldman Sachs. Ils prédisent l’évolution de la cote. La seconde génération est représentée par des consultants (tels ceux du cabinet newyorkais Stern, Stewart and Co) qui recalculent le résultat opérationnel des entreprises afin d’optimiser leur utilisation du capital et d’améliorer leurs bénéfices. downloadModeText.vue.download 8 sur 361 LE BILAN MONDIAL 7 L’après-Deng À partir du milieu des années 90, alors que les apparitions publiques de Deng Xiaoping se faisaient de plus en plus rares, la Chine a offert aux yeux des Occidentaux l’image d’un État entraîné dans une croissance littéralement emballée, sur fond d’engourdissement politique apparent. En réalité, l’après-Deng avait déjà commencé. On sait que Jiang Zemin a tiré son épingle du jeu. Mais le statu quo politique affiché en 1997 pourrait bien voler en éclats. Si « la Chine s’est éveillée », les forces centrifuges – que l’utopie totalitaire de Mao avait maintenues sous l’éteignoir – sont entrées dans une phase active : fragmentation des couches dirigeantes du « capitalisme rouge » en clientèles concurrentes et dérive en îlots de prospérité semi-indépendants des régions côtières – l’une et l’autre creusant chaque jour un peu plus les inégalités. Deng Xiaoping lègue à son successeur un pays qui s’affranchit insensiblement du joug d’un centre fort. À la recherche d’une nouvelle légitimité, le régime de Pékin semble opter pour un syncrétisme doctrinal alimenté par une double tradition : d’une part, le confucianisme, réhabilité à petites doses, de l’autre, le nationalisme aux manifestations de plus en plus bruyantes. Un nationalisme qui offre aussi quelques commodités en matière de politique intérieure. Des défis explosifs Face à l’impérieuse nécessité de s’attaquer à la réforme du secteur industriel public, le régime de Pékin se trouve confronté à un véritable cassetête dont on perçoit mal le caractère social explosif, masqué par la bonne tenue de la croissance. Pourtant, il est clair qu’une véritable campagne d’assainissement laisserait sur le carreau plusieurs dizaines de millions de sans-emploi. Les autorités ont pu vérifier que le terrain était miné quand elles ont essayé de réactiver une loi sur les faillites vieille d’une dizaine d’années et qui n’a été appliquée que dans des cas dits « expérimentaux ». Des grèves se sont produites dans plusieurs grands centres industriels, notamment dans le nord-est du pays et en Mandchourie. À bien des égards, la réforme du secteur public apparaît comme le dossier crucial de l’après-Deng. Sur le plan extérieur, le partenariat de sécurité conclu en 1996 entre le Japon et les États-Unis a conditionné le cours de la diplomatie chinoise, suscitant un « raidissement » à Pékin dont l’effet immédiat aura été une normalisation des relations avec Moscou. Parallèlement, la Chine s’est engagée sur la voie d’un autre « rapprochement historique », cette fois avec l’Inde. Tout en se rapprochant de New Delhi, la Chine conserve des liens forts avec le Pakistan, auquel elle fournit des missiles M-11, voire de l’armement nucléaire. La tentation de l’hégémonie constitue un danger perçu comme tel par l’Occident. Pourtant, tout indique que l’on est décidé, de ce côté du monde, à s’en accommoder. P.F. LA CHINE ET LA RUSSIE La Chine n’est plus ce pays faible et pauvre que l’URSS guidait sur la voie de l’avenir radieux du communisme. Contrairement à la Russie, la Chine détient la capacité de projeter une puissance réelle, économique et militaire, au-delà de ses frontières. Une réalité que l’on prend au sérieux à Moscou, car, derrière les proclamations d’amitié, les conflits ancestraux et les données stratégiques sont loin d’être oubliés. Ainsi de la pression démographique et économique chinoise, qui pourrait gagner les républiques nouvellement indépendantes d’Asie centrale situées à la frontière de la Chine. À cet égard, les troubles et la répression conduite au premier trimestre de 1997 par les Chinois contre les Ouïgours turcophones du Xinjiang ont été suivis avec la plus grande attention par Moscou. downloadModeText.vue.download 9 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 8 Télécoms : la fin des monopoles L’accord mondial sur l’ouverture totale à la concurrence, à compter du 1er janvier 1998, des marchés de services de télécommunications, conclu par soixante-huit pays le 15 février 1997 à Genève dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), marque la fin de l’ère des monopoles, le plus souvent publics, dans un secteur économique considérable (3 820 milliards de francs de chiffre d’affaires) et aussi le plus dynamique (une croissance annuelle de 10 % ces dernières années). Avec cet accord, les opérateurs du monde entier, confrontés à une situation nouvelle – celle d’une concurrence accrue –, n’ont pas d’autre solution que de rechercher une plus grande rentabilité. Avec l’accord du 15 février 1997, n’importe quel exploitant téléphonique devrait pouvoir d’une part proposer ses services dans des pays autres que son pays d’origine et, d’autre part, acquérir une participation majoritaire (sauf dérogation) dans le capital de ses homologues étrangers, sans que les autorités des pays concernés puissent opposer leur veto. Le temps passé à négocier l’accord (3 ans) a montré l’importance des enjeux pour les signataires. Les opérateurs nationaux (surtout européens) se doivent d’accepter que leurs marchés soient ouverts à la concurrence au moment où ils ne le sont qu’à hauteur de 17 % avant la signature de l’accord. Ces opérateurs peuvent difficilement refuser, car il s’agit d’un mouvement de fond qui a débuté aux États-Unis à la fin des années 1970, sous la pression des grandes entreprises consommatrices de services de télécommunications. En 1984, les autorités américaines ont cédé en démantelant AT & T, groupe privé jouissant d’un monopole depuis les années 20. Les pays européens ont suivi cette déréglementation de façon très limitée en excluant notamment le service de base (le transport de la voix sur des réseaux filaires) pour ne pas perdre de recettes. Des conséquences timides La mise en concurrence des opérateurs européens a commencé à se traduire pour les usagers par des baisses de tarifs. Les négociateurs américains estiment que les prix des appels internationaux devraient baisser de 80 %, ce qui n’est pas encore le cas. L’accord de Genève ouvre une nouvelle ère qui devrait entraîner de profonds bouleversements. L’abolition des barrières sur les marchés mondiaux et la disparition ou la réduction des seuils imposés pour les prises de participation dans des compagnies nationales impliquent que celles-ci se préoccupent de pénétrer les marchés extérieurs. À cet effet, elles doivent envisager de s’allier entre elles, si elles veulent résister à la concurrence des grands groupes dominants. G.R. LA DIMENSION FRANÇAISE Le marché mondial des télécommunications s’est élevé à 601,5 milliards de dollars en 1995. Pour sa part, France Télécom a réalisé un CA de 151,3 milliards de francs l’année suivante (soit près de 30 milliards de dollars). L’exercice 1996 a été marqué par le fort développement des téléphones mobiles et par le lancement de Global One, le partenariat stratégique qui unit l’entreprise française à l’allemand Deutsche Telekom et l’américain Spirit. Comme pour Air France reste en suspens la question du statut juridique, public ou privé, de France Télécom. L’arrivée de la gauche au pouvoir, en juin, a rendu le dossier encore plus complexe. Une mission d’étude a été confiée à l’ancien ministre Michel Delebarre. downloadModeText.vue.download 10 sur 361 LE BILAN MONDIAL 9 Transports aériens : l’ouverture à la concurrence internationale Le 1er avril 1997 (début du nouvel exercice dans la comptabilité aérienne), l’espace aérien de l’Union européenne a été complètement libéralisé : les lignes aériennes intérieures peuvent être désormais desservies par les compagnies des autres pays. Du jour au lendemain, le ciel européen est devenu le plus concurrentiel du monde en matière de transport aérien, devant les États-Unis. Dès que le processus de déréglementation a été entamé en 1977 puis étendu aux États-Unis (accord de « ciel ouvert » entre les nations des deux rives de l’Atlantique), les transporteurs des pays de l’Union européenne se sont activement préparés à cette échéance symbolique du 1er avril 1997 : avec un marché aussi prometteur (surtout celui de la France), ils ont pris sans tarder toutes sortes de dispositions non seulement pour conserver leurs parts de marché, mais aussi pour tirer parti de l’ouverture à la concurrence. D’un côté, les grandes compagnies tout comme les plus petites, récemment entrées, ont cherché à réduire leurs coûts afin de baisser leurs tarifs. D’un autre côté, les plus puissantes (par exemple British Airways) se sont lancées dans des politiques d’alliance ou de rapprochement afin de préserver une offre à l’échelle de la planète. C’est bien à cette libéralisation du ciel européen que doit être attribuée la croissance du nombre de créations de compagnies (80 entre 1993 et 1996 mais autant de disparitions) et de routes intracommunautaires exploitées (passant de 490 à 520 pendant la même période). Cette croissance a été suivie de celle du nombre des passagers transportés : ainsi, les compagnies membres de l’Association des compagnies européennes (AEA) ont acheminé en 1996 103 millions de passagers sur les seules lignes européennes, contre 7,8 millions en 1992. Cependant, les tarifs, contrairement à ce qui s’est passé aux États-Unis au lendemain de la déréglementation du transport aérien, n’ont pas connu en Europe une baisse régulière et sensible. Le seul véritable espoir en ce domaine réside dans la multiplication des compagnies discounts. En limitant les frais (réservation par fax, paiement par carte bancaire, minimum de personnel), les prix sont deux à trois fois moins élevés pour des destinations en promotion. D’un autre côté, sur les lignes régulières, les compagnies ont procédé à la différenciation des tarifs. C’est le « yield management » (gestion optimale des recettes) où les prix sont modulés jusqu’à la dernière minute afin de remplir les avions. Rapprochements Les grandes compagnies aériennes comme British Airways ou Lufthansa ont cherché à étendre leur influence, profitant de la sélection qu’implique une concurrence accrue. British Airways s’est préparée longtemps à l’avance en comprimant d’abord ses coûts ; de la sorte, elle a dégagé des profits tels qu’elle a été placée au premier rang mondial. Elle a pu ainsi consacrer de lourds investissements en devenant le principal actionnaire de Deutsche BA en Allemagne, de TAT et de Air Liberté en France. Ces participations devaient lui permettre de pénétrer les marchés européens. De son côté, après avoir redressé ses comptes depuis 1991, Lufthansa a tissé un réseau d’alliances en Allemagne, en Europe et dans le monde, ce qui l’a conduite au rapprochement avec neuf compagnies aériennes (United Airlines, All Nippon Airways, Varig, etc.). D’une façon générale, ces alliances obéissent à de vraies logiques commerciales (partage de lignes, connexions de programmes de « millage » ou de remplissage et des systèmes de réservation). G.R. downloadModeText.vue.download 11 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 10 LA RESTRUCTURATION D’AIR FRANCE Pour l’exercice clos au 31 mars 1997, Air France a annoncé son premier bénéfice depuis 1989 (211 millions de francs). La compagnie est parvenue à ce résultat par l’accroissement du trafic et par le remplissage record de ses avions. Cependant, ses coûts restent plus élevés que ceux de ses concurrents : ils sont supérieurs de 14 % à ceux de British Airways et de 40 % à ceux des compagnies américaines. Christian Blanc, P-DG de la compagnie, aurait voulu abaisser les coûts de 15 % en moyenne au cours des trois prochaines années et multiplier les alliances avec des partenaires étrangers. Il sera obligé de quitter son poste pour s’être opposé au gouvernement Jospin sur le statut futur de la compagnie. Il souhaitait une privatisation complète. Il n’a pas été suivi. downloadModeText.vue.download 12 sur 361 LE BILAN MONDIAL 11 La Suisse en question 1996 avait été bien morose en Suisse – licenciements en cascade dans les banques et l’industrie, pression à la baisse sur les salaires. C’est donc dans un contexte fortement déprimé qu’a éclaté en 1997 l’affaire des victimes de l’Holocauste. Après avoir temporisé, Berne a dû se résoudre à reconsidérer une neutralité peu glorieuse. En accusant les banques de la Confédération de détenir des avoirs juifs en déshérence pour un montant de plusieurs milliards de francs suisses, de nombreuses organisations internationales juives ont relancé le débat sur la neutralité helvétique. L’ouverture des archives en Europe centrale et orientale et le regain d’intérêt pour la question de la responsa- bilité du pays pendant la Seconde Guerre mondiale ont préparé le terrain, faisant apparaître la neutralité sous un jour bien moins favorable que traditionnellement admis. Un verrou a ainsi sauté dont témoignent quelques questions : n’aurait-on pas dû se préoccuper davantage de l’origine des avoirs déposés en Suisse ? Que sont devenus, au lendemain de la guerre, les dépôts en banque des Juifs qui ont été exterminés ? Il est clair qu’au regard des réactions des milieux concernés et des hésitations du gouvernement, la renommée internationale de la neutralité suisse sera durablement ternie. La morale et la contrainte Concernant les victimes de la Shoah, le gouvernement a choisi de faire un geste significatif. Ainsi, le président de la Confédération helvétique, Arnold Koller, a adressé un discours solennel diffusé dans tout le pays par la télévision et destiné à faire le point pour l’opinion publique suisse et étrangère sur la volonté du gouvernement de Berne d’assumer son passé entre 1933 et 1945. C’est ainsi que la Suisse a décidé de créer une Fondation de la solidarité de 7 milliards de francs suisses pour les victimes de l’Holocauste, ainsi que de la pauvreté, des catastrophes et des violations des droits de l’homme. Parallèlement, les principales banques du pays ont pu annoncer la création d’un fonds de 100 millions de francs suisses pour les victimes du génocide, faisant ainsi un premier geste financier après une longue polémique les accusant d’avoir profité des persécutions des juifs par les nazis. Le gouvernement et les banques suisses n’auront donc pas pris à la légère la pression qui s’est manifestée sur la scène internationale avec, notamment, des menaces de la municipalité de New York de ne plus confier d’argent aux banques de la Confédération tant qu’un fonds de compensation n’aurait pas été créé. Sans doute la pression économique aura-t-elle pesé en la matière d’un poids plus significatif qu’un quelconque examen de conscience. On peut assurément le regretter. P.F. UNE LITTÉRATURE DE HAINE Sur la scène du Neumarkt Theater de Zurich, quatre comédiens ont lu en rafale le courrier des lecteurs paru au printemps sur l’affaire des fonds juifs. Le spectacle, monté par la comédienne Shelley Kästner, se termine par de terribles vociférations : « Et d’ailleurs, où les Juifs l’ont-ils pris, tout cet argent ? » ; « Hitler a mal fait son boulot » ; « Il y a 18 000 Juifs de trop en Suisse » ; « Adolf est parmi nous » ; « Votre liquidation n’est qu’une question de temps » ; « Les Juifs torturent et égorgent les animaux sans anesthésie », etc. downloadModeText.vue.download 13 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 12 Échecs : Kasparov vaincu par un ordinateur Du 3 mai au 11 mai, à New York, le champion du monde d’échecs Garry Kasparov affronte un super ordinateur d’IBM, Deeper Blue. Au terme d’un match en six parties, la machine l’emporte par 3,5 points à 2,5. Pour la première fois, un ordinateur triomphe d’un champion du monde en titre lors d’une rencontre jouée sur un rythme normal. « Aucun ordinateur ne me battra », avait un jour osé affirmer imprudemment Garry Kasparov, que les experts s’accordent à considérer comme le meilleur joueur d’échecs de tous les temps. Pour la première fois de sa longue carrière, le prestigieux champion russe a cependant été dominé par une machine. Déjà, en 1996, Deep Blue, un superordinateur IBM RS/6000 SP équipé de 256 microprocesseurs travaillant en parallèle et capable d’analyser 50 à 100 milliards de coups en trois minutes (le temps moyen nécessaire pour jouer un coup lors d’une partie d’échecs classique), lui avait donné du fil à retordre. Mais Kasparov l’avait finalement emporté par 4 points à 2. Tirant les leçons de la défaite de leur « bébé », les informaticiens d’IBM se sont alors attachés à rendre celui-ci encore plus performant. Ainsi est né Deeper Blue. Ce nouveau matériel possède la même architecture que son prédécesseur, mais il est deux fois plus puissant. Grâce au concours d’un ancien champion d’échecs des États-Unis, Joël Benjami, il est, par ailleurs, apte à mieux « comprendre » la position des pièces et à mieux évaluer leur potentiel à chaque instant de la partie. Dans son imposante mémoire ont été enregistrées toutes les parties connues disputées par Kasparov au cours de sa carrière. On chercherait en vain la moindre forme d’intelligence dans le mode de fonctionnement de cette machine de 1 400 kg. De ce point de vue, ce n’est qu’un « tas de ferraille », pour reprendre l’expression méprisante par laquelle les amateurs d’échecs se plaisent à désigner familièrement les ordinateurs. Son principal atout est sa puissance phénoménale de calcul, sa capacité à scruter en permanence les soixante-quatre cases de l’échiquier pour simuler et analyser toutes les possibilités susceptibles de se réaliser dans les sept coups à venir, voire plus dans certaines configurations. À cela s’ajoute le fait que la machine, à la différence de l’homme, n’éprouve ni fatigue, ni stress, ni aucune fragilité psychologique. Les efforts déployés par l’équipe d’IBM pour le match revanche de l’ordinateur se sont avérés payants puisque Deeper Blue a battu Kasparov par 3,5 points à 2,5. Mais le champion semble surtout avoir été déstabilisé par son adversaire. En effet, après avoir infligé à la machine une défaite sans appel lors de la première partie, il a abandonné dans la deuxième alors qu’une possibilité de jeu nul par échec perpétuel s’offrait à lui ; et, dans les parties suivantes, il a commis plusieurs erreurs stratégiques en délaissant notamment son style habituel d’attaquant pour chercher à dérouter l’ordinateur. Même si la victoire de Deeper Blue marque une date dans l’histoire du jeu d’échecs, elle ne représente pas encore l’avènement de la machine imbattable par l’homme. PHILIPPE DE LA COTARDIÈRE LES CONDITIONS DU MATCH Organisée à l’Equitable Center de New York, sur la 7e Avenue, la rencontre entre Garry Kasparov et l’ordinateur Deeper Blue a été disputée en six parties. Lors de chaque partie, chacun des deux joueurs disposait de deux heures pour effectuer ses quarante premiers coups, puis d’une heure pour les vingt suivants. Ensuite, les deux adversaires avaient chacun une demi-heure pour terminer la partie : celle-ci ne pouvait donc durer plus de sept heures. Le vainqueur du match (l’équipe d’IBM) a touché plus de 700 000 dollars, le perdant, 400 000. downloadModeText.vue.download 14 sur 361 LE BILAN MONDIAL 13 OTAN – Russie : la nouvelle donne La Russie n’ayant jamais manqué une occasion de dire tout le mal qu’elle pensait de l’extension de l’Organisation atlantique, la rencontre à Moscou (14 mai) entre le secrétaire général de l’Organisation atlantique, Javier Solana, et le ministre russe des Affaires étrangères, Evgueni Primakov, aura constitué une véritable surprise. L’aggiornamento de Moscou à l’endroit de l’OTAN a pris la forme de l’Acte fondateur sur les relations, la coopération et la sécurité mutuelle entre l’OTAN et la Fédération de Russie. Si le Kremlin, qui désirait un traité en bonne et due forme, n’a obtenu qu’une espèce de charte et s’est vu opposer un ferme refus sur le droit de veto au sujet des futurs élargissements de l’OTAN, en revanche, les mécanismes de consultation mis en place lui offrent des moyens de pression non négligeables sur les décisions de l’OTAN. Et bien que les Occidentaux aient fait valoir que l’Acte fondateur n’était qu’une compensation accordée à Moscou en contrepartie de l’élargissement de l’OTAN à certains pays de l’ancien bloc soviétique, il reste que la Russie a finalement obtenu ce à quoi elle tient le plus : avoir son mot à dire dans la stabilité et la sécurité en Europe. En témoignent les institutions instaurées par l’Acte fondateur. Ainsi, les Russes et les membres de l’OTAN siégeront désormais dans un « conseil conjoint », présidé par le secrétaire général de l’OTAN et un haut diplomate russe. La Russie pèsera donc d’un poids égal à celui des alliés occidentaux dans le fonctionnement de ce conseil. Hypothèses contradictoires Les Russes sont-ils pour autant décidés à jouer la carte de la coopération ou celle de la perturbation ? Première hypothèse : ils peuvent s’intégrer dans les mécanismes de décisions multilatérales, prendre leur part de la stabilité en Europe et participer à des opérations de maintien de la paix. Seconde hypothèse : ils pourront bloquer les initiatives des Occidentaux, voire se refaire une « clientèle » auprès des États frustrés par l’élargissement sélectif de l’alliance atlantique. Il est vraisemblable que l’attitude de la Russie dépendra de l’évolution interne de la Fédération. Si elle parvient à sortir de ses difficultés économiques et sociales, à surmonter sa crise d’identité et à définir de manière rationnelle ses nouveaux intérêts stratégiques, la Russie sera en position de tirer le meilleur parti de la nouvelle donne en Europe. Mais que le Kremlin vienne à se crisper dans des attitudes nationalistes, qu’il considère que son avenir est davantage en Asie que sur le Vieux Continent, et l’Acte fondateur ne sera plus qu’une coquille creuse. P.F. UNE RÉVISION DU TRAITÉ CFE En contrepartie de leur aggiornamento atlantiste, les Russes ont obtenu de notables avantages sur la modernisation du traité sur les forces conventionnelles en Europe (CFE). Signé en novembre 1990 entre l’OTAN et le pacte de Varsovie, ce traité avait fixé des quantités maximales d’armements (tanks, véhicules blindés, hélicoptères, artillerie lourde) pour la « zone des flancs » s’étendant de la Norvège à la Turquie et englobant l’Ukraine, la Moldavie, l’Azerbaïdjan, la Géorgie, l’Arménie et le Kazakhstan. La hausse des quotas russes, notamment dans le Caucase, est acquise. downloadModeText.vue.download 15 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 14 Le sommet d’Amsterdam À Amsterdam, les Quinze n’ont pu que constater leur incapacité à réformer les institutions de l’Union européenne. Cependant, en adoptant le Pacte de stabilité monétaire agrémenté d’un volet social sur l’emploi, ils ont mis un terme à la crise qui menaçait l’euro et le couple franco-allemand. Sans doute, si Lionel Jospin ne s’était pas installé deux semaines plus tôt à l’hôtel Matignon et n’avait pas émis des réserves sur le pacte de stabilité (« Du super-Maastricht ! ») et sur sa détermination à faire l’euro, le Conseil européen réuni, les 16 et 17 juin, à Amsterdam, en vue d’amender le traité de Maastricht, se serait-il focalisé sur son ordre du jour prioritaire : la réforme de ses institutions. Un projet ambitieux : il s’agissait, avant l’élargissement à 20 ou à 25, de tirer au plus vite l’Union de la paralysie qui l’avait déjà gagnée au lendemain de l’adhésion de l’Autriche, de la Finlande et de la Suède et d’éviter qu’elle ne se dilue dans une simple et large zone de libre-échange, en renforçant son pouvoir de décision. Pendant ces deux jours, les 15 devaient donc plancher sur un nouveau mode de gouvernement plus efficace, plus politique et moins technocratique. La pondération de l’importance de chacun de ses membres devait être rééquilibrée, elle était trop avantageuse pour les petits pays au détriment des grands, le nombre de commissaires diminué et le champ des votes à la majorité et non plus à l’unanimité, élargi. Certes, à la sortie, il y a eu des avancées, notamment sur les pouvoirs du Parlement européen et en matière de politique étrangère. Mais, par rapport aux ambitions affichées à l’entrée, les Quinze se sont quittés sur un constat d’échec. Un blocage qui fait courir le risque d’une paralysie des institutions. Helmut et Lionel Un blocage dû en grande partie au couple franco-allemand. Pour la première fois, ce tandem, véritable moteur de l’Europe, est apparu fragilisé en raison de désaccords sur la gestion de la zone monétaire européenne. Pendant sa campagne électorale, Lionel Jospin n’avait pas caché tout le mal qu’il pensait du pacte de stabilité voulu par l’Allemagne et adopté à Dublin en décembre 1996. Crime de lèse-Europe pour Helmut Kohl, il avait même émis des réserves quant à sa volonté d’aboutir à l’euro à n’importe quel prix. Une fois installé à Matignon, le Premier ministre avait fait comprendre qu’il ne signerait pas un tel pacte s’il n’était pas assorti d’un volet social engageant l’Europe à faire de l’emploi une de ses priorités. À Amsterdam, après une première prise de contact, à Poitiers, lors du sommet franco-allemand, en accord avec Jacques Chirac, un compromis était trouvé : les Quinze adoptaient une résolution sur la croissance et l’emploi faisant pendant au pacte de discipline budgétaire. L’euro était sauvé. B.M. DIX ANS POUR FAIRE L’EURO 7 février 1992 : signature du traité de Maastricht. 15 décembre 1995 : fixation du nom et du calendrier de l’euro à Madrid. 14 décembre 1996 : adoption du pacte de stabilité à Dublin. 17 juin 1997 : vote du pacte de stabilité à Amsterdam. Printemps 1998 : création de la Banque centrale européenne, liste des pays participants à l’euro et choix pour les pièces et les billets. 1er janvier 1999 : gel des taux de change, introduction de l’euro sur les marchés financiers. 2001 : mise en circulation des pièces et des billets de l’euro en parallèle avec les monnaies nationales, progressivement retirées. 1er juillet 2002 : l’euro est la seule monnaie en circulation. downloadModeText.vue.download 16 sur 361 LE BILAN MONDIAL 15 L’échec du sommet de la Terre L’Assemblée générale extraordinaire de l’ONU s’est achevée le 28 juin sur un constat amer. L’ensemble des participants aura en effet considéré que cette réunion était un coup d’épée dans l’eau, alors que l’environnement de la planète s’est dégradé depuis cinq ans. Principal accusé, les États-Unis ont admis qu’ils devaient s’engager davantage. On fera mieux une autre fois. C’est du moins ce que l’on peut lire dans la déclaration finale, puisque, en guise de résolution, les États sont tombés d’accord pour espérer que lors du prochain sommet, prévu pour l’an 2002, « plus de progrès soient réalisés ». Les quelque deux mille ONG présentes à New York n’ont pas caché leur déception – sinon leur colère – devant la reconnaissance de cette impuissance générale. Celle-ci paraît pour le moins inquiétante dans la mesure où le diagnostic est établi (dégradation de l’environnement) et la thérapie connue : modifier les modes de production et de vie. Mais personne n’entend engager le traitement comme l’a montré l’absence de grandes décisions impliquant les gouvernements dans des actions concrètes. Cinq ans après le sommet de Rio, on peut considérer qu’un pas en arrière a été franchi pour la santé de la planète. Réponses dilatoires Si les intentions n’ont pas manqué, le « malade » a d’abord été invité à prendre son mal en patience. Ainsi du réchauffement climatique, qui a été renvoyé à une prochaine conférence, prévue à Kyoto, au Japon, en décembre 1997. De même pour la nécessité de mieux partager les ressources en eau douce – sans doute un des enjeux majeurs auxquels se trouve confronté le monde à l’aube du IIIe millénaire – dont il sera question lors d’une conférence ministérielle au printemps 1998, à Paris. Quant à l’utilisation des produits chimiques toxiques, en particulier les pesticides, le sommet de New York n’a accouché que d’une mise en garde de principe. Mais c’est sur le chapitre de l’aide au développement que l’on a pu mesurer le danger qu’il y a à renvoyer à plus tard des déci- sions dont l’urgence est patente. Les promesses de Rio à ce sujet n’ont pas été tenues : ainsi cette aide qui devait passer à 0,7 % du produit intérieur brut est-elle aujourd’hui inférieure à 0,3 %. Tout en reconnaissant cet échec, les États se sont bien gardés de s’engager plus avant. Une pusillanimité lourde de conséquences quand chacun s’accorde à penser que si les pays du Sud suivent le modèle de développement du Nord, ils vont contribuer de manière catastrophique à la crise écologique mondiale. Cible privilégiée des écologistes, les États-Unis se sont toutefois engagés à leur donner des garanties en proposant une série de normes antipollution. P.F. LES ÉTATS-UNIS SUR LA SELLETTE Le président Bill Clinton a paru coincé entre la pression des écologistes – ces derniers constituant un important vivier électoral pour le prochain candidat démocrate – et l’intense lobbying des industriels, soutenus par les maires de nombreuses grandes villes. Les premiers ne manquent pas une occasion de laisser entendre que les électeurs verts pourraient bien faire défaut au vice-président Al Gore, les seconds rappellent volontiers qu’ils disposent de puissants relais au sein du Congrès. En imposant des normes antipollution plus strictes. Bill Clinton aura pris un risque politique. downloadModeText.vue.download 17 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 16 G7 ou G8 ? Depuis 1975, le G7 rassemble les sept pays les plus industrialisés, lors de sommets annuels dédiés aux questions économiques. Le millésime 1997 a surtout consacré la puissance américaine et l’entrée au club de la Russie, aux côtés de l’Allemagne, du Canada, des ÉtatsUnis, de la France, de la GrandeBretagne, de l’Italie et du Japon. Avant de partir pour Denver, le président Boris Eltsine avait déclaré qu’il souhaitait voir « écrit noir sur blanc » que le G7 était désormais transformé en G8. Si, pour la première fois, le président russe a participé à la quasi-totalité des discussions – à l’exception de celles consacrées aux questions économiques et au système financier international –, les sept n’ont pas pour autant accepté le principe d’un élargissement permanent de leur club à la Russie. C’est surtout vrai de Tokyo qui n’a toujours pas réglé son différend territorial avec Moscou sur les îles Kouriles, occupées par l’Armée rouge depuis 1945. Le sommet de Denver, qui s’est ouvert le 20 juin, a toutefois permis à M. Eltsine de célébrer son « succès géostratégique prodigieux », selon la formule d’un haut fonctionnaire français. Mais, en termes strictement économiques, force est de constater qu’un fossé sépare la Russie du reste du monde industriel. Ainsi, des pays comme la Chine, le Brésil, l’Inde ou l’Indonésie ont non seulement une production supérieure à celle de la Russie, mais ils présentent de plus une structure économique aujourd’hui très proche de celle des pays industriels. Tensions transatlantiques De leur côté, les Européens n’ont guère goûté la leçon d’économie que leur a prodiguée un Bill Clinton dont l’arrogance était évidemment indexée sur les performances américaines en la matière. Aussi se sont-ils employés à rappeler qu’il fallait compter avec le Vieux Continent, en soulignant ses progrès vers la monnaie unique, son action déterminante en faveur de l’environnement ainsi que l’ampleur et l’antériorité de ses efforts au profit de l’Afrique. L’entêtement déployé par les Européens pour faire en sorte que le projet de l’union économique et monétaire des Quinze figure en bonne place dans les discussions a payé : un paragraphe du communiqué final était en effet consacré à la future monnaie unique. Il s’agissait surtout, en l’espèce, de rassurer les partenaires américain et japonais quelque peu soucieux des turbulences monétaires susceptibles d’accompagner l’introduction de l’euro et d’apaiser leurs inquiétudes à l’endroit de la concurrence que celui-ci pourrait entraîner pour le dollar et le yen. Pour le reste – environnement, aide aux pays du tiers-monde –, les Européens ont aussi fait front commun, sans toutefois convaincre un président américain au triomphalisme quasi condescendant. P. F. À QUOI SERT LE G7 ? Le sommet de Denver a surtout servi à introniser la Russie comme nouveau membre, grâce à la détermination du parrain américain. Pour le reste, eu égard au caractère hétérogène des dis- cussions – économie, monnaie, maladies infectieuses, vieillissement de la population, Afrique, effet de serre, Bosnie, eau douce, Irak –, force est de constater qu’on n’y a pratiquement rien décidé et peu débattu. En revanche, on y a dépensé beaucoup d’argent et d’énergie en respectant, comme d’habitude, un consensus de façade. downloadModeText.vue.download 18 sur 361 LE BILAN MONDIAL 17 Dollar fort, euro faible 5,20 francs en janvier 1997, 6,10 francs en septembre : le dollar s’appréciait de près de 20 % en neuf mois. Une bonne nouvelle pour la France. Un motif d’inquiétude pour l’Allemagne, alarmée par la perspective d’un euro « faible ». Avec un déficit public maîtrisé, des chiffres de chômage et d’inflation au plus bas, des revenus des ménages en progression et des niveaux record de consommation, l’économie américaine entamait en 1997 la septième année d’un cycle continu de croissance, au plus grand profit du dollar. À la mi-année, la devise américaine accédait même au statut de valeur refuge face à la tourmente monétaire que connaissait l’Asie du Sud-Est. En France, la flambée du billet vert favorisait une légère reprise économique. Elle contribuait à améliorer les bénéfices des entreprises en gonflant la valeur de leurs opérations effectuées en dollars et en tirant à la hausse leurs exportations, moins chères et donc plus compétitives. Un dollar fort a l’inconvénient d’augmenter le prix des matières premières importées, comme le pétrole. Mais, tout au long de l’année, le cours de l’or noir baissait de près de 20 %, annulant l’effet haussier du dollar. Dopé, notamment, par les réallocations d’actifs asiatiques, la bonne tenue de Wall Street et les excellents résultats des entreprises françaises, le CAC 40 s’offrait le 3 septembre une hausse historique de 4,11 %. L’inquiétude allemande Jusqu’où allait monter le dollar ? À l’été, il atteignait un niveau pénalisant dangereusement les produits made in USA. Attentifs aux effets inflationnistes d’une possible surchauffe de l’écono- mie américaine et à d’éventuels relèvements de taux de la Réserve fédérale, certains analystes prédisaient, dès septembre, une baisse du billet vert en 1998. Un scénario qui réjouirait grandement les autorités monétaires allemandes, inquiètes des conséquences sur le futur euro de la dépréciation du mark face au dollar. Les obligations du Trésor allemand sont en effet détenues à 40 % par des investisseurs étrangers. Chaque hausse de la devise américaine leur fait perdre de la valeur, incitant la Bundesbank à relever ses taux rémunérateurs, au risque d’entraîner à sa suite l’ensemble des taux d’intérêt européens et de casser net la reprise économique. Si tel était le cas, le principal critère de convergence vers la monnaie unique – un déficit public inférieur à 3 % du PIB en 1997 – ne pourrait être respecté ni par l’Allemagne ni par la France. L’union monétaire devrait alors se faire avec l’Italie, le Portugal et l’Espagne, des pays aux devises traditionnellement faibles. Face à une monnaie américaine triomphante, l’euro prendrait alors un bien mauvais départ. À moins que son lancement, prévu le 1er janvier 1999, ne soit repoussé. J.-F. P. LES YO-YO DE LA LIVRE Fin juillet, la monnaie britannique se hissait à près de 10,40 francs, son plus haut niveau en huit ans. Dopée par une économie qui connaissait un des taux de croissance les plus élevés d’Europe, elle bénéficiait alors d’un statut de monnaie à haut rendement. Mais, dès septembre, des signes d’essoufflement de l’activité apparaissaient. La livre plongeait alors à 9,60 francs, non loin de son seuil de support, confirmant qu’elle reste la monnaie la plus volatile du monde. downloadModeText.vue.download 19 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 18 Les « tigres » dans la tourmente financière Commencée le 2 juillet avec l’effondrement du baht thaïlandais, bientôt suivi par celui des monnaies philippine, birmane, malaise, indonésienne, singapourienne et hongkongaise, la crise financière en Asie du Sud-Est rappelait que les pays émergents peuvent subitement se transformer en « tigres de papier ». Tout au long de l’été, les fonds d’investissement américains – dont le Quantum Fund, dirigé par George Soros – prenaient des positions à la baisse sur les Bourses locales, le plongeon des marchés d’actions s’accompagnant de nouvelles dépréciations des monnaies vis-à-vis du dollar. Contraint à la dévaluation, le gouvernement thaïlandais annonçait début août le détail d’un plan de sauvetage négocié avec le Fonds monétaire international (FMI), en contrepartie d’une ligne de crédit de 15 milliards de dollars (95 milliards de francs). Afin de défendre leurs devises, les banques centrales de l’ASEAN décidaient de relever leurs taux, au risque de provoquer un fort ralentissement de l’activité économique et, par contrecoup, de faire fuir définitivement les investisseurs étrangers, qualifiés un peu rapidement de « vils spéculateurs ». La remise en cause d’un modèle de développement ? Si ces derniers ont leur part de responsabilité dans le déclenchement de la crise, celle-ci plonge ses racines dans des déséquilibres plus profonds. En effet, les pays émergents d’Asie du Sud-Est ont subi de plein fouet le retournement d’un cycle jadis vertueux, basé sur un niveau d’exportations élevé, un système de changes arrimé à un dollar bon marché et un appareil de production largement financé par des capitaux étrangers. Désormais, « tigres » et « dragons » sont confrontés à une concurrence agressive sur leurs exportations (chaussure, textile, électronique), notamment de la part de la Chine. Affaiblis par d’énormes déséquilibres de leurs balances des paiements, ils ont dû, en outre, laisser flotter leurs monnaies vis-à-vis d’un dollar qui ne cessait de s’apprécier depuis le début de l’année. Or, le niveau élevé des importations dans leurs propres exportations interdisait tout effet bénéfique d’une dépréciation monétaire sur leur balance commerciale. L’importance des capitaux à court terme dans le financement de leurs économies les conduisait par ailleurs à de dangereux surinvestissements, formant des bulles spéculatives qui ne demandent qu’à éclater, notamment dans l’immobilier. Si les investisseurs étrangers décidaient d’accélérer leur fuite, la correction à venir en 1998 risquerait alors d’être rude. J.-F. P. SOROS MIS EN CAUSE George Soros a-t-il profité de la puissance financière du Quantum Fund pour faire du lobbying politique ? Le Premier ministre malais Mohamad Mahatir n’hésitait pas à accuser le financier américain d’être à l’origine de la tempête sur les monnaies du Sud-Est asiatique. Soros, qui a engrangé 1 milliard de dollars en 1992 en spéculant contre la livre, aurait mal accepté que la très répressive Birmanie adhère à l’ASEAN (Association des nations du Sud-Est asiatique. Elle regroupe Brunei, l’Indonésie, la Malaisie, les Philippines, Singapour, la Thaïlande, le Viêt Nam. Elle vient d’accueillir en son sein le Laos et la Birmanie). downloadModeText.vue.download 20 sur 361 downloadModeText.vue.download 21 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 20 La fin de la Ve République ? La VIe République est-elle née le 1er juin 1997 ? Ce jour-là, au terme d’un invraisemblable numéro d’arroseur arrosé, la dissolution de l’Assemblée nationale, décidée quelques semaines plus tôt par le président de la République, trouvait son épilogue, inattendu de la plupart des observateurs, quoi qu’en disent les professionnels de la prévision rétrospective : la majorité présidentielle, pourtant forte de 464 sièges, soit près des cinq sixièmes de l’Assemblée sortante, se retrouvait soudain minoritaire, d’une courte tête il est vrai, mais minoritaire tout de même, au palais Bourbon. Écrasé en 1993, le Parti socialiste, après avoir reconquis, à l’occasion de l’élection présidentielle de 1995, le titre de fédérateur incontesté de l’opposition, devenait l’axe d’une majorité nouvelle, dite « plurielle », ralliant à son panache rosé les bataillons épars du Parti communiste, des Verts, du Mouvement des citoyens de Jean-Pierre Chevènement, sans oublier les Radicaux de gauche. Lionel Jospin, le seul homme qui soit jamais sorti vainqueur au sprint d’un jeu de patience, entrait à Matignon en triomphateur modeste et s’installait aux commandes de l’État avec l’humilité implacable d’un maire du palais. Répudiant le style pontifical et baroque de François Mitterrand, le nouveau Premier ministre n’allait pas tarder à séduire les Français par un mélange extrêmement subtil et sans doute passablement fragile de simplicité citoyenne – la méthode Jospin –, de modération conservatrice – les droits acquis –, de psychodrame manipulateur – les trente-cinq heures –, de professionnalisme partisan – le congrès de Brest – et de sens des responsabilités – l’acceptation de l’euro. Une gauche à la pluralité rassurante retrouvait le chemin des ministères et, par une habileté suprême, feignait de n’y accéder que par l’entrée de service, faisant ainsi coup double en ménageant la majesté élyséenne tout en flattant la modestie ontologique de son électorat. Il y a deux façons pour la gauche d’arriver aux affaires : par imitation ou par récusation de la droite. François Mitterrand, enfant perdu du peuple conservateur, avait choisi la première Lionel Jospin (ci-contre avec Jacques Chirac), humble réformateur d’une gauche pervertie, imposait la seconde. C’était le Noël des pauvres... dans un pays où il y a beaucoup de pauvres. Autopsie d’un échec Comment Jacques Chirac et les droites en sont-ils arrivés là ? Contrairement à une opinion répandue, le pari d’élections législatives anticipées n’avait rien d’absurde. À l’aube de 1997, la victoire de la gauche au terme de la législature s’annonçait plus que probable. Le pays s’apprêtait à basculer dans une campagne électorale interminable, largement dominée par les surenchères de l’extrême droite. L’autorité internationale de la France, confrontée à des échéances majeures comme celle du passage à l’euro, risquait d’être sérieusement malmenée par une bataille électorale inévitablement dissensuelle. Il n’était sans doute contraire ni à l’intérêt général ni aux intérêts partisans de la droite de vouloir brusquer l’échéance, épargner au pays une campagne électorale inutilement corrosive, tout en cueillant le Front national à froid et en exploitant les ambiguïtés de la gauche sur la question de l’immigration. On trouve, au reste, confirmation de cette analyse dans les résultats : il s’en est fallu de 0,7 point que, au terme d’une campagne qui restera comme un chef-d’oeuvre absolu de maladresse et d’improvisation, les droites ne conservent la majorité à l’Assemblée nationale. En vérité, le président de la République était, dans les premiers mois de 1997, dans une position analogue à celle du parieur de Pascal : il avait tout à perdre à laisser courir downloadModeText.vue.download 22 sur 361 LE BILAN FRANÇAIS 21 l’échéance et une chance, fût-elle très limitée, de gagner en la précipitant. L’erreur ne fut pas de dissoudre mais de dissoudre pour ne rien changer, pour tout conserver : Juppé à Matignon, l’austérité au gouvernement, MM. Balladur, Séguin, Madelin et Pasqua en dehors. L’erreur aura été de tenter de gagner sans jouer, d’escamoter l’élection, donc les électeurs, au lieu de faire de la dissolution l’instrument d’un changement maîtrisé, ce qu’en d’autres temps M. Giscard d’Estaing avait appelé « le changement dans la continuité », c’est-à-dire à la fois un renouvellement profond des hommes et une inflexion limitée des politiques. L’erreur, ce fut pour le chef de l’État d’observer ce qu’il aurait dû conduire, de maintenir au lieu de modifier et d’abandonner la responsabilité du mouvement au symbole tragiquement impopulaire de la continuité : Alain Juppé. La politique est comme la guerre, un art tout d’exécution : mal préparée, mal expliquée, mal conduite, la dissolution aura moins été une fausse bonne idée qu’une bonne idée gâchée. Courte défaite, grands effets : battue de justesse, la droite française sort structurellement brisée de l’épreuve électorale, comme si elle n’avait ces dernières années réussi à ne tenir debout que par le miracle de sa participation aux affaires et de sa présence fédératrice au gouvernement. Abasourdie par un coup du sort qu’elle prévoyait mais qu’elle n’avait pas vu venir aussi vite ni partir de là où il lui fut asséné, la droite ne sait plus en cette fin d’année 1997 à quels saints se vouer, à quels partenaires s’allier, à quelles idées s’identifier et à quelles procédures d’arbitrage se soumettre. La droite hésite sur les hommes. Le loyalisme néomonarchique qui l’habite depuis l’avènement de la Ve République lui interdit de s’écarter du chef de l’État, fût-il vaincu. Très vite, Philippe Séguin (ci-dessus, entre Édouard Balladur et Alain Juppé) s’impose comme président du RPR, mais c’est Juppé et non pas Chirac qu’il remplace. La question du chef suprême reste entière. L’opposition serait au reste bien en peine de se donner une procédure légitime de sélection d’un nouveau leader et ses dirigeants paraissent enfermés pour l’éternité dans une sorte de huis clos sartrien. Les effets combinés de la défaite et de l’individualisme font de la guerre des droites une incessante et dérisoire conspiration des ego. La droite hésite sur les idées. Perdus entre les attentes de l’élite et les craintes du peuple, entre la liberté et l’autorité, entre l’Europe et la nation, entre le protectionnisme et la mondialisation, ses dirigeants dansent en permanence une valse-hésitation devant l’avenir qui ne leur vaut ni la confiance des humbles ni la considération des puissants. La droite hésite sur ses alliances. La gauche l’a accusée de complaisance à l’égard du Front national, accusation injuste dans la mesure où le RPR et l’UDF ont tenu bon face au chant des sirènes de l’extrémisme et ont payé cette fermeté au prix fort même s’il est faux d’attribuer sa défaite législative au seul maintien au second tour de soixante-dix candidats du Front national. Accusation peutêtre prémonitoire, toutefois, si l’on en juge par les déclarations de plus en plus nombreuses de responsables RPR et plus encore UDF sur l’assouplissement souhaitable de l’ostracisme frappant l’extrême droite. Bref, la droite va mal, très mal même. Heureusement pour la gauche car, si les modérés sont au bord de l’explosion, les socialistes sont déjà guettés par l’usure. Certes la conjoncture économique s’améliore, certes l’habileté du Premier ministre fait merveille, certes l’adéquation paraît grande entre les attentes confuses de l’opinion et les discours suaves de la majorité plurielle, mais l’expérience nous enseigne que les états de grâce ne sont pas éternels, les sondages nous indiquent que la popularité de M. Jospin, après six mois de présence à Matignon, est bonne mais n’a rien d’exceptionnel, l’Asie nous invite à douter de la pérennité de la croissance et, par-dessus tout, la chronique électorale nous rappelle qu’une majorité, si massive soit-elle, n’a jamais réussi depuis 1978 à survivre à deux rendez-vous successifs avec le corps électoral. Oui, c’est décidément la droite qui demeure l’arme absolue de la gauche. Le système en débat Au-delà toutefois de ce combat droite-gauche qui domine la scène depuis plus d’un quart de downloadModeText.vue.download 23 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 22 siècle, c’est désormais la République elle-même qui tend à devenir l’enjeu principal du débat. La troisième cohabitation est en effet d’une nature différente des deux autres. La cuvée Jospin 97 comporte des effets assurément plus déstabilisateurs pour la République gaullienne que la cuvée Chirac 86 ou encore que la cuvée Balladur 93. Et cela pour trois raisons. C’est un fait d’abord que les élections législatives de 1997 ont été provoquées par le chef de l’État et se sont alors transformées en une confrontation directe entre celui-ci et l’opposition parlementaire : l’échec du RPR et de l’UDF a sonné comme un échec personnel du Président, plus proche par sa signification du désaveu infligé par le peuple à Valéry Giscard d’Estaing en 1981 que de la défaite, à terme échu, de la gauche parlementaire en 1986. Les Français ne savent plus beaucoup leur histoire mais ils conservent, inscrit au coeur de leur mémoire reptilienne, le souvenir des dissolutions malheureuses de Charles X, de Mac-Manon et de Millerand. Pour être légitime en France, la dissolution se doit de réussir. Les élections ont, en second lieu, placé sur le devant de la scène une question traditionnellement tenue pour subalterne sous la Ve République, celle du choix du futur Premier ministre : au premier tour, les Français ont éliminé M. Juppé ; au second, ils ont choisi M. Jospin. Ce dernier peut donc se vanter d’être politiquement, sinon constitutionnellement, le premier chef de gouvernement de la Ve République à avoir été élu au suffrage universel direct et d’être ainsi devenu l’égal du président de la République. Cette égalité, qui fait de lui, selon sa propre expression, « l’une des deux têtes de l’exécutif » et qui l’autorise à cosigner des communiqués avec le chef de l’État, dissimule une supériorité de fait dans la mesure où l’élection du Premier ministre, c’est-à-dire sa consécration par le suffrage universel, est plus récente que celle de M. Chirac. Il y a enfin la durée. Les deux premières cohabitations s’étaient inscrites dans le temps court d’une campagne présidentielle à peine distendue. Elles avaient affecté, l’une et l’autre, des queues de septennat et revêtu le caractère de batailles de succession. La cohabitation, modèle 1997, intervient deux ans seulement après l’élection de Jacques Chirac à la présidence de la République et tend donc à s’imposer comme le régime de croisière du nouveau septennat. Elle domine désormais le règne et non pas simplement l’interrègne. Que restera-t-il de l’autorité présidentielle au bout de cinq ans d’un exercice aussi déséquilibré des pouvoirs ? Sauf dans l’hypothèse d’un échec brutal de l’équipe socialiste, sans doute moins, beaucoup moins qu’en 1988 qui vit la victoire de François Mitterrand effacer rétrospectivement l’abaissement de sa fonction lié à la défaite de la gauche deux ans plus tôt, et moins également qu’en 1995 qui clôtura par une guerre des Premiers ministres le règne d’un monarque épuisé par l’Histoire et par la maladie, sans altérer pour autant le prestige de la Couronne. En vérité, le régime sort moins brisé que désarticulé par les bouleversements électoraux et politiques de 1997. La Ve République a toujours autorisé deux lectures, parlementaire et présidentielle, de l’équilibre des pouvoirs. La période qui va de 1958 à 1986 aura vu le triomphe apparemment irrésistible de l’interprétation présidentielle. Sommes-nous, depuis une dizaine d’années, en train de basculer dans une conception néoparlementaire de la République gaullienne ? Ce serait sans doute une erreur de le penser car, quel que soit le vainqueur de l’élection présidentielle de 2002, Lionel Jospin, Jacques Chirac ou un « troisième homme », on assistera à un nouveau retour de balancier en direction de l’Elysée. La République française n’a pas à proprement parler changé de nature en 1997. Elle a simplement franchi une nouvelle étape dans un processus de dédoublement qui la conduit, selon les moments, à enfanter des formes d’équilibre institutionnel et politique contradictoires. Étrange Ve République qui, jadis conçue par un paranoïaque de génie, semble désormais gagnée par une forme sévère de schizophrénie ! JEAN-LOUIS BOURLANGES DÉPUTÉ EUROPÉEN downloadModeText.vue.download 24 sur 361 LE BILAN FRANÇAIS 23 Les fonds de pension Créés par la droite pour permettre aux salariés de compenser la baisse inéluctable des retraites, les fonds de pension sont dénoncés par la gauche. Celle-ci estime que ces fonds risquent de mettre à mal le système de retraite par répartition qui a cours en France depuis des décennies et qu’ils ne profiteraient en fin de compte qu’à une minorité de privilégiés. Adopté par le Parlement, le 25 mars 1997, le Plan d’épargne retraite (PER) offre la possibilité aux salariés de constituer un capital qui, le jour de leur retraite, sera transformé en rente viagère. C’est un système de capitalisation et de revenu différé constitué par les apports financiers des salariés et les abondements de leur entreprise. Le PER appelé aussi fonds de pension va-t-il rester dans le domaine de la pure virtualité ? À voir les réticences du gouvernement de Lionel Jospin à reconnaître les mérites de ce système de retraite volontaire par capitalisation, il y a de fortes chances que les décrets d’application ne voient jamais le jour sous la forme envisagée. En réalité, le débat est idéologique et recouvre le vieux clivage gauche-droite : libéralisme contre protection sociale à la française ; adhésion individuelle contre solidarité collective. Des intentions louables À l’origine, pourtant, l’intention de Jean-Pierre Thomas, inspirateur et rapporteur UDF de la loi, semble louable. Son constat est simple : les PER viennent consolider le système de la retraite par répartition et offrent aux salariés les moyens d’affronter la baisse inéluctable des pensions provenant des régimes obligatoires. Deux incitations spécifiques sont créées pour les promouvoir : une économie d’impôt sur les sommes investies par le salarié et la possibilité pour l’employeur d’abonder les versements de ses salariés dans de bonnes conditions fiscales et sociales. Mais pour la gauche, une telle loi n’est pas acceptable en l’état Les socialistes estiment qu’elle est doublement injuste parce que, d’abord, elle ne profite qu’aux salariés les plus aisés, ceux qui ont les moyens d’épargner ; ensuite, parce qu’elle met en danger les régimes de retraite par répartition en les privant de cotisations puisque l’abondement des entreprises n’est pas soumis pour une très large part à charges sociales. D’où, selon les socialistes, un nouveau déséquilibre des caisses qui mettrait en péril les retraites de tous les Français pour le seul bénéfice de quelques privilégiés. Les réactions des intéressés Mais au-delà de ces questions doctrinales qui risquent, avec le retour de la gauche aux affaires, de mettre à mal ces fameux fonds de pension, reste à savoir, dans l’hypothèse où la loi Thomas résisterait au changement de majorité du mois de juin, comment les entreprises et les salariés réagiront à ce système de capitalisation, nouveau pour beaucoup d’entre eux. Les entreprises se laisseront-elles séduire par les avantages fiscaux des PER au point d’en créer ? Ne vont-ils pas seulement bénéficier aux seules grandes entreprises ? Les salariés, de leur côté, qui, en cette période de difficultés économiques, privilégient les formules les plus souples et les plus liquides, vont-ils prendre le risque de verser une partie de leurs économies dans ce système de capitalisation à long terme ? Autant de questions qui remettent en cause la pérennité des fonds de pension. B. M. 5 700 FRANCS POUR 800 FRANCS Selon les calculs de la Caisse nationale de prévoyance, un Français qui verserait 800 F par mois à un PER, à partir de l’âge de 20 ans, obtiendrait à 60 ans une rente mensuelle de 5 712 F en tenant compte d’un retrait de 20 % en capital au moment de son départ à la retraite. La rente serait de 3 077 F pour celui qui commence à cotiser à 30 ans, de 1 533 F à 40 ans et de 576 F à 50 ans. downloadModeText.vue.download 25 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 24 Les relations francoafricaines en 1997 En mars 1997, Jacques Foccart s’éteignait. Avec la disparition de l’éminence grise de la France pour les Affaires africaines, c’est toute une époque qui est révolue. À ce moment précis, le régime corrompu du général Mobutu fait figure de symbole des errements de la politique africaine de la France. Paris n’a plus les moyens d’intervenir militairement alors qu’elle peine à convaincre ses allies anglo-saxons de le faire. Tout indiquait en 1997 que la France était en train de modifier ses orientations politiques en Afrique, qu’il s’agisse de la chute de Mobutu au Zaïre, de la restructuration de l’armée française ou de la diminution de l’aide au développement consentie par Paris. L’attention de ses ministres se porte davantage sur l’Afrique anglophone, et en particulier sur l’Afrique du Sud. Un regard qui dit combien on cherche à compenser les revers subis par l’influence française au Zaïre, au Rwanda et au Burundi, anciennes colonies belges. À l’égard de ses anciennes colonies – parmi elles, quatorze bénéficient d’un lien monétaire et six d’un accord de défense avec Paris –, la France a commencé à adopter un comportement moins exclusif, considérant qu’il ne lui est plus possible d’être le principal soutien économique et militaire de ces États. La fin des années 90 a aussi montré que la France tend à employer avec plus d’économie ses propres forces militaires. Et si elle ne semble pas vouloir renégocier ou dénoncer l’un ou l’autre des accords de défense qui la lient à Djibouti, à la République centrafricaine, au Tchad, au Gabon, à la Côte d’Ivoire et au Sénégal, il apparaît que le nombre de ses troupes présentes en Afrique se réduira inéluctablement (8 200 hommes en 1997). Des révisions déchirantes La France n’a donc plus les moyens ni la volonté de porter à bout de bras ses ex-colonies. Tout indique que la doctrine de la souveraineté limitée des « chasses gardées » en Afrique n’est plus d’actualité. Aussi, Paris semble bien décidé à octroyer à ses anciennes colonies la pleine liberté, incluant, on l’a vu en Centrafrique, celle de s’entre-tuer. Au Congo, on a pu vérifier que rien n’était plus délicat que de couvrir une retraite qui ne dit pas son nom. Signe des temps qui changent, la cellule de crise interministérielle mise en place à Paris pour faire face à la crise congolaise a été aussitôt démantelée dès lors que le dernier soldat français avait quitté Brazzaville. Une à une les capitales d’Afrique francophone s’embrasent, autant de feux qui témoignent que la mission civilisatrice de la France a échoué, qu’elle a fini par faire naufrage sur un continent et dans un monde ayant profondément changé. L’heure a déjà sonné pour les casques bleus de l’ONU d’assurer la relève des soldats français sur le « pré-carré » ; le « grand frère », qui avait su maintenir des liens forts bien au-delà de l’indépendance des drapeaux, est littéralement saisi d’un afropessimisme sans espoir de rémission. P. F. LA FRANCOPHONIE DANS L’IMPASSE La francophonie ne s’est élevée au rang de politique officielle qu’avec le déclin progressif de l’influence politique de la France en Afrique. Le premier sommet de la francophonie ne s’est tenu qu’en février 1986, à Versailles. Lors du sommet de La Baule, cinq ans plus tard, François Mitterrand avait tenté, en prônant des élections libres et le pluralisme en Afrique, de rendre à la francophonie sa fonction première, conçue cent ans auparavant : être le fer de lance de la République. Son successeur à l’Élysée ne se sera pas exprimé sur le sujet. Finalement, moins la France détient de pouvoir réel, moins sa culture paraît convaincante. downloadModeText.vue.download 26 sur 361 LE BILAN FRANÇAIS 25 Ultralibéralisme et keynésianisme La campagne des élections législatives françaises de mai 1997 a été marquée par un débat opposant partisans de « l’ultraliberalisme » et défenseurs du « keynésianisme ». Pour les premiers, il faut abandonner le « tout État », c’està-dire l’interventionnisme des pouvoirs publics avec le cortège habituel de rigidités pouvant ainsi freiner, voire bloquer, la croissance économique. Inversement, les seconds préconisent le rejet du modèle libéral, destructeur continuel d’emplois, et l’adoption d’une politique de stimulation de la demande globale afin de combattre le chômage massif pesant sur les économies européennes et américaine. Selon l’économiste américain Milton Friedman, si les économies contemporaines souffrent depuis le début des années 1980 de dysfonctionnements, de chômage et de problèmes sociaux, c’est en raison des comportements perturbateurs de ceux (individus, groupes) qui font prévaloir leurs intérêts particuliers (intérêts acquis, positions dominantes) sur l’intérêt général, réduisant ainsi l’efficacité régulatrice du marché. Pour les ultralibéraux, si le « tout marché » doit se substituer impérativement au « tout État », il ne faut pas hésiter à se débarrasser de toutes les rigidités qui entravent le fonctionnement concurrentiel des marchés et nuisent au dynamisme de la libre entreprise (réglementation du travail, poids des monopoles publics, charges liées à la protection sociale). Libéraux et ultralibéraux se distinguent par cette volonté, graduelle chez les premiers, systématique chez les seconds, de se défaire de tout ce qui est considéré comme des « contraintes bureaucratiques ». Depuis le début des années 80, pour lutter contre la crise, les États-Unis puis les pays européens ont appliqué les mesures qui devaient aboutir à la « délégitimisation » de l’action de l’État : il ne doit pas être regardé comme le substitut du marché ni le correctif de ses défaillances. Comme mesures, il faut citer la libre convertibilité des monnaies, la réduction progressive et annoncée de l’expansion de la masse monétaire (lutte contre l’inflation), les privatisations, la compression des dépenses publiques, la baisse des prélèvements fiscaux et des charges sociales, la suppression du salaire minimum. La réaction keynésienne Pour les keynésiens, c’est-à-dire les économistes généralement orientés à gauche et se réclamant du Britannique John Maynard Keynes, le bilan des politiques libérales est loin d’être convaincant. S’ils ne nient pas que la rentabilité et la compétitivité des firmes se sont améliorées, le bilan au plan social est beaucoup moins favorable : le taux de chômage ne baisse pas, tandis que la part des salariés dans la valeur ajoutée diminue continuellement. Il est donc devenu contre-productif de laisser les profits s’accroître puisque ce mouvement réduit les revenus salariaux, donc la consommation, sans favoriser l’investissement. Reconnaissant que le coût du travail est excessif, les keynésiens préconisent une réduction des charges sociales (surtout sur les bas salaires) plutôt que des rémunérations afin de créer de nouveaux emplois (surtout dans le secteur tertiaire) et obtenir ainsi une relance par la demande. G. R. LES LECTURES CLEFS Plusieurs ouvrages d’économie ont défrayé la chronique, ne serait-ce que parce qu’ils exprimaient une crainte latente chez les lecteurs, celle du chômage généralisé. Dans son pamphlet l’Horreur économique (qui a connu un véritable triomphe en librairie, tout à fait inusité pour ce genre d’ouvrage), Viviane Forrester accuse le capitalisme anglo-saxon de vouloir s’acharner downloadModeText.vue.download 27 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 26 à faire disparaître le travail d’une importante partie de la population pour le plus grand profit d’une minorité de gens bénéficiant d’une haute qualification. Pour sa part, Jeremy Rifkin explique dans la Fin du travail qu’aux États-Unis, surtout du fait de l’évolution technologique et de la révolution informatique, les créations d’emplois concernent deux catégories de salariés : les plus qualifiés de mieux en mieux payés et les moins qualifiés qui, malheureusement, voient leur travail de moins en moins rémunéré. Entre les deux, les classes moyennes, des cadres intermédiaires aux ouvriers spécialisés, voient leurs positions de plus en plus laminées. downloadModeText.vue.download 28 sur 361 LE BILAN FRANÇAIS 27 La Ve République en question La dissolution de l’Assemblée nationale, décidée par le chef de l’État deux ans après son accession à l’Élysée, a donné au pays une majorité de gauche. Un échec personnel pour Jacques Chirac. Mais aussi un échec qui affaiblit la fonction présidentielle et qui relance le débat sur la réforme des institutions de la Ve République. Dissolution pour affronter les échéances européennes avec une « majorité ressourcée » ? Dissolution pour « convenance personnelle » ? Peu importent les raisons, une telle décision est une des prérogatives du chef de l’État dans les institutions de la Ve République (article 12 de la Constitution). Mais en faisant – et en perdant, surtout – le pari de la dissolution, Jacques Chirac a créé une situation inédite qui affaiblit considérablement la fonction présidentielle. À l’inverse de son successeur, François Mitterrand, qui, par deux fois, avait dissous « à chaud » l’Assemblée nationale dans la foulée de l’élection présidentielle, en 1981 et 1988, afin de se donner pour cinq ans une majorité parlementaire, Jacques Chirac a pris le risque d’opérer « à froid ». En cherchant, deux ans après son arrivée à l’Élysée, une confirmation de l’adhésion de l’électorat à la politique suivie et n’en obtenant qu’un désaveu, le chef de l’État, bien involontairement, a relancé le débat sur le bien-fondé des institutions de la Ve République. Certes, cet échec ne remet pas en cause la légitimité de son élection en 1995. Mais l’aspect référendaire de cette consultation ratée donne des arguments aux partisans d’une réforme de la Constitution, avocats du quinquennat et d’un régime présidentiel à l’américaine. Vers le quinquennat ? C’est vrai, la cohabitation semble être appréciée par les Français. Mais si les deux précédentes ont bien fonctionné en ne provoquant pas une paralysie de l’appareil d’État, celle qui s’ouvre est d’une nature très différente. D’abord, en théorie, par sa longueur, cinq ans au lieu de deux pour les deux premières cohabitations. Ensuite parce que c’est le chef de l’État lui-même qui l’a provoquée en anticipant le calendrier, alors que, en 1986 et 1993, il s’agissait du terme normal de la législature. Son prédécesseur était moins impliqué dans la défaite de la majorité sortante. En juin 1997, le désaveu est plus clair pour l’homme de l’Élysée. Deux légitimités différentes se retrouvent, l’une à l’Élysée, l’autre à Matignon, jusqu’en... 2002. Devant la fréquence des cohabitations et la durée de celles-ci, mettant en avant la panne de l’appareil de décision et la guerre des légitimités qu’elle peut provoquer, nombreux sont les politiques et les constitutionnalistes qui se prononcent pour le quinquennat présidentiel. Un quinquennat qui permettrait, pour le politologue Nicolas Tenzer, d’instaurer un régime présidentiel à la française : il y aurait simultanéité de l’élection de l’Assemblée et du chef de l’État pour 5 ans, ce dernier conserverait le privilège de dissoudre en cas de désaccord, mais ce droit devrait s’accompagner d’une démission du président. Pour l’heure, le locataire de l’Élysée préfère, à une réforme des institutions, jouer la carte d’une cohabitation courtoise. Cet héritier du gaullisme n’entend pas toucher à l’oeuvre du fondateur de la Ve République et veut montrer, au contraire, une fois encore, que le système peut s’adapter à cette nouvelle donne. B. M. « MON RÔLE, C’EST... » « ... de veiller à ce que, chacun à sa place et respectant l’autre, nous servions tous ensemble des valeurs qui nous dépassent... » « ... de lutter pied à pied pour que la France tienne son rang, assure sa sécurité... » « ... de préserver les acquis européens... » « ... de garantir l’équilibre de notre société et, en particulier, la solidarité, la cohésion et donc notre système de protection sociale... » Jacques Chirac, le 7 juin 1997, devant le congrès de la Fédération de la mutualité, à Lille. downloadModeText.vue.download 29 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 28 Blair-Jospin : une nouvelle gauche européenne ? Pour la première fois depuis 1951, des gouvernements de gauche siègent en même temps à Paris et à Londres. Cependant, entre le socialiste Lionel Jospin et le travailliste Tony Blair, le courant ne passe pas vraiment. Il est vrai que les deux hommes incarnent deux conceptions très différentes de la gauche. Le premier gouverne avec les communistes, tandis que le second s’accommode de l’héritage libéral de Margaret Thatcher ! Il n’empêche : avec Jospin et Blair, l’Europe sociale pourrait y trouver son compte. Si, entre les Verts, les communistes et les socialistes au gouvernement, la France affiche une majorité plurielle, l’Europe, elle, de son côté, avec 13 gouvernements sociaux-démocrates sur 15, peut se vanter d’afficher une gauche plurielle ! À ce point qu’on se demande, en effet, quels sont les points communs entre un Lionel Jospin et un Tony Blair, les petits derniers, en charge, à un mois d’intervalle à peine, des responsabilités de leur pays ? Tout semble les séparer. Leur âge, leur culture et, surtout, leur façon de décliner le socialisme ! La petite histoire ne veut-elle pas que Tony Blair ait refusé l’offre que le premier secrétaire du PS lui avait faite de venir le soutenir en Grande-Bretagne lors de sa campagne électorale ? Pour le patron du New Labour, qui, depuis belle lurette, a fait sa révolution culturelle en balayant les idéologies et en admirant pêle-mêle Margaret Thatcher et Bill Clinton, son « homologue » français faisait figure de dangereux gauchiste ! À l’inverse, Lionel Jospin ne cachait pas ses réserves à l’égard de ce « moderniste » prompt à vanter les mérites de l’économie de marché. D’ailleurs, la droite française n’a-t-elle pas été la première à saluer sa victoire ? L’État ou le marché Il est vrai que Tony Blair, bénéficiant de l’usure des conservateurs, s’est fait élire sur un programme qui ne promettait pas le « grand soir ». Certes, il y a bien inscrit l’instauration d’un salaire minimal et la création d’un plan pour les jeunes, mais un centriste bon teint l’aurait signé des deux mains. Rien à voir avec le programme du PS. Si les deux chefs de gouvernement, par exemple, affichent une même détermination à lutter contre le chômage, ils proposent des solutions radicalement différentes pour y parvenir. Ainsi, le locataire du 10 Downing Street prône une plus grande flexibilité sur le marché du travail alors que celui de Matignon prend le contre-pied en se faisant l’apôtre du « tout État ». Quand les socialistes français inscrivent dans leurs priorités le passage à la semaine de 35 heures payées 39, les travaillistes hésitent encore à appliquer la réglementation européenne qui fixe à 48 heures la durée maximale du travail hebdomadaire ! Et tout est à l’avenant. Sur les privatisations ? Blair envisage de continuer sur la lancée des conservateurs, Jospin ne veut pas en entendre parler. Sur la fiscalité ? Le premier baisse celle des entreprises, le second l’augmente ! L’Europe ne semble pas non plus être un sujet de consensus entre les deux hommes. Le leader du New Labour serait plutôt à ranger dans le camp des eurosceptiques et si Lionel Jospin, européen lucide, émet des réserves sur les modalités pour arriver à la monnaie unique, elles paraissent bien timides par rapport aux obstacles mis outre-Manche (vote aux Communes, référendum). N’empêche, en dépit de ces oppositions, le tandem Blair-Jospin pourrait faire progresser l’Europe sociale. Le Britannique, dont le pays prendra la présidence de l’Union européenne en juin 1998, a déjà annoncé, à Malmö, lors du congrès des Partis socialistes européens, sa volonté de s’attaquer au chômage (18 millions de personnes dans l’UE). N’a-t-il pas fait adhérer son pays à la Charte sociale européenne ? Ce qui laisse à penser à Lionel Jospin que tout n’est pas si mauvais chez son jeune homologue de Londres ! B. M. downloadModeText.vue.download 30 sur 361 LE BILAN FRANÇAIS 29 Les femmes dans la politique française Avec 11 % d’élues dans la nouvelle Assemblée nationale, la France est encore loin de la parité entre les hommes et les femmes. Au moins, notre pays n’est-il plus la lanterne rouge de l’Europe dans ce domaine. Et si, aujourd’hui encore, 5 % seulement des municipalités sont dirigées par des femmes, l’arrivée en nombre de représentantes du deuxième sexe, et à des postes clés, dans le gouvernement Jospin marque un vrai tournant. Aux dernières élections européennes, Michel Rocard, sans grand succès, avait inventé le concept « chabadabada » alternant un homme et une femme sur sa liste. En 1995, Alain Juppé inventait celui des « juppettes » en prenant douze femmes dans son gouvernement avant... d’en renvoyer huit sans ménagement quelques mois plus tard ! La mode était alors aux quotas : il fallait des femmes comme caution pour faire oublier que la politique était... une affaire d’hommes. Elles servaient ni plus ni moins d’alibi. N’avait-il pas fallu attendre 1945 pour leur donner le droit de vote et d’éligibilité ? 1965, pour que leur mari ne s’oppose plus à l’exercice de leur activité professionnelle ? 1982 pour qu’une loi leur donne accès à la fonction publique et, un an plus tard, à l’égalité professionnelle ? Paradoxalement, c’est la déconfiture du PS en 1993 qui va accélérer la féminisation de la vie poli- tique. Les ténors sont battus et en 1995, quand il reprend les rênes du parti de François Mitterrand, Lionel Jospin va les imposer à des postes clés. Il s’agit de renouveler le PS et de lui donner une nouvelle crédibilité en rompant avec les pratiques passées. Le premier secrétaire de l’époque, fort de son score à la présidentielle qui le désigne comme le leader naturel de la gauche, va mettre toute son autorité dans la féminisation de la vie politique. Des quotas à la parité En dépit des réticences, il décide de présenter 30 % de femmes aux élections législatives. Mieux, pour mettre « le droit en accord avec les moeurs », il inscrit la parité dans le programme socialiste. Le pari est risqué mais gagnant. En dépit de leur manque de notoriété, les femmes apportent un souffle nouveau, un souffle de modernité et de moralité de la vie politique lors des élections provoquées par la dissolution voulue par Jacques Chirac. Nommé à Matignon, Lionel Jospin poursuivra sur sa lancée en leur confiant six ministères et deux secrétariats d’État, avec deux femmes en tête de l’ordre protocolaire d’un gouvernement resserré de 26 membres : Martine Aubry, ministre de l’Emploi et de la Solidarité, et Élisabeth Guigou, garde des Sceaux. Sur ce terrain et alors que, à son tour, la droite désorientée après son revers électoral est en pleine refondation, RPR et UDF sont obligés de suivre le mouvement. Un mouvement de longue haleine où le volontarisme reste nécessaire. Si, aujourd’hui, avec 8 femmes ministres et 59 élues à l’Assemblée nationale, la France n’est plus la lanterne rouge de l’Europe derrière la Grèce, le chemin de la parité reste long à parcourir. B. M. Le remplacement des députées devenues ministres a ramené leur nombre à 59. Le benjamin des députés est une benjamine, la PS Cécile Helle, née en 1969, suppléante d’Élisabeth Guigou nommée à la Justice. LES FEMMES AU GOUVERNEMENT : 1936. Trois sous-secrétaires d’État nommées dans le gouvernement du Front populaire. 1947. Germaine Poinsot-Chapuis (MRP) est la première femme ministre. 1991. Édith Cresson est la première femme à devenir Premier ministre. OÙ SONT-ELLES ? Les femmes à l’Assemblée en 1997 : 63 sur 577 dont : PS : 42 PC4 Écologistes : 3 Divers gauche : 2 RPR : 5 UDF : 7 downloadModeText.vue.download 31 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 30 Les gays dans la société L’Europe serait-elle une chance pour les gays et les lesbiennes ? En tout cas, pour bousculer les lois existantes, ceux-ci jouent à fond cette carte. En juin, à Paris, ils étaient des centaines de milliers (autour de 300 000), venus de toute l’UE, à défiler à l’occasion de la cinquième édition de l’Europride. Ce qu’ils réclament : « l’égalité avec les hétéros » pour ce qui est du mariage, des droits civiques et, point plus controversé, de l’adoption d’enfants. Un lobbying actif s’organise. C’est peut-être passé inaperçu, mais, en juin dernier, à Amsterdam, alors les chefs d’État et de gouvernement sont réunis pour rediscuter du traité de Maastricht, des milliers de pétitions affluent pour que la clause de non-discrimination prévue dans le traité concerne aussi les inégalités de traitement subies par les gays et lesbiennes en raison de leur « orientation sexuelle ». Après négociations, la revendication a été retenue. Symbolique ? Pas seulement, car ce codicille donne aux homosexuels le moyen, par le biais de l’Europe, de faire bouger les législations de leurs pays afin d’obtenir l’égalité avec les hétéros. Sans doute, les gays n’ont-ils pas attendu la réunion d’Amsterdam pour jouer la carte européenne. Si, dans les années 50, au nom de la morale, la Commission des droits de l’homme déboutait des citoyens allemands qui protestaient contre la criminalisation de l’homosexualité dans leur pays, aujourd’hui, les choses ont changé. La société a évolué. Les tabous se sont brisés. Du nord au sud de l’Union, gays et lesbiennes ne sont plus une poignée de courageux à oser sortir de l’ombre. Désormais, ils s’affichent en nombre et sans complexe. Ils ne veulent plus être considérés comme des citoyens de deuxième zone. Ils ont gagné dans les années 70 leur combat pour la dépénalisation et la démédicalisation. Ils ont lutté ensemble contre le sida et se sont bâti une culture. Depuis, des associations d’entraide, des groupes de pression, des journaux et des lois ont vu le jour. Un lobbying efficace s’organise au niveau européen. Nord/Sud L’International Lesbian and Gay Association, une fédération internationale regroupant plus de 400 associations, a désormais pignon sur rue à Bruxelles. À deux pas de la Commission. Ils trouvent également chez une partie des députés un relais pour défendre leur combat. Un intergroupe sur les droits des homos ne doit-il pas se constituer au sein du Parlement européen ? Et, de Rome à Paris, de Barcelone à Berlin, ils militent tous pour le droit à l’indifférence et donc à l’égalité avec les hétéros. Toutefois, entre les pays de l’Union, les législations à leur égard, si elles tendent à s’harmoniser, restent encore très contrastées. Les nations Scandinaves sont à l’avant-garde du combat et les Néerlandais s’apprêtent à ouvrir aux homos l’institution du mariage alors qu’au Portugal un premier journal gay tente timidement de se vendre en kiosque. La France, quant à elle, va proposer au Parlement un projet de loi sur le contrat d’union sociale (voir encadré). La reconnaissance légale du couple : une des grandes revendications des gays et des lesbiennes afin d’obtenir les mêmes droits que les couples hétéros car pour l’heure leur situation devant la loi est proche du non-droit. Déjà, sans attendre les textes, des maires acceptent d’unir symboliquement des couples hors mariage dans presque tous les pays où le partenariat n’est pas encore voté. Seule interdiction commune aux Quinze : l’adoption d’un enfant par un couple homo. Aujourd’hui, ils sont en passe de gagner le droit à l’indifférence qu’ils revendiquent. Au moment de downloadModeText.vue.download 32 sur 361 LE BILAN FRANÇAIS 31 l’Europride, à Paris, un sondage montrait que près de 60 % des Français comprenaient le combat des homos. B. M. LE PROJET DE CONTRAT D’UNION SOCIALE EN FRANCE Proposé par les socialistes, il s’agit de donner aux couples, homos ou hétéros, qui y souscrivent les droits sociaux, fiscaux, successoraux accordés aux couples mariés à l’exception de l’adoption et de l’insémination. Un projet de loi devrait être déposé devant le Parlement. downloadModeText.vue.download 33 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 32 Le non-cumul des mandats Souhaitée par le président de la République, proposée par le Premier ministre et inscrite dans les programmes des grandes formations de la majorité et de l’opposition, la limitation du cumul des mandats est en voie de réalisation. Objectif : en interdisant le cumul d’un mandat parlementaire et d’une fonction exécutive, il s’agit de moderniser la vie politique et de renouveler son personnel. Sans doute, la réforme du cumul des mandats que Lionel Jospin a décidé de faire appliquer n’entrera-t-elle pas en vigueur pour les élections régionales et cantonales de mars 1998. N’empêche, en en faisant une priorité de son action, le Premier ministre mettra un terme à une exception de la vie politique française : la culture du « notable » ou du « féodal » monopolisant les fonctions dans sa commune, son département et sa Région et empêchant l’éclosion de nouveaux talents. Une pratique inconnue non seulement dans les démocraties d’Europe du Nord, mais aussi dans celles qualifiées de latines, en Italie ou en Espagne, par exemple. Pour le Premier ministre, ce projet de loi qui renforcera la loi déjà existante de 1985 interdira à un parlementaire d’être en même temps responsable d’un exécutif local (maire, président d’une structure intercommunautaire, président de conseil général et régional). Plus question non plus d’être à la fois parlementaire national et député européen et, autre innovation, interdiction absolue d’être membre du gouvernement et d’exercer une fonction exécutive locale. D’ailleurs, devançant la loi, Lionel Jospin a demandé à ses ministres concernés de se plier à cette règle. Reconquérir l’opinion L’objectif d’une telle limitation de mandats est d’engager le processus de modernisation de la vie politique. Et de la réhabiliter aux yeux d’une opinion lassée par les « cumulards » qui donnent, à tort ou à raison, le sentiment d’être plus préoccupés par leur rente de situation et leur carrière que par l’intérêt général. Un objectif partagé par le chef de l’État qui, le 7 mai dernier, dans sa tribune Un élan partagé écrivait : « Le cumul des mandats politiques doit être proscrit. » Philippe Séguin a bien compris la popularité de ce thème en démissionnant de sa mairie d’Épinal, en novembre dernier, pour se consacrer exclusivement à son mandat de député et de patron du RPR. En réalité, par ce projet de loi, il s’agit, d’abord, de réconcilier les Français avec la politique et leurs politiques. Qu’ils n’aient plus le sentiment qu’elle est accaparée par quelques professionnels de la chose publique. Un sentiment exprimé par le Premier ministre qui, lors de son discours de politique générale à l’Assemblée nationale, le 19 juin dernier, avait lancé que les Français voulaient que leurs représentants se consacrent entièrement à leur mandat. Une condition sine qua non, selon lui, « pour retrouver confiance dans la vie politique et en particulier en ceux qui l’animent ». Mais au-delà, et c’est tout aussi important, par cette interdiction de cumul de mandats, il s’agit de permettre le renouvellement de la classe politique, de l’ouvrir aux jeunes et aux femmes notamment. Le Parti socialiste l’a fait avec succès aux législatives du mois de juin. Arrivé au pouvoir, il veut l’institutionnaliser. Le non-cumul est une des premières étapes de la modernisation de la vie politique réclamée par l’opinion pour une meilleure représentation démocratique. Mais, pour qu’elle soit totale, à cela il faudra ajouter la réforme des modes de scrutin, le statut de l’élu et la limite d’âge pour ne citer qu’eux. Autrement dit, le non-cumul n’est que la première étape d’un vaste chantier. B. M. downloadModeText.vue.download 34 sur 361 LE BILAN FRANÇAIS 33 La gauche divisée sur l’immigration Au soir des élections législatives de juin 1997, la profession de foi commune aux Verts et au Parti socialiste était sans ambiguïté : « Une nouvelle législation se substituera aux lois Pasqua en réinstaurant le droit de vivre en famille, le droit d’asile, le droit du sol ». La discussion à l’Assemblée nationale des projets de loi sur la nationalité et l’immigration met à l’épreuve cette belle unanimité. Dès la fin de l’été, les premiers couacs se faisaient entendre. Ce fut d’abord le monde associatif qui dénonça la non-abrogation pure et simple des lois Pasqua-Debré. Deux mois plus tard, s’en prenant à la démarche restrictive du ministère de l’Intérieur dans l’appréciation des critères de régularisation des étrangers, 1 300 artistes et intellectuels de gauche lançaient un appel en faveur de « la régularisation de tous les sans-papiers ». Las ! Le lendemain, le ministre de l’Intérieur Jean-Pierre Chevènement s’en prenait vivement aux pétitionnaires, jugés « irresponsables ». L’avis de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) tombait alors comme un couperet : s’appuyant sur la Convention de Genève, elle ne proposa pas moins d’une trentaine de modifications des avant-projets de Jean-Pierre Chevènement sur l’immigration et d’Élisabeth Guigou, garde des Sceaux, sur la nationalité. Puis ce fut au tour d’une partie de la gauche politique de s’en prendre à ces textes, jugés « en recul » par rapport aux prises de positions antérieures. Dénonçant l’extension de la rétention administrative prévue dans le texte sur l’immigration, Robert Badinter rappela qu’une telle disposition avait déjà été censurée par le c-Conseil constitutionnel lorsqu’il le présidait. Dès la fin octobre, des contre-projets étaient en préparation chez les députés communistes et chez les Verts en prévision de la discussion des textes de loi fin novembre. Assistera-t-on à cette occasion à la consommation du divorce entre une gauche « réaliste » au pouvoir à Matignon, persuadée qu’une loi trop généreuse sur l’immigration fait le lit du Front national et une gauche « morale », composée d’artistes et d’intellectuels, déterminée à défendre coûte que coûte les « droits fondamentaux » des étrangers en situation irrégulière ? Il n’est peut être pas inutile de noter que cette gauche « morale » compte également dans ses rang des avocats, des magistrats et des juristes également mobilisés sur le projet de réforme de la justice qu’Élisabeth Guigou aura la lourde tâche de présenter à la rentrée... J.-F. P. LES DÉPUTÉS SOCIALISTES AVALISENT L’ESSENTIEL DU PROJET Les députés socialistes devaient se prononcer en décembre sur le projet de loi sur l’immigration. Si l’on excepte l’adoption de deux amendements dont l’un supprime les certificats d’hébergement, le texte mis au point par Jean-Pierre Chevènement était reconduit dans son intégralité. Quatre jours plus tard, une quarantaine d’associations, de syndicats et de partis (dont la LCR, SOS Racisme, SUD et les Verts) appelaient à une manifestation pour exiger du gouvernement qu’il respecte ses promesses. La droite, quant à elle, déclarait vouloir se battre par tous les moyens de la procédure contre le projet. L’examen du texte par l’Assemblée fut houleux. Mais surtout entre la majorité et l’opposition. Celle-là put afficher des convictions de gauche propre à ressouder la majorité « plurielle » ; celle-ci trouva enfin le moyen d’attaquer un gouvernement jusque-là protégé par sa faveur dans les sondages. downloadModeText.vue.download 35 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 34 Malaise au sein du CNPF Échec de la politique contractuelle, zizanie autour des 35 heures, démission de Jean Gandois : la crise que traverse actuellement le CNPF est grave. Va-t-elle déboucher sur un déclin irrémédiable ou une recomposition ? Le 10 octobre 1997, à l’issue de la conférence sur les salaires, l’emploi et le temps de travail, le Premier ministre Lionel Jospin déclarait devant des syndicats ravis et un patronat abasourdi qu’une loi d’orientation fixerait au 1er janvier 2000 à 35 heures la durée hebdomadaire du travail pour les entreprises de plus de 10 salariés. En choisissant la forme législative et en fixant d’autorité une date d’entrée en vigueur, le Premier ministre infligeait un véritable camouflet à l’organisation patronale qui s’était farouchement opposée, sur les pressions répétées de Didier Pineau-Valencienne et Denis Kessler, à toute fixation d’une date butoir pour les 35 heures légales. La réponse de Jean Gandois, le dirigeant du CNPF, ne se fit pas attendre. Le lundi suivant, expliquant qu’il était « plus un négociateur qu’un tueur » et qu’il n’avait « pas le profil pour défendre les entreprises » contre le gouvernement, il annonçait sa décision de démissionner de l’organisation patronale. Déjà désavoué par les « durs » du CNPF pour avoir accepté – ou, du moins avoir été mis devant le fait accompli – la loi Robien et l’accord du 30 octobre 1995 sur l’aménagement du temps du travail, Jean Gandois s’était de toute façon placé dans une situation intenable au sein même de son organisation. Très attaché à la notion d’entreprise citoyenne, l’ex-patron de Rhône-Poulenc et de Pechiney s’était fait élire sur la base d’un projet ambitieux visant à construire les fondations d’une politique contractuelle rénovée. Or, il apparut très vite que l’aile la plus libérale du CNPF, avec à sa tête Denis Kessler, le commission économique, numéro deux du premier UAP, ne voulait pas de bouillant président de la devenu depuis peu le assureur mondial AXAcette politique. Jean Gandois abordait donc fatalement le dossier des 35 heures en position de perdant. En cas d’avancée, les opposants à toute négociation lui auraient reproché son manque de pugnacité. En cas de blocage, certains membres favorables à un aménagement concerté l’auraient désavoué. Ces derniers sont d’ailleurs assez nombreux pour signifier qu’un clivage doctrinal existe bel et bien au sein du CNPF. L’AFB (Association française de banque) annonçait par exemple dès le mois d’octobre que des discussions sur les 35 heures allaient être ouvertes. Par ailleurs, de grands groupes comme la Générale des eaux ont déjà signé une série d’accords locaux de réduction du temps de travail... en prévision des 35 heures. Le danger qui guette aujourd’hui le CNPF, s’il s’acharne à s’extraire des négociations, est en définitive qu’il en soit purement et simplement évincé. L’organisation perdrait alors une grande partie de sa raison d’être... LE SUCCESSEUR DE JEAN GANDOIS : LE BARON SEILLIÈRE Déjà sollicité en 1994 pour succéder à François Périgot, le baron Ernest-Antoine Seillière, patron de la Compagnie générale d’industrie et de participation (CGIP), briguera le 16 décembre 1997 la présidence de l’organisation patronale. Face à lui, aucun de ses trois concurrents n’est issu de l’appareil du CNPF. Depuis le désistement de Didier Pineau-Valencienne, le nom du prochain « patron des patrons » ne fait donc pas l’ombre d’un doute. Énarque, ancien collègue de Lionel Jospin au ministère des Affaires étrangères, celui-ci affiche de solides convictions libérales ; il est résolument opposé aux 35 heures. Sera-til ce « tueur » que Jean Gandois voyait pour lui succéder ? downloadModeText.vue.download 36 sur 361 LE BILAN FRANÇAIS 35 Vichy partage la droite En défendant à l’occasion du procès Papon la thèse de « l’inexistence de Vichy », le président du RPR Philippe Séguin s’est nettement démarqué de la position de Jacques Chirac sur la responsabilité de la France pendant l’Occupation. Le mythe gaulliste a décidément la vie dure. En 1995, lors du cinquante-troisième anniversaire de la rafle du Vel’ d’Hiv’, Jacques Chirac reconnaissait explicitement que l’État français avait eu une responsabilité directe dans les crimes commis sur son territoire durant l’Occupation. « La France, ce jour-là, accomplissait l’irréparable », affirmait-il. Il ne pouvait ignorer qu’il remettait en cause la doctrine gaul- liste selon laquelle, Vichy n’étant pas la France, celle-ci ne pouvait être rendue coupable des actes commis par Vichy. En affirmant que « la France » était bien plutôt à Londres ou dans le Vercors, le général de Gaulle savait qu’il sauvait bon nombre de Français du soupçon de collaboration. Le mythe gaulliste d’une France unie, combattante et victorieuse, soigneusement entretenu pendant les deux septennats de François Mitterrand, allait sagement prendre place dans les esprits. C’est dire combien le discours iconoclaste de Jacques Chirac, ce jour de juillet 1995, fit l’effet d’un coup de tonnerre au sein de l’opposition. Mais Jacques Chirac venait tout juste d’être élu et les barons gaullistes résolurent de taire leur rancoeur. Jusqu’à ce que le procès Papon leur offrît, en octobre 1997, l’occasion de relancer la polémique. Tout commença par le témoignage devant le tribunal de Bordeaux de Pierre Messmer, qui critiqua ouvertement la déclaration de Jacques Chirac et exempta « la France » de la responsabilité des crimes de Vichy. Puis vint Olivier Guichard, qui affirma à la barre des témoins que de Gaulle, en déclarant l’inexistence de Vichy dès 1940, « ne voulait pas que le procès des Français ait lieu ». Saisissant l’occasion d’une déclaration de JeanMarie Le Pen, qui avait observé qu’il était « plus confortable de résister à Londres que de résister à Paris », Philippe Séguin entra alors en lice. Sous le titre « Assez ! Assez ! Assez ! », le président du RPR accusa dans les colonnes du Figaro les socialistes de profiter du procès Papon pour faire celui du général de Gaulle, voire « d’entretenir une atmosphère délétère » ne pouvant profiter qu’au Front national. Dès le lendemain, Lionel Jospin répon- dait à cette « Philippique » par un discours au cours duquel il affirmait que « la France » n’était pas « coupable de Vichy ». À l’Élysée, on se garda de commenter la polémique. Elle témoigne pourtant d’un véritable clivage entre les conceptions de Jacques Chirac et celles d’une partie du RPR pour laquelle le mythe gaulliste de « la France résistante » est encore une vérité historique. J.-F. P. LES RAISONS D’UN MYTHE À la Libération, de Gaulle doit à tout prix laver la France du soupçon de lâcheté générale qui pèse sur elle. L’heure est à l’affirmation de la « République combattante » : Vichy est donc réputé « nul et non avenu ». Poussé par la nécessité d’échapper à la menace d’une administration militaire des Alliés, de Gaulle accréditera par ailleurs l’idée que la haute administration a sous Vichy, sinon activement, au moins passivement résisté : un mythe qui se justifie sans doute politiquement, mais qui contredit la réalité historique. downloadModeText.vue.download 37 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 36 Le PC poursuit sa « mutation » Fort de ses trois ministres au gouvernement, le PCF de Robert Hue n’a pas craint en 1997 de porter un « regard neuf » sur des sujets aussi tabous que l’euro ou le passé sanglant du communisme. La mort de Georges Marchais, en novembre, est venue confirmer symboliquement qu’une page de son histoire était peut-être définitivement tournée. Ironie du sort. Quelques jours avant la mort de Georges Marchais, l’Humanité publiait une interview de l’ancien secrétaire général du PCF en dévoilant que ce dernier avait lui-même rédigé les réponses et les questions ! La « mutation culturelle » du PCF, pour reprendre l’expression de Robert Hue, ne s’est pas limitée en 1997 à ce louable souci de transparence. L’année s’est en effet ouverte sous les meilleurs auspices pour les « refondateurs » du parti avec l’entrée en mai de trois communistes au sein du gouvernement Jospin. Elle s’est poursuivie avec l’intervention active de Jean-Claude Gayssot, le ministre communiste des Transports, dans le règlement du conflit des routiers. Réunis à la mi-novembre en conseil national, les dirigeants communistes donnaient d’ailleurs acte à Robert Hue des résultats encourageants de la participation gouvernementale, certains députés « orthodoxes », dont Maxime Gremetz, faisant momentanément taire leurs critiques. Lune de miel PC-PS De son côté, le PS multipliait les gages de confiance à l’égard du PCF. La polémique sur le passé sanglant du communisme donna ainsi à Lionel Jospin l’occasion d’exprimer sa « fierté » de voir le PCF prendre part à son gouvernement. À l’issue du conseil national de novembre, Robert Hue alla plus loin dans « l’ouverture ». Il laissa entendre que les prochaines discussions au Parlement de la loi sur l’immigration et de la ratification du traité d’Amsterdam (et donc de l’euro) ne remettraient pas en cause la participation communiste. « L’euro, ce n’est pas la fin de l’histoire », concluait-il. Mieux : interrogé en décembre lors de l’émission télévisée « La marche du siècle » consacrée au Livre noir du communisme, le secrétaire national, décidément prompt à secouer toutes les pesanteurs, se déclarait prêt à réévaluer la révolution bolchevique. « Pas même Lénine », ajoutait-il, ne pouvait « être tenu à l’écart de l’analyse historique ». Sonnant comme un écho aux propos de Robert Hue, le bureau du PCF saluait trois jours plus tard la mémoire de Georges Marchais, décédé le 16 novembre, en ces termes : « Ce n’est pas le temps, alors que l’heure est au recueillement, d’évaluer l’apport de Georges à notre parti [...] Cette évaluation devra être faite. » (le Monde du 4 décembre 1997) Décidément, l’ancien secrétaire général a déjà de bonnes raisons de se retourner dans sa tombe. J.-F. P. GEORGES MARCHAIS (1920-1997), L’HOMME DU DÉCLIN DU PCF En 1972, le PCF représente 20 % de l’électorat. À sa tête, l’ancien ouvrier métallo Georges Marchais abandonne la dictature du prolétariat, prône l’eurocommunisme et l’union de la gauche. Mais l’irrésistible ascension du PS conduit le PC à se figer dès 1977 dans une glaciation brejnévienne. Marginalisé, le PC s’effondrera tout à fait avec la fin du système communiste mondial. Lorsqu’en 1994 Georges Marchais lâche enfin les rênes du pouvoir, son parti a perdu la moitié de ses électeurs. downloadModeText.vue.download 38 sur 361 37 Chronologies et analyses downloadModeText.vue.download 39 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 38 JANVIER 1 Libye Exécutions pour espionnage. Huit personnes, dont six militaires de haut rang, sont exécutées pour espionnage au profit des États-Unis. Les autorités de Washington estiment que Tripoli cherche à « détourner l’attention de la population » des vrais problèmes du pays en créant des boucs émissaires. D’après le Front national de sauvetage de la Libye, formation de l’opposition en exil, les huit condamnés auraient fait « partie de ceux qui ont conduit la révolte militaire dont la Libye a été le théâtre en 1993 ». Proche-Orient Fusillade à Hébron. Tandis que les négociations entre gouvernement israélien et Autorité palestinienne semblent dans l’impasse, un soldat israélien extrémiste tire sur la foule arabe à Hébron, faisant 6 blessés. Un massacre est évité grâce à l’intervention d’autres militaires qui maîtrisent le forcené, un colon de dix-neuf ans nommé Noam Friedman. (chrono. 15/01) 2 Cyclisme Retraite sportive de Miguel Indurain. Le quintuple vainqueur du Tour de France annonce la fin de sa carrière sportive à Pampelune. À trentedeux ans, il reste comme un des plus grands cyclistes de l’histoire, avec un total de 104 victoires (contre 524 à Eddy Merckx, 217 à Bernard Hinault et 204 à Jacques Anquetil). ONU Entrée en fonctions du nouveau secrétaire général. Le Ghanéen Kofi Annan remplace l’Égyptien Boutros Boutros-Ghali à la tête de l’organisation internationale. Cette arrivée devrait permettre un assainissement des finances de l’organisation, les parlementaires de Washington ayant lié le départ de M. Boutros-Ghali, jugé trop indépendant et francophile, au paiement des arriérés de cotisation américains pour un montant de plus de 1 milliard de dollars. M. Annan reconduit la plupart des collaborateurs de M. Boutros-Ghali dans leurs fonctions. Le Français Bernard Miyet est chargé des opérations de maintien de la paix. Serbie Recul de Slobodan Milosevic. L’Église orthodoxe critique l’attitude du président Milosevic, alors que les manifestations pour le rétablissement du résultat des élections municipales du 17 novembre 1996 se poursuivent depuis plus de cinq semaines. Le saint-synode de Serbie accuse le chef de l’État de « semer la discorde uniquement pour garder le pouvoir ». Six jours plus tard, M. Milosevic reconnaît que la coalition de l’opposition Zajedno (« Ensemble ») l’avait emporté à Nis, la deuxième ville du pays. Soumis à une forte pression internationale, il promet ensuite une révision rapide des résultats contestés, mais l’opposition, qui continue chaque soir ses manifestations dans la rue, réclame une reconnaissance « totale » de sa victoire. (chrono. 4/02) Singapour Victoire ou parti au pouvoir. Le Parti d’action populaire (PAP) remporte les élections législatives avec 65 % des suffrages et 81 sièges sur 83. Le Premier ministre, Goh Chok Tong, se félicite du résultat en déclarant que les Singapouriens ont « rejeté la démocratie libérale et les libertés de type occidental, qui placent les droits des individus au-dessus de ceux de la société ». Épreuve de force en Serbie Lorsque le président Slobodan Milosevic a pris la décision d’annuler les victoires de l’opposition, nul n’aurait prédit que la Serbie allait se mobiliser au point de déstabiliser celui qui, en cinq années de guerre, avait réussi à réduire au silence ses opposants, à museler la majorité des médias indépendants et à interdire tout débat sur son downloadModeText.vue.download 40 sur 361 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 39 projet pour l’ex-Yougoslavie – et, surtout, obtenir gain de cause. Rappel des événements de 1996. Le 19 novembre, alors que la commission électorale contrôlée par le pouvoir confirme la victoire de l’opposition à Belgrade face au Parti socialiste (SPS, ex-communiste, au pouvoir), le président S. Milosevic décide d’annuler de nombreux résultats des élections municipales du 17 novembre. La décision du président et l’organisation dans les circonscriptions contestées d’un troisième tour électoral – boycotté par l’opposition – provoquent la colère d’une population sortie pour l’occasion de son apathie. Des dizaines de milliers de manifestants vont braver chaque jour le froid et la neige, exigeant la reconnaissance de leur vote et, au-delà, un État de droit. Alors que les manifestants réclament la démission de S. Milosevic (27 novembre) et qu’un nombre croissant de magistrats se dissocient de ses décisions, le chef de l’État propose à l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) de se saisir du dossier. Parallèlement, le régime appelle ses partisans à venir manifester à Belgrade (24 décembre). Les affrontements entre ces derniers, environ 80 000 personnes, et les quelque 200 000 sympathisants de l’opposition font un mort et 91 blessés. Trois jours plus tard, l’OSCE confirme la victoire de la coalition Ensemble dans quatorze villes, dont Belgrade. Le recul du pouvoir Le début de l’année 1997 est marqué par un durcissement de la situation. Le pouvoir sait désormais qu’il ne peut pas compter sur la lassitude de la population pour venir à bout de la crise. Et, s’il devait encore fonder quelques espoirs sur une stratégie du pourrissement, le soutien de l’Église orthodoxe aux manifestants lui porte un coup sévère (2 janvier). Aussi Milosevic décidet-il de lâcher du lest et reconnaît la victoire de l’opposition à Nis (8 janvier). Par ailleurs, la crise s’internationalise le 11 janvier lorsque les ÉtatsUnis annoncent qu’ils gèlent leurs relations commerciales et officielles avec Belgrade. La décision de Washington semble littéralement doper la détermination des manifestants, qui sont plus de 300 000 à fêter le Nouvel An orthodoxe à Belgrade (13 janvier). Le lendemain, Milosevic reconnaît la victoire de l’opposition dans la capitale tandis que le Parti socialiste limoge trois hauts responsables, dont le maire de Belgrade, Nebojsa Covic, qui avait apporté son soutien aux étudiants. Toutefois, le recul spectaculaire de Milosevic à Belgrade ne suffit pas pour calmer l’opposition : le 28 janvier commence une grève des enseignants, largement soutenus par la population de la capitale où l’intervention brutale de la police fait 80 blessés dans les rangs des manifestants, dont l’une des dirigeantes de la coalition Ensemble, Vesna Pesic (2 février). Finalement, S. Milosevic demande au gouvernement de soumettre au Parlement « un projet de loi spéciale proclamant définitifs » les résultats des municipales conformément aux conclusions de la mission de l’OSCE (4 février), soit la victoire de l’opposition dans quatorze villes : Pirot, Kraljevo, Uzice, Smederevska Palanka, Vrsac, Soko Banja, Kragujevac, Pancevo, Jogodina, Nis, Zrenjanin, Lapovo, Sabac et Belgrade. Dans la capitale, la victoire de l’opposition a été reconnue au conseil municipal et dans huit mairies d’arrondissement. Un amendement au projet de loi déposé par l’opposition, qui revendiquait également deux autres mairies d’arrondissement, a été rejeté par le Parlement. Ce dernier, tout en votant la loi élaborée par S. Milosevic, a marqué sa fermeté à l’endroit de cette opposition devenue dangereuse. Ainsi son président, Mirko Marjanovic, a accusé la coalition Ensemble d’avoir organisé les manifestations pour « prendre le pouvoir par la violence » et d’avoir « entaché la réputation de la Serbie à travers le monde ». Mais, lorsque le président de l’Assemblée de Serbie a accusé les manifestants d’être des « fascistes qui manipulent des enfants », ces enfants-là – les étudiants – rétorquèrent : « Où étiez-vous, quand des gens de notre âge ont été tués dans les champs de bataille autour de Vukovar par ordre du régime auquel vous appartenez ? ». L’esprit du mouvement Zajedno Au bout du compte, les Serbes, qui avaient rallié plutôt docilement leur chef pendant la guerre, ne se sont transformés en protestataires actifs que lorsqu’ils ont compris que S. Milosevic bafouait les résultats des élections. Quant à l’opposition politique, jusqu’alors éclatée et dispersée, elle a trouvé le moyen de s’unir autour d’un objectif clair : obtenir la gestion des municipalités et des médias locaux, là où elle avait gagné. La coalition Ensemble, qui regroupe l’Alliance civique (regroupement de démocrates libéraux, antinationalistes, animateurs du mouvement antiguerre dirigé par Mme Vesna Pesic) et trois formations plus ou moins nationalistes, le Mouvement du renouveau serbe de l’écrivain Vuk Draskovic, downloadModeText.vue.download 41 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 40 le Parti démocrate du philosophe Zoran Djindic et le Parti démocratique serbe de Vojislav Kostunica, s’est donné pour objectif de maintenir vivante la flamme qui a animé la population de Belgrade pour que « l’esprit du mouvement Zajedno (Ensemble) » survive aux concessions arrachées au président S. Milosevic. Très vite, il est apparu que les manifestants n’entendaient pas signer un chèque en blanc au pouvoir. Tandis que les parlementaires socialistes et radicaux (extrême droite) débattaient de la loi proposée par le chef de l’État afin de résoudre la crise électorale, des Belgradois se rendaient massivement devant le Parlement pour y déposer un cerveau en plastique afin d’« apporter l’intelligence qui manque aux députés ». En évitant soigneusement les forces de l’ordre déployées dans les rues de la capitale, la foule des manifestants commentait sans complaisance l’incapacité du nouveau gouvernement remanié dans l’après-midi. Nombreux aussi ceux qui se pressaient pour écouter les chefs de l’opposition. Après avoir souligné en termes peu amènes « le simulacre de démocratie » qui se jouait au Parlement, Vuk Draskovic a imprudemment déclaré qu’« il conviendrait peutêtre de faire une pause dans les manifestations », enchaînant rapidement, face au tollé suscité par ses propos, « mais je crains qu’on ne doive rapidement ressortir dans les rues ». Vesna Pesic a souligné que S. Milosevic avait « hissé le drapeau blanc » pour aussitôt insister sur la nécessité d’avoir « des dirigeants compétents et réellement démocrates » et « de connaître la vérité sur la situation économique, sur la guerre et les malversations financières ». Enfin, Zoran Djindic a rappelé que la fraude électorale n’avait été qu’une des raisons ayant conduit les gens à manifester sans relâche. Le philosophe estime que le mécontentement général aura trouvé plutôt « sa seule et unique cause » dans le « pouvoir malfaisant » et que « les citoyens n’auraient de cesse de chasser ce pouvoir incapable de se changer lui-même ». En adoptant la loi spéciale concoctée par S. Milosevic, le Parlement a certes désamorcé une bombe. Il n’en reste pas moins que les manifestations se sont poursuivies pendant plusieurs jours. Aux sympathisants de l’opposition et aux étudiants qui réclamaient la destitution du recteur de l’université se sont joints de nombreux téléspectateurs de plus en plus allergiques au journal télévisé, les enseignants non payés, les épargnants floués, tandis que des ouvriers, en nombre il est vrai encore réduit, commençaient à sortir d’entreprises à court de fonds. Les manifestants auront donc prouvé qu’un changement était possible en Serbie sans que l’ex-Yougoslavie ne risque à nouveau de s’embraser. P. F. Un pouvoir discrédité Les élections municipales, dont les résultats ont été annulés par le régime de Belgrade, et la vague de manifestations qui a suivi ont été l’occasion de montrer combien le pouvoir était discrédité par les rapports clientélistes et la mafia des directeurs-ministres sur laquelle il s’appuie. À travers cette consultation, la population a rejeté la corruption et l’enrichissement des gens en place. Le scrutin municipal a aussi été un vote des villes contre les campagnes, reflet de la paupérisation subie par les classes moyennes. Finalement, au fond des urnes, le président Slobodan Milosevic a pu lire le rejet de cette « démocrature » qui, masquée derrière les formes du parlementarisme et du pluralisme, exerce un contrôle pesant sur les médias, et plus particulièrement sur la télévision. 4 République centrafricaine Deux militaires français tués à Bangui. Alors qu’ils se rendaient sans armes dans un quartier de la capitale en effervescence, deux soldats français sont tués par des mutins opposés au pouvoir du président Ange-Félix Patassé. Après les troubles sanglants du Rwanda et de Somalie, ces morts prouvent que les militaires européens sont constamment en danger quand ils opèrent dans le cadre d’opérations de médiation politique ou de maintien de la paix en Afrique. Le 20, la mission de médiation, menée par le Malien Amadou Toumani Touré, parvient à élaborer un accord politique entre la présidence et les militaires mutins. Selon cet accord, M. Patassé s’engage à former un gouvernement d’entente avec tous les partis, à adopter une loi d’amnistie couvrant tous les mutins, civils et militaires, et à abandonner toutes les poursuites contre les partisans de l’ancien président Kolingba. Le 30, downloadModeText.vue.download 42 sur 361 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 41 Michel Gbezera-Bria remplace Jean-Paul Ngoupandé au poste de Premier ministre. 6 Grande-Bretagne Tension en Irlande du Nord. L’Armée républicaine irlandaise (IRA) tire une roquette contre le palais de justice de Belfast, faisant deux blessés légers. Cet attentat intervient à quelques jours de la reprise des pourparlers de paix et alors que les relations entre les différents protagonistes (nationalistes catholiques, loyalistes protestants, gouvernements britannique et irlandais) sont au point mort. BD Mort de Franquin. Le créateur de Modeste et Pompon, de Gaston Lagaffe et du Marsupilami meurt à soixante-treize ans dans le sud de la France. Né près de Bruxelles, André Franquin accède à la notoriété en reprenant, en 1948, le personnage de Spirou, auquel il adjoindra quatre ans plus tard le Marsupilami, animal à très longue queue, d’une agilité et d’une intelligence exceptionnelles. En 1957, il donne naissance au personnage de Gaston Lagaffe, le plus sympathique des bons à rien, qui devient un personnage universel, l’archétype du gaffeur qui hante les bureaux. Franquin restera, aux côtés d’Hergé, de Greg et de Jacobs, comme un des grands représentants de la BD belge. 7 France Reddition d’un leader nationaliste corse. Deux semaines après François Santoni, dirigeant de la Cuncolta, vitrine légale du FLNC-canal historique, Jean-Michel Rossi se constitue prisonnier à la gendarmerie de L’Île-Rousse. 8 Russie Nouvelle hospitalisation de Boris Eltsine. Moins de deux semaines après son retour aux affaires, le président russe est à nouveau hospitalisé, officiellement pour un « début de pneumonie ». Les leaders de l’opposition, au premier rang desquels Alexandre Lebed, dénoncent une dangereuse vacance du pouvoir. Après avoir décommandé plusieurs rendez-vous officiels. M. Eltsine est suffisamment remis pour recevoir dans les environs de Moscou Jacques Chirac, avec qui il a plusieurs heures d’entretien, notamment sur l’élargissement éventuel de l’OTAN aux pays d’Europe centrale. Voile Sauvetages périlleux dans le Vendée Globe Challenge. En plein Pacifique sud, la marine australienne récupère le navigateur français Thierry Dubois, qui avait pu se réfugier dans un radeau pneumatique de survie, qui lui avait été largué d’un avion. Le lendemain, c’est au tour du navigateur britannique Tony Bullimore d’être sauvé : il s’était réfugié dans la coque retournée de son navire et avait attendu les secours pendant plusieurs jours dans une obscurité complète. L’efficacité des sauveteurs et le courage exceptionnel des navigateurs ne font pas oublier cependant le trop grand danger que représente cette course en solitaire. Par ailleurs, on demeure sans nouvelles du navigateur canadien Gerry Roufs. (chrono. 17/02) 9 France Nouvelles révélations dans l’affaire de l’hormone de croissance. L’Express révèle que 20 000 flacons contenant de l’hormone de croissance non inactivée auraient été écoulés entre la mi-1985 et le début de 1986, alors que les responsables savaient que ces flacons pouvaient être mortellement dangereux. L’hormone de croissance est destinée aux enfants atteints de nanisme. Dans les jours qui suivent. Henri Cerceau et Marc Mollet, anciens responsables de la Pharmacie centrale des hôpitaux (PCH), sont mis en examen pour « empoisonnement ». Il leur est reproché de ne pas avoir mis hors circuit les lots d’hormone de croissance dite « extractive », après qu’il fut apparu, en avril 1985, que certains d’entre eux pouvaient être downloadModeText.vue.download 43 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 42 porteurs de la maladie de Creutzfeldt-Jakob (appelée plus tard « maladie de la vache folle »). Sri Lanka Poursuite des combats. L’armée de Colombo annonce qu’elle a mis hors de combat plus de 500 guérilleros des Tigres de libération de l’Eelam tamoul (LTTE), lors d’une contre-offensive dans le nord du pays. 10 Nicaragua Attentat manqué contre le nouveau président. Alors que Arnoldo Aleman s’apprêtait à prendre ses nouvelles fonctions, deux anciens agents sandinistes de la sécurité sont interceptés en possession d’explosifs. Cette affaire se produit alors que, quelques jours auparavant, Daniel Ortega, le leader sandiniste, déclarait qu’il était déterminé à poursuivre la lutte « au Parlement mais aussi dans la rue et, si nécessaire, dans la montagne ». 11 Niger Manifestation et répression. Des opposants au président Ibrahim Baré Maïnassara défilent dans les rues de Niamey pour réclamer la « restauration de la démocratie » et la libéralisation des médias publics. La police intervient brutalement. Quelques jours plus tard, les principaux leaders de l’opposition – l’ancien président Mahamane Ousmane, Mamadou Issoufou, ex-président de l’Assemblée nationale –, sont arrêtés et menacés d’être traduits devant la Cour de sûreté de l’État. 14 UE Nouveau président au Parlement européen. Le conservateur espagnol José Maria Gil-Robles succède à la tête du Parlement de Strasbourg au socialiste allemand Klaus Haensch. Il l’emporte avec 338 voix contre la socialiste française Catherine Lalumière, créditée de 177 voix. Âgé de soixante et un ans, M. Robles est membre du Parti populaire de José Maria Aznar. Il est lui-même issu de la démocratie chrétienne et fut longtemps un opposant modéré au régime du général Franco. 15 Corée du Sud Grève générale. Alors que l’opposition à la nouvelle loi sur les relations du travail ne cesse de s’affirmer depuis la fin de l’année précédente, les deux centrales syndicales KCTU et FKTU (pourtant progouvernementale) lancent une grève à travers tout le pays. Celle-ci n’est que très partiellement suivie, d’autant que de nombreux salariés ne cessent pas de travailler tout en se déclarant moralement en grève. Le 21, le chef de l’État Kim Young-sam annonce qu’il accepte de rediscuter la loi contestée (qui prévoyait une plus grande facilité dans les procédures de licenciement et autorisait le remplacement des employés en grève). L’opposition réclame également l’abrogation de la loi qui renforce les pouvoirs des services secrets. Le 23, l’OCDE (Organisation de la coopération et du développement économiques), à laquelle la Corée du Sud veut adhérer, exprime publiquement son désaccord avec Séoul à propos de sa nouvelle législation en matière de travail. France Adoption à l’Assemblée nationale des fonds de pension. La majorité RPR et UDF adopte la proposition de loi présentée par Jean-Pierre Thomas, député PR des Vosges, créant la possibilité pour les salariés du secteur privé de souscrire des plans d’épargne-retraite (PER) afin de recevoir une rente supplémentaire au moment de leur cessation d’activité. Il est prévu que les versements des salariés donneront à des réductions fiscales, comme seront largement exonérées de cotisations sociales les contributions des entreprises. Ce dernier point inquiète particulièrement les organisations syndicales qui y voient un risque important de diminution des ressources de la Sécurité sociale, estimée à 18 milliards de francs. La gauche exprime downloadModeText.vue.download 44 sur 361 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 43 sa totale hostilité au projet, qu’elle promet de défaire aussitôt qu’elle reviendra au pouvoir. (chrono. 9/12) Proche-Orient Accord israélo-palestinien sur Hébron. À la suite d’une médiation du roi Hussein de Jordanie, les négociateurs israéliens et palestiniens parviennent, après trois mois de discussions, à un accord sur le statut de la ville d’Hébron. Selon cet accord, l’armée israélienne s’engage à évacuer dans les dix jours 80 % de la ville ; elle maintiendra sa présence dans le centre-ville, autour du caveau des Patriarches et sur la colline de Tell Roumeida, afin d’assurer la sécurité des quelque 450 colons juifs habitant cette cité où vivent plus de 120 000 Palestiniens. Le médiateur américain Dennis Ross a fait insérer dans l’accord des engagements à négocier au plus vite sur les passages entre la Cisjordanie et la bande de Gaza. Par ailleurs, les Palestiniens ont réitéré leur engagement à lutter contre le terrorisme et à s’abstenir de toute activité hors de la zone autonome, notamment à Jérusalem. Malgré l’opposition des partis religieux, et la démission du gouvernement de Beni Begin, fils de l’ancien Premier ministre, l’accord est entériné par les autorités israéliennes et adopté à la Knesset avec l’appui de l’opposition travailliste. 16 France Alertes à la pollution. Paris, Lyon, Marseille et Le Havre sont affectés par des pics de pollution au dioxyde de soufre, lié au chauffage, et au dioxyde d’azote, lié à la circulation automobile. Les autorités invoquent la présence d’un anticyclone au-dessus du pays, qui provoque un froid intense et des vents très faibles, insuffisants pour chasser la pollution des villes. Les spécialistes de la qualité de l’air font observer que le niveau de pollution n’est pas seulement lié à la météorologie, mais qu’il tend à devenir structurel, étant donné l’augmen- tation continue du trafic automobile. Ainsi, à Lyon, le préfet du Rhône a été contraint d’interdire la circulation des poids lourds traversant l’agglomération et il a « incité » les automobilistes à éviter le centre-ville. Cette décision constitue une première en France, mais pas à l’étranger, où, par exemple à Rome, on interdit la circulation des voitures particulières non équipées d’un pot catalytique (80 % du parc) entre 15 heures et 20 heures. (chrono. 11/03) France Occupation du Crédit foncier. Les employés de l’établissement bancaire occupent les lieux et séquestrent le gouverneur et ses principaux collaborateurs. Ils entendent ainsi réagir aux rumeurs de démantèlement de l’établissement. Banque spécialisée dans les prêts sociaux à l’immobilier, le Foncier a vu son rôle se banaliser depuis que les PAP (prêts d’accession à la propriété) ont été remplacés par les prêts à taux zéro, distribués par toutes les banques. Le gouvernement hésite entre plusieurs possibilités de reprise, soit par le Crédit immobilier de France (CIF), soit par les Caisses d’épargne. En tout état de cause, 3 300 salariés du Crédit foncier craignent pour leur emploi. Le 20, Alain Juppé nomme Philippe Rouvillois médiateur et, le 22, les salariés relâchent leurs dirigeants. 19 Bulgarie Soutien du président aux manifestants. Lors de sa prestation de serment, le nouveau président élu, Petar Stoïanov, apporte son soutien aux manifestants qui, depuis deux semaines, réclament le départ du gouvernement socialiste (ex-communiste) et l’organisation d’élections législatives anticipées. Les manifestants imputent aux socialistes la responsabilité de la très nette dégradation de la situation sociale dans le pays, qui a appauvri l’ensemble de la population. (chrono. 12/02) 20 États-Unis Prestation de serment de Bill Clinton. Le président américain entame son second mandat en lançant un appel à la cohésion sociale et en demandant à ses compatriotes de surmonter « la division raciale, qui a toujours été le fléau du pays ». Auparavant, M. Clinton avait donné la composition de sa nouvelle administration, avec, aux principaux postes : Madeleine Albright (secrétaire d’État), William Cohen (Défense), Bill Daley (Commerce). Robert Rubin (Tré- downloadModeText.vue.download 45 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 44 sor) et Janet Reno (Justice), déjà en place, conservent leurs attributions. Le président réélu doit cependant faire face à de nombreuses attaques, notamment dans l’affaire Whitewater (opération immobilière menée avec son épouse dans les années 80 en Oklahoma), dans l’affaire Paula Jones (harcèlement sexuel à rencontre d’une secrétaire) et dans celle de la filière asiatique (financement illégal de sa campagne 1996). France Jacques Chirac annonce une réforme du système judiciaire. Appelant de ses voeux une justice plus proche des citoyens, le président de la République souhaite une indépendance accrue des parquets vis-à-vis de la chancellerie, une meilleure protection du secret de l’instruction et, d’une façon générale, une amélioration du fonctionnement quotidien de la justice. Il confie à une commission de réflexion présidée par Pierre Truche, premier président de la Cour de cassation, le soin d’examiner toutes ces questions et de délivrer un rapport avant le 15 juillet. Le Parlement sera alors saisi. Un sondage commandé par le Monde révèle que 82 % des Français interrogés estiment que la magistrature est « soumise au pouvoir politique », que 73 % pensent que les hommes politiques bénéficient d’une mansuétude particulière et que 76 % souhaitent une accélération des délais de procédure et de jugement. (chrono. 10/07) Zaïre Contre-offensive des forces gouvernementales. En l’absence du président Mobutu Sese Seko, retourné en France pour y suivre un traitement médical, le Premier ministre Léon Kengo Wa Dondo annonce qu’il vient de donner aux forces armées l’ordre de reprendre l’offensive au Kivu, dans l’est du pays, contre les rebelles dirigés par Laurent-Désiré Kabila. Malgré la nomination en décembre d’un nouveau chef d’état-major, jugé plus intègre, malgré quelques succès sur le terrain et malgré la présence plus ou moins vérifiée de mercenaires occidentaux dans leurs rangs, les forces de Kinshasa semblent toujours incapables de reprendre la situation en leur faveur. (chrono. 3/02) Clinton II Comme Richard Nixon, Bill Clinton est un président mal aimé et peu respecté, tout en étant finalement assez populaire pour avoir été élu à un second mandat. Bien qu’il soit la cible d’enquêtes judiciaires et parlementaires dont l’issue reste incertaine, le président des États-Unis affiche un moral d’acier, trempé dans les indéniables performances de l’économie nationale. L’Amérique va bien, l’Amérique est un modèle pour le reste du monde, Clinton le triomphateur ne cesse de le clamer. Confortablement réélu en novembre 1996 pour un second – et dernier – mandat, Bill Clinton dispose d’un horizon dégagé qu’aucun nuage ne semble susceptible d’obscurcir. C’est du moins le sentiment du président. S’il est vrai que le locataire de la Maison-Blanche doit composer avec un Congrès dominé par les conservateurs, la situation n’a pas que des inconvénients. D’abord parce que le cas de figure n’est pas nouveau – les élections de novembre 1994 s’étaient soldées par une véritable débâcle pour les démocrates –, ensuite parce que le président aura toujours quelque intérêt à prêter à l’opposition conservatrice la responsabilité de certains de ses propres échecs. À la longue litanie des affaires qui le handicapent et qui empruntent leur suffixe au scandale du Watergate – Chinagate, Filegate, Travelgate, Hubbellgate, Jonesgate –, Bill Clinton oppose un bilan économique dont il veut croire qu’il lui vaudra absolution. Celui-ci est indiscutable, celle-là plus problématique. La pax americana Le reste du monde peut bien s’offusquer de l’arrogance d’un président qui lui intime de choisir entre le modèle américain et la certitude du déclin, il reste que Clinton a entre les mains tous les atouts – militaires, économiques et politiques – dans un monde qui, vu de Washington, vit sous la pax americana. Agaçants donc, les Américains. Mais ceux qui ergotent sur les chiffres de l’économie se trompent. En effet, depuis que B. Clinton s’est installé dans le bureau ovale de downloadModeText.vue.download 46 sur 361 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 45 la Maison-Blanche, les États-Unis ont obtenu des résultats en matière d’emploi, de compétitivité, de croissance propres à faire rêver les dirigeants du monde entier. On peut certes objecter qu’ils en ont payé le prix – restructurations brutales, inégalités de revenus accrues, règne avéré de l’argent –, il n’en demeure pas moins que le chômage a considérablement reculé et les comptes ont opéré un retour spectaculaire à l’équilibre. L’entourage du président se plaît à rappeler que lors du sommet du G7 de Houston en juillet 1990 George Bush était apparu comme le mauvais élève de la classe. L’Europe, après quelques années de croissance, pouvait alors se permettre de lui donner des leçons, d’insister sur les efforts à fournir. Il est vrai qu’à l’époque l’économie américaine était en récession (– 3 % sur un an), tandis que le déficit budgétaire s’emballait (4 % du PIB). L’activité a fini par redémarrer et le mauvais élève tient désormais la baguette du maître. Sur le tableau noir des mérites comparés, les chiffres sont têtus. Depuis janvier 1993, quelque 12 millions d’emplois ont été créés. En 1997, non seulement le déficit budgétaire américain ne représentait plus que 1,1 % du PIB, mais il continuait de se résorber. En 1992, Bill Clinton s’était engagé à créer des millions d’emplois. Au terme de son premier mandat, le président américain pouvait se prévaloir du leadership d’un club très restreint, celui dont les membres ont tenu leurs promesses : le chômage ne touchait plus que 4,8 % de la population active. Sous ce seul aspect, le fossé qui sépare les États-Unis de l’Europe semble insondable. B. Clinton met bien sûr ces résultats au compte de l’esprit d’entreprise et de la faculté d’adaptation du peuple américain aux deux grandes mutations de cette fin de siècle, la mondialisation et la « révolution numérique ». Triomphalisme clintonien Sans être fausse, cette explication ne suffit pas à épuiser les causes du rebond spectaculaire réalisé par les États-Unis en l’espace de cinq ans. Ainsi le pilotage macroéconomique a joué un rôle de premier plan dans le redémarrage de l’économie outre-Atlantique. Robert Rubin, le secrétaire d’État au Trésor, s’est attaqué aux déficits publics tandis que Alan Greenspan, président de la banque centrale (la FED), baissait nettement les taux d’intérêt : l’austérité budgétaire s’est trouvée compensée par l’expansionnisme monétaire, ce qui a permis le redémarrage de l’activité dans des conditions saines. L’assurance retrouvée se fait sentir bien au-delà des débats sur les recettes de la croissance. On a pu voir Clinton imposer des sanctions contre Cuba ou l’Iran, présenter un plan de remboursement partiel des dettes américaines à l’ONU, assorti de conditions draconiennes, et lancer son « initiative africaine », qu’il se faisait fort d’approuver lors du sommet de Denver (début juin) ; tout cela sans la moindre consultation, ni même information de ses partenaires. Parmi ces derniers, la France aura senti souffler à ses dépens le vent du triomphalisme clintonien. Jacques Chirac s’est vu opposer une fin de non-recevoir dans les deux dossiers sur lesquels il s’était personnellement engagé : l’attribution du commandement sud de l’OTAN à un Européen et l’intégration de la Roumanie dans la première vague de l’élargissement de l’Alliance atlantique. Finalement B. Clinton est un homme pressé. Ne disposant que de deux ans pour parachever l’image qu’il entend léguer à l’Histoire, il doit compter sur la persistance des affaires qui ont terni sa présidence et avec l’opposition du Congrès, toutes choses qui ne lui laissent les mains relativement libres qu’en politique étrangère. En son temps, Ronald Reagan voyait les États-Unis comme « cette ville qui étincelle sur la colline » et sert de phare au reste du monde. Si l’optimisme affiché par B. Clinton puise aux sources de l’idéologie reaganienne – le « destin manifeste », dans sa traduction clintonienne –, il est possible que les affaires en cours lui infligent un cruel démenti – avatar démocrate du cynisme nixonien. P. F. Du Watergate au Jonesgate Certains des acteurs de l’affaire Paula Jones ont déjà tenu un rôle en 1972 dans le scandale du Watergate. Hillary Clinton avait été une des avocates de la commission d’enquête parlementaire sur l’affaire. Tout comme Fred Thompson, le sénateur républicain qui préside la commission parlementaire sur les financements illégaux de la campagne de 1996. Le Washington Post, qui le premier avait révélé au public l’affaire du Watergate, est monté en première ligne pour exposer le linge sale de la Maison-Blanche. Finalement, les embarras de Bill Clinton sont, dans une large mesure, le produit de downloadModeText.vue.download 47 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 46 réformes introduites à cause du scandale de 1972. 21 Allemagne/République tchèque Déclaration de réconciliation. Bonn et Prague mettent fin à une longue querelle liée aux événements de la Seconde Guerre mondiale. Bonn exprime ses excuses pour l’annexion de la zone frontalière des Sudètes en 1938 et pour l’occupation de la Tchécoslovaquie par le régime nazi. Prague reconnaît pour sa part que l’expulsion massive des 3 millions de Sudètes (Tchèques d’origine germanique) fut une opération brutale et injuste. En Allemagne, les associations de Sudètes, soutenues par la CSU bavaroise, continuent de réclamer des indemnités financières, tandis qu’en République tchèque communistes et extrême droite fustigent la « capitulation » du gouvernement. Autriche Changement de chancelier. Au pouvoir depuis près de dix ans, le chancelier social-démocrate Franz Vranitzky annonce sa démission de la direction du gouvernement. Aussitôt la direction du SPÖ (Parti social-démocrate) désigne Viktor Klima, jusqu’alors ministre des Finances, pour le remplacer. Avant de quitter le pouvoir, M. Vranitzky rappelle qu’il a fait adopter par son parti une résolution excluant tout projet d’alliance gouvernementale avec la formation d’extrême droite FPÖ (Parti libéral). Certains soupçonnent M. Klima d’être favorable à un tel type d’alliance. 22 Canada/Cuba Rapprochement diplomatique. Lloyd Axworthy, ministre canadien des Affaires étrangères, rencontre Fidel Castro à La Havane. Cette visite marque clairement l’opposition du Canada – un des plus importants partenaires commerciaux de Cuba – à la politique américaine vis-à-vis de La Havane, dont le Premier ministre canadien Jean Chrétien a publiquement déclaré qu’elle n’était pas « la bonne ». 23 Afghanistan Contre-offensive des talibans au nord de la capitale. Maîtres de Kaboul depuis l’automne 1996, les talibans (intégristes islamistes) avaient dû faire face aux assauts menés par le commandant Ahmed Shah Massoud à partir du nord du pays. Ils reprennent le contrôle de deux positions stratégiques au nord de la capitale. Les talibans renforcent ainsi leur position alors que Téhéran, soucieuse de contenir l’influence du Pakistan et de l’Arabie Saoudite, s’apprête à organiser une réunion entre les différentes factions afghanes. (chrono. 25/05) France Maurice Papon renvoyé devant la cour d’assises. Ancien secrétaire général de la préfecture de la Gironde pendant l’Occupation, Maurice Papon est renvoyé par la chambre criminelle de la Cour de cassation devant les assises pour complicité de crimes contre l’humanité commis entre juillet 1942 et mai 1944, période pendant laquelle il a supervisé l’envoi vers les camps d’extermination de 1 560 Juifs de Gironde. Âgé de quatre-vingt-six ans, M. Papon, qui fut plus tard préfet de police de Paris sous la présidence du général de Gaulle puis secrétaire d’État au Budget sous celle de Valéry Giscard d’Estaing, s’estime victime d’un procès politique et fait état d’une activité parallèle de résistant, ce que les autorités judiciaires ont, depuis, fortement contesté. L’instruction contre M. Papon avait commencé en 1983, deux ans après que le Canard enchaîne eut révélé son passé pendant la guerre. 24 L’assemblée est dans l’incapacité de voter son budget, la droite refusant de s’allier au Front national pour France Blocage au Conseil régional d’Île-deFrance. downloadModeText.vue.download 48 sur 361 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 47 faire passer le texte contre l’opposition de la gauche et des écologistes. Le président de la Région, Michel Giraud (RPR), annonce qu’il confie en conséquence les finances franciliennes au préfet de Région. Il met également en cause le mode de scrutin proportionnel propre aux élections régionales qui, selon lui, rend très difficile la constitution de majorités stables. 25 Albanie Émeutes d’épargnants spoliés. Des dizaines de milliers de personnes manifestent dans la capitale et en province pour protester contre la faillite des « pyramides financières » dans lesquelles de nombreux petits épargnants avaient placé leurs économies. Ces institutions promettaient, à la limite de l’escroquerie, des intérêts mensuels de 35 % à 100 %, poussant les particuliers à s’endetter et à vendre leurs biens pour profiter de ces conditions extravagantes. Le président Sali Berisha (conservateur) fait arrêter plusieurs dizaines de responsables de l’opposition communiste, les accusant de vouloir profiter de la situation pour fomenter des troubles. Il promet également de rembourser les épargnants spoliés. Beaucoup restent sceptiques face à cet engagement étant donné l’énormité des sommes englouties. (chrono. 11/02) Algérie Déclaration du président Liamine Zeroual. Alors que les tueries se multiplient dans le pays à l’occasion du ramadan, le chef de l’État s’exprime à la télévision pour dénoncer un « complot » contre l’Algérie qui serait mené avec l’aide de « forces étrangères et de personnalités algériennes ». Il promet « l’extermination » de ces « bandes de criminels, de traîtres et de mercenaires ». Réagissant à ce qu’ils jugent comme une fermeture politique, les dirigeants de l’opposition réclament une véritable initiative venant du pouvoir ou, comme Hocine Haït-Ahmed, leader du Front des forces socialistes (FFS), une médiation américaine. Le 28, Abdelhak Benhamouda, président de la centrale syndicale UGTA (Union générale des travailleurs algériens), proche du président Zeroual, est abattu par des jeunes gens qu’on soupçonne d’appartenir aux GIA (Groupes islamistes armés). Résolument opposé aux islamistes, M. Benhamouda s’apprêtait à créer un parti favorable au pouvoir, qui, à côté du FLN (Front de libération nationale, ex-parti unique), en perte de vitesse dans l’opinion, aurait regroupé les forces syndicales et les anciens combattants. Son assassinat non seulement démontre la capacité de nuisance à tous les niveaux des forces islamistes, mais compromet encore un peu plus la stratégie politique de M. Zeroual. Le 30, Valéry Giscard d’Estaing se déclare favorable à une participation des islamistes aux prochaines élections législatives. Les autorités algériennes réagissent en dénonçant l’« ingérence » française dans les affaires intérieures du pays. (chrono. 5/04) Allemagne/France Rapprochement en matière de défense. Le Monde révèle qu’en décembre 1996 Jacques Chirac et Helmut Kohl se sont mis d’accord sur un « concept stratégique commun » en vue de coordonner les politiques de défense de leurs deux pays. Cette coopération – et cela constitue un fait nouveau – n’est envisagée que dans le cadre européen et atlantique. Les Allemands considèrent que leur protection principale vient des États-Unis, la force nucléaire française (et britannique) n’étant considérée que comme force d’appoint. Par ailleurs, le texte insiste sur la coopération complète entre les deux défenses, qui, à terme, doivent être complémentaires. Les forces françaises ne devraient pas se réserver les missions d’intervention à l’extérieur du théâtre européen, alors que les forces allemandes seraient cantonnées à la défense du territoire continental, face à un ennemi venant de l’Est de plus en plus hypothétique. La publication de ce document provoque en France l’organisation d’un débat à l’Assemblée nationale, au cours duquel l’opposition de gauche reproche au gouvernement d’opérer un virage atlantiste décisif, en rupture avec la politique initiée par le général de Gaulle. Le gouvernement fait observer qu’il négocie avec les Américains un nouveau partage des responsabilités au sein de l’OTAN, notamment pour ce qui est du commandement de la zone sud de l’Europe, basé à Naples. France Enquête ouverte sur la spoliation des Juifs entre 1940 et 1944. Alain Juppé annonce la création d’un groupe de travail qui devra estimer les biens juifs saisis pendant l’Occupation et identifier ceux qui demeurent en la possession d’autorités publiques, notamment les musées. Le Premier ministre déclare à ce sujet : « Plus que d’une démarche morale, il s’agit d’un devoir downloadModeText.vue.download 49 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 48 national. » Cette affaire éclate en France alors que les organisations juives internationales reprochent aux banques suisses d’avoir conservé les richesses saisies par les nazis auprès de leurs victimes. Rugby Deuxième victoire française en Coupe d’Europe. En battant les Anglais de Leicester par 28 à 9, les joueurs de Brive succèdent à ceux de Toulouse au palmarès de la deuxième édition de l’épreuve. Tennis Victoires de Martina Hingis et de Pete Sampras. En battant la Française Mary Pierce, la Suissesse devient, à seize ans, la plus jeune lauréate des Internationaux d’Australie. En l’emportant le lendemain sur l’Espagnol Carlos Moya, l’Américain empoche son deuxième titre à Melbourne et son neuvième dans un tournoi du Grand Chelem. France-Allemagne : pour un « concept stratégique commun » Réunis les 24 et 25 janvier à Aix-la-Chapelle, les parlementaires français et allemands – tous partis politiques confondus – ont pu débattre de la coopération en matière d’armement et commenter le « concept stratégique commun » que le conseil franco-allemand de sécurité et de défense, présidé par Jacques Chirac et Helmut Kohl, avait adopté le 9 décembre 1996 lors du sommet de Nuremberg. En décidant de resserrer les liens en matière de défense, Paris et Bonn ont pris acte des changements intervenus dans le rapport des forces en Europe et ont tiré les conclusions des progrès de l’intégration européenne dans tous les domaines. Toutes choses de nature à rendre les intérêts des deux pays indissociables. Que les deux parties aient fait le constat de la nécessaire convergence de leur politique de défense ne confère pas pour autant une profonde originalité au texte. Ce dernier, même s’il souligne quelques ruptures avec les dogmes gaullistes, présente plutôt une synthèse des orientations déjà perceptibles depuis plusieurs mois. Ainsi, J. Chirac et H. Kohl ont confirmé qu’ils partageaient le même sentiment au sujet de l’élargissement de l’OTAN, jugé inévitable, voire nécessaire ; accord sans ombre aussi quant à la redéfinition des relations avec la Russie, que tous deux ne souhaitent pas isoler. Le concept stratégique commun Concernant les relations bilatérales, Paris et Bonn se trouvent placées sur un pied d’égalité. La France a dû abandonner son statut de puissance victorieuse – une manière pour elle de compenser jusqu’alors son handicap économique par une prééminence stratégique. Sur la question de l’arme nucléaire, propre à perturber cette parité officiellement reconnue, l’Allemagne a fait un pas significatif en se déclarant prête à ouvrir « un dialogue sur le rôle de la dissuasion nucléaire dans le contexte d’une politique européenne de défense ». On peut également lire dans le texte présenté à Aix-la-Chapelle que « la garantie de sécurité ultime des alliés est fournie par les forces nucléaires de l’Alliance, en particulier celles des États-Unis ; les forces nucléaires indépendantes de la France et de la Grande-Bretagne, qui remplissent une fonction de dissuasion propre, contribuent à la dissuasion et à la sécurité globale ». Les inquiétudes nourries par l’Allemagne au sujet de la professionnalisation de l’armée française ont également été apaisées : le texte affirme que les deux parties sont engagées à part égale dans la défense de l’alliance contre un ennemi extérieur ainsi que dans la préservation de la stabilité internationale. L’Allemagne, qui pouvait redouter un partage des tâches peu équitable – les Français assurant les missions « nobles » de rétablissement de la paix et les Allemands se consacrant à la défense territoriale classique – est donc pleinement rassurée. De toute façon, Paris considère qu’une armée de métier est inévitable à terme en Allemagne, même si pour l’heure le sujet reste encore extrêmement sensible. De façon plus générale, le « concept stratégique commun » fait écho à la position défendue par les deux pays dans les négociations sur la révision du traité de Maastricht. Il y est clairement dit que la politique européenne de défense doit être placée sous la responsabilité politique du Conseil européen. Ce qui signifie que l’Union eudownloadModeText.vue.download 50 sur 361 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 49 ropéenne de défense (UEO) devra être intégrée dans l’Union européenne. Un pilier européen de Défense La coopération sur le renseignement stratégique était également au menu du sommet de Nuremberg. Un accord-cadre et deux accords particuliers prévoient l’édification de part et d’autre du Rhin d’un système spatial de reconnaissance stratégique auquel devraient collaborer à terme l’Italie et l’Espagne selon des modalités qui restaient encore à définir. Par ailleurs, Bonn s’est prononcée en faveur du lancement en 1999-2001 de l’industrialisation du système de reconnaissance KZO-Brevel, soit un drone (avion sans pilote) du champ de bataille. De son côté, la France a promis de dégager les crédits nécessaires à l’acquisition des drones de reconnaissance à partir de 2002. En jetant les bases d’un « concept stratégique commun », Paris et Bonn ont réactivé le principe d’une sorte de communauté de défense francoallemande, qui n’est pas sans rappeler le projet du général de Gaulle (1963), mais à cette différence près qu’elle serait désormais placée sous le double parrainage de l’Europe et de l’OTAN. S’il vrai que la France et l’Allemagne parlent d’une même voix dans la CIG, envisagent une stratégie commune, entendent coordonner leurs présidences de l’UEO afin d’accélérer la création d’un « pilier européen de Défense », on rappellera aussi que ce n’est pas la première fois. Il y a quelques années, Paris et Bonn envisageaient déjà de fondre leurs présidences du Conseil européen en une présidence commune. Peu de temps après, il ne s’agissait plus que d’une simple concertation pour assurer la continuité, prélude à l’abandon du projet. Dans le domaine de la Défense, les principes ne trouvent pas à se concrétiser sous forme de projets industriels. Pour des raisons financières, l’Allemagne a écarté sa participation au programme de satellite Horus, projet auquel la France tient particulièrement. Quelques observateurs avisés de la « chose » allemande n’ont pas manqué d’émettre des doutes quant aux capacités de Bonn à résister au lobbysme américain et quant à sa fermeté dans l’affaire du commandement sud de l’OTAN, si d’aventure Washington accentuait sa pression. Quelles que soient les réserves que l’on peut former à l’endroit du parfait synchronisme du tandem franco-allemand, l’affirmation d’une communauté de principes vérifie une constance des relations entre Bonn et Paris : les diffé- rences d’appréciations écartées, il n’existe d’aucun côté du Rhin de solution de rechange à la coopération. P. F. Des intérêts de sécurité indissociables Selon le texte adopte lors du sommet de Nuremberg, Paris et Bonn sont engages à part égale dans la défense de l’alliance contre un ennemi extérieur, comme dans la préservation de la stabilité internationale. Il est ainsi question d’« interopérabilité » et de « rapprochement des structures ». Le chapitre consacré à la coopération en matière d’armement – les industries devant coopérer pour produire du matériel répondant indifféremment aux besoins des deux armées – exprime le même souci de complémentarité. Le document franco-allemand souligne la nécessité pour les deux pays de disposer « de capacités stratégiques de renseignement pour une appréciation indépendante des situations de crise ». 27 Russie Élection présidentielle en Tchétchénie. Aslan Maskhadov, âgé de quarante-cinq ans, est élu président avec 59,3 % des voix, devant Shamil Bassaïev, crédité de 23,5 % des suffrages. Ancien colonel de l’armée soviétique, M. Maskhadov commandait les forces indépendantistes pendant le conflit avec l’armée russe et c’est lui qui a négocié avec Alexandre Lebed l’accord de cessez-le-feu au cours de l’été 1996. Son élection est saluée par Moscou, qui le juge nettement plus modéré que son concurrent Bassaïev. Certains opposants à M. Maskhadov refusent de reconnaître le résultat des élections et menacent de relancer des opérations de terrorisme contre la Russie. Reste également la question centrale de l’indépendance de la République, dont Moscou ne veut pas, officiellement, entendre parler, d’autant que la Tchétchénie est un point de passage obligé pour downloadModeText.vue.download 51 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 50 l’acheminement du pétrole de la mer Caspienne. (chrono. 12/05) 29 France Autodissolution d’un mouvement nationaliste corse. Le FLNC-canal habituel, bras armé du Mouvement pour l’autodétermination (MPA) d’Alain Orsoni, annonce officiellement son autodissolution. Les représentants de cette organisation, qui était en sommeil depuis plusieurs mois, déclarent que « les dérives qui sont apparues, la guerre qui a opposé les différents courants ont largement contribué à faire perdre sa crédibilité à la notion de lutte armée ». Les violences ne devraient pas pour autant s’arrêter dans l’île, d’autres organisations clandestines étant déterminées à continuer leur combat. (chrono. 2/02) 31 Madagascar Confirmation de la victoire de Didier Ratsiraka. Plus d’un mois après le second tour de l’élection présidentielle, les résultats en sont officiellement proclamés : M. Ratsiraka l’emporte avec 50,71 % des suffrages contre son concurrent Albert Zafy. Ancien chef de l’État de 1975 à 1993, M. Ratsiraka a fait campagne sur le projet d’une « république humaniste et écologiste ». Il affirme vouloir lutter contre la pauvreté et organiser un référendum sur la nature unitaire ou fédéraliste du régime. Âgé de soixante-deux ans et souffrant d’un fort diabète et d’une quasi-cécité, M. Ratsiraka n’a été élu, du fait de la forte abstention, que par moins d’un quart des électeurs inscrits. Suisse Levée du secret bancaire dans l’affaire de l’« or nazi ». Suite à une pression des Américains qui avaient formé une commission ad hoc dirigée par Paul Volcker, ancien président de la banque centrale d’outre-Atlantique, les banques suisses acceptent de donner accès à leurs archives aux organisations juives afin de leur permettre de retrouver la trace des familles juives spoliées par les nazis, et dont l’argent avait été déposé dans les coffres de la Confédération. Au même moment, le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, et le président de la Confédération helvétique, Arnold Koller, qui s’étaient rencontrés dans le cadre du forum économique de Davos, décla- raient vouloir aborder ce dossier « dans une atmosphère de coopération et non de confrontation ». Les négociations butent sur le projet de financement d’un fonds d’aide aux victimes de la Shoah à partir des fonds en déshérence détenus par les banques suisses et provenant de familles juives disparues. Le 5 mars, M. Koller annonce la création d’une fondation suisse de solidarité avec, notamment, les victimes du nazisme, dotée de 28 milliards de francs français. (chrono. 7/05) downloadModeText.vue.download 52 sur 361 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 51 FÉVRIER 1 France Licenciement de Gérard Paquet. Le cofondateur et directeur depuis trente-deux ans du Théâtre de la danse de Châteauvallon est licencié après intervention du maire de Toulon, dont dépend Châteauvallon, Jean-Marie Le Chevallier, membre du Front national, et du préfet du Var, Jean-Charles Marchiani, un proche de Charles Pasqua. Après l’élection de M. Le Chevallier à la mairie de Toulon en juin 1995, M. Paquet avait refusé de continuer à recevoir des subventions en provenance de cette municipalité. Un an plus tard, il entrait en conflit avec le préfet qui interdisait, pour des motifs d’ordre public, le passage du groupe de rap Nique Ta Mère, programmé à Châteauvallon. M. Paquet reçoit le soutien du ministre de la Culture, Philippe Douste-Blazy, et de centaines d’artistes, qui se rendent en délégation à Toulon le 13 par le « train de la liberté ». 2 France « Nuit bleue » en Corse. Cinquante-six attentats sont perpétrés dans différentes régions de l’île, marquant ainsi la plus importante opération de ce type depuis 1982. Le FLNC-canal historique revendique l’ensemble de ces attentats afin de prouver qu’il ne désarme pas quelques mois après l’autodissolution du FLNC-canal habituel. 3 France Incarcération de Bernard Tapie. À la veille de l’examen de son pourvoi en cassation contre la condamnation à huit mois de prison ferme dans l’affaire du match de football truqué OM-VA, l’homme d’affaires et député européen est incarcéré à la Santé. Le lendemain, le pourvoi est rejeté et M. Tapie demeure emprisonné. Pakistan Victoire de Nawaz Sharif aux élections. Ancien Premier ministre de 1990 à 1993 et leader de la Ligue musulmane, M. Sharif, quarante-sept ans, est assuré d’avoir enlevé avec sa formation les trois quarts des circonscriptions lors des élections législatives. Le Parti du peuple pakistanais (PPP) essuie une lourde défaite sanctionnant l’échec au pouvoir de sa dirigeante Benazir Bhutto, accusée de corruption et d’incapacité à régler les problèmes économiques du pays. M. Sharif, qui représente les intérêts de la bourgeoisie d’affaires, opposée à la domination des grandes castes, devra impérativement assainir les finances publiques afin de reconquérir la confiance, et le soutien, du Fonds monétaire international (FMI), clarifier les relations de l’État et de l’armée et normaliser les relations du Pakistan avec son voisin indien. Zaïre Défaite des forces gouvernementales. Les autorités de Kinshasa annoncent que les forces armées zaïroises ont perdu le contrôle de Kalémié, un port stratégique situé sur le lac Tanganyika, à l’est du pays. Les rebelles, commandés par LaurentDésiré Kabila, contrôlent désormais une bande de 800 km environ le long des frontières de l’Ouganda, du Rwanda, du Burundi et de la Tanzanie. Alors que le président Mobutu Sese Seko tente de chercher des appuis à l’étranger, notamment au Maroc, Washington demande officiellement à Kampala, Kigali et Bujumbura de ne plus intervenir dans le conflit aux côtés des rebelles. Pris au milieu des combats, des dizaines de milliers de réfugiés hutus errent misérablement à travers les forêts. (chrono. 16/03) Les élections au Pakistan Désenchantement et amertume. C’est ainsi que la presse internationale a résumé les élections générales – renouvellement de l’Assemblée nationale et des Parlements locaux – qui se sont déroulées le 3 février 1997 dans un pays accablé par le sous-développement, bridé par la caste des féodaux et la nomenklatura des militaires, downloadModeText.vue.download 53 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 52 miné par la corruption, ensanglanté par les heurts intercommunautaires. Appelés aux urnes pour la quatrième fois depuis 1988, bon nombre de Pakistanais auront eu le sentiment de choisir entre la peste et le choléra. Les deux principaux candidats ont en commun d’avoir été tous les deux Premier ministre et d’avoir connu l’humiliation d’être destitués par le chef de l’État. Nawaz Sharif, le leader de la Ligue musulmane, a conduit le gouvernement de 1990 à 1993 avant d’être brutalement congédié pour corruption et incompétence. Benazir Bhutto, la présidente du Parti du peuple pakistanais (PPP), s’est trouvée à deux reprises en charge des affaires : une première fois entre 1988 et 1990, et de nouveau entre 1993 et novembre 1996. C’est au nom des mêmes raisons qu’elle dut céder à deux reprises le pouvoir. Camouflet suprême, Benazir Bhutto a été limogée en 1996 par le président Farooq Leghari, celui-là même qui fut l’un de ses plus fidèles alliés. Le retour de Nawaz Sharif Bien que son premier mandat n’ait pas laissé un souvenir impérissable dans la mémoire des Pakistanais, Nawaz Sharif a pourtant réussi à offrir une victoire écrasante à son parti, emportant 134 des 217 sièges que compte le Parlement, devançant donc largement le PPP de Benazir Bhutto, qui a dû se contenter de 18 représentants. Quant à l’outsider haut en couleur, Imran Khan, ancienne vedette du cricket, malgré une virulente campagne menée contre la corruption, il aura perdu la partie : aucun des candidats du parti de la Justice ne siège à l’Assemblée nationale ni dans les assemblées régionales. Nawaz Sharif bénéficiait du soutien du monde des affaires qui s’est souvenu que sur le plan économique il fut un bon Premier ministre ; à l’inverse de Benazir Bhutto dont le bilan économique est jugé désastreux. Sous son règne, le Pakistan a bien failli connaître la banqueroute : une dette extérieure de 28 milliards de dollars, une inflation de 12,3 %, un budget de la Défense représentant 30 % des dépenses de l’État et des réserves de devises en chute libre en 1996. Représentant les aspirations de la haute et moyenne bourgeoisie face à la puissance des grands propriétaires féodaux, symbolisés entre autres par Mme Bhutto, Nawaz Sharif se trouve confronté à une tâche immense : redresser la situation d’un pays surendetté, poursuivre la libéralisation de l’économie et donc regagner la confiance des investisseurs. Mais c’est sans doute sur sa volonté réelle de lutter contre la corruption que le Premier ministre sera jugé. Au cours de la campagne électorale, Nawaz Sharif s’est engagé à renouer le dialogue avec l’Inde : « Nous devons nous asseoir autour d’une même table avec les Indiens afin de trouver une solution au contentieux du Cachemire », avait-il affirmé, ajoutant : « Si l’on dialogue, on est forcé d’arriver à des résultats. » Le Premier ministre a également été invité à donner son sentiment au sujet de l’Afghanistan, notamment sur le point épineux du soutien du Pakistan aux talibans, ces musulmans ultra-traditionalistes au pouvoir à Kaboul depuis 1996. À cette occasion, il a pu avancer que « cette politique devra are révisée car il est hors de question de soutenir une faction afghane contre une autre ». Il reste à savoir de quelle marge de manoeuvre dispose Nawaz Sharif dans un pays aux pouvoirs éclatés, où les services secrets constituent une sorte d’État dans l’État et où les militaires demeurent encore tout-puissants. Si l’on en croit Mme Bhutto, l’espace dont dispose son successeur paraît bien mince, car aucun Premier ministre, selon elle, ne contrôle totalement les différentes institutions. Une démocratisation bien fragile Outre la dégradation de la situation économique, Nawaz Sharif est confronté à la montée d’un terrorisme mystérieux – depuis 1996 des attentats à la bombe ensanglantent la province du Pendjab – et à la persistance de l’affrontement entre des membres de la majorité sunnite et de l’importante minorité chiite. Rien n’incite à l’optimisme. Depuis sa naissance en 1947, le Pakistan, qui devait être le havre des musulmans de l’Empire britannique des Indes, n’est pas parvenu à se forger une identité nationale. Aux clivages religieux s’ajoutent des clivages ethniques – entre Penjabis, Sindhis, Baloutches et Pathans – qui ont des effets délétères sur le moral d’un pays où il paraît impossible de se définir autrement que négativement, c’est-à-dire contre l’ennemi héréditaire indien. Cinquante ans plus tard, c’est peu d’écrire que la situation y est complexe tant le Pakistan illustre l’échec d’un nationalisme fondé sur la seule religion. Le pays a atteint un seuil critique qui fait que les partisans de la démocratie parlementaire semblent acculés à la défensive. Une double menace pèse aujourd’hui sur la nation. downloadModeText.vue.download 54 sur 361 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 53 Le premier danger serait celui d’une solution militaire qui marquerait brutalement la fin de la démocratisation engagée en 1986. Le second serait celui du recours islamiste, qui, lui, sonnerait le glas de la timide modernisation de la société civile. De nombreux électeurs qui se sont rendus aux urnes pour choisir leurs élus parmi les 6 289 candidats disent avoir perdu la confiance en leurs dirigeants, jugent avec sévérité les huit dernières années de la démocratie retrouvée et estiment n’avoir aucun contrôle sur ceux qui les gouvernent. Si un sondage du Herald a pu toutefois mettre en lumière l’attachement de la majorité des électeurs à la démocratie, il reste que ces derniers n’accordent qu’une relative confiance à leur nouveau Premier ministre pour conjurer ce double péril. P. F. Nawaz Sharif Figure-clé du milieu politique pakistanais, conservateur, Nawaz Sharif est né deux ans après l’indépendance. Lui-même homme d’affaires, il est le fils d’un industriel qui, avec ses six frères, avait créé un modeste atelier de machines-outils à Lahore en 1936. Aujourd’hui, l’entreprise familiale emploie quelque 10 000 personnes. Nawaz Sharif doit à l’ex-dictateur Zia Ul Haq, dont il fut le protégé, d’avoir été un ministre en chef de la province du Pendjab. Il accède une première fois au poste de chef du gouvernement en 1990, à l’issue du limogeage de Benazir Bhutto. Toutefois son absence de charisme ne lui pas a permis – contrairement à sa rivale – de devenir une figure médiatique en Occident. 4 France Présentation du projet de réforme de l’Université. François Bayrou, ministre de l’Éducation nationale, propose une réorganisation des DEUG, avec la mise en place de semestres et la création d’un semestre initial d’orientation ; il prévoit également la généralisation d’expériences professionnelles au niveau des deuxième et troisième cycles avec une Charte nationale des stages, et la création d’une allocation sociale d’études, reprenant et simplifiant les aides déjà existantes. L’ensemble des organisations concernées – enseignants, étudiants, personnels – approuve ces projets, mais pose la question des moyens qui seront effectivement alloués à leur concrétisation. Israël Accident meurtrier. 73 soldats d’élite trouvent la mort dans la collision entre deux hélicoptères qui les acheminaient au Liban sud. Cet accident relance la polémique concernant la présence israélienne chez son voisin du Nord. En réalité, le problème trouve sa solution en Syrie, pays qui contrôle toute la vie politique libanaise. Tant que Jérusalem ne se résoudra pas à évacuer le plateau du Golan, Damas continuera à encourager le Hezbollah islamiste à mener des offensives contre Israël à partir de la frontière libanaise, obligeant l’armée israélienne à acheminer des troupes dans la région. Serbie Victoire de l’opposition. Le président serbe Slobodan Milosevic reconnaît la victoire de l’opposition dans 14 villes, dont Belgrade, lors des élections législatives de novembre 1996. La coalition de l’opposition « Ensemble » reste cependant mobilisée, car elle soupçonne le président de se livrer à une manoeuvre dilatoire. En effet, celuici veut faire reconnaître les résultats des élections contestées par une loi votée au Parlement. Cette loi est cependant votée à la quasi-unanimité le 11. Cinq jours plus tard, après une grande fête dans les rues de la capitale, les leaders de « Ensemble » suspendent le mouvement de protestation, mais donnent jusqu’au 9 mars au régime en place pour procéder à une véritable libéralisation de la presse. 5 Chine Émeutes de séparatistes musulmans. Au moins 50 personnes trouvent la mort au cours d’émeutes menées par des activistes de la minorité oïgour (musulmans d’origine turque) à Yining, ville de la province du Xinjiang, au nord-ouest du pays, vers la Mongolie et le Kazakhstan. Dans les jours qui suivent, les autorités procèdent à une centaine d’exécutions. Dans cette vaste région, peuplée seulement downloadModeText.vue.download 55 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 54 de 16 millions d’habitants, les Chinois de l’ethnie Han (principale ethnie chinoise) sont minoritaires. France Manifeste de magistrats. Lancé en octobre 1996 à l’initiative de sept magistrats européens, dont le Français Renaud Van Ruymbeke, l’Appel de Genève, qui dénonce l’impuissance de la justice face à la délinquance financière internationale, est signé par 400 des 6 000 magistrats français. 6 Équateur Destitution du chef de l’État. Élu en juillet 1996, le président Abdala Bucaram est destitué par le Parlement pour « incapacité physique et mentale ». Ancien avocat, chanteur à l’occasion, M. Bucaram, connu pour son extravagance, est surnommé « el loco » (le fou). Élu sur la base d’une campagne populiste, il pratique ensuite une politique de rigueur, imposant des hausses vertigineuses des tarifs des services publics. Son départ entraîne d’abord une confusion à la tête de l’État, mais, finalement, Fabian Alarcon, président du Congrès, est élu par celui-ci président intérimaire jusqu’à l’été 1998. Les observateurs notent la neutralité remarquable des forces armées tout au long de cette crise politique. France Limitation du champ d’application des abus de biens sociaux. À l’occasion de l’examen du pourvoi dans le cadre de l’affaire Botton, la Cour de cassation restreint le champ d’application de l’ABS, en considérant qu’un patron, en l’occurrence M. Serge Crasnianski, P-DG de la société Kis, qui verse un pot-de-vin en vue d’obtenir l’annulation d’un fort redressement fiscal n’est pas répréhensible dans la mesure où il agit pour le bien de son entreprise et non pour son enrichissement personnel. Le champ d’application de l’ABS étant ainsi verrouillé, il ne reste plus à la justice que la possibilité de prouver le trafic d’influence ou le pacte de corruption, ce qui est très difficile, car, par définition, ces transactions sont occultes. Depuis plusieurs années, le CNPF (Centre national du patronat français) cherchait à limiter la portée de l’ABS, défini par une loi de 1935, d’autant qu’une jurisprudence de 1967 avait considérablement allongé son délai de prescription par rapport au droit commun en le faisant démarrer au jour où le délit a pu être constaté et non au jour où il a été commis. France Montée en puissance de la Générale des eaux dans le capital d’Havas. La Compagnie générale des eaux (CGE), dirigée par Jean-Marie Messier, porte à 30 % sa participation au capital d’Havas, le premier groupe français de communication, dirigé par Pierre Dauzier. France Rejet des pourvois dans l’affaire Botton. La Cour de cassation confirme les condamnations à l’encontre de Pierre Botton, Michel Noir, Michel Mouillot et Patrick Poivre d’Arvor. Les trois derniers sont donc reconnus coupables d’avoir profité des avantages consentis à leur endroit par M. Botton, au détriment des sociétés dirigées par ce dernier. À la suite de cet arrêt, M. Noir renonce à son mandat de député de Lyon, tandis que M. Mouillot, incarcéré dans le cadre d’une autre affaire, démissionne de son siège de maire de Cannes. Pour sa part, M. Poivre d’Arvor continue de présenter le journal de 20 heures sur TF1. 7 Belgique/France Retombées du scandale Dassault. Guy Spitaels, ancien ministre et ancien chef du Parti socialiste francophone belge de 1981 à 1992, démissionne de la présidence du Parlement régional wallon. Cette décision fait suite à la levée de son immunité parlementaire décidée dans le cadre de l’affaire Dassault. Il est reproché à l’homme politique d’avoir accepté un pot-de-vin à destination de son parti, de l’avionneur français, qui cherchait ainsi à obtenir deux marchés auprès de l’aviation belge. (chrono. 18/07) 8 Cinéma Palmarès des 22es Césars. Le titre du meilleur film français de l’année va à Ridicule (sur la vie de cour au XVIIIe s) de Patrice Leconte. downloadModeText.vue.download 56 sur 361 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 55 Celui-ci est également désigné meilleur réalisateur, à égalité avec Bertrand Tavernier, pour Capitaine Conan (sur les corps francs de la Première Guerre mondiale). Microcosmos (document sur la vie des insectes) reçoit les distinctions de la meilleure musique de film, de la meilleure photo, du meilleur son, du meilleur montage et du meilleur producteur. Philippe Torreton et Fanny Ardant sont désignés meilleurs acteurs masculin et féminin. 9 France Le Font national remporte la municipalité de Vitrolles. Catherine Mégret, épouse du no 2 du Front invalidé pour cause de dépassement du plafond légal des dépenses électorales, bat le maire sortant, le socialiste Jean-Jacques Anglade, avec 52,48 % des suffrages, au deuxième tour de l’élection partielle. Le FN ajoute ainsi une quatrième ville à son palmarès, et, pour la première fois, à la majorité absolue. L’émotion est grande dans tout le pays, tandis qu’à gauche on se demande s’il était opportun de représenter un maire sortant, mis en examen pour fausses factures et qui s’était progressivement éloigné de la population. Lionel Jospin décide alors de convoquer l’état-major de la fédération socialiste des Bouches-du-Rhône. L’effet Vitrolles Pour la première fois de son histoire, le Front national remporte une élection municipale à la majorité absolue des suffrages. Le retrait du candidat de la droite républicaine au deuxième tour n’aura pas permis à la gauche d’empêcher le succès de Catherine Mégret. En ce début d’année, le Front national revient au coeur du débat politique. En confirmant, le 18 décembre 1996, l’invalidation du maire socialiste sortant, Jean-Jacques Anglade, mis en examen pour une affaire de fausses factures en décembre 1995, et en déclarant inéligible pour un an son challenger, le délégué général du FN, Bruno Mégret (pour avoir dépassé de 9 % le plafond autorisé des dépenses de campagne), le Conseil d’État focalise les projecteurs sur Vitrolles, commune de la périphérie de Marseille, vieux fief de la gauche qui aime, depuis le milieu des années 80, flirter avec les hommes de Jean-Marie Le Pen. Lors des municipales de juin 1995, Jean-Jacques Anglade, pourtant élu au premier tour en 1989, n’avait pu conserver sa mairie qu’à la majorité relative (45,02 % des voix), talonné par Bruno Mégret (42,89 %). Les 2 et 9 février 1997, en dépit du retrait forcé du délégué général du FN représenté par sa femme Catherine qui mène la liste, la donne est différente. Au premier tour, avec 46,69 % des suffrages, elle améliore sensiblement le score de son mari (43,04 % en juin 1995), devance largement le maire sortant (36,99 %) et enfonce confortablement Roger Guichard (16,3 %), le candidat de la majorité. En dépit du retrait de ce dernier, au second tour, le « sursaut républicain » n’aura pas lieu et le 9 février Catherine Mégret avec 52,48 % devient maire de Vitrolles, le premier maire Front national élu à la majorité absolue des suffrages. Pour le parti de Jean-Marie Le Pen, c’est une incontestable victoire, il gère désormais quatre villes et ce dernier succès après Orange, Toulon et Marignane est d’autant plus emblématique qu’il confirme que le « pseudo-front républicain » décrété plus ou moins de mauvaise grâce par la classe politique traditionnelle n’est plus en mesure de mettre en échec un candidat du FN. Une succession de maladresses Test national ou simple péripétie locale ? Sans doute, ne faut-il pas généraliser. Vitrolles n’est pas la France. La victoire par épouse interposée de Bruno Mégret – c’est lui qui, de bout en bout, a mené la campagne – est plus un accident consécutif au mauvais choix du candidat socialiste et aux atermoiements des partis de droite entre les deux tours. Certes, Bruno Mégret laboure cette terre électorale depuis huit ans, sait présenter un « visage » convenable du Front et bénéficie d’une bonne implantation locale. Mais l’incapacité du PS, local et national, empêtré dans ses querelles de rapports de force internes, y est pour beaucoup. En ne s’opposant pas, d’abord, à la candidature de Jean-Jacques Anglade, mis en examen pour « faux et usage de faux », en décembre 1995, et peu apprécié par les Vitrollais (une scission au sein de la section locale socialiste aura même lieu entre les deux tours) ; en n’assumant pas, ensuite, réellement ce choix – Lionel Jospin ne viendra le soutenir que du bout des lèvres entre downloadModeText.vue.download 57 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 56 les deux tours – le PS a ouvert un véritable boulevard au couple Mégret qui a eu beau jeu de dénoncer la corruption de la classe politique. Un des thèmes de prédilection du FN. À cela, il faut ajouter les hésitations de la droite traditionnelle. Passe encore que pour faire barrage au candidat lepéniste, elle ne choisisse pas le meilleur des siens. Mais, à force de s’interroger sur l’opportunité ou non de retirer son candidat au deuxième tour, elle a lassé son électorat. Un électoral que le look polisse de Catherine Mégret n’effrayait pas. Et la confusion qui s’est ensuivie a permis au couple Mégret de jouer sur la connivence gauche-droite. Il est vrai que, pour la majorité de l’époque, le dilemme ressemblait fort à un piège. Fallait-il, au nom du « réflexe républicain », quitte à désespérer son électorat et au risque de faire jurisprudence, retirer, pour la première fois, un candidat en mesure d’être présent au deuxième tour ? Ou bien ne valait-il pas mieux le maintenir pour fixer l’électorat de droite avec l’espoir, compte tenu du rapport de force, d’empêcher le candidat du FN d’empocher une victoire à la majorité absolue dans le cadre d’un duel avec la gauche. Finalement, après avoir mesuré les avantages et inconvénients de l’une et l’autre de ces hypothèses, la droite a préféré faire une « opération d’image » en retirant son candidat et en ne prenant pas le risque de porter le chapeau de l’élection prévisible dans les deux cas de figure du couple Mégret. Une étape pour Bruno Mégret ? Résultat : le 9 février, Vitrolles s’est retrouvée pour la première fois de son histoire de gauche avec une municipalité lepéniste. Un curieux attelage exécutif composé d’un maire fantoche mais élu tout à fait démocratiquement en la personne de Catherine Mégret et d’un conseiller très spécial, véritable maître des lieux, Bruno, son mari. Une élection qui permet au délégué national du Front national de conforter ses positions au sein de son parti et de se poser en véritable challenger de Jean-Marie Le Pen (même si son échec aux élections législatives de juin et les débordements médiatiques de son épouse – qui proclame à la presse allemande sa croyance en l’inégalité des races – handicapent, au moins temporairement, sa stratégie politique de rapprochement avec la droite républicaine). B. M. Le Front à Vitrolles 39 000 habitants. 1/3 de la population a moins de 25 ans. Taux de chômage : 17 %. Législatives, juin 1997, 2e tour : Bruno Mégret, 45,89 %, battu. Municipales, février 1997, 2e tour : Catherine Mégret, 52,48 %, élue. Municipales, juin 1995, 2e tour : Bruno Mégret, 42,89 %, battu. Présidentielle, avril 1995, 1er tour : JeanMarie Le Pen en tête avec 23,67 %. Législatives, mars 1993, 2e tour : Bruno Mégret, 49,52 %, battu. Régionales, mars 1992 : la liste FN en tête avec 28,56 %. Municipales, mars 1989, 1er tour : avec 11,3 %, la liste FN est en 3e position, celle du PS l’emporte. 10 Espagne Reprise des attentats par l’ETA. L’organisation séparatiste basque assassine à Madrid un juge de la Cour suprême et un militaire à Grenade. Ces actions meurtrières, qui font suite à deux autres assassinats en janvier, interviennent alors que la justice espagnole poursuit le parti politique Herri Batasuna, vitrine légale de l’ETA. Il est reproché à cette organisation d’avoir diffusé, lors de la campagne législative de 1996, des vidéos exposant le programme de l’ETA. Les négociations avec le gouvernement semblent ainsi au point mort, car le gouvernement rejette toute discussion avec l’ETA tant que celle-ci n’aura pas renoncé à la violence. 11 Albanie Recherche d’apaisement. Poussé par les députés de sa majorité (Parti démocrate, centre droit), le gouvernement renonce à appliquer l’état d’urgence dans la région de Vlora, au sud du pays. Cette ville avait été, les jours précédents, le théâtre d’émeutes ayant entraîné la mort de trois personnes. Ces troubles avaient pour origine la faillite downloadModeText.vue.download 58 sur 361 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 57 des « pyramides financières » qui promettaient aux nombreux épargnants crédules de fantastiques intérêts mensuels. (chrono. 2/03) 12 Bulgarie Annonce d’élections législatives anticipées. Le nouveau chef de l’État, élu en novembre 1996, le centriste Petar Stoïanov, annonce que des élections anticipées auront lieu le 19 avril. Il marque ainsi la victoire de l’opposition, soutenue par d’importantes manifestations de rue, contre le gouvernement socialiste (ex-communiste) en place jusqu’alors, qui souhaitait aller jusqu’au bout de la législature. Auparavant, il avait nommé un gouvernement intérimaire dirigé par le maire de Sofia, l’UFD (Union des forces démocratiques) Stefan Sofiyanski. (chrono. 19/04) Corée du Nord Défection d’un dignitaire de Pyongyang. Hwang Jang-yop, dignitaire nord-coréen, se réfugie au consulat de Corée du Sud à Pékin. Âgé de soixante-treize ans, longtemps chargé de l’idéologie, le transfuge, qui a demandé officiellement l’asile politique aux autorités de Séoul, reproche aux partisans de Kim Jong-il d’avoir « bâti une utopie de régime alors que les ouvriers et les paysans meurent de faim ». Cette affaire embarrasse Pékin et Séoul et révèle la fragilité du pouvoir du fils de Kim Il-sung, qui n’a pas réussi à complètement s’affirmer depuis la mort de son père, en 1994. Le 15, un dissident nord-coréen établi à Séoul est assassiné, selon toute vraisemblance par des agents du Nord, à titre d’avertissement. (chrono. 8/04) 13 Birmanie Offensive contre les Karens. Des milliers de réfugiés karens (minorité tibéto-birmane) affluent vers la Thaïlande, alors que l’armée de Rangoon intensifie son offensive contre les positions de l’Union nationale karène (KNU). Depuis 1995, la rébellion a subi de sérieux revers, perdant plusieurs places fortes et son contrôle sur la région productrice de bois de teck, source importante de son financement. (chrono. 22/04) Une nouvelle vie pour le télescope Hubble Près de sept ans après sa mise en orbite et un peu plus de trois ans après avoir été corrigé de sa « myopie » par des astronautes venus le réparer dans l’espace, le télescope Hubble reçoit à nouveau la visite d’un équipage de la navette américaine. Révisé et modernisé, entre le 13 et le 18 février, il est paré pour une nouvelle moisson de découvertes. Plus de 100 000 images transmises, à l’origine de quelque 5 000 publications scientifiques : le bilan des observations déjà effectuées par le télescope spatial Hubble est véritablement impressionnant. Il s’en est pourtant fallu de peu que l’instrument, dont les astronomes ont si longtemps rêvé avant de pouvoir enfin l’utiliser, ne puisse remplir correctement sa mission. Peu après sa mise en orbite autour de la Terre, à 600 km environ d’altitude, par la navette américaine, en avril 1990, on découvrait, en effet, qu’une erreur de polissage de son miroir de 2,40 m de diamètre empêchait celui-ci de concentrer convenablement la lumière. À ce handicap majeur s’ajoutaient des tremblements du satellite, provoqués par des déformations de ses panneaux solaires lors de leur passage du jour à la nuit, et des perturbations de ses enregistreurs de bord par des particules chargées emprisonnées dans l’une des « ceintures de rayonnement » terrestres. Tout devait heureusement rentrer dans l’ordre avec la réparation dans l’espace du télescope, en décembre 1993. En particulier, l’installation d’un dispositif optique correcteur permit alors de compenser le défaut de courbure du miroir. Des images exceptionnelles Depuis, Hubble comble tous les astronomes au-delà de leurs espérances. Scrutant l’Univers du système solaire aux astres les plus lointains, il transmet des images d’une finesse downloadModeText.vue.download 59 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 58 exceptionnelle, qui ont permis une moisson de découvertes. On lui doit, par exemple, des informations capitales pour une meilleure compréhension de la genèse des galaxies. En révélant l’existence d’une multitude de galaxies très lointaines, donc très jeunes, rassemblées en grappes, qui ont une forme irrégulière et paraissent très perturbées, il a apporté la preuve que l’Univers primitif était chaotique, que les interactions de galaxies y étaient plus fréquentes qu’aujourd’hui et que la morphologie des galaxies (avec, par exemple, des bras spiraux) s’est développée ultérieurement. Hubble a mis aussi en évidence plusieurs spécimens de lentilles gravitationnelles, ces objets massifs qui permettent de voir des galaxies situées au-delà, dont ils infléchissent la lumière. Ses observations ont confirmé la présence de trous noirs géants au centre de certaines galaxies et le fait que les quasars sont les noyaux de grandes galaxies lointaines, extrêmement lumineuses et très perturbées. Certaines de ses observations spectrales ont révélé que de nombreux nuages, constitués principalement d’hydrogène, s’interposent entre les quasars et notre galaxie. Enfin, les données recueillies par Hubble ont fait une nouvelle fois rebondir le débat sur l’âge de l’Univers : alors que les cosmologistes semblaient désormais s’accorder pour estimer à une quinzaine de milliards d’années le temps écoulé depuis le big bang, les évaluations déduites des observations du télescope spatial confèrent à l’Univers un âge d’une douzaine de milliards d’années seulement. À l’intérieur de notre galaxie, Hubble a fourni des images saisissantes de « maternités » stellaires, montrant des étoiles en train d’éclore au coeur d’immenses nuages de matière interstellaire. D’autres clichés révèlent la structure étonnamment complexe de nébuleuses issues d’éjections successives de matière par des étoiles à l’agonie ou de l’explosion finale d’étoiles massives. Dans le système solaire, Hubble a inscrit à son actif la première cartographie de Pluton, la planète la plus éloignée du Soleil, et de fantastiques clichés des autres planètes, notamment de Mars et de Jupiter, qui ont permis de très instructives comparaisons avec ceux recueillis antérieurement par des sondes spatiales, en particulier pour l’étude des phénomènes sur ces planètes. Deux nouveaux instruments L’un des atouts de Hubble est d’avoir été conçu pour être réparé et modernisé dans l’espace. C’est ainsi que la mission du satellite a pu être sauvée en 1993. Cette année, l’intervention d’un équipage d’astronautes s’inscrivait dans le cadre des opérations périodiques d’entretien prévues dès l’origine. Il s’agissait de remplacer des dispositifs de service défectueux et de doter le télescope d’équipements plus performants. Ce travail de maintenance a nécessité cinq sorties extra-véhiculaires d’une durée totale de 33 h 11 min. Lors de la première, deux nouveaux instruments scientifiques ont été installés au foyer du télescope : 1°) le spectrographe imageur STIS (Space Telescope Imaging Spectrograph) à très grande capacité de résolution ; 2°) le système d’observation NICMOS (Near Infrared Camera and Multi-Object Spectrometer), qui ouvre à Hubble un nouveau domaine d’investigation avec ses trois caméras associées à un spectromètre, qui opèrent dans le proche infrarouge, entre 0,8 et 2,5 micromètres de longueur d’onde. Moins complexes, les quatre sorties suivantes ont été consacrées au remplacement de plusieurs équipements de service. En particulier, un enregistreur de données à bandes magnétiques a été remplacé par une « mémoire solide » qui porte de 1,2 à 12 gigabits la capacité de stockage de données a bord du satellite. De même, l’un des trois capteurs de guidage optique a été remplacé par un modèle de nouvelle génération, qui permet au télescope de pointer une cible et de la conserver dans son champ de vision avec une stabilité telle qu’il pourrait maintenir un faisceau laser braqué sur une pièce de 1 franc située à 1 000 km de lui. Lors de leur ultime intervention, les astronautes ont réparé la protection thermique du télescope, dont une inspection avait révélé la dégradation par endroits. Hubble, ainsi « remis à niveau », poursuit maintenant son exploration du ciel en attendant sa prochaine révision, à la fin de 1999. P. DE LA C. De Hubble au NGST Deux autres missions d’entretien du télescope spatial Hubble sont prévues. La première, en 1999, pour installer une caméra plus performante et des panneaux solaires neufs, ainsi que pour rehausser l’orbite du satellite. La seconde, en 2002, pour installer downloadModeText.vue.download 60 sur 361 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 59 au foyer un nouvel instrument non encore déterminé et pour maintenir le télescope opérationnel au moins jusqu’en 2005. Après quoi, la relève sera assurée par un télescope de nouvelle génération, le NGST (New Generation Space Telescope). Celui-ci pourrait posséder un miroir déployable de 6 à 8 m de diamètre et être placé en orbite à 1,5 million de kilomètres de la Terre, à l’un des points de Lagrange du système Terre-Soleil. 14 Bosnie Arbitrage entre Croates, Musulmans et Serbes. La Cour d’arbitrage internationale attribue aux Serbes, pour une durée supplémentaire de treize mois, la ville de Brcko, située au nord de la Bosnie. Toutefois, cette ville disputée entre les trois communautés sera placée sous l’autorité d’un superviseur américain. Celui-ci devrait, théoriquement, garantir le retour dans la ville des réfugiés croates et musulmans d’ici à l’arbitrage définitif prévu pour mars 1998. F1 Rachat de Ligier par Alain Prost. Le quadruple champion du monde rachète la firme française à Flavio Briatore et signe un accord de partenariat avec Peugeot, qui équipera les voitures de son écurie à partir de 1998 (elles continueront à rouler avec un moteur Honda pendant la saison 1997). La nouvelle société s’appellera Prost Grand Prix et l’écurie Prost-Peugeot. 15 Télécommunications Ouverture à la concurrence. Sous l’égide de l’OMC (Organisation mondiale du commerce), les délégués de 68 pays représentant 90 % du marché mondial (soit 800 milliards de dollars) s’accordent à Genève pour renoncer à leurs monopoles sur leurs services de télécoms et pour autoriser les opérateurs à intervenir sur d’autres marchés que leur marché national. Impulsé par les États-Unis, ce mouvement de libéralisation économique pousse les grands opérateurs à se concentrer, comme l’ont fait récemment le britannique BT et l’américain MCI ou le français France Télécom, l’allemand Deutsche Telekom et l’américain Sprint. 17 Tadjikistan Libération des otages. Détenus depuis deux semaines, les 14 otages (membres de l’ONU, de la Croix-Rouge, journalistes et le ministre tadjik de l’Intérieur) sont libérés par les rebelles du groupe Bakhrom Sadirov. Certains observateurs émettent des doutes sur la nature de ce groupe, qui semblerait manipulé en sous-main par Moscou. Les Russes chercheraient à travers lui à diviser l’opposition islamiste au régime du président en place, Imamoli Rakhmonov. Voile Victoire de Christophe Auguin. Le skipper granvillais remporte le Vendée Globe Challenge et bat en 105 jours 20 heures 31 minutes et 23 secondes le record de cette épreuve de navigation en solitaire autour du monde sans escale et sans assistance (détenu depuis 1990 par Titouan Lamazou en 109 j 8 h 48 min et 50 s). Cette troisième édition de la course a été marquée par plusieurs abandons, trois sauvetages périlleux dans le Pacifique sud et par la disparition du marin canadien Gerry Roufs. 19 Chine Mort de Deng Xiaoping. Le successeur de Mao Zedong meurt à Pékin à l’âge de quatre-vingt-douze ans. Fils d’un hobereau du sud-ouest de la Chine, il est envoyé en France à seize ans pour s’ouvrir à l’Occident. Il y travaille dans différentes usines, y fait la connaissance de Zhou Enlai et adhère au Parti communiste en 1924. Recherché par la police, il quitte la France pour Moscou où il fréquente l’école des cadres du Komintern. Il rentre en Chine en 1926, devient secrétaire du Comité central du PC l’année suivante et fait la connaissance de Mao, dont il devient vite très proche, lui restant fidèle lors de l’éclipse politique de celui-ci en 1933. PendownloadModeText.vue.download 61 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 60 dant la guerre contre le Japon puis contre les troupes de Tchang Kaï-chek, il est un des chefs militaires communistes les plus efficaces. Après la création de la République populaire, il dirige d’abord sa région natale puis devient vice-Premier ministre chargé de l’Économie aux côtés de Zhou Enlai. Il critique à mots couverts la politique du « Grand Bond en avant » de Mao, à la fin des années 50, et s’efforce d’en limiter les conséquences désastreuses. Il le paye sous la Révolution culturelle en 1966, accusé d’être « le numéro 2 engagé sur la voie capitaliste ». Il est exilé loin de Pékin jusqu’en 1973, quand Mao le rappelle pour remettre de l’ordre dans un pays dévasté. Après la mort du « grand timonier » en 1976, Deng manoeuvre habi- lement, d’abord pour éliminer la faction gauchiste menée par la veuve du leader défunt puis pour remplacer au bout de deux ans Hua Guofeng, le successeur désigné à la tête du Parti. Arrivé au pouvoir suprême, Deng s’attache aussitôt à réparer les plus graves excès du maoïsme (libération des intellectuels emprisonnés) et à installer progressivement les règles du jeu capitaliste en Chine, à l’exclusion de la démocratie politique. Tout en proclamant qu’il « est glorieux de s’enrichir », il s’oppose avec vigueur (et de nombreux emprisonnements) à tous ceux qu’il considère comme des tenants du « libéralisme bourgeois ». En 1989, il cautionne la répression sanglante du « printemps de Pékin », au cours duquel des centaines de milliers de manifestants réclament la démocratisation du pays. Avant de se retirer progressivement de toute vie publique, il impose en 1992 à la tête du Parti Jiang Zemin, homme de compromis entre les différentes factions conservatrices du PCC. Le 24, la dépouille de Deng Xiaoping est incinérée devant une assistance volontairement réduite afin de prévenir tout risque de manifestation. 20 France Drame dans le Pas-de-Calais. Quatre jeunes filles, qui s’étaient rendues au carnaval traditionnel du Portel, sont découvertes assassinées et enterrées dans une dune à une quinzaine de kilomètres au sud de Boulogne-sur-Mer. Deux frères habitant la région, des ferrailleurs déjà condamnés pour meurtre et viol, sont arrêtés. Quelques mois après l’affaire Dutroux en Belgique toute proche, l’émotion est intense et l’on entend des voix réclamer le rétablissement de la peine de mort ou, tout au moins, un réexamen du contrôle et du traitement postcarcéral des délinquants sexuels. 21 France Changement de direction au Club Méditerranée. Serge Trigano, le fils du fondateur, est remplacé à la tête de l’organisation de vacances par Philippe Bourguignon, l’homme qui a relancé Euro Disney. Ce remplacement marque la fin d’une dynastie et, plus largement, le contrôle accru des actionnaires sur la marche des entreprises à direction familiale. En un an, le titre Club Méditerranée avait perdu 30 % de sa valeur. 22 France Manifestation à Paris contre la loi Debré. Entre 80 000 et 100 000 personnes défilent à Paris pour protester contre la loi du ministre de l’Intérieur, JeanLouis Debré, sur le contrôle des étrangers résidant en France, et particulièrement contre la disposition prévoyant pour les personnes hébergeant des étrangers (venant de pays pour lesquels la demande d’un visa d’entrée en France est requise) l’obligation de déclarer le départ de leurs hôtes quand ceux-ci cessent d’habiter chez eux. Le gouvernement socialiste avait institué en 1982 l’obligation du certificat d’hébergement, mais l’obligation supplémentaire de déclarer la fin de cet hébergement conduit de façon obligée à l’institution d’un fichier des personnes hébergeantes, ce qui est jugé gravement attentatoire aux libertés. De fait, un sondage indique que, si la majorité des personnes interrogées approuve la loi Debré, une majorité d’entre elles déclare aussi éprouver de la sympathie pour les manifestants. Devant l’ampleur du mouvement, impulsé par une série de pétitions signées par des cinéastes puis par des intellectuels et des artistes, le gouvernement accepte de modifier son texte. Le président RPR de la commission des Lois à l’Assemblée nationale, Pierre Mazeaud, éprouve de grandes difficultés à imposer le moindre changement à la fraction la plus dure de la majorité, qui entend rester au plus près des demandes sécuritaires exprimées par le Front national. Il parvient cependant à faire adopter un downloadModeText.vue.download 62 sur 361 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 61 amendement faisant porter à l’étranger hébergé l’obligation de déclarer son départ de chez l’hébergeant ; par ailleurs, l’amendement transfère des maires aux préfets la compétence en matière de délivrance des certificats d’hébergement. La loi Debré sur l’immigration Utilisant le prétexte de l’affaire des « sans-papiers » de l’église Saint-Bernard au cours de l’été 1996, le ministre de l’Intérieur Jean-Louis Debré a su imposer une nouvelle loi sur l’immigration, plus répressive encore que celle présentée par son prédécesseur, Charles Pasqua. L’arrivée inattendue de la gauche au pouvoir en juin 1997 remet tout en question. Moins de quatre ans après la loi Pasqua, voilà la loi Debré « portant diverses dispositions relatives à l’immigration ». En quinze ans, c’est la dixième modification de l’ordonnance de 1945 sur les étrangers ! Objectif avoué du ministre de l’Intérieur : parvenir à l’immigration irrégulière zéro afin de « réussir l’intégration que l’on ne peut mener à bien à frontières ouvertes ». La philosophie gouvernementale en la matière est ainsi exposée : « fermeté » à l’encontre de l’immigration clandestine ; « humanisme » à l’égard de certains sans-papiers. En réalité, à dix-huit mois des législatives que personne, à l’époque, ne soupçonne anticipées, l’objectif est de contrer le Front national sur l’un de ses terrains de prédilection en montrant la détermination en la matière d’un gouvernement déjà mal en point dans les sondages. L’examen de ce texte au Parlement sera révélateur de l’état d’esprit de la classe politique. D’un côté, une majorité inquiète sur son avenir et qui n’hésitera pas à durcir le texte initial pour tenter de séduire les voix lepénistes ; de l’autre, une gauche, socialiste notamment, étrangement gênée aux entournures. Ainsi, c’est dans un hémicycle quasi déserté par les députés socialistes que l’Assemblée nationale adoptera, en première lecture, et en dépit des efforts méritoires du RPR Pierre Mazeaud, président de la commission des Lois, pour contrer la surenchère sécuritaire, un texte allant au-delà de ce que souhaitait le gouvernement d’Alain Juppé. Des dispositions contestées Les principales dispositions de la loi touchent à cinq domaines. Le certificat d’hébergement : Délivré par les préfets, il est indispensable pour obtenir un visa de visiteur et doit être remis aux autorités de police lors de la sortie du territoire. Les contrôles de police : Les policiers sont autorisés à effectuer une « visite sommaire » des véhicules non particuliers dans une bande de 20 Km autour des frontières de Schengen. Le passeport : Il peut être retiré à un étranger en situation irrégulière. Les empreintes : La loi en autorise le relevé et la mémorisation des étrangers non européens sollicitant un titre de séjour. Le retrait du titre de séjour : La carte de séjour provisoire d’un an comme celle de résident de dix ans peuvent être retirées par l’autorité admi- nistrative à toute personne employant un étranger sans titre de séjour. La réaction de la rue Le « sursaut citoyen » viendra de 59 cinéastes. Leur appel à la « désobéissance civique » contre cette loi « liberticide » qu’ils n’hésitent pas à comparer aux lois antijuives de Vichy (notamment à propos de la constitution d’un fichier de demandeurs d’asile et des certificats d’hébergement) sera à l’origine d’une mobilisation sans précédent. Des dizaines de milliers de Français, lycéens, intellectuels, médecins... signeront des pétitions pour réclamer le retrait de ce texte et, le 22 février, ils seront plus de 100 000 à manifester dans les rues de Paris. La gauche tentera de raccrocher les wagons, de réparer ce « loupé » d’abord lors de l’examen du texte par le Sénat en faisant monter au créneau l’une de ses figures emblématiques, l’ancien garde des Sceaux, Robert Badinter ; ensuite, en saisissant le Conseil constitutionnel après l’adoption de la loi par le Parlement, le 26 mars. Le 23 avril, les neuf « sages » censureront deux dispositions de la loi en rejetant les mesures d’accès des policiers au fichier d’empreintes des demandeurs d’asile et en s’opposant au non-renouvellement de la carte de résident de dix ans en cas de « menace pour l’ordre public ». JeanLouis Debré saluera dans cette décision un « sucdownloadModeText.vue.download 63 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 62 cès pour le gouvernement », alors que la gauche estimera le texte toujours « contraire aux principes de la République ». B. M. La loi en six dates 3 avril 1996. Une commission d’enquête parlementaire sur l’immigration clandestine adopte un rapport durcissant la loi Pasqua. Principales mesures : relevé des empreintes digitales de tous les demandeurs de visa, réduction de l’accès aux soins pour les étrangers en situation irrégulière et allongement significatif du délai de rétention administrative. 23 août 1996. Seulement 8 expulsions effectuées après l’évacuation par la police de 300 « sans-papiers » africains occupant l’église Saint-Bernard, à Paris, depuis le 23 juin, confortent le ministre de l’Intérieur dans l’idée de renforcer les lois Pasqua. 6 novembre 1996. Jean-Louis Debré annonce le dépôt d’un projet de loi « équilibré » réformant l’ordonnance de 1945 sur les étrangers. Il propose de régulariser la situation de certains étrangers non expulsables tout en durcissant les conditions d’entrée et les moyens de contrôle des étrangers. Le pouvoir des policiers en la matière est accru. 22 février 1997. Plus de 100 000 personnes manifestent à Paris contre le projet de loi jugé « liberticide ». À l’origine de ce mouvement, l’appel à la désobéissance civile lancé par 59 cinéastes. 25 avril 1997. Adoptée par le Parlement après correction du Conseil constitutionnel, la loi est publiée au Journal officiel. 19 juin 1997. Dans son discours de politique générale, Lionel Jospin, Premier ministre, réaffirme que le droit du sol est « consubstantiel à la nation française » et remet ainsi en cause la loi Debré, dont sa majorité réclame l’abolition. 25 Corée du Sud Excuses du président. Kim Young-sam présente ses excuses à la nation pour l’implication de son fils, d’un ministre et de trois parlementaires dans le scandale financier du conglomérat sidérurgique Hanbo. Ce groupe avait reçu des prêts sans intérêt contre le versement de pots-devin. Le lendemain, le Premier ministre Lee Soo Sung présente sa démission. Il est remplacé par Koh Kun, dont la nomination indique la volonté du président de se dégager de l’influence des courants les plus conservateurs du NKP (Parti de la nouvelle Corée). 26 France Confirmation de la suspension d’Olivier Foll. La Cour de cassation rejette le pourvoi du directeur de la police judiciaire de Paris qui avait été suspendu de ses fonctions pour avoir ordonné aux policiers de ne pas assister le juge Éric Halphen alors que celui-ci s’apprêtait à effectuer une perquisition au domicile du maire de Paris, Jean Tiberi. Malgré cette décision de justice, le ministre de l’Intérieur, Jean-Louis Debré, maintient sa confiance à M. Foll, qui garde ses fonctions alors que son habilitation d’officier de police judiciaire lui est retirée pour six mois. Proche-Orient Implantations juives dans le quartier arabe de Jérusalem-Est. Le gouvernement de Benyamin Netanyahou donne son accord à l’extension des quartiers juifs de Jérusalem-Est avec la construction de 6 500 logements en lisière de la partie arabe de la Ville sainte. Aussitôt, les autorités palestiniennes protestent et reçoivent l’appui de Washington et des capitales européennes qui condamnent la décision des autorités israéliennes. Yasser Arafat brandit alors la menace de déclarer unilatéralement l’indépendance de l’État palestinien. 27 France Les dirigeants de Bouygues mis en examen. Martin Bouygues, P-DG du groupe de BTP, et Patrick Le Lay, P-DG de TF1 et ancien dirigeant de Bouygues, sont mis en examen et sous contrôle judiciaire. Ils sont soupçonnés d’avoir monté un système de downloadModeText.vue.download 64 sur 361 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 63 fausses factures avec une société d’études, la Cerail. Les magistrats supposent que les sommes versées par la firme Bouygues à cette société auraient été destinées à des pets-de-vin pour l’obtention de marchés à l’étranger. TF1 aurait également versé de l’argent à la Cerail. Sciences Création d’un mouton cloné. La revue anglaise Nature publie le compte rendu d’une équipe de chercheurs d’Édimbourg, dirigée par Ian Wilmut, qui a réussi au cours de l’été 1996 le premier clonage d’un mammifère adulte, en l’occurrence une brebis nommée « Dolly ». Ils ont procédé de la façon suivante : mise en culture de cellules provenant de la glande mammaire d’une brebis, prélèvement d’ovules d’autres brebis, vidés ensuite de leurs chromosomes, refroidissement des ovules soumis ensuite à un champ électrique pour les rendre perméables à l’entrée de la cellule prélevée sur la brebis donneuse, en lieu et place d’un spermatozoïde, implantation dans une brebis porteuse de l’ovule contenant la cellule, naissance d’une brebis rigoureusement identique à la brebis donneuse de la cellule initiale. Cette expérience, qui à nécessité 300 tentatives, ouvre des perspectives nouvelles aux éleveurs d’ovins, mais aussi de bovins, qui pourraient ainsi reproduire à l’identique les meilleures bêtes. Elle pourrait également servir de base à la production d’animaux transgéniques dotés de gènes humains pour leur faire produire des protéines-médicaments. Certains craignent cependant que ces nouvelles formes de manipulation génétique soient appliquées à l’homme, notamment en matière de traitement de la stérilité masculine, malgré l’interdiction de principe du clonage humain. Le jour même, Jacques Chirac saisit le Comité d’éthique pour les sciences de la vie sur les problèmes du clonage des mammifères, tandis que, le 4 mars, Bill Clinton réclame un moratoire volontaire sur le clonage humain et annonce qu’il s’opposera à tout versement de fonds fédéraux destinés aux recherches de ce type. 28 France Fermeture d’une usine Renault en Belgique. Louis Schweitzer, président de Renault, annonce la fermeture d’une usine près de Bruxelles pour l’été 1997, ce qui devrait entraîner la disparition de 3 100 emplois. Il justifie cette décision par la volonté de spécialiser chaque site dans la production d’un type de véhicule et par la nécessité de préserver l’ensemble du groupe, dont les pertes pour l’exercice 1996 se montent à 4,5 milliards de francs. Le Premier ministre belge, Jean-Luc Dehaene, proteste contre cette décision. Le 5 mars, Alain Juppé reçoit M. Schweitzer et l’enjoint de se concerter avec les autorités belges. L’entreprise, dont l’État est actionnaire à hauteur de 46 %, annonce par ailleurs la suppression de 2 700 emplois en France. (chrono. 7/03) Turquie Le gouvernement sous surveillance de l’armée. Le Conseil national de sécurité (MGK), organe réunissant les plus hautes autorités civiles et militaires du pays, exige que le gouvernement islamiste de Necmettin Erbakan respecte le principe de la laïcité de l’État et prenne 20 mesures propres à garantir celleci (mise en application stricte de la législation sur la laïcité en matière de vêtement, contrôle des confréries et de la presse islamiste, etc.). Le 3 mars, le Premier ministre déclare refuser d’appliquer ce train de mesures et rappelle que « le gouvernement est formé par le Parlement, pas par le Conseil national de sécurité ». Il finit cependant par s’incliner, mais sort affaibli politiquement de l’épreuve, les partis d’opposition comme Mme Tansu Ciller, son alliée dans la coalition gouvernementale, ayant exprimé leur désaccord avec sa position. (chrono. 18/06) downloadModeText.vue.download 65 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 64 MARS 2 Albanie État d’urgence. Face à l’insurrection qui a éclaté dans les villes du sud du pays et après la démission, la veille, du Premier ministre, le Parlement réuni en session extraordinaire décrète l’état d’urgence sur tout le territoire. Les violences ont déjà causé la mon de 13 personnes mais la tension ne semble pas devoir retomber, malgré l’assurance réitérée par les autorités que les épargnants spoliés seront remboursés. La plupart des observateurs doutent en effet de la capacité des institutions financières albanaises à honorer de tels engagements. Plus d’un demi-million de personnes ont été ruinées par les « pyramides financières », qui promettaient des intérêts mensuels mirobolants avant de tomber en faillite. À l’occasion de cette crise ressurgit la traditionnelle coupure entre le nord et le sud du pays, entre les Guègues septentrionaux (musulmans et catholiques) et les Tosques méridionaux (musulmans et orthodoxes). Les habitants du Sud reprochent au président nordiste Sali Berisha de favoriser les Albanais d’origine guègue et d’avoir renvoyé vers le Sud nombre de fonctionnaires tosques, fidèles au régime de l’ancien dirigeant sudiste et marxisteléniniste Enver Hoxha. (chrono. 9/03) La crise albanaise L’Albanie s’est enfoncée dans le chaos. Les faibles structures de l’État n’ont pas résisté à la colère d’une population spoliée par l’effondrement des « pyramides financières », de fragiles constructions spéculatives qui tenaient lieu de système bancaire. Au-delà du sort des 3,5 millions d’habitants de l’Albanie, c’est une fois de plus la stabilité dans les Balkans qui aura été en cause. On se souvient de la formule de Saint-Simon au lendemain de l’effondrement de la Banque royale de Law : « Une infime minorité enrichie par la ruine de l’ensemble de la population. » Mais comparaison n’est pas raison, car la banqueroute provoquée par celui qui fut contrôleur général des Finances du Régent aura trouvé au pays des aigles un avatar autrement plus dramatique. Les pyramides du chaos Pour une population dont le revenu moyen mensuel moyen ne dépasse pas 70 dollars, l’augmentation des dividendes promise – de 35 % à 100 % par mois – paraissait être le seul moyen de sortir de la misère. Aussi, saisis par la fièvre de l’enrichissement rapide, près du tiers des Albanais (et 80 % des foyers) ont investi leurs maigres économies, le produit de la vente de leurs troupeaux, voire de leurs appartements, ainsi que l’argent envoyé par leurs enfants immigrés en Grèce ou en Italie. Quand bien même certains déposants ne méconnaissaient pas la fragilité de ces investissements, ils pensaient toutefois pouvoir les liquidera temps. Pour les autres, le spectacle de l’enrichissement instantané de leurs voisins, tout comme l’apparente pérennité de ces pyramides – nombre d’entre elles existaient depuis plus de deux ans – tenaient lieu de garanties. Au total, près de 1 milliard de dollars, soit environ le tiers du produit national brut, a été englouti dans ces pyramides. Dès les premiers jours de l’année, les établissements les plus fragiles se sont retrouvés en cessation de paiements. Très vite les rêves de dividendes mirifiques ont fait place au cauchemar et le gouvernement s’est trouvé confronté à la colère des épargnants grugés qui lui reprochaient à la fois d’avoir couvert les escrocs et d’empêcher que soient pratiqués les taux insensés offerts par le groupe Populli et par d’autres. Début mars, après avoir pillé et incendié la résidence de fonction du président Sali Berisha à Vlora, les manifestants ont menacé de marcher en armes sur Tirana si le pouvoir n’acceptait pas de « rembourser à 100 % les épargnants ruinés » ; un ultimatum diffusé par la télévision albanaise. En quelques semaines, la carte du pays s’est couverte de foyers insurrectionnels : à Gjirokaster, des inconnus masqués ont attaqué la préfecture de police et se sont emparés des armes sans que celle-ci n’intervienne ; à Saranda, un millier de protestataires ont mis le feu aux bâtiments de la police, du SHIK (police secrète), du tribunal et à de nombreux magasins. Des scènes iden- tiques se sont déroulées à Himara, à Delvina, à Levan. Dans tout le sud de l’Albanie, les manifestants ont établi des barrages, empêchant jour et nuit toute circulation. Face au chaos, le Parlement, réuni en session extraordinaire, a downloadModeText.vue.download 66 sur 361 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 65 voté le 2 mars l’état d’urgence dans l’ensemble du pays. Un couvre-feu a été instauré entre 20 heures et 7 heures, et les rassemblements de plus de quatre personnes ont été interdits. Devant l’anarchie et la multiplication des violences, les ambassades occidentales ont commencé, le 13 mars, à organiser le départ de leurs ressortissants. La nomination d’un gouvernement de « réconciliation nationale », conduit par le socialiste Bashkim Fino, n’aura eu aucun effet sur la population, uniquement préoccupée par sa sécurité alors que la folie des armes s’est emparée du pays : presque chaque citoyen possède alors au moins une arme. Une incroyable confusion dont témoigne la manière dont Tirana a basculé dans le camp de l’insurrection. Le premier dépôt d’armes, celui de l’Académie militaire, a été ouvert par la police secrète ; celle-ci a ensuite livré d’autres dépôts aux civils avant que la panique ne pousse ces derniers à se lancer à l’assaut de n’importe quelle réserve d’armes. De toute évidence, les derniers remparts du régime – soldats et policiers – ont déserté leurs postes. Tout aussi invisibles, les gardiens de prison ont abandonné les maisons d’arrêt, entraînant la fuite immédiate d’un millier de détenus. Le bâtiment de la présidence albanaise a été balayé par des rafales d’armes automatiques tandis que des hommes s’affrontaient sur le boulevard principal, personne ne pouvant prétendre connaître l’enjeu de ces accrochages. En vérité, que ce soit dans les villes du Nord ou dans celles du Sud, nul ne sait pourquoi il s’est emparé d’un fusil. L’atonie du pouvoir en place Que s’est-il passé en Albanie ? Qui étaient les émeutiers ? Quelles étaient leurs revendications ? De toute évidence, le président Sali Berisha et ses partisans ont payé le prix de l’effondrement de l’autorité de l’État. La disparition du totalitarisme a laissé la place à l’invraisemblable coalition des communistes et de la mafia albanaise dont les liens d’allégeance avec le crime organisé en Italie sont avérés. Contrairement à l’image qu’en ont donnée les médias, la crise albanaise ne doit rien à un prétendu romantisme révolutionnaire, tel celui qui nimbait la sierra Maestra de Fidel Castro dans les années 60. Ceux qui se sont emparés d’armes, qui ont pillé les magasins ne sont pas le « peuple », mais bien plutôt une foule manipulée par la mafia et les communistes. Et c’est pour n’avoir pas su affirmer suffisamment son autorité que le gouvernement s’est trouvé aussi rapidement débordé. L’ordre constitutionnel n’aurait pas été menacé à ce point si l’opposition conduite par les socialistes n’avait pas soutenu ces manifestations violentes. Quand les Albanais ont accusé le gouvernement de leur refuser la possibilité de s’enrichir rapidement, on a vu les socialistes abonder dans leur sens. Si la responsabilité de l’opposition est indiscutable, elle n’exonère pas pour autant celle du gouvernement. Celui-ci a eu beau prendre quelques mesures dès que les pyramides financières se sont écroulées comme un château de cartes – emprisonnement des promoteurs qui n’avaient pas encore pris la fuite, blocage des quelques actifs récupérables –, il était dans l’esprit du public le principal responsable de la débâcle. Il est vrai que de nombreux dirigeants des sociétés d’épargne étaient liés au Parti démocratique (PD) au pouvoir. Les Albanais se sont aussi souvenus que, lors de la campagne pour les élections législatives de 1996 – par ailleurs entachées de fraude –, les candidats du PD appelaient à voter pour le Parti démocratique, affirmant que « tour le monde gagnera ». Comme le soulignait Ismaïl Kadaré « par réaction au dénuement, aux rigueurs et à l’idéalisme en trompe-l’oeil du communisme, ont déferlé une rage matérialiste et une corruption sans précédent » (le Monde du 13 mars 1997). L’une et l’autre ont conduit à plonger l’Albanie dans le drame. Sans doute aussi, l’ascension fulgurante, puis l’effondrement de ces pyramides peuvent se lire comme une parabole des espoirs et des déceptions suscités par le passage à l’économie de marché. Mais l’affaire des pyramides n’a pu atteindre une dimension insurrectionnelle qu’en raison de la faiblesse de l’État, dont toute forme d’autorité est assimilée, depuis 1992, aux heures sombres de l’oppression communiste. Incapable donc d’imposer toute espèce de réglementation – condamnée à droite et à gauche comme rétrograde –, le pouvoir en place a laissé communistes et nationalistes reprendre, selon la formule d’Ismaïl Kadaré, « cette empoignade interrompue par les décennies de la dictature communiste ». P. F. Les pyramides financière en Europe de l’Est À quelques différences près, tous les pays de l’ex-Europe communiste ont connu des scandales semblables à celui qui a plongé l’Albanie dans une crise d’une particulière violence. Les populations, appâtées par l’espoir de gains downloadModeText.vue.download 67 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 66 faciles, constituent une proie toute désignée pour des financiers imaginants qui mettent à profit la carence de la loi et « arrosent » les politiques afin qu’ils cautionnent leurs activités. Les promoteurs des sociétés d’épargne savent aussi s’attirer la sympathie des populations en se montrant généreux envers les bonnes causes. Jusqu’à la tragédie albanaise, la pyramide la plus célèbre était celle de la société d’investissement russe MMM. Fondée avec un capital de 1,1 million de roubles, elle avait émis des actions pour une valeur totale de 1 000 milliards de roubles. 5 France Jean Tiberi mis en examen. Le maire de Paris est mis en examen pour « complicité par aide ou assistance de détournement de fonds publics » et « recel de détournement de fonds publics ». Il est soupçonné d’être intervenu auprès de Xavier Dugoin, président (RPR) du conseil général de l’Essonne, afin que celui-ci fasse verser à son épouse, Xavière Tiberi, une somme de 200 000 francs en paiement d’une étude fictive. L’argent aurait été versé sur un compte commun aux époux Tiberi. Le maire de Paris se déclare la victime d’un « harcèlement judiciaire » et n’envisage pas de démissionner. (chrono. 4/07) 6 Népal Démission du Premier ministre. Sher Bahadur Deuba démissionne à la suite d’un vote de défiance du Parlement contre son gouvernement, une coalition regroupant le parti du Congrès népalais et une formation monarchiste. Cette crise bénéficie au Parti marxiste-léniniste uni (UML), au pouvoir en novembre 1994 et septembre 1995. 7 UE « Eurogrève » chez Renault. Afin de protester contre la fermeture précipitée de l’usine de Vilvorde en Belgique, les travailleurs des usines Renault de Vilvorde, Cléon (France) et Valladolid (Espagne) font grève simultanément. Le 16, près de 30 000 personnes, ouvriers de chez Renault, syndicalistes européens et hommes politiques (dont Lionel Jospin), manifestent à Bruxelles pour réclamer l’instauration d’une « Europe sociale ». Malgré cette agitation, Louis Schweitzer, président de Renault, confirme, de façon « irrévocable », sa décision de fermer Vilvorde. En France, dans les partis politiques, adversaires et partisans de la construction européenne s’opposent : les premiers estiment qu’une telle fermeture d’usine, avec cette brutalité sans précédent, est le résultat de la dérive technocratique propre à la logique de Maastricht, tandis que les seconds estiment que c’est au contraire le manque d’Europe et de solidarité entre les partenaires européens qui provoque de tels phénomènes. (chrono. 4/04) Russie Remaniement ministériel. Jusque-là chef de l’administration présidentielle, Anatoli Tchoubaïs est nommé au poste de vice-Premier ministre. Âgé de quarante et un ans, il est considéré comme le père du programme de privatisations massives lancé en 1992, ce qui lui vaut une forte impopularité chez les communistes et les nationalistes, majoritaires au Parlement. Après le succès des communistes aux élections de 1995, Boris Eltsine l’avait écarté du gouvernement pour faire un geste, mais il l’avait gardé à la tête de son administration personnelle. Le Premier ministre, Viktor Tchernomyrdine, reste à son poste, tandis qu’une partie des portefeuilles ministériels est redistribuée. On remarque l’arrivée au ministère des Affaires sociales du jeune (trente-sept ans), brillant et libéral gouverneur de Nijni Novgorod, Boris Nemstov. Cette réorganisation de l’équipe gouvernementale remet politiquement en selle M. Eltsine, jusque-là handicapé par son état de santé, et repousse l’idée d’élections présidentielles anticipées, marginalisant ainsi le héros des sondages, Alexandre Lebed. La fermeture de l’usine Renault à Vilvorde L’affaire de Vilvorde est exemplaire à plusieurs égards : elle est un des premiers véritables conflits sociaux à l’échelle européenne, mobilisant les opinions dans au moins trois pays, downloadModeText.vue.download 68 sur 361 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 67 Belgique, France et Espagne, où Renault est très présent. Par ailleurs, elle a montré comment la logique industrielle l’emportait sur la volonté politique. Malgré l’arrivée d’un gouvernement de gauche à Paris, il a fallu s’incliner devant une décision jugée inéluctable par la direction de l’entreprise. Le marché automobile français n’affiche pas une santé florissante. Au premier semestre de 1997, la chute des immatriculations a atteint un niveau record avec une baisse de 30 %. Le groupe Renault où l’État, actionnaire de référence, ne détient plus que 46 % des parts, n’échappe pas à cette morosité ambiante. Il va mal. En 1996, il a affiché, après neuf exercices bénéficiaires, une perte de 5,2 milliards de francs (pour un chiffre d’affaires de l’ordre de 175 milliards de francs, au neuvième rang mondial, derrière General Motors [720 milliards], Ford, Toyota, Nissan, Volkswagen, Daimler-Benz, Chrysler et Honda). Ses coûts sont trop élevés, il doit les réduire, ainsi que le nombre de ses unités de production en Europe. Une restructuration s’impose pour faire face à la concurrence internationale, d’autant qu’à l’aube de l’an 2000, aucun quota ne viendra plus gêner les constructeurs asiatiques. C’est dans ce contexte que, en début d’année, Louis Schweitzer, le P-DG du groupe, ancien directeur de cabinet de Laurent Fabius à Matignon, annonce une série de décisions pour tenter de redresser le groupe : plan social concernant 3 000 salariés en France, mesures d’économie portant sur 20 milliards de francs, filialisation du réseau commercial et, surtout, annonce de la fermeture du site belge de Vilvorde employant 3 100 personnes. Un sursaut éphémère La brutalité de l’annonce, sans aucune concertation préalable, provoque l’indignation de la classe politique française, rafraîchit passablement les relations franco-belges et désigne comme bouc émissaire de cette logique industrielle implacable l’Europe de Maastricht. Une Europe qui, selon beaucoup, sacrifie le social au culte du monétarisme. Mais la première « eurogrève », le 7 mars, dans différents sites du groupe comme l’impressionnante manifestation de près de 100 000 personnes, le 16 mars, à Bruxelles, à laquelle participent syndicalistes, hommes politiques belges et ténors de la gauche française, et les différentes décisions de justice par les tri- bunaux de Bruxelles, Nanterre et Versailles, ne feront pas plier Louis Schweitzer. « Cette fermeture est une question de survie pour le groupe », répète-t-il. Vilvorde devient un symbole – celui d’une Europe guidée par la seule logique économique et monétaire – et l’un des enjeux de la campagne électorale qui s’ouvre au mois d’avril en France et où l’Union européenne, justement, est au coeur des débats. Le 5 mai, Lionel Jospin, imprudemment, répond favorablement aux syndicalistes belges qui lui demandent s’il est prêt à revenir sur la décision de fermeture de l’usine. Le 7 juin, alors Premier ministre, il doit rectifier le tir face à son homologue belge, Jean-Luc Dehaene, en affirmant : « Sur ce dossier, ce n’est pas le gouvernement qui décide. » Le principe de réalité Il n’empêche : tenu par ses promesses de candidat et soumis à la pression de sa majorité « plurielle », Lionel Jospin pour calmer les impatiences et ne pas donner, dix jours après son installation à Matignon, l’impression de se déjuger, demande, le 10 juin, au P-DG du groupe Renault de confier à un consultant extérieur la mission d’étudier toutes les solutions alternatives à la fermeture. Daniel le Kaisergruber, une normalienne spécialiste de l’industrie, est désignée. Ses conclusions sont accablantes pour ceux qui croyaient encore au miracle. Constatant la surcapacité industrielle de Renault et la dispersion de ses sites. Mme Kaisergruber reconnaît qu’il faut fermer un site, que la réduction du temps de travail n’est pas une alternative et que le site le plus vulnérable s’appelle... Vilvorde. Seule mais maigre satisfaction : l’amélioration sensible du plan social envisagé. Le 28 juin, Louis Schweitzer annonce au conseil d’administration du groupe automobile que « la procédure en vue de la fermeture de l’usine de Vilvorde en 1997 sera poursuivie ». Consternation dans les rangs de la nouvelle majorité. « Une décision inacceptable », dénoncent les communistes. « Une très mauvaise nouvelle », tonnent les socialistes de gauche. Face à cet avis de tempête, M. Jospin est contraint d’aller s’expliquer devant les siens troublés de constater que l’homme de Matignon n’a pu s’opposer à une telle issue. Que la logique industrielle a triomphé de la logique politique. B. M. downloadModeText.vue.download 69 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 68 Chronologie 27 février. Louis Schweitzer, P-DG de Renault, annonce la fermeture de son usine belge de Vilvorde employant 3 100 salariés au 31 juillet. Les ouvriers décident la grève. 3 mars. 4 000 manifestants dans les rues de Bruxelles. 7 mars. Première « euro-grève » dans le groupe Renault. Débrayages dans les sites français, belges et espagnols. 16 mars. Les syndicats et la gauche française, Lionel Jospin en tête, défilent à Bruxelles pour l’emploi et l’Europe sociale au milieu de 80 000 manifestants. 3 avril. La justice belge déclare irrégulière la procédure de fermeture. 4 avril. Le tribunal de Nanterre suspend la procédure de fermeture. 29 mai. Lionel Jospin affirme qu’en cas de victoire de la gauche aux législatives, les représentants de l’état « exigeraient que d’autres mesures soient envisagées, étudiées et préparées ». 10 juin. À la demande du gouvernement, Louis Schweitzer, confie à un consultant extérieur, Danielle Kaisergruber, la mission d’étudier toutes les solutions alternatives à la fermeture. 28 juin. Après la remise des conclusions de l’expert, Louis Schweitzer annonce au conseil d’administration du groupe que « la procédure en vue de la fermeture de Vilvorde sera poursuivie ». 4 juillet. Un plan social très favorable est proposé au personnel : pas de licenciements secs, des primes au départ immédiat entre 150 000 et 300 000 francs, des préretraites, des maintiens sur le site pour 400 salariés, des reclassements pour 500 salariés et un chômage technique garanti pendant deux ans pour les autres. 8 Tadjikistan Accord de cessez-le-feu. Le gouvernement en place et les rebelles démocrates et islamistes réunis à Moscou concluent un accord militaire qui pourrait servir de base à un accord politique ultérieur. Selon ce texte, les combattants de l’opposition s’engagent à abandonner leurs bases en Afghanistan pour être ensuite réintégrés dans les forces régulières tadjikes. En 1992, les néocommunistes soutenus par Moscou et menés par Imomali Rakhmonov avaient renversé la coalition démocrates/islamistes au pouvoir, entraînant ainsi une guerre civile meurtrière. L’arrivée des talibans à Kaboul a modifié la donne géostratégique et poussé les différentes factions tadjikes a rechercher un compromis. 9 Albanie Gouvernement d’union nationale. Le président Sali Berisha s’engage à nommer un gouvernement ouvert à toutes les tendances de l’opinion albanaise, à amnistier les insurgés, et à organiser prochainement de nouvelles élections législatives. Cela ne suffit pas à calmer les insurgés. Selon les observateurs, les gangs du Sud, souvent liés à la mafia italienne, ont pris la tète de l’insurrection, notamment parce qu’ils auraient eux-mêmes perdu de très grosses sommes dans les « pyramides financières ». Dès le 11, la violence gagne la capitale Tirana. Les autorités, autour du nouveau Premier ministre Bashkim Fino, demandent alors l’aide de la communauté internationale, tandis que les ressortissants étrangers sont évacués par l’armée italienne. Malgré l’insistance de Rome et, accessoirement, de Paris, l’Union européenne est réticente à intervenir en Albanie. Libéré de prison, le leader de l’opposition ex-communiste, Fatos Nano, en appelle à la « réconciliation morale de tout le peuple », sans réclamer pour autant la démission du président Berisha (droite). (chrono. 27/03) 10 Pologne Limogeage du chef d’état-major. Le président Alexandre Kwasniewski révoque le général Tadeusz Wilecki de ses fonctions de chef d’état-major de l’armée polonaise. Nommé en 1992 par Lech Walesa, qui voulait à l’époque asseoir son autorité sur un contact direct avec la hiérarchie militaire, celui-ci refusait de voir s’accentuer le contrôle du pouvoir civil sur la haute direction militaire. Alors downloadModeText.vue.download 70 sur 361 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 69 que la Pologne souhaite intégrer l’OTAN et que la force du contrôle du politique sur le militaire est une des conditions de cette adhésion, le président Kwasniewski a tranché. 11 France Circulation alternée en cas de pollution. Corinne Lepage, ministre de l’Environnement, annonce la mise en place à Paris et dans sa périphérie d’une procédure conduisant à la circulation alternée en cas de risque de pollution de niveau 3 (soit 600 microgrammes de dioxyde de soufre par m3 d’air, 400 de dioxyde d’azote et 360 d’ozone). La circulation alternée consiste à faire rouler les véhicules un jour sur deux en fonction du numéro pair ou impair de leur plaque d’immatriculation. Des villes comme Athènes ou Singapour ont institué de façon permanente cette procédure. Pour leur part, les spécialistes parisiens considèrent que ce système est provisoire en attendant l’instauration de la pastille verte, c’està-dire une identification des véhicules les moins polluants (disposant par exemple d’un pot catalytique), et qui, en cas de pic de pollution, seraient les seuls à être autorisés à rouler. France Grève des internes en médecine. Sur fond de grogne des hôpitaux publics, dont les personnels s’inquiètent du tassement de leurs ressources et craignent une restructuration, les internes en médecine et les chefs de clinique entament une grève des soins. Ils s’opposent à l’application des nouvelles conventions médicales signées par les caisses d’assurance maladie et par certains syndicats. Ces textes prévoient que les médecins devront reverser une partie de leurs honoraires aux caisses en cas de dépassement de l’objectif des dépenses de santé fixé par le gouvernement. Même si un moratoire de cinq ans est institué pour les nouveaux installés, les grévistes n’acceptent pas que la sanction soit fixée au niveau régional, ce qui a pour effet, notamment, de pénaliser un médecin qui aura respecté les objectifs mais qui exerce dans une région où, globalement, les objectifs auront été dépassés, alors que dans une région où ces objectifs auront été observés, un médecin qui aura, à son niveau, dépassé l’enveloppe, ne sera pas sanctionné. Le gouvernement refuse de transiger, estimant que les médecins ont trouvé ce prétexte pour rejeter tout encadrement des dépenses médicales, alors que les grévistes proclament qu’ils défendent une conception non strictement comptable de la médecine. 12 France Rafle dans les milieux pédophiles. 230 personnes, dont plusieurs enseignants, sont interpellées à travers tout le pays, et plus de 5 000 vidéocassettes pornographiques sont saisies. (chrono. 18/06) Nigeria Inculpations d’opposants. L’écrivain Wole Soyinka, prix Nobel de littérature, et 14 opposants sont inculpés de trahison, crime passible de la peine de mort, en raison des critiques qu’ils ont émises envers le régime du président Sani Abacha. 13 Israël Assassinat de sept collégiennes. Un soldat jordanien tire sur un groupe de collégiennes israéliennes qui se promenaient sur un site touristique à la frontière israélo-jordanienne. Il tue 7 d’entre elles avant d’être maîtrisé par d’autres soldats. Ce drame intervient alors que la tension ne cesse de monter au Proche-Orient après que le Premier ministre israélien a annoncé son intention de faire construire des logements juifs dans la partie arabe de Jérusalem-Est. Le 17 mars, les bulldozers commencent à entrer en action, protégés par un fort déploiement de soldats israéliens. Le 21, un kamikaze palestinien se tue en faisant sauter une bombe à la terrasse d’un café de Tel-Aviv, tuant 3 personnes et en blessant 46 autres. Aussitôt après, Yasser Arafat, président de l’Autorité palestinienne, exprime ses « regrets », mais les autorités israéliennes lui demandent de contrôler davantage les agissements des groupes islamistes palestiniens. Le même jour, au Conseil de sécurité de l’ONU, les États-Unis opposent pour la deuxième fois leur veto à une résolution exigeant l’arrêt des constructions israéliennes dans les downloadModeText.vue.download 71 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 70 quartiers est de Jérusalem. Alors que de jeunes Palestiniens s’opposent violemment aux forces de Tsahal à Hébron. Ramallah et Bir Zeit, le médiateur américain Dennis Ross tente de concilier les points de vue, de plus en plus opposés, de MM. Arafat et Netanyahou. 15 Rugby Cinquième grand chelem pour le XV de France. En battant l’Écosse au Parc des Princes par 47 à 20, la France empoche son cinquième grand chelem dans le Tournoi des cinq nations, après 1968, 1977, 1981 et 1987. 16 États-Unis/Russie Sommet à Helsinki. Les présidents américain et russe, Bill Clinton et Boris Eltsine, se rencontrent dans la capitale finlandaise pour traiter des différentes questions militaires et économiques pendantes entre leurs deux pays. Au premier rang de celles-ci, la question de l’entrée dans l’OTAN des anciennes républiques socialistes d’Europe centrale et orientale. M. Eltsine rappelle l’hostilité de son pays à une telle adhésion mais, en réalité, au terme des deux jours d’entretien, il entérine l’entrée à terme dans l’organisation de défense occidentale de la Pologne, de la République tchèque et de la Hongrie, à condition qu’aucune arme nucléaire n’y soit stockée et que seules des forces très limitées y stationnent. Le document consignant ces dispositions doit être finalisé par le secrétaire général de l’OTAN, Javier Solona, et par le ministre russe des Affaires étrangères, Evgueni Primakov. Par ailleurs, les deux présidents s’accordent pour poursuivre le processus de désarmement nucléaire (achèvement du programme Start II et lancement de Start III, afin de parvenir, en 2007, à une réduction effective de 80 % de leurs panoplies nucléaires respectives) ; d’autre part, ils décident que désormais le G7 s’intitulera le G8 pour y inclure la Russie, à qui des facilités nouvelles seront accordées pour qu’elle puisse bénéficier davantage des investissements américains. Salvador Poussée électorale de l’opposition d’extrême gauche. Le Front Farabundo Marti pour la libération nationale (FMLN), ancienne organisation de guérilla des années 80, gagne les élections municipales dans la capitale San Salvador et remporte un tiers des sièges au Parlement. L’Alliance républicaine nationaliste (Arena, droite) du président Armando Calderón, qui avait attaqué l’opposition sur son passé insurrectionnel, a vu se retourner contre elle l’inquiétude de la population. Une population rendue inquiète par la politique néolibérale du gouvernement et touchée par le ralentissement de la croissance économique. Ski Luc Alphand vainqueur de la Coupe du monde. Après avoir remporté la Coupe du monde de descente et celle de super-G, le skieur de Serre-Chevalier est meilleur skieur de l’année. Il est le premier Français à obtenir ce titre depuis Jean-Claude Killy, en 1968. Zaïre Prise de Kisangani par la rébellion. La 3e ville du pays tombe aux mains de l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL) dirigée par Laurent-Désiré Kabila. Les forces gouvernementales se sont repliées sans pratiquement livrer combat, laissant seuls en première ligne les 6 000 soldats hutus des anciennes Forces armées rwandaises (FAR). Le 18, le Premier ministre zaïrois, Léon Kengo wa Dondo, partisan d’une ligne dure face à la rébellion, est destitué par le Parlement. Trois jours plus tard, le chef de l’État Mobutu Sese Seko revient discrètement à Kinshasa après un nouveau séjour en France. Le 26, des représentants de MM. Mobutu et Kabila se rencontrent à Lomé, en marge du sommet extraordinaire de l’Organisation de l’unité africaine (OUA). Ils acceptent le « principe » downloadModeText.vue.download 72 sur 361 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 71 de négociations qui devraient se tenir en Afrique du Sud. (chrono. 2/04) 18 États-Unis Série de revers pour Bill Clinton. Anthony Lake, le candidat du président à la direction de la CIA, renonce à briguer ce poste face à l’opposition du Congrès. Il estime être la victime d’une cabale menée principalement en direction de M. Clinton. Celui-ci doit, en outre, affronter une série d’accusations concernant le financement de sa campagne présidentielle de 1996. Tous ces revers marquent l’échec du projet présidentiel d’une politique bipartisane, c’est-à-dire d’une politique menée avec l’appui des deux partis américains, démocrate et républicain. 19 France Mort de Jacques Foccart. Responsable pendant vingt-cinq ans de la cellule africaine de l’Élysée, Jacques Foccart meurt à l’âge de quatre-vingt-trois ans. Ancien résistant, appelé à Matignon puis à l’Élysée dès le retour du général de Gaulle au pouvoir, il fait vite partie des « barons » du gaullisme, qui inspirent la politique du président de la République. Exerçant une influence déterminante sur les milieux du renseignement, il tisse par ailleurs un réseau serré de relations privilégiées avec tous les responsables politiques de l’Afrique francophone, qui vont faire de lui la plaque tournante des relations franco-africaines jusqu’à la fin de sa vie. Sa mort intervient au moment où le président zaïrois Mobutu est en pleine déconfiture politique et où la France connaît de sérieux déboires diplomatiques sur le continent noir, son influence décroissant au profit des Américains. Peinture Mort de Willem De Kooning. Le peintre américain d’origine néerlandaise est mort dans sa maison de Long Island, à New York, à l’âge de quatre-vingt-douze ans. Il travaille d’abord dans la publicité tout en suivant les cours du soir à l’Académie des beaux-arts. À l’âge de vingt-deux ans, il émigré aux États-Unis. Tout en travaillant pour la publicité, il continue de s’intéresser à la peinture aussi bien figurative qu’abstraite et pratique un art marqué par le cubisme et l’abstraction géométrique de Mondrian. Au début des années 50, il impose son style, qualifié par les critiques d’action painting, c’est-à-dire une peinture dans laquelle la toile est davantage une arène qu’un espace de reproduction. L’art de De Kooning est énergie, vitesse, avec un pinceau qui balaie la toile, laissant volontairement des éclaboussures de couleurs. Parmi ses toiles les plus connues, on trouve la série Women (« Femmes »), suite de corps disloqués, aux yeux immenses et aux dents monstrueuses. Il continue de peindre et de sculpter jusque dans les années 80, en dehors de tout courant et de toute famille picturale. En 1989, une de ses toiles a été vendue 21 millions de dollars (environ 110 mil- lions de francs). 20 Robert Kotcharian, quarante-trois ans, est nommé Premier ministre du président Levon Ter-Petrossian. M. Kotcharian avait été élu en 1996 président de la république autoproclamée du Haut-Karabakh, où il a été l’artisan de la conquête d’une zone de sécurité en terre azerbaïdjanaise. Les autorités de Bakou jugent négativement cette nomination dont elles craignent qu’elle ne complique les négociations de paix entre Arméniens et Azéris. Arménie Nomination d’un nouveau Premier ministre. France François Furet à l’Académie française. L’historien, spécialiste de la Révolution française, est élu quai Conti au fauteuil de Michel Debré. Ancien membre du Parti communiste dans les années 50, il propose une interprétation libérale de la Révolution comme phase d’installation de la démocratie en France. En 1994, son ouvrage intitulé le Passé d’une downloadModeText.vue.download 73 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 72 illusion, essai sur l’idée communiste au XXe siècle connaît un succès international. (chrono. 12/06) 22 Astronomie Passage de la comète Hale-Bopp. Boule de glace et de poussières de 40 kilomètres de diamètre, la comète Hale-Bopp passe au plus près de la Terre, soit à environ 200 millions de kilomètres. Plus elle se rapproche du Soleil, plus elle brille, déployant une traîne de 70 millions de kilomètres. L’étude de cette comète devrait permettre de mieux connaître la période d’avant les débuts du système solaire (4,5 milliards d’années), quand des planètes se sont agrégées pour donner naissance à de grands ensembles rocheux (Mars, Vénus, la Terre) ou gazeux (Jupiter, Saturne). Le dernier passage de cette comète à proximité de la Terre remonte à 4 000 ans et, déjà, les astronomes égyptiens avaient scrupuleusement noté le phénomène. Environnement Premier Forum mondial de l’eau. Le premier forum international consacré aux problèmes de l’eau s’ouvre à Marrakech, au Maroc. Les experts présents poussent un cri d’alarme. Depuis 1970, la quantité d’eau douce disponible par habitant a diminué de 40 % ; en 2025, les deux tiers de la population mondiale vivront dans des zones où l’utilisation de l’eau se fera à un rythme plus élevé que celui de son renouvellement naturel. La solution passe sans doute par la mise en place d’un dispositif international de répartition des ressources en eau et par une politique systématique d’économies ; d’autres suggèrent qu’un prix de l’eau soit fixé, reflétant sa nouvelle valeur en tant que bien économique rare. Sectes Nouveau suicide collectif. Cinq membres de l’Ordre du Temple solaire sont retrouvés morts au Québec. Déjà 74 membres de cette secte, créée par des Français, s’étaient immolés collectivement en 1994 et en 1995, au Québec, en Suisse et en France. Quatre jours plus tard, on découvre les corps de 39 jeunes gens en Californie, près de San Diego. Ils étaient membres d’une autre secte, qui avait pour nom WW Source Supérieure. Les membres de cette secte affirmaient qu’ils venaient d’une autre planète et qu’ils étaient des anges spécialement dépêchés aux États-Unis. La comète Hale-Bopp Hale-Bopp restera dans les annales comme l’une des comètes les plus brillantes du XXe siècle. Des millions de personnes ont pu admirer à l’oeil nu, en mars et en avril, cette splendide gerbe lumineuse qui se déployait parmi les étoiles. En la scrutant dans une très large gamme de longueurs d’onde, à l’aide de toute une batterie de télescopes au sol et d’instruments spatiaux, les astronomes sont parvenus à lui arracher de nombreux secrets. Lors de sa découverte, dans la nuit du 22 au 23 juillet 1995, par deux astronomes amateurs américains qui opéraient indépendamment, Alan Haie au Nouveau-Mexique et Thomas Bopp en Arizona, Hale-Bopp n’était qu’un pâle objet 100 fois moins brillant que la plus faible étoile perceptible à l’oeil nu. Mais, sitôt son orbite calculée, il devint manifeste qu’il s’agissait d’une comète hors du commun : elle avait été repérée à plus d’un milliard de kilomètres du Soleil, et affichait donc un éclat 250 fois plus intense que la comète de Halley, observée à la même distance. Les astronomes ont finalement disposé de 20 mois pour suivre son évolution avant qu’elle ne passe au plus près du Soleil. Des dizaines d’équipes de chercheurs à travers le monde ont mis à profit cette période exceptionnellement longue pour multiplier les observations dans le plus large éventail de longueurs d’onde possible. Une comète volumineuse et très active Dès avril 1996, des mesures effectuées avec le télescope spatial Hubble ont révélé que HaleBopp était une très grosse comète. Des mesures ultérieures, plus précises, ont conduit à attribuer à son noyau – c’est-à-dire au conglomérat de roches, de glaces et de poussières qui constitue l’élément permanent de la comète – un diamètre de 40 à 45 km, contre une dizaine de kilomètres pour le noyau de la comète de Halley et 4 km seulement pour celui de la comète Hyakutake, qui frôla la Terre en février 1996. downloadModeText.vue.download 74 sur 361 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 73 Ainsi s’expliquent, au moins en partie, non seulement que Hale-Bopp soit devenue très brillante (elle a atteint la magnitude -1, surpassant l’éclat d’étoiles comme Capella, Véga ou Arcturus), mais aussi que les quantités de gaz et de poussières libérées par son noyau sous l’effet de la chaleur solaire aient atteint des records. À plus de 800 millions de kilomètres du Soleil, la comète perdait déjà 13 tonnes de monoxyde de carbone par seconde, soit une quantité comparable à celle qu’éjectait la comète de Halley en 1986 quand elle était cinq fois plus proche du Soleil. Quant à l’émission la plus importante, celle de vapeur d’eau, elle a atteint début avril, lors du passage de la comète au plus près du Soleil, quelque 600 tonnes par seconde (l’équivalent de deux piscines olympiques), soit une quantité près de 40 fois plus élevée que celle qui s’échappait du noyau de la comète de Halley lors de son survol par la sonde européenne Giotto. Hale-Bopp est l’une des plus grosses comètes jamais observées. Sa chevelure – la nébulosité formée autour du noyau par les gaz et les poussières qui s’en échappent – a atteint 1 million de kilomètres de diamètre et, lors de son passage au plus près du Soleil, son « atmosphère » d’hy- drogène atomique, détectée par satellite, s’étendait sur 100 millions de kilomètres de diamètre (71 fois celui du Soleil), constituant, de loin, le plus gros objet du système solaire. Un vestige du système solaire primitif L’étude des gaz et des poussières présents dans la chevelure de la comète s’est révélée extrêmement féconde. Une trentaine de substances volatiles ont été mises en évidence (outre de la vapeur d’eau et du gaz carbonique, largement prédominants, du monoxyde de carbone, du cyanogène, de nombreux hydrocarbures, etc.), dont sept n’avaient jamais été décelées auparavant dans une comète. Or, les mêmes substances se trouvent, en proportions voisines, dans le milieu interstellaire. De plus, grâce au satellite européen ISO, observant dans l’infrarouge, on a obtenu des spectres révélant que les glaces cométaires s’étaient formées à la température extrêmement basse de – 250 °C environ. Cela signifie que leur formation a eu lieu soit dans le milieu interstellaire, avant que le Soleil s’allume, soit loin du Soleil, dans la nébuleuse à l’origine du système solaire. Enfin, parmi les poussières libérées par Hale-Bopp, le satellite ISO a détecté de l’olivine, un minéral riche en magnésium, sous forme cristalline. Or, ISO avait, quelque temps auparavant, obtenu des spectres identiques dans le disque de poussières entourant une étoile très jeune, HD 100546. Cela accrédite l’idée qu’un lien existe entre le matériau de la nébuleuse solaire primitive, préservé dans les comètes, et la poussière entourant les jeunes étoiles. Toutes ces observations confirment, en tout cas, que les noyaux cométaires sont des vestiges du système solaire primitif. Sa prochaine visite aura lieu dans 2 400 ans ! Parmi les autres découvertes intéressantes concernant Hale-Bopp figure celle d’une queue inattendue, formée d’atomes de sodium. Jusquelà, on ne connaissait que deux types de queues cométaires : l’une formée de gaz ionisé (ou plasma), l’autre de poussières. Découverte à la mi-avril sur des photographies prises à l’aide du télescope Isaac Newton de 2,50 m de diamètre de Las Palmas, aux Canaries, la queue de sodium se présentait alors comme un étroit appendice de près de 50 millions de kilomètres de long, légèrement décalé par rapport à la queue de plasma. Par ailleurs, grâce à l’identification, sur des clichés, d’un jet de gaz et de poussières particulièrement puissant s’échappant du noyau de la comète, on a pu établir que ce noyau tournait sur lui-même en onze heures et demie. Après avoir ainsi livré aux astronomes une mine inestimable de renseignements, Hale-Bopp est repartie vers les confins du système solaire, et sa prochaine visite n’est attendue que dans 2 400 ans. PHILIPPE DE LA COTARDIÈRE Le nom des comètes Dans la pratique courante, les comètes sont en général désignées par le nom de celui ou de ceux (à concurrence de trois) qui les ont découvertes. Cependant, les astronomes utilisent une nomenclature plus rigoureuse. Depuis 1995, ils désignent les comètes par un matricule comprenant le millésime de l’année de leur découverte ; une lettre majuscule indiquant le rang, dans l’année, de la quinzaine où a été effectuée la découverte ; et un chiffre révélant l’ordre d’annonce de la découverte dans la quinzaine. Ce matricule est précédé d’un préfixe précisant la nature de l’objet : P/ pour une comète périodownloadModeText.vue.download 75 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 74 dique décrivant son orbite autour du Soleil en moins de 200 ans, C/ pour une comète non périodique ou de période supérieure à 200 ans, D/ pour une comète périodique qui ne semble plus manifester d’activité (comète « défunte »), X/ pour un objet (astéroïde ou comète) dont il est impossible de calculer l’orbite. Selon cette nomenclature, la comète Hale-Bopp est désignée sous l’appellation C/1995 01. 23 Taïwan Première visite du dalaï-lama. Le chef de l’Église bouddhique tibétaine se rend pour la première fois en Chine nationaliste. Cette visite constitue un double défi envers Pékin, qui mène une politique d’assimilation forcée au Tibet et qui s’oppose à tout ce qui peut être considéré comme une reconnaissance de Taïpeh. Papouasie-Nouvelle-Guinée Démission du Premier ministre. Après dix jours d’émeute dans la capitale Port Moresby, le chef du gouvernement, sir Julius Chan, présente sa démission. Il lui était reproché d’avoir engagé des mercenaires sud-africains pour lutter contre les rebelles de l’île de Bougainville. Cette île recèle de très importantes mines de cuivre et ses habitants se sentent beaucoup plus proches des îles Salomon voisines que de la lointaine Papouasie Nouvelle Guinée. Les combats, qui ont commencé à la fin des années 80, auraient fait au total plus de 8 000 morts sans que les forces de Port Moresby ne soient parvenues à mater la rébellion. 25 Cinéma Cérémonie des 69es Oscars. Lors de la distribution des trophées du cinéma américain, le film britannique le Patient anglais reçoit l’oscar du meilleur film, du meilleur réalisateur, de la meilleure direction artistique, du meilleur montage, de la meilleure prise de vues, des meilleurs costumes, de la meilleure musique (pour le compositeur français Gabriel Yared) et du meilleur second rôle féminin (pour l’actrice française Juliette Binoche). Le film des frères Coen, Fargo, est crédité de deux distinctions (meilleure actrice et meilleur scénario original). 27 Albanie Accord pour l’envoi d’une force multinationale. L’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) approuve l’envoi d’une force d’assistance humanitaire d’environ 5 000 hommes en Albanie. Elle est suivie, deux jours plus tard, par le Conseil de sécurité de l’ONU. (chrono. 11/04) Russie Échec de la grève. Les grèves et manifestations lancées par les syndicats pour protester contre les retards dans le paiement des salaires se soldent par un échec. Moins de 2 millions de travailleurs se mobilisent à travers le pays, alors que les organisations syndicales avaient annoncé la venue de plus de 20 millions de personnes indignées par le montant considérable des arriérés de paiement, qui sont estimés à plus de 9 milliards de dollars. La nomination d’une nouvelle équipe gouvernementale et les engagements très fermes des autorités sur le problème expliquent sans doute cette faible mobilisation des mécontents. 28 CEI Réunion des membres de la Communauté des États indépendants. Les douze présidents de la CEI (anciens membres de l’URSS) se retrouvent à Moscou pour faire état de leurs divergences. L’Ouzbékistan du président Islam Karimov va entraîner ses troupes en coopération avec l’OTAN, tandis que les dirigeants ukrainien et azerbaïdjanais, Leonid Koutchma et Gueïdar Aliev, décident d’exporter le pétrole du Caucase en évitant de le faire passer par le sol russe. Les débats opposent les partisans d’une CEI dominée par Moscou (principalement la Russie, la Biélorussie, l’Arménie, le Tadjkistan et le Kirghizistan) et ceux d’une CEI plus égalitaire downloadModeText.vue.download 76 sur 361 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 75 (Ukraine, Azerbaïdjan, à la réunion renoncent ment qui prévoyait une transport et d’énergie jusqu’à 2005. Ouzbékistan). Les participants finalement à signer un docuintégration des systèmes de entre les membres de la CEI Inde/Pakistan Pourparlers entre les deux pays. Alors que leurs derniers contacts remontaient à 1994, les deux nations voisines, qui se sont affrontées lors de trois guerres (en 1947, 1965 et 1971), se rencontrent pour évoquer toutes les questions qui les opposent. Essentiellement celle du Cachemire, dont la partie la plus riche demeure sous domination indienne, et où le Pakistan réclame la tenue d’un référendum d’autodétermination. 29 France Congrès du Front national à Strasbourg. Plus de 50 000 personnes manifestent pour protester contre la tenue du congrès annuel du parti d’extrême droite. On déplore certains débordements menés par des militants d’extrême gauche, mais l’opinion est surprise par l’ampleur de ce « sursaut citoyen ». 30 Cambodge Attentat meurtrier à Phnom Penh. Seize personnes sont tuées et une cinquantaine blessées lors d’une manifestation devant le Parlement de membres du parti de la Nation khmère (PNK), allié au parti royaliste Funcinpec. Les responsables de ce parti accusent les ex-communistes du parti du Peuple cambodgien (PPC) d’être à l’origine de la tuerie. Hun Sen, deuxième Premier ministre et vice-président du PPC, dément toute implication de son organisation. Cet épisode sanglant marque la paralysie du pouvoir à Phnom Penh, depuis que les deux Premiers ministres, Hun Sen et le prince Norodom Ranariddh, sont rentrés dans une lutte politique sans concession. (chrono. 18/06) downloadModeText.vue.download 77 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 76 AVRIL 1 UE Libéralisation complète du transport aérien. Désormais, les compagnies aériennes des quinze pays membres de l’Union européenne peuvent décoller et se poser comme elles le souhaitent sur tous les aéroports de l’UE, y compris pour assurer des vols intérieurs dans les autres pays que le leur. Cette libéralisation ne signifie pas pour autant que toutes les positions acquises vont disparaître, ne serait-ce qu’en raison de la non-extensibilité des créneaux horaires sur les aéroports. Les compagnies en place, qui disposent de ces créneaux, vont les garder et il est donc difficile pour de nouvelles compagnies de s’imposer. La stratégie des grandes compagnies consiste alors à racheter des petites compagnies locales, ou à s’associer avec elles, pour bénéficier de leurs créneaux. En vingt ans, le nombre des vols intérieurs sur le territoire français a quasiment doublé, passant de 1 million en 1977 à 1,9 million en 1996. 2 Biélorussie/Russie Signature d’un accord d’union. Boris Eltsine et Alexandre Loukachenko signent un nouveau traité d’union entre leurs deux pays. Le texte prévoit l’instauration d’un Conseil supérieur réunissant les dirigeants des deux nations et dont les compétences porteraient sur la coopération interétatique (harmonisation des législations, des dispositions douanières et, surtout, des politiques étrangères et militaires). Les libéraux russes s’opposent à ce traité d’union en raison des tendances nettement dictatoriales du président Loukachenko (qui a déclaré un jour admirer Hitler). En Biélorussie même, une partie de la population s’oppose vigoureusement, malgré la répression, à ce qu’elle considère comme une réintégration du pays dans l’ensemble russe. Moscou souhaite en revanche cette union pour des raisons militaires (le sol biélorusse pourrait accueillir des armements russes en réponse à l’extension vers l’est de l’Otan) et géostratégique (la construction d’un gazoduc sur le territoire biélorusse priverait l’Ukraine d’un moyen de pression envers la Russie). Zaïre Étienne Tshisekedi Premier ministre. Opposant depuis plus de vingt ans à Mobutu Sese Seko, le leader de l’Union des démocrates pour le progrès social (UDPS) est nommé par celui-ci à la tète du gouvernement. M. Tshisekedi avait déjà brièvement occupé ce poste à deux reprises en 1991 et 1992 et se considérait depuis comme le seul Premier ministre légal du pays. Il déclare vouloir négocier avec l’Alliance des forces démocratiques de libération (AFLD) de Laurent-Désiré Kabila, mais ce dernier déclare que si M. Tshisekedi accepte la nomination de M. Mobutu il sera considéré comme un ennemi. Le nouveau chef du gouvernement déclare alors qu’il refuse sa nouvelle intronisation, se considérant comme légalement en fonctions depuis 1992. Aussitôt, les Forces politiques du conclave (FPC, mobutistes) et l’Usoral (Union sacrée de l’opposition radicale) désavouent Étienne Tshisekedi. Le 9, celuici est remplacé à la tête du gouvernement par le général Likulia Bolongo, qui forme une équipe composée de mobutistes et d’opposants modérés de la frange radicale, proche de Kibassa Maliba. Le 16, dans Lubumbashi récemment conquise, LaurentDésiré Kabila signait des contrats miniers avec la société américaine America Mineral Fields. (chrono. 27/04) 3 Allemagne Nouvelle candidature de Helmut Kohl. Pour son 67e anniversaire, le chancelier allemand, en poste depuis l’automne 1982, annonce qu’il briguera un quatrième mandat lors des prochaines élections législatives, à l’automne 1998. Malgré une chute de popularité dans les sondages et la menace de devenir le premier chancelier de l’après-guerre à quitter le pouvoir à la suite d’une défaite électorale, M. Kohl a pris cette décision car il estime être le mieux placé downloadModeText.vue.download 78 sur 361 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 77 pour conduire l’Allemagne aux grandes échéances de la construction européenne. France Révélations dans, l’affaire des écoutes de l’Élysée. Le Monde révèle que dans les archives saisies en février au domicile du préfet Christian Prouteau on a retrouvé des notes émanant de la cellule antiterroriste de l’Élysée et revêtues du visa de l’ancien président de la République François Mitterrand. Plusieurs de ces notes concernaient des écoutes téléphoniques réalisées sur les appareils de personnalités jugées dangereuses pour la sécurité du président : l’écrivain Jean-Edern Hallier, le journaliste Edwy Plenel, la comédienne Carole Bouquet ou l’avocat Antoine Comte. Le 8 avril, le Premier ministre Alain Juppé ordonne une enquête sur l’affaire. Cette enquête doit déterminer si les écoutes incriminées ont respecté les procédures établies par le Groupement interministériel de contrôle (GIC), organisme chargé des écoutes légales. Mis en cause, Gilles Ménage, ancien directeur de cabinet de François Mitterrand, décide de « lever le secret défense » afin de répondre aux attaques, selon lui infondées, menées contre l’ancien président de la République. Le 25, il déclare au juge chargé de l’enquête que c’était M. Mitterrand luimême qui avait ordonné en 1985 la mise sur écoute du journaliste du Monde Edwy Plenel, au motif que les articles de celui-ci sur les réseaux d’espionnage soviétiques en France mettaient en péril la sécurité de l’État et de ses agents. Le journaliste conteste la déclaration de M. Ménage et estime qu’en réalité il avait été mis sur écoute parce que ses articles sur l’affaire dite des « Irlandais de Vincennes » (soupçonnés à tort d’être de dangereux terroristes) avaient déplu aux autorités de l’époque. 4 France Renault condamnée pour Vilvorde. Le tribunal de grande instance de Nanterre condamne Renault à 15 000 francs d’amende pour n’avoir pas respecté les procédures d’information des syndicats à l’occasion de la fermeture de son usine de Vilvorde en Belgique. Les juges reprochent au constructeur de ne pas avoir informé ni consulté le comité de groupe européen (CGE), ce qui confirme l’aspect transnational du conflit. Le jugement est confirmé en appel le 7 mai. (chrono. 28/06) 5 Algérie Nouveaux massacres de civils. À deux mois des élections législatives, 84 personnes sont égorgées dans des villages près d’Alger. Ces tueries, attribuées aux Groupes islamistes armés (GIA), semblent constituer des réponses à l’offensive dans la région des forces armées gouvernementales. Le 22, 93 villageois, dont plus de la moitié de femmes et d’enfants, sont à leur tour assassinés dans des conditions atroces, à 25 km au sud d’Alger. Deux jours plus tard, 42 habitants d’une autre bourgade de la région algéroise sont abattus, portant à plus de 350 le nombre des victimes en un mois dans cette zone. 6 UE Divergences institutionnelles. Réunis à Noordwijk, les quinze ministres des Affaires étrangères traitent des réformes institutionnelles à prévoir pour assurer un bon fonctionnement de l’Union lorsque celle-ci comptera entre vingt et trente membres. La France s’oppose aux autres, et notamment à l’Allemagne, en souhaitant qu’une réforme profonde des institutions assure un rôle prépondérant aux cinq pays principaux (Allemagne, Espagne, France, Grande-Bretagne, Italie). Elle préconise un changement dans le système de vote au Conseil des ministres, faisant observer que dans le système en cours une voix du Luxembourg représente 189 000 personnes alors qu’une voix allemande en représente 8 millions. La majorité qualifiée actuelle est de 62 voix sur un total de 87 (les quatre « grands » pays ayant chacun dix voix et le plus petit, le Luxembourg, en possédant deux). Les autres pays que la France, soucieux de préserver les droits des petites nations, proposent l’instauration d’une double majorité qualifiée, en voix et en population représentée. Hervé de Charette, ministre français des Affaires étrangères, rejette cette solution, estimant downloadModeText.vue.download 79 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 78 qu’elle « rendra les décisions encore plus difficiles à prendre ». 7 Corée du Nord Graves menaces de famine. Les autorités reconnaissent pour la première fois que plusieurs dizaines d’enfants sont morts de malnutrition et que le fléau touche plus d’un enfant sur sept. Selon des parlementaires américains qui ont mené une mission d’enquête sur place, six à huit millions de personnes risquent de mourir de faim. États-Unis/Israël Échec de la rencontre Bill Clinton/ Benyamin Netanyahou. Le président américain ne parvient pas à faire revenir le Premier ministre israélien sur sa décision de faire construire de nouveaux immeubles destinés aux Juifs dans la partie arabe de Jérusalem. Face à cette fin de non-recevoir, M. Clinton repousse la proposition israélienne de convoquer, sous patronage américain à Camp David, un nouveau sommet israélo-palestinien. Blocage du processus de paix au Proche-Orient Quatre ans après la conclusion des accords d’Oslo, force est de constater que les fondations mêmes de la paix sont bien fragiles. Les Palestiniens ne contrôlent que quelques grandes villes isolées, coupées de leur arrière-pays, soumises à des bouclages répétés. La plupart des mesures de confiance inscrites dans les textes n’ont pas été appliquées, contribuant à déstabiliser Yasser Arafat au sein même de son camp. Tout indiquait donc que, si le plus vieux conflit du Proche-Orient avait pris fin sur tous les écrans du monde en 1993, la réalité continuait de buter sur des faits têtus. La colonisation s’est en effet poursuivie et intensifiée, rendant illusoire toute continuité territoriale palestinienne. Depuis les accords d’Oslo, le nombre des colons en Cisjordanie est passé de 100 000 à 140 000. Le gouvernement israélien a donné son feu vert à la construction de milliers d’appartements, dont 12 % sont inoccupés, et l’encerclement de Jérusalem-Est s’est trouvé achevé par l’édification de 6 500 logements à Jabel Abou Ghnaim (Har Homa pour les Israéliens), une colline située presque aux portes de Bethléem. Quant à l’espoir d’une paix fondée sur le développement économique, il s’est envolé : un rapport du Fonds monétaire international indiquait que le taux de chômage en Cisjordanie et à Gaza était passé depuis 1993 de 18 % à plus de 34 %. Le gel des accords Retour également sur les écrans de l’Intifada et de ses images désormais célèbres : jeunes Palestiniens lanceurs de pierres contre jeunes soldats israéliens tirant grenades lacrymogènes et balles en caoutchouc. Les travaux de Har Homa, en mars, ont déclenché des affrontements qui ont fait 8 morts et 900 blessés parmi les Palestiniens, 3 morts et 67 blessés du côté israélien. Et, pour la première fois depuis un an, le terrorisme a de nouveau frappé : le 21 mars, trois personnes ont trouvé la mort dans l’explosion d’une bombe dans un café de Tel-Aviv. La « paix contre la sécurité », promise par Benyamin Netanyahou lors de sa campagne électorale, a trouvé ici ses limites. La colonisation viole le principe fondateur des résolutions de l’ONU comme des accords israélopalestiniens, c’est-à-dire l’échange des territoires contre la paix. Pour les signataires travaillistes d’Oslo, l’État hébreu devait annexer de 10 à 15 % de la Cisjordanie. Pour sa part, la droite revenue au pouvoir en 1996 entend en garder au moins la moitié dans toutes les colonies. Conscient de l’impopularité de ses positions sur la scène internationale, Benyamin Netanyahou a proposé d’ouvrir sans attendre la négociation sur le statut définitif des territoires avec pour objectif de signer « dans les six à neuf mois », et donc de geler entretemps l’application des accords intérimaires qui prévoyaient la mise en place en cinq ans (de mai 1994 à mai 1999) d’un « auto-gouvernement palestinien ». La négociation sur le statut définitif de la Cisjordanie et de Gaza devait s’ouvrir en mai 1996 et s’achever dans les trois ans ; les questions les plus épineuses – le statut de Jérusalem, la définition des frontières, l’avenir des colonies, le sort des réfugiés, la création d’un État palestinien – seraient laissées en suspens en attendant l’accord final. Pour séduisante qu’elle soit sur le papier, la proposition du Premier ministre israédownloadModeText.vue.download 80 sur 361 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 79 lien laisse songeur à l’aune de l’affaire d’Hébron : sachant que le compromis sur Hébron, pourtant négocié, a pris sept mois, il est difficile d’imaginer qu’il suffirait de quelques mois pour conclure un accord portant à la fois sur l’État palestinien, les frontières, Jérusalem, les réfugiés et les colonies. À bien des égards, M. Netanyahou paraît défendre des positions plus radicales que celles sur lesquelles il a été élu le 29 mai 1996. En effet, il doit aussi sa courte victoire à son engagement de respecter les engagements pris à l’endroit des Palestiniens. Ainsi, même après l’attentat du 21 mars, un sondage établissait que 55 % des Israéliens déclaraient soutenir, comme par le passé, les accords d’Oslo. Selon un autre sondage, une majorité absolue d’Israéliens juifs (51,3 %) approuvaient la création d’un État palestinien à condition qu’elle conduise à une paix juste entre Israël et la Palestine. Un bilan de faillite Sans doute convient-il de rapporter l’attachement des Israéliens à la paix à des soucis prosaïques, ces derniers mesurant le coût économique et social d’un retour en arrière. Inquiets de l’impasse dans lequel se trouve pris le processus de paix et plus encore de la relance du boycottage arabe d’Israël, les capitaux étrangers hésitent à s’investir dans l’État juif, dont ils ont alimenté depuis 1991 l’essor. Le blocage paraît d’autant plus grave que les facteurs extérieurs, pour le moins déterminants en 1993, semblent avoir perdu toute efficacité. Les États-Unis, cheville ouvrière des discussions israélo-palestiniennes, semblent incapables de ramener le Premier ministre à des positions de compromis. En raison de la compréhension manifestée à l’égard d’Israël par Washington – qui n’hésite pas à mettre son veto au Conseil de sécurité des Nations unies contre toute résolution visant les autorités juives –, les Palestiniens sont fondés à déplorer de plus en plus ouvertement la partialité américaine. De son côté, l’Union européenne, qui assure financièrement la plus grosse partie du processus de paix, notamment dans les territoires palestiniens, ne parvient pas à s’imposer auprès des Israéliens, lesquels dénoncent une égale partialité. Pourtant, l’Union européenne ne préconise que l’application des principes arrêtés par les Nations unies : retrait des troupes israéliennes installées en Cisjordanie (Jérusalem-Est incluse), à Gaza et également sur le Golan syrien ; droit à l’autodétermination des Palestiniens ; droit des Israéliens à vivre en sécurité à l’intérieur de frontières reconnues par la communauté internationale. Entre les principes onusiens, contestés par Israël, et l’approche graduelle définie à Oslo, mais décriée par les deux parties, les espoirs pour que la paix règne enfin semblent bien minces. PHILIPPE FAVERJON La controverse de Har Homa Le projet de Har Homa présente le risque, aux yeux des Palestiniens, de compléter l’encerclement de la partie orientale de Jérusalem par une série de colonies isolant de fait la Cisjordanie palestinienne de la partie arabe de la ville, et par conséquent de rendre vain le rêve d’un État palestinien avec JérusalemEst comme capitale. La Ville Sainte est plus qu’un symbole : c’est après l’ouverture d’un tunnel archéologique dans la vieille ville, en septembre 1996, qu’une flambée de violence avait provoqué la mort de plus de 70 personnes dans les territoires palestiniens. 9 France Plan de réforme pour l’université. François Bayrou, ministre de l’Éducation nationale, parvient à faire adopter un projet de réforme des premier et deuxième cycles universitaires avec l’accord de 8 syndicats (dont la CFDT et le CNPF) et l’abstention de 8 autres (FEN, UNEF). Les principales dispositions du texte concernent l’instauration d’un premier semestre d’orientation pour tous les étudiants rentrant à l’université, la mise sur pied de « stages diplômants » en entreprises et l’évaluation des enseignants comme des formations par les étudiants. Des incertitudes demeurent cependant quant au financement de ces mesures. 10 Italie Vote de confiance pour le gouvernement. La coalition de centre gauche de Romano Prodi parvient à obtenir une majorité au Parlement après pludownloadModeText.vue.download 81 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 80 sieurs jours de crise larvée. Les communistes de Refondation avaient refusé d’appuyer l’envoi de forces d’intervention italiennes en Albanie, forçant le pouvoir à solliciter l’appui de l’opposition et des députés de Silvio Berlusconi. Pourtant, M. Prodi avait présenté la participation de l’Italie à cette opération comme essentielle et jugé par avance « déshonorante » toute reculade ; il avait également présenté comme catastrophique, à quelques mois des grandes échéances européennes, toute nouvelle crise politique. La coalition demeure d’autant plus fragile que la réforme de la législation sociale risque de déclencher une nouvelle fois un affrontement avec Refondation communiste. Le 21, les autorités sont plongées dans la consternation après la publication du communiqué de la commission européenne jugeant l’Italie incapable, dans l’état actuel, de rejoindre le groupe des pays admis dans l’euro le 1er janvier 1999. UE/Iran Condamnation du terrorisme iranien. À la suite du verdict du tribunal criminel de Berlin mettant en cause « au plus haut niveau » les autorités de Téhéran dans le meurtre, en 1992, d’opposants kurdes iraniens réfugiés en Allemagne, les Quinze décident de suspendre leur « dialogue critique » avec l’Iran et de rappeler leurs ambassadeurs de ce pays. Le 29, les Quinze décident de renvoyer leurs ambassadeurs dans la capitale iranienne tout en refusant de reprendre des relations politiques suivies avec le régime de Téhéran. Les États-Unis auraient souhaité que l’UE prenne également des sanctions économiques, mais les Quinze ont refusé, autant pour des raisons d’opportunisme commercial que par crainte de renforcer en Iran le clan des durs et des anti-occidentaux. 11 Albanie Déploiement de la force multinationale. Les premiers des 6 000 soldats chargés de convoyer l’aide matérielle en Albanie (opération « Alba ») arrivent dans le pays. Les plus gros contingents sont fournis par l’Italie (3 000 hommes) et la France (1 000 hommes), puis suivent des détachements grecs, espagnols, turcs, roumains, autrichiens et danois. Rapidement, la présence des militaires étrangers contribue à rétablir le calme. (chrono. 16/05) Inde Chute du gouvernement. Dix mois après son installation à la tête d’un gouvernement de centre gauche – coalition regroupant des centristes, des communistes et des partis régionaux –, H.D. Deve Gowda est renversé à la suite d’un vote de censure du Parlement. La crise s’est nouée en raison du refus formulé par le parti du Congrès de continuer à soutenir le gouvernement auquel il reprochait de ne pas être assez ferme vis-à-vis des nationalistes hindouistes du Parti du peuple indien (BJP). Le 21, Inder Kumar Gujral, soixante-dix-sept ans, est nommé à son tour Premier ministre ; il dirigera la même coalition gouvernementale dite « de front uni », les partis préférant cette solution à la tenue d’élections anticipées qui auraient probablement avantagé les extrémistes du BJP. M. Gujral était jusque-là ministre des Affaires étrangères. À ce titre, il avait mené une politique active de rapprochement de l’Inde avec ses voisins du Népal (règlement du contentieux portant sur un important barrage), du Bangladesh (règlement d’un autre contentieux sur le partage des eaux du Gange) et du Pakistan (reprise du dialogue à propos du dossier explosif du Cachemire). Nouveau gouvernement en Inde Le 30 mars, le parti du Congrès décidait de retirer son soutien à la coalition minoritaire de treize partis dirigée par le chef du gouvernement Deve Gowda. À l’exception des nationalistes hindous du Parti du peuple indien (BJP), personne ne souhaitait retourner devant les électeurs pour sortir de l’impasse. Aussi la nomination d’Inder Kumar Gujral au poste de Premier ministre a-telle permis de mettre un terme à trois semaines de crise. La démission de Deve Gowda, dont le Congrès exigeait le départ, a conduit le parti des NehruGandhi à renouveler son soutien au front uni. Si le Premier ministre change, le « front » reste toutefois au pouvoir, et la composition du gouvernement demeure pratiquement inchangée : seule downloadModeText.vue.download 82 sur 361 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 81 modification, mais de taille, le très libéral ministre des Finances, Palanippan Chindamabaram, n’a pas souhaité être reconduit dans ses fonctions. Il appartient au nouveau Premier ministre, qui conserve le ministère des Affaires étrangères, de prendre en charge ce délicat portefeuille. Un cumul des fonctions qui a semblé satisfaire à la fois les milieux politiques et le monde des affaires. La « doctrine Gujral » Après dix mois passés à la tête des Affaires étrangères, I.K. Gujral s’est assuré une flatteuse réputation de négociateur. On lui sait gré d’avoir été l’architecte d’un rapprochement de l’Inde avec ses voisins, au terme d’une diplomatie unanimement qualifiée d’imaginative. Au point que l’on parle volontiers en Inde d’une « doctrine Gujral ». Il est vrai que le bilan de M. Gujral est impressionnant : signature d’un traité avec le Népal à propos d’un barrage controversé sur la rivière Mahakali, conclusion d’un accord similaire avec le Bangladesh liquidant un ancien contentieux au sujet du partage des eaux du Gange, reprise du dialogue avec le Pakistan après un silence de trois ans entre les deux rivaux du sous-continent. À la fin du printemps, l’évolution des négociations entre New Delhi et Islamabad – jusqu’alors empoisonnées par la question du Cachemire – paraissait sur le point de déboucher sur un véritable apaisement. L’action de I.K. Gujral à la tête de la diplomatie indienne a contribué à modifier l’image de l’Inde, souvent perçue par les pays d’Asie du Sud-Est – à juste titre – comme un « grand frère » envahissant, incarnation d’un pouvoir régional sûr de lui et dominateur, qui, à plusieurs reprises dans le passé, l’a conduit à dicter ses conditions aux nations plus petites et plus faibles de la région. De toute évidence, la « doctrine Gujral » marque une rupture avec cette tendance. On a pu le vérifier, début avril, dans un discours prononcé par le nouveau chef du gouvernement au Sri Lanka. À cette occasion, ce dernier a défendu une politique de compromis avec ses voisins en affirmant que toute négociation ne repose pas nécessairement sur l’espoir d’une « réciprocité ». Peut-être cette modération de New Delhi parviendra-t-elle aussi à résorber les guérillas rémanentes qui agitent toujours les confins du Nord-Est. En proposant, le 19 mai, à tous les groupes armés de cette région des négociations sans conditions, M. Gujral aura eu sans aucun doute un geste habile dans un environnement géopolitique désormais plus favorable à l’Inde. Un vote de confiance Le gouvernement du nouveau Premier ministre indien a obtenu, le 22 avril, un vote de confiance du Parlement. Une épreuve sans surprise dans la mesure où le front uni – coalition de centre gauche dont il est issu –, même s’il ne dispose pas d’une majorité à la Chambre, bénéficie cependant de l’appui du parti du Congrès : ce dernier se sera prononcé, une fois de plus, pour un « soutien sans participation ». On ne retiendra de cette formalité que l’opposition active du BJP dont les chefs voient en M. Gujral un dangereux communiste – ce qu’il fut en effet au temps de la lutte contre les Britanniques, avant de décider de rejoindre le parti du Congrès et de s’en faire expulser par Indira Gandhi. Les nationalistes hindous lui reprochent également, et ce n’est pas là le moindre de leurs griefs, de conduire une politique par trop favorable au rapprochement avec l’ennemi pakistanais. Il reste que, parmi les nombreuses tâches qui attendent le chef du gouvernement, celle de convaincre les responsables des treize partis du front uni de surmonter leurs différences idéologiques et personnelles ne sera pas la moins délicate. On se souvient que de nombreuses dissensions au sein de la coalition avaient bien souvent compliqué la bonne marche du cabinet dirigé par son prédécesseur. Sur le plan économique, les partisans du libéralisme n’ont pas manqué, eux aussi, de manifester quelques inquiétudes. L’arrivée aux affaires de cet homme, plutôt marqué à gauche, et qui fut ambassadeur à Moscou lorsque l’Inde entretenait avec l’URSS des relations privilégiées, pouvait à leurs yeux être lourde de conséquences sur le processus des réformes de l’économie. Aussi I.K. Gujral s’est-il employé à rassurer les investisseurs en déclarant, le 21 avril, qu’il entendait « approfondir et élargir » ces réformes d’inspiration libérale lancées, six ans plus tôt, par le gouvernement du Congrès sous la direction de Narasimha Rao. En s’installant dans le fauteuil du Premier ministre, K. Gujral a pu constater que la plupart des indicateurs économiques étaient décevants : déficit budgétaire trop élevé (9 % du PNB), infléchissement de la croissance (6,2 % pour l’année budgétaire 1995-1996 contre 6,3 % pour 19941995). Par ailleurs, la restructuration du secteur public était toujours au point mort et le programme des privatisations, guère plus avancé. Enfin, le budget 1997 a illustré les contradictions auxquelles le gouvernement se trouve confronté : l’augmentation du prix de l’essence et du downloadModeText.vue.download 83 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 82 diesel (respectivement de 30 % et 15 %) y côtoie le maintien de barrières douanières élevées ainsi que d’importantes subventions pour les agriculteurs. Désireux de s’attaquer aux vieux réflexes protectionnistes, K. Gujral devra compter avec les communistes, hostiles à toute accélération de la libéralisation. PHILIPPE FAVERJON Un diplomate Premier ministre Cultivé et polyglotte, docteur ès lettres, Inder Kumar Gujral a fait ses classes de diplomate comme ambassadeur à Moscou au milieu des années 70. Même après la chute d’Indira Gandhi, il sera reconduit dans ses fonctions d’ambassadeur. Il quitte alors le Congrès pour rejoindre les dissidents du parti Janata. Quand Rajiv Gandhi perd les élections de 1989, il devient pour la première fois le chef de la diplomatie indienne sous le règne de V.P. Singh, avant d’être renommé au même poste en 1996, au lendemain de la défaite électorale du parti du Congrès. 13 Croatie Élections municipales. Le parti du président Franjo Tudjman – la Communauté démocratique croate (HDZ) – remporte les élections municipales à Zagreb (un tiers de la population du pays) et la majorité dans 19 des 21 conseils régionaux. En voix, l’opposition talonne le parti au pouvoir. En 1996, le président Tudjman avait refusé de reconnaître la défaite de son parti et imposé dans la capitale une administration provisoire. 15 Belgique Rapport parlementaire sur l’affaire Dutroux. Nathalie de t’Serclaes (Parti social-chrétien francophone) et Renaat Landuyt (Parti socialiste flamand), rapporteurs de l’enquête « Dutroux, Nihoul et consorts », présentent aux députés les 300 pages du rapport adopté à l’unanimité par les 16 membres de la commission. Ce document est très sévère pour les différentes institutions concernées. Les termes « affligeant », « chaotique » ou « médiocre » sont utilisés à plusieurs reprises. L’affaire Dutroux avait commencé à l’été 1992 avec la disparition d’une petite fille de neuf ans. Elle avait éclaté quatre ans plus tard quand était arrêté un pédophile notoire, Marc Dutroux, et plusieurs de ses complices, mettant au jour l’existence d’un véritable réseau pédophile opérant depuis la région de Liège. Les enquêteurs parlementaires reprochent à la gendarmerie de ne pas avoir régulièrement informé les magistrats chargés de l’affaire du déroulement de leur enquête ; ils incriminent également les lenteurs et le laxisme (Dutroux avait été libéré par anticipation d’une précédente condamnation pour « bonne conduite ») de la justice, notamment celle du procureur du roi de Bruxelles, et les négligences de la police locale, qui a gravement failli dans l’accueil des familles des victimes. Ainsi, le rapport écrit : « Il vaut mieux ne pas se faire enlever pendant les vacances », dénonçant le fait que les chiens pisteurs ne sont pas disponibles pendant le mois d’août. Les membres de la commission d’enquête font un certain nombre de propositions afin d’éviter que ne se répètent de telles tragédies : réforme complète des services de police et de gendarmerie, et amélioration des procédures d’accueil des victimes. Le Premier ministre, Jean-Luc Dehaene, s’engage personnellement à ce que les recommandations du rapport soient suivies d’effet. Israël Demande d’inculpation du Premier ministre. À la suite de son enquête dans l’affaire Roni Bar-On, la police judiciaire remet un rapport de mille pages concluant sur une demande d’inculpation pour « fraude et prévarication » de Benyamin Netanyahou. L’enquête axait été diligentée à la suite des révélations d’une journaliste de la télévision, Ayala Hasson. Celleci avait découvert les dessous de la nomination très contestée d’un obscur avocat, M. Bar-On, au poste clef de conseiller juridique du gouvernement. Face au tollé que cette nomination décidée en Conseil des ministres avait provoquée, M. Bar-On avait été démis de ses fonctions au bout de deux jours. La journaliste avait alors découvert que la promotion de M. Bar-On était le fruit d’un marchandage entre le Premier ministre et Arieh Deri, chef du parti religieux séfarade, le Shas. Celui-ci, poursuivi pour corruption, fraude et détournement de fonds, avait exigé du Premier ministre qu’il nomme Bar-On afin que ce downloadModeText.vue.download 84 sur 361 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 83 dernier fasse abandonner les poursuites menées à son endroit ; en échange, il s’engageait à soutenir le gouvernement, notamment en ce qui concernait le statut de la ville d’Hébron. Le dossier de la police est remis au procureur général de l’État. Le 20, les autorités judiciaires décident de ne pas inculper M. Netanyahou, faute de preuves. Ce dernier déclare alors : « Toute cette affaire a été exploitée par mes adversaires politiques, tout particulièrement par la première chaîne de télévision ». Trois recours devant la Cour suprême sont déposés par l’opposition de gauche. 16 Arabie saoudite 200 pèlerins tués dans un incendie. Plus de 200 personnes trouvent la mort lors d’un incendie dans un campement de toile à 5 km au sud de La Mecque. Plus de 70 000 tentes sont brûlées. Les victimes provenaient essentiellement d’Asie, du Pakistan, de l’Inde, de l’Indonésie et de la Malaisie. 17 Brésil La longue marche des paysans sans terre. Plus de 1 500 paysans pauvres arrivent à Brasilia après un périple de deux mois à pied à travers le pays. Ils entendent attirer ainsi l’attention de l’opinion sur leur dénuement, alors que de vastes étendues de terre appartenant à de riches latifundiaires demeurent inexploitées. Depuis le début des années 90, plus de 250 militants de la cause des paysans sans terre ont été assassinés à l’occasion de conflits avec les propriétaires fonciers. Dans les jours qui suivent, l’Église condamne la politique économique du président Fernando Henrique Carodoso, la jugeant trop indifférente au sort des déshérités. 19 Bulgarie Victoire du centre droit. Les Forces démocratiques unies (FDU, coalition de centre droit dont la principale composante est l’Union des forces démocratiques) du président Petar Stoïanov remportent, avec 52 % des voix, 137 sièges sur les 240 à pourvoir au Parlement. Les FDU battent largement le Parti socialiste bulgare (PSB, ex-communiste, qui avait remporté les précédentes élections en 1994), crédité de 22,2 % des voix et de 58 sièges. Pour la première fois depuis la chute du communisme, le centre droit dispose d’une nette majorité à la chambre. La population a ainsi marqué une nette réprobation vis-à-vis des socialistes, au pouvoir depuis 1990 sauf pendant la parenthèse de 1991-1992. Il est vrai que le niveau de vie moyen s’est considérablement dégradé et que la majorité de la population vit aux limites de la pauvreté. Le futur Premier ministre, Ivan Kostov, annonce avant même son intronisation une sévère politique de restriction budgétaire, seule à même, selon lui, de sortir le pays de l’ornière dans laquelle il se trouve. 20 Mali Élections législatives. Le premier tour des élections se déroule dans des conditions confuses. L’opposition conteste la validité du scrutin et déclare vouloir boycotter le second tour comme les autres scrutins prévus : présidentielles en mai et municipales en juin. Le président sortant, Alpha Oumar Konaré, et son parti, l’Adema (Alliance pour la démocratie au Mali), resteraient ainsi seuls en lice. (chrono. 11/05) 21 France Dissolution de l’Assemblée nationale. Dans une allocution télévisée, Jacques Chirac annonce que « l’intérêt du pays commande d’anticiper les élections législatives », qui auront lieu le 25 mai et le 1er juin. Le président justifie cette anticipation de dix mois dans le calendrier électoral par l’urgence et l’importance des négociations européennes. Il déclare ainsi : « Pour aborder ces échéances en position de force, votre adhésion et votre soutien sont essentiels. » Il annonce une politique de réforme de l’État « afin de permettre une baisse de la dépense publique, seule façon d’alléger les impôts et les charges ». L’opposition dénonce une manipulation visant à prendre de court downloadModeText.vue.download 85 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 84 le Parti socialiste, qui n’a pas encore fini de mettre au point son corps de doctrine ni de faire l’inventaire de l’héritage mitterrandien. Elle dénonce l’aveu d’un échec politique puisque le gouvernement bénéficiait jusque-là d’une considérable majorité à la Chambre de 464 sièges sur un total de 577. (chrono. 25/05) Soudan Accord de paix interne. Les autorités de Khartoum signent un accord de paix avec différentes organisations autonomistes, prévoyant l’accroissement de l’autonomie régionale dans un cadre fédéral unitaire. Toutefois, ce texte ne devrait pas mettre fin à la guerre civile qui ravage le sud du pays depuis plusieurs années : l’Armée de libération des peuples du Soudan (SPLA) du colonel John Garang, à majorité chrétienne et animiste, n’est pas partie prenante et poursuit sa rébellion armée à rencontre du régime islamiste du Nord. La SPLA a même conclu une alliance avec les deux principaux partis d’opposition nordiste et ouvert avec eux un nouveau front à l’est du pays. La dissolution : chronique d’un échec et d’un succès Le 21 avril, pour donner un « nouvel élan au pays », Jacques Chirac dissout l’Assemblée nationale. Cinq semaines plus tard, la droite fracassée se retrouve dans l’opposition, et un socialiste, Lionel Jospin, à l’hôtel Matignon. Un vote sanction pour le chef de l’État à qui les Français ont reproché, deux ans après son élection à l’Élysée, de ne pas avoir tenu ses promesses de candidat et d’avoir soutenu envers et contre tout un Premier ministre trop impopulaire, Alain Juppé. « Aujourd’hui, je considère, en conscience, que l’intérêt du pays commande d’anticiper les élections. J’ai acquis la conviction qu’il faut redonner la parole à notre peuple afin qu’il se prononce clairement sur l’ampleur et le rythme des changements à conduire pendant les cinq prochaines années. Pour aborder cette nouvelle étape, nous avons besoin d’une majorité ressourcée et disposant du temps nécessaire à l’action. » Quand, le 21 avril, à 20 heures, à la télévision, le chef de l’État, usant des pouvoirs que lui confère l’article 12 de la Constitution et invoquant les rendez-vous européens à venir, annonce sa décision de dissoudre l’Assemblée nationale, son choix surprend. Certes, depuis plusieurs semaines, les rumeurs allaient bon train, mais personne ne voulait y croire. Pourquoi, à un an de la fin de la législature et alors qu’il dispose d’une large majorité parlementaire (464 députés sur 577), Jacques Chirac courrait-il un tel risque alors qu’aucune crise majeure ne secoue le pays et que son Premier ministre, Alain Juppé, bat des records d’impopularité dans les sondages ? En réalité, le président s’est laissé convaincre par son entourage – notamment, Dominique de Villepin, le secrétaire général de l’Élysée – et par l’Hôtel Matignon qu’attendre l’échéance normale serait suicidaire pour la majorité. Selon ces conseilleurs, la nécessité de répondre aux fameux critères de Maastricht pour la mise en place de l’euro provoquera, dès le budget 98, un tour de vis économique fatal à un gouvernement déjà contesté. D’autant plus fatal que les prévisions relatives aux comptes sociaux sont mauvaises, qu’aucune amélioration de l’emploi n’est attendue et que des investigations judiciaires menacent des personnalités proches du pouvoir. Dissoudre, aujourd’hui, plaident-ils, présente plusieurs avantages : d’abord, éviter l’écueil d’une rigueur programmée ; ensuite, prendre de court l’opposition de gauche. Et le Front national de crier au « hold-up électoral ». Le Parti socialiste connaît, il est vrai, à l’époque, un passage à vide pour ne pas avoir su accompagner la mobilisation du « peuple de gauche » contre le FN ; de plus, son programme n’en est qu’à l’état de projet général, et aucun accord ou compromis n’est encore signé avec les communistes et les Verts. En prime, dans son souci de rénover le parti, Lionel Jospin a choisi, peu de temps avant cette annonce, de largement renouveler les candidats du PS aux législatives, avec, notamment, un tiers de femmes. Résultat : face aux députés de la majorité qui bénéficient de la prime aux sortants, nombre de candidats socialistes sont des inconnus. L’hypothèque Juppé Les électeurs sont convoqués les 25 mai et 1er juin pour une campagne éclair, en plein mois de mai, le mois des « ponts », qui ne les passionnera pas vraiment. Pourtant, très vite, sur fond downloadModeText.vue.download 86 sur 361 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 85 de modernité de l’État et d’enjeux européens, la campagne va prendre un tour inattendu. Parfois brutal et en aucun cas, comme l’avait annoncé le Premier ministre, « joyeux ». Au « nouvel élan » et à l’« élan partagé » de la droite, la gauche va opposer son slogan « changeons d’avenir ». Sous-estimant le phénomène de rejet dont Alain Juppé est l’objet, l’Élysée, en dépit des voix qui s’élèvent dans la majorité, l’intronise chef de guerre et – mieux – laisse entendre que, en cas de victoire, il sera reconduit à Matignon. Pourquoi, dans ces conditions, dissoudre si rien ne doit changer après, ironise l’opposition, qui n’aura de cesse de « cibler » ce Premier ministre si impopulaire ? Une gauche qui, dans l’urgence, arrive à faire son unité. Moins de dix jours après l’annonce de la dissolution, Lionel Jospin signe des accords avec les communistes et les Verts, et s’impose comme le leader naturel de cette « gauche plurielle ». La campagne se personnalise et prend, deux ans après la présidentielle, des allures de troisième tour, d’autant que Jacques Chirac volera à plusieurs reprises au secours de sa majorité en difficulté. Sans succès. En quatre semaines de campagne, et alors que les sondages la donnent encore victorieuse dans les urnes, la majorité sortante a perdu toute sa superbe. Les divisions s’étalent au grand jour, et Alain Juppé est ouvertement contesté par des Philippe Séguin et autre Alain Madelin. De son côté, Lionel Jospin, en se donnant comme priorité l’emploi, en émettant des réserves sur l’union monétaire et en se gaussant des promesses électorales non tenues de Jacques Chirac, engrange. La menace FN Au soir du premier tour, le 25 mai, le locataire de l’Élysée sait qu’il a joué et perdu le pari – son pari – de la dissolution. Un échec personnel La droite parlementaire décroche son plus mauvais score sous la Ve République (15,59 % pour le RPR, 14,34 % pour l’UDF et 6,52 % pour les divers droite), le Front national son meilleur score (15,06 %), et la gauche, avec plus de 40 % des suffrages, progresse de près de 10 points. Dans plus de cent circonscriptions, les candidats de Jean-Marie Le Pen sont en mesure de se maintenir au second tour et de jouer les arbitres avec une préférence affichée de faire tomber la droite. Un scénario apocalyptique ! Alain Juppé est la première victime de ce premier tour. Après l’avoir soutenu à bout de bras pendant la campagne, l’Élysée le lâche. Le 26 mai, dans une interview au quotidien SudOuest, le Premier ministre, président du RPR et maire de Bordeaux, en ballottage dans sa bonne ville et qui a focalisé sur sa personne toutes les rancoeurs, annonce que, « pour ne pas être un obstacle » à la victoire de la majorité, il ne sera pas candidat à sa propre succession à l’Hôtel Matignon. Privé de ce fusible, Jacques Chirac est alors en première ligne. Le 27 mai, à la télévision, pour tenter de redresser la barre, le chef de l’État fait appel aux artisans de sa victoire présidentielle de 1995, Philippe Séguin et Alain Madelin. À eux, les champions de la réduction de la fracture sociale, de mener la bataille du second tour. Au président de l’Assemblée nationale sortante de s’installer à Matignon pour mettre en application les promesses du candidat Chirac à l’Élysée si... si la droite redresse la tête. En dépit des efforts des deux nouveaux champions de la majorité sortante, il est trop tard pour inverser la tendance. À l’issue du deuxième tour, la droite est défaite, la gauche, triomphante. Sept ministres sur 33 vont au tapis, Jean-François Mancel, le secrétaire général du RPR, est balayé, tout comme la jeune garde d’Alain Juppé. Même la Corrèze, fief chiraquien, concède deux de ses trois circonscriptions à la gauche. L’Assemblée dissoute comprenait 258 RPR, 206 UDF et 13 divers droite ; ils se retrouvent 140 RPR, 109 UDF et 8 divers droite ! Le PS n’avait que 56 élus, il revient en force avec 245 députés. Les communistes passent de 24 à 38, et, pour la première fois, les Verts font entrer 8 d’entre eux dans l’hémicycle. Au total, la gauche obtient 319 sièges sur 577. Un membre du Front national, Jean-Marie Le Chevallier, le maire de Toulon, est élu. Le 2 juin, Jacques Chirac nomme Lionel Jospin à Matignon et le charge de former le nouveau gouvernement ; celui-ci comprend 3 ministres communistes et un Vert, Dominique Voynet. Une cohabitation inédite dans le pays se met en place. D’abord, parce que, à l’inverse des précédentes, elle a été provoquée par le chef de l’État, qui ressort très affaibli de cette dissolution avec une droite traumatisée par cet échec et minée par les divisions et les rancoeurs. Ensuite, parce qu’elle s’installe, en théorie, dans la durée, pour cinq ans. B. M. downloadModeText.vue.download 87 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 86 La cinquième dissolution de la Ve République 9 octobre 1962. Le général de Gaulle dissout l’Assemblée après l’adoption d’une motion de censure par les socialistes, le MRP et les indépendants opposés à l’élection du président de la République au suffrage universel. Sa majorité en sort renforcée. 30 mai 1968. Après la crise sociale du mois de mai, le général de Gaulle dissout l’Assemblée. Les élections sont un raz de marée pour la droite. Les gaullistes ont la majorité absolue. 22 mai 1981. Au lendemain de son investiture à l’Élysée, François Mitterrand dissout la chambre des députés élue en 1978. Les socialistes ont à eux seuls la majorité absolue. 14 mai 1988. Après sa réélection à l’Élysée, François Mitterrand dissout l’Assemblée nationale élue en 1986. Les élections ne donnent qu’une majorité relative aux socialistes. 21 avril 1997. Deux ans après son accession à la présidence de la République, Jacques Chirac dissout l’Assemblée élue en 1993. La majorité sortante est défaite. 22 États-Unis/Birmanie Sanctions contre le régime de Rangoon. Bill Clinton interdit aux ressortissants américains d’investir en Birmanie. Il entend ainsi sanctionner ce pays pour sa politique de répression systématique à l’encontre de ses minorités ethniques et pour son implication dans la production et le trafic d’opium. La célèbre opposante et prix Nobel de la paix Aung San Suu Kyi applaudit cette décision. France Vol de documents dans l’affaire Elf. Une information judiciaire est ouverte à la suite du vol, dans les locaux de la brigade financière à Paris, de documents saisis lors d’une perquisition menée quatre jours plus tôt chez un décorateur de Saint-Tropez. Ce dernier avait travaillé à l’aménagement des différentes demeures d’André Tarallo, P-DG d’Elf Gabon et conseiller spécial auprès du président gabonais Omar Bongo. M. Tarallo avait été mis en examen le 4 dans le cadre d’une affaire d’abus de biens sociaux impliquant la société Elf. Le 23, un second juge d’instruction est désigné pour assister le magistrat Eva Joly chargée de l’enquête sur le groupe pétrolier Elf, dont l’influence en Afrique est, de l’avis des observateurs, considérable. Nigeria Affrontements interethniques. Près de 80 personnes sont tuées au cours d’affrontements entre Ijaws et Itserekis, deux des principaux groupes ethniques de la région du delta du Niger, à 200 km à l’ouest de Port Harcourt. Ces violences se sont déclenchées à la suite de rivalités administratives et économiques dans la région pétrolifère de Warri. Le gouvernement central dépêche des troupes pour rétablir l’ordre, mais sa politique de création d’entités territoriales spécifiques n’a fait qu’exacerber les tensions entre les différents groupes de population, qui estiment, par ailleurs, ne pas bénéficier correctement des retombées de l’extraction pétrolière. Pérou Libération des otages de Lima. L’armée donne l’assaut contre la résidence de l’ambassadeur du japon où, depuis le 17 décembre 1996, 72 personnes demeuraient détenues par le groupe révolutionnaire Tupac Amaru. Un otage seulement est tué au cours de l’opération, alors que tous les membres du commando trouvent la mort. Le président Alberto Fujimori s’approprie aussitôt le bénéfice de la réussite de l’opération qui a demandé une préparation minutieuse et le creusement d’un tunnel sous la résidence. Toutefois, une polémique se développe, certains otages assurant que plusieurs des membres du commando qui s’étaient rendus ont été délibérément abattus par les militaires. 27 Allié au parti islamiste Islah, le Congrès populaire général (CGP) remporte les élections législatives. Le Parti socialiste yéménite (PSY) avait boycotté ce scrutin, le seul pourtant à être organisé au suffrage Yémen Victoire du parti du président Ali Abdallah Saleh. downloadModeText.vue.download 88 sur 361 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 87 universel dans toute la région. Lors des opérations de vote, 11 personnes ont été tuées à travers le pays. Zaïre Délai pour l’évacuation des réfugiés hutus. Laurent-Désiré Kabila, chef de l’Alliance des forces démocratiques de libération (AFDL), donne soixante jours aux organisations humanitaires pour évacuer les dizaines de milliers de réfugiés hutus disséminés dans l’est du Zaïre. L’inquiétude de l’opinion internationale quant au sort de ces populations misérables avait crû après la disparition en quelques heures de plus de 50 000 réfugiés évacués par les forces de l’Alliance des camps de la région de Kisangani. Face à l’interdiction opposée aux journalistes et aux services humanitaires de venir se rendre compte sur place de la situation, Kofi Anan, secrétaire général de l’ONU, avait accusé les forces de M. Kabila de mener une politique « d’extermination lente » à l’encontre des réfugiés hutus du Rwanda. Ce soupçon est d’autant plus fondé qu’il est notoire que l’Alliance a été appuyée par le Rwanda, dominé par les Tutsis, et par l’Ouganda, principal soutien du régime de Kigali. M. Kabila rejette ces accusations et qualifie le sort de ces réfugiés de « petit problème ». (chrono. 4/05) 28 Canada Élections anticipées. Au terme de trois années et demie au pouvoir, le Premier ministre fédéral Jean Chrétien dissout la Chambre et convoque des élections générales pour le 2 juin. Les observateurs estiment que si les libéraux ont choisi de précipiter ainsi les choses, malgré la remontée dans l’opinion des conservateurs, du Nouveau Parti démocrate et du Parti de la réforme, c’est pour prendre de vitesse le Bloc québécois, principal parti d’opposition, favorable à la cause séparatiste. (chrono. 2/06) 29 France Accord PC-PS. Robert Hue et Lionel Jospin présentent une « déclaration commune » destinée à souligner les convergences entre leurs partis respectifs, sans constituer pour autant un programme commun de gouvernement. Le texte présente cependant un certain nombre de propositions (relance du pouvoir d’achat, création de 700 000 emplois pour les jeunes, diminution du temps de travail à 35 heures par semaine, réforme fiscale, arrêt des privatisations, abrogation des lois Debré / Pasqua) tout en reconnaissant des divergences entre les deux partis sur la question de l’Europe et de la monnaie commune. downloadModeText.vue.download 89 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 88 MAI 1 Grande-Bretagne Victoire des travaillistes. Aux élections législatives, qui se déroulent comme à l’accoutumée au scrutin majoritaire à un tour, le Labour obtient 419 sièges sur un total de 659 et 43,17 % des voix. Il écrase le Parti conservateur sortant, crédité de 165 sièges (178 pertes) et de 30,60 % des suffrages. Avec 46 sièges et 16,71 % des voix les libéraux démocrates réalisent le meilleur score de toute leur histoire. Les formations régionalistes et nationalistes obtiennent pour leur part 29 sièges. Par cette victoire triomphale, le Parti travailliste sort de près de dix-huit ans d’opposition, tandis que les conservateurs, qui ne comptent plus un siège en Écosse et au pays de Galles, paient leur trop longue présence au pouvoir, les affaires ayant marqué certains de leurs élus et, surtout, une profonde division, notamment sur la question de la participation de la Grande-Bretagne à la construction européenne. À l’inverse, les travaillistes ont su séduire les électeurs en opérant un recentrage très net de leur programme, qui reprend une partie de l’héritage du thatchérisme (acceptation des privatisations, diminution du rôle des syndicats, politique pénale stricte), tout en proposant un infléchissement à l’ultra-libéralisme des conservateurs (instauration d’un salaire minimum, adhésion au volet social du traité de Maastricht, autonomie plus grande pour l’Écosse et le pays de Galles, amélioration du système éducatif). L’artisan de ce recentrage est Tony Blair, âgé de quarante-trois ans, avocat de formation, à la tête du parti depuis 1994. Jeune, séduisant, issu d’une famille aisée, chrétien pratiquant, s’exprimant bien en français, M. Blair inquiète cependant les tenants de la gauche travailliste, qui lui reprochent son message droitier et sa rupture avec la tradition ouvriériste du parti. Aussitôt appelé à la tête du gouvernement, M. Blair constitue une équipe jeune (9 quadragénaires sur 23 membres du cabinet) et très légèrement féminisée (5 femmes). Robin Cook, le nouveau ministre des Affaires étrangères, est plutôt à la gauche du parti et plutôt réservé sur l’Europe, à l’inverse de Gordon Brown, ministre des Finances, qui appartient à la droite du parti et à sa tendance proeuropéenne. États-Unis Accord sur l’équilibre budgétaire. Bill Clinton et les élus républicains, majoritaires au Congrès, s’entendent sur un processus visant à obtenir l’équilibre du budget fédéral d’ici à 2002. Ce résultat serait obtenu par une réduction des dépenses sociales (aide médicale aux personnes âgées et couverture sociale pour les plus pauvres). Une baisse sensible des impôts est également prévue. Un tel objectif d’équilibre budgétaire est rendu d’autant plus envisageable que l’économie américaine passe par une phase de forte croissance et que les rentrées fiscales s’opèrent dans des conditions très favorables. L’Angleterre des travaillistes Conformément à tous les sondages, le Parti travailliste conduit par Tony Blair a mis fin à dix-huit ans de pouvoir conservateur. Une élection sans surprise qui a soldé une campagne assez terne et sans vrai débat économique, eu égard aux simili- tudes des programmes de John Major et de Tony Blair. Il est vrai que le travaillisme incarné par son jeune leader n’a plus grand-chose en commun avec son homologue des années 80. M. Blair dispose d’une majorité sans précédent à la Chambre des communes, qui lui assure quasi automatiquement un deuxième mandat. Il faudrait en effet un revirement énorme de l’électorat pour que les tories reviennent au pouvoir. Après avoir perdu 178 sièges, les conservateurs ne peuvent guère prétendre être autre chose qu’une force d’opposition symbolique. Selon le quotidien The Independant, « un autre parti est mort. C’est le Parti travailliste des années 80, avec son attachement aux nationalisations, à une fiscalité redistributive, aux accords privilégiés avec les syndicats, et son opposition au Marché commun ». Un diagnostic de nature à inquiéter les élus de la gauche travailliste. Ces derniers ne pourront pas peser sur le Premier ministre dans la mesure où ce dernier n’aura aucune peine à trouver les 330 voix requises pour obtenir la majorité d’une Chambre de downloadModeText.vue.download 90 sur 361 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 89 659 élus. Minoritaires, les eurosceptiques du Labour ne sont pas en mesure de contrarier la politique européenne que le chef du gouvernement entend mener. De l’Europe, il a été fortement question tout au long de la campagne. D’ailleurs, tous les commentateurs politiques se sont accordés pour dire que les tories ont été victimes de leurs divisions à ce sujet. Le cabinet Blair Contrairement à la tradition, plusieurs membres du cabinet fantôme ont changé d’attribution. En raison des échéances européennes, la personnalité du secrétaire au Foreign Office, Robin Cook, a retenu l’attention. Défendant une vision très personnelle de son rôle, ce dernier a empêché la nomination à un poste ministériel sur l’Europe du patron de BP, sir David Simon, préférant avoir à ses côtés comme secrétaire d’État aux affaires européennes un Écossais comme lui, Doug Henderson, qui passe pour un proeuropéen modéré. Les Affaires sociales ont été confiées à Harriet Harman. Chargée du dossier prioritaire de la sécurité sociale, elle fait équipe avec un secrétaire d’État, Frank Field, connu pour ses idées révolutionnaires sur le Welfare State et dont on se souvient qu’il a longtemps présidé la commission des Communes sur la sécurité so- ciale. Nomination tout aussi attendue que celle de Donald Dewar, qui se trouve en charge des Affaires écossaises. Cet avocat doit superviser la mise en place du processus de dévolution. Mais c’est Gordon Brown, le nouveau chancelier de l’Échiquier, qui a créé la première surprise en annonçant l’indépendance partielle de la Banque d’Angleterre. Celle-ci est désormais habilitée à fixer elle-même les taux d’intérêt. Jusqu’alors, le chancelier de l’Échiquier, et lui seul, pouvait fixer le loyer de l’argent à court terme après consultation avec le gouverneur. Il appartient désormais à un « comité de politique monétaire » de la Banque d’Angleterre de fixer le taux directeur. L’action de ce nouvel organisme est déterminée par un objectif d’inflation à atteindre, lequel se trouve fixé par le ministre des Finances. La décision de M. Brown a été rapidement saluée par les marchés financiers qui ont réagi très favorablement à la hausse du taux de base (fixé à 6 % depuis le mois d’octobre 1996, il a gagné un quart de point). Une mesure qui a mis un terme aux spéculations selon lesquelles le pouvoir travailliste mènerait une politique de dévaluation compétitive de la livre. Les premières mesures des travaillistes Il n’a pas fallu attendre longtemps pour connaître les priorités du nouveau gouvernement, ce dernier ayant choisi de commencer son mandat sur un rythme soutenu. On a pu le vérifier lors du discours d’intronisation du cabinet travailliste : jamais la reine Élisabeth II n’avait dû annoncer tant de projets de lois : un total de 22, sans compter les 4 non cités dans son intervention et les 3 livres blancs préliminaires à de nouvelles lois. Parmi les chantiers les plus importants, on retiendra la priorité donnée à l’éducation, la réforme du système de santé et l’instauration d’un SMIC. Si le domaine social et les thèmes de la vie quotidienne ont été au coeur de cette première salve législative, les réformes constitutionnelles ont été qualifiées d’historiques : ainsi du référendum en Écosse et au pays de Galles sur la création d’un Parlement local, d’une consultation populaire sur l’élection d’un maire pour Londres, un mandat que Mme Thatcher avait aboli. Partie de la démocratie parlementaire, le RoyaumeUni va en outre être doté d’une déclaration des droits de l’homme avec l’incorporation de la Déclaration européenne au droit britannique. Une première constitutionnelle dans un pays de tradition qui n’a pas de loi fondamentale écrite. M. Blair devra sans aucun doute bousculer une procédure parlementaire complexe pour réaliser ce programme particulièrement ambitieux. L’Europe, un chantier délicat Le 5 mai, le nouveau secrétaire d’État chargé des Affaires européennes, Doug Henderson, a donné le ton dès la première session de travail de la Conférence intergouvernementale (CIC) chargée de compléter le traité de Maastricht. Il a pu déclarer à cette occasion : « Nous voulons tirer un trait sur le passé et donner un nouveau départ aux relations entre la Grande-Bretagne et l’Union européenne. » À bien des égards, la position de Londres s’est assouplie concernant certains dossiers, comme l’application de la simple majorité qualifiée – et faciliter ainsi la prise de décision au sein du Conseil – ou le souci d’une Europe plus sociale. Toutes choses qui étaient loin d’être la tasse de thé du gouvernement sortant. Rupture identique au sujet de la monnaie unique. Là, l’attentisme a fait place à l’opposition sans nuances défendue jusqu’alors par les tories. Dans le même esprit, le chef du New Labour a confirmé la volonté de son gouvernement de downloadModeText.vue.download 91 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 90 renoncer à la clause d’exception, exigée en 1991 par M. Major lors de la conclusion du traité de Maastricht : il s’agissait alors de ne pas appliquer les dispositions du protocole social adopté par ses partenaires. Par ailleurs, le Premier ministre s’est dit favorable à l’inclusion dans le traité d’un chapitre sur l’emploi. En revanche, Tony Blair n’a pas caché le peu d’enthousiasme que lui inspire le projet de fusion par étapes de l’Union de l’Europe occidentale (UEO, seule organisation européenne habilitée à traiter des questions de Défense) dans l’Union européenne. Une position qui est diamétralement opposée à celles défendues par l’Allemagne et la France. Enfin, au sujet de la sécurité intérieure, Londres n’entend pas revenir sur les dispositions concernant le contrôle aux frontières : les Britanniques veulent se garder eux-mêmes et refusent de transposer cette mission aux frontières extérieures de l’Union. Quoi qu’il en soit, les partenaires de la Grande-Bretagne dans l’UE n’ont pas dissimulé la satisfaction que leur inspire l’aggiornamento européen des travaillistes. En résumé, le gouvernement Blair a défini les quatre priorités de son action : faire de son pays un acteur de premier plan en Europe ; donner comme tâche à ses ambassadeurs de promouvoir le commerce et la coopération économique ; placer les droits de l’homme et l’environnement au coeur de sa politique européenne ; intégrer la politique étrangère dans le débat de politique intérieure. Tony Blair a rappelé qu’il entendait conduire le changement « sans considération de dogme ni de doctrine ». Un pavé dans le jardin de son aile gauche. PHILIPPE FAVERJON Irlande du Nord, l’impasse L’Ulster a de nouveau paru être au bord d’une reprise de la guerre civile. Le jour de la visite de John Major à Belfast (28 avril), une bombe de forte puissance, sans doute placée par des terroristes loyalistes protestants, a été désamorcée devant les locaux du Sinn Fein. Si Tony Blair n’éprouve guère de compréhension à l’égard de l’IRA, il paraît toutefois prêt à accepter de parler avec Gerry Adams, le chef du Sinn Fein, la branche politique de l’IRA, en cas de nouveau et durable cessez-le-feu. M. Adams qui a été élu, tout comme le numéro deux du mouvement, Martin McGuinness, en Irlande du Nord. Il est certes exclu que le Labour cède davantage aux terroristes républicains que les conservateurs, mais sa large majorité lui laisse une marge de manoeuvre dont ne disposait pas son prédécesseur, contraint de compter sur le soutien des unionistes aux Communes. 3 France Attentat contre Philippe Douste-Blazy. Alors qu’il se promène sans escorte dans les rues de Lourdes, ville dont il est le maire, le ministre de la Culture est victime d’une agression menée par un déséquilibré mental. Ayant reçu un coup de couteau dans le dos, il est hospitalisé mais ses jours ne sont pas en danger. Il reprend ses activités au bout de quelques jours. 4 Zaïre Rencontre Mobutu Sese Seko/LaurentDésiré Kabila. Sous les auspices de Nelson Mandela, les deux hommes politiques zaïrois se rencontrent à bord d’un navire sud-africain ancré dans le port congolais de Pointe-Noire. Le président zaïrois propose à son rival de laisser le pouvoir à un président issu d’élections libres. Après avoir ordonné à ses troupes de stopper leur progression. M. Kabila rejette les propositions de M. Mobutu et relance la progression de son armée. Il déclare ainsi : « Il n’y aura jamais de cessez-lefeu tant que Mobutu ne quittera pas le pouvoir. » Le 7, M. Mobutu rencontre à Libreville ses homologues du Gabon, du Cameroun, de Centrafrique, du Congo, de Guinée et du Tchad. Il tente d’obtenir de leur part un appui militaire pour arrêter la marche vers Kinshasa des troupes de l’Alliance. Les chefs d’État contactés n’accèdent pas à sa demande et lui conseillent alors d’abandonner son poste. À l’issue de leur réunion, une déclaration suggère que l’archevêque de Kisangani, Mgr Laurent Monsengwo, négocie la transition du pouvoir avec M. Kabila. Celui-ci rejette à nouveau cette solution et réclame le départ sans condition de M. Mobutu. (chrono. 17/05) downloadModeText.vue.download 92 sur 361 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 91 6 États-Unis/Mexique Visite de Bill Clinton. Le voyage du président américain est dominé par la question de la lutte contre le trafic ces stupéfiants. Les dirigeants des deux pays signent une « alliance contre les drogues » visant à réprimer au Mexique le transit de la cocaïne colombienne comme la production de marijuana et d’héroïne. M. Clinton s’efforce de donner à cette alliance un aspect réciproque alors qu’il s’agit en réalité d’une injonction des États-Unis à son voisin du Sud. France Prison avec sursis pour l’ex-P-DG d’Alcatel. Pierre Suard est condamné à trois ans de prison avec sursis et à 2 millions de francs d’amende. Il devra en outre rembourser 4,9 millions de francs au groupe Alcatel Alsthom. Déclaré coupable d’abus de biens sociaux, il lui était reproché d’avoir fait financer par le groupe des travaux de sécurité à usage personnel, à ses domiciles, et d’avoir fait indûment salarier une de ses amies. Pour sa défense, M. Suard avait fait valoir que ses fonctions l’exposaient à la menace de terroristes éventuels. 7 Suisse Rapport américain sur l’or nazi. Un rapport de 400 pages, piloté par Stuart Eizenstat, sous-secrétaire d’État américain au Commerce, conclut à la complicité des banques suisses dans la spoliation des Juifs par les nazis. C’est ainsi que 400 millions de dollars or (soit 4,5 milliards de dollars en valeur actuelle) auraient abouti dans les coffres des institutions bancaires de la Confédération. Cet or serait arrivé sous forme de lingots résultant de la fusion de l’or volé dans les banques centrales des pays occupés et de l’or provenant des victimes de la Shoah (bijoux, dents, etc.). Après la guerre, une partie de cet or aurait été rendu aux banques centrales des pays concernés, mais pas aux descendants des victimes juives. Le rapport préconise qu’un certain montant de cet or (notamment celui qui demeure gelé dans les coffres de la Réserve fédérale de New York) soit redistribué aux familles juives, notamment dans les pays de l’Est européen où les victimes n’ont jamais reçu la moindre indemnisation. Le rapport reconnaît que le contexte de la guerre froide n’avait pas contribué à faire le jour sur ces regrettables épisodes de l’histoire (le redressement de l’Allemagne occidentale primait alors sur toute autre considération), mais espère que désormais la recherche de la vérité l’emportera. À la suite de la publication du rapport Eizenstat, le gouvernement helvétique réaffirme « avec force » sa volonté « de vérité et de justice » et sa détermination à mettre sur pied le Fonds spécial en faveur des victimes de la Shoah et la Fondation suisse de solidarité. Encore que cette dernière suppose, pour être créée, une réforme constitutionnelle, soumise à référendum. D’une façon générale, les autorités de Berne admettent que « de regrettables erreurs » ont été commises mais refusent les « jugements de valeur d’ordre moral et politique » contenus dans le rapport Eizenstat. 8 Moldavie Accord avec la Transnitrie. Le président moldave, Petru Lutchinski, et le dirigeant de la république séparatiste, Igor Smirnov, signent à Moscou un mémorandum destiné à « normaliser » leurs relations. La Transnitrie est la région à dominante russophone de la Moldavie, république roumanophone créée par Staline lorsque celui-ci avait arraché à la Roumanie une partie de son territoire à laquelle il avait adjoint une zone prise à l’Ukraine. En 1991 et 1992, un conflit avait opposé russophones (environ 800 000 personnes) et roumanophones, et fait près de 700 victimes. 9 Cinéma Mort de Marco Ferreri. Le cinéaste italien meurt à Paris d’une crise cardiaque à l’âge de soixante-neuf ans. Auteur, notamment, de Dillinger est mort (1969), la Grande Bouffe (1973) et de Rêve de singe (1979), il se définissait lui-même comme un « cinéaste du mauvais goût ». Son oeuvre est largement consacrée à la folie ordinaire (une femme qui prend la place du chien de l’homme qu’elle aime, downloadModeText.vue.download 93 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 92 un homme amoureux de son porte-clefs), aux gens en marge (une femme à barbe) et à la bouffonnerie (quatre hommes qui se suicident en mangeant), sans exclure une touche politique et contestataire (Touche pas la femme blanche et Y a bon les Blancs, sur le racisme et les ambiguïtés de l’action humanitaire). 10 États-Unis/Caraïbes Sommet à la Barbade. Bill Clinton et les dirigeants de quatorze pays de la région se réunissent pour faire le point sur les relations entre les États-Unis et les membres de la Communauté et marché commun des Caraïbes (Caricom). Ils constatent que, depuis le reflux des mouvements révolutionnaires dans la région, l’aide américaine a baissé de 90 % en douze ans. Par ailleurs, les participants à ce sommet ne trouvent pas de véritable terrain d’entente sur les questions des droits de douane, de l’embargo à l’encontre de Cuba, de l’immigration et de l’opposition américaine au traitement préférentiel accordé par l’Union européenne aux exportations de bananes des Caraïbes. Échecs Victoire de l’ordinateur. Le super ordinateur d’IBM, Deeper Blue, gagne contre le champion du monde en titre, Garry Kasparov, le match qui les opposait en six parties, par 3,5 à 2,5. En 1996, Kasparov était sorti vainqueur de l’épreuve, mais, cette année, le matériel utilisé était beaucoup plus puissant, avec 256 microprocesseurs capables de calculer 200 millions de positions par seconde. Les spécialistes estiment que Kasparov a mal joué, tentant des coups incertains pour déstabiliser la machine, sans pratiquer son jeu habituel fondé sur une vision à long terme. Vatican Jean-Paul II au Liban. À l’occasion de son voyage au pays du Cèdre, le souverain pontife reprend les recommandations du synode de 1995 appelant à la fin de l’occupation israélienne au Sud-Liban, au départ des troupes syriennes et au retour dans leurs foyers des 500 000 chrétiens déplacés lors de la guerre civile. 11 Burkina Succès du parti gouvernemental. Le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), favorable au président en exercice Biaise Compaoré, remporte largement les élections législatives. La participation est de l’ordre de 50 %. L’opposition, qui a participé au scrutin, était largement démobilisée depuis que M. Compaoré avait réussi à faire adopter une réforme constitutionnelle lui permettant de se représenter à la présidence un nombre non limité de fois, rendant ainsi plus improbable toute perspective de réelle alternance politique. Mali Réélection d’Alpha Oumar Konaré. Le président sortant est réélu à l’issue d’un scrutin boycotté par l’opposition. La participation se situe aux environs de 35 %. Elle avait été du même ordre lors des élections multipartites de 1992. En avril, les élections législatives avaient été également boycottées par l’opposition avant que d’être annulées par la Cour suprême. Ces dysfonctionnements électoraux interviennent dans un pays pourtant pacifié et où l’activité économique se développe de façon satisfaisante. 12 Russie Accord de paix signé en Tchétchénie. Boris Eltsine et Aslan Maskhadov, président élu de la Tchétchénie, signent, à Moscou, un accord mettant définitivement fin à un conflit qui, en deux ans, aura coûté la vie à plus de 50 000 personnes. Ce document finalise le premier accord conclu en août 1996 par Alexandre Lebed et qui avait organisé le retrait des troupes russes. Il marque l’échec de la tendance « dure », favorable à la reprise du conflit et représentée par le ministre de l’Intérieur, le général Anatoli Koulikov. Le texte, qui n’entérine pour autant pas l’existence d’une Tchétchénie indépendante de downloadModeText.vue.download 94 sur 361 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 93 la Russie, devra être ratifié par les deux Parlements respectifs. Théâtre XIe nuit des Molières. Kinkali, d’Arnaud Bédouet, est désignée comme la meilleure pièce de création. Myriam Boyer reçoit le molière de la meilleure comédienne, Pierre Cassignard celui du meilleur comédien et Sandrine Kiberlain celui de la révélation théâtrale. 13 Turquie Offensive contre les Kurdes. L’armée d’Ankara lance une nouvelle offensive contre les militants armés du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) à l’est du pays et au nord de l’Irak. Au bout d’une semaine, les autorités turques annoncent que plus de 2 000 rebelles ont été tués au cours des affrontements. 14 Sri Lanka Offensive anti-tamouls. L’armée de Colombo lance dans le nord de l’île une nouvelle offensive contre les combattants séparatistes du mouvement des Tigres de libération de l’Eelam tamoul (LTTE). Les combats font au moins 300 morts, dont au moins 250 guérilleros. 15 Chine/France Jacques Chirac en voyage en Chine. À l’occasion de sa visite, le président français salue le « retour de la grande Chine sur la scène mondiale » et inaugure la plus grande exposition de technologie française réalisée à l’étranger. M. Chirac s’était engagé à ne pas évoquer publiquement la question des droits de l’homme et avait veillé à ce que la France se désolidarise de la motion européenne condamnant Pékin en ce domaine. Il présente toutefois aux dirigeants chinois, en privé, une liste de 17 noms de dissidents chinois emprisonnés dont la France souhaite la libération. Il signe également une série de grands contrats industriels, dont la vente d’une trentaine d’avions. 16 Albanie Dissolution du Parlement. Le président Sali Berisha annonce des élections législatives anticipées pour le 29 juin. Face à la pression de l’opposition, il accepte de confier au gouvernement de réconciliation nationale de Bashkim Fino (Parti socialiste, opposition) le soin de désigner les membres de la commission électorale de contrôle. (chrono. 29/06) Amérique du Sud/États-Unis Réticences sud-américaines. Washington ne parvient pas à convaincre ses trentetrois partenaires continentaux réunis à Belo Horizonte (Brésil) de créer une zone de libre-échange des Amériques (ZLEA). Les gouvernements sudaméricains ne souhaitent pas une accélération du processus d’intégration commerciale nord-sud et privilégient le renforcement du Mercosur, le marché commun d’Amérique du Sud. 17 Congo-Kinshasa Chute de Kinshasa. Les troupes de Laurent-Désiré Kabila entrent dans la capitale sans pratiquement rencontrer de résistance. La veille, le président Mobutu Sese Seko avait quitté la ville. La Suisse décide alors de bloquer les avoirs de M. Mobutu dans les banques de ce pays. Au milieu des années 80, les experts estimaient la fortune personnelle de celui-ci à environ 22 milliards de francs (dont une grande partie a été récemment transférée de Suisse vers d’autres pays, notamment l’Afrique du Sud). M. Mobutu possède par ailleurs des propriétés immobilières dans plus de 11 pays étrangers, dont 2 en France (800 m2 avenue Foch à Paris et une grande villa sur la Côte d’Azur). M. Kabila décide aussitôt de débaptiser le Zaïre qui prend le nom de République démocratique du Congo. Âgé de cinquante-six ans, downloadModeText.vue.download 95 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 94 originaire du Kantanga, M. Kabila est un très ancien militant de la gauche africaine. Dans les années 60, il suit Patrice Lumumba et s’oppose à la tentative sécessionniste de sa province natale. Il s’associe un temps au maquis africain formé par Che Guevara puis alterne des activités de guérillero hostile au pouvoir de Mobutu et de lucratives affaires dans l’Est africain. Proche des dirigeants ougandais et rwandais comme des Banyamulenge (Tutsis du Zaïre), M. Kabila pratique un discours radical d’extrême gauche mais multiplie dans le même temps les déclarations favorables à l’économie de marché. Alors que les Zaïrois s’interrogent sur les intentions de leur nouveau dirigeant, les organisations humanitaires dénoncent les massacres perpétrés à rencontre des réfugiés hutus rwandais au Zaïre et rappellent que plus de 190 000 personnes sont portées disparues. Le 20, M. Kabila arrive à Kinshasa où deux Français sont assassinés. (chrono. 29/05) Le Congo de Kabila Si la machine militaire a montré qu’elle avait de bons conducteurs, il reste évident que la machine politique requiert des experts tout aussi compétents. Laurent-Désiré Kabila et son équipe, au vu de leurs premiers pas sur la scène intérieure de la République démocratique du Congo, n’ont pas donné l’impression de pouvoir prétendre au titre de pilotes expérimentés. En octobre 1996, la guerre éclate dans le SudKivu, focalisant l’attention de l’opinion internationale sur la région des grands lacs un peu plus de deux ans après le drame rwandais. Déjà les succès militaires de l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL) forcent l’étonnement. Très vite, il va apparaître que les prévisions de ceux qui limitent le conflit au « nettoyage » des camps, à la sécurisation de la frontière avec l’Ouganda et le Rwanda sont infondées. En effet, Laurent-Désiré Kabila et les siens ne font pas mystère de leur objectif : s’emparer de Kinshasa par les armes et chasser Mobutu Sese Seko du pouvoir. L’objectif est donc clair. Mais nul n’imagine alors que l’armée de Kabila pourra traverser à pied, d’est en ouest, un pays aussi vaste que l’Europe occidentale, et surtout de vaincre une armée réputée – de toute évidence à tort – bien équipée, véritable colonne vertébrale du régime depuis trois décennies. Performances de la « machine militaire » Dans sa conquête du pouvoir, l’AFDL dispose de plusieurs atouts. On retiendra d’abord l’étonnante préparation militaire du noyau dur de ses combattants. Certains d’entre eux ont été intégrés depuis 1990 dans les rangs du Front patriotique rwandais, d’autres ont reçu une formation du même ordre : ces hommes démontreront qu’ils sont capables de se déplacer très vite en parcourant des distances moyennes de 60 kilomètres par jour. Ensuite, il est clair que l’état calamiteux des infrastructures joue contre l’armée de Mobutu, qui se trouve dans l’incapacité de se déplacer efficacement : outre la pénurie d’avions et de carburant, les quelques hélicoptères de combat dont dispose le régime ne sont pas dotés de cartes du pays. Enfin, plus que la déliquescence des forces armées de Mobutu et la détermination de l’AFDL, le stade avancé de « décomposition » du régime de Kinshasa aura facilité la tâche des hommes de Kabila. C’est peu d’écrire que le mobutisme n’est plus, au moment où les combattants de l’AFDL effacent un à un les derniers kilomètres qui les séparent de la capitale, qu’une coquille vide : littéralement miné par une corruption d’une ampleur phénoménale, tout aussi inlassablement sapé par l’opposition intérieure qui, durant les sept années de transition, a su préparer les esprits au changement, le régime incarné par le « maréchal » s’offre comme un fruit mûr. Là réside le principal facteur du succès de l’AFDL. On a pu le vérifier à la manière dont les hommes de Kabila ont été accueillis dans les principales villes du pays, salués comme des libérateurs. À Kinshasa, le bain de sang a été évité grâce à l’action de l’opposition intérieure, notamment celle des militants du Front patriotique, qui ont réussi à guider les soldats de l’Alliance lors de leur entrée dans la ville. Par ailleurs, si l’armée de Mobutu n’a pas combattu c’est moins par lâcheté ou par manque de motivation que parce que la plupart des militaires attendaient, eux aussi, le changement, peu prompts finalement à défendre un régime discrédité et comptable de très importants arriérés de soldes. Si la campagne éclair des hommes de Kabila paraît de nature à forcer l’admiration, la réputation de l’AFDL a sérieusement été ternie par les informations sur le sort downloadModeText.vue.download 96 sur 361 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 95 réservé aux réfugiés rwandais en fuite dans les forêts zaïroises. Avant même la chute de Kinshasa, on savait de sources onusiennes et huma- nitaire – à cet égard, le rapport publié le 21 mai par Médecins sans frontières est accablant – que de larges groupes de réfugiés, traqués dans la forêt et « découverts » par les soldats de l’Alliance, avaient été massacrés. Ces derniers ne se sont pas contentés de mettre hors de combat miliciens et militaires rwandais (les seuls à leur avoir opposé une réelle résistance), mais ils ont également éliminé les civils, femmes et enfants, entraînés dans la déroute de cette armée. Incompétence de la « machine politique » Maître de la capitale, Kabila était attendu au pied du mur : il lui fallait en effet se défaire de sa tenue de combat pour endosser l’habit de l’homme politique. À considérer l’improvisation qui a nimbé cette mue, force est de conclure que le mobutisme reste dangereusement contagieux. Dès la chute de Kinshasa, Kabila s’autoproclame président de la République démocratique du Congo, tandis que, devant des citadins pour le moins étonnés, les principaux responsables de l’Alliance assurent leur intention de « faire élire les délégués du peuple par les paysans afin d’instituer une vraie démocratie à la base ». Les premières mesures arrêtées par le gouvernement plombent l’épithète « démocratique » d’une connotation qui ne l’est pas : la nouvelle équipe, balayant tous les textes juridiques existants, décide de prêter serment sur la base des statuts de l’AFDL ; la presse publique est décapitée, les partis politique sont suspendus et les manifestations interdites. En dépit de quelques déclarations de bonnes intentions (moraliser la vie politique, mettre fin à la corruption, relancer l’économie, payer les salaires des fonctionnaires), l’Alliance n’aura pas réussi son examen de passage sur le plan politique. En niant les apports de la Conférence nationale souveraine, en écartant Étienne Tshisekedi (leader du principal parti d’opposition, l’Union pour la démocratie et le progrès social), en faisant table rase des institutions existantes, Laurent-Désiré Kabila a pris le risque de décevoir ceux qui l’ont fait roi : au début de l’été, la puissante ethnie des Balubas paraissait prête à basculer dans l’opposition, rappelant au nouveau maître du pays que, telles des plaques tectoniques, la mosaïque ethnique est toujours grosse de mouvements incontrôlables. PHILIPPE FAVERJON L’Alliance des forces démocratiques pour la libération C’est le 18 octobre 1996 qu’ont été jetées les bases de l’AFDL à laquelle participent quatre mouvements : le Parti révolutionnaire du peuple (PRP) de Laurent-Désiré Kabila ; l’Alliance démocratique des peuples (ADP) de Déogratias Burgera, un Tutsi originaire du Masisi ; le Mouvement révolutionnaire pour la libération du Zaïre (MRLZ) de Masavu Ningaba, un Bashi, l’une des principales ethnies du Sud-Kivu ; et le Conseil régional de résistance pour la démocratie de Kisasse Ngandu. À l’époque, Kabila ne dispose pas encore de troupes. 18 Cinéma Palmarès du 50e Festival de Cannes. La Palme d’or est attribuée ex-aequo à l’Anguille du Japonais Shohei Imamura et au Goût de la cerise de l’Iranien Abbas Kiarostami. L’Égyptien Youssef Chahine reçoit le prix du Cinquantième Festival pour le Destin. Le Grand Prix du jury va au film du Canadien Atom Egoyan De beaux lendemains et le prix du jury à Western du Français Manuel Poirier. La distinction du meilleur acteur revient à l’Américain Sean Penn et celle de la meilleure actrice à la Britannique Kathy Burke. Même si le film du Français Luc Besson, le Cinquième Élément (qui connaît aussitôt un très gros succès auprès du public français et américain), est consacré au divertissement, une grande partie des films présentés à Cannes font le constat de la faillite sociale ou présentent une vision extrêmement violente de la réalité. Mongolie Élection d’un président de gauche. Nachagyn Bagabandi, quarante-sept ans, l’emporte avec 60,8 % des voix contre le président sortant, Punsalmaaguyn Otchirbat. Ancien communiste comme son concurrent, M. Bagabani se dit social-démocrate et partisan d’une pause dans le train de réformes downloadModeText.vue.download 97 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 96 très libérales entreprises depuis le début des années 90. Ce vote à la présidentielle contredit celui de l’an passé aux législatives, quand les électeurs mongols avaient désigné une Chambre largement acquise aux formules libérales en économie. 19 France Meurtre d’un collégien. À Bondy (Seine-Saint-Denis), un collégien de quinze ans est poignardé à mort par quatre autres jeunes de quatorze à dix-sept ans parce qu’il refusait de se soumettre à leur racket. Le 22, les enseignants de plusieurs collèges et lycées du département font grève pour protester contre la violence à l’école. Voile Nouveau record du Tour du monde à la voile. Olivier de Kersauson et ses six équipiers établissent un nouveau record de l’épreuve en 71 jours, 14 heures, 18 minutes et 8 secondes. Il bat de plus de trois jours le précédent record détenu par le Néo-Zélandais Peter Blake. En réalité, Kersauson est allé moins vite que Blake, mais il a pris une route plus courte. 23 Iran Élection de Mohamad Khatami à la présidence. Le candidat modéré à la succession du président sortant Ali Akbar Hachemi Rafsandjani est élu dès le premier tour avec 69 % des voix. Il a été plébiscité par les jeunes et par les femmes qui voient en lui un vecteur de changement pour la société iranienne. Il l’emporte sur le conservateur Ali Akbar Nategh-Nouri, président du Parlement, et sur les autres candidats ultra-islamistes. Âgé de cinquante-quatre ans, il a été ministre de l’Orientation culturelle pendant près de dix ans, un poste clef dans la théocratie iranienne. Toutefois, il a acquis une réputation de libéral en protégeant certains intellectuels, ce qui l’a contraint à la démission en 1992. Il a bénéficié pendant sa campagne du soutien contradictoire des Reconstructeurs, partisans d’un certain libéralisme, et des radicaux de la gauche islamique, hostiles à l’Occident et favorables à une étatisation poussée de l’économie. Libéralisation en Iran ? Il a suffi que Mohamad Khatami incarne l’espoir de petites ouvertures pour que, pour la première fois dans l’histoire de la jeune République islamique, l’élection présidentielle du 23 mai soit le théâtre d’une véritable mobilisation. Contre toute attente, l’ancien ministre de la Culture l’a emporté, balayant son rival soutenu par la droite conservatrice. Principal enseignement du scrutin, les électeurs ont rejeté la politique du gouvernement. De l’amélioration des conditions de vie à une libéralisation des moeurs en passant par la réforme des structures économiques, la lutte contre la corruption, le respect des droits de l’homme ou encore le pluralisme économique, l’éventail des revendications qui ont porté à la présidence Mohamad Khatami est bien vaste. Surtout, il dit qu’être l’heureux candidat de la société civile cristallise autour de l’impétrant des aspirations si éclatées et des espoirs si divers qu’un éventuel échec s’en trouverait d’autant plus aggravé. On l’aura compris, la tâche à laquelle se trouve désormais confronté M. Khatami n’est pas des plus simples. Porté par une vague de protestations contre la politique du gouvernement, M. Khatami a bénéficié du soutien des radicaux islamistes, d’une part, et de celui des libéraux modernistes, de l’autre. Rappelons toutefois qu’il s’agit en la matière d’une espèce de collusion objective de deux factions politiques – partageant une même déception à l’endroit du pouvoir en place – plutôt que d’une alliance entre forces constituées, du type de celle qui prévaut en pays de multipartisme. En effet, même si l’idée commence à faire son chemin, et pourrait être reprise à son compte par le président, il n’y a pas de partis en Iran. Un soutien hétérogène Le nouveau président devrait pouvoir compter avec le soutien d’une partie de la hiérarchie religieuse, du moins celle qui se montre fondamentalement hostile à la confusion entre politique et downloadModeText.vue.download 98 sur 361 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 97 religion. M. Khatami pourra sans doute bénéficier de l’appui de ce que l’on appellerait dans la terminologie chrétienne le « bas clergé », dans la mesure où il appartient à la lignée du Prophète : intellectuel musulman respectable, il serait ainsi en position de récupérer le message « moderniste » de Khomeyni. Enfin, rien ne permet d’exclure que le corps des pasdarans (les désormais célèbres gardiens de la révolution) se solidarise avec le président élu. Parce qu’il est lui-même religieux et fils de religieux, M. Khatami peut prétendre endosser les habits du rassembleur. Sa première conférence de presse ès qualités a montré un homme dont le credo de base est de respecter tous les droits que la Constitution de la République islamique reconnaît aux citoyens. En clair, les abus ne sont que le produit de dérives : revenir à la Constitution implique une lecture à la lettre et, donc, un aggiornamento du régime. Le chef de l’État en a indiqué la pente en se prononçant pour une « société de droit » qui conjuguerait la « diversité des opinions à l’intérieur » et « l’unité et la solidarité à l’extérieur », une société où « toutes les libertés civiles, sociales et culturelles seront codifiées ». Dans son esprit, cette codification se fera par rapport à l’arbitraire qui est toujours la règle et qu’incarnent la police mais aussi les groupes de pression tels les hezbollahis, tous « commandeurs du bien » et « censeurs du mal ». M. Khatami aura rapidement compris qu’il était sous la haute surveillance du clan des perdants. L’ayatollah Ahmad Janati, le secrétaire du Conseil des gardiens, un organisme chargé de s’assurer de la conformité des lois avec les principes de l’islam, a pu déclarer : « Il faut d’abord plaire à Dieu. En deuxième position vient notre éminent dirigeant, l’ayatollah Ali Khamenei. Ensuite vient l’électorat. » On comprend que, dans ces conditions, sa tâche ne sera guère aisée. Il lui faudra en effet pallier les insuffisances et les échecs des réformes économiques engagées par le président sortant dès le début des années 90 tout en sachant que le débat économique oppose des forces mues non seulement par l’idéologie, mais aussi par des intérêts concrets. L’ouverture sur l’Occident Concernant la question de l’ouverture en direction de l’Occident, M. Khatami défend une position qui tranche singulièrement avec les messages qui parviennent habituellement de Téhéran. Selon lui, l’ouverture ne doit pas être vécue comme une aliénation, mais plutôt comme un enrichissement. Dans un article publié en avril dans le quotidien saoudien El Hayat, le président pouvait écrire : « Certes la religion est chose sacrée, mais il faut admettre que nos représentations de la religion sont forcément humaines. » Dès lors, soulignait-il, chacun est amené à faire preuve d’« humilité » ; et d’ajouter : « Nous [musulmans] devons jeter sur l’Occident un regard neutre, exempt d’hostilité et d’amour. Nous devons apprendre à le connaître (...) Nous devons à la fois être vigilants quant à ses dangers et profiter de ses réalisations et de ses données humaines. Cela est possible si nous atteignons une maturité historique et intellectuelle. Nous pourrons alors (...) choisir et assumer la responsabilité de notre choix. » Sans doute l’Occident verra-t-il là un signe encourageant pour l’avenir de ses relations avec Téhéran. Quoi qu’il en soit, celles-ci ne paraissent pas prioritaires aux yeux du chef de l’État, et on se méprendrait à attendre quelques initiatives spectaculaires en la matière. De plus, sur le front des questions symboliques, comme l’affaire de la fatwa contre Salman Rushdie ou les relations avec les États-Unis, nul ne peut ignorer que les adversaires du président conservent un pouvoir de nuisance dont on ne peut imaginer qu’il disparaisse par la seule volonté d’un homme, fut-il président de la République. Pour bien des observateurs avisés de la « chose » iranienne, M. Khatami passe pour être quelque peu naïf parce qu’il sous-estimerait les pesanteurs du pays, son conservatisme idéologique, économique et politique. On peut aussi espérer qu’il saura ne pas perdre l’élan de la vague qui l’a porté au pouvoir. PHILIPPE FAVERJON L’électorat de Khatami Alors que l’on estimait qu’ils étaient totalement désabusés par le jeu politique en vase clos des factions au pouvoir, les jeunes – qui bénéficient du droit de vote à l’âge de quinze ans révolus – se sont mobilisés massivement pour le candidat Mohamad Khatami. Celuici a également bénéficié du soutien d’une partie de l’électorat féminin et a été plébiscité par les intellectuels. Ces derniers se sont souvenus du ministre de la Culture dont les petites ouvertures lui avaient alors valu de perdre son poste en 1992. downloadModeText.vue.download 99 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 98 24 Slovaquie Référendum confus. Moins de 10 % des électeurs participent au scrutin après que le Premier ministre Vladimir Meciar a retiré au dernier moment une des deux questions posées, celle relative à l’élection du président de la République au suffrage universel. M. Meciar a agi ainsi par hostilité envers son rival politique, le chef de l’État, Michel Kovac. Un tel comportement s’est retourné contre lui en soudant l’opposition, qui souhaite former un bloc électoral. L’autre question posée portait sur l’adhésion de la Slovaquie à l’OTAN. 55 % des votants se sont prononcés contre, mais leur nombre trop restreint prive le vote de sa signification. 25 Afghanistan Offensive des talibans. Les « étudiants en théologie », qui contrôlent la plus grande partie du pays depuis la prise de Kaboul en septembre 1996, s’emparent, au nord, de Mazar-e Charif, jusque-là dominée par le chef ouzbek Rachid Dostom. Celui-ci a été contraint de lâcher prise après la trahison d’un de ses principaux lieutenants qui a rejoint le camp des talibans. Face à ces derniers, il ne reste plus que le commandant tadjike Ahmed Shah Massoud, replié dans la vallée du Panshir, vers la frontière nord-ouest. Moins de trois jours plus tard, les talibans subissent un grave revers à Mazar-e Charif après que leur allié ouzbek a de nouveau changé de camp, rejoignant le général Dostom, pourtant trahi la semaine précédente. Le 30, les troupes du commandant Massoud s’emparent d’une localité stratégique à moins de 80 km au nord de Kaboul. France Premier tour des législatives. La gauche obtient 42,10 % des suffrages exprimés (dont 25,66 % pour le PS et les radicaux, 9,86 % pour le PC et 3,66 % pour les Verts) contre 36,16 % pour la droite (dont 16,49 % pour le RPR et 14,88 % pour l’UDF) et 15,24 % pour le Front national, ce qui constitue pour la formation d’extrême droite son meilleur score aux législatives. Le taux d’abstention s’élève à 32,04 % des inscrits. Ces résultats marquent un échec net de la majorité sortante, qui est en recul de huit points par rapport à ses résultats de 1993 et qui atteint ainsi son plus bas étiage depuis la fondation de la Ve République. Dès le 26, Alain Juppé, dont beaucoup ont mis en avant l’impopularité, annonce qu’il quittera son poste de Premier ministre quel que soit le résultat final des élections. Le 28, Philippe Séguin et Alain Madelin tiennent ensemble un meeting, laissant entendre qu’ils constitueraient l’armature du nouveau gouvernement si la majorité était reconduite. (chrono. 1/06) Pologne Référendum constitutionnel. Par 52,71 % de « oui » contre 45,89 % de « non » pour un taux de participation de 42,86 %, les électeurs polonais approuvent le projet de nouvelle constitution présenté par le gouvernement social-démocrate (ex-communiste). L’Église et la mouvance Solidarité s’étaient violemment opposées à ce texte qui limite les pouvoirs du président de la République et permet aux citoyens de saisir le Tribunal constitutionnel sur les décisions portant atteinte à leurs droits. Le 28, ce Tribunal déclare inconstitutionnel le droit à l’avortement. Le parti social-démocrate annonce qu’il souhaite organiser un nouveau référendum sur ce point, sachant que les sondages indiquent que 55 % des Polonais sont favorables à l’IVG. Sierra Leone Coup d’État militaire. Le président Ahmad Tejan Kabbah, démocratiquement élu en mars 1996, est renversé par un groupe de militaires. C’est le troisième putsch de ce type que connaît le pays depuis 1992. Le commandant Johnny Paul Koroma s’autoproclame chef de l’État. Le président Kabbah doit quitter la capitale Freetown sous la protection des troupes nigérianes, qui stationnent en Sierra Leone depuis 1991 pour appuyer les autorités dans leur lutte contre la rébellion du Front révolutionnaire uni (FRU). Les forces nigérianes présentes à Freetown dans le cadre de la force d’intervention de l’Ecomog tentent d’intervenir pour rétablir M. Kabbah dans ses fonctions. Elles sont mises en déroute par les rebelles, qui font des centaines de prisonniers. 27 OTAN/Russie Signature de l’accord de Paris. Bill Clinton, Boris Eltsine, Jacques Chirac et les autres responsables des pays membres de l’OTAN signent downloadModeText.vue.download 100 sur 361 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 99 à l’Élysée un accord normalisant les relations entre la Russie et l’organisation militaire occidentale. Les principaux points de cet accord, dit « Acte fondateur pour une nouvelle organisation de sécurité en Europe », ont trait à l’instauration d’un conseil conjoint permanent entre l’OTAN et la Russie, et à l’affirmation par l’organisation euro-américaine de son intention do ne pas déployer d’armes nucléaires sur les territoires de ses futurs nouveaux adhérents. En échange de son acceptation de voir des anciens membres du pacte de Varsovie rejoindre l’OTAN, le Kremlin aurait souhaité un accord ratifié par les Parlements respectifs et l’institution d’un droit de veto au sein du conseil conjoint. Il aurait souhaité également un engagement formel, et pas une simple déclaration d’intention, sur le non-déploiement des armes nucléaires. Il a obtenu seulement la participation à un processus de concertation. 29 Congo-Kinshasa Prestation de serment de LaurentDésiré Kabila. En présence des présidents José Eduardo Dos Santos (Angola), Pierre Buyoya (Burundi), Pasteur Bizimungu (Rwanda), Yoweri Museveni (Ouganda) et Frederik Chiluba (Zambie), le nouveau dirigeant de l’ex-Zaïre est intronisé chef de l’État. Il s’engage à ce que des élections générales soient organisées en avril 1999. La veille, il avait signé un décret-loi lui conférant la totalité de l’autorité législative, exécutive et militaire. Constatant que la nouvelle équipe gouvernementale ne comptait aucun membre de l’ancienne opposition à Mobutu, les partisans d’Étienne Tshisekedi manifestent dans la rue. Les forces armées répriment rapidement le mouvement. Le 30, les autorités de Kinshasa s’en prennent à l’ONU, dénonçant ce qu’elles considèrent comme des « calomnies » lancées par le Conseil de sécurité à propos du massacre des réfugiés hutus rwandais à l’est du pays. (chrono. 11/07) Indonésie Élections sous haute surveillance. Après une campagne très violente, ayant causé plusieurs dizaines de morts, le Golkar, parti du président Suharto, obtient 74 % des suffrages exprimés. Il devance le PPP (parti du Développement uni, de tendance islamiste), crédité de 23 % des suffrages, et le PDI (Parti démocrate indonésien), qui s’effondre, avec moins de 3 % des voix. En 1996, Megawati Sukarnoputri, fille de l’ancien président Sukarno, avait été écartée de la tête de ce parti, car sa popularité risquait de faire de l’ombre au chef de l’État. Le PPP ne manque pas de dénoncer une fraude massive. Au final, ces élections, destinées à rehausser l’image démocratique du régime, vont exactement dans le sens inverse. Le rôle important dans la campagne d’une des filles du président, Siti Hardiyanti Rukmana, a relancé les spéculations sur l’éventuelle candidature de celle-ci à la succession de son père, âgé de soixantequinze ans. 31 Russie/Ukraine Signature d’un traité de coopération. Boris Eltsine et Leonid Koutchma signent un texte mettant fin à cinq années de frictions entre leurs deux pays. Depuis 1992, quatre accords avaient déjà été signés concernant l’épineux problème de la flotte russe de la mer Noire. Le nouveau texte entérine le partage de cette flotte entre les deux marines, leur rattachement au même port de Sébastopol dans deux baies séparées et le paiement par Moscou à Kiev d’un loyer annuel. Le compromis s’est d’autant plus facilement imposé que les Russes ont compris qu’ils n’avaient pas les moyens d’installer un nouveau port sur la rive russe de la mer Noire. downloadModeText.vue.download 101 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 100 JUIN 1 France Victoire de la gauche. La gauche obtient 48,36 % des suffrages exprimés (dont 38,85 % pour le PS) et 319 sièges (dont 245 pour le PS et ses apparentés, 37 pour le PC, 13 pour les radicaux et 8 pour les écologistes). La droite est créditée de 46,04 % des voix (dont 23,65 % pour le RPR et 20,98 % pour l’UDF) et disposera de 257 sièges dans la nouvelle Assemblée (dont 109 pour l’UDF et 140 pour le RPR). Avec 5,60 % des suffrages, le Front national obtient un siège pour Jean-Marie Le Chevallier, maire de Toulon. Le taux d’abstention est de 28,61 %. Dès le lendemain, Jacques Chirac nomme Lionel Jospin au poste de Premier ministre. Dans les rangs de la majorité sortante, de fort remous se font sentir. À l’UDF, François Léotard propose sa démission de la présidence de la fédération, qui est refusée, mais doit laisser la direction du Parti républicain à Alain Madelin et la présidence du groupe parlementaire à François Bayrou, le leader centriste de Force démocrate. Au RPR, les tensions sont extrêmes. Une grande partie des cadres refusent le maintien d’Alain Juppé à la tête du parti jusqu’aux prochaines assises du mouvement, prévues pour le mois de septembre. Les partisans de Philippe Séguin et d’Edouard Balladur s’allient pour exiger le départ immédiat de l’ancien Premier ministre. Le programme du gouvernement de gauche En faisant de l’emploi, et notamment de l’emploi des jeunes, la priorité de son action, en plaidant pour une relance salariale et en dénonçant l’Eu- rope comptable de Maastricht, Lionel Jospin a mis le social au coeur de sa campagne. Rien de révolutionnaire – un brin moderniste (avec un pari sur les emplois nouveaux) et un brin traditionaliste (rejet des privatisations) –, mais le style Jospin – mélange de conviction, de rigueur affichée et de modestie proclamée – a su emporter l’adhésion d’un électorat désabusé et impatient. Avec pour slogan de campagne « Changeons d’avenir », le projet de la gauche n’a rien à voir avec une nouvelle mouture des vieilles recettes du programme commun de 1981. À l’époque, on parlait de rupture avec le capitalisme, de redonner à l’État un rôle décisif, de nationaliser tous azimuts et d’étendre de façon spectaculaire les droits des salariés. Seize ans plus tard et après la pratique à éclipse du pouvoir sous les deux septennats de François Mitterrand, rien de tout cela. La gauche a appris à être modeste, à accepter les vertus de l’économie de marché et les limites de la planification. Le pragmatisme vole la vedette à l’idéologie. Une gauche d’autant plus modeste que, lorsque Jacques Chirac annonce sa décision de dissoudre l’Assemblée, elle n’est pas prête. Certes, depuis l’élection présidentielle de 1995, Lionel Jospin s’est imposé comme son leader naturel. Mais, tout occupé qu’il est à rénover le PS pour lui redonner une crédibilité aux yeux de l’opinion, il veut donner du temps au temps pour réussir ce vaste chantier et n’a aucun intérêt à voir le calendrier électoral bousculé. Sans doute, son parti a-t-il arrêté un programme et désigné ses candidats quelques semaines auparavant. Mais le programme n’est qu’un projet très général, repris en partie de ses thèmes de la campagne présidentielle, et les candidats – renouvellement politique oblige – sont des illustres inconnus. De plus, si des contacts existent avec ses partenaires de la « gauche plurielle », les communistes et les Verts notamment, rien n’est encore formalisé. Au moment où s’ouvre la campagne, le PC de Robert Hue n’en est-il pas à réclamer un SMIC à 8 500 F ? Pour un « capitalisme social » Sans renouer avec les vieilles lunes, mais en dénonçant le « capitalisme dur », la gauche va mettre au coeur de son projet, national et européen, le social. Elle fait de l’emploi, et de l’emploi des jeunes notamment, le fer de lance de sa campagne et n’hésite pas à jouer les iconoclastes en rompant avec la pensée unique sur l’Europe. « Je suis pour l’Europe mais pas pour n’importe quelle Europe. Ne comptez pas sur moi pour le strict res- pect des critères de Maastricht s’ils doivent imposer une nouvelle cure d’austérité au pays », martèle Lionel Jospin. downloadModeText.vue.download 102 sur 361 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 101 En réalité, le premier secrétaire du PS va surfer pendant cette campagne électorale sur la vague de désenchantement que connaît le pays après l’élection de Jacques Chirac à l’Élysée, en 1995. Les Français ont le sentiment d’avoir été trompés et que ceux qui les gouvernent sont à mille lieues de leurs préoccupations. On leur avait promis la réduction de la fracture sociale ? Après deux ans d’Alain Juppé à Matignon, rien n’a changé pour eux. Les promesses n’ont pas été tenues, le chômage continue à augmenter et la logique d’une Europe monétaire et financière, d’une Europe comptable, semble primer sur toute autre considération. Fort de ce constat, de l’image de rigueur morale dont il bénéficie dans l’opinion, Lionel Jospin va jouer la carte du contrat de confiance avec elle sur le thème : « Je dis ce que je fais et je fais ce que je dis. » Et, inlassablement, il répète aux siens : « Pas de promesses que nous ne pouvons pas tenir. » Résultat : ce n’est pas le « grand soir » programmé mais des mesures concrètes s’étalant sur la durée de la législature. L’épreuve du réel C’est d’abord le Plan-Emploi-Jeunes, la priorité des priorités et la grande attente des Français. La création de 700 000 emplois, pour moitié dans le secteur public, pour moitié dans le secteur privé, réservés aux jeunes de moins de 25 ans par le biais de contrats à durée déterminée renouvelables pendant cinq ans. C’est l’annonce d’une relance salariale et d’une loi-cadre sur la réduction à 35 heures du temps de travail hebdomadaire sans diminution de pouvoir d’achat. C’est la convocation de tous les partenaires sociaux à la conférence sur les salaires, l’emploi et la réduction du temps de travail. L’Europe de Maastricht impose des privatisations et des restructurations, synonymes de plans sociaux ? Pas question de nationaliser, c’est passé de mode, mais la gauche arrête les privatisations en cours (Thomson, Air France...) et émet des réserves sur l’euro. Au sommet d’Amsterdam, une fois élu, Lionel Jospin, pour faire contrepoids au pacte de stabilité monétaire et de croissance, fera adopter un volet social au traité. En matière de fiscalité, si ce n’est pas la baisse des prélèvements obligatoires, c’est un rééquilibrage entre l’imposition des revenus du travail et ceux de l’épargne et l’assurance qu’une réforme du crédit contribuera à réduire les charges financières qui pèsent contre l’emploi, notamment pour les PME-PMI. Au programme, également, l’immigration avec la suppression des lois Pasqua-Debré, le rétablissement du droit du sol et la garantie du droit d’asile ; l’amélioration de la vie démocratique avec l’annonce d’un renforcement des pouvoirs du Parlement et de la limitation du cumul et de la durée des mandats électifs et, sur fond d’affaires politico-judiciaires, une meilleure justice avec la suppression du lien entre le garde des Sceaux et le parquet. Reste maintenant à un Lionel Jospin, installé à l’hôtel Matignon, à tenir ses engagements de candidat... tout en affrontant le réel. L’opinion qui, avec Alain Juppé, a montré son impatience et son peu de goût pour les promesses non tenues sera là pour les lui rappeler. Sa « majorité plurielle » aussi. BERNARD MAZIÈRES Les principaux points de la déclaration commune PS-PC Salaires : « La France est en état d’urgence. Une politique fondée sur la relance du pouvoir d’achat, de la consommation et de l’emploi doit être immédiatement engagée. » Emploi : « La lutte contre le chômage et pour l’emploi constitue une priorité absolue. Il est nécessaire de mettre en oeuvre une politique cohérente de création d’emplois, dont 700 000 emplois pour les jeunes. » Temps de travail : « Adoption d’une loicadre qui abaisse, sans diminution de salaires, l’horaire hebdomadaire de travail à 35 heures. » Privatisations : « Arrêt des processus de privatisation de France Télécom, Thomson, Air France. » Immigration : « Substituer aux lois PasquaDebré une véritable politique de l’immigration, rétablir le droit du sol et garantir le droit d’asile. » Europe : « Redonner du sens à l’Europe en dépassant le traité de Maastricht. » downloadModeText.vue.download 103 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 102 2 Canada Victoire du Parti libéral. Le parti du Premier ministre sortant, Jean Chrétien, obtient de justesse la majorité absolue avec 155 députés sur un total de 301, perdant 19 sièges par rapport à l’assemblée précédente. Avec 60 sièges, le parti de la Réforme (RP, droite populiste) devient le deuxième parti canadien, ravissant le titre d’« opposition officielle » aux souverainistes du Bloc québécois, qui passent de 50 à 44 sièges. Le Nouveau Parti démocrate (NPD, socialiste) et le Parti conservateur sont crédités respectivement de 21 et 20 sièges. Le scrutin semble confirmer le découpage régional de la politique canadienne : le Parti de la réforme s’implante dans les provinces occidentales, tandis que le Parti libéral remporte les deux tiers de ses succès et que le Bloc québécois représente la Belle Province, même si ses adversaires constatent que 60 % des électeurs québécois ont voté pour un autre parti que le BQ, ce qui augure mal des chances que le « oui » l’emporte dans un éventuel troisième référendum sur l’indépendance du Québec. 3 Allemagne Recul du gouvernement. Le chancelier Helmut Kohl et son ministre des Finances Theo Waigel doivent renoncer à leur idée de réévaluer le stock d’or de la Bundesbank afin de trouver de nouvelles ressources permettant d’équilibrer les finances publiques. Ce projet, motivé par la nécessité de correspondre en 1998 aux critères fixés par le traité de Maastricht, a rencontré l’opposition résolue des dirigeants de la Banque centrale, fort attachés aux principes de l’orthodoxie financière. Cette affaire affaiblit politiquement le chancelier à un an des élections législatives et rend plus difficile encore la préparation du budget 1998, alors que le chômage touche plus de 4,4 millions de personnes et que l’activité économique reste peu soutenue. Israël Départ de Shimon Pérès. Ehud Barak succède a l’ancien Premier ministre à la tête du Parti travailliste. Âgé de cinquante-cinq ans, M. Barak est un militaire aux prestigieux états de service. Il appartient à la mouvance de droite du parti. Nommé ministre des Affaires étrangères après la mort de Yitzhak Rabin, il a acquis la réputation d’un politicien favorable au processus de paix mais à des conditions sévères pour les Palestiniens. 4 France Nouveau gouvernement. Lionel Jospin communique la formation de son nouveau gouvernement. Celui-ci comporte 16 ministres, dont 2 ministres délégués, et 10 secrétaires d’État. 8 femmes y figurent. Les socialistes et apparentés occupent 18 postes, les communistes 3, comme les radicaux, tandis qu’au ministère de l’Intérieur JeanPierre Chevènement représente le Mouvement des citoyens et qu’à celui de l’Aménagement du territoire et de l’Environnement Dominique Voynet incarne les Verts. La moyenne d’âge du gouvernement, le plus ramassé depuis 1962, est de 51 ans et demi. Les principaux portefeuilles sont occupés par des socialistes : Martine Aubry, no 2 du gouvernement, à l’Emploi et à la Solidarité, Élisabeth Guigou à la Justice, Hubert Védrine aux Affaires étrangères, Dominique StraussKahn à l’Économie (dont le périmètre est étendu à l’Industrie, avec quatre secrétariats d’État, dont l’un englobe les Postes et Télécommunications), Alain Richard à la Défense et Claude Allègre à l’Éducation nationale et à la Recherche. Catherine Trautmann, ministre de la Culture et de la Communication, est porte-parole du gouvernement. On remarque qu’aucun des « ténors » socialistes des années 80, à l’exception de Jean-Pierre Chevènement et de Lionel Jospin lui-même, ne figure dans la nouvelle équipe gouvernementale, que les ex-fabiusiens n’y sont représentés que par un seul secrétaire d’État et la gauche socialiste, par personne. downloadModeText.vue.download 104 sur 361 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 103 Le gouvernement de Lionel Jospin (5 juin 1997) Premier ministre : Lionel Jospin (PS) Ministres Emploi et Solidarité : Martine Aubry (PS) Garde des Sceaux, ministre de la Justice : Élisabeth Guigou (PS) Éducation nationale, Recherche et Technologie : Claude Allègre (PS) Intérieur : Jean-Pierre Chevènement (MDC) Affaires étrangères : Hubert Védrine (PS) Économie, Finances et Industrie : Dominique Strauss-Kahn (PS) Défense : Alain Richard (PS) Équipement, Transports et Logement : Jean-Claude Gayssot (PCF) Culture et Communication, porte-parole du gouvernement : Catherine Trautmann (PS) Agriculture et Pêche : Louis Le Pensec (PS) Aménagement du territoire et Environnement : Dominique Voynet (Verts) Relations avec le Parlement : Daniel Vaillant (PS) Fonction publique, Réforme de l’État et Décentralisation : Émile Zuccarelli (PRS) Jeunesse et Sports : Marie-George Buffet (PCF) Ministres délégués Auprès du ministre des Affaires étrangères. Affaires européennes : Pierre Moscovici (PS) Auprès du ministre de l’Éducation nationale, de la Recherche et de la Technologie. Enseignement scolaire : Ségolène Royal (PS) Secrétaires d’état Auprès du ministre de l’Intérieur. Outre-mer : Jean-Jack Queyranne (PS) Auprès du ministre de l’Emploi et de la Solidarité. Santé : Bernard Kouchner (PRS) Auprès du ministre des Affaires étrangères. Coopération : Charles Josselin (PS) Auprès du ministre de l’Équipement, des Transports et du Logement. Logement : Louis Besson (PS) Auprès du ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie. Commerce extérieur : Jacques Dondoux (PRS) Budget : Christian Sautter PME, Commerce et Artisanat : Marylise Lebranchu (PS) Industrie : Christian Pierret (PS) Auprès du ministre de la Défense. Anciens combattants : Jean-Pierre Masseret (PS) Auprès du ministre de l’Équipement, des Transports et du Logement. Tourisme : Michelle Demessine (PCF) * Ministre ou secrétaire d’État ayant déjà appartenu à un gouvernement. PS : Parti socialiste. PCF : Parti communiste français. PRS : Parti radical socialiste. 5 Algérie Victoire des partisans de Liamine Zeroual. Avec une participation officiellement chiffrée à 66,30 %, le bloc gouvernemental obtient 219 sièges, contre 103 pour la mouvance islamiste et 38 pour les démocrates. Au sein du bloc gouvernemental, le Rassemblement national démocratique (RND, parti du président Zeroual) arrive en tête avec 155 sièges, devant le Mouvement social pour la paix (MSP, exHamas), 69 sièges, et le Front de libération nationale (FLN), 64 sièges. Dans la mouvance islamiste, on remarque la percée du mouvement Enhada (34 sièges), aussitôt interprétée comme un avertissement du pouvoir envers le MSP de Mafoud Nahnah. Celui-ci, comme les partis démocratiques, dénonce les fraudes massives du pouvoir qui aurait, selon eux, arrangé les résultats avant même la tenue du scrutin. Le 8, la Mission d’observation des Nations unies critique les conditions dans lesquelles se sont tenues ces élections législatives, mettant en cause les bureaux de vote spéciaux mis à la disposition des forces armées, soit 1 million d’électeurs sur un total de 17,5 millions. Washington qualifie le scrutin algérien de « petit pas en avant », faisant observer que le parti du président n’a pas la majorité à lui seul et qu’une large partie de l’opposition a pu s’exprimer au cours de la campagne. Le 25, le Premier ministre sortant, Ahmed Ouyahia, présente un nouveau gouverne- ment où figurent sept ministres et secrétaires d’État downloadModeText.vue.download 105 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 104 du MSP (contre 2 dans le gouvernement précédent). (chrono. 15/07) Congo-Brazzaville Affrontements armés dans la capitale. Les partisans de l’ancien président Denis SassouNguesso et du chef de l’État Pascal Lissouba, élu depuis 1992, s’affrontent armes à la main dans les rues de la capitale. Les troubles ont commencé après que la résidence de M. Sassou-Nguesso a été encerclé par les milices « zouloues » du président Lissouba. Les forces acquises à l’ancien dirigeant, dites milices « cobras », ont alors riposté en occupant les quartiers nord de la ville. On déplore rapidement des centaines de victimes, notamment dans la population civile, et les ressortissants étrangers sont rapidement évacués par les troupes françaises stationnées sur place ou dépêchées pour l’occasion. La situation du pays était mauvaise depuis plusieurs années. La corruption était présente à tous les niveaux et la rivalité entre les compagnies pétrolières française (Elf) et américaine (Occidental Petroleum) avait attisé les rivalités ethniques. Après avoir renforcé son dispositif militaire en le portant à 1 200 hommes afin de mieux assurer l’évacuation des étrangers, la France se cantonne à une attitude de stricte neutralité. Dans les semaines qui suivent, les affrontements demeurent, malgré une tentative de cessez-le-feu. (chrono. 8/08) 6 Irlande Victoire du centre droit. La coalition de centre droit dirigée par Bertie Ahern l’emporte sur la coalition sortante qui regroupait, sous la direction de John Bruton, le Fine Gael (centre droit), le Labour et la gauche démocratique. Âgé de quarante-cinq ans, M. Ahern devra réunir dans sa coalition le Fianna Fail (populiste), les Démocrates progressistes (ultra-libéraux) et les indépendants. Il passe pour plus favorable aux républicains d’Ulster que son prédécesseur. On estime que le changement de gouvernement en Irlande ne devrait pas faciliter le processus de paix au nord sans le rendre impossible pour autant. Le 16, on déplore le meurtre de deux policiers en Ulster. (chrono. 25/06) 7 Indo nésie Affrontements au Timor-Oriental. Des manifestants, favorables à l’organisation séparatiste Fretilin, provoquent des incidents graves dans la ville de Dilin, mettant le feu à des boutiques tenues par des commerçants indonésiens. 8 Tennis Victoire d’Iva Majoli et de Gustavo Kuerten à Roland-Garros. À la surprise générale, la joueuse croate et le joueur brésilien remportent les Internationaux de France en battant respectivement la Suissesse Martina Hingis et l’Espagnol Sergi Bruguera. 9 Haïti Démission du Premier ministre. Au pouvoir depuis février 1996, Rosny Smarth quitte son poste de Premier ministre. La crise est née lors du premier tour des élections législatives et locales en avril. Les partisans de M. Smarth et de son parti l’Opération politique Lavalas (OPL) estimaient que cette consultation avait été truquée par les militants du mouvement « la Famille Lavalas », favorable à l’ancien président Jean-Bertrand Aristide. Écarté du pouvoir sous la pression des Américains, celui-ci marquait son opposition à la politique jugée trop « néo-libérale » de M. Smarth. Jean-Bertrand Aristide se replace ainsi dans le jeu politique haïtien en vue des prochaines élections présidentielles qui auront lieu en 2000. (chrono. 28/07) downloadModeText.vue.download 106 sur 361 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 105 11 Religion Annulation d’une rencontre entre Jean- Paul II et Alexis II. Le Saint-Synode de Moscou publie un communiqué indiquant que « les conditions pour organiser une rencontre fructueuse encre l’Église orthodoxe et l’Église catholique ne sont pas réunies ». On explique ce grave revers pour l’oecuménisme par la résistance des courants conservateurs de l’Église orthodoxe russe. (chrono. 22/07) 13 Allemagne/France Désaccord entre les deux gouvernements. Réunis au sommet franco-allemand de Poitiers, les dirigeants des deux pays constatent leurs différences d’approche à quatre jours du conseil européen d’Amsterdam. Helmut Kohl rejette le volet social que Lionel Jospin voudrait faire accepter par l’Union européenne afin de faire contrepoids au pacte de stabilité budgétaire. Il exclut également toute dépense supplémentaire destinée à faire reculer le chômage, tout élargissement des compétences de la Commission et tout infléchissement du pacte de stabilité. (chrono. 17/06) 15 Croatie Réélection de Franjo Tudjman. Après une campagne houleuse, le président sortant l’emporte sur ses deux concurrents, le social-démocrate Zdravko Tomac et le social-libéral Vlado Gotovac. Âgé de soixante-quinze ans, M. Tudjman a axé sa campagne sur l’approfondissement de la personnalité croate alors que les candidats de l’opposition insistaient davantage sur les problèmes économiques et sociaux du pays. 17 UE Sommet en demi-teintes. Les Quinze aboutissent le 16 à un compromis entre les thèses françaises et les thèses allemandes sur le fonctionnement de l’Union économique et monétaire (UEM) à partir de 1999. Le gouvernement socialiste français accepte de signer le pacte de stabilité monétaire élaboré en décembre 1990 (maintien strict d’un déficit budgétaire inférieur à 3 %) et qu’il avait fortement critiqué ; en contrepartie, les autorités allemandes acceptent d’ajouter au pacte de discipline budgétaire une résolution sur l’emploi stipulant que les membres de l’Union doivent coordonner leurs politiques économiques afin de prendre en compte davantage les questions liées à l’emploi. Les observateurs font remarquer que cet engagement ne signifie pas grand-chose et que, de toute façon, Helmut Kohl s’est opposé à tout engagement de crédits nouveaux en faveur de la création d’emploi au niveau européen. Les partisans des thèses françaises soulignent le fait que, pour la première fois, la dimension de l’emploi a été placée au coeur du dispositif de l’Union. Le 17, les Quinze ne parviennent pas à s’entendre sur la réforme des institutions européennes pourtant rendue plus nécessaire par la perspective de l’adhésion prochaine de nouveaux membres. Les principaux points d’achoppement touchaient à la pondération des voix de chaque pays en fonction de sa population et à la généralisation du vote à la majorité qualifiée, plutôt qu’à l’unanimité, au Conseil des ministres. Le chancelier Kohl, déjà en campagne pour les élections allemandes de 1998, a exigé que le maximum de matières demeure l’objet d’un vote à l’unanimité, tandis que les petits pays se sont opposés à toute pondération des voix qui les aurait défavorisés au profit des grands pays plus peuplés. 18 Cambodge Affrontements à Phnom Penh. Des militants du Funcinpec, parti royaliste du coPremier ministre le prince Norodom Ranariddh, s’opdownloadModeText.vue.download 107 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 106 posent les armes à la main à des partisans du Parti du peuple cambodgien (PPC), dirigé par le second Premier ministre Hun Sen. Ces violences interviennent alors que des rumeurs persistantes font état de la reddition, voire de la mort, du dirigeant des Khmers rouges, Pol Pot. Royalistes et ex-communistes cherchent à récupérer les dernières troupes khmères rouges afin de renforcer leurs camps respectifs. L’opinion réclame un procès international contre Pol Pot, responsable de la mort de 2 à 3 millions de Cambodgiens entre 1975 et 1979, mais beaucoup doutent de la possibilité d’un tel procès qui mettrait en cause trop de monde. (chrono. 5/07) France Coup de filet dans les milieux pédophiles. Les services de gendarmerie procèdent à de nombreuses perquisitions chez des pédophiles possédant des cassettes vidéo montrant des scènes sexuelles avec des mineurs. Plus de 200 mises en examen sont prononcées et 20 personnes sont mises en garde à vue, notamment Bernard Alapetite, spécialisé dans l’édition et la vente par correspondance de cassettes pornographiques. À la suite de cette opération, cinq hommes mis en examen se suicident. Certains s’inquiètent alors de l’émotion causée par ces opérations « coup de poing » et craignent une assimilation trompeuse entre pédophilie et homosexualité. Turquie Démission du Premier ministre. Au pouvoir depuis juin 1996, Necmettin Erbakan, chef du para de la Prospérité (Refah, islamiste), démissionne de son poste et recommande son remplacement par son alliée au gouvernement, Mme Tansu Ciller, chef du parti de la Juste Voie (DYP, droite). Depuis plusieurs mois, M. Erbakan était en butte à l’hostilité du haut commandement militaire, farouchement attaché à la laïcité de l’État. Le 20, le président Süleyman Demirel désigne Mesut Yilmaz, chef du parti de la Mère Patrie (Anap, droite), pour former le nouveau gouvernement. Âgé de quaranteneuf ans, bénéficiant d’une réputation d’intégrité, M. Yilmaz est un moderniste attaché à la laïcité. De mars à juin 1996, il avait dirigé un gouvernement de coalition avec Mme Ciller, mais leur inimitié réciproque avait eu rapidement raison de leur alliance politique. M. Erbakan et Mme Ciller critiquent la décision du chef de l’État alors que deux partis de gauche se déclarent prêts à soutenir la tentative de M. Yilmaz. Ce dernier a fait savoir qu’il était favorable à des élections anticipées au printemps 1998. Il forme un gouvernement avec le parti de la Gauche démocratique (DSP, gauche nationaliste) et la Turquie démocratique (DTP, droite). Grâce à quelques défections au sein du DYP, il dispose de la majorité à la Chambre. 19 France Discours de Lionel Jospin. À l’Assemblée nationale, le Premier ministre prononce un discours de politique générale qu’il intitule « nouveau pacte républicain » et « pacte de développement et de solidarité ». Le programme présenté consiste en 45 mesures. Elles ont trait à la vie politique (parité hommes-femmes inscrite dans la Constitution, limitation accrue du cumul des mandats, harmonisa- tion à cinq ans de la durée des mandats électifs), à l’immigration (réexamen de la loi sur la nationalité, rétablissement de la loi du sol, examen par les préfets de la situation des sans-papiers), à la justice et à la police (carrière de tous les magistrats garantie par le Conseil supérieur de la magistrature, suppression de toute intervention du garde des Sceaux au cours de l’instruction, renfort de 35 000 emplois de proximité pour la police, instance indépendante de contrôle déontologique pour la police), à l’écologie (abandon de Superphénix, arrêt du projet de canal Rhin-Rhône) et à la vie sociale (semaine de 35 heures en cinq ans, hausse du SMIC de 4 %, remise en cause de la législation sur les fonds de pension, allocation de rentrée scolaire portée de 420 à 1 600 francs, création de 700 000 emplois pour les jeunes, allocations familiales placées sous conditions de ressources). Si la plupart des mesures annoncées étaient attendues, celle concernant les allocations familiales soulève aussitôt des protestations. M. Jospin avait annoncé un plafond de ressources par famille de 25 000 francs au-delà duquel les allocations n’étaient pas versées. Les associations, les syndicats et le Parti communiste s’opposent à ce projet de limitation, alors que les sondages indiquent que 63 % des personnes interrogées y sont favorables. France Jean-François Revel élu à l’Académie française. Le journaliste et essayiste, âgé de soixante-treize ans, est élu au second tour de scrutin, par 16 voix contre 14 au romancier Henri Coulonges. Ancien résistant, downloadModeText.vue.download 108 sur 361 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 107 philosophe de formation, il publie en 1957 son premier ouvrage, Pourquoi des philosophes ? Il travaille ensuite à l’Express, dont il devient directeur de 19 78 à 1981. Il se fait connaître du grand public avec Ni Marx, ni Jésus, publié en 1970. Grande-Bretagne Nouveau leader au Parti conservateur. William Hague succède à John Major à la tête du parti tory. Âgé de trente-six ans, il a été parrainé en politique par Margaret Thatcher. Il incarne la ligne euro-sceptique opposée à celle de son principal concurrent à la direction du parti, Kenneth Clarke, centriste et europhile. Après le scrutin, M. Clarke déclare qu’il ne siégera pas au « cabinet fantôme » (contre-gouvernement), confirmant ainsi l’orientation fortement droitière de la formation conservatrice. 21 Espagne Départ de Felipe Gonzalez. À la surprise générale, l’ancien chef du gouvernement annonce qu’il quitte la direction du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE), qu’il dirigeait depuis plus de vingt-trois ans. Il est remplacé par Joaquin Almunia, quarante-neuf ans, un de ses proches collaborateurs, qui se situe au centre droit du parti et professe un intérêt marqué pour les idées de Tony Blair. Ce brusque départ de M. Gonzalez est expliqué par la volonté de celui-ci de rénover le parti et d’avoir, le cas échéant, les coudées plus franches pour se présenter à nouveau à la direction du gouvernement lors des prochaines élections ou pour prendre des responsabilités au niveau européen. 22 G8 Dissensions euro-américaines. Le groupe des sept nations les plus industrialisées du monde, auquel s’est jointe la Russie, achève ses travaux après deux jours de réunion à Denver, dans le Colorado. Le sommet, dont l’ordre du jour comptait un très grand nombre de sujets (économie, santé, démographie. Afrique, Irak, Bosnie, écologie, etc.), n’a pu déboucher sur aucune décision concrète. Les quatre dirigeants européens (l’Allemand Kohl, le Britannique Blair, le Français Chirac et l’Italien Prodi) se sont sentis parfois agacés par les leçons que n’a pas manqué de leur infliger Bill Clinton en matière de politique économique et d’emploi, revenant avec insistance sur l’excellence du modèle américain. Jacques Chirac n’a pu obtenir de son homologue américain qu’il revienne sur son double refus d’accepter la Roumanie au sein de l’OTAN et de confier le commandement de la zone sud de cette organisation militaire à un général européen. Par ailleurs, les dirigeants européens se sont également vu opposer une fin de non-recevoir par M. Clinton à leur demande d’engagement sur une réduction des émissions de gaz carbonique dans l’atmosphère. Le sentiment général est que le G7 + 1 ne sert plus à grand-chose sinon à promouvoir l’idée du leadership américain et, accessoirement, à conforter l’image de Boris Eltsine. 23 États-Unis Accord avec les fabricants de cigarettes. En échange de l’abandon des nombreuses poursuites judiciaires intentées par les victimes de la nicotine et leurs familles, les cigarettiers américains s’engagent à verser sur vingt-cinq ans 2 200 milliards de francs au profit de ceux-ci ou à celui d’organismes de santé. Ils renoncent par ailleurs aux panneaux publicitaires et au sponsoring sportif. Les responsables sanitaires dans le reste du monde, et notamment en Europe, s’inquiètent de cet accord qui devrait avoir pour conséquence d’aiguiser l’agressivité commerciale des fabricants d’outre-Atlantique sur les marchés étrangers. 24 France Élection d’Alain Madelin. L’ancien ministre de l’Économie est élu à la tête du Parti républicain avec 59,9 % des voix, devant Gilles de Robien, crédité de 37,3 %. La formation change de nom pour s’appeler Démocratie libérale. M. Madelin était soutenu par le président sortant, François Léotard, qui compte faire ainsi alliance avec lui afin de renforcer sa position à la tête de l’UDF contre les downloadModeText.vue.download 109 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 108 ambitions du président de Force démocrate, François Bayrou. 25 France Mort de Jacques-Yves Cousteau. L’explorateur et cinéaste des fonds sous-marins, universellement connu, meurt à Paris à l’âge de quatre-vingt-sept ans. Officier de marine, il découvre la plongée dans les années 30. Pendant la guerre, il participe à la Résistance (ce que certains contestent) tout en inventant avec l’ingénieur Émile Gagnan le scaphandre autonome à bouteilles d’air comprimé. Il commercialise cette invention après la guerre, ce qui fait sa fortune. À partir des années 50, il lance des expéditions océanographiques avec son fameux bateau la Calypso et réalise avec Louis Malle le film le Monde du silence, qui obtient la palme d’or à Cannes en 1956. Au cours des années 60, il devient un des pionniers de l’écologie et met sa notoriété au service de la défense de la nature. Élu à l’Académie française en 1988, il continue à être actif jusqu’à la fin de sa vie, à monter des expéditions à travers le monde et à réaliser des films pour la télévision. Parfois contesté pour sa dureté en affaires ou pour le manque de rigueur scientifique de ses films, il demeure cependant reconnu comme le premier des écologistes, qui a permis, notamment, de protéger l’Antarctique de toute exploitation industrielle. Sa disparition est saluée dans toutes les grandes capitales. Grande-Bretagne Ouvertures sur l’Ulster. Tony Blair propose un compromis en Irlande du Nord : un cessez-le-feu de l’IRA contre l’ouverture de négociations. Celles-ci devraient commencer en septembre, six semaines après l’arrêt des violences, et s’achever en mai 1998. Le désarmement des groupes nationalistes et unionistes devrait intervenir pendant ces négociations, et non pas avant, comme le réclamaient les organisations protestantes, ni après, ainsi que le voulait l’IRA. En présentant ainsi un calendrier politique, le Premier ministre britannique innove, mais il est clair qu’il ne propose pas plus qu’une autonomie renforcée pour l’Uster et certainement pas le rattachement de cette province à la république d’Irlande. L’effet Calypso À l’image des appréciations mitigées et controversées qu’inspira le personnage public, il est malaisé – et trop tôt – de porter un jugement serein sur ce que certains hésitent à appeler l’« oeuvre scientifique » de Cousteau. Pour ce faire, il faut renoncer au vitriol ou à l’encens, oublier ses approximations imprudentes au-delà d’un domaine qui n’était pas le sien. Certes, ses relations avec les scientifiques, au rang desquels il ne s’est pas compté (en témoigne la liste de ses « travaux »), sont devenues, après les années 70, plus distendues, et même tendues durant sa « dérive médiatique ». Mais il restera toujours, entre les chercheurs et lui, la distance et les liens d’une sympathie agacée, cet homme d’instinct comprenant mieux que quiconque leurs besoins en moyens, en engins et en audience. Dans leur mémoire, il restera le commandant de la mythique Calypso et un instrumentiste habile, toujours à l’affût d’innovations, de perfectionnements qui, peu à peu, enrichirent, encombrèrent son pont et ses cales. Bricoleur doué, il se fit, dès les années 50, créateur, promoteur et exploiteur de ce qu’il appelait des « techniques secondaires », destinées à faciliter, diversifier, étendre le travail en station et en croisière. Parmi ces appareillages, citons le câble de Nylon pour le mouillage et le dragage de grands fonds ; ou les émetteurs sonores dont les « tic-tic » localisent les engins à la mer. Même généralisation de la caméra pour étudier les eaux et les fonds : la photo prise par le scaphandrier ou par la « troïka » (traîneau tracté au ras du fond) ; la télévision et le cinéma dont il fut un producteur prolifique. Dans ce métier de chasseur d’images, il a beaucoup retiré de ses relations avec des Américains, comme, par exemple, Harold Edgar Edgerton (1903-1990), appelé « Papa Flash », professeur au MIT, qui, durant les années 60, construisit pour la Calypso des caméras sensibles et résistantes, capables de photographier les animaux pélagiques et benthiques jusqu’à plus de 7 000 m. C’est par plus de 7 500 m de fond, dans la fosse downloadModeText.vue.download 110 sur 361 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 109 de la Romanche, qu’il établit son record (Atlantique équatorial, juillet 1956). Le symbole d’une génération Bien sûr, à ses yeux, la « technique première » sera toujours l’engin de plongée et la vision humaine directe, par le scaphandre autonome dont il adapta et popularisa l’emploi hors des sphères scientifiques (comme dans les maisons sous la mer des opérations « Précontinent » I, II et III, qui ont apporté d’utiles informations sur la physiologie de la plongée et la géologie prélittorale) et, surtout, par le sous-marin, vite appelé « soucoupe plongeante » en ces temps d’engouement extraterrestre. À plus d’un tiers de siècle de distance, on mesure mal ce que le nouveau type de submersible apportait, aux pétroliers en quête d’un véhicule pratique pour reconnaître et visiter les champs offshore comme aux scientifiques insatisfaits de l’emploi des pesants bathyscaphes. Conçues vers la fin des années 50, mises au point et construites durant la décennie suivante, les virevoltantes SP : 350 puis 3 000 (achetée, perfectionnée par le CNEXO qui l’exploita sous le nom de Cyana) furent à l’image et à l’origine de toute une généalogie de submersibles en Amérique et en Europe. Les chercheurs, les prospecteurs, le public adoptèrent d’emblée ces étonnantes boules aplaties et légères, élégantes sous leur coiffe et leur visière de plastique, capables de toutes les prouesses d’escalade, auxquelles on doit des découvertes qui firent date (canyons, vallée centrale des dorsales, sources abyssales). Ce n’est pas diminuer les mérites pionniers de Cousteau de dire qu’il illustra et fut porté par un mouvement semblable en d’autres pays. Sans l’audience qu’il lui impulsa, peut-être eût-il progressé à pas plus mesurés. Il restera le symbole d’une époque désormais révolue : celle de la première génération de l’image, qui eut besoin de l’émerveillement et du spectacle pour porter la découverte des profondeurs à l’avant-garde du savoir moderne ; celle qui précéda l’imagerie satellitaire et automatique, l’invasion de l’ordinateur et l’informatisation intégrale des navires. C’est en faisant de la plongée en submersible le merveilleux scientifique de ce temps-là qu’il demeurera à jamais un de nos derniers « savanturiers ». JEAN-RENÉ VANNEY Pour en connaître plus sur J.Y. Cousteau et l’océanographie de son temps, lire : Jacques-Yves Cousteau (en collaboration avec S. Schiefelbein), l’Homme, la pieuvre et l’orchidée, Laffont et Plon, 1997. P. Dupont, les Héritiers de Neptune, Glénat, 1989. L. Laubier, Vingt Mille Vies sous la mer, O. Jacob, 1992. SV de Omanovsky, la Face cachée de Cousteau ou la vie du chef des « Requins associés », Odilon Média, Paris, 1996. J.-R. Vanney, le Mystère des abysses. Histoires et découvertes des profondeurs océaniques, Fayard (Coll. « Le temps des sciences »), 1993. B. Violet, Cousteau, une biographie, Fayard, 1993. Après la « calypsologie », « Calypsolog »... Il est exagéré de dire que Cousteau fut le créateur de l’océanographie française, mais la société Campagnes océanographiques françaises (COF), gestionnaire du petit navire de bois appelé Calypso, justifia l’immodestie de son appellation, pendant la quinzaine d’années qui précédèrent les premiers lancements de la flotte océanographique de l’ex-CNEXO (v. 1965). Les équipes de toutes disciplines, soutenues par le CNRS et l’Université, purent y embarquer pour des campagnes lointaines, de la mer Rouge (1951) à l’Atlantique sud-américain (1962). Les résultats scientifiques des campagnes de la Calypso (biologie, benthique et pélagique, physique, chimie, bathymétrie, géo- logie et géophysique marines, sans oublier l’archéologie) parurent en 11 fascicules des Annales de l’Institut océanographique de la Fondation Albert Ier de Monaco, entre 1954 et 1979. C’est aussi la période des publications scientifiques de Cousteau, en collaboration le plus souvent. Elles traitent de levés morphologiques (mer Rouge, Congrès géologique international, Alger, 1953 ; mer Ligure, Bulletin de l’Institut océanographique, 1969) ou sédimentologiques (côte niçoise, downloadModeText.vue.download 111 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 110 C.R. Acad. des Sci., 1958), et d’optique de l’eau de mer (Bull. Inst. océanogr., 1964). 28 Écologie Échec du Sommet de la Terre. Cinq ans après le Sommet de Rio, les chefs d’État réunis a l’ONU reconnaissent leur incapacité à mettre en oeuvre les recommandations qu’ils avaient alors édictées pour limiter la pollution de l’atmosphère. Bill Clinton n’a pu donner de précisions chiffrées quant à la réduction de l’émission de gaz à effet de serre aux États-Unis, supposant ainsi aux Européens qui souhaitaient de nouveaux engagements en ce domaine. Les pays du Sud ont argué de cette mauvaise volonté américaine pour justifier leurs propres carences, refusant de limiter leur développement industriel au nom de considérations écologiques que les pays nantis refusent eux aussi de prendre en compte. Au bout du compte, M. Clinton a annoncé que Washington allait accorder un milliard de dollars sur cinq ans aux pays du Sud afin de les aider à limiter les émissions de gaz à effet de serre. En 1992, l’aide que les pays du Nord devaient apporter à ceux du Sud pour leur permettre de mettre en oeuvre les recommandations du Sommet de Rio avait été évaluée à 600 milliards de dollars par an pendant sept ans. France Confirmation de la fermeture de Vilvorde. Danielle Kaisergruber, l’expert indépendant nommé par le gouvernement de Lionel Jospin, estime qu’il n’y pas de solution alternative à la fermeture de l’usine Renault de Vilvorde, en Belgique. Elle juge cependant que la procédure utilisée par la direction a été trop brutale et préconise en contrepartie un plan social exemplaire. Le Premier ministre belge, JeanLuc Dehaene, reproche à son homologue français d’avoir fait naître de faux espoirs. Le 22 juillet, un plan social très favorable au personnel est adopté : pas de licenciements secs, des primes au départ immédiat entre 150 000 et 300 000 francs, des préretraites, des maintiens sur le site pour 400 salariés, des reclassements pour 500 salariés et un chômage technique garanti pendant deux ans pour les autres. Un responsable syndical belge déclare cependant que Vilvorde restera comme le « symbole d’une Europe qui n’est pas sociale ». France Grande parade homosexuelle. Plus de 200 000 personnes défilent à Paris pour défendre les droits des homosexuels, hommes et femmes. La principale revendication concerne le contrat d’union civile et sociale (CDUS), qui doit permettre à « toutes les personnes physiques, quel que soit leur sexe » et qui ont un « projet de vie commun » de bénéficier des mêmes droits que dans le mariage pour les questions ayant trait au logement, à la communauté des biens, à la fiscalité et au legs, à l’exclusion cependant de tout ce qui touche à la procréation, à la filiation et à l’adoption. Le Parti socialiste s’est déclaré favorable à ce projet. 29 Albanie Victoire de l’opposition. En obtenant des le premier tour 95 sièges sur les 155 à pourvoir (55,3 % des voix), le Parti socialiste (excommuniste) de Fatos Nano et ses alliés de gauche remportent les élections législatives au détriment du Parti démocrate (11 sièges et 25,3 % des suffrages) du président Sali Berisha. Le lendemain, celui-ci reconnaît sa défaite et affirme qu’il respectera « le verdict du peuple ». Un référendum organisé le même jour sur le rétablissement de la monarchie en Albanie donne 20 % seulement de « oui » en faveur du retour de la famille royale. Les observateurs internationaux estiment que le scrutin s’est déroulé dans des conditions « assez satisfaisantes », avec une participation supérieure à 50 % des inscrits. M. Nano se dit prêt à une cohabitation avec le président Berisha, tout en faisant observer que, jusqu’alors, celui-ci s’y est toujours refusé. Le 2 juillet, M. Berisha déclare qu’il démissionnera après l’installation du nouveau gouvernement. Le 26, il est remplacé par un socialiste modéré âgé de cinquante-deux ans, Rexhep Medjani. downloadModeText.vue.download 112 sur 361 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 111 JUILLET 1 Chine Rétrocession de Hongkong. Après cent cinquante-six ans d’occupation britannique, l’île de Hongkong et les territoires lui faisant face sur le continent sont rétrocédés à la Chine, en application d’un accord négocié en 1984 entre Londres et Pékin. Dés la première minute de la journée, 4 000 soldats chinois entrent dans la ville avec tout leur matériel, notamment des blindés légers anti-émeute, démontrant ainsi la volonté du gouvernement central de contrôler de près la vie politique de l’ancienne colonie anglaise. Une cérémonie assez froide réunit le prince Charles, le dernier gouverneur de Hongkong, Chris Patten, et le président chinois Jiang Zemin. Les responsables britanniques déclarent qu’ils suivront de très près l’évolution de leur ancienne possession et qu’ils souhaitent le maintien des ouvertures démocratiques pratiquées depuis quelques années. Le chef de l’État chinois se contente d’affirmer que la ville « maintiendra ses liens économiques et culturels » avec le reste de la planète. Des partisans de la démocratie manifestent dans la rue et exhortent le nouveau chef de l’exécutif de l’île désigné par Pékin, Tung Chee-hwa, à préserver les libertés publiques. Cinéma Mort de Robert Mitchum. L’acteur de cinéma américain meurt à Santa Barbara à l’âge de soixante-dix-neuf ans. Après une jeunesse aventureuse, il entame au début des années 40 une carrière d’acteur, servi par une silhouette de colosse et une décontraction naturelle tout à fait étonnante. En 1947, il obtient son premier grand rôle dans la Vallée de la peur de Raoul Walsh. Il devient définitivement une vedette, défrayant la chronique par ses frasques et sa consommation d’alcools et de substances toxiques. Il travaille ensuite sous la direction d’Otto Preminger (la Rivière sans retour, aux côtés de Marilyn Monroe) avant de tourner le plus grand rôle de sa carrière, en 1955, celui d’un pasteur fou terrifiant deux enfants dans la Nuit du chasseur de Charles Laughton. Il fait sa dernière apparition à l’écran en 1995 dans le très beau Dead Man de Jim Jarmusch. 2 Cinéma Mort de James Stewart. L’acteur de cinéma américain meurt à Beverly Hills à l’âge de quatre-vingt-neuf ans. Il reste comme l’acteur américain par excellence, avec sa longue silhouette dégingandée, sa gaucherie émouvante et sa ténacité idéaliste. Son premier rôle important date de 1938 dans Vous ne l’emporterez pas avec vous de Frank Capra. L’année suivante, il triomphe dans M. Smith au Sénat, du même Capra, où il incarne un jeune parlementaire opposé à toute forme de corruption. Excellent pilote, il s’engage dans l’aviation pendant la Seconde Guerre mondiale, qu’il finit avec le grade de colonel sur la base de ses états de service. La paix revenue, il reprend le chemin des écrans et joue à nouveau sous la direction de Capra puis d’Alfred Hitchcock (la Corde, 1948 ; Fenêtre sur cour, 1955 ; l’Homme qui en savait trop, 1956 ; Vertigo, 1958), d’Anthony Mann (notamment l’Homme de la plaine, 1955) et de John Ford (entre autres l’Homme qui tua Liberty Valance, 1962). 3 Bosnie Crise politique en République serbe de Bosnie. Biljana Plavsic, présidente de la RS, dissout le Parlement. Ignorant cette décision, le gouvernement, contrôlé en sous main par Radovan Karadzic, convoque le Parlement dans le but de lui faire condamner la politique de Mme Plavsic, jugée trop favorable aux thèses américaines et européennes. Jusqu’à 1996, Mme Plavsic était une collaboratrice fidèle de M. Karadzic. Désormais, elle s’oppose au refus de celui-ci d’appliquer les accords de Dayton (signés en 1995 et organisant une administration commune aux trois communautés de Bosnie) et condamne sa participation à ce qu’elle considère comme une série de trafics mafieux en collaboration avec la police spéciale. À la suite de cette crise politique, l’Union européenne décide de suspendre son aide non hudownloadModeText.vue.download 113 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 112 manitaire à la RS et Bill Clinton réitère son soutien à la présidente Plavsic. (chrono. 10/07) 4 Cambodge Nouveaux affrontements dans la capitale. Les partisans des deux Premiers ministres, le prince Norodom Ranariddh et Hun Sen, échangent des tirs d’obus et de mortier. Cette nouvelle flambée de violence intervient alors que les royalistes tentent de ramener à eux les anciens Khmers rouges que la mort supposée, ou l’élimination politique, de leur chef Pol Pot a rendus disponibles. Très rapidement, les combats tournent à l’avantage du leader du parti du Peuple cambodgien (PCC, ex-communiste), tandis que les chefs royalistes tentent de maintenir la résistance dans le nord du pays et que le prince Norodom Ranariddh, en déplacement à l’étranger, s’efforce de mobiliser l’opinion internationale en sa faveur. Dans les semaines qui suivent, il est éliminé du jeu politique, puis, le 6 août, remplacé à son poste de co-Premier ministre par Ung Huot, membre du parti royaliste Fucinpec. (chrono. 28/10) Espace Nouvelle sonde américaine sur Mars. Vingt ans après les sondes Viking, la sonde Pathfinder se pose sur l’astre rouge à l’issue d’un voyage de sept mois et de 500 millions de kilomètres. Un petit véhicule tout-terrain, haut de 30 cm, baptisé Sojourner, s’extrait de l’engin spatial et envoie des clichés étonnants du paysage martien : une surface désertique, de couleur gris ocre, parsemée de cailloux et de roches. Ces nombreuses images permettent aux scientifiques de confirmer une hypothèse qu’ils avançaient depuis plusieurs années : la présence d’eau sur Mars il y a environ 3,8 milliards d’années. France Annulation des poursuites contre les époux Tiberi. La chambre d’accusation de la cour d’appel de Paris annule pour vice de forme les poursuites contre le maire de Paris, Jean Tiberi, et son épouse Xavière, ainsi qu’à l’encontre du président du conseil général de l’Essonne, Xavier Dugoin. Lors de sa perquisition au domicile des Tiberi, le juge d’instruction Éric Halphen n’aurait pas respecté toutes les procédures requises. Toutefois, dans les jours qui suivent, le procureur d’Évry ouvre une nouvelle enquête préliminaire sur l’existence d’« emplois fictifs » au sein du cabinet de M. Dugoin. Parmi ces emplois fictifs, on retrouverait les 200 000 F versés à Mme Tiberi pour un rapport dont la valeur intellectuelle avait été fortement contestée. Reprise de l’exploration de Mars Depuis les sondes américaines Viking, il y a vingt et un ans, aucun engin de fabrication humaine ne s’était posé sur Mars. L’exploration de cette planète voisine, extrêmement fascinante parce que susceptible d’avoir vu jadis l’éclosion de la vie, reprend avec l’arrivée à sa surface, le 4 juillet, de la sonde Mars Pathfinder, porteuse du petit robot mobile Sojourner, et la mise en orbite martienne, le 11 septembre, du satellite Mars Global Surveyor. Pour appliquer le nouveau slogan de la NASA – faire mieux, plus vite et moins cher –, les promoteurs de la mission Mars Pathfinder ont dû prendre des risques. Par souci d’économie, aucun des instruments de bord de la sonde (y compris l’ordinateur) n’a été installé en deux exemplaires, contrairement à l’usage, et pour la première lois l’atterrissage sur Mars a été prévu au terme d’une trajectoire balistique, sans mise en orbite préalable. Le suspense n’en a été que plus grand lorsque Mars Pathfinder, après sept mois de voyage et un trajet de 497 millions de kilomètres dans l’espace interplanétaire, s’est séparé de son étage de croisière à 13 000 km de son objectif pour foncer vers le sol martien comme un obus. Freiné par un bouclier thermique, puis par un parachute de 12 m de diamètre et enfin par l’allumage de trois rétrofusées, l’engin a touché la surface martienne le 4 juillet à 17 h 07 (temps universel), protégé par une grappe de 18 ballons gonflables, de 5 m de diamètre. Après une quinzaine de rebonds, la sonde s’est immobilisée par 19,33° de latitude nord et 33,55° de longitude ouest, à moins de 1 km du point visé, dans Ares Vallis, une vallée martienne qui semble avoir été le théâtre d’inondations importantes il y a plusieurs milliards d’années. Une heure et demie downloadModeText.vue.download 114 sur 361 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 113 plus tard, l’atterrisseur (rebaptisé Memorial Carl Sagan, en hommage à l’un des principaux artisans du programme américain d’exploration planétaire, disparu en décembre 1996) s’est ouvert comme une fleur, déployant au sol 3 « pétales » pour constituer une station scientifique fixe équipée d’une caméra couleur pivotante et de capteurs météorologiques. Fixé sur l’un des « pétales », un petit véhicule robotisé, Sojourner (nom d’une esclave noire du XIXe siècle qui lutta contre l’esclavage et mot américain signifiant voyageur), surnommé Rocky, allait devenir la vedette de la mission après sa descente sur le sol, le 6 juillet. Sojourner roule sur Mars Précurseur des futurs engins d’exploration de la surface martienne, Sojourner (65 cm de long, 48 cm de large, 30 cm de haut, 10,5 kg) est un bijou technologique de 25 millions de dollars. Conçu pour se déplacer dans un rayon de 800 m seulement autour du Memorial Carl Sagan, il est télécommandé depuis la Terre, mais, compte tenu du délai de communication (plus de 10 min), il se dirige grâce à un système de navigation par laser et aux images fournies par deux caméras à vision stéréoscopique. Sa vitesse maximale est de 1 cm par seconde. Ses 6 roues indépendantes lui permettent de franchir des obstacles de 20 cm de haut et de gravir des pentes atteignant jusqu’à 45°. Grâce à un spectromètre à rayons alpha, à protons et à rayons X, il peut déterminer la composition chimique du sol et des roches. Son plan de mission initial n’était que de 7 jours ; en fonctionnant plusieurs mois et en parvenant à se dégager de situations périlleuses, Sojourner a dépassé toutes les espérances de ses concepteurs. Mars Global Surveyor Après le succès de la mission Mars Pathfinder, l’offensive scientifique américaine en direction de Mars se poursuit avec le satellite de cartographie Mars Global Surveyor. Lancé le 7 novembre 1996 par une fusée Delta, ce véhicule de 1 062 kg, après un voyage de 750 millions de kilomètres ponctué de trois corrections de trajectoire, entame le 11 septembre d’ultimes manoeuvres d’approche de la planète rouge. Satellisé d’abord sur une orbite elliptique très allongée qui l’éloigné jusqu’à 56 000 km de Mars et qu’il décrit en un peu plus de 2 jours, l’engin utilise ensuite une méthode de freinage atmosphérique déjà expérimentée avec succès autour de Vénus par la sonde Magellan. Ralenti naturellement au fil de ses passages dans l’atmosphère martienne (sous l’effet de la résistance opposée par les gaz constituant cette atmosphère), il tend à se rapprocher progressivement de la planète. À la mi-mars 1998, il se stabilisera sur une orbite quasi circulaire à 378 km d’altitude, passant au-dessus des pôles de Mars, qu’il parcourra en 118 minutes. Mars Global Surveyor entamera alors sa mission cartographique en tournant vers le sol sa caméra à haute résolution qui lui permettra d’obtenir des images montrant des détails de l’ordre de 1 mètre seulement. Il est prévu que cette mission se poursuive durant une année martienne complète (687 jours terrestres), jusqu’au 31 janvier 2000, avec une couverture de l’ensemble de la surface en 7 jours martiens, soit 7,2 jours terrestres. Après quoi, le satellite restera en orbite pour servir de relais de télécommunications aux sondes et aux robots mobiles qui exploreront la surface de Mars au début du siècle prochain. Peu après sa mise en orbite, Mars Global Surveyor a effectué une première découverte, celle de l’existence d’un champ magnétique autour de Mars, 800 fois plus faible que celui de la Terre. On ignore encore s’il s’agit de la rémanence d’un champ fossile ou de la manifestation de la rotation d’un noyau métallique toujours actif au coeur de la planète. Dans ce dernier cas, il n’y aurait plus, parmi les planètes principales du système solaire, que Vénus et, peut-être, Pluton (non encore explorée) à être dépourvues de champ magnétique. La faible intensité du champ martien pourrait indiquer que le noyau de la planète rouge s’est refroidi très rapidement, autrement dit que Mars a vieilli prématurément. PHILIPPE DE LA COTARDIÈRE Les futures sondes martiennes Mars Pathfinder et Mars Global Surveyor inaugurent une série d’une dizaine d’engins qui doivent atteindre ou survoler Mars d’ici à 2005. Trois nouveaux couples atterrisseur/ orbiteur américains devraient être lancés respectivement en 1998-1999, 2001 et 2003, les deux derniers accompagnés d’un robot mobile pour la collecte d’échantillons du sol. Puis, en 2005, partiront deux nouvelles sondes américaines, qui auront pour mission de se poser prés des robots de 2001 et downloadModeText.vue.download 115 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 114 de 2003 pour récupérer leur précieuse cargaison et la rapporter sur la Terre. Les Japonais prévoient, quant à eux, le lancement, à la fin de 1998, d’un satellite dénommé Planète B, pour l’étude de la haute atmosphère de Mars, tandis que les Européens songent à lancer en 2003 une sonde appelée Mars Express. 6 France Philippe Séguin président du RPR. Avec 78,85 % des voix, le maire d’Épinal est élu à la tête du mouvement gaulliste. Âgé de cinquante-quatre ans, orphelin très jeune d’un père officier et élevé par une mère institutrice, il est ancien élève de l’ENA. En 1973, il est appelé au cabinet de Georges Pompidou en tant que chargé de mission pour les questions agricoles. En 1986, il est ministre des Affaires sociales dans le ministère Chirac, lors de la première cohabitation. Tenant d’un gaullisme social, voire populiste, il se rapproche un temps de Charles Pasqua et s’oppose vigoureusement en 1992 à l’adoption du traité de Maastricht. En 1993, il est élu président de l’Assemblée nationale et prend ses distances par rapport aux gouvernements RPR d’Édouard Balladur puis d’Alain Juppé. Au début de 1997, il se déclare publiquement favorable à la construction européenne et accepte la logique de Maastricht. Fin mai, entre les deux tours de la campagne électorale, il est présenté comme le futur Premier ministre de Jacques Chirac, au cas où la droite serait reconduite. Nouveau dirigeant de la formation gaulliste, il se pose d’emblée en rival du président de la République, envers lequel il affirme pourtant sa fidélité. Il prend comme principal collaborateur Nicolas Sarkozy, à qui beaucoup de partisans de Jacques Chirac reprochent son engagement auprès de M. Balladur lors de la campagne de 1995. Mexique Défaite historique du Parti révolutionnaire institutionnel. Le PRI, au pouvoir depuis 1929, perd la mairie de Mexico, la majorité à la Chambre des députés et la direction du plus puissant État industriel de la fédération, le Nuevo Léon, dans le nord du pays. Le poste de maire de la capitale, qui représente officieusement le deuxième centre de pouvoir de la nation, va au candidat de gauche Cuauhtémoc Cardenas. Le PRI demeure encore le premier parti du pays avec 239 députés sur un total de 500, devant le parti de la Révolution démocratique (PRD, gauche), crédité de 125 sièges, et le parti d’Action nationale (PAN, conservateur), 122 sièges. Il garde également la majorité au Sénat. Le Nuevo Léon passe aux conservateurs du PAN. Le chef de l’État, Ernesto Zedillo, engagé à fond dans la campagne électorale, met en avant que c’est grâce à lui et à la réforme électorale démocratique qu’il a fait adopter en 1996 que le scrutin s’est déroule dans de bonnes conditions, rompant avec une tradition bien établie de fraude électorale et confortant l’image du Mexique dans le monde, particulièrement auprès des investisseurs étrangers. Tennis Martina Hingis et Pete Sampras vainqueurs à Wimbledon. La jeune Suissesse d’origine slovaque devient, à seize ans, la plus jeune détentrice du titre (depuis l’ère open) en battant la Tchèque Jana Novotna. L’Américain, pour sa part, remporte son 4e titre sur le gazon anglais en battant facilement le Français Cédric Pioline. Mexique, fin de partie pour le PRI Au cours de la campagne électorale, le président Zedillo, défendant un bilan économique de bon aloi, avait appelé les Mexicains à faire encore un effort. Mais le vieux Parti révolutionnaire institutionnel (PRI) n’a pas trouvé les accents propres à assurer une fois de plus son hégémonie. En introduisant pour la première fois dans l’histoire du pays un vrai pluralisme politique, les élections générales du 6 juillet auront constitué un véritable tournant. Si les principaux indicateurs macroéconomiques étaient de nouveau excellents – PIB en hausse de 5,1 % en 1996, inflation et taux de chômage officiel en baisse et taux de changes stables –, pour la majorité de la population, ces résultats n’ont guère eu de signification : trois ans après le séisme financier de 1994, la plupart des nouveaux venus sur le marché du travail – près de 1 million par an – survivent toujours downloadModeText.vue.download 116 sur 361 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 115 dans le cadre de l’économie informelle, qui occupe plus de la moitié de la population active. La pauvreté, qui affectait déjà 70 % des Mexicains, s’est encore aggravée, plusieurs millions de personnes disposant à peine de l’équivalent de 3 F par jour pour vivre. Mais, en offrant une cure d’opposition au PRI, les électeurs mexicains ont sans doute davantage voulu exprimer une lassitude à l’égard d’un régime au pouvoir depuis près de soixante-dix ans que sanctionner la conduite des affaires économiques. Parti sans véritable idéologie, si ce n’est un vague « nationalisme révolutionnaire », le PRI a adopté le « tout État » jusqu’au début des années 80 pour se convertir peu à peu à l’économie de marché. Ces changements de cap successifs, l’insécurité croissante et la corruption endémique au sein de la police ont fini par déstabiliser le vieux parti. La fin d’une époque Les électeurs étaient appelés à renouveler la Chambre des députés (500 sièges) et un quart du Sénat (32 membres sur 128). En même temps, 6 États devaient élire leurs gouverneurs, et, pour la première fois, les habitants de la capitale allaient choisir leur maire au suffrage universel. En dépit d’un échec annoncé par tous les sondages, les candidats du PRI ont tenté d’utiliser les vieilles recettes, de celles qui naguère leur assuraient le bonheur électoral. Ainsi, le président du PRI n’at-il pas hésité à accuser le parti d’Action nationale (PAN, conservateur) de fascisme et le parti de la Révolution démocratique (PRD, opposition de gauche) de communisme. Parallèlement, des milliers de cassettes vidéo truquées visant à présenter le PRD comme une formation politique violente circulaient dans le pays. On se souvient que des méthodes de ce genre avaient donné de bons résultats lors des élections générales de 1994, largement remportées par le PRI et par Ernesto Zedillo, qui succédait alors à Carlos Salinas à la présidence de la République. Mais les conditions étaient tout autres. Le Mexique connaissait une période particulièrement troublée, littéralement déstabilisé par l’insurrection zapatiste et l’assassinat du candidat officiel à la présidence Donaldo Colosio. Il avait suffi au PRI d’exploiter la peur ambiante pour obtenir des électeurs sa reconduction au pouvoir. Mais, en décembre de la même année, la brutale dévaluation du peso allait avoir de funestes effets pour le PRI : les Mexicains voyaient leur niveau de vie chuter brutalement au moment où s’accumulaient les révélations sur l’enrichissement spectaculaire du frère de l’ex-président Salinas. Déjà affaiblie par les profondes divergences entre les partisans du néolibéralisme et la vieille garde nationaliste, la formation issue de la révolution de 1910 paraissait incapable de trouver un second souffle. Un test avant l’élection présidentielle Trois ans plus tard, le ton de la campagne électorale a donc montré que les dirigeants du PRI n’ont pas pris la mesure de la lassitude de la population, lassitude particulièrement vive dans les zones urbaines à l’endroit d’un régime marqué par la corruption et l’inefficacité. Et c’est sans surprise que le PRI a reculé sur presque tous les fronts, perdant la majorité absolue au Parlement (239 députés sur 500, contre 125 pour le PRD, 122 pour le PAN, 8 pour les écologistes et 6 pour le parti du Travail) et n’obtenant que 4 gouverneurs dans les 6 États concernés par le scrutin. Seul le Sénat, où le PRI conserve la majorité (77 sièges sur 128), a résisté au désir de changement exprimé par les électeurs mexicains. Mais plus que le renouvellement de l’Assemblée nationale, c’est surtout l’élection du maire de la capitale qui a retenu l’attention. Au cours de la campagne électorale, chacun s’accordait à penser que la bataille pour Mexico était le prélude à celle pour la présidence, en l’an 2000. L’enjeu était donc de taille. Largement favori au début de la campagne, le candidat du PAN, Carlos Castillo, n’a pas résisté aux arguments assénés par le représentant du PRD Cuauhtémoc Cardenas, qui n’a eu de cesse de rappeler l’« alliance » entre le PAN et l’ex-président Salinas (1988-1994), rendu responsable de toutes les difficultés du pays. Au terme d’un rétablissement spectaculaire, M. Cardenas a réussi à enlever la mairie de Mexico sur un score sans appel de 47,11 % des voix (contre 25,08 % pour Alfredo del Mazo et seulement 15,26 % pour M. Castillo. L’entrée en masse des députés du PRD à l’Assemblée nationale marque sans aucune ambiguïté la lin de l’hégémonisme du PRI. Le choix de nombre d’électeurs de la capitale, y compris des sympathisants du PAN, s’est porté sur le candidat du PRD pour barrer la route au vieux parti révolutionnaire. Certes, ils y ont réussi. Il reste toutefois que, même vilipendé par des secteurs de plus en plus importants de la société mexicaine, le PRI n’en finit plus de mourir... tout en conservant le pouvoir. En dépit du revers électoral du 6 juillet 1997, il contrôlait toujours les downloadModeText.vue.download 117 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 116 principaux leviers du régime : la présidence de la République, le gouvernement de la plupart des 31 États de la fédération, le Sénat, les deux tiers des municipalités et les syndicats. P. F. Cuauhtémoc Cardenas, un homme tenace La carrière politique de Cuauhtémoc Cardenas a pris son envol en 1980, lors de son élection à la tête de l’État du Michoacán. Deux ans plus tard, il crée un « courant révolutionnaire » qui se sépare du PRI peu après. En 1988, il se présente à l’élection présidentielle sous la bannière du Front démocratique national et remporte un succès inattendu en dénonçant la fraude qui l’aurait dépossédé de la victoire au profit de Carlos Salinas. En 1989, il l’onde le PRD, dont il attend qu’il lui serve de tremplin pour le scrutin présidentiel de 1998. 7 France Couvre-feu pour les moins de douze ans. Gérard Hamel, maire RPR de Dreux, prend un arrêté ordonnant aux forces de l’ordre de recueillir au commissariat les enfants de moins de douze ans qui traîneraient dans les rues entre minuit et six heures du matin. Son exemple est suivi par d’autres maires, à Sorgues (Vaucluse), Aulnay-sous-Bois (Seine-SaintDenis) ou Gien (Loiret), communes où le Front national a réalisé des scores importants. Le gouvernement fait savoir qu’il n’est pas favorable à de telles mesures, tandis qu’un sondage indique que 81 % des Français approuvent un tel couvre-feu. 8 OTAN Ouverture aux pays de l’Est. Lors du sommet de Madrid, la Hongrie, la Pologne et la République tchèque sont invitées à rejoindre l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord. Contrairement à ce que souhaitaient la France et l’Italie, la Roumanie et la Slovénie ne font pas partie des nouveaux membres pressentis, les Américains s’y étant opposés parce qu’ils estimaient que, financièrement et politiquement, ces pays n’étaient pas encore prêts pour une telle adhésion. Toutefois, le communiqué final du sommet indique que ces deux nations devraient, à terme, faire partie de la prochaine vague d’adhésion à l’organisation militaire occidentale. Par ailleurs, la France ne réintégrera pas l’OTAN comme membre à part entière (depuis sa rupture de 1966), alors que la chose était envisagée depuis plus d’un an, parce qu’elle estime que Washington n’a pas répondu à ses demandes de rééquilibrage des structures de commandement de l’Organisation en faveur des Européens. Les Américains ont ainsi catégoriquement refusé de transférer à un général du Vieux Continent la responsabilité de la zone méditerranéenne de l’OTAN. Les scénarios intermédiaires de partage du pouvoir entre officiers supérieurs européens et américains ont également été rejetés par Washington. 10 Bosnie Arrestation de criminels de guerre. Deux Serbes de Bosnie, un ancien chef de police locale et un ancien dirigeant politique, recherchés pour « complicité de génocide », sont arrêtés par les soldats de la Force de stabilisation de l’OTAN (SFOR). Le premier est tué lors de l’opération, tandis que le second est transféré au Tribunal pénal international de La Haye. Ce succès partiel du droit international ne peut faire oublier que la plupart des criminels de guerre recherchés depuis la fin du conflit bosniaque en 1995 sont encore en liberté, que Radovan Karadzic continue à tirer les ficelles du pouvoir à Pale, la capitale de l’entité serbo-bosniaque, et que les accords de Dayton prévoyant la mise en place d’une administration commune aux différentes communautés bosniaques sont régulièrement vidés de leur contenu. Le 14, le TPI de La Haye condamne un cafetier serbe nommé Dusan Tadic à vingt ans de prison downloadModeText.vue.download 118 sur 361 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 117 pour crimes contre l’humanité, tortures et homicides. (chrono. 23/08) France Remise du rapport sur la réforme de la justice. La commission présidée par Pierre Truche, chargée de réfléchir à une réforme de la justice, remet son rapport à Jacques Chirac. Les trois principales propositions concernent les relations entre le parquet et le gouvernement, la présomption d’innocence et le rôle de la presse. En ce qui concerne le parquet, la commission rejette l’idée d’une totale indépendance de celui-ci vis-à-vis du garde des Sceaux mais suggère de renforcer les pouvoirs de nomination du Conseil supérieur de la magistrature. Pour ce qui est de la présomption d’innocence, la commission propose, notamment, la présence d’un avocat dés la première heure de garde à vue, la séparation des pouvoirs d’instruction et de mise en détention provisoire en confiant celui-ci à une instance collégiale, et la publicité des audiences au cours de l’instruction. Si la commission reconnaît solennellement le droit à la liberté de la presse, elle réclame une application stricte de la législation sur la présomption d’inno- cence – tout particulièrement pour ce qui a trait à la publication des noms des personnes mises en cause par une enquête préliminaire de flagrant délit ou de garde à vue et à la publication d’une photo de personne menottée. Les commentateurs, s’ils saluent les suggestions en matière de garde a vue, estiment, d’une façon générale, que les propositions présentées manquent d’ampleur, qu’en définitive elles ne font qu’entériner le statu quo pour ce qui est des rapports entre le pouvoir et le parquet, et que, par ailleurs, elles risquent de limiter fortement la liberté de la presse, seul véritable aiguillon de l’indépendance judiciaire. D’autres regrettent également que n’ait pas été envisagée la séparation nette entre les magistrats du siège (qui jugent) et ceux du parquet (qui requièrent). 11 Congo-Kinshasa Accusations de crime contre l’humanité. La mission de l’ONU dirigée par le Chilien Roberto Garreton et chargée d’enquêter sur le sort des 200 000 réfugiés hutus du Rwanda portés « disparus » estime que ceux-ci ont été victimes des exactions menées par l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL) de Laurent-Désiré Kabila. Elle écrit dans son rapport que « le concept de crime contre l’humanité pourrait s’appliquer à la situation qui a régné et qui règne encore dans la République démocratique du Congo ». Les réfugiés hutus rwandais (mais aussi burundais ou zaïrois) auraient été, dans de nombreux cas, soit directement massacrés, soit systématiquement affamés. Ces crimes auraient été accomplis avec la complicité de l’Armée patriotique rwandaise (APR). La mission de l’ONU dénonce également des atrocités commises par des membres des Forces armées zaïroises (FAZ), alors fidèles à M. Mobutu, et par des mercenaires serbes à leur service. Les autorités de Kinshasa réfutent ces accusations, dont elles estiment qu’elles sont propagées par le gouvernement français. Le 25, l’armée réprime violemment une manifestation dans la capitale en tirant dans la foule et en tuant trois personnes. Les manifestants, proches du Parti lumumbiste unifié (PALU) d’Antoine Gigenza, protestaient contre l’interdiction des activités politiques décrétée par M. Kabila. (chrono. 28/08) États-Unis Le dollar à six francs. Face aux difficultés de la France et de l’Allemagne à respecter les critères du traité de Maastricht, les marchés financiers prévoient l’émergence d’un euro faible en 1999 et favorisent la hausse du dollar et de la livre sterling. Si les exportateurs européens se félicitent d’une telle évolution, les banques centrales du Vieux Continent s’inquiètent d’une possible remontée des taux à long terme, les investisseurs réclamant alors une meilleure rémunération pour leurs capitaux afin de les couvrir de leurs pertes de change. 12 Espagne Assassinat par l’ETA d’un jeune élu municipal. Miguel Angel Blanco, vingt-neuf ans, conseiller municipal de tendance Parti populaire (conservateur) de son village de Biscaye, est assassiné de deux balles dans la tète par un commando de l’ETA. Il avait été enlevé deux jours plus tôt par l’organisation séparatiste basque, qui avait lancé un ultimatum : la vie de M. Blanco contre le regroupement au Pays basque downloadModeText.vue.download 119 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 118 de tous les prisonniers de l’ETA. 500 000 personnes manifestent leur indignation à Bilbao, puis près de un million à Madrid, à l’appel de tous les partis politiques, à l’exception d’Herri Batasuna, vitrine légale de l’ETA. Le 27, Herri Batasuna parvient à mobiliser près de 30 000 personnes dans les rues de San Sébastian. De nombreux manifestants défilent aux cris de « Vive l’ETA ! ». France Mort de François Furet. Le célèbre historien meurt des suites d’une mauvaise chute au tennis. Récemment élu à l’Académie française, il n’y avait pas encore été officiellement reçu. Il laisse une oeuvre déterminante, tant pour la compréhension de la Révolution française que pour celle du phénomène communiste au XXe siècle. 15 Algérie Libération du chef historique du FIS. Cinq ans après avoir été condamné à douze ans de réclusion criminelle pour atteinte à la sûreté de l’État. Abassi Madani, soixante-six ans, est libéré de prison. En revanche, le no 2 du Front islamique du salut, Ali Benhadj, quarante et un ans, considéré comme plus radical que son aîné, demeure détenu. Cette libération intervient alors que les massacres de civils attribués aux Groupes islamiques armés (GIA) redoublent d’intensité. M. Madani recouvre la liberté dans un climat politique très changé depuis cinq ans. Les GIA font de la surenchère dans l’action, tandis que deux partis islamistes modérés siègent au Parlement (Mouvement social pour la paix, ex-Hamas, et Ennahda) et que l’un d’entre eux, le MSP, participe également au gouvernement. (chrono. 1/09) États-Unis Assassinat de Gianni Versace. Le célèbre couturier italien est assassiné devant sa résidence de Miami, en Floride, alors qu’il revenait de sa promenade matinale. Il avait cinquante et un ans. Né dans le sud de l’Italie, d’origine modeste, il présente sa première collection en 1978 et se lance rapidement dans les affaires avec son frère et sa soeur. Ses lignes de vêtements sexy et clinquants connaissent un succès mondial et, au milieu des années 90, le chiffre d’affaires annuel de l’entreprise Versace atteint les 4,5 milliards de dollars. Le couturier ne cachait pas son homosexualité et la police de Floride oriente ses recherches dans cette direction. En quelques jours, elle acquiert la certitude que l’assassin est un prostitué tueur en série nommé Andrew Cunanan. Celui-ci est localisé dans Miami et finit, encerclé par les forces de l’ordre, par se tirer une balle dans la tête. Yougoslavie Slobodan Milosevic élu à la présidence. Le Parlement de la République fédérale de Yougoslavie (RFY, Serbie et Monténégro) élit à une très large majorité le président sortant de la Serbie. Après deux mandats successifs, celui-ci, âgé de cinquante-cinq ans, n’avait plus le droit, constitutionnellement, de se présenter une troisième fois. Il a donc postulé à cette fonction, jusque-là plus honorifique que dotée de réels pouvoirs. Les observateurs s’attendent à ce que M. Milosevic en fasse le nouveau centre de décision à Belgrade. 16 France Confirmation de la privatisation de Thomson-CSF. Le processus de privatisation enclenché par Alain Juppé est maintenu, mais sous une forme différente. L’État conservera une partie des actions « détermi- nante » mais non majoritaire. Sa part d’actions (actuellement 58 %) diminuera en fonction des alliances que le groupe passera avec d’autres entreprises industrielles. Dans un premier temps, le gouvernement favorisera des alliances dans un cadre national, avec des groupes comme Alcatel, Dassault, Aerospatiale ou Matra. (chrono. 13/10) 17 Inde Un intouchable président de la République. Kocheril Raman Narayanan, soixante-seize ans, issu de la caste des intouchables, est élu à la tête de l’État par les députés et les élus régionaux. Même si la fonction est principalement honorifique, la désignation à ce poste d’un représentant de la plus basse des downloadModeText.vue.download 120 sur 361 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 119 castes indiennes constitue un symbole fort, dans la lignée de la pensée du Mahatma Gandhi. 18 Belgique-France Rebondissement dans l’affaire Dassault. Élisabeth Guigou, garde des Sceaux, transmet à la justice belge huit des dix scellés concernant l’affaire Dassault, ce que son prédécesseur, Jacques Toubon, avait refusé de faire pendant plus d’un an, au risque de provoquer un incident diplomatique entre les deux pays. Ces documents concernent des pots-devin qui auraient été versés par l’avionneur français à des partis politiques belges pour l’obtention d’importants marchés aéronautiques. 19 Liberia Charles Taylor élu chef de l’État. M. Taylor, quarante-neuf ans, principal responsable de la guerre civile qui a ravagé le pays de 1989 à 1996, est élu à la tête de l’État dés le premier tour. Desservi par sa réputation de corruption et de cruauté, il n’était pas parvenu jusque-là à s’emparer par les armes du pouvoir à Monrovia, butant sur l’opposition de la force d’interposition internationale à dominante nigériane, l’Ecomog. Il a réussi son retour politique en désarmant publiquement ses troupes et en épousant une banquière proche des autorités de Lagos. Europe centrale Meurtrières inondations. La Pologne, la République tchèque, l’Autriche et l’Allemagne sont très sévèrement touchées par la crue des fleuves, qui a commencé dès le début du mois de juillet. On déplore plus de 100 morts en Pologne et en République tchèque, tandis qu’en Allemagne des milliers de soldats sont mobilisés pour tenter d’endiguer le flux des eaux dans la région de Francfort-sur-l’Oder, en ex-RDA. On note que la presse internationale s’est bien plus intéressée à la situation allemande, pourtant moins grave, qu’à celle qui a prévalu dans les anciennes démocraties populaires. Grande-Bretagne Appel de l’IRA à un cessez-le-feu. L’Armée républicaine irlandaise annonce une nouvelle cessation des hostilités en Ulster. Elle l’avait déjà fait en août 1994, mais les violences avaient repris en février 1996. (chrono. 15/09) 21 France Plan de redressement économique. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l’Économie, présente le plan de redressement du gouvernement après que deux magistrats de la Cour des comptes, Jacques Bonnet et Philippe Nasse, ont présenté leur audit sur l’état des déficits publics. Selon ces deux magistrats (et, également, Alain Juppé, qui, début juin, avait fait parvenir à son successeur une note sur ce sujet), ces déficits devraient être compris pour 1997 entre 3,5 et 3,7 % du PIB (soit, au total, entre 281 et 298 milliards de francs, et une dérive de 34,4 à 51,4 milliards de francs par rapport aux prévisions officiellement présentées en mars), au lieu des 3 % annoncés, conformément aux critères du traité de Maastricht. Pour tenter de ramener ces déficits entre 3,1 % et 3,3 %, le gouvernement va augmenter ses recettes en décidant une majoration exceptionnelle de 15 % sur les sociétés réalisant un chiffre d’affaires annuel de plus de 50 millions de francs (ce qui devrait rapporter 22 milliards) et diminuer ses dépenses à hauteur de 10 milliards (notamment en matière militaire). Le 25, Lionel Jospin affirme que l’État fera des économies supplémentaires afin que le déficit ne dépasse pas 3 % en 1998. 22 Russie Recul de l’Église orthodoxe. Boris Eltsine refuse d’avaliser une loi qui favorisait la religion orthodoxe, et, accessoirement, l’islam, le bouddhisme et le judaïsme, au détriment du catholicisme et du protestantisme. Si, officiellement, l’objet de ce texte était de lutter contre l’influence des downloadModeText.vue.download 121 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 120 sectes, nombreuses en Russie, son but réel était de s’opposer aux églises chrétiennes non orthodoxes. Celles-ci étaient légalement minorisées et tenues de se russifier en se mettant sous la tutelle d’autres confessions reconnues comme établies en Russie. Conscient des effets d’une telle loi sur l’opinion internationale, M. Eltsine a préféré mécontenter le patriarche Alexis II, lui-même ancien député soviétique. (chrono. 19/09) 23 Aéronautique Accord euro-américain sur l’aéronautique. La Commission européenne donne son accord à la fusion signée en décembre 1996 entre les firmes américaines Boeing et McDonnell-Douglas. Cet accord permet au nouveau géant américain (70 % de l’aéronautique civile mondiale, contre 30 % pour Airbus) d’opérer sur le Vieux Continent. Pour parvenir à ce résultat, l’avionneur américain a dû renoncer à sa pratique des contrats d’exclusivité sur vingt ans qu’il avait déjà mis en oeuvre avec American, Continental et Delta Airlines. Bill Clinton avait menacé l’Europe de « guerre commerciale » en cas d’échec de la négociation. Officiellement, la Commission se félicite du résultat obtenu – soulignant que le géant américain a reculé sur le dossier le plus épineux, celui des contrats d’exclusivité, véritable entorse au droit de la concurrence, et rappelant qu’à l’époque où McDonnell-Douglas a été mise en vente, Airbus ne s’est pas porté acquéreur. Toutefois, certaines voix se font entendre pour fustiger ce qu’elles considèrent comme un recul face au diktat d’outre-Atlantique. Boeing/McDonnell- Douglas : une fusion qui fait du bruit Le 42e Salon international de l’aéronautique et de l’espace, qui s’est tenu au Bourget du 14 au 22 juin, a été particulièrement marqué par la rivalité entre l’américain Boeing et l’européen Airbus Industrie, qui s’est traduite par des propos peu amènes lors de leurs conférences de presse respectives. Cette rivalité a été exacerbée par la fusion en cours de Boeing et de son compatriote McDonnell-Douglas (MDD), troisième constructeur mondial, dont le secteur avions de ligne n’est plus à présent l’activité dominante, celle-ci étant désormais principalement à caractère militaire. Mais, pour le groupe européen et les gouvernements qui le soutiennent, cette fusion est apparue comme un danger majeur de concurrence insupportable. C’est, en effet, le 15 décembre 1996 que les dirigeants de Boeing et de McDonnell-Douglas avaient annoncé leur intention de fusionner leurs sociétés, la seconde étant elle-même issue de la fusion antérieure de Douglas et de MDD. Ce projet suivait de près la fusion récemment intervenue entre deux autres géants de l’industrie aéronautique américaine, Lockheed-Martin et Northrop-Grumman, un mariage d’un montant de 11,6 milliards de dollars, devant créer un chiffre d’affaires de 3 milliards de dollars dans le domaine de la technologie de pointe, qui emploie 230 000 personnes. La fusion des deux avionneurs américains — Boeing acquérant le groupe MDD pour un montant de 15 milliards de dollars — devait aboutir à la création de la plus grande société aérospatiale du monde, avec un chiffre d’affaires annuel estimé à 50 milliards de dollars pour un effectif de 200 000 employés. Il est bien évident qu’une telle position dominante – permettant à Boeing, qui venait, en outre, de conclure pour vingt ans des contrats d’exclusivité de ventes d’avions de ligne à trois des majors américaines, American Airlines, Delta Airlines et Continental Airlines, ce qui assure au groupe un réseau de maintenance et de service à la clientèle couvrant au total 84 % de la flotte aérienne mondiale actuelle – ne pouvait que susciter l’hostilité du groupe Airbus Industrie. En vingt ans, la firme européenne est devenue pour Boeing le seul concurrent mondial, capable d’offrir à sa clientèle une famille complète d’appareils court-, moyen-, long- et très long-courriers dotés de la technologie la plus avancée (commandes de vol électriques, informatique et élec- tronique de pointe) et une totale communauté entre la gamme d’appareils biréacteurs à fuselage étroit (A319, A320, A321) et celle des wide body, biréacteurs A330 et quadriréacteurs A340 ; ces derniers bénéficient d’une maintenance downloadModeText.vue.download 122 sur 361 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 121 standardisée et peuvent être indistinctement pilotés par les mêmes équipages techniques, ce qui n’est pas le cas pour les différents types de Boeing bi- et quadriréacteurs et MDD bi- et triréacteurs. Autre aspect de la querelle : tandis que les avionneurs américains, via les commandes militaires de la NASA, couvrent largement – et c’était, en particulier, largement le cas de MDD – les dépenses de recherches et de développement ultérieurement utilisées aussi dans le cadre des avions civils, l’administration américaine ne s’est pas privée de mettre en cause les avances gouvernementales consenties au groupe Airbus Industrie pour l’étude et la réalisation de nouveaux appareils de la gamme, alors qu’il s’agit là d’avances remboursables et effectivement remboursées par les avionneurs européens à l’inverse de leurs concurrents américains ; ce que les premiers n’ont pas manqué de faire observer aux seconds. À l’occasion du Salon, Jean Pierson, administrateur-gérant d’Airbus Industrie, n’a pas été le seul à monter au créneau. Les quatre ministres des Transports européens concernés – de France, d’Allemagne, du Royaume-Uni et d’Espagne – ont également fait connaître leurs inquiétudes devant cette situation, suivis par le Comité consultatif de l’Union européenne sur les fusions et concentrations qui, le 4 juillet, a refusé (à la quasi-unanimité des quinze pays, l’Italie exceptée) le projet de rapprochement entre les deux géants américains (qui constitueront alors le premier groupe aéronautique mondial avec un CA, de 280 milliards de francs). Cet avis défavorable s’opposait à celui rendu le 1er juillet par la Commission fédérale américaine du commerce. Le Comité a estimé en effet que si MDD n’est plus un concurrent viable en tant que tel, il représentait encore 24 % de la flotte mondiale d’avions commerciaux en service. Il a redouté par ailleurs que Boeing ne finance ses prochains programmes civils grâce aux budgets militaires de MDD, ce qui risquait d’aller à l’encontre des accords Europe-États-Unis de 1992 sur les aides industrielles. La réaction européenne Annoncé le 4 juillet, cet avis a alors amené Boeing à revoir sérieusement les conditions de la fusion prévue, dans l’espoir de modifier favorablement la décision définitive de la Commission européenne, attendue le 23. C’est pourquoi Phil Condit, P-DG de la Boeing Company, faisait connaître, peu après, les concessions auxquelles l’avionneur était prêt pour obtenir le feu vert européen. En particulier, Boeing acceptait de céder sous licence les brevets obtenus dans le cadre des contrats passés avec le gouvernement des États-Unis aux autres constructeurs aéronautiques, sur une base non exclusive et moyennant le versement de royalties raisonnables ; de soumettre pendant dix ans à la Commission européenne un rapport annuel énumérant les brevets non expirés obtenus dans le cadre de contrats gouvernementaux ; de ne pas interférer indûment dans les relations actuelles ou futures entre ses fournisseurs et les autres constructeurs aéronautiques ; et de renoncer aux accords exclusifs conclus avec les trois majors américaines. Après étude de ce dossier, la Commission européenne faisait connaître à Boeing, le 30 juillet, son approbation définitive à la fusion. Dès le 25 juillet, les actionnaires des deux sociétés avaient accepté la fusion, par 99,08 % pour Boeing et par 75,8 % pour MDD. Tout en en admettant le principe, James McDonnell III, fils du fondateur de McDonnell Aircraft Corporation, créée en 1939, avait voté négativement pour protester contre la disparition du nom de McDonnell du logo de la nouvelle société, qui a officiellement commencé ses activités le 4 août. PHILIPPE DELAUNES 25 France Incendies autour de Marseille. Le feu ravage 3 500 hectares de forêt autour de la cité phocéenne. Le sinistre serait né dans une décharge où des déchets industriels encore chauds auraient été illégalement déversés. La justice est saisie. 27 Cyclisme Victoire de Jan Ullrich dans le Tour de France. À vingt-trois ans, ce natif de l’ex-RDA est le premier Allemand à remporter la plus importante course cycliste du monde. Servi par un physique et une downloadModeText.vue.download 123 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 122 puissance musculaire exceptionnels, il est présenté comme le plus grand coureur des années à venir, le successeur des Anquetil, Merckx et Hinault. Le Français Richard Virenque se classe deuxième (avec le maillot du meilleur grimpeur pour la quatrième année consécutive) et l’Italien Marco Pantani, troisième. 28 Cambodge Réapparition de Pol Pot. Le leader des Khmers rouges, responsable dans les années 70 du génocide d’au moins 2 millions de ses compatriotes, que l’on faisait passer pour mort, apparaît à la télévision cambodgienne. Les images le montrent en train d’être jugé au cours d’un « procès populaire » qui lui serait intenté par ses anciens compagnons. Le Premier ministre Hun Sen estime que ce procès est une mise en scène et que Pol Pot reste en réalité le véritable chef de ce qui reste des Khmers rouges. Pour d’autres Pol Pot est moribond et les derniers Khmers rouges tentent de se dédouaner en le condamnant pour ensuite réintégrer le jeu politique légal. France Arrêt favorable à l’Église de scientologie. La cour d’appel de Lyon ne conteste pas à l’organisation fondée par Ron Hubbard le titre de « religion ». Tout en condamnant Jean-Jacques Mazier, ancien président de la branche lyonnaise de l’Église de scientologie, à trois ans de prison avec sursis et à 500 000 F d’amende (contre 18 mois fermes en première instance) pour avoir poussé au suicide un de ses adeptes, la juridiction déclare que cette institution peut revendiquer le titre de religion, à condition que ses activités se déroulent « dans le cadre des lois existantes ». Les organisations antisectes s’émeuvent de cette décision de justice, et, le lendemain, le parquet général se pourvoit en cassation. Haïti Nouveau chef de gouvernement. Le président René Préval nomme Premier ministre Éric Pierre, cinquante-trois ans, une personnalité indépendante, jusque-là haut fonctionnaire à la Banque interaméricaine de développement. M. Pierre passe pour un libéral en économie, favorable aux privatisations. Son prédécesseur, Rosny Smarth, l’était également et s’était opposé pour cette raison – mais aussi pour des questions de fraude électorale – à la « famille Lavalas », le mouvement de l’ancien président Jean-Bertrand Aristide. Lettonie Démission du Premier ministre. Andris Shkele, un homme d’affaires indépendant, quitte son poste de chef de gouvernement à la suite d’un conflit avec les trois principaux partis de sa coalition. Il leur reprochait de ne pas respecter la nouvelle législation sur la corruption proscrivant le cumul de fonctions publiques et de fonctions privées à la tête d’entreprises. M. Shkele est remplacé par son ministre de l’Économie, Guntars Krats. 30 Israël Attentat meurtrier sur un marché de Jérusalem-Ouest. Deux jeunes Palestiniens se font sauter avec une bombe sur un marché de la partie juive de Jérusalem, tuant 15 personnes et en blessant près de 170 autres, dont beaucoup sérieusement. L’attentat est aussitôt revendiqué par le mouvement islamiste Hamas. La veille, le gouvernement avait réclamé à la Knesset (Parlement) des crédits supplémentaires en faveur des colonies juives de Cisjordanie. Le 25, cependant, Benyamin Netanyahou s’était opposé au projet d’un promoteur, Juif américain d’extrême droite, de construire de nouveaux logements réservés aux Juifs dans un quartier arabe de Jérusalem-Est. Ces attitudes contradictoires avaient été interprétées comme une volonté du gouvernement de satisfaire son opinion tout en donnant le change face à la pression internationale. À la suite de cette tuerie, la reprise des négociations entre Israéliens et Palestiniens est à nouveau reportée. Yasser Arafat, qui a condamné l’attentat et fait arrêter un certain nombre de militants islamistes, est fermement invité à lutter downloadModeText.vue.download 124 sur 361 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 123 plus efficacement contre ses extrémistes. (chrono. 4/09) 31 France Rapport sur l’immigration. Patrick Weil présente au Premier ministre un rapport sur la refonte de la politique d’immigration. Le chercheur suggère de ne pas supprimer les lois Pasqua et Debré, mais d’en éliminer les aspects considérés comme les plus contestables ou les moins pratiques. Les 120 propositions qu’il avance visent autant à rendre les conditions de vie des immigrés en France moins précaires qu’à restaurer l’image internationale du pays. Parmi ces propositions, on retiendra l’acquisition automatique de la nationalité française pour les enfants nés en France de parents étrangers, l’élargissement du droit d’asile et l’affectation prioritaire de travailleurs étrangers en situation régulière vers des secteurs économiques employant traditionnellement une forte main-d’oeuvre clandestine. downloadModeText.vue.download 125 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 124 AOÛT 1 Musique Mort de Sviatoslav Richter. Le pianiste russe meurt dans sa datcha des environs de Moscou à l’âge de quatre-vingt-deux ans. Il commence une carrière brillante en créant notamment plusieurs oeuvres de Prokofiev et de Chostakovitch. Rapidement, son talent exceptionnel et son caractère très indépendant le placent à part dans le monde corseté de la musique classique soviétique, À partir des années 60, il se produit souvent en Occident, notamment en France, où il réside une partie du temps. Il est considéré comme l’un des grands interprètes du siècle. 2 Littérature Mort de William Burroughs. L’écrivain américain meurt dans le Kansas à l’âge de quatre-vingt-trois ans. Après des études de littérature et plusieurs années de vie aventureuse pendant lesquelles il rencontre toutes les grandes figures de la beat generation, de Kerouac à Ginsberg, il se lance dans l’écriture. Inventant la technique du cut-up (arrangement aléatoire de bouts de phrases découpés au hasard dans des livres ou des journaux), il décrit un monde scandaleux où régnent la drogue, qu’il consomme en abondance, et l’homosexualité. Après Junkie, son premier livre, le Festin nu est refusé par les éditeurs américains pour être d’abord publié en France en 1959. Il écrira ensuite notamment la Machine molle, les Garçons sauvages et les Terres occidentales. Son message paranoïaque et surréaliste, son allure de clergyman drogué auront une grande influence sur le monde du rock, où des artistes comme David Bowie ou les Clash se réclameront directement de lui. Musique Mort de Fela. Le musicien nigérian meurt à Lagos à l’âge de cinquante-huit ans. Saxophoniste, pianiste, chanteur, Fela apparaît comme le musicien africain le plus connu du continent et comme un opposant politique de première grandeur. D’abord musicien de highlife (mélange de rythmes traditionnels ghanéens, de jazz et de fanfare), il découvre la soûl américaine et donne naissance à l’afrobeat (croisement de la soûl et du highlife). À partir des années 70, il enregistre des dizaines d’albums, dont le contenu devient de plus en plus subversif, dénonçant l’autoritarisme et la corruption des dirigeants militaires nigérians. Il est alors harcelé par les forces de l’ordre qui envahissent son domicile et défenestrent sa mère. Cela ne l’empêche pas de se présenter aux élections présidentielles en 1983. Arrêté l’année suivante, il reste emprisonné près de deux ans. Brisé par une vie d’excès et par les tracasseries de la police, il succombe des suites d’un sida non soigné. Sri Lanka Affrontements meurtriers. Le ministère de la Défense sri-lankais annonce la mort de près de 250 guérilleros tamouls du LTTE (Tigres libérateurs de l’Eelam) à la suite d’une vaste opération menée par les forces de Colombo. On estime à 50 000 le nombre des victimes, majoritairement civiles, qui ont péri depuis le début du conflit, en 1972, entre autorités cinghalaises et rebelles tamouls. 4 France Mort de la « doyenne de l’humanité ». Jeanne Calment meurt dans sa maison de retraite d’Arles à l’âge de cent vingt-deux ans. Son souvenir est salué par Jacques Chirac qui évoque à son propos « notre grand-mère à tous » et « une extraordinaire vieille dame ». En France, on compte environ 5 500 centenaires et on dénombre, en Europe de l’Ouest, pas moins de 12 millions de personnes de plus de quatre-vingts ans. La personne officiellement considérée comme la plus vieille du monde est désormais un Californien de cent quinze ans, Christian Mortensen. 5 Allemagne Rejet de la réforme fiscale de Helmut Kohl. Le gouvernement ne parvient pas à faire passer son projet de réforme des impôts (allégement de la presdownloadModeText.vue.download 126 sur 361 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 125 sion fiscale au travers d’une baisse de l’impôt sur les sociétés et les hauts revenus). L’opposition socialedémocrate, majoritaire au Sénat, s’y oppose vigoureusement et bloque le mécanisme législatif. Le FDP, composante minoritaire de la coalition au pouvoir, tente de diminuer l’impôt sur la solidarité, destiné en priorité aux Länder de l’ex-RDA. Tout cela constitue un revers pour le chancelier Kohl à un peu plus d’un an des prochaines élections législatives. Bolivie Hugo Banzer élu à la présidence de la République. L’ex-dictateur, qui avait dirigé le pays de 1971 à 1978 avant d’être contraint de quitter le pouvoir à la suite d’un scrutin défavorable, est élu par le Parlement grâce au vote d’une coalition quelque peu hétéroclite regroupant des conservateurs, des sociaux-démocrates et des populistes. Âgé de soixante et onze ans, le général Banzer justifie son autoritarisme des années 70 par la situation tendue d’alors et fait observer qu’il s’est présenté depuis à plusieurs scrutins avant de revenir au pouvoir. Son succès s’explique par la lassitude des Boliviens face à la politique libérale du président sortant, laquelle a appauvri une majorité de la population. M. Banzer s’est imposé en promettant d’« humaniser les conséquences des réformes libérales appliquées dans le pays depuis quatre ans ». Thaïlande Plan de rigueur économique et monétaire. Trois jours après avoir dévalué le bath, la monnaie nationale, le gouvernement présente un plan d’austérité comportant le retour à l’équilibre budgétaire, le contrôle de l’inflation, une réforme fiscale, une série de privatisations et, surtout, la restructuration du système bancaire (liquidation des établissements insolvables, ouverture complète aux capitaux étrangers). Les banques thaïlandaises avaient eu tendance à investir en priorité dans les secteurs spéculatifs au détriment de la productivité réelle de l’économie nationale. La croissance du pays, qui dépassait les 8 % annuels depuis dix ans, devrait s’en trouver sérieusement ralentie. En échange de ce plan de rigueur, le Fonds monétaire international (FMI) ouvre à la Thaïlande une ligne de crédit de 4 milliards de dollars auxquels s’ajoutent 12 autres milliards prêtés par le Japon et divers pays de la région. La tourmente monétaire a frappé également d’autres monnaies asiatiques, comme le peso philippin, le kyat birman ou le ringgit malais. À cette occasion, le Premier ministre malais a accusé le financier américain George Soros d’avoir spéculé contre ces monnaies pour « punir » l’ASEAN (Association des nations du Sud-Est asiatique) d’avoir admis en son sein la Birmanie, gouvernée par une junte dictatoriale. (chrono. 29/08) 6 États-Unis Rachat partiel d’Apple par Microsoft. Bill Gates, le patron de Microsoft, annonce qu’il va acheter pour 150 millions de dollars d’actions d’Apple, en très mauvaise situation financière (1,6 milliard de dollars de pertes en dix-huit mois). Microsoft offrira à Apple un de ses logiciels très prisés par les entreprises, tandis qu’Apple ouvrira son système d’accès à Internet à son ancien concurrent. En agissant de la sorte, M. Gates évite à Apple de couler, ce qui permet à Microsoft de conserver le marché des utilisateurs de Macintosh ; d’autre part, il atténue l’image monopolistique de Microsoft (actuellement sous le coup d’une enquête du département de la Justice) en venant au secours d’un de ses plus anciens concurrents. Apple sauvé par Microsoft ? Le 7 août 1997, lors de la manifestation annuelle organisée pour les fanatiques du Macintosh, Steve Jobs annonce devant un parterre médusé l’entrée de Microsoft dans le capital d’Apple. C’est la fin d’une guerre fratricide de près de quinze ans où le « méchant géant » a fini par triompher du « gentil nain ». L’histoire commence en 1985, date à laquelle Steve Jobs, le cofondateur d’Apple, est sèchement débarqué par son conseil d’administration. Paradoxalement, l’entreprise triomphe. Elle vient d’écouler plusieurs centaines de milliers de Macintosh, un ordinateur personnel programmé pour rendre extrêmement simple (« conviviale » disait-on alors) son utilisation. Apple dote en outre le « Mac » d’un outil révolutionnaire, aujourd’hui universellement adopté : la souris. downloadModeText.vue.download 127 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 126 Mais la firme de Cupertino ne profitera pas longtemps de l’incroyable avance technologique du Mac sur les autres micro-ordinateurs (ou PC). Dans les années 80, Apple bénéficie pourtant pleinement de l’avantage concurrentiel que lui confère le Macintosh. Son objectif est alors de conquérir de nouvelles parts de marché. La firme refuse donc obstinément de rendre compatibles ses matériels avec les PC commercialisés par IBM, son principal concurrent. Là réside l’erreur stratégique d’Apple. Car, dans le même temps, le géant informatique adopte une stratégie rigoureusement inverse. Dès 1980, il confie la conception du système d’exploitation (Ensemble de lignes de code qui permet aux ordinateurs de faire fonctionner les logiciels d’application contenus en mémoire.) de son IBM-PC à Microsoft. Cette petite société installée près de Seattle n’a d’ailleurs aucune compétence dans ce domaine. Elle achète à un obscur informaticien, Tim Paterson, le programme QDOS, qu’elle rebaptisera MS-DOS (Microsoft-Disk Operating System). Parallèlement, IBM, qui doute encore de l’avenir du micro-ordinateur, n’hésite pas à céder la licence d’exploitation de son PC à des dizaines de constructeurs. Ce sont ces fameux « cloneurs » qui, Compaq et Hewlett Packard en tête, finiront par cannibaliser la part de marché de Big Blue sur les ordinateurs personnels. Celleci passera en dix ans de 40 % à... 7 %. Impérialisme du MS-DOS Désastreuse pour IBM, cette politique systématique de sous-traitance et de cession de licences est une véritable aubaine pour Microsoft. Elle oblige en effet les fabricants (Apple excepté), à adopter le seul système d’exploitation qui équipe les micro-ordinateurs d’IBM : le fameux MS-DOS. Sans coup férir, et alors même qu’il possède un retard technologique important sur son concurrent Apple, Microsoft se trouve donc dès le début des années 80 à la tête d’un quasi-monopole de fait. Il ne lui restera plus qu’à « s’inspirer » des fonctionnalités du système d’exploitation d’Apple pour conforter ce monopole : en 1990, Microsoft lance Windows 3,0, un programme doté d’une interface graphique en tout point semblable à celle du Macintosh, et adopte la souris. Le résultat ne se fait pas attendre : en dix ans, le chiffre d’affaires de Microsoft passera de 300 millions à 11,36 milliards de dollars (1997). Victime de l’absence de compatibilité de ses matériels, Apple voit dans le même temps sa part de marché se réduire comme une peau de chagrin. À tel point qu’en décembre 1996 l’exentreprise phare de la Silicon Valley rappelle en catastrophe Steve Jobs. La firme est au bord du gouffre : ses pertes sont abyssales, son chiffre d’affaires vient d’enregistrer dans la même année une chute de plus de 30 % et sa part du marché mondial des ordinateurs personnels est tombée à 5 %. À titre de comparaison, les microordinateurs équipés des systèmes d’exploitation Windows représentent aujourd’hui plus de 90 % des ventes mondiales ! Steve Jobs est un homme plus attiré par la création que par la gestion (il a fondé tour à tour Next, une compagnie spécialisée dans les logiciels, et Pixar, une société d’animation). Refusant de prendre une responsabilité directe dans l’entreprise, il se contente d’occuper pendant les premiers mois de l’année un vague poste de conseiller, en attendant que Gil Amelio (alors président) démissionne. C’est chose faite en juillet 1997. Un mois plus tard, Steve Jobs annonce la spectaculaire entrée de Microsoft dans le capital d’Apple (moyennant 150 millions de dollars, soit 5 % du capital de son concurrent) et détaille une série d’accords entre sa société et l’entreprise de Seattle. Le soir même, l’action Apple fait un bond de 33 % pour atteindre 26,31 dollars. L’indépendance technologique du fabricant du Macintosh appartient désormais au passé. Pour Bill Gates, le PDG de Microsoft, l’entrée dans le capital d’Apple comporte un avantage immédiat. Sa stratégie a toujours été de pérenniser, en l’élargissant, le monopole de fait sur lequel son entreprise a bâti sa fortune. Or, Bill Gates a tellement bien réussi que Microsoft encourt aujourd’hui les foudres de la commission antitrust. La prise de participation pour à peine un milliard de francs dans le capital d’Apple le préserve momentanément de l’accusation de position monopolistique : grâce à son geste, Bill Gates permet en effet à son concurrent Apple de rester dans la course. Un pari risqué Steve Jobs joue quant à lui une partie extrêmement risquée. Non content d’accueillir Microsoft dans son capital, il a en effet convié Larry Ellison, le patron d’Oracle (no 2 du secteur aux ÉtatsUnis), à siéger au sein de son conseil d’administration. Or, Larry Ellison ne s’est pas seulement déclaré intéressé par le rachat d’Apple. C’est aussi un ennemi juré de Bill Gates. Il rêve de se downloadModeText.vue.download 128 sur 361 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 127 servir d’Apple comme d’un moyen pour imposer le Network Computer, un dispositif capable de se connecter à Internet sans passer par l’achat onéreux d’un de ces PC qui ont fait la fortune de Microsoft... et sur lesquels Apple fonde ses espoirs de reconquête. Pour sortir de l’impasse, Steve Jobs risque de transformer son entreprise en champ de bataille incontrôlable. Les mois à venir seront donc décisifs pour la survie, au-delà du siècle, de la « petite star de Cupertino ». J.-F. P. Apple rachète son principal cloneur En 1995, Apple accepte enfin d’accorder des licences aux fabricants d’ordinateurs. Mais, longtemps repoussée, cette décision qui aurait pu il y a dix ans lui sauver la mise... a été prise trop tard. Censés développer les parts de marché du Macintosh, les « clones » ont eu un effet exactement inverse. Fin août, Apple annonçait donc le rachat de Power Computing, un cloneur qui en deux ans s’était constitué un marché de près de 400 millions de dollars. Cette opération prouve au moins qu’Apple n’a pas encore renoncé à son rôle de constructeur de machines. 7 France Maurice Papon placé sous contrôle judiciaire. L’ancien secrétaire général de la préfecture de Gironde, de 1942 à 1944, âgé de quatre-vingt-six ans, accusé d’être responsable de la déportation vers Auschwitz de 1 560 Juifs de la région bordelaise, est placé sous contrôle judiciaire jusqu’à son procès en octobre. Il est tenu de signaler tout déplacement en dehors de Paris. (chrono. 8/10) 8 Congo-Brazzaville Reprise des combats. Les violences reprennent dans la capitale entre partisans du président en place Pascal Lissouba et ceux de son prédécesseur Denis Sassou-Nguesso. Au bout de quelques jours, les combats s’étendent à la province, où les forces favorables à M. Sassou Nguesso marquent des points sur leurs adversaires. Les négociations de paix menées sous l’égide du président gabonais Omar Bongo sont interrompues puis reprennent difficilement. D’autant que le président du Congo-Kinshasa, Laurent-Désiré Kabila, propose l’envoi d’une force africaine d’interposition tout en accusant Paris de tirer les ficelles des négociations menées par le président gabonais. 10 Algérie Nouvelles tueries. Après l’assassinat de familles entières dans des villages du sud d’Alger, on estime à au moins 800 morts le nombre des victimes civiles de la violence politique depuis les élections du 5 juin. Athlétisme Fin des Championnats du monde. Avec 2 médailles (l’or de Stéphane Diagana sur 400 m haies et le bronze du relais 4 × 100 m féminin), la France finit au 18e rang des 36 nations ayant obtenu des médailles. Ces Championnats resteront marqués par la performance exceptionnelle de l’Ukrainien Sergueï Bubka qui, à trente-trois ans, obtient son 6e titre consécutif à la perche. L’Algérie, d’horreurs en drames De tous les conflits qui ternissent cette fin de siècle, celui qui endeuille l’Algérie reste sans aucun doute le plus opaque. On ignore le nombre des victimes, on identifie mal les responsables, on ne perçoit plus les objectifs. Les stratégies des protagonistes se brouillent, les événements démentent toutes les hypothèses, elles-mêmes le plus souvent fondées sur des spéculations hasardeuses. L’escalade de la violence qui a marqué l’été 1997 aura posé son nouveau lot de questions. La télévision algérienne a longuement couvert la mort de la princesse Diana mais elle n’a downloadModeText.vue.download 129 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 128 soufflé mot de la tragédie de Béni Messous, une localité située dans la banlieue d’Alger, où une cinquantaine de civils auraient été tués et une soixantaine d’autres blessés. Quelques jours auparavant, dans la nuit du 29 août, à Raïs, également près de la capitale, entre 100 et 300 personnes – en majorité des femmes et des enfants – avaient été égorgées par un commando dont les membres étaient, selon les témoignages de survivants, habillés à l’afghane et portaient de longues barbes. D’autres massacres devaient suivre tout au long du mois de septembre, chacun semblant vouloir dépasser en horreur le précédent. Quelle que soit l’identité des bourreaux, la guerre civile a revêtu le masque de la barbarie, et les carnages commis au cours de l’été ont défié l’imagination. Les centaines de personnes assassinées, le plus souvent égorgées, dans les wilayas de Blida et d’Aïn Defla, entre le 30 juillet et le 29 août, et le massacre, le 19 septembre, de 53 villageois – en majorité des femmes et des enfants – près de Médéa, au coeur de la Mitidja (baptisée le « triangle de la mort »), ont alimenté les rumeurs les plus folles. Il est vrai que les facilités d’action des « islamistes » – les terroristes, selon la terminologie officielle – et l’impunité dont ont paru bénéficier les assaillants sont pour le moins troublantes. Terreur contre terreur Qui donc pourra s’étonner que de nombreux Algériens soient convaincus que le pouvoir est le principal instigateur de la violence dans laquelle baigne le pays depuis 1992 ? Contre toute vraisemblance, la société civile lui impute même des crimes qu’il n’avait aucun intérêt à commettre, comme l’assassinat des moines de Tibhirine, en 1996. Mais une autre question se pose : les massacres de Raïs et de Béni Messous, à l’ouest d’Alger, étaient-ils bien l’oeuvre de commandos islamistes ? La passivité des forces de police, déjà observée à l’occasion des tueries précédentes, a été cette fois tellement flagrante qu’elle ne peut pas être seulement l’horrible avatar de la stratégie menée par le pouvoir depuis plus de deux ans : laisser une partie de la population sans défense pour la contraindre à prendre les armes et à s’impliquer dans la guerre. En effet, il n’a échappé à personne que ces massacres se sont déroulés à proximité immédiate des casernes. De plus, les civils massacrés vivaient dans des régions acquises aux idées islamistes. On se souvient que, lors du premier tour des élections législatives de décembre 1991, le FIS y avait été littéralement plébiscité. Aussi a-t-on avancé une hypothèse effrayante : les autorités auraient laissé se faire massacrer par leurs anciens « amis » ces « mauvais citoyens » pauvres et sans défense – alors qu’ailleurs des milices armées par le régime ont été crées. Mieux, dans la perspective des élections locales d’octobre – renouvellement des conseils municipaux –, les militaires pouvaient penser que les habitants de la Mitidja n’envisageraient pas de voter pour des candidats islamistes, fussent-ils modérés. Des éléments suffisamment troublants pour que les Algériens, la presse, mais aussi les chancelleries étrangères et plusieurs sources diplomatiques occidentales à Alger évoquent une complicité passive des forces de sécurité, voire leur participation directe dans le massacre de Raïs. Si la complexité du drame algérien permet d’envisager toutes les hypothèses – même les plus folles – et si l’opacité du régime empêche, elle, de ne rien pouvoir affirmer avec certitude, on retiendra toutefois que les événements du 29 août et du 19 septembre coïncidaient avec l’avancement des négociations avec le Front islamique du salut (FIS), un sujet on ne peut plus brûlant au sein du commandement militaire. Un bras de fer au sommet de l’État ? Longtemps, on a bien voulu se représenter le drame algérien sous un jour manichéen : privés de leur victoire électorale en 1991, les islamistes avaient déclaré la guerre au régime militaire, lequel optait pour une « éradication » des groupes armés, quitte à employer des moyens aussi radicaux que ceux de l’adversaire. Pourtant, très vite, il est apparu que l’islamisme algérien était multiple et qu’entre le FIS et le GIA, principalement, la lutte devenait chaque jour un peu plus âpre. En dépit des attentats à répétition, qui ont porté la mort jusqu’au coeur d’Alger, les autorités algériennes n’ont cessé d’affirmer que les groupes ar- més étaient en passe de perdre la bataille. Pour être donc qualifié de « résiduel », le terrorisme aura, cette année encore, fait montre d’une effroyable vitalité, au point que le régime en paraissait totalement discrédité. Une incapacité si flagrante que, pour la première fois, on a commencé à évoquer une autre lutte, celle que se livreraient les militaires, divisés sur leur soutien au président Liamine Zeroual. L’absence totale de transparence du pouvoir ne permet pas de connaître les stratégies de chacun des généraux. Il n’est pas exclu, dans ces conditions, d’envisadownloadModeText.vue.download 130 sur 361 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 129 ger une révolution de palais. Mais, là aussi, la distribution des rôles n’est pas aussi simple qu’il y paraît, et les stratégies des généraux ont brouillé des pistes tenues pour acquises, jusqu’au printemps 1997, il était admis que le chef de l’État avait engagé une partie de bras de fer avec les généraux, ceux-là mêmes qui l’avaient porté au pouvoir, afin de trouver une issue négociée, quitte à réintégrer le FIS dans le jeu politique. On présentait le général Mohamed Lamari (le patron de l’armée) comme l’incarnation des « éradicateurs », persuadés de pouvoir gagner la bataille contre les islamistes sur le terrain. Pourtant, plusieurs sources concordantes indiquent que ce même Lamari aurait renoué le dialogue avec les chefs de l’AIS (la branche armée du FIS), une initiative personnelle prise sans l’aval de la présidence. Alors que L. Zeroual, lui, avait misé sur le FIS – par la libération à la mi-juillet de son chef historique, Abassi Madani –, le chef d’étatmajor de l’armée, estimant que le président n’avait plus le crédit nécessaire pour se faire obéir de ses troupes, aurait décidé de jouer la carte de l’AIS, dont les chefs, toujours au contact, lui paraissent mieux à même d’entraîner leurs hommes dans une guerre contre les GIA. C’est donc peu d’écrire que l’Algérie a traversé une période paradoxale : au moment où les massacres de civils prenaient des proportions insensées, une solution politique était peut-être en train de s’esquisser, après plus de cinq ans d’une guerre civile qui a causé la mort de plusieurs dizaines de milliers de personnes. Les Algériens possédaient déjà un président de la République élu et une Constitution. Depuis le 5 juin 1997, ils ont une Chambre des députés, étape présentée comme la plus importante de la relégitimation du régime. Le faible taux de participation – 4 Algériens sur 10 ne se sont pas rendus aux urnes – suffit à prendre la mesure du peu d’illusions que nourrit la population à l’endroit des initiatives « démocratiques » de la présidence. En choisissant de ne pas intervenir lors des massacres de la plaine de la Mitidja, les « autorités » ont peut-être estimé en retirer un avantage dans la lutte contre les terroristes. Il ne faut pas oublier trop vite que certains morts pèsent plus lourds que d’autres et que la mémoire est le plus fort obstacle à la réconciliation. P. F. Des morts sous surveillance La presse algérienne est très surveillée, et l’absence de journalistes étrangers permanents en Algérie ne permet pas de vérifier les informations que le pouvoir consent à livrer. Dans ces conditions, il est quelque peu hasardeux de vouloir dresser un bilan de la violence, encore moins un tableau des pertes. Par exemple, celles subies par les forces de sécurité ne sont jamais mentionnées. Selon certaines estimations officieuses, on peut avancer le chiffre de 60 000 à 100 000 morts depuis le début de la guerre civile. Quant au nombre des personnes assassinées entre août et octobre, il avoisinerait sans aucun doute le millier, voire davantage. 12 France Alerte à la pollution dans les grandes métropoles. Du fait de l’ensoleillement et de l’absence de vent, les stations de contrôle constatent à Paris, Lille, Lyon et Strasbourg que les pics de pollution par l’ozone ont dépassé le niveau 2. La police accentue les contrôles de vitesse des voitures (plus un moteur tourne vite, plus il produit de gaz d’échappement) et les préfets décrètent la gratuité du stationnement dans les zones résidentielles afin de favoriser les transports en commun. L’ancien ministre de l’Environnement, Corinne Lepage, réclame que sa loi sur l’air de décembre 1996 soit enfin mise en application. Le texte prévoit un contrôle accru de la qualité de l’air et la mise en place de la « pastille verte », réservée aux véhicules les moins polluants. (chrono. 1/10) 13 Kenya Violences ethniques. Sur la côte près de Mombassa, à proximité des installations touristiques, des heurts meurtriers opposent des membres de l’ethnie côtière à ceux de l’ethnie venue de l’intérieur du pays. Ces derniers sont pourchassés, et l’on déplore une quarantaine de victimes downloadModeText.vue.download 131 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 130 en une semaine. Le président Daniel Arap Moi accuse l’opposition, majoritaire dans la région, d’attiser, à quelques mois des prochaines élections législatives, les oppositions ethniques pour remettre en cause son pouvoir et pour forcer les membres de l’ethnie minoritaire à quitter les lieux. En 1992, également en période préélectorale, des violences similaires avaient provoqué la mort de 2 000 personnes. 14 Argentine Succès de la grève générale. Grève et manifestations mobilisent des foules nombreuses contre les conséquences de la politique libérale du président Carlos Menem. Les syndicats avaient reçu l’appui de l’opposition unie au sein de l’Alliance pour le travail, la justice et l’éducation (regroupant le vieux Parti radical et la nouvelle formation de centre gauche Frepaso). En jetant les bases d’une coalition de gouvernement, en acceptant les grandes lignes de la libéralisation de l’économie, mais en proposant des correctifs sociaux, l’opposition prend une option sérieuse pour les prochaines élections législatives d’octobre, faisant peser sur le président Menem la menace de deux ans d’une difficile cohabitation. Russie Retour des cosmonautes de Mir. Après avoir été remplacés à leur poste dans l’espace puis ramenés par un vaisseau Soyouz, Vassili Tsibliev et Alexandre Lazoutkine reviennent sur la Terre. Leur mission a été marquée par une suite d’incidents sans précédent : collision avec un vaisseau de ravitaillement, panne d’ordinateur, panne d’électricité, problèmes cardiaques pour Tsibliev, etc. Les deux hommes sont aussitôt accusés d’incompétence et l’on évoque même la possibilité de sanctions financières à leur encontre. Ils se défendent en évoquant la détérioration générale de l’économie russe et ses conséquences sur l’industrie spatiale. Le 22, les cosmonautes russes Pavel Vinogradov et Anatoli Soloviev parviennent à reconnecter les câbles électriques qui alimentent la station spatiale et qui avaient été endommagés en juin. La réussite de cette difficile opération contribue à rétablir le prestige bien entamé de l’industrie aérospatiale russe, sérieusement mise à mal depuis les ennuis à répétition de Mir. Cependant, le 6 septembre, les cosmonautes échouent dans leur tentative de repérage et de colmatage de la fuite du module Spektr. La persistance de cette brèche risque de remettre en cause la suite du programme russe de vols spatiaux humains, d’autant que Spektr était utilisé par les cosmonautes américains, grands pourvoyeurs de fonds. Le 8 septembre, l’ordinateur central de Mir tombe une nouvelle fois en panne, ce qui fait perdre à la station spatiale le contrôle de son orientation par rapport an Soleil, compromettant ainsi le rechargement de ses batteries électriques. 15 Chypre Échec des négociations intercommunautaires. Glafcos Cléridès, président de la République de Chypre, et Rauf Denktash, leader de la communauté turque de l’île, se séparent sur un constat de désaccord après cinq jours de discussions en Suisse. Des pourparlers ultérieurs sont prévus, sans qu’une date précise ne soit arrêtée. Géorgie Déclaration de paix entre Tbilissi et séparatistes abkhazes. Sous le patronage vigilant du gouvernement russe, Edouard Chevardnadze, président de la Géorgie, et Vladislav Ardzinba, leader des séparatistes d’Abkhazie (région située au nord-ouest du pays), s’engagent « à ne pas recourir aux armes pour régler leurs différends ». Même si les modalités politiques et pratiques de cette déclaration n’ont pas été abordées, on considère que celle-ci devrait constituer une bonne base pour en finir avec un conflit qui, en 1992-1993, a provoqué la mort de près de 10 000 personnes et l’exil de 250 000 autres. Moscou, qui dans le passé avait encouragé les séparatistes abkhazes afin de faire pression sur les autorités géorgiennes et les forcer ainsi à demeurer au sein de la CEI, s’est largement engagée dans ce processus de négociations. Les autorités russes espèrent que la solution abkhaze va constituer un précédent légal qui facilitera leurs propres négociations avec les indépendantistes tchétchènes. downloadModeText.vue.download 132 sur 361 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 131 16 Rock’n’roll Vingtième anniversaire de la mort d’Elvis Presley. Des dizaines de milliers de fans venus du monde entier se retrouvent à Memphis (Tennessee) et se rendent à Graceland, la demeure d’Elvis, le « King », afin d’y célébrer les vingt ans de la disparition du fondateur du rock’n’roll, mort à l’âge de quarante-deux ans. 18 Proche-Orient Reprise des bombardements au Liban sud. L’armée du Liban-Sud (ALS, force libanaise chrétienne alliée à Israël) bombarde des zones tenues par le Hezbollah, dans la région de Saïda : 6 civils sont tués et 43 autres, blessés. Le lendemain, le Hezbollah réplique par des tirs de roquettes sur le nord d’Israël. Ce cycle de violences intervient alors que les pourparlers israélo-palestiniens sont plus que jamais au point mort. Le gouvernement de Benyamin Netanyahou continue de pratiquer un bouclage strict des zones palestiniennes en représailles à l’attentat islamiste de Tel-Aviv, le 30 juillet. Le négociateur américain Dennis Ross quitte la région sans être parvenu à renouer les fils de la négociation. Les Palestiniens reprochent à Washington de s’aligner complètement sur la politique de M. Netanyahou, en exigeant de Yasser Arafat toujours plus de rigueur à l’égard des mouvements islamistes et en refusant d’exercer la moindre pression sur les autorités israéliennes afin de les forcer à reprendre le dialogue. 20 France Présentation du plan emploi pour les jeunes. Martine Aubry, ministre de l’Emploi et de la Solidarité, présente en Conseil des ministres son projet de loi visant à la création de 350 000 emplois, dont 150 000 avant la fin de 1998, pour les jeunes de 18 à 26 ans. Ces emplois, rémunérés au SMIC (5 240 F nets par mois), sont prévus pour une période de cinq ans et régis par des contrats de droit privé. Ils seront proposés par les collectivités locales, les établissements publics et les associations, financés à 80 % par l’État et à 20 % par les institutions concernées. Le coût total de ces emplois sur trois ans a été chiffré à 35 milliards de francs. Les tâches couvertes par ces emplois concernent essentiellement des services non assurés par les administrations existantes : en matière d’éducation (soutien scolaire, prévention de la violence), de santé (aide au troisième âge), de logement (entretien, sécurité), d’environnement (entretien des espaces naturels, traitement des déchets), etc. Jacques Chirac fait savoir qu’il approuve la philosophie du projet mais qu’il s’oppose à un gonflement des emplois publics, estimant que seuls les emplois créés par le secteur privé constituent des emplois stables et n’obérant pas l’équilibre des finances publiques. Le gouvernement subventionne massivement l’embauche des jeunes Le lundi 13 octobre, l’Assemblée nationale adoptait le projet de loi sur l’emploi des jeunes. Son objectif : permettre l’accès à l’emploi, dans les secteurs public et associatif, de 350 000 jeunes de 18 à 26 ans dans le cadre d’un contrat de cinq ans. Le pari, ambitieux et généreux, n’est pas gagné d’avance. Inspirée et défendue par Martine Aubry, ministre de l’Emploi et de la Solidarité et présidente de la fondation Agir contre l’exclusion, la loi sur l’emploi des jeunes a été bâtie sur un double constat. La France est un pays dont le quart des jeunes actifs est au chômage. Pourtant, il existerait, à la frontière du public et du privé, des emplois « dormants » répondant à des besoins sociaux, non satisfaits mais réels, des citoyens : être mieux accueilli dans les services publics, rassuré dans les quartiers sensibles, initié aux technologies nouvelles... L’État doit donc inciter les collectivités territoriales, les établissements publics et le réseau associatif à multiplier ces emplois, tout en les réservant aux jeunes de moins de 26 ans. Ce programme, qui conduit le gouvernement de Lionel Jospin à lutter sur les fronts de l’emploi et downloadModeText.vue.download 133 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 132 de la solidarité, est ambitieux. L’objectif est d’offrir en trois ans 350 000 contrats de droit privé à des jeunes chômeurs, quel que soit leur niveau de qualification. Volontariste, le gouvernement entend montrer l’exemple en embauchant, avant janvier 1998, 40 000 jeunes dans l’Éducation nationale. Afin d’inciter les employeurs visés à suivre, la loi prévoit le versement par l’État pendant cinq ans d’une aide de 92 000 F par an et par emploi. Cette aide correspond à 80 % du SMIC, la rémunération des jeunes embauchés devant être au moins égale au salaire minimum (6 663 F bruts à la fin octobre 1997). Au total, l’ensemble de ces mesures devrait coûter 35 milliards de francs à l’État. Ambitieuse et généreuse, la loi Aubry recèle néanmoins un certain nombre d’incertitudes. Le risque majeur d’un dispositif aussi lourd est de subventionner des emplois de « seconde zone », mal payés et peu qualifiés, au détriment d’emplois publics ou privés qui auraient pu ou dû être créés. Les dix personnalités mandatées pour identifier les nouveaux métiers aidés par l’État se sont pourtant inspirées des contrats emploisolidarité (CES) ou initiative-emploi (CIE) grâce auxquels des milliers de jeunes ont déjà trouvé une activité d’agent d’ambiance, d’accompagnement ou d’accueil au sein des collectivités locales. Mais la plupart de ces contrats incluaient une formation financée par l’État. Son rôle ? Permettre aux salariés d’acquérir une qualification reconnue sur le marché du travail. Vrais ou faux emplois ? Or, les emplois Aubry, à temps complet, ne prévoient rien de tel. La loi stipule simplement qu’une formation pourrait « éventuellement » être prévue, sans préciser l’origine de son financement. La formation pendant le travail, gage d’évolution et donc de pérennisation d’un poste, sera donc difficile à mettre en oeuvre, notamment dans les petites structures telles que les associations, déjà appelées à financer une part importante du dispositif. Car, si l’État prend en charge 80 % du SMIC versé au jeune salarié, le complément (1 800 F majorés des charges patronales) reste à la charge de l’employeur. Au-delà de cinq ans, lorsque le dispositif d’aides s’arrêtera, la pérennité des emplois les moins qualifiés et les moins évolutifs sera de toute façon remise en cause. Dans les grandes administrations (police ou Éducation nationale), un système inspiré du tutorat pourrait être envisagé. Mais, cette fois, ce sont les syndicats et les personnels, très méfiants à l’égard de tout ce qui pourrait engendrer une fonction publique « au rabais », qui font blocage. Certains voient d’un très mauvais oeil l’arrivée, pour la première fois en France, d’un contrat à durée limi- tée de longue durée (cinq ans). D’autres croient trouver dans la loi un moyen pour les employeurs les moins scrupuleux de prérecruter des fonctionnaires, voire d’embaucher à moindre frais des jeunes diplômés qui auraient peut être trouvé un travail mieux rémunéré sans cette aide ! Si tel était le cas, les vagues de recrutements pourraient s’opérer au détriment des jeunes les moins qualifiés ou des demandeurs d’emploi de plus de 26 ans. Tous ceux qui ont le plus besoin d’un soutien de la part de l’État. Toute l’ambiguïté du dispositif est bien là. Elle tient à la nature même des métiers qui bénéficieront du dispositif d’aide publique. Soit ils sont par nature insolvables et peu « qualifiants » – et, donc, ils devraient logiquement faire l’objet d’un financement global assorti d’une formation permettant aux jeunes de « rebondir » sur le marché du travail –, soit ils répondent à de véritables besoins sociaux. Dans ce cas, ces « nouveaux métiers » (aide éducateur, agent d’ambiance, médiateur familial...) risquent de se substituer à d’anciens emplois (instituteur, surveillant, assistante sociale) que l’État ne peut ou ne veut plus rémunérer à leur juste valeur. Ce même effet d’éviction guette d’ailleurs certains métiers du secteur privé, notamment dans les domaines du logement, de l’entretien et de la sécurité. Deux exemples : la loi Aubry prévoit d’aider les emplois « d’agent de gestion locative » et « d’agent d’entretien polyvalent ». Or, le premier entre en concurrence directe avec celui, pourtant traditionnel, de régisseur. L’apparition du second métier risque de remettre en cause l’ensemble des contrats liant les offices d’HLM aux sociétés privées de nettoyage ! C’est pour éviter de tels effets pervers que les députés ont obtenu du gouvernement qu’il dresse un premier bilan du plan emploi-jeunes au 31 décembre 1998, afin de confirmer ou d’infirmer les craintes pesant sur le dispositif. Une chose est sûre, dès le mois de septembre, les jeunes concernés plébiscitaient le projet de loi en déposant plus de 40 000 candidatures dans les rectorats. Il reste à espérer que leurs attentes ne seront pas déçues. J.F. P. downloadModeText.vue.download 134 sur 361 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 133 L’opposition divisée sur le vote du texte Partageant la gauche et la droite selon un clivage, désormais traditionnel, entre partisans de l’intervention de l’État et libéraux purs et durs, le plan emploi-jeunes était adopté avec la neutralité bienveillante d’une fraction de l’opposition. En septembre, lors du premier vote devant l’Assemblée nationale et alors même que RPR et UDF appelaient à s’opposer au texte, 38 députés de l’opposition s’abstenaient de voter, 3 autres, dont JeanPierre Soisson, ancien ministre du Travail, votaient même en faveur du texte. 22 États-Unis Bill Clinton poursuivi pour harcèlement sexuel. Un juge fédéral décide que le président américain devra comparaître en mai 1998 devant un tribunal sous l’inculpation d’avances sexuelles explicites à rencontre de Paula Jones, une employée de l’État d’Arkansas, dont M. Clinton était gouverneur. Les faits remontent à 1991. Les avocats du président américain n’excluent pas un arrangement à l’amiable avec Mme Jones, dont le dossier présente, aux yeux des spécialistes, plusieurs lacunes. Les sondages continuent d’être favorables à M. Clinton. Les personnes interrogées lui savent gré de la bonne situation économique du pays et, même si elles sont souvent convaincues de sa culpabilité dans l’affaire, ne lui en font pas grief. Cela marque une évolution de la mentalité collective des Américains, jusque-là très puritaine sur la conduite sexuelle de leurs dirigeants. 23 Bosnie Rupture au sein de la République serbe de Bosnie. Les partisans de Radovan Karadzic, accuse de crimes contre l’humanité, et le gouvernement des Serbes de Bosnie, basé à Pale, rompent toute relation avec la présidente Biljana Plavsic, basée à Banja Luka. Celleci, soutenue par la communauté internationale, est favorable à la mise en application effective des accords de Dayton, signés à la fin de 1995. (chrono. 14/09) 24 France Succès des Journées mondiales de la jeunesse (JMJ) catholique à Paris. Le pape Jean-Paul II clôt par une messe célébrée devant près de un million de fidèles la semaine des jeunes catholiques à Paris. L’affluence des participants, notamment français, à ces JMJ constitue une heureuse surprise pour l’Église catholique française qui craignait une désaffection des fidèles nationaux. Malgré ce succès, l’opération se solde par un trou financier de près de 60 millions de francs et il est fait appel à la générosité des fidèles. Le Premier ministre, Lionel Jospin, a salué en la personne du souverain pontife « l’un des grands témoins de notre temps ». Toutefois, certains regrettent la visite du pape sur la tombe du professeur Lejeune, ancien partisan des régimes franquiste et vichyste, adversaire résolu de l’avortement. 25 Allemagne Condamnation du dernier président de RDA. Egon Krenz, le successeur d’Erich Honecker, est condamné à six ans et demi de prison et incarcéré. L’ancien dirigeant communiste a été reconnu coupable d’avoir, en tant que responsable suprême, laissé abattre par les gardes-frontières plusieurs dizaines de personnes qui tentaient de franchir le « rideau de fer » afin de gagner la partie ouest du pays. 26 Afrique du Sud Retraite politique de Frederik De Klerk. Le dernier président blanc du pays, Prix Nobel de la paix avec Nelson Mandela, se retire de la vie polidownloadModeText.vue.download 135 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 134 tique. Son départ est salué par M. Mandela lui-même. M. De Klerk avait quitté le gouvernement en 1996, deux ans après l’élection de M. Mandela à la présidence. Depuis, son prestige avait décliné après les révélations sur ses responsabilités passées dans la politique d’apartheid et du fait de son conservatisme avéré dans la défense des intérêts de la minorité blanche. Une faction de son parti, le National Party (NP), avait même fait sécession pour créer une nou- velle formation, plus centriste et davantage ouverte aux courants modérés de la minorité blanche. Il est remplacé par Marthinus Van Shalkwyk, trente-sept ans, un ancien agent secret peu ouvert à la nouvelle donne multiraciale ayant cours dans le pays. 28 Angola L’Unita sanctionnée par l’ONU. L’Union nationale pour l’indépendance totale de l’Angola est sanctionnée à l’unanimité par le Conseil de sécurité. Il est reproché à l’organisation dirigée par Jonas Savimbi de ne pas respecter les accords de novembre 1994 signés avec le gouvernement du président Eduardo Dos Santos et de continuer à favoriser une agitation armée dans les régions qu’elle contrôle. Un embargo économique est prononcé, tandis que les mouvements à l’étranger des dirigeants de l’Unita seront contrôlés. Ces derniers mois, le rapport des forces s’est sérieusement orienté à la défaveur des partisans de M. Savimbi : M. Dos Santos est un ami personnel et politique de son voisin congolais Laurent-Désiré Kabila, et les Américains ont pris davantage leurs distances vis-à-vis d’un mouvement dont l’utilité politique ne leur semble plus compter. Congo-Kinshasa Nouvelles entraves à l’enquête de l’ONU. Les autorités de la nouvelle République démocratique du Congo (RDC) multiplient les obstacles administratifs envers les membres de la commission d’enquête sur les disparitions de réfugiés hutus du Rwanda. Convaincus que les partisans du président Laurent-Désire Kabila cherchent à laisser passer le temps pour effacer toutes les traces des massacres et mécontents de la présence de nombreux Rwandais à la tête des institutions congolaises, les responsables américains déclarent que si la commission d’enquête était effectivement entravée cela « affecterait la position de Washington à l’égard du président Kabila ». Courant septembre, les autorités de Kinshasa continuent de gêner la mission des enquêteurs de l’ONU, et un ministre s’en prend publiquement au secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan, l’accusant de « provocation délibérée ». France Philippe Séguin contre toute alliance avec le FN. Le nouveau président du RPR déclare : « Sauf départ de ma part, il n’y aura pas d’alliance [avec le Front national], parce qu’il n’y a pas de proximité de programme politique. » Dans le même temps, la plupart des responsables de la droite s’opposent au projet de fusion du RPR et de l’UDF. Les sondages indiquent cependant que 64 % des sympathisants de l’UDF et 72 % de ceux du RPR y sont favorables, contre 44 % pour l’ensemble des personnes interrogées. 29 Algérie Multiplication des massacres. Entre 200 et 300 personnes sont assassinées dans des conditions atroces dans la région et dans la banlieue d’Alger. La violence atteint ainsi son plus effroyable niveau depuis le début, en 1992, de la guerre civile larvée. Beaucoup s’étonnent que ces massacres aient pu se perpétrer à quelques centaines de mètres seulement de casernes sans que l’armée n’intervienne. Asie du Sud-Est Début de krach boursier. Les Bourses de Manille, Hongkong et Djakarta essuient des replis de 5 à 8 %, qui s’ajoutent à des replis antérieurs de même importance, soit près de 30 % en moyenne depuis le début de l’année. Les différentes monnaies de la région se situent toutes à leur niveau le plus bas. Malgré le plan du FMI en Thaïlande décidé au début du mois, les investisseurs internationaux sont toujours inquiets. Certains évoquent même une remise en cause du modèle asiatique, c’est-à-dire une économie de bas salaires orientée vers l’exportation et associée à un sévère dirigisme politique. La concurrence chinoise, la spéculation financière facilitée par la collusion entre les milieux d’affaires et les milieux politiques, enfin, une politique d’investisdownloadModeText.vue.download 136 sur 361 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 135 sement insuffisante ont remis en cause le « miracle des Tigres » asiatiques. 31 Grande-Bretagne Mort accidentelle de lady Diana. La princesse de Galles, divorcée du prince Charles et réputée la « femme la plus photographiée du monde », se tue dans la nuit en voiture, à Paris, aux côtés de son amant, le milliardaire égyptien Doddi Al Fayed. Elle était âgée de trente-six ans. Traqué par les photographes, le couple avait fui l’hôtel Ritz (dont le père de M. Al Fayed est propriétaire) et s’était engagé à plus de 150 km/h dans le tunnel du pont de l’Aima. M. Al Fayed et le chauffeur sont tués sur le coup, tandis que la princesse décède dans les heures suivantes à l’hôpital de la Salpêtrière. Seul le garde du corps survit à l’accident. Plusieurs photographes sont interpellés et certains d’entre eux sont mis en examen pour « non-assistance à personne en danger » et « homicide et blessures involontaires ». Il leur est reproché d’avoir harcelé la princesse et d’avoir continué à la photographier après l’accident, gênant ainsi l’arrivée des premiers secours. L’enquête fait également apparaître que le chauffeur, un agent de la sécurité de l’hôtel Ritz, conduisait en état d’ébriété, avec près de 1,75 gramme d’alcool par litre de sang et après avoir absorbé des produits tranquillisants. Le décès de lady Diana suscite aussitôt une immense émotion en Grande-Bretagne. Cette mort met de nouveau en cause le rôle de la presse à scandale et des tabloïds, si puissants dans ce pays ; elle constitue également un désaveu vis-à-vis de la famille Windsor, qui a constamment rejeté la jeune femme, considérée pourtant comme bien davantage en phase avec le peuple. Chacun rappelle alors le rôle actif de Diana comme porte-parole de nombreuses associations humanitaires, notamment celle militant pour l’interdiction dans le monde des mines antipersonnel. Dans son ultime interview, accordée au journal français le Monde, la princesse laissait entendre ses préférences pour le nouveau gouvernement travailliste de Tony Blair. Face à la pression de l’opinion publique, la reine Élisabeth II fait une déclaration à la télévision où elle exprime son admiration pour la défunte, tandis que la famille royale au grand complet sort du palais de Buckingham pour dialoguer avec la foule venue déposer devant les grilles une véritable muraille de bouquets de fleurs. Les funérailles de Diana ont lieu le 6 septembre à l’abbaye de Westminster. Deux millions de personnes se pressent le long du passage du convoi funèbre. Des centaines de millions de téléspectateurs à travers le monde suivent la cérémonie durant laquelle Elton John chante dans l’église une version spécialement réécrite pour la circonstance de « Candle in the Wind ». Dans les jours qui suivent, les dons affluent à l’organisation caritative créée en souvenir de la défunte, faisant de celle-ci, grâce également aux droits de la chanson d’Elton John, l’association la plus richement dotée du monde. La mort de Lady Diana La disparition de la princesse de Galles, morte à trente-six ans dans un accident de voiture à Paris, a provoqué une émotion considérable dans le monde. Elle a également déclenché une polémique sur le rôle des « paparazzi » et fragilisé encore plus la monarchie britannique, dont l’étiquette rigide à l’excès est apparue à mille lieues de la réalité actuelle. La vie de la « princesse du peuple », héroïne d’un conte de fées des temps modernes, s’est terminée en tragédie dans un tunnel au cours de la nuit du 31 août au 1er septembre. « Diana est morte ». Le flash est tombé le 1er septembre sur les fils de l’agence FrancePresse. Il est 5 h 44 min du matin. La princesse de Galles, « lady Di » pour le monde entier, exépouse du prince Charles, héritier de la couronne d’Angleterre, et « reine des médias », a trouvé la mort à l’âge de trente-six ans dans un accident de voiture, sous le tunnel de l’Alma, le long des quais de la Seine, à Paris. Le conte de fées dont la jolie princesse était l’héroïne, et que des millions de lecteurs de la presse tabloïd suivaient semaine après semaine, s’achève comme une tragédie des temps modernes. Après une folle course-poursuite avec des paparazzi qui voulaient une énième photo volée de ses amours avec son nouvel ami, le milliardaire égyptien Emad Al Fayed. Amours qui avaient alimenté la une des magazines à sensation pendant tout l’été et qui se terminent dans le sang et les tôles froissées d’une Mercedes « de grande remise » pilotée à grande vitesse par un chauffeur ivre – les analyses le révéleront – tentant d’échapper à la meute de photographes peu scrupuleux. Des downloadModeText.vue.download 137 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 136 quatre passagers de la voiture, seul le garde du corps de celle que l’on a baptisée la « princesse du peuple » ou la « princesse des coeurs », échappera à la mort. Dès l’annonce du décès de « lady Di », l’onde de choc est considérable dans le monde. L’émotion est à son comble et frise parfois l’hystérie collective, tant la ferveur émotionnelle que provoque cette nouvelle est grande. Rarement, ce qui reste, en dépit de la personnalité des acteurs de ce drame, un fait divers n’aura suscité un tel engouement planétaire. Rarement une enquête n’aura été accompagnée d’un tel déferlement de fausses informations et de rumeurs. N’a-ton pas parlé d’un attentat ? Le parquet de Paris n’a-t-il pas confié d’emblée l’enquête à la brigade criminelle ? Mais, au-delà, si la disparition tragique de la princesse va relancer avec force la polémique sur le respect de la vie privée, elle va surtout provoquer en Grande-Bretagne une remise en question de la pratique monarchique de la famille royale, dont l’étiquette trop rigide et hors du temps est massivement condamnée par l’opinion. Les paparazzi en accusation Bien que rien ne prouve encore que les photographes qui ont pris en chasse à moto la Mercedes de « lady Di » à la sortie du Ritz, (ci-dessus) le soir du drame, soient directement responsables de l’accident, les sept qui étaient sur place à l’arrivée des premiers secours et de la police ont été mis en examen pour homicide involontaire et non-assistance à personne en danger, et leurs pellicules, confisquées. A-t-elle été la victime de ceux qui la pourchassaient ? Sans doute estelle morte traquée par les médias qui l’avaient mise en scène depuis plus de quinze ans, depuis que Diana Spencer, jeune fille de dix-neuf ans, était devenue, en 1981, l’épouse de l’héritier du trône d’Angleterre avant de redevenir « libre » en 1992 après un mariage raté. Quinze années pendant lesquelles elle a été la femme la plus photographiée de la planète. Sa vie se confondait avec ses images dans les médias. Des médias qu’elle savait utiliser dans sa guerre contre la famille des Windsor pendant son divorce avec Charles et pour peaufiner son rôle de princesse du peuple ou des coeurs. Certes, elle défend les causes humanitaires, allant vers les victimes du sida, prend la tête du combat contre les mines antipersonnel, mais toujours avec une meute de photographes derrière elle. Par les médias, elle arrive à gagner son émancipation et sa popularité face aux Windsor, mais Diana Spencer s’enferme dans un système dangereux : elle devient l’otage de ces médias, ils la harcèlent dans sa vie publique et surtout dans sa vie privée, dont elle veut pleinement profiter depuis son divorce. D’accord, à trente-cinq ans, elle est jeune, libre et riche, mais elle est victime du système qui lui a permis d’aboutir à ses fins. Elle est piégée. Les lecteurs veulent toujours en savoir plus sur le destin, qu’ils n’imaginent pas tragique, de cette princesse de conte de fées. Rien ne pouvait empêcher cette traque qui lui sera fatale. Et, peu de temps après sa mort, le succès des fameux tabloïds ne se démentait pas, même si ces derniers – en hommage à celle qui les avait si longtemps enrichis ? – n’ont publié aucune des photos de l’accident. Les Windsor en question Paradoxe : si, de son vivant, « lady Di » n’aura pas réussi véritablement dans son entreprise de dénonciation à peine voilée d’une monarchie anglaise décalée et ne répondant pas aux at- tentes du peuple, sa mort va provoquer un véritable séisme dans la famille royale. Alors que des centaines de millions de téléspectateurs vont suivre en direct, le 6 septembre, à la télévision, la cérémonie à l’abbaye de Westminster, qu’une foule d’une ampleur exceptionnelle se massera sur le passage du cortège funèbre (plus de 2 millions de personnes selon la BBC. Un record historique !), l’attitude jugée trop distante observée par la reine et Charles, le prince héritier, va illustrer le fossé grandissant qui existe entre la Couronne et ses sujets. Jamais, pendant cette semaine de deuil qui va précéder les obsèques, l’institution monarchique, tel le qu’Élisabeth II l’incarne, n’aura été autant bousculée et coupée des réalités du pays. Jamais la reine n’aura été autant critiquée et le protocole « d’un autre siècle », vilipendé. Dans un sondage pour le compte du Sunday Times, 72 % de ses sujets estiment qu’elle est « en dehors du coup », 53 % veulent qu’elle abdique dès maintenant. Et son fils Charles, l’héritier de la couronne, ne s’en tire guère mieux puisque 58 % des sondés ne le veulent pas comme roi et lui préfèrent Williams, le fils aîné de Diana, « seul capable de moderniser une monarchie vieillie et de perpétuer l’image de modernité que sa mère avait insufflée à une institution raidie dans ses traditions. À croire que, en enterrant Diana, la Grande-BredownloadModeText.vue.download 138 sur 361 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 137 tagne voulait en profiter pour enterrer une certaine idée de la monarchie. Il est vrai que la famille royale n’aura pas fait grand-chose pour éviter cette fronde. Se murant, dans un premier temps, dans son château de Balmoral, en Écosse, et ne délivrant qu’un communiqué laconique, elle est apparue en déphasage total avec l’immense majorité de ses sujets. Et ce n’est que tardivement, sous la pression de l’opinion, qu’elle s’est enfin décidée à toucher au sacro-saint protocole et à multiplier les gestes symboliques afin de faire taire les critiques. Pour la première fois depuis son couronnement en 1953, Élisabeth II s’est adressée au pays du balcon de Buckingham Palace pour rendre hommage à Diana, « une femme exceptionnelle ». Mieux, le jour des funérailles, les Windsor au grand complet sont sortis devant Buckingham pour saluer la dépouille mortelle de Diana et partager l’émotion populaire. Et, pour la première fois, l’étendard royal a été amené au mât du palais et remplacé par l’Union Jack en berne. Peu de chose sans doute. Mais, pour les Windsor, une révolution sans précédent. Une révolution nécessaire et dont dépend l’avenir de la monarchie. Le prince Charles l’a bien compris, lui qui s’est déjà longuement entretenu avec le Premier ministre, Tony Blair, pour adapter la Couronne à l’évolution de la société britannique. Reste à savoir si, une fois l’émotion passée, cette volonté de moderniser l’institution résistera aux pesanteurs de la tradition. Il y va de la monarchie comme des tabloïds : les mauvaises habitudes, elles, ont la vie dure. B. M. Respect de la vie privée : la législation française, la plus sévère en Europe « Chacun a droit au respect de sa vie privée » (article 9 du Code civil). « Est puni d’un an d’emprisonnement et de 300 000 francs d’amende le (ait, au moyen d’un procédé quelconque, volontairement, de porter atteinte à l’intimité de la vie privée d’autrui » (article 226-1 du Code pénal). Cette législation fait de la France le pays d’Europe le plus respectueux de la vie privée, d’autant que, n’étant pas incluse dans la loi sur la presse, elle n’apporte pas les garanties normalement attachées à la liberté d’expression. À l’inverse, la GrandeBretagne ne possède pas de loi comparable et les pouvoirs politiques successifs ont toujours, au nom de la liberté d’expression, refusé d’aller dans le sens de la législation française. downloadModeText.vue.download 139 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 138 SEPTEMBRE 1 Algérie Abassi Modani assigné à résidence. Un mois et demi après avoir été libéré de prison, le chef historique du Front islamique du salut (FIS) est assigné à résidence et menacé d’être à nouveau incarcéré. Les autorités lui reprochent d’avoir adressé une lettre à Kofi Annan, le secrétaire général de l’ONU, dans laquelle il se disait « prêt à lancer un appel pour arrêter l’effusion de sang immédiatement et pré- parer l’ouverture d’un dialogue sérieux ». Les militaires au pouvoir n’ont jamais accepté que la communauté internationale intervienne dans une guerre civile considérée comme une affaire strictement intérieure. On s’interroge sur les raisons qui ont poussé M. Madani à écrire une telle lettre : obtenir une garantie de l’ONU pour une éventuelle trêve entre le FIS et l’armée ou bien couper ainsi l’herbe sous le pied aux éléments les plus durs du commandement militaire qui s’opposent à tout accord avec les islamistes. (chrono. 23/09) 3 Comores Intervention militaire à Anjouan. Le gouvernement de Moroni envoie 300 militaires dans l’île d’Anjouan qui réclame depuis plusieurs semaines son indépendance, voire son retour à la France. Ce séparatisme, repris ensuite par les habitants de l’île Mohéli, s’explique par la pauvreté ambiante et par le fait que les Anjouanais s’estiment lésés, vis-à-vis de la grande Comore, dans la répartition de l’aide internationale. L’exemple de Mayotte, demeurée dans la mouvance française et bénéficiant d’une prospérité nettement plus forte, a également contribué à aiguiser les rancoeurs. Très rapidement, l’intervention militaire s’avère être une catastrophe, plus de 40 militaires étant tués par les indépendantistes. Le président comorien Abdoulkarim Taki décide alors de prendre les pleins pouvoirs. 4 Israël Nouveaux attentats islamistes. Sept personnes sont tuées au cours d’attentats à la bombe perpétrés par des militants islamistes dans Jérusalem-Ouest. Le lendemain, onze soldats israéliens sont tués au cours d’une opération menée au SudLiban. Ils ont été attirés dans un véritable guet-apens. C’est la plus grosse perte militaire israélienne dans cette région. Yasser Arafat condamne les attentats, mais le gouvernement israélien comme les autorités américaines lui reprochent de ne pas agir avec assez de vigueur contre les extrémistes islamistes opérant depuis les territoires palestiniens. (chrono. 29/09) 5 France Démission du président d’Air France. Christian Blanc quitte la présidence du groupe de transport aérien à la suite de son désaccord avec l’État sur la privatisation de l’entreprise, qu’il appelait de ses voeux. En accord avec son ministre des Transports, le communiste Jean-Claude Gayssot, le Premier ministre Lionel Jospin avait informé M. Blanc que l’État devrait demeurer majoritaire à 51 % dans le capital du groupe. M. Blanc, qui est parvenu en trois ans à redresser les comptes de la société, estimait que la privatisation était indispensable pour permettre des rapprochements internationaux entre Air France et d’autres transporteurs étrangers. Les syndicats s’opposaient à la totale privatisation de l’entreprise dont ils estimaient qu’elle risquait ainsi de perdre sa fonction de service public, notamment pour ce qui est de l’exploitation des lignes non rentables. Les observateurs soulignent que le dossier Air France constituait une priorité pour les communistes et que, par ailleurs, ceux-ci ont tout de même accepté une privatisation à hauteur de 49 %, ce qu’ils refusaient jusqu’alors. Le 18, quelques jours après la fusion définitive d’Air France et de l’ex-Air Inter, JeanCyril Spinetta est nommé à la tête du groupe. P-DG d’Air Inter de 1990 à 1993, M. Spinetta s’était opposé à la fusion avec Air France. Ancien membre du cabinet downloadModeText.vue.download 140 sur 361 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 139 du ministre socialiste Michel Delebarre, M. Spinetta dispose de liens privilégiés avec les syndicats. France Nouvelles révélations dans l’affaire de l’Association pour la recherche sur le cancer (ARC). Un rapport d’expertise remis au juge d’instruction Jean-Pierre Zanoto précise l’ampleur des détournements financiers commis au détriment de l’Association pour la recherche sur le cancer (ARC) par sa précédente direction et son président, Jacques Crozemarie. Ces détournements, chiffrés à « plusieurs centaines de millions de francs », auraient été effectués, notamment, à travers les sociétés sous-traitantes de l’association en matière de communication et par le paiement de nombreux voyages d’agrément au profit de M. Crozemarie et de ses proches. Inde Mort de Mère Teresa. La fondatrice des Missionnaires de la charité meurt à Calcutta à l’âge de quatre-vingt-sept ans. Née Agnès Gonxha Bajaxhiu en Macédoine dans une famille albanaise, elle rejoint la congrégation des soeurs de Loreto en Irlande avant de partir fin 1928 pour les Indes. Pendant dix-huit années, elle est contrainte d’enseigner l’histoire et la géographie à des jeunes filles de la bonne société de Calcutta. En 1948, elle décide de se lancer dans l’aide directe aux pauvres et crée, deux ans plus tard, la congrégation des Missionnaires de la charité. Elle ouvre alors un puis plusieurs mouroirs afin de permettre aux plus déshérités d’être soignés ou de mourir entourés. Elle établira ainsi plus de 200 de ces lieux, ainsi que des crèches, écoles et dispensaires, tant en Inde que dans le reste du monde, avant de recevoir le prix Nobel de la paix en 1979. Elle apporte alors son soutien à de nombreuses causes : réfugiés palestiniens. Aborigènes australiens, paysans sans terre du Guatemala, etc. Elle milite également avec beaucoup de ténacité contre l’avortement, et certains lui reprochent de s’en tenir à la morale la plus conservatrice de la tradition catholique. Le 13, après une semaine de veillée mortuaire extrêmement fervente, elle reçoit des funérailles nationales à Calcutta devant un parterre de personnalités venues du monde entier. Toutefois, la grande foule n’est pas là, sans doute découragée par le déploiement d’un trop important service d’ordre. 6 Grèce Athènes choisie pour les JO de 2004. La capitale grecque a été désignée par le CIO (Comité international olympique) comme organisatrice des Jeux de 2004. Elle a été préférée à Rome, Le Cap, Stockholm et Buenos Aires. 7 Tennis Martina Hingis et Patrick Rafter vainqueurs à New York. La Suissesse et l’Australien remportent les finales femmes et hommes des Internationaux des ÉtatsUnis en battant respectivement l’Américaine Venus Williams et le Britannique Greg Rusedski. Congo-Kinshasa Mort de l’ancien président Mobutu Sese Seko. L’ancien président du Zaïre (rebaptisé, depuis l’arrivée au pouvoir de Laurent-Désiré Kabila, République démocratique du Congo) meurt à l’âge de soixantesix ans d’un cancer généralisé à Rabat où il était en exil. Fils d’un cuisinier, il est enrôlé très jeune dans l’armée. Quelques années plus tard, il écrit dans les publications militaires. Il embrasse ensuite la carrière de journaliste et rencontre à cette occasion le militant indépendantiste de gauche Patrice Lumumba. Il occupe des fonctions officielles dès l’indépendance en 1960 quand le président Kasavubu et le Premier ministre Lumumba lui demandent de reprendre en main les forces armées. Il est alors promu chef d’étatmajor. Très vite, il organise un premier coup d’État pour éliminer Lumumba. En 1965, il chasse à son tour le président Kasavubu, occupe le pouvoir et se débarrasse physiquement de ses derniers opposants, MM. Tschombé, Kimba et Mulele. Il prône alors une « africanisation » des moeurs et pratique une politique de népotisme et de corruption effrénée. Au début des années 80, M. Mobutu s’estime lui-même être le deuxième homme le plus riche de la planète. Il est downloadModeText.vue.download 141 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 140 malgré tout soutenu par les Occidentaux qui voient en lui un rempart contre les risques de soulèvement communiste à partir de l’Angola. En 1990, il annonce une démocratisation de son régime, mais celle-ci n’interviendra jamais. Le changement de la donne géopolitique mondiale et régionale a raison de lui à partir de 1996, ainsi que, ensuite, l’offensive menée par Laurent-Désiré Kabila et ses alliés rwandais. 8 France Privatisation partielle de France Télécom. À la suite de la remise du rapport commandé à l’ancien ministre Michel Delebarre, le gouvernement annonce qu’il va procéder à la privatisation d’un tiers du capital de France Télécom. 20 % seront mis en Bourse dés le mois d’octobre ; les 165 000 salariés du groupe pourront devenir actionnaires à hauteur de 3 à 4 % ; enfin, Deutsche Telekom et France Télécom, déjà unis dans la possession de 20 % de l’opérateur américain Sprint, s’échangeront 7,5 % à 8 % de leur capital respectif. En octobre, à la clôture de la mise sur le marché du quatrième opérateur mondial de téléphonie, 3,9 millions d’épargnants français s’étaient inscrits pour acheter des actions (dont 100 000 salariés de l’entreprise). 9 BD Cinquantenaire de Lucky Luke. Le dessinateur belge Morris (de son vrai nom Maurice de Bevere, soixante-treize ans) sort OK Corral, la 78e aventure du célèbre cow-boy, et fête ainsi les cinquante ans du personnage, dont plus de 250 millions d’albums ont été vendus à travers le monde. France Une journée sans autos à La Rochelle. Ancien ministre de l’Environnement au début des années 80, le maire de la ville, Michel Crépeau, interdit le centre-ville pour une journée à tous les véhicules à moteur thermique, à l’exception des ambulances et des autobus. Il déclare à cette occasion : « Je suis convaincu que d’ici à une dizaine d’années, il ne faudra plus de voitures dans les centres-villes, notamment dans les villes historiques comme La Rochelle, alors il faut expérimenter. » (chrono. 1/10) 11 Grande-Bretagne Référendum en Écosse. Sur proposition du Premier ministre Tony Blair, qui a pris parti en faveur du « oui », les électeurs écossais se prononcent par référendum sur un statut d’autonomie de leur nation. Par 74,29 % des voix ils approuvent la création d’un Parlement régional et par 63,48 % le projet de doter cette institution de pouvoirs fiscaux limités (3 % de l’impôt sur le revenu et sur les sociétés). Le nouveau Parlement entrera en fonction en l’an 2000. (chrono. 18/09) 13 UE Confirmation de l’euro. Réunis au Luxembourg, les quinze ministres des Finances de l’Union européenne décident que les parités des monnaies de la future zone euro seront fixées en même temps que sera décidée la liste des pays admis au sein de cette zone. Une telle décision devrait permettre aux banques centrales de mieux gérer la phase d’installation de la monnaie commune en permettant de connaître huit mois avant le 1er janvier 1999, date de l’entrée en vigueur de l’euro, la valeur de chaque monnaie européenne par rapport aux autres ; elle constitue également un message fort pour ceux qui doutaient de la mise en oeuvre de la monnaie commune dans les délais prévus. 14 Bosnie Élections municipales. 2,5 millions d’électeurs appartenant aux trois communautés de Bosnie (Croates, Musulmans, Serbes) élisent près de 5 000 responsables locaux de 136 municipalités. Ce scrutin est censé pérenniser les accords de Dayton (1995) et permettre aux réfugiés downloadModeText.vue.download 142 sur 361 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 141 de voter dans leurs villes ou villages qu’ils avaient été obligés d’évacuer pendant la guerre civile. En réalité, le vote ne permet pas de résoudre les problèmes de cohabitation entre les communautés et se solde par un renforcement des partis nationalistes. Proche-Orient Fin de la tournée de Madeleine Albright. Le secrétaire d’État américain achève sa tournée sur un demi-échec. Elle déclare qu’Israël a « entendu son message » et s’est engagé à « redonner de l’énergie au processus de paix ». Le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, a, en effet, décidé de lever le bouclage des villes palestiniennes autonomes, de permettre le transfert d’une partie des fonds dus aux Palestiniens et d’instituer le gel d’une nouvelle colonie juive à Jérusalem-Est. Des responsables israéliens et palestiniens devraient se retrouver à New York fin septembre pour discuter des moyens de relancer le processus d’Oslo. En marge du voyage de la responsable de la diplomatie américaine, Hubert Védrine, ministre français des Affaires étrangères, a estimé « catastrophique » la politique du gouvernement israélien, précisant que son appréciation était « extrêmement répandue ». Dès le 15, la tension monte à nouveau à la suite de l’installation de trois familles de colons juifs extrémistes dans une maison située au coeur de la Jérusalem arabe, à l’est de la ville. La demeure avait été rachetée discrètement par un milliardaire juif américain, proche de l’extrême droite sioniste. M. Netanyahou condamne l’opération mais ne conteste pas son caractère légal. Le compromis consistant à transformer ces habitations en école talmudique ne satisfait en rien l’opinion arabe. Le 24, le Premier ministre israélien annonce la construction de 300 nouveaux logements juifs en Cisjordanie et déclare qu’il va accélérer les travaux de ce type dans toute la région. Bosnie, des élections sous haute surveillance Au vu des premiers chiffres sortant des urnes, il apparaissait que les trois partis nationalistes – croate, serbe et musulman –, déjà vainqueurs en 1996 des premières élections générales d’aprèsguerre, étaient en passe de s’imposer à l’occasion du scrutin municipal des 13 et 14 septembre. Pourtant, au fur et à mesure que les résultats s’affinaient, on enregistrait un léger effritement de leur électorat au profit d’une opposition hétérogène. Destinées à constituer des administrations locales dans 136 municipalités, les élections municipales en Bosnie-Herzégovine ont finalement été organisées « à l’arraché » par la communauté internationale, après avoir été reportées à quatre reprises. Un pari dont c’est peu d’écrire qu’il présentait des risques certains, eu égard aux pressions et aux moyens déployés. C’est ainsi que l’on a vu les États-Unis multiplier les navettes diplomatiques entre Belgrade, Pale, Banja Luka, Zagreb et Sarajevo afin de convaincre Serbes, Croates et Musulmans de respecter leurs engagements. Un contexte déjà tendu, aggravé par les tensions au sein de l’entité serbe entre les ultranationalistes de Pale – fidèles à Radovan Karadzic – et les légitimistes, partisans de la présidente Biljana Plavsic. Cette « guerre des chefs » a contraint la force multinationale à mettre en oeuvre trois avions capables de brouiller les émissions des médias de Pale pour leur interdire de lancer des appels à la violence et à la rébellion contre les forces de l’OTAN. En plaçant le scrutin sous haute surveillance, la Force multinationale de l’OTAN (SFOR) et l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) en ont démontré l’importance : il s’agissait, in fine, de concrétiser la normalisation instaurée par les accords de Dayton (fin 1995) dans des domaines aussi sensibles que le retour des réfugiés et le partage des responsabilités et où le retard des engagements pris était pour le moins avéré. Des manoeuvres de dernière minute Il suffisait que chacun recense les patronymes sur les listes électorales pour se faire une idée assez précise du rapport des forces, et donc des résultats probables du scrutin. Aussi, la veille des élections, les communautés serbe, croate et musulmane tentaient encore d’obtenir de l’OSCE de nouvelles concessions dans les secteurs clés. Ce furent les Serbes qui, pour améliorer leurs positions à Brcko, s’essayaient à des manoeuvres de dernière minute, les Musulmans qui énonçaient des conditions pour Mostar, en brandissant la menace d’un boycott, tandis que les Croates promettaient que leur drapeau flotterait toujours sur Drvar, quel que soit le résultat du downloadModeText.vue.download 143 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 142 scrutin. Sans doute pour donner plus de poids à leurs manoeuvres « diplomatiques », les nationalistes de toute obédience n’ont pas hésité à faire entendre des arguments plus détonants. La veille du scrutin, le centre-ville de Banja Luka, principale municipalité de l’entité serbe, était secoué par le fracas d’un engin qui explosait à proximité d’un véhicule de l’OSCE. Le même jour, un pont, que devaient emprunter des réfugiés musulmans pour aller voter en zone serbe dans le nord-est de la Bosnie, était à son tour endommagé par une bombe. Enfin, un engin détruisait les locaux du HDZ, le principal parti des Croates de Bosnie, à Sarajevo. En dépit de ces divers attentats, les élections se sont déroulées dans le calme : selon l’OSCE, qui avait déployé sur le terrain près de 2 500 observateurs, seulement 3 des 2 229 bureaux de vote n’avaient pas ouvert le dimanche 14 septembre ; tous trois situés à Zepce – une ville croate de la Bosnie centrale. Enfin, l’OSCE relevait un taux de participation supérieur aux estimations les plus optimistes. Victoire en demi-teinte des nationalistes La mobilisation s’explique par le vote massif des réfugiés (environ 800 000 en Bosnie). Quelque 35 000 d’entre eux avaient émis le désir d’aller voter là où ils habitaient avant la guerre. Il reste que, pour la majorité de ces candidats au voyage, le vote ne pouvait guère être autre chose qu’un prétexte pour revoir leur ancienne habitation : en dépit de la protection de la SFOR, beaucoup n’ont pas eu ce plaisir, les bureaux de vote étant très souvent installés à la périphérie des villes, voire en lisière des forêts. Sans surprise, les trois partis nationalistes au pouvoir – le SDA musulman, le SDS serbe et le HDZ croate – sont arrivés en tête, bien que dans les deux entités de Bosnie-Herzégovine (Fédération croato-musulmane et République serbe de Bosnie) les trois formations ne puissent pas prétendre avoir fait le plein des voix. Ainsi, on retiendra la défaite du SDS (Parti démocrate serbe) à Banja Luka, la principale ville de RS (République serbe de Bosnie), où réside sa présidente Mme Plavsic, dont les candidats ont obtenu 45 des 70 sièges, contre seulement 7 au SDS. Un résultat de nature à affaiblir un peu plus les partisans de R. Karadzic, littéralement « bunkérisés » à Pale et dont l’impopularité s’accroît chaque jour un peu plus. Mme Plavsic doit de toute évidence son succès au soutien d’une douzaine de partis de l’opposition qui ont fait de la liquidation du SDS l’axe majeur de leur campagne. Au sein de la Fédération croato-musulmane, on attendait avec impatience les résultats concernant, d’une part, Mostar, et, de l’autre, Tuzla. Si dans la première ville les Musulmans du SDA ont obtenu la majorité, leur campagne agressive ne leur aura pas permis, par contre, de reprendre la seconde. Brcko faisait également figure de test. Bien que les Musulmans aient échoué dans la reconquête de ce port stratégique du nord-est de la Bosnie – pris par les Serbes en 1992 –, l’OSCE a annoncé qu’une administration multiethnique sera mise en place pour contenir les tensions. Globalement, ces élections auront mis en évidence une progression – certes timide – de l’opposition non nationaliste. Quoi qu’il en soit, la situation demeure complexe, et l’application des résultats pour le moins délicate. P. F. Le retrait des troupes étrangères : incertitude La veille du scrutin municipal, les ÉtatsUnis faisaient savoir que le retrait de leurs troupes, prévu pour 1998, était loin d’être réglé. C’est ainsi que le secrétaire d’État William Cohen n’a pas exclu la possibilité du maintien d’une présence militaire étrangère en Bosnie pour quelques années de plus. Le chef de la diplomatie américaine s’est dit persuadé que les alliés européens des États-Unis participant à la Force multinationale de l’OTAN estimaient eux aussi nécessaire de maintenir cette force en Bosnie afin d’éviter une reprise de la guerre. 15 Grande-Bretagne Reprise des négociations en Ulster. Les premiers pourparlers multipartites en Irlande du Nord depuis 1921 s’ouvrent à Belfast. Les protestants unionistes (favorables au maintien de l’union avec le Royaume-Uni) n’y assistent pas, estimant que toutes les garanties concernant le contrôle des armes de l’IRA (Armée républicaine irlandaise) ne sont pas encore réunies. La base des négociations porte sur quatre points : la création d’une assemblée downloadModeText.vue.download 144 sur 361 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 143 régionale élue à la proportionnelle, la mise sur pied de nouvelles institutions Nord-Sud, la révision des accords anglo-irlandais de 1985 sur le contrôle de l’Ulster et la renonciation par la république d’Irlande à sa prétention de souveraineté sur l’Ulster. Le 16, un attentat, non revendiqué par l’IRA, provoque la colère des organisations protestantes. Cependant, le 23, unionistes et catholiques du Sinn Féin finissent par se retrouver autour de la table et commencent à négocier sous la présidence du sénateur américain George Mitchell. Norvège Échec électoral des travaillistes. Premier ministre depuis le départ en octobre 1996 de Mme Gro Harlem Brundtland, Thorbjoern Jagland démissionne de son poste après l’échec relatif du Parti travailliste aux élections législatives : 35,2 % des voix (en recul de 1,7 % par rapport aux précédentes élections de 1993) et 65 sièges (sur un total de 165). La coalition de centre droit, dirigée par Kjell Magne Bondevik, obtient 26,1 % des voix et 42 sièges. Avec 15,3 % des suffrages et 25 sièges, le parti du Progrès de Carl Hagen, populiste et xénophobe (mais officiellement hostile aux thèses de Jean-Marie Le Pen), se place en position d’arbitre. Bien que minoritaire et très divisée entre ses diverses composantes (conservateurs, centristes agrariens et chrétiens-démocrates), la coalition centriste envisage de prendre la direction du pays. Les observateurs estiment que la coalition ne pourra pas rester longtemps au pouvoir, ce qui permettrait aux travaillistes de revenir rapidement après une salutaire cure d’opposition. À moins que le message du parti du Progrès ne s’impose un peu plus dans une opinion norvégienne, notamment populaire, qui s’estime insuffisamment bénéficiaire des retombées de la manne pétrolière. 16 France Le nucléaire en question. Le gouvernement décide, conformément aux engagements de campagne du Parti socialiste, de renoncer au projet de centrale nucléaire du Carnet, dans l’estuaire de la Loire. Dans le même temps, Dominique Voynet, ministre de l’Environnement, reproche à la Cogema, l’entreprise qui exploite l’usine de retraitement des combustibles nucléaires de la Hague, de ne pas avoir respecte toutes les consignes de sécurité lors des opérations de détartrage des conduites de rejet. Ces remises en question de l’industrie nucléaire interviennent alors que les pouvoirs publics prennent de plus en plus conscience de la nécessité de diversifier davantage les sources d’énergie de la France, dont, actuellement, 80 % de l’électricité provient de l’atome. France Jean-Louis Debré à la tête du groupe parlementaire RPR. Jean-Louis Debré, l’ancien ministre de l’Intérieur du gouvernement dirigé par Alain Juppé, est élu à la tête du groupe parlementaire RPR par 81 voix contre 57 à Frank Borotra. Cette élection est considérée par certains observateurs comme une première tentative de reprise en main du RPR par l’Élysée depuis la défaite électorale de juin, M. Debré étant proche de Jacques Chirac et M. Borotra, de Philippe Séguin. Indonésie Incendies géants. Des feux mal maîtrises sur prés de 800 000 hectares de forêt à Sumatra et à Kalilantan dégagent un nuage de fumée qui, dans les jours qui suivent, obscurcit l’atmosphère dans toute la région : Brunei, Singapour, la Malaisie, les Philippines et la Thaïlande sont touchés. Des dizaines de milliers de personnes sont incommodées et, faute de visibilité, les transports aériens sont perturbés. L’opinion met en cause les grandes compagnies forestières, accusées de pratiquer des brûlis à grande échelle afin de faire repousser des essences plus rentables. Ces incendies se sont propagés d’autant plus facilement que règne une sécheresse très forte, liée à un phénomène météorologique qui revient régulièrement tous les cinq à dix ans. Le 26, un Airbus transportant 234 passagers s’écrase au nord de Sumatra. On soupçonne l’épaisse fumée recouvrant la région d’être à l’origine de cette catastrophe. 17 États-Unis Rejet du traité d’interdiction des mines antipersonnel. Bill Clinton annonce que les États-Unis ne signeront pas le projet de « traité Diana » (ainsi nommé en raison de l’implication pour cette cause humanitaire downloadModeText.vue.download 145 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 144 de la défunte princesse de Galles), pourtant adopté, à Oslo, par 89 autres nations. Il justifie ce refus, qui provoque un effet déplorable dans l’opinion, par la position particulière des États-Unis, dont de nombreux soldats assurent à travers le monde la sécurité internationale et ont besoin, de ce fait, notamment en Corée, d’une protection par des glacis de mines. On estime à 26 000 le nombre annuel des victimes civiles des mines antipersonnel. France Forte majoration de la CSG. Lionel Jospin décide de majorer le taux de la contribution sociale généralisée de 4,1 %, le faisant passer à 7,5 %. En contrepartie, la cotisation maladie perçue sur les salaires passera de 5,5 % à 0,75 %. Au bout du compte, les salariés bénéficieront d’un gain de pouvoir d’achat de l’ordre de 1,1 %. Instituée en 1990 par Michel Rocard, la CSG diffère de l’impôt sur le revenu de deux façons : elle porte sur l’ensemble des revenus, épargne comprise ; elle s’applique selon un taux uniforme et non progressif. Critiquée au départ aussi bien par une partie de la gauche – qui en rejetait le côté non progressif et qui y voyait un moyen de fiscaliser davantage les ressources du système de protection sociale, et donc de diminuer l’influence des syndicats dans la gestion de celui-ci – que par la droite – qui craignait une pénalisation de l’épargne –, la CSG a été ensuite reprise et augmentée par MM. Balladur et Juppé. Sa forte progression décidée par M. Jospin va faire passer son produit à plus de 330 milliards de francs, ce qui devrait lui faire rapporter davantage que l’impôt sur le revenu (290 milliards). Cela devrait contribuer également à augmenter la part globale des impositions du revenu dans l’ensemble de la fiscalité et rapprocher ainsi la fiscalité française des autres fiscalités européennes. (chrono. 24/09) France : croissance économique et déficit budgétaire Bien que bénéficiant d’un environnement international exceptionnellement favorable (hausse du dollar, parité de la livre et de la lire plus conformes aux réalités, etc.), le nouveau gouvernement issu des élections législatives du 1er juin 1997 a agi avec beaucoup de prudence en n’essayant pas de tirer parti immédiatement des avantages qu’il pouvait en attendre. S’étant fixé comme priorité la croissance et surtout l’emploi, il a craint de gâcher les chances qui lui étaient ainsi offertes. Si toutes les conditions ou presque sont réunies pour que la croissance reparte effectivement et qu’avec elle les créations d’emploi se multiplient, le gouvernement Jospin estime cependant qu’il ne dispose pas d’une marge de manoeuvre et de moyens suffisants pour résoudre le problème majeur qui se pose à très court terme, celui des déficits publics. Avec un tel problème, il se trouve placé devant une double exigence contradictoire : d’un côté, pour réduire les déficits et se conformer par là même au critère des 3 % du produit intérieur brut du traité de Maastricht, le gouvernement doit s’efforcer d’éviter que la croissance économique soit affectée à la baisse ; d’un autre côté, il doit pouvoir compter sur la reprise de l’activité pour obtenir la réduction des déficits. Retour de la croissance À partir de 1992-1993, l’évolution économique de la France a été marquée par des changements radicaux : d’une part, un excédent commercial substantiel se substitue à un déficit chronique des échanges ; d’un autre côté, la désinflation compétitive se transforme en déflation des prix. Entre ces deux changements, l’économie française se trouve prise au piège de la croissance lente ou molle où la montée du chômage et la médiocrité des perspectives de profit engendrent des comportements restrictifs, tant sur la consommation que sur l’investissement. Alors que dans les années 1980 le problème consistait à contenir la demande intérieure, maintenant c’est l’inverse, il faut la stimuler. Face à une telle situation d’anémie de la demande intérieure et donc de la croissance, le nouveau gouvernement s’est demandé s’il pouvait dégager les marges de manoeuvre de la politique économique pour stimuler l’activité et faire reculer le chômage. Or, en raison de la persistance voire de l’aggravation des déficits publics et aussi de la nécessité de se conformer à la norme des 3 % du PIB du traité de Maastricht, il lui est pratiquement interdit de se servir de la politique budgétaire pour redistribuer du pouvoir d’achat à travers une hausse de certaines downloadModeText.vue.download 146 sur 361 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 145 dépenses publiques : pour retrouver des marges d’action en cette matière, il faut qu’il commence par comprimer le déficit tout en veillant à ne pas casser le démarrage éventuel de la croissance. En second lieu, le gouvernement ne peut pas compter sur la baisse des taux d’intérêt, vieille de 18 mois : même si les industriels sont incités à investir, les résultats de leurs décisions ne se font pas sentir immédiatement ; il faut attendre parfois plusieurs mois. En troisième lieu, l’arme de la hausse généralisée des rémunérations est quelque peu émoussée : dans une situation quasi déflationniste, le resserrement des coûts de revient imposé par la concurrence interdit toute augmentation des salaires du secteur privé. Ces dernières conditions condamnent le gouvernement à agir avec prudence et pragmatisme pour résoudre le problème à la fois urgent et incontournable de la réduction du déficit public. En fait, pour cette dernière tâche, le gouvernement va être servi par des circonstances encore favorables. En effet, depuis plusieurs années, les échanges extérieurs dégagent des excédents record, grâce aux exportations. Or pour le mois d’août l’excédent de la balance commerciale subsiste, malgré une montée en puissance des importations. D’aucuns y voient le signe confirmant le retour de la croissance en raison de l’amélioration du climat général, du regain d’optimisme des chefs d’entreprise et surtout à cause du redressement spectaculaire de la confiance des consommateurs après le changement de gouvernement. Certains s’inquiètent, cependant, des conséquences que pourraient avoir sur les échanges économiques internationaux la crise en Asie du Sud-Est. C’est donc dans l’espoir d’un soutien apporté par la reprise économique que le gouvernement va s’attaquer au problème des déficits publics et se rapprocher de la barre des 3 % du PIB. Il espère ainsi consolider la reprise de l’activité économique, lutter contre le chômage et envoyer à ses autres partenaires européens un message selon lequel il entend participer effectivement au fonctionnement de l’euro. Cohérence des choix budgétaires Comme l’activité économique a plafonné à 1,5 % en 1996 et sans doute 2,3 % en 1997, la Direction du budget a estimé, dans une note confidentielle d’avril 1997, que les déficits pourraient atteindre 3,7 % du produit intérieur brut en 1997 et plus de 4,5 % en 1998 – ou seulement 4 % en cas de mesures de redressement. De cette première constatation, il faut déduire que les marges de manoeuvre budgétaires sont restreintes : le défi- cit du budget ne se rapprochera de la limite des 3 % que dans la mesure où, dans les circonstances actuelles, la croissance est durablement soutenue. Inversement, « la croissance faible que notre pays a connue depuis le début des années 90 a contribué à déséquilibrer les finances publiques au-delà de ce qui serait résulté d’évolutions économiques plus normales » (audit sur les Finances publiques remis par deux magistrats de la Cour des comptes au Premier ministre le 21 juillet 1997). Si, en 1997, le budget s’avère déficitaire, c’est à cause de rentrées d’impôts et de cotisations sociales moindres que prévu et de la dérive des dépenses de l’État et de la Sécurité sociale. Pour le budget de 1997, le gouvernement a en quelque sorte paré au plus pressé en adoptant un plan de rigueur. Il a procédé de façon très orthodoxe à des annulations de crédit (du côté de la défense par exemple) et à un rééquilibrage de la fiscalité entre le travail et le capital, entre les ménages et les entreprises (relèvement du taux de l’impôt sur les sociétés faisant plus de 50 millions de chiffre d’affaires). Quant au budget 1998, le gouvernement a fait preuve d’une extrême cohérence par le fait que pour financer ses priorités (emploi des jeunes, justice, éducation) il frappe davantage les entreprises et les épargnants que les ménages. Ainsi, sur 14 milliards d’impôts nouveaux en 1998, la plus grosse part (9 milliards) pèse sur les entreprises à travers la modification de l’impôt sur les sociétés. Quant aux ménages, leur contribution nette s’élève à une quinzaine de milliards (5 pour l’État et une dizaine pour la Sécurité sociale) recouvrant une forte ponction sur les revenus du capital et un allégement de la fiscalité des revenus d’activité. Ceux qui ne reçoivent que des revenus salariaux gagnent près de 1 % de pouvoir d’achat grâce au remplacement des cotisations maladie par la CSG. Le gouvernement s’efforce de favoriser la consommation en avantageant les bas revenus. D’autre part, il baisse la rémunération de l’épargne pour la rendre moins attrayante et ainsi encourager la consommation. En définitive, le gouvernement lance un pari en espérant que la croissance fera oublier aux entreprises l’augmentation de l’impôt sur les sociétés. Le gouvernement espère que la croissance contribuera à redresser les comptes publics, rendant moins nécessaire le recours à des mesures restrictives : downloadModeText.vue.download 147 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 146 « le cercle vicieux dans lequel le pays est enfermé serait enfin brisé. » (F. Monier.) G. R. La montée en puissance de la CSG (contribution sociale généralisée) La CSG a été créée en 1990 au taux de 1,1 % et pèse sur l’ensemble des revenus, notamment les revenus de l’épargne. Les cotisations sociales ont été alors réduites à due concurrence. L’opération, qui voulait répondre à un double souci de justice sociale et d’efficacité économique, avait entraîné un gain de pouvoir d’achat pour les salariés. Le produit en avait été affecté à la branche famille de la Sécurité sociale. Pour redresser les comptes de la Sécurité sociale, le gouvernement Balladur a porté le taux de la CSG à 2,4 % en 1994. Cette hausse d’environ 50 milliards de francs a permis de financer le fonds de solidarité vieillesse. Le gouvernement Juppé a décidé d’augmenter la CSG de 1 point (3,4 % au total). Il l’a rendue déductible tout en réduisant de 1,3 % la cotisation maladie des salariés. La décision du gouvernement Jospin (4,1 points de CSG affectés à l’assurance-maladie) devrait permettre un gain de pouvoir d’achat. 18 Chine Renforcement du président Jiang Zemin. À l’issue du 15e congrès du Parti communiste chinois (ci-dessous), le chef de l’État renforce son pouvoir. Il obtient le départ du comité permanent du bureau politique de son rival Qiao Shi, jusque-là président de l’Assemblée nationale et no 3 du régime. Ce dernier s’était opposé à lui lors des funérailles de Deng Xiaoping en réclamant une extension des pouvoirs du Parlement et un renforcement de l’État de droit, un peu à la façon de Gorbatchev dans l’URSS des années 80. Les observateurs estiment qu’il devrait être remplacé à son poste par Li Peng, qui, selon la Constitution, ne peut briguer un troisième mandat de chef du gouvernement. Zhu Rongji, ancien maire de Shanga Jiangaï et responsable de l’économie, serait alors propulsé à la tête du gouvernement. Jiang Zemin déclare qu’il entend s’atteler à l’immense problème des entreprises publiques, dont la plupart sont déficitaires mais qui emploient plus de 100 millions de personnes à travers le pays. L’entourage du président affirme qu’il est « hors de question de privatiser » et que la méthode pour obtenir une meilleure rentabilité du secteur passe par des « ajustements stratégiques » et par une « diversification de la propriété ». Les observateurs estiment que Jiang Zemin, s’il a conforté sa place à la tête de l’État, devra de plus en plus s’entendre avec les généraux et les technocrates du gouvernement, qu’il ne contrôle que très partiellement. Égypte Nouvel attentat islamiste. Neuf touristes allemands et un Égyptien sont tués dans l’attaque d’un bus au Caire. Aux cris de « Allah Akbar » (« Dieu est le plus grand »), les terroristes islamistes ont jeté sur le véhicule des cocktails Molotov avant de le mitrailler. Depuis dix-huit mois, à la suite d’une répression très sévère menée par les autorités, les agressions contre les touristes s’étaient arrêtées. Les autorités tentent bien de faire passer cette attaque meurtrière pour l’oeuvre de demeurés mentaux relâchés de l’asile, mais personne n’est dupe. Grande-Bretagne Succès serré du référendum au pays de Galles. Le « oui » l’emporte par 50,3 % (soit une marge de 7 000 voix) seulement au référendum présenté par Tony Blair sur l’autonomie limitée de la province. Ce succès mitigé s’explique par le fait que l’autonomie proposée est beaucoup moins importante qu’en Écosse (pas de pouvoirs fiscaux) et aussi parce que le sentiment de singularité vis-à-vis de l’Angleterre, surtout dans le sud de la province, est nettement moins fort que dans les Highlands. 19 Russie Limitation envers les religions « non nationales ». Les députés russes adoptent à une très large majorité un projet de loi limitant la liberté des religions « non traditionnelles » en Russie, c’est-à-dire les religions autres que l’orthodoxie, l’islam, le bouddhisme et le downloadModeText.vue.download 148 sur 361 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 147 judaïsme. Ainsi, les confessions qui ne peuvent prouver une ancienneté sur le territoire russe supérieure à quinze ans se voient interdire de développer leur culte, d’ouvrir des écoles ou de diffuser leur presse. Les sectes protestantes (pourchassées sous le régime soviétique) et les ordres catholiques comme ceux des Jésuites ou des Franciscains sont particulièrement visés. 20 Italie Mobilisation contre la Ligue du Nord. Près d’un million d’Italiens défilent à Milan et à Venise pour s’opposer à la démarche sécessionniste d’Umberto Bossi. Quelques jours auparavant, celuici n’avait réuni que quelques milliers de personnes pour fêter le premier anniversaire de la « République fédérale de Padanie », amorce d’une indépendance de l’Italie du Nord. 21 Pologne Victoire des conservateurs. La coalition de droite (AWS) fédérée par Marian Krzaklewski autour du syndicat Solidarité remporte les élections législatives avec 33,8 % des suffrages. Les sociaux-démocrates (ex-communistes) arrivent en deuxième position avec 26,8 %, suivis des centristes de l’Union de la liberté, créditée de 13,4 % des voix. Regroupant une partie de l’intelligentsia du pays (on y retrouve, notamment, Bronislaw Geremek), l’Union de la liberté, dirigée par Leszek Balcerowicz, ancien ministre des Finances, revendique le poste de Premier ministre au sein d’un gouvernement de coalition avec l’AWS. En tout état de cause, les sociaux-démocrates, avec la présence d’Aleksander Kwasniewski à la tête de l’État, vont constituer une puissante opposition. Serbie Échec des partisans de Slobodan Milosevic. Le successeur désigné de M. Milosevic à la tête de l’État serbe, Zoran Lilic, arrive en tête au premier tour de l’élection présidentielle avec 35,70 % des voix, devant Vojislav Seselj, un nationaliste d’extrême droite (crédité de 27,28 %), et le leader du Mouvement du renouveau serbe, l’écrivain monarchiste Vuk Draskovic. Son avance apparaît comme faible et le second tour s’annonce très serré. Aux élections législatives, le Parti socialiste (SPS, ex-communiste) perd la majorité absolue à la Chambre mais garde sa majorité relative devant le Parti radical (extrême droite) de M. Seselj et le Mouvement du renouveau serbe. La coalition de l’opposition démocratique, qui avait imposé ses vues à M. Milosevic en début d’année, s’est désagrégée avec le départ de M. Draskovic au point que Zoran Djindjic, le jeune maire de Belgrade pour lequel des milliers de Serbes avaient manifesté pendant des semaines, est destitué de son poste. (chrono. 5/10) Les pays de l’Europe centrale aux portes de l’Europe Les anciens pays communistes de l’Europe centrale (Pologne, Hongrie et République tchèque) qui, depuis la chute du mur de Berlin, ont poursuivi des « transitions » économiques et politiques inédites et courageuses ont vu enfin leurs efforts récompensés. Le sommet de l’OTAN à Madrid, en juillet, et le sommet de l’Union européenne à Amsterdam, en septembre, ont définitivement tranché la question de leur intégration au sein de ces deux organismes (symboles à l’Est de stabilité et de prospérité). Les négociations devront toutefois prendre en compte les ambitions et les susceptibilités de tous les autres pays candidats de la région qui n’ont pas été sélectionnés. Elles s’annoncent difficiles et délicates. Un élargissement de l’Union européenne et de l’OTAN à tous ces pays apparaît en effet inconcevable sans d’importantes réformes internes de ces deux organismes. Pour les pays d’Europe centrale, coincés depuis des siècles entre deux puissances (l’Allemagne et la Russie), les problèmes de sécurité ont toujours représenté un enjeu majeur. D’où leur insistance pour intégrer le plus rapidement possible les structures de l’Alliance atlantique, position downloadModeText.vue.download 149 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 148 souvent mal comprise par les pays de l’Europe occidentale. Malgré l’opposition de certains pays (en particulier de la France), les États-Unis ont finalement réussi à imposer leur position. Le choix des pays faisant partie de la première vague d’élargissement (la Pologne, la Hongrie et la République tchèque) ainsi que le calendrier précis de l’adhésion (le processus devant s’achever en 1999) ont été annoncés par les responsables américains bien avant le sommet de Madrid. Celui-ci n’a eu qu’à entériner ce choix ouvrant officiellement la voie aux négociations. Précédée par la signa- ture à Paris, fin mai, de l’Acte fondamental Russie-OTAN (instaurant notamment un « Conseil conjoint permanent OTAN-Russie »), cette réunion a mis fin symboliquement à un demi-siècle de guerre froide. Pourtant, la question est loin d’être définitivement réglée. D’importants problèmes subsistent, en particulier le financement des coûts de l’élargissement et la redéfinition du rôle de l’OTAN en Europe. Par ailleurs, les résultats d’un éventuel référendum sur l’adhésion à l’OTAN en Hongrie et surtout en République tchèque restent largement incertains, l’opinion publique étant partagée sur cette question. Dans l’antichambre de l’Union européenne L’intégration au sein de l’Union européenne constitue une autre priorité pour les pays de l’Europe centrale. Après un premier « avis » de la Commission de Bruxelles en juillet, le sommet d’Amsterdam a décidé d’ouvrir, dès 1998, les négociations d’adhésion avec cinq pays de l’Europe de l’Est (la Pologne, la Hongrie, la République tchèque, la Slovénie et l’Estonie) de même qu’avec Chypre. Le Conseil européen de décembre doit indiquer comment, concrètement, l’élargissement devra se réaliser. Bien que les Quinze considèrent cette question comme inéluctable, d’importantes divergences en leur sein persistent, chaque pays voulant éviter d’en faire les frais. Par ailleurs, afin de ne pas démotiver les pays ne faisant pas partie de la première vague d’élargissement, la France a proposé la mise en place d’une Conférence permanente rassemblant les Quinze et l’ensemble des pays candidats. Dans l’attente d’une décision finale, tous les pays candidats s’efforcent de donner la meilleure image d’eux-mêmes afin de prouver qu’ils méritent d’être traités comme des pays « normaux » et dignes d’intégrer l’UE. Cela est particulièrement visible au niveau des relations entre les pays voisins. La Pologne a entrepris d’importants efforts pour « normaliser » ses relations avec ses voisins de l’Est : l’Ukraine et la Lituanie se présentant volontiers comme ses avocats auprès de Bruxelles. Le Premier ministre tchèque, Vaclav Klaus, a rencontré en octobre son homologue slovaque Vladimir Meciar, la dernière rencontre officielle entre les deux dirigeants ayant eu lieu en 1992. Au même moment, le Premier ministre hongrois, Gyula Horn, en visite en Roumanie, a tenu à rappeler que les relations entre les deux pays étaient exemplaires « tant sur le plan économique qu’en matière de protection des minorités ». Seules les relations entre la Slovaquie et la Hongrie posent encore quelques problèmes, les penchants autoritaires de Vladimir Meciar ne facilitant pas le dialogue. Une alternance démocratique en Pologne Parmi les pays faisant partie de la première vague d’élargissement de l’Union européenne, la Pologne fait figure de poids lourd, avec 62 % de la population, 57 % du PIB total (en parités de pouvoir d’achat) et 34 % des exportations vers l’UE (données de 1996). C’est pourquoi les élections parlementaires de septembre étaient particulièrement attendues. D’autant plus que le pays de Solidarnosc et de Lech Walesa (symboles de la lutte anticommuniste) était gouverné depuis 1993 par une coalition « postcommuniste » (formée par deux partis politiques, héritiers des partis au pouvoir avant 1989). La victoire d’un ancien apparatchik communiste, Aleksander Kwasniewski, aux élections présidentielles de 1995 n’avait fait que renforcer les anciens clivages historiques et la bipolarité de la scène politique. Les passions qui s’étaient exprimées au printemps, à l’occasion du débat et du référendum sur la nouvelle Constitution (adoptée finalement de justesse), laissaient craindre une possible déstabilisation de la situation. Les résultats des élections ont contribué à clarifier le paysage politique, bien qu’un très faible taux de participation (48 %) indique un état de profonde frustration et de déception d’une partie de la société polonaise. L’Action électorale Solidarnosc (AWS) a créé la surprise en obtenant 33,8 % des voix, devançant de plus de sept points son principal adversaire, l’Alliance de la gauche démocratique (SLD), arrivé second downloadModeText.vue.download 150 sur 361 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 149 avec 27,1 % des voix. L’Union de la liberté (UW), formation libérale regroupant les personnalités historiques de Solidarnosc, a réalisé un bon score avec 13,3 % des voix. Les deux formations prônant une attitude plus réservée sur la question de l’intégration européenne, le Parti paysan (PSL) et le Mouvement pour la reconstruction de la Pologne (ROP), apparaissaient comme les grands perdants de ces élections avec respectivement 7,3 % et 5,5 % des voix. L’AWS a obtenu par ailleurs la majorité absolue des sièges dans le nouveau Sénat. Il a fallu cependant plus d’un mois de négociations parfois dramatiques et difficiles entre les deux formations « héritières du mouvement Solidarnosc », l’AWS et l’UW, pour qu’un nouveau gouvernement voie le jour. Dirigé par un universitaire de Solidarnosc, Jerzy Buzek, le cabinet comprend plusieurs personnalités de premier plan, membres de l’UW, dont la présence légitime la nouvelle coalition gouvernementale aux yeux des observateurs étrangers. L’historien Bronislaw Geremek s’est vu confier le ministère des Affaires étrangères, le mathématicien Janusz Onyszkiewicz, celui de la Défense, et l’ancien Premier ministre Hanna Suchocka, celui de la Justice. La présence au poste de vice-Premier ministre de l’économiste Leszek Balcerowicz, principal artisan de la réforme polonaise, permet de croire que le nouveau gouvernement va poursuivre et même accélérer le mouvement des réformes libérales. Pourtant, le caractère hétérogène de la coalition, les nombreuses suspicions qui existent entre les deux partenaires, la nécessité de « cohabiter » avec un président de la République « postcommuniste » ouvrent le champ à de nouveaux conflits. D’autant plus que la Pologne (de même que les autres pays de la région) se trouve confrontée à des défis majeurs : réforme du système des retraites et de la sécurité sociale, poursuite des privatisations, ouverture des négociations avec l’Union européenne. MARTIN FRYBES AWS Akcja Wyborcza Solidarnosc (Action électorale Solidarnosc), formation politique créée officiellement en juin 1996 autour du syndicat NSZZ « Solidarnosc ». Fortement hétérogène, elle regroupe plus de 30 partis politiques et organisations différentes, en particulier les partis politiques dits « de droite », formés après 1989 dans la foulée du mouvement Solidarnosc. Ces formations s’étaient présentées en ordre dispersé aux élections parlementaires de 1993, qu’elles avaient perdues (aucun parti ne réussissant à lui seul à dépasser la barre des 5 %). Ce conglomérat comprend aussi bien des démocrates-libéraux, anciens membres de l’Union de la liberté (UW), que des catholiques conservateurs et nationalistes de l’Union chrétienne nationale (ZChN). L’unité de l’AWS est assurée par la position dominante qu’y occupe le syndicat et, tout particulièrement, son président, Marian Krzaklewski. 23 Algérie Nouvelles tueries. Près de 200 personnes (87 selon les chiffres officiels) sont sauvagement assassinées dans un faubourg d’Alger. Le Front islamique du salut (FIS) condamne ces atrocités, avant que son bras armé, l’Armée islamique du salut (AIS), annonce, le 24, un arrêt des combats. De plus en plus d’observateurs s’interrogent sur l’attitude du pouvoir face à cette épouvantable violence et évoquent les rivalités au sein de l’exécutif entre le président Liamine Zeroual et le chef d’état-major, le général Mohamed Lamari. Le 26, les Groupes islamiques armés (GIA) revendiquent la responsabilité des tueries, présentées comme des « offrandes a Dieu », et rejettent toute intervention étrangère dans le conflit, qu’elle soit le t’ait de l’ONU ou de la France. Celle-ci est particulièrement prise à partie et menacée de représailles, c’està-dire d’attentats. 24 Espace 100e tir réussi pour Ariane. Le lanceur européen Ariane-4 place sur orbite un satellite de l’organisation européenne Intelsat. C’était le 100e tir (et le 29e succès consécutif) d’une fusée downloadModeText.vue.download 151 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 150 Ariane depuis le 25 décembre 1979, date du premier tir. France Présentation du budget pour 1998. Le gouvernement présente le budget 1998 : 1 331,8 milliards de francs de recettes et 1 585,3 milliards de francs de dépenses, ce qui représente 257,8 milliards de francs de déficit, soit 3 % du PIB, conformément aux critères d’adhésion à la monnaie unique européenne. La fiscalité augmente de 5 milliards pour les ménages (suppression de certains avantages sur l’épargne) et 9 milliards pour les entreprises (modification de l’assiette de l’impôt sur les sociétés). En matière de Sécurité sociale, le plan gouvernemental pour résorber le déficit des comptes sociaux (37,7 milliards de francs en 1997) porte sur le plafonnement des allocations pour les familles les plus aisées et la prolongation du remboursement de la dette sociale (RDS). 26 Italie Séismes dans la région d’Assise. Dix personnes sont tuées et des milliers d’autres sont sans abri à la suite de deux secousses telluriques dans la région d’Assise, en Italie centrale. Dans la ville d’Assise même, la basilique Saint-François et des fresques de Cimabue, Martini, Lorenzetti et Giotto datant de la pré-Renaissance sont plus ou moins gravement endommagées. Une polémique naît aussitôt sur l’absence de toute politique anti-sismique dans la région et sur la lenteur des secours mis en oeuvre par les autorités italiennes. 28 France Accord économique avec l’Iran. La compagnie pétrolière française Total, associée aux pétroliers russe Gazprom et malais Petronas, signe avec les autorités iraniennes un accord pour le développement d’un très important gisement gazier situé dans les eaux du Golfe. Total bénéficie du soutien du gouvernement français face à l’interdiction posée par les États-Unis à toute espèce de commerce avec le régime de Téhéran. Total comme les autorités françaises estiment que, en dehors d’une disposition explicite des Nations unies, une loi américaine – en l’occurrence la loi D’Amato – ne saurait s’appliquer à des sujets de droit non américains. 29 Israël Relance des négociations avec les Palestiniens. Les autorités israéliennes confirment leur volonté de reprendre les négociations avec l’Autorité palestinienne sur la continuation du processus de paix. Cette décision intervient après que Yasser Arafat a lancé une grande opération de police dans les territoires palestiniens contre le mouvement islamiste Hamas. Bien que le mouvement de colonisation juive continue dans les zones arabes et que la question du retrait des forces israéliennes de Cisjordanie ne soit pas à l’ordre du jour de la négociation, les responsables palestiniens saluent ce « pas positif ». Peinture Mort de Roy Lichtenstein. Le peintre américain meurt à New York à l’âge de soixante-treize ans. D’abord marqué par le cubisme, il passe par l’abstraction puis par l’expressionnisme avant de devenir, à partir des années 60, une des grandes figures du pop art. Il reste célèbre pour ses détournements d’images de bande dessinée. 30 France Excuses de l’Église de France envers les Juifs. Par la voix de Mgr Olivier de Berranger, évêque du diocèse de Saint-Denis (où se trouve Drancy, lieu du départ des convois vers les camps de la mort pendant l’Occupation), les évêques des régions qui comptaient des camps d’internement (et seulement eux) présentent leurs excuses a la communauté juive pour la passivité de l’Église française face à la politique de Vichy envers les Juifs. Le prélat déclare ainsi : « Devant l’ampleur du drame et le caractère inouï du crime, trop de pasteurs ont, par leur silence, offense downloadModeText.vue.download 152 sur 361 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 151 l’Église elle-même et sa mission. Aujourd’hui, nous confessons que ce silence fut une faute. » Les représentants de la communauté juive se félicitent de cette prise de position des prélats français que, pour sa part, Jean-Marie Le Pen, leader du Front national, juge « absolument scandaleuse ». Dans les jours qui suivent, le Syndicat national des policiers en tenue exprime ses regrets pour la participation des forces de l’ordre aux mesures antijuives et l’Ordre des médecins regrette officiellement d’avoir, durant l’Occupation, exclu de ses rangs les praticiens d’origine juive. Allemagne : une économie vulnérable Depuis le « miracle économique » des années 1950 jusqu’à la réunification du pays en 1989, l’Allemagne de l’Ouest a accumulé une impressionnante série de performances : excédents commerciaux, stabilité monétaire, inflation réduite, plein emploi de la main-d’oeuvre. Elle a ainsi donné au monde extérieur, et au fil du temps, l’image d’une réussite sans pareil de son économie, présentée comme celle d’un modèle original appelé « économie sociale du marché » ou encore « capitalisme rhénan ». Cependant, à partir des années 90, avec la réunification du pays et la mondialisation des échanges, ce modèle est apparu de moins en moins adapté aux exigences du temps, à un point tel qu’on a pu soutenir qu’il devait être remis en cause avant d’envisager le rebond de l’économie allemande. Remise en cause Dès le début des années 1990, consécutivement à la réunification du pays, l’économie allemande a été brutalement confrontée à des difficultés structurelles et persistantes : vieillissement de la population, détérioration du marché de l’emploi, hausse des coûts et chute de la compétitivité, dégradation des finances publiques. Le vieillissement de la population résulte du gonflement de la pyramide des âges en son sommet : le nombre des décès dépasse celui des naissances ; le taux de fécondité est le plus bas du monde (1,3 naissance contre 1,7 en France). Entre 1980 et 1995, la population de l’Allemagne de l’Ouest âgée de 60 à 65 ans est passée de 12 à 16 millions (+ 33 %) alors que la population totale croissait de 61,5 à 65 millions (+ 6 %). Pour réduire les coûts dus au vieillissement, le gouvernement a introduit des réformes allant depuis le relèvement des cotisations sur les salaires et l’encadrement des dépenses de santé jusqu’à l’abaissement du niveau des pensions de 70 % des salaires nets en 1997 à 64 % en 2030. Dans l’ensemble du pays, la détérioration du marché de l’emploi, amorcée depuis 1995, s’est accélérée à la fin de 1996 : de 10,3 %de la population active en 1990, le taux de chômage s’est envolé à 10,8 % en 1996, soit 4,15 millions de sans-emploi. Le 10 septembre 1997, le chancelier Kohl a qualifié de « dramatique » le chiffre record du chômage qui a frappé en août 1997 4,72 millions d’individus, soit 11,4 % de la population active. Cette hausse due aux restructurations et aux gains de productivité inquiète, alors même que l’activité économique montre des signes de reprise. La situation est particulièrement préoccupante dans l’ancienne Allemagne de l’Est (19,2 % de la population active en 1997). Malgré un transfert vers l’Est de sommes considérables (160 milliards de marks nets des impôts en 1995), elle ne cesse pas de se dégrader : ont été recensés 1 380 000 chômeurs en août 1997 (contre 1 365 000 en juillet). Il n’est pas attendu d’amélioration à l’avenir à cause de la réduction des aides publiques à l’emploi et de la récession dans le secteur du bâtiment. Finalement, compte tenu de ces différentes évolutions, « la hausse du taux de chômage en Allemagne occidentale est nettement supérieure entre 1979 et 1995 non seulement à celle des États-Unis et du Japon, mais aussi à celle de pays gravement touchés comme l’Italie ou la France ». Le manque de productivité extérieure dont souffre l’Allemagne depuis 1990, révélé par l’effritement des parts de marché de l’exportation, tient au fait que les firmes exportatrices sont pénalisées par la répercussion des fortes hausses des coûts salariaux sur les prix, par la surévaluation du mark (sauf ces deux dernières années) et enfin par la faiblesse des investissements et des innovations technologiques (microélectronique, biotechnologie et surtout informatique). À la suite des hausses intervenues entre 1989 et 1996, les coûts salariaux de l’Allemagne ont dépassé de 18 % ceux de ses onze principaux partenaires économiques. De même, les innovations mises en oeuvre en Allemagne relèvent downloadModeText.vue.download 153 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 152 davantage de la moyenne sinon basse technologie que de la haute, ce qui ne lui permet pas de conquérir certains marchés extérieurs, faute de produits novateurs. Le dérapage des finances publiques depuis 1990 s’est manifesté par le creusement du déficit budgétaire dû au gonflement des aides à l’ancienne Allemagne de l’Est et des charges sociales (chômage, dépenses de santé, retraites, etc.) ; entre 1989 et 1993, le déficit public annuel consolidé est passé de 0,4 % à 5,4 % du produit intérieur brut, malgré une pression fiscale accrue. Après 1993, le gouvernement n’est parvenu à se rapprocher de la limite de 3 % imposée par le traité de Maastricht qu’au prix d’un envol extraordinaire de la dette publique : celle-ci a atteint dangereusement la limite de 60 % du PIB autorisée par Maastricht. En effet, elle est passée de 928,9 milliards de marks en 1989 (41,8 % du PIB) à 2 208,9 milliards en 1996 (59,6 %). En comparaison, celle de la France s’élevait en 1992 de 2 746 milliards de francs (soit 39,3 % du PIB) à 4 360 milliards en 1996, soit 57,7 %. Avec une telle croissance de la dette publique, l’Allemagne a été contrainte non seulement d’emprunter sur les marchés internationaux de capitaux, mais aussi de gagner la confiance des investisseurs étrangers. Placée ainsi devant une situation historiquement inédite, l’économie allemande est condamnée à exécuter un rebond consistant d’abord à garder et encore plus à conquérir de nouveaux débouchés extérieurs par d’autres moyens que ceux définis par le modèle rhénan. Rebond De cette remise en cause pendant les années 1990 du modèle rhénan provoquée par la forte poussée des coûts salariaux et des charges sociales, l’économie allemande est sortie affaiblie surtout sur le plan extérieur : entre 1990 et 1996, la part allemande dans les exportations mondiales a baissé de 12,2 à 9,9 %. Depuis la fin de l’année 1996, les instituts de conjoncture, notamment celui de Cologne, ont pu observer de nombreux signes de redressement de l’activité économique : amélioration du climat des affaires, hausse des commandes et de la production industrielle et surtout progression des exportations (plus de 9,6 % au premier semestre 1997), facilitée d’ailleurs par la montée du dollar. Ces mêmes instituts ont vu dans ces résultats favorables le début d’une adaptation des firmes aux nouvelles conditions de la concurrence internationale et l’amélioration de la productivité et de la qualité des produits. Pour gagner la bataille de la compétitivité, les firmes ont joué sur plusieurs tableaux. Pour échapper à des coûts intérieurs trop élevés, les firmes ont délocalisé vers « les marchés de l’avenir » (Asie) ou ont implanté des chaînes de montage automobile d’une plus grande échelle, donc plus rentables, en Europe de l’Est, au Brésil et même aux États-Unis. En second lieu, elles réclament davantage de flexibilité à la maind’oeuvre : ainsi Daimler-Benz a conclu en octobre 1997 un accord avec les syndicats maison pour contenir le prix d’un nouveau modèle de voiture (Classe A), à travers une politique d’économies et d’aménagement des horaires ; 14 000 salariés ont été ainsi recrutés dans l’année. En troisième lieu, des grands groupes diversifiés comme Thyssen, Siemens, Hoechst, Daimler-Benz se concentrent sur les métiers les plus rentables et se séparent des activités marginales (cas du sidérurgiste Mannesmann se tournant vers le marché des télécommunications). En quatrième lieu, pour échapper à la tutelle des banques, les firmes cherchent à séduire les actionnaires comme les clients en vue d’une plus grande autonomie financière. Enfin, les groupes les plus puissants tentent de s’allier à des ensembles équivalents d’autres pays (cas de Siemens et de British Nuclear Fuels ou Deutsch Telekom et France Télécom). GILBERT RULLIÈRE Modèle rhénan ou Sozialmarktwirtschaft (économie sociale du marché) Depuis la guerre, l’Allemagne a réussi d’abord sa reconstruction puis un développement économique sans précédent et enfin la réunification avec sa partie orientale grâce à un modèle original dont on fait remonter l’origine à Bismarck. La « Sozialmarktwirtschaft » correspond à une forme de capitalisme appelé également rhénan, de caractère libre-échangiste, mais marquée par une association des syndicats de travailleurs à la cogestion de l’entreprise. Ces derniers négocient à intervalles plus ou moins réguliers les revalorisations des salaires, les horaires de travail et les avantages sociaux downloadModeText.vue.download 154 sur 361 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 153 au niveau des branches professionnelles. En contrepartie, la paix sociale a été garantie pendant longtemps. Avec la mondialisation, ce modèle est sérieusement ébranlé parce que moins concurrentiel au plan international. Bibliographie : Allemagne : la fin d’un modèle, Serge Milano, Aubier 1996, 418 p., 145 F. L’Économie allemande, Jean-Pierre Gougeon, Le Monde-Éditions-Marabout, 1993. downloadModeText.vue.download 155 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 154 OCTOBRE 1 Congo-Brazzaville Internationalisation du conflit. Laurent-Désiré Kabila, président de la République démocratique du Congo (RDC), menace d’envoyer des troupes de l’autre côté du fleuve, à Brazzaville, deux jours après que des obus, lâchés depuis cette ville, sont tombés sur Kinshasa, tuant 21 personnes. Denis Sassou-Nguesso, leader des Forces démocratiques et patriotiques (FDP), s’oppose à la venue des militaires de Kinshasa, estimant que l’opération serait, en réalité, destinée à appuyer son rival, le président de la république du Congo, Pascal Lissouba. (chrono. 16/10) France Circulation alternée à Paris. La pollution de l’air ayant atteint le niveau 3, le ministère de l’Environnement a décidé que, pendant la journée du 1er octobre, seules les voitures dont la plaque d’immatriculation finit par un numéro impair pourraient rouler dans la capitale. Les transports en commun sont gratuits pendant toute la journée dans l’ensemble de l’Île-de-France. L’opération se déroule de façon satisfaisante : on enregistre 20 % de voitures en moins (les automobilistes contrevenants n’étant pas sanctionnés) et une baisse de la pollution (due également à une amélioration des conditions atmosphériques). Le 8, Dominique Voynet, ministre de l’Environnement, annonce qu’à l’avenir les limitations de circulation seront déclenchées dès le niveau 2 de pollution : circulation alternée, mais aussi restriction envers tous les véhicules qui ne disposeront pas de la pastille verte, c’est-à-dire d’un certificat non-pollution (faisant état de l’ancienneté et de l’entretien du véhicule, de l’équipement en pot catalytique, etc.). La pollution des villes et la circulation automobile Le 1er octobre, à la suite d’un pic de pollution au dioxyde d’azote, a été expérimentée à Paris, pour la première fois en France, la circulation automobile alternée : sauf dérogation, seuls les véhicules à moteur munis d’un numéro d’immatriculation finissant par un chiffre impair ont été autorisés à circuler dans la capitale et dans 22 communes limitrophes. Cette mesure spectaculaire a relancé le débat sur l’avenir de l’automobile en ville. Comment éviter que l’air des villes ne devienne irrespirable avec la circulation automobile ? La question se pose désormais avec acuité. En effet, la pollution de l’air en milieu urbain, principalement liée aux phénomènes de combustion, est particulièrement préoccupante en raison de son impact sur la santé. Or, depuis une vingtaine d’années, tandis que les émissions nocives dues aux installations industrielles ou de chauffage régressent, celles imputables aux moyens de transport augmentent, les progrès réalisés au niveau des véhicules ne compensant malheureusement pas l’effet de l’accroissement du trafic. Les polluants dus à l’automobile La combustion incomplète des carburants dans les moteurs produit du monoxyde de carbone, un gaz très toxique, particulièrement dangereux dans un espace clos, ainsi que des particules de carbone. Les pots d’échappement libèrent aussi des oxydes d’azote et des hydrocarbures imbrûlés qui favorisent la formation au voisinage du sol, par réaction photochimique, d’un gaz très irritant, l’ozone. Quant aux moteurs Diesel (qui, en France, équipent le quart du parc existant), ils dégagent de très fines particules auxquelles se lient des produits dangereux, métaux lourds et hydrocarbures aromatiques polycycliques ; ces particules pénètrent dans les voies respiratoires et peuvent être cancérigènes. Les quantités maximales de monoxyde de carbone, d’oxydes d’azote, d’hydrocarbures imbrûlés et de particules que peuvent libérer les véhicules font l’objet de réglementations de plus en plus sévères. En France, par exemple, les voitures à essence immatriculées depuis 1993 et celles à gazole mises en service depuis 1997 disposent obligatoirement d’un pot d’échappement à catalyse, qui limite fortement leurs émissions polluantes. Les mesures de restriction de la circulation Dans la plupart des grandes villes, la qualité de l’air est surveillée en permanence. Selon la downloadModeText.vue.download 156 sur 361 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 155 teneur en chacun des polluants qui font l’objet d’un suivi systématique, on définit plusieurs niveaux d’alerte. En cas de pic de pollution, des mesures de restriction de la circulation automobile sont en vigueur dans de nombreuses villes d’Europe. Athènes impose depuis 1982 une circulation alternée, un jour sur deux, en fonction du dernier chiffre, pair ou impair, de la plaque d’immatriculation. De plus, lorsque les teneurs en dioxyde d’azote, en monoxyde de carbone et en ozone atteignent respectivement 500, 25 et 300 micro-grammes par mètre cube d’air, le centre de la ville est interdit à la circulation. En Italie, la circulation alternée a été adoptée à la fin des années 80 à Brescia, puis à Milan, Bologne, Turin, Naples et Rome. Bien vite, cependant, cette mesure s’est révélée insuffisante et les municipalités ont dû mettre en oeuvre d’autres solutions : installation de nombreux parkings à la périphérie et développement des transports publics, restrictions de la circulation aux résidents et à certaines catégories professionnelles, plan de circulation contraignant, etc. Les villes allemandes jouent la carte des parkings de dissuasion à la périphérie, restreignent le stationnement réservé aux riverains et disposent d’un important réseau de voies cyclables. Le covoiturage est largement pratiqué aux Pays-Bas, où il représente un quart des déplacements domicile-travail. Le péage urbain n’a la faveur que des Scandinaves. Le cas de la France En France, on compte une bonne quinzaine de grandes agglomérations où la qualité de l’air se trouve régulièrement altérée par l’automobile. La loi sur l’air adoptée en 1997 sous le gouvernement d’Alain Juppé, à l’initiative du ministre de l’Environnement Corinne Lepage, prévoit la mise en place dans toutes les villes de plus de 100 000 habitants de « plans de déplacement urbains » (PDU) établissant le partage de la ville entre les piétons, les voitures particulières et les transports en commun. L’instauration éventuelle de mesures limitant la circulation automobile lors d’un pic de pollution pose moins de problèmes dans la capitale qu’en province. À Paris, le réseau de transports en commun est si dense que l’on peut sans difficulté basculer sur lui un nombre très important de déplacements. De plus, le manque à gagner résultant de la mise en gratuité de ce réseau est assuré par l’État. La plupart des grandes villes de province, en revanche, ne disposent que d’une ou deux gares SNCF desservies par une seule ligne ferroviaire, et le parc d’autobus qui y assure généralement la quasi-totalité des transports en commun n’est pratiquement pas extensible. De surcroît, leur mise en gratuité serait à la charge des collectivités locales. À Lyon, par exemple, on estime que la mise en gratuité du métro, des bus et des trains locaux, en cas d’immobilisation des voitures, coûterait 2,4 millions de francs par jour en perte de recettes, somme à laquelle s’ajouteraient plus de 500 000 francs liés au renforcement de la capacité du réseau de transport public. Dans l’immédiat, on attend l’instauration d’une « pastille verte » qui désignera les véhicules non polluants : outre les voitures électriques ou à gaz de pétrole liquéfié (GPL), celles fonctionnant à l’essence sans plomb et disposant d’un pot catalytique ainsi que les véhicules à moteur Diesel mis en service depuis 1997. Sans préjuger de restrictions de circulation qui pourront être décidées en fonction des niveaux de pollution, ces véhicules « propres » seront autorisés en priorité à circuler en ville les jours de forte pollution atmosphérique. PHILIPPE DE LA COTARDIÈRE Les niveaux de pollution En France, trois niveaux de pollution ont été définis, pour chacun des contaminants atmosphériques faisant l’objet d’une surveillance permanente. Le niveau 1 n’intéresse que les autorités ; l’information du public intervient au niveau 2 ; le niveau 3 constitue le seuil d’alarme. Ces niveaux se mesurent en microgrammes (μg) de polluant par mètre cube d’air. Le niveau 3 est atteint, par exemple, pour une teneur de 600 μg/m 3 en dioxyde de soufre, ou de 400 μg/m 3 en dioxyde d’azote ou de 360 μg/m 3 en ozone. La procédure de circulation alternée à Paris et dans sa couronne a été décidée à la suite du dépassement, le 30 septembre, du seuil de pollution au dioxyde d’azote de niveau 3 dans le 12e arrondissement de la capitale ainsi qu’à Yvry-sur-Seine et à Vitry-sur-Seine. downloadModeText.vue.download 157 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 156 2 France Pétition anti-Chevènement. Un appel signé par 1 300 artistes et intellectuels, autour, notamment, de l’écrivain Dan Frank et de la cinéaste Pascale Ferran, critique la politique du ministre de l’Intérieur, Jean-Pierre Chevènement, à l’égard des étrangers et réclame la régularisation de tous les sans-papiers qui en ont fait la demande. À cette « gauche morale » s’oppose une « gauche réaliste » qui, aux côtés, entre autres, notamment, du philosophe Alain Finkelkraut et du diplomate, très impliqué dans les questions relatives au statut des étrangers, Stéphane Hessel, approuve globalement la politique du gouvernement et reconnaît la nécessité de définir des critères permettant d’accepter ou de refuser la présence d’étrangers sur le sol français. 3 Congo-Kinshasa Expulsion des organisations humanitaires. Le gouvernement de Kinshasa ordonne à toutes les organisations humanitaires qui s’occupaient des réfugiés rwandais de quitter au plus vite l’est du pays ; il expulse également tous les réfugiés rwandais entrés récemment en République démocratique du Congo. Au même moment, la mission de l’ONU chargée d’enquêter sur les massacres de Hutus rwandais en 1996-1997 (environ 200 000 victimes) quitte la RDC en constatant que son travail a été constamment gêné par les autorités. 4 Espagne Mariage princier. L’infante Cristina, fille de Juan Carlos d’Espagne, épouse à Barcelone Iñaki Urdangarin, un jeune handballeur basque, devenu duc de Majorque. La cérémonie est suivie par un public fervent et par près d’un milliard de téléspectateurs, ce qui démontre la popularité de la famille royale espagnole, bien différente, à cet égard, de son homologue britannique. En tout état de cause, le monarque espagnol demeure extrêmement populaire depuis sa conduite exemplaire lors de la tentative de coup d’État fasciste, en février 1981, qu’il contribua, de façon décisive, à faire échouer. Par ailleurs, la bonne tenue de la famille royale a fait le reste. États-Unis Rassemblement des « Promise Keepers ». Plus de 500 000 hommes se réunissent à Washington à l’appel des Promise Keepers (« teneurs de promesse »), une organisation chrétienne conservatrice. C’est un des plus importants rassemblements jamais réalisés dans la capitale fédérale. À l’instar du fondateur de l’organisation Bill McCartney, proche des républicains, ces milliers d’hommes, en très grande majorité blancs mais pas exclusivement, promettent d’être de meilleurs chefs de famille (étant entendu que leurs épouses doivent leur obéir) et de meilleurs fidèles (résolument engagés dans la lutte contre l’avortement). Présenté comme une réaction masculine à l’effacement relatif des hommes dans la société, le mouvement des Promise Keepers est vio- lemment critiqué par les organisations féministes. Prudent, Bill Clinton rend hommage à la « sincérité » des manifestants. Sénégal Offensive en Casamance. L’armée sénégalaise lance une vaste offensive contre les indépendantistes casamançais. En août, 25 soldats des troupes de Dakar avaient été tués au cours d’une embuscade qui marquait la fin du cessez-lefeu décrété en 1995 par l’abbé Augustin Diamacoune, leader du Mouvement des forces démocratiques de Casamance (MFDC). Le conflit a débuté dans les années 70, quand des agriculteurs venus du Nord se sont installés dans cette région méridionale isolée par la Gambie du reste du pays. Les nouveaux arrivants, souvent d’ethnies lebou, mankagne ou wolof, ont été incités à cultiver la noix de cajou, destinée à l’exportation, au détriment de la riziculture vivrière traditionnelle pratiquée par la population diola. downloadModeText.vue.download 158 sur 361 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 157 5 Serbie Élections présidentielles annulées. Pour cause de participation insuffisante (48,97 %), le deuxième lourde l’élection présidentielle est annulé. Il a été remporté par le candidat ultranationaliste Vojislav Seselj, crédité de 49,1 % des suffrages, qui devance Zoran Lilic (47,9 %), le candidat de la coalition des ex-communistes favorables au président sortant, Slobodan Milosevic. Ce résultat constitue un grave revers pour ce dernier qui avait appuyé la candidature Lilic, car celui-ci lui était tout dévoué et lui aurait permis de continuer à exercer le pouvoir réel en Serbie. Président de la république de Yougoslavie (regroupant la Serbie et le Monténégro), un poste purement honorifique, M. Milosevic, qui, constitutionnellement, ne pouvait se présenter à un troisième mandat en Serbie, se voit dans l’obligation de trouver un nouveau candidat à la fois assez énergique pour contrer efficacement M. Seselj – ce que n’avait pu faire M. Lilic – et assez soumis pour, une fois élu, lui laisser la réalité du pouvoir. Au Monténégro, où se tient le premier tour de l’élection présidentielle, Milo Djukanovic, Premier ministre sortant, candidat opposé à la politique de M. Milosevic, arrive en tête devant le président sortant, Momir Bulatovic, resté fidèle au maître de Belgrade. Le 19, M. Djukanovic remporte l’élection présidentielle. En Serbie, un nou- veau scrutin sera organisé en décembre. Tennis Première victoire française dans la Fed Cup. L’équipe de France, composée de Sandrine Testud, Mary Pierce, Nathalie Tauziat et Alexandra Fusai, et entraînée par Yannick Noah, remporte pour la première fois la Fed Cup en battant les Pays-Bas par 4 victoires à 1. Créée en 1963, la Fed Cup est l’équivalent pour les femmes de la Coupe Davis. 6 France Scandale et diffamation. François Léotard et Jean-Claude Gaudin, anciens ministres et élus UDF de la Région Provence-AlpesCôte d’Azur, dénoncent une opération de déstabilisation politique et une grave atteinte à leur honneur menées à leur endroit. Sous des pseudonymes transparents, ils sont mis en cause dans le livre de deux journalistes, Jean Michel Verne et André Rougeot (ce dernier appartenant à la rédaction du Canard enchaîne). L’ouvrage, qui a pour titre l’Affaire Yann Piat, laisse entendre que MM. Léotard et Gaudin auraient commandité le meurtre, en 1994, de la députée du Var. Celle-ci aurait été abattue parce qu’elle aurait mis au jour une vaste opération immobilière frauduleuse dans la région : des terrains appartenant à l’armée auraient été vendus à des opérateurs contrôlés par la mafia, alors même que M. Léotard était ministre de la Défense, et M. Gaudin, président de la Région PACA. M. Léotard demande et obtient la mise hors commerce de l’ouvrage (déjà vendu à plus de 50 000 exemplaires), tandis que M. Gaudin attaque les auteurs en diffamation. Avant même que le procès ne s’ouvre, la direction du Canard enchaîné prend ses distances par rapport au livre, tout en validant les enquêtes publiées dans l’hebdomadaire sur l’affaire Yann Piat par M. Rougeot, et en faisant observer que l’enquête officielle menée sur cette affaire l’avait été dans des conditions suspectes. Certains mettent en cause des militaires, proches de l’extrême droite, qui auraient mené une opération de désinformation en direction des deux journalistes, tandis que d’autres observent que le RPR tient là une bonne occasion pour empêcher M. Léotard de prendre la tète de la liste de droite pour les élections régionales en PACA. (chrono. 28/10). Israël Échec d’une opération secrète. Benyamin Netanyahou, Premier ministre d’Israël, est contraint de se justifier d’une opération ratée menée, fin septembre, par les agents secrets du Mossad contre un dirigeant de seconde zone du mouvement islamiste palestinien (Hamas) basé en Jordanie. L’élimination physique de ce dernier devait constituer une riposte aux attentats perpétrés récemment par les islamistes en Israël. L’opération s’est soldée par un échec complet et par l’arrestation des agents israéliens introduits clandestinement en Jordanie. Pour obtenir la libération de ceux-ci, M. Netanyahou a dû consentir à l’élargissement du cheikh Ahmed Yassin, leader historique du Hamas, et d’une vingtaine de militants de ce mouvement. Le retour triomphal du downloadModeText.vue.download 159 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 158 cheikh Yassin à Gaza constitue, par ailleurs, une nouvelle mise en cause du pouvoir de Yasser Arafat. Médecine Prix Nobel à l’Américain Stanley Prusiner. Âgé de cinquante-cinq ans, le chercheur de San Francisco est distingué pour ses travaux sur les prions, ces protéines mal repliées qui deviennent infectieuses et se propagent dans l’organisme. Grâce à Prusiner, la connaissance des encéphalopathies spongiformes (tremblante du mouton, maladie de la « vache folle », maladie de Creutzfeldt-Jakob) a considérablement progressé ; toutefois, ses hypothèses sur les prions, agents transmissibles atypiques défiant les lois ordinaires de la biologie, sont attaquées par plusieurs chercheurs internationaux qui privilégient l’existence de virus cachés. 7 Proche-Orient Rencontre Arafat-Netanyahou. Le chef de l’Autorité palestinienne et le Premier ministre israélien se rencontrent pour la première fois depuis le mois de février. Rien de concret ne sort de cette entrevue, sinon la possibilité de démontrer à leurs opinions respectives que les deux leaders demeurent des interlocuteurs incontournables dans leurs pays. 8 France Ouverture du procès de Maurice Papon. Le procès de l’ancien secrétaire général de la préfecture de Gironde pendant l’Occupation, accusé de crime contre l’humanité pour avoir organisé la déportation vers Drancy de plus de 1 500 Juifs de la région de Bordeaux, s’ouvre devant la cour d’assises de cette ville. Conformément à la procédure, l’accusé a dû, la veille, se constituer prisonnier. Les premiers débats sont consacrés à la demande de mise en liberté de M. Papon, âgé de quatre-vingt sept ans et qui a subi, il y a peu de temps, un triple pontage coronarien : son avocat, Me Jean-Marc Varaut, la réclame avec insistance, mettant en avant l’état de grande fatigue de son client, qui, par ailleurs, a été conspué à la prison où il était incarcéré. Le 10, la cour décide d’accorder la liberté à M. Papon, inaugurant ainsi une véritable jurisprudence favorable au principe d’innocence. Indignés, deux avocats des parties civiles décident de quitter le procès, sachant qu’en cas de condamnation M. Papon, s’il introduit alors un pourvoi de la Cour de cassation, demeurera en liberté jusqu’à l’examen de son affaire par la haute juridiction. L’opinion s’émeut de voir ensuite M. Papon prendre pension dans un hôtel de luxe et se promener face à la presse, apparemment en bonne forme physique. Corée du Nord Intronisation de Kim Jong-il. Trois ans après la mort de son père, leader historique du pays, Kim Jong-il devient secrétaire général du Parti communiste nord-coréen. Le poste de chef de l’État demeure toujours vacant. Âgé de cinquantecinq ans, Kim Jong-il est le premier dirigeant communiste à bénéficier d’un transfert dynastique de pouvoir. Malgré la grave crise économique et la famine qui sévissent dans le pays, son leadership ne semble pas devoir être contesté à court terme. Cyclisme Nouveau titre mondial pour Jeannie Longo. En gagnant le contre-la-montre aux Championnats du monde de San Sebastian, la cycliste française remporte son 12e titre mondial. Lors de ces championnats, Laurent Jalabert s’adjuge le titre du contre-lamontre masculin, et Laurent Brochard, celui sur route. 9 La coalition de centre gauche, au pouvoir depuis avril 1996, se disloque à la suite de la défection de sa composante communiste : les Refondateurs communistes (PRC) avaient fait savoir qu’ils refusaient de voter le budget si le gouvernement ne renonçait pas à son projet de réforme du système de protection sociale et, notamment, du régime des retraites, particulièrement avantageux en Italie. Soucieux de répondre aux critères de la monnaie unique européenne, M. Prodi avait refusé de se plier Italie Chute momentanée du gouvernement de Romano Prodi. downloadModeText.vue.download 160 sur 361 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 159 aux exigences de ses alliés d’extrême gauche et se voit donc contraint de présenter sa démission. Cinq jours plus tard, le 14, le leader des Refondateurs communistes, Fausto Bertinotti, revient sur sa volonté de ne pas voter le budget en échange d’un engagement du gouvernement de faire adopter, à la date du 1er janvier 2001, une loi-cadre sur la semaine de travail de 35 heures, comme en France. M. Prodi constate alors la fin de la crise ministérielle qu’il qualifie lui-même de « plus folle du monde ». Cette péripétie politique démontre à la fois l’attachement des autorités – comme de l’opinion – italiennes à la construction européenne et les effets pervers du système électoral italien qui soumet les majorités parlementaires à la merci des petits partis. Judo Nouvel exploit de David Douillet. Le judoka français remporte son quatrième titre mondial, le troisième consécutif dans la catégorie des plus de 95 kg. Il devient ainsi le judoka le plus titré de l’histoire. Avec un total de neuf médailles (dont 4 en or), la France obtient son meilleur résultat en championnat du monde. Elle finit seconde, juste derrière le Japon (10 médailles, dont 4 en or). Littérature Le prix Nobel à l’Italien Dario Fo. Comédien et dramaturge de soixante-et-onze ans, il s’est fait connaître dès la fin des années 50 en créant une compagnie théâtrale. Sa notoriété grandit au cours des années 60, quand il met sur pied un « collectif » de spectacle. Ses pièces – notamment, Mort accidentelle d’un anarchiste et Faut pas payer – constituent autant de critiques de l’injustice et de l’ordre établi. Certains – comme le journal du Vatican l’Osservatore Romano, la critique littéraire du Monde ou le lauréat du prix Nobel 1980, l’écrivain polonais Czeslaw Milosz – critiquent l’attribution du prix à un simple « bateleur » ou, pour le moins, à un homme estimable pour sa sincérité, mais qui n’aurait pas l’étoffe d’un véritable Nobel de littérature. Italie : une semaine folle Le 16 octobre, la Chambre des députés vote la confiance au gouvernement de centre gauche de Romano Prodi, mettant un point final à la crise qui venait de secouer l’Italie pendant huit jours à propos des mesures d’austérité prévues dans le budget 1998. Les députés de Rifondazione comunista, à l’origine de la crise, auront finalement apporté leur soutien au gouvernement. Retour sur une semaine folle. Acte I : la démission de Romano Prodi En refusant de voter le 7 octobre le projet de budget adopté par le gouvernement le 27 septembre, les communistes endossent la responsabilité d’une crise politique dont ils ne pouvaient pas mesurer l’ampleur. Et sans doute la question du budget n’est-elle que secondaire. En effet, les communistes auront estimé que l’adoption du budget et la probable entrée de l’Italie dans l’euro, avec une situation économique favorable, ainsi que les réformes institutionnelles qui aboutiront avec le renforcement du système bipolaire, risquaient de limiter leur marge d’action. Une analyse qui aura conduit Fausto Bertinotti à refuser le budget du gouvernement pour tenter de barrer la route à cette gauche réformiste qui, en Italie aussi, a compris quel est son chemin. À l’aune de cette analyse, le revirement des communistes s’apparente plutôt à une défaite cuisante. Tandis que le chef de l’État, Oscar Luigi Scalfaro, commence ses consultations – la mort dans l’âme, le président du Conseil avait été contraint de démissionner le 9 octobre après avoir constaté qu’il ne disposait plus d’une majorité suffisante pour gouverner à la suite du lâchage de Rifondazione –, Fausto Bertinotti crée de nouveau la surprise en laissant la porte ouverte à un possible accord, puis en annonçant, le 11 octobre, qu’il propose officiellement la poursuite de la coalition de centre gauche avec un programme de un an. Une idée pour le moins fraîchement accueillie par R. Prodi qui déclarait alors : « Bertinotti a changé d’avis, c’est son problème, pas le mien. » En dépit de la fermeté dont fait encore montre l’ex-président du Conseil, on commence à envisager une sortie autre que de nouvelles élections. Et, le 13, les communistes refondateurs acceptent de voter le budget sans que celui-ci soit profondément modifié. Le lendemain, le président de la République prend acte de la réconciliation et de la renaissance de la majorité pour rejeter la démission du président du Conseil. downloadModeText.vue.download 161 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 160 Acte II : le retour Tout est donc rentré dans l’ordre jusqu’à la fin de 1998 dans la mesure où les alliés communistes acceptent de voter le projet de budget prévoyant une réduction des dépenses de 500 milliards de lires, compensée par des rentrées provenant de la lutte contre la fraude fiscale. Le gouvernement s’engage à présenter en janvier 1998 un texte de loi prévoyant la réduction de la semaine de travail à 35 heures au 1er janvier 2001. En ce qui concerne la délicate question des retraites d’ancienneté – qui fait que chaque Italien ayant travaillé 35 ans peut toucher sa retraite quel que soit son âge –, il est décidé de ne rien modifier. Enfin, un pacte de consultation est établi afin de définir, par le biais d’une consultation permanente, une action commune sur les principaux problèmes politiques et économiques entre le gouvernement, la coalition de l’Olivier et Rifondazione comunista. Toutes choses dont se félicite bien sûr F. Bertinotti. Il reste que, en jouant les maximalistes, le secrétaire de Rifondazione comunista aura commis une lourde erreur. Le pays tout entier lui a en effet fait comprendre qu’il ne voulait pas de cette crise. Ainsi, F. Bertinotti est copieusement sifflé le 12 octobre lors de la marche pour la paix à Assise. Les syndicats n’ont pas manqué de lui faire savoir qu’ils désapprouvaient cette rupture qui mettait un terme à une expérience de gauche. Les militants de Rifondazione comunista ont littéralement inondé de fax très critiques le siège du parti. La direction a connu des tensions, le bien-fondé du coup de force de son secrétaire étant contesté, alors que le gouvernement affichait un bilan globalement positif. D’ailleurs, les responsables communistes ont pris la mesure de cette formidable erreur stratégique en apprenant que le Parti de la gauche démocratique (PDS) était décidé à retourner devant les électeurs pour leur demander de trancher. Ayant eu suffisamment de preuves de leur impopularité dans cette affaire, les dirigeants de Rifondazione comunista ne pouvaient que s’attendre à une sanction en forme de débâcle. Il reste que cette semaine folle permet un renforcement du gouvernement de R. Prodi. Son retour agrémenté de la certitude de pouvoir agir sans entrave pendant une année constitue un nouvel atout. Contraint de démissionner alors qu’il avait pratiquement atteint le but qu’il s’était fixé – les trois « R » : risanamento, riforme et ripresa (assainissement, réformes et reprise) –, R. Prodi peut reprendre l’ouvrage là où l’avait laissé la crise. La population, à laquelle il avait demandé de se serrer la ceinture afin que l’Italie fasse partie du premier train des pays qualifiés pour la monnaie unique, lui a envoyé un message d’assentiment par défaut en accusant les communistes refondateurs d’avoir joué avec le feu. Au cours du mois de novembre, des élections locales auxquelles personne n’aurait prêté grande attention en temps normal suscitent subitement l’intérêt des Italiens, des commentateurs politiques et bien sûr des diverses formations. Tous les scrutins sans exception montrent une percée plus ou moins significative des candidats de la coalition gouvernementale de centre gauche. Au bout du compte, la population a validé par les urnes ce qu’elle avait exprimé dans la rue aux premiers jours de la crise : pour la première fois dans l’histoire politique récente de l’Italie, l’opinion publique, d’habitude indifférente à l’instabilité gouvernementale ; fait pression pour dire « assez ! ». Ce n’est pas là le moindre enseignement de la crise d’octobre. PHILIPPE FAVERJON Romano Prodi : « Il Professore » Grand commis de l’État, amateur de bonne chère et de bicyclette, ami de Jacques Delors avec lequel il partage une profonde foi chrétienne, Romano Prodi restera, quel que soit son bilan, le rescapé de la politique italienne. Ancien ministre de l’Industrie, cet économiste s’est surtout fait remarquer en tant que président de l’IRI (Institut pour la reconstruction industrielle), dont il parviendra à redresser les comptes entre 1982 et 1989. Son nom avait déjà été avancé par le chef de l’État après la chute du gouvernement de Silvio Berlusconi. Mais il ne sera appelé qu’après l’intermède du cabinet Lamberto Dini, au lendemain des élections de 1996. downloadModeText.vue.download 162 sur 361 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 161 10 France Principe d’une loi sur la semaine de 35 heures. Le gouvernement, le patronat et les syndicats se réunissent toute la journée à Matignon pour aborder les problèmes de l’emploi et du temps de travail. La tension est grande, car, dans les semaines qui ont précédé la conférence, chacun s’est largement exprimé devant l’opinion pour défendre son point de vue. Le gouvernement s’est déclaré favorable au principe des 35 heures, mais Lionel Jospin a pris soin de préciser que le slogan « 35 heures payées 39 » était en soi « antiéconomique ». La CGT réclame précisément l’application de ce programme, tandis que la CFDT milite en faveur de la réduction du temps de travail, mais sans réclamer une stricte compensation salariale. Le CNPF, quant à lui, se déclare opposé au principe des 35 heures, même si, dans les faits, plusieurs de ses dirigeants l’appliquent dans leurs propres entreprises. En tout état de cause, l’organisme patronal refuse le principe d’une loi indiquant une date butoir. À l’issue de la journée, le gouvernement annonce les mesures suivantes : mise au point d’un projet de loi qui « fixera l’objectif de la durée légale à 35 heures au 1er janvier pour les entreprises de plus de 10 (dans les jours qui suivent, le seuil est porté à 20) salariés », l’objectif étant que « la durée légale soit à 35 heures pour tous avant la fin de l’actuelle législature ». Au second semestre de 1999, une deuxième loi organisera les modalités concrètes de mise en application de cette baisse générale du temps de travail. La loi Robien sera remplacée par de nouvelles dispositions (aide de l’État pour toute embauche compensant une baisse du temps de travail dans l’entreprise). À l’issue de la réunion, les syndicats se déclarent globalement satisfaits, tandis que le président du CNPF, Jean Gandois, estime qu’il a été « berné » par le gouvernement. M. Gandois assure qu’il n’avait accepté de venir que parce qu’on lui avait assuré qu’aucune loi contraignante n’était envisagée. (chrono. 13/10) Paix Prix Nobel à la Campagne internationale pour l’interdiction des mines antipersonnel. En la personne de l’Américaine Jody Williams, les jurés de Stockholm récompensent l’action contre un des fléaux du monde moderne (25 000 personnes tuées ou mutilées par ces mines chaque année) et critiquent indirectement le président américain Bill Clinton qui a refusé de ratifier le traité d’interdiction. La quadrature du siècle Le débat sur les 35 heures qui s’est engagé fin 1997 illustre tout à la fois la très forte inquiétude des Français face au chômage, la volonté de la société de se réformer et sa difficulté à entrer dans le XXIe siècle. Après avoir été tabous, les concepts de partage et de flexibilité sont de mieux en mieux acceptés. Ils pourraient même devenir les principes fondateurs d’un nouveau système social, en complément ou remplacement d’un modèle républicain qui montre ses limites. Le chômage est sans doute le seul véritable problème de la France, tant il conditionne tous les autres : inégalités ; pauvreté ; délinquance ; drogue ; climat de méfiance ; inquiétudes individuelles... Au sein de l’Union européenne, seules l’Espagne et la Finlande connaissent une situation de l’emploi plus difficile. Ce mal français est lié à des spécificités nationales qui sont encore apparues avec force au cours de l’année 1997. La réalité ignorée Dans un monde où le réalisme et la capacité d’adaptation deviennent des vertus cardinales des nations, l’incapacité de la France à appréhender le réel est sans doute l’une des causes principales de ses difficultés. Il semble d’ailleurs que ce handicap soit au moins aussi fréquent chez les gouvernants et les grands acteurs sociaux que parmi les citoyens. L’histoire récente en fournit une illustration. Les Trente Glorieuses (1945-1974) ont été suivies en France d’une période singulière : pendant dix années, que l’histoire retiendra peut-être comme les Dix Paresseuses, notre pays a voulu ignorer l’existence d’une crise économique dont les effets étaient pourtant visibles partout. Par aveuglement ou par démagogie, partis politiques et syndicats se sont efforcés de faire croire qu’on pouvait l’arrêter aux frontières de l’Hexagone (une illusion que l’on retrouvera en 1986, lors de la catastrophe de Tchernobyl). Une sorte de consensus national implicite s’est alors établi pour que l’on continue de privilégier l’accroissedownloadModeText.vue.download 163 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 162 ment du pouvoir d’achat, sans se rendre compte qu’il serait obtenu au détriment de l’emploi. La France est encore en train de payer, au prix fort, ce coupable aveuglement. Les chômeurs en sont évidemment les premières victimes. Mais c’est l’ensemble de la société qui a été traumatisée par ce fléau. Le partage accepté Après s’être interrogées sur les causes de ce chômage lancinant, les « élites » ont expliqué aux citoyens que la solution viendrait avec la croissance économique. Cette autre illusion leur a permis de « gagner » encore quelques années, en attendant des lendemains qui chantent pour le PIB. Mais la croissance enregistrée vers la fin des années 80 n’a pas créé les emplois attendus et il a bien fallu se rendre à l’évidence. Le débat toujours avorté sur le « partage » du travail a donc été relancé. Par la droite d’abord, qui soutint du bout des lèvres, et contre ses convictions profondes, la « loi Robien ». Puis récemment par la gauche, avec son projet de réduction de la durée du travail à 35 heures. Les discussions sur ce projet sont une nouvelle illustration des singularités françaises. Certains continuent de s’arc-bouter sur les solutions classiques, qui ont pourtant fait la preuve de leur inefficacité. D’autres se contentent de critiquer toutes les propositions, de refuser toutes les expériences, notamment celles faites à l’étranger. La flexibilité reconnue Dans ce contexte d’affirmations sans preuves, de procès d’intention et de subjectivité, les Français ont longtemps hésité à se prononcer. Leur attitude est à la fois sceptique et pragmatique. Si l’acceptation de l’idée de partage progresse depuis 1993 dans l’opinion, celle de la flexibilité est plus récente. Les Français ont constaté que les mesures imposées d’en haut et identiques pour tout le monde ne fonctionnent plus dans un monde en permanente mutation. L’adaptation, plus que la conservation, leur apparaît donc de plus en plus comme la condition de la survie. Ils sont d’ailleurs de plus en plus flexibles dans leurs comportements, qu’il s’agisse de la vie familiale, de leur vie professionnelle ou de leur consommation. On constate ainsi un « zapping » dans les modes de vie, qui est à l’origine d’une infidélité croissante aux produits, aux marques ou aux enseignes de distribution, mais aussi aux partis politiques et aux institutions. La fin du modèle républicain Deux mots longtemps considérés comme tabous ont donc récemment trouvé ou retrouvé la faveur des Français : partage et flexibilité. On peut se demander s’ils ne constituent pas les maîtres mots du système social en train de naître, en substitution à un « modèle républicain » qui ne correspond plus aux réalités du moment. Ce modèle se caractérisait par la volonté d’intégrer chaque citoyen à travers l’école, le service militaire et le travail, et de lui donner un sentiment d’appartenance à la nation. Il impliquait une certaine uniformisation des attitudes et des comportements, un alignement sur un système de valeurs supposé commun. Force est de constater aujourd’hui que l’école ne joue plus son rôle traditionnel de formation à la vie et à la citoyenneté. Si le service militaire a pu être supprimé sans réaction populaire, c’est qu’il n’assumait plus sa fonction intégratrice. Il en est de même du travail, qui ne constitue même plus un droit puisqu’une fraction importante de la population en est privée. Quant à l’idée de nation, elle n’est plus au centre des préoccupations de beaucoup de Français, écartelés entre leur appartenance microsociale (famille, quartier, commune), nationale, européenne et, de plus en plus, planétaire. Les fondements du modèle républicain ont donc cédé sous les coups de boutoir de la crise sociale, politique, culturelle qui sévit depuis une trentaine d’années. La notion de collectivité, jugée abstraite et inopérante par certains, recule devant celle d’individu. La forte revendication libertaire et identitaire oblige désormais à placer celui-ci au centre de la société. Un nouveau modèle en gestation L’émergence d’un système de valeurs susceptible de remplacer le modèle républicain défaillant est-elle possible ou probable ? On pourrait en douter si l’on voit la société actuelle comme une somme d’individualités sans lien ou ayant des appartenances multiples et éphémères. Pourtant, si les Français cherchent à développer leur autonomie et à accroître leur indépendance par rapport aux institutions, ils ne souhaitent pas vivre en totale autarcie. Ils veulent au contraire reformer le tissu social distendu et retrouver une convivialité disparue. downloadModeText.vue.download 164 sur 361 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 163 C’est pourquoi ils remplacent les filets de protection institutionnels devenus inefficaces par de nouvelles formes de solidarité. Bien sûr, celles-ci s’exercent d’abord à l’égard de l’entourage proche. Mais les Français se montrent aussi capables de solidarités plus éloignées, comme en témoigne par exemple le travail réalisé par les associations. Les comportements sociaux tendent donc à se fédérer sur quelques grands principes, qui font office de valeurs et pourraient remplacer demain la devise de la République. Ainsi, le partage serait l’expression moderne de la fraternité ; il se mettrait en même temps au service de l’égalité. La flexibilité serait quant à elle la version réaliste de la liberté. Tel est peut-être l’aboutissement de cette période douloureuse de plusieurs décennies, préalable peut-être nécessaire à un changement d’époque. Après avoir longtemps cherché, les Français auraient enfin trouvé la « quadrature du siècle ». GÉRARD MERMET AUTEUR DE FRANCOSCOPIE 1997 ET DE TENDANCES 1998, LAROUSSE 35 heures : les Français sceptiques mais ouverts Le sondage le Monde/Sofres réalisé en octobre 1997 fait apparaître un large scepticisme des Français à l’égard de la semaine des 35 heures : 69 % estiment que la réduction de la durée du travail sera sans conséquences sur l’emploi, car elle sera compensée par des gains de productivité dans les entreprises (on travaillera plus en moins de temps) ; seuls 28 % pensent que les 35 heures permettront une augmentation des embauches. Près de deux citoyens sur trois (61 %) préfèrent que des négociations soient faites entreprise par entreprise ; seuls 25 % sont favorables à une réduction décidée sur le plan national et imposée à tous. La flexibilité apparaît aujourd’hui plus souhaitable que la rigidité. 12 Cameroun Élection présidentielle. Le président sortant Paul Biya est réélu pour un mandat de sept ans avec une majorité de 92,51 % des suffrages exprimés. La participation est de 75 %. L’opposition, qui avait boycotté le scrutin, dénonce des fraudes massives. 13 France Démission de Jean Gandois. Le président du CNPF annonce qu’il quitte la présidence de l’organisation patronale. Convaincu de ne pas avoir été suivi par le gouvernement sur la question de la diminution du temps de travail, il estime qu’au négociateur qu’il a voulu être doit succéder un « tueur » prêt à s’opposer pied à pied à une politique rejetée par les chefs d’entreprises. Certains observateurs analysent cette démission comme le signe d’une réelle désunion au sein du CNPF et comme la montée en puissance des tenants d’un libéralisme plus affirmé. Dans les jours qui suivent, l’Association française des banques et une des organisations patronales du bâtiment font savoir qu’elles sont intéressées par la mise en application des 35 heures dans leurs secteurs. France Thomson sous le contrôle d’Alcatel. Le gouvernement choisit de rapprocher Thomson CSF du groupe Alcatel Alsthom. Ce nouveau pôle d’électronique professionnelle et de défense sera en outre renforcé par Dassault électronique et Aerospatiale (satellites). Alcatel et Dassault détiendront chacun 20 à 25 % de Thomson. Le précédent gouvernement d’Alain Juppé avait tenté d’opérer ce regroupement autour du groupe Lagardère (MatraHachette). Serge Tchuruk, président d’Alcatel, estime pour sa part qu’une telle concentration autour de son groupe était indispensable avant d’aborder la phase, nécessaire dans un second temps, des alliances européennes. Le 18, le groupe allemand Siemens fait savoir qu’il cède ses activités de défense à un consortium germano-britannique, constitué de DASA et de British Aerospace, de préférence à Thomson, qui avait présenté également sa candidature. Cette déci- downloadModeText.vue.download 165 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 164 sion est interprétée comme une réaction de défiance face à la « forteresse France » qui, selon les Allemands, vient d’être constituée autour de Thomson. 15 Chimie Prix Nobel à trois chercheurs de l’ATP et de ses collatéraux. L’Américain Paul D. Boyer (né en 1918) et le Britannique John E. Walker (né en 1941) sont distingués pour leurs travaux sur l’adénosine triphosphate (ATP), transporteur universel d’énergie de la cellule et véritable combustible pour toute réaction vivante consommatrice d’énergie. Le Danois Jens C. Skou (né en 1918) est récompensé, pour sa part, pour ses travaux sur l’enzyme « AT-Pase », transporteuse d’ions, essentielle, elle aussi, au fonctionnement de la cellule chez tous les êtres vivants. Physique Le prix Nobel au Français Claude Cohen-Tannoudji. Il partage cette distinction avec les Américains Steven Chu (né en 1948) et William D. Phillips (né en 1948). Leurs travaux portent sur l’immobilisation des atomes à l’aide de lasers et devraient permettre la mise au point d’horloges ultraprécises. Né en 1933, M. Cohen-Tannoudji est professeur au Collège de France depuis 1973 et développe ses recherches dans le cadre du laboratoire Kastler-Brossel de l’École normale supérieure. Il est le dixième Français à recevoir le Nobel de physique. Pologne Jerzy Buzek nouveau Premier ministre. Désigné par l’Action démocratique de Solidarité (AWS), vainqueur des élections du 21 septembre, M. Buzek est officiellement candidat au poste de Premier ministre. Âgé de cinquante-sept ans, c’est un scientifique, de religion protestante (ce qui n’est pas sans importance dans un pays où l’Église catholique occupe une place éminente), militant de longue date du syndicat Solidarité. M. Buzek aura pour missions principales de continuer à réformer l’économie polonaise afin de lui permettre de rejoindre un jour l’UE et, d’autre part, de lutter contre la corruption et la mainmise des anciens apparatchiks communistes sur les grandes entreprises privatisées. 16 Congo Denis Sassou-Nguesso vainqueur de la guerre civile. Déjà président de 1979 à 1992, il l’emporte sur son rival, le président en exercice Pascal Lissouba, à la suite d’une guerre civile de quatre mois ayant fait entre 5 000 et 10 000 victimes. Cette victoire a été acquise grâce au soutien militaire du voisin angolais. Depuis longtemps, M. Sassou-Nguesso entretenait avec le président angolais, Edouardo Dos Santos, de bonnes relations : tous deux sont issus de la mouvance marxiste africaine ; par ailleurs, M. Dos Santos était opposé à M. Lissouba depuis que celui-ci avait ouvert le territoire congolais aux troupes de Jonas Savimbi, leader de l’Unita, organisation politicomilitaire opposée au régime de Luanda. M. SassouNguesso a également bénéficié du soutien politique du président gabonais, Omar Bongo, dont il est un allié par mariage. Le nouveau chef du Congo promet qu’il organisera des élections libres dans un délai non précisé. France Rachat du Point. Jusqu’alors propriété du groupe CEP, lui-même absorbé dans Havas depuis septembre, l’hebdomadaire est racheté par l’industriel François Pinault, patron du groupe Pinault-Printemps-La Redoute. 19 Religion Thérèse de Lisieux élevée au titre de « docteur de l’Église ». Après Thérèse d’Ávila et Catherine de Sienne, la sainte française est la troisième femme à recevoir ce titre (et la trente-deuxième personne). À ceux qui s’étonnent qu’une telle distinction soit accordée à une simple paysanne morte à vingt-quatre ans, les autorités catholiques font observer que le titre ne concerne pas seulement les « grands esprits » downloadModeText.vue.download 166 sur 361 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 165 de l’Église, mais aussi les personnalités les plus rayonnantes et suscitant le plus de ferveur. 23 Algérie Victoire du parti présidentiel aux élections locales. Le Rassemblement national démocratique (RND) du président Liamine Zeroual remporte 55 % des sièges des élections communales, loin devant le Mouvement social pour la paix (MSP, ex-Hamas) et le Front de libération nationale (FLN). Le Front des forces socialistes (FFS) et le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD), nettement en retrait, dénoncent un trucage massif du scrutin. Après l’élection présidentielle de 1995, le référendum constitutionnel de 1996 et les élections législatives de juin 1997, ce scrutin local est le dernier épisode du grand processus de légitimation démocratique voulu par le pouvoir en place. 25 États-Unis Marche des femmes noires. Plus de 500 000 Afro-Américaines défilent dans les rues de Philadelphie pour s’opposer à la désintégration de leurs familles, aux ravages de la drogue et à la discrimination sociale. Cette marche intervient un an après la marche des hommes noirs encadrée alors par l’organisation islamisante de Louis Farrakhan. 26 F1 Le Canadien Jacques Villeneuve champion du monde. À l’issue d’une course mouvementée qui l’oppose à l’Allemand Michael Schumacher, qui court sur Ferrari, le Québécois remporte à vingt-six ans son premier titre mondial sur Williams Renault. Après vingt années de présence en F1, le motoriste français se retire de la compétition en ayant engrangé 9 titres constructeurs et 7 titres pilotes. Argentine Victoire de l’opposition. Aux élections législatives partielles, l’Alliance – coalition de centre gauche regroupant l’Union civique radicale (UCR) de l’ancien président Alfonsin, des péronistes dissidents et des militants de la gauche modérée – dépasse nettement le Parti justicialiste du président en exercice Carlos Menem. L’Alliance remporte son plus beau succès dans la province de Buenos Aires, qui regroupe plus du tiers de la population argentine. En place depuis 1989 et réélu en 1995, M. Menem paie moins les duretés de sa politique économique d’inspiration libérale – largement reprise à son compte par l’opposition – que les affaires de corruption et de mainmise sur la justice qui entachent sa gestion du pouvoir. Colombie Élections locales sous la menace. Les autorités font état d’une participation globale de l’ordre de 40 %, alors que les mouvements de guérilla – Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) et Armée de libération nationale (ELN) – menaçaient de mort candidats et électeurs. Ces menaces ont surtout joué dans les campagnes et les petites villes, moins contrôlées par les forces armées. Globalement, le Parti libéral du président en exercice Ernesto Samper maintient ses positions, même s’il perd cinq des plus importantes villes du pays. 27 Finances internationales Krach boursier. Annoncée depuis plusieurs semaines par la mise en lumière d’une bulle spéculative dans plusieurs pays asiatiques, en Thaïlande notamment, une forte baisse frappe l’ensemble des places boursières de la planète (– 4,3 % à Tokyo, – 13,7 % à Hongkong, – 7,2 % à New York, – 11 % à Francfort, – 9 % à Paris). Cependant, en quelques heures, la situation se rétablit et l’ensemble des Bourses repartent à la hausse. Les analystes estiment que cette purge devrait permettre aux cours, jusqu’alors surévalués, de retrouver un niveau plus réaliste. L’économie française, assez peu engagée sur les marchés asiatiques, ne devrait pas être trop affecdownloadModeText.vue.download 167 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 166 tée par cette crise express. Toutefois, elle bénéficiera d’un environnement international moins porteur. 28 France Condamnation du livre accusant François Léotard. Le tribunal des référés de Paris ayant enjoint à la maison d’édition Flammarion l’ordre de supprimer les passages du livre l’Affaire Yann Piat mettant en cause François Léotard, celle-ci décide de retirer de la vente le livre tout entier. M. Léotard poursuit, par ailleurs, en diffamation les auteurs de l’ouvrage. Le 5 novembre, le président de la cour d’assises du Var annonce qu’il va procéder lui-même à des investigations supplémentaires, ce qui laisse penser que le procès des assassins de Mme Piat, prévu pour mars 1998, pourrait être reporté. 29 France Présentation d’un projet de réforme de la justice. Élisabeth Guigou, garde des Sceaux, présente un texte ayant pour objectif de garantir l’indépendance de la justice en interdisant au gouvernement de transmettre au parquet toute forme d’instruction dans les affaires individuelles. Il est prévu également une réforme du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), une meilleure accession du public à la justice (multiplication des aides juridiques, réforme de la carte judiciaire, simplification des procédures civiles) et une meilleure garantie des libertés individuelles (présence d’un avocat dès la mise en garde à vue, accélération des délais d’enquête et d’instruction, instauration d’audiences publiques pour certains actes de procédure). Si les intentions du texte sont généralement bien accueillies, beaucoup doutent de sa mise en application, notamment pour des raisons financières. L’ambitieuse réforme de la justice Le jeudi 29 octobre, Élisabeth Guigou présentait au Conseil des ministres une proposition de réforme de la justice. Ce vaste programme sera mis en discussion au Parlement dès janvier 1998. Donnera-t-il lieu à une « révolution judiciaire »... ou à un « classement sans suite » ? L’avenir nous le dira. En ce début 1997, la mise en oeuvre d’une réforme de la justice s’impose à l’ensemble du corps politique. Pauvre, mal équipée, surchargée d’affaires mineures traitées hâtivement par le système de la « comparution immédiate », encombrée au point qu’un litige au civil doit attendre des années avant d’être tranché, la justice française est au mieux malade, au pire exsangue. Les manoeuvres du garde des Sceaux Jacques Toubon pour étouffer, fin 1996, certaines « affaires » ont par ailleurs ravivé aux yeux de l’opinion publique l’éternel soupçon de connivence entre un parquet docile et un pouvoir exécutif tout-puissant. Pire : l’épisode malheureux de l’hélicoptère, dans l’affaire Xavière Tiberi, menace de déconsidérer l’ensemble de la majorité de l’époque – tout comme de semblables errements avaient en leur temps discrédité les socialistes. L’heure est pourtant à la mobilisation des troupes. Les élections législatives sont proches. Il faut agir vite, juste avant la dissolution, le président de la République confie à Pierre Truche la mission de mener à bien une réflexion sur l’indépendance de la justice. Las ! La commission rend un rapport jugé insuffisant, voire attentatoire à la liberté de la presse. En marge de la commission Truche, l’association des magistrats instructeurs mène sa propre réflexion. Ses conclusions, livrées en pleine campagne électorale, ont la vertu de la clarté : il faut « moderniser la justice » et surtout empêcher toute intervention des préfets et des ministres dans les enquêtes « politico-financières ». Ces thèses trouvent un écho favorable auprès de Lionel Jospin, l’indépendance de la justice étant dedownloadModeText.vue.download 168 sur 361 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 167 venue un axe majeur de sa campagne. Un mois plus tard, la droite sort laminée des législatives. La réforme sera donc celle du gouvernement de Lionel Jospin. Mais quelle réforme ? Une « réformette » destinée à toiletter les dysfonctionnements les plus apparents du système judiciaire tout en préservant les prérogatives d’un État régalien, comme le souhaitent les « jacobins » de tous bords ? Ou une réforme ambitieuse dont l’objectif serait non seulement de couper le lien entre les magistrats du parquet et le gouvernement, mais aussi de modifier de fond en comble la procédure pénale ? Interrogées sur cette question par le nouveau ministre de la Justice Élisabeth Guigou, certaines personnalités de gauche, et notamment Robert Badinter, insisteront sur le danger d’une « République des juges », dont l’indépendance pourrait signifier un abandon de la souveraineté de l’État. Fin septembre, Élisabeth Guigou élabore un pré-projet qui recèle la promesse d’une indépendance mesurée. Le texte prévoit que la chancellerie s’interdira toute intervention directe dans les dossiers individuels. Mais, sur les dossiers où les intérêts de l’État seraient en jeu, le ministre de la Justice conservera son pouvoir de donner des instructions. Le 1er octobre, une ultime réunion se tient rue de Solférino. À cette occasion, l’ancien ministre socialiste de la Justice Henri Nallet, celui-là même qui avait dessaisi le juge Jean-Pierre du dossier Urba, plaide à la surprise générale pour l’indépendance du parquet. Lionel Jospin penche alors définitivement pour une réforme radicale : le projet de loi, présenté en Conseil des ministres le 29 octobre, prévoira la suppression totale des instructions individuelles. Une indépendance sous contrôle À l’arrivée, les députés plancheront en 1998 sur une imposante série de textes dont la mise en oeuvre devrait s’étaler jusqu’en l’an 2000. Le projet d’Élisabeth Guigou s’attache d’abord à donner quelque réalité à l’indépendance du parquet, qui ne sera pas totale. Car si le texte prévoit la suppression des instructions individuelles, ainsi qu’une série de recours contre d’éventuels « classements sans suite », la nomination des procureurs et le déroulement de leur carrière resteront à l’initiative du gouvernement, même si le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) est associé aux décisions. Une modification de la composition du CSM est d’ailleurs prévue : il devrait compter dans ses rangs, sur 21 membres, 11 non-magistrats. Le deuxième volet du projet vise à garantir un meilleur respect de la présomption d’innocence. Première innovation : le texte met fin aux pouvoirs du juge d’instruction en matière de détention provisoire (aujourd’hui, près de 40 % des détenus sont des « prévenus »). Désormais, c’est un autre juge qui décidera de l’incarcération comme de la mise en liberté du prévenu. Par ailleurs, des audiences publiques pourront avoir lieu en cours d’instruction, une procédure qui est actuellement (en principe) secrète. Autre changement, qui sera sans doute difficile à mettre en oeuvre : l’avocat pourra être présent dès la première heure de garde à vue. Le troisième volet de la réforme, qui a pour titre « une justice au service des citoyens », fourmille d’un nombre impressionnant de mesures visant à rendre le système judiciaire plus efficace et plus rapide. Révision des procédures civiles, développement de l’aide juridique, rénovation du droit des sociétés, modification des règles de saisie immobilière... le programme est ambitieux ! Il sous-tend la mise en oeuvre d’une autre réforme de fond, celle de la carte judiciaire, jugée inadaptée par la plupart des observateurs. Or, cette réforme se heurtera immanquablement aux baronnies locales (la France compte 181 tribunaux de grande instance !) et à la grogne des élus locaux et nationaux. Passé au crible du Parlement, le « plan d’urgence pour la justice » d’Élisabeth Guigou gardera-t-il toute sa force innovatrice ? Réponse début 1998. JEAN-FRANÇOIS PAILLARD Un problème budgétaire ? La fameuse indépendance de la justice, antienne qui court depuis que la justice française est liée, par le parquet, au pouvoir exécutif, ne doit pas cacher un problème tout aussi grave : celui de la dégradation continue de la « justice au quotidien ». Les tribunaux civils et les juridictions pénales sont en effet débordés, voire « asphyxiés » pour reprendre les conclusions du rapport des sénateurs Jolibois et Fauchon présenté en 1996. Depuis dix ans, le volume des affaires traitées par le système judiciaire a en effet crû bien plus vite que les moyens financiers et humains mis à sa disposition par l’État. L’élan réformiste initié par Élisabeth Guigou sera-t-il brisé par de simples raisons budgétaires ? downloadModeText.vue.download 169 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 168 30 Algérie Manifestation de l’opposition. Près de 20 000 personnes manifestent dans les rues d’Alger pour protester contre ce qu’elles considèrent comme « la fraude massive » perpétrée par les autorités lors des élections locales. On remarque que défilent côte à côte des militants du FLN (Front de libération nationale), du parti islamiste modéré MSP (Mouvement de la société pour la paix) et des partis de la gauche démocratique (FFS et RCD, Front des forces socialistes et Rassemblement pour la culture et la démocratie). Le président Liamine Zeroual rejette en bloc toutes ces accusations. Espace Succès du lancement d’Ariane 5 Après l’échec de juin 1996, le deuxième lancement de la fusée européenne permet à l’Europe spatiale de s’affirmer par rapport à ses concurrents américains, chinois, japonais et russes. Destinée à mettre sur orbite des satellites à 36 km d’altitude, Ariane 5 (745 tonnes et 51,40 m de haut) a nécessité un budget de 40 milliards de francs Lancé en 1979, le programme Ariane a permis l’envoi de 135 satellites, avec un taux de succès de 96,4 %. En dix-sept ans, les contrats conclus ont représenté 76 milliards de francs. Irlande Mary McAleese élue à la présidence. Candidate du Fianna Fail (centre droit), professant des idées nationalistes et conservatrices en matière de moeurs, cette avocate de quarante-six ans l’emporte avec 59 % des voix sur sa concurrente du Fine Gael (centre). La fonction présidentielle demeure largement honorifique dans la république d’Irlande. Premier succès du lanceur européen Ariane 5 Dix-sept mois après l’échec de son premier vol de qualification, le lanceur lourd européen Ariane 5 a réussi, le 30 octobre, à placer en orbite sa charge utile, constituée de deux plates-formes d’instruments de mesure et d’un petit satellite technologique. Le succès de ce second vol d’essai a redonné confiance à l’Europe spatiale et lui ouvre de nouvelles perspectives alors que s’intensifie la concurrence internationale sur le marché des lanceurs de satellites. De l’avis de tous les commentateurs, l’Europe n’avait, cette fois-ci, pas droit à l’erreur. Il lui fallait absolument effacer la terrible déconvenue du vol inaugural d’Ariane 5, le 4 juin 1996, où la nouvelle fusée européenne avait explosé 37 secondes après son décollage, à la suite d’une défaillance informatique des centrales inertielles assurant son pilotage. Pour éviter à tout prix un second échec, les partenaires industriels du programme n’ont pas ménagé leurs efforts. L’ensemble du lanceur a été passé au crible, à la recherche du moindre dysfonctionnement. Des modifications ont été apportées à certaines pièces pour les rendre plus résistantes à diverses pannes. De nombreuses imperfections ont été corrigées. Des vérifications ont même conduit à remplacer le gros moteur Vulcain du premier étage monté initialement sur le deuxième spécimen de la fusée, après la découverte d’un défaut de fabrication sur un autre moteur de la même série. La multitude de vérifications et de contrôles effectués a provoqué à plusieurs reprises le report du lancement. Mais tous ces efforts n’ont pas été vains. Un vol satisfaisant mais pas parfait Le 30 octobre, après trois quarts d’heure de suspense dus à un problème mineur dans les opérations de commutation électrique entre le sol et la fusée, le compte à rebours a repris pour son ultime séquence. À 13 h 43 UT (10 h 43 à Kourou, 14 h 43 à Paris), le lanceur a arraché ses 740 tonnes du sol, dans un panache de fumée et un bruit assourdissant. Puis les différentes phases du vol se sont succédé comme prévu : deux minutes après le décollage, séparation des deux énormes propulseurs à ergols solides (une étape cruciale, testée en vol pour la première fois) ; au bout de trois minutes de vol, largage de la coiffe ; dix minutes après le décollage, allumage de l’étage supérieur chargé d’assurer l’injection sur orbite ; enfin, après vingt-sept minutes de vol, satellisation de la charge utile, constituée de deux maquettes de satellites porteuses d’instruments d’analyse du comportement en vol du lanceur, Maqsat-H (masse : 2,3 t) et Maqsat-B (1,4 t), et du petit satellite downloadModeText.vue.download 170 sur 361 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 169 technologique Teamsat (350 kg) destiné aux radioamateurs. Pour son deuxième vol de qualification, Ariane 5 a donc rempli sa mission, à la plus grande satisfaction de l’Agence spatiale européenne, dont les États membres ont investi environ 40 milliards de francs dans le programme depuis 1987, et des quelque 150 firmes européennes (occupant 6 000 salariés) impliquées dans la fabrication du lanceur. La plupart des craintes des techniciens ont été levées, notamment en ce qui concerne le comportement des propulseurs à poudre et leur séparation d’avec l’étage principal de la fusée. Cependant, un mouvement de roulis intempestif de l’étage principal après la séparation des deux propulseurs à poudre a ralenti la vitesse du lanceur ; aussi la charge utile a-t-elle été satellisée sur une orbite plus basse que prévu. De plus, l’étage principal, qui devait retomber dans le Pacifique, au large des côtes de l’Amérique centrale, a plongé quelque 8 000 km plus à l’ouest, au nord de la Nouvelle-Guinée, et n’a donc pu être localisé et repêché pour expertise. Enfin, les deux gros propulseurs à poudre (31 m de long, 3 m de diamètre, 40 t), retombés, comme prévu, à 400 km environ des côtes guyanaises, ont coulé avant d’avoir pu être repêchés, les parachutes chargés de freiner leur descente dans l’atmosphère ne s’étant pas ouverts. Plusieurs mois seront nécessaires aux spécialistes pour dépouiller le flot de données recueillies lors du vol par les quelque mille capteurs disposés sur la fusée et procéder à toutes les améliorations qui s’imposent avant le troisième vol de qualification (prévu au printemps 1998), en principe le dernier avant qu’Ariane 5 n’entame sa carrière commerciale. La relève progressive d’Ariane 4 Dix ans exactement après qu’ait été prise, à la Conférence ministérielle de La Haye, la décision d’engager le développement d’Ariane 5, il est urgent pour l’Europe de disposer de ce lanceur lourd. Lui seul lui permettra de préserver sa compétitivité sur le marché mondial des lancements de satellites alors que s’intensifie la concurrence internationale. Dans un premier temps, la nouvelle fusée européenne sera utilisée en complément des Ariane 4. Capable d’embarquer une charge utile de 5,9 à 6,8 t, alors qu’Ariane 44 L, la plus puissante des Ariane 4, plafonne à 4,7 t, elle sera surtout chargée de placer en orbite des paires de satellites lourds : il est prévu de lancer 2 ou 3 Ariane 5 en 1998, 4 ou 5 en 1999, 5 ou 6 en 2000, et ainsi de suite jusqu’aux 8 tirs programmés pour 2002. Ce n’est qu’au-delà de cette échéance qu’Ariane 5 assurera complètement la relève des Ariane 4. Dès 1995, Arianespace, la société européenne chargée de commercialiser les fusées Ariane, a commandé à l’industrie 14 exemplaires d’Ariane 5, pour un coût de 12 milliards de francs. À brève échéance devrait intervenir une nouvelle commande de 50 exemplaires en deux lots, le premier de 20 lanceurs, le second de 30. Commercialisé pour commercer aux alentours de 120 millions de dollars pièce, contre 90 à 110 millions de dollars pour une Ariane 4, le nouveau lanceur mettra le prix de revient du « kilo de satellite géostationnaire placé en orbite » entre 25 000 et 30 000 dollars. Ce n’est qu’après le tir des 14 premières fusées que la barre pourra descendre à 18 000 dollars par kilo en orbite, un niveau qui risque d’être tout juste compétitif face à la concurrence américaine, russe ou chinoise. Quoi qu’il en soit, la rentabilité du programme ne devrait être assurée que vers le 20e lancement. Malgré les progrès de la miniaturisation, les satellites ne cessent de grossir. En 1994, 60 % des satellites à lancer pesaient moins de 2,4 t. En 2004, ils seront autant à faire plus de 2,5 t et 20 % à dépasser 3,5 t. Or, Ariane 5 ne sera rentable que si elle est capable d’effectuer des lancements doubles. Aussi des projets d’amélioration des performances de la fusée sont-ils déjà engagés : ils devraient permettre à Ariane 5 d’emporter 1 000 kg de plus en 2002, puis encore 1 000 kg supplémentaires l’année suivante, et d’être finalement capable, en 2006, après diverses modifications, d’expédier 11 t dans l’espace. PHILIPPE DE LA COTARDIÈRE downloadModeText.vue.download 171 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 170 NOVEMBRE 1 Chine Évolution sur les libertés. À l’occasion de son voyage aux États-Unis, le président Jiang Zemin laisse entendre que la répression de la place Tiananmen de juin 1989 aurait pu être une « erreur ». Même si la phrase est construite de façon ambiguë, les observateurs notent avec intérêt cette inflexion dans le discours officiel chinois sur la question des libertés. Simple affirmation de circonstance, alors que de nombreux manifestants n’ont cessé de clamer leur indignation tout au long du voyage du dirigeant chinois, ou amorce de changement poli- tique majeur ? Il est trop tôt pour se prononcer. La libération, le 16, du célèbre contestataire Wei Jingsheng semble aller dans la deuxième direction. Celuici, qui a été emprisonné pendant plus de dix-huit ans pour avoir traité Deng Xiaoping de « despote », est aussitôt expulsé vers les États-Unis, alors qu’il souhaitait rester dans son pays. Certes, cette expulsion ne va pas dans le sens d’une réelle libéralisation des moeurs politiques chinoises ; cependant, elle constitue, malgré tout, un deuxième signe fort en à peine plus de deux semaines. France Accord en Nouvelle-Calédonie. Le gouvernement approuve le rapport remis par Philippe Essig sur l’avenir de l’industrie du nickel dans le territoire du Pacifique. Ce rapport prévoit un partage des ressources minières entre les deux principales sociétés exploitantes (SMSP et Eramet-SLN), qui satisfait à la fois les acteurs économiques et les forces politiques canaques et caldoches. Toutefois, la mise en pratique de cet accord dépend de la volonté d’investissement du groupe minier canadien Falconbridge, lequel veut attendre de connaître l’évolution à long terme du marché mondial du nickel avant de prendre la décision de construire une usine de traitement en Nouvelle-Calédonie. Quoi qu’il en soit, cet accord minier permet d’aborder dans de meilleures conditions le référendum sur l’avenir du territoire prévu pour 1998. Irak Bras de fer avec Washington. Le gouvernement de Bagdad affirme que l’expulsion des experts américains chargés de contrôler le désarmement (chimique, biologique et balistique) du pays est « irrévocable ». Ce nouveau raidissement du président Saddam Hussein s’explique par la volonté de celui-ci de galvaniser son opinion publique et de tailler une brèche au sein du Conseil de sécurité de l’ONU. La France et la Russie réclament, en effet, depuis plusieurs années un assouplissement de l’embargo qui frappe l’Irak et entraîne des privations très dures pour la population. Le président irakien pense qu’en provoquant ainsi une crise il accentuera l’opposition entre Washington, Paris et Moscou (d’autant que d’importants contrats pétroliers sont en négociation avec Elf et Total). Cependant, le 12, le Conseil de sécurité vote à l’unanimité une résolution « exigeant » l’annulation de l’expulsion des experts. Les Américains, soutenus par la Grande-Bretagne, font alors savoir qu’ils sont prêts à affronter militairement, seuls s’il le faut, les forces irakiennes. Le 22, les experts internationaux remettent leur rapport à l’ONU : selon eux, même si le désarmement de l’Irak est effectif, ce pays garde de fortes capacités de nuisance, notamment en matière biologique. Le Conseil de sécurité s’accorde pour reconnaître que le feu vert global des experts est nécessaire pour lever définitivement l’embargo pesant sur l’Irak. Grâce à la médiation du ministre russe des Affaires étrangères, Evgueni Primakov, le président Saddam Hussein accepte alors le retour des experts internationaux – et américains – sur le sol irakien. Le 26, il semble accepter que ces experts puissent accéder aux « sites présidentiels » – des résidences officielles du dirigeant –, où seraient stockés des produits particulièrement dangereux, puis il revient sur sa décision, prétendant que les experts étrangers n’ont pas à espionner les lieux mêmes du pouvoir irakien. La crise irakienne En novembre, il semblait que les ingrédients qui avaient été à l’origine de la guerre du Golfe étaient de nouveau réunis : coup de poker de Saddam Hussein, cette fois sur le tapis onusien – downloadModeText.vue.download 172 sur 361 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 171 soit un pavé dans le jardin américain –, raidissement du Conseil de sécurité, rhétorique musclée des États-Unis. Mais il est apparu très vite que la Maison-Blanche peinait à enrôler les alliés d’hier dans un conflit contre un pays littéralement mis à genoux par un blocus dont la population civile est la seule victime. En mai 1996, le Conseil de sécurité de l’ONU avait adopté la résolution 986 (dite « pétrole contre nourriture ») qui devait permettre à Bagdad d’exporter 2 milliards de dollars de pétrole tous les six mois pour acquérir des vivres et des médicaments. On se souvient que le cours des événements – notamment l’intervention des chars irakiens dans le Kurdistan, au nord du pays – avait une première fois retardé l’entrée en vigueur de la résolution 986. Finalement, en novembre 1996, Saddam Hussein avait fini par accepter « toutes les conditions » du Conseil de sécurité de l’ONU. Un an plus tard, pourtant, l’Irak, attendant toujours que soient distribués la nourriture et les médicaments, engageait l’épreuve de force avec l’ONU, c’est-à-dire avec les États-Unis. Détermination irakienne contre résolution onusienne Le 27 octobre, le Parlement irakien, exigeant que le blocus auquel est soumis le pays depuis la guerre du Golfe soit levé dans un délai « précis et rapproché », recommandait le gel des relations avec l’Unscom. Le 30, trois experts américains de l’Unscom étaient refoulés, le gouvernement irakien se déclarant prêt à s’opposer par les armes à une éventuelle riposte de Washington. Le 1er novembre, le Conseil de sécurité de l’ONU, qui, quelques jours plus tôt, évoquait « des conséquences graves », repoussait l’idée d’employer la force contre l’Irak et préconisait l’envoi de trois émissaires à Bagdad. Une proposition acceptée par l’Irak sous réserve que les émissaires en question ne fussent pas américains. Et, pour appuyer sa détermination, Saddam Hussein prévenait qu’il ferait abattre tout appareil des États-Unis en mission de reconnaissance dans le ciel irakien. À la détermination de Bagdad, les États-Unis répliquaient par un déploiement de forces impressionnant : le porte-avions GeorgeWashington avec dix-sept navires de la VIe flotte quittait la Méditerranée pour rejoindre les eaux du Golfe, tandis que 50 chasseurs, des bombardiers furtifs et des bombardiers B 52 étaient placés en état d’alerte sur la base turque d’Incirlik. Toutefois, il apparaissait alors que la réaction de la Maison-Blanche s’écartait singulièrement du cadre des résolutions de l’ONU : en effet, Bill Clinton venait de déclarer que l’Irak resterait soumis au blocus tant que S. Hussein serait au pouvoir. Rappelons qu’aucune résolution onusienne n’a jamais conditionné la fin du blocus au départ du numéro un irakien. De son côté, ce dernier rassemblait des « volontaires » autour de sites pouvant faire l’objet de bombardements. On connaît la suite. La guerre que l’on pouvait craindre n’a pas eu lieu. Au moment de compter leurs alliés potentiels, les États-Unis se sont retrouvés pour le moins isolés, seule la Grande-Bretagne leur apportant un soutien appuyé. Fait hautement significatif, la Ligue arabe se prononçait contre un recours à la force, de même que la Turquie et les pays de la péninsule arabique. Le fait que même le Koweït se soit désolidarisé de Washington a montré à quel point les États de la région pouvaient craindre une épreuve de force qui, une fois de plus, aurait eu pour conséquence de dresser leur opinion publique contre les ÉtatsUnis. La voie était donc ouverte à une solution négociée. Dans la nuit du 19 au 20 novembre, les ministres des Affaires étrangères russe, américain et français, réunis à Genève, faisaient savoir que l’Irak consentait au retour des inspecteurs de l’Unscom, y compris les Américains. De son côté, la Russie s’engageait à « contribuer activement à lever le plus rapidement possible les sanctions » imposées à l’Irak en 1991. Un poker sans vainqueur ? Si les événements se sont enchaînés avec une certaine prévisibilité – de la réaction épidermique des États-Unis à la mobilisation d’importants moyens militaires en passant par les « boucliers » humains irakiens –, les motivations de chacun sont assurément plus complexes. Que voulait S. Hussein ? Bill Clinton pouvait-il raisonnablement espérer rééditer le « coup » de la coalition de 1991 ? À plusieurs reprises, la communauté internationale a pu estimer par le passé que la politique extérieure du leader irakien était maladroite – et encore est-ce là un sophisme – ou suicidaire. Les premières analyses se nourrirent de ce constat. En considérant la situation à l’aune de l’épilogue de la crise de novembre 1997, on conviendra que la nuée ne porte pas toujours l’orage. downloadModeText.vue.download 173 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 172 À cause du blocus, l’Irak connaît une situation économique et sanitaire dramatique ; la résolution « pétrole contre nourriture » est perçue comme une aumône humiliante et les États-Unis pratiquent une ingérence quotidienne sous le couvert de l’Unscom. Finalement, en s’opposant à l’ONU, S. Hussein aura réussi à braquer les projecteurs sur un pays plutôt menacé que menaçant. Quant au risque d’une nouvelle guerre, s’il est fort probable que Bagdad ne l’a pas écarté, convenons que, dans le contexte régional et international, les probabilités de l’embrasement étaient plutôt minces. B. Clinton n’a pas réussi à être l’artisan de la paix au Proche-Orient (échec de la relance des négociations israélo-palestiniennes) et a échoué à enrôler ses alliés habituels, Japon et pays européens, dans le boycottage de l’Iran. Enfin, on savait que la conférence de Doha sur le développement économique de la région allait être marquée par l’absence de la plupart des pays arabes. L’isolement des ÉtatsUnis n’a pas échappé à l’Irak. Bagdad a donc fait le pari que la Maison-Blanche ne pourrait pas reconstituer la coalition de 1991 sous le seul prétexte que les experts de l’ONU avaient « envahi » l’Irak. PHILIPPE FAVERJON L’Unscom (United Nations Special Commission) Créée en avril 1991 en vertu de la résolu- tion 627 imposant le cessez-le-feu dans la guerre du Golfe, la Commission spéciale de l’ONU chargée du désarmement de l’Irak (Unscom, United Nations Special Commission) est chargée de supprimer les armes de destruction massive dont dispose Bagdad et de veiller à ce que le régime du président Saddam Hussein ne puisse reconstituer son arsenal. Lorsque l’Unscom a commencé ses premières inspections, on estimait qu’en six mois l’Irak serait désarmé : six ans plus tard, personne n’était en mesure de conclure que l’Unscom avait rempli sa mission. 2 France Grève des routiers. Estimant que le patronat n’a pas tenu ses engagements après le conflit de 1996, les routiers cessent le travail et bloquent la circulation pour tous les transporteurs, fiançais et étrangers. Ils bloquent également l’accès des principaux dépôts d’essence, menaçant de paralyser à terme l’ensemble de l’activité du pays. Les grévistes réclament pour les « grands routiers » (plus de six nuits par mois hors de chez eux) un salaire mensuel de 10 000 francs bruts pour une durée de travail plafonnée à 200 heures par mois (contre 8 700 francs et plus de 240 heures actuellement), et le paiement d’une prime exceptionnelle de 3 000 francs promise l’année précédente et jamais versée depuis. Ils réclament également des hausses de salaire immédiates de l’ordre de 5 % pour les autres catégories de chauffeurs. Très divisées, car représentant une myriade d’entreprises de tailles très différentes, les organisations patronales abordent les négociations avec réticence. Très vite, le gouvernement intervient dans les discussions, tandis que le ministre des Transports, le communiste Jean-Claude Gayssot, s’active auprès des syndicats pour calmer les esprits. Le 7, un accord est finalement signé entre les organisations patronales et la CFDT, syndicat majoritaire dans la profession, tandis que FO, la CGT et la CFTC le rejettent. L’accord prévoit des augmentations de 3 à 6 % immédiates et de 21 % en trois ans, ce qui correspond aux demandes initiales des syndicats. Toutefois, il est à prévoir que les primes, jusque-là extérieures au salaire, y seront intégrées, ce qui absorbera de fait les hausses salariales, mais ce qui aura tout de même l’avantage de garantir ces sommes. Les entreprises devront mettre en application ces décisions avant le 30 juin 1998. Par ailleurs, le gouvernement présente un projet de loi réglementant la profession, en généralisant l’obligation de formation professionnelle et en renforçant les contrôles sur l’application de la législation. Les syndicats sortent divisés de cette épreuve et le contentieux entre FO et la CFDT demeure plus fort que jamais. Le gouver- nement, pour sa part, se félicite d’être sorti si rapidownloadModeText.vue.download 174 sur 361 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 173 dement d’un conflit qui risquait de paralyser toute l’économie nationale, voire européenne. 3 Nouvelle-Zélande Changement de Premier ministre. Jim Bolger, en place depuis sept ans à la tête d’une coalition conservatrice, est écarté du pouvoir en faveur de son ministre des Transports, Jenny Shipley. Celle-ci, cataloguée comme plus à droite que M. Bolger, devrait accentuer la politique néolibérale mise en oeuvre par le gouvernement. Dans les sondages, le Parti travailliste a repris la tête et se place ainsi en position favorable pour les prochaines élections prévues pour 1999. Jordanie Succès du bloc gouvernemental. Les partis proches du gouvernement du roi Hussein remportent 64 sièges sur un total de 80. L’opposition, créditée de 16 sièges, est en recul par rapport à la précédente consultation. Critiquant le manque de liberté et d’égalité politiques lors de la campagne, les islamistes et plusieurs partis d’opposition avaient décidé de boycotter le scrutin. 6 France Exhumation décidée du corps d’Yves Montand. La Cour d’appel de Paris décide de faire exhumer le corps du chanteur, décédé en 1991, afin de faire pratiquer un test d’ADN. Cette décision fait suite à une demande de reconnaissance en paternité défendue depuis plusieurs années par une jeune femme qui affirme être la tille de Montand. La Cour justifie sa décision en affirmant que « en l’état actuel des investigations, la paternité (d’Yves Montand) ne peut pas être formellement exclue ». Beaucoup s’indignent de cette procédure qui va à l’encontre du respect que l’on doit aux morts ; d’autres font remarquer que de telles exhumations pour tests sont fréquemment pratiquées – notamment par les compagnies d’assu- rances –, et que le respect des morts ne devrait pas dispenser un homme, même disparu, de ses obligations paternelles. 8 10 Chine Lancement du plus grand barrage du monde. Le président Jiang Zemin commande le comblement des 40 derniers mètres restants, pour bloquer le cours du fleuve Yangzi Jiang, qui coule désormais par un canal de dérivation. Ce chantier gigantesque – le plus grand jamais lancé en Chine – devrait permettre la réalisation pour 2009 de la plus grande usine hydroélectrique du monde, capable de produire l’énergie de 20 centrales nucléaires. Le projet entraînera le déplacement de plus de 1,2 million de personnes et la disparition de plus de 4 500 villes et villages. Il a été l’objet de fortes critiques, sur un plan tant écologique qu’économique. De nombreux spécialistes ont affirmé que le futur barrage allait représenter un danger considérable pour l’environnement et pour la sécurité de la population. D’autres estiment qu’il ne sera jamais rentable tant est élevé son coût – chiffré à 65 milliards de francs –, mais beaucoup pensent que la note finale s’élèvera au moins au triple. Israël Hommage à Yitzhak Rabin. Une foule très nombreuse, estimée à 200 000 personnes, se réunit à Tel Aviv pour saluer l’anniversaire de l’assassinat du Premier ministre travailliste en 1995. Les orateurs s’en prennent à Benyamin Netanyahou à qui ils reprochent d’avoir lancé, à l’époque, de véritables appels au meurtre contre M. Rabin. Littérature Le Goncourt à Patrick Rambaud. Le journaliste et écrivain Patrick Rambaud reçoit le prix Goncourt pour son roman la Bataille, qui reprend le projet inachevé de Balzac de raconter la défaite downloadModeText.vue.download 175 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 174 d’Essling en 1809, tandis que le Renaudot va à Pascal Bruckner, pour les Voleurs de beauté. 11 Génétique Déclaration universelle sur le génome humain. Face au développement de la biologie moléculaire et de la génétique, l’Unesco adopte une déclaration de 25 articles ayant pour objet d’établir des critères précis en matière de recherche scientifique sur le génome (ensemble des gènes) humain. La Déclaration entend protéger la dignité humaine contre toute tentation de manipulation : sont ainsi proscrits le clonage humain et l’utilisation des données génétiques individuelles sans le consentement de la personne (sont visées les sélections de candidats à l’embauche ou les demandes de compagnies d’assurances). 14 France Relaxe de Gérard Longuet. L’ancien ministre et actuel président du Conseil régional de Lorraine, poursuivi pour recel d’abus de crédit, est relaxé par le tribunal de Paris. Il lui était reproché d’avoir obtenu des conditions de paiement anormalement avantageuses pour la construction de sa villa de vacances de Saint-Tropez de la part d’une entreprise de la Meuse, département dont il était le député. Cette affaire l’avait obligé à démissionner du gouvernement Balladur en octobre 1994. Le parquet fait appel de ce jugement. Par ailleurs, M. Longuet reste mis en examen dans d’autres dossiers concernant le financement du Parti républicain et la gestion des sociétés Investel et Avenir 55, notamment par rapport au financement de sa résidence secondaire. Maroc Succès de l’opposition de gauche aux élections. L’Union socialiste des forces populaires (USFP) arrive en tête aux élections législatives. Toutefois, le paysage politique marocain reste bloqué entre trois forces d’importance comparable : l’opposition de gauche, très divisée, le bloc gouvernemental et les petits partis de centre droit, parmi lesquels on note une progression des islamistes modérés. La solution d’une coalition entre le bloc gouvernemental et le centre droit semble la plus évidente, mais nombre d’observateurs prêtent au souverain Hassan II la vo- lonté de pratiquer une expérience de gauche, afin de réconcilier le peuple avec la vie politique. En effet, on déplore une faible participation des électeurs au scrutin, de l’ordre de 58 %. Plus que jamais, le souverain chérifien demeure au centre du système politique marocain. 16 France Mort de Georges Marchais. L’ancien secrétaire du Parti communiste français meurt à Paris à l’âge de soixante-dix-sept ans. Sa jeunesse reste marquée par plusieurs zones d’ombre. Officiellement, alors qu’il n’avait aucune activité politique, il fut envoyé en Allemagne, en 1942, pour travailler dans les usines Messerschmitt, au titre du STO (Service du travail obligatoire). Certains historiens pensent qu’il militait déjà au PC et qu’il se serait fait volontairement envoyer outre-Rhin pour espionner au profit de l’URSS. Après la Libération, il est embauché comme ouvrier dans l’aéronautique à Issy-les-Moulineaux. Il rejoint le Parti en 1947 et devient permanent au début des années 50. En 1956, il entre au Comité central et devient, trois ans plus tard, membre suppléant au bureau politique. En 1961, il occupe le poste clef de secrétaire à l’organisation ; huit ans plus tard, les Soviétiques l’imposent à la direction de fait du Parti dont il devient officiellement le secrétaire général en 1972. Il va alors pratiquer une suite de coups d’accordéon politiques, hésitant entre l’ouverture du PCF aux courants rénovateurs et sa fermeture sur sa tradition stalinienne. En 1972, il signe l’accord de gouvernement PC-PS avec François Mitterrand, dont il appuie la candidature à l’élection présidentielle en 1974. Il rejette ensuite le stalinisme et le principe de la dictature du prolétariat. À l’inverse, en 1977, il rompt avec les courants rénovateurs de l’eurocommunisme et dénonce l’alliance avec le PS, puis approuve, en 1980, l’invasion de l’Afghanistan par les troupes soviétiques. Les années 80 marqueront le déclin de l’ère Marchais et le recul électoral du downloadModeText.vue.download 176 sur 361 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 175 PC. En 1993, Georges Marchais laisse la direction du Parti à Robert Hue. Francophonie Fin du sommet de Hanoï. Le sommet des pays « ayant le français en partage » s’achève dans la capitale vietnamienne sur la nomi- nation à la nouvelle fonction de secrétaire général de l’Égyptien Boutros Boutros-Ghali, âgé de soixantequinze ans. La nomination de cet ancien secrétaire général de l’ONU de 1992 à 1996, qui avait vu son mandat non renouvelé sur demande pressante des États-Unis, est imposée par Jacques Chirac. De nombreux pays africains s’y étaient opposés : ils auraient préféré un candidat issu du continent noir et rejetaient un homme dont le rôle avait été vivement contesté lors de l’intervention de l’ONU dans le conflit somalien. Ils s’indignent aussi de la façon dont le président français a imposé son candidat, au mépris, selon eux, de toute concertation. Pour sa part, le nouveau président du Congo-Kinshasa – deuxième pays francophone du monde –, Laurent-Désiré Kabila, avait boycotté le sommet. Hongrie Référendum favorable à l’adhésion à l’OTAN. Le « oui » l’emporte, avec 85,33 % des suffrages. La participation a été de 49,24 %. Ces résultats constituent un succès pour le Premier ministre Gyula Horn. Ils lui permettent de s’affranchir définitivement de son passé communiste et d’aborder avec confiance les échéances électorales de 1998. Le gouvernement était largement intervenu lors de la campagne référendaire pour expliquer les avantages de l’adhésion à l’organisation militaire occidentale et pour justifier que la Hongrie était le seul des pays pressentis à organiser à ce sujet une consultation électorale. 17 Égypte Carnage a Louxor. 67 personnes, dont 57 touristes étrangers (en majorité suisses), sont tuées à la suite d’un raid terroriste islamiste sur le site de Louxor, devant le temple de Hatshepsout. C’est l’attentat le plus sanglant depuis la reprise des actions islamistes en 1992. Le président Hosni Moubarak limoge aussitôt son ministre de l’Intérieur, marquant ainsi sa volonté de montrer le prix qu’il donne à la sécurité des visiteurs étrangers. Le tourisme constitue la plus grosse ressource en devises du pays. Russie Libération des otages français. 4 militants humanitaires travaillant au Caucase et enlevés au Daghestan depuis le début août sont libérés, officiellement sans qu’aucune rançon n’ait été versée. Beaucoup d’observateurs doutent de cette affirmation, sachant que les Français avaient été enlevés non par des militants indépendantistes mais par de simples bandits locaux. 19 France Création d’une haute autorité des forces de police. Sous la présidence de Lionel Jospin, le Conseil de sécurité intérieure décide de la création d’un Conseil supérieur de la déontologie de la sécurité (CSDS). Cet organisme, qui fera l’objet d’un projet de loi, sera chargé de veiller au respect des règles déontologiques par l’ensemble des forces de sécurité en France (police, gendarmerie, douanes, police administrative, polices privées). Il sera indépendant du ministère de l’Intérieur, composé d’un président nommé par le chef de l’État, de 2 parlementaires et de 3 magistrats ; ses moyens seront étendus ; il pourra être saisi par tout citoyen témoin ou victime d’abus de pouvoir. Il aura le pouvoir d’adresser des recommandations aux administrations et organismes concernés et de faire des remontrances publiques au cas où ces recommandations n’auront pas été suivies d’effet. 20 Russie Revers pour Anatoli Tchoubaïs. Compromis dans le « scandale du livre » (une avance de 450 000 dollars pour un livre qui n’a jamais été rédigé, versée par une maison d’édition contrôlée par la banque Onexim, proche du ministre des Finances), Anatoli Tchoubaïs perd son portefeuille des Finances et voit trois de ses amis politiques quitter le gouverdownloadModeText.vue.download 177 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 176 nement, mais il demeure vice-Premier ministre. La politique libérale de M. Tchoubaïs n’est pas abandonnée pour autant, puisque son successeur, Mikhaïl Zadornov, est également un partisan de la réforme économique et des privatisations. Les ennuis de M. Tchoubaïs ont commencé après qu’il ait obtenu, début novembre, le limogeage du gouvernement du financier Boris Berezovski. Celui-ci a alors braqué les journaux qu’il contrôle centre son rival et contribué à mettre en épingle l’affaire des 450 000 dollars. Même si beaucoup le considèrent comme politiquement fini, Anatoli Tchoubaïs ne disparaît pas, du moins à court terme, du paysage gouvernemental russe. Il continue d’être apprécié par Boris Eltsine pour sa puissance de travail ; par ailleurs, il constitue désormais un excellent « fusible » politique pour le président russe : politiquement affaibli, M. Tchoubaïs peut constituer un excellent bouc émissaire au cas où les prochains résultats économiques, compromis par la crise financière asiatique, s’avéreraient nettement moins bons que prévu. Jusqu’à nouvel ordre, M. Eltsine garde l’équilibre entre deux principaux clans de son gouvernement : celui de M. Tchoubaïs (autour de la banque Onexim) et celui du Premier ministre Viktor Tchernomyrdine (autour du groupe pétrolier Gazprom). UE Sommet sur l’emploi. Les chefs d’État et de gouvernement des Quinze se réunissent à Luxembourg pour discuter des problèmes de l’emploi et des 18 millions de chômeurs que compte l’Union européenne. Ce sommet fait suite à la demande présentée en juin par le gouvernement français de chercher les moyens de coordonner les politiques des différents pays en ce domaine afin d’obtenir une réduction en cinq ans du taux de chômage moyen en Europe à 7 % (12 millions d’emplois à créer). Le texte présenté par le gouvernement luxembourgeois constitue un compromis entre l’approche socialiste et étatiste du gouvernement français et l’option plus libérale des gouvernements conservateurs allemand et espagnol. Il propose une réduction des charges pesant sur le travail, l’offre d’une formation de réinsertion à tout chômeur avant qu’il n’ait été douze mois au chômage (six mois pour les jeunes), le développement de la formation permanente. Propre à rassurer les dirigeants allemands, ce texte fait la part belle aux thèses des nouveaux travaillistes de Tony Blair : il insiste sur la notion d’« employabilité », qui signifie que la lutte contre le chômage passe par des mesures concernant directement les chômeurs plutôt que par des mesures d’aide générale édictée par l’État ; il insiste pour que le dialogue social s’opère prioritairement au niveau des secteurs d’activité et des entreprises plutôt qu’au niveau interprofessionnel et national. À l’occasion de ce sommet, Jacques Chirac critique le projet du gouvernement sur les 35 heures en fustigeant les « expérimentations hasardeuses » en matière de création d’emploi. Dans les deux jours qui suivent, Lionel Jospin réplique en reprochant au Président de se livrer depuis l’étranger à des commentaires sur la politique intérieure française et il ironise sur l’« expérimentation hasardeuse » en matière politique que constitua, en avril, la dissolution de l’Assemblée nationale. Luttes de pouvoir e n Russie De la « garde » rapprochée qui avait permis à Boris Eltsine d’être réélu en 1996, le général Lebed avait été le premier remercié. Le retour aux affaires d’Anatoli Tchoubaïs et de Boris Nemtsov en mars 1997 a été fatal à Boris Berezovski. Le plus étonnant reste que le Premier ministre Viktor Tchernomyrdine ait réussi à surnager dans le marécage de la politique russe. L’éternel fusible du chef de l’État pourrait jouer le premier rôle si la rechute de ce dernier se révélait grave. En Russie, l’idée que les médias déterminent les votes est largement partagée. Depuis la spectaculaire remontée de Boris Eltsine dans les sondages avant sa réélection en 1996, le contrôle des médias a occupé la poignée d’oligarques qui se disputent les premiers rôles. Le Premier ministre Viktor Tchernomyrdine, régulièrement épingle par les médias en raison de son élocution primaire, de ses manières d’apparatchik ou de l’incroyable sous-évaluation de sa déclaration de revenus, l’a finalement compris. C’est ainsi que l’on a pu le voir très à son aise, interrogé par un journaliste pour le moins conciliant sur la chaîne privée NTV, dont Gazprom, le monopole gazier géant proche du Premier ministre, possède 30 % des parts. Ses deux rivaux, les réformateurs Boris Nemtsov (vice-Premier ministre, depuis mars 1997) et Anatoli Tchoubaïs (vice-Premier ministre et ministre des Finances, depuis mars 1997), se sont eux aussi assuré de downloadModeText.vue.download 178 sur 361 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 177 la docilité de nombreux médias en achetant journaux et chaînes de télévision. Quant à Boris Berezovski, numéro deux du Conseil national de sécurité, présenté dans la presse occidentale comme un « puissant homme d’affaires », c’est peu d’écrire qu’il dispose depuis longtemps de relais médiatiques influents. Mais au bout du compte, chacun disposant de moyens similaires, il est apparu plus important d’avoir l’accès direct à B. Eltsine plutôt qu’aux organes de presse. Exit Boris Berezovski C’est au cours du printemps que les réformateurs se sont mis en tête d’obtenir la « tête » du numéro deux du Conseil national de sécurité. B. Berezovski et Anatoli Tchoubaïs, le « père des réformes », que l’on avait connus complices sans état d’âme un an plus tôt quand il s’était agi d’as- surer la réélection de B. Eltsine, ont commencé à vouloir jouer l’un contre l’autre dès la reprise des grandes privatisations. L’heure des réalignements politiques avait sonné. Deux empires financiers et médiatiques, ceux de B. Berezovski et de Vladimir Goussinski, ont alors choisi de s’allier avec V. Tchernomyrdine, contre leur grand rival Onexim, premier groupe « privé » du pays. A. Tchoubaïs se rangeait au côté d’Onexim. L’enjeu de l’affrontement : le rachat de sociétés pétrolières, comme Rosneft. Alors que le ministre des Finances prenait langue avec British Petroleum, B. Berezovski approchait Gazprom et le pétrolier russe Loukoïl. Le 5 novembre, B. Berezovski intervenait devant ses médias pour se faire l’avocat du capitalisme russe « prêt à investir à long terme dans le pays » face à la « menace que représentent, à cette étape initiale, des capitaux spéculatifs étrangers ». En s’attribuant ainsi le rôle du « chevalier blanc », B. Berezovski a sans doute tenté de faire oublier qu’il a bâti sa fortune en précipitant la ruine du premier constructeur automobile russe Avtovaz et en plaçant en Suisse une part non négligeable des revenus de la compagnie nationale Aeroflot. Ses adversaires n’auront pas manqué de lui rappeler que le magazine américain Forbes l’a un jour qualifié de « parrain » de la mafia russe. Le jour même où il défendait au nom d’un nationalisme moralisateur l’alliance de son groupe avec Gazprom, B. Berezovski apprenait qu’il était limogé par B. Eltsine, lequel avait fini par céder aux conseils désintéressés des deux vice-Premiers ministres. Son renvoi était présenté comme une opération de moralisation de l’État par B. Nemtsov : « On ne peut mêler activités commerciales et service public. » Mais, plus que le limogeage d’une personnalité de la politique, les deux réformateurs ont parallèlement obtenu du chef de l’État qu’il signe un oukaze plus décisif pour l’avenir de la Russie : désormais, un décret autorise les étrangers à « participer à 100 % » (et non plus à hauteur de 15 % du capital) aux privatisations des sociétés pétrolières russes. L’étonnante santé de Tchernomyrdine C’est moins le limogeage du numéro deux du Conseil national de sécurité qui a surpris les Russes que sa date bien tardive. Quant à savoir pourquoi B. Eltsine ne s’est pas décidé plus tôt à se séparer de cet encombrant collaborateur, on ne peut avancer que des hypothèses. Retenons celle-ci. Il pourrait s’agir d’un nouvel avatar de sa tactique habituelle d’équilibre des pouvoirs : considérant que la lutte entre les clans Tchernomyrdine-Berezovski et Tchoubaïs-Nemtsov pre- nait un tour trop intense aux yeux de l’opinion publique, B. Eltsine devait trancher. Il ne pouvait pas sacrifier A. Tchoubaïs après la promotion de V. Tchernomyrdine lors de la crise parlementaire d’octobre sans donner trop de poids au Premier ministre. En limogeant B. Berezovski, le chef de l’État aurait donc rétabli l’équilibre à son avantage. Quoi qu’il en soit, l’annonce le 12 décembre de « l’infection respiratoire virale aiguë » dont souffrait B. Eltsine a de nouveau ramené V. Tchernomyrdine, auquel échoit l’intérim en cas d’incapacité du président, sur le devant de la scène. Les grands clans financiers ont paru se résigner à accepter le jeu constitutionnel. Mais si la « convalescence » du président devait se prolonger, la Russie pourrait entrer de nouveau dans une période de troubles et les rivalités entre prétendants au rôle d’héritier auront toute latitude de s’exacerber, avec l’opposition comme masse de manoeuvre. Certes, les temps ont changé depuis 1993, quand les haines poussaient les uns à attaquer le siège de la télévision, les autres à bombarder le Parlement. Il reste que la pacification de la vie politique est étroitement liée à la Constitution, c’est-à-dire au président. P. F. Le vide du pouvoir La Constitution russe du 12 octobre 1993 instituant un régime présidentiel fort est une arme à double tranchant pour Boris Eltsine. Lorsqu’il exerce pleinement ses pouvoirs downloadModeText.vue.download 179 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 178 très étendus, le chef de l’État, au-dessus des mêlées parlementaires et des affaires de corruption, assure une continuité de l’État. Mais, lorsque la maladie le tient éloigné des affaires et de la scène politique, l’arme se retourne contre lui. C’est ainsi que des quatre coins de l’échiquier politique montent des voix réclamant une révision de la Constitution visant à rééquilibrer les pouvoirs entre le président, le gouvernement, les Cours suprême et constitutionnelle et les deux chambres du Parlement. 21 Japon Chute du quatrième courtier national. Fondée il y a un siècle, employant près de 7 500 per- sonnes, la maison de titres Yamaichi, l’un des plus prestigieux organismes financiers du pays, gérant plus de 1 200 milliards de placements, est acculée à la faillite. Elle est la troisième maison de ce type à se retrouver dans cette situation en un seul mois. Cette déconfiture est la conséquence à la fois des langueurs de l’économie nipponne (victime de la spéculation boursière et immobilière) et de la volonté gouvernementale d’assainir le secteur financier en proscrivant les aides bancaires aux organismes défaillants. Les financiers internationaux s’inquiètent car ils savent que le Japon est le plus gros créancier du monde, qui a prêté beaucoup d’argent à ses voisins asiatiques comme aux États-Unis. Une brutale crise de liquidités à l’intérieur de l’archipel pourrait conduire les banques japonaises à réclamer le remboursement de leurs prêts, ce qui aurait pour conséquence immédiate de dérégler en profondeur l’ensemble du système des paiements internationaux. Profitant de la situation, les autorités de Washington s’empressent de recommander à Tokyo de pratiquer une profonde transformation de l’économie japonaise pour la rapprocher du modèle américain. France Congrès du Parti socialiste. La grande majorité des délégués approuvent la motion présentée par les amis de Lionel Jospin et confirment son remplacement à la tête du parti par François Hollande. 25 France Mort de Barbara. La chanteuse meurt à Neuilly à l’âge de soixantesept ans. Elle avait commencé sa carrière à la fin des années 40, encouragée par le compositeur Jean Wiener. Après un séjour de deux ans à Bruxelles, elle se produit au cabaret L’Écluse à Paris, où elle chante des chansons de Léo Ferré, Mac Orlan et Brassens. Elle enregistre son premier disque en 1958 et sort sa première chanson trois ans plus tard, « Dis, quand reviendras-tu ? ». Elle impose alors plusieurs succès comme « Pierre », « Göttingen », « Ma plus belle histoire d’amour, c’est vous », « Moi, j’m’balance ». En 1970, elle connaît un immense succès avec « l’Aigle noir », une chanson marquée par des arrangements musicaux complexes. Elle est désormais suivie par un public nombreux et fervent qui se presse à ses tours de chant à Bobino, à l’Olympia, au Châtelet, à Pantin et à Mogador. Dans les années 80, elle s’engage en faveur de François Mitterrand et milite activement contre le sida en créant la chanson « Sid’amour à mort ». Elle donne son dernier récital en 1993 et enregistre son treizième et dernier album, Barbara, en 1996. Inde Démission du gouvernement. La coalition de centre gauche, dite « de Front uni », au pouvoir depuis sept mois, est contrainte à la démission après que le parti du Congrès a fait savoir qu’il lui retirait sa confiance. La crise est née après la publication d’un rapport sur l’assassinat en 1991 du Premier ministre de l’époque, Rajiv Gandhi. La Chambre reste divisée en trois groupes d’importance comparable : les nationalistes hindous du BJP et leurs alliés (193 sièges), la coalition de Front uni (177 sièges) et le parti du Congrès (144 sièges). Les observateurs s’inquiètent de cette nouvelle crise (la troisième en dixhuit ans) et de l’éventuelle dissolution qui pourrait en découler : ils redoutent une nouvelle progression du parti extrémiste BJP, alors que l’opinion semble regretter le départ du Premier ministre Inder Kumar Gujral, un homme de soixante-quinze ans, qui avait su s’imposer pour sa volonté de paix, notamment avec le voisin pakistanais (pays dont il est lui-même issu). downloadModeText.vue.download 180 sur 361 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 179 26 Iran Luttes politiques au sommet. Le « guide spirituel de la République islamique », l’ayatollah Ali Khamenei, accuse l’ayatollah Hossein Ali Montazeri de « trahison ». La veille, celui-ci avait remis en cause le principe du velayat e faquih, c’est-à-dire la suprématie du guide spirituel par rapport à toutes les autres autorités politiques et administratives. Cette querelle politico-théologique prend tout son sens quelques mois après l’élection à la tète de l’État, à une très large majorité, d’un candidat connu pour son libéralisme, le religieux moderniste Mohamad Khatami. Curieusement, celui-ci prend parti pour le guide spirituel, mais les observateurs expliquent cette prise de position par le souci de M. Khatami de donner la priorité à la reconnaissance du respect du droit dans les moeurs, abandonnant provisoirement le front politique aux forces conservatrices. 27 France Autorisation du maïs transgénique. Le gouvernement autorise la culture en France du maïs transgénique, c’est-à-dire d’un maïs qui produit artificiellement une protéine supplémentaire lui permettant d’avoir certaines caractéristiques résistance aux herbicides, à certains parasites, etc. Les enquêtes scientifiques commandées par le gouvernement concluent à l’innocuité de cette plante. Toutefois, certains s’inquiètent de conséquences possibles à long terme sur la santé humaine. C’est pourquoi les autorités prescrivent un étiquetage visible sur les emballages prévenant le consommateur qu’il s’agit d’une plante génétiquement modifiée. Par ailleurs, le gouvernement n’autorise pas, dans l’immédiat, la culture de colza et de betterave transgéniques. 29 Tennis Succès suédois à la Coupe Davis. Par 5 victoires à 0 face aux États-Unis, la Suède remporte la sixième Coupe Davis de son histoire. 30 Italie Succès de la coalition de centre gauche aux élections locales. Après avoir vu la réélection facile de ses candidats à Rome, Venise et Naples dès le premier tour, le 16 novembre, la coalition au pouvoir confirme son succès au deuxième tour : à l’exception de Milan, elle contrôle la plupart des grandes villes de la péninsule. Proche-Orient Nouveau plan israélien pour la Cisjordanie. Le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, présente un nouveau plan de retrait des forces israéliennes de Cisjordanie. Contredisant l’accord du 15 janvier – dit « accord d’Hébron », qui prévoyait un redéploiement significatif des troupes israéliennes en trois étapes entre le printemps 1997 et le printemps 1998 –, le plan Netanyahou propose un retrait unique sur une portion très limitée du territoire, estimée à environ 6 % du total. L’Autorité palestinienne rejette ce plan qualifié de « manoeuvre minable », destinée à calmer les autorités de Washington irritées par l’intransigeance du gouvernement hébreu. République tchèque Démission du gouvernement. Mis en cause dans une affaire de financement occulte de sa formation, le Parti démocratique civique (ODS, conservateur libéral), le Premier ministre depuis 1992, Vaclav Klaus, démissionne, entraînant la chute de son gouvernement. Malgré sa volonté de constituer rapidement un nouveau gouvernement, le président de la République, Vaclav Havel*, est contraint d’accepter d’attendre la réunion en décembre du prochain congrès extraordinaire de l’ODS, afin que celui-ci entérine le principe d’une participation du parti à une nouvelle coalition gouvernementale. Gastronomie La diététique américaine admet désormais qu’en Europe on se porte bien en mangeant des plats élaborés et en buvant du vin. Les vertus de la cuisine méditerranéenne, qui privilégie le poisson, l’huile d’olive, les légumes et les plantes arodownloadModeText.vue.download 181 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 180 matiques, viennent d’être reconnues. Le régime crétois a même été retenu comme un modèle de comportement alimentaire. La conservation La conservation attentive et passionnée du savoir-faire, le goût préservé des produits de tradition, le maintien des liens entre fête et consommation alimentaire ont favorisé la constitution d’un véritable patrimoine culinaire participant à l’identité culturelle. La bouillabaisse et la bourride sont des recettes achevées : à Marseille, la cuisson des poissons dure exactement dix-huit minutes. Très diverses à l’origine, ces soupes de pêcheurs admettent des variantes – à Martigues, on introduit des calmars, et à Toulon, on ajoute la pomme de terre –, mais ne tolèrent aucune fantaisie. Au contraire, les supions (seiches), les pouprious (poulpes) et les calmars appellent de nombreuses préparations locales. À partir des ressources de la mer, des artisans élaborent aussi des produits qui mériteraient d’enrichir un musée de la gastronomie au lieu de susciter des tentatives de réglementation européenne tatillonne. Martigues prépare encore la poutargue, composée d’oeufs de mulets salés et séchés, ou les mélets, petits anchois salés, poivrés, mêlés de fenouil et transformés en pâte. Entre Antibes et Menton, les alevins de sardines et de nonnats sont transformés en poutine, qui donne du goût aux soupes et aux omelettes. À Nice et à Antibes, la purée de sardines, le pissalat, relève le goût des légumes et des salades et donne son nom à la pissaladière. Dans les collines et les montagnes de l’arrière-pays, on reste fidèle au mouton et à l’agneau, élevés sur les espaces laissés libres par la polyculture, qui fournissent aussi les champignons, sanguins ou cèpes, les truffes, le miel et les plantes aromatiques de la garrigue. Au coeur des terroirs, la culture de l’olivier et de la vigne est stimulée par la politique de qualité qui se marque par l’intérêt porté à l’appellation contrôlée, attribuée, entre autres, à l’olive noire et à l’huile de Nyons. Céréales et légumineuses ont disparu, mais la fougasse et les compositions à base de pois chiches, sous forme de beignets, comme les panisses, ou de crêpes, comme la socca, perpétuent les habitudes alimentaires d’une époque où l’on consommait ce que l’on produisait. L’illustration L’illustration de l’attachement aux produits naturels d’origine locale, aux tours de main des maîtresses de maison et des artisans et même à un genre de vie est fournie chaque jour, sur les marchés, dans les épiceries immuables de Pinto, à Montpellier, ou de Bataille, à Marseille, dans les confiseries, Richaud, à Apt, ou Auer, à Nice, sous les voûtes où mûrit l’authentique charcuterie corse, dans les cabanons des calanques ou dans les cantines comme La Merenda, à Nice, dont le cadre modeste n’a pas rebuté Le Stanc, le chef à deux étoiles qui a abandonné le restaurant du Negresco pour cette auberge de quartier. Les menus des restaurants honorent partout la tradition, tout en proposant les multiples variantes laissées par des époques où l’on circulait peu. L’Escale, à Carry-le-Rouet, prépare toujours la soupe de poissons de roche, et Suzanne Quaglio, chez Patalain, à Marseille, la soupe de favouilles, de petits crabes verts aux pâtes percées. L’anchoïade conserve partout des amateurs ; l’anchois est présenté aussi, à Collioure, avec une composée d’oignons, de poivrons et de courgettes, ou, par Franck Cerutti, à Nice et à Monte-Carlo, en tarte fine avec poivrons à l’huile, câpres et olives. Les sardines sont farcies d’épinards selon la tradition. Le rouget est rôti sur canapé de courgettes ; grillé, parfois avec tomates à l’origan ; poêlé, avec des panisses ou avec un flan de courgettes et d’aubergines ; pressé, aux poivrons et tomates confites, fricassée à l’estragon ; ou même couché sur une tarte fine avec une ratatouille croquante. Comme par le passé, le mouton et l’agneau ins- pirent les plats de viande les plus appréciés. La selle d’agneau de Sisteron rôtie est accompagnée d’un ragoût d’artichauts violets au Chantecler de Nice, d’une purée de pois chiches au cumin à La Mirande d’Avignon. Le gigot est traité à l’ail en casserole, en croûte, aux Baux, à l’Oustaù de Baumanière, et même en daube. L’art de la table, soigneusement préservé, fait l’objet d’investigations attentives, amorcées par Morard et par Reboul à la fin du siècle dernier. Guy Gedda, patron du Jardin des Perlefleurs, à Bormesles-Mimosas – qui vient de fermer – est, à notre époque, l’exemple même de ces chefs curieux, qui ont rassemblé les éléments d’un véritable corpus gastronomique. L’innovation constitue la troisième force de la cuisine méditerranéenne. downloadModeText.vue.download 182 sur 361 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 181 L’innovation La richesse de son patrimoine, patiemment accumulé, est telle qu’elle aspire les chefs étoiles attirés par la Côte d’Azur et les contraint à renouveler sans trahir. Aussi, nul ne s’étonne que Maximin, maintenant installé à Vence, vienne du Nord, que Chibois soit Limousin, Tarridec, un Breton ancré à Saint-Tropez, et Ducasse, d’origine landaise. Dans une ambiance qui pousse au perfectionnisme, le talent créateur de jeunes chefs d’origine locale est stimulé, si bien que Ducasse, prenant la succession de Robuchon, à Paris, n’hésite pas à confier le Louis XV de MonteCarlo au Niçois Franck Cerutti. L’émulation née de ces contacts suscite le renouvellement. Inspiré par les pieds et parquets, René Alloin, à Marseille, propose un feuilleté de pieds de mouton au basilic et aux anchois. Au Clos de la Violette, à Aix, Banzo traite le chapon (la rascasse de fond) sous la forme d’une saucisse de ménage, avec pommes boulangère, tomates et rouille. Les frères Pourcel, au Jardin des Sens, à Montpellier, affinent les encornets farcis avec une fine ratatouille aux langoustines et leur jus en vinaigrette de soja. Épris de simplicité, Ducasse réunit des légumes de l’été, fenouil, oignons, courgettes, tomates, artichauts violets et des champignons, les traite à l’huile d’olive, à l’ail, au vin blanc, au jus de citron et au vinaigre de Xérès et compose une grecque présentée glacée. Au Louis XV, il prépare le loup en pavés croustillants, dispose des panisses chaudes sur le poisson, qu’il parsème de basilic frit, et assortit le tout avec des tomates confites aux olives. Ainsi, des chefs in- ventifs, suscitant l’intérêt des meilleurs fournisseurs, prospectant une aire d’influence étendue, réussissent à exalter des produits qui figurent depuis toujours dans les compositions culinaires et à combler de plaisir les exigeants pèlerins de la gastronomie. GEORGES GRELOU Jacques Chibois Cuisinier de l’année pour Gault-Millau, élu par ses pairs chef de l’année 1997, couronné de trois toques et de deux étoiles, Jacques Chibois dispose désormais du cadre qu’il désirait pour mettre en valeur l’épanouissement de son talent : il vient de s’installer à Grasse, parmi les oliviers, dans une belle demeure du XVIIIe siècle, la Bastide SaintAntoine. Limousin d’origine, Chibois s’est aisément adapté à la cuisine méridionale, comme en témoignent ses grosses crevettes en chiffonnade de mesclun ou son pageot à l’huile d’olive, jus de fenouil à l’oignon nouveau. Mais son intervention enrichit ou épure. La rentrée à la télévision Chaque rentrée donne l’occasion à la télévision de s’apparenter un peu plus à l’univers du football en fin de saison. La rubrique des transferts prime désormais sur les grilles, les programmes, les nouveautés. Si, en 1996, le va-et-vient des animateurs-producteurs et, à la clef, les chiffres de leurs contrats avaient fait les gros titres, la concurrence s’est jouée cette année autour de l’information. Un jeu de chaises musicales dont le grand perdant fut Bruno Masure, présentateur préféré des téléspectateurs mais écarté du journal de 20 heures de France 2. Son remplacement ne semble cependant pas en mesure d’éviter la spectaculaire évasion de téléspectateurs : selon un sondage Médiamétrie publié en mai, 1,3 million d’entre eux manquaient à l’appel des grandes chaînes généralistes par rapport à 1996. La valse des stars de l’information La « quête de sens » annoncée l’an dernier sur TF1, formule qui avait fait sourire, se seraitelle enfin manifestée ? Lagaf’, Morandini, Pradel, Bouvard et Dorothée, anciens piliers de la chaîne, ont disparu de la grille, qui s’est ouverte pour Michel Field. Le transfert le plus inattendu de la saison. L’ancien prof de philo dont l’image de trublion intellectuel collait assez bien à Canal Plus s’est vu offrir carte blanche et tapis rouge pour succéder avec « Public » au « 7/7 » de Anne Sainclair, devenue directrice générale adjointe de l’antenne. Des débuts mitigés pour Michel Field avec des audiences moyennes de 22 %, loin des 26 % enregistrés par l’épouse du ministre des Finances (après une émission orageuse avec François Léotard, l’audience de l’émission remontera spectaculairement). Sur France 2, l’arrivée d’Albert Du Roy, ancien éditorialiste de l’Événement du Jeudi, marquait la priorité annoncée de renouveler l’information et de redynamiser un journal de 20 heures downloadModeText.vue.download 183 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 182 qui, depuis 1996, a perdu 500 000 téléspectateurs. Le nouveau projet rédactionnel prévoyait donc des journaux moins suivistes par rapport à TF1, moins « populistes » avec un présentateur s’effaçant davantage devant les spécialistes de la rédaction ou des consultants extérieurs. Quelle ne fut pas la surprise lorsque la chaîne annonça mi-septembre que Bruno Masure, présentateur le plus apprécié du public, était écarté du journal du soir au profit de Béatrice Schönberg, transfuge de... TF1. Une éviction difficilement compréhensible et largement commentée par le premier intéressé, « profondément amer ». Pour sa part, la direction de la chaîne publique se borna à « assumer cette décision ». Que reprochait-on à Masure ? Une certaine usure après treize années de journal ? Une trop grande indépendance d’esprit ? Un humour et une décontraction de dandy ? Ces questions demeurèrent sans réponse même si les deux derniers « reproches » avaient plutôt tendance à séduire les Français. Dans le même registre et sans plus d’explications, Henri Sannier, dont le journal de la nuit sur France 3 obtenait d’excellents résultats, fut lui aussi débarqué et recasé à la présentation de « Tout le sport » bien que, de son propre aveu, il ne connaisse pas grand-chose aux joutes sportives... Toujours au chapitre de l’information dans le service public, retour de Paul Amar avec « D’un monde à l’autre » sur France 2 et arrivée sur France 3 de Patrick de Carolis, ex-directeur de l’information de M6 dont la mission est de coordonner l’ensemble des magazines de cette chaîne. Un transfert qui déboucha immédiatement sur une remise en cause de la périodicité hebdomadaire de « La marche du siècle ». Au terme d’un psychodrame comme sait en générer l’audiovisuel, une solution de compromis aboutit à un rythme bi-mensuel pour l’émission de Jean-Marie Cavada en alternance avec d’autres magazines. Alternance en douceur par contre sur Canal Plus où Guillaume Durand succéda à Philippe Gildas dans le fauteuil d’un « Nulle Part Ailleurs » plus ouvert sur l’actualité. De son côté, Gildas a pris la place de Michel Field pour présenter « L’hebdo » rebaptisé « Le grand forum », et Jérôme Bonaldi reprend à son compte « La grande famille » devenue « Tout va bien ». La chaîne cryptée continue à naviguer loin des tempêtes médiatiques. Où sont passés les téléspectateurs perdus ? Vent de panique au printemps chez les annonceurs. En France, mais aussi en Espagne, en Italie, au Portugal et au Royaume-Uni, des millions de téléspectateurs manquaient à l’appel. Disparus. Volatilisés. Chez nous, la baisse d’audience était évaluée à – 2,8 %, soit 1,3 million de personnes « petits consommateurs de télé issus de deux catégories très précises, les 15/24 ans et les socioprofessionnels élevés », désormais attirées vers d’autres loisirs... ou d’autres chaînes. En vrac, on accusa la météo particulièrement clémente puis le câble ou le satellite. Le succès des « bouquets numériques » lancés par Canal Plus, TF1 ou AB Production, le raz de marée sur le décodeur numérique de La Lyonnaise Câble (90 000 vendus fin 1997 alors qu’elle tablait sur 100 000 fin 1998) démontrent qu’un certain nombre de téléspectateurs avertis ne se contentent plus de la seule offre généraliste. Lassés du peu d’audace des programmes, les rediffusions de films archiconnus, ils se tournent vers d’autres offres, mais se montrent à nouveau fidèles lorsque les chaînes généralistes savent prendre des risques. En témoignent les succès des séries « Urgences » et « PJ » diffusées en prime time par France 2 (26 % et 23,3 % d’audience) ou « Les filles du maître de chai » sur France 3 (23,2 %). Résultats inquiétants, pour ne pas dire catastrophiques, en revanche des animateurs-producteurs. Avec « Du fer dans les épinards », Christophe Dechavanne sur France 2 est, au début, devancé par la série « Hollywood Night » de TF1 où Nagui a dû rapidement arrêter les frais de « Tous en jeu » pour être remplacé, là encore, par une série américaine. Quant à Jean-Luc Delarue, son double talk-show « C’est l’heure » / « C’est toujours l’heure » fut « reformaté » autour du jeu « Qui est qui ? » et de la série à succès « Friends » puis carrément raccourci, sans pour autant retrouver l’audience réalisée auparavant sur France 2 par Michel Drucker. À la même heure, le 19/20 de France 3 continue de crever les plafonds (36,9 %). Une rentrée télévisée serait incomplète sans un scandale. Il est venu d’où on l’attendait le moins, de l’increvable « Intervilles » avec les accusations de tricherie portées par le Canard enchaîné contre un des animateurs, Olivier Chiabodo, suspecté d’avoir, par des gestes, favorisé la victoire du Puy-du-Fou en finale de ce jeu inscrit au patrimoine audiovisuel. Licencié sur-le-champ par downloadModeText.vue.download 184 sur 361 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 183 TF1, l’animateur, la chaîne et les gagnants ont porté l’affaire devant la justice qui s’est déclarée... incompétente. Quelques semaines plus tôt, la première chaîne avait été secouée par le départ de Corinne Bouygues, directrice générale de TF1 Publicité. En conflit avec Patrick Le Lay, P-DG de TF1, la fille du fondateur du groupe a préféré claquer la porte. Depuis 1993, TF1 a perdu six points d’audience, passant de 41 % à 35,4 %, une baisse répercutée sur les recettes publicitaires. L’abandon d’un certain nombre d’émissions bas de gamme mais fortes en audience aurait donc envenimé un conflit latent entre la responsable de la régie publicitaire et la direction de la chaîne. Le prix de la quête de sens... MICHEL EMBARECK Presse écrite : le point vendu Mis officiellement en vente mi-juin par Jean-Marie Messier, P-DG de la Générale des eaux, actionnaire de référence d’Havas, dans le cadre de la restructuration du groupe vers l’audiovisuel, le Point a été vendu en octobre au financier François Pinault. Ami personnel du président Jacques Chirac, cet homme possède des enseignes comme la Redoute, les magasins du Printemps, Prisunic, Conforama et la FNAC. Par contre, le groupe Havas a renoncé à céder l’Express. Une décision intervenue au terme d’un long suspense et qui a été interprétée comme un match nul politique. En effet, l’Élysée était favorable à l’offre de reprise présentée par le groupe Dassault alors que Matignon préférait celle du quotidien le Monde. Enfin, outre la suppression de l’abattement fiscal de 30 % des journalistes, les députés ont voté une taxe sur le hors-média (journaux gratuits, prospectus publicitaires, catalogues, etc.), qui devrait rapporter entre 300 et 400 millions de francs au bénéfice de la presse quotidienne nationale et régionale ainsi qu’aux hebdomadaires régionaux. Radios : RTL toujours leader Si les stations généralistes ont continué à perdre du terrain face aux programmes musicaux nationaux, RTL demeure toutefois en tête des sondages avec 17,9 points d’audience cumulée. NRJ se place à la deuxième place avec 11,4 % alors que l’érosion de France-Inter se confirme 110,8 % et une perte de 325 000 fidèles). Malgré leurs nouvelles grilles, Europe 1 (8,6 % stable) et RMC (3,3 %) ne redécollent pas. downloadModeText.vue.download 185 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 184 DÉCEMBRE 1 Espagne Condamnation de dirigeants politiques basques. Dix-neuf dirigeants d’Herri Batasuna (HB, vitrine politique de l’organisation indépendantiste basque ETA) sont condamnés à sept ans de prison pour « collaboration à une bande armée ». Ce verdict sévère portant sur des responsables politiques, dont plusieurs sont des élus, fait suite à la vague d’indignation qui avait parcouru l’Espagne après l’assassinat, en juillet, d’un jeune élu municipal par les terroristes basques. Les observateurs s’interrogent sur la question de savoir si ces condamnations auront pour effet de marginaliser HB (qui représente 13 % des voix au Pays basque) ou de le forcer à rompre avec la lutte armée. (chrono. 11/12) France Adoption à l’Assemblée nationale de la loi sur la nationalité. Par 267 voix contre 247 (24 communistes et 5 Verts s’étant abstenus), le projet de réforme du Code de la nationalité présenté par le garde des Sceaux, Élisabeth Guigou, est adopté en première lecture par les députés. Il prévoit l’acquisition de plein droit de la nationalité française à l’âge de 18 ans pour tout enfant né en France de parents étrangers, sous la condition d’au moins cinq ans de résidence. Qualifié d’« inutile et nuisible » par Jean-Louis Debré, président du groupe RPR, le projet revient sur l’obligation, prévue par la loi Méhaignerie en 1993, qui instaurait l’obligation pour tout jeune né en France de parents étrangers de déclarer formellement sa volonté de devenir français entre 16 et 21 ans. La réforme Guigou ne revient cependant pas à la situation d’avant 1993 – régime de la loi de 1889 –, nettement plus libérale. Elle prévoit toutefois la possibilité pour les jeunes d’au moins 13 ans de demander, avec l’accord de leurs parents, la naturalisation, ce qui devrait permettre de résoudre un certain nombre de problèmes pratiques, notamment pour les voyages ou les colonies de vacances à l’étranger. Jazz Mort de Stéphane Grappelli. Le violoniste français meurt à quatre-vingt neuf ans. Fils d’un immigré italien, il commence par se produire dans les cinémas muets puis intègre un groupe de swing et découvre alors le jazz. Dans les années 30, il fonde le Hot Club de France avec le guitariste Django Reinhardt. Ils inventent alors un style musical sautillant, incroyablement gai et rythmé, qui fait le tour du monde. Des morceaux comme Minor Swing ou Nuages marqueront des générations de musiciens et de mélomanes. Après la guerre, Grappelli joue avec tous les plus grands instrumentistes de jazz et de classique, interprétant des duos fameux avec Yehudi Menuhin. Après lui, toute une lignée de violonistes français, parmi lesquels Jean-Luc Ponty et Didier Lockwood, suivra son exemple. 2 Grande-Bretagne Conférence sur l’or nazi. Réunissant les représentants de 42 pays et le Congrès juif mondial (CJM), la conférence de Londres a pour objet la restitution aux victimes spoliées encore vi- vantes du reliquat – soit 5,5 tonnes – de l’or confisqué aux Juifs par les nazis. Les participants s’accordent pour décider de cette restitution dans un très court délai par les trois principaux pays concernés, à savoir les États-Unis, la France et la Grande-Bretagne, qui possèdent les plus gros stocks de l’or confisqué. Des oppositions se font jour cependant sur les modalités de cette restitution : les Français privilégient une solution nationale et graduelle, tandis que les Américains et les Anglais souhaitent une restitution rapide par l’intermédiaire d’un fonds international créé à cet effet. La Suisse et le Vatican sont mis en cause par le CJM, qui souhaite que les autorités helvétiques contribuent pour un montant de 3 milliards de dollars au fonds d’indemnisation. La conférence aborde downloadModeText.vue.download 186 sur 361 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 185 également les questions relatives à la restitution des objets d’art et à l’indemnisation des Tsiganes. Pakistan Démission du chef de l’État. Farouk Leghari est contraint de quitter son poste après que l’armée a tranché en sa défaveur dans le conflit qui l’opposait depuis plusieurs mois au nouveau Premier ministre Nawaz Sharif. Ancien proche de Benazir Buttho (qu’il avait cependant poussée à la démission pour « corruption » en novembre 1996), M. Leghari s’était très vite opposé à Nawaz Sharif. Celui-ci, conforté par une très nette victoire aux élections de février, avait aussitôt cherché à diminuer les prérogatives du chef de l’État en faisant adopter un amendement constitutionnel privant ce dernier de la possibilité de dissoudre le Parlement. Le conflit avait rebondi ces dernières semaines quand M. Leghari avait menacé de poursuivre en justice M. Sharif pour outrage à magistrat. L’armée a finalement tranché, donnant sa préférence à un Premier ministre récemment élu avec une confortable avance. Pour raisonnable qu’il soit, ce choix témoigne une nouvelle fois du poids de l’armée dans le système politique et, donc, de la fragilité de la démocratie pakistanaise. 3 Corée du Sud Plan de sauvetage international. 57 milliards de dollars vont être débloqués par les États – dont, pour la première fois en Asie pour ce type d’opération, ceux de l’Union européenne – et les institutions financières internationales pour venir en aide à Séoul. C’est le plan le plus important jamais coordonné par le Fonds monétaire international (FMI), qui y contribuera, pour sa part, à hauteur de 21 milliards. Pour mémoire, le Mexique avait bénéficié, début 1995, d’un plan se montant à 50 milliards de dollars. Le plan sud-coréen prévoit : la réorganisation des conglomérats familiaux (Chaebols, Samsung, Hyundai, LG, Daewo, Sunkyong), privilégiant une plus grande recherche de la rentabilité au détriment de la seule recherche des parts de marché, la fin des collusions entre groupes, l’abandon des activités sans rapport avec leur métier principal et l’ouverture de leur capital ; la restructuration du secteur bancaire, pléthorique et routinier ; l’introduction d’une plus grande flexibilité sur le marché du travail avec l’introduction, en parallèle, d’un système de protection sociale. (chrono. 18/12) 4 Canada Signature du traité sur les mines antipersonnel. 120 pays, dont la France, signent le traité d’interdiction sur les mines antipersonnel, dit « traité Diana », par référence à la campagne de sensibilisation qu’avait menée en ce domaine la défunte princesse de Galles. Une trentaine de pays, dont la Chine, les États-Unis et la Russie, ont refusé de parapher le traité, sous la pression des fabricants de ce type d’armement. En marge de ce traité, un vaste effort a été demandé à l’ensemble de la communauté internationale pour éliminer la centaine de millions de ces mines installées à travers le monde. 5 France Jacques Chirac et le devoir de mémoire. Invite au Mémorial du martyr juif inconnu à Paris, le président de la République rappelle que « la France de l’Occupation a existé » et que « les arrestations, les rafles, les convois ont été organisés avec le concours de l’administration française ». Dans le contexte du procès Papon, il réitère ses propos de 1995 sur la responsabilité française dans le drame de la déportation des Juifs. Symboliquement, il remet aux autorités de la communauté juive le « fichier juif » établi sous Vichy. Tout en saluant la démarche du Président, certains historiens critiquent cette initiative, s’opposant au fait que l’on « communautarise » ainsi un pan de la mémoire nationale ; ils auraient souhaité que ce fichier demeure sous la responsabilité des Archives nationales. France Jean-Marie Le Pen récidive sur le « détail ». Invité en Allemagne par le leader du mouvement d’extrême droite des républicains, l’ancien SS Franz Schoenhuber, le président du Front national reprend la formule qu’il avait utilisée en 1987 (et pour laquelle downloadModeText.vue.download 187 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 186 il avait été condamné en justice), selon laquelle la question de savoir si les Juifs ont été exterminés dans des chambres à gaz était un « détail » de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale. Les observateurs soulignent que M. Le Pen a de nouveau utilisé cette formule alors que certains dirigeants de la droite républicaine envisageaient des alliances locales avec le FN pour les prochaines élections régionales. En se coupant ainsi de toute « respectabilité » politique, il conforte sa stratégie de seule alternative à la gauche, s’opposant à Bruno Mégret, no 2 du Front, partisan d’une alliance avec les partis de la droite républicaine. Le 26, M. Le Pen est condamné en référé à payer 1 franc symbolique de dommages et intérêts à onze associations antiracistes ; il devra, en outre, consigner une somme de 300 000 F pour la publication du jugement dans la presse. Procès Papon : la France vichyssoise devant ses juges L’ancien secrétaire général de la police René Bousquet ayant été assassiné avant son procès, Maurice Papon est le premier haut fonctionnaire de Vichy à être jugé en France pour « complicité de crime contre l’humanité ». Comparaissant depuis le 8 octobre 1997 devant la cour d’assises de Bordeaux, il est accusé d’avoir contribué entre 1942 et 1944 à la déportation de dizaines de Juifs vers Drancy, antichambre des camps d’extermination allemands. À l’origine, le verdict était attendu le 23 décembre 1997. Mais les interruptions et le déroulement souvent interminable des audiences ont transformé l’affaire Papon en un procèsfleuve. Dès lors, tout autant que l’enlisement, c’était la lassitude, voire l’indifférence, des médias et de l’opinion publique qui guettait fin décembre le plus long procès jamais organisé en France et dont le dénouement est désormais attendu au printemps 1998. Si le procès arrive jamais à son terme. Selon l’arrêt de la chambre d’accusation par lequel Maurice Papon est renvoyé devant la cour d’assises de Bordeaux, ce dernier est accusé de s’être « rendu complice des meurtres avec préméditation commis par des (...) agents du gouvernement allemand à l’encontre de personnes d’origine juive en fournissant sciemment aux auteurs de ces crimes l’aide et l’assistance nécessaires à la préparation ou à la consommation de leur action (...) ». Quelle aide Maurice Papon a-t-il apportée aux autorités allemandes ? Qu’a-t-il signé ? Sur ordre de qui ? Sa fonction lui permettait-elle d’agir directement sur les événements dramatiques de l’été 1942 ? C’est ce que les jurés de la cour d’assises auront à déterminer. C’est au mois de mai 1942 que Papon fait son entrée à Bordeaux. Nommé préfet régional par Laval, Maurice Sabatier, qui a connu Papon en 1936 au ministère de l’Intérieur, demande au jeune sous-préfet de première classe de l’épauler dans ses nouvelles fonctions. En qualité de secrétaire général de la préfecture de Bordeaux, Maurice Papon hérite d’une dizaine de services, essentiellement administratifs. Mais il coiffe également le bureau des affaires juives, chargé d’inventorier les biens juifs. Papon a trentedeux ans. Il prend ses fonctions au plus mauvais moment. Car c’est pendant l’été 1942 que la capitale girondine connaîtra sa première grande rafle. Les 15 et 16 juillet 1942, deux mois après l’arrivée de Papon, 70 personnes d’origine israélite seront arrêtées sur une liste de 105 noms. L’opération, placée sous contrôle allemand, est menée par le commissaire Norbert Téchouyères, assisté de 80 policiers français. Internées dans le camp de Mérignac, les victimes sont emmenées par train à Drancy, d’où elles seront déportées vers Auschwitz. Décidée à Berlin, lors de la conférence secrète Wannsee, la « solution finale » est en effet en marche. Eichmann, son instigateur, est venu à Paris réclamer des moyens logistiques pour mettre en oeuvre son programme d’extermination. C’est René Bousquet, alors secrétaire général de la police de Vichy, qui signera au printemps 1942 avec le chef SS de la police allemande en France, Karl Oberg, les accords autorisant les transferts des Juifs aux autorités allemandes. Il sacrifiera les Juifs étrangers ou apatrides (sans passeport) en échange de juifs français. Depuis octobre 1940, date à laquelle le gouvernement français, épaulé par un quarteron de juristes, échafauda toute une législation de spoliation, ces derniers ne sont d’ailleurs plus que des citoyens de seconde zone. En mai 1942, ils sont déjà exclus de toutes les professions au contact du public, ce qui implique « l’aryanisation de leurs biens » selon la ter- downloadModeText.vue.download 188 sur 361 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 187 minologie de l’époque. Ils n’ont plus le droit de déménager, de posséder un téléphone, un poste de TSF ou une bicyclette ; ils doivent respecter le couvre-feu de 20 heures à 5 heures. Ils sont mis en fiche depuis déjà deux ans. En ce mois de juillet 1942, l’administration préfectorale prend à sa charge l’organisation des premières déportations décidées par les Allemands. Le 6 juillet, Maurice Papon signe un ordre de transfert à Drancy de Léon Librach et de deux autres juifs de nationalité polonaise. Puis viendront les premiers comptes rendus des opérations d’arrestation et de transport des Juifs. Certains sont signés par Papon, d’autres par Pierre Garat, le chef du bureau des questions juives. En qualité d’adjoint, ce dernier agit sous couvert de Maurice Papon qui lui a donné délégation de signature. Un mois plus tard, le 22 août 1942, une deuxième rafle est ordonnée par les Allemands. Cette fois-ci, 443 personnes sont dans le convoi pour Drancy, dont 186 Français. Pierre Garat se rendra sur place pour intervenir en faveur des « cas intéressants », une formule qui désignait à l’époque les personnes remplissant les conditions pour être radiées des listes (mutilé de guerre, ancien combattant, etc.). Et puis la machine s’emballe : le convoi de septembre 1942 comprendra 70 Juifs, dont 13 enfants ; celui d’octobre, 128, dont 10 enfants. Dès 1943, la préfecture n’est plus avertie des rafles par l’autorité allemande, qui s’adresse directement aux policiers français. L’après-guerre Puis vient la Libération. Maurice Papon n’est pas inquiété. Mieux : il est officiellement entré dans la Résistance le 1er janvier 1943, comme membre du réseau Jade-Amicol, ce que certains contestent aujourd’hui. C’est Roger Bloch, un des dirigeants de ce réseau hébergé, fin 1943, à quatre reprises par Maurice Papon, qui le recommandera auprès du commissaire de la République clandestin Roger Cusin. Ce dernier nommera Maurice Papon préfet des Landes. Papon conservera cette fonction jusqu’en octobre 1945, avant de poursuivre une carrière qui le mènera jusqu’au poste de ministre du Budget du gouvernement Barre d’avril 1978. Cette nouvelle charge le place-t-elle trop « à découvert » ? Trois ans plus tard, le scandale éclate. À quatre jours du second tour de l’élection présidentielle, le Canard enchaîné affirme que Papon a autorisé et contrôlé la déportation de plusieurs centaines de Juifs étrangers et français. Derrière ces révélations, il y a Michel Slitinsky. L’homme est un miraculé. Quand le 20 octobre 1942 les policiers frappent à la porte du 3, rue de la Chartreuse, à Bordeaux, le jeune homme de dix-sept ans, fils d’un couple ukrainien, s’échappe par les toits. Son évasion figure d’ailleurs dans les rapports officiels. Dès la parution de l’article, Maurice Papon dénonce « une manoeuvre électorale de dernière heure ». Il décide de s’en remettre à un jury d’honneur, composé de cinq « résistants authentiques ». Si ces derniers affirment que des poursuites pour crime contre l’humanité sont injustifiées, ils concluent : « M. Papon aurait dû démissionner de ses fonctions au mois de juillet 1942. » Le 8 décembre 1981, quatre plaintes seront déposées par des parents de victimes de déportation. Beaucoup d’autres suivront. Mais la justice traîne les pieds. Pire : l’enquête est arrêtée net en février 1987, date à laquelle la Cour de cassation annule la quasi-intégralité des actes de procédure. Motif ? Dès l’apparition du nom de l’ancien préfet Robert Sabatier, le juge Nicod, chargé de l’enquête, aurait dû lui transmettre le dossier. Nonagénaire, Robert Sabatier décède en 1990, non sans avoir déclaré « assumer l’entière responsabilité de la répression anti-juive » dans le ressort de sa préfecture. La procédure est reprise par la chambre d’accusation de Bordeaux. « Sans préjuger de sa culpabilité », elle rend le 27 juin 1996 à rencontre de Maurice Papon un arrêt que la Cour de cassation valide le 23 janvier 1997. Le tribunal Le 8 octobre 1997, Maurice Papon est enfin devant ses juges. La salle est comble. En face de lui, sous les ors du tribunal de Bordeaux, trônent le procureur général Henri Desclaux et l’avocat général Marc Robert, grand connaisseur de l’administration sous Vichy. À sa gauche, une vingtaine d’avocats des parties civiles, parmi lesquels le bouillant Arno Klarsfeld et trois « piliers » du dossier : Mes Gérard Boulanger, Michel Zaoui et Alain Lévy. Aux côtés de Papon, un jeune avocat de vingt-neuf ans, Francis Vuillemin. En contrebas, le second avocat de la défense, Me JeanMarc Varaut. Plus loin, à gauche encore, derrière la foule des parties civiles d’où émaneront régulièrement les exclamations de Michel Slitinsky et de Maurice-David Matisson, les deux hommes qui ont initié la procédure, se tient le public, essentiellement composé des familles des vicdownloadModeText.vue.download 189 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 188 times. Plus haut, au niveau des écrans où seront projetées les pièces du dossier, quarante journalistes se serrent au « poulailler ». Au milieu de la salle, le dossier. Un monstre de 30 000 pages que manipulera un appariteur. Enfin, à la droite de l’accusé, le président Jean-Louis Castagnède, en col d’hermine, entouré de quatre assesseurs. Et des neuf jurés populaires. De ces neuf jurés, cinq hommes et quatre femmes, aucun n’a vécu les années noires de l’Occupation. Six d’entre eux ont moins de quarante ans. Il y a là un vendeur, un électrotechnicien, un comptable, un employé, un chef du personnel. Le plus jeune est un maître auxiliaire de vingt-cinq ans. Que retiendront-ils de ce procès marathon, auquel ils seront associés pendant de longs, d’interminables mois ? Le mini-scandale qui éclatera au deuxième jour du procès lorsque, à la suite de l’habile dramatisation de l’état de santé de Maurice Papon orchestrée par Me Varaut, la cour ordonnera la mise en liberté, Maurice Papon pouvant désormais comparaître libre ? Le calme apparent de celui-ci au cours de la lecture du très long acte d’accusation ? La façon quasi rituelle avec laquelle il placera méthodiquement sur le pupitre de son box, à chaque début d’audience, son sous-main en cuir, ses piles pour Sonotone, ses blocs-notes, ses chemises cartonnées, ses lunettes à monture d’écaillé ? Sans nul doute se souviendront-ils longtemps des suspensions d’audience répétées dues aux problèmes de santé récurrents de l’accusé. Elles feront de l’affaire Papon le procès le plus long que la France ait jamais connu. Ils retiendront les plaidoiries sans fin de certains avocats, leurs querelles picrocholines, leurs effets de manches devant les caméras. Ils garderont pareillement en mémoire certaines récupérations médiaticopolitiques. La façon dont, à la fin octobre, le président du RPR profita du procès pour défendre le gaullisme et mobiliser ses troupes à l’approche des élections régionales, par exemple. Le procès d’un « fonctionnaire » Mais que retiendront-ils de « l’exceptionnelle leçon d’histoire » appelée de ses voeux par le président Castagnède ? Le défilé impressionnant, interminable de fonctionnaires, d’anciens ministres, de résistants appelés à la barre, chacun insistant peu ou prou sur le chaos de 1940, le désarroi d’une population affamée, privée de tout ? Les explications, parfois laborieuses mais toujours éclairantes, des historiens Robert Pax- ton, Jean-Pierre Azéma, Marc-Olivier Baruch, ou Michel Bergès, ce dernier affirmant que Papon jouait à Bordeaux un « rôle secondaire », après avoir contribué à alimenter le dossier à charge ? Tous insisteront sur la responsabilité de Vichy dont les lois anti-juives avaient « anesthésié les fonctionnaires ». Les jurés noteront-ils également l’application, la minutie, voire l’entêtement, avec lesquels le président Jean-Louis Castagnède, totalement oublieux du temps, alignera les nombreux documents d’archives et disséquera les paroles de l’accusé, afin de tenter de démontrer la prépondérance du service des questions juives de la préfecture dès les premières arrestations de juillet 1942 ? À la mi-décembre, après deux mois d’audience, viendront les premiers noms, les drames personnels, les témoignages des rescapés et de leurs familles, sobres et poignants. Parfois déchirants, « Je m’incline avec respect devant M. Librach », dira Maurice Papon à l’issue du récit du cousin de Léon Librach, transféré à Drancy sur son ordre. Mais jamais il n’exprimera de remords quant à son attitude. Dès les premiers jours, Me Jean-Marc Varaut plaidera l’acquittement. Sa ligne de défense ne variera plus d’un pouce : « Comment condamner un homme qui a obéi à la loi, alors que le gouvernement ne peut pas l’être ? » À travers le procès de Maurice Papon, celui de la haute fonction publique du gouvernement de Vichy se dessinera peu à peu. « J’étais un intermédiaire », un « rouage », « j’ai agi sur ordre », répétera inlassablement l’accusé. Jamais il ne remettra en cause les procédures, les ordres, les règles « édictées par d’autres ». Il se contentera de leur trouver une « diligence inopportune ». Un fonctionnaire est-il responsable pénalement de ses actes ? « Mieux valait alimenter les fichiers, répondra-t-il curieusement un jour, que laisser les gens dans l’illégalité se laisser ramasser par les Allemands. » Au fond, cet homme de quatre-vingt-sept ans, qui, malgré son état de santé précaire, se défendra pendant des mois avec la dernière énergie, cet homme hautain, cassant, attentif, ergotant sur un point de droit, une peccadille, ne fait-il pas un coupable idéal ? Ce sera aux jurés de puiser dans leur intime conviction pour le dire. Ils ne jugeront ni Klaus Barbie ni René Bousquet, mais un fonctionnaire. Un fonctionnaire ordinaire et zélé. Trop zélé ? Tard dans la journée, alors que tout le monde est parti, on rapporte que Maurice Papon s’attarde souvent dans la salle des assises, downloadModeText.vue.download 190 sur 361 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 189 annotant ses dossiers de son écriture ronde. Ver dict au printemps 1998. J.-F. P L’homme L’avant-guerre – 3 septembre 1910 : naissance à Gretz, Seine-et-Marne. – 1924-1929 : élève à Louis-le-Grand, Paris. – Mai 1935 : reçu au concours de rédacteur au ministère de l’Intérieur. – Juin 1936 – mars 1938 : attaché au cabinet du sous-secrétaire d’État à la présidence du Conseil (gouvernements Blum et Chautemps). La guerre – 1939-1940 : mobilisé au 2e régiment d’infanterie coloniale. Puis affecté comme sous-chef de bureau à l’administration centrale. – Février 1941 : sous-préfet de 1e classe. – Mai 1942 : secrétaire général de la préfecture de Bordeaux et directeur de cabinet du préfet Sabatier. – Juillet 1942 : premières rafles effectuées par la police française sur ordre des autorités allemandes. Au total, 76 000 des 300 000 Juifs de France seront déportés entre juillet 1942 et mai 1944. – Août 1944 : préfet des Landes et directeur de cabinet du commissaire de la République nommé par le Gouvernement provisoire. L’après-guerre – Octobre 1945 : chargé de mission à la sous-direction de l’Algérie au ministère de l’Intérieur. – Janvier 1947 : préfet de la Corse. – Octobre 1949 : préfet de Constantine. – Octobre 1951 : secrétaire général de la préfecture de police de Paris. – 1954-1958 : nouvelles missions à Constantine, en Algérie, au Maroc. – Mars 1958 – janvier 1967 : préfet de police de Paris. – Janvier 1967 : P-DG de Sud Aviation. – Juin 1968, député UDR (droite gaulliste) du Cher. Réélu en 1973 et 1978. – Avril 1978 – mai 1981 : ministre du Budget du 2e gouvernement Barre. L’affaire Mai 1981 : révélations de l’hebdomadaire le Canard enchaîné. Décembre 1981 : un jury d’honneur estime que Maurice Papon aurait dû « démissionner de ses fonctions en juillet 1942 ». Dépôt des premières plaintes de parents de déportés. Janvier 1983 : inculpation de Maurice Papon pour crime contre l’humanité. Février 1987 : la Cour de cassation annule une partie de l’instruction pour vice de procédure. Juillet 1988 : première inculpation de Maurice Papon pour crime contre l’humanité. Octobre 1990 : nouvelle inculpation pour crime contre l’humanité. Juin 1992 : troisième inculpation pour crime contre l’humanité. Décembre 1995 : le parquet général de la chambre d’accusation de la cour d’assises de Bordeaux requalifie l’inculpation en « complicité de crime contre l’humanité ». Septembre 1996 : la cour d’assises de Bordeaux est déclarée compétente pour juger Maurice Papon. Octobre 1997 : début du procès. 13 octobre : l’accusé obtient de comparaître libre au procès. Fin décembre : le procès s’enlise... Au commencement, le procès était prévu pour une durée de trois mois. Celle-ci était déjà considérée comme particulièrement longue au regard des procès de personnalités jouissant pourtant d’une tout autre « stature historique » et dont la responsabilité pour crime contre l’humanité apparaissait plus nettement. Il fallut trois semaines pour juger Philippe Pétain en 1945, huit semaines pour Klaus Barbie en 1987 et six pour Paul Touvier en 1994. Pourtant, il faudra sans doute six mois pour juger Maurice Papon. Dès le mois de décembre, de suspensions en audiences interminables, le procès menaçait de s’enliser dangereusement. Ce n’est d’ailleurs qu’à cette date, soit deux mois après son ouverture, que les audiences détaillaient enfin les charges pesant sur l’accusé ! Conséquence inattendue de cette « routinisation » procédurale : une deuxième cour d’assises downloadModeText.vue.download 191 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 190 sera mise en place à Bordeaux au début 1998 afin déjuger la cinquantaine d’affaires criminelles qui attendent depuis l’automne. 9 France Lionel Jospin favorable aux fonds de pension. Le Premier ministre indique que le gouvernement étudie la possibilité de créer des fonds de pension. Jusqu’alors le PS s’était opposé à ces formes d’assurance privée et à toute forme de retraite par capitalisation et avait enterré la loi présentée en début d’année par le député UDF Jean-Pierre Thomas. M. Jospin justifie ce revirement par la nécessité de renforcer l’épargne et le marché des actions afin de relancer l’investissement des entreprises. France Toyota à Valenciennes. Le constructeur japonais, troisième constructeur automobile au monde, choisit le nord de la France pour installer sa nouvelle usine d’assemblage : un investissement de 3,5 milliards de francs (pour environ 300 millions d’aides publiques françaises) pour une production de 100 000 véhicules par an à partir de 2001. L’implantation devrait créer 2 000 emplois directs et près de 3 000 emplois induits, une vraie manne pour cette région fortement touchée par le chômage. Le site de Valenciennes a été choisi de préférence à des sites en Grande-Bretagne ou en Pologne. La décision de Toyota s’explique par les qualités de l’infrastructure locale, l’implantation au coeur de l’Europe et par la volonté de conquérir le marché français, le deuxième de l’UE, en « francisant » le prochain modèle construit à Valenciennes. Le gouvernement se félicite de cette décision qui lui permet de dire que la future législation sur les 35 heures n’effarouche pas les grands investisseurs étrangers. Les constructeurs français s’inquiètent de ce revirement complet de la position française face aux implantations japonaises et prédisent que les emplois créés à Valenciennes se traduiront à terme par des débauchages dans plusieurs usines françaises du secteur, qui auront tendance à se délocaliser encore davantage. 10 France Élections prud’homales. Marquées par un taux d’abstentions record (34,4 % seulement de votants), les élections prud’homales se caractérisent par une stabilité d’ensemble des positions acquises : la CGT demeure la première centrale syndicale représentée dans les juridictions du travail avec 33,11 % des voix ; elle devance la CFDT (25,35 % des suffrages), qui est la seule grande centrale à progresser par rapport au scrutin de 1992 (+ 1,5 %) et FO (20,55 %). Les listes proches du Front national recueillent en moyenne 6,5 % des voix là où elles étaient présentes et obtiennent un total de 17 sièges sur un total de 7 169. Ces résultats, même s’ils peuvent s’expliquer par une insuffisante mobilisation des électeurs et par une organisation matérielle des bureaux de vote parfois défaillante, signifient un recul de l’audience globale des syndicats, qui ne réunissent que 5 % des salariés du privé et 9 % de l’ensemble des personnes actives. 11 Environnement Fin de la conférence de Kyoto. Après onze jours de négociations houleuses, les représentants des 159 nations participantes à la conférence sur les Changements climatiques achèvent leurs travaux sur un compromis : les 38 pays industrialisés – et seulement eux – s’engagent, d’ici à 2012, à diminuer de 5,2 % en moyenne leurs émissions de gaz à effet de serre. Si rien ne change, les spécialistes estiment que la température moyenne du globe devrait monter de 1 à 5 degrés Celsius en un siècle ; plus cette hausse serait forte, plus les conséquences (tempêtes, sécheresses, inondations, disparitions de terres littorales, de deltas et de petites îles) en seraient incontrôlables. Selon eux, pour obtenir une vraie disparition du risque, il faudrait une baisse de 70 % des émissions de gaz ; la baisse de 5,2 % ne fait que repousser de quelques années la date à laquelle le seuil de sécurité sera atteint. Les oppositions ont été particulièrement marquées entre Américains – downloadModeText.vue.download 192 sur 361 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 191 qui souhaitaient seulement stabiliser à leur niveau actuel les niveaux d’émission – et Européens – qui voulaient une diminution de 15 %. Les Américains souhaitaient également que soit mis sur pied un système de « permis négociables » de polluer, c’est-àdire l’organisation d’un marché de droits d’émissions supplémentaires achetés par les pays fortement pollueurs auprès de pays faiblement émetteurs de gaz à effet de serre. Les Européens et les pays en voie de développement se sont associés pour, sinon contrer cette proposition, du moins en diminuer fortement les effets. Espagne Assassinat par l’ETA. Un conseiller municipal d’Irun est abattu par l’organisation séparatiste basque. Des dizaines de milliers de personnes manifestent leur indignation à SaintSébastien et à Bilbao. Grande-Bretagne Rencontre entre Tony Blair et Gerry Adams. Pour la première fois depuis soixante-seize ans, le Premier ministre britannique rencontre un dirigeant républicain irlandais. Cette entrevue historique, qui n’a pas été photographiée, marque à la fois la volonté de M. Blair de trouver une solution au problème de l’Ulster et la confiance retrouvée du Sinn Féin, le parti de M. Adams, qui a pu surmonter les menaces de scission. Dans les jours qui suivent, de violentes échauffourées opposent à Londonderry, deuxième ville d’Ulster, des manifestants catholiques, ulcérés par les provocations d’extrémistes protestants, à la police. Iran Fin de la conférence islamique. À l’issue de trois jours de travaux, la conférence islamique, qui a réuni dans la capitale iranienne les représentants de 55 États musulmans, s’achève sur une condamnation très ferme d’Israël et de sa politique de remise en cause du processus de paix israélo-palestinien. La tenue de cette conférence constitue un succès pour Téhéran, qui a réussi à réunir l’ensemble des États musulmans, même ceux qui, comme l’Arabie saoudite, sont réputés proches des États-Unis. A contrario, la conférence constitue un revers pour Washington, qui paye ainsi l’indécision de sa politique au Proche-Orient. Par ailleurs, la conférence est aussi le théâtre de l’opposition entre la ligne « libérale » du président Mohamad Khatami et celle, très anti-occidentale, du guide de la révolution, Ali Khamenei. 12 France Fin de la grève à France 3. En grève depuis le début du mois, les salariés de la chaîne publique reprennent le travail après avoir obtenu satisfaction sur l’ensemble de leurs revendications : garanties sur les emplois menacés par les nouvelles technologies et sur les productions de programmes régionaux, rattrapage des salaires par rapport à ceux de France 2. Cette grève qui aura coûté à la chaîne près de 60 millions de francs de pertes de ressources publicitaires, fait apparaître un certain décalage entre les revendications des équipes régionales et celles des équipes nationales. Mauritanie Réélection de Maaouiya Ould Taya. Le président sortant, au pouvoir depuis 1984, est réélu à la tête de l’État mauritanien avec 90 % des voix. L’opposition dénonce une fraude massive lors de cette élection. UE Compromis sur la monnaie et sur les nouveaux membres. Réunis à Luxembourg, les dirigeants des Quinze parviennent une nouvelle fois à un compromis sur la mise en place du Conseil de l’euro, c’est-à-dire l’institution chargée de résoudre les problèmes posés par la nouvelle monnaie commune. Les pays qui ne participeront pas à cette entreprise à partir de 1999 – soit faute de correspondre aux critères exigés, comme la Grèce, soit par refus de principe, comme le Danemark, la Grande-Bretagne et la Suède – souhaitaient cependant être associés à ce conseil, ce à quoi la France, notamment, s’opposait en rappelant qu’on ne pouvait à la fois refuser de participer à un processus et vouloir en contrôler l’exercice. Il a été finalement décidé que les « in » informeront les « out » de leurs ordres du jour et que les « out » pourront alors faire savoir qu’ils considèrent telle ou telle question comme « étant d’intérêt commun » ; dans ce cas, elle pourra être abordée dans le cadre du groupe Ecofin. Par ailleurs, il a été décidé que des négociadownloadModeText.vue.download 193 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 192 tions en vue de leur adhésion prochaine à l’Union seront ouvertes avec Chypre, l’Estonie, la Hongrie, la République tchèque et la Slovénie. Des pré-négociations seront ouvertes également avec la Bulgarie, la Lettonie, la Lituanie, la Roumanie et la Slovaquie. La Turquie demeure, pour l’instant, exclue des candidatures à l’adhésion. 14 Chili Reconduction de la majorité de centre gauche. La Concertation démocratique du président Eduardo Frei conserve la majorité avec 50,54 % des voix et 70 sièges sur 120 à l’Assemblée nationale. L’opposi- tion de droite progresse de 3 % et garde la majorité au Sénat, où entre l’ancien dictateur Augusto Pinochet. Grâce au système constitutionnel qu’il a mis en place, le général Pinochet et ses amis de la droite conservatrice continuent de contrôler de près l’action de l’exécutif et bloquent tout projet de réforme de la Constitution. 16 France Condamnation d’Henri Emmanuelli. La Cour de cassation confirme la condamnation à 18 mois de prison avec sursis et à deux ans de privation de ses droits civiques du député des Landes dans le cadre de l’affaire Urba. Il était reproché à M. Emmanuelli d’avoir couvert, alors qu’il était trésorier du PS à la fin des années 80, les agissements de ce bureau d’études qui servait de pompe à finances pour le parti. Soulignant que le délit d’enrichissement personnel n’était en aucun cas constitué, les responsables socialistes proclament leur solidarité envers le député et président de la commission des Finances à l’Assemblée nationale. François Hollande, premier secrétaire du PS, envisage de solliciter la grâce présidentielle. Craignant qu’une telle procédure serve de prétexte à de nouvelles diatribes de l’extrême droite envers le système, M. Emmanuelli préfère démissionner aussitôt. France Ernest-Antoine Seillière élu à la tête du CNPF. Succédant à Jean Gandois, M. Seillière est désigné à la tête de l’organisation patronale avec 82 % des voix. Âgé de soixante ans, le nouveau président est un héritier de la famille de Wendel, la grande dynastie des maîtres des forges lorrains. Ancien élève de l’ENA, il commence sa carrière au ministère des Affaires étrangères, où il partage un bureau avec Lionel Jospin. Après un passage par les cabinets ministériels, dont celui de Jacques Chaban-Delmas, il entre en 1976 dans les affaires familiales, à la tête de la holding CGIP, qu’il développe avec succès. Opposant résolu à la loi sur les 35 heures, il déclare vouloir s’opposer frontalement au gouvernement. République tchèque Josef Tosovsky nouveau Premier ministre. Le président Vaclav Havel désigne le gouverneur de la Banque centrale tchèque pour succéder à Vaclav Klaus à la tête du gouvernement. Ce choix est salué par la quasi-unanimité de la classe politique, à l’exception de M. Klaus. Selon les observateurs, M. Tosovsky ne devrait être qu’un chef de gouvernement par intérim avant les prochaines élections qui, selon toute vraisemblance, devraient intervenir avant le 30 juin 1998. 17 Afrique du Sud Thabo Mbeki élu à la tête de l’ANC. Jusqu’alors vice-président de la République, M. Mbeki succède à Nelson Mandela aux commandes du Congrès national africain. Âgé de cinquante-cinq ans, Thabo Mbeki est le fils d’un des plus anciens compagnons de M. Mandela. Pendant près de trente ans, il a assumé des tâches de représentation internationale au sein de l’ANC. Sa carrière s’est accélérée après la fin de l’apartheid. En 1994, il accède à la vice-présidence en éliminant Cyril Ramaphosa, ancien secrétaire général du syndicat des mineurs. Apprécié pour son intelligence et son savoir-faire, M. Mbeki souffre cependant d’un déficit downloadModeText.vue.download 194 sur 361 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 193 d’image auprès des masses noires les plus déshéritées. Il devra sans doute faire face à l’opposition de Winnie Mandela, l’ex-femme du président, qui a été écartée de la vice-présidence, mais qui entend bien utiliser sa popularité au sein de la fraction défavorisée de la population. France Adoption de la loi sur l’immigration. Par 276 voix contre 254 (les communistes et les Verts s’étant abstenus, jugeant le texte trop timide), le projet de loi sur l’immigration est adopté en première lecture à l’Assemblée nationale. Les principales dispositions du texte concernent : l’affirmation du droit d’asile, la motivation du refus des visas par les consulats, la suppression des certificats d’hébergement, les titres de séjour (de dix ans pour les retraités, de un an pour les chercheurs et pour toutes les personnes ayant des « liens personnels et familiaux en France ») et des assouplissements sur les mariages « mixtes », le regroupement familial, les droits sociaux et l’interdiction du territoire pour les étran- gers condamnés. La droite sénatoriale demande au président Jacques Chirac d’organiser un référendum sur la nationalité, ce qui, constitutionnellement, est impossible, l’article 11 de la Constitution excluant du champ référendaire les questions relatives aux libertés publiques. Il s’agit en réalité, pour l’opposition, de retarder l’adoption des textes sur la nationalité et sur l’immigration afin de conserver un thème de débat mobilisateur à droite d’ici aux élections régionales du printemps 1998. 18 Bosnie Arrestation de deux criminels de guerre. Deux Croates de Bosnie recherchés pour « nettoyage ethnique » par le Tribunal pénal international de La Haye (TPI) sont arrêtés par un commando occidental dans la zone contrôlée par les Britanniques. Une liste de 52 Serbes et 3 Croates recherchés par le TPI est officiellement publiée. L’opération fait suite à une semaine de polémiques durant laquelle le procureur de La Haye, Louise Arbour, avait reproché aux troupes internationales, notamment françaises, de ne pas chercher réellement à mettre la main sur ces personnes dont l’identité et la domiciliation sont connues. Le même jour, Bill Clinton annonce le maintien des troupes américaines en Bosnie après la date d’expiration du mandat de la force de stabilisation (SFOR), en juin 1998. Corée du Sud Victoire du candidat d’opposition. Kim Dae-jung, chef du Parti démocrate, est élu chef de l’État avec 40,3 % des voix, contre le candidat officiel, Lee Hoi-chang, crédité de 38,7 % des suffrages. C’est la première fois depuis 1948, date de la fondation de la République, que la présidence du pays échappe au parti gouvernemental. De tendance sociale-démocrate, Kim Dae-jung a été élu avec l’appui du centre droit, ce qui diminuera d’autant sa marge d’action. Âgé de soixante-treize ans, il s’est déjà présenté trois fois aux élections présidentielles (en 1971, 1987 et 1992), a été emprisonné plus de six ans, exilé aux États-Unis, deux fois menacé d’assassinat et une fois condamné à mort. De formation commerciale, il s’est lancé dans la vie politique en luttant pour les libertés publiques et en appuyant le combat des étudiants. Ces dernières années, il a recentré son discours en acceptant le principe de l’économie de marche, mais en continuant de prôner l’État de droit et une politique sociale. Il aura fort à faire dans un pays très gravement touché par la crise financière et face à un Parlement dominé par l’ancien parti gouvernemental. 21 Serbie Élection de Milan Milutinovic. Le candidat de Slobodan Milosevic (qui ne pouvait constitutionnellement se présenter une troisième fois) est élu à la présidence de la République serbe. Il l’emporte avec près de 60 % des voix sur le leader d’extrême droite Vojislav Seselj. Le taux de participation est tout juste supérieur à 50 % ; ce chiffre n’avait pas été atteint lors du précédent scrutin en octobre, ce qui avait obligé les autorités à organiser de nouvelles élections. Âgé de cinquante-cinq ans, M. Milutinovic était ministre des Affaires étrangères downloadModeText.vue.download 195 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 194 de la Serbie depuis 1995. À ce titre, il avait participé aux négociations de Dayton. 22 Mexique Massacre d’Indiens au Chiapas. 45 Indiens Tzotzils sont tués et 25 autres blessés dans le village d’Acteal, au Chiapas, cette région du Mexique où s’est développée, depuis 1994, la rébellion de l’Armée zapatiste de libération nationale (AZLN). On soupçonne des Indiens liés au Parti révolutionnaire institutionnel (PRI, au pouvoir) d’avoir assassiné des victimes connues pour être favorables à l’AZLN. L’opposition reproche aux autorités de ne pas avoir agi à temps et réclame la démission du ministre de l’Intérieur. Craignant des représailles, des centaines d’Indiens des deux bords politiques quittent leurs villages. 24 France Condamnation à perpétuité du terroriste Carlos. Illitch Ramirez Sanchez, dit Carlos, le terroriste d’origine vénézuélienne, est condamné à la réclusion à perpétuité pour le meurtre à Paris, en 1975, de deux inspecteurs de police venus l’arrêter et de leur infor- mateur libanais. Carlos, qui avait été extradé du Soudan en 1994, devrait passer de nouveau en procès en 1998 pour d’autres actes de terrorisme commis sur le sol français. 25 Algérie Intensification des violences. À l’approche du ramadan, les tueries contre la population civile redoublent d’intensité. On déplore la mort de plus de 200 personnes, dont de nombreux enfants, massacrées en une semaine. L’attribution par le Parlement de Strasbourg d’un prix des droits de l’homme à une journaliste algérienne, favorable à une solution négociée à la crise, est vivement critiquée par les autorités d’Alger. France Mesures en faveur de certaines catégories de chômeurs. Faisant suite aux mouvements de protestation d’associations de chômeurs qui réclament une prime de Noël de 3 000 F pour tous les sans-emploi, le gouvernement prend les mesures suivantes : une circulaire demandant aux préfets d’apporter une aide exceptionnelle aux personnes les plus en détresse ; l’allocation de 1 500 F supplémentaires pour les chômeurs de plus de cinquante-cinq ans ayant cotisé plus de 40 ans ; une revalorisation de 3 % de l’allocation de solidarité spécifique. Les chômeurs en lutte estiment que ces mesures sont insuffisantes et continuent leurs occupations d’antennes d’Assedic. Un sondage indique que 63 % des Français interrogés comprennent le mouvement des chômeurs. 28 Grande-Bretagne Violences en Irlande du Nord. Faisant suite a plusieurs échauffourées, la violence monte d’un cran en Ulster : un leader extrémiste protestant est assassiné en prison par des militants catholiques ultras et, en représailles, une discothèque fréquentée par des catholiques est mitraillée, ce qui provoque la mort d’une personne. Malgré la tension, les organisations modérées catholiques et protestantes appellent à la continuation du processus de négociation. 30 Serbie Manifestation au Kosovo. Plusieurs milliers d’étudiants manifestent à Pristina pour réclamer un enseignement en albanais, la majorité de la population de cette province sous contrôle serbe étant de culture albanaise. La police réprime sévèrement la manifestation. downloadModeText.vue.download 196 sur 361 195 Dossiers Art et Culture downloadModeText.vue.download 197 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 196 La rétrocession de Hongkong à la Chine Cent jours après la rétrocession de Hongkong à la Chine, le chief exécutive du territoire réaffirmait solennellement que d’ici une décennie, les Hongkongais pourraient élire au suffrage universel aussi bien leurs députés que le chef du gouvernement local. Lointaine perspective... En attendant, les affaires continuent, vaille que vaille. Depuis plus de deux ans, une horloge digitale avait été installée sur la façade du musée de la Révolution, place Tian’anmen, à Pékin. Elle égrène les minutes et les secondes séparant les habitants de la capitale chinoise de la restitution de Hongkong à la mère patrie de Hongkong ; Hongkong dernière possession britannique en Asie. Lorsque, quelques instants avant minuit, le lundi 30 juin 1997, l’Union Jack et le drapeau colonial ont été amenés et remplacés par le drapeau rouge de la République populaire de Chine, les dizaines de milliers de spectateurs massés sur la place ont laissé éclater leur joie. Dans le même temps, Chris Patten, dernier gouverneur britannique du territoire, adressait un câble à Londres : « Je renonce à l’administration de ce gouvernement. God save the Queen. » Préparée de longue date, la rétrocession s’est déroulée selon un cérémonial compassé, mais sans incidents. Tandis que M. Patten et le prince Charles, spécialement débarqué d’un navire de guerre pour l’occasion, assuraient les Hongkongais que le gouvernement britannique demeurerait soucieux de leur destin, le président Jian Zeming, chef du gouvernement continental, réaffirmait l’engagement pris par les autorités chinoises de conserver à Hongkong son statut de port franc, de centre financier, commercial et maritime, conformément à la doctrine « un pays, deux systèmes ». Boycottées par le Premier ministre britannique Tony Blair et par le chef de la diplomatie américaine Madeleine Albright en raison de la dissolution par Pékin du Conseil législatif élu sous les Britanniques, les cérémonies d’intronisation du nouvel homme fort du territoire, le tycoon Tung Chee-hwa se sont déroulées loin des foules qui avaient envahi les rues, hésitant entre doute et excitation. Peu avant minuit, le porte-parole des démocrates hongkongais, l’avocat Martin Lee, s’était adressé du haut du balcon du Conseil législatif à une foule de quelques milliers de fidèles, rappelant que la Chine ne serait vraiment « une grande nation » que lorsque « les droits de chaque individu seraient respectés ». Six heures après la rétrocession du territoire, quelque 4 000 soldats chinois y pénétraient, s’installant dans les casernes abandonnées par les troupes britanniques. Le 1er juillet, les nouvelles autorités célébraient dans le faste leur installation en faisant tirer à Hongkong un gigantesque feu d’artifice – festivités à peine troublées par une maigre manifestation (autorisée) de l’opposition démocratique. Puis, rapidement, une fois que l’immense majorité des 8 000 journalistes venus « couvrir » l’événement fut repartie, les Hongkongais sont retournés à leur labeur et à leurs affaires, tandis que les nouvelles autorités s’efforçaient à la discrétion. Cent cinquante-six ans de présence britannique Au terme de la première guerre de l’Opium (1840-1842), l’île de Hongkong est cédée à perpétuité à la Couronne britannique par l’empereur de Chine. En 1860, le traité de Pékin stipule l’abandon de la péninsule de Kowloon au Royaume-Uni, puis, en 1898, les « Nouveaux Territoires » sont cédés par bail, pour downloadModeText.vue.download 198 sur 361 DOSSIERS DE L’ANNÉE 197 une durée de quatre-vingt-dix-neuf ans. En 1941, les Japonais s’emparent de Hongkong et y demeurent jusqu’à la fin de la guerre. En 1984, Hongkong, devenue la seconde place financière d’Asie, fait l’objet d’une déclaration conjointe de Margaret Thatcher, Premier ministre britannique, et du gouvernement chinois : la rétrocession de la colonie à la Chine est annoncée pour le 30 juin 1997, date d’expiration du bail de quatre-vingt-dix-neuf années. L’accord prévoit l’instauration d’un statut de Région administrative spéciale (RAS) pour les cinquante années à venir. En 1992, Chris Patten est nommé gouverneur de Hongkong, qu’il va s’efforcer, non sans arrièrepensées, de transformer en « vitrine démocratique » face à la Chine communiste. Des lendemains incertains Les observateurs s’accordent pour considérer qu’un assez long délai – deux ans au moins – sera nécessaire pour que retombe la « poussière » de la rétrocession et que se dessinent clairement les nouvelles perspectives de l’ancienne colonie – en matière de libertés publiques, d’économie et du point de vue des relations avec la puissance continentale. Au cours des mois suivants la rétrocession, néanmoins, quelques signes sont venus donner le ton de ce qui s’annonçait pour le proche avenir. Avant leur départ, soucieux de planter quelques banderilles démocratiques dans le flanc de la puissance appelée à leur succéder, les Britanniques ont fait adopter par le Parlement différents textes législatifs destinés à la protection des travailleurs. Il s’agissait de lois portant sur la notion de négociation collective des salaires, instituant la protection des droits syndicaux ou réglementant l’utilisation de fonds financiers collectifs à des fins politiques. Deux semaines après le retour à la Chine, les nouvelles autorités ont indiqué clairement qu’elles n’entendaient pas se laisser lier les mains par une législation sociale susceptible de nuire à la « compétitivité » de Hongkong. Elles ont suspendu les trois textes portant sur la législation du travail. Il apparaît ainsi que l’alliance conclue entre les milieux d’affaires appelés à prendre la relève des Britanniques et Pékin ne saurait être perturbée par quelque legs que ce soit de l’ultime et paradoxal épisode « colonial-démocratique » de l’histoire de l’ancienne possession. Dans l’esprit des nouveaux maîtres, Hongkong ne doit en aucun cas devenir un foyer de contestation sociale ou politique, susceptible d’« infecter » les territoires proches, vecteurs de l’essor économique de la Chine continentale. Au reste, les nouvelles autorités s’efforcent d’entretenir parmi la population davantage le sentiment de la continuité que celui de l’ordre nouveau : les 4 000 soldats de l’armée populaire de libération casernes dans le territoire ne circulent pas en ville, et l’effectif des troupes stationnées de l’autre côté de l’ex-frontière et appelées à intervenir en cas de troubles demeure secret. En ville, les nombreuses petites manifestations habituelles (organisées par les démocrates, les militants syndicaux...) sont autorisées. Les médias qui, certes, ont appris à se discipliner lors des derniers temps de l’occupation britannique ne subissent pas de pressions directes. Enfin, les Églises chrétiennes, très présentes à Hongkong (on estime à un demi million de personnes le nombre de leurs fidèles sur le territoire), n’ont pas vu jusqu’alors leur liberté d’expression menacée : la Fédération luthérienne mondiale a tenu, à la fin de juillet 1997, sa neuvième assemblée mondiale sans que cela n’ait suscité de tensions avec la nouvelle Administration. Aussi longtemps que ne sont pas abordées dans l’espace public les questions sensibles de la répression au Tibet, du massacre de la place Tian’anmen ou de la souveraineté de Taïwan, les autorités semblent décidées à laisser persister une certaine liberté de ton. Dès avant le 1er juillet, le nouvel administrateur Tung Chee-hwa ne s’était-il pas engagé « à respecter les droits et les libertés des Hongkongais », et, de surcroît, à organiser des downloadModeText.vue.download 199 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 198 élections démocratiques pour le renouvellement du Parlement local dès mai 1998 ? Plus discrètement, donc, ce sont d’autres signes, faisant référence au passé, qui sont venus rappeler qu’une page s’est tournée : pour la première fois depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la date anniversaire de la capitulation japonaise n’a pas été commémorée à Hongkong, au mois d’août. On peut y voir, de la part des nouvelles autorités, une attention à l’endroit du puissant voisin japonais qui a adopté une attitude compréhensive à l’égard de Pékin à propos du dossier honkongais, et qui est le premier investisseur étranger dans l’ancienne colonie. Dans le même sens, c’est avec un certain faste qu’a été célébré à Hongkong, le 1er octobre 1997, le 48e anniversaire de la fondation de l’État communiste chinois : on a pu y voir Tung Chee-hwa, radieux, passer en revue des rangées d’étudiants agitant des drapeaux de la Chine populaire, tandis que l’orchestre de la police exécutait la Marche des volontaires. Une population peu concernée La population de la colonie a accueilli avec une grande prudence et une surprenante froideur le retour du territoire dans le giron de la Chine. Un sondage, réalisé le 30 juin 1997 par le centre de recherches sociales de l’université de Hongkong, faisait ressortir que 59,1 % des 546 personnes interrogées se déclaraient « neutres » vis-à-vis du retour du territoire sous souveraineté chinoise, tandis que 29,1 % disaient éprouver un sentiment positif et seulement 4,7 %, des sentiments négatifs. Un autre sondage faisait apparaître que le Parlement, élu par la population en 1995, jouissait d’un beaucoup plus grand prestige que l’Assemblée désignée par Pékin pour lui succéder : 62,5 % d’opinions favorables contre 19 %. Enfin, la cote de popularité du gouverneur sortant, Chris Patten (54 %), dépassait celle de son successeur Tung-Chee-hwa (47 %), magnat du commerce maritime intronisé par le gouvernement chinois. Interrogée par un journaliste la veille du rattachement, une caissière de supermarché résumait sans doute le sentiment dominant parmi les petites gens : « Pour moi, c’est un dimanche comme les autres. Pour célébrer ou déplorer quoi que ce soit, il faudrait avoir eu son mot à dire ! » Sceptiques et optimistes Qu’en est-il désormais de l’avenir politique et économique du territoire ? Pour certains, le retour à la Chine signifie l’érosion rapide de la situation d’exception qui rendit possible le formidable essor économique de Hongkong. L’arrivée d’un nombre toujours croissant de Chinois de l’intérieur à Hongkong (on spécule sur le chiffre de 50 000 par an) signifierait le recul de la langue anglaise, l’affaiblissement du statut de ville internationale de Hongkong et, à terme, l’effacement de ce qui la distingue d’une métropole en expansion comme Shanghai. La Région administrative spéciale (RAS) perdrait progressivement son statut de point de passage obligé pour l’exportation des marchandises chinoises et de lieu de transit pour les investissements étrangers en Chine. « La rapidité du déclin de Hongkong pourrait surprendre tout le monde », prédit un banquier occidental. Certains indices tendent à accréditer cette thèse : dès les lendemains de la rétrocession, le tourisme local s’est effondré, les transactions immobilières ont chuté de 40 %, l’activité de la Bourse s’est ralentie ; signe avant-coureur d’une dépression durable ou simple passage à vide lié à la transition ? D’autres observateurs, en effet, soulignent la solide résistance du dollar de Hongkong – dorénavant « protégé » par Pékin – à la tourmente monétaire qui a secoué les marchés d’Extrême-Orient durant l’été 1997 ; ils voient l’avenir de l’ex-colonie tout tracé : celui d’une intégration économique à la Chine continentale déjà largement acquise, portée par l’ouverture accélérée du marché chinois. L’interaction entre cette intégration rapide et downloadModeText.vue.download 200 sur 361 DOSSIERS DE L’ANNÉE 199 la poursuite du processus de réformes dans l’État chinois dessinerait alors le chemin d’une évolution de la RAS conforme au modèle singapeurien. Le territoire se développerait comme plaque tournante du miracle économique chinois, demeurant le carrefour des investissements étrangers et des exportations continentales, processus piloté par un pouvoir fort, assurant ordre et prospérité en contrepartie d’une restriction draconienne des libertés publiques... L’avenir de l’ancienne colonie demeure, plus que jamais, ouvert et incertain. Une telle indétermination trouve son expression dans la façon dont se perçoivent les habitants de la cité : 60 % d’entre eux se refusent, au lendemain de la rétrocession, à se dire « fiers d’être devenus des citoyens chinois », 40 % se définissant, tout simplement, comme des « citoyens de Hongkong ». C’est que, note une intellectuelle hongkongaise, « nous sommes certes une ville peuplée de Chinois, mais nous n’avons jamais été une ville chinoise »... Changement et continuité Sauf remise en cause par Pékin des engagements pris par l’Assemblée populaire de Chine en avril 1990, la Région administrative spéciale (RAS) conservera son autonomie jusqu’à 2047, à l’exception de ce qui concerne les affaires étrangères et la défense, du ressort du gouvernement chinois. Le territoire sera géré par le gouvernement de la RAS, choisi par la population locale. Le pouvoir exécutif, législatif et judiciaire demeure entre les mains des autorités locales. Le gouvernement du territoire demeure responsable de la politique monétaire et fiscale. Pékin n’y lève pas l’impôt. Hongkong reste un port franc et le territoire, une zone douanière autonome. Les monnaies de Chine populaire et de Hongkong sont toujours séparées. Le rattachement du dollar de Hongkong au dollar américain n’est pas remis en cause. Le « poids » de Hongkong D’une superficie de 1 000 kilomètres carrés, Hongkong est formée par l’île du même nom, la péninsule de Kowloon, les « Nouveaux Territoires » et de nombreux îles et îlots. Sa population est de 6,3 millions d’habitants ; 95 % d’entre eux étant d’origine chinoise. Le produit intérieur brut (PIB) par tête y est d’environ 24 000 dollars, contre moins de 400 dollars dans le reste de la Chine. Hongkong est la septième place boursière du monde. 367 banques y sont implantées et la capitalisation boursière y est de 3 000 milliards de francs (presque l’équivalent de la place de Paris). Le dollar de Hongkong est lié au dollar américain (1 dollar américain = 7,80 dollars de Hongkong), mais il est de plus en plus tributaire de l’économie et des choix politico-financiers de la Chine populaire. Au cours des dernières années, Hongkong a connu une rapide révolution industrielle : la plupart des usines qui y étaient implantées ont été délocalisées dans la « zone économique spéciale » de Shenzhen ; l’industrie n’emploie plus que 370 000 personnes, contre 870 000 il y a deux décennies, et ne représente que 9 % de son PIB. Durant ces mêmes années, les liens économiques entre Hongkong et la Chine continentale sont devenus toujours plus étroits : 48 % des exportations chinoises passent par Hongkong, et 60 % des investissements étrangers en Chine proviennent de groupes de Hongkong. ALAIN BROSSAT Bibliographie Après Hongkong : un pays, deux systèmes. Philippe Le Corre, Autrement, 1997 downloadModeText.vue.download 201 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 200 Le grand virage économique d’Internet L’extension d’Internet, irréversible, repousse les frontières de la communication, des loisirs et de la culture, mais bouleverse aussi l’organisation du travail avec l’essor des réseaux privés Intranet pour les entreprises, et détermine l’essor d’un nouveau champ d’activité, le commerce électronique, dont les États-Unis entendent bien faire une zone de libre-échange, un « duty free » planétaire. Les grands de la téléphonie, de l’audiovisuel et de l’informatique sont engagés dans une complexe et effervescente bataille technologique. Le but est de diversifier l’accès au réseau pour s’affranchir du micro-ordinateur multimédia jusqu’à présent nécessaire aux connexions. Des ordinateurs très « simplifiés » et bon marché, les NC (Network Computers), remplaceront les actuels PC, et Internet sera très vraisemblablement également accessible depuis les décodeurs des téléviseurs, les téléphones et de nombreux terminaux et appareils domestiques. Ces ouvertures technologiques vont conforter l’irrésistible extension du Web. Certains comparent l’impact de cette révolution médiatique, au tournant de notre siècle, à celle de l’avènement de l’imprimerie à la fin du Moyen Âge. D’autres y voient la seconde révolution industrielle après celle du machinisme. La mutation du Minitel vers Internet Le gouvernement français a annoncé fin août des mesures pour renforcer l’équipement des écoles en ordinateurs multimédia et multiplier les connexions à Internet. Le Premier ministre a fermement incité France Télécom à « faire évoluer le Minitel vers un terminal d’accès au réseau ». Les options ne sont pas tranchées car le Minitel, dont le principal handicap est d’être fermé à l’international, bénéficie d’avantages acquis : il rapporte 6,3 milliards de francs dont la moitié reversée aux fournisseurs des 25 000 services proposés. Outre les utilisateurs des 6,3 millions de Minitels, 1,3 million de possesseurs de micro-ordinateurs accèdent à ses services. Des logiciels d’accès au Minitel par Internet sont déjà disponibles, comme France Explorer, qui fonctionne sur le même principe de la tarification du kiosque selon la durée de connexion. Internet est aussi couplé au téléphone par un boîtier interface comme celui de la société Applio, et les premiers téléphonesterminaux à écran sont à l’étude chez Alcatel (Screen-Phone), Matra, Northern Telecom... Ils restent des appareils téléphoniques évolués et n’assurent aucune des fonctions classiques de l’ordinateur. De puissants logiciels pour extraire l’information des bases de données Créé au départ par des chercheurs et des universitaires, Internet est jusqu’à présent resté un vecteur d’échanges d’informations et un espace de convivialité. Le courrier électronique constitue toujours l’essentiel de son utilisation avec ses « e-mail » (boîtes aux lettres). Pour « surfer » sur le Web, structure foisonnante et délibérément « ouverte », on utilise des logiciels de navigation comme Explorer de Microsoft ou Communicator de son rival Netscape. L’accès aux données réserve toutefois des surprises au néophyte, rapidement englouti sous la masse des documents disponibles. Tel un gigantesque noeud d’autoroutes, le réseau est vite saturé à l’entrée des serveurs les plus demandés. L’Internet pour tous prôné par les pionniers du Web reste une utopie pour qui ne dispose pas d’outils informatiques de recherche et de sélection des informations. downloadModeText.vue.download 202 sur 361 DOSSIERS DE L’ANNÉE 201 L’utilisation du réseau se professionnalise depuis l’avènement des réseaux Intranet développés sur les protocoles Internet et dédiés aux entreprises. Ces réseaux croissent désormais plus vite que ceux de l’Internet car ils répondent à des besoins concrets et quotidiens, comme le courrier électronique interne, les transferts de données d’un site à l’autre et le travail par équipes « projet ». Exemple de ces nouveaux outils, la famille des logiciels « Push media » qui permettent à l’utilisateur de recevoir dans sa boîte aux lettres les seules informations qui l’intéressent. Des « moteurs de recherche », puissants logiciels conçus à l’origine par les services secrets pour extraire l’information sensible des bases de données (Topic développé par la CIA ou Taïga en France) vont aussi bouleverser le métier des documentalistes d’entreprise. Les spécialistes en « intelligence économique », nouvelle appellation de l’espionnage industriel, restent à l’affût entre les mailles d’Internet comme le montre le livre-enquête de Jean Guisnel. Contrôler le contenu et verrouiller le réseau La nébuleuse Internet a fait aussi l’actualité par ses abus comme la diffusion de données classifiées, la propagande intégriste et révisionniste, les photos de lady Diana mourante, la pornographie, ou plus simplement la diffusion d’ouvrages interdits. En janvier 1996, le livre du docteur Gubler sur la maladie du président Mitterrand a ainsi été « publié » sur le Web aussitôt après son retrait des librairies par décision de justice. Une journée suffit au patron d’un cybercafé de Besançon pour numériser, « imprimer » et « diffuser » ce texte dans le monde entier, au mépris du copyright. Certes, le cybernaute indélicat fut condamné, suite à la plainte des professionnels de l’édition, mais l’affaire n’en a pas moins mis en relief des problèmes d’éthique et un vide juridique. S’il est trop tard pour réglementer l’accès et le développement du réseau, sa surveillance s’effectue par la « visite » des sites les plus fréquentés par les services du ministère de l’Intérieur (douanes, répression des fraudes...). Des informaticiens, revendeurs sur le Web de logiciels piratés, ont ainsi été interceptés. Sécuriser les échanges de données avec la carte à puce De l’autre côté de l’Atlantique, où les « hackers », pirates informatiques, sont organisés et actifs, les autorités – notamment la CIA – s’inquiètent aussi des dérives. Des logiciels de cryptage des données et de sécurisation des échanges sont ainsi disponibles aux États-Unis, alors qu’en France la cryptographie, héritière de prérogatives militaires, reste soumise à autorisation gouvernementale (cette législation est en voie d’être assouplie dans le cadre européen). La protection des données a pris un relief particulier avec l’avènement du commerce « en ligne » qui implique le télépaiement électronique par carte bancaire. Outre les pistes magnétiques de codage, la carte française dispose d’un niveau supplémentaire de sécurité avec une clé cryptographique d’authentification intégrée dans la « puce ». Utilisée en porte-monnaie électronique, cette carte pourrait devenir l’outil privilégié des transactions financières sur le réseau. Des expériences ont démarré en France à la fin 1997. Le virage commercial d’Internet est d’ores et déjà un fait. Livres et CD, produits financiers, information et logiciels, billets d’avion, cadeaux et marchandises... s’achètent sur Internet. Pour la France, ce « cybercommerce » encore balbutiant représenterait dès l’an 2000 quelque 8 milliards de francs dans le domaine du grand public et 48 milliards de francs pour les flux d’affaires générés via les réseaux Intranet des entreprises. Internet, cheval de bataille du libéralisme américain Les 40 à 60 millions de clients potentiels dans le monde pour ce commerce électrodownloadModeText.vue.download 203 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 202 nique font figure de nouvel eldorado. Les États-Unis l’ont bien compris. Le 1er juillet, le président Clinton a souligné qu’Internet doit contribuer à la prospérité mondiale : « Chaque écran d’ordinateur deviendra une fenêtre ouverte sur chaque entreprise, petite ou grande, n’importe où dans le monde » a-t-il déclaré devant un parterre d’industriels. Cette ligne politique libérale confirme l’effacement croissant de la Maison Blanche devant l’initiative privée et le rôle moteur joué par les technologies de l’information et par les services dans l’économie américaine. Internet devient un cheval de bataille pour les industriels américains qui entendent prolonger dans le « cybermonde » leur politique libre-échangiste. Cette libéralisation du commerce électronique va de pair avec celle des télécommunications. La constitution de puissants groupes industriels se poursuit, dont l’exemple le plus récent, en novembre 1997, est la fusion des deux géants américains de la téléphonie longue distance MCI et WorldCom. Le nouveau groupe, qui pèse le chiffre record de 37 milliards de dollars, est né du plus important regroupement de l’ère industrielle. Les conséquences de ces concentrations se feront sentir sur l’économie d’Internet en mettant par exemple de l’ordre parmi les 4 000 fournisseurs d’accès actuellement trop dispersés et trop petits. Le cybercommerce a également des incidences fiscales qui jouent aussi en faveur des fournisseurs américains. On peut commander aux États-Unis via Internet un ouvrage ou tout produit peu encombrant qui sera expédié en Europe par des messageries privées (DHL, United Parcel, Federal Express, etc.). Au prix d’achat en dollars s’ajoutent les frais d’expédition, mais l’acheteur français « échappe » aux 20,6 % de TVA. Les douanes s’inquiètent de cette nouvelle forme d’évasion fiscale, mais les contrôles s’avèrent difficiles. De nombreux produits immatériels, comme les études de marché, les logiciels ou les banques de données qui constituent la nouvelle « matière grise » de nombreuses entreprises, peuvent, en effet, être commercialisés et « livrés » directement sous la forme de données. Les ordinateurs de réseaux Alors que les ordinateurs classiques ne se connectent que temporairement sur Internet, pourquoi ne pas étudier un appareil qui le serait en permanence et fonctionnerait grâce au réseau ? Le NC (Network Computer) est né de cette idée du président d’Oracle, société amé- ricaine spécialisée dans la gestion des bases de données et les serveurs. Simplifié à l’extrême, dépourvu de disque dur et doté d’une mémoire limitée, le NC ne comporte aucun des coûteux accessoires des actuels portables, ce qui justifie son prix, qui devrait être inférieur à 3 000 F. Selon ses concepteurs, il sera le véritable « ordinateur » domestique. Comme le téléphone ou le Minitel, le NC se connecte aux réseaux et joue le rôle d’un terminal informatique évolué qui se limite à traiter les données d’affichage sur l’écran. Ce sont les serveurs du réseau qui disposent des programmes informatiques et des logiciels d’exploitation et exécutent les tâches lourdes. Ce concept novateur et audacieux inquiète les tenants de l’informatique, menacés dans leur course effrénée aux nouveaux modèles plus puissants, plus plats, avec des logiciels en constante évolution. Ce transfert du coeur de l’ordinateur vers le réseau met en avant les spécialistes de la gestion des bases de données et des télécommunications et vient révolutionner le monde de l’informatique. CLAUDE GELÉE Bibliographie Michel Alberganti, le Multimédia, la révolution au bout des doigts. JeanClaude Guédon, La Planète Cyber, Internet et cyberespace. Jean Guisnel, Guerres dans le cyberespace, services secrets et Internet. downloadModeText.vue.download 204 sur 361 DOSSIERS DE L’ANNÉE 203 La montée du bouddhisme Au XIXe siècle marqué par l’expansion missionnaire chrétienne a succédé un XXe siècle où l’islam, les religions et les philosophies asiatiques s’installent de façon durable en Occident. Si l’islam suscite des réflexes de crainte, les secondes sont plutôt considérées avec sympathie. Le bouddhisme, particulièrement, exerce une séduction croissante. Sans être absolument nouvelle, cette attirance pour le bouddhisme est relativement récente. Au XVIIe siècle, les Lumières reprochèrent au bouddhisme de favoriser la passivité. Hegel et certains penseurs français le traitèrent avec mépris, y voyant un « culte du néant ». Les romantiques eurent une vision beaucoup plus positive. Schopenhauer mit en valeur l’idéal bouddhique de fin de la souffrance par la cessation de l’égocentrisme. Parallèlement, les pionniers des sciences religieuses étudièrent des textes fondamentaux. En 1845, Eugène Burnouf publia une histoire du bouddhisme indien qui devint un classique. Certains ont, alors, une perception assez rationalisante de cette religion non théiste. Jules Ferry, par exemple, invoque la morale bouddhique, « plus exigeante » à ses yeux que celle du christianisme, comme preuve qu’il n’existe aucun rapport « entre les dogmes et la conduite (morale) ». En 1893, des « messes bouddhistes » (sic) sont célébrées au musée Guimet. Un « bouddhisme de salon » remporte un certain succès. En exagérant, le Figaro prétend cette même année que « le Bouddha compte à Paris plus de cent mille amis et au moins dix mille adeptes ». La presse catholique s’alarme. Une société se crée, au Japon, pour la propagation du bouddhisme en Europe. Inutile d’édifier des temples, affirme-t-elle : on peut méditer le message du Bouddha dans les églises. Une certaine influence bouddhique se propage par des cercles ésotériques. Un Britannique devient moine bouddhiste, en 1902, en Birmanie et, à Ceylan, un monastère permet à des Européens de s’initier à la pratique du bouddhisme theravada. Les premières rencontres de bouddhistes d’Europe sont organisées dans les années 1930 (Berlin, 1933 ; Londres, 1934 ; Paris, 1937). Bouddhisme et christianisme Le dialogue interreligieux n’est pas un syncrétisme. Bouddhisme et christianisme restent conscients de leurs différences. Pour les bouddhistes, il existe une contradiction dans l’affirmation chrétienne d’un Dieu personnel tout-puissant, car la personnalisation signifie la limitation. De même, le monde imparfait ne peut pas être l’oeuvre d’un Dieu créateur. Le bouddhisme évite donc tout discours sur les origines et cherche essentiellement à libérer l’être humain par le non-attachement total. Les chrétiens, de leur côté, rappellent la distance entre la résurrection (reconnaissance de l’unité de chaque personne, victoire de l’amour sur le destin) et la réincarnation qui risque, selon eux, d’asservir les existences humaines à l’engrenage de la rétribution. Mais les deux religions prônent, chacune, des pratiques de compassion envers le prochain. La présence bouddhiste en France Le nombre de bouddhistes en Europe est estimé, actuellement, à environ trois millions. Outre la France, la Grande-Bretagne et l’Allemagne notamment possèdent des communautés d’une certaine importance. Depuis quelques années, le bouddhisme progresse en Europe de l’Est. Créée en 1975, affiliée à l’Unesco comme ONG, l’Union boudddownloadModeText.vue.download 205 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 204 histe d’Europe veut représenter les diverses communautés auprès des institutions européennes. Elle souhaite aussi faire connaître le bouddhisme dans le respect de la diversité de ses traditions. Quatorze unions nationales y sont affiliées, dont l’Union française, fondée en 1986. Avec un ensemble estimé à 600 000 personnes (la moitié aurait la nationalité française, un quart serait constitue de Français de souche), la communauté française s’est beaucoup développée depuis vingt-cinq ans. Elle comporte trois pôles : un pôle tibétain, un pôle japonais et un troisième qui rassemble des gens originaires d’Asie du Sud-Est. Le rayonnement du bouddhisme tibétain en France résulte d’un double mouvement : les voyages de jeunes Français en Inde et au Népal (à partir, surtout, de 1968) où ils rencontrèrent des moines tibétains exilés, l’arrivée de certains de ces moines en France. Près d’une centaine de centres tibétains de diverses écoles assurent un accueil ponctuel ou constituent de véritables monastères. L’école Kagyupa (transmission par l’oralité) prédomine, mais l’ensemble du bouddhisme tibétain bénéficie du prestige du dalaï-lama, chef de l’école des Guelougpas (vertueux). Ce bouddhisme s’inscrit dans la tradition vajrayana (ou Véhicule du Diamant), au panthéon complexe et au rituel foisonnant. L’accent est mis sur l’éveil total. Le corps est partie prenante, de façon visible, de la quête spirituelle. Les lieux les plus connus du bouddhisme tibétain sont le temple des Mille Bouddhas en Bourgogne et le centre de Karma Ling en Savoie, où des textes fondamentaux sont traduits en français. De tradition mahayana (Grand Véhicule), le bouddhisme japonais est présent, en France, de deux manières différentes. Le zen a été implanté par Maître Deshimaru Taisen, de 1967 à sa mort (1982). Depuis, la pratique du « zazen », ou méditation assise, s’est répandue au-delà des centres zen. Ces derniers proposent, selon le spécialiste du bouddhisme Dennis Gira, de « faire l’expérience directe de la vérité ultime, sans l’intervention de la parole ou même du symbole ». Parfois contestée, la Soka Gakkai (ou « Société pour la création de valeurs ») considère le moine japonais Nichiren (qui vécut au XIIIe siècle) comme le Bouddha fondamental. Réciter journellement et avec foi le mantra devant le Gohonzon (ensemble de symboles graphiques) doit donner l’énergie nécessaire pour surmonter les diverses difficultés de l’existence. Il peut en résulter une action dans le monde, notamment en faveur d’idéaux pacifistes. La majorité de la communauté bouddhiste en France provient de l’Asie du Sud-Est. On trouve une branche vietnamienne mahayana et une branche laotienne et cambodgienne theravada (ou bouddhisme des Anciens). Ce bouddhisme d’exil, lié aux événements dramatiques des années 1960 et 1970, a d’abord renforcé l’identité de réfugiés brutalement déracinés. Les temples s’occupèrent aussi des difficultés matérielles de leurs membres. Une proportion non négligeable appartient, aujourd’hui, à la deuxième génération, et une certaine « francisation » s’opère. La loi de séparation de 1905 établit l’éga- lité juridique des cultes. Il n’existe donc pas, en France, de culte reconnu. Par contre, on assiste à un processus par lequel une religion importée s’intègre dans le paysage religieux et culturel du pays. La récente création de l’émission « Voix bouddhistes », dans le cadre des émissions religieuses télévisées, est un des indices de cette intégration. Un attrait ambigu mais fécond La profondeur de l’attrait qui se manifeste en France comme dans d’autres pays occidentaux envers le bouddhisme frappe l’observateur. Le succès du livre du philosophe J.-F. Revel et de son fils, brillant scientifique devenu moine tibétain, en témoigne. Plus largement, selon un sondage CSA, 46 % des jeunes Français estiment que le bouddhisme « favorise downloadModeText.vue.download 206 sur 361 DOSSIERS DE L’ANNÉE 205 l’épanouissement personnel » (29 % pour le christianisme), qu’il est la religion la plus tolérante et la plus adaptée au monde moderne (la Vie, 27/03/1997). Cet attrait n’est pas dépourvu d’ambiguïté, comme le souligne D. Gira : les conflits internes sont largement méconnus (par exemple, la tension au sein des écoles tibétaines quand il s’agit de décider qui est la véritable réincarnation d’un maître renommé). De même se trouvent ignorés les « aspects sombres » de l’histoire du bouddhisme – les moines guerriers – et de son présent – ainsi au Myanmar (ex-Birmanie), où un bouddhisme dominant s’accommode d’atteintes à la liberté religieuse envers les chrétiens et les musulmans. Par ailleurs, la réincarnation, croyance en hausse en Europe (21 % selon l’enquête européenne sur les valeurs en 1990, 24 % en France), est interprétée, pour l’essentiel, comme de nouvelles chances d’accomplissement offertes à chacun alors que, dans les traditions bouddhiques, le but ultime consiste, au contraire, à briser le cycle des renaissances. Il existe, cependant, des malentendus culturellement créateurs et, si l’attrait du bouddhisme ne dépasse pas, chez beaucoup, une vague sympathie, il en conduit d’autres à participer à des sessions de formation dans divers centres. Des travailleurs sociaux, des paramédicaux, des médecins, confrontés au mal être et à la souffrance, se demandent si l’insistance du bouddhisme sur la compassion ne pourrait pas contribuer à améliorer leur pratique. Dans différents milieux, certains veulent intégrer des éléments bouddhiques dans une identité religieuse sans appartenance qui mélange diverses traditions. Enfin, d’autres veulent « se transformer » et devenir véritablement bouddhistes. Les uns et les autres apprécient une approche spirituelle qu’ils estiment ni dogmatique ni formaliste. Fondamentalement expérimentale, elle leur propose une voie d’accès à l’ultime transcendance fondée sur une méthode de transformation de soi. Les différences culturelles occidentales se retrouvent dans la diversité de l’attrait exercé par le bouddhisme. En France, le dalaïlama apparaît souvent comme un équivalent bouddhique de la figure charismatique de Jean-Paul II. Dans des terres plus protestantes – de Genève aux États-Unis –, on s’intéresse à l’école japonaise de la Terre pure, où la foi en Amida est un élément suffisant, qui peut être rapproché du salut par la grâce de Luther. Conscient de l’attrait qu’exerce le bouddhisme, le centre de Karma Ling propose, lui, d’organiser les « traditions unies » (comme on parle des « nations unies ») où chacun garderait son identité dans le dialogue et une tolérance réciproque. L’Union bouddhiste de France Fondée en juin 1986, elle rassemble environ 80 % des pagodes, centres et instituts bouddhiques existant en France, autour de 4 objectifs : – être un interlocuteur représentatif pour les pouvoirs publics, les autres communautés religieuses, les instances sociales et universitaires, – défendre les droits et les intérêts communs des cinq traditions bouddhistes, – contribuer au rapprochement de ces traditions, – oeuvrer à présenter le bouddhisme et la modernité. Les centres bouddhistes tibétains Les centres constituent la forme la plus socialement visible du bouddhisme en France. Leur nombre dépasse 80 et les plus importants donnent la possibilité de retraites de durée diverse. La plupart ont été créés dans les années 1970 : en 1974, le centre Kagyu Ling a été fondé en Bourgogne (et son temple des Mille BoudddownloadModeText.vue.download 207 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 206 has, 14 ans plus tard). En 1977 s’est établi, en Dordogne, le centre Dhagpo Dagyu Ling. Et, depuis 1980, le centre Karma Ling s’est installé en Haute-Savoie et il a vocation d’être un lieu de dialogue entre le bouddhisme et les religions occidentales. JEAN BAUBÉROT PRÉSIDENT HONORAIRE À LA SECTION DES SCIENCES RELIGIEUSES À L’ÉCOLE PRATIQUE DES HAUTES ÉTUDES Bibliographie John B. Cobb, Bouddhismechristianisme, au-delà du dialogue ? Labor et Fides, 1988. Bruno Étienne, Raphaël Liogier : Être bouddhiste en France aujourd’hui, Hachette, 1997. Dennis Gira dans Esprit, juin 1997), « les Bouddhistes français ». Jean-François Revel, Mathieu Ricard : le Moine et le Philosophe ; le bouddhisme aujourd’hui, NIL, 1997. downloadModeText.vue.download 208 sur 361 DOSSIERS DE L’ANNÉE 207 Les Aubrac : fausse affaire mais vrai débat La sortie sur les écrans du film de Claude Berri Lucie Aubrac et la publication du livre de Gérard Chauvy Aubrac. Lyon, 1943 ont placé le mythique couple de résistants au coeur d’un véritable tourbillon médiatique, et, entre hagiographie et injonctions soupçonneuses, mis sous pression la réflexion historienne. L’année 1997 a, de la sorte, pris figure de véritable année Aubrac, et donné une singulière confirmation aux mots qui ouvrent les Mémoires de Raymond Aubrac, publiés en 1996 : « Quelle chose étrange que la mémoire ! » Mais il n’a pu en être ainsi que parce que les deux événements, le film et surtout le livre, sont venus alimenter et porter à son paroxysme une polémique déclenchée quatorze ans auparavant, en 1983, à la faveur de l’arrestation de Klaus Barbie. Relancée lors du procès de ce dernier en 1987, cette polémique, autour d’insinuations graves sur l’action réelle du couple en 1943, avait d’ores et déjà rebondi en 1991, quand filtrèrent des bribes du « testament de Barbie », déposé l’année précédente par Jacques Vergés, l’avocat du tortionnaire, chez le juge Hamy : il s’agit d’un texte de 63 pages, que l’on dit rédigé par maître Vergés lui-même dans le cadre d’une nouvelle instruction réclamée par des familles de résistants contre le responsable du Sipo SD de Lyon qui purgeait alors la peine de réclusion criminelle à perpétuité à laquelle il avait été condamné pour crimes contre l’humanité. De la prison Saint-Paul au fort de Montluc Lucie et Raymond Aubrac (de son vrai nom Samuel) sont des résistants de la première heure. Ils entrent dans la Résistance, dès 1940, à Lyon, et Raymond Aubrac est l’un des fondateurs d’un des grands mouvements de Résistance, Libération-Sud. En 1943, cet ingénieur des Ponts et Chaussées est l’un des dirigeants de l’Armée secrète, l’organisation militaire de la Résistance. Le 15 mars 1943, Raymond Aubrac, sous la fausse identité de Vallet, est arrêté, en compagnie d’autres responsables de la Résistance. Interné à la prison Saint-Paul, il est libéré le 10 mai suivant. À quoi Raymond Aubrac doit-il cette libération ? Selon le récit qu’en fit Lucie, elle aurait fait pression sur le procureur lyonnais Ducasse, affirmant représenter le général de Gaulle, le menaçant de mort si, le 14 au ma- tin, Aubrac n’était pas libéré. Pourtant, l’avocat de Raymond Aubrac, Maître Fauconnier, avait déposé une demande de mise en liberté de son client pour raisons médicales, demande transmise par le juge d’instruction Cohendy au procureur de la République. L’intervention du juge suffit-elle à expliquer la libération de Raymond Aubrac ? Le 21 juin 1943, Raymond Aubrac, sous le pseudonyme d’Ermelin, est à nouveau arrêté dans la maison du docteur Dugoujon à Caluire, une banlieue de Lyon (voir encadré). Enfermé à la prison de Montluc, il est interrogé et battu par Klaus Barbie, mais n’est pas transféré à Paris. Il est finalement condamné à mort. Le 21 octobre 1943, un groupe de résistants, parmi lesquels Lucie Aubrac, libère des prisonniers au cours de leur transfert du fort de Montluc à l’école de santé militaire. Raymond Aubrac est du nombre. C’est pour lui qu’a été préparée cette opération des groupes francs, grâce à un scénario mis sur pied par Lucie. Après cette évasion, Lucie et Raymond Aubrac doivent quitter la France pour Londres, où ils parviennent en février 1944. downloadModeText.vue.download 209 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 208 Les arrestations de Caluire Le 21 juin 1943, huit hauts responsables de divers mouvements de Résistance sont arrêtés dans la maison du docteur Dugoujon à Caluire : Henry Aubry, le colonel Lacaze, Bruno Larat, André Lassagne, le colonel Schwartzfeld, Raymond Aubrac, Jean Moulin et René Hardy. L’objet de leur réunion : le remplacement du chef de l’Armée secrète, le général Delestraint venant d’être arrêté à Paris par la Gestapo (le 9 juin). René Hardy s’évade dans des conditions que certains résistants jugeront suspectes, alors que les autres sont internés à Montluc. Affreusement torturé par Klaus Barbie, Jean Moulin meurt lors de son transfert en Allemagne, probablement le 8 juillet. Ces arrestations surviennent en pleine crise, alors que Jean Moulin vient, le 27 mai, d’unifier mouvements de résistance, partis politiques et syndicats dans le Conseil national de la Résistance (CNR). La montée de la polémique, de 1983 à son explosion en 1997 L’« affaire Aubrac » commence en 1983, quarante ans après les faits, avec l’arrestation de Klaus Barbie et son transfert à Lyon. En 1984, dans un film réalisé par Claude Bal, René Hardy affirme que Raymond Aubrac et le général de Bénouville ont concouru à trahir Jean Moulin. Le film est condamné pour diffamation. En guise de réponse, Lucie Aubrac écrit et publie Ils partiront dans l’ivresse, un récit de sa vie et de sa résistance de mai 1943 à février 1944. Le livre rencontre un immense succès. De leur côté, Klaus Barbie et Me Jacques Vergés peaufinent leurs accusations. En 1987, la thèse de Vergés est au point : Jean Moulin aurait été livré par les chefs de la Résistance, Aubrac en tête. Aubrac serait l’agent qui renseignait les Allemands, et qu’évoque le rapport d’Ernst Kaltenbrunner, le chef du RSHA, le Bureau central pour la sécurité du Reich, du 27 mai 1943. Il y aurait un lien entre les arrestations de mars et celles d’octobre 1943, car, dès sa première arrestation, Raymond Aubrac serait devenu un agent au service de Barbie. Ces accusations, précisées dans le « testament » de Barbie, amènent Raymond Aubrac à déposer auprès du juge Hamy puis à réclamer, en vain, qu’une commission d’historiens se prononce. Lucie Aubrac, le film de Claude Berri, subventionné par le ministère de l’Éducation nationale et lancé avec un impitoyable battage médiatique, agace les historiens par la médiocrité de la reconstitution historique et par l’accumulation de tous les poncifs sur la Résistance sur fond de passion amoureuse. Dans le même temps est annoncée la parution de l’ouvrage d’un journaliste lyonnais, Gérard Chauvy, déjà auteur d’un Lyon 1940-1944 (1993) et d’une Histoire secrète de l’Occupation (1991). La sortie de l’ouvrage est différée, mais certaines revues s’en font l’écho. Quand il paraît, la polémique reprend de plus belle. L’ouvrage reproduit une série de documents, pour l’essentiel ceux que le juge lyonnais Jacques Hamy a rassemblés dans le cadre de l’instruction du second procès Barbie, instruction stoppée par la mort de l’accusé. Il dresse aussi le catalogue systématique des déclarations et récits successifs de Lucie et Raymond Aubrac, insistant sur leur caractère erratique. Pourtant, la conclusion de Chauvy est sans ambiguïté : aucune pièce d’archives ne permet « de valider l’accusation de trahison proférée par Klaus Barbie à l’encontre de Raymond Aubrac ». Parmi les historiens de la Résistance, l’appréciation sur le livre de Chauvy est nuancée, et celle de Dominique Veillon semble assez représentive. Pour cette dernière, la démarche de Gérard Chauvy « procède davantage d’un règlement de comptes que d’une simple méthodologie historique. Le style est celui d’un inquisiteur, les insinuations sont malveillantes. En particulier, les doutes que l’auteur laisse planer sur une éventuelle responsabilité des époux Aubrac à propos de la tragédie de Caluire sont dignes de mépris. Tout cela est détestable et je réprouve cette façon de procéder. Pour autant, je ne peux passer sous silence que le livre rassemble un nombre downloadModeText.vue.download 210 sur 361 DOSSIERS DE L’ANNÉE 209 important de documents, dont certains, inédits, conduisent inévitablement à se poser des questions, à demander à Lucie et Raymond des compléments d’informations, des éclaircissements. » Dix-neuf résistants, dont Jean Mattéoli, Geneviève Antonioz-de Gaulle, Pierre de Bénouville et Henri Rol-Tanguy s’élèvent quant à eux dans un appel public contre les « historiens ou prétendus tels qui s’attaquent à la mémoire des morts et à l’honneur des survivants ». D’autres, comme Daniel Cordier, ne s’y associent pas. Pour lui, comme il le déclare dans une interview publiée par Libération, les Aubrac n’ont pas, « sur l’année 1943, dit toute la vérité » et doivent s’expliquer « non devant des tribunaux, bien sûr, mais face à une commission d’historiens ». René Hardy, personnage clé René Hardy, du mouvement Combat, responsable de la Résistance Fer, qui n’avait pas été convié à la réunion de Caluire mais s’y était néanmoins présenté, est soupçonné d’avoir livré la réunion. Il sera toutefois acquitté lors de deux procès, en 1947 devant la Cour de justice de la Seine et en 1950 devant un tribunal militaire. Pourtant, dans l’état actuel des connaissances, et compte tenu des sources disponibles, la plupart des historiens considèrent à ce jour qu «il est bien le responsable de l’arrestation de Jean Moulin, mais insistent aussi sur la complexité des problèmes politiques qui se posaient alors à la Résistance et sur l’importance des divergences entre ses divers mouvements. Table ronde et recadrage du débat À la place d’une commission d’historiens, Libération organise, à la demande de Raymond Aubrac, une table ronde à laquelle participent Laurent Douzou, auteur d’une thèse sur Libération-Sud, l’ancien et l’actuel directeur de l’Institut d’histoire du temps présent, ainsi que François Bedarida, Henry Rousso, Dominique Veillon, Jean-Pierre Azéma et Daniel Cordier, ce dernier en sa double qualité d’ancien résistant, secrétaire de Jean Moulin, et d’auteur d’une monumentale biographie encore inachevée sur l’unificateur de la Résistance, l’Inconnu du Panthéon. Se joignent à eux deux éminents historiens, non spécialistes de la période mais amis des Aubrac : Jean-Pierre Vernant et Maurice Agulhon. Le 9 juillet 1997, Libération publie les minutes de la table ronde qui s’est tenue dans les locaux du journal le 17 mai et dont les débats ont porté sur les points jugés obscurs par Gérard Chauvy : l’arrestation du 15 mars et la libération d’Aubrac au premier chef. La table ronde n’éclaircit guère les modalités de cette libération. Les Allemands ont-ils cru qu’Aubrac n’était qu’un petit trafiquant de marché noir, comme il a tenté de le leur faire croire ? Ontils eu conscience d’avoir un résistant dans leurs mains, et si oui, ont-il perçu l’importance de ses responsabilités ? Sa libération est-elle due à la magnanimité du juge Cohendy, sympathisant de la Résistance ? Aux menaces de Lucie Aubrac ? Daniel Cordier signale qu’il n’a pas trouvé trace, dans les archives de la BBC, du message « continuer de gravir les pentes », prouvant au procureur Ducasse que Lucie Aubrac était bien l’envoyée du général de Gaulle. Quant à la seconde libération d’Aubrac, la table ronde met là encore en évidence, comme l’avait fait Chauvy, les variations du récit de Lucie Aubrac et pose un certain nombre de questions : pourquoi, à la différence de six autres résistants arrêtés à Caluire, Aubrac n’a-t-il pas été transféré à Paris ? Pourquoi Klaus Barbie ne s’est-il pas acharné sur lui comme sur tant d’autres ? Surtout, Daniel Cordier émet l’hypothèse que les Aubrac seraient indirectement responsables de la déportation des parents de Raymond à Auschwitz. Conjecture que beaucoup ont jugée scandaleuse. L’ensemble des historiens concluent cette table ronde par une affirmation, qu’ils ont répétée avec force dans d’autres publications : il n’y a aucune responsabilité d’Aubrac dans les arrestations de Caluire. L’insinuer est, selon les downloadModeText.vue.download 211 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 210 termes de Jean-Pierre Azéma, une « rumeur infâme ». Il n’y a donc pas d’affaire Aubrac. Mais ils soulignent, comme Chauvy, l’existence de « zones d’ombre » et l’inconstance des témoignages des deux résistants. Lucie Aubrac reconnaît d’ailleurs sa propension à inventer et à fabuler. Cette agrégée d’histoire se définit comme « une historienne qui enseigne ». « Pour enseigner, dit-elle, s’adressant à Maurice Agulhon et Jean-Pierre Vernant, je me suis servie de ces études très formelles que vous avez faites sur le XIXe siècle et sur l’Antiquité. Puis j’ai brodé autour avec les monographies, les biographies qui entouraient cela, parce que la pédagogie nécessite qu’on rende les choses vivantes. » « Ma vie de professeur, précise-t-elle encore, est une vie de militante, ce n’est pas une vie qui s’accroche à chercher l’heure, le prénom et la date. » En vérité, l’« affaire Aubrac » est devenue le point de convergence de nombreux problèmes : celui du statut de l’histoire de la Résistance ; celui du statut historique, voire juridique du témoignage ; celui des rapports entre témoins et historiens et entre l’historien et les médias. Et sur ces questions, les historiens se divisent : à ceux qui ont participé à la table ronde de Libération s’opposent ceux qui en récusent le principe, comme Antoine Prost. Pour ces derniers, les salles de rédaction ne sont pas le lieu où peut et doit s’élaborer le savoir historique. Certains historiens s’indignent particulièrement de la façon dont ont été traités les Aubrac. Comme l’écrivent Claire Andrieu et Diane de Bellescize dans le Monde du 17 juillet 1997, « un principe de suspicion, qui procède de la présomption de culpabilité, a été ainsi substitué au doute méthodique, celui de l’historien qui construit et valide ses questions avant de les livrer au public ». La médiatisation de l’« affaire » durant des mois, alors que tous les historiens s’accordent à dire que le récit des événements de Caluire n’en sort guère modifié, montre, d’une part, que l’intérêt du public pour les années noires ne faiblit pas et, d’autre part, comme le note Jean-Pierre Azéma dans la revue l’Histoire, que « la Résistance est paradoxalement [...] le pan de la France des années noires qui pose le plus de problème ». ANNETTE WIEVIORKA, HISTORIENNE, AUTEUR, NOTAMMENT, DE Déportation et génocide, HACHETTE, 1995 Bibliographie Ils partiront dans l’ivresse et Cette exigeante liberté. Entretiens avec Corinne Bouchoux : Lucie Aubrac. Où la mémoire s’attarde : Raymond Aubrac. Aubrac. Lyon 1943 : Gérard Chauvy. La Désobéissance. Histoire du mouvement Libération-Sud : Laurent Douzou downloadModeText.vue.download 212 sur 361 DOSSIERS DE L’ANNÉE 211 L’Inde, cinquante ans après L’Inde a fêté, le 15 août 1997, le cinquantième anniversaire de son indépendance dans une atmosphère d’autosatisfaction teintée de profonde amertume. Le chemin parcouru apparaît impressionnant, mais l’avenir de ce gigantesque pays reste hypothéqué par de nombreux problèmes, celui que posent les tensions entre communautés n’étant pas le moindre. Satisfaction : en un demi-siècle, celle qu’il est convenu d’appeler la « plus grande démocratie du monde » a atteint plusieurs des objectifs qu’elle s’était fixés au lendemain du démantèlement du British Raj, l’empire des Indes britanniques : autosuffisance alimentaire, relative maîtrise de sa croissance démographique, et élévation de l’Inde au statut d’incontournable puissance régionale, tant sur le plan économique que militaire. Amertume : les dirigeants de l’Inde se sont montrés incapables d’éradiquer la pauvreté, d’en finir avec les préjugés de caste de leurs concitoyens, d’empêcher que les antagonismes socioculturels entre la majorité hindoue et la minorité musulmane ne dégénèrent en de sanglantes et récurrentes émeutes. Pour comprendre l’aspect mitigé de ce bilan, il faut remonter à l’heure où l’Inde vient de recouvrer sa liberté, au lendemain de la partition de l’empire, quand du raj vont naître deux pays : l’Inde, à majorité hindoue, et le Pakistan, à majorité musulmane. Le pandit Jawaharlal Nehru, héros de la lutte contre les Britanniques et premier chef de gouvernement de l’Inde indépendante, a de grandes et utopiques idées. Avant la guerre, celui qui passera des années dans les geôles du colonisateur anglais était revenu suffisamment impressionné de son court voyage en URSS pour rêver de bâtir une Inde plus juste libérée de ses carcans sociaux. Une nation nouvelle où l’État jouerait un rôle central, où l’industrie lourde symboliserait les nouveaux « temples de l’Inde moderne », où le développement mènerait ce gigantesque pays sur les chemins de l’émancipation et de la justice. Les castes au pouvoir Brahmanes (prêtres), kshatriya (guerriers), vaishya (commerçants) et shudra (serviteurs) constituent la segmentation hiérarchique du système des castes hindou. Un système qui régit la vie des adeptes d’une croyance qui reste par ailleurs plus une philosophie de la vie qu’une religion au sens judéo-chrétien du terme. On a beaucoup glosé en Occident sur le caractère impitoyable d’un système qui conditionne l’existence de tout hindou depuis la naissance jusqu’à la mort. Les sociologues indiens nous apprennent cependant que la mobilité sociale intercastes est sans doute plus grande qu’il n’y paraît, même si la rigidité inhérente à cette stratification reste indéniable. Le phénomène est d’autant plus intéressant que l’on assiste depuis plusieurs années à la montée en puissance des gens de basse caste, voire même des intouchables « horscaste » : certains d’entre eux, qui ont vu leur niveau de vie augmenter, occupent même (ou ont occupé) les postes de Premier ministre de certains États de la fédération indienne. Le président de la République, Narayanan, est lui-même d’origine intouchable, issu donc de cette communauté que le Mahatma avait familièrement surnommée les Harijans, les « fils de Dieu ». Succès et revers du « modèle nehruvien » Ainsi naquit un modèle certes bien différent de celui qui prévalait alors dans les démocraties populaires alignées sur l’Union soviétique downloadModeText.vue.download 213 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 212 mais néanmoins résolument imprégné des idéaux du « paradis des travailleurs », comme il était d’ailleurs fréquent à cette époque où le tiers-monde, dans son ensemble, accédait à l’indépendance. Les priorités de Nehru étaient claires. Les efforts pour les faire passer dans les faits allaient être durables, transformant parfois en tare, comme dans les pays de l’Est, ce que d’aucuns pensaient alors être vertu : planification, accent mis sur le secteur étatique dans l’industrie, contrôle de la production et des importations (imposition de quotas), protectionnisme, etc. Au fil des ans, la « plus grande des démocraties » devint ainsi la plus gigantesque des bureaucraties. Et la fierté nationale d’un pays qui se targue d’avoir réussi à « ne dépendre de personne » allait souvent se conjuguer avec les maux inhérents à une planification excessive et à son cortège de lourdeurs administratives, de lenteurs à se développer, d’inefficacité économique. D’autant que, sur les plans stratégique et militaire, New Delhi s’aligna de plus en plus résolument sur Moscou... Devenu Premier ministre en 1947, Nehru avait hérité, il est vrai, d’une situation socioéconomique pour le moins délicate : les trois quarts des 353 millions d’Indiens vivaient en dessous du seuil de pauvreté ; l’espérance de vie à la naissance était de 32 ans ; 84 % de la population était analphabète ; l’Inde restait dépendante du monde extérieur ; le taux de croissance démographique était alarmant, faisant craindre aux plus pessimistes une explosion de la population avant la fin du siècle. Le pire était donc à craindre. Or, la catastrophe redoutée n’a pas eu lieu : un demi-siècle plus tard, l’Inde est autosuffisante sur le plan alimentaire, grâce notamment a la fameuse « révolution verte » lancée dans les campagnes durant les années 1960. Les grandes famines ont disparu même si des disettes ont eu lieu çà et là dans des régions très pauvres ou éloignées. La moitié des 950 millions d’Indiens savent lire et écrire ; certains États de la fédération comme le Kerala (Sud-Ouest) sont même parvenus à l’alphabétisation totale de leur population. L’espérance de vie est aujourd’hui de 62 ans. Reste un échec de taille : 300 millions d’Indiens environ continuent à vivre dans des conditions de misère presque totale, en dépit de la montée en puissance économique de Bharat Mata, la « Mère Inde », comme l’appellent les Hindous. Ce revers de la médaille est-il à mettre sur le compte de la faillite du « modèle nehruvien » de développement ? Les avis sont partagés, mais, de toute façon, la querelle relève d’ores et déjà de l’histoire : ce modèle a en effet été, dans les temps récents, totalement remis en question. Une ébauche de révolution économique Les nouveaux chefs de l’Inde moderne ont sacrifié les idéaux du passé sur l’autel de la mondialisation. En 1991, sous la pression du FMI et alors que l’Inde est en état de quasi banqueroute, le Premier ministre Narasimha Rao lance son pays sur la voie de la libéralisation économique. Certes, six ans plus tard, on est encore loin du compte, loin de ce que les tenants du libéralisme auraient voulu voir imposé au pays de Gandhi. L’Inde sera le siècle prochain la nation la plus peuplée de la planète (elle atteindra le milliard d’habitants en l’an 2000 et dépassera la Chine aux alentours de 2025, estiment les démographes) et reste donc soumise à un ensemble d’impératifs socio-économiques particuliers qui empêche un brusque passage à une économie complètement ouverte. L’Inde de Nehru n’était cependant pas qu’une copie du modèle soviétique. Le Pandit, qui fut l’un des architectes du mouvement des non-alignés, pensait à un système original, qui combinerait le rôle de l’État avec le dynamisme des « grandes familles » du secteur privé. Et où la priorité donnée à l’industrie lourde n’empêcherait pas l’amorce d’une réforme agraire. La voie choisie par Jawaharlal Nehru reposait en fait plutôt sur une sorte de capitalisme d’État downloadModeText.vue.download 214 sur 361 DOSSIERS DE L’ANNÉE 213 propre à assurer la transition entre une société restée profondément agraire et une puissance industrielle capable de rattraper son retard par rapport aux pays développés tout en réduisant les inégalités sociales. En dépit de tout un système de protections et de subventions, les carcans bureaucratiques et l’accent trop persistant mis sur l’industrie lourde n’ont pas réussi à faciliter le décollage d’une campagne aux 600 000 villages où les paysans ont vu leurs terres morcelées en raison de la croissance démographique tandis qu’ils voyaient leurs revenus baisser. Quant à la production industrielle, elle n’est pas parvenue à assurer le développement du pays, à permettre aux campagnes de rattraper leur retard alors que le secteur industriel devenait une sorte de monstre largement improductif et déficitaire. Durant des années, et au grand dam des consommateurs, l’Inde a réussi à produire du savon qui ne moussait pas, des clous qui se tordaient, des allumettes qui ne s’allumaient pas. Le tout au nom du concept sacro-saint d’indépendance nationale et d’autosuffisance... Un exemple parmi d’autres : il y a encore quelques années, le secteur public absorbait 40 % de l’investissement du pays et réalisait seulement 27 % du PNB tout en employant 70 % de la force de travail. L’ébauche de révolution économique initiée au début des années 1990 est donc en train de transformer en profondeur ce pays longtemps isolé économiquement. L’assassinat, en 1991, de Rajiv Gandhi, héritier d’une dynastie politique (il était le petit-fils de Nehru et le fils d’Indira Gandhi), met fin au « règne » d’une famille qui a presque toujours dirigé l’Inde indépendante. Cette mort marque un tournant qui va avoir des répercussions sur le plan économique. C’est à ce moment que le pragmatisme des nouveaux dirigeants fait amorcer un tournant sans doute irréversible au géant de l’Asie du Sud. Dérégulation généralisée, baisse des barrières douanières, convertibilité partielle de la roupie, encouragement aux investissements étrangers : les séries de mesures prises par le ministre des Finances Man Mohan Singh, un brillant économiste de religion sikh, ouvrent des portes longtemps fermées ou simplement entrebâillées. Indiens et étrangers se prennent aujourd’hui à rêver au « marché du siècle », ce marché de centaines de millions de consommateurs que laisse espérer la montée en puissance d’une classe moyenne estimée à 200 millions de personnes. Tensions entre communautés La remise en cause du modèle nehruvien n’a pas eu que des implications économiques. L’idéal d’une Inde unie autour d’une nation pluriethnique et multiconfessionnelle a été sérieusement battu en brèche ces dernières années. L’inexorable émergence des partis de la mouvance nationaliste et/ou extrémiste hindoue a provoqué de nombreux et sanglants heurts entre les communautés hindoue et musulmane, culminant, en 1992, avec la destruction d’une mosquée par une foule de fanatiques et provoquant ultérieurement des milliers de morts dans de nombreuses villes. Le parti des nationalistes, le Bharatiya Janata Party (BJP, parti du Peuple indien), est même devenu, à l’issue des élections de 1991, la plus grande formation parlementaire de l’Assemblée nationale – avant de faire une rapide incursion au pouvoir au lendemain du scrutin de 1996, quand le BJP a remporté, sans pourtant dégager une majorité suffisante, les dernières élections législatives. En dépit de la coalition de centre gauche et de communistes qui est aujourd’hui au pouvoir, l’implication de l’émergence d’un tel mouvement a des conséquences importantes sur l’évolution de la plus grande démocratie du monde. Si l’élite indienne et de nombreuses forces politiques restent résolument attachées au principe de laïcité, les succès électoraux des nationalistes font redouter à certains que l’Inde de la tolérance ne laisse place à une « Inde aux hindous », mot d’ordre des nationalistes. Au grand dam des 120 millions de musulmans downloadModeText.vue.download 215 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 214 et de tous ceux qui croient encore aux idéaux énoncés il y a plus d’un demi-siècle par un certain Mahatma Gandhi qui prêcha, au péril de sa vie, l’harmonie entre communautés... L’Inde aux hindous... Depuis le milieu des années 1980, le nationalisme hindou est devenu un mouvement politique et social qui a bouleversé les règles du jeu politique indien. En fait, dès les années 1920, une organisation hindoue, le « Corps national des volontaires » (RSS), qui reste aujourd’hui la formation « mère » des groupes hindous ultranationalistes ou extrémistes, s’oppose au colonisateur britannique tout en refusant de s’allier au Congrès de Nehru et de Gandhi. Ses objectifs : imposer l’ordre hindou, refuser le caractère pluriconfessionnel d’un pays où cohabitent également musulmans et chrétiens, s’opposer à cet islam dont les zélateurs ont dirigé le pays pendant des siècles, en détruisant les temples hindous et menaçant la culture originelle de l’Hindoustan. Les musulmans et les autres minorités, s’ils veulent trouver leur place dans l’Inde indépendante, devront se plier aux lois, aux désirs de la majorité hindoue (85 % des Indiens). C’est ce que veulent toujours aujourd’hui les parlementaires et militants du parti hindou BJP, qui a fait un bref passage au pouvoir en 1996. Le système politique indien Les 950 millions d’habitants de la fédération indienne jouissent d’un système démocratique copié sur le modèle du parlementarisme anglo-saxon : les élections législatives permettent au parti qui a recueilli le plus grand nombre de voix de nommer pour cinq ans un gouvernement et un Premier ministre. Le président de la République, élu par un Congrès réunissant la chambre haute et la chambre basse ainsi que par les parlementaires des Parlements régionaux, n’a que des fonctions honorifiques, sauf en cas de crise politique où il peut dissoudre les chambres et appeler à de nouvelles élections. Le parti du Congrès, la formation des Nehru-Gandhi, a presque tout le temps dirigé le pays, à l’exception de deux parenthèses où l’opposition réussit à s’imposer. Ce fut le cas en 1996, quand une coalition de différents partis de centre gauche et de communistes infligea sa plus grande défaite au Congrès tout en parvenant à faire barrage aux nationalistes hindous du parti BJP. L’Inde est donc entrée aujourd’hui dans l’ère des coalitions, aucune des grandes formations politiques n’étant pour l’instant capable de dégager à elle seule des majorités parlementaires suffisantes. Résultat : les partis régionaux prennent de plus en plus de pouvoir et le « centre », New Delhi, apparaît de plus en plus affaibli. BRUNO PHILIP, JOURNALISTE AU Monde downloadModeText.vue.download 216 sur 361 DOSSIERS DE L’ANNÉE 215 Elvis Presley : un culte américain Vingt ans, nul ne l’ignore, est le plus bel âge de la mort. Même si ce n’est qu’un « vingt ans après », l’anniversaire de la disparition d’Elvis a donné lieu le 16 août 1997, à Memphis, à un pèlerinage grandiose. L’Amérique et la diaspora des fans ont ressuscité le King, le temps de communier dans ce qu’il représente... Car le culte d’Elvis, c’est d’abord et avant tout la célébration du rêve américain, dans une version « petit Blanc » au-delà de toutes les caricatures. Liturgie du rock, si l’on veut, mais avec un mot d’ordre : provinciaux du Sud profond et de tous les pays, soyez unis en Elvis, le pauvre gosse souffreteux venu au monde sous le toit de tôle d’une cabane en planches, et qui mourut – enfin, cela se discute – allongé sur le marbre de son palais plaqué or ! Il eut bien du mérite... Comme tous les enfants nés le même jour, Elvis a eu sa chance : on a toujours sa chance aux États-Unis. Lui a su la saisir. Sa chance ? Une voix noire à peau blanche. Capable de chanter gospel ou country avec une identique ferveur. Presley n’a pas inventé le rock’n’roll. Il l’a blanchi, par hasard, en enregistrant dans une cabine à cent sous un disque destiné à sa mère adorée. Bon fils. Malgré sa moue de voyou et son déhanchement subliminal, ce coup de reins qui rend folles les filles. En quelques apparitions télévisées, Presley a donné du rythme aux frustrations de la jeunesse américaine tout en lui offrant une image présentable. Plus besoin d’aller s’encanailler dans le « quartier chocolat », comme on nomme alors les ghettos noirs où se jouent depuis le tout début des années 50 rhythm’n’blues et rock’n’roll. Les adolescents blancs possèdent désormais leur idole. Un jeune homme exemplaire. Plus mignon que ce gros dodu de Bill Haley. Moins sauvage que Jerry Lee Lewis, pervers affiché, brièvement marié à une vague cousine mineure. Elvis donne concert sur concert. Le travail ne lui fait pas peur. Elvis vénère sa famille. Avec ses premiers gains, il offre à sa mère une Cadillac (ni une Chevrolet, ni une Plymouth, une Cad’, signe extérieur absolu de réussite). Elvis se plie aux exigences de la patrie en effectuant son service militaire en Allemagne. Carrément le front de l’Est, alors qu’il aurait pu se la couler douce à Fort Lauderdale. Elvis s’impose décidément comme un des rares héros planétaires des années 50. Le culte du héros gentil et sexy vient narguer, dirait-on, celui rendu au vilain « oncle Joseph » (Staline), parfaitement dépourvu de ces deux qualités et tapi derrière son rideau de fer. Petite parenté de destin entre ces deux grandes figures médiatiques, une certaine « dépresleysation » fait écho à la déstalinisation quand Elvis rentre au pays, après deux ans passés sous les drapeaux. De navets hollywoodiens en bluettes sucrées, il se fait damer le pion par une nouvelle génération de rockers (Beatles, Rolling Stones) moins orthodoxes. Mais vêtu de son habit de lumière, cuir noir et sourire de diamant, le King devenu loser triomphe finalement de l’ingratitude des siens. Il effectue en 1968 un retour fracassant lors d’un show télévisé qui le propulse sur la route du panthéon américain : Las Vegas. Il fut à l’image de son peuple De la baraque en planches (l’étable), où il vit le jour, à ce mausolée de la culture populaire (la croix sur laquelle doit être expié le très répandu péché d’obésité) en passant par sa résurrection au NBC Show et Graceland, sa villa kitsch de Memphis (Terre sainte jamais échangée contre les hauteurs babyloniennes de Beverly Hills), la trajectoire christique vaut bien un culte indéfectible. Peut-être et certainement parce que Presley, bon p’tit gars, fils du dieu dollar downloadModeText.vue.download 217 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 216 resté près de son peuple, s’est lui même nourri (jusqu’à ce que mort s’ensuive) des mythes américains, avec tout ce que cela sous-entend de clichés et d’hypocrisie. Managé par le « colonel » Parker, faux colonel mais vrai immigré clandestin, Presley n’a jamais manifesté la moindre reconnaissance envers Sam Philips, le patron des disques Sun qui l’a découvert puis vendu pour une poignée de cacahuètes à RCA. Loi du business. Loi du contrat. Mari officiellement modèle et obsédé sexuel notoire, il ne déflore sa femme Priscilla (fille d’un vrai colonel, le père du régiment, rencontrée en Allemagne où il effectua en réalité un service d’opérette) qu’au soir de leurs noces, mais il l’avait initiée auparavant à de multiples « petits jeux » avec caméras et Polaroids. Collé devant les télévisions qui meublent Graceland jusqu’au plafond de sa chambre à coucher et amateur d’armes, Elvis défonce les écrans lorsque les programmes le lassent. Un must du fantasme américain lorsqu’il vire au cauchemar. Fait agent fédéral de la lutte contre les narcotiques par Richard Nixon, Elvis, comme les populaires coureurs cyclistes, ne se drogue pas. Il se « soigne » selon les prescriptions de multiples médecins pour supporter les tournées. Le King ingurgite des dizaines de pilules par jour. Somnifères, amphétamines, coupefaim, laxatifs, etc. Riche à millions, ce qu’aucun de ses concitoyens ne songerait à lui reprocher, et prodigue envers de multiples oeuvres caritatives, Presley demeure jusqu’à sa disparition l’archétype d’une certaine authenticité américaine, au même titre que Billy Smith, qui tient le X Press Body Shop à Nashville, ou Pamela Marshall, vendeuse chez Sear’s à Oakland. Se gavant de lard frit devant les séries télévisées. Chez lui. Home. Memphis. Jamais converti au surf californien, aux salades de fruits hawaïennes, aux costumes italiens de New York, aux voitures anglaises. Il est resté obstinément « Made in Tennessee ». Avant d’être « Dead in Tennessee ». Sa seule concession à l’exotisme fut le karaté. Accroc cher payé puisque Priscilla le quitta pour le professeur d’arts martiaux. Sacré bon gars bien de chez lui. Marié. Une fois. Divorcé. Une fois. Normal, en quelque sorte. S’il n’y avait eu cette voix... Une voix à tirer des larmes d’une statue. Y compris dans les versions les plus pompeuses d’un hymne nationaliste comme « American Trilogy » ou d’une bondieuserie de seconde zone telle que « I Believe in The Man in The Sky ». La sainte onction du dollar On ne peut reprocher à la culture populaire américaine la moindre indulgence envers les chanteurs sans voix. Héritage religieux par excellence, cette reconnaissance des timbres bien trempés n’a viré au culte qu’en de rares occasions toujours justifiées : Hank Williams, Frank Sinatra ou Presley. Trois Blancs essentiels ayant aussi flirté avec le blues. Le premier était officiellement trop défoncé (et trop franchement rustre) pour faire un héros de marketing posthume. Sinatra ? Trop latin. Et puis, la majorité de ses fans sont morts avant lui. Déjà soigneusement organisée de son vivant, l’elvismania, véritable matière première de Mem- phis, exploitée par une impeccable machine financière (Elvis Presley Enterprise, fondée en 1980, vaut aujourd’hui 250 millions de dollars), a donc inexorablement surfé sur le culte mortuaire. Ils étaient 100 000 fans, essentiellement Américains (3 000 Anglais et 300 Français) lors de la retraite aux flambeaux de Graceland, le 16 août dernier, point culminant d’une semaine de pèlerinage. D’authentiques fans du chanteur mais aussi de sacrés bons gars du Dakota et de bonnes filles du Nebraska, pour qui, dans ce pays trop jeune pour posséder une histoire, la tombe d’Elvis représente davantage que les pyramides. Car, même pour un million de dollars, personne ne pourra jamais se faire photographier à côté d’un ex-garde du corps de Toutankhamon. À Memphis, George downloadModeText.vue.download 218 sur 361 DOSSIERS DE L’ANNÉE 217 Klein, copain d’enfance du King, vous signe un autographe contre deux billets verts... Elvis Presley en quelques dates 8 janvier 1935 : Naissance à Tupelo (Mississippi) 8 janvier 1947 : Vernon, son père, lui offre sa première guitare 1949 : La famille s’installe à Memphis (Tennessee) Août 1953 : Pour 4 dollars, Elvis enregistre deux chansons à l’intention de sa mère. La secrétaire Marion Keisker remarque sa voix et donne ses coordonnées à Sam Philips, patron des disques Sun 19 juillet 1954 : Sortie du premier disque (« That’s allright Mama » et « Blue Moon of Kentucky ») sur le label Sun 24 mars 1958 : Début du service militaire en Allemagne 14 août 1958 : Décès de sa mère Gladys 25 mars 1961 : Concert à Honolulu. Début d’une éclipse musicale de huit ans 1er mai 1967 : Mariage avec Priscilla Beaulieu 3 décembre 1968 : Retour triomphal lors du show télévisé NBC Special 1er août 1969 : Retour sur scène à Las Vegas 14 janvier 1973 : Show “Aloha from Hawaii”, en mondiovision, au profit de la recherche contre le cancer. Un milliard de téléspectateurs 26 juin 1977 : Dernier concert, à Indianapolis 16 août 1977 : Mort à Memphis 1996 : 750 000 personnes visitent Graceland (10 dollars l’entrée). MICHEL EMBARECK, JOURNALISTE À la Nouvelle République, ÉCRIVAIN downloadModeText.vue.download 219 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 218 La mondialisation L’émotion suscitée, dans le monde entier, par la mort de lady Diana, le 30 août 1997, a surpris par son ampleur. En Inde et au Pakistan, plusieurs personnes se sont même immolées par le feu. En Chine, la nouvelle n’a été donnée qu’en bref dans les journaux, mais les Occidentaux se faisaient arrêter dans les rues de Pékin par des habitants assoiffés d’information. Plusieurs milliards d’êtres humains connaissaient l’existence de lady Di et les détails de sa vie sentimentale. Un tel événement aurait été impossible il y a encore dix ans. Entre-temps, les frontières politiques et commerciales se sont estompées, les technologies de l’information ont connu une révolution : les distances ont raccourci. Jamais l’expression « village global », imaginée dès 1967 par le visionnaire Graham MacLuhan, n’a paru aussi pertinente. Le couronnement d’Elisabeth II avait été la première émission en mondovision, l’enterrement de lady Di a été la première émotion en « mondialisation ». Apparu au début des années 90, le mot « mondialisation » est désormais entré dans le langage courant. Un peu comme le grand méchant loup, la mondialisation fait peur sans qu’on sache trop la décrire. Le phénomène est aussi abstrait que ses manifestations sont tangibles : les délocalisations d’entreprises se banalisent, les chefs d’entreprises sont de plus en plus exigeants, les produits de consommation sont de plus en plus homogènes, la télévision est envahie d’images exotiques, l’usage du courrier électronique devient courant, les grands groupes internationaux fusionnent sans fin, leur ancrage national s’estompe, la flexibilité du travail s’amplifie sans relâche, la puissance des marchés financiers ne cesse de s’accroître... C’est un peu tout cela, la mondialisation. En France, on a pris l’habitude de lui associer le chômage, les inégalités, l’exclusion, les difficultés pour maintenir un État providence : une diabolisation qui arrange bien les gouvernants. Extérieure et irrépressible, elle est un bouc émissaire idéal pour faire oublier leurs responsabilités. Pourtant, d’autres pays – et pas forcément les plus libéraux – ont réussi à s’y adapter, préservant tant leur emploi que leur protection sociale. Utilisée au singulier, l’expression de « mondialisation » (ou « globalisation ») est trompeuse. Il faudrait dire « les mondialisations ». Car, en réalité, trois phénomènes distincts sont à l’oeuvre. Premier phénomène, la fusion des marchés financiers Pendant les années 80, la libération des mouvements de capitaux a conduit peu à peu tous les marchés financiers à n’en former qu’un seul, ouvert jour et nuit. Les capitaux se déplacent au gré des risques et des résultats, façonnant le monde. Tout dérapage, toute fragilité est sanctionné par une fuite des investisseurs : ce fut la crise du Mexique en 1995, celle des pays asiatiques en 1997. Le marché est roi. Puissant, unifié, sans autorité de régulation digne de ce nom. C’est probablement la nouveauté majeure de cette fin de siècle, qui explique en partie les difficultés que rencontrent les Européens pour réduire leur chômage. En effet, avec la fusion des marchés financiers, les taux d’intérêt à long terme se sont unifiés, et stabilisés autour de niveaux réels élevés (environ 6 %). Quelle que soit leur nationalité, les entreprises, pour satisfaire leurs actionnaires, sont obligées d’afficher downloadModeText.vue.download 220 sur 361 DOSSIERS DE L’ANNÉE 219 une rentabilité au moins aussi élevée que ces taux d’intérêt. Pour s’adapter à la nouvelle donne économique et financière et dégager des bénéfices conformes aux standards mondiaux, les grandes entreprises se sont assainies à marche forcée. Quant aux petites, elles se heurtent à des difficultés de financement. Deuxième phénomène, la progression du commerce international Alors que la richesse mondiale progresse d’environ 3 % par an depuis 1994, le commerce, lui, augmente de 8 %. Ce boom des échanges tient en partie aux décisions prises à l’issue des dernières négociations commerciales (l’Uruguay Round, signé en avril 1994), mais aussi à la disparition du communisme : plus d’un milliard d’humains (des consommateurs, mais aussi des producteurs) ont basculé d’un coup dans l’économie de marché. Contrairement à une idée reçue, la France en profite largement. Au cours du premier semestre 1997, l’excédent commercial a dépassé 80 milliards de dollars, autant que sur l’ensemble de l’année 1996 (hors DOM-TOM). La croissance a été essentiellement tirée par les exportations. Le procès fait contre « la concurrence des pays à bas salaires » tient difficilement la route : le commerce français est équilibré avec la plupart des pays en question. Certes, certains secteurs industriels, par exemple le jouet ou la chaussure, ont été frappés de plein fouet par la concurrence des pays émergents. Mais la France vend d’autres produits à ces pays qui s’enrichissent : du champagne, des Airbus, des biens d’équipement. La quasi-totalité des études menées sur le sujet minimisent l’impact de la concurrence de ces pays à bas salaires sur le taux de chômage. Selon les experts les plus pessimistes, la France aurait perdu, du fait de leur concurrence, 300 000 emplois, soit moins de 1 % de la population active. Enfin, il ne faut jamais oublier que les dragons, Chine comprise, sont encore très loin derrière la France en terme de développement économique. Sait-on que 58 millions de Français produisent autant que 1,5 milliard d’Asiatiques à bas salaires ? Le développement des échanges passe aussi par l’investissement. Les grands groupes n’hésitent plus à construire des usines dans d’autres pays, afin de se rapprocher de leurs clients finaux : Hoover délocalise en Écosse ; Toyota s’installe dans le Nord, etc. En France, les investissements hors des frontières sont mal perçus, surtout s’ils prennent la forme de délocalisations pures et simples d’usines. Mais, là encore, le procès est trop expéditif. Les investissements à l’étranger permettent, la plupart du temps, aux groupes de s’implanter sur des marchés nouveaux et donc de prolonger leur action commerciale. Les délocalisations proprement dites restent très marginales : seulement 5 % des investissements français à l’étranger. Ni le développement du commerce ni celui des investissements hors des frontières n’ont donc d’impact direct sur l’emploi. Par contre, ils modifient profondément les comportements des entreprises et poussent les États à se réformer. En effet, l’ouverture des frontières oblige entreprises et États à être de plus en plus compétitifs. Les entreprises se spécialisent, sous-traitent tout ce qui n’est pas leur métier de base, affûtent leur gestion au maximum ; les États, de leur côté, sont soumis à une pression terrible afin d’alléger le plus possible leurs dépenses, à commencer par leurs dépenses sociales. Commerce international et inégalités Le rapport 1997 de la Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement (CNUCED) est un réquisitoire contre les effets pervers de la mondialisation. Selon cet organisme, l’intégration des économies n’a pas réduit les inégalités qui, au contraire, ne cessent de s’accroître depuis trente ans, à la fois entre les pays et à l’intérieur de chaque pays. En 1965, le revenu par habitant des downloadModeText.vue.download 221 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 220 7 pays les plus industrialisés était 20 fois plus élevé que celui des 7 pays les plus pauvres. Ce chiffre a doublé depuis. Pour la CNUCED, cet accroissement des inégalités n’est pas un phénomène transitoire de la mondialisation, et il serait erroné de croire que la libération totale des marchés conduira forcément à une réduction des écarts entre riches et pauvres. Il est donc de la responsabilité des États de jouer leur rôle de régulation et de redistribution, et d’accroître les efforts déformation. Troisième facteur, le développement foudroyant des technologies numériques De nouveaux modes de communication se diffusent rapidement : Internet, la télévision par satellite, etc. C’est l’aspect le plus nouveau et le plus spectaculaire de la mondialisation. Plus aucun obstacle technique n’entrave la circulation des données : textes, images ou sons. Les pays les moins démocratiques peuvent difficilement empêcher leurs habitants de s’informer de ce qui se passe dans le reste du monde. Sauf à faire du fax un objet interdit, comme en Birmanie... Dans de nombreuses capitales, les antennes paraboliques envahissent les toits. L’organisation des entreprises est profondément modifiée par la « médialisation », selon le néologisme inventé par Erik Izraelewicz (in le Monde qui nous attend, Grasset). Les possibilités de vidéoconférences, le télétravail, l’échange de données par les réseaux « Intranet », la multiplication d’objets nomades, tels que l’ordinateur portable ou le téléphone mobile, toutes ces innovations bouleversent la conception que l’on avait jusque-là du travail. Mondialisation et libéralisme Selon les libéraux, la réduction des dépenses publiques constitue le seul moyen de réduire le poids des prélèvements obligatoires sur l’économie et de redonner des forces aux entreprises françaises. Le « moins d’État » n’est pas une voie sans dangers. Il risque de conduire à des sociétés plus fragiles, car moins solidaires. Ajoutons que le calcul économique est contestable. Les pays dont les infrastructures sont les mieux entretenues et la protection sociale la plus sérieuse sont également les mieux placés pour attirer des entreprises étrangères. De même, la mondialisation permet à certains de prôner une extrême flexibilité du travail. Ce dernier devient une marchandise comme une autre, dont le prix – le salaire – doit pouvoir être fixé librement. Le résultat est pourtant contre-productif : en développant la précarité et l’incertitude, on ne fait qu’affaiblir les sociétés et creuser ce que l’économiste Jean-Paul Fitoussi appelle le « déficit d’avenir ». Davos, la Mecque de la mondialisation La mondialisation a sa Mecque : Davos. Tous les ans, vers la fin du mois de janvier, une bonne partie de l’élite politique et économique mondiale se retrouve dans une station de ski suisse alémanique, Davos. Ces rencontres, encadrées par les meilleurs experts, sont organisées par le World Economie Forum, un organisme suisse présidé par un universitaire, Klaus Schwab. Vers la fin des années 80, l’élite de Davos, la première, a pris conscience de l’enjeu capital de la mondialisation. À écouter les participants à ce symposium, rien n’échappera au processus : tout devient global. Certaines interventions sont déroutantes. Il n’y a qu’à Davos que l’on peut entendre un orateur expliquer que si un groupe comme Alcatel ferme une usine de 1 000 personnes en France pour en ouvrir une autre de 5 000 salariés en Inde, « c’est finalement une bonne nouvelle en termes globaux ». De rencontres en rencontres, ces hommes ont forgé une analyse commune de la mondialisation, un credo qu’ils récitent en choeur chaque année. La planète ira bientôt mieux, assurent-ils. Mais, attention, quel que soit son niveau de développement, un pays n’a downloadModeText.vue.download 222 sur 361 DOSSIERS DE L’ANNÉE 221 qu’une seule façon de tirer son épingle du jeu de la globalisation : ouvrir ses frontières, déréglementer son marché du travail, réduire les dépenses publiques... Davos est devenu le laboratoire mondial des idées libérales. Une fois rentrés chez eux, les responsables d’entreprises ou de partis politiques distillent ensuite cette doctrine. Une sorte de pensée unique planétaire. Mondialisation = américanisation ? Force est de constater que le phénomène de la mondialisation coïncide avec le triomphe des États-Unis. Non seulement leur système économique est présenté comme « le » modèle à suivre, mais ils ont également une longueur d’avance en ce qui concerne la révolution du multimédia. Bill Gates, le patron de Microsoft aux airs de bon garçon, est considéré dans le monde entier comme un héros moderne. Face au messianisme américain (dont l’efficacité est renforcée par une conjoncture nationale flatteuse), face à la toute-puissance des marchés, les Européens reposent tous leurs espoirs sur l’euro, présenté comme un « bouclier ». Seule la poursuite du projet de monnaie unique per- mettra, selon eux, de préserver leur modèle économique redistributeur. Les dangers du « MacMonde » L’idéologie de la mondialisation porte en elle le danger d’entraîner des réactions antidémocratiques. Elle véhicule, en effet, des valeurs creuses, et conduit à des comportements de consommation standardisés. C’est ce que l’universitaire Benjamin Barber appelle le McWorld (contraction de McDonald, McIntosh, DisneyWorld) : un monde baignant dans la recherche du “fun”, dans lequel tous les habitants de la planète devraient aimer les Nike et la famille Simson, les pulls Benetton et le Coca-Cola, Madonna et MTV. L’omniprésence de ce McWorld entraîne des réactions identitaires, que Barber résume sous le nom de Djihad Les mouvements islamistes ne sont pas les seuls en cause : en France, le Front national, qui fustige les « bacilles du mondialisme », est aussi une manifestation du Djihad. Pour Barber, Djihad et McWorld forment une seule et même menace contre la démocratie. PASCAL RICHE JOURNALISTE À Libération Bibliographie Alain Mine, la Mondialisation heureuse, Plon, 1997. Daniel Cohen, Richesse du monde, pauvreté des nations, Flammarion, 1996. Erik Izraelewicz, Ce monde qui nous attend, Grasset, 1997. Benjamin Barber, McWorld contre Djihad, Desclée de Brouwer, 1997. downloadModeText.vue.download 223 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 222 La réduction du temps de travail Les 35 heures comme remède au chômage qui mine la société et comme moyen de satisfaire l’aspiration des Français au mieux vivre : le gouvernement Jospin respecte ses engagements électoraux. La controverse est vive. Avancée raisonnable ou folie économique ? Le vendredi 10 octobre 1997 au matin, encadré par ses ministres Martine Aubry (Emploi) et Dominique Strauss-Kahn (Économie), Lionel Jospin reçoit la plupart des partenaires sociaux à Matignon, soit dix organisations patronales et syndicales. Cette « conférence de l’emploi, des salaires et du temps de travail » se déroule dans une bonne ambiance. Mais, lorsque le Premier ministre clôture la réunion en annonçant qu’il présentera une loi-cadre qui fixera, pour les grandes et moyennes entreprises, les 35 heures légales au 1er janvier 2000, le président du CNPF s’étrangle : « Si c’est la guerre, c’est la guerre ! ». Sur le perron de Matignon, il déclare : « Nous avons été bernés ! ». Trois jours plus tard, il démissionne de son poste, pour, dit-il, laisser la place à un « tueur ». En mettant le cap sur les 35 heures, le Premier ministre sait qu’il lance la France dans une nouvelle aventure, dont l’enjeu considérable explique à lui seul la réaction dramatique du CNPF. Jamais un pays n’a tenté la gageure, et l’expérience française est observée avec un mélange de curiosité et d’inquiétude par l’ensemble des pays occidentaux. Au départ, le gouvernement Jospin ne croit pas aux seules vertus des mécanismes du marché pour résoudre la crise actuelle. En effet, même une croissance très solide ne suffirait pas à faire baisser sensiblement le taux de chômage. Si l’activité augmentait de 3 % par an, le taux de chômage serait encore à deux chiffres au bout de cinq ans : autour de 11 % ! La seule façon d’aller plus loin est donc de partager le travail, de faire de la place aux chômeurs, par la contrainte légale et par les incitations financières. 35 heures ou 32 heures ? De plus en plus nombreux sont ceux qui estiment qu’il est à la fois plus simple pour les entreprises et plus efficace pour l’emploi de passer non pas aux 35 heures mais aux 32 heures (avec une légère baisse du salaire, cependant). Pierre Larrouturou*, un ingénieur-conseil chez Andersen consulting, est devenu le principal apôtre de « la semaine de quatre jours ». Premier argument : l’effet sur le niveau de chômage du passage aux 32 heures serait plus marqué. Une baisse de 4 heures de travail par semaine (soit moins d’une heure par jour) pourrait, dans certaines entreprises, être entièrement compensée par des gains de productivité ; ce serait beaucoup plus difficile si c’était une journée de travail par semaine qui disparaissait. Deuxième argument : il serait plus facile pour une entreprise de s’organiser si tous ses salariés font tous une semaine de 4 jours. Remplacer une personne pendant une journée semble souvent plus simple que de complètement réorganiser l’entreprise pour que tout le monde travaille 7 heures par jour. Déplus, le temps d’utilisation des équipements (bureaux, machines...) ne baisserait pas. Troisième argument : les cadres, qui travaillent plus de 10 heures par jour, ne profiteraient pas du passage aux 35 heures. En revanche, ils pourraient s’organiser pour libérer une journée par semaine. Quatrième argument : les 35 heures risquent de ne se traduire que par « une heure de télé de plus par jour ». Permettre à chaque salarié de profiter d’une journée de plus par semaine, consacrée aux loisirs, à l’éducation ou à des downloadModeText.vue.download 224 sur 361 DOSSIERS DE L’ANNÉE 223 activités associatives, pourrait, au contraire, déboucher sur un vrai changement de société. Le schéma gouvernemental Le plan proposé par le Premier ministre se veut pragmatique : une première loi lance le processus en accordant des aides aux entreprises qui passent aux 35 heures ; puis la négociation prend le relais dans chaque entreprise ; enfin, une seconde loi, prévue pour la fin de 1999, fixe une fois pour toutes la durée légale du travail et le tarif des heures supplémentaires. Cette loi sera plus ou moins contraignante en fonction de l’avancée des négociations et de la santé des entreprises. Si le processus est mal engagé, elle permettra de corriger le tir. La durée légale du travail n’a pour conséquence que d’imposer l’octroi d’un salaire supérieur (de 25 % actuellement) pour les heures effectuées au-delà de celle-ci. Si, au moment de la seconde loi, fin 1999, le gouvernement tient à ménager les entreprises, il pourra toujours décider de ne facturer que très légèrement les « nouvelles heures sup » (celles comprises entre la 36e et la 39e heure) : 10 % au lieu de 25 %, par exemple. La question du partage du travail est de celles qui fâchent, car il faudra bien que quelqu’un fasse un sacrifice. Soit les 35 heures s’accompagnent d’une baisse de salaire équivalente à la baisse de la durée du travail, soit les entreprises doivent elles-mêmes supporter ce surcoût, ce qui nuit à leur compétitivité. L’équipe de Lionel Jospin a cherché à répartir les efforts. D’abord, le gouvernement subventionne l’opération : c’est financièrement possible puisque, a priori, celle-ci doit entraîner une baisse des dépenses liées au chômage (en moyenne, un chômeur « coûte » 120 000 F par an à la collectivité). Ces incitations financières prennent la forme d’une baisse des charges ; elles sont fixées à 9 000 F par salarié, la première année, et sont dégressives. Ensuite, Lionel Jospin rejette l’idée d’une baisse de salaire, mais il demande en échange aux salariés de modérer leurs revendications salariales. S’ils acceptaient, en échange des 35 heures, de renoncer par exemple à 1,2 point de pouvoir d’achat par an pendant quatre ans, cela permettrait à terme aux entreprises d’économiser près de 5 % de masse salariale. Enfin, la réduction du temps de travail doit s’accompagner de gains de productivité. Du moins est-ce le pari des autorités. Si la durée du travail est baissée de 10 %, l’entreprise n’est pas forcément obligée d’augmenter ses effectifs de 10 %. Elle peut profiter de l’opération pour réorganiser sa production, pour négocier « l’annualisation de la durée du travail » avec les syndicats (c’est-à-dire la possibilité de faire travailler ses salariés 48 heures en période de forte activité, et 30 heures en période de basses eaux...). Selon les experts du gouvernement Jospin, ces gains de productivité induits devraient permettre aux entreprises de participer à l’effort demandé sans que leur compétitivité ne soit mise à mal. Les grandes étapes de la réduction du temps de travail Le débat sur les 35 heures n’est pas nouveau. Depuis un siècle et demi, la place du travail dans la vie des Français diminue constamment. La durée du travail a été divisée par deux, passant de plus de 3 000 heures par an à 1 650 actuellement pour les salariés à temps plein (et ce, sans parler de la baisse de l’âge de la retraite ou de l’allongement de la durée des études...) Voici les principales étapes de cette évolution : 1814 : dimanches et jours de fêtes catholiques chômés. 1841 : travail des enfants de moins de 12 ans limité à 8 heures par jour. 1848 : journée de 12 heures. 1900 : passage progressif (en quatre ans) à la journée de 10 heures. 1906 : semaine de 60 heures avec repos dominical obligatoire. downloadModeText.vue.download 225 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 224 1919 : journée de 8 heures, semaine de 48 heures. 1936 : deux semaines de congés payés. Semaine de 40 heures sans perte de salaire (qui restera très théorique jusqu’en 1968). 1956 : troisième semaine de congés payés. 1963 : quatrième semaine de congés payés. 1968 : semaine de 40 heures transcrite dans les conventions collectives. 1982 : semaine légale de 39 heures. Cinquième semaine de congés payés. 1996 : la loi Robien subventionne par des baisses de charges les entreprises qui réduisent le temps de travail pour créer ou sauver des emplois. Le patronat s’oppose, l’Europe s’interroge Malgré tout, le moins qu’on puisse dire, c’est que le schéma proposé n’a pas convaincu le patronat français. Ce dernier n’est pas hostile à une baisse du temps de travail négociée entreprise par entreprise, mais il considère qu’une loi s’appliquant à toutes les entreprises, sans distinction, fera subir une nouvelle contrainte à l’économie française. Les économistes libéraux crient casse-cou, en pronostiquant des fermetures ou des délocalisations d’entreprises. Dans les jours qui suivent la conférence du 10 octobre, le débat a franchi les frontières. En Italie, c’est en promettant les 35 heures en 2001 que le président du Conseil, Romano Prodi, a réussi, le 14 octobre, à dénouer une crise politique qui l’opposait aux communistes du mouvement Refondation, élément essentiel de la coalition gouvernementale. En Allemagne, la CDU de Helmut Kohl, en congrès à Leipzig, a rejeté catégoriquement cette voie : « Une réduction générale du travail ne peut contribuer à lutter contre le chômage, car elle nuirait encore à la compétitivité de l’Allemagne », dit une motion. Au contraire, le chancelier Kohl a proposé au contraire de travailler plus, et sans hausse de salaire... PASCAL RICHÉ downloadModeText.vue.download 226 sur 361 DOSSIERS DE L’ANNÉE 225 Elle est née, la brebis clonée ! La nouvelle a éclaté en février 1997 et a fait l’effet d’un coup de tonnerre dans le ciel de la biologie. Dans le monde entier, les médias en ont fait leurs choux gras des semaines durant, les comités d’éthique l’ont retournée en tous sens dans le monde entier. Devant tant de tapage, l’opinion publique s’est émue. Puis tout est rentré dans l’ordre. La recherche continue. Avec la naissance de Dolly a été franchie une étape essentielle dans l’histoire de la biologie. Pour la première fois, un mammifère (en l’occurrence une brebis) a été cloné de main d’humain à partir d’une cellule adulte prélevée sur sa « mère » biologique – soit, génétiquement parlant, sa copie conforme. Pour la première fois, la performance technique imaginée par Aldous Huxley en 1932 dans le Meilleur des mondes (1932) est devenue réalité. Des animaux sélectionnés sur des critères vétérinaires peuvent désormais être reproduits à volonté, et rien ne s’oppose plus, techniquement, à ce que le clonage soit demain pratiqué sur l’homme. Portée à la connaissance du monde via la revue scientifique Nature du 27 février 1997, cette prouesse historique est l’oeuvre d’un groupe de chercheurs écossais travaillant sous la direction de Ian Wilmut pour le Roslin Institute d’Édimbourg – établissement de recherche public – et pour PPL Therapeutics, firme privée spécialisée dans les biotechnologies. La technique, pour résumer, consiste à prélever une cellule dans les glandes mammaires d’une brebis adulte, puis à en extraire le noyau porteur du matériel génétique (ADN). Ce noyau, qui contient l’intégralité du patrimoine héréditaire de l’organisme, est ensuite fusionné, moyennant un léger choc électrique, avec un ovocyte (cellule sexuelle femelle) de brebis préalablement énucléé. Le tout est enfin réimplanté dans l’utérus d’une brebis porteuse, qui mènera à terme le développement d’une agnelle génétiquement semblable à la brebis d’origine. Au plan scientifique, l’avancée est immense. Pour les biologistes, le fait que Dolly soit née d’une cellule adulte signifie en effet que l’impossible est devenu vrai : pour la première fois, une cellule adulte replacée dans un contexte favorable a pris à rebours le chemin de l’enfance. Déjà différenciée, cette cellule est redevenue totipotente – soit aussi puissante, quant à son pouvoir de création, qu’une cellule originelle. Le clonage humain jugé inacceptable Tous les biologistes le savent : si le clonage des ovins est réalisable, celui des êtres humains peut l’être également. « Le meilleur des mondes » est-il pour demain ? En 1993, déjà, une tentative de clonage d’embryon humain (qui s’était révélé porteur de graves anomalies chromosomiques) avait été effectuée et publiquement annoncée. Et le développement des techniques de la procréation médicalement assistée est désormais tel que le clonage ne peut qu’alimenter le désir de certains de créer, « à la carte », un enfant génétiquement semblable à eux-mêmes – à moins qu’il ne s’agisse, plus simplement, d’apporter une réponse thérapeutique à la stérilité. Dès lors, où situer les bornes de l’inacceptable ? Confrontés à l’existence de Dolly l’agnelle, responsables politiques et comités d’éthique ont été à ce jour unanimes : le clonage humain, à quelque fin que ce soit, est inacceptable. Dès la nouvelle annoncée par les chercheurs écossais, le secrétaire général du Conseil de l’Europe, Daniel Tarchys, réagit en déclarant que cette réalisation scientifique, au demeurant « impressionnante », montrait downloadModeText.vue.download 227 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 226 « combien des règles plus strictes de bioéthique sont nécessaires ». Aux États-Unis, où les lois sont très libérales en matière de manipulations génétiques, le président Bill Clinton fit rapidement savoir qu’il interdisait que des fonds fédéraux puissent être consacrés aux recherches sur le clonage humain. Et de se prononcer, dans la foulée, en faveur d’un moratoire volontaire de la communauté scientifique, en précisant que les hommes ne doivent pas « essayer de se prendre pour Dieu ». En France, le président Jacques Chirac a également saisi le Comité consultatif national d’éthique sur le problème du clonage des mammifères, et il s’est inquiété de savoir si les lois relatives à la bioéthique votées en 1994, qui font figure de modèle en Europe, permettaient d’éviter « tout risque d’utilisation de ces techniques de clonage sur l’homme ». Une étape clé : le transfert d’embryons La victoire mérite d’autant plus d’être savourée qu’elle représente l’aboutissement d’une longue quête, commencée il y a près d’un demi-siècle. Les chercheurs, en effet, étaient déjà persuadés dans les années 1950 qu’il devait être possible de reproduire un individu à partir d’une seule de ses cellules. Les progrès de la génétique aidant, on savait que chaque cellule somatique (non sexuelle) contient, dans son noyau, le double jeu complet de chromo- somes constituant son programme génétique. Il suffisait donc, en théorie, de prélever un de ces noyaux et de l’introduire dans un oeuf préalablement énucléé pour obtenir, à la naissance, un individu génétiquement identique au donneur. À condition, bien sûr, que la cellule somatique utilisée ait conservé ses potentialités d’origine, et qu’elle soit capable de se dédifférencier pour redevenir embryonnaire. Ce fut là, précisément, que le bât blessa. Des décennies durant, les cloneurs en herbe se heurtèrent à la même barrière : sur les amphibiens, et plus encore sur les mammifères, leurs efforts donnaient des résultats d’autant plus décevants que les cellules employées étaient âgées-autrement dit spécialisées. Dans le meilleur des cas, les oeufs obtenus ne dépassaient pas le stade des premières divisions. Il fallut attendre les années 80, et la maîtrise du transfert d’embryons d’animaux d’élevage, pour que la perspective du clonage se concrétise véritablement. En 1986, l’équipe britannique du docteur Willadsen (Cambridge) annonçait la naissance d’un agneau issu d’un « clonage embryonnaire par transfert de noyau ». Dans les années suivantes, la technique (qui, comme son nom l’indique, utilise des cellules embryonnaires et non pas somatiques) fut reproduite sur des femelles de plusieurs espèces : vaches, lapines, truies et chèvres. En 1993, l’institut français de la recherche agronomique (INRA) annonçait à son tour avoir obtenu par ce procédé, sous la direction de Jean-Paul Renard (Jouy-en-Josas, Yvelines), la naissance de cinq veaux à partir d’une seule cellule embryonnaire. Entre les veaux de l’INRA et la naissance de Dolly, il y eut encore une étape. Franchie, déjà – et ce n’est pas un hasard –, par l’équipe du Roslin Institute d’Édimbourg. En 1996, l’équipe de Ian Wilmut présentait à la communauté scientifique deux agnelles, Megan et Morag, exactes copies génétiques l’une de l’autre. Fait remarquable, elles provenaient des cellules d’un embryon de mouton âgé de neuf jours, soit un embryon comptant plus de cent cellules déjà partiellement différenciées. Dolly, fille d’une cellule somatique entièrement adulte, était déjà en germe dans Megan et Morag... Il ne manquait plus que quelques mois de recherches, auxquels s’est peut-être ajouté, pour les chercheurs d’Édimbourg, ce « petit plus » que l’on nomme la chance. Dolly, une vieille agnelle ? Tombée au coeur de l’été 1997, l’information ne fit cette fois que peu de bruit. Et pour cause. Si elle se confirmait, elle mettrait à coup sûr un downloadModeText.vue.download 228 sur 361 DOSSIERS DE L’ANNÉE 227 frein aux rêves grandioses de ceux qui considèrent déjà le clonage comme l’avenir de l’élevage animal. Mais elle fut donnée par celui qui a, dans cette affaire, le moins intérêt à jouer les oiseaux de mauvaise augure. D’après le créateur même de Dolly, l’embryologiste Ian Wilmut, l’agnelle la plus célèbre du monde pourrait sous certains aspects avoir l’âge de sa “mère” biologique. Non pas un, mais sept ans. Comme la cellule qui lui a donné naissance. Mauvais scénario de film de science-fiction ? Pas si sûr. Si les études menées sur les chromosomes de Dolly sont encore préliminaires, elles laissent entendre que ces derniers présentent de légères modifications de structure, d’infimes altérations que l’on ne retrouve, en temps normal, que dans les cellules d’animaux nettement plus âgés. Ce qui, au plan biologique, n’aurait rien d’absurde. L’animal dont on fêtait en juillet 1997 le premier anniversaire pourrait en effet avoir gardé dans ses gênes la mémoire de ses origines : une cellule de glande mammaire prélevée sur une brebis adulte âgée de six ans. Même si cette cellule a su redevenir embryonnaire et donner naissance à un organisme parfaitement constitué, aucun biologiste ne peut aujourd’hui affirmer qu’elle a perdu, pour autant, tout signe de maturité, et effacé de ses chromosomes toutes les marques du temps. Dolly connaîtra-t-elle, dans les années à venir, une sénescence précoce et accélérée ? Il est encore trop tôt pour le prédire. Si tel était le cas, la recherche ne s’arrêterait pas pour autant – ni même, sans doute, les applications du clonage animal. Mais il serait plus que souhaitable, pour ne pas dire indispensable, que les recommandations éthiques visant à interdire le clonage humain soient suivies d’effet. De réelles perspectives économiques Dès l’annonce de la naissance de Dolly, l’action de sa maison mère, la société privée PPL Therapeutics, s’est envolée à la Bourse de Londres. Au-delà de la prouesse fondamentale, la possibilité de cloner des mammifères comme on bouture des végétaux pourrait en effet avoir des conséquences importantes dans un domaine essentiel des biotechnologies, dans lequel s’est précisément spécialisée la firme PPL : la création d’animaux transgéniques. Depuis une dizaine d’années, les progrès de la biologie moléculaire permettent en effet de modifier le patrimoine héréditaire de pratiquement n’importe quel organisme vivant, en introduisant dans ses cellules un ou plusieurs gènes étrangers. Mais cette technique de transgenèse, aujourd’hui très bien maîtrisée chez les végétaux, est nettement plus difficile à réaliser chez les animaux, et plus encore chez les gros mammifères d’élevage. La manipulation – qui consiste à injecter dans un oeuf fécondé une solution contenant de l’ADN, puis à transplanter l’embryon ainsi transformé dans l’utérus d’une mère porteuse – reste lourde, et son rendement, extrêmement faible : de 1 à 5 % chez la souris, nettement moins encore chez les animaux de grande taille. On conçoit, dans ce contexte, l’intérêt que trouveront les chercheurs au clonage animal. Transformer génétiquement en laboratoire une unique cellule adulte, la laisser se reproduire en autant d’exemplaires qu’il en est besoin, puis introduire chacun d’entre eux dans un ovocyte énucléé, voilà qui devrait changer considérablement le rendement de l’opération. L’enjeu est d’autant plus grand que les animaux transgéniques sont porteurs d’espérances non négligeables dans le domaine biomédical. Outre qu’ils sont employés comme modèles expérimentaux de maladies humaines (hypertension, athérosclérose, mucoviscidose, etc.), les sociétés de biotechnologies sont de plus en plus nombreuses à miser sur leur exploitation commerciale. Leurs objectifs ? Ils sont de deux ordres. Le premier, auquel travaillent des entreprises comme PPL Therapeutics ou Genzyme Transgenics Corp. (États-Unis), consiste à faire produire à ces animaux des protéines humaines d’intérêt pharmaceutique, en leur greffant le downloadModeText.vue.download 229 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 228 gène dans dans plus correspondant de manière qu’il s’exprime un liquide facile à traiter, par exemple le lait de vache ou de chèvre. Le second, futuriste, ouvre un nouveau et fascinant secteur de recherche biomédicale : celui des xénogreffes. L’idée, actuellement développée par Alexion Pharmaceuticals Inc. (États-Unis) ou Novartis (Suisse), est de transférer à des porcs des gènes humains susceptibles de rendre les cellules de ces animaux tolérables par notre système immunitaire. Les organes des porcs – physiologiquement très proches des nôtres –, devenus compatibles avec l’espèce humaine, pourraient ainsi être utilisés, en quantités quasiment illimitées, pour pratiquer des greffes de coeur, de foie ou de poumon. Grâce à Dolly, voici donc les animaux transgéniques promis à un bel avenir. La première étape de ce prévisible essor ne s’est d’ailleurs pas fait attendre. Le 25 juillet 1997, la même équipe écossaise (Roslin Institute et PPL Therapeutics) annonçait la naissance de Polly, première brebis obtenue par clonage d’une cellule adulte et dotée d’un gène humain. Dans son lait : le gène d’une protéine humaine à usage thérapeutique, qui, une fois extraite, pourra être administrée à des malades. Annoncée par le Financial Times (le fait qu’il s’agisse d’un journal économique est significatif ), cette nouvelle performance signe à n’en pas douter l’entrée dans l’ère commerciale des animaux clonés transgéniques. D’autant qu’on peut déjà prédire, même si les chercheurs durent effectuer près de 300 tentatives pour obtenir Dolly, que l’efficacité de la technique ira croissant. Un danger pour la diversité génétique Dans une autre perspective, agronomique cette fois, un second secteur pourrait également bénéficier du clonage animal : celui de l’amélioration génétique des animaux d’élevage. Dans ce domaine, toutefois, les perspectives sont encore assez floues. Agronomes, sélectionneurs, éleveurs sont unanimes : dans l’état actuel de sa pratique, le clonage animal reste trop cher, trop lourd à mettre en oeuvre, en un mot trop peu rentable pour être sérieusement envisage à grande échelle. Dans le cas des bovins notamment, tous s’accordent à penser que le clonage des mâles ne présenterait aucun intérêt, puisque les taureaux réservés à l’insémination artificielle, dont un faible effectif suffit à assurer la reproduction d’immenses cheptels, sont d’ores et déjà hautement sélectionnés. En annonçant en 1993 l’obtention de ses premiers veaux par « clonage embryonnaire », la direction de l’INRA n’en avait pas moins annoncé la couleur. Son objectif, à terme : « la production d’embryons bovins en grand nombre, sélectionnés pour leurs qualités agronomiques, à un prix compétitif avec celui d’une paillette de semence congelée ». Le clonage à partir d’une cellule somatique pourrait, à cet égard, se révéler plus intéressant encore, puisqu’il permettrait de reproduire en quantités infinies un individu déjà adulte, aux qualités agronomiques parfaitement connues. Qu’il s’agisse de contrôler la qualité fromagère des laits de vache ou de chèvre, l’hypertrophie musculaire ou l’acidité de la viande de porc, la technique du clonage, associée aux progrès actuellement enregistrés dans la connaissance du génome des animaux d’élevage, laisse ainsi envisager la production de véritables « bêtes de concours », parfaitement adaptées aux besoins de l’homme. Cette perspective ne présente guère qu’un seul risque, mais il est de taille : appauvrir un peu plus la diversité génétique des animaux d’élevage, seule garante de leur survie à long terme. Au coeur de l’embryogenèse Sur un plan purement fondamental, le clonage par transfert de noyaux offre une situation idéale pour étudier l’un des aspects les plus mystérieux de la biologie : les mécanismes qui président aux toutes premières étapes du développement de l’oeuf. En confrontant le noyau donneur (porteur du downloadModeText.vue.download 230 sur 361 DOSSIERS DE L’ANNÉE 229 programme génétique du futur individu) au cytoplasme d’une autre cellule que l’ovocyte originel, les chercheurs disposent en effet d’un modèle expérimental naguère inconcevable, pour étudier des processus naturels... dont ils ignorent encore presque tout. Quel est le rôle du cytoplasme au tout début du développement embryonnaire ? Comment les cellules originelles, au départ toutes identiques (totipotentes), deviennent-elles progressivement des cellules du foie, du pied ou de la peau – autrement dit des cellules spécialisées ? Et, dans ces cellules (qui, toutes, conservent l’intégralité de leur patrimoine génétique), quels sont les mécanismes qui président à l’expression ou à la répression des gènes ? À toutes ces questions, la naissance de Dolly n’a pour le moment apporté qu’une réponse, en forme de nouvelle énigme. Car l’impossible, on l’a vu, est devenu vrai : la cellule différenciée dont elle est issue est redevenue totipotente. Pourquoi, comment les gènes qui étaient en sommeil dans cette cellule adulte ont-ils été réveillés ? Les chercheurs donneraient cher pour pouvoir le dire. « La voie royale pour savoir si une cellule est capable de se dédifférencier, c’est le clonage », confirmait dès la naissance de Dolly le président français de l’INRA, M. Guy Paillotin, pour qui la réussite du Roslin Institute annonce une nouvelle ère de recherches. Qu’il s’agisse de travaux fondamentaux ou appliqués, une chose est sure : si Dolly est sortie de la boîte de Pandore, elle n’y retournera pas. CATHERINE VINCENT JOURNALISTE SCIENTIFIQUE AU Monde downloadModeText.vue.download 231 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 230 Le sport au défi des nouveaux dopages Les progrès réalisés en biologie et en médecine font que l’on dispose aujourd’hui de nouvelles molécules capables d’augmenter notablement les performances physiques. Ces substances hormonales sont, en toute illégalité, utilisées par de nombreux sportifs, alors que les techniques disponibles ne permettent pas de mettre toujours en évidence cette nouvelle forme de dopage. C’est, pour l’essentiel, la mise sur le marché il y a une dizaine d’années de deux hormones humaines produites par les techniques du génie génétique, l’érythropoïétine (EPO) et l’hormone de croissance, qui a révolutionné la pratique du dopage. Excessivement variées, souvent toxiques lorsqu’elles étaient efficaces, les substances dopantes utilisées jusqu’alors (et qui continuent encore souvent à l’être) empruntaient à différentes familles pharmacologiques mais pouvaient assez facilement être détectés, notamment par dosage dans les urines. Ainsi, le dernier cas spectaculaire de dopage mis en évidence ces dernières années, celui du sprinter canadien Ben Johnson – privé de son titre olympique en 1988 avant d’être suspendu une nouvelle fois en 1993 –, avait pour origine la prise de testostérone, hormone sexuelle mâle connue pour ses propriétés anabolisantes ; à l’époque déjà, les spécialistes de l’endocrinologie et de la médecine du sport n’avaient pas caché leur surprise de voir un athlète de ce niveau recourir à des procédés aussi... démodés. L’érythropoïétine (EPO) Cette hormone a, de manière naturelle, la propriété de décupler la production par l’organisme de globules rouges et, ainsi, en augmentant la quantité d’air transportée par le sang aux tissus musculaires, d’améliorer les performances physiques. En médecine, l’EPO est utilisée chez les malades placés en hémodialyse (ou rein artificiel) souffrant d’une production insuffisante de globules rouges. Les techniques disponibles font que l’EPO prise à des fins dopantes n’est pas détectable dans les petites quantités d’urine prélevées lors des contrôles antidopage. La prise d’EPO peut avoir de graves effets secondaires dans la mesure où elle modifie les paramètres de la viscosité sanguine, exposant ainsi à la survenue d’accidents cardio-vasculaires. Les spécialistes estiment que l’EPO a commencé à être utilisée par certaines équipes cyclistes italiennes au début des années 80 avant que l’usage de cette hormone ne se répande largement dans les milieux cyclistes. On estime aussi que d’autres produits d’origine sanguine, comme les hémoglobines de substitution toujours en expérimentation chez des malades et pas encore commercialisées, sont d’ores et déjà détournés de leur usage et utilisés à des fins dopantes. L’hormone de croissance Synthétisée au niveau de l’hypophyse, elle a, outre sa fonction de stimuler la croissance chez l’enfant et l’adolescent, des propriétés anabolisantes, augmentant notamment, comme la testostérone, la masse musculaire et réduisant la masse graisseuse de l’organisme. Commercialisée pour les enfants souffrant d’insuffisance hypophysaire, elle est détournée de son objet et utilisée sous forme d’injections intradermiques par certains adeptes des downloadModeText.vue.download 232 sur 361 DOSSIERS DE L’ANNÉE 231 sports de puissance ou d’endurance, ainsi que dans les milieux du culturisme. Une autre version de cette hormone (fabriquée à partir d’extraits cérébraux humains) présente de sérieux risques sanitaires dans la mesure où elle peut (à la différence de l’autre issue des techniques du génie génétique) transmettre l’agent de la maladie neurodéeénérative de Creutzfeldt-Jakob. Vers de nouvelles méthodes de dépistage Les responsables des fédérations sportives concernées par le dopage et surtout ceux du Comité olympique international (CIO) ont rapidement pris conscience de la menace que représentent l’émergence et le développement de ces nouvelles possibilités, hormonales, d’amélioration artificielle des performances musculaires. Outre l’atteinte à l’éthique sportive, ces pratiques sont particulièrement dangereuses. Alors qu’elles modifient nombre de paramètres biologiques, elles sont le plus souvent mises en oeuvre en dehors d’une véritable surveillance spécialisée. Pour le professeur Peter Soenksen, membre de la sous-commission « Dopage et biochimie du sport » du CIO et endocrinologue à l’hôpital Saint-Thomas de Londres, on devrait enregistrer des progrès importants en matière de dépistage d’ici aux Jeux de l’an 2000, à Sydney. Un million de dollars ont été engagés par le CIO et par l’Union européenne dans la recherche. La mise au point d’une méthode de dépistage de la prise d’hormones de croissance est attendue pour la fin 1998, et, s’agissant de l’EPO, deux méthodes de recherches, complémentaires, sont selon Alexandre de Mérode*, président de la commission médicale du CIO « en passe d’aboutir ». L’une porte sur les signes extérieurs de prise d’EPO et l’autre sur l’identification du produit. La lutte contre les nouvelles formes de dopage a aussi été marquée, en mars 1997, par les sanctions prises contre trois coureurs cyclistes professionnels convaincus – premier effet de l’autorisation accordée par l’Union cycliste internationale de procéder à des prélèvements sanguins – de s’être administré de l’EPO au cours de la course Paris-Nice. Jusqu’alors, les seuls prélèvements effectués lors d’épreuves sportives étaient urinaires (ce qui de facto in- terdisait pratiquement toute mise en évidence de prise de substances hormonales), les sportifs – ainsi souvent que leurs fédérations – s’opposant aux prélèvements sanguins comme susceptibles de réduire leurs performances. Une option discutable, le « dopage » sous contrôle médical La course-poursuite entre l’innovation en matière de dopage et la mise au point de nouveaux outils de dépistage des fraudeurs ne saurait masquer une question essentielle qui touche à la définition même du dopage et au statut du sportif professionnel dans une société où les enjeux financiers du sport de haut niveau n’ont jamais été aussi élevés. L’un des principaux arguments avancés par ceux qui estiment que l’administration de certaines hormones ne devrait pas être prohibée, mais médicalement contrôlée, est que la pratique intensive de la plupart des sports – a fortiori lorsque cette pratique est de haut niveau – provoque chez le sportif différents déficits hormonaux. C’est notamment le cas, chez la femme, pour la progestérone et les oestrogènes et, chez l’homme, pour la testostérone. Pourquoi ne pas compenser, lorsqu’ils surviennent, ces déficits hormonaux et prévenir les troubles afférents ? Pourquoi, en d’autres termes, ne pas autoriser la mise en place d’un « dopage médicalement assisté » ? Saisis de cette question essentielle pour l’avenir de nombreux sports professionnels, les sages du Comité national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé sont venus, dès 1993, au secours de ceux qui se refusent à s’engager dans cette voie. Pour ce comité, « les déficits hormonaux associés à la pratique sportive intensive sont la conséquence du caractère downloadModeText.vue.download 233 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 232 excessif de celle-ci, ils en constituent des symptômes d’alarme. » Aussi doit-on mieux « porter remède aux causes des déficits et non pas les compenser en maintenant les conditions qui les ont provoquées ». « Une telle attitude pourrait être préjudiciable à la santé des sportifs auxquels on ferait prendre un risque, souvent sous la pression des nécessités du spectacle et d’intérêts économiques », faisaient valoir les sages au terme d’une démonstration qui n’a rien perdu de son actualité et de sa pertinence. Il n’en reste pas moins vrai que les pratiques dopantes se perpétuent et se répandent dans de nombreux sports, tout se passant comme si notre société ne parvenait pas à choisir entre le respect de la morale sportive traditionnelle et le plaisir du spectacle de ces nouveaux gladiateurs que sont, bien souvent, les sportifs de haut niveau. JEAN-YVES NAU, JOURNALISTE AU Monde downloadModeText.vue.download 234 sur 361 DOSSIERS DE L’ANNÉE 233 Sida : réalité et limites d’un tournant Le recours à des associations de médicaments efficaces s’est généralisé dans les pays développés, mais, pour considérables et rapides qu’ils semblent, ces progrès ne doivent pas laisser méconnaître l’émergence de résistances virales aux traitements nouveaux ni faire oublier le drame qui frappe toujours plus cruellement les pays en voie de développement. Un rappel de l’état des lieux s’impose : on estimait fin 1996 que près de 23 millions de personnes étaient infectées par le VIH ; 14 millions en Afrique, 5,2 millions en Asie, 750 000 en Amérique du Nord et 500 000 en Europe. Le sida, stade ultime de l’infection, ne cesse de progresser dans les pays en voie de développement : les progrès thérapeutiques comme l’impact de la prévention y demeurent ténus. De fait, dans certains pays, l’espérance de vie a commencé à décroître sensiblement (d’au moins 5 ans, par exemple, en Thaïlande). La maladie concerne de façon plus importante des sujets très jeunes. Sur la seule année 1996, 400 000 nouveaux cas d’infection par le VIH ont été enregistrés chez des enfants de moins de quinze ans. À la fin de l’année 1997, plus d’un million d’enfants de ce groupe d’âge étaient touchés par cette maladie, dont plus de 90 % dans les pays en voie de développement. Depuis le début de l’épidémie, presque trois millions d’enfants de moins de quinze ans, infectés par le VIH, sont décédés. Si l’on extrapole les valeurs de 1997 aux années à venir, la mortalité des moins de cinq ans sera doublée d’ici l’an 2010 dans les pays les plus touchés alors que la mortalité infantile, tous âges confondus, sera accrue de 75 %. En France, le nombre de nouveaux cas de sida a augmenté jusqu’en 1994, atteignant alors 2 958 cas au premier semestre, puis a diminué de façon rapide. Il s’est limité à 1 390 cas au premier semestre 1997, contre 1 667 cas au deuxième semestre de 1996 et 2 358 au premier. Cette diminution semble concerner surtout les hétérosexuels et les usagers de drogues injectables, moins les homosexuels et bisexuels. Elle bénéficie de façon majoritaire aux patients séropositifs traités médicalement avant que ne se déclare la maladie. Ces chiffres ne permettent pas de connaître le nombre de sujets contaminés mais ne manifestant encore aucun signe clinique. Comme le nombre de patients séropositifs connus et traités par des médicaments avant que ne surviennent les premiers signes de la maladie a augmenté depuis 1993, on peut supposer que la diminution des nouveaux cas de sida est due à l’efficacité des stratégies antivirales adoptées chez des patients encore asymptomatiques. Le nombre de décès dus au sida a connu une évolution comparable à celle des cas de maladie déclarés, augmentant jusqu’en 1994 (avec 4 131 décès en France pour l’année) pour diminuer ensuite (2 802 cas en 1996 et 670 pour le premier semestre de 1997). Pays en voie de développement : le drame obligé L’épidémie de sida pose dans le tiers-monde des problèmes psychologiques et sociaux majeurs, d’une ampleur considérable : mi1996, plus de 9 millions d’enfants de moins de quinze ans avaient vu leur mère en décéder, dont 90 % des cas en zone subsaharienne. L’accès à un simple traitement par AZT pourrait faire passer d’environ 25 % à seulement 8 % le taux de transmission mère-enfant. Encore faut-il une réelle volonté politique et économique pour mettre en place ce type downloadModeText.vue.download 235 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 234 de prévention : le protocole thérapeutique par AZT, incluant le traitement de la femme enceinte puis de son(ses) enfant(s), représente un investissement d’environ 6 000 F. Des actions de prévention plus directes et moins coûteuses demeurent encore mal comprises de populations qu’elles blessent parfois dans leurs croyances. La sensibilisation de la population féminine de ces pays constitue vraisemblablement l’une des actions les plus efficaces en ce domaine (associant la prévention à l’égard des MST par usage du préservatif, l’assurance pour la femme de disposer de façon inaliénable de son corps, l’obligation morale et économique de limiter les naissances). Les bénéfices cliniques et sociaux des associations de médicaments C’est en 1986 que l’on a administré le premier médicament antiviral actif contre le VIH, l’azidothymidine (AZT), dont on avait rapidement montré qu’il ralentissait la progression de la maladie. Mais les effets de ce traitement, comme de ceux institués dans les années suivantes avec des médicaments comparables (ils inhibent le fonctionnement d’une enzyme indispensable à la multiplication du virus, la transcriptase-inverse), demeuraient modérés et, surtout, transitoires. Le développement, depuis le début des années 90, d’une nouvelle classe thérapeutique, celle des antiprotéases (des médicaments actifs sur une autre enzyme indispensable à la multiplication virale), a modifié radicalement ce paysage. Des résultats spectaculaires furent rendus publics lors du congrès de Washington en janvier 1996 : une trithérapie (traitement reposant sur l’administration de trois médicaments) par des produits agissant par des voies différentes sur le VIH améliorait considérablement l’état des malades. En juillet 1996, lors du congrès de Vancouver, l’efficacité de ce schéma thérapeutique fut confirmée. Fin 1997, plus de 23 000 patients français sur 80 000 personnes séropositives suivies dans notre pays, bénéficiaient d’une trithérapie. La trithérapie constitue donc désormais le traitement « standard » de l’infection par le VIH. Elle cumule plusieurs avantages théoriques : les effets thérapeutiques des médicaments – qui n’agissent pas tous de la même façon sur le virus – s’additionnent ; l’apparition d’une résistance du virus au traitement est inhibée ou retardée ; l’action thérapeutique porte sur les cellules nouvellement infectées comme sur celles déjà porteuses du VIH. Les données sur la physiopathologie de l’infection par le VIH constituent autant d’arguments privilégiant le recours à l’association de plusieurs médicaments (on étudie aujourd’hui des associations de quatre, voire cinq, médicaments actifs sur le virus). La réplication du VIH est intense à tous les stades de la maladie (1 000 à 10 000 millions de copies du virus sont ainsi fabriquées chaque jour), même chez les sujets encore asymptomatiques. Un virus sur deux est détruit par l’organisme dans les quelques heures qui suivent sa fabrication. Les mutations étant fréquentes, la population virale d’un patient donné devient rapidement hétérogène. Plus la contamination est ancienne, plus les mutants sont nombreux et plus l’organisme contient de virus capables de résister aux médicaments. Il est donc nécessaire de promouvoir un traitement aussi précoce et puissant que possible, afin d’enrayer la multiplication du virus et donc de limiter la probabilité de mutations. Mais la régression parfois considérable des manifestations cliniques et biologiques de l’infection ne doit pas faire mésestimer des questions qui demeurent en suspens : il reste impossible d’affirmer qu’une élimination totale du virus chez un individu contaminé est possible et, même si l’efficacité du traitement peut être matérialisée par l’augmentation de la population des cellules sanguines détruites par le virus (lymphocytes CD4) et la diminution de la quantité de virus dosable dans le plasma, une reconstruction immunitaire normale ne paraît pas pouvoir être obtenue aujourd’hui chez tous les patients. downloadModeText.vue.download 236 sur 361 DOSSIERS DE L’ANNÉE 235 Cependant, l’intérêt de la trithérapie est tel qu’une circulaire autorise, depuis juillet 1997, le traitement préventif par cette voie de sujets ayant risqué une contamination, notamment lors d’un rapport sexuel non protégé. Et, depuis le 30 octobre 1997, les traitements antirétroviraux de prescription initiale hospitalière peuvent être renouvelés par des généralistes et dispensés en officine. Charge virale : un outil de premier ordre La charge virale reflète la quantité de virus présente chez un individu. Il est désormais possible de la mesurer dans les cellules du sang (charge virale cellulaire qui renseigne sur le réservoir viral) ou dans le plasma (quantité de virus libre dans le plasma, reflétant l’importance de la multiplication du virus dans l’organisme). Associée à la numération des lymphocytes, elle permet de suivre la progression de la maladie (elle est prédictive du risque de survenue d’infections opportunistes), de poser l’indication du traitement antiviral puis d’évaluer son efficacité. Le ministère de la Santé a, dès janvier 1996, recommandé de l’utiliser pour assurer le suivi des personnes infectées. S’agissant des essais cliniques, la mesure de la charge virale plasmatique est devenue un critère d’évaluation aussi précoce qu’essentiel pour de nombreux essais de médicaments chez des sujets simplement séropositifs. Elle a permis de valider la trithérapie, qui assure souvent une réduction rapide et considérable de la quantité de virus circulant dans le sang et contenue dans le tissu lymphoïde. Ne pas baisser la garde De nouveaux médicaments actifs contre le VIH sont en voie de commercialisation et beaucoup d’autres sont actuellement évalués dans les laboratoires. Actifs à diverses étapes de la multiplication du virus, ils confortent l’espoir de disposer dans un futur proche d’armes encore plus efficaces. D’importants progrès permettent d’élaborer des molécules mieux tolérées et plus faciles à administrer aux patients asymptomatiques qui, indemnes de toute manifestation clinique de la maladie, vivent comme une contrainte parfois insupportable l’obligation d’absorber plusieurs fois par jour des produits qui leur occasionnent souvent des nausées, des maux de tète ou des malaises. Certains patients prennent ainsi entre huit et douze comprimés ou gélules chaque jour, répartis de façon stricte. Une observance insuffisante de la prescription aboutit rapidement, à une perte majeure des possibilités de traitement, car elle favorise la sélection de souches virales résistantes aux médicaments. Le patient infecté par le VIH figure donc, plus encore que pour d’autres maladies, au centre même du processus thérapeutique : il est l’acteur principal de la réussite de son traitement. Mais il faut aussi pour ce malade apprendre à gérer l’espoir nouvellement redonné. L’avancée thérapeutique bouleverse l’existence de beaucoup de patients : il s’agit moins désormais de se préparer à l’idée de mourir du virus que de se faire à celle de vivre avec. De composer avec. De supporter l’injustice biologique qui fait que certains, parmi des enfants, des amis, des proches atteints eux aussi par la maladie, ne réagissent pas suffisamment aux traitements actuels (ils sont entre 10 et 30 %) : ceux chez lesquels les résultats sont évidents supportent souvent mal une amélioration vécue comme quasi miraculeuse par rapport à ceux qui se voient précipités vers la mort. Beaucoup de malades, affaiblis et déprimés, ont progressivement abandonné toute activité salariée, vivant de l’allocation pour adulte handicapé. Nombre d’entre eux, recouvrant de façon inespérée des forces et une espérance nouvelle, aimeraient retrouver un travail : mais comment réintégrer des personnes qui ont longtemps perdu contact avec l’entreprise ? Comment justifier auprès d’un employeur un vide de quatre, cinq ou six ans dans un curriculum vitae ? L’association Act Up va jusqu’à downloadModeText.vue.download 237 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 236 craindre qu’un sida considéré comme maladie chronique n’ait plus le même impact médiatique et ne parvienne plus à mobiliser les volontés politiques, les responsables de la santé publique ou l’industrie pharmaceutique. Pire : le sentiment que le danger est écarté incline certaines personnes, des homosexuels essentiellement, à ne plus prendre les précautions élémentaires. Alors même que les mesures prophylactiques ne s’étaient mises en place que trop lentement dans la communauté gay française, face au lobby que représentait au début des années 80 l’ensemble des activités centrées sur l’homosexualité (discothèques, saunas, bars et restaurants, médias, etc.), beaucoup ne songent déjà plus à utiliser systématiquement un préservatif. Le safe sex (sexe « sans risque », un concept popularisé aux États-Unis il y a déjà quinze ans qui invite à une pratique préférant la masturbation à la pénétration) n’est plus privilégié de façon aussi rigoureuse dans tous les établissements fréquentés par la communauté homosexuelle. DENIS RICHARD, PHARMACIEN DES HÔPITAUX, UNIVERSITÉ, CENTRE HOSPITALIER HENRI-LABORIT, POITIERS. downloadModeText.vue.download 238 sur 361 DOSSIERS DE L’ANNÉE 237 L’eau menacée L’eau est une ressource abondante, en principe renouvelable, mais très inégalement répartie. Les prélèvements nécessaires à l’agriculture, à l’industrie et à la consommation d’une population mondiale sans cesse croissante font qu’elle pourrait finir par manquer. De plus, la qualité des eaux naturelles et de consommation se dégrade du fait de la pollution. Le renouvellement naturel des eaux superficielles continentales s’explique par le climat, lui-même résultat d’un équilibre entre l’hydrosphère, l’atmosphère, la biosphère et l’énergie solaire. Cette dernière est le moteur du cycle de l’eau : elle entretient les mouvements ininterrompus de l’eau entre continents, océans et atmosphère. Le cycle se déroule ainsi : sous l’effet de l’évaporation des eaux océaniques et continentales et de la transpiration des êtres vivants, l’eau s’accumule dans l’atmosphère. Au cours de son ascension, la vapeur d’eau, en se refroidissant, se condense partiellement sous forme de nuages ; l’atmosphère se charge alors en eau à l’état de liquide, de vapeur ou de cristaux de glace. Les gouttes de pluie, les grêlons ou la neige retombent sous l’effet de la gravité, sur les océans et les continents. Une partie des eaux précipitées est soumise à l’évaporation et à l’évapotranspiration, tandis que l’autre ruisselle à la surface ou s’infiltre dans le sol et le sous-sol. Les eaux de ruissellement se concentrent dans les cours d’eau avant de rejoindre mers et océans, lacs et mers continentaux. Et le cycle reprend. L’inégale répartition des eaux superficielles s’explique par la dynamique du cycle de l’eau, elle-même déterminée par l’énergie solaire, les échanges énergétiques Terre-Soleil et Terre-atmosphère, le champ de pression atmosphérique, et par des facteurs astronomiques et géographiques. Les précipitations sont inférieures à l’évaporation dans les régions subtropicales et polaires, et supérieures dans les régions des basses et moyennes latitudes. Il n’est donc pas étonnant que la carte des ressources en eaux superficielles soit superposable à celle des précipitations. La ressource La réserve totale en eau de la planète, estimée entre 1,4 et 1,7 milliard de km 3, est constante. Elle est constituée par les eaux océaniques, par les eaux que retiennent les calottes glaciaires et enfin par les glaciers et les eaux continentales. Soit, respectivement, 97,2 %, 2 % et 0,6 % de l’ensemble (les 0,2 % restants correspondent au cumul de l’eau du sol et de l’eau atmosphérique). Sur les 100 000 km 3 d’eau qui retombent chaque année sur les continents, 15 000 s’infiltrent dans les sols ou sont absorbés parla végétation, 60 000 s’évaporent et 35 000 alimentent lacs et rivières. L’homme n’utilise que la moitié environ de ces eaux de surface, soit de 15 000 à 20 000 km 3. Ce volume est très supérieur aux besoins actuels et il n’y a pas de risque de pénurie à court terme. Précisons cependant que la répartition spatiale des eaux douces superficielles est aussi inégale que celle des précipitations et que de grands gisements d’eau souterraine – généralement fossile donc non renouvelable – existent aussi bien dans les régions désertiques que dans les régions très pluvieuses. L’eau douce, à l’échelle de la planète, ne se trouve pas toujours où il faudrait au regard de la répartition de la population. Les eaux superficielles Il s’agit de l’ensemble des eaux de surface (eaux fluviales et lacustres) ainsi que des nappes phréatiques situées à moins de 100 m de profondeur. Ces eaux, là où elles existent, sont renouvelées dans les conditions climatiques actuelles. Leur abondance peut être afdownloadModeText.vue.download 239 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 238 fectée par des sécheresses aggravées, comme c’est souvent le cas dans les régions subtropicales et tropicales sèches (Sahel). La qualité naturelle de ces eaux est fonction de leur contexte géologique, biogéographique et climatique. Les eaux courantes, en l’absence de toute influence humaine, contiennent et transportent des matières dissoutes et des matières en suspension : les premières proviennent de l’altération des roches, du lessivage des sols, des apports atmosphériques d’origine volcanique et océanique ; les secondes sont fournies par l’érosion mécanique des roches, des sols et des berges des rivières, ainsi que par la végétation. La nature des terrains géologiques détermine la teneur moyenne des eaux fluviales en sels dissous, qui peut varier entre 10 et 5 000 mg/l. Si l’altération des granités, des gneiss et des grès libère peu de sels, celle des calcaires ou des roches sédimentaires riches en évaporites (chlorure de sodium, sulfate et carbonate de calcium) rend les eaux dures. Les eaux de certaines rivières du Jura sont séléniteuses (riches en gypse), d’autres très calcaires. La composition ionique des eaux superficielles est, elle aussi, très variable. La présence de certains ions permet de distinguer, par exemple, des eaux sulfatées sodiques (rivières des Black Shales, au Montana), des eaux chlorurées sodiques, comme celles de rivières bretonnes ou landaises, ou encore des eaux sulfatées magnésiennes. Les eaux recèlent également de nombreux éléments minéraux, chimiques et organiques en quantité variable. Il s’ensuit qu’à l’état naturel elles peuvent être potables, moyennement potables ou totalement impropres à certains usages humains : tout ne doit donc pas être imputé à la pollution. Ce qui n’enlève rien au caractère préoccupant de celle-ci. La pollution, un risque majeur Une eau est dite polluée lorsque sa qualité a été modifiée par les activités humaines, agricoles et industrielles. Or, les eaux superficielles, qui représentent l’essentiel de la ressource exploitée, sont précisément celles qui sont les plus affectées par la pollution ou, plus exactement, par des pollutions de plus en plus variées. Le programme des Nations unies pour l’environnement a classé les modifications de la qualité des eaux en neuf catégories selon leurs origines et/ou leurs effets : pollution fécale, pollution organique biodégradable, salinisation, pollution par les nitrates, les métaux lourds, les micropolluants organiques, l’eutrophisation, l’acidification, les pollutions thermiques et la contamination radioactive. Ce caractère pluriel de la pollution explique qu’elle soit devenue, en cette fin de siècle, si préoccupante. Les eaux naturelles, rarement potables, sont le lieu de pollutions multiples ; elles peuvent être souillées par des déchets d’origine végétale, animale et humaine. Les eaux fluviales et lacustres véhiculent et renferment des germes pathogènes, vecteurs de la typhoïde, du choléra ou de la dysenterie, des virus comme ceux de la poliomyélite et de l’hépatite. À ces pathologies liées à l’eau il faut ajouter les maladies parasitaires transmises par les insectes (paludisme, onchocercose, trypanosomiase...) ou par les mollusques (bilharziose), maladies qui affectent des centaines de millions de personnes dans les pays tropicaux et subtropicaux. Dans les pays développés, la pollution est le fait des activités agricoles et industrielles et de la production – accumulation d’un volume de plus en plus considérable de déchets ménagers très variés, et pour certains toxiques. La concentration des substances dangereuses dans les rivières et les nappes phréatiques atteint localement des valeurs critiques. Les métaux lourds (plomb, mercure, cadmium, cuivre...), les produits chimiques de synthèse comme les pesticides, les engrais (phosphates et nitrates), les solvants, les produits pétroliers, les poussières industrielles sont aujourd’hui des polluants banals. Les pluies elles-mêmes, lorsqu’elles sont acides, sont des polluants ordinaires dans les pays industriels et dans cerdownloadModeText.vue.download 240 sur 361 DOSSIERS DE L’ANNÉE 239 tains pays d’Amérique du Sud, d’Europe centrale, d’Asie du Sud et du Sud-Est. La pollution par les seuls nitrates est importante dans les régions d’élevage intensif. En Bretagne, dans le Morbihan ou les Côtes-d’Armor, la concentration en nitrates atteint et dépasse souvent les 100 mg/l ; aux Pays-Bas, on a relevé des teneurs supérieures à 450 mg/l alors que la directive de la CEE de 1982, réglementant la qualité des eaux, fixe comme teneurseuil 50 mg/l ! Or, ces nitrates que l’on retrouve dans les légumes seraient cancérigènes pour l’homme et l’animal et menaceraient les bébés de méthémoglobinémie, la maladie bleue, qui se traduit par des difficultés respiratoires et des vertiges. Les cours d’eau, dans lesquels on prélève ce qui est nécessaire pour alimenter de très nombreuses villes, sont eux-mêmes pollués au point que leur faune et leur flore sont très appauvries. Le Rhin, par exemple, transportait jusqu’en mer du Nord, au début des années 80, 1 100 000 tonnes de chlorures, 3 500 de phosphates, 450 de cuivre, 10 de cadmium... Le saumon, pour ne citer que cette espèce, avait disparu des eaux rhénanes (il y a réapparu en 1996 après que les 5 pays riverains ont pris, en 1987, des mesures draconiennes). La pollution par les pesticides ne cesse de s’aggraver tant dans les pays industriels que dans les pays tropicaux, où l’utilisation des insecticides et des fongicides croît au rythme des productions d’exportation vers les pays riches (café, cacao, fruits et fleurs). En France, où plus de 100 000 tonnes de pesticides sont utilisés chaque année, des enquêtes ont révélé la présence, dans les eaux distribuées dans plusieurs villes, de lindane, d’atrazine et même d’haloformes provenant de la chloration de l’eau lors de son traitement. Affectant les eaux fluviales, la pollution atteint, par voie de conséquence, les eaux marines côtières où est concentré l’essentiel des ressources marines renouvelables mais non illimitées. Ces eaux, où sont pratiquées la pêche, l’ostréiculture, la mytiliculture ou l’aquaculture, comme les littoraux, où se développent les activités portuaires, industrielles, balnéaires et touristiques, sont donc menacés. La fréquence des intoxications des parcs à huîtres et des bassins mytilicoles par la salmonelle ou la dinophysis, les marées vertes en Bretagne ou en Vénétie, la qualité médiocre des eaux de baignade sont les preuves les plus manifestes de la dégradation des milieux aquatiques (sans parler des marées noires). La production d’eau potable à partir des eaux naturelles insuffisamment pures ou d’eaux polluées implique donc la gestion, le suivi permanent et le traitement de la ressource eau de façon à fournir aux consommateurs un produit conforme à des normes de qualité de plus en plus exigeantes. Le traitement des eaux Compte tenu du nombre des substances et des micro-organismes présents dans les eaux superficielles d’où est tirée l’eau destinée à la consommation, il est aisé d’imaginer la somme de compétences et de technicité à mettre en oeuvre pour produire l’eau alimentaire. Traiter les eaux consiste à maîtriser les éléments qu’elles contiennent pour les rendre propres à la consommation ou à tout autre usage que l’on souhaite en faire, et pour rejeter finalement dans le milieu naturel des eaux usées en partie épurées. Une eau potable doit correspondre à des normes bactériologiques, physiques, chimiques et radiologiques ainsi qu’à des critères organoleptiques (l’eau doit être incolore, inodore, insipide) stricts édictés par l’Organisation mondiale de la santé et précisés par les services de santé nationaux. Les eaux captées, soumises préalablement à un suivi analytique, subissent une série de traitements d’épuration et d’affinage permettant d’extraire, de détruire ou de modifier les corps qu’elles contiennent. Les stations d’épuration des eaux captées, encore insuffisamment nombreuses dans les pays industriels et très rares dans les pays du tiers-monde, réalisent à peu de chose près les downloadModeText.vue.download 241 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 240 mêmes traitements : coagulation et floculation, décantation, flottation et filtration, désinfection, ozonation et désodorisation (élimination des facteurs de dureté). Dans les pays dépourvus de ressources en eau, c’est-à-dire les pays désertiques à façade océanique, l’eau alimentaire est obtenue par dessalement de l’eau de mer, technique simple mais très onéreuse. La capacité de ces unités de dessalement varie entre quelques centaines et 30 000 à 40 000 m3/jour. Les eaux usées doivent être, elles aussi, épurées avant d’être rejetées. Les eaux usées sont ainsi soumises à des traitements variés comme le dégrillage, la décantation, le lagunage, la filtration, la nitrification, la chloration, l’ozonation, autant d’opérations qui permettent d’éliminer aussi bien les matières en suspension que les matières organiques ou certains produits chimiques plus ou moins toxiques. Le prix de l’eau « L’eau du robinet » a été extraite du sous-sol, d’une rivière ou d’un lac, artificiel ou non, transportée jusqu’à la station d’épuration, traitée dans celle-ci puis acheminée chez le consommateur. Rien d’étonnant donc à ce que son prix soit élevé et ne cesse d’augmenter (d’autant qu’il inclut le traitement après utilisation). En France, il varie d’une région à l’autre, d’une ville à l’autre ; le prix moyen du mètre cube est actuellement de 10 F. Au prix de revient s’ajoutent les diverses redevances (d’assainissement, communale, de puisage, de pollution, de solidarité, départementale) et la TVA. Les 6 Agences de bassin sont des établissements publics chargés de la gestion rationnelle des ressources ; elles accordent des prêts et des subventions pour la réalisation d’ouvrages améliorant la qualité des eaux et perçoivent des redevances (la redevance de la pollution) auprès des usagers. Elles ne se substituent pas aux maîtres d’oeuvre que sont l’État, les collectivités locales et les sociétés privées. Si, en France, l’eau du robinet est globalement bonne, les consommateurs sont de plus en plus enclins à boire de l’eau de source ou de l’eau minérale, dont le prix, courant 1997, se situe entre 1,37 et 4,52 F le litre, soit entre 1 370 et 4 520 F le mètre cube... Une ressource à partager Le réseau hydrographique de certains grands fleuves draine parfois tout ou partie du territoire de plusieurs États, qui sont condamnés à s’entendre pour gérer ce bien commun et développer la pêche, la navigation ou la production d’énergie tout en respectant l’environnement. C’est ainsi que des organisations interétatiques ont vu le jour au cours de ces trois dernières décennies. En Afrique de l’Ouest par exemple, l’OMVS (Organisation pour la mise en valeur du fleuve Sénégal), qui regroupe le Sénégal, le Mali et la Mauritanie, a déjà réalisé le barrage de Manantali, barrage hydroélectrique et régulateur de débit, et le barrage de Diama, destiné à stopper la remontée des eaux mannes dans la basse vallée. En Asie du Sud-Est, le Viêt Nam, le Laos, le Cambodge et la Thaïlande, 4 des 6 États riverains du Mékong, ont, en janvier 1995, ratifié un accord sur l’exploitation de ce fleuve de 4 180 km. En Europe, l’Espagne et le Portugal ont engagé au printemps 1997 des pourparlers en vue de l’exploitation plus rationnelle des eaux du Tage, du Douro et du Guadiana. En septembre 1997, 130 experts de 25 pays, réunis à Copenhague, ont présenté les résultats les plus récents sur la gestion des ressources de la planète. La conférence a notamment abordé le problème du manque d’eau dans le bassin de la Méditerranée et la pollution par les nitrates et les pesticides. Au Proche-Orient, compte tenu de la situation politique, l’utilisation et le partage des eaux du Jourdain, du Tigre ou de l’Euphrate s’avèrent pour le moins problématiques. L’eau a, dans ce cas précis, une importance vitale et stratégique. L’avenir de l’eau, considérée comme une ressource indispensable à la vie et au bien-être de l’humanité, est d’ores et déjà compromis. Il downloadModeText.vue.download 242 sur 361 DOSSIERS DE L’ANNÉE 241 s’avère urgent de développer, tant au niveau de chaque État qu’au niveau des régions et des sous-régions, des politiques adéquates et pertinentes permettant de rationaliser l’exploitation des gisements, d’améliorer la gestion de la ressource eau, et son traitement, et de réduire au maximum toutes les formes de pollution des eaux superficielles. Les eaux souterraines Les différents continents renferment des réserves d’eau souterraine, gisements très importants dont la localisation est inféodée à des structures géologiques particulières et qui doivent leur existence aux conditions climatiques actuelles ou passées. Parmi ces aquifères profonds, dans lesquels les eaux peuvent se déplacer à différentes vitesses sur de longues distances, on distingue les nappes libres, c’est-à-dire les nappes d’eau à niveau variable qui sont surmontées de terrains sédimentaires perméables, et les nappes captives, qui sont situées sous des terrains imperméables. Si les premières ont des rapports, même ténus, avec le cycle de l’eau, les secondes, dites « fossiles », n’ont plus aucun rapport avec les climats actuels et leur renouvellement n’est donc plus assuré. Autrement dit, l’exploitation des nappes fossiles peut conduire à leur tarissement à plus ou moins long terme. Au Texas, par exemple, les réserves des High Plains, exploitées depuis le début du siècle au rythme de 6 milliards de m3 par an, seront épuisées vers 2030. En Arabie saoudite ou en Libye, l’essentiel de l’eau consommée ou utilisée à des fins agricoles et industrielles est extrait des nappes fossiles. À quelle source d’approvisionnement fera-t-on appel lorsque ces gisements seront épuisés ? PHILIPPE CHAMARD Bibliographie Dossiers dans : Sciences & Avenir, no 354 ; le Nouvel Observateur, collection « Dossiers », no 11 ; Actuel Développement, no 56/57 ; la Recherche, no 221. downloadModeText.vue.download 243 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 242 Combattre la douleur La volonté de soulager la douleur est désormais à l’ordre du jour. La France s’est fixé un objectif : diminuer de moitié d’ici à l’an 2000 le nombre de malades déclarant souffrir au cours du cancer, du sida ou à la suite d’une intervention chirurgicale. Notre culture a cessé d’exalter la douleur et son acceptation comme une valeur spirituelle. Mais peut-on enfermer la souffrance dans les limites d’une stricte définition ? Elle renvoie à un vécu avant tout subjectif. Comment traduire ce qui est vécu dans les situations cliniques par ceux qui s’expriment avec difficulté : enfants, sujets âgés, handicapés mentaux ? Comment prendre en compte toute la palette du senti et du ressenti douloureux ? Fréquente, complexe dans ses origines, la douleur liée à un cancer ou au sida préfigure, par exemple, au-delà de sa dimension physique, pour le patient comme pour sa famille, les moments difficiles d’une fin de vie. La combattre avec efficacité est une préoccupation médicale de plus en plus importante. C’est même devenu une véritable exigence éthique. Les cicatrices de la douleur Nombre de travaux actuels sont consacrés à l’effet d’une douleur sur un système immature en période ante- ou périnatale. Divers arguments suggèrent l’induction d’une vulnérabili- té acquise à la sensation douloureuse lorsque existe une modification structurelle des récepteurs impliqués dans cette sensation. Cela revient, en termes plus accessibles, à envisager qu’un conditionnement douloureux de l’enfance puisse provoquer des douleurs chroniques ultérieurement dans l’existence, sans que le sujet ait, bien sûr, conscience de leur origine. C’est ainsi que 30 à 60 % des patients se plaignant de douleurs abdominales, pelviennes, céphaliques ou lombaires auraient vécu une enfance traumatisante, avec, le plus souvent, sévices sexuels. Cette agression précoce, enfouie dans l’inconscient, serait parfois revécue à l’âge adulte à l’occasion d’un traumatisme générateur de névrose et de douleur chronique. Une politique consensuelle La multiplication des recommandations issues de conférences de consensus témoigne de l’exigence de soulager la douleur. S’agissant de la douleur cancéreuse, les recommandations de l’Agence nationale pour le développement de l’information médicale (ANDIM) ont été adressées à l’ensemble des médecins généralistes de France. C’est en 1995 que cet organisme a défini ses « recommandations pour la prise en charge de la douleur du cancer ». Elles stipulent une utilisation graduelle des produits disponibles en les adaptant au degré de la souffrance, un recours accru à l’administration d’opiacés puissants comme la morphine et la précocité de l’intervention thérapeutique, qui doit toujours prévenir la douleur plus que la tarir. La douleur, notamment chez le patient cancéreux ou sidéen, reste souvent évocatrice d’une progression de l’affection. Elle engendre en elle-même anxiété, dépression, repli sur soi. Cette situation d’angoisse met en branle des mécanismes de défense sur lesquels le thérapeute doit savoir s’appuyer, car il s’agit là de mécanismes adaptatifs : transfert de l’angoisse sur un élément substitutif (agressivité vis-à-vis du corps médical tenu pour responsable du diagnostic, demande successive de divers traitements, etc.). Le médecin doit veiller à écouter attentivement la plainte du patient, à ne pas lui mentir gratuitement, à l’informer et à l’aider ainsi que sa famille à gérer le désinvestissement. Un accompagnement correct pourra downloadModeText.vue.download 244 sur 361 DOSSIERS DE L’ANNÉE 243 lever les mécanismes de défense et installer la relation dans l’authenticité. Il importe d’ailleurs de ne pas mésestimer l’importance de cet accompagnement, pour le patient comme pour ses proches. Le médecin doit y demeurer particulièrement attentif. Il ne doit pas abolir la dynamique psychologique mise en place à la faveur de cette démarche par une prescription inadaptée de psychotropes et d’analgésiques, dont l’accumulation priverait un malade, alors moins conscient, de la possibilité de continuer à s’approprier sa propre existence, en dépit des conséquences de sa maladie. Toutes les douleurs... La médecine actuelle apprend à reconnaître des douleurs qui, trop longtemps, sont demeurées sous-estimées, en raison de facteurs culturels mais aussi d’habitudes de soins. La douleur du nourrisson fait l’objet désormais de traitements préventifs et curatifs, négligés pendant des années au prétexte que le bébé était immature neurologiquement. L’enfant était victime de sa petitesse, de son langage rudimentaire et, surtout, de l’absence de sens critique des médecins. Les données récentes de la médecine font justice de cette conception et imposent que toute souffrance natale ou périnatale soit prévenue et combattue par des médicaments adaptés. D’autres types de souffrance physique sont aujourd’hui reconnus et intégrés par la pratique médicale. Un sujet désocialisé, en situation d’extrême précarité, un SDF, par exemple, n’exprime pas sa douleur comme un autre individu. La désocialisation entraîne souvent une dépersonnalisation : même lorsqu’ils ressentent la douleur, les exclus la vivent comme si elle leur était extérieure. Une existence passée dans des conditions rudes, une exposition fréquente au froid, une consommation très importante d’alcool expliquent une certaine diminution des perceptions douloureuses. En fait, le SDF voit sa douleur physique s’inscrire dans une souffrance plus globale, touchant son existence tout entière. S’il n’est pas à cet égard de solution immédiate, il n’en reste pas moins fondamental qu’il bénéficie d’une prise en charge médicale globale et de qualité. La douleur, du centre spécialisé au domicile Si la douleur aiguë reste le plus souvent du ressort du généraliste, la douleur chronique relève d’une prise en charge spécialisée. Les structures de lutte contre la douleur ont été hiérarchisées : on distingue désormais des consultations, des unités et des centres. La consultation constitue la première destination des patients souffrant de douleurs chroniques adressés par un médecin de ville. L’unité antidouleur correspond à la présence conjointe d’un plateau technique permettant la réalisation d’actes. Le centre y associe des lits d’hospitalisation. Chacune des régions sanitaires dispose d’un schéma régional de prise en charge de la douleur, lequel organise en réseau les médecins généralistes et les structures hospitalières spécialisées. La loi du 1er février 1995 a fait obligation aux hôpitaux d’inscrire dans le projet d’établissement les moyens de lutter contre la douleur. Le traitement de la douleur s’inscrit donc pleinement dans la démarche de qualité des soins désormais imposée à chaque hôpital. Les résultats de l’évaluation de cette qualité sont pris en compte dans l’accréditation : une démarche de labellisation des centres antidouleur est actuellement en cours. La douleur devenue chronique influe sur le patient lui-même mais aussi sur le comportement de son entourage familial ou médical. C’est pourquoi, dans plusieurs grandes villes, des programmes d’évaluation et de traitement de la douleur à domicile ont été mis en place dans le cadre plus général de l’hospitalisation à domicile (HAD). La population concernée était d’abord celle des patients sidéens, puis celle des cancéreux ; désormais, elle s’étend à tout sujet souffrant physiquement. L’effet conjugué de la demande des patients et de leurs proches, des progrès de la technique downloadModeText.vue.download 245 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 244 médicale et des contraintes économiques de plus en plus lourdes tend à privilégier le traitement à domicile. Celui de la douleur cancéreuse en constitue une indication privilégiée si les équipes médicales sont bien formées, des enquêtes ayant montré qu’encore 30 à 40 % seulement des patients soignés à domicile s’estimaient suffisamment soulagés de leur douleur. Oser la morphine Au 39e rang mondial en 1987 pour la consommation par habitant de morphiniques, la France figure aujourd’hui au dixième rang... Il s’agit là d’un excellent indicateur indirect de la qualité de prise en charge de la douleur. Ces progrès récents sont l’oeuvre de médecins mais aussi de parlementaires, notamment de Lucien Neuwirth, sénateur de la Loire. Il a été trop longtemps enseigné que la morphine ne devait être administrée qu’en cas de nécessité absolue, au terme même de l’existence, sous prétexte d’un risque majeur de dépression respiratoire et, bien sûr, d’une accoutumance menant à la toxicomanie. Son administration est désormais facilitée : la durée maximale de prescription des présentations orales a été doublée, passant de 14 à 28 jours. Mais le système demeure contraignant au plan administratif. Peut-être l’informatisation des dossiers médicaux des patients permettra-t-elle de voir disparaître le système actuel du carnet à souche. Quoi qu’il en soit, la vente de morphiniques, aux hôpitaux comme aux officines, s’est régulièrement accrue dans les années 90, ce qui témoigne d’une modification du comportement des médecins, qui hésitent moins à recourir à des produits efficaces. Par ailleurs, les progrès réalisés dans l’électronique et la miniaturisation permettent d’instaurer à domicile une analgésie contrôlée par le patient lui-même. Outre la perfusion continue de l’analgésique constituant la dose de base, le malade peut, grâce à un pousse-seringue ou à une pompe électronique, s’administrer des doses supplémentaires dans des conditions prédéterminées par le médecin. DENIS RICHARD downloadModeText.vue.download 246 sur 361 DOSSIERS DE L’ANNÉE 245 Face à la criminalité sexuelle La société française a ouvert les yeux sur les violences sexuelles, en particulier à l’encontre des enfants. L’horreur de crimes récents et l’écho de l’affaire Dutroux ont provoqué un sursaut, dont les conséquences sont une répression accrue et un effort d’adaptation du dispositif de soin pour les criminels. Une exigence : porter assistance aux victimes. La médiatisation quasi systématique dont font désormais l’objet les crimes sexuels donne le sentiment d’une augmentation du nombre de ceux-ci dans notre pays. En fait, il y a surtout évolution des mentalités : de plus en plus, les victimes et leurs proches déposent plainte, dans un contexte de meilleure compréhension et de meilleur accompagnement des démarches entreprises pour obtenir réparation. Globalement, les chiffres fournis par l’administration pénitentiaire permettent de constater une augmentation de 25 % des affaires jugées pour atteinte aux moeurs entre 1984 et 1994 (contre + 8 % pour l’ensemble de la criminalité sur la même période). La durée moyenne des peines prononcées par les cours d’assises pour viols sur mineurs est passée de 8,5 à 11 ans. Les établissements pénitentiaires qui accueillaient 3 717 condamnés pour crimes et délits sexuels le 1er décembre 1993 en comptaient 4 545 le 1er janvier 1996. Parmi ceux-ci, on constate une prépondérance de viols et autres agressions sur mineurs (2 858 condamnés) ; il s’agit à plus de 80 % d’incestes. Trois types d’auteurs de délits Plusieurs études de criminologie clinique conduisent à distinguer, par ordre de fréquence : les auteurs d’incestes, les auteurs de viols et les pédophiles. L’inceste, crime de l’intimité familiale par excellence, se produit dans la majorité des cas en milieu rural et/ou défavorisé (ce qui ne signifie nullement qu’il ne se rencontre pas dans les agglomérations et au sein des familles aisées, très réticentes de surcroît à la dénonciation). Il est en général le fait du père, parfois du beau-père ou du concubin ; l’inceste mère-fille se rencontre exceptionnellement. Les pères incestueux sont le plus souvent bien insérés et n’ont jamais été condamnés pour des infractions antérieures, sexuelles ou non. Ils tendent à minimiser ou à dénier leurs passages à l’acte, qui ont pu se répéter sur de longues périodes et sur plusieurs enfants successifs. Selon plusieurs études, leur risque de récidive sexuelle est relativement limité (il n’en est pas moins indispensable d’assurer, chez les condamnés libérés, la protection des enfants) ; ils présentent très fréquemment un alcoolisme chronique (facteur de risque qui doit faire l’objet d’une prise en charge spécifique). La victime, elle, est en situation de vulnérabilité ; il s’agit parfois d’enfants en difficulté sur le plan scolaire et présentant une insuffisance intellectuelle ou des troubles prépsychotiques. L’isolement social de la famille, qui se protège des intrusions d’un monde vécu comme menaçant, est une constante. L’autorité paternelle est souvent sans partage, face à une mère passive et soumise (cependant, l’augmentation actuelle de la précarité fait que les incestes surviennent aussi dans des familles disloquées et marginalisées, où père et mère sont déchus, la mère contribuant alors de façon active aux pratiques incestueuses). L’émoi sexuel de l’auteur d’inceste survient au moment de l’éveil de la féminité de sa victime conjugué au repli de la vie sexuelle du couple. Il n’est pas rare, enfin, que le sujet (ou ses soeurs) ait subi des violences sexuelles de la part de ses propres père, oncle ou granddownloadModeText.vue.download 247 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 246 père, secrets de famille bien cachés. Soigner les victimes revient donc à prévenir les abus dans la génération suivante. Les auteurs de viols présentent des caractéristiques différentes. Leur victime est en règle générale une femme. Ils dénient leur acte ou l’évoquent de façon déformée, persuadés que leur victime était consentante, ou qu’elle n’a pas lutté. Ils ont souvent des antécédents judiciaires, associés à une fréquence particulière d’infractions non sexuelles (vols, violences). On trouve chez eux plus de troubles de la personnalité, en particulier limites, parfois à expression psychopathique ; alcoolisme, toxicomanie et conduites à prise de risque sont très représentés. Les récidivistes peuvent présenter des perversions au sens clinique du terme. Chez les pédophiles, qui agissent en dehors de la cellule familiale et doivent être clairement différenciés des pères incestueux, on constate plus de condamnations antérieures pour infractions sexuelles et moins de condamnations pour atteintes contre les biens que chez les auteurs de viols. La reconnaissance de l’infraction est habituelle, de même que la demande de prise en charge et de traitement. La culpabilité ou la honte sont souvent verbalisées. Par contre, le sujet a tendance à minimiser l’incidence de son comportement sur la victime, décrite comme demandeuse sur le plan affectif. Les pédophiles, volontiers infiltrés dans des professions les mettant en contact continu avec des enfants, ont souvent subi dans leur propre enfance des violences sexuelles et physiques, et présentent couramment des troubles psychiques liés à des carences affectives et éducatives (ce qui témoigne de l’importance du travail social et médico-psychologique de prévention chez l’enfant victime de maltraitance). Les auteurs de passage à l’acte pédophilique ont de longue date des relations difficiles aux adultes : la femme est vécue comme menaçante et dévoreuse, et les rapports avec les hommes sont marqués par la soumission ou l’affrontement. Les actes criminels surviennent souvent dans des moments de crise, marqués par un désarroi qu’il convient d’apprendre au sujet à reconnaître. Trois types de personnalités Trois types de personnalités sous-jacentes peuvent être isolés chez les auteurs d’atteintes aux moeurs. On rencontre, tout d’abord, des sujets ayant souffert d’une carence affective et éducative lors de l’enfance, au psychisme peu organisé et présentant en général une insuffisance intellectuelle. Leur passage à l’acte est souvent de l’ordre de la violence par défaut de maîtrise pulsionnelle, parfois favorisée par l’alcoolisme ou des moments de détresse sociale. Leur prise en charge sera avant tout éducative et sociale, associée à un accompagnement médico-psychologique. On peut identifier, ensuite, des sujets fragiles, toujours en quête d’identité à l’âge adulte, personnalités limites chez qui l’on retrouve passages à l’acte violents, besoin de séduction, défaillance du narcissisme primaire (sentiment de ne jamais avoir été aimé) et hyperexcitation sexuelle à certains moments de leur existence. On peut mettre à part, enfin, des sujets pervers, stables, intelligents, bien organisés et insérés, qui ont besoin de séduire et peuvent multiplier les passages à l’acte. Ils sont violeurs, pédophiles, rarement pères incestueux. Si l’apport de la psychanalyse est indispensable pour aborder les auteurs de crimes sexuels présentant une structure perverse ou une perversion au sens clinique du terme (à partir des bases jetées par Freud dans ses Trois Essais sur la théorie de la sexualité), les limites de celle-ci, d’un point de vue thérapeutique, apparaissent vite, au point que la perversion est considérée par certains comme une contre-indication à un traitement analytique. Prévenir plus encore que punir ou guérir La prise en charge des auteurs de crimes et délits sexuels doit prendre en compte tout à la fois les données de criminologie clinique downloadModeText.vue.download 248 sur 361 DOSSIERS DE L’ANNÉE 247 et l’analyse psychopathologique. Elle ne peut être que multipartenariale et bien des auteurs de crimes sexuels relèveront avant tout d’une prise en charge socio-éducative associée au suivi psychiatrique. Elle nécessite au préalable une évaluation clinique soigneuse, prenant en compte la reconnaissance éventuelle des faits et recherchant aussi la capacité du sujet à entreprendre un travail de psychothérapie. Elle ne peut s’entrevoir en cas de déni complet du passage à l’acte. C’est là un des problèmes liés au fonctionnement judiciaire français, qui, contrairement, par exemple, à celui en vigueur au Canada, assoit la défense non pas sur la reconnaissance des faits, la volonté d’amendement et une demande authentique de soins, mais sur l’irresponsabilité partielle ou le déni de l’acte. L’action des pouvoirs publics Depuis 1994, trois rapports réalisés par des professionnels à la demande des ministres de la Santé et de la Justice ont contribué à l’étude des conditions nécessaires à la mise en place d’un dispositif de soins : ils ont été présentés par les psychiatres Thérèse Lempérière et Claude Balier et par la pénaliste Marie Élisabeth Cartier. Centré sur la prévention des récidives, le projet de loi présenté en janvier 1997 par Jacques Toubon, alors garde des Sceaux, fut très critiqué par les médecins, qui ne pouvaient accepter le principe d’une condamnation aux soins. Repris par Élisabeth Guigou, il prévoit un suivi socio-judiciaire qui peut comporter une injonction de soins. Par ailleurs a été engagée une politique d’assistance et de soutien aux victimes. Sur le plan judiciaire, les auditions des enfants agressés devraient être limitées, le projet Guigou ayant plutôt retenu l’enregistrement des déclarations de l’enfant. Sur le plan sanitaire, il rend possible le remboursement des frais occasionnés par les soins consécutifs à l’agression et la mise en place de structures d’accueil médico-psychologiques développées. DOCTEUR JEAN-LOUIS SENON downloadModeText.vue.download 249 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 248 Pas de solution miracle à l’obésité Après la découverte de la leptine, il y a trois ans, on a cru que les mutations génétiques de certaines lignées de souris obèses pourraient expliquer cette maladie chez l’homme. C’est raté... Les humains obèses ont des gènes normaux. Les études sur les souris mutantes permettent néanmoins de mieux comprendre la régulation du poids corporel. Il est plus que temps : l’obésité est en passe de devenir un problème majeur de santé publique. L’ère des « bons gros » est révolue. L’obésité est désormais reconnue pour ce qu’elle est, une véritable maladie en train de déferler sur une bonne partie de la planète. Au point que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a décidé en 1996 d’établir une banque de données sur la prévalence mondiale de cette affection, et que de nombreuses équipes de recherche publiques ou privées se lancent dans la course aux traitements. Depuis trois ans, la génétique et la biologie moléculaires ont permis de mieux comprendre la régulation du poids corporel. Les généticiens espèrent ainsi expliquer ce que beaucoup d’obèses ressentent comme une injustice : pourquoi grossissent-ils à ce point alors que d’autres restent minces dans un environnement comparable ? Il convient tout d’abord de faire la différence entre le simple embonpoint et l’obésité, voire entre les diverses formes de la maladie. Pour l’OMS, il y a obésité vraie lorsque l’indice corporel, que l’on calcule en divisant le poids (exprimé en kilos) par le carré de la taille (exprimée en mètres), dépasse trente. On a alors affaire à une véritable maladie, aux conséquences graves. L’obésité accroît en effet les risques d’hypertension, d’athérosclérose et de maladies cardio-vasculaires, d’hyperuricémie, d’arthrose et de calculs biliaires. On évoque aussi une liaison avec les cancers du sein et de l’endomètre chez la femme et de la prostate chez l’homme, bien que ce dernier lien soit plus discuté. Enfin, environ 40 % des obèses souffrent de diabète non insulino-dépendant. Obésité, obésités À quel moment l’embonpoint devient-il une menace pour la santé ? On mesure la corpulence par l’indice de masse corporelle (Body Mass Index, BMI), ou indice de Quételet, égal au poids en kilogrammes divisé par le carré de la taille en mètres. L’optimum se situe vers 21-22. Au-delà de 25, il y a « sur-poids », et audelà de 30, obésité vraie. Les obésités « massives » ou « extrêmes » correspondent à des BMI supérieurs à 40. Ces chiffres ne rendent toutefois pas compte de la diversité des obésités. Outre la forme courante, dans laquelle le dépôt adipeux est réparti sur tout le corps, on distingue le « type gynoïde », sans grand danger et caractérisé par une accumulation de graisse autour des hanches, du « type androïde », associé à des risques médicaux certains, où l’excès est localisé sur le tronc et l’abdomen. La variante dite viscérale de ce dernier type, difficile à détecter car la graisse se dépose à l’intérieur de la cavité abdominale, est la plus dangereuse. On distingue également les obésités précoces (préoccupantes) ou tardives, brusques ou progressives... La tendance à développer telle ou telle de ces formes en réponse à un déséquilibre alimentaire a sans doute des bases génétiques, que les chercheurs s’efforcent actuellement d’éclaircir. Un phénomène en expansion Le nombre des obèses atteint des proportions dramatiques dans certaines régions du downloadModeText.vue.download 250 sur 361 DOSSIERS DE L’ANNÉE 249 monde. L’OMS estime que 20 % des adultes européens et des Américains blancs sont obèses. Une proportion qui s’élève à 40 % chez les femmes d’Europe de l’Est ou les Afro-Américaines. Les Amérindiens, les Hispano-Américains et les habitants de certaines îles du Pacifique paient un tribut plus lourd encore. Et les pays émergents commencent à connaître les mêmes problèmes : la proportion d’obèses au Brésil, à Cuba ou au Pérou, par exemple, rejoint celle des pays occidentaux. Et cette situation déjà préoccupante va s’aggraver sérieusement dans les années à venir : l’obésité progresse à pas de géant chez les enfants occidentaux. Même dans les pays à la population adulte jusqu’ici relativement épargnée, comme la France, le phénomène prend une ampleur inquiétante. La répartition géographique de la maladie et son explosion durant les dernières années ne peuvent que rappeler l’évidence : l’obésité est bien due au déséquilibre entre une alimentation surabondante et une dépense énergétique restreinte. Reste à savoir pourquoi certains y sont plus sensibles que d’autres... Leptine : au-delà des interprétations hâtives, les recherches se poursuivent En 1994, une photo montrant côte à côte deux souris dont l’une, obèse, semblait appartenir à une autre espèce que sa compagne, fit le tour du monde. « On a trouvé le gène de l’obésité ! » clamaient les médias les moins scrupuleux, annonçant des médicaments enfin efficaces pour les années à venir. C’était aller un peu vite. En fait, Jeffrey Friedman, chercheur à l’Institut Howard Hugues (université de New York, États-Unis), venait de découvrir un gène porteur d’une mutation chez une lignée de souris obèses, dites ob/ob. Il montra que, chez les souris normales, ce gène intact induit la production d’une protéine qu’il appela « leptine » (leptos signifiant « mince » en grec). Sécrétée par le tissu adipeux, celle-ci va se fixer sur des récepteurs spécifiques situés dans le cerveau, plus précisément dans l’hypothalamus, véritable centre régulateur du fonctionnement de l’organisme. Administrée aux souris mutées qui en sont dépourvues, cette protéine diminue leur appétit et augmente leur dépense énergétique de base, déclenchant la fonte de la masse graisseuse. Injectée à doses massives, elle fait même maigrir des souris normales rendues obèses par suralimentation. On a trouvé et séquence quelques mois plus tard l’homologue humain de ce gène, qui code une protéine pratiquement identique à la leptine murine. On pensait donc tenir la clé de l’obé- sité : elle serait due à une carence en leptine. L’espoir retomba vite quand on s’aperçut que seules les souris de cette lignée ob/ob étaient dépourvues de cette protéine. D’autres lignées tout aussi obèses avaient au contraire... plus de leptine que la normale. C’est en particulier le cas des souris db/db, une lignée obèse et diabétique qui porte une mutation affectant le gène du récepteur hypothalamique de la leptine. De manière générale, que ce soit chez la souris, le rat ou l’homme, la quantité de leptine circulante augmente avec la masse adipeuse. À tel point qu’on attribue maintenant à cette protéine un rôle central dans la régulation du poids corporel. Elle renseigne le cerveau sur l’état des réserves graisseuses et, en retour, celui-ci module l’appétit et la dépense énergétique via divers messagers chimiques : hormones, neurotransmetteurs, peptides (protéines de petite taille). Le nombre de ces messagers présumés augmente sans cesse. Le dernier peptide en date a été découvert en octobre 1997 à partir d’un gène dit Agouti, dont certaines variantes provoquent l’obésité et le diabète chez les souris qui les portent. Baptisé AGRP (Agouti Related Protein), ce peptide interviendrait en aval de la leptine. L’hypothèse la plus couramment admise actuellement attribue cependant le rôle central à cette dernière : l’obésité serait due à une insensibilité à la leptine. C’est évident pour les souris db, dépourvues de récepteur, mais le mécanisme reste encore à trouver dans les autres cas, en particulier chez l’homme. downloadModeText.vue.download 251 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 250 Injustice génétique peut-être, mais sur fond de comportements alimentaires aberrants En effet, c’est là que le bât blesse : bien que tous les gènes découverts chez les diverses lignées mutées de souris ou de rats aient des homologues humains, les hommes obèses ne portent aucune des mutations repérées. La seule exception connue a été révélée en juin de cette année : une paire de jumeaux atteints d’obésité sévère précoce, et issus d’une famille hautement consanguine, sont carences en leptine suite à une mutation génétique. Totalement dénué de signification pour le reste de la population des obèses, ce cas unique a néanmoins apporté la première confirmation du rôle de la leptine dans la régulation du bilan énergétique chez l’homme. Est-ce à dire que la génétique ne joue aucun rôle dans l’obésité humaine ? Certainement pas. De nombreuses études portant sur des jumeaux ainsi que sur des familles d’obèses l’ont prouvé : de façon incontestable, la variabilité du poids corporel des hommes dépend pour une part de facteurs génétiques. Le problème est qu’il ne s’agit pas d’un mécanisme simple. On estime actuellement qu’au moins une vingtaine de gènes seraient « associés » à l’obésité, ce qui ne signifie pas qu’ils en sont responsables. Et les mutations fonctionnelles n’ont, semblet-il, rien à y voir. Utilisant les méthodes de la génomique contemporaine, qui permettent de lire (« séquencer ») les gènes et de repérer les variantes, des équipes de chercheurs scrutent des banques d’ADN recueillies auprès de populations d’obèses et de témoins. Il est ainsi apparu que le gène normal de la leptine serait statistiquement « lié » à l’obésité extrême (indice corporel supérieur à quarante), mais qu’il n’en va pas de même avec l’obésité courante. Une autre de ces études a montré qu’un gène codant le récepteur d’un neurotransmetteur impliqué dans la régulation de la dépense énergétique est muté chez un homme sur dix... qu’il soit obèse ou non. Il semble cependant que, parmi les sujets atteints d’obésité massive, les porteurs de la mutation soient encore plus gros que les non-porteurs. Reste que la mutation est tellement minime qu’on ne comprend pas encore comment elle pourrait affecter le fonctionnement du récepteur... De fait, si l’on excepte certaines formes rares de la maladie, l’obésité pourrait bien être la conséquence d’une combinaison malencontreuse de gènes parfaitement « normaux », qui rend certains individus plus sensibles à un environnement pathogène. En clair : la principale cause de l’obésité reste bien la conjugaison d’une alimentation inadaptée et d’une activité physique insuffisante. L’« injustice génétique » tient à ce qu’un excès, même léger, de l’apport nutritionnel peut selon les individus n’avoir aucun effet pathologique ou, au contraire, mener au fil des années à une accumulation de tissu adipeux. Les découvertes actuelles mèneront certainement à la mise au point de molécules à l’efficacité partielle pour certaines obésités, mais il n’existera probablement jamais de traitement uniquement médicamenteux de cette maladie. Enfants : un bilan préoccupant Les résultats d’enquêtes s’accumulent, plus alarmistes les uns que les autres. Partout la proportion d’enfants obèses dépasse celle des adultes, et les dix dernières années ont vu une véritable explosion du phénomène : augmentation de 50 à 60 % au Japon, aux États-Unis et en Grande-Bretagne, voire doublement à Singapour... Même en France, pays traditionnellement épargné, l’augmentation atteint 30 %. Plus grave : elle concerne surtout les formes massives de l’obésité. Pas question d’invoquer une brusque évolution génétique : cette flambée s’explique par une modification des modes de vie. La déstructuration des repas, la consommation indownloadModeText.vue.download 252 sur 361 DOSSIERS DE L’ANNÉE 251 cessante de friandises et de boissons sucrées, ainsi que la baisse d’activité physique due à la télévision et aux consoles vidéo en sont les causes premières. Les remèdes passent donc par une éducation alimentaire, délicate pour des sujets en croissance qui ont besoin de manger, et par l’activité physique. Beaucoup de praticiens insistent : un enfant n’est pas un adulte en miniature. Il doit même paraître maigre, au moins jusqu’à six ans. C’est à cet âge que se produit le « rebond adipeux » et que l’enfant commence à évoluer vers sa corpulence d’adulte, même si les cartes sont en partie redistribuées à l’adolescence. Il faut donc agir très tôt si l’on veut éviter plus tard des complications médicales... PATRICK PHILIPON downloadModeText.vue.download 253 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 252 Fernand Léger au musée national d’Art moderne De juin à septembre, au Centre Georges-Pompidou, une exposition a présenté avec une grande rigueur pédagogique l’oeuvre de cet artiste qui s’est attaché à traduire une vision humaniste et optimiste du monde de l’ère industrielle. L’exposition s’ouvre par un rassemblement, dans la première salle, d’oeuvres « cézaniennes ». De Cézanne, Fernand Léger a retenu une volonté de reconstruire la forme défaite par les impressionnistes : « Sans Cézanne, je me demande parfois ce que serait la peinture actuelle. Cézanne m’a appris l’amour des formes et des volumes, il m’a fait me concentrer sur le dessin. » Léger reconnaît cependant les limites plastiques d’une gamme trop sombre, refuse les camaïeux cubistes et revendique très tôt, aux côtés de Robert Delaunay, un usage instinctif de la couleur qui annonce l’importante série des Contrastes de formes de 1913. Il n’abandonne pas pour autant l’architecture du « dessin ». La salle des esquisses préparatoires aux Contrastes est ainsi très révélatrice de la méthode adoptée par l’artiste. Elle révèle un visage de Léger souvent ignoré, celui d’un dessinateur hors pair, que l’on retrouve tout au long de l’exposition dans quelques salles d’art graphiques remarquables. « Traiter la nature par le cône, la sphère... » disait Cézanne. Léger prend cette prescription à la lettre. Il passe toutes les formes organiques et vivantes sous le filtre géométrique d’arêtes délimitant les surfaces où viendront ensuite se lover des couleurs vives et pures, primaires et tricolores (bleu, blanc et rouge). Léger emprunte cette gamme peu ordinaire au vocabulaire attractif des affiches de la ville nouvelle. Peintre de la vie moderne, il transcrit sur la toile l’état de la sensibilité contemporaine. D’une rétrospective à l’autre Une précédente rétrospective de l’oeuvre de Fernand Léger avait eu lieu au Grand Palais en 1971. Elle rassemblait plus de 200 toiles et avait remporté un large succès auprès du public. L’exposition organisée par le musée national d’Art moderne s’est voulue plus sélective, plus sobre aussi. Avec 200 toiles, dessins et maquettes de projets d’art monumental, cette exposition a pris le parti d’offrir une anthologie sélective de l’oeuvre, réunissant, dans un ordre chronologique scrupuleux, la plupart des oeuvres majeures dans un parcours aéré, doté d’un éclairage soutenu qui accompagne l’esthétique des contrastes défendue par l’artiste. Le choix, plus restreint, des toiles est distribué par « périodes » ; il propose un découpage didactique de l’oeuvre, qui permet d’en saisir plus facilement les ruptures et les évolutions. Un réalisme poétique où l’humain garde sa place C’est la représentation de ce monde nouveau qui occupe la seconde partie de l’oeuvre de Léger, à partir de l’expérience de la guerre où, fasciné par la beauté plastique des canons (« la magie de la lumière blanche sur le métal »), il trouve une confirmation de la valeur esthétique des formes « dures », des surfaces métalliques et polies, ce qu’il appelle « l’absolu polychrome, net et précis, beau en soi ». L’objet prend alors une place décisive dans son oeuvre, avec une prédilection pour l’acier des hélices et des outils de la société industrielle. La modernité, telle que l’entend Léger, est marquée par la transformation de l’individu au contact d’une mécanique de plus en plus présente dans les habitudes quotidiennes. À cette downloadModeText.vue.download 254 sur 361 DOSSIERS DE L’ANNÉE 253 fin, Léger évacue tout sentimentalisme du projet de la représentation. Cela se traduit par l’apparition de figures inexpressives, simplifiées, archétypes : « Pour moi, la figure humaine, le corps humain n’ont pas plus d’importance que des clés ou des vélos. C’est vrai. Ce sont pour moi des objets valables plastiquement et à disposer suivant mon choix. » Cette équivalence plastique entre l’objet et l’individu ne traduit pas l’inhumanité et la dépersonnalisation du monde moderne ; elle est au contraire chargée d’un optimisme « populaire » face au changement. Il s’agit seulement pour le peintre, directement concurrencé par les techniques modernes de fabrication, de produire un « état d’intensité plastique » susceptible de rivaliser avec la beauté rationnelle des productions industrielles. Dans cet esprit, Léger mise sur la valeur expressive des oppositions et des contrastes : « J’oppose des courbes à des droites, des surfaces plates à des formes modelées, des tons locaux purs à des gris nuancés. » L’oeuvre fait apparaître un ordre dans le chaos apparent des contrastes grâce à ce que Léger appelle les « trois grandes qualités plastiques » : lignes, formes et couleurs. L’une des toiles-manifestes de ce parti pris formel est la Ville, peinte en 1919. Deux personnages, réduits à des formes géométriques aux couleurs métallisées, montent un escalier, au milieu d’un paysage urbain peuplé d’affiches et de poutrelles métalliques, de pignons bigarrés et d’inscriptions publicitaires qui retranscrivent l’intensité pulsative des multiples excitations sensorielles de la ville. Derrière la séduction réelle des couleurs, Léger tente une synthèse entre l’humanisme social et l’esthétique industrielle. Le corps présenté comme un ensemble parfaitement coordonné s’inscrit en harmonie avec son nouvel environnement. De nombreux motifs de ses oeuvres sont empruntés directement à des images publicitaires, à l’instar du Siphon. Ce dialogue avec l’affiche n’est pas gratuit. Il révèle une volonté partagée avec le publicitaire de communiquer au plus grand nombre par le choix du langage universel de la couleur. Le peintre cherche à capter, sans médiations intellectuelles, l’attention d’un spectateur de plus en plus sollicité par une multitude d’images, de messages et d’informations. Son vocabulaire s’est simplifié sur le modèle de la sténographie : « L’homme moderne enregistre cent fois plus d’impressions que l’artiste du XVIIIe, par exemple, à tel point que notre langage est plein de diminutifs et d’abréviations. La condensation du tableau moderne, sa variété, sa rupture des formes est la résultante de tout cela » (1914). Cette simplification le conduit très naturellement, au début des années 20, vers le purisme défendu par Amédée Ozenfant et Le Corbusier, avec lesquels il partage un même intérêt pour l’harmonie géométrique du monde moderne. Le motif de l’architecture y est d’ailleurs omniprésent. Des ouvriers, des ingénieurs et des mécaniciens animent cet univers de bâtisseurs. Puis, peut-être au contact du surréalisme, les formes deviennent plus libres, plus mobiles. Elles flottent dans un espace neutre, aérien, qui libère le corps des pesanteurs de la gravitation. L’inexpressivité des visages de ses personnages se charge d’une ambiguïté proche de l’inquiétante étrangeté chère à Freud. Léger ne cherche pourtant pas à souscrire à l’expression subversive du rêve mais à coller au plus près à une réalité poétique. Ce sens du réel coïncide avec la « querelle du réalisme » ouverte au milieu des années 30. Elle conduit Léger vers la définition d’une peinture monumentale et « populaire », intégrée à l’architecture : « La classe ouvrière a droit, sur ces murs, à des peintures murales signées des meilleurs artistes modernes. » Dès 1925, Léger décorait l’intérieur du pavillon de l’Esprit nouveau, conçu par Le Corbusier pour l’Exposition des Arts décoratifs. Son séjour prolongé aux États-Unis durant la Seconde Guerre mondiale (1940-1945) confirme son goût des grandes dimensions. De cette rencontre avec New York naîtront des grandes fresques de la modernité en hommage à une classe de travailleurs heureuse et apaisée, montant les structures d’un grattedownloadModeText.vue.download 255 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 254 ciel qui évoque la victoire de l’homme sur une nature désormais maîtrisée (les Constructeurs, 1950). Fernand Léger meurt en 1955, en plein début des « Trente Glorieuses », convaincu de la réalisation d’une harmonie inédite entre la technique libératrice et l’homme des « loisirs ». Relever le défi de la technologie Léger rapporte l’anecdote de sa visite, en 1912, au Salon de l’aéronautique en compagnie du sculpteur Brancusi et de Marcel Duchamp qui, devant un stand, se serait exclamé : « C’est fini la peinture. Qui peut faire mieux que cette hélice ? ». Pour Léger, contrairement à Duchamp, la peinture n’est pas impuissante devant ce monde technologique ; elle doit seulement assimiler les nouvelles données plastiques introduites par la rationalisation de l’objet et de l’information. Le Ballet mécanique : Léger et l’image animée du cinématographe Léger, fasciné par les nouvelles conditions de la vision, s’intéresse naturellement au cinéma. Il fréquente très tôt les salles obscures, se passionne pour le personnage de Charlot qu’il fait découvrir en 1916 à Guillaume Apollinaire. À la sortie de la guerre, il fréquente certains réalisateurs proches de la scène avant-gardiste parisienne. Il assiste, en 1921, au tournage de la Roue d’Abel Gance, publie un an plus tard un article sur le film où il salue le rôle protagoniste donné à la machine : « Ce sera l’honneur d’Abel Gance d’avoir imposé avec succès au public un acteur objet. C’est un événement cinématographique considérable. » Le cinéma devient une pure « image projetée », mobile et colorée, débarrassée du récit théâtral et de la domination sentimentaliste de l’acteur. Léger veut créer les conditions d’un spectacle moderne, en prise avec la fulgurance du monde nouveau (« Le spectacle, lumière, couleur, image mobile, objet-spectacle », 1924). En 1924, il décide de réaliser lui-même un film. Cette oeuvre, intitulée le Ballet mécanique, est présentée en permanence dans une salle de l’exposition. On y retrouve une succession syncopée d’images où apparaissent, à des vitesses variables, des éléments mécaniques en mouvement (bielles, roues, engrenages...) superposés à des fragments de visages et de corps, à de multiples objets : « Contraster les objets, des passages lents et rapides, des repos, des intensités, tout le film est construit là-dessus. Le gros plan, qui est la seule invention cinématographique, je l’ai utilisé. Le fragment d’objet lui aussi m’a servi ; en l’isolant on le personnalise. » Le cinéma est, par cet effet de grossissement du réel, une façon plus immédiate d’atteindre cette réalité brute de l’objet : « J’ai fait du cinéma pour montrer les objets tout crus. » PASCAL ROUSSEAU Bibliographie Fernand Léger, Fonctions de la peinture, Gallimard, 1997 ; (dir.) Kodinsky, Fernand Léger, 1911-1924. Le rythme de la vie moderne, Flammarion, 1997 ; (dir.) Christain Drouet, Fernand Léger, catalogue de l’exposition de 1997, Flammarion, 1997. Hélène Lassalle, Fernand Léger, Flammarion, 1997. Arnauld Pierre, Fernand Léger, peintre de la vie moderne, Gallimard, 1997. downloadModeText.vue.download 256 sur 361 DOSSIERS DE L’ANNÉE 255 Georges de La Tour au Grand Palais D’octobre 1997 à janvier 1998, la quasi-totalité de l’oeuvre retrouvé et nombre de copies de tableaux disparus invitent à pénétrer l’univers à la fois épuré, énigmatique et profondément émouvant d’un peintre aujourd’hui classé parmi les plus grands. L’exposition, qui se veut didactique, est divisée en trois sections. Les oeuvres sont présentées sur des cimaises de couleurs plutôt sombres, mais la scénographie, d’une grande sobriété, ne joue pas sur des effets de pénombre qui seraient redondants. La première section comprend des oeuvres originales des débuts du peintre (jusqu’à 1647), montrées dans un ordre chronologique, malgré un regroupement par thèmes qui enfreint parfois la hiérarchie des dates. On y retrouve les premières oeuvres, plus austères dans leur sujet et la facture, puis la Rixe, les Mangeurs de pois, les séries des Vielleurs et des Tricheurs, la Diseuse de bonne aventure. La Tour peint des scènes diurnes, n’adopte pas encore les clairs-obscurs qui le rendront fameux, à l’exception de l’Argent versé, où La Tour distribue déjà ses personnages autour d’une chandelle irradiante, révélant une possible influence des Hollandais. L’oeuvre est marquée par la présence des gueux et des roublards, peuplée d’une humanité plutôt sombre. La Tour vit dans une Lorraine durement touchée par la guerre de Trente Ans (1618-1648). Il est lui-même probablement victime de l’incendie de Lunéville lors de l’entrée des Français en 1638. Les misères qui accompagnent ces dévastations expliquent directement le choix de ses sujets, comme celui des Mangeurs de pois, conservés à Berlin. Avec les Tricheurs et la Diseuse de bonne aventure, la facture se fait plus virtuose, les habits plus luxuriants, les contrastes de lumière plus riches. La pose gelée des personnages est animée par des regards complices qui animent la lecture de l’oeuvre. Puis viennent les « nuits » qui constituent l’essentiel de la production après 1635, avec notamment l’admirable suite des Madeleine. Après les gueux, l’humanité se repent, abandonne la convoitise pour se vouer à une contemplation dans la lueur d’une flamme qui marque la fragilité de l’être. La répartition contrastée des ombres et des lumières ne sert pas un réalisme critique comme chez Caravage. Elle illustre une dualité plus spirituelle entre le corps et l’âme, entre la condition trouble de la matière (douleur, faim, cupidité, luxure) et l’aspiration contemplative de l’esprit. L’importance accor- dée aux parties sombres nous parle de cette fragilité de l’être mais aussi de l’image ellemême, menacée de revenir à la nuit originelle. La deuxième section regroupe des copies anciennes d’oeuvres de La Tour aujourd’hui disparues dont le Saint Jérôme lisant, acquis par le Louvre en 1935 comme un original. Cette section pose la question de l’aura de l’oeuvre. Certaines oeuvres signées montrent des moments de faiblesse : certaines copies sont des morceaux de virtuosité. C’est le cas de l’Éducation de la Vierge de la Frick Collection, longtemps considérée comme un original. Les versions diffèrent bien sûr, avec plus ou moins de goût, ce qui parfois, comme devant les huit copies du Saint Sébastien, peut agacer le visiteur. La troisième section rassemble les oeuvres plus tardives (1647-1652), où originaux et copies d’atelier sont plus difficiles à distinguer, compte tenu d’une participation de plus en plus importante de l’atelier. Les historiens attribuent en effet aujourd’hui avec prudence des tableaux tardifs même signés, en insistant sur la part importante prise par des collaborateurs d’atelier, notamment celle de son propre fils, Étienne, qui est l’une des principales mains du Reniement de saint Pierre. La dernière redécouverte faite à ce jour – celle du Saint Jean-BapdownloadModeText.vue.download 257 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 256 tiste dans le désert, acheté en 1993 pour le futur musée Georges-de-La-Tour de Vic-sur-Seille, ville natale du peintre – confirme ce sentiment que l’oeuvre, immense, cache encore des pans entiers d’un territoire beaucoup plus complexe que l’image classique et réductrice du maître du clair-obscur. Un exercice de reconstitution Il y a déjà un quart de siècle (1972), une importante rétrospective Georges de La Tour avait déjà été organisée au Grand Palais. Elle avait rassemblé 350 000 visiteurs. Vingt-cinq ans plus tard, 45 toiles sont présentées, aux côtés de 33 copies anciennes de tableaux de La Tour, disparus aujourd’hui, notamment le Saint Sébastien à la lanterne qui valut au peintre la reconnaissance de Louis XIII : les commissaires de l’exposition se sont livrés à un remarquable exercice de reconstitution, tel qu’il peut être mené dans l’état actuel des connaissances. Le mythe de la redécouverte tardive Georges de La Tour (1593-1652) fait partie des ! quelques artistes que l’histoire récente a redécouverts. Peintre oublié pendant deux siècles, très connu à sorti époque, aimé du roi, il n’est réhabilité, tout comme Vermeer, qu’au début du siècle. Avant cela, ses tableaux, remarqués, sont attribués aux maîtres espagnols, à Murillo ou Ribera, voire au Français Le Nain, pour ses sujets misérabilistes. Reconnue seulement par quelques érudits régionalistes, l’oeuvre est ignorée avant que Hermann Vross, historien de l’art allemand, n’établisse en 1915 le rapprochement entre deux tableaux signés La Tour, conservés au musée des Beaux-Arts de Nantes et le Nouveau-né du musée de Rennes. À sa suite, Louis Demonts puis l’italien Roberto Longhi dressent un premier catalogue de l’oeuvre. De nombreux auteurs augmenteront petit à petit ce premier corpus complété par une importante thèse de François-Georges Pariset, rédigée durant l’entre-deux guerres. Des copies sont retrouvées dont certaines seront attribuées au peintre lorrain, qui connaît une première consécration populaire lors de l’exposition des « Peintres de la Réalité en France », organisée à l’Orangerie en 1934. La Tour y est représenté par 13 toiles. La grande exposition de 1972, au Grand Palais, confirma cet engouement. Bien des inconnues encore... La biographie de La Tour reste toujours très mystérieuse. Il est né à Vic-sur-Seille en 1593, est mort à Lunéville en 1652... Ce qu’on sait de sa vie est, pourrait-on dire, aussi dépouillé que le fond sur lequel se détachent les personnages de ses tableaux. Trace est restée de divers événements familiaux ou sociaux. De même est parvenue jusqu’à nous la réputation assez fâcheuse qu’on lui fit : aspiration coûte que coûte à la noblesse, cupidité, insensibilité aux malheurs des autres. Mais c’est peut-être pure calomnie, à rapporter aux conflits entre partisans de la France, parmi lesquels se rangea La Tour, et fidèles de la Lorraine ducale. En tout cas, on sait très peu sur le principal : sa vie de peintre. S’est-il formé à Rome ? A-t-il vu les oeuvres de Caravage ? Comment et sous quelles influences, selon quelles préoccupations, quelles conceptions, quelles croyances a-t-il évolué ? PASCAL ROUSSEAU downloadModeText.vue.download 258 sur 361 DOSSIERS DE L’ANNÉE 257 César au Jeu de paume De juin à octobre, la galerie nationale du Jeu de paume, installée dans les jardins des Tuileries désormais restaurés, a organisé une rétrospective César, réunissant quelque 150 oeuvres et retraçant ainsi près d’un demi-siècle de création du plus célèbre sculpteur français vivant. Consacré à la Biennale de Venise en 1995, César avait opté pour la monumentalité en proposant une énorme compression de ferraille de plus de 500 tonnes, occupant tout l’espace du pavillon français. Surenchère ou aboutissement, cette oeuvre qui, par sa démesure, devenait performance, avait marqué une étape dans la réception critique récente de l’oeuvre. Par ce remplissage d’espace, l’oeuvre rappelait « l’Exposition du plein », que son ami Arman avait réalisée en octobre 1960 dans la galerie Iris Clair, en réponse à « l’Exposition du vide » organisée, quelques mois plus tôt, dans le même lieu par Yves Klein. Réunissant des débris de carcasses d’automobiles, l’oeuvre de Venise jouait sur l’obsolescence de la marchandise, l’accélération des procédures de recyclage, la transformation des matériaux et, plus généralement, sur le principe de destruction. Sans doute avec un excès de lyrisme, l’écrivain Philippe Sollers, dans son commentaire intitulé « Guerre de César », assimilait ces compressions aux figures allégoriques de la dévastation guerrière, aux vestiges des bombardements, notamment ceux de Bosnie. L’oeuvre se chargeait d’une gravité que l’on avait probablement oubliée, tant l’auteur, qui ne dément pas ses origines marseillaises, est connu pour son goût rabelaisien de la vie. Deux ans plus tard, alors qu’il avait reçu entre-temps le prestigieux Praemium Imperiale (l’équivalent japonais d’un prix Nobel des arts), César a donc de nouveau été mis à l’honneur, par une exposition de premier plan. César et la presse... César s’approvisionnait en ferraille découverte à la décharge de Gennevilliers. C’est là qu’il se laisse subjuguer par une machine à laquelle nul n’avait songé encore à prêter des vertus créatrices... la presse industrielle. Témoignage : « Une tonne de métal sortie de la presse hydraulique, ça a de quoi vous étonner, quand on passe une vie à imprimer le fer de sa marque, à en percer l’intime secret, à en surmonter les exigences. Moi, je n’en suis pas revenu. J’ai d’abord été sensible à la présence de ces balles compressées (...). Certaines étaient plus belles encore que les autres. Je les ai choisies parce qu’elles étaient belles, et, un jour, je les ai exposées. » (César, l’Express, 2 juin 1960). Un parcours par étapes Le choix opéré par Daniel Abadie, conservateur du Jeu de paume, aura été sélectif, rigoureux, plutôt malthusien au regard d’une production particulièrement prolifique au cours de ces dernières années. Le parcours retenu pour l’exposition est un parcours chronologique, dans une succession maîtrisée de grands ensembles (fers soudés, compressions, empreintes, expansions...). Les petits fers soudés de la première époque, notamment la série des Insectes des années 50, accueillent le visiteur à l’entrée. Ils sont enfermés dans des boîtes de Plexiglas qui leur donnent un caractère objectal inoffensif : le Scorpion devient Sauterelle. On aurait aimé être mis en état de danger, mais on comprend déjà que les oeuvres ne menacent plus. Ces animaux sont réalisés à partir de petits morceaux de ferraille soudés entre eux. Ce matériau, peu downloadModeText.vue.download 259 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 258 coûteux, offrait à l’artiste une liberté d’incision dans le vide que les techniques traditionnelles ne permettaient pas. Tous ces petits éléments composites forment un squelette organique, ouvert au regard. Des animaux et monstres dépecés, César passe au squelette décharné de l’Homme dans l’importante série des Nus et des Torses. Des corps fragmentaires comme l’Homme de Villetaneuse (1957-1959) campent sur des jambes filiformes qui fragilisent leur équilibre. La facture, plus sculpturale, est influencée par les oeuvres de Germaine Richier. Au tout début des années 60, les oeuvres deviennent moins anthropomorphiques, à l’instar du Portrait de Patrick Waldberg (1961), réalisé à partir de tôles de voitures compres- sées contre une plaque monumentale d’acier. Le langage plastique de l’artiste devient délibérément plus abstrait. De ses débuts, César semble retenir un sens intuitif des matériaux alternatifs. Le sujet devient accessoire devant la présence du fer, de l’acier ou bientôt, sous une forme plus sensuelle, des plastiques et matières composites. C’est à cette époque qu’apparaissent les premières compressions qui font la réputation internationale de l’artiste. Il décide de se servir d’une presse industrielle pour compresser des épaves de voitures accidentées. Ses oeuvres deviennent plus compactes, plus géométriques aussi, même si le hasard intervient de plus en plus dans un processus devenu industriel. Le relatif désengagement physique de l’artiste déléguant le « modelage » à la machine s’inscrit dans une certaine tradition dadaïste que revendique en partie le groupe des « nouveaux réalistes », auquel César adhère en 1960, aux côtés de Yves Klein, Arman, Villéglé, Hains... réunis par le critique d’art Pierre Restany. L’artiste n’est plus un démiurge qui forge la matière pour faire apparaître la forme. Il opère un choix dans la complexité du réel. Les trois premières grandes Compressions présentées au Salon de mai de 1960 sont à nouveau réunies dans l’enceinte du Jeu de paume. Elles surprennent moins aujourd’hui ; elles sont devenues un « trophée ». Le sculpteur a décliné ces compressions sur toutes les dimensions, et souvent à une échelle plus domestique comme l’indiquent quatre d’entre elles posées sur socle. César joue sur les effets scalaires avec la série des Empreintes où il monumentalise son pouce ou un sein, agrandis au moyen d’un pantographe. Son Pouce fait l’objet d’une multitude de versions, dans une gamme de matières nobles (bronze) ou pauvres (résine), durables (marbre), fragiles (cristal) ou périssables (sucre). Le Sein (1966), surdimensionné, en polyester rouge, est posé à même le sol comme le sont, un an plus tard, les Expansions. Ces oeuvres sont réalisées à partir de polyuréthane, matière chimique dont la particularité est de se solidifier au contact de l’air. Avec les Expansions, César exploite à nouveau la force du hasard. La matière s’épanche cette fois au sol ; elle ne se dresse plus contre le spectateur mais occupe son territoire de marche. Un esprit de liberté souffle sur ces oeuvres dont le projet est incontrôlable. Celles qui sont présentées ici, recouvertes souvent de laine de verre, ont une remarquable qualité plastique. La surface luisante du polyuréthanne leur donne un caractère pop que l’on retrouve ensuite dans les Compressions de Plexiglas des années 70, dont les couleurs sucrées (rosé, orangé, violet) confirment un certain caractère ludique. Revenant aux sources plus trash de l’esthétique du rebut, César réalise une série de Compressions murales avec des cageots, des fils de laine, des jeans, ou des cartons. Mais cette fois, les cartons et affiches, plus récents, ont perdu la trace de l’usure du temps, révèlent ouvertement leur caractère décoratif, demandent trop à s’accoupler avec la commode Louis XV. La très bonne sélection des oeuvres découvre l’esthétisme de l’oeuvre, tout comme dans les récupérations d’Arman ou de Chamberlain. C’est ce que confirme, plus récemment, la série des Hommages à Morandi, où César compresse des brocs downloadModeText.vue.download 260 sur 361 DOSSIERS DE L’ANNÉE 259 émaillés sur des toiles afin de reconstituer, à sa manière, l’ambiance feutrée des natures mortes du peintre italien. Le sculpteur cite alors de plus en plus l’histoire de l’art, fait des clins d’oeil à la sculpture antique et au genre classique de la vanité dans des Autoportraits qui associent toutes les techniques de l’assemblage composite. L’oeuvre parle de plus en plus d’elle-même, avec parfois la tentation d’un narcissisme contenté. PASCAL ROUSSEAU downloadModeText.vue.download 261 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 260 La querelle de l’art contemporain L’année 1997 a vu rebondir une polémique déjà ancienne sur l’art contemporain. Prises de position tranchées, lourds sous-entendus et distributions d’anathèmes ne sauraient tenir lieu d’un débat, qui apparaît à la vérité aussi complexe que souhaitable. Même si elle a rebondi en 1997, la polémique sur l’art contemporain est un feuilleton déjà ancien, ce dont témoignent à eux seuls les propos iconoclastes d’un Claude Lévi-Strauss dans ses conversations avec Georges Charbonnier (1961) ou le pamphlet d’Yves Michaud sur les fonctionnaires de l’art (1991). Si récurrente soit-elle, cette polémique hexagonale a pourtant atteint son paroxysme après la publication en novembre 1996 d’articles de Jean Clair, conservateur du musée Picasso, des essayistes Jean Baudrillard et JeanPhilippe Domecq, de Marc Fumaroli, professeur au Collège de France, et du peintre Ben dans la revue de la nouvelle droite Krisis, une publication dirigée par Alain de Benoist qui avait fait en 1993 l’objet d’une campagne d’un comité de vigilants. Intitulé Art-non-art », le dossier de Krisis de novembre 1996 est à l’origine d’un article publié par le critique d’art Philippe Dagen dans les colonnes du Monde sous le titre « L’art contemporain sous le regard de ses maîtres censeurs » (15 février 1997). Si ce texte a mis le feu aux poudres, la polémique couvant depuis des années s’est déplacée une fois de plus : les « maîtres censeurs » avaient nécessairement tort puisqu’ils défendaient leur point de vue dans une revue idéologiquement contestable et dont, si l’on en juge par un récent dossier d’Art Press, les goûts esthétiques pour certains artistes des années 30 étaient douteux. Dans ce contexte, le débat s’est figé, avant de se réduire à des attaques personnelles. Mais l’erreur est de répondre aux sommations en prenant position d’un côté ou de l’autre, ou bien en affirmant que l’esprit français a toujours éprouvé un sentiment proche de la haine envers l’art. Mieux vaut s’apercevoir que la querelle de l’art contemporain n’a jusqu’à maintenant guère donné lieu à des échanges et à des arguments raisonnes, comme si le débat était « interdit ». S’y opposent brutalement ceux qui hurlent dès qu’une plume s’autorise la moindre critique, et des esprits critiques qui sont tous mis dans le même sac comme si la polémique se résumait à une guerre idéologique confrontant réactionnaires et avant-gardistes, anciens et modernes. Or, cette polémique noue plusieurs fils que l’on ne cherche pas à démêler en la personnalisant outrancièrement ou en la politisant hypocritement. Il faut en tirer quelques-uns si l’on veut prendre la mesure d’une querelle qui cristallise des interrogations variées. Une querelle franco-française ? Si la crise du marché de l’art est ressentie dans toutes les grandes capitales de l’art (New York, Londres, Paris, Venise...), la querelle esthétique hexagonale apparaît cependant comme une nouvelle version de la bataille d’Hernani. Faut-il s’en étonner ? Alors que l’intervention de l’État – au double sens d’un État « acheteur » et d’un État qui taxe galeries et salles de ventes – est particulièrement lourde en France, des pays comme les États-Unis ou l’Allemagne bénéficient pour leur part d’une vieille tradition de mécénat et d’une politique culturelle fortement décentralisée qui ne polarisent pas automatiquement le débat de l’art sur le rôle de l’État. En Italie cependant, la polémique est plus sensible en raison du rôle contesté des commissaires des grandes expositions, comme la Biennale de Venise. Mais, dans les années à venir, la tendance au modownloadModeText.vue.download 262 sur 361 DOSSIERS DE L’ANNÉE 261 nopole mondial de l’achat et de la vente des oeuvres d’art par deux salles de ventes anglosaxonnes (Sotheby’s et Christie’s) relancera les polémiques sur le marché de l’art. Le marché de l’art et l’État culturel La controverse porte en grande partie sur l’économie de l’art, c’est-à-dire sur le rôle du marché et de l’État dans l’achat des oeuvres d’an contemporaines. Dès lors que la production esthétique, du tableau au ready-made, se vend et s’achète, il est légitime de se demander quel est le rôle du marché de l’an – dont les galeries, les collectionneurs et les mécènes sont les fers de lance – dans le succès d’un certain nombre de peintres comme Basquiat et dans la spéculation financière sur les oeuvres d’art qui a fait fureur durant les années 80. Si le jeu de l’offre et de la demande institue des critères « économiques » de hiérarchie esthétique, il est contrebalancé dans certains pays par l’intervention des musées qui achètent des oeuvres et de « l’État culturel » qui soutient des peintres. Plus que partout ailleurs, la polémique s’est focalisée en France sur le rôle des musées et des fonctionnaires de l’an (voir Raymonde Moulin, l’Artiste, l’institution et le marché, paru en 1992 chez Flammarion). Dès lors que l’État, non sans lien avec une vieille tradition de soutien aux beaux-arts, privilégie le soutien aux créateurs, les peintres en l’occurrence, en même temps qu’il développe les musées, le rôle des conservateurs et des diverses instances (les Drac – directions régionales d’art contemporain – par exemple) destinées à prendre la décision d’acheter se trouve posé. Tout au long des années 80, des ouvrages ont instruit un procès des conservateurs et fonctionnaires de l’art (voir Jean Clair, Considérations sur l’état des beaux-arts : critique de la modernité, paru chez Gallimard en 1989, et Yves Michaud, l’Artiste et les commissaires, paru aux éditions Chambon en 1991). Ce débat sur le marché de l’art correspond implicitement à une première interrogation relative aux critères de jugement et d’appréciation esthétique. Le fonctionnaire de l’art doit-il se retrancher derrière une déclaration de neutralité et le galeriste invoquer le jeu de l’offre et de la demande ? Le jugement esthétique Tel est le registre principal d’une controverse où l’économique et l’esthétique sont indissolublement liés : l’aptitude à juger d’une oeuvre sans céder à la querelle des Anciens et des Modernes, c’est-à-dire à une alternative opposant défenseurs des valeurs académiques et reconnues du Beau et partisans d’un relativisme débouchant sur un éloge du subjectivisme. Cette interrogation concerne aussi bien le créateur, le récepteur que le critique d’art. Le contemporain – l’individu des démocraties – dispose-t-il encore de critères esthétiques lui permettant de juger les oeuvres qu’il regarde ? Si les critères de jugement font défaut, faut-il alors en accuser le relativisme démocratique, où le point de vue de l’individu l’emporte inéluctablement, ou bien la qualité de tableaux et d’oeuvres qui sont conçus, selon Anne Cauquelin dans son Petit Traité d’art contemporain (Seuil, 1996), pour décevoir, et exigent de la part du visiteur de musée préparation et formation ? Dans cette perspective, des auteurs réfléchissent, non sans lien avec la troisième critique de Kant – la Critique de la faculté de juger –, sur la possibilité d’établir les conditions d’un jugement de goût (voir Jean-Marie Schaeffer, l’Art de l’âge moderne : l’esthétique et la philosophie de l’art du XVIIIe s. à nos jours, Gallimard, 1991). « Quand y a-t-il de l’art ? » Si l’oeuvre ne donne plus prise à un jugement esthétique autre que subjectif, il ne faut pas s’étonner que la réflexion théorique se déplace de la question esthétique portant sur les critères du Beau à une tentative de description « analytique » de l’oeuvre d’art. Pour les penseurs anglo-saxons marqués par la philosophie analytique, il est essentiel de dissocier le débat esthétique de celui qui porte sur l’indownloadModeText.vue.download 263 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 262 tention artistique. Il ne faut plus se demander : « Qu’est-ce que l’art ? » mais : « Quand y a-t-il de l’art ? » Alors que les auteurs influencés par Heidegger et la phénoménologie considèrent toute « oeuvre » comme participant du Grand Art, la pensée analytique, relayée en France par Gérard Genette, s’efforce de décrire le plus rigoureusement possible les intentions qui président à la production d’une oeuvre artistique. Le ready-made est alors considéré comme une oeuvre d’art en raison de l’intention de son auteur et non pas parce qu’elle souscrit à des critères esthétiques. Pour Arthur Danto, la manière dont un contenu se présente est aussi importante que le contenu lui-même. Qu’il s’agisse du débat esthétique ou de la réflexion portant sur l’intention artistique, le rôle de la pensée et de la philosophie apparaît décisif. Ou plutôt démesuré, répliquent ceux qui mettent en cause le poids du discours et la rhétorique destinés à justifier conceptuellement des oeuvres. Souvent excessive, la polémique touche pourtant juste dans ce cas : la plupart de ceux qui dénoncent les « maîtres censeurs » sont des critiques d’art ou enseignants qui bénéficient du développement récent de l’enseignement de la peinture et de l’histoire de l’art tout en asseyant leur légitimité sur un subjectivisme débridé. Par ailleurs, des polémiques qui tendent à dépasser la confusion de l’art moderne et de l’art contemporain et dénoncent le rôle des avant-gardes esthétiques interviennent simultanément. Cependant, la critique de l’art contemporain, dès lors que celui-ci est assimilé à une défense et illustration de l’avantgardisme, peut déboucher aussi bien sur une défense de l’académisme que sur un éloge intrépide de la production postmoderne revendiquant l’absence de tout jugement universel. Une galaxie de mouvements Plus qu’à des artistes singuliers ou à des lieux privilégiés (New York remplaçant Paris dans les années 60 comme capitale de la peinture) l’art contemporain renvoie essentiellement à des groupes (groupe Zebra, groupe Zero, groupe Untel, groupe N, Cobra), à des mouvements esthétiques revendiquant un projet se distinguant radicalement de ce qui a précédé. Est considéré comme « contemporain » depuis Marcel Duchamp ce qui se démarque, d’où l’inflation de préfixes (néo, trans) et d’adjectifs (nouveau, super) destinés à souligner le caractère inédit de ces pratiques artistiques : néo-dadaïsme, néo-expressionnistes, nouveaux fauves, nouveau réalisme, nouvelle figuration, nouvelle subjectivité, Nul Groep, Super-realism, trans-avant-garde, Post Painterly Abstraction, ou leur exacerbation (hyperréalisme, hypermaniérisme). L’art contemporain se distingue donc par un choix esthétique ou politique déterminé (art brut, Arte Povera, art cinétique, art conceptuel, art informel, art minimal), ou par une extension de la pratique artistique au corps ou au paysage (Body Art, Action Painting, Earth Art, Land Art, Sky Art, spatialisme). L’erreur est de concevoir l’art contemporain comme une galerie de figures, Andy Warhol ou Daniel Buren par exemple, alors qu’il correspond à une galaxie de mouvements. Une autre perception Mais la réflexion sur l’oeuvre d’art peut-elle échapper à celle qui porte sur l’expérience du regard et de la vision ? La question : « Quand y a-t-il de l’art ? » est-elle séparable de celleci : « Que voit-on ? » « La seule chose que fait l’esthétique, c’est d’attirer l’attention sur une chose », écrit Wittgenstein. Si des « intérêts » spécifiques aux divers protagonistes expliquent en partie la violence de la « querelle de l’art contemporain », celle-ci participe d’un désarroi plus profond si l’on considère qu’il porte sur l’expérience même de la vision, sur l’aptitude à regarder le monde et à le transfigurer. Même si l’avant-gardisme est mis en cause, l’art conserve la mission de modifier et de perturber le regard et la perception. Dans downloadModeText.vue.download 264 sur 361 DOSSIERS DE L’ANNÉE 263 cette optique, la querelle de l’art contemporain prend une autre dimension : elle traduit les métamorphoses de la perception. Celles qu’évoque Yves Michaud, ancien directeur de l’École nationale des beaux-arts, quand il écrit : « L’expérience esthétique qui est la nôtre est tout à fait froide, distanciée, ironique, brutale, inattentive et pourtant fascinée. » C’est une « expérience proche du zapping, du voyage supersonique, du déphasage horaire et du tourisme qui correspond au milieu des décideurs de l’art et à son hyperempirisme moderniste. ». Mais la création contemporaine n’a-t-elle que cette expérience d’un monde post moderne à nous proposer ? N’y a-t-il pas d’autres « mondes de l’art » que celui de l’art contemporain que privilégie l’État culturel ? Si d’autres mondes artistiques existent indéniablement, en dépit de leur faible visibilité, les transformations de la perception à l’oeuvre peuvent également être à l’origine d’expériences artistiques inédites. Si la polémique, au-delà de l’anecdote et des coups de griffe, porte autant sur le marché de l’art que sur le jugement esthétique et l’oeuvre artistique, elle oppose aussi ceux qui croient en un « monde » transfigurable et ceux qui n’y croient plus. OLIVIER MONGIN DIRECTEUR DE LA REVUE Esprit Bibliographie Jean Clair, Considérations sur l’état des beaux-arts : critique de la modernité, Gallimard, 1989. Philippe Simonnot, Doll’art, Gallimard, 1990. Yves Michaud, l’Artiste et les commissaires (Quatre essais non pas sur l’art contemporain mais sur ceux qui s’en occupent), J. Chambon, 1991. Raymonde Moulin, l’Artiste, l’institution et le marché, Flammarion, 1997. Jean-Marie Schaeffer, l’Art de l’âge moderne : l’esthétique et la philosophie de l’art du XVIIIe à nos jours, Gallimard, 1991. Philippe Urfalino, l’Invention de la politique culturelle, la Documentation française, 1996. Philippe Dagen, la Haine de l’art, Grasset, 1997. Anne Cauquelin, Petit Traité d’art contemporain, Le Seuil, 1996. downloadModeText.vue.download 265 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 264 Les cinquante ans du Festival de Cannes Destiné à l’origine à concurrencer le Festival de Venise (fondé en 1932), jugé alors trop partial, le Festival de Cannes, après un faux départ en 1939, s’impose, à partir de 1946, comme la grande manifestation socioculturelle de la seconde partie du XXe siècle. De ses premiers pas hautement diplomatiques à sa bataille sans merci contre les médias (télévision en tête) qui se servent de lui comme d’un tremplin autopromotionnel en passant par l’ère des stars, l’apparition des nouvelles vagues, des films politiquement engagés, des oeuvres venues des quatre coins de la planète, le Festival de Cannes a été le sismographe privilégié d’un 7e art en pleine mutation. Pour le spectateur de 1998, le Festival de Cannes paraît être une vaste foire où les défilés de vedettes succèdent aux grandes fêtes arrosées de champagne. Cette image, aujourd’hui fallacieuse, est essentiellement façonnée par les émissions télévisées, qui ne retiennent que cet aspect de la manifestation. Exactement comme si les journalistes de l’audiovisuel commentaient l’actualité politique avec la langue de bois qui prévalait à l’époque de la guerre froide. Une identité difficile à trouver En 1939, le jeune diplomate Philippe Erlanger rêve d’une rencontre internationale de films qui pourrait rivaliser avec Venise, dont les choix cinématographiques sont fortement orientés politiquement. Il trouve les soutiens institutionnels et financiers nécessaires, et le premier Festival doit s’ouvrir en septembre 1939, à Cannes. La guerre éclate : il n’aura pas lieu. Sept ans plus tard, le projet se concrétise et connaît, malgré quelques difficultés de démarrage, un grand succès. En 1946, la diplomatie prévaut. La plupart des pays invités – jusqu’en 1976, ce sont les nations qui choisissent leurs représentants – reçoivent une parcelle du grand prix du Festival international du film, qui ne deviendra palme d’or qu’en 1955, à nouveau grand prix en 1964 puis définitivement palme d’or à partir de 1975. L’Amérique est présente avec le Poison de Billy Wilder, l’URSS avec le Tournant décisif de Fridrih Ermler, l’Italie avec Rome, ville ouverte de Roberto Rossellini, seul film réellement novateur du Festival, annonciateur du néoréalisme, et qui se trouve quelque peu noyé dans le lot. René Clément est distingué par le prix international du jury pour la Bataille du rail, film qui évoque la guerre encore toute proche. Alfred Hitchcock (les Enchaînés) et Jean Cocteau (la Belle et la Bête) sont oubliés. L’année suivante, il n’y aura pas de grand prix du Festival, peut-être en réaction à la pléthore de récompenses de la première édition, mais des prix fantaisistes, comme celui du meilleur film psychologique et d’amour ou celui du meilleur film d’aventures et policier. On peut considérer les années 1946-1951 comme une période de tâtonnements, où le Festival se cherche une identité. Parallèlement à la sélection, diplomatique, de films, la manifestation a besoin d’un lieu. L’édition 1946 se déroule dans la grande salle du casino. En 1947, les invités sont accueillis dans un palais en pleine construction. Les éditions de 1948 et 1950 sont annulées par manque de moyens et, aussi, parce qu’on estimait qu’une année n’est pas suffisante pour recevoir assez de bons films. C’est au début des années 50 que le Festival va acquérir son profil. Une véritable équipe permanente se structure autour de Robert Fabre Le Bret, cofondateur de la manifestation downloadModeText.vue.download 266 sur 361 DOSSIERS DE L’ANNÉE 265 avec Philippe Erlanger, qui devient délégué général en 1952. Deux phénomènes, apparemment divergents, vont l’aider à se forger une identité. D’une part, le cinéma sera légitimé comme art grâce au mouvement des ciné-clubs, qui se fédèrent en 1946, et à la consolidation d’une presse spécialisée exigeante (la Revue du cinéma, Image et son, les Cahiers du cinéma, Positif, Cinéma...). Ces partenaires indispensables du festival, à la fois juges et commentateurs, le feront évoluer et changer. La critique de son académisme par François Truffaut en 1958 et la sélection de l’opéra prima de ce dernier, les Quatre Cents Coups, l’année suivante, ouvrent le Festival au cinéma moderne. D’autre part, la libéralisation des moeurs doublée par l’ouverture des frontières et le miroir aux alouettes que constitue désormais le cinéma va initier l’ère des starlettes, où nouvelles stars, dont la présence prime sur les films qui leur servent d’écrin : Martine Carol, Brigitte Bardot, Grace Kelly, Gina Lollobrigida donneront ainsi à Cannes, par les échos médiatiques qu’elles suscitent, cette image de fête permanente qui lui colle encore à la peau. Elles en recevront, en contrepartie, une gloire inespérée. Cinémas décentrés et nouvelles vagues Dans les années 50, le cinéma est sorti de sa période d’« innocence » : la guerre, les débuts de la décolonisation, l’apparition de cinématographies lointaines (Amérique latine, Afrique, Europe de l’Est) modifient son identité. Autant il était facile de juger jusque-là un film bâti autour d’un scénario bien structuré, généralement immuable sous toutes les latitudes et bourré de conventions psychologiques censées reproduire une tranche de vie, autant il devenait difficile d’isoler des critères pour apprécier le surréalisme naturaliste de Buñuel (Los Olvidados, 1951), la saga égyptienne de Youssef Chahine (le Fils du Nil, 1952) ou le néoréalisme bengali de Satyajit Ray (Pather Panchali, 1956), tous films qui défiaient le modèle occidental de narration. D’Occident même, de nouvelles manières de traiter le matériau dramatique apparaissent : le présent et le passé sont montrés sur le même plan, sans césure formelle comme à l’accoutumée, par le Suédois Alf Sjöberg (Mademoiselle Julie, grand prix du jury 1951, ex aequo avec Miracle à Milan de Vittorio De Sica) ; les conventions dramatiques sont niées par Robert Bresson, qui pratique la distanciation (Un condamné à mort s’est échappé, prix de la mise en scène en 1957). Une manière novatrice d’aborder certains sujets se fait jour : l’acte pictural est restitué dans sa durée même (Le Mystère Picasso, d’Henri-Georges Clouzot, Prix spécial du jury en 1956), tandis que Nuit et brouillard d’Alain Resnais, réflexion sous forme documentaire sur les camps de la mort, est projeté hors compétition, en 1956, à cause d’une plainte de la délégation ouestallemande. Les grands prix reflètent rarement – jusqu’en 1960, où La Dolce Vita de Federico Fellini reçoit la récompense suprême – ces mutations qui s’opèrent dans le cinéma. Jusqu’en 1964, les présidents du jury sont des écrivains ou des académiciens qui, à l’exception de Jean Cocteau, sont peu au fait de l’univers filmique. À partir de 1964, et la présidence de Fritz Lang, cinéastes et acteurs tiendront majoritairement ce rôle. Jusqu’à l’aube des années 60, les démarches novatrices étaient disséminées au milieu d’oeuvres traditionnelles, voire conventionnelles. Après la présentation des Quatre Cents Coups de François Truffaut, en 1959, la venue de plus en plus grande de journalistes et de critiques spécialisés (Aldo Kyrou, Robert Benayoun, Jean Douchet, Georges Sadoul, Jean-Louis Bory... pour s’en tenir aux Français, tout en signalant que des personnalités aussi exigeantes venaient de tous les horizons), le Festival devient de plus en plus une rencontre cinéphilique. En 1962, des journalistes fondent la Semaine de la critique, première des sections parallèles, consacrée à la découverte de premiers et seconds films du monde entier, en général négliges par la sélection officielle. downloadModeText.vue.download 267 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 266 Bemardo Bertolucci, Jerzy Skolimowski, Philippe Garrel, Otar Iosseliani, Alain Tanner entre autres y présentent leurs films de jeunesse. De nombreux cinéastes remarqués dans ce cadre concourront plus tard en compétition. En 1969, sur les brisées de Mai 68, une autre section, la Quinzaine des réalisateurs, voit le jour : ce sont les cinéastes qui, à travers le délégué général de la rencontre, Pierre-Henri Deleau, choisissent les films en toute liberté. Cannes devient une fête essentiellement dévolue aux films et à la découverte de nouveaux talents, tandis qu’un aréopage d’« auteurs maison » (Martin Scorsese, Wim Wenders, Nikita Mikhalkov, Shohei Imamura, Emir Kusturica, Abbas Kiarostami...) voient chacun de leurs films présentés dans une section ou une autre. En 1978, le nouveau délégué général Gilles Jacob crée Un certain regard, une section parallèle « officielle », et aussi le prix de la caméra d’or, qui récompense un premier film dans n’importe quelle sélection, tandis que Cinémas en France (anciennement Perspectives du cinéma français) montre les meilleurs films hexagonaux. De l’utilité des festivals Dans les années 20, des critiques comme Louis Delluc ou Riccioto Canudo tentaient de légitimer le cinéma en tant qu’art à part entière. Dix ans plus tard, face à une industrie toutepuissante qui détruisait les vieux films, des jeunes gens enthousiastes, tel Henri Langlois, en France, fondèrent des cinémathèques pour préserver la mémoire du cinéma. À cette même époque, d’autres pionniers pensaient qu’il serait intéressant de créer des lieux destinés à confronter les oeuvres modernes de différents pays. Ces manifestations se sont appelées « festivals ». Bien qu’il y ait eu une tentative allant dans ce sens à Milan, dès 1910, le premier véritable festival, celui de Venise, est fondé en 1932. Malgré une censure vigilante, Venise accueille en 1934 des films aussi surprenants que le Grand Jeu de Jacques Feyder, la Reine Christine de Rouben Mamoulian et Extase de Gustav Machaty – un des premiers films à montrer une nudité féminine. Mais au fur et à mesure de l’approche de la guerre, l’Italie a tendance à primer des films du puissant allié allemand. En 1938, les Dieux du stade de Leni Riefenstahl, une bande-fleuve sur les jeux Olympiques de Berlin de 1936, est primée en dépit du règlement du festival qui interdit de récompenser un documentaire. Dans plusieurs pays, dont la Grande-Bretagne, la France et les États-Unis, on rêve d’un festival du monde libre. Ce festival sera celui de Cannes. Il faudra attendre 1976 pour que Cannes puisse sélectionner les films qu’il désire. Avant, les pays eux-mêmes envoyaient les films qu’ils souhaitaient. On se souvient toutefois de la bataille que mena Robert Fabre Le Bret contre les Soviétiques pour obtenir qu’Andreï Roublev, de Tarkovski, fût projeté hors compétition en 1969. Défait, une sélection à Cannes permet à des cinéastes vivant sous des latitudes peu clémentes, tel l’Iranien Abbas Kiarostami, de bénéficier d’une certaine intouchabilité. Mais, pour autant, la bataille pour la liberté d’expression n’est pas gagnée. Ainsi, les Chinois refusèrent, en 1997, l’année du cinquantenaire, de laisser concourir Keep Cool, le film de Zhang Yimou. Un festival reflet du monde À l’instar de certaines demeures japonaises où le design côtoie les estampes du XVIe siècle ou le mobilier de l’ère Meiji, tout s’ajoute à Cannes. Le temps des films d’auteur n’a pas pour autant chassé les vedettes : les visites d’Elizabeth Taylor, d’Isabelle Adjani, de Jeanne Moreau ou de Sharon Stone constituent encore des événements, mais qui n’intéressent qu’une fraction des festivaliers : les photographes, les gens de télévision (qui souvent ignorent les films au profit d’une couverture people du Festival) et les Cannois pour qui la montée des marches du Palais constitue le must de la journée. Depuis la fin des années 60, le Festival s’est clivé en une foultitude de petites tribus. Si la downloadModeText.vue.download 268 sur 361 DOSSIERS DE L’ANNÉE 267 Semaine de la critique a créé une brèche, celleci concernait surtout les gens de cinéma. Après 1968 (date où la manifestation fut interrompue au bout de quelques jours) et la création de la Quinzaine des réalisateurs, des étudiants, de simples cinéphiles firent le pèlerinage jusqu’à Cannes pour voir des films. En même temps que tombait le costume trois pièces au profit des jeans, un autre mode de vie, d’autres attitudes sociologiques naissaient : on pouvait aller à Cannes en stop avec cinq cents francs en poche, on campait chez des amis... Jusqu’en 1983 et la construction du nouveau palais, dénommé, fort à propos, le bunker, il était relativement facile de se procurer des invitations pour les séances. Créé en 1959, destiné aux producteurs et acheteurs, le Marché du film deviendra, entre 1969 et 1976, un lieu de découverte de cinémas marginaux : série B, auteurs scandaleux comme John Waters, et aussi cinéma porno (pas encore appelé X) – très prisé alors des intellectuels – y feront la joie des spectateurs soumis à la censure encore en vigueur (les festivals sont, en principe, exonérés de censure). Si on veut résumer l’historique du Festival de Cannes, on peut dire qu’il a vécu deux périodes d’innocence : de sa création à 1960, avec l’ère des stars et des apparats, et de 1969 à l’aube des années 80, où on consommait de la pellicule d’une manière désordonnée, pulsionnelle. Les films reflétaient l’air du temps jusqu’à la caricature. Ainsi, en 1972, la récompense suprême est partagée entre deux films politiques : La classe ouvrière va au paradis d’Elio Petri et l’Affaire Mattei de Francesco Rosi, tandis que le très underground dessin animé Fritz the Cat de Ralph Bakshi faisait un triomphe à la Semaine de la Critique et que les séances de minuit avec Pink Flamingos de John Waters ne désemplissaient pas au Marché du film. Les choses se normaliseront ensuite. Alors que les plus culturels des auteurs audacieux (Jean-François Davy, Dusan Makavejev, Paul Morissey...) rejoignent les diverses sections du Festival, les films érotiques sont progressivement bannis du Marché du film ou présentés en vidéo à de réels acheteurs. Ces périodes d’innocence sont suivies par des phases de repositionnement, de redéfinition des enjeux. Dans les années 60, trouver et défendre de nouveaux cinéastes ou de nouvelles écritures n’est plus laissé au hasard des projections. Appelé nouvelle vague, ou jeune cinéma, le film d’auteur de cette époque-là invente une écriture qui met à mal la syntaxe cinématographique traditionnelle : plus de champ/contrechamp au service de drames psychologiques mais un foisonnement d’images dans lequel présent et passé se confondent (Hiroshima mon amour, Alain Resnais, 1959), où l’objectif et le subjectif sont traités sur le même plan (le Dieu noir et le Diable blond, Glauber Rocha, 1964). Mais, quel que soit le style adopté, ces films expriment totalement l’univers de leur auteur. Vingt ans plus tard, ce style « dysnarratif » dégénérera à son tour en nouvel académisme qui dispense les cinéastes paresseux de faire l’effort de bien structurer leurs films. Viendront alors des metteurs en scène qui travailleront sur la distanciation, la relecture des genres populaires, l’ironie, le second degré : Steven Soderbergh (Sexe, mensonges et vidéo, palme d’or 1989), David Lynch (Sailor et Lula, palme d’or 1990), les frères Coen (Barton Fink, palme d’or 1991), Quentin Tarantino (Pulp Fiction, palme d’or 1994). Ces gens qui oeuvrent sur des trames policières ou fantastiques détournées, sur du matériau recyclé sont considérés, dans une perspective postmoderne, comme les artistes les plus aptes à restituer l’atmosphère cynique des années 90. Mais, comme la vérité n’est pas une mais multiple à Cannes, le jury de cette 50e édition, présidée par la glamoureuse Isabelle Adjani, a distingué, par une double palme d’or, des cinéastes qui, comme les grands maîtres des années 60, travaillent sur une réalité concrète, tangible, à laquelle ils appliquent leur grille de lecture : Shohei Imamura (l’Anguille) et Abbas Kiarostami (le Goût de la cerise). Les paillettes de la présidente Isabelle Adjani se sont mariées downloadModeText.vue.download 269 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 268 avec des films d’une grande rigueur. Les paparazzi avaient une grande star à photographier et les critiques, des films sérieux à commenter. Des stars Contrairement à ce qui est admis, le Festival de Cannes rendit les stars plus proches du public. Leur seule présence dans l’« arène » cannoise, là où la concentration de journalistes et d’échotiers est la plus forte, permit à tout un chacun de connaître les moindres faits et gestes de celles-ci. C’est Cannes qui créa le mythe Bardot, ce nouveau type de femme qui n’avait plus la distance lointaine d’une Marlene Dietrich, bien avant le film de Vadim Et Dieu créa la femme (1956). Il permit aussi à Grace Kelly, actrice fétiche d’Alfred Hitchcock, de quitter la scène cinématographique pour celle de la jet set – en devenant princesse de Monaco. Le Festival peut aussi être néfaste à l’apprentie starlette : en 1954, Simone Silva pose nue dans les bras de Robert Mitchum. Ses clichés de la pose indécente font le tour du monde, et les ligues puritaines américaines s’en offusquent. Une dépression nerveuse conduit la jeune femme au suicide... Après La Dolce Vita de Federico Fellini (1960), qui livre, à travers la magnifique prestation d’Anita Ekberg, une réflexion sur les gran- deurs et misères du star-system, les choses changent. Sophia Loren en 1961 avec La Ciociara (Vittorio De Sica) et Claudia Cardinale, deux ans plus tard, avec le Guépard (Luchino Visconti) mettent leur image au service de chefs-d’oeuvre. Un peu bousculées dans leurs habitudes, quand triomphait dans les années 60 et 70 le cinéma d’auteur, les stars sont revenues depuis une dizaine d’années, peut-être parce que l’acteur a repris une place importante dans le coeur des cinéphiles. On peut dire que la présentation de Basic Instinct de Paul Verhoeven en 1992, à Cannes, a permis à Sharon Stone de devenir une superstar, après dix ans de vaches maigres, ou à John Travolta, dont la cote était au plus bas, de remonter au sommet grâce à Pulp Fiction de Quentin Tarantino, qui obtint la palme d’or en 1994. RAPHAËL BASSAN Bibliographie D’or et de palmes, le Festival de Cannes : Pierre Billard (Découvertes Gallimard, 1997). Cannes, cris et chuchotements : Michel Pascal (Nil éditions, 1997). Histoires de Cannes 1939-1996 : numéro spécial des Cahiers du Cinéma (avril 19971. 40 révélations en 50 ans : numéro hors série du Nouvel Observateur (mai 1997). downloadModeText.vue.download 270 sur 361 DOSSIERS DE L’ANNÉE 269 L’année littéraire 1997 Si la littérature offre, cette année comme les précédentes, une prolifération d’ouvrages où le récit l’emporte sur une forme plus romanesque, c’est que le monde lui-même est perçu comme un chaos opaque. Les réponses personnelles, privilégiant l’approche subjective, prennent le pas sur l’analyse rationnelle. Plus que jamais pourrait s’appliquer la référence shakespearienne dont Faulkner fit titre et matière : bruit et fureur. Pouvoir des mots ? De ce bruit ambiant Nathalie Sarraute, doyenne des lettres françaises avec ses quatre-vingt-dix-sept ans, fait danse dans son Ouvrez : entre la parade des mots changés en personnages. Couronnement d’une oeuvre appréhendant le monde comme un tohu-bohu de phrases qui à la fois enivrent et emprisonnent. Claude Simon (notre dernier prix Nobel de littérature) aligne des colonnes sur les pages de son Jardin des Plantes, rangées de mots-fleurs dont les diaprures, par le jeu des visions imprévues, font s’interpénétrer les angoisses rencontrées au cours d’une vie et les respirations plus enivrées. J.M.G. Le Clezio rechercherait plutôt « les mots de pouvoir » (la Fête chantée), empruntant les chemins du mythe dans une quête à demi onirique, à demi mystique des quelques paroles amérindiennes préservées, avant de se purifier dans les mirages du désert nu, au cours de son pèlerinage au Sahara (Gens de nuage). Les liens brisés Mais les mots s’obstinent aussi à dire la sensation que la trame du tissu social se délite. Souvent ce sont des écritures féminines, héritières sans le dire d’une tradition anglo-saxonne où la narratrice s’astreint à une notation des convulsions secrètes du monde conjugal ou familial. Dans cette perspective Claire Fourier, malgré la brutalité accrocheuse du titre : Je vais tuer mon mari, campe une femme analysant, non sans fiel, vingt ans d’incompréhension maritale. Grâce au recul de l’écrit, elle parvient à une sagesse fondée sur la résignation. Le champ d’observation s’élargit avec Sophie Tasma dont le Désolation et destruction (un titre double à la manière du célèbre Orgueil et préjugés de Jane Austen) dresse un constat sévère de nos égocentrismes. La forme brève de la nouvelle convient à Suzanne Lafont (Passions mineures) pour émouvoir par des plans quasi cinématographiques d’une précision cruelle. Plus vastes sont les ambitions de Linda Lê qui, dans les Trois Parques, marie burlesque, satire et émotion afin de camper ses trois soeurs aux liens rompus, comme tant d’autres, avec le pays d’origine, ici le Viêt Nam. La blessure de l’éphémère Cette rupture des liens affectifs s’inscrit parfois dans la tradition de la peinture des fugitives passions amoureuses. Michel Besnier les évoque avec nostalgie dans la Roseraie et place au coeur de l’intrigue un généalogiste des roses luttant symboliquement contre l’éphémère de la floraison. À l’amoureux des rosés répond le Maître des paons de Jean-Pierre Milovanoff, où, au-delà de l’amour impossible, s’impose la présence d’un personnage fasciné par les irisations des ocelles des paons. Ces romans vibrent d’une perte des certitudes de l’être qui, à la lisière de la folie, s’éprend de signes vaguement symboliques. Ainsi revient-on à l’interrogation sur l’absence : Alain Spiess, dans ses nouvelles, au titre évocateur : Pourquoi, met en scène des disparitions d’être cher. Bernard Chambaz prend du recul avec sa propre expérience du deuil et, sous la forme d’une chronique romanesque, recrée la présence du fils disparu. Il emprunte son titre au panneau orné des dernières dédownloadModeText.vue.download 271 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 270 coupes de Matisse qui, à demi paralysé, s’efforçait encore de faire chanter les couleurs : la Tristesse du roi. La douleur d’une vie dépourvue de sens conduit plusieurs auteurs à prendre comme personnage central un homme âgé, tel le cinéaste désenchanté dans la Nostalgie des singes de Patrick Tudoret. Alain Bosquet met dans la bouche d’un septuagénaire un réquisitoire amer contre la société (Portrait d’un milliardaire malheureux). Chez Pascal Bruckner (les Voleurs de beauté), si la beauté est également éphémère, elle devient paradoxalement haïssable et ses héros la forcent à se faner plus vite par la réclusion des belles victimes qu’ils séquestrent. Errance et immobilité Le constat de l’éphémère de la vie ne constitue pas une nouveauté ! En y ajoutant le désespoir latent ne restent alors que l’errance ou l’enfermement. De la thématique du vagabondage (chère à la beat generation), certains encore font roman, l’ancrant parfois dans la réalité par l’entremise d’une menace empruntée à la fiction policière, comme chez JeanClaude Pirotte qui titre Cavale. Il en fait prétexte à divagation littéraire tandis qu’il peuple la solitude de son héros de passantes et de copains de zinc. Christian Gailly (les Évadés) joue sur des pistes multiples, qui ne peuvent conduire qu’à la mort du fuyard, héros soudain tragique. Hervé Prudon reprend le chemin de l’aventure (la Femme du chercheur d’or), mais son héros « porte en bandoulière [son] enfance qui ressemble à un petit singe mort ». Quand l’appel de la mer réapparaît avec Coup de lame de Max Trillard, l’océan se referme sur l’enfer du thonier où le personnage principal baptisé « Démon » joue sadiquement avec le jeune étudiant, victime sacrificielle. L’errance, loin de représenter une initiation, saisie par le cauchemar se fige, et conduit à la dilution de l’être dans l’univers anonyme du Lieu dit de Raymond Bozier. Ego et éros Donner une primauté au « Je » conduit à ignorer les questions qui agitent notre monde. Cette année, l’ego triomphant se contente souvent de s’étourdir des vertiges de la chair, jusqu’à l’érotisme complaisant qui se délecte de jouer d’un vocabulaire cru, non sans afféteries involontairement comiques. Christophe Donner, qui ne cache pas son propos : « J’écris sur le désir, sur la folie du désir... », en use avec talent. Prolifique, il publie quatre livres cette année. Si les trois premiers répondent à son projet, le quatrième ouvre d’autres perspectives : Le voile, le visage et l’âme confronte une Américaine défigurée par un accident et une Égyptienne dont les souffrances suggèrent le sort des femmes dans de trop nombreux pays. Éric Neuhoff se contente d’ébaucher une mince intrigue (la Petite Française) qui ne parvient qu’à faire résonner de faibles échos de Lolita. Quant à Dominique Noguez, son narrateur décrit avec conviction son envoûtement pour une strip-teaseuse (Amour noir). La tentation de l’histoire Plutôt que de peindre une fresque d’aujourd’hui, certains situent cette tentative dans le passé. Ils trouvent une distance en s’enfonçant dans le temps, confondant leur art avec celui des anciens historiens qui entendaient, en retraçant d’anciens événements, éclai- rer le présent. La Bataille de Patrick Rambaud illustre cette démarche : l’auteur s’efforce de reprendre le flambeau des romanciers du XIXe s. illuminant la société. Il retrace la bataille d’Essling (1809), massacre plutôt que victoire. Et la peinture de l’entêtement de Napoléon insoucieux du nombre des victimes devient une accusation indirecte des responsables des massacres contemporains. Une expédition scientifique du XVIIIe s. au Pérou permet à Patrick Drevet (le Corps du monde) de redonner vie à un représentant du Siècle des lumières, le botaniste Joseph de Jussieu, tentant de récondownloadModeText.vue.download 272 sur 361 DOSSIERS DE L’ANNÉE 271 cilier l’affectif et la raison. Le rapport à l’histoire est plus complexe chez Philippe Le Guillou qui présente le deuxième panneau de son « triptyque » flamboyant les Sept Noms du peintre (le premier évoquait le foisonnement des légendes celtiques de la Table ronde). S’inspirant de la vie du peintre anglais Bacon, il s’immerge dans le passé de la peinture et pose la question intemporelle de la création face au vertige du pourrissement des chairs. Les spectres du passé Lorsque l’histoire contemporaine est source d’inspiration apparaissent les spectres décharnés et mutilés qui la hantent. Leur présence évoquée, loin de dévoiler des secrets, défie l’analyse, renvoie l’image du néant. L’esprit pétrifié ne peut ni comprendre ni pardonner. « Je n’ai plus rien », constate simplement un survivant de l’Holocauste dans la saga d’une famille juive ashkénaze contée par Sarah Frydman (la Marche des vivants). Namokel titre Catherine Lépront dont l’héroïne, lorsque son frère est tué en Algérie, reste interdite devant le mot mystérieux qu’utilisait son grand-père pour faire référence à l’indicible – les charniers des camps. Il suffit à Lydie Salvayre, signant un des livres forts de la rentrée, de la visite d’un huissier d’aujourd’hui et surgit aux yeux d’une mère affrontée à sa fille la Compagnie des spectres. Fin de millénaire (essais et documents) L’annonce de la fin d’une époque se précise, parfois avec un sourire de triomphe, mais le plus souvent avec une grimace teintée de millénarisme. Pour beaucoup, le temps est venu des bilans et des analyses des fautes du passé. Et, tout d’abord, il faut lever le voile qui entourait le régime de Vichy. La soumission de l’Administration est détaillée par Marc Olivier Baruch dans Servir l’État français. Le procès du préfet Maurice Papon donne l’occasion à Bernard Violet d’établir le Dossier Papon. Denis Peschanki examine l’esprit de la période (Vichy 1940-1944, Contrôle et Exclusion) et Jean-Pierre Azéma et Olivier Wieworka en dressent un tableau d’ensemble : Vichy, 1940-1944. Yves Durand élargit le champ des investigations et propose Une histoire générale de la Seconde Guerre mondiale. Dans cette perspective globale, l’ouvrage collectif le Livre noir du communisme tire les conséquences tragiques d’une vaste illusion. Un livre à compléter par l’Histoire de l’Internationale communiste de Pierre Broué. « Mondialisation », maître mot encore des réflexions sur la domination de l’économie. Les uns la dénoncent, tel Ignacio Ramonet (Géopolitique du chaos), d’autres la célèbrent, comme Alain Mine (la Mondialisation heureuse). Mais Michel Musolino souligne : « l’art de se tromper » dans l’Imposture économique, tandis qu’Isabelle Stengers s’en prend à « l’expertise scientifique » (Sciences et Pouvoirs). Dans un monde paradant sa violence, la recherche d’un modèle conduit à célébrer la grande figure de Gandhi : de Guy Deleury, Gandhi, et de Jean Marie Muller, Gandhi l’insurgé ; ou à s’intéresser à l’éthique du « philosophe à posture modeste » : Paul Ricoeur, les Sens d’une vie de François Dosse. À quoi opposer l’autre attitude, celle de Cioran et sa « frivolité désespérée » avec la publication des Cahiers 1957-1972 de ce flâneur du néant, qui se serait peut-être amusé des attaques portées par deux physiciens contre la pensée postmoderne (Impostures intellectuelles, Alan Sokal, Jean Bricmont). Science contre philosophie, camps contre camps et face au silence des idéologies les fanatiques de la foi : utile donc, la publication d’une Encyclopédie des religions avec son deuxième tome aux fertiles regroupements thématiques, ou encore le grand oeuvre posthume d’Alphonse Dupront : le Mythe de croisade, partant d’une enquête événementielle pour tenter d’appliquer « une pensée historique d’ensemble » aux prolongements du mythe. À l’importance donnée à l’être singulier correspond l’essai consacré par Aliette Armel à Michel Leyris qui écrivait : « Je me suis aperçu downloadModeText.vue.download 273 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 272 un jour que ce livre relatif à ma vie était devenu ma vie même. » Les difficultés du jeu avec le Je sont présentées dans le traité de Jacques et Éliane Lecarme : l’Autobiographie. Figures de l’« étrangeté » La diversité des origines et celle des dates de naissance ont tendance à faire de chaque ouvrage un esseulé, un immigrant qui a pour tout papier la louange de l’éditeur. Les regrouper ne fait qu’accroître les disparités et, comme dans un kaléidoscope secoué, de multiples figures peuvent apparaître. Cependant, de l’ensemble se dégage un tableau saisissant des difficultés et violences du globe et de l’importance moindre accordée au narcissisme. Beaucoup d’auteurs ne craignent pas de témoigner de leur monde, parfois de l’affronter. Du Don Quichotte (1605) dépoussiéré par Aline Schulman la vie resurgit, exubérante, de tout un petit peuple cependant placé sous la domination d’une autorité soupçonneuse ; comme elle bouillonne encore aujourd’hui sous la plume d’auteurs africains. Ainsi des Nigérians Ben Okri (Un amour dangereux, 1991) et Wole Soyinka (Ibadan, les Années pagaille, 1994), prix Nobel 1986 et contraint à l’exil. Et tel Cervantès, leurs héros respectifs sont des reflets d’eux-mêmes, sans la distance ironique, mais, voyant leurs illusions se défaire, ils s’obstinent encore, croyant toujours possible de libérer leur continent de ses contradictions et tyrannies sanglantes. Résister joyeusement pour survivre : l’histoire de l’Irlande en témoigne, non sans accès d’humeur noire ou d’abandon aux brumes et tourbières. Robert Mc Liam Wilson suit ses deux lascars, l’un protestant, l’autre catholique, dans les rues de Belfast, sur fond d’attentats : Eureka Street (1995), tandis que Roddy Doyle (trois livres republiés cette année) peint les efforts de la verte jeunesse de Dublin qui tente d’échapper à la pauvreté. Mais des brumes anciennes resurgissent les effrois tramés par Sheridan Le Fanu, un des inspirateurs du fantastique moderne (l’Oncle Silas, 1858). Des ombres plus récentes se manifestent en Allemagne avec Günter Grass, qui, par l’artifice littéraire, met en parallèle (Toute une histoire, 1995) la réunification considérée comme annexion et la première unification de 1871, tout en dénonçant le matérialisme contemporain. Christa Wolf (écrivain de l’ex-RDA) se sert de l’écran du mythe (Médée, voix, 1995) pour suggérer des conclusions semblables. Une hégémonie Assurément l’hégémonie américaine se taille toujours la part du lion avec l’inévitable présence du road movie et de sa violence : les Hommes de proie (1994) d’Edward Bunker, et celle d’ordre métaphysique de Cormac Mc Carthy, le Grand Passage. Signalons encore l’écriture de Robert Olen Butler imprégnée des parfums d’Orient : la Nuit close de Saïgon (1981) et la présence de l’écrivain du Sud que fut Eudora Welty, Oncle Daniel le généreux (1953). Nous avons conscience d’avoir négligé bien des livres de valeur en tentant d’esquisser des tendances. Il apparaît cependant que la littérature française a trop tendance à se refermer sur elle-même, qu’elle est peut-être trop éprise de son moi et qu’elle fuit les combats que l’on voit se dessiner dans la section étrangère. Certains attendent de la « créolité » un renouveau et il serait bon de mentionner le travail d’Édouard Glissant (Traité du tout-monde-Poétique IV), l’écrivain antillais qui tente d’établir la dialectique de la création poétique et de la pensée politique. Et nous voudrions pour conclure emprunter son titre à Vaclav Havel qui, faut-il le rappeler, demeure le seul écrivain dissident devenu chef d’État, Il est permis d’espérer. Une forêt en péril ? La littérature comme forêt, telle est la proposition métaphorique de l’essayiste espagnol Juan Goytisolo (la Forêt de l’écriture, recueil d’essais et d’articles 1995-1996), et cette image s’impose lorsque nous voulons saisir downloadModeText.vue.download 274 sur 361 DOSSIERS DE L’ANNÉE 273 un panorama de l’année. Dans cette forêt broussailleuse aux mille surgeons les repères s’évanouissent – de même qu’ils semblent invisibles dans la société tout entière ! Où est la robustesse du chêne ? –, tandis que, de nouveau, surgissent les inquiétudes : cette trompeuse exubérance pourrait étouffer la croissance. Et les éditeurs de s’alarmer d’un recul des ventes (évaluation du Syndicat national de l’édition : 6 % en moins par rapport à l’année précédente. Plus, affirment certains). Mais faut-il accuser la prolifération des titres, qui semblait le premier remède à la crise annoncée ? Aujourd’hui la politique du livre moins cher, sinon jetable, sur le modèle anglo-saxon, gagne sans cesse des partisans. Les prix 1997 Prix Goncourt et grand prix du roman de l’Académie française : la Bataille, de Patrick Rambaud, Grasset Prix Renaudot : les Voleurs de beauté, de Pascal Bruckner, Grasset Prix Femina : Amour noir, de Dominique Noguez, Gallimard Femina étranger : la Capitale déchue, de Jia Pingua, Stock Prix Médicis : les Sept Noms du peintre, de Philippe Le Guillou, Gallimard Essai Médicis : le Siècle des intellectuels, de Michel Winock, Gallimard Médicis étranger : America, de T.C. Boyle, Grasset Prix Interallié : la Petite Française, d’Éric Neuhoff, Albin Michel. Le prix Nobel de littérature est allé à l’Italien Dario Fo, pour son oeuvre dramatique. HENRI DURAND downloadModeText.vue.download 275 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 274 Des chefsd’oeuvre d’art khmer au Grand Palais Pour la première fois, les chefsd’oeuvre des deux plus célèbres collections d’art khmer – celles du musée national de Phnm-Penh, au Cambodge, et du musée national des Arts asiatiques, à Paris – ont été réunis. Le Grand Palais a ainsi présenté un admirable ensemble de sculptures du VIIe au XVIe siècle, dont certaines ont été spécialement restaurées pour l’occasion. Il aura fallu de longues tractations avec le Cambodge, toujours secoué par des conflits, pour réaliser cette exposition qui relève d’un véritable défi : rassembler les plus belles oeuvres du musée de Phnom Penh – soixante-six au total – avec celles du musée Guimet, à Paris. La fascination exercée depuis le siècle dernier par les énigmatiques temples d’Angkor, enfouis sous une végétation luxuriante, ainsi que par l’histoire de cette civilisation de l’Asie du Sud-Est a donné tout son attrait à l’exposition. Le résultat est à la hauteur de l’attente : dix siècles d’art khmer ont été résumés dans les salles fonctionnelles du Grand Palais, permettant de découvrir de gigantesques statues aux proportions parfaites, de fascinants visages dont les sourires reflètent toute l’intériorité bouddhique et des éléments d’architecture issus des monuments de l’ancienne capitale khmère. Exclusivement d’inspiration religieuse, ces oeuvres en bronze, bois et surtout en grès, se caractérisent par leur grandeur, leur perfection formelle et une iconographie d’une grande richesse, illustrant un art beaucoup plus complexe qu’on ne le pense généralement. L’art khmer appartient à la famille des arts dits « indianisés ». Les échanges commerciaux entre le sous-continent indien et l’Asie du Sud-Est, dans les premiers siècles de notre ère, entraînèrent l’adoption par le Cambodge de la langue sanskrite et des religions – le bouddhisme et l’hindouisme – de l’Inde. Au cours des siècles et notamment à partir du VIIe siècle, la sculpture khmère se libéra cependant du modèle indien pour trouver un langage plastique tout à fait original, empreint tour à tour de majesté et de force, de sérénité et parfois même de sensualité, telles les fameuses apsaras, ces nymphes visibles sur les bas-reliefs. Les trois périodes de l’art de l’ancien Cambodge L’art khmer est traditionnellement divisé en trois grandes périodes, que l’exposition a suivies chronologiquement : la période préangkorienne (du début de notre ère au VIIIe s.), la période angkorienne (IXe-XVe s.) et la période postangkorienne (du XVe s. à nos jours). Le premier temps fort de l’exposition était marqué par des sculptures réalisées entre le VIe et le VIIIe siècle : elles comptent parmi les plus belles de l’art khmer, avec leur visage d’une grande humanité, telle la sereine Devi de Koh Krieng (début VIIe s.), une représentation de l’épouse de Siva, en grés, ou le célèbre Harihara de Prasat Andet (dernier quart du VIIe s.), représentation syncrétique des deux grands dieux hindous, Visnu et Siva, également en grès. Cette période préangkorienne est divisée en trois principaux styles, dont les noms (styles de Sambor Prei Kuk, de Prei Kmeng, de Kompong Preah) – tout comme ceux de la période angkorienne – reprennent celui du monument le plus caractéristique de l’époque. À partir du IXe siècle, la sculpture angkorienne entra dans sa pleine maturité : les styles se succédèrent, innovant sans cesse comme ceux de Kulên, de Preah Kô, du Bakheng, caractéristique par la stylisation des visages et des corps, ou celui du Baphuon, aux corps allongés et aux visages souriants. Autre temps downloadModeText.vue.download 276 sur 361 DOSSIERS DE L’ANNÉE 275 fort de l’exposition, l’art du règne de Jayavarman VII (fin XIIe-début XIIIe s.) est représenté par les oeuvres du style du Bayon, fortement marquées par l’empreinte bouddhique. Les sculpteurs de cette époque ont réussi à associer réalisme et extraordinaire expressivité des visages. Rayonnante à la fois de force intérieure et de plénitude, la tête de Jayavarman VII en est sans doute la plus belle expression de cet art représentant l’apogée de l’Empire khmer. Tout en gardant une filiation avec la grande époque d’Angkor, l’époque postangkorienne montre des affinités avec l’art thaï du royaume d’Ayuthaya. La plupart des oeuvres, en bois, ont disparu. Celles qui restent, tel l’admirable Orant agenouillé d’Angkor Vat, illustrent le bouddhisme theravada, fait d’humilité et de sérénité. Angkor, patrimoine mondial Lorsqu’elle fut, durant plusieurs siècles, le site d’une brillante civilisation, Angkor développa un urbanisme, une architecture et une statuaire qui comptent parmi les chefs-d’oeuvre de l’histoire de l’humanité. À partir des ruines qui subsistent et des statues rescapées des guerres et des pillages, l’on peut aujourd’hui imaginer ce que fut Angkor, au temps de sa splendeur. L’ensemble architectural d’Angkor (300 km 2) comprend plusieurs capitales fondées au cours des siècles par les souverains successifs. Du VIIe au XIIIe siècle furent ainsi édifiés d’innombrables monuments au décor sculpté extrêmement riche, symbolisant la puissance d’un empire qui, à son apogée, comprenait la quasi-totalité de la péninsule indochinoise. Angkor fut abandonné en 1431 devant les invasions des souverains thaïs. En 1860, le site fut découvert par un jeune naturaliste français : Henri Mouhot. Aujourd’hui, archéologues et historiens d’art font revivre ce site, classé au Patrimoine mondial de l’Unesco et considéré comme la huitième merveille du monde. AUDE DE TOCQUEVILLE, JOURNALISTE, AUTEUR DU Guide des musées, MINERVA, 1997 Bibliographie le catalogue de l’exposition (coédition RMN/AFAA/National Gallery of Art, Washington), Angkor, la forêt de pierre : Bruno Dagens. Cambodge. Angkor. Temples en péril : Albert Le Bonheur. Un pèlerin d’Angkor : Pierre Loti, l’Histoire d’Angkor : Madeleine Giteau. downloadModeText.vue.download 277 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 276 L’année Schubert Le bicentenaire de la naissance de ce musicien qui occupe une place si particulière dans l’Olympe des compositeurs et dans le coeur des mélomanes a été marqué par de nombreuses manifestations musicales de grande qualité. Certes, il ne fallait pas s’attendre à ce que ce bicentenaire atteigne l’éclat de celui de la mort de Mozart. Même si on peut le juger d’égale importance. Mais, malgré son impressionnante fécondité, Schubert s’est surtout illustré dans des formes discrètes et intimistes. C’est dans la mélodie, la mise en musique d’un poème que son génie monte au plus haut. Il n’a laissé aucun opéra célébrissime, dont la reprise fastueuse aurait pu mobiliser la critique internationale et déplacer les foules. Les célébrations à l’étranger Pour autant, sa contribution au genre (Schubert a écrit quatre opéras ou féeries musicales en plusieurs actes, six singspiels en un ou deux actes, et de nombreuses oeuvres inachevées) n’a pas été oubliée. Faute de reprendre Fierabras, tiré de l’oubli avec éclat en 1988, l’Opéra de Vienne a présenté durant les Wienerfestwochen, le grand festival du mois de juin, une nouvelle production d’Alfonso und Estrella, dans une mise en scène de Jürgen Flimm, sous la direction de Nikolaus Harnoncourt (avec Luba Orgonasova et Olaf Bär). Dans ce cadre fut donnée également, en version concert, la féerie Die Zauberharfe, alors que l’Opéra de Zurich venait présenter sa superbe réalisation du Teufels Lustschloss (le Diable et son palais des plaisirs), toujours sous la direction de N. Harnoncourt, dans une mise en scène de Marco Arturo Marelli, avec Eva Mei, Reinaldo Macias et Robert Holl. En Suisse, c’est d’ailleurs Zurich qui a rendu le plus éclatant hommage à Schubert, aussi bien sur la scène de l’Opernhaus que dans la salle de musique de la Tonhalle, lors de récitals, de concerts symphoniques ou de musique de chambre. L’Orchestre de la Suisse romande, quant à lui, a donné durant le Festival d’Athènes, sous la direction d’Armin Jordan, une vibrante interprétation de la symphonie en do majeur, dite la « Grande » (D 944). Salzbourg et Lucerne avaient choisi de confier certaines des pages de musique de chambre les plus représentatives du génie de Schubert à de grands solistes groupés, à Salzbourg, autour de Gidon Kremer, et à Lucerne, autour d’Andreas Schiff. Gérard Mortier avait de surcroît programmé l’intégrale des symphonies par Claudio Abbado, à la tète de l’Orchestre de chambre d’Europe, certaines étant même doublées par Muti, Norrington et Gardiner. Enfin, l’inventif et bouillant directeur du Festival de Salzbourg avait souhaité que les chanteurs inscrivent au programme de leur récital leurs lieder de prédilection. La palme revint à Renée Fleming qui, après Ann Murray, Hermann Prey et Thomas Hampson, disséqua avec une science et un charme infinis des lieder aussi rares que Viola, accompagnée au piano par Christoph Eschenbach. Renée Fleming participa également au Week-end Schubert organisé par l’Opéra national belge et la Société philharmonique de Bruxelles, avec le concours de l’Orchestre symphonique de la Monnaie, sous la direction d’Olaf Henzold, de l’Ensemble Musiques Nouvelles, sous la direction de Patrick Davin, et du ténor Scot Weir dans la version de la Winterreise, repensée par Hans Zender. En Allemagne, Berlin a rendu un hommage particulier à Schubert. À la Philharmonie, Claudio Abbado avait choisi de donner trois fois Fierabras, en version concert. À la Deutsche Oper, Götz Friedrich, pour sa part, a eu l’idée piquante de suivre le canevas de Das ViermädownloadModeText.vue.download 278 sur 361 DOSSIERS DE L’ANNÉE 277 derlhaus. (Il faut se souvenir que, en 1916, le compositeur hongrois Heinrich Berté, élève de Bruckner, proposa au public viennois une opérette basée sur une biographie romancée de Schubert, en se servant de ses thèmes les plus connus. Das Viermäderlhaus devint très vite le plus grand succès commercial que Schubert ait jamais connu... L’opérette fut présentée en 1921 à Paris, sous le titre Chanson d’amour ou la Maison des trois jeunes filles. Elle fit le tour de la France et du monde, baptisée Lilac Time à Londres et Blossom Time à New York ! Pour l’Opéra de Berlin, un comédien lisait les souvenirs d’Anna et Kathi Fröhlich, ainsi que des textes d’Adorno, de Johann Mayrhofer et des poèmes de Grillparzer, alors que de jeunes musiciens interprétaient les pages de Schubert, mais telles qu’il les avait réellement composées ! Une exceptionnelle Belle Meunière Parmi la production discographique motivée par le bicentenaire, un disque retient particulièrement l’attention : Die schöne Müllerin, par le haute-contre Jochan Kowalski et le pianiste Markus Hinterhäuser, pour la maison Cappriccio. Il devient banal d’admirer la musicalité de Kowalski et son intelligence dans l’énoncé d’un texte ; pourtant, son travail sur les vers de Wilhelm Müller et l’éclairage que leur confère la musique de Schubert font basculer notre imaginaire. Sa voix blanche, si intérieure et belle, rend la Belle Meunière pour ainsi dire fantomatique, la transforme en rêve d’impossible. En France aussi Franz Schubert est le dernier des grands romantiques viennois qui aient conquis la France ; difficilement, d’ailleurs, et selon des voies souvent étranges. Cela explique sans doute la résonance curieuse de ce bicentenaire. Si initiative il y eut, on en est pour une large part redevable à France-Musique qui, à l’instar d’autres radios européennes, organisa au sein de ses programmes un mini « Festival Schubert ». Festival d’un grand intérêt puisque y furent ainsi donnés en concert à la salle Pleyel, et retransmis sur les ondes, Fierabras (avec Soile Isokoski et Gunnar Gudbjornsson) et la création en version française du Château de plaisir du Diable (avec Ruth Ziesak, Michèle Lagrange, Rodrigo Orrego et Hans Sotin), accompagnés par le Choeur de Radio France et l’Orchestre philharmonique sous la direction de Marek Janowski, qui choisit de clore ce cycle Schubert par la Symphonie no 5 (D 485) et la Messe en mi bémol majeur (D 950). Pendant ce temps, et durant six mois, Mildred Clary présenta quotidiennement un feuilleton schubertien, « Le Wanderer », rediffusé l’été même. À cette même époque, la Fondation Royaumont consacra quatre week-ends à Schubert, avec trois récitals de lieder et la présentation en version concert de deux opéras en un acte, Der vierjährige Posten, D 190 (« Quatre Ans de garde ») et Die Zwillingsbrüder, D 647 (« les Jumeaux »). Deux villes françaises ont célébré avec éclat ce bicentenaire. À Nantes s’est tenue une « Folle Journée Schubert » avec la participation de centaines d’artistes, de milliers de mélomanes ; la musicologue Brigitte Massin a raconté Schubert. La vieille ville était devenue le lieu d’une une vraie « schubertiade », comme d’ordinaire la Radio Suisse romande sait en organiser (mais désormais tous les deux ans seulement). Lille, pour sa part, grâce à l’Orchestre national de Lille et à son chef Jean-Claude Casadessus, organisa une série de sept concerts dans toute la région, des deux côtés de la frontière (de Liège, Namur et Waregem à Dunkerque, de Tournay à Jeumont), avec des solistes de la qualité de Cyprien Katsaris, le Quatuor Lalo, les premiers pupitres de l’Orchestre national et les chefs Michaël Stern, Vassily Sinaisky, Heinz Wallberg et, bien sûr, Jean-Claude Casadessus. À Paris, le théâtre du Châtelet a affiché un important cycle Schubert qui a débordé sur toute la programmation, des Midis musicaux downloadModeText.vue.download 279 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 278 aux concerts du soir, avec la participation de Gidon Kremer et de sa Kremerata Musica, de Nikolaus Harnoncourt à la tête du Concertgebouw d’Amsterdam pour l’intégrale des symphonies, et, les dimanches matin, avec les solistes de l’Orchestre de Paris. Mais le plein feu le plus original sur l’oeuvre et l’interprétation de Schubert a été réalisé, d’une part, à la Sorbonne, où s’est réuni un colloque international sur l’Évolution du style instrumental de Schubert, des sources musicologiques à l’analyse musicale, avec la participation du Quatuor Arpeggione, et, d’autre part, à la Maison de la Poésie. Dans cet ancien théâtre Molière, devenu un des plus beaux lieux de spectacle de la capitale, Michel de Maulne a présenté une semaine de concerts organisés par la pianiste Dana Cioccarlie : sonates, duos, fantaisies, moments musicaux et autres impromptus ont relayé lieder et trios, en une élégante semaine de schubertiades, alors qu’Éric Auvray mettait en scène Schubert et ses poèmes, dits par Marc Chouppart et chantés par Gérard Théruel. Tout le parcours ésotérique du voyage humain, avec cet énigmatique Wanderer qui passe trente-deux ans sur terre à rechercher la beauté, à côtoyer les poètes, à questionner l’au-delà : « Ai-je une place sur cette terre ? » s’interrogeait Franz Schubert. Dietrich Fischer-Dieskau à l’honneur Pour marquer le bicentenaire de Franz Schubert, la presse musicale internationale a décerné son grand prix annuel au baryton Dietrich Fischer-Dieskau pour son travail exemplaire, à la fois musical et musicologique, en faveur des lieder de Schubert. Ce grand prix récompense, chaque année, une personnalité du monde musical dont le travail a obligé la critique à réviser ses critères d’appréciation, donc à reconsidérer une oeuvre, un compositeur ou une époque. Le Naïf et la Mort Tel est le titre révélateur du livre publié par Rémy Stricker chez Gallimard pour marquer ce bicentenaire. Venant après de remarquables ouvrages sur Schumann, Mozart et Liszt, ce Schubert se signale par une résonance très particulière, comme si la sensibilité de l’auteur se trouvait soudain en étroite symbiose avec celle du compositeur. Il y a ainsi dans les analyses des dernières oeuvres, et surtout de Mein Traum – ce texte mystérieux d’un Schubert de vingt-cinq ans –, une profondeur et une émotion qui n’ont d’égal que la clarté de l’expression et l’intelligence du commentaire. ANTOINE LIVIO downloadModeText.vue.download 280 sur 361 DOSSIERS DE L’ANNÉE 279 L’explosion de la technoculture Après Berlin, où ils furent un million à défiler derrière les chars de la Love Parade en se déhanchant sur des rythmes frénétiques, Dunkerque, la Défense, les Saintes-Maries-dela-Mer, Saint-Nazaire, Montmartinsur-Mer, Marseille, Montmoiron, Concarneau, Annecy, Saint-Aygulf et, surtout, Montpellier, les 9 et 10 août, avec les Nuits Borealis, ont également succombé au phénomène. Pas de doute, 1997 restera comme l’année de la reconnaissance d’une nouvelle culture : la technoculture ! Du coup, les organisateurs d’Amplitudes 97 (Festival des tendances musicales actuelles, à Annecy) s’interrogent : « Simple Boum Boum réverbéré ou musique du IIIe millénaire explorant de nouveaux territoires sensoriels ? » Et répondent : « La techno, qui changea dix fois de nom à mesure qu’elle implosait, new beat ou house dans les années 80, garage, ambient, hardcore plus tard, suscite les plus chaudes passions de cette fin de siècle. Provoquant les mêmes commentaires indignés que le jazz ou le rock en leur temps, le mouvement cyber s’associe facilement à une jeunesse marginale, exubérante ou irresponsable et ne grignote que, petit à petit, crédibilité et légitimité. Puissions-nous montrer que cette jungle électronique cache un réel esprit festif fondé sur un profond respect d’autrui. ». De son côté, le toujours alerte Jack Lang précise : « Il faut libérer la techno, c’est une vraie culture musicale populaire... une source de convivialité, d’échange, de tolérance. » Dans la foulée, Catherine Trautmann, le ministre de la Culture, surenchérit : « Le mouvement techno est extrêmement prolixe et créatif en France : sachons accompagner cet élan. » Portrait-robot des amateurs Selon des ethnologues et des sociologues intervenant les 5 et 6 juin 1997, à Poitiers, lors d’un très sérieux colloque intitulé « La techno, d’un mouvement musical à un phénomène de société », les adeptes de techno ont, à 90 %, entre 18 et 30 ans, la plupart ayant de 18 à 23 ans. Avant tout urbains, ils sont généralement issus de la petite et moyenne bourgeoisie d’origine européenne. Économiquement plutôt aisés, ils ont les moyens d’assister à des rassemblements dont le billet d’entrée peut coûter jusqu’à 250 francs. Ils se retrouvent autour de thèmes consensuels comme la fraternité, la tolérance, la désacralisation de l’argent, l’amitié entre les peuples et le refus de la violence, qui ne sont pas sans évoquer le vieux slogan hippie, « Peace and Love ». Moins macho que le rock ou le rap, la techno séduit autant les filles que les garçons... D’après une enquête des Renseignements généraux, les raves ont enregistré 9 millions d’entrées en 1995... Sous la musique et la danse, des aspirations communautaires Aujourd’hui, « techno » est un terme générique désignant tous les genres et sous-genres des nouvelles musiques électroniques : house, acid house, garage, trance, goa, trip-hop, deep house, jungle, növo dub, ambient, etc. À l’origine, en 1986, c’est une fusion entre une disco exsangue et une pop européenne électro- nique (Kraftwerk, Depeche Mode) que des DJ noirs mettent au point dans un club de Chicago, le Warehouse. En 1988, les Anglais s’emparent de cette musique avec machine et sans parole, la transformant en acid house et créant, du coup, les premières raves, ces fêtes illégales qui rassemblent jusqu’à l’aube 2 000 à 3 000 danseurs impénitents frustres par la fermeture à 2 heures du matin des boîtes de nuit. Manchester devient la capitale de ce phénomène qui, l’année suivante, débarque en France. « La génération chimique » décrite par downloadModeText.vue.download 281 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 280 l’écrivain Irvine Welsh dans son roman Trainspotting, qui donnera matière à un film culte, émerge dans toute l’Europe : « L’idée majeure qui sous-tend cette culture est celle du « Do it yourself ». C’était une occasion pour les gens en décalage avec une société conservatrice et minée par le chômage, de se réapproprier leur propre vie à travers la fête », explique Welsh. Fortement teintée d’utopie communautaire (d’où l’importance du monde virtuel représenté par Internet et le multimédia, autre vecteur fondamental de la technoculture, que l’on nomme aussi cyberculture), la techno se veut une sorte d’espéranto musical où le son prime sur le sens, où les vertus transgressées de la fête renouent avec des rituels communautaires ancestraux. Ce qui fait dire à ses détracteurs qu’elle n’est que la bande-son d’un film, voire d’une mode, sans jamais être le moteur artistique ou social, contrairement au jazz ou au rock, de quoi que ce soit. Du Pierre Henry qui jerke, en quelque sorte, pour accompagner la fin du siècle, en dansant... « C’est pas de la nostalgie ou du mieux que rien. C’est l’époque, justement, qui passe à la table de maquillage, qui se pare, se grime et s’affûte. Simplement. Pour vivre le Dernier Bal. Et avoir vingt ans à la Fin du Monde, c’est un joli destin » commente le journaliste Patrick Eudeline dans son récent livre Ce siècle aura ta peau (aux éditions Florent Massot). Une pluralité de « looks » Monde de fantaisie et de liberté, la planète techno se caractérise par une brassée de looks plus variés les uns que les autres. On peut néanmoins en dégager quelques tendances fortes où dominent, pour les garçons et les filles, pantalon et tee-shirt XXL (marques préférées : Cimarron, Beckaro, Pash, Gas, Rusty, etc.) portés avec de grosses baskets. Les cheveux hérissés de petites nattes, les filles les plus sophistiquées se drapent dans de longues robes imprimées à motifs indiens. Quant aux garçons, ils arborent tatouages et piercings, tout en ne dédaignant pas une apparence militaire donnée par des cheveux ras et des pantalons treillis. Éternelle résurgence des années 70, le look baba cool s’offre une seconde jeunesse en toute impunité... Des perspectives d’évolution, en France notamment Consciente de cette impasse (du bruit, de la sueur, des machines mais pas de paroles), une nouvelle génération de groupes (Chemical Brothers, Prodigy, Underworld) a décidé de jeter un pont entre rock et techno. Avec des attitudes de mauvais garçons. Des guitares au son sale. Des rythmes haletants. Comme si le rock du IIIe millénaire était en train de surgir là. Du croisement d’un échantillonneur de sons, d’une Fender saturée et d’un ordinateur sous ecstasy. En tout cas, la France, dont les rockers ont été splendidement ignorés hors des frontières, a su s’engouffrer dans cette nouvelle brèche. La techno « made in France », qui n’hésite pas à mélanger des influences aussi diverses que le raï, le reggae ou le rhythm’n’blues, suscite intérêt et admiration de Londres à Oslo, en passant par Barcelone ou Rome, sans oublier New York et Tokyo. Des DJ comme Laurent Garnier, Manu le Malin ou Dimitri From Paris, des groupes tels que Daft Punk, La Funk Mob ou Ollano donnent ainsi de l’Hexagone une image novatrice et audacieuse. Ils renouent ainsi avec une tradition inaugurée par Charles Trenet, qui, dans « le Jardin extraordinaire », chante : « Il y a des statues qui se tiennent tranquilles le jour, mais moi je sais que la nuit, elles vont danser sur le gazon. » Petit glossaire Acid jazz : métissages de funk et de jazz en clin d’oeil aux années 70. Ambient : version actuelle des musiques planantes des années 70, avec moult nappes synthétiques pour instaurer une ambiance cotonneuse. downloadModeText.vue.download 282 sur 361 DOSSIERS DE L’ANNÉE 281 Dance : fille naturelle de la disco, la dance naquit au début des années 80 dans le secret des studios d’enregistrement de producteurs cherchant à donner du bon temps aux amateurs de discothèque. DJ : abréviation de disc-jockey. Destiné à l’origine à animer les soirées en passant des disques, le DJ est désormais l’égal d’un créateur et la star de la musique techno. Dub : variante instrumentale d’un morceau reggae qui se caractérise par une accentuation rythmique, lourde et dépouillée, sur une mélodie réduite à sa plus simple expression, et surtout par des effets sonores (écho, phasing, réverbération, etc.) qui permettent au DJ d’inventer son propre spectacle. Easy listening : la musique d’ascenseur et de supermarché des années 50-60, remise au goût du jour dans les années 90. Ethno techno : mélange de musique traditionnelle et de rythmes techno. Flyers : carton, toujours artistiquement décoré, annonçant une rave. Garage : une des versions de la house la plus inspirée par la musique soul. Typique des bars gay. Hardcore : la tendance la plus radicale et la plus violente de la techno. On peut dire que le hardcore est à la techno ce que le punk était au rock... Hip-hop : mouvement culturel mêlant danse, graffitis, tags et rap. House : née au milieu des années 80 à Chicago, cocktail de dance et de sonorités électroniques, elle fut la première incarnation de la techno. Très répétitive, très rapide et sans paroles, elle explosa surtout en Angleterre et en Belgique. Jungle : variante de la techno originelle, faite de cassures rythmiques et d’emprunts au reggae, à la soul ou au rap. Rave : rassemblement géant, plus ou moins clandestin, dans des endroits aussi divers que des entrepôts désaffectés, des parkings de supermarchés, des catacombes ou des clairières, des fans de techno pour « délirer » ou « s’extasier » en dansant jusqu’à plus soif. Remix : un même morceau remanié par di- vers producteurs qui en donnent des versions différentes. Sample : échantillon de sons prélevé par un appareil nommé sampler ou échantillonneur afin de les intégrer dans d’autres mélodies. Trance : variante allemande de la techno qui mêle rythmique enlevée et plaintes synthétiques. Trip-hop : sur un rythme rap, qui aurait perdu en agressivité ce qu’il a gagné en nonchalance, fusion audacieuse de jazz, de reggae, de techno, de musiques de films... YANN PLOUGASTEL JOURNALISTE, COORDINATEUR DU Dictionnaire Larousse de la chanson mondiale, 1996. downloadModeText.vue.download 283 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 282 La mode Cuba Les chiffres le prouvent, Cuba est devenue, en quelques années, une destination à la mode. 750 000 touristes en 1995, 1 million en 1996 (avec un apport en devises équivalent à 1,3 milliard de dollars). Une progression de 20 % environ est prévue pour 1997. Cette expansion spectaculaire a une explication avant tout politico-économique. La chute du mur de Berlin, en 1990, a levé, comme le disent joliment les Cubains, le rideau de canne à sucre, qui comme l’autre, celui de fer, séparait le monde de l’Est du monde occidental. Car même si Cuba est la plus grande des îles antillaises, elle faisait figure, jusqu’alors, de cousine, pas si lointaine en esprit, de l’Albanie ou de la Roumanie. Aujourd’hui, Italiens, Canadiens, Espagnols, Allemands, Français et Sud-Américains abordent sans crainte l’île dont Christophe Colomb, la découvrant en 1492, s’est écrié « C’est la plus belle ». Le développement du tourisme représente une priorité nationale et une grande part d’investissements étrangers. Parallèlement à l’infrastructure cubaine – 60 000 Cubains travaillent pour le tourisme –, l’Espagne et la France occupent une bonne part de l’industrie hôtelière. Avec, comme symbole d’ouverture, la présence du Club Med qui a inauguré son premier village cubain à Varadero en 1996. « Essayez Cuba, ça vous changera », tel pourrait être le slogan des agences de voyage. En effet, l’île offre une multitude de tourismes possibles. Plages exotiquement sauvages et préservées aux palmiers royaux, dentelles d’architecture coloniale, réserves naturelles, musées, jardins tropicaux flamboyants. À Cuba, on peut tout faire. De l’écotourisme « loin des sentiers battus », du farniente total, du trekking, de la spéléologie, de la randonnée, du rafting ou de la plongée. Ou alors préférer observer les oiseaux ou suivre les traces du géant Hemingway. Et puis il y a le soleil, la vie et les gens, les métissages chaleureux, la cuisine créole, la, ou plutôt les musiques – de la rumba à la salsa, en passant par le boléro et le mambo –, les superstars des cigares et l’art de varier les plaisirs avec le meilleur rhum des Caraïbes, Daiquiri, Mojito ou Cuba Libre. Cuba-repères express 1959 : la révolution socialiste de Fidel Castro est instaurée. 1962 : Kennedy décrète un blocus politique et économique à l’encontre de Cuba. 1990 : légalisation du dollar US. Les Cubains peuvent manipuler “le sang vert”, ce qui réduit le marché noir et détend les échanges avec les étrangers. Le tourisme et l’apport des devises sont à l’ordre du jour depuis la chute du COMECON et l’arrêt des relations économiques avec le bloc de l’Est. 1996 : les États-Unis ajoutent une loi au blocus de 1962 dans le but de gêner les investissements et le commerce cubains, loi désavouée par l’Union européenne. 22 % : proportion des métis dans la population. 66 % : Cubains d’origine européenne. Majorité d’Espagnols et de Français. 12 % : Noirs. 4,5 millions de tonnes : production de canne à sucre dont Cuba est un des leaders mondiaux pour l’année 1996. 260 : nombre des entreprises européennes et sud-américaines ayant investi à Cuba afin 1996. Itinéraires Longue de 1 250 km, avec des largeurs allant de 32 à 145 km, Cuba a une population de 11 millions d’habitants, dont 2 à La Havane. downloadModeText.vue.download 284 sur 361 DOSSIERS DE L’ANNÉE 283 Son climat tropical, avec une saison sèche de novembre à mai et une saison humide de juin à octobre donne une température de mer idéale le long des 2 600 km de plages, entre 24 et 30 °C. Bien sûr, il faut commencer, longuement, par La Havane. La capitale de Cuba, fondée en 1511, est l’une des plus anciennes cités d’Amérique latine. La Habana Vieja, la vieille ville, a été classée patrimoine mondial de l’humanité par l’Unesco. Dédales de ruelles et de places, de palais et de demeures coloniales baroques et néoclassiques, patios andalous, perspectives d’arcades, vitraux, ferronneries des balcons, tout y raconte l’art de vivre d’un Sud éternel et mythique. Parmi les musées : ceux de l’art colonial, de la céramique cubaine, de Che Guevara, la maison d’Hemingway de Finca Vigia (à 15 km). Sans oublier le Jardin botanique aux orchidées rares, et le Tropicana, le plus grand cabaret en plein air du monde, temple de la salsa. À l’ouest, la région de Pinar del Rio frappe par sa splendeur sauvage, ses sierras, ses mon- tagnes douces, et la réserve de 25 000 ha de résineux, ponctués de palmiers et de champs de marguerites, qui lui a donné son nom. On y trouve aussi une ville d’eau, San Diego de Los Banos, où l’on soigne les maladies cutanées, et la verte vallée de Vinales, dont la terre d’ocre rouge nourrit les plantations de tabac. Au nord, Varadero, LA villégiature cubaine, étire ses 20 km de plage blonde bordée de mer indigo, ses hôtels et son aéroport international. Tandis qu’à l’intérieur, dans le pays de Matanzas, le lac salé, réserve de millions de crocodiles, et le parc naturel de Montemar invitent à l’aventure, tout de même organisée... Au centre, on appelle Cienfuegos, troisième ville de Cuba, « la Française », car en 1820 s’y installèrent 50 familles bordelaises, et Trinidad, « l’Espagnole », avec ses palais de planteurs de canne à sucre, ses vieux pavés et son charme coloniale-catalan. Vers l’est, les provinces de Camagüey et Ciego de Avila attendent les chercheurs de plages sauvages, de barrières de corail, de lagunes, de villages typiques, d’artisanat local, de flamants roses, de lamantins et de grottes archéologiques. Et puis, c’est l’Oriente, terre de luxuriance et de palmiers, avec sa capitale, Santiago, seconde ville de Cuba, berceau de la révolution, cité coloniale aux tuiles rouges, aux multiples vérandas ouvragées et bénéficiant d’une superbe vue sur la baie. La culture française y persiste dans la pratique assidue du menuet, et le carnaval, en juillet, est renommé dans toutes les Caraïbes. À voir : le musée Bacardi, la maison de José Maria de Heredia. À l’est extrême, Baracoa, première ville fondée à Cuba, conserve une atmosphère particulière, préservée, coloniale et raffinée. C’est là que 100 familles françaises émigrèrent de Haïti en 1791, implantant le café, l’indigo et l’industrie de l’huile de coco. Enfin, il y a les îles de Cuba, 1 600 Cayos de plages, de rochers et de cocotiers. Certains sont des îlots déserts, d’autres équipés d’hôtels et de bungalows. On peut y naviguer, de l’Île de la Jeunesse, la plus grande avec ses 50 km de long et des fonds sous-marins propices à la plongée, au Cayo Largo, en passant par le Coco, le Guillermo ou les Jardins de la reine, petit archipel connu pour sa beauté et sa pêche. Partout, on célèbre la cuisine locale, hispano-créole et épicée, porc à la cubaine, poulet au riz et aux haricots noirs ou rouges, bananes plantains, avocats géants, multitude de fruits tropicaux, sans oublier les langoustes et les poissons. Depuis 1996, signe d’évolution de la politique économique et sociale castriste, se sont ouverts les Paladares, sortes de tables d’hôtes privées et officialisées, où on peut découvrir, à prix concurrentiel, avec ambiance maison garantie, les plats de la mémoire gastronomique de Cuba. downloadModeText.vue.download 285 sur 361 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1998 284 Le Havane « Les indigènes arborent aux lèvres un tison ardent fait d’herbes dont ils ont l’habitude de goûter le parfum. » Cette observation d’un conquérant espagnol est explicite : le « nicotiana tabacum havanensis » existait déjà à Cuba au XVe siècle. Actuellement, le cigare représente, avec le sucre et le tourisme, l’une des grandes ressources en devises du pays. Avec une production annuelle de 300 millions – dont 100 vont à l’exportation –, la quantité va de pair avec la qualité. Le Puro – qu’il se décline en Montecristo, Davidoff, Partagas, Bolivar, Romeo y Julieta, ou en Cohiba Lancero lancé par Fidel Castro – est le roi des cigares. La culture du tabac destiné à cette merveille couvre 40 000 ha, surtout dans la région de Pinar del Rio dont l’exposition aux vents est unique. Elle exige une minutie, un art et une connaissance éclairés. De la récolte à la confection, la tradition, souvent familiale et ancestrale – 80 % de la production sont restés entre les mains d’exploitants privés, les vegueros –, se perpétue avec un soin religieux. Séchage au soleil puis sous des toits de paille brûlée, sélection des meilleures feuilles de tabac, choix de la « cape », feuille entière destinée à enrober l’intérieur du cigare, la « tripe ». Les artisans travaillent des heures, au rythme des histoires du lecteur chargé de les accompagner, ou à celui du transistor diffusant des airs afro-cubains. En théorie, la durée de vie d’un havane est assurée pour 15 ans, mais ses inconditionnels recommandent de le consommer dans les 15 jours, pour mieux apprécier sa prime saveur. Quant au culte, il est savamment entre- tenu par les « vitophiles », collectionneurs de vitoles, les bagues de cigares. Le son cubain : salsa, rumba et cha-cha-cha La musique de Cuba, cocktail explosif de cultures et d’origines diverses, pourrait donner lieu à des tas de thèses savantes, mais la meilleure manière de la savourer, c’est encore de se laisser envahir par ses rythmes, vifs, vivaces et quotidiens. Dans les rues, les cafés, pendant les fêtes, elle ne s’arrête jamais. Il y a toujours une radio qui s’échauffe, un guitariste inspiré ou des danseurs spontanés qui se mettent à bouger comme on respire. Le premier son cubain, apparu au XVIIIe siècle, a donné la salsa, alliage africain, espagnol et caraïbe, qu’on retrouve aussi en Colombie, à Porto Rico, au Venezuela et à Panama. À partir d’une chanson et de percussions africaines, le son salsa s’est enrichi au fil du temps, tout en influençant la musique populaire globale, le jazz, les variétés, le rock et même la musique de chambre. Ses variations sont, à elles seules, trépidantes. Bongo, guaracha, sucu-sucu, zapateo... La rumba, dont le nom vient de la macumba africaine, était à l’origine la musique de danse des fêtes. Son évolution, de guaguanco en columbia, a été universelle. La cancion trovadoresca, issue du folklore, s’apparente à la tradition médiévale européenne. Le troubadour entonne sa chanson au gré des fantaisies – les siennes ou celles des passants –, et cela donne les fameux habaneras, criollas, boleros, guajiras, célébrant l’âme de Cuba, ses campagnes, ses villes, ses rêves et ses peines. Le style danzon a des racines françaises et haïtiennes, remontant à la contredanse et au quadrille. Il a donné l’inénarrable cha-cha-cha, créé par Enrique Jorrin, et le mambo. Inutile de préciser que, dans la réalité, tous ces genres s’interactivent, s’enchevêtrent et s’amusent, pour la plus grande joie de l’amateur de musiques musclées. BERNARD MORIN downloadModeText.vue.download 286 sur 361 DOSSIERS DE L’ANNÉE 285 Swinging London En avril 1966, Londres avait fait sous ce titre la couverture de Time Magazine. Une époque trouvait ainsi son nom, à travers l’hommage rendu à une ville qui dictait au monde les tendances à suivre en matière de mode, de musique et d’art. Trente ans après, la capitale britannique fait à nouveau les couvertures des revues internationales. Vive le Swinging London II ! Le styliste John Galliano, l’artiste Damien Hirst ou le groupe musical Oasis ont pris les places laissées vacantes par les enfants terribles des années 60, Mary Quant, David Bailey et les Beatl
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*Identifiant : * ark:/12148/cb34382722t/date *Identifiant : *ISSN 04494733 *Source : *Larousse, 2012-129536 *Relation : * http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb3438272...
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