Le Safir francophone NOVEMBRE 2014.indd

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Le Safir francophone NOVEMBRE 2014.indd
SUPPLÉMENT MENSUEL
PARUTION LE 1ER LUNDI DU MOIS
NOVEMBRE 2014
LE SAFIR
FRANCOPHONE
Ambassadeur de la pensée politique et culturelle arabe
Amine El Bacha, « Amaya en train de lire ».
Sélim el-Hoss
S’il devait exister une capitale pour le livre arabe, ce ne pourrait être que Beyrouth
Beyrouth est devenue célèbre grâce au livre arabe,
et celui-ci tient d’elle sa notoriété. Le livre est la
grande fierté de la capitale libanaise. Chaque année,
Beyrouth publie et diffuse une profusion de livres,
des plus quelconques aux plus exceptionnels. Le livre
est un prédicateur, son message porte la connaissance
avec tout ce qu’elle comporte d’héritage, les trésors du
patrimoine et des civilisations. Beyrouth a longtemps
su garder sa place et son prestige. Son rôle et son
statut dans le monde arabe l’y ont aidée, car elle a
su s’attacher à préserver la liberté intellectuelle et la
liberté d’expression, tout comme elle a su maintenir
son ouverture au monde arabe dans sa totalité.
Les Libanais s’enorgueillissent de ce statut qu’ils
œuvrent à consolider, d’autant plus qu’il se répercute
positivement sur l’économie en général. La liberté
intellectuelle, la liberté d’expression et la liberté du
livre font partie intégrante de la culture des Libanais,
elles lui sont indissociables et constituent sa marque
distinctive, inscrite dans le mode de vie de la société
libanaise. C’est ce qui a donné à ce petit pays une place
si particulière au sein du monde arabe. Les Libanais
n’ont pas d’autre modèle à proposer. Si la liberté est
la marque distinctive du Liban, elle le restera, grâce
à la volonté des Libanais, grâce à leur obstination à
sauvegarder les libertés et l’esprit d’ouverture, dans
la conviction que cette attitude est la garante de leur
survie comme de leur développement.
(…) Beyrouth restera la capitale du livre et de la
culture envers et contre toutes les crises, contre toutes
les calamités confessionnelles et sectaires, elles qui
sont absolument étrangères à nos conceptions morales
comme à notre héritage, et absolument incompatibles
avec Beyrouth, la mère des lois.
Le Liban est voué à poursuivre sa marche dans
cette voie jusqu’à l’accomplissement des temps. ■
(Extrait de l’allocution de M. Sélim el-Hoss, Premier ministre
du Liban à plusieurs reprises, au cours du lancement de
l’encyclopédie de Beyrouth Capitale mondiale du Livre le 9
octobre 2014).
Rédacteur en chef : Talal Salman
Directrice de la publication : Leila Barakat
Contributeurs : Carole André-Dessornes, Elie Ferzli
Passages extraits des discours de S. E. M. Sélim
el-Hoss et de Mohammed Youssef Beydoun
Passages extraits d’articles de Mohammad
Al-Sammak, Ahlam Mosteghanemi, Farès Sassine
Supervision de la traduction : Johnny Karlitch
Traducteurs : Samia Bitar, Fadia Farah
Correctrice : Anne van Kakerken
Maquettiste : Ahmed Berjaoui
Le Safir francophone est fondé par Leila Barakat.
Publié grâce au soutien des éditions [liR].
Adresse : Le Safir francophone
As-Safir - Rue Mneimné - Beyrouth - Liban
Courriel : [email protected]
www.facebook.com/safir.francophone
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DOSSIER DU MOIS : UNE ENCYCLOPÉDIE SUR BEYROUTH CAPITALE MONDIALE DU LIVRE
Lancement de l’encyclopédie de Beyrouth Capitale mondiale du Livre
« Les hommes ont inventé le livre pour soulager leur mémoire. Ce qu’ils déposent dans les livres, c’est ce qu’ils veulent conserver » (Georges
Duhamel). C’est pourquoi est née l’encyclopédie de Beyrouth Capitale mondiale du Livre. Le lancement de l’ouvrage a eu lieu le Jeudi 9 octobre à
l’hôtel Crowne Plaza, sous le patronage d’une personnalité hautement symbolique pour les Beyrouthins, le Premier ministre M. Sélim el-Hoss, qui
a été représenté par l’ancien ministre de la Culture M. Mohammed Youssef Beydoun.
Un pavé de 4 kilos, et 948 pages d’un grand format !
Emile Nasr
Le 9 octobre dernier, dans une belle salle d’un
hôtel de Beyrouth, nous étions une centaine de « héros
éternels », ainsi qualifiés par Leila Barakat, l’hôtesse
incontestée, à venir la féliciter, bien qu’avec un certain
retard, pour le travail qu’elle a accompli il y a cinq ans :
Beyrouth clôturait alors l’année 2009 où elle avait été
déclarée par l’Unesco capitale mondiale du livre.
Quasiment tous les termes de cette dernière
phrase pourraient être modifiés, mais certaines
choses perdurent : l’année actuelle, avec une
certaine difficulté, remplacerait 2009, la position
de l’institution internationale resterait la même, et à
la place du verbe clôturer on mettrait son contraire,
inaugurer ou maintenir. Mais par-dessus tout c’est
l’hôtesse, de l’avis de tous les présents, qui resterait
la même, avec plus de détermination encore, plus
d’expérience, plus d’amis et surtout moins de
sceptiques, maintenant qu’elle sait qu’elle dispose de
centaines de « héros éternels ».
Quant au livre, expression majeure de la culture, il
a reçu en 2009 son lot de 567 projets et 1200 activités,
en cette année où il a fait de Beyrouth sa capitale et
sa reine ; il peut maintenant continuer à régner, mais
non sans partage avec les autres formes de la culture,
comme les arts plastiques ou la musique, qui attendent
qu’à leur tour une année entière leur soit allouée.
Pour donner l’exemple de ce que devrait être une
année réussie, Leila Barakat, coordinatrice de l’année
du livre, a voulu consigner, dans ce qu’à juste titre
elle a appelé une encyclopédie, tous les événements
qui se sont déroulés en 2009. Leila n’a pas hésité à
voir grand. C’est un pavé d’au moins quatre kilos,
et 948 pages d’un grand format ! A l’entrée de la
cérémonie chacun de ses « héros éternels » a reçu
son exemplaire. Encombrés par le poids, ravis de
l’aubaine, nous avions des difficultés à nous féliciter
et surtout à embrasser l’hôtesse qui la première a pris
la parole. ■
Emile Nasr est le rédacteur en chef de l'Agenda culturel.
« Une épopée aux héros éternels »
Leila Barakat
« Le véritable lieu de naissance
est celui où l’on a porté pour
la première fois un coup d’œil
intelligent sur soi-même : mes
premières patries ont été les
livres. » Magnifique citation de
Marguerite Yourcenar qui en
dit long sur la puissance des livres, dont on déclare
chaque année, depuis un peu plus d’une décennie,
qu’une ville leur est capitale.
Capitale mondiale du livre est un titre décerné
par l’UNESCO à une ville, en reconnaissance de
la qualité de ses programmes pour la promotion
des livres et de la lecture, au regard aussi de
l’engagement de tous les acteurs de l’industrie
du livre. Huit villes avaient bénéficié de ce titre
avant Beyrouth – qui fut donc la neuvième. Une
L'ancien ministre des Travaux publics M. Adel
Hamiyé, le DG du Tourisme Mme Nada Sardouk, les
députés M. Marwan Farès et M. Mohammed Kabbani.
dynamique culturelle au niveau national fut du Livre, si l’on tient compte du coût du capital humain
aussitôt enclenchée, avec pour acteurs principaux engagé, ne dépasse pas un tiers de l’ensemble.
les instances de la société civile, les ONG, les
Beyrouth Capitale mondiale du Livre est une
ambassades, les municipalités, les écrivains, les épopée dont vous êtes et resterez les héros éternels. ■
intellectuels, les artistes… Vous, en réalité.
L’année fut exceptionnelle à plus d’un titre pour (Allocution de Leila Barakat au cours de la cérémonie de
le monde culturel dans son ensemble. Il a d’ailleurs lancement de l’encyclopédie).
fallu du temps pour en archiver les
résultats d’une manière exhaustive :
ainsi est né cet ouvrage volumineux,
qui se retrouve aujourd’hui entre
vos mains, quelques années après
l’événement.
Cette
festivité
aujourd’hui,
nous l’avons voulue celle de la
société civile par excellence. Il
convient d’ailleurs d’indiquer que
la contribution financière du secteur
Les députés M. Mohammed Kabbani et M. Fouad el-Saad, M. Talal Salman et l'ancien
ministre de la Culture M. Mohammed Youssef Beydoun.
public à Beyrouth Capitale mondiale
Dr Hayan Haydar, l'ambassadeur M. Mohammed
Daher et l'ancien ministre de la Justice
M. Chakib Kortbaoui.
L'ancien député M. Zaher Al Khatib et le président
de l'Ordre de la presse M. Mohammed Baalbaki.
Dr Nader Srage, Dr Leila Barakat, M. Talal
Salman et l'ancien ministre de la Culture
M. Naji Boustani.
As-Safir et Le Safir francophone au cœur de l'évènement beyrouthin.
Mme Rime Khatab, Chargée de programmes, M. Thierry Quinqueton,
Chef du Bureau du Livre et M. Jean-Christophe Augé,
Conseiller de presse (Ambassade de France).
Mme Zoad Karam,
Ambassadrice du
Venezuela.
Mme Reine Codsi,
Présidente du Forum
Francophone des Affaires.
Mme Salwa Siniora,
DG de la Fondation Hariri.
M. Ahmed Salman, Vice-Directeur général
d'As-Safir, M. Bahije Tabbara et l'ancien président
du Syndicat des imprimeurs M. Joseph Raidy.
SUPPLÉMENT MENSUEL - NOVEMBRE 2014
DOSSIER DU MOIS : UNE ENCYCLOPÉDIE SUR BEYROUTH CAPITALE MONDIALE DU LIVRE
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« La Princesse Beyrouth »
Talal Salman
Soyez les bienvenus
à la cérémonie de
lancement de cette
encyclopédie,
qui
vous surprendra par
son fond comme par
sa forme, car elle
diffère de toutes celles que vous avez jusqu’ici tenues
entre vos mains.
Le volume traite de Beyrouth, Capitale mondiale
du Livre. Mais cette encyclopédie, c’est Leila
Barakat elle-même. Et la Princesse Beyrouth en
est tout à la fois le sujet, la chanson et la mélodie.
C’est elle la muse, l’auteur et le recueil ; elle est
l’imprimerie, la culture dans toute sa créativité, en
poésie, musique et sciences, dans toutes les formes
de la connaissance et des arts qui enrichissent le
fin connaisseur, par l’œuvre de tant de génies qui
reformulent la conscience.
Beyrouth écrit. Beyrouth lit. Beyrouth chante.
Beyrouth danse. Elle efface la tristesse avec son
amour de la vie… Beyrouth…
Beyrouth écrit sur les Arabes, elle raconte leurs
tristesses et leurs joies, leurs victoires, leurs chutes et
leurs défaites. Beyrouth incarne tous les Arabes face
au monde. Beyrouth incarne le monde entier face aux
Arabes. Elle est intraduisible. Elle est inimitable. Elle
M. Talal Salman et l'ancien ministre
de la Justice M. Bahije Tabbara.
est ceux qu’elle représente, elle les connaît, les
comprend, elle parle toutes les langues de la
terre, du silence à l’appel du muezzin ou au son
des cloches des églises. Beyrouth lit la langue
de tous les peuples : les opprimés des dictatures,
les victorieux par la démocratie, les victimes de
l’obscurantisme religieux, et ceux qui fêtent les
révolutions sur les places publiques !
Beyrouth lit. Beyrouth écrit. Beyrouth
imprime. Beyrouth publie. Beyrouth distribue.
Le Caire prend son envol de Beyrouth. Avec lui
Damas, Bagdad et les pays du Golfe. De même
la Tunisie, l’Algérie et le Maroc. Paris, Londres et
Washington y installent leurs universités et leurs
centres de recherche. Moscou et Pékin, New Delhi et
São Paulo viennent puiser à sa poésie et sa littérature,
mais aussi à la science des finances et de l’économie.
Beyrouth les emmène très haut, derrière la lune et la
planète Mars, là où errent les poètes.
Car Beyrouth est le pays de la poésie, d’Imru’ alQays à Mahmoud Darwich, Nizar Kabbani, Ahmed
Chawki, Khalil Mutran, Omar Abou Riché, Al
Sayab, Mouzafar Al Al Nawab, Saïd Akl, Fairouz,
les Rahbani, Adonis, Mohammed Ali Chamseddine,
Joseph Harb et Onsi el Hajj. Et le Beyrouth de l’art,
c’est une exposition ouverte à tous les créateurs,
depuis Omar el Onsi à Moustapha Faroukh, Rachid
Wehbé, Chafic Abboud, Paul Guiragossian, en
passant par Hussein Madi, Halim Jordak, Asador,
Dr Hassan Hallak, Dr Leila Barakat, M. Khaled
Sinno, ancien président de l'Union des Familles de
Beyrouth et M. Talal Salman.
Seta Manoukian, Rafic Charaf, Hreir, Wajih Nahlé,
Hassan Jounieh, Amine El Bacha, Ibrahim Marzouk,
Moussa Tiba, Saliba Doueihy, Elie Abou Rjeilé, Aref
Al Rayess et Jamil Mlaeb.
Oui, Beyrouth connaît toutes les langues. Elle
les acquiert, les enrichit. Elle est intraduisible. Elle
reformule les livres et les auteurs. Elle leur donne
son éclat. Elle publie leurs livres dans le vent et
la chanson. Elle fait de leurs philosophies des
conversations de soirée.
Cette encyclopédie est une image complète
de Leila Barakat, de ses efforts en tant que
coordonnatrice générale de Beyrouth Capitale
mondiale du Livre. (…) ■
(Extrait de l’allocution de M. Salman au cours de la cérémonie
de lancement de l’encyclopédie).
Le député M. Mohammed Kabbani,
Dr Leila Barakat et M. Talal Salman.
M. Taref Othman,
DG de Dar Al-Ilm.
M. Talal Salman, l'éternel amoureux de Beyrouth, entouré de la crème de la société beyrouthine.
« Un évènement culturel archivé pour la première fois au Liban »
Mohammed Youssef Beydoun
J’ai le grand honneur
de représenter SE le
président Sélim elHoss, la conscience
du Liban. En vérité,
il n’est nul besoin
de présenter Sélim
el-Hoss. En revanche, avant de prononcer son
allocution, permettez-moi de consacrer quelques
minutes à Talal Salman et Leila Barakat, quoiqu’il
ne soit nullement nécessaire de les introduire, eux
non plus, car aucun titre ne saurait leur rendre
pleinement justice.
M. Talal Salman a entamé son parcours comme
propriétaire et directeur du quotidien As-Safir, avec
le slogan « La voix des sans-voix ». Il entendait en
faire « le journal du Liban dans la nation arabe – le
journal de la nation arabe au Liban ». Son désir
fut exaucé à force de fermeté et de détermination.
Il adopta toutes les causes arabes, à la tête
desquelles, bien sûr, la question palestinienne.
Le docteur Leila Barakat, quant à elle, est un cas
unique. Elle est constamment en quête de plus de
savoir sans jamais se rassasier. Elle a décroché
successivement plusieurs diplômes, passant d’un
pays à l’autre. Toutes les tâches qu’elle a assumées
ont été entreprises avec le sens de l’excellence et du
défi, toujours couronnées de succès. Elle n’arrête
pas de trimer, de jour comme de nuit. Si jamais
elle prend un peu de repos, c’est seulement pour
réfléchir à la solution d’un problème qu’elle entend
résoudre. De ma vie je n’ai connu une personne
aussi altruiste, s’occupant aussi peu d’elle-même.
Les mots « jours de congé » ou « jours de fête »
lui sont inconnus car ils sont pareils aux journées
ordinaires.
Aussi n’est-il point étonnant qu’elle produise
une œuvre d’une telle ampleur, que nous vous
distribuerons à l’issue de cette cérémonie. En
réalité, c’est la première fois au Liban qu’a lieu la
mise en recueil d’un événement culturel de niveau
mondial aussi considérable que Beyrouth Capitale
mondiale du Livre. ■
(Extrait de l’allocution de M. Beydoun au cours de la
cérémonie de lancement de l’encyclopédie).
M. Talal Salman et
M. Ahmad Tabbara,
DG de « Innovation ».
4
DOSSIER DU MOIS : UNE ENCYCLOPÉDIE SUR BEYROUTH CAPITALE MONDIALE DU LIVRE
La reconnaissance et le défi
Farès Sassine
La proclamation de Beyrouth, capitale mondiale
du livre 2009, marque la reconnaissance de son
universalité et la consécration de sa primauté dans
le domaine de la culture en général, et dans celui du
livre en particulier.
L’universalité de Beyrouth se manifeste à travers
ce dialogue constant entre son ouverture au monde
et son enracinement dans ses origines orientales,
arabes, communautaires et religieuses... Cela
signifie que Beyrouth n’évolue pas uniquement vers
une perspective d’avenir et de globalité mais qu’elle
est, avant tout, le premier vivier expérimental et
universel d’interactions entre l’ancien et le moderne,
le rationnel et l’irrationnnel, le spirituel et les modes
de vie matérialistes en expansion, entre l’intégrisme
et l’ouverture, le repli sur soi des factions et le
développement civilisateur... Et ce qui donne,
ou doit donner, un sens et une valeur aux espaces
de dialogue à Beyrouth, c’est justement l’aspect
tragique, parfois violent, de ce qui se déroule dans
Dr Ibrahim Othman et Dr Zahida Darwiche,
Secrétaire générale de la CNL pour l'UNESCO.
ses rues, ses immeubles et ses quartiers, aspect
que l’on impute à une « mondialité » issue de la
géographie et de l’histoire, mais qui appelle aussi
la responsabilité des intellectuels de Beyrouth et de
ses habitants.
L’avant-gardisme de Beyrouth dans le domaine
culturel est une réalité qui n’a pas besoin d’être
prouvée. La ville avait déjà assumé ce rôle, bien
avant la proclamation du Grand Liban en 1920, à
l’époque où les écoles et les universités modernes
étaient édifiées, complétant le rôle du Mont-Liban,
et prédisposant Beyrouth à s’affirmer comme
capitale culturelle du pays bien avant qu’elle n’en
devienne la capitale économique et politique.
Le livre apparut dans la perle du Machrek à la
fin du 19ème siècle. Les publications s’y faisaient en
langue arabe, et le patrimoine antique, l’écriture, la
renaissance linguistique, littéraire et scientifique, y
furent ravivés, octroyant à cette patrie toute neuve,
le Liban, l’un des fondements primordiaux de son
existence. Mais la reconnaissance du rôle de Beyrouth
n’implique pas qu’elle se repose sur ses lauriers. Car
Dr Khaled Tadmori et son épouse.
Beyrouth n’est pleinement Beyrouth que lorsqu’elle
relève les défis, qu’elle se dégage des impasses
pour continuer à tenir son rang, et conserver cette
excellence que lui envient les autres capitales.
En assumant sa primauté dans le domaine de la
culture, Beyrouth doit se surpasser. Elle doit résoudre
les problématiques qui se posent aujourd’hui partout
dans le monde, au sujet du livre et de la place de la
culture, et contribuer efficacement à établir de nouvelles
approches pour le traitement de ces questions.
Il existe à Beyrouth et au Liban une diversité,
une liberté, des possibilités d’interactions et des
capacités créatrices qui permettent de relever
ces défis. Mais les tâches importantes qu’il nous
incombe à nous tous d’accomplir, requièrent une
créativité novatrice et une collaboration rationnelle
afin de pouvoir, munis du livre et de la culture,
donner de la voix dans ce siècle nouveau menacé
d’obscurantisme. ■
(Article de Farès Sassine, professeur de Philosophie à
l'Université Libanaise, extrait de l’encyclopédie).
M. Karim Mroué et l’ancien Directeur général de
l’Inspection des Finances Dr Hassan Awada.
Mme Sophie Salloum, Présidente de l'Association des
Enseignants de Français et Dr Elham Hoteit.
C'est dans une ambiance gaie et joviale que l'audience a découvert l'encyclopédie qui a été offerte à tous les présents.
Mme Nathalie Saba et le DG du Conseil
économique et social M. Farouk Yaghi.
M. Mohammed Irani,
DG d'Academia.
Mme Emilie Nasrallah
et M. Iskandar Habache.
Mme Nassima Al Khatib, Présidente de BeyrouthPatrimoine et l’ancien DG Mme Nimat Kinaan.
Dr Fadia Kiwan, représentante du
Chef d'Etat pour la Francophonie
et Mme Sardouk.
À Beyrouth, ma mère de cœur
Ahlam Mosteghanemi
L’écrivain n’est pas enfanté par une seule ville. Il
a autant de mères que de villes qui ont veillé sur lui.
C’est pourquoi tout écrivain possède un pays natal,
un autre pour son cœur et un troisième pour sa plume.
Il y a des villes qu’on habite et d’autres qui
nous habitent. Des villes qu’on écrit et d’autres qui
nous écrivent.
Il n’existe aucun écrivain arabe qui n’ait été écrit
par Beyrouth, avant même de l’avoir visitée. Il n’est
pas obligé d’y habiter, c’est elle qui l’habite.
Et puisque les liens de l’encre sont plus forts que
les liens du sang, il n’existe aucun écrivain arabe qui
n’ait trahi son pays avec Beyrouth.
Dans la vie de tout écrivain arabe, il y a un avant
et un après Beyrouth. Personne ne l’a quittée sans
avoir emporté avec lui un éclat de sa beauté et un
grain de sa folie.
Ibn Arabi a dit : « On ne peut faire confiance à un
lieu qui ne peut pas être féminisé ». Connaissez-vous
une seule ville qui soit plus féminine que Beyrouth ?
Elle est la Vénus des Arabes, et elle est notre
Ève... la reine du monde... notre dame... notre mère...
une tribu de femmes en une seule femme.
Écrivain anonyme, tu arrives chez elle. Elle
ne t’interroge pas sur tes origines. La littérature ne
requiert pas de haut lignage. Ta plume est ta filiation.
Chaque créateur est orphelin, selon Nizar
Kabbani, mais il n’y a pas un seul créateur qui ait
demeuré à Beyrouth sans avoir gagné en son sein
une famille et un clan, y prospérant en chef de tribu.
Son arbre généalogique se transforme en forêt par
le nombre de ses lecteurs, et c’est pour cette raison
précise que Beyrouth est devenue la mère de tout
écrivain et qu’elle a été couronnée Capitale du Livre
depuis l’éternité.
(...) Si tu viens à résider dans n’importe quelle
autre capitale arabe, celle-ci te montrera de l’hostilité
pour ton succès. C’est pour cela que tous les grands
sont passés par Beyrouth, car seul le ciel de Beyrouth
leur a permis d’être des astres sur sa terre.
Pour tout ce qui a été dit, je proclame Beyrouth
ma mère de cœur. Et je proclame, vous prenant à
témoin, mon appartenance au Liban. Beyrouth ne m’a
pas prise par la main mais par la destinée.
(...) Beyrouth est ainsi, elle ne fraternise pas avec
toi... elle t’adopte. Et tu ne pourras plus lui échapper,
car tu ne sauras plus vivre ailleurs.
Elle est le passage inévitable pour tes aspirations.
Elle est la ville de ta liberté, de toutes tes libertés. À
qui d’autre qu’elle confierais-tu ta folie ? Qui d’autre
qu’elle impliquerais-tu dans tes causes et tes rêves ?
Elle est la ville des insoumissions... et la ville de
la rébellion, si elle le désire. Celle du bâtisseur et du
résistant, la ville des plumes nobles et élégantes, qui,
à l’apogée de leur ardeur, tombent, ensanglantées,
pour un principe et une poignée de mots. ■
(Allocution de la romancière algérienne Ahlam
Mosteghanemi à l’occasion du lancement de Nessyan.com
- L’art d’oublier -, extraite de l’encyclopédie).
CULTURE
SUPPLÉMENT MENSUEL - NOVEMBRE 2014
5
Du 31 octobre au 9 novembre 2014
Le Salon du Livre francophone de Beyrouth
Cela a commencé il y a 20 ans.
1992 : Il y a vingt ans, l’Ambassade de France crée le Salon du livre
francophone pour rendre hommage aux libraires qui ont continué a diffuser,
durant la guerre civile, la production des maisons d’édition françaises. Le
Salon s’installe à l’Espace des lettres, rue de Damas, sur 600 m². Très vite,
un partenariat a été établi avec le Syndicat des importateurs du livre et les
libraires francophones libanais.
1994 : Les disquaires libanais sont associés à la manifestation qui
devient le Salon francophone du livre, du disque et du multimédia : « Lire
en français et en musique ».
1995 : Le Salon du livre s’installe au Futuroscope puis, à partir de
2002, au BIEL, très proche du Centre-ville. La manifestation prend de
l’ampleur et s’étend désormais sur 3500 m².
2005 : Preuve du dynamisme et de la richesse de l’édition et de la
culture française au Liban, près de 92 000 visiteurs rencontrent une
cinquantaine d’auteurs francophones et plus de 70 stands réunissent
dans une même optique, les librairies, les maisons d’édition nationales,
la presse et les différentes associations culturelles libanaises, les
ambassades francophones et institutions autour d’un programme riche
en nouveautés. (...)
2008 : L’organisation du Salon revient au Syndicat des importateurs
de livres. Le Bureau du Livre de l’Ambassade de France peut centrer son
intervention sur la programmation culturelle : l’édition 2008 est l’occasion
de recevoir une centaine d’écrivains dont une quarantaine venus de
l’étranger, et de découvrir de très nombreux auteurs francophones libanais
ainsi qu’un large programme de conférences et de rencontres.
2009 : A partir d’avril et durant un an, Beyrouth est « Capitale
mondiale du livre » de l’Unesco. Cette nomination donne à la 16 ème édition
du Salon du livre un caractère particulier. De nombreux artistes de renom
sont présents, et le prestigieux Prix littéraire des cinq continents organisé
par l’Organisation internationale de la Francophonie, est décerné au Salon.
Des événements marquants sont organisés dont le projet Ulysse 2009, dans
le cadre duquel un bateau transportant une
pléiade d’auteurs et de conférenciers termine
son voyage dans le port de Beyrouth.
2010-2011 : Depuis deux ans le Salon,
qui a confirmé sa position phare dans la vie
culturelle libanaise, s’organise autour de
grands thèmes : « Les mots de la Méditerranée » en 2010 et « Les mots
de la liberté » en 2011. La Belgique qui était l’invité d’honneur en 2011
organise de nombreuses rencontres et notamment les frères Schuiten qui
créent « en live » et en musique le dernier épisode d’une série BD.
2012 : Le Salon fête ses 20 ans, en 2012, avec l’Académie Goncourt
comme Invité d’honneur. Huit académiciens annoncent en direct du Salon,
la 3ème sélection du Prix Goncourt 2012. A cette occasion est lancé le
nouveau prix littéraire Liste Goncourt / Le Choix de l’Orient. 18 étudiants
de 12 Universités du Proche-Orient ont la tâche de désigner un titre parmi
la 2 ème sélection Goncourt.
2013 : Le Salon a accueilli l’écrivain libanais Amin Maalouf ainsi que
la prestigieuse Académie française. (1) ■
(1) Site web du Salon du Livre francophone de Beyrouth.
Quelle capitale pour quel livre ?
Mohammad Al-Sammak
Avant que les inondations ne submergent la ville
de Ninive, dans l’antique royaume assyrien, le roi
Ashurbanipal (668-627 av. J.-C.) accorda un intérêt
particulier aux tablettes d’argile qui contenaient les
textes des rituels religieux, les règles à suivre pour
offrir des sacrifices aux dieux, ainsi que l’art de lire
l’avenir dans les étoiles et les planètes. Il ordonna
d’assembler ces tablettes et de les ranger dans des
étagères surélevées, à l’abri des débordements du
Tigre et de l’Euphrate. Cette initiative fut la première
tentative de l’histoire pour aménager une bibliothèque.
Un certain nombre de ces tablettes est conservé jusqu’à
ce jour au British Museum de Londres.
Les bibliothèques n’existent sous l’aspect qu’on
leur connaît aujourd’hui que depuis la découverte de
l’imprimerie par Gutenberg, ce qui a ouvert la voie à
la publication d’ouvrages en grande quantité.
Les premières bibliothèques, telle la bibliothèque
de Ninive, étaient constituées de livres traitant de
religion, d’astrologie et d’astronomie. Par la suite,
on y inclut les livres de médecine, de mathématiques
ou de littérature. En 1290, la bibliothèque de Paris
ne contenait qu’un millier d’ouvrages environ,
consacrés à la littérature et à la religion, empilés
sans inventaire ni classification. En revanche, cent
ans plus tôt la bibliothèque d’Al-Zahra’, capitale du
califat en Andalousie, avait inventorié et classé ses
400 000 livres selon leurs différents sujets : science,
médecine, astronomie, histoire, philosophie et
doctrine musulmane. La majeure partie de ces livres
fut traduite dans les langues européennes et constitua,
par la suite, la base de la Renaissance moderne.
Bon nombre de bibliothèques européennes
conservent toujours des manuscrits arabes de
l’époque. Dans la bibliothèque du Vatican, par
exemple, on dénombre plus de dix mille anciens
manuscrits arabes, dont le plus ancien, qui appartenait
au couvent Sainte-Catherine du Sinaï, en Égypte, fut
récupéré pour le compte de la bibliothèque par le
moine libanais, Andraos Iskandar, employé au Vatican
au 17ème siècle. Ce manuscrit, que l’on suppose être
le plus ancien texte en langue arabe se rapportant à
l’Évangile, présente un sermon sur le sujet des noces
du royaume des cieux : c’est un texte de mystique
chrétienne qui décrit la condition ascétique du
moine et son renoncement au monde pour mieux se
rapprocher de Dieu.
La bibliothèque du Vatican possède aussi une
ancienne et exceptionnelle collection de 850 000
manuscrits du Coran en différentes langues, ainsi
que plus d’un million de livres imprimés, 100 000
documents historiques, et des sceaux rares ayant
été utilisés par les papes, les rois d’Europe et les
empereurs pour authentifier leurs documents.
La bibliothèque du Vatican renferme également
des manuscrits sur papyrus, qui ont échappé à la
destruction de l’antique bibliothèque d’Alexandrie ;
celle-ci a été reconstruite par l’Égypte avec le
concours de l’Unesco, permettant d’ouvrir en 2002
la plus importante bibliothèque du monde arabe, de
l’Afrique et du Moyen-Orient.
Les recherches et les fouilles se poursuivent
jusqu’à nos jours pour retrouver des manuscrits
anciens en langue arabe. J’en ai vu un certain
nombre dans la bibliothèque de l’Université de
Selly Oak, à Birmingham en Angleterre. Quand je
me suis renseigné sur le mystère de leur présence
en ce lieu, j’ai été informé que le propriétaire de la
chocolaterie Cadbury avait consacré un important
budget pour l’acquisition de ces documents et que
l’université (financée par Monsieur Cadbury) avait
chargé une personnalité d’origine irakienne de
cette tâche, laquelle avait été couronnée de succès.
Ceci a eu lieu bien avant que n’éclate la guerre en
Irak. On peut donc imaginer ce qui a pu se produire
après l’invasion…
Ces faits rappellent combien l’alliance entre
le livre et le monde arabe est historiquement très
ancienne. Or, selon les statistiques de l’Unesco, la
production arabe littéraire moderne est très faible
comparativement à sa démographie.
Il existe un adage qui dit que le Caire écrit, que
Beyrouth publie et que Bagdad lit. On peut penser que cela
est exagéré. Cependant, et sans considérer le pourcentage
des lecteurs au Liban, les statisques de l’Unesco affirment
que de 1975 à 1990, pendant la période des événements
sanglants, il a été publié au Liban plus d’ouvrages que
dans les autres pays arabes réunis. ■
(Article de Mohammad Al-Sammak, Secrétaire général
de la Commission du dialogue islamo-chrétien, extrait de
l’encyclopédie de Beyrouth Capitale mondiale du Livre).
6
POLITIQUE LOCALE
Houla, Adayssé, Kfar Kila, Mayss el-Jabal…
Ils osent bâtir des palais sur la frontière sud…
Elie Ferzli
D
ans le caza de Marjeyoun, de Kfar Kila à
Adayssé en passant par Houla et Mayss el-Jabal,
c’est une seule et même histoire, un seul et même
sort, avant d’atteindre le caza de Bent Jbeil. Quatre
bourgs et villages frontaliers, dont les habitants
ont grandi en contemplant une Palestine qui fait
partie de leur quotidien, comme ceci est d’ailleurs
le cas pour toutes les autres agglomérations le
long de la frontière.
Kfar Kila, qui en langue syriaque signifie
« le village de la mariée », entretient une longue
relation avec la résistance. En 2000, la localité a
littéralement revêtu les atours d’une mariée, car
c’est par son passage grand ouvert que s’en est allé
le dernier soldat israélien. Qui veut constater de
visu la défaite israélienne n’a donc qu’à visiter le
lieu symbolique dit Porte de Fatima, puis lancer une
pierre en direction du poste militaire israélien situé
en face, et repartir.
La porte n’a pas tardé à se transformer en point
de ralliement pour tous les sit-in et manifestations
organisés lors des occasions nationales. Israël en a
été à ce point irrité qu’il a érigé un mur de béton à
droite et à gauche du passage. Mais si la vue a été
occultée, la symbolique du lieu, elle, est demeurée
intacte ; d’autant qu’Israël n’a pu effacer les traces
de sa défaite gravées de manière flagrante tout au
long de la frontière.
En 2000, le Liban-Sud a brisé les chaînes
d’une occupation qui s’était maintenue un quart
de siècle environ. Puis la victoire de 2006 a
définitivement discrédité l’image israélienne
d’invincibilité. Les habitants des localités
frontalières, qu’ils soient pour ou contre l’action
du Hezbollah, se rejoignent dans la constatation
qu’Israël a concrètement prouvé qu’il était « plus
fragile qu’une toile d’araignée ».
À Houla, le docteur Nemr Salim s’enorgueillit :
« Israël a peur de nous et non l’inverse ». Il raconte
qu’il a acheté un terrain qui jouxte la frontière, en
vue d’y bâtir une demeure, entreprise inenvisageable
avant la victoire de juillet-août 2006. Dr Nemr, qui
est communiste, assure que sa localité, connue pour
être historiquement un bastion communiste, ne se
préoccupe pas de savoir qui résiste. La priorité est
de résister.
(…) Ce n’est pas l’avis du frère de Nemr,
Adel, qui revient d’Arabie Saoudite : « Les camps
du 8 mars et du 14 mars (un allié, l’autre opposé
à Damas, ndlr) sont des voyous qui s’imaginent
que le Liban est leur domaine. » Il a des réserves
à formuler sur la conduite du Hezbollah,
notamment sur son ingérence en Syrie, mais il
refuse d’établir une distinction entre les uns et les
autres : chacun tient sa part de responsabilité dans
le dépérissement de l’État.
Ces divergences d’opinions ne s’aggravent
jamais au point de se muer en conflits. Ainsi, Sajed
Ghenwi ne nie aucunement l’importance historique
de l’implication des communistes dans la lutte.
Affilié au Hezbollah et lui-même issu d’une famille
communiste, il confirme que les habitants de Houla
se tiennent toujours les coudes quand il s’agit de
résister. Malgré tous les désaccords politiques, leur
but est le même : résister à Israël.
Le village de Mayss el-Jabal ne diffère pas trop
de Houla, en dehors du fait qu’il surpasse son voisin
par la profusion de banderoles commémorant la
victoire de juillet-août : « Mayss el-Jabal, citadelle
du djihad et de la résistance ».
(…) La sécurité, et encore la sécurité : toutes
les personnes rencontrées en cours de route nous
Caricatures de Naji Al Ali montrant la colonisation israélienne.
évoquent ce sentiment de sécurité qu’éprouvent
aujourd’hui les habitants du Sud. Abbas Kabalan, un
captif libéré, déclare que la guerre de juillet-août a
entériné l’équation de la stabilité dans la région et
que « l’Israélien ne perd pas de vue que toutes ses
colonies sont à la portée des fusées ». (…)
Les soldats du contingent indonésien de la Finul
sourient devant les caméras. Ils sont positionnés sur
la corniche du village de Adayssé ; celui-ci donne sur
la plaine de Houla, qui s’étend jusqu’en Palestine.
Affables, ils ne trouvent aucun inconvénient à être
pris en photo par les visiteurs.
La position de Adayssé est particulièrement
délicate aux yeux de la Finul. Ses recrues et ses
officiers n’ont pas oublié les affrontements qui
se sont déroulés entre les armées libanaise et
israélienne, il y a quatre ans (le 3 août 2010), autour
de l’abattage d’un arbre par les Israéliens, dans la
zone frontalière libanaise. Bilan : côté israélien, un
officier mort et deux soldats blessés ; côté libanais,
trois soldats morts, ainsi que le journaliste Assaf
Bou Rahhal.
Cet incident n’aura pourtant pas été le plus
grave depuis la guerre de juillet-août. Nombre
de provocations israéliennes l’ont suivi, que le
contingent international, qui venait de s’établir dans
un poste près de celui de l’armée libanaise, s’est
efforcé de traiter pour contenir la situation.
Les violations israéliennes n’ont pas altéré les
projets des habitants de la ville. Les maisons se
succèdent sur la bande frontalière, et des palais s’y
construisent sans que leurs propriétaires s’inquiètent
de les voir pris pour cibles, en première ligne dans
l’éclatement de n’importe quelle guerre future.
Construire le long de la frontière est devenu
une culture de la résistance, que partagent tous les
habitants du Liban-Sud. ■
Elie Ferzli est journaliste politique.
Chasser un peuple, ravir sa terre, y construire des
colonies : ces stratégies sionistes s’appliquent en
Palestine, mais non au Liban-Sud. Les Libanais, qui vont
jusqu’à bâtir des palais sur la frontière sud, ont appris la
leçon. Les Israéliens aussi.
POLITIQUE REGIONALE
SUPPLÉMENT MENSUEL - NOVEMBRE 2014
7
Les femmes-martyres dans le monde arabe
Retour aux sources d’un phénomène à relativiser
Carole André-Dessornes
L
a femme a toujours joué un rôle durant les
guerres, même si la plupart du temps elle est restée
en arrière-plan. En avril 1985, les femmes vont faire
leur entrée dans un espace qui demeurait jusqu’alors
l’apanage des hommes. Avec l’occupation du Liban
par Israël, émergent de nouvelles stratégies de lutte
introduites par le Hezbollah, à savoir les opérationssuicides, très vite appelées opérations-martyres.
Mais c’est par le biais de mouvements séculiers,
le PSNS (Parti social-nationaliste syrien), le Parti
communiste libanais et le parti Baas syrien, que cette
forme d’engagement au féminin dans la lutte contre
l’occupant sera inaugurée.
Sanaa Mehaidli, la première femme-martyre
morte dans une opération-suicide contre une
armée d’occupation, incarne un nouveau visage
de la lutte nationaliste. Elle est celle qui ouvrira
la voie et deviendra une source d’inspiration pour
d’autres après elle. Le 9 avril 1985, elle lance une
Peugeot 504 chargée de 200 kg de TNT contre
un convoi de l’armée israélienne dans la zone de
sécurité de Jezzine.
Quelques jours plus tard, le 21 avril 1985, c’est
Loula Abboud qui accomplit sa mission-suicide.
Au total une dizaine de femmes participeront à
la lutte dans ces opérations-martyres au Liban contre
l’armée d’occupation et sa milice supplétive, l’ALS
(Armée du Liban Sud).
L’arrivée de ces nouvelles protagonistes crée
la stupeur autant qu’elle suscite l’horreur chez
l’ennemi. Ce phénomène paraît inconcevable du
fait même que la mort est envisagée dès le départ,
ce qui va à l’encontre de l’instinct de survie propre
à l’être humain.
Ces femmes ne présentent jamais leur acte comme
un suicide, mais comme un sacrifice pour une cause
noble : la libération d’un territoire bafoué ! Pour ce
qui est de l’Irak, le cadre serait plutôt celui d’une
dérive, comme nous le verrons plus loin.
Ces femmes-martyres (ou femmes-kamikazes)
se sont engagées dans cette voie au nom de la lutte
nationale de libération, ou au nom de Dieu, ou encore
des deux à la fois. Le contexte est essentiel pour
comprendre un phénomène globalisé et bien trop
souvent défini à travers le paradigme religieux ; or il
faut comprendre que la religion n’est qu’un habillage.
Cette stratégie du sacrifice de soi s’inscrit
pleinement dans une lutte asymétrique. Infliger
des pertes humaines et matérielles, fragiliser
psychologiquement l’ennemi en mettant l’accent
sur sa vulnérabilité, tels sont les objectifs de ces
missions-suicides.
La femme en choisissant cette voie rompt
de manière délibérée avec les normes sociétales
traditionnelles. Son entrée dans cet univers est perçue
comme une transgression. La candidate au martyre
se trouve au centre de contradictions, oscillant entre
affirmation de soi et renoncement.
Avec la Palestine, le religieux finit par se greffer
sur la lutte nationale. Les missions-martyres vont
Graffiti à Gaza
représentant la martyre
Dalal al-Maghrabi
surnommée « La mariée
de la Palestine ».
Dalal al-Maghrabi est
une combattante du
Fatah qui est morte
dans l’attaque qu’elle a
perpétrée sur un bus de
Tel Aviv.
« Mourir est passivité, mais se
tuer est acte. » (André Malraux)
marquer une nouvelle étape dans la lutte contre
Israël. On peut comprendre aisément que Wafa
Idriss, première Palestinienne à mener une telle
opération contre Israël le 27 janvier 2002, va là
aussi créer la surprise. Ces attaques au féminin
menées au départ dans le cadre des Brigades des
martyrs d’al-Aqsa – branche armée du Fatah – ont
un impact psychologique tel que cela va pousser
les organisations islamistes jihadistes à emboîter le
pas. Le sacrifice de Wafa Idriss a suscité des débats
y compris au sein du Hamas et du Jihad islamique,
qui bien qu’opposés au départ à la féminisation de
ces opérations, ont compris l’intérêt et les enjeux
que cela représentait.
Certaines de ces femmes ont rejoint les
groupuscules uniquement pour accomplir leur
mission, ce qui ne signifie pas pour autant qu’elles
aient été engagées politiquement. Ces nouvelles
icônes sont arrivées à un moment où la lutte
nationale palestinienne souffrait d’un déficit de
figures emblématiques.
La religion est loin d’être le facteur déterminant
dans cet engagement des femmes dans la voie
du martyre. Elle peut générer une plus grande
mobilisation chez ces dernières, mais elle
n’explique pas tout. S’il s’avère que les motifs
qui poussent les femmes à franchir le pas sont
assez similaires à ceux qui conduisent les hommes
sur ce même chemin, il est clair que les raisons
personnelles ont également leur place.
Affirmer son identité, se venger de la mort d’un
proche, tout faire pour bâtir un monde meilleur mais
dans l’au-delà, faire face à la souffrance imposée par
l’autre, reprendre la main sur son destin en choisissant
sa mort…voilà autant d’éléments qui peuvent jouer
un rôle dans cette destinée choisie.
C’est en Irak que le nombre d’opérations a
connu une ampleur sans précédent, y compris pour
les femmes (surtout entre 2007 et 2010). Cette
violence repose sur la terreur, « pierre angulaire » de
l’idéologie jihadiste revendiquée alors par Al-Qaïda.
Les principales cibles de ces missions opérées par les
femmes en Irak sont les Irakiens eux-mêmes : forces
de sécurité comme population civile chiite.
Beaucoup de ces femmes ont perdu un proche,
d’autres se sont retrouvées totalement isolées donc
plus vulnérables. Le martyre peut devenir une sorte
d’échappatoire !
Certains leaders et religieux de la mouvance
jihadiste ont favorisé cette entrée de la femme dans la
sphère sacrificielle, y voyant une façon de pallier le
manque de volontaires hommes.
Ces opérations-martyres en Irak semblent relever
plus d’un activisme développé par des femmes
désœuvrées ou séduites par une idéologie mortifère,
que par des femmes convaincues du bien-fondé de
leur engagement pour une cause nationale.
La violence n’a pas de genre, l’histoire ne cesse
de le prouver aussi loin que l’on puisse remonter
dans le passé.
Plus une guerre dure, plus ce type d’engagement
risque de faire son apparition. Jusqu’à présent la
Syrie avait été épargnée par les opérations-martyres
menées par des femmes, mais le 5 octobre dernier,
Arin Mirkan, âgée d’une vingtaine d’années
et membre des Unités de protection du peuple
(YPG), branche armée syrienne du PKK (Parti
des travailleurs du Kurdistan), s’est fait exploser
en ciblant les jihadistes de l’EI. Le PKK est
connu pour avoir eu recours, dans le passé, à cette
tactique. Mais il faut rappeler que ce phénomène
des femmes-martyres relève plus de l’exception que
du signe avant-coureur d’une tendance appelée à se
généraliser. Le monde arabe est un théâtre parmi
bien d’autres de ce type de missions-suicides. ■
Carole André-Dessornes, de nationalité française, est
consultante en géopolitique, chercheur, Docteur en
sociologie et membre associée du CADIS (Centre d’analyse
et d’intervention sociologiques) de l’Ecole des hautes études
en sciences sociales.
8
LA PAGE DE TALAL SALMAN
Il pleut des livres sur Beyrouth, cette capitale qui
a confédéré Le Caire, Damas, Bagdad et bien d’autres !
C’
est par le livre que ma génération s’est
introduite à Beyrouth, cette cité enchanteresse
qui continue à nous enseigner la lecture. Et on en
redemande, dans l’espoir qu’en sachant plus, nous
pourrions comprendre mieux et trouver notre chemin
vers le futur.
Entre l’école et l’université, entre le café et le
restaurant, entre la maison et les chambres miteuses à
petits loyers juchées sous les toits, il y a toujours eu,
pour les jeunes gens issus de la poussière des capitales
ou des blés verts de nos campagnes, des promesses
éternelles de livres sur les trottoirs.
Les bibliothèques n’étaient pas nombreuses, les
maisons d’édition non plus, et l’insuffisance de nos
piastres ne pouvait prétendre à l’achat de ces livres
aux couvertures pourtant banales, mais où brillaient
les noms poétiques de leurs illustres auteurs.
Les livres qu’on achetait, après d’autres qui les
avaient maintes fois lus avant nous, nous offraient à
foison leurs sujets et leurs titres. C’étaient des romans
de passion ou d’amour, dont les dernières lignes
étaient escamotées, nous privant de la jouissance
du dénouement. Il y avait les biographies, les livres
historiques ou encore les romans policiers. Plus rares,
voire presque inexistants, étaient les essais politiques,
ou les mémoires de personnalités célèbres qui avaient
opéré des changements et initié des événements
majeurs ; s’il nous arrivait d’en trouver un ou deux
sur le trottoir du libraire, des pages entières en
manquaient ou ils étaient considérablement abîmés.
Les plus importantes imprimeries se trouvaient
au Caire : Dar al-Maâref, Dar al-Hilâl, et par la
suite, Dar al-Qawmiyya, qui nous a inondés d’une
profusion de livres et de sujets, certains traduits,
avec de nombreuses autobiographies, mais aussi des
ouvrages de philosophie, de psychologie et d’art.
Damas rivalisait avec Alep dans le domaine de la
publication, mais il fallait aussi compter avec Bagdad
et ses trésors cachés de poèmes, de romans et d’études
sur le patrimoine.
Certains trottoirs, dont les plus fréquentés se
trouvaient en face de l’immeuble Azariyyé, au cœur
de Beyrouth, ou dans les alentours de l’Université
américaine, se sont transformés en expositions
permanentes de livres hétéroclites, dont la majorité
était déjà passée de main en main, et dont quelquesuns seulement n’étaient pas lacunaires et possédaient
encore toutes leurs pages. L’on pouvait parfois deviner
l’identité de certains lecteurs grâce à leurs annotations
dans les marges. C’était un réel plaisir de lire les
commentaires ou les notes de celui qui avait lu le
livre avant nous... Certains avaient même inscrit des
pensées, imaginant peut-être les reprendre un jour.
Vers la fin des années cinquante, Beyrouth
s’imposa à l’ensemble du monde arabe dans les
domaines de l’édition et de la publication. Des
conflits politiques s’étaient instaurés entre ceux qui
s’imaginaient être les défenseurs de la conscience
du peuple et de ses aspirations, et ces États qui,
directement ou au travers d’hommes d’État liges,
voyaient dans les appels au changement une volonté
d’hégémonie égyptienne camouflée sous la bannière
de l’arabisme.
L’arabisme semblait pouvoir se ramasser en
un seul État depuis la naissance de la République
arabe unie, suite à la proclamation de l’union entre
l’Égypte d’Abdel Nasser et la Syrie, celle-ci assiégée
par de fortes pressions occidentales, sous couvert des
alliances étrangères (le pacte de Bagdad, le projet
Eisenhower…). Éclata alors la guerre politique, dont
les armes favorites étaient la culture en général, et
l’information en particulier.
Par voie de conséquence, la presse et les maisons
d’édition, au Liban, furent dynamisées : de nouveaux
journaux et revues politiques apparurent, de nouvelles
tendances culturelles émergèrent, pro-arabes ou prooccidentales, modernes ou fumistes, traduites ou
retranscrites. La poésie se divisa en deux parties :
classique et moderne, du moderne en prose sans rythme,
ou du rythmé sans rimes, voguant au gré des nouvelles
vagues culturelles venues des capitales occidentales.
Beyrouth avait des allures de Caire et de Damas.
En même temps, un autre front s’y affirmait, celui du
Bagdad de Nouri el-Saïd, puis un troisième, celui de
l’Arabie saoudite et du Koweït.
(...) Il n’est pas présomptueux de dire que
Beyrouth est actuellement l’imprimerie et la maison
d’édition principale du monde arabe.
Des dizaines de maisons d’édition y ont
proliféré, en association ou en collaboration avec
des maisons algériennes ou marocaines, sans oublier
que certaines maisons égyptiennes ont ouvert des
succursales ou se sont associées à des maisons
libanaises, ou encore ont carrément adopté l’identité
libanaise pour des raisons politiques.
D’autre part, de nombreuses compagnies ont été
créées, associant des maisons d’édition occidentales
(françaises, allemandes, italiennes ou britanniques) à
des maisons libanaises, si bien que les imprimeries de
Beyrouth fonctionnent à plein régime...
Il n’est pas non plus présomptueux de dire que
plus de mille publications périodiques (munies de
leur permis de publication) paraissent actuellement à
Beyrouth, dont la plupart à un rythme hebdomadaire,
traitant de sujets artistiques ou sociaux ; d’autres ont
une périodicité mensuelle, quand certains paraissent
au gré du vent, rapportant des événements mondains,
à l’affût des soirées et cocktails de personnalités
en vue, des stars de la chanson boiteuse et de leurs
vidéo-clips en conserve.
Certains magazines sont publiés dans le but d’être
exportés : ils sont soit rédigés à Beyrouth pour des
gens du Golfe, soit rédigés dans les pays du Golfe
pour être ensuite publiés à Beyrouth, là où il n’y a
ni censure ni restrictions, puisant leurs sujets à tous
les râteliers sans jamais les épuiser, à peine de quoi
titiller le palais des lecteurs.
Beyrouth, Capitale permanente du Livre.
Dans un passé récent, elle représentait la rue
nationale arabe, que les manifestants des causes
arabes justes pouvaient occuper.
Il est dommage que les guerres civiles et les
scissions communautaires et sectaires aient fermé
cette rue, la transformant en ferment de crainte pour
le présent et l’avenir.
Et pourtant… Beyrouth, ce forum intellectuel et
littéraire, cette maison d’édition, cette imprimerie,
ce livre, ce journal du matin et cette télévision du
soir, continue à briller. Elle ne cesse d’aimanter
les rencontres de ceux qui continuent à résister au
désespoir et qui, bien qu’accablés par le poids des ans,
s’obstinent à faire naître une aube plus prometteuse.
Les maisons d’édition nous servent des livres à
profusion, au fil des heures, dans un catalogue riche
et varié, même si les expérimentations poétiques
et les tentatives d’écriture romanesque y tiennent
une place considérable. Mais les livres historiques,
les mémoires politiques, les études sociales et
économiques s’offrent également en nombre et en
qualité, d’autant plus qu’ils s’aventurent au-delà du
point de vue local pour englober des points de vue
arabe et international.
Beyrouth n’est plus la remplaçante du Caire, de
Bagdad ou de Damas.
Elle est toutes ces capitales à la fois. Elle est la
fierté des Libanais qui s’enorgueillissent de leurs
ancêtres qui ont créé l’alphabet, alors que l’Europe
bafouillait encore à la recherche de sa langue. ■